Scène I. §
LYNCEE, HIPERMESTRE.
LYNCEE.
Madame est il donc vray qu’apres tant de miseres,
Le Ciel ait arresté les fureurs de nos Peres,
Que de tant de perils nostre amour soit sauvé,
Et que nostre heureux jour enfin soit arrivé [?]
305 Je [vous] vois ma Princesse et vous vois sans contrainte,
Mes respects ne sont plus retenus par la crainte,
Et mon coeur à vous plaire attachant tous ses
soins*,
Pour s’expliquer à vous ne fuit plus les temoins [.]
Parlez, quels Dieux Madame, ont rompu tant d’obstacles [?]
HIPERMESTRE.
310 Ceux par qui vostre bras produit tant de miracles,
Ceux de qui vous tenez cette illustre valeur [ ]
Qui jusques dans ces lieux a porté la terreur,
A forcé Danaus à craindre vostre
gloire*.
LYNCEE.
Eh laissons loin de nous cette foible victoire [!]
315 Celle de mon amour m’occupe tout entier,
Et l’amour pres de vous me fait tout oublier [.]
Je ne vous diray point apres trois ans d’absence,
Quels peuples j’ay soumis à mon obeissance […]
Dans mes plus grans succes soupirant en secret,
320 Aymer sans esperance est tout ce que j’ay fait.
HIPERMESTRE.
C’est beaucoup mais Seigneur j’ay bien fait davantage,
Et l’aveu que j’en fais ne me fait point d’outrage [.]
Puis qu’un Pere aujourd’huy m’attache à votre sort
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Et qu’en fin le devoir et l’amour sont d’accord,
325 Sçachez ce qu’à jamais la vertu m’eut fait taire,
Si le Roy n’eut cessé d’estre à mes voeux contraire,
Quels tourments j’ay soufferts, quels combats j’ay rendus,
Pour vous garder un coeur que vous n’esperiez plus [.]
Des victoires d’un Pere à ses yeux satisfaite,
330 J’en ressentois dans l’ame une douleur secrete [:]
La guerre dans ces lieux asseurant son pouvoir,
Sembloit me derober les moyens de vous voir,
Et j’en eusse gardé quelque foible esperance,
Si son bonheur en Grece eut eu moins de constance [.]
335 Sentimens criminels que le devoir calmoit,
Mais qu’un tendre retour aussitost ranimoit [!]
Lors que des mille amans me voyant accablée,
Sur tout des yeux d’Iphis incessament troublée,
Craignant en sa faveur un ordre expres du Roy,
340 Je me disois tout bas, non ma
timide* foy [ ]
A s’engager ailleur peut bien estre forcée,
Mais ce coeur malheureux n’est fait que pour Lyncée [.]
LYNCEE.
Ah Princesse! au moment qu’il fallut nous quitter,
D’un espoir si charmant vous deviez me flatter [:]
345 Un mot eut
prevenu* le sujet de mes plaintes,
Malgré tous mes Rivaux calmé mes justes craintes,
Pourquoy me laissiez vous privé de ce secours [?]
HIPERMESTRE.
Helas croyois je alors vous quitter pour toujours [?]
Vous me laissiez paisible au sein de ma patrie,
350 ..........................................................................
J’ignorois que mon Pere eut dessein d’en sortir,
Et pensois au retour en vous voyant partir.
Vous souvient il Seigneur de l’affreuse journée,
Où sans prevoir* encor ma triste destinée,
355 Faisant pour vos succes mille voeux incertains,
Moy mesme je voulus vous armer de mes mains [?]
Combien en couvrant de ces fatales armes,
Fis je de vains efforts pour retenir mes larmes [!]
Et quand mes tristes pleurs intimidoient mes voeux,
{p. 15}
360 Vostre amour en tiroit des presages heureux.
LYNCEE.
Madame, et mon attente a t’elle esté trompée [?]
Quoy vos pleurs n’ont ils pas consacré cette epée [?]
Et par tout où depuis j’en ai porté les coups,
N’ay je pas tout vaincu pour m’aprocher de vous [?]
365 En effet, si la paix n’eut finy nos querelles,
Vous m’auriez veu suivy de mes troupes fidelles,
Les armes à la main sur mes vaisseaux vainqueurs,
Vous disputer en Grece à vos adorateurs […]
Mais quoy ce souvenir rapelle vos allarmes [?]
HIPERMESTRE.
370 Ah Prince si ces pleurs dont j’arrosay vos armes,
D’augures fortunez flattoient vostre valeur,
Qu’ils devinrent helas funestes à mon cœur [!]
Mon Pere des long-temps persecuté du vostre,
Las d’un sort si cruel voulant s’en faire un autre,
375 Fist armer promptement quelques vaisseaux legers [:]
Fuyons [,] me vint il dire [,] en des bords etrangers,
Il fuit, mes soeurs et moy nous marchons à sa suite,
Son adresse et la nuit derobent nostre fuite,
Le jour qui n’atteignit que bien loin nos vaisseaux
380 N’offrit plus à mes yeux que le Ciel et les eaux [;]
Plus de Lyncée. Alors dans ma douleur extreme,
Ah je sentis mon coeur s’arracher de moy mesme,
Et maudissant les vents de mon bonheur jaloux,
Faire de vains efforts pour se rejoindre à vous.
LYNCEE.
385 Madame sentez vous que cette affreuse Image,
Nous fait du sort present mieux gouster l’avantage,
Et que les justes Dieux par de si grans malheurs,
A de plus doux plaisirs ont disposé nos cœurs [?]
Apres trois ans entiers de chagrins et d’absence,
390 Nous voyons couronner vostre perseverence,
Et le Ciel adoucy va rendre des ce jour,
Nos plaisirs eternels ainsy que nostre amour.
HIPERMESTRE.
Prince voicy le Roy.
Scène III. §
DANAUS, HIPERMESTRE.
DANAUS.
Ma fille je connois l’ardeur de vostre flâme,
410 Mais enfin il est temps de vous ouvrir mon ame [.]
L’amour que vous inspire un époux pretendu, [17]
Ne fait il point de tort à celuy qui m’est dû [?]
Ne l’a t’il point eteint [?]
HIPERMESTRE.
Ne l’a t’il point eteint [?] Seigneur quel avantage,
Pretendez vous tirer d’un doute qui m’outrage [?]
415 La nature et l’amour ont leurs droits separez [.]
DANAUS.
Je le sçay mais les miens sont ils bien aseurez [?]
Quand je songe combien depuis vostre naissance,
Entre vos soeurs et vous j’ay mis de difference,
Que pour vous faire un sort digne de vostre choix,
420 De l’aisnesse pour vous je violay les Droits,
Que dispersant vos soeurs dans le fond de la Grece,
De mes plus chers Etats je vous fais la metresse,
Et que par le plaisir d’estre plus pres de vous,
Je quitte pour Argos les plaisirs les plus doux,
425 Lors que je me souviens que fuyant de Libye,
Ma plus sensible crainte estoit pour vostre vie,
De pareils sentimans suivis de tant d’honneurs,
Ma fille attandent plus de vous que de vos sœurs [.]
HIPERMESTRE.
Ouy Seigneur ouy de moy vous devez tout attendre,
430 Et mon amour pour vous ne peut estre assez tendre [.]
Mais vous joignez mon sort à celuy d’un époux,
Qui sçaura par ses
soins* m’aquiter envers vous,
Vous sçavez à quel point cet époux vous revere,
Qu’il voudroit de son sang...
DANAUS.
Qu’il voudroit de son sang... Ah ma fille [!]
HIPERMESTRE.
Qu’il voudroit de son sang... Ah ma fille [!] Mon Pere [!]
435 Que vois je [?] juste Ciel! qu’un chagrin si profond,
Dans un jour si serain me trouble et me confond [.]
Quoy quand vous invitez tout le monde à la joye,
Que sans crainte à vos yeux la mienne se deploye,
Vostre coeur malgré vous se trahit devant moy,
440 Et des soupirs contraints…
DANAUS.
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Et des soupirs contraints… Aussy n’est ce qu’à toy,
Qu’un Roy persecuté, qu’un Pere miserable,
Ose ouvrir le secret du tourment qui l’
accable* [:]
On en veut à mes jours.
HIPERMESTRE.
On en veut à mes jours. O Dieux!
DANAUS.
On en veut à mes jours. O Dieux! Un assassin,
Peut estre avant la nuit tranchera mon destin,
445 Peut estre...
HIPERMESTRE.
Peut estre... Et vous parlez d’
hymenée* et de feste,
Au moment que le Ciel menace vostre teste [!]
Songeons à vos Perils, prevenons l’attentat,
Prenons du criminel vangeance avec eclat [;]
Seigneur quelque pouvoir qui le rende terrible,
450 Vous avez pour le vaincre un secours infallible [:]
La flotte de Lyncée, un million de bras,
Armez pour vous defendre et vous et vos etats,
Ses braves chefs épars au palais, dans la ville,
455 Lyncée à tous moments luy mesme aupres de vous […]
DANAUS.
Ouy pour porter sur moy plus seurement ses coups.
HIPERMESTRE.
Luy sur vous, justes Dieux! l’effroyable pensée,
Pouvez vous sans horreur en acuser Lyncée [?]
DANAUS.
Luy, ses freres, ses chefs, ses amis, ses soldats,
460 Sa flotte, tous [,] ma fille ont juré mon trepas.
HIPERMESTRE.
Que dites vous Lyncée auroit l’ame assez noire,
Pour former un dessein ...Non je ne le puis croire [.]
Je prevoy* l’
artifice* et j’en connois l’autheur,
Iphis est seul icy Jaloux de son bonheur.
465 Ah cher Prince, est ce là l’amitié qu’on te jure [?]
Tandis que loin de moy... vous verrez l’imposture
Allons Seigneur, voyons Erigone et son fils,
Qu’ils parlent c’est assez.
DANAUS.
{p. 19}
Qu’ils parlent c’est assez. N’accusez point Iphis.
Accusez s’il le faut un oracle celeste,
470 Qui m’explique en ces mots leur pratique funeste,
En vain tu crois n’avoir plus d’ennemis,
Pour avoir fuy ton frere et quitté ta patrie,
Evite si tu peux le fer d’un de ses fils,
Qui te doit arracher la vie [.]
475 Consultez là dessus la nature et l’amour,
Pour sauver vostre amant trouvez y quelque jour [.]
Ce n’est point un effet des complots d’Erigone,
Argos ne m’avoit point encor veu sur son trone,
Mon nom estoit encore inconnu dans ces lieux,
480 Quand je fus averty par l’oracle des Dieux [.]
Trois ans pour mon repos refusant de le croire,
J’ay tâché vainement d’en perdre la mémoire,
J’ay fait pour me tromper mille efforts impuissans,
J’ay cherché des detours pour en troubler le sens,
485 Mais le Ciel m’a donné des reponses trop claires [:]
S’il ne marque pas Lyncée il marque un de ses freres,
Et s’il faut dans leur sort ne point l’envelopper,
Montrez moy l’assassin sur qui je dois fraper.
HIPERMESTRE.
Ah le Ciel vous rendra sensible à ma prière [.]
490 Mais puisqu’il vous parloit avec tant de lumière,
Dites moy falloit il rapeller pres de vous,
Un de vos assassins pour estre mon époux [?]
A quelle extremité vostre courroux me livre,
Seigneur quand mon devoir me force de vous suivre [?]
495 Je l’aymois et des lors sans examiner rien,
Mon coeur pour obeir se separa du sien [;]
Ny dans nostre depart ny durant nostre fuite,
Vous n’avez pas eu lieu de blasmer ma conduite,
J’ay veu durant trois ans mon espoir abbatu,
500 Sans que mon feu secret ait trahy ma vertu [.]
Vous n’aviez qu’à parler ne pouvant plus l’eteindre,
Au moins jusqu’au tombeau j’aurois sçeu le contraindre,
Et pour ne pas troubler vos tranquiles plaisirs,
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Seigneur j’aurois toujours étouffé mes soupirs [.]
505 Ah vous avez cherché jusqu’au fond de mon ame,
Les restes malheureux d’une secrete flâme,
Et pour faire éclater ces fatales ardeurs,
Vous avez inspiré mesme amour à mes sœurs [!]
Eh bien vous vouliez voir si par obeissance,
510 Vostre amour sur le mien auroit la preference,
Ouy Seigneur vous l’aurez [,] tout mon coeur est à vous,
Je bannis cet amour dont le vostre est jaloux,
Que l’
hymen* soit rompu : faites partir Lyncée,
J’en veux perdre à jamais jusques à la pensée [.]
515 Il ne recevra point mes adieux en partant,
Qu’il parte ; vostre amour mon Pere est il contant [ ?]
DANAUS.
Non vous l’epouserez. La
Pompe* est déja preste,
Et vostre seul
hymen* peut garantir ma teste [;]
Mais alors consultant l’amour et le devoir,
520 Songez que mes destins sont en vostre pouvoir.
HIPERMESTRE.
Eh bien Seigneur [?]
DANAUS.
Vous tournerez sur luy le coup qu’il me prepare [.]
HIPERMESTRE.
Moy sur luy Justes Dieux! Seigneur qu’ordonnez vous [?]
Que je trempe ma main dans le sang d’un époux [?]
525 Cette perfide main qui jointe avec la sienne,
Va recevoir sa foy, luy va donner la mienne [?]
Ô coup! ô trahison ! mais vous mesme Seigneur,
Pouvez vous en souffrir l’Image sans horreur [?]
Pouvez vous m’ordonner...
DANAUS.
Pouvez vous m’ordonner... Non remplissez l’oracle,
530 Voyez avec plaisir le
barbare* spectacle,
D’un Pere massacré par la main d’un époux,
Dont vostre cruauté veut seconder les coups [.]
Laissez laissez [,] perfide [,] à des mains plus fidelles,
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Le
soin* de m’affranchir de mes craintes mortelles [.]
535 Joignez vos coups à ceux d’un époux assassin,
Pour me percer le coeur prestez luy vostre main,
Vos soeurs seront sans vous…
HIPERMESTRE.
Vos soeurs seront sans vous… O mes sœurs [!] o mon Pere [!]
Si vostre amour pour nous fut toujours si sincere,
Hélas n’avez vous pû choisir d’autre secours,
540 Que nos tremblantes mains pour asseurer vos jours [?]
Pourquoy sur vostre teste assembler tant de crimes,
A vostre seureté faut il tant de victimes [?]
Si mes soeurs ont promis le secours de leurs bras,
Tant de sang repandu ne vous suffit il pas [?]
545 Voulez vous ajouster pour comble de miseres,
Le fidelle Lyncée à ses malheureux freres [?]
Mais ne craignez vous point ses chefs et ses soldats,
Qui sont icy touts prests pour vanger son trepas [?]
DANAUS.
Je les crains ; et je veux
prevenir* la tempeste,
550 Trancher à ce grand corps sa principale teste,
Tous periront [;] je veux qu’une juste fureur,
M’oste avec l’assassin la crainte du vangeur,
L’oracle les a tous livrez à ma vangeance,
Quand il n’a sur aucun fixé ma deffiance [.]
555 Si nous faisons un crime en
prevenant* leur coup,
Le Ciel qui m’avertit en est chargé pour nous [.]
Pourquoy donc quand les Dieux me livrent ma victime,
Le
soin* de l’immoler vous semble t’il un crime [?]
Parmy tant d’ennemis envieux de mon rang,
560 Est-il de seures mains pour verser tant de sang [?]
Si mesme parmy vous qui me devez la vie,
Infortuné je trouve une fille ennemie,
Qui fuit pour me sauver l’exemple de ses soeurs,
Que ne devais je pas aprehender ailleurs [?]
565 Hipermestre est ce assez de me donner des larmes [?]
HIPERMESTRE.
Helas ces foibles pleurs sont mes uniques armes,
Elles ne peuvent rien contre vostre courroux,
{p. 22}
Mais elles pourront tout sur le coeur d’un époux [.]
Laissez moy m’en servir, seures de leur victoire,
570 Elles conserveront vostre vie et ma
gloire*,
Je n’ay qu’un coeur à mettre au devant de ses coups [;]
Mais si jamais ma main à la sienne est unie,
Non je n’ay plus de main pour attaquer sa vie.
DANAUS.
575 Eh bien vostre pitié n’ose me secourir,
Cruelle [,] poursuivez, et me laissez mourir.