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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Boursault, Edme. Les Deux Frères gémeaux ou les menteurs qui ne mentent point. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 56 sc. 935 répl. 1,3 l. 1 255 l. 1 255 l. 32 % 3 922 l. (100 %) 3,1 pers.
ISIDORE 9 sc. 27 répl. 1,8 l. 226 l. (18 %) 48 l. (4 %) 22 % 1 196 l. (31 %) 5,3 pers.
EUTROPE 8 sc. 28 répl. 1,1 l. 217 l. (18 %) 32 l. (3 %) 15 % 1 173 l. (30 %) 5,4 pers.
HIPOLITE 21 sc. 106 répl. 1,2 l. 539 l. (43 %) 126 l. (11 %) 24 % 2 129 l. (55 %) 3,9 pers.
JACINTE 27 sc. 150 répl. 1,1 l. 692 l. (56 %) 163 l. (14 %) 24 % 2 689 l. (69 %) 3,9 pers.
ISMENE 11 sc. 96 répl. 1,7 l. 336 l. (27 %) 158 l. (13 %) 48 % 1 298 l. (34 %) 3,9 pers.
Le premier NICANDRE 20 sc. 142 répl. 1,3 l. 502 l. (40 %) 185 l. (15 %) 37 % 1 465 l. (38 %) 2,9 pers.
Le second NICANDRE 13 sc. 131 répl. 1,1 l. 420 l. (34 %) 139 l. (12 %) 34 % 1 655 l. (43 %) 3,9 pers.
ROBIN 27 sc. 181 répl. 1,8 l. 719 l. (58 %) 328 l. (27 %) 46 % 2 492 l. (64 %) 3,5 pers.
RAGOTIN 9 sc. 65 répl. 1,0 l. 182 l. (15 %) 67 l. (6 %) 37 % 689 l. (18 %) 3,8 pers.
UN COMMISSSAIRE 1 sc. 3 répl. 1,6 l. 37 l. (3 %) 5 l. (1 %) 13 % 74 l. (2 %) 2,0 pers.
UN SERGENT du Chastelet 2 sc. 6 répl. 0,7 l. 53 l. (5 %) 4 l. (1 %) 8 % 249 l. (7 %) 4,7 pers.
DES ARCHERS muëts 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
Boursault, Edme. Les Deux Frères gémeaux ou les menteurs qui ne mentent point. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
ISIDORE
EUTROPE
20 l. (51 %) 10 répl. 2,0 l.
20 l. (50 %) 11 répl. 1,8 l.
6 sc. 39 l. (4 %) 5,5 pers.
ISIDORE
HIPOLITE
10 l. (51 %) 7 répl. 1,4 l.
10 l. (50 %) 7 répl. 1,4 l.
4 sc. 19 l. (2 %) 5,8 pers.
ISIDORE
JACINTE
11 l. (80 %) 4 répl. 2,6 l.
3 l. (21 %) 3 répl. 0,9 l.
3 sc. 13 l. (2 %) 4,8 pers.
ISIDORE
ISMENE
2 l. (64 %) 1 répl. 1,0 l.
1 l. (37 %) 1 répl. 0,6 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 6,0 pers.
ISIDORE
Le premier NICANDRE
3 l. (88 %) 1 répl. 2,8 l.
1 l. (13 %) 1 répl. 0,4 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 6,0 pers.
ISIDORE
Le second NICANDRE
1 l. (25 %) 1 répl. 0,8 l.
3 l. (76 %) 1 répl. 2,4 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 4,0 pers.
ISIDORE
ROBIN
4 l. (17 %) 3 répl. 1,1 l.
17 l. (84 %) 4 répl. 4,1 l.
2 sc. 20 l. (2 %) 4,3 pers.
EUTROPE
JACINTE
5 l. (48 %) 4 répl. 1,1 l.
5 l. (53 %) 3 répl. 1,6 l.
2 sc. 9 l. (1 %) 4,4 pers.
EUTROPE
ISMENE
1 l. (16 %) 2 répl. 0,3 l.
4 l. (85 %) 2 répl. 1,7 l.
2 sc. 4 l. (1 %) 6,8 pers.
EUTROPE
Le premier NICANDRE
2 l. (13 %) 3 répl. 0,4 l.
9 l. (88 %) 3 répl. 2,7 l.
2 sc. 9 l. (1 %) 3,8 pers.
EUTROPE
ROBIN
7 l. (28 %) 7 répl. 0,9 l.
17 l. (73 %) 6 répl. 2,8 l.
3 sc. 23 l. (2 %) 4,2 pers.
EUTROPE
RAGOTIN
1 l. (39 %) 1 répl. 0,4 l.
1 l. (62 %) 1 répl. 0,6 l.
1 sc. 1 l. (1 %) 6,0 pers.
HIPOLITE
JACINTE
33 l. (47 %) 28 répl. 1,2 l.
37 l. (54 %) 29 répl. 1,3 l.
11 sc. 69 l. (6 %) 3,4 pers.
HIPOLITE
ISMENE
16 l. (40 %) 21 répl. 0,7 l.
24 l. (61 %) 24 répl. 1,0 l.
6 sc. 39 l. (4 %) 5,5 pers.
HIPOLITE
Le premier NICANDRE
30 l. (45 %) 14 répl. 2,1 l.
37 l. (56 %) 12 répl. 3,1 l.
4 sc. 67 l. (6 %) 4,0 pers.
HIPOLITE
Le second NICANDRE
26 l. (50 %) 23 répl. 1,1 l.
27 l. (51 %) 26 répl. 1,0 l.
5 sc. 53 l. (5 %) 4,4 pers.
HIPOLITE
ROBIN
12 l. (45 %) 10 répl. 1,1 l.
14 l. (56 %) 8 répl. 1,7 l.
5 sc. 25 l. (2 %) 4,3 pers.
JACINTE
ISMENE
6 l. (22 %) 7 répl. 0,8 l.
19 l. (79 %) 7 répl. 2,7 l.
3 sc. 24 l. (2 %) 4,4 pers.
JACINTE
Le premier NICANDRE
47 l. (56 %) 41 répl. 1,1 l.
37 l. (45 %) 38 répl. 1,0 l.
7 sc. 83 l. (7 %) 3,9 pers.
JACINTE
Le second NICANDRE
31 l. (59 %) 19 répl. 1,6 l.
23 l. (42 %) 17 répl. 1,3 l.
6 sc. 53 l. (5 %) 4,2 pers.
JACINTE
ROBIN
31 l. (34 %) 34 répl. 0,9 l.
60 l. (67 %) 39 répl. 1,5 l.
9 sc. 90 l. (8 %) 4,2 pers.
JACINTE
RAGOTIN
6 l. (44 %) 12 répl. 0,5 l.
8 l. (57 %) 13 répl. 0,6 l.
3 sc. 13 l. (2 %) 5,8 pers.
ISMENE
Le premier NICANDRE
40 l. (61 %) 26 répl. 1,5 l.
27 l. (40 %) 21 répl. 1,3 l.
4 sc. 66 l. (6 %) 4,0 pers.
ISMENE
Le second NICANDRE
3 l. (50 %) 5 répl. 0,6 l.
3 l. (51 %) 6 répl. 0,5 l.
2 sc. 6 l. (1 %) 8,0 pers.
ISMENE
ROBIN
17 l. (53 %) 11 répl. 1,5 l.
15 l. (48 %) 13 répl. 1,1 l.
3 sc. 32 l. (3 %) 5,1 pers.
ISMENE
RAGOTIN
20 l. (51 %) 16 répl. 1,2 l.
20 l. (50 %) 16 répl. 1,2 l.
2 sc. 39 l. (4 %) 4,1 pers.
ISMENE
UN COMMISSSAIRE
33 l. (88 %) 4 répl. 8,1 l.
5 l. (13 %) 3 répl. 1,6 l.
1 sc. 37 l. (3 %) 2,0 pers.
Le premier NICANDRE 14 l. (100 %) 4 répl. 3,3 l. 4 sc. 13 l. (2 %) 1,0 pers.
Le premier NICANDRE
Le second NICANDRE
3 l. (65 %) 4 répl. 0,6 l.
2 l. (36 %) 4 répl. 0,3 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 8,0 pers.
Le premier NICANDRE
ROBIN
42 l. (39 %) 42 répl. 1,0 l.
68 l. (62 %) 38 répl. 1,8 l.
7 sc. 109 l. (9 %) 3,4 pers.
Le premier NICANDRE
RAGOTIN
20 l. (56 %) 17 répl. 1,2 l.
16 l. (45 %) 16 répl. 1,0 l.
2 sc. 36 l. (3 %) 2,7 pers.
Le second NICANDRE
ROBIN
70 l. (38 %) 61 répl. 1,1 l.
115 l. (63 %) 65 répl. 1,8 l.
11 sc. 183 l. (15 %) 4,1 pers.
Le second NICANDRE
RAGOTIN
14 l. (52 %) 16 répl. 0,9 l.
14 l. (49 %) 16 répl. 0,8 l.
1 sc. 27 l. (3 %) 2,0 pers.
ROBIN 21 l. (100 %) 4 répl. 5,2 l. 4 sc. 21 l. (2 %) 1,0 pers.
ROBIN
UN SERGENT du Chastelet
5 l. (61 %) 4 répl. 1,1 l.
3 l. (40 %) 5 répl. 0,6 l.
2 sc. 7 l. (1 %) 4,7 pers.
RAGOTIN 10 l. (100 %) 2 répl. 4,9 l. 2 sc. 10 l. (1 %) 1,0 pers.

Boursault, Edme

1665

Les Deux Frères gémeaux ou les menteurs qui ne mentent point. Comédie

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Vanessa Viola
2013
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2013, license cc.
Source : Boursault, Edme. Les Deux Frères gémeaux ou les menteurs qui ne mentent point. Comédie. A PARIS, Chez THOMAS JOLLY, au Palais, dans la petite Salle des Merciers, à la Palme & aux Armes d’Hollande. M. DC. LXV. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

LES DEUX FRERES GEMEAUX, OU LES MENTEURS QUI NE MENTENT POINT.

COMEDIE. §

PERSONNAGES. §

  • ISIDORE, homme Sçavant, Pere d’Hipolite.
  • EUTROPE, Pere d’Ismene.
  • HIPOLITE, Parisienne, Amoureuse du premier Nicandre.
  • JACINTE, Suivante d’Hipolite.
  • ISMENE, Lyonnoise, vestuë en homme, Amante du second Nicandre.
  • Le premier NICANDRE, Amant d’Hipolite.
  • Le second NICANDRE, Amant d’Ismène.
    Freres Gemeaux*, qui se ressemblent si fort, qu’on les prend à tous moments l’un pour l’autre, & qui se rencontrent fortuitement à Paris, sans que l’un ny l’autre le sçache ; où ils s’habillent par hazard tous deux d’une mesme façon.
  • ROBIN, Valet du second Nicandre.
  • RAGOTIN, Valet du premier Nicandre durant le premier Acte, puis Valet d’Ismene.
  • UN COMMISSSAIRE.
  • UN SERGENT du Chastelet.
  • DES ARCHERS muëts.
La Scene est en Prison.
[A, 1]

ACTE PREMIER. §

SCENE PREMIERE. §

HIPOLITE, JACINTE.

HIPOLITE.

Me trompois-je, Jacinte, est-ce là sa demeure ?

JACINTE.

C’est là mesme.

HIPOLITE.

Et tu dis qu’il viendra tout à l’heure* ?

JACINTE.

Il me suit.

HIPOLITE.

Ah, Jacinte !

JACINTE

{p. 2}
Et quoy donc…

HIPOLITE

Je me plains,
Ce que je souhaitois, à present je le crains :
5 D’une fille en aymant le mal-heur est extrême
Alors qu’elle est reduite à le dire elle méme,
Et que l’Objet* charmant qui la comble d’ennuy*
A donné de l’amour sans en prendre pour luy.
Je m’estois resoluë à parler de ma flâme,
10 Mais Jacinte au moment…

JACINTE

Au moment, quoy Madame ?
A qui cherche à vous plaire expliquez vostre mais ;
Mais ?

HIPOLITE

Mais je ne croy pas que j’en parle jamais.

JACINTE

Courage ; quand la chose est si bien preparée,
Faire la scrupuleuse, & la sainte sucrée ?
15 Et que luy direz-vous, car il vient sur mes pas ?

HIPOLITE

En ne luy disant rien, que ne diray-je pas ?
Quand on void ce qui plaist quoy qu’une ame projette
Les yeux ont une voix si la langue est muëtte,
Et pour bien decouvrir son aymable tourment
20 Affecter le silence est parler clairement.

JACINTE

Et de cette façon vous croyez faire entendre…
Je vous le disois bien j’apperçois ce Nicandre, {p. 3}
Il avance.

SCENE II. §

Le premier NICANDRE, HIPOLITE, JACINTE, RAGOTIN.

Le premier NICANDRE.

Madame, il doit m’estre bien doux
De jouïr du bon-heur qui m’approche de vous ;
25 Mais achevez, de grace, et pour comble de joye
De vous mieux obeïr découvrez une voye,
Parlez.

RAGOTIN.

Comme elle parle, écoutez, Diablezot*.

JACINTE.

Ma Maistresse, Monsieur, parle sans dire mot.

Le premier NICANDRE.

Dites-moi, sans frayeur ce que c’est qui vous touche,
30 Je suis homme…

JACINTE.

Et là là, parlez luy de la bouche,
Madame.

Le premier NICANDRE.

Vous croyez que me dire un secret
C’est peut-estre…

HIPOLITE.

{p. 4}
Nicandre, éloignez ce valet.

Le premier NICANDRE, à Ragotin.

Dans une heure au plus tard tu viendras me reprendre.

RAGOTIN.

Mais…

Le premier NICANDRE.

Sors.

RAGOTIN.

Mais…

Le premier NICANDRE.

Sors te dis-je, & te va faire pendre.

RAGOTIN.

35 Et vostre honneur, Monsieur, il est fort en danger,
Quand on n’en a plus guere il le faut menager.

Le premier NICANDRE.

Qu’elle est belle ! Vois-tu ? J’en ay l’ame surprise*.

RAGOTIN.

Déja de son honneur tout le reste agonise.
Qu’il est aspre* !

Le premier NICANDRE.

Sors donc.

RAGOTIN.

Mais.

Le premier NICANDRE.

Encor une fois ?

RAGOTIN s’en allant.

40 Adieu l’honneur.
{p. 5}

SCENE III. §

HIPOLITE, Le premier NICANDRE, JACINTE.

HIPOLITE

Nicandre, & mes yeux, & ma voix…
Je me sens interdite*, & le charme qui brille…
Quand on est inquiette, & qu’on est une fille…
Le merite sublime a pour moy tant d’appas*
J’ose…le trouble…Et quoy, ne m’entendez-vous pas ?

Le premier NICANDRE.

45 Moy, Madame !

HIPOLITE.

Jacinte, il ne veut pas m’entendre.

JACINTE.

Parlez sans façonner, & vous faites comprendre
Aussi ; car le moyen jusqu’icy qu’il ait pû ?
Si vous dites deux mots c’est en baston rompu ;
Laissez moy luy parler je suis bien plus hardie.
50 Permettez, ô Monsieur qu’à present je vous die.
Ma Maitresse Hipolite a depuis peu de jours…
Quand on est en son âge, & qu’on resve toûjours…
Je ne puis deviner, mais enfin je suis seure…
A tous ses mouvemens j’aperçois qu’elle est meure…
55 Je ne sçay quoy pour elle a des charmes si dous…
Dites-moy, s’il vous plaist, Monsieur, m’entendez-vous ?

Le premier NICANDRE.

{p. 6}
Me jouër c’est vous plaire, & je m’offre moi méme…

JACINTE.

A quoy tant de façons ? Ma Maitresse vous ayme.

Le premier NICANDRE.

Ciel !

HIPOLITE.

O Dieux !

JACINTE.

Dame, ô Dieux, je ne puis niaiser*.

Le premier NICANDRE.

60 Madame…

HIPOLITE.

Il n’est plus temps de vous rien déguiser.
Je vous ayme ; ce mot est sans doute blasmable ;
Il m’échape à regret, mais il est veritable,
Je vous ayme.

Le premier NICANDRE.

Est-il vray, m’aymez-vous ?

HIPOLITE.

Je l’ay dit.

Le premier NICANDRE.

De vos rares bontez je me sens interdit*,
65 Mais, Madame…

JACINTE.

Ce mais pourra bien la confondre.

HIPOLITE.

Mais enfin…

Le premier NICANDRE.

Mais enfin, je ne puis y respondre.

JACINTE.

{p. 7}
Justement.

HIPOLITE.

M’exposer à ce honteux mépris,
O Ciel !

Le premier NICANDRE.

De vos appas* je connois tout le prix,
A me favoriser vostre cœur se dispose,
70 Mais un serment horrible à mon bon heur s’oppose :
Pour ne pas en douter écoutez seulement.

JACINTE.

Ecoutons.

Le premier NICANDRE.

D’où je sors on vivoit noblement.

JACINTE.

Apres.

Le premier NICANDRE.

Ma mere est morte, aussi bien que mon pere.

JACINTE.

Pour cela.

Le premier NICANDRE.

De parens je n’ay plus qu’un seul frere.

JACINTE.

75 Hé bien.

Le premier NICANDRE.

Ce frere & moy sommes freres jumeaux.

JACINTE.

Qu’en est-il ?

Le premier NICANDRE.

Tous ses traits à mes traits sont égaux.

JACINTE.

{p. 8}
Est-ce tout ?

Le premier NICANDRE.

Pour nos mœurs il en est tout de mesme.

JACINTE.

A la fin ?

Le premier NICANDRE.

Ce qu’il ayme est aussi ce que j’ayme.

JACINTE.

Et qu’importe ?

Le premier NICANDRE.

Entre nous tout paroit si commun
80 Que pour voir tous les deux il ne faut en voir qu’un.

JACINTE.

Quoy…

HIPOLITE à Jacinte.

Ne l’interromps plus qu’au plus viste il acheve.
D’avoir dit mon secret je deteste.

JACINTE.

Et je créve,
Il se pasme de joye à present qu’il sçait tout,
Voyez vous du depuis comme il tient son bon bout,
85 Le manœuvre ?

HIPOLITE.

Jacinte, est-ce là ta conduite ?

Le premier NICANDRE.

De mon aspre* mal-heur pour apprendre la suite,
De ce frere si cher dont j’ignore le sort,
De qui j’ay le visage, & la voix, & le port ;
De ce frere, en un mot qui si fort me ressemble
90 Qu’on nous prend l’un pour l’autre à nous voir estre ensemble ; {p. 9}
D’un frere…

JACINTE.

Et foin du frere, & du frere eternel,
Concluez.

Le premier NICANDRE.

De mon frere un serment solemnel
Madame…

HIPOLITE.

De ce frere un serment vous engage…

Le premier NICANDRE.

Depuis plus de six ans je voyage, il voyage,
95 Mais en nous separant nous jurasmes tous deux
De jamais à l’Hymen* ne contraindre nos vœux
Que de l’un, ou de l’autre une bouche fidelle
De la mort ou la vie eut appris la nouvelle.
Voyez donc à mon sort quelle peine se joint,
100 Je le cherche, il me cherche, & ne nous trouvons point ;    
Je ne puis deviner quel endroit le recelle :
Et pour comble de maux je vous trouve si belle,
Qu’il faloit que mon cœur qu’Hipolite asservit
Ou jamais ne jurât, ou jamais ne vous vid.
105 Adieu Madame.
{p. 10}

SCENE IV. §

HIPOLITE, JACINTE.

HIPOLITE.

Hé bien, que dis-tu ?

JACINTE.

Moy, j’enrage.

HIPOLITE.

Le serment qu’il a fait de jamais…

JACINTE.

Badinage.
Il se raille*, Madame.

HIPOLITE.

Est-il vray ?

JACINTE.

Tout de bon.

HIPOLITE.

Mais il m’ayme, tu vois.

JACINTE.

Lui ? Tarrare pompon.
Je m’en suis apperceuë, il biaise*, il bricole*,
110 Quand il parle de frere il vous fiche la cole ;
Je vous le garentis franc donneur de canards.

HIPOLITE.

Tu crois donc que quelqu’autre ait surpris* ses regards ?

JACINTE.

Si je le crois ? Vrayment ; ce matois*, ce Nicandre…
{p. 11}

SCENE V. §

ISMENE vestuë en homme, HIPOLITE, JACINTE.

ISMENE vestuë en homme.

Nicandre ! Le seroit-ce ? Essayons de l’apprendre.
115 Ce Nicandre, Madame, à mon cœur est bien cher,
Je le cherche.

HIPOLITE.

Hé Monsieur, vous pouvez le chercher
Peu m’importe.

ISMENE.

Peut-estre, il vous plaist, il vous touche,
Avoüez.

JACINTE.

Dépeschez, que Monsieur se recouche,
Il déplaist, c’est tant pis, & s’il plaist, c’est tant mieux.

ISMENE.

120 Ce n’est pas sans raison que je suis curieux ;
Il vous ayme ?

HIPOLITE.

Peut-estre.

ISMENE, bas.

Il l’adore, le traistre.
Vous, l’aymez-vous, Madame, à vostre tour ?

HIPOLITE.    [12]

Peut-estre.

ISMENE à Jacinte.

L’ayme-t elle ?

JACINTE.

Selon*.

ISMENE.

Sera-t-il son époux ?

JACINTE.

C’est selon*.

ISMENE.

Justes Dieux !

HIPOLITE.

Vous en estes jaloux ?

ISMENE.

125 De celuy que je dis si vous estes l’Epouse
Je puis estre allarmée, & paroistre jalouse ;
L’infidelle !

HIPOLITE.

Jalouse !

JACINTE.

Ah ! Madame, voyez
Ce que c’est que nos yeux qui s’étoient fourvoyez ;
Elle est fille, elle mesme elle s’est éclaircie ;
130 Ah le joly garçon par la superficie* !
Qu’il est drosle !

HIPOLITE.

Elle est fille !

ISMENE.

Il est vray, je la suis
Et ce que vous aymez est ce que je poursuis. [B, 13]
L’infidelle Nicandre….

HIPOLITE.

Achevez, l’infidelle…

ISMENE.

Dans Lyon à ses yeux je parus assez belle,
135 Je luy plûs, il me plût, & dans un mesme jour
Je donné tout ensemble & receus de l’amour.
Il me void, me demande, & m’obtient de mon pere,
On nous veut épouser, & le traistre differe,
Et pour toutes raisons parle confusément
140 Et de frere semblable, & d’horrible serment :
Me soustient qu’il m’adore, ardamment me conjure
De ne pas endurer qu’il devienne parjure,
Et d’une ame charmée, & qui l’ayme toùjours
Pour rejoindre ce frere il exige huit jours ;
145 Il me quitte, le traistre, & j’en sens mille peines,
Cependant du depuis j’ay compté huit semaines,
Et tel est de mon sort le cruel traitement
Que je trouve Nicandre, & je perds mon amant.

JACINTE à Hipolite.

D’où naissoit le refus qui si fort vous afflige ?
150 Voyez-vous ?

HIPOLITE.

Apprends…

JACINTE.

Pay*,

HIPOLITE.

Mon courroux…

JACINTE.    [14]

Pay*, vous dis-je,
Et ne luy dites rien qui nourrisse ses feux.

ISMENE.

Il vous peut à son aise adresser tous ses vœux ;
Demander son logis seroit perdre ma peine,
Redoutez seulement la presence d’Ismene ;
155 De Rivale à Rivale on ne s’accorde rien,
Mais je puis le trouver par un autre moyen.
Je vous laisse.

SCENE VI. §

HIPOLITE, JACINTE.

JACINTE.

Il vous ayme ?

HIPOLITE.

Il me hait, l’infidelle.

JACINTE.

Vous devez au Seigneur une belle chandelle,
Madame, il a pour vous une grande amitié ;
160 Je ne me deffends pas d’en payer la moitié,
Car enfin la nature est aysée à surprendre ;
Et si pour vostre espous vous aviez eu Nicandre
Avecque son valet qui n’a point mauvais air
Mon honneur eut pû faire un méchant pas de Cler.
165 Haïssez desormais, aussi bien cette fille…

HIPOLITE.    [15]

Elle est belle, bien faite, & paroist de famille,
Elle cherche Nicandre, & j’en ay du soucy* ;
Mais l’amour est aveugle, & je la suis aussi.
Que Nicandre l’adore, ou Nicandre l’abuse,
170 Qui n’a point de merite a du moins de la ruse,
Et peut-estre…

JACINTE.

Madame, il revient dans ce lieu.

SCENE VII. §

Le second NICANDRE, HIPOLITE, JACINTE, ROBIN.

HIPOLITE en raillant*.

A la fin vostre frere est trouvé.

Le second NICANDRE.

Plût à Dieu !

HIPOLITE.

Je l’ay veu.

Le second NICANDRE.

Quoy Madame…

HIPOLITE.

Il vous est tout semblable.

ROBIN.

Madame, estes-vous Ange ? Ou bien estes-vous Diable ?
175 Quoy, sans vous dire mot vous sçavez nos secrets ?

Le second NICANDRE.

{p. 16}
Il est vray que tous deux nous avons mesmes traits,
J’ay la voix, le visage, & la taille de mesme,
J’ay l’humeur…

JACINTE.

Comme il fait l’innocent quatriesme !
De vous poussez à bout le perfide a fait vœu.

Le second NICANDRE.

180 Vous le connoissez donc, ce frere ?

HIPOLITE.

Quelque peu.

Le second NICANDRE.

Il vous void ?

HIPOLITE.

Quelquefois.

ROBIN.

Ah, la bonne bigotte* !
Diroit-on qu’elle y touche ?

JACINTE.

Un valet vous balotte*,
Et je pense… Madame admirez ce bastier
Ce n’est pas son valet que ce galefretier :
185 Avec cette finesse il pretend qu’on s’embourbe.

Le second NICANDRE.

Ainsi…

HIPOLITE.

Levez le masque, on connoit vostre fourbe,
Et vous vous y prenez de mauvaise façon.

ROBIN.

Parbleu, pas tant bigotte*, elle change de ton.

Le second NICANDRE.

{p. 17}
Et quoy…

HIPOLITE.

Qui vous aymoit a pour vous de la haine.

Le second NICANDRE.

190 On me hait ! Mais Madame…

HIPOLITE.

On connoit vostre Ismene.

Le second NICANDRE.

Mon Ismene !

ROBIN.

Bon, bon ; mordez vous-en les doigts ;
Il demande huit jours, & demeure deux mois.

Le second NICANDRE.

Mon Ismene, bons Dieux ! Ô parole cruelle !

ROBIN appelle son Maistre au coin du Theatre.

St, st, une autrefois battez moins la semelle
195 Monsieur.

Le second NICANDRE.

Tes sots discours…

ROBIN.

Je parle à cœur ouvert.

JACINTE.

Il enrage tout vif de se voir découvert,
Il ne se doutoit pas qu’on eut pû tout apprendre.

Le second NICANDRE.

Et comment croyez-vous qu’on me nomme ?

HIPOLITE.

Nicandre.
Fourbe, artificieux*, diseur de faussetez.

ROBIN.

{p. 18}
200 Puis qu’il ne respond rien, d’accord des qualitez.

Le second NICANDRE.

Il est vray qu’à l’amour je n’ay pû satisfaire,
Mais par vostre moyen si je trouve mon frere
Pour rendre un juste hommage à de rares appas*
Ismene…

HIPOLITE.

Dites donc que vous ne l’aymez pas
205 Imposteur ?

Le second NICANDRE.

Je l’adore, ou le Ciel me foudroye,
La servir est ma gloire, & l’aymer est ma joye :
Pour quelque autre beauté qui respire le jour
J’ay des civilités & non pas de l’amour.
Son interest vous touche, & je vous en rends grace,
210 Embrassez…

HIPOLITE.

Vous sçaurez l’interest que j’embrasse,
Et je vous feray voir dés ce jour, si je puis
Comme Ismene me touche, & ce que je luy suis.
Vous verrez qu’à l’outrage une fille est sensible,
Qu’à ses vœux méprisez il n’est rien d’impossible ;
215 Et quoy que depuis peu vous soyez à Paris
Ainsi que vostre nom je sçay vostre logis,
Pensez-y bien.
(Elle sort.)
{p. 19}

SCENE VIII. §

Le second NICANDRE, JACINTE, ROBIN.

Le second NICANDRE arreste Jacinte, & luy dit.

De grace, ayés plus de tendresse,
Dites-moy qui des deux est Suivante ou Maistresse ;
Je vous trouve bien faite, est-ce vous qu’elle sert ?

JACINTE.

220 Oüy.

Le second NICANDRE.

Madame…

JACINTE.

Courage.

ROBIN.

Elles sont de concert*

Le second NICANDRE.

Madame, écoutez, en revanche…

JACINTE.

Voyez-vous cette main au fin bout de ma manche ?
Elle pourroit tomber dessus vostre museau ;
Allez vous-en chercher vostre frere jumeau ;
225 Ou dessus cette jouë un puissant cataplasme…
Adieu.
{p. 20}

SCENE IX. §

Le second NICANDRE, ROBIN.

ROBIN.

Connoissez-vous cette bonne Madame ?

Le second NICANDRE.

Nullement.

ROBIN.

Nullement ?

Le second NICANDRE.

Je ne la vis jamais.

ROBIN.

Songez bien.

Le second NICANDRE.

Plus j’y songe, et moins je la remets,
Je ne la vis jamais en aucune maniere.

ROBIN.

230 A la premiere veuë elle est bien familiere.
Des soufflets tout d’abord !

Le second NICANDRE.

Tu m’en vois tout surpris.
D’hier au soir seulement j’arrivay dans Paris.

ROBIN.

De la nuict noire en Diable il estoit plus d’une heure.

Le second NICANDRE.

Et déja toutes deux ont appris ma demeure
235 Robin.

ROBIN.

{p. 21}
Les Poussecus* sont de vilaines gens,
Garre apres vostre queuë un troupeau de Sergens,
Et si vostre personne est par eux attrapée,
Vous aurez une femme, ou la teste coupée.
Ce n’est pas qu’entre nous je ne sçache fort bien
240 Qu’avec une Maistresse on ne fait souvent rien ;
Mais à vostre prison pour donner une cause
Vous serez accusé d’avoir fait quelque chose ;
Et vous en sortirez si le Ciel vous y met
Pour aller à la Nopce, ou du moins au Gibet*.

Le second NICANDRE.

245 Quoy, tu penses qu’Ismene ait si peu de constance…

ROBIN.

Je ne sçay par ma foy ce qu’il faut que je pense ;
Il faut bien vous aimer pour attrendre toûjours,
Et je trouve deux mois bien plus longs que huit jours.
En laissant à Lyon cette belle Lionne,
250 Tu me créves le cœur, disiez-vous, ma Pouponne,
Mais enfin mon départ ne doit pas t’irriter,
Je te quitte un moment pour ne plus te quitter ;
Laisse agir mon amour, je te tire de peine,
Ou je me donne au Diable, & dans une semaine
255 Mon Fanfan ; De mon frere, ou la vie ou la mort
Me remet le pouvoir de conclure mon sort ;
De quelqu’un que je croy j’en auray la nouvelle,
Depuis à vous attendre elle fait sentinelle,
Tandis qu’en galopant & par vaux & par monts
260 Nous passons vous & moy pour de francs vagabonds.
Voyez si la Donzelle* a sujet de bien rire.

Le second NICANDRE.

{p. 22}
Ah Robin ! De ce frere on n’a pû me rien dire,
Je m’en meurs. Cependant va dedans mon logis,
On me veut faire piece, & j’ay peur d’estre pris :
265 Dy qu’il n’est pas besoin qu’aujourd’huy l’on m’attende.

ROBIN.

Si je suis pris pour vous, & qu’apres on me pende
Aussi ?

Le second NICANDRE.

Te pendre ! À tort on l’auroit pretendu.

ROBIN.

Et qu’importe comment on puisse estre pendu ?
Soit à tort, soit à droit, n’est-ce pas toûjours l’estre ?

Le second NICANDRE.

270 Tu te moques, te dis-je, obeïs à ton Maistre.
Je t’attends en ce lieu.

ROBIN.

Mais, Monsieur…

Le second NICANDRE.

Haste-toy.

ROBIN revient sur ses pas.

Daignez donc pour le moins me répondre de moy,
Car enfin…

Le second NICANDRE.

Va te dis-je, & retient cette place.
(Robin sort.)
Attendant qu’il revienne allons voir Clidimace,
275 Comme dans cette ville il a bien du credit
Cét Amy…
{p. 23}

SCENE X. §

RAGOTIN, le second NICANDRE.

RAGOTIN.

Je reviens comme vous m’avez dit,
Est-ce fait ?

Le second NICANDRE.

Que veux tu ?

RAGOTIN.

Je reviens.

Le second NICANDRE.

Que je meure…

RAGOTIN.

Dites en conscience, ay-je mis plus d’une heure ?

Le second NICANDRE.

Que veux-tu, mon amy ? Dy le moy.

RAGOTIN.

Je reviens.

Le second NICANDRE.

280 Accordons un peu mieux tes discours & les miens,
A tout ce que tu dis je ne puis rien comprendre.

RAGOTIN.

Il ne vous souvient pas que je viens vous reprendre ?
Le secret de la Dame à la fin est-il sçeu ?
Dites-moy.

Le second NICANDRE.

Mon enfant, je ne t’ay jamais veu,
285 Quel es-tu ?

RAGOTIN.

{p. 24}
Qui je suis ? Qu’ay-je accoustumé d’estre ?
Ragotin.

Le second NICANDRE.

Ragotin, je ne puis te connoistre,
Passe ton chemin, passe.

RAGOTIN.

Il le fait tout exprés ;
Moy je vous connoy.

Le second NICANDRE.

Toy me connoistre ?

RAGOTIN.

A peu prés.

Le second NICANDRE.

Tu t’abuses, mon cher, ton erreur est extréme
290 Passe.

RAGOTIN.

Il n’est donc pas vray que vous estes vous-mesme
Est-ce pas ?

Le second NICANDRE.

Je commence à beaucoup m’ennuyer*.

RAGOTIN.

En gambades* je pense il pretend me payer.
Je vous sers.

Le second NICANDRE.

Tu me sers !

RAGOTIN.

nenny*.

Le second NICANDRE.

Je m’irrite,

RAGOTIN.

{p. C, 25}
Payez-moy donc, & sortons quitte à quitte.

Le second NICANDRE

295 Je te dois quelque chose ! Insolent, je voy bien…

RAGOTIN.

Si vous me devez ! Non, vous ne me devez rien.
Et qui peut me devoir quinze mois de mes gages ?

Le second NICANDRE.

Laisse là ta sottise, en un mot tu m’outrages,
Je me fais violence, et je dois de ce pas…

RAGOTIN.

300 Vous devez, il est vray, mais vous ne payez pas.

Le second NICANDRE.

Sçais-tu bien, guoguenard* qu’à bons coups de nazardes
Si tu railles* encore, & que tu guoguenardes*,
Que de tes mots bouffons tu me fasses l’objet*

RAGOTIN.

Je bouffonne ! Vrayment j’en ay bien du sujet !
305 Mis dehors, pas le sou, ne sçavoir chez qui vivre…
Quoy, vous vous en allez ?

Le second NICANDRE.

Et tu penses me suivre ?

RAGOTIN.

Je le pense, & repense.

Le second NICANDRE.

Et tu ne penses pas
Que si tu l’entreprends je te casse les bras.
Suy-moy donc si tu veux, vien[s], tu n’as rien à craindre.
(Il sort.)
{p. 26}

SCENE XI. §

RAGOTIN seul.

310 Il ne faut que cela pour m’achever de peindre.
Peu courtois Courtisan en chassant ton valet
Que la peste t’étouffe, & te saute au colet*.
Qu’au fin fond des Enfers le grand diable te plonge.
Mais j’enrage de faim, à propos, quand j’y songe,
315 Pour branler la machoire, & nous faire laquais
Allons chercher fortune aux degrez* du Palais.

Fin du premier Acte.

{p. 27}

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

Le premier NICANDRE seul.

La charmante Hipolite a pour moy de l’estime,
Et je n’ose répondre au beau feu qui l’anime !
A mon cruel serment tous mes sens occupez…

SCENE II. §

ISMENE, le premier NICANDRE.

ISMENE en habit d’homme.

320 Ou je vois l’infidelle ou mes yeux sont trompez.
C’est luy-mesme, le traistre. A quoy réve Nicandre ?

Le premier NICANDRE.

Et par quelle raison souhaitter de l’apprendre ?

ISMENE.

Vous m’aymiez autrefois, & j’ay dû presumer…

Le premier NICANDRE.

Si je vous ay connu, j’ay bien pû vous aymer ;
325 Où vous ay-je pû voir ? Tirez moy d’une peine.

ISMENE.

{p. 28}
A Lyon.

Le premier NICANDRE.

A Lyon ! Vostre nom c’est…

ISMENE.

Ismene.

Le premier NICANDRE.

J’ay beau pour vous connoistre employer mes efforts…

ISMENE.

Je ne vous parois pas ce que j’estois alors,
Vous sçavez que l’on change.

Le premier NICANDRE.

Il est indubitable,
330 Mais c’est beaucoup changer qu’estre méconnoissable ;
A Lyon j’ay pû faire un passable séjour,
Mais…

ISMENE.

Mais quoy qu’il en soit vous resviez à l’amour ?

Le premier NICANDRE.

J’y resvois, je l’avouë, une Dame si belle…

ISMENE.

Vous l’aymez ?

Le premier NICANDRE.

Si je l’ayme ?

ISMENE.

Et vous estes fidelle ?

Le premier NICANDRE.

335 Vouloir toute ma vie adorer ses appas*

ISMENE.

{p. 29}
Ingrat, c’est le paraistre, et c’est ne l’estre pas ;
Ouvre les yeux.

Le premier NICANDRE.

Monsieur…

ISMENE.

Dy mon nom, si tu l’oses,
De ton frere, perfide, as-tu sceu quelques choses ?

Le premier NICANDRE.

Un langage si haut me rend tout interdit*

ISMENE.

340 Ta Maitresse, infidelle, est dessous cét habit ;
Vois Ismene, vois traistre, & que l’œil te dessille.

Le premier NICANDRE.

Quoy dessous cét habit j’apperçois une fille !
Ah Madame…

ISMENE.

Volage, à quoy m’obliges-tu ?
Ta honteuse inconstance a trahy ma vertu :
345 Sont-ce là ces huit jours ? Est-ce là cette flame…

Le premier NICANDRE.

Expliquez cette énigme, & de grace Madame…

ISMENE.

Cét énigme, volage, ah cruel, plût aux Dieux !
Mais ton crime visible a-t-il rien de douteux
Infidelle ?

Le premier NICANDRE.

Mon crime !

ISMENE.

Ame double, & traitresse,
350 Est-ce donc ta vertu que trahir ta Maistresse ? {p. 30}

Le premier NICANDRE.

Moy, trahir ma Maistresse ?

ISMENE.

Ouy, toy lasche.

Le premier NICANDRE.

Moy ?

ISMENE.

Toy.

Le premier NICANDRE.

Je ne vous connois pas, & j’ignore pourquoy…

ISMENE.

Tu ne me connois pas ? Toy perfide ? Toy traistre ?
Hé bien, je veux t’apprendre à pouvoir me connoistre,
355 Et te faire toy mesme à toy mesme avoüer
Que tu m’as oubliée, & n’ay pû t’oublier.
Prens-y garde.

SCENE III. §

Le premier NICANDRE seul.

J’ignore à quoy tend sa querelle
A l’entendre, autrefois je soupiray pour elle :
Moy bon Dieux ! Moy pour elle avoir pû soupirer !
360 Je ne la vis jamais, & ne puis penetrer…
Mais à quoy je m’amuse ? À quoy songe mon ame ?
Si j’ay quelques momens je les dois à ma flâme ; {p. 31}
Hipolite… Jacinte en ce lieu se fait voir ;
Jacinte…

SCENE IV. §

JACINTE, le premier NICANDRE.

JACINTE.

Il dit mon nom ! Qui vous l’a fait sçavoir ?
365 Vous me démaistressez maistre fourbe.

Le premier NICANDRE.

Où s’adresse…

JACINTE.

Dites-moy qui des deux est Suivante ou Maistresse ?
Je vous trouve bien faite, est-ce vous qu’elle sert ?

Le premier NICANDRE.

Parlez plus clairement, avez-vous decouvert…

JACINTE.

Rien du tout.

Le premier NICANDRE.

D’où vient donc que je comprends à peine…

JACINTE.

370 On connoit…

Le premier NICANDRE.

Quoy ? Parlez, qui connoit-on ?

JACINTE.

Ismene.

Le premier NICANDRE.

{p. 32}
Je vous entends Jacinte, Hipolite sçait bien…

JACINTE.

Que gens faits comme vous ne vaudront jamais rien,
Adieu, passe-volant.

Le premier NICANDRE l’arrestant.

Demeurez, & pour cause,
Au mal-heureux Nicandre apprenez une chose,
375 J’allois voir Hipolite…

JACINTE.

Hipolite ! Vous ?

Le premier NICANDRE.

Moy.

JACINTE.

C’est bien fait.

Le premier NICANDRE.

Croyez-vous…

JACINTE.

Ouy, sans doute, je croy.
Je croy si vous osez dans sa chambre paraistre
Que vous n’en sortirez que par une fenestre.
Hipolite picquée*

Le premier NICANDRE.

Elle ?

JACINTE.

Non, qui donc ? Moy ?

Le premier NICANDRE.

380 Et qui l’a pû picquer* ?

JACINTE.

Vostre… je ne sçay quoy,
Vos discours outrageants, vostre langue qui jouë… {p. 33}

Le premier NICANDRE.

Ma langue est imprudente, et je la desavouë ;
Non, je ne pretends pas qu’elle parle jamais
S’il ne faut d’Hipolite applaudir les attrais.
385 Me hait-elle, Jacinte, avoüez ?

JACINTE.

L’idiote
Pour vous aymer encore est peutestre assez sotte,
Mais si j’en estois cruë…

Le premier NICANDRE.

Elle ne me hait pas !
Pour me bien obliger retournez sur vos pas,
Dites-luy tout l’excés de ma flâme amoureuse,
390 Dites…

JACINTE.

Allez ailleurs chercher une menteuse,
Monsieur.

Le premier NICANDRE.

Mettez ma flâme au degré le plus haut,
Et ce sera…

JACINTE.

Mentir justement comme il faut.

Le premier NICANDRE.

Puisque vous refusez d’aller dire que j’ayme
Offrez-moy le moyen de le dire moy mesme,
395 Que je voye Hipolite, & luy puisse parler,
Qu’un moment…

JACINTE.

J’ay bien peur de me laisser aller.
Vous l’aymez ? {p. 34}

Le premier NICANDRE.

Je l’adore, & j’adore elle seule
Ou…

JACINTE.

Qui dit Courtisan dit toujours fort en gueule ;
De vous croire moy mesme en secret je rougis ;
400 Cependant sans façon je retourne au logis :
J’allois faire un message, & pour vous je differe ;
A propos, Hipolite accompagne son pere,
Mais il peut la quitter, il ne faut qu’un instant…

Le premier NICANDRE.

A la prochaine ruë un inthime m’attend ;
405 Je m’en vais le trouver, où vous dois-je reprendre ?

JACINTE.

Dans une petite heure ayez soin de vous rendre…
Où diray-je ? Icy mesme, en ce coin à l’écart.

Le premier NICANDRE.

C’est assez, & de plus…

JACINTE.

Et de plus, Dieu vous gard.

SCENE V. §

Le premier NICANDRE seul.

Temeraire serment sors de cette memoire,
410 Ne fais pas un obstacle à l’excés de ma gloire,
Depuis plus de six ans je me suis deffendu…
{p. 35}

SCENE VI. §

ROBIN, le premier NICANDRE.

ROBIN.

Monsieur, vous ne serez ny roüé, ny pendu,
Je n’ay veu ny records*, ny bourreau, ny charrette,
Tout va bien.

Le premier NICANDRE.

De quel air ce belistre* me traitte !
415 A qui parle…

ROBIN.

Pour moy, quoy que simple valet,
Dans la peur que j’avois d’estre pris au colet*
J’ay joüé de finesse, & l’ay mis dans ma poche
Voyez vous ? Pour l’Hostesse elle tourne la broche,
Elle dit qu’en tout cas vostre lit sera prest,
420 Que peut-estre…

Le premier NICANDRE.

A cela, je n’ay point d’interest.
Où vas-tu ? D’où viens-tu ? Dy le moy toute à l’heure*
Et je croy…

ROBIN.

Je ne vais, ny ne viens, je demeure.
Comme il fait le gausseur*, d’où je viens, me dit-il,
Il a crû tout d’abord que j’estois Algoüazil,
425 Et qu’en vrais pas de loup je venois le surprendre.

Le premier NICANDRE.

{p. 36}
Sçais-tu, mon amy, qu’on me nomme Nicandre,
Et que l’on me deplaist quand on fait le badin ?

ROBIN.

Sçavez-vous bien, Monsieur, qu’on m’appelle Robin ?

Le premier NICANDRE.

Moy, je sçaurois ton nom ?

ROBIN.

Comme je sçay le vostre,
430 Et nous nous connoissons aussi bien l’un que l’autre.

Le premier NICANDRE.

Camarade…

ROBIN.

Païs*.

Le premier NICANDRE.

Dy moy, traistre, és-tu saou ?

ROBIN.

Mon cher maistre, avoüez que vous estes bien fou.

Le premier NICANDRE.

Moy ton Maistre ?

ROBIN.

Et qui donc ?

Le premier NICANDRE.

Il a pû se méprendre.
Je t’ay dit, mon amy, qu’on m’appelle Nicandre
435 Qu’un sot conte me choque, & qu’enfin…

ROBIN.

Et qu’enfin…
Je vous ay respondu qu’on me nomme Robin. {p. D, 37}

Le premier NICANDRE.

Et ce nom de Robin suffira pour m’apprendre…

ROBIN.

Tout comme il me suffit de celuy de Nicandre.

Le premier NICANDRE.

Mais de bien te connoistre offre moy le moyen,
440 Que veux-tu ? Quel és-tu ?

ROBIN.

Mon Dieu, je ne suis rien ;
Je suis ce que je suis, qui que je sois je m’ayme,
Et je ne voudrois pas ne pas estre moy-mesme,
Je me garentis tel.

Le premier NICANDRE.

Mais pourquoy…

ROBIN.

Mais pourquoy…
Puisque vous estes vous, je puis bien estre moy.

Le premier NICANDRE.

445 Mon valet…

ROBIN.

Je le suis.

Le premier NICANDRE.

Ta folie est extrême.

ROBIN.

A tout autre que vous je dirois fou toy-mesme,
Et je pense…

Le premier NICANDRE, en s’en allant.

Maraut*, tu veux estre battu,
Et si je n’avois haste insolent… Où vas-tu ?

ROBIN.

{p. 38}
Où vous mesme allez-vous ? J’accompagne mon Maistre.

Le premier NICANDRE.

450 Je dois si je le suis te le faire paroistre
Il t’en faut une preuve impudent*, la voila.
(Il luy donne un soufflet.)

SCENE VII. §

ROBIN seul.

Il a parbleu raison, il le prouve par là.
Le secret est joly pour se bien faire croire !
De sa chienne de patte enfoncer ma machoire
455 Et souffrir sans souffler qu’il me donne un soufflet,
C’est bien estre le Maistre, & Robin le valet.
Quelle peste de preuve il me force de prendre !
Ce bon frere frappart est sans doute Nicandre
Ce sont là de ses coups je les sens à leur poids,
460 J’en reçois reglement prés de cent tous les mois
Et de tous ses soufflets ce n’est pas là le moindre ;
Mais où Diable à present le pourray-je rejoindre ?
Sa valize restée au logis d’où je viens
Où parmy ses habits sont aussi tous les miens
465 En tout cas… Le voicy la gueule enfarinée
Le bon traistre !
{p. 39}

SCENE VIII. §

Le second NICANDRE, ROBIN.

[Le second NICANDRE]

Qu’heureuse est pour moy la journée !
Ah Robin ! Un amy genereux, bien faisant,
Et non pas un amy comme ceux d’à present,
Dont la langue est dorée, & dont l’ame est de bouë ;
470 Mais un ami sincere, obligeant…

ROBIN.

Ah la jouë !

Le second NICANDRE.

De me voir Clidimace a les sens tous ravis,
Dans sa propre maison il me donne un logis,
A tous mes interests tout entier il se vouë,
Et je veux ce qu’il veut, pour luy plaire.

ROBIN.

Ah la jouë !

Le second NICANDRE.

475 Quel sujet te fait plaindre, & pourquoy le cacher ?
C’est peut estre une dent qu’il te faut arracher,
Une dent peut suffire à gaster une bouche,
Songes-y. Mais répond sur le fait qui me touche,
As-tu veu mon hostesse, aura-t-elle tout prest…

ROBIN.

480 A cela, mon amy, je n’ay point d’interest ;
Où vas-tu ? D’où viens-tu ? Dy-le moy tout à l’heure*. {p. 40}

Le second NICANDRE.

Que me dit ce Coquin ? Je t’assomme ou je meure,
Parle ; dois-je tout craindre, ou ne redouter rien ?

ROBIN.

Mais de bien te connoistre offre moy le moyen,
485 Que veux-tu ? Quel es-tu ?

Le second NICANDRE.

Qui je suis, double traistre ?
Je puis facilement te le faire connoistre,
Et sans avoir besoin d’estre si retenu…

ROBIN.

Ah Démentibuleur je l’ay trop reconnu.
De ne pas l’ignorer à present je me pique*,
490 Et ma jouë en peut estre un témoin autentique.
Faire pleine recepte* à deux doigts de mon nez
D’un soufflet plantureux, & des mieux assenez,
D’un soufflet qu’une main bien plus noire que blanche
Depuis plus de six mois mitonnoit dans sa manche,
495 D’un soufflet qui par terre quasi a repandu…
Si vous ne le payez je veux estre pendu.

Le second NICANDRE.

Est-ce pure gageure* ? Ou bien si tu déterres…

ROBIN.

C’est gageure*.

Le second NICANDRE.

Gageure* ?

ROBIN monstrant sa jouë.

On m’en donne des erres
(Il chante de rage.)
{p. 41}
Voyez-vous ? Mon cadet… Là, là, là, là, là, là.

SCENE IX. §

JACINTE, HIPOLITE, le second NICANDRE, ROBIN.

JACINTE, sortant avec Hipolite.

500 Il vous attend Madame, & c’est luy que voila,
Avancez.
(à Nicandre.)
A vous voir je l’ay fait condescendre,
Prés d’une heure Hipolite a voulu s’en deffendre,
Mais j’ay tant de vos feux appuyé le party,
J’ay tant dit que mes soins vous avoient pressenty,
505 Tant de fois repeté que toûjours pour Ismene
Loin d’avoir de l’amour vous auriez de la haine…

Le second NICANDRE.

De la hayne pour elle, ah ! Je brûle d’amour,
Non, non…

HIPOLITE à Nicandre.

De vos mépris vous voila de retour,
Je l’ay sçeu de Jacinte, Ismene est pourtant belle.

Le second NICANDRE.

510 Elle est toute charmante, & je n’adore qu’elle,
Son aymable visage a des charmes si doux…

JACINTE.

Il se mocque, Madame, il n’adore que vous
Il me l’a dit. {p. 42}

Le second NICANDRE.

Moy ?

JACINTE.

Vous.

Le second NICANDRE.

En parlant de ma flâme
Loin de vous avoir dit que j’adore Madame…

JACINTE.

515 Quoy, vous n’avez pas dit à moy mesme, en ce lieu…

Le second NICANDRE.

Rien du tout.

JACINTE.

Rien ! Madame il offence bien Dieu
Le mechant homme !

Le second NICANDRE.

Quoy…

[JACINTE.]

Quoy, vous-mesme hypocrite
Quand vous estes venu pour luy rendre visite…

Le second NICANDRE.

Moy visite ! Robin pourra dire au besoin*

ROBIN.

520 Je vous sers de valet, & non pas de tesmoin.

Le second NICANDRE.

Mais tu sçais…

ROBIN.

Je ne sçay si je sçais quelque chose,
Mais je me tais.

HIPOLITE à Jacinte.

{p. 43}
Tu vois où ton zele m’expose
A ton rapport sans doute il n’a pas consenty.

JACINTE.

J’ay dit vray, je vous jure, & Nicandre a menty,
525 Je n’ay pas grace à Dieu, la memoire debile,
Il faloit que pour lors son valet fut en ville
Lui seul en cette place il faisoit l’idiot.

Le second NICANDRE.

Quand vous m’avez parlé j’estois seul ! Responds.

ROBIN.

Mot.

Le second NICANDRE.

Où donc, lors que Jacinte a commencé sa guerre
530 Estois-tu ?

ROBIN.

Dans le Monde.

Le second NICANDRE.

En quel lieu ?

ROBIN.

Sur la terre.

Le second NICANDRE.

L’endroit, c’est…

ROBIN.

Dans la France, à Paris, que je croy.

Le second NICANDRE.

En presence…

ROBIN.

En presence ? En presence de moy.

Le second NICANDRE.

Mais perfide Robin le desssein où tu buttes…

ROBIN monstrant sa jouë.

{p. 44}
Il ressouvient* tousjours à Robin de ses flutes.

Le second NICANDRE.

535 Ils s’entendent, Madame, un indice trop grand…        535

JACINTE.

Si je luy dechargeois un bon moule de gand,
Madame, laissez-moy luy bailler* sur la creste*.

ROBIN à Jacinte.

Ne prends point de conseil que celuy de ta teste ;
J’en suis de moitié rosse.

HIPOLITE.

Enfin, il m’est honteux
540 D’avoir pû vous apprendre où j’adresse mes vœux ;        540
Ne vous souvenez pas qu’Hipolite vous aime,
Oubliez…

Le second NICANDRE.

Vous m’aymez !

HIPOLITE.

Je l’ay dit à vous mesme,
Ingrat, & ma foiblesse est allée à ce point…

Le second NICANDRE.

En vérité, Madame, il ne m’en souvient point.
545 Vous m’avez, dites-vous, adorable Hipolite…

HIPOLITE.

Une feinte si basse, & m’outrage, & m’irrite,
Je ne suis pas Jacinte, & vous vous méprenez…

JACINTE.

Paumez-luy moy la gueule, & luy cassez le nez,
Faut-il tant de façons ? J’en enrage d’envie,
550 Son valet qui me pousse à cela me convie.

Le second NICANDRE.

{p. 45}
Tu la pousses, perfide, & ton cœur est si bas…

ROBIN.

Moy loin de la pousser je luy retiens le bras,
Elle a menty.

JACINTE.

Madame, admirez l’autre traistre,
Le valet se gauberge* aussi bien que le maistre ;
555 Oses-tu ?... Voyez-vous, il fait signe des yeux…

ROBIN.

Vous mentez comme un Diable impudente*.

JACINTE luy donne un soufflet.

Moy ?

ROBIN.

Deux ;
C’est le compte tout rond, & ma jouë applattie…
Ah Maistresse coureuse, ou du moins apprentie…

JACINTE.

Quoy belistre*

Le second NICANDRE.

La belle, il faut moins s’émouvoir
560 Votre sexe, & Madame ont icy tout pouvoir,
Essayez ma petite à vous rendre plus sage :
Pour vous, c’est à regret que ma voix vous outrage,
D’avoir pû vous choquer j’ay beaucoup de douleur,
Et de peur qu’il n’arrive un semblable mal-heur
565 Je sors.

ROBIN à Jacinte.

Je sors aussi, mais avant que je sorte
A ton peste de bras qui n’a pas la main morte
Je souhaite la galle, & qui mine ton corps ; {p. 46}
A tes pieds tout crochus je souhaite des cors ;
A ta jambe une ulcere ; à ta cuisse une goutte ;
570 Que de toy desormais tout chacun se dégouste ;
Je souhaite à ton ventre une canine faim,    
Et que pas un mortel ne te donne du pain ;
Loin d’avoir des appas*, & des charmes qui brillent,
Je souhaite à ton sein des tetons qui brandillent ;
575 A ton bas de visage un menton fort pointu ;
A tes dents une bresche à passer tout vestu ;
A ton nez la roupie ; aux yeux cire, au front crasse ;
Et que de tes cheveux dont tu tires ta grace
On fasse des licous* au Bourreau de Paris
580 Pour pendre les lacquais qui sont au Paradis.
Peste de Cagne*.

SCENE X. §

HIPOLITE, JACINTE.

HIPOLITE.

Hé bien ?

JACINTE.

Sans perdre une parole
Depeschez vistement de joüer vostre rolle.
Au secours, à la force, embrassez l’interest…
Tout va le mieux du monde, Isidore paraist,
585 Isidore !
{p. 47}

SCENE XI. §

ISIDORE, HIPOLITE, JACINTE.

ISIDORE.

Il s’exhibe où le cry prend son estre
Qu’est-ce ?

HIPOLITE.

Comme un éclair il vient de disparaistre ;
Il faut qu’asseurément il vous ait entendu.

ISIDORE.

Eclaircis ta matiere à mon individu ;
A ma memoire active à comprendre la chose
590 De sa voix attractive incorpore la cause,
Articule tes mots, & divulgue le fait ;
Puis apres de la cause on descend à l’effet.
Deduits ta malencontre* en maniere succinte.

HIPOLITE.

Il est venu… Monsieur, demandez à Jacinte.

ISIDORE à Jacinte.

595 Oculaire témoin du mal-heur qu’elle tait,
Toy, qui peut à son pere inculquer son secret,
De le développer j’interpelle ton ame.

JACINTE.

Il est venu… Monsieur, demandez à Madame.

HIPOLITE.

J’apprehende si fort de vous voir indigné
600 Qu’en fin…

ISIDORE.

Ma geniture, aurois-tu forligné ? {p. 48}

HIPOLITE.

Ah !

JACINTE.

Ah !

ISIDORE.

Dieux des sçavans, l’une & l’autre soûpire !
D’où dérive…

HIPOLITE.

Autre part je sçauray vous tout dire,
Et puisqu’un prompt remede est icy de saison*
Vous forcerez le traistre à m’en faire raison.

Fin du second Acte.

[E, 49]

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

ISMENE, LE COMMISSAIRE.

ISMENE.

605 Enfin de mon mal-heur vous avez connoissance,
Je vous ay de ma honte assez fait confidence,
Je vous ay découvert de quel sexe je suis,
Et le nom & l’ingrat qu’à present je poursuis :
Mais tout ingrat qu’il est, comme il a du courage
610 Il peut vous outrager, & je crains qu’on l’outrage ;
Car enfin, à la haine il a beau m’animer,
Mon naturel usage est l’usage d’aymer :
En m’ostant son amour, il retient ma tendresse ;
Ainsi pour s’en saisir il faut user d’adresse,
615 Puis que de tous costez je redoute le[s] coups,
Soit qu’ils viennent de luy, soit qu’ils viennent de vous.

LE COMMISAIRE.

Vous craignez vainement qu’il se puisse deffendre,
Jusques dans son logis on le peut aller prendre,
Et quinze ou seize Archers aux captures forts prompts…

ISMENE.

{p. 50}
620 Ah ! De grace, à Nicandre espargnons ces affronts,
L’ingrat m’est tousjours cher, tout cruel qu’il puisse estre ;
Et quoy qu’il soit éteint, son amour peut renaistre :
Escoutez le biais que je croy le plus doux,
Je luy fais un appel, & je prends rendez-vous ;
625 Je m’en dis offencé, sans luy dire autre chose ;
Je luy mande qu’au Cours il en sçaura la cause ;
Que je suis Gentil-homme aussi noble que luy ;
Et qu’au lieu que je marque il peut mesme aujourd’huy…

LE COMMISSAIRE.

Et sur vostre parole il aura l’asseurance…

ISMENE.

630 Il a tant de courage & si peu de prudence,
Qu’à sa seule valeur osant trop se fier
Dans le Cours de la Reyne il sera le premier.
Là, vous & vos Archers ayez soin de vous rendre,
Et sous un faux-semblant de vouloir nous deffendre,
635 Nous ayant desarmez par vostre autorité,
Vous pourrez le saisir avec facilité.
Cette voye est plus douce, & me semble plus seure.

LE COMMISSAIRE.

Mais enfin d’une femme il verra l’écriture,
Et d’un cœur amoureux prevenant le dessein…

ISMENE.

640 Vous croyez mon cartel* fabriqué de ma main ?
Une main empruntée a pris soin de l’écrire ;
Et pour en peu de mots achever de tout dire, {p. 51}
Un valet que j’ay pris aux degrez* du Palais
Mieux vestu mille fois que mille autres valets
645 Servira ma colere, & fera mon message ;
Vous de vostre costé commencez vostre ouvrage,
Amassez tous vos gens, & selon mon espoir
Faites-les rendre au Cours à six heures du soir :
Voila ce que de vous j’ay voulu me promettre,
650 Et tandis qu’au Courrier mon valet va remettre…
Il revient, il me cherche, allez tout dépescher,
Adieu.
(Le Commissaire sort.)

SCENE II. §

RAGOTIN, ISMENE.

RAGOTIN.

N’est-ce pas vous que je viens rechercher
Dites-moy ?

ISMENE.

C’est moy-mesme ; As-tu beaucoup de zele ?
Car je ne doute point que tu ne sois fidele,
655 Et de ta part enfin je crains peu d’accidens.

RAGOTIN.

N’ay-je pas dans Paris cinq ou six Respondans
Pour me cautionner s’ils me sont necessaires ?
J’ay trois Lacquais, un Page, & deux Clercs de Nottaires,
Diable je suis connu par d’honnestes Messieurs ! {p. 52}
660 J’ay l’honneur, qui plus est, d’estre aimé de plusieurs,
Et je conte cela mon plus bel avantage.

ISMENE.

Il est grand, mais escoute, as-tu bien du courage ?

RAGOTIN.

Du courage ! J’en créve… En mon juste courroux…
Produisez* quelques-uns qui me tastent le poux,
665 Est-ce Brave ? Soldat ? Mousquetaire ?

ISMENE.

Moy-mesme.

RAGOTIN.

Vous, Monsieur ?

ISMENE.

Moy ?

RAGOTIN.

Pour vous mon respect est extreme,
Je suis vostre valet.

ISMENE.

Mais enfin…

RAGOTIN.

Mon Dieu, Mais
C’est un poinct chatoüilleux que l’honneur d’un Lacquais,
Je suis plein de courage, & n’en fus jamais vuide,
670 Mais j’aurois du regret de faire un Maitricide :
Vous ne l’ignorez pas les honnestes Chrestiens…

ISMENE.

Tu conçois à rebours le discours que je tiens,
J’ay querelle.

RAGOTIN.    [53]

Querelle ! Est-il vray ?

ISMENE.

J’ay querelle
Et je veux éprouver à quel poinct va ton zele :
675 Pour porter un Cartel* de toy seul j’ay fait choix.

RAGOTIN.

Donnez-vous bien souvent de semblables emplois ?

ISMENE.

RAGOTIN.

Dites-moy donc sans donner de bricole*
Si c’est que je me louë, ou bien si je m’enrolle ?

ISMENE.

As-tu peur ?

RAGOTIN.

Moy ? Non, mais…

ISMENE.

Mais point tant de façon,
680 Si tu sens de la peur tu peux le dire.

RAGOTIN.

Et… non,
Mais…

ISMENE.

Voila le Cartel*, prends le soin de le rendre,
Tu liras le dessus, il s’addresse à Nicandre.

RAGOTIN.

A Nicandre ?

ISMENE.

A Nicandre, il demeure icy prés ;
A ce nom tu fremis que je crois ? {p. 54}

RAGOTIN.

Moy ? Non, mais…

ISMENE.

685 S’il demande le nom de celuy qui t’envoye,
Il pourra le sçavoir, puis qu’il faut qu’il me voye ;
Je vais dans mon logis, ruë aux Ours, au Dauphin,
De ce jour ennuyeux* attendre le declin,
Cela fait dans ce lieu tu viendras me reprendre,
690 Adieu.

SCENE III. §

RAGOTIN seul.

Je vais porter un Cartel* à Nicandre !
A luy qui me veut battre, et qui fait le mâdré,
Ah Nicandre, ma foy tu seras Nicandré !
Tu t’en vas étrenner mon épée. Il avance,
Mais il ne songe pas à cecy que je pense ;
695 Dieu sçait si le Cartel* le va rendre esperdu !
{p. 55}

SCENE IV. §

Le premier NICANDRE, RAGOTIN.

Le premier NICANDRE.

Jacinte asseurément m’aura trop astendu ;
Il m’a trop retenu cét Amy, j’en deteste.
Où pourray-je à present la trouver ? Ah, ah.

RAGOTIN luy allongeant une botte*.

Zeste*.

Le premier NICANDRE.

Tu reviens à belle heure, & tu penses qu’au cas…

RAGOTIN.

700 Ouy, je pense, pourquoy ne penserois-je pas ?
Je veux penser.

Le premier NICANDRE.

Coquin, je puis t’estre funeste,
Et si tu fais le fou tu ne doute[s] pas…

RAGOTIN allongeant encore une autre botte*.

Zeste*.

Le premier NICANDRE.

Où crois-tu que tu sois, dy marouffle*.

RAGOTIN.

Pourquoy ?
J’ay mon droict comme vous sur le pavé du Roy,
705 Dequoy vous meslez-vous ? Qu’est-ce donc ? J’y veux estre.

Le premier NICANDRE.

{p. 56}
Mais à qui donc és-tu ?

RAGOTIN.

Moy je suis à mon Maistre,
Avec autre que vous on se trouve un peu mieux ;
Tenez quasi defunt, jettez icy les yeux,
Puis apres au Seigneur recommandez vostre ame.

Le premier NICANDRE.

710 Cét Infame…

RAGOTIN.

Tantost vous aurez de l’infame ;
Vous m’avez querellé, vous avez fait le fat*,
Vous en mourrez, beau Sire, & mourrez intestat,
Lisez.

Le premier NICANDRE lit.

Sans que je me nomme,
Nicandre vous sçaurez que je suis Gentil-homme,
715 Qui l’espée à la main ay dessein de vous voir,
Du sujet que j’en ay j’ose tout me promettre :
C’est au Cours de la Reyne à six heures du soir ;
Et j’auray le Second qui vous rend cette Lettre.
(Nicandre continuë.)
Tu ne me sers donc plus, Ragotin ?

RAGOTIN.

Non ma foy.

Le premier NICANDRE.

720 Je n’en murmure point, cela dépend de toy,
Tu te rends le Second de celuy qui m’appelle ?
Tu le dois, c’est ton Maistre, & j’admire ton zele ;
Voyons si ta valeur à ton zele respond.
(Il tire l’épée, et Ragotin remet la sienne.)

RAGOTIN.

{p. 57}
Que ne suis-je Premier aussi bien que Second !
725 Voyez-vous de courroux comme le nez me fronce ?

Le premier NICANDRE.

Quoy tu crains…

RAGOTIN.

Escoutez je vais vous rendre response ;
Si vous vouliez m’attendre un moment dans ce lieu ?

Le premier NICANDRE.

Je le veux…

RAGOTIN.

Mettez là vostre main. Sans Adieu,
C’est assez, si j’y viens que le Diable m’emporte.
(bas.)

SCENE V. §

Le premier NICANDRE seul.

730 Ciel vous m’estes propice, & l’on ouvre la porte ;
Le bon-heur de vous voir va donc m’estre accordé
Hipolite, Jacinte, ay-je point trop tardé ?
Si vous pouviez sçavoir quel plaisir vous me faites,
Je jure…
{p. 58}

SCENE VI. §

JACINTE, Le premier NICANDRE.

JACINTE.

Allez vous-en au peautre*, à qui vous estes.

Le premier NICANDRE.

735 Quoy Jacinte me laisse, & dans cét embarras…

JACINTE.

Allez vous-en au Diable, & ne me touchez pas
Vous dis-je.

Le premier NICANDRE.

Mais Jacinte, il me semble…

JACINTE.

Il me semble
Qu’on ne vaut pas la peste alors qu’on vous ressemble,
Qu’estre lasche, perfide, hipocrite, emballeur*,
740 Meschant comme la gresle, insolent suborneur*,
Qu’avoir l’ame du Diable à tous coups possedée,
C’est de vostre peinture une legere idée ;
Il me semble cela.

Le premier NICANDRE.

Mais au moins…

JACINTE.

Au moins mais…

Le premier NICANDRE.

Mais vous m’avez promis…

JACINTE.

{p. 59}
Mais je vous dépromets.
745 Et de plus laissez-moy, j’ay des mains, je devore.

SCENE VII. §

EUTROPE, JACINTE, le premier NICANDRE.

EUTROPE.

Est-ce pas prés d’icy que demeure Isidore ?

JACINTE.

Ouy, le voulez-vous voir ?

EUTROPE.

Ah ! Je le voudrois bien.

JACINTE.

Attendez.

Le premier NICANDRE à Jacinte.

Vous pouvez par le mesme moyen…
A tout ce procedé, je ne puis rien comprendre,
750 Jacinte…

EUTROPE.

Ou je m’abuse, ou je vois le Nicandre,
Je le vois, c’est luy mesme. A la fin je te tiens,
C’est en vain que tes bras sont plus forts que les miens.
Qu’as-tu fait de ma fille ?

JACINTE appelle à une fenestre.

Isidore ! Allons viste.
(A Eutrope.)
{p. 60}
Tenez ferme, tenez ; car il faut qu’on le gifle.
755 Isidore !

Le premier NICANDRE.

Monsieur laschez-moy de ce pas,
Ou du moins…

JACINTE.

Tenez ferme, & ne le laschez pas ;
Son filou* de cacquet m’a sceu rendre ébloüye.

SCENE VIII. §

ISIDORE, JACINTE, EUTROPE, Le premier NICANDRE.

ISIDORE à la fenestre.

Une voix transcendante a percé mon oüye.
Apprettez-vous…

JACINTE.

Monsieur, venez viste au secours,
(A Eutrope.)
760 Venerable vieillard, tenez ferme toûjours,
D’une fille de bien, de famille assez grande
Ayant pris tout l’honneur, il faut qu’il [me] le rende
Ou qu’il créve.

EUTROPE.

De rage, il m’en void tout en feu
Le déloyal, le traistre !

Le premier NICANDRE.    [F, 61]

Est-ce conte ? Est-ce jeu ?
765 Quoy Jacinte elle mesme aura donc de la joye…

JACINTE.

Venez viste, Monsieur, vous saisir de la proye,
C’est Nicandre.

EUTROPE.

Luy-mesme.

Le premier NICANDRE.

Il est vray, mais confus…

ISIDORE en bas.

Rendons-en grace, & los à Jupin de la sus.
O malin Tereus de qui l’ame trop noire
770 D’une Philomella contamines la gloire ;
Toy qui dans le vray centre où l’on prend les plaisirs,
Veux immatriculer tes coupables desirs ;
Un saut patibulaire est le prix que j’annexe
Aux torrides souhaits dont l’outrage me vexe ;
775 Et par un sort tragique asprement* avancé
Du terrestre climat tu seras expulsé.

JACINTE.

Prenez l’occasion qu’un bon Ange vous offre,
Tandis qu’il est icy permettez qu’on le coffre,
Je m’en vais au plus viste amener le Coffreur.
(Elle sort)

Le premier NICANDRE tenu par les deux bras.

780 Quoy, de l’un & de l’autre éprouver la fureur !
D’un couroux si bizarre apprenez-moy la cause ;
Soit à vous, soit à vous, ay-je fait quelque chose ?
De qui m’ose arrester que je sçache le nom,
Est-ce vous ? Est-ce vous ? {p. 62}

EUTROPE.

C’est moy-mesme.

ISIDORE.

Ego sum.
785 Une fille effleurée est un grand vitupere.

EUTROPE.

Et cela de bien prés touche un mal-heureux pere
Isidore.

ISIDORE.

Isidore ! Hé vous me cognoissez ?

EUTROPE.

Je ne vous ay point veu depuis dix ans passez,
Un tel temps a rendu ma memoire affoiblie,
790 Cependant de vos traits elle est toute remplie ;
Eutrope ayme Isidore, & le Ciel a permis…

ISIDORE.

Eutrope ! Ah parangon des fidelles amis !
Charissime Collegue incapable de noises*,
Relegué par le sort aux rives Lyonnoises,
795 Si vous estes fertille en tendresses pour moy,
Etreignez Isidore, & pleignez son esmoy :
C’est Eutrope !

EUTROPE.

Vous voir est ce que je souhaite,
Mais ma joye Isidore est pourtant imparfaite,
Une fille abusée…

ISIDORE.

Ah !

EUTROPE.

Ah !

ISIDORE.

{p. 63}
Ah !

EUTROPE.

Ah !
(Isidore et Eutrope laschent Nicandre, & s’embrassent en pleurant, tandis que Nicandre s’echape.)

Le premier NICANDRE.

Destin
800 Je suis débarassé de leurs mains à la fin ;
Mais le foible mal-heur que celuy que j’évite
Si le triste Nicandre est haï d’Hipolite ;
Elle est seule chez elle, allons-y de ce pas.
(Il entre chez Hipolite.)

SCENE IX. §

Le second NICANDRE, ROBIN, EUTROPE, ISIDORE.

ROBIN chargé d’une Valise.

Ah ! Que démenager est un rude tracas !
805 Peste soit la valise, elle est diablement lourde,
Haye ! Au meurtre ! Ah l’échine !
Les deux vieillards estans embrassez, Robin passe auprés d’eux, trébuche, se laisse tomber, & les fait tomber tous deux.

EUTROPE.

Ah maudite balourde !

ISIDORE.

{p. 64}
J’ay les muscles froissez, & le corps mutilé.

Le second NICANDRE.

Ce coquin… Dieux Eutrope ! Il paroist désolé :
Quoy le pere d’Ismene est dedans cette ville !
810 A la premiere porte attrapons un azile,
Fuyons.
(Il entre aussi chez Hipolite.)

SCENE X. §

EUTROPE, ISIDORE, ROBIN.

EUTROPE.

Est-ce pour rire, ou du moins es-tu fou ?

ROBIN.

Ouy vrayment c’est pour rire ; on se casse le cou
Pour rire. C’est Eutrope, il faudra qu’on acheve…
Monsieur ! Je crois ma foy que le Diable l’enleve,
815 Ho, Nicandre ! Il fait gille, & je suis retenu ;
Dites-moy, s’il vous plaist ce qu’il est devenu
Messieurs ?

EUTROPE.

Le voyez-vous le malicieux traistre ?
Il nous a fait tomber pour faire fuir son Maistre :
Quoy perfide Robin, ose[s]-tu nous choquer ?

ISIDORE.

820 Dans la prison prochaine il le faut colloquer*,
Et que touchant son Maistre une reminiscence*

ROBIN.

Moy, Messieurs, en prison ? Vous raillez* que je pense.

EUTROPE.

{p. 65}
Dy l’endroit qui le cache, ou du moins nous le rend.

ROBIN.

Si le Diable l’emporte, en puis-je estre garand
825 Messieurs ?

EUTROPE.

Laisse la feinte & paroist plus sincere,
Le mal-heur d’une fille émeut l’ame d’un pere ;
Peut-etre est-elle grosse, & je sçay le moyen…

ROBIN.

Ma foy grosse ou menuë il n’y va rien du mien.
De ce qu’à cette fille on peut dire les causes,
830 Et ne pas se méprendre en faisant choix des choses :
Si dedans un cachot je me voyois caché
Je ferois penitence, & je n’ay pas peché ;
De quoy que mon Estoille aujourd’huy me menace
Ou souffrez que je peche, ou qu’un autre le fasse ;
835 Je ferois à regret penitence gratis.

ISIDORE.

Empéchons que nos vœux ne soient pas mi-partis,
Themis veut qu’on le tolle, & s’il raciocine…

ROBIN.

En son chien de patois qu’est-ce qu’il baragouïne* ?
Ma mort est resolüe, il le dit en Hebreu.
840 A condamner Robin differez tant soit peu
Et qu’un jour à venir le bon Dieu vous le rende
Charitables Messieurs qui voulez qu’on me pende,
Et qui tous acharnez sur un pauvre garçon…
Mais que voicy des gens de méchante façon ;
845 Ah ! Combien les Bourreaux ont de Valets de Chambre !
{p. 66}

SCENE XI. §

EUTROPE, ISIDORE, JACINTE, UN SERGENT, [ROBIN], des Archers.

LE SERGENT.

Messieurs, de la Justice ayant l’heur* d’estre Membre…

ROBIN.

Membre, vous ?

LE SERGENT.

Ouyda, Membre ; & je diray de plus…

ROBIN.

Diable, que la justice a les Membres dodus !

JACINTE.

On diroit qu’à vos vœux toutes choses réponde[nt],
850 Ces Messieurs tous ensemble attendoient d’autre monde,
Et Nicandre… Le traistre où s’est-il retiré ?

ISIDORE.

Imperceptiblement il s’est évaporé ;
Mais voila qui le pleige, il faut qu’on l’apprehende ;
Que dedans une Chartre* apres on le descende ;
855 Et son procez en suite estant fait, & parfait
Qu’il serve d’holocauste* à mon sang putrefect.

EUTROPE.

Vôtre sang, dites-vous ? C’est le mien qu’on outrage.

ISIDORE.

{p. 67}
C’est le mien.

EUTROPE.

C’est le mien.

ROBIN.

J’ay le dos bon, courage.
(A Eutrope.)
Vostre fille à ce compte a perdu son honneur ?

EUTROPE.

860 Ouy perfide.

ROBIN à Isidore.

La vostre a le mesme mal-heur ?

ISIDORE.

Ouy, pecore*.

ROBIN à Jacinte.

Et le tien ?

JACINTE.

Moy ? Je l’ay.

ROBIN.

Chose vraye ?
Car si tu ne l’as plus il faut bien que je l’aye ;
Croy-moy tastes-y, taste, et ne déguise rien,
Tu peux parmy le leur faire passer le tien ;
865 Cependant que d’honneur tout le monde me charge,
Signe au bas de la feuille, & te mets à la marge.
Ton honneur, si tu l’as…

JACINTE.

Si ? Comment si fripon ?
Moy, si j’ay mon honneur ? Si je l’ay ?

ROBIN.

Que sçait-on ?
On te void du grand monde imiter la metode, {p. 68}
870 Tu veux comme ce monde encherir sur la mode,
Ce qu’il fait tu le fais, & pour cette raison
Le Si, dont je te parle est assez de saison*.
Si donc…

JACINTE.

Quoy, vous souffrez que ce perfide cause ?

LE SERGENT.

Si de mon ministere il vous plaist quelque chose,
875 Messieurs…

EUTROPE.

C’est ce pendart qu’il faut prendre.

ROBIN.

Qui ?

JACINTE.

Toy.

ISIDORE.

Accipez.

EUTROPE.

Saisissez.

JACINTE.

Prenez.

LE SERGENT saisissant Robin.

De par le Roy…

ROBIN.

Vrais Suppots de Satan, effroyable couvée…
Peste comme le Membre a la teste levée !
Il me va mener pendre, il n’est rien si constant ;
880 Membre qui démembrez ne me tirez pas tant.
(Aux Archers.)
Vous petits Membrillons dont je crains la presence,
Vous, qui du Maistre-Membre accroissez la puissance,
Hapes-Chairs de mon ame, ah ne permettez point {p. 69}
Que de pierre de taille on me fasse un pourpoint.
885 Je suis valet de bien, & c’est pure malice.        885

EUTROPE.

D’un méchant ravisseur c’est l’infame complice,
Et l’honneur d’une fille a rendu desolé…

ROBIN.

Eh Monsieur qu’on me fouille on verra si je l’ay.
L’honneur est necessaire en de bonnes familles,
890 Et j’en voudrois avoir pour donner à vos filles.
Si pour prendre le mien dans ce lieu l’on m’a pris
Messieurs…

ISIDORE au Sergent.

Vous le tenez in manibus vestris,
Suffecit ; Domine vous sçaurez m’en respondre,
Dans un sombre manoir* vous devez le profondre,
895 Puis quand dans la prison vous l’aurez integré,
L’hostel de Nicandre vous sera démonstré.
Sur tout vers sa demeure ayez soin qu’on se muce,
Employez à sa prise & la fourbe, & l’astuce,
L’amiable Hyacinte ira guider vos pas.
900 Vous Eutrope in domum venez prendre un repas,
Et lors qu’à vos douleurs vous aurez donné trêve
Vous me clariffirez le sujet qui vous gréve.
Venez.

EUTROPE.

Vous le voulez, j’accomplis vos souhaits,
(Au Sergent.)
Debonnaires Messieurs vous serez satisfaits ;
905 Mais au traistre Robin daignez joindre Nicandre.
{p. 70}

SCENE XII. §

ROBIN, LE SERGENT, JACINTE, Les Archers.

ROBIN au Sergent.

Membre, nous sommes seuls, on ne peut nous entendre,
Dites-moy, puis-je pas un moment vous parler ?

LE SERGENT.

Tu le peux un moment, que veux-tu ?

ROBIN.

M’en aller,
O cher Membre.

LE SERGENT.

Il raisonne, on diroit qu’il méprise…

ROBIN.

910 Menez donc à ma suite en prison la valise
O Gigot de Justice, & traisnez avec moy
Mon mal-heureux pacquet dans la Maison du Roy.

Fin du troiziesme Acte.

{p. 71}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

HIPOLITE, le premier NICANDRE.

HIPOLITE.

D’une indigne foiblesse à ma gloire mortelle
Tu viens de recevoir une preuve nouvelle ;
915 Je cherchois à te perdre, & tu m’as sceu toucher,
Je voulois qu’on te prit, & j’ay sceu te cacher :
Je sçay qu’il est honteux que mon sexe soupire,
Mais tel est de l’amour l’inévitable empire ;
Et le feu qu’en son ame une fille ressent
920 Pour estre plus contraint n’en est pas moins puissant.
C’est en vain que d’un cœur où l’amour a pris place
La pudeur en tumulte autorise l’audace ;
N’aymer rien que d’aymable est un foible si doux…

Le premier NICANDRE.

Ah que ce foible est beau quand on brusle pour vous !
925 Ma flâme impetueuse est pour vous trop fidelle
Pour convaincre d’erreur une bouche si belle :
Pourtant quelques respects dont je sois combattu
Ce que vous nommez foible est toute ma vertu. {p. 72}
Il est doux d’estre aymé, c’est avoir de la gloire ;
930 Mais s’il est doux de l’estre, il est doux de le croire ;
Vous avez tant d’appas*, je merite si peu,
Qu’un équitable doute accompagne mon feu :
Je dois à l’apparence un amour qui m’honore,
En voyant mes deffauts m’aymerez-vous encore ?
935 Consultez-vous, Madame, & sans precipiter…

HIPOLITE.

Toy-meme, ingrat, toy-meme ose te consulter.
Avouë ingenument que tu ne peux sans peine
Pour aymer Hipolite abandonner Ismene ;
Et que de mes bontez l’injurieux excez
940 De ta premiere flâme empesche le succez*.
Afin que ton destin à mon destin s’attache
J’ay sçeu faire moy-meme à moy-meme une tâche ;
On me croit abusée, on te croit suborneur*,
Et l’on doit te contraindre à me rendre l’honneur.
945 Je te l’ay déjà dit, & ton ame est instruite…

Le premier NICANDRE.

Je l’avois oublié genereuse Hipolite,
Mais il m’en ressouvient*, & d’un cœur amoureux
L’obligeante imposture a remply tous mes vœux.
De mon amour aussi daignez estre certaine,
950 Je soûpire pour vous, & non pas pour Ismene,
De vos seules beautez je connois le pouvoir,
Vos yeux seuls…

HIPOLITE.

S’il est vray, tu le peux faire voir,
On me croit abusee, & l’honneur te convie… [G, 73]

Le premier NICANDRE.

Je vous entends, Madame, & j’en brusle d’envie,
955 Je dois à vostre feinte accorder mon aveu ;
Mais l’endroit est mal propre à parler de mon feu.
Vous m’aimez, je vous aime, il me suffit, Madame,
Appaisez vostre pere en faveur de ma flâme,
Dés demain je m’appreste au bon-heur de le voir
960 Pourrez-vous l’appaisez ?

HIPOLITE.

J’y feray mon pouvoir,
Adieu.

Le premier NICANDRE.

Donc à ma flâme il n’est rien de contraire…

HIPOLITE retourne sur ses pas.

Si je fais mon pouvoir je pourray beaucoup faire,
J’oubliois de le dire, Adieu,

Le premier NICANDRE.

Mais… Elle sort.
Ne sois plus un obstacle aux douceurs de mon sort
965 Mon frere, & souffre au moins qu’une flâme si belle…
Mais au Cours de la Reyne enfin l’heure m’apelle :
Je n’ay point de Second, mais du moins j’ay du cœur,
Et de plus mon espée est de bonne longueur.
Il est vray qu’assez foible est le bras qui seconde…
{p. 74}

SCENE II. §

ROBIN, le premier NICANDRE.

ROBIN avec une Bouteille à la main.

970 Ah mon bon Dieu ! Pourtant je ne vois point de monde.
Ces maudits Houspilleurs comme ils m’ont fait driller*.
(appercevant Nicandre.)
Autre Chasse-Coquin qui m’entend babiller ;
Il me lorgne*. Ah c’est vous, ô Messire Nicandre,
Bon jour.

Le premier NICANDRE.

Dy promptement ce que tu veux m’aprendre,
975 Je ne puis faire icy qu’un moment de sejour,
Si tu veux me parler parle viste.

ROBIN.

Bon jour.
Des mains de la Justice est-ce ainsi qu’on s’arrache ?
Eh que si le bon homme eût trouvé vostre cache !

Le premier NICANDRE.

Si je me cache ou non que t’importe ?

ROBIN.

Si fait
980 Il m’importe.

Le premier NICANDRE.

Il t’importe ! As-tu quelque sujet

ROBIN.    [75]

Faudra-t-il point que je vous rende grace
De ce qu’au lieu de vous en prison on m’enchasse ?

Le premier NICANDRE.

On t’a mis en prison !

ROBIN.

Et bien mis, qui plus est,
Les bourreaux.

Le premier NICANDRE.

C’est, dis-tu, pour mon seul interest ?

ROBIN.

985 Nenny*, c’est pour le mien ; je suborne* des filles ;
Et je suis en amour grand abateur de quilles.

Le premier NICANDRE.

Ne veux-tu me donner que de sottes raisons ?

ROBIN.

Ne vous souvient-il pas des deux chiens de grisons*
Vôtre futur beau-pere, & son cher meigre-échine ?

Le premier NICANDRE.

990 Hé bien.

ROBIN.

Tu Dieu, Monsieur, la méchante vermine !
A peine de leur veuë estiez-vous échapé
Qu’un gros peste de Membre aussi-tost m’a gripé ;
L’un & l’autre grison* ne sçavoit où se prendre ;
Moi n’ayant point d’honneur que je pusse leur rendre
995 Au redoutable son d’un seul, De par le Roy
Cinq ou six Poussecus* se sont jettez sur moy,
Et par tant de costez m’ont fait coure si viste
Qu’à la fin, grace aux Dieux ils m’ont mis dans le giste.
On nous croit de concert*, & l’on s’est fourvoyé. {p. 76}

Le premier NICANDRE.

1000 Voyant ton innocence on t’a donc renvoyé ?
On s’est donc apperçeu de cette erreur extréme ?

ROBIN.

Je m’en suis, par ma foy, revenu de moy-mesme.
Considerez le tour que je viens de jouër ;
Mes Archers occupez à me faire écrouër
1005 Avoient mis à la porte un niais à merveille ;
Moy trouvant sur un banc cette chere bouteille
D’une joye effrontée étouffant mon chagrin
Je luy suis allé dire, Où vend-on de bon vin ?
J’ay ceans* des Amis que je veux faire boire.
1010 A la belle Espousée, ou bien à la Croix noire,
Me répond bonnement mon niais d’apprenty ;
Aussi-tost porte ouverte, aussi-tost moy sorty,
Puis plus viste qu’un Basque enfilant la venelle
Passant d’une ruelle en une autre ruelle,
1015 J’ay tant fait qu’à la fin j’ay trouvé le moyen…
Mais, ô Monsieur, Monsieur… Ne bougez, ce n’est rien.
Vostre bourreau d’amour à cent craintes m’expose.

Le premier NICANDRE.

De ton dernier mal-heur je suis la seule cause,
Mais n’apprehende plus de t’y voir exposé,
1020 Ma Maistresse est contente, & son pere appaisé.
On m’attend de ce pas dans le Cours de la Reyne,
Je veux à mon retour reconnoistre ta peine ;
Je reviens dans une heure, attend-moy dans ce lieu.

ROBIN.

{p. 77}
Mais tout est appaisé ?

Le premier NICANDRE.

Je te le jure, Adieu,
1025 Desormais de Sergens ne crains nulle surprise.

SCENE III. §

ROBIN seul.

Il n’a pas dit le mot concernant sa valise,
Elle est pourtant restée, & puissay-je mourir
Si jamais j’ay dessein de l’aller requerir.
Quelque fou.

SCENE IV. §

ROBIN, JACINTE.

ROBIN.

Te voicy cauteleuse pucelle,
1030 (Ou du moins s’il n’est vray, fille soy-disant telle ;
Car d’oser en jurer j’aurois peu de raison.)
Te voicy.

JACINTE.

Le perfide, il est hors de prison !

ROBIN.

{p. 78}
Te voicy donc, te dis-je & te voicy toy seule ;
Ta carogne de main m’a baillé* sur la gueule,
1035 Tu le sçais, la pucelle ?

JACINTE.

Et bien ouy, je le sçay.

ROBIN.

Et sçais-tu bien aussi que j’en suis offencé
La pucelle ?

JACINTE.

Moy ? Non.

ROBIN.

Mais dy-moy, la pucelle…

JACINTE.

Mais toy-mesme, dy-moy si tu cherches querelle ?
Tu me nommes pucelle, & pretends te moquer
1040 Je le voy ; mais apprend si tu m’oses choquer
Que je suis de colere à toute heure pourveuë,
Et que si je m’y mets je te saute à la veuë ;
Sçache qu’en ma furie acharnée à ta peau
J’en sçauray de chaque ongle arracher un lambeau :
1045 Et si plus en raillant* tu me nommes pucelle
Pour te mieux faire voir qu’en effet je suis telle,
Sçache que mon courroux qu’on ne peut égaler…

ROBIN.

Ah tout beau ! Je suis prest de te depuceler !
Si ce n’est que cela n’ayons point de querelle,
1050 Qui peut empuceler aisément dépucelle ;
Et si tu sens de l’estre une demangeaison…
{p. 79}

SCENE V. §

Le second NICANDRE, JACINTE, ROBIN.

Le second NICANDRE sortant de la maison d’Isidore.

A la fin je te quitte, ô propice maison.
Eutrope en me voyant m’auroit fait de la peine,
Mais enfin…

JACINTE appercevant tout à coup Nicandre.

Je vous cherche, ô l’esclave d’Ismene.

Le second NICANDRE.

1055 Dieux ! Jacinte me cherche ! Auroit-on prevenu…

ROBIN.

Que du Cours de la Reyne il est tost revenu !
Diable !

Le second NICANDRE à Jacinte.

Que voulez-vous, la belle ?

ROBIN.

Pour la belle
Baste ; mais gardez bien de l’appeller pucelle,
Vous luy feriez tort.

Le second NICANDRE.

Traistre… Enfin dites-moy donc…

JACINTE arrestant Nicandre par le bras.

1060 Vous me paîrez ma peine, & paîrez tout du long ;
Celle qui vous aymoit est si fort en colere
Que de vous faire prendre elle a prié son pere.

Le second NICANDRE.

{p. 80}
Me croit-elle volage ? Elle dont le pouvoir…

JACINTE.

Mon Dieu, ce qu’on vous croit vous pourrez le sçavoir,
1065 Et si tantost son pere avoit eu la puissance…

Le second NICANDRE.

J’ay pris soin, il est vray, d’éviter sa presence ;
Mais il n’estoit pas seul, & je n’ay pas osé…

ROBIN à Nicandre.

La Maitresse est contente, & le pere appaisé.
Ah ! Le menteur.

Le second NICANDRE.

Ta langue un peu trop s’émancipe.

ROBIN.

1070 Si le Membre repasse, & que l’on me regripe ?

Le second NICANDRE.

L’insolence d’un traistre ira donc jusqu’au point…

ROBIN.

C’est de l’honneur qu’on cherche, & vous n’en avez point.

Le second NICANDRE.

Tu ments traistre, j’en ay, mais si tu n’appréhendes…

ROBIN.

En aurez-vous assez pour deux filles friandes ?
1075 Si de les contenter vous n’avez le moyen
Ayant pris vostre honneur elles prendront le mien.
(Montrant Jacinte.)
Elle mesme est d’honneur tellement amoureuse
Que vous n’en aurez pas pour sa seule dent creuse ; {p. 81}
Ainsi quoy que l’on fasse en un tel embarras
1080 Deux honneurs si petits ne leur suffiront pas.
Pensez-y bien.

Le second NICANDRE.

Perfide, ainsi donc ton audace…
Mais laissez moy, Jacinte, & daignez…

JACINTE.

Point de grace.
Celle qui vous aymoit a le seul interest…
Mais pour vostre mal-heur la voila qui parait.

SCENE VI. §

HIPOLITE, JACINTE, le second NICANDRE, ROBIN.

JACINTE.

1085 Venez viste, Madame, autrement il m’échape,
Il faut faire si bien que Mendoce l’attrape ;
Je le viens de quitter qu’il attend le retour…

HIPOLITE.

Ce qu’il avoit dans l’ame il l’a sceu mettre au jour.
Je ne suis plus, Jacinte, Hipolite irritée,
1090 Je donne ma tendresse à qui l’a meritée,
Et de peur que mon pere entendit vos discours
Je suis venuë en haste embrasser son secours.
Qui l’outrage m’outrage, & mon ame & la sienne…

ROBIN à Jacinte.

{p. 82}
Je veux t’aymer aussi bonne peste de Chienne.

JACINTE.

1095 Toy m’aymer ? Tu veux donc oublier le soufflet…

ROBIN.

Je mets tout sous les pieds, & je suis ton valet.

JACINTE.

Quoy, tu pourrois…

ROBIN.

Mon Dieu, je ne cours pas grand risque,
Si je suis ton mary je reprendray ma bisque,
Et dessus ton visage appliquant tous mes doits
1100 Pour un soufflet receu je t’en donneray trois.

Le second NICANDRE.

Quelles grace[s], Madame, ay-je droit de vous rendre ?
Hipolite elle mesme a voulu me deffendre !
Que feray-je pour vous qui réponde jamais…

HIPOLITE.

Vous sçavez le moyen de remplir mes souhaits.
1105 C’est cela qu’il faut faire, & j’attends de Nicandre…

Le second NICANDRE.

Robin, que me dit-elle ? & que viens-je d’entendre ?
Moy, je sçais le moyen de remplir ses souhaits !

ROBIN.

Si vous le sçavez ?

Le second NICANDRE.

Moy, je le sçais ?

ROBIN.

A peu prés.

Le second NICANDRE.

Que feray-je ? Pour faire une chose qui plaise…

ROBIN.

{p. 83}
1110 Et que fait-on ? Pour faire une fille bien aise,
Idiot ?

Le second NICANDRE à Hipolite.

Vous servir m’est un bien precieux,
Mais daignez vous resoudre à vous expliquer mieux ;
Je vous veux obéïr, j’y mets toute ma gloire,
Mais…

HIPOLITE.

Vous avez, Nicandre, une foible memoire,
1115 N’attendez plus pourtant de si libres propos,
J’ay trop…

ROBIN à Nicandre.

Concevez-vous ce que disent ces mots :
Pauvre fille !

JACINTE à Hipolite.

Expliquez aussi vostre pensée.

ROBIN.

Son honneur la suffoque, elle en est si pressée
Qu’elle étouffe. Ma foy je vous sçais mauvais gré
1120 Car si vous le vouliez vous seriez honoré.

Le second NICANDRE.

Mais je ne comprends pas quel sera le service…

ROBIN.

Vous ne comprenez pas, mais c’est pure malice,
Car il ne tient qu’à vous de comprendre.

Le second NICANDRE.

Elle veut…

ROBIN à Hipolite.

Madame, comprenons, si comprendre se peut…

Le second NICANDRE.

{p. 84}
1125 Impertinent… De grace, excusez si ce traistre…

HIPOLITE.

Le valet ne fait rien qu’à l’exemple du Maistre.
Vid-on jamais Jacinte un si volage amant ?

JACINTE.

Pourquoy vous fiez vous à ce chien de Normand
Aussi ?

Le second NICANDRE.

Si je sçavois qui vous met en colere
1130 Peut-estre…

HIPOLITE.

En ta faveur j’eusse appaisé mon pere,
(Car tu viens de sortir de ce mesme logis.)

Le second NICANDRE.

Il est vray que j’en sors, mais au moins…

HIPOLITE.

Je rougis
De ce qu’un infidelle en a fait son azile.

Le second NICANDRE.

Il m’a donné, Madame, une retraite utile ;
1135 Mais insensiblement je m’y suis égaré.
Une cour derobée où j’estois retiré…

HIPOLITE.

L’imposteur !

ROBIN à Nicandre.

Cum licence, ostez-moy d’une peine
Monsieur, en quelle ruë est le Cours de la Reyne ?

Le second NICANDRE.

ROBIN.

Vous en venez, vous devez le sçavoir. [H, 85]

HIPOLITE.

1140 Dans ce mesme logis tu n’as donc pû me voir ?

Le second NICANDRE.

Moy vous voir !

HIPOLITE.

Toy qui ments avec tant d’asseurance ?
Toy qui d’un galant homme as la seule apparence.
Toy qu’un sang assez bon semble avoir eslevé,
Et qui n’est cependant qu’un perfide achevé.
1145 Je t’ay de ce logis applany la sortie.

Le second NICANDRE.

Vous Madame ?

HIPOLITE.

Moy traistre, & ton ame l’oublie.

Le second NICANDRE.

Vous ?

HIPOLITE.

Moy.

Le second NICANDRE.

Quoy qu’il en soit j’en prends peu de soucy*,
Puis que vous le croyez je le veux croire aussi,
Je me retire. Adieu trop charmante Hipolite,
1150 Ce n’est pas sans regret que Nicandre vous quitte :
Mais Ismene elle seule a droit de me charmer,
Et pour peu que je reste il faudra vous aimer,
Adieu.

ROBIN à Jacinte.

Je me retire, & pourtant, ô friponne,
Ce n’est pas sans regret que Robin t’abandonne ; {p. 86}
1155 Car quand dés ce matin je t’ay veuë en ce lieu…
C’est ma foy plustost fait de ne dire qu’Adieu.

SCENE VII. §

HIPOLITE, JACINTE.

HIPOLITE.

Si jamais tu m’aimas, cours apres ce Nicandre,
Fais si bien par tes soins qu’on le puisse surprendre,
Il s’en va du costé que Mendoce l’attend.

JACINTE.

1160 Mais Madame…

HIPOLITE.

Cours viste, & ne parle point tant ;
Vole s’il est possible, & fay qu’on le saisisse.
Mais que vois-je ?
(Jacinte sort.)

SCENE VIII. §

ISMENE, HIPOLITE.

ISMENE revenant du Cours, où elle a fait saisir le premier Nicandre.

A vos vœux tout semble estre propice,
Il vous aime Nicandre, & me fait un affront
L’ingrat.

HIPOLITE.

{p. 87}
S’il m’aime, il fait ce que bien d’autres font.

ISMENE.

1165 A donner cœur pour cœur vous avés esté prompte.

HIPOLITE.

Je n’ay pas entrepris de vous en rendre conte.

ISMENE.

De ses premiers liens vous l’avez arraché.

HIPOLITE.

Donc assez foiblement il estoit attaché.

ISMENE.

D’accord. Mais vos appas* ont de telles amorces…

HIPOLITE.

1170 S’ils vous ont fait trembler ils ont assez de forces.
Non sans vostre soupçon que je creusse en avoir ;
Mais qui les apprehende en connoist le pouvoir.

ISMENE.

Jugez-en mieux, Madame, un honteux artifice*
De vos foibles appas* a sçeu faire l’office ;
1175 C’est cela qui me choque, & cela qui m’aigrit.

HIPOLITE.

Qui charme sans appas* n’a pas manque d’esprit.

ISMENE.

Je le croy. Sçavez-vous le destin de Nicandre ?

HIPOLITE.

Non je ne le sçay pas : mais on va me l’apprendre.
Escoutez ma Suivante, elle vient droit icy.
(Ragotin vient d’un costé, & Jacinte de l’autre.)

ISMENE.

1180 Point Madame, vous-mesme escoutez celuy-cy ;
Mais tremblez de frayeur. {p. 88}

HIPOLITE.

Ayez-en l’ame atteinte.

SCENE IX. §

ISMENE, HIPOLITE, RAGOTIN, JACINTE.

ISMENE avec beaucoup de fierté.

Hé bien cher Ragotin ?

HIPOLITE avec beaucoup de fierté.

Hé bien chere Jacinte ?

RAGOTIN à Ismene parlant du premier Nicandre.

Il est ensevely dans le grand Chastelet.

JACINTE à Hipolite parlant du second Nicandre.

En ma propre presence on l’a pris au colet*.

RAGOTIN.

1185 Je l’ay veu dans la Morgue, où je croy qu’il enrage.

JACINTE.

Pour apprendre à chanter on l’a mis dans la cage.

RAGOTIN.

Il ne presumoit pas qu’on luy fit cét affront.

JACINTE.

Il ne se doutoit pas d’un orage si prompt.

RAGOTIN.

Il vous nomme perfide.

JACINTE.

Il vous nomme cruelle.

ISMENE à Hipolite.

{p. 89}
1190 Escoutez.

HIPOLITE à Ismene.

Escoutez.

ISMENE.

Que dit-il ?

HIPOLITE.

Que dit-elle ?

ISMENE.

Vous le voyez, Madame, on l’a mis en lieu seur.

HIPOLITE.

A qui vient de si loin cela semble assez dur :
Mais plaignés son malheur, soûpirez sans rien craindre.

ISMENE.

Je ne l’ay pas fait prendre à dessein de le plaindre,
1195 On l’a pris par mon ordre,

HIPOLITE.

On l’a pris par le mien.

ISMENE.

Le sçavez-vous, Madame ?

HIPOLITE.

Ouy, je le sçay.

ISMENE.

Mal.

HIPOLITE.

Bien.

RAGOTIN.

C’est par l’ordre à Monsieur.

JACINTE.

C’est par l’ordre à Madame.

RAGOTIN.

{p. 90}
Effrontée.

JACINTE.

Arrogant.

RAGOTIN.

Impertinente.

JACINTE.

Infame.

RAGOTIN.

Ne raisonne pas tant, je t’en prie.

JACINTE.

Et pourquoy
1200 Hé ?

RAGOTIN.

Si dans ma fureur je me jette sur toy
Tu verras beau jeu.

JACINTE.

Ladre*.

RAGOTIN.

Aiguillon de vipere.

JACINTE.

Croyez-m’en Hipolite, appellons vostre pere,
Isidore !
{p. 91}

SCENE X. §

ISIDORE, EUTROPE, ISMENE, JACINTE, RAGOTIN.

ISIDORE.

Audio, cela veut dire l’oy,
C’est le present du verbe Audire.

ISMENE.

Je le voy.

RAGOTIN.

1205 Qui, Monsieur ?

ISMENE.

Ragotin ma surprise est extrême.

RAGOTIN.

Qui voyez-vous ?

ISMENE.

Ce l’est, c’est mon pere luy-mesme.

ISIDORE à Jacinte.

Definis-moy la cause, & dis-moy la raison…

JACINTE.

La cause est que Nicandre est dans une prison :
Mais ce demy Monsieur qui dessous sa jaquette…

ISMENE.

1210 Ne passe plus outre impudente* Soubrette,
Découvrant qui je suis tu pretends me punir,
Pour te punir toy-mesme il te faut prevenir.
Un adveu legitime autorise ma flame,    [92]
Je suis demy Monsieur ; mais entiere Madame,
1215 Ce vieillard est mon pere, & c’est tout mon bon heur,
J’ose…

RAGOTIN à Ismene.

Vous estes donc une fille, Monsieur ?

EUTROPE.

Quoy ! Ma fille…

ISMENE.

Mon pere !

EUTROPE.

As-tu pû me connaistre.

RAGOTIN à Ismene.

Je couchois d’ordinaire aux costés de mon Maistre,
Il estoit si peureux que j’estois son appuy ;
1220 N’estes-vous point peureuse aussi bien comme luy ?

ISMENE à Eutrope.

Je partis de Lyon sans vous en rien apprendre,
Pour venger mon injure, & pour perdre Nicandre ;
J’ay trouvé que Madame en a fait son Amant ;
Mais sa lasche inconstance aura son chastiment,
1225 Il est pris.

HIPOLITE à Isidore.

Vous sçavez ce que m’a fait Nicandre.

ISIDORE.

HIPOLITE.

A la fin je l’ay sçeu faire prendre ;
Mais Madame qui l’aime, & qui vit sous sa loy…

ISMENE.

{p. 93}
Il est vray que je l’ayme, & c’est à faire à moy ;
Mais il faut que mon pere en secret m’interroge,
1230 Allons où vous logez, ou venez où je loge,
Si jamais la tendresse esbranla vostre cœur,
Si jamais…

EUTROPE.

Tu sçais bien que j’ay peu de rigueur.
(A Isidore.)
Et vous quoy que pour moy vostre bonté paroisse,
N’attendez nullement que je la reconnoisse,
1235 Puis que quoy que Nicandre ait commis contre vous,
Je veux que de ma fille il devienne l’Espoux :
C’est estre ingrat Amy, mais c’est estre bon Pere.

ISIDORE.

J’ay trop eu pour Eutrope indulgence pleniere,
J’eusse recidivé ; mais je veux que mes-huy
1240 Mon esprit se gendarme allencontre de luy,
Vale.
(Isidore s’en va d’un costé, & Eutrope de l’autre.)

HIPOLITE à Ismène.

Consolez-vous, vous pouvez tout pretendre,
Demain dans la prison vous reverrez Nicandre.

ISMENE.

Vous dites vray, Madame, & ce qui m’est bien doux,
Vous le verrez aussi sans qu’il puisse estre à vous.

JACINTE à Ismene.

1245 Adieu donc voyageuse.

ISMENE.

{p. 94}
Adieu bonne rusée
Intrigueuse.

JACINTE.

Adieu donc fille garçonnisée*.

RAGOTIN à Jacinte.

Elle garçonnisée*, instruits-moy de son sens ?

JACINTE.

Elle l’est par dehors.

RAGOTIN.

Et tu l’es par dedans.
(Hipolite & Jacinte s’en vont du costé d’Isidore, & Ismene & Ragotin du costé d’Eutrope.)

Fin du quatriesme Acte.

{p. 95}

ACTE V. §

(La Scene paroist une Court de Prison.)

SCENE PREMIERE. §

Le second NICANDRE, ROBIN en calçon & une boëtte à quester en main.

Le second NICANDRE.

A voir de mon amour l’aventure bizarre,
1250 On diroit que le sort contre moy se declare ;
Moy coucher en Prison ! Moy qui sçais le moyen…

ROBIN.

Moy qui crois vous valoir, Monsieur, j’y couche bien.
Dites-moy, vostre giste est-ce un giste passable ?

Le second NICANDRE.

On n’a dans la Prison point de chambre agreable ;
1255 Mais l’endroit où je couche est pourtant assez beau.
C’est dans la Chambre-neusve.

ROBIN.

Et moy dans le Berceau :
Le bon peste de giste ! On diroit d’une Cave ;
D’une vieille muraille on ramasse la bave,
Et de foin tout pourry les petits brins épars
1260 Sont sans cesse traisnez par Messieurs les Piquars.

Le second NICANDRE.

{p. 96}
Mais d’où vient que si tard ta personne est si nuë ?

ROBIN.

On m’a pris mes habits pour ma bonne venuë,
Et tous mes Compagnons, les Filoux* de ceans*,
(Qu’au filoutage prés je trouve braves gens ;
1265 Car ils sont si benins que de peur de rancune
Ils ont pris mon bagage au deffaut de pécune.)

Le premier NICANDRE.

Tes habits sont mangez ?

ROBIN.

Ouy, Monsieur.

Le second NICANDRE.

Est-ce ainsi…

ROBIN.

S’ils m’avoient pû manger ils l’auroient fait aussi :
Peste, ces affamez sont de vrais fripe-sausses.

Le second NICANDRE.

1270 Quoy, tu n’as ni pourpoint ? Ni casaque ? Ni chausses ?
Ils ont tout avalé sans rien mettre à l’écart ?

ROBIN.

Nenny* pas tout à fait, j’en ay mangé ma part.
Mais ce qui me contente ils ont l’ame assez franche,
Outre qu’ils m’ont promis que j’aurois ma revanche,
1275 Ils souffrent bonnement que je rie avec eux,
Et j’ay desja la boëtte à quester pour les gueux.
J’y feray bien mon compte.

Le second NICANDRE.

Et comment, Ridicule ?

ROBIN.

{p. I, 97}
Et par le petit trou quand on ferre la mule.
Ah que j’auray bien-tost regagné mon habit.

Le second NICANDRE.

1280 On n’y met rien.

ROBIN.

Ma foy, l’on me l’a déjà dit.
Mais si l’on [m’]y mettoit c’estoit bien mon affaire.

Le second NICANDRE.

Ce n’est certes qu’à moy que le sort est contraire
Mais sortons de ce lieu, je vais faire un écrit…

ROBIN.

N’en sortons point, Monsieur, que je n’aye un habit,
1285 Je vous en prie.

Le second NICANDRE.

Ecoute, en cas qu’on me demande
Tu viendras me querir, & diras qu’on m’attende,
Ou du moins si tu veux tu pourras m’appeller.
(Il sort.)

SCENE II. §

ROBIN seul.

Il a le Diable au corps de vouloir s’en aller.
Du Fidele Robin le bon-heur l’importune,
1290 Il mourroit de regret si je faisois fortune,
Et de sortir d’icy le bourreau n’a dessein
Qu’à cause qu’à present il me void dans le gain. {p. 98}
Mais l’on ouvre ; l’on entre ; allons faire la queste.

SCENE III. §

ROBIN, ISMENE.

ROBIN.

Mettez-viste, Monsieur, de l’argent dans la boëste.

ISMENE.

1295 Une autre fois.

ROBIN.

Mettez ; on n’a point de credit.

ISMENE.

Mais l’amy…

ROBIN.

Mais l’amy… J’ay besoin d’un habit
Monsieur.

ISMENE.

Ou je me trompe, ou je croy te connaistre.
Quel es-tu ?

ROBIN.

Moy ? Je suis tout ce que je puis estre,
Receveur* (Il est vray qu’à ne vous celer* rien
1300 La recepte* est petite, & ne va pas trop bien ;
Mais faut-il de regret que je m’en aille pendre ?)

ISMENE.

Je t’ay veu dans Lyon souvent suivre Nicandre.

ROBIN.

{p. 99}
Si vous m’avez veu là, vous me voyez icy.

ISMENE.

Tu ne me connois pas ?

ROBIN.

Il me semble que si.
1305 A remettre vos traits j’ay pourtant de la peine ;
Ne vous nommez-vous pas Monsieur, Madame Ismene ?

ISMENE.

Ouy, Robin, c’est Ismene. Et ton Maistre, l’ingrat ?
Le perfide ?

ROBIN.

Mon Maistre ? Il est fort delicat.
J’ay peur dans la prison qu’il n’amasse du rhume.
(Ismene met deux Louys dans la boëste de Robin, & Robin qui fait ses efforts pour en faire tomber quelqu’un, voyant qu’il ne le peut, parle en luy-mesme si justement au sens d’Ismene, qu’elle croit qu’il réponde à ses demandes.)

ISMENE.

1310 Va, sa flame l’échauffe, & l’amour le consume ;
Mais voila deux Louïs, recois-les de ma main,
Et du traistre Nicandre apprends-moy le dessein.
N’a-t-il point de regret de ce qu’il m’a perdue ?
Ne veut-il pas me rendre une foy qui m’est duë ?
1315 Agy. Par ton moyen si l’ingrat se resoud…

ROBIN parlant des Louys qu’il ne peut avoir.

Je suis trop mal-heureux pour en venir à bout.

ISMENE.

{p. 100}
Toy qui sers cét ingrat, ne peux-tu faire en sorte,
Robin…

ROBIN parlant des Louys.

Si je le puis, que le Diable m’emporte.

ISMENE.

Tu ne le peux ? Le traistre a donc bien du mépris
1320 D’un amour reciproque il dédaigne le prix ;
Croyant à son depart qu’il m’adoroit dans l’ame
J’ay mis tous mes plaisirs à respondre à sa flâme ;
J’ay mis tous mes plaisirs au bon-heur d’estre unis ;
J’ay mis…

ROBIN parlant de Louys.

Où Diable aussi les avez-vous là mis ?

ISMENE.

1325 Que veux-tu ? Je l’aymois ; il me sembloit sincere,
A son volage cœur je croyois estre chere ;
J’avois en sa faveur des sentiments si doux,
Robin…

ROBIN songeant à ce qu’Ismene dit.

Plais-il ? Quoy ? Qu’est-ce ? & que me dites-vous ?
Vous voulez voir mon Maistre, ayez soin de m’attendre.
1330 Non, ne m’attendez pas, je l’appelle. Nicandre !

Le premier NICANDRE, à une fenestre grillée.

Qui m’appelle ?

ROBIN.

C’est moy.

Le premier NICANDRE.

Qui ?

ROBIN.

{p. 101}
C’est moy.

Le premier NICANDRE.

Quy toy ?

ROBIN

Moy.

Le premier NICANDRE.

Et qui donc est-ce là que je vois avec toy ?

ROBIN.

C’est elle.

Le premier NICANDRE.

Qui ?

ROBIN.

C’est elle.

Le premier NICANDRE.

Et qui donc ? Dy.

ROBIN.

C’est elle.

Le premier NICANDRE

Qui que ce soit n’importe, il suffit qu’on m’appelle.
1335 Je descends.

ISMENE à Robin.

Que dis-tu, de la peine qu’il a ?
N’as-tu pas apperceu… Mais l’ingrat le voila.
{p. 102}

SCENE IV. §

ISMENE, Le premier NICANDRE, ROBIN.

ISMENE.

Hé bien, Nicandre ?

Le premier NICANDRE.

Hé bien, Madame, estes-vous lasse
De me joüer des tours de si mauvaise grace ?
Quels appas* avez-vous qui puissent me charmer ?
1340 Et par quel privilege ay-je dû vous aymer ?
Y suis-je obligé, moy ? Voulez-vous m’y contraindre ?

ISMENE.

Si tu n’as pû m’aymer volage, as-tu dû feindre ?
Et ne faloit-il pas pour le bien de mes jours
Ou ne m’aimer jamais, ou bien m’aimer toûjours ?
1345 Mais écoute, il est temps que tu m’ouvres ton ame,
Je t’ay fait mettre icy, tu le sçais ?

Le premier NICANDRE.

Ouy, Madame,
Et sans perdre un moment en propos superflus,
Scachez…

ROBIN à Nicandre.

Depuis quand donc ne l’adorez-vous plus
Nostre cher ?

Le premier NICANDRE.

Dis-tu moy ? J’ay plutost de la hayne…

ROBIN.

{p. 103}
1350 Que diable dites vous étourdy ? C’est Ismene
Que vous aymez tant.

Le premier NICANDRE.

Moy ? Je n’ay jamais pensé…

ROBIN.

C’est Ismene, vous dis-je, estes vous insensé ?
Elle qui dans Lyon arresta votre course…

ISMENE.

Moy qui de son bon-heur voulois estre la source.
1355 De publier sa honte on m’épargne le soin,
Dans son propre valet je rencontre un témoin,
Et par un procédé qui sent l’ame de bouë
Il fait un desaveu qu’un valet desavouë.
Poursuis, Robin, poursuis, & d’un Maistre pareil…

Le premier NICANDRE.

1360 Il a suivy, Madame un si rare conseil.
Vous l’aviez bien payé pour m’appeller son Maistre,
Mais par mal-heur pour vous je n’ay pû le connaître.
L’artifice* estoit foible, & je suis delicat,
Madame.

ROBIN.

Ah justes Dieux, le maudit renegat* !
1365 C’est donc quand il vous plaist que vous estes mon Maistre ?

Le premier NICANDRE.

Jamais je ne le fus, & ne veux jamais l’estre.
J’aurois trop de regret si la moindre union…

ISMENE.

{p. 104}
Et qui donc te servoit quand tu vins à Lyon ?
Mais tu n’y fus jamais, tu le vas faire accroire.

Le premier NICANDRE.

1370 J’ay trop peu de foiblesse, & trop bonne memoire.
On m’a veu dans Lyon faire assez de sejour,
Mais ce n’est qu’à Paris que j’ay pris de l’amour.

ISMENE.

Ah méchant !

Le premier NICANDRE.

Moy mechant ! C’est me faire injustice.

ROBIN.

Renier un valet c’est un beau petit vice.
1375 Il appelle cela des chansons

ISMENE.

Resous-toy ;
Voy qui tu veux aymer d’Hipolite ou de moy ;
Epargne à mon amour le regret de te nuire,
J’oubliray ton forfait si tu veux t’en dédire,
Et pour mieux te contraindre à paraistre surpris
1380 J’auray plus de bonté que tu n’as de mépris.

Le premier NICANDRE.

Et moy qui suis sensible, & qui vois qu’on m’abuse
J’auray plus de mépris que vous n’aurez de ruse ;
De ce lasche coquin je fuiray l’entretien ;
Il me dira son maistre, & je n’en croiray rien ;
1385 Dédaignant les deffauts, honorant le merite,
Je sçauray vous haïr comme j’ayme Hipolite ;
Et n’estoit vostre sexe, eût-on dû m’en blasmer,
Vous seriez en estat de jamais ne m’aymer.
Sortez. {p. 105}

ISMENE.

Pardonne ingrat ma visite obligeante.
1390 Au reste agonisant d’un amitié mourante,
Qui pour ton interest augmentant de moitié
Arrachoit un avis à ma lasche pitié ;
Tu ne m’écoutes pas, mais redoute mon pere,
Adieu, je vais moy-mesme irriter sa colere,
1395 Dans assez peu de temps nous serons en ce lieu.
(Ismene sort.)

SCENE V. §

Le premier NICANDRE, ROBIN.

ROBIN.

Vous voila justement, comme il plaist au bon Dieu.
Vous venez là de faire un bon chien de ménage.
Continuez, l’amy.

Le premier NICANDRE.

Tay-toy, traistre, ou…

ROBIN.

J’enrage,
Et je souhaiterois que chacun souhaitât
1400 Qu’au milieu de la gréve on vous decapitât.
Un tendron* l’idolatre, & Monsieur le neglige ;
Une Ismene l’adore, & Monsieur…

Le premier NICANDRE.

Pay*, te dis-je,
Ou bien si de ta voix rien n’arreste le cours {p. 106}
Dy-le nom d’Hipolite, & m’en parle toujours :
1405 Su tu veux que pour toy mon courroux se désarme
Détruis un nom haï, par un nom qui me charme,
Et pour l’un & pour l’autre agissant tour à tour
En approuvant ma hayne applaudy mon amour.
Là-dessus, cher amy le Seigneur te console,
1410 Jusqu’au revoir.
(Nicandre s’en va.)

SCENE VI. §

ROBIN seul.

Et toy, le Bourreau te décole
Fou des plus achevez, dont les sens abestis
Pensent… Mais des verroux j’entends le cliquetis,
Quelqu’un entre.

SCENE VII. §

ROBIN, JACINTE.

ROBIN appercevant Jacinte.

Bon jour.

JACINTE.

Ah c’est toy !

ROBIN.

Belle beste
A voir ce que je porte on connoit que je queste ; {p. 107}
1415 Tout questeur que je sois si tu fais un souhait
Tu peux tendre ta boëste, & je donne mon fait
J’ay deux Louis, je t’ayme.

JACINTE.

Il n’est pas temps encore
Je viens voir…

ROBIN.

Voy traistresse un Robin qui t’adore,
Et qui pour t’avoir veuë un peu plus qu’il ne faut,
1420 N’est vestu que de toille, & s’il brusle de chaud.

JACINTE.

Je viens dire…

ROBIN.

Dy-moy, femelle insecourable
Si l’on peut long-temps vivre, & brusler comme un Diable ;
Et si tu n’agis pas d’une ingrate façon
De me voir estre braise, & que tu sois glaçon.

JACINTE.

1425 Je viens faire…

ROBIN.

Toy faire ? Hé bien fille mauvaise,
Il ne tiendra qu’à toy de me faire bien aise ;
Ou du moins connoissant que tu m’aymes si peu
Souffre glace pour glace, ou me rend feu pour feu.

JACINTE.

Je viens pour…

ROBIN.

Tu viens pour ? Ce n’est pas assez dire ;
1430 Viens-tu pour m’obliger, ou viens-tu pour me nuire ? {p. 108}
Et puisqu’asseurement dans ce lieu tu viens pour,
Dy-moi si c’est pour haine, ou si c’est pour amour.

JACINTE.

C’est pour amour. Ton Maistre en a-t-il l’ame atteinte ;

ROBIN.

Le Maistre ayme Hipolite, & le valet Jacinte.

JACINTE.

1435 Tu te railles*, peut-estre, & te mocques de nous,
Car Ismene…

ROBIN.

La Dône a ma foy du dessous.
Elle vient de sortir qui deteste Nicandre,
De lui-mesme à lui-mesme elle a dit pis que pendre
Il avoit le dessein de luy rompre le cou.

JACINTE.

1440 Ayme-t-il Hipolite ?

ROBIN.

Il en est parbleu fou.
Quand on parle d’Ismene on le choque, on l’irrite,
On le touche on le charme en parlant d’Hipolite,
Et ce nom par luy-mesme est si fort répeté…

JACINTE.

Attend, mon cher Robin, tu seras contenté.
1445 Voyons dans la geole*, Hipolite y doit estre,
Elle m’a fait entrer pour pressentir ton Maistre,
Et puisqu’enfin Nicandre à l’aymer se resout
Disons-luy qu’elle vienne, & l’informe de tout.
Hipolite ! Hipolite !
[K, 109]

SCENE VIII. §

HIPOLITE, JACINTE, ROBIN.

JACINTE.

Allons-donc, paresseuse,
1450 Nicandre est amoureux, comme vous amoureuse ;
Et Robin que voila qui soupire pour moy
M’en répond corps pour corps, & m’en jure sa foy.
C’est vous seule qu’il ayme, & qu’il trouve d’aymable.

HIPOLITE.

En est-il bien certain ?

ROBIN.

Ouy, je me donne au Diable.

HIPOLITE.

1455 Mais Ismene l’adore, elle veut recouvrer…

ROBIN.

En ma propre presence il la vient de sevrer*.
Mais voyez, on diroit que le Ciel nous l’envoye.

JACINTE.

Si tu penses…

ROBIN.

Jacinte, il va mourir de joye ;
Je le sçay de science, & je t’en donne avis ;
1460 Jamais nul amoureux n’eut les sens si ravis ;
Et tu vas voir.
{p. 110}

SCENE IX. §

Le second NICANDRE, HIPOLITE, JACINTE, ROBIN.

Le second NICANDRE.

Ma lettre à la fin est escrite,
Mais que vois-je, ô bons Dieux ! N’est-ce pas Hipolite ?

ROBIN.

Hipolite elle-mesme, avancez, mal émû.
(à Jacinte.)
Que disois-je ? De joye il est si prevenu
1465 Qu’il a changé de notte au moment qu’il a veuë

Le second NICANDRE.

Madame, à vostre aspect je me sens l’ame émeuë…

ROBIN à Jacinte.

L’ame émeuë ! Entends-tu ? Sans amour l’auroit-on ?
Que t’en semble ?

JACINTE.

Il le dit d’un assez vilain ton.

HIPOLITE.

Si d’un cœur qui vous aime on vous fait une offrande…

Le second NICANDRE.

1470 Je veux dans une fille une vertu plus grande ;
Et quand d’autres que vous ne me charmeroient pas
Vostre extreme foiblesse avilit vos appas*.
A ne pas vous connaistre & voir vostre visage
J’aurois pû vous aymer si j’eusse esté volage ; {p. 111}
1475 Mais fussay-je volage, à vous connoistre mieux
Vous seriez la derniere à surprendre* mes yeux.
Je vous fais par pitié d’equitables reproches.

JACINTE.

Robin !

ROBIN.

Je suis penaud* comme un fondeur de cloches.

JACINTE.

Tu disois…

ROBIN.

Je disois ; mais je ne dis plus rien.

JACINTE.

1480 Quoy le traistre…

ROBIN.

Il est fou, ne le vois-tu pas bien,
Il fait bon se fier à de semblables drilles ?

JACINTE.

Est-ce comme cela que l’on traite des filles ?
Le perfide…

ROBIN.

Il est fou, je te l’ay déjà dit.

HIPOLITE.

Ton brutal procedé rend mon cœur interdit*

Le second NICANDRE.

1485 Et le vostre me choque, & le vostre m’estonne,
Je suis honteux pour vous de ce qu’on m’emprisonne
Je ne suis dans ce lieu que par vostre moyen,
Mais aussi…

HIPOLITE.

Quoy, mais ?

Le second NICANDRE.

{p. 112}
Mais…

ROBIN.

Mais vous ne valez rien.

Le second NICANDRE.

J’ay de la quereller un sujet raisonnable,
1490 Tu sçais…

ROBIN.

Que les menteurs sont les enfans du Diable,
Et pour cette raison je vous fais à sçavoir
Que Monsieur vostre pere est un pere fort noir,
C’est Ismene en ce lieu qui vous a fait conduire
Menteur.

HIPOLITE.

Point, c’est moi-même & je cherche à lui nuire ;
1495 Loin de le déguiser j’en demeure d’accord.

JACINTE.

Un habile fauteur pour le craindre si fort
Ma foy !

HIPOLITE.

Je t’ay fait prendre, & non pas ton Ismene
Perfide.

Le second NICANDRE.

Elle est trop bonne, & vous estes trop vaine ;
Mon sort est déplorable, & mon sort seroit doux
1500 Si c’estoit mon Ismene aussi bien que c’est vous
Méchante.

JACINTE à Robin.

Qu’il est traistre ! & qu’il a de malice !

ROBIN.

Feu Judas prés de luy n’eut esté qu’un novice ;
S’ils se fussent connus celuy-cy l’eut forcé {p. 113}
A venir de sa bouche écouter l’A, B, C.
1505 Il a fait tout son cours à l’Ecole traitresse,
D’autres nomment trahir ce qu’il appelle adresse ;
Et si de ce qu’il sçait je sçavois les trois quarts
Au plus tard dans trois jours je serois Maistre és Arts.
Il est sçavant.

HIPOLITE.

Dy-moy ce que tu veux resoudre,
1510 Apprend-moy…

Le second NICANDRE.

Dans vos mains je pourrois voir la foudre
En redouter la cheute, en sentir les éclats,
Et la peur de perir ne m’ébranleroit pas.
J’ayme Ismene, je l’ayme, & non pas Hipolite,
J’ayme Ismene…

HIPOLITE.

C’est trop, ton audace m’irrite,
1515 Traistre. Tu sçais Jacinte où mon pere m’attend ?

JACINTE.

Ouy je le sçais Madame, & je vais à l’instant…
Il previent mon voyage, & le voila qu’il entre.
Voyez.
{p. 114}

SCENE X. §

ISIDORE, HIPOLITE, ROBIN, Le second NICANDRE, JACINTE.

ISIDORE entrant.

Des forfaicteurs c’est donc icy le centre ?
Nicandre…

HIPOLITE.

De l’ingrat le mépris est trop grand,
1520 A toute ma tendresse il est indifferend,
De son perfide cœur la fierté me ravale,
Et vous devez… Mais Dieux j’apperçois ma Rivale,
Elle vient.

SCENE XI. §

ISMENE, EUTROPE, ISIDORE, HIPOLITE, le second NICANDRE, ROBIN, JACINTE, RAGOTIN.

ISMENE.

Infidelle, il est temps de parler.

HIPOLITE.

Volage, il n’est plus temps de rien dissimuler.

ROBIN.

{p. 115}
1525 S’il s’en peut demesler il n’est pas mal-habile.

Le second NICANDRE à Eutrope.

Monsieur…

ISMENE.

Tu cherches, traistre, une ruse inutile ;
Tu n’abuseras plus ny mon pere, ny moy.

Le second NICANDRE.

Vostre pere ! Madame, est-ce vous que je voy !
Est-ce Ismene !

ROBIN.

Nenny*, c’est une autre. Ah le traistre !

Le second NICANDRE.

1530 Est-ce Ismene !

ISMENE.

Tu feins de ne pas me connaistre
Lasche.

ROBIN.

C’est un fin Merle, il sçait bien d’autres tours.

HIPOLITE à Isidore.

Parlez ; souffrirez-vous qu’il luy parle toujours ?

ISIDORE.

Sois mon Gener, Immond, ou descends au sepulcre*,
Tu vois bien que ma fille est passablement pulcre ;
1535 Sois mon Gener, sinon…

EUTROPE.

Mais ma fille a sa foy.

ISMENE.

L’ay-je pas, volage ?

Le second NICANDRE.

{p. 116}
Ouy.

HIPOLITE.

L’ay-je pas aussi, moy ?

Le second NICANDRE.

Non.

HIPOLITE.

Non traistre ! Oses-tu…

ISMENE.

Je sçay qu’elle te touche,
Je le sçay.

Le second NICANDRE.

Vous ?

ISMENE.

Moy.

Le second NICANDRE.

Vous ?

ISMENE.

Je le scay de ta bouche
Effronté.

Le second NICANDRE.

Vous, Madame ? Ô grands Dieux qu’est-ce cy !

JACINTE.

1540 Je le scais aussi, moy.

RAGOTIN.

Moy je le scais aussi.

ROBIN.

Si pas un de ceux là ne vous semble croyable,
Je le scais aussi, moy, témoin irreprochable,
Je le scais.

Le second NICANDRE.

{p. 117}
Quoy Robin, quoy j’aurois consenty…

ROBIN.

C’est dire en mots couverts tout le monde a menty.

Le second NICANDRE.

1545 Tu n’as point de raison, car tu dois faire entendre…

ROBIN.

J’auray tort si ce lieu loge plus d’un Nicandre.
Voyons.

Le second NICANDRE.

Mais…

ROBIN.

Mais voyons. Ho Nicandre ! J’ay tort
Comme il répond. Nicandre ! Est-ce pas assez fort ?
Ho Nicandre ! Écoutez caterreuse cervelle,
1550 J’ay tort.

SCENE DERNIERE. §

Le premier NICANDRE, Le 2. NICANDRE, EUTROPE, ISIDORE, HIPOLITE, ISMENE, JACINTE, ROBIN, RAGOTIN.

Le premier NICANDRE.

Qui donc encor est-ce là qui m’appelle ?

ROBIN.

Qui Diable est celuy-cy qui s’en vient droit à nous ?

Le second NICANDRE.

Que vois-je ?

Le premier NICANDRE.

{p. 118}
Qu’apperçois-je ?

Le second NICANDRE.

Est-ce vous ?

Le premier NICANDRE.

Est-ce vous ?

Le second NICANDRE.

Quoy mon frere est icy !

Le premier NICANDRE.

Quoy, je vous voy paroistre !

ROBIN.

Dites-moy s’il vous plaist qui des deux est mon Maistre.

ISMENE.

1555 Dites-moy qui des deux m’a fait don de sa foy.

HIPOLITE.

Dites-moy qui des deux s’est pû donner à moy.
Est-ce vous ? Est-ce vous ? Rendez m’en plus instruite,
Qui des deux…

Le premier NICANDRE.

C’est-moy-mesme, ô ma chere Hipolite,
C’est moi qui dans l’espoir de me voir vôtre Epoux…

Le second NICANDRE à Ismene.

1560 Hé bien, suis-je Madame infidelle pour vous ?
Rendez-moy vôtre amour, reprenez vostre haine.

ISMENE.

Mais lors qu’on vous a pris dans le Cours de la Reyne…

Le premier NICANDRE.

Luy Madame ? C’est moy qu’on a pris dans ce lieu.

JACINTE.

{p. 119}
Tout va le mieux du monde, ou je me donne à Dieu ;
1565 Car aucun contre aucun n’aura sujet de plainte.

ROBIN.

Puisqu’Ismene est aymée, Hipolite, & Jacinte,
Sans nous embarrasser d’aucune autre raison
Prenons chacun la nostre, & sortons de prison.
Que dis-tu de l’avis, dy-moy donc ma petite ?

Le second NICANDRE.

1570 Pour moy, j’adore Ismene.

Le premier NICANDRE.

Et j’adore Hipolite.

Le second NICANDRE.

Pourrons nous estre à vous, & souffrirez vous bien.

ISMENE.

Demandez à mon pere.

HIPOLITE.

Et demandez au mien.

EUTROPE.

Puis qu’il est si sincere, il a droit de pretendre
Et le nom de mon fils, & le nom de mon gendre ;
1575 Et si touchant sa fille Isidore m’en croit
Envers l’autre Nicandre il fera ce qu’il doit.

ISIDORE.

Que Nicandre la Sponde, & foy de Philosophe,
Je seray Benevole envers sa catastrophe ;
C’est le cœur qui le dit, & s’il est trop obscur
1580 Ex abundantia cordis os loquitur.

Le premier NICANDRE.

Quelles graces vous rendre ! Une gloire parfaite…

ROBIN.

{p. 120}
Tournez-moy les talons, vostre besogne est faite
Monsieur. Toy que dis-tu ?

JACINTE.

Moy ? Ce que tu voudras.

ROBIN.

Je t’ayme bien, & toy ?

JACINTE.

Moy ? Je ne te hay pas.

ROBIN.

1585 Je me veux marier aussi bien que mon Maistre,
Et toy, dy ?

JACINTE.

Dis-tu moy ? Je voudrois déjà l’estre.

ROBIN.

Je te veux, me veux-tu ? Concluons tout icy.

JACINTE.

Ma foy, si tu me veux, je te veux bien aussi.

ROBIN.

Tocque-là.

JACINTE.

Tien.

ROBIN aux deux Nicandres.

Et vous avant vostre sortie
1590 Allez dans une Chambre y conter vostre vie,
Et faites qu’en tous lieux on vous louë en ce point
Qu’on vous a crû MENTEURS, & vous ne MENTIEZ POINT.

FIN.

Extraict du privilege du Roy. §

Par Grace et Privilege du Roy, donné à Paris le dernier Octobre 1664. Signé, Par le Roy en son Conseil, GUITONNEAU. Il est permis à Nicolas Pepingué, Imprimeur et Marchand Libraire à Paris, d’imprimer, faire imprimer, vendre et debiter une Piece de Theatre, intitulée, Les Deux Freres Gemeaux, ou les Menteurs qui ne mentent point, pendant le temps & espace de sept années, à commencer du jour que ladite Piece sera achevée d’imprimer pour la premiere fois ; Et deffenses sont faites à toutes personnes de quelque qualité & condition qu’elles soient, d’imprimer, ny faire imprimer, vendre & debiter ladite Piece sans le consentement de l’Exposant, ou de ceux qui auront droict de luy, à peine de trois mil livres d’amende, confiscation des exemplaires, despens, dommages & interests, ainsi que plus au long il est porté audit Privilege.

Et ledit N. Pepingué a associé audit present Privilege Thomas Jolly, Guillaume de Luynes, & Gabriel Quinet, pour en joüir suivant l’accord fait entr’eux.

Registré sur le Livre de la Communauté, suivant l’Arrest de la Cour. Signé E. MARTIN, Syndic.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois
Le 5. Decembre 1664.

Les Exemplaires ont esté fournis.