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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Edme Boursault. Marie Stuard, Reine d'Écosse. Tragédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 32 sc. 197 répl. 6,7 l. 1 311 l. 1 311 l. 46 % 2 906 l. (100 %) 2,2 pers.
MARIE STUARD 6 sc. 15 répl. 6,2 l. 195 l. (15 %) 93 l. (8 %) 48 % 408 l. (15 %) 2,1 pers.
ELISABETH 14 sc. 57 répl. 6,1 l. 738 l. (57 %) 346 l. (27 %) 47 % 1 761 l. (61 %) 2,4 pers.
LE DUC DE NORFOLC 13 sc. 42 répl. 8,6 l. 633 l. (49 %) 359 l. (28 %) 57 % 1 400 l. (49 %) 2,2 pers.
LE COMTE DE MORRAY 11 sc. 34 répl. 6,4 l. 557 l. (43 %) 218 l. (17 %) 40 % 1 319 l. (46 %) 2,4 pers.
LE COMTE DE NEUCASTEL 7 sc. 30 répl. 7,9 l. 441 l. (34 %) 237 l. (19 %) 54 % 977 l. (34 %) 2,2 pers.
LANCASTRE 3 sc. 9 répl. 3,9 l. 81 l. (7 %) 35 l. (3 %) 44 % 162 l. (6 %) 2,0 pers.
MELVIN 1 sc. 2 répl. 2,2 l. 22 l. (2 %) 4 l. (1 %) 20 % 44 l. (2 %) 2,0 pers.
KENEDE 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
ALBIONE 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
KILLEGRE 2 sc. 3 répl. 1,5 l. 22 l. (2 %) 4 l. (1 %) 20 % 62 l. (3 %) 2,8 pers.
EURIC 5 sc. 5 répl. 2,7 l. 217 l. (17 %) 14 l. (2 %) 7 % 610 l. (22 %) 2,8 pers.
GARDES 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
Edme Boursault. Marie Stuard, Reine d'Écosse. Tragédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
MARIE STUARD
ELISABETH
2 l. (8 %) 2 répl. 0,7 l.
19 l. (93 %) 3 répl. 6,3 l.
1 sc. 20 l. (2 %) 2,0 pers.
MARIE STUARD
LE DUC DE NORFOLC
48 l. (41 %) 8 répl. 6,0 l.
71 l. (60 %) 8 répl. 8,8 l.
3 sc. 118 l. (10 %) 2,1 pers.
MARIE STUARD
LE COMTE DE MORRAY
27 l. (83 %) 2 répl. 13,1 l.
6 l. (18 %) 1 répl. 5,4 l.
1 sc. 32 l. (3 %) 2,0 pers.
MARIE STUARD
MELVIN
18 l. (81 %) 3 répl. 5,9 l.
5 l. (20 %) 2 répl. 2,2 l.
1 sc. 22 l. (2 %) 2,0 pers.
ELISABETH 21 l. (100 %) 3 répl. 6,8 l. 3 sc. 20 l. (2 %) 1,0 pers.
ELISABETH
LE DUC DE NORFOLC
140 l. (47 %) 16 répl. 8,7 l.
158 l. (54 %) 15 répl. 10,5 l.
3 sc. 297 l. (23 %) 2,4 pers.
ELISABETH
LE COMTE DE MORRAY
115 l. (54 %) 21 répl. 5,5 l.
101 l. (47 %) 19 répl. 5,3 l.
5 sc. 215 l. (17 %) 2,6 pers.
ELISABETH
LE COMTE DE NEUCASTEL
4 l. (4 %) 4 répl. 0,9 l.
92 l. (97 %) 4 répl. 22,8 l.
1 sc. 95 l. (8 %) 3,0 pers.
ELISABETH
LANCASTRE
39 l. (64 %) 8 répl. 4,9 l.
23 l. (37 %) 7 répl. 3,2 l.
2 sc. 61 l. (5 %) 2,0 pers.
ELISABETH
EURIC
10 l. (98 %) 2 répl. 4,9 l.
1 l. (3 %) 2 répl. 0,1 l.
2 sc. 10 l. (1 %) 3,0 pers.
LE DUC DE NORFOLC 14 l. (100 %) 2 répl. 6,9 l. 2 sc. 14 l. (2 %) 1,0 pers.
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE MORRAY
19 l. (100 %) 1 répl. 18,6 l.
1 l. (1 %) 1 répl. 0,1 l.
1 sc. 19 l. (2 %) 3,0 pers.
LE DUC DE NORFOLC
LE COMTE DE NEUCASTEL
95 l. (61 %) 13 répl. 7,3 l.
62 l. (40 %) 14 répl. 4,4 l.
2 sc. 157 l. (12 %) 2,0 pers.
LE DUC DE NORFOLC
KILLEGRE
3 l. (35 %) 1 répl. 2,3 l.
5 l. (66 %) 3 répl. 1,5 l.
2 sc. 7 l. (1 %) 2,8 pers.
LE DUC DE NORFOLC
EURIC
2 l. (20 %) 2 répl. 1,0 l.
8 l. (81 %) 2 répl. 4,0 l.
2 sc. 10 l. (1 %) 2,0 pers.
LE COMTE DE MORRAY 6 l. (100 %) 1 répl. 5,9 l. 1 sc. 6 l. (1 %) 1,0 pers.
LE COMTE DE MORRAY
LE COMTE DE NEUCASTEL
100 l. (63 %) 10 répl. 9,9 l.
59 l. (38 %) 10 répl. 5,9 l.
3 sc. 158 l. (13 %) 2,0 pers.
LE COMTE DE MORRAY
LANCASTRE
7 l. (36 %) 2 répl. 3,4 l.
13 l. (65 %) 2 répl. 6,3 l.
1 sc. 20 l. (2 %) 2,0 pers.
LE COMTE DE NEUCASTEL
EURIC
26 l. (83 %) 2 répl. 13,0 l.
6 l. (18 %) 1 répl. 5,3 l.
1 sc. 31 l. (3 %) 2,0 pers.

Edme Boursault

1691

Marie Stuard, Reine d'Écosse. Tragédie

Édition de Chloé Le Vaguerès
sous la direction de Georges Forestier
2015
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2015, license cc.
Source : Edme Boursault, Marie Stuard, Reine d'Écosse, tragédie, Paris, Jean Guignard, 1691
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

MARIE STUARD, REINE D’ÉCOSSE. TRAGÉDIE. §

A MONSEIGNEUR LE DUC DE ST AIGNAN, PAIR DE FRANCE, Chevalier des Ordres du Roy, Premier Gentilhomme de la Chambre, Gouverneur et Lieutenant General pour sa Majesté de la Ville, Citadelle et Province du Havre. §

MONSEIGNEUR,

Je ne sçay point imiter ces Ecrivains qui par d’ingenieux mensonges accablent de loüanges

des Personnes qui ne les meritent pas. Je ne diray rien icy à vostre Gloire que /[I] [a ij]/ ce que la Verité a pris soin de m’en apprendre : mais les Vertus qu’on ne peut vous contester vaudront bien aux yeux de la Postérité celles qu’on invente pour les autres. Se fasse qui voudra des Heros de ces Favoris de la Fortune, qui élevez par son caprice ne manquent jamais de tomber par ses revolutions. Je sçay, MONSEIGNEUR, ce que Vous estes par le Sang dont Vous sortez : Comme il en est peu de plus illustre, il en est peu aussi qui soit dans une plus grande élevation ; mais dans quelque rang que Vous soyez, Vous n’en estes point redevable à la Fortune ; et s’il n’estoit attaché à vostre Naissance, l’Equité en auroit fait le prix de vostre Merite. La distinction dont Vous honore un Monarque, qui par ses Vertus se fait distinguer de tous les autres Rois de la Terre, dit bien mieux que je ne le pourrois faire quelles Qualitez Vous devez avoir pour la meriter : Il y a peu de personnes à sa Cour pour qui son Estime se soit plus hautement déclarée ; Et si elle peut s’acquérir par le Zele le plus pur qui ait jamais esté, & par la Fidélité la plus incorruptible qui sera jamais, il n’y en a point dans tous ses Estats à qui elle soit mieux deüe qu’à Vous. Toûjours infatigable pour le service de sa Majesté, vostre Vigilance Vous fait trouver par tout, & ne /[II]/ rencontre aucun obstacle qu’elle n’applanisse. Faut-il faire succeder les vertueux Plaisirs à ses Occupations héroiques, vostre Esprit, dont les lumières sont si étendües, ajoûte des beautez à ce que font de plus achevé les plus sçavans Maistres : Faut-il travailler pour sa Gloire, vostre Valeur ne peut souffrir que Vous Vous reposiez sur les Lauriers que Vous avez cueillis tant que Vous trouvez à en cueillir de nouveaux ; Et jamais homme n’a mieux justifié que Vous que le grand Génie & le grand Courage ne sont pas incompatibles. Que la Medisance & l’Envie examinent avec tant de severité qu’il leur plaira ce que je prens la liberté de dire de Vous, & qu’elles m’accusent de flaterie si elles l’osent. A quelque insolence que leur inclination les porte, il est des Veritez qu’elles sont contraintes de respecter ; & vostre Nom prononcé doit suffire pour leur imposer silence. C’est en vain, MONSEIGNEUR, qu’elles se sont déchainées avec tant d’impetuosité contre la Tragédie que je Vous presente : Les témoignages que Vous avez eu la bonté de rendre en sa faveur luy ont acquis une reputation à l’épreuve de leur traits les plus empoisonnez ; Et s’il m’est permis de rappeller le plaisir le plus sensible que j’aye eu de ma vie, les Larmes que Vous ne pûtes Vous /[III] [a iij]/ empêcher de répandre à la premiere lecture que j’en fis m’estoient d’illustres garens du succez qu’elle devoit avoir à la seconde. J'aurois assez de modestie pour ne pas Vous faire ressouvenir que Vous fustes témoin des applaudissemens que je receus, si le respect & la reconnoissance ne m’obligeoient à deffendre les suffrages de tant de Personnes de la plus haute Qualité, & du plus sublime Merite, qui ayant écouté mon Ouvrage sans prévention en dirent leur sentiment sans injustice. Il est vray,

MONSEIGNEUR, que ce n’est pas d’aujourd’huy que les plus honnestes gens de l’Europe se sont declarez pour Marie Stuard contre l’Oppression & la Calomnie: ce n’est pas d’aujourd’huy qu’elle a esté persecutée par l’Erreur & par l’Ignorance : son sort est d’estre éternellement condamnée par des Juges corrompus, & de conserver éternellement sa gloire malgré les efforts qu’on a toûjours faits pour la détruire. Aprés tous les avantages que Vous luy avez procurez, la Générosité qui vous est si naturelle Vous sollicite à luy donner un Azile, plus sacré & plus inviolable que celuy qu’elle receut autrefois d’une Teste couronnée. L'Histoire remarque que la Reine Elizabeth en luy envoyant offrir une retraite dans ses Etats, luy fit presenter un Coeur de Diamant, qui fut moins une mar-/[IV]/-que de son amitié qu’un présage de la dureté du sien. Ce n’est point, MONSEIGNEUR, un Coeur de Diamant que Marie Stuard Vous demande : c’est ce Coeur sensible ; ce Coeur bienfaisant ; ce Coeur qui en captive tant d’autres par sa bonté, qu’elle veut s’efforcer de meriter par un respect aussi profond que celuy avec lequel je suis,

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble, tres-obeïssant, & tres-obligé Serviteur,
BOURSAULT.

Extrait du Privilege du Roy §

Par Lettres Patentes du Roy, données à Paris le deuxiéme jour de Decembre 1690. Signé BOUCHER, Il est permis au Sieur BOURSAULT, de faire imprimer par tel Libraire ou Imprimeur qu’il voudra choisir, une Piece de sa composition intitulée Marie Stuard Reine d’Ecosse,Tragedie, pendant le temps & espace de huit années, à compter du jour qu’elle sera achevée d’imprimer : Avec deffences à tous Libraires, Imprimeurs & autres, d’imprimer, faire imprimer, vendre ny debiter ladite Tragedie sous quelque pretexte que se soit, même d’impression étrangere sans le consentement dudit Exposant ou de ses ayant cause, à peine de confiscation des exemplaires contrefaits, de trois mille livres d’amende, & de tous dépens, dommages & interests, ainsi qu’il est plus au long porté par lesdites Lettres.

Registré sur le Livre de la Communauté des Libraires
& Imprimeurs de Paris, le 27. Mars 1691.

Signé, AUBOUYN.

Et ledit sieur Boursault a cedé au sieur J. Guignard le droit qu’il a au present Privilege, suivant l’accord fait entr’eux.

Achevé d’imprimer le 20. Novembre 1691.

ACTEURS. §

  • MARIE STUARD, Reine d’Ecosse.
  • ELISABETH, Reine d’Angleterre, Fille d’Henry Huit, & d’Anne de Boulen.
  • LE DUC DE NORFOLC, autrefois Favory d’Elisabeth.
  • LE COMTE DE MORRAY, Frere naturel de Marie Stuard.
  • LE COMTE DE NEUCASTEL, Amy du Comte de Morray.
  • LANCASTRE, Confidente d’Elisabeth.
  • MELVIN, Ecuyer de Marie Stuard.
  • KENEDE Suivante de Marie Stuard.
  • ALBIONE Suivante de Marie Stuard.
  • KILLEGRE, Capitaine des Gardes d’Elisabeth.
  • EURIC, Lieutenant des Gardes d’Elisabeth.
  • GARDES.
La Scene est à Londres.
[A]

ACTE PREMIER. §

SCENE PREMIERE. §

Le Comte de Neucastel, Euric.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Euric, dans ce Palais ne m’accompagnez pas.
Un Ordre exprés* du Duc conduit icy mes pas.
Son coeur brûle en secret d’une nouvelle flâme ;
Ou quelque grand dessein doit roûler dans son ame.
5 Pour me le confier il m’a mandé* trois fois :
Mais toûjours quelque obstacle a retenu sa voix.
Quoy que l’Ambition ou l’Amour entreprenne [Aij 2]
Ce secret de son coeur n’échape qu’avec peine.
Il me rappelle encor avec empressement ;
10 Et je veux profiter de cet heureux moment.
S'il me parle en ce lieu, quoy qu’il puisse m’apprendre,
Le Comte de Morray peut aisément l’entendre :
Dans l’endroit concerté* j’ay déja pris le soin
De conduire moy-même un fidele témoin.
15 Pour le bien de l’Etat le Comte y devroit estre.

EURIC

Seigneur, en ce moment il nous entend peut-estre.
Je viens vous repeter les sermens qu’il a faits
De porter* vostre sort plus loin que vos souhaits.
Si jusqu’à son hymen Elizabeth l’éleve,
20 Si par la mort du Duc cette union s’acheve,
Sans cesse de son Trône infatigable appuy
Vous douterez qui regne ou de vous ou de luy.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Je me fie à sa foy*. Qu'il se fie à mon zele*.
Vaincu par ses raisons*, je luy seray fidelle.
25 Un serment solemnel, aprés de grands combats*,
Vient de m’associer à tous ses attentats.
Je vous l’ay déja dit, c’est avec violence
Que j’embrasse le crime, & quitte l’innocence :
Mais en vain ma vertu revolte* ma raison ;
30 Les remors desormais ne sont plus de saison.
Le Duc dont la conduite est suspecte à la Reine,
Se creuse un precipice où j’ay peur qu’il m’entraîne :
Quoy que de ma fortune il ait esté l’appuy
J'aime mieux l’y pousser qu’y tomber avec luy.
35 Pour essay* d’injustice, insensible à la gloire,
Déja de cent bien faits j’ay perdu la memoire ;
Et lors qu’on est ingrat, ne sçavez-vous pas bien
Que les autres forfaits ne coutent presque rien ?
Quelqu’un vient : C'est le Duc. Soit qu’il aime ou conspire
40 Allez prester l’oreille à ce qu’il va me dire.
{p. 3}

SCENE II §

Le Duc de Norfolc, le Comte de Neucastel.

LE DUC DE NORFOLC

Comte.

LE COMTE DE NEUCASTEL.

Seigneur ?

LE DUC DE NORFOLC

De grace employez tous vos soins
A voir si dans ce lieu nous sommes sans témoins.
Haï d’Elizabeth, je ne fais point de doute
Que je ne sois perdu si quelqu’un nous écoute.
45 Déja depuis long-temps ce Palais malheureux*
Pour les gens de ma sorte est un lieu dangereux.
Il faut prés de la Reine estre flateur & traistre :
Jusqu’icy tout mon crime est de n’avoir pû l’estre ;
Mais puis que de mon zele* on s’ose défier
50 Il faut l’estre une fois pour me justifier.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Seigneur, nous sommes seuls. Tout paroist favorable...

LE DUC DE NORFOLC

D'un effort genereux vous sentez-vous capable ?
Avant que de répondre interrogez-vous bien,
Et si vous hesitez ne me promettez rien.
55 Pour peu que la fortune à mes voeux soit contraire
Vos jours sont en danger, je ne puis vous le taire :
Et pour tout privilege, en un degré* si haut,
Je vous traîne avec moy sur un même Echaffaut. [Aiij 4]
Un coeur tel que le mien n’a point l’art de surprendre.

LE COMTE DE NEUCASTEL

60 Seigneur, me voila prest. Que faut-il entreprendre ?
Quel que soit le péril où je dois m’exposer
Mon zele, & vos bienfaits me le font mépriser.
Que le sort à son gré vous flate ou vous outrage,
Je n’oubliray jamais que je suis vostre ouvrage ;
65 Et que par vos bontez je me voy dans un rang
Digne d’un plus grand homme, & d’un plus noble sang.
Je n’examine point quelle main vous opprime :
Pour deffendre vos droits je croy tout legitime :
Rien ne m’est plus sacré que ce que je vous doy ;
70 Et la reconnoissance est ma premiere loy.
Ainsi que vos bontez mon zele est sans limites.

LE DUC DE NORFOLC

Puis-je me reposer sur ce que vous me dites ?

LE COMTE DE NEUCASTEL

Oüy, Seigneur : Et bien-tost par mes soins empressez
Vous connoistrez vous-même à quel point...

LE DUC DE NORFOLC

C'est assez.
75 Comte de Neucastel, je vous ouvre mon ame.
Je suis las d’obeïr aux ordres d’une femme.
Depuis qu’Elizabeth regne sur les Anglois
L'injustice triomphe, & fait taire les loix.
Pembroc, qui le premier la fit proclamer Reine,
80 Ne fut pas à couvert de son injuste haine :
Dés qu’il l’eut affermie en cet auguste rang
Pour le prix de son zele elle eut soif de son sang ;
Et d’un si ferme appuy priva son Diadême,
Si tost que sur sa teste il l’eut posé luy-même.

LE COMTE DE NEUCASTEL

85 Seigneur, des maux passez perdons le souvenir ;
Il en est de presens, & qu’il faut prevenir*. {p. 5}
Depuis combien de temps une Reine innocente
Dans les fers, dans l’opprobre est-elle gemissante ?
Verrons-nous sans horreur un ouvrage* si beau
90 Achever ses destins par la main d’un Bourreau ?
La fiere Elisabeth, Princesse illegitime,
Qui n’eût point veu le jour sans le secours d’un crime,
Peut-elle assujetir la Majesté des Rois
A l’indigne rigueur de ses injustes loix ?
95 Que dira l’Avenir d’une audace si grande ?
Donnons à la Vertu l’appuy qu’elle demande.
Des maux dont on l’accable interrompons le cours.
C'est de nostre valeur qu’elle attend du secours.

LE DUC DE NORFOLC

J'aurois moins tardé, Comte, à luy montrer mon zele
100 Si j’avois crû trouver un Amy si fidelle :
Mais dans une occurrence* où tout doit m’effrayer,
A quel homme à la Cour pouvois-je me fier ?
Pour m’y rendre coupable on met tout en usage :
Il n’est point là d’amy qui n’ait plus d’un visage :
105 Tel qui m’offroit son sang me refuse son bras ;
Et mes plus grands bienfaits n’ont fait que des ingrats.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Suivons les mouvemens* que le Ciel nous inspire.
D'une Reine odieuse il veut finir l’Empire.
Injuste aux Etrangers, cruelle à ses Sujets,
110 Elle est d’intelligence* à remplir nos projets :
Et pour nous dérober au joug qui nous opprime
S'il faut que malgré nous il nous échape un crime,
De quoy que nostre esprit puisse estre combattu,
C'est un crime forcé qu’approuve la Vertu.
115 S'il vous manque, Seigneur, un bras pour le commettre,
Pour le bien de l’Etat je puis tout me permettre ;
Ne laissez point languir mon zele impatient. {p. 6}
L'esprit d’Elizabeth, inquiet, défiant,
Tend des pieges secrets que jamais on n’évite
120 A moins qu’on n’entreprenne aussi-tost qu’on médite* .
En de plus dignes mains transmettons son pouvoir,
Avant qu’elle ait le temps de s’en apercevoir.
Enfin prescrivez-moy ce qu’il faut que je fasse.

LE DUC DE NORFOLC

Non, non, je ne veux point meriter ma disgrace.
125 Les plus heureux forfaits ne sçauroient me tenter.
Si de vostre secours j’ose icy me flatter,
Dans l’Auguste Stuard j’aime la Vertu même,
Et tout semble d’accord pour perdre ce que j’aime.
Son Frere (si ce nom luy doit estre permis)
130 Est le plus dangereux de tous ses ennemis.
Pour ne pas offenser la beauté que j’adore
Mon coeur n’exhale point le feu qui le devore :
Quoy qu’il porte en tous lieux les traits qui l’ont frappé,
Jamais de mon amour rien ne m’est échapé :
135 Entre une Reine & moy le Ciel met tant d’espace,
Que je n’ose à ses yeux étaler mon audace ;
Et n’estoit le secours que j’attends de vos soins
Jamais un feu si pur n’auroit eu de témoins.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Vous ne pouviez, Seigneur, dans un sein plus fidèle
140 Deposer le secret d’une flâme si belle.
Tout mon sang répandu pour vous prouver ma foy
Ne m’acquiteroit pas de ce que je vous doy.
Offrez-moy le moyen de vous faire paroistre…

LE DUC DE NORFOLC

Gouverneur des Cinq-ports, vous en estes le maître.

LE COMTE DE NEUCASTEL

145 Oüy, Seigneur, je le suis ; Et c’est par vostre choix
[Que la Mer Britânique obéït à mes loix.]
Que puis-je ? Commandez. Et quoy que je hazarde... {p. 7}

LE DUC DE NORFOLC

De l’Illustre Stuard j’ay corrompu la Garde.
Et seur du prompt secours que vous m’avez offert
150 J'attends que pour sa fuite un Port me soit ouvert.
Ma vie est enchaînée à cette confidence :
Mais avec tant de zele & de reconnoissance,
Avec tant de bonté, tant d’ardeur, tant de foy,
Mes déplorables jours vous sont plus chers qu’à moy.
155 Je ne les risque point quand je vous les confie.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Je ne puis condamner une si noble envie :
Mais de ce grand dessein l’évenement* douteux*
Expose vostre teste au sort le plus honteux.
Souvent de tels projets ont des suites cruelles ;
160 Des Soldats corrompus sont rarement fideles ;
Et vous n’ignorez pas, Seigneur, que sur ce point
La Reine est inflexible & ne pardonne point.
A la Cour, où la foy* n’ose presque paroistre,
L'espoir de s’agrandir* fait aisément un traitre.
165 Si vous estes surpris vous vous perdez.

LE DUC DE NORFOLC

Helas!
Tout est perdu pour moy si je ne me perds pas.
Des Juges dévoüez, sans honneur, sans naissance,
D'une Reine adorable ont proscrit l’innocence :
L'injuste Elizabeth, maistresse de son sort,
170 Dans ses cruelles mains tient l’Arrest de sa mort.
Dés demain la clarté luy peut estre ravie :
Le temps presse. Un moment decide de sa vie.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Seigneur, à ces raisons* je n’ose m’opposer :
La grandeur du peril les doit autoriser.
175 Pour dérober sa vie au sort qui la menace
Dites-moy quel effort vous voulez que je fasse. [B 8]
Encor un coup, Seigneur, je suis prest...

LE DUC DE NORFOLC

Qu'il m’est doux
D'avoir dans mon malheur un amy tel que vous !
Comte, puis que pour moy vostre ardeur est si grande,
180 L'effort dont j’ay besoin, & que je vous demande,
C'est d’aider à mon zele à mettre en liberté
La plus haute Vertu qui jamais ait esté.
C'est d’aider à mon zele à sauver une Reine
Qui par les droits du sang est vostre Souveraine.
185 Celle qui sur son Trône ose imposer des loix
A la force pour titre, & ses crimes pour droits.
Si je sors d’Angleterre, & qu’on vous y retienne,
Je sçay que vostre teste y répond de la mienne ;
Mais sous un Ciel plus doux accompagnez nos pas :
190 Suivez nostre fortune en de meilleurs Climats* :
Vous ne laissez icy ny Maîtresse ny Femme ;
Et si l’Ambition est sensible à vostre ame
Quel rang n’aurez-vous point dans la paisible Cour
De l’adorable Objet qui vous devra le jour ?
195 A la sombre clarté qui tombe des étoilles
De ce Port cette nuit doivent sortir vingt voiles ;
Et sans doute le Ciel nous offre ce secours
Pour mettre en seureté de si precieux jours.
Pendant l’obscurité, le calme & le silence,
200 Du Comte de Morray trompons la vigilance :
Pour estre de l’Ecosse injuste possesseur
A son ambition il immole sa sœur.
Le criminel amour dont il a receu l’estre
Le condamne...

LE COMTE DE NEUCASTEL

Seigneur, je croy le voir paroistre :
205 Laissez-moy de son coeur penetrer les secrets.
Pour remplir vos desirs je vous suivray de prés.
{p. 9}

SCENE III §

Le Comte de Morray, le Comte de Neucastel.

LE COMTE DE NEUCASTEL

He bien, Seigneur...

LE COMTE DE MORRAY

Souffrez que mon coeur se déploye,
Et que j’étale icy la grandeur de ma joye.
Rien ne s’oppose plus au succez de mes feux :
210 Mon plus grand Ennemy met le comble à mes vœux.
A l’Hymen où j’aspire une voye est ouverte :
Et mon Rival luy-même aide à hâter sa perte.
Un sincere temoin de tout ce qu’il a dit
En va faire à la Reine un fidele recit.
215 Nous triomphons.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Seigneur, j’ay toûjours même zele :
Mais prestez de la force à mon coeur qui chancelle ;
Et puisque le silence est encor à mon choix,
Laissez-moy vous parler pour la derniere fois.
J'entreprens une route où j’ay peu d’habitude :
220 J'y marcheray, Seigneur, avec incertitude.
Au milieu du chemin que vous m’avez tracé
Je puis me repentir de l’avoir commencé.
Quand je songe à l’horreur qui suit le nom de Traistre,
Des retours de vertu me font craindre de l’estre.
225 Quoy que par vos conseils vous m’ayez inspiré [Bij 10]
J'ay peur d’avoir promis plus que je ne feray.
Mon ame chancelante, incertaine, confuse,
Tantost s’offre à la honte, & tantost s’y refuse ;
Et je voy trop de risque à vous y confier
230 Si je n’ay vostre appuy pour me fortifier.
Avez-vous vers le crime un penchant si rapide
Que rien ne vous arreste, ou ne vous intimide ?
Vostre Soeur immolée il ne sera plus temps
D'honorer sa vertu de regrets impuissans.
235 Quoy que de sa rigueur Elisabeth l’accable,
Nous sçavons, vous & moy, qu’elle n’est point coupable ;
Et si quelque tendresse excitoit vos remors
Jugez en quel peril je me verrois alors.
Il faudroit que mon sang...

LE COMTE DE MORRAY

Moy des remors ! moy, Comte !
240 D'un soupçon qui m’outrage épargnez-moy la honte.
Quelle peur vous allarme ? Et par quel sort fatal
Ay-je pû meriter qu’on me traite si mal ?
Depuis qu’à mes desseins j’ay veu le crime utile
J'ay secoüé le joug de la vertu sterile.
245 Pour acquerir un Trône il n’est point de forfaits
Qui ne changent de nom, quand ils ont du succez.
Tant qu’un lâche devoir a reglé ma conduite
En quel rang ma fortune a-t-elle esté réduite ?
Et lors que sans effroy je m’en suis écarté
250 A quel degré d’honneur suis-je d’abord monté ?
Pour m’exclure à jamais de la Toute-puissance,
Ma Soeur m’oppose en vain les droits de sa naissance.
L' Angleterre exceptée en tous les autres lieux
Le regne d’une femme est un regne odieux :
255 La plus ferme Couronne un moment sur sa teste
Dans l’Estat le plus calme excite une tempeste :
Un Sceptre ne sied bien que dans la main des Rois ;
Et le Trône chancelle à moins qu’il n’ait son poids. {p. 11}

LE COMTE DE NEUCASTEL

Seigneur, d’Elle & de Vous la naissance inégale
260 Decide en sa faveur de la grandeur Royale :
Et si j’ose, entre-nous, vous le dire tout bas
La vostre a des deffauts que la sienne n’a pas.

LE COMTE DE MORRAY

Et quels deffauts ? Allez, ce n’est qu’une manie*.
Il y manque, il est vray, quelque ceremonie ;
265 Mais un Roy m’a fait naistre ; & pour l’estre aujourd’huy
Il suffit que je sois, & que je sois de luy.
De quelque doux espoir dont ma Soeur s’entretienne
S'il épousa sa mere, il adoroit la mienne ;
Et par l’ordre du Ciel il nous donna le jour
270 A l’une par devoir, à l’autre par amour.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Il est vray : Mais, Seigneur, par une loy severe
Aucun de vos pareils ne succede à son pere.
Et d’ailleurs, le feu Roy, quoy qu’on ait entrepris,
N'a jamais avoüé que vous fussiez son fils.
275 Qui justifiera...

LE COMTE DE MORRAY

Qui ? Ma valeur, mon audace :
Mon ardeur de regner & de remplir sa place :
Si le Ciel m’eût fait naistre en un degré plus bas,
De si beaux mouvemens ne me dureroient pas.
Pour m’en convaincre mieux, s’il faut encor plus faire,
280 J'en croy jusqu’à l’amour que je n’ay pû vous taire :
Si j’estois né d’un sang qui fût moins glorieux
Aurois-je sur la Reine osé porter les yeux ?
Non que vers ses appas un fol amour m’entraîne ;
Ce qui m’est plus sensible Elisabeth est Reine ;
285 A tous les Rois voisins elle impose des loix ; [Biij 12]
Etonne* l’Univers du bruit de ses Exploits ;
L'Ecosse où je commande, unie à l’Angleterre,
Je ne craindrois au plus qu’un éclat du Tonnerre,
Et lors que sur le Trône on se trouve monté
290 Qui ne craint que la Foudre est bien en seureté.
Vos fideles conseils à qui je m’abandonne,
Ne peuvent balancer l’amour qu’elle me donne :
Et je ne répons pas qu’avant la fin du jour
Je ne trouve le temps d’expliquer mon amour.
295 Ne m’en détournez point si vous me voulez plaire.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Et concevez-vous bien ce que vous allez faire ?
D'un amour qui luy plut son coeur encor frappé,
Pour écouter le vostre est trop préoccupé.
Pour faire de son Trône une heureuse conqueste
300 Attendez que du Duc elle ait proscrit la teste ;
Et gardez-vous, Seigneur, de laisser entre-voir...

LE COMTE DE MORRAY

Et pourquoy plus long-temps differer mon espoir ?
Si l’union des coeurs naist de la ressemblance
Quel party sous le Ciel a moins de difference ?
305 Elle n’épargna rien dans l’espoir de regner ;
Et qu’est-ce qu’à mon tour on me voit épargner ?
Pour affermir son Trosne, & luy donner du lustre,
Elle le cimenta du sang le plus illustre ;
Moy du Sceptre d’Ecosse avide Ravisseur,
310 Je cherche à l’acquerir par la mort de ma Sœur.
Outre l’appas flateur de cette ressemblance,
Pour rendre necessaire une telle Alliance
Le sort d’intelligence* avec nos attentats
A déja pris le soin de joindre nos Etats.
315 Quel Prince dans l’Europe a le même aventage ?

LE COMTE DE NEUCASTEL

Mais l’Ecosse, Seigneur, n’est pas vostre heritage.
Le Roy, vostre Neveu, quoy que jeune & soumis...

LE COMTE DE MORRAY

{p. 13}
Et si je perds la mere auray-je soin du fils ?
Je luy laisse le jour tant qu’il m’est necessaire ;
320 Mais enfin, ce fut moy qui m’immolay son pere :
Et lors qu’au premier crime on s’est autorisé
Un second à commettre est beaucoup plus aisé.
On va plus hardiment affronter l’infamie :
La main déja coupable en est plus affermie ;
325 Et je n’ignore pas ce precepte si beau
Que l’azile d’un crime est un crime nouveau.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Seigneur, c’en est assez. Surpris de vous entendre
Je ne consulte plus quel party je dois prendre.
Quoy que fasse le sang, il faudra peu d’efforts
330 Pour mettre un si grand coeur au dessus des remors.
Je vais trouver le Duc, & servir vostre haine.
Vous, pour haster sa perte allez trouver la Reine :
Et faites avec art entrer dans vos discours
Que de ses jours sacrez il veut borner le cours.
335 Enfin, pour la contraindre à la reconnoissance
Du zele le plus pur empruntez l’apparence.
Accoûtumez son cœur…

SCENE IV §

Lancastre, le Comte de Morray, le Comte de Neucastel.

LANCASTRE

Ah, Seigneur, hâtez-vous,
Et venez de la Reine appaiser le courroux. [Biiij 14]
Je ne puis deviner qui conspire contr'elle ;
340 Mais elle est resoluë à punir un rebelle,
Un perfide, un ingrat digne de sa fureur,
Et pour qui son estime est changée en horreur.
Venez par vos conseils dissiper les allarmes
Qui d’un si beau destin empoisonnent les charmes :
345 Pour détourner l’orage, ou pour le prévenir,
Elle vous fait chercher pour vous entretenir.
Dans cette occasion montrez-luy vostre zele.

LE COMTE DE MORRAY

Et quelle ame assez basse ose estre encor rebelle?
Vous a-t’-on dit le nom du coupable ?

LANCASTRE

Seigneur,
350 Je n’ose en soupçonner la Reine vostre Sœur.
Mais un des Officiers qui doit répondre d’elle
A sans doute à la Reine appris quelque nouvelle.
Il l’a veüe en secret ; & même en ce moment
Elle luy parle encor en son Appartement.
355 Vostre avis est le seul que la Reine veut suivre.

LE COMTE DE MORRAY

Qui trouble son repos est indigne de vivre.
Voila mon sentiment que rien ne peut changer.
De quelque part qu’il vienne écartons le danger.
Allons trouver la Reine, & luy faisons entendre
360 Qu'il faut executer l’Arrest qu’elle a fait rendre.
La nature outragée a beau s’en émouvoir,
Sa voix est impuissante où parle mon devoir.

Fin du premier Acte.

{p. 15}

ACTE II §

SCENE PREMIERE §

Elisabeth, le Comte de Morray, Lancastre, gardes.

ELISABETH

Auriez-vous jamais crû qu’insensible à mes graces,
De tant de Conjurez il eût suivy les traces ?
365 Luy que j’ay tant de fois comblé d’honneurs, de biens,
Prodigue de ses jours, attente sur les miens !
En quelque rang qu’il soit je luy feray connoistre
Que je sçay de plus haut precipiter un Traistre ;
Que jamais un Sujet qui viole sa foy
370 Ne dérobe sa vie aux rigueurs de la loy ;
Que plus à mes bontez il estoit redevable
Plus son crime est énorme & ma haine équitable :
Et qu’aprés l’injustice où l’Ingrat se resout,
Ma tendresse irritée est capable de tout.

LE COMTE DE MORRAY

375 Madame, quelque horreur que le Duc vous imprime,
Elle n’égale pas la grandeur de son crime. [Bv 16]
Il vouloit, le perfide, attenter à vos jours
Pour faire réüssir ses nouvelles amours.

ELISABETH

Ses amours ! Juste Ciel, que m’apprend-on encore ?
380 Et pour qui ?

LE COMTE DE MORRAY

Pour ma Sœur.

ELISABETH

L'aime-t’il ?

LE COMTE DE MORRAY

Il l’adore.

ELISABETH

Il l’adore ! Qu'entens-je ?

LE COMTE DE MORRAY

Et quel autre motif
D'un Ministre d’Estat feroit un fugitif ?

ELISABETH

Quoy, pour mon Ennemie il a l’ame obsedée !
Eh faut-il que si tard j’en sois persuadée* !
385 Depuis plus de six mois confus, sombre, interdit,
Son infidele coeur m’en avoit assez dit :
Mais le mien, trop facile à se laisser surprendre*,
A ce langage obscur ne vouloit rien comprendre.
Enfin, voyant l’Ingrat m’éviter tous les jours,
390 De ma faveur pour luy j’interrompis le cours.
Si d’un coup si cruel il eût senti l’atteinte,
Il l’auroit recouvrée à sa premiere plainte.
A ceux qui la briguoient ne pouvant l’accorder,
Je luy laissois le temps de la redemander.
395 Dans la crainte où j’estois de le trouver coupable
Tout ce qui l’excusoit me sembloit veritable ;
Et mon coeur de concert* avec sa trahison
Du party de mes sens avoit mis ma raison.
A moins que cette nuit sa fureur me previenne
400 Je jure que sa mort devancera la mienne ;
Et que pour luy porter de plus sensibles coups {p. 17}
Mes yeux se repaistront d’un spectacle si doux.
J'auray plus de rigueur qu’il n’eut d’ingratitude.

LE COMTE DE MORRAY

On ne peut luy trouver un supplice trop rude.
405 Par un crime si grand il viole à la fois
Tout ce qu’ont de plus saint les plus augustes loix.
Il trahit son devoir, vos bien-faits, sa naissance ;
Il est sans foy, sans zele, & sans reconnoissance :
Et l’on ne peut, Madame, en cette occasion
410 Prendre contre un ingrat trop de précaution.
Ne souffrez prés de vous que ceux dont le pur zele...

ELISABETH

Et les Rois sçavent-ils quand on leur est fidele ?
Environnez par tout de gens interessez
Ils n’ont point de deffauts qui ne soient encensez :
415 A tous leurs mouvemens une foule importune
D'un pas precipité court aprés la fortune ;
Et ceux qui devant eux se presentent le plus
Le font moins pour les voir que pour en estre vûs.
Si je choisis quelqu’un j’éprouveray* peut-estre
420 Qu'au lieu du plus zelé ce sera le plus traistre.
De ce devoir, vous-même, acquittez-vous si bien
Que de la part du Duc il ne m’arrive rien.
Je vous en donne l’ordre, & ce soin vous regarde.
Hola.

EURIC

Madame ?

ELISABETH

Euric, pour commander ma Garde
425 Du Comte de Morray je viens de faire choix :
Ayez soin cette nuit d’obeïr à sa voix.
Je l’ordonne.

LE COMTE DE MORRAY

Charmé de cette confiance
Je jure que vos jours sont en pleine asseurance, [B vj 18]
Et que vos ennemis n’iront point jusqu’à vous
430 Qu'on ne m’ait veu, Madame, expirer sous leurs coups.
Si l’on ne m’a trompé, nous touchons presqu’à l’heure
Que pour sa trahison le Duc croit la meilleure.
Pour flatter ses desirs Neucastel est d’accord
De luy faire en secret ouvrir le premier Port ;
435 Et moy, pour découvrir ses injustes pratiques,
Je me dois asseurer de tous ses Domestiques.
Je vais pourvoir à tout. Pour vous, qui tant de fois
Parûtes consommée* en l’étude des Rois ;
Qui dés vos jeunes ans réduite à vous contraindre,
440 Avec tant de succez apprîtes l’art de feindre ;
Jusqu’à ce que du Duc le sort soit éclaircy
Songez que le silence est necessaire icy.
Il sort.

ELISABETH le rappellant.

Comte, pour cet Ingrat la mort aura des charmes,
Des yeux qui l’ont seduit il obtiendra des larmes.
445 Pour luy faire un destin qui soit plus rigoureux
Ne donnons le trépas qu’à l’objet de ses feux.
Ce sera pour ce Traistre une douleur mortelle
D'adorer vostre Soeur & de vivre sans elle :
Et ce qu’aura d’horrible un si funeste sort,
450 Luy seul de ce qu’il aime aura hasté la mort.
Ainsi, ma cruauté, sans permettre qu’il meure,
Forcera le perfide à mourir à toute heure.
Et je l’accableray par l’horreur de me voir
Joüir de ma vengeance & de son desespoir .

LE COMTE DE MORRAY

455 A languir dans la honte on pourroit le contraindre
Si de sa perfidie on n’avoit rien à craindre.
Pour nous rendre le joug & le culte Romain
La Flandre est toute preste à luy tendre la main.
Peut-estre est-ce pour luy que le Prince de Parme
460 Aux rivages d’Ostende a cent Voiles qu’on arme :
Et vous n’ignorez pas que pendant une nuit {p. 19}
Un peu de vent en poupe en ce lieu les conduit.
Pour éteindre en son sang la fureur qui l’anime
Laissez-moy le surprendre en commettant son crime :
465 Vous n’hesiterez plus à vouloir son trépas
Quand de sa trahison vous ne douterez pas.

SCENE II §

Elisabeth, Lancastre.

ELISABETH

He bien, Lancastre, hé bien, tu vois ce qui se passe :
Diroit-on que le Duc eût une ame si basse ?
Parle sans me flatter ; je te fais le témoin
470 Si mes bontez pour luy pouvoient aller plus loin.
Je croyois sur son coeur ma puissance absoluë.
Le Traistre !

LANCASTRE

A quoy, Madame, estes-vous resoluë ?

ELISABETH

A quoy, Lancastre ? Apprens que plus j’eus de bonté,
Plus je luy dois de haine & de severité.
475 Je ne luy devois pas tant de marques d’estime,
Qui sans doute en secret luy reprochent son crime ;
Et plus de mes bienfaits il fut favorisé,
Plus il est criminel d’en avoir abusé.
Je sçay quelle justice à ses forfaits est deuë ;
480 Je la luy rendray mieux qu’il ne me l’a renduë ;
Et doublement coupable il me fera raison
De son ingratitude & de sa trahison. {p. 20}

LANCASTRE

Croyez-vous de vostre ame estre assez la maistresse,
Pour en bannir d’abord ce qu’elle eut de tendresse ?
485 Et pour peu qu’il en reste à vous parler pour luy,
Pour fléchir vostre coeur est-ce trop foible appuy ?
Quand vous la sentirez vous demander sa grace,
Prompte à le garentir du sort qui le menace,
La main qui l’éleva le soûtiendra toûjours :
490 Il vous doit sa fortune, & vous devra les jours.

ELISABETH

Non, Lancastre, ma haine est deuë à son outrage.
Il fait de ma tendresse un trop mauvais usage.
Plus je luy fais de bien, plus je m’en fais haïr ;
Et ce qu’il tient de moy luy sert à me trahir.
495 Te representes-tu combien de fois le Traistre
Que de mon lâche* coeur j’avois rendu le maistre,
S'est avec ma Rivale insolemment joüé
De l’indiscret amour que j’avois avoüé ?
Combien d’heureux momens, dont je leur tiendray compte,
500 Ont-ils passé tous deux à joüir de ma honte* ?
Et tous deux de concert abusant de ma foy,
Combien de fois le jour triomphoient-ils de moy ?
Mais je merite assez le tourment qui me gesne :
J'ay moy seule en ces lieux attiré cette Reine ;
505 Chacun pour la sauver faisant des voeux secrets,
Je la voulus moy-même observer de plus prés :
Je la fis amener, seure d’en mieux répondre
Plûtost dans ce Palais que dans la Tour de Londre ;
Et c’est là que le Duc la voyant chaque jour,
510 Pour ses yeux criminels a conceu tant d’amour.
Prisonniere, c’est peu : coupable, condamnée,
Qui croiroit que pour elle on m’eût abandonnée ?
Et qui, Lancastre, & qui ? Tu le sçais, un Ingrat, {p. 21}
Preferé par moy-même à plus d’un Potentat.

LANCASTRE

515 Si le Duc de Norfolc, que peut-estre on opprime,
N'est coupable envers vous que de ce dernier crime,
Jamais aucune loy n’a fixé de tourmens
Dont on ait veu punir les crimes des Amans.
Cependant pour sa mort j’apperçoy qu’on affecte
520 Une si grande ardeur qu’elle est un peu suspecte.
Quand d’un crime d’Etat on se croit asseuré,
On a fait son devoir dés qu’on l’a declaré :
Empescher qu’au coupable on ne laisse la vie
C'est trop montrer, Madame, ou de haine ou d’envie ;
525 Et pour sauver le Duc si les remors sont vains,
Vous verrez que le Comte a de plus hauts desseins.
Il est jeune & sensible : & vos charmes...

ELISABETH

Arreste.
Mes charmes ne font point de honteuse conqueste...
S'il osoit me tenir les discours que tu tiens
530 Je luy vendrois bien cher de pareils entretiens.
Ton soupçon est injuste, & cela ne peut estre.
Il sçait trop quel il est pour s’oser méconnoistre.

LANCASTRE

Madame, pardonnez si j’ay crû que sa foy...

ELISABETH

Voicy le Duc. Euric, demeurez avec moy.
535 Ma vie aux mains d’un Traistre est trop mal asseurée.
{p. 22}

SCENE III §

Le Duc de Norfolc, Elisabeth, Euric, Lancastre, gardes.

LE DUC DE NORFOLC

Quoy, Madame, si tard n’estre pas retirée ?
Pendant qu’un plein repos regne dans vos Etats,
Vous qui le procurez, vous n’en joüissez pas !
Donnez quelque relâche au soin* qui vous devore.
540 Vous exposez des jours que l’Univers adore.

ELISABETH

L'interest de l’Etat m’impose cette loy.
Je me dois toute à luy puis qu’il est tout à moy.
Quelque soin que je prenne, il est toûjours des Traistres
Qui suivent à grands pas leurs coupables Ancêtres.
545 Vous qui ne craignez point qu’on vous manque de foy,
Sans avoir mes raisons, vous veillez comme moy.
Avez-vous eu du Ciel un plus grand privilege ?

LE DUC DE NORFOLC

Aux rigueurs du destin quelle vie exposay-je,
Madame ? Et que m’importe, enfin, par quel secours,
550 Du malheur qui me suit je termine le cours ?
A qui depuis six mois mes jours sont-ils utiles ?
Je ne donne à l’Etat que des desirs steriles.
Depuis que ma conduite est suspecte à vos yeux,
Par tout où je me voy je me trouve odieux : {p. 23}
555 Et pousuivy par tout du remors qui me gesne*
De ne plus meriter les bontez de ma Reine,
On doit peu s’étonner, quand tout m’ose trahir,
S'il n’est point de repos dont je puisse joüir.
Pour vous, de qui les jours tout rayonnans de gloire,
560 De tant d’heureux succez embelliront l’Histoire,
Vous ne pouvez, Madame, en avoir trop de soin ;
Conservez-les long-temps, le Trône en a besoin.
Plus un Regne si doux nous étale de charmes,
Plus à nostre tendresse il en coûte d’allarmes.
565 Le mal le plus leger que vous puissiez avoir
Sur nos fronts desolez peint nostre desespoir.
Preferez le repos à vos soins politiques.
Demain vous vous rendrez aux affaires publiques.
Demain…

ELISABETH

C'est assez, Duc. Vostre zele est si grand
570 Qu'on ne peut resister à ce qu’il entreprend.
Je viens de reconnoistre à ce conseil sincere
Que malgré mes soupçons je vous suis toûjours chere :
Et que je ne pouvois pour mon propre bon-heur
En de plus dignes mains déposer ma faveur.
575 Je vous la rends. Demain, pour joüir de ma grace
Reprenez au Conseil la principale place.
Je vous fais aprés moy le premier en tout lieu.
Meritez mes bienfaits par vostre zele. Adieu.
En sortant.
Le Perfide est contraint, ma presence le gesne*.
{p. 24}

SCENE IV §

LE DUC DE NORFOLC, seul.

580 Me trompez-vous mes sens ! Ay-je entendu la Reine !
Quelle profusion* fait-elle en ma faveur !
Et que luy reste-t-il à m’offrir que son cœur ?
Pour prix de ses bienfaits faut-il estre infidele ?
Pardon, belle Stuard, si mon ame chancelle :
585 Et si pour un moment, ébloüy d’un faux jour,
Le devoir dans mon coeur a fait taire l’amour.
Eh ! n’ay-je pas juré que je perdrois la vie
Avant que de souffrir qu’elle vous fût ravie ?
Je vous tiendray parole, ou mon sang répandu
590 Aura fait pour le moins tout ce qu’il aura dû.
Heureux si par ma mort la vostre differée...

SCENE V §

Le Duc de Norfolc, Euric.

EURIC

Dans son Appartement la Reine est retirée,
Seigneur ; & tout conspire à remplir vos souhaits.
Nous sommes asseurez des portes du Palais.
595 D' Ecossois genereux une Troupe intrepide
Doit servir à sa Reine & d’escorte & de guide.
Ces momens fortunez ne se retrouvent pas.

LE DUC DE NORFOLC

{p. 25}
De la Reine captive allez haster les pas.
Je vous attends.

SCENE VI §

LE DUC DE NORFOLC, seul.

O Ciel ! voy pour qui je t’implore.
600 Avant que dans ce lieu tu rameines l’aurore
Attends qu’un long espace entre la Reine & nous
Ait mis ce que j’adore à couvert de ses coups.
Sauve de sa fureur une Reine si belle.
Je suis trahy, sans doute, Euric revient sans elle.

SCENE VII §

Le Duc de Norfolc, Euric.

LE DUC DE NORFOLC

605 A la Reine d’Ecosse a-t-on manqué de foy ?
Parlez, Euric.

EURIC

Seigneur, elle vient aprés moy.
Touché de la frayeur dont son ame est atteinte,
Je devance ses pas pour dissiper sa crainte.
Un peu d’émotion meslée à ses attraits
610 Vous la va faire voir plus belle que jamais.
{p. 26}

SCENE VIII §

Le Duc de Norfolc, Marie Stuard, Euric, gardes.

LE DUC DE NORFOLC

Venez, venez, Madame...

MARIE STUARD

Ah ! Duc que j’apprehende
De vous rendre funeste une bonté si grande !
Si la Reine en secret fait observer nos pas,
En voulant me sauver ne vous perdez-vous pas ?

LE DUC DE NORFOLC

615 Vos jours en seureté, quoy que je puisse craindre,
Mon sort sera trop beau pour chercher à m’en plaindre.
Profitons du secours que nous offre la nuit.
Sortons, Madame...O Ciel ! d’où vient un si grand bruit ?

MARIE STUARD

Quelle disgrace* ! Ah Duc, vostre perte est certaine.
{p. 27}

SCENE IX §

Killegre, Marie Stuard, le Duc de Norfolc, Euric, gardes.

KILLEGRE

620 Hola, Gardes ? A moy : l’on veut trahir la Reine.

LE DUC DE NORFOLC

Ouvre les yeux, de grace, & voy ce que tu fais.
Le bras que tu saisis t’a comblé de bienfaits.
C'est le Duc de Norfolc, qui cent fois...

KILLEGRE

Il n’importe.
Je suis Sujet, Seigneur, & ce devoir l’emporte.

SCENE X §

Elisabeth, Marie Stuard, le Duc de Norfolc, Lancastre, Killegre, Euric, gardes.

ELISABETH

625 Quel desordre, si tard, ose-t-on faire icy ?
C'est vous Duc ! Juste Ciel ! mon Ennemie aussi !

MARIE STUARD

{p. 28}
Qui, moy, vostre ennemie ! Eh, Madame...

ELISABETH

Ah le Traistre !
Enfin, Ingrat, enfin, tu t’es donc fait connoistre ?
A démentir mes yeux ose appliquer tes soins.
630 Ce sont, pour ton malheur, de fideles témoins.
Ils ont veu ton faux zele ; & combien ma presence
Coûtoit d’inquietude à ton impatience :
Ces yeux qui pour les tiens n’ont jamais eu d’appas,
Ont veu ta perfidie, & verront ton trépas.
635 Je t’avois averty que je sçavois des Traistres
Qui suivoient à grands pas leurs coupables Ancêtres :
Et c’en estoit assez pour te faire sentir
Que je voulois ta mort moins que ton repentir.
Gardes, sans balancer, entraînez ce Perfide.
640 Il faut que de son sort ma vengeance decide.

MARIE STUARD

Songez-vous aux remors que vous vous preparez ?

ELISABETH

Qu'on les mette tous deux en des lieux separez.
Ces coupables Amans trouveroient trop de charmes
A pouvoir l’un de l’autre adoucir les alarmes :
645 Jusqu’au moment fatal où l’on doit les punir
Laissons au desespoir à les entretenir.
à Euric.
Vous, dont le zele ardent vient icy de paroistre,
Qui pour m’estre fidele avez trahy ce Traistre,
Ayez soin d’assembler demain à mon réveil
650 Les Pairs accoûtumez à tenir mon Conseil.

Fin du second Acte.

ACTE III §

SCENE PREMIERE §

Elisabeth, Lancastre.

LANCASTRE

Non, Madame, les Pairs ne viennent point encore.
Vous vous estes levée aussi-tost que l’Aurore.
Tant qu’a duré la nuit vostre esprit agité
N'a laissé nul repos à vostre Majesté.

ELISABETH

655 A-t-on donné mon Ordre ? Amene-t-on le Traistre ?

LANCASTRE

Oüy, Madame, à l’instant vous l’allez voir paroître.

ELISABETH

Et les Comtes ?

LANCASTRE

Madame, ils vont entrer tous deux.

ELISABETH

Pour immoler le Duc je veux m’asseurer d’eux.
Ils ont pour ce Perfide une haine mortelle .
{p. 30}

SCENE II §

Elisabeth, le Comte de Morray, le Comte de Neucastel, Lancastre.

ELISABETH

660 Comtes, depuis long-temps je connois vostre zele.
Vos voeux les plus ardents vont au bien de l’Etat ;
Et d’un ingrat Sujet vous sçavez l’attentat.
Contente de vos soins, & Princesse équitable,
Je vous fais tous deux Pairs, & Juges du Coupable.
665 Il vient. Souvenez-vous que ce Billet fatal
L'accuse, le convainc* d’un crime capital :
Et que Traistre, une fois, il est de la justice
D'empêcher desormais que l’Ingrat me trahisse.
Allez.

SCENE III §

Elisabeth, le Duc de Norfolc.

ELISABETH

Elle fait signe aux Gardes de se retirer.
Approchez, Duc. Si le Ciel l’eût permis
670 Vous alliez contre nous servir nos Ennemis. [S i 31]
Si le Duc de Norfolc nous declaroit la guerre,
Contre un Heros si grand que feroit l’Angleterre ?
Qui prendroit son party dans un pareil malheur,
La voyant attaquée avec tant de valeur ?
675 Le Ciel, qui des Etats prend toûjours la conduite,
A veu trop de peril à souffrir vostre fuite.
Il a mis un obstacle avec juste raison...

LE DUC DE NORFOLC

Madame, un tel discours n’est guere de saison.
Cette foible valeur dont je voy qu’on se jouë
680 N'a rien fait jusqu’icy que la gloire n’avouë ;
Et pour nous épargner des discours superflus,
Vostre Etat chancelloit, & ne chancelle plus.
La mort qu’on me prepare est le digne salaire...

ELISABETH

Et qu’as-tu fait, Ingrat, qu’un autre n’eût pû faire ?
685 Quel autre encor plus loin n’eût porté ses exploits
Si je l’eusse honoré de tes mêmes Emplois ?
Ne me reproche point quelque foible Victoire
Dont je faisois du bruit pour te combler de gloire,
Tant je goûtois de joye à trouver un moyen
690 De t’acquerir un nom qui fut digne du mien.
Tout autre que toy, lâche, auroit plus fait, peut-estre ;
Et n’auroit pas acquis l’infame nom de Traistre.

LE DUC DE NORFOLC

Au gré de vostre haine avancez mon trépas ;
Mais de noms odieux ne me noircissez pas.
695 En quelque lieu du monde où l’on m’ait veu paroître
Jamais à mon devoir on ne m’a trouvé Traître :
C'est un crime trop bas au rang où je me voy,
Pour tenter la vertu d’un homme tel que moy.

ELISABETH

Et quand d’une Princesse odieuse, coupable,
700 Je te nommay le Juge, & te crûs équitable, {p. C 32}
Séduit par le pouvoir de ses honteux appas ;
Pour luy sauver le jour ne me trahis-tu pas ?
Les Pairs qui depuis toy l’ont mieux examinée ;
D'une commune voix l’ont d’abord condamnée.
705 En donnant cet Arrest n’ont-ils pas consulté...

LE DUC DE NORFOLC

Oüy, Madame, vos vœux, & non pas l’Equité.
Pour moy qui ne cherchois qu’à vous montrer mon zele
Dans le funeste employ que je receus contr'elle,
Et qui par vos discours instruit de sa fureur,
710 Avois conceu pour elle une invincible horreur :
Contre tous ses appas m’étant mis en deffence
Sa beauté sur mon coeur n’eut aucune puissance
Et ma severité repoussant tous ses traits
Envisageoit son crime & non pas ses attraits.
715 Pour le mieux découvrir, vous le sçavez, Madame,
Je voulus penetrer dans le fond de son ame :
Mes souhaits sur ce point furent tous accomplis :
Et j’en developpay jusqu’aux moindres replis.
Qu'y trouvay-je ? Parlons, la Verité l’ordonne.
720 Loin d’aucun attentat contre vostre Couronne ;
Loin d’une avidité de verser vostre sang
Pour s’ouvrir une voye à vostre auguste rang ;
Je trouvay dans l’opprobre une Reine incapable
De former un desir qui pût estre coupable.
725 Je trouvay la Vertu que l’on tyrannisoit
Sans se plaindre un moment des maux qu’on luy faisoit.
Je vis la cruauté, le mensonge, la haine,
Poursuivre le trépas d’une innocente Reine,
Qui préferant la gloire à de fragiles biens,
730 Pour conserver vos jours eût donné tous les siens :
Enfin, je fus surpris, dans cette conjoncture,
De voir tant d’injustice, & si peu de murmure* ;
Et mon coeur de retour de sa prévention
Ne put se refuser à la compassion. {p. 33}
735 Je ne présumois pas qu’une Princesse Illustre
M'eût confié son Nom pour en ternir le lustre,
Et par quelle raison l’aurois-je présumé ?
A flatter l’injustice estois-je accoûtumé  ?
J'ay tâché, les effets* ont dû vous en instruire,
740 D'augmenter vostre gloire, & non de la détruire.
Mon corps percé de coups vous est un seur garent
Qu' entre vos Pairs & moy le zele est different.
Ces Pairs, qui vers le crime ont des pentes rapides,
De vostre sang, peut-estre, un jour seront avides.
745 Quel exemple, Madame, allez-vous essayer ?
Et quel affreux chemin leur faites-vous frayer ?
Assassins d’une Reine, à la moindre querelle,
Ils feront contre vous ce qu’ils ont fait contr'elle :
Et ce crime impuni va suffire aux Anglois
750 Pour les autoriser à proscrire leurs Rois.

ELISABETH

Va, tu noircis en vain des Juges équitables.
Jamais de perfidie ils n’ont esté coupables.
Animez d’un pur zele ils periroient pour moy
Si j’avois fait pour eux ce que j’ay fait pour toy.
755 Est-il quelque grandeur que je t’aye interdite ?
Jusques dans tes deffauts je trouvois du merite.
Si le Trône à tes yeux eût offert des appas
Pour t’y faire monter je te tendois les bras.
Mon coeur que tu charmois, avide de te plaire,
760 Te montroit le chemin qui te restoit à faire.
Je t’aimay : Je fis plus, je t’en fis un aveu
Qui me coûta beaucoup, & qui te toucha peu.
Voy maintenant, voy, lâche, où tu te precipites :
Voy quel estoit ton choix, & voy ce tu quittes :
765 Envisage de prés, pour t’accabler d’ennuis,
L'Echaffaut qui t’attend & le Trône où je suis.
Quelle indigne Beauté vient de te rendre traistre !
Proscrite, abandonnée...

LE DUC DE NORFOLC

{p. C ij 34}
Et devroit-elle l’estre ?
Quel spectacle à nos yeux allez-vous étaller,
770 Madame ? Et que de droits faites-vous violer ?
De quelles Nations obtiendrez-vous l’estime ?
On opprime une Reine, & vous souffrez ce crime !
D' une injuste poursuite on n’est pas à couvert
Dans l’Azile sacré que vous avez offert !
775 Lors qu’à quitter son Trône elle se vit réduite,
Estoit-ce en Angleterre où l’addressoit sa fuite ?
Pour l’attirer à vous ne jurâtes-vous pas
De la rendre paisible au sein de ses Etats ;
Et de faire à l’Ecosse une guerre immortelle
780 Si jamais à sa Reine elle estoit infidelle ?
Qui de vostre injustice auroit eu du soupçon ?
Vous avez oublié cette auguste Leçon
Que si la Verité si souvent violée,
Pour le malheur du monde en estoit exilée,
785 Il faudroit qu’en tout temps par un glorieux choix
Elle se retrouvât dans la bouche des Rois.

ELISABETH

Laisse-là mon devoir & songe au tien, Perfide :
Ton trépas...

LE DUC DE NORFOLC

Son aspect* n’a rien qui m’intimide :
Souvent pour vostre gloire ou pour vos interests
790 Contre vos Ennemis je l’ay veu d’assez prés ;
Et pour la Verité, qui m’est cent fois plus chere,
Quelque honteux qu’il soit il ne m’allarme guere
C'est elle qui m’oblige à jurer à vos yeux
Que sans trahir l’Etat j’abandonnois ces lieux.
795 Arracher au suplice une Reine innocente
Ce n’est pas un forfait dont mon coeur se repente.
Je jure que tranquile en son funeste sort
Sans se plaindre de vous elle attendoit la mort :
Que touché du malheur où vous l’avez réduite,
800 Sans avoir son aveu je menageay sa fuite ;
Qu'à ce dessein fatal, que le Ciel a rompu {p. 35}
Elle s’est opposée autant qu’elle l’a pû :
Que jamais de mon coeur un desir temeraire
N'a fait connoistre au sien qu’il cherchât à luy plaire :
805 Que mon respect pour elle égale ses appas ;
Et qu’enfin si je l’aime elle ne le sçait pas .

ELISABETH

Du plus énorme crime avoir esté capable
C'est donc envers l’Etat ne pas estre coupable ?
Et de mon coeur tranquile avoir troublé la paix,
810 Ce n’est pas à ton gré le plus noir des forfaits ?
De ton sang odieux tu me vois plus avide
Que tu ne fus Ingrat, que tu ne fus Perfide ;
Deux fois digne de mort que n’est-il à mon choix
De te faire à mes yeux mourir autant de fois !
815 Au moins ma volonté, qu’il faut qu’on accomplisse,
Est que pour chaque crime on invente un suplice ;
Et que par des tourmens dont tu n’expires pas
Tu sentes à loisir les horreurs du trépas.

LE DUC DE NORFOLC

Hé bien, assouvissez vostre cruelle envie.
820 Au lieu des tourmens laissez durer ma vie.
Par l’espoir du salaire animez vos Bourreaux
A me faire éprouver des supplices nouveaux.
Je n’ay pas attendu que ma mort fût si proche
Pour m’avoüer Ingrat & m’en faire un reproche :
825 Mais né vostre Sujet, nourry dans vostre Cour,
Mon respect, malgré moy, m’interdisoit l’amour.
Tandis que de mon sang j’ay pû payer vos graces
Par tout où l’on m’a veu j’en ay laissé des traces :
Et ma reconnoissance écrite en tant de lieux
830 Asseure à ma memoire un destin glorieux.
Si mon coeur qu’avec soin vous cherchez à confondre,
A vos tendres bontez n’a pû si bien répondre ; {p. C iij 36}
Si par d’autres attraits il s’est laissé toucher,
C'est tout ce qu’à ma foy vous pouvez reprocher.

ELISABETH

835 C'est tout ce qu’à ta foy je puis reprocher, Traître !
Voy cette Lettre, voy. Peux-tu la meconnoistre?
Elle lit.
Sauvez le sang de tant de Rois
Que s’appreste à répandre une main odieuse :
Pour s’immortaliser on ne peut faire choix
840 D'une action plus glorieuse.
Resolus de prester la main
A vostre genereux dessein,
De nos meilleurs Vaisseaux la mer sera couverte :
Et s’il faut dans la suite un plus puissant secours,
845 Nous finirons la paix, & ferons guerre ouverte,
Pour asseurer de si beaux jours .
Elle continuë
Tu pâlis, malheureux, & ton crime t’allarme
Cette coupable Lettre est du Prince de Parme.
Ridolf, ce Confident par toy-même choisi,
850 Arresté de ma part s’en est trouvé saisi.
Que peux-tu m’opposer pour détruire ce crime ?

LE DUC DE NORFOLC

Rien. Ce Billet surpris rend ma mort legitime.
Non que prest à mourir en Victime d’Etat
Je puisse estre accusé d’aucun autre attentat
855 Que d’avoir essayé d’obtenir un azile
Où la Reine d’Ecosse eût un abry tranquile ;
Examinez l’Ecrit qui paroît à vos yeux :
Examinez...

ELISABETH

Les Pairs l’examineront mieux :
Ils doivent s’assembler dans la Salle prochaine. {p. 37}
860 Comme ta trahison ma vangeance est certaine.
Pour en joüir plûtost je veux dés ce moment
Exposer ma Rivale au plus cruel tourment.
aux Gardes.
Hola ? Faites venir la Reine prisonniere.
Ma joye en t’accablant ne seroit pas entiere
865 Si le même courroux qui termine ton sort
Luy laissoit ignorer ma vangeance & ta mort.
C'est un plaisir pour moy qu’aucun autre n’égale
De trouver cette voye à punir ma Rivale ;
Et puis qu’on ne peut rompre un si honteux lien,
870 De te percer le coeur pour mieux trouver le sien.
Je sçay que ton malheur luy va coûter des larmes ;
Que c’est à ton amour offrir de nouveaux charmes ;
Mais de ma cruauté ce sont les derniers traits :
Plus tu seras sensible à ce qu’elle a d’attraits,
875 Plus au gré de mes voeux la mort qui t’en separe
A ton coeur attendry va paroistre barbare.
Voicy cette Beauté si digne de ton choix :
Montre-luy ton amour pour la derniere fois.
Gardes, laissez-les seuls ; & maistres de la porte,
880 Empêchez seulement qu’aucun n’entre ou ne sorte.
Il y va de vos jours à répondre des leurs .

SCENE IV §

Marie Stuard, le Duc de Norfolc.

MARIE STUARD

He bien, Duc, vos bontez augmentent mes malheurs. {p. C iiij 38}
Quelle fatalité vous inspira l’envie
De prodiguer vos jours pour conserver ma vie ?
885 J'ay fait ce que j’ay pû pour vous en empêcher ;
Et tout ce que j’ay fait ne vous a pû toucher.

LE DUC DE NORFOLC

J'attendrois le trepas, l’ame ferme & tranquile,
Si mon sang répandu vous devenoit utile ;
Mais tel est de mon sort* l’inflexible courroux
890 Que je me sacrifie, & ne fais rien pour vous.
Que dis-je ? c’est moy seul dont le secours funeste
Fait que dans ce moment nul espoir ne vous reste.
Si jamais de vos jours je n’avois pris le soin
Peut-estre vostre mort seroit-elle encor loin.
895 Le Ciel qui dans nos coeurs voit tout ce qui se passe,
Du zele qui m’anime a condamné l’audace ;
Et n’a pû consentir que vous dûssiez vos jours
Aux efforts impuissans d’un si foible secours.

MARIE STUARD

Si le Ciel équitable à ma fuite s’oppose
900 De son juste courroux je suis la seule cause :
Innocente à vos yeux de meurtres, d’attentats,
Il est d’autres forfaits dont je ne le suis pas .
Pour vous, qui renoncez au rang le plus auguste
Lors qu’il faut y monter par une voye injuste ;
905 Vous, qui de la faveur si long-temps revétu
N'eûtes pour ennemis que ceux de la vertu ;
Qui de tous les bienfaits dispensateur fidele,
Des Ministres d’Etat devinstes le modele ;
Et laissâtes à tous l’exemple genereux
910 De répandre les dons qu’ils retiennent pour eux :
Vous, enfin, qui sans fraude ayant esté mon Juge
Vouliez à l’innocence asseurer un refuge,
Quel crime avez-vous fait pour souffrir le trépas ?

LE DUC DE NORFOLC

Madame, j’en sçais un que je ne vous dis pas.
915 Si vous aviez appris ce crime qui vous touche
Il seroit condamné de vostre propre bouche : {p. 39}
Et j’ay peur qu’avec moy vous ne fussiez d’accord
Que l’on me rend justice en me donnant la mort.
Tant que vostre bonté présume qu’on m’opprime
920 Je me flatte en mourant d’emporter vostre estime ;
Et si j’avois parlé, vos mépris éclatans
Joindroient trop d’amertume au trépas que j’attens.

MARIE STUARD

Moy des mépris ! Ah Duc, qu’un tel soupçon m’offence !
Je puis manquer de tout, hors de reconnoissance.
925 C'est moy qui vous expose aux mouvemens jaloux...

LE DUC DE NORFOLC

Et qu’est-il de plus beau que de mourir pour vous,
Madame ? A quelque affront qu’Elisabeth me livre,
Pour un plus grand Sujet puis-je cesser de vivre ?
Des Peuples à venir vostre Nom respecté
930 Va mettre pour jamais le mien en seureté.
Heureux si le destin qu’il faut que je subisse
Quand de mes tristes jours je fais un sacrifice,
Me peut faire expier par un trépas si doux
Le crime que j’ay fait de soûpirer pour vous.

MARIE STUARD

935 O Ciel !

LE DUC DE NORFOLC

Vous jugez bien qu’il m’eût esté facile
De supprimer l’aveu d’une ardeur inutile,
Si je n’eusse esperé que d’un crime si grand
J'obtiendrois le pardon, au moins en expirant.
Le temps que je choisis pour parler de ma flâme
940 Montre qu’aucun dessein n’est entré dans mon ame,
Et que de vos appas le pouvoir absolu
A fait aller mon coeur plus loin qu’il n’a voulu.
J'ay brûlé, j’ay languy ; j’ay plus fait, j’ay sceu taire {p. C v 40}
Cet amour malheureux, ce crime involontaire ;
945 Et j’attens par respect à vous le faire voir
Qu'un trépas asseuré m’interdise l’espoir.

MARIE STUARD

A quelque ignominie où l’on m’ait condamnée
Je n’ay point oublié de quel sang je suis née :
Pour en trouver la source en mes premiers Ayeux
950 Il faudroit remonter jusqu’au temps des faux Dieux.
Et le reste d’un Sang dont la source feconde
A depuis deux mille ans donné des Rois au monde,
Au rang le plus sublime a d’assez justes droits
Pour devoir n’écouter que les soûpirs des Rois.
955 Je ne m’attendois pas, pour surcroît de misere,
Au surprenant aveu que vous venez de faire :
Pour essuyer du sort les plus rigoureux coups
Il ne me restoit plus qu’à me plaindre de vous.
Si vostre coeur sensible au malheur qui m’opprime
960 A pris en ma faveur des sentiments d’estime ;
Si des attraits proscrits vous ont fait soûpirer ;
Quel moment prenez-vous pour me le declarer !
Si d’un feu qui me perd j’eusse esté mieux instruite
Me serois-je avec vous exposée à la fuite ?
965 Ce que la médisance osera publier
Chez tous les Rois voisins va me calomnier.
On dira que le Juge épris de la Coupable
A l’objet de ses feux s’est montré favorable ;
Et que dans un Arrest qu’un tel Juge a dicté
970 L' Amour eut plus de part que n’en eut l’Equité.
Ah Duc, qui dans mes maux avez veu ma constance,
Quel indice* cruel contre mon innocence !
Quelque juste envers moy qu’ait esté vostre Arrest
L'amour auprés d’un Juge est un grand interest.
975 Que ne chassiez-vous, Duc, cet amour de vostre ame ?
Que ne bannissiez-vous... {p. 41}

LE DUC DE NORFOLC

Et l’ay-je pû, Madame ?
Si les hautes vertus ont droit de tout charmer
Estoit-il à mon choix de ne pas vous aimer ?
Tant que j’ay de la Reine ignoré l’injustice
980 De sa haine pour vous on m’a veu le complice :
Ennemy des forfaits qu’on vous ose imputer
Je trouvois de la gloire à vous persecuter.
Enfin, Madame, enfin, s’il faut parler sans feindre,
D'un Juge prévenu vous aviez tout à craindre ;
985 Et pour estre Innocente à des yeux corrompus
Il ne faloit pas moins que toutes vos vertus.
D'abord que leur éclat eut desillé* ma veuë
D'une secrette horreur j’eus long-temps l’ame émeuë ;
Et contre Elisabeth un violent courroux
990 Me déguisa l’ardeur que je sentois pour vous.
Plus entre vous & moy le Ciel mit de distance
Moins à vous offenser je voyois d’apparence :
Sur la foy d’un respect qui ne me quittoit pas,
J'adorois vos vertus, j’admirois vos appas :
995 Si j’eusse osé prévoir qu’ils pouvoient me surprendre,
En fuyant le peril j’aurois sceu m’en deffendre ;
Mais vostre auguste Rang, & mon cruel devoir
Sembloient me dispenser de craindre & de prévoir.
Je croyois estre seur en cherchant à vous plaire,
1000 Que mon zele tout seul m’obligeoit à le faire ;
Et j’ignorois, Madame, en prenant ce party,
L'amour le plus puissant qu’on ait jamais senty.
Tout pur qu’est cet amour mes desirs ne prétendent... {p. C vj}
{p. 42}

SCENE V §

Killegre, Marie Stuard, le Duc de Norfolc.

KILLEGRE

Les Pairs sont assemblez, Seigneur, & vous attendent.
1005 On me vient d’ordonner dans le même moment
De vous faire rentrer dans vostre Appartement,
Madame.

LE DUC DE NORFOLC

Adieu, Madame. Une autre destinée
Termine de vos jours la course infortunée.
Quels que soient les tourmens qui me sont preparez
1010 Mes maux les plus cruels sont ceux que vous aurez,
Que la mort qui m’attend seroit digne d’envie
Si le jour que je perds vous conservoit la vie !
Mais du sort le plus rude éprouvant le courroux
Pour tout fruit de mes soins je meurs hay de vous.
1015 Ne me condamnez pas au plus grand des suplices :
Vos vertus de mon crime ont esté les complices :
En vain à mon respect je m’estois confié ;
Séduit par leur pouvoir je me suis oublié.
Peut-estre que la Reine aprés mon sort funeste
1020 De vos jours precieux épargnera le reste.
Puisse le juste Ciel en finissant les miens
Vous affranchir de maux & vous combler de biens.

MARIE STUARD

Puisse du juste Ciel la sagesse profonde
Qui vous oste avant moy des miseres du monde ,
1025 Pour remplir mon attente, & mes voeux les plus doux,
M'appeller à la mort un moment aprés vous.

Fin du troisième Acte.

{p. 43}

ACTE IV §

SCENE PREMIERE §

Le Duc de Norfolc, le Comte de Neucastel, gardes.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Oüy, Seigneur, je vous plains, une cheute si prompte...

LE DUC DE NORFOLC

D'un homme tel que toy la pitié me fait honte.
Retire-toy.

LE COMTE DE NEUCASTEL

La Reine attend l’Ordre sacré
1030 Dont sa main autrefois vous avoit honoré.
Cette pompeuse Marque, en ce lieu si cherie,
Sous le fer d’un Bourreau luy sembleroit flétrie.
Elle m’envoye exprés pour vous la demander.

LE DUC DE NORFOLC

Mon sort est d’obeïr, le sien de commander.
1035 Pour en faire un present que l’avenir abhorre,
De cette illustre Marque il faut qu’elle t’honore :
Ton zele pour l’Etat la rend digne de toy :
Tu luy viens d’immoler ton honneur & ta foy :
Aprés ce coup d’essay, ton penchant vers le crime
1040 Te peut faire prétendre au rang le plus sublime ; {p. 44}
Toy qui né dans la boüe y serois demeuré
Si ma compassion ne t’en eût retiré.
Tien, reporte à la Reine un present, qui sans doute,
Devoit m’appartenir par le sang qu’il me coûte :
1045 Et pour joüir en paix de ton malheureux sort
Haste, si tu le peux, les momens de ma mort.
Tout méchant que tu sois, quelque effort que tu fasses,
Tu ne peux en un jour oublier tant de graces :
De mes bienfaits passez le souvenir present
1050 Est un bourreau secret dont tu n’es pas exemt.
Encor un coup, croy-moy, fais haster mon supplice.
Je t’en cause un trop grand si tu te rends justice :
Des crimes de ta vie acheve le plus noir ;
Et ne m’expose plus à l’horreur de te voir.
1055 Gardes, je voudrois bien dans mon malheur extreme,
Pouvoir quelques momens refléchir sur moy-même.
Dans un lieu plus tranquile accompagnez mes pas.
Sa presence est pour moy pire que le trépas.

LE COMTE DE NEUCASTEL

O Ciel ! à quelle honte aujourd’huy je m’expose !
{p. 45}

SCENE II §

Le Comte de Morray, le Comte de Neucastel.

LE COMTE DE MORRAY

1060 A prevenir* nos voeux la Reine se dispose.
Tantôt dans la chaleur d’un aveugle courroux,
Pour condamner le Duc elle a fait choix de nous :
Seure que nostre voix à ses desirs propice
Suivroit sa passion plûtost que la justice.
1065 Quatre austeres Vieillards, consommez dans les Loix,
Dont jamais la faveur n’a corrompu la voix,
Auroient pû le soustraire à ce destin funeste
Si je n’avois eu l’art de seduire le reste ;
Et de leur arracher leurs suffrages douteux
1070 Par de legers bienfaits que j’ay versé sur eux.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Je ne puis plus, Seigneur, faire un pas en arriere
Il faut que malgré moy j’acheve ma carriere.
Aprés mille bienfaits honteusement déceus*,
J'assassine un Heros dont je les ay receus.
1075 Avant que de vous voir je détestois le crime ;
Vous m’avez fait braver la honte qu’il imprime ;
Un appas de grandeur a corrompu ma foy :
Et si vous l’oubliez lors que vous serez Roy,
De Mechant à Mechant, quoy que l’on se promette,
1080 L'union la plus forte est toûjours imparfaite ;
Et jusques sur le Trône où vous serez assis
Vous me feriez raison de mes forfaits trahis. {p. 46}
Une belle action offre au moins pour salaire
A celuy qui la fait, le plaisir de la faire :
1085 Mais des crimes perdus ne laissent aprés eux
A qui les a commis qu’un desespoir affreux.

LE COMTE DE MORRAY

Quelle indigne pitié vous émeut, vous allarme ?
Quoy dés le premier crime un remors vous desarme !
Est-ce un prix trop abject pour vous encourager
1090 Que l’espoir glorieux d’un Trône à partager ?
Ne donnons pas le temps à l’amour de la Reine
D'examiner l’Arrest qu’a fait rendre sa haine .
Pendant que son courroux l’aveugle, & la séduit,
Asseurons nostre crime, & cueïllons-en le fruit.
1095 Pour immoler le Duc la hache est déja preste.
Allez secrettement faire tomber sa teste ;
Pendant que de ma Sœur, sujette aux mêmes loix,
J'iray sonder l’esprit pour la derniere fois.
Quand je perds mon Rival, une fureur égale
1100 Semble animer la Reine à perdre sa Rivale ;
Et peut-estre ce jour ne se passera pas
Sans estre signalé par un double trépas.
J'ay déja fait...

LE COMTE DE NEUCASTEL

Seigneur, je voy venir la Reine.
{p. 47}

SCENE III §

Elisabeth, le Comte de Morray, le Comte de Neucastel, gardes.

ELISABETH

Ne vous opposez pas au penchant qui m’entraîne,
1105 Comtes. Quelque fierté que m’inspire mon sang
Le repos de mon coeur m’est plus cher que mon rang.
Pour éteindre une ardeur que j’ay laissé trop croître,
A de nouveaux mépris je veux forcer un Traistre.
Faites venir le Duc, Gardes.

LE COMTE DE MORRAY

Que faites-vous,
1110 Madame ?

ELISABETH aux Gardes.

Obeïssez, ou craignez mon courroux.

LE COMTE DE MORRAY

Vous fremissez pour luy du sort qui le menace :
Et s’il pousse un soûpir il obtiendra sa grace,
Madame.

ELISABETH

S'il l’obtient, vous sçaurez à quel prix,
Et peut-estre tous deux en serez-vous surpris.
1115 Jamais contre l’ingrat je ne fus plus émeuë.
Je demande à le voir, & j’abhorre sa veuë.
Tantôt à ma douleur ne pouvant resister
De son coupable amour je cherchois à douter :
Je l’ay joint à l’objet pour qui son coeur soûpire, {p. 48}
1120 Dans l’espoir que la mort l’alloit faire dédire ;
Ou que dans un Palais plein d’un nom redouté,
L'Infidelle, du moins, craindroit d’estre écouté.
Mais, méprisant la mort, & bravant ma puissance,
Rien n’a pû le contraindre à garder le silence.
1125 De l’air tendre & touchant dont il s’est exprimé ,
Jamais de plus d’amour on ne fut enflâmé.
L'Ingrat, qui me prefere une indigne Rivale,
Trouvoit-il dans ses fers une fortune égale ?
Elle le fait mourir : & je l’aurois fait Roy,
1130 Si ce qu’il sent pour elle il l’eût senty pour moy.
Le voicy . Demeurez. Quoy que son air menace,
Je veux de ce Perfide humilier l’audace :
Et pour peu qu’il s’échape à braver mon courroux,
Pour me vanger de luy j’auray besoin de vous.

SCENE IV §

Elisabeth, le Duc de Norfolc, le Comte de Morray, le Comte de Neucastel, gardes.

ELISABETH

1135 Un reste de bonté dont s’indigne mon ame,
Me fait faire des pas* que j’ay peur qu’on ne blâme.
Ceux que noircit le crime, & qu’ont proscrit les loix
Soüillent de leur aspect la Majesté des Rois.
Je passe en ta faveur pardessus ces maximes,
1140 Quelque horreur que pour toy m’ayent inspiré tes crimes :
Et pour recompenser d’assez foibles Exploits {p. 49}
Je veux fermer les yeux sur ce que je me dois.
Conçois-tu, malheureux, une infamie égale
A l’ardeur criminelle où ton coeur se ravale ?
1145 Comblé par mes bontez & de gloire & de biens
Pouvois-tu te choisir de plus honteux liens ?
Depuis deux mois entiers que des loix legitimes
Dans la Reine d’Ecosse ont puny tant de crimes,
Qu'offroit-elle à tes yeux que d’indignes attraits ?
1150 Le jour qu’elle respire est un de mes bienfaits.
J'ay pû deux mois plûtost trancher sa destinée ;
Et tu n’ignores pas qu’elle estoit condamnée.

LE DUC DE NORFOLC

Condamnée ! Eh Madame, ayez soin de* vos droits ;
Ce mot injurieux n’est point fait pour les Rois.
1155 Dans la gloire suprême où le Ciel les fait naistre,
Maistre de tous le monde ils n’ont que Dieu pour Maistre.
La Reine qu’on opprime, & dont il est l’appuy,
De tout ce qu’elle a fait n’est comptable qu’à luy.
Mais fût-elle Sujette, & non Reine absoluë,
1160 De quels crimes, Madame, est-elle convaincuë ?
Pour noircir sa memoire apprenez-les-moy tous.

ELISABETH

D'avoir fait lâchement massacrer son Epoux.
D'avoir dans mes Etats, où tout estoit tranquile,
Attenté sur mes jours, violé son azile,
1165 Attiré l’Etranger, corrompu mes Sujets.
Voila quelle est ma plainte, & quels sont ses forfaits.

LE DUC DE NORFOLC

On vous trompe, Madame, elle a l’ame trop belle :
Son plus austere* Juge est plus coupable qu’elle.
Vous souffrez, cependant, qu’on l’envoye au trépas
1170 Pour des crimes forgez, que vous ne croyez pas.
A des Pairs corrompus dont la veuë épouvante {p. 50}
Vous livrez sans scrupule une Reine innocente
Vostre haine obstinée à finir ses destins
Erige un Tribunal d’un amas d’assassins.
1175 Il en est un, Madame, où regne un autre Juge
Qui donne à l’Innocence un éternel refuge :
Le plus grand Roy du monde y paroit sans appuy ;
Et s’il n’a des vertus, rien n’y parle pour luy.
Comme il est de son Dieu la plus parfaite Image,
1180 Dans ce degré sublime il luy doit davantage ;
Et devient responsable, aprés tant de bienfaits,
Et des crimes qu’il souffre, & de ceux qu’il a faits.
Si vous pouviez, Madame, oublier vostre haine,
Et voir sans passion une adorable Reine,
1185 A de lâches Sujets sous le vice abbatus,
Devenuë odieuse à force de vertus :
Si par vos propres yeux vous vouliez la connoîstre,
Et non sur le rapport que vous en fait un Traistre,
Qui pour essay de crime a conceu sans effroy
1190 L'execrable dessein d’assassiner son Roy...

LE COMTE DE MORRAY

Imposteur ! Le respect qu’icy vous devez rendre...

ELISABETH

C'est un desesperé qui ne sçait où se prendre.
Pour se vanger de vous, qui l’avez condamné,
Il voudroit avec luy vous avoir entraîné.
1195 Effrayé du peril que son crime luy montre
Il s’attache en coupable à tout ce qu’il rencontre ;
Et loin que le Perfide implore ma pitié
Il croit par un mensonge estre justifié.

LE DUC DE NORFOLC

Et de quelle pitié vous croiray-je capable
1200 En faveur d’un Sujet que vous trouvez coupable,
Si d’une Reine auguste, à qui le sang vous joint,
L'innocence est connuë, & ne vous touche point ?
Prest à perdre le jour, si je parle pour elle {p. 51}
Ce n’est point en Amant, c’est en Sujet fidele,
1205 Qui voudroit en mourant vous pouvoir dérober
Au crime où malgré vous on vous force à tomber.
Jusqu’icy vostre Regne heureux à l’Angleterre,
A porté vostre Nom aux deux bouts de la Terre ;
De l’Aurore au Couchant les plus augustes Rois
1210 Briguent vostre Alliance, ou craignent vos Exploits :
Pour rendre desormais vostre gloire immortelle
D'une Reine opprimée embrassez la querelle* :
Elle est de même rang, de même autorité,
Enfin, de même sang que vostre Majesté.
1215 De vos sacrez Ayeux laissez en paix la cendre :
C'est leur sang le plus pur qu’on s’appreste à répandre :
Du fonds de leur Cercueil ils empruntent ma voix
Pour vous representer* qu’on viole leurs droits.
Méprisez les conseils de ces petites Ames
1220 Que le courroux du Ciel a voulu rendre Infames :
Le soin de s’aggrandir* par d’injustes moyens...

ELISABETH

Je les veux suivre, Traistre, & mépriser les tiens.
Si je prends leur conseil, j’en connois la justice.
Ils m’animent* tous deux à haster ton supplice :
1225 Leur zele impatient en presse l’appareil ;
Et je n’hesite point à suivre ce conseil.
Va, lâche, va perir par une main infame :
Va prouver ta constance à l’objet qui t’enflâme ;
Et te precipitant du degré le plus haut,
1230 Va de ton sang impur rougir un Echaffaut.
Ce sang qu’en divers temps ont noircy tant de crimes,
Ce sang toûjours rebelle à ses Rois legitimes,
S'est veu pour ses forfaits par l’acier d’un Bourreau
Privé plus d’une fois des honneurs du Tombeau {p. 52}
1235 Tu serois le premier de ta race odieuse
Qu'eût rendu memorable une mort glorieuse :
Ton Pere & ton Ayeul, dont tu sçais le destin,
De la honte où tu cours t’ont frayé le chemin :
C'est sur un Echaffaut qu’ils ont cessé de vîvre ;
1240 Tu degenererois en manquant à les suivre ;
Et le remors vangeur qui suit la trahison
Fut toûjours insensible à ceux de ta Maison.

LE DUC DE NORFOLC

Madame, je ne puis, à ce torrent d’injures ,
De mon coeur qu’on déchire étouffer les murmures :
1245 Tant que vostre courroux m’a pris seul pour objet
Je ne suis point sorty du devoir d’un Sujet :
Mais quand de mes Ayeux on ternit la memoire ;
Quand de leur destinée on déguise* la gloire ;
Leur sang qui sans opprobre est venu jusqu’à moy,
1250 Me deffend de manquer à ce que je leur doy.
Mon Pere & mon Ayeul, dont vous taisez les crimes,
De leur Religion volontaires Victimes,
Prefererent les fers, la torture, la mort,
Aux appas seducteurs dont on flatoit leur sort.
1255 Voila les grands forfaits dont ils furent coupables.
Voila les trahisons dont nous sommes capables.
Voila pour quel sujet le glaive d’un Bourreau
A privé mes Ayeux des honneurs du Tombeau.
Qui voudroit d’aussi prés examiner les choses
1260 Trouveroit des Proscrits pour de plus justes causes.
Vous m’entendez.

ELISABETH

Oüy, Traistre : Et tu ne peux jamais
Faire aller plus avant ma haine & tes forfaits.
Je ne sçay rien en moy susceptible d’outrage {p. 53}
Qui de ton lâche coeur n’ait éprouvé la rage.
1265 Quand j’aurois oublié tes autres attentats,
Ta derniere insolence est digne du trépas :
Mais, Perfide, ta Reine est assez magnanime
Pour porter sa clemence aussi loin que ton crime :
T'en laisser malgré toy le honteux souvenir
1270 C'est le tourment affreux dont je veux te punir.
Ma bonté fatiguée autant qu’elle doit l’estre,
Pour la derniere fois va parler, va paroistre ;
Si tu peux concevoir quel effort je me fais
Par un effort pareil merite mes bienfaits.
1275 Prest à voir par ta mort ma vengeance assouvie,
Veux-tu ta grace ?

LE COMTE DE MORRAY

O Ciel !

LE DUC DE NORFOLC

Je ne hais point la vie.
Si vous me la laissez il me sera bien doux
De pouvoir de nouveau la prodiguer pour vous.
D'un fidele Sujet l’infatigable zele...

ELISABETH

1280 Et qui me répondra que tu me sois fidelle ?
Pour me justifier que ton zele soit gran
Une foy violée est un mauvais garent.
C’est par un grand effort qu’un grand crime s’efface ;
Et j’en veux un de toy qui merite ta grace ;
1285 Je ne te la promets qu’à ce prix.

LE DUC DE NORFOLC

Commandez.
Je puis faire encor plus que vous ne demandez.
Rien ne m’est impossible, où je voy de la gloire.
(Car par respect pour vous j’ay de la peine à croire
Que vous me commandiez pour éprouver ma foy
1290 Rien d’indigne de vous, ny d’indigne de moy.)

ELISABETH

{p. 54}
Les Pairs, dont l’Equité s’est acquis tant d’estime,
Eux, qui dans aucun rang n’autorisent le crime,
Pour rendre à l’Angleterre un plus tranquile sort
De la Reine d’Ecosse ont tous signé la mort.
1295 Ton nom manque à l’Arrest qu’on a donné contr’elle :
Et je ne croiray point que tu me sois fidelle
Qu’en qualité de Pair, zelé pour mes Etats,
Tu ne signes comme eux l’Arrest de son trépas.
Un refus échapé* rend ta perte certaine.
1300 Reponds, sans balancer.

LE DUC DE NORFOLC

Gardes, qu’on me rameine.
C’est ma réponse.

SCENE V §

Elisabeth, le Comte de Morray, le Comte de Neucastel, suite.

ELISABETH

Ah Ciel ! l’Ingrat n’hesite pas !
Ma Rivale à la mort va devancer tes pas,
Traistre. Dés ce moment pour contenter ma haine
Allez y preparer cette coupable Reine.
1305 Tant que ma lâcheté luy laissera le jour
L’Ingrat qu’elle a charmé gardera son amour.
Dût sa Teste en tombant armer toute la terre
Pour venir à grands pas fondre sur l’Angleterre,
Comte de Neucastel, ne me revoyez pas
1310 Que vous n’ayez esté témoin de son trépas.
{p. 55}

SCENE VI §

Le Comte de Morray, le Comte de Neucastel.

LE COMTE DE MORRAY

Ses ordres sont précis pour perdre sa Rivale,
Mais sa haine pour l’autre en paroles s’exhale :
Elle veut faire grace à l’objet de ses feux ;
Et s’il rentre en faveur il nous perdra tous deux.
1315 Un amour sans espoir dure peu dans une ame :
Sa Maistresse en mourrant fera mourir sa flâme ;
Et l’ayant condamné, s’il échappe au trépas
A son ressentiment nous n’échapperons pas.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Ainsi, Seigneur, ainsi pour toute recompense
1320 Nous aurons la douleur d’opprimer l’Innocence.
Ne vaudroit-il pas mieux faire un plus noble effort,
Et chercher des moyens pour détourner leur mort ?
Le Duc avec plaisir épouseroit la Reine
S’il voyoit vostre Sœur à couvert de sa haine :
1325 Et dans leurs interests les nostres confondus…

LE COMTE DE MORRAY

Ah ! perdons-les, vous dis-je, ou nous sommes perdus.
Aprés de tels affronts, quelque effort qu’on se fasse,
Il en reste une horreur qui jamais ne s’efface :
C’est par des flots de sang que l’on doit s’en laver ;
1330 Et nous avons trop fait pour ne pas achever.
Puis qu’au Trône où j’aspire une voye est ouverte {p. D 56}
De la Reine d’Ecosse allez haster la perte ;
Et laissez-moy le soin, dût-il m’estre fatal,
D’aller secretement immoler mon Rival.
1335 Que la Reine en courroux tonne, éclate, foudroye,
Il faut que de ma haine il devienne la proye ;
Et dût-elle sur moy le vanger aujourd’huy,
Je mourray sans regret si je meurs aprés luy.

Fin du quatrieme Acte.

{p. 57}

ACTE V §

SCENE PREMIERE §

Marie Stuard, Killegre, Melvin, Kenede, Albione, gardes.

MARIE STUARD à Killegre.

Quand il faudra partir je n’ay rien qui m’arreste.
1340 Allez dire à vos Pairs que leur Victime est preste ,
Et qu’à leur premier ordre ils seront obeïs ;
Quoy que par mon trépas tous les droits soient trahis.
Killegre sort.
à Melvin.
Le Comte de Morray viendra-t-il ?

MELVIN

Oüy, Madame.

MARIE STUARD

Vostre zele, Melvin, est gravé dans mon ame.
1345 Vous avez de mon sort partagé le courroux,
Et je vais au trépas sans rien faire pour vous.
Je meurs, vous le sçavez, Femme, Sœur, Fille & Mere
Des plus augustes Rois que l’Europe revere ; {p. D ij 58}
Et dans ce rang suprême il ne m’est pas resté
1350 Dequoy recompenser vostre fidelité.
Victime d’un Arrest qu’a dicté l’injustice,
L’état où je vous laisse augmente mon supplice :
Aprés un sort si rude il m’eût esté bien doux
De combler de bienfaits…Et quoy, vous pleurez tous !
1355 Témoins infortunez des malheurs de ma vie,
En voyez-vous la fin avec un œil d’envie ?
Dans un si long orage ay-je trop peu souffert ?
Faut-il verser des pleurs quand un port m’est offert ?
Si vous aimez ma gloire épargnez ma foiblesse,
1360 Et ne m’accablez point à force de tendresse.

MELVIN

Madame, vos bontez, mon devoir, vostre rang,
Ne demandent icy que des larmes de sang.
Plût au Ciel que le mien, plus ardent que tout autre,
A vos Persecuteurs pût arracher le vostre !
1365 Que vostre injuste mort nous va coûter de pleurs !
Et qu’un jour…

MARIE STUARD

Quelqu’un vient. Contraignez vos douleurs.

SCENE II §

Marie Stuard, le Comte de Morray, Melvin, Kenede, Albione.

MARIE STUARD

Approche, ingrat Sujet, dont la haine m’accable,
Viens me dire du moins dequoy je suis coupable. {p. 59}
Apprens-moy quel outrage & quels maux je t’ay faits.
1370 Cruel, mon souvenir n’est plein que de bienfaits.
Quoy que l’on doute encor de qui tu receus l’estre,
Pour Enfant du feu Roy je t’ay fait reconnoistre ;
Et sans approfondir si tu sors de son sang
Je t’ay fait dans ma Cour tenir le premier rang.
1375 Tu ne fais que trop voir que tu n’es pas mon Frere
Par les soins que tu prends à m’estre si contraire.
Si le sang qui t’anime estoit le sang d’un Roy,
Serois-tu sans honneur, sans tendresse, sans foy ?
Elevé dans ma Cour, ta criminelle audace
1380 Entre le Trône & toy ne put souffrir d’espace :
Pour m’en faire tomber par de sanglans effets*
La mort de mon Epoux fut un de tes forfaits :
Mais, ce qui de l’Enfer est le plus noir ouvrage,
Tu me fis imputer ce qu’avoit fait ta rage ;
1385 Et par des trahisons, conduites avec art,
J’expire pour un crime où je n’ay point de part.
Tu sçais, toy qui l’as fait, que j’en suis innocente.

LE COMTE DE MORRAY

Un Trône prest à choir n’offre rien qui me tente.
Du Ciel qui le foudroye appuyant le courroux
1390 C’est son interest seul que je prends contre vous.
Pour détruire une Erreur dont j’abhorre le Culte
Les liens les plus doux n’ont rien que je consulte :
Et ce que vostre haine appelle ambition
Est un zele épuré pour la Religion.

MARIE STUARD

1395 Si ta Religion t’acquiert le privilege
D’estre envers une Sœur perfide & sacrilege,
La mienne, si contraire à celle où tu t’es mis,
M’apprend à pardonner à tous mes ennemis.
Killegre revient.
On me vient avertir qu’il faut quitter la vie.
1400 Separons-nous en paix, c’est moy qui t’en convie. {p. D iij 60}
Insensible aux affrons où l’on m’expose icy,
Je pardonne à la Reine , & te pardonne aussi.
Puisse mon sang versé par vos brigues* secrettes
Vous retirer bien-tost de l’erreur où vous estes !
1405 Si par le juste Ciel mes vœux sont écoutez
J’en vais faire pour vous qui me persecutez.
Adieu.

SCENE III §

LE COMTE DE MORRAY seul.

Je sens mon cœur qui s’émeut, qui chancelle :
La voix de la nature au repentir m’appelle.
Silence, indigne voix, qui me veux attendrir :
1410 Qu’importe pour regner qui je fasse perir ?
Un Prince ambitieux que la raison éclaire
Doit faire une vertu d’un crime necessaire ;
Et preferer toûjours, sans en estre confus,
Les utiles forfaits aux ingrates vertus.

SCENE IV §

Elisabeth, le Comte de Morray, Lancastre, gardes.

ELISABETH

1415 Comte, j’allois vous voir. Malgré toute ma haine
Je ne puis resister au remors qui me gêne*. {p. 61}
En vain ma politique en veut rompre le cours :
Quelque effort que je fasse il me revient toûjours.
Je croy de toutes parts entendre le tonnerre ;
1420 Je croy voir contre moy tous les Rois de la terre ;
De qui la Majesté, violée à mes yeux,
Rendroit mon Nom infame, & mon Regne odieux.
Quoy qu’ait fait vostre Sœur je luy donne sa grace.

LE COMTE DE MORRAY

La clemence sied bien à qui tient vostre place.
1425 Cette grande vertu, la plus digne des Rois,
Est le plus glorieux, le plus saint de leurs droits.
Mais je doute, Madame, & ne puis vous le taire,
Qu’on approuve jamais ce que vous allez faire.

ELISABETH

Et peut-on approuver l’implacable fureur
1430 Qui vous fait avec joye immoler vostre Sœur ?
Est-ce l’injuste espoir de regner aprés elle
Qui vous rend Frere ingrat, & Sujet infidele ?
Quand j’impose silence à mon juste courroux
Si je suis à blâmer, devroit-ce estre par vous ?

LE COMTE DE MORRAY

1435 Pour peu qu’à mon devoir je demeure fidele
Quels sacrileges vœux puis-je faire pour elle ?
C’est ma Sœur, il est vray ; mais perisse ma Sœur
Si sa vie en ces lieux fait revivre l’Erreur*.
Si de vos jours sacrez le Ciel bornoit la course
1440 D’un deluge de maux elle ouvriroit la source :
Vos Sujets qu’elle hait, devenus ses Sujets,
Seroient de sa fureur les funestes objets.
Ce Trône qu’avec soin vos vertus affermissent,
Où vous donnez des loix dont les méchants fremissent,
1445 Deviendroit par son ordre un lieu d’impunité
Où l’Erreur* pour jamais seroit en seureté. {p. Diiij 62}
On verroit sous ses loix par des mains étrangeres
Arracher les enfans du tendre sein des meres,
Pour leur faire succer, éloignez de ces murs,
1450 Avec un lait moins cher des preceptes moins purs.
En vous parlant ainsi je trahis la nature ;
Mon sang qui se revolte en soupire, en murmure ;
Je me sens comme vous accablé de remors ;
Et pour les étouffer je fais de vains efforts.
1455 A luy sauver le jour je trouverois des charmes.
Sa mort que je poursuis me coûtera des larmes :
Mais si de ses desseins elle venoit à bout
Le carnage & l’horreur triompheroient par tout.
Je prevoy des malheurs qui seroient sans limites.

ELISABETH

1460 Comte, je me suis dit tout ce que vous me dites.
Si ma main secourable ose briser ses fers
Sa haine pour me perdre armera l’Univers :
Mais pour vanger sa mort, honteuse aux Diadêmes,
Tous les Rois offencez m’accableront eux-mêmes ;
1465 Et pour le bien commun oubliant leurs debats*
Viendront d’intelligence envahir mes Etats.

LE COMTE DE MORRAY

Ma crainte sur ce point égaleroit la vostre,
Si les Princes voisins se fioient l’un à l’autre.
Un Roy qui s’affoiblit offre une occasion
1470 Qui de ses ennemis tente l’ambition.
De peur de la flatter par de telles amorces
Pour ses propres Etats chacun garde ses forces ;
Et vous verrez de loin leur impuissant courroux
Borner sa violence à se plaindre de vous.
1475 Quoy qu’il en soit, Madame, il est temps de resoudre
Si vous voulez lancer ou retenir la foudre.
Ma Sœur touche à son terme, & dans quelques instans
On voudroit la sauver qu’il ne seroit plus temps.
Suivez vostre panchant sans aucune contrainte. {p. 63}

ELISABETH

1480 Vos dernieres raisons ont dissipé ma crainte.
Qu’elle meure. Et pouquoy me ferois-je un effort
Pour conserver la vie à qui cherche ma mort ?
Qu’elle meure. Le Duc, qui me fut si fidele,
Si je luy rends le jour me rendra tout son zele.

LE COMTE DE MORAY

1485 Le Duc, Madame ? O Ciel !

ELISABETH

Tout coupable qu’il est,
Il est assez puny de sçavoir son Arrest :
Et s’il faut m’expliquer, quoy qu’ait fait son audace,
Ce qu’a fait sa valeur sollicite sa grace.
Un pardon genereux me l’acquiert pour jamais.

LE COMTE DE MORRAY

1490 Madame, croyez-moy, placez mieux vos bienfaits.
Plus fidele que luy, s’il faut prendre les armes,
Je mettray vostre Trône à l’abry des allarmes.
Le Duc dont vos bontez ont voulu faire un Roy,
Ingrat à vostre amour vous a manqué de foy.
1495 Que tout autre que luy vous eût montré de zele !
Aimé comme il l’estoit, que j’eusse esté fidele !

ELISABETH

Insolent ! Vous sçauriez jusqu’où va mon courroux
Si je pouvois sans honte éclater contre vous.
Si je laisse impuni l’affront que vous me faites,
1500 Comte, remerciez la bassesse où vous estes :
L’intervale est plus grand, quoy qu’il manque de foy,
Entre vous & le Duc, qu’entre le Duc & moy.
Pour joindre à ce mépris de plus sensibles peines,
D’un Criminel si cher allez rompre les chaines :
1505 Je luy cause des maux où je prends trop de part.
Portez-luy le pardon… {p. 64}

LE COMTE DE MORRAY

Madame, il est trop tard.
Il est mort.

ELISABETH

Il est mort ! Ah, perfide, qu’entens-je !

LE COMTE DE MORRAY

Un si juste trépas le punit & vous vange.
Coupable envers l’Etat si lâchement trahy,
1510 Condamné par les Pairs, hay de vous…

ELISABETH

Hay !
Ah Traistre ! Dans mon cœur tu sçais ce qui se passe.
A la Reine d’Ecosse allez porter sa grace,
Lancastre. Ce Perfide, ennemy de sa Sœur,
M’a peut-estre engagée à servir sa fureur.
1515 Qu’on la ramene. Et toy je veux que tu perisses.

SCENE V §

Le Comte de Neucastel, Elisabeth, le Comte de Morray, Lancastre, gardes.

LE COMTE DE NEUCASTEL

Madame, à mes forfaits preparez des supplices.
Interdit, penetré d’une juste douleur,
Je ne parois icy que pour vous faire horreur.
Je ne m’offre à vos yeux que pour grossir la foudre
1520 Dont il faut vous armer pour me reduire en poudre.
Je me serois puny, mais mon sang répandu, {p. 65}
L’exemple que je dois auroit esté perdu ;
Et pour voir avec fruit ma trahison punie,
Il faut que je perisse avec ignominie.

ELISABETH

1525 Quel sujet vous anime à tenir ce discours ?

LE COMTE DE NEUCASTEL

D’une Reine innocente on a tranché les jours.
Par les crimes d’autruy la vertu malheureuse
A de toutes les morts souffert la plus affreuse.
J’ay veu ce que le Ciel avoit fait de plus beau
1530 Tendre sa Teste auguste à l’acier d’un Bourreau :
Et mes remors trop lents n’ont point formé d’obstacle
Au barbare succez d’un si triste spectacle.
Eussay-je pour tout crime approuvé son trépas
Ma main à m’en punir ne balanceroit pas :
1535 Jugez, par cette loy que l’équité m’impose,
Ce que je dois souffrir puis que j’en suis la cause.

ELISABETH

Vous, ô Ciel !

LE COMTE DE NEUCASTEL

Moy, Madame. Un aveu si honteux
Vous anime à ma perte ; & c’est ce que je veux.
J’offre à vostre justice une digne matiere.
1540 Ne la trahissez point, faites-la toute entiere.
Ce Monstre dont la veuë infecte vos regards,
Cet ennemy public, hay de toutes parts,
Qui jusqu’à vous aimer a porté son audace,
Plus coupable que moy merite moins de grace.
1545 C’est luy qui par l’appas d’un criminel espoir
A seduit ma vertu, corrompu mon devoir,
Imprimé dans mon cœur l’effroyable maxime
Qu’un crime couronné perdoit le nom de crime.
Assassin de son Roy, sa rapide fureur
1550 A par une autre voye assassiné sa Sœur ;
Et si l’on ne previent sa detestable envie
Leur Fils en son pouvoir doit trembler pour sa vie. {p. 66}

ELISABETH

Hola, Gardes.

EURIC

Madame.

ELISABETH en montrant le Comte de Morray.

Asseurez-vous de luy.
Traistre, qui de mon Trône as fait tomber l’appuy,
1555 Ton sang, pour le vanger, répandu goute à goute…

LE COMTE DE NEUCASTEL

Pour commencer sa peine ordonnez qu’il m’écoute.
La douloureuse mort de son auguste Sœur,
Tout barbare qu’il est, va luy percer le cœur.
Si de mes trahisons le repentir extrême
1560 Peut vous autoriser à m’écouter vous-même,
Vous n’avez plus à craindre aucun trouble intestin ;
Tout cede à l’ascendant* de vostre heureux destin*.
Faites que la pitié succede à vostre haine :
Des larmes d’une Reine honorez une Reine :
1565 L’adorable Stuard vient de finir son sort ;
Et vous allez fremir au recit de sa mort.
Au funeste appareil* de son cruel supplice
Elle atteste le Ciel qu’on luy fait injustice :
Que pendant sa prison, quoy qu’elle ait enduré,
1570 Jamais contre vos jours elle n’a conspiré ;
Et que du fond des cœurs ayant seul connoissance
Dieu, qu’on ne trompe point, sçavoit son innocence.
Là, de tendres soûpirs s’estans joints à sa voix,
Seigneur, écoutez-moy pour la derniere fois,
1575 Dit-elle. Je suis mere, & mon cœur qui soupire
Croit que pour vous toucher ce nom seul doit suffire.
Un Fils que de mes pleurs j’ay souvent arrosé,
Au plus grand des malheurs est peut-estre exposé :
Ce sang de tant de Rois le déplorable reste, {p. 67}
1580 Est peut-estre élevé dans un Culte funeste.
Dans un peril si grand devenez son appuy.
Contre ses ennemis declarez-vous pour luy.
Montrez-vous-en le pere ; & pour faveur insigne
Avant que de regner faites qu’il en soit digne.
1585 J’implore pour tous deux vostre divin secours :
Et je vous recommande & mon Ame & ses jours.
Pendant que de son cœur la tendresse s’explique*,
L’abominable Objet de la haine publique,
Par une indignité qu’elle n’attendoit pas,
1590 Ose se presenter pour luy lier les bras.
Sensible à cet opprobre, une modeste plainte
A trahy la douleur qu’elle tenoit contrainte :
Reserve, a-t-elle dit, cet infame lien
Pour flétrir quelque nom moins fameux que le mien :
1595 Quoy que jusqu’au tombeau la fortune me brave
Je veux mourir en Reine & non pas en Esclave ;
Et malgré le silence où s’obstinent les Rois
Jusqu’au dernier soûpir je soûtiendray leurs droits.
Ses Filles, cependant, les yeux baignez de larmes,
1600 De son pudique sein font entrevoir les charmes,
Pour ouvrir un passage à l’Acier criminel
Dont la Reine innocente attend le coup mortel.
Par un cruel devoir, dont la rigueur les tuë,
Quelques momens aprés elles voilent sa veuë ;
1605 Et cachent pour jamais les malheureux appas
Qui sans l’aveu du cœur ont fait tant d’attentats.
Leur zele consommé par ce dernier service,
Et la Victime preste à ce grand Sacrifice,
Plus on est attentif à ce lugubre aspect,
1610 Plus on sent de pitié, de terreur, de respect.
Tous les cœurs sont touchez ; tous les yeux sont humides ;
On mesle à des soûpirs des murmures timides ;
Et tous les gens de bien plaignans son triste sort {p. 68}
D’un Eloge funebre accompagnent sa mort.
1615 Enfin, Madame, enfin, humblement prosternée
Je pardonne, dit-elle, à qui m’a condamnée :
Fasse le juste Ciel que ces Juges pervers
Ayent le cœur plus austere, & les yeux mieux ouverts ;
Et que leur cruauté sur moy seule épuisée,
1620 L’Innocence à la mort ne soit plus exposée.
Pendant ces derniers mots le Ministre inhumain
Qui d’un glaive funeste avoit armé sa main,
Fidele executeur de vostre injuste haine,
A tranché le destin de cette grande Reine.
1625 Mais, ô prodige affreux ! qui me vient de troubler !
Prodige, dont vous-même avez lieu de trembler !
Deux fois sur l’Echaffaut sa Teste bondissante
A repeté deux fois qu’elle estoit innocente ;
Et dans tous les esprits répandu tant d’effroy
1630 Que tous les Spectateurs ont fremy comme moy.
Pour vanger son trépas l’ardeur qui les anime
A choisi son Bourreau pour premiere victime ;
Et si vostre pouvoir n’arreste ce transport,
Tous ses Juges, sans doute, auront un même sort.
1635 Pour moy qui desormais aurois honte de vivre,
Il faut qu’à leur fureur mon desespoir me livre ;
Et pour mieux me punir, s’ils épargnent mes jours,
C’est à vostre justice où sera mon recours.
Je l’attends.
Il sort.

ELISABETH

Qu’on le suive, & que l’on m’en réponde.
{p. 69}

SCENE VI §

Elisabeth, le Comte de Morray, Lancastre, gardes.

ELISABETH

1640 He bien, sens-tu, méchant, que ton cœur te confonde ?
Te sens-tu dans le crime assez bien affermy,
Monstre, que dans ces lieux les Enfers ont vomy ?
De tes lâches projets la fortune se jouë.

LE COMTE DE MORRAY

On ne vous a rien dit que mon cœur desavouë.
1645 A qui veut que le crime éternise ses ans
Les forfaits les plus noirs sont les plus éclatans.
Le Roy que fit ma Sœur par son hymen funeste,
A pery par mon bras, & vous sçavez le reste.
Fier de ce premier crime, & seur de vostre appuy,
1650 Je n’ay rien oublié pour la perdre aprés luy.
La mort qu’elle a soufferte est mon dernier ouvrage ;
Et son Fils, à son tour eût assouvy ma rage :
J’en avois donné l’ordre, & j’allois estre Roy
Si le sort inconstant ne m’eust manqué de foy.
1655 Vos droits à l’Angleterre estant peu legitimes,
Et les miens à l’Ecosse estant crimes sur crimes,
Pour les mieux affermir je cherchois les moyens
D’unir mon Sceptre au vostre, & vos crimes aux miens.
Le Ciel cruel aux uns, & favorable aux autres
1660 S’oppose à mes desseins, & seconde les vostres :
Tous deux enfans de Rois par un semblable sort
Il vous éleve au Trône, & me livre à la mort.
Mais s’il croit la choisir son attente est trompée.
Quoy qu’on m’ait par son ordre arraché mon épée, {p. 70}
1665 Son aveugle colere a manqué de prévoir
Que j’avois, malgré luy, ma mort en mon pouvoir.
Lors qu’on tombe d’un Trône où l’on a dû pretendre,
Voila sans balancer le party qu’on doit prendre.
Il s’enfonce un poignard dans le sein.

ELISABETH

Faites tous vos efforts pour tromper* ses projets.
1670 Il est trop peu puny pour de si grands forfaits.
Il merite, le Traistre, une plus longue peine.

LE COMTE DE MORRAY

L’endroit où j’ay frappé rend vostre attente vaine :
Et j’ay la gloire, au moins dans un sort si fatal,
De mourir autrement que n’est mort mon Rival.
1675 J’expire.

SCENE DERNIERE §

Elisabeth, Lancastre.

ELISABETH

Juste Ciel ! quelle suite de crimes !
Que la haine & l’amour ont d’injustes maximes* !
Et qu’un cœur déreglé, qui suit leurs mouvemens
Se condamne soy-même à de cruels tourmens !
Heros trop malheureux ! trop malheureuse Reine !
1680 Victimes tout ensemble & d’amour & de haine,
Ne me reprochez point vostre injuste trépas :
Vous goûtez un repos dont je ne joüis pas.

FIN