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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Boyer, Claude. Les Amours de Jupiter et Sémélé. Tragédie.. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 40 sc. 371 répl. 4,3 l. 1 593 l. 1 593 l. 41 % 3 925 l. (100 %) 2,5 pers.
JUPITER 8 sc. 62 répl. 3,7 l. 444 l. (28 %) 227 l. (15 %) 52 % 1 094 l. (28 %) 2,5 pers.
JUNON 6 sc. 19 répl. 4,8 l. 205 l. (13 %) 92 l. (6 %) 45 % 468 l. (12 %) 2,3 pers.
VENUS 1 sc. 3 répl. 6,5 l. 24 l. (2 %) 19 l. (2 %) 81 % 48 l. (2 %) 2,0 pers.
AURORE 1 sc. 3 répl. 5,7 l. 30 l. (2 %) 17 l. (2 %) 57 % 91 l. (3 %) 3,0 pers.
MOMUS 6 sc. 25 répl. 5,2 l. 315 l. (20 %) 131 l. (9 %) 42 % 701 l. (18 %) 2,2 pers.
APOLLON 1 sc. 5 répl. 4,9 l. 56 l. (4 %) 25 l. (2 %) 44 % 224 l. (6 %) 4,0 pers.
MELPOMENE 4 sc. 18 répl. 5,1 l. 244 l. (16 %) 93 l. (6 %) 38 % 677 l. (18 %) 2,8 pers.
THALIE 3 sc. 10 répl. 5,4 l. 229 l. (15 %) 54 l. (4 %) 24 % 662 l. (17 %) 2,9 pers.
EUTERPE 2 sc. 4 répl. 18,2 l. 148 l. (10 %) 73 l. (5 %) 50 % 500 l. (13 %) 3,4 pers.
AMOURS 2 sc. 2 répl. 5,4 l. 72 l. (5 %) 11 l. (1 %) 15 % 216 l. (6 %) 3,0 pers.
HEURES 1 sc. 1 répl. 5,7 l. 30 l. (2 %) 6 l. (1 %) 19 % 91 l. (3 %) 3,0 pers.
JEUNESSE 1 sc. 2 répl. 9,5 l. 24 l. (2 %) 19 l. (2 %) 80 % 48 l. (2 %) 2,0 pers.
PLAISIRS 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
FUREURS POETIQUES 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
FANTOSMES 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
JALOUZIE 1 sc. 1 répl. 8,5 l. 9 l. (1 %) 9 l. (1 %) 100 % 9 l. (1 %) 1,0 pers.
MERCURE 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
RENOMMEE 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
hymenee 1 sc. 1 répl. 2,8 l. 21 l. (2 %) 3 l. (1 %) 14 % 82 l. (3 %) 4,0 pers.
CADMUS 8 sc. 23 répl. 4,4 l. 223 l. (15 %) 101 l. (7 %) 46 % 671 l. (18 %) 3,0 pers.
HERMIONE 12 sc. 23 répl. 3,7 l. 333 l. (21 %) 86 l. (6 %) 26 % 981 l. (25 %) 2,9 pers.
SEMELE 18 sc. 87 répl. 4,1 l. 792 l. (50 %) 360 l. (23 %) 46 % 1 896 l. (49 %) 2,4 pers.
ALCMEON 11 sc. 63 répl. 3,4 l. 453 l. (29 %) 213 l. (14 %) 48 % 1 238 l. (32 %) 2,7 pers.
ATYS 1 sc. 1 répl. 21,0 l. 37 l. (3 %) 21 l. (2 %) 57 % 112 l. (3 %) 3,0 pers.
DIMAS 2 sc. 6 répl. 1,4 l. 87 l. (6 %) 8 l. (1 %) 10 % 240 l. (7 %) 2,8 pers.
DIRCE 4 sc. 12 répl. 2,4 l. 150 l. (10 %) 28 l. (2 %) 19 % 331 l. (9 %) 2,2 pers.
CHOEURS DE BERGERS 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
CHŒURS DE THEBAINS 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
SUITTE 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
Boyer, Claude. Les Amours de Jupiter et Sémélé. Tragédie.. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
JUPITER
MOMUS
79 l. (64 %) 12 répl. 6,5 l.
45 l. (37 %) 13 répl. 3,5 l.
3 sc. 123 l. (8 %) 2,4 pers.
JUPITER
CADMUS
22 l. (79 %) 3 répl. 7,3 l.
7 l. (22 %) 2 répl. 3,0 l.
2 sc. 28 l. (2 %) 3,4 pers.
JUPITER
HERMIONE
4 l. (53 %) 1 répl. 3,2 l.
3 l. (48 %) 1 répl. 3,0 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 3,0 pers.
JUPITER
SEMELE
106 l. (50 %) 31 répl. 3,4 l.
108 l. (51 %) 30 répl. 3,6 l.
4 sc. 213 l. (14 %) 2,5 pers.
JUPITER
ALCMEON
18 l. (42 %) 15 répl. 1,2 l.
26 l. (59 %) 14 répl. 1,8 l.
2 sc. 43 l. (3 %) 3,2 pers.
JUNON 2 l. (100 %) 1 répl. 1,7 l. 1 sc. 2 l. (1 %) 1,0 pers.
JUNON
MOMUS
15 l. (28 %) 6 répl. 2,4 l.
39 l. (73 %) 7 répl. 5,5 l.
1 sc. 53 l. (4 %) 2,0 pers.
JUNON
HERMIONE
5 l. (44 %) 1 répl. 4,1 l.
6 l. (57 %) 1 répl. 5,4 l.
1 sc. 9 l. (1 %) 3,0 pers.
JUNON
SEMELE
34 l. (65 %) 5 répl. 6,7 l.
19 l. (36 %) 5 répl. 3,6 l.
2 sc. 52 l. (4 %) 2,6 pers.
JUNON
ALCMEON
39 l. (51 %) 6 répl. 6,3 l.
38 l. (50 %) 6 répl. 6,3 l.
2 sc. 76 l. (5 %) 2,2 pers.
VENUS
SEMELE
20 l. (81 %) 3 répl. 6,5 l.
5 l. (20 %) 2 répl. 2,4 l.
1 sc. 24 l. (2 %) 2,0 pers.
AURORE
SEMELE
17 l. (70 %) 3 répl. 5,7 l.
8 l. (31 %) 2 répl. 3,8 l.
1 sc. 25 l. (2 %) 3,0 pers.
MOMUS 11 l. (100 %) 1 répl. 10,7 l. 1 sc. 11 l. (1 %) 1,0 pers.
MOMUS
SEMELE
37 l. (72 %) 4 répl. 9,1 l.
15 l. (29 %) 5 répl. 2,9 l.
1 sc. 51 l. (4 %) 2,0 pers.
APOLLON
MELPOMENE
19 l. (58 %) 3 répl. 6,2 l.
14 l. (43 %) 4 répl. 3,4 l.
1 sc. 32 l. (3 %) 4,0 pers.
APOLLON
THALIE
6 l. (51 %) 1 répl. 5,3 l.
6 l. (50 %) 1 répl. 5,2 l.
1 sc. 10 l. (1 %) 4,0 pers.
APOLLON
EUTERPE
1 l. (53 %) 1 répl. 0,8 l.
1 l. (48 %) 1 répl. 0,7 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 4,0 pers.
MELPOMENE 20 l. (100 %) 3 répl. 6,5 l. 2 sc. 19 l. (2 %) 1,0 pers.
MELPOMENE
THALIE
52 l. (55 %) 8 répl. 6,4 l.
43 l. (46 %) 8 répl. 5,3 l.
3 sc. 93 l. (6 %) 2,9 pers.
MELPOMENE
EUTERPE
9 l. (12 %) 3 répl. 2,8 l.
67 l. (89 %) 2 répl. 33,5 l.
2 sc. 75 l. (5 %) 3,4 pers.
THALIE
EUTERPE
7 l. (57 %) 1 répl. 6,5 l.
5 l. (44 %) 1 répl. 4,9 l.
1 sc. 11 l. (1 %) 3,4 pers.
AMOURS
SEMELE
6 l. (39 %) 1 répl. 5,4 l.
9 l. (62 %) 1 répl. 8,4 l.
1 sc. 14 l. (1 %) 3,0 pers.
JEUNESSE 15 l. (100 %) 1 répl. 14,5 l. 1 sc. 15 l. (1 %) 1,0 pers.
JEUNESSE
SEMELE
5 l. (49 %) 1 répl. 4,5 l.
5 l. (52 %) 1 répl. 4,8 l.
1 sc. 9 l. (1 %) 2,0 pers.
JALOUZIE 9 l. (100 %) 1 répl. 8,5 l. 1 sc. 9 l. (1 %) 1,0 pers.
CADMUS
HERMIONE
66 l. (65 %) 12 répl. 5,4 l.
36 l. (36 %) 7 répl. 5,1 l.
7 sc. 101 l. (7 %) 2,9 pers.
CADMUS
ALCMEON
22 l. (50 %) 7 répl. 3,1 l.
23 l. (51 %) 8 répl. 2,8 l.
2 sc. 44 l. (3 %) 3,2 pers.
CADMUS
ATYS
1 l. (3 %) 1 répl. 0,5 l.
21 l. (98 %) 1 répl. 21,0 l.
1 sc. 21 l. (2 %) 3,0 pers.
HERMIONE
SEMELE
3 l. (20 %) 3 répl. 0,8 l.
10 l. (81 %) 5 répl. 1,9 l.
2 sc. 12 l. (1 %) 3,0 pers.
HERMIONE
ALCMEON
21 l. (40 %) 7 répl. 3,0 l.
33 l. (61 %) 6 répl. 5,4 l.
4 sc. 53 l. (4 %) 3,0 pers.
HERMIONE
DIRCE
17 l. (66 %) 3 répl. 5,5 l.
9 l. (35 %) 3 répl. 2,9 l.
1 sc. 25 l. (2 %) 3,0 pers.
SEMELE 31 l. (100 %) 2 répl. 15,3 l. 2 sc. 31 l. (2 %) 1,0 pers.
SEMELE
ALCMEON
58 l. (42 %) 22 répl. 2,6 l.
83 l. (59 %) 24 répl. 3,4 l.
4 sc. 140 l. (9 %) 2,8 pers.
SEMELE
DIRCE
98 l. (84 %) 12 répl. 8,1 l.
20 l. (17 %) 9 répl. 2,2 l.
3 sc. 117 l. (8 %) 2,0 pers.
ALCMEON
DIMAS
14 l. (63 %) 5 répl. 2,8 l.
9 l. (38 %) 6 répl. 1,4 l.
2 sc. 22 l. (2 %) 2,8 pers.

Boyer, Claude

1666

Les Amours de Jupiter et Sémélé. Tragédie.

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Évelyne Collinet
1666
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 1666, license cc.
Source : Boyer, Claude. Les Amours de Jupiter et Sémélé. Tragédie.. A PARIS, Chez GUILLAUME DE LUYNE, Libraire Juré, au Palais en la Salle des Merciers sous la montée de la Cour des Aydes, à la Justice. M. DC. LXVI. Avec Privilege du Roy.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

LES AMOURS DE JUPITER ET DE SEMELE. TRAGEDIE. §

Epistre. AU ROY. §

SIRE,

Ceux qui verront à la teste de mon Ouvrage Vostre Auguste Nom avec celuy de Jupiter, s’imagineront sans doute, que je veux m’attacher à ces belles comparaisons qu’on peut faire du plus grand des Rois avec le plus puissant des Dieux, & que cherchant la verité dans la fable j’en veux tirer un grand fonds de loüanges pour la gloire de Vostre Majesté ; mais ce n’est pas mon dessein, de m’engager dans une carriere si vaste & si difficile : une matiere si importante ne peut estre dignement expliquée qu’avec le langage des Dieux, & par les bouches immortelles de l’Histoire & de la Renommée. D’ailleurs, SIRE , & je veux bien l’advoüer à Vostre Majesté, le seul interest de mon Ouvrage m’a inspiré la hardiesse de vous le consacrer ; j’ay crû que je n’avois que ce moyen pour achever sa gloire, & pour asseurer sa reputation, & que pour faire valoir mon present, je pourrois publier* hautement qu’il a eu l’honneur de plaire à Vostre Majesté ; quoy que la plus illustre Cour de l’Europe puisse rendre ce témoignage, je n’ay garde de perdre une si belle occasion d‘en parler. Puis-je laisser à la Postérité une idée plus avantageuse de la bonne fortune* de ma Piece, que celle d’avoir amusé agreablement le plus grand Roy du monde, d’avoir suspendu trois heures de suitte ces glorieux soins & cette Royale inquietude qu’il donne à la conduite de la premiere Monarchie de la terre, & d’avoir enfin occupé l’attention d’un esprit, dont les vastes pensées embrassent toutes les parties de l’Europe, & s’estendent jusques aux deux bouts de l’Univers ? Mais, SIRE, l’oseray-je dire à Vostre Majesté ? Il n’en falloit pas moins pour une Muse aussi ambitieuse que la mienne : elle ne compte le succés de son ouvrage que du jour de vostre approbation. Je diray bien davantage, la gloire de plaire à Vostre Majesté donne une joye si precieuse & si delicate, que je sens pour elle une avidité qui n’a point de bornes ; rien ne peut arrester cette ambition déreglée, pour la satisfaire je ne voyrien au dessus de mon courage & de mes forces, & j’oze esperer qu’elles pourront égaller le zele ardent & le profond respect avec lequel je suis,

SIRE,

De Vostre Majesté,

Le tres-humble, tres-obeïssant & tres fidelle serviteur & sujet BOYER.

ACTEURS. §

Dieux. §

  • JUPITER.
  • JUNON.
  • VENUS.
  • AURORE.
  • MOMUS.
  • APOLLON.
  • MELPOMENE.
  • THALIE.
  • EUTERPE.
  • AMOURS.
  • HEURES.
  • JEUNESSE.
  • PLAISIRS.
  • FUREURS POETIQUES.
  • FANTOSMES.
  • JALOUZIE.
  • MERCURE.
  • RENOMMEE.

Hommes. §

  • CADMUS, Roy de Thebes.
  • HERMIONE, Reine de Thebes.
  • SEMELE, Fille du Roy de Thebes.
  • ALCMEON, Prince de Thebes.
  • ATYS, Capitaine des gardes de Cadmus.
  • DIMAS, Suivant d’Alcmeon.
  • DIRCE, Confidente de Semelé.
  • CHOEURS DE BERGERS.
  • CHŒURS DE THEBAINS.
  • SUITTE.
[A1]

LES AMOURS DE JUPITER ET DE SEMELE, TRAGEDIE §

PROLOGUE. §

L’Ouverture du Théatre fait voir de front le Mont-Parnasse qui s’éleve du fonds du Théatre jusques aux nuës, avec des allées de Cyprez entremeslées de statuës de Roys & de Heros, & l’on entend à mesme temps des Trompettes & des Clairons.

MELPOMENE qui est la Déesse de la Tragedie, paroist au fonds du Théatre, & s’estant advancée, elle dit :

{p. 2}
Superbes* demy-Dieux dont les noms esclatans
Triomphent de l’oubly, de la mort & du temps,
Vous que je fais revivre avecque tant de gloire,
Heros contentez vous des honneurs de l’histoire.
5 Le siecle de Loüis confond* tout vostre orguëil,
Pourquoy vous retirer des ombres du cercuëil,
Pour faire à ce grand Roy quelque nouveau spectacle ?
Son Regne chaque jour nous fournit un miracle,
Et s’il luy faut offrir des objets* glorieux,
10 Dois-je offrir d’autre objet* que luy-mesme à ses yeux ?
Mais de ce grand dessein mon ame possedée
En peut elle remplir la glorieuse idée ?
Loüis se verra t-il, tel qu’il est aujourd’huy,
Dans tout ce que ma main entreprendra pour luy ?
15 De ce fond infiny de gloire & de merveilles…
Mais quel bruit importun a frappé mes oreilles.
Thalie qui est la Déesse de la Comedie descend du Parnasse sur une nüe en joüant d’un Tambour de Basque*, auquel se mesle un concert de Violons.

MELPOMENE continüe.

C’est une de mes sœurs qui pour quelque succez
Dans un siecle enjoüé se flatte avec excez.
Elle vient m’insulter avec cét avantage.
{p. 3}

SCENE II §

THALIE, MELPOMENE.

THALIE.

20 Hé bien tousjours ma sœur sur quelque grand ouvrage,
J’ai tort d’ozer ainsi troubler vostre repos :
Je voy bien qu’au milieu de ces fameux Heros
Vostre esprit se remplit de sentimens tragiques ;
Vous n’aimez que les vers enflez* & magnifiques.

MELPOMENE.

25 La pompe vous déplaist & vous fait mal aux yeux :
Vous descriez par tout le langage des Dieux.
C’est sçavoir se connoistre, & c’est par cette adresse
Qu’estant foible on se fait honneur de sa foiblesse.

THALIE.

Selon vous tout est foible, à moins d’estre en fureur*.
30 Guerissez vostre esprit d’une si longue erreur :
Je viens vous détromper & non pas vous combattre :
Ne me disputez plus la gloire du Théatre ;
Vostre Regne est passé, le mien vient à son tour ;
Vous estes du vieux temps & de la vieille Cour ;
35 Tout le monde ayme à rire, & j’en scay la methode :
Vos tristes entretiens ne sont plus à la mode ;
Loüis m’ayme en un mot, j’ai pour luy des appas*.

MELPOMENE.

Il vous ayme il est vray, mais il ne me hait pas,
Et pour dire tout haut ce que j’en oze croire,
40 Loüis me doit aymer puisqu’il ayme la gloire.
Pouvez vous inspirer ces nobles mouvemens, {p. 4}
Ces belles passions, & ces grands sentimens,
Que je fais si souvent esclatter sur la Scene ?
La gloire des Heros & la vertu Romaine
45 Qui la sçait mieux que moy retirer du cercuëil ?
Qui la fait mieux revivre avec tout son orguëil ?
Pour rendre dignement presens à sa memoire
Ces exemples fameux de vaillance & de gloire ?
Avez vous comme moy d’assez nobles chaleurs ?
50 Avez vous comme moy d’assez riches couleurs ?
Quoy que l’ingenieuse & sçavante satyre
Mesle le soin de plaire à la gloire d’instruire,
Loüis peut-il tirer de ces enseignemens,
De ces foibles leçons, de ces amusemens,
55 Ces sentimens d’honneur, dont une ame enflammée
Souspire* pour la gloire & pour la renommée ?
L’art de porter un Sceptre & de le maintenir ?
L’art de recompenser & celuy de punir ?
Ce que vous enseignez n’est que pour le vulgaire* ;
60 Ainsi contentez vous de la gloire de plaire.

THALIE.

Et n’est-ce pas assez de pouvoir quelque fois
Divertir le plus sage & le plus grand des Roys ?
Aprés que tous les jours sa sagesse profonde
A sçeu dans son Conseil regler le sort du monde,
65 Est-ce peu que l’honneur de délasser un Roy
De ses soins* assidus, de ce penible employ,
Pour le mettre en estat de reprandre avec joye
Cette noble fatigue où son zele l’employe ?
Mais c’est trop peu pour vous, vostre orguëil aujourd’huy
70 Fait de vostre Théatre une escolle pour luy ;
Pour luy qui pour regner n’a besoin de personne,
Et qui soustient luy seul le poids de sa Couronne.
Vantez vous de l’instruire, il en sçait plus que vous :
Ma gloire est de luy plaire & c’est assez pour nous.

MELPOMENE.

{p. 5}
75 Ne puis-je pas ma sœur, ne m’est il pas facile
De joindre quand je veux l’agreable à l’utile ?
Est il rien de si beau qu’un transport* glorieux
Que pousse avec esclat un cœur ambitieux,
Qu’une intrigue de Cour menée avec adresse,
80 Qu’un entretien meslé de flame* & de tendresse ?
Quelle douceur alors qu’un malheureux amant*,
Touche le spectateur d’un tendre sentiment !
Lorsque je fais agir cette adresse admirable
Et ce bel art qui rend la douleur agreable,
85 Et qui des maux d’autruy nous faisant souspirer
Fait trouver si souvent de la joye à pleurer.
Pour vous qui vous piquez de divertir le monde
Donnez vous une joye & solide* & profonde ?
Le ris, l’emportement, n’ont qu’un charme trompeur,
90 Les sensibles* plaisirs sont dans le fond du cœur,    
Et ce sont là ma sœur les plaisirs que je donne.

THALIE.

Vos charmes sont puissans, mais on vous abandonne,
On ne veut plus de vous, tout le monde est pour moy.
Et pour vous en parler icy de bonne foy,
95 La pompe de vos vers plaist moins que ma satyre ;
Apprenez que pour plaire, il faut sçavoir mesdire :
Voila tout le secret pour ayder mon dessein,
Il se glisse en naissant dans tout le genre humain
Un chagrin qui s’attache à la plus belle vie,
100 Une maligne humeur que l’on appelle envie.
Par là la médisance a des charmes pour tous ;
Surtout en desguisant sa malice & ses coups
Sous une delicate & fine raillerie.
Pour mordre impunément il suffit qu’on en rie.

MELPOMENE.

105 Ce sont là des secrets dont je fais peu de cas,
Mais au moins mesnagez cette source d’appas*, {p. 6}
Ce tresor de venin, ce fonds de médisance,
Ne le prodiguez pas avec tant de licence*.
Comme le ridicule est court & limité,
110 On craint pour vos sujets quelque sterilité.

THALIE.

Que vous connoissez mal le fons de ma satyre !
Je prens de tous costez la matiere de rire ;
L’univers m’en fournit de l’un à l’autre bout,
Mon Empire est sans borne & mon fons est par tout.
115 Ne vous flattez* donc point d’une vaine esperance,
Et quand d’un monde entier j’obtiens la preference.
En voulez vous juger ? vos yeux sont ils meilleurs…

MELPOMENE.

Non ; mais adressons nous à celle de nos sœurs,
Qui connoist comme nous les graces de la scene ;
120 Qu’elle regle entre nous une palme incertaine.
Elle vient ; je l’entens ; ces sons melodieux
Font parler hautement les echos de ces lieux.

SCENE III. §

Durant qu’Euterpé descend du Parnasse les Musettes* & Hautbois joüent un air fait exprés pour la pastoralle.
MELPOMENE, THALIE, EUTERPE.

MELPOMENE.

Aprochons.

THALIE.     [7]

Ah ma sœur gardez de l’interrompre.

MELPOMENE.

Je voy que vous songez ma sœur à la corrompre.
Euterpé estant descendüe du Parnasse

THALIE luy parle.

125 Que vous m’avez charmée avec un air si doux !
Nostre grand Apollon n’en sçayt pas plus que vous.

MELPOMENE.

On vous flate ma sœur, mais vous estes fidelle.
Vous venez à propos finir nostre querelle :
Vous sçavez le Theatre, & c’est là vostre employ ;
130 Sa vanité pretend de l’emporter sur moy,
Et croit que sur la scene, elle a tout l’avantage.

EUTERPE.

Quoy mes sœurs vostre honneur depend de mon suffrage !
Donc le prix n’est icy disputé qu’entre vous :
J’admire entre vous deux ce mouvement jaloux,    
135 Qui vous fait oublier la part que j’y doy prendre,
Mais si vous ignorez ce que je doy pretendre,
Vous permettrés mes sœurs que je garde pour moy
Ce que vous disputez, & ce que je me doy.
Ce jugement sans doute estonne* l’une & l’autre ;    
140 Vous blasmez mon orguëil pour contenter le vostre :
Mais voions si j’ay tort, & si c’est un arrest
Dicté par la justice ou par mon interest.
Je commence par vous de qui l’humeur altiere
Pretend entre ses sœurs la preference entiere.
145 Vous vous imaginez que toutes ces horreurs,
Ces grands emportemens, & ces nobles fureurs*,
Dont le monde autres fois fut long temps idolatre,
Font encore aujourd’huy les beautés du Theatre.
Vos sujets quelques fois ont de tels embarras,    
150 Qu’on se lasse d’oüir ce que l’on n’entend* pas :    
Par le profond secret d’un art impenetrable, {p. 8}
Vous embroüillez si fort l’intrigue de la fable,
Qu’à peine un Jupiter la pourroit demesler.
Tout ce que sur la scene on nous voit estaller,    
155 N’est souvent que fumée, & qu’un esclat qui trompe,
N’a que de faux brillans, & qu’une vaine pompe.
Vous avez beau donner les plus belles couleurs,
Aux furieux transports*, aux crimes, aux douleurs,
Aux plaintes d’un amant*, au desespoir, aux larmes,
160 Ma sœur sur le theatre on cherche d’autres charmes ;
On y veut des objets* agreables & doux,
Sans y mesler l’horreur, la crainte & le courroux.
Pour vous vous le sçavez, le siecle vous fait grace,
Bien souvent vostre Jeu n’est que pure grimace ;    
165 Un geste ridicule, & des tons imitez,
Font ordinairement vos plus grandes beautez.
On vous voit tous les jours avec tant de licence*,
(Soit adresse ou chagrin) pousser la medisance,
Que les plus retenus en grondent contre vous.
170 Pour moy qui n’ay l’esprit, ny chagrin ny jaloux,    
J’advoüeray que vos vers vous donnent de la gloire ;
Vous aurez vostre place au temple de memoire ;
On vous doit estimer tout ce que vous valez,
Mais peut-estre un peu moins que ce que vous voulez.
175 Je ne vous diray point à sa honte & la vostre,
Pour ne pas tout à fait confondre* l’une & l’autre,
Qu’on vous voit tous les jours sans front* & sans pudeur
Briguer chez les mortels l’estime & la faveur.
Moy-mesme j’en rougis, quand je vois des Deesses
180 Pour un foible interrest faire mille bassesses.
Est-ce là le moyen de meriter le prix ?
Mais je veux autrement convaincre vos esprits.
Pour vous faire ceder la gloire & l’art de plaire,
Voyez si comme vous je suis triste & severe.
185 Je n’ay point vos defaux, & j’ay tous vos appas*. {p. 9}
Je chante sur un ton ny trop haut ny trop bas ;
J’ay de vos passions le tendre & l’agreable ;
J’ay comme vous le stile ingenu, raisonnable ;
Dans ma façon d’agir & dans mes sentimens
190 Je n’ay ny vos chagrins, ny vos emportemens ;
Plus discrette que vous je plais sans médisance ;
Et plus douce que vous j’agis sans violence :
Ainsi vous voyez bien si j’ay droit d’emporter
Le prix qu’entre vous deux vous ozez disputer.    
195 Je sçay bien toutesfois quelle est vostre esperance,
Pour emporter l’honneur de cette preference.
Comme le grand Loüis anime vostre voix,
Vous me croyez mal propre à chanter ses exploicts.
Le moyen que je puisse avec des soins rustiques
200 Celebrer dignement ses vertus heroïques,
Ce qu’il fait tous les jours pour l’honneur des beaux arts ;
Son regne plus heureux que celuy des Cesars ;
Le retour de la paix si long-temps exillée ;
L’injustice bannie & la foy rappellée ;
205 Ses amis secourus, ses ennemis deffaits ;
La gloire du triomphe au milieu de la paix ;
Le commerce estably par sa sage conduite ;
Des tirans de la mer la defaite ou la fuite ;
Et tout ce qui le rend la gloire des François,
210 La terreur de l’Europe & l’exemple des Roys.
Mais vous verrez un jour ce que peut ma musette*,
Nostre grand Apolon a porté la houlette*,
Et ma voix pour les Roys n’est pas à negliger,
Si les Dieux ont paru sous l’habit de Berger.

MELPOMENE.

215 Hé quoy ma sœur de Juge on vous voit ma partie*,
De vos pretentions j’estois mal advertie.
Vous disputez le prix ? vous dont la foible voix
Ne sçait representer que les plaisirs des bois,
Les amours des Bergers, & cette vie obscure {p. 10}
220 Qui ne sçauroit fournir une illustre avanture ?
Vous pretendre à mon rang avec tant de fierté ?
A Thalie.
Vostre exemple ma sœur a fait sa vanité,
Et vous voyant pretendre un pareil avantage,
Vostre presomption vient d’enfler* son courage.

THALIE.

225 En vain à mon orguëil vous imputez le sien ;
Vous confondez* nos droits pour détruire le mien :
Mais pour mieux distinguer son merite & le nostre,
Deffions nous, ma sœur, doutons l’une de l’autre,
Cherchons un autre Juge, allons luy faire voir    
230 Par quelque grand essay quel est nostre sçavoir :
Consultons Apollon, & qu’un Dieu si fidelle
Decide entre nous trois cette grande querelle.

EUTERPE.

C’est le Dieu du Theatre il peut seul nous juger.

MELPOMENE.

Ma gloire entre ses mains ne court pas grand danger.
235 Divin dispensateur de la plus belle gloire
Venez par vostre arrest asseurer ma victoire,
Venez donner le prix à qui l’a merité.
Il vient & nous fait voir toute sa majesté.
Durant qu’Apollon descend on entend un concert de tous les instruments des trois Deesses.
{p. 11}

SCENE IV. §

MELPOMENE, THALIE, EUTERPE. APOLLON au milieu des airs.

MELPOMENE.

Arbitre souverain des filles du Parnasse,
240 Le croirez-vous ! on veut me contester ma place :
Mes sœurs fieres d’avoir l’honneur d’un mesme sang,
Me veulent disputer celuy du premier rang,
Et mettant devant vous leur adresse en usage,
Par de nouveaux efforts briguer vostre suffrage.

APOLLON.

245 Je sçay de toutes trois le merite & l’employ :
Je suis le Dieu des vers comme de la lumiere,
Et puis que l’on s’adresse à moy,
Pour sçavoir qui des trois doit estre la premiere,
J’useray du pouvoir que vous m’avez donné.
250 Je ne veux écouter ny faveur ny caprice,
Et vous verrez par ma justice
Le seul merite couronné.

THALIE.

C’est sur ce digne espoir grand Dieu que je commence,
Et je prends pour ma gloire une entiere asseurance.
Chanson pour Thalie.
255 Sur le lut ou sur la musette*,
Pour le sceptre ou la houlette*,
Chantez, mes sœurs, chantez de toutes les façons :
Pour moy je n’aime qu’à médire,
Et la gloire de faire rire
260 Vaut bien celle de vos chansons.

APOLLON.

{p. 12}
Melpomene, ces chants si charmans & si doux
Semblent à vostre sœur promettre la victoire.

MELPOMENE.

Non, non vous n’avez rien à craindre pour ma gloire,
Grand Dieu, vous estes juste & c’est assez pour nous.
Chanson pour Melpomene.
265 Foibles esprits, ames vulgaires,
Qui des biens les plus ordinaires
Faites vos solides* plaisirs,
Ce n’est pas vous que je veux croire :
De plus dignes objets* occupent mes desirs,
270 Et si je pousse des soûpirs,
C’est pour le throsne ou pour la gloire.

APOLLON.

Deesse, l’une & l’autre ont charmé mes oreilles.

EUTERPE.

Attendez de ma voix de plus grandes merveilles.
Chanson pour Euterpé.
Venez pasteurs, venez, & des chants les plus beaux,
275 Des plaintes de l’Echo, du bruit de vos ruisseaux,
Faites un concert agreable ;
Faites voir à mes sœurs par des charmes si doux,
Que tout ce qu’elles ont d’aimable*,
Ne l’est pas tant que nous.

THALIE.

280 Prononcez vostre arrest, grand Dieu qu’attendez-vous ?
Est-il si mal aisé de juger entre nous ?

MELPOMENE.

C’est trop c’est trop languir dans cette inquietude.

EUTERPE.

Tirez-nous promptement de cette incertitude.

APOLLON.

Que puis-je prononcer, alors qu’également*
285 Je me trouve surpris entre tant de merveilles ?
Le prix est incertain pour des beautez pareilles, {p. 13}
Et cette égalité suspend mon jugement.
Aussi ne voulant pas qu’une ait tout l’avantage,
Par un art qui vous mesle & ne vous détruit pas,
290 Le theatre aujourd’huy va produire un ouvrage ;
Qui doit unir tous vos appas*,
Et sans juger sur qui doit tomber la victoire,
Par un meslange heureux confonde* vostre gloire.
Vivez sans jalousie & n’ayez d’autre soin*
295 Que de plaire à Loüis & d’avoir son suffrage :
Travaillez à l’envy* pour ce grand avantage ;
Qu’il soit de vos travaux le juge & le témoin.
Sur ses soins genereux tout vostre espoir se fonde ;
Par luy vos differents cesseront desormais,
300 Et pour comble de ses bien-faits,
Son equitable arrest vous va donner la paix,
Qu’il a donnée à tout le monde.

MELPOMENE.

Tout ce qui va paroistre aux yeux de ce grand Roy,
Le resoudra bien-tost à prononcer pour moy.

APOLLON.

305 Suspendez vostre espoir ; attendez son oracle.
Cependant* faisons place à ce rare spectacle,
Venez en avec moy contempler la beauté,
Et prendre vostre part de cette nouveauté.

MELPOMENE.

Allez & flattez*-vous d’un bien imaginaire,
310 Ma presence en ces lieux est encore necessaire.
Apollon part avec rapidité vers le milieu des airs, Thalie & Euterpé partent à mesme temps emportées par des nües & par un vol croisé.

MELPOMENE continüe.

Vous spectacles pompeux venez parler pour moy.
Venez justifier l’honneur de mon employ.
Venez me seconder, vous sçavantes fureurs ; {p. 14}
Vous, qui communiquez ces divines chaleurs,    
315 Ces glorieux transports* ; dont le pouvoir supréme,
Peut élever l’esprit au delà de luy-méme.
Les Fureurs Poëtiques paraissent & dansent une entrée de Balet, qui fait la fin du Prologue.
{p. 15}

ACTE I §

SCENE I. §

La Scene est dans une chambre magnifique avec une alcove cachée par des rideaux ; aussi-tost que cette decoration a succedé à celle du Prologue, on voit descendre l’Aurore precedée par deux heures, & l’on entend un concert de voix & d’instruments.

LES HEURES CHANTENT.

Voicy la brillante Deesse,
Qui vient nous annoncer la naissance du jour.
Princesse un jeune cœur tout enflammé d’amour,
320 Peut-il avoir tant de paresse ?
Le grand maistre des Dieux presse vostre réveil ;
Il languit en secret d’un amoureux martyre* :
Le repos vous sied mal quand Jupiter soûpire*,
Et l’amour est un Dieu plus doux que le sommeil.

L’AURORE.

325 Belles Heures allez éveiller la Princesse ;
La douceur de vos chants peut moins que sa paresse.
Monstrez-luy promptement ce spectacle nouveau.    
Allez sans tarder davantage, {p. 16}
Et que l’ombre de ce rideau
330 Ne luy dérobe plus ma voix & mon visage.
Les Heures descendent & tirent le rideau de l’alcove.

SEMELE se levant de dessus son lit.

Quel éclat, quelle voix force agreablement
Un repos si profond, un sommeil si charmant ?

L’AURORE.

Princesse nous entrons avec cette licence*
Que nous donne aujourd’huy le souverain des Dieux.     
335 Par son divin pouvoir nous penetrons ces lieux,
Où sa discretion desrobe sa presence.
Jupiter sans vous voir, ne peut estre content :
Dans ce parc amoureux, en ces sombres retraittes,
De vos premiers soûpirs confidentes discrettes,
340 Sous l’habit d’un berger Jupiter vous attend.

SEMELE.

L’image d’un beau songe, un fantosme agreable
Rend envers Jupiter ma paresse excusable ;
Luy-mesme estoit l’objet* d’un songe si charmant.
Allez belle Deesse advertir mon amant*,
345 Que j’aime son ardeur*, & son impatience :
Mais aussi dites-luy qu’il faut par bienseance,
Pour sortir du palais, attendre un plus grand jour,
Et voler malgré moy ce temps à son amour.

L’AURORE.

Semelé je ne puis paraistre davantage :
350 Une de ces Heures pour moy,
Peut aller faire ce message,
Le grand jour qui s’avance a finy mon employ ;
Je dois quitter la place au Dieu de la lumiere,
Il a commencé sa carriere.
355 Filles de Jupiter tesmoins de ses ardeurs*,
Vous allez satisfaire à son impatience ;
Vous pour ce grand secret gardez-bien le silence, [B17]
Et remontez au Ciel pour rejoindre vos sœurs.
Les deux Heures partent à mesme temps & volent vers le cintre du theatre, tandis que l’Aurore remonte vers le lieu d’où elle est partie.

SCENE II. §

SEMELE, DIRCE sa confidente.

SEMELE.

En est-ce assez, Dircé, pour te faire connaistre
360 L’amour, qu’au cœur d’un Dieu mes appas* ont fait naistre ?
L’Aurore en ma faveur viendroit-elle en ces lieux,
Sans l’ordre de ce Dieu, qui commande les Dieux ?

DIRCE.

Non, je n’en doute plus, & j’en tremble, Madame.
Quoy le Prince Alcmeon, qui regnoit dans vostre ame,
365 Ce grand Prince d’Argos, qui depuis si long-temps
Vous offre sa Couronne & des vœux si constants,
Va perdre tout l’espoir de son amour fidelle ?

SEMELE.

J’ay crû brusler* pour luy d’une flamme* immortelle :
Mais puis-je guarantir un feu* si glorieux
370 Contre l’ordre eternel du Destin & des Dieux ?

DIRCE.

Mais le Roy qui du Prince estime l’alliance,
Et voit que vostre cœur panche à quelque inconstance,
Veut sans plus differer le faire vostre Espoux ;
Vous devez obeir ou craindre son courroux.

SEMELE.     [18]

375 Ah Dircé, son courroux ne seroit pas à craindre ;
Si pour vaincre un pouvoir, qui voudra me contraindre,
J’osois luy découvrir* la glorieuse ardeur*,
Que le grand Jupiter allume dans mon cœur :
Mais l’ordre de ce Dieu me condamne au silence.

DIRCE.

380 Mais l’amour de ce Dieu fait seul vostre deffence :
Pour vous justifier, il doit paroistre au jour,

SEMELE.

J’obtiendray de ce Dieu l’aveu de son amour.
Aussi bien il est temps que son rival aprenne
Que l’ardeur*, dont je brusle* est fatale à la sienne,
385 Et qu’un mortel me cede à ce nouvel amant*,
Puis qu’enfin c’est un Dieu qui fait mon changement.

DIRCE.

De cet amant* plustost songez à vous deffaire.

SEMELE.

Se defait-on d’un Dieu qui fait tout pour nous plaire ?
Est-il quelque constance, est-il quelque devoir,
390 Qui puisse resister contre tant de pouvoir ?
Si tu sçavois l’effet de ces divines flames*,
Et de quel air un Dieu s’introduit dans les ames ;
Ou bien si tu sçavois combien l’amour des Dieux
Se saisit aisement d’un cœur ambitieux ;
395 Car enfin je veux bien t’avoüer ma foiblesse,
L’orgueil fait dans mon cœur autant que ma tendresse.

DIRCE.

Vous m’avez confié le nom de vostre amant* :
Contez-moy vostre amour & son commencement.

SEMELE.

Ah ! que l’amour des Dieux est fort en sa naissance !
400 Il peut tout, il triomphe au moment qu’il commence.
J’estois dans ce beau parc où Jupiter m’attend,
Quand au milieu des airs un tumulte éclatant,
Du costé de ce bruit me fait tourner la veuë. {p. 19}
A mes pieds aussitost je voy fondre une nuë,
405 Qui s’estant entr’ouverte offre à mon œil charmé
Tous les appas* d’un Dieu quand il veut estre aimé.
Sa Majesté d’abord trouble toute mon ame :
Puis un regard meslé de tendresse & de flame*,
Comme un brillant amas de force & de douceur,
410 Me lance un trait de feu* jusques au fonds du cœur.
Pour mon premier amour ma raison s’interesse ;
Mais elle le defend avec tant de foiblesse,
Que dans le doux panchant de cette trahison
Mon cœur gagné sans peine entraisne ma raison.
415 Jupiter qui connoist mon desordre* & sa gloire,
Par la parole enfin acheve sa victoire ;
Il me flatte, il me louë, & de la main des Dieux
Tu sçais combien pour nous l’encens est precieux.
Ce Dieu qui sçait l’orgueil qui suit nostre foiblesse,
420 Et ce que peut un Dieu qui flatte & qui caresse,
Luy qui de sa fierté se doit faire une loy,
Avare des douceurs, les prodigue pour moy.
Que ne puis-je exprimer la douce violence
Que fit à mon esprit cette tendre eloquence ?
425 Je devore aussi-tost avec avidité
Ce poison de mon cœur & de ma liberté :
Tous mes sens ébloüis de cét amas de charmes,
Contre un Dieu, sans raison, sans deffence & sans armes,
Je me perds, je m’esgare au milieu d’un beau jour.
430 Et n’ay des mouvemens que ceux de mon amour ;
Je ne me connoy plus dans ce desordre* extreme ;
Je ne voy ny le parc, ny le Dieu, ny moy-mesme :
Une extase amoureuse, un doux enchantement…
Que te diray-je enfin de cet heureux moment ?
435 S’il falloit t’expliquer tout ce que j’en doy croire…
Mais Jupiter m’attend & je perds la memoire :
J’en diray davantage un jour plus à loisir.

DIRCE.

{p. 20}
Contentez sur un point mon curieux desir,
Dites-moy, si les Dieux aiment comme les hommes.

SEMELE.

440 Quand il s’agit d’aimer, ils sont ce que nous sommes.
Pour estre plus que nous aiment-ils autrement ?
Ils different de nous en ce point seulement,
Qu’un Dieu maistre de tout, ainsi que de luy-mesme ,
Se fait tout ce qu’il veut, pour plaire à ce qu’il aime,
445 Et peut se faire un cœur, plus sensible & plus doux,
Et plus tendre que ceux que le Ciel fait pour nous :
Mais c’est trop s’arrester, Jupiter s’en offence.
Au moins n’abuse pas de cette confidence,
Et crain de mon amant* le souverain pouvoir.

SCENE III. §

ALCMEON, SEMELE, DIRCE.

DIMAS.

450 Le Prince est là, Madame, & demande à vous voir.

ALCMEON.

Madame pardonnez à mon impatience.

SEMELE.

Quoy, Seigneur, si matin prendre cette licence*.

ALCMEON.

Par un doute cruel* mon cœur est si pressé*,
Qu’il veut sçavoir le coup dont il est menacé :
455 Je meurs à tout moment dans cette incertitude,
Prenez quelque pitié de mon inquietude ;
De grace apprenez moy quelle ingratte froideur
Change l’heureux destin de ma fidelle ardeur*.
On vient de m’asseurer qu’on voit naistre en vostre ame {p. 21}
460 Le remors d’un adveu favorable à ma flâme* :
Depuis que mon amour me retient dans ces lieux
N’ay je pas fait pour vous ce qu’on fait pour les Dieux ?
C’est de vous aussi bien que du Roy vostre pere,
Que j’ay receu l’adveu d’une flâme* si chere.
465 Ay je arraché ce cœur ? vous me l’avez donné
Ce cœur, pour qui le mien eust tout abandonné,
Que si pour meriter un don si favorable
J’ignore l’art d’aymer, & de se rendre aymable*,
Au moins j’ay dans mon cœur, dequoy vous enflammer,
470 Si pour se rendre aymable* il ne falloit qu’aymer.
Les plus profons respects, la plus forte tendresse…
Mais je vous parle en vain infidelle* Princesse ;
Au desordre* inquiet, qui trouble vos appas*,
Ingratte je voy bien qu’on ne m’écoute pas.

SEMELE.

475 Que me sert d’écouter n’ayant rien à respondre ?
Vos reproches sans doute ont dequoy me confondre* ;
Je ne puis le nier, je vous aimay Seigneur,
Cependant…

ALCMEON.

Achevez, dites moy quel mal-heur,
Quel rival me dérobe une amitié* si tendre ?

SEMELE.

480 Prenons un autre temps Seigneur pour vous l’apprendre
Un devoir si pressant…

ALCMEON.

Je ne vous quitte point
A moins…

SEMELE.

Faut-il Seigneur m’expliquer sur ce point ?

ALCMEON.

Helas je le voy bien, vous en aymez un autre.

SEMELE.

{p. 22}
Ouy Seigneur ; & ce n’est ma faute ny la vostre
485 Je plains vostre mal-heur, & ce cœur innocent
Vous trahit par l’effort d’un charme tout puissant.
Mesme je vous dirois, si j’ozois vous le dire,
Que de son premier feu* ce cœur encor soûpire*,
Et sent aupres de vous, quand il vous faut quitter…

ALCMEON.

490 Ah Princesse…

SEMELE.

Ah Seigneur gardez de vous flatter.
Si vostre fier rival sçavoit que ma foiblesse
Laisse échaper pour vous une ombre de tendresse,
Ce reste de pitié vous deviendroit fatal ;

ALCMEON.

C’est peu de me trahir, on vante mon rival,
495 On veut que sa puissance estonne* ma colere,
Quel est donc ce rival ?

SEMELE.

Seigneur c’est un mystere* ;
Les Dieux seuls, & mon cœur ont droit de le sçavoir.

ALCMEON.

Et vous voulez ainsi flatter* mon desespoir.
Helas je le voy bien, ce rival qui se cache,
500 Pour ma honte & la vostre est un perfide, un lâche ;
Pour vous justifier il paroistroit au jour,
S’il avoit merité l’honneur de vostre amour :
Mais par un sort fatal qui comble ma disgrace,
Un indigne rival vient de prendre ma place.

SEMELE.

505 Tout beau Seigneur, craignez ce dangereux rival.
Mais vous vous faites tort en le traittant si mal,
Vous devez presumer, qu’alors que je vous quitte,
Ce n’est pas par l’effort d’un plus foible merite ;    
Mais sans autre raison croyez en ma fierté ; {p. 23}
510 Nul n’a droit sur ce cœur, s’il ne l’a merité,
Et puisque ma raison me donne au plus aymable*,
Jugez de ce qu’il vaut, s’il vous est preferable :
Blâmez si vous voulez mon cœur de trahison,
Mais faites sur ce choix justice à ma raison.

ALCMEON.

515 Quel qu’il soit, ce rival triomphe dans vostre ame,
C’est là qu’il peut braver mon courroux & ma flâme* :
Mais nous le connoistrons ce rival si charmant.
Cependant dites luy que je suis vostre amant*,
Et qu’on n’enleve point, sans couster bien des testes,
520 A des gens comme nous de semblables conquestes.

SEMELE.

Quand vous le connoistrez vous perdrez ce courroux :
Il sied mal avec luy de faire le jaloux,
Et si vous me croyez, sçachant ce qu’il faut craindre,
Vous vous plaindrez fort bas, si vous ozez vous plaindre.
525 Peut estre j’en dis trop & plus que je ne veux,
Quand il faut consoler un amant* mal-heureux :
Mais comme vostre amour attend tout de mon pere,
Je crains que vous fassiez un éclat temeraire,
Et qu’un rival qui peut du moindre de ses coups…
530 Le Roy vient : échapons à son premier courroux.
A Dircé.
Toy demeure ; je cours où mon amour m’appelle.
{p. 24}

SCENE IV. §

CADMUS Roy de Thèbes, HERMIONE Reine, ALCMEON, Suitte.

ALCMEON.

Vous me voyez frappé d’une atteinte mortelle,
Seigneur, on me trahit ; je viens de tout sçavoir ;
Un rival en secret m’oste tout mon espoir.

LE ROY.

535 Ah ! Prince ce soupçon marque trop de foiblesse.

ALCMEON.

Je viens de le sçavoir, Seigneur, de la Princesse.

LE ROY.

Quoy vous pourriez avoir un rival dans ma Cour ?
Ma fille veut sans doute esprouver vostre amour,
Ou plustost l’augmenter par ces fausses allarmes.

ALCMEON.

540 Helas c’est bien assez du pouvoir de ses charmes,

LE ROY.

La fiere Semelé ne fera point de choix
Qui puisse estre au dessous des Princes & des Roys.

ALCMEON.

A l’entendre parler du choix qu’elle se donne,
Son merite est d’un pris plus haut que la Couronne.

LE ROY.

545 Il faut donc que ma cour à mes yeux abusez*
Cache sous des sujets des Heros déguisez.
Mais en fut-il quelqu’un caché dans cet Empire,
Voudroit-il traverser* l’hymen* que je desire ?    
On sçait, pour faire à Thebes un solide* repos, {p. C25}
550 Que voulant allier ce Trône avec Argos,
Il faut qu’avecque vous, par un Hymen* fidelle,
Semelé nous assure une paix immortelle :
Un si grand interest ne peut estre ignoré.

ALCMEON.

Cependant mon mal-heur, n’est que trop assuré.

LE ROY.

555 Je sçay bien que ma fille au moins en apparence,
Dans ses premiers desirs marque quelque inconstance ;
Mais parmy les amans* cette ombre de froideur
Peut changer le dehors sans aller jusqu’au cœur.

ALCMEON.

Seigneur tout est changé ; la Princesse elle mesme
560 D’un air si transporté* m’a vanté ce qu’elle ayme,
Qu’il n’est mortel ny Dieu qui lui puisse estre égal.
Elle veut que je tremble au nom de ce rival,
Et sa fausse pitié qui craint pour ma foiblesse,    
Veut que sans murmurer je cede la Princesse ;
565 Qu’une lâche terreur estouffe mes desirs,
Et cache au fonds du cœur jusqu’aux moindres soupirs.

LE ROY.

Madame vous devez connoistre vostre fille ;
Elle tient plus à vous que toute ma famille.
Plus belle que ses sœurs elle a le premier rang,
570 Et vous fait negliger le reste de mon sang.
Par cette aveugle ardeur* qui possede les meres,
N’avez-vous point remply sa teste de chimeres ?
Vous fille de Venus, ne la flattez*-vous pas
De l’espoir de gagner un Dieu par tant d’appas*,
575 Et qu’un Heros mortel n’est pas assez pour elle ?
Vous me vantez souvent vostre race immortelle,
Et Semelé sans doute, au point où je la voy,
Prent pour luy tout l’orguëil, que vous avez pour moy.

LA REINE.

{p. 26}
Je n’ay rien fait, Seigneur, qui vous oblige à croire,
580 Que le sang de Venus, dont je tire ma gloire,
Me fasse negliger mon Espoux & mon Roy :
Je sçay ce que je suis, & ce que je vous doy.
Cet imprudent orgüeil qui n’est qu’extravagance,
Vient aux simples mortels d’une simple naissance :
585 Mais cet orgueil qui suit ceux qui sortent des Dieux,
Est un orgüeil illustre, innocent, glorieux.
C’est celuy que j’ay mis dans l’esprit de ma fille,
Et si je la prefere à toute ma famille,    
Je ne puis le nier, dés qu’elle vit le jour,
590 Elle eut mes premiers soins & mon premier amour ;
Mais tout ce grand amour & cette preference
N’ont rien mis dans son cœur plus haut que sa naissance.
Elle a choisi ce Prince & j’ay loüé son choix ;
Et si le sang des Dieux avec celuy des Rois,
595 Est entre vous & moy joint par nostre hymenée*,
Ce grand exemple instruit une fille bien née.
Quoy qu’il semble aujourd’huy, que pour ce digne amant*,
Semelé se dispose à quelque changement,
Je luy rendray bien-tost sa première tendresse :
600 Mais il faut mesnager son ame avec adresse ;
N’y meslez pas, Seigneur, l’aigreur & le courroux ;
Il faut pour la gagner des traittemens plus doux ;
Elle doit obeir, mais d’une obeissance,
Qui n’ait rien de l’indigne & basse dépendance.

LE ROY.

605 Je veux bien à vous seule abandonner ce soin ;
Je sçauray faire agir mon pouvoir au besoin*.
Mais quel est cét amant* dont on fait un mystere* ?

LA REINE.

Pour de pareils secrets choisit-on une mere ?

LE ROY.

{p. 27}
Madame il faudra donc employer mon pouvoir.

LA REINE.

610 Je sçauray l’obliger à faire son devoir.

ALCMEON.

Ah ! Madame, ah ! Seigneur, sans forcer ma Princesse,
Laissez-la disposer de toute sa tendresse :
Mes maux sont trop cruels* pour les pouvoir guerir :
C’est assez de l’aimer, l’adorer, & mourir.

LE ROY.

615 Prince defaites-vous de ce respect frivolle ;
La Princesse est à vous, je tiendray ma parolle.
Vous, voyez vostre fille, & faites-luy sçavoir,
Qu’elle doit s’expliquer ou craindre mon pouvoir.

SCENE V. §

LA REINE, DIRCE.

LA REINE.

Tu vois l’ordre du Roy, Dircé par ton adresse
620 Descouvre* promptement l’amant* de ta Maitresse* :
Ou plustost ouvre moy cet important secret ;
Ma fille l’aura mis dans un sein si discret ;
Il n’en faut pas douter.

DIRCE.

Ah ! de grace, Madame,
Ne me demandez pas le secret de sa flame* ;
625 Ce secret revelé me cousteroit le jour.
L’ordre qui me deffend d’expliquer cet amour,
Vient d’un Amant* si fier, si puissant, si terrible*, {p. 28}
Qu’en vous le descouvrant* ma perte est infaillible.
Contentez-vous enfin d’apprendre que ce choix
630 Vous fera plus d’honneur, que le plus grand des Rois.

LA REINE.

S’il est ainsi, pourquoy s’obstiner à se taire ?
Puis-je pas, s’il le faut, cacher ce grand mystere* ?
Ah ! que je crains de l’air, dont je te vois agir,
Que tu caches un choix qui nous fera rougir.
635 Quel que soit cet Amant*, il faut que je l’apprenne.

DIRCE.

Pourquoy par cet adveu m’exposer à sa haine ?
Puisque de Semelé vous pouvez l’obtenir,
Ne me contraignez point…

LA REINE.

Faites-la donc venir.
Mais que vient m’annoncer ce merveilleux spectacle ?
640 Viens-tu nous esclaircir, Amour, par ce miracle ?

L’AMOUR porté par un Aigle.

Non Reine, à qui je puis donner le nom de sœur,
Puisque Venus est nostre mere.
Loin d’aller de ta fille esclaircir le mystere*,
Garde toy de forcer le secret de son cœur ;
645 Commande luy plustost d’aimer & de se taire.
L’aigle sur qui je viens t’imposer cette loy,
T’apprend, qu’elle te vient d’un Dieu plus grand que moy.
L’Amour prend son vol du ceintre du Theatre vers le fonds.

DIRCE.

Madame vous voyez ce que les Dieux ordonnent.

LA REINE.

Je le vois avec joye, & l’ordre qu’ils me donnent,
650 Monstre, combien au Ciel mon sang est precieux, {p. 29}
Quand ce sang jusqu’icy fait descendre les Dieux.
Allons apprendre au Roy cette grande nouvelle,
Et l’ordre souverain d’une bouche immortelle :    
Qu’il respecte un secret qu’une divine voix
655 Commande de la part du grand maistre des Rois.
Toy, dis à Semelé que sans crainte de blasme,
Elle peut conserver son secret & sa flame*,
Et que malgré l’ardeur* d’un desir indiscret*,
Je renonce au pouvoir d’arracher ce secret.

Fin du premier Acte.

{p. 30}

ACTE II. §

SCENE I. §

La scene est dans un parc.
JUPITER, en habit de Berger, MOMUS.

JUPITER.

660 Ouy j’attens Semelé sous ce nouveau visage :
C’est l’amour qui m’a fait ce galant équipage* :
Mais si tu vois un Dieu sous l’habit d’un Berger,
Ce n’est pas d’aujourd’huy que tu m’as veu changer,
Et de mes feux* secrets cacher les avantures,
665 Sous les traits differents de cent autres figures.

MOMUS.

C’est donc l’Amour qui fait tous ces beaux changemens.
J’admire Jupiter sous ces déguisemens,
Et si-tost qu’il s’agit de faire une conqueste,
Il fait beau voir un Dieu faire l’homme ou la beste.
670 On sçait sous quelle forme on vous vit sur le dos,
Ravir la belle Europe & traverser les flots.
Vous en voulez tousjours à celles de sa race :
Et desja Semelé vient de prendre sa place.
Dans le sang d’Agenor vous trouvez des appas*, {p. 31}
675 Que dans un autre sang vos yeux ne trouvent pas.
On vous voit tous les jours courir de belle en belle,
Aymez-vous ces beaux noms d’inconstant, d’infidelle* ?
N’est-il point de beauté qui vous puisse arrester,
Les Dieux n’ont-ils point honte de coqueter* ?

JUPITER.

680 Momus, veux-tu tousjours censurer & medire ?
N’as-tu jamais connu le souverain Empire,
Qui force au changement le plus puissant des Dieux ?
Voy comme c’est en nous un deffaut glorieux.
Quand j’aime une beauté, d’abord je vois en elle
685 Tout ce qu’a de charmant une beauté mortelle ;
La lumiere d’un Dieu descouvre en ce moment
Tout ce qui peut toucher les desirs d’un amant*.
Un mortel a besoin de temps & de lumiere,
Pour faire à son amour une digne matiere ;
690 Mais un Dieu pour ce chois n’a pas besoin de temps :
Il voit tout d’un coup d’œil & dehors & dedans ;
Son esprit convaincu d’un merite adorable,
Aime d’abord autant, que l’objet* est aimable*,
Et par un feu* divin qui peut tout enflammer,
695 Il embrase l’objet* qui vient de le charmer.
Ce violent Amour vient à peine de naistre,
Qu’il est victorieux, autant qu’il le peut estre,
Et deslors qu’il joüit* avecque tant d’ardeur*,
Sa flame* à son objet* applique tout son cœur,
700 Qu’au mesme instant qu’un Dieu possede une maistresse*,
Il espuise sa joye & toute sa tendresse :
Ainsi le cœur d’un Dieu presque en un seul moment,
Aime, se fait aimer, & cesse d’estre Amant*.
Toy qui n’aimas jamais, tu sçais mal comme on aime.

MOMUS.

705 Peut-estre Jupiter, l’ignorez-vous vous mesme :
Car enfin Semelé vous couste plus d’un jour, {p. 32}
Et je ne vous croy pas trop bien avec l’Amour ;
Vous vous broüillez souvent avec luy ce me semble.

JUPITER.

Nous nous broüillons exprés pour estre mieux ensemble.
710 Si l’amour avec moy s’entendoit tous les jours,
Quelle gloire de vaincre avec ce grand secours ?
Je me fais de l’amour un combat volontaire,
Un doux empressement, une agreable affaire :
Sous l’habit d’un Berger je me deguise exprés,
715 Pour affoiblir ainsi la force de mes traits,    
Et par quelques combats achetant la victoire,
Pour croistre mes plaisirs, j’y mesle un peu de gloire.

MOMUS.

Quelques-fois en un jour on vous voit demander,
Attaquer, emporter la place, & la ceder.

JUPITER.

720 Ouy mais de mon amour apprens tout le mystere*.
Quelque glorieux chois, qu’un Dieu se puisse faire,
Sçache qu’il ne sçauroit remplir tous ses desirs :
Son cœur qui veut par tout le comble de plaisirs,
Repare le deffaut de ces beautez mortelles,
725 Par un enchaisnement de conquestes nouvelles.

MOMUS.

Pourquoy vous attacher aux beautez d’icy bas ?
Nos Deesses pour vous sont elles sans appas* ?

JUPITER.

L’Amour n’a pas au Ciel son veritable empire :
C’est icy seulement qu’on brusle* & qu’on soûpire* ;
730 Dans le sejour* des Dieux l’on y vit sans desirs,
Et sans desirs l’Amour a-t’il de vrais plaisirs ?

MOMUS.

Est-il d’autres plaisirs pour le Dieu du tonnerre
Que celuy quand il veut de foudroyer la terre ?
Rire des beaux desseins d’un fol ambitieux, {p. 33}
735 Et preparer sa cheute en l’élevant aux Cieux ;
Tout remply de nectar dans une paix profonde,
D’un branlement de teste ébranler tout le monde ;
Faire de ses desirs sa raison & ses loix ;
Se joüer à son gré des peuples & des Roys ;
740 Voir les mortels broüillés dans toutes leurs prieres ;
Leur voir pousser des vœux l’un à l’autre contraires ;
Confondre* leurs projets & d’une mesme main,
Aujourd’huy les flatter & les punir demain ;
Et sur cette conduite inégale, incertaine
745 Ouyr les sots discours de la prudence humaine ;
Voila de Jupiter les doux amusemens.

JUPITER.

J’en trouve dans l’amour qui sont bien plus charmans :
Quand l’amour dans un cœur met toute la tendresse…

MOMUS.

C’est avec ce beau nom qu’on cache sa foiblesse.

JUPITER.

750 S’il est quelque foiblesse à se laisser charmer,
Que ne suis-je plus foible afin de mieux aymer ?
Ou s’il faut souhaiter une chose impossible,
Que ne suis-je moins Dieu pour estre plus sensible ?
Mais j’ay tort de parler à qui n’ayma jamais :
755 Ne combats plus ma flâme* & sers la desormais ;
Momus tu tiens icy la place de Mercure.

MOMUS.

Ouy grace à vos bontez & ma gloire en murmure ;
Vostre ordre malgré moy m’employant en ce jour,
Fait d’un censeur des Dieux un confident d’amour.

JUPITER.

760 C’est pour tromper Junon qu’aujourd’huy je t’employe,
Tu sçays qu’incessamment elle trouble ma joye,
Et du subtil Mercure aprehendant l’employ,
Il luy seroit suspect s’il estoit pres de moy.
Ainsi…Mais j’aperçois Semelé. {p. 34}

MOMUS.

Je vous laisse ;
765 Un tiers est incommode aupres d’une maistresse*.

SCENE II. §

JUPITER, SEMELE.

JUPITER.

Ma Princesse est ce vous ?

SEMELE.

Est-ce là mon amant* ?

JUPITER.

Me méconnoissez-vous sous ce déguisement ?
Avez vous oublié le discours de l’aurore ?

SEMELE.

Non, non, il m’en souvient, c’est le Dieu que j’adore ;
770 Sous l’habit d’un berger, il m’attend en ces lieux.

JUPITER.

Je trompe ainsi Junon & me cache à ses yeux :
De son jaloux esprit la triste inquietude
A m’épier sans cesse applique son estude ;
Mais voulant m’assurer mes plaisirs les plus doux…

SEMELE.

775 Ah vous vous cachez moins pour Junon que pour vous :
Vous aymez vostre gloire, & vous craignez pour elle,
Qu’on sçache ce qu’un Dieu fait pour une mortelle.

JUPITER.

{p. 35}
Moy craindre pour ma gloire un choix si glorieux ?
Moy qui pour vous servir, abandonne les cieux ?
780 Moy qui bruslant* pour vous d’une ardeur* sans seconde
Neglige sans rougir la conduite du monde ?
Moy qui montre à vos yeux un amant* si charmé,
Qu’il cesse d’estre Dieu pour estre plus aymé ?

SEMELE.

Hé bien si vostre amour est à couvert du blâme,
785 Si vous prisez si fort l’honneur de vostre flâme* ;
Jupiter il est temps qu’elle paroisse au jour ;
Il court de fâcheux bruits de ce secret amour,
Et si vostre ordre encor me condamne au silence,
Cet amour va perir par mon obeyssance :
790 On presse mon himen* pour le Prince Alcmeon ;
J’oppose un autre amant*, mais j’en cache le nom.
Ce silence honteux où s’obstine mon ame,
Au sentiment de tous cache une indigne flâme*,
Et tandis que ce feu* n’ozera voir le jour,
795 Ma gloire est en peril ainsi que mon amour.

JUPITER.

Ne craignez rien ; Amour pour finir vostre peine*,
Et par mon ordre expres envoyé vers la Reyne,
Luy deffend d’écouter un desir indiscret*,
Qui veut de vostre flâme* arracher le secret.
800 Et par un autre choix tiranniser vostre ame.

SEMELE.

Tant de precautions à cacher vostre flâme*,
Le respect de Junon, tous vos déguisemens
Ne m’apprennent pas trop quels sont vos sentimens.
En effet, quand un Dieu se fait une maistresse*,
805 Il doit aymer sans bruit, & cacher sa foiblesse ;
Un Dieu doit s’épargner cette confusion* ;
Junon est trop à craindre en cette occasion,
Et quoy que le secret soit fatal à ma gloire, {p. 36}
Qu’importe on en croira ce qu’on en voudra croire.
810 Ce procedé n’est pas d’un veritable amant* :
Un Dieu qui craint les bruits ayme bien foiblement.
Pour moy je ne crains point de dire qu’un Dieu m’ayme ;
Donnez m’en la licence*, ou je la prens moy-mesme.
Contre un pere en courroux, contre tout son pouvoir
815 Je n’ay que cet adveu pour sauver mon devoir,
Et je croy qu’un amour, dont mon ame est si fiere,
Est trop noble & trop beau pour craindre la lumiere.
Cependant advoüez que j’ayme plus que vous.
Je le voy bien, les Dieux n’ayment pas tant que nous :
820 Les Dieux n’ont pas le temps d’aymer comme on les ayme,
Le soin* de vostre gloire & l’amour de vous mesme
Vous peuvent-ils pour nous laisser quelques desirs ?
Mais vous estes vous seul ma gloire & mes plaisirs :
Ainsi loin de cacher cette flâme* divine ;
825 J’en veux vanter par tout l’adorable origine,
Et faire voir par tout un feu* si glorieux.

JUPITER.

Et n’est ce pas assez qu’il paroisse à nos yeux ?
Un témoin comme moy suffit pour vostre gloire.

SEMELE.

Je veux que tout le monde apprenne ma victoire,
830 Et ne croiray jamais qu’on m’ayme tendrement,
Si le grand Jupiter rougit du nom d’amant* :
Ma gloire en cet estat est tousjours imparfaite.

JUPITER.

Hé bien que tout le monde aprenne ma deffaite :
Il faut bien satisfaire à vostre ambition ;
835 Que mon amour éclatte aussi loin que mon nom.

SEMELE.

Apres un tel adveu je brave la colere
Des hommes & des Dieux, d’un amant* & d’un pere.
Mais Alcmeon paroist, tâchons de l’éviter ; {p. 37}

JUPITER.

Il faut voir le rival, qu’on donne à Jupiter.

SCENE III. §

JUPITER, SEMELE, ALCMEON.

ALCMEON.

840 Ce beau berger est-il de vostre confidence ?

SEMELE.

Comment ?

ALCMEON.

Je vous apporte un advis d’importance,
Et n’oze devant luy…

SEMELE.

Parlez ne craignez rien,
Ou gardez vostre advis, s’il rompt nostre entretien.

ALCMEON.

J’ay tort de l’interrompre ; & je voy bien Madame,
845 Puis que vous luy fiez* le secret de vostre ame,
Que c’est luy qui souvent vous attire en ces lieux.
C’est donc là ce rival si fier, si glorieux ;
Puis donc qu’on ne craint rien d’un témoin si fidelle,
Apprenez le sujet d’une douleur mortelle.
850 Malgré tous mes conseils, contre vostre dessein,
Le Roy vous veut contraindre à me donner la main,
Et pour ce coup fatal marque cette journée.

JUPITER, bas à Semelé.

Mes ordres sçauront bien rompre cet Himenée*.

SEMELE, à Alcmeon.

{p. 38}
Que me conseillez-vous sur cet ordre absolu ?
855 Ou vous mesme plustost qu’avez-vous resolu ?
Mon sort dépend de vous, faut-il que j’obeysse ?

ALCMEON.

C’est à ce digne amant* faire trop d’injustice,
De prendre en ce besoin* conseil de son rival.

JUPITER.

Ce conseil quel qu’il soit nous fera peu de mal.

ALCMEON.

860 Hé quoy vous me bravez ?

JUPITER.

Non j’aurois peu de gloire,
De braver un rival quand il pert la victoire.

ALCMEON.

C’est parler devant moy bien haut pour un berger.

JUPITER.

Des bergers comme moy le peuvent sans danger.

ALCMEON.

Cette fierté m’étonne* & je ne puis comprendre…

JUPITER.

865 On m’ayme & ce seul mot suffit pour vous l’apprendre.

ALCMEON.

Que vous sert cet amour quand j’ay l’adveu du Roy ?

JUPITER.

Que vous sert cet adveu, quand son cœur est à moy ?
Quand on a comme moy la gloire de lui plaire…

ALCMEON.

Quand on n’a qu’à combattre un berger temeraire…

JUPITER.

870 Je ne sçay qui l’est plus du berger ou de vous.

ALCMEON.

Ah c’en est trop.

JUPITER.

Calmez ce dangereux courroux.

SEMELE.

{p. 39}
Hé quoy contre un berger & mesme en ma presence
Un Prince…

JUPITER.

Je répons icy de sa clemence.

ALCMEON, portant la main sur la garde de son épée.

Vous voyez qu’un berger me brave impunement,
875 Et vous vous offensez de mon ressentiment ?
C’est trop souffrir*.

SEMELE.

O Dieux !

JUPITER.

Ne craignez rien Princesse.

ALCMEON.

Quel charme sur mes bras jette tant de foiblesse ?

JUPITER, à Semelé.

Pouvez-vous pour un Dieu craindre quelque danger ?

SEMELE.

Ma tendresse d’abord n’a rien veu qu’un berger.

ALCMEON.

880 Ce prompt enchantement & ce charme invisible
Me fait connoistre enfin cet amant* si terrible*.
Ce rival dont tantost vous m’avez menacé.

JUPITER.

Ouy Prince, c’est luy mesme, & le charme est passé :
J’ay pitié de l’estat, où vous met trop d’audace :
885 Amant* de Semelé vous meritez ma grace.
Au moins par cet essay connoissez mon pouvoir.

ALCMEON.

Va ta pitié ne fait qu’aigrir mon desespoir,
Injurieux rival, laisse moy ma foiblesse ;
Accable un mal-heureux, ou me rend ma Princesse ;
890 Tu me l’ostes ; cruel* ; & ton charme trompeur
Ainsi que sur mon bras a passé dans son cœur.
Princesse ouvrez les yeux & voyez l’imposture {p. 40}
D’un art affreux* & noir, qui force la nature.
Vous laissez vous surprendre aux charmes d’un trompeur ?

SEMELE.

895 Vous mesme connoissez ce divin enchanteur*,
Qui sous les foibles traits d’un enfant de la terre,
Cache le puissant Dieu qui lance le tonnerre.
Admirez quel rival vous fait mon changement.

ALCMEON.

Jupiter mon rival ! Dieux quel aveuglement !

SEMELE à Jupiter.

900 Vous voyez…

JUPITER à Semelé.

J’ay pitié de l’erreur qui l’abuse*.

ALCMEON.

Vostre infidelité* cherche en vain cette excuse.

SEMELE.

Sans doute, & je rougis qu’un changement fatal
Donne au Prince d’Argos un berger pour rival,
Si la bonté d’un Dieu ne daigne vous absoudre,
905 Craignez de le connoistre à l’éclat de sa foudre.

ALCMEON.

Pleut au Ciel, qu’il voulut découvrir à mes yeux
Par un coup de tonnerre, un choix si glorieux.
Du moins en connoissant le Dieu qui me surmonte*,
Je mourrois avec joye, & vous perdrois sans honte ;
910 Mais las ! ce n’est pas luy, mais c’est vous que je crains :
La foudre est dans vos yeux, & non pas dans ses mains.
Mais quoy l’air s’obscurcit & l’orage s’appreste…

JUPITER.

Quel changement soudain excite la tempeste ?
Quand je suis sur la terre, il tonne dans les cieux,

ALCMEON à Semelé.

915 Il tonne, & c’est icy le grand maistre des Dieux.
C’est à cet imposteur qu’il declare la guerre. {p. D41}

JUPITER à Semelé.

Junon quand il luy plaist peut former le tonnerre,
Elle est Reyne des airs.

ALCMEON.

Foudre tombe en ce lieu ;
Ta gloire est de punir le fantôme d’un Dieu.

JUPITER.

920 Sans doute que Junon en veut à ma Princesse,

SEMELE.

Sans doute qu’un faux charme abuse* ma tendresse.

JUPITER

Quoy vous doutez ?

ALCMEON à Semelé.

Voyez quelle estoit vostre erreur.

JUPITER.

Junon descend en terre ; évitons sa fureur.
Nuages descendez, & qu’une épaisse nuë
925 La derobe à sa rage & nous cache à sa veuë.
Une nuë décend qui ayant enveloppé Jupiter, & Semelé remonte dans le Ciel.

SCENE IV. §

ALCMEON, JUNON paroist dans un Ciel orageux.

ALCMEON.

Dissipez ce nüage, il est temps d’éclater,
Tombez foudres, tombez sur un faux Jupiter.
Grand Dieu vange ton nom usurpé par un traistre.
Mais quel est ce prodige, & que vois je paroistre ?
930 C’est Junon elle-mesme avec la foudre en main. {p. 42}
Pourquoy cet équipage*, & quel est son dessein ?    
De ce faux Jupiter qui m’oste ce que j’ayme,
Me vient-elle vanger, ou se vanger soy-mesme ?
Bergers qui la voyez descendre dans ce bois,
935 Pour haster son secours, prestez-moy vostre voix.
Chanson.
Reyne des vents Maistresse des tempestes
Espargnez nos champs & nos testes,
Et sur ce ravisseur tournez ce grand courroux,
A ce triste mortel il ravit ce qu’il ayme :
940 Vous voyez sa douleur, vous sçavez par vous-mesme,
Tout ce que souffre* un cœur amoureux & jaloux.

JUNON en descendant sur le Théatre.

Tu me vois Alcmeon au milieu des nüages
Par un soin inutile exciter des orages,
Et pour des vains efforts prester à mon courroux,
945 Ces traits que j’ay surpris à mon perfide époux.
Jupiter à mes yeux dérobe son amante* ;    
Son amour tout puissant, rend ma haine impuissante.
Vents, tempestes, esclairs, enfans de ma fureur,
Qui ne semez icy qu’une vaine terreur,
950 Evanouyssez-vous : l’artifice* & l’adresse
Vangeront mieux que vous ma gloire & ma foiblesse.
Junon estant descenduë.
Prince d’Argos approche & n’apprehende rien,
Nos mal-heurs sont communs & ton sort est le mien :
Une ingrate Princesse à ta flâme* infidelle*,
955 Triomphe d’un mortel, & brave une immortelle,
Et sa fiere beauté par un mal-heur fatal
Rend Jupiter perfide, & le fait ton rival.

ALCMEON.

Jupiter mon rival ? que dites vous Deesse ?
Le rival dont j’osois mépriser la foiblesse,
960 Luy qui comme un berger se montroit à mes yeux, {p. 43}
Ce rival est un Dieu le plus puissant des Dieux ?
J’esperois esclaircir cette estrange avanture,
Pour convaincre un rival d’une lâche imposture,
C’estoit là tout l’espoir dont j’ozois me flatter*,
965 Et dans cet imposteur je trouve Jupiter ?
Vous deviez prevenir* ces mortelles allarmes :    
Avec tant de puissance, avecque tant de charmes,
Deesse ignorez-vous l’art de vous faire aymer ?
Et que vous manque t-il pour plaire & pour charmer ?

JUNON.

970 Mais Prince le moyen que ma beauté l’arreste
Ce Dieu qui va tousjours de conqueste en conqueste.
Rien ne sçauroit borner ses glorieux soûpirs,
Quel objet* peut borner de si vastes desirs ?
Pour consoler ma gloire & toute ma tendresse,
975 Tâchons adroitement de perdre* sa Maistresse* ;
Sur sa fiere beauté par de secrets moyens
Je m’apreste à vanger tes feux* comme les miens.
Jusqu’icy j’ay voulu par une guerre ouverte,
Par de honteux éclats, entreprendre sa perte ;
980 Mais le grand Jupiter est plus puissant que moy.
Pour la perdre* en secret…d’où te vient cet effroy ?
Trembles-tu des perils d’une ingrate Princesse ?

ALCMEON.

Toute ingrate qu’elle est excusez ma foiblesse :
J’ay pour sa trahison une secrette horreur,
985 Et l’amour toutesfois regne encor dans mon cœur.

JUNON.

J’ay donc tort de venir avec tant d’imprudence,
Te fier* le secret d’une juste vengeance.
Gardant pour ma rivale un sentiment si doux,
Ta foiblesse contre elle augmente mon courroux.

ALCMEON.         [44]

990 Regardez ma Princesse avec moins de colere :
Qu’a t’elle fait enfin qui puisse vous déplaire ?
Aux tendresses d’un Dieu peut-elle resister ?
Que suis-je, helas que suis-je aupres de Jupiter ?

JUNON.

Sous ces belles couleurs couvre ton infamie,
995 Pour meriter ma haine ayme mon ennemie.

ALCMEON.

Hé bien sauvez mon cœur de cette lâcheté :
Je voudrois bien haïr cette ingrate beauté ;
Mais puis que sur mes sens elle est trop souveraine,
Pour vanger mon amour, prestez-moy vostre haine ;
1000 Si je ne sçay qu’aymer, hayssez-là pour moy.

JUNON.

Tu seras satisfait & c’est-là mon employ.    
Je sçay l’art de haïr sans remors & sans peine* :
Si l’amour a ses Dieux je le suis pour la haine.
Pour faire agir la mienne avec plus de bon-heur,
1005 Et mettre en seureté mon nom & mon honneur,
Sous des traits déguisez abusant* ta Princesse…    
Mais je t’en dirois trop & je crains ta foiblesse :
Je t’instruiray de tout avant la fin du jour.
Adieu je vay vanger ma gloire & ton amour.

Fin du second Acte.

{p. 45}

ACTE III. §

SCENE I. §

La scene est dans un jardin enchanté.
JUPITER, SEMELE, MOMUS.
Jupiter & Semelé descendent dans une nuë,

JUPITER.

1010 Vous n’avez rien à craindre icy belle Princesse.
à Momus.
Toy, tasche d’observer la jalouse Deesse ;
Sur tout cache luy bien cet azile secret.

MOMUS bas en s’en allant.

J’obeiray fort mal s’il faut estre discret.

JUPITER.

Hé bien ces grands essais d’amour & de puissance
1015 Vous laissent-ils encor dans quelque defiance ?
Doutez-vous de mon nom ? ce merveilleux sejour*,
Et ces lieux enchantez qu’a produit mon amour,
Sont-ils de ma grandeur un foible tesmoignage ?
Vous voyez au milieu d’une forest sauvage,
1020 Naistre par un miracle aussi rare que beau,
D’un amas de beautez le spectacle nouveau.
Ces lieux quand vous voudrez vous offrent un azile, {p. 46}
Pour vous comme l’accez l’issuë en est facile.
Icy loin de Junon, & loin de vostre Cour,
1025 Et sans autres tesmoins que les yeux de l’Amour,
Nous gousterons tous deux tout ce que dans les ames    
Respandent de douceurs les plus heureuses flames*,
Tout ce que font sentir de joye & de plaisirs,
Le commerce* amoureux des yeux & des souspirs,
1030 Les combats d’amitié*, de soins*, de deferences,
Les flatteurs entretiens, les tendres confidences,    
Ces beaux emportemens de l’esprit & du cœur,
Ces charmes composez de flame*, & de langueur,
Les doux égaremens, les aimables* foiblesses,
1035 Les extases d’amour, les transports*, les tendresses,
Tout ce qui peut enfin nous flatter tour à tour,    
Quand on se donne tout au pouvoir de l’Amour.

SEMELE.

Ah ! que de ces discours la divine eloquence,
Du Dieu dont je doutois me fait voir la presence !
1040 Vous estes Jupiter, mon doute est esclaircy,
Et les Dieux seulement peuvent parler ainsi.
Autrefois d’un mortel j’ay ressenty la flame* ;
Mais ce n’est pas ainsi qu’il regnoit dans mon ame :
Je sens bien d’autres feux*, & des traits plus puissans.
1045 Un coup d’œil vous rend maistre, & des cœurs & des sens,
Et cette liberté nostre unique avantage,    
De vos divines mains le present & l’ouvrage,
Pour entrer dans vos fers* trouve un panchant si doux,
Qu’on voit bien que nos cœurs s’entendent avec vous.

JUPITER.

1050 Si ma divinité vous paroist si presente,
Je dois vous en donner une marque esclatante.
Je veux que dans ces lieux le comble des plaisirs,
Par un charme eternel remplisse vos desirs ;
Le Ciel respectera ce precieux azile ;                         [47]
1055 Vous y respirerez un air pur & tranquile,
Que rien ne troublera que vos tendres souspirs,    
Et le soufle amoureux des aimables* Zephirs* ;
Icy chaque saison nous donnera des roses,
Les plus charmantes fleurs, & les plus belles choses,
1060 Et pour n’y rendre pas nos plaisirs limitez
Chaque jour produira de nouvelles beautez ;
La Mere des Plaisirs vous y suivra sans cesse,
Cette source d’appas*, la brillante Jeunesse,
Respandra sur vos jours un eternel printemps,
1065 Et les affranchira de la fureur des ans ;
Mille Ris, mille Jeux, & leur charmante Mere,
N’y prendront d’autre soin que celuy de vous plaire ;
Vous y verrez tousjours les plus jeunes Amours,
Et tout ce qu’avec eux amenent les beaux jours ;
1070 C’est icy que nos cœurs aimeront sans contrainte,
Joüiront* sans degoust, possederont sans crainte,
Et ce qui plus que tout doit flatter* vos desirs,
C’est un Dieu tout-puissant qui promet ces plaisirs.

SEMELE.

Que de biens à la fois ! mais helas ! leur durée
1075 N’en sera-t’elle point courte & mal asseurée ?
Ces plaisirs qui seront les fruits de vostre amour,    
Suivront-ils le destin de qui les met au jour ?
L’amour n’est pas pour vous un tribut necessaire,
Vous estes de ses loix esclave volontaire,
1080 Un Dieu n’aime qu’autant qu’il se laisse enflammer,
Et qui peut n’aimer pas, cesse bien-tost d’aimer.
Pardonnez-moy de grace, un peu de défiance ;
Tant de biens pour jamais ont si peu d’apparence,
Que j’ay trop de sujet de craindre un changement.

JUPITER.

1085 Que vous connoissez mal le cœur de vostre amant* !
Son ardeur* pour s’esteindre est trop grande & trop belle ; {p. 48}
Dans un cœur immortel l’amour est immortelle,
Et ce feu* dont vos yeux sont la source & l’appuy,
Doit s’il enflâme un Dieu durer autant que luy.
1090 Souffrez* pour un moment qu’en ces lieux je vous laisse ;
Mon destin me l’ordonne & mon devoir me presse* ;
Mais songez quand je rends mes soins à l’univers,
Qu’un Empire si beau me plaist moins que vos fers*.

SEMELE.

Faites vostre devoir, grand Dieu vous devez croire
1095 Que je vous ayme trop pour trahir vostre gloire.
Mais du plus haut des cieux dans ce divin employ
Laissez tomber au moins quelque regard sur moy.

JUPITER.

Je dois à l’univers les soins de ma sagesse,
Et ceux de mon amour sont tous à ma Princesse.
1100 Mais avant que quitter ce jardin enchanté
Je vay voir si Momus pour vostre seureté
Veille sur la Deesse, & le prier encore
D’éloigner ses regards de celle que j’adore.
Ah ! que je veux de mal Princesse à ma grandeur !
1105 Helas si j’en croyois & mes yeux & mon cœur,
Je laisserois le Ciel sans maistre & sans conduite :
Ma gloire ne se peut sauver que par la fuite.
Vous cependant*, Venus, plaisirs jeunesse amour
Venez prendre ma place attendant mon retour.
[E49]

SCENE II. §

SEMELE, VENUS descend du Ciel dans son char, accompagnée de deux amours, & chante en décendant.

[VENUS.]

1110 Princesse on ne voit rien de charmant & de doux,
Qui ne se rende aupres de vous :
Rien ne peut égaller vostre bon-heur extreme ;
Un Dieu prend soin de vos plaisirs,
Que ne fera-t’il point pour remplir vos desirs ?
1115 Il peut tout & vous ayme.

SEMELE.

Que de beautez ensemble & de rares merveilles
Enchantent à la fois mes yeux & mes oreilles !
C’est la mere d’amour qui descend en ce lieu,
Et me vient consoler de l’absence d’un Dieu.

VENUS dans son char.

1120 Digne sang de ma fille, & digne de la pomme,
Que je receus jadis de la faveur d’un homme,
Je viens à tant d’appas* joindre un nouveau secours :
Jupiter est volage & je crains pour ta gloire,
Pour t’assurer cette grande victoire,
1125 Je viens à ta beauté prester ces deux amours.
Ils ont ordre tous deux de t’obeïr sans cesse :
L’un comme estant un Dieu de flâme* & de tendresse,
Doit d’un amour constant embraser ton vainqueur ;
L’autre te doit armer d’un charme inévitable ;
1130 L’un fait aymer, & l’autre rend aymable*,
L’un ira dans tes yeux, & l’autre dans son cœur.
Les deux amours descendent aupres de Semelé.
{p. 50}

SEMELE.

Ah ! que de vostre part tant d’heur* & de puissance,
Preuve bien clairement l’honneur de ma naissance :

VENUS.

Mais ce n’est pas assez du glorieux secours
1135 Que te promettent ces amours ;
Tu vas voir dans ces lieux la charmante deesse,
La mere des amours l’immortelle jeunesse,
Te suivre incessamment dans cet heureux sejour*.
Elle vient, c’est assez, d’elle je me retire :
1140 Je laisse aupres de toy, ma fille & c’est tout dire,
Je laisse aupres de toy la jeunesse & l’amour.

SCENE III. §

VENUS remonte au Ciel tandis que la Jeunesse descend dans un char avec une Couronne de fleurs à la main.
LA JEUNESSE, SEMELE, deux amours.

[LA JEUNESSE.]

Par ce mesme pouvoir, que vient de faire naistre
Tout ce que dans ces lieux Jupiter fait paraistre,
Je viens icy Princesse executer ses loix.
1145 C’est par son ordre expres & par son propre choix,
Que ma main de ces fleurs a fait une Couronne,    
C’est par son ordre aussi que ma main vous la donne.
Tout ce que sur ce teint le Ciel a mis de fleurs,
Et tout ce que j’y mets de brillantes couleurs,
1150 Conservera tousjours ces graces naturelles {p. 51}
A l’ombre & sous l’abry de ces fleurs immortelles.
Le temps ce vieux tiran de toutes les beautés
N’eust jamais droit d’entrer dans ces lieux respectez,
Et s’il regne par tout sur tout ce qui respire,
1155 Il perdra pres de vous ses droicts & son Empire :
Sans cesse malgré luy je veux suivre vos pas.
Vous venez rendre hommage à ses divins appas*,
Plaisirs, venez icy mes compagnons fidelles,
Et faites vostre Cour à la Reyne des belles.
Les plaisirs descendent des quatres coins du Théatre.
LES PLAISIRS avec la jeunesse dansent une entrée de ballet devant Semelé, & les deux amours se meslent à leur danse.

LA JEUNESSE apres avoir dansé.

1160 Voilà le foible essay de vos contentemens ;
Vous aurez dans tous les momens
Ou de nouveaux plaisirs ou des beautez pareilles.
Commandez ; vous avez un plain pouvoir sur nous :
Mais attendés encor de plus grandes merveilles
1165 De ces puissans amours, que je laisse avec vous.
La Jeunesse remonte au Ciel ; suivie des Plaisirs.

SEMELE aux deux amours.

Vous donc divins enfans, dont la seule puissance
Peut d’un bon-heur sans borne affermir l’esperance,
Pour élever ma gloire au comble de mes voeux,
Rendez un Dieu constant, comme il est amoureux.
1170 Mais quel nouvel éclat vient augmenter ma joye ?
C’est Mercure, c’est luy que Jupiter m’envoye.
{p. 52}

SCENE IV. §

JUNON déguisée en Mercure, SEMELE, deux Amours.

JUNON.

Ouy je viens de sa part vous tirer d’une erreur,
Qui vous livre aux desirs d’un infame imposteur.
Un amant* qui se cache & qui n’oze paroistre
1175 Se nomme Jupiter & se vante de l’estre ;
L’Enfer preste à sa flâme* un merveilleux pouvoir,
Et tout ce qu’en ces lieux ces charmes vous font voir
N’est qu’une illusion d’images empruntées,
Et le pompeux amas de beautez enchantées.

SEMELE.

1180 Est-ce vous que j’entens, Mercure ? quoy Venus
L’Aurore, & d’autres Dieux si grands & si connus,
Ont ils authorisé cette lâche imposture ?
Contre leur témoignage en croiray-je Mercure ?

JUNON.

Non non n’en croyez pas le fils de Jupiter,
1185 De cette douce erreur vous devez vous flatter ;
Mettez dans vostre esprit cette belle chimere ;
Dites, pour vous tromper que je trompe mon pere :
Puisque Europe autrefois eust dequoy le charmer,
Vous estes de son sang, il peut bien vous aymer ;
1190 Ce n’est pas d’aujourd’huy qu’il ayme des mortelles,
Et l’on peut vous compter au nombre des plus belles ;
Tout le Ciel a-t’il rien, qu’on vous peust comparer ?
Jupiter à Junon vous a deu preferer :
Elle est Reyne du monde, elle est belle & deesse ;
1195 Mais enfin elle est femme & vous estes maistresse* :
Ce beau nom vous suffit & c’est assez pour vous {p. 53}
De vaincre une Deesse aux yeux de son espoux.
J’ay pitié d’un orguëil si foible & si credule,
Et pour destruire enfin une erreur ridicule,
1200 Qui du grand Jupiter merite le courroux,
Fantômes decevans évanouyssez-vous.    
Hé bien m’en croirez-vous ?
Le jardin enchanté disparoit & le parc revient.

SEMELE.

Ah surprise mortelle.
J’ay pris pour Jupiter un fourbe un infidelle*.

JUNON.

Voila de vostre orguëil la vaine illusion.

SEMELE.

1205 Vous me couvrez de honte & de confusion*.
Quoy cet amour d’un Dieu, cette illustre avanture,
Quoy tout ce que j’ay veu n’estoit qu’une imposture ?
Voicy ces mesmes lieux où ce perfide amant*
Sema tous les appas* d’un long enchantement,
1210 Ou de ce grand amas de plaisirs & de gloire,
A peine en reste-t’il un nombre en ma memoire.
Abandonnez ces lieux infidelles* amours,
Contre un faux Jupiter ridicule secours,
Allez qu’à d’autres soins vostre pouvoir s’applique ;
1215 Enfans d’une Venus trompeuse & chimerique.

Un des amours.

Nous t’alons obeïr, mais s’il faut te quitter
Princesse écoute au moins ce fidelle* langage.
Cet envoyé de Jupiter
T’abuze par un faux message :
1220 Ce feint ou vray Mercure est luy-mesme un trompeur ;
Sçache que ce n’est point un imposteur qui t’ayme,
C’est Jupiter luy-mesme.
Nul ne sçayt mieux que moy le secret de son cœur.
Les deux Amours s’envolent.
{p. 54}

SCENE V. §

SEMELE, JUNON.

SEMELE.

Quelle est cette estonnante* & bizarre avanture ?
1225 Et qui croiray-je enfin d’amour ou de Mercure ?

JUNON.

Princesse en doutez-vous ?

SEMELE.

Puis-je n’en pas douter ?
Vous estes confident & fils de Jupiter,
Mais peut-estre qu’amour son vainqueur & son Maistre…

JUNON.

L’en croyez-vous si-tost qu’il se vante de l’estre ?
1230 Ces yeux à qui l’amour doit le nom de vainqueur
N’ont garde de douter d’un si charmant honneur ;
Vous pourriez toutesfois, sçachant ce que vous estes
Prendre d’autres garands pour de telles conquestes.
Mais n’en croyez icy Mercure ny l’amour,
1235 Et dans ces lieux suspects craignez quelque faux jour.
Que ce Dieu supposé si grand en apparence
Vous fasse un digne essay de sa toute puissance ;
Qu’il descende du Ciel avec la foudre en main,
Avec tout l’appareil du pouvoir souverain,
1240 Et tel qu’il est enfin quand pour plaire à sa femme,
Il s’offre tout brillant de lumiere & de flâme.
C’est comme* cet amant* se doit montrer à vous ;

SEMELE.

Ouy sans doute il me doit un spectacle si doux :
C’est ainsi qu’à mes yeux cet amant* doit paroistre ; {p. 55}
1245 S’il n’est pas Jupiter, il est digne de l’estre.
Graces à vostre advis, j’ay trouvé le moyen
D’éclaircir plainement son destein & le mien :
Mais c’est trop s’amuser*, cette longue retraitte
Peut trouver dans la Cour un mauvais interprette.
1250 Cependant* allez dire à vostre Jupiter,
Que si de son amour mon cœur s’oze flatter
Je ne puis consentir à perdre tant de gloire ;
Vostre nom vos discours m’obligent de vous croire ;
Mais il faut que l’essay, dont vous estes l’autheur
1255 Me montre clairement que j’ayme un imposteur.

SCENE VI. §

JUNON seule.

Va ce fatal essay te coustera la vie ;
Tu mourras ma rivalle & ma rage assouvie…
Mais j’apperçoy Momus.
{p. 56}

SCENE VII. §

JUNON, MOMUS.

MOMUS.

Ah ! Mercure est-ce toy ?
Viens-tu pour mon honneur reprendre ton employ ?
1260 Tu sçais quelles raisons m’ont fait prendre ta place ;
Mais j’ayme mon mestier, & le tien m’embarrasse.
Il faut pour ce commerce* un confident discret,
Et je suis fort mal propre à garder un secret.
De l’employ de censeur, je ne puis me defaire :
1265 Mon metier vaut celuy de Jupiter ton pere :
Qu’il dispose de tout, qu’il regne dans les Cieux,
Qu’il gouverne à son gré les hommes & les Dieux,
Il a droit de tout faire, & j’ay droit de tout dire ;    
Il est armé de foudre, & moy de la satire :
1270 L’empire d’un censeur va plus loin que le sien ;
Il épargne les Dieux, & je n’épargne rien :
Quand je puis censurer selon ma fantaisie,
C’est un plaisir qui vaut toute nostre ambrosie*.
Toy qui fais vanité de plaire & de flatter ;
1275 Toy qui trahis Junon pour servir Jupiter…
Mais tu resves, d’où vient un si morne silence
A l’orateur des Dieux ; au Dieu de l’éloquence ?

JUNON.

Ah ! Momus connois mieux sous ces traits supposez,
Celle qui se déguise à tes yeux abusez* ;
1280 Tu vois icy Junon sous ce nouveau visage. {p. 57}

MOMUS.

Je viens de vous laisser dans un autre équipage*,
La maistresse des Dieux se déguiser ainsi ?
Je blâmois Jupiter & je vous blâme aussi.    
C’est sans doute un effet de vostre jalousie.

JUNON.

1285 Toy qui sçays les transports* de cette frenesie,
Pourquoy m’as tu fait voir en amy peu discret,
(Par zele ou par chagrin) cet azile secret,
Que Jupiter expres a fait pour sa maistresse* ?

MOMUS.

Je ne puis rien cacher, c’est mon foible, Déesse.
1290 D’ailleurs si de ce Dieu j’évante le secret,
C’est un juste despit qui me rend indiscret* ;
Quand pour servir sa flâme* je m’erige en Mercure,
Je trahis son amour pour vanger mon injure,

JUNON.

Et j’ay sçeu profiter d’un secret éventé,
1295 Faisant évanoüir le jardin enchanté,
Et trompant Semelé dessous cette apparence ;
Elle croit mes advis, les suit sans deffiance,
Et de ces faux conseils ignorant le danger…

MOMUS.

Quoy tousjours dans l’esprit le soin* de vous vanger ?

JUNON.

1300 Verray-je sans courroux ces amours infidelles*,
Et tout mon bien en proye à des beautez mortelles ?

MOMUS.

Et ne sçavez-vous pas Déesse qu’un grand Dieu
Ne sçauroit s’empescher d’aymer en plus d’un lieu ?
Qu’ayant un riche fonds de tendresse & de flâme*,
1305 Il en peut dérober quelque part à sa femme.
Voulez-vous tout pour vous, tout son temps, tout ses soins ? {p. 58}
Pour estre un peu galand vous en ayme-t’il moins ?
Croyez-moy, laissez-luy ces ardeur* passageres,    
Cette courte inconstance, & ces flâmes* legeres :
1310 Les beautez de la terre avec tous leurs appas*
Amusent Jupiter, & ne l’arrestent pas.

JUNON.

Quoy le censeur des Dieux excuse un infidelle* ?

MOMUS.

Je me lasse d’ouïr cette vieille querelle,
Ce courroux importun qui trouble tous les Cieux,
1315 Et dont vous fatiguez les hommes & les Dieux.

JUNON.

En effet je rougis de l’ardeur* qui m’emporte ;
Va dire à Jupiter que ma fureur est morte :
Mais cache luy l’estat où tu trouves Junon ;
Adieu je vais reprendre & mon char & mon nom.

MOMUS.

1320 Je vous seray fidelle, & je sçauray me taire,
Elle a beau déguiser sa haine & sa colere ;
Elle m’en a trop dit pour cacher son courroux.
Allons de sa vengeance advertir son époux :    
Sy j’offence Junon, que ne se souvient-elle
1325 Que j’ay pour le secret une haine mortelle ?

Fin du troisiesme Acte.

{p. 59}

ACTE IV. §

SCENE I. §

La Decoration du Theatre est composée d’un Portique magnifique, & du Temple d’Hymenée.
S T A N C E S.

SEMELE.

Cesse de m’abuser* esperance orgueilleuse ;
Je ne voy plus le Dieu qui regne dans mon cœur,
Il se cache cet imposteur,
Qui flattoit* de mes feux* l’erreur ambitieuse.
1330 Helas ! faut-il cesser d’aimer en si beau lieu ?
Quelque choix, quelque amant* que mon destin m’apreste,
La plus precieuse conqueste,
L’est bien moins que l’erreur de posseder un Dieu.

Cher Prince, dont l’amour fut si pure & si tendre,
1335 Toy que j’abandonnay par l’espoir seulement,
D’avoir un Dieu pour mon amant*,
Ne m’offre plus un cœur que je ne puis reprendre. {p. 60}
Apres avoir flatté* l’orgueil de mes desirs.     
De la flamme* d’un Dieu que je creus veritable,
1340 Apres cet espoir adorable,
Peut-on s’accoustumer à de moindres souspirs ?

Je te plains, Alcmeon, & ce reste de flame*,
Te fait voir le remords d’un changement fatal :
Mais enfin tu sçais quel rival,
1345 Ou plustost quel orgueil t’a chassé de mon ame.
Tu devois de ma flame* attendre un prompt retour,
Apres avoir guery l’erreur de ma tendresse ;
Mais la gloire est une maistresse,     
Qui veut estre obeye aussi-bien que l’Amour.

1350 Je l’entens cette gloire incessamment me dire,
Qu’un cœur qui s’est flatté* jusques à se vanter,
D’enchaisner le grand Jupiter,
Ne doit plus d’un mortel reconnoistre l’empire.    
Il est vray que l’Amour à demy revolté,
1355 Honteux de son erreur d’un ton plus favorable,
Parle pour un Prince adorable,
Et ce tendre discours estonne* ma fierté.

Soustien ce mouvement que l’amour authorise,
Prince pour toy je laisse échaper des souspirs,
1360 Et parmy de foibles desirs,
Je te preste un secours dont la gloire est surprise.
Menage le moment de ce tendre retour,
Et pour ne laisser plus balancer* la victoire,
Ne laisse plus parler la gloire,
1365 Je l’ay presque oubliée en faveur de l’amour.
{p. 61}

SCENE II. §

SEMELE, DIRCE.

SEMELE.

Vien, Dircé, vien calmer le trouble de mon ame ;
Je consultois icy mon orgüeil & ma flame*,
Et mon cœur partagé combatoit tour à tour,
Tout ce que me disoit ma gloire & mon amour.
1370 Tu sçais ce que je dois au rapport de Mercure,
Et d’un faux Jupiter la fatale avanture.
Le fidelle Alcmeon en secret dans mon cœur,
Me demande un amour qu’usurpe un imposteur :
Ce cœur tout indigné me presse de le rendre ;
1375 Mais ma gloire aussi-tost semble me le deffendre,
Et je sens de l’orgueil l’imperieuse loy,
Prendre, malgré l’amour, trop de pouvoir sur moy.

DIRCE.

Quel est donc cét orgüeil, Madame, qu’il s’explique,
Luy, qui parle si fort pour un Dieu chimerique.
1380 La gloire defend-elle à ce cœur abusé*,
De preferer un Prince à ce Dieu supposé ?

SEMELE.

{p. 62}
La gloire permet-elle à ma flame* trompée,
Qui de l’espoir d’un Dieu s’estoit preoccupée,
D’accepter un mortel, & par ce changement,
1385 Faire éclater ma honte & mon aveuglement ?

DIRCE.

Mais d’un scrupule vain vostre gloire est gesnée* :
On vient d’ouvrir pour vous le temple d’Hymenée.

SEMELE.

Ah ! Dircé, c’est icy qu’un scrupule si fort,    
Pour revolter mon cœur redouble son effort.
1390 Quoy j’aurois dit par tout que c’est un Dieu que j’aime,
Et je pourrois tomber dans cette honte extreme,
D’advoüer que j’ay feint d’aimer en si haut lieu,
Ou dans la lascheté d’abandonner un Dieu ?
Non je diray tousjours que Jupiter m’adore.
1395 Je l’ay dit, je l’ay creu, je le veux croire encore.
Peut-estre que Mercure avec un faux rapport…
Mais le Prince paroist, je tremble à son abord.
Glorieux sentimens, dont je suis idolatre,
Ramassez vostre force, on vient pour vous combattre ;
1400 Ne vous desmentez point, espargnez à mon front,
La honte qui suivroit un changement si prompt.

SCENE III. §

ALCMEON, SEMELE, DIRCE.

ALCMEON.

Madame vous sçavez l’ordre de vostre pere :
Pardonnez, si l’ardeur* d’un amour temeraire,
Se laissant emporter au dernier desespoir,
1405 Abuse contre vous du souverain pouvoir.
Je me suis dis cent fois en secret, à moy-mesme,
Qu’il faut cesser d’aimer quand Jupiter vous aime,
Et que d’un foible amant* le sort trop inégal,    
Doit trembler prés d’un Dieu qui s’est fait mon rival.
1410 Toutesfois je ne puis luy ceder ma Princesse, {p. 63}
Et quand trop de puissance estonne* ma foiblesse,
A ma flame* en secret je preste cét appuy,
Il peut tout, il est Dieu, mais j’aime plus que luy,    
Et s’il faut à son rang ceder tout l’avantage,
1415 Quiconque a plus d’amour merite davantage.

SEMELE.

Qui vous fait presumer qu’il aime moins que vous ?
Mais je veux que son cœur ne soit pas tout à nous,
Je veux que d’autres soins* occupent sa memoire ;
Un regard que pour nous il desrobe à sa gloire,
1420 Un penser* destourné des soins* de sa grandeur,
Un seul souspir vaut plus que toute vostre ardeur*.

ALCMEON.

Ah ! Princesse, l’amour parle un autre langage ;
La seule ambition touche vostre courage.

SEMELE.

Quoy le grand Jupiter, un si parfait amant*,
1425 Ne peut-il d’un cœur tendre estre aimé tendrement ?

ALCMEON.

Peut-on l’aimer ainsi si son cœur est volage ?

SEMELE.

Il suffit un moment d’avoir cét avantage :
Ce moment glorieux respand sur l’advenir
L’eternelle douceur d’un si beau souvenir.
1430 Je vous pers à regret, & mon cœur en souspire ;
Je sçay que vostre hymen* me promet un Empire ;
Mais l’hommage d’un Dieu, fust-il d’un seul moment,
Vaut cent throsnes offerts des mains d’un autre amant*.

ALCMEON.

Poussez jusques au bout cette belle maxime :
1435 Ce digne emportement rend le mien legitime :
Mesprisez le pouvoir & d’un pere & d’un Roy ;
Faites tout pour ce Dieu, je feray tout pour moy.

SEMELE.     [64]

Quoy ne voyez-vous pas, le Dieu qui vous menace ?

ALCMEON.

Je crains peu son courroux, si vous me faites grace.

SEMELE.

1440 C’est vous perdre*, Seigneur, que de vous secourir.

ALCMEON.

N’importe, je ne veux que vous seule & mourir.
Que Jupiter esclate & me reduise en poudre,
Que je tombe à vos pieds, & par un coup de foudre.
Puis-je me reserver pour un plus digne autel ?
1445 Dois-je eschaper aux coups de ce bras immortel ?
Pour le moins, puis qu’enfin il faut que je perisse,
Je puis faire à vos yeux un si grand sacrifice,
Que le plus grand des Dieux en doit estre jaloux.

SEMELE.

Que pouvez-vous pour moy ?

ALCMEON.

Je puis mourir pour vous,
1450 Et rien ne vaut aux yeux de mon amour fidelle,
La gloire d’une mort dont la cause est si belle :
Ce Dieu pour qui je voy qu’on veut m’abandonner,
A-t’il du sang à perdre, une vie à donner ?
Et si vous demandez & son sang & sa vie,
1455 Vostre Dieu pourroit-il contenter vostre envie ?

SEMELE.

Vivez, Prince, vivez, & peut-estre qu’un jour…

ALCMEON.

Et peut-estre est-ce là l’espoir de mon amour ?
Apres que Jupiter à vos vœux infidelle*,
Aura mis dans son cœur une flame* nouvelle,
1460 Peut-estre alors vos vœux ne seront que pour moy.
Non, non cruelle*, il faut suivre l’ordre du Roy ;
Je veux absolument achever l’hymenée*.
[F65]

SCENE IV. §

LA REINE, SEMELE, ALCMEON, DIRCE.

LA REINE.

En vain aupres du Roy ma tendresse obstinée,
A tasché de combattre un hymen* resolu ;
1465 Il faut aller au temple, & l’ordre est absolu.
Esclave de sa foy*, dont il fait son idole,
Il croit devoir aux Dieux bien moins que sa parolle,
Et sans considerer un Dieu fier & jaloux,
Pour tenir sa promesse, il brave son courroux.
1470 Mais que pretendez-vous, Alcmeon ?

ALCMEON.

Ah ! Madame,
Je connoy tout entier le mal-heur de ma flame*:
Mais dans mon desespoir contre la trahison,
Je ne connois ny Dieux, ny conseil, ny raison.
Resister contre un Dieu c’est une audace extreme ;
1475 Mais enfin qu’ay-je à craindre en perdant ce que j’aime ?
Si je luy cedois tout, par la peur de perir,    
Il me laisseroit vivre, & je cherche à mourir.

LA REINE.

Perdez, Prince, perdez cette funeste envie ;
Conservez pour le throsne une si belle vie ;
1480 Souffrez* que Jupiter…

ALCMEON.

Que me demandez-vous ?
En gardant Semelé sera-t’il son espoux ?
Je sçay bien que ce Dieu consacre* ce qu’il aime, {p. 66}
Qu’au sang de vostre fille il s’attache luy-mesme ;
Mais prefererez-vous de legeres amours,
1485 Aux ardeurs* d’un mortel qui dureront tousjours ?

SEMELE.

Mais enfin que ce Dieu soit constant ou volage,
Je l’aime, je l’adore, en faut-il davantage ?
Je le repete encor’, n’aimast-il qu’un moment,
Le plus fidelle espoux vaut moins que cét amant*.
1490 Au moins, s’il me trahit, si je perds ma victoire,
Je sçay plus d’un moyen pour conserver ma gloire,
Et c’est trop pour vanger mes vœux humiliez,
De voir un seul moment Jupiter à mes pieds.

LA REINE.

Prince vous la voyez pleine de cette idée,
1495 De l’orgüeil de son choix tellement possedée,
Qu’il n’est point de mortel, qu’elle veüille escouter,
Ny peut-estre de Dieu s’il n’est pas Jupiter.
Laissez à sa fierté ces biens imaginaires,
Ces nobles visions, ces brillantes chimeres.
1500 Vous, portez autre part vos amoureux desirs,
L’ingratte ne veut pas l’honneur de vos souspirs ;
Retirez vostre cœur des mains d’une infidelle*.

ALCMEON.

Je voy dans vos conseils plus d’orgueil que de zelle.
Vostre fille n’agit que par vos mouvemens,
1505 Elle a tout vostre cœur, & tous vos sentimens.
Vous croyez que le sang d’une race divine,
A droit de remonter jusqu’à son origine,
Et que sans voir l’abysme, où l’orgüeil la conduit,
Il est beau de tomber, quand on tombe avec bruit.
1510 Le Roy…mais il s’avance.
{p. 67}

SCENE V. §

LE ROY, LA REINE, ALCMEON, SEMELE, DIRCE, Suitte.

LE ROY.

Hé bien se rendra-t’elle,
Cette ame ambitieuse à mes loix si rebelle !
Croit-elle que le nom de souverain des Dieux,
Que ce nom éclatant ait esblouy mes yeux ?
Je n’examine point si c’est histoire ou fable,
1515 Et si son Jupiter est feint ou veritable.
Quoy qu’il en soit, il peut uzer de son pouvoir ;
Mais non pas m’empescher de faire mon devoir.
Venez, Seigneur, suivez, & vous aussi Princesse ;
Allons dedans ce Temple accomplir ma promesse.

SEMELE.

1520 Que faites-vous, Seigneur ; j’embrasse vos genoux.

LA REINE.

C’est tout perdre, Seigneur, & j’en tremble pour vous.

SEMELE.

Voulez-vous irriter le maistre du tonnerre ?

LA REINE.

Luy prefererez-vous un amant* de la terre ?

SEMELE.

Vous devez à ses loix bien plus qu’à vostre foy*.

LA REINE.

1525 Un Dieu peut dégager la parolle d’un Roy.

SEMELE.

{p. 68}
Par luy vostre grandeur doit estre sans seconde.

LA REINE.

Par luy Thebes sera la maistresse du monde.

LE ROY.

Esprits ambitieux que vous connoissez mal,
Le peril d’un amour qui vous sera fatal !    
1530 Et ne sçavez-vous pas que les Dieux infidelles*,
Au gré de leurs desirs, se joüent des mortelles,
Et que l’illusion d’un orgueil abusé*,
D’un mortel quelquesfois fait un Dieu supposé ?
Allons sans plus tarder au temple d’Hymenée,
1535 De ce Prince à la vostre unir la destinée.

SCENE VI. §

L’ HYMENEE paroist à l’ouverture du Temple, & dit au Roy.

N’attend rien de l’Hymen, ny du reste des Dieux,
Le Ciel a pour toy tant de haine,
Que je me voy forcé d’abandonner ces lieux,
Par le commendement d’une loy souveraine.
L’Hymenée s’envole & à mesme temps l’Antre de la Jalouzie paroist à la place du Temple.

LE ROY.

1540 Que vois-je, justes Dieux, quel est ce grand courroux ?
Et le temple, & le Dieu, tout s’enfuit devant nous.
Et je vois à leur place un horrible spectacle. {p. 69}
Dieux que m’annoncez-vous par cet affreux* miracle !

ALCMEON.

Vostre perte & la mienne, il n’en faut plus douter :
1545 Des coups si surprenans partent de Jupiter.
Je vous l’ay desja dit, c’est Jupiter luy-mesme,
Qui veut par ses efforts m’arracher ce que j’aime.
Sortons, Seigneur, sortons de ces lieux pleins d’effroy ;
Helas ! je ne vaux pas le trouble où je vous voy.
1550 De plus heureux destins attendent la Princesse.

LE ROY.

Je crains peu ces horreurs, & je suis sans foiblesse.
Jupiter à son gré, ce fameux ravisseur,
Peut enlever ma fille aussi-bien que ma sœur ;
Mais que d’un Dieu tyran la fureur obstinée,
1555 S’oppose incessamment à ce juste hymenée*,
Je tiendray ma parole, & j’iray jusqu’au bout.

LA REINE.

Vous obstinerez-vous contre un Dieu qui peut tout ?
Voyez encor l’enfer pour rompre vostre envie,
De ce fonds tenebreux vomir une furie,
1560 Fuyons Seigneur.

LE ROY.

Fuyons, allons en d’autres lieux,
Achever cet hymen*, & chercher d’autres Dieux.
{p. 70}

SCENE VII. §

La Jalousie sort d’un abysme qui s’ouvre dans le fonds de l’Antre.
LA JALOUZIE, LE ROY, LA REINE, SEMELE.

LA JALOUZIE.

Arreste, pere aveugle, ou menes-tu ta fille ?
Ce mal-heureux hymen* va perdre* ta famille.
Au lieu de l’Amitié*, de l’Honneur, de la Foy,
1565 Qui doivent assister à l’heureux hymenée*,
Pour unir cét amant* à cette infortunée,
Tu n’auras d’autres Dieux que moy.
Je suis la noire Jalouzie,
Qui puis quand je le veux par un poison fatal,
1570 Des plus heureux amans* broüiller la fantaisie :
Crain pour tous deux le fleau de l’amour conjugal.
Adieu, je vais semer mille & mille querelles,
Chez les amans* les plus fideles.
La Jalouzie s’envole dans les airs.
{p. 71}

SCENE VIII. §

LE ROY, LA REINE, & c.

LA REINE.

Vous le voyez Seigneur tout parle contre vous.

LE ROY.

1575 Non non, & tous les Dieux ne sont pas contre nous ;
C’est de son imposteur le dernier artifice* ;
De ces illusions l’enfer est le complice.
Qu’il arme encor s’il peut le Ciel contre mon choix :    
La parole & l’honneur sont les Dieux des grands Roys.
1580 Mais il nous reste encore nostre grande Déesse.
C’est à toy seule enfin Pallas, que je m’adresse,
Pour unir ces amans* preste nous tes Autels,
Et redouble l’ardeur* de tes soins immortels.     
Nous sommes exaucez, malgré ces noirs presages,
1585 Madame je la vois au travers ces nuages ;
La Déesse descend, & sa divinité
Fait plus qu’à l’ordinaire éclatter sa fierté.
{p. 72}

SCENE IX. §

JUPITER, sous l’habit de Minerve, LE ROY, LA REINE, SEMELE, ALCMEON, suite.

JUPITER dans les airs.

Roy de Thebes en vain en faveur de ta fille,
J’ay pressé le grand Jupiter ;
1590 Ce Dieu ne veut plus m’écouter,
Pour l’interest de ta famille :
Ta des-obeyssance irrite son courroux.
Roy, Reyne, Prince, allez, retirez-vous,
Dérobez la Princesse à ce triste Himenée* :
1595 C’est trop peu que le thrône il luy faut des Autels ;
La hauteur de sa destinée
La rend inaccessible aux soûpirs des mortels.

LE ROY.

Déesse, j’obeis, toute ma resistance
Ne sçauroit plus tenir contre vostre presence :
1600 Vous pouvez tout sur nous, & vostre seule voix
Fait rompre sans remors la parolle des Roys.

JUPITER.

Sortez donc de ces lieux qu’un chacun se retire.
Vous Princesse arrestez, j’ay beaucoup à vous dire.
Jupiter descend sur le Théatre.

ALCMEON à Semelé.

Les Dieux ont secondé vostre injuste rigueur
1605 Cruelle*, ils devoient seuls achever mon mal-heur,
Et j’avois merité de perdre ce que j’aime, [G73]
Pour la haine des Dieux, & non pas par vous mesme.

LA REINE.

Joüis de ta fortune* & soustiens dignement,
L’illustre choix d’un Dieu, qui s’est fait ton amant*.

SCENE X. §

JUPITER, SEMELE.

SEMELE.

1610 Ah ! Deesse sans vous par un ordre severe…
Mais que vois-je ? est-ce vous, Minerve ou vostre pere ?
D’où me vient tout d’un coup un trouble si puissant ?
A juger des transports* que mon ame ressent,
J’en reconnois la cause, & si je l’oze dire,
1615 Ils ne sont pas de ceux qu’une Deesse inspire.
Ces traits me sont conneus sous ce déguisement :
C’est Jupiter luy-mesme, ou du moins mon amant*.

JUPITER.

Princesse pouvez-vous separer l’un de l’autre ?

SEMELE.

Mon amour est trop grand pour soupçonner le vostre.
1620 Les surprenans effets d’un merveilleux pouvoir,
Cent miracles d’amour me le font assez voir.
Cependant cet amant* n’est pas le Dieu que j’aime,
Et je puis opposer Jupiter à luy-mesme,
Puisqu’un Dieu de sa part, dont je ne puis douter,
1625 M’apprend qu’un imposteur s’erige en Jupiter.

JUPITER.

{p. 74}
Momus m’a tout appris touchant cette imposture :
Junon vous a parlé sous l’habit de Mercure,
Et pour vous abuser* me traittant d’imposteur…

SEMELE.

S’il est ainsi, pourquoy connoissant mon erreur,
1630 Me laisser si long-temps dans cette incertitude,
Et livrer mon amour à tant d’inquietude ?
Helas ! si vous m’aimez, falloit-il un moment
Laisser ce tendre cœur douter de son amant* ?
Loin de moy d’autres soins* vous occupent sans cesse :
1635 Vous ne voudriez pas pour toute ma tendresse
Suspendre un seul moment vostre divin employ ;
Quand on n’a rien à faire alors on pense à moy :
C’est le sort malheureux d’une foible mortelle.

JUPITER.

Hé ! ne voyez-vous pas, Princesse avec quel zele,
1640 Je m’oppose aux desirs d’un pere & d’un amant* :
Je fais dans vostre Temple un affreux* changement ;
Je sousleve l’Enfer, je descens sur la terre ;
J’abandonne le Ciel, ma gloire & mon tonnerre,    
Et sçachant qu’en ces lieux Minerve a tout pouvoir,
1645 Sous l’habit de Minerve icy je me fais voir.

SEMELE.

N’avez-vous pas par tout une égalle puissance ?
Pourquoy vous desguiser sous une autre apparence ?
Jupiter doit rougir sous un nom estranger :
Un Dieu quand il peut tout n’a rien à ménager.
1650 Ah ! vous ne l’estes pas, ou n’ozez le paroistre.

JUPITER.

Que faut-il faire enfin pour me faire connoistre ?
J’atteste du destin le pouvoir glorieux,
Que s’il est un moyen pour me connoistre mieux…

SEMELE.

{p. 75}
Il en est, & j’en sçay qui seront infaillibles,
1655 Monstrez de Jupiter des marques plus sensibles*.
Vous devez autrement vous monstrer en ce lieu ;
Pour vous faire connoistre il faut paroistre en Dieu.

JUPITER.

Que me demandez-vous trop aveugle Princesse ?
Ah ! c’est là le conseil de la grande Deesse.
1660 Gardez-vous d’escouter ce conseil dangereux ;
Contentez-vous de voir Jupiter amoureux,
Jupiter desarmé de ces clartez terribles*,
Qui rendent aux mortels les Dieux inaccessibles.

SEMELE.

Est-ce trop de le voir une fois glorieux ?
1665 Ah ! ne refusez pas ce plaisir à mes yeux ;
Monstrez-moy mon amant* avecque tous ses charmes.
Ah ! vous ne m’aimez point…

JUPITER.

Ah ! cachez-moy ces larmes.
Helas ! sçavez-vous bien ce que vous demandez ?

SEMELE.

Tout me semblera doux si vous me l’accordez ;
1670 Vous me l’avez juré, Jupiter c’est tout dire.

JUPITER.

Je l’ay juré, Princesse, & mon cœur en souspire ;
Mais songez aux perils qui menacent vos jours.

SEMELE.

Quels perils ay-je à craindre avec vostre secours ?

JUPITER.

Je ne sçay si je puis vous sauver de moy-mesme ;
1675 On s’oublie aisement aupres de ce qu’on aime.
Un rayon échappé de cette majesté,
De cet éclat qui sort d’une divinité,    
Peut embrazer le monde & mettre tout en cendre.

SEMELE.

{p. 76}
Plus contre mes desirs vous vous voulez defendre,
1680 Plus mon soupçon revient, plus j’ay lieu d’en douter,
Si l’amant* que j’adore est le vray Jupiter.

JUPITER.

Faut-il vous le monstrer en perdant ce que j’aime ?

SEMELE.

Vous me faire perir, c’est douter de vous-mesme.

JUPITER.

Il n’est rien de si seur, croyez-en ces frayeurs ;
1685 Croyez un Dieu, qui tremble, & qui verse des pleurs.

SEMELE.

Qu’ay-je à craindre d’un Dieu si tendre & si sensible ?

JUPITER.

Ce Dieu-là devenir si fier & si terrible*

SEMELE.

Dans quelque estat qu’il soit il m’aimera tousjours.

JUPITER.

L’amour dans cet estat est un foible secours.
1690 Je vous feray perir en dépit de moy-mesme.

SEMELE.

Je ne crains rien d’un Dieu qui peut tout & qui m’aime.

JUPITER.

Vous devez craindre tout, je vous laisse y penser.

SEMELE.

Mon esprit sur ce point n’a rien à balancer* ;
Ne laissez plus languir cette douce esperance,
1695 Espargnez ce tourment à mon impatience.

JUPITER.

Au nom de nostre amour…

SEMELE.

Ah ! c’est trop contester !

JUPITER.

Vous le voulez, Princesse, il faut vous contenter.
Jupiter s’envole dans le Ciel.
Quatre fantosmes paroissent dans le fonds de l’Antre de la Jalouzie, & se presentent à Semelé.
{p. 77}

SEMELE.

Que vois-je juste Ciel ! quel Dieu me les envoye,
Ces fantômes affreux* au milieu de ma joye ?
Les fantômes dansent, & apres avoir dansé

SEMELE continuë.

1700 En vain par ces horreurs on veut m’épouventer,
Quel qu’en soit le succés, je veux voir Jupiter.

Fin du quatriéme Acte.

{p. 78}

ACTE V. §

SCENE I. §

La Scene est dans le Palais Royal.
SEMELE, DIRCE.

SEMELE.

Que d’un superbe* espoir mon ame possedée,
Se fait de mon amant* une agreable idée !
Que j’auray de plaisir de le voir en ces lieux,
1705 Apporter cet éclat qui fait trembler les Dieux !
Pour respondre à l’honneur que ce Dieu me veut faire,
Je voudrois des appas* plus grands qu’à l’ordinaire,
Leur donner plus de force, & me rendre aujourd’huy
Plus aimable* cent fois & plus digne de luy.
1710 Mais quoy le jour pâlit, & le Dieu que j’adore,
Le puissant Jupiter ne paroist point encore !     
Luy qui voit tout mon cœur, luy qui sçait mes desirs,
Qui voit pour son retour l’ardeur* de mes souspirs.
Me faut-il si long-temps attendre sa presence ?
1715 Veut-il faire mourir ce cœur d’impatience ?
Te diray-je, Dircé, que j’oze encore douter,
Si c’est un imposteur ou le vray Jupiter ?

DIRCE.

{p. 79}
Vostre doute, Madame, est assez raisonnable,
Et quand vous trahissez un heros adorable,
1720 Peut-estre que le Ciel pour vanger vostre amant*

SEMELE.

Ah ! cruelle* veux-tu redoubler mon tourment ?
Mais j’aperçoy Momus, & je tremble à sa veüe.

SCENE II. §

SEMELE, MOMUS, DIRCE.

SEMELE.

Viens-tu de Jupiter m’annoncer la venüe,
Ou d’une vaine excuse amuser* mon espoir ?

MOMUS.

1725 Non, non, vous le verrez.

SEMELE.

Je brusle* de le voir.

MOMUS.

Pour vous du haut des Cieux il s’appreste à descendre :
Mais un Dieu tel qu’il est peut bien se faire attendre.
Quoy qu’il donne à l’amour ses momens les plus doux,
Les soins de Jupiter ne sont pas tous pour vous.
1730 Vous le voulez donc voir avec toute sa pompe ;
Vous vous abandonnez à l’orgueil qui vous trompe,
Et sans considerer le peril qui le suit,
Vous suivez follement l’amour, qui vous conduit.
Vous aimez mieux le voir d’une ardeur* indiscrette*
1735 Avec la foudre en main, qu’avec une houlette* :
Cet ornement sied mal au grand Maistre des Dieux ; {p. 80}
Les feux & les esclairs le pareront bien mieux.
Ah ! que vous estes femme, & que pour estre aimée :
Du souverain des Dieux dont vous estes charmée,
1740 Vous avez dans la teste un orgueil dangereux !
Voir sans bruit en secret Jupiter amoureux,
C’est trop peu pour l’honneur d’une amante* orgueilleuse ;
Sa flame* est une flame* illustre, ambitieuse ;
Alors qu’un Dieu nous aime on peut estre indiscret*,
1745 Et l’orgueil d’un tel choix ne veut pas le secret.
En effet ce seroit perdre toute sa gloire,
De vaincre un si grand Dieu, sans vanter sa victoire,
Estre aimé selon vous n’est pas le plus grand bien :
Un triomphe ignoré vous le comptez pour rien.
1750 Il faut s’accommoder à l’esprit d’une femme ;
Vous demandez du bruit, vous en aurez, Madame ;
Jupiter quand il veut en sçait faire beaucoup ;
Il tonnera pour vous, mais gardez-vous du coup.

SEMELE.

Qu’il esclaire, qu’il tonne au peril de ma vie ;
1755 Voyons tout Jupiter, c’est toute mon envie :
Qu’on m’accuse d’orgueil, de trop d’ambition,
Jupiter qui voit tout, connoist ma passion,
Quoy qu’il en soit, il faut que je me satisface ;
Comme Jupiter m’aime, il peut me faire grace :
1760 Il peut en ma faveur suspendre pour un temps,
Tout ce qu’ont de mortel des feux trop éclattans.

MOMUS.

C’est à dire forcer sa grandeur pour vous plaire,
Et n’apporter chez vous qu’une foudre legere,
Où son amour meslant ce qu’il a de plus doux,
1765 Y laissera bien moins de force & de courroux.
Vous voulez de la pompe, & la voulez commode,
Et qu’à vostre foiblesse un grand Dieu s’accommode.
Vous beautez d’icy bas vous croyez follement {p. 81}
Qu’on doit tout immoler quand on est vostre amant*,
1770 Et qu’on peut d’un Dieu mesme exiger sans scrupule,
L’effet le plus bizarre & le plus ridicule.
Jupiter a pour vous le cœur fort radoucy ;
Mais ce n’est pas un Dieu qui se gouverne ainsi.
Vous le verrez ce Dieu, tel qu’un Dieu doit paroistre,
1775 Et tel qu’il l’a juré pour se faire connoistre.

SEMELE.

C’est comme je le veux, il ne me plairoit pas,
S’il n’apportoit chez moy tous ses divins appas* :
Ces foudres, ces esclairs, cette pompe terrible*,
Me rendront de ce Dieu la presence sensible* :
1780 Je ne douteray plus, & pour ne plus douter,
M’embraze de ses feux le puissant Jupiter.

MOMUS.

Dans vostre appartement vous le pouvez attendre.
Ce tumulte m’apprend qu’il s’appreste à descendre.

SEMELE.

Ce tumulte agreable a passé dans mon cœur.
1785 Grand Dieu, venez, hastez ma gloire & mon bon-heur.

SCENE III. §

JUPITER descend porté par son Aigle au milieu des nuées enflammées, Cependant* qu’on chante ces vers.
Je descends sur la terre avec toutes mes armes,
Avec tout ce que j’ay de puissance & de charmes ;
Mais parmy tant d’éclat quel destin est le mien ?
Je crains pour Semelé cette pompe mortelle : {p. 82}
1790 Ainsi dans cet estat, Amour tu le sçais bien,
Quand je fais tout trembler, mon cœur tremble pour elle

Apres que Jupiter est descendu, MOMUS.

Quoy pour une mortelle apporter icy bas
Cette affreuse* beauté, ces dangereux appas* !

JUPITER.

Tu ne vois qu’un essay de cét éclat terrible*,
1795 Qui doit rendre à ses yeux tout Jupiter visible :
De peur d’offrir icy ma gloire à d’autres yeux,
J’affoiblis tous les traits du grand maistre des Dieux ;
Ils sont pour ma Princesse, & ce n’est qu’aupres d’elle
Que je veux estaller cette pompe immortelle.
1800 Tu l’as veuë, & tu sçais jusqu’où va cette ardeur*,
De voir toute ma gloire, & toute ma grandeur.

MOMUS.

Ouy, mais quand vous venez contenter son envie,
Songez-vous bien au moins au peril de sa vie ?

JUPITER.

Je connoy le peril, il n’en faut point douter :
1805 Mais Jupiter l’a dit, il faut l’executer.
Contre un serment lasché tout respect est frivole,
Et le destin n’est pas plus seur que ma parole.
Tout le sort des mortels est trop à negliger,
Quand pour eux nostre gloire est en quelque danger.
1810 J’aime, mais j’aime en Dieu, sans honte & sans foiblesse,
La gloire fut tousjours ma premiere maistresse ;
Si je preste à l’amour ma gloire & mon pouvoir,
Je sçay sacrifier l’amour à mon devoir.
J’adore Semelé, le peril est extreme ;
1815 Monstrant ce que je suis j’expose ce que j’aime ;
Sa curiosité luy va couster le jour ;
Je le voy, tout mon cœur tremble pour mon amour.
Je voudrois retenir cette foudre, & ces flames, {p. 83}
Mais quand l’amour a mis son trouble dans nos ames,
1820 Tout eschappe au milieu de ces charmants transports*,
Et le dedans troublé respond mal au dehors.
Cependant ma parole a sur moy tant d’empire…

MOMUS.

En effet un grand Dieu ne doit pas se dédire* :
Il fait de sa parole une eternelle loy,
1825 Perisse tout plustost que manquer à sa foy*.
Depuis quand avez-vous ce scrupule dans l’ame ?
Cette fidelité qui trahit vostre flame*,
N’est-ce point un pretexte à quelque changement ?
Vous vantez un peu trop le pouvoir d’un serment ;
1830 Je crois qu’à Semelé vous n’estes si fidelle,
Que par le seul espoir de vous deffaire d’elle.

JUPITER.

Tu respens ton venin sur tout ce que je fais ;
Mais voyons Semelé, contentons ses souhaits.
Tu vois ce que je fais en dépit de moy-mesme ;
1835 Amour sauve de moy si tu peux ce que j’aime.
Toy garde icy mon aigle attendant mon retour.

MOMUS.

Je garderay vostre aigle, & vous ferez l’amour*.
{p. 84}

SCENE IV. §

MOMUS seul.

Fiez*-vous à ce Dieu, qui malgré sa tendresse,
Au respect d’un serment immole sa maistresse*.
1840 Vantez vostre pouvoir, vous allez voir enfin,
Orgueilleuse beauté quel est vostre destin.
Durant que Jupiter demeure sur la terre,
Au gré de mon chagrin gouvernons son tonnerre,
Apprenons aux mortels à nous mieux respecter,
1845 Et monstrons à la terre un autre Jupiter.
Il monte sur l’Aigle.
Mais quoy je voy desja des flames allumées,
Des gens espouventez, des femmes allarmées ;
Le palais est en feu, Jupiter dans les airs
S’enfuit enveloppé de flammes & d’éclairs.
1850 Quelqu’un vient, en ces lieux je ne doy plus paroistre.
Aigle remonte au Ciel, & vole apres ton maistre.
{p. 85}

SCENE V. §

Tout le fonds du Theatre estant en feu, ALCMEON, & DIMAS, sortent des deux costez.

DIMAS.

Ah ! Seigneur.

ALCMEON.

Ah ! Dimas, quel est nostre mal-heur ?
Secourons la Princesse.

DIMAS.

Il n’est plus temps, Seigneur.

ALCMEON.

Quoy desja…

DIMAS.

C’en est fait, une flamme cruelle,
1855 A vengé vostre amour d’une amante* infidelle*.

ALCMEON.

Helas ! c’est trop punir son infidelité* :
Malgré sa trahison j’adorois sa beauté.
Je la plains cette ingratte, & la plaindray sans cesse,
Et si j’oze un moment survivre ma Princesse,
1860 C’est pour sçavoir quel sort, dans son appartement
A produit tout d’un coup ce grand embrazement.
Ce rival immortel, luy qui me l’a ravie,    
N’a-t’il pû garantir une si belle vie ?
Quoy celle qui portoit sa flame* jusqu’aux Dieux,
1865 Perit donc par la flamme, & perit à leur yeux !
Quoy ce Dieu qui l’aimoit souffre* qu’elle perisse ! {p. 86}
Est-ce orgueil, jalouzie, inconstance, ou caprice ?

DIMAS.

Admirez & plaignez la rigueur de son sort ;
Ce grand Dieu, qui l’aimoit, est l’autheur de sa mort.

ALCMEON.

1870 Quoy luy-mesme ?

DIMAS.

Ouy Seigneur, cet amant* adorable,
Aux vœux de sa Princesse un peu trop favorable,
Est descendu du Ciel, pour s’offrir à ses yeux,
Tel qu’il est, quand il regne, & tonne dans les Cieux.
De ce Dieu tout en feu la fatale presence…

ALCMEON.

1875 Quoy ce Dieu plein d’amour manque-t’il de puissance ?
Ou plustost ce grand Dieu, pour luy sauver le jour,
Avec tant de puissance a-t’il manqué d’amour ?
Mais j’apperçoy la Reine.
{p. 87}

SCENE VI. §

LA REINE, ALCMEON, DIMAS.

ALCMEON continuë.

Ou fuyez-vous Madame ?

LA REINE.

Ah ! Seigneur, rien ne peut esteindre cette flamme.

ALCMEON.

1880 Voila de vostre orgueil le juste chastiment :
Vous avez allumé ce triste embrazement.
Je vous le disois bien que les beautez mortelles
Ne trouvoient dans les Dieux que des cœurs infidelles*.
Si vous aviez voulu consentir à mes vœux,
1885 Vostre fille vivroit, & je serois heureux.

LA REINE.

Ouy sans doute, Seigneur, & par vostre hymenée*
Elle seroit vivante, heureuse & couronnée :
Son orgueil l’a perduë*, & je l’ay trop flatté
Ce malheureux orgueil qu’enfante la beauté.

ALCMEON.

1890 Quelque aveugle amitié* que vous eussiez pour elle,
Je ne m’en prends qu’aux Dieux, qui la firent trop belle.
Jupiter qui la fit pour le charme des yeux,
Envioit à la terre un bien si precieux,
Et de tant de thresors qu’il a voulu reprendre,
1895 A peine ce rival nous laisse un peu de cendre.
Acheve, Dieu jaloux, & destruit promptement, {p. 88}
Tout ce qui reste d’elle en ce fidelle amant*,
Et pour aneantir un si parfait ouvrage,
Mets en cendre ce cœur qui garde son image.
1900 Mais pourquoy, quand il faut finir mon triste sort,
Remettre à mon rival la gloire de ma mort.
Pour le faire rougir de mon amour fidelle,
Dans cet embrazement allons mourir pour elle.
Mais j’apperçoy Junon, qui semble de sa main,
1905 Opposer à ma mort un ordre souverain.    

SCENE VII. §

JUNON dans son char avec sa forme ordinaire, LA REINE, ALCMEON, DIMAS.

JUNON à Alcmeon.

Arreste & ne perds pas le fruit de ta vengeance ;
Ma rivalle a bravé ma haine & ta confiance,
Et ma haine a fait son devoir.
Ce feu qui me servit contre elle,
1910 Quand tu veux suivre une infidelle*,
S’esteint & ne veut pas servir ton desespoir.
Le fonds du Palais enflammé se change en un Palais bruslé.

ALCMEON.

Gardez vostre secours trop jalouze Deesse.
Quel secours m’offrez-vous quand je perds ma Princesse ?
Ce feu, qui luy ravit la lumiere du jour, [H89]
1915 A vangé vostre haine & non pas mon amour.
En vain vous me voulez empescher de la suivre ;
En vain ce feu s’esteint pour me forcer de vivre :
Cruelle* pour finir ma peine* & mon malheur,
Helas ! c’est bien assez de ma seule douleur.

JUNON.

1920 Va mourir, Prince ingrat, indigne de ma grace.
Toy Reine, vante encor la gloire de ta race :
Dans ce palais bruslé, voy comme en son cercueil,
La folle ambition d’une fille trop vaine ;
Voy la peine* de ton orgueil,
1925 Et le triomphe de ma haine.
Junon remonte dans le Ciel.

LA REINE.

Je ne connois que trop vostre divin pouvoir.
Triomphez de ma fille & de mon desespoir :
Mais pourquoy la punir du crime de sa mere ;
J’avois mis dans son cœur cet orgueil temeraire,
1930 Et c’est par mes leçons qu’elle osa se flatter,
D’arracher à Junon le cœur de Jupiter.
Mais le Roy vient. Le feu* qui brille en son visage…
{p. 90}

SCENE VIII. §

LE ROY, LA REINE, Suitte.

LE ROY.

Vous voyez nos malheurs, & voilà vostre ouvrage :
Voila comme* les Dieux sçavent faire l’amour*.
1935 Vous me l’aviez bien dit que je verrois un jour,
Par la faveur d’un Dieu ma grandeur sans seconde,
Et que Thebes seroit la maistresse du monde.
C’est-là le digne sort que j’avois attendu.
La honte de mon sang, tout mon espoir perdu,
1940 Mon throsne & mon palais embrazez par la foudre,
Ma fille aneantie, & son corps mis en poudre,
Et les justes horreurs qu’attireront sur nous
Ces effets esclattans du celeste courroux.

LA REINE.

Pardonnez ma foiblesse à cet amour de mere,
1945 Qu’alluma dans mon cœur une fille si chere :
Toute mere est aveugle, & je seray tousjours,
Un exemple esclattant de leurs folles amours.

LE ROY.

Je vous pardonnerois cette horrible disgrace,
Si tout ce que j’en crains se bornoit à ma race ;
1950 Mais le Prince accablé de ce dernier malheur
Abandonne son ame à toute sa douleur.
J’ay veu son desespoir, & sa funeste envie :
C’est par mon ordre en vain, qu’on prend soin de sa vie ;
L’ingratte, à qui le Ciel vient de ravir le jour, {p. 91}
1955 Trop digne de sa peine*, & non de tant d’amour,
Entraisne par sa mort un amant* trop fidelle ;
Il vivoit pour ma fille, il va mourir pour elle.
Helas ! le Roy d’Argos, ce pere infortuné,
Envoya dans ma cour un amant* couronné,
1960 Un heros plein d’honneur, de gloire & d’esperance,
Et je luy rends…ô Dieux ! c’est Atys qui s’avance,
Et je voy dans ses pleurs le mal-heur que je crains.

SCENE IX. §

LE ROY, LA REINE, ATYS, Suitte, & c.

LE ROY.

Hé bien le Prince est mort.

ATYS.

Nos soins ont esté vains.
Voyant que par vostre ordre, on s’obstine à le suivre ;
1965 Quoy (nous dit-il) veut-on me contraindre de vivre ?
Quelle pitié barbare, & quel injuste effort
Me condamne à la vie, & m’arrache à la mort !
Mais que tout l’univers s’oppose à mon envie,
Je sçay mille chemins pour sortir de la vie.
1970 Là tirant son espée, & par un coup pressé,
De son fer racourcy, dans son sein enfoncé,
Il previent* mon dessein, & trompant nostre zelle,
Il tombe dans son sang d’une cheute mortelle.
Puis donnant à l’objet* de ses tendres desirs,
1975 Et ses derniers momens, & ses derniers souspirs,
Il cherche autour de luy dans ces debris funestes, {p. 92}
D’un objet* trop aimé les pitoyables restes :
Mais son œil vainement jetté de toutes parts,
Sur un monceau de cendre arrestant ses regards,
1980 Ne seroit-ce point vous, reliques precieuses,
Cendres, où j’allumeray mes flammes* amoureuses ?
Recevez tout mon sang, avec ces tristes pleurs,
Que je donne à mes maux bien moins qu’à vos malheurs.
Voyez de vos amants* quel fut le plus fidelle ;
1985 L’un destruit ma Princesse, & j’expire pour elle.
Il fut aimé l’ingrat, & je ne l’estois pas,
A ces mots sa douleur acheve son trespas,
Et tirant de son cœur un soupir tout de flâme*,
Elle emporte avec luy le reste de son ame.

LE ROY.

1990 Voila le dernier coup d’un malheur sans égal.

LA REINE.

Que vous avons-nous fait pour nous traitter si mal,
Jupiter ? Quoy mon sang pour estre trop aimable*,
Pour estre trop aimé s’est-il rendu coupable ?
Pourquoy d’un Prince illustre & rival & jaloux
1995 Enlever la maistresse*, ou la choisir chez nous,
Si ce fatal honneur fait ma honte & ma peine* ?
Vostre amour est-il donc pire que vostre haine ?
Helas ! puisqu’il produit de si cruels* trespas,
Grand Dieu haissez nous, ou ne nous aimez pas.

LE ROY.

2000 Dieux quelle surprenante & nouvelle tempeste,
Agite tous les airs & descend sur ma teste ?
Quel épais tourbillon se leve autour de nous ?
C’est le grand Jupiter ; est-ce grace ou courroux ?
Il semble que le Ciel est tombé sur la terre.    
2005 Peuples rendez hommage au maistre du tonnerre.
Le Theatre se change en un Theatre de nuages, & Jupiter paroist dans son Palais, qui s’avance insensiblement vers le milieu du Theatre, durant qu’on chante ces paroles.
Ne craignez plus ce Dieu, dont l’éclat dangereux {p. 93}
Vient d’embrazer un objet* plein de charmes,
Jupiter n’aura plus de clartez ny de feux,
Que pour tarir la source de vos larmes.

SCENE DERNIERE. §

JUPITER, LE ROY, LA REINE, & c.

JUPITER.

2010 Roy de Thebes, je viens consoler ta douleur ;
Cesse de t’affliger du trespas de ta fille,
Et rends graces au Ciel, d’un illustre malheur,
Qui consacre* à jamais l’honneur de ta famille.
Mais pour ne pas douter d’un sort si glorieux,
2015 Qui la rend par sa mort plus brillante & plus belle,
Nuages ouvrez-vous, & monstrez à ses yeux,
Ce qu’a fait pour sa fille une main immortelle.
Semelé paroist au fonds du Theatre d’en haut dans un Ciel lumineux.
Voy quel est le beau coup qui l’arrache aux mortels
Pour le pris d’un trespas que j’ay causé moy-mesme,
2020 Je la rends immortelle & digne des autels ;
C’est comme* Jupiter fait perir ce qu’il aime.

LE ROY.

{p. 94}
Pardonnez-moy grand Dieu cette aveugle douleur,
Qui du plus grand des biens se faisoit un malheur.
J’adore cette main puissante & favorable,
2025 Qui rend les maux heureux, & la honte honorable.

JUPITER.

Mais ce n’est pas assez pour vanger ton honneur
Que les Dieux soient tesmoins d’une illustre avanture ;
Je veux que tout le monde apprenne ton bonheur,
Venez icy venez, Renommée & Mercure.
Ces deux divinitez paroissent.
2030 Voy ces divinitez fidelles à mes loix,
Tu les verras tousjours fidelles à ta gloire,
Par cét éclat qui suit leur immortelle voix,
Consacrer* à jamais ton nom & ta memoire.

LE ROY.

Quels encens, quels presens offerts sur tes autels,
2035 Payeront dignement ces honneurs immortels ?

LA REINE.

Ah grand Dieu pardonnez aux douleurs d’une mere
Un insolent murmure, un éclat temeraire ;
Je vous connoissois mal, & ne prevoyois pas
Les biens que Semelé tire de son trespas.    

JUPITER à la Renommée & à Mercure.

2040 Vous, allez publier* ce que j’ay fait pour elle ;
Allez vanter par tout la gloire de son sort,
Mais avec tant d’éclat, que toute autre mortelle,
Porte envie aux honneurs d’une si belle mort.    
Mercure & la Renommée s’envolent jusques au fonds de la salle.

FIN.

Privilege du Roy. §

LOUIS par la grace de Dieu Roy de France & de Navarre, à nos amez & feaux Conseillers les gens tenans nos Cours de Parlement, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, leurs Lieutenans, & autres nos Justiciers & Officiers qu’il appartiendra, Salut ; Nostre cher & bien amé GUILLAUME DE LUYNE Marchand Libraire en nostre ville de Paris nous a fait remonstrer* qu’il a recouvré* un Poëme intitulé, Les Amours de Jupiter & de Semelé Tragédie de la composition du sieur BOYER, qu’il desireroit faire imprimer s’il avoit nos Lettres à ce necessaires : A ces causes voulant le favorablement traiter, luy avons permis & octroyé, permettons & octroyons par ces presentes d’imprimer ledit Poeme, & iceluy vendre & debiter durant cinq ans, pendant lesquels faisons deffences à tous autres Imprimeurs & Libraires de l’imprimer sans son consentement, ou de ceux qui auront droit de luy, à peine de confiscation des exemplaires, de deux mil livres d’amende, despens, dommages & interests de l’exposant, à la charge d’en mettre deux Exemplaires en nos Bibliotheques publiques & Chasteau du Louvre, & un en celle de nostre tres-cher & feal Chevalier Chancelier de France, avant que de les exposer en vente ; comme aussi de faire registrer* ces presentes au registre du Syndic de la Communauté des Libraires & Imprimeurs de nostredite ville de Paris à peine de nullité d’icelles, du contenu desquelles vous mandons faire joüir l’Exposant pleinement & paisiblement, sans permettre qu’il y soit contrevenu en aucune maniere que ce soit. Si voulons qu’en mettant au commencement ou à la fin de chacun Exemplaire un Extrait des presentes, qu’elles soient tenües pour deüement signifiées, & que foy y soit adjoustée comme au present original. Mandons en outre au premier nostre Huissier ou Sergent de faire en execution tous exploits dont il sera requis, sans autre permission ; nonobstant Clameur de Haro, Chartre Normande & autres Lettres à ce contraires : Car tel est nostre plaisir. DONNE à Paris le dernier jour de Janvier l’an de grace mil six cent soixante-six, & de nostre regne le vingt-troisiéme. Par le Roy en son Conseil. GUITONNEAU. Et scelé.

Et ledit de Luyne a fait part du present Privilege à Thomas Jolly, Estienne Loyson & Gabriel Quinet, pour en jouyr suivant l’accord fait entr’eux.

Registré sur le livre de la Communauté le 2. Mars 1666. Signé PIGET Syndic.

Achevé d’imprimer le 15. Mars 1666.