Artaxerce. Tragédie
ARTAXERCE
TRAGÉDIE.
AVEC SA CRITIQUE. §
Préface §
/ [IV] / Il ne suffit pas toûjours aux Pieces de Théatre d’estre bonnes, pour estre heureuses* ; beaucoup de choses, comme les Acteurs, la saison, le goût du siecle, la disposition des Spéctateurs, contribuënt à faire valoir, ou à faire tomber cette sorte d’Ouvrages ; ainsi chaque Autheur est en droit de justifier le sien, quand il se croit en état de le pouvoir faire. Jusqu’icy j’ay negligé ce secours, que je devois peut-estre à la justification de quelqu’un de mes Ouvrages, quand ils n’ont pas réüssy. Je n’estois pas assez convaincu de leur mérite, pour me plaindre publiquement de leur malheur. Mais à l’égard d’Artaxerce, le moyen de se taire ? Le jugement des Personnes fort éclairées, et dont le nom est respecté de l’envie* mesme, les applaudissemens que cette Piece reçeut dans les premieres Représentations, me répondoient d’un succés infaillible.Un chûte si prompte, et si surprenante, / [V] / peut-elle estre naturelle ? Et ne doit-on pas l’imputer à quelque cause extraordinaire ? Toutefois me laissant aller à ma coûtume, et à mon inclination, satisfait du témoignage de beaucoup d’honnestes* Gens, et de l’indignation du Public, qui n’a pû dissimuler une injustice si manifeste, je mettois Artaxerce au nombre des Ouvrages malheureux, et je fusse demeuré dans un profond silence, si ceux qui se croyent intéressez dans la réputation de mon Ouvrage pour l’honneur de leur jugement, ne m’eussent retiré de l’assoupissement où j’estois. Je ne dis pas cecy par cette fausse modestie, qu’affectent ordinairement les Autheurs qui veulent déguiser la demangeaison qu’ils ont de se faire imprimer. Pour justifier mes intentions, il suffit qu’on sçache que je n’ignore pas ce déchaînement de critique qui regne aujourd’huy, qui fait trembler tous ceux qui se meslent d’écrire, et qui sans-doute est un des plus grands malheurs qu’on puisse reprocher à notre siecle. Ce seroit une temérité inexcusable, de se livrer volontairement à cette fureur* contagieuse qui a infecté la Cour et la Ville. Ne sçais-je pas ce qui est arrivé à un de mes Amis, qui ayant donné au public un Ouvrage plein / [VI] / d’esprit et d’invention, l’a veu déchirer impitoyablement dans toutes ses parties, jusques-là qu’on a pas épargné un des plus beaux Vers qu’on ait jamais fait à la loüange du Roy ?
Le Modelle des Roys, et l’Image des Dieux,
Quel Vers eut jamais eu un plus beau sens, et a donné une plus glorieuse idée du plus grand des Roys ? Quelle expression peut estre plus noble et plus heureuse*, et peut faire tant d’honneur à nostre Héros et à nostre Langue ? J’ose défier les Poëtes Grecs et Latins, de nous fournir dans tout ce qu’ils ont fait de plus beau pour leurs plus fameux Héros, une loüange plus exquise et plus relevée, et qui ait à mesme temps tant de justesse*, et tant de grandeur. Cependant on a voulu tourner en ridicule un Eloge si juste* et si magnifique, et l’on a demandé si ce Modele estoit de bois, ou de pierre, et si cette Image estoit de plastre ou de cire. Une si méchante plaisanterie ne mérite pas une réponse sérieuse, et je diray seulement à l’Autheur de ce beau Vers, qui a esté si indignement critiqué, ce qu’il m’a dit luy-mesme en pareille occasion, mais avec moins de justice, et ce qu’on peut dire à tous les bons / [VII] / Autheurs qui ne sont pas toûjours heureux*, que dans les plus beaux siecles, il y a eu toûjours des ces prétendus Connoisseurs qui ont fait la guerre au mérite, et qui entraînoient quelquefois le commun du Peuple avec eux.
Ennius est lectus salvo tibi, Roma, Marone,
Et sua riserunt saecula Maeoniden.
Rara coronato plausere Theatra Menandro ;
Norat Nasonem sola Corinna suum.
Cependant il est assez fâcheux de s’exposer à ces Censeurs impertinens, et d’atendre que la Postérité nous en fasse justice apres nostre mort; mais il faut bien obeïr à mes Amis, qui veulent que puis qu’Artaxerce n’a pas eu assez de temps pour se faire voir sur le Théatre, et qu’il a esté comme enlevé aux yeux du Public avec trop de précipitation, je le luy rende en le faisant imprimer, et donne ainsi le loisir à tout le monde de l’examiner, et d’asseoir sur la lecture un jugement solide, et assuré. On veut mesme qu’en le justifiant sur les défauts qu’on luy reproche, je luy donne dequoy soûtenir* le grand jour où il va paroistre.
Pour satisfaire exactement à ce qu’on exige de moy, il faudroit remonter à la naissance des premiers désordres du Théatre, / [VIII] / qu’on ne peut imputer qu’à certains Esprits, qui par une ambitieuse déférence, se sont rendus serviles imitateurs des Anciens, pour devenir à leur tour les modeles de nostre siecle. Tout chargez, et tout fiers de leurs dépoüilles, ils méprisent ce qui ne porte pas leur caractere, et veulent assujetir le goust de tout le monde, à leur goust particulier.
Je sçay ce que nous devons aux Anciens ; et peut-estre que ceux qui ont suivy le chemin qu’ils nous ont tracé, ont suivy le plus sûr et le plus commode ; mais ce chemin n’est pas le seul, et le plus glorieux. Ne doivent-ils pas avoüer que la Tragédie et la Comédie modernes sont montées au plus haut point, et que les Autheurs François riches de leur propre fonds, ont surpassé les Anciens sans les imiter, comme si la premiere gloire des belles Lettres, qui est celle du Théatre, estoit reservée au siecle du plus grand de tous les Roys ? Si nos Censeurs ne veulent pas convenir de cette verité, pourquoy empoisonner le Public de l’erreur dont ils sont prévenus* ? C’est de cette source qu’on a veu couler, et se répandre un dangereux venin, un esprit d’orgueïl, d’envie*, de critique, et de cabale. Leur autorité, et leur / [IX] /exemple, ont entraîné beaucoup d’honnestes* Gens. Tout le monde veut monter sur le Tribunal, et usurper comme eux le droit de juger souverainement ; on se fait un goust à leur mode ; on ne va plus à la Comédie que pour chercher avec eux les endroits où l’on peut trouver à redire. Comme on ne peut pas nier qu’ils n’ayent de l’esprit et du sçavoir, les demy-sçavans, et la multitude ignorante, et méme quelques Sçavans, se laissent ébloüir à de grands noms qui composent et qui protegent cette secte. L’on ne sçait que trop tous les ressorts, et toutes les machines qu’ils ont remuées, pour se faire une puissance si formidable à tous ceux qui ne sont pas de leur party. Je me renferme aux choses qui me regardent, et me contente de faire voir en passant avec quelle fureur* on s’est acharné sur tous les Ouvrages qui portent mon nom.
Avant que cette tempeste s’élevast, plusieurs de mes Pieces avoient réüssy sur tous les Théatres de Paris ; et ensuite m’estant attaché au Théatre le plus foible, et le plus abandonné des autres Autheurs, mes Ouvrages le firent subsister plusieurs années, et mes Pieces y firent assez de bruit pour y attirer le Roy, et toute la Cour. Sa Majesté en /[X] / honora une de sa présence, de son approbation, et de sa libéralité*. A quoy veut-on que j’impute le mauvais ou le foible succés des Ouvrages que j’ay fait joüer depuis sur un Théatre plus fort, et plus heureux*, lors mesme que par les sentimens des Juges équitables, ils estoient beaucoup meilleurs que ceux qui les avoient précedez ? Que j’aurois icy de choses à dire, si je voulois approfondir cette matiere, et reveler tout ce qui s’est passé à la honte de nostre siecle ! Comme ceux dont je veux parler font honneur aux belles Lettres par leur esprit, peut estre ont-ils mérité de ceux-là mesme qu’ils ont offencé par leur conduite, qu’on les laisse joüir de leur réputation. Je ne veux point qu’on me reproche d’avoir soüillé ma Prose, ou mes Vers, par des satires ou par des veritez scandaleuses. Je n’ay besoin pour justifier une partie de ce que je dis, que d’une simple exposition de ce qui est arrivé à mes dernieres Pieces ; sçavoir, le Comte d’Essex, Agamemnon, et Artaxerce. Le premier ayant eu le bonheur de plaire à tous ceux qui le virent sans prévention*, et mon nom ayant paru pour distinguer cet Ouvrage d’un autre qui portoit le mesme titre, et qui venoit de paroistre avec succés, / [XI] / sous le nom de Mr de Corneille le jeune, on suscita d’abord des Censeurs de profession, qui ne trouvant point à mordre sur la Piece, attacherent leur critique à certaines circonstances de la Scene, et à des choses qui regardoient les Acteurs, et par quelques plaisanteries qu’il débitoient tout haut, jetterent sur la Piece un ridicule qui osta au reste des Spéctateurs l’attention et l’estime qu’on luy devoit. Agamemnon ayant suivy le Comte d’Essex, et voulant le dérober à une persécution si déclarée, je cache mon nom, et laisse afficher et annoncer celuy de Mr d’Assezan. Jamais Piece de Théatre n’a eu un succés plus avantageux. Les Assemblées furent si nombreuses, et le Théatre si remply, qu’on vit beaucoup de Personnes de la premiere qualité prendre des places dans le Parterre. Quel succés a esté honnoré d’une circonstance aussy singuliere, et si glorieuse ? Qu’arrive-t-il apres cette réüssite extraordinaire ? On soûtint, on voulut faire des parys considérables, que je n’avois aucune part à cet Ouvrage ; on aima mieux en donner toute la gloire à un nouveau venu. Le temps et la verité ayant confondu* l’imposture, et l’envie*, je prens quelque confiance de ce dernier suc-/ [XII] /-cés, et croy pouvoir hazarder mon nom en faisant paroistre Artaxerce. Il n’en falut pas davantage pour luy attirer tout ce qui a contribué à le faire tomber. J’avoüray de bonne foy que ma Piece n’est pas sans défauts, et qu’il y a eu certains contretemps, et un desordre dans les Représentations, qui se peuvent imputer à mon Etoile ; mais qu’a-t-on fait pour reparer ou combatre ce malheur ? Si la Fortune n’est pas toûjours de mes amies, faloit-il s’entendre avec elle, et me traiter avec la derniere rigueur ?
Je n’ay garde de fatiguer le Public par un détail indigne de son attention. J’aime mieux épargner par un modeste* silence, ceux qui m’ont fait du mal, et faire grace à ceux qui ne m’ont pas fait justice ; peut-estre l’honnesteté* de mon procedé les fera repentir de l’injustice qu’ils m’ont faite.
Pour le faire voir clairement, et satisfaire à ce qu’on attend de moy, examinons les défauts qu’on attribüe à cet Ouvrage ; quelques-uns ont condamné le Sujet, et ne m’ont donné d’autre raison de leur critique, que leur goust particulier. Je pourrois me dispenser de répondre à ceux qui jugent par une regle extrémement fausse. Je n’ay qu’un mot à leur / [XIII] / dire pour justifier mon choix ; sçavoir, que le troisiéme Acte de ma Piece, où le noeud du Sujet se forme et brille davantage, a esté universellement applaudy ; et cela devroit suffire pour donner à toute la Piece un succés avantageux, puis qu’on a veu un grand nombre de Pieces de Théatre réüssir par la beauté de deux ou trois Scenes. Ceux qui ont attaché leur critique aux caracteres des Personnages, disent qu’Artaxerce, qui est mon Héros, ne répond pas par sa conduite, et par ses sentimens, à cette grande idée que je donne de son caractere dans le Portrait que j’en ay fait. J’avoüe que j’ay flaté Artaxerce, et qu’ayant dessein, en faisant son Portrait, de faire celuy de Loüis le Grand, qui est seul semblable à luy-mesme, il falloit pour le faire ressembler à son Original, donner au Héros de ma Piece une sorte de grandeur qui appartenoit à un Héros plus achevé ; mais comme cette raison ne suffit pas pour tout le monde, il est aisé de faire voir que ce Portrait d’Artaxerce, quoy qu’un peu flaté, ne laisse pas de luy ressembler, et que tout ce qu’il fait dans ma Piece, ne dément* pas le caractere que je luy ay donné. Artaxerce peut-estre n’estoit pas un Héros du premier ordre ; cependant il avoit / [XIV] / une valeur fort distinguée, et une grandeur de courage* qui se répandoit dans toutes ses actions, et qui est la source naturelle de toutes les vertus héroïques.
C’est de là que luy venoit cette liberalité* magnifique, qui luy fit donner une Coupe d’or de mille darigues, qui estoient des pieces d’or, à un Artisan qui ne trouvant point autre chose en son chemin pour offrir à son Roy, courut à la Riviere y puiser de l’eau dans ses deux mains, et alla la luy présenter ; cette modération admirable, qui luy fit écouter sans emportement, les paroles insolentes d’un Lacedémonien, nommé Euclidas ; cette clémence royale, qui pardonna à Cyrus son Frere, lors qu’il fut surpris voulant l’assassiner, dans le temps qu’il fut sacré par les Prestres dans le Temple de Minerve. C’est de ce mesme principe que venoit encore sa bonté envers ses Parens, et sa douceur envers ses Sujets ; Vertus rares et singulieres pour un Roy de Perse, dont les Roys ordinairement affectoient une majesté inaccessible, et une sevérité odieuse. Ce sont ces Vertus où je me suis attaché, et dont j’ay formé les principaux traits du caractere d’ Artaxerce, parce qu’elles ont plus d’éclat, et plus de ra-/ [XV] /-port avec tout ce qui se passe dans la principale Action de mon Sujet. C’est pour cela qu’on a tort de condamner dans ce Roy, bon, genéreux, plein d’humanité, et de tendresse, ces dégousts qu’il fait voir pour la Couronne, qui estoit la veritable cause de tous les désordres de sa Maison, des cruautez* de Parisatis sa Mere, de l’attentat et de la révolte de Cyrus son Frere, qu’il fut obligé de tuer de sa propre main en bataille rangée ; des divisions de ses Enfans, qui par une jalousie ambitieuse, disputoient entre eux avant la mort de leur Pere la Succession de l’Empire. C’est par là qu’il est aisé de répondre à ceux qui m’ont reproché d’avoir donné à un Roy que je peins avec tant de grandeur, un peu trop de facilité pour son Favory Tiribaze qui abusoit de sa faveur, et de l’ascendant qu’il avoit sur luy, et dont luy-mesme connoissoit l’orgueïl, et l’insolence. Cette inclination genéreuse qu’il avoit à faire du bien, et à oublier le mal qu’on luy faisoit, justifie sa conduite ; il aima mieux se faire soupçonner d’avoir un peu de foiblesse, que de manquer à sa reconnoissance ; il croit devoir moins à luy-mesme, qu’à un Homme qui estoit le premier appuy de son Trône, et qui avoit sou-/ [XVI] /-vent prodigué sa vie pour conserver celle de son Maistre. Je puis répondre la mesme chose à ceux qui accusent un Roy amoureux d’avoir trop de modération pour un Fils son Rival, et qui veulent qu’un grand Roy se serve de son autorité, et non pas de sa raison, pour combatre son Fils. Je sçay bien que dans une pareille rencontre, j’ay donné plus de fierté à Agamemnon, et qu’il traite Oreste son Fils avec plus de hauteur ; mais je soûtiens qu’Artaxerce est plus honneste* Homme qu’Agamemnon, et que la retenuë, et l’humanité dans une occasion si délicate d’amour et de jalousie, font plus d’honneur à Artaxerce, et sont les plus beaux traits du caractere héroïque. Rien n’est si grand, et si glorieux pour un Roy, que de se retenir et de resister à la tentation d’une puissance absoluë, quand elle est irritée* par le bonheur impréveu d’un Rival plus aimé que luy. Ce n’est pas qu’ Artaxerce ne fasse voir par quelque éclat de colere, et par quelque trait de foiblesse, qu’il est Homme et sensible ; mais vous voyez aussi-tost sa bonté et son courage* venir au secours de sa gloire. J’avouëray que lors que se laissant seduire par les conseils de Tiribaze, il se résout de ravir Aspasie à son Fils, il semble démentir* sa modération ; / [XVII] / mais ne sçait-on pas qu’il est du caractere d’un Amant*, quelque sage qu’il soit, de s’emporter quelquefois pour les interests de son amour, et que c’est une de ces foiblesses excusables qu’on pardonne aux plus grands Héros. Il suffit qu’apres de grands combats qu’il rend contre sa passion, il cede à cette genereuse* bonté, qui est comme sa vertu dominante qui triomphe de son amour, et donne Aspasie à son Fils.
Mais la Critique ne s’est pas arrestée aux objections qui peuvent avoir quelque fondement, et quelque vray-semblance ; elle a supposé ce qui n’estoit pas. Voyant qu’Artaxerce montroit dans le second Acte quelque legere tentation de quiter la Couronne, quoy qu’il prenne une rêsolution toute contraire ; ils disent qu’il la cede à son Fils au mesme temps qu’il le choisist pour son Successeur. Par cette suposition artificieuse*, il leur est aisé de faire voir qu’Artaxerce soûtient* mal le caractere d’un grand Roy. C’est par là qu’on le peut accuser de trop de foiblesse, et Darius son Fils d’une dureté ingrate et condamnable, lors qu’en recevant la Couronne de son Pere, il ose luy disputer la possession d’Aspasie, qui devoit estre la consolation de / [XVIII] / sa retraite, et le prix de l’Empire qu’il cedoit à son Fils. Ceux qui eurent soin de décrier ma Piece quand elle fut joüée à Versailles, ne manquerent point de répandre cette erreur. La prévention* fut telle, que des Personnes équitables et bien intentionnées, en furent ébloüies, et ne trouverent plus dans le troisiéme Acte qu’on leur avoit tant vanté, ce qui avoit merité dans Paris une approbation universelle ; et c’est icy qu’il faut déplorer le destin de ceux qui travaillent pour le Théatre. Ils n’ont pas seulement à redouter les Censeurs indiscrets*, chicaneurs et malins ; mais encore les Critiques imposteurs et de mauvaise foy.
Passons aux objections qu’on a faites contre le caractere de Darius. On prétend qu’il se dément* dans le quatriéme Acte, lors que ce Prince qui paroist si respectueux envers son Pere, et qui ne veut pas se servir de cette Loy si ancienne et si sacrée dans la Perse, qui vouloit que celuy qui estoit nommé Successeur à la Couronne, pût demander la faveur qu’il souhaitoit, passe tout d’un coup à cet emportement qui va jusques à vouloir enlever Aspasie à son Pere ; mais ceux qui me font cette objection, igno-/ [XIX] /-rent-ils cette regle de Théatre, que cette sorte de changement et d’inégalité dans les Personnes qu’on représente sur la Scene, n’est vicieuse qu’alors qu’elle se fait sans aucun évenement, et sans aucune cause exterieure, et qu’un Personnage change de sentiment et de caractere par son propre mouvement ? Icy Darius quoy que jeune, ardent, impétueux, et qui veut mourir, s’il est obligé de ceder sa Maîtresse*, ne s’emporte contre son Pere, qu’alors qu’il voit que ce Pere, qui malgré sa passion et son ressentiment, fait voir tant de tendresse pour son Fils, prend tout d’un coup la résolution de luy oster Aspasie, et luy fait porter cette nouvelle par Tiribaze mesme, qui luy avoit donné un conseil si violent. L’emportement et l’exemple du Pere ébranlent le respect du Fils, et d’autant plus que Tiribaze luy envoye des Amis infidelles, qui par un faux zele, et par des conseils concertez, irritent* la jalousie de Darius. Le retour de ce Prince et son repentir, qui le font trembler de respect à la veuë de son Pere, quand il veut enlever sa Maîtresse*, et qui luy font tomber les armes des mains, fait bien voir qu’il garde pour luy dans le fond de son coeur un respect qui ne se dément* / [XX] / que par la violence de son Pere, par la force de sa passion, et par l’inspiration de ses faux Amis.
Pour finir cette Preface, qui peut-estre n’est déja que trop longue, je n’ay qu’à répondre à l’objection qu’on m’a faite touchant le Personnage de Nitocris. Les uns disent que c’est un Episode inutile, sans lequel l’action de ma Piece auroit son execution entiere, et que j’en devois faire un Personnage müet, comme de celuy d’Ariarathe, Frere de Darius ; mais peut-on traiter d’inutile le Personnage de Nitocris, qui estant Fille unique de Tiribaze, oblige la tendresse de son Pere à appliquer tous ses soins à la couronner par le Mariage d’un des Fils d’Artaxerce ? N’est-ce pas elle, qui plus fiere et plus vindicative mesme que son Pere, voyant ses espérances trompées, soûtient* son ressentiment, et combat les irrésolutions d’un Pere qui brûle de vanger par la perte de Darius, et par celle d’Artaxerce, les affrons qu’il a reçeus de l’un et de l’autre, mais qui craint de faire périr sa Fille par une entreprise si dangeureuse ? D’ailleurs, ne sçait-on pas qu’il y a des Episodes qui n’estant pas d’une necessité absoluë, font des beautez considérables dans une Pie-/ [XXI] /-ce, et cela suffit pourveu que ce ne soit pas un ornement étranger, et trop ambitieux. N’est-ce pas un grand plaisir au Spectateur de voir confondre* la vanité et la confiance de Nitocris qui se croit aimée de Darius, et qui se flate de se voir un jour sur le Trône par le Mariage de ce Prince ? N’est-ce pas aussi un ornement bien naturel dans mon Ouvrage, d’y voir cette opposition de la sagesse d’Aspasie qui sacrifie sa passion à son devoir, et de l’orgueïl de Nitocris ? D’autres trouvent étrange que j’introduise sur la Scene une Fille sans amour ; mais ne voit-on pas que j’affecte de luy donner cette dureté, pour ne pas tomber dans ce caractere d’Amante* vindicative, si rebatu sur la Scene Françoise.
Voila ce que j’avois à dire pour la justification d’Artaxerce ; et c’est de là que je tire une Réponse invincible, contre ceux qui ont dit que ma Piece n’estoit pas assez touchante. Je sçay bien qu’elle n’a pas ce Tragique qui est dans les horreurs d’Œdipe, et dans les fureurs* de Cassandre ; mais ne voit-on pas dans ma Piece de grands interests et de puissans mouvemens que font naistre les passions les plus violentes, l’amour, la haine, la jalousie, l’orgueïl, l’ambition ? N’y voit-on pas un Pere/ [XXII] / Rival d’un Fils qu’il idolâtre, et qui voyant ce Fils criminel, se sent déchirer par l’extréme desir qu’il a de le sauver, et par l’obligation qu’il a de l’immoler à la rigueur des Loix ? On y voit un Prince qui n’aime pas moins son Pere qu’il en est aimé, qui ne peut luy ceder, ny luy refuser Aspasie ; qui se voit malheureux par la jalousie d’un Pere qui est son Roy, et qui le choisit pour son Successeur, et par la résistance d’une Maîtresse* dont il est aimé. Quelle misere est plus illustre et plus touchante que celle d’Aspasie, qui estant prevenuë* d’une estime infinie pour Artaxerce, penetrée de ses bien-faits, enchaînée par sa reconnoissance, se sent entraîner vers Darius par un panchant invincible, et qui cependant s’arrache à son amour pour se donner toute entiere à son devoir ? Quelle ambition, quelle haine, quelle vengeance est plus emportée que celle de Tiribaze, et de sa Fille, qui se croyoient deshonorez par le refus de Darius ? Ay-je mal répondu à la grandeur de mon Sujet par la foiblesse des Vers, par le défaut des expressions, par la fausseté des sentimens ?
C’est dequoy pourront juger ceux qui liront ma Piece avec attention. Je les prie / [XXIII] / sur tout de ne se laisser point prévenir par ces Messieurs qui se font Chefs de Party, et moins encore par ceux qui les suivent aveuglement, et qui présument d’avoir le mesme droit de decider souverainement, parce qu’ils ont eu quelque commerce de débauche et de plaisir avec eux.
L’Autheur du Festin des Dieux vient de m’envoyer sur ce sujet un Madrigal, qui pourra délasser ceux qui prendront la peine de lire ma Preface.
ACTEURS. §
- ARTAXERCE, Roy de Perse.
- DARIUS, Fils d’Artaxerce.
- ASPASIE.
- TIRIBAZE, Favory d’Artaxerce.
- NITOCRIS, Fille de Tiribaze.
- ORONTE, Confident de Darius.
- BARSINE, Confidente d’Aspasie.
- CLEONNE, Confidente de Nitocris.
- MINDATE, Capitaine des Gardes d’Artaxerce.
- SUITE.
ACTE PREMIER §
Artaxerce, [1; A]
TRAGEDIE.
SCENE PREMIERE. §
DARIUS.
ORONTE.
DARIUS.
ORONTE.
DARIUS.
ORONTE.
DARIUS.
ORONTE.
DARIUS.
ORONTE.
DARIUS.
ORONTE.
DARIUS.
ORONTE.
DARIUS.
ORONTE.
DARIUS.
ORONTE.
DARIUS.
{p. 5}ORONTE.
DARIUS.
SCENE II. §
DARIUS.
TIRIBAZE.
{p. 6}DARIUS.
TIRIBAZE.
DARIUS.
TIRIBAZE.
DARIUS.
SCENE III. §
DARIUS.
SCENE IV. §
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
SCENE V. §
NITOCRIS.
CLEONNE.
NITOCRIS.
CLEONNE.
NITOCRIS.
CLEONNE.
NITOCRIS.
NITOCRIS.
{p. 13}CLEONNE.
NITOCRIS.
Fin du Premier Acte.
ACTE II §
SCENE PREMIERE. §
BARSINE.
ASPASIE.
BARSINE.
ASPASIE.
BARSINE.
ASPASIE.
BARSINE.
ASPASIE.
BARSINE.
ASPASIE.
BARSINE.
{p. 17}ASPASIE.
BARSINE.
ASPASIE.
SCENE II. §
NITOCRIS.
ASPASIE.
NITOCRIS.
ASPASIE.
NITOCRIS.
ASPASIE.
{p. 19}NITOCRIS.
ASPASIE.
NITOCRIS.
ASPASIE.
NITOCRIS.
ASPASIE.
NITOCRIS.
ASPASIE.
NITOCRIS.
SCENE III. §
ASPASIE.
BARSINE.
ASPASIE.
SCENE IV. §
LE ROY.
ASPASIE.
LE ROY.
ASPASIE.
LE ROY.
ASPASIE.
SCENE V. §
TIRIBAZE.
LE ROY.
TIRIBAZE.
LE ROY.
TIRIBAZE.
LE ROY.
TIRIBAZE.
LE ROY.
Fin du Second Acte.
ACTE III. §
SCENE PREMIERE. §
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
SCENE II. §
DARIUS.
TIRIBAZE.
NITOCRIS à Darius.
Ce grand effort m’DARIUS.
NITOCRIS à part.
SCENE III. §
TIRIBAZE au Roy.
SCENE IV. §
DARIUS.
LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
{p. 31}DARIUS.
LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
DARIUS.
SCENE V. §
DARIUS continuë.
LE ROY.
ASPASIE.
LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
SCENE VI. §
DARIUS.
ASPASIE.
DARIUS.
ASPASIE.
DARIUS.
ASPASIE.
DARIUS.
ASPASIE.
DARIUS.
ASPASIE.
ASPASIE.
DARIUS.
ASPASIE.
DARIUS.
ASPASIE.
DARIUS.
DARIUS.
ASPASIE.
DARIUS.
ASPASIE.
Fin du Troisiéme Acte.
ACTE IV §
SCENE PREMIERE. §
LE ROY.
MINDATE.
MINDATE.
LE ROY.
SCENE II. §
LE ROY seul.
SCENE III. §
MINDATE.
LE ROY.
LE ROY.
SCENE IV. §
DARIUS.
LE ROY.
DARIUS.
{p. 44}LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
DARIUS.
{p. 45}LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
SCENE V. §
ASPASIE.
LE ROY.
ASPASIE.
LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
SCENE VI. §
ASPASIE.
DARIUS.
ASPASIE.
DARIUS.
ASPASIE.
DARIUS.
{p. 49}ASPASIE.
DARIUS.
ASPASIE.
SCENE VII. §
DARIUS seul.
SCENE VIII. §
DARIUS.
TIRIBAZE.
DARIUS.
TIRIBAZE.
DARIUS.
TIRIBAZE.
DARIUS.
{p. 51}TIRIBAZE.
DARIUS.
SCENE IX. §
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
Fin du Quatriéme Acte.
ACTE V §
SCENE PREMIERE. §
CLEONNE.
NITOCRIS.
SCENE II. §
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
TIRIBAZE.
NITOCRIS.
SCENE III. §
LE ROY.
TIRIBAZE.
LE ROY.
TIRIBAZE.
LE ROY.
TIRIBAZE.
LE ROY.
TIRIBAZE.
LE ROY.
TIRIBAZE.
{p. 61}LE ROY.
TIRIBAZE en s’en allant, tout bas.
SCENE IV. §
LE ROY.
LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
DARIUS
{p. 63}LE ROY.
DARIUS.
LE ROY.
SCENE V. §
LE ROY seul.
SCENE VI. §
ASPASIE.
LE ROY.
ASPASIE.
LE ROY.
ASPASIE.
LE ROY.
ASPASIE.
LE ROY.
SCENE DERNIERE. §
LE ROY continuë.
ORONTE.
LE ROY.
ASPASIE.
ORONTE.
LE ROY.
ORONTE.
LE ROY.
ORONTE.
{p. 69}ASPASIE.
LE ROY.
FIN.
Permis d’imprimer. Fait ce 13. Janvier 1683. DE LA REYNIE.