SCENE PREMIERE. §
CECILIE. MAXIME. SABINE.
CECILIE.
maxime, je sçay tout ; cent messagers fideles
N’ont que trop annoncé ces funestes nouvelles.
Marius a vaincu ; mais apres ce
*bon-heur
Il devoit pour le moins respecter ma douleur.
395 Tu viens donc de sa part me vanter sa victoire,
Tu viens me reprocher nostre honte et sa gloire ;
Retracer à mes yeux le spectacle inhumain
Du Romain tout sanglant du meurtre du Romain.
MAXIME.
Non, Madame, et je viens seulement pour vous dire,
400 Que parmy tant de morts vostre pere respire,
Qu’estant à mesme temps et défait et vainqueur...
CECILIE.
Est-ce ainsi que tu viens consoler ma douleur ?
Dy moy, dy moy plustost par quel honteux caprice,
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Le sort traite mon pere avec tant d’injustice,
405 Un Camp victorieux formé de Legions,
Qui furent la terreur de tant de Nations,
Cede à de vils Soldats ramassez dans Preneste ?
MAXIME.
N’imputez point au sort un succez si funeste.
Si nostre jeune Maistre a du moins une fois
410 Vaincu le grand Sylla, vainqueur de tant de Rois,
Si son bras a forcé d’invincibles obstacles
L’amour au desespoir a fait tous ces miracles.
Admirez cét amour. Plein d’un soupçon jalous,
Qui se fait un Rival qu’il croit aimé de vous,
415 Il demande par tout l’
*Amant de Cecilie,
Le cherche dans le Camp, le brave, le défie,
Et n’en voyant aucun qui s’ose presenter,
Il se voit seur de vaincre et de vous meriter.
Mais apprenez aussi malgré tant de colere,
420 Ce que ce mesme amour a fait pour vostre pere.
Sylla voyant les siens
*étonnez ou vaincus
Ou combattre en desordre ou ne resister plus,
Court avec tant d’ardeur, pour porter sa presence
Aux lieux où le besoin appelle sa vaillance,
425 Que son cheval s’abbat, et pour dernier malheur
Luy-mesme à mesme temps tombe aux pieds du vainqueur.
Je voy d’abord cent bras se lever sur sa teste :
Mais d’un ton menaçant Marius les arreste,
Et relevant Sylla, rends grace à mon amour,
430 Luy dit-il, c’est luy seul qui t’a sauvé le jour.
Le fier Sylla honteux de luy devoir la vie
Des mains de Marius s’arrache avec
*furie.
Marius, qui le veut vaincre sans le fraper,
Par crainte ou par respect tâche à l’enveloper,
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435 Quand un gros d’ennemis le joint et le dégage.
Il remonte à cheval, reprend quelque avantage,
Et si le nombre enfin n’eut lassé sa valeur,
Sa valeur indignée eut vangé son malheur :
Mais voyant par les siens son attente trompée...
CECILIE.
440 Eh ! que faisoit alors l’infidele Pompée ?
Au secours de Sylla devoit-il pas courir,
Et l’ingrat n’a-t-il sçeu ny vaincre ny mourir ?
MAXIME.
Ah ! Madame, épargnez l’honneur de ce grand homme,
Jugez mieux aujourd’huy du defenseur de Rome :
445 C’est contre l’étranger qu’il vous sert maintenant
Dans ses murs où Sylla l’a fait son Lieutenant.
CECILIE. bas.
Quoy Pompée est dans Rome ! Ah la joye est extréme,
Sabine, de pouvoir excuser ce qu’on aime.
MAXIME.
Apprenez tout. Sylla qui doute dans son cœur
450 Que Sylla puisse vivre et n’estre pas vainqueur,
Ramasse ses amis dans ce débris funeste,
Et se montre si fier de l’espoir qui luy reste,
Que Marius qui craint de perdre ses lauriers,
Rappelle du combat ses plus ardens guerriers,
455 Et par cette prudente et modeste retraite
D’un ennemy qu’il aime, honore la défaite.
Mais il vient.
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SCENE II. §
MARIUS. CECILIE. SABINE.
MARIUS.
Mais il vient. Pardonnez si je montre à vos yeux
Pour un foible succez un front victorieux.
Quand je doy soupirer du
*bon-heur de mes armes,
460 D’avoir à ces beaux yeux fait répandre des larmes,
Quand je devrois trembler de crainte à leur aspect,
Vous voyez quelle joye échape à mon respect.
CECILIE.
Cette joye est l’effet d’une grande victoire,
Et sied bien sur un front où brille tant de gloire.
MARIUS.
465 Non, Madame, ma joye est le fruit de la paix,
Qui va finir la guerre et remplir nos souhaits.
Sylla qui vient de prendre et donner des ostages
Pressé par d’autres soins, cede à nos avantages.
Bien plus ses Deputez ont des ordres secrets
470 De sacrifier tout aux communs interests,
De ne rien ménager pour voir la paix concluë,
Les Romains reünis, et Rome secouruë.
Mais ce n’est pas assez, ce que j’attens de vous
Me livre tout entier à des transports si dous.
475 Pardonnez cette erreur à l’orgueil de ma
*flâme :
Je sens un doux espoir s’élever en mon ame,
Quand cherchant dans le Camp l’objet de ma fureur
Ce Rival trop heureux, qui m’oste vostre cœur,
Nul ne s’est presenté digne de tant de gloire,
480 Nul n’a presque un moment balancé la victoire,
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Et qu’ainsi mon amour se promet d’emporter
Un cœur que mon Rival ne sçauroit meriter.
C’est dequoy s’applaudit un
*Amant miserable,
Qui pour se faire un sort un peu plus favorable,
485 Tâche de s’épargner les tourmens d’un jalous,
Et croit n’avoir plus rien à combatre que vous.
Voila toute ma joye.
CECILIE.
Voila toute ma joye. Ainsi vous osez croire,
Que j’ay pû faire un choix, qui fait tort à ma gloire :
Vous pouviez m’épargner un si cruel affront,
490 Et voyant un succés trop facile et trop prompt,
Vous deviez presumer qu’en ce malheur extréme
Il n’est dans tout le Camp aucun Romain que j’aime,
Et que si quelque
*Amant pour moy s’estoit armé
Peut-estre il eut vaincu, si je l’avois aimé.
495 Ne croirez-vous jamais, Seigneur, que vostre
*flâme ?
Sera-t-elle toûjours Maistresse de vostre ame ?
Par ses mauvais conseils nous verrons nous toûjours
Sans espoir de la paix, et Rome sans secours ?
Peut-on entre deux cœurs tout bruslans de vengeance
500 Entre vous et Sylla fonder quelque alliance,
De l’amour, de la paix le plus sacré lien,
Peut-il jamais unir vostre sang et le mien ?
MARIUS.
Ah ! ne m’opposez plus la haine de nos peres :
Vos secretes raisons me sont bien plus contraires,
505 Et je ne puis enfin perdre un si doux espoir,
Si vous ne vous servez de tout vostre pouvoir.
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La paix comme mon cœur est en vostre puissance
Vous pouvez l’obtenir de mon obeïssance ;
Mais si vous m’en laissez disposer en ce jour,
510 Je ne la donneray jamais qu’à mon amour.
Ce n’est pas, puisqu’il faut enfin que je m’explique,
Et mesle à mon amour un peu de politique,
Que pour ce grand hymen je manque de raisons.
Une haine immortelle entre nos deux
*maisons
515 La
*fierté de Sylla qui peut tout entreprendre,
Me defendent la paix, si je ne suis son gendre.
Mais ces precautions sont bien peu de saison,
Quand je veux que l’amour soit toute ma raison.
CECILIE.
Ces ombrages, Seigneur, contre une paix sincere
520 Se doivent dissiper sur la foy de mon pere.
Si ce n’est pas assez, venez-vous pas Seigneur,
De luy sauver la vie en
*genereux vainqueur ?
MARIUS.
Avec ces seuretez n’ay-je plus rien à craindre ?
La fureur de Sylla se doit-elle contraindre ?
525 A moins d’un sacré nœud plus fort que son
*courrous,
Dois-je m’en asseurer, et m’en reprendrez vous ?
Dois-je vous immoler tous les soins de ma vie ?
Aymez-vous mon Rival avec tant de
*furie ?
Pardonnez si ce mot échape à ma douleur,
530 Vostre pere me traite avec moins de rigueur :
Pour le prix de la paix vous ayant demandée,
Le superbe Sylla vous a presque accordée,
A presque en ma faveur oublié sa fierté,
Et vous avez repris l’orgueil qu’il a quité,
535 Oüy vous qui contre moy me vantiez sa puissance
Vous m’ostez malgré luy cette foible esperance,
Au moins laissez parler ceux qui traitent l’accord :
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Attendant un moment, qui va regler mon sort,
Permettez que j’espere, ou du moins que je doute.
540 Helas ! ce n’est pas trop de vouloir qu’il en couste
A ce cœur qui me hait la peine seulement,
De cacher à mes yeux vostre haine un moment.
CECILIE.
Ah ! je ne vous hay point : mais quand je voy mon pere
Vous flater foiblement d’un bien imaginaire,
545 Je trouve plus cruel cet espoir d’un faux bien,
Que le tourment d’un cœur, qui n’espere plus rien.
Sylla verroit plustost Rome sans assistance...
Mais quelqu’un vient icy, c’est Pison qui s’avance.
SCENE III. §
MARIUS. CECILIE. PISON. MAXIME. SABINE.
MARIUS.
He bien Pison. Sylla nous donne-t’il la paix ?
PISON.
550 Sylla rend aujourd’huy tous vos vœux satisfaits :
Nul accord n’a jamais avec si peu de peine
Ny dans si peu de temps étouffé tant de haine,
Et pour vous en donner le gage le plus doux,
En faveur de la paix Cecilie est à vous.
MARIUS.
555 Cecilie est à moy, faut-il que je le croye ?
Mon amour pourras-tu supporter tant de joye ?
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Dieux, donnez-m’en la force. Est-ce trop se flater
De croire cette paix, et d’oser l’accepter ?
PISON.
Si vous y consentez, Sylla viendra luy-mesme...
MARIUS.
560 Ah je consens à tout pour avoir ce que j’aime.
Retournez à Sylla, dites-luy qu’aujourd’huy
Il me fait partager sa
*fortune avec luy,
Que comme sa grandeur ma gloire est sans seconde,
Et qu’il jouysse en paix de l’Empire du monde.
CECILIE. bas.
565 Quoy jusques-là mon pere abbaisse sa fierté,
Sabine ?
MARIUS.
Sabine ? N’est-ce point une temerité
Madame d’accepter des mains de vostre pere
Un present que vous seule avez droit de me faire ?
Ne voy je pas déja cét air triste et confus
570 Cette sombre fierté m’expliquer vos refus ?
Pardonnez si ce cœur vient de faire parestre
Des transports, dont un cœur n’est pas toûjours le maistre.
Reçoit-on autrement l’offre d’un si grand bien ?
Un rayon d’esperance à qui n’espere rien
575 Peut produire une joye aveugle et temeraire :
J’en suis assez puny quand vous m’estes contraire,
Et rien n’est si cruel, quand on voit tant d’
*appas,
Qu’un espoir qui nous charme, et qui ne vous plaist pas.
CECILIE.
Je ne le puis nier, vous voyez ma surprise.
580 Quoy qu’aux ordres d’un pere entierement soûmise,
Je dois vous advoüer, que j’ay quelque douleur
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Que tout autre que moy dispose de mon cœur :
Quand je vous renvoyois au pouvoir de mon pere
Pour ne pas me montrer à vos vœux trop contraire,
585 J’ay crû que son pouvoir consultant son
*courrous
Sans le secours du mien me sauveroit de vous.
Mais enfin je voy bien que sa vertu l’emporte,
Que sa haine se rend, que Rome est la plus forte.
Puisque donc je ne puis m’empescher d’obeyr,
590 Vostre amour voudra-t’il luy-mesme se trahir ?
Voudra-t’il me devoir à mon obeyssance ?
Car enfin il est temps de rompre le silence.
Oüy, Seigneur, j’ayme ailleurs, et c’estoit justement
Que vous me soupçonniez d’aimer un autre
*Amant.
595 C’est ce secret amour qui combatoit le vostre,
Et puisqu’enfin le Ciel fit ce cœur pour un autre,
Vous pourrez vous resoudre à vouloir malgré luy...
MARIUS.
*Cruelle en me montrant ce cœur aux mains d’autruy
Par ce fatal adveu vous voulez vous dédire,
600 Couvrir vostre revolte, et m’y faire souscrire ;
C’est contre nos traitez vostre dernier secours.
CECILIE.
Non m’en deust-il couster le repos de mes jours.
Je suis à vous, Seigneur par un ordre suprême ;
Je doy tout à mon pere, à l’Estat, à vous-mesme,
605 Et si mon feu secret échape à ma pudeur,
Je devois ce secours aux troubles de mon cœur.
Mais puisque vostre amour veut ce grand sacrifice,
Sans rien examiner il faut que j’obeysse.
Ce devoir est cruel, violent, inhumain ;
{p. 26}
610 Mais on entreprend tout avec un cœur Romain.
MARIUS.
Hé pourquoy serez-vous victime volontaire
D’un vainqueur tout à vous et des ordres d’un pere ?
Pourquoy vous imposer ce devoir inhumain ?
Que ne resistez-vous avec ce cœur Romain ?
615 Que ne vous faites-vous, sans peur de leur déplaire,
Un cœur indépendant, et de Rome et d’un pere ?
Que n’armez-vous l’amour avec tout son pouvoir,
Cét amour plus puissant que tout autre devoir ?
Peut-estre en vous voyant à ce Rival qu’on aime
620 Immoler fierement la paix et Rome mesme,
Peut-estre alors, Madame, à ce cœur revolté
Je pourrois opposer une égale fierté.
Mais las ! vous sçavez bien que vostre obeyssance
Forceroit doucement toute ma resistance,
625 Helas ! vous sçavez bien que qui sçait bien aimer
A de pareils efforts se laisse desarmer ;
Qu’estant le seul objet que mon amour contemple,
Je me dois faire honneur de suivre vostre exemple,
Et qu’enfin pour vous plaire, et se vaincre à son tour,
630 L’amour mesme sçauroit triompher de l’amour.
CECILIE.
Ah ! Seigneur, jugez mieux de cette déferance
Que je dois toute entiere à mon obeyssance.
Quoy que souffre ce cœur qu’on force à se trahir,
Je n’ay d’autre dessein que celuy d’obeïr.
635 Vous sçavez ce que c’est que le pouvoir d’un pere ;
Et puisque ce devoir vous semble trop severe,
Rendez-le, s’il se peut plus facile et plus doux ;
{p. 27}
Gardez tout vostre amour quand je me donne à vous,
Et bien loin de combatre une
*flâme si belle,
640 Conservez-moy ce cœur toûjours tendre et fidelle :
Que je me puisse dire, en voyant tant d’ardeur
Marius m’aime trop pour n’avoir pas mon cœur,
Et si d’un autre
*Amant mon ame fut charmée,
Je l’aime trop peut-estre, et j’en suis moins aimée.
645 C’est ainsi que je puis me consoler un peu
Du malheur de ma
*flàme auprés d’un si beau
*feu,
Et répondre à mon cœur en acceptant le vostre,
Qu’il seroit trop heureux, s’il n’en aimoit un autre.
MARIUS.
Voyant tout mon amour, vous pouvez presumer
650 Que ce n’est pas mon cœur qui se defend d’aimer.
Quand il combat pour vous une tendresse extréme,
C’est alors seulement qu’il est vray qu’il vous aime :
Car enfin est-ce aimer de vouloir ces
*appas
Et d’accepter un cœur qui ne se donne pas ?
655 Que mon sort est étrange, et que je suis à plaindre !
A l’offre qu’on me fait je voulois vous contraindre,
Mon amour ne pouvant vous obtenir de vous,
J’ay suivy les transports d’un desespoir jalous,
J’ay cherché mon Rival, j’ay defendu Preneste,
660 J’ay mis Rome en peril, et vous sçavez le reste ;
J’ay vaincu Sylla mesme, et fléchy son
*courroux,
J’ay fait tout ces efforts pour vous et contre vous.
Cependant, quand Sylla m’offre tout ce que j’aime,
Quand je voy son present advoüé de luy mesme
{p. 28}
665 Tout tremblant de respect, mon cœur n’ose abuser
D’un genereux adveu qui pourroit m’excuser.
L’ordre de vostre pere et toute sa puissance
Doivent-ils m’arracher à mon obeïssance ?
S’il est vostre tyran, dois-je l’estre à mon tour ?
670 Et s’il est sans pitié, dois-je estre sans amour ?
Voy Sylla de ma part Maxime, et va luy dire
Que je souscris sans peine à la paix qu’il desire ;
Que de l’honneur qu’il m’offre estant trop satisfait,
Je doy pour m’aquiter luy rendre son bien-fait ;
675 Que puisqu’en ma faveur il s’est vaincu luy-mesme
Je dois en sa faveur vaincre un amour extréme.
Dy luy que quand je vois l’effort qu’il fait pour moy
Pour toute seureté je ne veux que sa foy ;
Que je livre en ses mains moy, mes troupes, Preneste,
680 Rang, dignité, puissance, et tout ce qui me reste,
Et que pour servir Rome, et vanger son malheur
Mon cœur brusle d’aller seconder sa valeur.
CECILIE.
Non, non Maxime arreste, et connois mieux mon pere :
Garde-toy contre moy d’allumer sa colere,
685 Il pourroit soupçonner que son ordre est trahy,
Et que mon cœur rebelle auroit mal obey ;
Il croiroit qu’abusant de ce pouvoir suprême
Je m’oppose à son ordre, et suis un autre choix.
690 Va, dy-luy que je veux me soûmettre à ses loix ;
Sur tout ce qu’il a dit, garde un profond silence.
Mais répons à Sylla de mon obeyssance,
{p. 29}
Et dis-luy que mon cœur asseuré de sa foy
Luy répond de ton Maistre aussi bien que de moy.
MAXIME sort.
MARIUS.
695 Quoy vous obeyrez
CECILIE.
Quoy vous obeyrez Oüy , Seigneur.
MARIUS.
Quoy vous obeyrez Oüy , Seigneur. Ah ! Madame.
Sçavez-vous quels tourmens se prepare vostre ame ?
Madame sçavez-vous qu’on a veu plus d’un cœur
Pour de pareils efforts expirer de douleur ?
Ah ! si vous ignorez les maux qu’il vous faut craindre,
700 Ou si vous le sçavez sans vouloir vous en plaindre,
Si par pitié pour moy, vous devorez vos pleurs,
En sentiray-je moins vos secretes douleurs ?
Toûjours auprés de vous, vous verray-je sans cesse
Par mille horreurs pour moy vanger vostre tendresse
705 Tourner ailleurs vos vœux quand j’auray vostre foy,
Et pousser des soupirs qui ne sont pas pour moy ?
Quand un cruel devoir me livre tous vos charmes
Mon Rival en secret aura toutes vos larmes,
Aura ce que le cœur peut donner de plus doux,
710 Et tout ce qui dépend de l’amour et de vous.
CECILIE.
Seigneur ne craignez rien d’une juste tendresse
Dont la raison toujours doit estre la maistresse.
D’un
*feu qui vous déplaist ne vous laissant rien voir,
Vous prendrez pour amour les soins de mon devoir,
{p. 30}
715 Ce devoir plein de zele à l’amour si semblable
Se changera bien-tost en amour veritable :
Au moins je le souhaite, et l’on doit presumer
Que c’est aimer déja que de vouloir aimer
Ha ! Si l’amour mutuel entre les belles ames,
720 Du flambeau de l’hymen doit allumer les flâmes,
Pour le commun bonheur j’espere qu’à son tour
L’hymen allumera les
*flâmes de l’amour.
MARIUS.
Vous l’esperez, Madame, et l’oseray-je croire ?
Ha ! si vous l’esperés, c’est assés pour ma gloire.
725 C’est assez si je puis plein d’un espoir si doux
Me rendre quelque jour un peu digne de vous.
Pour acquerir enfin une gloire si grande,
Ne songeons qu’au secours que Rome nous demande.
Reyne de l’univers, Rome excuse un
*Amant
730 Qui t’a deu preferer un objet si charmant,
Sylla vient d’accorder mon zele et ma tendresse,
Mais sans plus differer allons le recevoir ;
Et de sa propre bouche apprendre mon espoir.