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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Brosse. L'Aveugle clair-voyant. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 33 sc. 365 répl. 3,6 l. 1 296 l. 1 296 l. 37 % 3 594 l. (100 %) 2,8 pers.
CLEANTHE 17 sc. 115 répl. 3,9 l. 809 l. (63 %) 447 l. (35 %) 56 % 2 640 l. (74 %) 3,3 pers.
OLIMPE 13 sc. 53 répl. 3,9 l. 599 l. (47 %) 204 l. (16 %) 35 % 1 895 l. (53 %) 3,2 pers.
LIDAMAS 12 sc. 52 répl. 3,4 l. 532 l. (42 %) 178 l. (14 %) 34 % 1 774 l. (50 %) 3,3 pers.
MELICE 11 sc. 38 répl. 3,9 l. 408 l. (32 %) 148 l. (12 %) 37 % 1 200 l. (34 %) 2,9 pers.
THELAME 5 sc. 18 répl. 2,0 l. 173 l. (14 %) 35 l. (3 %) 21 % 583 l. (17 %) 3,4 pers.
NERINE 5 sc. 18 répl. 3,3 l. 270 l. (21 %) 59 l. (5 %) 22 % 928 l. (26 %) 3,4 pers.
LUCILLE 3 sc. 4 répl. 11,3 l. 61 l. (5 %) 45 l. (4 %) 74 % 106 l. (3 %) 1,7 pers.
SYLVESTRE 16 sc. 67 répl. 2,7 l. 741 l. (58 %) 180 l. (14 %) 25 % 2 502 l. (70 %) 3,4 pers.
Brosse. L'Aveugle clair-voyant. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
CLEANTHE 25 l. (100 %) 2 répl. 12,0 l. 2 sc. 24 l. (2 %) 1,0 pers.
CLEANTHE
OLIMPE
83 l. (53 %) 24 répl. 3,4 l.
74 l. (48 %) 24 répl. 3,1 l.
6 sc. 156 l. (13 %) 4,1 pers.
CLEANTHE
LIDAMAS
87 l. (58 %) 21 répl. 4,1 l.
63 l. (43 %) 19 répl. 3,3 l.
6 sc. 149 l. (12 %) 3,7 pers.
CLEANTHE
MELICE
101 l. (58 %) 23 répl. 4,4 l.
75 l. (43 %) 21 répl. 3,6 l.
5 sc. 175 l. (14 %) 3,5 pers.
CLEANTHE
THELAME
24 l. (81 %) 5 répl. 4,7 l.
6 l. (20 %) 5 répl. 1,1 l.
2 sc. 29 l. (3 %) 4,0 pers.
CLEANTHE
SYLVESTRE
130 l. (56 %) 40 répl. 3,2 l.
105 l. (45 %) 41 répl. 2,5 l.
12 sc. 234 l. (19 %) 3,4 pers.
OLIMPE
LIDAMAS
35 l. (34 %) 10 répl. 3,5 l.
69 l. (67 %) 14 répl. 4,9 l.
6 sc. 103 l. (8 %) 3,3 pers.
OLIMPE
NERINE
93 l. (65 %) 13 répl. 7,1 l.
51 l. (36 %) 15 répl. 3,4 l.
4 sc. 143 l. (12 %) 2,8 pers.
OLIMPE
SYLVESTRE
5 l. (33 %) 6 répl. 0,7 l.
9 l. (68 %) 6 répl. 1,4 l.
4 sc. 13 l. (1 %) 4,5 pers.
LIDAMAS 24 l. (100 %) 1 répl. 23,3 l. 1 sc. 23 l. (2 %) 1,0 pers.
LIDAMAS
SYLVESTRE
20 l. (36 %) 14 répl. 1,4 l.
36 l. (65 %) 14 répl. 2,5 l.
4 sc. 55 l. (5 %) 4,1 pers.
MELICE 29 l. (100 %) 1 répl. 28,4 l. 1 sc. 28 l. (3 %) 1,0 pers.
MELICE
THELAME
25 l. (45 %) 9 répl. 2,7 l.
30 l. (56 %) 13 répl. 2,3 l.
4 sc. 54 l. (5 %) 3,1 pers.
MELICE
LUCILLE
16 l. (36 %) 2 répl. 8,0 l.
29 l. (65 %) 3 répl. 9,5 l.
2 sc. 45 l. (4 %) 2,0 pers.
MELICE
SYLVESTRE
5 l. (67 %) 5 répl. 0,9 l.
3 l. (34 %) 1 répl. 2,4 l.
3 sc. 7 l. (1 %) 3,5 pers.
LUCILLE 17 l. (100 %) 1 répl. 16,8 l. 1 sc. 17 l. (2 %) 1,0 pers.
SYLVESTRE 19 l. (100 %) 1 répl. 18,0 l. 1 sc. 18 l. (2 %) 1,0 pers.

Brosse

1650

L'Aveugle clair-voyant. Comédie

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Sonia Naudin
2013
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2013, license cc.
Source : Brosse. L'Aveugle clair-voyant. Comédie. A PARIS. Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la montée de la Cour des Aydes. M. DC. L. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

L’AVEUGLE CLAIR-VOYANT,
COMEDIE.
Representée sur le Theatre Royal devant leurs Majestez. §

A MONSEIGNEUR §

MONSEIGNEUR

LE COMTE

DU DAUGNION,

LIEUTENANT GENERAL

Pour le Roy aux Villes & Gouvernemens de Broüage, La Rochelle, Païs d’Aulnis, Isles & Citadelles d’Olleron & de Ré. Seul Lieutenant General des Armées Navales de sa Majesté, & Intendant general de la Marine, Navigation & Commerce de France.

MONSEIGNEUR,

Je serois plus Aveugle que celuy que je vous présente, si m’estant proposé de le faire passer pour Clair-voyant : J’empruntois d’autre que de vous de l’esclat, du jour, & des lumieres. Comme je ne croy pas que cette production soit assez puissante pour se soutenir d’elle-mesme, je n’estime pas aussi qu’elle ait si peu de force qu’elle ne puisse entreprendre un voyage de cent lieuës, pour rencontrer où vous estes un Protecteur & un Appuy. Quelques vers que je vous ay desja presentez s’estans trouvez à vostre goust, je ne me persuade pas qu’une composition d’un stile de pareille nature vous doive estre desagreable. L’Illustre Comte du Daugnion fait tousjours mesme accueil aux choses qui se ressemblent & qu’on luy offre avec mesme affection ; son obligeante humeur ne se dément jamais, non plus que son courage[.] A ce mot[, ] MONSEIGNEUR, commandez moy de me taire, si vous ne voulez entendre des veritez : Vous possedez parfaitement cette grandeur d’Ame & cette heroïque vertu* qui apprend aux hommes à mespriser le danger, la mort & la fortune*. C’est par ce glorieux oubly de vous mesme que vous avez si souvent donné de la terreur aux ennemis de cét Estat ; c’est par ce noble mespris de la Vie, qu’on vous a pris en tant de meslées pour le Dieu des combats, & qu’un mesme trouble ayant osté la conduitte aux Chefs, & la resolution aux Soldats, il n’est jamais demeuré personne qui osast tourner visage, pour s’assurer si c’estoit un homme qui les faisoit fuïr. Mais à vous figurer par d’autres traits* & pour arriver par degrez au rang que vous tenez aujourd’huy : Si l’on considere vostre Naissance, vous avez avec avantage cette vertu naturelle qui suit le sang, & que nous appelons Noblesse. Si l’on regarde vostre Fortune*, elle est grande, & telle qu’estant moindre elle seroit au-dessous de ce que vous meritez. Si l’on veut connaistre vostre Esprit, il en éblouït beaucoup d’autres de ses lumieres ; si l’on jette les yeux sur vostre Jugement, les évenemens ne [le] surprenent jamais : si l’on s’informe enfin de vos Employs, ils sont importans. Le plus souverain des Monarques qui vous reconnaist pour l’un des plus Illustres sujets de sa Couronne, & peut-estre pour le plus fidelle depositaire d’une partie de sa Puissance, ne vous occupe à rien que de considerable & de glorieux, où tousjours par des actions qui vont jusqu’au prodige, vous soutenez contre toutes sortes de rebelles & de factieux l’Authorité de ce Maistre qui peut tout. Quelque chose que j’aye pû dire, MONSEIGNEUR, il m’en reste à dire davantage, mais comme la Peinture n’a point trouvé jusqu’icy de traits pour bien representer la lumiere, l’Eloquence n’a point inventé de termes pour dignement loüer la vertu* ; J’achéve donc par une impuissance de poursuivre, & par la crainte de vous fascher* par où je satisferois tout le monde, permettez-moy seulement encor un mot, pour vous assurer que je prise plus que toute ma vie le peu de temps que j’ay eu l’honneur d’estre auprés de vous, & pour vous supplier de croire que je suis par naturelle inclination, & par le souvenir de vos biensfaits,

MONSEIGNEUR,

Vostre tres-humble, tres-obeissant

& tres-obligé*serviteur*, BROSSE.

LES ACTEURS. §

  • CLEANTHE Pere de Lidamas & de Melice, Amoureux d’Olimpe.
  • OLIMPE Jeune veufve, Amoureuse de Lidamas.
  • LIDAMAS Amoureux d’Olimpe.
  • MELICE Amoureuse de Thelame.
  • THELAME Cavalier*, Amoureux de Melice.
  • NERINE Suivante d’Olimpe.
  • LUCILLE Suivante de Melice.
  • SYLVESTRE Valet de Cleanthe.
La Scene est à Blois dans la maison de Cleanthe.

Acte I

L’AVEUGLE CLAIR-VOYANT. COMEDIE. §

Scène première §

Olimpe, Nérine.

NERINE

Quoy ma discretion vous est-elle suspecte ?
Ignorez-vous encor combien je vous respecte ?

OLIMPE

Non, apprends d’un recit veritable & succinct
La nature du mal dont mon cœur est atteint,
5 Tu sçais que le Soleil depuis que je fus véve {p. 2}
N’avoit à ses travaux* que vingt fois donné tréve,
Quand Cleanthe échauffé d’un feu sombre & mourant
Que mes yeux n’avoient pû bien esteindre en pleurant
Vint me faire visite, & d’un adroit langage
10 Exagera les soins qu’enfante un long veuvage,
Tu sçais encor comment d’un discours medité
Il me galantisa* sur mon peu de beauté.
Et puis comme achevant ce compliment frivole
Un soupir preparé lui coupa la parole.

NERINE

15 Vous pristes du plaisir à l’entendre, à le voir,
Vostre esprit & vos sens vindrent à s’esmouvoir,
Vous l’aimates enfin !

OLIMPE

Oüy, d’un aveu* tacite
J’acceptay sa recherche ainsi que sa visite.

NERINE

On fit courir le bruit qu’hymen* dans peu de jours
20 Devoit de vos ardeurs authoriser le cours.

OLIMPE

Cleanthe m’en pria, mais ma pudeur blessee
Rejetta sa priere & blasma sa pensee.
Les manes d’un mary gisant dans le tombeau {p. 3}
D’un si prompt hymenée* éteindroient le flambeau,
25 Luy, dis-je, & leur dépit joinct au courroux celeste
Rendroit nostre alliance & sterile & funeste,
Je veux pendant un An demeurer dans le deüil
Et de ma continence honorer son cercueil.
Cleanthe à ce propos montra de la tristesse,
30 Mais bien-tost sa raison se rendit la maitresse,
Il loüa mon dessein, & convint avec moy
Que l’honneur & l’amour m’imposoient cette loy.
En ce temps cet Auguste & glorieux Monarque
Qu’avec estonnement* tout l’Univers remarque*,
35 Pour se rendre justice & rentrer dans ses droits
D’un siege bien formé pressoit les Dunquerquois,
Cleanthe en attendant que j’essuirois mes larmes
Se resolut d’aller paraitre sous les armes,
De signaler* son cœur*, de servir son païs,
40 D’oster à l’Espagnol des Estats envahis
Et croistre de son Roy l’illustre Renommee
En ajoustant un bras au corps de son armee,
Il partit sans demeure*, & dans fort peu de temps
Dunquerque le compta parmi nos combattans.
45 Mais helas dans le camp, soit par trop de fatigue,
Ou soit que contre luy la fortune* se ligue,
Ses yeux auparavant si perçans & si clairs
Sont d’un nuage obscur soudainement couverts,
Ces naturels flambeaux demeurent sans lumiere, {p. 4}
50 Sans rien perdre pourtant de leur beauté premiere,
On diroit à les voir qu’ils lancent des rayons
Qui des objets encor luy tracent les crayons*.

NERINE

Ce malheur arrivé depuis une ou deux Lunes
Peut-il causer encor vos plaintes importunes ?

OLIMPE

55 Non, ce trait* qui du sort marque la cruauté
Ne m’arracha des pleurs que dans sa nouveauté,
Mais en ayant depuis interrompu la course
Si tu m’en vois verser ils ont une autre source.

NERINE

Ce poinct est un secret qui ne m’est pas conu.

OLIMPE

60 Je vay t’en informer d’un discours ingenu.
Aussi-tost que je sceu l’Accident de Cleanthe
Mon amoureuse ardeur devint un peu plus lente,
Et mon cœur chancelant dedans sa passion
Eut un malin* degoust de son affliction,
65 Je combatis d’abord cette ingrate inconstance,
J’en voulus étouffer la premiere semence :
Mais sur le poinct qu’alloit triompher ma vertu {p. 5}
L’on donna du secours à ce vice abbatu.
Lidamas heureux fils d’un deplorable* pere
70 Vint pour me consoler de son destin sevère,
Il me vid, je le vis, il parla, j’escoutay,
Mon œil incessamment sur luy fut arresté,
Sa grace me parut à nulle autre semblable,
Il fit un beau recit d’un sujet lamentable*,
75 Enfin en Lidamas toute chose me plut,
Et se rendit chez moy ce que son pere y fut.

NERINE

Cônut-il vôtre amour ?

OLIMPE

Malgré ma retenuë
Dés sa conception elle luy fut cônuë,
Ce cavalier* adroit, prudent, ingenieux,
80 Subtil, & bien instruit dans l’entretien des yeux,
Penetrant par les miens au fond de ma pensee
Y vid en traits de feu son image tracee ;
Cet indice assuré qu’il estoit mon vainqueur,
L’obligea de s’ouvrir en me montrant son cœur,
85 Madame (me dit-il) le pouvoir de vos charmes*
Ne m’a pas d’aujourd’huy fait mettre bas les armes,
Depuis plus de six mois je suis dedans vos fers
Et vos yeux sont les Rois & les Dieux que je sers, {p. 6}
Mais d’un pere amoureux l’imperieuse flame
90 M’imposoit de cacher la mienne dans mon ame.
Je l’ay fait par respect jusques à ce moment
Que je puis profiter de son aveuglement.
Il finit, & mon cœur charmé* de sa parole
Se fit au mesme instant l’Autel de cet idole,
95 Un regard languissant, un soupir estouffé
Luy dirent doucement qu’il avoit triomphé.
Lors certain de mes feux comme de sa victoire
Il me dist qu’il falloit pour achever sa gloire*
Que je vinsse dans Blois faire quelque sejour,
100 Jusqu’à tant qu’on y vid son pere de retour,
Je fus pour Lidamas à ce poinct complaisante,
J’y vins & descendis au logis de Cleanthe,
Où donnant à ma flame une honneste couleur
Je feignis d’arriver pour visiter sa sœur.

NERINE

105 Jusqu’icy quel sujet avez-vous d’estre triste ?

OLIMPE

Apprends de ce qui suit en quoy mon mal consiste.
On attend le retour de Cleanthe aujourd’huy
J’ay peur qu’il croye encor que je brûle pour luy
Que ses yeux estans morts sa flame vive encore
110 Que sa bouche me loüe, & que son cœur m’adore, {p. 7}
Tu sçais que l’on void naistre un grand nombre de maux
Quand le pere & le fils se rencontrent Rivaux.
Voila le seul sujet ma fidelle Nerine,
Du trouble qui me rend inquiette & chagrine*.

NERINE

115 Je ne puis presumer qu’en son aveuglement
Cleanthe veüille encor passer pour vôtre Amant,
Son fils au pis aller par de promptes adresses*
Vous delivrera bien de ses froides caresses.

OLIMPE

Nerine, tu dis vray, l’esprit de Lidamas…
120 Mais c’est luy que je voy qui s’avance à grand pas.

Scène II §

Lidamas, Olimpe, Nerine.

LIDAMAS

Mon pere est arrivé Madame, & sa paupiere
Ne void plus les beautez qu’enfante la lumiere,
Ce n’est pas que ses yeux ne paraissent fort beaux, {p. 8}
Mais c’est sans l’éclairer que brillent ces flambeaux,
125 Par le malin* effet d’une cause cachee,
Leur action est morte, ou du moins empeschee,
Dedans ce triste estat je ne puis concevoir
Qu’il donne de l’amour ny puisse en recevoir.

OLIMPE

Mais ne peut-il pas bien ayant perdu la veuë
130 Conserver une amour auparavant receuë.

LIDAMAS

En vain auprez de vous je veux dissimuler,
Mon pere brusle encor, & veut encor brusler,
On l’avoit du carosse à peine mis à terre
Qu’oubliant le malheur que luy cause la guerre,
135 Lidamas, m’a-t’il dit, en me parlant de vous,
Les Astres envers elle ont-ils esté plus doux ?
N’a-t’elle point du sort senty la perfidie,
Ou les aspres accez de quelque maladie ?

OLIMPE

Il n’en faut plus douter, il est encor atteint,
140 Le feu que j’allumay n’est pas prest d’estre esteint,
Ce peu que j’ay d’attraits sensiblement le touche,
On n’est pas loin du cœur quand on est dans la bouche.

LIDAMAS

A l’instant que ses soins* se declarent pour vous [B, 9]
Je juge qu’il n’est pas bien guéry de vos coups*,
145 Doncques d’une voix triste, Olimpe, mon cher pere,
N’est plus, luy dis-je lors, en estat de vous plaire,
De ce charmant* objet* les traits imperieux,
S’ils furent le plaisir sont la peine des yeux,
Cette rare beauté d’un chacun regardee
150 N’est plus qu’un Estre feint, existant [en] idee,
Un tragique accident, un rigoureux destin,
A de tous ses appas* fait un triste butin.
Là par le prompt secours d’une adréte imposture*
Au gré de mon desir je forme une Aventure,
155 Et tâche ainsi d’esteindre en vous defigurant
Un feu qui me perdroit s’il devenoit plus grand.

OLIMPE

L’artifice* est subtil, mais il n’est pas croyable
Qu’il soit à nos desseins bien long-temps favorable,
Vous verrez dedans peu Cleanthe detrompé
160 Tant de vos vains discours soit-il préocupé ;
Je veux qu’estant aveugle il ne puisse conaître
Qu’au bal, sans me masquer, je puis encor paraître,
Je veux que vôtre sœur ayde à nostre projet,
Je crains pourtant tousjours avec juste sujet.
165 Le valet qui par tout marche avec vôtre pere, {p. 10}
Luy qu’on peut appeller le flambeau qui l’esclaire,
L’Ange qui le conduit, l’Argus industrieux
Qui veille pour sa garde, & luy preste ses yeux,
N’est pas dans le renom d’estre si peu fidele
170 Que sçachant nostre ruse il l’endure & la cele*,
Cleanthe par ses yeux verra tout nostre jeu,
Il conaitra ma flame, & sçaura vostre feu,
Il se rendra certain de ma prompte inconstance,
Il apprendra d’un fils le peu de reverence,
175 Il fera nos desseins tout d’un coup eschoüer,
Et peut-estre joüera* qui le croira joüer*.

LIDAMAS

Cette crainte est, Madame, une pure chimere,
Je dispose à mon gré du valet de mon pere,
Cet Argus est gagné, ses yeux sont ébloüys,
180 Et j’ay sçeu l’endormir au son de mes Loüis.
Donc sans vous allarmer d’une crainte si vaine,
Attendez une issue agréable & certaine,
Et quoy que mon rival ait à venir icy
N’ayez à son abord* ny crainte ny soucy*.
185 Ne luy pouvant long-temps cacher vostre venuë,
Mon ame sur ce poinct s’est fait voir toute nuë,
Mais j’ay dit pour tromper cet aveugle amoureux
Que vous n’estiez icy que d’un jour ou de deux,
Encor dans le dessein de rendre une visite {p. 11}
190 Dont la coustume veut que vous demeuriez quitte.

OLIMPE

Mais encor dites-moy, si Cleanthe abusé
M’oblige à raconter mon malheur supposé*,
Comment ne sçachant pas cet accident frivole*
Pourray-je avec la vostre accorder ma parole ?

LIDAMAS

195 Je l’apperçois, passons dans cet appartement,
Je vous en apprendray l’histoire en un moment.

Scène III §

Cleanthe, Melice, Sylvestre.

CLEANTHE

Quoy contre mon vouloir & contre ma defense
Admettre en ma maison, Thelame en mon absence ?
Fomenter si long-temps une inclination
200 Qui nasquit & s’accrut sans ma permission,
D’un homme dont le nom me déplaist & m’irrite,
Entretenir l’espoir & souffrir la visite ?
Ha Melice, est-ce là le respect qui m’est deu ? {p. 12}
Et vostre jugement ne s’est-il pas perdu ?

MELICE

205 Ceux qui de ce rapport* m’ont vers vous desservie,
Sont portez contre moy de depit ou d’envie,
Depuis que pour Dunkerque on vous vid quitter Blois.
Thelame n’est ceans venu pas une fois,
Qui peut s’emanciper* de dire le contraire
210 Fait à la verité…

CLEANTHE

Respectez vostre pere ;
Ceux qui m’ont rapporté vos traits* licentieux
Cherissent vostre honneur, loin d’en estre envieux.

MELICE

Et bien pour ne vous pas en ce poinct contredire,
Apres l’avoir souffert, croyez que j’en soupire,
215 Non pas du repentir d’avoir receu ses vœux,
Mais bien du doux plaisir que me causent ses feux,
En suis-je pour cela moins loüable qu’une autre ?
Sa maison en honneur cede-t’elle à la nostre ?
Que s’il hérite peu de ses Ancestres morts,
220 N’a-t’il pas des vertus qui sont les vrais tresors ?

CLEANTHE

Taisez-vous indiscrette*, insolente, effrontee, {p. 13}
Ma bonté cede enfin, vous l’avez surmontee*,
Allez, retirez-vous, & ne me parlez plus
D’un homme dont le bien consiste en ses vertus,
225 Thelame, je l’avoüe, est de famille illustre,
Mais son peu de fortune en efface le lustre.
Il est tres-riche en biens de l’esprit & du corps,
Mais on fait maigre chere avecque ces tresors [.]

Scène IV §

Cleanthe, Sylvestre.

CLEANTHE

Sylvestre, si pour moy ton devoir ne sommeille
230 Dy-moy ce que mon fils t’a tant dit à l’oreille,
Sans qu’il m’ait soupçonné d’un feint aveuglement
J’ay veu qu’il te parloit avec empressement.

SYLVESTRE

Quand je vous obeïs, je suis dedans mon centre,
Si je ments d’un seul mot battez-moy dos & ventre,
235 Quoy que pauvre garçon, je suis homme de bien, {p. 14}
Et pour vous le montrer, il m’a dit, ne dy rien.

CLEANTHE

Sylvestre continuë, & parle sans reserve.

SYLVESTRE

S’il a rien dit de plus, jamais je ne vous serve.
Toutefois…

CLEANTHE

Cher Sylvestre acheve jusqu’au bout.

SYLVESTRE

240 M’ayant dit, ne dy rien ; il ajouste, & voy tout,
Et sa langue n’a pas prononcé ces paroles
Qu’il me fait dans la main couler quelques pistoles.

CLEANTHE

Lidamas t’aura dit quelqu’autre chose encor
Que tu me veux celer* en faveur de son Or.
245 Mais poursuis.

SYLVESTRE

Si ma dague estoit bien émouluë
J’ouvrirois à vos yeux ma poitrine veluë.
C’est tout, ou jamais Vin n’entre dedans mon corps, {p. 15}
Et cela c’est vouloir passer au rang des morts.

CLEANTHE

Sylvestre je te croy. Fils insolent & lâche
250 Ton crime se produit quand tu veux qu’on le cache :
Ne dy rien. [Ces] trois mots m’apprennent clairement
Ce que je ne sçavois qu’assez obscurément.
Tu deviens mon rival, fils ingrat & perfide,
Mais tu n’iras pas loin puis qu’un enfant te guide,
255 Sylvestre, s’il est vray que la sincerité
Bannit de toy la fourbe* & l’infidelité,
Garde de declarer à ce fils temeraire
Que je me plains d’un mal qui n’est qu’imaginaire.

SYLVESTRE

Je veux encor un coup, si je ne suis secret
260 Ne boire à l’avenir, ny vin blanc ny clairet.
O l’horrible serment ! j’en ay l’ame opilee.
Me garde d’un tel mal la gresle & la gelee,
Apres avoir lâché ce moult grand jurement*
Me refuserez-vous un éclaircissement ?

CLEANTHE

265 Touchant ?

SYLVESTRE

Chose qui n’est d’autre que de vous sçeuë,
D’où vient que vous feignez d’avoir perdu la veuë ?
Pourquoy depuis six mois faire croire en ces lieux {p. 16}
Que l’huile & le cotton ont manqué dans vos yeux ?

CLEANTHE

Asseuré de ta foy* comme de ton silence
270 Je te veux honorer de cette confidence.
A peine le Soleil avoit produit vingt jours
Depuis que pour mon Roy j’[eus] quitté mes amours,
Quand un de mes amis m’asseura dans l’armée
Que Melice vivoit à son accoustumée,
275 Et que pleine d’amour, & Thelame d’espoir,
Leur entretien duroit du matin jusqu’au soir ;
Mesme que l’on craignoit, puis qu’il te faut tout dire,
Qu’il se passast entr’eux quelque chose de pire.
On éprouve jamais le sort rude à demy ;
280 Deux ou trois jours apres je sceu d’un autre amy    
Que depuis mon depart mon fils chaque semaine
Visitoit la beauté qu’Amour a fait ma Reine,
Et qu’on soupçonnoit fort que dans son entretien
Il ne luy parlast moins de mon feu que du sien,
285 Je restay si surpris d’entendre cette histoire,
Que quoy qu’on m’en jurast, je n’en voulus rien croire.
Ma fille a trop de soin de garder son honneur,
Me disois-je à moy-mesme, & mon fils trop de cœur* [, ]
Je les croiray soumis à mon obeissance,
290 Jusqu’à tant que mes yeux dementent ma croyance.
Toutefois ma raison dissipant ce sommeil {p. C, 17}
Je songe que l’amour est de mauvais conseil,
Et regarde que ceux qui m’ont dépeint leur vie
Ont pour eux & pour moy plus d’amour que d’envie.
295 Mais pour mieux penetrer dans cette obscurité
Et distinguer le faux d’avec la vérité.
Je contrefaits l’Aveugle, on le croit dans l’Armee,
Je passe ainsi par tout avec la Renommée,
Chacun plaint ma disgrace, & l’ingrat Lidamas
300 S’il ne s’en montre triste au moins n’en doute pas.
Deux mois coulent pendant que cette erreur se glisse,
Je reviens sans qu’aucun sçache mon artifice*.
On accourt m’accueillir en se moüillant les yeux,
Je suis Aveugle enfin, & ne vy jamais mieux.
305 Cher Sylvestre, voila l’adresse* ingenieuse
Par qui la vaine ardeur de ma fille Amoureuse,
Et les brutaux desseins d’un fils lasche & pervers*
Bien-tost & sans travail* me seront découverts.

SYLVESTRE

Ma foy si dans le monde on trouve un plus fin homme,
310 Je partiray demain pour l’aller dire à Rome.
Au Diable en ce mestier vous feriez des deffis.

CLEANTHE

Silence, Olimpe vient avecque ce bon fils. {p. 18}

Scène V §

Lidamas, Olimpe, Cleanthe, Sylvestre.

LIDAMAS

La part que prend Olimpe en vostre sort funeste
L’ameine ici, Monsieur.

CLEANTHE

Bonté rare & Celeste.

OLIMPE

315 Quiconque sçait vos maux, & ne s’en peut fâcher*,
Ne porte au lieu d’un cœur dans le sein qu’un rocher.

CLEANTHE

Et qui void sans douleur vostre triste avanture
Tout de roche en effect, n’est homme qu’en figure.

OLIMPE

Mais qui ne la void pas, n’a nulle occasion {p. 19}
320 D’estre atteint de douleur & de compassion.

CLEANTHE

Un semblable discours s’addresse à moy, Madame,
Mais sçachez que le corps n’agit point sur mon ame,
Et que si la clarté s’est esteinte en mes yeux
Il m’en reste en l’esprit qui m’éclaire bien mieux.
325 Autrefois mes regards admiroient ce visage,
Mais leurs traits* aujourd’huy penetrent davantage,
Ils ne s’arrestent plus à ce butin du temps,
Ils contemplent des biens meilleurs & plus constans,
Ils voyent les vertus dont vous estes pourveuë,
330 Et ma felicité consiste en cette veuë.

OLIMPE

Vous sçavez donc, Monsieur, par quelle aversité
Mes attraits ont fait place à la difformité ?

CLEANTHE

Mon fils m’a raconté ce succez* lamentable*,
Mais faites m’en vous-mesme un recit veritable,
335 Peignez cet accident de ses vives couleurs. {p. 20}
Et que l’ayant oüy, je sente vos douleurs.

OLIMPE

J’estois à Bourges lors que par des feux de joye
L’on celébroit les coups* d’un bras qui tout foudroye,
D’un Prince glorieux dont les fameux exploits
340 Ont sceu ranger Dunkerque au pouvoir des François.
Je me sentis saisir d’un desir héroïque
D’applaudir & d’enfler l’allegresse publique,
Donc je monte en carrosse, & par divers retours
Je voy Mars & Vulcain en tous les carrefours,
345 L’un depite le Ciel, & fait trembler la terre
Par des bouches de fonte imitans le tonnerre
Il exale & vomit des flames parmy l’Air ;
Bref, d’une belle Ville, il fait un bel Enfer.
L’autre perçant des Airs les orageux espaces
350 Porte & loge le feu dans le sejour des glaces,
S’y met en serpenteaux, puis s’y transforme encor,
Tantost en fleurs de Lys, tantost en pluye d’or,
Mesme il estend son vol, jusqu’aux celestes toiles
D’où son orgueil tombant arrache les estoiles.
355 Ah ! Ciel que ce qui suit est dur à raconter,
C’est r’appeller mon mal que de le reciter.

CLEANTHE

De ce fascheux recit soyez donc dispensee, {p. 21}
Ne rendez point presente une peine passee,
J’ay sceu de Lidamas en arrivant ici
360 Comment un si beau jour vous a mal reüssi.
Il m’a dit que de l’Air la patience usee
Fit dans vostre carosse entrer une fusee,
Dont la chaude vapeur aydant à son dessein
Vous brusla le visage, & vous noircit le sein.

LIDAMAS bas à Olimpe.

365 Avoüez.

OLIMPE

C’est ainsi qu’arriva ma disgrace,
Mais, ô Dieu ! quand je croy que ma douleur se passe
C’est alors que du sort le courroux renaissant
Me fait sentir un mal plus aspre & plus pressant,
Monsieur, je ne sçaurois plus long-temps me contraindre,
370 Souffrez que j’aille ailleurs souspirer & me plaindre.

CLEANTHE

Allez, Madame, allez, en vous seule je vis {p. 22}
Et je vous vois encor de l’œil dont je vous veis.
O d’une honneste femme indigne effronterie !
O d’un fils impudent insigne fourberie !
375 Allons, Sylvestre, allons & donnons plaisamment
Une fin qui réponde à ce commencement.

Fin du premier Acte

{p. 23}

Acte II §

Scène première §

Thelame, Melice.

THELAME

Mon espoir me trahit, & ma raison s’égare
D’esperer de flechir ce naturel avare,
Jamais de mon amour le respect sans égal
380 Ne touchera ce cœur de terre & de metal,
Pour luy faire trouver des ardeurs legitimes
Il luy faut apporter le Soleil des abismes.
Le bien est son objet*, & ce riche indigent
Estime & pese un homme au poids de son argent.
385 Ah ! Madame, il le faut, mon mauvais sort l’ordonne [, ]
Que j’aille [sou] pirer loing de vostre personne.
Un puissant desespoir qui combat mon amour,
Me marque ailleurs un long & funeste sejour.
Cessez de vous flater*, l’avarice d’un Pere
390 Ne s’abstiendra jamais [de] nous estre contraire.
Adieu, de vostre aveu* felicitez mes pas. {p. 24}

MELICE

Quoy me quitter ainsi ?

THELAME

Quoy ne vous quitter pas ?

MELICE

S’absenter de ces lieux ?

THELAME

On y hait ma presence.

MELICE

Mourir desesperé ?

THELAME

Vivre sans esperance.

MELICE

395 Ne pas perseverer ?

THELAME

Perseverer en vain.

MELICE

Ah Thelame ! {p. D, 25}

THELAME

Ah Melice !

MELICE

Ha charmant* inhumain.
Si vous bruslez pour moy d’un veritable zéle,
Si vous estes constant, genereux* & fidelle,
Si dans mes interests vous prenez quelque part,
400 Si mes jours vous sont chers differez ce depart ;
Le Temps de qui le cours renverse toutes choses
Peut-estre changera nos espines en roses.
Demeurez, cher Thelame, ou pour le moins craignez
Qu’un autre ait par la force un cœur où vous regnez,
405 Thelame songez-y, songez-y bien mon Ame,
En un mot demeurez, ou je meurs cher Thelame.

THELAME

Puissamment esbranlé de vos ardents soupirs,
Mais mieux persuadé de mes bruslans desirs,
Madame, j’y consens, racourcissez mes chaisnes,
410 De vostre prisonnier rendez les courses vaines.
Deusse-je respirer sous des Astres plus durs
Blois encor quelque temps me tiendra dans ses murs. {p. 26}

Scène II §

Cleanthe, Sylvestre, Melice, Thelame.

CLEANTHE

Sylvestre acquitte-toy du róle que tu jouës*.

SYLVESTRE

Si j’y manque d’un mot, couvrez*-moy les deux jouës.

THELAME

415 Cleanthe arrive ici, Madame il m’a surpris,
Son valet luy dira.

MELICE

R’assurez-vos esprits,
Vous n’avez seulement qu’à garder le silence,
Ce valet a sa part dans nostre confidence,
Mon frére l’a si bien pratiqué sur ce poinct
420 Que s’il void quelque chose, il ne parlera point.

CLEANTHE

Estes-vous seule ici Melice ? {p. 27}

MELICE

J’y suis seule.
Amy…

SYLVESTRE

Ne craignez rien, j’auray fort bonne gueule.

CLEANTHE

La rencontre s’accorde avecques mon souhait,
Je viens pour vous parler d’un serviteur* parfait
425 Qui tient emprisonné beaucoup d’or dans ses coffres,
Et qui rempli d’Amour vous addresse ses offres,
C’est Rustique l’Aisnay fils du vieux Parmenon.

MELICE

Quoy ce noble d’un jour, grossier jusqu’à son nom ?
Ah ! de grace, Monsieur, aymez plus vostre fille,
430 Sçachez mieux maintenir vostre illustre famille,
Ce seroit en tirer l’éclat dans le tombeau,
Un peu de vilain sang tache & gaste le beau.

CLEANTHE

Allez, fille indiscrette* & desobeissante, {p. 28}
Le soin de vostre honneur n’est pas ce qui vous tente,
435 Un Demon moins splendide est vostre possesseur,
Thelame vous gouverne avec plus de douceur :
Mais si vous ne sortez de ce desert Empire
Mon courroux deviendra quelque chose de pire,
Je vous en advertis.

THELAME bas

Amant infortuné !

MELICE

440 Je ne sçaurois reprendre un cœur que j’ay donné.

CLEANTHE

Ah ! c’est trop…

SYLVESTRE

Hé, Monsieur, ô vous son pere unique,
Car la defuncte estoit, à ce qu’on croit, pudique,
Vous son vray geni[teur], avez-vous entrepris
De faire plus que Dieu, de forcer les esprits ?
445 Laissez aller Madame où son amour l’appelle,
Celuy qu’elle cherit n’est-il pas digne d’elle ?
Sa flamberge l’a mis au nombre des plus preux, {p. 29}
Il a l’esprit fort bon, & le corps vigoureux,
Sa bonne mine enfin & sa naissance libre
450 Mettent avec vos biens Thelame en equilibre.

CLEANTHE, Il prend Thelame.

Impertinent valet, qui t’oses ingerer
De me donner conseil & de me censurer,
Tu seras satisfait de ta belle harangue,
Je vais ou t’estrangler, ou t’arracher la langue,
455 Temeraire, indiscret*.

MELICE bas

Sylvestre, justes Cieux
Songe à tirer mon cœur* des mains d’un furieux*.

SYLVESTRE

Ha ah ! je n’en puis plus.

CLEANTHE

Insolent pédagogue !

SYLVESTRE

Vous m’avez fait les yeux plus gros que ceux d’un dogue.

THELAME, à l’escart.

Je ne sçaurois souffrir* ce honteux traitement. {p. 30}

MELICE

460 Contraignez-vous pour moy, cher & fidelle Amant.

CLEANTHE

Apprends à l’avenir, valet maussade & traitre,
A ne te plus mesler de censurer ton maitre.
Et vous fille rebelle à tout ce que je veux
Pour un nouvel Amant ayez de nouveaux feux,
465 Esteignez pour jamais vostre ancienne flame,
Et recevez des loix d’un autre que Thelame.

MELICE

Pour me faire subir vostre injuste rigueur,
Faites, pere cruel, que j’aye un autre cœur.

CLEANTHE

C’en est trop endurer, ma patience eschape.

SYLVESTRE

470 Allez, sortez, fuyez, drillez qu’il ne vous frape.

CLEANTHE

Je ne sçay si je doy nommer sa passion {p. 31}
Ou du nom de constance, ou d’obstination,
Mais soit-elle constante, ou soit-elle obstinee,
Ma seule volonté fera son hymenee*.
475 Au reste tu m’as pleu dans ta naïveté*,
Tu t’és de ton devoir dignement acquitté,
Si tu poursuis tousjours j’augmenteray tes gages.

SYLVESTRE

Je sçay friser la corde en de tels personnages.
Assurez-vous de moy, je paye à temps prefix,
480 Et dans l’art de fourber* Sylvestre est un phœnix.

CLEANTHE

Conduis moi vers Olimpe, & m’y fay reconnaitre
Qu’aux experts en cet Art tu servirois de maitre.
Tu sçauras en allant de mes ordres exprés
Comment il faut mener mes intrigues secrets,
485 Je t’instruiray du temps où ta naïve* adresse*
Pourra si tu le veux répondre à ta promesse.
{p. 32}

Scène III §

Olimpe, Lidamas, Nerine.

LIDAMAS

Laissons l’aller, Madame, & nous entretenons
De l’intrigue Amoureux que nous entreprenons.

OLIMPE

L’espoir est mal fondé que soustient une ruse,
490 Plus je pense à la vostre, & plus je suis confuse,
Elle est bien inventee & satisfait d’abord,
Mais j’en prevoy la fin que j’apprehende fort,
Je crains que ce broüillas ne fonde sur nos testes,
Et que semant du vent nous cueillions des tempestes.

LIDAMAS

495 Delivrez vostre esprit de ces fâcheux Accez,
Un bon commencement attire un bon succez*.
L’ingenieuse erreur où j’entretiens mon pere [E, 33]
Chaque jour esteindra son feu s’il persevere,
Un prompt & vray degoust naitra de cet abus*,
500 L’amour dure fort peu quand son objet* n’est plus,
Vos yeux qu’il croit privez de leur premiere amorce*,
N’agiront plus sur luy qu’avecques peu de force [, ]
Il croira justement cesser de vous aimer,
Ne trouvant plus en vous ce qui pût l’enflamer.
505 Ainsi sa passion n’ayant rien qui la tienne
Deslogeant de chez vous fera place à la mienne,
Mais pour conduire tout au gré de mes desirs
S’il soupire d’amour rejettez ses soupirs,
Et dites que vos maux qui s’augmentent sans cesse
510 Abhorrent les soupirs, s’ils ne sont de tristesse.
Au reste si jamais son feu contraire au mien
Vouloit vous engager dans un long entretien,
Et que mon interest vous regarde & vous touche,
Rompez son entreprise, & luy fermez la bouche,
515 Je mourrois autrement d’une jalouze peur,
L’oreille trop ouverte est un passage au cœur,
Le voici, témoignez dedans cette occurrence,
Que tout autre que moy vous nuit par sa presence,
Deffaites-vous bien-tost d’un incivil Amant
520 Qui vous entretiendra sans vous voir seulement.

OLIMPE

Mais si cet importun, quoy que je puisse dire, {p. 34}
S’obstine à me compter son amoureux martire,
Quel sera le moyen de m’en débarasser ?

LIDAMAS

N’en prenez pas le soin, c’est à moy d’y penser.
525 Nerine dont la voix imite tant la vostre,
Qu’à vous ouïr parler on prend l’une pour l’autre,
Me fournit un moyen facile & non commun
Pour esloigner de vous cet Amant importun.

Scène IV §

Cleanthe, Sylvestre, Olimpe, Lidamas, Nerine.

SYLVESTRE

On trouve en bien cherchant, la chose est bien certaine
530 Ne fust-ce qu’un ciron égaré dans la plaine,
Si celle dont l’absence accroist vostre souci* {p. 35}
N’est pas dedans sa chambre, on la rencontre ici.

CLEANTHE

Madame…

SYLVESTRE

Attendez donc que vous soyez vers elle,
Vous ressemblez les chiens de chez Jean de Nivelle,
535 Vous abbayez de loing. Avancez, Alte-là.
Tournez-vous autrement, parlez, vous y voila.

CLEANTHE

Quelque torrent d’ennuis* qui roule dans mon ame
J’entends tousjours parler mon devoir & ma flame,
L’un & l’autre m’ont dict que je vinsse en ce lieu,
540 J’y suis venu, Madame, accompagné d’un Dieu,
Amour qui dans mon cœur en souverain preside
M’a conduit par la main & m’a servi de guide,
Luy seul jusques à vous a pris soin de mes pas
Heureux en mon malheur s’il ne me quite pas.
545 Mais plus heureux encor si le flambeau qu’il porte
Vous faisoit voir combien ma passion est forte,
Et si les traits* ardents qui partent de sa main
En vous frapant au cœur, vous enflammoient le sein.

OLIMPE

Monsieur, si l’amour propre, ou si la vaine gloire* {p. 36}
550 Me rendoit orgueilleuse & facile à tout croire,
Je pourrois recevoir un pareil compliment
Pour le sincere aveu d’un veritable* Amant.
Mais […]

CLEANTHE

Toubeau*, ce mais me tiendroit lieu d’injure,
Je hay la flatterie, & je fuy l’imposture*,
555 Vous ne devez jamais concevoir le soupçon
Que ma bouche & mon cœur parlent d’autre façon.

LIDAMAS, à l’escart.

Desja cet entretien me déplaist & me lasse.

SYLVESTRE

Tandis qu’ils jaseront, causons nous deux de grace.

OLIMPE

Quoy, vous arresteriez vos Amoureux projets
560 Au plus deffiguré d’entre tous les objets* ?
Quoy vous pourriez encor adorer un visage
De qui le seul aspect* effraye & décourage,
Non, non, vous avez trop de cœur* & de raison,
Vous ne sçauriez souffrir qu’une belle prison, {p. 37}
565 Lors qu’un peu d’embonpoint, & quelque attrait passable,
Aux yeux qui me voyoient me rendoit supportable [, ]
Je veux m’imaginer que par fois des soupirs
Formez dans vostre cœur m’addressoient vos desirs,
Mais depuis le moment qu’un accident funeste,
570 Effaça ce crayon* de la beauté celeste,
Depuis que j’eus perdu ces traits de majesté
Qu’imprima sur mon front la premiere beauté,
Je ne sçaurois souffrir l’opinion trompeuse,
Qu’on brusle encor pour moy d’une flame amoureuse,
575 Tout homme m’en feroit des sermens superflus,
L’on sort bien-tost d’un temple où les Dieux ne sont plus.

CLEANTHE

Vous vous figurez donc qu’une vaine peinture [, ]
Qu’un foible & simple trait du pinceau de nature [, ]
Qu’un amas concerté d’agreables couleurs,
580 Qui redoute l’abord* du froid & des chaleurs,
Que des regards lascifs confondent* d’ordinaire,
Et qu’efface tousjours la crainte & la colere,
Enfin qu’une inconstante & legere beauté
Jusqu’icy dans vos fers ait mon cœur arresté,
585 Je pourrois devenir à ce compte idolatre
D’une image de pierre, ou de toile, ou de plastre,
Oüy si je m’attachois à ces frivoles traits, {p. 38}
Les femmes me plairoient bien moins que leurs portraits.
Ah ! ne croyez donc pas que sur ces apparences
590 Mon inclination fonde ses esperances,
Je pese les vertus, & ces sacrez tresors
Me plaisent plus cent fois que les charmes* du corps.

LIDAMAS bas

Ce compliment trop long use ma patience.
(Il fait lever Olimpe & seoir Nerine en sa place.)

NERINE

Vous me faites rougir par trop de complaisance,
595 Fist le Ciel que vos yeux aussi bons qu’autrefois […]

CLEANTHE

Madame, c’est assez, croyez que je vous vois,
Ma memoire entretient & revére l’image
Et de vostre merite & de vostre visage,
De tout ce qu’en naissant les Cieux mirent en vous
600 De divin, de charmant*, d’agreable & de doux,
J’en suis encor épris, j’en ay l’ame enflamee,
De pas un des mortels vous n’estes tant aimee,
C’est peu de le montrer par des soins complaisans,
Je vous en veux donner pour preuve des presens,
605 C’est à quoy je m’oblige, & dont je seray quite
Si vous me permettez encor une visite. {p. 39}

LIDAMAS à Olimpe

Il croit parler à vous, le pauvre aveugle en tient*.

NERINE

Monsieur vous m’honorez plus qu’il ne m’appartient,
Reservez vos presens pour de plus belles Dames,
610 Je ne merite pas ny vos dons ny vos flames,
Et je puis assurer que si vous me voyez
Vous plaindriez vos presens s’ils m’estoient envoyez.

CLEANTHE

Madame, ce discours est un refus honneste,
Mais encor une fois je vous fais ma requeste,
615 Agreez que tantost je vous revienne voir,
Et que vous revoyant je fasse mon devoir.
Enfin si vous m’aimez que vostre amour se montre,
En daignant accepter de ma main une montre,
Que de ce bien encor je vous sois obligé*,
620 Promettez-le, Madame, & puis je prends congé.

LIDAMAS bas

Nerine promets-luy d’accepter pour luy plaire.

NERINE

Monsieur tout mon desir tend à vous satisfaire, {p. 40}
S’il vous plaist de m’offrir un present aujourd’huy,
Ayant un cœur pour vous, j’auray des mains pour luy.

CLEANTHE

625 Que mon bon-heur est grand ! ce discours me confirme
Qu’Olimpe considere encor Cleanthe infirme.
Adieu, Madame, adieu, vous m’avez satisfait,
Sylvestre allons.

SYLVESTRE

Oüy, maistre, en un pas c’en est fait.
Vous son unique fils, mon zele vous exhorte
630 De venir avec moy, parce qu’il vous importe.

OLIMPE

Suivez-le, Lidamas, quelquefois ses pareils
A de plus sages qu’eux donnent de bons conseils.
[F, 41]

Scène V §

Olimpe, Nerine

NERINE

Maintenant que je puis m’exprimer sans contrainte,
Permetez que mon cœur* se montre à vous sans crainte,
635 Madame, voulez-vous acquerir un renom
Qui ternisse à jamais l’éclat de vostre nom ?
Voulez-vous, negligeant l’amitié* de Cleanthe,
Qu’on die à l’avenir, Olimpe est inconstante,
Sa passion luy pleut avant son mauvais sort,
640 Et l’œil sec maintenant, elle le verroit mort.
Ah ! Madame, évitez ce reproche sensible,
Laissez-vous surmonter* à sa flame invincible,
Malgré les faux rapports que l’on luy fait de vous,
Sa plus ardente envie est d’estre vostre espoux,
645 Ce constant serviteur* vous aime en toute forme,
Heureuse[, ] infortunee, agreable ou difforme,
Reconaissez, Madame, un zele* si parfait,
Et dans vos premiers feux persistez comme il fait.

OLIMPE

Nerine, ce discours est de mauvaise grace, {p. 42}
650 Tu me prescris à tort ce qu’il faut que je fasse,
Je conais mon devoir, je sçay m’en acquitter,
Sans te donner le soin* de m’en solliciter.
Cleanthe, je l’avoüe, a regné dans mon ame,
Mais en l’estat qu’il est, merite-t’il ma flame,
655 Certes si je pouvois l’estimer aujourd’huy
Je me declarerois plus aveugle que luy.

Fin du second Acte

{p. 43}

Acte III §

Scène première §

Melice, Lucille.

LUCILLE

Ouy je l’ay rencontré cet Amant deplorable*
Maudissant les rigueurs d’un pere inexorable,
Se plaignant du destin, de soy-mesme & de vous,
660 Et comme un furieux* se meurtrissant de coups.
Lucille, m’a-t’il dit, aussi-tost qu’il m’a veuë,
C’en est fait, je me rends, ma constance est vaincuë,
Je ne puis plus lutter contre mon mauvais sort,
Il triomphe, & l’espoir qui me reste est la mort :
665 Va-t’en, ajouste-t’il, trouver hors de Thelame
Son cœur & ses desirs, ses pensers & son ame ;
J’entends le digne objet* qui me tient dans ses fers, {p. 44}
Que je vois à toute heure, & pourtant que je pers ;
Ce superbe Démon qui poursuit les offences,
670 Qui suggere & qui prend de sanglantes vengeances,
L’honneur, esprit mouvant de tout cœur* noble & prompt,
Me crie incessamment, vange-toy d’un affront.
Son empressante voi[x] & m’émeut & me pique* ;
Mais afin d’éviter un accident Tragique,
675 Je veux dés aujourd’huy m’absenter de ces lieux,
Avertis-en Melice, & luy fay mes adieux.
Ces tristes mots finis, le cœur plein de tristesse,
Et l’œil noyé de pleurs, il s’enfuit & me laisse.

MELICE

Lucille à ce surcroist de malheurs sans esgaux,
680 Laisse-moy chercher seule un remede à mes maux,
Souffre que sans secours je combatte ma peine.
Cependant attends-moy dans la chambre prochaine*.
{p. 45}

Scène II §

Melice seule.

L’Esprit envelopé d’un nuage d’ennuis*
Je m’égare en moy-mesme, & ne sçais où je suis,
685 Mon destin rigoureux m’a mis dans une route
Où de tous les costez ma raison ne void goute,
Ou si mon jugement y trouve quelque jour,
Il ne m’est envoyé que du flambeau d’Amour.
Thelame possedé d’une cruelle envie
690 Veut aller loing d’ici finir sa triste vie,
Il veut loing de ces lieux transporter ses malheurs,
Mais allons soulager ses larmes par nos pleurs
Dans quelque affreux desert où la douleur le meine,
Faisant mesme chemin endurons mesme peine,
695 Car mon amour enfin troublant mon jugement
Me force à consentir à mon enlevement,
Au lieu de m’opposer à cette violence,
Je la souffre & luy cede avecques complaisance,
Je me laisse emporter au cours de ce torrent,
700 Et Thelame excepté tout m’est indifferent.
Oüy, Thelame, vous seul regnez dans ma pensee,
Pour vostre interest seul, je suis interessee,
Et si vous en voulez un indice certain
Vous allez voir mon cœur* dans les traits de ma main.
705 Lasse de supporter l’incurable caprice {p. 46}
D’un esprit infecté d’une sale avarice,
Je vay par un escrit exciter vostre amour
A m’enlever bien-tost de ce fâcheux sejour,
Je faciliteray cette grande entreprise
710 Avecque la prudence & l’addresse requise,
Ce papier où je vais escrire mon dessein
Vous dira plus au long ce que j’ay dans le sein.
Mais déplaisant abord*, arrivee importune,
Lasche tour que me jouë* encore la fortune*,
715 A peine ay-je assemblé les lettres de deux mots
Qu’il faut quitter la plume & changer de propos.
Toutefois je m’abuse, il n’est pas necessaire,
Je crains hors de saison ce valet & mon pere,
Qu’importe que tous deux dressent vers moy leurs pas,
720 Puisque l’un ne peut lire, & l’autre ne void pas.

Scène III §

Cleanthe, Melice, Sylvestre.

SYLVESTRE bas.

Elle est seule, Monsieur, le temps vous est propice.

CLEANTHE

Trouveray-je à present ma fille dans Melice ? {p. 47}
Ne ferme-t’elle plus l’oreille à son devoir ?
Reconaist-t’elle enfin mon absolu pouvoir ?

MELICE bas.

725 En cette occasion recourons à la feinte.
Ah ! Monsieur, ajoustez la vengeance à la plainte,
Usez des droicts d’un pere, & me faites sentir
Que je m’excuse mal avec un repentir,
Ma desobeissance est de telle nature
730 Qu’on ne peut m’imposer une peine assez dure,
J’ay trop insolemment choqué* vos volontez,
Montrez-moy vos rigueurs, cachez moy vos bontez,
Je dois estre de vous severement punie
D’avoir de [Thelame] souffert la tyrannie,
735 Cette indigne souffrance est une lâcheté
Qui ne se doit toucher que d’un bras irrité.

CLEANTHE

Ma fille un repentir si grand & si visible
Aux transports* de courroux me rend inaccessible,
Je ne vous demandois que ce juste dédain
740 D’un infertile amour conceu sans mon dessein,
Je prejugeois tousjours malgré vos resistances, {p. 48}
Que Thelame formoit de vaines esperances,
Et que voulant avoir de plus riches liens
Son merite en oubly, vous songeriez aux biens.
745 Le succez* est d’accord [avecque] mon attente,
Ce noble incommodé n’a plus rien qui vous tente,
Vous ne desirez plus d’en faire vostre espoux,
Ses talens ne sont pas de bon alloy pour nous,
Sa taille, sa parole, & son maintien aimable,
750 S’ils remplissoient le lict, couvriroient mal la table.
Celuy que je destine à vos pudiques* vœux,
A d’autre or que celuy qui jaunit les cheveux,
Son pere tous les jours malgré nos longues guerres
A cent coutres* tranchants fait déchirer ses terres,
755 Que s’il n’est pas issu d’Ayeux fort renommez,
Il tient dans son buffet des Nobles enfermez,
Au Temps où nous vivons ces qualitez sont rares
Et doivent adoucir les cœurs les plus barbares* ;
Le vostre pourroit-il encor deliberer
760 De s’y laisser fléchir, & de les adorer ?

MELICE

Sans regarder les biens, le rang ny la personne,
Je reçois un époux que mon pere me donne,
S’il l’estime il me plaist, & d’un esprit soumis
Je l’ayme dés cette heure autant qu’il est permis.

CLEANTHE

765 C’est ainsi que répond une fille bien née, [G, 49]
Allez, je vous prédis un heureux hymenée*,
Acceptant un espoux de ma main seulement,
Le pire de vos jours coulera doucement [.]
Que le vieux Parmenon aura de joye en l’ame
770 Aussi-tost qu’il sçaura que son fils vous enflame,
Et que le Ciel propice aux vœux que nous faisons
D’un sacré nœud d’hymen* unira nos maisons [ ! ]
Il luy faut sans demeure* addresser une lettre
Qui l’assure d’un bien qu’il n’osoit se promettre,
775 Prenez viste la plume, & couchez par escrit
Une suite de mots qui me vient dans l’esprit.

MELICE bas.

Servons-nous de ce temps, afin d’achever celle
Que je veux envoyer à mon Amant fidelle.

CLEANTHE

Mettez, Monsieur sçachez que ma fille veut bien […]

MELICE

780 Attendez, s’il vous plaist, ma plume ne vaut rien.
Elle ne marque pas, je n’escris rien qui vaille,
Si je m’en veux servir il faut que je la taille.

SYLVESTRE

Attendant qu’elle soit plus commode à sa main, [ 50]
Confabulons nous deux touchant un mien dessein.

CLEANTHE

785 Quel secret important as-tu donc à m’apprendre ?

SYLVESTRE

Que depuis ce matin j’enrage de me pendre.

CLEANTHE

De te perdre meschant, n’és-tu pas yvre ou fou ?

SYLVESTRE

J’en ay jetté la pierre & lancé le caillou,
Sur ce poinct desormais ma volonté s’obstine,
790 Je veux estre pendu, mais au cou de Nerine,
Ce gibet me plaist tant, je le dis sans peché,
Que je seray ravy* de m’y voir attaché.
Me contredirez-vous en ce que je propose ?

CLEANTHE

Sylvestre de ma part espere toute chose.
795 Mais sçachons si Melice a mis sa plume au poinct
De peindre* ma pensee, & de ne broüiller* point.

MELICE

Mon canif tranche mal, & jusqu’icy ma peine {p. 51}
A la rendre meilleure est inutile & vaine.
Je m’en vais essayer pour la derniere fois
800 A la mettre en estat d’obeïr à mes doigts.

CLEANTHE

Tellement que Nerine a ravi ta franchise ?

SYLVESTRE

Oüy, ses regards filoux d’aujourd’huy me l’ont prise,
Mais si vostre credit se joint à mes efforts
J’auray bien-tost sur elle une prise de corps.

MELICE bas.

805 Ces lignes suffiront, finissons la presente
Par vostre tres-acquise & tres-fidelle Amante.

CLEANTHE

N’est-ce pas fait Melice ? ah Ciel quelle longueur.

MELICE

Oüy, Monsieur, mon pinceau* se trouve un peu meilleur,
J’espere d’en former quelque bon caractere*
810 Qui maintiendra l’honneur de la fille & du pere.
Dictez.

CLEANTHE dicte.

{p. 52}

Lettre.

Monsieur, sçachez que ma fille veut bien
Qu’un celebre* hymenée* à vostre fils l’unisse,
Qu’il vienne promptement, & n’apprehende rien,
Comme il plaist à Cleanthe, il agree à Melice.

 

815 Il suffit de ces mots, pliez, & le dessus
Soit au vieux Parmenon, prez de Tours, & rien plus.
Bon Dieu que vous serez heureuse avec cet homme,
On dort sur de l’Argent d’un agreable somme,
Le duvet le plus mol n’a rien de doux au prix,
820 Le bien est le repos des corps & des esprits,
Mais cachetez le mot que vous venez d’escrire.

MELICE

Monsieur je ne sçaurois, n’ayant ny feu ny cire.

CLEANTHE

Va querir un flambeau, mon fidelle valet.
Vous prenez cette clef, ouvrez mon cabinet,
825 Sans qu’il soit de besoin que je vous accompagne,
Vous y rencontrerez de la cire d’Espagne.
L’impudente se trompe en me pensant tromper,
J’ay levé par deux fois la main pour la frapper,
Mais voulant éprouver sa fourbe* toute entiere {p. 53}
830 J’ay retenu mon bras & contraint ma colere,
Sans que les siens se soient deffiez de mes yeux
J’ay veu de son écrit les traits pernicieux,
Lors qu’elle me croyoit repaistre d’impostures*
Je lisois mot à mot ses folles escritures,
835 J’en sçay le contenu, mais pour les détester
Je veux bien estant seul tout haut le réciter.
Pour le vieux Parmenon, cette fille insensee
A suivy son caprice, & non pas ma pensee.

Lettre.

Monsieur ce mot d’escrit est pour vous avertir
840 Que vostre fils n’est pas un party pour ma fille,
Tout mon sang se revolte, & ne peut consentir
Qu’une goute du vostre entre dans ma famille.

Cleanthe

(Apres avoir leu.)
La perfide ! ô Ciel qu’auroit-ce esté
Si j’eusse eu tant soit peu plus de credulité ?
(Il prend l’autre lettre.)
845 Cette autre est de sa part addressee à Thelame
Voyons les beaux projets que forme cette infame.

Lettre.

Seul & doux espoir de mes yeux
Puis que le desespoir vous bannit de ces lieux,
Apprenez que je vous veux suivre ;    [54]
850 Meditez mon enlevement,
Comme sans vous je ne puis vivre
J’y souscrit volontairement.
Melice, vostre acquise & tres-fidelle Amante.

CLEANTHE ayant leu.

Je rendray sans effect cette envie insolente.
855 Mais la voicy qui vient, remettons ces escrits
A l’endroit qu’ils estoient lors que je les ay pris,
Et comme auparavant contrefaisant l’infirme
Que sa fourbe* à nos yeux jusqu’au bout se confirme.

MELICE

J’apporte de la cire.

SYLVESTRE

Et Sylvestre un flambeau.

CLEANTHE

860 Donnez à cette lettre un ply juste & nouveau,
Et puis de mon cachet imprimant la figure
Contre les curieux armez cette escriture.
Que je doy rendre au Ciel de graces & de vœux
De vous trouver si soupple à tout ce que je veux !

MELICE

865 La pieté m’oblige, & le Ciel me convie {p. 55}
D’obeïr à celuy duquel je tiens la vie,
Tousjours de vos desirs je hasteray l’effect
Avec tout le plaisir & le soing que j’ay fait,
Recevez vostre lettre.

CLEANTHE

O fille obeissante,
870 Qu’un semblable propos me plaist & me contente,
Allez, je n’ay pour l’heure aucun besoin de vous.

MELICE à l’escart.

Forçons nostre destin à devenir plus doux,
Lucille m’a promis son silence & sa peine,
Allons la retrouver dans la chambre prochaine*,
875 Et d’un pas aussi prompt que mon commandement,
Envoyons-la porter ce mot à mon Amant.
{p. 56}

Scène IV §

Cleanthe, Sylvestre.

SYLVESTRE

Et puis fiez-vous-y, parbieu ce sexe est drôle,
Il a la ruse en main ainsi que la parole,
Monsieur songez à vous, Melice a du dessein.

CLEANTHE

880 Il m’est conu, Sylvestre, & je le rendray vain.
Parlons de Lidamas, esperes-tu qu’il vienne ?

SYLVESTRE

S’il ne vient pas, il faut que le Diable le tienne,
Mais il ne le tient pas, je l’apperçoy qui vient,
Comportons-nous tous deux, ainsi qu’il appartient.
[H, 57]

Scène V §

Lidamas, Cleanthe, Sylvestre.

CLEANTHE assis vers la table.

885 Préparons le présent que j’ay promis de faire
Au Soleil animé qui m’échauffe & m’éclaire,
Et qui malgré la nuit de mon aveuglement
Eslance ses rayons dans mon entendement,
Je ne pouvois d’un don plus seant ny modeste
890 Honnorer un visage autrefois tout celeste.
Par beaucoup de rapports, une montre est un Ciel.
Reglé dedans son cours, bien qu’artificiel,
Plus benin que ce globe où sont cloüez les Astres,
Sans y contribuer il marque nos desastres,
895 Et si comme ce corps il ne fait pas le Temps
Il en marque du moins l’espace & les instans.

SYLVESTRE à Lidamas.

Ne soyez pas craintif dedans cette rencontre*,
L’occasion vous rit, escamottez la montre.

CLEANTHE

Sylvestre, approche, escoute, est-il l’heure d’aller {p. 58}
900 Vers les yeux que j’adore & paraitre & brusler.

LIDAMAS bas.

Usons en ce moment de l’avis* de Sylvestre.

SYLVESTRE

Monsieur vostre raison est sans doute en sequestre,
A quoy bon dites-moy de faire des présens
A des attraits passez, à des masques présens ?

CLEANTHE frappant Lidamas.

905 Reçoy, mauvais censeur, homme plein d’insolence
D’un plus grand chastiment un soufflet par avance.
Olimpe pour ta veuë est un objet* trop haut,
Ce qu’elle a d’accomply te paroist un defaut.

LIDAMAS

Je n’ose dire mot, cher Sylvestre de grace
910 Tesmoigne du despit, & te plains en ma place.

CLEANTHE

Si jamais…

SYLVESTRE

Si jamais je suis vostre valet {p. 59}
Que l’on m’estrille en asne, en cheval, en mulet,
Que le plus froid des Vents sans cesse au nez me souffle,
Qu’on me prenne par tout pour sot & pour marouffle.
915 Vostre bras à fraper n’eut jamais de pareil,
Quoy ? sans vous informer si l’on craint le Soleil
Et si l’on ayme moins le temps clair que le sombre,
Vostre main met ainsi les visages à l’ombre,
Sans trancher du sçavant, ny sans passer pour fol
920 Je puis d’oresnavant la nommer parasol*.

CLEANTHE

Ces façons de parler bouffonnes & fantasques
T’attireront encor…

SYLVESTRE

Quoy ? d’autres demy marques.

LIDAMAS

Pendant leur different qui flatte mon desir
Pour la seconde fois tâchons à reüssir.

SYLVESTRE

925 Adieu, je ne veux plus conduire qui m’outrage, {p. 60}
Il vous faut un valet qui n’ait point de visage.

CLEANTHE

Sylvestre qu’est-cecy, veux-tu m’abandonner ?

SYLVESTRE

Oüy, je ne fus jamais enclin à pardonner.

CLEANTHE

Voy ma condition, & regarde la tienne.

LIDAMAS

930 Enfin j’ay pris sa montre, & supposé* la mienne,
Allons trouver Olimpe, & faisons aujourd’huy
Un commerce* amoureux des richesses d’autruy.
{p. 61}

Scène VI §

Cleanthe, Sylvestre.

SYLVESTRE

Monsieur il est sorty, la feinte est superfluë,
En se pensant brancher ce bel oyseau s’engluë.

CLEANTHE

935 Parmy les mouvemens* dont je me sens toucher
Je ne sçay si je dois ou rire ou me fascher,
Qu’en ce siecle de fer où le vice prospere
L’on trouve peu d’enfans qui respectent leur pere,
Et que j’espreuve bien en ma juste douleur
940 Que n’en avoir jamais est un heureux malheur.
Sylvestre poursuivons l’intrigue de la montre,
Prouve encor ton esprit dedans cette rencontre*,
Ne te relâche point.

SYLVESTRE

Par Nerine & ses yeux {p. 62}
Je me comporteray tousjours de bien en mieux.

Fin du troisiesme Acte

{p. 63}

Acte IV §

Scène première §

Lidamas, Olimpe.

LIDAMAS

945 Mon cœur* refuse-t’il ce que ma main luy donne ?
Qui neglige mes dons, dédaigne ma personne,
Rejetter un present, c’est le visible effet
Du degoust que l’on a de celuy qui le fait.

OLIMPE

Pour guerir vostre esprit d’une telle croyance,
950 Je peche expressement contre la bienseance,
Le refus des présents est de nostre devoir,
Mais qui donne son cœur peut bien tout recevoir.

LIDAMAS

Cette montre est, Madame, une montre commune, {p. 64}
Je ne croy pas pourtant que mon pere en ait une…

OLIMPE

955 Il vient, n’achevez pas.

LIDAMAS

O Ciel qu’il me déplaist,
Jamais homme ne fut plus importun qu’il l’est.

Scène II §

Cleanthe, Sylvestre, Olimpe, Lidamas, Nerine.

CLEANTHE

Apres que j’ay promis ma memoire me presse
De faire succeder l’effet à ma promesse,
C’est le premier motif qui me conduit icy,
960 L’autre est d’y soupirer mon amoureux soucy*.

OLIMPE

Monsieur épargnez-moy, quoy mes beautez péries {p. I, 65}
Meriteroient vos dons, feroient vos resveries ?
Tant de présomption ne me possede pas,
L’on ne peut beaucoup plaire avec si peu d’appas*.

CLEANTHE

965 Ah que vous vous donnez & me causez de peine,
Sur moy plus que jamais vous estes souveraine,
Ce que jamais vos yeux eurent de ravissant,
Ce qu’ils eurent de doux, de noble & de puissant,
Tout ce qu’Amour peignit sur vostre front d’yvoire ;
970 Au moment que je parle est peint dans ma memoire,
Je vous en apprendrois & l’empire & les coups*
Si mes discours n’estoient écoutez que de vous.

OLIMPE

Personne n’est icy que Sylvestre & Nerine.

CLEANTHE

Qu’ils s’en aillent tous deux dans la chambre prochaine*.
975 Madame faites-en un prompt commandement.

OLIMPE

Sortez.

SYLVESTRE

Que je te vay cajoler diablement. {p. 66}

CLEANTHE

Madame, je disois que tous les avantages
Que vous eustes jamais sur les plus beaux visages,
Que ces charmes* divins dont je fus asservy
980 Vivent dans mon idée, & que j’en suis ravy*,
Encor que mon tourment surpasse toute chose
J’en deviens idolastre ainsi que de sa cause,
Et souhaite qu’hymen* nous arreste tous deux
Dans des liens tissus d’indissolubles nœuds.
985 Si je n’avance rien dont vous soyez faschée*,
Si mes soupirs ardents vous ont un peu touchée,
Et si vous desirez de m’en rendre certain
Que ce soit en prenant ce present de ma main.

OLIMPE

Qu’est-il dedans l’honneur que pour vous je ne fasse,
990 Je le reçoy, Monsieur, & je vous en rends grace.

CLEANTHE

Ainsi vous m’obligez* beaucoup plus mille fois
Que si vous soumettiez tout le monde à mes lois.
Je tiens cete faveur & glorieuse & chere,
Que je baise la main qui me la vient de faire. {p. 67}
(Lidamas luy presente la main.)

OLIMPE

995 Hé ! Monsieur.

CLEANTHE

Quels transports* ? ô Ciel je n’en puis plus.
Encor un peu de temps, & j’expire dessus.
Chaste albastre animé, belle main que je touche,
Tu peux prendre mon cœur, il est dedans ma bouche.

OLIMPE

Monsieur encor un coup.

CLEANTHE

Ah Madame, laissez,
1000 Je reçoy du plaisir plus que vous ne pensez.

OLIMPE

Si quelqu’un nous voyoit que ne pourroit-on croire ?

CLEANTHE

Rien qui ne peust beaucoup augmenter vostre gloire,
Rien qui ne témoignast vostre inclination,
Vostre rare merite & vostre affection.
1005 Mais je crains d’abuser de vostre patience,
Et d’estre deplaisant à vostre complaisance,
Remply de vos faveurs, je prends congé de vous, {p. 68}
Adieu de mes pensers, objet* cruel & doux.
Sylvestre.

SYLVESTRE à Nerine

A te quitter faut-il donc me resoudre,
1010 Joly moulin à vent où j’ay dessein de moudre.
Que vouléz-vous de moy ?

CLEANTHE

Rien qu’en estre conduit.

SYLVESTRE

Allons, je suis le jour & vous estes la nuit,
Suivez vostre falot.*

LIDAMAS

Il en tient* le bon-homme,
Il va benir tout seul le feu qui le consomme,
1015 Il croit avoir baisé cette adorable main.

NERINE

Deux Dames dans la sale attendent à dessein
De vous faire aujourd’huy compliment & visite.

OLIMPE

Je les vay recevoir. {p. 69}

LIDAMAS

Adieu donc je vous quitte.

Scène III §

Olimpe, Nerine.

NERINE retenant Olimpe.

Madame, s’il vous plaist revenez sur vos pas,
1020 Ce n’est qu’un faux semblant, on ne [vous] attend pas.

OLIMPE

Explique-donc pourquoy tu m’as dit le contraire ?

NERINE

Pour tromper Lidamas, & pour vous en défaire,
Pour vous prier encor de garder vostre foy*
A qui vit plus en vous qu’il n’est vivant en soy, {p. 70}
1025 A cet infortuné, mais Amant veritable*,
Qui vous croit monstrueuse & vous tient adorable.
L’amour des jeunes gens d’ordinaire est leger,
Ce n’est à bien parler qu’un oyseau passager,
Qui ne peut demeurer long-temps en une place
1030 Que le Printemps ameine, & qu’un jour d’hyver chasse.

OLIMPE

Cruelle à quel dessein me tiens-tu ce propos ?
Pourquoy traverses*-tu ma flame & mon repos ?
Quelle haine couverte*, & quelle noire envie
Te fait en mon amour attenter sur ma vie ?
1035 D’où te naissent ces soins* que je n’approuve pas
Et qui te porte enfin à blâmer Lidamas ?

NERINE

Mon zele seulement & la peur raisonnable
Qu’un faux & feint amour en trompe un veritable.
Celuy que vostre cœur cherit si constamment
1040 Dans d’infames liens s’engage indignement.
Depuis un mois entier certaine Courtisane
Est le Temple & l’Autel de cet Amant profane.
Il y va tous les jours sacrifier ses vœux,
Et puis vous vient offrir [ses] impudiques feux.
1045 Cette femme qui vit des offenses* des hommes,
Cet opprobre public du sexe dont nous sommes {p. 71}
A fait de cette montre en plus de mille lieux
Un criminel appas pour attirer les yeux.
Cette infame avant vous s’en est souvent ornée,
1050 Mais à son bienfaicteur elle l’a redonnee,
Afin de ruiner le vertueux dessein
Que Cleanthe pour vous entretient dans son sein.

OLIMPE

Qu’entens-je, juste Ciel, & que dis-tu Nerine ?

NERINE

Ce que m’a dit Sylvestre en la chambre voisine.
1055 Ce que mal-aisément on peut s’imaginer,
Mais Sylvestre n’est pas garçon pour en donner.

OLIMPE

Apprends-moy plus au long cette facheuse histoire.

NERINE

Telle qu’il me l’a dite elle est dans ma memoire,
Mais j’apperçoy quelqu’un qui pourroit écouter,
1060 Venez ailleurs qu’icy l’entendre raconter.
{p. 72}

Scène IV §

LUCILLE tenant une lettre.

Je ne vay qu’en tremblant retrouver ma maitresse,
Elle a juste sujet de punir ma paresse,
Sans causer nulle part je devois revenir,
Mais le sexe coëffé ne s’en peut abstenir,
1065 Pour quelque grand dessein qu’on envoye une fille
Il faut ou qu’elle meure, ou bien qu’elle babille,
C’est en cet animal une imbecillité*
Que la suite du Temps change en necessité.
J’en fais en ce moment une preuve certaine,
1070 Il semble que mes pieds soient liez d’une chaine,    
Et bien que mon devoir appelle ailleurs mes pas
Je parle toute seule, & ne l’escoute pas.
Mais evertüons-nous, & luy prestons l’oreille,
Allons nous-en d’icy puis qu’il nous le conseille,
1075 Ma maitresse jamais n’eut guére de rigueur,
J’espere en obtenir pardon de ma longueur
Pourveu que le destin n’ait pas voulu permettre
Que l’abord* de Thelame ait devancé sa lettre. [K, 73]
Mais obstacle nouveau, voici venir quelqu’un,
1080 C’est Cleanthe, évitons cet Aveugle importun,
Et parce que Sylvestre avecque luy s’approche,
Glissons en esquivant ce papier dans ma poche.
(Elle laisse tomber la lettre.)

Scène V §

Cleanthe, Sylvestre.

SYLVESTRE

Aspre à vous satisfaire autant & plus qu’aux pots,
N’ay-je pas inventé ce mensonge à propos ?

CLEANTHE

1085 Va, tu merites trop, cette adraite impostu[re]*
Me remet vers Olimpe en meilleure postu[re] ;
Elle est à Lidamas un coup* triste & fatal
Qui doit dans peu de temps changer son bien en mal,
Rien n’excita jamais le dépit d’une femme
1090 A l’égal du mespris que l’on fait de sa flame,
Et son courroux éclate avec juste sujet
Quand qui la sert s’applique à quelqu’indigne objet*. {p. 74}
Si Nerine t’a creu, je ne fay point de doute
Qu’à cette heure à l’escart Olimpe ne l’escoute,
1095 Et que voyant ses feux si laschement trahis
Elle ne foule aux pieds le présent de mon fils.

SYLVESTRE

Si Nerine m’a creu ! Ce mot de si, me picque*,
Elle tient mes discours reglez comme Musique,
Plus qu’à pas un mortel elle se fie en moy,
1100 Et mes songes luy sont des Articles de Foy.
Je gage qu’à present tout son caquet s’efforce
A faire qu’à l’accord succede le divorce,
Et qu’Olimpe abhorrant l’ardeur de Lidamas
A vous seul desormais destine ses appas*.
1105 Ce qui peut l’obliger d’agir de cette sorte
C’est que j’ay desiré que sa langue fust morte,
Et que l’entretenant d’un Amant indiscret*
J’ay feint que j’en faisois un important secret ;
D’ailleurs par le motif d’une reconnoissance
1110 Cette fille vous sert de toute sa puissance,
Elle m’a declaré que son frere sans vous
Eust esté le repas des corbeaux & des loups,
Et que bravant la mort d’une façon hautaine
Il eust dansé dans l’air jusqu’à perte d’haleine.

CLEANTHE

1115 Il est vray que sans moy, ce pauvre malheureux {p. 75}
Auroit suby la loy d’un Arrest rigoureux,
Il s’estoit declaré deserteur de Milice,
Et le conseil de guerre en eust fait la Justice.
Mais laissons ce discours, & ne ramenons point
1120 La memoire d’un acte où tant d’opprobre est joint
Suffit que par mes soins je sauvay ce coupable.
Revenons à Nerine, elle te plaist ?

SYLVESTRE

Sans fable.

CLEANTHE

Elle sçait donc de toy mon feint aveuglement ?

SYLVESTRE

Je suis trop vieux Renard pour cet aveuglement,
1125 Quand le Ciel m’auroit mis dedans le corps cent Ames
Je n’en découvrirois pas une seule aux femmes,
Je ne parle qu’en crainte à ces fiers Animaux [, ]
Se taire fut tousjours le pire de leurs maux,
Et s’il faut clairement exprimer ma pensee,
1130 Pour garder un secret la femme est trop percee.    1130

CLEANTHE

Ce discours est encor un trait de ton esprit. {p. 76}
Mais qui dans cette sale a laissé cet escrit ?
Donne-le-moy, Sylvestre, il faut voir ce qu’il porte,
La plume de Thelame escrit de cette sorte,
1135 L’addresse* est à Melice, ó Ciel ce suborneur
Tend infailliblement un piege à son honneur.

Lettre.

Madame j’ay leu vostre lettre
Qui veut m’obliger à promettre
De marquer mon depart par vostre enlevement,
1140 Je suis vostre sujet, mais je tiens pour maxime
Que quand un Roy commande un crime
On desobeit justement.
Ce soir à la faveur de l’ombre
Accompagné d’ennuis* sans nombre,
1145 J’iray selon vostre ordre à dessein de vous voir,
Mais au lieu de ceder à votre injuste envie
A vos yeux je perdray la vie
Ou vous suivrez vostre devoir.
Thelame.

CLEANTHE Apres avoir leu.

Transporté de tristesse & de joye
1150 Comme entre deux chemins mon esprit se fourvoye,
Deux divers mouvemens* me tirent devers eux, {p. 77}
Et je doute lequel je doy suivre des deux.
Mais c’est trop balancer, dissipons cette doute,
Suivons la plus plaisante & la meilleure route,
1155 Et destournant les yeux d’une fille sans cœur*
Envisageons celui qui sauve son honneur.
Il doit bien-tost venir, car desja les estoiles
Desployent parmi l’air leurs tenebreuses toiles,
Je veux recompenser sa veritable amour,
1160 Et paraitre envers lui genereux* à mon tour,
Sa vertu m’a surpris, avant que le jour vienne
Je le veux à l’envy surprendre par la mienne,
Mon esprit occupé dans un dessein si beau
M’en fournit un moyen agreable & nouveau.
1165 Esperez donc, Thelame, & n’ayez plus de crainte
Que je choque* l’ardeur dont vostre ame est atteinte,
Je vous promets ma fille, & [par] dedans mes biens,
Vous avez des tresors qui surpassent les miens.
La voici cette fille, indigne de ma grace
1170 Rejettons ce papier, & luy cedons la place.
{p. 78}

Scène VI §

Melice, Lucille.

LUCILLE amassant* la lettre.

Madame la voici, ne vous tourmentez plus,
Vostre pere & Sylvestre avoient les pieds dessus.
Mais l’un estant aveugle, & de bonne aventure*
L’autre n’ayant jamais rien sceu dans la lecture,
1175 Je ne m’estonne point s’ils n’ont pas amassé*
Cet escrit que Thelame a lui mesme tracé.

MELICE

Donne-le-moy, Lucille, & permets qu’à mon aise
J’en admire les traits, je les lise & les baise.
(Elle lit tout bas, & apres avoir leu.)
Ciel que viens-je d’apprendre ! & que viens-je de voir !
1180 Donc ma seule esperance a trahi mon espoir,
L’objet* de mon amour neglige, fuit, & blâme,
Le noble excez d’amour qu’il excite en mon ame.
Ah ! Thelame, apres tout ce refus m’est suspect, [ 79]
La crainte vous l’inspire, & non pas le respect,
1185 Vous preferez le vostre au repos de Melice,
Il n’est rien qu’en aimant un grand cœur* n’accomplisse.
Lucille, si l’ingrat en qui j’espere en vain
Se ressouvient des [traits] qu’a figurez sa main,
L’air que l’obscurité de la nuit environne,
1190 Me doit bien-tost ici faire voir sa personne,
Va l’attendre en la ruë, & l’ameine sans bruit,
Juger du triste estat où mon cœur est reduit.

LUCILLE

Si vous le commandez je ne m’en puis defendre,
Mais je croirois meilleur de ne le point attendre,
1195 Il a, vous le sçavez, une clef du jardin,
Il peut en y passant accourcir son chemin,
Et sçachant du logis jusqu’à la moindre addresse*
Il peut encor sans bruit venir voir sa maitresse*,
Comme je l’ay preveu l’affaire a reüssi,
1200 Mes yeux [se] sont trompez, ou c’est lui que voici.
{p. 80}

Scène VII §

Thelame, Melice, Lucille.

THELAME tenant la lettre de Melice.

Non jamais vostre main n’écrivit cette lettre,
Vostre rare vertu ne l’auroit pû permettre,
Je crois absolument qu’un folastre demon
A comme vostre main emprunté vostre nom.
1205 Si chez vous la raison a repris son Empire,
Vous ne blâmerez pas ce que je viens de dire,
Et prendrez mes discours pour d’assurez tesmoins
Qu’on flatte* davantage alors qu’on aime moins.

MELICE

Vostre vertu, Thelame, a réveillé la mienne,
1210 Vous ne m’avez rien dit dont je ne me souvienne,
J’ay receu des clartez de vous avoir oüy,
Mon jugement les void sans en estre ébloüy,
N’apprehendez donc point [que] je vous mes-estime,
Si vous me reprenez sur le projet d’un crime,
1215 Je vous en aime mieux, & je mets mon bonheur [L, 81]
A mourir pour celuy qui m’a sauvé l’honneur.
Mourir ! ah qu’ay-je dit, gardons-nous de poursuivre,
Pour qui me chérit tant ne songeons plus qu’à vivre.
Et tâchons de reduire un pere sans pitié
1220 A céder aux ardeurs de sa chaste amitié*.

THELAME

L’Amitié* ne peut rien sur cet homme barbare*
Ce beau feu n’agist pas dessus un cœur avare
Donc au lieu de nourrir un espoir superflu
Permettez mon départ que le Ciel a conclu
1225 Adieu.

MELICE

Je ne sçaurois vous dire adieu Thelame
On manque de parolle au poinct de perdre l’Ame
Recevez un soupir au defaut de la voix.
Mais qui conduit icy, ce valet que je vois.
{p. 74=82}

Scène VIII §

Sylvestre, Thelame, Melice, [Lucille].

SYLVESTRE

Madame concluez de ce que je vay dire
1230 Si vous avez sujet de pleurer ou de rire,
Si vous devez bénir ou maudire le sort,
Bref si ce changement vous fait plaisir ou tort :
D’un plein saut comme on dit, & toute à l’impourveuë
Mon Maistre a recouvré la moitié de la veuë
1235 Par de secrets ressorts, infernaux ou divins
Son visage a tourné le dos aux quinze vingts,
L’un de ses deux luisans a quitté la débauche,
Bref il void clair d’un œil, & cét œil est le gauche,
Il m’a dit qu’il viendroit dans peu de temps icy,
1240 Il tient ce qu’il promet Madame le voicy.

THELAME

Si j’en suis apperceu, je pressens ses outrages[.]

MELICE

Vous pouvez aisement éviter ces orages {p. 75=83}
Hastez-vous de courir vous cacher dans ce coin,
Du reste n’ayez peur, j’en veux prendre le soin.

Scène IX §

Cleanthe, Melice, Thelame, Sylvestre, [Lucille].

CLEANTHE

1245 Ma fille prenez part à la soudaine joye
Dans qui mon cœur se plonge & mon ame se noye,
J’ay pour l’heure un bon œil.

MELICE

Sylvestre me l’a dit
Le Ciel quand il luy plaist agit sans contredit. {p. 76=84}
Puisqu’il a commencé de vous rendre la veuë
1250 Ce grand commencement doit avoir pleine issuë,
Et certes si l’on peut recueillir quelque fruit
Des avertissemens que nous donne la nuict
Si l’on peut quelque fois s’asseurer sur les songes
Et si tous leurs rapports ne sont pas des mensonges
1255 L’on vous verra bientost dans mon pressentiment
Tout à fait garanty de vostre aveuglement.

CLEANTHE

Quel prophetique instinct, ou quel heureux augure
Entretient vostre esprit dans cette conjecture ?

MELICE

Quand Sylvestre est venu m’apprendre que le Ciel
1260 Ne versoit plus sur vous tant d’absinthe & de fiel
Et qu’avec l’un des yeux sa colere assouvie
Vous rendoit le plus pur des plaisirs de [la] vie,
L’esprit ensevely dans un profond sommeil
Vostre front m’a paru couronné d’un Soleil
1265 Dont les rayons épars dessus vostre visage
Le tiroient tout brillant du milieu d’un nuage.
Ce phantosme charmant* auroit beaucoup duré
Si Sylvestre en parlant ne l’eust point effaré. {p. 77=85}
Tel est en peu de mots, mon songe & ses peintures,
1270 Tâchons s’il est menteur d’en voir les impostures*
Et s’il présage vray dans ses obscuritez
Tâchons pareillement d’en voir les veritez.
Il n’est pas mal-aisé d’en venir à l’épreuve
S’il plaist de vous servir d’un moyen que [je] treuve.

CLEANTHE

1275 Volontiers.

MELICE

Laissant donc les discours superflus
Vostre œil gauche est le bon, mettez la main dessus
Ainsi vous jugerez avec plus d’assurance
Si des objets présens le droict a connoissance
Et si de mon sommeil, les bijares tableaux
1280 Estoient remplis de traits veritables ou faux.

CLEANTHE

Subtile invention, industrie* agreable !

MELICE, à Thelame.

Sortez.

CLEANTHE arrestant Thelame.

Vous avez fait un songe veritable {p. 78=86}
Melice je vous voy, je voy Thelame aussi
O Ciel ! qu’heureusement ce songe a reussy.

MELICE

1285 Que je suis estonnée*.

SYLVESTRE

Il faut crier miracle.

THELAME

Monsieur ne croyez pas qu’en dépit de l’obstacle
Qu’oppose à mes ardeurs vostre avare courroux
Je vienne revolter vostre sang contre vous
Ce coupable dessein, n’entre pas dans mon ame
1290 J’en jure.

CLEANTHE

Brisez là. Je le sçay bien Thelame
Les traits de vostre main, m’ont fait voir vostre cœur*
Et passant jusqu’au mien ont tüé ma rigueur [, ]
Plus touché de respect que cette ingratte fille
Vous avez conservé l’honneur de ma famille.

THELAME

1295 Moy Monsieur ! espargnez. {p. 79=87}

CLEANTHE

Vostre discretion
Vous fait desavoüer cette bonne action.
Mais je suis esclaircy de toute cette histoire
Vos nobles sentimens sont peints dans ma memoire.
(à Melice.)
Vos molles lâchetez y sont peintes aussi,
1300 Mais s’il en faut parler, c’est autre part qu’icy.
(à Thelame.)
Cependant s’il est vray que vous l’aymiez encore
Scachez que vos vertus font que je vous honore,
Et qu’[avecque] plaisir je permets que demain
Elle vous donne au Temple & le cœur & la main.

THELAME

1305 Je ne puis recevoir plus d’honneur en ma vie.

CLEANTHE

Je conduiray l’affaire au gré de vostre envie,
A la charge pourtant, que vous ne direz point
Qu’à mon Aveuglement tant d’artifice* est joinct,
Je veux encor joüer* par cette ruse adraitte
1310 Un temeraire fils, une Amante indiscrette*
Sçavoir jusqu’à quel poinct leur fourbe* peut aller,
Et comment ils pourront enfin s’en démeller, {p. 80=88}
Je commets* ce secret à vostre confidence
Songez à le tenir sous la clef du silence.

THELAME

1315 Que puissions-nous mourir, si nous le declarons.

CLEANTHE

En jurez vous tous deux.

THELAME & Melice ensemble.

Ouy nous vous en jurons.

Fin du quatriesme Acte.

{p. M, 81=89}

Acte V §

Scène première §

Lidamas, Olimpe, Nerine.

LIDAMAS

J’aurois fait cette injure* à l’objet* que j’adore ?
Aprés tant de sermens, le croyez-vous encore ?
Faut-il incessamment vous les reïterer ?
1320 Tout l’Element du feu me vienne devorer,
Et si j’ay merité les soupçons où vous estes
L’Air s’arme contre moy d’Esclairs & de Tempestes [, ]
La Mer me creuse un lict au profond de son Eau
Et la Terre entr’ouverte en son centre un tombeau,
1325 Tout l’Univers enfin me donne des allarmes* {p. 82=90}
Si j’ay si mal traité vostre amour & vos charmes*,
Et si depuis l’instant que je les admiray
Pour d’autres que pour eux, mon cœur a souspiré.
Lasche & perfide autheur d’un rapport* qui m’offence,
1330 Tu ne te peux soustraire à ma juste vengeance
Sans mettre en contrepoids ma naissance & ton rang,
Pour laver ton forfait je verseray ton sang,
La justice du ciel contraire à l’Imposture*
M’ameine cette ingrate & vile créature,
1335 Le voicy le menteur qui vous en a tant dit
Remarquez à quel poinct il paroist interdit,
Ma rencontre l’estonne* ; & son maintien timide*
En me justifiant accuse ce perfide.
Avance malheureux*, & sans aucun détour
1340 Parle & rend promptement la vie à mon Amour,
Quelle autre que Madame est sur moy souveraine ?
Quelle autre me retient d’[une] invisible chaisne ?
Quelle autre me remarque entre ses courtisans ?
Et quelle autre a jamais receu de mes presents ?
1345 Respond, il te sied mal de craindre & de te taire
Ta crainte & ton silence augmentent ma colere.
{p. 83=91}

Scène II §

Sylvestre, Lidamas, Olimpe, Nerine.

SYLVESTRE

Monsieur promettez moy que vos mains en courroux,
Ne me chargeront pas d’une gresle de coups,
Et j’ose m’engager aprés cette promesse
1350 De vous remettre bien avec vostre Maitresse*.

LIDAMAS

Parle donc viste, & sois sans apprehension.

SYLVESTRE

Madame auparavant soyez sa caution.

OLIMPE

Ne crains rien, je responds qu’il te tiendra parolle. {p. 84=92}

SYLVESTRE

Le discours que j’ay fait n’est qu’une pure colle.
1355 Qu’une poudre à soufler dans les débiles* yeux,
Qu’un mensonge de ceux qu’on nomme officieux*
Vostre pere qui sçait que les yeux de Madame
Sont depuis quelque temps les Soleils de vostre ame,
Et que par un succez* à son repos fatal
1360 Ces globes d’argent vif vous ont fait son rival [, ]
Jaloux que ce beau feu qui s’allume en vos veines
Rende en le supplantant ses esperances vaines,
D’un plein commandement m’a fait vous desservir
Vers le plus digne objet* qui vous pouvoit ravir*.

LIDAMAS

1365 Quoy le mauvais party que tu m’as voulu faire
Est un trait* envoyé de la part de mon pere ?
Il sçait que j’ayme Olimpe ? & que cette beauté
Ne m’a point jusqu’icy fait voir de cruauté ?
Quel ennemy couvert* ? quelle bouche indiscrette ?
1370 A pû luy découvrir [une] amour si secrette ?

SYLVESTRE

Luy seul l’a descouverte, & luy seul desormais {p. 85=93}
S’il en a le dessein vous jouëra de bons traits*.

LIDAMAS

Parle plus clairement, explique tes paroles.

SYLVESTRE

Parce qu’on me fait taire à force de pistolles.
1375 Vostre raisonnement vous fait-il soupçonner
Que je ne parle pas, lors qu’on m’en veut donner ?

LIDAMAS

Sylvestre je t’entends*, prends cecy par avance.

SYLVESTRE

Qui donne de l’argent, preste bien du silence,
Escoutez-moy parler ; je voy clair ?

LIDAMAS

Je le croy.

SYLVESTRE

1380 Vostre pére, Monsieur, voit aussi clair que moy.

LIDAMAS

Tu me veux abuser d’une autre menterie*. {p. 86=94}

SYLVESTRE

Si je [ments], jettez-vous dessus ma fripperie.

OLIMPE

Cleante verroit clair ! depuis quand justes Cieux ?

SYLVESTRE

Depuis que dans le monde il apporta des yeux,
1385 Et que debarassé du ventre de sa mére,
Il vint [avecque] l’Air respirer la lumiere.

OLIMPE

Il n’est donc pas aveugle ?

SYLVESTRE

Et jamais ne le fut.

LIDAMAS

Apprens nous de sa feinte & la cause & le but.

SYLVESTRE

Un semblable recit est de trop longue haleine,
1390 Vous l’entendrez pourtant n’en soyez pas en peine, {p. 87=95}
Je vous diray tantost d’un langage naif*
De ce déguisement la fin & le motif,
Cependant vous & moy, prenons la hardiesse
De faire à cét aveugle entre nous quelque piéce,
1395 Si vous donnez croyance aux avis d’un valet,
Vous aurez un plaisir qui ne sera pas laid ;
Joint qu’il est à propos que par quelque industrie*
Tout vostre procedé passe en galanterie,
Il faut que vostre pere entre en un sentiment
1400 Que vous n’ignoriez pas son feint aveuglement,
Et que les libertez prises en sa presence
N’estoient que des [essays] d’user de patience [.]

LIDAMAS

Blois ny le monde entier n’eut jamais ton pareil,
Charmé* de ton esprit, j’approuve ton conseil,
1405 Desja pour reüssir dedans cette entreprise
Je n’ay besoin de rien que de ton entremise.
J’imagine un moyen facile à pratiquer
Par qui sera moqué, qui pretend nous moquer.

SYLVESTRE

Assurez-vous de moy, je vous donne parole
1410 D’apporter tous mes soins à bien joüer* mon rôle.

LIDAMAS

Il suffit, en ce lieu sans plus nous arrester {p. 88=96}
Dans la chambre prochaine* allons nous concerter.

SYLVESTRE

Allez & trouvez bon qu’icy seul je demeure
Nostre piéce en sera plus secrette & meilleure.

LIDAMAS

1415 Adieu, nous te laissons la chose estant ainsi.
Ton salaire est tout prest, mais sers nous bien aussi.

Scène III §

Sylvestre seul

Par quel autre moyen détourner la tempeste
Qui menaçoit mon dos aussi bien que ma teste ?
Lidamas irrité m’eust accablé de coups,
1420 Se plaire à se voir battre est le plaisir des fous,
Pour moy quand honoré de sacrez characteres*
J’escouterois des cœurs* les plus secrets mysteres [N, 89=97]
Plustost qu’au beure noir avoir les yeux pochez,
D’un chacun en public je dirois les pechez.
1425 A quelque si haut poinct qu’un affaire me touche
Je ne puis arrester ce maudis flux de bouche,
Sur tout lors que je sçay qu’[avecque] mon caquet
A qui me traite mal, je puis rendre un pacquet.
Depuis le grand matin, mon Maistre & ses caprices,
1430 M’ont employé sans tréve à de fascheux services
Et ce qui plus encor, me paroist importun
C’est qu’à l’heure qu’il est je dormirois à jeun.
Ce jeu ne me plaist pas, & la main sur la pance
J’enrage de bon cœur aussi tost que j’y pense.
1435 Moy n’avoir aujourd’huy rien humé que du vent !
Ma foy j’éviteray ce mal d’orénavant.
Plustost que de jeusner, j’iray la teste nuë,
Estocader du bras les passans dans la ruë [, ]
Mon Maistre me [deusse-t] -il… il vient à petits pas.
{p. 90=98}

Scène IV §

Cleanthe, Sylvestre.

CLEANTHE

1440 N’ay-je pas entendu la voix de Lidamas.

SYLVESTRE

Cela [se] peut, il sort.

CLEANTHE

Avec celle que j’ayme ?

SYLVESTRE

Justement.

CLEANTHE

Aucun d’eux ne sçait mon stratageme ?

SYLVESTRE

Je demeure confus à cét interrogat* {p. 91=99}
Il me frappe à l’honneur je vous le dis tout plat.
1445 Il semble à vous ouyr, que je sois la gazette,
Mais pour vos interests j’ay la gueule muette.

CLEANTHE

Miroir des bons valets, & des vrays confidents.

SYLVESTRE

Au reste Lidamas en tient droict la dedans.
Mais du fer asseré d’une si rude fléche
1450 Que sa raison ne peut en reparer la bresche,
Il faut qu’il ayt Olimpe au plus tard dans demain    
Ou qu’à s’oster la vie il occupe sa main
Par d’horribles sermens son amoureuse rage
A promis d’exercer ce criminel outrage,
1455 Monsieur avisez-vous, prevenez ce malheur
Et donnez quelque chose à sa jeune chaleur*.

CLEANTHE

Ton conseil en cecy ne m’est pas necessaire,
J’ay desja resolu ce qu’il est bon de faire,
Mais sans me défier de ta discretion,
1460 Je te tais sur ce point ma resolution.
Donc sans qu’à la sçavoir tu te rompes la teste, {p. 92=100}
Va t’en tenir mon lict & ma toilette preste,
Ce livre cependant sera mon entretien.

SYLVESTRE

Je l’estimeray bon, si vous le goustez bien.

CLEANTHE assis vers une table.

1465 La suitte du Menteur. Lisons du premier acte.
Et faisons de [ces] vers une censure exacte.
(Il lit quelque vers de la suitte du menteur, Comedie de Monsieur Corneille.)

Scène V §

Lidamas, Cleanthe.

LIDAMAS

Quoy le livre à la main ?

CLEANTHE

Ouy mon fils & j’avoüe
Que le Ciel en ses soings merite qu’on le louë, {p. 93=101}
Sylvestre de ma part vous est allé chercher
1470 Et sa longueur passoit au poinct de me fascher.

LIDAMAS

Que desirez vous donc de mon obeissance.

CLEANTHE

Rien sinon que vous faire escrire ma despense.
Et dresser un memoire en qui soit contenu
L’Argent à mon valet donné par le menu,
1475 Je veux m’instruire au vray jusqu’à combien il monte,
Tenez, cherchez du blanc dans ce livre de compte,
Puis d’une main habille & d’un trait assuré,
Peignez* y nettement ce que je dicteray.

LIDAMAS

La rencontre* est plaisante, il faut que je le die,
1480 Vostre livre de compte est une Comedie !

CLEANTHE

Vous me joüez* mon fils, mais finissez ce jeu,
Qui vous sied assez mal, & me déplaist un peu.

LIDAMAS bas.

Qu’il dissimule bien, & qu’il abonde en ruses.
Monsieur si j’avois tort , j’en ferois mes excuses. {p. 94=102}
1485 Mais que puisse le Ciel, ou l’Enfer en courroux,
En ce mesme moment, m’aveugler comme vous.
Si je vous en impose*, & si c’est fantaisie,
Que ce livre de compte est une poësie.
On le vend dans Paris en vingt lieux au Palais,
1490 Cent fois ce qu’il contient s’est dit dans le Marais,
J’ay souvent pris plaisir à l’entendre moy-mesme,
Et contre les censeurs defendu ce poëme.
Il est intitulé la suitte du Menteur
Et sort du cabinet d’un excellent Autheur.

CLEANTHE

1495 Seroit-il bien possible ?

LIDAMAS

Il est tres véritable.

CLEANTHE

Qu’avec un tel valet, un Maistre est miserable*,
Ce coquin de Sylvestre à tous coups* s’estourdit,
Et ne fait jamais bien les choses qu’on luy dit
Je veux compter à luy, puis le mettre à la porte.

LIDAMAS

1500 Moy l’accabler de coups auparavant qu’il sorte
Je suis icy venu pensant l’y rencontrer, {p. 95=103}
Mais le Ciel à mes yeux ne le veut pas montrer [, ]
Quelque endroit de la ville où je puisse l’atteindre,
Je sçauray le reduire au terme de se plaindre,
1505 Il n’obtiendra de moy ny trêve ny cartier
Et ne luy restera pas un seul os entier.

CLEANTHE

Qu’a t’il fait qui merite une telle menace ?

LIDAMAS

Une action, un trait* d’insuportable audace,
Un rapport* si perfide, un mensonge si noir
1510 Et si bien coloré que l’on n’y peut rien voir.

CLEANTHE à l’[Escart].

Cét intrigue incognu conduit par mon organe,
Resulte de la montre & de la Courtisane,
J’ay mieux esté servy que je ne l’esperois ;
Mais ne feignons pas moins que si je l’ignorois.

LIDAMAS

1515 Monsieur que dittes vous ? vous parlez ce me semble.

CLEANTHE

J’accuse & je defends mon valet tout ensemble,
Tantost jusques à luy ma colere descend, {p. 96=104}
Puis je me ressouviens que c’est un innocent*
Qui parle sans raison, sans cause, & sans mesure,
1520 Et qui croit obliger* [alors] qu’il fait injure*.
Ainsi vostre courroux se pourroit assouvir
Du Sang d’un Animal qui pensoit vous servir.

LIDAMAS

C’est donc un Animal, bien cruel & bien traitre,
Qui poursuit & qui mort les enfans de son Maistre.
1525 Certes si je le puis rencontrer où je vais,
Je l’empescheray bien de les mordre jamais.

Scène VI §

Olimpe, Cleanthe.

OLIMPE

Hô Dieux ! je vay tomber, accourrez je vous prie.
Mon pied s’est enlassé dans la tapisserie [.]

CLEANTHE

Je suis à vous Madame, & vous craignez en vain,
1530 Qui donne bien le Cœur, peut bien prester la main. [O, 97=105]

OLIMPE

Monsieur, j’estois sans vous de secours despourveuë,
Donc les Cieux adoucis vous ont rendu la veüe ?

CLEANTHE

N’en faites pas, Madame, un si bon jugement,
Je suis plus que jamais dedans l’Aveuglement.

OLIMPE

1535 Comment doncques d’un pas aussi ferme qu’habille,
M’avez-vous fait trouver vostre presence utile ?
Certes nul ne pouvoit s’offrir plus à propos,
Et je croy qu’il faut voir pour estre si dispos*.

CLEANTHE

Ah ! Madame, quittez cette vaine croyance,
1540 Et pour le vray tout pur, laissez la vray-semblance.
Si j’ay paru si prompt à vous rendre un devoir,
Et fait ce qu’avec peine on peut faire sans voir
N’en jugez rien, sinon qu’en mes ardeurs parfaites,
Un naturel instinct me conduit où vous estes.
1545 De ce sincére âveu concluez que vos yeux,
Sont encore des miens les Astres & les Dieux.

OLIMPE

Je puis apres le trait* que vous venez de faire {p. 98=106}
Conclure encor qu’Amour vous guide & vous esclaire.
Et qu’en tous vos besoins, sensible & pourvoyant,
1550 Quand il luy plaist d’Aveugle il vous rend clair-voyant.

CLEANTHE bas.

Ce discours m’est suspect. Je confesse Madame,
Que ce Dieu se declare en faveur de ma flame,
Aussi reconaist-on quel que soit son excez [, ]
Que mon cœur n’en ressent que d’honnestes accez.

OLIMPE

1555 Doncques puis qu’envers moy vostre Amour est si pure,
Tout interest à part, vangez moy d’une injure* :
Un insolent m’a fait un affront signalé*.

CLEANTHE

Quel qu’il soit autant vaut qu’il vous soit immolé,
Son Nom ?

OLIMPE

C’est Lidamas.

CLEANTHE

Lidamas ! {p. 99=107}

OLIMPE

Ouy luy-mesme.

CLEANTHE

1560 Vous a fait un affront, charmant* objet* que j’ayme,
Oser se prendre à vous c’est s’attaquer à moy,
Mais apprenez m’en l’heure, & comment, & pourquoy ?

OLIMPE

Il m’a fait par priére accepter une montre…
Juste Ciel à mes yeux permets-tu qu’il se montre,
1565 Il s’avance, le lasche, & marque son mespris
En mal traitant celuy par qui j’ay tout appris.
{p. 100=108}

Scène VII §

Lidamas, tenant Sylvestre, Sylvestre, Cleanthe, Olimpe.

LIDAMAS

Fay bien l’espouventé.

SYLVESTRE

Vous ne cessez de dire [, ]
Je réüssiray mieux que vous qui sçavez lire.

LIDAMAS

Ah ! Madame au plus fort de mon cuisant soucy*,
1570 Je me répute* heureux de vous trouver icy,
Voyez cét imposteur*. Je veux que dessus l’heure
Il me fasse connoistre innocent, ou qu’il meure [, ]
Je veux qu’en ce lieu mesme il declare à genoux
Que je n’ay jamais eu que des respects pour vous. {p. 101=109}
1575 Et s’il veut tout à fait appaiser ma colére,
Qu’il die alors qu’il ment, quel esprit le suggére.

CLEANTHE bas

Prends garde sur ta vie à ne me pas nommer.

LIDAMAS

Veux tu par ton silence encor me diffamer,
Parle donc malheureux*, ou ma pitié lassée…

OLIMPE

1580 Voulez-vous le contraindre à trahir sa pensée.

LIDAMAS

Le perfide qu’il est par un motif couvert*,
Craint de desavoüer un rapport* qui me perd.
Mais puisque par l’effet d’un respect qui le touche,
La verité ne peut s’apprendre de sa bouche,
1585 Puissamment transporté de mon juste dessein,
Je m’en la vay chercher jusque dedans son sein.
(Il feind de luy vouloir donner un coup de poignard. Cleanthe luy retient le bras.)

CLEANTHE

Arrestez, Lidamas, hé ! que pensez-vous faire ?

LIDAMAS

Depuis quand dittes moy, voyez vous clair mon pére ? {p. 102=110}
Qu’en cette nouveauté, je me sens resjouy,        
1590 Et que je voy mon deüil* bientost esvanoüy.

CLEANTHE

Tout beau*, tout beau* mon fils, moderez vostre joye,
C’est un abus* à vous de croire que je voye,
Je n’ay quand j’ay retint vostre bras & ce fer,
Qu’entre-veu seulement une lueur dans l’Air,
1595 Au reste resistez à ces chaudes Allarmes*
Qui vous font sans sujet avoir recours aux Armes,
En quoy que ce Maraut ait pû vous offencer,
La meilleure vangeance est de n’y plus penser [.]
Parler à contre temps n’est que son ordinaire [, ]
1600 Comme de declarer les choses qu’il faut taire,
L’innocent* m’a bien dit, mais je ne le croy point,
Que vostre cœur aymoit Olimpe au dernier poinct,
Que vous brusliez pour elle, & qu’elle mesme encore,
Avoit quelque pitié du feu qui vous devore.

LIDAMAS

1605 Sylvestre en ce rapport a dit la Verité,
Je ne le cele* point Olimpe m’a dompté,
Et bien que cét aveu vous choque* & vous irrite,
Je n’ay pû sans l’aymer cognoistre son merite. {p. 103=111}
Mais qu’une telle Amour m’a fait souffrir de mal,
1610 J’ay mille fois rougy d’estre vostre rival,
Et mille fois [encor] ne sçachant plus que faire,
Je me suis opposé que vous estiez mon pére,
Ce vertueux combat d’Amour & de respect,
Entre Madame & moy s’est fait à vostre aspect*,
1615 N’osans par le discours vous découvrir nos Ames,
Nostre geste a tasché d’en mettre au jour les flames,
Vous le sçavez, Monsieur, tout s’est fait devant vous,
Et vos yeux s’ils parloient, le diroient mieux que nous.

CLEANTHE

Vous me venez de faire un discours bien estrange !
1620 Olimpe qui m’ayma me néglige & me change,
Un fils que je croyois en vertu sans esgal,
Son devoir en oubly, s’est rendu mon rival ?
Et ce qui plus encor me surprend & m’offence,
Si l’on croit vos discours, j’en ay pris connoissance.
1625 Mes yeux par plusieurs fois ont pû me rapporter,
Des feux que vostre aveu n’osoit manifester.
Falloit-il fils ingrat & plein de barbarie,
A la brutalité joindre la Raillerie ?
Et d’un discours picquant, impie & concerté,
1630 Vous rire insolamment de mon infirmité ?

LIDAMAS

A d’Autres desormais tenez un tel langage ; {p. 104=112}
Vous mettez hors de temps les feintes en usage,
Ne dissimulez plus, vostre Artifice* est sçeu,    
Et qui pensoit tromper, s’est luy-mesme deçeu.
1635 Nos traits* divertissants, nos galantes addresses*,
Prouvent que nous estions instruits de vos finesses.
Et si vous desiriez que je m’explique mieux,
Olimpe est sans attraits, ainsi que vous sans yeux.

CLEANTHE à Sylvestre.

Lasche, tu m’as trahy.

SYLVESTRE

Pardonnez-moy, mon Maistre.

LIDAMAS

1640 La verité de soy se fait assez connaistre.

CLEANTHE

Cependant je vous puis justement accuser
De promettre beaucoup, & de tout refuser.
Je devois posseder vostre corps & vostre Ame,
Lidamas toutesfois en joüira, Madame.
1645 Mais dittes pour excuse en Proverbe commun,
Que le pere & le fils, ne sont reputez qu’un. [P, 105=113]

OLIMPE

Je diray bien plustost dedans la bienseance,
Que mon jugement seul a fait mon inconstance,
Sçachant que vous feigniez d’estre aveugle vers moy,
1650 J’ay creu que mon abord* vous donnoit de l’effroy.
Et que vous ne faisiez cette feinte impreveuë,
Qu’afin de m’advertir d’éviter vostre veuë.
Donc si mon procedé vous a mal satisfait,
Blasmez-vous seul d’un mal que vous vous estes fait.

CLEANTHE

1655 La response est adroitte & l’excuse plausible,
Pour ce nouvel amant tesmoignez-vous sensible.
Je me repute* heureux qu’ayant à me quitter,
Vos yeux dessus mon fils ayent daigné s’arrester,
Apres ce sentiment de mon Amour esteinte,
1660 Apprenez-moy de qui vous avez sçeu ma feinte ?

SYLVESTRE bas.

Ils me vont declarer, je tremble de frayeur.
{p. 106=114}

Scène dernière §

Thelame, Melice, Nerine, Cleanthe, Olimpe, Lidamas, Sylvestre.

MELICE

Le fils de Parménon est arrivé, Monsieur,
Et le voicy qui vient vous offrir son service.

CLEANTHE

Ma fille il n’est plus temps, on sçait mon artifice*,
1665 Mon faux aveuglement a perdu son credit
Et s’explique autrement que je ne l’eusse dit,
Laissons la feinte à part, & reglans mieux les choses,
Tirons de vrais plaisirs, de veritables causes,
Disposez-vous tous quatre à vous donner demain,
1670 Devant les saincts Autels le cœur avec la main.

OLIMPE

Quoy donc l’Aversion conceuë envers Thelame ? …

CLEANTHE

Ainsi que vostre amour est dehors de mon Ame. {p. 107=115}

OLIMPE

Dittes-nous quel remede a pû vous en guerir.

CLEANTHE

Son insigne vertu qu’on ne peut trop cherir,
1675 Mais vous, dittes comment ma feinte est reconnuë.

LIDAMAS

Nous en ferons ailleurs l’histoire toute nuë,
Qui vous obligera d’avouer en l’oyant,
Que nous avons joüé*, l’Aveugle Clair-voyant.

CLEANTHE

Entrons.

SYLVESTRE

Toubeau* Monsieur, où courrez-vous si viste
1680 Vous arriverez bien, où vous irez au giste,
Avez-vous oublié mon Amour copieux ?

CLEANTHE à Olimpe.

Vostre suivante a pris mon valet par les yeux,
Madame consentez à ce beau mariage. {p. 108=116}

OLIMPE

J’y consens.

SYLVESTRE à Nerine.

J’auray soing de la paix du Mesnage,
1685 Et sans que je t’oblige à payer ma façon,
J’essairay dés demain à te faire un garçon.

Fin

Extraict du Privilege du Roy. §

Par grace & privilege du Roy donné à Paris le 10. jour de Novembre 1649. Signé, Par le Roy en son Conseil, Le Brun. Il est permis à Toussainct Quinet Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une piece de Theatre intitulée, L’Aveugle Clair-voyant, Comedie, du sieur Brosse, pendant le temps de cinq ans entiers & accomplis. Et defenses sont faites à tous Imprimeurs, Libraires & autres, de contrefaire le dit Livre, ny le vendre ou exposer en vente d’autre impression que de celle qu’il a fait faire, à peine de trois mil livres d’amende, & de tous despens, dommages & interests, ainsi qu’il est plus amplement porté par lesdites Lettres, qui sont en vertu du present extrait tenuës pour bien & deuëment signifiees, à ce qu’aucun n’en pretende cause d’ignorance.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois
le 2. Mars 1650.

Les exemplaires ont esté fournis.