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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Gautier de Coste, sieur de La Calprenède. Phalante. Tragédie.. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 24 sc. 201 répl. 6,5 l. 1 312 l. 1 312 l. 40 % 3 331 l. (100 %) 2,5 pers.
HELENE 13 sc. 54 répl. 7,2 l. 807 l. (62 %) 389 l. (30 %) 49 % 2 195 l. (66 %) 2,7 pers.
PHALANTE 13 sc. 62 répl. 8,2 l. 883 l. (68 %) 507 l. (39 %) 58 % 2 327 l. (70 %) 2,6 pers.
PHILOXENE 9 sc. 37 répl. 6,0 l. 443 l. (34 %) 221 l. (17 %) 50 % 1 203 l. (37 %) 2,7 pers.
TIMANDRE 5 sc. 13 répl. 6,6 l. 229 l. (18 %) 86 l. (7 %) 38 % 756 l. (23 %) 3,3 pers.
CLEOMEDE 6 sc. 9 répl. 3,5 l. 269 l. (21 %) 31 l. (3 %) 12 % 1 156 l. (35 %) 4,3 pers.
ARATE 2 sc. 3 répl. 9,3 l. 94 l. (8 %) 28 l. (3 %) 30 % 321 l. (10 %) 3,4 pers.
ARBANTE 6 sc. 8 répl. 2,1 l. 264 l. (21 %) 17 l. (2 %) 7 % 1 092 l. (33 %) 4,1 pers.
CLEONE 4 sc. 9 répl. 2,8 l. 208 l. (16 %) 25 l. (2 %) 13 % 840 l. (26 %) 4,0 pers.
AMINTE 3 sc. 5 répl. 1,3 l. 130 l. (10 %) 6 l. (1 %) 5 % 342 l. (11 %) 2,6 pers.
huissier 1 sc. 1 répl. 0,4 l. 5 l. (1 %) 0 l. (1 %) 9 % 20 l. (1 %) 4,0 pers.
Gautier de Coste, sieur de La Calprenède. Phalante. Tragédie.. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
HELENE 48 l. (100 %) 1 répl. 47,7 l. 1 sc. 48 l. (4 %) 1,0 pers.
HELENE
PHALANTE
199 l. (47 %) 31 répl. 6,4 l.
226 l. (54 %) 31 répl. 7,3 l.
5 sc. 424 l. (33 %) 2,9 pers.
HELENE
PHILOXENE
36 l. (29 %) 9 répl. 4,0 l.
92 l. (72 %) 9 répl. 10,2 l.
3 sc. 128 l. (10 %) 2,6 pers.
HELENE
TIMANDRE
20 l. (40 %) 5 répl. 3,9 l.
30 l. (61 %) 5 répl. 5,9 l.
2 sc. 49 l. (4 %) 3,0 pers.
HELENE
CLEOMEDE
2 l. (12 %) 1 répl. 1,5 l.
12 l. (89 %) 3 répl. 3,8 l.
3 sc. 13 l. (1 %) 4,3 pers.
HELENE
ARATE
31 l. (98 %) 1 répl. 30,4 l.
1 l. (3 %) 1 répl. 0,9 l.
1 sc. 31 l. (3 %) 3,0 pers.
HELENE
ARBANTE
10 l. (98 %) 3 répl. 3,1 l.
1 l. (3 %) 1 répl. 0,2 l.
1 sc. 9 l. (1 %) 5,0 pers.
HELENE
CLEONE
1 l. (59 %) 1 répl. 0,4 l.
1 l. (42 %) 1 répl. 0,3 l.
1 sc. 1 l. (1 %) 3,0 pers.
HELENE
AMINTE
47 l. (95 %) 2 répl. 23,0 l.
3 l. (6 %) 1 répl. 2,7 l.
1 sc. 49 l. (4 %) 2,0 pers.
PHALANTE 154 l. (100 %) 3 répl. 51,3 l. 3 sc. 154 l. (12 %) 1,0 pers.
PHALANTE
PHILOXENE
99 l. (58 %) 19 répl. 5,2 l.
73 l. (43 %) 16 répl. 4,5 l.
4 sc. 171 l. (14 %) 3,1 pers.
PHALANTE
TIMANDRE
6 l. (22 %) 1 répl. 5,3 l.
20 l. (79 %) 3 répl. 6,4 l.
2 sc. 25 l. (2 %) 3,5 pers.
PHALANTE
CLEOMEDE
3 l. (57 %) 1 répl. 2,6 l.
3 l. (44 %) 1 répl. 2,0 l.
1 sc. 5 l. (1 %) 5,0 pers.
PHALANTE
ARBANTE
1 l. (7 %) 1 répl. 0,7 l.
11 l. (94 %) 4 répl. 2,6 l.
4 sc. 11 l. (1 %) 4,1 pers.
PHALANTE
CLEONE
11 l. (97 %) 2 répl. 5,1 l.
1 l. (4 %) 1 répl. 0,4 l.
2 sc. 11 l. (1 %) 4,4 pers.
PHALANTE
AMINTE
10 l. (73 %) 4 répl. 2,3 l.
4 l. (28 %) 3 répl. 1,1 l.
1 sc. 12 l. (1 %) 3,0 pers.
PHILOXENE 29 l. (100 %) 1 répl. 28,2 l. 1 sc. 28 l. (3 %) 1,0 pers.
PHILOXENE
TIMANDRE
22 l. (42 %) 3 répl. 7,1 l.
30 l. (59 %) 2 répl. 14,8 l.
2 sc. 51 l. (4 %) 3,5 pers.
PHILOXENE
CLEONE
7 l. (23 %) 6 répl. 1,2 l.
25 l. (78 %) 5 répl. 4,8 l.
1 sc. 31 l. (3 %) 2,0 pers.
PHILOXENE
AMINTE
1 l. (63 %) 1 répl. 0,5 l.
1 l. (38 %) 1 répl. 0,3 l.
1 sc. 1 l. (1 %) 3,0 pers.
TIMANDRE
CLEOMEDE
8 l. (91 %) 3 répl. 2,6 l.
1 l. (10 %) 2 répl. 0,4 l.
2 sc. 9 l. (1 %) 4,4 pers.
CLEOMEDE
ARATE
15 l. (50 %) 1 répl. 15,0 l.
16 l. (51 %) 1 répl. 15,1 l.
1 sc. 30 l. (3 %) 3,4 pers.
CLEOMEDE
ARBANTE
3 l. (38 %) 2 répl. 1,1 l.
4 l. (63 %) 2 répl. 1,9 l.
2 sc. 6 l. (1 %) 4,4 pers.

Gautier de Coste, sieur de La Calprenède

1642

Phalante. Tragédie.

Édition de Camille Loiseau
sous la direction de Georges Forestier
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Mr de la Calprenède, Phalante. Tragédie, à Paris, Chez Antoine de Sommaville, au Palais en la Galerie des Merciers, à l'Écu de France, 1642.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Phalante. Tragédie §

EXTRAICT DU PRIVILEGE DU ROY. §

Par grace et Privilege du Roy, en datte du 3. jour de May 1641. signé par le Roy, en son Conseil le Brun. Il est permis à ANTOINE DE SOMMAVILLE Marchand Libraire à Paris, d’Imprimer ou faire imprimer une piece de Theatre intitulée PHALANTE TRAGEDIE, et ce durant le temps de cinq ans. Et deffence sont faictes à tous autres de quelque qualité et condition qu’ils soient d’en vendre d’autres que celle qu’aura faict imprimer ledit de Sommaville, sur les peines portées pas lesdites lettres.

Achevé d’imprimer le 12. Novembre, 1641.

ACTEURS. §

  • HELENE, Reyne de Corinthe.
  • PHALANTE, Prince estranger.
  • PHILOXENE, Prince de Corinthe.
  • TIMANDRE, Pere de Philoxene.
  • CLEOMEDE, Seigneur de Corinthe.
  • ARATE, Seigneur de Corinthe.
  • ARBANTE, Confident de Phalante.
  • CLEONE,
  • AMINTE, Demoiselles de la Reyne.
[A, 1]

ACTE I. §

SCENE PREMIERE. §

PHILOXENE, HELENE dans sa chambre.

PHILOXENE.

Ces regards enflammés que lancent vos beaus yeus,
Ne sont que des esclairs pour cet audacieus,
Et sa presomption a merité la foudre*,
Dont ils s’arment desja pour le reduire en poudre.
5 Ouy, Madame, il est juste, et vostre Majesté {p. 2}
Me doit enfin punir de ma temerité ;
J’abuse insolemment des bontés de ma Reine,
Du respect qu’un vassal doit à sa Souveraine,
Et dans* ma passion* je ne recognoy pas,
10 Et combien elle est haute, et combien je suis bas.
Mon audace a rendu ma faute irrémissible,
Ma flamme* est criminelle en tant qu’elle est visible,
Aussi n’ay-je peché qu’en vous la descouvrant,
Et je devois mourir, et me taire en mourant :
15 Mais quelque passion* qui rompe mon silence,
Ne m’en accusez point, on me fait violence,
Et ce Tyran des Dieux, d’un insolent pouvoir ;
Dans* mon aveuglement estouffe mon devoir,
Ma passion* l’emporte avec trop d’avantage,
20 Et ceux à qui vos yeux laissent encor l’usage,
Et de la cognoissance et du raisonnement*,
Quelques prudens qu’ils soient, manquent de jugement,
Si l’on brûloit pour vous d’une flamme* commune ;

HELENE.

Philoxene il suffit, ce discours m’importune,
25 Lassés-vous à la fin de me persecuter,
Comme ma patience est lasse d’escouter.

PHILOXENE.

Si pour vous adorer j’ay pû commettre un crime,
J’ay failly, {p. 3}

HELENE.

Ce n’est pas que je ne vous estime
Philoxene je sçay ce que vous meritez
30 Et pour vostre naissance et pour vos qualitez,
Mais quelques sentimens que l’estime me donne
Vostre amour me desplaist plus que vostre personne,
Et je vous rediray puisque vous m’y forcés,
Que vous devés guerir si vous vous cognoissés.

PHILOXENE.

35 Je me cognois Madame, et ceste amour extréme,
Qui m’a presque en naissant detaché de moy mesme,
Ne m’aveugle pas tant, que pour comble d’ennuys*
Je ne puisse juger qui j’ayme et qui je suis,
Si de vous adorer la gloire* est interdite,
40 A ceux que la grandeur, le sang et le merite,
Ne rendent point egaux à vostre Majesté,
Qui se pourra vanter de l’avoir merité ?
Mais si par les ardeurs d’une flame* eternelle
Par un profond respect, par un feu* plein de zele,
45 Par des preuves d’amour, de constance et de foy,
On le peut espérer, qui le doit mieux que moy ?
Tousjours vos volontés ont fait mes destinées*,
Je vous ay dedié mes premieres années.
Naissant je vous servis, et les Dieux sont tesmoins
50 Que le Sceptre à vos loix m’assujetit le moins,
Que mon cœur asservy du plus bas de mon âge, {p. 4}
Sans contrainte à vos pieds rendit un double hommage,
Et ne mesla jamais dans* ses sainctes ardeurs,
A l’interest d’amour l’interest des grandeurs :
55 Je fus deux fois subjet, vous deux fois Souveraine,
Et vivant avec gloire*, esclave de ma Reyne,
J’eus dés vos jeunes ans, eslevé pres de vous,
Et des bon-heurs plus grands, et des momens plus dous.
Vous excusiez pour lors ma passion* naissante,
60 Qui vous entretenoit d’un amour innocente,
Vostre esprit jeune encor differoit mon trespas,
Et me pleignoit d’un mal qu’il ne cognoissoit pas.
Mais helas ! que le Ciel a mis de difference
A la suitte d’un bien si grand dans sa naissance !
65 Mon cœur ne changea point, mais le vostre changea,
Si-tost que sous vos loix Corinthe se rangea :
Quand vostre dignité s’accrut avec vostre aage,
Et que la majesté qui brille en ce visage,
Receut d’une couronne un esclat tout nouveau,
70 Toute mon esperance entra dans le tombeau,
Vous ne cogneustes plus le pauvre Philoxene,
Son amour seulement fit naistre votre haine,
Et ce ressentiment* qui vous peut animer
Ne vous le fait haïr que pour vous trop aymer.

HELENE.

75 Si je vous haïssois autant que vous le dites,
Je me garantirois de toutes vos visites.
Et ne preferant point vostre repos au mien, {p. 5}
Je me delivrerois d’un facheux entretien,
Suffit que je vous soufre et que trop indulgente,

SCENE II. §

CLEONE, HELENE, PHILOXENE, UN HUISSIER.

CLEONE.

80 Madame, quelqu’un vient.

HUISSIER.

C’est le Prince Phalante.

HELENE.

Qu’il entre ; le cruel revient pour m’affliger,
Mais non pas pour me plaindre ou pour me soulager,
Ah ! l’ingrat, le voicy, cache un peu ta foiblesse.

PHILOXENE.

Qu’il arrive à propos, cher amy je vous laisse,
85 Ma vie est en vos mains et j’attens tout de vous.
{p. 6}

SCENE III. §

HELENE, PHALANTE.

HELENE.

Depuis que vos malheurs sont des bon-heurs pour nous,
Et que nous benissons le succés de ces guerres,
Qui pour nous visiter vous font quitter vos terres,
Treuvez vous parmy nous un divertissement
90 Qui puisse soulager vostre bannissement,
Car apres les grandeurs qu’il eust dans sa province,
Ma Cour* est un exil pour un si brave Prince.
Mais pourtant un exil qui peut estre adoucy,
Par l’absolu pouvoir que vous avez icy.

PHALANTE.

95 Madame, vos bontez sont pour moy sans limites
Et m’ayant honoré* par dessus mes merites,
Vos faveurs m’ont fait tort, m’ayant mis en estat,
Ou de mourir pour vous, ou de mourir ingrat,
Que peut un mal-heureux que les Dieux et la guerre,
100 Font errer fugitif de sa natale terre ?
Et qui devoit perir si vostre Majesté
N’eut soulagé sa perte avec tant de bonté ;
Certes de tous les maux dont le ciel persecute
Celuy que son courroux semble avoir pris en butte. {p. 7}
105 La plus vive douleur qu’il pouvoit recevoir,
C’est de vous devoir tant et de ne rien pouvoir :
Vous avez relevé ma dignité panchante,
Recueilly les debris de ma fortune* errante,
Et par mille faveurs et par mille bien-faits
110 Vous m’avez mis plus haut que je ne fus jamais.
Aussy de quelque aigreur dont la fortune* averse
Dans* mes plus beaux desseins sans cesse me traverse*,
Je la voudrois benir et tous mes ennemis,
De l’estat glorieux où leur rage m’a mis.
115 Si de tant de bon-heur dont vous estes la source,
Un sensible regret ne traversoit* la course,
Un regret qui me tuë, et qui fera perir,
Ce qu’en vain vos bontez ont daigné secourir ;
Pardonnez un discours que la douleur arrache.

HELENE.

120 Ce n’est pas tout Phalante, il faut que je le sçache,
Et si par mon credit il se peut soulager,
Je ne refuse rien qui vous puisse obliger,
Souffrez* ma confidence, et recevez mon ayde.

PHALANTE.

De vous seule depend le mal et le remede
125 Et vostre charité du tombeau tirera
Et l’amy qui se meurt, et l’amy qui moura.
Ce n’est pas d’aujourd’huy que ma bouche importune*
Regrette à vos genous sa mauvaise fortune*, {p. 8}
Et qu’affligé d’un mal que je souffre à demy,
130 Je demande à vos pieds le salut* d’un amy.
Certes si la pitié peut attendrir une ame,
Et si quelque rayon de la plus belle flame*,
Dont le cœur d’un amant* fut jamais embrasé,
Peut toucher de son mal celle qui l’a causé,
135 Vous estes obligée à soulager la peine*
Qu’on voit souffrir pour vous au pauvre Philoxene.
Jamais cœur ne brusla dans* un si grand respect,
Et bien que l’amitié* me peut rendre suspect,
J’atteste des grands Dieux la puissance supréme
140 Que jamais un mortel n’ayma comme il vous ayme :
C’est de ceste pitié que naissent tous mes soins*,
Et cet estroit lien dont nos esprits sont joints.
Quelque bien, quelque mal, quelque honneur* qu’on me face
M’a rendu mal-heureux dans* sa seule disgrace.

HELENE.

145 Belle et digne amitié* d’un cœur si genereus,
Que dans* tous les malheurs Philoxene est heureus,
D’avoir fait un amy dont la vertu trop haute,
Compatit à ses maus, et souffre pour sa faute.
Mais puis qu’une si forte et si rare amitié*,
150 Vous a pour son malheur donné quelque pitié,
Et que vous ressentez la peine* qu’il merite,
Pour son ambition trop douce et trop petite,
Donnez luy desormais le conseil de guerir,
Puisque ce cœur ingrat ne le peut secourir. [B, 9]
155 C’est, quoy que son erreur luy face encor pretendre,
L’office* le meilleur que vous luy puissiez rendre ;
Il vous croira sans doute, et par raisonnement*
Il se retirera de son aveuglement :
Employez-y vos soins*.

PHALANTE.

O ciel ! est-il possible
160 Qu’à tant de passion* vostre cœur insensible
A cét Amant* fidele ordonne le trespas,
Puis que sans ce remede il ne guerira pas ?
Ceux qui peuvent sentir les atteintes mortelles
Dont vos yeux ont blessé les ames les plus belles,
165 Quoy que fassent pour eux le temps et la raison*,
Dans la mort seulement treuvent leur guerison :
Certes si vous pouviez sans mépris ou sans haine
Considerer les maux du pauvre Philoxene.
Et voir le triste estat où vous l’avez reduit
170 Depuis qu’il vous adore avec si peu de fruit,
Vous verriez qu’un conseil d’une telle nature,
Au lieu de l’adoucir aigriroit sa blessure.
Helas combien de fois pasle et sans mouvement,
Ses yeux devers le ciel eslevez lentement,
175 Ses yeux à qui des pleurs la course continuë,
Auroit presque ravy l’usage de la veuë,
L’ay-je veu demander pour un dernier secours
La fin de vos rigueurs dans* la fin de ses jours ?
Il est vray, ses douleurs faisoient naistre les miennes, {p. 10}
180 Mes larmes, je l’avouë, accompagnoient les siennes,
Mon ame par pitié blâmoit vostre rigueur,
Et ses ardans souspirs me touchoient jusqu’au cœur,
Ce fut cette pitié qui me fit temeraire,
Et bien que le respect m’obligeât à me taire,
185 Cette compassion me le fit violer,
Et pour le secourir me força de parler,
Mais Dieux ! que mes discours ont eu peu d’eficace,
Mes importunitez* augmentent sa disgrace,
Et redoublent le mal qui l’accable aujourd’huy,
190 Parce qu’un mal-heureux intercede pour luy.

HELENE.

Faut-il que ce discours si vivement me touche,
Et que pour Philoxene il sorte de sa bouche :
O Dieux ! qui l’escoutez, puis qu’il s’adresse à moy,
Que ne permettez-vous qu’il le fasse pour soy ?
195 Mais c’est trop endurer, haste ta destinée*,
Force ce dur silence où tu t’es condamnée,
Et puis que ton brasier ne se peut plus cacher
Esprouve* la bonté d’un ennemy si cher,
Il n’est point insensible, et ce visage aymable,
200 N’est point sorty des flancs d’une ourse impitoyable,
S’il n’est plus endurcy qu’un tronc ou qu’un rocher :
Tes yeux ont des attraits qui le pourront toucher,
Force cette pudeur qui te fait violence.
Ah ! pardon, ma vertu,

PHALANTE.

{p. 11}
La princesse balance,
205 Sans doute mes discours auront fait quelque fruit.
Ah ! cruauté du ciel où m’avez-vous reduit ?
Faut-il que je poursuive avecque tant d’envie,
Dans* le bien d’un amy la perte de ma vie ?
Que je donne vainqueur ma vie à l’amitié*,
210 Ou que n’obtenant rien je meure de pitié ?

HELENE.

Ma vertu, ma pudeur, mon action vous blesse,
Mais à ma passion* pardonnez ma foiblesse,
Ma flamme* est innocente et n’a point de penser,
Pure et chaste qu’elle est, qui vous puisse offenser,
215 Je peche seulement contre la bien-seance,
Et ne vous choque point qu’en forçant le silence.
Phalante, pardonnez mon incivilité*
Aux mouvemens divers* d’un esprit agité ;
Mon ame dans* l’estat où vous l’avez reduite,
220 Par les puissants efforts d’une ardante poursuite,
Faisoit reflexion à tant de qualitez,
Et d’actes de vertu dont vous nous enchantez :
Et certes Philoxene a bien plus d’avantage
Ayant receu du ciel ce glorieux partage,
225 D’un amy vertueux et brave comme vous,
Que je n’en ay d’un Sceptre, et d’un regne assez doux.
Aussi vostre merite et ce que je defere {p. 12}
Au vouloir d’un amy dont la vertu m’est chere,
Produiroient dans mon cœur de plus puissans effets,
230 Que son affection* n’en produira jamais :
Si mon ame desja n’estoit préoccupée,
Et si le coup mortel dont je la sens frappée,
Me laissoit de mon cœur disposer un moment,
Afin de satisfaire un amy si charmant ;
235 Helas ! j’en ay trop dit, et vous pouvez connoistre,
Ce que ma passion* malgré moy fait paroistre,
Espargnez à ma honte une confession,
Que je ne vous feray qu’à ma confusion :
Car bien que mon esprit soit sans tache et sans crime,
240 Cette vive couleur que la pudeur imprime
Sur mon front innocent, m’a desja reproché,
Qu’il en falloit rougir ainsi que d’un peché :
En fin Phalante, j’ayme, ô Dieu ! ce mot me tuë.

PHALANTE.

Doncques pour mon amy l’esperance est perduë
245 Quoy vous aymez Madame, et son zele et sa foy.

HELENE.

Croyez que son repos ne depend plus de moy,
Et confessez aussi qu’en cette confidence,
Philoxene tesmoigne une haute imprudence :
Pour gaigner sur mon cœur beaucoup plus qu’il n’a fait,
250 Il se devoit passer d’un amy si parfait, {p. 13}
Raisonner* dans ce choix s’il en estoit capable,
Juger qui de vous deux estoit le plus aymable,
Et pour donner l’employ qu’il vous donne aujourd’huy,
Prendre un intercesseur qui le fut moins que luy.
255 O Dieux ! ma honte icy n’est que trop manifeste,
Phalante j’en dis trop, dispensez moy du reste,
Et ne me forcez point contre ce que je doy,
A vous faire un adveu trop indigne de moy :
Lisez-le dans mes yeux et dessus mon visage,
260 Ils ne parlent que trop à mon desadvantage :
Ils sont assez changez par la honte qu’ils ont,
Et paroissent confus de l’office* qu’ils font.

PHALANTE.

O Dieux ! que deviendray-je ? ah ! Madame.

HELENE.

De grace,
Dequoy que mon destin* me flatte ou me menace,
265 Faites reflection encore un peu de temps,
Avant que prononcer l’arrest que j’en attends.
Et que pour mon repos vostre bonté permette,
Qu’apres ce grand effort mon ame se remette :
Elle est toute troublée* en cette extremité,
270 Adieu pardonnez-moy cette incivilité*.
{p. 14}

SCENE IV. §

HELENE, AMINTE.

HELENE.

Restes d’une pudeur laschement offensée,
Dignité de mon Sceptre indignement blessée,
Manes de mes parens, noble suite d’ayeux,
De qui l’illustre sang sortit du sang des Dieux,
275 Vous que j’offence tous d’une mortelle injure,
Pardonnez-moy ma faute, amour vous en conjure,
Et cet Imperieux par son authorité
La veut rendre excusable à la posterité.
J’ay peché par contrainte, et mon ame esperduë,
280 Avant que de ceder s’est long-temps defenduë.
Ma vertu mille fois m’a mis devant les yeux,
Le soin* de mon honneur*, mon rang et mes ayeux,
M’a cent fois remonstré le tort irreparable
Que mon sang recevoit d’un feu* si condamnable,
285 Que ma faute outrageoit les vivans et les morts,
Et contre ce Tyran a fait de vains efforts.
O pretexte honteux dont mon ame s’abuse,
J’ay failly, j’ay failly, mon front mesme m’accuse.
Si je n’estois coupable, il ne rougiroit point,
290 Vous, que ma passion* outrage au dernier poinct,
Honneur*, couronne, ayeux, n’excusez plus ma faute, {p. 15}
Je devois maintenir cette Majesté haute,
Conserver l’asseurance à ce front couronné,
Et mourir dans le rang que vous m’avez donné,
295 Je devois estouffer une naissante flame*,
Et si le ciel jaloux ne me pourveut d’une ame
Digne de ma naissance et du rang que je tiens,
Pour refuser un joug et d’indignes liens,
Je devois pour le moins me faire violence,
300 Cacher un feu* honteux, mourir dans mon silence,
Et m’arracher plustost ce vil et lasche cœur,
Qu’implorer la mercy d’un insolent vainqueur :
Que sçay-je si desja cette estrange* ouverture
Aura fait à ma gloire* une mortelle injure ?
305 Si l’ingrat l’a receuë avecque du mespris,
Et si sans le combat il dedaigne le prix ?
Peut estre que desja tes flames* importunes*
Passent dans son esprit pour ses moindres fortunes*,
Et qu’il conte une Reyne entre mille beautés,
310 De qui la passion* flatte ses vanités :
Ah ! si tu soûpirois pour un mal volontaire,
Helene tu devois ou mourir ou le taire :
Estaindre pour jamais, ou cacher ton flambeau,
Et ne le pouvant plus l’estouffer au tombeau.
315 O protecteur des Roys et Demon tutelaire,
Et vous grand Dieu des mers que Corinthe revere,
Vous qui lui fistes voye, et vistes ses vaisseaux
Errans et vagabonds sur le front de vos eaux,
Pourquoy pour le salut* de cette infortunée, {p. 16}
320 N’avez-vous de nos bords destourné cét Enée,
Qui desja dans mon ame à ma confusion,
Allume un plus grand feu que celui d’Ilion.
Si je devois brusler pourquoy dedans son ame
N’allumiez-vous de mesme.

AMINTE.

Esperez-le Madame,
325 Bannissez cette crainte, et recognoissez mieux,
Cet amour qui triomphe et brille dans vos yeux :
Si l’on n’en doit juger que selon l’apparance,

HELENE.

Dans* cette affection* j’ay bien peu d’esperance :
Et j’ay d’un mal prochain cent presages mauvais :
330 Cent tristes visions, cent songes que j’ay faits,
Menacent cest amour d’une funeste issuë,
Grands Dieux si dans* ma peur je ne suis point deceuë*,
Et si vous haïssez un feu* qui me fait tort,
Envoyez moy bien-tost le remede ou la mort.
{p. C, 17}

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

TIMANDRE, PHALANTE, PHILOXENE.

TIMANDRE.

335 Nous serions trop ingrats à tant de bons offices*,
Dont vous avez desja prévenu* nos services,
Si nous ne vous pressions pour apprendre de vous
La cause d’un chagrin qui nous afflige tous,
Vous estes tout changé d’humeur et de visage,
340 Et je cognois trop bien ce genereux courage,
Qui s’est tousjours muny d’une haute vertu,
Et que tant de revers ont en vain combatu,
Pour craindre que des maux de si peu d’importance,
En puissent esbranler l’invincible constance :
345 Si des rebellions ont troublé* vostre Estat,
Si vous avez perdu vostre premier estat, {p. 18}
Et s’il vous faut ceder au malheur d’une guerre,
Qui vous fait esloigner de vostre ingrate terre :
Pour le moins vostre sort* me paroist assez doux
350 Dans le port asseuré qu’il vous offre chez nous
Icy tout vous adore et jamais autre prince,
Ne fut plus reveré dans sa propre province,
Vostre vertu d’abord a produit mille effets,
Vous a gaigné des cœurs, vous a fait des subjets
355 Vous a fait surmonter et l’enuie et la haine,
Et vous a si bien mis dans l’esprit de la Reyne,
Que pour cette bonté qui les oblige tous,
Les Princes du pays n’ont plus recours qu’à vous ;
Mesmes vos interest* l’ont si fort animée,
360 Qu’elle rompt l’alliance, et forme un corps d’armée :
Vous donnant le secours qu’elle vous a promis,
Pour vous aller servir contre vos ennemis.
Phalante ces raisons me font assez cognoistre,
Que ce nouveau chagrin que vos yeux font paroistre :
365 Et la vive douleur qui vous change à ce poinct,
Ont quelque autre subjet que nous ne sçavons point.
Si l’amitié* jurée, et quelque experience,
Ont merité l’honneur* de vostre confidence,
Ne dissimulez-plus à des amis discrets,
370 Vos soings* plus importans, et vos maux plus secrets.

PHILOXENE.

Quelques vaines raisons que sa froideur m’oppose,
Si Phalante pouvoit me cacher quelque chose, {p. 19}
J’aurois subjet de plainte, et croirois desormais,
N’en estant plus aymé qu’il ne m’ayma jamais.
375 Je vous conjure donc par toute la franchise,
Et toute l’amitié* que vous m’avez promise,
De ne me cacher plus ce qui me fait mourir,
Et pour vous soulager s’il ne faut que perir,
S’il ne faut prodiguer que mon sang et ma vie,
380 Soyés tres-asseuré que j’en brusle d’envie,
Et que pour vous servir j’embrasseray la mort.

PHALANTE.

C’est assez, cher amy, ce penser me fait tort :
Et vous avez blessé l’amitié* qui nous lie
En souffrant* ce soupçon de ma melancholie*,
385 Mon cœur vous est ouvert les Dieux m’en sont tesmoings :
Mais c’est vostre malheur qui causera mes soings*,
Vostre seul desplaisir fait naistre ma tristesse,
Et dans* vos passions* mon ame s’interesse*,
Et ressent vos ennuys* avec tant de douleur
390 Que vos moindres soucis me touchent jusqu’au cœur,
Je meurs du desplaisir de vous estre inutile,
De prier vainement un esprit indocile ;
Et de voir qu’en l’estat où vous estes reduit
J’intercede pour vous avec si peu de fruit ;
395 Si la Reyne agreoit vos fideles services,
Mon ame en vous servant gousteroit ses delices,
Et preferant ainsi vos interest aux miens, {p. 20}
Elle oublieroit ses maux pour ressentir vos biens :
De tous mes desplaisirs voila la seule cause,
400 Pour m’affliger si fort mes maux sont peu de chose,
Et je n’ay ressenty que des coups bien legers,
En perdant des honneurs* et des biens passagers :
Quoy qu’ayt fait contre moy la fortune* outrageuse
La mienne aupres de vous est trop avantageuse,
405 J’aime trop Philoxene et l’amitié* des siens
Pour regretter encor la perte de mes biens :
Ce lien qui nous joint d’une amitié* parfaite
A de tant de bon-heur honoré* ma retraite*,
Que je croirois mon sort* plus heureux que jamais,
410 Si pour vous le bon-heur secondoit mes souhaits,
Et si de vos malheurs mon ame combatuë,
Ne ressentoit pour vous,

PHILOXENE.

Ah ! ce discours me tuë :
Juste ciel falloit-il pour comble de douleur,
Qu’un innocent amy partageât mon malheur,
415 Et que n’ayans qu’un cœur et qu’une ame commune,
Nous ne deussions avoir qu’une mesme fortune* ?
Certes, de tous les coups de mon sort* rigoureux
C’est là le plus sensible et le plus douloureux,
Et mon mal ne pouvoit venir au poinct extreme,
420 Qu’en se communiquant à cet autre moy-mesme.
Malheureux Philoxene, Amant* infortuné, {p. 21}
Regarde à quelle fin le ciel t’a destiné*,
Voy de quelle rigueur sa cholere t’accable,
Il fait de ta misere un autre miserable :
425 Et punit de ta faute un innocent amy,
Pour voir perir un tout qui souffroit à demy.
Ah ! Phalante, c’est trop, et je hay trop ma vie,
Dans* les maux eternels dont je la voy suivie,
Pour souhaitter encor qu’elle dure à ce prix,
430 Laissons, laissons Helene avecque ses mépris :
S’ils ne m’ont pû guerir que la mort m’en delivre,
Mon amour l’importune* et je suis las de vivre.
Philoxene au tombeau n’importunera* plus
La Reyne et son amy par des soins* superflus,
435 Et le profond repos qu’il goustera luy-mesme,
Dans* un mesme repos mettra tout ce qu’il ayme.

TIMANDRE.

La Reyne le méprise avec peu de raison*,
Elle doit mieux traitter une illustre maison :
Et juger quelque rang qu’un changement nous donne,
440 Qu’autrefois nos ayeulx ont porté sa couronne,
Je suis subjet, mais Prince, et son pere en mourant
Fit de nostre maison un cas bien different,
Et mettant en mes mains son Sceptre et sa famille,
Il me nomma Regent et Tuteur de sa fille :
445 Quelque faiste d’honneur* où je fusse monté,
Je n’abusay jamais de cette authorité. {p. 22}
Je pouvois au despens d’une foible jeunesse,
Agrandir ma maison des biens que je luy laisse :
Et me rendre si grand qu’elle eut bien souhaitté,
450 Celuy qu’elle rejette avec indignité,
Mais le ciel m’est tesmoin qu’en ma charge importune*,
Je ne consideray ny moy ny ma fortune* :
Et quoy que ce pays deust beaucoup à mes soins*,
Que de tous mes voisins j’y profitay le moins,
455 Certes sa Majesté le devroit mieux cognoistre
Que par ce grand mépris qu’elle nous fait paroistre
Et mieux considerer le merite et le sang,
De ceux qui dans l’Estat tiennent le premier rang.

PHALANTE.

Il m’est encor resté quelque peu d’esperance,
460 Qu’on la pourra gaigner par la perseverance ;
Et je croy qu’à la fin son ame se rendra,
Du moins pour vous servir Phalante se perdra :
Et quand pour ce dessein il donneroit sa vie,
Il la croira toujours heureusement ravie,
465 Si le ciel luy permet de la perdre pour vous ;

PHILOXENE.

O Dieu ! qu’en mes malheurs ce souvenir m’est doux,
Et que j’ay de bonheur parmy tant de disgrace,
D’avoir fait un amy,

PHALANTE.

{p. 23}
Souffrez* que je vous chasse :
Adieu laissez moy seul y rever un moment,
470 Vous trouverez la Reyne en son appartement.

SCENE II. §

ARBANTE, PHALANTE.

ARBANTE.

Seigneur de quelque soing* que vostre ame agitée,
Déguise la douleur dont elle est tourmentée,
Je voy bien au travers de ce déguisement,
Ce qu’à ma passion* vous cachez vainement.
475 Pardonnez-moy Seigneur, si je vous importune*,
Mais vous n’aurez jamais de mauvaise fortune* :
Que mon affection* ne ressente avec vous,
Si pour s’en décharger un mal devient plus doux,
Et si vous conservez encor quelque memoire,
480 D’une fidelité qui fut toute ma gloire*,
Recompensez Seigneur, ces preuves de ma foy.

PHALANTE.

Je n’ay rien à te dire, Arbante laisse moy,
{p. 24}

SCENE III. §

PHALANTE seul.

Enfin je reste seul, et cette ingrate flame*,
Qui sans aucun espoir tirannise mon ame,
485 Peut enfin éclater à la clarté des cieux.
Chers tesmoins de mon mal, tristes et sombres lieux,
Vous que j’ay seuls jugez capables d’un silence,
Digne de mon secret et de ma confidence :
Puis qu’à vous seulement j’évente mes regrets,
490 De grace en ma faveur soyez tousjours secrets ;
Et ne parlez jamais de ce malheur extreme,
Que mon ame a regret d’avoüer à soy-mesme.
Ciel qui penetrez seul mes plus cachez ennuis*,
Vis-tu jamais un homme en l’estat où je suis ?
495 Et toy, dont les rayons esclairent tout le monde,
Cognois-tu de fortune* à la mienne seconde ?
Dans* l’estat deplorable où mon destin* m’a mis,
Je suis le plus cruel de tous mes ennemis.
J’ayme, et je suis aymé, mais mon malheur extreme
500 Me vient de mon amour, me vient de ce qu’on m’ayme,
Et je ne serois pas malheureux à ce point
Si l’on ne m’aymoit pas et si je n’aymois point.
L’amitié* m’a reduit à ce point de misere, {p. D, 25}
Que dans* ma passion* j’ay plus que je n’espere :
505 Mais me sacrifiant pour le salut* d’autruy,
J’ay ce que je souhaitte, et j’ay ce que je fuy :
Cet amour qui déja tient mon ame captive,
Si je ne suis aymé ne veut pas que je vive.
On m’ayme, et dans* ce bien qui me doit conserver
510 Je rencontre la mort au lieu de me sauver.
Ces soins* où je m’attache avecque tant d’envie,
Servent moins mon amy qu’ils n’attaquent ma vie,
Et faisant sur mon ame un pitoyable effort,
En cherchant son salut* je demande ma mort.
515 Ah ! Phalante, ennemy du salut* de Phalante,
Laisse, laisse en repos ton ame languissante,
Et devenant plus doux ne persecute plus
Phalante que tu perds par tes soins* superflus.
Ce que ton amitié* pour Philoxene essaye,
520 Ne sert point ton amy, mais rengrege ta playe,
Et t’animant toy-mesme à te persecuter,
Tu le rends odieux au lieu de l’assister.
Les interests* d’autruy deffendent-ils les nostres,
Et se doit-on haïr pour bien aymer les autres ?
525 Ton amy satisfait des preuves de ta foy,
Ne peux-tu pas avoir quelque amitié* pour toy ?
Puis que tous ses devoirs ne touchent point la Reyne,
Et que pour son repos ton assistance est vaine,
Pourquoy ton amitié* s’obstine desormais
530 Sans fruit et sans espoir de le servir jamais ?
Crains-tu que ton amy luy-mesme ne t’excuse, {p. 26}
Qu’il ne te cede point un bien qu’on luy refuse,
Et qu’il ne soit content de te voir posseder
Ce que ton amitié* ne luy peut accorder.
535 Ah ! pardon, amitié* mortellement blessée,
Une si criminelle et si lasche pensée,
Quoy que ma passion* pour elle ait combatu,
Est indigne d’un Prince et dément ma vertu :
Lascheté qui me tuë et qui me deshonore*,
540 Quoy tu pourras trahir un amy qui t’adore,
Et sans considerer ta vie et ton honneur*,
Tu pourras sur sa perte establir ton bon-heur ?
Donc ce fidele amy n’aura dans* ta retraitte*,
Honoré* ton abord d’une amitié* parfaitte,
545 Et sans autre interest que de l’affection*,
N’aura pris tant de part dans* ton affliction,
Doncques dans* ton malheur et le fils et le pere,
N’auront de tous leurs biens assisté ta misere,
T’honorans* comme un Dieu dans leur propre maison,
550 Que pour se voir payez par une trahison :
O de tant de bien-faits indigne recompense !
Beaux effets de tes soins* et de ton assistance,
C’est ce qu’il attendoit de tes nobles desseins,
Lors qu’il mit l’innocent, sa vie entre tes mains,
555 Et qu’il t’ouvrit son ame avec tant de franchise,
Sur l’espoir décevant* d’une amitié* promise,
Il reste seulement que de ta propre main,
Sans aucune pitié tu luy perces le sein,
Et portes dans son cœur mille atteintes mortelles, {p. 27}
560 Pour suivre en liberté tes flames* criminelles.
C’est le plus doux pour luy, car enfin n’attends pas
Qu’il en puisse estre quitte à moins que du trespas ;
Que se voyant trahy par un autre soy-mesme,
Que voyant à ses yeux enlever ce qu’il ayme :
565 Quoy que sa vertu fasse avec tous ses efforts,
Ce malheureux Amant* ne souffre mille morts.
Ah ! ne revenez plus lâche, lâche pensée,
Fuyez d’une vertu que vous avez blessée :
L’amour et Philoxene ont partagé mon cœur,
570 Mais l’amour est vaincu, Philoxene vainqueur,
L’amour seul est trop foible, et quoy qu’il me prepare,
Enfin pour mon amy ma vertu se declare :
Il est assez puissant l’ayant de son party,
Ce que ma passion* peut contre mon amy,
575 Malgré sa violence, et son pouvoir supreme,
Ma vertu qui le sert le fait contre elle-mesme :
Philoxene revien, amy tu m’as vaincu,
Et si pour ton repos j’ay desja trop vescu,
Si ma presence nuit à ta bonne fortune*,
580 Je sçauray retrancher une vie importune*,
Avant que mon amour t’oblige à me haïr,
Et que ce mesme amour me force à te trahir.
Mais j’apperçois la Reyne, ô rencontre cruelle !
Que dois-je devenir, dois-je m’esloigner d’elle ?
585 Evite son abord, fuy miserable fuy.
{p. 28}

SCENE IV §

HELENE, CLEONE, PHALANTE.

HELENE.

Ne vois-je pas Phalante ?

CLEONE.

Oüy Madame, c’est luy.

PHALANTE.

Mais je suis découvert, ah ! deffend toy, mon ame,
Arme toy de vertu, cache, cache ta flame*,
Et ne relâche point de tes premiers desseins.

HELENE.

590 Quoy tu trembles mon cœur ! quoy mon ame tu crains !
Et sembles redouter la mortelle sentence :
Mais le voicy l’ingrat, arme toy de constance.

PHALANTE.

Je craignois d’approcher de vostre Majesté,
Et m’allois retirer dans ce bois escarté,
595 Pour n’interrompre point vos secrettes pensées.

HELENE.

{p. 29}
Ah ! Phalante, à vous seul elles sont adressées,
Et si la solitude a pour moy rien de doux,
Je l’ayme seulement pour mieux songer à vous.
Depuis que pour vous seul mon esprit est malade,
600 Je gouste des douceurs dans cette promenade,
Qui me font oublier le soing* de mes estats,
Pour trouver du repos loing de tant d’embarras,
C’est icy que je cherche à resver et me plaindre,
Et ce n’est que pour vous, il n’est plus temps de feindre.
605 J’ay tout franchy Phalante, et je vous ay fait voir,
Malgré l’honneur* du sexe, et malgré mon devoir,
Forçant mon naturel, mon silence et ma crainte,
De quelle passion* mon ame estoit atteinte :
Je n’en ay que trop dit, et quelque affection*
610 Qui puisse authoriser une indigne action,
Je devois conserver ce pouvoir sur mon ame,
De souffrir sans parler, ou de mourir sans blâme :
J’ay fait une bassesse indigne de mon rang,
Qui blesse ma beauté, mon courage et mon sang,
615 Et vous donne sans doute une injuste croyance,
D’une facilité* dont ma vertu s’offence.
Mais si vous le pouvez apres l’impression
Qu’aura fait sur vostre ame une telle action,
Ne souffrez* point de grace un penser qui m’outrage,
620 Et ne soupçonnez rien à mon desavantage,
Je vous ayme, et mon mal vous est assez connu : {p. 30}
Mais à quelque degré qu’il soit déja venu,
Quelque transport* estrange*, et quelque violence,
Qui contre mon devoir ayt rompu mon silence,
625 La plus haute vertu ne se peut offencer,
De mon plus criminel et plus lasche penser,
Et je puis esperer sans reproche et sans blâme,
Le remede du mal, et le repos de l’ame :
Estant si bien instruit de mon intention,
630 Que ne respondez-vous à mon affection*,
Que ne m’apprenez-vous ce que j’en puis attendre,
Vostre silence, ô Dieux ! me le fait trop comprendre,
Vous en estes confus, vous rougissez pour moy,
Et ce discours muët m’apprend ce que je doy.

PHALANTE.

635 Que vostre Majesté ne trouve point estrange*,
Si par un tel discours mon visage se change,
Et si je fais paroistre en cette occasion,
Et mon estonnement* et ma confusion.
Je suis surpris, Madame, il faut que je l’avoüe,
640 Et celuy dont le Sort* incessamment se joüe,
En le precipitant dans* les adversitez,
Dont il est soulagé par vos seules bontez,
Quoy qu’il receut de vous des graces tres-insignes,
N’attendoit pas un bien dont les Dieux sont indignes.
645 Cet honneur* m’ébloüit, et je ne le reçoy,
Indigne que j’en suis que comme je le doy.
Un Dieu rechercheroit ceste bonne fortune*. {p. 31}

CLEONE.

Arate et Cleomede.

HELENE.

O surprise importune*,
Ces gardes ont failly, je l’avois deffendu.

PHALANTE.

650 Helas ! sans ce secours Phalante estoit perdu.

SCENE V. §

HELENE, CLEOMEDE.

HELENE.

Phalante une autre fois vous me direz le reste,
J’en attends le succez favorable ou funeste.

CLEOMEDE.

Madame pardonnez nostre importunité*,
On n’attend au conseil que vostre Majesté,
655 Et l’affaire qu’on traitte est assez importante
Pour divertir un peu,

HELENE.

{p. 32}
Vous en serez, Phalante.

PHALANTE.

Vous me comblez d’honneur*.

HELENE.

Venez donc avec nous.
Je ne veux rien oüir ny resoudre sans vous.

Fin du second Acte.

[E, 33]

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

PHILOXENE, CLEONE.

PHILOXENE.

La Reyne ayme Phalante.

CLEONE.

Oüy Seigneur.

PHILOXENE.

Ah ! Cleone,
660 Regarde la douleur que ce discours me donne,
Et si ton amitié* ne me peut secourir,
Du moins n’invente rien qui me fasse mourir :
Tu lances sur ma vie une mortelle foudre*,

CLEONE.

Asseurez vous, Seigneur, qu’avant que m’y resoudre, {p. 34}
665 Je n’ay point épargné ma peine* ny mes soins*,
J’ay tout ozé pour vous, les Dieux m’en sont témoins :
Et que pour destourner le coup qui vous menace,
Je n’ay point redouté d’encourir sa disgrace,
J’ay forcé le respect et la discretion
670 Pour condamner cent fois sa folle passion* :
Et cent fois m’opposant à cette amour naissante,
Contre mes sentimens j’ay médit de Phalante.

PHILOXENE.

Tu m’offençois Cleone, et quoy que mon salut*,

CLEONE.

Croyez qu’en mes discours j’avois un autre but,
675 Et que je travaillois à forcer son caprice,
Qui le luy rend aymable à vostre prejudice.
Je voulois qu’à ses yeux il parust moins parfait,
Et luy representant le tort qu’elle se fait,
D’aymer un Estranger, et rechercher un Prince,
680 Dépouillé de ses biens, chassé de sa province :
à qui pour tout recours il ne restoit plus rien,
Qu’un refuge chez elle, et d’appuy que le sien.
Je luy representois vos fideles services,
Le rang que vous tenez, et mille bons offices*,
685 Que dans ses jeunes ans sa foiblesse receut,
Des soins* de vostre pere en la charge qu’il eut : {p. 35}
Mais Seigneur ces discours ont redoublé sa flame*,
Et cette resistance ayant picqué son ame,
Elle s’est obstinée avec trop de mépris,
690 Et contre la raison, et contre mes avis.

PHILOXENE.

Et Phalante,

CLEONE.

Je croy qu’il n’est pas insensible,
Et que s’il n’est formé de nature impassible,
S’il n’a les duretez d’un arbre ou d’un rocher,
La Reyne a des appas qui le doivent toucher.

PHILOXENE.

695 C’est assez, juste ciel !

CLEONE.

Gardez moy le silence,
Vous me perdriez, Seigneur.

PHILOXENE.

Vy dans* cette asseurance,
Et previens* cet esprit de tes bonnes leçons,
Mais entrons, je veux mieux éclaircir mes soupçons.
{p. 36}

SCENE II. §

PHALANTE, HELENE dans sa chambre.

PHALANTE.

Les Dieux me sont tesmoins que mon ame troublée*,
700 De ces excez d’honneur* dont vous l’avez comblée,
N’a pas si fort perdu tout son raisonnement*,
Qu’il ne luy reste encore assez de jugement :
Pour cognoistre en ce point où sa gloire* s’acheve,
A quel faiste d’honneur* vostre bonté l’éleve,
705 Aussi le recevant ainsi que je le doy,
Ce n’est pas comme un bien trop relevé pour moy :
Mais comme une faveur dont les grandeurs supremes,
Dont les Dieux immortels sont indignes eux-mesmes,
C’est là mon infortune*, et c’est là que je voy
710 Que la haine du ciel esclate contre moy,
Me donnant d’un bon-heur dont il m’offre la veuë,
Une esperance esteinte aussi-tost que conçeuë,
Sa rigueur me l’offrant me deffend d’en joüir,
Et ne me le monstrant qu’afin de m’esbloüir,
715 Par la grandeur du prix il m’en oste l’envie, {p. 37}
Puis qu’il faut l’acheter par une chere vie :
Car enfin ce tresor ne peut estre pour moy,
Qu’en blessant ma vertu, qu’en violant ma foy :
Qu’en noyant l’amitié* dans une lâche haine,
720 Et portant mille morts au sein de Philoxene.
Dure condition qu’il met à mon bon-heur,
N’en pouvois-je jouir sans me perdre d’honneur* ?
Sans faire un parricide* et souiller ma memoire,
Par une lâcheté si sanglante et si noire,
725 Qu’ont fait contre le ciel deux fideles amis :
Et pourquoy maintenant ne m’est-il pas permis,
De payer les bontez d’une si grande Reyne,
Au prix de tout mon sang, et sauver Philoxene ?
Ah ! Madame, mon front exprime ma douleur,
730 Et vous pouvez juger que je parle du cœur ;
Je vous l’ouvre, Madame, et dessus mon visage,
Vos yeux en peuvent voir la veritable image :
Je ne suis point ingrat à vos rares bontez,
Je n’ay point l’œil mauvais ny les sens* hebetez,
735 Et de tous les costez je voy bien l’avantage,
Dont m’accordant la veuë on me deffend l’usage,
Mais Dieux ! à quoy me sert cet insigne bon-heur,
S’il m’oste le repos, et la vie et l’honneur* ?
S’il faut qu’un amy meure avant que j’en joüisse,
740 Et que pour m’eslever Philoxene perisse ?
Ah ! Madame, plutost par excez de bonté,
Honorez*-en celuy qui l’a mieux merité,
Et puis que son repos establit mes delices, {p. 38}
Donnez-le à ma priere autant qu’à ses services :
745 C’est le plus grand effet de bonne volonté
Que je puisse esperer de vostre Majesté,
Et si vostre pitié s’accorde à mon envie,
En sauvant mon amy vous me sauvez la vie.

HELENE.

Ingrat, ce mot eschape à cette vive ardeur,
750 Que vous reconnoissez avec tant de froideur.
Ingrat, pouvez-vous bien vous obstiner encore
à me persecuter pour celuy que j’abhorre,
Et traiter une Reyne avec tant de mépris,
En dedaignant un cœur que vous seul avez pris ?
755 Quoy mon affection* est donc si peu de chose,
Qu’en faveur d’un amy vostre soin* en dispose :
Et que vous rejettez comme indigne de vous,
Un plus digne sujet, d’un traitement plus doux ?
Vous croyez m’honorer*, m’offrant à Philoxene,
760 Ah ! j’en cognois la cause, et souffre* cette peine*,
Comme le juste prix d’une facilité*,
Que vous devez traitter avec indignité,
Vostre cœur méprisant une gloire* flestrie,
Dedaignant justement une Amante* qui prie,
765 Et par ce traitement m’enseignant mon devoir,
A la honte pour moy que je devois avoir.
J’ai failly, je l’avoüe, et puis que ma foiblesse
N’avoit peu resister à ce coup qui me blesse,
Et qu’un Dieu trop puissant me contraignit d’aymer, {p. 39}
770 Ma flame* pour le moins me devoit consommer*.
Ouy je devois sans doute ou mourir ou me taire :
Mais puis que mon mal-heur fut un mal necessaire,
Et que malgré mon rang, mon sexe, et mon honneur*
Ma passion* parut en trahissant mon cœur,
775 Je sçauray bien lever cette honteuse tache,
Qui par mon imprudence à ma gloire* s’attache,
Et punir ce cœur bas de l’avoir entrepris,
Et par sa lâcheté merité vos mépris.

PHALANTE.

Ah ! Madame cessez un discours qui me tuë,
780 Pleust à Dieu vissiez-vous mon ame toute nuë,
Et vous feriez sans doute un jugement plus doux,
Des nobles sentimens qu’elle eut tousjours pour vous :
Si de quelque amitié* vostre bonté m’honore*,
Loing de la mépriser, Madame je l’adore,
785 Et mon ressentiment la voudroit meriter,
Par le plus noble prix qui la puisse acheter :
Mais si vostre bonté me donne la licence*
De redire à vos pieds deux mots en ma deffence,
Considerez Madame en l’estat où je suis,
790 Et tout ce que je dois, et tout ce que je puis.
Suis-je privé du sens*, et croyez-vous qu’un prince
Refugié chez vous, chassé de sa province,
Sans bien et sans appuy, que vos seules bontez,
Pût refuser l’honneur* que vous luy presentez ?
795 Si pour servir d’obstacle à sa bonne fortune*, {p. 40}
Il n’avoit de raison qu’une raison commune,
Et pouvoit parvenir à ce dernier bon-heur,
Sans perdre Philoxene et se perdre d’honneur*,
Considerez un peu le nœud qui nous assemble,
800 Que par un mesme coup nous perirons ensemble,
Et qu’une inviolable et parfaite amitié*,
N’en a formé qu’un tout, dont il est la moitié.
Outre ce beau lien qui joignit nos deux ames,
A moy seul il fia* le secret de ses flames*,
805 Et ce parfait amy commit tout à ma foy,
N’attendant son salut* que de vous et de moy.
Jugez si vous pourriez me conseiller vous mesme,
De violer ma foy, trahir celuy qui m’aime,
Et contre ma parole, et contre l’amitié*,
810 Massacrer mon amy sans honte et sans pitié.
Ah ! Madame apres tout, vous aymez trop la gloire*
Pour approuver vous-mesme une action si noire :
Et pour m’aymer encor si j’avois merité
L’honneur* que vous m’offrez par une lâcheté ;
815 Certes pour estre aymé d’une si grande Reyne,
Il faut estre sans tache, et tel que Philoxene,
Luy seul a merité l’honneur* de vous servir,
Luy seul merite un bien qu’on ne luy peut ravir,
Et vous ne pouvez plus sans faire une injustice,
820 Luy refuser le prix qu’on doit à son service.
Sa vertu, son amour,

HELENE.

[F, 41]
Ces discours superflus
M’aigrissent contre luy, bien, bien, n’en parlons plus,
Deportez*-vous d’un soin* qui n’est plus necessaire,
Cet importun* me nuit, je sçauray m’en deffaire,
825 Et le chasser si loin qu’avant que me revoir,
Peut-estre on le verra rentré dans* son devoir.

PHALANTE.

Ah ! Madame, songez.

HELENE.

Songez plustost vous-mesme.

PHALANTE.

Que Philoxene meurt.

HELENE.

Et qu’Helene vous ayme.

PHALANTE.

Le lairrez-vous perir ?

HELENE.

Verrez-vous mon trespas ?

PHALANTE.

830 Pouvez-vous l’oublier ?

HELENE.

{p. 42}
Ne m’oublierez-vous pas ?

PHALANTE.

Prieray-je sans espoir ?

HELENE.

Prierez-vous pour un autre ?

PHALANTE.

L’interest* que j’y prends.

HELENE.

Esteindra-il le vostre ?

PHALANTE.

Celuy de mon amy sera tousjours le mien,
Le bien qu’on luy fera sera mon propre bien,
835 Et si vous l’honorez* d’une amour parfaite,
Vous me rendez heureux au poinct que je souhaite :
C’est moy qui sentiray l’effet de vos bontez,
L’empeschant de mourir vous me ressuscitez,
Et l’elevant au poinct de sa gloire* supreme,
840 A ce dernier bonheur vous m’elevez moy-mesme.

HELENE.

Deportez*-vous enfin de ce cruël dessein,
Ou me portez vous-mesme un poignard dans le sein. {p. 43}
Ce traittement de vous sera plus supportable
Que l’outrageux mespris dont vous estes coupable,
845 A cause qu’il me nuit vos soins* officieux*
A ce cœur irrité le rendent odieux,
Autrefois je l’ay veu sans mespris et sans haine,
Maintenant je mesprise, et je hay Philoxene,
Et si cet insolent m’en vient entretenir,
850 De sa presomption je le sçauray punir,
Et luy faire cognoistre

PHALANTE.

Ah ! Madame.

HELENE.

Ah ! Phalante.

PHALANTE.

Doit-on pas secourir

HELENE.

Une Reyne mourante.

PHALANTE.

Je fais ce que je dois.

HELENE.

Je fais ce que je puis.

PHALANTE.

{p. 44}
Jugez de mon devoir.

HELENE.

Et voyez qui je suis.

PHALANTE.

855 Vous estes en merite en beauté grande Reyne,
Un chef-d’œuvre du ciel, mais j’ayme Philoxene,
Et par ma propre mort je le dois secourir,
Sauvez-le par pitié.

HELENE.

Je ne puis sans mourir,
Et sans m’assassiner vous ne pouvez encore
860 M’entretenir de luy.

PHALANTE.

Madame il vous adore.

HELENE.

Et j’adore Phalante.

PHALANTE.

Il meurt.

HELENE.

{p. 45}
Je meurs aussi.

PHALANTE.

Que fais-tu miserable ! esloigne toy d’icy,
Ne persecute plus une Reyne qui t’ayme,
Ne perds point ton amy, ne te perds point toy-mesme.
865 Amant* infortuné, mal-heureux confident,
Et sauve ta vertu d’un naufrage evident.
Elle rend les abois.

HELENE.

Enfin l’ingrat balance,
Amour en ma faveur témoigne ta puissance :
Fay grand Dieu quelque effort sur ce cœur endurcy.

PHALANTE.

870 Je prends congé, Madame, et m’esloigne d’icy,
Pour regretter ailleurs ma mauvaise fortune*,
Qui vous rend mon discours et ma veuë importune*.
{p. 46}

SCENE III. §

HELENE.

Va cruël, va plus loin signaler ta rigueur,
Et sors de ma presence ainsi que de mon cœur,
875 Je ne veux plus aymer un ingrat qui me tuë,
Contre ma passion* ma vertu s’évertuë,
Et me tirant enfin de mon aveuglement,
Fait ceder mon amour à mon ressentiment,
Tes mespris insolens ont attiré ma haine,
880 J’ay vescu, je veux vivre, et veux mourir en Reyne,
Et reprendre l’éclat de cette dignité
Que je deshonorois* par une lascheté.
Ce n’est qu’en ta faveur que je me suis trahie,
Parce que je t’aymois cruël, tu m’as haïe,
885 Recevant un amour avecque du mespris,
Qui de mille travaux devoit estre le prix :
Cent Princes mes voisins, dont la haute puissance
A cent peuples sousmis sous leur obeissance,
Plus relevez que toy de merite et de rang,
890 La voudroient acheter au prix de tout leur sang.
Je n’aymois rien que toy, tu m’as seul mesprisée,
Je te donnois mon ame, et tu l’as refusée,
Estimant peu le bien qu’on t’avoit presenté,
Parce qu’on te l’offroit sans l’avoir merité : {p. 47}
895 Mais ne t’abuse plus monstre d’ingratitude,
J’ay brisé cette lasche et vile servitude,
Un moment m’a guerie, et mon cœur satisfait,
Pour reparer sa faute, abhorre qui le hait.
C’est par aveuglement que je fus embrasée,
900 Je te treuvois aymable, et j’estois abusée.
Ma raison* qui revient fait voir à mon esprit,
Luy monstrant tes deffaux, l’erreur qui le surprit.
La cognoissance enfin de mon ame t’efface,
L’aveuglement t’y mit, et la raison* t’en chasse,
905 Te rendant odieux à cet esprit remis
Plus que le plus cruël de tous mes ennemis.
Foibles raisonnemens* dont je me fortifie,
Retirez-vous de moy, l’insolent m’en défie,
En vain vostre secours me le rend odieux,
910 Et si-tost que l’ingrat revient devant mes yeux,
Quelque ressentiment dont je sois animée,
Foibles raisonnemens* vous allez en fumée.
Pardonne, cher Phalante, à ma temerité,
Crois que je me repens de l’avoir attenté,
915 Et si dans* mon transport* j’ay fait quelque blaspheme,
Que mon ressentiment* l’a fait contre moy-mesme.
Je t’ayme tout cruël et tout mécognoissant,
Et cette vive ardeur que mon ame ressent,
Quelque excez de malheur dont elle soit suivie,
920 Ne treuvera de fin qu’en celle de ma vie.
En vain de ces desdains tu t’armes contre moy, {p. 48}
Ce cœur si mal traité n’a brûlé que pour toy,
Rien ne peut partager une ame toute entiere,
Et sa premiere ardeur doit estre la derniere.
925 Helene, pauvre Helene, à quoy te resous-tu ?
Songe à ce que tu fais, r’appelle ta vertu,
Et par des actions fatales à ta gloire*
Ne deshonore* point une illustre memoire,
Revien à ton devoir, songe à ce que tu fus,
930 Ah ! raison, ah ! devoir, ne m’importunez* plus,
De vos foibles conseils mon ame est incapable,
Et pour vous escouter Phalante est trop aymable.
Je l’ayme, ma raison*, et je le veux aymer,
Enfin c’est un buscher qui me doit consommer* :
935 C’est un feu* qui me plaist, et je serois marrie
Si du mal qu’il me fait mon ame estoit guerie.
[G, 49]

SCENE IV. §

PHILOXENE, AMINTE, HELENE.

PHILOXENE.

Que fait la Reyne, Aminte ?

AMINTE.

Elle est triste.

PHILOXENE.

Et de quoy.

HELENE.

Ah ! que mal à propos l’importun* vient à moy,
Je luy montreray bien qu’il desplaist à la Reyne,
940 Et du mal qu’il me fait il portera la peine*.

PHILOXENE.

Puis-je bien approcher de vostre Majesté,
Et divertir ses soins* sans importunité* ?
Quelque nouveau chagrin paroist sur son visage,
Pleust aux Dieux que je peusse en tirer avantage,
945 Et que cette douleur dont je sens la moitié, {p. 50}
Fut dans vostre belle ame un effet de pitié.

HELENE.

Cest plutost un effet de cholere et de haine,
Souvenez vous enfin que je suis vostre Reyne,
Et que vous déportant* de vos soins* superflus,
950 Vous devez vous cognoistre, et ne me facher plus.

PHILOXENE.

Bien que je me cognoisse, et que dans vostre estime
Ma passion* aveugle ait passé pour un crime,
Je ne suis pas sorty des termes du devoir,
Et si vostre bonté m’en donne le pouvoir,
955 Je vous diray Madame avec quelque licence*,
Que cette passion* ne vous fait point d’offence.
Bien que je sois sujet, on sçait assez mon rang,
Que parmy vos vassaux je suis prince du sang.
Qu’autrefois mes ayeulx ont porté la couronne,
960 Et qu’en me regardant je ne cognoy personne
De ceux que la naissance a mis sous vostre loy,
Qui de sang et de biens ne soit plus bas que moy.
Mais ce n’est point par là que mon cœur se propose
De pouvoir pres de vous meriter quelque chose,
965 Mon amour seulement m’a donné cest espoir,
Et depuis que je sers par un double devoir,
Dans* une passion* si sainte et si fidele,
Je vous ay témoigné tant d’ardeur et de zele.
Et sans en murmurer j’ay tant souffert pour vous, {p. 51}
970 Que j’ay creu meriter un traitement plus doux,
Accordez-le, Madame, à ma perseverance :
Et donnez par pitié.

HELENE.

Perdez-en l’esperance.
Et si par mes bontez vous en avez conçeu,
Croyez que jusqu’icy vous vous estes deçeu*,
975 Si c’est par des devoirs que vostre amour espere,
Sçachez qu’il n’a rien fait que vous ne deussiez faire,
Que je souffre* vos soins*, mais que je les reçoy,
Non pas comme il vous plaist, mais comme je le doy :
Ne parlez donc jamais d’une amour qui m’offence,
980 Et si vous osez plus enfreindre ma deffence,
Soyez tres-asseuré que je vous feray voir
Et quelle est vostre faute, et quel est mon pouvoir.

PHILOXENE.

Vostre pouvoir est grand, et ma faute est plus grande ;
Mais si pour l’expier, c’est mon sang qu’on demande,
985 J’espargneray la peine* à vostre Majesté,
De me faire punir de ma temerité.
Cent fois en vous servant on me l’a veu répandre,
Et puis que cest arrest me le fait trop comprendre,
Et que dans vos discours je voy vostre desir,
990 Mon ame obeyssante y court avec plaisir,
Je quitte sans regret une vie importune*,
Ma perte seulement establit ma fortune, {p. 52}
Et je meurs trop heureux puis que dans* mon trespas
Je vous rends un devoir qui ne vous déplaist pas :
995 Pour le moins ce bonheur dont ma mort est suivie,
M’est plus advantageux que tous ceux de ma vie,
Vivant je vous dépleus, je vous plais en mourant,
Et je vous rends encore un service assez grand,
Puis que par mon trespas j’asseure les delices,
1000 De celuy qui reçoit le prix de mes services :
Je porte le respect dans* une extremité,
Où par vos traitemens je suis precipité,
Et mon ressentiment* me force de vous dire
Qu’un autre plus heureux a ce que je desire :
1005 Et malgré mon amour, ma constance et ma foy,
Emporte le beau prix qui n’estoit deu qu’à moy.

HELENE.

Osez-vous me parler avec tant d’insolence ?
Sortez audacieux, sortez de ma presence,
Et n’importunez* plus un esprit irrité,
1010 Qui puniroit enfin vostre temerité :
Mais sçachez pour borner vostre inutile attente,
Que vos soupçons sont vrais, que j’adore Phalante,
Et que vous auriez eu des traitements plus doux,
En me parlant pour luy comme il parle pour vous.

PHILOXENE.

1015 Phalante, ah ! le perfide.

HELENE.

{p. 53}
Evitez ma cholere,
Et si vostre fureur vous porte à luy déplaire,
Sçachez que je l’appuye, et que j’ay le pouvoir
De punir un subjet qui sort de son devoir.

Fin du Troisiesme Acte.

{p. 54}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

CLEOMEDE, ARATE, TIMANDRE, HELENE.

CLEOMEDE.

Enfin ce sont les vœux de toute la province,
1020 Vos fideles sujets vous demandent un prince,
Et d’un commun accord vous prient par ma voix,
De faire vivre en vous la race de nos Roys.
Ce n’est pas qu’en effet le peuple et la noblesse
Treuvent en vostre regne aucun trait de foiblesse,
1025 Et que l’on n’y remarque avec estonnement*
Les plus heureux succez d’un bon gouvernement :
On ne regna jamais avec plus de justice, {p. 55}
Et jamais Souverain ne maintint sa police
Avec plus de prudence, et plus d’authorité,
1030 Qu’on la voit maintenir à vostre Majesté :
Depuis le bon succez de nos dernieres guerres,
Vous avez estably le repos dans vos terres,
Et par une honorable* et glorieuse* paix,
Vous leur avez donné le calme pour jamais.
1035 Tout le monde l’admire en ce sexe, en cet aage,
Et toutes ces raisons m’animent davantage,
A vous impotuner et vous prier pour tous
De nous donner un jour des Roys sortis de vous,

ARATE.

De vos predecesseurs la recente memoire
1040 Vit encor dans nos cœurs avecque tant de gloire*,
Et laisse dans Corinthe un si beau souvenir,
Que la suite des ans ne le sçaurait bannir :
Le feu Roy vostre pere, et tous vos bons Ancestres,
Que ce Royaume illustre a cogneu pour ses Maistres,
1045 Bien qu’ils soient morts pour nous ont laissé desormais
Un amour parmy nous qui ne mourra jamais.
Ce sacré souvenir, Madame, vous oblige
A conserver en vous le reste d’une tige,
De qui le sang illustre à la posterité
1050 A regné parmy nous avec tant de bonté.
Considerez les vœux d’un peuple qui desire,
Qu’à jamais vostre sang gouverne cet Empire, {p. 56}
Et qui ne verra point sans mourir mille fois,
Au trône hereditaire eslever d’autres Roys.

TIMANDRE.

1055 Lors que par un mary vous serez soulagée,
De ce pesant fardeau, vostre ame dégagée,
Dans un calme profond goustera le repos,
Qu’un soing* continuel luy trouble* à tout propos,
D’un peuple satisfait vous serez reverée,
1060 Et d’un prince obligé vous serez adorée :
Qui trouvant à vos pieds un empire plus doux,
Y mettra le bandeau qu’il recevra de vous.
Vous donnerez un Roy de qui vous serez Reyne,
Il vous reconnoistra comme sa Souveraine :
1065 Et conservant le rang et l’estat d’aujourd’huy,
Plus que sur vos sujets vous regnerez sur luy.

HELENE.

J’approuve vos souhaits, et vous veux satisfaire,
Mais assez d’importance est jointe à cette affaire,
Pour vouloir qu’on y songe encore un peu de temps,
1070 Adieu, dans peu de jours je vous rendray contens.

TIMANDRE.

Dieux ! rendez son dessein tel que je le desire.
[H, 57]

SCENE II. §

HELENE, TIMANDRE.

HELENE.

Timandre demeurez, j’ay deux mots à vous dire.

TIMANDRE.

Quel espoir pour mon fils cache tes sentimens,
Voulez-vous m’honorer* de vos commandemens ?

HELENE.

1075 Je vous veux advertir de la haute insolence
De vostre Philoxene.

TIMANDRE.

O Dieux !

HELENE.

Son imprudence
N’a pas craint aujourd’huy de me desobliger :
Mais sans vostre respect je m’en sçaurois vanger.
C’est vous seul que j’estime et que je considere, {p. 58}
1080 Et la faute du fils je la pardonne au pere,
Sans crainte et sans respect, l’insolent à mes yeux
A menacé Phalante, a fait le furieux*,
Et m’a fait, l’imprudent, un reproche à moy-mesme,
Que j’ay souffert* de luy parce que je vous ayme.

TIMANDRE.

1085 Il a tort de déplaire à vostre Majesté,
Mais dans* le desespoir où vous l’avez jetté,
Par les cruels effets d’une rigueur extreme,
Il ne recognoit plus son devoir ny soy-mesme :
L’aveuglé dans* l’estat où vous l’avez reduit,
1090 Recevra mes leçons avec fort peu de fruit :
Et ne recouvrera sa sagesse premiere
Qu’au funeste moment qu’il perdra la lumiere.
Helas ! qu’ay-je commis dans un gouvernement,
Où j’ay consideré vostre bien seulement ?
1095 Qu’ay-je fait contre vous pour plonger ma vieillesse
Dans* une si sensible et mortelle tristesse,
Pour me priver d’un fils dont l’appuy m’est si doux,
Et de qui tout le crime est de mourir pour vous ?
Un feu* plein de respect le rend-il si coulpable ?
1100 Peche-t’il d’adorer un sujet adorable ?
Et sa condition le met-elle si bas,
Que sa presomption soit digne du trespas ?
Ah ! vous cognoissez mieux son rang et sa naissance, {p. 59}
L’amour d’un tel sujet ne vous fait point d’offence.
1105 Et mesme le feu Roy dans vostre âge plus bas,
En vid les fondemens qu’il ne condamna pas.
On ne peut mépriser son sang ny sa personne,
Et son deffaut enfin n’est que d’une couronne.

HELENE.

Timandre c’est assez, ce discours me déplaist,
1110 Et je le hay tout Prince et tout brave qu’il est :
Sa derniere action, et sa haute insolence,
M’ont assez témoigné qu’il perd la cognoissance :
Mais s’il ne se remet dans* son premier devoir,
Quelque Prince qu’il soit, il verra mon pouvoir.
1115 Devant moy l’orgueilleux a menacé Phalante,
Vous sçavez son caprice et son humeur boüillante,
Gardez qu’il ne s’attaque à ce Prince estranger
Puis que je le protege, et le sçauray venger.
{p. 60}

SCENE III. §

PHILOXENE.

Reste d’une amitié*, que le traistre a blessee,
1120 Vains restes d’amitié*, sortez de ma pensee,
Et ne tourmentez point, souvenirs superflus,
Un cœur desesperé qui ne vous cognoist plus.
Malheureuse amitié* dans nos ames esteintes,
Va retrouver Phalante, et luy faire ta plainte,
1125 Ce traistre le premier a violé sa foy,
Et je suis le dernier qui peche contre toy,
Quitte donc pour jamais une ame desolée,
Et ne l’accuse point de t’avoir violée,
Cet esprit innocent ne se sent point touché
1130 Par le moindre remords d’un semblable peché,
Et pour te témoigner comme il te fut fidelle,
Amitié* violée il prendra ta querelle :
Il perdra la lumiere, ou punira l’ingrat,
Qui de tes saintes loix a fait si peu d’estat,
1135 Et sans craindre l’horreur dont sa faute est suivie,
T’a le premier enfrainte aux dépens de ma vie.
Monstre d’ingratitude et d’infidelité,
Regarde en quel estat tu m’as precipité ?
Regarde desloyal de combien de supplices {p. 61}
1140 Ou de combien de morts tu payes mes services ?
Mais ne te vante pas, monstre de cruauté,
De m’arracher la vie avec impunité :
Perfide en quelque endroit que le Soleil t’éclaire,
Rien ne te peut ravir à ma juste cholere :
1145 Cherche pour ton salut* cent aziles divers*,
Ou monte dans les cieux, ou descens aux enfers.
Le ciel, ny les enfers, ny la terre, ny l’onde,
Te deussent-ils cacher aux yeux de tout le monde,
Ne te sçauroient cacher à mon juste courroux ;
1150 J’arracheray ce cœur percé de mille coups,
Et goustant dans sa veuë une derniere joye,
Je mourray satisfait, pourveu que je le voye.
Que je puisse à ce cœur noircy de lâchetez,
Reprocher en mourant ses infidelitez.
1155 Et laver dans ton sang la faute que j’ay faite,
D’honorer* un ingrat d’une amitié* parfaite.
{p. 62}

SCENE IV. §

PHALANTE, ARBANTE, PHILOXENE.

PHALANTE.

Laissez-moy seul, Arbante !

PHILOXENE.

O grands Dieux je le voy.

ARBANTE.

Je vous suivray, Seigneur.

PHALANTE.

Arbante laisse moy.

PHILOXENE.

Il faut mourir perfide.

PHALANTE.

O Dieux !

PHILOXENE.

{p. 63}
Deffends toy traistre,
1160 Cette confusion que tu me fais paroistre,
Est un effet leger du remords que tu sens,
Mais il en faut mourir.

PHALANTE.

Estes-vous hors du sens*
Amy ?

PHILOXENE.

Quitte ce nom que ton crime viole,
Homme sans cœur, sans foy, sans honneur*, sans parole,
1165 Ce nom ne t’est plus deu.

PHALANTE.

Bons Dieux ! je suis confus,
Philoxene, deux mots, ne me cognois-tu plus ?

PHILOXENE.

Ouy je te cognois trop, et cette cognoissance
Arme ce bras vangeur.

PHALANTE.

Contre mon innocence.

PHILOXENE.

{p. 64}
Ton innocence traistre, ah ! c’est estre innocent,
1170 De violer sa foy, de trahir un absent,
Et d’oster lâchement par haine ou par envie,
A son meilleur amy le repos et la vie ;
C’est là ton innocence, et c’est trop discourir,
Resous toy desloyal à tuer ou mourir.

PHALANTE

1175 A mourir je suis prest, mais ce danger extreme
Ne m’armera jamais contre un autre moy-mesme,
Et tu verras ce fer se tourner contre moy,
Plutost que ton amy s’en serve contre toy.
Mon amitié* persiste inviolable et sainte,
1180 Bien que ton action ne l’ait que trop enfreinte,
Et que ce traitement soit bien rude pour moy,
Mais souffrant* d’un amy je fais ce que je doy :
Et puis que de mon sang ton ame est alterée,
Ta vengeance déja n’est que trop differée.
1185 Et tu peux sans obstacle achever ton dessein,
Puis que pour t’y servir je te tendray le sein.
Frappe cet estomac, perce ce cœur perfide,
Croy que mon amitié* t’absout d’un parricide*,
Et que malgré l’erreur qui te rend inhumain,
1190 Je ne mourray jamais d’une plus chere main :
Mais avant qu’en ma mort ton cœur se satisfasse,
Accorde pour le moins cette derniere grace
Au souvenir d’un bien de ton ame effacé, {p. I, 65}
De ne me cacher plus en quoy t’ay-je offencé,
1195 Et si c’est quelque erreur où ton ame demeure.

PHILOXENE.

Ouy, perfide il est juste, et devant que je meure,
Je te veux reprocher une infidelité
Qui te rend detestable à la posterité,
Je t’avois donc fié* le secret de ma flame*,
1200 A toy seul, desloyal, j’avois ouvert mon ame,
Pour trahir ma franchise, et rechercher pour toy
Un bien que tu feignois de souhaitter pour moy :
C’estoit donc l’amitié* que tu m’avois promise,
C’est ce que ta bonté rendoit à ma franchise,
1205 Et ce que tu devois à toute ma maison,
Se devoit donc payer par cette trahison ?
Tu t’acquitois, ingrat, en m’enlevant Helene,
Et portant mille morts

PHALANTE.

C’est assez Philoxene,
Je t’entends, mais les Dieux, juges de tous mes soins*,
1210 Sont de mon proceder veritables tesmoins :
Que leur courroux éclate, et que d’un coup de foudre*
A cette heure à tes yeux ils me mettent en poudre,
Si je ne t’ay servy dans cette occasion
Avec plus de franchise et plus d’affection* {p. 66}
1215 Que jamais un amy.

PHILOXENE.

Je n’en suis plus en doute,
Cherche pour t’excuser un autre qui t’écoute,
Deffends-toy seulement : quoy tu manques de cœur ?
Ah ! lasche deffends-toy, je te perdray d’honneur*,
Et faisant à ta gloire* une eternelle tache,
1220 Je publiray par tout

PHALANTE.

Ah ! je ne suis point lâche,
Tu le sçais Piloxene, et tu m’as veu souvent
Dans* de plus grands perils engagé trop avant,
Pour conserver de moy cette indigne créance.
Si d’autres me faisoient une semblable offence
1225 Je la repousserois au lieu de m’excuser,
Tu le devrois cognoistre au lieu d’en abuser,
Et dans un procéder qui te doit satisfaire,
Voir que je fais pour toy plus que je ne dois faire.

PHILOXENE.

Tu dois mourir perfide, ah ! c’est trop écouter,
1230 Apres des trahisons dont je ne puis douter :
J’en suis trop bien instruit, mets toy donc en deffence,
Et témoigne à ta mort un peu de resistance,
Bien que ma main resiste et s’arme contre toy,
Sçache que tous les coups s’adresseront à moy : {p. 67}
1235 Et que tu me contraints de tirer une espée
Que dans mon propre sang j’eusse plustost trempée.

PHALANTE.

Les Dieux me sont tesmoins que j’ay souffert* de toy
Plus que tu n’esperois et plus que je ne doy,
Et que sans ressentir une douleur extreme
1240 Je ne puis me porter contre un homme que j’ayme :
Mais puis qu’il faut venir à cette extremité,
Cherchons pour t’assouvir un lieu plus escarté,
On nous peut descouvrir du quartier de la Reyne,
Ce bois est plus commode, entrons-y Philoxene.

SCENE V. §

TIMANDRE, ARBANTE, CLEOMEDE.

TIMANDRE.

1245 Dieux ! que mon fils est prompt, et que sa folle humeur
A ses meilleurs amis va causer de douleur !
Dans* les bouillans transports* d’une aveugle cholere,
Il n’escoute raison*, ny conseil, ny priere.
Et suit de sa fureur l’aveugle mouvement :
1250 O jeune homme insensé !

CLEOMEDE.

Courons-y promptement, {p. 68}
Icy la diligence est assez importante,
Arbante en quel endroit as-tu laissé Phalante ?

ARBANTE.

Presque en ce mesme lieu, mais à mon grand regret,
Lisant dans son visage un deplaisir secret,
1255 Que ses yeux et son teint ne font que trop paraistre,
J’ay bien veu Philoxene approcher de mon maistre.

CLEOMEDE.

N’as-tu rien entendu ?

ARBANTE.

J’estois trop esloigné,
Et mon maistre en partant ne m’a rien témoigné,
Qui me fist redouter de les laisser ensemble,
1260 Estant si bons amis, je croyois

TIMANDRE.

Dieux je tremble !
Courons, ah ! que je crains que ce ne soit trop tard,
Grands Dieux ! guidez mes pas.

CLEOMEDE.

Courez d’une autre part.
{p. 69}

SCENE VI. §

PHILOXENE, PHALANTE.

PHILOXENE blessé à mort et tombant.

La justice des Dieux en ta faveur éclate,
Et leur courroux enfin punit une ame ingrate,

PHALANTE.

1265 Philoxene.

PHILOXENE.

Je meurs, et ma temerité
Reçoit enfin le prix qu’elle avoit merité,
Je meurs, mais d’une mort qui n’est pas assez rude
Pour punir cest ingrat de son ingratitude.

PHALANTE.

Helas ! je reculois et je parois tes coups,
1270 Et toy seul transporté* d’un trop boüillant courroux,
Mesprisant une espée à son maistre infidelle,
Tu t’es precipité dans sa pointe mortelle.

PHILOXENE.

{p. 70}
Phalante, les Dieux seuls m’ont mis en cet estat,
Mais si tu peux encore escouter un ingrat,
1275 Et si le souvenir d’une amitié* passée
Me peut encor laisser un lieu dans ta pensée,
Pardonne, cher Phalante, à mon ressentiment,
Je reconnois mon crime et mon aveuglement,
J’eus tort de soupçonner une vertu si haute,
1280 Mais puis que je reçoy la peine* de ma faute,
Et lave de mon sang le mal que j’ay commis,
Souffre* qu’à mon trespas nous demeurions amis,
Et que rien ne separe une amitié* si sainte,
Je l’ay par mon erreur indignement enfreinte,
1285 Mais croy s’il m’est permis apres ce que j’ay fait,
Que mourant ton amy, je mourray satisfait.

PHALANTE.

Quelque vive douleur que mon visage exprime,
N’espere point de moy que j’excuse mon crime,
Et que par ma douleur ou par quelque raison*
1290 J’implore ta bonté pour avoir un pardon.
Je cognois trop ma faute, et ceste main barbare
A fait une action qu’il faut qu’elle repare.
Elle a versé ton sang et demande le mien,
L’amitié* qui joignit mon cœur avec le tien
1295 De liens eternels nos deux ames assemble,
Et veut qu’apres la mort nous demeurions ensemble.
Je repare mon crime et suis son mouvement, {p. 71}
L’un et l’autre se peut par ma mort seulement.
J’embrasse donc la mort, et je ne la differe,
1300 Que par la volonté de te mieux satisfaire :
Escoute donc amy, si ce nom m’est permis,
Apres l’assassinat que ma main a commis,
Escoute Philoxene, escoute ma priere,
Et croy que sans regret je perdray la lumiere,
1305 Si j’obtiens en mourant cette grace de toy,
Croy que jamais ce cœur ne t’a manqué de foy,
Et que je veux souffrir les peines* eternelles
Qui gesnent aux enfers les ames criminelles,
Si je n’ay fait pour toy dans ma commission
1310 Tout ce que ma promesse et ton affection*
Ont jamais demandé d’une amitié* parfaite.

PHILOXENE.

Helas ! de ce costé mon ame est satisfaite,
Vous n’avez que trop fait, mais puisque par pitié
Vous me gardez encor cette entiere amitié*,
1315 Qui si peu meritée et si mal recogneuë
Dans l’offence et le sang s’est tousjours maintenuë,
Ne me refusez point pour mon soulagement
Ma derniere requeste à mon dernier moment :
Je ne puis plus douter qu’Helene ne vous ayme,
1320 Je le sçavois d’ailleurs et l’ay sceu d’elle-mesme.
Vous la sçavez aussi, quoy que vostre vertu
Pour un indigne amy contre elle ayt combatu.
Vivez pour la servir, puis que les destinées* {p. 72}
Trenchent pour son repos le cours de mes années,
1325 Faites luy desormais un traitement plus doux,
Vous estes digne d’elle, elle est digne de vous,
Et j’estois criminel en mettant quelque obstacle.

SCENE VII. §

ARBANTE, CLEOMEDE, TIMANDRE, PHALANTE, PHILOXENE.

ARBANTE.

Nous arrivons trop tard.

CLEOMEDE.

Dieux, le triste spectacle !

TIMANDRE.

Acheve, acheve ingrat, apres ta trahison,
1330 Et te soüille du sang de toute ma maison,
Meurs ou me fais mourir.

PHALANTE.

Il est juste Timandre.
Voicy, voicy le sang que vous devez répandre, [K, 73]
Je suis ce desloyal, ce cruel, cet ingrat,
Qui survis laschement à cet assassinat,
1335 J’ay trahy vostre fils, et l’ay privé de vie,
Ne differez donc plus d’accomplir vostre envie.
Regardez vostre fils, vangez-le, vangés-vous,
Percez, percez ce cœur indigne de vos coups,
Vous qui vous opposez à sa juste cholere,
1340 Pourquoy retenés-vous les mouvemens d’un pere.
Retirés-vous Arbante.

PHILOXENE.

Ah ! mon pere, deux mots,
Et si vous desirés que je meure en repos,
Ayez plus de respect pour un autre moy-mesme,
Traictés mieux mon amy.

TIMANDRE.

Quoy, tu veux que je l’ayme,
1345 Celuy qui de ton sang rougit indignement,
Ce meurtrier de mon fils.

PHILOXENE.

Ah ! je meurs doublement.

TIMANDRE.

Ce monstre, ce cruel.

PHALANTE.

Encore plus Timandre, {p. 74}
Ce traistre, ce bourreau.

PHILOXENE.

Me voulez-vous entendre
Mon Pere ? par ce nom et si cher et si doux,
1350 Par la clarté du jour que je receus de vous,
Et qui dans un moment me doit estre ravie
Dans les bras de celuy de qui je tiens la vie,
Aymés, aymés Phalante, autant ou plus que moy,
C’est un amy sans tache.

PHALANTE.

Il t’a manqué de foy,
1355 T’a trahy, t’a tué.

PHILOXENE.

Ce desespoir m’offence.

PHALANTE.

Non, non, si ce discours retarde sa vangeance,
S’il a si peu de cœur et si peu d’amitié*,
Que d’espargner un traistre indigne de pitié,
Je supplée au deffaut d’un Pere impitoyable,
1360 Ceste main qui me reste en est desja capable,
M’ayant peu de ma vie enlever la moitié
Penses-tu que pour l’autre elle ayt plus de pitié ? {p. 75}

TIMANDRE.

Ah ! mon fils, seul appuy d’une foible vieillesse,
Seul espoir de mes jours, crois-tu que je te laisse ?

CLEOMEDE.

1365 Il n’est plus temps de plaindre, il le faut secourir,
Emportons-le chez vous, il peut encor guerir.
Arbante assistez nous.

PHALANTE.

O pitoyable office*,
Helas avec quel cœur te rends-je ce service !
Cher et noble fardeau d’un mal-heureux amy
1370 Dans* ce reste d’espoir dois-je vivre à demy ?
{p. 76}

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

PHALANTE seul.

Esprit d’un cher amy que ma main meurtriere,
Pour me priver de vie, a privé de lumiere,
Belle ombre qui là bas errante sans soucy,
Es exempte des maux que je ressens icy,
1375 Si des restes d’amour t’ont defendu de boire
L’onde qui pour jamais enleve la memoire,
Leve les yeux amy pour voir le triste estat
Où l’horreur de son crime a reduit cet ingrat,
Voy ce profond silence, et voy quelles tenebres
1380 Accompagnent mon deüil et mes devoirs funebres,
Icy tout retiré de la Cour* et du bruit, {p. 77}
Je me couvre avec toy d’une eternelle nuit,
Et fuyant la clarté que ma main t’a ravie,
Je traisne à ton cercueil une mourante vie,
1385 Jusqu’à ce que mon deüil en retranche le cours,
Et que je te rejoigne au dernier de mes jours :
Regrets, justes regrets, repentirs legitimes,
Ah ! que vous estes lents à la peine* des crimes,
Que vous m’estes cruels me paroissans si doux,
1390 Et que vous differez ce que j’attends de vous :
Mais tu souffres* encor remords lent, remords lasche,
Qu’une autre passion* à mon ame s’attache,
Et que dans les tombeaux, le silence, et l’horreur,
L’amour se mesle encore avecque la douleur,
1395 Helas dans un cercueil où mon amy m’appelle,
Ne me tourmente plus passion* criminelle !
Fay place à ma douleur, fay place à ma raison*,
Amour, ingrate amour, tu n’es plus de saison,
Ce n’est point dans ces lieux solitaires et sombres,
1400 Le siege de la mort, et le sejour des ombres,
Où tant de passions* tyrannisent mon cœur,
Que tu cherches un trosne environné d’horreur :
Icy le desespoir s’establit et te chasse,
La terreur, le remords ont occupé ta place,
1405 Et te laissant choisir des Empires meilleurs,
Ils te disent Amour que tu regnes ailleurs.
Miracle de beauté, Princesse infortunée,
Que je pleure ton sort*, pleurant ma destinée*,
Et que je ressens bien que le Ciel fut cruel {p. 78}
1410 D’embraser nos deux cœurs d’un amour mutuel,
Et par la simpathie exciter dans nos ames
De pareils mouvemens et de pareilles flames* :
S’il n’allumoit en nous ce funeste flambeau,
Que pour en esclairer ta perte et mon tombeau,
1415 Donc pour paroistre amy jusques dans la mort mesme,
Il faut que je te fuye encore que je t’ayme,
Et qu’abhorrant mon bien et ton contentement
Je face le cruel contre mon sentiment.
Faudroit-il quand le ciel n’auroit mis dans mon ame
1420 Pour un si digne object une si belle flame*,
Que je parusse ingrat aux bonnes volontés
Dont tu m’as soulagé dans* mes adversités ?
Tu m’offres tes Estats, tu m’offres ta Couronne,
Et ce qui m’est plus cher, tu m’offres ta personne.
1425 Et ne desdaignant point de te donner à moy,
Tu faits de ton captif ton espoux et ton Roy.
Cependant pour le prix d’une bonté si rare,
Je suis ingrat, cruel, inhumain et barbare,
Et malgré mon amour, et la civilité*,
1430 Je te traicte, ma Reine, avec indignité,
J’ay si mal satisfait ta derniere visite
Et mes discours glacez t’ont si fort interdite,
Que demeurant confus de ton soudain départ,
J’ay leu ton desespoir dans ton dernier regard.
1435 Malgré toy tes beaux yeux ont versé quelques larmes, {p. 79}
Et ce Tygre l’a veu sans mettre bas les armes.
Ceste ame de rocher, ce courage endurcy,
A veu couler tes pleurs sans en respandre aussi.
Ah ! Phalante, c’est trop, il est temps de se rendre,
1440 Desormais ta valeur n’est plus à te deffendre,
Ton amour jusqu’icy cede à ton amitié*,
Bien resiste à l’amour, mais cede à la pitié.
Ouy, sauve par pitié ceste adorable Reyne,
Tu le peux desormais sans nuire à Philoxene,
1445 Tu le peux desormais sans troubler* son repos,
Mesme s’il t’en souvient ce sont ses derniers mots,
Et cet amy fidele en perdant la lumiere,
En te disant adieu, t’a fait cette priere.
Contente ton devoir, contente ton amy,
1450 Et puis qu’il l’a voulu, vy pour Helene, vy,
Ton amy te l’ordonne il faut l’aymer et vivre ;
O lasche mouvement, meurs plustost pour le suivre,
Philoxene n’est plus, mais tu l’as fait mourir,
Fuy le jour, fuy la honte, et songe à te guerir.
1455 Quoy tu pourras souffrir* que tout le monde die
Que Phalante est heureux par une perfidie ?
Qu’il joüit de son crime et qu’il perça le sein
A son meilleur amy pour ce lasche dessein ?
Pardon, cher Philoxene, ame illustre, ame chere,
1460 D’un indigne penser je te veux satisfaire,
Il est comme un esclair dans mon ame passé {p. 80}
Il se formoit à peine et tu l’as effacé,
Mais je sçay qu’il t’offence et merite ta haine.

SCENE II. §

ARBANTE, PHALANTE, AMINTE.

ARBANTE.

Aminte vous vient voir de la part de la Reyne.

PHALANTE.

1465 Cruel redoublement à mes vives douleurs,
Reyne pour qui je crains, Reyne pour qui je meurs,
Quel soin* te peut encor rester d’une ame ingrate.

AMINTE.

Encor ce mouvement de quelque espoir me flate,
Il parle de la Reyne, ô Dieux changez ce cœur !

PHALANTE.

1470 Aminte quel dessein.

AMINTE.

[L, 81]
Vous me voyez Seigneur
Par le commandement d’une Reyne affligée.

PHALANTE.

Dieux, pourquoy par ma mort n’est-elle soulagée ?
Et je la souffrirois* avec tant de plaisir.

AMINTE.

Seigneur dans ce papier vous verrés son desir.

LETTRE D’HELENE A PHALANTE.

PHALANTE lit.

1475 Si tout ce que j’ay faict n’a pû vous esmouvoir,
Souffrés* à mon trespas que je me satisface,
Et que vous demandant le bon-heur de vous voir,
Pour la derniere fois j’obtienne ceste grace ;
Je n’attens plus que vous pour partir de ce lieu,
1480 Que je ne puis quitter sans vous dire un adieu.

PHALANTE continuë.

Il est juste, il est temps que la mort nous separe,
Mais toute sa rigueur n’est que pour ce barbare,
Ma Reyne, ton escrit m’enseigne mon devoir,
C’est le plus doux arrest que j’en puis recevoir,
1485 Allons dire un adieu qui finit ma disgrace. {p. 82}
Il est juste, il est temps que je te satisfasse.

SCENE III. §

ARATE, CLEOMEDE, HELENE dans sa chambre assise sur son lit, venant de prendre du poison.

ARATE.

Ah ! Madame, voyez nos sensibles regrets,
Helas ! que vous ont fait vos fideles sujects,
Qui vous puisse obliger par un excez de haine
1490 A les faire mourir dans* la mort de leur Reyne ?
Ouy Madame mourir, vostre Empire est si doux,
Que ce Royaume entier doit perir avec vous :
Et quand par ceste mort vous leur serez ravie,
Ce coup enlevera leur repos et leur vie.
1495 C’est ce qu’à leurs souhaits vous aviez donc promis,
C’est le sanglant arrest que vous aviez remis,
Et vos rigueurs, Madame, à leur douce semonce
Destinoient* ceste ingrate et cruelle responce.
Helas ! considerez à quelle extremité
1500 Vous nous reduisez tous par ceste cruauté,
Et si vous dédaignez un peuple qui vous ayme,
Considerez quel tort vous faites à vous mesme,
Combien on blâmera ce dessein furieux*, {p. 83}
Combien ce desespoir irritera les Dieux.
1505 Et de quelle importance est une telle injure,
Et contre les grands Dieux et contre la Nature.

CLEOMEDE.

Destruirez-vous ainsi leur chef-d’œuvre plus beau,
Et par vos propres mains mettrez-vous au tombeau
La plus grande, plus juste, et plus belle personne,
1510 Qui parmy les mortels ayt porté la couronne.
Madame, par pitié songez encore à vous,
Vos fideles subjects vous en conjurent tous.
Ah ! ne refusez plus leur priere et leur ayde,
On peut encore au mal donner quelque remede,
1515 Peut estre ce poison n’est pas si violent
Qu’on n’y puisse apporter

HELENE.

Helas ! il est trop lent,
Et le cruel servant mon ingrate fortune*,
Laisse par trop durer une vie importune* :
Mais bien qu’il soit si lent à servir ma douleur,
1520 Je sens bien mes amis qu’il approche du cœur,
Qu’il gaigne ceste noble et derniere partie,
Et que desja mon ame est prés de sa sortie.
Ne respandez donc plus tant d’inutiles pleurs,
Et ne me donnez point par vos vives douleurs
1525 Celle de vous quitter, et ceste preuve insigne
D’une fidelité dont je me sens indigne, {p. 84}
Ne me regrettez point trop fideles sujects,
Ma derniere action condamne vos regrets,
Et par des laschetés dont le remords m’accable,
1530 Du rang que j’ay tenu, je me rends incapable :
Celle qui du devoir a fait si peu d’estat,
Et qui s’est abaissée à prier un ingrat,
Soubmettant à ses pieds son Sceptre et sa personne,
Est indigne à jamais de porter la Couronne,
1535 Et de regner encor sur des gens comme vous,
Apres des laschetez qui les offencent tous.
Ceste seule raison m’a sans doute poussée
A vanger par ma mort ma dignité blessée,
Et satisfaire ainsi mon peuple et mon devoir,
1540 Plustost par la raison* que par le desespoir.
Ce n’est point mes amis une amour qui me porte
A donner de mon deüil une preuve si forte,
Si je mourois pour luy, l’ingrat seroit trop vain,
Et j’ay dans* mon trespas un plus juste dessein,
1545 Je meurs pour me donner la peine* qui m’est deuë,
Et ne survivre point à ma gloire* perduë.
Heureuse en mon trespas, si de vostre penser
La cause de ma mort se pouvoit effacer,
Et s’il peut parmy vous sauver la renommée
1550 De celle qu’autresfois vous avez tant aymée,
J’ay voulu mes amis vous voir tous en ce lieu,
Pour vous en supplier, et pour vous dire adieu.
Veüillent les immortels eslever à ma place
Un Roy digne de vous, et qui vous satisface {p. 85}
1555 Par sa protection et par mille bien-faits
Autant que mon malheur vous a peu satisfaits.

ARATE.

Ah ! discours qui me blesse au plus vif de mon ame.

DERNIERE SCENE. §

PHALANTE, HELENE, ARBANTE, CLEONE, ARATE, CLEOMEDE, AMINTE.

PHALANTE.

Quel estrange* spectacle ?

CLEONE.

Ah ! je meurs.

CLEOMEDE.

Ah ! Madame,
Vous pouvés-vous resoudre à nous quitter ainsi ?
1560 Eh bien, nous vous suivrons.

HELENE.

O grands Dieux le voicy.
Ah ! le cruel, mon cœur fremit à ceste veuë, {p. 86}
Et d’un object si cher mon ame retenuë,
Bien que cet inhumain la presse de partir,
S’arreste sur le bord toute preste à sortir.
1565 Approchez-vous Phalante, et si dans* vostre haine
Vous estes insensible aux malheurs d’une Reyne,
Que vostre cruauté met en ce triste estat,
Par ce funeste object soulez* ce cœur ingrat.
Je vous ay fait sortir de ces demeures sombres,
1570 Où vous vous occupez à l’entretien des ombres,
Pour donner à vos yeux un divertissement,
Qui doit à vos douleurs servir d’allegement,
Pour reparer ma faute et souler* vostre haine,
Je vay dans les enfers redire à Philoxene
1575 Par quel trait de constance ou d’inhumanité,
Vous signalez encor vostre fidelité,
Puis que par mon trepas je respare mon crime,
Et qu’il reçoit de vous une telle victime ;
S’il conserve pour nous quelque reste de foy
1580 Il sera satisfait et de vous et de moy.
Pour vous, bien qu’il me reste un suject assés ample,
D’accuser en mourant des rigueurs sans exemple,
Et qu’ayant merité des traitemens plus doux,
J’eusse quelque raison de me plaindre de vous,
1585 Les Dieux me sont tesmoins que je vous voy sans haine,
Et que de mon erreur je vais souffrir* la peine*,
En demandant au Ciel pour dernieres faveurs,
Qu’il face prosperer l’ingrat pour qui je meurs ;
Vivez dans le repos où ma mort vous fait vivre, {p. 87}
1590 Les importunitez* dont elle vous delivre
Ne viendront plus troubler* vostre tranquillité,
Et n’esbranleront plus vostre fidelité.
J’ay pris pour ce dessein un poison salutaire*,
Qui doit laver ma faute, et vous doit satisfaire,
1595 Vous faisant avoüer que je meurs à propos,
Pour l’honneur* qui me reste et pour vostre repos.
Cependant si je puis apres tant de prieres
Croire que vos bontez exaucent les dernieres,
Accordez moy ce bien quelque amour qu’il ayt eu
1600 De croire que mon cœur adoroit la vertu,
Et que jamais peut estre une plus saincte flame*,
Ny de plus beaux desseins n’allumerent une ame,
Si j’obtiens en mourant ceste grace de vous
Dans mon dernier moment mon sort* sera plus doux,
1605 Et mon ame aux enfers ira tres-satisfaite,
En ayant obtenu tout ce que je souhaite.

PHALANTE.

Esprit de mon amy plein d’amour et de foy,
Toy qui sçais maintenant ce que j’ay fait pour toy,
Si de mes actions la derniere t’offence,
1610 Pardonne à ceste amour qui me fait violence,
Puis que ne l’avoüant qu’à ceste extremité,
Ma mort va reparer mon infidelité.
Et vous Maistre des Roys, divinités supremes,
Qui sçavez nos desseins beaucoup mieux que nous mesmes,
1615 Vous fustes seuls tesmoins de mon affection*, {p. 88}
Soyés-le aussi grands Dieux de ma confession,
Et lancés si je ments sur ma teste coulpable
Ce que vostre cholere a de plus redoutable.
Chef d’œuvre, le plus beau qui de la main des Dieux
1620 Fut jamais envoyé pour briller à nos yeux,
Lumiere de nos jours et que j’ay seul esteinte
Par une deplorable et cruelle contrainte,
Grande Reyne l’amour de tout cest Univers,
Beauté que j’idolâtre et beauté que je perds,
1625 Tournez de vos beaux yeux la lumiere mourante,
Et voyez à vos pieds le desolé Phalante
Prest à vous satisfaire avec ce mesme cœur,
Qui s’arma contre vous d’une fausse rigueur ;
Dans* ces extremitez il n’est plus temps de feindre
1630 L’estat où je vous voy me permet de me plaindre,
Et de vous declarer ce que ce cœur noircy,
A tout le monde entier a caché jusqu’icy.
Quoy que ma passion* cedat à ma contrainte,
Jamais ame ne fut si vivement attainte,
1635 Et ne brusla d’un feu* si parfait et si beau
Que celuy qui m’enflame, et me guide au tombeau,
Bien qu’il souffrît pour vous d’une ardeur violente,
Philoxene luy mesme aymoit moins que Phalante,
Un mal qu’il descouvroit estoit beaucoup plus doux,
1640 Il vous aymoit, Madame, et je mourois pour vous,
Les Dieux, les bois, les fleurs, et les choses sans ame
Ont esté seulement confidens de ma flame*,
Et seulement aux Dieux, à des fleurs, à des bois {p. M, 89}
Ce cœur desesperé s’est ouvert mille fois,
1645 Depuis le premier jour mon ame vous adore,
La passion* qu’elle eut et qui luy reste encore,
Prevint* l’affection* que vous eustes pour moy,
Mais avant mon amour j’avois donné ma foy.
Ma foy que mon mal’heur indignement viole,
1650 Ouy j’estois engagé d’honneur et de parole,
Et je devois servir jusqu’à l’extremité,
Un amy vertueux : Je m’en suis acquité,
Ou pour le moins j’ay fait ce que je pouvois faire,
Pour garder ma parole et pour le satisfaire.
1655 Et j’ay pour le servir trahy mon sentiment,
Sacrifiant ma vie à son contentement,
Je l’ay deu, je l’ay fait, ô souvenir funeste !
Vous le sçavez Madame, et vous verrez le reste.
En vain pour mon amy j’ay fait ce que j’ay peu,
1660 Vous verrez si pour vous j’ay fait ce que j’ay deu.
Mon mal’heur m’a rendu cruel à ce que j’ayme,
Je l’ay perdu, vous perds, et me perdray moy-méme,
Ce coulpable innocent a peché par malheur,
Son amy pardonna son crime à sa douleur.
1665 Il vit son desespoir et creut son innocence,
Mais je dois autrement reparer mon offence.
Et vos bontés en vain me voudroient pardonner,
Puisque par tout mon sang je ne puis redonner
A Timandre son fils à ce peuple sa Reyne,
1670 Que je suis un object d’horreur, d’effroy, de hayne,
Et que moy seul, ô Dieux ! ay mis dans le tombeau, {p. 90}
Ce que pour moy la terre eut d’aymable et de beau.
J’ay perdu l’un et l’autre, et les veux satisfaire,
Vous peuple à qui j’enleve une Reyne si chere,
1675 Suject infortuné de qui le deuil profond,
Comme il est dans vos cœurs se lit sur vôstre front,
En detestant l’ingrat qui vous l’aura ravie,
Considerez aussi les malheurs de sa vie.
Et vous ressouvenez que pour vous contenter
1680 Vos yeux dessus ce fer l’ont veu precipiter,
Et que sa mort est douce en reparant son crime.

HELENE.

O reparation qui n’est plus legitime,
Ah ! Phalante.

ARBANTE.

Ah ! mon Maistre, ô malheur de mes jours !
Helas ! assistés-moy.

PHALANTE.

J’abhorre ton secours.

HELENE.

1685 Ah ! cruel à moy seule, et non pas à toy-mesme,
Qui te donnes la mort à cause que je t’ayme,
Pour me perdre deux fois, faisant un double effort,
Et cruel dans ta vie, et cruel dans ta mort.
Acheve, acheve ingrat, et s’il te reste encore, {p. 91}
1690 Un rayon de pitié pour celle qui t’adore,
Finis ton homicide et preste en ma faveur
Et ton fer et ta main pour en percer ce cœur,
C’est là qu’il faut donner la derniere blessure,
Et que tu dois percer ta vivante figure,
1695 Ta derniere retraite* est dans cette prison
Cherche toy la, cruel, et previen* le poison,
Il est lasche, il est lent, suppleons,

PHALANTE.

Ah ! Madame,
De grace en ce moment où je vous rends une ame
Toute pleine de zele et d’amour et de foy,
1700 Ne me condamnez point, je fay ce que je doy,
Le plus juste regret dont ma mort est suivie,
C’est que pour m’aquiter je ne perds qu’une vie,
Et qu’ayant fait mourir ma Reyne et mon amy,
Je ne puis en mourant les payer qu’à demy.
1705 Je perds la voix, adieu recevez

HELENE.

Ah ! Phalante.

ARBANTE.

Ah ! Seigneur.

HELENE.

{p. 92}
Il est mort, et moy je suis vivante.
Et l’effort du poison est si foible et si lent,
Pour me faire mourir d’un coup plus violent,
Bien que par ton moyen ma mort soit asseurée,
1710 Je te maudis cruel qui l’as tant differée,
Et qui par ton secours me pourrois garantir
Du regret qui me tuë avant que de partir.
Ah ! je sens son approche, une mortelle glace
Gagne desja mon cœur et l’ame qu’elle chasse,
1715 Va rejoindre Phalante au partir de ce lieu,
Adieu mes chers amis ne pleurez plus, Adieu.

FIN.