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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Urbain Chevreau. L'Advocat duppé. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 28 sc. 290 répl. 4,4 l. 1 288 l. 1 288 l. 35 % 3 682 l. (100 %) 2,9 pers.
ATALANTE 8 sc. 35 répl. 4,5 l. 518 l. (41 %) 157 l. (13 %) 31 % 1 930 l. (53 %) 3,7 pers.
IZIDORE 2 sc. 7 répl. 7,7 l. 176 l. (14 %) 54 l. (5 %) 31 % 406 l. (12 %) 2,3 pers.
PHILEMON 3 sc. 12 répl. 5,6 l. 112 l. (9 %) 68 l. (6 %) 61 % 278 l. (8 %) 2,5 pers.
POLYDAS 15 sc. 69 répl. 5,7 l. 799 l. (63 %) 394 l. (31 %) 50 % 2 540 l. (70 %) 3,2 pers.
FLAMINIE 10 sc. 45 répl. 3,7 l. 625 l. (49 %) 169 l. (14 %) 27 % 2 346 l. (64 %) 3,8 pers.
MAINALTE 11 sc. 40 répl. 3,9 l. 446 l. (35 %) 156 l. (13 %) 36 % 1 744 l. (48 %) 3,9 pers.
SICANDRE 10 sc. 48 répl. 3,5 l. 601 l. (47 %) 168 l. (14 %) 28 % 2 377 l. (65 %) 4,0 pers.
THARZINTE 6 sc. 22 répl. 3,7 l. 312 l. (25 %) 80 l. (7 %) 26 % 1 406 l. (39 %) 4,5 pers.
CALLIANTE 2 sc. 12 répl. 3,5 l. 93 l. (8 %) 42 l. (4 %) 46 % 223 l. (7 %) 2,4 pers.
Urbain Chevreau. L'Advocat duppé. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
ATALANTE
IZIDORE
80 l. (66 %) 5 répl. 15,8 l.
42 l. (35 %) 5 répl. 8,3 l.
1 sc. 121 l. (10 %) 2,0 pers.
ATALANTE
PHILEMON
21 l. (40 %) 6 répl. 3,4 l.
32 l. (61 %) 5 répl. 6,4 l.
2 sc. 52 l. (5 %) 2,6 pers.
ATALANTE
POLYDAS
37 l. (45 %) 14 répl. 2,6 l.
46 l. (56 %) 13 répl. 3,5 l.
4 sc. 82 l. (7 %) 4,7 pers.
ATALANTE
FLAMINIE
8 l. (74 %) 4 répl. 1,9 l.
3 l. (27 %) 3 répl. 0,9 l.
3 sc. 10 l. (1 %) 5,7 pers.
ATALANTE
MAINALTE
5 l. (35 %) 2 répl. 2,1 l.
9 l. (66 %) 3 répl. 2,7 l.
2 sc. 12 l. (1 %) 5,8 pers.
ATALANTE
SICANDRE
9 l. (68 %) 3 répl. 3,0 l.
5 l. (33 %) 3 répl. 1,4 l.
2 sc. 13 l. (2 %) 5,1 pers.
ATALANTE
THARZINTE
1 l. (21 %) 1 répl. 0,4 l.
2 l. (80 %) 1 répl. 1,5 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 6,0 pers.
IZIDORE
PHILEMON
13 l. (34 %) 2 répl. 6,1 l.
24 l. (67 %) 2 répl. 11,9 l.
1 sc. 36 l. (3 %) 3,0 pers.
PHILEMON
MAINALTE
12 l. (52 %) 5 répl. 2,4 l.
12 l. (49 %) 5 répl. 2,2 l.
1 sc. 23 l. (2 %) 2,0 pers.
POLYDAS 106 l. (100 %) 4 répl. 26,3 l. 4 sc. 105 l. (9 %) 1,0 pers.
POLYDAS
FLAMINIE
139 l. (60 %) 25 répl. 5,5 l.
96 l. (41 %) 22 répl. 4,3 l.
7 sc. 234 l. (19 %) 3,7 pers.
POLYDAS
MAINALTE
19 l. (70 %) 4 répl. 4,6 l.
9 l. (31 %) 6 répl. 1,3 l.
2 sc. 26 l. (3 %) 5,5 pers.
POLYDAS
SICANDRE
75 l. (51 %) 20 répl. 3,7 l.
74 l. (50 %) 19 répl. 3,9 l.
5 sc. 148 l. (12 %) 4,1 pers.
POLYDAS
THARZINTE
12 l. (86 %) 3 répl. 3,8 l.
2 l. (15 %) 2 répl. 1,0 l.
1 sc. 13 l. (2 %) 6,0 pers.
FLAMINIE
MAINALTE
14 l. (51 %) 5 répl. 2,7 l.
14 l. (50 %) 6 répl. 2,2 l.
3 sc. 27 l. (3 %) 5,2 pers.
FLAMINIE
SICANDRE
57 l. (56 %) 15 répl. 3,8 l.
47 l. (45 %) 10 répl. 4,6 l.
5 sc. 103 l. (9 %) 3,5 pers.
MAINALTE 57 l. (100 %) 2 répl. 28,4 l. 2 sc. 57 l. (5 %) 1,0 pers.
MAINALTE
SICANDRE
25 l. (48 %) 9 répl. 2,7 l.
27 l. (53 %) 12 répl. 2,2 l.
5 sc. 51 l. (4 %) 4,9 pers.
MAINALTE
THARZINTE
24 l. (45 %) 6 répl. 3,9 l.
30 l. (56 %) 6 répl. 4,9 l.
3 sc. 53 l. (5 %) 5,2 pers.
MAINALTE
CALLIANTE
11 l. (45 %) 3 répl. 3,7 l.
14 l. (56 %) 4 répl. 3,4 l.
1 sc. 25 l. (2 %) 3,0 pers.
SICANDRE
THARZINTE
18 l. (63 %) 4 répl. 4,3 l.
11 l. (38 %) 3 répl. 3,4 l.
4 sc. 27 l. (3 %) 5,4 pers.
THARZINTE
CALLIANTE
35 l. (55 %) 9 répl. 3,8 l.
29 l. (46 %) 8 répl. 3,5 l.
2 sc. 63 l. (5 %) 2,4 pers.

Urbain Chevreau

1637

L'Advocat duppé. Comédie

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Audrey Maratra
2013
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2013, license cc.
Source : Urbain Chevreau. L'Advocat duppé. Comédie. A PARIS, Chez Toussaint Quinet, au Palais, dans la petite salle, sous la montée de la Cour des Aydes M. DC. XXXVII. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

L’ADVOCAT DUPPÉ. COMEDIE. §

{p. III}

A HAUT ET PUISSANT SEIGNEUR, MESSIRE, JEAN VICOMTE DE SCUDAMORE, Ambassadeur en France, pour sa Majesté de la grande Bretagne. §

MONSEIGNEUR,

Cét ouvrage me fait rougir, et j’ai raison de présenter avec crainte ce que vostre Grandeur ne devroit recevoir qu’avec quelque sorte de dégoust. Mais c’est un advocat qui ne demande pas justice, il se confie en vostre bonté, et sçachant {p. IV} bien que la France se peut vanter aujourd’hui de vivre des long-temps dans l’Angleterre par vostre illustre Maison ; il n’aprehende pas de vous entretenir en sa langue. Il n’est pas estranger dans son païs ; il a sçeu qu’on ne pouvoit retrancher de l’histoire les belles actions de vos Ancestres qu’en la privant de ce qui l’embellit, et de ce que nous admirons tous les jours ; il aprend encore de la voix commune qu’on se contente d’envier la mort glorieuse de ses Heros, dont on ne peut imiter la vie qu’avec des forces et des effors dont les hommes du siècle n’ont pas droit de se prevaloir. Je sçai bien, Monseigneur, que leur gloire ne fait pas la vostre, et qu’en ayant assez aquis pour la faire servir d’exemple à ceux qui viendront apres nous ; vous ne treuverez pas mauvais qu’on vous donne quelque chose sans leur ravir. Depuis que vous avez cru que le mérite rend les Princes plus recommandables que leur sang, et que leur Couronne, de quelque or qu’elle soit faite, n’est jamais si belle que leur Vertu, vous avez estimé dans vos Aïeulx l’éclat de leur vie plutôt que celuy de leur fortune, et vostre Générosité a étendu les bornes que la mort leur avoit prescrites. Vous avez fait voir que vous connessez la veritable gloire, non pas comme les Pilo- {p. V}tes connoissent les écueils et les precipices pour les éviter ; mais comme un bien hereditaire qui vous touche, et sans lequel vous vous estimeriez pauvre quand même vous auriez dequoi enrichir tous les miserables. Si bien que si on estoit contraint de faire le portrait d’un homme que les belles qualitez élevent au dessus des autres, il faudroit de nécessité que vous en fussiez l’original. Mais, Monseigneur, je laisse parler la renommée, et je suis bien aise que la multitude de vos Nobles actions fasse la sterilité de mon esprit et de mes pensees ; et s’il s’est treuvé des personnes qui apres avoir veu le Soleil ont beni cétte belle lumiere, qui les avoit renduës aveugles, j’ai à me consoler de ce qu’un tel éclat m’eblouit, et dans cét état j’ai dequoi faire des jaloux si vous me permettez l’honneur de me dire,

Monseigneur,

de vôtre Grandeur,

Le tres-humble, et tres-

obeïssant serviteur,

Chevreau.

{p. VI}

AU LECTEUR. §

Mon dessein n’est pas de blamer ici tous les Advocats, je ferois conscience de toucher à ceux qu’Atalante soupçonne de n’en point avoir, et ce ne seroit pas faire justice à ceux qui la demandent tous les jours. J’en ai seulement choisi un, dont les images sont un peu troublées, et dont l’esprit n’a pas assez de lumiere pour se faire jour aux entreprises d’une fille. Je l’ai voulu rendre capable d’amour, afin de le disposer à des actions qui sont bien souvent de l’intelligence de cette passion, qui d’ordinaire éblouït les sens quand elle ne les peut aveugler. Cét Advocat est jeune, et par consequent les ruses du Palais ne luy ont point encore apris à éviter celles qu’on luy avoit preparées, et l’amour est un mal dont on ne treuve pas le remede dans Barthole ni dans Cujas, qui n’enseignent pas le droict qui est si necessaire pour cét effet. Il est vrai que son entreprise a reüssi dans sa fin, qui est le mariage, mais si vous considerez les moyens dont on se sert pour le dupper d’un bout à l’autre, les artifices de Flaminie, le consentement d’Atalante, l’intrigue de Mainalte, la feinte generosité de Tharzinte, et les divers mouvement où il est luy-même lors qu’il se propose de l’abandonner ; vous {p. VII} advoüerez qu’il s’est fait des pieges que les autres ont tendus pour le prendre, et où il tombe insensiblement. Que si vous treuvez des injures contre les Advocats dont les æquivoques necessaires ne changent pas tout à fait la force ; donnez au ressentiment d’Atalante ce que le commencement du sujet en doit exiger. Si c’est une feinte, elle est vrai semblable ; et si c’est une vérité, vous ne devez point passer plus avant. Pour la pièce, je l’ai acommodée à la nature du Poëme Comique, qui rebute en tout des vers et des sujet graves, pource que les uns ni les autres ne sont point de la jurisdiction, et qu’elle se treuveroit defectueuse de ce qui embellit la Tragédie. Pour ce qui est des fautes, si vous condannez à mort tous ceux qui en font, je suis en danger de ne vivre pas long-temps, si je n’obtiens ma grace de quelque autre qui les excuse, et qui connessant ma franchise et mon humeur, relachera peut-estre de sa sévérité, à dessein seulement de me donner advantage de me corriger.

{p. VIII}

Privilege du Roy. §

Louis par la grace de Dieu Roy de France et de Navarre. A nos amez et feaux les gens tenans nos Cours de Parlements, Baillifs, Seneschaux, Prevosts, Juges, ou leurs Lieutenans, et à chacun d’eux en droit soy, Salut. Nostre cher et bien aimé Toussainct Quinet Marchand Libraire, nous a fait remonstrer qu’il desirerait faire imprimer et mettre en lumiere une Comedie, Intitulée L’Advocat duppé, mais crainte que l’impression ne luy soit dommageable, si d’autres que luy s’ingeroient de le faire imprimer, il nous a sur ce requis nos Lettres necessaires. A ces causes nous avons permis et octroyé, permettons et octroyons audit Quinet d’imprimer, ou faire imprimer ladite Comédie par tels Imprimeurs que bon luy semblera, icelle vendre et exposer durant le temps de sept ans, pendant lequel temps nous avons fait et faisons tres-expresses inhibitions et defences à tous autres Libraires et Imprimeurs de la faire imprimer, vendre, ny debiter sur peine de perte des exemplaires, et de trois mil livres d’amende, appliquable un tiers à nous, et un tiers à l’Hostel Dieu de Paris, et l’autre tiers à l’exposant, despens dommages et interests, et afin qu’ils n’en pretendent cause d’ignorance. Nous voulons que mettant en fin des exemplaires autant des presentes, elles soient tenües pour certifiées, à la charge toutefois de mettre deux exemplaires de ladite Comedie dans nostre bibliothecque des Cordeliers à Paris, et un exemplaire és d’icelle és mains de nostre amé et feal Chevalier, Chancelier de France le Sieur Seguier. Car tel est nostre plaisir. Donne à Paris le vingt-uniesme jour d’Aoust, l’an de grace mil six cens trente-sept, Et nostre regne le 28. Par le Roy en son Conseil. De S. Andre, et scellé du grand seau de cire jaune.

Achevé d’imprimer le dernier Septembre 1637.

Lesdits exemplaires ont esté fournis.

{p. X}

ARGUMENT DU PREMIER ACTE. §

Atalante avec sa sœur Izidore se plaint de sa misere, que la perte d’un procez leur fait naistre en méme temps qu’elles se proposoient beaucoup de choses pour leur advancement, et dans ce ressentiment elle ne peut s’empescher de parler avec un peu de liberté des Advocats qu’elle ne pouvoit aimer pour beaucoup de considerations legitimes. Izidore neantmoins pour la consoler dans sa necessité, luy donne advis de l’amour de Polydas Advocat, qui par la seule reputation d’Atalante l’avoit tellement aymée qu’il ne pût s’empescher d’en donner advis à sa sœur Flaminie afin de la rendre confidente d’une passion si forte ; ce qu’Izidore sçachant, aidée de Philemon leur curateur, elle prend l’habit d’un Clerc, et va se presenter à Polydas, apres avoir esté asseurée qu’il en cherchoit un.

{p. IX}

ACTEURS. §

  • ATALANTE.
  • IZIDORE. Sœurs.
  • PHILEMON. Curateur d’Atalante et d’Izidore.
  • POLYDAS. Advocat, amoureux d’Atalante.
  • FLAMINIE. Sœur de Polydas.
  • MAINALTE. Frere d’Atalante et d’Izidore.
  • SICANDRE. Clerc.
  • THARZINTE. Amoureux d’Izidore, sous le nom de Sicandre.
  • CALLIANTE.
La Scene est à Paris.
[A, 1]

ACTE PREMIER.

L’ADVOCAT DUPPÉ. COMEDIE. §

ATALANTE, ISIDORE, PHILEMON, POLYDAS, FLAMINIE.

SCENE PREMIERE. §

ATALANTE, ISIDORE.

ATALANTE.

Ma Sœur, que la misere est aujourd’huy commune !
Qu’on fait par la beauté rarement sa fortune* !
Que le sort* est ingrat à celles qui n’ont rien !
Nous voyons que tout manque à qui manque de bien, {p. 2}
5 Et que la pauvreté semble estre si funeste*,
Que le monde la fuit à l’égal de la peste.
Dans la prosperité, mille petits plaisirs
Succedoient tous les jours à nos jeunes desirs ;
Les uns nous conduisoient le soir aux promenades,
10 Les autres nous donnoient le soir des serenades,
Et par des instrumens capables de charmer,
Taschoient de nous surprendre, et de se faire aimer :
L’honneur qu’ils en avoient leur servoit de salaire*,
Et s’ils jouoient du luth, de peur de nous déplaire,
15 Tous ces Amants* brûlez et transis à la fois
Trembloient le plus souvent jusques au bout des doigts.
Par tout également leur ame estoit éprise,
Ce n’estoit que pour nous qu’ils alloient à l’Eglise,
Ils nous donnoient le bal, s’exerçoient à louër
20 Tout ce dont la Nature avoit pu nous doüer,
Nous faisoient en secret sçavoir leur maladie,
Nous menoient avec eux pour voir la Comédie*,
Et si leur feu* croissoit, pour le mieux apaiser,
Ils inventoient des jeux afin de nous baiser :
25 Bref le plus médisant nous mettoit en estime,
Et ne nous pas aimer c’estoit commettre un crime.
Maintenant qu’un procez a changé nostre sort*,
Nous sommes sans amants*, nous sommes sans suport, {p. 3}
Ceux qui nous caressaient nous font mauvaise mine*,
30 Et leur esprit est froid comme nostre cuisine.
Les juges ont treuvé ce procez odieux,
Pource que trop peu d’or éclattoit à leurs yeux.
« Helas ! Nostre partie en fit bien son affaire,
« Et vit bien que l’argent y seroit necessaire,
35 « Que c’est par ce moyen qu’on les doit étonner*,
« Et qu’on n’en a du bien qu’à force d’en donner :
« On ne les repaist plus de tous ces graves termes,
« Qui rendoient leurs esprits si justes et si fermes,
« C’est en vain jour et nuict visiter leurs maisons,
40 « Ils sçavent mieux peser nostre or que nos raisons,
« Atalante, ma sœur, sçait par experience
« Qu’ils ont beaucoup de mains, mais peu de conscience,
« Qu’un écrit sans present sert à les irriter,
« Qu’il faut perdre avec eux afin d’y profiter,
45 « Et qu’en tout temps ces gens qui causent nostre perte,
« Comme les Medecins tiennent la main ouverte.

ISIDORE.

Il se faut consoler, et tascher desormais
De posseder du moins une éternelle paix
Maintenant nostre mal* peut avoir son remede, {p. 4}
50 Et si nous le voulons, nous treuverons de l’aide.
Nous n’avons point perdu l’esprit ni la beauté,
Il s’en faudra servir dans une extremité* :
Un certain Advocat, comme on m’a fait accroire,
Veut establir chez nous son repos et sa gloire*,
55 Il ne vous connoist point ; un recit seulement
De vostre bonne humeur* l’a rendu vostre Amant* :
Il est riche, il est jeune, et sa flamme* naissante
Toucheroit doucement vostre Ame languissante.

ATALANTE.

Est-ce, ma chere sœur, des jeunes Advocats
60 Dont ton esprit se picque, et dont tu fais du cas ?
Qu’on a troublé tes sens ! Que ta sottise est grande !
Et qu’à saint Mathurin tu dois bien une offrande !
Que tu crois de leger ! Que tu conseilles mal !
Et qu’un jeune Advocat est un sot* animal :
65 Depuis que j’en voy tant, sçache que je me pique
D’entendre aussi bien qu’eux les termes de Pratique.
Ordonnances, Edicts, verifications,
Inventaires, defauts, renvois, productions,
Requeste, apointemens, contredits et sentences,
70 Appel, desertions, demandes, et deffences,
Graces, remissions, inscriptions à faux,
Arrests, transactions, griefs, lettres Royaux; {p. 5}
Bref ils s’estiment bien quand des choses pareilles
Pour me rendre sçavante ont chocqué mes oreilles,
75 Et me viennent conter sans aucune raison
Qu’ils entendent* Cujas, et Barthole, et Jason.
Au reste sans sujet chacun s’en fait accroire,
On ne les peut aimer à cause de leur gloire* :
Leur humeur* est plaisante ; ils font les courtisans ;
80 Et prens garde, ma sœur, qu’ils sont tous médisans.
Pour leur plaire il faudroit prononcer des oracles,
Et pour les contenter faire quelques miracles ;
L’une sera passable, et l’autre n’aura rien
Qui puisse mériter le plus simple entretien,
85 Ils prendroient celle-cy, mais c’est un corps sans ame,
L’une aura trop de glace, et l’autre trop de flâme*,
Celle-cy parle trop, l’autre parle trop peu,
Bref rien n’est suffisant de leur donner du feu*.
Ces petits Advocats sont d’une humeur* étrange !
90 Il faudroit qu’une fille eut la beauté d’un Ange,
Et que l’esprit fut tel, que jamais un Amant*
Ne l’oüit, sans entrer dans un ravissement,
Pour moy.

ISIDORE.

N’en parlez plus, ma sœur, chere Atalante,
Je puis rendre aisément vôtre ame plus contente.    
95 Si Polydas vous aime, et qu’on treuve aujourd’huy {p. 6}
Un moyen qui soit prompt à flater vôtre ennuy*,
Sans doute vous crerez que je vous suis fidelle,
Puis que vôtre fortune* en doit estre plus belle.

ATALANTE.

Ah ! ne me reduis point à tant d’extremitez*,
100 Le plus juste Advocat prend de tous les costez.
Non, non, je n’en veux point.

ISIDORE.

Je plains vôtre sottise,
Ils prennent quelquefois, mais on les authorise :
Ils demandent en droit ; leurs pechez infinis,
« Quoy qu’ils soient reconnus, ne sont jamés punis.
105 « Ils peuvent exercer beaucoup de violences,
« Puis qu’ils ne prennent point sans avoir leurs licences :
Mais non, ma chere sœur, il vaut mieux raisonner,
Car nôtre pauvreté nous devroit étonner,
Nous avons quantité de collets et de juppes,
110 Mais ce sont seulement des filets pour des duppes,
On nous voit du satin, nous portons du tabis,
Mais on s’arreste à l’or, et non pas aux habits :
Vôtre foible raison doit ceder à la mienne.
L’argent est toujours bon de quelque lieu qu’il vienne :
115 Lors que nous en aurons nos yeux seront charmans, {p. 7}
Nous recevrons des vœux, nous aurons des amans*,
Nôtre sort* rigoureux finira sa colêre,
Nos plus grands ennemis tascheront de nous plêre,
Et tous ceux que nos yeux avoient fait endurer
120 Avec mille respects viendront nous adorer.
Croyez-moy, Polydas est d’humeur* à se prendre,
S’il vous voit un moment, forcez-le de se rendre,
Joüez de la prunelle, et dans vostre entretien*
Soyez de bonne humeur*, ne luy refusez rien.

ATALANTE.

125 J’en feray mon Amant*, un sous-ris, une œillade    
D’un qui sera bien sain en peut faire un malade.
Je fais ce que je veux, un geste seulement
Afflige à mon desir, ou ravit un Amant*.
Genereuse Isidore, il faut que je t’advoüe
130 Que ton esprit me plaist, et qu’en fin je te loüe,
Qu’en ce temps la richesse est un puissant motif,
Et qu’un homme pour elle est aisément captif*.
Mais quoy ce Polydas m’aime sans me conétre,
Son amour doit finir ainsi qu’on l’a veu naître.
135 En quel lieu bien-heureux recevray-je sa foy* ?
Où le pourray-je voir ? Qui parlera pour moy ?
Il faut auprés de luy quelqu’un qui l’entretienne*,
Et dont la bonne humeur* seconde un peu la sienne.

ISIDORE.

{p. 8}
Il ne me connest point, je veux m’offrir à luy,
140 Ce moyen seulement finira vostre ennuy*,
J’auray d’autres habits, tout nous sera propice,
Je feindray d’estre Clerc, je luy rendrai service,
Et tout reüssira si bien à mon desir,
Que nous ne devons pas negliger ce plesir.
145 Laissez faire le reste, et vous serez contrainte
Quand nous aurons tout fait de bannir vostre crainte :
Mais il faut de l’argent.

ATALANTE

Tout nous vient à propos,
Voy nostre Curateur d’où dépend mon repos*.

ISIDORE

Il faut bien en avoir, nous l’y sçaurons contraindre,
150 Pour en tirer de luy, nous n’avons qu’à nous plaindre.

ACTE I. SCENE DEUXIEME. §

[B, 9]
PHILEMON, ATALANTE, ISIDORE.

PHILEMON.

Mes Dames quel sujet vous servoit d’entretien* ?

ATALANTE.

Nous plaignions nos mal-heurs, et nôtre peu de bien ;

PHILEMON.

Vous pouviez dés long temps vous choisir un remede
Capable de guerir le mal* qui vous possede.
155 Vous cherchez à parêtre, et tant de nouveautez
Vous ont mis depuis peu dans ces extremitez*.
Par tout également vôtre humeur* s’acommode,    
Vous changez plus d’habits qu’on ne change de mode, {p. 10}
Vous dépensez en fard, en robes, en galans*,
160 Vous ne portez jamés deux fois de mêmes gans,
Vous avez des habits pour parêtre plus belles,
Il vous faut des collets, des masques, des dantelles,
Des toiles, de la poudre à secher vos cheveux,
De qui les dous liens ont tant fait d’amoureux*,
165 De riches bracelets, des coliers, des guirlandes ;
Non, non, ce sont pour vous des sottises trop grandes.
Pour si peu de plesir c’est avoir trop de mal,
Et c’est prendre un chemin qui mene à l’hospital*.
Vous en avez trop faict, il est temps de se rendre,
170 « Ne pouvant plus monter, sçachés qu’il faut déscendre,
Et quitter cét orgueil qui vous a mis au point
De perdre tous les jours et de ne gaigner point.
Je sçai que maintenant vous m’estes redevables
De ce dont je vous tiens desormais insolvables,
175 Que les comptes rendus, on vous preuvera bien
Que vous devez beaucoup, et qu’on ne vous doit rien.
Mais comme un bon ami, je vous ferai parêtre
Que vôtre esprit un jour devra me reconêtre,
Et qu’à present bien loing de vous estre importun
180 Je ne possede rien qui ne vous soit commun.

ISIDORE.

{p. 11}
Vous sçavez justement l’art de charmer nos penes*,
« Un ami se connest aux choses incertenes.
Je voi dans cét âvis vôtre esprit ingenu,
« Et connois que l’épargne est un bon revenu,
185 « Qu’un bien dure long temps alors qu’on le ménage,
« Et qu’on n’en peut tirer qu’un puissant avantage ;
Mais helas ces propos vous semblent superflus,
« Puis que le temps passé ne se recouvre plus.
Toutefois dans l’état où le destin nous range,
190 Il faudra malgré tout que son caprice change,
Et qu’un trait excellent n’agueres médité,
Finisse nôtre vie ou nôtre pauvreté.

PHILEMON.

S’il choque vôtre honneur vous serez méprisée,
Vous servirez par tout de sujets de risée,
195 Vous scandaliserez vos plus proches parens,
Mille sorte de maus* leurs seront aparens,
On les verra passer sans en faire du conte,
Et vous serez perduë aiant perdu la honte ;
Ainsi n’esperez plus d’avoir aucun bon-heur,
200 « Tout mal* doit arriver à qui n’a plus d’honneur.

ATALANTE.

{p. 12}
Ah ! Monsieur, la raison finiroit mon envie,
J’aime bien plus l’honneur que je n’aime la vie ;
Je suivray le sentier que vous m’avez batu,
« L’or quoi que precieux vaut moins que la vertu*.
205 Mais est-il deffendu de chercher dans son ame
Dequoi nous enrichir sans meriter du blame ?
Puis que la pauvreté fait nôtre mauvais sort*
Malgré ce grand orage il faut chercher un port,
Et charmer si l’on peut tellement la fortune*
210 Que contre sa coutume aucun ne l’importune,
Cent francs y suffiront.

PHILEMON.

Je vous les veux donner
S’il est vray que je seme afin de moissonner.

ISIDORE.

Nous vous dirons bien tôt l’affaire toute nuë,
Vous en pourrez loüer et la cause et l’issuë,
215 Et vous apreuverez un aussi joli tour
Qu’on en ait veu dans l’art de pratiquer l’amour.

PHILEMON.

Pourveu qu’à vôtre espoir cette ruze réponde
Le succez me rendra le plus content du monde. {p. 13}

ATALANTE.

Nôtre affaire ira bien, ton esprit est charmant,
220 Si c’est par ce moyen que j’aquiers un Amant*.

ACTE I. SCENE TROISIESME. §

POLYDAS, FLAMINIE.

POLYDAS.

Ma sœur vous sçavez bien que le monde l’estime,
Et confessez par là mon amour legitime ;
Le bruit de ses vertus a des-ja tant d’effet
Que je tiens dés long-temps ce chef-d’œuvre parfet,
225 Même les plus jalous luy donnent tant de charmes,
Qu’au lieu d’y resister ils luy rendent les armes ;
Et je croi qu’Atalante a des attraits* puissans
Puis que ses ennemis* les treuvent ravissans.
Pour moi qui sans la voir cheris sa renommée,
230 Et qui voi que ma flâme* est assez alumée, {p. 14}
J’aprehende ses yeux, et je crains leur pouvoir
Si je le sens des-ja premier que de les voir.
Dans cette occasion cette ardeur violente
Qui me brûle toujours ne devient pas plus lente,
235 Et par un sort secret qui conclud mon trépas
Je suis forcé d’aimer ce que je ne voi pas.
Au moins si le bon-heur m’ût fait voir son visage
Je ne me plaindrois pas, j’aurois cét avantage,
Et son teint et son corps à qui rien n’est égal
240 Ne m’auroient pas causé peut-estre tant de mal* ;
Et dans un tel état.

FLAMINIE.

Cessez, cessez mon frere
Je vous la ferai voir si vous m’en voulez crere.
Mais par ce trait d’amour vous devés avoüer
Qu’en ceci nôtre sexe est beaucoup à loüer.
245 Un recit seulement touche si bien vôtre ame,
Qu’aujourd’huy vos soupirs ne sont plus que de flâme* ;
L’homme est d’un naturel si sensible à nos coups
Qu’il ne sçaurait nous voir sans se plaindre de nous.

POLYDAS.

{p. 15}
Je la cheris ma sœur d’une amour legitime,
250 Où l’excès est loüable et le change est un crime,
Le feu* que j’ai pour elle est si dous et si beau
Qu’il doit m’acompagner jusque dans le tombeau.
Mais dequoi desormés m’en servira la veüe
Quand je lui ferois voir mon ame toute nuë ?
255 Quand je l’esleverois par dessus tous les Cieux,
Que mon esprit confus la suivroit en tous lieux,
Que je l’adorerois, et qu’enfin mes loüanges
Feroient voir ses apas* à la honte des Anges ;
C’est un foible moyen pour l’attirer à moi,
260 Et peut-estre qu’un autre aura des-ja sa foi*.
O Ciel que ce mal-heur affligeroit ma vie !
Le trépas seulement finiroit mon envie,
« Je voudrois estre seul, car l’amour a ce mal*
« Que comme il est unique il ne veut point d’égal.

FLAMINIE.

265 Atalante est bien fort dans vôtre fantesie,
Car des-ja vôtre amour tient de la jalousie :
Vous l’aimez sans la voir, et pour vous mieux aider
Vous croiez qu’un chacun vous la doive ceder.

POLYDAS.

{p. 16}
S’il te falloit aimer, ah tu craindrois de même,
270 Il faut estre jalous de la chose qu’on aime,
N’aimer pas comme moi, c’est n’aimer rien qu’un peu.
C’est par là bien souvent qu’on entretient son feu*,
C’est par cette raison qu’un Amant* se captive,
Et que sans cette ardeur une flâme* est oisive.
275 « Un esprit bien jalous aime parfaitement,
« Et tel qui ne l’est pas aime indifferemment.

FLAMINIE.

C’est un juste moyen de contraindre une fâme,
A montrer chez autrui les excez de sa flâme*.

POLYDAS.

Nous sommes dans un temps où les moindres cocus
280 Sont toujours sans honneur, mais non pas sans escus.
Tout leur vient à souhait, et souvent ils soupirent
D’en avoir plus deux fois que leurs cœurs n’en desirent.
Au moins je me resous à souffrir cét afront,
Les cornes rarement incommodent le front.

FLAMINIE.

{p. C, 17}
285 Ha ! Si par une marque on les pouvoit connêtre,
Sans doute la plus-part auroient peur de parêtre.

POLYDAS.

Nous sortons d’un sujet que je ne puis quitter,
Tasche ma chere Sœur à me ressusciter.
Cherchons cette Atalante, et puis s’il est possible
290 Faisons-luy voir mon feu* qui n’est que trop visible,
Si sa beauté répond à ce qu’on m’en a dit
Mon cœur à son abord doit bien estre interdit,
Jamés un pauvre Amant* n’ût de si grandes pênes*,
Et jamais un captif* n’ût de plus fortes chaines*.
295 N’importe il se faut mettre en hazard* de guérir,
Et contenter mes yeux quand j’en devrois mourir.

FLAMINIE.

Vôtre mal* est puissant, il faut que je l’apaise,
Sans doute mon esprit vous doit mettre à vôtre aise.

POLYDAS.

{p. 18}
Si tu me fais ce bien, je dépite le Ciel
300 De me verser jamés une goutte de fiel* ;
Si ton invention me doit estre propice
Je ne sçaurois plus choir dans aucun precipice,
Et si je puis l’avoir, je serai plus ravi
Que si tout l’Univers devoit m’estre asservi.

FIN DU PREMIER ACTE
de l’Advocat duppé de
Chevreau.

ARGUMENT DU DEUXIESME ACTE. §

{p. 19}

Polydas ayant recogneu la gentillesse d’Izidore qu’il ne cognoissoit que sous le nom de Sicandre, sans sçavoir que ce fut une fille, et ayant apris qu’Atalante répondroit de sa fidelité, va la treuver, ravi d’une ocasion si favorable. Flaminie qui ne recevoit pas moins de contentement par la veüe de Sicandre, faisoit des-ja mille chimeres, et s’assuroit d’avoir de luy tout ce qu’un honneste homme ne peut pas refuser à celles de son sexe. Cependant Mainalte frere d’Izidore et d’Atalante revenu des armées, aprend de Philemon l’intrigue de cette amour de laquelle il veut les desambarasser, et fait dessein d’interrompre toute cette entreprise, au mesme temps qu’Atalante prioit Polydas de recevoir Sicandre qui s’y [20] voyoit des-ja instalé par son industrie, par les persuasions d’Atalante, et par la courtesie de Polydas. Dans ce commerce d’amour Tharzinte et Calliante amoureux également d’Izidore, se disputent et prennent heure pour se battre afin quelle demeure au plus heureux ou au plus adroit.

ACTE II. §

{p. 21}
POLYDAS, FLAMINIE, ISIDORE sous le nom de SICANDRE, MAINALTE, PHILEMON, THARZINTE, CALLIANTE.

SCENE PREMIERE. §

POLYDAS, FLAMINIE, SICANDRE.

POLYDAS.

305 Tu me soulageras, et tu feras ta gloire*
Si tu peux travailler comme tu me fais croire.

FLAMINIE.

Sa mine* est assez douce, et je pense à le voir
Qu’il n’a point de malice, et qu’il a du sçavoir.

SICANDRE.

Je vous sçai distinguer en quatre traits de plume
310 Les statuts des arrests, la loi de la coutume, {p. 22}
Bref vous me treuverez l’esprit si delicat
Que vous m’aimerez mieux qu’un fameux* Advocat.

POLYDAS.

Ses vanitez ma sœur sont tout à fait étranges,
Il s’obstine d’abord à faire ses loüanges :
315 Cette gloire* m’étonne, et me rend interdit,
J’aime bien ce qu’il sçait, mais non pas ce qu’il dit.

FLAMINIE.

Nous conêtrons bien tôt par quelque experience
Jusques où peut aller une telle science.
Allez dans vôtre étude*, et vous sçaurez apres
320 Sans parler si long temps, ce qu’il sçait à plus pres,
Il fera son profit s’il veut estre fidelle.

SICANDRE.

La fortune* me rit, et moi je me ris d’elle ;
Je suis toûjours loial, mais par fois indigent,
Je sçai voller des cœurs, et non pas de l’argent.

POLYDAS.

325 Quand même ce qu’il dit parêtroit veritable,
Ah cette vanité me semble insuportable,
Voi que mal-aisement on le peut retenir,
Aussi bien en deux jours faudroit-il le bannir. {p. 23}
Son orgueil est trop grand, il se doit reconêtre,
330 A l’entendre parler il pense estre le maître :
Non, de quelque sçavoir qu’il puisse estre doüé
Il a fait une faute alors qu’il s’est loüé.
Helas tu ne sçais pas le mal* que tu te causes !
J’aime l’humilité par dessus toutes choses :
335 Tu doy te corriger d’un visible defaut,
Au lieu de t’abaisser tu t’esleves trop haut,
A t’ouïr, un avis, un conseil t’incommode,
On treuve en ton esprit le Digeste et le Code,
Ton moindre sentiment est plus fort qu’une loi,
340 Et tu seras tantôt aussi sçavant que moi.
Adieu, va mon ami, ta sottise est trop clere,
Malaisement ta pene* aura-t’elle un salere :
Ne tarde plus ici ; n’en parlons plus ma sœur,
Je veux avoir un Clerc, et non pas un censeur,
345 Et quand même il seroit le plus parfait du monde
Pour sa fidelité, je veux qu’on m’en réponde.
Et bien pour cét effet as-tu quelques parens ?

SICANDRE.

Ouï, j’ay beaucoup d’amis qui seront mes garans,
Et vous pourrez tantôt voir une Damoiselle
350 Qui vous assurera comme je suis fidelle.

POLYDAS.

{p. 24}
Son nom.

SICANDRE.

C’est Atalante.

POLYDAS.

Il arrive à propos
Dans cette occasion je treuve mon repos.
D’où la connessez-vous ? Tout le monde la vante.

SICANDRE.

Je la voi tous les jours, ma Sœur est sa servante.

POLYDAS

à sa Sœur.
355 Tirons-nous à l’écart.

SICANDRE.

Je connois son humeur,
Et je m’en vais le rendre aussi fou qu’un rimeur.

POLYDAS.

Je n’ai point fait de vœus à qui tout ne succede,
Si tôt que j’ai du mal j’y rencontre un remede.
Je n’estimeray plus mon destin rigoureux,
360 La fin de son discours m’a rendu trop heureux.
Ma sœur, si nous usons d’une grande conduitte, {p. D, 25}
J’aurai d’oresnavant la fortune* à ma suitte ;
Outre que ce plesir me doit estre si dous
Que le moins envieux en doit estre jalous.
365 Mais l’irons-nous treuver ? Faut-il point qu’elle vienne ?
Parle, car ton amour doit soulager la mienne.

FLAMINIE.

Vous devez l’aller voir, et la civilité*
Vous y semble contraindre autant que sa beauté.

POLYDAS.

O Ciel ! Que ton conseil m’est en tout necessêre !
370 Tout mon bon-heur sans toi seroit imaginêre.
Il est vrai je le dois, son logis n’est pas loing,
Et puis le Clerc fera mon excuse au besoing.
(Il dit ceci à Sicandre :)
Venez donc me conduire au logis d’Atalante,
C’est d’elle maintenant que dépend vôtre attente.

FLAMINIE.

375 Si le Clerc est d’humeur à bien faire l’amour,
Nous aurons le moien de rire à nôtre tour.
{p. 26}

ACTE II. SCENE DEUXIESME. §

MAINALTE.

Enfin je suis rendu, j’ay fini mes traverses,
J’ai couru trop long temps des fortunes diverses :
On m’a veu dans la guerre où mes exploits guerriers
380 M’ont quasi fait mourir sous le faix des lauriers,
Ré, la Rochelle, Alaix, Privas, Cazal, et Suse,
Pignerol, Mommeillan, Nanci, tous ceux d’Anduse,
Corbie et Landreci, bref la plus part des forts
N’ont que trop épreuvé mes importans efforts.
385 J’ai paru dans la Cour et des Rois et des Princes,
J’ai vogué sur la mer, j’ai couru des Provinces,
Où sans difficulté j’ai franchi des hazards*
Capables desormais d’arrester des Cesars.
Le Poitou, le Piedmont, la Holande, l’Espagne,
390 La Suede, la Loraine, et toute l’Allemagne,
En un mot les païs où l’on a combatu
Preuveront à jamés ce que vaut ma vertu* ;
Et je croi sans mentir que là bas ces lieux sombres [ 27]
Doivent à ma valeur la plus-part de leurs ombres.
395 « Mais un pauvre soldat quoi qu’il soit genereux*
« Ne se peut voir osté du rang des malheureux,
« On donne au desespoir ce qu’on doit à sa gloire,
« Quand il fait quelquefois ce qu’on a pene à croire.
« Les charges maintenant dans ce commun malheur
400 « S’achetent par l’argent, et non par la valeur,
« Et l’on voit tous les jours tirer aux Capitenes,
« Et l’honneur de ses faits, et le fruit de ses penes*.
J’ai fait ce qu’un démon n’ût peut-estre pas fait,
Je n’ai rien entrepris que l’on juge imparfait,
405 J’ai cherché mille morts sans en treuver aucune,
Et j’ai gagné sur tout, sinon sur la fortune*.
J’ai quitté mon païs, et non pas ma douleur,
J’ai changé de clymat sans changer mon malheur,
Et cette pauvreté qui toûjours me travaille
410 Est l’ombre de mon corps en quelque lieu que j’aille.
Elle est à mes côtez, je ne la puis banir,
Et c’est avecque moy qu’elle voudroit finir.
Souvent pour la chasser j’ai hazardé* ma vie,
J’ai souhaité cent fois qu’elle me fût ravie,
415 Mais dans l’état facheux* où le Ciel me reduit
J’ai beau la detester, toujours elle me suit, {p. 28}
« Mon Dieu que la valeur est un foible avantage* !
« La vertu* maintenant est un sot* heritage ;
« Un chacun qui connest ce que vaut un thresor,
420 « Comme aus siecles passez adore les veaus d’or.
« En effet ce métal où nôtre espoir se fonde
« Est le bien de la vie, et l’idole du monde.
« Alors qu’un homme est riche il est aimé de tous,
« Et sa brutalité* fait même des jalous.
425 Mais un autre bien né qui par experience,
Pourroit de cent façons signaler sa science,
S’il est pauvre, on le met dans le nombre des sots*,
Quoy qu’il soit ravissant au moindre de ses mots.
Pour moi je connois bien que ces choses sont vraies,
430 Quand je découvrirois ou ma race, ou mes plaies,
Que je mettrois au jour mes plus fameux* combats,
Et que je nommerois ceux que j’ai mis à bas.
Mais voila Philemon, si je suis miserable*
Il me rendra bien tôt le sort* plus favorable.

ACTE II. SCENE TROISIESME. §

{p. 29}
PHILEMON, MAINALTE,

PHILEMON.

435 Quelle surprise, ô Ciel ! Vous estes revenu,
La guerre vous avoit bien long temps retenu.
Au moins je reconnois ici vôtre avantage,
Si nôtre esprit s’en doit raporter au visage.
Un semblable em-bon-point montre vôtre santé,
440 Mais dedans ces habits je voi la pauvreté,
Et j’oserai gager que dans toutes vos cources
« L’argent n’a point crevé vos poches ny vos bources.

MAINALTE.

Vous avez de la pene à vous l’imaginer,
Mais c’est ce qu’aisément vous devez deviner.
445 L’argent qu’ont les soldats ne trouble point leur joye,
« Et ce n’est pas pour eux que l’on bat la monnoie. {p. 30}
Tant de jours ont passé que je n’en ai pas veu
Que je crois bien souvent n’en avoir jamais eu.
Rien ne m’a reüssi, tout m’a semblé funeste*,
450 Mais tout mon reconfort gist au bien qui me reste.

PHILEMON.

N’en esperez plus rien, on a consumé tout,
Un procez et vos sœurs en ont treuvé le bout.

MAINALTE.

Et les biens que j’avois ?

PHILEMON.

Ne parlez plus des vôtres,
Vous en avez autant dépensé que les autres.

MAINALTE.

455 Je ne me prens qu’à vous ; deviez-vous pas juger
Que ce qui me restoit se devoit ménager ?

PHILEMON.

Nous le verrons bien tôt sans aucune surprise,
Mais changons cependant d’habit et de chemise,
Et je vous aprendrai par divertissement {p. 31}
460 Tout ce que font vos sœurs pour avoir un Amant*.

MAINALTE.

Son nom.

PHILEMON.

C’est Polydas.

MAINALTE.

Je ne le puis conêstre,
Mais dans cét entretient* je ne voi rien parêtre.
Ne croi pas m’abuser d’une fausse douceur,
Je veux un compte d’or, et non pas de ma sœur.

ACTE II. SCENE QUATRIESME. §

{p. 32}
ATALANTE, POLYDAS, SICANDRE.
Ils sortent de la maison d’Atalante.

ATALANTE.

465 Il est vrai qu’il est vain, qu’il se plaist d’ordinére
A loüer sa vertu* qui n’est qu’imaginêre,
Qu’il s’estime beaucoup pour un peu de beauté,
Et qu’on rit bien souvent de cette lacheté,
Il conserve son teint comme une Damoiselle,
470 Il se prise par tout autant que la plus belle,
Il me veut imiter, il fait ce que je fais,
Il croit estre honneste* homme, et ne le fût jamais.
En un mot je l’ai veu d’une humeur si fantasque,
Qu’il essaioit mes gans, qu’il s’ajustoit un masque.
475 Il craignoit le serain, le Soleil et le feu,
Et de peur de rougir, il ne marchoit qu’un peu. [E, 33]
Je l’aime toutefois sçachant bien sa naissance,
Et vous en tirerez beaucoup d’obeïssance,
Je sçai qu’il est fidelle, et qu’à cause de moi
480 Il fera son devoir, et me tiendra sa foi*,
Et s’il vous peut servir dans ce qu’il peut entendre*,
Vous m’obligerez bien si vous le daignez prendre.

POLYDAS.

L’aiant de vôtre main, je le veux estimer,
Et puis que vous l’aimez, il me pourra charmer.
485 Sa fortune* chez moi ne sera pas trop grande,
Toutefois en entrant je veux qu’il y commande,
Qu’il y soit respecté, qu’il sorte à son desir,
Et qu’enfin nuit et jour il cherche son plesir.

ATALANTE.

Il n’auroit pas besoing d’une telle licence,

POLYDAS.

490 Qu’il n’aprehende point aucune violence.
Il a ses volontez, il en peut disposer,
Estant chez moi, Madame, il poura tout oser.

ATALANTE.

{p. 34}
Ne sois plus glorieux*, prens le soin de luy plêre,
Autrement sois certain d’êpreuver ma colêre :
495 Si tu ne te resous desormés à changer,
Adieu, n’arreste plus, tache à me soulager.

SICANDRE.

Ma Sœur.

ATALANTE.

Parle autrement.

SICANDRE.

Madame je vous jure
Que vous n’en recevrez jamés aucune injure,
Et que puis que Monsieur me fait un tel honneur,
500 S’il en a du plesir, j’en aurai du bon-heur.

ATALANTE.

Tantôt je t’irai voir.

POLYDAS.

(il dit cecy bas)
Sa fortune* est extrême,
Je voudrois estre Clerc pour estre aimé de même.

ATALANTE.

{p. 35}
Monsieur je n’ûs jamés d’assez dous compliment,
Qui suffise assez bien à ce remerciment,
505 Mais dans l’occasion je me rendrai capable
De vous faire treuver mon service agreable.

POLYDAS.

Je ne crerai jamés que le sort* me soit dous
Que quand j’aurai l’honneur d’estre emploié de vous.
Que ta condition Sicandre est belle et rare !
510 Elle pouroit toucher les esprits d’un barbare,
Et pour un tel bon-heur à qui rien n’est égal ;
Un rocher deviendroit ou jalous, ou rival.
Estre aimé d’Atalante, ô quelle grande joie !
Il parest que tes jours sont tous filés de soie,
515 Et tu te peux vanter de goûter un plesir,
Qui bornant ta fortune* a borné mon desir.
Ce miracle en beauté quelquefois te regarde,
Un homme est trop heureux d’en avoir une œillade,
Et si j’ozois attendre un tel contentement,
520 Je craindrois de mourir par un ravissement.

SICANDRE.

{p. 36}
Monsieur il est bien vrai ; quand je me considere
Je me dois consoler dans ma triste misere,
Et de quelque disgrace, ou de quelque douleur,
Que le Ciel desormais augmente ce malheur,
525 Je m’estimerai trop pourveu que je la voie
Dans un durable êtat de conserver ma joie.

POLYDAS.

D’abord qu’on m’en parla, je me vis curieux
D’épreuver de plus pres le pouvoir de ses yeux,
Je l’aimai sans la voir, mais apres l’avoir veuë,
530 Mon ame n’usa plus d’aucune retenuë,
Et par mes actions j’ai fait voir que mon cœur
S’est rendu son esclave et son adorateur.
Dans un bien si puissant j’aurois tout l’avantage*,
Si ma flâme* par fois estoit sur mon visage,
535 Mais peut-estre elle croit quand je rougis un peu,
Que je rougis de honte, et non pas de mon feu*
Il est vrai, je le dois, car sachant son mérite
Je me veux eslever, et je me precipite,
Cét Ange à qui mon cœur sert aujourd’huy d’Autel
540 Doit avoir pour Amant* un autre qu’un mortel.
Mais pour un tel Soleil il faut que je m’egare,
Et pour lui desormais je veux vivre en Icare.
Que si j’ai son trépas comme j’ai son defaut, {p. 37}
Je me pourai vanter d’avoir volé plus haut.

SICANDRE.

545 Offrez avec respect vôtre amour legitime,
Aimer ce qu’on voit beau ne tient pas lieu de crime :
Cherchez par ce moien à soulager vos maux*,
Vous ferez en cela ce que font vos rivaux.

POLYDAS.

Mais toi qui la connois, penses-tu que son ame
550 Apreuve ma recherche, et brûle de ma flâme* ?

SICANDRE.

C’est dequoi mon esprit ne vous peut assurer,
Mais découvrez le mal*, que sert de l’endurer ?
En tout cas un refus.

POLYDAS.

Tu l’as treuvé Sicandre,
Et tu me serviras si j’oze l’entreprendre.
555 Allons cela suffit, ce jour m’est trop heureux,
Sois donc autant ami que je suis amoureux*.

ACTE II. SCENE CINQUIESME. §

{p. 38}
THARZINTE, CALLIANTE.

THARZINTE.

Je ne te puis celer cher ami Calliante
Un mal* assez puissant, et contre ton attente,
Nous n’aimons qu’en un lieu, je crains que cette ardeur
560 Fasse naître en nos cœurs une extréme froideur.
Je sçai bien que tu veux…

CALLIANTE.

Ce discours m’importune,
Un chacun doit soufrir* qu’on cherche sa fortune*.
Je vais chez Atalante, et tu ne penses pas
Qu’il me faille adorer de si puissans apas* ?
565 O que pour un ami ton humeur* est étrange !
Quoy veux-tu que ton feu* m’oblige à quelque change ?
Que mon esprit credule à tes foibles propos {p. 39}
Fasse mon déplesir, en faisant ton repos ?
Tu veux qu’à son égard ma passion soit morte
570 A dessein que la tienne en devienne plus forte ?
C’est agir en Amant*, et non pas en ami,
Et chercher seulement mon bon-heur à demi.

THARZINTE.

Accuse-moi d’erreur ou bien d’ingratitude,
Par là je voi la fin de mon inquietude.
575 Tu vois mon Atalante, et moi je ne sçai pas
Qui te peut obliger d’y faire tant de pas.
Si la même beauté regne en nôtre pensée,
Ton amour violent rend mon ame insensée ;
Et par un Dieu jalous et plus puissant que moi
580 Je me verrai contraint de te rompre la foi*.

CALLIANTE.

Ah Tharzinte ! L’objet que mon esprit adore
A la beauté d’un Ange, et le nom d’Isidore.

THARZINTE.

Non je ne le croi pas, c’est elle que je veux,
C’est d’elle cher ami que je suis amoureux*.
585 A quelle extremité* veux-tu donc me reduire ?
Ton cœur par cette ardeur entreprend de me nuire,
Le mien mal-aisément rendra-t’il cét amour, {p. 40}
Si je ne pers aussi la lumiere du jour.
Que fais-tu Calliante ? as-tu quelque parole
590 Qui finisse mon deuil, ou bien qui me console ?
Isidore est l’objet qui surprend ton esprit,
Pourquoi m’afliges-tu ? Pourquoi me l’as-tu dit ?
De grace parle mieux, mon ame est combatuë,
Et si tu me dis vrai la vérité me tuë ;
595 Je l’aime comme toi.

CALLIANTE.

Je te dis mon secret,
Et si c’est t’ofenser, je t’ofense à regret.

THARZINTE.

Tu viens de prononcer ta sentence funeste*,
Ton mal-heur ou le mien est ici manifeste.
Elle ne peut d’un coup épouser qu’un mari,
600 Croi-tu si je le fais estre son favori ?
A quoi la cajoler, si c’est pour son merite
Que par fois je lui parle, et que je la visite.
Ah que si je pouvois te decouvrir mon cœur !
Mais quoi je ne le puis, car il mourroit de peur
605 Viste sans plus tarder, c’est ce que je demande,
Sa mort doit faire apres ma fortune* assez grande.

CALLIANTE.

[F, 41]
Qu’as-tu donc à resver ?

THARZINTE.

C’est qu’il faut aujourd’hui,
Ou croître tout d’un coup, ou finir nôtre ennui*.
Et si par ton amour tu pretens cette belle,
610 Ce prix vaut-il pas bien qu’on fasse une querelle ?
Quand cette trahison meriteroit l’enfer,
Il y faut employer, et la flâme*, et le fer.

CALLIANTE.

En ce cas cher ami ton mal-heur est à plaindre,
Et ton aveuglement devroit te faire craindre.
615 On te prise par tout, je te crois genereux*,
Mais tu le fais moins voir estant plus amoureux* ;
Où sont mes intérests ? où va donc ta pensée ?
Tharzinte, ton ardeur parest bien insensée.
Me quereller d’abord pour un sujet d’amour,
620 Sans doute la rêzon t’en fera plainte un jour,
Et je serai fachê si tu veux l’entreprendre
De te causer la mort en pensant me deffendre.

THARZINTE.

{p. 42}
Non, non, si j’ay manqué ce n’est que pour mon bien,
Ma devise en amour est d’estre tout, ou rien.

CALLIANTE.

625 Oui puis que tu le veux, il faut que je le fasse,
L’amour et le devoir en obtiendront ma grace,
Mais du moins souviens-toi que si je suis vainqueur,
Tu cherches le poignard dont tu t’ouvres le cœur.

FIN DU SECOND
Acte.

ARGUMENT DU TROISIESME ACTE. §

{p. 43}

P olydas d’Advocat devient Poëte, et est rencontré par sa Sœur Flaminie, où il composoit certains vers à la loüange d’Atalante, dont il estoit extremement amoureux. Lors que Flaminie eut veu les vers, et qu’elle les eut leus, Sicandre advertit Polydas qu’Atalante estoit à la porte. Flaminie treuvant l’heure à propos parle secrettement à Sicandre, et par mille traits d’esprit lui declare à la fin sa passion. Ils prennent l’assignation sur le soir dans le jardin, Mainalte venant au logis de Polydas treuve Isidore en habit de garçon, et pensant la gourmander d’abord, il se voit contraint d’apreuver son invention, surtout quand il sceut le lieu où Flaminie se devoit treuver, et qu’il pouvoit prendre sa place. En luy disant adieu il [44] rencontre Calliante et Tharzinte qui se vouloient battre, et aiant apris le sujet de leur querelle, il promet Isidore à Tharzinte, voiant que l’autre manquoit de cœur. Lorsqu’il luy donne connessance de son secret, Atalante par importunité promet à Polydas de l’aller treuver le soir au jardin, ne sachant pas que Sicandre y dût aller, et ne s’imaginant pas qu’il y eut grande *fortune à risquer, puis qu’elle estoit si proche de sa Sœur, dans laquelle elle avoit toûjours mis la meilleure de ses esperances.

ACTE III. §

{p. 45}
POLYDAS, FLAMINIE, SICANDRE, MAINALTE, THARZINTE, CALLIANTE, ATALANTE.

SCENE PREMIERE. §

POLYDAS

dans son cabinet, où il lit sur sa table ces vers qu’il a fait pour Atalante.
Astre qui conservez ma vie,
630 Ange à qui mes sens font la Cour,
Objet digne de mon envie,
Miracle de grace et d’amour :
Prodige incroiable de charmes,
Adorable ennemi*, doux et juste vainqueur,
635 Puis qu’il est temps que je rende les armes,
Gardez ces vers aussi bien que mon cœur.

Tout est contrêre à mon attente,
Je croiois sortir de prison ;
Mais vos beautez chere Atalante {p. 46}
640 Sont plus fortes que ma raison :
C’en est fait, vôtre œil me consume,
Et si vous en doutez considerez un peu
Que desormais loing de prendre la plume,
Mon propre sang vous signera mon feu*.

645 Divin sujet de mon martire
Qui savez si bien triompher,
Si la flâme* pouvoit s’escrire
Ces vers vous pourroient échaufer :
Ah faux espoir qui me contentes,
650 C’est trop t’entretenir*, je crains pour mon malheur,
Qu’elle ne semble à ces glaces ardantes
Qui brûlent tout, et n’ont point de chaleur.

Mais je sens que ma mort s’aproche,
Mon destin ne se peut gauchir ;
655 Comme elle porte un cœur de roche,
Rien ne la peut jamés flechir :
L’ingratte qui retient mon ame
Me voiant soûpirer et pleurer si souvent,
Poura juger qu’au lieu d’estre de flâme
660 Je ne suis plus que de l’onde et du vent.

Mais pour en faire une autre épreuve, {p. 47}
Et rendre mon destin plus beau,
Je veux que tout le monde treuve
Ces quatre vers sur mon tombeau :
665 Passant la mort m’a voulu prendre,
Je l’en voulu prier, elle agréa mon vœu ;
Puisqu’aujourd’hui je ne suis plus que cendre
Croi qu’autrefois j’avois esté feu*.
Comme je fais des vers sans y joindre la pene*,
670 Quand j’y pense le moins j’en tire de ma vene ;
Ils ne sont pas mauvais, ils expriment assez
Mes tourmens avenir, et ceux qui sont passez,
Mille Poètes nouveaux que le vulgaire estime
Pouroient-ils bien treuver si doucement la rime ?
675 Quand je la veux chercher m’éloignai-je du sens ?
Ces vers quoi qu’ils soient doux font des effets puissans.
J’y mets des nouveautez, les graces y sont jointes,
J’y fais plutôt entrer la raison que les pointes,
Je poursui mon sujet, et croi sans vanité
680 Qu’en disant qu’ils sont bons, je dis la verité.
Mais une stance y manque, il faudra ce me semble
Luy faire consentir que l’Hymen* nous assemble.
Toutefois c’est bientôt, je croi qu’il vaudroit mieux
Pour flatter son esprit lui parler de ses yeux ; {p. 48}
685 Lui dire que son teint a seul ce privilege
De brûler un chacun, combien qu’il soit de nege,
Mais que me servira de vanter sa beautê,
Si je ne l’entretiens* de ma fidélité.
Huit vers y suffiront ; que ma pensée est forte :
690 Mais non ; je ne doi pas commencer de la sorte.

ACTE III. SCENE DEUXIESME. §

FLAMINIE, POLYDAS, SICANDRE.

FLAMINIE.

Resverez-vous toûjours à ce que vous aimez ?
Cieux que faites-vous là ? Mon frere vous rimez,
C’est bien pour en tenir : vôtre esprit s’imagine
Qu’on entreprend ce jeu sans faire d’autre mine* ?
695 Ha que vous deviendrez d’une jolie humeur* ;
Il faut estre un peu fou pour estre bon rimeur ;
Effacer ce qu’on fait quand on ne peut rien fere,
Jurer, frapper du pied, ce n’est que l’ordinêre, [G, 49]
Courir dans une chambre apres deux ou trois mots,
700 S’arrester sans dessein, ruiner son repos,
Ceux-là sont mal-heureux que ce metier devore,
Et ces gens devroient faire encherir l’Elebore.
Mon frere c’est assez, ne vous y perdez plus,
Ces divertissemens vous seront superflus,
705 Vous en aime-t’on mieux.
(Elle lit ceci sur une fueille de papier)
Sonnet pour Atalante,
Je l’avois toûjours dit, que l’amour vous tourmente.
Mais voions le Sonnet.

POLYDAS.

Premier que de le voir
En sçais-tu le sujet ?

FLAMINIE.

Non.

POLYDAS.

Tu le vas savoir.
Sache qu’en l’abordant, j’aperceu devant elle
710 Un miroir qui montroit combien elle estoit belle,
Cieux que je fus ravi, lors que ses yeux ardans
Jettoient d’un seul regard tant de feux* là dedans ! {p. 50}
Helas ! Ma chere sœur son visage et sa grace
Sans fondre aucune chose échaufoient cette glace.
715 Si je la regardois pour soulager mon mal*,
L’image me brûloit comme l’original,
Et mon esprit confus dedans cette avanture*
Ne savoit que choisir d’elle, ou de sa peinture.
Abordant son miroir je la voulois baiser ;
720 Croiant qu’ainsi mon mal* se pouroit apaiser ;
Mais l’ingratte fuioit dans mon amour extrême,
Et la pensant baiser je me baisois moy-même.
Je voiois mon visage où j’avois veu le sien,
Je voulais prendre tout, et je ne treuvois rien,
725 Je la cherchois assez pour lui rendre un hommage,
Mais quoi ce faux miroir me cachoit son visage,
Et quand j’en aprochois j’etois transi de peur,
Car je voiois ma teste où j’avois veu mon cœur.
Voici donc le Sonnet.

FLAMINIE.

Monstrez je le veux lire.

POLYDAS.

730 Ma Sœur ne le lis pas, car tu me ferois rire.

SUR LE
MIROIR
D’ATALANTE.
SONNET. {p. 51}

Ne cherche point de glace où tu te puisses voir,
Sache que tout Paris admire tes merveilles,
Ceux à qui tes beautez ont apris leur pouvoir
Te vont fère l’objet de leurs plus douces veilles.

 

735 Que cette glace, ô Cieux, me fait bien decevoir* !
Et qu’elle exprime bien ses graces nompareilles !
Ha si ton cœur ainsi me vouloit recevoir,
Qu’un doux remerciment flatteroit tes oreilles.

 

Mais resveur que je suis, où seroit mon plesir ?
740 Quand même elle voudroit accomplir mon desir,
Jamés cette faveur ne feroit ma fortune*.

 

Car comme son miroir a cela de commun {p. 52}
Qu’il reçoit cent beautez, et n’en retient pas une,
Elle reçoit cent cœurs, et n’en retient pas un.

~~~~~~~

745 Et bien sçais-je piper ? Il faut que tu confesses
Que ces vers me devroient aquerir des Maitresses ;
Et pour un Advocat je descris nettement
Tout ce que les meilleurs font si confusément.

FLAMINIE.

Il est vrai, mais brisons ; je n’ai point veu Sicandre,
750 Que fait-il maintenant.

POLYDAS.

Je n’ose te l’aprendre.
Vrément il n’agit pas comme il promit d’agir,
S’il se reconnessait il en devroit rougir ;
C’est un Clerc glorieux* qui ne sait pas écrire,
Il se masque la nuit d’une toile de cire,
755 Il a des gans au lit pour conserver ses mains,
Ceci peut-il entrer en des cerveaux bien sains.
N’importe, il peut aider à flatter mon attente,
Il faut le caresser en faveur d’Atalante,
Et tacher : le voila, faisons-luy bon accueil,
760 Sa presence ma Sœur vient d’acroistre mon dueil.

SICANDRE

{p. 53}
arrive.
Quelqu’un vient maintenant de frapper à la porte.

POLYDAS.

On me vient en tout temps afliger de la sorte.

SICANDRE.

Monsieur c’est Atalante.

POLYDAS.

O l’agreable jour,
Demeure, j’ouvrirai ; j’ai trop d’aise en amour !

FLAMINIE.

765 Sicandre sauvons-nous, sa joie est infinie,
Sortons, l’amour se plaist d’estre sans compagnie.
Ha ! Si mes yeux pouvoient témoigner mon ardeur ?
Mais il faut malgré tout montrer de la froideur.
Obstacle injurieux, respect, loy tyrannique,
770 Cacherez-vous toujours le dessein qui me picque ?
Du moins inspirez-moi quelque doux compliment,
Qui sans difficulté le fasse mon Amant*.
(Elle parle à Sicandre.)
{p. 54}
Mon frere est trop heureux de parler bouche à bouche
A l’adorable objet*, dont la beauté le touche.
775 Qu’en juges-tu Sicandre ? a-t’on pas du plesir
D’entretenir* ainsi son amoureux desir ?
De parler de soupirs ? de faire voir sa flâme*,
Qui sans bruler le corps consume une pauvre ame ?
D’essaier cent moyens pour détacher ses fers ?
780 Et de treuver la fin de ses tourmens soufers ?
Pour moi si quelque Amant*. O Ciel l’osai-je dire ?
Quand il sçaura mes maux*, il n’en fera que rire.

SICANDRE.

Quoy vous n’achevez point ?

FLAMINIE.

Mille pensers divers
Ont surpris mon esprit, et l’ont mis de travers.

SICANDRE.

785 Mais que disiez-vous donc ?

FLAMINIE.

Qu’une fille est heureuse
Alors qu’on l’aime autant qu’on la treuve amoureuse*.
Qu’aimer sans estre aimé c’est rencontrer un sort* {p. 55}
Pire que les poisons, et pire que la mort.
Ah ! Que si tu pouvois conêtre ma pensée,
790 Tu te crerois heureux me croiant insensée !
Mais quoi c’est te jetter de trop foibles apas*.

SICANDRE.

Madame par ma foi, je ne vous entens* pas.

FLAMINIE.

Je connois ma foiblesse, et ta gloire* Sicandre,
Tu m’entens*, mais ton heur* ne gist pas à m’entendre*.
795 Tu te ferois du tort, tes desseins sont trop hauts,
Tu vois mon démerite, et tu sçais mes defauts :
Toutefois malgré tout mon bon-heur est extrême,
Si tu ne veux m’aimer, soufre au moins que je t’aime.
N’agueres ton esprit me devoit prevenir*,
800 Mais l’amour est un feu* qu’on ne peut retenir.
Combien qu’un tel secret choque la bien-seance,
A ton occasion j’en prendrai la creance,
Et je m’estimerai pourveu que mon amour
Oblige ton esprit à me faire la cour.

SICANDRE

{p. 56}
(Sicandre dit ceci bas.)
805 O Ciel je n’en puis plus ! Je me voi découverte !
Qui peut de cette sorte entreprendre ma perte ?
Quoi voulez-vous tenter dans cette extremité*
Si je m’entretiens* bien dans ma fidelité ?
Ah ! J’entens* mon devoir, et je sçai vôtre feinte,
810 Vostre cœur à dessein me forme cette plainte,
Et je suis assuré qu’il ne m’aimeroit pas
S’il sçavoit que mon ame adorât vos apas*.
Je me suis veu toûjours prodigue de caresses,
J’ai fait des serviteurs*, et non pas des maitresses,
815 Je ne sçaurois aimer les filles qu’à demi,
Je prise moins leurs cœurs que celui d’un ami.
Si je soufre* par fois qu’une fille me baise,
Ce n’est pas que par là je commence mon aise
Bien souvent le devoir et la necessité
820 Malgre mes sentimens forcent ma liberté,
Et de quelque faveur que leur sexe m’oblige,
Me vantant son amour, il connest qu’il m’aflige.
Mais quand j’aime quelqu’un je l’aime infiniment,
Je l’apelle mon cœur, je le croi mon Amant*,
825 Le serrant de mes bras je lui preste la bouche,
Son entretien* me plaist, sa passion me touche ;
J’augmente son ardeur lui presentant mes vœux, [H, 57]
Quelquefois de mes doigts je peigne ses cheveux,
Je dors sur ses genoux, je parle de ma flâme*,
830 Et lui prenant la main, je lui donne mon ame ;
En un mot il m’estime, il me promet sa foi*,
Et se tient trop heureux s’il est aimé de moi.

FLAMINIE.

Quoi j’aime un insensé !

SICANDRE.

(Il dit cecy bas.)
Quelle étrange avanture* ?
Mon impuissance a droit d’acuser la nature.
835 En cette ocasion que n’ais-je ce qu’il faut
Pour courir sans danger à cét aimable assaut !
Quelqu’un qui seroit homme en feroit sa fortune*,
Mais ici vainement mon sexe m’importune,
Nos desirs sont égaux comme nôtre pouvoir,
840 Helas ! J’ai seulement ce qu’elle peut avoir !
C’est pour un même bien que nôtre esprit soûpire,
Et ce qu’elle pretend c’est moi qui le desire.

FLAMINIE.

Ah Sicandre aveuglé ! Tu refuses mes vœux,
Dy-moi donc ce qu’il faut pour te rendre amoureux* ?
845 Te faut-il des soûpirs ? as-tu besoin de larmes ? {p. 58}
Est-ce par ce moien que tu rendras les armes ?

SICANDRE.

Que ne m’est-il permis de lui confesser tout :
Mais j’aurois mes desseins sans en venir à bout.

FLAMINIE.

Je me sçaurai vanger de ton ingratitude ;
850 Et treuverai la fin de mon inquietude*.
J’assurerai bientôt pour te voir condamner
Que ton credule esprit m’a voulu suborner.
J’emploie à cét effet l’excès d’une malice
Capable desormais de fêre ton suplice.
855 Mon frere le sçaura qui poura t’en punir,
Et sans avoir peché tu te verras banir.

SICANDRE.

Nos desseins sont rompus si ce mal-heur m’arive.
Ah, Madame croiez que mon ame est captive,
Je vous aimerois bien, mais la discretion
860 Veut donner une borne à mon affection,
C’est en vain que je cache un feu* qui me devore ;
Je feins de vous haïr lors que je vous adore,
Et malgré le respect qui me deffend l’amour,
Le feu* qui me consume est plus clair que le jour. {p. 59}

FLAMINIE.

865 Je t’aime d’avantage, et s’il étoit possible
Je te rendrois bien tôt mon ardeur plus visible.
Le temps n’y suffit pas ; mais pour t’en assurer
Alors que le Soleil cessera d’éclairer,
Rens-toi dans ce jardin, tu sentiras ma flâme*,
870 Et malgré cette nuit tu pouras voir mon ame.
Je vais à Polydas ; ne sois plus rigoureux,
Adieu rends-moi contente, et tu seras heureux.

SICANDRE.

Ha ! vrément à la voir son humeur est gentille ?
Ciel ! destins ennemis, suis-je encore une fille !
875 Je parois un garçon dans ce déreglement,
Et je n’en puis avoir que l’habit seulement ;
Toutefois.

ACTE III. SCENE TROISIESME. §

{p. 60}
MAINALTE, SICANDRE.

MAINALTE.

C’est trop fait, c’est trop estre à la gêne,
Il est temps de finir leur amour et ma pêne*.
Ma sœur de la façon ruine son bon-heur,
880 Et croit fère son bien faisant son deshonneur.
Je suis prest du logis, mais je la voi parêtre,
Ou bien malaisement la puis-je reconêtre.
Quoi ma sœur est-ce vous ?

SICANDRE.

Quel reste de plesir
Semble si doucement terminer mon desir !
885 Mon frere c’est donc vous ? Quel bon sort* vous envoie
Pour ravir mes esprits d’une parfaite joie ?

MAINALTE.

{p. 61}
Cessez de me surprendre, et de me caresser,
Je vous étouferois pensant vous embrasser.
Quels habits avez-vous ? et quel ordre de vivre ?
890 Est-ce le vrai chemin que la gloire doit suivre ?
Ah ma sœur !

SICANDRE.

Ecoutez.

MAINALTE.

Je sçais bien le dessein
Dont un feu* deshonneste embrase vôtre sein.

SICANDRE.

Vous ne m’entendez* pas ; sçachez que Flaminie
Conçoit pour mon visage une ardeur infinie,
895 Regardez ce jardin, ce sera sur le soir
Qu’elle m’y doit attendre, et que je l’y dois voir,
Polydas est son frere, elle est riche, elle est belle,
Et croi que la voiant vous lui serez fidelle.
Mettez-vous dans ma place, et fiez-vous sur moi,
900 Qu’elle ne peut manquer de vous donner sa foi*.

MAINALTE.

{p. 62}
Ma sœur si tu dis vrai, maintenant je t’advoüe
Que malgré ma colere il faut que je te loüe.
Mais est-il assuré.

SICANDRE.

Si tôt que le Soleil.

MAINALTE.

Tu me l’as des-ja dit ; ô bon-heur nompareil !

SICANDRE.

905 Ne luy répondez point, autrement vos paroles
Rendroient en un moment vos attentes frivoles
Elle connest ma voix, mais on peut l’abuser
Si vous usez du temps comme il en faut user.
Je vous y conduirai, ménagez cette affère,
910 Icy le jugement vous sera necessère.
J’y vais donner bon ordre.

MAINALTE.

Et cependant ma sœur…

SICANDRE.

Promenez-vous toûjours attendant ce bon-heur.

MAINALTE.

Si je fais reüssir ceci comme j’espere,
Je suis riche à ce coup, tout me sera prospere :
915 Je me vangerai bien de mes travaux soufers, {p. 63}
Et j’irai dans le Ciel au sortir des enfers.

ACTE III. SCENE QUATRIÈME. §

CALLIANTE, MAINALTE, THARZINTE.

CALLIANTE.

Si tu dois sucomber, quelle proche retraitte
Poura sauver ma teste apres cette défaite ?
C’est un mal necessêre, il y faut consentir,
920 En te donnant la mort, j’en ai du repentir.
Nous durons trop long temps, finissant nôtre envie
Achetons cét objet* au prix de nôtre vie.
Ils se veulent battre.

MAINALTE.

Que je suis à propos ! vous.

CALLIANTE.

Il faut qu’un duel
Termine maintenant un mal* continuel.
925 Non, non c’est trop soufrir, Isidore est trop belle. {p. 64}

MAINALTE.

Seroit-ce pour ma sœur que vous auriez querelle ?

THARZINTE.

Mainalte cher ami.

MAINALTE.

Tharzinte, mon support,
Est-ce donc pour ma sœur que tu cherches la mort ?

THARZINTE.

Ma main pour cét effet n’est pas mal ocupée,
930 C’est pour me l’aquerir que je porte l’épée.

CALLIANTE.

Tu l’aimes, je le sçai, mais ta fidelité
Qu’on estimoit jadis, cede à ta lacheté.

THARZINTE.

Ah ! c’est trop m’ofenser, si j’etois insensible
Je pourois endurer un afront si visible.

MAINALTE.

{p. I, 65}
935 C’est trop dit ; j’y consens, aujourd’hui le vainqueur
Doit gaigner Isidore, et posseder son cœur.

THARZINTE.

Et bien c’est à ce coup.

CALLIANTE.

Je veux mal à ta rage,
Ce seroit dans ton sang que tu ferois naufrage,
Ecoute, faisons mieux, dequoi m’acuses-tu ?
940 Je sçai que nous avons une égale vertu*.
Cessons nôtre querelle, et si tu m’en veux croire
Nous treuverons ailleurs des matieres de gloire*.

THARZINTE.

Cela ne suffit pas.

CALLIANTE.

Croi que cela suffit,
Et que par ce moien je cherche ton profit.
945 J’aime plus un ami que toutes les richesses,
Et pour en avoir un je perdrois cent Maitresses.

MAINALTE

{p. 66}
à Tharzinte.
Je te donne Isidore, et je perdrai le jour
Si je ne la contrains d’apreuver ton amour.

CALLIANTE.

Tharzinte je te l’offre, et combien que je l’aime,
950 Je veux pour t’assurer me combattre moy-même,
J’ay du courage assez, mais j’ay trop d’amitié
Pour te considerer sans en avoir pitié.
Adieu je te la quitte à dessin que l’on sçache
Qu’une telle amitié ne reçoit point de tache.

MAINALTE.

955 Si tu le vois jamés punis sa lacheté,
Medite son trépas qu’il a trop merité !
Oublions cet infame, il auroit trop de gloire*
Si son nom seulement restoit dans ta memoire.
Pour toi que j’ai toujours dedans mon souvenir,
960 J’apreuve ton amour, mon cœur le doit benir :
Et pour t’en assurer il faut que je t’instruise
D’un secret qui m’importe, et de mon entreprise
Tirons-nous à l’écart, je te promets la foi*
D’obliger Isidore à n’aimer plus que toi.
965 Quelqu’un nous surprendroit, ta querelle est connuë
Et tu ne devois pas te battre en pleine ruë.

ACTE III. SCENE CINQUIESME. §

{p. 67}
POLYDAS, ATALANTE, FLAMINIE, SICANDRE.

POLYDAS

dans une chambre.
Enfin si vous m’aimez, faites-moi ce plesir,
Ne me refusez pas, prenez vôtre loisir,
Ce soir vous le pouvez.

ATALANTE.

Mais que pouroit-on dire ?
970 Ceci donneroit bien des matieres de rire.

POLYDAS.

La Lune a retardé, tout fuira de ces lieux,
Et le Ciel n’aura point l’usage de ses yeux.

FLAMINIE

arrive à la porte.
Y devons-nous entrer, parle.

SICANDRE.

Non, ce me semble.

FLAMINIE.

Je me resoudrai donc à les laisser ensemble.

ATALANTE.

{p. 68}
975 Ouï je vous le promets ; si la discretion
Entretient vôtre crainte, et vôtre affection.

POLYDAS.

J’en jure par vos yeux, et je perdrai la vie
Si tout ne reüssit au gré de vôtre envie.
Tenez voici la clef ; venez par le dehors,
980 Vous y pourrez entrer avecque moins d’efors.

ATALANTE.

Adieu ne sortez point.

POLYDAS

la conduisant.
J’aurois l’ame brutale,
Si vous m’estes Procris je vous serai Cephale.
Il s’en va.

ATALANTE.

Toutefois c’est bien tôt pour parler de se voir,
Et sur tout sans conduite, et se servir du soir.
985 Il faut le contenter ; en tout cas j’ai Sicandre
Qui me fait assister, et qui me peut deffendre,
Je hazarde* beaucoup, mais n’aiant plus de bien
Excepté mon honneur, je ne hazarde* rien.

FIN DU TROISIESME ACTE.

ARGUMENT DU QUATRIESME ACTE. §

{p. 69}

P olydas apres avoir long-temps attendu, entend du bruit et s’imaginant tenir Atalante, prend Mainalte sans le connêtre, qui croit estre trompé par sa sœur. Mainalte en sortant entend venir Flaminie, qui d’abord est prise par Polydas, lequel se voyant duppé si souvent, proteste d’avoir à l’advenir moins d’amour. Lors qu’il est encore à faire ses plaintes, Flaminie est surprise par Mainalte, qui l’emmene dans la chambre sans la voir, et Atalante arrive au lieu de l’assignation ; mais Polydas prenant Atalante pour Flaminie, la rebute par des termes assez injurieux : ce qui oblige Atalante de sortir : Polydas aiant reconnu se faute, s’en va au logis, où il treuve sa sœur avec un homme inconnu, et Sicandre avec Tharzinte. Flami- {p. 70}nie se voiant abusée, et croiant posseder Sicandre, aprend la cause de ce changement, et treuvant Tharzinte aussi bien fait du moins que Sicandre, apres avoir renvoié Polydas au jardin, où elle disoit qu’Atalante l’attendoit encore pour joüer la piece entiere, donne jour aux uns et aux autres de dupper son frere, et s’y porte dés l’heure avec une industrie tout à fait étrange.

ACTE IV. §

{p. 71}
POLYDAS, SICANDRE, MAINALTE, THARZINTE, FLAMINIE.

SCENE PREMIERE. §

POLYDAS

dans le jardin.
Toutes sortes d’objets sont maintenant funebres,
990 Et la terre et le Ciel sont couverts de tenebres.
Un chacun dort au lit comme dans un tombeau,
L’amour à mon sujet a quitté son flambeau*,
Les zephirs les plus doux nous donnent du silence,
Et le bruit ne nous fait aucune violence ;
995 Quand bien mon Atalante avanceroit ses pas,
Ecleré de ses yeux je ne la verrois pas.
O nuit quoi qu’à present ta noirceur soit extrême, {p. 72}
Je connetrois toûjours la moitié de moy-même !
Toute l’obscurité ne m’en peut empêcher,
1000 Je verrai ce Soleil, il ne se peut cacher ;
Il porte assez de jour dans les lieux les plus sombres,
Et si tôt qu’il arrive il dissipe les ombres.
Mais le temps qui jadis alloit si promptement
S’écoule à mon âvis un peu trop lentement.
1005 Dieu que je parois triste en cette destinée !
Il semble qu’un moment soit plus long qu’une année.
Où cét astre est-il bien ? que peut-il differer ?
Pourquoi ne vient-il pas afin de m’eclerer ?
Atalante mon cœur, de qui dépend ma vie,
1010 Aproche, que fais-tu, seconde mon envie,
Conserve-toy ce bien que ta beauté me prit,
Sois presente à mes yeux ainsi qu’à mon esprit,
Entre dans ce jardin, n’aprehende aucun blâme,
Fais-t’y voir souveraine aussi bien qu’en mon ame,
1015 Et proche de cette eau par tes soûpirs ardans
Console-moy d’un feu* qui me brule au-dedans
Sur tout si ton dessein est de finir ma pene*,
Ne te regarde point dedans cette fontene ;
Si Narcisse en est mort, juge que ta beauté
1020 Te reduiroit bientôt à cette extremité*. [K, 73]
Si tu veux un miroir qui te montre sans feinte,
Considere mes yeux, tu t’y verras dépeinte :
Ou si tu te veux voir comme un objet* vainqueur,
Regarde ta conqueste, en regardant mon cœur :
1025 Tu pouras y treuver ton image gravée,
Qui malgré tout mon feu* s’est toûjours conservée,
Et remarquant de prês cet aimable tableau,
Tu te pouras vanter comme il y parest beau.
Alors, certes, alors. Mais que veux-je entreprendre,
1030 Que sert de luy parler ? elle ne peut m’entendre,
C’est en vain que j’apelle ; un semblable discours
Ne sçauroit de long-temps m’aporter du secours.
Viens donc chere Atalante, et pour me faire vivre
Apreuve le dessein qu’on me force de suivre :
1035 Je n’y puis resister, c’est un arrest du sort*,
Autrement mon amour me causera la mort.
Mais je l’entens venir ; c’est à tort que j’en doute,
« On dit injustement que l’amour ne voit goute,
« Ou si ce Dieu puissant n’a jamés eu des yeux,
1040 « Nous devons avoüer qu’Argus ne voit pas mieux.

ACTE IV. SCENE DEUXIESME. §

{p. 74}
SICANDRE, MAINALTE, THARZINTE.

SICANDRE

en lui ouvrant la porte du jardin.
Allez, elle m’attend, montrez vôtre prudence,
Et mettez vôtre amour en pareille evidence.

MAINALTE.

Viste, retire-toy, j’en serai possesseur,
Le frere fera tout au defaut de la sœur.

THARZINTE.

1045 Retirons-nous, Madame, et s’il vous est possible
Témoignez moins d’ardeur, paressez moins sensible ;
Ou si cela vous fâche aiez du sentiment
Pour soulager le mal* d’un malheureux Amant*.

SICANDRE.

{p. 75}
Pourveu qu’en un moment il treuve sa fortune*,
1050 Mon esprit est content si rien ne l’importune.
Allons dedans ma chambre, attendant son retour,
Mais soions plus discrets, et faisons mieux l’amour.

ACTE IV. SCENE TROISIESME. §

POLYDAS, MAINALTE.

POLYDAS.

A la fin je vous tiens, adorable Atalante,
Vous rendrez à ce coup mon ame plus contente.
1055 Et sans vous y forcer, je veux que vos plesirs
Soient égaux pour le moins à vos plus grands desirs.
Vous ne me parlez point ; quoi rien ne me console !
Lors que je pers le cœur, perdez-vous la parole ?

MAINALTE.

{p. 76}
Ma sœur m’en a donné.

POLYDAS.

Quel refroidissement ?
1060 Est-ce ainsi comme il faut soulager mon tourment ?
Du moins comme un écho répondez à ma plainte,
Vous troublez mon esprit, et d’amour, et de crainte,
Dites si vous aimez, ou si vous n’aimez pas,
Donnez-moi d’un seul coup la vie ou le trépas.

MAINALTE.

1065 O Ciel qu’ai-je entrepris ! ici tout m’est contrere,
Il croit tenir la sœur, et ne tient que le frere.
Le devrois-je soufrir* plus long-temps en erreur,
Que differai-je plus à montrer ma fureur.
Mainalte sort.

POLYDAS.

A ce coup je suis pris, est-ce ainsi qu’on m’abuse ?
1070 Je ne voudrois qu’un bien, le Ciel me le refuse,
Et le pensant avoir, la rigueur de mon sort*
S’obstine seulement à me donner la mort.
Mais je ne tiens plus rien, ma prise est échappée,
Que n’ai-je cy-devant à porté mon epée,
1075 Je m’en serois servi contre ces ennemis, {p. 77}
Qui troublent le repos que l’amour m’a promis.
N’importe, achevons tout, et par experience
Témoignons nôtre flâme* et nôtre passience.

ACTE IV. SCENE QUATRIÈME. §

MAINALTE

estant sorti.
Endurer cét afront ; j’aimerois mieux mourir,
1080 La vengeance est le bien qui me peut secourir.
Elle s’attaque mal, sa folie est extrême,
Crere ainsi me tromper, c’est se tromper soi-même.
Sa ruse est découverte, et je ne pense pas
Qu’elle ait à l’avenir de si puissans apas*.
1085 Mon esprit abusé commence à la conêtre,
Et par là son amour se fait assez parêtre.
Il faut que Polydas la caresse en secret,
Mais pour les bien punir je veux estre discret.
Elle ne peut tarder, l’entretien de Tharzinte {p. 78}
1090 Ne l’empeschera point d’executer sa feinte.
Rentrons dans le jardin ; par leurs moindres discours
Nous sçaurons leur amour, et nous verrons son cours.

ACTE IV. SCENE CINQUIESME. §

FLAMINIE, POLYDAS.

FLAMINIE

entrant dans le jardin.
Il ne peut m’échapper ; malgré toute sa gloire*
Il faut que j’en espere une heureuse victoire.
1095 Il m’attend, je le suy, je croi que ses desirs
Sont bornez seulement par mes plus grands plesirs.
Ce vainqueur est vaincu, mes soûpirs et mes larmes
Ont reduit son courage à me rendre les armes :
Et malgré sa rigueur qui n’avoit rien d’égal,
1100 J’ai treuvé mon secours quand j’ai senti le mal*.
Je le voi, je le tiens ; Enfin rare Sicandre {p. 79}
Je t’attaque trop bien, tu ne te peux deffendre ;
Ne me resiste plus, car te voila surpris,
Je n’ai que trop long temps suporté ce mépris.
1105 As-tu des complimens dont la force t’excuse
De prendre mes baisers, et de loüer ma ruse :
Non, tu ne le sçaurois, ton esprit est trop sain
Pour ne pas apreuver mon amoureux* dessein.
Mais d’où vient ta froideur ? quelle peur te recule,
1110 Crains-tu de soulager la flâme* qui me brûle ?
Ah ! c’est trop consulter ; mon cœur aproche-toi,
D’où viens que tu me fuis ? doute-tu de ma foi* ?
Es-tu trop indulgent ? suis-je trop amoureuse ?
Et croi-tu que ton feu* me rende trop heureuse ?
1115 Il est vrai que j’ai tort, mais confesse du moins
Que pour te meriter je prens assez de soins*,
Et qu’on ne peut jamés étoufer mon envie,
Quand même elle feroit la perte de ma vie.

POLYDAS.

Ma sœur.

FLAMINIE.

C’est Polydas : faut-il que mon amour
1120 Lui soit dans cette nuit plus claire que le jour ?
Dequoi puis-je couvrir ma flame* illegitime,
Mon indiscretion passera pour un crime.

POLYDAS.

{p. 80}
Et bien que voulez-vous ? suis-je point vostre Amant* ?
Esperez-vous de moi quelque contentement ?
1125 Non, je ne le croi pas ; un autre que Sicandre
Si vous ne le soufrez* n’oseroit l’entreprendre.
Croiez-moi je vous prie, une fille a trop d’heur*
De regler ses desirs aux termes de l’honneur.
Vous recherchez Sicandre ; et qui pensez-vous estre ?
1130 Voulez-vous d’un valet en faire vostre maistre ?
Epouser un parti que vous devez haïr,
Et caresser celui qui vous doit obeïr.
Que pour vous ramener à vôtre humeur premiere,
Vous auriez grand besoin d’avoir quelque lumière.
1135 Mais la raison suffit, un peu de jugement
Portera vôtre amour dedans le changement.

FLAMINIE.

Si doi-je m’excuser dans l’état qu’il me treuve,
Et pour y parvenir mettre tout à l’épreuve.
Mon frere je sçai bien que vous croirez d’abord,
1140 Qu’on ne peut m’en loüer, et qu’en un mot j’ai tort.
Quelque chose pourtant que vous en puissiez croire, [L, 81]
Ceci n’altere point ma vertu* ni ma gloire*.
Toutefois il est vrai que je veux trop agir :
Mais quoi si j’ai peché, vous en devez rougir.
1145 Mon ame à vôtre âvis est vivement atteinte.
Non, non, le temps me presse, il faut banir la feinte.
Songez, songez à vous ; tant de nouveaux soûpirs
Ne m’ont que trop fait voir le but de vos desirs.
Vous attendez ici la moitié de vôtre ame,
1150 Vous y voulez bien tôt partager vôtre flâme*,
Sçachez qu’il n’est plus temps de le dissimuler,
Et que pour le Sçavoir je feignois de bruler.
Tous ces regrets formez, et ces larmes versées
Ne nous montrent que trop où vont tant de pensées.
1155 Vivre dans la maison comme dans quelque bois,
Rimer, parler tout seul, et resver quelque fois,
N’entretenir* aucun, fuir la compagnie,
Tout cela nous fait voir vôtre amour infinie,
Et pour n’en douter plus, je m’en viens d’assurer.

POLYDAS.

1160 Que tu prens de plêsir à me voir endurer !
Laisse-moi quelque temps songer sur ma folie, {p. 82}
Car il faut que je cede à ma melancolie.
Il faut crêre à ce coup que mon projet est vain,
Je tombe, et si pas un ne me preste la main.
Flaminie le quitte.

ACTE IV. SCENE SIXIESME. §

MAINALTE, FLAMINIE.

MAINALTE.

1165 C’est elle, il faut parler ; elle quitte son frere,
Le sort* d’oresnavant ne peut m’estre contrere,
Je la dois prevenir*, et lui parler si peu,
Que sans me conêtre elle apreuve mon feu*.
Qu’as-tu fait si long-temps ? que tu me fais attendre ?
1170 As-tu perdu le soin de soulager Sicandre ?

FLAMINIE.

Ne parlez pas si haut, mon frere.

MAINALTE.

{p. 83}
Je sçai tout.
Mais avoir un dessein sans en venir à bout.

FLAMINIE.

Sui moi dedans ma chambre, et quoi qu’on nous soupçonne,
Nous nous entretiendrons* sans crainte de personne.
1175 Mes yeux ont obligé mon esprit à t’aimer,
Le brasier que je sens ne se peut exprimer,
Et malgré Polydas, les destins, et les Parques,
Je t’en rendrai bien tôt d’assez visibles marques.

ACTE IV. SCENE SEPTIESME. §

{p. 84}

POLYDAS.

Non, non c’est trop soufrir ; si je suis amoureux*
1180 Faut-il que j’en paroisse un peu moins genereux* ?
Attendre tout le soir, ne treuver que des feintes,
Perdre le jugement, estre afligé de craintes,
Quitter son interest pour son contentement,
Se plaire de la sorte à croistre son tourment,
1185 Rendre par des effets son amour si connuë,
Et comme un Ixion n’embrasser que la nuë.
O Ciel je n’en puis plus ! je me rends à mon tour,
Il faut estre bien sot* pour faire ainsi l’amour.

ACTE IV. SCENE HUICTIESME. §

{p. 85}
ATALANTE, POLYDAS.

ATALANTE.

Est-ce vous Polydas ?

POLYDAS.

Il n’est plus temps de feindre,
1190 Acordez-moi du moins le plêsir de me plaindre.
Que vous sert de venir ? vos tours sont superflus,
Et c’est trop m’épreuver, ne m’importunez plus.
Je rabats maintenant de vos cajoleries,
Ne me troublez jamés dedans mes resveries.
1195 Quel dessein malheureux conduit ici vos pas ?
Pourquoi me cherchés vous ? je ne vous cherche pas.
Dans un si triste êtat, vous m’estes importune,
Troubler mon entretien* c’est troubler ma fortune* ;
Adieu donc laissez-moi dans l’humeur* où je suis,
1200 Tant plus vous demeurés, et tant plus j’ai d’ennuis*.

ATALANTE.

{p. 86}
Quoi me traiter ainsi ! ta fourbe est découverte,
Mais si j’ai des amis tu dois craindre ta perte.
Ne m’opose plus rien afin de me changer,
Puis que j’ai trop de cœur pour ne me pas vanger.

POLYDAS.

1205 Ah ! c’est mon Atalante ; adorable merveille
Sachez qu’un bruit confus a trompé mon oreille,
Qu’une sœur infidelle a causé ma fureur*,
Et qu’un pront repentir doit suivre mon erreur.

ATALANTE.

Sachez que vôtre gloire* avoit esté trop haute,
1210 Et qu’un pront repentir doit suivre aussi ma faute.

POLYDAS.

Je n’ai rien que deux mots ; arbitre de mon sort*,
Lors que vous reculez vous avancez ma mort.
Attendés un moment ; c’est en vain que je crie,
L’incrédule qu’elle est veut mal à ma furie ;
1215 Elle n’appreuve plus mes amoureux* desseins,
Tant plus je la veus suivre ; helas ! moins je l’atteins.
O Ciel, Amour, Destins, finissez donc ma vie !
S’il faut que son mépris finisse mon envie. {p. 87}
Sicandre que fais-tu, viens donc me consoler,
1220 Tu la pouras fléchir ; c’est trop long-temps parler.
Il faut tout découvrir, j’en espere de l’aide,
Quand il sçaura mon mal*, je suis seur de remede.
La plainte en cét estat est bien hors de saison,
Au defaut du merite, aions tout par raison.

ACTE IV. SCENE NEUFIESME. §

THARZINTE, et SICANDRE dans une chambre.

THARZINTE.

1225 Isidore mon cœur, que vous paroissez belle !
Et que j’ai bien raison de vous estre fidelle !
Vous este admirable en habit de garçon,
Adonis autrefois estoit de la façon.
Pour aimer un objet, dont la grace est extrême,
1230 Vous n’avez maintenant qu’à vous aimer vous-même.
Si les hommes avoient d’aussi puissans apas*,
Les filles desormais ne nous charmeroient pas.

SICANDRE.

{p. 88}
Mais parlons de Mainalte à qui ma Flaminie
Crêra devoir la fin de sa pêne* infinie,
1235 Ils sont à mediter des propos amoureux,    
Chacun cherche son bien, chacun reçoit des vœux,
Ils parlent sans se voir, et sans se reconêtre,
Ils benissent des vœux qui commencent à naître :
Disent également qu’ils seront eternels,
1240 Et font pour cét effet des sermens solemnels.
Mais la nuit retirant quelques-uns de ses voiles,
Et le Ciel faisant voir l’éclat de ses étoiles,
Ils seront étonnés, et s’ils peuvent parler,
Ce ne sera jamés que pour se quereler.
1245 Mais voici Polydas.

THARZINTE

en se tirant à l’écart.
Inventez quelque ruse,
Ou quelque compliment qui fasse mon excuse.

ACTE IV. SCENE DIXIESME. §

{p. M, 89}
POLYDAS, SICANDRE, FLAMINIE, MAINALTE, THARZINTE.

POLYDAS

entrant dans la chambre.
J’ai pensé sucomber à ces nouveaux maleurs,
Quelqu’un moins genereus* en eut versé des pleurs.
Aimable confident quelque chose qu’on fasse,
1250 Il est bien mal-aisé de me remettre en grace.

SICANDRE.

(il dit ceci bas)
Tout est-il découvert ?

POLYDAS.

Mon esprit ingenu
M’a sans doute causé. Quel est cét inconnu ?

SICANDRE

lui dit ceci bas.
Ne parlez pas si haut ; c’est l’ami d’Atalante,
Et c’est aussi de lui que dépend vôtre attente : {p. 90}
1255 Elle aime ses conseils, il revient de la voir,
Et venoit de sa part m’enseigner mon devoir.
Mais feignez seulement de ne le pas connêtre,
Et sçachez qu’en ceci vôtre esprit doit parêtre.
Il me parloit d’amour, laissez-nous un moment,
1260 Nous en pourons avoir quelque contentement.
(On tire la toile pour cacher la chambre.)

POLYDAS

prend un flambeau sur la table.
Je croi ce que tu veux, adieu je me retire,
Et si tu ne me sers il faut que je soûpire.
J’entens ici du bruit.
(Polydas rencontre sans lumiere sa sœur, que Mainalte baisoit.)
O Ciel qu’ai-je aperceu !
C’est vrêment à propos que je me vois deceu.
1265 Que songez-vous ma sœur.

FLAMINIE

regardant Mainalte se retire.
(Elle dit ceci bas)
Quoi ce n’est pas Sicandre.
Où suis-je ! qu’ai-je fait ! quel sort* m’a pû surprendre !

POLYDAS.

Mais quel homme avez-vous ? Ah c’est pour tant de feu*
Avoir trop d’assurance, et c’est rougir trop peu !

FLAMINIE

lui dit ceci bas.
Il est vrai que j’ai tort d’en faire tant de conte,
1270 Mais c’est de vôtre amour que procede ma honte. {p. 91}
L’homme que vous voiez arive encore ici,
Et c’est pour vôtre bien que j’ai tant de souci.
Il suivoit Atalante, et tachoit de la prendre
Dans le même jardin qu’elle est à vous attendre,
1275 Il y vouloit entrer, et faire son effort
Pour lui montrer sa haine ; et vous causer la mort !
Et moi qui n’us jamés une plus digne envie
Que celle qui me porte à vous sauver la vie,
Je l’ai pris sans le voir, et je l’ai diverti
1280 De vous faire chez nous un si mauvais parti,
Par mon humilité j’ai gagné son courage,
J’ai soufert* des baisers pour apaiser sa rage,
Et s’il eût plus long temps cherché vôtre trêpas :
Peut-estre eussai-je fait ce que je ne dis pas.

POLYDAS.

1285 Entretiens*-le ma sœur ; mais sçais-tu qu’Atalante.

FLAMINIE.

Elle est dans le jardin.

POLYDAS.

Non je n’ai plus d’attente,
Elle en vient de sortir.

FLAMINIE.

{p. 92}
Elle y retourne encor.

POLYDAS

en s’en allant.
C’est assez l’y treuvant, j’y treuve un grand thresor.

FLAMINIE.

Il ne se doute point d’une si pronte ruse,
1290 Mais abusant autrui, moi-même je m’abuse.
Qui vous mene en ce lieu ?

MAINALTE.

Rien que vous et l’amour.
Mais Sicandre, Madame, est cause de ce tour,
(Elle leve la tapisserie, qui fait voir la chambre.)
Vous l’aimez, c’est ma sœur, qu’on apelle Isidore,
Tharzinte est là dedans qui l’entretient* encore.

FLAMINIE.

1295 Allons voir, ce mensonge est plus pront que le mien,
Si je le doi sçavoir, c’est par leur entretien*.
Vous nous avez esté trop long temps inconnue,
Madame montrez-nous vôtre ame toute nue,
Et malgré cette ruse avoüez franchement
1300 Que nous ne differons qu’en habit seulement.

MAINALTE.

{p. 93}
Ma sœur j’en ai trop dit.

FLAMINIE.

Dieu que vous estes rare,
Me prodiguer ainsi, ce n’est pas estre avare.

SICANDRE.

Ce Mainalte est mon frere, et sa discretion
Doit meriter le prix de vôtre affection.

MAINALTE.

1305 Madame vôtre estime establira ma gloire*,
Et ce bien doit durer autant que ma mémoire.
Si jamés un Hymen* succedoit à mes vœux,
Je n’attendrois plus rien, je serois trop heureux.

FLAMINIE.

Vous ne pouviez Madame estre mieux ocupée,
1310 Et c’est heureusement que je me voi trompée.
Pour vous, je vous estime, esperant desormais
De treuver avec vous une eternelle paix.

SICANDRE.

Considerez Tharzinte à qui j’offre ma vie,
C’est pour lui que je voi ma liberté ravie. {p. 94}
1315 Il faut que Polydas qui recherche ma sœur,
Et que nous abusons, s’en rende possesseur.
Voila le point qui manque, autrement il faut dire
Que nous n’aurons jamés aucun sujet de rire.

FLAMINIE.

Il suffit, suivez-moi, secondez mes desirs,
1320 Ma ruse va bien tôt assurer vos plesirs.
Duppons-le en son amour.

MAINALTE.

Mon ame en est contente,
Mais comment le dupper, puis qu’il veut Atalante.

SICANDRE.

Il est assez duppé, croiant quelle a du bien,
Et nous sçavons pourtant qu’elle n’a du tout rien
1325 Il est encor duppé par ces legeres feintes,
Dont il vient de tirer tant de sujets de craintes ;
Bref nous le dupperons par cét aimable tour,
Dont nous nous servirons pour croître son amour.

FIN DU QUATRIESME ACTE.

ARGUMENT DU CINQUIESME ACTE. §

{p. 95}

A TALANTE fachée de ce dernier affront qu’elle devoit à l’imprudence de Polydas, promet à Philemon de ne songer plus à cette amour ; et lors qu’elle va querir Isidore, elle aprend la ruse dans laquelle elle commence à jouër le premier personnage. Car Polydas revenant du jardin, où il s’estoit endormi, et protestant de nouveau de n’aimer plus Atalante eut advis de Flaminie que Tharzinte qui avoit des-ja parole d’Isidore, et Mainalte qui avoit receu la foy de Flaminie en secret, se vouloient battre pour sa maitresse. Si bien que prenant son épée entre les mains de Sicandre, et pensant defendre Atalante, il la blessa legerement, pource qu’elle s’estoit advancée. Tharzinte voiant la fourbe bien commencée, pour l’achever feint de vouloir tuer Poly-[96] das avec Mianalte, qui se joint à cette entreprise. Atalante bien instruite demande sa vie qu’elle obtient et fait donner Flaminie à Mainalte, à qui Polydas croioit devoir la vie, Tharzinte qui ne vouloit qu’Isidore feignoit cependant de disputer Atalante, mais s’en estant remis au choix de cette Dame ; elle dit d’abort qu’elle estime Sicandre pour sa fidélité. Polydas se desespere en effet, et Tharzinte en apparence ; mais ce qui remet l’esprit de Polydas, et ce qui l’étonne pourtant, c’est que Sicandre se découvre ; et qu’on lui donne le choix, elle prend Tharzinte, ce qui pensa faire mourir Polydas ; en fin il épouse Atalante, dont il esperoit de grands biens, donne sa sœur, qui estoit riche à Mainalte qui estoit pauvre, voit le mariage d’Isidore et de Tharzinte, et est duppé dans le déguisement de Sicandre, dans les assignations du jardin, dans les feintes de la querelle, et dans la pluspart de ses inventions amoureuses.

ACTE V. §

[N, 97]
ATALANTE, PHILEMON, FLAMINIE, SICANDRE, THARZINTE, MAINALTE, POLYDAS.

SCENE PREMIERE. §

ATALANTE, PHIMEMON.

ATALANTE.

Monsieur j’en ay trop fait ; je ne puis plus attendre,
1330 Polydas nous resiste, on ne peut l’entreprendre,
Sçachez que nos filets sont trop foibles pour lui,
Qu’ils peuvent seulement nous donner de l’ennui*,
Que nous perdons le temps, et que tant de chimeres
En augmentant sa gloire* augmente nos miseres.

PHILEMON.

{p. 98}
1335 J’ay crû qu’il n’estoit pas d’un si facile accés,
Et que vôtre dessein n’auroit point de succés.
Qui pourroit-on dupper dans le siecle où nous sommes ?
Les filles valent moins en esprit que les hommes !
De plus ces Advocats sont tellement rusez,
1340 Que les autres par eux sont toûjours abusez.
Quand vous aurez du bien, vous serez assurée
D’avoir mille plêsirs d’une longue durée,
De recevoir ses vœux, d’ouïr ses complimens,
Et de faire par tout toutes sortes d’Amans*.
1345 Mais quoi ce point nous manque, et ce qui m’est sensible,
C’est que vôtre misere est un peu trop visible,
Et que ces courtisans qui nous faisoient la cour
Vous treuvant sans moiens se treuvent sans amour.
Où vous pouvoit porter vôtre melancolie ?
1350 Et de qui tenez-vous une telle folie ?
Sçachez que vôtre esprit n’est point si delicat
Qu’il puisse par ses tours surprendre un Advocat.
Crere tromper ces gens, dont l’ame n’est feconde
Qu’à treuver des moyens pour tromper tout le monde.
1355 Vôtre dernier procés vous a fait assez voir {p. 99}
Où consiste aujourd’hui leur gloire* et leur sçavoir :
Surprendre c’est leur but, gaigner c’est leur envie,
Pour leur seul interest ils estiment la vie ;
En un mot s’il se peut pour nôtre propre bien,
1360 Ne les recherchez plus, n’entreprenez plus rien.
Vous pouvez témoigner.

ATALANTE.

L’entreprise en est faite,
Ma franchise est le bien que mon ame souhaite.
Je me rendois esclave, et je voi clairement
Qu’il vaut mieux estre libre, et n’avoir point d’Amant*.
1365 J’en veux tirer ma sœur.

PHILEMON.

Sans tarder d’avantage
Allez-y prontement, et revenez plus sage.
Rabatés toutes deux de vôtre vanité,
Et vous m’aporterés moins d’incommodité.

ATALANTE.

J’y vais sans differer, et je suis assez pronte
1370 Pour treuver aujourd’hui de quoi couvrir ma honte.

ACTE V. SCENE DEUXIESME. §

{p. 100}
FLAMINIE, SICANDRE, THARZINTE, MAINALTE, ATALANTE.

FLAMINIE.

Confessez pour le moins que c’est bien mediter.

SICANDRE.

La ruse est excellente, il ne peut l’éviter.
En ceci vôtre esprit a témoigné sa force,
Il faudra qu’il se prenne à cette douce amorce,
1375 Ce piege est trop bien fait, sans doute il y doit choir,
Un autre plus rusé s’y pouroit decevoir.

THARZINTE.

Quelque bon-heur parfait que le sort* leur envoie ;
Je resve à tous moments sur l’excés de ma joie. {p. 101}
Je ne regarde point ni leur bien, ni leur mal,
1380 Pourveu que mon plesir soit desormais égal.
Le Ciel me favorise, et j’en ai tant de marques
Que je suis plus heureux que les plus grands Monarques.
Le bon acueil d’un Roy, tous les contentements,
Les perles, les rubis, l’azur, les diamans,
1385 Les grandeurs, la santé, l’honneur et l’or encore,
Me touchent moins l’esprit que vous belle Isidore.
Aussi dans cét état me tiens-je glorieux*,
Je sens que ce bon-heur m’esleve dans les Cieux,
Que ma fortune* est grande, et que ma gloire* est telle,
1390 Que ceux qui jugent bien la jugent immortelle.

MAINALTE.

Ma sœur a fait aussi des efforts pour mon bien,
Je me tiens satisfait, je ne demande rien.
Je n’importune plus les astres de mes plaintes,
J’ai bani mon soupçon, mon cœur n’a plus de craintes,
1395 Mes maux sont étoufez, et mes biens sont trop doux,
Combien que leur grandeur me fasse des jaloux {p. 102}
Une feinte a produit un bon-heur veritable,
A qui jamés pas un n’a semblé comparable.
Et je me puis vanter d’avoir plus de plêsirs,
1400 Qu’on n’en peut souhaiter par les plus grands desirs.

SICANDRE.

Mais quoi le temps nous presse, il faudroit qu’Atalante.
Elle vient à propos, nous la rendrons contente.

MAINALTE.

Ma sœur tout ira bien si Polydas vous plaist,
Maintenant vos amis plaidoient vôtre interest,
1405 Il est presque achevé, je croi qu’une journée
Suffit pour nos desseins, et pour nôtre Hymenée*.
Flaminie est à moi, Tharzinte est à ma sœur,
Montrez à Polydas une même douceur ;
Vous devez l’estimer sçachant qu’il vous adore.

ATALANTE.

1410 Ne m’en parlez jamés, je ne veux qu’Isidore,
Je ne viens en ce lieu qu’afin de l’en tirer.

FLAMINIE.

Nous voulez-vous ainsi contraindre à soûpirer.

SICANDRE.

{p. 103}
Tout ira bien pour vous, ma sœur soiez plus sage,
Et suivez mon conseil sans parler d’avantage.

ATALANTE.

1415 Dequoi me servira de suivre vos âvis,
S’ils ne servoient de rien, quand ils étoient suivis ?

FLAMINIE.

Entrons, ne craignez rien, tout nous sera prospere,
Et sçachez que la sœur vous assure du frere.

ATALANTE.

Sentons encore un coup, et voions si le sort*
1420 Nous doit faire aujourd’huy rencontrer quelque port.

ACTE V. SCENE TROISIESME. §

{p. 104}

POLYDAS

sortant du jardin.
Comment je voi des-ja le départ de l’Aurore,
Et ce nouveau Soleil ne revient point encore ?
Lors que je l’attendois le sommeil m’a surpris
Et sa lente froideur a troublé mes esprits.
1425 Sans cét empeschement peut-estre qu’Atalante
Eut bien entretenu nôtre commune attente.
Ah ! s’il étoit certain d’un legitime effort
Apres un tel sommeil, je chercherois la mort,
Et quand même le Ciel devroit m’estre contrere
1430 La sœur me sembleroit plus douce que le frere.
Mais c’est parler en vain, l’ingratte ne vient pas,
Je croi qu’elle a dessein d’avancer mon trépas.
Je me treuve abusé, je sens que la perfide
Veut prendre en mon endroit le titre d’homicide !
1435 J’ai beau te rechercher, au lieu de me guerir, [O, 105]
Je m’obstine moy-même à me faire mourir.
Mais il faut l’éviter, car ma flame* alumée
Malgré tout son pouvoir se reduit en fumée,
Mon cœur cesse de craindre en cessant de l’aimer,
1440 Et ses yeux n’ont plus rien qui puisse me charmer.

ACTE V. SCENE QUATRIÈME. §

FLAMINIE, POLYDAS.

FLAMINIE.

Et bien que songez-vous ?

POLYDAS.

Que l’amour m’est contrêre,
Mais qu’aussi la raison m’en va bien tôt distrêre :
S’en est fait ; Atalante a des attraits* puissans,
Mais juge ma raison plus forte que mes sens.
1445 Le sort* en est jetté, la force de ses charmes
Ne me reduira plus à lui rendre les armes. {p. 106}
Elle sçait aquerir, et non pas conserver,
Et moi je me sçai perdre, et je sçai me sauver.
Tu pouras témoigner que j’ai fait mon possible,
1450 Et que j’ai tout cherché pour la rendre sensible,
Je l’ai veu preparée à soulager mes maux,
Mais je croi que depuis elle a craint mes rivaux,
Et que sa passion que je treuvois si forte,
Aussi bien que la mienne est de-ja toute morte.

FLAMINIE.

1455 Atalante est chez nous, croiez-moi seulement
Que si vous la voiez vous serez son Amant*.
Il est bien malaisé de parêtre infidelle,
Alors qu’on l’entretient*, ou qu’on la voit fidelle,
Mais combien de malheurs vont causer ses apas*,
1460 Pour elle deux amis recherchent le trépas,
Vous les avez pû voir.

POLYDAS.

O Ciel que tu m’estonnes !
Fais- moy donc par le nom connêtre ces personnes.

ACTE V. SCENE CINQUIESME ET DERNIERE. §

{p. 107}
MAINALTE, THARZINTE, FLAMINIE, ATALANTE, POLYDAS, SICANDRE.

MAINALTE

voiant Polydas dit ceci
à Tharzinte.
L’Amour à mes dépens te veut faire esperer
Un bien qu’autre que moi ne pouvoit desirer.
1465 Dy ce que tu voudras, je découvre tes ruses,
En vain pour m’adoucir tu cherches des excuses.

THARZINTE.

Que tu me connois mal ! sçache que ma valeur
A toûjours esté ferme au milieu du maleur.
Le bruit qu’on t’a donné n’est rien qu’une fumée,
1470 Car je voi que l’effet cede à la renommée.

FLAMINIE.

{p. 108}
Mon frere empeschons les.

POLYDAS.

Vous ne vous battrez pas,
Pourquoi de la façon vous causer le trépas ?

ATALANTE

en arrivant.
O Ciel qui vit jamés une telle entreprise !
Quoi suis-je pour celui que le sort* favorise ?
1475 J’aurois en cét état le destin rigoureux.
Non, non, soiez vaillans, ou soiez amoureux*,
Si vous le desirez terminez vôtre vie,
Et malgré vôtre mort conservez vôtre envie,
Vous cherchez seulement à me desobliger,
1480 Mon interest se doit autrement ménager.

SICANDRE

à Polydas lui presentant une épée.
Voici pour les tromper, soiez de la querelle,
Et s’il vous faut mourir, mourez pour cette belle.

POLYDAS.

Je la voulois hair, mais lors que je la voi
Je pers ma liberté, je ne suis plus à moi.

SICANDRE.

{p. 109}
1485 Donnez donc seulement.

POLYDAS.

Mais si je leur resiste
Le succés pour moi seul en doit estre plus triste.

SICANDRE.

Vous craignez le danger.

POLYDAS.

Et ne le crains-tu pas ?

SICANDRE.

Pour un si beau sujet j’aimerois le trépas.

THARZINTE

à Mainalte.
Ton cœur a donc manqué ?

MAINALTE.

Son humeur est trop pronte,
1490 Mais il faut qu’il rougisse, et de sang et de honte.

POLYDAS

tirant son épée en touche Atalante, qui se met devant lui pour continuer la feinte.
Sicandre qu’ai-je fait ?

ATALANTE

{p. 110}
feint d’estre blessée.
O Ciel quelle rigueur !

THARZINTE.

Mourons, car Polydas a blessé nôtre cœur.

MAINALTE.

Faisons plutôt qu’il meure, il nous en reste encore
Pour punir ce cruel.

FLAMINIE

dit ceci bas.
Tout va bien Isidore.

ATALANTE

voiant Polydas poursuivi.
1495 Vous l’aprochez en vain, puis que je vous retiens,
C’est avancer mes jour que d’avancer les siens.
En cessant de soufrir, je cesse aussi ma plainte,
Je n’ai point eu de mal que celui de la crainte,
Je demande sa vie.

MAINALTE.

Il faut lui pardonner,
1500 Il nous plaist de servir s’il vous plaist d’ordonner.

ATALANTE.

Je ne crerai jamés cette faveur petite.

MAINALTE.

{p. 111}
Madame esperez tout, aiant tant de merite.

POLYDAS.

Quels doux remercimens peut-on joindre à ce bien,
Hé prenez tout de nous, et ne demandez rien.

ATALANTE.

1505 Puis que ce Cavalier vous a donné la vie,
Qui possible sans moi vous eut esté ravie,
Pourveu que Flaminie apreuve son amour,
Je croi qu’il doit benir Polydas, et le jour.

FLAMINIE.

J’aime ce qui vous plaist, que mon frere commande,
1510 Lors il pourra sans pene obtenir sa demande.

POLYDAS.

Pour moi j’en suis ravi, je me tiens trop heureux
Que ma sœur ait reduit un cœur si genereux*.

MAINALTE.

Ce plesir est trop doux, mon ame est trop contente,
Je ne pouvois mieux choir en perdant Atalante.

POLYDAS

{p. 112}
à Atalante.
1515 Il est vrai, tout va bien, mais consentez aussi
Que je treuve comme eux la fin de mon souci.
Quel dessein feriez-vous de me voir miserable ?
Faites que le destin me soit plus favorable.
Vous me pouvez donner, ou la vie, ou la mort,
1520 Vous pouvez m’irriter, ou m’adoucir le sort*.
Un seul mot suffira.

THARZINTE.

C’est beaucoup entreprendre,
Ah ! si vous m’attaquez, je me sçaurai defendre
Atalante me reste, et pour la posseder
Il faut que le trépas me force à la ceder.
1525 Depuis que j’en ai fait l’objet* de mon envie,
On ne peut me l’oster qu’on ne m’oste la vie.
Tel qui cherche son lit doit treuver un tombeau,
Un autre doit bruler aupres de ce flambeau*,
Il faut m’aneantir pour éteindre ma flame*,
1530 Crêre me l’arracher, c’est arracher mon ame ;
Je ne m’y puis resoudre, et quand même le Ciel
Verseroit dessus moi tout ce qu’il a de fiel*,
Que l’air, les elemens, les enfers et la terre
Me livreroient par tout une eternelle guerre,
1535 Que tout seroit contrêre à mes justes desirs.
Que je perdois bien tôt l’usage des plesirs, [P, 113]
Que la Parque en un mot feroit voir sa colere,
Je ne perdrai jamés le souci de vous plêre,
Et ceux qui sont jaloux de mon contentement,
1540 En cherchant mon malheur cherchent leur monument*.

MAINALTE.

Chacun verra bien tôt ses attentes frivoles,
Pourveu que les effets répondent aux paroles.
Mais vôtre humeur* est douce, et si vous faites bien
Vous quitterez sans doute un semblable entretien*.
1545 « Ceux qui parlent beaucoup n’en font pas davantage,
« Les seules actions font preuve du courage.
Ce que vous avez dit ne nous etonne* pas,
Et je sçai que la mort est pour vous sans apas*.
« Un homme genereux* n’use point de harangue,
1550 « Il agit de ses mains, et non pas de sa langue ;
Et si vous nous voulez montrer vôtre vigueur,
Ce moien fera voir que vous avez du cœur.
Je suis pour Polydas, et je n’ai point de vie
Qui dans l’extremité ne lui soit asservie.
1555 Si je fais son bon-heur je croi fere le mien,
Disputant cét objet* je dispute son bien, {p. 114}
Et lors que cette loi vous semblera trop dure,
Il vous sera permis de vanger cette injure.
Mais quoi que Polydas ait eu des-ja ma voix,
1560 Concluons qu’Atalante en doit faire le choix.

THARZINTE.

Pour moi je m’y resous.

POLYDAS.

Je m’y resous de même,
Puis qu’elle connoist bien que ma flame* est extréme.

SICANDRE.

Jurez à tout le moins que vous serez d’acord,
Quand bien elle voudroit prononcer vôtre mort.

MAINALTE.

1565 Il n’en faut plus douter, qu’elle agisse pour elle,
Car son choix seulement finira la querelle.

ATALANTE.

Puis qu’on veut m’imposer cette necessité.
Sicandre me ravit pour sa fidelité.

POLYDAS.

{p. 115}
Sicandre vous ravit ! que mon ame est confuse !
1570 Juste Ciel est-ce ainsi qu’il faut qu’on me refuse !

THARZINTE.

Seroit-il veritable ? où me voi-je reduit,
Et que puis-je esperer ! mon propre bien me fuit.

POLYDAS.

Mais quel degré si haut eut contenu ma gloire*,
Si par quelque bon-heur j’en eusse eu la victoire.
1575 Je n’y doi plus songer, j’aurois trop peu de cœur
Pour imposer des loix à ce puissant vainqueur.

SICANDRE.

Mon habit vous abuse, et dessous cette feinte
J’aflige également Polydas et Tharzinte,
Ma sœur choisissez mieux, je ne vous puis servir
1580 Dans le contentement, dont on nous croit ravir.

POLYDAS.

Sicandre est une fille ! où portois-je la veuë !
Hé quoi m’a-t’elle esté si long-temps inconnuë ?
Que je procede mal en matieres de droit !
Mon œil malaisément créra-t’il ce qu’il voit.
1585 Mais nous sommes toûjours dans la même querelle,
Qui comme nôtre amour me semble estre immortelle. {p. 116}

ATALANTE.

Que Sicandre se donne un moment de loisir,
Qu’il parle, mon esprit apreuve son desir.

POLYDAS.

C’est agir comme il faut, je suis seur que Sicandre
1590 A trop d’amour pour moi pour ne me pas defendre.

SICANDRE.

Tharzinte me plaist fort ; j’estime sa vertu*.

MAINALTE

à Flaminie.
C’est bien mal ordonner, mon cœur qu’en juges-tu.

POLYDAS.

Mépriser Polydas, m’inventer ce suplice,
Quel jugement de Clerc ! quel arrest d’injustice
1595 Tharzinte vous plaist donc ? songez-vous à ma foi* ?

SICANDRE.

Oüi, vous plaidez pour vous, et je plaide pour moi,
J’estime son amour, où j’ai mis mon attente, {p. 117}
Et lors que je le prens, je vous laisse Atalante.

POLYDAS.

Combien m’avez-vous fait meriter de bon-heur !
1600 O Ciel que je vous dois, vous devant cét honneur !
Doux objet* de mon cœur que ce plêsir me touche !
Pour vous le figurer il faut plus d’une bouche,
Mais je vous treuve triste, et mon contentement
A vous voir tant resver cause vôtre tourment.

THARZINTE.

1605 Madame il faut banir cette melancolie,
(Il dit ce vers bas.)
Ne vouloir pas son bien, c’est un trait de folie.

ATALANTE.

C’est assez, je le veux, mon esprit combatu
D’une legere peur, a repris sa vertu*.
Nos parens avertis, il faut bien que je croie
1610 Que rien ne peut troubler une semblable joie.

POLYDAS.

N’aprehendons plus rien, nous serons trop contents,
Et nos plêsirs iront par delà tous les temps.

SICANDRE.

{p. 118}
Tout nous a reüssi, nôtre fortune* est belle,
Flaminie à propos a fait cette querelle,
1615 Polydas la cajolle, elle est selon son vœu,
Mais faut-il s’étonner de lui voir tant de feu* ?
Atalante est aimable, outre que la justice,
Afin de s’échaufer ne vit rien que d’épice.
Ces jeunes Advocats sont trompez bien souvant
1620 Ce n’est que leur orgueil qui les va decevant* :
Nous voions que par tout leur humeur se découvre,
Font des civilitez qu’on ne fait point au Louvre
Ils ont pour contenter cent mouvemens divers,
Ils s’ajustent le poil, ils font parfois des vers,
1625 Ils courent au miroir pour consulter leur grace,
Pour voir comment leur feu* paroist dans cette glace,
Pour pratiquer un air* qui les fasse estimer,
Et par où leur maintien se puisse faire aimer.
Pour gaigner nos esprits ils souhaitent des charmes,
1630 Ils jettent des soupirs, ils répandent des larmes,
Pour montrer leur sçavoir expliquent des rebus,
Pour paretre sçavants ils nous parlent Phoebus,
Moralisent par fois, nous repetent des fables,
Et leur donnent un sens qui les rend veritables. {p. 119}
1635 Ils font des complimens qui n’ont point de pareils,
Nos yeux à leur âvis sont autant de Soleils :
Nôtre froideur les brule, et ne sçauroient comprendre
Comment ils sont vivants étant réduits en cendre,
Ils parlent, quoi que morts, et si nous les traitons
1640 Avec quelque douceur, nous les rescuscitons :
Ils sont dedans le Ciel, quoi qu’ils soient sur la terre ;
Mais un de nos regards est pire qu’un tonnerre,
On croist par un mépris les maux qu’ils ont soufers,
Nous les faisons tomber du Ciel dans les enfers,
1645 Veulent malgré leur sort* benir leurs entreprises ;
Et nous content toujours de semblables sottises.
Au reste on ne voit point de petit Advocat
Qui ne tranche du grand, de l’esprit delicat,
Il méprisera tout pour se mettre en estime,
1650 La vertu* chez autrui lui tiendra lieu de crime,
Les autrez n’auront rien, il sera sans defaut,
Il met bas un chacun pour s’elever plus haut ;
Je croi pour les soufrir qu’il faut estre un peu beste,
Et pour les caresser estre fort deshonneste : {p. 120}
1655 Je me treuve aujourd’hui du parti de ma sœur,
Combien que Polydas en soit le possesseur.
Mais suivons ces Amans*, dont les communes ames
Respirent maintenant de mutuelles flâmes*,
Mon esprit ne s’est pas vainement ocuppé,
1660 Car on ne vit jamais ADVOCAT mieux DUPPÉ.

FIN DE L’ADVOCAT
DUPPÉ.