SCÈNE PREMIÈRE. Attila, Octar, suite. §
ATTILA.
Ils ne sont pas venus, nos deux rois ? Qu’on leur die
Qu’ils se font trop attendre, et qu’Attila s’ennuie ;
Qu’alors que je les mande ils doivent se hâter.
OCTAR.
Mais, seigneur, quel besoin de les en consulter ?
5 Pourquoi de votre hymen les prendre pour arbitres,
Eux qui n’ont de leur trône ici que de vains titres,
Et que vous ne laissez au nombre des vivants
Que pour traîner partout deux rois pour vos suivants ?
ATTILA.
J’en puis résoudre seul, Octar, et les appelle,
10 Non sous aucun espoir de lumière nouvelle :
Je crois voir avant eux ce qu’ils m’éclairciront,
Et m’être déjà dit tout ce qu’ils me diront ;
Mais de ces deux partis lequel que je préfère,
Sa gloire est un affront pour l’autre, et pour son frère ;
15 Et je veux attirer d’un si juste courroux
Sur l’auteur du conseil les plus dangereux coups,
Assurer une excuse à ce manque d’estime,
Pouvoir, s’il est besoin, livrer une victime ;
Et c’est ce qui m’oblige à consulter ces rois,
20 Pour faire à leurs périls éclater ce grand choix ;
Car enfin j’aimerais un prétexte à leur perte :
J’en prendrais hautement l’occasion offerte.
Ce titre en eux me choque, et je ne sais pourquoi
Un roi que je commande ose se nommer roi.
25 Un nom si glorieux marque une indépendance
Que souille, que détruit la moindre obéissance ;
Et je suis las de voir que du bandeau royal
Ils prennent droit tous deux de me traiter d’égal.
OCTAR.
Mais, seigneur, se peut-il que pour ces deux princesses
30 Vous ayez mêmes yeux et pareilles tendresses,
Que leur mérite égal dispose sans ennui
Votre âme irrésolue aux sentiments d’autrui ?
Ou si vers l’une ou l’autre elle a pris quelque pente,
Dont prennent ces deux rois la route différente,
35 Voudra-t-elle, aux dépens de ses voeux les plus doux,
Préparer une excuse à ce juste courroux ?
Et pour juste qu’il soit, est-il si fort à craindre
Que le grand Attila s’abaisse à se contraindre ?
ATTILA.
Non ; mais la noble ardeur d’envahir tant d’états
40 Doit combattre de tête encor plus que de bras,
Entre ses ennemis rompre l’intelligence,
Y jeter du désordre et de la défiance,
Et ne rien hasarder qu’on n’ait de toutes parts,
Autant qu’il est possible, enchaîné les hasards.
45 Nous étions aussi forts qu’à présent nous le sommes,
Quand je fondis en Gaule avec cinq cent mille hommes.
Dès lors, s’il t’en souvient, je voulus, mais en vain,
D’avec le Visigoth détacher le Romain.
J’y perdis auprès d’eux des soins qui me perdirent :
50 Loin de se diviser, d’autant mieux ils s’unirent.
La terreur de mon nom pour nouveaux compagnons
Leur donna les Alains, les Francs, les Bourguignons ;
Et n’ayant pu semer entre eux aucuns divorces,
Je me vis en déroute avec toutes mes forces.
55 J’ai su les rétablir, et cherche à me venger ;
Mais je cherche à le faire avec moins de danger.
De ces cinq nations contre moi trop heureuses,
J’envoie offrir la paix aux deux plus belliqueuses ;
Je traite avec chacune, et comme toutes deux
60 De mon hymen offert ont accepté les noeuds,
Des princesses qu’ensuite elles en font le gage
L’une sera ma femme et l’autre mon otage.
Si j’offense par là l’un des deux souverains,
Il craindra pour sa soeur qui reste entre mes mains.
65 Ainsi je les tiendrai l’un et l’autre en contrainte,
L’un par mon alliance, et l’autre par la crainte ;
Ou si le malheureux s’obstine à s’irriter,
L’heureux en ma faveur saura lui résister,
Tant que de nos vainqueurs terrassés l’un par l’autre
70 Les trônes ébranlés tombent aux pieds du nôtre.
Quant à l’amour, apprends que mon plus doux souci
N’est… Mais Ardaric entre, et Valamir aussi.
SCÈNE II. Attila, Ardaric, Valamir, Octar. §
ATTILA.
Rois, amis d’Attila, soutiens de ma puissance,
Qui rangez tant d’états sous mon obéissance,
75 Et de qui les conseils, le grand coeur et la main,
Me rendent formidable à tout le genre humain,
Vous voyez en mon camp les éclatantes marques
Que de ce vaste effroi nous donnent deux monarques.
En Gaule Mérovée, à Rome l’empereur,
80 Ont cru par mon hymen éviter ma fureur.
La paix avec tous deux en même temps traitée
Se trouve avec tous deux à ce prix arrêtée ;
Et presque sur les pas de mes ambassadeurs
Les leurs m’ont amené deux princesses leurs soeurs.
85 Le choix m’en embarrasse, il est temps de le faire ;
Depuis leur arrivée en vain je le diffère :
Il faut enfin résoudre ; et quel que soit ce choix,
J’offense un empereur, ou le plus grand des rois.
Je le dis le plus grand, non qu’encor la victoire
90 Ait porté Mérovée à ce comble de gloire ;
Mais si de nos devins l’oracle n’est point faux,
Sa grandeur doit atteindre aux degrés les plus hauts ;
Et de ses successeurs l’empire inébranlable
Sera de siècle en siècle enfin si redoutable,
95 Qu’un jour toute la terre en recevra des lois,
Ou tremblera du moins au nom de leurs François.
Vous donc, qui connaissez de combien d’importance
Est pour nos grands projets l’une et l’autre alliance,
Prêtez-moi des clartés pour bien voir aujourd’hui
100 De laquelle ils auront ou plus ou moins d’appui,
Qui des deux, honoré par ces noeuds domestiques,
Nous vengera le mieux des champs catalauniques ;
Et qui des deux enfin, déchu d’un tel espoir,
Sera le plus à craindre à qui veut tout pouvoir.
ARDARIC.
105 En l’état où le ciel a mis votre puissance,
Nous mettrions en vain les forces en balance :
Tout ce qu’on y peut voir ou de plus ou de moins
Ne vaut pas amuser le moindre de vos soins.
L’un et l’autre traité suffit pour nous instruire
110 Qu’ils vous craignent tous deux et n’osent plus vous nuire.
Ainsi, sans perdre temps à vous inquiéter,
Vous n’avez que vos yeux, seigneur, à consulter.
Laissez aller ce choix du côté du mérite
Pour qui, sur leur rapport, l’amour vous sollicite :
115 Croyez ce qu’avec eux votre coeur résoudra ;
Et de ces potentats s’offense qui voudra.
ATTILA.
L’amour chez Attila n’est pas un bon suffrage ;
Ce qu’on m’en donnerait me tiendrait lieu d’outrage,
Et tout exprès ailleurs je porterais ma foi,
120 De peur qu’on n’eût par là trop de pouvoir sur moi.
Les femmes qu’on adore usurpent un empire
Que jamais un mari n’ose ou ne peut dédire.
C’est au commun des rois à se plaire en leurs fers,
Non à ceux dont le nom fait trembler l’univers.
125 Que chacun de leurs yeux aime à se faire esclave ;
Moi, je ne veux les voir qu’en tyrans que je brave :
Et par quelques attraits qu’ils captivent un coeur,
Le mien en dépit d’eux est tout à ma grandeur.
Parlez donc seulement du choix le plus utile,
130 Du courroux à dompter ou plus ou moins facile ;
Et ne me dites point que de chaque côté
Vous voyez comme lui peu d’inégalité.
En matière d’état ne fût-ce qu’un atome,
Sa perte quelquefois importe d’un royaume ;
135 Il n’est scrupule exact qu’il n’y faille garder,
Et le moindre avantage a droit de décider.
VALAMIR.
Seigneur, dans le penchant que prennent les affaires,
Les grands discours ici ne sont pas nécessaires :
Il ne faut que des yeux ; et pour tout découvrir,
140 Pour décider de tout, on n’a qu’à les ouvrir.
Un grand destin commence, un grand destin s’achève :
L’empire est prêt à choir, et la France s’élève ;
L’une peut avec elle affermir son appui,
Et l’autre en trébuchant l’ensevelir sous lui.
145 Vos devins vous l’ont dit ; n’y mettez point d’obstacles,
Vous qui n’avez jamais douté de leurs oracles :
Soutenir un état chancelant et brisé,
C’est chercher par sa chute à se voir écrasé.
Appuyez donc la France, et laissez tomber Rome ;
150 Aux grands ordres du ciel prêtez ceux d’un grand homme :
D’un si bel avenir avouez vos devins,
Avancez les succès, et hâtez les destins.
ARDARIC.
Oui, le ciel, par le choix de ces grands hyménées,
A mis entre vos mains le cours des destinées ;
155 Mais s’il est glorieux, seigneur, de le hâter,
Il l’est, et plus encor, de si bien l’arrêter,
Que la France, en dépit d’un infaillible augure,
N’aille qu’à pas traînants vers sa grandeur future,
Et que l’aigle, accablé par ce destin nouveau,
160 Ne puisse trébucher que sur votre tombeau.
Serait-il gloire égale à celle de suspendre
Ce que ces deux états du ciel doivent attendre,
Et de vous faire voir aux plus savants devins
Arbitre des succès et maître des destins ?
165 J’ose vous dire plus. Tout ce qu’ils vous prédisent,
Avec pleine clarté dans le ciel ils le lisent ;
Mais vous assurent-ils que quelque astre jaloux
N’ait point mis plus d’un siècle entre l’effet et vous ?
Ces éclatants retours que font les destinées
170 Sont assez rarement l’oeuvre de peu d’années ;
Et ce qu’on vous prédit touchant ces deux états
Peut être un avenir qui ne vous touche pas.
Cependant regardez ce qu’est encor l’empire :
Il chancelle, il se brise, et chacun le déchire ;
175 De ses entrailles même il produit des tyrans ;
Mais il peut encor plus que tous ses conquérants.
Le moindre souvenir des champs catalauniques
En peut mettre à vos yeux des preuves trop publiques :
Singibar, Gondebaut, Mérovée et Thierry,
180 Là, sans Aétius, tous quatre auraient péri.
Les Romains firent seuls cette grande journée :
Unissez-les à vous par un digne hyménée.
Puisque déjà sans eux vous pouvez presque tout,
Il n’est rien dont par eux vous ne veniez à bout.
185 Quand de ces nouveaux rois ils vous auront fait maître,
Vous verrez à loisir de qui vous voudrez l’être,
Et résoudrez vous seul avec tranquillité
Si vous leur souffrirez encor l’égalité.
VALAMIR.
L’empire, je l’avoue, est encor quelque chose ;
190 Mais nous ne sommes plus au temps de Théodose ;
Et comme dans sa race il ne revit pas bien,
L’empire est quelque chose, et l’empereur n’est rien.
Ses deux fils n’ont rempli les trônes des deux Romes
Que d’idoles pompeux, que d’ombres au lieu d’hommes.
195 L’imbécile fierté de ces faux souverains,
Qui n’osait à son aide appeler des Romains,
Parmi des nations qu’ils traitaient de barbares
Empruntait pour régner des personnes plus rares ;
Et d’un côté Gainas, de l’autre Stilicon,
200 À ces deux majestés ne laissant que le nom,
On voyait dominer d’une hauteur égale
Un Goth dans un empire, et dans l’autre un Vandale.
Comme de tous côtés on s’en est indigné,
De tous côtés aussi pour eux on a régné.
205 Le second Théodose avait pris leur modèle :
Sa soeur à cinquante ans le tenait en tutelle,
Et fut, tant qu’il régna, l’âme de ce grand corps,
Dont elle fait encor mouvoir tous les ressorts.
Pour Valentinian, tant qu’a vécu sa mère,
210 Il a semblé répondre à ce grand caractère :
Il a paru régner ; mais on voit aujourd’hui
Qu’il régnait par sa mère, ou sa mère pour lui ;
Et depuis son trépas il a trop fait connaître
Que s’il est empereur, Aétius est maître ;
215 Et c’en serait la soeur qu’il faudrait obtenir,
Si jamais aux Romains vous vouliez vous unir :
Au reste, un prince faible, envieux, mol, stupide,
Qu’un heureux succès enfle, un douteux intimide,
Qui pour unique emploi s’attache à son plaisir,
220 Et laisse le pouvoir à qui s’en peut saisir.
Mais le grand Mérovée est un roi magnanime,
Amoureux de la gloire, ardent après l’estime,
Qui ne permet aux siens d’emploi ni de pouvoir,
Qu’autant que par son ordre ils en doivent avoir.
225 Il sait vaincre et régner ; et depuis sa victoire,
S’il a déjà soumis et la Seine et la Loire,
Quand vous voudrez aux siens joindre vos combattants,
La Garonne et l’Arar ne tiendront pas longtemps.
Alors ces mêmes champs, témoins de notre honte,
230 En verront la vengeance et plus haute et plus prompte ;
Et pour glorieux prix d’avoir su nous venger,
Vous aurez avec lui la Gaule à partager,
D’où vous ferez savoir à toute l’Italie
Qu’alors que la prudence à la valeur s’allie,
235 Il n’est rien à l’épreuve, et qu’il est temps qu’enfin
Et du Tibre et du Pô vous fassiez le destin.
ARDARIC.
Prenez-en donc le droit des mains d’une princesse
Qui l’apporte pour dot à l’ardeur qui vous presse ;
Et paraissez plutôt vous saisir de son bien,
240 Qu’usurper des états sur qui ne vous doit rien.
Sa mère eut tant de part à la toute-puissance,
Qu’elle fit à l’empire associer Constance ;
Et si ce même empire a quelque attrait pour vous,
La fille a même droit en faveur d’un époux.
245 Allez, la force en main, demander ce partage
Que d’un père mourant lui laissa le suffrage :
Sous ce prétexte heureux vous verrez des Romains
Se détacher de Rome, et vous tendre les mains.
Aétius n’est pas si maître qu’on veut croire :
250 Il a jusque chez lui des jaloux de sa gloire ;
Et vous aurez pour vous tous ceux qui dans le coeur
Sont mécontents du prince, ou las du gouverneur.
Le débris de l’empire a de belles ruines :
S’il n’a plus de héros, il a des héroïnes.
255 Rome vous en offre une, et part à ce débris :
Pourriez-vous refuser votre main à ce prix ?
Ildione n’apporte ici que sa personne :
Sa dot ne peut s’étendre aux droits d’une couronne,
Ses Francs n’admettent point de femme à dominer ;
260 Mais les droits d’Honorie ont de quoi tout donner.
Attachez-les, seigneur, à vous, à votre race ;
Du fameux Théodose assurez-vous la place :
Rome adore la soeur, le frère est sans pouvoir ;
On hait Aétius : vous n’avez qu’à vouloir.
ATTILA.
265 Est-ce comme il me faut tirer d’inquiétude,
Que de plonger mon âme en plus d’incertitude ?
Et pour vous prévaloir de mes perplexités,
Choisissez-vous exprès ces contrariétés ?
Plus j’entends raisonner, et moins on détermine :
270 Chacun dans sa pensée également s’obstine ;
Et quand par vous je cherche à ne plus balancer,
Vous cherchez l’un et l’autre à mieux m’embarrasser !
Je ne demande point de si diverses routes :
Il me faut des clartés, et non de nouveaux doutes ;
275 Et quand je vous confie un sort tel que le mien,
C’est m’offenser tous deux que ne résoudre rien.
VALAMIR.
Seigneur, chacun de nous vous parle comme il pense,
Chacun de ce grand choix vous fait voir l’importance ;
Mais nous ne sommes point jaloux de nos avis.
280 Croyez-le, croyez-moi, nous en serons ravis ;
Ils sont les purs effets d’une amitié fidèle,
De qui le zèle ardent…
ATTILA.
De qui le zèle ardent… Unissez donc ce zèle,
Et ne me forcez point à voir dans vos débats
Plus que je ne veux voir, et… Je n’achève pas.
285 Dites-moi seulement ce qui vous intéresse
À protéger ici l’une et l’autre princesse.
Leurs frères vous ont-ils, à force de présents,
Chacun de son côté rendus leurs partisans ?
Est-ce amitié pour l’une, est-ce haine pour l’autre,
290 Qui forme auprès de moi son avis et le vôtre ?
Par quel dessein de plaire ou de vous agrandir…
Mais derechef je veux ne rien approfondir,
Et croire qu’où je suis on n’a pas tant d’audace.
Vous, si vous vous aimez, faites-vous une grâce :
295 Accordez-vous ensemble, et ne contestez plus,
Ou de l’une des deux ménagez un refus,
Afin que nous puissions en cette conjoncture
À son aversion imputer la rupture.
Employez-y tous deux ce zèle et cette ardeur
300 Que vous dites avoir tous deux pour ma grandeur :
J’en croirai les efforts qu’on fera pour me plaire,
Et veux bien jusque-là suspendre ma colère.
SCÈNE III. Ardaric, Valamir. §
ARDARIC.
En serons-nous toujours les malheureux objets ?
Et verrons-nous toujours qu’il nous traite en sujets ?
VALAMIR.
305 Fermons les yeux, seigneur, sur de telles disgrâces :
Le ciel en doit un jour effacer jusqu’aux traces ;
Mes devins me l’ont dit ; et s’il en est besoin,
Je dirai que ce jour peut-être n’est pas loin :
Ils en ont, disent-ils, un assuré présage.
310 Je vous confierai plus : ils m’ont dit davantage,
Et qu’un Théodoric qui doit sortir de moi
Commandera dans Rome, et s’en fera le roi ;
Et c’est ce qui m’oblige à parler pour la France,
À presser Attila d’en choisir l’alliance,
315 D’épouser Ildione, afin que par ce choix
Il laisse à mon hymen Honorie et ses droits.
Ne vous opposez plus aux grandeurs d’Ildione,
Souffrez en ma faveur qu’elle monte à ce trône ;
Et si jamais pour vous je puis en faire autant…
ARDARIC.
320 Vous le pouvez, seigneur, et dès ce même instant.
Souffrez qu’à votre exemple en deux mots je m’explique.
Vous aimez ; mais ce n’est qu’un amour politique ;
Et puisque je vous dois confidence à mon tour,
J’ai pour l’autre princesse un véritable amour ;
325 Et c’est ce qui m’oblige à parler pour l’empire,
Afin qu’on m’abandonne un objet où j’aspire.
Une étroite amitié l’un à l’autre nous joint ;
Mais enfin nos désirs ne compatissent point.
Voyons qui se doit vaincre, et s’il faut que mon âme
330 À votre ambition immole cette flamme ;
Ou s’il n’est point plus beau que votre ambition
Elle-même s’immole à cette passion.
VALAMIR.
Ce serait pour mon coeur un cruel sacrifice.
ARDARIC.
Et l’autre pour le mien seroit un dur supplice.
335 Vous aime-t-on ?
VALAMIR.
Vous aime-t-on ? Du moins j’ai lieu de m’en flatter.
Et vous, seigneur ?
ARDARIC.
Et vous, seigneur ? Du moins on me daigne écouter.
VALAMIR.
Qu’un mutuel amour est un triste avantage,
Quand ce que nous aimons d’un autre est le partage !
ARDARIC.
Cependant le tyran prendra pour attentat
340 Cet amour qui fait seul tant de raisons d’état.
Nous n’avons que trop vu jusqu’où va sa colère,
Qui n’a pas épargné le sang même d’un frère,
Et combien après lui de rois ses alliés
À son orgueil barbare il a sacrifiés.
VALAMIR.
345 Les peuples qui suivaient ces illustres victimes
Suivent encor sous lui l’impunité des crimes ;
Et ce ravage affreux qu’il permet aux soldats
Lui gagne tant de coeurs, lui donne tant de bras,
Que nos propres sujets sortis de nos provinces
350 Sont en dépit de nous plus à lui qu’à leurs princes.
ARDARIC.
Il semble à ses discours déjà nous soupçonner,
Et ce sont des soupçons qu’il nous faut détourner.
À ce refus qu’il veut disposons ma princesse.
VALAMIR.
Pour y porter la mienne il faudra peu d’adresse.
ARDARIC.
355 Si vous persuadez, quel malheur est le mien !
VALAMIR.
Et si l’on vous en croit, puis-je espérer plus rien ?
ARDARIC.
Ah ! Que ne pouvons-nous être heureux l’un et l’autre !
VALAMIR.
Ah ! Que n’est mon bonheur plus compatible au vôtre !
ARDARIC.
Allons des deux côtés chacun faire un effort.
VALAMIR.
360 Allons, et du succès laissons-en faire au sort.