SCÈNE PREMIÈRE. Pirithoüs, Phèdre. §
PIRITHOÜS.
Ce serait perdre temps, il ne faut plus prétendre
Que rien touche Thésée, et le force à se rendre.
755 J’admire encor, Madame, avec quelle vertu
Vous avez de nouveau si longtemps combattu.
Par son manque de foi, contre vous-même armée,
Vous avez fait paraître une Soeur opprimée.
Vous avez essayé par un tendre retour
760 De ramener son coeur vers son premier amour.
Et prière, et menace, et fierté de courage,
Tout vient pour le fléchir d’être mis en usage ;
Mais sur ce changement qui semble vous gêner,
L’ingratitude en vain vous le fait condamner.
765 Vos yeux rendent pour lui ce crime nécessaire ;
Et s’il cède au remords quelque fois pour vous plaire.
Quoi que vous ait promis ce repentir confus,
Sitôt qu’il vous regarde, il ne s’en souvient plus.
PHÈDRE.
Les Dieux me sont témoins que de son injustice
770 Je souffre malgré moi qu’il me rende complice.
Ce qu’il doit à ma Soeur méritait que sa foi
Se fît de l’aimer seule une sévère loi ;
Et quand des longs ennuis où ce refus l’expose,
Par ma facilité je me trouve la cause,
775 Il n’est peine, supplice, où pour l’en garantir
La pitié de ses maux ne me fît consentir.
L’amour que j’ai pour lui me noircit peu vers elle.
Je l’ai pris sans songer à le rendre infidèle ;
Ou plutôt j’ai senti tout mon coeur s’enflammer,
780 Avant que de savoir si je voulais aimer.
Mais si ce feu trop prompt n’eut rien de volontaire,
Il dépendait de moi de parler, ou me taire.
J’ai parlé, c’est mon crime, et Thésée applaudi
À l’infidélité par là s’est enhardi.
785 Ah, qu’on se défend mal auprès de ce qu’on aime !
Ses regards m’expliquaient sa passion extrême ;
Les miens à la flatter s’échappaient malgré moi,
N’étaient-ce pas assez pour corrompre sa foi ?
J’eus beau vouloir régler son âme trop charmée,
790 Il fallut voir sa flamme, et souffrir d’être aimée ;
J’en craignis le péril, il me sut éblouir.
Que de faiblesse ? Il faut l’empêcher d’en jouir,
Combattre incessamment son infidèle audace.
Allez, Pirithoüs, revoyez-le, de grâce.
795 De peur qu’en mon amour il prenne trop d’appui,
Ôtez-lui tout espoir que je puisse être à lui ;
J’ai déjà beaucoup dit, dites-lui plus encore.
PIRITHOÜS.
Nous avancerions peu, Madame, il vous adore
Et quand pour l’étonner à force de refus,
800 Vous vous obstineriez à ne l’écouter plus,
Son âme toute à vous n’en serait pas plus prête
À suivre d’autres lois, et changer de conquête.
Quoi que le coup soit rude, achevons de frapper.
Pour servir Ariane il faut la détromper ;
805 Il faut lui faire voir qu’une flamme nouvelle
Ayant détruit l’amour que Thésée eut pour elle,
Sa sûreté l’oblige à ne pas dédaigner
La gloire d’un hymen qui la fera régner.
Le Roi l’aime, et son Trône est pour elle un asile.
PHÈDRE.
810 Quoi, je la trahirais, elle qui trop facile,
Trop aveugle à m’aimer, se confie à ma foi,
Pour toucher un Amant qui la quitte pour moi ?
Et quand elle saurait que par mes faibles charmes,
Pour lui percer le coeur j’aurais prêté des armes,
815 Je pourrais à ses yeux lâchement exposer
Les criminels appas qui la font mépriser ?
Je pourrais soutenir le sensible reproche
Qu’un trop juste courroux...
PIRITHOÜS.
Qu’un trop juste courroux... Voyez qu’elle s’approche.
Parlons, son intérêt nous oblige à bannir
820 Tout l’espoir que son feu tâche d’entretenir.
SCÈNE II. Ariane, Pirithoüs, Phèdre, Nérine. §
ARIANE.
Et bien, ma Soeur ? Thésée est-il inexorable ?
N’avez-vous pu surprendre un soupir favorable,
Et quand au repentir on le porte à céder,
Croit-il que mon amour ose trop demander ?
PHÈDRE.
825 Madame, j’ai tout fait pour ébranler son âme.
J’ai peint son changement lâche, odieux, infâme.
Pirithoüs lui-même est témoin des efforts
Par où j’ai cru pouvoir le contraindre au remords.
Il connaît et son crime et son ingratitude,
830 Il s’en hait, il en sent la peine la plus rude,
Ses ennuis de vos maux égalent la rigueur ;
Mais l’Amour en Tyran dispose de son coeur,
Et le Destin plus fort que sa reconnaissance,
Malgré ce qu’il vous doit, l’entraîne à l’inconstance.
ARIANE.
835 Quelle excuse ! Et pour moi qu’il rend peu de combat !
Il hait l’ingratitude, et se plaît d’être ingrat.
Puisqu’en sa dureté son lâche coeur demeure,
M Soeur, il ne sait point qu’il faudra que j’en meure.
Vous avez oublié de bien marquer l’horreur
840 Du fatal désespoir qui règne dans mon coeur.
Vous avez oublié pour bien peindre ma rage,
D’assembler tous ses maux dont on connaît l’image ;
Il y serait sensible, et ne pourrait souffrir
Que qui sauva ses jours fût forcée à mourir.
PHÈDRE.
845 Si vous saviez pour vous ce qu’a fait ma tendresse,
Vous soupçonneriez moins...
ARIANE.
Vous soupçonneriez moins... J’ai tort, je le confesse ;
Mais dans un mal, sous qui la constance est à bout,
On s’égare, on s’emporte, et l’on s’en prend à tout.
PIRITHOÜS.
Madame, de ces maux à qui la raison cède,
850 Le temps qui calme tout est l’unique remède.
C’est par lui seul...
ARIANE.
C’est par lui seul... Les coups n’en sont guère importants,
Quand on peut se résoudre à s’en remettre au temps.
Thésée est insensible à l’ennui qui me touche,
Il y consent ; je veux l’apprendre de sa bouche.
855 Je l’attendrai, ma Soeur, qu’il vienne.
PIRITHOÜS.
Je crains bien
Que vous ne vous plaigniez de ce triste entretien.
Voir un ingrat qu’on aime, et le voir inflexible,
C’est de tous les ennuis l’ennui le plus sensible,
Vous en souffrirez trop, et pour peu de souci...
ARIANE.
860 Allez, ma Soeur, de grâce, et l’envoyez ici.
SCÈNE III. Ariane, Pirithoüs, Nérine. §
PIRITHOÜS.
Par ce que je vous dis, ne croyez pas, Madame,
Que je veuille applaudir à sa nouvelle flamme.
Sachant ce qu’il devait au généreux amour
Qui vous fit tout oser pour lui sauver le jour,
865 Je partageai dès lors l’heureuse destinée
Qu’à ses voeux les plus doux offrait votre hyménée,
Et je venais ici, plein de ressentiment,
Rendre grâce à l’Amante, en embrassant l’Amant.
Jugez de ma surprise à le voir infidèle,
870 À voir que vers une autre une autre ardeur l’appelle,
Et qu’il ne m’attendait que pour vous annoncer
L’injustice où l’Amour se plaît à le forcer.
ARIANE.
Et ne devais-je pas, quoi qu’il me fît entendre,
Pénétrer les raisons qui vous faisaient attendre,
875 Et juger qu’en un coeur épris d’un feu constant,
L’Amour à l’Amitié ne déferre pas tant ?
Ah, quand il est ardent, qu’aisément il s’abuse !
Il croit ce qu’il souhaite, et prend tout pour excuse.
Si Thésée avait peu de ces empressements
880 Qu’une sensible ardeur inspire aux vrais Amants,
Je croyais que son âme au-dessus du vulgaire
Dédaignait de l’Amour la conduite ordinaire,
Et qu’en sa passion garder tant de repos,
C’était suivre en aimant la route des Héros.
885 Je faisais plus ; j’allais jusqu’à voir sans alarmes,
Que des beautés de Naxe il estimât les charmes,
Et ne pouvais penser qu’ayant reçu sa foi,
Quelques voeux égarés pussent rien contre moi.
Mais enfin puisque rien pour lui n’est plus à taire,
890 Quel est ce rare Objet que son choix me préfère ?
PIRITHOÜS.
C’est ce que de son coeur je ne puis arracher.
ARIANE.
Ma colère est suspecte, il faut me le cacher.
PIRITHOÜS.
J’ignore ce qu’il craint, mais lorsqu’il vous outrage,
Songez que d’un grand Roi vous recevez l’Hommage ;
895 Il vous offre son Trône, et malgré le Destin
Votre malheur par là trouve une heureuse fin.
Tout vous porte, Madame, à ce grand hyménée.
Pourriez-vous demeurer errante, abandonnée ?
Déjà la Crète cherche à se venger de vous.
900 Et Minos...
ARIANE.
Et Minos... J’en crains peu le plus ardent courroux.
Qu’il s’arme contre moi, que j’en sois poursuivie,
Sans ce que j’aime, hélas ! Que faire de la vie ?
Aux décrets de mon sort achevons d’obéir.
Thésée avec le Ciel conspire à me trahir ;
905 Rompre un si grand projet, ce serait lui déplaire.
L’Ingrat veut que je meure, il faut le satisfaire,
Et lui laisser sentir pour double châtiment,
Le remords de ma perte, et de son changement.
PIRITHOÜS.
Le voici qui paraît ; n’épargnez rien, Madame,
910 Pour rentrer dans vos droits, pour regagner son âme ;
Et si l’espoir en vain s’obstine à vous flatter,
Songez ce qu’offre un Trône à qui peut y monter.
SCÈNE IV. Ariane, Thésée, Nérine. §
ARIANE.
Approchez-vous, Thésée, et perdez cette crainte.
Pourquoi dans vos regards marquer tant de contrainte,
915 Et m’aborder ainsi, quand rien ne vous confond,
Le trouble dans les yeux, et la rougeur au front ?
Un Héros tel que vous, à qui la gloire est chère,
Quoi qu’il fasse, ne fait que ce qu’il voit à faire ;
Et si ce qu’on m’a dit a quelque vérité,
920 Vous cessez de m’aimer, je l’aurai mérité.
Le changement est grand, mais il est légitime,
Je le crois. Seulement apprenez-moi mon crime ;
Et d’où vient qu’exposée à de si rudes coups,
Ariane n’est plus ce qu’elle fut pour vous.
THÉSÉE.
925 Ah, pourquoi le penser ? Elle est toujours la même,
Même zèle toujours suit mon respect extrême,
Et le temps dans mon coeur n’affaiblira jamais
Le pressant souvenir de ses rares bienfaits ;
M’en acquitter vers elle est ma plus forte envie.
930 Oui, Madame, ordonnez de mon Sang, de ma vie.
Si la fin vous en plaît, le sort me sera doux
Par qui j’obtiendrai l’heur de la perdre pour vous.
ARIANE.
Si quand je vous connus la fin eût pu m’en plaire,
Le Destin la vouloir, je l’aurais laissé faire.
935 Par moi, par mon amour, le Labyrinthe ouvert
Vous fit fuir le trépas à vos regards offert ;
Et quand à votre foi cet amour s’abandonne,
Des serments de respect sont le prix qu’on lui donne !
Par ce soin de vos jours qui m’a fait tout quitter,
940 N’aspirais-je à rien de plus qu’à me voir respecter ?
Un service pareil veut un autre salaire.
C’est le coeur, le coeur seul, qui peut y satisfaire.
Il a seul pour mes voeux ce qui peut les borner,
C’est lui seul...
THÉSÉE.
C’est lui seul... Je voudrais vous le pouvoir donner,
945 Mais ce coeur malgré moi vit sous un autre empire,
Je le sens à regret, je rougis à le dire ;
Et quand je plains vos feux par ma flamme déçus,
Je hais mon injustice, et ne puis rien de plus.
ARIANE.
Tu ne peux rien de plus ! Qu’aurais-tu fait, Parjure,
950 Si quand tu vins du Monstre éprouver l’aventure,
Abandonnant ta vie à ta seule valeur,
Je me fusse arrêtée à plaindre ton malheur ?
Pour mériter ce coeur qui pouvait seul me plaire,
Si j’ai peu fait pour toi, que fallait-il plus faire ?
955 Et que s’est-il offert que je pusse tenter,
Qu’en ta faveur ma flamme ait craint d’exécuter ?
Pour te sauver le jour dont la rigueur me prive,
Ai-je pris à regret le nom de Fugitive ?
La Mer, les vents, l’exil, ont-ils pu m’étonner ?
960 Te suivre, c’était plus que me voir couronner.
Fatigues, peines, maux, j’aimais tout pour leur cause.
Dis-moi que non, ingrat, si ta lâcheté l’ose ;
Et désavouant tout, éblouis-moi si bien,
Que je puisse penser que tu ne me dois rien.
THÉSÉE.
965 Comment désavouer ce que l’honneur me presse
De voir, d’examiner, de me dire sans cesse ?
Si par mon changement je trompe votre choix,
C’est sans rien oublier de ce que je vous dois.
Ainsi joignez aux noms de Traître et de Parjure
970 Tout l’éclat que produit la plus sanglante injure ;
Ce que vous me direz n’aura point la rigueur
Des reproches secrets qui déchirent mon coeur.
Mais pourquoi, m’accusant, redoubler ces atteintes
Madame, croyez-moi, je ne vaux pas vos plaintes.
975 L’oubli, l’indifférence, et vos plus fiers mépris,
De mon manque de foi doivent être le prix.
À monter sur le Trône un grand Roi vous invite,
Vengez-vous en l’aimant d’un Lâche qui vous quitte.
Quoi qu’aujourd’hui pour moi l’inconstance ait de doux,
980 Vous perdant pour jamais, je perdrai plus que vous.
ARIANE.
Quelle perte, grands Dieux, quand elle est volontaire ?
Périsse tout, s’il faut cesser de t’être chère.
Qu’ai-je à faire du Trône et de la main d’un Roi ?
De l’Univers entier je ne voulais que toi.
985 Pour toi, pour m’attacher à ta seule personne,
J’ai tout abandonné, repos, gloire, Couronne ;
Et quand ces mêmes biens ici me sont offerts,
Que je puis en jouir, c’est toi seul que je perds.
Pour voir leur impuissance à réparer ta perte,
990 Je te suis, mène-moi dans quelque Île déserte,
Où renonçant à tout, je me laisse charmer
De l’unique douceur de te voir, de t’aimer.
Là, possédant ton coeur, ma gloire est sans seconde.
Ce coeur me sera plus que l’Empire du monde.
995 Point de ressentiment de ton crime passé ;
Tu n’as qu’à dire un mot, ce crime est effacé.
C’en est fait, tu le vois, je n’ai plus de colère.
THÉSÉE.
Un si beau feu m’accable, il devrait seul me plaire ;
Mais telle est de l’Amour la tyrannique ardeur...
ARIANE.
1000 Va, tu me répondras des transports de mon coeur.
Si ma flamme sur toi n’avait qu’un faible empire,
Si tu la dédaignais, il fallait me le dire,
Et ne pas m’engager par un trompeur espoir
À te laisser sur moi prendre tant de pouvoir.
1005 C’est là, surtout, c’est là ce qui souille ta gloire.
Tu t’es plu sans m’aimer à me le faire croire :
Tes indignes serments sur mon crédule esprit...
THÉSÉE.
Quand je vous les ai faits, j’ai cru ce que j’ai dit.
Je partais glorieux d’être votre conquête ;
1010 Mais enfin dans ces lieux poussé par la tempête,
J’ai trop vu ce qu’à voir me conviait l’Amour,
J’ai trop...
ARIANE.
J’ai trop... Naxe te change ? Ah ! Funeste séjour !
Dans Naxe, tu le sais, un Roi, grand, magnanime,
Pour moi dès qu’il me vit, prit une tendre estime,
1015 Il soumit à mes voeux et son Trône, et sa foi ;
Quoi qu’il ait pu m’offrir, ai-je fait comme toi ?
Si tu n’es point touché de ma douleur extrême,
Rends-moi ton coeur, Ingrat, par pitié de toi-même.
Je ne demande point quelle est cette Beauté
1020 Qui semble te contraindre à l’infidélité.
Si tu crois quelque honte à la faire connaître,
Ton secret est à toi ; mais qui qu’elle puisse être,
Pour gagner ton estime, et mérité ta foi,
Peut-être elle n’a pas plus de charmes que moi.
1025 Elle n’a pas du moins cette ardeur toute pure
Qui m’a fait pour te suivre étouffer la Nature ;
Ces beaux feux qui volant d’abord à ton secours,
Pour te sauver la vie, ont exposé mes jours ;
Et si de mon amour ce tendre sacrifice
1030 De ta légèreté ne rompt point l’injustice,
Pour ce nouvel Objet, ne lui devant pas tant,
Par où présumes-tu pouvoir être constant ?
À peine ton hymen aura payé sa flamme,
Qu’un violent remords viendra saisir ton âme.
1035 Tu ne pourras plus voir ton crime sans effroi ;
Et qui sait ce qu’alors tu sentiras pour moi ?
Qui sait par quel retour ton ardeur refroidie
Te feras détester ta lâche perfidie ?
Tu verras de mes feux les transports éclatants,
1040 Tu les regretteras, il ne sera plus temps.
Ne précipite rien ; quelque amour qui t’appelle,
Prends conseil de ta gloire avant qu’être infidèle.
Vois Ariane en pleurs. Ariane autrefois
Toute aimable à tes yeux méritait bien ton choix :
1045 Elle n’a point changé, d’où vient que ton coeur change ?
THÉSÉE.
Par un amour forcé qui sous ses lois me range.
Je le crois comme vous ; le Ciel est juste, un jour
Vous me verrez puni de ce perfide amour ;
Mais à sa violence il faut que ma foi cède.
1050 Je vous l’ai déjà dit, c’est un mal sans remède.
ARIANE.
Ah, c’est trop, puisque rien ne te saurait toucher,
Parjure, oublie un feu qui dût t’être si cher.
Je ne demande plus que ta lâcheté cesse
Je rougis d’avoir pu m’en souffrir la bassesse.
1055 Tire-moi seulement d’un séjour odieux,
Où tout me désespère, où tout blesse mes yeux,
Et pour faciliter ta coupable entreprise,
Remène-moi, Barbare, aux lieux où tu m’as prise.
La Crète, où pour toi seul je me suis fait haïr,
1060 Me plaira mieux que Naxe, où tu m’oses trahir.
THÉSÉE.
Vous remener en Crète ! Oubliez-vous, Madame,
Ce qu’est pour vous un Père, et quel courroux l’enflamme ?
Songez-vous quels ennuis vous y sont apprêtés ?
ARIANE.
Laisse-moi les souffrir, je les ai mérités ;
1065 Mais de ton faux amour les feintes concertées,
Tes noires trahisons, les ai-je méritées ?
Et ce qu’en ta faveur il m’a plu d’immoler,
Te rend-il cette foi que tu veux violer ?
Vaine et fausse pitié, quand ma mort peut te plaire !
1070 Tu crains pour moi les maux que j’ai voulu me faire,
Ces maux qu’ont tant hâtés mes plus tendres souhaits,
Et tu ne trembles point de ceux que tu me fais ?
N’espère pas pourtant éviter le supplice
Que toujours après foi fait suivre l’injustice.
1075 Tu romps ce que l’Amour forma de plus beaux noeuds,
Tu m’arraches le coeur, j’en mourrai, tu le veux.
Mais quitte des ennuis où m’enchaîne la vie,
Crois déjà, crois me voir, de ma douleur suivie,
Dans le fond de mon âme armer, pour te punir,
1080 Ce qu’a de plus funeste un fatal souvenir,
Et te dire d’un ton et d’un regard sévère,
"J’ai tout fait, tout osé pour t’aimer, pour te plaire.
J’ai trahi mon Pays, et mon Père et mon Roi ;
Cependant vois le prix, ingrat, que j’en reçois."
THÉSÉE.
1085 Ah, si mon changement doit causer votre perte,
Frappez, prenez ma vie, elle vous est offerte.
Prévenez par ce coup le forfait odieux
Qu’un amour trop aveugle...
ARIANE.
Qu’un amour trop aveugle... Ôte-toi de mes yeux.
De ta constance ailleurs va montrer les mérites ;
1090 Je ne veux pas avoir l’affront que tu me quittes.
ARIANE.
Madame... Ôte toi, dis-je, et me laisse en pouvoir
De te haïr autant que je le crois devoir.