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Thomas Corneille. Camma, reine de Galatie. Tragédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 27 sc. 302 répl. 5,1 l. 1 555 l. 1 555 l. 41 % 3 797 l. (100 %) 2,4 pers.
CAMMA 16 sc. 88 répl. 4,9 l. 1 017 l. (66 %) 434 l. (28 %) 43 % 2 627 l. (70 %) 2,6 pers.
SINORIX 16 sc. 79 répl. 6,5 l. 945 l. (61 %) 516 l. (34 %) 55 % 2 423 l. (64 %) 2,6 pers.
HESIONE 7 sc. 37 répl. 5,1 l. 334 l. (22 %) 189 l. (13 %) 57 % 885 l. (24 %) 2,6 pers.
SOSTRATE 15 sc. 63 répl. 4,2 l. 903 l. (59 %) 263 l. (17 %) 30 % 2 503 l. (66 %) 2,8 pers.
PHAEDIME 5 sc. 13 répl. 4,4 l. 200 l. (13 %) 57 l. (4 %) 29 % 439 l. (12 %) 2,2 pers.
SOSIME 4 sc. 11 répl. 5,7 l. 244 l. (16 %) 62 l. (5 %) 26 % 840 l. (23 %) 3,4 pers.
PHENICE 3 sc. 11 répl. 3,0 l. 154 l. (10 %) 33 l. (3 %) 22 % 410 l. (11 %) 2,7 pers.
Thomas Corneille. Camma, reine de Galatie. Tragédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
CAMMA
SINORIX
181 l. (44 %) 32 répl. 5,7 l.
233 l. (57 %) 37 répl. 6,3 l.
7 sc. 413 l. (27 %) 2,8 pers.
CAMMA
HESIONE
30 l. (41 %) 15 répl. 2,0 l.
45 l. (60 %) 16 répl. 2,8 l.
3 sc. 75 l. (5 %) 3,1 pers.
CAMMA
SOSTRATE
154 l. (53 %) 29 répl. 5,3 l.
140 l. (48 %) 25 répl. 5,6 l.
7 sc. 293 l. (19 %) 2,8 pers.
CAMMA
SOSIME
1 l. (2 %) 1 répl. 0,3 l.
26 l. (99 %) 2 répl. 12,6 l.
1 sc. 26 l. (2 %) 4,0 pers.
CAMMA
PHENICE
70 l. (69 %) 11 répl. 6,3 l.
33 l. (32 %) 10 répl. 3,3 l.
2 sc. 102 l. (7 %) 2,0 pers.
SINORIX 26 l. (100 %) 1 répl. 25,2 l. 1 sc. 25 l. (2 %) 1,0 pers.
SINORIX
HESIONE
72 l. (46 %) 12 répl. 5,9 l.
84 l. (55 %) 11 répl. 7,6 l.
3 sc. 155 l. (10 %) 2,8 pers.
SINORIX
SOSTRATE
76 l. (52 %) 15 répl. 5,0 l.
73 l. (49 %) 14 répl. 5,2 l.
6 sc. 148 l. (10 %) 3,2 pers.
SINORIX
PHAEDIME
111 l. (67 %) 13 répl. 8,5 l.
56 l. (34 %) 12 répl. 4,6 l.
4 sc. 166 l. (11 %) 2,1 pers.
SINORIX
SOSIME
2 l. (92 %) 1 répl. 1,7 l.
1 l. (9 %) 1 répl. 0,2 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 4,0 pers.
HESIONE
SOSTRATE
61 l. (73 %) 10 répl. 6,0 l.
24 l. (28 %) 12 répl. 1,9 l.
5 sc. 84 l. (6 %) 3,0 pers.
SOSTRATE
SOSIME
29 l. (44 %) 11 répl. 2,6 l.
37 l. (57 %) 8 répl. 4,6 l.
3 sc. 65 l. (5 %) 3,0 pers.
SOSTRATE
PHENICE
1 l. (65 %) 1 répl. 0,4 l.
1 l. (36 %) 1 répl. 0,2 l.
1 sc. 1 l. (1 %) 4,0 pers.

Thomas Corneille

1661

Camma, reine de Galatie. Tragédie

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Josépha Pisaneschi
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Thomas Corneille. Camma, reine de Galatie. Tragédie. A PARIS, Chez AUGUSTIN COURBE’, au Palais, En la Gallerie des Merciers, A la Palme. M.DC.LXI. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

CAMMA
REINE DE GALATIE
TRAGEDIE §

Espitre §

A SON ALTESSE SERENISSIME MONSEIGNEUR LE DUC.

MONSEIGNEUR,

J’offre à VOSTRE ALTESSE SERENISSIME le portrait d’une reine dont le temps ne sçauroit trop respecter la memoire. Sa beauté causa le crime qui luy fit pleurer la perte de son Mary, et sa vertu la soûmit avec tant de fermeté à la rigueur du devoir qui luy en fit jurer la vangeance, qu’elle ne refusa pas de l’acheter au dépens même de sa vie ; mais quoy qu’il semble que cette gloire ait esté la seule qui l’ait pû toucher, elle ne peut revivre aujourd’hui sans se montrer sensible à une autre, et celle de vous avoir plû luy est si prétieuse, qu’elle n’en croiroit jouir qu’imparfaitement si vous ne lui permettiez de la publier. C’est, MONSEIGNEUR, pour obtenir cette grâce de V.A que me faisant précipiter le respectueux hommage que je vous rends, elle ne me souffre* point d’examiner si le zéle ardent qui me porte à cette entreprise a quelque chose d’assez fort pour vous en faire excuser la temerité. On m’en accusera sans doute, mais j’aime mieux me voir exposé à ce péril, que de demeurer plus long-temps dans une admiration muette de tant de hautes qualitez qui estonnent* d’autant plus, qu’on peut dire qu’elles sont moins des dons de la Nature, que l’ouvrage de vos propres soins. Vous ne vous en êtes épargné aucun, et il ne vous a pas suffi de trouver en vous un Grand Prince si tôt que vous vous êtes connu ; vous n’avez songé qu’à vous estudier assidûment pour vous rendre digne de l’estre, et vous ne vous estes point souffert de repos que vous n’ayez empesché la Fortune d’entrer en partage avec votre vertu, du vif éclat qu’un si glorieux titre répand sur vous. L’estude est belle, MONSEIGNEUR, mais comme elle demande les lumieres les plus profondes, et les plus penetrantes de l’esprit, il en est peu qui s’y puissent appliquer avec succez. En effet, il est rare d’en trouver une de la force et de l’etenduë de celui de V.A et c’est un sujet de surprise pour tous ceux qui ont l’honneur de vous approcher, que dans l’âge qui semble moins le permettre, vous joigniez à cette brillante vivacité qu’il inspire, la solidité du plus sublime raisonnement. Mais on a tort de s’en estonner, * puisque c’est une des moindres merveilles que le Ciel nous ait promises de vous ; il ne vous a fait voir le jour que pour vous en faire, et il vous en offre les moyens à puiser dans une source qui en est si seconde, que pour estre en pouvoir de produire les plus incroyables, votre naissance estoit le seul secours que vous aviez à souhaiter. Je ne dis pas, MONSEIGNEUR, cette naissance illustre qui par l’élevation du rang que vous tenez, vous donne droit aux Couronnes ; j’entens cet avantage particulier que vous avez d’estre né d’un HEROS qui n’a besoin que de vous communiquer un rayon de sa vertu* pour vous mettre en estat de les meriter. Je le puis dire, MONSEIGNEUR, et je suis asseuré que V.A ne m’en desadvouëra pas. Cet avantage est d’un prix si relevé, que quand vous auriez pû naître ce que vous auriez voulu choisir, vous eussiez préferé ce que vous estes à tout ce que l’indiscrete ambition pourroit présumer au dessus. Vous y trouvez ce qui fait la véritable grandeur, et celle qui tient les peuples soûmis ne vous flateroit* point tant que l’honneur d’estre Fils de celuy qui a obscurcy le nom des Cesars, et qui ne souffrant rien qui puisse aller au de-là des Grandes Actions qu’on luy a veu faire, ne laisse qu’à ceux de son sang le privilege de les pouvoir égaler. Jouissez-en , MONSEIGNEUR, et repassant en vous-mesme ces Prodiges inconcevables qu’il a fait paroistre de valeur, de prudence et de conduite, applaudissez-vous en secret des Miracles continuels où votre vie est destinée. Chaque Laurier qu’il a cueilly dans le champ de Mars, est une asseurance de ceux que La Victoire y a semez pour vous. Il n’a point pris de Villes, il n’a point gagné de Batailles qui ne vous soient autant de garands des Triomphes qui vous attendent, et l’Image présente de tant d’inimitables exploits vous doit faire goûter par advance le fruit de ceux qui vous sont reservez. Il me semble, MONSEIGNEUR, que je vois V.A se perdre agreablement dans ces hautes et pompeuses* idées, et que la secrète joye qu’elles vous donnent, redouble cette noble fierté qui accompagne toûjours les personnes de votre rang. On n’en peut ressentir de plus parfaite, et si elle étoit capable de recevoir quelque legere alteration, ce ne pourroit être que de ce loüable chagrin* qui fit autrefois soûpirer Alexandre des conquestes de Philippe. Mais il vous seroit aisé de le dissiper par la certitude où vous devez être, que quoy que le Grand CONDE ne doive qu’à luy seul ce qui luy asseure l’Immortalité, vous ne laisserez pas d’y contribuer quelque chose. L’histoire ne s’en taira point, MONSEIGNEUR, et quand elle aura fortement exageré ce qui le met au dessus des plus fameux Conquerants que l’Antiquité nous vante, elle n’oubliera pas de marquer pour l’achevement de sa gloire, celle qu’il aura euë d’avoir donné à la France un Fils digne d’elle et de luy. Il ne pouvoit luy faire un présent qui luy fust plus cher, et si dans le foible talent que j’ay, il m’estoit permis de former quelque ambitieux desir, ce seroit que vous daignassiez advouër un jour de publier les grandes choses qu’elle vous verra executer ; mais c’est une grace qu’il n’est pas juste que j’espere, ce dessein demande des forces que je ne sçaurois jamais acquerir, puisqu’il faudroit qu’elles fussent égales à l’ardeur toute soûmise avec laquelle je suis,

MONSEIGNEUR,

De V.A SERENISSIME,

Le tres-humble, tres-obeïssant et tres-fidelle Serviteur,

T. CORNEILLE.

Extrait du Privilege du Roy §

Par Lettres Patentes du Roy données à Paris le 14 Février 1661. Signées, CONRART : il est permis à AUGUSTIN COURBE, Marchand libraire en la Ville de Paris, de faire imprimer, vendre et debiter en tous lieux de l’obeïssance de sa Majesté, une Tragédie composée par le Sieur THOMAS CORNEILLE, intitulée Camma, Reine de Galatie, Tragédie, en telles marges, & tels caracteres, en un ou plusieurs volumes, et autant de fois qu’il voudra, durant sept ans entiers, à compter du jour, que ladite Tragédie sera achevée d’imprimer pour la première fois. Avec defferences à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, de l’imprimer, vendre et debiter, sous quelque pretexte que ce soit, pendant ledit temps, sans consentement dudit COURBE, ou de ceux qui auront son droit, à peine de deux mil livres d’amende, de confiscation des Exemplaires contrefaits, et de tous dépens, dommages et interests, comme il est porté plus au long par lesdites Lettres Patentes, à l’Extrait, et aux Copies collationnées auxquelles sa Majesté veut que foy soit adjoûtée comme à l’Original. Et scellées du Grand sceau de cire jaune sur simple queuë.

Et ledit Courbé a associé, pour moitié, au présent Privilège Guillaume de Luyne, aussi Marchand libraire, suivant l’accord fait entr’eux.

Achevé d’imprimer pour la première fois le 24 Mars 1661, à ROUEN par LAURENS MAURRY.

Les Exemplaires ont esté fournis, ainsi qu’il est porté par ledit Privilege.

Registré sur le livre de la Communauté, le 23. Février 1661, conformément à l’Arrest du Parlement du 9. Avril 1653. Signé, Josse, Syndic.

ACTEURS. §

  • CAMMA, Vefve de Sinatus, Roy de Galatie.
  • SINORIX, Roy de Galatie, ayant usurpé la Couronne sur Sinatus.
  • HESIONE, Fille de Sinatus.
  • SOSTRATE, Prince de Galatie, Favory de Sinatus.
  • PHAEDIME, Confident de Sinorix.
  • SOSIME, Capitaine des Gardes de Sinorix
  • PHENICE, Confidente de Camma.
La Scene est dans la Capitale de Galatie.

CAMMA REINE DE GALATIE, TRAGEDIE. §

[A ; 1]

ACTE I. §

SCENE PREMIERE. §

SINORIX, PHAEDIME.

SINORIX.

Tu dis vray, cher Phaedime, on auroit peine à croire
Qu’un grand cœur soûpirast au milieu de la gloire,
Qu’au faiste des grandeurs Sinorix eslevé
Souhaitast dans leur pompe* un bien plus achevé,
5 Et que de tant d’honneurs sa fortune suivie
Pûst opposer quelque ombre à l’éclat de sa vie.
Il n’est rien au dessus du rang où tu me vois, {p. 2}
Toute la Galatie obeït à mes loix ;
Un vieux droit que soûtint* un peu de violence
10 M’a laissé sur le Trône établir ma puissance,
On me flate*, on me craint, chacun m’offre des vœux,
Cependant, tu le sais, je ne suis pas heureux.
Depuis six mois je regne, et regne sans obstacles ;
Mais le Sort fait en vain pour moy tant de miracles
15 Si du plus digne Objet trop vivement charmé,
J’aime pour mon supplice, et ne puis estre aimé.

PHAEDIME.

C’est vous plaire, Seigneur, à croistre vostre peine,
Que d’expliquer si mal les refus de la Reine,
Qui peut-estre en secret brûlant* déja pour vous
20 N’ose encor par devoir vous prendre pour Espoux.
Quelque éclat à ses yeux dont la Couronne brille,
Elle est Vefve d’un Roy qui vous donnoit sa Fille,
Et qui par vostre hymen luy faisoit éviter
D’avoir avecque vous un Trône à disputer.
25 Du peuple qui vous craint l’entier et prompt suffrage
Vous en a fait sur elle emporter l’avantage,
Et lors que tout l’Estat respecte en vous son Roy,
Vous la laissez Sujette, et luy manquez de foy*.
L’affront est grand, Seigneur, et quoy que dans sa haine
30 Le nom de Belle-mere engage peu la Reine,
Du moins l’honneur la force à prendre l’interest
De la Fille d’un Roy qui la fit ce qu’elle est.
Voila ce qui vous nuit, et vous nuira sans cesse,
Si vos ordres enfin n’éloignent la Princesse.
35 Ostez-luy cet obstacle, et vous verrez soudain
Que son cœur adoucy vous répond de sa main.

SINORIX.

Je voy bien qu’il le faut mais le puis-je, Phaedime,
Sans m’exposer encor à trembler de mon crime,
Et revoir quel excez d’injustice et d’horreur {p. 3}
40 Déja de mon amour a suivy la fureur ?
A ses brûlants* transports livrant toute mon ame,
J’ay perdu le Mary, pour acquerir la Femme.
Des beautez de la Reine eperduëment épris,
D’un parricide* affreux je l’ay faite le prix,
45 Et pour rompre du Roy ce second hymenée,
J’en ay par le poison tranché la destinée.
C’est peu de Sinatus à ma rage immolé,
Si mon devoir ailleurs n’est encor violé.
Hesione sa Fille à qui son choix m’engage,
50 De mes lâches mépris souffre l’indigne outrage,
Et pour forcer* les maux dont mon cœur est atteint,
Son exil est un ordre où je me vois contraint.

PHAEDIME.

Mais luy-mesme à sa perte engagea vostre flame*,
Il vous donnoit sa Fille, et vous aimiez sa femme,
55 Et dans un sort si dur, la seule mort d’un Roy
De ce fatal hymen dégageoit vostre foy* ;
Mais de ce crime en vain l’ombre vous embarrasse,
Il n’en est point, Seigneur, que le Trône n’efface,
Et dans quelques horreurs qu’on ait pû se porter,
60 Pour estre absous de tout, il suffit d’y monter

SINORIX.

Ce sont là des Tyrans les damnables maximes
En qui l’impunité fait le pardon des crimes,
Et qui d’un noir forfait esperant quelque bien,
Apres l’avoir commis ne se reprochent rien ;
65 Mais las ! tu me plaindrois si tu pouvois connoistre
Ce que dans un grand cœur le repentir fait naistre,
Quand aprés un effort* mille fois combatu*,
Le crime par contrainte échape à la vertu,
De son indigne objet sans cesse possedée,
70 L’ame en traîne partout l’épouvantable idée,
Un vif et dur remords n’en est jamais banny, {p. 4}
Et coupable un moment on est tousjours puny.

PHAEDIME.

C’est beaucoup que du moins cette mort qui vous gêne*
Soit toûjours un secret ignoré de la Reine,
75 Et qu’à Sostrate seul l’ayant sçeu confier,
Vous n’ayez point vers elle à vous justifier ;
Mais comme enfin, Seigneur, Sostrate a de l’adresse,
Devient-elle inutile auprés de la Princesse,
Et ses soins* n’ont-ils pû la faire balancer*
80 Sur l’hymen où pour luy vous la voulez forcer* ?

SINORIX.

Il la voit chaque jour, Phaedime, et je puis dire
Que ce cher Confident partage mon martyre,
Puisqu’à mes interests s’osant abandonner,
Il a pris malgré luy ce qu’il n’a pû donner.
85 S’il a brigué* d’abord son hymen pour me plaire,
C’est un bien aujourd’huy qu’à tout autre il préfere,
Et quoy qu’il m’ait caché, le chagrin* qui le suit
Trahit le desespoir où l’amour le reduit.
Aussi plus que le mien son interest me presse
90 D’embrasser* un conseil* qui bannit la Princesse.
J’ay fait naistre sa flame*, et je luy dois offrir,
L’eloignant de ses yeux, une aide à le guerir.

PHAEDIME.

Sostrate est genereux*, et jamais un vray zele
Ne marquera pour vous une ame plus fidelle,
95 Mais ce fatal amour qui l’accable aujourd’huy,
Seroit peut-estre un crime à tout autre qu’à luy.
D’un bel espoir trahy l’irreparable offence
Sur vous de la Princesse attire la vangeance,
Et pretendre à son cœur, c’est presser son couroux
100 D’accepter une main qui la vange de vous.

SINORIX.

{p. 5}
Contre moy de Sostrate il n’est rien qu’elle obtienne,
Mon amitié pour luy me répond de la sienne,
Sa vertu m’est connuë, et ce que je luy doy
Ne me laisse aucun droit de douter de sa foy*.
105 Cét amour que tu crains flate* en ce point ma peine
Qu’esperant d’estre aimé si j’épouse la Reine,
Avec tant de chaleur il luy peint mon tourment…
Mais je la voy qui passe à son appartement.

SCENE II. §

SINORIX, CAMMA, PHAEDIME, PHENICE.

SINORIX.

Vos yeux de vostre cœur marquant l’impatience,
110 Madame, et tant de soins* d’eviter ma presence,
Ne me font que trop voir le peu qu’il prend de part
Au bonheur impréveu que m’offre le hazard.

CAMMA

Le chagrin* où je vis me rend si peu traitable*,
Que souvent malgré moy son aigreur* vous accable,
115 Et mon zéle pour vous osant s’en indigner
Par ces soins* de vous fuïr cherche à vous l’épargner.

SINORIX.

Ah, si ce n’est qu’au prix d’une si chere veuë,
Perdez une bonté dont la rigueur me tuë,
Et puisque pour mes vœux il n’est rien de si doux,
120 Accablez-moy plustost que me priver de vous.
Je sçay bien qu’à me voir quelque nouvel outrage
Toûjours de mon amour repoussera l’hommage,
Que je n’entendray rien qui me souffre l’espoir, {p. 6}
Mais, Madame, j’auray le plaisir de vous voir.
125 Ce charme, où tout mon cœur pleinement s’abandonne,
Adoucit les mépris dont la fierté* m’étonne*,
Et dans l’âpre douleur de ce qu’il faut oüir,
S’il ne peut l’etouffer, il la sçait ebloüir*.

CAMMA.

J’ignore quels mépris je vous ay fais paroistre,
130 Mais je sçay qu’en m’aimant vous m’avez dû connoître,
Et ne pretendre pas qu’une moindre fierté*,
Du rang où je me vois soûtinst* la dignité.
Sinatus me fit Reine, et quoy qu’un coup funeste
Ait reduit mon destin au seul nom qui m’en reste,
135 Le malheur de sa mort ne peut rien sur ma foy*,
S’il ne vit plus pour vous, il vit encore pour moy ;
Je dois à son amour, je dois à sa memoire
Le refus d’un hymen qui blesseroit ma gloire,
Du Trône en vain par là vous voulez me flater*,
140 Ce seroit en descendre, et non pas y monter.
Usurpez sans remords la grandeur Souveraine,
Vefve de Sinatus, je sçay que je suis Reine,
Mais si je m’abaissois à vous donner ma foy*,
Femme de Synorix, la serois-je d’un Roy ?
145 Vostre hymen de ce rang feroit le Sort arbitre,
J’en aurois le pouvoir, mais j’en perdrois le titre,
Et pour des droits honteux quittant un bien constant,
Je pourrois davantage, et ne ferois pas tant.

SINORIX.

Ouy, gardez vostre rang, vous le perdrez, Madame,
150 Si d’un Usurpateur vous devenez la Femme,
Et de Reine aujourd’huy le nom qui vous est dû,
Dans ce titre odieux se verra confondu.
Mais pourquoy, rejettant l’offre d’une Couronne,
Nommez-vous attentat* le droit qui me la donne,
155 Et quel crime ay-je fait, quand secondé des Dieux {p. 7}
J’ay rentré par leur ordre au bien de mes Ayeux ?

CAMMA.

Pour ébloüir* mes sens c’est une foible amorce*
Qu’un droit qu’expliqua moins la raison que la force,
Le Peuple fut timide*, et vous voyant armer*,
160 Préfera le Tyran qui pouvoit l’opprimer.

SINORIX.

Et bien, je suis Tyran, ma seule violence
Fut le droit qui m’acquit la supréme puissance,
Le crime est noir et lâche, il fait horreur à tous,
Mais causé par l’amour est-il crime pour vous ?
165 Cet amour n’auroit eu qu’une ardeur imparfaite
S’il m’eut souffert* l’affront de vous laisser Sujette,
Et seul au vol d’un Trône ayant sçeu me forcer*,
Je ne l’ay fait du moins que pour vous y placer.

CAMMA.

Et lors qu’à cet excez monte vostre injustice,
170 Vous trouvez glorieux de m’en rendre complice,
Et ce parfait amour qui cherche à m’obliger*
Ne le peut qu’en m’offrant son crime à partager ?
Q’icy nos sentiments different l’un de l’autre !
Vous trahissez ma gloire, et j’ay soin de la vostre,
175 Et quand pour m’abaisser vous m’offrez vostre foy*,
Je cherche à faire en vous un legitime Roy.
Qu’à ces vives clartez vostre aveuglement cesse,
Pour meriter le Trône, épousez la Princesse,
Et luy rendant des vœux à sa flame* échapez,
180 Possedez justement ce que vous usurpez.

SINORIX

Si j’en formay pour elle, on ne les vit paroistre
Que quand mon cœur pour vous n’osoit se bien connoistre,
Et que son zéle* ardent par un adroit détour
Cedoit à mon devoir les soins* de mon amour.
185 Ce cœur en qui l’espoir eust esté lors un crime {p. 8}
Ne vit qu’elle aprés vous digne de son estime,
Et pour ce triste* hymen, mal instruit de mon feu,
Sinatus le pressant*, il donna son adveu* ;
Mais si tost que sa mort laissant agir ma flame*,
190 Du secret de mes vœux eut dégagé mon ame,
Libres dans leur hommage, il leur fut assez doux
D’estre encore en estat de s’expliquer pour vous.
Ainsi ce qu’ils cachoient se fit bien tôt connoistre,
Je parus inconstant afin de ne pas l’estre,
195 Et fis voir qu’à mon feu*, pour s’oser exprimer,
Il manquoit seulement que vous peussiez aimer.
Vous le pouvez, Madame, et de vos vœux maistresse…

CAMMA.

Non, non, c’est présumer en moy trop de foiblesse,
Quoy qu’un Trône ait d’éclat, il n’a rien d’assez doux
200 Pour me faire trahir les Manes d’un Espoux.
Il est mort, et sa Fille en ce malheur extrême,
Du moins par vostre hymen a droit au Diadême :
Vous pouvez à ses yeux en ceindre un autre front,
Mais ce n’est point par moy qu’elle en aura l’affront.
205 Pour en donner l’adveu*, quoy que vous puissiez faire,
La source de son sang à mon coeur est trop chere,
Et l’on ne verra point qu’infidelle à ce sang
J’aide à la Tyrannie à luy voler son rang.

SINORIX.

Ah, puisque vous prenez quelque soin de ma gloire,
210 Sauvez-la d’un peril plus grand qu’on ne peut croire,
Et ne me forcez point, lors que je m’en defens,
A meriter l’horreur que l’on doit aux Tyrans.
J’aime une Reine Auguste*, et cette ardeur est telle
Que n’aimant et le Trône et le jour que pour elle,
215 Mon cœur, que les dédains peuvent pousser à bout,
Dedans son desespoir, est capable de tout.
Daignez m’en épargner la fatale disgrace*. {p. 9}

CAMMA.

Vous avancez beaucoup d’employer la menace.
Je ne vous diray point s’il la faut redoubler,
220 Mais mon cœur est à vous quand il pourra trembler.

SYNORIX.

Et bien, pour me punir allez jusqu’à l’outrage,
Noircissez ce beau feu* dont vous fuyez l’hommage,
Malgré tant de mépris redoublez chaque jour,
Dans un respect égal vous verrez mon amour,
225 Je vous le jure encor ; mais pour le satisfaire,
Sçachant ce qui me nuit, je sçay ce qu’il faut faire,
Et luy devant l’éclat d’un trop juste couroux,
Je puis estre Tyran pour d’autres que pour vous.
Je vous laisse y penser, Madame.

SCENE III. §

CAMMA, PHENICE.

CAMMA.

Ah, le perfide !
230 Il veut donc achever son lâche parricide*,
Joindre la Fille au Pere ! ô mon unique espoir ?
O vangeance, est-ce ainsi que tu sers mon devoir ?

PHENICE.

Si dans vos déplaisirs* la vangeance vous flate*,
Pour en jouïr, Madame, il est temps qu’elle éclate,
235 Sinorix menaceant, rien n’est à négliger.

CAMMA.

Quoy, tu doutes encor si je veux me vanger ?
Par le noir attentat* de ce Tyran infame {p. 10}
J’auray veu dans mes bras Sinatus rendre l’ame,
Et me contenteray dans un si rude sort
240 De reprocher aux Dieux le crime de sa mort ?
Helas ! il me souvient de ce fatal augure
Qui d’un Peuple étonné* fit naistre le murmure,
Quand luy donnant ma foy*, le cœur tout interdit*,
Le Vase Nuptial tout à coup s’épandit.
245 De ce triste* accident l’infortuné presage
D’une secrete horreur saisit tout mon courage,
Et m’annonça dés lors les funestes malheurs
Qui pressent ma vangeance, et font couler mes pleurs.

PHENICE.

Pour bien l’executer, si vous m’en voulez croire,
250 Il faut que la Princesse en partage la gloire ;
Comme elle ignore encore le crime du poison,
Vos mépris, d’un Tyran luy font en vain raison,
Elle les prend pour feinte, et croyant que dans l’ame
La seule ardeur du Trône est ce qui vous enflame,
255 De ces jaloux soupçons l’impatiente aigreur*
Vous fait souffrir assez pour la tirer d’erreur,
Vous sçavez sa fierté*.

CAMMA.

Dequoy qu’elle m’accuse,
Il n’est pas temps encor que je la desabuse*,
Si la gloire en secret me pousse à me vanger,
260 Ce seroit l’affoiblir que de la partager.

PHENICE.

Mais Sostrate l’aimant, peut-estre que par elle
Il vous seroit aisé d’en corrompre le zele.
Dans ce que sur sa foy* Sinorix prend d’appuy,
Sostrate pouvant tout, on ne peut rien sans luy,
265 Il vous faut l’acquerir, et l’amour qui le flate*
Le peut seul obliger

CAMMA.

{p. 11}
Tu connois mal Sostrate,
Il aime, il cherche à plaire, et toutefois, helas !
Son cœur contre un Tyran craint d’advoüer son bras.

PHENICE.

Vous le sçavez, Madame ?

CAMMA.

Apprens par quelle adresse,
270 Brûlant* pour une Reine, il feint pour la Princesse,
Et que mon ordre exprés y contraignant sa foy*,    
Luy fait cacher ainsi l’amour qu’il a pour moy.
Sinorix qui l’engage à m’expliquer sa peine,
Luy donnant lieu d’agir, l’offre entier à ma haine ;
275 Non qu’il m’ait advoüé la noire trahison
Qui contre Sinatus se servit du poison,
Mais je reconnois trop, quelques soins* qu’il employe,
Qu’en me niant ce crime il veut que je le croye,
On penetre aisément dans le cœur des Amants.

PHENICE.

280 Mais, Madame, pour luy quels sont vos sentiments ?

CAMMA.

Te parler sans aigreur* de l’ardeur qui le presse,
Phenice, n’est ce pas t’advoüer ma foiblesse,
Et que ce triste* cœur de vangeance animé,
N’a pû si bien haïr qu’il n’ait enfin aimé.
285 Non que par une lâche et honteuse victoire
L’amour à mon devoir puisse en ravir la gloire,
Au souvenir affreux de la mort d’un Espoux
Il me soûmet soudain les charmes les plus doux,
Mais à quelques transports que cette mort me livre,
290 Il m’oste en le vangeant le dessein de le suivre,
Et me vantant Sostrate, il force mon ennuy*
A chercher les moyens d’oser vivre pour luy.
C’est par là que flaté* d’une douce esperance {p. 12}
Mon cœur s’est fait enfin le prix de ma vangeance,
295 Et que pour luy devoir un si precieux bien,
Ce qu’auroit fait mon bras, je l’ay remis au sien.
Cependant, et c’est-là ce que je me reproche,
Je le voy reculer plus ce grand coup approche,
Il tremble, et son amour prest à se déclarer,
300 Toûjours sur quelque obstacle aspire à differer ;
Mais puisqu’à menacer le Tyran s’authorise,
Un peril si pressant ne veut plus de remise,
Il faut montrer ma haine, et que si jusqu’icy
La Princesse abusée a creu… mais la voicy.

SCENE IV. §

CAMMA, HESIONE, PHENICE.

HESIONE.

305 Madame, je ne sçay si dans ce qui se passe
De mes ressentimens vous approuvez l’audace,
Et si de mon orgueil l’éclat impetueux
N’a rien pour Sinorix qui contraigne vos vœux*.
Il tâche à les seduire, et le Trône…

CAMMA.

Ouy, Princesse,
310 Mais qu’ils cedent ou non, que ce scrupule cesse,
L’injure* qu’on vous fait et qu’il faut reparer,
A leur ambition n’a rien à déferer*.

HESIONE.

Un zéle dont l’ardeur me sera tousjours chere,
M’oblige à respecter la Vefve de mon Pere,
315 Et je ne croirois pas y répondre assez bien [B;13]
Si sur vostre interest je ne reglois le mien.

CAMMA.

Donc si j’ose accepter l’offre d’une Couronne,
Ce zéle genereux* soudain me l’abandonne ? 
Sans vouloir rien pretendre, il m’en cede l’espoir ?

HESIONE.

320 Pour m’y resoudre au moins je voudrois le sçavoir.

CAMMA.

Si ma façon d’agir vous l’a fait mal comprendre,
Par de plus grands effets il faudra vous l’apprendre,
D’un doute trop cruel vostre esprit est atteint.

HESIONE.

Je sçay que Sinorix vous accuse, et se plaint ;
325 Mais souvent le dehors n’est qu’une adroite feinte,
Qui resiste le plus aime à ceder contrainte,
Et cet amusement des credules esprits
Fait subsister l’espoir au milieu des mépris.

CAMMA.

A d’étranges soupçons le chagrin* vous expose.

HESIONE.

330 Je veux bien l’advoüer, Sostrate en est la cause,
Il vous voit si souvent que comme il m’ose aimer,
Vos secrets entretiens ont droit de m’alarmer.
Il croit, si le Tyran vous avoit épousée
Que mon cœur luy seroit une conqueste aisée,
335 Et c’est à quoy sans doute il tâche à vous porter ?

CAMMA.

Il en a l’ordre au moins s’il veut l’executer.

HESIONE.

Qui l’en empescheroit ?

CAMMA.

Ma volonté peut-estre,
Ou quelque autre raison que l’on ne peut connoître.

HESIONE.

{p. 14}
Mais vous l’auriez souffert* un peu plus rarement.

CAMMA.

340 Je n’ay pas crû devoir en user autrement.

HESIONE.

Quand on ne pretend rien on doit peu se contraindre.

CAMMA.

Il est bon quelquefois de se forcer* à feindre.

HESIONE.

C’est pour une grande ame un sentiment trop bas.

CAMMA.

Ouy, mais j’ay des secrets qu’on ne penetre pas.

HESIONE.

345 Je n’ay pas merité d’en sçavoir le mystere.

CAMMA.

Vous en usez si mal que j’ay lieu de me taire,
Mais enfin je pardonne à l’aigreur* où vous met
L’injurieux* éclat de l’affront qu’on vous fait,
Sans me considerer pressez-en la vangeance,
350 Je la verray sans peine, et pour plus d’asseurance
Je vous laisse Sostrate, avec qui consulter
Des moyens les plus seurs de bien l’executer.
{p. 15}

SCENE V. §

HESIONE, SOSTRATE.

HESIONE.

Viens, Sostrate, il est temps que je t’ouvre mon ame
Sur l’espoir dont enfin tu peux flater* ta flame*.
355 Tes soins* de mon orgueil en poursuivent l’adveu* ?

SOSTRATE.

Madame, le respect accompagne mon feu*,
Sinorix jusqu’à vous en a porté l’audace,
Mais quoy que son appuy combate ma disgrace*,
Vous me pouvez toûjours défendre d’esperer,
360 Sans que mon cœur jamais en ose murmurer.

HESIONE.

Tu me l’as fait paroistre, et j’aurois lieu sans doute
D’admirer les efforts* que ton respect te coûte,
Si d’un charme trompeur ton esprit combatu*
Ne laissoit contre moy séduire ta vertu.
365 Ta foy* pour Sinorix cherche à gagner la Reine ?

SOSTRATE.

Vers toute autre ce soin* pourroit vous mettre en peine,
Mais tant de fiers* mépris…

HESIONE.

Ne les vante point tant,
J’en connoy l’artifice*, et voy ce qu’elle attend.
Tu verrois le Tyran toucher bien-tost son ame
370 Si j’avois de ma main recompensé ta flame*,
Et donné lieu par là de rejetter sur moy
L’affront de le reduire à me manquer de foy* ;
Mais si ce seul espoir l’engage à se contraindre, {p. 16}
Elle me connoit mal de s’obstiner à feindre,
375 Et d’oser présumer qu’un cœur comme le mien
Par mon hymen jamais authorise le sien.

SOSTRATE.

Il est juste, Madame, et l’ardeur de vous plaire
N’enfle pas mes desirs d’un orgueil temeraire,
Jusqu’à pretendre enfin qu’elle aura le pouvoir…

HESIONE.

380 Va, c’est un peu trop tost renoncer à l’espoir ;
Non que par cet adveu* que tu n’osois attendre,
Flatant* ta passion, je vueille la surprendre,
Je ne te diray point qu’elle ait pû m’enflammer,
Mais si je n’aime point, du moins je puis aimer.
385 C’est à toy de chercher à m’en rendre capable,
Mon estime déja t’est assez favorable,
Je connoy ton merite, et sçay que dans ton rang
Jamais plus de vertu* ne soûtint* un beau sang.
Tu vois que je commence, acheve, entreprens, ose,
390 Peut-estre un seul obstacle à ton bon-heur s’oppose.
J’aspire à me vanger, et ce fiers* mouvement*
Eloigne de mon cœur tout autre sentiment.
Plein d’une passion et si juste et si forte,
Pour y faire entrer l’une, il faut que l’autre en sorte,
395 Et ta flame* à l’espoir cherche en vain quelque jour*,
A moins que la vangeance ait fait place à l’amour.
J’ay receu du Tyran le plus sanglant outrage,
Tu le sçais, je n’ay rien à dire davantage :
Ou du feu* qui te brûle* écoute moins l’appas*,
400 Ou ne m’offre ton cœur qu’en suite de ton bras.

SOSTRATE.

Quoy…

HESIONE.

Ne réplique point ; quand ce grand coup t’étonne*,
Voy que je suis ta Reine, et que je te l’ordonne,
Et si ta lâcheté me prepare un refus, {p. 17}
Ne me le fais sçavoir qu’en ne me voyant plus.
405 C’en sera l’asseurance*, adieu.

SOSTRATE seul.

Que fuir ta veuë
N’est-ce tout le peril d’un ordre qui me tuë !
Mais las ! forcé d’aimer, quels seront mes souhaits
S’il faut trahir par tout, ou n’esperer jamais ?

Fin du premier Acte.

{p. 18}

ACTE II §

SCENE PREMIERE. §

SINORIX, HESIONE, PHAEDIME.

SINORIX.

Je vous le dis encor, c’est à vous de resoudre.
410 Il est en vostre choix de repousser la foudre*,
Je la tiens suspenduë, et malgré mon couroux
J’ay peine à consentir qu’elle éclate sur vous ;
Mais vostre orgueil m’y force, et dequoy qu’il vous flate*,
Si vous n’y renoncez en faveur de Sostrate,
415 Je sçay ce que je dois à ses feux* méprisez
Au defaut de l’adveu* que vous luy refusez.

HESIONE.

Certes, jusques icy l’exemple est assez rare
Que contre l’injustice un Tyran se declare.
J’en fais une, il est vray, si Sostrate confus
420 A l’orgueil de mon sang impute mes refus ;
Mais quel aveuglement fait que tu me l’opposes ?
La veux tu condamner quand c’est toy qui la causes
Et que par l’attentat* qui t’éleve aujourd’huy
Tu m’ostes le pouvoir de rien faire pour luy ?
425 Tu le plains de montrer une vertu sublime {p. 19}
Sans qu’à peine il m’en coûte un sentiment d’estime,
Mais ce charme brillant dont mon cœur est surpris,
Quand il se donneroit, demande un plus haut prix.
Au lieu de luy prester cette pitié frivole,
430 Rends-moy l’éclat du rang que ta rage me vole,
Alors tu connoistras s’il faut me reprocher
Que l’amour d’un Heros ne puisse me toucher.

SINORIX.

Cessez de vous flater* d’un droit imaginaire
Qui vous laisse pretendre à la grandeur d’un Pere,
435 Quoy que dans vos Ayeux vous comptiez de nos Rois,
Sinatus pour regner abusa de mes droits.
Sa brigue plus puissante et la faveur de l’âge
Du Peuple suborné luy gagnerent l’hommage,
Et par sa préference obligé de ceder,
440 On me vit obeïr où je dûs commander.
Il en donna luy-mesme une preuve assez claire
Lors que par vostre hymen il crût me satisfaire,
Et voulut que du moins le droit me fust rendu
D’un Trône qu’à moy seul il sçavoit estre dû.
445 Ce moyen d’y rentrer et certain et facile,
Me fit voir* la revolte un projet inutile,
Par ce seul interest j’en acceptay l’accord ;
Mais pour m’en dégager le Ciel permit sa mort,
Par là de tout l’Estat rendu Maistre sans peine,
450 J’osay me consulter sur le choix d’une Reine,
Et sans amour pour vous, je crûs honteux pour moy
De sembler vous devoir la qualité de Roy.
Appellez-moy Tyran, ingrat, traistre, parjure,
Vos seuls emportemens font toute vostre injure*,
455 Et c’est un peu trop loin en pousser la rigueur
Que vouloir sur le Trône assujettir mon cœur.

HESIONE.

Moy, que par une lâche et honteuse foiblesse {p. 20}
Je cherche de ton cœur à me rendre Maistresse ?
Je l’aurois accepté quand sur l’adveu* du Roy
460 Ma vertu te pouvoit rendre digne de moy ;
Mais quelque juste ardeur dont le Trône m’anime,
Ne croy pas que je t’aide à joüir de ton crime ;
Qui tient pour y monter le chemin que tu prens
Merite d’y perir comme font les Tyrans.
465 Rendre par mon hymen ta grandeur affermie,
Ce seroit de leur Sort t’épargner l’infamie,
Et d’un rang où t’éleve un indigne attentat*,
Prendre sur moy la honte, et t’asseurer l’éclat.

SINORIX.

Rejettez-la, Madame, et sauvez vostre gloire
470 Du peril odieux d’une tache si noire ;
Mon cœur qui voit l’injure* où vous alliez ceder,
Sur un si noble soin* aime à vous seconder.
Sans doute il ne vaut pas, ce cœur bas, ce cœur lâche,
Qu’à son indignité vostre vertu l’arrache,
475 Et vous craignez en vain que je ne fasse effort
A répandre sur vous la honte de mon Sort ;
Mais quelque triste* fin qu’il faille que j’en craigne,
S’il m’expose à perir, il m’apprend que je regne,
Et jusqu’au dur revers qui sçaura me trahir,
480 J’auray la joye au moins de me faire obeïr.
Soûtenez* vostre orgueil ; quelque loin qu’il s’étende,
Je sçay ce que je puis alors que je commande,
Et si toûjours Sostrate est par vous outragé,
Ne pouvant estre heureux, il peut estre vangé.

HESIONE.

485 Va, ne croy pas qu’icy son interest m’abuse,
D’un faux zele pour luy je vois l’indigne ruse,
Ta lâcheté du tien sollicite l’adveu*.
Ce que la Reine doit au sang dont je suis née
490 Luy défend d’accepter la foy* qui m’est donnée,
Et quoy que mon orgueil en dédaigne l’appas*,
Le mépris que j’en fais ne te dégage pas.
Tu le vois, et l’hymen où tu crois me contraindre,
La doit mettre en estat de n’avoir plus à feindre,
495 De répondre à ta flame*, et de s’abandonner
Aux douceurs de l’espoir que tu luy fais donner ;
Mais maistresse d’un cœur qui brave ton Empire,
Je ris des vains projets que cet amour t’inspire,
Et tous mes déplaisirs* semblent s’évanoüir
500 Quand tu fais un parjure, et n’en sçaurois jouïr.

SINORIX.

J’en jouïrai, Madame, et puisque vostre audace
Ose presser l’effet d’une juste menace,
Nous verrons si l’exil pourra vous laisser jour
A trouver les moyens de nuire à mon amour,
505 L’Arrest en est donné.

HESIONE.

Fay donc qu’on l’execute.
C’est par là que les Dieux ont resolu ta cheute,
Sans cette indignité mon Sort seroit trahy,
Plus tu seras Tyran, plus tu seras haï,
Mes Sujets me plaindront, et leur haine timide*
510 Cessera dans ta mort de croire un parricide*.
Redouble tes forfaits ; loin d’en rien* redouter,
Je vay faire des vœux afin de les haster.
{p. 22}

SCENE II. §

SINORIX, PHAEDIME.

PHAEDIME.

Je l’avois bien preveu, Seigneur, que la menace,
Loin d’étonner* sa haine, aigriroit* son audace,
515 Il falloit sans la voir en venir aux effets.

SINORIX.

Ah, laisse moy trembler du dessein que je fais,
Et souffre à* ma vertu, que mon amour opprime,
De faire quelque effort* pour m’épargner un crime,
Cét exil qu’elle presse a droit de m’effrayer,
520 Avant ce dur remede il faut tout essayer.
Au peril de l’orgueil qu’elle m’a fait paroistre
J’ay dû luy faire voir quels maux en peuvent naistre,
Va luy parler encore, et tâche d’obtenir…
Mais quel frivole espoir ose m’entretenir ?
525 Apres tant de refus d’obeïr, de se rendre,
Ay-je rien* à tenter ? ay-je rien* à pretendre ?
Non, non, il faut enfin à son cœur indigné
Dérober la douceur de me voir dédaigné,
De voir que si la Reine à ma flame* s’oppose,
530 De tout ce que je souffre elle est la seule cause,
Ou plustost il faudroit par un noble retour*
Avec mon injustice esteindre mon amour ;
Mais helas ! je sens bien que vain de sa défaite
Mon cœur craint à ce prix le repos qu’il souhaite,
535 Et qu’il n’est point de maux où je n’ose m’offrir
S’il faut cesser d’aimer pour cesser de souffrir.
{p. 23}

SCENE III. §

SINORIX, SOSTRATE, PHAEDIME.

SINORIX.

Et bien ? as-tu, Sostrate, entretenu la Reine ?
La Princesse toûjours régle-t’elle sa haine,
Et sur ses interests son indigne rigueur
540 S’obstine-t’elle encor au refus de mon cœur ?

SOSTRATE.

Si vostre amour du temps n’attend quelque miracle,
En vain de son orgueil il croit vaincre l’obstacle.
Comme elle s’est tantôt* expliquée avec vous,
Mes soins* n’ont fait, Seigneur, qu’accroistre son couroux.
545 C’est assez qu’elle-mesme elle ait voulu vous dire
Quel inutile espoir flate* vostre martyre,
Vostre pouvoir est grand, mais pour forcer* sa foy*,
Il n’étend point vos droits sur la Vefve d’un Roy.

SINORIX.

Ouy, Sostrate, elle peut me dédaigner sans craindre
550 Que mon amour s’emporte à la vouloir contraindre.
Quoy qu’à ma tyrannie elle ose reprocher,
Son cœur doit s’obtenir, et non pas s’arracher ;
Mais puisque la Princesse à ces mépris m’expose,
De mon malheur en elle il faut punir la cause,
555 Et te vanger des maux où t’a précipité
L’inutile secours que ton feu* m’a presté.

SOSTRATE.

Quoy, contre la Princesse armer vostre colere ? {p. 24}
Ah, Seigneur, songez-vous…

SINORIX.

L’arrest t’en doit déplaire,
Tu l’aimes, je le sçais, et ton amour soûmis
560 Pour punir son orgueil ne se croit rien permis.
Garde ces sentiments, tandis que ma vangeance

PHAEDIME.

Voyez, Seigneur, que la Reine s’advance.

SINORIX.

La Reine vient icy ! qu’en dois-je présumer ?
Dieux, rendez-la flexible*, ou m’empeschez d’aimer.

SCENE IV. §

SINORIX, CAMMA, SOSTRATE, PHAEDIME.

SINORIX.

565 Madame, quel dessein en ce lieu vous amene ?
Y venez-vous chercher à jouïr de ma peine,
Et dans le desespoir où vous m’avez reduit,
Par ce triste* spectacle en goûter mieux le fruit ?

CAMMA.

Je veux bien l’advoüer, vous m’aviez sçeu contraindre
570 A croire en vous ce feu* dont je vous oyais plaindre,
Mais dans vos feints transports je connoy mon erreur,
Vous appellez amour ce qui n’est que fureur.
Quoy ? si je me défens de* faire une bassesse, {p. C;25}
Il faut soudain d’exil menacer la Princesse,
575 Et d’un indigne espoir vostre cœur combatu*
Ose trouver pour elle un crime en ma vertu ?
Suivez un mouvement* qu’il vous est doux de croire,
Dans vostre tyrannie envelopez ma gloire,
Et rejettez sur moy par l’ardeur de regner
580 La honte du dessein qui vous fait l’éloigner ;
J’en fuiray l’infamie en prenant sa querelle*,
Et quelque fiere* ardeur qui vous arme contre elle,
Nous verrons qui des deux en fera plus juger,
Ou vous pour la punir, ou moy pour la vanger.

SINORIX.

585 Ce dessein de vangeance est l’effet d’un beau zele,
Mais vous répondez-vous* qu’il fasse assez pour elle,
Lors que pour prevenir l’arrest que vous craignez
Il ne faut qu’accepter ce que vous dédaignez ?
Pour ses seuls interests infidelle à vous mesme,
590 Je vous voy rejetter l’offre du Diadême,
Mon amour s’en offence, et cet éloignement
Est le moins qu’il prescrive à mon ressentiment,
Il peut aller plus loin, mais quoy qu’il execute,
C’est un mal qu’à vous seule il faudra qu’on impute,
595 Et ce sera pour vous un genre de forfait
D’avoir pû l’empescher, et ne l’avoir pas fait.

CAMMA.

Et bien, sans respecter le sang qui la fit naistre
Commence enfin, Tyran, à te faire connoistre,
Montre-toy tout entier, et cherche à découvrir
600 La lâcheté du cœur que tu m’oses offrir.
Je veux qu’à t’espouser son interest m’engage,
Ce cœur que tu poursuis sera-t-il ton partage
Et crois-tu qu’un adveu* par contrainte arraché
L’acquiere à tes souhaits si tu ne l’as touché ?
605 Songe qu’indépendant, et jaloux de ce titre {p. 26}
C’est luy seul de ses droits qu’il choisit pour arbitre,
Et que contre ses vœux, la plus pressante* loy
Ne sçauroit le reduire à disposer de soy.

SINORIX.

Dans les cruels mépris qui troublent ma constance
610 Le refus que j’ay fait d’user de violence
Montre assez que l’amour qui regne dans mon sein,
S’il ne gagne le cœur, n’estime point la main ;
Mais ne m’opposez point pour obstacle invincible
Que ce cœur par luy seul peut devenir sensible,
615 Nos desirs sont sa regle, et contraint d’obeïr,
Il prend d’eux le panchant d’aimer ou de haïr.

CAMMA.

Si ce divers* panchant est un droit qu’il nous laisse,
Tâche de m’en convaincre en aimant la Princesse,
Et puisque ton amour se soûmet à ton choix
620 Dispose en sa faveur d’un cœur que tu luy dois,

SINORIX.

Me contraindre à l’aimer ! et vostre erreur est telle…    

CAMMA.

Quoy ? puis-je plus pour toy que tu ne peux pour elle,
Et ce penible effort* où ton cœur ne peut rien,
Suis-je plus en pouvoir de l’obtenir du mien ?

SINORIX.

625 Ouy, Madame, et ce cœur ne pourroit se défendre
Des soins* qu’à la Princesse il refuse de rendre,
Si d’un premier amour les doux et pressants nœuds*
Le laissoient en estat de former d’autres vœux* ;
Mais ce que vos beautez ont pris sur luy d’empire
630 Ne peut souffrir* le choix qu’on luy vouloit prescrire,
Et je quitte un espoir qui m’a trop sçeu charmer
Si la mesme raison vous défend de m’aimer.
Déclarez-vous, Madame, et sur cette asseurance {p. 27}
Triomphez d’un amour dont l’adveu* vous offence,
635 Mon cœur que la raison oblige de ceder,
Si vous aimez ailleurs, n’a rien à demander ;
J’en atteste* les Dieux, et je veux que leur haine
M’expose sans relâche à la plus rude peine,
Si quelque heureux Rival dont vous payiez la foy*,
640 Je n’immole à ses voeux toute l'amour* d’un Roy.
Mais aussi dés demain pour finir mon supplice,
Je veux avecque luy que l’hymen vous unisse,
Et que par ce revers mon malheur confirmé
M’arrache au fol espoir de pouvoir estre aimé.
645 Ce sont les seuls partis qui vous restent à prendre,
Ou donnez vostre main, ou m’y laissez pretendre,
Et jugez, dans le choix que je vous offre icy,
Si c’est estre Tyran que d’en user ainsi.
Je vous laisse resoudre ou ma gloire ou ma peine ;
650 Vous, Sostrate, attendez les ordres de la Reine,
Et songez à me faire un fidelle rapport
Si tost que sa réponse aura reglé mon sort.

SCENE V. §

CAMMA, SOSTRATE.

CAMMA.

Ton silence, Sostrate, a droit de me confondre*,
Sinorix a parlé, c’est à toy de répondre,
655 Le temps presse, on menace, et sans plus differer
Ou pour l’un ou pour l’autre il faut te déclarer.
Si mon cœur est pour toy d’un prix assez insigne*,
S’il remplit tes desirs, tu peux t’en rendre digne,
Mais aussi, c’est un bien qui doit peu te flater* {p. 28}
660 Si tes vœux* incertains n’osent le meriter ;
Car enfin quelque espoir dont ma main t’entretienne,
Tu ne peux l’obtenir sans faire agir la tienne,
Et je m’appreste en vain à couronner ton feu*
Si Sinatus vangé ne m’en donne l’adveu*.

SOSTRATE.

665 Madame, il est aisé par mon desordre extrême
De juger des combats que je rends en moy-mesme,
Non que j’aspire enfin qu’à meriter un bien
Sans qui tout m’est fatal, sans qui tout ne m’est rien ;
Mais dans la passion dont le transport* vous guide,
670 Quand j’en voy les moyens je demeure stupide*,
Je me pers, et ne puis convaincre ma raison
Qu’il se doive acquerir par une trahison.
Ouvrez les yeux, Madame, et sans trop vous en croire,
Jettez-les sur les soins* que je dois à ma gloire.
675 Si j’aime Sinorix, il n’est point de bienfaits
Dont il n’ait jusqu’icy prévenu* mes souhaits,
Ses bontez chaque jour se font pour moy paroistre,
Je puis ce que je veux, c’est mon Roy, c’est mon Maistre,
Et si j’ose sur luy porter de lâches coups,
680 Me soüiller de son sang, suis-je digne de vous ?

CAMMA.

Ouy, tu l’es, puisqu’enfin c’est en servant ma haine
Que tu peux égaler le destin d’une Reine,
Et trouver dans l’éclat d’un illustre projet
A reparer l’affront du titre de Sujet.
685 Crois-tu qu’à t’écouter je me fusse abaissée
Si je n’eusse pû voir cette honte effacée,
Et sçeu, pour m’enhardir* à recevoir ta foy*,
Que qui perd un Tyran est au dessus d’un Roy ?
Renonce à cette gloire, et quitte un avantage {p. 29}
690 Qui peut-estre jamais n’a touché ton courage,
Mais s’il le dédaignait, pourquoy te déguiser,
Et differer tousjours à me desabuser* ?

SOSTRATE.

J’ay promis, il est vray, c’est ce qui fait ma peine,
Mais j’ay crû que l’amour fléchiroit vostre haine,
695 Et que pour en calmer les transports éclatants
Il falloit seulement avoir recours au temps.

CAMMA.

Dy plustost qu’alarmé de l’amour de ton Maistre
Ton feu* desesperoit d’oser jamais paroistre,
Et que ta passion corrompant ton devoir
700 Sacrifiait ses jours à ce manque d’espoir.
L’ardeur dont tu flatois* ma noble impatience,
Par ton seul interest s’offroit à ma vangeance,
Et tu consentois moins par cét accord fatal
A punir mon Tyran qu’à perdre ton Rival.
705 Alors tu n’avois point cette vertu* timide*
Qui tremble à voir mon cœur le prix d’un parricide*,
Et ta flame* aisément convainquoit ta raison
Qu’il pouvoit s’acquerir par une trahison.
Aujourd’huy seulement qu’un foible stratagême
710 Fait promettre au Tyran de me ceder si j’aime,
Tu veux estre fidelle, et luy garder ta foy*,
Sur l’espoir de me rendre aussi lâche que toy.
Son adveu* d’un beau choix me laissant la puissance,
Tu crois qu’en ta faveur j’oublîray ma vangeance,
715 Et que d’un fol amour secondant le pouvoir,
Je t’aideray moy-mesme à trahir mon devoir ;
Mais gravé dans ce cœur où rien ne le partage,
Apprens que l’effacer est un penible ouvrage,
Et que je plains en toy, si ton feu* l’entreprend,
720 L’inutile vertu* que cet espoir te rend.

SOSTRATE.

Ah ! que me dites-vous ? {p. 30}

CAMMA.

Ce que je te dois dire,
Que jamais sur ton cœur la gloire n’eut d’empire,
Et qu’un lâche interest qu’il vient de mettre au jour
Le rend traître ou fidelle au gré de ton amour.

SOSTRATE.

725 Et bien, pour épargner ce soupçon à ma gloire,
Il faut oser icy ce qu’on ne pourra croire,
Estouffer de l’amour le charme le plus doux,
Et vous donner l’exemple à triompher de vous.
Deux grandes passions nous portent à l’extreme,
730 Nous leur déférons* tout, vous haïssez, et j’aime,
Trahissons-en l’attente, et pour nous signaler, *
Consentons l’un à l’autre à nous les immoler.
Par un effort* illustre et digne d’une Reine,
Renoncez à l’espoir qui soûtient vostre haine,
735 Et de mes sentimens triomphant à mon tour,
Je renonce à l’espoir qui soûtient mon amour.
Ainsi nous nous ferons égale violence,
Vous haïrez tousjours sans desir de vangeance,
Sans chercher qu’à haïr, sans vouloir d’autre bien,
740 Et j’aimeray tousjours sans aspirer à rien.
Mais las ! dans cet accord, à bien voir ce que j’ose,
Vos maux approchent-ils de ceux que je m’impose ?
Si la vangeance preste, il vous la faut trahir,
Il vous reste du moins la douceur de haïr.
745 Outre qu’un fort mépris que la haine suggere
A quelque charme en soy qui peut vous satisfaire,
Puisque, quelque ennemy dont on soit outragé,
Qui peut le dédaigner en est assez vangé ;
Mais dans l’effort* cruel que j’ose me prescrire,
750 Sur quelle juste attente adoucir mon martyre,
Et dequoy me flater* dans l’horreur d’un devoir {p. 31}
Qui me laisse l’amour, et m’arrache l’espoir ?
Estre privé de l’un, lors que l’autre demeure,
C’est languir, ou plustost c’est mourir à toute heure,
755 Et qui conçoit ce mal dans un cœur amoureux
Advouëra que de tous c’est-là le plus affreux.
Jugez si m’y soûmettre, ayant sçeu le connoistre,
C’est vous offrir assez pour les jours de mon Maistre,
Et si j’ay merité qu’on m’accuse en ce jour
760 D’estre traistre ou fidelle au gré de mon amour.

CAMMA.

Le rare et seur moyen d’ébloüir* ma vangeance !
Les maux que tu te fais ne sont qu’en apparence,
Et cet espoir pour toy si fâcheux à quitter,
Sur quelque heureux revers te peut tousjours flater* :
765 Mais puis-je à Sinatus sans me noircir d’un crime
N’accorder pas le sang qu’il attend pour victime,
Et laisser sa vangeance à decider au Sort,
N’est-ce pas devenir complice de sa mort ?

SOSTRATE.

Tousjours sur cette mort vous croyez vostre haine.

CAMMA.

770 Non, non, le crime est seur et l’injure* certaine,
Sinatus, mais trop tard, connut la trahison,
Et tout prest d’expirer m’advertit du poison.
Sur ce funeste advis cent marques évidentes
M’en donnerent dés lors des preuves trop constantes,
775 Et le Tyran depuis luy-mesme en a fait foy*
A trahir la Princesse, et soûpirer pour* moy.
J’en sçay trop, et ton zéle en vain le justifie.

SOSTRATE.

L’apparence souvent abuse qui s’y fie,
Et contre Sinorix c’est un faible garand
780 Que d’avoir seulement le soupçon d’un mourant.

CAMMA.

Va, si l’indice est foible, ose pour sa défence {p. 32}
Me répondre qu’en luy j’outrage l’innocence,
Je t’en veux croire seul, mais aussi souviens-toy
Que s’il n’est point coupable, il est digne de moy.

SOSTRATE.

785 Ah, c’est pousser trop loin un effort* magnanime,
Vous luy rendrez justice à le croire sans crime,
Mais…

CAMMA.

Mais tes vœux ardents à luy sauver le jour
Languiront si je songe à payer son amour ?

SOSTRATE.

Madame…

CAMMA.

Il me suffit ; puisque c’est te déplaire
790 Porte luy ma réponce, et dy luy qu’il espere,
Que mon cœur n’aime rien, et que dans peu sa foy*
Peut selon ses souhaits attendre tout de moy.

Fin du second Acte.

{p. 33}

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

SINORIX, PHAEDIME.

PHAEDIME.

Ce changement, Seigneur, n’offre rien qui m’étonne*,
Je connois ce que peut l’éclat d’une Couronne,
795 Et n’ay jamais douté, malgré son feint couroux,
Que la Reine en secret ne fist des vœux* pour vous.

SINORIX.

Quoy qu’encore contre moy quelque interest combate*,
Elle m’a confirmé le rapport de Sostrate,
Tout espoir est permis à mon cœur amoureux ;
800 Mais il faut que le temps aide à me rendre heureux,
J’ay voulu luy ceder pour montrer plus de zéle*.

PHAEDIME.

Non, non, pressez*, Seigneur, vous obtiendrez tout d’elle,
Déja son fier* devoir voudroit estre forcé.

SINORIX.

D’un scrupule* de gloire il est embarassé.
805 Aprés ses longs refus, un peu de bienseance {p. 34}
Doit l’obliger encor à quelque resistance,
C’est ce qu’à mon amour elle vient d’opposer.

PHAEDIME.

Sur un adveu* si doux vous pouvez tout oser,
Menacez, contraignez, rien ne luy peut déplaire.
810 Mais puis-je m’expliquer sans estre temeraire ?
Tout vous rit, tout vous flate*, et cependant, Seigneur,
Je voy qu’un noir chagrin* trouble vostre bonheur.

SINORIX.

Ouy, Phaedime, et mon ame étonnée*, interdite*,
Se veut en vain soustraire à l’horreur qui l’agite.
815 Plus j’ay lieu de tenir mon bonheur asseuré,
Plus par de vifs remords je me sens déchiré.
Une secrete voix que leur rigueur anime
De moment en moment* me reproche mon crime,
Et lors que j’en fremis, pour me confondre* mieux,
820 L’Ombre de Sinatus se presente à mes yeux.
Pasle et défiguré plus qu’on ne peut comprendre,
Il sort de cette tombe où je l’ay fait descendre,
Et marquant du poison les efforts* violents,
Il chancelle, et vers moy se conduit à pas lents.
825 Ses yeux, quoy qu’égarez, fixes sur le coupable,
Me lancent un regard affreux, épouvantable,
Et comme si c’estoit me faire peu souffrir,
Je l’entens s’écrier, Tyran, il faut mourir,
Il est temps d’expier ta criminelle flame* ;
830 Tu m’as ravy le jour pour me ravir ma Femme,
Et trahissant ma Fille, adroit dans ce grand Art,
Tu luy voles un Trône où tu n’as point de part.
Ta lâche ambition s’estant pû satisfaire,
Tiens seur pour toy le prix que ton amour espere,
835 Mais prest de l’obtenir, tremble, et malgré tes soins*
Succombe au coup fatal que tu prévois le moins.
Là j’ay beau repousser cette funeste image, {p. 35}
L’horreur qu’elle me laisse accable mon courage,
Et sans cesse agitant mon esprit incertain
840 Me montre un bras levé pour me percer le sein.

PHAEDIME.

De ces vaines frayeurs il vaut mieux vous defendre,
Seigneur, qui contre vous oseroit entreprendre ?
Vous mesme en le craignant cessez de vous trahir.
La Princesse sans doute a droit de vous haïr ;
845 Mais enfin, de regner son cœur toûjours avide
Ne prend point contre vous le desespoir pour guide,
Et tout ce grand éclat où l’enhardit* son rang
Aspire à vostre main, et non à vostre sang.

SINORIX.

Mais puisqu’elle sçaura que j’ay fléchy la Reine,
850 Que ne permettra-t’elle aux transports de sa haine ?
Déjà, déjà peut-estre elle en sçait le secret.

PHAEDIME.

Quoy, Sostrate, Seigneur, seroit si peu discret ?

SINORIX.

Comme j’aime Sostrate à l’égal de moy-mesme
Je sçay bien que pour moy sa tendresse est extréme,
855 Qu’il donneroit cent fois tout son sang pour le mien,
Mais souvent l’amour parle, et croit ne dire rien.
Pour me tirer du trouble où ce soupçon me laisse,
Phaedime, de ce pas va trouver la Princesse,
Et par ses sentiments tâche de pressentir
860 Si de l’heur* de ma flame* il a pû l’advertir.
Il est bien mal-aisé, quoy que d’abord on feigne,
Que long-temps dans sa rage un grand cœur se contraigne,
Fais agir ton adresse à lire dans le sien.

PHAEDIME.

Je connois mon devoir et n’épargneray rien.

SCENE II. §

{p. 36}

SINORIX.

865 Dieux, dont les loix pour nous doivent estre adorables*,
Est-ce ainsi que j’ay crû vous trouver exorables*
Et me reserviez-vous à la necessité
De gemir du bonheur que j’ay tant souhaité ?
Helas ! fut-il jamais une infortune égale ?
870 Quels que soient mes desirs, l’issuë en est fatale,
Et mes vœux* acceptez, je ne fais seulement
Que prendre ailleurs ma peine, et changer de tourment.
Aprés avoir languy sous la disgrace* extréme
Qui m’ostoit tout espoir d’obtenir ce que j’aime,
875 Je me sens maintenant et gêner* et punir
Par le cruel remords que j’ay de l’obtenir.
Accablé de l’horreur qui dans mon cœur se glisse,
Je voudrois n’aimer plus pour en fuir le supplice,
Et dans ce qu’à mes yeux la Reine offre d’appas*,
880 J’aimerois mieux mourir que ne l’adorer pas.
Ainsi le triste* excez de ce confus martyre
Fait revolter mon cœur contre ce qu’il desire,
Et contraire à moy-mesme en mes propres desseins
Je crains ce que je veux, et veux ce que je crains.
885 Ah, qu’il est mal-aisé qu’une ame genereuse*
Tire d’un noir forfait dequoy se rendre heureuse,
Et qu’aux cœurs dont le zele* à la gloire est offert,
Le bonheur coûte cher quand le crime l’acquiert !
Mais quoy ? d’où tout à coup me vient ce nouveau trouble ? {p. D;37}
890 Mon désordre s’augmente, et ma frayeur redouble.
Est-ce un advis du Ciel qui cherche à m’annoncer
L’arrest que son couroux s’appreste à prononcer ?
Il est juste, et d’un Roy quand j’ay fait ma victime,
S’il punit par le foudre*, il le doit à mon crime.
895 Dieux, hâtez-en la peine, ou m’ostez ces soupçons.

SCENE III. §

SINORIX, CAMMA, SOSTRATE.

CAMMA paroissant à un des costez du Theatre,

Et tirant un poignard.
L’occasion est belle, il est seul, advançons.

SINORIX.

O Sinatus !

SOSTRATE paroissant à l’autre costé du theatre, et voyant Camma qui s’advance vers Sinorix un poignard à la main.

Que vois-je ! Ah !

CAMMA.

Perdons cét infame.
Dans l’instant que la Reine leve le bras pour fraper Sinorix, Sostrate luy saisit la main, Sinorix se détourne, et le poignard tombe sans qu’il puisse connoistre de quelle main.
Que fais-tu, mal-heureux ?

SOSTRATE.

Que faites-vous, Madame ? {p. 38}

SINORIX se détournant et se saisissant du poignard.

Justes Dieux, un Poignard ! On en veut à mes jours,
900 A moy, Gardes, à moy, qu’on vienne à mon secours.

SOSIME entrant avec des Gardes.

Seigneur.

SINORIX.

La trahison d’un faux succez suivie
Vient d’employer ce fer pour m’arracher la vie ;
Mais j’ay tort d’accuser mon ingrat ennemy,
Il n’est dans son forfait coupable qu’à demy,
905 Il suit l’ordre du Ciel dont l’arrest trop severe
Trouve pour moy la mort une peine legere,
Et d’un lâche assassin n’arreste la fureur
Qu’afin que la menace en redouble l’horreur.
C’est peu que dans mon sang cette fureur s’esteigne,
910 Avant que j’y succombe il veut que je la craigne,
Et dans cette frayeur pour mieux m’envelopper,
Il retire le bras sur le point de fraper.
Sa cruelle pitié qui de mon Sort decide
M’envoye un protecteur avec un Parricide*,
915 Et dans le mesme instant, d’un effort* different
L’un attaque ma vie, et l’autre la défend.
Voudrez-vous m’éclaircir ce coup abominable,
Madame ? je le vois, et le trouve incroyable,
Et mon cœur qu’en confond le projet odieux,
920 Cherche sur tant de rage à démentir mes yeux.

CAMMA.

Vous avez peu besoin que je vous éclaircisse,
Un autre peut icy vous rendre cet office*,
Et dans l’effort* douteux qui vous comble d’effroy
Le fidelle Sostrate a plus de part que moy.

SINORIX.

925 Et bien, parle, Sostrate, et me tire de peine. {p. 39}
Suivras-tu contre moy l’exemple de la Reine,
Et voudras-tu comme elle en cét évenement
Refuser quelque jour* à mon aveuglement ?

SOSTRATE.

Non, Seigneur, c’est en vain que je voudrois me taire,
930 Vous avez veu l’effort* que mon bras vient de faire ;
Le crime veut du sang, et sans rien balancer*,
Sçachant ce qui m’est dû, vous devez prononcer.

SINORIX.

Traistre, par cét adveu* mets le comble à ta rage,
Je ne voyois que trop le crime qui t’engage,
935 Mais pour avoir pretexte à t’en justifier,
Je voulois que du moins tu l’osasses nier.
La Reine en ta faveur ayant voulu se taire
Me donnoit jour* à prendre une erreur volontaire ;
Et si par ton silence il m’eust esté permis,
940 Je t’ostois de l’abysme où ta flame* t’a mis.
Aidé de ce silence à toy seul favorable
Je me fusse contraint à douter du coupable,
Et j’aurois pû par là dans un sort si cruel
Donner à l’innocent les jours du criminel.
945 Dans celuy dont ma mort a sçeu toucher l’envie
J’eusse craint de punir qui m’a sauvé la vie,
Et la peine et le prix qu’à tous deux je vous doy
Fussent restez secrets entre mon cœur et moy ;
Mais c’est peu qu’à ma perte un lâche espoir t’anime,
950 Si tu ne fais encore vanité de ton crime,
Et si l’indigne adveu* que ta fureur en fait
Ne tâche aux yeux de tous d’en supléer l’effet.
Ingrat, de mes bienfaits est-ce la recompense ?

SOSTRATE.

Ils sont tous dans mon cœur mieux gravez qu’on ne pense ; {p. 40}
955 Mais enfin, je l’advouë, il ne peut consentir
Que de ce que j’ay fait j’ose me repentir.
Vous m’apprestez la mort, et ce cœur la desire,
Elle seule aujourd’huy fait tout l’heur* où j’aspire,
Et pour mieux la haster, sçachez que cette main
960 En mesme occasion auroit mesme dessein ;
Que cent fois de nouveau l’effort* qu’elle a sçeu faire…

SINORIX.

Quoy, traistre jusques-là ta rage te peut plaire ?
Et bien, sçache à ton tour que plus tu me fus cher,
Moins ce cœur dans ton sort se laissera toucher ;
965 Que l’amitié par toy lâchement outragée
Sur ton sang hautement sera par moy vangée,
Et que de ma tendresse estouffant la chaleur
Je le verray couler sans la moindre douleur.
Mais pardonnez, Madame, aux transports qu’authorise
970 Du plus noir attentat* la plus lâche entreprise,
Et qui m’offrant un gouffre ouvert de toutes parts,
Sur le coupable seul arreste mes regards.
Surpris de sa fureur je m’emporte, et j’oublie,
Quand je luy dois la mort, que je vous dois la vie,
975 Et que m’abandonnant à cét ardent couroux,
Ce cœur juste pour luy devient ingrat pour vous.
Sans vous je n’estois plus, sans vous, triste* victime,
Mon sang d’un Parricide* eut couronné le crime,
Et dans ce grand secours, c’est peu le meriter
980 Que songer à punir plustost qu’à m’acquiter.
Souffrez* donc qu’à vos pieds…    

CAMMA.

Ah, c’est trop me confondre*.
Je voy, j’entens, j’écoute, et ne sçay que répondre,
Et mon esprit confus, surpris, inquiété, {p. 41}
Tombe enfin malgré moy dans la stupidité*.
985 Ce que Sostrate a fait m’est la plus rude offence,
Je voudrois toutefois parler en sa defense,
Et lors qu’en sa faveur la pitié m’entretient,
Un autre sentiment m’inspire, et me retient.

SINORIX.

Vous, Madame, defendre un perfide, un infame ?

SOSTRATE.

990 Non, non, de grace, non, ne dites rien, Madame,
Et sans vouloir pour moy tenter un vain effort*
A toute ma disgrace* abandonnez mon sort.
Tout ce que vous diriez pour garantir ma teste
Me seroit plus cruel que la mort qu’on m’appreste,
995 Par là mon desespoir se verroit achevé,
Et je mourrois cent fois si vous m’aviez sauvé.

SINORIX.

Par cette lâche ardeur de perir pour son crime,
Admirez contre moy quelle rage l’anime,
Et le charme qu’il trouve à se rendre aujourd’huy
1000 Indigne des bontez que vous auriez pour luy.

CAMMA.

A quoy qu’en son malheur sa fierté* le hazarde,
Je ne vous dis plus rien sur ce qui le regarde,
Mais sur vos interests, vous devez présumer
Que si son entreprise a pû vous alarmer,
1005 Si d’un effroy secret vostre ame embarassée
Se trouve à quelque trouble indignement forcée,
Ces alarmes, ce trouble, et ces sujets d’effroy
Sont des maux qu’aujourd’huy vous souffrez malgré moy,
Qu’à vous les épargner aussi prompte qu’ardente…

SINORIX.

1010 O de bonté pour moy preuve trop obligeante !
Je me tais tout remply de ce que vous pensez, {p. 42}
Et je ne vous dis rien ne pouvant dire assez.
Mais toy, qui mets ta gloire à braver les supplices,
Aprés t’estre accusé nomme-nous tes complices,
1015 Et sçachons quel soûtien* assez ferme, assez fort,
Engageoit ton audace à resoudre ma mort.
Sous l’effort* de ton bras apprens-nous qui conspire.

SOSTRATE.

Je vous ay dit, Seigneur, ce que j’avois à dire ;
Nommez ce que le Ciel vient de vous faire voir
1020 Un effet de ma rage, ou de mon desespoir,
Il suffit qu’à punir une action si noire
Vos yeux vous soient garands de ce qu’il en faut croire,
Vous avez leur rapport, prononcez là-dessus,
J’ay parlé, j’ay tout dit, et ne sçay rien de plus.

SINORIX.

1025 Quoy ? garder le silence est ta plus seure adresse
Pour tâcher de ton crime à sauver la Princesse ?
Va, tu nous tiens en vain ce grand secret caché,
L’arrest de son exil t’avoit déjà touché,
Et luy contant l’espoir que me souffre* la Reine,
1030 Tu n’as pû refuser un forfait à sa haine ?
Tu t’es montré soudain prest à m’assassiner ?

SOSTRATE.

Ah, contre-elle, Seigneur, qu’osez-vous soupçonner ?
J’atteste* tous les Dieux, et je veux que leur foudre*
Tombe à vos yeux sur l’heure et me reduise en poudre,
1035 Si dans ce grand projet qu’a détruit le hazard,
On peut à la Princesse imputer quelque part.
C’est moy seul dont le sang doit laver vostre injure*.

SINORIX.

Les sermens d’un perfide entraînent un parjure,
En vain tu crois par là nous ébloüir* les yeux,
1040 Qui peut perdre son Roy ne connoit point de Dieux.
{p. 43}

SCENE IV. §

SINORIX, CAMMA, HESIONE, SOSTRATE, PHAEDIME, SOSIME, GARDES.

SINORIX.

Phaedime, aurois-tu crû l’attentat* d’un perfide ?

HESIONE.

Nomme mieux un beau zéle* où la gloire préside.
Je sçay par quel malheur son projet avorté
L’expose aux fiers* transports d’un Tyran irrité,
1045 Et viens avec plaisir complice de son crime
Offrir à sa fureur une double victime.
C’est pour moy que son bras dans son indigne sang
Cherchoit à reparer l’outrage de mon rang.
Par moy ce bras armé pour soûtenir* ma haine
1050 Perdoit l’usurpateur qui détrône sa Reine,
Et d’un illustre effort* le genereux* éclat
D’un honteux esclavage affranchissoit l’Estat.
Le Ciel dont contre toy le couroux se déguise
Nous oste exprés le fruit d’une belle entreprise,
1055 Et pour voir où ta rage arrestera son cours
De Sostrate ou de moy t’abandonne les jours ;
Ose, et de mon destin prenant droit de resoudre,
De la main qui le lance arrache enfin le foudre*,
Et comblant des forfaits qu’on ne peut égaler
1060 Oste aux Dieux le pouvoir de plus dissimuler.
Je suis preste à souffrir quoy que ta rage ordonne,
La plus affreuse mort n’aura rien qui m’estonne*,
Et le coup m’en plaira, s’il me peut épargner {p. 44}
L’horreur de te voir Maistre, où je devrois regner.

SINORIX à Sostrate.

1065 Et bien ? j’ay fait sans doute injure* à la Princesse,
Lâche, ton attentat* n’a rien qui l’interesse,
Et j’ay dû, quand ton bras s’arme contre ton Roy,
Recevoir tes sermens pour garands de ta foy* ?

SOSTRATE.

Qu’avez-vous dit, Madame, et que faites-vous croire ?

HESIONE.

1070 J’ay dit ce qu’a voulu l’interest de ma gloire,
Et quand ce grand motif à mon cœur vient s’offrir,
Si je ne sçais aimer, du moins je sçay mourir.

SINORIX.

Non, vous ne mourrez point, et puisque par ma perte
L’asseurance du Trône à vos vœux est offerte,
1075 J’aurois tort si j’osois retrancher de vos droits
Le pouvoir d’attenter une seconde fois.

HESIONE.

Une si juste ardeur suivra tousjours ma haine,
Mais je dois respecter les projets de la Reine,
Et ne poursuivre plus d’un effort* si constant
1080 Un Trône, où je découvre enfin qu’elle pretend.

CAMMA.

Ce chagrin* inquiet incessamment* vous gêne*.

HESIONE.

J’ay soupçonné d’abord, mais je parle certaine,
Et je ne vous fais icy qu’un reproche trop dû,
Quand le Trône sans vous m’auroit esté rendu.
1085 Rompre un coup qui perdoit l’autheur de ma misere,
C’est avoüer le vol qu’un traistre en a sçeu faire,
Et qui dans cette honte a voulu s’engager,
N’en asseure le fruit que pour le partager.

CAMMA.

Sans me justifier, quoy que vous vueilliez croire, {p. 45}
1090 Il suffit que mon cœur ait l’appuy de ma gloire,
Et que de mes desseins pleinement satisfait
Il puisse m’applaudir sur tout ce que j’ay fait.
Cependant dans son sort Sostrate estant à plaindre,
Je vous laisse calmer l’orage qu’il doit craindre,
1095 Et me remets au temps à voir qui de nous deux
Avec plus de succez aura conduit ses vœux*.

SCENE V. §

SINORIX, HESIONE, SOSTRATE, PHAEDIME, SOSIME, GARDES.

SINORIX.

Princesse, tant d’orgueil lasse ma patience,
La Reine icy toûjours garde pleine puissance,
Et quand vous l’offencez, c’est à moy de vanger
1100 Les outrages piquants* qu’elle ose negliger.
Déjà dessous vos pas s’ouvre le précipice,
Si je veux consentir à me faire justice,
Et si vous ne songez à vous mieux secourir…

HESIONE.

A quelle indignité je te voy recourir !
1105 Quoy, sur ce vain couroux tu crois que je me rende ?
Eclate, ordonne, agis, c’est ce que je demande,
Mais ne t’arreste pas, quand tu peux m’accabler,
A l’inutile effort* de me faire trembler ;
Car enfin tu le sçais, Tyran, quoy que tu fasses, {p. 46}
1110 Je te dédaigne trop pour craindre tes menaces.
Du Destin qui me perd la fatale rigueur
Ne sçauroit abaisser ny mon rang ny mon cœur,
Malgré sa lâcheté j’ay l’ame toûjours vaine,
Malgré ta trahison je suis toûjours ta Reine,
1115 Et j’ay la joye au moins que ton heureux projet,
S’il te fait mon Tyran, te laisse mon Sujet.

SINORIX.

Mais un pareil Sujet en peut aimer le titre
Quand du Sort de la Reine il s’est rendu l’arbitre,
Et qu’il en peut tenir le pouvoir limité
1120 Dans les emportemens de sa seule fierté*.
Pour la gloire du rang conservez-la, Madame,
Tandis qu’à d’autres soins* je livreray mon ame,
Et chercheray sur qui, dans ce noir attentat*,
De mon ressentiment doit s’estendre l’éclat,
1125 J’en sçay dont en ma Cour l’appuy secret vous flate*.

HESIONE.

Je les éprouve* donc plus lâches que Sostrate.
C’est luy seul dont le zéle à mes desirs se rend,
Je m’explique, il est prest, j’ordonne, il entreprend,
Tu tiens le criminel, je t’offre sa complice.

SOSTRATE.

1130 Madame, qui vous porte à vous faire injustice,
A vouloir de mon sort partager le couroux ?
J’entreprens, il est vray, mais ce n’est pas pour vous,
Par mon seul interest j’ay dû…

HESIONE.

Qu’oses-tu dire ?
Je t’ay sollicité, c’est ton bras qui conspire,
1135 Et tu cherches en vain à rejetter sur toy
Les motifs d’un beau coup qui ne sont deus qu’à moy.

SOSTRATE.

Mais, Madame… {p. 47}

HESIONE.

Non, non, c’est m’offencer, Sostrate,
Souffre d’un grand projet que la gloire me flate*.
Où le peril est beau m’empescher d’y courir,
1140 C’est m’arracher la part que j’en puis acquerir.

SINORIX.

Quoy, genereuse* assez pour ne luy pas survivre ?

HESIONE.

Ne pouvant le sauver, du moins je le dois suivre,
Et n’aurois dans mon sort à me plaindre de rien,
Si te donnant mon sang je conservois le sien.

SINORIX.

1145 Et bien, pour satisfaire à cette noble envie
Je vous mets en pouvoir de luy sauver la vie.
Ouy, quoy qu’il ait tenté, je laisse à vostre choix
D’empescher contre luy la rigueur de nos loix.
Sostrate doit perir, tout le veut, tout m’en presse,
1150 Mais je puis épargner l’époux de la Princesse,
Et sa grace pour vous est un effet certain
Si pour prix de son crime il obtient vostre main.

SOSTRATE.

Non, Seigneur, ordonnez la peine qui m’est deuë ;
Quand je verrois pour moy la Princesse renduë,
1155 Sçachant quelle contrainte elle en pourroit sentir,
Jamais, jamais ce cœur n’y voudroit consentir.

SINORIX.

Fay, fay le magnanime, et souffre à* ton audace
De braver ma vangeance et rejetter ma grace,
Mais j’en jure les Dieux qui m’ont soûmis ton sort,
1160 Elle n’a que ce choix, son hymen, ou ta mort.

HESIONE.

Le détour est adroit, et me mettroit en peine {p. 48}
S’il pouvoit m’empescher de voir que je suis Reine,
Mais ma main dans ce rang ne sçauroit se donner
Qu’en remplissant le droit qu’elle a de couronner.
1165 Par là de son refus ne croy pas qu’on s’étonne*,
Ta fureur m’a ravy ce qu’il faut qu’elle donne,
Et tu m’ostes ainsi par tes lâches forfaits
Le pouvoir d’accepter l’offre que tu me fais.                 1190

SINORIX.

Il mourra donc, Madame, et vous aurez la gêne*
1170 De voir que vos mépris feront toute sa peine,
Et que de vostre main ce refus éclatant
Redoublera l’horreur de la mort qui l’attend.
Au moins ce luy doit estre un supplice assez rude
De n’en devoir l’arrest qu’à vostre ingratitude,
1175 Et de voir qu’en effet, qui doit le secourir,
Quand je veux le sauver, le condamne à perir.

HESIONE.

Va, nous sçaurons dans peu, malgré ta lâche audace,
Si sa peine à ton tour n’a rien qui t’embarasse,
Et si dans le malheur que ses projets ont eu
1180 Tu l’oseras punir d’un acte de vertu*.
Alors cette douceur à ses vœux est offerte,
Que je suivray son sort, ou vangeray sa perte,
Et que hors mon hymen ne luy refusant rien,
Il aura pour victime, ou son sang, ou le mien.

SOSTRATE.

1185 Ah, Madame, cessez de vous laissez surprendre…

SINORIX.

Fay le mettre en lieu seur, je suis las de l’entendre,
Sosime. Vous, Madame, advisez à* ce choix,
Je veux bien vous l’offrir une seconde fois,
Mais dans une heure enfin si vostre main n’est preste, [E ;49]
1190 La foudre* l’est déjà pour lancer sur sa teste,
Songez-y.

HESIONE.

Tu pers temps ; puisque sa mort te plaist,
Tonne contre tous deux, j’attendray ton arrest.

Fin du troisiéme Acte

{p. 50}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

CAMMA, PHENICE.

CAMMA.

L’Arrest en est donné ! que me dis-tu, Phenice ?

PHENICE.

Qu’on dresse l’appareil* d’un funeste supplice,
1195 Et que c’est par sa mort qu’un Tyran inhumain
Punit ce fier* refus de luy donner la main.

CAMMA.

Quoy, cet amy si cher ne trouve point de grace ?

PHENICE.

Enfin l’effet est prest de suivre la menace.
Jamais tant de fureur ne se peut concevoir
1200 Qu’en tous ses sentimens Sinorix en fait voir.
Indigné de l’orgueil que montre la Princesse,
Il éclate, il foudroye*, il s’emporte sans cesse,
Et le rang qu’en son cœur Sostrate a sçeu tenir
Semble augmenter sa rage à le vouloir punir.

CAMMA.

1205 Phenice, il est donc temps que ma vangeance cede, {p. 51}
Qu’au mal que j’ay causé j’oppose le remede,
Et qu’à tant de fureur, ce cœur reconnoissant
Par l’offre du coupable arrache l’innocent.

PHENICE.

Vous découvrir, Madame ? ah, que voulez-vous faire ?

CAMMA.

1210 Espargner à Sostrate une mort volontaire,
Et ne permettre pas qu’il expie aujourd’huy
Le crime glorieux qu’il a jetté sur luy.
Dés lors sans un époux dont l’interest me presse
J’eusse de son amour desadvoüé l’adresse,
1215 Et n’aurois pas souffert que mon Tyran trompé
Le chargeast* d’un forfait sur ma gloire usurpé ;
Mais voyant Sinatus sans espoir de vangeance
Si je n’en confirmois l’abus par mon silence,
J’ay voulu m’y contraindre, et crû que la pitié
1220 Luy feroit pour Sostrate écouter l’amitié.
C’est à moy, puisqu’enfin je l’en vois incapable,
A détruire une erreur qui cache le coupable,
A luy montrer le bras qui s’immoloit ses jours,
Et des Dieux pour le reste attendre le secours.

PHENICE.

1225 Comme il faudra pour luy que vostre haine éclate,
Vous l’allez irriter sans secourir Sostrate.
N’ayant rien dit d’abord, vous luy ferez penser
Que vous n’avez dessein que de l’embarasser,
Et je crains que piqué* de voir par là vostre ame
1230 Desadvoüer l’espoir dont il flate* sa flame*,
Il ne haste une mort dont par quelque interest
Il peut songer encor à suspendre l’arrest.

CAMMA.

Mais quand je luy diray qu’une ardeur de vangeance {p. 52}
M’a fait de ses forfaits cacher la connoissance ;
1235 Que je sçay qu’en secret sa lâche trahison
Pour perdre Sinatus eut recours au poison ;
Qu’à vanger cette mort ma haine tousjours preste,
A Sostrate cent fois a demandé sa teste ;
Qu’à son refus tantost dans ma noble fierté*,
1240 Mon bras se l’immoloit s’il ne l’eust arresté ;
Que l’adveu* qu’à sa flame* il a crû propice
Pour le mieux ébloüir* n’estoit qu’un artifice*,
Crois-tu que ce rapport trouve si peu de foy*
Qu’il le laisse douter entre Sostrate et moy ?

PHENICE.

1245 Le voicy qui paroist ; avant que rien* éclate
Songez à Sinatus, jettez l’œil sur Sostrate,
Et craignez qu’à sa rage abandonnant vos jours,
L’un ne soit sans vangeance, et l’autre sans secours.

SCENE II. §

SINORIX, CAMMA, PHENICE, PHAEDIME, Suite de Sinorix.

SINORIX.

Madame, je sçay bien que vous devant la vie,
1250 Que sans vostre secours un lâche m’eust ravie,
On auroit dû déja me voir à vos genoux
Vous consacrer cent fois ce que je tiens de vous ;
Mais j’ay crû dans l’ardeur du couroux qui m’enflame
Vous devoir dérober les troubles de mon ame,
1255 Sans cesse, je l’advouë, il me vient animer, {p. 53}
Et toute mon estude a peine à le calmer.

CAMMA.

La cause en est trop juste où le crime est extrême,
Mais souvent il est beau de se vaincre soy-mesme,
Et d’attacher sa gloire à ce pompeux* éclat
1260 Dont brille le pardon d’un indigne attentat*.

SINORIX.

Madame, c’est à quoy j’avois sçeu me contraindre,
A Sostrate déjà j’ostois tout lieu de craindre,
Et faisant sur moy-mesme un genereux*effort*,
Je laissois la Princesse arbitre de son sort ;
1265 Mais avec tant d’orgueil, mais avec tant d’audace
Tous deux ont dédaigné que je leur fisse grace,
Qu’il faut qu’un châtiment aussi juste que prompt
Par le sang du perfide en repare l’affront.

CAMMA.

Quoy, la pitié pour luy ne touche point vostre ame,
1270 Luy qui vous fut si cher, luy qu’enfin…

SINORIX.

Ah, Madame,
Que vous concevez mal, en pressant ma pitié,
Quelle horreur à l’outrage adjouste l’amitié !
Le coup que de tout autre on verroit sans colere
Nous arrache le cœur quand la main nous est chere,
1275 Et l’oubly ne pouvant jamais s’en obtenir,
Ce cœur devient par là plus ardent à punir.
Si j’ay chery Sostrate, aprés son parricide*
J’aime mieux le voir mort que de le voir perfide,
Et trouve plus de peine en ce rude combat
1280 A haïr un amy qu’à punir un ingrat.

CAMMA.

Mais enfin à present que je me vois remise
De ce trouble où tantost m’engageoit la surprise,
J’oys sans cesse mon cœur me reprocher tout bas {p. 54}
Que j’ay fait son peril, et ne l’en tire pas.
1285 Non que s’il s’agissoit encor de vostre teste
A de plus vifs efforts* cette main ne fust preste,
Mais si vous tenez tout d’un genereux* secours,
Pour les vostres sauvez je demande ses jours.

SINORIX.

Quel indigne party la pitié vous fait prendre !

CAMMA.

1290 Estant sans interest je voudrois m’en défendre,
Mais quoy que vostre haine ait droit d’en murmurer,
Ayant fait son malheur je dois le reparer.

SINORIX.

Mais songez qu’évitant la peine qu’il merite…

CAMMA.

Mais songez que c’est moy qui vous en sollicite,
1295 Et qu’aprés tant de vœux que j’ay peu dédaigner,
S’ils sont ardents pour moy, c’est mal le témoigner.

SINORIX.

S’ils sont ardents pour vous ? qu’on améne Sostrate.
La vangeance déjà n’a plus rien qui me flate*,
Mais qu’au moins un triomphe et si grand et si beau
1300 Sur vostre fier* devoir m’en acquiere un nouveau,
Faites à vostre tour que sa rigueur se rende,
Vous me demandez grace, et je vous la demande ;
Cessez de reculer, pour me voir trop soûmis,
L’effet du doux espoir que vous m’avez permis.
1305 J’estonne* mon respect, il tremble en ce que j’ose,
Mais à qui donne tout vous devez quelque chose,
Et mon couroux vaincu peut-estre a merité
L’entier et prompt adveu* de ma felicité.

CAMMA.

Donc ces fortes raisons par vous mesme approuvées {p. 55}
1310 Sont chimeres en l’air que ma crainte a resvées ?
J’ay montré ma foiblesse à leur trop déferer ?

SINORIX.

Il suffisoit tantost* de me faire esperer,
Mais contre ce devoir et cette bienseance
Qu’opposoit le scrupule à mon impatience,
1315 Le sang où ma vangeance a voulu renoncer
Authorise l’hymen dont j’ose vous presser ;
A ce prix seulement mon cœur vous l’abandonne.

CAMMA.

C’est là ce grand pouvoir que vostre amour me donne ?
Vous m’osez refuser quand j’ay crû ne devoir…

SINORIX.

1320 C’est blesser cét amour, j’en suis au desespoir,
Mais contre les fureurs d’une fiere* Princesse
Dans ce juste refus ma gloire s’interesse,
Et ne sçauroit souffrir* que par ses attentats*,
Elle m’ait fait trembler, et n’en soûpire pas.
1325 Il faut, si le Coupable échape à ma justice,
Que demain vostre hymen me vange et la punisse,
Et que le vain effort* d’un coup si malheureux
Luy coûte la douleur de m’avoir fait heureux.

SCENE III. §

{p. 56}
SINORIX, CAMMA, SOSTRATE, PHAEDIME, SOSIME, PHENICE, GARDES.

SINORIX.

Approche, et quoy qu’ait pû ta criminelle audace,
1330 Pour la seconde fois viens recevoir ta grace.
Ce cœur que rien pour toy ne pouvoit plus toucher,
En faveur de la Reine ose me l’arracher,
Elle est entre ses mains, tu peux l’obtenir d’elle.

CAMMA.

Est-ce me la donner qu’abuser de mon zéle,
1335 Et m’imposer des loix dont le fatal accord,
Ou hazarde ma gloire, ou le livre à la mort ?

SOSTRATE.

Ah, Madame, il se peut que ce choix vous arreste ?
Mon destin est trop beau pour en estre inquiete,
C’est en ternir l’éclat que de me secourir,
1340 Conservez vostre gloire, et me laissez mourir.

SINORIX.

Quoy, traistre, jusqu’au bout obstiné dans ta rage
L’effet de mes bontez te tiendra lieu d’outrage ?
Ta grace t’est offerte, il est vray ; mais apprens
Que c’est contre mes vœux que pour toy je me rends ;
1345 Que tout ce qu’ont d’horreur les plus affreux supplices
Feroit à te punir mes plus cheres delices,
Et que j’attacherois leur plus charmant transport* {p. 57}
A goûter à longs traits le plaisir de ta mort.
Aprés un tel adveu* fuy tes fieres* maximes,
1350 Fais encor vanité de voir punir tes crimes,
Aux bontez de la Reine oppose tes refus.

CAMMA.

Quoy, j’aurois fait pour luy des efforts* superflus ?
Ah, songez…

SINORIX.

Non, Madame, il y va de ma gloire,
Souffrez à* mon amour cette juste victoire ;
1355 Je sçay que resister lors que vous commandez
C’est trahir le respect que vous en attendez,
Mais je dois à mon rang pour punir la Princesse,
Ou le sang d’un perfide, ou l’hymen que je presse.
Si mon bonheur trop prompt a dequoy vous gêner*
1360 A son lâche destin daignez l’abandonner ;
Il ne vaut pas, l’ingrat, que par reconnoissance,
Vous vous fassiez pour luy la moindre violence,
Ny qu’il coûte à ce cœur qu’ont charmé vos appas*
Le pressant déplaisir* de ne vous ceder pas.
1365 Mais enfin c’est en vain que l’amour m’y convie,
Vostre main seule a droit de racheter la vie,
Et vous pouvez choisir, si ce prix est trop haut,
De monter sur le Trône, ou luy sur l’échafaut.
C’est dequoy j’attendray la réponce certaine.
1370 Qu’on se tienne éloigné par respect pour la Reine.
Je le laisse avec vous afin que ses advis,
S’ils flatent* vos souhaits, puissent estre suivis.

SCENE IV. §

{p. 58}
CAMMA, SOSTRATE.

CAMMA.

Sous quel voile trompeur le lâche se déguise !
A me tyranniser sa gloire l’authorise,
1375 Quand il m’arrache l’ame, il agit par vertu ?
Ah, Sostrate, Sostrate, à quoy me reduis-tu ?

SOSTRATE.

A daigner, pour le prix de l’amour le plus rare,
Avoüer mon destin de l’heur* qu’il me prepare,
Et laissant Sinorix dans son aveuglement,
1380 Honorer d’un soûpir la perte d’un Amant.

CAMMA.

Tu dois estre content si ton erreur t’est chere,
Ton amour l’a fait naistre, et je sçauray la taire,
Tu le veux, j’y consents, elle aura son effet.

SOSTRATE.

Ah, puisqu’il est ainsi, que je meurs satisfait !
1385 Madame…

CAMMA.

Quoy, mourir ? tu me crois assez lâche
Pour te livrer au sort dont ta vertu m’arrache ?
Si je cache l’abus qui t’expose à perir,
C’est par la seule peur de te mal secourir.
Le Tyran redoublant la rage qui l’anime
1390 De ton amour pour moy te pourroit faire un crime,
Et dans son desespoir, sa fureur le pressant*,
Confondre le coupable avecque l’innocent.
Ainsi mon imprudence, à suivre cette envie, {p. 59}
Du moins à ce peril exposeroit ta vie,
1395 Et quand je te la dois c’est à moy de trouver
L’infaillible moyen de te la conserver.

SOSTRATE.

Quel moyen où l’amour n’a point eu de puissance ?

CAMMA.

Celuy que d’un Tyran m’offre la violence.

SOSTRATE.

Quoy, Madame…

CAMMA.

Je tremble à me le proposer,
1400 J’en fremis, mais enfin il le faut épouser.

SOSTRATE.

Luy contre qui tantost* vous osiez entreprendre ?

CAMMA.

Luy dont encor le sang me plairoit à répandre,
Luy dont, si le hazard m’offroit un coup certain,
Au peril de cent morts j’irois percer le sein ;
1405 Mais cette occasion si difficile à prendre,
Tu me mets hors d’estat de la pouvoir attendre,
Ta vie est en danger, et pour te secourir
Il me faut faire plus mille fois que mourir.
Il me faut consentir qu’un honteux hymenée
1410 A mon lâche Tyran joigne ma destinée,
Il me faut violer les devoirs les plus saints,
Ne me condamne point, c’est toy qui m’y contrains,
C’est toy qui t’opposant à ma noble colere
Me plonges dans un gouffre où tout me desespere,
1415 Où quoy que mes malheurs offrent à mes regards,
Ce n’est qu’accablement, qu’horreur de toutes parts,
Où d’un triste* devoir déplorable victime
Je connois, je deteste, et couronne le crime,
Mais je raisonne en vain sur un point resolu, {p. 60}
1420 Il n’y faut plus penser, c’est toy qui l’as voulu.

SOSTRATE.

Et bien, de tous ces maux où seul je vous expose
Souffrez vous* la douceur de voir punir la cause,
Et ne m’enviez point la gloire d’une mort
Qui de tant de malheurs affranchit vostre sort.
1425 Par ce profond respect dont l’asseurance offerte…

CAMMA.

Moy, que si lâchement je consente à ta perte ?
Que te devant le jour je t’en laisse priver ?

SOSTRATE.

Helas, Madame helas ! pouvez-vous me sauver ?
En l’estat où je suis ma mort est asseurée,
1430 Mon maistre et mon amour à l’envy l’ont jurée,
Et je la voy par tout certaine à recevoir, *
Ou d’un arrest funeste, ou de mon desespoir.
Rendre par vostre hymen cét arrest inutile,
Pour une seule mort c’est me livrer à mille ;
1435 C’est changer la douceur du sort le plus heureux
En tout ce que sa haine a jamais eu d’affreux.
Mon ame à ce penser* de frayeur possedée
D’un si cruel revers n’ose prendre l’idée,
Ny montrer à mes sens interdits*, égarez,
1440 Toute l’horreur des maux que vous me préparez,
Leur menace déjà rend mon tourment extréme.
Madame, par pitié sauvez-moy de moy-mesme,
Et ne remettez point à mes vives douleurs
A contraindre ma main de finir mes malheurs.

CAMMA.

1445 Le dessein que je prens t’est un rude supplice,
Je le sçay, mais toy-mesme en loüeras la justice,
Puisque par sa rigueur je rens ce que je doy
A ce qu’a fait ton zéle et pour et contre moy.
A m’arrester le bras et m’immoler ta vie [F ;61]
1450 Tu m’as en mesme temps offencée et servie,
Et je dois par l’hymen dont tu me vois presser*
Te punir tout ensemble et te recompenser.
Devant tout aux motifs de ta noble imposture,
Il m’acquite vers toy par le jour qu’il t’asseure,
1455 Et m’ayant outragée à secourir ton Roy,
Par l’horreur de me perdre il me vange de toy.
Ainsi des deux costez il fait plus qu’on ne pense,
En payant le service il repare l’offence,
Et de tes jours sauvez te faisant un tourment,
1460 Au prix qui les rachete il joint le châtiment.

SOSTRATE.

Quelle justice, helas, vostre haine authorise ?
J’ay rompu, je l’advouë, une triste* entreprise,
Mais ce crime est-il tel que bien examiné
Il merite la peine où je suis condamné ?
1465 Faut-il que mon devoir toûjours inébranlable
M’attire un châtiment qui n’a point de semblable,
Et pour vous satisfaire en de si rudes coups
La mort que je demande en est-elle un trop doux ?

CAMMA.

Si la severité* qu’exerce ma vangeance
1470 Paroist à ton amour au dessus de l’offence,
Aussi, quoy que pour moy ton zéle* ait entrepris,
Tu vois que le service est au dessous du prix.
C’est une illustre mort que ton amour affronte,
Mais pour la détourner je me couvre de honte,
1475 Ton zéle* à mon peril sacrifioit tes jours,
Et j’immole ma gloire à celuy que tu cours.
Pour toy je l’asservis au sort le plus infame,
De mon Tyran pour toy j’ose me rendre femme,
Deshonorer mon rang, obscurcir ma vertu.
1480 Sostrate, encor un coup, à quoy me reduis-tu ?

SOSTRATE.

Mais vous mesme obstinée à me perdre, à vous nuire, {p. 62}
A quoy, Madame, à quoy vous osez-vous reduire ?
Au plus honteux projet vostre cœur se resout,
Il le sçait, il le voit.

CAMMA.

Je vois tout, je sçais tout,
1485 Mais en vain de mon sort l’épouventable image
Te laisse quelque espoir d’ébranler mon courage.
Pour te sauver le jour l’effort* est resolu,
Je te l’ay déjà dit, c’est toy qui l’as voulu.

SOSTRATE.

Dites, dites plustost que du Trône touchée
1490 Vostre ame à la vangeance enfin s’est arrachée,
Et voit avec plaisir le supréme pouvoir
Estouffer par empire un si juste devoir ;
Que des vœux* d’un Sujet l’importune memoire
D’un reproche honteux accabloit vostre gloire,
1495 Et que quoy que vers vous ait merité ma foy*,
Il falloit les confondre en épousant un Roy.
Dites qu’à les souffrir* vous ayant sçeu contraindre,
Le sort le plus cruel ne me rend point à plaindre,
Que si vous conceviez une plus rude mort…
1500 Mais où m’emporte, helas ! mon aveugle transport* ?
A sa coupable audace ordonnez un supplice,
Madame, je le sçay, je vous fais injustice,
Mais ce cœur déchiré par mille affreux combats,
S’il vous en faisoit moins, ne vous aimeroit pas.
1505 Dans l’excez des malheurs que le Ciel m’a fait naître,
Qui ne se connoit plus, peut ne vous pas connoître,
Je me pers, je m’égare, et dans mon desespoir
Je ne puis écouter ny raison, ny devoir,
Mon amour s’abandonne au torrent qui l’entraîne.

SCENE V. §

{p. 63}
CAMMA, HESIONE, SOSTRATE.

SOSTRATE.

1510 Ah, Madame, empeschez le dessein de la Reine,
Trop injuste pour vous, trop aveugle pour moy,
Pour me sauver la vie, elle épouse le Roy.

HESIONE.

On m’apprend à quel prix il t’est permis de vivre,
Et je n’ay point douté de ce que je voy suivre.
1515 Le zéle est genereux*, et j’ay bien à rougir
Qu’où mon cœur n’ose rien une autre vueille agir.
L’effort* que je refuse à ma reconnoissance
Par sa seule pitié la Reyne s’y dispense*,
Et pour sauver tes jours d’un arrest inhumain,
1520 Je n’offre que du sang, elle donne la main.
D’un plus noble triomphe eut-on jamais la gloire ?

CAMMA.

Il peut me coûter plus que vous ne voudrez croire.

HESIONE.

Comme de son éclat tout mon cœur est surpris,
Je l’examine assez pour en sçavoir le prix.
1525 On veut perdre Sostrate, et quand je l’abandonne,
Daigner monter au Trône et prendre une Couronne
Pour l’arracher au sort dont il est combatu*,
C’est l’effet d’une rare et sublime vertu.

CAMMA.

Chacun dans ses malheurs est juge de la sienne, {p. 64}
1530 Mais, Princesse, aujourd’huy que rien ne vous retienne,
Je ne déguise point ce que vous connoissez,
Pour rompre mon hymen éclatez, agissez,
Puisqu’il empesche seul un injuste supplice,
Puisqu’il sauve Sostrate…

SOSTRATE.

Ah, souffrez* qu’il perisse,
1535 Qu’il remplisse en mourant la gloire de son sort.
à Hesione.
Madame, s’il se peut, obtenez-moy la mort,
Empeschez l’injustice où se porte la Reine.

HESIONE.

Non, non, Sostrate, non, ton esperance est vaine,
Lors que l’offre d’un Trône a droit de nous flater*,
1540 Quels qu’en soient les degrez, il est beau d’y monter.
C’est par là qu’on s’asseure une illustre memoire.

CAMMA.

Il est divers* chemins qui ménent à la gloire.

HESIONE.

Y pretendre arriver par des moyens si bas,
Ce sont de vos secrets qu’on ne penetre pas.

CAMMA.

1545 Je n’ay point d’autre choix dans celuy qu’on me laisse,
Nommez-en les motifs injustice, bassesse,
Pour moy qui fuis l’aigreur* d’un plus long entretien,
Je porte ma réponce, et n’écoute plus rien.

SCENE VI. §

{p. 65}
HESIONE, SOSTRATE.

SOSTRATE.

Madame… elle nous quitte. O cœur impitoyable !
1550 Pouvois-je craindre, helas ! un sort plus effroyable ?
Princesse…

HESIONE.

Va, c’est trop, quitte ce desespoir,
Sostrate, ton amour a bien fait son devoir.
Pour vaincre les malheurs dont je suis poursuivie
Tu m’as aveuglement sacrifié ta vie ;
1555 Si les Dieux ont trahy ton espoir et le mien,
N’en estant point garand, je ne t’impute rien,
Calme ces déplaisirs* à qui ta raison cede.

SOSTRATE.

Ne me consolez point, mes maux sont sans remede,
Et quand le Ciel s’obstine à me pousser à bout,
1560 Madame, c’est à moy de répondre de tout.

HESIONE.

Si pour t’obtenir grace aprés ton entreprise
A l’hymen d’un Tyran la Reine s’authorise,
C’est par là que les Dieux peut-estre ont resolu*
De remettre en mes mains le pouvoir absolu.
1565 Tout le peuple en secret plaignant ma destinée
De Sinorix pour moy souhaite l’hymenée,
Et nous verrons du sang sans doute répandu
S’il voit qu’elle partage un Trône qui m’est dû.
Conserve-moy ton zele*, et pour heureux présage {p. 66}
1570 Voy ta Princesse ferme au milieu de l’orage.
Adieu, je vais agir, cependant souviens-toy
Que tu peux, si je regne, esperer tout de moy.
Elle sort et Sosime rentre.

SOSTRATE.

Quel espoir où je vois abysme sur abysme,
Où les Dieux irritez, où la Reine… Ah, Sosime !

SOSIME.

1575 Seigneur, si la pitié que j’ay de vostre sort…

SOSTRATE.

Allons, et s’il se peut, qu’on me méne à la mort.

Fin du quatrième Acte.

{p. 67}

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

SOSTRATE, SOSIME.

SOSTRATE.

Quoy, d’un si dur revers ma disgrace* est suivie,
Sosime, et malgré moy l’on me laisse la vie ?

SOSIME.

Seigneur, vous plaignez-vous quand cét illustre effort*
1580 Vous épargne l’horreur d’une honteuse mort ?
Sinorix a donné sa vangeance à la Reine,
Mais aprés ce triomphe obtenu sur sa haine,
Ce qui suit, quoy que juste, estonnant* vos desirs
Vous contraindra sans doute à pousser des soûpirs.

SOSTRATE.

1585 Je sçay quel coup affreux la Fortune me garde,
La Reine…

SOSIME.

Ce malheur n’a rien qui la regarde,
C’est à vostre amour seul qui s’offre à redouter.
La Princesse tantost a voulu s’emporter ;
Contre l’ambition d’une Reine infidelle, {p. 68}
1590 Peuple, a-t’elle crié, prendras-tu ma querelle* ?
C’est pour la couronner que me manquant de foy*
Un Tyran a trahy la Fille de ton Roy.
Par ces mots pleins d’ardeur allant de place en place
Dans les cœurs les plus froids elle a mis de l’audace,
1595 Et les auroit contraints peut-estre d’éclater
Si soudain Sinorix ne l’eust fait arrester.
Dans son appartement il la tient prisonniere,
Et comme on ne peut rien sur une ame si fiere*,
Je crains que cét effort* imprudemment tenté
1600 Ne le force à l’exil qu’il avoit arresté.

SOSTRATE.

Mais la Reine, Sosime, à quand son hymenée ?

SOSIME.

La pompe* vient, Seigneur, d’en estre terminée.

SOSTRATE.

Quoy, c’en est déjà fait ? ah destins ennemis !
La Reine est mariée, et les Dieux l’ont permis.
1605 Au moins, dy moy, Sosime, en cette rude atteinte
Ce qu’elle a témoigné de douleur, de contrainte.
C’est pour moy qu’à l’hymen son cœur violenté…

SOSIME.

Cessez, cessez, Seigneur, d’en estre inquieté.
Dans les biens les plus grands que le Ciel nous envoye
1610 Jamais sur un visage on n’a veu plus de joye.
Tandis que Sinorix donne ordre aux Factieux,
Dans le Temple enfermée elle invoque les Dieux,
Où si tost qu’il paroist, se voyant sans Rivale,
Elle fait apporter la Coupe Nuptiale,
1615 Baise le sacré Vase, et s’approchant du Roy,
Dieux, dit-elle, soyez les témoins de ma foy*.
Là pour suivre nos loix le portant à la bouche, {p. 69}
On lit dedans ses yeux le plaisir qui la touche,
Et le Roy que possede un transport* éclatant,
1620 Prend de sa main le vase, et l’imite à l’instant.
Vers le grand Prestre alors l’un et l’autre s’avance,
On voit croistre leur joye où leur bonheur commence,
Et c’est-là qu’aussi-tost s’estant donnez la foy*
L’hymen tout glorieux les unit sous sa loy.
1625 Jugez par là, Seigneur, si vous avez à craindre
Que la Reine pour vous ait voulu se contraindre,
Elle aspiroit au Trône, et par de si beaux nœuds*,
En vous sauvant la vie, elle a remply ses vœux.
Il est doux d’obliger* quand on gagne un Empire.

SOSTRATE.

1630 Ah, Sosime, c’est trop, souffre* que je respire,
Si mes maux sont si grands laisse-moy l’ignorer,
Et ne t’obstine point à me desesperer.
Avec tant de vertu seroit-il bien possible
Qu’aux douceurs d’un faux charme on se rendist sensible,
1635 Et que pour s’asseurer un indigne pouvoir
On renonçast à tout, à la gloire, au devoir ?
Non, non, cette pensée est lâche et criminelle,
Je la dois mieux connoistre, elle a l’ame trop belle,
C’est moy qui l’ay contrainte à ce funeste effort*,
1640 Mais elle est mariée, et je ne suis pas mort.
C’est icy, mes douleurs, que j’implore vostre aide,
Peignez-moy bien l’horreur du mal qui me possede,
La Reine est mariée, et pour finir mes jours
Mon desespoir n’attend que ce triste* secours.

SOSIME.

1645 Que dites-vous, Seigneur, et que viens-je d’entendre ?

SOSTRATE.

Ce qu’au Roy, ce qu’à tous il faut enfin apprendre, {p. 70}
Dans les maux où le Ciel a voulu m’exposer,
Qui n’espere plus rien n’a rien à déguiser.

SCENE II. §

SINORIX, SOSTRATE, SOSIME, Suite de Sinorix.

SINORIX.

Tu parois encor, lâche, et quand ta perfidie
1650 Joint ta gloire soüillée à l’amitié trahie,
Loin d’éviter mes yeux, je te vois fierement*
Attendre tout l’éclat de mon ressentiment ;
Mais ne croy plus pour toy que mon couroux l’exprime,
Mon indignation t’abandonne à ton crime,
1655 Et quoy que ton audace aime à le soûtenir*,
C’est en te dédaignant que je te veux punir.

SOSTRATE.

Seigneur, puisqu’à ce point ma peine vous est chere,
Aprenez que le Ciel cherche à vous satisfaire,
Et que tous les tourments l’un sur l’autre amassez
1660 Pour égaler le mien ne feroient pas assez.
Il n’est point de moment où par quelque artifice*
Mon desespoir pour moy ne change de supplice,
Mille maux l’un de l’autre à l’envy renaissants
Accablent ma raison, et confondent* mes sens,
1665 Tout me nuit, tout me perd, tout me devient funeste.

SINORIX.

Quoy, de tant de fierté* c’est-là ce qui te reste,
Et las à me braver de perdre tes efforts*, {p. 71}
Tu ne crois plus honteux de ceder au remords ?

SOSTRATE.

Non, Seigneur, au remords rien ne peut me résoudre,
1670 Quand vous me condamnez la gloire sait m’absoudre,
J’ai montré quelque audace, et pour n’en point rougir
Ce me doit estre assez qu’elle m’ait fait agir ;
Mais helas ! j’en ay beau suivre par tout les traces,
Je connois mes forfaits à mes tristes* disgraces*,
1675 Et malgré tout mon zéle à ses conseils uny
Je me tiens criminel quand je me voy puny.
Aveugle jusqu’icy dans l’ardeur qui me presse
Vous m’avez plaint d’aimer une ingrate Princesse,
Mais enfin éclairé par un revers fatal
1680 Connoissez vostre erreur, et l’excez de mon mal,
J’aime, j’aime la Reine, et l’amour dans mon ame
A transmis en secret tout ce qu’il a de flame*,
Mon cœur à l’adorer met son plus doux appas*,
Cependant, je la voy, Seigneur, entre vos bras,
1685 Je la pers, et sa perte à ce tourment m’expose
Qu’accablé de l’effet je fremis de la cause ;
On croit me faire grace à trahir mon amour,
Et quand on m’assassine on me sauve le jour.
Que me servent ces jours qu’on cesse de poursuivre
1690 Si l’on m’oste le bien sans qui je ne puis vivre ?
Ah, pour ce dur supplice il n’est point de forfait,
C’est m’avoir trop puny que ne l’avoir pas fait,
Par là vostre rigueur va jusques à l’extréme,
Elle m’arrache au Sort, et me livre à moy-mesme.
1695 Il faut y consentir, et forcer* mon devoir
A vous laisser joüir de tout mon desespoir,
Je l’estale à vos yeux, triomphez de ma peine.

SINORIX.

C’est donc là d’où partoient les refus de la Reine ? {p. 72}
Toûjours traistre, toûjours infidelle à ton Roy
1700 Tu détournois ses vœux quand ils panchoient vers moy.
Je ne m’estonne* plus si tes serments sans cesse
Osoient de ton forfait affranchir la Princesse.
Quoy qu’avec toy sa haine eust juré mon trépas
Un interest plus fort armoit déja ton bras,
1705 Tu feignois par amour d’applaudir à sa rage
Tandis qu’une autre ardeur eschauffoit ton courage,
Et que l’heureux succez qui suivoit mes desirs
Te pressoit dans mon sang d’estouffer tes soûpirs.
Ainsi plus lâche encore qu’on ne pouvoit connoistre
1710 Tu trahissois ensemble et la Reine et ton Maistre,
Puisque le coup fatal qu’elle a sçeu m’épargner,
En me privant du jour, l’empeschoit de regner.

SCENE III. §

SINORIX, CAMMA, SOSTRATE, SOSIME, PHENICE, Suite.

SINORIX.

Madame, sçavez-vous quelle esperance offerte
Avoit poussé Sostrate à resoudre ma perte ?
1715 Son orgueil jusqu’à vous ayant porté ses vœux
S’indignoit d’un hymen qui me rendoit heureux,
Et ma mort…

CAMMA.

Je le sçay, mais, Sinorix, écoute, [G ;73]
Il est d’autres secrets dont tu peux estre en doute,
Et j’ay quelques clartez acquises par hazard
1720 Dont il est juste enfin que je te fasse part.
Mon hymen, si j’en croy les transports de ta flame*,
Faisoit l’unique bien qui pûst toucher ton ame,
Et malgré tes soûpirs tant de fois repoussez
Tes vœux de ce costez viennent d’estre exaucez.
1725 Ainsi le Ciel souscrit à quoy que tu pretendes,
Je t’ay donné la main, tu regnes, tu commandes,
Et tu ne vois plus rien dont la possession
Irrite ton amour ou ton ambition ;
Mais quand tout à l’envy répond à ton attente,
1730 Si l’on te voit content, je ne suis pas contente,
Et mon triste* devoir toûjours inquieté
Me demande raison de ta félicité.
Sinatus ennuyé* d’un assez long veufvage
Admira quelque éclat dont brilloit mon visage,
1735 Et d’un second hymen ayant pris le dessein,
Son amour aussi-tost m’honora de sa main,
Tu le sçais, et qu’il m’eut à peine couronnée
Qu’un fatal accident trancha sa destinée,
Sa mort fut impréveuë, et sans s’inquieter
1740 Au malheur de son âge on voulut l’imputer.
Pour moy, que de ce coup surprit la promptitude,
Je mis à l’averer ma plus pressante étude,
Et découvris enfin, sans qu’on l’ait soupçonné,
Que ce Roy malheureux mourut empoisonné.

SINORIX.

1745 Empoisonné, Madame ? ah, coupable entreprise !

CAMMA.

Il n’est pas temps encore de montrer ta surprise,
S’il t’est advantageux de la faire éclater, {p. 74}
Ce que tu vas oüir la pourra mériter.
Acheve cependant de me prester silence
1750 Du sort de Sinatus j’ay donc eu connoissance,
Et l’horreur d’un forfait et si lâche et si noir
Laisse mes sentimens aisez à concevoir.
La plus pressante ardeur que pour punir un traistre
La vangeance jamais dans un cœur ait fait naistre,
1755 Tout ce que peut la haine y joindre de soûtien*,
Pour vanger son trépas se trouva dans le mien.
A ses Manes sacrez un zele inviolable
Me fit jurer soudain d’immoler le Coupable,
Et le Ciel m’est témoin si dans ce triste* cœur
1760 Rien égala jamais une si noble ardeur.
Cependant de mon sort telle est la perfidie,
Que quoy que cette ardeur ne soit point refroidie,
Que sa mort de mes vœux soit l’objet le plus doux,
Je n’ai pû m’affranchir* d’en faire mon Espoux.

SINORIX.

1765 Quoy, Madame…

CAMMA.

Tu vois, t’expliquant l’entreprise,
Si j’avois lieu d’abord d’arrester ta surprise,
Et de dire, en parlant d’un poison odieux,
Que ce qui le suivoit la meriteroit mieux ?

SINORIX.

Ah, Madame…

CAMMA.

Non, non, Sinorix, tu t’abuses
1770 Si tu crois que je veüille entendre des excuses,
A des vœux criminels tu t’es abandonné,
Sinatus leur nuisoit, tu l’as empoisonné.

SINORIX.

Pour asseurer sa flame*, et détruire ma gloire,
C’est-là ce qu’un perfide ose vous faire croire ?

SOSTRATE.

1775 Moy, Seigneur ? {p. 75}

SINORIX.

Vous aimant, il a crû reüssir
Si de quelque grand crime il pouvoit me noircir ?

CAMMA.

C’est le connoistre mal ; pour un Maistre infidelle
Je puis répondre, helas ! qu’il n’a que trop de zele,
Et que si dans ma haine on pouvoit m’ébransler,
1780 Les soins* qu’il en a pris l’auroient fait chanceler.
C’est-là son déplaisir* qu’avec impatience
Il me voye aspirer sans cesse à la vangeance,
Et ne puisse opposer qu’un inutile effort*
A cette avidité de poursuivre ta mort.

SINORIX.

1785 Vous, la poursuivre ! vous, dont le secours propice
Du coup qui me perdoit a rompu l’injustice !
Vous, qui me dérobant aux fureurs d’un ingrat…

CAMMA.

Va, ne t’abuse point sur ce noble attentat*,
Et cesse à ma pitié, dans l’erreur qui te flate*,
1790 D’imputer un secours que tu dois à Sostrate.
Quand ma haine te porte un poignard dans le sein
C’est luy pour t’en sauver qui m’arreste la main,
Trop fidelle Sujet il m’oste ma victime,
Trop genereux* Amant il prend sur luy mon crime,
1795 Et je ne l’ay souffert* qu’afin de m’asseurer
Une autre occasion de pouvoir conspirer.
Comme l’hymen oblige à quelque confiance,
Voilà dequoy j’ay crû te devoir confidence,
C’est à toy là-dessus à te bien consulter.

SINORIX.

1800 Non, vous cherchez en vain à me faire douter.
Les soupçons qu’en vostre ame on aime à faire naistre {p. 76}
Font perir Sinatus par le crime d’un traistre,
Sa mort rend de couroux vostre cœur embrasé,
Et m’en croyant l’autheur vous m’auriez épousé ?

CAMMA.

1805 L’affront m’en fait rougir, l’affront m’en desespere,
Mais puis que je l’ay fait, croy que je l’ay dû faire,
Et tremble d’autant plus que dans ce desespoir
Je sçay ta perfidie, tu connois mon devoir.
C’est t’expliquer assez les projets de ma haine.

SINORIX.

1810 Pour les executer vous aurez peu de peine,
Et la vie à mes vœux n’est pas un bien si doux
Qu’il vaille le malheur d’estre haï de vous.
De vostre hymen sur moy la gloire répanduë
Commençoit à remplir leur plus vaste étenduë,
1815 Mais en le poursuivant comme un bonheur certain,
J’ay cherché vostre cœur, et non pas vostre main.
S’il aime, s’il s’obstine à croire l’imposture,
Ordonnez que mon bras repare vostre injure*,
Il est prest, et par luy tout mon sang répandu
1820 Sçaura…

CAMMA.

Non, mieux que toy je sçay ce qui t’est dû.
Ma vangeance par là flateroit* peu ma peine,
Tu l’offres à l’amour, je la dois à la haine.
Souffrir* que ton remords me la fasse obtenir,
C’est te rendre ta gloire, et non pas te punir.
1825 Il faut que ce couroux que je te laisse à craindre
N’ait rien en te perdant qui me force à te plaindre,
Et que le coup heureux qu’il refuse à ton bras
Me vange de ton crime, et ne l’efface pas.

SINORIX.

Quoy, ce parfait amour dont l’ardeur forte et tendre {p. 77}
1830 Contre la calomnie auroit dû me defendre,
Cet hommage soûmis, ce respect dont jamais…

SCENE IV. §

SINORIX, CAMMA, SOSTRATE, PHAEDIME, PHENICE, SOSIME, Suite.

PHAEDIME.

Ah, Seigneur, les Mutins assiegent le Palais,
Et chacun à hauts cris demandant la Princesse …

CAMMA.

Voy par là que le Ciel avec moy s’interesse,
1835 De ma vangeance enfin secondant les projets
Pour te chasser du Trône il arme tes sujets.
Crains tout de leur revolte, et de l’ardeur soudaine
Qu’a mise…

SINORIX.

Ah, je ne crains que vostre seule haine.
Madame, au nom des Dieux daignez regler mon sort,
1840 Donnez moy vostre amour, ou m’accordez la mort,
L’arrest à son defaut m’en sera favorable.
Pourquoy le differer si je suis crû coupable ?
Pourquoy n’ordonner pas qu’aux Manes d’un Heros…

CAMMA.

Va, songe à tes Mutins, et me laisse en repos,
1845 Si le Trône t’est dû, cherche à n’en point descendre.

SINORIX.

Pour vous le conserver il faut l’aller défendre, {p. 78}
J’y cours, et pour dompter de lâches Factieux
J’appelle icy sans peur la justice des Dieux ;
Mais aprés le succez qu’elle m’offre infaillible
1850 Si l’abus rend toûjours vostre haine inflexible,
Ce cœur qui ne voit rien de si rude à souffrir*
Ne prend plus que de moy les ordres de mourir.

SCENE V. §

CAMMA, SOSTRATE, PHENICE.

CAMMA.

Quoy, le peuple peut-estre en veut à ma personne
Et dans ce grand peril Sostrate m’abandonne ?
1855 Arreste, j’ay besoin icy de ton secours.

SOSTRATE.

Le Destin veut ma mort, il la presse, et j’y cours,
La vouloir retarder dans l’ennuy* qui m’accable
C’est m’exposer encor à devenir coupable ;
De mes tristes* regards l’indiscrete langueur
1860 Vous reproche déja vostre ingrate rigueur,
Le respect aura beau m’opposer ses maximes,
Si je parle aprés eux je vais faire cent crimes,
Ostez en le pouvoir à mon juste couroux,
Et me laissez mourir sans me plaindre de vous.

CAMMA.

1865 Que l’on m’approche un siege. Il n’est plus temps, Sostrate,
D’empescher contre moy que ce couroux n’éclate.
Puisqu’on sçait ton amour, plains toy, condamne moy, {p. 79}
Dy que l’ambition m’a fait trahir ma foy*.
Si pourtant la raison éclairoit ta colere,
1870 Ce que tu viens d’oüir t’auroit dû satisfaire,
Le sort de Sinorix n’est pas un sort trop doux.

SOSTRATE.

Madame, il est haï, mais il est vostre époux.
A la vangeance en vain le devoir vous entraîne,
Ce titre malgré vous suspendra vostre haine,
1875 Et ce devoir confus va craindre à l’avenir
De faire un parricide* à l’en vouloir punir.
C’en seroit un sans doute, et je voy sans me plaindre
Qu’innocent ou coupable, il n’ait plus rien à craindre,
Mais fussent vos transports encor plus éclatants,
1880 Qui n’a plus à punir ne peut haïr long-temps.
Ainsi, Madame, ainsi sa victoire est certaine,
Il sçaura vous reduire à perdre vostre haine,
Et son heureux triomphe augmentant chaque jour,
S’il n’a plus vostre haine, auray-je vostre amour ?
1885 Non, non, j’en crois en vain posseder l’avantage,
Vos scrupules voudront en faire son partage,
Et s’ils tiennent jamais vostre couroux borné,
Vous luy devrez ce cœur que vous m’avez donné.
Déja, déja sans doute, encore qu’on me le cache,
1890 De ce triste* devoir la rigueur me l’arrache,
C’en est fait, je le pers, et toutefois, helas !
J’aurois bien merité de ne le perdre pas.
Pour m’imposer l’horreur d’une peine semblable
Le crime n’est pas grand de n’estre point coupable,
1895 Et peut-estre jamais tant de severité*
N’a puny le refus d’une infidelité.
Mais je me plains à tort d’un si rude supplice,
Puisqu’il vous met au Trône, il est plein de justice,
Joüissez des douceurs d’un si glorieux sort, {p. 80}
1900 Le prix en est leger s’il ne faut que ma mort.
Elle est, elle est trop deuë à ce feu* temeraire
Dont l’orgueil à ma Reine eut l’audace de plaire.
Pour effacer l’affront qu’il vous a fait souffrir*,
C’est à vous de regner, c’est à moi de mourir.
1905 J’y cours, j’y cours, Madame, et ma rage secrete
Vous va mettre en estat de regner satisfaite,
Heureux, s’il m’est permis, pour tromper mes malheurs,
De vous dire en mourant, c’est pour vous que je meurs.

CAMMA.

Tout t’est permis, Sostrate, et tu vois mon silence
1910 Souffrir* de ta douleur l’entiere violence,
Parle, accuse, condamne un projet important,
Peut-estre l’heure est proche où tu seras content.

SOSTRATE.

Où je seray content ? Et le puis-je, Madame,
Dans l’affreux desespoir où vous voyez ma flame* ?
1915 Tout l’augmente, et je fais cent efforts* superflus…
{p. 81}

SCENE VI. §

CAMMA, SOSTRATE, SOSIME, PHENICE, Suite.

SOSIME.

Ah, Madame, le Roy…

CAMMA.

Parle, et bien ?

SOSIME.

Ne vit plus.

SOSTRATE.

Quoy, de nos Factieux la troupe mutinée…

SOSIME.

Non, Seigneur, apprenez la triste* destinée.
A peine pour punir leurs nouveaux attentats*
1920 Vers le lieu du tumulte il a fait quelques pas,
Que dans l’âpre douleur de voir tousjours la Reine,
Malgré ta foy* receuë, obstinée en sa haine,
Tout à coup il s’arreste, et poussant de longs cris
Fait voir un changement dont nous sommes surpris.
1925 Il agit sur le corps si sa cause est dans l’ame,
Ses yeux sont égarez, son visage s’enflame,
Et soudain sous l’effort* d’un accez different
Une froide sueur le rend pâle et mourant.
C’est lors que succombant au tourment qui le presse*
1930 Il cherche entre nos bras une aide à la foiblesse,
Et quand de tous costez on appelle au secours,
Voicy l’instant fatal qui doit borner mes jours,
A cet ordre eternel c’est en vain qu’on s’oppose, {p. 82}
Je meurs, dit-il, je meurs, n’en cherchez point la cause,
1935 Je la sçay, mais bien loin d’en oser murmurer,
Je me trouve en secret contraint de l’adorer.
Le Ciel qui tost ou tard se découvre équitable
Se plaist à me punir par où je suis coupable,
Et m’avoit bien prédit que malgré tous mes soins*
1940 Je recevrois la mort d’où je l’ay crû le moins.
Je la sens qui s’approche, et je mourrois sans peine
Si j’osois me flater* d’obtenir de la Reine…
Là, trop pressé d’un mal qu’il ne peut plus souffrir*,
Achevant de parler, il commence à mourir,
1945 Ses soûpirs languissants témoignent qu’il expire,
Il nomme encor la Reine, et ne peut plus rien dire,
Il meurt, et sur ce bruit chacun de voix en voix
Esleve la Princesse au Trône de nos Rois.

CAMMA.

Enfin, Sostrate, enfin, grace à mon hymenée,
1950 Voicy pour mes desirs une illustre journée,
Ma vangeance est remplie, et je meurs sans regret.

SOSTRATE.

Quoy…

CAMMA.

Dy qu’un Trône a sçeu m’ébloüir* en secret,
Dy qu’il m’a fait tahir une amour* sans égale ;
J’avois empoisonné la coupe nuptiale,
1955 Et n’ay donné ma foy* que sur le doux espoir
D’en obtenir la mort que j’ay fait recevoir.

SOSTRATE.

La Reine empoisonnée !

PHENICE.

Ah, Madame !

SOSTRATE.

Ah, Phenice,
Viste, à la secourir…

CAMMA.

Tu me fais injustice, {p. 83}
Si la douceur de vivre eust flaté* ma raison
1960 J’aurois sçeu prévenir la force du poison,
Laisse agir son pouvoir, le Sort ainsi l’ordonne.

SOSTRATE.

Qu’aux lâchetez du Sort ce cœur vous abandonne !
Que mes soins*, mes malheurs, tout soit perdu pour moy !

CAMMA.

Je n’ay rien oublié de ce que je te doy,
1965 Mais dans l’estat honteux où de peur de te nuire
Par l’hymen d’un Tyran il m’a falu reduire,
Quand j’en ay dans mon cœur le reproche à souffrir*
Il n’est point en mon choix de vivre ou de mourir.
C’est à moy d’effacer une tache si noire,
1970 J’ay rachepté ta vie aux dépens de ma gloire,
Et tu dois consentir qu’aprés ce grand secours
Je rachete ma gloire aux dépens de mes jours.
Vy content, si pour vivre et soulager ta peine
Il te suffit enfin de sçavoir que ta Reine…
1975 Qu’on m’emporte, je meurs, et mes sens interdits*
On luy aide à marcher pendant qu’elle dit ce dernier vers.

SOSTRATE.

O peu sensible amant ! elle meurt, et tu vis.
Préviens, lâche, préviens…

SOSIME luy retenant la main qu’il porte sur son épée.

Seigneur, qu’allez-vous faire ?

SOSTRATE.

Que vous sert d’empescher un coup si necessaire ?
Pour m’arrester le bras en de pareils ennuis*,
1980 Helas ! me sauvez-vous de la rage où je suis ?

FIN.