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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Thomas Corneille. La Comtesse d'orgueil. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 47 sc. 1061 répl. 1,4 l. 1 486 l. 1 486 l. 32 % 4 647 l. (100 %) 3,1 pers.
LE MARQUIS de Lorgnac 24 sc. 322 répl. 1,5 l. 880 l. (60 %) 490 l. (33 %) 56 % 2 941 l. (64 %) 3,3 pers.
LE CHEVALIER 11 sc. 83 répl. 1,9 l. 437 l. (30 %) 157 l. (11 %) 36 % 1 556 l. (34 %) 3,6 pers.
ORONTE 8 sc. 49 répl. 1,5 l. 228 l. (16 %) 72 l. (5 %) 32 % 893 l. (20 %) 3,9 pers.
ANSELME 10 sc. 94 répl. 1,0 l. 332 l. (23 %) 93 l. (7 %) 29 % 1 248 l. (27 %) 3,8 pers.
OLYMPE 19 sc. 130 répl. 1,3 l. 605 l. (41 %) 167 l. (12 %) 28 % 1 939 l. (42 %) 3,2 pers.
LUCRECE 18 sc. 84 répl. 1,2 l. 508 l. (35 %) 101 l. (7 %) 20 % 1 662 l. (36 %) 3,3 pers.
VIRGINE 22 sc. 153 répl. 1,3 l. 713 l. (48 %) 203 l. (14 %) 29 % 2 577 l. (56 %) 3,6 pers.
LYSE 10 sc. 55 répl. 1,2 l. 360 l. (25 %) 65 l. (5 %) 19 % 1 152 l. (25 %) 3,2 pers.
CARLIN 19 sc. 91 répl. 1,5 l. 585 l. (40 %) 139 l. (10 %) 24 % 1 914 l. (42 %) 3,3 pers.
Thomas Corneille. La Comtesse d'orgueil. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
LE MARQUIS de Lorgnac 1 l. (100 %) 1 répl. 0,2 l. 1 sc. 0 l. (1 %) 1,0 pers.
LE MARQUIS de Lorgnac
LE CHEVALIER
64 l. (64 %) 35 répl. 1,8 l.
38 l. (37 %) 37 répl. 1,0 l.
5 sc. 101 l. (7 %) 4,2 pers.
LE MARQUIS de Lorgnac
ORONTE
30 l. (70 %) 15 répl. 1,9 l.
13 l. (31 %) 17 répl. 0,8 l.
3 sc. 42 l. (3 %) 4,7 pers.
LE MARQUIS de Lorgnac
ANSELME
118 l. (61 %) 80 répl. 1,5 l.
76 l. (40 %) 80 répl. 0,9 l.
10 sc. 193 l. (13 %) 3,8 pers.
LE MARQUIS de Lorgnac
OLYMPE
46 l. (62 %) 31 répl. 1,5 l.
29 l. (39 %) 31 répl. 0,9 l.
4 sc. 74 l. (5 %) 3,7 pers.
LE MARQUIS de Lorgnac
LUCRECE
43 l. (82 %) 23 répl. 1,8 l.
10 l. (19 %) 18 répl. 0,5 l.
3 sc. 52 l. (4 %) 3,7 pers.
LE MARQUIS de Lorgnac
VIRGINE
111 l. (58 %) 73 répl. 1,5 l.
81 l. (43 %) 72 répl. 1,1 l.
9 sc. 191 l. (13 %) 4,0 pers.
LE MARQUIS de Lorgnac
LYSE
29 l. (59 %) 20 répl. 1,4 l.
21 l. (42 %) 18 répl. 1,1 l.
5 sc. 49 l. (4 %) 3,6 pers.
LE MARQUIS de Lorgnac
CARLIN
53 l. (55 %) 44 répl. 1,2 l.
45 l. (46 %) 40 répl. 1,1 l.
12 sc. 97 l. (7 %) 3,5 pers.
LE CHEVALIER
ORONTE
5 l. (34 %) 5 répl. 1,0 l.
10 l. (67 %) 5 répl. 2,0 l.
1 sc. 15 l. (1 %) 3,0 pers.
LE CHEVALIER
OLYMPE
61 l. (58 %) 21 répl. 2,9 l.
45 l. (43 %) 20 répl. 2,2 l.
3 sc. 105 l. (8 %) 3,2 pers.
LE CHEVALIER
LUCRECE
18 l. (60 %) 7 répl. 2,5 l.
13 l. (41 %) 7 répl. 1,7 l.
2 sc. 30 l. (3 %) 3,0 pers.
LE CHEVALIER
VIRGINE
21 l. (93 %) 4 répl. 5,2 l.
2 l. (8 %) 3 répl. 0,5 l.
2 sc. 22 l. (2 %) 4,0 pers.
LE CHEVALIER
LYSE
2 l. (19 %) 1 répl. 1,5 l.
7 l. (82 %) 2 répl. 3,2 l.
1 sc. 8 l. (1 %) 3,0 pers.
LE CHEVALIER
CARLIN
14 l. (57 %) 8 répl. 1,7 l.
11 l. (44 %) 7 répl. 1,5 l.
3 sc. 25 l. (2 %) 4,5 pers.
ORONTE
ANSELME
3 l. (28 %) 4 répl. 0,7 l.
8 l. (73 %) 5 répl. 1,5 l.
2 sc. 11 l. (1 %) 5,6 pers.
ORONTE
OLYMPE
14 l. (40 %) 7 répl. 1,9 l.
21 l. (61 %) 7 répl. 2,9 l.
3 sc. 34 l. (3 %) 3,7 pers.
ORONTE
LUCRECE
28 l. (74 %) 11 répl. 2,5 l.
10 l. (27 %) 10 répl. 1,0 l.
4 sc. 37 l. (3 %) 3,4 pers.
ORONTE
VIRGINE
3 l. (74 %) 2 répl. 1,2 l.
1 l. (27 %) 1 répl. 0,9 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 6,0 pers.
ORONTE
LYSE
4 l. (56 %) 3 répl. 1,0 l.
3 l. (44 %) 4 répl. 0,6 l.
1 sc. 5 l. (1 %) 3,0 pers.
ANSELME
OLYMPE
1 l. (19 %) 2 répl. 0,4 l.
4 l. (82 %) 4 répl. 1,0 l.
1 sc. 5 l. (1 %) 4,0 pers.
ANSELME
VIRGINE
6 l. (64 %) 4 répl. 1,5 l.
4 l. (37 %) 5 répl. 0,7 l.
3 sc. 9 l. (1 %) 4,5 pers.
OLYMPE
LUCRECE
46 l. (53 %) 31 répl. 1,5 l.
42 l. (48 %) 32 répl. 1,3 l.
10 sc. 86 l. (6 %) 3,1 pers.
OLYMPE
VIRGINE
21 l. (24 %) 30 répl. 0,7 l.
68 l. (77 %) 33 répl. 2,0 l.
9 sc. 88 l. (6 %) 3,3 pers.
OLYMPE
CARLIN
5 l. (26 %) 7 répl. 0,6 l.
13 l. (75 %) 7 répl. 1,8 l.
2 sc. 17 l. (2 %) 3,0 pers.
LUCRECE
VIRGINE
16 l. (49 %) 13 répl. 1,2 l.
17 l. (52 %) 12 répl. 1,4 l.
6 sc. 32 l. (3 %) 3,5 pers.
LUCRECE
LYSE
13 l. (79 %) 3 répl. 4,0 l.
4 l. (22 %) 2 répl. 1,7 l.
1 sc. 15 l. (2 %) 3,0 pers.
LUCRECE
CARLIN
1 l. (25 %) 1 répl. 0,7 l.
3 l. (76 %) 2 répl. 1,1 l.
2 sc. 3 l. (1 %) 4,3 pers.
VIRGINE 4 l. (100 %) 1 répl. 3,2 l. 1 sc. 3 l. (1 %) 1,0 pers.
VIRGINE
LYSE
14 l. (49 %) 12 répl. 1,1 l.
15 l. (52 %) 8 répl. 1,8 l.
3 sc. 27 l. (2 %) 3,7 pers.
VIRGINE
CARLIN
17 l. (52 %) 14 répl. 1,1 l.
16 l. (49 %) 13 répl. 1,2 l.
7 sc. 31 l. (3 %) 4,0 pers.
LYSE
CARLIN
19 l. (26 %) 21 répl. 0,9 l.
54 l. (75 %) 22 répl. 2,4 l.
4 sc. 72 l. (5 %) 3,3 pers.

Thomas Corneille

1671

La Comtesse d'orgueil. Comédie

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Thierry Simoncello
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Thomas Corneille. La Comtesse d'orgueil. Comédie. A ROUEN, et se vend A PARIS, chez GUILLAUME DE LUYNE, au Palais, Dans la salle des Merciers à la Justice. M.DC.LXXI. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

LA COMTESSE D’ORGUEIL
COMEDIE. §

A MONSIEUR DE ***. §

MONSIEUR,

Vous l’échaperez pour cette fois, & quoy que ce soit à vous que j’en vueille, je vous le laisseray ignorer. Peut-estre le devinerez-vous ; Si cela arrive, vous n’aurez qu’à vous garder le secret, ce sera la mesme chose que s’il n’en estoit rien, & du moins le Public ne sçaura point encor que je vous aye accablé d’une Epistre Dédicatoire. Ce n’est pas que vous vous en puissiez garantir* long-temps, je suis sensible à la gloire, & je m’en fais une si forte de l’amitié dont vous m’honorez, qu’il sera difficile que je me contraigne, & que je ne cède bientost à l’impatience de faire connoistre à tout le monde que vous ne m’en avez pas jugé indigne. Ce qu’il y aura en cela de moins terrible pour vous que pour les autres à qui on s’avise de dédier des livres, c’est qu’on ne le fait presque jamais que pour leur demander des graces qu’ils n’ont aucune envie d’accorder, au lieu que celles que vous m’avez déjà faites de la maniére du monde la plus genereuse, m’obligeant à une entiére reconnoissance, ne vous doivent faire attendre de moy qu’une suite de remerciements. J’auray de ma part cét avantage que si on est le plus souvent embarassé à chercher des flateries qui puissent estre au goust de ceux dont on tâche à gagner l’esprit, je ne le seray que sur le choix des véritez que j’auray à dire de vous. Alors, Monsieur, ne croyez pas que ce soit par la dignité de vos charges que je m’attache à faire valoir ce qui vous rend aussi considerable que vous l’estes. Quoy que l’éclat avec lequel vous avez long-temps paru dans une des plus Augustes Compagnies de France redouble par le nouveau rang où vous venez de monter, c’est à d’autres qu’à vous qu’il faut faire honneur de ces sortes d’élevations, où la fortune a souvent plus de part que la vertu.

Quand on veut dire quelque chose
Des gens* qui plus obscurs que leurs sombres Ayeux
N’ont jamais fait rien dire d’eux,
Outre cent lieux communs dont toûjours on dispose,
5 Leurs emplois & leur rang font des secours heureux
Pour faire ce que l’on propose.
Mais graces à l’éclat des belles qualitez
Dont le Ciel vous a fait ses libéralitez,
On vous voit un mérite extréme ;
10 De ce merite en vous tout parle hautement,
Et pour vous louer dignement
On n’a besoin que de vous-mesme.

Jugez, Monsieur, si ayant l’honneur de vous connoistre autant que je fais, je n’auray pas dequoy puiser abondamment dans cette source. Je m’en fais d’avance une joye des plus sensibles, mais je vous rends trop de justice pour ne pas attendre à la gouster ouvertement, que je sois en pouvoir de vous offrir quelque chose que j’estime plus que cette Comedie. L’approbation qu’elle a receuë au Theatre ne m’éblouit point assez pour ne me la pas laisser toûjours regarder comme une bagatelle à qui on a voulu faire grace, & quel que soit l’empressement* du zele* que j’ay pour vous, il ne sçaurait faire oublier que j’ay besoin pour le satisfaire d’une occasion plus favorable que celle-ci. J’espere, Monsieur, que je seray assez heureux pour la voir naistre dans peu telle que je me la souhaite. Cependant je ne me lasseray point de dire par tout qu’il est rare de trouver un amy qui vous ressemble, & qui sçache unir aussi avantageusement que vous la beauté de l’ame à la force & à la delicatesse de l’esprit. Si je rencontre des incrédules, ils cesseront aisément de l’estre quand j’ajousteray que vous avez la gloire de posseder les bonnes graces d’un des plus Grands Hommes que nous ayons. Son nom suffira pour leur fermer la bouche, & on convient si generalement pour luy des surprenantes & extraordinaires qualitez qui le rendent l’admiration de nostre Siecle, que comme rien ne manque à la justesse de son discernement, c’est un tître incontestable pour prétendre à l’estime de tout le monde, que d’avoir dans la sienne autant de part que vous y en avez. Quelle douceur ce seroit pour moy de m’étendre sur une si illustre matiere s’il m’estoit permis de l’approfondir, ou plûtost s’il y avoit des termes qui fussent de la force des sentiments qui me sont communs là-dessus avec tous ceux qui ont l’honneur de l’approcher.

Vous mesme chaque jour n’estes-vous pas surpris
Des brillantes vertus qu’à nos yeux il étale ?
Qui veut en parler les ravale,
Et l’on n’en peut jamais connoistre assez le prix.
De ses riches Talents le pompeux assemblage
Offre du vray merite une éclatant image,
Dont le charme attirant engage autant qu’il plaist.
De la gloire sur luy tout l’effort se consomme,
Et pour estre tout ce qu’il est
Il faut estre au dessus de l’homme.

Je dis si peu pour ce que je pense qu’il vaut mieux que je me contente d’admirer avec respect ce que je trouve au dessus de toutes sortes d’éloges. Je ne doute point que ce sentiment ne vous fasse approuver mon silence. Je le rompray toûjours avec plaisir quand il s’agira de publier l’ardente passion avec laquelle je suis,

MONSIEUR,
Vostre tres-humble, & tres-obligé serviteur,

T. CORNEILLE.

Extrait du Privilege du Roy. §

Par Grace et Privilege du Roy donné à Paris le 21 Janvier 1671. Signé Par le Roy en son Conseil, VILLET. Il est permis au sieur THOMAS CORNEILLE de faire imprimer une Piece de Theatre de sa composition, intitulée La Comtesse d’Orgueil, pendant cinq années ; Et défences sont faites à tous autres de l’imprimer sans le consentement dudit sieur de Corneille, à peine de Cinq cens livres d’amende, de tous dépens, dommages et interests, comme il est plus amplement porté par lesdites Lettres.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois, à Roüen,
chez Antoine Maurry, aux dépens de l’Autheur,
le 7. de Mars 1671.

Et ledit sieur de Corneille a traité de la presente Impression, et de son Privilege, avec Guillaume de Luyne, Libraire juré à Paris, pour en joüir suivant l’accord fait entr’eux.

Les Exemplaires ont esté fournis.

Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs et Marchands Libraires de la ville de Paris.

Signé LOUIS SEVESTRE, Syndic.

ACTEURS. §

  • LE MARQUIS de Lorgnac.
  • LE CHEVALIER, Frere du Marquis, Amant* d’Olympe.
  • ORONTE Amant* de Lucrece.
  • ANSELME Frere d’Olympe, et Tuteur* de Lucrece.
  • OLYMPE Fille d’Anselme.
  • LUCRECE Niece d’Anselme.
  • VIRGINE Suivante d’Olympe.
  • LYSE Suivante de la Comtesse d’Orgueil.
  • CARLIN Valet du Marquis.
La Scene est à Paris.
[A, 1]

ACTE I. §

SCENE PREMIERE. §

CARLIN, LYSE.

CARLIN.

Quoy ? te trouver encor & seule & sans maîtresse* ?

LYSE.

J’attens de jour en jour Madame la Comtesse,
Qui depuis près d’un mois absente de Paris
Abandonne à mes soins* la garde du logis.
5 On croit ne point tarder d’abord que* l’on s’engage, {p. 2}
Mais insensiblement on prend goust au voyage,
D’Orleans on veut voir Saumur, Angers, & Tours,
Et le retour ainsi se différe toûjours.

CARLIN.

Tant mieux pour toy, d’avoir liberté toute entiere
10 De prendre du bon temps, & te donner carriere.
Ah, si pour moi le cœur t’en disoit tant soit peu,

LYSE.

En faut-il douter ?

CARLIN.

Le mien est tout en feu*,
Et depuis cette nopce* où tu me fis tant boire,
Je me suis si bien mis ta largesse en mémoire,
15 Qu’aussi-tost que la soif commence à me presser,
Pour en guerir plûtost je voudrois t’embrasser.

LYSE.

Tout de bon ?

CARLIN.

Tout de bon, & s’il t’en faut plus dire,
Ecoute, en te voyant, de quel ton je soûpire*.

LYSE.

Tu te sens donc pour moy d’amour bien travaillé ?

CARLIN.

20 Ma foy, je n’en dors point quand je suis éveillé,
Et si ton cœur sensible à la friponnerie…
Lyse, ma chere Lyse.

LYSE.

Ah, point de brusquerie.
Et que diroit Virgine à qui tu t’es promis.

CARLIN.

Y doit-on regarder de si près entre amis ?

LYSE.

25 Tu n’es point scrupuleux. {p. 3}

CARLIN.

Vois-tu ? j’aime Virgine,
Mais ce qui m’en degouste elle est un peu trop fine*,
Et sçait tant de détours, qu’à ce que j’en entens,
Avec elle un Mary passera mal son temps.
Anselme aussi, voyant du trouble en sa famille,
30 L’a depuis peu chassée en dépit de sa Fille.

LYSE.

Olympe en sa disgrace a donc pris grande part ?

CARLIN.

Elle la garde encore au déceu du vieillard,
Le temps rajuste tout.

LYSE.

Elle doit t’estre chere.

CARLIN.

Veux-tu de mon amour sçavoir tout le mystere ?
35 Je suis homme d’intrigue*, & tel que tu me vois,
J’entreprens de servir deux Maistres à la fois,
Ou plûtost près de l’un faisant le bon Apostre,
Je tâche à le duper pour estre utile à l’autre.

LYSE.

Ton marquis de Lorgnac est le sot* ?

CARLIN.

Justement.
40 Jamais on ne fut sot* si methodiquement.
Comme il est de naissance & fort riche, il croit estre
L’homme le plus parfait qu’on ait encor veu naistre,
Et dans cette folie il est persuadé
Qu’on meurt d’amour pour lui dès qu’on l’a regardé.
45 Aussi fait-il le beau, le plaisant, l’agreable,
Vain* s’il en fut jamais, contrariant en diable,
Grand parleur, curieux des affaires d’autruy.

LYSE.

Le Chevalier, son Frere, est-il fait comme luy ? {p. 4}

CARLIN.

Comme luy ? Dieu l’en garde, il est son antipode.
50 C’est un homme discret, civil, d’humeur commode,
Poly*, galand*, qui fait les choses comme il faut,
Et dont la gueuserie* est l’unique defaut.

LYSE.

La tache est un peu forte.

CARLIN.

Et d’autant plus qu’il aime.
Estre gueux* en amour est un malheur extrême ;
55 Mais aux beaux yeux d’Olimpe il n’a pu resister,
A Virgine par là j’eus ordre d’en conter.
Pour gagner quelque accès auprès de sa Maitresse
Le Chevalier voulut…

LYSE.

Je comprens la finesse*.
Olympe par Virgine a sçeu sa passion ?

CARLIN.

60 Non pas, grace à l’excès de sa discretion,
Depuis deux mois et plus que pour elle il soûpire*,
Il s’est fait remarquer, mais sans vouloir rien dire.
Moy-mesme, il m’a falu faire le reservé.
Cependant tout d’un coup le Frere est arrivé,
65 Ce Diable de Marquis, qui s’en va d’importance
Faire sonner partout son manque de finance.

LYSE.

Peut-il le décrier sans qu’il se fasse tort ?

CARLIN.

Tort ou non, il le hait, & voudroit le voir mort.
Pour détourner ce coup j’ay joüé d’artifice.

LYSE.

70 Comment ?

CARLIN.

Du chevalier j’ay quitté le service, {p. 5}
Et cent sujets de plainte au besoin* inventez
Ont esté du Marquis avec joye écoutez.
En moy par cette fourbe il a pris confiance,
Et comme j’applaudis à son extravagance,
75 Je suis chez luy le tout, je tranche, ordonne, agis.

LYSE.

Ainsi…

CARLIN.

Prens garde à toy, voicy nostre Marquis.
Le cœur te bat-il point ?

LYSE.

Quelle rare* figure* !

CARLIN.

Et bien ? Fait-il la mode ?

LYSE.

Il comble ma mesure*,
Quel attirail de points, de rubans, d’affiquets !

SCENE II. §

LE MARQUIS, CARLIN, LYSE.

LE MARQUIS à Carlin montrant Lyse.

80 C’est de moy qu’on te parle ?

CARLIN.

Ouy, Monsieur.

LE MARQUIS.

Bon, Laquais,
A ce prochain détour que faisoit cette Belle ?

CARLIN.

Elle vous regardoit, Monsieur. {p. 6}

LE MARQUIS.

Tant pis pour elle.

CARLIN.

Elle s’en souviendra.

LE MARQUIS.

Je le croy. Celle-cy,
Qui de loin m’envisage, a l’œil bien radoucy.

CARLIN.

85 Elle vient de la part de certaine Comtesse…

LE MARQUIS.

Diable, il faut l’écouter. Tu nommes ta Maitresse ?

LYSE.

La Comtesse d’Orgueil.

LE MARQUIS.

D’Orgueil ! le nom est grand.
Vieille ou jeune ?

LYSE.

Elle n’a que vingt ans.

LE MARQUIS.

Bien luy prend.
La jeunesse est mon goust, sans cela point de tendre*.
90 Avecque le Mary quelle mesure* aprendre ?
Est-il accommodant* ?

LYSE.

Elle est veuve.

LE MARQUIS.

Tant mieux.
Les Veuves, la plupart, sont mets delicieux.
Et de quinze à vingt ans il en est d’égrillardes
Qui donnent au Défunt de terribles* nazardes.
95 Pour moy, j’en ai tant veu de toutes les façons,
Qu’au besoin* je pourrois en faire des leçons.
Et Fille, & Femme, & brune, & blonde, j’ay beau faire, {p. 7}
Tout m’en veut.

LYSE.

Qui pourroit n’aimer pas à vous plaire ?
Un Marquis qu’on fait gloire en tous lieux d’admirer ?

LE MARQUIS.

100 J’écarte assez la foule afin de respirer,
Mais toujours malgré moy j’ay quelque soûpirante*.
La Comtesse est jolie* ?

LYSE.

Elle est vostre Servante.

LE MARQUIS.

C'est-à-dire, son cœur en tient déjà pour moy ?

LYSE.

Eh, vous pouvez penser…

LE MARQUIS.

J’en ay pitié, ma foy.
105 Vint ans, veusve, & languir ! Viens, conduy moy chez elle
Il faut la voir ; au moins tu me dis qu’elle est belle ?

LYSE

Elle a dans Orleans tout fait mourir d’amour,
Mais vous en jugerez, Monsieur, à son retour.

LE MARQUIS.

Elle n’est pas icy ?

LYSE.

Puis qu’il faut vous le dire,
110 Pour vouloir fuïr le mal quelquefois ou l’empire.
L’autre jour en passant la Comtesse vous vit,
Vostre mine, vostre air, enfin tout la surprit,
Et chez elle d’abord l’amour faisant ravage,
Pour guerir par l’absence elle a fait un voyage,
115 Mais de fiévre en chaud mal, son cœur par la tombé {p. 8}
Est contraint avec vous de venir à jubé.
Sa flâme* impatiente en ces lieux la rappelle,
Vous la verrez demain.

LE MARQUIS.

Je me souviendray d’elle.
Seulement du retour prens soin* de m’avertir.

LYSE.

120 Vous viendrez donc ?

LE MARQUIS.

Oüy, va ; je puis m’en divertir
Et selon… mais je voy mon impertinent frere.

LYSE à Carlin.

C’est là le Chevalier ?

CARLIN.

Luy mesme, adieu, ma chere.

LYSE.

Est-il original* qui vaille ton marquis ?

SCENE III. §

LE MARQUIS, LE CHEVALIER, CARLIN

LE CHEVALIER.

Peut-estre que je viens mal à propos ?

LE MARQUIS.

Tant pis.
125 Qui vous force à venir ?

LE CHEVALIER.

Vous voyant dans la rüe,    
Passeray-je tout droit sans que je vous salüe ?

LE MARQUIS.

{p. 9}
Salüez-moy de loin, & ne me dites mot.

LE CHEVALIER.

Mais ceux qui me verront…

LE MARQUIS.

Vous prendront pour un sot*,
Que m’importe ?

LE CHEVALIER.

Toûjours injure sur injure ?
130 Vous estes mon aisné, je me tais, et j’endure.

LE MARQUIS.

Et bien, n’endurez point, qu’est-ce que vous ferez ?
Vous me chanterez poüille, et vous retirerez,
C’est-là ce que je veux.

LE CHEVALIER.

Grace à vostre injustice,
Me voir et me parler est pour vous un suplice,
135 J’en suis trop convaincu.

LE MARQUIS.

Ne l’ignorez donc pas.
J’en suis content.

LE CHEVALIER.

Ma peine a pour vous des appas*,
Et plus vous connoissez que le malheur m’accable…

LE MARQUIS.

Il est vray, vostre vie est gueuse* et miserable,
Mais enfin sans appuy, sans resource, sans bien,
140 Vous devriez mourir, et vous n’en faites rien.
Est-ce ma faute ?

LE CHEVALIER.

Au moins, si par le droit d’aînesse,
Vous avez de grands bien, j’ay la mesme Noblesse.

LE MARQUIS.

{p. 10}
Vous estes Chevalier, mais quand il faut manger,
Vostre Chevalerie est un mets bien leger,
145 Et souvent la machoire est fort mal occupée,
A qui n’a comme vous que la cape et l’épée.

LE CHEVALIER.

Et la cape et l’épée auront toûjours dequoy
Faire considerer* des gens* faits comme moy.
Joüissez de vos droits, l’aînesse vous les donne,
150 Je n’y demande rien.

LE MARQUIS.

Vous me la baillez bonne.
Si dans vostre chaumiere il vous eust plû rester,
Vostre part de Cadet vous eust fait subsister,
Mais on ne va pas loin avec petite somme.
Vous avez voulu faire icy le Gentil-homme*,
155 Et n’ayant plus dequoy, vous voylà sur le point
D’estre Franc Parasite, ou de ne disner point.
Gueusez*, servez, volez, ce n’est point mon affaire.

LE CHEVALIER.

J’ay fait quelque dépence, et crû la devoir faire,
Ma gloire estant la vostre, il vous doit estre doux…

LE MARQUIS.

160 Mais Carlin que voicy, mouroit de faim chez vous,
Et s’il n’eust avec moy cherché ses avantages,
C’estoit fait de sa vie ainsi que de ses gages*.

CARLIN.

Sans Monsieur le Marquis j’estois sec, autant vaut.

LE MARQUIS.

Oyez.

LE CHEVALIER.

Mon peu de bien vous semble un grand defaut,
165 Toûjours sur ce reproche ; et ne peut-il pas estre…

LE MARQUIS.

Mon nom vous fait honneur, on me l’a fait connoistre,
Il pourra vous servir à duper un Bourgeois. {p. 11}
L’alliance d’Anselme est, dit-on, vostre choix ;
Vous muguetez* sa fille, elle a dequoy vous plaire.
170 Et quand ce ne seroit que les grands bien du Père,
Pour qui n’a pas de pain à mettre sous les dents,
C’est un trait de beauté des plus accommodants*.

LE CHEVALIER.

Puis que malgré moy mesme on a lû dans mon ame,
Il est vray, mon dessein* est de prendre une Femme,
175 Et comme Anselme est riche, et qu’il manque d’appuy,
Ma naissance m’a fait esperer tout de luy.
La sienne, je l’avouë, est basse et fort commune.

LE MARQUIS.

Ce n’estoit qu’un maraut*, mais il a fait fortune,
Puis qu’il a du douzain, il est démaraudé ?
180 Sçait-il vostre amour ?

LE CHEVALIER.

Non, c’est un secret gardé,
Mais quand il l’apprendra, vueillez ne pas me nuire,
Forcez-vous…

LE MARQUIS.

Laissez moy cette affaire à conduire.
Moy parlant, moy faisant la demande pour vous,
Je croy qu’il recevra cét honneur à genoux.
185 Un Faquin qu’on a veu petit Clerc de Notaire,
D’un Cadet de Marquis devenir le Beau-père,
S’allier des Lorgnacs, peste* !

LE CHEVALIER.

M’offrir vos soins*,
Vous à qui je déplais !

LE MARQUIS.

M’en déplaisez-vous moins ?
Je vous décrierois bien, mais si je vous décrie
190 J’ay sur mon dos le faix de vostre gueuserie*.
Au moins quand du Bourgeois vous aurez les écus, {p. 12}
Vous batrez en retraite, et ne me verrez plus.
Allez, tout de ce pas, je vay luy faire entendre
Qu’il choisit un brave* homme en vous prenant pour gendre,
195 S’il s’informe du bien, je suis preste à mentir,
Reposez-vous sur moy.

LE CHEVALIER.

Mais…

LE MARQUIS.

Mais sans repartir.
J’agis de là. La fille est de vous fort éprise ?

LE CHEVALIER.

J’ignore encor pour moy quelle estime elle a prise,
Mais vingt fois dans sa ruë elle m’a remarqué.

LE MARQUIS.

200 Vostre amour autrement ne s’est point expliqué ?

LE CHEVALIER.

Le Père estant pour nous, il nous répondra d’elle.

LE MARQUIS.

Je vous entens, l’argent vous plaist mieux que la Belle,
Et pourvû qu’il vous soit bien et deuëment compté,
Peu vous chaut du reste.

LE CHEVALIER.

Ah !

LE MARQUIS.

Dites la verité ;
205 Franchement aimez-vous ? car à moins que l’on aime,
Taster du Mariage est la misere mesme,
Et je ne voudrois pas qu’une Fille eust sujet…

LE CHEVALIER.

Non, Olympe est pour moy le plus charmant* objet.
Jamais rien de si beau ne s’offrit à ma veuë, [B, 13]
210 Et de tant de merite on la trouve pourveuë,
Que sa seule conqueste asseurant mon repos,
N’eust-elle aucune dot, je…

LE MARQUIS.

Voyla de mes sots*.
Pour trois jours de douceur trente ans de gueuserie*,
Mais si vous l’épousez, dites-moy, je vous prie,
215 Cadet, prétendez-vous avoir beaucoup d’enfans ?

LE CHEVALIER.

Peut-on…

LE MARQUIS.

Point de peut-on, car je vous le défens.
La cause est qu’il n’est point de famille nombreuse
Qui presque en moins de rien ne dégenere en gueuse*,
Et quand l’Oncle est Marquis et des plus apparents,
220 Serviteur aux Neveux qui sont degenerants.

LE CHEVALIER.

J’auray soin* que jamais aucune plainte à faire…

LE MARQUIS.

Fort bien, et là-dessus je vay voir le Beaupere.
Carlin.

CARLIN.

Monsieur.
Il luy parle à l’oreille.
J’entens.

LE MARQUIS.

Va, cours, le temps m’est cher.
Si la Marquise vient, qu’on me fasse chercher. {p. 14}

SCENE IV. §

LE CHEVALIER, CARLIN.

LE CHEVALIER.

225 C’est encor un message à faire à quelque belle ?

CARLIN.

Grand mystere toûjours, et toûjours bagatelle.
Mais où diable a-t’il sçeu vostre amoureux secret ?

LE CHEVALIER.

Un Amant* bien épris est toûjours indiscret.
J’ay trop parlé d’Olympe, il aura pû l’apprendre*,
230 Et soupçonné l’amour que ses yeux m’ont fait prendre ;
Mais puisqu’à m’y servir il est si disposé,
Le succez pour mes vœux en sera plus aisé.

CARLIN.

J’en doute, il n’eut jamais pour vous que de la haine.

LE CHEVALIER.

Ouy, mais me voir sans bien luy donne quelque peine,
235 Et craignant d’en avoir un jour de l’embarras,
Si mon feu* touche Olympe, il ne me nuira pas.

CARLIN.

Il est homme pourtant à nous en donner d’une.
Son cœur est plein pour vous d’une vieille rancune,
Ainsi j’aurois voulu avant qu’il eust parlé,
240 Vostre amour à Virgine eust testé revelé.
Contre ce qu’il eust dit, comme elle a de l’adresse,
Elle auroit préparé l’esprit de sa maîtresse*,
Mais vous m’avez fait taire, et tout estoit perdu
Si j’eusse osé…

LE CHEVALIER.

{p. 15}
Je voy que j’ay trop attendu,
245 Qu’il seroit bon qu’Olympe eust approuvé ma flame*,
Mais je ne sçavois pas qu’on dust lire en mon ame,
Et que de mon secret malgré moy trop instruit,
Le Marquis…

CARLIN.

Pour ou contre, il va faire grand bruit,
Et le Vieillard…

LE CHEVALIER.

Tay-toy, je voy venir Oronte.

SCENE V. §

LE CHEVALIER, ORONTE, CARLIN.

LE CHEVALIER.

250 Enfin donc il n’est rien que l’amour ne surmonte,
Lucrece a pris sur vous un pouvoir absolu,
Et pour elle à l’hymen* vous voyla resolu ?

ORONTE.

J’ay pesté* jusqu’icy contre le mariage,
J’en tremble mesme encor lors que je l’envisage,
255 C’est une marché terrible*, et qui doit estonner,
Cependant au torrent je me laisse entraîner.

LE CHEVALIER.

Le peril en est beau.

ORONTE.

Telle est ma destinée.

LE CHEVALIER.

L’ordre vous en est doux, mais à quand l’hymenée ?
Lucrece vous aimant…

ORONTE.

{p. 16}
Anselme son Tuteur*
260 Attend obstinément le retour de ma Sœur,
Parce qu’elle est Comtesse, il s’est mis à la teste
Qu’il faut pour plus d’éclat qu’elle honore la feste,
Sans cela point de nopce*.

LE CHEVALIER.

Il aime à faire bruit.

ORONTE.

A trois jours seulement le delay se réduit.

LE CHEVALIER.

265 Vous croyez donc bien-tost voir icy la Comtesse ?

ORONTE.

Peut-estre dés demain, mais j’aperçois Lucrece,
De grace, pardonnez aux transports* d’un Amant*,
Si je cours où m’appelle un Objet si charmant*.

LE CHEVALIER.

Sur tout autre devoir l’amour toûjours l’emporte.

CARLIN au Chevalier.

270 Olympe est avec elle.

LE CHEVALIER.

Eloignons-nous, n’importe,
Je ne luy veux parler qu’après que j’auray sceu
Quel accueil du Vieillard ma flame* aura receu. {p. 17}

SCENE VI. §

ORONTE, OLYMPE, LUCRECE.

ORONTE à Lucrece.

Quoy, sortir sans m’attendre ? Ah, j’ay lieu de m’en plaindre.

LUCRECE.

Ouy, car je viens de faire une visite à craindre,
275 Et ma Cousine sçait…

OLYMPE.

Que dans tout l’entretien
Vous avez écouté de grands diseurs de rien.
Qu’il est d’impertinents !

ORONTE.

Olympe est difficile.

OLYMPE.

Quoy, d’abord qu'*on vous voit, recourir au doux stile*,
Prodiguer la fleurette*, et vous assassiner,
280 De cent offres d’un cœur qu’on n’a plus à donner ?
Pour moy, je suis un peu delicate en merite,
Plus le vray me sçait plaire, et plus le faux m’irrite,
Et comme j’aime en tout qu’on soit de bonne foy,
Les soûpirans d’office ont bien-tost fait chez moy.

ORONTE.

285 C’est l’usage du monde, et si toutes les Belles
Traitoient ainsi que vous l’encens de bagatelles,
A quoy seroient réduits nos Galants* du bel air
Qui par là prés de vous apprennent à parler ?
Pour faire un honneste* homme il n’est point d’autre école,
290 Le beau sexe aux muets fait trouver la parole,
Et par ce qu’à vous plaire ils prennent de soucy, {p. 18}
Tout ce qu’ils ont de rude est soudain adoucy.

OLYMPE.

La douceur s’étend loin.

LUCRECE.

Vous l’avez mandiée*.

SCENE VII. §

OLYMPE, LUCRECE, ORONTE, VIRGINE.

VIRGINE à Olympe.

Enfin c’est tout de bon vous estes mariée.

OLYMPE.

295 Moy, mariée ?

VIRGINE.

Ouy, vous, quel malheur à souffrir ?
M’en voicy hors d’haleine à force d’accourir.
Pour prix d’une nouvelle à mes desirs si chere,
Daignez faire ma paix avecque vostre Père,
Faudra-t’il que de luy je me cache toûjours ?

OLYMPE.

300 Ne t’inquiete point, encor deux ou trois jours,
Son chagrin passera, j’en répons.

LUCRECE.

Mais, Virgine,
Appren-nous quel époux mon Oncle luy destine.

VIRGINE.

Un Marquis si charmé, dit-il, de ses appas*,
Qu’il se pendra demain s’il ne l’épouse pas,
305 Le Marquis de Lorgnac.

OLYMPE.

{p. 19}
Quoy, j’en serois aimée ?

VIRGINE.

De vostre Cabinet, où j’estois enfermée,
Je viens d’entendre tout ; sur mon ame il dit d’or.
Vos attraits* sont pour luy le plus riche tresor,
Le bon homme se rend aux desirs qui le pressent,
310 Et de l’heure qu’il est les articles se dressent.

OLYMPE.

Sans m’avoir consultée ?

VIRGINE.

Eh, pour se marier,
Est-il fille aujourd’huy qui se fasse prier ?
Et puis quand il s’agit du grand nom de Marquise…

OLYMPE.

Fort bien ; chez moy pourtant l’esprit seul est de mise,
315 Et de quelque haut rang que l’on me pûst flater,
Un sot* qui m’en voudroit n’auroit qu’à déconter.

ORONTE.

Je crains donc bien qu’icy le Marquis ne déconte,
Il donne lieu sans cesse à quelque nouveau conte,
Et sur ce qu’on en dit, ce n’est pas son defaut
320 Que d’avoir eu jamais plus d’esprit qu’il ne faut.
Il croit charmer par tout, fait le beau, l’agreable.

LUCRECE.

Que vous me faites peur !

ORONTE.

Brusque, dit-on, en diable.

OLYMPE.

Voilà ce qu’il me faut.

VIRGINE.

Moquez-vous du, dit-on.
Voulez-vous un Epoux sage comme un Caton,
325 Qui prétende en vertu de sa grave* figure* {p. 20}
Qu’on marche par compas, et parle par mesure* ?

LUCRECE.

Virgine a l’humeur gaye, et pense que…

VIRGINE.

Ma foy,
Bien d’autres là-dessus penseroient comme moye.
Pour devenir Marquise il n’est esprit qui tienne,
330 Le tiltre en plaist toûjours, de quelque part qu’il vienne,
Et d’ailleurs, quelquefois, s’il faut tancher le mot,
Il est avantageux d’estre femme d’un sot*,
Excuse, adresse, fourbe, il n’est rien qu’il ne croye ;
Quoy qu’on fasse, il ne voit que ce qu’on veut qu’il voye,
335 Et se laissant mener, au besoin*, par le nez…

OLYMPE.

C’est par où se prendroient des esprits mal tournez,
Mais quand la vertu seule a pouvoir sur une ame…

VIRGINE.

D’accord, c’est fort bien fait que d’estre honneste* femme,
Mais Dieu vueille du trop preserver tous marys.

LUCRECE.

340 Laissons-là cette fole, et venons au Marquis,
Le connoissez-vous ?

ORONTE.

Non, mais je connois son Frere,
Qui, s’il estoit plus riche, auroit bien dequoy plaire,
Il a l’air si galant* et si particulier,
Qu’on ne peut…

OLYMPE.

Vous voulez parler du Chevalier ?

ORONTE.

345 De luy-mesme.

OLYMPE.

{p. 21}
A sa mine on connoit sa naissance,
Mais l’effet répond mal souvent à l’apparence,
L’air ne fait pas l’esprit ; et je douterois fort
Que le sien fust de ceux…

ORONTE.

Ah, c’est luy faire tort.
D’où vient qu’à ce soupçon vostre cœur s’abandonne ?

OLYMPE.

350 C’est un secret qu’encor je n’ay dit à personne.
Depuis plus de deux mois en cherchant à me voir,
Ce brave* Chevalier a paru m’en vouloir.
Au Palais pour emplete, au Temple, dans la ruë,
Je le trouve par tout, par tout il me saluë,
355 Mais quoy qu’il ait eu lieu cent fois de m’aborder,
Il n’a jamais plus fait que de me regarder.
Jugez si c’est à tort que je le croy stupide.

ORONTE.

Un excez de respect l’a pû rendre timide,
Et je vous plaindrois peu pour l’hymen* arresté,
360 Si le Marquis avoit mesme stupidité.

OLYMPE.

Quoy qu’on ait fait sans moy, s’il est tel que vous dites,
La puissance d’un Père a ses bornes prescrites,
Et par précaution, avant que m’engager,
Luy parlant en secret, je prétens en juger.

LUCRECE.

365 En secret ? Et comment ?

OLYMPE.

Ce soir par ma fenestre.

VIRGINE.

Un premier entretien vous le fera connoistre :
Et si pour son début il n’a tous mots exquis, {p. 22}
Madame, vous voulez refuser un Marquis ?
Ma foy, si vous sçaviez combien…

OLYMPE.

Laisse-moy faire,
370 Et l’attens au moment qu’il quittera mon Père,
Le jour baisse déjà ; si-tost qu’il fera nuit,
Dy-luy sous mon balcon qu’il se rende sans bruit.

LUCRECE.

Mais si pour vous donner cette grande nouvelle,
Lors que nous rentrerons, mon Oncle vous appelle,
375 Et qu’à voir le Marquis, dont sans doute il fait cas…

OLYMPE.

J’auray quelque migraine et ne paroistray pas,
Fay ce que je te dis, Virgine.

LUCRECE.

Vous, Oronte,
Rendez-moy du Marquis un plus fidelle compte,
Informez-vous par tout en quelle estime il est.

ORONTE.

380 Il suffit, vous sçavez si j’y prens interest.

Fin du premier Acte.

{p. 23}

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

LE MARQUIS, ANSELME.

LE MARQUIS.

N’allez-pas plus avant, Beau-père, il fait trop sombre,
Et quoy que de la nuit mes yeux incaguent l’ombre,
Chez vous de vos vieux ans le cours trop actuel
Doit avoir affoibly le rayon virtuel,
385 Et par là j’aurois peur qu’en marchant, quelque pierre
Vous fist mal à propos donner du nez en terre.
Seulement pour demain quand je vous iray voir,
Préparez vostre Fille à faire son devoir.

ANSELME.

Dés mes plus jeunes ans un Chevalier de Malte
390 M’aprit que quand l’honneur qu’on daigne nous faire…

LE MARQUIS.

Alte.
Votre caducité de trop loin se souvient ;
Si je vous fais l’honneur, le profit m’en revient.

ANSELME.

{p. 24}
Du moins je vous répons d’une fille fort sage,
Modeste, accorte*, douce, à qui, dés son Bas âge
395 Où l’esprit est toûjours de fadaise* remply,
Les Quadrains de Pybrac ont donné le bon ply.
Elle les sçavoit tous, sur chacun, bonne glose*.

LE MARQUIS.

Les Quadrains de Pybrac ne font rien à la chose,
Et vostre Fille, estant ce que je me la peins,
400 Ne se mariera pas pour dire des Quadrains.
Est-elle propre ?

ANSELME.

Autant qu’une fille peut l’estre.

LE MARQUIS.

Je vous eusse prié de la faire paroître,
Mais j’ay craint, en suivant ma curiosité,
Quelque soüillon d’habit qui m’en eust dégousté.
405 J’aime l’ajustement.

ANSELME.

La dépence est petite,
Plus de cent mille escus dont elle seule herite,
Tant en maisons, effets, comme en argent comptant…

LE MARQUIS.

Ma terre de Lorgnac en vaut deux fois autant.
Qu’elle est belle ! grands parcs pour vaches, bœufs, genices,
410 Grandes foires au bourg, grandes-hautes Justices,
Grands moulins, sans compter de grands fossez pleins d’eau
Qu’on passe en ponts-levis pour entrer au château.

ANSELME.

Quand je ne vous verrois pour tout bien que la gloire
D’estre sorty de Gens* renommez dans l’Histoire,
415 Mon choix seroit pour vous, et ne regardant qu’eux… {p. C, 25}

LE MARQUIS.

Ah, que tous les Lorgnacs ont esté belliqueux !

ANSELME.

La Race en est celebre, et d’abord qu'*on la nomme…

LE MARQUIS.

Beau-père, ainsi je croy que je suis gentilhomme*,
Hem ?

ANSELME.

De vostre Noblesse on n’est guere en soucy.

LE MARQUIS.

420 Vous avez pensé voir un amoureux transy,
Mon Cadet qui sans moy, plein d’une sote* flâme*,
Vous auroit demandé vostre Fille pour Femme.

ANSELME.

Vous touchant de si prés, il m’auroit fait honneur,
Et l’on tiendra toûjours sa recherche à bonheur.

LE MARQUIS.

425 Il est gueux*, archigueux.

ANSELME.

Mais son sang* est illsutre ;
Et par tout sa vertu luy donne tant de lustre,
Que sur ce qu’on en dit…

LE MARQUIS.

Monsieur, on, est un sot*.
Mon Frere fait le doux, le benin*, le cagot,
A l’oüir, vous diriez qu’il n’est rien plus traitable,
430 Cependant, entre nous il ne vaut pas le diable ;
C’est un rieur sous cape, et tous ses beaux semblans,
S’ils amorcent quelqu’un, le mettent en draps blancs.
Dit-on, draps blancs, Beau-père, ou blancs draps ?

ANSELME.

Il n’importe.

LE MARQUIS.

Non, à ce qu’il paroît aux gens* de vostre sorte,
435 Mais parmy le beau monde où l’on parle correct, {p. 26}
L’arrangement des mots veut un soin* circonspect.
L’esprit est un grand fonds. Vostre Fille en a-t’elle ?

ANSELME.

Chacun le croit.

LE MARQUIS.

Est-il de ruë, ou de ruelle ?

ANSELME.

Qu’appellez-vous de ruë ?

LE MARQUIS.

Un esprit trop bourgeois,
440 Un esprit dandinant, de ces Filles sans poids,
Qui pour tout réponce à ce qu’on leur peut dire,
N’ont qu’un, vous vous moquez, et se mettent à rire.

ANSELME.

Ma Fille, en discourant, pourra vous étonner,
Sur quoy qu’on luy propose elle sçait raisonner,
445 Jamais de bagatelle, ou c’est la faire taire.

LE MARQUIS.

Et vous l’auriez donnée à mon drille* de Frere ?
Quel dommage ! à demain, je verray ce que c’est,
Et de la nopce* ensuite on resoudra l’apprest.
Les clauses du Contrat déjà sont arrétées.

ANSELME.

450 Il suffit qu’entre nous elles soient concertées,
Et qu’un dédit* signé, qui vous répond de moy,
Quoy qui puisse arriver, m’engage vostre foy.
Du reste, un peu de temps est assez necessaire
A qui tout à la fois a deux nopces* à faire.

LE MARQUIS.

455 Deux nopces* !

ANSELME.

D’une Niéce on m’a fait le Tuteur*.
Pour l’épouser, Oronte attend icy sa Sœur,
Demain elle y doit estre.

LE MARQUIS.

{p. 27}
Il differe pour elle ?

ANSELME.

On luy doit cét honneur.

LE MARQUIS.

Et cette Sœur s’appelle ?

ANSELME.

La Comtesse d’Orgueil.

LE MARQUIS.

La Comtesse ! ma foy…

ANSELME.

460 Quoy ? vous la connoissez ?

LE MARQUIS.

Ah, si je la connoy ?
C’est une jeune veufve, aimable, alerte, druë.

ANSELME.

On le dit, car pour moy je ne l’ay jamais veuë.

LE MARQUIS.

Nous la gouvernerons. Elle est riche ?

ANSELME.

Et tres fort.
Un Vieillard a tout fait pour elle avant sa mort.
465 Comme sur ses vieux ans il l’avoit épousée,
Avec luy sa fortune à faire fust aisée,
Son revenu, du moins, monte à dix mille escus.

LE MARQUIS.

Dix mille escus de rente !

ANSELME.

Et peut-estre encor plus.

LE MARQUIS.

On fait florés à moins. Peste*, quelle Commere !

ANSELME.

470 Un Duc aussi, dit-on, cherche fort à luy plaire.

LE MARQUIS.

Un Duc ?

ANSELME.

{p. 28}
Ouy, qui voudroit…

LE MARQUIS.

Je croy qu’il voudroit, mais…

ANSELME.

Elle en est peu touchée.

LE MARQUIS.

Il ne l’aura jamais.

ANSELME.

Le temps…

LE MARQUIS.

Eh, je sçay trop où luy tient l’encloueure.

SCENE II. §

LE MARQUIS, ANSELME, CARLIN.

CARLIN au Marquis.

Quatre mots à quartier, Monsieur.

LE MARQUIS à Anselme.

Par avanture,
475 Beau-pere, vous sçavez comme on rentre chez vous ?

ANSELME.

Si je nuis…

LE MARQUIS.

Preste ; icy vous gagneriez la toux,
Bon soir. {p. 29}

SCENE III. §

LE MARQUIS, CARLIN.

LE MARQUIS.

Combien as-tu de poulets à me rendre ?

CARLIN.

La Marquise, chez vous, a passé pour vous prendre,
J’ay voulu l’arréter, mais ne vous trouvant pas…
480 C’est donc comme il en fait, fracas contre fracas,
M’a-t’elle dit, dy-luy que puis qu’il me dédaigne,
L’abbé qui luy déplaist va commencer son regne ;
J’aurois pû me resoudre à ne l’écouter plus,
Mais…

LE MARQUIS.

Ces diables d’Abbez la pluspart sont courus.

CARLIN.

485 Eh, n’en médisons point ; certains Abbez novices
Ne sont pas à courir de méchants benefices.
Les Belles trouvent là dequoy se régaler,
Bijoux, cadeaux, bombance, elles n’ont qu’à parler,
L’argent ne couste rien ; mais pour vostre Marquise,
490 Que faire ?

LE MARQUIS.

Une douceur la rendra plus soûmise.

CARLIN.

Je le croy.

LE MARQUIS.

Ce Vieillard qui vient de me quitter,
Tout Chahütan qu’il est, m’a-t’il pû resister ?
Où l’on me voit tout céde.

CARLIN.

{p. 30}
Il se résout à prendre,
Sur vostre bonne foy, le Chevalier pour Gendre ?

LE MARQUIS.

495 Il m’a tout accordé.

CARLIN.

Que vous estes heureux
D’avoir pû vous défaire, à la fin de ce gueux* !
Il l’eust falu nourrir, c’est toûjours vostre Frere,
Que diable auriez-vous fait ?

LE MARQUIS.

Ce que je prétens faire,
Ne le pas secourir du moindre verre d’eau.

CARLIN.

500 Olympe y supléera.

LE MARQUIS.

Tu l’entens. Quel cerveau !
J’aurois parlé pour luy ?

CARLIN.

Pour qui donc ?

LE MARQUIS.

Pour moy-mesme.

CARLIN.

Ah, le traître ! Quoy donc vous aimez ?

LE MARQUIS.

Moy, si j’aime ?
Point du tout, mais mon Frere ayant ce vilain mal,
Pour le desesperer je me fais son Rival*.

CARLIN.

505 Si vous luy souhaitez misere sur misere,
Il veut le Conjungo, Monsieur, laissez-le faire,
N’est-ce pas, quand luy-mesme il vous en vient prier,
L’accabler de tous maux, que de le marier ?
Qu’on ait volé, brûlé, causé famine et peste*, {p. 31}
510 Mariez-moy les gens*, ils sont punis de reste :
Mais la pitié vous prend, et tant de charité
Pour vostre cher Cadet vous tient inquieté ;
Que résolu sur l’heure à vous mettre en ménage,
Il vous plaist d’enrager de crainte qu’il n’enrage.

LE MARQUIS.

515 Pauvre ignorant ! aprens un tour d’homme d’esprit.
J’ay sceu contraindre Anselme à signer un Dédit*,
Qui de dix mille écus tiens la somme assignée
Sur celuy de nous deux qui rompra l’hymenée.

CARLIN.

Rien que cela ? bon, bon, vous voyla garroté.

LE MARQUIS.

520 Contre le Chevalier c’est-là ma seureté.
Par ces dix mille écus où son seing le condamne,
Anselme pour sa Fille est bridé comme un asne.

CARLIN.

Vous connoit-elle ?

LE MARQUIS.

Non, l’entreveuë à demain,
J’y diray de bons mots si je me mets en train ;
525 Car je croy que je puis, sans peur d’engendrer noise,
Pousser l’humeur gaillarde avec une bourgeoise ?

CARLIN.

Mais vous l’épouserez ?

LE MARQUIS.

Ouy, si le cœur m’en dit.

CARLIN.

Comment ?

LE MARQUIS.

Vivent, Carlin, vivent les gens* d’esprit.
Sans tenir jamais rien je promettray sans cesse,
530 Tant qu’enfin la jaunisse entraîne la Maîtresse*,
Et que le Chevalier qui n’aura pas le sou {p. 32}
S’aille de desespoir faire casser le cou.
Les Turcs le devoient bien eschiner en Candie.

CARLIN.

Ils ont tort, mais pour luy, que voulez-vous qu’on die ?
535 C’est l’ordre, chacun vit le plus long-temps qu’il peut.

LE MARQUIS.

Tay toy, l’on vient à nous. Jour et nuit on m’en veut,
C’est quelque Belle encor.

CARLIN.

Je vay la reconnoistre.

SCENE IV. §

LE MARQUIS, VIRGINE, CARLIN.

VIRGINE.

Carlin.

CARLIN.

C’est toy, Virgine !

VIRGINE.

Ouy, qui cherche ton Maistre.
Vous puis-je dire un mot, Monsieur ?

LE MARQUIS.

Quatre au lieu d’un.
540 La honte vous fait donc choisir le moment brun,
Et vous venez dans l’ombre en fine* tapinoise
Eprouver si mon cœur aisement s’apprivoise ?

VIRGINE.

Du moins je vous apporte un advis* important,
Ce soir à la fenestre Olympe vous attends.

LE MARQUIS.

{p. 33}
545 Quoy, la Fille d’Anselme ?

VIRGINE.

Elle mesme.

LE MARQUIS.

La chate !
L’honneur de m’épouser terriblement la flate ;
Dés ce soir seul à seul vouloir m’entretenir* ?

VIRGINE.

Vous voyez le balcon, y peut-elle venir ?
La nuict se fait obscure.

LE MARQUIS.

Obscure, ou non, qu’importe ?
550 Cours assembler mes Gens* pour me servir d’escorte,
Carlin, dans un moment, je te rejoins chez moy.

CARLIN

On vous demande seul.

LE MARQUIS.

Quelque badaut, ma foy.
Tiens-moy preste sur tout cette cotte de maille
Qui me sert quand de nuit le cas veut qu’on chamaille.
555 Que sçait-on quelquefois ce qui peut arriver ?
Va viste.

SCENE V. §

LE MARQUIS, VIRGINE.

LE MARQUIS.

Au rendez-vous je sçauray me trouver.

VIRGINE.

Ne vous éloignez point, Monsieur ; à la fenestre
Avec moy tout à l’heure Olympe va paroistre.

LE MARQUIS.

{p. 34}
Tu la peux advertir, je reviens sur mes pas.
560 Si elle me connoit ?

VIRGINE.

Qui ne vous connoit pas ?
Un homme dont par tout on parle avec éloge ?

LE MARQUIS.

Il est vray qu’il faudroit estre pis qu’Allobroge.
Je fais bruit si jamais aucun Marquis en fit.

VIRGINE.

Vous estes beau, galant*, gratieux, plein d’esprit.

LE MARQUIS.

565 Tu te connois en gens*. Pour l’esprit, d’ordinaire,
J’en cache la moitié dont je ne sçay que faire,
Sans cela je mettrois tout le monde en defaut.

VIRGINE.

Olympe est donc, Monsieur, tout comme il vous la faut
Vous pouvez pratiquer le haut stile* avec elle,
570 Luy parler serieux, d’un ton grave*.

LE MARQUIS.

Est-tu belle,
Car dans l’obscurité je ne sçaurois sçavoir
Comme ton nez est fait, s’il est ou blanc ou noir ?

VIRGINE.

Vous estes curieux.

LE MARQUIS.

Tu me parois friponne*,
Et comme en certains temps volontiers on raisonne,
575 Si je te connoissois digne de raisonner…

VIRGINE.

J’entens marcher, adieu. {p. 35}

SCENE VI. §

LE MARQUIS, LE CHEVALIER.

LE MARQUIS.

Qui vient m’importuner ?

LE CHEVALIER.

Je vous ay par hazard apperceu dans la ruë,
Je m’en allois chez vous.

LE MARQUIS.

Vous avez bonne veuë,
Je ne vous voyois pas, moy.

LE CHEVALIER.

L’amour est pressant,
580 Et me fait vous…

LE MARQUIS.

Autant en un mot comme en cent.
Vous venez demander l’effet de ma harangue ?
Jamais je ne me suis mieux servy de ma langue,
Et j’ay si bien presché, qu’à l’éclat de mon nom
Le bon homme éblouy n’a pû me dire, non.

LE CHEVALIER.

585 Il me donne sa fille ?

LE MARQUIS.

Elle sera Lorgnaque.

LE CHEVALIER.

Quelle gloire !

LE MARQUIS.

Pour vaincre, il suffit que j’attaque.

LE CHEVALIER.

{p. 36}
Que ne vous dois-je point !

LE MARQUIS.

Mon Dieu, je le sçay bien.

LE CHEVALIER.

Si mon sang*

LE MARQUIS.

Laissons-là vos compliments de chien,
Je n’en veux point.

LE CHEVALIER.

Il faut me taire, mais sans doute…

LE MARQUIS

590 Eloignons-nous d’icy de peur qu’on nous écoute.

LE CHEVALIER.

Puisque mes feux* d’Olympe ont merité la main,
Je voudrois…

LE MARQUIS.

Et bien, quoy ? jaser jusqu’à demain ?
Venez, pour satisfaire à vostre impatience,
Jusqu’au prochain détour je vous donne audience.

LE CHEVALIER bas.

595 Ne vois-je pas quelqu’un qui s’avance au balcon ?
Si c’est Olympe ?

LE MARQUIS.

Enfin me suivez-vous, ou non ? {p. D, 37}

SCENE VII. §

LUCRECE, OLYMPE, VIRGINE.

LUCRECE  dans le balcon.

Je n’entens plus personne.

VIRGINE.

Il ne tardera guere.

OLYMPE à Lucrece.

Cousine, va de grace entretenir* mon Père,
Et l’amuse si bien par ce que je te dis,
600 Que je trouve le temps de parler au Marquis.

LUCRECE.

J’aurois à l’écouter une joye excessive,
Mais pour tes interests il faut que je m’en prive,
Tel qu’il puisse estre, au moins j’en attens le portrait.

OLYMPE.

Repose-t’en sur moy, tu l’auras trait pour trait.

SCENE VIII. §

OLYMPE, VIRGINE.

VIRGINE.

605 N’en déplaise à quiconque a fait la médisance,
Je maintiens le Marquis un Marquis d’importance.
Si ce grand serieux n’est pas dans ce qu’il dit,
C’est qu’il a l’humeur gaye et qu’il se divertit,
Mais quand il veut il parle, et des mieux.

OLYMPE.

{p. 38}
Je souhaite
610 Qu’il n’ait pas les defauts…

VIRGINE.

Charitez qu’on luy préte.
Croyez-moy, le mal est qu’à trop l’examiner,
Vous estes prévenuë, et voudrez rafiner ?

OLYMPE.

Mais tu sçais à quel point Oronte le méprise.

VIRGINE.

C’est qu’il enrageroit si vous estiez Marquise,
615 Et qu’il ne sçauroit voir sans en estre jaloux,
Qu’en l’épousant, Lucrece ait moins de rang que vous.

SCENE IX. §

LE CHEVALIER, OLYMPE, VIRGINE.

LE CHEVALIER bas.

J’ay quitté mon Brutal pour chercher ce que j’aime.

OLYMPE.

N’entens tu pas du bruit ?

VIRGINE.

J’écoute, c’est luy mesme.

OLYMPE.

Son retour est bien prompt.

VIRGINE.

L’amour l’a fait voler.

LE CHEVALIER.

620 Mes vœux estant receus je puis enfin parler.
Est-ce vous, belle Olympe ?

OLYMPE.

{p. 39}
Ouy, parlez bas de grace.

LE CHEVALIER.

Un Père de ma flame* authorise l’audace,
Et fort de son adveu je pourrois m’applaudir
Sur le flateur espoir qu’il luy plaist d’enhardir.
625 J’en prens, je vous l’avouë, assez de confiance
Pour ne balancer plus à rompre le silence;
Mais cét adveu, Madame, asseure peu ma foy
A voir tout ce qui doit vous parler contre moy.
Quoy qu’il semble à mes vœux donner pleine victoire,
630 Vous demeurez toûjours arbitre de ma gloire,
Et l’espoir qu’il me souffre est pour moy sans douceur
Si je n’ay merité de toucher vostre cœur.
C’est luy qu’à cet espoir l’amour veut qui consente,
Je ne suis point heureux si vous n’estes contente,
635 Et le moindre soupir* à vostre ame échapé
Me reproche un pouvoir lâchement usurpé.
Aurois-je le malheur de vous en faire naistre ?

VIRGINE.

Madame, ce début ? hem ? m’y sçay-je connoistre ?

OLYMPE.

Voyons la suite, il peut l’avoir étudié.
640 L’Amour hait ce qu’il tient d’un secours mandié*,
Et tout autre peut-estre eust tâché de me plaire
Avant que d’employer l’authorité d’un Père.
N’importe, c’est beaucoup pour flater vostre espoir,
Sa parole est donnée, et je sçay mon devoir.

LE CHEVALIER.

645 Si je m’en prévalois vous pourriez vous en plaindre ;
Mais quoy qu’il m’ait promis, vous n’avez rien à craindre.
Pressé de mon amour je ne l’ay fait parler
Que pour estre en pouvoir de vous plus immoler.
Incertaine autrement s’il agréeroit ma flame*, {p. 40}
650 Vous tiendriez vos vœux renfermez dans vôtre ame,
Mais lors que mon respect vous soûmet son adveu,
Je vous donne plein droit d’ordonner de mon feu*,
Sur luy, sur son espoir vous estes Souveraine ;
Ainsi dites un mot, sa victoire est certaine,
655 C’est de vous qu’il la veut, prest à la refuser
Si vos desirs contraints s’y peuvent opposer.

OLYMPE.

Ce n’est pas grand effort que de se rendre maistre
D’un amour qui ne fait que commencer à naistre.

LE CHEVALIER.

Que commencer à naistre ? Ah, ne le croyez pas.
660 Je brûle dés long-temps pour vos divins appas*,
Le respect, il est vray, jusqu’icy m’a fait taire,
Mais je n’en ay pas eu moins d’ardeur de vous plaire,
Et mes yeux ont trahy les ordres de mon cœur
S’ils ne vous ont cent fois parlé de ma langueur.
665 A vous chercher par tout leur soin* estoit extréme,
Au Temple, dans la ruë, à vostre balcon mesme,
Et les vostres souvent par un regarde rendu
Ont semblé m’avertir que j’étois entendu.

OLYMPE.

Une ardeur si discrete a merité sans doute
670 De me trouver sensible aux soins* qu’elle vous coûte,
Mais ma mémoire en vain* vous cherche sur mes pas.

LE CHEVALIER.

Vous ne m’avez point veu ?

OLYMPE.

Je ne m’en souviens pas.

LE CHEVALIER.

Je m’en estois flaté ; pour moy je vous ay veuë,
Mais cent fois, mais toûjours de tant d’attraits* pourveuë,
675 Que mes brûlants transports* s’augmentant chaque jour, {p. 41}
A peine tout mon cœur suffit à mon amour.
Tout ce qui de mes sens fit d’abord la surprise,
N’eut rien que ma raison aujourd’huy n’authorise.
Sans cesse elle me dit qu’il faut vous adorer,
680 Qu’à l’heur* de vous servir rien n’est à préferer :
Madame, je me pers pour avoir trop à dire.

VIRGINE bas à Olympe.

Pouvez-vous écouter ces fadaises* sans rire ?

OLYMPE.

Tay toy.

VIRGINE.

Ce n’est qu’un sot*, il ne sçait ce qu’il dit.
Il vous plaist donc ?

OLYMPE.

Que trop.

VIRGINE.

Il n’avoit point d’esprit.

LE CHEVALIER.

685 Vous consultez ensemble, helas, qu’en dois-je croire ?
Parlez, resolvez-vous ou ma perte, ou ma gloire ?

OLYMPE.

Vous venez de me peindre un cœur bien enflamé*,
Et quiconque aime ainsi merite d’estre aimé.
Mais si d’un autre amour j’étois préoccupée ?

LE CHEVALIER.

690 Ah, quel desespoir j’aurois l’ame frapée !
J’en mourrois de douleur, mais dans mes déplaisirs
Vous ne me verriez point contraindre vos desirs.
Je vous l’ay déjà dit ; malgré l’aveu d’un Père
Je renonce à l’espoir si je ne puis vous plaire,
695 Un autre à vostre bien pourroit estre attaché,
Mais ce n’est que de vous que j’ay le cœur touché,
Et quand vous auriez eu le sort moins favorable {p. 42}
Vous seriez à mes yeux également aimable,
Vostre seule personne est tout ce que je voy.

OLYMPE.

700 Ces nobles sentiments obtiennent tout de moy,
Et rien ne sçauroit plus m’obliger à vous taire,
Que quand vous ne seriez que ce qu’est vostre Frere,
Trahy de la fortune ; avec la mesme ardeur
Je voudrois vous donner et ma main et mon cœur.
705 Ny le rang de Marquis, ny tous vos droits d’aînesse…

LE CHEVALIER bas.

Elle croit que je sois le Marquis ? Ah Dieux !

OLYMPE.

Qu’est-ce ?
Nous vient-on écouter ?

LE CHEVALIER.

Non, Madame, achevez.
Voylà les derniers coups qu’il m’avoit reservez,
Je le voy trop, le lâche a parlé pour luy mesme.

OLYMPE.

710 Non, vostre Marquisat ne fait pas ce que j’aime,
Et pour gagner mes vœux sur le choix d’un Epoux,
Vos soins* n’avoient besoin seulement que de vous.

LE CHEVALIER.

Donc à ce que j’aprens vous connoissez mon Frere ?

OLYMPE.

Quoy, vostre Chevalier ? il prétend à me plaire,
715 Et je croy qu’il est bon de vous en advertir
Bien moins par vanité que pour vous divertir.

LE CHEVALIER.

Vous le voyez souvent ?

OLYMPE.

Plus que je ne souhaite,
Il me cherche en tous lieux, passe, revient, s’arréte,
Jour et nuit fait la ronde, et je m’étonne bien {p. 43}
720 Qu’il n’est déja venu troubler nostre entretien.

LE CHEVALIER.

Et ses empressements* ne font que vous déplaire ?

OLYMPE.

Je le dois épargner estant né vostre Frere.

LE CHEVALIER.

Non, vous m’obligerez de ne me point cacher
D’où vient que tant de soins* ne vous ont pû toucher ?
725 Le trouvez vous mal fait ?

OLYMPE.

Sa personne est bien prise,
Si j’en croy ses Amys, dans le monde on le prise,
Mais puis qu’il vous en faut dire la verité,
Il me paroist avoir grande stupidité :
Et comme enfin le cœur a ses secrets suffrages,
730 Eust-il et vostre bien et tous vos avantages,
Si mon Père pour luy disposoit de ma foy,
Mon devoir me seroit une fort dure loy ,
J’irois jusqu’à l’éclat plutost que m’y resoudre.
Vous ne me dites rien ?

LE CHEVALIER bas.

Ah, Dieux ! quel coup de foudre !

VIRGINE à Olympe.

735 C’est qu’on fait quelque bruit, et qu’il écoute. {p. 44}

SCENE X. §

LE MARQUIS, OLYMPE, LE CHEVALIER, VIRGINE, CARLIN.

LE MARQUIS à Carlin.

Allons ?
Pour m’entendre jaser tiens-toy sur mes talons.
Mille jolivetez qui dans l’esprit me viennent…
Mon cocher, mes laquais ?

CARLIN.

Ils sont-là.

LE MARQUIS.

Qu’ils s’y tiennent.

OLYMPE au Chevalier.

Quelqu’un s’avance, adieu, Marquis separons-nous.

LE CHEVALIER à Olympe.

740 C’est mon Frere.

OLYMPE.

Je crains l’insulte d’un jaloux,
Je vous l’avois bien dit, qu’il passoit à toute heure.

LE MARQUIS.

Qui va là ?

LE CHEVALIER.

Moy.

LE MARQUIS.

Qui ?

LE CHEVALIER.

Moy.

LE MARQUIS.

{p. 45}
C’est mon Frere, où je meure,
Carlin.

CARLIN.

Qu’il se retire.

LE MARQUIS.

Et s’il fait le mutin* ?

OLYMPE.

Ah, Dieux !

LE CHEVALIER.

Ne craignez rien.

LE MARQUIS.

Jusqu’à demain matin,
745 Je veux estre icy seul, qu’on déloge.

LE CHEVALIER.

Quoy, traistre,
Tu prétens avec moy parler toûjours en maître ?

LE MARQUIS.

Mes Gens*.

LE CHEVALIER.

Tu m’a fourbé.

LE MARQUIS.

Viste, mes Gens*, à moy,
Main basse.

LE CHEVALIER.

Quoy, main basse ? Avance, et songe à toy.
Tu recules, infame.

OLYMPE.

Où me vois-je réduite ?

VIRGINE.

750 Monsieur le Chevalier prend galamment la fuite.

OLYMPE.

Quel brutal ? contre un Frere ?

VIRGINE.

Il se sauve en larron ;
Et cependant de jour il fait le fanfaron,
A le voir, vous diriez que c’est la valeur mesme. {p. 46}

OLYMPE.

Le nombre m’épouvante, et ma peine est extéme.

VIRGINE.

755 Le Marquis est adroit ; comme il l’a relancé !
Ils sont déjà bien loin.

OLYMPE.

S’il faut qu’il soit blessé.

VIRGINE.

Il se ménagera.

OLYMPE.

Retirons-nous, Virgine.

VIRGINE.

Vous vous inquiétez, n’en faites point la fine*.

OLYMPE.

Je crains toûjours pour luy.

VIRGINE.

Vous l’aimez donc ?

OLYMPE.

Helas !
760 Je ne craindrois pas tant si je ne l’aimois pas

Fin du second Acte.

{p. 47}

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

LUCRECE, ORONTE.

LUCRECE.

Vous vous éloignez donc ?

ORONTE.

La peine m’est cruelle,
Mais il faut obeïr, l’ordre du Roy m’appelle.
Au moins ce qui me rend ce malheur adoucy,
J’espere, à mon retour, trouver ma Sœur icy,
765 Et que tout sera prest pour l’heureux hymenée
Qui doit à vostre sort unir ma destinée.

LUCRECE.

Je crains un long sejour si l’ordre est important ;

ORONTE.

Je prens, pour moins tarder, la porte au mesme instant,
Et j’obtiens, dans trois jours, le bonheur que je presse,
770 Pourveu qu’en arrivant je trouve la Comtesse.
L’amitié qui nous joint la fera se haster.
Olympe cependant pourra se consulter,
Je crains tout de l’Epoux qu’Anselme luy destine.

LUCRECE.

J’ignore, en le voyant, ce que fera sa mine ; {p. 48}
775 Mais l’ayant cette nuit long-temps entretenu,
Elle veut que d’erreur chacun soit prévenu :
Jamais, s’il l’en faut croire, on n’eut tant de mérite.

ORONTE.

Mais moy-mesme je viens de luy rendre visite.
Vostre Oncle m’a mené luy faire compliment,
780 Et puis que je l’ay veu, j’en parle sçavamment.

LUCRECE.

Et que vous a-t’il dit ?

ORONTE.

Sottise* sur sottise*,
Qu’un Abbé luy fait piece avec une Marquise,
Et que ma Sœur jamais ne luy pardonnera
S’il néglige à la voir dés qu’elle arrivera.

LUCRECE.

785 Il connoit la Comtesse ?

ORONTE.

Il se le persuade.
Où l’auroit-il pû voir ? pure fanfaronnade !
Le bon homme luy-mesme en est scandalisé.

LUCRECE.

A cela prest encor a-t’il l’esprit aisé ?

ORONTE.

Rien moins, et l’on croiroit qu’il cherche à faire rire. [E, 49]

SCENE II. §

OLYMPE, LUCRECE, ORONTE.

OLYMPE à Oronte.

790 Est-ce une verité que l’on vient de me dire ?
Vous partez ?

ORONTE.

Ouy, Madame, et par l’ordre du Roy.

LUCRECE.

Mais vous m’avez promis…

ORONTE.

Je sçay ce que je doy,
Mon cœur qui vous demeure asseure ma promesse ;
Cependant, belle Olympe, ayez soin* de Lucrece,
795 Tous les moments qu’icy je donne à mon amour
Ne font que differer d’autant plus mon retour,
Ainsi puis qu’il le faut je m’arrache à moy-mesme.

SCENE III. §

LUCRECE, OLYMPE.

OLYMPE.

Le chagrin de l’absence est cruel quand on aime,
Cousine, je te plains.

LUCRECE.

Il doit si-tost cesser,
800 Que je n’auray pas trop le loisir d’y penser.
D’ailleurs, j’ay tant de part à prendre dans ta joye… {p. 50}

OLYMPE.

Tu m’aimes, et je sçay ce qu’il faut que j’en croye.
Mais que t’as dit Oronte ? Il a veu le Marquis.

LUCRECE.

Que sert de te parler, si ton dessein* est pris ?
805 Il te plaist, c’est assez.

OLYMPE.

Mais quoy qu’il m’ait sceu plaire,
Si tu m’ouvrois les yeux…

LUCRECE.

Vois-tu ? je suis sincere,
Et je te dirois plus que tu ne veux sçavoir.

OLYMPE

Quels defauts a-t’il veus ?

LUCRECE.

Tout ce qu’on en peut voir,
Une vanité forte, un esprit ridicule.

OLYMPE.

810 Ah, pour l’esprit, permets que je sois incrédule,
Je m’y connois un peu ; pour quelque vanité
C’est un vice ordinaire aux gens* de qualité*,
Et peut-estre est-il bon, quoy que le monde en cause,
De croire quelquefois que l’on vaut quelque chose.
815 Si le Marquis se juge un peu d’orgueil permis,
Avec moy, pour le moins, il n’est rien plus soûmis,
C’est un respect si grand, une ardeur si discrete,
Que…

LUCRECE.

T’en voilà coifée, il t’a dit la fleurette*,
Mais ce qui me confond, c’est de voir qu’un moment
820 Ait produit dans ton ame un si grand changement.
Je veux qu’il ne soit pas ce qu’on le prétend estre, {p. 51}
Ce n’est que d’hier au soir que tu le peux connoistre,
L’entretien dura peu, tu parlas sans le voir,
Et déjà sur ton cœur l’amour a tout pouvoir ?

OLYMPE.

825 Voilà ce que sur moy fait l’esprit, c’est mon charme,
Quoy que fiére, par luy ma fierté se desarme,
Et pour estre le prix d’un don si precieux,
Mon cœur n’a pas besoin du conseil de mes yeux.

LUCRECE.

Sans ce rafinement, dy que ce qui t’a prise,
830 C’est la douceur de voir que tu seras Marquise ;
Cousine, un si beau nom couvre bien des defauts.

OLYMPE.

Ah, tu me connois mal.

LUCRECE.

Je sçay ce que tu vaux,
Le faste jusqu’icy ne t’a point ébloüie,
Mais le Marquis peut bien…

OLYMPE.

Tu t’en és réjoüie,
835 Soit ; au moins croy tes yeux plûtost qu’un faux rapport ;
Je l’estime, il viendra, tu verras si j’ay tort.
Ce n’est pas seulement son esprit que j’admire,
Son courage l’égale, et l’on n’en peut trop dire.
Si je te pouvois bien dépeindre de quel air
840 Il repoussa son Frere, et le fit reculer…

SCENE IV. §

{p. 52}
OLYMPE, LUCRECE, VIRGINE.

VIRGINE à Olympe.

Madame, une visite où vous ne songiez guere.

LUCRECE à Virgine.

Ce n’est pas le Marquis ?

VIRGINE.

Non, c’est son brave* Frere.

OLYMPE.

Dequoy s’avise-t’il ?

LUCRECE.

Quoy que l’on t’en ait dit,
Tu t’és préoccupée, il doit manquer d’esprit.

OLYMPE.

845 Sur un pareil defaut quand je luy ferois grace,
Ce qu’il fit hier au soir marque une ame si basse,
Qu’au moins si je m’en tais, il sera malaisé
Qu’il me trouve à l’estime un cœur bien disposé.

VIRGINE.

De peur que le Vieillard luy-mesme ne l’amene,
850 Je vay vous écouter de la chambre prochaine,
Prenez l’occasion de faire enfin ma paix.

OLYMPE.

J’employeray le Marquis, va, je te le promets.

SCENE V. §

{p. 53}
LE CHEVALIER, OLYMPE, LUCRECE.

LE CHEVALIER.

Madame, j’ay douté si ce seroit vous plaire
Que venir prendre part au bonheur de mon Frere,
855 Je suis né malheureux, et voy malgré mes soins*
Que souvent j’importune où je l’ay cru le moins.
Mais l’honneur que sur moy fait rejallir sa flame*,
Avecque trop de force a penetré mon ame,
Pour ne m’avoir pas fait à la fin surmonter
860 Le scrupuleux respect qui vouloit m’arréter.
Si d’un pareil devoir l’empressement* vous gêne*,
Au moins daigner songer qu’un beau zéle* m’améne,
Et qu’il ne me faloit qu’avoir le sort plus doux
Pour en rendre l’ardeur moins indigne de vous.

OLYMPE.

865 Je dois trop aux bontez du Marquis vostre Frere
Pour ne pas estimer ce qu’il vous plaist de faire,
Et vous m’avez fait tort quand vous avez douté
Si vous hazarderiez* cette civilité*.
Non que je la merite, et que je deusse attendre
870 Que vous pussiez si-tost songer à me la rendre ;
Mais j’ay quelque lumiere, et sans rien éxiger,
Je sçay ce que je dois à qui veut m’obliger.

LE CHEVALIER.

Ah, vous ne devez rien, et quoy qu’on puisse faire,
On en est trop payé par l’honneur de vous plaire.
875 Mais helas ! quels devoirs si pressans, si soûmis {p. 54}
Pourroient jamais laisser ce doux espoir permis ?
Vous plaire est une gloire au dessus de toute autre,
Tout merite s’efface à voir briller le vostre,
Et le bonheur d’un seul par ses flateurs appas*,
880 Cause bien des soûpirs* que vous n’entendez pas.

LUCRECE à Olympe.

Est-il stupide ?

OLYMPE.

Non, j’en suis assez contente ;
Mais le Marquis, c’est bien autre chose, il enchante.
Au chevalier.
J’étois peu préparée à recevoir de vous
Des éloges conceus en des termes si doux,
885 Je les trouve un peu forts.

LE CHEVALIER.

S’ils n’ont rien qui vous touche,
C’est qu’ils perdent leur grace en passant par ma bouche ;
Mais l’absence où je suis tout prest à recourir,
Vous laissera de moy peu de chose à souffrir.

LUCRECE.

Vous nous abandonnez ?

LE CHEVALIER.

Paris m’est trop contraire,
890 Le Ciel depuis long-temps m’y voit d’un œil severe,
Et peut-estre qu’ailleurs j’auray le sort plus doux.

OLYMPE.

Quel malheur assez grand vous éloigne de nous ?

LE CHEVALIER.

Celuy de trop aimer, et de ne sçavoir plaire.

OLYMPE.

La Dame est bien cruelle.

LE CHEVALIER.

Ah Dieux, qu’elle m’est chere !
895 Quoy que ses durs mépris me causent mille maux, {p. 55}
Je n’ay point à m’en plaindre, elle sçait mes defauts,
J’en dois subir la peine, en aimer la justice.

LUCRECE.

Il n’est point de rigueur que le temps ne fléchisse,
Voyez, parlez, pressez, pourquoy vous rebuter.

LE CHEVALIER.

900 Que je presse ! non, non, rien n’est plus à tenter.
L’amour plus de cent fois m’a fait chercher sa veuë,
Je n’en ay parlé qu’une, et cette fois me tuë,
Dans cette seule fois elle m’a fait sçavoir
Tout ce qui porte une ame au plus vif desespoir,
905 Dans cette seule fois elle m’a fait entendre…

OLYMPE.

Cette façon d’agir ne me peut trop surprendre.
Le cœur doit estre libre à se laisser charmer,
Mais on peut sans mépris se défendre d’aimer.

LUCRECE.

Que je luy veux de mal !

LE CHEVALIER.

Ah, non, quoy qui m’arrive,
910 Qu’elle ait tout le bonheur dont sa rigueur me prive,
Par là mon desespoir pour estre soulagé,
Et tout ce que je crains c’est d’en estre vangé.

OLYMPE.

Tant de respect gardé fait voir…

LE CHEVALIER.

Adieu, Madame,
A trop d’emportement* j’abandonne ma flame*,
915 Et sans doute j’ay tort de mesler mes chagrins
Aux sensibles douceurs de vos heureux destins.

SCENE VI. §

{p. 56}
LUCRECE, OLYMPE.

LUCRECE.

Dy tant que tu voudras que ton Marquis l’efface,
Sa plainte m’a touchée.

OLYMPE.

Il la fait avec grace,
Et sans ce qu’il fit hier qui témoigne un cœur bas,
920 Son esprit, tel qu’il est, ne me déplairoit pas.

LUCRECE.

Il a voulu toûjours épargner ce qu’il aime,
Et d’abord je croyois qu’il parlast de toy mesme,
Son œil estoit vers toy si tendrement tourné…

OLYMPE.

Sur quelques soins* rendus je l’aurois soupçonné,
925 Mais pour luy quels mépris ay-je laissé paroistre ?

LUCRECE.

Cette nuit au Marquis tu les as fait connoistre.

OLYMPE.

Le Marquis est discret.

LUCRECE.

Ne te répons de rien.

OLYMPE.

Mais avec luy jamais ay-je quelque entretien ?
Il dit qu’il a parlé.

LUCRECE.

Ce n’est pas toy qu’il aime,
930 D’accord ; on le maltraite, et tu ferois de mesme,
Qu’importe quel Objet sa passion ait eu ?

OLYMPE.

{p. 57}
Voicy quelque message.

SCENE VII. §

OLYMPE, LUCRECE, CARLIN,

LUCRECE.

Approche.

OLYMPE.

Que veux-tu ?

CARLIN.

C’est Monsieur le Marquis, Madame, qui m’envoye…

OLYMPE.

Le Marquis ?

CARLIN.

Il est là.

LUCRECE à Olympe.

Tes yeux brillent de joye.

OLYMPE.

935 Qu’il entre.

CARLIN bas.

Elles verront un rare*Original*.

OLYMPE.

Enfin tu vas juger si je m’y connois mal.

LUCRECE.

Je me tais.

OLYMPE.

Le voicy.

LUCRECE.

Quel excez de parure !
Il est tout englouty dedans sa chevelure.

OLYMPE.

Que dis-tu de son air ? L’a-t’il galant* et doux ?

SCENE VIII. §

{p. 58}
LE MARQUIS, OLYMPE, LUCRECE, CARLIN.

LE MARQUIS à Carlin.

940 C’est celle-cy ?
à Olympe.
Bon jour, comment vous portes-vous ?

OLYMPE.

Comme ayant eu long-temps toute l’inquietude
Où d’un malheur qu’on craint plonge l’incertitude.
Ce combat impréveu…

LE MARQUIS.

Vous parlez d’hier au soir ?
Ce n’est rien, en courant j’eus belle peur de choir.
945 J’en tenois tout du long faisant la culebute.

OLYMPE.

De nuit les plus vaillants son sujets à la chute.

LE MARQUIS.

Comment aurois-je fait pour n’estre point vaillant ?
Ce n’est que feu par tout, j’ay le sang* pétillant.
Ta, ta, ta, quand je voy que l’Ennemy recule,
950 Et haye après.

OLYMPE bas.

D’où vient qu’il fait le ridicule ?
Me veut-il éprouver ?

LE MARQUIS.

Je croy qu’en cét instant
Vous avez à me voir le cœur bien palpitant.
Que je taste.

OLYMPE.

{p. 59}
Ah, grands Dieux !

LE MARQUIS montrant Lucrece.

C’est-là vostre Cousine ?

OLYMPE.

Pourquoy le demander ?

LE MARQUIS.

On le voit à sa mine.
955 Elle a le front ouvert, la bouche à l’avenant,
Et visage jamais ne fut plus cousinant.

LUCRECE à Olympe.

C’est-là ce grand esprit ?

OLYMPE.

Ne me dy rien. J’enrage.
Se peut-il faire…

LE MARQUIS.

Encor un mot de cousinage.
Tout à l’heure en entrant j’ay trouvé deux blondins
960 Qui pour me haranguer se sont dits vos Cousins.
Je leur ay de mes Gens* chez eux offert l’escorte,
Baissé la teste en suite, et fait fermer la porte.

LUCRECE.

Ils meritoient de vous plus de civilité*.

LE MARQUIS.

Je hay ces compliments à droit de parenté,
965 Cent devoirs dans l’abord de peur qu’on se mutine*,
Grand-accueil au Cousin, et tout pour la Cousine.

LUCRECE.

Quoy, vous serez jaloux ?

LE MARQUIS.

Ouy, si je deviens fou.
Jaloux ! Je ne voy pas ny comment ny par ou.
Diable, aprés qu’on m’a veu regarde-t’on personne ?
970 Cét œil perçant ? ce tour de visage ? Ah, friponne* !
Je vous voy me lancer un regard tendre et doux, {p. 60}
Qui fait…
à Olympe.
Vostre Cousine est plus belle que vous.

LUCRECE.

Vous nous déconcertez, cela se doit-il dire ?

LE MARQUIS.

Doive ou non, je m’en ris.

LUCRECE.

Mais pourquoy vous en rire ?
975 Puis qu’enfin vous l’aimez…

LE MARQUIS.

C’est-là la question,
L’amour me cause encor peu d’indigestion,
Et j’ay le cœur…

LUCRECE.

Nier une flame* advoüée !

OLYMPE.

Il m’en faut éclaircir, sans doute on m’a joüée.
Estes-vous le Marquis ?

LE MARQUIS.

La buse !

OLYMPE.

Répondez.

LE MARQUIS.

980 Vous mesme sçavez-vous ce que vous demandez ?

OLYMPE.

Cousine, on me fait piece.

LUCRECE.

Elle seroit bien forte.

LE MARQUIS.

Si je suis le Marquis ? Ouy, le Diable m’emporte,
Je le suis.

OLYMPE.

Quoy, celuy qu’en qualité* d’Epoux…

LE MARQUIS.

[F, 61]
Celuy qui cette nuit avoit le rendez-vous.
985 Quel rendez-vous ! jamais je n’eus frayeur semblable,
Mon Cadet dégainant a fait d’abord le diable,
Et si je n’eusse pas promptement détalé,
J’en avois tout au moins pour un bras avalé.

LUCRECE à Olympe.

C’est là comme tu dis qu’il a poussé son Frere ?

OLYMPE.

990 A la fin je commence à percer le mystere,
Vous n’avez pû me voir ?

LE MARQUIS.

Il m’avoit prévenu*.
Mais dites, l’avez-vous long-temps entretenu ?
Il vous en a bien dit, car enfin il enrage
D’avoir esté dupé sur vostre mariage.
995 Ayant auprés d’Anselme imploré mon appuy,
Il croyoit fortement que j’eusse agy pour luy ;
Mesme pour me pouvoir divertir de sa flâme*,
Je l’avois asseuré qu’il vous auroit pour femme,
Qu’on approuveroit ses feux*. Vous l’aurez détrompé ?

OLYMPE.

1000 De quel étonnement mon esprit est frapé !

LUCRECE à Olympe.

Oronte avoit-il tort ? ton Marquis ?

OLYMPE.

Je le quitte.
Celuy dont je t’ay tant élevé le merite,
Que j’ay crû le Marquis, c’estoit le Chevalier.

LE MARQUIS.

Vous donnez toutes deux dans le particulier,
1005 Parlez haut, si l’amour à l’envy vous talonne,
Vous m’avez vû, le mal n’a plus rien qui m’étonne.
Quand avec le grand mot recevrez-vous ma foy, {p. 62}
Resveuse ?

OLYMPE.

Rien ne presse.

LE MARQUIS.

Et je veux presser, moy.

LUCRECE.

Un Amant* prend toûjours l’ordre d’une maîtresse*.

LE MARQUIS.

1010 Bon pour les non marquis.

OLYMPE.

Ah, ma chere Lucrece,
Quel malheur est le mien ?

LE MARQUIS.

Lucrece est un beau nom,
Est-ce par chasteté que vous l’avez pris ? non,
Vous avez l’œil tourné…

LUCRECE.

Que me voulez-vous dire,

LE MARQUIS.

Qu’une Lucrece en vous… regardez-moy sans rire.
1015 Si, comme il est encor des Tarquins, par hazard
Vous en trouviez quelqu’un, joueriez-vous du poignard ?

LUCRECE.

Je ne vous entens point.

LE MARQUIS.

Vous avez lû l’Histoire,
Coquine, vous riez.

OLYMPE.

Qui l’eust jamais pû croire ?

LE MARQUIS à Olympe.

Mais vous ne riez point, vous ?

OLYMPE.

Moy rire ? et dequoy ?

LE MARQUIS.

{p. 63}
1020 De la voir rire. Elle est grassette.

OLYMPE.

Laissez-moy.

LE MARQUIS.

Je veux…

OLYMPE.

Ne veuillez rien.

LE MARQUIS.

Ah, petite doduë,
Pour un peu d’embonpoint vous faites l’entenduë !
S’il ne faut pour cela que faire voir du gras,
Je m’en vay vous montrer…

LUCRECE.

Ah, ne nous montrez pas.
1025 Mon Dieu, le vilain homme !

OLYMPE.

Où peut estre mon Père ?
Il le faut appeller.

LE MARQUIS.

Nous n’en avons que faire,
Ces bouquins du vieux temps ne sont propres à rien.

OLYMPE.

Vous le traitez si mal…

LE MARQUIS.

Je le traite assez bien.
Si le nom de bouquin est un nom qui le choque,
1030 D’où vient qu’il vieillissoit ? c’est pour luy, je m’en moque.

LUCRECE.

Mais quand vous vieillirez…

LE MARQUIS.

Pourquoy vieillir ? les ans
Ne sont faits proprement que pour les sotes* gens*.
Qu’on ait l’air tel que moy, galant*, fin*, le visage {p. 64}
Soustenu d’un brillant…c’est toûjours le bel âge.
1035 Voyez-moy bien, je suis des propres s’il en est.
Mon habit vous plaist-il ?

OLYMPE.

Rien de vous ne me plaist.

LE MARQUIS.

Rien de moy ne vous plaist ? la laide, la mauvaise.

LUCRECE.

L’injurier !

LE MARQUIS.

Je veux que mon habit luy plaise,
Il est bien entendu, chamarré haut et bas,
1040 Fort riche en points, pourquoy ne luy plaira-t’il pas ?

OLYMPE.

Qu’il me donne la main ?

LE MARQUIS.

Vous ostant à mon frere,
J’étois fort résolu de n’en vouloir rien faire,
Mais puis que vous sçavez si peu me ménager,
Je vous épouseray pour vous faire enrager.

OLYMPE.

1045 M’épouser ?

LE MARQUIS.

Dés demain.

LUCRECE.

Oüy, si…

LE MARQUIS.

Point de replique.

LE MARQUIS.

Est-elle…

LE MARQUIS.

Contre vous gardez que je me pique,
Je vous épouserois toutes deux.

LUCRECE.

{p. 65}
Bon cela.

LE MARQUIS à Olympe.

Oh, oh, ma Reine, donc vous en voulez par là.
J’en vay danser de joye.

SCENE IX. §

LE MARQUIS, ANSELME, OLYMPE, LUCRECE.

LE MARQUIS.

Ah, vous voila, Beaupere.
1050 Je croy qu’en vostre temps vous étiez un bon Frere.
Peste*, l’heureux Grison ! qu’il est rablu !

ANSELME.

Mais vieux,
Et c’est…

LE MARQUIS.

Courrez-vous point quelque fois les bons lieux ?
Vous en avez la mine, et tout vieux que vous estes…

ANSELME.

Pareilles questions n’ont jamais esté faites.

OLYMPE.

1055 Voilà les beaux discours, et les termes choisis
Dont nous régale icy Monsieur vostre Marquis.

ANSELME.

C’est qu’il est gay, ma fille.

LE MARQUIS.

Et gay seul plus que trente.
Je ne vois point icy paroistre de suivante.

ANSELME.

{p. 66}
Ma Fille en avoit une, il l’a falu chasser.
1060 Certains tours trop rusez…

LE MARQUIS.

Je veux la remplacer,
Vous en choisir moy-mesme une drôle, follete,
C’est contre le chagrin une douce recepte,
Et comme vostre Fille a l’air trop serieux,
Ayant où m’égayer, je m’en porteray mieux.

ANSELME.

1065 Ma Fille aura toûjours si grand soin* de vous plaire…

LE MARQUIS.

Est-ce depuis long-temps que vous estes son Père ?

ANSELME.

Que répondre à cela ? je l’ay toûjours esté.

LE MARQUIS.

Toûjours ? quoy mesme avant vostre nativité ?
Le stupide !

ANSELME.

J’entens depuis qu’elle est au monde.

LE MARQUIS.

1070 C’est aussi là-dessus que je veux qu’on réponde.
Quel âge a-t’elle ?

ANSELME.

Elle a…

OLYMPE.

Quarante ans à peu prés.

ANSELME.

Elle raille*.

LE MARQUIS.

Pourtant son teint n’est pas trop frais.
Le laict de sa nourrice estoit-il bon ?

LUCRECE.

Courage.

LE MARQUIS.

{p. 67}
Pas là l’humeur des gens*

ANSELME.

N’en ayez point d’ombrage*.

LE MARQUIS.

1075 Et sa Mere ? soit dit sans vous desobliger,
Vous faisoit-elle point quelquefois enrager ?
Un Enfant tient de tout. Elle n’est pas la seule…

OLYMPE à Anselme.

De la Mere il ira jusqu’à la Bisayeule,
Et si vous l’écoutez, vous courez grand hazard…

LE MARQUIS à Olympe.

1080 Dequoy vous mélez-vous ?

OLYMPE.

Je dois y prendre part,
Et ne pas endurer…

LE MARQUIS.

Vous devriez vous taire,
Voyez, elle fera la leçon à son Père.
Eh, qu’on me la… Suffit, j’y veux mettre la main,
Concluons pour la Nopce*.

ANSELME.

Il est juste.

LE MARQUIS.

A demain.

ANSELME.

1085 La comtesse d’Orgueil qu’on attend à toute heure
Réglera…

LE MARQUIS.

J’ay reglé, l’un rit quand l’autre pleure,
Si vostre Fille est sote*, à son Dam.

OLYMPE à Anselme.

Jusqu’icy
L’heur* de vous plaire a fait mon unique soucy.
Mais si vous m’ordonniez d’accepter… {p. 68}

ANSELME.

J’ay de l’âge,
1090 Taisez-vous.

LE MARQUIS.

Bon, voilà parler en homme sage.

OLYMPE.

Plûtost que me resoudre…

LE MARQUIS à Anselme.

A croire son dépit
J’aurois dix mille écus portez par le dédit*,
Mais comme il ne faut pas que d’un honneste* Pere…
Dequoy diable vous estre avisé de la faire ?

ANSELME.

1095 C’est un fruit de l’hymen*.

LE MARQUIS.

Je vous en déferay,
Elle a la teste creuse, et j’y remedieray.
Ah, tu m’épouseras, guenonne.

OLYMPE à Anselme.

Si ma vie
Vous est…

ANSELME.

Encore un coup, taisez-vous.

LE MARQUIS à Olympe.

Je vous prie,
Finirez-vous bien-tost vos lamentables tons ?

LUCRECE.

1100 Mais, mon Oncle, souffrez…

LE MARQUIS.

Voicy l’autre. Sortons,
Beaupere, mon carrosse est là bas, et je pense
Qu’on peut, tout en roulant, se donner audience.

ANSELME.

{p. 69}
Il vaut mieux qu’icy seul…

LE MARQUIS.

Vous viendrez avec moy.

ANSELME.

J’aurois soin* de calmer…

LE MARQUIS.

Vous y viendrez, ma foy,
1105 Je ne m’étonne pas si la Fille est testuë.
Marchez.

ANSELME.

Ah !

LE MARQUIS le poussant.

Marchez donc, là, quel pas de tortuë !

ANSELME.

Sortiray-je avant vous ?

LE MARQUIS.

Ouy : le maudit Vieillard !
Qu’il aime à contester ! Les Belles, Dieu vous gard.

SCENE X. §

OLYMPE, LUCRECE, VIRGINE.

OLYMPE.

A-t’on jamais parlé de pareille folie ?

LUCRECE.

1110 C’est encor pis cent fois que ce qu’on en publie.

OLYMPE.

Pour se l’imaginer je le donne au plus fin*.

VIRGINE.

Le bon homme est sorty, je puis paroistre enfin.

OLYMPE.

{p. 70}
Ah, Virgine.

VIRGINE.

Ma foy, j’en suis toute interdite.

LUCRECE.

Mais tu nous le vantois, où donc est ce merite ?
1115 Comment avois-tu pû luy trouver de l’esprit ?

VIRGINE.

Les Foux semblent-ils foux quand on leur aplaudit ?
J’avois bien hier connu m’acquitant du message,
Que son humeur estoit portée au badinage*,
Mais devois-je le croire aussi blessé qu’il est ?

LUCRECE.

1120 Cousine, cependant le Chevalier te plaist ?

OLYMPE.

Je l’avouë.

LUCRECE.

Et c’est toy dont le mépris trop rude
Donne tant de matiere à son inquietude ?

OLYMPE.

J’eusse eu peine à luy croire un esprit aussi doux.

VIRGINE.

Carlin m’avoit appris qu’il soûpiroit* pour vous,
1125 Mais outre qu’il avoit ordre de n’en rien dire,
Sçachant son peu de bien je n’en faisois que rire.

OLYMPE.

L’esprit répare tout, il m’aime, c’est assez.

LUCRECE à Olympe.

Attendant que ses vœux puissent estre exaucez,
Tu peux luy faire dire en secret qu’il espere,
1130 Mais les dix mille écus arréteront ton Père,
Il faudra qu’il les paye en trompant le Marquis.

OLYMPE.

Ah, pour m’en dégager vint mille au lieu de dix.
Moy l’épouser ?

LUCRECE.

{p. 71}
Encor si nous avions Oronte,
Qu’il pust…

VIRGINE.

Il n’est donc plus à Paris à ce conte ?

LUCRECE.

1135 Non, il vient de partir.

VIRGINE.

Attendant son retour,
Il me tombe en l’esprit un assez plaisant tour,
Je cours chercher Carlin.

OLYMPE.

Fais agir ton adresse.

VIRGINE.

Ma frayeur est de voir arriver la Comtesse,
Elle gasteroit tout.

LUCRECE.

Qu’est-ce que tu prétens ?

VIRGINE.

1140 Allons, vous le sçaurez quand il en sera temps.

Fin du troisiéme Acte.

{p. 72}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

LUCRECE, LE CHEVALIER, LYSE.

LUCRECE.

Estes-vous satisfait ?

LE CHEVALIER.

Quelle aimable surprise !
Quoy, Madame, à l’espoir Olympe m’authorise ?
Mes vœux sont préferez à ceux de mon Rival* ?

LUCRECE.

L’erreur du rendez-vous a causé tout le mal,
1145 Et la fourbe éclaircie, il ne faut plus vous taire
Qu’autre que vous jamais n’aura droit de luy plaire.
Le respect que pour elle a gardé vostre amour
Meritoit la douceur d’un si charmant* retour.
Tandis qu’à d’autres soins* ce changement l’appelle,
1150 J’ay voulu vous donner cette heureuse nouvelle,
Et vous mander icy pour prendre vostre advis*
Sur le tour qu’on s’appreste à joüer au Marquis.
Lyse de ce logis rend Virgine Maîtresse*.

LYSE.

[G, 73]
Vous sçavez que j’attens Madame la Comtesse,
1155 Il faut de l’arrivée essuyer le hazard.

LUCRECE.

Mais quand elle viendroit ce ne seroit que tard.

LYSE.

En tout cas on n’a point à craindre de surprise,
La porte de derriere icy nous favorise :
Vous n’auriez qu’à sortir.

LUCRECE.

J’avois à t’assurer
1160 Que d’Olympe et de moy tu peux tout esperer,
Et que son premier soin* sera de reconnoistre
Le zele* Officieux que tu luy fais paroistre.
Voilà ce qui sur tout ma fait venir icy.

LYSE.

Je voudrois que déjà la chose eust reüssi.
1165 Le bon est que dés hier, par un pur badinage*,
Carlin à son Marquis me fist faire message,
Ainsi tout ira bien.

LE CHEVALIER.

Mais par où me flater
Qu’Anselme à son defaut daignera m’écouter ?
Les grands bien de mon Frere auront touché son ame.

LUCRECE.

1170 Ce n’est pas ce qui doit allarmer vostre flâme*,
N’ayez point là-dessus l’esprit inquieté,
Tout Gendre luy plaira s’il est de qualité*,
Et l’estime d’ailleurs qu’il a pour vous conçeuë,
De nos prétentions facilite l’issuë.
1175 L’obstacle le plus fort vient des dix mille escus.
Il est grand, mais enfin nous ne le craindrons plus,
Si Virgine pour vous poussant le stratagême,
Peut forcer le Marquis à rompre de luy-mesme.
C’est dequoy divertir Oronte à son retour. {p. 74}

LE CHEVALIER.

1180 Vous aurez cette joye avant la fin du jour.

LUCRECE.

Il ne part point ?

LE CHEVALIER.

Chez vous vous le verrez se rendre.
Les ordres sont changez, on vient de me l’apprendre*.

LYSE.

N’importe, il sera bon que la piece ait effet
Avant qu’il sçache rien de ce qu’on aura fait.
1185 Je craindrois son scrupule et sa delicatesse
A voir qu’on se servit du nom de la Comtesse,
Ainsi jusqu’au succez cachez-luy ce dessein*.

LE CHEVALIER.

Mais pour joüer ce rôle…

LUCRECE.

Il est en bonne main,
Virgine a de l’esprit, croyez-moy. Que fait-elle ?
1190 Virgine.

SCENE II. §

LUCRECE, LE CHEVALIER, VIRGINE, LYSE.

VIRGINE.

L’on y va. Voyez si je suis belle.
Ay-je perdu mon temps ?

LUCRECE.

Tu m’ébloüis les yeux.
Quel éclat !

VIRGINE.

{p. 75}
Je feray la Comtesse des mieux.

LUCRECE.

Je crains ta folle humeur, garde-toy bien de rire,
Tu sçais…

VIRGINE.

J’ay veu le loup, Madame, c’est tout dire
1195 De l’air dont je soûtiens certains tendres soûris
Je broüillerois le tymbre aux plus sages Marquis.
Jugez de celuy-cy, sa conqueste m’est deuë.

LUCRECE.

Mais s’il te reconnoit. J’oubliois qu’il t’a veuë.

VIRGINE.

Il est vray qu’avec luy j’eus hier quelque entretien ;
1200 Mais se voit-on de nuit ? n’en apprehendez rien.
Qu’au besoin* seulement ma Suivante m’observe.

LYSE.

Dame.

VIRGINE.

Je payerai bien, mais j’entens qu’on me serve.

LYSE.

Va, je sçay les respects deus à ta qualité*.

VIRGINE.

Souviens-toy du message entre nous concerté.

LYSE à Virgine.

1205 Autre embarras, qui peut mettre à bout ton adresse.
Depuis hier qu’au Marquis je nommay la Comtesse,
Sur ce qu’il croit pour luy qu’elle brûle en secret,
S’il s’en estoit fait faire à peu prés le portrait ?
Adieu ton étalage en prétendu merite.
1210 Elle est grande, fort blonde, et toy brune et petite.
Quoy qu’elle ait l’air galant*, tu l’as plus dégagé.

VIRGINE.

C’est à quoy je répons qu’il n’aura pas songé.
Voicy Carlin. {p. 76}

SCENE III. §

LUCRECE, LE CHEVALIER, VIRGINE, LYSE, CARLIN.

LE CHEVALIER.

Et bien ?

CARLIN au Chevalier.

Monsieur ? quittez la place.
Le Marquis, d’un ruban corrige la grimace*.
1215 Il est sur l’escalier où ce coin le retient.

LUCRECE au Chevalier.

Allons trouver Olympe. Adieu, prens garde…

CARLIN.

Il vient.
Dépeschez.

VIRGINE.

Là dedans j’attendray le message,
A sortir gravement* mon nouveau rang m’engage.
Virgine rentre.

CARLIN.

C’est l’entendre.

LYSE à Carlin.

Il croit donc que par excez d’amour
1220 Pour luy seul la Comtesse est icy de retour ?

CARLIN.

S’il le croit ? a-t’on veu jamais de ridicule
Qui n’eust entr’autres dons celuy d’estre crédule ?
Pour le voir, il croira, si tu veux, qu’à grand frais {p. 77}
La Reine de Congo vient icy tout exprés.
1225 Voy dans ces nœuds toufus quel amas de merite.

SCENE IV. §

LE MARQUIS, LYSE, CARLIN.

LE MARQUIS à Lyse.

Qu’en dis-tu ? Suis-je exact ? J’ay promis, je m’acquite.
La Comtesse ?

LYSE.

Je vay l’avertir de ce pas.
Qu’elle en aura de joye !

LE MARQUIS.

Ah, je n’en doute pas.
J’ay quité sans mot dire un Trio de Marquises
1230 Pour venir… Mais encore à diverses reprises
Car j’ay, de ruë en ruë , esté forcé de voir
Vingt carrosses à qui j’ay donné le bon soir.
Pour m’avoir, à l’envy chacun faisoit instance.

LYSE.

Vous en serez payé largement.

LE MARQUIS.

Je le pense. {p. 78}

SCENE V. §

LE MARQUIS, CARLIN.

LE MARQUIS.

1235 Cette maison est belle.

CARLIN.

Et le meuble ?

LE MARQUIS.

Encor plus.

CARLIN.

La Comtesse a pris soins* d’amasser des escus ;
Il la faut mitonner.

LE MARQUIS.

Grace à ma destinée,
Je la tiens déjà prise, et toute mitonnée.
Elle m’a veu, suffit.

CARLIN.

Faites bien le transy.
1240 Les Veusves d’ordinaire aiment le radoucy.
C’est par là qu’on les prend.

LE MARQUIS.

Pour peu qu’elle m’entende,
A moins que d’estre beste il faut qu’elle se rende.

CARLIN.

Beste ? et quoy son esprit fait la nique aux plus prompts.
Il est toûjours en l’air, et ne va que par bonds.
1245 Vous en serez charmé.

LE MARQUIS.

S’il a ces avantages,
Nous pourrons elle et moy faire de grands voyages.
Je vay haut quand je veux.

CARLIN.

{p. 79}
La voicy.

LE MARQUIS.

L’air m’en plaist.

SCENE VI. §

LE MARQUIS, VIRGINE, LYSE, CARLIN.

VIRGINE.

Rentrez page.

LE MARQUIS à Carlin.

Du reste il faut voir ce que c’est.

VIRGINE.

Qu’aujourd’huy mon étoile est heureuse !

LE MARQUIS.

Madame,
1250 Je m’étois fait de vous un portrait…Sur mon ame,
C’estoit si bien vostre air qu’à la parole prez
Mon imaginative avoit pris tous vos traits.
Un agréement de taille, et certain caractere…
Dieu me damne, je croy que vous me pourrez plaire,
1255 Il entre en vostre corps petit, mais bien troussé,
Je ne sçay quoy de grand dont je me sens blessé,
Et vos yeux ont sur tout la physionomie…

VIRGINE.

Leur clarté doit pourtant estre bien endormie.
Les Veilles, la fatigue…

LE MARQUIS.

Ah, je suis enchanté.
1260 Que des yeux, la fatigue endorme la clarté.
Voylà ce qui s’appelle un tour beau, grand, facile. {p. 80}

VIRGINE.

L’enfleure de l’esprit paroist dans le haut stile*.

LE MARQUIS à Carlin.

L’Enfleure !

VIRGINE.

Qu’avec vous je ferois de profit !

LE MARQUIS.

Ah !

VIRGINE.

Vous ne dites rien qui ne soit si bien dit…

LE MARQUIS.

1265 Qu’on me donne deux mois, et je vay vous apprendre*
Ce qu’un autre en dix ans ne seroit pas comprendre.
Mais quand vous le sçauriez autant de bien perdu,
On parle à des lourdauts, il faut estre entendu.
Dites un mot nerveux, vous trouverez des asnes…

VIRGINE.

1270 Il est, je l’avouëray, peu d’esprits diaphanes,
De ces esprits, à jour bien ouverts.

LE MARQUIS.

C’est pitié !
Aussi pour la plus part j’en rabats de moitié. 
J’y trouve une épaisseur…

VIRGINE.

Que vous estes à plaindre !

LE MARQUIS.

Si je le suis ? bien plus qu’on ne croit, sans rien feindre
1275 De cent Belles à qui je parois en conter,
Je ne sçache que vous digne de mécouter.
Au lieu qu’en m’admirant les gens* d’esprit s’écrient,
Je ne trouve par tout que des sottes* qui rient,
Point de raisonnement.

VIRGINE.

{p. 81}
Pourquoy les voyez-vous ?

LE MARQUIS.

1280 Qui donc voir ? il faut bien hurler avec les loups.
On me cherche, on me court, je suis bon, comment faire ?

VIRGINE.

Vous soufrez bien, je pense, à force de trop plaire.

LE MARQUIS.

Si je voulois tenir papier de tous les cœurs…

VIRGINE.

Qu’on vous fait chaque jour paroîstre de langueurs !
1285 Que d’amoureux transports* qui s’échapent !

LE MARQUIS.

Je meure,
Je suis sourd des soûpirs* que j’entens à toute heure.

VIRGINE.

Il en est qui pour vous auroient pû s’enhardir,
Mais puis que l’on connoit que c’est vous assourdir…

LE MARQUIS.

M’assourdir ? non pas vous.

VIRGINE.

Ah !

LE MARQUIS.

Ma belle Comtesse,
1290 Soûpirez* à vôtre aise, et que rien ne vous presse.
Diable, vous n’estes pas à mettre à tous les jours.
Carlin, son mal en moy prend déjà mesme cours.
Mon cœur palpite.

CARLIN.

Ailleurs où trouver qui la vaille ?

VIRGINE.

A dissiper mon trouble en vain* mon cœur travaille.
1295 L’assaut que sa langueur me livre à l’impourvû… {p. 82}
Ah, Monsieur le Marquis, pourquoy vous ay-je vû ?

LE MARQUIS.

Ne vous repentez point, Comtesse de mon ame,
Si vous estes en feu*, je me sents tout en flâme*,
Et pour prix des soûpirs* que j’ay sçeu vous tirer,
1300 Escoutez, je commence à contre-soûpirer.
Ah !

VIRGINE.

Monsieur le Marquis, voulez-vous que je meure ?

LE MARQUIS.

Non, pourquoy tant souffrir ? guerissez-vous sur l’heure
Et sans mettre avec moy cent soûpirs* bout à bout,
Rognez, taillez, coupez, me voyla prest à tout.

VIRGINE.

1305 La Comtesse d’Orgueil seroit assez heureuse
Pour meriter le choix…

LE MARQUIS.

Ouy, ma belle Orgueilleuse,
Mon cœur de tous les cœurs l’inévitable écueil,
Ne veut s’énorgueillir qu’auprés de vostre Orgueil.

VIRGINE.

Je pourrois vous avoir tout à moy, sans partage ?

LE MARQUIS.

1310 Tout.

VIRGINE.

Il ne faut donc point differer davantage.
L’ordre est donné chez moy de cacher mon retour,
Pour témoin de nôtre heur* ne prenons que l’amour,
L’hymen* peut dés demain nous unir l’un à l’autre.
Ordonnez du Contract, tout mon bien est le vôtre.

LE MARQUIS bas à Carlin.

1315 Carlin, si je conclus, après le mot lâché
Tu diras que de moy je fais trop bon marché ?

CARLIN.

{p. 83}
Sans les meubles elle a dix mille écus de rente.
Vous pourriez trouver mieux.

LE MARQUIS.

J’en trouverois cinquante.
Mais l’esprit ?

CARLIN.

C’est à vous, Monsieur, à vous sonder.

LE MARQUIS.

1320 Les autres avec moy semblent guoguenarder.
Celle-cy parle juste, est accorte*, et sçait vivre.
à Virgine.
Se promettre n’est rien à moins qu’on ne se livre.
Je m’y resous, demain, tout comme il vous plaira.

VIRGINE.

Mon cher Marquis.

LE MARQUIS à Carlin.

De joye elle se pâmera.

VIRGINE.

1325 Qu’au brillant de mon astre on va porter envie !

LE MARQUIS.

J’en sçay qui creveront.

VIRGINE.

Que j’en seray ravie !

LE MARQUIS.

Garde aussi le poison, si l’on sçait que mon choix…

VIRGINE à Lyse qui rentre sur le Theatre apré en estre sortie un moment.

Qu’est-ce ?

LYSE.

Monsieur le Duc pour la dixiéme fois…

VIRGINE.

Qu’il vienne trente encor, je n’y suis pour personne.

LYSE.

{p. 84}
1330 On a suivy vôtre ordre.

LE MARQUIS.

Il vous trouve mignonne,
Ce Duc ?

VIRGINE.

Malgré l’ardeur de son empressement*

LE MARQUIS.

Vous en voudroit-il concubinalement ?

VIRGINE.

Concubinalement.

LE MARQUIS.

Sans couroux, ma Comtesse.
Vous sçavez que Nature est un peu larronnesse,
1335 Que par tout elle pille, et qu’on voit de nos ans
Plus d’amours concubins qu’il n’en est d’épousants.

VIRGINE.

Le Duc est grand amy de mon frere.

LE MARQUIS.

D’Oronte ?

VIRGINE.

Quoy, vous le cognoissez ?

LE MARQUIS.

Ah !

VIRGINE.

Que j’en ay de honte !

LE MARQUIS.

A certaine Lucrece…

VIRGINE.

Admirez le beau choix.
1340 Un homme comme luy donner dans le Bourgeois !
Si j’eusse pû de vous me priver davantage,
Il eust eû beau presser la fin de mon voyage,
Son hymen* pour six mois m’eust fait fuïr de Paris.
Cette Lucrece est roche, et c’est ce qui l’a pris.
1345 Est-elle belle ? [H, 85]

LE MARQUIS.

Non, c’est un nez…une bouche…
Des yeux…un teinte…Enfin elle n’a rien qui touche,
Vous la verrez.

VIRGINE.

Trop tost, j’en meurs déjà de peur,
Car enfin le bourgeois me fait si mal au cœur…

LE MARQUIS.

Aussi fait-il à moy.

VIRGINE.

Passe encor pour Lucrece,
1350 Son bien repare assez le manque de Noblesse,
Mais il est une Olympe…

LE MARQUIS.

Et bien ?

VIRGINE.

Que t’a-t’on dit,
Lyse ?

LYSE.

Dans son quartier tout le monde s’en rit.
Un Campagnard* fort riche et de bonne famille,
Est si sot* que d’Anselme il épouse la Fille.
1355 Le Voyla bien logé.

LE MARQUIS.

Comment ?

VIRGINE.

Elle n’a rien.

LE MARQUIS.

Ne dit-on pas qu’Anselme…

VIRGINE.

Ouy, qu’il a quelque bien,
Mais il se fait honneur de celuy de Lucrece,
Il en a la tutelle*, et comme avec adresse
Des grands deniers qu’il touche il ébloüit les yeux, {p. 86}
1360 Une Dupe à trouver…

LE MARQUIS.

On en trouve en tous lieux,
Ne nous vantons point, Carlin.

CARLIN.

C’est vôtre affaire.

VIRGINE.

Cette Olympe a d’ailleurs la tache de sa Mere,
Qui tombant du haut mal…

LE MARQUIS.

Du haut mal ? j’en dit fy.

LYSE.

Cependant de superbe elle a le cœur boufy,
1365 Et selon qu’on la trouve en son humeur verveuse,
On luy voit quelquefois faire la dédaigneuse.

VIRGINE.

Je plains la pauvre dupe, il faudroit l’avertir.
Ce Mariage est trop…

LYSE.

Comment l’en garantir* ?
Le dédit* est signé d’une fort grande somme.

CARLIN bas au Marquis.

1370 Monsieur, voylà ce tour, disiez vous, d’habile homme.
La Comtesse demain vous épouse en secret,
Mais les dix mille écus, Anselme a vostre fait,
Comment le retirer ?

LE MARQUIS.

Il faut pourtant le faire.

VIRGINE à Lyse.

Quel bruit faisoit-on là ?

LYSE.

Rentrez, c’est vôtre Frere.

VIRGINE.

1375 Oronte ?

CARLIN.

{p. 87}
Adieu la fourbe.

LYSE.

Il monte ; promptement.

LE MARQUIS.

Et quand il la verroit ?

CARLIN.

C’est pour vous seulement
Qu’elle rentre à Paris, voulez-vous qu’il le sçache ?

LYSE au Marquis ;

Suivez viste.

LE MARQUIS.

Il faut donc aussi que je me cache ?

LYSE.

Entrez.

LE MARQUIS.

Il n’est plus temps, il m’a vû, le voicy.

SCENE VII. §

ORONTE, LE MARQUIS, LYSE, CARLIN.

ORONTE.

1380 Ah, Monsieur le Marquis, que faites vous icy ?

LE MARQUIS.

Je venois m’informer si la belle Comtesse…

ORONTE.

Ainsi pour son reourtr mesme desir nous presse.
Lyse, aucun de ses Gens* n’est-il encore venu ?

LYSE.

Non, Monsieur.

ORONTE.

{p. 88}
Un Portier qui ne m‘est pas connû
1385 M’a fait façon là bas quand je t’ay demandée.

LYSE.

Du Duc, et de ses Gens* je me trouve obsedée,
Il vient icy sans cesse, et pour m’en garantir*
Je fais dire souvent que je viens de sortir.

LE MARQUIS.

Ce Duc n’a pas le goust dépravé ; la Comtesse
1390 Fait bien enrager ceux qui n’aiment pas la presse.
C’est un œil attirant…

ORONTE.

Le Duc lui fait honneur.

LE MARQUIS.

Lui fait honneur ? là là.

LYSE à Oronte.

Quel est-ce bon Seigneur ?
Des contes qu’il me fait je suis toute surprise.

ORONTE.

C’est un fou toûjours prest à dire une sottise*.

LE MARQUIS.

1395 La Comtesse par tout emportera le prix.
Dans sa petite taille elle a l’air si bien pris…

ORONTE.

Petite ?

LYSE à Carlin.

Il va tout perdre.

ORONTE.

En est-il de plus grandes ?

LE MARQUIS.

Ou diable a-t’il les yeux ? s’il en est ? et par bandes.

ORONTE.

Pour vous, estant Geante, elle auroit plus d’appas*.

LE MARQUIS.

1400 Geante !

ORONTE à Lyse.

{p. 89}
Il parle d’elle, et ne la connoit pas.

LE MARQUIS.

Je ne la connois pas dites vous ? par exemple,
Elle a les cheveux bruns, le nez court, le front ample,
Les sourcils bien taillez, l’air fripon*, l’œil perçant,
Le teint des plus unis, le regard languissant,
1405 La gorge…

ORONTE.

Ce portrait est le plus beau du monde,
Mais si je vous disois que la Comtesse est blonde ?

LE MARQUIS.

Et si je vous disois que j’ay l’œil de travers,
Le visage de singe, et la mine à l’envers,
L’équipage et l’habit d’un pauvre Gentilhomme*,
1410 Vous ne me croiriez pas, mon tres-cher ? c’est tout comme.

LYSE à Oronte.

Voulez-vous disputer contre un fou ?

ORONTE.

Je le voy,
Ma sœur vous est du moins connuë autant qu’à moy.

LE MARQUIS.

Sçay-je peindre ?

ORONTE.

On n’en peut conserver mieux l’idée,
Mais où l’avez-vous veuë ?

LE MARQUIS.

Où je l’ay regardée.

ORONTE.

1415 Encor, quelle rencontre…

LE MARQUIS.

Il n’importe comment.
Ces Freres curieux parlent si lentement.
Laissez-moy mes secrets, je vous laisse les vôtres.

ORONTE.

{p. 90}
J’admire…

LE MARQUIS.

Admirez donc, vous en verrez bien d’autres.

SCENE VIII. §

ANSELME, ORONTE, LE MARQUIS, LYSE, CARLIN.

ANSELME.

La compagnie est belle.

ORONTE.

Ah, Monsieur.

LE MARQUIS à Carlin.

Où va-t’il ?
1420 Ce diable de Beaupere a l’odorat subtil ?
Il nous sent de bien loin.

ANSELME.

En passant par la ruë,
Le hazard sur vos gens* m’a fait jetter la veuë,
Et c’est d’eux que j’ay sceu que vous estiez icy.

ORONTE.

J’ay receu nouvel ordre.

ANSELME.

Ils me l’ont dit aussi.
1425 Et puisque vous restez, l’affaire qui nous presse
Est de voir arriver Madame la Comtesse.
Qu’en avez-vous appris ?

ORONTE.

Lyse l’attend toûjours,
Mais à certaine amie elle écrit tous les jours,
Et pour m’en informer j’allois passer chez elle. {p. 91}

ANSELME.

1430 Tandis que vous irez, sur quelque bagatelle
Pourrions-nous sans témoins parler mon Gendre et moy ?
Je le trouve à propos.

ORONTE.

Lyse, retire toy.
Vous pouvez tout icy.

LE MARQUIS à Carlin.

Le Beaupere demeure.

LYSE au Marquis.

Monsieur, défaites-nous du Vieillard.

LE MARQUIS.

Tout à l’heure.
1435 Carlin, s’il va parler ?

SCENE IX. §

ANSELME, LE MARQUIS, CARLIN.

ANSELME.

Comme on ne peut trop tost
Appaiser les debats qui…

LE MARQUIS.

Le reste à tantost,
Serviteur.

ANSELME.

Quatre mots.

LE MARQUIS.

En maison étrangere,
N’en eust-on qu’un à dire, il est bon de se taire.

ANSELME.

{p. 92}
Puisqu’on sçait que pour vous ma Fille…

LE MARQUIS.

On ne sçait rien,
1440 Décampez.

ANSELME.

A quoy bon me pousser ?

LE MARQUIS.

Je sais bien,
A quoy bon m’étourdir, vous ?

ANSELME.

L’avis* est utile.

LE MARQUIS.

Je ne veux point d’avis*.

ANSELME.

Ecoutez.

LE MARQUIS.

L’imbecille !
Faire écoutez les Gens*.

ANSELME.

N’entrez point en couroux ;
Si vous sçaviez…

LE MARQUIS.

Tantost j’iray sçavoir chez vous,
1445 Ne vous suffit-il pas ?

ANSELME.

Peut-estre…

LE MARQUIS.

Allez m’attendre.

ANSELME.

Vous estant tout de mesme offert à moy pour Gendre…

LE MARQUIS.

Tu ne te tairas point, vieux loup-garou ?

ANSELME.

{p. 93}
Pourquoy ?
Vous ne vous moquerez d’Olympe ny de moy,
Je ne suis que Bourgeois, mais…

LE MARQUIS.

Qui te le conteste ?

ANSELME.

1450 Chacun vaut ce qu’il vaut, je ne dis pas le reste.
Adieu.

CARLIN au Marquis ;

Qu’il est mutin* !

LE MARQUIS.

Le traistre m’a perdu.

CARLIN.

Je croy que la Comtesse aura tout entendu.

LE MARQUIS.

J’enrage.

CARLIN.

La voicy qui sort toute éplorée.

SCENE X. §

LE MARQUIS, VIRGINE, LYSE, CARLIN.

VIRGINE.

Ah, Monsieur le Marquis, je suis desesperée.

LE MARQUIS.

1455 Ma Reine, un peu de cœur.

VIRGINE.

Non, laissez-moy mourir.

LE MARQUIS.

Ne vous pressez point tant, j’ay dequoy vous guerir.

VIRGINE.

{p. 94}
Vous ?

LE MARQUIS.

Moy.

VIRGINE.

De ce Vieillard n’estes vous pas le Gendre ?
Olympe…Ah non fatal, que me viens-tu d’apprendre* ?
C’estoit donc vous…

LE MARQUIS.

En vain* je l’ay dissimulé,
1460 Je suis le Campagnard* dont on vous a parlé,
Et pourtant pas trop dupe.

VIRGINE.

Olympe a sceu vous plaire ?
Ah !

LE MARQUIS.

Je n’ay fait le sot* que pour berner mon Frere,
Certain Cadet qu’au monde on voit mince et leger,
Et qui pour mes peschez n’en veut point déloger.
1465 Charmé de cette Olympe il croit qu’à ma requeste
On tiendroit sa recherche un party fort honneste*,
Mais comme, à le bien prendre, il n’est bon qu’à noyer,
Au diable si pour luy je voulus m’employer,
Loin de cela, craignant qu’il n’obtint ce qu’il aime,
1470 Je courus m’asseurer du party pour moy-mesme.

VIRGINE.

C’est là mon desespoir, qu’une Bourgeoise…

LE MARQUIS.

Non.
En m’offrant au Veillard parlois-je tout de bon ?

VIRGINE.

Mais le dédit* signé…

LE MARQUIS.

Quitte à l’aller reprendre,
Deux mots, et trop heureux encor de me le rendre.

VIRGINE.

{p. 95}
1475 Vous iriez chez Olympe ? ah, ne me quittez pas.
Si l’ardeur de ma flâme* a pour vous quelque appas*,
Pour ne troubler en rien l’heur* de ma destinée,
Avant que voir personne achevons l’hymenée,
Après, s’il faut payer le dédit*, j’ay du bien.

LYSE.

1480 A quoy qu’il puisse aller, pour tous deux ce n’est rien,
Mais, Madame, en payant voulez-vous que l’on dise
Qu’un Marquis d’un Bourgeois soit la dupe ?

VIRGINE.

Quoy, Lyse,
Tu veux donc hazarder*

LE MARQUIS.

Que hazarderez*-vous ?

VIRGINE.

L’amour n’est guere fort quand il n’est point jaloux.
1485 Olympe vous voyant essayera de vous plaire.

LE MARQUIS.

Je sçay sa tache, il faut y rembarquer mon Frere.
Ma foy, je riray bien si pour don nuptial
Je le voy regalé d’un broüet de haut mal.

VIRGINE.

Mais ne peut-elle pas vous paroistre si belle…

LE MARQUIS.

1490 Rien n’est plus laid.

VIRGINE.

Enfin vous me serez fidele ?

LE MARQUIS.

Le dédit* rendu nul, je suis à vous ce soir,
Touchez, foy de Marquis.

VIRGINE.

Je vis sur cét espoir,
Mais si vous me trompez…

LE MARQUIS.

{p. 96}
Vous tromper ! je n’ay garde.

VIRGINE.

Craignez tout, il n’est rien où je me hazarde*.
1495 Eclat, emportement*, fer, poison.

LE MARQUIS.

J’auroy soin*
En pressant mon retour qu’il n’en soir pas besoin.
Adieu, mon Astre, adieu.
Le Marquis sort.

VIRGINE.

Tout va le mieux du monde.

LYSE.

Auprés de ton Vieillard, pourveu qu’on te seconde,
Les vœux du Chevalier pourront avoir effet.

VIRGINE.

1500 Viens sçavoir avec moy ce qu’Olympe aura fait.

Fin du quatriéme Acte.

{p. I, 97}

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

OLYMPE, VIRGINE.

VIRGINE.

Demeurez-en d’accord, Madame, quand on aime
On trouve grand plaisir à se gêner* soy-mesme.
Des rebuts du Marquis vostre Père en couroux
Semble estre encor de luy plus dégousté que vous,
1505 Et ce qui doit sur tout flater vostre esperance,
Avec le Chevalier il est en conference.
Cependant on diroit à vos frequents soûpirs*
Que tout se montre icy contraire à vos desirs.

OLYMPE.

Quoy que du Chevalier les vœux puissent me plaire,
1510 Par où te répons-tu qu’ils plairont à mon Père ?
Que sur luy son merite aura mesme pouvoir ?

VIRGINE.

S’il ne l’agréoit pas, l’auroit-il voulu voir ?

OLYMPE.

Je ne vay pas si viste en ce qui m’interesse.

VIRGINE.

{p. 98}
Ma foy, je me repens d’avoir esté Comtesse,
1515 De n’avoir pas laissé la chose au mesme point.
Vous ne meritez pas…

OLYMPE.

Ne me querelle point.

VIRGINE.

Et le moyen ? N’estoit que je vous considere*
Pour avoir fait ma paix avecque vostre Père,
Vous n’en seriez pas quitte.

VIRGINE.

Au moins tu m’avoüeras
1520 Que de pareils soucis causent de l’embarras.
Le bien pour les Vieillards est une douce amorce,
A consentir à tout c’est par là qu’on les force,
Le Chevalier en manque.

VIRGINE.

Et celuy du Marquis ?
A ce Frere déjà je le tiens tout acquis.
1525 Imperieux, fantasque, et plein d’extravagance
Qui voudroit l’épouser ? Ce seroit conscience,
Et j’en détournerois… S’il me vouloit pourtant
Je prendrois le party d’un cœur assez content,
Et ferois ce me semble, avecque plus d’adresse,
1530 La Marquise à bon jeu, que la fausse Comtesse,
Lors à bon chat, bon rat ; s’il vouloit estre sot,
Peut-on pas contenter les gens* sans dire mot ?

OLYMPE.

Tu seras toûjours folle. {p. 99}

SCENE II. §

OLYMPE, VIRGINE, CARLIN.

VIRGINE.

Et bien, quelle nouvelle,
Le Marquis ?

CARLIN.

Ton air fin* luy broüille la cervelle,
1535 Du grand don d’estre beau tout entesté qu’il est
Il voit rire toûjours quand on luy dit qu’il plaist,
Ton serieux le charme, et ce soir il se conte
D’aller, en t’épousant, gagner le nom de Comte.
Son fait à retirer le met seul en soucy.

OLYMPE.

1540 Doit-il venir bien-tost ?

CARLIN.

Je le croyois icy.
Il aura sur ses pas trouvé quelque Marquise.

OLYMPE.

Mais par le Chevalier s’il voit la place prise,
N’aura-t’il point d’ombrage* ?

CARLIN.

Il n’en est plus jaloux,
Et cela, grace au bien que l’on a dit de vous.
1545 Madame la Comtesse, outre la gueuserie*,
Vous a donné d’un plat sa matoiserie,
Si vous ne le sçavez, vous tombez du haut mal.

OLYMPE.

A se rendre credule il n’a point son égal.

CARLIN.

{p. 100}
Ces pretendus defauts peuvent tant sur son ame,
1550 Qu’avec joye à son Frere il vous cede pour Femme.

VIRGINE.

Mais dégagé d’icy, quand il voudra ce soir
Aller chez la Comtesse essayer son pouvoir,
Et qu’au lieu d’y trouver un accueil amiable
On luy dira neant ?

CARLIN.

Ce sera bien le diable.

VIRGINE.

1555 Tu l’iras consoler.

CARLIN.

Peste*, il y feroit chaud.
Il n’est pas toutefois plus méchant qu’il ne faut,
J’en viendray bien à bout, et pourveu que Virgine…

OLYMPE.

Tu prétens l’épouser, et je te la destine.
Jamais en me servant on ne perd avec moy.

CARLIN à Virgine.

1560 Ah, ma chere Comtesse.

SCENE III. §

OLYMPE, LUCRECE, VIRGINE, CARLIN.

LUCRECE à Olympe.

Enfin, réjoüis-toy,                1560
Cousine, dans tes vœux tu n’as rien de contraire,
L’esprit du Chevalier plaist si fort à ton Père,
Que pour l’avoir pour Gendre, au hazard du dédit*, {p. 101}
Si faloit éclater il n’est rien qu’il ne fist.
1565 Ainsi des deux côtez la parole est donnée,
Et c’est de ton aveu que dépend l’hymenée,
On t’attend pour cela.

VIRGINE à Olympe.

Courez donc promptement.

LUCRECE.

J’ay déjà répondu de ton consentement.
Mais enfin pour la forme il est bon qu’on te voye,
1570 Viens.

VIRGINE à Olympe.

Vous craignez, je croy, d’en montrer de la joye,
C’est bien fait, vostre honneur par là seroit noircy.

OLYMPE.

Tu ne changeras point.

VIRGINE.

Je vous attens icy,
Allez, sur le grand ouy faites bien la grimace*.

SCENE IV. §

CARLIN, VIRGINE.

CARLIN.

Tu n’oses donc encor…

VIRGINE.

Je suis remise en grace,
1575 Et sans plus de façon, je me montre au Vieillard,
Mais je crains le Marquis.

CARLIN.

C’est une affaire à part.

VIRGINE.

{p. 102}
S’il m’avoit icy veuë en habit de Suivante,
Comme la fourbe alors deviendroit apparente,
Piqué de cet affront, dans son secret dépit,
1580 Penses-tu qu’il voulust renoncer au dédit* ?

CARLIN.

Il tiendroit bon sans doute, et feroit de la peine.

VIRGINE.

Cependant n’ay-je pas dequoy faire la vaine ?
Mon rôle de tantost ne se peut mieux joüer,
Me suis-je démentie ?

CARLIN.

Il le faut avoüer,
1585 Tes charmes rehaussez m’ont fort chatoüillé l’ame,
Mais avec ton talent de faire la grand’ Dame,
Quand tu seras à moy, ne va pas t’aviser
De devenir Comtesse, ou de t’emmarquiser.
Il est, sans chercher loin, certains Marquis et Comtes
1590 Qui sur la gaye intrigue* ont les démarches promptes.
Et je n’aimerois pas que s’adressant à toy,
Ma Race de par eux fust plus noble que moy.

VIRGINE.

Le beau raisonnement !

CARLIN.

Quand on craint la disgrace,
Il fait bon…

VIRGINE.

Va là-bas sçavoir ce qui se passe,
1595 Et lors que tu verras le Marquis arriver…
Mais… {p. 103}

SCENE V. §

LE MARQUIS, VIRGINE, CARLIN.

LE MARQUIS à un domestique d’Anselme.

Cours dire au vieillard qu’il me vienne trouver,
Que je pretens icy m’expliquer teste à teste.

VIRGINE à Carlin.

C’est luy, tout est perdu, Dieux !

CARLIN.

Ne fay pas la beste,
Il se faut comme on peut tirer d’un mauvais pas.

LE MARQUIS.

1600 Me trompay-je, Carlin ?

VIRGINE.

Ne me découvrez pas,
Marquis.

LE MARQUIS.

C’est la Comtesse. Ah, ma chere.

CARLIN à Virgine.

Courage.

LE MARQUIS.

Vous trouvez chez Anselme, et dans cét équipage !

VIRGINE.

Je vous aime, et l’amour cause bien du soucy.
Carlin, dy luy pourquoy je me déguise ainsi.

CARLIN.

1605 Monsieur, c’est qu’elle a craint qu’Olympe… Dans son ame.
Si vous connoissiez bien ce que l’amour… Madame,
Vous direz mieux vous-mesme à Monsieur le Marquis… {p. 104}

VIRGINE.

Ne le juge-t’il pas ? J’aurois fait encor pis
Si pour remedier au mal qui me tourmente
1610 Il n’avoit pas suffy de me faire suivante.
Olympe en cherchoit une, et j’ay sans hesiter
Employé mon adresse à me faire accepter.
Restant chez moy sans vous, mon amour en alarmes
Eust de vostre Bourgeoise apprehendé les charmes,
1615 Et pour peu de pitié que son malheur vous fist,
Vous croyant son époux, j’aurois perdu l’esprit.
Icy presente à tout je soûtiendray peut-estre
Les bontez que déjà vous m’avez fait paroistre,
Voyant ce que je fais vous me prefererez.

LE MARQUIS.

1620 J’ay de ravissement les sens tous égarez.
Carlin, ay-je le don de charmer les mieux faites ?
Des Comtesse pour moy se changer en soubretes,
Se resoudre à servir plûtost que hazarder*
Qu’une autre seul à seul puisse me regarder !
1625 Je vaux trop, Dieux me sauve.

VIRGINE.

Ay-je l’heur* de vous plaire
Par ce que vous voyez que l’amour m’a fait faire ?

LE MARQUIS.

Il vous a fait choisir un employ des plus bas,
Mais enfin c’est pour moy, vous ne le perdrez pas.

VIRGINE.

Pourvû que vous rompiez, et qu’Olympe ait la honte…

LE MARQUIS.

1630 Laissez faire, à present la Bourgeoise à son compte,
Mais pour la faire rire, et vous mettre en repos, {p. 105}
Je pretens devant vous luy dire quatre mots,
Elle les entendra.

VIRGINE.

Sur tout sans plus attendre
Déchirons le dédit*.

LE MARQUIS.

Je sçay par où m’y prendre :
1635 Mais pour m’encourager…

VIRGINE.

Ah, point d’emportement*.

LE MARQUIS.

Ma Comtesse.

VIRGINE.

Arrestez.

LE MARQUIS.

Un baiser seulement,
Je vous en tiendray compte, et…

SCENE VI. §

ANSELME, LE MARQUIS, VIRGINE, CARLIN.

ANSELME.

La piece est galante*,
Vous fuyez la Maistresse, et courez la suivante ?

LE MARQUIS.

J’en veux par là. Cassé, vieux, et prest à mourir,
1640 Vous enragez assez de ne pouvoir courir.

ANSELME.

Continuez, le jeu commençoit à vous plaire.

VIRGINE à Anselme.

{p. 106}
Ne croyez pas, Monsieur…

ANSELME.

Tay-toy.

LE MARQUIS.

Pourquoy se tayre ?
Je veux qu’elle raisonne, et quand il me plaira
Malgré vous et vos dents elle raisonnera.

ANSELME.

1645 Vous prenez son party d’un air…

LE MARQUIS.

Je veux le prendre,
Qu’en est-il ?

VIRGINE à Anselme.

Si Monsieur…

ANSELME.

Encor ? il faut t’entendre.
C’est depuis un moment qu’on t’a receuë icy,
Et déjà…c’est assez, n’en sois point en soucy.
Rentre.

LE MARQUIS.

Pourquoy rentrer ?

ANSELME.

Rentre te dis-je.

LE MARQUIS.

Ventre.
1650 Gardez de m’échaufer, je ne veux pas qu’elle entre.

ANSELME.

Quoy, toûjours vos je veux ?

LE MARQUIS.

Ma foy, j’en suis d’avis*
Qu’un pied plat comme vous glose* sur un Marquis.

ANSELME.

{p. 107}
Vous l’estes, et je sçay ce qu’est vostre famille,
Mais d’où vient ce mépris quand vous aimez ma Fille ?
1655 Son hymen* avec vous n’est-il pas résolu ?
Vous le vouliez tantost

LE MARQUIS.

Je veux l’avoir voulu,
Bon pour lors, à présent il me plaist de m’en rire.

ANSELME.

Mais dans ma Fille encor que trouvez-vous à dire ?
N’est-elle pas…

LE MARQUIS.

Elle est tout ce qu’il vous plaira,
1660 Je n’en veux point.

ANSELME.

Demain cette humeur passera.

LE MARQUIS.

Point. Comme il parle doux !

ANSELME.

L’affaire est donc concluë ?

LE MARQUIS.

Ouy, plaignez-vous, pestez*.

ANSELME.

La plainte est superfluë.
Je diray seulement sans plus d’émotion
Que nous avions tous deux la mesme intention,
1665 Et que je ne venois que pour vous faire entendre
Que jamais, moy vivant, vous ne seriez mon gendre.

VIRGINE au Marquis.

L’occasion est belle, au dédit*, promptement.

LE MARQUIS.

Je vous sçay fort bon gré d’enrager doucement.
Sus, rendez-moy mon fait, voicy le vostre ; viste. {p. 108}
1670 Vostre Madame Olympe où fait-elle son giste ?    
Il nous la faut icy, je la veux pour témoin.

ANSELME.

Pour rester quitte à quitte on n’en a pas besoin.

LE MARQUIS.

Non, ce vous semble ; va, fay venir ta Maitresse,
Dépesche.
Bas à Virgine.
Pardonnez, ma divine Comtesse,
1675 Pour duper le barbon il faut vous tutoyer.

VIRGINE.

Vous attendrez fort peu, je vay vous l’envoyer.

SCENE VII. §

LE MARQUIS, ANSELME, CARLIN.

LE MARQUIS.

Ce coup inopiné vous rabatra la hupe.
Franchement vous pensiez que je fusse une dupe,
Et que m’estant laissé bonnement prendre au mot
1680 Avec vous tout de grand j’allois faire le sot* ?

ANSELME.

Quand vous m’auriez tenu…

LE MARQUIS.

Je sçay de vos nouvelles.
Diable, quel maistre Sire avecque ses tutelles* !
Sur ces cent mille escus dont on m’a crû leurrer.
Dites, combien la Niéce a-t’elle à retirer ?

ANSELME.

1685 De quoy me parlez-vous ?

LE MARQUIS.

[K, 109]
On m’a dit le mystere.
Pour la Fille, elle a trop herité de sa Mere.
Tombe-t’elle souvent… Là, vous m’entendez bien ?

ANSELME.

Est-ce donc que ses yeux ne luy servent à rien ?
Tomber !

LE MARQUIS.

Ce vilain mal, puisqu’il faut qu’on s’explique,
1690 En quel temps devient-il plus ou moins domestique ?
Hem ?

ANSELME.

J’ignore à quoy tend ce galimatias*.

CARLIN Au Marquis.

Ne voulant point entendre, il ne répondra pas.

LE MARQUIS.

Voicy sa Geniture.

SCENE VIII. §

LE MARQUIS, ANSELME, OLYMPE, VIRGINE, CARLIN.

LE MARQUIS.

Approchez, nostre Prude*.

OLYMPE.

Je vous ay dit tantost quelque chose de rude,
1695 Vous en estes choqué, mais si vous estiez prest
A recevoir l’excuse…

LE MARQUIS.

Alte-là, s’il vous plaist,
Tantost, faute d’avoir oüy de moy fleuretes*, {p. 110}
Vous avez fait la folle, et c’est ce que vous estes ;
Mais quand vous auriez eu l’accueil benin* et doux,
1700 Vous parlant d’épouser, je me mocquois de vous.
Outre qu’à droite, à gauche, et devant, et derriere,
Vostre race a l’honneur d’estre fort roturiere,
Vous possedez encor tres personnellement
Tout ce que la laideur peut avoir d’ornement ;
1705 Vous estes sote*, vieille, impertinente, gueuse*,
Sans esprit, sans talent que celuy de grondeuse,
Et le Diable qui loge avecque les Hyboux,
Voulant se marier, ne voudroit pas de vous.
A Virgine bas.
Ma Comtesse.

VIRGINE bas au Marquis.

J’entens.

ANSELME.

Vous ne pouviez mieux dire.

LE MARQUIS.

1710 Qu’elle m’en dise autant, je n’en feray que rire.
On me connoit.

OLYMPE.

Autant ! à vous le beau des beaux !

LE MARQUIS.

Afin de m’adoucir vous direz mots nouveaux,
Point de rapatriement ; cela vaut fait, rupture.

VIRGINE bas au Marquis.

Viste.

LE MARQUIS.

Pour déchirer déployons l’écriture.
1715 Allons, vieux Roquentin, les armes à la main.

VIRGINE Prenant le billet du Marquis qu’elle déchire.

Donnez-moy, vous seriez d’icy jusqu’à demain.

LE MARQUIS.

{p. 111}
Bon, voyla ton dédit*, Bourgeois.

ANSELME déchirant son billet.

Et voyla comme
Je fais estat du tien, Monsieur le Gentilhomme*.

LE MARQUIS.

La colere vous prend, ne vous contraignez pas,
1720 Enragez à vostre aise, et faites du fracas.
A Olympe.
Fort bien, il vous faloit des Marquis ?

OLYMPE.

Je l’avouë,
J’ay touchant vostre hymen* merité qu’on me jouë.
Mais vous trouverez bon que fort modestement
Je vous fasse à mon tour un leger compliment,
1725 Et ne vous cache plus que si prendre une femme
Est un dessein* fixé que vous ayez dans l’ame,
Vous estes obligé par beaucoup de raisons
D’en aller choisir une aux petites maisons.
Vous avez le cerveau…

LE MARQUIS.

Tout doux, ma Colombelle,
1730 Je sçay que je vous fais une injure mortelle,
Vous laisser encor Fille est un tort des plus grands,
Mais ne vous fâchez point, tout vient avec le temps.
De peur qu’à trop garder ce vieux nom qui vous choque,
Vostre virginité vous presse et vous suffoque,
1735 Demain, je vous amene un Galant* achevé,
Joly, beau.

ANSELME.

J’ay sans vous un Gendre tout trouvé,
Qu’on le fasse venir.

LE MARQUIS.

Ah, voyons donc ce Gendre.
Trois jours après l’hymen* c’est un homme à se pendre.
Et la chere Lucrece, elle n’est point icy ? {p. 112}
1740 Je la cherchois des yeux.

OLYMPE.

Vous met-elle en soucy ?
Virgine, promptement.

LE MARQUIS.

Vous l’appellez Virgine ?

OLYMPE.

Pour Monsieur le Marquis adverty ma Cousine.

LE MARQUIS arrétant Virgine.

Elle l’advertira si je veux. Demeurez.
Vous vous faites servir, ma foy ; vous en aurez
1745 Des valets qui plus hauts que vous de trois estages,
Quand vous commanderez se mettront à vos gages*.

ANSELME.

Il est fort pour Virgine, et ne sçauroit souffrir*

LE MARQUIS.

Demain, vous en pourrez tout au long discourir.
Bouche close aujourd’huy, Compere.

ANSELME.

Elle est heureuse,
1750 Et tandis que ma Fille est sote*, vieille, gueuse*,
C’est pour elle un sujet d’orgueil…

LE MARQUIS.

Voyla le point,
Vous y touchez du doigt, et ne l’entendez point,
Laissez faire à l’Orgueil, il vous promet miracle.

ANSELME.

Monsieur le Chevalier n’y mettra pas d’obstacle. {p. 113}

SCENE IX. §

ANSELME, LE MARQUIS, LE CHEVALIER, OLYMPE, LUCRECE, VIRGINE, CARLIN.

ANSELME au Chevalier.

1755 Venez, on vous attend pour un ordre assez doux,
J’ay repris ma parole, et ma Fille est à vous.
Donnez-luy vostre main.

LE CHEVALIER.

L’aurois-je pû prétendre ?
Quel heur* !

LE MARQUIS.

C’est mon Cadet, bon jour, Monsieur le Gendre,
Je suis ravy du choix, quand je la régalois
1760 De l’offre d’un Amant*, c’est luy dont je parlois.

LE CHEVALIER.

A l’obtenir pour moy vous avez eu grand zele*.

LE MARQUIS.

Trop heureux de l’avoir quand je ne veux plus d’elle.
Te voila bien, Cadet, tiens-y-toy.

ANSELME.

Je pretens
Que tous trois nous auront sujet d’estre contents,
1765 Et qu’entre nous jamais ny discorde ny guerre…

LE MARQUIS à Anselme.

Et quand il la verra se debatre par terre,
Faire des cris, hurler, rira-t’il bien ?

ANSELME.

{p. 114}
Dequoy ?

LE MARQUIS.

Dequoy ? Le fin* Renard.

ANSELME.

C’est de l’Hebreu pour moy.

LE MARQUIS.

Ne craignez rien, je sçay ce qu’il faut qu’on luy cache,
1770 Ils sont bien assortis, chacun d’eux a sa tache.
Mon Cadet est sans bien, je vous l’ay déjà dit,
Mais…

ANSELME.

Il aime la gloire, et cela me suffit.
Si quelque qualité* peut en luy me déplaire,
Puis qu’il faut parler franc, c’est qu’il est vostre frere.

LE MARQUIS.

1775 S’il ne tient qu’à cela, pour vous rendre content
Je me défraternise, il en peut faire autant,
Laisser du nom Lorgnac la noblesse en arriere,
Et se faire appeller Monsieur de l’Anselmiere.
La Seigneurie est belle, et bien digne de vous,
1780 Pere Anselme.
A Lucrece.
Le père et la Fille sont fous,
Qu’en dites-vous, ma Belle ? Il vous faut que je pense
Pour les pouvoir souffrir, grand fond de patience ?

LUCRECE.

Vous me croyez peut-estre encor plus folle qu’eux ?

LE MARQUIS.

Vous croire folle ? Ah non, c’est bien assez de deux,
1785 Et d’ailleurs j’ay pour vous…

LUCRECE.

J’en devine la cause,
On m’a dit que je dois vous estre quelque chose
Que vous épouserez la Comtesse.

LE MARQUIS.

{p. 115}
Comment,
Qui vous l’a dit ?

LUCRECE.

Qu’importe à quand l’hymen* ?

LE MARQUIS.

Vrayement ?
La Comtesse ! c’est bien mon amour qu’elle brigue.

LUCRECE.

1790 Pourquoy non ?

LE MARQUIS.

Demande à nostre vieux Rodrigue
Si la plus miserable accepteroit mon cœur.

ANSELME.

Vous pensez-vous railler* ? Je plaindrois son malheur,
Et si j’en estois crû, quoy que le bien nous tente,
Virgine que voilà qui n’est qu’une Suivante,
1795 Quand vous la voudriez…

LE MARQUIS.

Il est bon, sur ma foy,
Virgine ! le moyen qu’elle voulust de moy ?
Mon bel Ange, parlez, que faut-il que j’en croye ?

VIRGINE.

Jugez-en. {p. 116}

SCENE X. §

ANSELME, ORONTE, LE MARQUIS, OLYMPE, LUCRECE, LE CHEVALIER, VIRGINE, CARLIN.

ORONTE.

Je vous viens faire part de ma joye,
Ma sœur est arrivée enfin selon mes vœux,
1800 Et demain je me vois en estat d’estre heureux.

VIRGINE au Marquis.

Je me cache un moment afin de le surprendre.

ANSELME à Oronte.

C’est d’elle pour l’hymen* que le jour se doit prendre.

ORONTE au Chevalier.

Pour surcroist d’allegresse on m’a là bas appris
Ce que doit vostre amour à Monsieur le Marquis.
1805 S’il daignoit honorer ma Sœur d’une visite,
Elle est civile, douce, et connoit son merite.

LE MARQUIS.

Vous ne m’apprenez rien, n’en soyez point jaloux,
Je l’ay veuë, et sçavois son retour avant vous.

ORONTE.

Vous l’avez veuë ?

LE MARQUIS.

Hola, qu’on appelle Virgine.
1810 Que j’en vay voir icy qui feront grise mine !

VIRGINE.

{p. 117}
On a besoin de moy, qu’est-ce ?

LE MARQUIS à Oronte.

Ne dites mot.

ORONTE.

D’où vient que…

LE MARQUIS à Oronte.

Nous verrons qui de nous est le sot*.
Motus.

CARLIN au Chevalier.

Garde mon dos, ce n’est plus raillerie*.

LE CHEVALIER.

Va, ne crains rien.

VIRGINE.

Tandis que chacun se marie,
1815 Si j’en faisois autant ?

ORONTE.

Virgine a de l’esprit.

ANSELME.

L’exemple tout d’un coup la met en appetit.

VIRGINE.

J’ay promis en secret, puis-je tenir parole ?

LE MARQUIS.

Vous allez voir à qui.

VIRGINE.

C’est la fin de mon rôle,
Touche, Carlin.

CARLIN.

Mon tout, ma Virgine !

LE MARQUIS.

Maraut*.
A Oronte.
1820 Elle se divertit.

VIRGINE au Marquis.

Je n’ay pas le cœur haut.
Si pourtant vous pouviez vouloir d’une Suivante, {p. 118}
Je suis vostre tres-humble et tres-tendre Servante.

LE MARQUIS.

La Suivante m’a pleu, me plaist, et me plaira.

ANSELME.

Quel est donc ce mystere ?

LE MARQUIS.

Oronte le dira.

ORONTE à Anselme.

1825 Je m’y perds comme vous.

LE MARQUIS à Anselme.

Il veut pousser la piece,
La Virgine est sa sœur, Madame la Comtesse.

ORONTE.

Ma Sœur ?

ANSELME.

Qui nous rendra raison de tout cecy ?
Depuis un an et plus Virgine sert icy,
Après l’avoir chassée on vient de la reprendre,
1830 Et c’est une Comtesse ! y peut-on rien comprendre ?

LE MARQUIS.

Carlin.

CARLIN.

Monsieur.

VIRGINE.

Je puis débroüiller ce cahos.
Si l’on veut m’écouter j’auray fait en deux mots.
Le Marquis pretendant épouser ma Maitresse
J’ay pour l’en dégouster contrefait* la Comtesse
1835 Et par là luy faisant pour moy tout oublier
J’ay levé tout obstacle aux vœux du Chevalier.

LE MARQUIS.

M’avoir fourbé ?

VIRGINE.

{p. 119}
J’ay tort ; mais Carlin qui me gaste…

LE MARQUIS.

Ah, coquin, tu mourras.

CARLIN.

Moy ? je n’ay point de haste*.

LE CHEVALIER.

Ce Valet est à moy, point de bruit, s’il vous plaist.

LE MARQUIS.

1840 D’un gibier de bourreau tu prens donc l’interest,
Cadet maudit ; et toy rieuse ridicule,
Epouse-le, j’en dois avaler la pillule ;
C’en est fait, je voy bien qu’en pensant l’attraper
Moy-mesme je me suis enfin laisser duper.
1845 Pour un fat comme luy qui n’avoit pas la maille,
Cent mille écus sont beaux, il en fera gogaille* :
Mais puisse-t’il se voir plus marqué sur le front
Que cent des mieux tymbrez ensemble ne le sont.
Que le nombre d’enfans vous rendant miserables
1850 Vous fasse chaque jour donner à tous les diables ;    
Puissiez-vous en saize ans en avoir trente-deux
Tous borgnes, tous bossus, tous tortus, tous boiteux ;
Si-tost qu’ils seront grands, que chacun d’eux vous crache,
A toy sur la criniére, à toy sur la moustache,
1855 Et pour l’achevement d’un malheur consommé,
Qu’ils soient haïs par tout comme je suis aimé.
Il sort.

ORONTE.

Vous en voilà défaits.

VIRGINE.

Et tout par mon adresse.
Quel present fera-t’on à la fausse Comtesse ?
Il m’en faut un de nopce*, et des plus beaux. {p. 120}

ANSELME.

Suy-nous,
1860 C’est moy qui dois payer, et je répons pour tous.

FIN.