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Thomas Corneille. L'Inconnu?. Comédie mêlée d'ornements. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 37 sc. 719 répl. 2,3 l. 1 658 l. 1 658 l. 26 % 6 553 l. (100 %) 4,0 pers.
THALIE 1 sc. 9 répl. 3,0 l. 70 l. (5 %) 27 l. (2 %) 38 % 282 l. (5 %) 4,0 pers.
LE GENIE DE LA FRANCE 1 sc. 11 répl. 2,8 l. 70 l. (5 %) 31 l. (2 %) 44 % 282 l. (5 %) 4,0 pers.
LA COMTESSE 23 sc. 164 répl. 2,2 l. 1 121 l. (68 %) 358 l. (22 %) 32 % 5 338 l. (82 %) 4,8 pers.
OLIMPE 19 sc. 110 répl. 2,4 l. 966 l. (59 %) 265 l. (16 %) 28 % 4 848 l. (74 %) 5,0 pers.
LE MARQUIS 23 sc. 128 répl. 1,8 l. 893 l. (54 %) 227 l. (14 %) 26 % 3 507 l. (54 %) 3,9 pers.
LE CHEVALIER 14 sc. 46 répl. 2,1 l. 570 l. (35 %) 97 l. (6 %) 18 % 3 097 l. (48 %) 5,4 pers.
LE VICOMTE 6 sc. 58 répl. 2,1 l. 345 l. (21 %) 123 l. (8 %) 36 % 2 162 l. (33 %) 6,3 pers.
LA MONTAGNE 2 sc. 19 répl. 2,4 l. 121 l. (8 %) 46 l. (3 %) 39 % 765 l. (12 %) 6,3 pers.
VIRGINE 9 sc. 29 répl. 2,8 l. 507 l. (31 %) 81 l. (5 %) 17 % 2 874 l. (44 %) 5,7 pers.
MELISSE 2 sc. 6 répl. 1,0 l. 43 l. (3 %) 6 l. (1 %) 15 % 86 l. (2 %) 2,0 pers.
DEUX ENFANTS 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
CASCARET 1 sc. 2 répl. 0,3 l. 66 l. (4 %) 1 l. (1 %) 1 % 655 l. (10 %) 10,0 pers.
le-comedien 2 sc. 19 répl. 1,3 l. 118 l. (8 %) 25 l. (2 %) 22 % 1 078 l. (17 %) 9,1 pers.
bohemienne 1 sc. 5 répl. 8,5 l. 85 l. (6 %) 42 l. (3 %) 50 % 679 l. (11 %) 8,0 pers.
le-more 1 sc. 1 répl. 15,3 l. 112 l. (7 %) 15 l. (1 %) 14 % 673 l. (11 %) 6,0 pers.
le-maure 1 sc. 2 répl. 3,9 l. 53 l. (4 %) 8 l. (1 %) 15 % 423 l. (7 %) 8,0 pers.
la-femme-maure 1 sc. 1 répl. 3,2 l. 53 l. (4 %) 3 l. (1 %) 6 % 423 l. (7 %) 8,0 pers.
nc 1 sc. 1 répl. 7,1 l. 66 l. (4 %) 7 l. (1 %) 11 % 655 l. (10 %) 10,0 pers.
alcidon 1 sc. 5 répl. 2,9 l. 66 l. (4 %) 15 l. (1 %) 23 % 655 l. (10 %) 10,0 pers.
aminte 1 sc. 4 répl. 2,2 l. 66 l. (4 %) 9 l. (1 %) 14 % 655 l. (10 %) 10,0 pers.
petit-bohemien 1 sc. 3 répl. 3,6 l. 85 l. (6 %) 11 l. (1 %) 13 % 679 l. (11 %) 8,0 pers.
comus 2 sc. 8 répl. 4,5 l. 107 l. (7 %) 36 l. (3 %) 34 % 676 l. (11 %) 6,3 pers.
la-jeunesse 1 sc. 10 répl. 4,3 l. 112 l. (7 %) 43 l. (3 %) 38 % 673 l. (11 %) 6,0 pers.
petite-bohemienne 1 sc. 1 répl. 3,4 l. 85 l. (6 %) 3 l. (1 %) 5 % 679 l. (11 %) 8,0 pers.
vertumne 1 sc. 5 répl. 2,1 l. 70 l. (5 %) 11 l. (1 %) 16 % 491 l. (8 %) 7,0 pers.
pomone 1 sc. 5 répl. 3,9 l. 70 l. (5 %) 19 l. (2 %) 28 % 491 l. (8 %) 7,0 pers.
la-nymphe 1 sc. 2 répl. 5,3 l. 70 l. (5 %) 11 l. (1 %) 16 % 282 l. (5 %) 4,0 pers.
le-berger 1 sc. 1 répl. 2,4 l. 70 l. (5 %) 2 l. (1 %) 4 % 282 l. (5 %) 4,0 pers.
ZEPHIRE 2 sc. 19 répl. 1,9 l. 111 l. (7 %) 36 l. (3 %) 33 % 698 l. (11 %) 6,3 pers.
AGLAURE 2 sc. 12 répl. 2,4 l. 72 l. (5 %) 29 l. (2 %) 40 % 144 l. (3 %) 2,0 pers.
CEPHISE 2 sc. 18 répl. 2,6 l. 120 l. (8 %) 46 l. (3 %) 39 % 716 l. (11 %) 6,0 pers.
L’AMOUR 2 sc. 15 répl. 1,7 l. 192 l. (12 %) 26 l. (2 %) 14 % 1 308 l. (20 %) 6,8 pers.
Thomas Corneille. L'Inconnu?. Comédie mêlée d'ornements. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
THALIE
LE GENIE DE LA FRANCE
27 l. (53 %) 9 répl. 3,0 l.
25 l. (48 %) 8 répl. 3,0 l.
1 sc. 51 l. (4 %) 4,0 pers.
LE GENIE DE LA FRANCE
la-nymphe
5 l. (47 %) 2 répl. 2,5 l.
6 l. (54 %) 1 répl. 5,6 l.
1 sc. 11 l. (1 %) 4,0 pers.
LE GENIE DE LA FRANCE
le-berger
2 l. (40 %) 1 répl. 1,6 l.
3 l. (61 %) 1 répl. 2,4 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 4,0 pers.
LA COMTESSE
OLIMPE
159 l. (67 %) 41 répl. 3,9 l.
81 l. (34 %) 49 répl. 1,6 l.
12 sc. 239 l. (15 %) 5,3 pers.
LA COMTESSE
LE MARQUIS
94 l. (55 %) 48 répl. 1,9 l.
80 l. (46 %) 50 répl. 1,6 l.
13 sc. 173 l. (11 %) 4,6 pers.
LA COMTESSE
LE CHEVALIER
46 l. (54 %) 20 répl. 2,3 l.
40 l. (47 %) 14 répl. 2,8 l.
9 sc. 84 l. (6 %) 6,1 pers.
LA COMTESSE
LE VICOMTE
15 l. (37 %) 22 répl. 0,7 l.
26 l. (64 %) 17 répl. 1,5 l.
6 sc. 40 l. (3 %) 6,3 pers.
LA COMTESSE
VIRGINE
14 l. (39 %) 12 répl. 1,1 l.
23 l. (62 %) 11 répl. 2,0 l.
5 sc. 36 l. (3 %) 7,0 pers.
LA COMTESSE
CASCARET
1 l. (29 %) 1 répl. 0,2 l.
1 l. (72 %) 2 répl. 0,3 l.
1 sc. 1 l. (1 %) 10,0 pers.
LA COMTESSE
le-comedien
4 l. (22 %) 3 répl. 1,1 l.
12 l. (79 %) 5 répl. 2,4 l.
2 sc. 15 l. (1 %) 9,1 pers.
LA COMTESSE
bohemienne
6 l. (11 %) 5 répl. 1,0 l.
42 l. (90 %) 4 répl. 10,3 l.
1 sc. 46 l. (3 %) 8,0 pers.
LA COMTESSE
comus
15 l. (32 %) 5 répl. 2,8 l.
31 l. (69 %) 6 répl. 5,1 l.
2 sc. 45 l. (3 %) 6,3 pers.
LA COMTESSE
la-jeunesse
6 l. (79 %) 3 répl. 1,9 l.
2 l. (22 %) 1 répl. 1,5 l.
1 sc. 7 l. (1 %) 6,0 pers.
LA COMTESSE
ZEPHIRE
1 l. (47 %) 1 répl. 0,7 l.
1 l. (54 %) 1 répl. 0,8 l.
1 sc. 1 l. (1 %) 8,0 pers.
LA COMTESSE
L’AMOUR
4 l. (40 %) 3 répl. 1,2 l.
6 l. (61 %) 2 répl. 2,7 l.
2 sc. 9 l. (1 %) 6,8 pers.
OLIMPE
LE MARQUIS
57 l. (65 %) 21 répl. 2,7 l.
32 l. (36 %) 20 répl. 1,6 l.
4 sc. 88 l. (6 %) 6,0 pers.
OLIMPE
LE CHEVALIER
39 l. (62 %) 13 répl. 3,0 l.
25 l. (39 %) 18 répl. 1,4 l.
6 sc. 63 l. (4 %) 6,6 pers.
OLIMPE
LE VICOMTE
40 l. (78 %) 12 répl. 3,3 l.
12 l. (23 %) 12 répl. 0,9 l.
4 sc. 51 l. (4 %) 7,5 pers.
OLIMPE
MELISSE
37 l. (86 %) 6 répl. 6,1 l.
7 l. (15 %) 6 répl. 1,0 l.
2 sc. 43 l. (3 %) 2,0 pers.
OLIMPE
le-comedien
3 l. (76 %) 2 répl. 1,1 l.
1 l. (25 %) 1 répl. 0,7 l.
2 sc. 3 l. (1 %) 9,1 pers.
OLIMPE
petit-bohemien
4 l. (43 %) 3 répl. 1,2 l.
5 l. (58 %) 2 répl. 2,4 l.
1 sc. 8 l. (1 %) 8,0 pers.
OLIMPE
L’AMOUR
1 l. (9 %) 1 répl. 0,9 l.
9 l. (92 %) 5 répl. 1,7 l.
2 sc. 10 l. (1 %) 6,8 pers.
LE MARQUIS
LE CHEVALIER
17 l. (35 %) 11 répl. 1,5 l.
32 l. (66 %) 11 répl. 2,8 l.
5 sc. 48 l. (3 %) 4,8 pers.
LE MARQUIS
LE VICOMTE
7 l. (9 %) 10 répl. 0,7 l.
68 l. (92 %) 13 répl. 5,2 l.
4 sc. 75 l. (5 %) 5,9 pers.
LE MARQUIS
LA MONTAGNE
13 l. (24 %) 19 répl. 0,7 l.
43 l. (77 %) 18 répl. 2,3 l.
1 sc. 55 l. (4 %) 2,0 pers.
LE MARQUIS
VIRGINE
81 l. (60 %) 18 répl. 4,5 l.
57 l. (41 %) 16 répl. 3,5 l.
3 sc. 137 l. (9 %) 2,0 pers.
LE VICOMTE
le-comedien
14 l. (54 %) 14 répl. 1,0 l.
12 l. (47 %) 12 répl. 1,0 l.
2 sc. 25 l. (2 %) 9,1 pers.
LE VICOMTE
le-maure
2 l. (28 %) 1 répl. 1,7 l.
5 l. (73 %) 1 répl. 4,3 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 8,0 pers.
LE VICOMTE
nc
4 l. (31 %) 1 répl. 3,2 l.
8 l. (70 %) 1 répl. 7,1 l.
1 sc. 10 l. (1 %) 10,0 pers.
alcidon
aminte
11 l. (56 %) 4 répl. 2,7 l.
9 l. (45 %) 4 répl. 2,2 l.
1 sc. 20 l. (2 %) 10,0 pers.
la-jeunesse
L’AMOUR
42 l. (81 %) 9 répl. 4,6 l.
10 l. (20 %) 7 répl. 1,4 l.
1 sc. 51 l. (4 %) 6,0 pers.
vertumne
pomone
7 l. (25 %) 4 répl. 1,6 l.
20 l. (76 %) 5 répl. 3,9 l.
1 sc. 26 l. (2 %) 7,0 pers.
ZEPHIRE
AGLAURE
16 l. (50 %) 6 répl. 2,6 l.
17 l. (51 %) 5 répl. 3,2 l.
1 sc. 32 l. (2 %) 2,0 pers.
ZEPHIRE
CEPHISE
19 l. (51 %) 11 répl. 1,7 l.
19 l. (50 %) 11 répl. 1,7 l.
1 sc. 37 l. (3 %) 8,0 pers.
AGLAURE
CEPHISE
13 l. (32 %) 7 répl. 1,8 l.
28 l. (69 %) 7 répl. 4,0 l.
1 sc. 40 l. (3 %) 2,0 pers.

Thomas Corneille

1675

L'Inconnu?. Comédie mêlée d'ornements

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Oriane Morvan
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Thomas Corneille. L'Inconnu?. Comédie mêlée d'ornements. A PARIS Chez JEAN RIBOU, au Palais, dans la Salle Royale, à l’image S.Loüis.AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

L’INCONNU
COMEDIE
MESLEE D’ORNEMENS
& de Musique §

AU LECTEUR §

Apres avoir fait paroistre dans Circé une partie de ce que le Théatre a de plus pompeux* pour la beauté des Machines ; j’ay crû que le Public ne seroit pas fâché d’estre diverty par les agrémens qu’une matiere galante* est capable de recevoir. C’est ce qui m’a fait choisir le Sujet de l’Inconnu, où vous ne trouverez point ces grandes Intrigues qui accoûtumé de faire le nœud des Comédies de cette nature, parce que les Ornemens qu’on m’a prestez, demandant beaucoup de temps n’ont pû souffrir* que j’aye poussé ce Sujet dans toute son étenduë. Si ce retranchement d’Incidens est un defaut, il est reparé par quantité de choses agreables qui forment les Divertissements* que l’Inconnu donne à sa Maistresse*. Je me suis servy des noms de la Comtesse, du Marquis, du Chevalier, & du Vicomte, comme s’accommodant mieux à l’oreille, & estant plus de nostre usage que les noms de Roman dont on se sert quelquefois pour les Pieces d’invention. Vous trouverez icy le cinquiéme Acte plus remply qu’il ne l’est dans la Representation, où le Marquis se contente de promettre la Comedie à la Comtesse. J’en fais un Divertissement* effectif qu’il luy fait donner sur le petit Théatre, sous le titre de l’Inconnu. Il consiste en trois Scenes fort courtes qui regardent l’embarras de Psyché enlevée par l’Amour dans un Palais magnifique, où rien ne manque à ses plaisirs que la satisfaction de connoistre l’Amant* qui prend soin de les luy procurer ; & comme cet Incident n’éloigne point l’Idée des Festes Galantes* du Marquis, je m’en sers pour dénoüer plus agreablement l’Avanture de la Comtesse.

Extrait du Privilege du Roy. §

Par Grace & Privilege du Roy donné à Versailles le 14. Novembre 1675 ; Signé, Par le Roy en son Conseil, DESVIEUX : Il est permis au Sieur T. CORNEILLE, Ecuyer, Sieur de l’Isle, de faire imprimer, vendre & debiter, par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra choisir, une Piece de Théatre de sa composition, intitulée L’INCONNU, pendant le temps & espace de huit années, à commencer du jour qu’elle sera achevée d’imprimer pour la première fois ; Avec defenses a toutes Personnes, de quelque qualité & condition qu’elles soient, d’en imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer, en tous les Lieux du Royaume & Terres de l’obeissance, d’autre Edition que de celle du Sieur de Corneille, ou de ceux qui auront droit de luy, à peine de trois mille livres d’amende, payable sans déport par chacun des contrevenans, confiscation des Exemplaires contrefaits, & autres peines plus au long contenuës dans lesdites Lettres.

Registré sur le Livre de la Communauté des Imprimeurs & Libraires, Signé THIERRY, Syndic.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois

Le 17. jour de Janvier 1676.

ACTEURS DU PROLOGUE. §

  • THALIE, Muse.
  • LE GENIE DE LA FRANCE.

ACTEURS DE LA COMEDIE. §

  • LA COMTESSE.
  • OLIMPE, aimée du Chevalier.
  • LE MARQUIS, Amant* de la Comtesse.
  • LE CHEVALIER, Amant* d’Olimpe.
  • LE VICOMTE, Amant* de la Comtesse.
  • LA MONTAGNE, Valet de Chambre du Marquis.
  • VIRGINE, Suivante de la Comtesse.
  • MELISSE, Suivante d’Olimpe.
  • DEUX ENFANTS, représentans l’Amour & la Jeunesse.
  • CASCARET, Laquais de la Comtesse.

ACTEURS DE LA PETITE Comedie du cinquiéme Acte. §

  • ZEPHIRE.
  • AGLAURE, } Confidentes de Psyché
  • CEPHISE, } Confidentes de Psyché
  • L’AMOUR.
La Scene est dans le Chasteau de la Comtesse.

DECORATION du Prologue. §

La Décoration est une Montagne toute de rocher, aux costez de laquelle on découvre plusieurs Arbres, avec cette diférence, que les Montagnes qui ont esté veuës jusqu’icy au Théatre, sont d’une peinture plate qui représente le relief, & que celle cy est d’un relief effectif. C’est en ce lieu que Thalie, qui est celle des Muses qui préside à la Comédie, rencontre le Génie de la France, avec qui elle s’estoit déjà déclarée sur la peine où elle se trouvoit touchant quelque Nouveauté qu’elle avoit dessein* de faire paroistre, & comme elle ne pouvoit sortir de cet embarras par elle-mesme, elle luy adresse les Paroles suivantes.

L’INCONNU. [A, 1]
COMEDIE.

PROLOGUE. §

THALIE, LE GENIE DE LA FRANCE

THALIE.

Genie incomparable, Esprit à qui la France                
Doit les sages Conseils qui la font admirer 
Pour reparer mon impuissance,
De ton secours qu’ay-je lieu d’espérer ?

LE GENIE.

5 Tout, Divine Thalie, & je suis sans excuse,                 
Si pouvant t’apuyer contre ce qui t’abat,
Je néglige à servir la Muse
De qui la Comédie emprunte son éclat.
C’est toy qui fais paroistre avec pompe*, avec gloire,
10 Sur le Théatre des François,                     
Ce qu’aux Etrangers quelquefois {p. 2}
Le recit qu’on en fait rend difficile à croire.

THALIE.

Je promettrois encor des Divertissemens*
Dont on aimeroit le spectacle,
15 Si pour faire crier miracle                        
J’en pouvois à mon choix régler les ornemens.
Quand Semelé, Circé, la Toison, Andromede,
Sur la Scene à l’envy* se sont fait admirer,
Par la Machine à qui tout cede,
20 Chacun avec plaisir se laissoit attirer.                
Mais que pensera-t-on, si toûjours je m’obstine
A faire voir Machine sur Machine ?
Comme on se plaist à la diversité,
Il est de Galantes* Matieres
25 Qui par les agrémens de quelque nouveauté                
Auroient des graces singulières.

LE GENIE.

J’en feray tant voir à la fois,
Que je pourray te satisfaire ;
La nouveauté charme tous les François,
30 Et ce m’est un moyen assuré de leur plaire.                

THALIE.

Je t’ay parlé déjà d’un Amant* inconnu,
Qui pour toucher une fiere* Maistresse*,
Luy donnant des Festes sans cesse,
En auroit enfin obtenu
35 L’heureux aveu de sa tendresse* ;                     
Mais l’Amour aura beau le rendre ingénieux,
Que fera-t-il de magnifique,
S’il n’a pour l’oreille & les yeux
Ny pompes* de Balets, ny charmes de Musique ?

LE GENIE.

40 Il peut se reposer sur moy                        
Du soin de ses galantes* Festes ; {p. 3}
Pour plaire à ce qu’il aime, & luy marquer sa foy*,
Il les trouvera toûjours prestes.

THALIE.

Ses desseins* doivent estre heureusement conduits ;
45 Si ta bonté les favorise.                        

LE GENIE.

Il faut par un essay dont tu seras surprise,
Te faire voir ce que je puis.
Vois-tu cette inégale Masse
Qui par tout n’est que pierre ? En ce mesme moment
50 Je luy veux devant toy donner du mouvement,                 
Et que les Corps divers qui naistront en sa place
Attirent ton étonnement.

THALIE.

Je brule de voir ces merveilles.

LE GENIE.

Tu m’avoüeras peut-estre que jamais
55 Il ne s’en est veu de pareilles ;                     
Mais il est temps d’en venir aux effets.
Animez-vous, Rochers, & changez de figure,
Paroissez tout couverts d’Hommes & de Verdure,
C’est moy qui veux ces divers changemens,
60 Et voir de vostre sein naistre des Instrumens.                
On voit icy la Montagne se remüer ; elle est en un moment couverte d’Arbres, & il s’en détache des Pierres qui sont changées en Hommes. Ces Hommes touchent d’autres Pierres, & elles deviennent des Violons entre leurs mains. Ils en joüent un Air dont la vistesse du mouvement rend Thalie toute surprise.

THALIE.

Tu promets moins que tu ne donnes,
Et ma peine déjà commence à s’adoucir. {p. 4}
Quels Divertissemens*, lors que tu les ordonnes,
Peuvent manquer de réüssir ?

LE GENIE.

65 C’est encor peu ; Je veux que vous fassiez paroistre         
Un Berger dont les doux accens
Suivent les tons ravissans
De quelque Nymphe champestre.
En mesme temps on voit deux morceaux de Rocher se changer en une Nymphe & un Berger ; ils s’avancent & chantent les Paroles qui suivent.

CHANSON DE LA NYMPHE.

Amans* qui vous rebutez                
70 De la fierté* d’une Belle,
Aimez, soufrez, méritez,
La constance vous appelle
Aux grandes félicitez.
Languir pour une Inhumaine
75 Que d’abord en vain on poursuit,                         
C’est une cruelle gesne ;
Mais regardez-en le fruit,
Vous en aimerez la peine.

CHANSON DU BERGER.

Quand on differe à se rendre,                     
80 Une Belle peut prendre
De la fiertefierté* ;
Mais contre un tendre
Pourquoy défendre
Sa liberté ?

LE GENIE.

{p. 5}
85 Achevez, & formez, pour Spéctacles nouveaux,                 
Et des Buissons & des Berceaux.
Les Arbres qui ont paru sur la Montagne, s’en séparent, & forment successivement des Buissons, des Allées, & des Berceaux.

LE GENIE poursuit.

Hé bien, Muse, es-tu satisfaite ?

THALIE.

Je t’admire, & me tais.

LE GENIE.

Après ce que tu vois,
Des Festes dont l’Amour me doit laisser le choix,         
90 Puis que j’en prens le soin, ne sois plus inquiéte.                

LA NYMPHE & LE BERGER

Chantent ensemble.
Ah qu’il est doux de s’unir à l’Amour !                
Avec l’Amour on peut tout faire ;                    
La Beauté la plus severe
A beau fuir ce qui peut l’enflamer* à son tour ;
95 Cherchez toûjours à luy plaire,
Vous trouverez un heureux jour.
Ah qu’il est doux de s’unir à l’Amour !                
Avec l’Amour on peut tout faire.

LE GENIE.

Allons, c’est trop tarder, suy-moy.    

THALIE.

100 Pour l’Inconnu j’attens beaucoup de toy.                

LE GENIE.

{p. 6}
L’entreprise est un peu hardie,     
Mais je n’ay rien promis dont je ne vienne à bout.

THALIE.

Je le croy, ce n’est pas d’aujourd’huy qu’on publie
Que les François ont un Génie
105 Qui les rend capables de tout.                
Ils passent en s’en retournant par-dessous une Allée qui occupe le milieu du Théatre, & qui en tient toute la longueur ; & lors qu’ils sont tout-à-fait retirez, cette grande Allée forme trois petits Monts, qui se changent en un instant en plusieurs Arbres. Ces Arbres se retirent un moment apres, & les Violons joüent une Ouverture.

Fin du Prologue.

{p. 7}

ACTE I. §

SCENE PREMIERE. §

LE MARQUIS, LA MONTAGNE.

LE MARQUIS.

Entrer dans ce Chasteau !

LA MONTAGNE.

Le grand péril !

LE MARQUIS.

Je tremble,
Que quelqu’un ne t’observe, & ne nous voye ensemble.

LA MONTAGNE.

Et quand on me verroit ? Monsieur, j’ay de l’esprit ;
C’est vous qui m’employez ; je conduis tout, suffit,    
110 Ne craignez rien.                    

LE MARQUIS.

On peut remarquer ton visage.             

LA MONTAGNE.

Et n’en changeay-je pas à chaque Personnage ?
Quand je suis déguisé, je le donne au plus fin,
Si me voulant connoistre, il n’y perd son Latin.
Ne vous inquiétez pour aucun de mes Rôles, {p. 8 }
115 Je les joüeray d’un air…Mais trève de paroles,                 
Vous avez par l’effet déjà veu ce que vaut…

LE MARQUIS.

N’as-tu rien oublié de tout ce qu’il nous faut ?

LA MONTAGNE.

Quand je vous fais en tout paroistre un zele* extréme,
Douter de moy qui suis la vigilance mesme,         
120 Et qui toûjours sur pied pour servir vostre amour,             
Depuis un mois & plus ne dors ny nuit ny jour ?
Au moins si par hazard* mon cerveau se démonte,
Ce sera, s’il vous plaist, Monsieur, sur vostre compte.
A force de veiller…            

LE MARQUIS.

Va, j’en répons.

LA MONTAGNE.

Ma foy*,        
125 Je suis seûr qu’un Jaloux dormiroit plus que moy.            
Avoir tout-à-la-fois tant de choses à faire,
C’est assez pour… Allez, quoyque prompt à vous plaire,     
Pour bien songer à tout, bien vous prend qu’au besoin
Ma mémoire ait fourny dequoy nous mener loin.        
130 Il ne manque plus rien à l’ordre de la Feste ;                 
Et de l’air dont chacun sur mes leçons s’apreste,
Ce que j’ay preparé de Divertissements*,             
Aura tout ce qu’on peut souhaiter d’agrémens.
Ainsi la belle Veuve à qui vous voulez plaire,         
135 Ignorant d’où luy vient ce qu’elle verra faire,                 
Vous croira tout-au-moins demy Sorcier. Pour moy
Je mets le Diable au pis, s’il brigue* mon employ ;     
C’est dequoy l’exercer, quelque adroit qu’il puisse estre.

LE MARQUIS.

Mais tout cela n’est rien, si l’on me fait connoistre.    
140 Prens bien garde au secret.

LA MONTAGNE.

{p. 9}
Il vous est seûr.        

LE MARQUIS.

Comment ?            

LA MONTAGNE.

La plûpart de mes Gens ne parlent qu’Allemand :
Comme j’entens la Langue assez pour les instruire,
J’ay voulu les choisir incapables de nuire.
D’ailleurs que craindre d’eux, puisqu’ils ignorent tous    
145 Que vous estes mon Maistre, & que j’agis par vous.            
Je les paye, & c’est là tout ce qui leur importe.

LE MARQUIS.

C’en est assez. Va-t-en, avant que quelqu’un sorte.

LA MONTAGNE.

Vous croyez donc qu’icy je sois venu pour rien ?
Il me faut…

LE MARQUIS.

Quoy ? Dy viste.                 

LA MONTAGNE.

Attendez, c’est…

LE MARQUIS.

Hé bien !    

LA MONTAGNE.

150 Vous m’avez fait songer à ce que je prépare,                 
Et souvent en courant ma mémoire s’égare.

LE MARQUIS.

Veux-tu que…        

LA MONTAGNE.

Laissez-la, Monsieur, se retrouver,
En resvant…

LE MARQUIS.

Est-ce icy, Bourreau, qu’il faut resver ?

LA MONTAGNE.

La Montre qu’il faudra…Non, je l’ay.

LE MARQUIS.

{p. 10}
Va-t-en, traistre,            
155 Tu me perdras*.

LA MONTAGNE.

Hé bien Serviteur, mais peut-estre             
Quelque chose manquant, vous en aurez regret.

LE MARQUIS.

Non, sors.

LA MONTAGNE revenant.

Ah je le tiens ; Monsieur, vostre Portrait.

LE MARQUIS.

Prens & t’éloigne. Quoy, tu reviens ?

LA MONTAGNE.

Autre affaire,
J’oubliois de l’argent, c’est le plus necessaire.

LE MARQUIS.

160 Voila ma Bourse.

LA MONTAGNE.

Mais…                

LE MARQUIS.

Redoute mon couroux*.            
Veux-tu sortir ?

LA MONTAGNE.

Je sors. Combien me donnez-vous ?
J’ay besoin tout-au-moins…

LE MARQUIS.

Quelqu’un icy s’avance.    

LA MONTAGNE.

Bon, c’est Virgine, elle est de nostre intelligence.

LE MARQUIS.

Laisse-moy luy parler, & songe qu’il est temps        
165 Qu’à faire ce qu’il faut tu prépares tes Gens.                
{p. 11}

SCENE II. §

LE MARQUIS, VIRGINE.

LE MARQUIS.

He bien, comment la nuit s’est-elle icy passée ?
Que fait-on ?                

VIRGINE.

Ma Maistresse* est fort embarassée ;
Et ce que l’Inconnu fait pour la régaler,
Luy donne à tous moments matiere de parler.    
170 Olimpe, aussi-bien qu’elle, admire son adresse,    
Sa manière engageante, & toutes deux sans cesse
Font rouler l’entretien sur les soins d’un Amant*
Qui, sans se découvrir, aime si fortement.

LE MARQUIS.

Si toujoûrs le succés répond à l’entreprise,    
175 La suite aura dequoy mériter leur surprise.                

VIRGINE.

Ce qui m’en cause à moy, dont je ne reviens pas,         
C’est de vous voir tranquile, & si peu d’embarras,
Que quelque Feste icy tous les jours qui se donne,
On en cherche l’Auteur, sans que l’on vous soupçonne.    

LE MARQUIS.

180 Par où me soupçonner ? J’en ay peu de soucy.                
Je loge dans le Bourg à quatre pas d’icy.            
Tous mes Gens, hors un seul qui sçait ce qu’il faut taire,
Passent là tout le jour à rire, à ne rien faire ;
Et cet unique Agent par qui tout se conduit,         
185 Va porter dans un Bois mes ordres chaque nuit.                
Peut-on mieux assurer un secret ?            

VIRGINE.

{p. 12}
Je l’avouë,    
Tant de précaution mérite qu’on vous loue :
Mais vous perdez beaucoup à vous cacher ainsy,
Déjà pour vous Olimpe a le adoucy,         
190 Et le galant* Auteur de tant de belles Festes                
La mettroit aisément au rang de ses conquestes.

LE MARQUIS.

Il est vray, j’ay connu par certains embarras
Qu’elle seroit d’humeur à ne me haïr pas :
Mais quand je serois moins à ma belle Comtesse,     
195 Olimpe au Chevalier doit toute sa tendresse*,                
Il l’adore, & je l’ay toûjours trop estimé,
Pour luy ravir l’Objet dont je le voy charmé.

VIRGINE.

Ma Maistresse* aime Olimpe, & pour voir cette Belle,
Permet au Chevalier un libre accés chez elle.        
200 Depuis qu’elle est icy, par mille tendres soins,            
De l’amour qui l’attire il rend nos yeux témoins :
Mais plus on vous verra, plus je crains pour sa flame*,
Les devoirs qu’il luy rend ne touchent point son ame,
Et ses regards sur vous à toute heure arrestez,        
205 Ne parleroient que trop, s’ils estoient écoutez.            
Mais vous, parquel motif vouloir toûjours vous taire ?
A-t-on à se cacher, quand on est seûr de plaire ?
Vos soins sous vostre nom auroient esté reçeus.

LE MARQUIS.

Chacun a ses raisons, & j’en ay là-dessus.        
210 Tout ce qui peut charmer se trouve en la Comtesse ;         
Mais soit par défiance, ou par délicatesse,
Le secret de son se ménage si bien,
Qu’avec elle un Amant* n’est jamais seûr de rien :
Elle veut estre aimée, attire, écoute, engage,        
215 Mais le plus avancé n’a pas grand avantage :                
La presser c’est se rendre indigne de sa foy*, {p. 13}
Et vingt fois, tu le sçais, elle a dit devant moy,
Qu’on auroit vers son moins de chemin à faire,
Plus, sans rien exiger, on feroit pour luy plaire.        
220 D’abord qu’elle fut Veuve, un tendre & pur amour             
M’engagea sans réserve à luy faire ma cour :
Aucun autre avant moy n’avoit brulé pour elle,
Et par toute l’ardeur* qui peut suivre un beau zele*,
Je n’ay pû mériter qu’en faveur de mes feux*        
225 Elle ait daigné jamais refuser d’autres vœux.                
J’en vois qui se livrant, sans que rien les alarme,
Aux malignes douceurs d’un accueil qui les charme,
Sur la foy* de ses yeux s’osent imaginer
Que son est sensible, & prest à se donner ;        
230 Mais je connois le piege, & plains leur imprudence.        
Cependant pour agir avec plus d’assurance,
J’ay voulu joindre aux vœux qu’elle reçoit par moy,
L’amour d’un Inconnu qui prétend à sa foy*.
D’estime en sa faveur je la voy prévenuë,            
235 Et de ce double appuy ma flame* soûtenuë                
En aura moins de peine à me faire emporter
Ce qu’en vain mes Rivaux me voudront disputer.
Son aimant en moy mon amour, ma personne,
Aime dans l’Inconnu les plaisirs qu’il luy donne :        
240 Elle y resve, & mon feu* par cet heureux secours         
A trouvé les moyens de l’occuper toûjours.
D’ailleurs j’ay la douceur ; quel plaisir quand on aime !
Que souvent elle vient me parler de moy-mesme,
Et vantant l’Inconnu, sans le croire si pres,        
245 Me montre un touché de tout ce que je fais.             
Que t’en dit-elle à toy ? Parle.

VIRGINE.

Elle en est ravie,
La gloire fut toûjours le charme de sa vie,
Plus vos soins font d’éclat, plus elle s’applaudit {p. 14}
De ce qu’à son mérite ils donnent de crédit :        
250 Ce n’est point par sa flame* une flame* enhardie,            
Elle reçoit des vœux sans qu’elle les mandie,
Et puis, contre l’Amour…quoy qu’on est résolu,
Le nombre des Amans* n’a jamais trop déplû ;
Et comme on veut plutost augmenter que rabattre,    
255 Un avec un fait deux, & deux & deux font quatre ;         
Les Femmes la plûpart en sont là. Mais voicy
Dequoy changer de note ; Olimpe vient icy.
Songez à vous, elle a grand dessein* de vous plaire.

LE MARQUIS.

Souviens-toy seulement de ce que tu dois faire,        
260 Je m’en tireray bien.

SCENE III. §

LE MARQUIS, OLIMPE, MELISSE.

OLIMPE.

Vous a-t-on fait sçavoir             
Le petit différent que nous venons d’avoir ?
Je voulois empescher qu’on ne vous fist l’outrage
De souffrir* avec vous un Rival en partage ;        
Mais contre l’Inconnu je me déclare en vain,        
265 La Comtesse…

LE MARQUIS.

Eh Madame, à quoy bon ce dessein* ?             
Laissons à son panchant liberté toute entiere.
Pour moy…                

OLIMPE.

{p. 15}
La complaisance* est un peu singuliere ;    
Un Rival rend des soins, la Comtesse en fait cas…

LE MARQUIS.

S’ils luy plaisent, pourquoy ne me plairoient-ils pas ?    

OLIMPE.

270 Et s’il faut qu’à l’aimer enfin elle consente ?                
Qu’elle l’épouse ?                

LE MARQUIS.

Hé bien, elle sera contente ?
C’est tout ce que je veux.

OLIMPE.

Ah puis qu’il est ainsy,
Marquis, j’ay tort pour vous de m’en mettre ensoucy.
Puis que pour l’Inconnu vous avez tant de zele*,        
275 Pour vous plaire, je vais le servir aupres d’elle.            

LE MARQUIS.

Je ne m’en plaindray point, favorisez ses feux*,
Peut-estre son bonheur me rendra-t-il heureux,
L’Amour a des douceurs & pour l’un & pour l’autre.

OLIMPE.

Un mérite aussi-bien étably que le vostre,            
280 Peut prétendre beaucoup, &…

LE MARQUIS.

Je sçay bien aimer,         
C’est là mon seul mérite.

OLIMPE.

On le doit estimer,
Et j’en connois fort peu qui comme la Comtesse        
Ayant de vostre attiré la tendresse*,
Voulussent consentir au chagrin* sans égal        
285 Où vous peut exposer l’obstacle d’un Rival.                

LE MARQUIS.

{p. 16}
Ce chagrin* n’a sur moy qu’un assez foible empire ;    
Et sans m’expliquer mieux, je puis icy vous dire        
Que j’auray veu remplir mes souhaits les plus doux,
Si la Comtesse prend l’Inconnu pour Epous.        
290 Adieu, Madame.

SCENE IV. §

OLIMPE, MELISSE.

OLIMPE.

Il sort, & veut bien que je croye         
Qu’en perdant la Comtesse il aura de la joye,        
D’un pareil sentiment que dois-je présumer ?
Aurois-je sçeu luy plaire ? & pourroit-il m’aimer ?

MELISSE.

Quoy, vous le soufririez* ?

OLIMPE.

Qu’il est bien fait, Melisse !    

MELISSE.

295 Oüy, mais au Chevalier il faut rendre justice.            
[B, 17]

SCENE V. §

LA COMTESSE, OLIMPE,
VIRGINE, MELISSE.

LA COMTESSE.

Scavez-vous que Dorante arrive icy ce soir ?

OLIMPE.

Avoüez que déjà vous brulez de le voir.

LA COMTESSE.

Je ne le cache point, j’en auray de la joye.

OLIMPE.

Je ne sçay plus de vous ce qu’il faut que je croye :        
300 Les devoirs du Marquis ne vous déplaisent pas,            
Dans ceux de l’Inconnu vous trouvez quelque appas ;
Et d’autres Soupirans*, aussitost qu’ils arrivent,
Peuvent prétendre au que tous les deux poursuivent.
C’est aller un peu loin.

LA COMTESSE.

Dequoy vous étonner ?    
305 Pour prétendre à mon , me le font-ils donner ?         
Croyez-moy, pour n’avoir nul reproche à se faire,
Il faut de sa conduite éloigner le mistere,
S’acquerir des Amis sans trop les rechercher,
Se divertir de tout, & ne point s’attacher.            
310 C’est ainsi que j’en use, & je m’en trouve heureuse,         
Point d’affaire de qui me tienne resveuse.
Tous ceux qu’un peu d’estime engage à m’en conter*,
Me trouvent sans façon preste à les écouter,
Je vois avec plaisir leur différent génie*,            
315 Et j’appelle cela, recevoir compagnie.                    

OLIMPE.

{p. 18}
Mais en vous contant, ils vous parlent d’aimer ?        

LA COMTESSE.

Je n’y voy pas contre eux dequoy se gendarmer.
Est-il quelque entretien, hors de là, qui n’ennuye,
Et nous parleront-ils de beau temps, ou de pluye ?    
320 Nostre Sexe par tout fait des Adorateurs,                
Et fust-ce la plus laide, on luy dit des douceurs.
Pour moy qu’aucun aveu sur l’amour n’effarouche,
A personne jamais je ne ferme la bouche,
Et grossissant ma Cour d’Esclaves différents,        
325 J’écoute les soûpirs, & ris des Soûpirans.                
Ce n’est pas, apres tout, leur faire grande injure ;
Ils ont beau de leurs maux nous tracer la peinture,
Tous ces empressemens* de belle passion
Souvent font moins amour que conversation ;        
330 Et le plus languissant alors qu’il nous proteste,            
A, tout prest d’expirer, de la santé de reste.
Si sur nous quelquefois le murmure s’étend,
C’est pour ce que l’on fait, non pour tout ce qu’on entend ;
Et ces Miroirs d’honneur, ces Prudes consommées,    
335 Qui du seul nom d’amour se trouvent alarmées,                
Succomberoient bientost à la tentation,
Puis qu’un mot sur leurs s fait tant d’impression.
Jamais à prendre feu*je n’ay l’ame si prompte,
Les declarations ne sont pour moy qu’un conte ;        
340 Et quoy que mes Amans* par là se soient promis,            
Je ne voy, ne regarde en eux que mes Amis ;
Je prens sur leur esprit un empire commode,
Et s’ils m’aiment, il faut qu’ils vivent à ma mode :
L’un veille à mes Procés, l’autre à mes Bastimens.    

OLIMPE.

345 Et comment accorder ce grand nombre d’Amans* ?             

LA COMTESSE.

{p. 19}
Si c’est estre Coquette, au moins quoy qu’on en croye,    
C’est l’estre de bon sens, & vivre pour la joye.
Chacun cherche à me plaire, & ne promettant rien,
Je fais amas de s, sans engager le mien.        
350 Comme à fuir le chagrin* tous mes soins aboutissent,            
Il n’est pas jusqu’aux Sots* qui ne me divertissent,
Et dont le ridicule à pousser des soûpirs
Ne me soit quelquefois un sujet de plaisirs.
Quoy que Veuve, je suis peut-estre encor d’un âge    
355 A suivre l’humeur gaye où mon panchant m’engage :            
J’en veux joüir, jamais je n’auray meilleur temps ;
J’ay du bien, des Maisons à Paris comme aux Champs ;
Ma personne a dequoy ne pas déplaire, on m’aime ;
Et tant que je voudray me garder à moy-mesme,    
360 Ne point prendre de Maistre en prenant un Epous,            
Mon sort égalera le destin le plus doux.

OLIMPE.

C’est ce qu’encor longtemps vous aurez peine à faire ;
Le Marquis n’est point fait d’un air à ne pas plaire ;
Et vous estimez tant ce qu’il vous rend de soins,        
365 Qu’il n’y va pour l’aimer, que du plus, ou du moins.             
L’Inconnu peut d’ailleurs avoir touché vostre ame,
Et si par ce qu’il fait on juge de sa flame*,
Il est bien mal-aisé qu’un si parfait Amant*
N’ait merité de vous un peu d’engagement.        
370 Son impatient de vous voir attendrie,            
Joint la magnificence à la galanterie*,
Et les porte si loin, qu’on y voit chaque jour
Briller également & l’Esprit & l’Amour.

LA COMTESSE.

Il faut l’avoüer, l’Inconnu m’embarasse,            
375 Ce qu’il ordonne est fait avecque tant de grace,        
Que je m’en sens touchée, & craindrois de l’aimer, {p. 20}
Si je le voyois tel qu’on peut le présumer.
J’admire chaque jour les détours qu’il employe
Pour me faire agréer les Bouquets qu’il m’envoye ;
380 Jamais si galamment* rien ne fut concerté,                
C’est toûjours de l’adresse & de la nouveauté.
Cependant j’ay beau faire afin de le connoistre,
Tous ses Gens sont muets sur le nom de leur Maistre ;
Et mesme comme ils sont Etrangers la plûpart,        
385 Son secret avec eux ne court point de hazard* ;                
C’est en vain qu’on les suit, on n’en peut rien aprendre,
Ce sont Acteurs instruits qui sçavent où se rendre,
Et qui se séparant quand ils sortent d’icy,
Par leur prompte retraite augmentent mon soucy.    
390 Qui peut les employer ?                    

OLIMPE.

J’en voy tant qui font gloire             
De soûpirer* pour vous, que je ne sçay qu’en croire.
Quel qu’il soit, c’est de vous un Amant* bien épris.

LA COMTESSE.

Mes soupçons sont d’abord tombez sur le Marquis,    
Il m’aime, il est galant* ; mais ses Gens qu’on épie,    
395 Demeurent en repos dans son Hostellerie ;                
Et n’y passeroient pas tout le jour sans employ,
Si leur Maistre faisoit tant de Festes pour moy.
D’ailleurs qu’a-t-il besoin d’user de cette adresse ?    
Je souffre* que son m’explique sa tendresse* ;    
400 Et depuis mon Veuvage à me plaire attaché,                
Quand il m’a divertie, il ne s’est point caché.

OLIMPE.

Soupçonner le Marquis ! Non, non, quoyqu’il pût faire,
Son amour si longtemps auroit peine à se taire,        
Et voyant vostre peine, un soûrire indiscret        
405 De ses soins aplaudis trahiroit le secret.                    
Il vous parle à toute heure. {p. 21}

LA COMTESSE.

Et si nostre Vicomte
S’estoit avisé…    

OLIMPE.

Luy ?                

LA COMTESSE.

Que j’en aurois de honte !
C’est un fatigant Homme.

OLIMPE.

Il va jusqu’à l’excès.

LA COMTESSE.

Il doit venir m’instruire icy de mon Procés.    

OLIMPE.

410 Vous pouvez seule à seul luy donner audience,                
Car pour moy je deserte, & suis sans complaisance*.

LA COMTESSE.

Et ne pouvez-vous pas en rire comme moy ?

OLIMPE.

Non, ces sortes d’Amans*…Mais qu’est-ce que je voy,
Madame…                            
{p. 22}

SCENE VI.                     §

LA COMTESSE, OLIMPE, Deux
Enfans representant L’AMOUR & LA
JEUNESSE. VIRGINE, MELISSE,
VALET MORE.

L’AMOUR.

Vous voyez l’Amour & la Jeunesse,    
415 Qui viennent admirer la charmante Comtesse,                
Et luy dire à l’envy*, qu’estre de ses plaisirs,
Fait l’unique bonheur qui flate leurs desirs.

LA COMTESSE.

Et qui les a conduits ?        

VIRGINE.

Ce More qui jargonne    
Certains mots qui ne sont entendus de personne :    
420 Ils sont tous deux entrez, demandant à vous voir.            

OLIMPE.

C’est encor l’Inconnu.

LA COMTESSE.

Nous allons le sçavoir.            
Nous n’avions pas besoin que l’on nous vinst conduire,        
Et d’eux-mesmes jusqu’à ce jour
Jamais dans aucun lieu la Jeunesse & l’Amour        
425 N’ont eu de peine à s’introduire.                    

OLIMPE.

L’aimable Couple !                

LA COMTESSE.

Il n’est rien de si beau.    

OLIMPE.

{p. 23}
De leur petite Mascarade                
Le dessein* est assez nouveau.

LA COMTESSE.

Il faut les écouter, car je me persuade            
430 Qu’ils nous vont de l’Amour faire un joly tableau.        

DIALOGUE DE L’AMOUR ET DE LA JEUNESSE.

LA JEUNESSE.

Quoy que vous nous voyiez ensemble,                
C’est assez rarement que nous sommes d’accord.

L’AMOUR.

Comme tout me cede, il me semble
Que me ceder aussi ne vous feroit pas tort.    

LA JEUNESSE.

435 Moy, vous ceder ! & pourquoy je vous prie ?
Si vous avez des charmes assez doux,                
Qui plaisent en coqueterie,
Je me fais aimer plus que vous.
Jamais je ne quitte personne,
440 Qu’on ne s’en fasse un dur tourment.                         
Helas ! dit-on, faut-il si promptement                
Que la Jeunesse m’abandonne ?
Mais quand le noir chagrin* de vos transports* jaloux
Force deux s à la rupture,
445 On y trouve un repos si doux,                    
Qu’on vous laisse aller sans murmures    
Et je ne sçache que les Fous,                
Qui mal guéris de leur blessure,
Veüillent renoüer avec vous.    

L’AMOUR.

{p. 24}
450 Et quand on ne rompt point, est-il douceurs pareilles ?                

LA JEUNESSE.

C’est un miracle dont le bruit                
Vient rarement à mes oreilles,
Mais regardons le degoust qui le suit.
Ce n’est pas comme la Jeunesse
455 Qui se trouve aimable en tout temps,                    
Vous n’avez point d’agrément qui ne cesse            
Pour peu que vous alliez au dela du Printemps.            
Quand l’age vient, la belle chose
Que les soupirs de deux Amans Barbons !            
460 A quoy peuvent-ils estre bons
Qu’à plaindre leur métamorphose ?                            
Ce n’est plus en douceurs qu’ils passent tout le jour,        
L’un dort tandis que l’autre gronde ;
Et jamais on ne vit au monde                
465 Rien de si sot* qu’un vieil amour.

L’AMOUR.

De vos jeunes attraits vous faites bien la fiere.*            

LA JEUNESSE.

On la feroit à moins ; par tout je saute aux yeux,
On me nomme par tout des Beautez la premiere,
Et c’est en quoy sur vous je l’emporte encor mieux :        
470 Car enfin pour me vaincre, employez ruse, adresse,
Cherchez artifice*, détours,
Il n’est point de laide Jeunesse,
Mais il est de vilains Amours.

L’AMOUR.

Vous croyez que je me chagrine*
475 De vous voir ravaler mes droits ?    

LA JEUNESSE.

Il n’est point défendu de faire bonne mine,            
Quoy qu’on enrage quelquefois.
Pour moy je n’aime que la joye ; {p. C,25}
Et malgré nos debats qui durent trop longtemps,        
480 Il faut qu’à danser je m’employe.

L’AMOUR.

Danser ! Ignorez-vous qu’on a…    

LA JEUNESSE.

Je vous entens ;        
Mais je puis tout comme Déesse,
En vain on croiroit m’arrester :
D’ailleurs rien ne sçauroit contraindre la Jeunesse,            
485 Et qui voudroit l’empescher de sauter,    
La feroit mourir de tristesse.

L’AMOUR.

Songez-y bien, j’appréhende pour vous.

LA JEUNESSE.

Chacun doit soûtenir son Rôle.

L’AMOUR.

Il est vray, la Jeunesse est toûjours un peu folle,            
490 Et l’on ne prend pas garde aux Foux.
La Jeunesse danse un Ménüet.

OLIMPE.

La cadence à trouver ne luy fait point de peine.    

LA COMTESSE.

Elle est née à la Danse, & peut s’en faire honneur.

L’AMOUR au More qui l’a amené.

Tandis qu’elle reprend haleine,
Approchez, nostre Conducteur,            
495 C’est à vous d’entrer sur la Scene.                    

CHANSON ITALIENNE DU MORE.

{p. 26}
Occhi neri, il cui splendore
Hora uccide, hora da vita,
Al mio cuore
Che si muore
500 Deh, pietosi date aita.
Quel sol di gioventù ch’in voi risplende,                
Quei raggi ridenti onde ognun s’accende,
V’insegnano pietà, non gia rigore.
Occhi neri, il cui splendore
505 Hora uccide, hora dà vita,
Al mio cuore
Che si muore
Deh, pietosi date aita.
Con sguardi lusinghieri, sftrali di fuoco                
510 Begli occhi, nel petto colto m’havete,    
S’ajuto cortese non mi porgete,                
Ahime, ch’io vo morendo à poco à poco.
Sù, sù, dunque che fate,
Pupille adorate ?
515 Con sguardo amoroso,
Non piu disdegnoso,                        
La piaga sanate
D’un’ alma ferita.
Ahi che troppo tardate.
520 Deh, che non mirate    
Che già nel moi seno                        
Lo spirio vien meno,
E stà fu l’uscita.
Occhi neri, il cui splendore {p. 27}
525 Hora uccide, hora dà vita,
Al mio cuore
Che si muore
Deh, pietofi date aita.

OLIMPE.

En toute Langue on vous dit des douceurs.    

LA COMTESSE.

530 Ignorant qui me les adresse,                    
Ce sont d’assez vaines ardeurs*.
Mais laissons parler la Jeunesse.

LA JEUNESSE.

Hé bien, de moy que dites-vous, Amour ?

L’AMOUR.

A danser, à sauter, employez tout le jour,            
535 Cela n’a rien qui m’intéresse ;                    
Mais puis qu’aucun de nous n’est d’humeur à céder,    
Il faut de moins nous accorder,
Pour loüer dignement cette belle Comtesse.

LA JEUNESSE.

La loüer ? ce n’est point mon fait,                            
540 Je ne pourrois assez élever son mérite,                    
Et j’aime mieux en estre quite                                
Pour ma Guirlande & ce Bouquet.
Prenez, d’une Déesse il n’est rien qu’on refuse.

L’AMOUR.

Pour moy qui cherche à voir tous les s sous ses loix,
545 Je sçay comme il faut que j’en use,
Et veux mettre à ses pieds mon Arc & mon Carquois.    

OLIMPE reprenant le Carquois de l’Amour d’où elle tire un Billet parmy les Fleches.

Qu’il est bien fait ! Mais Dieux ! A l’aimable Comtesse.
Madame, c’est à vous que ce Billet s’adresse.

LA COMTESSE.

{p. 28}
Lisons.                            

OLIMPE.

De l’Inconnu j’admire le talent,
550 Tout ce qu’il fait enchante.    

LA COMTESSE.

Il n’est rien plus galant*.             
Elle lit.
Quoy que ma passion extréme
Me fasse un souverain bonheur
Du plaisir de vous dire à quel point je vous aime,
Permettez que l’Amour vous parle en ma faveur,    
555 Avant que je parle moy-mesme :                 
J’ose attendre beaucoup d’un entretien si doux.
Eh, qui sçait mieux que luy ce que je sens pour vous ?

OLIMPE.

C’est s’exprimer avec tendresse*.    

LA COMTESSE.

On dit plus qu’on ne sent ; mais je veux à mon tour    
560 Faire présent à la Jeunesse.                        
La Comtesse luy donne un Diamant.

LA JEUNESSE.

J’accepte cette Bague, attendant l’heureux jour
Où vous sçaurez pour qui je m’intéresse*.

LA COMTESSE.

Je ne donne rien à l’Amour ;                                
Il se vante, & je crains ses contes ordinaires.    

L’AMOUR.

565 Par luy-mesme l’Amour trouve à se contenter ;                
Et tant qu’il se fait écouter,                
Il n’est pas mal dans ses affaires.
L’Amour & la Jeunesse s’en vont avec le More.

OLIMPE.

{p. 29}
On les a bien instruits.            

LA COMTESSE.

Tâche à les amuser.
Virgine ; Les Enfans n’aiment point à se taire,        
570 Et de nostre Inconnu par eux…        

VIRGINE.

Laissez-moy faire,
En badinant* je les feray jaser.                

Fin du Premier Acte.

{p. 30}

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

OLIMPE, MELISSE.

MELISSE.

Ainsi par une veuë au Chevalier fatale,        
La Comtesse en ces lieux trouve en vous sa Rivale ?    

OLIMPE.

Il est vray, c’est icy que j’ay pris malgré moy
575 Ce qui vers le Marquis a fait pancher ma foy*.                
A le voir, à l’entendre à toute heure exposée,
J’ay crû ne risquer rien, & me suis abusée* :
Son Esprit engageant, son air plein de douceur,                         
Sa mine, tout pour luy m’a demandé mon .
580 Pour peu qu’on se hazarde* aupres d’un vray mérite,        
Que la raison est foible, & que ce va viste !
D’un tendre mouvement l’appas flatteur & doux
M’a fait voir la Comtesse avec des yeux jaloux.        
S’il luy parle un moment, je m’en sens inquiéte,
585 Et trop pleine du trouble où ce chagrin* me jette,         
Dans ce Bois frais & sombre où je la viens trouver,
Je la cherche à pas lents, & n’aime qu’à resver.

MELISSE

{p. 31}
Mais vous n’ignorez pas qu’il aime la Comtesse ?        

OLIMPE.

Nous pouvons l’un & l’autre avoir mesme foiblesse ;
590 J’aimois le Chevalier, avant ce changement,                
Du moins je le soufrois* en qualité d’Amant* :
Cependant le Marquis fait balancer mon ame,
Et quoy qu’à la Comtesse il ait montré de flame*,        
Que sçait-on si l’Amour, pour m’assurer sa foy*,
595 N’aura pas fait en luy, ce qu’il a fait en moy ?                
Tu sçais ce qu’il m’a dit ; loin qu’il en prenne ombrage.
Il voit avec plaisir que l’Inconnu l’engage,
Qu’il s’en fasse estimer, & voudroit que l’Amour,    
Pour les unir ensemble, eust déjà pris le jour.
600 Me découvrir ainsi le secret de son ame,                    
Melisse, n’est-ce pas me parler de sa flame*,
Et me dire à demy que son tout à moy
N’aspire qu’au bonheur de dégager sa foy* ?    

MELISSE.

Gardez de vous flater, on croit ce qu’on désire,
605 Mais souvent…            

OLIMPE.

Ne crains rien ; Si pour luy je soûpire*,         
L’Amour qui m’y contraint, se conduira si bien,
Qu’aux yeux de la Comtesse il n’en paroistra rien.    
Tout ce que je prétens, est de vanter sans cesse        
Les soins de l’Inconnu, son esprit, son adresse ;        
610 Et si de cet amour son hymen* est le prix,                
Je pourray faire alors expliquer le Marquis.

MELISSE.

Ainsi le Chevalier n’a plus rien à prétendre ?    

OLIMPE.

Le voicy ; je ne puis refuser de l’entendre ;    
Mais son amour du mien s’est un peu trop promis.    
{p. 32}

SCENE II. §

LE CHEVALIER, OLIMPE,
MELISSE.

LE CHEVALIER.

615 Madame, apprenez-moy quel espoir m’est permis.            
Mon chagrin* ne peut plus se forcer au silence ;
Je vous vois, vous retrouve apres un mois d’absence,    
Et vous me recevez d’un air froid, sérieux…    

OLIMPE.

Je resve, & j’en ay pris l’habitude en ces lieux :    
620 A me bien divertir quelques soins qu’on employe,            
Il y manque toûjours quelque chose à ma joye,
La Campagne n’a point les charmes de Paris.        

LE CHEVALIER.

Quelle réponse helas ! C’est donc tout ce qu’emporte    
Cette parfaite ardeur*…            

OLIMPE.

{p. 33}
Je l’avoüe elle est forte,        
625 Vos feux* par cent devoirs m’ont esté confirmez ;             
Mais de grace, est-ce vous, ou moy, que vous aimez ?    
Je parois à vos yeux bien faite, belle, aimable,
Vous me cherchez ; dequoy vous suis-je redevable ?    
Forcez-vous en cela vostre inclination ?
630 Et quand vous me parlez d’ardeur*, de passion,                
Si le secret panchant qui pour moy vous inspire,        
Ne vous attiroit pas autant qu’il vous attire,
Ne trouvant rien en moy qui pût vous enflamer*,        
Pour mes seuls intérests me pourriez-vous aimer ?
635 De vos prétentions voyez l’abus extréme ;                
Parce que je vous plais, il faut que je vous aime,        
Et je dois vous payer de la nécessité
Qui vous tient malgré vous dans mes fers arresté.    
Tachez de les briser, si leur poids vous étonne*,
640 Sinon, mon est libre, attendez qu’il se donne ;             
Et quoy qu’enfin pour vous sa conqueste ait d’appas,    
N’exigez point de luy ce qu’il ne vous doit pas.

LE CHEVALIER.

Ah contre mon amour je voy ce qui s’apreste,        
On veut…

OLIMPE.

Finissons-là, j’ay quelque chose en teste ;
645 Et comme je vous crois généreux & discret,                
Je veux bien avec vous n’en pas faire un secret.
L’Inconnu par ses soins offre icy son hommage*,
A luy vouloir du bien quelque intérest m’engage.    

LE CHEVALIER.

Qu’entens-je ? L’Inconnu ! Madame l’aimez-vous ?
650 Me quittez-vous pour luy ? sera-t-il vostre Epoux ?             
Vous a-t-il fait parler ?

OLIMPE.

{p. 34}
Voila de jalousie            
Comme souvent sans cause on a l’ame saisie.

LE CHEVALIER.

Il est galant*, je voy que vous en faites cas ;        
Vous dédaignez mes vœux, & je ne craindrois pas ?    

OLIMPE.

655 Non, puis que si pour luy ma bonté s’intéresse,                
Ce n’est que pour luy faire épouser la Comtesse.

LE CHEVALIER.

Favorable assurance ! En des maux si pressans,
Pardonnez si d’abord l’Inconnu…

OLIMPE.

J’y consens,        
Mais à condition que pour servir sa flame*
660 Vous verrez la Comtesse, & ferez…

LE CHEVALIER.

Moy, Madame !             
Le Marquis qui l’adore est mon Amy.

OLIMPE.

Fort-bien,    
Le Marquis vous est tout, & je ne vous suis rien.

LE CHEVALIER.

Madame…

OLIMPE.

A l’Amitié l’on voit un fidelle,        
Prompt, ardent ; pour l’Amour, c’est une bagatelle*.

LE CHEVALIER.

665 Mais si du Marquis…        

OLIMPE.

Non, faites-vous son appuy,    
Je veux bien qu’il l’emporte, & vous laisse avec luy.
Adieu.
{p. 35}

SCENE III. §

LE MARQUIS, LE CHEVALIER.

LE MARQUIS.

De quel chagrin* vous vois-je atteint ? Il semble
Qu’elle sort en colere ; estes-vous mal ensemble ?    

LE CHEVALIER.

Oüy, Marquis, & jamais Amant* ne fut traitté
670 Avec tant d’injustice & tant de cruauté.
C’est peu que je la trouve icy toute changée,
A nuire à vostre amour elle s’est engagée,
Et veut me voir servir l’Inconnu contre vous.    

LE MARQUIS.

Si vous la refusez, j’approuve son couroux* ;
675 Qui se déclare Amant*, doit tout à ce qu’il aime.            

LE CHEVALIER.

Contre un parfait Amy ; contre un soy-mesme ?

LE MARQUIS.

L’Amour n’excepte rien.

LE CHEVALIER.

Pour ne pas l’irriter,        
Je vous trahirois ! Non, laissons-la s’emporter ;    
Le temps, & la raison, éteindront sa colere.

LE MARQUIS.

680 Une Maistresse* ordonne, il faut la satisfaire ;                
Parlez pour l’Inconnu : tous vos soins employez
Peut-estre me nuiront moins que vous ne croyez.    

LE CHEVALIER.

La Comtesse l’estime, & son ame incertaine        
Peut malgré vostre amour…

LE MARQUIS.

{p. 36}
N’en soyez point en peine,
685 Sur elle, sur son je fais ce que je puis.                

LE CHEVALIER.

Comprenez-vous assez quels seroient mes ennuis*,    
S’il falloit que par moy…

LE MARQUIS.

Vous n’avez rien à craindre,
Empeschez seulement Olimpe de se plaindre.

LE CHEVALIER.

Plus je vous vois agir en Amy genéreux,
690 Plus j’ay de répugnance à combattre vos feux* :                
Je m’oppose pour vous à ce qu’Olimpe exige
Et crains tant d’obtenir…

LE MARQUIS.

Ne craignez rien, vous dis-je ;
Et sans examiner le péril que je cours,        
Assurez, s’il se peut, le repos de vos jours,            
695 Je le verray sans peine.

LE CHEVALIER.

O bonté que j’admire !            
Que ne vous dois-je point, & que puis-je vous dire ?
Je vay rejoindre Olimpe, & malgré sa froideur
Luy jurer d’un Amant* la plus soûmise ardeur*,                    
Je luy promettray tout ; mais malgré ma promesse
700 J’auray tant de reserve en voyant la Comtesse,            
Que ce qu’à l’Inconnu je presteray d’appuy,
Faisant peu contre vous, ne fera rien pour luy.
{p. 37}

SCENE IV. §

LE MARQUIS, VIRGINE.

LE MARQUIS.

Virgine ?            

VIRGINE.

Vous riez ? D’où vous vient cette joye ?

LE MARQUIS.

De voir contre elle-mesme Olimpe qui s’employe.
705 Le Chevalier, d’erreur comme elle prévenu,            
Va tâcher, pour luy plaire, à servir l’Inconnu.
J’ay quelque part sans doute à ce qu’on luy fait faire.    

VIRGINE.

Qu’on est dupe souvent !

LE MARQUIS.

Le plaisant de l’affaire,
C’est qu’Olimpe qui croit par là me conserver,
710 Brigue* pour moy le qu’elle veut m’enlever.             

VIRGINE.

Cependant vous aviez besoin de mon adresse,        
Quand j’ay suivy tantost l’Amour & la Jeunesse.

LE MARQUIS.

Et qu’as-tu dit pour eux ?

VIRGINE.

Qu’ils ont d’abord couru        
Se jetter en Carosse, & qu’ils ont disparu.        

LE MARQUIS.

715 Et la Comtesse ?        

VIRGINE.

Elle est dans une peine extréme,             
Et semble partagée entre vous & vous-mesme.
Je viens de lui vanter vos tendres sentimens, {p. 38} 
Elle a rendu justice à leurs empressemens* ;    
Puis avec un soûpir* que l’Amour a fait naistre,                        
720 Que n’est-il l’Inconnu, m’a-t-elle dit !

LE MARQUIS.

Peut-estre                
Si je me déclarois, son sans embarras,
Quoy que touché pour moy, ne le sentiroit pas.
Ne précipitons rien.    

VIRGINE.

C’est l’humeur de la Dame,
Le mérite la charme, il peut tout sur son ame ;
725 Mais il faut luy laisser vouloir ce qu’elle veut.                

LE MARQUIS.

L’Amour est consolé, quand il fait ce qu’il peut.
Elle paroist ; je vay pousser le stratagème,        
Et faire quelque temps le jaloux de moy-mesme ;    
C’est le plus seûr moyen d’affermir mon bonheur.

SCENE V. §

LA COMTESSE, LE MARQUIS,
VIRGINE.

LE MARQUIS.

730 Madame, je vous trouve un air sombre, resveur,                
Il me gesne*, il m’alarme, & cependant je n’ose
Permettre à mon amour d’en demander la cause,    
Peut-estre quand mon s’attache tout à vous,    
Le vostre cherche ailleurs des hommages* plus doux.
735 Vous ne répondez point ? Je le voy trop, Madame,            
Un autre feu* sans doute est contraire à ma flame* ;
Malgré ce que le temps m’a dû prester d’appuy, {p. 39}
C’est l’Inconnu qu’on aime, & vous pensez à luy.

LA COMTESSE.

Vous l’avez deviné. Ses galantes* manieres,
740 Si propres à gagner les Ames les plus fieres*,                
M’obligent tellement, qu’à ce qu’il fait pour moy,
Un peu de resverie est le moins que je doy :        
Je puis me la souffrir* sur tout ce qui se passe.

LE MARQUIS.

Quoy, Madame, un Rival…

LA COMTESSE.

D’un ton plus bas, de grace.
745 S’il m’occupe l’esprit, vous devez présumer                
Que c’est pour le connoistre, & non pas pour l’aimer.    
Apres ce que pour moy ses soins marquent de zele*,
La curiosité n’est pas fort criminelle ;                            
Et vous-mesme déjà vous auriez dû tâcher
750 D’éclaircir le secret qu’il aime à nous cacher.                

LE MARQUIS.

Je vous l’éclaircirois : Promettez-moy, Madame,    
Que vostre main sera l’heureux pris de ma flame* ;
Et pour le découvrir, je fais ce que je puis.    

LA COMTESSE.

Cherchez à me tirer de la peine où je suis,
755 Vous me ferez plaisir, & je vous le conseille.                

LE MARQUIS.

Est-il contre un Amant* injustice pareille ?        
Si l’Inconnu par moy se découvre aujourd’huy,
Voudrez-vous point encor que je parle pour luy ?        
Qu’en faveur de son feu* le mien vous sollicite ?
760 Il peut, je le confesse, avoir plus de mérite,            
A l’ardeur* de ses soins donner un plus grand jour,    
Mais jamais, quoy qu’il fasse, il n’aura plus d’amour.

LA COMTESSE.

{p. 40}
Je le veux croire ainsy, mais puis-je avec justice                        
De son attachement vous faire un sacrifice,
765 Avant qu’avec luy-mesme une civilité                
Marque au moins que je sçay ce qu’il a mérité ?    

LE MARQUIS.

Le détour est adroit autant qu’il le peut estre,
Il faut estre civile afin de le connoistre ;            
Et vous donnant à luy, quand vous le connoistrez,
770 L’Etoile est le garand où vous me renvoyrez.                

LA COMTESSE.

Ainsi c’est de nos s l’Etoile qui dispose ?    

LE MARQUIS.

Mais…

LA COMTESSE.

Je hay les raisons quand je veux quelque chose ;
Et j’avois toûjours crû que la soûmission            
D’un véritable Amant* marquoit la passion.

LE MARQUIS.

775 Oüy quand il peut…        

LA COMTESSE.

Marquis, voyez ce que vous faites ;         
J’aime en qui m’ose aimer, des volontez sujettes,
Et qu’on m’estime assez, pour croire aveuglément,
Que tout ce que je veux, je le veux justement.    

LE MARQUIS.

Mon malheur est certain. J’ay de bons yeux, Madame,
780 Vous cherchez un prétexte à rejetter ma flame* ;            
Si je desobeïs, ç’en est fait, plus d’espoir ;
Et si de mon Rival… Moy, vous le faire voir ?
Non, qu’il cherche luy-mesme à se faire connoistre,
Ce ne sera jamais que trop tost, & peut-estre…    

LA COMTESSE.

{p. D, 41}
785 Suffit ; j’aime à sçavoir, Marquis, ce que je sçais ;            
Vous m’osez refuser, & je m’en souviendray.

SCENE VI. §

LA COMTESSE, OLIMPE,
LE CHEVALIER, LE MARQUIS,
VIRGINE, MELISSE.

LE CHEVALIER.

Quoy que j’ignore encor quel spéctacle on appreste,
Je puis vous préparez à quelque grande Feste,    
Madame ; dans ce Bois j’ay veu des Gens épars*,        
790 Qui pour vous la donner, viennent de toutes parts.         
Ils s’avancent vers vous.

LE MARQUIS.

Vous devez les attendre,
Madame, & l’Inconnu ne sçauroit moins prétendre ;
Il connoist mieux que moy ce que c’est qu’estre Amant*,
Par tout il vous régale.

LA COMTESSE.

Et toûjours galamment ;
795 Du moins j’ay tout sujet d’en estre satisfaite.                

LE MARQUIS.

Vous pouvez l’écouter, voicy son Interprete.
{p. 42}

SCENE VII. §

LA COMTESSE, LE MARQUIS,
LE CHEVALIER, OLIMPE,
LA MONTAGNE representant
Comus, VIRGINE, MELISSE,
Suite de Comus.

COMUS.

Madame, par hazard*, si Comus est un Dieu        
Qui soit de vostre connoissance,                            
Vous le voyez en moy qui parois en ce lieu
800 Pour vous jurer obeïssance.                        
Je suis un grand Maistre en Festins,
A les bien ordonner on connoist mon génie* ;        
Et l’amour dont le goust fut toûjours des plus fins,    
Voulant en bonne compagnie
805 Vous donner un Régal approchant des Divins,                
M’a fait Maistre d’Hostel de la Cerémonie.
C’est un Dieu, quoy que tres-petit,                            
A qui l’on peut céder sans honte :            
Marchez sous sa conduite, & rendez-vous plus prompte
810 A faire tout ce qu’il vous dit,                        
Vous y trouverez vostre compte.

LA COMTESSE.

Sur l’espérance des douceurs                                
Dont l’Amour doit combler nos s,    
Quand une fois il s’en empare,
815 Je suivrois volontiers ses pas :                    
Mais comme il est Enfant, j’ay peur qu’il ne s’égare [,                43]
Et j’aime à ne me perdre pas.            

COMUS.

Avancez, il est temps, Viste, que l’on commence.    
Il fait signe à des Païsans qui s’avancent, & qui forment un berceau composé de dix Figures isolées en forme de Termes de bronze doré, cinq de chaque costé, l’une d’Homme, & l’autre de Femme, tenant chacune en l’une de leurs mains un Bassin de porcelaine remply de toute sorte de Fruits en pyramide. Ces Figures depuis la ceinture, se terminent en Guaines, & ces Guaines sont environnées de Pampres de Vigne chargez de Raisins. Chaque Figure est portée sur son Piedestal de marbre d’Orient, où il y a des petites Consoles dans les saillies qui soûtiennent des Porcelaines de diferentes manieres, remplies de Pyramides de Fruits aussi beaux que les autres. Du milieu de ces Consoles pendent des Festons de Fleurs. Toutes les Figures de ce Berceau portent sur leurs testes de grands Vases de porcelaine qu’elles soûtiennent d’une main, & qui sont remplis en confusion de Fleurs naturelles. Les Ceintres naissent de ces Fleurs, & forment des Figures ceintrées de diférentes manieres de verdure coupée, d’où pendent des Festons de Fleurs & de toile d’or. L’optique de ce Berceau où devroit estre un Bufet, est d’une manière toute extraordinaire. On y voit plusieurs degrez de gazon, & sur le plus élevé paroist un Bacchus tenant d’une main un Vase d’or, & de l’autre une Coupe. Il est environné de plusieurs Vases d’or & d’argent. La Déesse des Fruits est à son aisle droite, & à sa gauche Cerés tient dans une Corbeille ce qui est de son ministere. Flore est un peu plus bas. On voit à ses costez {p. 44} de grandes Corbeilles de Fleurs ; & comme elle en tient encor beaucoup, on connoist qu’il en couvre tout le gazon qui l’environne ; ce qui se remarque par celles qui sont déjà sur ce gazon. Au dessous de Flore on voit l’Abondance avec deux Cornets qu’elle vuide dans deux Corbeilles que tiennent deux Satyres qui sont sur un degré plus bas, à demy courbez, & en posture de Gens qui reçoivent. Entre toutes ces Figures paroissent Pan & Sylvain, accompagnez d’Orphée qui tient son Lut, & les deux autres des Flustes. Le tout est finy par un degré de gazon aux deux bouts duquel il y a des Scabelons fort riches, & portant chacun un grand Vase d’or ; de sorte que sans avoir dressé un Bufet de la manière ordinaire, on en voit paroistre un beaucoup plus beau & auquel il ne manque rien, puis que Bacchus & Ceres y apportent ce qu’on peut attendre d’eux, & que Flore elle-mesme prend soin de le venir orner.

LE CHEVALIER à la Comtesse

Tant de Galanterie* a droit de vous charmer,
820 Madame.

OLIMPE.

N’épargner ny peine, ny dépense,            
Pour fournir des plaisirs toûjours en abondance,    
C’est là ce qui s’appelle aimer.

COMUS.

Madame, il ne faut point différer davantage :    
Quand l’Amour, dont je prens icy les intérests,
825 Par ce Régal vous rend un tendre hommage,        
Vous connoissez à quel usage                                
En sont destinez les apprests.

LA COMTESSE.

Je ne veux pas les laisser inutiles,        
Olimpe y prendra part ainsi que son Amant*. {p. 45}

OLIMPE.

830 Volontiers ; les refus sont assez difficiles,             
Quand on agit si galamment.

LA COMTESSE.

J’ay besoin d’une main, la vostre est-elle preste,
Marquis ?

LE MARQUIS.

Vous vous moquez, je croy.    

LA COMTESSE.

Non, vous me conduirez.

LE MARQUIS.

Je renonce à la Feste,
835 Elle n’est pas faite pour moy.                        

LA COMTESSE.

Point d’excuses, point de défaites,
Je veux que vous veniez.

LE MARQUIS.

Eh Madame.

LA COMTESSE.

Eh Marquis,
Sans façon, croyez-moy, faites ce que je vous dis ;    
Vous vous montrez plus jaloux que vous n’estes.

LE MARQUIS.

840 Justement.

LA COMTESSE.

Je connois vostre mieux que vous,         
Et c’est si rarement que le trouble* y peut naistre…

LE MARQUIS.

Oüy, Madame, j’ay tort de paroistre jaloux,
Car je n’ay pas sujet de l’estre.    
Le Marquis sort
{p. 46}

SCENE VIII. §

LA COMTESSE, OLIMPE,
LE CHEVALIER, VIRGINE,
MELISSE, COMUS,
Suite de Comus.

OLIMPE.

On diroit qu’il sort en couroux*.

LA COMTESSE.

845 Il aura tout loisir de s’en rendre le maistre :            
Cependant divertissons-nous.    

COMUS.

Tandis que vous ferez une épreuve* agreable
Des douceurs que ces fruits offrent aux Curieux,    
L’Amour qui m’employe en ces lieux,
850 M’a fait chercher ce qu’il a crû capable             
De pouvoir attacher vos yeux.                
Allons, faites de vostre mieux,
Et qu’à l’envy* chacun se montre infatigable.
La Comtesse s’avance avec Olympe & le Chevalier vers les Corbeilles de Fruit ; & tandis que chacun choisit ce qui flate le plus son goust, les Païsans qui ont ordre de divertir la Comtesse, apres avoir fait quelques figures pour marquer leur joye, font un Jeu avec des Bastons, & l’ont à peine finy, que sans sortir du lieu où ils sont, ils paroissent tous en un moment vestus en Arlequins, & réjouissent la Comtesse par mille figures plaisantes.

LA COMTESSE

{p. 47}
On voit avec plaisir de semblables combats        
855 Qui ne font craindre pour personne.                     

COMUS.

Il seroit mal-aisé qu’ils manquassent d’appas,    
Quand c’est l’Amour qui les ordonne :
Mais il est d’autres Dieux que moy,
Qui se sont meslez de la Feste ;
860 Vertumne y prend part, & je voy                    
Qu’ainsi que Pomone il s’appreste
A raisonner sur son employ.
Pomone & Vertumne s’avancent, & chantent
le Dialogue qui suit.

DIALOGUE DE VERTUMNE ET DE POMONE.

VERTUMNE.

De quel chagrin*, Pomone, as-tu l’ame saisie ?    

POMONE.

Si Vertumne a des yeux doit-il le demander ?
865 Je suis, quoy que Déesse obligée à céder ;    
Puis-je le voir sans jalousie ?    
Quand en faveur d’un Amant* inconnu
J’ay promis de venir régaler cette Belle,                
L’avois crû ne trouver en elle
870 Que les appas d’une simple Mortelle,
Pour qui l’Amour estoit trop prévenu ;                
Mais les Divinitez n’ont rien qui la surpasse,
Il n’est éclat qu’elle n’efface,                
Et je viens d’avoir la douleur
875 Qu’aupres d’elle mes Fruits ont changé de couleur.    
Apres un tel affront puis-je estre sans colere ?    

VERTUMNE

{p. 48}
J’aurois la mesme plainte à faire.                
J’ay beau, comme Dieu des Jardins,                            
Chercher à luy fournir toûjours des Fleurs nouvelles :
880 Son teint en a de naturelles,    
Dont l’éclat ternit mes Jasmins.    

POMONE.

L’aveu que nous faisons augmente sa victoire.

VERTUMNE.

Le moyen de s’en dispenser ?

POMONE.

Elle est toute charmante, il faut le confesser.

VERTUMNE.

885 Baissons donc nos voix, & chantons à sa gloire,                

Tous les deux ensemble.

Heureux, heureux l’Amant*, dont la tendre langueur,
Pour meriter son choix, aura touché son  !

CHANSON DE POMONE.

Vous avez beau vous défendre,            
Vous aimerez quelque jour
890 A l’Amour,    
Sans attendre,
Pourquoy craindre de vous rendre ?
Chacun lui cede à son jour.
On n’ a point de plaisirs sans tendresse*,
895 Sans amour on n’a point de bonheur.
Si d’un ,
En langueur,
Les soucis partagez vous font peur,            
Rendez-vous au beau feu* qui le presse,
900 Vous verrez qu’ils sont pleins de douceur.

CHANSON DE VERTUMNE

[E, 49]
L’Amour est à suivre,
Laissez-vous charmer ;
Tout dois s’enflamer* :
Quel plaisir de vivre,
905 Sans celuy d’aimer ?
Les plus belles chaines*
Font voir mille peines
A qui n’aime pas :            
Mais quand on aime,
910 Ce n’est plus de mesme,    
Tout est plein d’appas.

OLIMPE.

L’un & l’autre a la voix charmante.

LE CHEVALIER.

On auroit peine à mieux chanter.    

LA COMTESSE.

La beauté de la Feste a passé mon attente.

OLIMPE

915 L’Inconnu l’ordonnant, aviez-vous à douter                
Qu’elle ne fust toute galante* ?

COMUS.

Hé bien, pour toucher vostre ,
Comus a-t-il sçeu satisfaire,
En Dieu d’importance et d’honneur,
920 A tout ce que l’Amour l’avoit chargé de faire ?                

LA COMTESSE.

Comus peut s’assurer par tout de son bonheur,
Si Comus s’en fait un de plaire.
Mais comme en Terre quelquefois                        
La Divinité s’humanise,
925 Le Dieu Comus pourroit m’apprendre à qui je dois             
Le divertissement* dont il me voit surprise.

COMUS

{p. 50}
C’est un secret qu’à conserver    
Ma qualité de Dieu m’engage.                            
Si de ses soins l’Amour qui veut vous éprouver,
930 Peut espérer quelque avantage,                        
Il m’attend dans le Ciel où je le vay trouver,
Employez-moy pour le message.

LA COMTESSE.

Je ne m’explique pas ainsy,                            
Je veux connoistre avant qu’entrer en confidence.

COMUS.

935 Ma Suite est disparuë, & je suis seul icy.                
Bon-soir, vivez en espérance
De sortir bientost de soucy.

LA COMTESSE.

Se taire ! se cacher si longtemps quand on aime !    

VIRGINE.

J’avois crû par l’un deux, en luy parlant tout-bas,
940 Déveloper ce stratagéme.                    
Mais apres quelques mots que peut-estre luy mesme,
En les disant, n’entendoit pas,
Il a, d’une vistesse extréme,
Pour s’éloigner, doublé le pas.

LA COMTESSE.

945 Pour moy je ne sçay plus qu’en dire.                    

OLIMPE.

Le temps éclaircira l’amour de l’Inconnu,
Un peu de patience.

LA COMTESSE.

Il faut tâcher d’en rire,    
En attendant que ce temps soit venu.

Fin du Second Acte.

{p. 51}

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

LA COMTESSE, OLIMPE,
VIRGINE.

LA COMTESSE.

Nommez ce sentiment fierté*, chagrin*, caprice*,    
950 Quand je parle une fois, je veux qu’on obeïsse,                
Et je ne prétens point, parce qu’on est jaloux,
Renoncer fortement aux plaisirs les plus doux,
Des vœux de l’Inconnu si le Marquis s’offence,        
Il en doit redoubler ses soins, sa complaisance* ;
955 Et trop faire éclater l’ennuy* qu’il en reçoit,                
C’est servir son Rival beaucoup plus qu’il ne croit.

OLIMPE.

En vain un peu d’aigreur contre luy vous anime ;
L’Inconnu, je le sçay, partage vostre estime,        
On ne peut condamner ce qu’il s’en est acquis,
960 Mais enfin vous devez vostre au Marquis.                

LA COMTESSE

{p. 52}
Moy ? je ne luy dois rien.                    

OLIMPE.

Et qu’a donc fait, Madame,
Ce long & tendre amour qui vous soûmet son ame ?
Pour vous rendre sensible il a tout essayé ;        
Mille devoirs…

LA COMTESSE.

Hé bien, n’en est-il pas payé ?

OLIMPE.

965 Comment, est-ce qu’à luy vostre foy* vous engage ?            

LA COMTESSE.

Il me voit quand il veut, que faut-il davantage ?
Quoy, pour quelques soupirs*, pour un peu de langueur,
Vous croyez bonnement qu’il faut donner son  ?    
S’engage qui voudra, je ne vay pas si viste,
970 Avec tous mes Amans* chaque jour je m’acquitte,            
Et prétens que des vœux qui me sont adressez,
Le plaisir de me voir les a récompensez.
Tant qu’ils en usent bien, je leur fais bonne mine,    
J’écoute leurs douceurs, prens mon humeur badine* ;
975 Je raille : mais aussi quand on fait un faux pas,            
J’ay l’air sombre, je resve, & ne regarde pas,
D’ailleurs point de caprice* ; & c’est par où j’engage
Cette foule d’Amans* dont je reçois l’hommage* :    
Ma Cour est toûjours grosse, on y chante, on y rit ;
980 Et quand l’un me déplaist, l’autre me divertit.            

OLIMPE.

J’avois crû qu’au Marquis une secrette flame*
Assuroit, quoy qu’on fist, l’empire de vostre ame ;
Et plaignois l’Inconnu, dont les soins amoureux    
Ne pouvoient mériter qu’il fust jamais heureux.
985 S’y prendre de la sorte est un grand avantage ;                
Il doit n’estre qu’esprit, tout ce qu’il fait engage ;
Et sans doute il faudroit, quand on l’a sçeu charmer [,                53]
Se mal connoistre en Gens, pour ne le point aimer.    

LA COMTESSE.

Je ne sçay si pour luy j’ai plus que de l’estime,
990 Mais de ce que je sens je me fais presque un crime,            
Et rougis en secret d’avoir tant de témoins
Du trop de complaisance* où m’engagent ses soins.
Rien n’est plus obligeant, j’en dois chérir la cause,
Mais enfin il se cache, & c’est pour quelque chose.
995 Tout galant* qu’il paroist, qui pourra m’assurer            
Qu’il mérite l’amour qu’il tâche à m’inspirer ?
Il est de Riches Sots*, qui pour certains usages
Tiennent un Bel Esprit quelquefois à leurs gages,        
Et qui dans les Plaisirs qu’ils semblent inventer
1000 N’ont de part que l’argent qu’on leur a fait couster.            
Que si tout au contraire il estoit geux ?

OLIMPE.

Madame,
Tant de Festes d’éclat qui vous prouvent sa flame*…    

LA COMTESSE.

Il peut vivre d’emprunt, & sur le bien d’autruy    
Faire, pour m’attraper, ce qu’il ne peut de luy :
1005 Malgré moy quelquefois cette crainte m’occupe ;            
Je n’ay point encor eu le talent d’estre Dupe,
Et pour m’en garantir, je n’épargneray rien.        

OLIMPE.

Mais si vous connoissiez sa naissance, son bien,    
Qu’a tout dans sa personne…

LA COMTESSE.

Et le Marquis ? De grace,
1010 Si j’aime l’Inconnu, que faut-il que j’en fasse ?                
Il n’est pas sans mérite, & doit estre écouté,    
Par luy-mesme, ou du moins par l’ancienneté :
De tout mes Protestans c’est le premier.        

OLIMPE

{p. 54}
J’avoue            
Qu’il a des qualitez bien dignes qu’on le louë,
1015 L’air noble.    

LA COMTESSE.

Qui des deux me conseilleriez-vous,            
Puis que j’en ay le choix, de prendre pour Epoux ?

OLIMPE.

Moy ?

LA COMTESSE.

Vous vous étonnez* ?

OLIMPE.

Si…

LA COMTESSE.

Parlons d’autre chose.
On vous trouve chagrine*, aprenez-m’en la cause,    
Le Chevalier s’en plaint, & ne sçait que penser
1020 De voir qu’il ne fait plus que vous embarasser.                
D’où naissent les froideurs dont son amour s’alarme ?    

OLIMPE.

A ne rien vous cacher, la liberté me charme ;
Je tremble, & s’agissant d’un Maistre à me donner,
Un choix si hazardeux* commence à m’étonner*.

LA COMTESSE.

1025 Ce Maîstre à recevoir, dont le choix vous étonne*,            
Ne fait pas tant de peur, quand l’Amour nous le donne :
C’est par nostre tendresse* un mal bien adoucy.

OLIMPE.

Hé, Madame pourquoy me parlez-vous ainsy ?

LA COMTESSE.

Le trouble* de vos yeux me fait beaucoup entendre ;
1030 Et quand le Chevalier…

OLIMPE

{p. 55}
Vous voulez m’entreprendre,
Je quitte, & me sentant trop foible contre vous,
Je vay chercher ailleurs des Ennemis plus doux.

SCENE II. §

LA COMTESSE, VIRGINE.

LA COMTESSE.

Elle a beau déguiser, je l’ay trop sçeu connoistre,    
Elle aime le Marquis.

VIRGINE.

Cela pourroit bien estre.        

LA COMTESSE.

1035 Je n’ay point à m’en plaindre ; avant que s’expliquer,             
Avec un autre Amant* elle veut m’embarquer ;
Et si jamais l’Hymen* à l’Inconnu m’engage,
Je luy dois du Marquis abandonner l’hommage*.    

VIRGINE.

Elle y gagneroit peu ; les Cœurs que vous prenez,        
1040 A soûpirer* pour vous sont longtemps destinez,                
Et le Marquis…

LA COMTESSE.

Je croy, sans trop faire la vaine,
Qu’à m’oublier si-tost il auroit quelque peine.
Mais enfin l’Inconnu que je brule de voir,        
Qu’en arrivera-t-il ?

VIRGINE.

Le voulez-vous sçavoir ?
1045 Un je-ne-sçay quel bruit a frapé mes oreilles,                
Que des Bohémiens font icy des merveilles :
Si vous les consultez, peut-estre ils vous diront {p. 56}
De quel costé vos vœux à la fin tourneront.    
Envoyez-les chercher.

LA COMTESSE.

Sottise toute pure.

VIRGINE.

1050 Ils sont sçavans, dit-on sur la Bonne-Avanture.                

LA COMTESSE.

Par des Bohémiens éclaircir mon destin !    

VIRGINE.

Comment ? Vous allez bien chez Madame Voisin ?
En sçait-elle plus qu’eux ?

LA COMTESSE.

J’y vais par compagnie*.

VIRGINE.

Mon Dieu, comme à beaucoup, c’est là vostre manie.
1055 Les Femmes ont ce foible, on ne les peut tenir,            
Elles courent par tout où se dit l’avenir :
Et pour une réponse ou fausse, ou véritable,
J’en sçay qui volontiers iroient trouver le Diable.    
Les avertira-t-on ?

LA COMTESSE.

Fay ce que tu voudras.

VIRGINE.

1060 Vous en rirez.
{p. 57}

SCENE III. §

LA COMTESSE, LE CHEVALIER.

LA COMTESSE.

He quoy, toûjours chagrin* ?

LE CHEVALIER.    

Helas !        
Madame, ignorez-vous les ennuis* qu’on me donne ?
On ne le voit que trop, Olimpe m’abandonne ;        
Pour moy, pour mon amour, il n’est plus de secours.    

LA COMTESSE.

Ecoutons les Amans*, ils se plaignent toûjours :
1065 La moindre vision, un rien, une chimere*,                
C’est assez, leur chagrin* nous en fait une affaire.
Nous sçavons mal aimer.    

LE CHEVALIER.

J’ay voulu comme vous
Traiter de noir chagrin* mes sentimens jalous ;                    
Mais (& vous l’avez pû vous-mesme assez connoistre)
1070 Olimpe fuit si-tost qu’elle me voit paroistre :                
Mon amour n’offre icy que des vœux superflus ;    
Depuis qu’elle est chez vous, je ne la connois plus.
Si j’obtiens qu’un moment elle souffre* ma veuë,    
C’est un froid qui me glace, un dédain qui me tuë ;
1075 Et sur ce qu’à toute heure elle cherche à resver,                
Je soupçonne un Rival que je ne puis trouver.

LA COMTESSE.

Qu’on est fou quand on aime !

LE CHEVALIER.

Oüy, blâmez-moi, Madame.

LA COMTESSE.

{p. 58}
Quoy, vous ne sçavez pas ce que c’est qu’une Femme,
Et que lors qu’elle veut mettre sa flame* au jour,
1080 Ses inégalitez sont des marques d’amour ?                
Souvent elle est chagrine*, incommode*, bizarre*,
Pour voir à quoy contre elle un Amant* se prépare,
Et juger de son cœur par la soûmission            
Où cette rude épreuve a mis sa passion.
1085 Pour vaincre ses froideurs, il parle, il presse, il prie ;            
Et la paix succédant à cette broüillerie,
Ce qu’il montre de joye à se racommoder,
Acheve pleinement de la persuader.    

LE CHEVALIER.

Que je devrois chérir ce qui m’arrache l’ame,
1090 Si l’on n’avoit dessein* que d’éprouver ma flame* ?            
Mais qui m’assurera qu’on me garde sa foy* ?
Qu’on ait le cœur touché de ma tendresse* ?

LA COMTESSE.

Moy.
Ne vous alarmez point, Olimpe est mon Amie ;
Et quand vostre espérance encor mal affermie        
1095 Du succés de vos feux* vous laisseroit douter,                
J’ay quelque droit icy de me faire écouter ;
Ses chagrins* passeront.

LE CHEVALIER.

Vous me rendez la vie.
Souffrez*, lors qu’à l’espoir cette ofre me convie,        
Que j’en marque ma joye, &…
Il se met à genoux, & baise la main de la Comtesse.
{p. 59}

SCENE IV. §

LE MARQUIS, LA COMTESSE,
LE CHEVALIER.

LE MARQUIS.

Le transport* est doux.

LA COMTESSE.

1100 Il ne me déplaist pas.

LE MARQUIS.

Que ne poursuivez-vous ?        
Quoyque l’Usage ait mis les façons hors de mode,    
Je me retireray, si je vous incommode.

LA COMTESSE.

Vous le prenez d’un ton fort agreable.    

LE MARQUIS.

Moy ?        
Je me fië à mes yeux, & croy ce que je voy.

LE CHEVALIER.

1105 Ce sont garants mal seûrs, & souvent l’apparence…             

LA COMTESSE.

Ne dites rien, de grace, il faut voir ce qu’il pense.

LE MARQUIS.

Ce que je pense ?

LA COMTESSE

Hé bien ?

LE MARQUIS.

Que pourrois-je penser ?
Il vous baisoit la main.        

LA COMTESSE

{p. 60}
Il peut recommencer
Est-ce là tout ?

LE MARQUIS.

Quoy donc, je puis estre si lâche,
1110 Que de…

LA COMTESSE.

Continuez, j’aime assez qu’on se fâche.        
Là, Monsieur le Marquis, emportez-vous, pestez,
Je voudrois bien de vous oüir des duretez.

LE MARQUIS.

Le respect me retient, malgre vostre injustice ;    
Mais au moins avoüez qu’en deux ans de service
1115 Jamais à mon amour un traitement fi doux…            

LA COMTESSE.

Hé bien, le cœur m’en dit plus pour luy que pour vous :
Croyez-vous l’empescher, & vous en dois-je compte ?

LE MARQUIS.

M’abandonner ainsi sans scrupule, sans honte,    
Après que tout mon cœur…

LA COMTESSE.

Et quel engagement
1120 M’oblige de répondre à vostre attachement ?            
De quels sermens faussez suis-je vers vous coupable ?
Qu’ay je promis ? Vrayment je vous trouve admirable.

LE CHEVALIER.

Madame, permettez…

LA COMTESSE.

Non, voyons jusqu’au bout ;
L’emportement est noble, il faut entendre tout.

LE MARQUIS.

1125 J’ay donc tort de me plaindre, & trop osé prétendre.             

LA COMTESSE.

Vous me faites pitié.

LE MARQUIS

{p. 61}
Je n’y puis rien comprendre.        
Tantost à vous oüir parler de l’Inconnu,            
Je croyois que ses soins avoient tout obtenu,        
Qu’à mon feu*, de son cœur vous prefériez l’empire :
1130 Maintenant…

LA COMTESSE.

Croyez-vous n’avoir plus rien à dire ?             

LE MARQUIS.

Non, Madame, sinon que j’avois mérité,    
Pour prix de ma tendresse*, un peu plus de bonté.
Vous quittez l’Inconnu, vous me quittez moi-mesme ;    
Et ce qui me confond, le Chevalier vous aime,
1135 Luy qui tantost chagrin*, & d’Olimpe jaloux…                

SCENE V. §

LA COMTESSE, OLIMPE,
LE MARQUIS, LE CHEVALIER.

OLIMPE.

Quoy donc, le Chevalier a de l’amour pour vous,        
Madame ? Un si beau choix redouble mon estime,
Et ce que vous valez le rend si légitime,            
Que loin de l’en blâmer, je veux bien aujourd’huy
1140 Vous céder tous les droits que j’eus d’abord sur luy.        

LA COMTESSE.

L’effort est genéreux.                

LE CHEVALIER à Olimpe.

Et vous croyez, Madame…

OLIMPE.

Est-ce une nouveauté, qu’une nouvelle flame* ?
Un pareil changement est glorieux pour vous, {p. 62}    
Il marque…

LA COMTESSE.

En vérité, je vous admire tous.    
1145 Voila comme souvent sur de pures chimeres*,                
Pour aller un peu viste, on se fait des affaires.
De vostre froid accueil le Chevalier surpris,
M’est venu demander raison de vos mépris ;    
J’ay flaté son espoir, & rassuré sa flame*,    
1150 Un vif transport* de joye en a saisi son ame,                
Il m’a baisé la main, embrassé les genoux ;
Le Marquis le voyant, s’en est montré jaloux.
Vous l’avez entendu, voila toute l’histoire.    

LE MARQUIS.

Quoy, c’est…        

LA COMTESSE.

Je vous conseille encor de n’en rien croire.
1155 Ne faites pas le fier* de voir tout éclaircy,                
Je n’agis que pour moy lors que j’en use ainsy.

LE MARQUIS.

Mais rien n’est débroüillé, si trop de défiance
Vous fait toûjours tenir vostre choix en balance.    
De moy, de l’Inconnu, qui le doit emporter ?

LE CHEVALIER.

1160 Le Marquis a raison de s’en inquiéter ;                    
Et l’éclaircissement que vous venez de faire,
Ne vous rend pas à tous le repos necessaire,
Puis qu’Olimpe, bien loin de m’aimer innocent,        
Fait lire dans ses yeux l’ennuy qu’elle en ressent.

OLIMPE.

1165 Je n’ay point à répondre à qui se plaint sans’ cesse :            
Mais voyez ce qu’icy le hazard* nous adresse.
{p. 63}

SCENE VI. §

LA COMTESSE, OLIMPE,
LE MARQUIS, LE CHEVALIER,
VIRGINE, LA MONTAGNE
representant une Bohémienne, TROUPE
DE BOHEMIENS.
Ils entrent tous au bruit des Castagnettes
& des Tambours de Biscaye.

LA COMTESSE.

Pour des Bohémiens, cet équipage est beau.

VIRGINE.

On les a rencontrez qui venoient au Chasteau.

LA COMTESSE.

Rien n’est si propre qu’eux.

LE CHEVALIER.

La Bande est fort complete.

OLIMPE.

1170 Elle vaut bien la voir.

LA COMTESSE.

J’en suis tres-satisfaite.                

LA BOHEMIENNE.

Nous ne faisons qu’arriver de Paris,
Où pour avoir dit des nouvelles
Assez agreables aux Belles,                                
On nous a fait présent de ces riches Habits ;
1175 Mais rien n’approche là de ce qu’on voit paroistre,             
Où vos divins attraits cessent d’estre cachez :        
Comme de tous les cœurs leur éclat se rend maistre, {p. 64}
Souffrez* qu’en l’admirant nous vous fassions connoistre    
Combien nous en sommes touchez.
Toute la Troupe de Bohémiens donne des marques
d’admiration par une figure qu’elle fait en
regardant la Comtesse.

LA COMTESSE.

1180 La figure est galante*.

OLIMPE.

Et fort bien ordonnée.                 
Par tout où vous irez le prix vous est certain :
Mais voyez cette belle main,
Et nous dites à qui l’Amour l’a destinée.

LA COMTESSE donnant la main.

Puis que vous le voulez, il faut y consentir.

LA BOHEMIENNE.

1185 Comme nous sommes Gens de qui la connoissance            
Sçeut de l’erreur toûjours se garantir,
C’est sur nous seuls qu’on doit prendre assurance,
Les autres ne font que mentir.    
Dans vos plus grands projets vous serez traversée,
1190 Mais en vain contre vous la brigue* emploîra tout ;            
Vous aurez le plaisir de la voir renversée,
Et d’en venir toûjours à bout.
Vous avez quelques fois de flateuses manieres    
Qui feroient pour l’espoir un motif bien pressant,
1195 Si pour les balancer vous n’en aviez de fieres*                
Qui le font mourir en naissant.
Cette ligne qui croise avec celle de vie,
Marque pour vostre gloire un murmure fatal :    
Sur des traits ressemblans on en parlera mal,
1200 Et vous aurez une Copie [F,65]
Qui vous fera croire l’Original
D’un honneur ennemy de la cerémonie.
N’en prenez pas trop de chagrin* :
Si vostre Gaillarde Figure
1205 Contre vous quelque temps cause un fâcheux murmure,         
Un tour de Ville y mettra fin,
Et vous rirez de l’avanture.
Vostre cœur est brigué par quantité d’Amans*,
Mais le premier de tous pouroit s’en rendre maistre,
1210 Si le dernier, sans se faire connoistre,                
Ne vous inspiroit pas de tendres sentimens :
Cependant vous aurez beau faire,
Mesme prix, mesme gloire est acquise à leurs feux*,
Vous les épouserez tous deux,
1215 C’est du Destin un Decret nécessaire.                

LA COMTESSE.

Tous deux !

OLIMPE.

Si pour constant ce Decret est tenu,
Madame, du Marquis nous demandons la vie,
Il vous a le premier servie :
Quand vous serez Veuve de l’Inconnu,
1220 Vous pourez l’épouser, s’il vous en prend envie.                

LE MARQUIS.

Non, non, je prens sur moy le soin de démentir
La nécessité du Veuvage

LA COMTESSE.

Laissons-là tout ce badinage*,                            
Et songeons à nous divertir ;                            
1225 Point de mort, ny de marriage.                        

LE CHEVALIER.

Leur raport ne peut rien que sur les scrupuleux
Qui s’en font un fâcheux augure.

OLIMPE.

{p. 66}
Et ces Enfants qu’ils menent avec eux,
Disent-ils la Bonne-Avanture ?

PETIT BOHEMIEN.

1230 Croyez-vous qu’on nous mene en vain ?                    
Si vous voulez, je vous diray la vostre.

OLIMPE.

Je vous écouteray plus volontiers qu’un autre,
Venez, j’abandonne ma main.        

PETIT BOHEMIEN.

Pour découvrir plus à mon aise        
1235 Ce que j’y vois de plus caché,                        
Avant toute autre chose, il faut que je la baise,
C’est là ce que je mets toûjours à mon marché.

OLIMPE.

Il peut garder son privilege,
Sans qu’on songe à le contester.

PETIT BOHEMIEN.

1240 Il est doux de vous en conter*,                        
Mais il faut se garder du piege ;
Vous estes fine, fine, & vous ne dites pas
Tout ce que vous avez dans l’ame.                            
Un Amant* déclaré brule pour vos appas ;
1245 Mais comme un autre en secret vous enflamerenflame*,            
De ce premier, ma bonne Dame,
Vous avez peine à faire cas.

LE CHEVALIER.

Vous le voyez, Madame, un Enfant vous accuse,    
Condamnez mon jaloux dépit.        

OLIMPE.

1250 A faire un conte en l’air l’âge luy sert d’excuse,                
Il parle comme il peut, sans sçavoir ce qu’il dit.

PETITE BOHEMIENNE.

Pour moy, dont la science encor n’est pas si grande,
Que de tout comme luy je puisse discourir [,                    67    ]
Si vous me le voulez souffrir*,                                
1255 Je vay dancer la Sarabande.                    

LA COMTESSE.

Voyons. Quel passe-temps plus doux pouroit s’ofrir ?
La petite Bohemienne danse, & apres qu’elle a dansé, une Bohemienne chante les deux
Couplets suivans sur l’Air de la Sarabande.

CHANSON DE LA BOHEMIENNE.

Il faut aimer, c’est un mal nécessaire
Quand le bel âge attire les Amours.    
Qui fait la fiere*
1260 Dans ses beaux jours,
N’est pas toûjours
Seûre de plaire.
On court toûjours où brille la Jeunesse,            
Ménagez bien cet aimable printemps.
1265 Pour la tendresse*
Il n’est qu’un temps,
Et les beaux ans
S’en vont sans cesse.
Cette chanson estant finie, les Bohémiens font encor quelques figures en marchant ; apres quoy, la mesme Bohémienne chante ces autres Paroles sur un autre Air que celuy de la Sarabande.
Si l’Amour tost ou tard {p. 68}
1270 Nous met sous son empire,
A ce qu’il désire
Prenons quelque part,
Et fuyons le martyre
D’aimer par hazard*.
1275 Choisissons un Cœur tendre,
Fidelle, amoureux.
Il est trop dangereux
De se laisser surprendre ;
Et pour trop attendre,        
1280 On est malheureux.

LA COMTESSE.

J’admire également et la voix & la danse,
Il n’est rien dont par là vous ne veniez à bout,
Et vous méritez tous que par reconnoissance…

LA BOHEMIENNE.

Vous avoir divertie est une récompense    
1285 Qui nous doit tenir lieu de tout.    

LA COMTESSE.

Mais je veux qu’un présent…

LA BOHEMIENNE.

Non, Madame, de grace,
Reservez vos présens, & nous laissez aller.

OLIMPE.

Ils sortent.    

LA COMTESSE.

Suivez-les, Virgine, & que l’on fasse    
Tout ce qui se pourra pour les bien régaler.
{p. 69}

SCENE VII. §

LA COMTESSE, OLIMPE, LE MARQUIS, LE CHEVALIER.

LA COMTESSE.

1290 Pour des Gens de leur sorte, il n’est pas ordinaire        
D’agir ainsi sans interest.

LE CHEVALIER.

C’est là ce qui n’arrive guére ;                            
Mais n’ay-je point deviné ce que c’est ?
Ils vous auront volée ; & dans la juste crainte
1295 De se voir sur le fait honteusement surpris,                
Leur genérosité peut-estre est une feinte
Pour cacher ce qu’ils vous ont pris ;                        
Ils ont la main subtile, & l’un d’eux, ce me semble,
S’est assez approché de vous.

LA COMTESSE.

1300 J’ay peine. . Mais ô Ciel !

LE CHEVALIER.

Seroit-ce un de leurs coups             
Et vous ay-je dit vray ?            

LE MARQUIS.

J’en tremble.

LA COMTESSE.

Non, c’est leur faire tort, qu’avoir ces sentimens,
Mais voyez ce que je rencontre,                                
Un Billet, avec cette Montre.

OLIMPE.

1305 Quel éclat ! ce ne sont par tout que Diamans.            

LA COMTESSE lit

{p. 70}
Puis que l’excès de ma tendresse*
Rend mes jours par vous seule ou plus, ou moins charmans,
Souffrez* que cette Montre, ô Divine Comtesse,                            
Vous en offre tous les momens.
1310 Qu’elle avance, qu’elle demeure,                    
Consultez-la souvent si mon feu* vous est doux ;
Quelque heure qu’elle marque, elle marquera l’heure
Où vous m’aurez aupres de vous.        
O Ciel, que de galanterie* !
1315 Jamais par cette voye a-t-on fait des présens ?                
Se servir pour cela des Gens
Qui mettent à voler toute leur industrie !
Rappellez-les, allez.

SCENE VIII. §

LA COMTESSE, OLIMPE, VIRGINE,
LE MARQUIS, LE CHEVALIER.

VIRGINE.

Madame, il n’est plus temps,    
J’ay descendu, couru, les ay priez d’attendre,        
1320 Ils n’ont rien voulu m’accorder.                        

LA COMTESSE.

Mais la Montre, je la veux rendre.

OLIMPE.

{p. 71}
Pour moy, je la voudrois garder,            
L’Inconnu le mérite, & tout ce qui se passe    
Montre un cœur à vos loix si bien assujetty…    

LA COMTESSE.

1325 Vous estes fort dans son Party.                    

LE MARQUIS.

Laissons-là l’Inconnu, de grace.

LA COMTESSE.

Le Marquis est chagrin*, d’avoir veu malgré luy
Un Divertissement* que son amour redoute ;    
Il ne le croyoit pas de son Rival.    

LE MARQUIS.

Sans-doute
1330 Je me ferois épargné cet ennuy*.                    

LA COMTESSE.

Il peut encor trouver lieu de s’accroistre,
Mais faisons un tour de Jardin ;
Et comme l’Inconnu cache trop son destin,
Cherchons à le forcer de se faire connoistre ;
1335 L’Avanture embarasse, & j’en veux voir la fin.                

Fin du Troisième Acte.

{p. 72}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

LA COMTESSE, LE MARQUIS,
VIRGINE.

LE MARQUIS.

Ne me le cachez point, vous voila resoluë,
L’Inconnu seul vous touche, & ma perte est concluë.

LA COMTESSE.

Vous montrer de vostre ombre à toute heure jaloux,    
Ce n’est pas le moyen de m’attacher à vous.
1340 L’Inconnu s’y prend mieux ; sans contraindre mon ame,         
Par les plus tendres soins il fait parler sa flame*,
Et peut-estre ay-je tort de vouloir plus longtemps
Que mon cœur se refuse à des feux* si constans.    

LE MARQUIS.

Hé bien, il faut ceder ; mais ce qui me console,
1345 Quand à vostre bonheur ma passion s’immole,            
C’est qu’au moins je pourray, malgré mes feux* jalous,
Montrer qu’en vous aimant je n’ay cherché que vous.

LA COMTESSE.

[G, 73]
Je ne vous croyois pas l’ame si genéreuse.

LE MARQUIS.

L’Inconnu vous mérite, il faut vous rendre heureuse.

LA COMTESSE.

1350 Le coup vous touchera plus que vous ne pensez.                

LE MARQUIS.

N’importe, vous vivrez contente, & c’est assez.
En deux ans je n’ay pû réüssir à vous plaire ;
Apres un mois de soins, l’Inconnu l’a sçeu faire ;
Vostre panchant pour luy ne peut se démentir,
1355 Je voy qu’il vous emporte, il faut y consentir.                

LA COMTESSE.

Vous le dites d’un air si plein de confiance,
Qu’il semble…

LE MARQUIS.

Je le dis, parce que je le pense.

LA COMTESSE.

Un si beau sacrifice est digne d’un Amant* ;
Mais d’où vient que tantost vous parliez autrement ?
1360 Inquiet, alarmé, vous me faisiez un crime                
De ce que l’Inconnu m’avoit surpris d’estime.
Le loüer, c’estoit faire outrage à vostre foy*.    

LE MARQUIS.

C’est qu’alors mon amour ne regardoit que moy ;    
Il a veu son erreur ; & la secrette honte
1365 D’écouter pour luy-mesme une chaleur trop prompte,             
L’a rendu si conforme à tout ce qui vous plaist,
Qu’il fait de vos désirs son plus cher intérest.    

LA COMTESSE.

C’est trop ; pour l’Inconnu je les feray paroistre ;
Je dois chérir sa flame*, & dés demain peut-estre,
1370 Puis que c’est pour vos vœux un spectacle si doux,            
Vous aurez le plaisir de le voir mon Epoux.

LE MARQUIS

{p. 74}
J’auray ce plaisir ?

LA COMTESSE.

Oüy, rien n’y peut mettre obstacle,
Mon choix sera pour luy.

LE MARQUIS.

J’attendray ce miracle.
Ainfi donc le voyant, d’abord vous l’aimerez ?

LA COMTESSE.

1375 Si je ne l’aime pas, vous m’en accuserez.                

SCENE II. §

LA COMTESSE, LE CHEVALIER,
LE MARQUIS, VIRGINE.

LA COMTESSE.

Hé bien ? Olimpe ?

LE CHEVALIER.

En vain ma passion se flate,
Toûjours mesme fierté* dans sa froideur éclate ;
Et ce qui rend sur tout mon esprit abatu,
C’est ce qu’elle m’a dit, & que je vous ay tû.
1380 Si je veux qu’elle soit favorable à ma flame*,                
Il faut pour l’Inconnu que je touche vostre ame,
Je ne puis estre heureux, s’il n’obtient vostre foy*.

LA COMTESSE.

Et contre le Marquis vous prenez cet employ ?
C’est trahir l’amitié qui vous unit ensemble.

LE CHEVALIER.

1385 A vous parler ainsi, je l’avoûray, je tremble,                
Et me tairois encor, si l’aveu* du Marquis {p. 75}
Ne m’autorisoit pas à ce que je vous dis.
Seûr que rien ne peut nuire à son amour extréme,
A satisfaire Olimpe il m’a porté luy-mesme,
1390 Et j’auray tout gagné, si je puis obtenir                    
Que vos bontez pour moy la daignent prévenir.
Dites-luy qu’envers vous j’ay tout fait pour luy plaire.

LE MARQUIS.

Madame…

LA COMTESSE au Marquis.

Je commence à percer le mystere ;    
Olimpe au Chevalier fait paroistre à vos yeux
1395 Tout ce qu’a le mépris de plus injurieux ;                
A servir l’Inconnu son adresse l’engage ;
Et loin de murmurer d’un si sensible outrage,
A ce mesme Inconnu, faussement genéreux,
Vous-mesme vous osez sacrifier vos feux* ?
1400 Chevalier, je ne sçay si je me fais entendre,                
Mais le nœud de l’Intrigue est facile à comprendre ;
Olimpe & le Marquis, l’un de l’autre charmez,
Me craignent pour obstacle à leurs cœurs enflamerenflamez.

LE CHEVALIER.

Le Marquis aimeroit Olimpe ?

LE MARQUIS.

Moy, Madame,
1405 Vous le croyez ?

LE CHEVALIER.

L’Ingrat ! il trahiroit ma flame* !            
Olimpe à qui mes soins tendrement attachez…
Ah, si je le croyois…

LA COMTESSE.

Quoy, vous vous en fâchez ?
Vous regretez un cœur que l’inconstance entraine,
Vous en plaignez la perte ? Il n’en vaut pas la peine.
1410 Faites mieux, dédaignez ce manquement de foy* ; {p. 76}
On nous quitte tous deux, riez-en comme moy ;
Vous m’en voyez déjà tellement consolée,
Que si…

LE CHEVALIER.

Des trahisons c’est la plus signalée.
Le Marquis !        

LA COMTESSE.

A quoy bon ces mouvemens jaloux ?

LE CHEVALIER.

1415 Je sors, pour ne me pas échaper devant vous :                
Mais en vain vostre exemple à souffrir* me convie,
Avant qu’il m’oste Olimpe il m’ostera la vie ;
C’est à luy d’y penser.

SCENE III. §

LA COMTESSE, LE MARQUIS,
VIRGINE.

LA COMTESSE.

Allez, ne craignez rien,
Quelque emporté qu’il soit, je l’appaiseray bien.
1420 Pour Olimpe, je croy que l’on n’ignore guére                
Que j’ay quelque pouvoir sur l’esprit de sa Mere.
Je l’employray pour vous ainsi que je le doy.

LE MARQUIS.

Vous avez de la joye à mal juger de moy.    

LA COMTESSE.

Je vous juge point mal, Olimpe est jeune & belle,
1425 Et quoi qu’on risque un peu d’aimer une Infidelle,            
Elle a de quoy vous faire un destin assez doux, {p. 77}
Mais je douterois fort qu’elle pût estre à vous.

LE MARQUIS.

Moy ? je n’y prétens rien.

LA COMTESSE.

Mettons bas l’artifice*.

LE MARQUIS.

Madame, quelque jour vous me rendrez justice.

LA COMTESSE.

1430 Je vous la rens entiere ; & pour vous obliger,                
A choisir l’Inconnu j’ay voulu m’engager.

LE MARQUIS.

C’est à quoy vous seriez peut-estre un peu moins promte,
Si vous preniez l’avis de Monsieur le Vicomte.
Le voicy qui paroist.

SCENE IV. §

LA COMTESSE, LE VICOMTE,
LE MARQUIS, VIRGINE.

LA COMTESSE.

Hé’ bien, mon Raporteur ?

LE VICOMTE.

1435 J’ay pour le convertir, parlé mieux qu’un Docteur,
Et n’ay pas, Dieu-mercy, mal employé mes peines.
Il ne vous vuidera de plus de trois semaines,
Et pour solliciter il vous donne le temps
D’attendre le retour de nos deux Arcs-boutans :
1440 Par, là n’en doutez point, vostre affaire est gagnée. {p. 78}

LA COMTESSE.

Je puis donc de Paris me tenir éloignée ?

LE VICOMTE.

De Paris ? Vous avez, la chose allant ainsy,
Encor quinze grands jours à demeurer icy ;
Goustez-y les plaisirs que donne la verdure.
1445 Mais il faut vous conter quelle est mon avanture,            
Voyez-m’en rire encor.

LA COMTESSE.

Cela ne va pas mal.

LE VICOMTE.

Il n’est rien si plaisant.

LE MARQUIS.

Le franc Original !

LA COMTESSE.

Enfin cette Avanture ?

LE VICOMTE.

Elle est aussi gaillarde.    

LA COMTESSE.

En rirez-vous toûjours ?

LE VICOMTE.

La chose vous regarde,
1450 C’est à vous là-dessus à vous l’imaginer.                 
Devinez-la.    

LA COMTESSE.

Jamais je ne sçeus deviner ;
On me dit tout au long ce qu’on veut que je sçache.

LE VICOMTE.

On croit duper les Gens, à cause qu’on se cache ;    
Mais j’ay si bien tourné, que j’y suis parvenu.

LA COMTESSE.

1455 A quoy ?    

LE VICOMTE

{p. 79}
Vostre Inconnu ne m’est plus inconnu.            

LE MARQUIS bas.

M’auroit-il découvert ?

LA COMTESSE.

Vous pourriez le connoistre ?

LE VICOMTE.

Moy, qui vous parle, moy.

LE MARQUIS.

Cela ne sçauroit estre.

LE VICOMTE.

Non, parce qu’il vous plaist que cela ne soit pas.
Son amour fait honneur sans doute à vos appas ;
1460 C’est, sans luy faire tort, une aussi franche Beste…            

LE MARQUIS.

Comment ? vous l’avez veu ?

LE VICOMTE.

Des pieds jusqu’ à la teste.
Il est basset, grosset, a les yeux hebétez.

LA COMTESSE.

Mais où cette rencontre, & comment ?

LE VICOMTE.

Ecoutez.    
Resvant à vos beautez dont j’avois l’ame pleine,
1465 Je me suis égaré dans la Forest prochaine,                
Et voulant accourcir*, mon Cheval m’a mené
Dans le sentier confus d’un endroit détourné.
Quelques pas me montroient une Route tracée,
J’ay suivy, tant qu’enfin une Tente dressée
1470 M’a fait appréhender le plus grand des malheurs ;            
J’ay crû qu’elle servoit d’Auberge à des Voleurs.

LE MARQUIS.

La peur prendroit à moins ; dans un Bois ! une Tente !

LE VICOMTE

{p. 80}
Tout-franc, la vision n’est point divertissante.

LA COMTESSE.

Ainsi donc la frayeur a bien fait son devoir ?

LE VICOMTE.

1475 J’aurois esté fâché de mourir sans vous voir,                
Car pour du cœur*, je crois que j’en avois de reste.
Mais j’ay bientost sorty d’un doute si funeste ;
Mon Cheval tout-à-coup s’élançant malgré moy,    
J’ay connu* mon erreur, & ry de mon effroy.
1480 Au lieu de Mousquetons*, j’ay veu dans cette Tente            
Les apprests différens d’une Feste galante* ;
Et ceux qui la gardoient, de mon abord surpris,
Parloient certain jargon, où je n’ay rien compris.
C’estoient, pour la plûpart, visages à la Suisse ;
1485 Chacun, selon son rôle, avoit là son office ;                
L’un, d’un Bohémien quittoit l’habillement ;
L’autre, d’une Coiffure ajustoit l’ornement ;
Force mains autour d’eux paroissoient occupées    
A noüer des Rubans sur des branches coupées.
1490 J’ay dans un certain coin remarqué le débris                
D’une Colation qui valoit bien son prix,
Grands Citrons, Fruits exquis, Confitures choisies.
J’ay veu des Violons, des Lustres, des Bougies,
J’ay veu…là, des…enfin j’ay tant veu, que jamais
1495 On n’eut tant d’attirail dans les plus grands Balets.            
J’ay donné droit au but, & deviné l’affaire.
Mais pour mieux m’éclaircir, panché vers l’un deux ; Frere,
Ay-je dit, n’a-t-on pas preparé tout cecy
Pour un certain Chasteau qui n’est pas loin d’icy ?
1500 Je l’embarassois fort, il ne sçavoit que dire ;                
Mais c’estoit dire assez, que se taire & soûrire.
Je luy serrois toûjours le bouton de fort prés,
Quand, comme si la chose eus testé faite exprés,    
Ce Grosset, ce Basset, commençant à paroistre [;                    81]
1505 Vous estes curieux, parlez à nostre Maistre,                    
Le voila, m’a-t-il dit, tout-à-propos venu.
N’ayant point à douter qu’il ne fust l’Inconnu,
J’ay contemplé longtemps sa grotesque figure :
Il avoit sur son nez jetté sa chevelure ;
1510 Et pour embarrasser mon curieux soucy,                
Sous une fausse-barbe il cachoit tout cecy.
Alors plein d’un chagrin* que d’assez justes causes…
Madame, pardonnez si j’ay poussé les choses ;
Quand on voit qu’un Rival cherche à se rendre heureux,
1515 Et qu’on peut l’épargner, on n’est guére amoureux.            

LE MARQUIS.

Et qu’avez-vous donc fait ?

LE VICOMTE.

Ce que j’ay fait ? Silence,
Je diray tout par ordre, un peu de patience.
J’ay demandé d’où vient qu’il campoit dans ce Bois ?
Pourquoy la fausse-barbe ? Enquis deux & trois fois,
1520 Et pressé de parler, plus il se vouloit taire ;                
Pourquoy je campe icy ? qu’en avez-vous à faire ?
C’est mon plaisir, m’a-t-il sottement répondu.
Alors d’un grand coup d’œil qu’il a bien entendu,    
Luy marquant fiérement que je l’allois attendre,    
1525 Je me suis éloigné.

LE MARQUIS.

C’estoit fort bien le prendre.            

LE VICOMTE.

Me battre là ! par tout j’aurois esté blâmé,
Il avoit vingt Valets qui m’auroient assommé.

LE MARQUIS.

Il est bon quelquefois de voir comme on se fâche.

LA COMTESSE.

Et qu’est-il arrivé ?

LE VICOMTE

{p. 82}
Je n’ay trouvé qu’un lâche,
1530 Qu’un farouche Animal, sans cœur & sans vertu,            
Qu’un…cela fait pitié.

LE MARQUIS.

Vous l’avez donc batu ?    

LE VICOMTE.

Vous me la baillez bonne ; il s’est en Beste fiere*
Tenus clos & couvert toûjours dans sa taniere ;
Et moy, m’estant lassé de l’attendre à l’écart,
1535 D’un coup de Pistolet j’ay marqué mon depart.                

LE MARQUIS.

C’est pousser la bravoure aussi loin…

LE VICOMTE.

Sur mon ame,
Tout y va, quand il faut dégainer.

SCENE V. §

LA COMTESSE, OLIMPE,
LE MARQUIS, LE VICOMTE,
VIRGINE.

OLIMPE.

Ah, Madame,
J’ay trouvé l’Inconnu.

LA COMTESSE.

Vous ?            

OLIMPE.

Oüy moy, dans ce Bois.

LE VICOMTE

{p. 83}
Justement.

OLIMPE.

Vous sçavez que j’y vais quelquefois.

LE VICOMTE.

1540 Le plaisant Personnage ! il vous a bien fait rire.                

OLIMPE.

Luy ?    

LE VICOMTE.

Sans-doute, écoutez ce qu’elle va vous dire.

OLIMPE.

Jamais je n’ay rien veu de si…

LE VICOMTE.

Tranchez le mot ?
De si beste ?

OLIMPE.

Comment ?

LE VICOMTE.

Quoy, ce n’est pas un Sot* ?

OLIMPE.

Quels contes vous fait-il ?

LA COMTESSE.

Ecoutons-la de grace.

LE VICOMTE.

1545 Qu’elle parle à son aise, apres je retiens place.            

LA COMTESSE.

Vous aurez audiance à vostre tour.    

LE VICOMTE.

Tant-mieux.

OLIMPE.

J’ay peine à croire encor au raport de mes yeux.
Je resvois dans le Bois, quand pour joüir de l’ombre
M’avançant lentement vers l’endroit le plus sombre,
1550 Je trouve un Cavalier, qui surpris de me voir, {p. 84}
Me rend d’un air civil ce qu’il croit me devoir.
Quels traits pourront suffire à luy rendre justice ?
Peignez-vous Adonis, figurez-vous Narcisse,                        
Et tout ce que jamais on vanta de plus beau,
1555 C’est ne vous en offrir qu’un imparfait tableau.            
Je voudrois l’ébaucher, & n’en suis point capable ;
Il a le port divin, la taille incomparable,
Et le Ciel pour luy seul semble avoir reservé
Ce qu’il eut de plus rare & de plus achevé.
1560 Il marchoit tout resveur, & m’ayant apperçeuë,                
Il a voulu d’abord se soustraire à ma veuë :
J’en ay compris la cause ; & pour ne perdre pas
L’heureuse occasion de sortir d’embarras,    
Je voy par quel soucy vous suivez cette Route,
1565 Une aimable Comtesse en est l’Objet sans doute,
Ay-je dit. A ce nom surpris, troublé, confus,
Il m’a parlé longtemps en termes ambigus.
J’ay remis le discours sur l’aimable Comtesse,
Et ménagé son trouble avecque tant d’adresse,
1570 Que trahy par luy-mesme, il n’a pû me cacher                
Qu’il estoit l’Inconnu que vous faites chercher :
Mais son nom est encore ce qu’il s’obstine à taire ;
J’ay voulu l’amener, & je ne l’ay pû faire,
Il ne paroistra point, qu’il ne puisse juger
1575 Que son attachement ait sçeu vous engager.                
Sa conversation ravit, enchante, enleve,
Sa personne commence, & son esprit acheve.
Que ne m’a-t-il point dit du bonheur qu’il se fait,
De ressentir pour vous l’amour le plus parfait ?
1580 Ses manieres en tout sont douces, agreables ;                
Et si nous nous trouvions encor au temps des Fables,
Je croirois que pour vous quelque Dieu tout exprés
Seroit venu du Ciel habiter ces Forests.
Quand pour un tel Amant* on prend de la tendresse*, {p. 85}
1585 Si c’est foiblesse en nous, l’excusable foiblesse !                

LE VICOMTE.

Vous peignez assez bien, le Portrait n’est pas mal,
Les traits beaux, mais neant pour son Original.
J’ay veu l’Inconnu, moy, le vray, ce qui s’appelle
L’Inconnu Régalant ; le vostre, bagatelle*,
1590 C’est un Fourbe qui veut causer de l’embarras.                

OLIMPE.

Tout Rival est suspect, on ne vous croira pas.

LA COMTESSE.

Mais le Vicomte a veu des marques de la Feste ;
Les mesmes Gens qu’icy…

LE VICOMTE.

J’ay veu de plus la Beste,
Le tres-vilain Monsieur…    

OLIMPE.

Il ne sçait ce qu’il dit.
1595 Soit qu’on s’attache au Corps, soit qu’on cherche l’Esprit,        
L’Inconnu passe tout ce qu’il faut qu’on attende…
{p. 86}

SCENE VI. §

LA COMTESSE, OLIMPE,
LE VICOMTE, LE MARQUIS,
LE CHEVALIER, LA MONTAGNE
representant un Comédien, VIRGINE,
CASCARET.

CASCARET.

Madame.

LA COMTESSE.

Que veut-on ?

CASCARET.

Un Monsieur vous demande.

LA COMTESSE.

Voyez qui c’est, Virgine & l’amenez icy.

VIRGINE.

Je n’iray pas bien loin, Madame, le voicy.

LA MONTAGNE representant un comedien.

1600 Ayant plus d’une fois eu l’honneur de paroistre                
Devant Leurs Majestez, je croirois mal connoistre    
Ce que l’on doit, Madame, à vostre qualité,
Si m’estant pour ce soir dans le Bourg arresté,
Je ne vous venois pas faire la revérence.

LA COMTESSE.

1605 Je suis fort obligée à vostre complaisance*;                
Mais ne sçachant à qui…    

LE COMEDIEN.

Je suis Comédien,
Madame.

LE VICOMTE.

{p. 87}
Ah, Serviteur, ne vous manque-t-il rien
Pour nous pouvoir icy donner la Comédie ?

LE COMEDIEN.

Non, Monsieur.    

LE VICOMTE.

Il faudroit quelque Piece applaudie,
1610 Où l’employ des Acteurs répondist…

LE COMEDIEN.

Laissez-nous            
Le soin de la choisir.

LE VICOMTE.

Et Circé, l’avez-vous ?

LE COMEDIEN.

Nous Circé ? Non, Monsieur, Paris seul est capable…

LE VICOMTE.

Les Singes m’y charmoient, leur Scene est admirable.    

OLIMPE.

C’est là le bel endroit.

LE VICOMTE.

Il plaist à bien des Gens.

LA COMTESSE au Comédien.

1615 Et comment joüerez-vous ?    

LE VICOMTE.

Avec des Paravents.             

LE COMEDIEN.

Un moment suffira pour dresser un Théatre.

OLIMPE.

La Comédie enchante, & j’en fus idolâtre.

LE VICOMTE.

J’en voudrois retrancher ces grandes Passions ;
On y pleure, & je hais les Lamentations.

OLIMPE.

1620 Vous estes gay.

LE VICOMTE.

{p. 88}
Jamais aucun chagrin* en teste,    
Je ris toûjours.

LE COMEDIEN.

Tandis que la Troupe s’apreste,
Nous avons parmy nous des Voix dont on fait cas ;
Vous plaist-il les oüir ?

LA COMTESSE.

Qui ne le voudroit pas ?

LE VICOMTE.

Ce début de Chanteurs servira de Prologue.

LE COMEDIEN aux Acteurs Musiciens.

1625 Avancez, vous allez entendre un Dialogue            
Dont j’ay veu jusqu’icy tout le monde charmé.

LE VICOMTE.

Voyons ce Dialogue.

LE COMEDIEN.

Il est fort estimé.

DIALOGUE D’ALCIDON ET D’AMINTE.

ALCIDON.

Quoy, vous aimez ailleurs ? vous pouvez me haïr ?        
A des ordres cruels vous voulez obéir,
1630 Et sans pitié de l’ennuy qui me presse,
Vous oubliez cette tendresse
Que vous m’avez juré de ne jamais trahir ?
Vous gardez le silence ? ah c’est assez me dire,    
Ma mort est resolue. Hé bien, il faut vouloir
1635 Ce que vostre rigueur desire.                            
C’en est fait, je me meurs, j’expire,
Goustez le plaisir de le voir.

AMINTE.

[H,89]
De grace, moderez vos plaintes,
Je n’ay pas moins d’amour que vous,
1640 Et la mesme douleur dont vous sentez les coups,                
Porte sur moy les plus vives atteintes ;
Elle m’abat, elle m’oste la voix,
Et ne peut rien sur ma tendresse*.    

ALCIDON.

Quoy, toûjours dans mon sort l’amour vous intéresse ?

AMINTE.

1645 Vous avez merité mon choix ;                        
Et si c’est le seul bien qui touche vostre envie,
Rien ne vous devroit alarmer,
Quand on a commencé d’aimer :
N’aime-t-on pas toute sa vie ?

ALCIDON.

1650 Ah, puis que toûjours vostre cœur                    
Est le prix du beau feu* qui regne dans mon ame,
Tout doit ceder à mon bonheur.

AMINTE.

Vous avez douté de ma flame*.

ALCIDON.

Helas ! m’en pouvez-vous blâmer ?

AMINTE.

1655 Ma foy* vous répondoit de mon amour extréme.                

ALCIDON.

Qui ne craint point de perdre ce qu’il aime,
Sçait peu ce que c’est que d’aimer.
Tous les deux ensemble.
Aimons-nous à jamais, aimons ; & si l’envie
Qui s’oppose à des feux* si doux,
1660 Nous condamne à perdre la vie,
Mourons en disant, aimons-nous.

LA COMTESSE.

{p. 90}
Il n’est guére de Voix plus douces, ny plus nettes.

LE VICOMTE.

D’accord, mais quant à moy, vivent les Chansonnettes ;
Aux Airs trop sérieux je prens peu de plaisir.

LE COMEDIEN.

1665 Ils en sçavent de gays, vous n’avez qu’à choisir.                

LE VICOMTE.

Allons, Voyons un peu comme ce Gay s’entonne ;
Nostre jeune Mourante a la mine friponne.
Ҫa, point de tons dolens, je ne les puis soufrir ;    
Sur tout plus de Mourons, j’en ay pensé mourir.

CHANSON.

1670 Quand l’Amour nous attire,                        
Les maux sont dangereux,
Qu’on souffre* en son empire ;
Mais si l’on en soupire,
Un seul moment heureux
1675 Repare le martyre                                
Des Cœurs bien amoureux.
Il est des Inhumaines
Qui d’un cœur enflamé
Laissent durer les peines,
1680 Ce sont de rudes gesnes* ;                            
Mais d’un Amant* aimé
Plus on serre les chaines*,
Plus il en est charmé.

LE VICOMTE.

Voila mon amitié.

OLIMPE.

La Chanson est jolie.        
1685 Mais en chantant toûjours, le Théatre s’oublie.                

LE COMEDIEN.

{p. 91}
J’en auray soin.

LE VICOMTE.

Allons-y faire travailler,
Et leur choisir un lieu commode à s’habiller.

SCENE VII. §

OLIMPE, LE MARQUIS.

OLIMPE.

Si j’ay de l’Inconnu vanté l’amour extréme,
Vous n’en devez, Marquis, accuser que vous même
1690 Je ne l’aurois pas fait, si vous ne m’aviez dit                 
Que cet amour n’a rien qui vous gesne l’esprit,
Et que las d’étaler une vaine tendresse,
Vous luy verriez sans peine épouser la Comtesse.

LE MARQUIS.

Madame, je l’ay dit, & ne m’en dédis pas,
1695 Leur union pour moy ne peut manquer d’appas,            
Je trouve en cet Hymen* tout ce que je souhaite ;
Mais pour m’en rendre encor la douceur plus parfaite,
J’ose vous demander une grace.    

OLIMPE.

Parlez,
Je veux dés ce moment tout ce que vous voulez.

LE MARQUIS.

1700 Vous servez l’Inconnu ; promettez-moy, Madame,            
Qu’après que la Comtesse aura payé sa flame*,
Vous prendrez un Epoux de ma main.

OLIMPE.

Doutez-vous    
Que je n’en fasse pas mon bonheur le plus doux ?

LE MARQUIS

{p. 92}
Je crains quand vous sçaurez…

OLIMPE.

Cette crainte est frivole* ;
1705 Fiez-vous-en à moy, je vous tiendrai parole ;                
Et pour pouvoir plutost répondre à vos desirs,
L’Inconnu n’a que trop poussé de vains soûpirs.
Je veux que dés demain la Comtesse le voye.

LE MARQUIS.

Mais par où l’informer…

OLIMPE.

J’en trouveray la voye,    
1710 Il n’est pas difficile, & si j’en juge bien,                    
Le Comus de tantost fait le Comédien.
A la taille, à la voix, j’ay crû le reconnoistre ;
Je prétens luy donner un Billet pour son Maistre,
Qui luy fera sçavoir, que galant*, amoureux,    
1715 Il n’a qu’à se montrer, pour devenir heureux.                

LE MARQUIS.

Mais si de son Portrait la Comtesse ébloüie,
Se plaint, en le voyant, d’avoir été trahie ?
Car vous aurez plus dit…

OLIMPE.

Il est vray, j’ay voulu        
Fixer en sa faveur son cœur irrésolu :
1720 Mais un Homme galant* remplit toûjours sans peine            
L’attente qu’en fait naistre une estime incertaine,
Et la Comtesse en luy…

LE MARQUIS.

Parlons sans le flater.    
Luy trouvez-vous assez dequoy la mériter ?
Est-ce un Homme si rare, & pour qui la Nature…

OLIMPE.

1725 Ne m’en demandez point une exacte peinture,                
Il suffit que dans peu le succès fera foi {p. 93}
Que vous avez sujet d’estre content de moy.

LE MARQUIS.

Je le connois, Madame, & ne puis trop vous dire…

OLIMPE.

Vous sçavez quel Billet j’ay résolu d’écrire,
1730 Avant la Comédie, il est bon qu’il soit prest.
Quittons-nous un moment.

LE MARQUIS.

Je veux ce qui vous plaist.

Fin du Quatrième Acte.

{p. 94}

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

LE MARQUIS, VIRGINE.

VIRGINE.

Olimpe s’abusant*, vous en estes coupable.    

LE MARQUIS.

Mais je ne luy dis rien qui ne soit véritable.
Voy ce qu’à l’Inconnu, pour haster son espoir,
1735 Par nos Comédiens elle faisoit sçavoir.                    

POUR LE GALANT* INCONNU.

Vos manieres pour nostre aimable Comtesse sont si engageantes, que je n’ay pû me defendre d’entrer dans vos interest . J’ay feint que je vous avois rencontré dans le Bois, où vous m’aviez fort exageré la passion que vous avez pour elle, & j’en ay pris occasion de faire de vous une peinture qui ne vous a pas nuy dans son cœur. Il est à vous si vous vous hastez de le venir demander. Profitez de l’avis que je vous donne. Il m’est important que vous ne diferiez point davantage à vous découvrir, & vous devez peut-estre assez au soin que je prens de faire reüssir vostre amour pour faire au plutost ce que je souhaite.

{p. 95}

VIRGINE.

C’est là contre soy-mesme employer son adresse.

LE MARQUIS.

Je l’en plains, mais dy-moy, que pense la Comtesse.

VIRGINE.

Tout ce qu’on peut penser dans un dépit jaloux.    
Elle en a mieux senty l’amour qu’elle a pour vous ;
1740 Et quoy qu’elle déguise en quel trouble la jette            
L’ardeur* que vous montrez de la voir satisfaite,
Elle ne peut soufrir le feint détachement
Qui semble la céder aux vœux d’un autre Amant*.
Ainsi ne doutez point que vous montrant pour elle,
1745 Contre son espérance, & galant*, & fidelle,                
Elle n’accorde enfin à de si tendres feux*,
Le doux consentement qui vous doit rendre heureux.

LE MARQUIS.

L’ordre est déjà donné pour me faire connoistre ;    
Apres ce qu’on a sçeu, je dois enfin paroistre.
1750 Malgré moy dans le Bois on iroit rechercher                
Des véritez qu’en vain je prétendrois cacher ;
On sçait par le Vicomte où la Tente est dressée.

VIRGINE.

Nostre Chevalier ?        

LE MARQUIS.

Sa colere est passée,
L’Amour par l’espérance est bien-tost adoucy.

VIRGINE.

{p. 96}
1755 Il a pû voir pourtant qu’Olimpe…

LE MARQUIS.

La voicy.            
Laisse-nous un moment.    

SCENE II. §

OLIMPE, LE MARQUIS.

OLIMPE.

Ma joye est sans seconde,
Marquis, & grace au Ciel tout va le mieux du monde.
Nostre Comédien, comme je l’avois crû,
S’est trouvé l’un de ceux qui servent l’Inconnu ;
1760 Il a pris mon Billet, & l’envoye à son Maistre,                
Seûr, dit-il, que demain il se fera connoistre.

LE MARQUIS.

Le terme n’est pas long.

OLIMPE.

Pour moy, j’ay suposé
Qu’il a suivy la Troupe en habit déguisé.
L’entreprise pour luy ne seroit pas frivole*.

LE MARQUIS.

1765 Si dans la Comédie il avoit pris un Rôle ?                
Mais vous en connoissez le visage ?

OLIMPE.

Il ne faut
Qu’un leger changement pour me mettre en defaut.

LE MARQUIS.

Qu’il vienne, c’est à luy de se tirer d’affaire.    

OLIMPE.

{p. I, 97}
Je ne parleray point, & le laisseray faire ;
1770 Mais s’il est bien reçeu, vous empescherez-vous,    
Quoy que vous m’ayez dit, d’en paroistre jaloux ?

LE MARQUIS.

Madame…

OLIMPE.

Il ne vous faut que deux mots de tendresse*,    
Pour faire de nouveau balancer la Comtesse,
J’en crains dans vostre cœur le dangereux retour.

LE MARQUIS.

1775 Non, si de l’Inconnu je traverse* l’amour,                
Me punisse le Ciel ; mais j’ay bien lieu de craindre
Que de moy son bonheur ne vous porte à vous plaindre,
Et qu’apres son hymen* vous n’accusiez ma foy*

OLIMPE.

Répondez-moy de vous, je vous répons de moy,
1780 Mais la Comtesse vient.

SCENE III. §

LA COMTESSE, LE VICOMTE,
LE CHEVALIER, OLIMPE,
LE MARQUIS, VIRGINE.

LE VICOMTE.

Si mon cœur…

LA COMTESSE.

Je vous prie,            
Point d’amour aujourd’huy, voyons la Comédie.
Sont-ils prests à joüer ?

LE CHEVALIER.

Ils repassent leurs Vers ;
S’ils n’ont un peu de temps, tout ira de travers.

LE VICOMTE.

{p. 98}
Avant que de les voir, si vous m’en voulez croire,    
1785 Nous souperons ; je sçay quelques Chansons à boire,             
Où le Verre à la main, je vaux mon pesant d’or,
Dieu me damne. Apres tout, la joye est un Trésor,
J’en fais provision en quelque lieu que j’aille.

LE MARQUIS.

C’est bien fait.

LE VICOMTE.

Vous ferez Chorus, vaille que vaille,
1790 Je donneray le ton.

LA COMTESSE.

Quelle cervelle !

SCENE IV. §

LA COMTESSE, &c. LA MONTAGNE
représentant LE COMEDIEN,
& vestu en Zéphire.

LA COMTESSE.

He’ bien,            
Avance-t-on ? vos Gens n’ont-ils besoin de rien ?    

LE COMEDIEN.

Je viens demander grace encor pour nos Actrices,
Leurs Coifures toûjours sont pour moy des suplices,
Jamais elles n’ont fait : j’en suis au desespoir.

LA COMTESSE.

1795 Laissons-leur tout le temps qu’elles voudront avoir.            

LE CHEVALIER.

Vous aurez bien choisy ? La Piece…

LE COMEDIEN.

Sera bonne.

LE VICOMTE.

Qui l’a faite ?

LE COMEDIEN

{p. 99}
Jamais nous ne nommons personne.
Nous voulons, si l’Ouvrage a quelque Approbateur,
Qu’il l’ait pour son mérite, & non point pour l’Autheur ;
1800 Par là point de cabale ; on condamne, on approuve,            
Selon ou le mauvais, ou le bon qui s’y trouve.
Quelquefois à Paris telle Piece fait bruit,
Dont l’éclat en Province aussitost se détruit.

LA COMTESSE.

Il peut avoir raison.    

LE VICOMTE.

Bon, est-ce qu’en Province
1805 On a le sens commun ? Ce sont Gens d’esprit mince.             

LE COMEDIEN.

A dire leurs avis s’ils sont trop ingénus*,
Leurs sufrages du moins ne sont point retenus ;
Point d’extases chez eux pour une bagatelle*.

LE VICOMTE.

La Piece d’aujourd’huy comment se nomme-t-elle ?

LE COMEDIEN.

1810 L’Inconnu.

LA COMTESSE.

L’Inconnu ?

LE VICOMTE.

Si c’éstoit le Grosset,                
Madame ?

LE COMEDIEN.

C’est Psyché, grand & pompeux* Sujet.

LE VICOMTE.

Tant-pis, le sérieux en moins de rien m’ennuye.
Et n’y joindrez-vous point quelque Crispinerie ?
J’aime tous les Crispins.

LE COMEDIEN.

Vous en aurez le choix.

LE VICOMTE.

1815 J’ay veu le Medecin, je croy, plus de cent fois.                
Ce Pendu qu’on étend sur la Table, il m’enchante. {p. 100}

LE MARQUIS.

C’est avecque justice.

LE VICOMTE.

Et cet autre qui chante,
Fa, sol, fa, sol, fa re, mi, fa.
Quand il entonne ainsi son re, mi, fa, je ris…

LA COMTESSE.

1820 Vrayement.

OLIMPE.

Il a toûjours ses endroits favoris.

LE COMEDIEN.

Pour ne point perdre temps, voulez-vous que je fasse            
Mettre icy le Théatre où j’ay marqué sa place ?

LA COMTESSE.

On dit qu’il est joly voyons.

LE COMEDIEN.

Nostre Chanteur
A quelque Scene à faire avant que d’estre Acteur,
1825 Vous la pourrez entendre, elle est preste. Allons viste,
Ouvrez, & que chacun de son employ s’acquite.                
Ils prennent tous place, & ils ne sont pas plutost assis, qu’on fait rouler vers eux un Théatre dont le devant est orné d’un fort beau Tapis où pend une tres-riche Campane. Ce Théatre represente une Chambre. Au-devant des deux premiers Pilastres qui sont de chaque costé, il y a deux Guéridons faits en Maures, portant chacun une Girandolle. Au dessus de la Corniche de ces Pilastres qui sont fort enrichis, on voit deux Corbeilles de Fleurs. La Frise qui regne sur la Façade, represente deux grandes Consoles d’or, avec des Festons de Fleurs qui ceignent le Fronton ; & entre les deux Consoles il y a un Rond orné d’une Bordure dorée, dans lequel on voit une Medaille. La suite de la Chambre est enrichie d’Arcades, de Pilastres {p. 101} de Paneaux remplis d’ornemens différens, de coloris, de Festons de Fleurs, de Porcelaine, de Vases d’ or, d’argent & de lapin, & d’Ovales percées à jour. Dans cinq Arcades ou Niches, qui sont d’azur rehaussé d’or, on voit cinq Statuës toutes d’or, representant des Amours ; & dans le fond de la Chambre il y a encor deux Guéridons comme les premiers, garnis pareillement de Girandolles. De fort riches ornemens en embellisent le Plat-fond ; il est percé en cinq endroits, d’où sortent cinq Lustres. Plusieurs Esclaves magnifiquement vestus, marchent au devant de ce Theatre, & semblent le conduire quand il s’avance.

LE VICOMTE.

L’Invention est drole ; un Theatre roulant !

LA COMTESSE.

J’admire de le voir si propre, si galant*.

LE CHEVALIER.

La Décoration en est bien entenduë.

OLIMPE.

1830 Sans-doute, elle a dequoy satisfaire la veuë.

LE VICOMTE.

S’ils prenoient le Marais que la Roque a laissé,        
Les Troupes de Paris auroient le nez cassé.

UN MAURE paroist sur le petit Théatre & chante ces Vers.

Amour, à qui tout est possible,
Enflame*, anime tout ; & pour mieux faire voir
1835 Qu’il n’est rien pour toy d’invincible,
Fais aimer cette Insensible                            
Qui se rit de ton pouvoir.
En mesme temps quatre Amours sortent de leurs Niches, & dardent leurs Fléches vers la Comtesse ; apres quoy le mesme Maure chante ce refrein avec une Femme Maure.
L’Amour punit les Cruelles, {p. 102} 
Aimez pour fuir son couroux*.

LE MAURE seul.

1840 Que pourroit servir aux Belles
D’avoir des charmes si doux,                         
S’ils n’estoient faits que pour elles ?
Tous deux ensemble.
L’Amour punit les Cruelles ,
1845 Aimez pour fuir son couroux*.

LA FEMME MAURE seule.

Soyez tendres & fidelles,
Il s’armera contre vous,                            
Si vous faites les rebelles.    
Tous deux ensemble.
1850 L’Amour punit les Cruelles,
Aimez pour fuir son couroux*.
Ces Vers estant chantez, les Maures du petit-Théatre se joignent aux Amours pour faire une Entrée, laquelle estant finie, la Comtesse dit.

LA COMTESSE.

On nous trompe, & jamais Comédiens qui passent
N’eurent cet appareil.

OLIMPE.

Ceux-cy vous embarassent ?            

LA COMTESSE.

Non, je voy bien que c’est un Regal concerté,
1855 La Feste finira par cette Nouveauté.
Mais enfin les Acteurs que l’on nous fait connoistre,
Comédiens, ou non, commencent à paroistre,
Il faut les écouter.

LE VICOMTE.

Soyons donc écoutans ;                
Mais j’en tiens, s’il les faut écouter bien longtemps.
On jouë les trois Scenes suivantes sur le petit Théatre.
{p. 103}

SCENE I. §

LA MONTAGNE représentant Zéphire,
AGLAURE.

Zéphire.

1860 Quoy, tout-de-bon, vous estes en colere
D’un secret qui ne peut encor se revéler ?

AGLAURE.

Oüy, c’est m’offencer, que se taire,
Quand je cherche à faire parler.                    

ZEPHIRE.

Il n’est intention meilleure que la mienne ;
1865 Si vos desirs ne sont pas exaucez,
C’est qu’un ordre d’Enhaut…

AGLAURE.

Il n’est ordre qui tienne,    
Je prie, & ce doit estre assez.

ZEPHIRE.

Encor n’est-ce pas un grand crime                    
De vous cacher le nom de l’Amant* de Psyché,
1870 Quand vous voyez que l’amour qui l’anime
A chercher à luy plaire est sans cesse attaché.    
Tout ce qui peut charmer les yeux & les oreilles,
Se prodigue pour elle en ces aimables lieux,                
Et jamais…

AGLAURE.

Oüy, ce sont merveilles sur merveilles,            
1875 Mais nostre Sexe est curieux.                            
C’est peu pour nous de voir des Festes ordonnées
Avec un éclat sans pareil.
On compte à rien leur superbe appareil,                
Si l’on ne sçait par qui ces Festes sont données. {p. 104}    
1880 Que prétend un Amant* tant qu’il est inconnu ?    

ZEPHIRE.

Sur le secret d’autruy je n’ay rien à vous dire ;
Quant au mien, on ne peut estre plus ingénu*,
Et dés qu’avecque vous je suis icy venu,                    
Je vous ay découvert qu’on me nommoit Zéphire.

AGLAURE.

1885 Vous estes du nombre des Vents,
Nous l’avons assez veu, quand par l’air enlevées
Avec vous en ces lieux nous nous sommes trouvées ;
Mais pour Zéphire, je prétens                        
Par tout ce que de vous vous me faites connoistre,
1890 Que vous ne l’estes point, & ne le sçauriez estre.    

ZEPHIRE.

Je ne suis point Zéphire ! & d’où vient ?

AGLAURE.

En tous lieux
Zéphire se fait voir doux, complaisant, traitable,
Et vous estes des Vents le plus inéxorable,                
Ou Borée, ou quelque autre encor moins gratieux.    

ZEPHIRE.

1895 Vous voulez que je sois Borée ?
Adieu, je vay soufler si froidement pour vous,
Que vous aurez sujet d’en croire le couroux*
Qui contre moy vous tient si déclarée.                    
{p. 105}

SCENE II. §

AGLAURE, CEPHISE.

CEPHISE.

D’où vient, quand on me voit, que l’on vous quite ainsy ?

AGLAURE.

1900 Je suis broüillée avec Zéphire ;
Je l’avois prié de me dire
Le nom de l’Inconnu qui nous met en soucy :
Sur ses refus j’ay perdu patience,                    
Et me suis échapée à quelques mots d’aigreur.

CEPHISE.

1905 Croyez-moy, vous cherchez, ma Sœur,
Une fatale connoissance.
Pour quoy ce desir curieux ?
Manquons-nous de plaisirs & de galantes* Festes,            
Depuis qu’avec Psyché nous habitons ces lieux ?    
1910 Et quand vous aprendrez qui les tient toûjours prestes,
Prétendez-vous en estre mieux ?

AGLAURE.

Il est fort naturel de chercher à connoistre
Un Amant* qui s’obstine à se tenir caché.                

CEPHISE.

Mais s’il est connu de Psyché,
1915 Voyez-vous quel mal en peut naistre ?
Sa main payera des feux* si tendres & si doux,
Et par leur paisible hymenée*,
La Feste aussitost terminée                        
Ne charmera plus que l’Epoux.
1920 Alors, où pour nous, je vous prie,
Seront & les jeux & les ris ? {p. 106} 
Car enfin fole est qui s’y fie.
Quand les Amants* sont Marys,                        
Adieu la Galanterie*.    

AGLAURE.

1925 Non, l’Inconnu doit estre né
Pour s’en faire toûjours un plaisir nécessaire ;
Et son amour par l’Hymen* couronné,
N’aura pas moins d’ardeur* de plaire.                    

CEPHISE.

Si vous me répondez que Mary comme Amant*,    
1930 Nous le verrons toûjours le mesme,
Je sçauray son secret.

AGLAURE.

Vous le sçaurez ! Comment ?
Est-ce que Zéphire vous aime ?

CEPHISE.

Le beau sujet détonnement !                        
Croyez-vous sa conqueste une si grande affaire ?
1935 Et quand on me voit plus d’un jour,
N’ay-je pas assez dequoy plaire
Pour mériter un peu d’amour ?

AGLAURE.

Voila toûjours vostre folie,                        
La plus Belle jamais n’eut tant de bonne foy*.

CEPHISE.

1940 Je ne suis si l’on veut, ny belle, ny jolie,
Mais j’ay certains je-ne-sçay-quoy
Qui me font préferer à la plus accomplie.

AGLAURE.

Vous le croyez ?

CEPHISE.

Si je le croy ?                        
Avec mon humeur enjoüée,
1945 Je fais faire naufrage à qui m’en vient conter ;
Et dés qu’on a pû m’écouter, {p. 107}
C’est une franchise échoüée :                            
Mais quand je trouverois Zéphire indifférent,                
Le pressant de parler, s’en pourroit-il défendre ?
1950 C’est la manière de s’y prendre,
Qui fait qu’un obstiné se rend.
Le voicy, laissez-moy, s’il vous voit éloignée,
Il me viendra soudain faire icy les yeux doux.                

AGLAURE.

Ce sera pour Psyché, s’il s’explique avec vous,
1955 De l’inquiétude épargnée.
J’en attens le succés, adieu.

SCENE III. §

ZEPHIRE, CEPHISE, Un Enfant
Représentant l’Amour.

ZEPHIRE.

A la fin, ta Compagne a quité la partie.            
Pour te voir, proche de ce lieu                        
J’attendois qu’elle fust sortie.
1960 Je me souviendray quelque temps
Qu’elle a tantost osé me traiter de Borée.

CEPHISE.

Sçais-tu qu’il est certains instans                            
Où moy-mesme de toy je suis mal assurée ?                
Tu t’en nommé Zéphire icy,
1965 J’en doute à voir ta toille.

ZEPHIRE.

Alors que je t’adore,
De cette verité tu peux estre en soucy ?    

CEPHISE.

{p. 108}
De grace, estois-tu ainsy
Lors que tu soûpirois pour Flore ?                

ZEPHIRE.

J’estois fort délicat, & le ferois encore,
1970 Mais le temps m’a tout épaissy.

CEPHISE.

Tu pourrois bien m’avoir trompée,                            
La Jeunesse a souvent trop de crédulité,
Et l’amour dont pour toy je suis préoccupée…                

ZEPHIRE.

Non, foy* de Vent d’honneur, j’ay dit la vérité
1975 Je suis Zéphire.

CEPHISE.

Hé bien, je le veux croire.
Mais quant à l’Inconnu, son nom ? regarde-moy.
J’ay promis à Psyché de le sçavoir de toy.
Je dois tenir parole, il y va de ma gloire.                    

ZEPHIRE.

Ne me presse point là-dessus,
1980 J’ay des raisons…    

CEPHISE.

Pures chimeres* !

ZEPHIRE.

Je ne sçaurois parler.

CEPHISE.

Abus,
Tu m’aimes ; s’il me faut essuyer tes refus,
Tu n’es pas bien dans tes affaires.                    

ZEPHIRE.

Je prendrois grand plaisir à ne te rien cacher ;
1985 Mais veux-tu, parce que je t’aime,
Que l’Inconnu me vienne reprocher
Que ma langue ait fait tort à son amour extréme ?
C’est de tous les Amans* le plus passionné,                
Rien ne sçauroit égaler sa tendresse* ;
1990 Mais il veut estre seûr du cœur de sa Maistresse*, {p. 109}
Avant que son secret luy soit abandonné.

CEPHISE.

Qu’il ne craigne rien, Psyché l’aime,
Tant de soins de luy plaire ont vaincu sa fierté*.                

ZEPHIRE.

Si tu me disois vray, me voila bien tenté.

CEPHISE.

1995 N’en doute point je le sçay d’elle-mesme.
Mais enfin je commence à prendre pour affront
Une si longue resistance.

ZEPHIRE.

Attens, pour ne rien faire avec trop d’imprudence,            
Il est bon que l’Amour me serve de Second.
Il se tourne vers l’Amour qui sort de la Niche, & oste le masque qui luy couvrait le visage.

CEPHISE.

2000 Quoy, l’Amour déguisé parmy nous !

ZEPHIRE.

Que t’en semble ?

CEPHISE.

Je voy bien que c’est luy qui commande en ces lieux,
Et cours dire à Psyché…

ZEPHIRE.

Non, Cephise, il vaut mieux
Que nous l’allions trouver ensemble.                    

CEPHISE.

J’attens tout de l’Amour, s’il daigne s’en mesler.
Ils descendent tous sur le grand Théatre.

ZEPHIRE à la Comtesse.

2005 Madame, puis qu’il faut enfin que l’on vous die…

LA COMTESSE.

A moy ? cela n’est pas de vostre Comédie.

ZEPHIRE.

Vous estes la Psyché dont nous voulons parler ;    
L’Amour en est croyable ; & quand je vous l’amene… {p. 110}

L’AMOUR.

Oüy, Comtesse, l’Amour vous veut tirer de peine,    
2010 Et du Ciel tout exprés il est icy venu
Pour finir l’embarras où vous met l’Inconnu.

LA COMTESSE.

Chacun depuis longtemps aspire à le connoistre.

L’AMOUR.

Je n’ay qu’à dire un mot, vous le verrez paroistre.            

OLIMPE.

L’Amour peut sans scrupule user de son pouvoir.    

L’AMOUR.

2015 Il faut donc me haster de vous le faire voir ;
Regardez ce Portrait.

OLIMPE à la Comtesse.

Si rien ne le deguise,    
Vous y verrez des traits…Vous en estes surprise.
Hé bien, a-t-il l’air bon ? qu’en dites-vous ?

LA COMTESSE.

Je dis…            
Voyez.

LE CHEVALIER regardant le Portrait.

C’est le Marquis.

LE VICOMTE.

Le Marquis ?

OLIMPE.

Juste Ciel !

LA COMTESSE au Marquis.

2020 Quoy, c’est vous, dont l’adresse cachée
Cherchoit à me toucher ?

LE MARQUIS.

En estes-vous fâchée ?

LA COMTESSE.

Je ne m’étonne plus si vos feux* trop soûmis {p. 111}
Aux vœux de l’Inconnu laissoient l’espoir permis.            

LE MARQUIS.

Tant d’amour ne peut-il mériter de vous plaire ?    
2025 Ne vous rendez-vous point ?

LA COMTESSE.

C’est une grande affaire.
D’ailleurs deux Inconnus…

LE MARQUIS.

Je n’en dois craindre rien ;
L’Inconnu du Vicomte est le Comédien,
Il ne s’est pas trop mal acquité de son Rôle.                

LE VICOMTE.

Il est vray, je cherchois le son de sa parole,
2030 Et sur Monsieur Grosset je me remets sa voix.

LA COMTESSE.

Et l’Inconnu qu’Olimpe a trouvé dans le Bois ?    

OLIMPE.

J’ay dit ce que j’ay veu, sans sçavoir davantage.

LE CHEVALIER.

Quelque Amy du Marquis a fait ce Personnage ;                
Pour l’Inconnu par elle il vouloit vous toucher.

LA COMTESSE.

2035 Qui l’auroit crû qu’en vous il l’eust falu chercher ?

LE MARQUIS.

Non, ne m’en croyez pas ; mais, aimable Comtesse,
Croyez-en ce Présent que m’a fait la Jeunesse.

LA COMTESSE.

C’est là mon Diamant, vous estiez destiné                
A recevoir enfin la main qui l’a donné ;
2040 Il est juste, & j’en fais le prix de vostre flame*.

LE MARQUIS.

O bonheur qui remplit tous mes vœux ! à Olimpe. Mais, Madame,
Vous souvenez-vous…

OLIMPE.

Oüy, je ne puis oublier {p. 112}
Que je vous ay promis d’aimer le Chevalier ;                
Vous avez de l’honneur, c’est assez vous en dire.    

LE CHEVALIER.

2045 Doux & charmant aveu qui finit mon martyre !
Madame, je puis donc prétendre à vostre foy* ?

OLIMPE.

Si ma Mere y consent, répondez-vous de moy ?

LE VICOMTE.

Je vous voy là tous quatre en bonne intelligence.                
Et moy, que devenir ?

LA COMTESSE.

Vous prendrez patience.    

LE VICOMTE.

2050 Oüy, de mes pas pour vous c’est donc là le succés ?
Se charge qui voudra du soin de vos Procés.
Adieu.

LA COMTESSE.

Le prendrez-vous, Marquis ? il vous regarde.

LE MARQUIS.

Que ne ferois-je point ?    

LE CHEVALIER.

La retraite est gaillarde.            

OLIMPE.

C’est un Extravagant dont nous sommes défaits.

LA COMTESSE.

2055 Allons.

LE MARQUIS.

Puisse l’Amour ne nous quiter jamais.

FIN.

{p. 113}

CHANSON.

Si Claudine
Ma voisine
S’imagine
Sur ma mine                                
2060 Que je ne suis bon à rien,
Qu’en cachette
La Folette
Me permette
La Fleurette,                        
2065 Elle s’en trouvera bien.
Après cette chanson Colin prie la Comtesse de danser, & est enfin reduit de danser luy seul. Le Païsan & le Suisse yvre luy succedent ; & ensuite le Vicomte dans son enjoüement ridicule badine* avec une Paisanne Bavolette* qui le rebutte en chantant l’air suivant.

AIR DE LA PAYSANNE.

Ne frippez paon mon bavolet*,
C’est aujourdy Dimanche. Bis.
Je vous le dis tout net,                            
J’ay des épingues su ma manche ;
2070 Ma main pese autant qu’al est blanche,
Et vous gaigneriez un soufflet,
Ne frippez poan, &…
Attendez à demain que je vaze à la Ville,                    
J’auray mes vieux habits,                
2075 Et les Lundis
Je ne fis pas si difficille.                    
Mais à present {p. 114}  
Tout franc
Si vous faites l’impartinent,
2080 Si vous gastez mon linge blanc,
Je vous barray comme il faut de la haste.            
Je vous battray,
Pinceray,    
Piqueray,                    
2085 Je vous moudray,
Grugeray,
Pilleray,
Menu, menu, menu la char en paste ;
Oum voyez-vous, j’ avons une taribe taste            
2090 Que je cachons sous noute bounet,
Ne frippez paon, &…
Cette chanson finie, les Conviez font les presens que la coûtume engage de faire aux mariez, & toute la troupe se retire à la reserve de la Montagne qui estoit déguisé, & qui est arresté par le Vicomte, & reconnu pour estre le Grosset Basset, qu’il a trouvé dans le bois sous la tente : de sorte que le Vicomte & le Chevalier le pressant de declarer qui est l’Inconnu, il tire de sa poche un portrait qu’il donne à la Comtesse, qui reconnoist estre celuy du Marquis, ce qui ne donne pas peu d’étonnement à la Compagnie, & oblige enfin la Comtesse à donner sa foy* au Marquis pour recompenser sa perseverance. Olympe ne voyant point d’autre party à prendre que celuy de se rendre à l’amour du Chevalier, luy donne aussi la sienne, & le Vicomte se retire brusquement, en disant qu’il abandonnera le soin des procez de la Comtesse.

FIN.