Cliquer un nœud pour le glisser-déposer. Clic droit pour le supprimer
Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
1
2
3
4
5
6
7
8

 

Thomas Corneille. Médée. Tragédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 36 sc. 262 répl. 2,8 l. 741 l. 741 l. 35 % 2 156 l. (100 %) 2,9 pers.
La Victoire 1 sc. 2 répl. 7,3 l. 64 l. (9 %) 15 l. (2 %) 23 % 383 l. (18 %) 6,0 pers.
Bellone 1 sc. 1 répl. 4,4 l. 64 l. (9 %) 4 l. (1 %) 7 % 383 l. (18 %) 6,0 pers.
La Gloire 1 sc. 1 répl. 4,2 l. 64 l. (9 %) 4 l. (1 %) 7 % 383 l. (18 %) 6,0 pers.
Chœur d’Habitans des environs de la Seine 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
chef-habitans 1 sc. 1 répl. 5,2 l. 64 l. (9 %) 5 l. (1 %) 9 % 383 l. (18 %) 6,0 pers.
habitans1 0 sc. 0 répl. 0 64 l. (9 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
Chœur de Bergers Heroïques 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
bergers1 1 sc. 4 répl. 3,3 l. 64 l. (9 %) 13 l. (2 %) 21 % 383 l. (18 %) 6,0 pers.
bergers2 0 sc. 0 répl. 0 64 l. (9 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
choeur 2 sc. 9 répl. 2,8 l. 87 l. (12 %) 25 l. (4 %) 29 % 453 l. (22 %) 5,2 pers.
CREON 9 sc. 24 répl. 3,1 l. 136 l. (19 %) 74 l. (11 %) 55 % 316 l. (15 %) 2,3 pers.
CREUSE 10 sc. 31 répl. 2,4 l. 207 l. (28 %) 73 l. (10 %) 36 % 743 l. (35 %) 3,6 pers.
MEDEE 18 sc. 70 répl. 3,2 l. 396 l. (54 %) 222 l. (30 %) 56 % 865 l. (41 %) 2,2 pers.
JASON 12 sc. 44 répl. 2,5 l. 277 l. (38 %) 110 l. (15 %) 40 % 886 l. (42 %) 3,2 pers.
ORONTE 7 sc. 19 répl. 3,0 l. 163 l. (23 %) 57 l. (8 %) 36 % 654 l. (31 %) 4,0 pers.
ARCAS 1 sc. 2 répl. 2,1 l. 28 l. (4 %) 4 l. (1 %) 15 % 84 l. (4 %) 3,0 pers.
NERINE 4 sc. 11 répl. 2,4 l. 90 l. (13 %) 27 l. (4 %) 30 % 179 l. (9 %) 2,0 pers.
CLEONE 2 sc. 4 répl. 3,8 l. 26 l. (4 %) 15 l. (3 %) 59 % 71 l. (4 %) 2,8 pers.
Troupe de Corinthiens 4 sc. 6 répl. 3,5 l. 92 l. (13 %) 21 l. (3 %) 23 % 276 l. (13 %) 3,0 pers.
corinthien 1 sc. 2 répl. 4,9 l. 21 l. (3 %) 10 l. (2 %) 47 % 63 l. (3 %) 3,0 pers.
Troupe d’Argiens 0 sc. 0 répl. 0 21 l. (3 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
Un petit Argien 1 sc. 3 répl. 3,4 l. 70 l. (10 %) 10 l. (2 %) 15 % 389 l. (19 %) 8,0 pers.
Troupe de Captifs de l’Amour 1 sc. 10 répl. 1,5 l. 49 l. (7 %) 15 l. (3 %) 32 % 389 l. (19 %) 8,0 pers.
captif 1 sc. 2 répl. 2,6 l. 49 l. (7 %) 5 l. (1 %) 11 % 389 l. (19 %) 8,0 pers.
captive 1 sc. 2 répl. 2,9 l. 49 l. (7 %) 6 l. (1 %) 12 % 389 l. (19 %) 8,0 pers.
trois-captifs 1 sc. 4 répl. 1,4 l. 49 l. (7 %) 6 l. (1 %) 12 % 389 l. (19 %) 8,0 pers.
Troupe de Demons 1 sc. 4 répl. 1,5 l. 23 l. (4 %) 6 l. (1 %) 26 % 70 l. (4 %) 3,0 pers.
demon 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
[Phantomes] 1 sc. 3 répl. 2,2 l. 16 l. (3 %) 7 l. (1 %) 41 % 79 l. (4 %) 5,0 pers.
phantome 1 sc. 2 répl. 1,5 l. 16 l. (3 %) 3 l. (1 %) 19 % 79 l. (4 %) 5,0 pers.
deux-phantomes 1 sc. 1 répl. 3,6 l. 16 l. (3 %) 4 l. (1 %) 23 % 79 l. (4 %) 5,0 pers.
Thomas Corneille. Médée. Tragédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
La Victoire
choeur
15 l. (87 %) 2 répl. 7,3 l.
3 l. (14 %) 2 répl. 1,2 l.
1 sc. 17 l. (3 %) 6,0 pers.
Bellone
choeur
5 l. (69 %) 1 répl. 4,4 l.
3 l. (32 %) 1 répl. 2,0 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 6,0 pers.
La Gloire
choeur
5 l. (78 %) 1 répl. 4,2 l.
2 l. (23 %) 1 répl. 1,2 l.
1 sc. 5 l. (1 %) 6,0 pers.
bergers1
choeur
13 l. (44 %) 4 répl. 3,3 l.
17 l. (57 %) 4 répl. 4,2 l.
1 sc. 30 l. (5 %) 6,0 pers.
choeur
MEDEE
3 l. (67 %) 1 répl. 2,6 l.
2 l. (34 %) 1 répl. 1,3 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 3,0 pers.
CREON 20 l. (100 %) 3 répl. 6,5 l. 3 sc. 20 l. (3 %) 1,0 pers.
CREON
CREUSE
6 l. (56 %) 2 répl. 2,9 l.
5 l. (45 %) 1 répl. 4,7 l.
1 sc. 11 l. (2 %) 2,0 pers.
CREON
MEDEE
42 l. (56 %) 16 répl. 2,6 l.
34 l. (45 %) 14 répl. 2,4 l.
3 sc. 75 l. (11 %) 2,0 pers.
CREON
JASON
2 l. (45 %) 1 répl. 1,3 l.
2 l. (56 %) 1 répl. 1,7 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 3,0 pers.
CREON
ORONTE
5 l. (47 %) 1 répl. 4,9 l.
6 l. (54 %) 1 répl. 5,5 l.
1 sc. 10 l. (2 %) 3,0 pers.
CREUSE 6 l. (100 %) 1 répl. 5,8 l. 1 sc. 6 l. (1 %) 1,0 pers.
CREUSE
MEDEE
15 l. (48 %) 7 répl. 2,0 l.
16 l. (53 %) 6 répl. 2,6 l.
2 sc. 30 l. (5 %) 2,7 pers.
CREUSE
JASON
39 l. (51 %) 15 répl. 2,5 l.
39 l. (50 %) 17 répl. 2,2 l.
4 sc. 76 l. (11 %) 4,3 pers.
CREUSE
ORONTE
3 l. (28 %) 1 répl. 2,8 l.
8 l. (73 %) 2 répl. 3,8 l.
1 sc. 10 l. (2 %) 2,0 pers.
CREUSE
CLEONE
2 l. (19 %) 2 répl. 0,7 l.
7 l. (82 %) 1 répl. 6,3 l.
1 sc. 8 l. (2 %) 3,0 pers.
CREUSE
Troupe de Corinthiens
3 l. (21 %) 2 répl. 1,2 l.
9 l. (80 %) 3 répl. 2,9 l.
2 sc. 11 l. (2 %) 3,0 pers.
CREUSE
Un petit Argien
2 l. (18 %) 1 répl. 1,2 l.
6 l. (83 %) 1 répl. 5,8 l.
1 sc. 7 l. (1 %) 8,0 pers.
CREUSE
Troupe de Captifs de l’Amour
3 l. (38 %) 1 répl. 2,3 l.
4 l. (63 %) 1 répl. 3,9 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 8,0 pers.
MEDEE 23 l. (100 %) 2 répl. 11,1 l. 2 sc. 22 l. (3 %) 1,0 pers.
MEDEE
JASON
46 l. (55 %) 19 répl. 2,4 l.
38 l. (46 %) 16 répl. 2,4 l.
3 sc. 83 l. (12 %) 2,0 pers.
MEDEE
ORONTE
25 l. (47 %) 8 répl. 3,0 l.
29 l. (54 %) 9 répl. 3,1 l.
2 sc. 52 l. (8 %) 2,0 pers.
MEDEE
NERINE
63 l. (71 %) 14 répl. 4,5 l.
27 l. (30 %) 11 répl. 2,4 l.
4 sc. 90 l. (13 %) 2,0 pers.
MEDEE
Troupe de Demons
14 l. (83 %) 4 répl. 3,4 l.
3 l. (18 %) 3 répl. 1,0 l.
1 sc. 16 l. (3 %) 3,0 pers.
JASON 6 l. (100 %) 2 répl. 2,6 l. 2 sc. 5 l. (1 %) 1,0 pers.
JASON
ORONTE
6 l. (32 %) 4 répl. 1,5 l.
13 l. (69 %) 6 répl. 2,2 l.
3 sc. 19 l. (3 %) 5,9 pers.
JASON
ARCAS
10 l. (70 %) 2 répl. 4,8 l.
5 l. (31 %) 2 répl. 2,1 l.
1 sc. 14 l. (2 %) 3,0 pers.
JASON
CLEONE
2 l. (24 %) 1 répl. 1,5 l.
5 l. (77 %) 2 répl. 2,4 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 2,0 pers.
JASON
Troupe de Corinthiens
11 l. (72 %) 1 répl. 10,1 l.
5 l. (29 %) 1 répl. 4,1 l.
1 sc. 14 l. (2 %) 3,0 pers.
Troupe de Corinthiens
corinthien
5 l. (32 %) 1 répl. 4,4 l.
10 l. (69 %) 2 répl. 4,9 l.
1 sc. 14 l. (2 %) 3,0 pers.
Troupe de Captifs de l’Amour
captif
3 l. (29 %) 2 répl. 1,0 l.
6 l. (72 %) 2 répl. 2,6 l.
1 sc. 7 l. (1 %) 8,0 pers.
Troupe de Captifs de l’Amour
captive
3 l. (29 %) 1 répl. 2,4 l.
6 l. (72 %) 2 répl. 2,9 l.
1 sc. 8 l. (2 %) 8,0 pers.
Troupe de Captifs de l’Amour
trois-captifs
5 l. (46 %) 4 répl. 1,2 l.
6 l. (55 %) 4 répl. 1,4 l.
1 sc. 10 l. (2 %) 8,0 pers.
[Phantomes]
phantome
2 l. (26 %) 1 répl. 1,0 l.
4 l. (75 %) 2 répl. 1,5 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 5,0 pers.
[Phantomes]
deux-phantomes
4 l. (50 %) 1 répl. 3,5 l.
4 l. (51 %) 1 répl. 3,6 l.
1 sc. 7 l. (1 %) 5,0 pers.

Thomas Corneille

1693

Médée. Tragédie

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Nathalie Tramieux
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Thomas Corneille. Médée. Tragédie. On la vend, A Paris, A l’Entrée de la Porte de l’Academie Royale de Musique Au Palais Royal, ruë Saint Honoré. Imprimée aux dépens de ladite Academie. Par Christophe Ballard, seul Imprimeur du Roy pour la Musique. m. dc. xciii. avec privilege du roy.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Medée,
Tragedie.
En musique,
Representée
Par l’Academie Royale
de musique. §

Acteurs
du prologue. §

  • La Victoire.
  • Bellone.
  • La Gloire.
  • Chœur d’Habitans des environs de la Seine.
  • Chœur de Bergers Heroïques.

PROLOGUE §

{p. 3}
Le Theatre represente un lieu rustique, embelly par la Nature, de Rochers & de Cascades.

Un chef d’habitans.

LOUIS est triomphant, tout céde à sa puissance,           
La Victoire en tous lieux, fait reverer ses Loix.
Pour la voir avec nous toujours d’intelligence,
Rendons-luy des honneurs dignes de sa presence.
5 Rendons-luy des honneurs dignes des grands exploits        
Qui consacrent le Nom du plus puissant des Roys.

Chœurs d’Habitans & de Bergers Heroïques.

{p. 4}
LOUIS est triomphant, tout céde à sa puissance,
La Victoire en tous lieux, fait reverer ses Loix.
Pour la voir avec nous toujours d’intelligence,
10 Rendons-luy des honneurs dignes de sa presence.    
Rendons-luy des honneurs dignes des grands exploits
Qui consacrent le Nom du plus puissant des Roys.

Deux Bergers & un Habitant.

Paroissez, charmante Victoire,
Hastez-vous, venez, descendez.
15 Amenez-nous Bellone, amenez-nous la Gloire,
Par qui vos soins* pour nous sont si bien secondez.
Paroissez, charmante Victoire,
Hastez-vous, venez, descendez.

Chœur.

Paroissez, charmante Victoire,
20 Hastez-vous, venez, descendez.

Les deux Bergers & l’Habitant.

Ce nuage brillant nous donne lieu de croire,
Que vous nous entendez.

Chœur.

Paroissez, charmante Victoire,
Hastez-vous, venez, descendez. {p. 5}
On entend une Symphonie, pendant laquelle il paroît un tourbillon de nüages qui descend, & en s’ouvrant fait paroître le Palais de la Victoire, qui s’avance & occupe tout le Theatre ; & au milieu du Palais, sont la Gloire, la Victoire & Bellone.

La Victoire.

25 Le Ciel dans vos vœux s’interesse,
Depuis long-tems, la France est mon sejour.
Attachée au Heros, qui pour elle sans cesse
Fait agir sa haute sagesse,
Je sens pour luy de jour en jour,
30 En redoublant mes soins*, redoubler mon amour.
Ne craignez pas que la Victoire,
Favorise jamais les jaloux de sa gloire*.
Ils ne cherchent à triompher
Qu’afin de prolonger la guerre.
35 LOUIS combat pour l’étouffer,
Et rendre le calme à la terre.

Chœur.

Ils ne cherchent à triompher
Qu’afin de prolonger la guerre.
LOUIS combat pour l’étouffer,
40 Et rendre le calme à la terre.

Bellone.

Vous resistez en vain, tremblez, fiers Ennemis,
Au grand Roy que je sers, je vous rendray soûmis. {p. 6}
Chez vous plus que jamais, par l’effroy de ses armes,
Je porteray les plus rudes allarmes :
45 Et mille triomphes divers,  
Feront de son grand Nom retentir l’Univers.

Chœur.

Par mille triomphes divers,
Faisons de son grand Nom retentir l’Univers.

La Gloire.

Pour seconder vos soins*, laissez faire la Gloire,
50 Ce Heros me cherit, & je l’aimay toujours.
On verra durer nos amours,
Quand même il n’aura plus besoin de la Victoire.
Non, non, ses ennemis jaloux,
Ne pourront jamais rien, contre des nœuds* si doux.

Chœur.

55 Non, non, ses ennemis jaloux,
Ne pourront jamais rien, contre des nœuds* si doux.

La Victoire.

Le bruit des tambours, des trompettes,
Ne viendra plus troubler vos jeux,
Bergers, reprenez vos musettes,
60 Chantez l’amour, chantez ses feux*,
La guerre & ses dangers affreux,
N’approchent point de vos douces retraittes : {p. 7}
Le plus grand des Heros, vous y fait vivre heureux.
Il vaincra tant de fois, sur la terre & sur l’onde,
65 Que ses Ennemis terrassez,
Malgré tous leurs projets, seront enfin forcez
De souffrir* le repos* qu’il veut donner au monde.

Chœur.

Il vaincra tant de fois, sur la terre & sur l’onde,
Que ses Ennemis terrassez,
70 Malgré tous leurs projets, seront enfin forcez 
De souffrir* le repos* qu’il veut donner au monde.

UN BERGER.

Dans le bel âge,
Si l’on n’est volage,
Les tendres cœurs
75 Goûtent peu de douceurs.
L’ardeur* d’une flâme constante
Est bien-tost languissante,
Veut-on d’agreables amours ?
Il faut changer toujours.
80 Dans le bel âge,
Si l’on n’est volage,
Les tendres cœurs
Goûtent peu de douceurs.

DEUX BERGERES.

Voir nos moutons dans la verte prairie,
85 Bondir sur l’herbette fleurie,  
Sans craindre la fureur des loups, {p. 8}
C’est pour nous un plaisir extrême ;
Mais voir souvent ce que l’on aime,
C’est encore un plaisir plus doux.

LE CHŒUR.

90 Le bruit des tambours, des trompettes,
Ne viendra plus troubler nos jeux.
Prenons nos pipeaux, nos musettes,
Chantons l’amour, chantons ses feux* ;
La guerre & ses dangers affreux,
95 N’approchent point de nos douces retraittes,
Le plus grand des Heros, nous y fait vivre heureux.
Il vaincra tant de fois, sur la terre & sur l’onde,
Que ses Ennemis terrassez,
Malgré tous leurs projets, seront enfin forcez
100 De souffrir* le repos* qu’il veut donner au monde.
Aprés le Chœur, le Palais s’en retourne d’où il est venu ; le tourbillon se renferme & remonte au Ciel.

Fin du Prologue.

{p. 9;B}

Acteurs de la
tragédie. §

  • CREON, Roy de Corinthe.
  • CREUSE, Fille de Creon.
  • MEDEE, Princesse de Colchos.
  • JASON, Prince de Thessalie.
  • ORONTE, Prince d’Argos.
  • ARCAS, Confident de Jason.
  • NERINE, Confidente de Medée.
  • CLEONE, Confidente de Créüse.
  • Troupe de Corinthiens.
  • Troupe d’Argiens. {p. 10}
  • Un petit Argien, déguisé en Amour.
  • Troupe de Captifs de l’Amour.
  • Troupe de Demons.
  • [Phantomes]

Medée, {p. 11}tragedie.

Acte premier. §

Le Theatre represente une Place publique, ornée d’un Arc de Triomphe, de Statuës, & de Trophées sur des pied-destaux.

Scène première. §

Medée, Nerine.

Medée.

Pour flater mes ennuis*, que ne puis-je te croire !
Tout le voudroit, mon repos* & ma gloire* ;
Mais en vain à douter je trouve des appas*, {p. 12}
Jason est un ingrat, Jason est un parjure ;
5 L’amour que j’ay pour luy, me le dit, m’en asseure,
Et l’Amour ne se trompe pas.

Nerine.

Un mouvement* jaloux vous le peint infidelle,
Mais d’injustes soupçons troublent vostre repos ;
Créüse est destinée au souverain d’Argos.
10 Sur quel espoir Jason brûleroit-il* pour elle ?

Medée.

Je sçay qu’Oronte est prest d’arriver en ces lieux ;
Il vient remply d’un espoir glorieux :
Mais à le recevoir si Corinthe s’appreste,
Ce n’est point son hymen* qui le fait souhaiter.
15 Il s’éleve contr’elle une affreuse tempeste,
Son secours la peut écarter.

Nerine.

Acaste* contre vous arme la Thessalie.
La cruelle mort de Pelie*
Vous rend l’objet de sa fureur.
20 Si Creon ne vous abandonne,
De la guerre en ces lieux il va porter l’horreur ;
Et lorsqu’en ce peril, comme l’amour l’ordonne,
Jason veut de Créüse aquerir la faveur,
Faut-il que ce soins* vous étonne ?

Medée.

{p. 13}
25 Qu’il soit abandonné de Créüse & du Roy,
S’il luy faut un appuy, ne l’a-t-il pas en moy ?
Quand de Colchos il prit la fuite,
Maître de la riche Toison,
Mon pere eut beau s’armer contre ma trahison,
30 Quel fut l’effet de sa poursuite ?

Nerine.

Quoy, vous resoudre à fuir toujours ?

Medée.

La fuite, l’exil, la mort même,
Tout est doux avec ce qu’on aime.

Nerine.

Jason pour vos enfants cherche icy du secours.

Medée.

35 Qu’il le cherche, mais qu’il me craigne.
Un dragon assoupy, de fiers* taureaux domptez,
Ont à ses yeux suivy mes volontez.
S’il me vole son cœur, si la Princesse y regne,
De plus grands efforts feront voir,
40 Ce qu’est Medée & son pouvoir.

Nerine.

Forcez vos ennuis* au silence,
Un couroux* violent ne doit jamais parler.
On perd la plus seure vengeance
Si l’on ne sçait dissimuler. {p. 14}

Medée & Nerine.

45 Forçons nos / forcez vos ennuis* au silence,
Un couroux* violent ne doit jamais parler.
On perd la plus seure vangeance
Si l’on ne sçait dissimuler.

Scene seconde. §

Medée, Jason, Nerine, Arcas.

Medee.

D’où vous vient cét air sombre, & qu’allez-vous m’apprendre ?
50 Creon nous voudroit-il bannir de ses Estats ?

Jason.

Creon redoute Acaste, & ne s’explique pas ;
Mais contre nous quoy qu’on puisse entreprendre,
Du moins pour nos enfans j’ay sçeu fléchir les Dieux.
S’il faut d’un fier destin suivre la loy* cruelle,
55 Ils trouveront un azyle en ces lieux ;
La Princesse les doit retenir auprés d’elle.

Medée.

{p. 15}
C’est estre genereuse.

Jason.

Elle me laisse voir
Que nous pouvons esperer d’avantage.
Sur son pere elle a tout pouvoir
60 Et j’attens tout du zele où sa bonté l’engage.

Medée.

L’ardeur* que vous montrez à luy faire la Cour…

Jason.

Ignorez-vous d’un pere où va le tendre amour ?

Medée.

Pour nous la rendre favorable,
Vos soins* trop assidus devroient vous alarmer.
65 Une douce habitude est facile à former ;
Et voir souvent ce qui paroît aimable,
C’est flater le penchant qui nous porte à l’aimer.

Jason.

Quoy vous me soupçonnez ?

Medée.

Jason doit me connaistre ;
Il me coûte assez cher pour ne le perdre pas.

Jason.

{p. 16}
70 Ah ! que me dites-vous ?

Medée

Ce que je crains.

Jason.

Helas !
Que ne puis-je faire paroître
Ce que mon cœur pour vous sera jusqu’au trépas !

Medée & Jason.

Que de tristes soucis*, malgré ses doux appas*,
Dans un cœur bien touché l’injuste amour fait naistre !

Medée.

75 De trop cuisants remords accablent les ingrats ;
Jason ne le voudra pas estre.

Jason.

Quittez ces détours superflus.
Pour m’asseurer du Roy, je voyois la Princesse.
Mais si c’est un soin* qui vous blesse,
80 Parlez, je ne la verray plus.

Medée.

Non, Jason, cherchez à luy plaire.
Dans les rigueurs d’un sort trop inhumain {p. 17;C}
Son secours nous est necessaire.

Jason.

Pour nous le rendre plus certain,
85 Diray-je ce qu’il faudroit faire ?
Cette robe superbe où par tout nous voyons,
Du Soleil vostre Ayeul éclater les rayons,
Par son brillant a touché son envie*,
Ses yeux m’en ont paru surpris.
90 Nous verrions sa faveur* d’un prompt effet suivie,
Si de ses soins* vous en faisiez le prix*.

Medée.

Vous le voulez, je la donne sans peine ;
Mais du ciel irrité quel que soit le couroux*,
Songez que si je puis me repondre de vous,
95 Je n’ay point à craindre sa haine.

Scene troisième. §

Jason, Arcas.

Jason.

Que je serois heureux, si j’étais moins aimé !
Medée avec ardeur* dans mon sort s’interesse,
Je luy dois toute ma tendresse* ;    
D’une autre cependant je me trouve charmé ; {p. 18}
100 Et malgré moy j’adore la Princesse.
Que je serois heureux, si j’étois moins aimé !

Arcas.

Si vous l’abandonnez, songez-vous à la rage
Où la mettra son desespoir ?

Jason.

Je sçay la grandeur de l’outrage,
105 Je manque à la foy qui m’engage,
Et vois tout ce que je dois voir ;
Mais un fier ascendant asservit mon courage.
En vain je cherche à n’y point consentir ;
Des grandes passions c’est le sort qui décide.
110 Je rougis, je me hais d’estre ingrat & perfide,
Et je ne puis m’en garantir.

Arcas.

Dans ce que peut Medée, oseray-je vous dire
Que vous ne sçauriez trop redouter son couroux* ?
Si sur vostre ame encor la gloire* a quelque empire,
115 Voyez ce qu’elle veut de vous.

Jason.

Que me peut demander la Gloire,
Quand l’Amour s’est rendu le maistre de mon cœur ?
Dans le triste combat, où si j’ose la croire,
L’avantage cruel de demeurer vainqueur,
120 Doit me coûter tout mon bon-heur,
Que peut me demander la Gloire ? {p. 19}
Si je traite Medée avec trop de rigueur,
Un objet tout charmant trouve de la douceur
A me ceder une illustre victoire :
125 Je touche au doux moment d’en estre possesseur.
Sermens de ma premiere ardeur*,
Devoirs que je trahis, sortez de ma memoire,
Et ne m’opposez plus vos chimeres d’honneur :
Que me peut demander la Gloire,
130 Quand l’Amour s’est rendu le maître de mon cœur ?

Chœur de Corinthiens qu’on ne voit pas.

Disparoissez, inquietes alarmes* ;
Vaines terreurs, fuyez, éloignez-vous.
Le secours d’un Heros vient se joindre à nos armes,
Nos plus fiers* ennemis trembleront devant nous.
135 Disparoissez, inquietes alarmes*,
Vaines terreurs, fuyez, éloignez-vous.

Scene quatrième. §

Creon, Jason, Arcas. Suite de Creon.

Creon.

L’allegresse en ces lieux, ne peut estre plus grande…
Mon peuple voit Oronte, & son secours promis
Doit étonner* nos ennemis. {p. 20}
140 Rendons luy les honneurs que son rang nous demande.

Scene cinquième. §

Creon, Jason, Oronte. Suite de Creon & d’Oronte.

Oronte.

Seigneur, la Thessalie attaquant vos Estats,
Pour vous de mon secours je craindrois la foiblesse*,
Si ma seule valeur répondoit de mon bras ;
Mais quand pour meriter les vœux de la Princesse,
145 L’honneur de la servir m’attire en vostre Cour,
J’ose tout esperer de l’ardeur* qui me presse.
Que ne peut point un cœur animé par l’amour ?

Creon.

Prince, je sçay que l’Amour a des charmes,
Qui font les soins* des jeunes cœurs ;
150 Mais la guerre aujourd’huy, par ses tristes alarmes,
En doit suspendre les douceurs.
Vous brûlez* pour ma fille, avant qu’elle se donne,
Il faut affermir ma couronne : {p. 21}
Jason la soutiendra, si vous le secondez.

Oronte.

155 Aprés l’heureux succez de la Toison conquise,
Sa valeur dans cette entreprise*,
Asseure les exploits que vous en attendez.

Jason.

Les vostres sont certains, un grand prix vous anime,
Et rien n’est impossible à qui peut l’aquerir.

Creon.

160 Voyez nos peuples accourir,
Et souffrez que leur joye auprés de vous s’exprime.

Scene sixième. §

{p. 22}
Creon, Jason, Oronte. Troupe de Corinthiens & d’Argiens.

Un corinthien, à Oronte.

Courez aux champs de Mars, volez, jeune Heros.
Ouvrez-nous le chemin qui conduit à la gloire*.
Nos cœurs ont trop languy dans le sein du repos* :
165 Pour nous mener à la victoire,
Courez aux champs de Mars, volez, jeune Heros.

Chœur de Corinthiens.

Courez aux champs de Mars, volez, jeune Heros.
Ouvrez-nous le chemin qui conduit à la gloire*.
Nos cœurs ont trop languy dans le sein du répos* :
170 Pour nous mener à la Victoire,
Courez aux champs de Mars, volez, jeune Heros.

Oronte.

Courons, volons, d’un courage intrepide,
Sur la foy de l’amour, affrontons les hazards :
Ce Dieu peut tout ; puisqu’il nous sert de guide,
175 La Victoire en tous lieux suivra mes étendards. {p. 23}
Les Corinthiens font un essay de Lutte. Les Argiens font une danse galante.

Un Corinthien & un Argien.

Quel bonheur suit la tendresse* !
Heureux l’amant qui l’obtient.
Quelque desir qui le presse,
Dans l’espoir qu’il entretient ;
180 L’amour n’a point de foiblesse*,
Quand la gloire* le soutient.
C’est un charmant avantage,
Que l’heureux nom de vainqueur ;
Mais le plus noble courage,
185 N’en goûte bien la douceur,
Que lorsque l’amour l’engage,
A la conqueste d’un cœur.

Chœur de Corinthiens & d’Argiens.

Que d’épais bataillons, sur nos rives descendent.
A nos vaillans efforts il faudra qu’ils se rendent.
190 Unissons-nous en ce grand jour,
La gloire* & l’amour le demandent.
Unissons-nous en ce grand jour,
Nous ferons triompher & la gloire*& l’amour.

Fin du premier Acte.

Acte second. §

{p. 24}
Le Theatre represente un Vestibule, orné d’un grand Portique.

Scene premiere. §

Creon, Medée, Nerine.

Creon.

Il est temps de parler sans feindre.
195 Acaste vous poursuit, vous n’avez rien à craindre ;
Sur quelqu’espoir qu’il forme ses desseins,
Tombe sur Corinthe la foudre,
Plûtost qu’on puisse me résoudre,
A vous livrer entre ses mains. {p. 25;D}

Medée.

200 Seigneur, une bonté si grande,
Marque le cœur d’un veritable Roy.

Creon.

Lorsque pour vous je fais ce que je doy,
A vostre tour, la justice demande
Que vous fassiez quelque chose pour moy.
205 A vous voir dans ma Cour, mon peuple s’inquiete,
Il craint ce qu’avec vous vous traînez de malheurs,
Et que ma complaisance à vous donner retraite
Ne luy soit un sujet de pleurs.
Pour le guerir de ses alarmes,
210 Allez attendre en d’autres lieux,
Pendant le tumulte des armes,
Ce que de nos destins ordonneront les Dieux.
A vos enfans je veux servir de pere ;
Pour eux, puisque je l’ay promis,
215 Je combatray vos ennemis,
C’est plus que je ne devrois faire.

Medée.

Sans m’étonner* j’écoûte mon arrest.
Quels que soient les ennuis* où mon destin me livre,
Jason à partir est-il prest ?
220 Je fais tout mon bonheur du plaisir de le suivre.

Creon.

Pour ne vous pas livrer, j’expose mes Estats
Aux malheurs que la guerre attire, {p. 26}
Et pour deffendre cet empire,
Jason voudroit nous refuser son bras ?
225 Me ravir ce Heros, c’est m’ôter la Victoire.

Medée.

Me separer de luy, c’est me priver du jour.

Creon.

S’il m’ose abandonner, que deviendra sa gloire* ?

Medée.

S’il m’ose abandonner, que devient son amour ?

Creon & Medée, ensemble.

S’il m’ose abandonner, // que deviendra sa gloire* / que devient son amour // ?

Creon.

230 Par une lâcheté, voulez-vous qu’il ternisse
L’éclat des grands exploits, qui le font redouter ?

Medée.

Ses exploits sont fameux, mais rendez-moy justice [;]
Si malgré les perils qu’il falloit surmonter,
La Toison emportée a fait voir son courage,
235 A qui doit-il cét avantage ?

Creon.

Je veux que ce qui rend son nom si glorieux,
De vos enchantements soit l’effet admirable ;
Ignorez-vous qu’un murmure odieux
Vous fait par tout croire coupable ? {p. 27}

Medée.

240 Doit-on m’imputer des forfaits,
Sans voir* pour qui je les ay faits ?
Vos reproches, Seigneur, ne sont pas legitimes.
Si pour Jason je me suis tout permis,
Puisque luy seul a joüy de mes crimes,
245 C’est luy seul qui les a commis.

Creon.

En vain sur ce Heros vous rejettez la haine
Qui ne doit tomber que sur vous.
Du pouvoir de vostre art peut-estre est-on jaloux,
Mais enfin mes sujets vous souffrent* avec peine.
250 Pressé par eux, pour sortir de ma Cour,
Je ne puis vous donner que le reste du jour.

Medée.

Ay-je donc merité cette rigueur extrême ?
On me chasse, on m’exile, on m’arrache à moy-même.

Creon.

Faisons taire les mécontens.
255 Quand on entend gronder l’orage,
C’est être sage
Que de céder au temps ;
Faisons taire les mécontens.

Scène seconde. §

{p. 28}
Creon, Medée, Créüse, Cléone.

Medée.

Princesse, c’est sur vous que mon espoir se fonde.
260 Le destin de Medée est d’estre vagabonde.
Preste à m’éloigner de ces lieux,
Je laisse entre vos mains ce que j’aime le mieux.
Je sçay qu’une pitié sincere
Pour mes enfans a touché vostre cœur ;
265 Prenez en quelque soin, & souffrez qu’une mere
Au moins dans son exil goute cette douceur.
Ce sera pour mes vœux une grande victoire,
Si dans mon triste sort le Ciel leur fait raison.
Je ne vous dis rien pour Jason,
270 Jason aura soin de sa gloire*.

Scène troisième. §

Creon, Créüse, Cléone.

Créon.

Enfin à ton amour tout espoir est permis,
Ta rivale à partir s’appreste ;
Et puisque tes appas* tiennent Jason soûmis, {p. 29}
Tu peux conserver ta conqueste.

Créüse.

275 Seigneur, souvenez-vous que c’est par vostre aveu*
Que Jason dans mon ame alluma ce beau feu*.
L’amour sur tous les cœurs remporte la victoire,
La plus fiere à son tour reconnoît son pouvoir ;
Mais il n’est doux que quand la gloire*,
280 Pour le faire éclater, suit les loix du devoir.

Créon.

D’Oronte par ce choix je trompe l’esperance ;
Mais l’hymen* de Jason t’arrête en mes Estats.
Au plus grand des Heros j’en remets la deffense,
Et preferant son alliance,
285 Je te donne, & ne te perds pas.

Scène quatrième. §

Creon, Jason, Créüse, Cléone.

Créon.

Prince, venez apprendre une heureuse nouvelle.
Medée est preste à nous quitter,
Et veut bien qu’en ces lieux vous demeuriez sans elle,
Tant que nos ennemis seront à redouter.
290 Comme dans vos adieux il faudra de l’adresse {p. 30}
A luy cacher sous quel espoir
Pour l’éloigner j’use de mon pouvoir,
Prenez avis de la Princesse.

Scène cinquième. §

Jason, Créüse, Cléone.

Jason.

Qu’ay-je à resoudre encor ? il faut vivre pour vous.
295 Est-il un plus grand avantage
Que de borner mes souhaits les plus doux
A rendre à vos beautez un éternel hommage ?
Plus je vous voy, plus je me sens charmé :
A mon amour mon cœur ne peut suffire.
300 Quand on aime ardemment, quel plaisir d’estre aimé.
Quel triomphe de l’oser dire !

Créüse.

Pour regner par tout à son choix,
L’imperieux Amour ne respecte personne.

Jason.

Il faut faire ce qu’il ordonne,
305 Le vray bonheur est de suivre ses loix. {p. 31}

Créüse.

Avant que de vous voir mon cœur estoit tranquile,
Et quand vous en troublez la paix,
Je sens qu’à mon bonheur la perte en est utile.
Vous, où j’ay tant trouvé de sensibles attraits,
310 Doux repos*, quittez-moy, ne revenez jamais.

Jason.

De la tranquilité doit-on se mettre en peine,
Quand on sent un trouble si doux ?

Créüse.

J’en joüirois encor sans vous.

Jason.

Contre l’amour la resistance est vaine.
315 Goûtons l’heureux plaisir de perdre cette paix.

Créüse.

Doux repos*, quittez-moy, ne revenez jamais.

Jason & Créüse.

Goûtons l’heureux plaisir de perdre cette paix.
Doux repos*, quittez-nous, ne revenez jamais.

Créüse.

Medée eut sur vostre ame un souverain empire,
320 L’amour luy soumettoit toutes vos volontez ;
Pour rallumer vos feux* la pitié peut suffire.
Quel desespoir si vous la regrettez !

Jason.

Oronte vous adore, il viendra vous le dire. {p. 32}
L’amour tiendra sur vous ses regards arrestez ;
325 Ses soupirs vous pourront parler de son martyre.
Quel desespoir si vous les écoutez !

Créüse.

Quand son amour serait extrême
Vous n’avez rien à redouter.
Dans le temps mesme
330 Que je paroistray l’écouter,
Quand son amour seroit extrême
Vous n’avez rien à redouter :
Mes yeux vous diront, je vous aime.

Jason.

Ah, pour le prix de mes tendres soupirs
335 Ne vous lassez point de le dire ;
De l’amour à nos cœurs faisons suivre l’empire :
Le plaisir d’estre aimé passe tous les plaisirs.

Jason & Créüse.

De l’amour à nos cœurs, faisons suivre l’empire :
Le plaisir d’estre aimé passe tous les plaisirs.

Scène sixième. §

{p. 33; E}
Oronte, Créüse, Jason, Cléone.

Oronte.

340 Puisqu’un fier* ennemy par le bruit de ses armes,
Suspend le succés de mes feux*,
Du moins, belle Princesse, agréez qu’à vos charmes,
J’offre l’hommage de mes vœux.
Dans le doux espoir qui me flate,
345 Mon amour ne peut plus se tenir renfermé ;
Il faut enfin que cet amour éclate
Aux yeux qui m’ont charmé.

Créüse.

Mon cœur qui s’applaudit d’une illustre victoire,
Aime dans son penchant à trouver son devoir ;
350 L’hommage d’un Heros que couronne la gloire*
Est toujours doux à recevoir.

Oronte.

Ne le differons plus, ce tendre & pur hommage
Qui vous repondra de ma foy ;
Et qu’icy mille voix par un doux assemblage,
355 De mon amour vous parlent avec moy.

Scene septième. §

{p. 34}
Un petit Argien representant l’Amour, paroist dans un char traisné par des captifs de differentes nations & de tout sexe.
Créüse, Jason, Oronte, Cléone.

Chœur des Captifs d’Amour.

Qu’elle est charmante, qu’elle est belle !
Ah, qu’il est doux de soupirer pour elle !

Un captif.

Venir l’adorer en ces lieux,
Est un destin bien glorieux ;
360 Mais si la douceur de ses yeux
Doit tromper une ardeur* si belle,
Ah, quel malheur pour un amant fidelle !

Chœur.

Ah, quel malheur pour un amant fidelle !

Le captif.

Une rigoureuse fierté
365 Sieroit mal à tant de beauté,
L’amour par tout si rédouté {p. 35}
L’empeschera d’estre crüelle ;
Ah, quel bonheur pour un amant fidelle !

Chœur.

Ah, quel bonheur pour un amant fidelle !

L’amour à Créüse.

370 Regnez ; l’Amour à vos loix
Vient soumettre son empire,
Chacun à vous plaire aspire ;
Voulez-vous faire un beau choix ?
Vous n’avez qu’à dire.
375 Tous mes traits sont doux,
C’est par eux qu’on ayme,
Mon Arc est à vous,
Lancez les vous-même.
L’Amour offre son Arc à Créüse, qui refuse de le prendre.
Vous me resistez,
380 J’ay lieu de m’en plaindre.
Montez dans mon char, montez,
Un Enfant n’est pas à craindre.

Créüse.

Quoy qu’il soit dangereux d’obéir à l’Amour,
Le moyen de s’en deffendre ? {p. 36}
Créüse monte sur le Char de l’Amour. Jason & Oronte se placent à ses côtez.

L’AMOUR.

385 Tendres Captifs, faites luy vostre cour,
Et que chacun de vous s’applique tour à tour
A l’hommage qu’il faut luy rendre.
Tendres captifs, faites luy vostre cour.

Une captive.

Chi teme d’amore
390 Ilgrato martire,
O non vuol gioire,
O cuore non hà.
Son gusti idolori,
Le spine son fiori
395 Ch’Amore ne dà ;
Ma solo penando
Ardendo, e sperando,
Un’alma legata
Fra ceppi beata,
400 Per prova lo sà.
Chi teme d’amore
Ilgrato martire,
O non vuol gioire,
O cuore non hà.

Chœur.

405 Son gusti i dolori
Le spine son fiori {p. 37}
Ch’amore non dà.
Ma solo penando,
Ardendo, e sperando,
410 Un’alma legata
Fra ceppi beata,
Per prova lo sà.

La Captive.

Chi teme d’amore
Ilgrato martire,
415 O non vuol gioire,
O cuore non hà.

Chœur.

O non vuol gioire,
O cuore non hà.

Trois autres Captifs.

D’un amant qui veut plaire
420 L’hommage est sincere,
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est constant.

Chœur.

D’un amant qui veut plaire
L’hommage est sincere,
425 D’un amant qui veut plaire
L’hommage est constant.

Les trois captifs.

{p. 38}
Aimer & l’oser dire,
C’est ce qu’il desire ;
Aimer & l’oser dire,
430 C’est ce qu’il prétend.

Chœur.

D’un amant qui veut plaire
L’hommage est sincere,
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est constant.

Les trois captifs.

435 Amans, portez vos chaînes
D’un esprit content.

Chœur.

L’amour a pour vos peines
Un prix* éclatant.

Les trois captifs.

D’un amant qui veut plaire
440 L’hommage est sincere,
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est constant.

Chœur.

D’un amant qui veut plaire
L’hommage est sincere, {p. 39}
445 D’un amant qui veut plaire
L’hommage est constant.

L’amour à Créüse après qu’elle est descenduë du char.

Vous voyez à quoy j’aspire.
Pour faire un heureux vainqueur,
Je compte sur vostre cœur.
450 Oserez-vous m’en dedire ?

Oronte.

Parlez, belle Princesse, il s’agit en ce jour
D’avoir le cœur sincere & d’aimer qui vous aime.

Jason.

L’amour sur ce qu’il veut s’est expliqué luy-même,
Vous devez contenter l’amour.

Créüse.

455 En vain l’amour me sollicite.
Qu’un amant se fasse estimer
Par tout ce que la gloire* ajoûte au vray merite,
Il est seur de se faire aimer.

Chœur.

Ton triomphe est certain, victoire, Amour, victoire.
460 L’amant que tu veux rendre heureux, {p. 40}
Est seur de l’estre par la gloire* ;
La gloire* est l’objet de ses vœux.
Ton triomphe est certain, victoire, Amour, victoire.

Fin du second Acte.

{p. 41; F}

Acte III. §

Le Theatre represente un lieu destiné aux Evocations de Medée.

Scène première. §

Oronte, Medée.

Oronte.

L’Orage est violent, il a deû vous surprendre ;
465 Mais sans vous alarmer laissez gronder les flots.
Je viens vous offrir dans Argos    
Un peuple armé pour vous deffendre. {p. 42}

Medée.

Si par l’exil que m’impose le Roy
Corinthe s’affranchit des fureurs de la guerre,
470 Pourquoy charger une autre terre
Des maux que je traîne avec moy ?
Acaste veut que je perisse ;
Et lors que pour ma perte il arme son couroux*,
Je croirais faire une injustice
475 De l’étendre sur vous.

Oronte.

Le fier appareil* de ses armes
Me cause de foibles alarmes.
Pour les attirer contre moy,
Dans la vive ardeur* qui me presse,
480 Que Jason obtienne du Roy,
Que par l’hymen* de la Princesse
Demain il couronne ma foy.
Alors dans mes Estats Jason pourra vous suivre,
Et si vos Ennemis veulent vous désunir,
485 Vous me verrez cesser de vivre,
Si je differe à les punir.

Medée.

Vous ignorez ce qui se passe.
Il faut vous découvrir par quelle trahison
On veut m’éloigner de Jason ; {p. 43}
490 Il faut vous faire voir jusqu’où va ma disgrace.
Tremblez, Prince ; mes maux enfin trop confirmez
En m’accablant retombent sur vous mesme.
Jason me trahit, Jason aime,
Et peut-estre est aimé de ce que vous aimez.

Oronte.

495 Ciel, que me dites-vous ! je perdrois la Princesse !
Au mépris de mes vœux elle aimeroit Jason ?

Medée.

N’en doutez pas, ma presence les blesse,
Je fais obstacle à leur tendresse*,
C’est là de mon exil la pressante raison.

Oronte.

500 En vain je voudrois me le taire.
On vous bannit, mon hymen* se differe.
J’ouvre les yeux sur mon malheur.
Tout me le dit, j’en voy la certitude.
Qui l’aurait cru, que tant d’ingratitude
505 Deust payer le beau feu* qui regne dans mon cœur ?

Oronte & Médée.

Qui l’auroit crû, que tant d’ingratitude
Deust payer le beau feu* qui regne dans mon cœur ?

Medée.

Souffrirez-vous qu’on vous enleve
Ce cher objet de vos desirs ?

Oronte.

{p. 44}
510 Si cette trahison vous coûte des soupirs,
Souffrirez-vous qu’elle s’acheve ?

Medée.

Quel plus sensible coup pouvois-je recevoir !

Tous deux.

Non, dans un cœur, quand l’amour est extrême,
Rien n’approche du desespoir
515 D’estre trahy par ce qu’on aime.
Unissons nos ressentimens
Contre ces perfides Amans.
Que Jason à mes // fœux prefere / vœux ravisse // la Princesse !
Son crime ne peut s’égaler.

Medée.

520 Il vient ; mon cœur s’émeut & reprend sa tendresse*.
Elle en triomphera, laissez-moy luy parler.

Scene seconde. §

Medée, Jason.

Medée.

Vous sçavez l’exil qu’on m’ordonne.
Venez-vous me dire en quels lieux,
Lors que tout icy m’abandonne, {p. 45}
525 Je dois fuir le couroux* des Dieux.
En vain j’iray par tout, dans l’excez de ma peine,
De cet injuste arrest leur demander raison ;
Les crimes que j’ay faits pour trop aimer Jason,
De l’Univers entier m’ont attiré la haine.
530 La Thessalie* arme contre mes jours,
Colchos a resolu mon trop juste supplice ;
Le seul Jason me restoit pour secours,
Et ce Jason si cher permet qu’on me bannisse.

Jason.

N’appellez point exil, un triste eloignement
535 Que l’honneur à souffrir m’engage.
J’en ressens le coup en amant,
J’en gemis, je m’en fais un rigoureux tourment,
Mais je ne puis rien davantage.
Voulez-vous que je quitte un Roy,
540 Qui pour épargner vostre teste,
Attend sans s’ébranler, l’éclat de la tempeste
Qui remplit son peuple d’effroy ?
Voyons finir la guerre, & le coup* qui vous blesse
Pour un temp seulement nous aura separez.

Medée.

545 Helas ! pendant ce temps, je connois ma foiblesse,
Quels ennuis* vous me coûterez !
Je tâche à vaincre les alarmes
Que me cause un soupçon jaloux ;
Mais enfin malgré moy je sens couler mes larmes, {p. 46}
550 Ingrat, m’abandonnerez-vous ?

Jason.

S’il faut de tout mon sang racheter vostre vie,
Je suis tout prest à le donner.
Partager les malheurs dont elle est poursuivie,
Est-ce là vous abandonner ?

Medée.

555 Rien ne m’est plus doux que de croire
Tout l’amour que vous me jurez ;
Il fait mon bonheur & ma gloire*,
Mais je parts, & vous demeurez.

Jason.

Je demeure, il est vray, mais quand on nous separe
560 Vous n’avez rien à redouter ;
Partez, les vains efforts que l’Ennemi prepare
Ne pourront long-temps m’arrester.

Medée.

Il faut donc me résoudre à ce depart funeste*.
Soûtenez une guerre oû vous serez vainqueur ;
565 Mais conservez-moy vostre cœur,
C’est l’unique bien qui me reste.
Je ne m’en répens point ; pour m’attacher à vous
J’ay quitté mon pays, abandonné mon Pere ;
On m’exile ; & l’exil ne peut m’estre que doux,
570 S’il asseure à Jason la gloire* qu’il espere. {p. 47}

Jason.

Ah, c’est m’en dire trop ! cessez de m’attendrir ;
Je ne me connois plus dans ce trouble terrible.

Medée.

J’y consens, je veux bien estre seule à souffrir,
Un Heros ne doit pas avoir l’ame sensible.

Jason.

575 Je vous l’ay déja dit, je sens tous vos malheurs.
Ce qu’a fait vostre amour gravé dans ma memoire…
Adieu, je ne puis plus soutenir vos douleurs,
Et je dois me cacher vos pleurs,
Si je veux en sauver ma gloire*.

Scene troisieme. §

Medée, seule.

580 Quel prix de mon amour ! quel fruit de mes forfaits !
Il craint des pleurs qu’il m’oblige à répendre ;
Insensible au feu* le plus tendre
Dont un cœur ait brûlé* jamais,
Quand mes soupirs peuvent suspendre
585 L’injustice de ses projets ; {p. 48}
Il fuit pour ne les pas entendre.
Quel prix de mon amour ! quel fruit de mes forfaits !
J’ay forcé devant luy cent Monstres à se rendre.
Dans mon cœur où regnoit une tranquille paix,
590 Toujours promte à tout entreprendre,
J’ay sceu de la nature effacer tous les traits.
Les mouvements* du sang ont voulu me surprendre,
J’ay fait gloire de m’en deffendre,
Et l’oubly des serments que cent fois il m’a faits,
595 L’engagement nouveau que l’amour luy fait prendre,
L’éloignement, l’exil, sont les tristes effets
De l’hommage eternel que j’en devois attendre ?
Quel prix de mon amour ! quel fruit de mes forfaits !

Scene quatrième. §

Medée, Nérine.

Medée.

Croiras-tu mon malheur ? Jason, Jason luy-mesme,
600 L’infidelle Jason me presse de partir.

Nérine.

Ah, gardez-vous d’y consentir.
Arcas sçait son secret, il m’aime, {p. 49; G}
Et de sa perfidie il vient de m’avertir.
Son hymen* avec la Princesse
605 Par le Roy mesme est arrêté,
Et vostre éxil n’est qu’une adresse
Pour mettre contre vous ses jours en seureté.

Medée.

Dieux, témoins de la foy* que l’ingrat m’a donnée,
Soufrirez-vous cet hymenée ?
610 C’en est fait, on m’y force, il faut briser les nœuds*
Qui m’attachent à ce perfide.
Puisque mon desespoir n’a rien qui l’intimide,
Voyons quel doux succés suivra ses nouveaux feux*.
Pour qui cherche ma mort je puis estre barbare,
615 La vengeance doit seule occuper tous mes soins* ;
Faisons tomber sur luy les maux qu’il me prepare,
Et que le crime nous separe,
Comme le crime nous a joints.

Nerine.

Avant que d’éclater, rappelez dans son ame
620 Le souvenir de sa premiere flame.

Medée.

Malgré sa noire trahison,
Je sens que ma tendresse* est toujours la plus forte ;
Mais Corinthe, le Roy, la Princesse, Jason,
Tout doit trembler si je m’emporte.
625 N’en deliberons plus. Vous qui m’obeissez,
Esprits à me plaire empressez, {p. 50}
Volez, apportez-moy cette robe fatale
Que je destine à ma rivale.
Il paroît icy des Esprits en l’air qui disparoissent aussi-tôt.
Des poisons que j’y vais verser
630 Je suspendray la violence,
Et je ne les feray servir à ma vangeance
Que quand je m’y verray forcer.

Nerine.

De la pitié vous pourrez-vous deffendre ?
En punissant Jason craignez de vous punir.

Medée.

635 Retire-toy, tes yeux ne pourroient soûtenir
L’horreur qu’icy je vais répandre :

Scène cinquième. §

Medée.

Noires filles du Stix*, Divinitez terribles,
Quittez vos affreuses prisons.
Venez mesler à mes poisons
640 La devorante ardeur* de vos feux* invisibles.
Il paroît tout à coup une Troupe de Demons.

Chœur de Demons.

{p. 52}
L’Enfer obéït à ta voix,
Commande, il va suivre tes loix.

Medée.

Punissons d’un ingrat la perfidie extrême.
Qu’il souffre*, s’il se peut, cent tourmens à la fois,
645 En voyant souffrir ce qu’il aime.

Chœur.

L’Enfer obéit à ta voix,
Commande, il va suivre tes loix.
Les Demons Aëriens apportent la Robe.

Medée.

Je voy le don fatal qu’exige ma rivale.
Pour le rendre funeste*, il est temps, faisons choix
650 Des sucs les plus mortels de la rive infernale.

Chœur de démons.

L’Enfer obéit à ta voix,
Commande, il va suivre tes loix.
Les Demons apportent une Chaudiere infernale, dans laquelle ils jettent les herbes qui doivent composer le poison, dont Medée a besoin pour empoisonner la robe.

Medée.

Dieu du Cocyte* & des royaumes sombres,
Roy des pasles Ombres,
655 Sois attentif à mes enchantements.
Pour m’asseurer qu’Hecate* m’est propice,
Que l’Averne* fremisse,
Et fasse tout trembler par ses mugissements.
On entend un bruit souterrain.
L’Enfer m’a répondu, ma victoire est certaine.
660 Naissez, Monstres, naissez, tous mes charmes sont faits.
Du funeste* poison, par une mort soudaine,
Faites-moy voir les seurs effets.

Chœur.

Naissez, Monstres, naissez, tous les charmes sont faits.
Du funeste* poison, par une mort soudaine,
665 Faites-nous voir les seurs effets.
Pendant ce Chœur les Monstres naissent, & aprés que les Demons ont répandu du poison de la Chaudiere sur eux, ils languissent & meurent.
Tout répond à nostre envie*,
Les Monstres perdent la vie. {p. 53}
Medée prend du poison dans la Chaudiere, & le répand sur la robe.

Choeur.

Non, non, les plus heureux amans,
Aprés une longue esperance,
670 N’ont des plaisirs qu’en apparence.
En voulez-vous de charmans ?
Cherchez-les dans la vengeance.

Medée.

Vous avez servi mon courroux ;
C’est assez retirez-vous.
Medée emporte la robe & les Demons disparoissent.

Fin du troisième Acte.

Acte IV. §

{p. 54}
Le Theatre represente l’avant-cour d’un Palais, & un jardin magnifique dans le fonds.

Scene première. §

Jason, Cleone.

Cleone.

675 Jamais on ne la vit si belle,
Cette Robe superbe augmente ses appas*  ;
Et dans l’éclat qu’elle répand sur elle,
Il faut estre sans yeux pour ne l’admirer pas.

Jason.

A peine dans ses mains cette Robe est remise,
680 Et déja la Princesse a voulu s’en parer !

Cleone.

L’agrément qu’elle en sçait tirer
Vous causera de la surprise.
Elle paroist. Voyez quel air de Majesté
Anime & soutient sa beauté.

Scene seconde. §

{p. 55}
Créüse, Jason, Cleone.

Jason.

685 Ah ! que d’attraits, que de graces nouvelles ?
A voir ce vif éclat que mes yeux sont contents !
Des fleurs que produit le Printemps
Les couleurs ne sont point si belles.
Ah ! que d’attraits, que de graces nouvelles ?

Créüse.

690 Si j’ay quelques appas* assez vifs pour toucher,
S’ils brillent plus qu’à l’ordinaire ;
Cet avantage ne m’est cher,
Que par la gloire* de vous plaire.

Jason.

Quels feux* nouveaux dans mon cœur
695 Cette asseurance fait naistre ?
N’ont-ils point assez d’ardeur* ?
Pourquoy chercher à l’accroistre ?

Créüse.

Si cette ardeur* peut s’augmenter,
Croyez-vous qu’en vouloir borner la violence,
700 Ce ne soit pas une offense
Capable de m’irriter ?
D’un amour qui se menage {p. 56}
Les cœurs tendres sont blessez.
Malgré les vœux empressez
705 Qui m’asseurent vostre hommage,
Pouvant m’aimer davantage,
Vous ne m’aimez pas assez.

Jason.

Non, jamais tant d’ardeur*, jamais flâme si belle
N’embraza le cœur d’un Amant.

Créüse.

710 C’est peu d’y voir un sort charmant,
Cette ardeur* doit estre éternelle.

Jason.

Ah ! j’en fais icy le serment.
Puisse l’Amour dans sa juste colere
Exercer contre moy sa plus grande rigueur,
715 Si jamais il trouve mon cœur
Detaché du soin* de vous plaire.

Jason & Creüse.

Puisse l’Amour dans sa juste colere
Exercer contre moy sa plus grande rigueur,
Si jamais il trouve mon cœur
720 Detaché du soin* de vous plaire.

Créüse.

Je finis à regret un entretien si doux,
Mais le Prince d’Argos s’avance ;
Et son importune presence
Me force à m’éloigner de vous.

Scene troisième. §

{p. 57; H}
Oronte, Jason.

Oronte.

725 Si-tost que je parois, la Princesse vous quitte ;
Mon amour s’en doit alarmer.

Jason.

Cette crainte est injuste ; un éclatant merite
Peut trop sur les grands cœurs pour ne pas l’estimer.

Oronte.

Quand sur un espoir legitime
730 On peut se flatter d’estre heureux,
Pour satisfaire un cœur bien amoureux,
Est-ce assez que de l’estime ?

Jason.

Avec un tel secours, si vos feux* sont constans,
Aimez, on obtient tout du temps.

Oronte.

735 Non, non, dans sa froideur extrême
Je vois le refus de son cœur.
Quelque Rival se cache, elle est aimée, elle aime ; {p. 58}
Je pourray découvrir ce trop heureux Vainqueur,
Et mon bras disputant cette noble victoire,
740 Fera voir qui de nous en merite la gloire*.

Jason.

L’Amour promet souvent plus qu’il ne peut tenir.

Oronte.

Jugez mieux d’un Amant que le mepris outrage ;
S’il forme une entreprise*, il sçait la soûtenir.

Jason.

Vous sçavez à quels soins* la Guerre icy m’engage.
745 Les Troupes qu’aujourd’huy fait assembler le Roy,
N’attendent plus que moy.

Scene quatrième. §

Medée, Oronte, Nerine.

Oronte.

Vos soupcons estoient vrais, j’ay veu, j’ay veu moy-mesme
L’inexcusable trahison,
Qui doit estre le prix de vostre amour extrême ;
750 J’ay leu dans le cœur de Jason,
Il m’oste la Princesse, il l’aime.
De tant de perfidie, ô Ciel, fais-nous raison.

Medée.

Eût-il le Ciel à ses vœux favorable, [ 59]
Ne craignez point cet Hymen* odieux ;
755 Au pouvoir de Medée il n’est rien de semblable,
Elle asservit la terre, elle commande aux cieux.
Je tiens la Foudre suspenduë,
Mais si Creon ne cede pas,
Il verra quelle peine est deuë
760 A qui se fait le soutien des ingrats.

Oronte.

Pardonnez à ma foiblesse,
L’Amour a sçeu m’engager.
Un juste couroux* vous presse ;
Mais à ne rien menager,
765 Le plaisir de vous vanger
Me rendra-t-il la Princesse ?

Medée.

Je me declare pour vous.
Jamais, quoy que puissent faire,
Les Dieux, Créüse & son Pere,
770 Jason n’en sera l’Epoux :
Je me declare pour vous.
Laissez-moy seule icy ; dans ce que je medite
J’ay besoin de calmer le trouble qui m’agite.

Scene cinquième. §

{p. 60}
Medée, Nerine.

Medée.

D’où me vient cette horreur ? est-ce à moy de trembler ?
775 Preste à punir la criminelle flame
Qui cause les ennuis* dont on m’ose accabler,
Puis-je me souvenir que je suis mere & femme ?

Nerine.

Ses yeux sont égarez, ses pas sont incertains.
Dieux, détournez ce que je crains.

Medée.

780 Non, non, à la pitié je dois estre inflexible.
Jason meprisera mon desespoir jaloux ?
Venez, venez, fureurs, je m’abandonne à vous.
Je prens une vengeance epouvantable, horrible ;
Mais pour voir son supplice égaler mon couroux*,
785 C’est par l’endroit le plus sensible
Qu’il faut porter les derniers coups.

Scene sixième. §

{p. 61}
Créon, Medée, Nerine, Gardes.

Créon.

Vos adieux sont-ils faits ? Le murmure s’augmente,
C’est aigrir les esprits que de ne céder pas.
D’un Peuple qui vous fait sortir de mes Estats
790 Craignons la fureur insolente.

Medée.

Je parts, & ne veux-plus troubler vostre repos*,
Mais je dois tenir ma promesse.
Pour m’en voir degagée, il faut que la Princesse
Epouse le Prince d’Argos.     
795 A serrer ces beaux nœuds* la Gloire vous invite,
Pressez ce doux moment, l’Hymen* fait, je vous quitte.

Créon.

Quelle audace vous porte à me parler ainsi,
Vous, l’objet malheureux de tant de justes haines ?
Ignorez-vous que je commande icy,
800 Et que mes volontez y seront souveraines ?
C’est à moy seul de les regler.

Medée.

{p. 62}
Creon, sur ton pouvoir cesse de t’aveugler.
Tu prens une trompeuse idée
De te croire en estat de me faire la loy* ;
805 Quand tu te vantes d’estre Roy,
Souviens-toy que je suis Medée.

Créon.

Cet orgüeil peut-il s’égaler !

Medée.

Sur l’Hymen* de ta fille il m’a plû de parler ;
En vain mon audace t’estonne.
810 Plus puissante que toy dans tes propres Estats,
C’est moy qui le veux, qui l’ordonne :
Tremble si tu n’obeis pas.

Créon.

Ah ! c’est trop en souffrir* ; Gardes, qu’on la saisisse.
Les Gardes vont pour saisir Medée, elle les touche de sa Baguette, & en mesme temps ils tournent leurs Armes les uns contre les autres.

Créon.

Que vois-je ! ah, justes Dieux !
815 Par quel mouvement* furieux,
Vouloir que par vos mains chacun de vous perisse.

Medée.

Montre icy ta puissance à retenir leurs bras ; {p. 63}
Sois Roy, si tu peux l’estre, & suspens leurs combats.
Creon veut s’avancer vers Medée, & les Gardes l’environnent pour l’arrester.

Créon.

Quoy, lasches, contre-moy tous vos efforts s’unissent ?

Medée.

820 Je plains ton triste sort, tes Sujets te trahissent,
Mais ne crains rien de leur emportement ;
Pour le faire cesser je ne veux qu’un moment.
Elle fait un cercle en l’air avec sa Baguette, & aussi-tost on voit des Fantômes sous la figure de Femmes agreables.

Scène septième. §

Créon, Medée.
Phantômes & Gardes du Roy.

Medée.

Objets agreables,
Phantômes aimables,
825 Appaisez les fureurs
De ces farouches cœurs.
Entrée des Phantômes.
{p. 64}

Un Phantôme.

Aprés de mortelles alarmes,
Qu’un heureux calme semble doux !

Chœur.

Aprés de mortelles alarmes,
830 Qu’un heureux calme semble doux !

Phantôme.

Cœurs agitez d’un vain couroux*,
Cedez, rendez-vous à nos charmes.
Où prendrez-vous des armes
Qui tiennent contre nous ?

Chœur.

835 Cœurs agitez d’un vain couroux*,
Cedez, rendez-vous à nos charmes.
Où prendrez-vous des armes
Qui tiennent contre nous ?

Créon.

Par quel prodige, à moy-mesme contraire
840 En voyant ces objets, n’ay-je plus de colere ?

Deux Phantômes.

Tout ressent le pouvoir
Du plaisir de nous voir.
Une ame de glace
S’en laisse émouvoir,
845 En quoy que l’on fasse,
Le chagrin le plus noir
Luy doit ceder la place.
Tout ressent le pouvoir {p. 65; I}
Du plaisir de nous voir.     

Chœur.

850 Tout ressent le pouvoir
Du plaisir de nous voir.
Une ame de glace
S’en laisse émouvoir,
Et quoy que l’on fasse,
855 Le chagrin le plus noir
Luy doit ceder la place.
Tout ressent le pouvoir
Du plaisir de nous voir.
Les Phantômes disparoissent, & les Gardes charmez de leur beauté abandonnent le Roy pour les suivre.

Scène huitième. §

Medée, Créon, Nérine.

Medée.

Mon pouvoir t’est connu, j’ay mis ta Garde en fuite,
860 Pour te forcer à l’Hymen* que je veux,
Mon art secondera mes vœux,
J’ay commencé, crains en la suite.

Créon.

Quoy, l’on viendra me braver dans ma Cour !
Perisse tout plûtost que je l’endure.

Médée.

865 Votre sang odieux lavera mon injure,
Ou les Dieux m’osteront le jour.
D’un indigne mépris c’est trop souffrir* l’outrage.
Vien, Fureur, c’est à toy d’achever mon ouvrage. {p. 66}
La Fureur paroist avec son flambeau, & passe pardevant Creon.

Scène neuvième. §

Créon seul.

Noires Divinitez, que voulez-vous de moy ?
870 Impitoyables Eumenides*,
Vous faut-il le sang des perfides
Qui n’ont pas respecté leur Roy ?
Mais où suis-je ? & d’où vient tout à coup ce silence ?
Le Ciel s’arme de feux. Ah, c’est pour ma vengeance.
875 Courons, n’épargnons rien. Quels terribles éclats ?
Où veux-je aller ? Tout tremble sous mes pas.
Tout s’abîme, la terre s’ouvre.
Dans ses gouffres profonds quels monstres je découvre !
Ils saisissent Medée. Ah, ne la quittez pas.
880 Les sombres flots du Stix* n’ont rien qui m’épouvante.
Pour la voir condamnée aux plus cruels tourmens,
Je vais apprendre à Radamante*
Jusqu’où va la noirceur de ses enchantemens.

Fin du quatriéme Acte.

Acte V. §

{p. 67}
Le Theatre represente le Palais de Medée.

Scène Première. §

Medée, Nerine.

Nerine.

On ne peut sans effroy soutenir sa presence.
885 Il court de toutes parts, menaçant, furieux,
Dans ce funeste* estat tout ce qu’il voit l’offence ;
La Princesse elle seule, en s’offrant à ses yeux,
Semble de sa fureur calmer la violence ; {p. 68}
Il s’arreste, il soupire, & garde un long silence.

Medée.

890 Et que dit son heureux Amant ?

Nerine.

Jason ignore encor ce triste évenement.
Occupé par les soins* que la guerre demande,
Il range avec nos chefs les troupes qu’il commande.

Médée.

Que d’horreur ! que de maux suivront sa trahison !
895 C’est luy seul qui les cause, il m’en fera raison ;
Vangeons nous. Ma fureur, à tant de Rois fatale,
A-t’elle assez de ma Rivale ?
Non, s’il ose garder ses sentimens ingrats,
Si toûjours il perd la memoire     
900 De ce que j’ay fait pour sa gloire*,
Il aime ses Enfans, ne les épargnons pas.
Ne les épargnons pas ! ah, trop barbare Mere !
Quel crime ont-il commis pour leur percer le sein ?
Nature, tu parles en vain,
905 Leur crime est assez grand d’avoir Jason pour Pere.
Quel desespoir m’aveugle & m’emporte contr’eux ?
Leur âge permet-il cet affreux parricide,
Et sont-ils criminels pour estre malheureux ?
Quoy, je craindray de punir un perfide !
910 De ses vœux triomphants ma mort serait l’effet !
Oublions l’innocence, & voyons le forfait. {p. 69}
Une indigne pitié me les fait reconnoistre ;
C’est mon rang, il est vray, mais c’est le sang d’un traitre.
Puis-je trop acheter, en les faisant perir,     
915 La douceur de le voir souffrir ?

Scène seconde. §

Créüse, Medée, Nerine.

Créüse.

Si la pitié vous peut trouver sensible,
Voyez une Princesse en pleurs,
Qui vient vous demander la fin de ses malheurs :
A votre Art rien n’est impossible.
920 Pour garantir l’Estat des maux que je prevoy,
Si la pitié vous peut trouver sensible,
Appaisez la fureur du Roy.

Medée.

Si vous voulez obtenir ce miracle,
C’est au Prince d’Argos qu’il faut vous adresser.
925 Par son hymen* vos maux doivent cesser,
Vos desirs n’auront point d’obstacle :
Mais je veux qu’en ce même jour, {p. 70}
En recevant sa foy, vous payez son amour.

Créüse.

Sur cet hymen* quel party puis-je prendre,
930 Quand d’un Pere & d’un Roy le ciel m’a fait dépendre ?

Medée.

J’ay parlé, c’est assez ; ne cherchez plus qu’en moy,
Le pouvoir d’un Pere & d’un Roy.

Créüse.

Pourquoi precipiter un dessein…

Medée.

Point d’excuse.
Du trouble où je vous mets je connois la raison ;
935 Quand au Prince d’Argos vostre cœur se refuse,
Il veut se garder à Jason.

Créüse.

Se garder à Jason ?

Medée.

Je sçay sa perfidie,
En luy vous aviez un amant ;
Mais on n’offence pas Medée impunément ;
940 D’une entreprise* si hardie
L’Univers étonné verra le châtiment.

Créüse.

{p. 71}
Ah, reprenez Jason, & me rendez mon Pere.
Que Jason parte, & qu’il fuye avec vous.

Medée.

Non, de ma main vous prendez un Epoux ;
945 Ce seul moyen peut satisfaire
Les transports* de mon cœur jaloux.

Chœur de Corinthiens qu’on ne voit pas.

Ah, funeste* revers ! fortune impitoyable !
Corinthe, helas ! que vas-tu devenir ?

Créüse.

Que ce grand bruit m’est redoutable !

Chœur.

950 Dieux cruels, est-ce ainsi que vostre haine accable
Ceux que vous devez soutenir ?

Scène troisième. §

{p. 72}
Créüse, Medée, Nerine, Cléone.
Chœur de Corinthiens.

Créüse à Cléone.

Venez, parlez ; qu’avez-vous à m’apprendre ?
Je vois vos yeux baignez de pleurs.

Cleone.

Je viens vous annoncer le plus grand des malheurs.
955 Le Roy ne respiroit que du sang à répandre,
Quand voyant le Prince d’Argos,
Il a paru plus en repos* ;
Sa fureur sembloit dissipée ;
Mais dans le temps qu’on n’a rien redouté
960 De sa fausse tranquillité,
De ce malheureux Prince il a saisi l’épée,
Et luy perçant le flanc, son bras nous a fait voir
Ce que peut un prompt desespoir.

Créüse.

Helas !

Cleone.

{p. 73; K}
Dans ce malheur extrême,     
965 Chacun s’est empressé de luy prêter secours.
Le Roy dans ce moment a terminé ses jours,
Du mesme fer il s’est percé luy-même.
Ah, s’est-il écrié, le ciel a donc permis,
J’ay vaincu tous mes ennemis.     

Chœur de Corinthiens.

970 Ah, funeste* revers ! fortune impitoyable !
Corinthe, helas ! que vas-tu devenir ?
Dieux cruels, est-ce ainsi que vostre haine accable
Ceux que vous devez soûtenir ?
Refusons nostre encens, nostre hommage,
975 A ces Dieux inhumains ;
Tous nos respects sont vains,
Nos malheurs sont leur injuste ouvrage ?
Refusons nostre encens, nostre hommage
A ces Dieux inhumains.

Créüse.

980 C’est assez, laissez-moy, vos pleurs ne font qu’aigrir,
Les maux que je me dois preparer à souffrir*. [K]

Scene quatrième. §

{p. 74}
Medée, Créüse, Nerine, Cleone.

Créüse.

Eh bien, barbare, estes-vous satisfaite ?
Par des crimes plus noirs voulez-vous meriter
Le détestable honneur de faire redouter
985 Le pouvoir que l’Enfer vous préte ?

Medée.

Pourquoy faire éclater ce violent couroux* ?
Si la perte d’un Pere est pour vous si funeste*,
Le cœur de Jason qui vous reste,
Pour vous en consoler, est un prix assez doux.

Créüse.

990 Ah, si j’ay sur luy quelque empire,
Craignez à vous punir la derniere rigueur.
Je ne m’en serviray, que pour mettre en son cœur
Tout la haine que m’inspire
Ce que pour vous je sens d’horreur.

Médée.

995 Que peuvent contre-moy ces desseins de vangeance ?
Quels effets en seront produits, {p. 75}
Puisque vous ignorez jusqu’où va ma puissance,
Connoissez tout ce que je suis.
Medée touche Créüse de sa baguette & s’en va.

Scéne cinquième. §

Créüse, Cléone.

Quel feu dans mes veines s’allume ?
1000 Quel poison, dont l’ardeur* tout à coup me consume,
Dans cette robe étoit caché ?
Soûtenez-moy, je n’en puis plus, je tremble,
Je brûle*. Sur mon corps un brasier attaché
Me fait souffrir* mille tourmens ensemble.
1005 Mon mal est sans remede, à quoy servent ces pleurs ?
Rien ne peut soûlager l’excez de mes douleurs.

Scène sixième. §

{p. 76}
Jason, Créüse, Cleone.

Jason.

Ah, Roy trop malheureux ! mais ô ciel ! la Princesse
Parôit mourante entre vos bras !
Qui la met dans cette foiblesse* ?

Créüse.

1010 Approchez-vous, Jason, ne m’abandonnez pas.
Mon pere est mort, je vais mourir moy-meme.
Je peris par les traits que Medée a formez ;
Mille poisons dans sa robe enfermez,
Par une violence extrême,
1015 Vous ostent ce que vous aimez.
Ce que j’endure est incroyable ;
Mais au moins j’ay de quoy rendre graces aux dieux,
Que sa fureur impitoyable
Me laisse la douceur de mourir à vos yeux.

Jason.

1020 Appelez-vous douceur un effet* de sa rage ?
De cet affreux spectacle elle a sçeu la rigueur. {p. 77}
Pouvoit elle mettre en usage
Un supplice plus propre à m’arracher le cœur ?

Tous deux.

Helas ! prests d’estre unis par les plus douces chaînes,
1025 Faut-il nous voir separes à jamais ?

Créüse.

Peut-on rien ajoûter à l’excés de mes peines ?

Jason.

Peut-on lancer sur moy de plus terribles traits ?

Tous deux.

Helas ! prests d’estre unis par les plus douces chaînes,
Faut-il nous voir separes à jamais ?

Jason.

1030 Non, non, rien ne sçauroit m’obliger à survivre
Au coup fatal, qui vous force à perir.
Je trouveray le moyen de vous suivre.

Créüse.

Ah, ne cherchez point à mourir.
Vivez si vous voulez me plaire
1035 J’ay causé la mort de mon pere,
Vangez-la, c’est le prix qu’exigent mes douleurs.
Mais adieu ; de la mort les horreurs me saisissent,
Je perds la voix, mes forces s’affoiblissent,
C’en est fait, j’expire, je meurs.
On emporte Créüse.

Scène septieme. §

Jason, seul.

1040 Elle est morte, & je vis ! courons à la vengeance, {p. 78}
Pour estre en liberté de renoncer au jour.
La perte de Medée est deuë à mon amour.
Quel supplice assez grand peut expier l’offense ?
Mais par quel effet de son art…

Scène huitième. §

Médée, Jason.

Médée, en l’air sur un Dragon.

1045 C’est peu, pour contenter la douleur qui te presse,
D’avoir à vanger la Princesse ;
Vange encor tes Enfans ; ce funeste* poignard
Les a ravis à ta tendresse*.

Jason.

Ah barbare !

Medée.

Infidelle ! aprés ta trahison,
1050 Ay-je dû voir mes fils dans les fils de Jason ? {p. 79}

Jason.

Ne crois pas échapper au transport* qui m’anime,
Pour te punir j’iray jusqu’aux Enfers.

Medée.

Ton desespoir choisit mal sa victime.
Que pourra-t-il, puisque les airs
1055 Sont pour moy des chemins ouverts ?

Jason.

Ah, le Ciel qui toûjours protegea l’innocence…

Medée.

Adieu Jason, j’ay remply ma vangeance.
Voyant Corinthe en feu, ses Palais embrasez,
Pleure à jamais les maux que ta flame a causez.
Medée fend les Airs sur son Dragon, & en mesme temps les Statuës & autres ornemens du Palais se brisent. On voit sortir des Demons de tous côtez, qui ayant des feux à la main embrasent ce mesme Palais. Ces Demons disparoissent, une nuit se forme, & cet édifice ne paroist plus que ruine & monstres, aprés quoy il tombe un pluye de feu.

Fin du cinquième et dernier Acte.