Cliquer un nœud pour le glisser-déposer. Clic droit pour le supprimer
Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
1
2
3

 

Thomas Corneille. La Mort d'Achille. Tragédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 25 sc. 211 répl. 6,5 l. 1 372 l. 1 372 l. 46 % 3 027 l. (100 %) 2,2 pers.
ACHILLE 9 sc. 46 répl. 6,5 l. 619 l. (46 %) 298 l. (22 %) 49 % 1 238 l. (41 %) 2,0 pers.
PYRRHUS 14 sc. 49 répl. 6,2 l. 716 l. (53 %) 305 l. (23 %) 43 % 1 635 l. (55 %) 2,3 pers.
POLIXENE 7 sc. 33 répl. 9,5 l. 507 l. (37 %) 315 l. (23 %) 63 % 1 208 l. (40 %) 2,4 pers.
BRISEIS 13 sc. 51 répl. 6,5 l. 668 l. (49 %) 332 l. (25 %) 50 % 1 620 l. (54 %) 2,4 pers.
PHENICE 3 sc. 5 répl. 3,0 l. 137 l. (10 %) 15 l. (2 %) 12 % 354 l. (12 %) 2,6 pers.
ILIONE 1 sc. 2 répl. 4,2 l. 17 l. (2 %) 8 l. (1 %) 51 % 33 l. (2 %) 2,0 pers.
ALCIME 5 sc. 20 répl. 3,9 l. 310 l. (23 %) 79 l. (6 %) 26 % 699 l. (24 %) 2,3 pers.
ANTILOCHUS 3 sc. 5 répl. 4,0 l. 53 l. (4 %) 20 l. (2 %) 38 % 116 l. (4 %) 2,2 pers.
Thomas Corneille. La Mort d'Achille. Tragédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
ACHILLE
PYRRHUS
39 l. (34 %) 13 répl. 3,0 l.
78 l. (67 %) 13 répl. 6,0 l.
2 sc. 116 l. (9 %) 2,0 pers.
ACHILLE
POLIXENE
39 l. (32 %) 6 répl. 6,5 l.
84 l. (69 %) 6 répl. 14,0 l.
1 sc. 123 l. (9 %) 2,0 pers.
ACHILLE
BRISEIS
34 l. (22 %) 11 répl. 3,0 l.
118 l. (79 %) 12 répl. 9,8 l.
2 sc. 151 l. (11 %) 2,0 pers.
ACHILLE
ALCIME
187 l. (82 %) 16 répl. 11,7 l.
43 l. (19 %) 15 répl. 2,8 l.
4 sc. 229 l. (17 %) 2,0 pers.
PYRRHUS
POLIXENE
89 l. (37 %) 15 répl. 5,9 l.
152 l. (64 %) 15 répl. 10,1 l.
5 sc. 240 l. (18 %) 2,5 pers.
PYRRHUS
BRISEIS
109 l. (52 %) 16 répl. 6,8 l.
104 l. (49 %) 20 répl. 5,2 l.
8 sc. 212 l. (16 %) 2,5 pers.
PYRRHUS
ANTILOCHUS
32 l. (71 %) 5 répl. 6,2 l.
13 l. (30 %) 4 répl. 3,2 l.
2 sc. 44 l. (4 %) 2,0 pers.
POLIXENE
BRISEIS
72 l. (74 %) 9 répl. 7,9 l.
26 l. (27 %) 7 répl. 3,7 l.
2 sc. 97 l. (8 %) 3,0 pers.
POLIXENE
ILIONE
9 l. (50 %) 3 répl. 2,7 l.
9 l. (51 %) 2 répl. 4,2 l.
1 sc. 17 l. (2 %) 2,0 pers.
BRISEIS
PHENICE
53 l. (78 %) 6 répl. 8,7 l.
16 l. (23 %) 5 répl. 3,0 l.
3 sc. 68 l. (5 %) 2,6 pers.
BRISEIS
ALCIME
33 l. (48 %) 6 répl. 5,5 l.
37 l. (53 %) 5 répl. 7,3 l.
1 sc. 69 l. (6 %) 3,0 pers.

Thomas Corneille

1673

La Mort d'Achille. Tragédie

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Étienne Mahieux
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Thomas Corneille. La Mort d'Achille. Tragédie. Suivant la Copie imprimée A PARIS, CI ) I ) CL XXVI.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

LA MORT D’ACHILLE,
TRAGEDIE §

ACTEURS. §

  • ACHILLE.
  • PYRRHUS, Fils d’Achille.
  • POLIXENE, Fille de Priam, Roy de Troye.
  • BRISEIS, Princesse, Captive d’Achille.
  • PHENICE, Confidente de Briseis.
  • ILIONE, Confidente de Polixene.
  • ALCIME, Confident d’Achille.
  • ANTILOCHUS, Confident de Pyrrhus.

ACTE I. §

SCENE PREMIERE. §

BRISEIS, PYRRHUS, ANTILOCHUS, PHENICE.

BRISEIS.

PRINCE, n’en doutez point, je l’obtiendray d’Achille.
Pour vous auprés de luy tout me sera facile,
Et quoy que mon amour vueille exiger du sien,
Son coeur est trop à moy pour me refuser rien.
5 Vos yeux en sont témoins ; pour fléchir son courage*
Envain le vieux Priam a tout mis en usage.
Envain ce triste* Roy, pour le corps de son Fils,
A joint les pleurs d’Hecube à des presens exquis.
Insensible à ces pleurs, trois fois d’une ame fiére*
10 Il a de tous les deux rejetté la priere,
Et par tout ce que peut la plus vive douleur,
Hecube ny Priam n’ont pû toucher son coeur.
Si tost qu’à ses genoux j’ay fait voir Polixene,
Que j’ay parlé pour elle, il a cedé sans peine,
15 Et deux mots de ma bouche ont fait en un moment
Ce que la terre entiére eust tenté vainement.
J’ay proposé la trefve, & soudain avec joye {p. 6}
Il a pour quelques jours laissé respirer Troye,
Rendu le corps d’Hector, & luy mesme honoré
20 Les cendres d’un Heros si justement pleuré.

PYRRHUS.

Aprés avoir forcé sa colére à se rendre,
L’illustre Briseis a droit de tout prétendre*.
Par cette majesté dont brillent ses appas*
Quels obstinez refus ne vaincroit-elle pas,
25 Elle qui triomphant du destin qui la brave
A fait de son vainqueur un glorieux esclave,
Soûmis le fier* Achille, & par un doux revers*,
Trouvé l’art de régner au milieu de ses fers ?
C’est en ce grand pouvoir, Madame, que j’espere.
30 Que n’obtiendra-t’il point d’un Amant* & d’un Pere ?
Un mot en ma faveur* couronne mon amour,
Achille vous adore, il m’a donné le jour,
Et sçait trop ce que peut un beau feu* sur une ame
Pour vouloir mettre obstacle au succez* de ma flame*.
35 La guerre n’a produit que trop d’affreux effets*,
Nous vous devons la trefve, accordez-nous la paix,
Et pour faire cesser tous les sujets de haine,
Obtenez que l’Hymen* m’unisse à Polixene.
Priam qui pleure un Fils à ses larmes rendu,
40 Le recouvrant en moy, n’aura plus rien perdu.

BRISEIS.

Malgré le sang d’Hector qu’Achille a deu répandre,
Il se peut que Priam aime Pyrrhus pour Gendre,
Qu’il consente à l’hymen* qui flate* vos souhaits,
Mais ce n’est point assez pour nous donner la paix.
45 Une trop rude guerre à vostre espoir s’oppose,
Il faut pour l’étouffer en suprimer la cause,
Rendre, malgré Paris, Helene à Menelas.

PYRRHUS.

Pour appaiser les Grecs que ne fera-t’on pas ?
Aprés la mort d’Hector que les Dieux ont soufferte,
50 Troye enfin sans défence est seure de sa perte. {p. 7}
Tandis que cette mort y fait régner l’effroy,
Gagnez l’esprit d’Achille, & tout sera pour moy,
C’est de là que dépend le repos de ma vie.
Vôtre propre intérest à parler vous convie.
55 Pour vous donner la main*, vous rendre vos Estats,
Vous sçavez qu’il attend la fin de nos combats,
Et qu’il ne veut que voir la guerre terminée
Pour conclurre avec vous un heureux Hymenée*.
Faites vostre bonheur en asseurant le mien.

BRISEIS.

60 Achille pour ma gloire est un brillant soûtien,
Disposer de son coeur c’est estre plus que Reyne ;
Mais pourrez vous toucher celuy de Polixene ?
Il faut vous l’avoüer, si sa beauté vous plaist
Ses larmes dans son sort m’ont fait prendre intérest*,
65 Je sens que ses malheurs attendrissent mon ame,
J’en partage l’atteinte, & malgré vostre flame*,
Si le don de sa main* contraignoit ses desirs,
Je les écouterois plûtost que vos soûpirs ;
Songez ce qu’est un coeur qui s’arrache à soy-même.

PYRRHUS.

70 Je dirois trop peut estre en disant qu’elle m’aime,
Mais au moins si le sort ne m’avoit point trahy
Je pourrois me flater* de n’estre pas hay.
Dans l’un de nos combats pris par Hector son frere,
Je la vis, & la voir, fut aimer à luy plaire,
75 Puisqu’en moy sa beauté fit dés le premier jour
D’un Prisonnier de guerre, un prisonnier d’amour.
Vers elle en un moment, tous mes voeux se tournerent,
Mes timides* regards d’abord* s’en expliquerent,
Et le trouble des siens avec soin consulté
80 Ne me fit que trop voir que j’étois écouté.
De ces muets témoins de mes flames* secretes
Cent soûpirs échapez furent les interpretes,
Tout leur fut favorable, & soit qu’à tant d’ardeur
De la belle Princesse on crust devoir le coeur,
85 Soit que par mon hymen* on se fist une joye {p. 8}
De pouvoir prévenir les disgraces* de Troye,
Priam dont sans rançon j’obtins ma liberté
Me permit tout l’espoir dont je m’étois flaté*.
Charmé* de ce succez* je viens trouver Achille.
90 Quel revers* ! mon espoir fut un bien inutile.
Achille en ce moment tout saisy de fureur*
Ne parloit que de sang, ne méditoit qu’horreur ;
Patrocle avoit péry. Dans son impatience
Troye entiére estoit deuë à sa juste vangeance.
95 Hector fut le premier qu’il jura d’immoler,
J’adorois Polixene, & je n’osay parler.
Les effets* ont remply* cette funeste envie,
C’est peu qu’Achillle ait veu tomber Hector sans vie,
Trois fois, pour assouvir ses furieux* transports*,
100 Autour des murs de Troye il a traîné son corps,
Et si sa haine en vous n’eust point trouvé d’obstacles,
Peut estre eussions-nous veu de plus sanglants spectacles.
L’étoufant pour vous plaire il a par mille honneurs
De ses emportements réparé les rigueurs,
105 Et si bien modéré son humeur violente,
Qu’à Priam depuis hier il a cedé sa Tente.
C’est de là qu’à toute heure il rend ce Roy témoin
Que satisfaire Hector est son unique soin*,
Un vain tombeau dressé pour apaiser son Ombre
110 De ces honneurs rendus vient d’augmenter le nombre.
Et pour un Ennemy, jamais tant d’amitié
D’un Vainqueur adoucy ne fit voir la pitié.

BRISEIS.

Vous aurez pris ce temps pour revoir Polixene ?

PYRRHUS.

Je l’ay veuë, & n’ay pû luy parler de ma peine*,
115 Ses pleurs qui pour Hector coulent presque toûjours
Des larmes de la Reine accompagnent le cours ;
Mais de ses tristes* yeux la langueur, quoy qu’extrême,
A semblé m’asseurer qu’elle est encor la mesme, {p. 9}
Et malgré sa douleur j’ay veu je ne sçay quoy
120 Qui forçoit ses regards à s’expliquer pour moy.

BRISEIS.

Prince, s’il est ainsi, je n’ay plus rien à dire,
Achille sur ses voeux m’a donné plein empire*,
Et pourveu que Priam réponde à nos souhaits,
Je vay sur l’heure agir, soyez seur de la paix.
125 Mon coeur comme le vostre est tout à Polixene,
Et si... Mais quel sujet de nouveau me l’amene ?

PYRRHUS.

Madame, en ma faveur* daignez luy protester...

BRISEIS.

Voyez qu’elle s’avance, il la faut écouter.

SCENE II. §

BRISEIS, PYRRHUS, POLIXENE, ANTILOCHUS, ILIONE, PHENICE.

POLIXENE.

NE vous étonnez point si dans nostre infortune
130 J’ose encor me resoudre à vous estre importune.
Il est, vous le sçavez, d’un coeur grand, genereux*,
De se faire toûjours l’appuy des malheureux,
Et ce que vos bontez m’ont obtenu d’Achille,
M’ayant fait voir qu’en vous la vertu trouve azyle,
135 Je viens offrir, Madame, à ces mesmes bontez
Dequoy remplir* l’éclat* du sang dont vous sortez.
Assez & trop long-temps une funeste guerre
Par ses vastes horreurs desole cette terre.
Assez le vieux Priam a veu ses cheveux gris
140 Dans ses derniers baisers teints du sang de ses Fils.
A force de combats Troye en est épuisée,
Il n’est mere à gêmir qui ne soit exposée ;
Chacun plaint sa disgrace*, & dans nos longs revers*
Ces lugubres habits montrent ce que je pers.
145 Dix Freres au tombeau m’ont demandé des larmes,
Ce sont de ma douleur les ordinaires charmes* ;
J’ay pleuré Lycaon, Antiphone, Mestor, {p. 10}
Troile ; je me tais du malheureux Hector,
Il doit estre appaisé par l’honneur qu’à sa cendre
150 Aux pieds de nos remparts son Vainqueur vient de rendre ;
Nos yeux de cette pompe* ont esté les témoins,
L’éclat* m’en surprend peu, c’est l’effets* de vos soins.
Mais envain ces honneurs souffrent que je respire,
La fin m’en fait trembler, demain la trefve expire,
155 Et pour peu que la guerre ait encor à durer
J’auray bientost Hecube & Priam à pleurer.
Ils ne survivront point à la perte de Troye,
Au fer, au feu déja je la croy voir en proye,
Hector estant sans vie elle n’a plus d’appuy,
160 Luy seul en faisoit l’ame, elle estoit toute en luy,
Rien ne peut réparer une perte si grande,
Tout périt sans la paix, & je vous la demande.
Voyez pour l’obtenir & d’Achille & de vous
La fille de Priam tomber à vos genoux,
165 Voyez-là pour un Pere...

BRISEIS.

Ah, c’en est trop, Princesse,
Une tendre pitié dans vos maux m’intéresse*,
Et je les envisage avecque tant d’effroy,
Qu’en travaillant pour vous, je crois agir pour moy.
Vous demandez la paix, j’y vay porter Achille,
170 Mais pour ne rendre pas ce projet inutile,
Priam se répond-il* que l’injuste Paris
Vueille ceder l’objet* dont son coeur est épris ?
Point de salut pour Troye à moins de rendre Helene.

POLIXENE.

Paris a trop d’amour pour la ceder sans peine ;
175 Mais aprés ce qu’à Troye ont cousté nos combats,
L’intérest de Paris ne l’emportera pas.
Si pour luy cette Helene a toûjours mesmes charmes*, {p. 11}
C’est peu pour tant de sang qu’il verse quelques larmes,
Et de son desespoir nous craignons peu l’éclat*,
180 Quand son malheur importe au salut de l’Estat.

BRISEIS.

Cet obstacle levé, reglez la paix vous mesme,
Elle dépend de vous.

POLIXENE.

De moy ?

BRISEIS.

Pyrrhus vous aime,
Agréez son hymen*, la guerre est sans retour.

PYRRHUS.

Ah, Princesse, auriez-vous oublié mon amour,
185 Cet amour dont mon ame heureusement charmée*...

POLIXENE.

Non, Prince, il me souvient que vous m’avez aimée,
Et qu’il m’eust esté doux, si le Ciel l’eust permis,
Que l’Hymen* nous eust fait cesser d’estre ennemis.
Le Roy Priam mon Pere approuva vostre flame*,
190 Je vous dois cet aveu. Souffrez-le moy, Madame,
Un feu* de qui la gloire a seule esté l’appuy
Peut sans honte à vos yeux se déclarer pour luy.
Ouy, Prince, de Priam vostre amour eut l’estime,
L’espoir qui l’alluma luy parut légitime,
195 Et l’ordre qui m’en fit authoriser l’ardeur
N’eut rien qui fust contraire au panchant de mon coeur.
De vos soins*, de vos voeux j’aimay le tendre hommage,
Mais quand je me souviens de ce triste* avantage,
Il me souvient aussi, malgré vos voeux receus,
200 Qu’Achille est vostre Pere, & qu’Hector ne vit plus. {p. 12}

PYRRHUS.

Quoy, vous trouvez pour moy du crime en ma naissance ?
à Briseis.
Ah, Madame, de grace embrassez ma défence,
Soûtenez un amour qui n’a jamais songé...

POLIXENE.

C’est le mesme, il est vray, mais les temps ont changé.

BRISEIS.

205 Un scrupule pareil n’a rien qui m’inquiete,
Vous trouvez dans le Prince une vertu parfaite,
Et qui pour luy d’un Pere aima d’abord* le choix,
Voudra bien obeïr une seconde fois.
Comme Ulysse m’écoute, & peut nous estre utile,
210 Je vay l’entretenir avant que voir Achille.
Princesse, esperez-en les plus heureux effets*.

POLIXENE.

Madame, tous mes voeux se bornent à la paix.
Sauvez Troye, il suffit de ce seul avantage,
Ou si de cette paix on veut ma foy pour gage,
215 Si mon hymen* en peut estre le seul lien,
Faites-le proposer sans que j’en sçache rien,
C’est tout ce qu’à mon coeur ma gloire peut permettre.

BRISEIS.

Pour elle de mes soins il doit tout se promettre.
Vous sçaurez si pour vous j’auray perdu mes pas.

PYRRHUS.

220 Allez, parlez, Madame, & ne m’oubliez pas.
Pour obtenir qu’Achille à mes voeux soit propice,
De mon timide* espoir peignez-luy le suplice.
Par tout ce que vos feux* ont pour luy de plus doux,
Priez, pressez.

SCENE III. §

{p. 13}
POLIXENE, PYRRHUS, ILIONE, ANTILOCHUS.

POLIXENE.

HÉLAS ! que luy demandez-vous ?
225 Tremblez, Prince, tremblez au nom de Polixene,
Laissez la ceder seule au destin qui l’entraîne,
Et ne vous livrez point, sans l’avoir merité,
Aux malheurs d’un Party que les Dieux ont quitté.
Pour attirer sur moy leur plus rude colere,
230 Le crime est assez grand d’avoir Priam pour Pere,
Ne le partagez point. Me vouloir épouser
C’est empescher la paix que l’on va proposer.
Quand d’abord* mon hymen* en dut estre le gage
La guerre n’avoit fait que son moindre ravage,
235 Sa fureur* estoit lente, & nous laissoit encor
Et le jeune Troile, & le vaillant Hector.
Dans l’instant qu’un Traité semble un projet facile,
Patrocle qui périt arme contr’eux Achille,
Et les faisant tomber sous l’effort de son bras,
240 Nous ramene l’horreur des plus sanglants combats.
Vous y replongerez la déplorable Troye
Si vostre amour encor à les finir s’employe ;
Ma main* est un present funeste à vous offrir,
Et l’oser demander c’est chercher à périr.

PYRRHUS.

245 Pourquoy, lors que le Ciel nous voit d’un oeil propice,
D’un si cruel augure écouter l’injustice ?
Ces feux* qui sur vostre ame ont eu quelque pouvoir
N’eurent jamais l’appuy d’un si riant espoir.
Briseis dont pour vous l’amitié s’intéresse*,
250 Pourra tout sur Achille, il l’aime avec tendresse.
La trefve de ses soins* est le premier effet*,
La paix suivra sans doute, Hector est satisfait, {p. 14}
Priam à nostre Hymen* consentira sans peine.
Auray-je contre moi la seule Polixene,
255 Et mon amour est-il d’un prix si ravalé
Qu’à de vaines terreurs il doive estre immolé ?

POLIXENE.

Prince, vueillent les Dieux que foible, & trop timide*,
Mon coeur de nos malheurs injustement décide.
Si j’en croy l’apparence ils sont prests à cesser,
260 Tout nous promet l’hymen* que vous voulez presser,
Briseis s’intéresse* au feu* qui vous anime,
Achille est sans colere, & Priam vous estime.
Cependant malgré moy je vois de toutes parts
De noirs fleuves de sang effrayer mes regards.
265 Vous sçavez de mon sort ce qu’a prédit Cassandre,
L’oeil farouche, égaré, je croy toûjours l’entendre.
A peine elle eut appris qu’on nous vouloit unir
Que sur ce triste* hymen* penetrant* l’avenir,
Fuy Polixene, fuy l’impitoyable Achille,
270 Me dit-elle, tu prens un espoir inutile,
Vouloir donner ta main*,c’est courir au tombeau,
Achille est destiné pour estre ton bourreau.
Jugez, Prince, jugez aprés cette menace
Si mon coeur sans sujet se trouble, s’embarasse,
275 Si de vaines frayeurs le rendent interdit.

PYRRHUS.

Peut-on craindre un malheur que Cassandre a prédit ?
Envain d’un si grand Art elle usurpe la gloire,
Jamais on ne l’a cruë, & vous la voulez croire.
Non, ne m’opposez point que les Destins jaloux*
280 Combatent les bontez que j’attendois de vous.
Dites, dites, plûtost, que quoy qu’il ait pû faire,
L’infortuné Pyrrhus n’a jamais sçeu vous plaire,
Que ce parfait amour qu’il a fait éclater*
Du coeur qu’il attaquoit n’a pû rien mériter,
285 Et que si de Priam la favorable estime
Peut rendre auprés de vous son espoir légitime, {p. 15}
Il prétendroit* en vain à rien plus, qu’à jouïr
De la foible douceur de vous voir obeïr.

POLIXENE.

Ah, Pyrrhus, est-ce ainsi que vous rendez justice
290 Aux frayeurs dont pour vous j’éprouve le suplice ?
Si la crainte m’expose aux plus rudes combats
Craint-on de voir périr ce que l’on n’aime pas ?
Vous tenez de Priam l’empire* de mon ame ;
Mais quand il m’ordonna d’écouter vostre flame*,
295 Je ne sçay si mon coeur pour flater* vostre espoir
N’avoit point en secret prévenu mon devoir,
Et s’il m’eust pû souffrir sur un ordre contraire
La mesme déference aux volontez d’un Pere.
C’est vous faire assez voir ce qui me fait agir,
300 Je diray plus ; peut estre en devrois je rougir.
Hector, l’appuy de Troye, & l’effroy de la Grece
N’avoit que trop, helas, mérité ma tendresse,
Je l’aimois, on le sçait. Il n’est plus cet Hector,
J’en ay pleuré la perte, & je la pleure encor,
305 Dans les vives douleurs qu’elle adjouste à ma peine*,
Je sçay qu’à son Vainqueur je dois toute ma haine,
Et cependant, malgré ce qu’il me fait souffrir,
Quand à mes tristes* yeux Achille vient s’offrir,
Je me souviens plûtost qu’Achille est vostre Pere,
310 Que je ne puis songer qu’il a tué mon Frere.
L’Image* de son sang par ses mains répandu
S’efface* au souvenir de ce qui vous est deu.
Point pour luy de fierté* ? quelques maux qu’il me coûte,
Je le laisse approcher, je le vois, je l’écoute,
315 Et Pyrrhus tient pour luy, quoy qu’encor ennemis,
Et ma haine enchaînée, & mon couroux soûmis.
Pour vous garder ma foy triompher de moy mesme,
Si ce n’est point aimer, dites-moy comme on aime.

PYRRHUS.

Ah, pardonnez, Madame, à l’erreur d’un Amant*
320 Qui se perd dans sa crainte, & s’alarme aisément.
Cet Hymen* que poursuit ma juste impatience, {p. 16}
N’a rien sans vôtre adveu* qui flate* ma constance,
Et l’honneur d’estre à vous dont je me sens charmé*
Toucheroit peu mon coeur si je n’étois aimé.

POLIXENE.

325 Vous ne l’estes que trop, mais j’ose le redire,
Vous en soûpirerez ainsi que j’en soûpire.
Poursuivez un Hymen* à vostre espoir si doux,
Quoy qu’on fasse, les Dieux ne seront point pour nous,
Leur jalouse* fureur* seroit mal établie
330 S’ils souffroient que nos coeurs... Prince, adieu, je m’oublie,
Dans l’invincible effroy des malheurs que j’attens,
C’est redoubler mes maux que vous voir plus long-temps,
Plus je m’arréte icy, plus je deviens sensible.
N’attendez rien pour moy qu’un sort affreux, terrible,
335 Et pour vous consoler, en de si rudes coups*,
Songez que si je meurs, je mourray toute à vous.

Fin du premier Acte.

{p. 17}

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

ACHILLE, ALCIME.

ALCIME.

CE triomphe à tout autre eust esté difficile.
Le grand Achille seul pouvoit dompter Achille,
Et l’heureux art de vaincre un si juste couroux
340 Passe tous les exploits qui font parler de vous.
Flater vos Ennemis, leur ceder vostre Tente,
Ordonner pour Hector une pompe* éclatante*,
Sont des effets*, Seigneur, si grands, si relevez,
Qu’à vostre seul courage* ils estoient reservez.
345 Chacun en a pour vous redoublé son estime.

ACHILLE.

C’est trop peu pour ma gloire, il faut plus faire, Alcime.
Privez du grand Hector les Troyens sont défaits.
Prest à vaincre, je veux leur demander la paix,
Et pour leur épargner la honte de se rendre,
350 Moy-mesme leur offrir ce qu’ils n’osent prétendre*.

ALCIME.

Ah, Seigneur, c’est icy, deux fois victorieux,
Qu’Achille tout entier se découvre à mes yeux.
Suivez la voix du Ciel qui veut conserver Troye,
Nos Grecs las de combatre en auront de la joye,
355 Déja depuis long-temps ils pressent leur retour.

ACHILLE.

Ils peuvent l’espérer sur la foy de l’amour,
Pour réparer les maux qu’il causa par Helene,
Alcime, il m’a fait voir la jeune Polixene,
Et c’est en l’épousant que je veux asseurer
360 Les liens d’une paix qui doit toûjours durer.

ALCIME.

Vous aimez Polixene ?

ACHILLE.

{p. 18}
Ouy, je l’adore, Alcime,
L’amour que j’ay pour elle égale mon estime,
Et de ma liberté l’entier engagement,
A ses premiers regards n’a coûté qu’un moment.
365 Si tu sçavois l’état où d’abord* je l’ay veuë !
La rencontre à mon coeur fut sans doute impréveuë,
Dans les plus fiers* transports* qu’exhaloit mon couroux
Je la vis tout à coup pleurer à mes genoux.
Resolu de braver tout l’éclat de ses charmes*,
370 Je ne pus un moment résister à ses larmes,
Ma tremblante fureur* s’en laissa desarmer,
La haine m’animoit, je ne sceus plus qu’aimer,
Et si j’en eusse crû ma passion extrême,
A ses pieds devant tous j’aurois prié moy-mesme.
375 Ah, contre un Ennemy qui cause nos malheurs
Qu’un bel objet* est fort quand il verse des pleurs !
Le corps d’Hector rendu satisfit son envie.
Que n’eus je le pouvoir de luy rendre la vie !
Au moins à ce defaut j’allay dans Troye exprés
380 Honorer son tombeau de quelques vains regrets.
Priam qui m’y receut en Roy digne de l’estre
Dans son propre Palais me fit traiter en Maistre.
La pompe* dont au Camp pour Hector j’ay pris soin
Sembloit le convier d’en estre le témoin ;
385 Dans ma Tente à mon tour je l’attiray sans peine,
Et tout cela, pour estre auprés de Polixene,
Pour joüir de sa veuë, & ne point m’arracher
A l’unique plaisir qui me puisse toucher.

ALCIME.

L’amour peut tout, Seigneur, mais...

ACHILLE.

Je t’entens Alcime,
390 Je quitte Briseis, tu vas m’en faire un crime.
Il est vrai, Briseis m’aime avec tant d’ardeur
Que ce coup* impréveu luy percera* le coeur,
Je conçois les ennuis* dont je seray la cause, {p. 19}
Je l’en plains, mais enfin je me dois quelque chose,
395 Et je n’ay pas vaincu pour souffrir qu’à son choix
Ma Captive ait l’orgueil de me faire des loix.
Malgré tout le pouvoir que la guerre me donne,
Qu’elle me laisse à moy, je lui rends sa Couronne.
Un Trône, dont les droits, si je veux, me sont dûs
400 Est un prix assez grand pour des soûpirs perdus.

ALCIME.

Ayant aimé toûjours Patrocle avec tendresse
Vous cessez tout à coup d’aimer une Maîtresse  ?
L’exemple est peu commun, & l’on voit rarement
Qu’un véritable Amy soit infidelle Amant*.

ACHILLE.

405 L’Amour & l’amitié, n’ont rien qui se ressemble,
C’est les connoistre* mal que les confondre ensemble,
Leurs droits sont differents en durée, en douceur,
La raison cause l’une, & l’autre vient du coeur ;
Et comme la raison quand elle veut qu’on aime,
410 Contente de son choix est toûjours elle mesme,
On doit peu s’étonner que dans ses longs progrez
Une forte amitié ne se rompe jamais :
Mais, Alcime, le coeur s’engage par surprise,
Sans prendre son adveu* l’amour le tyrannise,
415 Et quand d’un bel Objet* il se laisse charmer*,
Il aime sans sçavoir qu’il a dessein d’aimer.
Le panchant qui l’entraîne en commençant de naitre
Est une aveugle ardeur dont il n’est pas le maître,
Et comme elle est contrainte, il en voit le retour
420 Quand le temps fait languir les forces de l’amour.

ALCIME.

Mais pour vous Polixene à vaincre est-elle aisée ?
Soüillé du sang d’Hector...

ACHILLE.

Son Ombre est appaisée,
Et le coup malheureux qui causa son trépas {p. 20}
Fut un crime du Sort, & non pas de mon bras.
425 Polixene oubliant cette triste* victoire,
Ne voudra regarder que l’amas de ma gloire,
De son coeur tant d’éclat* viendra sans peine à bout,
Et pour le mériter le nom d’Achille est tout.

ALCIME.

Ce nom est au dessus de tout ce qu’on peut dire,
430 Mais on peut n’aimer pas toûjours ce qu’on admire,
Et le coeur fier* de soy se rend moins aisément
Aux vertus d’un Heros, qu’aux soûpirs d’un Amant*.

ACHILLE.

Du succez* de mon feu* je ne suis point en peine,
J’en ay trop consulté les yeux de Polixene,
435 Pour moy, quand je m’approche, ils ont tant de douceur,
Que leur tranquillité me répond* de son coeur,
C’est un entier oubly de ce qu’on m’a veu faire,
Point de marques d’aigreur pour la mort de son Frere.
Le triomphe secret de m’avoir adoucy
440 Luy fait naistre...

ALCIME.

Seigneur, Briseis vient icy.

ACHILLE.

Cache-luy mon secret, elle pourra l’apprendre
Du bruit qui dans le Camp doit bien-tost s’en répandre,
Quand j’auray vû Priam, il faudra m’exposer
A ce que sa douleur lui pourra faire oser.

SCENE II. §

BRISEIS, ACHILLE, PHENICE, ALCIME.

BRISEIS.

445 SEIGNEUR, de mon amour ne blâmez point l’audace
S’il vient vous demander une nouvelle grace. {p. 21}
Le vostre s’est pour moy tant de fois déclaré
Qu’il m’est de vos bontez un garand asseuré,
Et sur leur noble excez je n’ay point eu de peine
450 A me faire vers vous l’appuy de Polixene.
Elle n’est point, Seigneur, digne de ses malheurs,
Je l’ay veuë, & la viens de quitter toute en pleurs.
Troye aux fureurs* des Grecs depuis dix ans en bute,
Le Trône de son Pere à deux doigts de sa chute,
455 Le reste de son sang tout prest d’être versé,
Des plus rudes frayeurs tiennent son coeur pressé.
La paix de tant de maux dissipant les menaces,
Adouciroit l’aigreur de ses autres disgraces*.
Voyez pour l’obtenir qu’elle vous tend les bras,
460 Ulysse que j’ay veu ne s’en éloigne pas,
Et lors qu’à la rigueur Patrocle vous convie,
Assez de sang peut-estre a coulé pour sa vie.
Achevez d’oublier cette funeste mort,
Polixene vaut bien ce genereux* effort.
465 La modeste douleur qui fait parler ses larmes
Adjoûte à sa beauté de si sensibles charmes*,
Que le coeur qui pour elle en la voyant s’émeut,
Semble aller au devant de tout ce qu’elle veut,
Et si de ses ennuis* la déplorable image*...

ACHILLE.

470 Madame, il ne faut point m’en dire davantage.
Mon coeur las des malheurs que finira la paix
Avoit en sa faveur* prévenu vos souhaits,
Et j’allois proposer moy-mesme au Roy son Pere
Ce que pour ce dessein j’ay jugé necessaire.
475 De la Grece offencée...

BRISEIS.

Il doit tout réparer,
Seigneur, & sçait de luy ce qu’on peut desirer,
Ainsi de son côté ne craignez point d’obstacle.
Mais d’un triomphe entier donnez-nous le spectacle,
Et ne dédaignez point d’appuyer un projet
480 Où mon propre intérest vous peut servir d’objet. {p. 22}
Par un secret instinct dont la force m’entraine,
Ma tendresse prend part au sort de Polixene ;
D’abord* que je l’ay veuë elle a sceu me toucher,
Et je sens que mon coeur ne s’en peut détacher,
485 Pour ne la perdre pas demandez-la pour fille,
De son illustre sang par tout la gloire brille,
Et sa main* pour Pyrrhus ne peut qu’estre d’un prix...

ACHILLE.

Quoy, vous souhaiteriez qu’elle épousast mon Fils ?

BRISEIS.

Cet Hymen* qui rendra le calme à la Phrygie
490 L’asseure d’une paix pour long-temps affermie,
Rien n’en rompra le cours s’il en serre les noeuds.

ACHILLE.

Ainsi que vos souhaits Polixene a mes voeux,
Mais Pyrrhus les partage, & j’aurois lieu de craindre
Que luy parler d’hymen* ce ne fust le contraindre ;
495 Il est jeune ; à son âge on tremble à s’engager.

BRISEIS.

Vous n’avez rien pour luy, Seigneur, à ménager,
Tout l’amour dont jamais une ame fut capable...

ACHILLE.

Quoy, mon fils l’aime ?

BRISEIS.

Autant qu’il la connoit* aimable,
Les traits* que dans son coeur son merite a tracez
500 L’ont si bien penetré...

ACHILLE.

Madame, c’est assez,
Quand de Pyrrhus Amant* l’intérest vous amene,
Il suffit que je sçay ce que vaut Polixene.
Pour asseurer sa gloire & remplir* vos souhaits
J’auray soin que sa main* soit le sceau de la paix,
505 Sans elle point d’accord, quelques offres qu’on fasse.

BRISEIS.

Vous refuseroit-on lors que vous faites grace ?
Cet Hymen* aux Troyens asseure un sort si doux, {p. 23}
Que Priam recevra...

ACHILLE.

Je le croy comme vous,
Il voit pour luy la guerre en trop de maux fertile
510 Pour oser dédaigner l’alliance d’Achille ;
Voyez Pyrrhus, Madame, & me laissez resver
A l’ouvrage important qu’il me faut achever.

SCENE III. §

ACHILLE, ALCIME.

ACHILLE.

L’AS-TU bien entenduë, & conçois tu ma peine*,
Alcime ? tout mon coeur se donne à Polixene,
515 Et dans mon propre Fils, par un revers* fatal,
Prest à me rendre heureux, je découvre un Rival ?
Plein d’un feu* dont sur moy le pouvoir est extrême,
Je connois* que Pyrrhus adore ce que j’aime,
Et de mon triste* sort telles sont les rigueurs,
520 Que vivant par ma perte, il meurt si je ne meurs.
Ah, si des Dieux jaloux* la severe injustice
Destinoit à ma flâme* un si cruel* suplice,
Que ne m’ont-ils, ces Dieux, qui vouloient me trahir,
Donné quelque Rival que je pusse haïr !
525 Son Sang auroit esté le prix de ma Victoire.
Que n’ose Agamemnon m’en disputer la gloire !
Ses Grecs pour ce triomphe armez tous contre moy,
Me trouveroient un coeur incapable d’effroy ;
Mais j’ay beau l’affermir, icy tout m’abandonne,
530 Au seul nom de Pyrrhus je fremis, je m’estonne*,
Et malgré tout l’amour que j’en sens redoubler,
Dés que je vois un Fils je commence à trembler.
Pourquoy cette foiblesse ? il doit tout à son Pere.
Est-ce à moy d’étouffer une flâme* si chere, {p. 24}
535 Et *pretend-il ce Fils que ne luy devant rien
J’achepte son repos par la perte du mien ?
Non, non, s’il doit souffrir, joüissons de sa peine*,
J’offence, en balançeant, l’aimable Polixene,
Raison, pitié, tout cesse où brillent ses appas*,
540 Et qui doute un moment ne la merite pas.
C’en est fait, tout le veut, ne songeons qu’à luy plaire,
Faisons au nom d'Amant* ceder celuy de Pere,
Quelque ennuy* que Pyrrhus en puisse recevoir
Il a pour s’en guerir le temps & son devoir.

ALCIME.

545 L’amour peut sur Pyrrhus avoir pris quelque empire* ?
Mais quoy que Briseis, Seigneur, vous ait pû dire,
Peut-estre il n’aime pas avec assez d’excez
Pour se faire un malheur de vostre heureux succez*,
Et si-tost qu’il sçaura que cet amour vous gesne*,
550 Son respect...

ACHILLE.

Non, Alcime, il a veu Polixene,
Et ce charme* attirant qui gagne tous les coeurs,
Ne sçauroit inspirer de legeres ardeurs,
J’en suis trop convaincu par mon experience,
N’en doute point, il l’aime avecque violence,
555 Et tout l’espoir qui s’offre à mon coeur alarmé,
C’est que brûlant pour elle, il n’en soit point aimé.
Je pouvois le sçavoir, mais mon inquietude
Du malheur dont je tremble a craint la certitude,
Et de cette frayeur vivement possedé,
560 De peur d’apprendre trop, je n’ay rien demandé.
Vaines précautions ! qu’est-ce que je redoute ?
Pyrrhus aimé ? non, non, il ne l’est point sans doute,
L’éclat* seul qui pourroit faire estimer sa foy,
Il le tient de l’honneur d’être sorty de moy ;
565 D’aucun exploit fameux la gloire consommée
N’a fait en sa faveur* parler la Renommée ; {p. 25}
Et la Cour de Priam ne le connoit encor,
Que sous le nom honteux de prisonnier d’Hector,
L’affront d’estre vaincu luy fit voir Polixene ;
570 Mais de quel fol espoir veux-je flatte* ma peine* ?
Quoy qu’à voir le merite un coeur trouve de jour,
A-t’on d’autre raison pour aimer que l’amour,
Et vers ce qui nous plaist toute l’ame entraisnée,
Prend-elle ailleurs des loix que de la destinée ?
575 Ah, s’il faut que le Ciel de fureur* animé
M’appreste le tourment de voir Pyrrhus aimé,
Quoy que j’aye à souffrir, au moins pour ma vangeance...

ALCIME.

Moderez ce transport*, le voicy qui s’advance.

SCENE IV. §

ACHILLE, PYRRHUS, ALCIME.

PYRRHUS.

SEIGNEUR, Briseis vient de me faire sçavoir
580 L’appuy que vos bontez prestent à mon espoir,
Et la reconnoissance où mon devoir m’engage,
En demande à mon zéle un si prompt témoignage,
Que je la trahirois si mon empressement
Pouvoit à l’expliquer differer un moment.
585 Mais par où faire voir ce qu’elle est dans mon ame
Si vous n’y penetrez* tout l’excez de ma flâme* ?
J’aime un Objet*, Seigneur, si digne d’estre aimé...

ACHILLE.

Je connois* à quel point vous en estes charmé*,
Et feray pour la paix, puis qu’elle vous est chere,
590 Ce que l’on vous a dit que j’ay promis de faire.
Vous pouviez cependant regler mieux vostre coeur,
Ne l’abandonner pas à cet excez d’ardeur.
Sur le plus bel espoir, quelques projets qu’on fasse,
Les choses quelquefois peuvent changer de face, {p. 26}
595 Et vous vous exposez par trop d’attachement
Aux plus fâcheux* ennuis* qu’ait à craindre un Amant*.

PYRRHUS.

En l’estat qu’est Priam, quel sujet de les craindre ?
Quoi que vous demandiez, il n’a point à s’en plaindre,
Et sçait trop contre luy ce que peut vostre bras,
600 Pour voir ma main* offerte, & ne l’accepter pas.
Mais quand de ses refus la juste défiance
Tiendroit de mon amour le succez* en balance,
Comment voir Polixene, & sur mes volontez
Conserver le pouvoir que vous me souhaitez ?
605 Sans ce premier amour dont les sensibles charmes*
Contre elle en la voyant vous font de seures armes,
Je ne sçay si vous-mesme admirant ses appas*,
Auriez pû la connoistre, & ne soupirer pas.
Une Majesté douce, un air incomparable
610 Soustient si noblement...

ACHILLE.

Elle est sans doute aimable,
Mais...

PYRRHUS.

Seigneur, quelle joye à mon coeur enflâmé*
Que vous rendiez justice au feu* qui m’a charmé* !
Jugez dans quel excez il doit aller pour elle
Quand son adveu*...

ACHILLE.

La Grece attend tout de mon zéle,
615 Il faudra dans l’Accord garder ses intérests.

PYRRHUS.

A vous accorder tout les Troyens sont tous prests,
Polixene me montre...

ACHILLE.

Encor qu’intéressée,
Elle peut de Priam ignorer la pensée.

PYRRHUS.

{p. 27}
Non, Seigneur, croyez-en l’amour qu’elle a pour moy,
620 Elle m’a descouvert ce que pense le Roy,
Son coeur qui de mon feu* partage la tendresse...

ACHILLE.

Vous estes donc aimé ?

PYRRHUS.

Cette belle Princesse
A qui par vostre adveu* je me puis attacher,
N’a pû voir mon amour sans s’en laisser toucher,
625 C’est-là ce qui sur tout rend mon bon-heur extréme.

ACHILLE.

Allez, Prince, il suffit que je sçay qu’on vous aime,
Je vay trouver Priam, & vous feray sçavoir
Ce que Troye & les Dieux vous souffriront d’espoir.

SCENE V. §

ACHILLE, ALCIME.

ACHILLE.

AH, de tous les malheurs le dernier & le pire !
630 Je n’entendois que trop ce qu’il me vouloit dire,
Et contre son amour toûjours forcé d’agir,
Je cherchois les moyens d’avoir moins à rougir.
Je voulois ignorer que Polixene aimée
Fust de la mesme ardeur pour Pyrrhus enflamée*,
635 Et demander sa main* avant qu’on m’eust apris
Que l’amour l’eust déjà destinée à mon Fils.
Etoufe, étoufe, Achille, une ardeur si funeste,
De ta raison seduite entens ce qui te reste.
Le coeur de Polixene où tu veux aspirer,
640 Est un bien que l’amour te défend d’esperer.
N’en sois point le Tyran, ta gloire t’en convie,
Pyrrhus te le demande, il y va de sa vie,
Et Briseis en pleurs qui te garde sa foy,
Attend pour les secher ce triomphe de toy. {p. 28}
645 Songe à ces tendres feux* qui te parlent pour elle,
Ils ont trop mérité que tu luy sois fidelle.
Veux-tu, sans aucun fruit pour ton coeur amoureux,
Par un lâche intérest faire trois malheureux ?
Encor si Polixene, à nul autre sensible,
650 Te laissoit quelque espoir de la trouver flexible,
Mais elle aime, & l’amour dont tu crois trop l’appas*
En déchirant son coeur ne le gagnera pas.
Aide-moy, cher Alcime, à vaincre ma foiblesse,
J’ay peine à bien vouloir ce que ma gloire presse,
655 Et contre un ennemy qui me charme* toûjours,
Ma vertu chancelante a besoin de secours.

ALCIME.

Ce vous seroit sans doute une illustre victoire
D’étoufer un amour que combat vostre gloire,
Mais quoy que ce triomphe excite vos souhaits,
660 Vous voudrez foiblement, & ne vaincrez jamais.

ACHILLE.

O d’un Astre fatal trop cruelle influence !
Alcime, tout mon sort est plein de violence.
Lors que de nos combats me disputant le prix,
L’injuste Agamemnon m’enleva Briseis,
665 Dans ma Tente enfermé tout brûlant de colere,
J’eus beau voir la fortune aux Grecs par tout contraire,
Pour eux aucun secours ne me sembla permis,
Et par cette retraite utile aux Ennemis,
Laissant à leurs efforts nos escadrons en proye,
670 Je fis plus pour Priam que tous les Dieux de Troye.
Patrocle est mort, quel sang n’a point coulé pour luy !
Que de haine ! l’amour en triomphe aujourd’huy,
Il m’arrache aux *transpors qui pressoient ma vangeance,
Et quand des traits* si doux m’ont trouvé sans défence,
675 Un Fils dont ma pitié tremble à regler le sort, {p. 29}
M’apprend que cet amour est l’Arrest de sa mort.
Briseis qui m’en vient expliquer l’injustice,
Le seconde, m’accable, & c’est là mon supplice.
Je dois à tous les deux ce qu’ils veulent de moy,
680 La nature est pour l’un, l’autre a reçeu ma foy.
Mais ces noeuds sont sans force, & ma victoire est vaine
Si-tost que je commence à revoir Polixene.
Mon coeur qu’ont asservy des charmes* si puissans
Se range tout à coup du party de mes sens,
685 Et contre ces assauts mon courage* inutile
Ne trouve plus en moy ce fier*, ce fort Achille,
Qui du sort des Troyens arbitre glorieux,
Maistrisoit la fortune, & tenoit teste aux Dieux.
Cedons, puis qu’il le faut, je suis lâche, infidelle,
690 Mais pour y renoncer, Polixene est trop belle.
Si je ne la puis voir favorable à mes voeux,
Au moins j’empescheray qu’un autre soit heureux,
Et peut-estre l’Hymen* en qui ma flâme* espere,
Luy fera de l’amour un devoir necessaire.
695 Allons trouver Priam, & sans plus balancer,
Demandons un accord où je puis le forcer.

Fin du second Acte.

{p. 30}

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

PYRRHUS, ANTILOCHUS.

ANTILOCHUS.

OUY, Seigneur, le succez* a suivy vostre attente,
Achille avec Priam est encor dans sa Tente,
Il l’a seul en secret long temps entretenu,
700 Et n’a rien demandé qu’il ne l’ait obtenu.
Tout est d’accord entr’eux, & la Paix est certaine.

PYRRHUS.

As-tu sceu quelle joye en montre Polixene ?
Sa crainte combatoit l’espoir que j’avois pris,
J’en croyois trop l’amour.

ANTILOCHUS.

Je n’en ay rien apris.
705 Seulement la nouvelle est au Camp répanduë
Qu’Helene à Menelas par l’accord est renduë,
Et qu’au sang de Priam celuy d’Achille uny
Etouffe pour toûjours...

PYRRHUS.

O bon-heur infiny !
Enfin, Antilochus, contre toute apparence,
710 Aprés de longs transports* de haine & de vangeance,
Aprés le corps d’Hector indignement traisné,
Je vois en un moment l’orage terminé.
Prest à renverser tout, il calme sa furie,
Achille est exorable, on le prioit, il prie,
715 Et de mon coeur charmé* secondant les desirs,
Il acquiert Polixene à mes brûlants soûpirs.
Qui l’eust crû que mon feu* fust si-tost sans obstacle ?

ANTILOCHUS.

Achille aime, & l’amour a produit ce miracle.
Aux Manes de Patrocle il eust tout immolé,
720 Plus de ressentiment, Briseis a parlé, {p. 31}
Et ce que sur son ame il lui donne d’empire*
L’asservit, quoy qu’il vueille, à ce qu’elle desire.

PYRRHUS.

Rien ne pouvoit sans doute estre plus genereux*,
Je dois à Briseis ce qui me rend heureux,
725 Elle seule appuyant les intérests de Troye...

SCENE II. §

ACHILLE, PYRRHUS, ALCIME, ANTILOCHUS.

PYRRHUS.

AH, Seigneur, puis-je assez vous témoigner ma joye ?
Pour reconnoistre mieux ce que je tiens de vous,
Permettez que l’amour me jette à vos genoux.
Cette paix que ma flâme* avoit tant souhaitée,
730 M’asseure un bien si cher...

ACHILLE.

Nous l’avons arrétée,
Et ce soir Polixene, en presence du Roy,
Doit confirmer l’Accord par le don de sa foy.
Au Temple d’Apollon déjà tout se prépare ;
Mais quoy que pour la paix vostre amour se déclare,
735 Je crains qu’elle n’ait plus dequoy vous contenter,
Quand vous sçaurez le prix qu’il vous en doit coûter.

PYRRHUS.

Ah, n’apprehendez point qu’il ait rien qui me gesne*,
Puis-je trop acheter la main* de Polixene ?
Quelques conditions qu’exigent les Troyens,
740 J’y consens, Polixene est le plus grand des biens,
Et puisque son Hymen* est le prix de ma flâme*,
Accordons tout le reste, il touche peu mon ame.

ACHILLE.

Et c’est ce qui du Sort vous marque le couroux,
La main* que vous voulez ne sçauroit estre à vous.

PYRRHUS.

{p. 32}
745 Ne sçauroit estre à moy ? Dieux ! mais non, je m’abuse,
Et d’un transport* trop prompt ma passion s’accuse.
Ne m’avez-vous pas dit que selon mes souhaits,
L’hymen* de Polixene affermissoit la paix ?

ACHILLE.

Je vous le dis encor, l’hymen* de Polixene
750 Fait naistre un heureux calme où régna trop de haine,
Mais lors qu’en se donnant sa main* a ce pouvoir,
C’est un autre que vous qui la doit recevoir.

PYRRHUS.

Un autre ! non, Seigneur, je vous dois mieux connoistre*,
Vous voulez m’éprouver, voir tout mon feu* paroistre.
755 Souffririez-vous, helas, que né pour commander,
Le Fils du grand Achille eust l’affront de ceder,
Qu’un insolent Rival luy ravist ce qu’il aime ;
Ou plûtost si toûjours vostre coeur est le mesme,
Souffririez-vous qu’un Fils chery si tendrement,
760 D’une eternelle rage éprouvast le tourment,
Et qu’un sort effroyable assemblast pour ma peine*
Tous les maux qui du Ciel puissent marquer la haine ?
Par ces tendres liens que le sang rend si doux,
Par tout...

ACHILLE.

Ma pitié, Prince, a combatu pour vous.
765 Mais en vain mes chagrins* m’ont fait juger des vostres,
Malgré vos intérests j’en ay dû prendre d’autres,
Et doute qu’aisément on eust conclu la paix,
Sans l’hymen* imprevû qui trompe vos souhaits.

PYRRHUS.

Qui trompe mes souhaits ? Seigneur, jamais Helene
770 N’a causé tant de maux qu’en fera Polixene.
Elle m’aime, & Priam se déclaroit pour moy, [ 33]
Je n’examine point qui me vole sa foy,
Quel Rival m’ose oster sa main* presque donnée,
Si c’est Agamemnon, Ajax, Idomenée ;
775 Mais soit Idomenée, Ajax, Agamemnon,
Le coup* m’arrache l’ame, on m’en fera raison.
Ouy, pour le prévenir, quoy qu’un lâche prétende*,
Il n’est sang chez les Grecs que mon bras ne répande,
Ma vangeance peut-estre y portera l’effroy.

ACHILLE.

780 Prince, vous oubliez que vous parlez à moy.
Quoy que pust vostre amour avoir de violence,
Vous deviez par respect le contraindre au silence,
De vos égaremens prendre un autre témoin.

PYRRHUS.

J’ay tort, & devant vous ma fureur* va trop loin,
785 Mais pour me souvenir que vous m’avez fait naistre,
Sçais-je assez qui je suis, & puis-je me connoistre* ?
Je cede à la raison que je dois écouter,
La joye à vos genoux m’a fait d’abord* jetter,
De l’ardeur de ma flâme* elle estoit l’interprete,
790 C’est pour elle à present que la douleur m’y jette.
Faites grace aux transports* d’un desespoir jaloux,
Et qui les doit, Seigneur, mieux excuser que vous ?
Briseis sous ses loix tient vostre ame asservie.
Quand par Agamemnon elle vous fut ravie,
795 A quels sanglants effets* vostre amour outragé
N’osa-t’il pas porter l’ardeur d’estre vangé ?
Ce que vous fit souffrir un feu* si beau, si tendre,
N’en dit que trop pour moy si vous voulez l’entendre,
Et Briseis aimée estale en ma faveur*
800 Tout ce qui peut m’aider à fléchir vostre coeur.
Le mien pour Polixene à tel point s’intéresse*,
Que si...

ACHILLE.

Vous souffrirez, Prince, je le confesse,
Le revers* est fâcheux*, mais j’ay beau le sçavoir, {p. 34}
Ce que vous demandez n’est pas en mon pouvoir,
805 Ce seroit vous flatte* qu’en garder l’espérance.

PYRRHUS.

Et bien, Seigneur, ma vie est en vostre puissance,
Vous pouvez me l’oster, commandez, je suis prest,
Mon respect sans murmure acceptera l’Arrest.
Pour qui voit tant de maux unis à le poursuivre,
810 Ce n’en sçauroit estre un que de cesser de vivre ;
Mais je vous le redis, à moins d’un prompt trépas,
Mon Rival, quel qu’il soit, doit redouter mon bras.
Fust-il environné de tout ce que la Grece...

ACHILLE.

C’est en croire un peu trop la douleur qui vous presse,
815 Mais d’un amour trompé je sçay quels sont les droits,
Et veux bien en souffrir une seconde fois.
Cependant apprenez que contre vostre audace
J’appuyeray hautement le Rival qu’on menace,
Et que si vostre main s’appreste à le percer*,
820 C’est par moy, par mon sang qu’il faudra commencer.

SCENE III. §

PYRRHUS, ANTILOCHUS.

PYRRHUS.

NON, de tous les malheurs le plus épouventable,
N’a jamais approché de celui qui m’accable.
Tu vois, Antilochus, comme je suis traité,
C’est peu qu’à mon amour tout espoir soit osté,
825 C’est peu que la nature immolant ce que j’aime,
En faveur* d’un Rival se trahisse elle-mesme,
On veut qu’impunément je me laisse outrager,
Et je suis criminel si j’ose me vanger.
Conçois-tu quelque peine* au delà du suplice
830 Où d’un pere endurcy m’expose l’injustice ?
Parle, affoibly mes maux, & lors que je me rends, {p. 35}
Convaincs-moy s’il se peut qu’il en est de plus grands.

ANTILOCHUS.

Achille me surprend, & j’eusse eu peine à croire
Que de tant de rigueur il eust pû faire gloire.
835 Se ranger contre vous du party d’un Rival !

PYRRHUS.

C’est une barbarie à qui rien n’est égal.
Plustost que se resoudre à me déchirer l’ame,
C’est mon Pere, il devoit porter par tout la flame,
Perdre, saccager Troye, & sur ses murs détruits
840 Elever un trophée à mes tristes* ennuis*.
Au moins en poursuivant cette entiere Victoire,
Le sang de quelques Grecs auroit vangé ma gloire,
Et dans ce prompt carnage où l’on n’épargne rien,
Mon Ennemy peut-estre auroit payé du sien.
845 Mais en vain à ma rage il prétend* se soustraire,
En vain contre le Fils il prend l’appuy du Pere,
Rien n’échape aux fureurs* d’un Amant* qui perd tout,
Et qui veut se vanger en vient toûjours à bout.

SCENE IV. §

BRISEIS, PYRRHUS, PHENICE, ANTILOCHUS.

BRISEIS.

ET bien, nostre retraite est enfin résoluë,
850 Achille a vû Priam, & la paix est concluë ?

PYRRHUS.

Oui, Madame, & l’horreur où je me vois réduit
De cette affreuse paix est le funeste fruit.
Tout s’arme pour me nuire, & je pers Polixene.

BRISEIS.

Quoy, Priam contre Achille en auroit crû sa haine ;
855 Et l’hommage du Fils n’auroit point effacé*
Le souvenir du sang que le Pere a versé ?

PYRRHUS.

{p. 36}
J’ignore à qui je dois imputer ma disgrace,
Mais enfin, plus d’espoir, un autre a pris ma place,
Achille à mon Rival consent à m’immoler,
860 Et pour le bien public je m’en dois consoler.

BRISEIS.

Achille contre un Fils malgré moy l’authorise ?
Il luy cede l’Objet* dont vostre ame est éprise ?
Et quel est ce Rival ?

PYRRHUS.

On m’en a teu le nom,
Mais en vain on me croit cacher Agamemnon,
865 Il vous aimoit, Madame, & forcé de vous rendre
Des traits* de Polixene il n’a pû se défendre.
Achille qui pour vous a triomphé de luy,
A voulu contre moy se faire son appuy,
Et crû devoir par là calmer la haine ouverte,
870 Qu’avoit semée entr’eux l’ennuy* de vostre perte.
C’est luy, qu’on me prefere, il n’en faut point douter,

BRISEIS.

Envain Agamemnon prend droit de se flater*.
Achille m’a promis, & plûtost que j’endure
Ce que vos feux* trompez feroient au mien d’injure,
875 Deust la guerre en fureur* ne s’éteindre jamais,
Il m’aime, soyez seur que je rompray la paix.
Je sçay ce que je puis.

PYRRHUS.

Ah, c’en est trop, Madame,
Tant de sang à verser fait horreur à ma flame*.
Quoy qu’Achille pour vous fasse moins qu’il ne peut,
880 Ne troublons point la paix, Polixene la veut,
Vostre bon-heur dépend de laisser tout tranquille,
Par là vous l’épousez ce trop injuste Achille,
Et pour mes intérests la raison ne veut pas
Qu’un plus long different vous oste à vos Estats.
885 Allez, Madame, allez prendre le nom de Reyne, {p. 37}
J’auray soin de vanger la triste* Polixene,
Et mon lasche Rival à ses pieds immolé,
Peut-estre me rendra le bien qu’il m’a volé.

SCENE V. §

BRISEIS, PYRRHUS, POLIXENE, PHENICE, ILIONE, ANTILOCHUS.

BRISEIS.

QUE me dit-on, Princesse ? on trahit vostre flame*,
890 Achille qui me trompe aide à vous percer* l’ame ?
Priam à son party contre Pyrrhus est joint ?

POLIXENE.

Madame, ces malheurs ne me surprennent point.
Si du Ciel contre moy la rigueur se déploye,
Je n’attendois pas moins, c’est le destin de Troye.
895 Victime d’une paix qu’on m’a fait demander,
Priam resout ma mort, c’est à moy de ceder,
Heureuse en m’immolant pour calmer la tempeste,
Si l’éclat* n’en tomboit que sur ma seule teste,
Mais ma raison se perd quand de si rudes coups*
900 Desesperant Pyrrhus, rejallissent sur vous,
Et le crime odieux dont je me vois complice,
Par ce que je vous dois m’est le dernier suplice,
Punissez-en l’audace, elle est dure à souffrir,
Mon sang peut l’expier, & je viens vous l’offrir.

PYRRHUS.

905 Ainsi, Madame, ainsi vous estes resoluë
D’accepter un Arrest qui vous pert & me tuë ?
Si mon coeur est un bien que l’amour vous rend cher,
Songez-vous ce que c’est que de vous l’arracher ?
Songez-vous ce que c’est que de forcer le vostre
910 A changer de tendresse, à vivre pour un autre,
Et voyez-vous ces maux avec si peu d’effroy,
Que vous n’ayez pitié ny de vous ny de moy ?

POLIXENE.

{p. 38}
J’en fremis, je l’avouë, & mon ame estonnée*,
A mille morts par là se trouve condamnée,
915 Mais dés que j’ose voir vos malheurs & les miens,
J’entens les cris affreux que poussent les Troyens,
La nature me fait une image* sanglante
Et de Priam sans vie & d’Hecube mourante.
Je voy, sans respecter, âge, sexe, ny rang,
920 Les Grecs presser le meurtre & nager dans le sang,
Et la flame par tout avide à se répandre,
Devorer nos Palais & laisser Troye en cendre.
Quand par là mon repos se pourroit acheter,
Vaudroit-il les horreurs qu’il auroit sçû couster ?

BRISEIS.

925 Esperons mieux du Ciel, quelque dure disgrace*
Dont vostre amour timide* ait reçû la menace,
Il ne souffrira point qu’un accord inhumain,
Vous ostant à Pyrrhus, luy vole vostre main*.
Suspendez vos ennuys* ; l’ordre qui les fait naistre...

POLIXENE.

930 J’ay sans doute à rougir de les laisser paroistre,
Vous me donnez l’exemple, & moins d’accablement
Auroit deu suivre en moy la perte d’un Amant*.
Vôtre fiére vertu qu’aucun revers* n’étonne
Me reproche le trouble où mon coeur s’abandonne,
935 Un peu d’effort sur vous luy fait tout surmonter,
C’est beaucoup, je voudrois la pouvoir imiter,
Et soûtenir le coup* d’une ame aussi tranquille
Que je vous voy souffrir l’inconstance d’Achille.

BRISEIS.

Achille est inconstant ?

PYRRHUS.

Madame, Achille... Ah, Dieux ?

BRISEIS.

940 Sur cet affreux revers* je n’ose ouvrir les yeux.
Se pourroit-il qu’Achille eust souffert qu’en son ame...

POLIXENE.

{p. 39}
Et quoy, de ce barbare ignorez-vous la flame*,
Et qu’il veut que ma main*, assassinant Pyrrhus,
Soit le prix des honneurs qu’Hector en a receus ?
945 Envain Hecube en pleurs, envain le Roy mon Pere
A refusé la Soeur au meurtrier du Frere ;
Envain d’une autre flame* ils se sont fait l’appuy,
Point de paix, point d’accord si je ne suis à luy.
Perdant, renversant Troye il nous fera *connoistre
950 Qu’Achille supliant a pû parler en Maistre,
Et qu’un dernier assaut donné de toutes parts,
Si-tost qu’il s’armera, le met sur nos remparts,
Nous cédons à la force. Et qui peut s’en defendre ?

BRISEIS.

Son amour devant tous s’est fait cent fois entendre.
955 Qui l’auroit pû penser ? aprés tant de serments,
Tant de soins*, de devoirs, d’ardeurs, d’empressements,
Achille, cét Achille à qui toute son ame
Sembloit un prix trop bas pour bien payer ma flame*,
Me quitte, m’abandonne, & violant sa foy,
960 Porte ailleurs ce qu’envain je croyois tout à moy.
Ah, Prince, à ce malheur toute ma raison cede,
Il a trop de témoins pour souffrir du remede,
Puisque contre sa gloire Achille a fait ce pas,
Sa fierté* m’est connuë, il ne changera pas,
965 Et je dois préparer mon ame infortunée
Aux éternels ennuys* où je suis condamnée.

PYRRHUS.

Enfin, à ma disgrace* il ne manque plus rien,
Au moins dans les grands maux la vangeance est un bien,
Et tant que cet espoir a soulagé ma flame*
970 J’ay moins senty le coup* qui va m’arracher l’ame.
Par un fatal surcroist de malheurs inoüis,
Prest à verser du sang j’entens le nom de Fils,
Et vois avec horreur que ma juste colére,
Pour percer* mon Rival, doit s’armer contre un Pere. {p. 40}
975 Ah, Madame, vous perdre est-ce un mal si leger,
Qu’il faille le souffrir, & ne vous point vanger.

POLIXENE.

Vous en avez sujet, plaignez-vous l’un & l’autre,
L’aigreur de mon destin se répand sur le vostre,
Pour vous perdre, le Ciel semble n’épargner rien,
980 Mais enfin vos malheurs approchent-ils du mien ?
Si la douleur du coup* vous les fait croire extrémes,
Au moins vous demeurez absolus sur vous-mesmes,
Et la rigueur du sort n’asservit point vos coeurs
A la nécessité de se donner ailleurs :
985 Mais quand d’un feu* qui plaist la douceur combatuë
Cede à l’affreuse loy d’un devoir qui nous tuë,
Qu’on n’éteint un amour dont on estoit charmé*
Que pour en voir un autre à sa place allumé,
Des plus cruels* tourmens tout ce qu’on se figure
990 N’est de ce dur revers* qu’une foible peinture.
J’en tremble, & ma vertu qui craint mon desespoir
N’ose m’abandonner à ce qu’elle ose voir,
Elle n’offre à mes yeux qu’une confuse image*
De l’abysme étonnant* des maux qu’elle envisage,
995 Et si déja pour moy c’est plus que le trépas,
Quand je connoistray tout, que ne sera-ce pas ?

PYRRHUS.

Ah, tâchez, s’il se peut, de ne le point connoistre,
Voyez de grace Achille, il se rendra peut-estre,
Si vous luy peignez bien à quel destin affreux
1000 L’amour qu’il a pour vous livre trois malheureux.
Déja depuis long-temps dites-luy que vostre ame
Par l'adveu* de Priam se doit toute à ma flame*,
Et qu’envain il prétend* que le tiltre d’Espoux
Asseure à ses desirs ce qui n’est plus à vous.
1005 Enfin, faites pour moy tout ce qu’il se peut faire,
Réveillez dans son coeur la tendresse de Pere,
Montrez-luy le respect où j’ay toûjours vescu, {p. 41}
Et ne le quittez point que vous n’ayez vaincu.

BRISEIS.

Quelque peu que j’espere, allez, pressez, Madame,
1010 Essayez ce que peut la pitié sur son ame.
La fortune bientost s’est changée entre nous,
Vous attendiez de moy ce que j’attens de vous.
Vueille le pur amour qui m’avoit trop flatée*,
Qu’avec plus de succez* vous soyez écoutée.

POLIXENE.

1015 Sur l’ordre de l’Hymen* qui fait tous nos malheurs,
C’est de loin seulement qu’Achille a veu mes pleurs,
Contre un coeur genereux* ce sont de fortes armes,
J’en vay faire l’épreuve, & si mes foibles charmes*
Font toûjours qu’à sa gloire il m’ose préferer,
1020 J’auray pour vous du sang prest à tout réparer.

SCENE VI. §

BRISEIS, PYRRHUS, PHENICE, ANTILOCHUS.

PYRRHUS.

DE quelle dureté doit-il estre capable
Si pour vous, si pour elle il est inexorable ?
Attaqué par ses pleurs pourra-t’il résister ?

BRISEIS.

Prince, ne cherchons point tous deux à nous flater*.
1025 Trop de soins* empressez d’obliger & de plaire
Ont précédé l’éclat* qu’Achille vient de faire,
Pour avoir droit encor de nous persuader,
Que rien puisse jamais le contraindre à ceder.
Ah, que le fort amour dans un coeur noble & tendre,
1030 Pour peu qu’on se déguise, est facile à surprendre !
Ce couroux où sans peine on le vit renoncer,
Ce vain tombeau d’Hector qu’il fit soudain dresser,
Ces honneurs qu’à sa cendre il alla rendre à Troye,
Sa Tente offerte au Roy, ses soins* pour luy, sa joye ;
1035 Qui ne s’y fust trompée ? Il me devoit sa foy,
On m’avoit fait parler, j’expliquois tout pour moy, {p. 42}
Tant de marques d’amour me rendoient fiere* & vaine.
Cependant tout estoit pour plaire à Polixene,
Et telle est de mon sort la funeste rigueur
1040 Que j’ay poussé les traits*qui me percent* le coeur.
Appuyant Polixene, & lui montrant ses larmes
Je l’ay livré moy-mesme au pouvoir de ses charmes*.
Quel desespoir pour moy ! mais ne négligeons rien,
Prince, vostre intérest se trouve joint au mien,
1045 Pour empescher l’Hymen* qui fait nostre supplice,
Voyez Agamemnon, j’iray trouver Ulisse,
Quelque paix qu’à Priam Achille ait pû jurer,
S’ils sont tous deux pour nous, nous pouvons esperer.

Fin du troisiéme Acte.

{p. 43}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

ACHILLE, ALCIME.

ALCIME.

SEIGNEUR, jamais Traité ne causa tant de joye,
1050 Nous entendons du Camp les cris qu’en pousse Troye,
Où chacun à l’envy d’un bien si précieux
Court au pied des Autels rendre graces aux Dieux.
Paris, le seul Paris se plaint, se desespere,
Helene à son amour a toûjours droit de plaire,
1055 Et la paix n’offre rien qui le puisse toucher
Quand il perd malgré luy ce qu’il a de plus cher.

ACHILLE.

Et nos Grecs ?

ALCIME.

Diomede, Ulysse, Idomenée
En faveur* de Pyrrhus blâment vôtre Hymenée*,
Mais sans y mettre obstacle ; Agamemnon charmé*
1060 De nouveau s’abandonne à l’espoir d’estre aimé,
Et croyant qu’à ses voeux Briseis est acquise,
Il aime en ce projet ce qui le favorise.
Tout est calme par tout.

ACHILLE.

Alcime, quel bonheur
Si ce calme empeschoit le trouble de mon coeur !
1065 Il a beau se livrer aux charmes* qui l’attirent,
Briseis & Pyrrhus tour à tour le déchirent,
Et de leurs feux* trahis le remords accablant
Est un bourreau secret qu’il ne voit qu’en tremblant.
Quand l’amour malgré nous l’emporte sur la gloire,
1070 Qu’un grand coeur est géné d’une telle victoire,
Et qu’il est malaisé que ce honteux appas*
Luy couste une foiblesse, & qu’il n’en souffre pas !
C’est peu que mon chagrin* me fasse voir sans cesse, {p. 44}
Que j’assassine un Fils, accable une Maîtresse,
1075 Polixene elle mesme, à qui j’immole tout
Met ma flame* en desordre, & ma constance à bout.
A toute heure, en tous lieux, je l’entens qui s’écrie,
SongesongeTyranquelle est ta barbarie,
Abusant du pouvoir qu’on te donne sur moy,
1080 Tu m’arraches un coeur qui ne peut estre à toy.
Tant que Pyrrhus vivra, quoy que tu te proposes,
Ce coeur sera le prix des maux que tu luy causes,
Et mon dernier soupir, pour flater* son ennuy*,
Sera pour toy d’horreur, & de pitié pour luy.

ALCIME.

1085 Si de ses voeux contraints vous vous faites un crime,
Il est, il est, Seigneur, encor temps...

ACHILLE.

Non, Alcime ;
J’ay beau voir quels malheurs en peuvent arriver,
J’adore Polixene, & ne puis m’en priver.
C’est mon destin. J’en suis le decret immuable.
1090 Les Dieux m’ont fait un corps au fer impénétrable,
Aucuns dards, aucuns traits* ne le peuvent percer*,
Falloit-il que mon coeur fust facile à blesser,
Et qu’à mes passions mon ame abandonnée,
Par leurs moindres efforts fust toûjours entraisnée.

ALCIME.

1095 Elle peut s’apprester à de nouveaux combats,
Polixene paroist, Seigneur.

ACHILLE.

Qu’elle a d’appas* !

SCENE II. §

ACHILLE, POLIXENE, ALCIME, ILIONE.

ACHILLE.

Madame, dans vos yeux je lis ce qui se passe,
D’Achille trop à vous l’amour vous embarasse,
Et vostre coeur gêné* de l’adveu que j’ay fait {p. 45}
1100 Ne peut en ma faveur* obeïr qu’à regret.
Je luy voudrois sans doute épargner ce supplice,
Mais daignez vous connoistre*, & me rendez justice.
Tout ce qui fut jamais d’engageant & de doux,
Tout ce qui peut charmer*, le Ciel l’a mis en vous.
1105 J’ay des yeux, c’est assez pour n’aimer qu’à vous plaire.
D’un si noble dessein rien ne me peut distraire,
J’y mettray tous mes soins, & si vostre froideur
S’obstine de mes voeux à combatre l’ardeur,
Tant de respect suivra le beau feu* qui m’anime,
1110 Que vous croirez au moins me devoir vostre estime,
Et peut-estre à la fin souffrirez-vous qu’un jour
Cette estime enhardie aille jusqu’à l’amour.

POLIXENE.

De l’Univers entier l’estime vous est deuë,
Seigneur, & quand de vous la mienne est attenduë,
1115 Vos bontez m’en ont fait un si pressant devoir,
Que vous la refuser n’est pas en mon pouvoir.
Mais je vous l’avoüeray, quelque rang où m’éleve
Cet Hymen* dont l’accord joint la paix à la trefve,
Je n’y sçaurois penser que mes sens étonnez*
1120 Ne rejettent l’honneur que vous me destinez.
Je ne vous diray point que vostre main* offerte
D’Hector tombé sous vous me reproche la perte,
Mon Pere & mon Pays ont des droits absolus,
Ils parlent, c’est assez, je ne m’en souviens plus ;
1125 Mais puis-je également oster de ma memoire
Qu’en demandant ma main* vous soüillez vostre gloire ?
Je sçay que Briseis a receu vostre foy,
Je luy dois les bontez que vous eustes pour moy,
Et sur elle avec vous porter un coup* si rude
1130 C’est à la trahison joindre l’ingratitude.
Montrez ce qu’est Achille, & songez que sur vous
L’Univers qui s’étonne* ouvre ses yeux jaloux*.
Ne luy donnez pas lieu de dire, à vostre honte,
Que le Vainqueur d’Hector souffre qu’on le surmonte, {p. 46}
1135 Et que toute la gloire où je le voy monté,
N’a pû le derober à l’infidélité.
Le triomphe est facheux*, il est dur, difficile,
Je le croy, mais enfin il est digne d’Achille,
Et le nom de Heros à vos vertus acquis,
1140 Des efforts qu’il éxige est un assez haut prix.

ACHILLE.

Le conseil paroist beau, genereux*, magnanime,
Mais, Madame, je voy quel intérest l’anime.
Ce soin* de satisfaire à l’Univers jaloux*,
Bien qu’expliqué pour moy, ne regarde que vous.
1145 Vostre coeur qui ne peut me souffrir infidelle,
Appuyant Briseis, court où l’amour l’appelle,
Et ne me peint ses feux* injustement deceus,
Qu’afin de se pouvoir conserver à Pyrrhus.

POLIXENE.

Pyrrhus, je le confesse, avoit dequoy me plaire,
1150 Vous en avez trop sceu pour vouloir vous le taire.
Si le Ciel nous eust veus d’un oeil moins rigoureux,
Mon bonheur dépendoit de voir Pyrrhus heureux.
Priam qui m’ordonna de répondre à sa flame*
Me fit prendre plaisir à régner sur son ame,
1155 Patrocle estoit vivant, & l’espoir de la paix
Par une douce amorce engageoit mes souhaits.
De ses voeux empressez l’hommage trop sensible
Méritoit que mon coeur ne fust pas infléxible,
Et faut-il s’étonner s’il s’en trouva charmé* ?
1160 C’étoit un jeune coeur qui n’avoit rien aimé,
La conqueste pouvoit en estre plus facile,
Pyrrhus le valoit bien, il estoit fils d’Achille,
D’un Pere si fameux les exploits éclatants*
Répondoient* de sa gloire, & prévenoient le temps.
1165 Je ne sçay si l’amour doit passer pour un crime
Quand l’honneur, le devoir, le rendent légitime,
Aux volontez d’un Pere ils ont sceu m’attacher, {p. 47}
Le defaut n’est pas grand pour me le reprocher.

ACHILLE.

Mais vous l’aimez encor ce Pyrrhus, & vostre ame
1170 Malgré mes voeux offerts est sensible à sa flame*.

POLIXENE.

Quand ce soûpir, helas ! n’en seroit pas l’adveu,
Un moment suffit-il pour éteindre un beau feu*,
Et pourrois-je si-tost, malgré vostre espérance,
Vous répondre* pour luy de mon indifference ?
1175 Je puis avoir trop creu le panchant de mon coeur,
Mais des soins* de Pyrrhus quand j’ay chery l’ardeur,
Je ne prévoyois pas que trop prompt à vous rendre
Vous deussiez condamner l’amour qu’il m’a fait prendre,
Que vous pussiez vouloir en combatre l’appas*,
1180 Et peut-estre, Seigneur, ne le voudrez vous pas.
Vous vous reprocherez la barbare injustice
De séparer deux coeurs que tout veut qu’on unisse,
Deux coeurs du mesme feu* dés long-temps enflamez*,
Et que l’amour exprés l’un pour l’autre a formez.
1185 Vous vous reprocherez de vouloir...

ACHILLE.

Non, Madame,
Si j’avois de Pyrrhus authorisé la flame*
Je me reprocherois la barbare rigueur
De m’estre fait pour luy l’ennemy de mon coeur.
Il ne sçauroit souffrir, ce coeur qui vous adore,
1190 Que vous ayez aimé, que vous aimiez encore,
Cette image* le tuë, & vous croyez envain
Qu’il céde à mon Rival le don de vostre main*.

POLIXENE.

Et bien, Seigneur, & bien, j’oublieray que je l’aime,
Ne faites rien pour luy, faites tout pour vous-mesme.
1195 Je ne demande plus que vos chagrins* jaloux {p. 48}
Luy souffrent un amour à ses desirs trop doux,
Un autre de ce crime auroit voulu l’absoudre,
Vous voulez qu’il l’expie, il faudra l’y resoudre.
Mais enfin vos serments, le don de vôtre foy,
1200 Tout est pour Briseis, vous la voyez en moy.
Sauvez-la des ennuys* dont je tremble pour elle,
Sauvez-vous de l’affront d’estre lâche, infidelle.
Vostre seul intérest fait naistre mes refus,
C’en est fait, pour jamais je renonce à Pyrrhus,
1205 Qu’il parte avecque vous. Eloignez l’un de l’autre,
Il plaindra son amour étouffé par le vôtre.
Pour moy, qui de mon coeur essayeray d’obtenir
Qu’il immole à ma gloire un si doux souvenir,
Je me contenteray de l’innocente joye
1210 De voir régner Priam sur les restes de Troye.

ACHILLE.

N’écouter mon amour que pour le dédaigner,
Madame ce n’est pas le moyen de regner.
Vous gardez trop longtemps un espoir inutile,
Plus de Trône pour vous qu’en épousant Achille,
1215 Resolvez, le destin est assez glorieux.

POLIXENE.

Faites donc, inhumain, faites plus que les Dieux.
Jusqu’icy quelque sort dont la rigueur me brave,
Ils n’ont pû me forcer à prendre un coeur d’esclave,
Et c’est un juste orgueil que ce coeur va trahir,
1220 Si quand vous commandez, il me laisse obeïr.

ACHILLE.

De cet illustre orgueil donnez un fier* exemple,
Qu’il éclate*. Ce soir j’ay promis d’estre au Temple,
J’y seray. Si ma main* est pour vous sans appas*,
Madame, vous pouvez ne vous y rendre pas.
1225 Je n’iray point sur vous dans ma juste colere
Mandier lâchement l’authorité d’un Pere,
Un coeur tel que le vostre a droit de tout oser.
Cependant de mon bras je pourray disposer,
Et quand sur vos remparts le carnage & la flame {p. 49}
1230 Aux dernieres horreurs exposeront vôtre ame,
Vous n’aurez pas sujet dans vos cris superflus
De m’imputer des maux que vous aurez voulus.

POLIXENE.

Non, cruel, vos fureurs* n’auront pas l’avantage
De me rendre témoin de cet affreux carnage,
1235 C’est assez qu’aujourd’huy je le puis racheter
Par le dur sacrifice où je vay m’apprester.
Pour épargner à Troye un destin si funeste,
J’iray porter ma main*, les Dieux feront le reste.
Ils sçavent que mon coeur mille fois déchiré
1240 Paye en larmes de sang tout ce qu’elle a pleuré,
Que s’il ne s’agissoit de prévenir sa cheute,
Cent morts me seroient moins que ce que j’execute,
Qu’auprés de ce tourment tout supplice est leger ;
S’ils ont de la justice ils voudront y songer,
1245 Ils se repentiront d’avoir pû se resoudre
A vous laisser sur moy lancer plus que leur foudre,
Et vangeant Briseis, apprendront aux ingrats
Que c’est pour mieux punir qu’ils retiennent leur bras.
Joüissez à ce prix de mon cruel* martyre.
A Briseis qui paroist.
1250 Madame, je m’éloigne, & n’ay rien à vous dire.
Nous n’aurons pas si-tost la fin de nos malheurs,
Tout s’arme contre nous, voyez-le par mes pleurs.

SCENE III. §

ACHILLE, BRISEIS, PHENICE, ALCIME.

BRISEIS.

Enfin, il se peut donc qu’Achille me trahisse,
Que son coeur sans remords succombe à l’injustice,
1255 Et qu’un nouvel amour écouté d’aujourd’huy
Triomphe du pouvoir qu’il me donna sur luy.
Ce honteux changement, encor qu’inexcusable, {p. 50}
En tout autre du moins m’auroit paru croyable,
La froideur, le dégoust, & l’oubly des serments
1260 Ne sont que trop communs aux vulgaires Amants.
Mais qu’une ame élevée au dessus d’elle-mesme,
Qu’Achille se resolve à trahir ce qu’il aime,
Qu’il s’ose montrer foible, ingrat, lâche, sans foy,
Qu’il renonce à l’honneur, c’est un monstre pour moy.

ACHILLE.

1265 Madame, avec plaisir je garde en ma memoire,
Que je vous ay promis d’asseurer vostre gloire,
Je vous tiendray parole, & pour vous couronner
Pyrrhus dans vos Estats ira vous remener.
Il a l’ordre, daignez accepter sa conduite.

BRISEIS.

1270 Pyrrhus a l’ordre ! helas, où me vois-je réduite !
L’amour le veut, il faut vous défaire de nous,
Vous fuyez des témoins trop à craindre pour vous,
Vous fuyez des regards dont le sanglant reproche
Troubleroit le bonheur que vous voyez si proche.
1275 Pour me sauver du coup* qui doit m’assassiner,
N’avez-vous, inhumain, qu’un trône à me donner ?
Si ce charme* eust trouvé le foible de mon ame
J’aurois d’Agamemnon favorisé la flame*,
Ravie à vostre espoir, seure de mon repos,
1280 Je n’avois qu’à parler, j’étois Reyne d’Argos.
Il n’eust point comme vous, pour me donner ce tiltre,
Attendu que la guerre en eust esté l’arbitre.
Il n’eust point, pour m’oser soûmettre ses Estats,
Attendu comme vous la fin de vos combats.
1285 J’ay d’Achille amoureux préféré la promesse
A l’honneur asseuré de régner sur la Grece,
Son coeur m’a plus esté qu’un Diadême offert,
J’ay tout fait pour luy plaire, & c’est luy qui me perd.

ACHILLE.

{p. 51}
Madame, il seroit bon...épargnez-moy de grace,
1290 Le tiltre de Vainqueur peut donner de l’audace,
Et je serois faché que de trop durs adieux...

BRISEIS.

L’ordre presse, j’entens, il faut quitter ces lieux,
Sans rien éxaminer sur tout ce qui m’arrive,
C’est à moy d’obeïr, je suis vostre Captive,
1295 Quoy que le nom me blesse, il m’est encor plus doux
De l’entendre de moy, que de l’oüir de vous ;
Mais je puis dire au moins, quelle qu’en soit la honte,
Quand de cette Captive on fait si peu de compte,
Qu’elle a veu mille fois son Vainqueur à ses pieds
1300 Tenir pour la toucher ses voeux humiliez,
Et lui sacrifiant sa fierté* naturelle,
Baiser avec respect les fers qu’il prenoit d’elle.
Aprés tant de devoirs, si son coeur aujourd’huy
Trouve qu’une Captive est indigne de luy,
1305 Si le nom que j’en eus à m’oublier l’engage,
L’étois-je moins alors, la suis-je davantage,
Ou cet Achille, heureux quand il se soûmettoit,
Parce qu’il est perfide, est-il plus qu’il n’étoit ?

ACHILLE.

Vous le sçavez peut-estre, Achille est fier*, Madame,
1310 Et quoy qu’il ait voulu devoir à vostre flame*,
Dans l’inquiet soucy qui trouble sa raison
Des reproches si durs ne sont pas de saison.
Si de quelques ennuys* je suis pour vous la cause,
L’amour qui m’y contraint me coûte quelque chose,
1315 Et c’est trop hazarder aprés ce que j’ay fait,
Qu’irriter un amour qui n’est pas satisfait.

BRISEIS.

Et c’est, ingrat, c’est-là ma plus sensible peine*.
Je lis dans vostre coeur le remords qui vous gêne*,
Vous souffrez. Briseis que vous voulez bannir
1320 S’offre encor malgré vous à vostre souvenir. {p. 52}
Malgré vous de Pyrrhus l’accablante disgrace*
D’un suplice éternel vous porte la menace,
Et quel fruit se promet vôtre esprit aveuglé
D’une Amante* trahie, & d’un Fils immolé ?
1325 Je l’avouë avec vous, Polixene a des charmes*,
C’est moy qui contre moy vous ay presté des armes,
C’est moy qui luy faisant embrasser vos genoux
Ay demandé la mort que je reçois de vous.
J’ay commencé, j’acheve, & mon amour extrême
1330 Ne veut dans ce qu’il fait regarder que vous mesme.
Vostre raison surprise applaudit à vos sens,
Polixene vous plaist, voyez-la, j’y consents,
Par les soins* les plus doux, par le plus tendre hommage
Tâchez de l’engager comme elle vous engage,
1335 Méritez que pour vous son coeur soit enflamé*,
Et rendez-vous heureux si vous estes aimé.
Sans espoir, sans repos, errante, infortunée,
J’iray loin de vos yeux pleurer ma destinée,
Heureuse dans ce triste* & déplorable sort
1340 Qu’au moins vôtre bonheur soit le prix de ma mort ;
Mais qu’un aveugle amour qui vous trahit vous-mesme,
Vous donne à qui vous hait, vous ôte à qui vous aime,
Qu’Achille malheureux réduise Briseis...

ACHILLE.

Madame, c’est assez, le dessein en est pris,
1345 Contre un coeur résolu la résistance est vaine,
Heureux ou malheureux, j’épouse Polixene :
Si sa haine a pour moy des revers* éclatans*,
Vous plaindrez mes malheurs quand il en sera temps.

BRISEIS.

Va, fay gloire des noms de parjure & de traistre,
1350 Ingrat, pour esperer j’ay trop deu te connoistre*,
Et sçavoir que ton coeur, aprés ta lâcheté
N’en voudroit consulter que sa seule fierté*.
Aussi je rougirois si pour toucher ton ame {p. 53}
A ses entiers transports* j’abandonnois ma flame*,
1355 Si je te faisois voir dans quel gouffre d’ennuis*
Me plonge le malheur où mes jours sont réduits.
Non, ne présume point que je m’abaisse à dire
Que j’ay peu mérité les maux dont je soûpire,
Que le parfait amour qui m’engage ta foy...
1360 Helas, crois-tu qu’une autre en ait autant pour toy ?
Crois-tu qu’une tendresse aussi pure & solide
Soit... J’entens tes regards, c’est trop pour un perfide,
De tes serments faussez ton coeur est satisfait,
La trahison te plaist, je te perds sans regret.
1365 Cours presser un Hymen* dont je suis la victime,
Il suffit que les Dieux soient ennemis du crime.

ACHILLE.

Madame...

BRISEIS.

Envain sur toy l’on voudroit attenter,
Tu le crois, mais enfin, crains de te trop flater*.
Ces Dieux dont le pouvoir t’a fait invulnérable
1370 Ne te protégent pas pour te rendre coupable,
Ils conduiront le dard quand il sera lancé,
Et trouveront par où tu peux estre percé* ;
Confus, desespéré, tu verras Polyxene,
Quand ton sang coulera, triompher de ta peine*,
1375 L’image* de Pyrrhus heureux par ton trépas...
Achille sort.

SCENE IV. §

BRISEIS, PHENICE.

BRISEIS.

TU me quittes cruel, & ne m’écoutes pas,
Mes reproches pour toy sont un trop dur supplice,
Tu ne les peux souffrir, tu ne peux... Ah, Phenice,
Il est temps qu’avec toy ma douleur mette au jour
1380 Toute l’horreur des maux où m’abysme l’amour.
Je sens ce coup* affreux... Mais quand il me déchire {p. 54}
Le sentirois-je assez si je pouvois le dire ?
Pour mieux voir de ces maux le déplorable excez
Peins-toy les plus beaux feux* dont on brûla jamais,
1385 Peins-toy d’un long espoir, quand l’amour est extrême...

PHENICE.

Eh, Madame, tâchez de vous rendre à vous mesme.
Achille traistre, ingrat, ne vaut pas aujourd’huy
Le moindre des soûpirs que vous perdez pour luy.
Ne songez qu’à régner, il est doux de reprendre
1390 Un Trône dont le sort vous avoit fait descendre,
De vos Estats perdus...

BRISEIS.

Tu me parles d’Estats.
Des plus vastes grandeurs joins les plus doux appas*,
Rends-moy du monde entier la conqueste facile,
En être Reyne, est moins que régner sur Achille.
1395 Il avoit tout mon coeur, tu ne l’as que trop sceu,
S’il s’est donné cent fois, cent fois il l’a receu,
Cent fois il m’a juré que Briseis aimée...
Ah, suivons la fureur* dont je suis animée,
Vangeons-nous d’un ingrat qui m’ose dédaigner,
1400 Une juste douleur ne doit rien épargner,
Pour le faire souffrir immolons Polixene.
Pourquoy sur ce projet laisser trembler ma haine ?
N’a-t’elle pas causé tous mes malheurs ? helas !
Pour les avoir causez elle n’en joüit pas.
1405 Si je souffre beaucoup, plus malheureuse encore
Il faut qu’elle se livre au Tyran qu’elle abhorre.
Puisque le mesme coup* nous frape toutes deux,
C’est contre Achille seul qu’il faut tourner mes voeux.
Qu’il périsse ; le Ciel nous doit cette vangeance.

PHENICE.

1410 Si de vos feux* trahis son sang lavoit l’offence,
Voyant à vos desirs son trépas accordé, {p. 55}
Vous vous repentiriez d’avoir trop demandé.

BRISEIS.

Non, à quelque retour que la pitié m’appelle,
J’aime mieux le voir mort que le voir infidelle,
1415 Ce seul soulagement peut flater* mon espoir.
Mais allons de Priam essayer le pouvoir.
Le temps presse, malgré la parole donnée
Tâchons à reculer ce funeste Hymenée*.
Ma douleur chez les Grecs trouvera du secours
1420 Si je puis de Priam obtenir quelques jours.

Fin du quatriéme Acte.

{p. 56}

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

POLIXENE, ILIONE.

POLIXENE.

LAISSE, laisse ces soins, je m’en trouve gênée*,
La victime, Ilione, est assez bien ornée,
Et quand il faut offrir sa gorge au coup mortel,
On peut en cet estat la conduire à l’autel.
1425 Si Briseis pouvoit...

ILIONE.

J’y voy peu d’espérance.
Priam plaint de ces maux la dure violence,
Il plaint le triste* sort de Pyrrhus & de vous,
Il soûpire, & voudroit vous faire grace à tous,
Mais dans cet instant mesme Alcime vient luy dire
1430 Qu’Achille à vostre Hymen* avec ardeur aspire,
Qu’il marche vers le Temple, où quittant nos ramparts,
Le Peuple impatient accourt de toutes parts.

POLIXENE.

Allons donc de ma mort luy donner le spectacle.

ILIONE.

Briseis presse encor Priam d’y mettre obstacle,
1435 Mais, Madame, il s’agit de tout le sang Troyen,
Nous n’avons plus d’Hector, elle n’obtiendra rien.

POLIXENE.

O paix, funeste paix, qui sans m’ôter la vie
De mille & mille morts rends ma peine* suivie !
Falloit-il que le sang que tu dois conserver
1440 Me coûtast le repos dont tu me vas priver !
Heureux ceux dont le fer mettant fin à leur peine*...

SCENE II. §

{p. 57}
POLIXENE, PYRRHUS, ILIONE.

POLIXENE.

AH, Prince, quel sujet en ce lieu vous amene ?
Sera-ce, en m’accablant un charme* à vos douleurs
Que le triste* plaisir de joüir de mes pleurs ?

PYRRHUS.

1445 Vous pouvez l’accorder , Madame, à mon envie,
Puisque c’est le dernier que j’auray de ma vie.
Ulysse, Ajax, Nestor, contre Achille employez,
Sans l’avoir pû fléchir ont esté renvoyez,
Il vous épouse, & moy, le desespoir dans l’ame,
1450 Plein des vives ardeurs de la plus tendre flame*,
Trop foible pour les maux que je vois à souffrir
Je viens auprés de vous les accroistre, & mourir.

POLIXENE.

Quoy que l’ordre en soit dur, lorsqu’on m’attend au Temple,
Je vous le donnerois, Prince, par mon exemple,
1455 Si Troye à qui ma main* preste quelque secours
Ne me défendoit pas d’attenter sur mes jours.
Je dois à mon Païs cette mourante vie
Que l’horreur de mon sort m’aura bientost ravie.
Vos feux* ont eu pour moy de trop flateurs* appas*
1460 Pour souffrir vostre perte, & n’y succomber pas,
Ma tendresse pour vous si long-temps écoutée...

PYRRHUS.

Peut-estre mon amour l’avoit bien méritée.
Au moins puis-je jurer que jamais tant d’ardeur
Pour un charmant* Objet* n’a régné dans un coeur,
1465 Que le mien tout à vous sans que rien le partage,
Vous a de tous mes voeux soûmis le pur hommage,
Qu’en vous donnant sur luy ce pouvoir absolu...
Que de bonheur, helas, si le Ciel l’eust voulu,
S’il eust pû consentir qu’en se faisant connoistre {p. 58}
1470 L’amour de nos destins fust demeuré le maistre !
Flateuse* illusion qui viens m’embarasser !
Achille vous épouse, il n’y faut plus penser.

POLIXENE.

Vous blâmiez les frayeurs que vous me voyiez prendre,
Voila, Prince, voila ce qu’a prédit Cassandre,
1475 Préparer mon Hymen*, c’est m’ouvrir le tombeau,
Je vay porter ma teste, Achille est mon bourreau.
Si l’oracle est cruel, au moins il vous éclaire
A voir qu’à cet Hymen* je ne survivray guere,
Et que si de vostre ame il fait l’accablement
1480 Vous n’aurez pas long-temps à souffrir ce tourment.

PYRRHUS.

Mais Achille aura sceu triompher de ma flame*.
Ne fust-ce qu’un moment, y songez-vous, Madame ?
Ce moment de souffrance est un amas de maux
Tels que mesme aux enfers il n’en est point d’égaux.
1485 De la douceur d’aimer n’ay-je pris l’habitude
Que pour estre l’objet d’un supplice si rude,
Et falloit-il qu’ayant à m’oster vostre foy
On me fist espérer que vous seriez à moy ?

POLIXENE.

Et bien, Prince, oubliez que vous m’avez aimée,
1490 Que le peu que je vaux tint vostre ame charmée*.
Armez-vous contre moy d’un coeur indifferent.

PYRRHUS.

Ah, de tous mes malheurs c’est icy le plus grand,
Vous oublier ! Je voy vostre injustice extrême,
Madame, vous prendrez ce conseil pour vous même,
1495 Et Pyrrhus effacé* malgré de si beaux feux*
Verra bientost Achille en estat d’estre heureux.

POLIXENE.

{p. 59}
Si j’entens mon devoir, c’est ce qu’il me demande,
A ses barbares loix il veut que je me rende,
Et qu’aux voeux d’un Espoux un Amant* immolé
1500 Se taise dans mon coeur quand Priam a parlé.
Mais ce coeur se révolte, & ma vertu complice
Des tendres mouvements qui vous rendent justice,
Laisse à l’amour sur luy malgré ce fier* devoir,
Conserver pour Pyrrhus ce qu’il eut de pouvoir,
1505 Les traits* en sont presents sans cesse à ma mémoire.
L’adveu sans doute est fort, il peut blesser ma gloire,
Mais je puis m’échaper à plus que je ne dois
Quand je vous parle enfin pour la derniere fois.

PYRRHUS.

Pour la derniére fois ?

POLIXENE.

Ouy, Prince, vostre veuë
1510 Par l’ennuy* de vous perdre & m’accable & me tuë,
Et pour joüir au moins de quelque ombre de paix
Il faut que je consente à ne vous voir jamais.
C’est n’immoler pas peu ; quel qu’en soit le suplice
Faites, si vous m’aimez, le mesme sacrifice,
1515 Et content de sçavoir que jusqu’au dernier jour
Le dedans déchiré vangera vostre amour,
Souffrez que le dehors pour appaiser ma gloire
Cache ce que du mien je vous permets de croire.
Adieu, Prince. En l’estat où le Ciel nous a mis,
1520 Un plus long entretien ne peut m’estre permis.
Je lis dans vos regards la douleur où vous estes,
Leur trouble m’en fait voir les atteintes secretes,
Et n’a déja que trop dequoy vous accabler
Sans que ma veuë encor cherche à le redoubler.

PYRRHUS.

1525 Qu’il redouble, aussi-bien sans espoir pour ma flame*,
Plus de repos pour moy, frapez, frapez, Madame,
Sur ce coeur affligé portez les derniers coups*,
Plus ils seront mortels, plus ils me seront doux.
Je vivois pour vous seule, & si l’ordre barbare... {p. 60}
1530 Helas ! encor un coup faut-il qu’on nous separe ?
Que l’on ne m’ait permis que des voeux superflus ?

POLIXENE.

Aimez-moy toûjours, Prince, & ne me parlez plus.

PYRRHUS.

Adieu, Madame, il faut en vous cachant ma rage
Vous donner de ma flame* un dernier témoignage ;
1535 Aprés tant de malheurs, puisse le Ciel sur vous
Verser à pleines mains ce qu’il a de plus doux.
C’est l’unique souhait que l’on m’entendra faire.
Régnez, vivez heureuse, & s’il est nécessaire
Que vostre coeur s’arrache aux traits* qu’il a receus,
1540 Je me rends, oubliez le malheureux Pyrrhus.
Pour moy, qui veux au feu* dont j’ay l’ame asservie,
Donner tous les momens qui me restent de vie,
Je vous *répons d’un coeur ferme à vous adorer
Tant que sous mes ennuis* il me faille expirer,
1545 Et si les Dieux touchez de mon amour extréme,
Au de là du tombeau peuvent souffrir que j’aime,
Ce coeur encor à vous, quoy qu’il m’en ait coûté,
Ne cherchera jamais d’autre felicité.

SCENE III. §

BRISEIS, POLIXENE, PYRRHUS, PHENICE, ILIONE.

BRISEIS.

JE n’ay rien gagné, Prince, & Troye est la plus forte,
1550 Contre les droits du Sang son intérest l’emporte,
Envain de ma douleur Priam a veu l’éclat*,
Il doit ce sacrifice au besoin de l’Estat,
Rien n’est à consulter lors qu’Achille menace.

PYRRHUS.

Quoy, Priam sans pitié consent à ma disgrace*,
1555 Et je vois approcher l’épouvantable instant... {p. 61}
Madame.

POLIXENE.

Cachez-moy le destin qui m’attend,
Je m’y pers. Quelques maux où vous soyez plongée,
Si je les ay causez, vous êtes bien vangée.
Madame, je ne sçay si vous le concevez.
1560 Mais les mortels ennuis* qui me sont réservez,
Pyrrhus qui de mon coeur contre Achille dispose...
Pyrrhus... J’en dis trop, Prince, & vous en estes cause.
Vous pour qui malgré moy je m’arreste en ce lieu,
Oubliez-le, de grace, & pour jamais, adieu.

SCENE IV. §

PYRRHUS, BRISEIS, PHENICE.

PYRRHUS.

1565 ENFIN, Madame, il faut renoncer à la vie,
C’en est fait, à mes voeux Polixene est ravie,
Et dans les bras d’un autre, un sort plein de rigueur,
Met l’Objet* adorable à qui je dois mon coeur.
Vous m’aviez asseuré qu’en faisant rendre Helene
1570 Vous feriez à ma flame* accorder Polixene,
Helene des Troyens suit l’ordre rigoureux,
On la rend, & pourtant je ne suis pas heureux.

BRISEIS.

De vostre amour trompé jettez sur moy l’injure,
Joignez-en le reproche aux peines* que j’endure,
1575 Mon coeur qui se vantoit d’un absolu pouvoir
Ne vous peut consoler que par son desespoir.
Voyez, dans le revers* qui nous perd l’un & l’autre,
De combien mon malheur est plus grand que le vostre.
Pour appuy de vos feux* vous n’avez eu jamais
1580 Que l’espoir chancelant d’une incertaine paix,
La colere d’Achille implacable en sa haine,
Aprés Patrocle mort vous ostoit Polixene,
Et quand elle vous perd, quels que soient vos malheurs, {p. 62}
Du moins, Prince, du moins vous luy coûtez des pleurs.
1585 Mais aprés un espoir qui n’eut rien à combatre
La main qui m’élevoit s’intéresse* à m’abatre,
Et je ne pers Achille en ce funeste jour
Que parce qu’il luy plaist de trahir mon amour.
Sa seule dureté de mon trépas ordonne,
1590 On ne me l’oste point, c’est luy seul qui se donne,
Et qui sans estre aimé ne cherche contre moy
Que l’indigne douceur de me manquer de foy.
Ah, c’est peu que sa mort pour vanger cette injure,
Inventons, s’il se peut, quelque peine* plus dure,
1595 Qui lente à le punir ait toûjours le pouvoir...

SCENE V. §

BRISEIS, PYRRHUS, PHENICE, ANTILOCHUS.

ANTILOCHUS.

SEIGNEUR, la paix a mis Paris au desespoir.
Achille avec les Siens au Temple entroit à peine,
Qu’on l’a veu, prévenant Priam & Polixene,
Escorté de Troyens, sans respect pour les Dieux,
1600 S’y lancer tout à coup en Amant* furieux*.
Si ce qu’on dit est vray, l’ardeur qui les engage
S’augmentant par le sang les pousse à tant de rage,
Que pour peu que le Ciel tarde à le secourir,
Achille est en danger luy mesme de périr.

BRISEIS.

1605 De périr !

PYRRHUS.

Dieux ! Achille...

BRISEIS.

Il y va de sa vie.

PYRRHUS.

{p. 63}
Adieu, Madame.

BRISEIS.

Allez où l’honneur vous convie,
Achille est en péril, courez l’en garantir.

SCENE VI. §

BRISEIS, PHENICE.

PHENICE.

VOILA comme l’amour ne se peut démentir.
Son crime tout à l’heure armoit vostre colere
1610 Jusqu’à trouver sa mort une peine* légére,
Et vostre impatience implore du secours
Dés le moindre péril qui menace ses jours.

BRISEIS.

Que veux-tu ? si mon coeur accablé de l’offence
N’a rien veu de plus doux pour moy que la vangeance,
1615 De deux maux à souffrir pires que le trépas
On préfere toûjours celuy qu’on ne sent pas.
Ainsi sa trahison m’a fait vouloir sa perte ;
Mais lorsqu’à mes regards l’image* en est offerte,
Que je voy le coup prest, tu dois peu t’étonner
1620 Si ce que j’ay voulu commence à me gêner*.
Malgré ce qu’il a fait, je suis toûjours la mesme,
Et ne le haïssant que parce que je l’aime,
Quand mon amour obtient ce qui le va trahir,
J’ay bientost oublié que je le dois haïr.
1625 La pitié seule alors me paroist légitime,
Je voy le châtiment, & ne vois plus le crime,
Et craignant son trépas, je songe seulement
Qu’on me donne à trembler pour les jours d’un Amant*.

PHENICE.

Mais d’où vient que Paris vous est si redoutable ?
1630 Que craindre pour Achille ? il est invulnérable,
Et par un privilege & noble & glorieux...

BRISEIS.

{p. 64}
Je ne m’asseure point sur ce qu’ont fait les Dieux,
Paris suit contre Achille une fureur* extréme,
Et pour craindre sa perte il suffit que je l’aime.

SCENE VII. §

BRISEIS, ALCIME, PHENICE.

BRISEIS.

1635 PYRRHUS est-il au Temple, & le Ciel adoucy...

ALCIME.

J’ay rencontré Pyrrhus à trente pas d’icy.
Sur le bruit du tumulte il couroit vers Achille ;
Mais les Dieux ont rendu son secours inutile,
Et tandis que pressé du plus sensible ennuy*,
1640 Il est d’Agamemnon allé chercher l’appuy,
Il a voulu qu’icy je vinsse vous apprendre
Les malheurs que sur nous le Ciel vient de répandre,
Achille qu’on croyoit estre au dessus du Sort,
Achille...

BRISEIS.

Et bien Achille ?

ALCIME.

Il est mort.

BRISEIS.

Il est mort ?

ALCIME.

1645 Polixene déja vers le Temple conduite,
Avec Priam son Pere a pris soudain la fuite,
Il la remene à Troye, où tristes* & confus
S’ils gardent quelque espoir, il n’est plus qu’en Pyrrhus ;
Mais quoy qu’il soit allé, pour servir Polixene,
1650 Suspendre de nos Chefs la fureur* trop certaine,
Pour empescher les maux qu’elle me fait prévoir,
Je doute que Pyrrhus ait assez de pouvoir.

BRISEIS.

Non, tu me fais, Alcime, un rapport incroyable,
Achille vit encor, Achille invulnerable {p. 65}
1655 N’a pû se voir sujet à la fureur* du Sort.

ALCIME.

Cependant d’un Mortel il a receu la mort.
Un seul endroit au fer pouvoit donner passage,
Paris l’a découvert, ce coup est son ouvrage.
Si-tost que le perfide a veu son sang couler,
1660 C’est assez, a-t’il dit, j’ay sceu me l’immoler,
Cet Ennemy d’Helene à mon amour ravie
Ne peut perdre de sang qu’il ne perde la vie,
C’est l’ordre du Destin. Puisqu’Achille n’est plus,
Les Grecs doivent trembler, Troye aura le dessus,
1665 Allons de cette mort luy porter la nouvelle.
Ils se sont retirez, & la douleur mortelle
Où d’Achille expirant le malheur nous a mis,
Les a quand ils ont fuy laissez sans ennemis.

BRISEIS.

Il est donc vray qu’Achille ait pû perdre la vie ?
1670 Et bien barbare, enfin ta rage est assouvie,
Les Dieux n’en ont que trop écouté le transport*,
Triomphe, il t’est permis de joüir de sa mort.
Trouves-y les douceurs dont tu t’osois répondre*,
Brave un ingrat mourant, sois fiere* à le confondre,
1675 Et songe, aprés un bien si cher à tes souhaits
Quel sera ton bonheur à ne le voir jamais.
Dieux, suis-je encor moy-mesme ? Achille est mort ! Phenice,
Aurois-tu crû le Ciel capable d’injustice ?
Souffrir qu’Achille...

PHENICE.

Il meurt, & sa mort vous abat,
1680 Mais songez-vous qu’Achille estoit parjure, ingrat ?
Que tout à Polixene, il n’aspiroit qu’à suivre
Ce que l’amour pour elle...

BRISEIS.

Ah, que ne peut-il vivre,
Quoy qu’une autre à mes yeux triomphast de sa foy,
Je le verrois du moins, ce seroit tout pour moy,
1685 Le remords de ma perte & de son injustice {p. 66}
Peut-estre luy feroit partager mon supplice,
Il souffriroit peut-estre en me voyant souffrir.
N’a-t’il rien dit, Alcime, & l’as-tu veu mourir ?

ALCIME.

A peine il a du coup senty la rude atteinte
1690 Qu’il tombe, & d’un regard qui fait naistre la crainte
Reprochant à Paris son indigne attentat,
Il faut ceder, dit-il, au destinqui m’abat,
Je meurs ; du lâche coup dont la rigueur m’entraîne,
L’infamie estoit deuë au Ravisseur d’Helene :
1695 Il s’arreste à ces mots, & voyant les Troyens
Le laisser par leur fuite entre les bras des Siens ;
S’étant tourné vers moy ; leCiel est juste, Alcime,
Tu le vois, m’a-t’il dit, ma mort punit mon crime,
Et vange Briseis de l’affront qu’à sa foy
1700 Par l’hymen* qui me perd, je faisois malgré moy.
Dy luy que d’un mépris si dur si peu croyable
Plus que ma volonté le Destin est coupable,
Et qu’à l’ordre absolu qui me l’a fait trahir
Un fatal Ascendant m’a forcé d’obeïr.
1705 Dy luy qu’en la quittant, plein pour elle d’estime,
Mon coeur de ses ennuis*...

BRISEIS.

N’acheve point, Alcime,
Et pour m’accabler moins, cache moy qu’en mourant
Achille ait plaint l’amour que son malheur me rend,
C’est enfoncer le trait où je sens la blessûre.
1710 Dy moy, dy moy plûtost qu’il fut lâche, parjure,
Et que de ma Rivale indignement charmé*
Il meurt du seul regret de n’estre point aimé.
Dieux ! pour comble de maux, quand tout me desespere,
Faut-il que ses remords desarment ma colere,
1715 Et qu’au triste* moment qu’Achille perd le jour
Achille repentant mérite mon amour ?
Non, il n’est que trop vray, ma frayeur estoit vaine, {p. 67}
Achille n’auroit point épousé Polixene,
Prest à donner sa main* il eust veu Briseis,
1720 Sa flame* rallumée eust plaint mes feux* trahis,
Et dans son coeur géné sa gloire eust fait renaistre
Tous les traits* que son crime avoit fait disparoistre,
C’est trop, delivrons-nous de ce cruel* ennuy*,
Puisqu’il est mort fidelle, il faut mourir pour luy.
1725 Mais avant que mon bras vange ce que je pleure,
Paris en est la cause, il faut que Paris meure,
Et que par mille horreurs, & la flame & le fer,
De ce lâche Assassin me fassent triompher.
Je verray lors mon sang couler avecque joye
1730 Si je le puis verser sur les cendres de Troye.
Allons, Phenice, allons, en de pareils malheurs
C’est mal user du temps que le perdre à des pleurs.
Pressons Agamemnon de servir ma colere,
S’il le faut ébloüir, consentons qu’il espére,
1735 Ma mort aura vers luy dequoy me dégager,
Quand s’armant pour Achille, il m’aura sceu vanger.

FIN.