SCENE PREMIERE §
ILDEGONDE, VALMIRE.
VALMIRE.
Ce pouvoir absolu que la Reyne luy donne,
Permet peu de douter qu’elle ne le couronne,
Et que bientost sa main, pour honorer sa
foy*,
N’adjoûte à ce qu’il est, le grand titre de Roy.
365 Chacun pour Theodat, remply d’impatience,
Il est aimé du Peuple, & tous à haute voix
Semblent briguer pour luy la
gloire* de ce choix.
ILDEGONDE.
Theodat est heureux, d’avoir tant de suffrages.
VALMIRE.
Et le Trône n’est pas un prix trop haut pour luy,
Quand relevant sa chute, il s’en montre l’appuy.
ILDEGONDE.
Et sur ce grand Hymen dont chacun est en peine,
{p. 16}
Dit-on que Theodat ait fort pressé la Reyne ?
375 Qu’il trouve en sa beauté de si puissans appas ?
VALMIRE.
Il luy rend trop de soins, pour ne le croire pas.
VALMIRE.
Il en est donc charmé* ? Du moins il le doit estre.
Mais quelle inquietude en faites-vous paroistre ?
Croyez-vous qu’à la Reyne un tel choix soit honteux ?
ILDEGONDE.
380 Pourquoy ? N’est-elle pas maistresse de ses vœux ?
VALMIRE.
Il semble cependant que vostre cœur
soûpire* ?
Apprenez-m’en la cause.
ILDEGONDE.
Apprenez-m’en la cause. Et comment te la dire,
Puis que loin qu’avec toy j’ose me déclarer,
Moy-mesme, s’il se peut, je la veux ignorer ?
VALMIRE.
385 Quoy que vous vous taisiez, je voy ce qui vous
gesne* ;
Jamais pour Theodat vous n’avez eu que haine,
Et cette aversion vous fait voir à regret
L’
éclat* brillant du rang où ce grand choix le met.
ILDEGONDE.
Un pareil sentiment te paroist condamnable ?
390 Plût au Ciel cependant que j’en fusse capable !
Je sentirois bien moins la rigueur de ce choix,
Si je le haïssois autant que tu le crois.
VALMIRE.
Du moins c’est par mépris que d’une ame jalouse
Vous voyez aujourd’huy que la Reyne l’épouse,
395 Puis que de son amour la plus soûmise ardeur
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N’eut jamais le pouvoir de toucher vostre cœur.
ILDEGONDE.
Si dans ses vœux offerts, la
fierté* qui me dompte…
Mais comment me résoudre à t’expliquer ma honte ?
Et que penseras-tu, si l’
ennuy* qui m’abat
400 Vient, de me voir réduite à ceder Theodat ?
VALMIRE.
Theodat vous plairoit luy qui sous vostre
empire*
S’est veu cent & cent fois…
ILDEGONDE.
S’est veu cent & cent fois… Etonne-t-en, Valmire.
Quoy qu’ait ce changement d’incroyable pour toy,
Tu n’en seras jamais si surprise que moy.
405 Je suis née en un rang où l’orgueil qui m’anime
Peut-estre en le réglant eust esté légitime ;
Mais à ses seuls
conseils* voulant avoir égard,
Je l’ay porté trop loin, & le connois trop tard.
Aux despens de mon cœur c’est luy qui me fit croire
410 Que je me devois toute au soucy de la
gloire*,
Et que de tous les maux qui pouvoient m’
alarmer*,
Rien n’estoit plus à fuir que la honte d’aimer.
Il me la dépeignoit avec toute l’adresse
Qui peut y faire voir une indigne foiblesse,
415 Un mol amusement dont les lâches appas
N’estoient flateurs & doux que pour les Esprits bas ;
Et dans ces mouvemens qui possedoient mon ame,
Theodat vint s’offrir, je dédaignay sa flame .
Non que je visse en luy rien qui pût mériter
420 L’injurieux dédain qui le fit rejetter ;
Je suivois seulement la
fierté* naturelle
Et tout autre venant se livrer à mes fers,
Eust reçeu mesme prix des vœux qu’il m’eust offerts.
{p. 18}
425 Theodat se lassa de cette humeur altiere,
Il cessa de me voir, je n’en fus pas moins
fiere* ;
D’aucun chagrin par là n’ayant l’esprit frapé,
Je crûs voir sans regret qu’il m’estoit échapé :
Mais quand je m’apperçeus qu’ayant brisé ma chaîne,
430 Ce Fugitif portoit tous ses vœux à la Reyne,
J’eux beau, pour étoufer le dépit que j’en eus,
Consulter cet orgueil qui ne me parloit plus,
Mon cœur ne pût d’abord renoncer au murmure,
C’est là qu’estoit le mal, je sentis la blessure ;
435 Et soit que d’un Amant à me quitter trop prompt
L’inconstance eust pour moy l’image d’un affront,
Soit qu’en mon cœur l’amour n’ayant osé paroistre,
Voulust pour se vanger agir alors en Maistre,
Ce cœur, pour Theodat que la Reyne m’ostoit,
440 Devint dés ce moment tout autre qu’il n’estoit ;
Et si pour n’en donner aucune connoissance,
D’un paisible dehors j’affectay l’apparence,
Me fit payer bien cher cette fausse
vertu*.
VALMIRE.
445 Theodat eut pour vous l’ame d’amour si pleine…
ILDEGONDE.
Mais cependant tu vois qu’il brule pour la Reyne,
Ma douleur s’en réveille, & je n’y puis penser,
Sans voir combien ma
gloire* a lieu de s’offencer,
Et me faire aussitost, en songeant qu’il me quitte,
450 Un reproche honteux de mon peu de merite.
S’il l’eust veu tel, helas ! que l’a crû ma
fierté*,
Le dépit contre moy ne l’eust point revolté,
Il eust crû son amour plutost que sa colere.
VALMIRE.
Que vouliez-vous qu’il fist ? Il ne pouvoit vous plaire.
ILDEGONDE.
455 Que l’ardeur de ses soins combatist mes froideurs,
{p. 19}
Qu’il soufrist, ou du moins qu’il n’aimast point ailleurs ;
Son cœur pour d’autres yeux devoit estre invincible.
ILDEGONDE.
Je l’avouë, & sans doute encor mesme aujourd’huy,
460 S’il n’avoit rien aimé, je la serois pour luy ;
Ce n’est que le chagrin de cette préference
Qui m’inspire un amour dont mon orgueil s’offence.
Nous expose un Amant revolté malgré nous,
465 Et ce que fait soufrir la disgrace fatale
De voir passer son bien aux mains d’une Rivale !
VALMIRE.
Si ce suplice est tel, je l’aurois
prévenu*,
Le cœur de Theodat vous estoit trop connu ;
Et lors que par ses soins redoublez pour la Reyne
470 Il vous fit soupçonner cet amour qui vous
gesne*,
Vos regards adoucis n’auroient pas eu d’abord,
Pour vous le ramener, besoin de grand effort.
ILDEGONDE.
Moy, pour tout le repos qu’il faudra qu’il m’en couste,
J’aurois de mon orgueil laissé le moindre doute !
475 A cet abaissement j’aurois pû me forcer ?
Ah, tu me connois mal, si tu l’as pû penser.
Je pers en Theodat l’objet de mon estime,
Ma
gloire* l’a voulu, j’en seray la victime,
480 A tout ce que de moy son injustice attend.
VALMIRE.
Quoy que vous résolviez, si negligeant la Reyne,
Theodat vous pressoit…
ILDEGONDE.
Theodat vous pressoit… Il y perdroit sa peine ;
{p. 20}
Je l’aime, je le sens, mais malgré est cet amour,
Pour peu qu’à me vanger je pûsse trouver jour,
485 Il m’a manqué de
foy*, je luy ferois connoistre …
Mais pourquoy me flater de ce qui ne peut estre ?
Puis qu’à l’aimer la Reyne a voulu l’engager ;
C’est un mal sans remede, il n’y faut plus songer.
VALMIRE.
Je vous plains des malheurs qu’un scrupule vous cause,
490 Mais ce qui me surprend plus que tout autre chose,
C’est qu’aimant Theodat, vous puissiez endurer
Qu’Honoric pour sa flame ose tout esperer.
Pourquoy si hautement permettre qu’il vous aime ?
ILDEGONDE.
Par
gloire*, par chagrin, par haine pour moy-mesme.
495 L’Amour, de ma
fierté* n’a pû rien obtenir ;
J’ay voulu par ce choix le vanger, me punir,
Ou plutost j’ay voulu qu’en me le voyant faire,
Theodat outragé fist agir sa colere,
Qu’il me vist, se plaignist, & par son desespoir
500 Me marquast sur son ame un reste de pouvoir.
Eust-il jamais esté
gloire* plus achevée ?
La secrete douceur de n’estre point bravée,
De joüir de sa peine, & pouvoir insulter
Aux
ennuis* d’un Amant qui m’auroit pû quitter,
505 D’un plaisir si
sensible* eust chatoüillé mon ame,
Que d’Honoric alors récompensant la flame,
Fiere* de mes dédains soûtenus jusqu’au bout,
Quoy que j’eusse
immolé*, j’aurois crû gagner tout.
Mais avec Honoric j’ay beau m’estre engagée,
510 Ce suplice est perdu, je ne suis point vangée,
Et d’un Amant fâcheux l’importun embarras…
VALMIRE.
Madame, je le voy, ne vous emportez pas.
{p. 21}
SCENE IV. §
THEODAT, ILDEGONDE, VALMIRE.
THEODAT.
580 Quoy, Madame, il vous plaist de m’éviter ainsi ?
{p. 24}
ILDEGONDE.
M’estant si rarement forcée à vous entendre,
Ma retraite n’a rien qui vous doive surprendre.
THEODAT.
Eh, Madame, de grace, un peu moins de
fierté*.
Sans trahir vos mépris je puis estre écouté,
585 Je n’en viens point blâmer l’injurieuse audace,
Au contraire, je viens pour vous en rendre grace.
Ils m’ont fait un destin, si grand, si beau, si doux,
Que je n’ay plus sujet à me plaindre de vous.
ILDEGONDE.
J’apprens avec plaisir cette haute fortune,
590 Puis qu’elle me défait d’une plainte importune.
THEODAT.
C’est un malheur qu’en vain j’ay voulu détourner ;
Mon feu n’a jamais fait que vous importuner,
J’ay souffert, j’ay languy, sans qu’un si long suplice
Ait de vos duretez arresté l’injustice.
595 Une autre sans regret n’auroit pû m’
immoler*,
Vous en avez fait
gloire*, il faut s’en consoler.
Au moins, ce qui me doit rendre l’ame un peu vaine,
Vos rebuts ne sont pas indignes d’une Reyne,
Et je puis effacer, en recevant sa main,
600 La honte des
soûpirs* que j’ay poussez en vain.
ILDEGONDE.
Les voyant rejettez, il vous estoit facile
{p. 25}
De ne leur pas soufrir un
éclat* inutile.
THEODAT.
J’avois de la foiblesse, il faut le confesser.
ILDEGONDE.
Qui l’a si bien connu, pouvoit y renoncer.
THEODAT.
605 J’eus tort, & vos dédains ont trop terny ma
gloire*.
ILDEGONDE.
Ils s’expliquoient assez, vous n’aviez qu’à les croire.
THEODAT.
L’outrage est réparé par tant d’heureux effets…
ILDEGONDE.
Il suffit que tous deux nous soyons satisfaits.
THEODAT.
J’ay tout sujet de l’estre ; Une Reyne qui m’aime,
610 Joint au don de son cœur celuy du Diadéme.
Pourtant, pourtant, Madame, il n’a tenu qu’à vous
Qu’on ne m’ait encor veu joüir d’un sort plus doux.
THEODAT.
Qu’à moy ? Jamais amour ne m’ofrit tant de
charmes*.
J’en appelle à témoins mes
soûpirs* & mes larmes,
615 Ces larmes qu’à vos pieds, sans mouvement, sans voix,
Mon désespoir m’a fait répandre tant de fois.
De mes vives douleurs la triste image offerte
N’a pû vous empescher de résoudre ma perte.
Vous avez au mépris adjoûté le couroux,
620 Vostre ingrate rigueur…
ILDEGONDE.
Vostre ingrate rigueur… De quoy vous plaignez-vous ?
La noble ambition …
THEODAT.
La noble ambition … Non, je ne le puis estre,
Et ce Trône où m’appelle un hymen glorieux,
Il me couste trop cher pour m’estre prétieux.
625 J’y consens, joüissez de mon inquiétude,
Cruelle ; elle doit plaire à vostre ingratitude,
Joüissez des
ennuis* d’un Amant outragé
Qui de vos fiers mépris sur luy seul s’est vangé,
Qui se donnant ailleurs, tremble du sacrifice …
ILDEGONDE.
630 Et qui vous a forcé de choisir ce suplice ?
THEODAT.
Vous me le demandez, vous qui m’avez causé
Toute l’horreur des maux où je suis exposé ?
Hé bien, je vais encor …
ILDEGONDE.
Hé bien, je vais encor … Non, cela doit suffire,
Je ne veux rien sçavoir, vous n’avez rien à dire.
THEODAT.
635 Craignez-vous que ces maux trop vivement dépeints,
Ne vous reprochent trop vos injustes dédains ;
Que malgré vous touchée, à voir un feu si tendre …
ILDEGONDE.
Moy touchée ? Et comment le pourriez-vous prétendre ?
Par quel constant effort avez-vous merité
640 Que j’eusse pour vos feux tant de crédulité ?
La Reyne, dont si-tost vostre ame fut
charmée*…
Non, Theodat, jamais vous ne m’avez aimée.
THEODAT.
Ah, si vostre injustice a pû le présumer,
Dites-moy donc comment il vous falloit aimer,
645 Est-il vœux, soins, devoirs, complaisances, services
{p. 27}
Dont vous n’avez reçeu les tendres sacrifices ?
Plutost que me résoudre à voir mes feux éteints…
ILDEGONDE.
Vous en estes le maistre, est-ce que je m’en plains ?
THEODAT.
Ne vous repentez point, s’il se peut, de le faire,
650 Et m’accordez de grace, un moment de colere.
C’est ce que j’attendois, quand mon cœur
étonné*
Pour la Reyne à vos yeux s’est feint passionné.
Mais de ce faux amour j’ay cherché l’apparence,
Sans que vous ayez pû vous en faire une offence.
655 Vous ne m’avez montré ny chagrin, ny dépit,
Marqué rien qui parust…
ILDEGONDE.
Marqué rien qui parust… Je vous en ay trop dit.
THEODAT.
Vous m’en avez trop dit ! Vous ?
ILDEGONDE.
Vous m’en avez trop dit ! Vous ? Oüy, trop ; mais qu’importe ?
Il est beau, Theodat, que le Trône l’emporte,
Que vous n’ayez rien veu…
THEODAT.
Que vous n’ayez rien veu… Non, Madame, jamais
660 Le moindre
ennuy* de vous n’a flaté mes souhaits.
Toûjours du mesme esprit à ma perte animée …
ILDEGONDE.
Et n’ay-je pas souffert qu’Honoric m’ait aimée ?
THEODAT.
Quoy ? Vouloir préferer un Rival à ma
foy*,
M’outrager, m’accabler, c’est se plaindre de moy ?
ILDEGONDE.
665 Oüy, ce choix d’un Rival n’auroit pû vous déplaire,
Si vous aviez aimé comme vous deviez faire.
L’orgueil qui dans mon cœur a fait taire l’amour,
Pour voir le vray merite, y laisse quelque jour ;
{p. 28}
Je puis le discerner où je le voy paroistre ;
670 Et si vous m’estimez, vous avez dû connoistre
Que qui de Theodat n’acceptoit pas les vœux,
Deviendroit encor moins
sensible* à d’autres feux.
C’estoit donc pour le vostre un motif favorable
Qui paroissoit me rendre Honoric préferable ;
675 Mais ce relâchement honteux à ma
fierté*,
Vous a laissé tranquille, & n’a rien mérité.
Au moindre emportement il n’a pû vous contraindre,
Vous avez dédaigné de me voir, de vous plaindre,
Et n’avez pas jugé mon cœur d’assez haut prix
680 Pour vous inquiéter de ce dernier mépris.
C’est vous en dire trop ; mais quoy que j’en rougisse,
Je ne m’oublie au moins que pour vostre suplice,
Et je m’épargnerois l’affront de me trahir,
Si vous estiez encor en pouvoir d’en joüir.
THEODAT.
685 Ah, je le puis encor ; plus d’Etast, plus de Reyne.
Je ne veux, ne connois que vous pour Souveraine,
La Couronne à mes yeux n’offre plus rien de doux,
Et je renonce à tout pour vivre tout à vous.
ILDEGONDE.
Non , n’appréhendez point que jamais je consente
690 A vous couster les biens qui flatent vostre attente ;
Vous avez à la Reyne engagé vostre
foy*,
Juré que vostre cœur …
THEODAT.
Juré que vostre cœur … Il n’estoit pas à moy ;
Asservy sous vos loix, pouvois-je le promettre ?
ILDEGONDE.
Ma
gloire* là-dessus n’a rien à me permettre.
Qu’il tâchast de la Reyne à meriter l’
aveu* ;
S’il l’obtient, & qu’il faille aujourd’huy…
THEODAT.
S’il l’obtient, & qu’il faille aujourd’huy… Quoy, Madame,
L’amour a donc si peu de pouvoir sur vostre ame…
ILDEGONDE.
Moy, de l’amour ! Gardez de l’oser présumer.
700 Non, ç’en est fait, jamais je ne vous veux aimer.
THEODAT.
Et moy, Madame, & moy qui n’ay point d’autre envie
Que de vous adorer le reste de ma vie,
Je feray tant qu’enfin j’obtiendray quelque jour …
ILDEGONDE.
Ah, craignez d’écouter ce dangereux amour,
705 Il vous perdroit. Suivons nos
fieres* destinées.
On ne se moque point des Testes couronnées.
La Reyne a crû pour vous ne pouvoir trop oser,
Elle s’est déclarée, il la faut épouser,
Le Trône rend pour vous cet hymen necessaire.
THEODAT.
710 Le Trône ! En vous perdant, a-t-il de quoy me plaire ?
En vain à m’y placer la Reyne se résout,
Ne me l’opposez point, j’en viendray bien à bout.
Non que j’aye à douter qu’une pareille offence
N’arme contre mes jours sa plus
fiere* vangeance ;
715 Mais s’il faut
éclater*, j’en essuyeray les coups,
Plutost que de trahir l’amour que j’ay pour vous.
Dites-moy seulement que quoy qu’Honoric fasse,
Jamais de son espoir vous n’avoüerez l’audace,
Que toûjours vos refus par d’obstinez combats …
ILDEGONDE.
720 Ma
gloire* en soufriroit, ne le demandez pas.
Si la Reyne consent que je sois sa conqueste,
{p. 30}
J’ay promis d’estre à luy, ma main est toute preste.
Tout ce que je puis faire est de vous assurer
Que si vous empeschez ce qu’il peut esperer,
725 Jamais, quoy que le Ciel de vostre sort ordonne,
Vous n’aurez la douleur de me voir à personne.
THEODAT.
Et si je vous disois que me croyant hay,
Moy-mesme je me suis imprudemment trahy ?
Qu’en faveur d’Honoric j’ay déjà veu la Reyne ?
ILDEGONDE.
730 Soufrez donc un hymen qui vous blesse & me
gesne*,
Car ne prétendez point qu’après ce que j’ay fait,
Ma
gloire* ose laisser son ouvrage imparfait,
Et qu’il m’échape rien dont on puisse à ma honte
Présumer que l’amour malgré moy me surmonte
735 Ma jalouse
vertu* n’en croira pas mon cœur.
THEODAT.
De sa severité voyez mieux la rigueur.
Quoy, vous épouseriez Honoric ? Ah, Madame,
Ne desesperez point une si belle flame.
Par ces tendres
soûpirs* si longtemps dédaignez,
740 Par tout ce qu’ont d’amer les maux que vous craignez,
Si du plus pur amour le pouvoir invincible
A la pitié pour moy vous peut rendre
sensible*,
Si ce que vostre cœur a fait soufrir au mien,
Si mes larmes …
ILDEGONDE.
Si mes larmes … Adieu, je n’écoute plus rien,
745 En l’état où je suis vous m’en pourriez trop dire,
Et je vous haïrois, si lors que j’en
soûpire*
Vous m’aviez sçeu contraindre à force de douleurs
A démentir l’orgueil qui cause mes malheurs.