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Thomas Corneille. Théodat. Tragédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 28 sc. 287 répl. 4,9 l. 1 409 l. 1 409 l. 46 % 3 103 l. (100 %) 2,2 pers.
Amalasonte 17 sc. 72 répl. 6,4 l. 800 l. (57 %) 459 l. (33 %) 58 % 1 841 l. (60 %) 2,3 pers.
Theodat 15 sc. 86 répl. 4,8 l. 866 l. (62 %) 411 l. (30 %) 48 % 2 010 l. (65 %) 2,3 pers.
Ildegonde 13 sc. 68 répl. 4,6 l. 719 l. (52 %) 314 l. (23 %) 44 % 1 676 l. (55 %) 2,3 pers.
Honoric 5 sc. 12 répl. 4,8 l. 196 l. (14 %) 57 l. (5 %) 30 % 549 l. (18 %) 2,8 pers.
Ataulphe 2 sc. 4 répl. 3,3 l. 30 l. (3 %) 13 l. (1 %) 44 % 67 l. (3 %) 2,2 pers.
Gepilde 5 sc. 10 répl. 3,6 l. 146 l. (11 %) 36 l. (3 %) 25 % 299 l. (10 %) 2,1 pers.
Valmire 3 sc. 18 répl. 2,4 l. 173 l. (13 %) 43 l. (4 %) 25 % 346 l. (12 %) 2,0 pers.
Euthar 4 sc. 17 répl. 4,5 l. 174 l. (13 %) 76 l. (6 %) 44 % 391 l. (13 %) 2,2 pers.
Thomas Corneille. Théodat. Tragédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
Amalasonte
Theodat
213 l. (53 %) 34 répl. 6,2 l.
193 l. (48 %) 35 répl. 5,5 l.
8 sc. 405 l. (29 %) 2,5 pers.
Amalasonte
Ildegonde
82 l. (59 %) 12 répl. 6,8 l.
58 l. (42 %) 10 répl. 5,7 l.
3 sc. 138 l. (10 %) 2,8 pers.
Amalasonte
Honoric
46 l. (61 %) 9 répl. 5,1 l.
30 l. (40 %) 7 répl. 4,2 l.
3 sc. 75 l. (6 %) 2,4 pers.
Amalasonte
Ataulphe
14 l. (51 %) 6 répl. 2,3 l.
14 l. (50 %) 4 répl. 3,3 l.
2 sc. 27 l. (2 %) 2,2 pers.
Amalasonte
Gepilde
106 l. (75 %) 11 répl. 9,6 l.
36 l. (26 %) 10 répl. 3,6 l.
5 sc. 142 l. (11 %) 2,1 pers.
Theodat
Ildegonde
140 l. (54 %) 37 répl. 3,8 l.
120 l. (47 %) 37 répl. 3,2 l.
6 sc. 259 l. (19 %) 2,5 pers.
Theodat
Euthar
80 l. (61 %) 14 répl. 5,7 l.
52 l. (40 %) 15 répl. 3,4 l.
2 sc. 131 l. (10 %) 2,0 pers.
Ildegonde
Honoric
8 l. (25 %) 4 répl. 1,9 l.
23 l. (76 %) 3 répl. 7,7 l.
2 sc. 30 l. (3 %) 3,4 pers.
Ildegonde
Valmire
131 l. (76 %) 17 répl. 7,7 l.
43 l. (25 %) 18 répl. 2,4 l.
3 sc. 173 l. (13 %) 2,0 pers.

Thomas Corneille

1673

Théodat. Tragédie

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Olivia Leroux
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Thomas Corneille. Théodat. Tragédie. A Paris, Chez G.DE LUYNE, Libraire juré au Palais, dans la salle des Merciers, à la Justice. M.DC.LXXIII.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Théodat
TRAGEDIE §

AU LECTEUR. §

Théodat fut associé à l’Empire des Gots par Amalasonte, & traita cette malheureuse Princesse avec tant d’indignité, qu’un peu après qu’elle l’eut élevé au Trône, il eut la bassesse de l’exiler. Quelques-uns adjoustent qu’il donna ordre qu’on l’emprisonnast dans une Isle où il l’avoist releguée. Ce caractere d’ingratitude m’a paru avoir quelque chose de trop odieux pour pouvoir estre souffert au Theatre. Ainsi j’ay tasché de conserver ce qui regarde la disgrace d’Amalasonte, sans en rendre Théodat coupable, & je me suis conformé pour le genre de sa mort, à ce qu’en écrit Blondus. Il nous apprend dans le troisième Livre de la premiere Décade, que Théodat consentit que les Enfans de quelques seigneurs Gots, à qui cette Reyne avoit fait couper la teste, vangeassent le Sang de leurs Peres en la faisant périr elle-même dans le lieu de son exil. Je ne sçay si en la peignant vindicative dans tout cet Ouvrage, j’ay affoibly les grandes qualitez que les Historiens luy donnent, mais il semble assez naturel qu’une Reyne à qui une illustre naissance à deû donner beaucoup de fierté, ne se puisse voir méprisée d’un Sujet qui abuse de la connaissance qu’elle luy a donnée de son amour, sans s’en faire outrage d’autant plus sensible, qu’après l’avoir fait arrester inutilement, elle connoist qu’elle ne sçauroit plus esperer d’authorité qu’autant qu’il luy en voudra souffrir. Ce sont des Crimes que les Maximes d’Estat ne permettent point de pardonner, & peut-estre Amalasonte eust-elle été condamnable, si ne se voyant plus Reyne que de nom, elle eust fait scrupule de chercher sa seureté par la perte de celuy qui estoit la seule cause de son infortune.

Extrait du Privilege du Roy. §

Par Grace et Privilege du Roy, donné à Paris le 31 Decembre 1672. Signé, Par le Roy en son conseil, LE NORMANT. Il est permis à G. de Luyne, Libraire -Juré à Paris, de faire imprimer, vendre & debiter une Piece de Theatre, intitulée Théodat, de la composition du Sieur de Corneille le jeune, & ce durant le temps & espace de cinq années entieres, à compter du jour que la dite piece sera achevée d’imprimer pour la première fois : Et defenses sont faites à toutes Personnes, d’imprimer, faire imprimer, vendre ny débiter lad. Piece, sans le consentement de l’Exposant, ou de ceux qui auront droict de luy, à peine de trois mille livres d’amende, & de confiscation, ainsi que plus au long il est porté ausd. Lettres.

Registré sur le Livre de la Communauté, le 5 Janvier 1673. Signé, THIERRY, Syndic.

Et ledit G. de Luyne a associé audit Privilege C. Barbin, aussi Marchand Libraire à Paris, pour en joüir conjointement suivant l’accord fait entr’eux.

Achevé d’imprimer pour la première fois,

Le 23 Janvier 1673.

ACTEURS. §

  • Amalasonte, Reyne des Gots.
  • Theodat, Prince Got, Favory d’Amalasonte.
  • Ildegonde, Princesse du Sang d’Amalasonte.
  • Honoric, Prince Got, Amant d’Ildegonde.
  • Ataulphe, Capitaine des Gardes d’Amalasonte.
  • Gepilde, Confidente d’Amalasonte.
  • Valmire, Confidente d’Ildegonde.
  • Euthar, Confident de Theodat.
{p. 1}

ACTE PREMIER §

SCENE PREMIERE §

THEODAT, EUTHAR.

EUTHAR.

Du trouble* où je vous voy, Seigneur, que puis-je croire ?
Il n’est rien dont l’éclat* ne cede à vostre gloire*;
Vostre sort est égal au sort des plus grands Rois,
Tout l’Empire des Gots aime à suivre vos Lois,
5 Et quoy qu’Amalasonte ait le titre de Reyne,
Pour vous sa confiance est si forte & si pleine,
Que vous laissant agir, pour tous droits reservez, {p. 2}
C’est son nom qui paroist lors que vous resolvez.
Il semble cependant que vostre ame inquiete*
10 De tout ce grand pouvoir ne soit pas satisfaite,
Que la Fortune avare ait trop peu fait pour vous ?

THEODAT.

Elle répand sur moy ce qu’elle a de plus doux,
Je m’en plaindrois à tort ; quelque faveur nouvelle
Affermit chaque jour ce que j’ay reçeu d’elle ;
15 Mon destin tu le vois, n’a rien que d’éclatant*,
Mais pour se croire heureux, il faut estre content*.
Non que je ne le sois du costé de la gloire*,
J’ay toûjours sur mes pas veu marcher la Victoire ;
Et si l’ambition pouvoit m’inquieter*,
20 J’obtiens plus que jamais je n’osay souhaiter.
Depuis que j’ay donné tous mes soins à la Reyne,
C’est peu de partager la grandeur Souveraine ;
Sa bonté va si loin, qu’elle me laisse voir
Que je puis écouter un teméraire espoir,
25 Et que pour voir bientost ma teste couronnée,
Je n’ay qu’à m’enhardir, & parler d’hymenée.
Voy par là si mon sort doit faire des Jalous.

EUTHAR.

La Reyne vous estime, & fera tout pour vous,
Son cœur à vostre amour ne chercher qu’à se rendre.

THEODAT .

30 Je n’en sçaurois douter, si je la veux entendre,
Elle n’en dit que trop ; mais plus que ses discours,
C’est de quoy ses regards m’instruisent tous les jours.
Tant d’ardeur y paroist, que souvent je me blâme
De n’aller pas assez au devant de sa flame,
35 Et de chercher toûjours à me faire un secret
D’un amour que je voy qu’elle étoufe à regret.

EUTHAR .

Je ne conçois pas bien quel scrupule vous gesne*, {p. 3}
Quand vous n’osez répondre aux faveurs de la Reyne.
Si parmy ses Sujets elle prend un Epoux,
40 Son choix peut-il, Seigneur, mieux tomber que sur vous ?
De mille exploits fameux le superbe avantage*
Du Peuple & des Soldats vous attire l’hommage.
Déja de Roy par tout vous avez le pouvoir,
Ce grand nom vient s’ofrir , il faut le recevoir.
45 Il est doux, il est beau de porter la Couronne ,
La refuserez-vous, quand l’Amour vous la donne ?
Vouloir que cet amour s’explique jusqu’au bout,
C’est outrager la Reyne à qui vous devez tout.

THEODAT .

La Reyne a des bontez* dont je ne suis point digne.
50 Pour elle quelquefois ma gloire* s’en indigne,
Je m’en hay ; mais enfin je pourray tant sur moy,
Que je meriteray les biens que j’en reçoy ;
Un peu d’effort me rend la victoire certaine.

EUTHAR .

C’est à vous d’y penser, vous connoissez la Reyne.
55 Sur le plus foible outrage elle croit que son rang
L’autorise à vanger sa gloire* par le sang ;
Et lors que vostre espoir sur ses bontez* se fonde,
Je craindrois…

THEODAT .

Honoric voit souvent Ildegonde.
Crois-tu qu’il reüssisse, & qu’il en soit aimé ?

EUTHAR .

60 J’ignore entr’eux, Seigneur, quel amour s’est formé ;
Il luy rend quelques soins; mais quoy qu’il en puisse estre,
Si son feu vous déplaist, vous en estes le maistre.
Par l’hymen de la Reyne il vous aura pour Roy,
Et la Princesse en vain…

THEODAT .

Moy ? la contraindre, moy ? {p. 4}
65 Non, Euthar, elle peut, sans que j’y mette obstacle,
Ordonner de son cœur, le temps fait ce miracle.
Autrefois, je l’avouë, il m’eust esté fâcheux
Qu’un Rival eut ainsi triomphé de mes feux,
J’aurois péry plutost que d’en soufrir l’injure ;
70 Mais enfin aujourd’hui je le vois sans murmure,
Et ce qui de ma foy* va devenir le prix,
Me doit trop consoler de ses honteux mépris.
S’il t’en souvient, Euthar, qu’ils ont eu d’injustice !

EUTHAR .

Ildegonde sans doute a trop crû son caprice ;
75 Et ce tendre respect* qui soûtenoit vos vœux,
Meritoit aupres d’elle un succés plus heureux.

THEODAT .

Encor si dans le temps que mon ame charmée
Luy marquoit tant d’amour, Honoric l’eust aimée,
J’aurois de ses refus imputé la rigueur
80 Au pouvoir que sa flâme auroit eu sur son cœur ;
Et si dans mes malheurs je me fusse plaint d’elle,
C’eust esté seulement de la voir trop fidelle :
Mais, Euthar, n’aimer rien, & par haine pour moy
Se faire une vertu* de dédaigner ma foy* !
85 C’est, quand je l’examine , un si cruel outrage …

EUTHAR .

L’espérance du Trône est un grand avantage*.
Regnez, dans ce haut rang il vous sera bien doux
De punir les mépris qu’Ildegonde eut pour vous.

THEODAT .

Oüy, sans me souvenir de l’avoir adorée,
90 Quand la Reyne avec moy se sera declarée,
J’iray pour la braver, d’un air impérieux,
Etaler aussitost cette gloire* à ses yeux.
Je seray le premier à luy faire connoistre [ 5]
Que qui fut son Esclave est devenu son Maistre ;
95 Et plus elle me hait, plus mon heureux destin
Meslera d’amertume à son jaloux chagrin.
Cent reproches sanglans pour confondre l’Ingrate …
Quel triomphe !

EUTHAR .

L’image en est douce, & vous flate ;
Mais quelque fier* couroux qu’on pense mettre au jour,
100 Les reproches souvent sont des restes d’amour.
Qui se plaint, s’adoucit, & voudroit des excuses.

THEODAT .

Je l’aimerois encor ! Non, Euthar, tu t’abuses.
Je ne le cele* point ; avant que sa fierté*
M’eust fait de l’inconstance une necessité,
105 Tout l’amour que jamais un cœur tendre & fidelle
Prit pour un bel Objet , je l’avois pris pour elle.
J’avois beau de ses yeux sentir trop le pouvoir,
Point de plaisir pour moy, que celuy de la voir.
La gloire* de ses fers me sembloit sans seconde;
110 Et si l’on m’eust offert tous les Trônes du Monde,
Pour obtenir de moy de ne l’adorer pas,
Tous les Trônes du Monde auroient manqué d’appas.
Je te diray bien plus, admire ma foiblesse.
Quand m’attachant à fuir cette fiere* Princesse,
115 Mon respect* pour la Reyne étala tant d’ardeur,
Le desir de regner ne toucha point mon cœur.
Je voulois seulement qu’un peu de jalousie
Tinst d’un dépit secret Ildegonde saisie,
Et que la peur d’un choix que ma flame craignoit,
120 Luy fist voir un peu mieux ce qu’elle dédaignoit.
Quel fruit ay-je tiré de ce triste artifice ?
L’Ingrate a joint pour moy l’outrage à l’injustice,
Et loin de s’offencer que j’aye éteint mes feux, {p. 6}
Honoric parle, s’ofre, elle accepte ses vœux.

EUTHAR .

125 C’est ce qui doit, Seigneur, apres son arrogance
Vous obliger pour elle à plus d’indifférence.
Honoric, Trasimond, tout choix vous est égal.

THEODAT .

Mais, Euthar, c’est toûjours me donner un Rival.
Au moins si ce mépris qui me fut si sensible*
130 Laissoit à d’autres feux son cœur inaccessible,
Pour m’en cacher l’affront, je pourrois présumer
Que le Ciel l’auroit fait incapapble d’aimer.
Mais Honoric …

EUTHAR .

Seigneur, je croiray pour vous plaire,
Que vous conserverez toute vostre colere ;
135 Mais tant de mouvemens l’un à l’autre opposez,
Ne marquent pas encor que vos fers soient brisez.
Dans ce trouble* d’une ame inquiete*, incertaine,
Comment vous assurer de l’amour de la Reyne ?
Vous pourrez-vous contraindre à meriter son choix ?

THEODAT.

140 Il faut te l’avoüer, j’en tremble quelquefois ;
Et s’il falloit si-tost disposer de moy-mesme,
Je pourrois à ce prix haïr le Diadéme.
C’est par là que je feins de n’oser m’appliquer
Ce que la Reyne cherche à me faire expliquer.
145 Ma raison sur mes sens reprendra son empire*,
Et le temps qui peut tout…

EUTHAR .

Seigneur, je me retire ;
Quoy que peut-estre icy je fusse peu suspect,
La Reyne qui paroist m’oblige à ce respect*.

SCENE II §

{p. 7}
AMALASONTE, THEODAT, GEPILDE

AMALASONTE.

Enfin Justinian n’a pû voir sans alarmes*
150 L’effroy qu’ont pris les Siens du succès de nos armes ;
Et puis qu’il fait retraite apres tant de combats,
Ce superbe Empereur redoute vostre bras.
Belissaire, dit-on, éloigné de nos terres,
Par son ordre a déjà commencé d’autres guerres,
155 Et nos Peuples charmez* de l’espoir de la Paix,
Font pour vostre bonheur les plus ardens souhaits.
Leur amour va pour vous jusqu’à l’Idolatrie,
Ils vous nomment tout haut le Dieu de la Patrie ;
Mais quand chacun vous doit son repos le plus doux,
160 Sçavez-vous, Théodat, que je me plains de vous ?

THEODAT.

De moy , Madame ? En quoy, pour vous estre fidelle,
Aurois-je pû manquer & d’ardeur & de zele* ?
Pour soûtenir par tout l’honneur de vostre rang,
S’il a falu combattre, ay-je épargné mon sang ?
165 M’a-t-on veu reculer, ou d’une ame contrainte
Chercher dans le péril…

AMALASONTE.

Ce n’est pas là ma plainte.
Vostre sang m’est d’un prix à qui tout doit ceder,
Et c’est me servir mal, que de le hazarder.
Mais quand l’empressement de ma reconnoissance {p. 8}
170 N’a mis de vous à moy qu’un degré de distance,
Que d’honneurs en honneurs je vous ay fait monter
Presque au rang le plus haut qui pouvoit vous flater,
Comme l’ingratitude est un defaut extréme,
Estes-vous envers moy satisfaits de vous-mesme,
175 Et vous croyez vous estre assez bien acquité
De tout ce que de vous mes soins ont merité ?

THEODAT.

Par quel aveuglement pourrois-je le pretendre ?
Quoy que jamais pour vous ma foy* puisse entreprendre,
Vos bienfaits sur ma vie ont jetté tant d’éclat*,
180 Qu’il faudra malgré moy que je demeure ingrat.
J’en rougis en secret, & le vois avec peine ;
Mais, Madame, que peut un Sujet pour sa Reyne ?
Il doit tout ce qu’il fait, & par là ne fait rien.

AMALASONTE.

Qui cherche à s’acquiter, en trouve le moyen ;
185 Et quoy que les Sujets des Souverains reçoivent,
Il ne faut que le cœur pour payer ce qu’ils doivent.

THEODAT.

Ah , si le cœur suffit, dans ce que je vous doy
Vous n’avez pas sujet de vous plaindre de moy.
Avec toute l’ardeur dont le mien est capable,
190 Je sers & veux servir une Reyne adorable.
Pour prix du sort pompeux* que vos bontez* m’ont fait,
Qu’attendiez-vous de plus qu’un zele* si parfait ?
Qu’un zele* à qui pour vous rien ne sçauroit suffire ?

AMALASONTE.

Je suis fiere*, gardez de me le faire dire.
195 Si j’avois expliqué ce qui m’a fait agir,
Vous vous repentiriez de m’avoir fait rougir.
J’en fais gloire*, on le sçait, je hais les injustices ;
Ainsi vos grands exploits, vos importans services,
Sur ce qui vous est deû m’ont trop ouvert les yeux, {p. 9}
200 Pour ne vous faire pas un destin glorieux.
Mais lors que mes faveurs justement attenduës
Avec profusion sur vous sont répanduës,
Theodat, pense-t-il qu’au rang où je le mets,
Sur son merite seul je regle mes bienfaits ?

THEODAT.

205 Moy, Madame, j’aurois un orgueil si coupable ?
Jugez mieux de mon cœur, il n’en est point capable.
Tous ces biens, ces honneurs l’un à l’autre adjoûtez,
Je sçay que je les dois à vos seules bontez*.
D’un si brillant destin m’accordant l’avantage*,
210 Vous avez voulu faire admirer* vostre Ouvrage,
Et par l’éclat* du rang que Theodat obtient,
Apprendre à revérer la main qui le soûtient.
C’est tout ce que j’en dois, tout ce que j’en veux croire ;
Quelle autre cause eust pû m’attirer tant de gloire*,
215 Vous faire à mes conseils* confier vos Estats ?

AMALASONTE.

Puis que vous l’ignorez, elle ne vous plaist pas.
Tout autre pénétrant le chagrin qui m’emporte,
Auroit déjà connu…J’en dis trop mais n’importe,
Ma raison malgré moy commence à se troubler*;
220 Si ma gloire* s’en plaint, c’est à vous de trembler.
Je vous l’ay déjà dit, vous avez dû prétendre
Tout l’éclat* que sur vous j’ay tâché de répandre ;
Mais quoy que bien souvent il soit de l’équité
D’aller jusqu’à l’excés pour qui l’a merité,
225 Il est des mouvemens où le cœur se dispense
Plus obligeans, plus doux que la reconnaissance,
Des mouvemens dont rien ne borne le pouvoir,
Qui donnent sans reserve, & je les puis avoir.
Ce sont eux que tout autre…

THEODAT.

Ah, j’en connois, Madame, {p. 10}
230 Que je voudrois oser découvrir dans vostre ame ;
Mais prest à les chercher, je m’arreste, & je crains,
Mon respect* qui s’étonne*

AMALASONTE.

Et c’est dont je me plains.
Oüy, je prens pour affront ce respect* trop timide*,
Qui balance à vous faire une gloire* solide,
235 Et n’ose à mes bontez* prester assez de foy*
Pour voir que je vous ay rendu digne de moy.
Ah, ne me dites point qu’il craint de me déplaire,
S’il cherche les motifs de ce qu’il m’a plû faire.
Non, non, quiconque aspire au bonheur d’estre aimé,
240 Quel que soit son respect* n’en est point alarmé.
Il le ménage, en croit l’interest de sa flame ;
Mais la fiere* Ildegonde a trop touché vostre ame,
Le temps pour vous guerir est un foible secours,
Et malgré ses mépris, vous l’adorez toûjours.

THEODAT.

245 Ah, ne le pensez point ; d’abord, je le confesse,
Je sentis quelque peine à vaincre ma foiblesse,
A ses indignes fers mon cœur accoustumé
N’oublioit qu’à regret ce qui l’avoit charmé.
Mais j’ay de cette honte enfin sauvé ma gloire*,
250 Et son nom est si bien sorty de ma memoire,
Que depuis que j’ay fait serment de l’en bannir,
Honoric seul aimé m’en a fait souvenir.
Non que je porte envie au bonheur qu’il espere,
Mais il est outrageant qu’elle me le préfere,
255 Et montre par ce choix qu’elle fait vanité
De m’avoir jugé seul digne de sa fierté*.

AMALASONTE.

L’éclat* en fut injuste, & je l’en ay blâmée ; {p. 11}
Mais puis que cet amour vous tient l’ame alarmée,
Pour vanger vostre gloire*, allez, je vous promets
260 Qu’Honoric, quoy qu’aimé, ne l’obtiendra jamais.

THEODAT.

Non, Madame, il ne faut repousser cette offence
Que par le froid mépris qui suit l’indifférence.
L’obstacle qu’à son feu vous auriez apporté,
S’imputant à ma haine, enfleroit sa fierté*.
265 Consentez-y de grace, & dés aujourd’hui mesme
Résolvant son hymen, donnez-luy ce qu’elle aime.
Confus d’un sentiment écouté malgré moy,
Par ce prompt desaveu j’en veux purger ma foy*,
Et jurer mille fois à mon auguste Reyne,
270 Qu’adorant ses bontez*, je m’en sens l’ame pleine,
Que pour les meriter il n’est ny vœux ny soins…

AMALASONTE.

Le cœur contre soy-mesme a de secrets témoins,
Vous les consulterez, & me ferez connoistre
De quels devoirs pour moy vous pourrez estre maistre.
275 Un hommage contraint n’est point ce que je veux ;
Mais quelque liberté que je laisse à vos vœux,
Songez que dans le rang où le Ciel m’a placée,
M’expliquant avec vous, je me suis abaissée ;
Et qu’il est dangereux, quand j’ay fait ce faux pas,
280 D’embarrasser ma gloire*, & n’en profiter pas.
Laissez-moy seule.

SCENE III §

{p. 12}
AMALASONTE, GEPILDE.

GEPILDE.

Enfin vous le voyez, Madame ;
Mieux que vous ne pensiez j’avois leu dans son ame,
Et vous avois bien dit que ses vœux* les plus doux
N’aspiroient qu’à pouvoir se déclarer pour vous.
285 Que de charmes* pour luy dans ce surcroist de gloire* !

AMALASONTE.

Il m’aime ! Ah, comme toy que ne le puis-je croire !
La peur d’estre exposée aux plus mortels ennuis*,
Ne me jetteroit pas dans le trouble* où je suis.

GEPILDE.

Un pur zele* pour vous est tout ce qu’il écoute,
290 Et vous voulez douter que son cœur…

AMALASONTE.

Oüy, j’en doute.
En vain ma passion cherche à me décevoir*,
Gepilde, j’ay plus veu que je ne voulois voir.
Je sçay que Theodat accepte ma Couronne,
Mais ce n’est point son cœur qui s’ofre, qui se donne,
295 C’est moy qui le mandie, & dont l’abaissement
Peut-estre malgré luy me l’acquiert pour Amant.

GEPILDE.

Blâmez-en vostre rang, dont l’orgueil tyrannique
Empesche qu’en aimant un Sujet ne s’explique,
Et qui par son éclat* luy rendant tout suspect,
300 Dés qu’il cherche à parler, l’immole* à son respect*.

AMALASONTE.

Ah, le respect* n’est point un tyran si severe, {p. 13}
Ou si l’on en reçoit quelque ordre de se taire,
On l’observe d’un air si chagrin, si contraint,
Qu’en montrant ce qu’on soufre on fait voir ce qu’on craint.
305 La raison par l’amour est bientost affoiblie,
Auprés de ce qu’on aime, on s’égare, on s’oublie,
Au defaut de la bouche une tendre langueur
Fait lire dans les yeux le desordre du cœur,
Et l’on ne peut penser, quand un beau feu l’anime,
310 Qu’un soûpir* indiscret* passe pour un grand crime.
Mais jamais jusque-là Theodat n’est venu ;
Point d’oubly, point de trouble*, il s’est toûjours connu,
J’avois beau l’enhardir sur le feu qui me touche,
Tout se taisoit en luy, le cœur, les yeux, la bouche,
315 Comme si mes bontez* eussent peu merité
Qu’il daignast se permettre une temerité
Et tâcher, en perçant le secret de mon ame,
De m’épargner l’affront de prévenir* sa flame.
Mesme en la prévenant, quelle honte pour moy,
320 Et jusqu’où j’ay trahy l’orgueil que je me doy !
N’as-tu pas remarqué qu’il n’a voulu m’entendre,
Que quand je l’ay contraint à ne s’en plus défendre,
Que s’il eust pû le faire, il auroit crû plus tard ?
Ah, pour les vrais Amans il ne faut qu’un regard.
325 A voir quand il s’échape attachez sans relâche,
Ils arrachent du cœur ce que ce cœur leur cache,
Et pour y penétrer, prennent avidement
Les plus foibles clartez du moindre égarement.
Mais enfin, ç’en est fait, je ne m’en puis dédire,
330 J’ay parlé, l’Ingrat sçait que pour luy je soûpire*
Voy par là quels malheurs j’auray sçeu m’attirer,
Si je voy qu’à ma honte il m’ait fait déclarer.
Je l’aime, & plus l’amour que j’ay trop osé croire {p. 14}
M’a fait en sa faveur relâcher de ma gloire*,
335 Plus de moy contre luy, s’il me la faut vanger,
Cette gloire* offencée aura lieu d’exiger.
Où l’outrage demande une juste colere,
La rigueur à punir est toûjours necessaire.
J’en ay donné l’exemple, & l’honneur de mon rang,
340 D’abord que j’ay regné, m’a cousté quelque sang.
Theudis s’en plaint encor, Trasimond en murmure,
Et Theodat sçait trop que sensible* à l’injure …

GEPILDE.

Mais, Madame, sur quoy soupçonner Theodat
De pouvoir se résoudre à devenir ingrat ?
345 Autrefois Ildegonde eut sur luy quelque empire* ;
Mais depuis que vers vous un plus beau feu l’attire,
N’a-t-il pas hautement, en cessant de la voir,
Desavoüé par tout cet injuste pouvoir ?
Il fait plus , Honoric a de l’amour pour elle ;
350 Et loin qu’en l’apprenant le sien se renouvelle,
Qu’il tâche d’empescher son Rival d’estre heureux,
Il vous porte luy-mesme à couronner ses vœux,
Pour vous marquer sa foy* que pouvoit-il plus faire ?

AMALASONTE.

L’indifférence est forte, & n’a pû me déplaire,
355 Elle offre quelque calme à mon espoir flotant ;
Je le voy , mais enfin mon cœur n’est point content*.
Un je ne sçay quel trouble* incessamment l’agite,
Ma raison qui s’alarme* en demeure interdite*.
Revoyons Theodat, & dés ce mesme jour
360 Sçachons s’il faut éteindre, ou croire mon amour.

Fin du Premier Acte.

{p. 15}

ACTE II §

SCENE PREMIERE §

ILDEGONDE, VALMIRE.

VALMIRE.

Ce pouvoir absolu que la Reyne luy donne,
Permet peu de douter qu’elle ne le couronne,
Et que bientost sa main, pour honorer sa foy*,
N’adjoûte à ce qu’il est, le grand titre de Roy.
365 Chacun pour Theodat, remply d’impatience,
Par des vœux pleins de zele* en prévient* l’espérance ;
Il est aimé du Peuple, & tous à haute voix
Semblent briguer pour luy la gloire* de ce choix.

ILDEGONDE.

Theodat est heureux, d’avoir tant de suffrages.

VALMIRE.

370 La valeur confirmée a de grands avantages* ;
Et le Trône n’est pas un prix trop haut pour luy,
Quand relevant sa chute, il s’en montre l’appuy.

ILDEGONDE.

Et sur ce grand Hymen dont chacun est en peine, {p. 16}
Dit-on que Theodat ait fort pressé la Reyne ?
375 Qu’il trouve en sa beauté de si puissans appas ?

VALMIRE.

Il luy rend trop de soins, pour ne le croire pas.

ILDEGONDE.

Il en est donc charmé* ?

VALMIRE.

Du moins il le doit estre.
Mais quelle inquietude en faites-vous paroistre ?
Croyez-vous qu’à la Reyne un tel choix soit honteux ?

ILDEGONDE.

380 Pourquoy ? N’est-elle pas maistresse de ses vœux ?

VALMIRE.

Il semble cependant que vostre cœur soûpire* ?
Apprenez-m’en la cause.

ILDEGONDE.

Et comment te la dire,
Puis que loin qu’avec toy j’ose me déclarer,
Moy-mesme, s’il se peut, je la veux ignorer ?

VALMIRE.

385 Quoy que vous vous taisiez, je voy ce qui vous gesne* ;
Jamais pour Theodat vous n’avez eu que haine,
Et cette aversion vous fait voir à regret
L’éclat* brillant du rang où ce grand choix le met.

ILDEGONDE.

Un pareil sentiment te paroist condamnable ?
390 Plût au Ciel cependant que j’en fusse capable !
Je sentirois bien moins la rigueur de ce choix,
Si je le haïssois autant que tu le crois.

VALMIRE.

Du moins c’est par mépris que d’une ame jalouse
Vous voyez aujourd’huy que la Reyne l’épouse,
395 Puis que de son amour la plus soûmise ardeur {p. 17}
N’eut jamais le pouvoir de toucher vostre cœur.

ILDEGONDE.

Si dans ses vœux offerts, la fierté* qui me dompte…
Mais comment me résoudre à t’expliquer ma honte ?
Et que penseras-tu, si l’ennuy* qui m’abat
400 Vient, de me voir réduite à ceder Theodat ?

VALMIRE.

Theodat vous plairoit luy qui sous vostre empire*
S’est veu cent & cent fois…

ILDEGONDE.

Etonne-t-en, Valmire.
Quoy qu’ait ce changement d’incroyable pour toy,
Tu n’en seras jamais si surprise que moy.
405 Je suis née en un rang où l’orgueil qui m’anime
Peut-estre en le réglant eust esté légitime ;
Mais à ses seuls conseils* voulant avoir égard,
Je l’ay porté trop loin, & le connois trop tard.
Aux despens de mon cœur c’est luy qui me fit croire
410 Que je me devois toute au soucy de la gloire*,
Et que de tous les maux qui pouvoient m’alarmer*,
Rien n’estoit plus à fuir que la honte d’aimer.
Il me la dépeignoit avec toute l’adresse
Qui peut y faire voir une indigne foiblesse,
415 Un mol amusement dont les lâches appas
N’estoient flateurs & doux que pour les Esprits bas ;
Et dans ces mouvemens qui possedoient mon ame,
Theodat vint s’offrir, je dédaignay sa flame .
Non que je visse en luy rien qui pût mériter
420 L’injurieux dédain qui le fit rejetter ;
Je suivois seulement la fierté* naturelle
Qui me montrant la gloire*, immoloit* tout pour elle ;
Et tout autre venant se livrer à mes fers,
Eust reçeu mesme prix des vœux qu’il m’eust offerts. {p. 18}
425 Theodat se lassa de cette humeur altiere,
Il cessa de me voir, je n’en fus pas moins fiere* ;
D’aucun chagrin par là n’ayant l’esprit frapé,
Je crûs voir sans regret qu’il m’estoit échapé :
Mais quand je m’apperçeus qu’ayant brisé ma chaîne,
430 Ce Fugitif portoit tous ses vœux à la Reyne,
J’eux beau, pour étoufer le dépit que j’en eus,
Consulter cet orgueil qui ne me parloit plus,
Mon cœur ne pût d’abord renoncer au murmure,
C’est là qu’estoit le mal, je sentis la blessure ;
435 Et soit que d’un Amant à me quitter trop prompt
L’inconstance eust pour moy l’image d’un affront,
Soit qu’en mon cœur l’amour n’ayant osé paroistre,
Voulust pour se vanger agir alors en Maistre,
Ce cœur, pour Theodat que la Reyne m’ostoit,
440 Devint dés ce moment tout autre qu’il n’estoit ;
Et si pour n’en donner aucune connoissance,
D’un paisible dehors j’affectay l’apparence,
De cent troubles* secrets le dedans combatu
Me fit payer bien cher cette fausse vertu*.

VALMIRE.

445 Theodat eut pour vous l’ame d’amour si pleine…

ILDEGONDE.

Mais cependant tu vois qu’il brule pour la Reyne,
Ma douleur s’en réveille, & je n’y puis penser,
Sans voir combien ma gloire* a lieu de s’offencer,
Et me faire aussitost, en songeant qu’il me quitte,
450 Un reproche honteux de mon peu de merite.
S’il l’eust veu tel, helas ! que l’a crû ma fierté*,
Le dépit contre moy ne l’eust point revolté,
Il eust crû son amour plutost que sa colere.

VALMIRE.

Que vouliez-vous qu’il fist ? Il ne pouvoit vous plaire.

ILDEGONDE.

455 Que l’ardeur de ses soins combatist mes froideurs, {p. 19}
Qu’il soufrist, ou du moins qu’il n’aimast point ailleurs ;
Son cœur pour d’autres yeux devoit estre invincible.

VALMIRE.

Mais vous seriez toûjours demeurée insensible*.

ILDEGONDE.

Je l’avouë, & sans doute encor mesme aujourd’huy,
460 S’il n’avoit rien aimé, je la serois pour luy ;
Ce n’est que le chagrin de cette préference
Qui m’inspire un amour dont mon orgueil s’offence.
Ah, si tu connoissois à quels sensibles* coups
Nous expose un Amant revolté malgré nous,
465 Et ce que fait soufrir la disgrace fatale
De voir passer son bien aux mains d’une Rivale !

VALMIRE.

Si ce suplice est tel, je l’aurois prévenu*,
Le cœur de Theodat vous estoit trop connu ;
Et lors que par ses soins redoublez pour la Reyne
470 Il vous fit soupçonner cet amour qui vous gesne*,
Vos regards adoucis n’auroient pas eu d’abord,
Pour vous le ramener, besoin de grand effort.

ILDEGONDE.

Moy, pour tout le repos qu’il faudra qu’il m’en couste,
J’aurois de mon orgueil laissé le moindre doute !
475 A cet abaissement j’aurois pû me forcer ?
Ah, tu me connois mal, si tu l’as pû penser.
Je pers en Theodat l’objet de mon estime,
Ma gloire* l’a voulu, j’en seray la victime,
Et je m’immoleray* d’un cœur ferme & constant
480 A tout ce que de moy son injustice attend.

VALMIRE.

Quoy que vous résolviez, si negligeant la Reyne,
Theodat vous pressoit…

ILDEGONDE.

Il y perdroit sa peine ; {p. 20}
Je l’aime, je le sens, mais malgré est cet amour,
Pour peu qu’à me vanger je pûsse trouver jour,
485 Il m’a manqué de foy*, je luy ferois connoistre …
Mais pourquoy me flater de ce qui ne peut estre ?
Puis qu’à l’aimer la Reyne a voulu l’engager ;
C’est un mal sans remede, il n’y faut plus songer.

VALMIRE.

Je vous plains des malheurs qu’un scrupule vous cause,
490 Mais ce qui me surprend plus que tout autre chose,
C’est qu’aimant Theodat, vous puissiez endurer
Qu’Honoric pour sa flame ose tout esperer.
Pourquoy si hautement permettre qu’il vous aime ?

ILDEGONDE.

Par gloire*, par chagrin, par haine pour moy-mesme.
495 L’Amour, de ma fierté* n’a pû rien obtenir ;
J’ay voulu par ce choix le vanger, me punir,
Ou plutost j’ay voulu qu’en me le voyant faire,
Theodat outragé fist agir sa colere,
Qu’il me vist, se plaignist, & par son desespoir
500 Me marquast sur son ame un reste de pouvoir.
Eust-il jamais esté gloire* plus achevée ?
La secrete douceur de n’estre point bravée,
De joüir de sa peine, & pouvoir insulter
Aux ennuis* d’un Amant qui m’auroit pû quitter,
505 D’un plaisir si sensible* eust chatoüillé mon ame,
Que d’Honoric alors récompensant la flame,
Fiere* de mes dédains soûtenus jusqu’au bout,
Quoy que j’eusse immolé*, j’aurois crû gagner tout.
Mais avec Honoric j’ay beau m’estre engagée,
510 Ce suplice est perdu, je ne suis point vangée,
Et d’un Amant fâcheux l’importun embarras…

VALMIRE.

Madame, je le voy, ne vous emportez pas. {p. 21}

SCENE II. §

ILDEGONDE, HONORIC, VALMIRE.

HONORIC.

Enfin de Theodat la gloire* est assurée,
La Reyne en sa faveur s’est tout haut déclarée,
515 Madame, & deja mesme on parle d’ordonner
La pompe de l’Hymen qui le doit couronner.
Elle l’avoit mandé sur quelque incertitude
Qui sembloit luy causer un peu d’inquietude ;
Et l’heureux Theodat a si bien répondu
520 A ce que de sa flame elle avoit attendu,
Qu’elle s’est résoluë à faire enfin connoistre
Que son choix à l’Estat le destine pour Maistre.
Toute la Cour s’empresse à l’en féliciter.

ILDEGONDE.

L’éclat* d’une Couronne a de quoy le flater.
525 Sa joye est grande à voir le glorieux partage…

HONORIC.

L’amour qui le charmoit acheve son ouvrage,
Et vous pouvez juger quels doux ravissemens
Ont suivy son transport* dans ces premiers momens.
Mais quand je le voy prest à pouvoir toute chose,
530 Permettez qu’à vos yeux mon scrupule s’expose ;
Theodat autrefois eut de l’amour pour vous,
Du bonheur de ma flame il peut estre jaloux ;
Et lors qu’il sera Roy, j’ay peur qu’il se souvienne {p. 22}
Qu’un dédain trop cruel fut le prix de la sienne.
535 Avant qu’il ait ce titre, accordez à mon feu,
L’entiere liberté d’en obtenir l’aveu*.
La Reyne à cet amour n’a point esté contraire,
Et je puis me flater du bonheur que j’espere,
Si tandis qu’elle seule encor donne des loix,
540 J’engage ses bontez* à suivre vostre choix.
Balancez-vous, Madame, & ce parfait hommage
Dont mes soins à vous plaire ont cherché l’avantage*,
N’a-t-il pû meriter que pour prix de ma foy*
J’ose…

ILDEGONDE.

Oüy, voyez la Reyne, & répondez de moy.

HONORIC.

545 Ah, puis que vostre flame est propice à la mienne…

ILDEGONDE.

Prévenez* Theodat, de peur qu’il vous prévienne*.
Allez, si mon hymen est un bonheur si doux,
Le temps doit estre cher à qui craint comme vous.

SCENE III. §

ILDEGONDE, VALMIRE.

VALMIRE.

Qu’avez-vous dit, Madame, & par quelle injustice
550 Faire de vostre cœur un si dur sacrifice ?

ILDEGONDE.

Il est dur, je l’avouë, & promettant ma main,
Ce n’est pas sans trembler que j’en prends le dessein ;
Mais lors que je vois tout à craindre pour ma gloire*, {p. 23}
Valmire, je me doibs cette grande victoire.
555 Le Destin l’a voulu, Theodat est heureux,
Son feu récompensé m’est un objet affreux,
J’en sens des mouvemens de haine, de colere,
Et voudrois me vanger, si je le pouvois faire :
Mais quand de son bonheur je vois venir le jour,
560 M’en fâcher, le haïr, c’est avoir de l’amour ;
Et si ce Theodat qu’on me donne pour Maistre,
M’estoit indifférent autant qu’il devroit l’estre,
Avec plus de repos je verrois aujourd’huy
Ce qu’une Reyne Amante a résolu pour luy.
565 Je l’aime donc, Valmire, & ce m’est une honte
Qui ne peut s’effacer par une ardeur trop prompte.
Cet amour qui me livre au trouble* où je me voy,
Mon cœur se le permet, parce qu’il est à moy,
Et je veux que ce cœur, afin qu’il se l’arrache,
570 Aux seuls vœux d’Honoric par le devoir s’attache.
Ne balançons donc point ce que j’ay projetté.
Mettons en l’épousant ma gloire* en seûreté.
Si ce tendre panchant qui peut tout sur son ame
N’a point de part aux nœuds qui me rendront sa Femme,
575 Un cœur qui pour la gloire* a toûjours combatu,
N’a pas besoin d’amour, ayant de la vertu*.
Mais de ce que je voy que faut-il que je pense ?
Est-ce pour me braver que Theodat s’avance ?
Luy me chercher ! Valmire, éloignons-nous d’icy.

SCENE IV. §

THEODAT, ILDEGONDE, VALMIRE.

THEODAT.

580 Quoy, Madame, il vous plaist de m’éviter ainsi ? {p. 24}

ILDEGONDE.

M’estant si rarement forcée à vous entendre,
Ma retraite n’a rien qui vous doive surprendre.

THEODAT.

Eh, Madame, de grace, un peu moins de fierté*.
Sans trahir vos mépris je puis estre écouté,
585 Je n’en viens point blâmer l’injurieuse audace,
Au contraire, je viens pour vous en rendre grace.
Ils m’ont fait un destin, si grand, si beau, si doux,
Que je n’ay plus sujet à me plaindre de vous.

ILDEGONDE.

J’apprens avec plaisir cette haute fortune,
590 Puis qu’elle me défait d’une plainte importune.

THEODAT.

C’est un malheur qu’en vain j’ay voulu détourner ;
Mon feu n’a jamais fait que vous importuner,
J’ay souffert, j’ay languy, sans qu’un si long suplice
Ait de vos duretez arresté l’injustice.
595 Une autre sans regret n’auroit pû m’immoler*,
Vous en avez fait gloire*, il faut s’en consoler.
Au moins, ce qui me doit rendre l’ame un peu vaine,
Vos rebuts ne sont pas indignes d’une Reyne,
Et je puis effacer, en recevant sa main,
600 La honte des soûpirs* que j’ay poussez en vain.

ILDEGONDE.

Les voyant rejettez, il vous estoit facile {p. 25}
De ne leur pas soufrir un éclat* inutile.

THEODAT.

J’avois de la foiblesse, il faut le confesser.

ILDEGONDE.

Qui l’a si bien connu, pouvoit y renoncer.

THEODAT.

605 J’eus tort, & vos dédains ont trop terny ma gloire*.

ILDEGONDE.

Ils s’expliquoient assez, vous n’aviez qu’à les croire.

THEODAT.

L’outrage est réparé par tant d’heureux effets…

ILDEGONDE.

Il suffit que tous deux nous soyons satisfaits.

THEODAT.

J’ay tout sujet de l’estre ; Une Reyne qui m’aime,
610 Joint au don de son cœur celuy du Diadéme.
Pourtant, pourtant, Madame, il n’a tenu qu’à vous
Qu’on ne m’ait encor veu joüir d’un sort plus doux.

ILDEGONDE.

Qu’à moy ?

THEODAT.

Jamais amour ne m’ofrit tant de charmes*.
J’en appelle à témoins mes soûpirs* & mes larmes,
615 Ces larmes qu’à vos pieds, sans mouvement, sans voix,
Mon désespoir m’a fait répandre tant de fois.
De mes vives douleurs la triste image offerte
N’a pû vous empescher de résoudre ma perte.
Vous avez au mépris adjoûté le couroux,
620 Vostre ingrate rigueur…

ILDEGONDE.

De quoy vous plaignez-vous ?
N’estes-vous pas content* qu’elle vous ait fait naistre {p. 26}
La noble ambition …

THEODAT.

Non, je ne le puis estre,
Et ce Trône où m’appelle un hymen glorieux,
Il me couste trop cher pour m’estre prétieux.
625 J’y consens, joüissez de mon inquiétude,
Cruelle ; elle doit plaire à vostre ingratitude,
Joüissez des ennuis* d’un Amant outragé
Qui de vos fiers mépris sur luy seul s’est vangé,
Qui se donnant ailleurs, tremble du sacrifice …

ILDEGONDE.

630 Et qui vous a forcé de choisir ce suplice ?

THEODAT.

Vous me le demandez, vous qui m’avez causé
Toute l’horreur des maux où je suis exposé ?
Hé bien, je vais encor …

ILDEGONDE.

Non, cela doit suffire,
Je ne veux rien sçavoir, vous n’avez rien à dire.

THEODAT.

635 Craignez-vous que ces maux trop vivement dépeints,
Ne vous reprochent trop vos injustes dédains ;
Que malgré vous touchée, à voir un feu si tendre …

ILDEGONDE.

Moy touchée ? Et comment le pourriez-vous prétendre ?
Par quel constant effort avez-vous merité
640 Que j’eusse pour vos feux tant de crédulité ?
La Reyne, dont si-tost vostre ame fut charmée*
Non, Theodat, jamais vous ne m’avez aimée.

THEODAT.

Ah, si vostre injustice a pû le présumer,
Dites-moy donc comment il vous falloit aimer,
645 Est-il vœux, soins, devoirs, complaisances, services {p. 27}
Dont vous n’avez reçeu les tendres sacrifices ?
Plutost que me résoudre à voir mes feux éteints…

ILDEGONDE.

Vous en estes le maistre, est-ce que je m’en plains ?

THEODAT.

Ne vous repentez point, s’il se peut, de le faire,
650 Et m’accordez de grace, un moment de colere.
C’est ce que j’attendois, quand mon cœur étonné*
Pour la Reyne à vos yeux s’est feint passionné.
Mais de ce faux amour j’ay cherché l’apparence,
Sans que vous ayez pû vous en faire une offence.
655 Vous ne m’avez montré ny chagrin, ny dépit,
Marqué rien qui parust…

ILDEGONDE.

Je vous en ay trop dit.

THEODAT.

Vous m’en avez trop dit ! Vous ?

ILDEGONDE.

Oüy, trop ; mais qu’importe ?
Il est beau, Theodat, que le Trône l’emporte,
Que vous n’ayez rien veu…

THEODAT.

Non, Madame, jamais
660 Le moindre ennuy* de vous n’a flaté mes souhaits.
Toûjours du mesme esprit à ma perte animée …

ILDEGONDE.

Et n’ay-je pas souffert qu’Honoric m’ait aimée ?

THEODAT.

Quoy ? Vouloir préferer un Rival à ma foy*,
M’outrager, m’accabler, c’est se plaindre de moy ?

ILDEGONDE.

665 Oüy, ce choix d’un Rival n’auroit pû vous déplaire,
Si vous aviez aimé comme vous deviez faire.
L’orgueil qui dans mon cœur a fait taire l’amour,
Pour voir le vray merite, y laisse quelque jour ; {p. 28}
Je puis le discerner où je le voy paroistre ;
670 Et si vous m’estimez, vous avez dû connoistre
Que qui de Theodat n’acceptoit pas les vœux,
Deviendroit encor moins sensible* à d’autres feux.
C’estoit donc pour le vostre un motif favorable
Qui paroissoit me rendre Honoric préferable ;
675 Mais ce relâchement honteux à ma fierté*,
Vous a laissé tranquille, & n’a rien mérité.
Au moindre emportement il n’a pû vous contraindre,
Vous avez dédaigné de me voir, de vous plaindre,
Et n’avez pas jugé mon cœur d’assez haut prix
680 Pour vous inquiéter de ce dernier mépris.
C’est vous en dire trop ; mais quoy que j’en rougisse,
Je ne m’oublie au moins que pour vostre suplice,
Et je m’épargnerois l’affront de me trahir,
Si vous estiez encor en pouvoir d’en joüir.

THEODAT.

685 Ah, je le puis encor ; plus d’Etast, plus de Reyne.
Je ne veux, ne connois que vous pour Souveraine,
La Couronne à mes yeux n’offre plus rien de doux,
Et je renonce à tout pour vivre tout à vous.

ILDEGONDE.

Non , n’appréhendez point que jamais je consente
690 A vous couster les biens qui flatent vostre attente ;
Vous avez à la Reyne engagé vostre foy*,
Juré que vostre cœur …

THEODAT.

Il n’estoit pas à moy ;
Asservy sous vos loix, pouvois-je le promettre ?

ILDEGONDE.

Ma gloire* là-dessus n’a rien à me permettre.
695 J’ay souffert qu’Honoric fist éclater* son feu, {p. 29}
Qu’il tâchast de la Reyne à meriter l’aveu* ;
S’il l’obtient, & qu’il faille aujourd’huy…

THEODAT.

Quoy, Madame,
L’amour a donc si peu de pouvoir sur vostre ame…

ILDEGONDE.

Moy, de l’amour ! Gardez de l’oser présumer.
700 Non, ç’en est fait, jamais je ne vous veux aimer.

THEODAT.

Et moy, Madame, & moy qui n’ay point d’autre envie
Que de vous adorer le reste de ma vie,
Je feray tant qu’enfin j’obtiendray quelque jour …

ILDEGONDE.

Ah, craignez d’écouter ce dangereux amour,
705 Il vous perdroit. Suivons nos fieres* destinées.
On ne se moque point des Testes couronnées.
La Reyne a crû pour vous ne pouvoir trop oser,
Elle s’est déclarée, il la faut épouser,
Le Trône rend pour vous cet hymen necessaire.

THEODAT.

710 Le Trône ! En vous perdant, a-t-il de quoy me plaire ?
En vain à m’y placer la Reyne se résout,
Ne me l’opposez point, j’en viendray bien à bout.
Non que j’aye à douter qu’une pareille offence
N’arme contre mes jours sa plus fiere* vangeance ;
715 Mais s’il faut éclater*, j’en essuyeray les coups,
Plutost que de trahir l’amour que j’ay pour vous.
Dites-moy seulement que quoy qu’Honoric fasse,
Jamais de son espoir vous n’avoüerez l’audace,
Que toûjours vos refus par d’obstinez combats …

ILDEGONDE.

720 Ma gloire* en soufriroit, ne le demandez pas.
Si la Reyne consent que je sois sa conqueste, {p. 30}
J’ay promis d’estre à luy, ma main est toute preste.
Tout ce que je puis faire est de vous assurer
Que si vous empeschez ce qu’il peut esperer,
725 Jamais, quoy que le Ciel de vostre sort ordonne,
Vous n’aurez la douleur de me voir à personne.

THEODAT.

Et si je vous disois que me croyant hay,
Moy-mesme je me suis imprudemment trahy ?
Qu’en faveur d’Honoric j’ay déjà veu la Reyne ?

ILDEGONDE.

730 Soufrez donc un hymen qui vous blesse & me gesne*,
Car ne prétendez point qu’après ce que j’ay fait,
Ma gloire* ose laisser son ouvrage imparfait,
Et qu’il m’échape rien dont on puisse à ma honte
Présumer que l’amour malgré moy me surmonte
735 Ma jalouse vertu* n’en croira pas mon cœur.

THEODAT.

De sa severité voyez mieux la rigueur.
Quoy, vous épouseriez Honoric ? Ah, Madame,
Ne desesperez point une si belle flame.
Par ces tendres soûpirs* si longtemps dédaignez,
740 Par tout ce qu’ont d’amer les maux que vous craignez,
Si du plus pur amour le pouvoir invincible
A la pitié pour moy vous peut rendre sensible*,
Si ce que vostre cœur a fait soufrir au mien,
Si mes larmes …

ILDEGONDE.

Adieu, je n’écoute plus rien,
745 En l’état où je suis vous m’en pourriez trop dire,
Et je vous haïrois, si lors que j’en soûpire*
Vous m’aviez sçeu contraindre à force de douleurs
A démentir l’orgueil qui cause mes malheurs.

SCENE V. §

{p. 31}
THEODAT, EUTHAR .

EUTHAR.

Qu’oseray-je penser ? La Princesse vous quitte,
750 Seigneur, & je vous voy l’ame toute interdite* ?

THEODAT.

Enfin, Euthar, enfin la victoire est à moy,
Je triomphe, Ildegonde a reconnu ma foy*,
Elle m’aime.

EUTHAR.

Ah, Seigneur, quelle triste victoire !
Ildegonde vous hait, & vous la voulez croire !
755 Pour vous oster un Trône…

THEODAT.

Ah, non, jusqu’à ce jour,
J’ay trop pour m’y tromper, étudié l’amour.
Elle m’aime, te dis-je, & ma gloire* est certaine.
Viens, suy-moy.

EUTHAR.

Mais, Seigneur, que deviendra la Reyne ?

THEODAT.

Ne préviens* point les maux que j’en doit redouter.

EUTHAR.

760 Seigneur, pardonne-t-elle à qui l’ose irriter ?
Le sang qu’elle a versé vous doit faire connoistre
Quels périls…

THEODAT.

Ils sont grands, j’y périray peut-estre ; [ 32]
Mais, Euthar, quand on a le cœur bien enflamé,
C’est mourir satisfait, que de mourir aimé.

Fin du Second Acte.

{p. 33}

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

AMALASONTE, HONORIC, GEPILDE.

AMALASONTE.

765 Il vous estoit permis d’en croire cette estime,
Par elle je rendois vostre espoir legitime ;
Et vous voir, sans m’en plaindre, aspirer à la foy*,
C’estoit sur cet Hymen vous répondre de moy.
Ainsi dans ces devoirs que tant d’amour seconde,
770 Vous n’aviez contre vous que le cœur d’Ildegonde ;
Il est fier*, orgueilleux, difficile à toucher ;
Et quand vers vous enfin vos soins l’ont fait pancher,
Prest à faire éclater* cette noble victoire,
Vous devez d’autant plus en estimer la gloire*,
775 Que personne avant vous par ses plus tendres vœux
N’avoit pû mériter ce qui vous rend heureux.

HONORIC.

Je sçay qu’en ma faveur rien ne la sollicite ;
Mais l’amour aux Amans tient lieu de vray merite,
Madame, il persuade, & c’est un seûr appuy, {p. 34}
780 Pour confondre un Rival, que d’aimer plus que luy.
La Princesse à ma flame a deû quelque justice ;
Et quand à son succés je vous trouve propice,
Mes vœux dont vos bontez* autorisent l’ardeur,
N’ont plus pour le haster qu’à ménager son cœur.
785 Soufrez-le moy, Madame, & qu’à tant d’espérance
De mes brûlans desirs joignant l’impatience,
J’engage la Princesse à ne point retarder
Le glorieux moment …

AMALASONTE.

Je viens de la mander,
Et n’auray pas de peine à résoudre avec elle
790 Ce qui doit couronner une flame si belle.
Rien n’empeschant l’hymen qui comble vos souhaits,
Soyez seûr dés demain de les voir satisfaits.
Sçavez-vous cependant qui pour vous s’intéresse
A briguer prés de moy l’hymen de la Princesse ?
795 Theodat.

HONORIC.

Theodat ? Quoy …

AMALASONTE.

Vous estes surpris
Que par luy de vos vœux cet hymen soit le prix ?

HONORIC.

J’avois quelque sujet de craindre le contraire.

AMALASONTE.

Je sçay qu’à la Princesse il a tâché de plaire.
Mais si son cœur en vain se soûmit à ses loix,
800 Il sçait combien l’amour est libre dans son choix,
Et ne veut se vanger de son ingratitude
Qu’en ostant à vos feux tout lieu d’inquiétude.
C’est luy qui me convie à les favoriser.

HONORIC.

Ce genéreux effort ne peut trop se priser, {p. 35}
805 Madame ; & quand je voy que mon amour extrême
Trouve en luy …

AMALASONTE.

Vous pouvez l’apprendre de luy-mesme,
Le voicy.

SCENE II. §

AMALASONTE, THEODAT, HONORIC, GEPILDE.

AMALASONTE.

J’assurois Honoric, que son feu
Avoit déjà par vous obtenu mon aveu*,
Et que s’il voit demain un heureux Hyménée
810 D’Ildegonde à son sort joindre la destinée,
C’est à vous seul qu’il doit, en touchant ce grand jour,
Le prompt consentement qui charme* son amour.

THEODAT.

La Princesse, Madame, a deû chérir son zele*,
Et luy donnant la main, fait un choix digne d’elle ;
815 Mais quoy que cet hymen vous semble à souhaiter,
Le résoudre à demain, c’est le précipiter ;
De tels engagemens valent bien qu’on y pense.

AMALASONTE.

Oû l’amour doit choisir, je hay la violence ;
Et si d’un pareil ordre Ildegonde se plaint,
820 Je ne veux rien d’un cœur que le respect* contraint.
Est-ce qu’on vous a dit que toûjours insensible* {p. 36}
Aux soûpirs* d’Honoric le sien soit infléxible ;
Que c’est sans son aveu* qu’il cherche mon appuy ?

HONORIC.

Theodat me hait trop, pour n’en croire que luy,
825 Madame, & vous voyez par l’avis qu’il vous donne,
Ce que de cette haine il faut que je soupçonne.

THEODAT.

Un sincere conseil* est toujoûrs écouté.

AMALASONTE.

J’admire*, à dire vray cette sincérité,
Elle est prompte, & ce m’est une surprise extréme
830 De vous trouver si-tost différent de vous-mesme.
Quoy, vous qui d’Honoric favorisant l’espoir,
Me demandiez tantost…

THEODAT.

Je croyois le devoir ;
Mais j’ay songé depuis que la paix desirée
Pour vos Peuples encor n’est pas bien assurée,
835 Et que si Belissaire est ailleurs arresté,
Pour n’avoir rien à craindre il nous faut un Traité.
L’Empereur peut l’offrir, & dans ces occurrences
Vous sçavez que l’Estat a besoin d’alliances.
Ildegonde a l’honneur d’estre de vostre sang,
840 Son destin l’asservit aux devoirs de son rang,
Et peut-estre ce n’est que par son hyménée
Qu’on verra pleinement la guerre terminée.
Justinian honteux de nous combatre en vain,
Pour un nouveau César peut demander sa main.

AMALASONTE.

845 Sans doute, j’aime à voir que Theodat se pique
D’une si salutaire & noble Politique.
L’empereur, il est vray, s’il se porte à la paix,
Nous peut sur quelque hymen expliquer ses souhaits ;
Mais ma main, quelque rang que la Princesse tienne, {p. 37}
850 Est encor à donner, & vaudra bien la sienne.
Si je vous ay permis, preste à vous nommer Roy,
L’audace d’élever vos regards jusqu’à moy,
L’ardeur que pour l’Estat vostre soïn fait paroistre
Soufrira sans chagrin le choix d’un autre Maistre.

THEODAT.

855 Madame, à tant d’orgueil pourrois-je m’emporter,
Que…

AMALASONTE.

Je vois Ildegonde, il la faut écouter .

SCENE III. §

AMALASONTE, ILDEGONDE, THEODAT, HONORIC, GEPILDE.

AMALASONTE.

Approchez-vous, Princesse, & nous venez apprendre
Ce que de son amour Honoric doit attendre.
Il le fait éclater*, & c’est sous vostre aveu* ;
860 Mais pour n’en douter pas, son raport est trop peu
Parlez, expliquez-vous, c’est vous que j’en veux croire.

ILDEGONDE.

Honoric à m’aimer a trouvé quelque gloire*,
Madame, & j’avoüeray que ses vœux écoutez
Doivent estre reçeus, si vous y consentez.
865 Je ne m’en dédis point, j’en ay donné parole.

HONORIC à Amalasonte .

N’auriez-vous eu pour moy qu’une bonté frivole,
Madame, & voudrez-vous soufrir que Theodat
Immole* la Princesse à ses raisons d’Estat ?

THEODAT.

Estant sans interest, je dis ce que je pense. {p. 38}

AMALASONTE.

870 Je le croy, j’ay toûjours connu vostre prudence ;
Et comme vos avis sont à considérer,
Selon l’occasion, j’y pourray deférer .
Cependant sur l’aveu* qu’a donné la Princesse,
Je consens que sa foy* dégage sa promesse,
875 Que prenant des demain Honoric pour Epoux…

THEODAT.

Son destin, je le sçay, doit dépendre de vous ;
Mais ce retardement que je croy nécessaire,
Suspendant son hymen, n’y devient pas contraire,
Et le rang qu’elle tient semble assez meriter
880 Qu’elle prenne le temps de se mieux consulter.
Vouloir que dés demain sa foy*

AMALASONTE.

C’est la contraindre,
Il est vray, mais elle est en pouvoir de s’en plaindre ;
Et quand elle se taist, j’admire* par quel soin
Vos prévoyans soucis veulent aller si loin.

THEODAT.

885 Blâmez-vous un avis qui part d’un cœur fidelle ?

AMALASONTE.

Il n’est pas toûjours bon de montrer tant de zele*.

THEODAT.

Si je deviens suspect quand je croy que le temps
Doit seul…

AMALASONTE.

Vous m’entendez, Prince, & je vous entens.

THEODAT.

La Princesse…

AMALASONTE.

A parlé, cela me doit suffire.

THEODAT.

890 Jugez-vous de son cœur sur ce qu’elle a pû dire ? {p. 39}
Honoric pour sa flame en veut trop présumer,
C’est un cœur orgueilleux qui ne peut rien aimer,
Un cœur qui s’alarmant d’un scrupule de gloire*

ILDEGONDE.

D’où vient que Theodat …

AMALASONTE à Ildegonde.

Je ne sçay plus qu’en croire.
895 De l’air dont il répond du secret de ce cœur,
Vous n’auriez eu pour luy qu’une fausse rigueur.
Rien n’est à déguiser, l’aimez-vous ?

THEODAT.

Non, Madame,
C’est toûjours un dédain, une dureté d’ame
Qui ne luy permet pas seulement de penser
900 Qu’aux plus foibles devoirs l’amour m’ait pû forcer.
A sa haine pour moy de plus en plus fidelle …

AMALASONTE.

Vous vous empressez fort à répondre pour elle ?

THEODAT.

Hé bien, puis qu’en mon cœur vous lisez malgré moy,
Je tremble, je l’avouë, à voir donner sa foy*.
905 On le sçait, autrefois j’en eus l’ame charmée,
Je luy voüay mes soins, & je l’ay trop aimée,
Pour ne pas m’emporter contre ce choix fatal
Qui la met tout-à-coup dans les bras d’un Rival.
S’il me faut quelque jour essuyer l’amertume,
910 Soufrez qu’à ce suplice au moins je m’accoustume,
Qu’à la raison le temps m’aide enfin à ceder,
C’est ce qu’à ma douleur vous pouvez accorder.
Toute injuste qu’elle est, daignez luy faire grace.

AMALASONTE.

J’ay laissé le cours libre à sa premiere audace ;
915 Mais à l’examiner, pour estre sans espoir, [ 40]
Cette douleur sur vous a beaucoup de pouvoir.
Madame, je l’ay dit, je ne contrains personne,
Vostre cœur est à vous, voyez ce qu’il ordonne ;
Et quelques sentimens qui luy soient inspirez,
920 Suivez les, j’en croiray ce que vous me direz.
Mais ne me dites rien dont vostre ame incertaine
Trouve à se repentir, ou se fasse une peine,
Répondez mieux de vous que n’a fait Theodat.

ILDEGONDE.

De ses emportemens je condamne l’éclat* ;
925 Et quoy qu’ils soient pour moy, ma gloire* m’a dû mettre
Au dessus des soupçons qu’on s’en pourroit permettre.
J’ay promis (& veux bien l’avoüer devant tous)
D’accepter Honoric, s’il m’obtenoit de vous.
Ainsi, Madame, en vain Theodat s’autorise
930 A croire que mon cœur avec moy se déguise.
S’il faut aller au Temple, allons-y de ce pas,
J’en vais attendre l’ordre.

SCENE IV. §

AMALASONTE, THEODAT, HONORIC, GEPILDE.

THEODAT.

Ah, ne l’en croyez pas,
Madame, & si jamais mes devoirs, mes services,
Ont rendu vos bontez* à mon destin propices,
935 Pour soulager l’ennuy* dont je me sens presser …

AMALASONTE.

Cette obstination commence à me lasser, [ 41]
C’est trop, & par pitié, vous avez veu, je pense,
Que je me suis forcée à quelque patience.
Je ne pénetre point quel intérest secret
940 Vous fait voir cet hymen avec tant de regret ?
Il suffit que je sçay qu’il plaist à la Princesse ;
Et si ma main pour vous s’ouvrit avec largesse,
Je n’ay pas prétendu vous combler de faveurs
Pour vous donner le droit de contraindre les cœurs.
945 Plaignez-vous, murmurez ; quand le mal est extréme,
Il faut pour le guerir un remede de mesme;
Et ce coup si terrible à vos sens égarez,
Plus je le hasteray, moins vous en soufrirez.
Donnez l’ordre qu’il faut, Honoric.

THEODAT.

Non, de grace,
950 Qu’il demeure, autrement …

AMALASONTE.

Quoy, jusqu’à la menace !
Allez m’attendre au Temple, & sans plus différer,
Pour ce mesme moment faites tout préparer.

SCENE V. §

AMALASONTE, THEODAT, GEPILDE.

THEODAT.

Enfin, Madame, enfin, ma gloire* vous offense,
Vous ne me voulez plus permettre d’innocence ;
955 J’ay beau, vous le voyez, par les plus doux efforts
Asservir mon respect* à craindre mes transports*,
Vous voulez qu’il s’échape, & tant d’ennuy* m’accable, [ 42]
Qu’il faut que malgré moy je devienne coupable.
De ma triste raison vous m’ostez le soûtien,
960 Et perdant son secours, je ne connois plus rien.

AMALASONTE.

Si vos égarements meritoient ma colere,
Je vous demanderois ce qui vous reste à faire,
Et quels crimes nouveaux vous pouriez adjouster
Aux nobles sentimens qui viennent d’éclater* ;
965 Mais il ne vous faut point chercher d’autre suplice
Que mon indifférence à voir vostre injustice.
Elle punit assez l’oubly honteux & bas
Où s’emporte un Sujet qui ne se connoist pas.

THEODAT.

Blâmez de cet oubly le transport* teméraire
970 Qui cherche, veut, poursuit tout ce qui m’est contraire ;
Criminel envers moy, qu’ay-je fait contre vous ?
De mon cœur inquiet* les peines les plus grandes,
Qu’ont-elles qui noircisse …

AMALASONTE.

Ingrat, tu le demandes ?
Consultez-en ce cœur d’Ildegonde charmé,
975 Ce cœur au desespoir qu’un autre soit aimé,
Ce cœur qui m’a trompée, & dont l’audace extréme
Sans scrupule à mes yeux …

THEODAT.

Il m’a trompé moy-mesme,
Et vous le consacrant, je ne craignois rien moins
Que sa prompte revolte à démentir mes soins.
980 Vous l’avez veu, Madame, avec quelle ame ouverte
D’Ildegonde tantost j’ay dédaigné la perte.
Elle aimoit, vous vouliez mettre obstacle à son feu,
Moy-mesme contre vous j’en ay pressé l’aveu* ;
Mais (& je m’en feray sans cesse un dur reproche) {p. 43}
985 J’envisageois de loin ce que je vois trop proche,
Le jour pris pour donner & sa main & son cœur ;
Rendre heureux mon Rival, m’a fait trembler d’horreur.
Serez-vous insensible* à de si rudes peines ?
Je ne demande point que vous brisiez leurs chaînes,
990 Différez seulement un sort pour eux trop doux,
Et me donnez le temps d’estre digne de vous.

AMALASONTE.

D’estre digne de moy ? Tu ne peux jamais l’estre,
C’en est fait ; quand enfin tu me ferois paroistre
Tout ce qu’a de touchant le plus ardent amour,
995 Je te doibs mes dédains, n’attens point de retour.
J’en soufriray sans doute, & ma haine étonnée*,
Te prenant pour objet, se trouvera gesnée,
Je n’en disposeray qu’à force de combats,
Ils seront durs pour moy, mais tu m’en répondras ;
1000 Et plus j’auray de peine à m’arracher de l’ame
Les tendres sentimens qu’y fit naistre ma flame,
A rompre ces liens qui m’ont trop sçeu charmer*,
Plus tu seras puny de t’estre fait aimer.

THEODAT.

Depuis que j’ay connu ce panchant favorable,
1005 Qu’ay-je à me reprocher qui me rende coupable ?

AMALASONTE.

Tout ; & puis que ton cœur à d’autres loix soûmis
Ne voyoit à ma flame aucun espoir permis,
Tu devois, pour sauver le mien de ma foiblesse,
Me cacher tes vertus* que j’admirois sans cesse,
1010 Ces flateuses vertus*, dont l’engageant appas
T’assuroit un triomphe où tu n’aspirois pas.
Mais je t’accuse à tort ; on a souvent beau faire,
L’Amour, le fort Amour n’a rien de volontaire,
Et quand on doit gouster ce dangereux poison, {p. 44}
1015 Le Destin est toûjours plus fort que la raison.
Je ne me prens qu’à luy du feu dont je soûpire*,
Il m’a falu t’aimer ; mais tu me l’as fait dire,
Et m’avoir jusque-là forcée à m’abaisser,
C’est un crime pour toy qui ne peut s’effacer.
1020 Pourquoy l’as-tu commis ? sans ma flame indiscrete*
Tu serois innocent, & je te le souhaite.
Oüy, comme je ne puis te perdre sans regret,
Je te pardonne tout, & rens-moy mon secret.
Empesche que ma bouche à s’expliquer trop prompte,
1025 Ne t’ait mis en pouvoir de joüir de ma honte.
Si mes yeux t’ont jetté quelques regards flateurs,
Ce sont d’obscurs témoins qu’on traite d’imposteurs,
Des témoins subornez que la gloire* récuse ;
Mais, ingrat, j’ay parlé, ton crime est sans excuse,
1030 Et si sur mon amour rien ne t’est imputé,
Tu te repentiras d’avoir trop écouté.

THEODAT.

Il est vray, cet amour m’assuroit trop de gloire*,
Et gardant d’une Ingrate encor quelque memoire,
Mon cœur, quoy qu’il se crût dégagé pleinement,
1035 Devoit peu se promettre un aveu* si charmant.
Aussi, Madame, aussi je vous rendrois justice,
Je voyois vostre rang, & quoy que j’entendisse,
Mon scrupuleux respect* m’empeschoit d’accepter
Ce que par de longs soins je voulois meriter.
1040 Vos bontez* avoient beau préparer ma victoire ;
Pour vous plus que pour moy je tremblois à vous croire,
En rencontrant vos yeux les miens embarassez
Refusoient d’expliquer …

AMALASONTE.

Ce n’estoit pas assez, {p. 45}
Pour m’oster du péril que tu voyois à craindre,
1045 Il faloit me parler d’Ildegonde, s’en plaindre,
Et murmurer toûjours de l’indigne rigueur
Qu’opposoient ses mépris à l’offre de ton cœur.
Du secret de ce cœur par tes plaintes instruite,
J’aurois mieux combatu ce qui m’a trop séduite* ;
1050 Mais rien n’a repoussé des charmes* si pressans,
Tu m’as abandonnée à l’erreur de mes sens,
Et ne viens au secours que me devoit ton zele*,
Qu’aprés que par le temps la blessure est mortelle.
Je me résous à tout, & si j’en puis guerir,
1055 Je vois sans m’effrayer ce qu’il faudra soufrir.
Du moins, le desespoir qui déjà te possède,
Me prépare avec joye à l’aigreur du remede,
Et ton cœur déchiré par l’hymen que tu crains …

THEODAT.

Quoy, Madame, avec vous mes efforts seront vains,
1060 Et je n’obtiendray point, soit pitié, soit justice,
Qu’un ordre moins pressant recule mon suplice ?
Accordez quelques jours à mon cœur alarmé ;
J’ay déjà tant souffert à n’estre point aimé,
A voir que tous mes soins demeurez sans merite
1065 Ne m’ont…

AMALASONTE.

Et plus que tout, c’est là ce qui m’irrite.
Si tes vœux acceptez justifioient ta foy*,
J’écouterois l’amour qui parleroit pour toy ;
Mais le cœur d’une Reyne où regne la tendresse,
Ne vaut pas les fiertez* d’une ingrate Princesse ;
1070 Et tout l’éclat* du Trône… Ah c’est trop m’outrager,
Plus d’amour. Je differe encor à me vanger ?
Viens, viens me voir au Temple, en depit de ta flame,
Donner à ton Rival ce qui charme* ton ame ;
Viens sentir les ennuis* qui t’y sont préparez.

THEODAT.

1075 Madame, songez-y, vous me desesperez, {p. 46}
D’un criminel éclat* épargnez-moy l’audace,
Pour la dernière fois je vous demande grace.
Si vous voulez ma mort, frapez à vostre gré,
Tout mon sang est à vous, je vous l’ay consacré,
1080 Et je puis à vos pieds le voir couler sans peine,
Si le triste spectacle en doit plaire à ma Reyne ;
Mais ne m’exposez point par cet hymen affreux
A tout ce que peut craindre un Amant malheureux ;
Je frémis de l’idée, & sens qu’elle m’accable,
1085 Le suplice est trop grand, je ne suis point capable,
Et pour me retenir, à moy-mesme suspect,
Je vois que ce n’est point assez que mon respect*.

AMALASONTE.

Acheve, acheve, Ingrat, de te montrer sensible*,
Le coup que je t’apreste en sera plus terrible.
1090 Que n’a pû ta Princesse aujourd’huy s’enflâmer,
T’avoir dit qu’elle peut, qu’elle songe à t’aimer !
Le plaisir de t’oster par ce triste hymenée
Une main qui sans moy t’aurois esté donnée,
D’un transport* si charmant tiendroit mon cœur frapé,
1095 Qu’il se croiroit heureux d’avoir esté trompé.
Mais n’importe, Ildegonde a charmé* ta confiance,
Tu l’aimes, c’est assez pour gouster ma vangeance,
Elle ne peut par là manquer pour moy d’appas,
Je voy qu’elle te tüe, & j’y cours de ce pas.

THEODAT.

1100 Et moy, puis que mes maux touchent si peu vostre ame,
Je jure par le Ciel … Vous m’y forcez, Madame,
Quelque éclat* où m’emporte un desespoir jaloux,
Je m’échape à regret, n’en accusez que vous.
Quand je ferme les yeux sur ce que je hazarde,
1105 Honoric en triomphe, il peut y prendre garde.
Oüy, s’il faut qu’Honoric … Madame, sauvez-moy {p. 47}
Du péril de manquer à ce que je vous doy ;
Ma raison dont le trouble* étonne* mon courage,
Ne peut plus …

AMALASONTE.

Viens au Temple en recouvrer l’usage ;
1110 Viens-y voir d’Ildegonde Honoric s’approcher,
Luy presenter la main …

THEODAT.

Je pourray l’empescher ;
Et s’il me desespere, en m’ostant ce que j’aime,
Il doit craindre mon bras jusque sur l’Autel mesme.
Qu’il y pense, Madame.

SCENE VI §

AMALASONTE, GEPILDE.

AMALASONTE.

Il l’ose menacer !
1115 Ah, Ciel ! quelle insolence, & qui l’eust pû penser ?
Ay-je, en l’élevant trop, cessé d’estre sa Reyne ?

GEPILDE.

Madame, redoutez la fureur qui l’entraîne.
L’Amour au desespoir est capable de tout.

AMALASONTE.

Il est de seurs moyens pour en venir à bout ;
1120 Et je luy feray voir, puis qu’il m’y veut contraindre,
Qu’en s’osant emporter, c’est à luy seul de craindre,
Hola, Gardes, à moy .

ATAULPHE.

Madame, {p. 48}

AMALASONTE.

Allez, courez,
Surprenez Theodat, & vous en assurez.

Fin du Troisième Acte.

{p. 49}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

AMALASONTE, GEPILDE.

GEPILDE.

Quoy que vous vous mettiez au dessus des alarmes*,
1125 Si le Peuple murmure, il peut courir aux armes,
Madame, & je crains bien qu’en secret revolté
Il n’ait peine à soufrir Theodat arresté.
Il l’estime, & son zele* a toûjours fait paroistre
Qu’il aimoit sous vos loix à l’accepter pour Maistre ;
1130 Sans doute à sa disgrace il voudra prendre part.

AMALASONTE.

C’est de quoy j’ay voulu prévenir* le hazard ;
Honoric est allé de cette populace
Etoufer le murmure, & reprimer l’audace,
Et sçaura d’autant mieux calmer les Mécontens,
1135 Que de son hymenée il peut choisir le temps ;
Par ce desordre seul son bonheur se recule.
Mais la Princesse enfin peut aimer sans scrupule.
Cet obstacle impréveu ne l’étonne*-t-il point ?

GEPILDE.

Son cœur se veut en vain déguiser sur ce point, {p. 50}
1140 Je la trouve inquiete*; & soit qu’elle appréhende
Que plus loin qu’on ne croit l’obstacle ne s’étende,
Soit que pour son hymen l’augure soit fâcheux,
On voit dans son chagrin l’embarras de ses vœux.

AMALASONTE.

Ils n’auront pas longtemps l’importune contrainte
1145 Qui trouble* son espoir, & fait naistre sa crainte ;
Et puis que mon pouvoir à Theodat commis
De mes lâches Sujets me fait des Ennemis,
Je le mettray si bas, que jamais, quoy qu’il ose,
D’un semblable tumulte il ne sera la cause ;
1150 Son haut rang aux Mutins peut donner trop d’appuy.

GEPILDE.

Quoy, Madame, l’amour ne dira rien pour luy ?

AMALASONTE.

Je l’ay sans doute aimé , je l’aime encor peut-estre,
Mais en trompant ma flame il a deû me connoistre*,
Et sçavoir qu’une Reyne abusée en son choix
1155 Ne fait point de bassesse une seconde fois.
Oüy, dûst la violence où l’honneur me convie
M’arracher à moy-mesme, & me couster la vie,
Il n’aura jamais lieu de penser que mon coeur
De ce honteux amour écoute encor l’ardeur.
1160 A ma gloire* par là ce cœur rendra justice ;
Et s’il luy falloit mesme un plus grand sacrifice,
L’interest seul du Trône estant digne de moy,
J’abandonnerois tout à ce que je lui doy.

SCENE II. §

{p. 51}
AMALASONTE, ATAULPHE, GEPILDE.

AMALASONTE.

He bien, des Factieux a-t-on calmé l’audace ?

ATAULPHE.

1165 Madame, du murmure ils vont à la menace,
Et semblent s’apprester au plus funeste éclat*,
Si vostre ordre changé ne leur rend Theodat.
Accourus vers le Fort, c’est là qu’il font entendre
Qu’il n’est rien qu’ils ne soient résolus d’entrependre.
1170 Theodat ne peut moins attendre de leur foy*,
Ils le veulent pour Maistre, ils le nomment leur Roy.
Ils doivent à ses soins le repos qui les flate ;
Et dans leurs cris confus tant de fureur éclate,
Qu’on voit trop qu’Honoric, par tout ce qu’il leur dit,
1175 Les irrite plutost qu’il ne les adoucit.
Madame, resolvez ; le péril, le temps presse ;
Luy ceder, quelquefois n’est pas une foiblesse,
Dans les maux violens trop de rigueur perd tout.

AMALASONTE.

Theodat est coupable, & le Peuple l’absout ?
1180 Si je puis l’endurer, je ne suis donc plus Reyne ?
Non, pour ce nouveau crime il faut nouvelle peine.
A d’insolens Mutins faisons tout redouter,
C’est luy, c’est Theodat qui les fait revolter,
Ils adorent son nom pour forcer la tempeste,
1185 Allez, menacez les de leur porter sa teste,
Puis qu’il est leur Idole, ils craindront pour ses jours.

ATAULPHE.

Le mal que je prévoy veut un autre secours ; {p. 52}
Et quoy que vostre gloire*

AMALASONTE.

Il faut qu’elle en décide ;
Faisons trembler le Peuple, il est lâche & timide*,
1190 Ne perdez point de temps, Ataulphe.

ATAULPHE.

Je crains bien,
Madame …

AMALASONTE.

Allez, vous dis-je, & ne repliquez rien.

SCENE III. §

AMALASONTE, GEPILDE.

AMALASONTE.

Par ce fatal amour dont je suis abusée,
Tu vois, Gepilde, à quoy je me suis exposée.
J’ay trop laissé d’un Lâche affermir le pouvoir,
1195 Pour me chasser du Trône il n’a plus qu’à vouloir.
Déjà, sans respecter le sang qui m’a fait naistre,
Mes perfides Sujets le demandent pour Maistre.
Aux honneurs de mon rang j’osois le destiner,
Il est vray, mais l’Amour le devoit couronner,
1200 Et de ce Trône offert, quand ma gloire* est arbitre,
Pour y pouvoir prétendre il n’a plus aucun titre.
Ne considérons point ce qu’il m’en peut couster,
Mettons-nous hors d’état de le plus redouter,
Ostons aux Factieux l’appuy qu’ils s’en promettent.

GEPILDE.

1205 Voyez mieux les périls où ces tranports* vous jettent, {p. 53}
Madame, & quels malheurs suivirent autrefois
Ce sang donné par vous à la rigueur des Loix.
Pour vouloir prévenir* de legeres tempestes,
Vostre crainte à l’Estat immola* quelques testes,
1210 Et le feu qu’alluma cette séverité
Ne soufrit plus d’obstacle à sa rapidité.
Ce vaste embrasement s’éteignit avec peine.

AMALASONTE.

J’ay joüy de l’exemple, on vit que j’estois Reyne,
Et depuis ces rigueurs que je crûs me devoir,
1215 Mes seules volontez ont reglé mon pouvoir.
Theodat trop longtemps en fut dépositaire,
Il peut en abuser, sa mort est nécessaire.
Si de mes feux trompez le jaloux interest
N’ose contre l’Ingrat en prononcer l’Arrest,
1220 L’entiere violence où le Peuple s’appreste
Est un crime pour luy qui demande sa teste.
Vangeons l’honneur du Trône, & ses droits violez,
Son sang me doit payer les cœurs qu’il m’a volez.
C’est par là… Mais pourquoy m’y résoudre avec peine ?
1225 Quel est ce trouble* ? Quoy, lâche & et peu fiere* Reyne,
Ta gloire* par ta flame ayant pû s’affoiblir,
Tu trembles au moment qu’il la faut rétablir ?
Ah, quand sur toy l’amour a pris ce dur empire*,
Que tu t’es lâchement résoluë à le dire,
1230 Preste à sentir le coup qui devoit t’accabler,
C’estoit lors que l’honneur t’obligeoit à trembler.
Mais de ton cœur séduit* les mouvemens rebelles …

SCENE IV §

{p. 54}
AMALASONTE, HONORIC, GEPILDE.

HONORIC.

Je viens vous apportez de fâcheuses nouvelles,
Madame, Theodat échapé malgré nous,
1235 Est maistre de la Ville, & s’il le veut, de vous.

AMALASONTE.

Sa prison est forcée ?

HONORIC.

Oüy, tout cede à l’orage.
Les Mutins par le fer s’y sont ouvert passage ;
Trasimond à leur teste, & l’insolent Theudis,
Ont appuyé ce crime, & s’en sont applaudis.
1240 Vostre Trône affermy par le sang de leurs Peres,
Leur laisse un souvenir qui les rend teméraires.
Résolus de périr, ou de vanger leur mort,
Ils osent décider tout haut de vostre sort,
Et tâchent d’obtenir, pour voir l’Estat tranquille,
1245 Qu’en se faisant leur Roy, Theodat vous exile.
Voilà jusqu’où leur haine a poussé l’attentat.

AMALASONTE.

Ah, pourquoy n’avoir pas immolé* Theodat ?
La revolte à ma gloire* eust esté moins funeste,
Vous eussiez par sa mort épouvanté le reste ;
1250 Le nombre est peu de chose, où le Chef a manqué.

HONORIC.

Au milieu des Mutins qui l’auroit attaqué ?
Ils ne permettent point que ses jours se hazardent ; {p. 55}
L’ayant choisy pour Roy, ce sont eux qui le gardent.
J’aurois péry pourtant ; aussi-bien ces cœurs bas
1255 N’ayant pû me gagner, ne m’épargneront pas,
Ils ont soif de mon sang, & l’ont trop fait entendre ;
Mais j’ay crû qu’à vos yeux je devois le répandre,
Et marquer à ma Reyne, en renonçant au jour,
Combien je sens les maux qu’a causez mon amour.

AMALASONTE.

1260 Il n’en faut point douter, le Trône a ses amorces*,
J’ay trop à Theodat fait connoistre ses forces.
Seûr de l’appuy du Peuple, il a veu que sans moy,
Sans me donner la main, il pouvait estre Roy,
Et ne pouvant douter qu’avec le Diadéme
1265 Il ne parust aimable aux yeux de ce qu’il aime,
Quoy que pour vostre hymen il m’ait pû demander,
Prest à perdre Ildegonde, il n’a pû la ceder.
L’Arrest de mon exil n’a plus rien qui m’étonne ;
Pour la faire regner, c’est l’amour qui le donne.
1270 Theudis & Trasimond auroient-ils aujourd’huy
Osé parler si haut, s’ils n’estoient seûrs de luy ?
De ses complots par là je vois la certitude.
Mais quand le Ciel me livre à son ingratitude,
Assemblant ce que j’ay de fidelles Sujets,
1275 Faites leur pénetrer ses coupables projets.
Parlez, essayez tout. Souvent un foible obstacle
Fait ce qu’on auroit crû ne pouvoir sans miracles ;
Du moins, forcés à voir mon Ennemy regner,
Si j’obtiens quelque temps, je croiray tout gagner.

SCENE V. §

{p. 56}
AMALASONTE, GEPILDE .

AMALASONTE.

1280 Est-il une infortune à ma disgrace égale,
Gepilde ? Il faudra voir triompher ma Rivale.
En vain contre ce cœur que je crûs obtenir,
La fierté* d’Ildegonde aura voulu tenir.
Un Trône adoucit tout, & le titre de Reyne,
1285 Si-tost qu’il est offert, ne soufre plus de haine.
L’orgueil le plus farouche est par luy desarmé,
Theodat peut l’offrir, Theodat est aimé.
Il est aimé ? Non, non, avant qu’il puisse l’estre,
Il ne m’a pas connuë, il pourra me connoistre,
1290 Je regne encor, qu’il tremble. Oüy, loin d’épargner rien,
S’il faut percer mon cœur pour aller jusqu’au sien,
Sans pitié de moy-mesme, & toute à ma vangeance…

GEPILDE.

Cachez ce mouvement, le voicy qui s’avance.

SCENE VI. §

AMALASONTE, THEODAT, GEPILDE.

THEODAT.

Je ne viens point, Madame, en insolent vainqueur,
1295 Braver vostre colere, ou blâmer sa rigueur.
Plus irrité que vous de tout ce qui se passe,
Je viens en criminel vous demander ma grace.
Sans moy, sans mon aveu* quoy que l’on ait osé, {p. 57}
Tout le crime est à moy, puis que je l’ay causé.
1300 Mais si de son succès ma passion abuse,
De ma coupable audace Ildegonde est l’excuse,
Et ce n’est qu’à genoux que je veux obtenir
Qu’au moins vous suspendiez l’ordre de m’en punir.

AMALASONTE.

Levez-vous, Theodat. Il faut que je l’avouë,
1305 Le Ciel veut que de vous malgré moy je me louë.
D’abord, en vous voyant, j’avois crû contre vous
Devoir faire éclater le plus ardent couroux.
Mais vous le séduisez, & l’art* de vous soûmettre,
Quand un Peuple animé vous semble tout permettre,
1310 Est un art* si puissant dessus mes volontez,
Qu’il force ma colere, & vous rend mes bontez*.

THEODAT.

Que de gloire* pour moy ! Je le connoy, Madame,
Mes indiscrets* transports* ont dû toucher vostre ame,
Et contre mon Rival trop d’aigreur a suivy
1315 La perte de l’espoir que son feu m’a ravy.
Ce reste mal éteint d’une aveugle tendresse
Est un crime …

AMALASONTE.

Gepilde, amenez la Princesse.

THEODAT.

Quoy ? la mander si-tost ! Laissez-moy respirer,
Madame, c’est assez de ne rien desirer.
1320 Après le premier crime où m’a forcé ma flame,
A de nouveaux combats ne livrez point mon ame,
Et m’accordez le temps de pouvoir meriter
Le retour des bontez* qui semblent me flater.
S’il s’agit de sa main, quelque effort que je presse,
1325 Ma vertu* se défie encor de ma foiblesse ;
Ménagez-la, de grace, & ne l’exposez pas.

AMALASONTE.

Pour moy, comme pour vous, la gloire* a des appas ; {p. 58}
Et quand vous refusez d’user des avantages*
Qui vous ont contre moy donné tant de suffrages…

THEODAT.

1330 Ah, Madame, daignez ne vous plus souvenir
D’un crime qu’il vous plaist negliger de punir ;
Et si trop de chaleur a de quelques Complices
Contre vos interests marqué les injustices,
Ignorez les assez, pour soufrir que ma foy*
1335 En repare l’injure & pour eux, & pour moy

SCENE VII. §

AMALASONTE, ILDEGONDE, THEODAT, GEPILDE, VALMIRE.

AMALASONTE.

Theodat n’a jamais remporté tant de gloire*,
Qu’en gagnant sur soy-mesme une illustre victoire.
Quand il peut tout oser, il veut ne pouvoir rien ;
Maistre de mon destin, il me soûmet le sien ;
1340 Et quel que soit le prix qu’une vertu* si rare
Demande qu’à l’envy la mienne luy prépare,
J’ay besoin que vos vœux avec les miens d’accord,
D’un éclat* achevé fassent briller son sort.
Le seul titre de Roy pour luy me peut suffire,
1345 Ainsi je l’associe aux honneurs de l’Empire,
Mon Regne partagé n’en sera pas moins doux.
Dans ce haut rang, Princesse, il est digne de vous.
Je sçay que vostre cœur à son amour contraire
Aura pour se dompter quelques efforts à faire ;
1350 Mais ce que je luy dois peut-estre a merité {p. 59}
Que vous n’en croyiez pas toute vostre fierté*.    

THEODAT.

Quoy, Madame, un coupable auroit droit de prétendre…

AMALASONTE.

Il suffit, là-dessus je ne veux rien entendre ;
Obtenez seulement que par de prompts effets
1355 La Princesse pour vous seconde mes projets.

ILDEGONDE.

Le Trône vaut beaucoup, je le sçais ; mais, Madame,
Son plus pompeux* éclat* n’ébloüit point mon ame.
Quoy qu’aux vœux d’Honoric elle ait trouvé d’appas,
J’y veux bien renoncer, s’ils ne vous plaisent pas ;
1360 C’est un choix dont toûjours vous serez la maistresse,
Par vous autorisé, par vous cet amour cesse,
Mais si vous m’ordonnez de reprendre ma foy*,
Ne me contraignez point à disposer de moy.
Theodat connoist trop l’interest de sa gloire*,
1365 Pour écouter un feu qu’en vain il voudroit croire ;
Un choix plus relevé doit flater son espoir.

AMALASONTE à Theodat.

Le temps sur ce mépris aura quelque pouvoir,
Tâchez de la fléchir, je vous laisse avec elle.
Montrez-luy les honneurs où vostre amour l’appelle,
1370 L’appas est sensible*, & qui sçait bien aimer,
Avec un Sceptre en main, est en droit de charmer*.

SCENE VIII. §

{p. 60}
ILDEGONDE, THEODAT, VALMIRE.

THEODAT.

Donc à me rendre heureux lors que tout se dispose,
Ma Princesse elle seule à mon bonheur s’oppose ?

ILDEGONDE.

Dites, dites plutost que je veux détourner
1375 L’orage menaçant qui peut vous entraîner.
La Reyne avecque vous partage sa Couronne,
Vous demandez mon cœur, son aveu* vous le donne ;
Voilà bien des bontez*, & jamais on n’a veu
Faire un effort sur soy plus grand, plus impréveu,
1380 Mais l’amorce* est trop foible à séduire* mon ame,
La Reyne est outragée, elle soufre, elle est Femme,
Et le jaloux chagrin qui vous fit arrester
S’évanoüit trop tost pour n’en rien redouter.
Croyez-moy, Theodat, on cherche à vous surprendre ;
1385 Plus elle vous promet, moins s’il en faut attendre,
Nostre Sexe pour vaincre a l’art* de reculer,
Et sa plus grande force est à dissimuler…

THEODAT.

D’un changement si prompt quel que soit le mistere,
Qu’en apprehendez-vous, & que peut-elle faire ?
1390 Theudis s’est declaré ; Trasimond comme luy,
Quoy que je veüille oser, me servira d’appuy.
Non que jamais je puisse avoir l’ame assez basse
Pour offencer la Reyne, ou soufrir sa disgrace ;
Tous deux sur son exil auront beau me presser, {p. 61}
1395 Le Ciel l’a mise au Trône, & je l’y veux laisser ;
Mais pour leur seûreté je ne sçaurois moins faire,
Que garder un pouvoir qui rompe sa colere,
Un pouvoir qui plus fort que son ressentiment
Les dérobe aux fureurs de son emportement.
1400 Tout le Peuple est pour moy ; les Soldats & l’Armée …

ILDEGONDE.

Ils aiment vostre gloire* & vostre renommée,
A l’envy tout le monde appuyera vostre sort,
Mais contre une surprise est-il rien d’assez fort ?
Pour vous en garantir je ne sçay qu’une voye.
1405 Tant de faveurs sur vous que la Reyne déploye,
Doivent trop vous toucher, pour soufrir que jamais
Son exil soit par vous le prix de ses bienfaits.
Vous devez partager la Puissance supréme ?
Demandez que sa main suive le Diadéme,
1410 Par là vous évitez la honte d’estre ingrat,
Conservez vos Amis, satisfaites l’Estat,
Et maistre de son cœur ainsi que de l’Empire,
Etoufez la vangeance où sans doute elle aspire.

THEODAT.

Quel conseil*, ou plutost quelle injure à ma foy* ?
1415 Je vous voyois tantost plus de bonté pour moy.
Vous ne déguisiez point que l’hymen de la Reyne
Résolu tout-à-coup, vous donnoit quelque peine.
Pourquoy changer si-tost des sentimens si doux ?
Aimez-vous Honoric, ou me haïssez-vous ?

ILDEGONDE.

1420 C’est trop, dispensez-moy de voir à quoy m’expose
Ce qu’un noble interest veut que je vous propose.
Si je m’en consultois, peut-estre pour mon cœur
Ce triste hymen encor auroit mesme rigueur ;
Mais pour ne point soufrir que je l’en ose croire, {p. 62}
1425 Il suffit qu’il n’est pas le mesme pour ma gloire*.
Quand de vos feux tantost la Reyne estoit le prix,
Cette gloire* outragée essuyoit vos mépris,
Et lors qu’à l’épouser c’est moy qui vous convie,
J’immole* à ma vertu* le bonheur de ma vie.
1430 L’effort m’en couste assez, pour meriter de vous
Sur ce cruel triomphe un reproche plus doux.

THEODAT.

L’effort est grand sans doute, & marque un cœur sublime
Qu’en tout ce qu’il résout la gloire* seule anime,
Un cœur qui sous les sens n’est jamais abatu ;
1435 Mais, Madame, est-ce aimer qu’avoir tant de vertu* ?

ILDEGONDE.

Oüy, puis que devant tout à vostre amour extréme,
Je ne puis moins pour vous que m’immoler* moy-mesme.
Par un hymen auguste assuré d’estre Roy,
Vous avez dédaigné la Couronne pour moy.
1440 Cet amour vous a fait, par un plein sacrifice,
D’une indigne prison endurer l’injustice,
Et vous voulez encor pour mes seuls interests
Exposer vostre sang à des complots secrets.
Pour assurer vos jours, dont le péril m’étonne*,
1445 Il le faut, je vous rends cette mesme Couronne.
Si la condition tient vos sens soûlevez,
Songez que c’est de moy que vous la recevez,
Que c’est moy…

THEODAT.

Non, Madame, assemblez pour ma gloire*
Les plus brillans honneurs qui suivent la victoire,
1450 Mettez sous ma puissance & mille & mille Estats,
Vous ne me donnez rien en ne vous donnant pas.
C’est pour vous que je vis, pour vous que je veux vivre,
Je n’ay point d’autre bien, d’autre gloire* à poursuivre,
Et de tout ce qui fait le vray bonheur d’un Roy, {p. 63}
1455 Rien ne me peut manquer, si vous estes à moy.

ILDEGONDE.

Ne vous en croyez pas, vostre raison séduite*

SCENE IX. §

ILDEGONDE, THEODAT, EUTHAR, VALMIRE.

EUTHAR.

Seigneur, d’un nouveau trouble* appréhendez la suite.
Theudis avec les Siens dans le Palais entré,
Epiant Honoric, l’a d’abord rencontré.
1460 Et le nommant tout haut l’autheur de la disgrace
Qui du Peuple pour vous a fait naistre l’audace,
Il le pousse, il le presse, & sans un prompt secours,
Quoy qu’il ait quelque appuy, je crains tout pour ses jours.

ILDEGONDE.

Allez-y, Theodat & dérobant sa vie…

THEODAT.

1465 Vous le voulez, Madame, & l’honneur m’y convie ;
Tout mon Rival qu’il est, je cours à son costé
Combatre la fureur d’un Party revolté ;
Et tant qu’un calme entier acheve de l’éteindre,
A moins que je périsse, il n’aura rien à craindre.

ILDEGONDE.

1470 Prenez soin de vous-mesme, & quoy qu’aimé de tous,
Songez qu’un bras caché pourroit tout contre vous.

THEODAT.

Si ma vie à sauver vous tient en défiance,
Dites que vous m’aimez, elle est en assurance.

ILDEGONDE.

Vous avez là-dessus tout lieu d’estre content* ; {p. 64}
1475 Si j’estois sans amour, je ne craindrois par tant.

Fin du Quatrième Acte.

{p. 65}

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

ILDEGONDE, VALMIRE.

VALMIRE.

L’amour, pour vostre cœur doit avoir bien des charmes*,
Si d’un songe confus vous prenez tant d’alarmes*.
Quelque trouble* par là qui vous ait pû fraper,
Au moins vostre réveil a deû le dissiper.
1480 A de vaines frayeurs vous soufrez trop d’empire*,
Madame, & quand le jour …

ILDEGONDE.

Le jour paroist, Valmire,
Et nous va faire voir si mon esprit séduit*
S’est trop laissé surprendre aux erreurs de la nuit ;
Mais déjà comme moy tu vois tout lieu de craindre.
1485 On se plaint sans sçavoir de quoy l’on se doit plaindre,
De Theodat par tout le nom est entendu,
On parle d’entreprise* & de sang répandu.
Puis-je sur ce murmure estre moins inquiete* ?

VALMIRE.

Mais dans ce trouble* enfin Theodat seul vous jette ; {p. 66}
1490 Et je vous y croyois l’esprit moins disposé
En faveur d’un Amant si longtemps méprisé.
L’Amour de vos dédains punit bien l’injustice.

ILDEGONDE.

Ne me reproche point un bizarre caprice.
Avant qu’avecque toy j’eusse osé m’en ouvrir,
1495 J’avois déjà souffert tout ce qu’on peut soufrir.
Cependant je ne sçay si lors que je m’enflame,
amour de Theodat ébloüit trop mon ame ;
Mais le Trône oublié, si-tost qu’il a pû voir
Apres tant de refus quelque rayon d’espoir,
1500 Son chagrin, ses transports*, sa vie abandonnée,
Pour me débarasser d’un fâcheux hymenée,
Tout cela dans mon cœur luy donne tant d’appuy
Qu’il seroit malaisé qu’il osast moins pour luy.
Voy d’ailleurs avec moy cette vertu* sublime
1505 Qui soûmet son destin à la main qui l’opprime.
Le Peuple hait la Reyne, & la veut exiler,
Il résiste, & contre elle on ne peut l’ébranler.
Il fait plus, il apprend qu’une Troupe ennemie
Surprenant Honoric, attente sur sa vie ;
1510 Soudain, quoy que Rival, il vole à son secours,
L’arrache de ses mains, & prend soin de ses jours.
Veux-tu que sans rien voir de tout…

SCENE II. §

{p. 67}
AMALASONTE, ILDEGONDE, VALMIRE, GEPILDE.

AMALASONTE.

Enfin, Princesse,
Les destins sont pour nous, que vostre crainte cesse.
Hier si je témoignay pour le bien de l’Estat
1515 Vouloir vous asservir aux vœux de Theodat,
Je viens pour reparer cette honteuse feinte,
Oster à vos desirs toute ombre de contrainte.

ILDEGONDE.

Ah Valmire !

AMALASONTE.

Honoric estant aimé de vous,
Peut déjà s’applaudir du nom de vostre Epoux,
1520 Il n’aura plus d’obstacle à ce grand hyménée.

ILDEGONDE.

Se pourroit-il…

AMALASONTE.

J’en ay l’ame encor étonnée*.
J’aimois, & ce n’est pas sans trouble*, sans horreur,
Que l’amour indigné se porte à la fureur ;
Mais il y va du Trône, on m’avoit outragée,
1525 Ma gloire* en murmuroit, & je me suis vangée ;
Trouble*, desordre, horreur, tout est doux à ce prix.

ILDEGONDE.

Sans doute Theodat…

AMALASONTE.

Vous l’auroit-on appris ? {p. 68}
Oüy, Princesse, à la joye abandonnez vostre ame,
Theodat ne vit plus.

ILDEGONDE.

Theodat…Quoy, Madame…

AMALASONTE.

1530 Deux des Siens dés longtemps m’avoit vendu leur foy*,
Comblez de mes bienfaits ils estoient tout à moy,
Et par eux cette nuit ma vangeance assouvie
M’a de ce nouveau Roy sacrifié la vie.
Sans bruit & sans lumiere ils ont pris le moment
1535 De se pouvoir couler dans son Apartement,
Et tandis qu’à la mort le sommeil l’abandonne,
Ils suivent à l’envy l’ordre que je leur donne.
Percé des premiers coups, Theodat, mais trop tard,
Tâche de l’un des deux à saisir le poignard.
1540 Soudain chacun redouble, il se debat, s’élance,
Et puis qu’il faut périr, fait tout pour sa vangeance ;
Mais dans cet instant mesme, après un cry confus,
Sans force, sans parole, il tombe, & ne vit plus.
Le jour dont la clarté découvre l’entreprise*,
1545 Fait déjà succeder la plainte à la surprise,
On me soupçonnera, mais contre les Mutins
Une rigueur si prompte assure nos destins.
Plus de chef, plus d’audace ; il est quelques Complices
Dont je puis à loisir ordonner les suplices.
1550 Mais quelle émotion agite vostre cœur ?
Un peu de sang versé vous fait-il tant de peur ?
Pour gouster pleinement le fruit de ma vangeance,
Voyez de vostre amour qu’elle fait l’assurance,
Et libre à disposer de vos vœux les plus doux,
1555 Joüissez d’un plaisir qu’elle n’offre qu’à vous.
Qu’un bien si précieux vous la doit rendre chere !

ILDEGONDE.

Vous la connoissez mal, goustez-la toute entiere, [ 69]
Et puis que vostre rage en chérit tant l’appas,
Voyez-y des douceurs que vous n’attendiez pas.
1560 Ne vous imputez point un crime détestable ;
Si Theodat est mort, j’en suis seule coupable,
Vostre haine à sa perte a peu contribué,
Par vous, par vos fureurs, c’est moy qui l’ay tué.
C’est moy qui vous immole* une teste si chere.

AMALASONTE.

1565 Ciel ! que me dites-vous ?

ILDEGONDE.

Ce qu’il ne faut plus taire.
Malgré tout mon orgueil Theodat fut mon choix,
Hier je m’en expliquay pour la premiere fois,
Il sçeut que je l’aimois, & cette connoissance
Rendant à son amour toute sa violence,
1570 Ny vostre cœur offert, ny le titre de Roy,
Ne pûrent obtenir qu’il renonçast à moy.
Il suivit de son feu l’emportement funeste,
Combatit mon hymen. Vous avez fait le reste,
Et son sang répandu, lors qu’il ne craignoit rien,
1575 En vangeant vostre amour, desespere le mien.
Pardonne, Theodat, à ma jalouse envie.
Ma fierté* fit toûjours le malheur de ta vie,
Et par un surprenant & déplorable sort,
Pour s’estre démentie, elle cause ta mort.
1580 Oüy, par son changement c’est elle qui te tüe.
Pourquoy ne l’avoir plus, ou pourquoy l’avoir euë ?
Mais après tant d’ennuis*, puis qu’elle t’a jetté
Dans l’abysme où pour moy tu t’es précipité,
De mon cœur pour jamais mon desespoir l’arrache,
1585 Il te la sacrifie, & je veux bien qu’on sçache
Que jusques au tombeau mes soûpirs* & mes pleurs {p. 70}
Ne se lasseront point de vanger tes malheurs.

AMALASONTE.

Enfin, graces au Ciel, rien ne manque à ma joye ;
A pleines mains sur moy sa faveur se déploye.
1590 Dans mon cœur agité je ne sçay quels combats
De la mort d’un Amant corrompoient les appas.
Je tremblois d’une gloire* à mon amour fatale ;
Mais quand je puis joüir des pleurs de ma Rivale,
Ses ennuis* à mes yeux si vivement offerts,
1595 Consolent cet amour de tout ce que je pers.
Qui l’eust crû qu’Ildegonde, elle qui fut si fiere* ;
Allant pour Theodat jusques à la priere,
Avec tant de bassesse eust mandié sa foy*
Pour me voler un cœur qui se donnoit à moy ?
1600 C’est donc ce qui le fit à soy-mesme infidelle ;
L’Ingrat si-tost changé, ne changea que pour elle,
Et leur intelligence à braver mon amour,
De ses feux mals éteints produisit le retour.
Ah si j’avois connu… Mais qu’eust pû ma vangeance,
1605 Qui de mes vœux trahis reparast mieux l’offense ?
De deux Amans ensemble ordonner le trépas,
Quelque cruel qu’il soit, c’est ne les punir pas.
Lors que l’un perd le jour sous le fer qui l’en prive,
Pour en sentir l’atteinte, il faut que l’autre vive :
1610 Oüy, perfide Rivale, après l’indigne éclat*
De l’outrageant amour qui m’oste Theodat,
Si pour voir ma vangeance heureusement remplie,
J’eus besoin de sa mort, j’ay besoin de ta vie.
J’eus besoin qu’à toute heure, examinant sa foy*,
1615 Tu songes, s’il est mort, qu’il n’est mort que par toy ;
Que ton bras a versé le sang que tu regrettes.
J’élevois son destin à des grandeurs parfaites,
Ton amour malgré moy s’est rendu son bourreau, {p. 71}
Je le mettois au Trône, il le met au tombeau.
1620 Peins-toy bien cette Image, & toute déchirée
Par l’afreuse douleur de t’en voir séparée,
Toûjours preste à mourir sous l’horreur du remords,
Chaque jour, s’il se peut, endure mille morts.

ILDEGONDE.

Insultez aux ennuis* dont la rigueur funeste
1625 Accable d’un Amant le déplorable reste.
Faites sous leur excés gémir ce cœur ingrat,
Je vivray pour pleurer le sort de Theodat,
Et ces morts que pour moy vostre vangeance amasse,
De vos lâches fureurs rempliront la menace.
1630 Mais craignez que mes jours malgré moy conservez,
Ne troublent les douceurs que vous vous reservez.
Dés longtemps sur le Trône au sang accoûtumée,
Vous le voyez couler sans en estre alarmée.
Sur le foible soupçon d’un douteux attentat,
1635 Vous avez répandu le plus pur de l’Estat.
Contre vous, quoyque tard, c’est un crime à poursuivre,
Je ne m’en tairay pas, si vous me laissez vivre.
Il est des cœurs aigris, qui pour vanger ce sang,
Vous détestant pour Reyne attaquent vostre rang.
1640 Theudis & Trasimond n’ont pas quitté les armes,
J’iray les animer par mes cris, par mes larmes,
Leur montrer Theodat tout percé de vos coups,
Ce Theodat qui dût attendre tout de vous,
Ce Theodat…Mais, Dieux, faut-il que je m’en croye ?

AMALASONTE.

1645 On m’a trompée ! Ah Ciel !

SCENE III. §

{p. 72}
AMALASONTE, ILDEGONDE, THEODAT, GEPILDE, VALMIRE.

ILDEGONDE.

Vous vivez ? quelle joie !
Mes reproches, Madame, ont esté trop avant,
N’en redoutez plus rien, Theodat est vivant.

THEODAT à Amalasonte.

Pour me justifier, j’ay besoin de ma gloire*,
Elle est mon seul recours, mais l’en voudrez vous croire,
1650 Madame ? tout m’accuse, & pour noircir ma foy*,
Du plus honteux forfait l’indice est contre moy.
Hier sçachant qu’Honoric par un nouveau tumulte
De quelques Factieux soufroit icy l’insulte,
Confus de ce desordre, afin de l’empescher,
1655 De leurs mains aussitost je courus l’arracher.
A ma voix, à mes cris ne deférant qu’à peine,
Ils juroient que son sang satisferoit leur haine ;
Et Theudis à regret différant son trépas,
Executoit des yeux ce que n’osoit son bras.
1660 Il croit que ses conseils* ont fait périr son Pere,
Et tant d’aveuglement se mesle à sa colere,
Que s’estant declaré, rien n’est plus assez fort
Pour luy faire oublier cette honteuse mort.
Je crûs pour Honoric devoir craindre l’orage ;
1665 Et touché des périls que pour luy j’envisage,
L’approche de la nuit redoublant mon effroy, [ 73]
Pour l’en mettre à couvert, je l’enleve chez moy.
Un des Miens seulement instruit de sa retraite,
Seconde le secours que ma pitié luy preste ;
1670 Mais ce lieu qui devoit faire sa seûreté,
N’a pû le garantir de l’infidélité.
Comme en ce lieu funeste il occupoit ma place,
Je ne sçay si par luy le Destin me menace,
Mais enfin (je m’en sents le cœur tout interdit*)
1675 Le jour me l’a fait voir poignardé dans mon lit.
C’est là qu’il a péry ; j’avois seul connoissance
De l’azile où ses jours cherchoient leur assurance ;
La vertu* par l’amour se peut laisser trahir,
Il estoit mon Rival, je le devois haïr ;
1680 Et si vous ne tenez l’apparence croyable,
Le crime est averé, vous voyez le coupable.
Cependant je me pers à force d’y penser,
Madame ; & quelque sang qu’on ait voulu verser.
J’ignore quelle main oferte à les répandre…

AMALASONTE.

1685 Tu l’ignores ? Hé bien, il te le faut apprendre.
Ces coups qui d’Honoric ont terminé le sort,
Par mes ordres portez, m’assuroient de ta mort.
Ton sang, au lieu du sien qu’a versé l’imprudence,
Estoit secretement promis à ma vangeance,
1690 Et devoit reparer l’affront d’avoir en vain
Relâché mon orgueil jusqu’à t’ofrir ma main.
Si le honteux ennuy* de n’estre point aimée,
Contre toy jusque-là tint ma haine animée
Que n’oseras-t-il point cet ennuis*, quand je voy
1695 Que ton amour content* me dérobe ta foy* ?
Ildegonde a changé, tu l’aimes, elle t’aime,
Je le connoy ; crains tout de ma fureur extrême.
Les crimes les plus noirs qui t’auroient diffamé, {p. 74}
Seroient moindres pour toy que celuy d’estre aimé.
1700 Je pourrois déguiser, afin de te surprendre,
Ce que pour t’en punir je brule d’entreprendre ;
Mais ma feinte auroit beau te tendre un faux appas,
Apres Honoric mort, tu ne l’en croirois pas.
Ainsi tu vois à quoy ta seüreté t’engage,
1705 Préviens-moy, si tu veux te sauver de ma rage ;
Autrement, si la voye encor s’en peut trouver,
J’ay commencé trop bien, pour ne pas achever.

SCENE IV. §

THEODAT, ILDEGONDE, VALMIRE.

THEODAT.

Quelle fureur, Madame, & d’un projet semblable
Qui croiroit qu’une Reyne auroit esté capable ?

ILDEGONDE.

1710 Je vous l’avois bien dit, que son calme apparent
Dissipant trop l’orage, en marquoit un plus grand.
L’amour qui se reproche une secrete honte,
Ne croit point de vangeance assez forte, assez prompte,
Il veut tout, ose tout pour s’en faire raison,
1715 Et ce que le fer manque, il l’obtient du poison.

THEODAT.

Je ne connoy que trop ce qu’il faut que j’en craigne ;
Mais voulez-vous de moy que ma vertu* se plaigne,
Et que contre ma gloire* un indigne interest
De l’exil de la Reyne autorise l’Arrest ?
1720 Si ses jaloux transports* en veulent à ma vie, {p. 75}
C’est un amour trompé qui s’emporte, s’oublie,
Et dont l’égarement n’affoiblit pas ma foy*
Jusques à me cacher ce qu’elle a fait pour moy.

ILDEGONDE.

Hé bien, de ses fureurs demeurez la victime.
1725 J’ay par mon imprudence achevé vostre crime,
Et la part que j’y prens en faisant la noirceur,
Je deviens sa complice à vous percer le cœur.

THEODAT.

Helas ! que je tiendrois mon sort digne d’envie,
Si j’avois seulement à craindre pour ma vie !
1730 Mais, Madame, elle sçait que vostre cœur touché
A ses rigueurs pour moy s’est enfin arraché ;
Qu’à mon timide* espoir cessant d’estre contraire,
Vous soufrez que ma foy*

ILDEGONDE.

Coment l’avoir pû taire ?
J’apprenois vostre mort, & de pareils malheurs
1735 Demandoient mon secret aussi-bien que mes pleurs.

THEODAT.

Heureux, & doux abus ! que j’y trouve de charmes* !
Ah, puis que mon amour a merité vos larmes,
Cessez d’avoir l’esprit de mon sort effrayé,
Laissez verser mon sang, ce sang est trop payé.
1740 Mais ce qui me confond, je tremble que la Reyne
Me connoissant aimé, ne partage sa haine,
Et que pour me porter de plus terribles coups,
Sa jalouse fureur ne s’étende sur vous.
Sauvez-moy de l’abyme où ce soupçon me jette,
1745 Il est des Rois voisins chez qui trouver retraite,
Des Rois de quy l’appuy par un heureux secours…

ILDEGONDE.

Moy, fuir, Prince ?

THEODAT.

Il le faut ou c’est fait de vos jours. {p. 76}
Songez pour un Amant quel sort épouvantable
De voir sacrifier tout ce qu’il trouve aimable ;
1750 Le seul pressentiment m’en fait pâlir d’effroy.
Madame, s’il est vray…

SCENE V. §

THEODAT, ILDEGONDE, EUTHAR, VALMIRE.

EUTHAR .

Seigneur, vous estes Roy,
Le bruit de vostre mort a redoublé la haine
Que le Peuple avoit fait éclater pour la Reyne.
Chacun faisant oüir le nom de Theodat,
1755 A juré hautement d’en punir l’attentat ;
Et dans tout le Palais une fiere* menace
De la rebellion a fait croistre l’audace.
Theudis plus que tout autre ardent à vous vanger,
A fait voir vostre vie à toute heure en danger,
1760 Et qu’à moins qu’on osast en prévenir* le crime,
La Reyne tost ou tard vous prendroit pour victime.
Ses cris tumultueux que le Peuple soûtient,
Vont jusques à la Reyne, on la voit elle vient,
Et d’un vif desespoir mortellement frapée,
1765 De l’un des Siens en haste ayant saisi l’épée,
Elle court à Theudis, & de sa propre main,
Sans rien examiner, luy veut percer le sein.
Là, soit que sa fureur un peu trop violente {p. 77}
La livre d’elle-mesme au fer qu’on luy presente,
1770 Soit que contre ses jours de vangeance animé
Theudis qui luy resiste exprès se fust armé,
A ses pieds tout-à-coup elle tombe, elle expire.
Chacun s’unit alors pour vous ceder l’Empire,
Et cette mort par tout faisant un prompt éclat*,
1775 On n’entend plus crier que vive Theodat.

ILDEGONDE.

Ainsi pour vous, Seigneur, l’ordre du Ciel s’exprime,
Vous appellant au Trône, il vous y veut sans crime,
Et qu’on puisse au hasard seulement imputer
L’Arrest que sa justice a fait executer.

THEODAT.

1780 L’infortune me touche, & quelque violence
Que la Reyne ait voulu permettre à sa vangeance,
Je ne puis m’empescher de me plaindre du Sort
Qui me rend malgré moy coupable de sa mort ;
Mais pour ne pas laisser vostre gloire* incertaine,
1785 Madame, allons au Peuple ofrir une autre Reyne,
Et par tout ce qui peut luy répondre de vous,
L’assurer sous vos loix du Regne le plus doux.

FIN.