SCENE PREMIERE. §
ARCHELAS, FALANTE.
ARCHELAS.
Falante en quel Estat as-tu veu mon armee ?
Est-elle puissamment au combat animee ?
Ne dissimule point, descouvre moy mon sort,
Je verray d’un mesme œil le naufrage, et le port.
FALANTE.
1070 Sire, jamais le Ciel ne veit un tel
orage*,
L’un et l’autre party sont de mesme courage,
Et comme un mesme espoir faict leurs ambitions,
Une pareille ardeur marque leurs actions ;
Le moindre des soldats combat en Capitaine,
1075 Leur emulation rend leur
gloire* incertaine,
Et les tient tour à tour l’un sur l’autre advancez,
{p. 59}
Tantost victorieux, et tantost repoussez.
ARCHELAS.
En fin tu ne sçais pas de quelle destinee
Ma
fortune* aujourd’huy se verra terminee ?
FALANTE.
1080 Sire, cette inconstante a cessé son couroux,
Les Dieux visiblement se declarent pour nous,
Et s’ils ont tant laissé la victoire douteuse,
La perte d’Araxés en sera plus fameuse.
ARCHELAS.
Quel tesmoignage as-tu de cet Evenement ?
FALANTE.
J’ay veu (Sire) j’ay veu dans le champ de Bellone
Aux plus fiers ennemis arracher des
Lauriers*,
Et donner l’espouvante aux plus braves guerriers ;
1090 À chaque mouvement son courage se montre,
Tout faict jour à ses coups, tout fuit à sa rencontre ;
Où sa fureur l’emporte, on void à chaque rang
Des cadavres noyez dans des fleuves de sang,
Et l’infame Araxés ne seroit plus qu’une ombre
1095 S’il n’estoit protegé de la force du nombre ;
Sans cela le combat serait desja finy,
Vous vangé, nous vainqueurs, et le traistre puny.
ARCHELAS.
{p. 60}
Les Dieux ont de tout temps protegé ma Couronne.
FALANTE.
Aussi n’est-ce pas là le sujet qui m’
estonne*,
1100 Un miracle plus grand
confond* mon jugement.
ARCHELAS.
Ne m’entretiens pas tant, et parle clairement.
FALANTE.
Cette belle Amazone a comme le courage
Du Prince Eurimedon, le port et le visage ;
Mesme ces deux objets se ressemblent si fort
1105 Qu’elle a trompé mes yeux à son premier abord.
ARCHELAS.
Mais peut-estre Falante est-ce Eurimedon mesme.
FALANTE.
Non Sire : bien qu’entre eux le rapport soit extreme,
Ce Prince dont je l’ay long-temps entretenu,
1110 Hermionne est son nom, son pays est la Thrace.
Et Mars asseurement est l’autheur de sa race ;
Au lieu qu’Eurimedon ne sçait en quel sejour
Le Ciel ouvrit ses yeux à la clarté du jour :
Et quand cette raison tromperoit ma creance,
1115 Je sçay bien que le sexe en faict la difference.
ARCHELAS.
Qui que tu sois Deesse acheve tes bien-faits
Et rends à mon Estat le repos et la paix :
{p. 61}
Mais quel estrange bruit vient frapper mon oreille ?
FALANTE.
Sire c’est l’Amazone.
ARCHELAS.
Sire c’est l’Amazone. Ah Dieux quelle merveille !
1120 Cette grave douceur et cette Majesté,
Sont les visibles traits d’une Divinité.
SCENE DEUXIESME. §
ARCHELAS, FALANTE, EURIMEDON, TYGRANE, CELIANE déguisee.
EURIMEDON en Amazone tenant la teste d’Araxés.
En fin (Sire) voila ce
superbe* Encelade
Dont la temerité menaçoit la Troade,
Voila de vos sujets la terreur, et l’effroy,
1125 Et le vain poursuivant des Couronnes d’un Roy ;
En un mot, vous voyez l’usurpateur infame,
Si bien humilié par la main d’une femme
{p. 62}
Que son coupable
chef* à vos pieds abbatu,
Est contraint de baiser les pas de la
vertu*.
ARCHELAS.
1130 Ah divine guerriere ! apres cette victoire
Combien je dois d’encens à vostre illustre gloire !
Que je suis redevable à mon propre
malheur*
De m’avoir aujourd’huy procuré cet honneur,
Qu’une divinité si puissante, et si belle,
1135 Ayt voulu prendre part en ma juste
querelle*,
Et malgré la fureur d’un
perfide* attentat
Sauver d’un coup
heureux* mon Sceptre et mon estat.
EURIMEDON.
Sire, Je ne suis pas immortelle, ou divine,
C’est assez que je sois d’une illustre origine ;
1140 Et qu’entre mes ayeux je puis compter des Rois
Dont autresfois la Thrace a reveré les loix :
J’en pouvois justement esperer la couronne,
Si le sort eut voulu mieux traitter Hermionne ;
Mais
lors* que l’inconstant m’eust mis le Sceptre en main
1145 Le traistre me l’osta du jour au lendemain :
J’ay suivy du depuis sous l’habit d’Amazone
L’exercice sanglant de la fiere Bellone,
Et pour me signaler je cherchois les hazars,
Quant j’ay veu déployer vos heureux estendars ;
{p. 63}
1150 Dez que j’ay recogneu par ces
augustes* marques
Les vaillans escadrons du plus grand des Monarques,
Et qu’infailliblement un traistre usurpateur
Estoit de cette guerre et le Chef, et l’Autheur ;
Aussi-tost ma fureur justement animee
1155 Chercha cet insolent parmy toute l’armee,
Afin de luy ravir par un coup solemnel,
Le prix qu’il attendoit d’un dessein criminel.
ARCHELAS.
Puis qu’on vous a ravy le Sceptre qui fut vostre,
Daignez belle Princesse en recevoir un autre,
1160 Et si vous agreez les hommages d’un Roy
Regnez dans mon empire et triomphez de moy.
EURIMEDON.
Que je regne et triomphe ! Ah Dieux quelle apparence
Que l’object du mespris et de l’indifference
Osast à ce degré de grandeur aspirer,
1165 Qu’à peine une Deesse oseroit esperer !
Mais puis que vostre rang vous permet toute chose,
Je ne reffuse pas ce qu’un Roy me propose ;
Sire (puis qu’il vous plaist) j’accepte cét honneur,
Que vostre Majesté presente à mon bon-heur,
1170 Et la conjure icy d’avoir en sa mémoire
L’offre qui me doit mettre au comble de ma gloire.
{p. 64}
ARCHELAS.
Je n’en perdray jamais l’
aymable* souvenir,
Ma promesse pour vous est facile à tenir,
Il me tarde desja que je ne l’effectuë,
1175 Je vous ayme (Madame) et ce delay me tuë.
EURIMEDON.
Cét amour pour durer est un peu violent,
J’aymerois mieux ce feu s’il paroissoit plus lent :
Sire moderez-vous, et donnez à vostre ame
Le loisir de pouvoir examiner sa
flame*,
1180 L’esprit blasme souvent ce que l’œil a voulu.
ARCHELAS.
On delibere en vain sur un point resolu :
Cette rare
verty* dont vostre ame est pourveüe
Surprend en mesme temps et l’esprit et la veüe,
En fin si vos rigueurs trompent mon esperance,
Vous ne me verrez mettre aucune difference
Entre aymer, et mourir pour un
objet* si beau.
EURIMEDON.
Grand Roy j’atteste icy le celeste flambeau,
1190 Que j’ayme tant l’honneur de vostre bien-vueillance
Que je meurs du desir d’estre en vostre alliance,
C’est un bien que mon cœur souhaitte plus que vous,
Et je ne vivrois pas sans un espoir si doux ;
{p. I ; 65}
Mais la fureur encor possede trop mon ame
1195 Pour faire si-tost place à l’ardeur de ma
flame*,
Il faut donner à Mars le temps de respirer
Auparavant qu’Amour le fasse retirer.
ARCHELAS.
Ma Reyne je le veux pourveu que mon attente
Conserve en vostre cœur une flame constante.
EURIMEDON.
1200 Mon Prince, Je consens qu’on me prive du jour,
Si je change jamais l’
objet* de mon amour.
ARCHELAS.
Hé bien ! Tygrane : en fin ma gloire est sans seconde ;
Cognois-tu quelque Roy plus heureux dans le monde ?
Possedant cette Reyne est-il sous le Soleil
1205 Un Monarque honnoré d’un triomphe pareil ?
TYGRANE.
Non Sire : Ce bon-heur comme vostre merite
Ne reçoit point d’esgal, non plus que de limite,
Et je croy que les Dieux quand vous serez unis
Vous combleront encore de plaisirs infinis :
1210 Mais puis que de ce bien vostre ame est si
contente*,
Vous sçavez bien le prix que vous avez promis
À celuy qui pourroit chasser vos ennemis,
Il est vray qu’Hermionne a faict nostre victoire,
{p. 66}
1215 Et qu’on doit à son bras une immortelle gloire ;
Mais puisqu’aupres de vous elle a desja son prix
Que le nostre (grand Roy) ne soit pas un mespris,
Comme elle nous avons montré nostre courage,
Et nous avons senty nostre part de l’
orage* ;
1220 Encore qu’Araxés soit par elle abbatu,
Mais en tout le combat nous l’avons assistee,
Voyez doncque qui de nous merite Pasithee.
Grand Prince disposez de ce prix glorieux,
1225 Et finissez l’espoir de mille ambitieux.
ARCHELAS.
Puis qu’aujourd’huy je dois l’appuy de ma Couronne,
À la seule
valeur* de la belle Hermionne,
Il est juste qu’elle ayt toute seule l’honneur
1230 C’est pourquoy je la rends de ces lieux Souveraine,
Je veux que mes sujets la reverent en Reyne,
Et comme mon Estat ne se peut separer
Seule elle aura le prix qu’on devoit esperer.
TYGRANE.
Qu’Hermionne (grand Roy) possede vostre Empire,
1235 Ce n’est pas à ce prix que mon courage aspire,
Que cette Deïté regne dans vostre Cour,
Mais ne reffusez point Pasithee à l’amour.
{p. 67}
CELIANE ostant son casque.
Crois-tu que la vertu recompense le vice ?
1240 Et que le Ciel honteux des crimes que tu faits,
Au lieu de te punir t’accorde des bien-faits ?
N’est-ce pas pour avoir abusé Celiane
Qu’on te doit Pasithee, infidele Tygrane ?
Ou bien pour avoir faict ce genereux duël,
1245 Où tu fus si vaillant, ou plustost si cruel ?
Si tu ne te souviens de ce juste reproche
Retournons sur les lieux : le champ est assez proche
Où sur Eurimedon tu creus estre vainqueur,
Mais ce fut moy qui fus l’objet de ta rigueur,
1250 Avecque tes mespris je ressentis ta rage,
Tu surmontas ma force, et non pas mon courage ;
Et quoy que mon dessein ne fut que de perir,
Ton fer me blessa bien, mais je ne pûs mourir.
Tu rougis infidele, et tu croyois peut-estre
1255 Que l’on devoit icy recompenser un traistre :
Non, non, le Ciel est juste, et les Dieux irritez,
Punissent tost ou tard les infidelitez,
Ne demande doncq pas un
salaire* Prophane :
Mais recognois icy ton crime, et Celiane.
TYGRANE.
1260 Je recognois (Madame) et mon crime et vos yeux
Ils sont en mesme temps mes Juges, et mes Dieux ;
{p. 68}
Qu’ils me punissent doncque et que leur vive flame
Il est vray j’ay
failly*, vostre rare beauté
1265 Meritoit plus d’amour, et de fidelité,
Mais ce qui me console au milieu de ma peine
Vous fustes tousjours belle, et jamais inhumaine :
Toutesfois si je suis indigne de pitié
Sacrifiez Tygrane à vostre inimitié,
Il luy presente son espee.
1270 Tenez voila de quoy contenter vostre envie,
Vangez-vous Celiane, arrachez-moy la vie,
Et par mon sang coupable à vos pieds respandu
Payez-vous de celuy que vous avez perdu.
CELIANE.
La mort pour un ingrat seroit trop favorable
1275 Et le coup de ma main un peu trop honnorable
Tes regrets feront mieux cét office que moy.
EURIMEDON.
Madame revocquez cette severe Loy,
Il n’est point de pechez qu’un repentir n’efface.
ARCHELAS.
Je veux qu’en ma faveur il obtienne sa
grace*
1280 Qu’il vive sous vos loix, mais à condition
Qu’il sera plus fidele en son affection.
CELIANE.
Sire (puis qu’il vous plaist) Celiane est
contente*,
De regler son amour sur cette heureuse attente.
{p. 69}
ARCHELAS.
C’est assez Celiane, on verra quelque jour
1285 Si ce Prince sera digne de vostre amour.
SCENE TROISIESME. §
ARCHELAS, EURIMEDON déguisé.
ARCHELAS.
Oseray-je esperer qu’il vous plaise (Madame)
Sur un point curieux satisfaire à mon ame,
Et ne tiendrez-vous pas pour incivilité,
Si je vous faits sçavoir ma curiosité ?
EURIMEDON.
1290 Sire à vous obeïr me voyla toute preste.
ARCHELAS.
D’où provenoit tantost cette rougeur honneste,
Qui m’a faict remarquer vostre alteration
Quand Tygrane a parlé de son affection,
Et sur tout quand ce Prince a nommé Pasithee ;
1295 Ma veue estoit
alors dessus vous arrestee :
Ne dissimulez point, dites moy franchement
{p. 70}
Ce qui vous a causé ce soudain mouvement.
EURIMEDON.
Quand Tygrane a parlé de sa belle entreprise
Vous croyant sans enfans ce propos m’a surprise,
1300 Et si j’ay faict paroistre un peu d’emotion,
J’avois pour l’exciter assez de passion.
ARCHELAS.
Des fruicts de mon amour je n’ay que cette fille,
Elle seule aujourd’hui faict toute ma famille,
Encore maintenant suis-je reduit au point
1305 De m’estimer heureux si je ne l’avois point.
EURIMEDON.
Quel mescontentement avez-vous receu d’elle
Dont la faute aujourd’huy la rend si criminelle ?
ARCHELAS.
Naguere un estranger en cette Isle arrivé
A si soudainement son esprit captivé,
1310 Que pour mieux estouffer cette
flame* naissante
Qui dans leurs jeunes cœurs se rendoit trop puissante,
Je me suis veu contraint de la mettre en prison,
Afin d’en retirer son cœur et sa raison ;
Son
Amant* par sa fuitte evita ma colere.
EURIMEDON.
1315 Vrayement cét Estranger eut tort de vous desplaire ;
Au poinct que vous croyez que l’Infante ayt
failly* ?
ARCHELAS.
Non : elle ne s’est pas tellement oubliee,
Et je croy seulement qu’elle s’estoit liee
1320 Avecque moins d’amour que d’obligation
À ce nouvel
object* de son affection,
Je sceus qu’ils se donnoient des visites secrettes,
Et comme Pasithee aydoit à son dessein
1325 Je le surpris un jour qu’il luy baisoit le sein ;
Mon ame à cét object de colere enflammee
Voulut perdre d’un coup et l’
amant*, et l’aymee,
Mais
EURIMEDON.
Mais Vous avez puny trop rigoureusement
L’Amour d’une Princesse, et les vœux d’un
Amant*
1330 Qui n’estoit pas peut-estre indigne de sa
flame*.
ARCHELAS.
En cette occasion je confesse (Madame)
Que ce jeune estranger avoit des qualitez,
Capables de fleschir les plus rares beautez,
Et mesme il nous avoit rendu quelque service.
EURIMEDON.
{p. 72}
1335 Vous luy rendiez pourtant un tres-mauvais office,
Et c’est mal s’acquitter d’une obligation,
De donner pour un prix une punition :
Mais encor estoit-il d’une illustre naissance ?
ARCHELAS.
Il ne sçavoit sur quoy fonder cette esperance,
Un rang que je reserve à des Roys seulement.
EURIMEDON.
Advoüez* que l’amour est un crime agreable,
Qu’on devroit appeler une erreur excusable,
Et si ceux qui le font meritent le trespas
1345 Ils ne doivent mourir qu’au milieu des
appas* :
Excusez doncq Seigneur ces Innocentes
flames*,
Elles ne logent point que dans les belles ames,
Et le mespris d’amour est plustost un effect
D’une arrogante humeur que d’un esprit bien fait.
1350 En fin en ma faveur delivrez Pasithee,
Sinon le trosne
auguste* où je suis invitee,
Me plaira beaucoup moins que ne faict le tombeau.
ARCHELAS.
Pour ne me pas fleschir l’Orateur est trop beau,
Ma Reyne j’y consens, et promets à cette heure
1355 De la tirer demain de sa triste demeure,
Pourveu que vostre Esclave, et de plus vostre
Amant*
Puisse esperer de vous un pareil traitement.
[K ; 73]
EURIMEDON.
Je m’en vay luy porter cette
heureuse* nouvelle.
Il sort.
ARCHELAS.
Ont des
charmes* puissans pour captiver les cœurs !
Alors qu’elle commande il luy faut obeïr,
1365 Et ce qu’elle cherit, on ne le peut haïr.
SCENE QUATRIEME. §
EURIMEDON, PASITHEE, ALERINE dans la prison.
EURIMEDON en Amazone.
Digne
objet* de pitié, mais beaucoup plus d’envie
Qui tiens mesme d’Amour la liberté ravie,
Se peut-il que je voye en ces funestes lieux
Celle dont la beauté peut captiver les Dieux ?
1370 Non, non : Je ne sçaurois
souffrir* cette injustice,
Tout le monde prend part en ce rude supplice,
{p. 74}
Et sans vos doux regards son destin est pareil
Aux lieux qui sont privez des clartez du Soleil.
Il est temps que la Cour dissipe sa tristesse,
1375 Qu’on luy rende sa joye avecque sa Princesse,
Et que de la prison vous veniez au Palais,
Gouster avecque nous les douceurs de la paix.
PASITHEE.
Madame : Les prisons sont des champs Elisees,
Quand vos divins regards les ont favorisees,
1380 Au lieu que les Palais où vos yeux ne sont pas,
Ne sont que des Enfers où regne le trespas.
Mais par quelle faveur, et de quel bon Genie
Ay-je aujourd’huy receu cette
grace* infinie
Qu’un Astre dont l’esclat est si doux à mes yeux
1385 Vienne luire, où jamais ne luit celuy des Cieux ?
EURIMEDON.
C’est le flambeau d’Amour qui finira vos peines.
PASITHEE.
Ah ce tyran (Madame) est l’autheur de mes chaisnes !
EURIMEDON.
Ainsi le mesme traict qui fit vostre tourment
Fera d’oresnavant vostre contentement,
1390 Si vous favorisez sa prudente conduitte.
PASITHEE.
{p. 75}
Ah Dieux ! à cét object je suis toute interdite,
Que tout ce que je voy me semble illusion.
EURIMEDON.
Ne vous souvient-il pas quand nous sommes ensemble
1395 D’avoir jamais cogneu quelqu’un qui me ressemble ?
Ne craignez point (Madame)
advoüez* le secret,
J’ay pour en bien user l’esprit assez discret ;
Outre que j’ay beaucoup d’interest en l’affaire,
Elle concerne encore le salut de mon frere,
1400 Qui vivement touché des traicts de vostre amour
Ne void plus qu’à regret la lumiere du jour ;
Ouy (Madame) j’entray dedans cette Province,
Afin de secourir ce miserable Prince,
Ce cher Eurimedon qui vous ayme si fort,
1405 Et que le desespoir va reduire à la mort :
Ma
valeur* a rendu la paix à Mitylene,
Et je puis esperer la qualité de Reyne,
Puis que j’ay pû donner assez d’amour au Roy
Pour me faire l’honneur de me donner sa foy :
1410 Mais qu’il n’espere pas la faveur qu’il souhaitte
Qu’Hermionne ne soit de tout poinct satisfaite,
Qu’il ne m’ayt de mon frere accordé le pardon,
Et que vous ne soyez femme d’Eurimedon.
PASITHEE.
{p. 76}
Madame, Je croyrois que vous voudriez surprendre
1415 Cét esprit innocent qui vient de vous entendre,
Si le Ciel en naissant ne vous avoit faict don
Mais puisque vous portez de si visibles marques
De celuy que j’honnore au dessus des Monarques,
1420 Je recognois assez que vous estes sa sœur ;
Il a les mesmes yeux et la mesme douceur,
Cette bouche, ce front, cette grave apparence,
En fin le sexe seul en faict la difference.
EURIMEDON.
Tout le monde a de nous la mesme opinion.
PASITHEE.
1425 Puisque vous estes joints d’une telle union,
Et que pour son repos vous veillez de la sorte,
J’
advoüray* librement l’amour que je luy porte :
Oüy je l’ayme, Madame, et ma captivité
Trouve parmy mes fers de la felicité,
1430 Il calme ma douleur, Il faict tarir mes larmes,
Et si par fois je fais des projets inhumains,
Son beau nom faict tomber les armes de mes mains.
EURIMEDON.
Que mon frere (Madame) auroit l’ame ravie
1435 Et que j’estimerois son sort digne d’envie,
S’il oyoit ces propos pleins d’amour, et de foy,
{p. 77}
Où plustost s’il pouvoit vous baiser comme moy.
PASITHEE.
Au poinct où je vous vois aupres du Roy mon pere,
Vous pouvez tout Madame.
EURIMEDON.
Vous pouvez tout Madame. Hé bien ! laissez-moy faire.
1440 Quand vous m’aurez donné vostre consentement
Il ne manquera rien à son contentement :
Mais c’est assez parlé de l’interest d’un autre,
Il est temps desormais que nous pensions au nostre :
Voudriez vous maintenant me faire une faveur ?
PASITHEE.
1445 Vous obeïr (Madame) est mon plus grand honneur,
Commandez seulement et vous serez servie.
EURIMEDON.
Dans ce cher entretien mon ame est si ravie,
Que je ne voudrois pas m’en separer jamais.
Madame trouvez bon que j’envoye au Palais,
1450 Pour supplier le Roy qu’il m’accorde une chose.
EURIMEDON.
Quelle ? Qu’aupres de vous cette nuict je repose,
PASITHEE.
{p. 78}
Si je ne vous suis pas importune* ; Vrayment
Vous pouviez employer un autre compliment.
1455 Que vous considerant pour ma mere et ma Reyne
J’abuse de l’honneur, et de l’affection
Que vous me témoignez en cette occasion ?
Non, non, je ne suis pas à ce poinct arrogante,
Vous devez autrement traitter vostre servante :
1460 Vous avez sur mon ame un absolu pouvoir,
Et vous devez penser que je sçay mon devoir.
EURIMEDON.
De ces sousmissions je suis toute confuse,
Mais avec ce respect pourtant on me refuse.
PASITHEE.
Nullement : Alerine allez trouver le Roy,
1465 Dites luy que Madame est encore chez moy,
Et que pour me parler d’un soucy qui la touche
Elle souhaitte fort de partager ma couche ;
Mais avecque l’
adveu* de son consentement.
PASITHEE.
J’y vay Madame. Allez : Et venez promptement
1470 Pour me deshabiller ; Il est tard ce me semble,
Nous aurons tout loisir de deviser ensemble,
EURIMEDON.
Desja ce doux espoir me comble de plaisir,
1475 Ne donne à nostre
Amant* un peu de jalousie,
S’il apprend quelque jour le bon-heur où je suis :
Cependant que son cœur est parmy les
ennuis*,
Et dedans les langueurs d’une fascheuse absence
Faict d’un excez d’amour l’injuste penitence.
PASITHEE.
1480 Si jusque icy l’amour a mal traité nos vœux,
Le mesme quelque jour nous ravira tous deux,
Et par nostre union finissant nos supplices
Versera sur nos maux ses plus cheres delices.
EURIMEDON.
Pour la mesme raison vous devez croire aussi
1485 Que le mal de mon frere est beaucoup adoucy,
La cause de son mal rend sa peine effacee :
Mais bons Dieux ! qu’Alerine est longue en son retour !
PASITHEE.
Madame : la voicy.
EURIMEDON.
Madame : la voicy. J’en rends
grace* à l’amour.
SCENE CINQUIESME. §
{p. 80}
EURIMEDON, PASITHEE, ALERINE.
EURIMEDON.
1490 He bien qu’a dit le Roy ?
ALERINE.
He bien qu’a dit le Roy ? Que la belle Hermionne
Pour suivre ses desirs n’a besoin de personne,
Et que ses volontez sont d’assez fortes loix
Pour ne pas relever de la faveur des Roys,
En un mot Archelas s’accorde à vostre envie.
Elle se retire.
EURIMEDON.
1495 Il me faict trop d’honneur.
PASITHEE.
Il me faict trop d’honneur. Et moy j’en suis ravie.
EURIMEDON.
Certes voilà des traicts d’une extréme
bonté*.
PASITHEE.
Mais plustost du credit de vostre Majesté,
Dont la
grace* est unique ainsi que sans pareille.
EURIMEDON.
[L ; 81]
1500 Car c’est d’elle qu’on peut dire avecque raison
Que ses
charmes* divins sont sans comparaison.
PASITHEE.
Vous me forcez pourtant d’advoüer à ma honte
EURIMEDON.
Pour estre un digne
objet* à vostre affection
1505 Je veux bien vous laisser en cette opinion,
Mais le peu de merite où mon espoir se fonde
Accusera d’erreur les plus beaux yeux du monde,
Et fera reprocher à vostre jugement
Qu’il a lorsqu’il me flatte un peu d’aveuglement.
PASITHEE.
1510 Icy vostre vertu m’impose le silence,
Mais l’admiration sera mon esloquence.
EURIMEDON.
Brisons là ce discours, Madame.
PASITHEE.
Brisons là ce discours, Madame. Je le veux.
EURIMEDON.
Que le Ciel (ma Princesse) est propice à mes vœux !
Ah que sur ce beau sein je voy de belles choses !
1515 Son teint ressemble aux lys, et vostre bouche aux roses,
L’autre d’un beau rocher faict le trosne d’Amour,
Et comme ils sont tous deux de visibles miracles,
L’un reçoit tous nos vœux, l’autre rend des Oracles ;
1520 En fin je vois icy comme dans un tableau
Tout ce que la nature a de rare et de beau.
Mais que j’ay de regrets parmy ces belles choses !
Que je voy de soucis au milieu de ces roses !
Et que je suis confuse en ce dernier effort
1525 Où peut-estre ma nef fera naufrage au port.
PASITHEE.
Vous souspirez (Madame) et vostre teint se change,
D’où vous vient si soudain cette palleur estrange ?
Dieux ! vous trouvez-vous mal ?
EURIMEDON.
Dieux ! vous trouvez-vous mal ? Madame il faut mourir.
Ou que vostre pitié s’offre à me secourir.
PASITHEE.
1530 Ce n’est pas un devoir que ma main vous reffuse,
Mais ce nouveau discours me rend toute confuse,
Parlez moy clairement.
EURIMEDON.
Parlez moy clairement. Ah Madame ! pardon.
C’est trop vous abuser, Je suis Eurimedon.
PASITHEE.
{p. 83}
Eurimedon bons Dieux !
EURIMEDON.
Eurimedon bons Dieux ! Luy-mesme ma Deesse.
PASITHEE.
1535 O miserable fille ! ô chetive Princesse.
C’en est faict, ton malheur arrive au dernier poinct.
EURIMEDON.
Madame parlez bas, et ne vous faschez point.
PASITHEE.
Quoy meschant tu voudrois apres cette impudence
Que ma voix fust encore de ton intelligence ?
1540 Apres avoir tendu ce piege à mon
honneur*,
Tu veux que je me taise insolent suborneur ?
Non, non, traistre, je veux que ma douleur esclatte.
PASITHEE.
Madame. C’est en vain que ton amour me flatte,
1545 Mais permets à la mort destouffer mes regrets.
O sensible malheur !