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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Desfontaines. Perside, ou la Suite d'Ibrahim Bassa. Tragédie.. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 33 sc. 323 répl. 4,0 l. 1 299 l. 1 299 l. 36 % 3 662 l. (100 %) 2,8 pers.
Soliman 19 sc. 90 répl. 4,0 l. 867 l. (67 %) 357 l. (28 %) 42 % 2 797 l. (77 %) 3,2 pers.
Eraste 4 sc. 23 répl. 10,3 l. 394 l. (31 %) 237 l. (19 %) 61 % 1 263 l. (35 %) 3,2 pers.
Achmat 13 sc. 38 répl. 4,4 l. 574 l. (45 %) 165 l. (13 %) 29 % 1 912 l. (53 %) 3,3 pers.
Pyrrhus 5 sc. 15 répl. 1,7 l. 95 l. (8 %) 25 l. (2 %) 27 % 305 l. (9 %) 3,2 pers.
Haly 3 sc. 13 répl. 0,9 l. 84 l. (7 %) 12 l. (1 %) 15 % 311 l. (9 %) 3,7 pers.
Perside 11 sc. 46 répl. 5,8 l. 604 l. (47 %) 265 l. (21 %) 44 % 2 005 l. (55 %) 3,3 pers.
Herminie 16 sc. 68 répl. 2,3 l. 783 l. (61 %) 155 l. (12 %) 20 % 2 514 l. (69 %) 3,2 pers.
Alcomire 4 sc. 25 répl. 3,2 l. 143 l. (11 %) 79 l. (7 %) 56 % 275 l. (8 %) 1,9 pers.
Ormane 2 sc. 5 répl. 0,8 l. 118 l. (10 %) 4 l. (1 %) 4 % 415 l. (12 %) 3,5 pers.
Troupe de Jannissaires 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
Desfontaines. Perside, ou la Suite d'Ibrahim Bassa. Tragédie.. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
Soliman 21 l. (100 %) 2 répl. 10,3 l. 2 sc. 21 l. (2 %) 1,0 pers.
Soliman
Eraste
69 l. (36 %) 13 répl. 5,3 l.
126 l. (65 %) 11 répl. 11,5 l.
3 sc. 194 l. (15 %) 3,5 pers.
Soliman
Achmat
58 l. (50 %) 11 répl. 5,2 l.
58 l. (51 %) 10 répl. 5,8 l.
6 sc. 115 l. (9 %) 3,3 pers.
Soliman
Pyrrhus
2 l. (18 %) 3 répl. 0,4 l.
6 l. (83 %) 3 répl. 2,0 l.
2 sc. 7 l. (1 %) 4,8 pers.
Soliman
Haly
22 l. (71 %) 11 répl. 2,0 l.
10 l. (30 %) 8 répl. 1,2 l.
3 sc. 31 l. (3 %) 3,7 pers.
Soliman
Perside
101 l. (50 %) 21 répl. 4,8 l.
104 l. (51 %) 24 répl. 4,3 l.
7 sc. 204 l. (16 %) 3,9 pers.
Soliman
Herminie
87 l. (57 %) 29 répl. 3,0 l.
68 l. (44 %) 26 répl. 2,6 l.
8 sc. 154 l. (12 %) 3,0 pers.
Eraste
Perside
110 l. (78 %) 10 répl. 10,9 l.
32 l. (23 %) 8 répl. 4,0 l.
2 sc. 141 l. (11 %) 3,7 pers.
Eraste
Herminie
2 l. (52 %) 2 répl. 0,8 l.
2 l. (49 %) 1 répl. 1,6 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 3,0 pers.
Achmat 31 l. (100 %) 2 répl. 15,4 l. 2 sc. 31 l. (3 %) 1,0 pers.
Achmat
Pyrrhus
2 l. (92 %) 2 répl. 0,7 l.
1 l. (9 %) 1 répl. 0,1 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 3,0 pers.
Achmat
Haly
1 l. (34 %) 1 répl. 0,7 l.
2 l. (67 %) 2 répl. 0,7 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 3,0 pers.
Achmat
Herminie
42 l. (59 %) 13 répl. 3,2 l.
30 l. (42 %) 13 répl. 2,3 l.
5 sc. 71 l. (6 %) 3,4 pers.
Achmat
Alcomire
33 l. (59 %) 9 répl. 3,6 l.
24 l. (42 %) 9 répl. 2,6 l.
1 sc. 56 l. (5 %) 2,0 pers.
Pyrrhus
Perside
2 l. (57 %) 1 répl. 1,3 l.
1 l. (44 %) 1 répl. 1,0 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 5,0 pers.
Pyrrhus
Herminie
8 l. (45 %) 6 répl. 1,3 l.
10 l. (56 %) 5 répl. 2,0 l.
1 sc. 18 l. (2 %) 2,0 pers.
Pyrrhus
Alcomire
11 l. (47 %) 4 répl. 2,5 l.
12 l. (54 %) 4 répl. 2,9 l.
1 sc. 22 l. (2 %) 2,0 pers.
Haly
Perside
1 l. (19 %) 2 répl. 0,4 l.
4 l. (82 %) 1 répl. 3,6 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 5,0 pers.
Haly
Ormane
1 l. (47 %) 1 répl. 0,3 l.
1 l. (54 %) 2 répl. 0,2 l.
1 sc. 1 l. (1 %) 5,0 pers.
Perside 40 l. (100 %) 2 répl. 19,9 l. 2 sc. 40 l. (4 %) 1,0 pers.
Perside
Herminie
60 l. (76 %) 7 répl. 8,5 l.
20 l. (25 %) 9 répl. 2,1 l.
3 sc. 79 l. (7 %) 4,1 pers.
Herminie 6 l. (100 %) 1 répl. 5,6 l. 1 sc. 6 l. (1 %) 1,0 pers.
Herminie
Alcomire
22 l. (40 %) 12 répl. 1,8 l.
33 l. (61 %) 11 répl. 3,0 l.
1 sc. 54 l. (5 %) 2,0 pers.
Herminie
Ormane
1 l. (11 %) 1 répl. 0,4 l.
4 l. (90 %) 3 répl. 1,2 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 3,0 pers.
Alcomire 11 l. (100 %) 1 répl. 11,0 l. 1 sc. 11 l. (1 %) 1,0 pers.

Desfontaines

1644

Perside, ou la Suite d'Ibrahim Bassa. Tragédie.

Édition de Camille Neumuller Maleval
sous la direction de Georges Forestier
2013
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2013, license cc.
Source : Par la Sieur Desfontaines, Perside, ou la Suite d'Ibrahim Bassa. Tragédie, à Paris, Chez Toussainct Quinet, au Palais sous la montée de la Cour des Aydes, M. DC. XLIV.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

PERSIDE OU LA SUITTE D’IBRAHIM BASSA
TRAGEDIE §

A MONSEIGNEUR LE DUC DE GUISE et c §

Monseigneur,

Voicy la plus genereuse et la plus illustre de toutes les femmes qui se vient jetter aux pieds du plus illustre et du plus genereux de tous les hommes ; Elle sçait que vostre Maison est le Temple de la Vertu, et qu’elle a esté de tout temps l’asile de ceux que la fortune expose aux atteintes du malheur. Cette vérité qu’elle a apprise aux extremités de la Terreur et en des regions où vos Ancestres ont signalé glorieusement et leurs armes et vostre nom, la fait resoudre à venir chercher en France, et dans vostre protection le repos qu’elle n’a pû trouver en son pays. Le sort de la guerre qui fit succomber sa patrie la rendit prisonniere d’un monarque dont elle se fit un esclave ; et maintenant un destin plus favorable la rend volontairement esclave d’un Prince pour qui elle a autant d’inclination et de respect, qu’elle eust pour l’autre d’aversion et de severité. Aussi faut-il advoüer Monseigneur, que quelque grand que fust Soliman, il ne posseda jamais si advantageusement que vous tant d’admirables qualités, qui vous rendent aujourd huy la merveille de nostre siecle, à la honte du passé, et au desespoir de l’advenir. Peut-estre qu’en parlant ainsi de vostre Grandeur, j’offense vostre modestie ; Mais Monseigneur, permettez que je combatte une de vos vertus pour faire esclater toutes les autres, et ne me forcez point d’escouter cette ennemie de ses propres loüanges dans le dessein que j’ay de publier des choses que l’envie mesme ne sçauroit desadvoüer* sans injustice, ny la France oublier sans ingratitude. Toutesfois ce serait vouloir comprendre dans une lettre ce qui meriteroit des volumes entiers ; de si hautes merveilles ne se peuvent exprimer par des termes ordinaires. Aussi veux-je qu’en une si noble matiere l’admiration soit toute mon eloquence, et que l’adveû de mon impuissance soit le crayon de vostre Grandeur, C'est assez que l’on sçâche que vos devanciers ont toujours este les plus fermes colonnes de cette Monarchie, et qu’estans vieillis dans les charges les plus considerables de cette Couronne, ils ont laissés un heritier qui acheve aujourd’huy ce qu’ils ont autrefois si genereusement commencé. De quelque costé qu’on jette les yeux dans vostre illustre famille, on n’y void que des marques celebres, et par tout de glorieux tesmoignages de fidélité, de prudence, de generosité, et de valeur. Vous adjouterez, s’il vous plaist, MONSEIGNEUR, à tant de celebres actions le secours que vous demande cette belle Perside, que je vous presente, quelque aimable qu’elle puisse estre, elle n’est pas sans ennemis, et comme autresfois sa beauté causa la perte de sa vie ; peut-estre que desormais on tâchera de luy ravir la gloire qu’elle espere de sa vertu ; mais si vostre Grandeur entreprend sa deffence, elle redoutera peu les traits de l’envie, et ses ennemis seront foibles si vostre bonté se declare en sa faveur. C'est dequoy elle vous conjure avec tout le zele et toute la passion dont elle peut estre capable, et j’espere que vous luy accorderez cette grace, bien qu’elle vous soit demandée, par la personne du monde qui merite le moins, mais qui desire plus passionnément d’estre toute sa vie,

Monseigneur,

De vostre Grandeur,

Le tres humble tres obeïssant et tres affectionné serviteur,

LES PERSONNAGES, §

  • Soliman second Empereur des Turcs.
  • Eraste, Favory* de Soliman, amoureux de Perside
  • Achmat, Bassa* de la mer, amoureux d’Herminie
  • Pyrrhus Bassa rival d’Achmat.
  • Haly, Bassa confident d’Achmat.
  • Perside, Dame rhodienne, amante d’Eraste
  • Herminie Fille d’Amurat, prisonnière de guerre.
  • Alcomire, Dame de Constantinople, rivale d’Herminie.
  • Ormane, Suivante de Perside
  • Troupe de Jannissaires La scène est au serrail, de dehors à Constantinople.

ACTE I. §

SCENE PREMIERE. §

SOLIMAN, et sa suitte, ERASTE, HERMINIE, et suitte ;
Dès l’houverture du Theatre paroistront des deux costés les drapeaux de Rhodes et ceux de Bellegrade

ERASTE.

En quel estat, Seigneur, faut-il que je paroisse ? {p. 1}
Quel rang dois-je tenir aupres de ta Hautesse ?
Si devers ces drapeaux elle tourne les yeux
Elle me recevra comme victorieux,
5 Mais de l’autre costé ces marques de ta gloire
Par un pompeux esclat effacent ma victoire, {p. 2}
Et ces nobles témoins à mes yeux trop connus
M'apprennent que je suis au rang de tes vaincus :
En quelque estat pourtant que je puisse paraistre
10 Ou vainqueur ou vaincu, je reconnoy mon maistre
Trop heureux si de toy j’obtiens la qualité
De sujet plein de zele et de fidelité.
Rhodes par ta valeur a tes loix asservie
Est moins digne à mes yeux de pitié que d’envie,
15 Et je vois sans regret mon pays abatu
Rendre un illustre hommage à ta haute vertu,
Si lors que tu le pris pour objet de tes armes
Je refusay l’honneur d’y mener tes gens d’armes,
Ce n’est pas que son sort ne me fust apparent
20 Mais c’est que je voulois qu’il t’eust pour conquerant
Et que la qualité du bras qui le surmonte
Par le rang du vainqueur diminuast sa honte*,
Contre luy ta Hautesse a fait un juste effort
Et moy je ne pouvois le combattre sans tort,
25 Je me rendois ingrat, attacquant ce rebelle,
J'estois traistre envers luy, si je t estois fidele ;
Et quelque heureux succés qu’eût produit ma valeur
Mon triomphe eust sans doute estouffé mon honneur,
Au lieu que par une autre et plus juste victoire
30 J'ay signalé Seigneur ton nom et ma memoire,
Soubzmis à ton Empire un Royaume puissant
Et forcé le Soleil à craindre le Croissant,

SOLIMAN.

Tu me faits tort Eraste, et ton respect m’offence {p. 3}
Si retournant vainqueur de l’effroy de Bizance,
35 Après ce grand exploit tu peux encore douter
En quelle qualité tu te dois presenter,
Ton insigne valeur te peut assez apprendre
Aupres de Soliman le rang que tu dois prendre,
Et nonobstant* l’orgueil d’un supréme pouvoir
40 Je sçay bien de quel front je te dois recevoir,
Je lis sur ces drapeaux le destin des Rebelles
La prise de Belgrade, et la mort de Gazelles,
Qui sans doute en ses murs ayma mieux s’enterrer
Que d’attendre sa prise ou que s’en retirer.

ERASTE.

45 Tu l’as dit Soliman, il est mort ce rebelle
Ouy Seigneur, il est mort, mais sa mort est si belle,
Et son dernier moment le rend si glorieux
Que son trepas sans doute a fait des envieux,
Il est mort : mais comment ? dans les bras de la gloire
50 Apres m’avoir deux fois arraché la victoire,
Et contraint tes soldats de ceder aux efforts
Que son bras foudroyant fit sentir aux plus forts,
D'abord que par ton ordre il me voit en campaigne
Il quitte les ramparts, il sort, il me desdaigne*,
55 Et superbe* advançant à la teste des siens
Sans attendre le choc il attacque les miens {p. 4}
En ce premier abord sa valeur ou sa rage
Malgré ma resistance a beaucoup d’avantage,
Dans sa temerité* son dessein reüssit
60 La mort va par les rangs que son fer esclaircit
Et je me vois reduit en ce desordre extréme
Par un beau desespoir de me perdre moy-mesme,
Ou de rendre au soldat de frayeur abatu
Par un traict genereux sa premiere vertu.
65 Voyant doncq que la peur d’une entiere deffaitte
Luy faisoit mediter une indigne retraitte,
Et que les plus hardis cédans de toutes parts
Taschoient de se sauver avec leurs estendards
Je me saisis du tien d’une ardeur infinie
70 Et le lance au travers de l’armée ennemie,
A cet objet chacun sent un noble courroux
La honte* les ranime et les remeine aux coups,
Où tousjours le depit embrazant leur courage
L'ennemy céde enfin à ce dernier orage
75 Et mon rival superbe* est trop tard adverty
Que l’heur* qui le suivoit a quitté son party.
Presque seul il demeure engagé dans la presse*
Il ne s’estonne pas, il frappe, il tuë, il blesse,
Il attacque, il deffend, et son courage est tel
80 Que parmy tant de morts il paroit immortel :
On le craint, on l’admire, on fuit à sa rencontre,
Je le cherche, et bientost sa valeur me le montre,
Je l’arreste, et de peur qu’en ce combat fatal {p. 5}
Il m’eschappe, je joins et j’abas son cheval,
85 Prevoyant le danger l’insolent* saute à terre
Et me rend la pareille à coups de Cimeterre :
Nous voyants main à main, tous deux piqués d’honneur
Tous deux sans advantage et tous deux pleins de cœur,
Compagnons, dis-je aux miens, laissez-moy cette gloire
90 Que je puisse tout seul achever la victoire !
A moy seul appartient ce genereux effort !
Soyez doncq seulement les tesmoins de mon sort !
J'ordonne, on m’obeit, nostre combat commence,
J'attacque mon rival, il se met en deffence,
95 Et sçait si vaillamment soustenir mon assaut
Que plus il perd de sang plus son courage est haut :
Mais malgré ce grand cœur sa force enfin le laisse
Son corps percé de coups chancelle de foiblesse,
Et se voyant ainsi sur le point de périr :
100  Je n’ay pu me dit-il te vaincre, il faut mourir
C'est à quoy maintenant mon honneur me convie
Et je vay satisfaire à cette illustre envie,
Je le veux empescher, mais inutilement
Car son fer est plus prompt que mon empeschement*.
105 Il tombe, et par ce trait d’une constance extréme
Ce grand cœur en mourant triomphe de luy-mesme,

SOLIMAN.

Puis que Rhodes produit de si braves guerriers {p. 6}
Par la juge combien m’ont cousté mes lauriers,
Juge pour asservir un peuple opiniâtre*.
110 Combien nous avons eû d’Erastes à combattre,
Certes, lors que j’ay veû des cœurs si resolus
J'ay creû plus d’une fois mes desseins superflus,
Et que mille vaisseaux combattans leur audace
Reverroient sans effect* le Bosphore de Thrace.
115 Mais en fin ma valeur et le sort m’ont soumis
Les plus determinés de tous mes ennemis,
Tu sçauras le succés de toutes nos batailles ;
Mais c’est assez parlé de funerailles,
Il est temps que la paix succede à tant de maux
120 Et que je donne un prix à tes nobles travaux.
J'ay receu de tes mains le fruit de ta conqueste
Et de ma part aussi la recompense est preste,
Voy cet objet divin, cette illustre beauté
Où preside la grace* avec la majesté !
125 Je te la donne Eraste, et croy qu’en Herminie
Je te faits un present de valeur infinie.
Il est vray que le sort l’a soubmise à mes lois
Mais son merite* peut se soubmettre des Rois ;
Et moy-mesme aujourd’huy je confesse sans honte*
130 Que malgré mes efforts sa beauté me surmonte,
Et qu’ici tous mes sens revoltés contre moy
Ne la cederoient pas à tout autre qu’à toy. {p. 7}

ERASTE.

Puis que ce rare objet à l’honneur de te plaire
Ton Eraste Seigneur, n’est pas si temeraire*,
135 Que de jetter les yeux ou des vœux indiscrets
Sur un bien qui pourroit te couster des regrets.
Tu ferois trop pour moy donnant cette Princesse
Elle a des qualités dignes de ta hautesse
Et si je consentois au don que tu me faits
140 Ta generosité trahiroient tes souhaits.
Ne faits point cet effort dont ton rang te dispence,
L'honneur de te servir m’est trop de recompence.
De tes contentemens* je forme mes plaisirs,
Et ce rare bonheur borne tous mes desirs.

SOLIMAN.

145 Eraste, encor un coup je t’advouray sans feinte
Que pour cette beauté je ressens quelqu’atteinte,
Mais quelques doux attraits* qu’ait un bien si charmant
Ton insigne valeur me touche egalement,
Et voyant ton ardeur* et si pure et si forte,
150 Sur mes affections ton merite* l’emporte.
Puis que tes volontés se forment de mes vœux
Ne me conteste plus ce laurier que je veux,
J'ay fait sur mon amour triompher ta vaillance,
Laisse-toy maintenant vaincre à ma bienveillance
Comme il va pour prendre la main à Herminie, elle refuse
155 Accepte de ma main...Quoy vous me resistez ? {p. 8}
D'où provient cet orgueil ? Naist-il de vos beautés ?
Quoy ? parce que j’ay dit qu’elles m’ont fait esclave
Cet œil imperieux faict le vain, et me brave ?
Obeissez Madame, et vous connoissez mieux.

HERMINIE.

160 Je me connois Seigneur, et j’atteste les Dieux,
Que ce que ta hautesse a pris pour errogance*
Est un trait de courage autant que de prudence,
Je sçay ce que je fuis, et ce que je te dois,
Je sçay que le destin m’a soubzmise à tes loix,
165 Et je n’ignore pas que j’aurois peu de grace*
En un si triste estat de montrer de l’audace.
Mais mon sort ne rend pas mon esprit si confus
Qu'il ne me sçache au mespris opposer le refus.

SOLIMAN.

Vous redoutez un mal qui n’a point d’apparence
170 Quoy ces profons respects, et cette defference*,
Qu'à vostre occasion Eraste m’a fait voir
Vous chocquent.

HERMINIE.

Non Seigneur, il a fait son devoir,
Il te doit cet honneur, il te doit cet hommage.

SOLIMAN.

Quel est doncq ce mespris que craint vostre courage ? {p. 9}

HERMINIE.

175 Celuy que ta Hautesse eût enfin reconnu
Si ma juste froideur ne l’eust pas prevenu*.

SOLIMAN.

Eraste, as-tu conceu quelque haine pour elle ?

ERASTE.

Je ne suis pas si lache*, et Madame est trop belle.

HERMINIE.

Il en est à vos yeux de plus belles que moy.

SOLIMAN.

180 Mais s’il vous aime enfin recevrez-vous sa foy* ?

HERMINIE.

Alors que j’auray veu des effets de sa flame*
Il verra le pouvoir qu’il aura sur mon ame.

SOLIMAN.

En loûant vos beautés il montre son amour

HERMINIE.

La louange est un bien qu’on produit à la Cour {p. 10}
185 Et qu’Eraste obligeant donneroit à toute autre,

ERASTE.

S'il voyoit un merite* aussy grand que le vostre,

HERMINIE.

Ces compliments adroits et ces subtilités
Font voir bien moins d’amour que de civilités,
Avant que mon cœur ayme et que ma foy s’engage
190 Je veux d’autres devoirs qu’un frivole langage.

SOLIMAN.

Un courage si franc est rarement trompeur,

HERMINIE.

Le temps seul me poura guerir de cette peur,

SOLIMAN à Eraste

Il fault à ses desirs accorder quelque chose

ERASTE.

J'obeïs sans contrainte à la loy qu’elle m’impose
195 Certain que mon amour et ma fidelité,
Seront un rare exemple à la posterité.

SOLIMAN.

Voilà desja Madame un effet de vos charmes, {p. 11}

HERMINIE.

J'en doute.

SOLIMAN.

Cependant va mettre bas les armes.
Et puis viens temoigner que tu peux tour à tour
200 Joindre aux Lauriers de Mars les myrthes de l’amour.

SCENE SECONDE §

SOLIMAN. HERMINIE.et suitte.

SOLIMAN.

Ne dissimulez plus belle et sage Herminie
Dites-moi franchement toute feinte bannie,
D'où naissent vos froideurs, et qu’elle opinion
Vous porte pour Eraste à tant d’aversion ?
205 Quel est le fondement de vostre deffience* ?
Est-ce une conjecture, ou quelque experience ?
A-t-il autresfois veu vos celestes beautés ?
L'orgueil a-t-il paru parmy ses qualités ?
A-t-il trompé vos vœux par des promesses vaines ?
210 Poussé de faux soupirs, entretenu vos peines ? {p. 12}
Ou croyez-vous enfin qu’en quelque occasion
Il ait manqué d’amour, ou de discretion* ?

HERMINIE.

Non Seigneur, ton Eraste est la mesme prudence
Il est noble, il est franc, il est sans insolence,
215 Et bien qu’il n’ait jamais jetté les yeux sur moy
Je sçay pourtant qu’il est plein d’ardeur et de foy*,
Que sa discretion* jointe à sa modestie
N'est de ses qualités que la moindre partie,
Et qu’il n’est point de cœur quelqu’orgueil qu’il ait eû
220 Qui n’ait plus d’une fois envié sa vertu*.

SOLIMAN.

Pourquoy doncq aupres d’elle estes-vous sans atteinte ?

HERMINIE.

Elle me toucheroit si j’avais moins de crainte.

SOLIMAN.

Mais la crainte est injuste ou tout est si parfaict.

HERMINIE.

De ses perfections c’est pourtant un effect.

SOLIMAN.

225 Mais vous-mesme advoüez que son ame est fidelle, {p. 13}

HERMINIE.

Et je crains justement à cause qu’elle est telle.

SOLIMAN.

Ce discours est obscur parlez plus clairement.

HERMINIE.

C'est qu’il ayme Seigneur un objet si charmant,
Qu'en vain j’espererois de porter son courage
230 A me rendre jamais un volontaire hommage,
Il ayme trop ses fers, il les trouve trop beaux
Pour vouloir de ma main en prendre de nouveaux.
Connoissant une amour et si rare et si forte
Mais on nous interompt.

SOLIMAN.

Qu'est-ce ? achevez n’importe.

HERMINIE.

235 Non Seigneur, ta Hautesse aura plus de plaisir
Si je t’en entretiens avec plus de loisir,
Cet esclaircissement est de trop longue haleyne*

SOLIMAN.

Bien doncques à tantost. {p. 14}

SCENE TROISIESME §

SOLIMAN. HERMINIE. et suitte.

SOLIMAN.

Parlez, qui vous ameine ?

PYRRHUS.

Je te viens advertir qu’Achmat vient d’arriver
240 Il demande à te voir

SOLIMAN.

Qu'il me vienne trouver

PYRRHUS.

Je croy pour cet effect qu’il attend à la porte,

SOLIMAN.

Qu'il entre.

HERMINIE.

N'est-il pas à propos que je sorte ?

SOLIMAN.

Vous le pouvez. {p. 15}

HERMINIE.

Adieu.

SCENE QUATRIESME §

SOLIMAN, PYRRHUS, ACHMAT, PERSIDE, et suitte.

SOLIMAN.

Que voy-je justes Dieux ?
Quel Ange de lumiere apparoit à mes yeux ?
245 Celle qu’on dit jadis qui regnoit en Cythere
Et qu’autresfois amour advoüa pour sa mere,
Bien qu’on l’ait estimée une divinité
N'eust jamais tant d’attraits* qu’en à cette beauté.
Mais peut-estre qu’aussi n’est-elle pas mortelle.
250 Qu'est-ce doncq cher Achmat ? Dites moy, que veut-elle ?
Attendroit-elle bien quelque grace de nous ?
Ah ! j’implore la sienne, et l’attends à genoux.

ACHMAT.

Ah Seigneur que faits-tu ? Quoy Soliman s’abaisse ! {p. 16}
Ah cet abaissement* offence ta Hautesse,
255 Cet honneur t’apoartient, il est de son devoir
Elle te le doit rendre et non le recevoir,
Ta puissance aujourd’huy sur elle souveraine
En peut faire une esclave.

SOLIMAN.

Ou plutost une Reyne
Oui Madame, esperez de mon affection
260 Des faveurs au-delà de vostre ambition,
Attendez tout de moy grandeur*, sceptre, couronne
Richesses, dignités, je vous les abandonne
Et loing de vous traitter avec quelque rigueur*
A tous ces beaux presens je veux joindre mon cœur.

PERSIDE.

265 Après avoir senty la fureur de tes armes
Tes faveurs Soliman ont pour moi peu de charmes
Et j’aurois peu de grace* en l’estat où je suis
De recevoir tes dons quand tu faits mes ennuis* :
Ton amour de trop pres suit icy ta furie*
270 Ta main degoute encor du sang de ma Patrie
Et de quelque costé que je tourne les yeux
Je vois de nos malheurs les tesmoins odieux,
Garde donc tes presens, et croy si je respire {p. 17}
Que mon ambition n’est pas pour un Empire,
275 Qu'un plus juste desir me conservait le jour,
Mais mon espoir est mort.

SOLIMAN.

Et non pas mon amour,
Cessez chere beauté de m’estre si cruelle.
Ou si vous imittez cette ville rebelle.
Dont l’obstination m’a bravé si longtemps
280 Et cousté pour l’avoir cent mille combattans,
Permettez pour le moins à ce cœur qui vous aime
Qu'il espere qu’un jour vous en ferez de mesme,
Et qu’aprés cent combats mon invincible amour
Pourra de vos rigueurs triompher à son tour.
285 Je mets en ce bonheur le comble de ma gloire
Et si j’obtiens sur vous cette illustre victoire,
Tout l’Univers conquis par mes nobles travaux
Sera la recompence et le prix de mes maux.

PERSIDE.

Non, ne te flates point d’une vaine esperance
290 Rhodes a succombé, mais non pas ma constance,
Et quoy que son destin m’ayt mis en ton pouvoir
Je sçay bien quelles loix mon cœur doit recevoir,
Il est tel que malgré ta puissance supréme
Il me rendra tousjours arbitre de moy-mesme,
295 Tu me peux mettre aux fers et m’y faire souffrir {p. 18}
Mais non pas s’il me plaist m’empescher de mourir.

SOLIMAN.

Vos yeux ont des appas* trop puissans et trop rares
Pour produire en mon cœur des effets si barbares,
Les tourments ny les fers ne sont pas faits pour vous
300 Et vous taschez en vain d’exciter mon couroux,
Ce noble orgueil me plait, cette rigueur me charme
Si le depit m’aigrit, la pitié me desarme,
Et dit tacitement* à mon cœur amoureux
Que le seul desespoir vous rend sourde à mes vœux
305 Que le temps et mes soins vous rendront plus sensible*,
Et qu’enfin vous perdrez le titre d’invincible,
Alors que vos esprits de douleur accablés
Dans un lieu de repos se verront moins troublés.
Flatté de cet espoir je consens dés cette heure
310 Que ce prochain Palais vous serve de demeure.
Prenez-en soin Achmat.

PERSIDE, s’en allant.

Que mon sort seroit beau
Si plutost qu’un palais il m’offroit un tombeau.

FIN DU PREMIER ACTE.

{p. 19}

ACTE SECOND §

SCENE PREMIERE §

SOLIMAM, HERMINIE, ACHMAT, PYRRHUS.

SOLIMAN.

Mais me dites-vous vray ? quoy, cette belle esclave
Qui mesprise* mes vœux, qui me fuit, qui me brave
315 Est cet objet charmant dont vous vouliez parler
Quand l’abord de Pyrrhus nous est venu troubler ?
Ah ! certes si c’est là cette illustre Perside
Qui pût porter Eraste à ce juste homicide,
Dont le coup l’a forcé de venir en ma Cour
320 Je ne m’estonne plus d’un si parfait amour,
Je ne m’estonne plus qu’il vous ait refusée
Ny quelle est à mes yeux ma grandeur mesprisée,
Un feu si bien epris s’esteint malaisement*
Et le cœur qui le sent brule éternellement.

HERMINIE.

325 Ouy c’est elle Seigneur, des qu’on te l’a nommée
Dans mon opinion je me suis confirmée.
Et ce nom si celebre a donné du crédit* {p. 20}
Aux merveilles qu’Achmat devant toy m’en a dit,
Il est vray que charmé de sa grace* infinie
330 Eraste peut sans tort mespriser Herminie,
Mais Perside Seigneur, avec peu de raison
T’a faict voir tant d’orgueil assez hors de saison*
Quand les rigueurs* du sort nous rendent malheureuses
Il sied bien quelque fois d’estre un peu genereuses,
335 Mais lorsqu’un tel vainqueur nous reduit à ce point
Il faut à ce grand cœur que le respect soit joint,
Et que l’humilité retenant nostre langue
Nos pleurs et nos souspirs fassent nostre harangue*.

ACHMAT.

Celles qui pour le jour ont encor du soucy*
340 Doivent dans les malheurs se gouverner ainsi,
Mais quand le desespoir rend la vie importune
On n’a plus de respect, on brave la fortune*.
Et pour haster ses coups au lieu de la flatter
Par des termes hardis on tâsche à l’irriter.

HERMINIE.

345 Je le veux croire Achmat, mais l’exemple en est rare
La vie est un tresor dont chacun est avare,
Un malheureux Amant court tousjours au trespas
Il en fait les desseins, mais il ne le suit pas,
Il l’apelle à son aide au mal qui le tourmente,
350 Mais alors qu’il paroit, son abord l’espouvente {p. 21}
Et force sa raison d’advoüer à son tour
Qu'il n’est rien icy bas de si cher que le jour.

ACHMAT.

La frayeur peut beaucoup sur un esprit timide
Mais elle ne peut rien sur celuy de Perside,
355 Un cœur comme le sien est capable de tout
Il n’est point de dessein dont il ne vienne about,
Prens-y garde Seigneur, ordonne qu’on la veille
Ou tu perdras bientost cette rare merveille,
Qui sans ma vigilance et mes soins assidus
360 Eust rendu par sa mort mes travaux superflus,
Et ravy le bonheur d’offrir à ta Hautesse
Le plus charmant objet qu’ayt jamais veu la Grece,

SOLIMAN.

Quoy ? contre ses beaux jours a-t-elle armé sa main ?

ACHMAT.

Ouy, mais ayant preuêu ce projet inhumain,
365 Je l’ay depuis tousjours de si prés observée
Que de ses propre mains enfin je l’ay sauvée.

SOLIMAN.

Où la trouvastes-vous ?

ACHMAT.

Au fonds de son palais {p. 22}
Où n’attendant plus rien d’autre qu’un succés tres mauvais,
Cette fiere beauté toute desesperée
370 S'estoit lors pour mourir sans doute retirée.
Car lors que j’approchay de son appartement
J'entendis ce discours qu’elle tint hautement,
 Cher Eraste flatté d’une vaine esperance
Mon cœur a jusqu’icy temoigné sa constance,
375 Mais puisque le destin ruine mon espoir
Souffre enfin qu’il te rende un funeste* devoir,
Reçoy de ta Perside..., à ces mots je m’advance
Et m’ayant faict passage avecque violence,
Je la trouve troublée, et le fer en main
380 Hault et prest d’achever son tragique dessein,
Aussitôt arrestant cette main criminelle
J'arrache son poignard, et je me saisis d’elle,
Mais elle me fait voir par un autre transport
Le regret qu’elle avoit d’avoir manqué sa mort,
385 Maudissant son salut et me faisant entendre
Que celuy des vaincus est de n’en plus attendre,

HERMINIE.

Perside ignore doncq qu’Eraste soit icy,

ACHMAT.

Sans doute, et sur ce point je me suis esclaircy. {p. 23}
Car voulant consoler cette belle affligée,
390 Et rendre par l’espoir sa douleur allegée,
Je luy dis que bientost elle pourroit revoir,
La cause de sa flame et de son desespoir
Qu'Eraste, à ce beau nom ses yeux fondent en larmes
Elle rompt ses cheveux, elle outrage ses charmes,
395 Et poussant vers le ciel un pitoiable helas !
Eraste me dit-elle a senty le trespas,
Il est mort, il est mort, et je le voulois suivre,
Lorsque ta cruauté m’a contrainte de vivre,
Vous vous trompez luy dis-je,- Ah ! s’il vivoit encor,
400 Reprit-elle, il auroit deffendu son tresor,
Je sçay qu’il m’estimoit beaucoup plus que sa vie
Et qu’il n’auroit pû voir que je fusse asservie,
On l’auroit veu dit-elle, au milieu des hazards
Le Cimeterre au poing deffendre nos ramparts,
405 Ou par sa chere veuë empescher sa Perside
De se rendre aujourd’huy de soy-mesme homicide,
Il est donc au tombeau j’en douterois envain,
Autant que mes malheurs son trepas est certain,
Je vis pourtant Achmat, mais je suis asseurée
410 Que ma perte n’est pas pour longtemps différée,
Et que malgré vos soins, et la force, et le sort
Je sçauray bien rejoindre Eraste par ma mort.

SOLIMAN.

Nous l’esperons en vain amour que dois-je faire ? {p. 24}
La dois-je abandonner ? me dois-je satisfaire ?
415 Escouter mes desirs, la contraindre, ou ceder ?
La rendre à son Eraste, ou bien la posseder ?
Quand je pense aux attraits* dont l’ingratte* est pourveuë
Je ne puis estouffer l’amour que j’ai conceuë,
Je sens que son ardeur* s’accroit à tout moment
420 Et que mon cœur se plaist en ce noble tourment,
Mais d’allieurs quand je songe à cette belle flamme*
Qui depuis si longtemps triomphe dans son ame,
Quand je voy cet esprit et si grand et si fort
Souspirer pour Eraste ou courir à la mort,
425 Ma raison aussitost pour elle se declare,
Et sa fidelité si constante et si rare,
Force ma passion à moderer ses feux
Et de se relascher en faveur de ses vœux,
Eraste d’autre part que j’ayme, et qui l’adore
430 Qui nourrit dans son sein un feu qui le devore,
Eraste dont sans doute elle à receu la foy*
Eraste qui ne vit que pour elle et pour moy,
Eraste son amour, Eraste mes delices
Cet Eraste en un mot qui par milles services,
435 A vaincu ses desdains* et et m’a gaigné le coeur
Se presente à mes sens en superbe* vainqueur,
Et semble reprocher à mon ame enflammée,
Qu'à tort je luy ravis cette personne aymée. {p. 25}
Soliman Soliman, enfin que resous*-tu ?
440 Quitte quitte l’amour, escoute la vertu,
Par un beau sentiment et d’honneur et de gloire
Emporte sur toy-mesme une illustre victoire,
Et montre à l’Univers par ce dernier effort
Que pour te resister il n’est rien d’assez fort.
445 Qu'on les fasse venir.
(Achmat va querir Perside, et Pyrrhus Eraste.)

SCENE SECONDE §

SOLIMAN, HERMINIE.

SOLIMAN.

Vous verrez Herminie
Ce que peut la vertu sur un noble Genie,

HERMINIE.

Certes par cet effect de generosité*
Tu forces tous les cœurs d’admirer ta bonté,
Et l’on doit advoüer que ces aimables charmes
450 Te font plus aujourd’huy d’esclaves que tes armes,
Quoy tenir en tes mains un si riche tresor
Un butin, plus charmant que les perles et l’or,
Un miracle d’amour une rare merveille, {p. 26}
Une beauté parfaitte ainsi que sans pareille
455 Un chef-d’oeuvre accomply de nature et des cieux,
Et digne enfin des voeux et des Roys et des Dieux,
Et malgré les ardeurs de ton amour extréme
En obliger un autre, et te vaincre toy-mesme,
Ah plus je considere un tel evenement
460 Plus son divin effect* confond mon jugement,
Et ce puissant effort qui te rend adorable
Encore qu’il soit vray me paroit incroyable.

SOLIMAN.

Je vous le feray voir, n’en croyez que vos yeux,
Mais Perside s’advance.

SCENE TROISIESME §

SOLIMAN, HERMINIE, PERSIDE, ACHMAT.

SOLIMAN.

Ah traits imperieux!
465 Regards qui triomphez des plus superbes* ames
Que je cheris vos coups, mais que je crains vos flames* !
Qu'ay-je dit ? que ferai-je ? helas qu’ai-je promis ? {p. 27}
Peux-tu vaincre mon cœur de si doux ennemis !
Raison à mon secours, vertu preste tes armes,
470 Sans toi je ne sçaurois m’opposer à ses charmes,
Et contre mes desirs tous mes sens révoltés
Vont encor sans son aide adorer ses beautés.
Advancez belle ingratte*, he bien ce grand courage*
A qui rien ne resiste, à qui tout fait hommage,
475 Vous porte-t-il encor à vous priver du jour,
Plustost que de prester l’oreille à mon amour ?
Est-ce un point resolu ? quoy ! n’est-il pas possible
De vous rendre jamais à mes vœux plus sensible* ?
Considerez mon rang, regardez mes grandeurs*,
480 Escoutez mes soupirs, et voyez mes ardeurs,
Et par ce grand respect que Soliman vous porte
Jugez si vous devez le traitter de la forte,
Que ferez-vous enfin ? que doit-il esperer ?

PERSIDE.

Le plaisir de me voir constamment endurer
485 Et de respandre enfin et mon sang et ma vie
Plustost que de respondre à sa brutale envie.

SOLIMAN.

L'amour que j’ay pour vous adorable beauté
Merite à mon advis une autre qualité,
Car venant de vos yeux ma flame est aussi pure
490 Qu'estre noble element au lieu de sa nature {p. 28}
Et je vous puis jurer qu’en cette occasion,
L'honneur et la vertu reglent ma passion.
Quoy sur mes volontés vous rendre souveraine,
Eslever vostre sort au beau titre de reyne,
495 Soubzmettre à vos beautés mes empires et moy
Sont-ce les fondemens des mespris* que je voy,
Ah ! Perside agissez avec plus de justice,
Vostre cœur à vos vœux rend un mauvais office,
De vous faire aujourd’huy par un indigne choix,
500 Preferer le cercueil à la pourpre des Roys

PERSIDE.

De mesme la victime en pompe couronnée
Avec mille ornemens au supplice est menée,
On ne m’esblouït point par l’esclat des presens
Les fers pour estre d’or ne sont pas moins pesans,
505 Et mon ame Seigneur, que tu crois si hauteine
N a point d’ambition pour le titre de reyne,
Si le destin pour elle avoit moins de rigueur
Ses vœux se borneroient à posseder un cœur,
Mais ce cœur, ô fatale et funeste* memoire
510 Ce cœur si precieux a passé l’onde noire,
Et quittant loing d’icy sa Perside et le jour
Emporté quant et* luy mes vœux et mon amour.

HERMINIE.

Prodigieuse ardeur ? {p. 29}

ACHMAT.

Admirable constance,

SOLIMAN.

Qu'opposeray-je plus à cette resistance ?
515 Cédons cédons mon cœur, c’est assez combatu
Vostre amour s’est fait voir, montrons nostre vertu.
Perside, puis qu’enfin l’eclat de ma fortune
Au lieu de vous charmer vous la rend importune,
Et qu’un rang moins superbe* à pour vous plus d’appas*
520 Je veux à vostre sort en donner un plus bas,
Un des grands de ma Cour, mes plus cheres delices
Qui me rend tous les jours mille illustre services,
Jeune, adroit, libéral, et dont les qualités
Se pouroient asservir les plus rares beautés
525 Est le noble party que ma main vous destine
Je veux que vous l’aymyez.

PERSIDE.

Ah ! ce trait* m’assassine,
Je veux que vous l’aymiez, vouloir imperieux ?
Dispose-tu des cœurs ? dispose-tu des yeux ?
Je veux que vous l’aymiez ! d’où naistra cette flame ?
530 Eraste n’est pas mort, Il vit dedans mon ame {p. 30}
Il regne, il regne, encor dedans mon souvenir,
Et malgré ton pouvoir rien ne l’en peut bannir
Change doncq si tu veux ta fatale ordonnance*,
Demande un autre effect à mon obeissance,
535 Ne dis pas à ce cœur je veux que vous aymiez
Cruel dy-luy plustost, , je veux que vous mouriez,
En ce point Soliman je suivray ton envie,
Oui commande à tes yeux qu’on m’arrache la vie,
Je suis preste à mourir si tu me le permets,
540 Mais Eraste estant mort je n’aimerai jamais.

SOLIMAN.

Perside un grand merite* a beaucoup de puissance,

PERSIDE.

Quel qui soit, il sera moindre que ma constance,

SOLIMAN.

J'espere toutefois qu’il en sera vainqueur,

PERSIDE.

Plustost que cela soit j’arracheray mon cœur,

SOLIMAN.

545 Il se laissera mieux arracher par ses charmes

PERSIDE.

J'ay des moyens plus seurs que de si foibles armes, {p. 31}

SOLIMAN.

Voicy ce cher objet voyons vostre pouvoir,

PERSIDE.

Ah ! ne m’obligez pas seulement à le voir,

SOLIMAN.

Ah ! qui craint le combat redoute sa deffaite.

PERSIDE.

550 En semblables combats on vainc par la retraitte.

SCENE QUATRIESME §

SOLIMAN, PERSIDE, HERMINIE, ACHMAT, PYRRHUS, ERASTE,

SOLIMAN.

Eraste

PERSIDE.

Justes Dieux !

SOLIMAN.

Cet adorable objet {p. 32}
Que le sort de la guerre a rendu mon sujet,
Quoy ? tu trembles.

ERASTE.

Mes yeux, qu’avez-vous veu paroistre ?

SOLIMAN.

Connois-tu cet objet ?

ERASTE.

Je le dois bien connoistre.
555 Ah Perside ! ah Seigneur ! permets que devant toy
Je luy rende à genoux l’honneur que je luy doy,
Je sçay que ce respect n’est deu qu’à ta Hautesse
Mais pardonne à l’amour cette juste tendresse,
Perside.

PERSIDE.

Cher Eraste, ah ! que mon sort est doux
560 Qu'heureux sont les malheurs qui me rendent à vous ?
Ah ! vous me faites tort par cette defference*
Levez-vous, c’est assez, Soliman s’en offence.

HERMINIE. à Achmat.

{p. 33}
Certes ce rare amour ne se peut trop loüer.

PERSIDE. à Soliman.

Seigneur je suis vaincue il le faut advoüer,
565 Eraste à sur mon cœur une entiere puissance
Et sa fidelité force ma resistance,
Ta Hautesse tantost par un arrest charmant
M’a commandé d’aymer cet adorable Amant,
Je t’obeïs Seigneur, j’accepte mon servage
570 Et mes vœux t’en rendront un eternel hommage,
Si pour rendre mon heur* plus grand et plus parfaict
Tu confirmes icy le don que tu m’a faict.

SOLIMAN.

Eraste qu’en dis-tu ?

ERASTE.

Que mon ame est charmée
A l’aspect des beaux yeux dont elle est emflammée,
575 Que mes sens confondus en cette occasion
Prennent ce que je vois pour une illusion,
Et qu’en l’excés de joie ou ce bonheur me plonge
Mon esprit seulement pense faire un beau songe.

SOLIMAN.

{p. 34}
Je sçay bien que d’abord cet objet t’a surpris,
580 Mais rapelle tes sens, et reprens tes esprits.
Eraste ton cœur ayme, il adore Perside,

ERASTE.

S'il ne l’adoroit pas il seroit un perfide*
C'est le premier objet qui la fait souspirer,
Ce fut aussi sur luy qu’il apprit à tirer,
585 Et mes yeux arrosant ses belles mains de larmes,
Payerent les premiers le tribut de ses charmes.
Elle approuva mes feux et mon cœur enflammé
Ne l’ayma pas longtemps sans qu’il en fut aimé,
Si bien que mon bonheur estoit incomparable
590 Si comme il estoit grand il eust esté durable,

SOLIMAN.

Qui pût doncq traverser* un si parfaict amour ?

ERASTE.

Catalde un chevalier que je privay du jour,
Et de qui le destin touchant toute la ville,
Me fit auprés de toy rechercher un asile,

SOLIMAN.

595 Qui causa ce desordre ?

PERSIDE.

{p. 35}
Un celebre tournois
Où parut son adresse en mille beaux exploits.

ERASTE.

Ouy Perside et l’amour secondant mon courage*
J'obtiens sur mes rivaux, un heureux advantage
Là comme il importoit à ma discretion*
600 Je voulus triompher de mon ambition,
Et sortir inconnu du champ de ma victoire
Mais un si beau dessein fut trahy par ma gloire,
Car un des soustenants jaloux ou curieux
Descouvrit malgré moy mon front victorieux,
605 Et levant mon armet* fit tomber une chaisne
Que je portois au col en faveur de ma Reyne,
Ce cher et riche don d’une si belle main
S’esgare dans la presse*. et je le cherche envain,
Catalde la remontre*, il le prend, il le cache
610 Et par une action aussi vaine que lache*,
Il en faict un present à certaine beauté
Qui lors dans ses liens le tenoit arresté,
L'orgueilleuse s’en pare il est veû de Perside
Elle le reconnoit, et m’estime perfide*,
615 Croyant que cet objet avoit receu de moy
Cette fatale chaine et peut-estre ma foy*.
Alors ce faux soupçon allumant sa colere,
L'ingrate* me bannit, je meurs, je desespere, {p. 36}
Mais plus par mes regrets je tâche de l’adoucir
620 Et moins je voy d’espoir d’y pouvoir réûssir,
Tousjours à sa pitié sa cruauté s’oppose
Et je souffre un tourment dont j’ignore la cause,
Le Sort enfin lassé de me voir endurer
Apres mille langueurs* me permet d’esperer,
625 Au fort de mes malheurs il decille ma veuë
Il me fait descouvrir le serpent qui me tuë,
Et me montrant ma chaisne en une indigne main
Me porte quant et* quant à ce juste dessein ;
Connoissant la beauté qui possedoit ma perte
630 Sans luy parler jamais que je l’avois soufferte,
Je l’aborde, l’acoste, et lui faisant la cour
Je feins adroitement que je brusle d’amour,
Je cajolle, on me croit, elle m’est favorable
Et par un faux tourment j’en cause un veritable ;
635 Au gré de mes desirs la voyant à ce point
Pour la mieux engager je ne la quitte point,
Je faits le languissant*, et sur tout je la presse
Que par une faveur digne d’une maistresse,
Elle me fasse voir l’estime qu’elle fait
640 D'un amour qu’à ses yeux je feignois si parfait,
Sans peine à mes desirs sa volonté se range
Je luy faits un present, et par un doux eschange,
L'aveugle qui ne sçait ou tend un pareil tour
Me redonne ma chaisne et me rend mon amour,
645 Ravy* de ce butin je quitte cette belle {p. 37}
Mais comme en l’admirant je sortois de chez elle,
Catalde me remontre* et me voit en la main
Ce tresor qu’il voulut me disputer envain,
Car à sa lacheté* pensant joindre l’outrage
650 Je noyay dans son sang et sa honte*, et sa rage.
Après ce juste coup mon cœur devoit regner,
Mais au contraire helas ! Il fallut m’esloigner,
Et mesme en ce desordre où la fureur* preside
Je n’eus pas le bonheur de parler à Perside,
655 Qui receût de ma main au defaut de mes yeux
Et mes derniers devoirs et mes tristes adieux.

PERSIDE.

Ah ! cesse cher Eraste, au moins s’il t’est possible
Ne me reproche pas un depart si sensible*,
Car ce cœur qui jamais ne cessa de t’aimer
660 S'il le pût ressentir ne sçauroit l’exprimer,
Tu sçauras toutesfois que mon deuïl fut extréme,
Que tousjours du depuis odieuse à moy-mesme
J'ay conspiré cent fois à me priver du jour,
Pour faire par mon sang raison à ton amour.

ACHMAT.

665 J'en puis estre tesmoing.

ERASTE.

{p. 38}
O vertu sans pareille!
Vouloir pour moy mourir ? ô prodige !ô merveille !
Rare exemple d’amour, et de fidelité
Que ne vous dois-je point aprés cette bonté,
Seigneur, si mes exploits ont pour toy quelques charmes
670 Si tu dois quelque prix au succés de mes armes,
Si tu me crois encor digne de te servir
Contre les nations que tu veux asservir,
Par tout ce que j’ay fait, et ce que je puis faire
Accorde-moy, Seigneur, cet illustre salaire,
675 Accorde-moy Perside, ou si mon cœur a tort
De pretendre si haut, accorde-moy la mort.
A son occasion je la trouveray belle
Car si tu ne veux pas que je vive pour elle,
L'amour et le devoir m’imposent cette loy
680 Que je meure pour elle, ayant vescu pour moy.

PERSIDE.

Je mouray si tu meurs c’est à quoy je suis preste.

SOLIMAN.

Pourquoi differes-tu Soliman ? qui t’arreste ?
L'amour est il encor sur tes sens absolu ?
Non non il doit ceder c’est un point resolu*,
685 Triomphe ma raison triomphe, et fais connoistre
Qu'un dieu mesme aujourd’huy me reconnoit pour maistre. {p. 39}
Vivez heureux Amans, chassez vos desplaisirs
Soliman aujourd’huy s’accorde à vos desirs,
Perside est pour Eraste.

ERASTE.

O grace* inesperée.

PERSIDE.

690 Puisse estre ta Hautesse en tous lieux adorée,
Et porter ton renom et ta gloire si loin,
Qu'elle en rende dans peu tout le monde tesmoing,

FIN DU SECOND ACTE

ACTE TROISIESME §

SCENE PREMIERE §

HERMINIE ALCOMIRE.

HERMINIE.

Vous vous moquez de moy m’appellant inhumaine ?
Puis-je le soulager, si j’ignore sa peyne ?
695 Vous me dites qu’Achmat a pour moy de l’amour, {p. 40}
Où l’a-t-il fait paroistre, où m’a-t-il fait la cour ?
Certes s’il ayme ainsi sa flame est bien secrette.

ALCOMIRE.

Et vous pour l’advouer, vous estes trop discrette.

HERMINIE.

Advoürois-je une ardeur que je ne connois pas ?

ALCOMIRE.

700 C'est pourtant un effet qu’ont produit vos appas*,
Et que sa passion vous auroit faict connoistre,
S'il n’avoit du respect pour l’amour de son maistre.

HERMINIE.

Pour l’amour de son maistre ah ! quittez cette erreur
Vous offencez les vœux d’un si grand Empereur,
705 Il est trop genereux, trop puissant, et trop brave
Pour s’abaisser au point que d’aymer une Esclave.

ALCOMIRE.

Ne vous deffendez point par cette qualité,
Du pouvoir qu’à sur lui vostre rare beauté,
En cette occasion vous l’estes l’un de l’autre
710 Le sort vous a faict sienne, et l’amour le faict vostre,

HERMINIE.

{p. 41}
Cet illustre captif fait de trop beaux liens
Pour descendre jamais à la honte* des miens,
Je suis trop malheureuse et Perside est trop belle.

ALCOMIRE.

Il bruslera pour vous comme il a faict pour elle,
715 Et comme le destin vous traitte egalement,
Un jour il vous pourra ceder à vostre Amant.

HERMINIE.

A mon Amant ! à qui ?

ALCOMIRE.

Vostre cœur en souspire.
Et vos yeux malgré vous disent vostre martyre,
Ne dissimulez plus advoüez franchement
720 Que sa discretion* vous touche.

HERMINIE.

Nullement,

ALCOMIRE.

Lorsque d’un si beau trait nous nous sentons atteindre
Il est bien malaisé* de souffrir et de feindre.
La langue quelquefois peut bien dissimuler
Mais quand elle se taist les yeux sçavent parler {p. 42}
725 Et le cœur trop pressé des ardeurs de sa flamme*,
Montre par ses soupirs les blessures de l’ame.

HERMINIE.

Je souspire il est vray, Mais...

ALCOMIRE.

O dieux que je crains !
Elle ayme mon amant.

HERMINIE.

Que mes soupirs sont vains ;
J'ayme j’ayme, et l’objet où mon amour aspire
730 C'est Soliman.

ALCOMIRE.

He bien.

HERMINIE.

Tu soubzris Alcomire,
Mais sâche qu’un grand cœur pour estre malheureux
N’a point de sentimens qui ne soient genereux,
Et quand il tomberoit du trosne en l’esclavage
Il changeroit de sort, mais non pas de courage*,

ALCOMIRE.

735 Si mon œil Herminie a parû plus riant {p. 43}
Au nom d’un Empereur qu’adore l’orient,
Apprend que ma gayeté vient de toute autre cause
Que de la passion que ton cœur se propose,
Et que loin de blâmer un si noble dessein
740 Je tascherois moy-mesme à le mettre en ton sein,
Si les hautes vertus de ce Prince adorable
Ne m’avoit espargné cet effort agreable.
Suy, croy-moy, sui sans peur tes illustres projets
L'amour comme il luy plaist esgalle ses sujets,
745 Et le sang d’Amurat d’où tu tiens ta naissance
Semble favoriser cette haute esperance.
Soliman je l’advoüe est grand, est glorieux,
Mais enfin qu’est-il plus que furent tes ayeux ?
Il regne sur un trosne, il porte un diademe,
750 Jadis tes devanciers le porterent de mesme,
Et tant de qualités qui te font adorer
Te permettent encor d’y pouvoir aspirer.
Achmat je le confesse, est genereux, et brave
Mais c’est trop peu pour toy.

HERMINIE.

C'est trop pour un esclave,
755 Mais quelque passion qui te puisse enflammer
Mon esprit ne sçauroit se resoudre* à l’aymer.

ALCOMIRE.

{p. 44}
Aussi vaut-il mieux estre Sultane Reyne
Que femme d’un Bassa*.

HERMINIE.

Tu me veux rendre vaine,
Mais de peur que l’appas* de ce subtil poison
760 Ne seduise mon cœur et trouble ma raison,
Souffre que je l’évite et que je me retire,

ALCOMIRE.

Adieu belle Herminie,

HERMINIE.

Adieu chere Alcomire,

SCENE SECONDE §

ALCOMIRE ACHMAT.

ALCOMIRE.

Qu'elle m’oste du cœur un estrange soucy*
Je craignois son amour, mais Achmat vient icy,
765 Taschons adroittement de lire dans son ame
Si la belle Herminie est l’objet de sa flame, {p. 45}
Quoy resveur et pensif ?

ACHMAT.

adjoute encore Amant.

ALCOMIRE .

D'un objet sans pareil ?

ACHMAT.

Ah ! dieux qu’il est charmant
Mais que de peu d’espoir mon amour est suivie.
770 Et qu’inutilement mon ame en est ravie*.

ALCOMIRE.

Quelle est cette beauté si parfaitte à vos yeux ?

ACHMAT.

Un miracle, un prodige, un chef-d’oeuvre des cieux.

ALCOMIRE.

Son nom ? cache mon cœur la douleur qui te presse,

ACHMAT.

Alcomire as-tu veu cette jeune Princesse
775 Que le sort de la guerre a mise entre nos mains ?
Ce sont de ses beaux yeux les regards inhumains
Qui m’ont percé le cœur, et jetté dans mon ame {p. 46}
Malgré ma resistance une invincible flame,

ALCOMIRE.

A peine dans Bizance estes-vous de retour
780 Que desjà sa beauté vous donne tant d’amour ?

ACHMAT.

Ouy pour elle desjà ma flame est infinie.
Sans d’extrémes transports peut-on voir Herminie ?
Je l’ay veuë il suffit, ses attraits* m’ont charmé.

ALCOMIRE

Mais croyez-vous qu’un jour vous en soyez aymé ?

ACHMAT

785 Peut-estre que d’abord cette belle inhumaine
Mesprisera mes vœux se rira de ma peine,
Mais sçache qu’à la fin il n’est point de rigueur
Dont un parfait amour ne se rende vainqueur,
Il n’est point de vertu pareille à la constance,
790 Nous n’executons rien que par son assistance,
Et tous les hauts desseins que nous premeditons
Se perdent quand d’abord nous les precipitons,
Il n’est point de grand cœur que le temps ne flechisse
Il n’est point de mespris qu’un beau feu n’adoucisse,
795 Et celuy qui sans l’art de bien perseverer.
Obtiendra tost ou tard ce qu’il peut esperer, {p. 47}
Par la suitte du temps, l’or se fait de la terre,
L’air mange les metaux et l’eau creuse la pierre,
Les plus fermes remparts sont enfin renversés,
800 Et les plus orgueilleux se trouvent abaissés.
Quand on l’espere moins la beauté la plus fiere
Relasche quelquefois de son humeur altiere,
Et recevant les feux qu’elle-mesme a causés
Lance autant de souspirs qu’elle en a mesprisés.

ALCOMIRE.

805 Mais vous ne sçavez pas que cette imperieuse,
Cette beauté superbe* autant que glorieuse,
Brusle pour Soliman, et que ce haut projet
L'empeschera tousjours de cherir un sujet !
Vous sçavez qu’Amurat luy donna la naissance
810 Que son pere estant mort elle quitta Bizance,
Et que pour dissipper la peur qui la saisit
Rhodes fut le sejour qu’alors elle choisit,
Cette derniere guerre enfin vous l’a renduë,
Mais lorsqu’elle croyoit que le sort l’eust perdue,
815 C'est lorsqu’elle triomphe, et que ce noble cœur
Dans sa captivité regne sur son vainqueur.

ACHMAT.

Pour aymer Soliman, ce n’est pas consequence
Qu'un succés si charmant suive son esperance,
Il a voulu tantost la donner au Vizir. {p. 48}

ALCOMIRE.

820 Son inclination paroit en ce desir
Et vous devez par la reconnoistre qu’il l’ayme,
Puis qu’Eraste en un mot est un autre luy-mesme

ACHMAT.

Mais c’est par mon moyen qu’Eraste est bien heureux
Et par cette raison il la doit à mes vœux,
825 Perside est ma conqueste, Herminie est la sienne
Un juste eschange veut que ce prix m’appartienne,
Je le dois esperer.

ALCOMIRE. à Part

Tu t’en promets beaucoup
Mais j’auray peu d’adresse ou je rompray ce coup.
Allez allez Achmat, allez voir cette belle
830 Desjà malgré le corps vostre esprit est chez elle,
Suivez ce beau desir, mais ressouvenez-vous
Que vous pouvez choisir des liens bien plus doux.

ACHMAT.

Ainsi le veut amour, et telle est ma fortune*
Je cours apres mon mal, mais je vous importune.

SCENE TROISIESME §

{p. 49}

ALCOMIRE, seule

835 Il s’en va dans l’espoir d’estre bientost heureux
Où de se voir aymé comme il est amoureux,
Et moy je reste icy pour essuyer ma honte*
Et rompre si je puis le beau trait qui me dompte,
Mais que dis-je bon Dieux, et que puisse esperer
840 Si mon cœur souffre un mal qu’il n’oze declarer,
Et si je suis reduitte à ce malheur extréme
De voir qu’un autre objet m’a ravy ce que j’aime,
Rigoureux frein d’amour ! tyrannique respect
Qui nous faits craindre tout, qui nous rends tout suspect,
845 Facheuse loy du sexe et de la bienseance
Pour vous avoir suivis je pert mon esperance,
Mais voicy l’empereur. Amour esteins mes feux
Ou fay qu’Achmat enfin les rende plus heureux.

SCENE QUATRIESME §

{p. 50}
PERSIDE, SOLIMAN, HERMINIE, ACHMAT,

PERSIDE.

Je n’ay plus de regret Seigneur que ta Hautesse
850 Ayt rendu mon païs tributaire à la Grece ;
Puis qu’un jour ce destin par tes exploits divers
Luy doit estre commun avec tout l’Univers,
Et si le monde entier doit estre ton partage
Rhodes en son malheur au moins a l’advantage.
855 Que toy-mesme en personne es venu demander
Un bien qu’a tes vertus on devoit accorder.
Mais comme elle en avoit trop peu de connoissance
Qu'elle ne t’a donné qu’apres sa resistance.
S'il t’avoit cousté moins tu l’aurois mesprisé
860 Le triomphe est honteux d’un combat trop aisé,
Ta peyne et tes travaux ont relevé ta gloire
Et te forcent sans doute à cherir ta victoire,

SOLIMAN.

Je l’estime si fort et suis si glorieux.
D'avoir faict ce qu’en vain ont tenté mes ayeux,
865 Que je prefererois au reste de la terre,
Les illustres lauriers cueillis en cette guerre {p. 51}
Mais ce qui me les rends et plus chers et plus doux
C'est Perside, qu’ils sont accompagnés de vous,
Apres vostre conqueste il n’est rien d’agreable,
870 Il n’est rien de charmant, rien de considerable,
Et qui-conque aujourd’huy possede un si beau prix
Peut voir tout l’Univers avecque du mespris.

PERSIDE.

Espargne-moy Seigneur, ta bonté trop extréme
Fais qu’icy devant toy je me cherche en moy-mesme,
875 Ta faveur me confond, et je ne sçai pourquoy
Tu me rends aujourd’huy l’honneur que je reçoy,
Tu sçais que la raison veut que je le rejette ;
Puisque mon sort m’apprend que je suis ta sujette
Et que toute ma gloire et ma felicité
880 Dependent desormais de cette qualité,

SOLIMAN.

Ah ! Perside arrestez, vous commettez un crime
Quand vostre modestie abaisse vostre estime,
Ce respect vous trahit, et je ne sçay pourquoy
Il veut desadvoüer* les attraits* que je voy,
885 C'est luy que la raison ordonne qu’on rejette
Le sort vous a fait Reyne et non pas ma sujette,
Et desormais ma gloire et ma felicité
Dependent tout à faict de cette qualité,

HERMINIE. à Part

{p. 52}
Il l’ayme il l’ayme encor.

PERSIDE.

Ah ! Seigneur ta Hautesse,
890 Veut esprouver icy jusqu’où va ma foiblesse,
Mais je puis asseurer que mon ambition
Se limite au bonheur de mon affection,
Et que si je pretens au rang de souverayne,
Ce n’est que sur un cœur.

SOLIMAN.

He bien belle inhumaine
895 Ce cœur est sous vos loix, il n’obeït qu’à vous.

PERSIDE.

C'est de toy que je tiens un Empire si doux
Et je t’en dois Seigneur, un eternel hommage.

SOLIMAN.

Que ce discours me plaist !

HERMINIE. à Part.

Mais helas ! qu’il m’outrage.

SOLIMAN. à Achmat.

{p. 53}
He bien mon cher Achmat, est-il sous le Soleil,
900 Un Prince plus heureux ?

ACHMAT.

Ton heur* est sans pareil,
Et tes prosperités esgallent ta puissance :
Mais Seigneur, ton Achmat attend sa recompence,
Tu sçays ce qu’il a faict, et tu luy dois donner.

HERMINIE. à part.

Que pretend-il ô Dieux ? que va-t-il ordonner ?

SOLIMAN.

905 Ouy je vous dois un prix, mais en cette occurance*
Que demandez-vous ? quelle est vostre esperance ?

ACHMAT.

Seigneur ton Herminie est l’objet de mes vœux ?

HERMINIE. bas

Et tu l’es de ma haine

SOLIMAN.

Achmat ouy je le veux,
J'accorde à vos desirs cette belle Herminie.

HERMINIE

{p. 54}
910 Vaines pretentions où me reduisez-vous ?

ACHMAT,à Soliman.

Que je te dois d’encens pour un arrest si doux.

HERMINIE

Ah Seigneur qu’as-tu dit ? quelle est ton ordonnance* :
Ne te souvient-il plus du rang de ma naissance,
Quel insigne malheur te porte à me haïr,
915 Jusqu’au point...

SOLIMAN

C'est assez, il me faut obeïr.

HERMINIE

Triste commandement ! rigoureuse contrainte !
Mourons, mourons plustost.

SOLIMAN

Estouffez cette plainte.
Achmat allez la rendre à son appartement
Et là vous acquitez des devoirs d’un Amant.
Ils sortent.

SCENE CINQUIESME §

{p. 55}
SOLIMAN, PERSIDE.

[SOLIMAN]

920 Enfin, belle Perside, il faut que je confesse
Devant vos yeux divins mon extreme foiblesse,
Amour encore un coup me reduit aux abois,
Et malgré ma raison me remet sous vos loix :
J'ay pensé vainement eschapper de mes chaisnes,
925 Je rentre en mes liens, je retourne à mes peines,
Et mon cœur aujourd’huy trouve son joug si beau
Qu'il ne veut desormais le quitter qu’au tombeau,
Recevez vostre esclave, objet trop adorable
Approuvez son retour, soyez-luy favorable,
930 Par son naufrage mesme, il vous a mise au port
Pour l’y mettre à present faites un mesme effort,
Vous sçavez que pour vous, il s’est vaincu soy-mesme
Qu'il a trahy ses feux, sa puissance suprême,
Son repos, son bonheur, sa gloire, et ses plaisirs
935 Pour se sacrifier au gré de vos desirs,
Maintenant qu’il vous a de tout point satisfaicte
Vous devez consentir au bonheur qu’il souhaitte,
Et par un traittement aussi juste que doux
Faire aujourd’huy pour luy ce qu’il a fait pour vous.

PERSIDE.

{p. 56}
940 Quel charme, justes dieux ! rend ma veuë esblouïe,
Confond mon jugement, et trompe mon ouïe.
Ce n’est point Soliman qui me paroit icy,
Il a trop de vertu pour en parler ainsi,
Il sçait trop que Perfide est constante et fidelle
945 Pour luy persuader une amour criminelle,
Il sçait trop, il sçait trop qu’elle cherit l’honneur.
Change donc ce discours insolent* suborneur*
Et par une action et si lache* et si noire
Cesse de m’offencer et de ternir ta gloire

SOLIMAN.

950 Trop charmante beauté sortez de cette erreur,
Et voyez à vos pieds mourir un Empereur,
Helas c’est Soliman : mais Soliman en flame
Soliman aux abois, et qui va rendre l’ame
Si vos yeux moins cruels n’empeschent son trepas.

PERSIDE.

955 Tu me parles en vain, va je ne te croy pas,
Soliman est discret, Soliman est plus sage.

SOLIMAN

C'est luy-mesme pourtant qui vous rend cet hommage.

PERSIDE.

{p. 57}
Ah ! si c’est toy Seigneur pourquoy te demens*-tu ?
Quel monstre ? quel demon a destruit ta vertu ?
960 Cette force d’esprit si rare et si connuë
T'a-t-elle abandonné ? qu’est-elle devenuë,
Ah ! si c’est moy Seigneur, qui te cause ce tort,
Si ce sont mes attraits* qui te troublent si fort,
Banny de tes estats cette beauté funeste*,
965 Fuy ses yeux criminels à l’egal de la peste,
Evite son abord, et pour la mieux punir
Detruis-en si tu peux jusques au souvenir
J'ayme mieux que ma mort previenne ton envie
Que de me voir fatale au lustre de ta vie.
970 Si c’est là ton dessein je le tiens à bonheur,
Dispose de mon sang, mais laisse-moy l’honneur.

SOLIMAN.

Vostre honneur desormais est franc de toute atteinte,
Vous pouvez m’obliger et sans honte* et sans crainte
Vous estes au serrail et seule et sans tesmoing.

PERSIDE

975 Pour faillir en secret on empesche pas moins.
Mais c’est trop escouter un discours qui m’outrage
Sortons.

SOLIMAN.

Adieu cruelle*.

SCENE SIXIESME §

{p. 58}

SOLIMAN Seul.

O Desespoir ! o rage ?
He ! bien, que feras-tu Soliman ? Ce mespris
N'est-il pas suffisant à guerir tes esprits ?
980 Ah bien loin de destruire il augmente ma flame
Elle regne en mon cœur, elle embraze mon ame
Et toutes ses rigueurs profitent aussi peu,
Que font des goutes d’eau pour esteindre un grand feu,
Quand je crois l’estouffer c’est lors qu’il se rallume
985 Quand je pense estre sain, c’est lors qu’il me consume,
Et comme dans les airs le tonnerre se fait
Par le rude combat et du chaud et du froid.
Ainsi quand sa froideur vient à choquer ma flame*
Il se fait seulement un foudre pour mon ame,
990 Dont l’invincible trait rend mon cœur abatu
Et sans m’oster le jour luy ravis sa vertu.
Songe doncq Soliman à ce que tu veux faire
Sois plus respectueux, ou sois plus temeraire*,
Cesse enfin de languir, et par un prompt effort
995 Choisis sans differer ou l’amour ou la mort.

FIN DU TROISIESME ACTE

{p. 59}

ACTE QUATRIESME §

SCENE PREMIERE §

ACHMAT, HERMINIE.

ACHMAT, sortant de l’appartement d’Herminie.

Non, non n’esperez pas me traittant de la sorte
Que sur ma passion vostre rigueur* l’emporte,
Je connois la raison qui cause vos mespris*,
Je sçay de quelle ardeur vostre cœur est espris,
1000 Et je n’ignore pas qu’une haute esperance
Ne soit le fondement du refus qui m’offence,
Mais apprenez aussi que je sçai le moyen
D'estouffer vostre espoir, et d’asseurer le mien.
Ouy, ouy beauté superbe, il faut que tout perisse
1005 Où qu’au gré de mes vœux mon dessein reüsisse,
Vous n’estes plus à vous, et vous estes à moy,
Soliman qui peut tout.

HERMINIE.

Ne peut rien sur ma foy*.

ACHMAT.

{p. 60}
Vous estes son esclave.

HERMINIE.

Ouy mais non pas la tienne.

ACHMAT.

Vous devez obeïr puisque vous estes sienne,

HERMINIE

1010 De deux maistres puissans qui regissent mon sort
Je resiste au plus foible, et je cede au plus fort.

ACHMAT

Où reigne Soliman il n’est point d’autre maistre.

HERMINIE.

Où reigne Soliman n’espere pas de l’estre.

ACHMAT.

Je vous entends Madame, et je sçay vos desseins
1015 Mais il ayme Perside.

HERMINIE

Et ses feux seront vains.
Puis qu’au gré de ses vœux Eraste la possede
Cet obstacle est puissant, {p. 61}

ACHMAT

J'en sçay bien le remede.

HERMINIE

Va, va mettre en effect tes projets inhumains,
Moy je sçauray bientost me tirer de tes mains.

SCENE SECONDE §

ACHMAT

1020 Ouy, ouy malgré ce cœur si contraire à ma flame*
Je vais executer le complot que je trâme,
Et te réduire au point de ne plus esperer
Le grade imperieux ou tu veux aspirer.
Ouy cruelle je sçay qu’Eraste est un obstacle
1025 Qui faict que ce charmant et visible miracle
Pour qui les plus grands cœurs ont tant de passion
Est pour un Empereur sans inclination ;
Mais pour son interest il faut qu’il s’en delivre
Nostre commun repos veut qu’il cesse de vivre,
1030 Et que par ce grand coup nous renversions tous deux
Le seul empeschement* qui s’oppose à nos vœux.
Eraste je sçay bien qu’envers toy je suis traistre {p. 62}
Mais toy-mesme tu l’es au repos de ton maistre,
Car ta fidelité, fatale à ses plaisirs
1035 Par son propre merite* a trahi ses desirs.
Je t’aymois autrefois et maintenant je m’ayme,
Je n’ay plus soin de toy pour songer à moy-mesme
Tu me nuis, je t’hais et mon cœur en ce jour
A conclu ton trepas pour plaire à mon amour,
1040 Je ne puis escouter les loix de la nature
Je songe à me guerir par ta propre blessure,
J'ay dessein de te perdre afin de me sauver
Et de causer ta cheute afin de m’elever,
Enfin pardonne-moy si je te suis barbare
1045 L'amitié nous joignit et l’amour nous separe,
J'advance ton malheur pour advancer mon bien
Et pour cet interest je n’escoute plus rien.
Allons c’est trop parler la chose est resoluë
La foudre est toute preste et sa mort est concluë,
1050 Amour cruel auteur de ce hardy dessein
Favorise un forfaict* que tu m’as mis au sein*.

SCENE TROISIESME §

{p. 63}

PERSIDE.

Tyran des cœurs boureau des ames,
Maistre des humains et des dieux,
Redoutable vainqueur des plus ambitieux
1055 Dieu de fers de souspirs, de tourments, et de flames,
Amour que les coups de tes traits
Ont d’abord de puissants attraits* !
Qu'ils font une agreable et charmante blessure
Mais apres de si doux moments,
1060 Helas ! que ta douceur change bien de nature,
Et quelle est fatale aux Amans !
Puisque je vis sous ton Empire
Et qu’Eraste a ma liberté,
Pourquoy par ton caprice, ou par ta cruauté.
1065 Fay-tu que Soliman pour moy-mesme soupire.
Je ne puis partager mes vœux
Mon amour ne peut-estre à deux,
Eraste est mon espoux, Soliman est mon prince ;
Mais le premier est mon vainqueur
1070 Et si le sort à l’un a donné ma Province,
Amour donne à l’autre mon cœur.
Une chose leur est commune {p. 64}
Parmy leurs inegalités,
Deux aveugles des deux sont les divinités
1075 L'un doit tout à l’amour et l’autre à la fortune*,
L'un est content de mes ardeurs*,
L'autre est au faiste des grandeurs*
Et son ambition ne peut estre assouvie,
Eraste asservy sous mes loix
1080 Se plaist en ses liens et son cœur sans envie,
Les prefere aux sceptres des Roys.
Prince dont l’injuste puissance,
Suppose à nos feux innocens,
Si je suis insensible aux flames* que tu sens .
1085 Ne prends point ma rigueur pour desobeïssance.
Un Dieu dont tu sens le pouvoir
M'ordonne ce juste devoir,
Je ne puis resister à celui qui te dompte,
S'il rend Eraste triomphant,
1090 Afin de mieux couvrir mes refus et ta honte*.
Dy que c’est le choix d’un enfant.
Beau sujet de mes soins, cher objet de ma flamme
Ouy, ouy tu seras seul à posseder mon ame,
Et de quelque façon qu’on attaque mon cœur
1095 Il ne reconnoistra jamais d’autre vainqueur :
Mais ô Dieux je le vois, et son visage blesme,
Témoigne à cet abord une douleur extreme.
Il frémit, il paslit, et par ses changemens {p. 65}
Montre qu’il sent au cœur d’estranges mouvemens*.

SCENE QUATRIESME §

PERSIDE, ERASTE.

PERSIDE

1100 Qu'avez-vous Eraste ? et quel mauvais presage
Tiray-je de vos yeux et de vostre visage.

ERASTE

Vous me demandez helas ! ce que vous jugez bien.

PERSIDE

Parlez plus clairement où je ne comprens rien.

ERASTE

He bien je vay parler, voyez mes yeux Madame
1105 Par eux vous apprendrez le tourment de mon ame,
Par eux vous apprendrez que je viens en ce lieu
Pour vous dire peut-estre un eternel adieu.

PERSIDE

Un eternel adieu cher Eraste ! ah je tremble. {p. 66}
Un eternel adieu ? non non mourons ensemble
1110 Ou si tu veux enfin que j’escoute le tien,
Eraste en mesme temps reçoit aussi le mien,
Mon ame avec la tienne est si bien attachée
Qu'on ne la verra point par la mort arrachée,
Et tu dois recevoir des preuves de ma foy*
1115 Me voyant tousjours vivre et mourir avec toy.
A tout evenement mon cœur se peut resoudre*
Si sur l’un de nous deux le sort lance la foudre,
Le coup qu’il recevra mettra l’autre au tombeau,
Et rien n’est assez fort pour rompre un noeud si beau.
1120 Croy-tu que ta Perside.

ERASTE

Ah ! cesse ma chere ame
Je douterois à tort des ardeurs de ta flame*,
La crainte et les soupçons dont je suis combatu
Attaquent mon repos et non pas ta vertu.
Par mille beaux effets* elle m’est si connuë
1125 Et paroit à mes yeux si charmante et si nuë
Que si dans mes malheurs je doutois de ta foy
Je me rendrois indigne et du jour et de toy,
Mais je crains un amour armé d’une puissance
Contre qui ta vertu n’aura point de deffence,
1130 Qui foule aux pieds l’honneur, les loix et le devoir
Et dans sa volonté limite son pouvoir,
Ouy je crains Soliman, ouy je crains un barbare
Dont le lâche dessein aujourd’huy nous separe, {p. 67}
Je redoute un voleur qui m’enleve mon bien,
1135 J'apprehende celui qui n’apprehende rien
Et qui pour te ravir avec plus de licence,
Par des moyens adroits me ravit ta presence
Pour rendre auprés de toi ses efforts plus puissants.
Il feint de redouter les armes des Persans,
1140 Mais c’est moy qu’il redoute, et non pas leur victoire
Sous pretexte pourtant de procurer ma gloire,
Ce mortel ennemi m’esloigne seulement,
Comme un facheux obstacle à son contentement*,
Et me fait General d’une puissante armée
1145 Pour m’oster un tresor dont son ame est charmée,
Je sçay qu’il t’aime helas ! et qu’il me veut trahir,
Je sçay que je te pers, mais il faut obeïr.
Estrange et dure loy de mon sort deplorable
Qu'autant aimé qu’Amant je sois si miserable ?
1150 Amour ? cruel amour que t’a fait ma vertu ?
Tyran de mon repos à quoi me reduis-tu ?
Quel caprice est le tien ? quelle est ma destinée ?
Tu veux m’oster Perside ? et tu me l’as donnée.
Ah ! Ravis-moy plustost le bien de la clarté
1155 Que la possession de sa rare beauté.

PERSIDE

Non, non mon cher espoux estouffe cette crainte
Dont trop indignement ta belle ame est atteinte,
Ta Perside est à toy, rien ne peut te l’oster {p. 68}
Non pas mesme la mort mais tu vas me quitter,
1160 Tu le dis, je t’entends, ton ame se desole
Et ma mort ne suit pas cette triste parole ?
Quoy tu parts ? tu t’en vas, tu me fais tes adieux ?
Et sa cruelle main ne ferme pas mes yeux ?
Tu t’en vas cher Eraste, et lache je respire,
1165 Quand ton esloignement ordonne que j’expire,
Ah ! qu’à bon droit, Eraste, et qu’avec raison
Tu soupçonnes mon cœur de quelque trahison
Si lorsque tu me dis qu’il faut que tu me laisses
Par mes pleurs seulement je fais voir mes foiblesses,
1170 Ah ! trop laches* effets de mon ressentiment
Que vous exprimez mal l’excés de mon tourment,
Larmes ne coulez plus, ou montrez mieux mes peines
Arrestez-vous mes yeux, mais ouvrez-vous mes veynes
Il n’appartient qu’a vous à pleurer mes malheurs
1175 Et mon sang peut tout seul faire voir mes douleurs.

ERASTE

Espargne ce beau sang seche ces belles larmes
Enfin le temps me presse, il faut prendre les armes,
Ouy, Perside, je pars et je te dis adieu,
Mais vis pour ton Eraste et demeure en ce lieu,
1180 Peut-estre que le fort qui nous est si contraire
Malgré ma deffiance* aura moins de colere,
Je crains tout d’un tyran de vices revestu
Mais craignant son amour, j’espere en ta vertu, {p. 69}
Parmi mes deplaisirs cet espoir me console,
1185 Ouy ta foy* me rasseure, et ma crainte s’envole,
Je sçay que ton esprit en fut tousjours vainqueur
Adieu dans ce baiser je te laisse mon cœur.
Soit enfin que je parte ou soit que je demeure
Soit que je vive en guerre ou bien soit que j’y meure,
1190 Soit que le Ciel m’assiste ou qu’il soit contre moy
Rien ne peut empescher que je ne sois à toy ;
Je l’ay cent fois juré, je te le jure encore
Soit absent ou present il faut que je t’adore,
Et qu’enfin ton beau nom repeté mille fois
1195 Soit les derniers propos que prononce ma voix.
Adieu chere Perside, et perdant ma presence,
Pour me mieux consoler fay-moi voir ta constance

PERSIDE

Adieu donc cher Eraste.

ERASTE

Adieu Madame.

PERSIDE

helas !
Te reverray-je encor ?

ERASTE

{p. 70}
Non ne l’esperes pas ?
1200 Adieu.

SCENE CINQUIESME §

PERSIDE seule

Capricieuse et bizare fortune
Apres un doux effet que tu m’es importurne,
Que d’un trouble soudain mon repos est suivy,
A peine ay-je un bonheur que je le voy ravy,
Je sens en mesme temps ces faveurs, et ta rage
1205 Tu me jettes au port, et tu me faits un naufrage,
Tu fais lors que je meurs semblant de me guerir
Et puis lors que je vis tes traits* me font mourir,
Inconstante Déesse à mes yeux infidelle
Sois-moy plus favorable, ou soy-moy plus cruelle,
1210 Ne me faits plus languir, determine mon sort
Et delibere enfin ou ma vie ou ma mort.

SCENE SIXIESME §

SOLIMAN, ACHMAT, PYRRHUS, HALY.
Quelques Janissaires

ACHMAT

Tu hazardes beaucoup Seigneur, et cette adresse
Dont tu crois te servir, est nuisible à la Grece,
Tu connois bien Eraste, et tu n’ignore pas {p. 71}
1215 Qu'il a bien du credit* sur les cœurs des Soldats,
Par cet esloignement tu te promets peut-estre
De posseder Perside et de t’en rendre maistre,
Mais tant que son esprit nourira l’espoir
Ne pretends pas jamais que tu puisses l’avoir,
1220 Un feu comme le sien à trop de violence
Pour ceder aux ennuis* d’une legere absence,
Eraste est trop avant dedans son souvenir,
La distance des lieux ne l’en sçauroit bannir
Et tant que ce rival joüira de la vie,
1225 Tousjours un vain espoir trompera ton envie,
Car si tu presses trop cet objet orgueilleux,
Tu fais contre toy-mesme un dessein perilleux,
Soudain elle mettra son Eraste en alarmes,
Qui te venant combattre avec tes propres armes,
1230 Te ravira peut-estre avec cette beauté,
Et l’Empire et le Trosne où je te voy monté,

SOLIMAN

J'approuve vos raisons, et vostre prevoyance,
Dans vos sages advis je voids mon imprudence,
Je reconnois ma faute, et je veux aujourd’huy
1235 Malgré ses faits passés me deffier de luy.
Mais pour executer un conseil salutaire
Achmat la diligence* est tousjours necessaire,
Faictes venir Eraste allez,

ACHMAT

{p. 72}
Prends ce soucy*
Pyrrhus, va, ma presence est necessaire icy,

PYRRUS

1240 J'y vay,

ACHMAT

Qu'il vienne tost, vole.

SCENE SEPTIESME §

SOLIMAN, ACHMAT, HALY,

SOLIMAN.

Eraste, Perside,
Qu'à vostre occasion je suis lâche et timide
Que dedans mes desirs je suis peu resolu,

HALY.

Tu te devrois Seigneur rendre plus absolu
Cet excés de bonté qui nuict à ta Hautesse
1245 Produict des insolens* alors quelle s’abaisse,
Voy comme aupres de toy Perside est sans respect,
Et qu’Eraste.

SOLIMAN.

Achevez....

HALY.

{p. 73}
Te doit estre suspect.

SOLIMAN.

Ah ! ne l’offensez pas je connois trop son zele,

HALY.

Et tu sçauras trop tard qu’il ne t’est pas fidele.

SOLIMAN.

1250 Ces drapeaux que je vois parlent icy pour luy.

HALY.

Et ces autres Seigneur la causent aujourd’huy.

SOLIMAN.

Ceux-la sont seulement les temoings de ma gloire.

HALY.

Ils le sont des regrets qu’il a de ta victoire,

SOLIMAN.

Il est vray que d’abord cet objet l’a surpris,

ACHMAT.

1255 Et tousjours ces objets irritent ces esprits,
Perside d’autre part excitant sa furie* {p. 74}
Le porte incessamment à vanger sa Patrie :
Il couve ce dessein, et propice à ses vœux
Desjà l’occasion luy montroit ses cheveux,
1260 Si ta Hautesse icy par nos soings advertie
Revocquant son pouvoir n’en rompoit la partie,

SOLIMAN.

Le perfide* l’ingrat* ! Il faut le prevenir.

ACHMAT.

Ce n’est pas assez.

SOLIMAN.

Quoy doncq ?

ACHMAT.

Crains l’advenir
L’affront qu’il recevra va piquer son courage*
1265 Et bien qu’un feint respect te deguise sa rage,
Il pourra tost ou tard par de lasches complots
Vanger ses passions et troubler ton repos,

SOLIMAN.

En cette occasion qu’est-il besoing de faire ?
Que me conseillez-vous ?

HALY.

{p. 75}
De perdre un temeraire*,
1270 Qui conspire dans l’ame à te priver du jour
Qui s’oppose à ta gloire et nuit à ton amour.

SOLIMAN.

He bien, puisque l’estat aujourd’huy m’y convie
Puisque sa mort importe au repos de ma vie,
Perdons-le, c’en est fait, mon esprit s’y resoud*.

HALY

1275 Pour toy les yeux fermés, j’oze et j’entreprens tout.

SOLIMAN

Si j’ay receu par vous cet advis salutaire
Vous recevrez de moy son prix et son salaire,
Mais laissez cet ingrat*, et qu’il vive en repos
Je l’empecheray bien, ah ! qu’il vient à propos,
1280 Je vay par un reproche et juste et legitime*
Imprimer dans son cœur le remords de son crime,

SCENE HUICTIESME §

{p. 76}
SOLIMAN, ERASTE, ACHMAT, HALY, PYRRHUS, et Janissaires.

SOLIMAN.

Ton cœur est grand, Eraste, il le faut advoüer,
Ta generosité* ne se peut trop loüer,
Et Rhodes que le sort et mon bras m’ont donnée
1285 Apres ses hauts exploits est bien infortunée,
D'estre aujourd’huy contrainte de relever de moy
Ayant pour citoyens des hommes comme toy,
Certes dans son malheur elle est beaucoup à plaindre
Mais ce ressentiment pourra bientost s’esteindre,
1290 Puis qu’enfin ta valeur sensible* à ses regrets
Va contre Soliman prendre ses interests,
Et par une importante et celebre victoire
La remettre en ses droits et restablir sa gloire,
Certes de ce projet le pretexte est fort beau
1295 Mais son funeste* effect* me semble un peu nouveau,
Eraste, il est certain que j’ay vaincu ta Patrie
Ce fâcheux souvenir excite ta furie*,
Mais en te souvenant de ses heureux malheurs
Tu devois quant et* quant songer à mes faveurs,
1300 Et par un prompt remords renoncer à l’envie,
De m’oster ma conqueste et peut-estre la vie. {p. 77}
Ce discours te surprend avec quelque raison
Tu me croyois si bien cacher ta trahison,
Que la trame en estant adroitement couverte
1305 Je ne la devois voir qu’en apprenant ma perte,
Mais le démon qui veille au salut des estats
M’a decouvert ton piège, et les noirs attentats,
Eventé ton dessein, et dissipé les charmes
Qui faisoient contre moy tourner mes propres armes,
1310 Ayant preveu le mal je sçaurai l’eviter.

ERASTE.

Et si tu veux mon sang je te puis contenter,
Ouy, ouy que ta Hautesse acheve son envie
Eraste t’est suspect il doit perdre la vie.
Mais en l’abandonnant à de sanglants effets*
1315 Ne lui reproche pas de si lâches forfaits*.
Si tu faits le dessein de perdre un miserable
Au moins accuse-le d’un crime veritable,
Et pour le condanner avec plus d’équité
Fay paroistre sa faute en sa temerité*.
1320 Alors ta cruauté* se rendra legitime*
En l’accusant d’aimer tu nommeras son crime,
Et tu le blameras avec juste raison
Si cherir son espouse est une trahison.
Peut-estre j’ay failly d’aymer une Déesse
1325 Dont les chastes attraits* plaisoient à ta Hautesse,
Mais qui s’empescheroit* du crime que j’ay faict {p. 78}
Si mon juge luy-mesme à causé son effect*,
Bien, sois en Soliman le posseseur paisible
Ton rang et mes malheurs te rendent tout loysible,
1330 Ravis-moy, ravis-moy cette illustre beauté
Qu'au prix de tant de sang j’ay si bien achepté,
Mais donne-moy la mort et dans mon infortune
Previens par ce beau coup nostre honte* commune,
C'est l’unique moyen d’asseurer ton amour,
1335 Ne differe donc pas à me priver du jour,
Aussi bien ce serrail le theatre tragique
Des noires actions d’une ardeur* impudique,
Est tout accoustumé de souffrir sans horreur
Ces prodiges nouveaux de rage et de fureur*,
1340 Déjà l’assassinat y passe en habitude
Et dans cette honteuse et ville servitude.
Parmy tes courtizans, et tes lâches flateurs
Et le meurtre et l’inceste ont des approbateurs.

SOLIMAN

Cet insolent* propos montre à qui je me fie
1345 Mais ce n’est pas ainsi que l’on se justifie,
Ce procédé ne sert qu’à vous rendre suspect
Et vous devriez au moins avoir plus de respect.

ERASTE

Seigneur mes actions sont toutes innocentes
Et j’en pourois donner des preuves evidentes {p. 79}
1350 Mais ce seroit envain, tu connoistras un jour,
Quel estoit ton Eraste, et quel est ton amour.

SOLIMAN.

Et vous dans le Chasteau du bord de la mer noire
Vous apprendrez bientost à respecter ma gloire,
Emmenez-le Pyrrhus.

ERASTE.

Je n’y recule pas
1355 Et mesme si tu veux nous irons au trépas.

SCENE NEUFIESME §

SOLIMAN, ACHMAT, HALY.

SOLIMAN.

Non je n’en doute plus il est, il est perfide*,
Il sçait la passion que j’ai pour sa Perside,
L'ingrat* en est jaloux, mes feux m’ont haïr
Et son ressentiment le porte à me trahir,
1360 Qu'il meure, va Haly, meine mes Janissaires
Et puis donne aux müets les ordres necessaires.
Va...non reviens, attends, advis, haine, couroux,
Perside, Eraste, amour, où me reduissez-vous.
Où me reduisez-vous imperieuse flame ? {p. 80}
1365 Si mon Eraste meurt que deviendra mon ame ?
Les coups qui l’atteindront ne m’atteignent-ils pas ?
Sa mort n’est-elle pas l’arrest de mon trepas
Et quoy que je propose en ce couroux extréme
Le puis-je perdre enfin sans me perdre moy-mesme ?
1370 Non, non quoy qu’il en soit ses malheurs sont les miens
Les plus beaux de mes jours sont attachez aux siens,
Je souhaitte ma mort en desirant la sienne,
Son trespas est le mien et sa vie est la mienne ?
Qu'il vive doncq qu’il vive.

ACHMAT.

Ah ! Seigneur.

SOLIMAN.

Laissez-moy,
1375 Eraste est innocent, ces drapeaux que je voy ;
Me parlent hautement en faveur de son zele.

HALY.

Mais Perside Seigneur....

SOLIMAN.

Non il est infidele.
Pers donc sans differer celuy qui nous ayma
Celuy qui nous servist, celui qui nous charma,
1380 Va Haly, s’en est fait, mon amour veut qu’il meure {p. 81}
Il sort.

HALY.

Se peut-il presenter d’occasion meilleure

ACHMAT

Non Haly, haste-toy rien ne le peut sauver.

HALY.

Suivez tout de ce pas je m’en vais le trouver,

FIN DU QUATRIESME ACTE

ACTE CINQUIESME §

SCENE PREMIERE §

PYRRHUS ALCOMIRE

ALCOMIRE.

Pyrrhus, si vous voulez m’acquerir et me plaire
1385 Il faut perdre un ingrat, et servir ma colere,
Il faut punir Achmat dont l’esprit orgueilleux
Apres m’avoir vaincuë a rejetté mes vœux
Montrez donc par ce coup qu’il vous faut entreprendre {p. 82}
Que m’ayant sçeu gaigner vous me sçavez deffendre,
1390 Et pour vous y porter avec plus de couroux
Songez que je vous ayme et que je suis à vous.

PYRRHUS.

Madame, ce discours est-il bien veritable ?
Puis-je attendre de vous cet honneur incroyable ?
Et me comblerez-vous par de si grands bienfaits
1395 Si mon bras aujourd’huy s’accorde à vos souhaits ?

ALCOMIRE.

Ouy Pyrrhus, mais il faut contenter* mon envie.

PYRRHUS.

C'est assez Alcomire, il va perdre la vie.
J'apporterai son cœur à vos sacrés genoux
Vous le verrez sanglant et tout percé de coups,
1400 Et pour mieux satisfaire au deuil qui vous anime
Je veux en le frappant lui reprocher son crime,
Adieu, quand il auroit tout le secours des Cieux
Vous le reverrez mort et moi victorieux.

ALCOMIRE.

Demeure encore un peu, mais que dis-je timide ?
1405 L'ingrat* m’a mesprisée, il a trahy Perside,
Alcomire, Herminie, Eraste et l’empereur,
Qu'il meure doncq l’ingrat*, qu’il sente ta fureur*, {p. 83}
Ce n’est point lacheté que de trahir un traitre.

PYRRHUS,

Si c’est pour vous servir je fay gloire de l’estre.

ALCOMIRE

1410 Va c’en est faict, adieu vange-moy promptement.

PYRRHUS

En moy vous trouverez un plus fidele Amant.

SCENE SECONDE §

ACHMAT.

Enfin le coup est faict et selon mon envie
Eraste vient de perdre et l’amour et la vie,
De funestes* cordeaux ont rompu ses liens
1415 Et ses feux estouffez font revivre les miens.
Perside avec le temps pourra sécher ses larmes,
Et Soliman piqué des attraits* de ses charmes
Se voyant sans obstacle, ainsi que son rival,
Rendra son heur* parfaict, et le mien sans esgal.
1420 Mais je voids Herminie advançons.

SCENE TROISIESME §

{p. 84}
ACHMAT, HERMINIE.

ACHMAT.

Belle ingratte*
Il faut enfin quitter cet espoir qui vous flatte,
Vous aymez Soliman, mais il n’est pas pour vous
Et Perside à ses yeux a des attraits* plus doux,
Il n’a plus de rival, ce jeune temer aire
1425 N'est plus doresnavant en estat de lui plaire,
Ce brazier est esteint, Eraste est au tombeau.

HERMINIE.

Qu’inferes*-tu de là ? que j’ayme son boureau ?
Non, mon cruel Achmat, je sçay ta perfidie*
Et voyla déloyal comme j’y remedie.
Elle frape Achmat d’un poignard.

ACHMAT.

1430 O destins ! ah je meurs ! ce coup m’oste le jour.

HERMINIE.

Ce sont la des faveurs dignes de ton amour.
Pour les criminels, et les ames traitresses
Je ne destine pas de plus douces caresses. {p. 85}

SCENE QUATRIESME §

HERMINIE PYRRHUS.

PYRRHUS. En entrant se veut retirer

Dieux qu’est-ce que je voids ?

HERMINIE.

Pyrrus où fuyez-vous ?
1435 Advancez, et voyez l’effect* de mon couroux,
J'ai fait cet homicide, et je veux qu’on le sçache
Veu qu’en l’executant je n’ai rien fait de lâche*,
J'ay perdu l’ennemi de tous les gens de bien.

PYRRHUS.

Je le sçais, mais ô Dieux ! Quel malheur est le mien ?

HERMINIE.

1440 De quoy vous plaignez-vous ? du sort de cet infame

PYRRHUS.

Non : mais en le perdant vous me perdez Madame

HERMINIE.

Comment ? avez-vous peur pour estre icy venu ? {p. 86}

PYRRHUS.

Au contraire, je crains pour estre prevenu*,

HERMINIE.

Pour estre prevenu* ? je ne sçaurois comprendre
1445 Ce que par ce discours vous voulez faire entendre.

PYRRHUS.

Apprenez que poussé d’un semblable dessein
Je venois lui plonger ce poignard dans le sein,
Et que par ce beau coup je gaignois Alcomire
Dont ce perfide* Amant desdaignois* le martyre.

HERMINIE.

1450 He bien ! puis que ma main a vangé ses mespris
Contente de l’honneur, je vous cede le prix,
J'ay travaillé pour vous, et pour ma recompence
Enlevez seulement ce corps de ma presence,
Allez.

PYRRHUS.

Par un endroit qui regarde la mer,
1455 Assez proche d’icy je le vais abismer,
De peur que pour ce coup nous ne soyons en peine.

SCENE CINQUIESME §

{p. 87}

HERMINIE.

Depeschez donc Pyrrhus que quelqu’un ne survienne
Ce n’est pas tout mon cœur il faut vaincre ou mourir,
Qu'amour m’eleve au Trosne ou me fasse perir,
1460 Allons trouver Perside, animons sa constance,
Et contre Soliman armons sa resistance,
Mais quel est ce guerrier? quel est ce jeune Mars,
Qui lance dans ces lieux de si tristes regards.

SCENE SIXIESME §

PERSIDE, HERMINIE, ORMANE,

PERSIDE

Cher Eraste !

ORMANE.

Arrestez . Où courez-vous Madame,

HERMINIE.

1465 Est-ce Perside ô Dieux ?

PERSIDE.

{p. 88}
Eraste ma chere ame.

HERMINIE.

C'est elle.

PERSIDE.

Cher Eraste, où fuis-tu de mes yeux ?
Pour la derniere fois je te vis en ces lieux,
Ne t’y verrai-je plus ? qu’est-ce qui t’en separe ?
Helas ! d’un seul moment ne me sois pas avare,
1470 Viens voir en cet habit et dessous cet armet*,
En quelle extremité ta Perside se met.
Et comme la fureur* peinte sur son visage
Aussi bien que ses mains seconde son courage*,
Quoy tu ne parois point ma vie, et ta rigueur
1475 Me refuse tes yeux, ton oreille, et ton cœur ?
Et je n’obtiendray point dans le mal qui me touche
Un seul de tes regards, et deux mots de ta bouche ?
Ah ! si le souvenir d’une faincte amitié
Te peut encor toucher d’un rayon de pitié,
1480 Ne me refuse point cette derniere grace*,
Ou si comme ton corps ton Esprit est de glace,
Et si cette insensible et mortelle froideur
Qui s’en est emparé est passé jusqu’au cœur,
Souffre que je t’enflame et que mon feu t’anime
1485 Par les ardens baisers d’une amour legitime*, {p. 89}
Et que ce vain esprit qui ne me sert de rien
Abandonne mon corps et passe dans le tien.
Ah ! cesse ma douleur des discours si frivoles
L’air avec mon espoir emporte mes paroles.
1490 Il est mort, il est mort.

ORMANE.

Arrestez ces clameurs
Madame .

HERMINIE.

Appaisez-vous.

PERSIDE.

Ah ! je pasme* ! ah je meurs !

HERMINIE.

Perside … ouvre les yeux.

ORMANE.

Ah ! sa douleur l’emporte
Rendez-la juste Ciel moins sensible* et moins forte,
Et ne permettez pas que son cœur abatu
1495 Perde dans ce malheur sa premiere vertu,

HERMINIE.

{p. 90}
Courage, elle revient.

PERSIDE.

Odieuse lumiere,
Pourquoy viens-tu couvrir ma débile* paupiere ?
Pourquoy fay-tu pour moi ce pitoyable* effort ?
Que ne me laisses-tu dans les bras de la mort,
1500 O trop foibles effects* de l’ennuy* qui me presse !
O trop lâches transports*, et trop lente foiblesse ;
Cruel soulagement et malheureux retour
Du chemin de la mort à la clarté du jour,
Puis qu’il ne m’est rendu que pour voir mes supplices
1505 Que pour voir au tombeau mes plus cheres delices,
Et joindre à la rigueur de ce cruel tourment
Le sensible* regret d’en estre l’instrument.
Detestables attraits*, beauté lâche complice
Des fureurs* d’un Tiran et de son injustice,
1510 Perissez perissez, innocents ennemis,
Et reparez le mal que vous avez commis.
Ah ! qu’en vous je recherche une foible allegeance
Le sang de mon espoux veut une autre vengeance.
Armons nous armons nous, d’une juste fureur*
1515 Et portons le poignard au sein d’un l’Empereur.
Ouy cruel tu verras une constante femme
Porter dans ton palais et le fer et la flame*.
Souslever contre toy les Enfers et les Cieux {p. 91}
Et tout ce que la terre à de plus furieux,
1520 Conspirer contre toi mille coups temeraires*
Te chercher sans frayeur entre tes Janissaires
Achever dans leurs bras son genereux dessein
Et porter sa vengeance et la mort dans ton sein .

HERMINIE.

Ah ! foible quel transport* t’aveugle de la sorte
1525 Pour en venir à bout tu n’es pas assez forte,
Avecque cet habit pour un si grand dessein
Il te falloit encor et le cœur et la main,

PERSIDE.

Ah ! Madame, est-ce vous ? pardonnez Herminie
Cette mesconnoissance à ma rage infinie,
1530 Pardonnez mes transports à ma juste douleur
Vous sçaviez mon amour, vous sçavez mon malheur
Et vous sçaurez enfin qu’une juste vengeance
Marme contre les traits d’une injuste puissance,
Depuis l’assassinat qu’un barbare a commis,
1535 J'ai creu pour mon espoux que tout m’estoit permis,
Que l’espée à ma main estoit mesme decente,
Pour vanger les malheurs d’une flamme* innocente.
Et qu’il falloit enfin sur le point de perir
Affronter un tiran le perdre et puis mourir.
1540 C'est où mon desespoir aujourd’huy me convie
C'est où tend ma fureur*. {p. 92}

HERMINIE.

Ah! quittez cette envie,
Songez plus d’une fois à ce coup important,
Et ne vous perdez pas en le precipitant :
Où voulez-vous courir ? et que pensez-vous faire ?
1545 Un effort ridicule autant que temeraire*,
Qui loing de contenter vos genereux esprits
Vous fera repentir de l’avoir entrepris
Arrestez arrestez, vous cherchez vostre honte*,
Et ce n’est pas ainsi que Soliman se dompte
1550 Si vous voulez venger vostre illustre moitié
Il suffit d’employer les traits de la pitié,
Et par vostre vertu* d’imprimer dans son ame,
Mille cuisans remords de sa brutale flamme*,
Dont l’aveugle fureur* l’a sans doute porté,
1555 A donner un arrest si plein de cruauté*.

PERSIDE.

Quand les pertes helas nous sont indifferentes
Il nous est bien aisé de faire les prudentes,
Mais lors que nostre cœur sent de si rudes traits*
Il ne s’appaise point par de simples regrets,
1560 L'excés de ma douleur veut un autre dictame
Il faut il faut du sang au couroux qui m’enflame,
Et si pour le verser mon bras n’est assez fort
C'est de toy juste Ciel que j’attens cet effort, {p. 93}
Arme, arme en ma faveur cette immortelle foudre
1565 Qui reduit les palais et les villes en poudre,
Ces flames, ces esclairs et ce bras tout puissant
Si propice et si prompt à vanger l’innocent.
Et toy qui dans le Ciel ayant pris ta vollée
Laisses dans ces bas lieux Perside desolée,
1570 Songe à ce que je fus, songe à ce que je suis,
Ne m’abandonne pas à l’excés des ennuis*,
Puis qu’à mes tristes yeux ta presence est ravie*
Je ne veux point trainer une mourante vie,
Apres toy cher espoux je vay perdre le jour
1575 Et par ma mort enfin te montrer mon amour,

HERMINIE.

Ah l’illustre courage* ! ah l’Espouse fidelle
Allons suivons ses pas et mourons avec elle,
Aussy bien Soliman, et le coup que j’ay fait
Semblent-ils m’ordonner ce legitime* effect*.

SCENE SEPTIESME §

{p. 94}
SOLIMAN, PYRRHUS HALY.
troupe de Janissaires.

SOLIMAN.

1580 Devançay-moy Haly, voyez si la cruelle
Se pourra bien resoudre* à me souffrir chez elle.
Dites-luy que je veux seulement luy parler
Et qu’enfin je n’y vay que pour la consoler :
Je sçay bien que d’abord cette belle inhumaine
1585 Fera voir dans ses yeux sa colere et sa haine,
Mais peut-estre qu’enfin ces fortes passions
Se pouront adoucir par nos soumissions,
Frapez.

SCENE HUICTIESME §

SOLIMAN, HALY. PYRRHUS PERSIDE. ORMANE, troupe de Janissaires.
Pyrrus frape à la porte de Perside.

ORMANE. du balcon

Que voulez-vous ?

HALY.

{p. 95}
Je demande Perside.

ORMANE.

1590 Qui ?

HALY.

C'est le grand Seigneur.

PERSIDE. paroissant au balcon, bas.

Ah c’est mon homicide
Je ne le connois point et mon Seigneur est mort,
Allez retirez-vous.

SOLIMAN.

Pyrrhus frappez plus fort,
Et si l’on ne vous ouvre, en cette resistance,
Faites agir la force avec la violence.
1595 Brisez tout, rompez tout.

PERSIDE.

Arrestez insolens
Ou je sçauray punir ces efforts violens.

PYRRHUS.

O ciel ? où sommes-nous ? quoy Seigneur un esclave
Devant nous, à tes yeux te mesprise et te brave ? {p. 96}
Et cet objet superbe ou tendent tes souhaits
1600 Refuse impunement l’honneur que tu luy faits ?
Ah ! permets-moy Seigneur de punir cet outrage.

SOLIMAN.

Que veux-tu ? c’est Perside ;
Il obeït.

PYRRHUS

J’enrage,
Quoy manquer de respect pour toy son Empereur,
Je creve de depit.

PERSIDE.

Calme cette fureur*,
1605 Il te sied mal Pyrrhus à faire le bravache*
Ayant le cœur si bas, le courage* si lâche,
Et l’ame si contraire aux belles actions
Qu'on peut voir sans trembler tes resolutions.
Il est vrai qu’un sujet doit imiter son maistre
1610 Soliman est cruel et lâche ; tu veux l’estre :
L'inhumain vient de mettre un Eraste au tombeau
Un autre reste encor, tu seras son boureau,
Mais desjà tu paslis à l’aspect de mes armes,
Cet armet* t’espouvente et te met en alarmes
1615 Et ton maistre rougit d’avoir si lachement,
Assassiné celuy dont il fut l’ornement.

SOLIMAN.

{p. 97}
C'est trop, c’est trop souffrir depeschez Janissaires
Perdez cet insolent*, percez ces temeraires*,
Faites pleuvoir sur eux une grelle de traits*
1620 Si Perside paroit, respectez ses attraits*,
Mais que cet arrogant sente toutes vos fleches
Faites dessus son corps mille mortelles breches,
Chatiez son orgueil.

HALY

Il en tient, il est mort

PERSIDE

O favorable trait ? ô bien heureux effort
1625 Cher Eraste à ce coup je vay cesser de vivre
Mon cœur te va trouver, mon ame te va suivre,
Et par une action digne de ta pitié
Rejoindre sa plus chere et plus belle moitié.

SCENE NEUFIESME §

HERMINIE, SOLIMAN, HALY, PYRRHUS et Janissaires.

SOLIMAN. voyant paroistre Herminie.

Arrestez-vous Soldats Perside va paroistre
1630 Mais ou ses deplaisirs me la font mesconnoistre.
Ou ce ne sont pas là les attraits* glorieux,
De l’objet inhumain qui plait tant à mes yeux {p. 98}
Ce n’est pas là Perside, elle a bien plus d’audace.

HERMINIE.

Tu pouvois dire aussi quelle avoit plus de grace*
1635 Mais Seigneur ce bel Astre autrefois sans pareil,
Dont le brillant eclat faisoit honte* au Soleil
Est prest de s’eclipser et de ravir au monde,
Les rais d’une clarté qui n’eut point de seconde.

SOLIMAN.

Que dit-elle ! ô malheur.

HERMINIE.

Ce que tu pourras voir.

SOLIMAN.

1640 Allons allons lui rendre un funeste* devoir
Ah ! divine Perside adorable lumiere,
Déité que j’adore escoute ma priere,
Et me permets au moins pour la derniere fois
De voir ton beau visage et d’entendre ta voix.

HERMINIE.

1645 Ta Hautesse à present peut entrer sans obstacle
Et te rendre temoing d’un funeste* spectacle,
Ta fureur* en est cause et tu peux en ce jour
Voir les justes effects* qu’a produit son amour. {p. 99}

SCENE DERNIERE §

PERSIDE, SOLIMAN, HALY, PYRRUS, HERMINIE, les Janissaires. Dans une chambre.

PERSIDE. tirant sa fleche du sein.

Approche Soliman, vien cruel viens Perside
1650 Boire le sang d’Eraste et celuy de Perside,
Le sang de mon espoux ne te suffisoit pas
Soule-toy maintenant de ce sanglant repas,
Voy Tygre couronné voy l’effet de ta rage
Voy de tes cruautés le deplorable ouvrage,
1655 Telles sont tes amours, telles sont tes faveurs
Tels sont pour toy mes feux, et telles mes ferveurs.
C’en est fait, je me meurs, ma force est affoiblie
Et de mon triste corps mon ame se delie,
Reçoy-la cher Eraste au partir de ces lieux
1660 Et prens....

SOLIMAN.

Attens un peu, Perside, ouvre les yeux.
Differes d’un moment ce trespas pitoyable* {p. 100}
Et vois par ses remords expirer un coupable,
Voy quelle est sa douleur, quel est son repentir
Quels sont les rudes traits qu’ils luy font ressentir,
1665 Et si de ce tourment tu n’es pas satisfaite,
Voy luy souffrir pour toi le trepas qu’il souhaitte,
Mais tu n’escoute pas ni ma voix ny mon deuil,
Et ta haine te suit jusques dans le cercueil
N'importe, il te faut suivre et reparer mon crime,
1670 Non je ne te veux pas derober ta victime ;
J'ay respandu ton sang celui de ton espoux,
Il faut qu’ici le mien se respande pour vous
Conseillers inhumains, laches* monstres d’envie,
Vous qui fustes tousjours les bourreaux de ma vie,
1675 Ne laissez plus languir ce miserable corps,
Faites faites sur lui de plus justes efforts
Ravissez-luy le jour, advancez son supplice,
Et vos mains luy rendront un agreable office
Mais je l’attens en vain de vostre lâcheté
1680 Ma douleur vous previent en cette extremité,
Ah ! son excés me tuë, et je sens que j’expire,
Sujet infortuné de mon premier martyre
Vertueuse Herminie obiet rare et charmant,
Que je devois traitter plus favorablement,
1685 Si quelque sentiment te reste dedans l’ame
Des premieres ardeurs que t’inspira ma flame*,
Ne me refuse pas un rayon de pitié
Et souffre que je meure avec ton amitié {p. 101}
De cet unique espoir mon Esprit se console,
1690 Mais ma force me laisse, et mon ame s’envole.

HERMINIE.

Il n’est qu’esvanoüi portez-le promptement
Dessus le premier lit de son appartement,
Le plus commodement et vos soins et vostre aide
Donneront à ses sens un utile remede,
1695 Amour qui voids ici ce beau corps abatu
Ne croy pas qu’à tes traits il serve de trophée,
Icy malgré la mort et ta flamme estouffée,
Triomphent seulement l’honneur et la vertu,
Ou s’il te reste encor quelque foible puissance
1700 Elle naistra de ma constance.
Qui fera revivre tes feux
Favorise mon esperance.
Mais si tu responds à mes vœux
Accorde à ma perseverance.
1705 Apres tant de malheurs un succés plus heureux.

FIN.

Extraict du privilege du Roy. §

Par grace & privilege du Roy, donné à Paris le 16 avril 1644. Signé par le Roy, en ʃon Conseil,DV PILLE Il eʃt permis à TOVSSAINT QVINET Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & diʃtribuer vne piece de Theatre intitulée, Perʃide ou la Suitte de l’Hibrahim Baʃʃa, Tragicomedie, durant le temps & eʃpace de cinq ans, à compter du iour qu’il sera achevé d’imprimer. Et defenʃes ʃôt faites à tous Imprimeurs, Libraires & autres de contrefaire ladite piece, n’y en vendre ou expoʃer en vente, à peine de trois mil liures d’amende, de tous ʃes deʃpens, dommages et interets, ainʃi qu’il eʃt plus amplement porté par leʃdites Lettres, qui ʃont en vertu du preʃent Extraict, tenuës pour bien & deuëment ʃignifiée, à ce qu’aucun n’en pretende cauʃe d’ignorance.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 24 mai 1644

Les exemplaires ont esté fournis