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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Nicolas Mary, sieur Desfontaines. La Véritable Sémiramis. Tragédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 22 sc. 178 répl. 8,0 l. 1 432 l. 1 432 l. 39 % 3 692 l. (100 %) 2,6 pers.
NINUS 2 sc. 6 répl. 22,2 l. 227 l. (16 %) 133 l. (10 %) 59 % 578 l. (16 %) 2,5 pers.
SEMIRAMIS 14 sc. 45 répl. 9,8 l. 907 l. (64 %) 441 l. (31 %) 49 % 2 351 l. (64 %) 2,6 pers.
PRAZIMENE 7 sc. 24 répl. 6,4 l. 623 l. (44 %) 154 l. (11 %) 25 % 1 757 l. (48 %) 2,8 pers.
MELISTRATE 4 sc. 31 répl. 5,1 l. 398 l. (28 %) 157 l. (11 %) 40 % 1 144 l. (31 %) 2,9 pers.
ORONCLIDE 7 sc. 29 répl. 4,8 l. 504 l. (36 %) 140 l. (10 %) 28 % 1 701 l. (47 %) 3,4 pers.
MERZABANE 8 sc. 29 répl. 9,4 l. 589 l. (42 %) 272 l. (20 %) 47 % 1 817 l. (50 %) 3,1 pers.
ZENOPHIRE 1 sc. 2 répl. 2,8 l. 56 l. (4 %) 6 l. (1 %) 10 % 225 l. (7 %) 4,0 pers.
CAMBISES 1 sc. 1 répl. 1,0 l. 56 l. (4 %) 1 l. (1 %) 2 % 225 l. (7 %) 4,0 pers.
PALMEDON 3 sc. 11 répl. 11,6 l. 331 l. (24 %) 128 l. (9 %) 39 % 805 l. (22 %) 2,4 pers.
LES GARDES 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
Nicolas Mary, sieur Desfontaines. La Véritable Sémiramis. Tragédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
NINUS
SEMIRAMIS
49 l. (43 %) 4 répl. 12,0 l.
67 l. (58 %) 4 répl. 16,5 l.
2 sc. 114 l. (8 %) 2,5 pers.
NINUS
MERZABANE
86 l. (78 %) 2 répl. 42,5 l.
25 l. (23 %) 1 répl. 24,4 l.
1 sc. 109 l. (8 %) 3,0 pers.
SEMIRAMIS 117 l. (100 %) 5 répl. 23,3 l. 5 sc. 117 l. (9 %) 1,0 pers.
SEMIRAMIS
PRAZIMENE
94 l. (70 %) 11 répl. 8,5 l.
41 l. (31 %) 8 répl. 5,0 l.
4 sc. 134 l. (10 %) 3,1 pers.
SEMIRAMIS
MELISTRATE
21 l. (70 %) 1 répl. 20,5 l.
9 l. (31 %) 2 répl. 4,5 l.
1 sc. 30 l. (3 %) 4,0 pers.
SEMIRAMIS
ORONCLIDE
31 l. (56 %) 4 répl. 7,7 l.
25 l. (45 %) 3 répl. 8,2 l.
2 sc. 55 l. (4 %) 3,6 pers.
SEMIRAMIS
MERZABANE
114 l. (43 %) 20 répl. 5,7 l.
156 l. (58 %) 20 répl. 7,8 l.
6 sc. 269 l. (19 %) 3,0 pers.
PRAZIMENE 37 l. (100 %) 1 répl. 36,5 l. 1 sc. 37 l. (3 %) 1,0 pers.
PRAZIMENE
MELISTRATE
28 l. (54 %) 5 répl. 5,6 l.
24 l. (47 %) 4 répl. 6,0 l.
2 sc. 52 l. (4 %) 3,4 pers.
PRAZIMENE
ORONCLIDE
6 l. (84 %) 2 répl. 2,7 l.
2 l. (17 %) 2 répl. 0,5 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 3,0 pers.
PRAZIMENE
MERZABANE
10 l. (49 %) 4 répl. 2,3 l.
10 l. (52 %) 2 répl. 4,9 l.
2 sc. 19 l. (2 %) 3,3 pers.
PRAZIMENE
PALMEDON
35 l. (45 %) 4 répl. 8,7 l.
45 l. (56 %) 3 répl. 14,7 l.
1 sc. 79 l. (6 %) 2,0 pers.
MELISTRATE
ORONCLIDE
97 l. (57 %) 17 répl. 5,7 l.
74 l. (44 %) 15 répl. 4,9 l.
3 sc. 170 l. (12 %) 3,2 pers.
MELISTRATE
PALMEDON
28 l. (25 %) 8 répl. 3,5 l.
85 l. (76 %) 8 répl. 10,5 l.
2 sc. 112 l. (8 %) 2,6 pers.
ORONCLIDE 7 l. (100 %) 1 répl. 6,1 l. 1 sc. 6 l. (1 %) 1,0 pers.
ORONCLIDE
MERZABANE
20 l. (28 %) 5 répl. 3,9 l.
52 l. (73 %) 3 répl. 17,2 l.
3 sc. 71 l. (5 %) 3,7 pers.
ORONCLIDE
CAMBISES
14 l. (94 %) 1 répl. 13,7 l.
2 l. (7 %) 1 répl. 1,0 l.
1 sc. 15 l. (2 %) 4,0 pers.
MERZABANE 10 l. (100 %) 1 répl. 9,5 l. 1 sc. 10 l. (1 %) 1,0 pers.

Nicolas Mary, sieur Desfontaines

1647

La Véritable Sémiramis. Tragédie

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Camille Fréjaville
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : La Véritable Sémiramis. Par le Sieur DESFONTAINESA PARIS, Chez PIERRE LAMY, en la grande Salle du Palais, au second Pillier. M. DC. XXXXVII. Avec Privilège du Roy.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI).

LA VERITABLE SEMIRAMIS.
Tragédie. §

{p. III}

[EPISTRE.]
A HAUT ET PUISSANT SEIGNEUR
MESSIRE
FRANCOIS DE BEAUVILLIER
Chevalier Comte de S. Aignan, Baron des Baronnies de la Ferté, le Fau Chemery, la Salle lez Clery Luçay ; Vicomte de Valogne, Seigneur d’Olinuillé lez Aix, d’Anguillon Cery, Montigny, Humbligni, la Grange, Foullay, Draché Beauvais, & autres lieux : Conseiller d’Estat, et Mareschal des Camps & Armées du Roy, &c. §

MONSEIGNEUR,

Ne vous estonnez pas de voir aujourd’huy dans vostre Maison la plus belle femme de son siecle, la plus vaillante de son sexe, la plus magnifique de son rang, / {p. IV}/ et la plus illustre Princesse que l’Asie ait jamais veuë : Ce n’est pas la première fois qu’elle est descenduë de son Trosne pour rechercher l’entretien des personnes de vostre merite, & de votre naissance ; Mais on peut dire avec beaucoup de raison & de verité qu’elle n’eût jamais d’inclination* si legitime; veu que vous n’avez pas moins de belles qualitez que son Melistrate, & que sans la rendre suspecte d’aucun crime, Elle peut autant esperer de vostre vertu. Aussi ne se presente-elle pas aujourd’huy devant vous pour estaller à vos yeux les prodiges de sa vie, ou la force de ses charmes ; Elle sçait bien qu’ayant dans vostre illustre famille tant de matieres d’admiration, et d’estonnement ; Il n’est plus desormais d’éclat qui soit capable de vous surprendre, ou de vous esbloüir : Au contraire toute pleine d’un si noble & si juste sentiment qui luy est commun avec toute la France ; Elle se despoüille de son faste, & renonce à ses grandeurs, afin qu’elle soit plus en estat de se donner à vous, & de vous rendre doresnavant le protecteur de sa gloire. Si elle n’a pas esté toujours équitable en ses actions, elle paroit du moins extremément judicieuse en son choix; car de quelques costez qu’on tourne les yeux dans vostre maison, on n’y voit que des marques celebres, & par tout de celebres & signalez témoignages de fidelité, de prudence, et de valeur. Peut-estre que parlant ainsi de vostre merite, / {p. V}/ j’offence votre modestie ; Mais MONSEIGNEUR, permettez que je combatte une de vos vertus pour faire éclatter toutes les autres, & ne me commandez pas d’escouter cette ennemie de ses propres loüanges dans le dessein que j’ay de publier des choses que toute la France ne sçauroit taire sans ingratitude, ny l’envie mesme desaduoüer sans injustice. Ne croyez pas toutesfois que je vueille comprendre dans une lettre ce qui meriteroit des volumes entiers : De si hautes merveilles ne se peuvent exprimer par des termes ordinaires, aussi veux-je qu’en une si noble matiere l’admiration soit toute mon éloquence, & que l’adveu* de mon impuissance soit le crayon de vostre grandeur. C’est assez que l’on sçache que vos Ancestres ont toujours esté les colonnes de cette Monarchie, & qu’estans vieillis dans les charges les plus considerables de la Couronne, ils ont laissé un heritier qui acheve genereusement* aujourd’huy ce qu’ils ont autrefois si glorieusement commencé. Ces considerations, MONSEIGNEUR, ont obligé cette illustre SEMIRAMIS, à qui j’ay l’honneur de servir de Truchement à venir implorer votre secours contre ses envieux : Quelques rares qualitez qu’elle ait, elle n’est pas sans ennemis ; mais ils seront peu capables de luy nuire, si vous entreprenez sa deffence, & l’envie se treuvera foible, si vous / {p. VI}/ luy faictes la faveur de vous declarer de son parti. C’est ce qu’elle espere de vostre generosité, & afin que je puisse avoir quelque part en son bon-heur, vous me permettrez, s’il vous plaist, de me dire toute ma vie, avec autant de zele que de respect.

MONSEIGNEUR,

Votre tres-humble, tres-obeissant, & tres-affectionné serviteur,

DESFONTAINES.

Extraict du Privilege du Roy. §

{p. VII}

Par grace & Privilege du Roy, donné à Paris le 17. d’Avril 1647. il est permis à Pierre Lamy Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer pendant le temps & espace de cinq ans un livre intitulé la veritable Semiramis Tragedie, composee par le sieur Desfontaines, avec deffences à tous Libraires & Imprimeurs, & autres personnes de quelque qualité & condition qu’ils soient, d’imprimer ni faire imprimer ledit livre, de n’en vendre ny distribuer autres exemplaires que ceux qui seront imprimez par ledit Lamy, ou de son consentement, à peine de confiscation desdits exemplaires, & de cinq cens livres d’amende, comme il est declaré plus amplement en l’original des lettres passées le jour & an que dessus, scellees du grandsceau, & signée. Par le Roy en son Conseil. OLIER.

Achevé d’imprimé le 11. May 1647.

Les Personnages. §

{p. VIII}
  • NINUS, Roy des Assiriens.
  • SEMIRAMIS, Reyne & femme de Ninus.
  • PRAZIMENE, Princesse alliee de Semiramis.
  • MELISTRATE, general d’armée reconnu en fin pour fils de Semir.
  • ORONCLIDE, fils putatif de Merzabane reconnu fils de Ninus.
  • MERZABANE, Prince confident de Semiramis.
  • ZENOPHIRE,
  • CAMBISES. Princes assistants au couronnement de Semiramis.
  • PALMEDON, Escuyer de Melistrate.
  • LES GARDES, de Ninus et de Semiramis.
LA SCENE est dans une Salle du Palais Royal à Babilone.
[A; 1]

ACTE I. §

SCENE PREMIERE. §

SEMIRAMIS, MERZABANE, HERMINIE.

SEMIRAMIS.

Melistrate amoureux ? ah! je ne le puis croire ;
S’il aime, Merzabane, il n’aime que la gloire ;
Et cet ambitieux, & superbe* vainqueur,
Ne borne* pas ses vœux, à regner sur un cœur :
5 L’orgueilleux aime mieux que sa valeur enchaisne
Des soldats subjuguez, qu’une fameuse Reyne,
Que Mars a fait cent fois triompher à son tour, {p. 2}
Mais qui succombe enfin sous les traits* de l’amour.
Son courage qui forme ou calme les tempestes,
10 Qui détruit, quand il veut, ou produit nos conquestes,
Se plaist dans les hazards* dont son coeur est épris,
Et pour un Sceptre offert, n’auroit que des mépris.
Il ne veut rien tenir des mains de la Fortune*,
Si sa valeur n’agit, sa faveur l’importune ;
15 Et cet esprit hautain mépriseroit son rang,
Sil ne l’avoit acquis aux dépens de son sang ;
Il treuve, l’arrogant, son Empire en luy-mesme,
Luy-mesme il fait sa Cour, ses Loix, son Diadesme,
Et n’emprunte l’éclat dont il est revestu,
20 Que de celuy qu’il a de sa propre vertu.
C’est elle seule aussi qui l’enflâme & le blesse,
C’est elle dont il fait son illustre Maistresse;
Et comme elle peut tout sur un si digne Amant,
Tout autre, Merzabane, y pretend* vainement.

MERZABANE.

25 Madame, il est bien-vray que c’est la vertu mesme,
Pour qui ce cœur altier* sent une amour extréme ;
Mais parmy les transports* de ses nobles ardeurs,
Il n’est pas tout à fait ennemy des grandeurs :
Ainsi qu’un bel objet*, un Empire a des charmes,
30 Il verse pour tous deux & du sang & des larmes ;
L’un & l’autre luy plaist ; & je crois en ce jour, {p. 3}
Que son ambition suit de pres son amour.
De plus, s’il m’est permis de vous ouvrir mon ame,
Je croy que son orgeuil est plus grand que sa flâme ;
35 Et l’objet* qu’il cherit, ne luy plairoit pas tant,
S’il n’estoit le degré* du Trône qu’il attend.
Vous devez, grande Reyne, abaisser son audace,
Qui se veut élever au dessus de sa race ;
Et par un merveilleux & nouvel attentat*,
40 Au rang Assyrien joindre un simple soldat.

SEMIRAMIS.

(A demy vers bas.)
M’aimeroit-il ? ô Dieux ! ah, tire moy de peine;
Qu’est-ce donc qu’il pretend* ?

MERZABANE.

L’amour de Prazimene.

SEMIRAMIS.

L’amour de Prazimene !

MERZABANE.

Oüy sans doute.

SEMIRAMIS.

Et comment ?
Répond-elle aux ardeurs de ce parfait Amant ?
45 Leur inclination* est-elle mutuelle ? {p. 4}
Et de qui tenez-vous cette étrange* nouvelle ?

MERZABANE.

De la Cour, de l’armée, & de mes propres yeux.

SEMIRAMIS.

Il l’aime ? ah l’insolent ! il est aimé ? grand Dieux !
Que m’a t’on découvert*, & que viens-je d’entendre ?
50 Ils s’aiment, & je suis la derniere à l’apprendre ?
Mais qu’elle aime, qu’elle aime ; en vain, sans mon adveu*,
Son aveugle desir nourrit un si beau feu*,
Quel qu’il soit, je sçay bien les moyens de l’éteindre,
Et de briser les traits* qui la peuvent atteindre :
55 En vain par ses devoirs, sa flâme & ses soûpirs,
Son temeraire Amant répond à ses desirs ;
Quand il seroit d’un sang égal à son courage,
Quand de tout l’Orient il feroit son partage,
Prazimene seroit, choquant* mes volontez,
60 Et la borne & l’écueil de ses prosperitez.
Je suis leur Souveraine, & j’ay cet avantage,
Que l’une, de mes soins est le plus cher ouvrage,
Et que l’autre doit plus sa gloire & son bon-heur,
A mes rares bontez, qu’à sa haute valeur.
65 C’est donc en vain que l’un est de l’autre idolâtre,
Je n’ay rien elevé que je ne puisse abattre :
Oüy, quand il me plaira, je ne veux qu’un moment, {p. 5}
Pour détruire l’Amour, & l’Amante & l’Amant.
Mais avant ce grand coup, apprens nous, Merzabane,
70 La naissance & le cours d’un feu* que je condamne,
Mais qui n’auroit jamais mon courroux enflâmé,
Si pour un autre objet* il estoit allumé.
Parle donc ? car ce bruit peut estre une imposture,
Que des esprits jaloux ont crú par conjecture,
75 Ne se souvenant pas, que souvent à la Cour,
L’artifice est caché sous le front de l’Amour,
Et qu’ordinairement le secours d’une feinte*,
Fait qu’une ame y paroist sensiblement* atteinte,
Qui loin de soüpirer pour un objet* parfait,
80 Quand elle feint* d’aimer, hait souvent en effet.

MERZABANE.

Madame, je connois la Cour & ses adresses,
Je connois ses détours, & ses feintes* caresses ;
Mais l’amour dont je parle à vostre Majesté,
Est bien d’autre nature, & d’autre qualité ;
85 Puis qu’enfin cette ardeur visiblement éclate,
Aux yeux de Prazimene, au cœur de Melistrate,
Et que jamais ce Dieu, qui regne sur nos sens,
N’a veu des feux* si purs, ny des fers* si puissans,
Je ne vous diray point quand nâquit cette flâme,
90 Ny comment chacun d’eux la receut en son ame,
Puis que vous sçavez bien qu’un si doux sentiment, {p. 6}
En de jeunes esprits s’introduit aisément,
Sur tout quand une rare & divine merveille,
A d’illustres soûpirs ne ferme point l’oreille,
95 Mais d’un œil dont la grace a banny la rigueur,
Fait pour celuy qu’elle aime, un passage à son cœur.
Melistrate a des yeux, il a veu Prazimene,
Ses regards amoureux ont commencé sa chaine ;
Et le grade où depuis vous l’avez élevé,
100 A malgré vos désirs cet ouvrage achevé.
Il ne reste donc plus maintenant qu’à vous dire,
Ce qui m’a découvert* sa flâme & son martyre,
Et comme tout le camp qui nous avoit suivis,
A veu Mars seconder les desseins de son Fils.
105 Cette double puissance à sa valeur unie,
Esclatta hautement au fond de l’Armenie,
Où cet ambitieux & jeune Conquerant,
Malgré nos ennemis, passa comme un Torrent.
Ce fut là, qu’orgueilleux d’une belle victoire,
110 Il combattit l’Amour, pour accroistre sa gloire,
Et qu’on vit opposer pour le vaincre à son tour,
Le merite au merite, & l’Amour à l’Amour.
Ce fut là, qu’une grande & sanglante défaite,
Força honteusement Barzane à la retraite,
115 Qui pour luy preparer un triomphe nouveau,
Se sauva dans les murs, dont il fit son tombeau.
Et ce fut là, Madame, où ce grand Capitaine, {p. 7}
Subjugua l’Armenie, & conquit Prazimene.

SEMIRAMIS.

Ce glorieux exploict qui nous fut rapporté,
120 Toucha peut-estre un peu cette jeune Beauté,
Son courage luy plût, & ce n’est pas un crime,
Pour les coeurs genereux*, d’avoir beaucoup d’estime.

MERZABANE.

Non, mais elle fit voir presque en ce mesme jour,
Que l’on passe aisément de l’estime à l’Amour.
125 Ce ne fut pas pourtant cette haute conqueste,
Ny tant d’autres lauriers* qui brilloient sur sa teste,
Qui luy firent aimer ce superbe* vainqueur ;
Ce fut un noble orgueil qui luy toucha le cœur,
Et le mépris qu’il eut pour une illustre Dame,
130 Fit ce que n’avoit pû sa valeur ni sa flâme.

SEMIRAMIS

C’est ce poinct que j’ignore, & que l’on m’avoit teu.

MERZABANE.

Et c’est pourtant celuy que tout un camp a veu.

SEMIRAMIS.

Parle donc, Merzabane, & m’apprends cette histoire ?

MERZABANE.

Apres une assez belle et fameuse victoire, {p. 8}
135 Legerde, où commandait un prince audacieux,
Crût pouvoir arrester un camp victorieux ;
Melistrate l’attaque, elle fait resistance ;
L’orgueilleux Benzamin paroist à sa defence,
Qui d’un courage haut, impatient & fier,
140 Appelle Melistrate en combat singulier.
Il reçoit ce cartel, il l’accepte, il s’appreste,
D’immoler au Dieu Mars cette orgueilleuse teste ;
Mais l’Amour qui crût lors* que Mars lui faisoit tort,
Reserva pour ses traits* la gloire de sa mort.
145 Ils combattent pourtant, & le sort* est en peine,
Auquel il veut montrer sa faveur ou sa haine,
Mais à la fin honteux de s’estre démenty*,
Il quitte Benzamin, & prend nostre party.
Melistrate vainqueur, & content de sa gloire,
150 Fut courtois au vaincu, plus qu’on ne le peut croire ;
Et comme il estoit lors* à vaincre accoustumé,
Il vainquit combattant, & vainquit desarmé ;
Car comme il s’aqueroit un si glorieux titre,
Xidiane des murs, se rendit leur arbitre ;
155 Et noyant son amour au sang de Benzamin,
En ses legeretez*, imita le destin.
Dés lors que le vainqueur se presente à sa veuë, [B; 9]
Son éclat l’ébloüit, elle paroit émeuë ;
Et l’ayant pris pour Mars sous l’armet, à son tour,
160 Elle le prend alors pour le Dieu de l’Amour :
En vain elle combat en faveur de sa flâme,
Le vainqueur, comme au camp, triomphe dans son ame ;
Et le triste vaincu n’a plus aucunes parts,
Ny dans ce cœur ingrat, ny dedans ses rampars.
165 De l’un & l’autre lieu, Melistrate est le Maistre,
Il pardonne au trahy, mais il punit le traistre ;
Et rend par un illustre & celebre refus,
L’objet* qui luy presente, interdit* & confus.
Lors* l’Amour se retire, & fait place à la rage,
170 Benzamin est surpris, & pense qu’on l’outrage,
Quand il voit que l’on traitte avec tant de mépris,
Celle dont il estoit si tendrement épris.
Xidiane en son sang, lave sa perfidie ;
Et soudain son Amant, d’une main plus hardie,
175 Pour venger son trépas, fait un dernier effort,
Blesse au sein Melistrate, & se donne la mort.
Tout le monde est confus d’une telle avanture,
On enleve le mort, on songe à sa blessure ;
Mais le blessé neglige & son sang & ses jours,
180 Et des medicamens, refuse le secours.
Il souffre* seulement que Palmedon arreste,
Le sang qui hazardoit* une si chere teste ;
Mais il proteste alors qu’on travaille en vain, {p. 10}
Et que sa guerison dépend d’une autre main.
185 Son refus nous surprend, son discours nous étonne,
Il nous fait retirer d’aupres de sa personne,
Pour dépescher sans doute un Courier en secret,
Vers l’objet* sans lequel il ne vit qu’à regret.
Prazimene apprend donc l’accident qu’il annonce,
190 Escrit à Melistrate, & fait cette réponce.

SEMIRAMIS lit.

Melistrate vous avez tort,
D’écouter une injuste envie ;
Souvenez-vous que vostre mort,
Doit estre la fin de ma vie ;
195 Et que vouloir perdre le jour,
C’est attenter* aux miens, & finir mon amour.

PRAZIMENE.

… Elle l’aime ? ô fatale avanture !
Je n’en sçaurois douter, voila son escriture.
Oüy, cette heureuse main sauva nostre vainqueur,
200 Et la mesme aujourd’huy me déchire le cœur.
Mais d’où vient cette lettre ? & qui te l’a pû rendre ?
Esclaircy-moy d’un poinct que je ne puis comprendre.
Un Amant si discret, & si prudent encor,
A t’il pû negliger un si rare tresor ?
205 Est-ce un effet du sort*, ou bien de ton adresse ? {p. 11}
Acheve, & satisfaits au desir qui me presse.

MERZABANE.

Je vous vay contenter, Madame, en peu de mots.
Un jour, comme il estoit dans un profond repos,
J’entray dedans sa chambre à l’heure accoûtumée,
210 Pour recevoir de luy les ordres de l’armée :
Mais de peur de troubler un paisible sommeil,
Je crûs que je devois attendre son réveil.
Je m’approche du lit, où voyant cette lettre,
Ma curiosité me semble tout permettre,
215 Je la prends, je la lis ; & sans trop contester,
Je faits en mesme temps dessein de l’emporter.
Mon dessein reüssit, la lettre me demeure ;
Pour les ordres du camp, je choisis une autre heure ;
Et soit que rien alors ne me rendit suspect,
220 Ou qu’il fut retenu de crainte, ou de respect,
Il ne m’a point jamais parlé de cette perte,
Par qui d’oresnavant sa flâme est découverte*,
Et par qui desormais vous pouvez rendre vains,
Ses soûpirs, son espoir, ses voeus & ses desseins.

SEMIRAMIS.

225 C’est ce que je veux faire ; allez, qu’on se retire.

SCENE II. §

{p. 12}

SEMIRAMIS seule.

Il suffit, je connais le charme qui l’attire ;
Et que sur ce grand cœur qui fait ma passion,
Prazimene peut moins, que son ambition.
Hé bien, cher Melistrate, il te faut satisfaire,
230 T’élever aux grandeurs que ton courage espere ;
Mais il faut que mon cœur soit l’illustre degré*,
Du Trône, où je prétends* que tu sois adoré.
Aussi bien est-il temps que ma vengeance éclate,
Contre un Roy que j’haïs, encor que je le flatte,
235 Contre un Roy, mais Tyran ; contre un usurpateur,
Qui de tous mes ennuis* est le fatal autheur ;
Qui fit de mes Estats le tombeau de mon pere,
Qui nagea dans le sang d’une teste si chere ;
Et tout fumant encor de ce meurtre inhumain,
240 Me força toute en pleurs, à luy donner la main :
Oüy, le traistre usurpa ma Couronne & ma couche,
Sans l’adveu* de mon cœur, ny celuy de ma bouche ;
Et tout m’abandonnant en ce funeste jour,
La violence fit, ce que n’eut pû l’Amour.
245 Mais apprends, ô Tyran, que pour briser ma chaine, {p. 13}
Jusques icy mon cœur a déguisé sa haine,
Que je vay par ta mort remonter à mon rang,
Donner teste pour teste, & le sang pour le sang.
Mon pere veut de moy ce juste sacrifice,
250 Ne luy refusons pas cet agreable office ;
Et pour l’executer avecque plus de soin,
Acquerons nous un bras, qui nous serve au besoin ;
Faisons de Melistrate un Espoux legitime,
Et que la vertu regne, où triomphoit le crime :
255 Pour un si beau dessein, tout doit estre permis ;
Meurs donc le plus cruel de tous mes ennemis.
Et puis l’âge te presse, & la Parque ravie,
Est preste d’achever la trame de ta vie,
Oste luy le plaisir d’en arrester le cours,
260 Et donne à mon bon-heur le reste de tes jours :
Permets que mes plaisirs naissent de ton desastre,
Et que ta nuict enfin, soit l’orient d’un Astre,
Dont l’éclat icy bas n’eut jamais de pareil,
Et paroist à mes yeux plus beau que le Soleil.
265 Tout prest de succomber aux foiblesses de l’âge,
Le trépas t’est sans doute un heureux avantage,
Puis qu’abregeant tes jours, il peut mettre à couvert
Des Lauriers*, que le temps fait souvent que l’on perd :
Ouÿ, ta mort peut sauver le reste de ta gloire,
270 De tes sanglants projets, effacer la memoire,
Et faire quelques jours admirer aux Humains, {p. 14}
Des Palmes, qu’un moment peut ravir à tes mains.
Meurs, Ninus, meurs, avant que ton honneur expire ;
Si tu vis plus long temps, ton destin sera pire ;
275 Approuve mon dessein; & par un noble effort,
Esvite mille morts, par une seule mort.
Tu m’as juré cent fois qu’elle te seroit chere,
Si jamais elle avoit le bon-heur de me plaire :
Elle me plaist, Ninus, je la veux ; & je croy,
280 Qu’il ne faut point douter des promesses d’un Roy.
Tu ne sçaurois perir d’un coup plus favorable ;
Mais n’apperçois-je pas ce Prince miserable ?
Ah ! parlons, il est temps, & feignons* toutesfois.

SCENE III. §

NINUS, SEMIRAMIS, & GARDES.

NINUS.

Ne sçaurais-je jamais le trouble où je vous vois ?
285 Vous verray-je toûjours dans la melancolie,
Où vostre ame paroist si fort ensevelie ?
Sans que vostre bonté, secondant mon desir,
M’apprenne le sujet de vostre déplaisir ? {p. 15}
Contentez, ma Princesse, une si juste envie,
290 Il y va de ma joye, il y va de ma vie ;
Et vous me ravirez l’une & l’autre aujourd’huy,
Si vous perseverez en ce funeste ennuy*.
Si pour le soulager, je puis trop peu de chose,
Je diray qu’à bon droict vous m’en taisez la cause ;
295 Mais si ce rare effet est possible aux humains,
Puis que tous vos desirs sont sur moy souverains,
Je vous reprocheray, Princesse genereuse*,
Que vostre affection est trop respectueuse,
Si ne se fiant pas aux ardeurs d’un Espoux,
300 Elle épargnoit un sang, qu’elle sçait tout à vous.
Oüy Madame, parlez, s’il vous est necessaire,
Cette espée & ce bras, s’en vont vous satisfaire ;
Et mesme si ma mort rend vos jours plus heureux,
J’en recevray le coup d’un visage amoureux.

SEMIRAMIS.

305 Seigneur, n’achevez pas ce discours qui m’offence,
Et ne me pressez point de rompre mon silence,
De peur que mon orgueil, ou ma temerité*,
Ne me rende odieuse à votre Majesté.
Il suffit de sçavoir que je suis femme & vaine*,
310 Et que ma vanité fait vos soins* & ma peine :
De vous dire à quel poinct mon cœur ose aspirer, {p. 16}
C’est ce que sans rougir, je ne puis declarer ;
Que votre Majesté, s’il luy plaist, m’en dispense,
Ce secret me pourroit oster sa bien-veillance,
315 Ou du moins alterer cet amour si parfait,
Dont vous m’offrez encore un si sensible* effet.

NINUS.

Certes, il faut qu’il soit d’une importance extréme,
Si vous vous défiez* d’un Prince qui vous aime,
Et si vous le celez*, à qui voudroit perir,
320 Pour appuyer vos vœux, & vous y secourir.
Hé bien, en ce dessein soyez opiniâtre,
Croyez qu’on vous trahit, quand on vous idolâtre ;
Et puis que mon tourment vous contente & vous plaist,
Ne le finissez point, tout extréme qu’il est.
325 Dites qu’en ma douleur vous trouvez vos delices,
Que votre déplaisir finit par mes supplices,
Et que vous aimez mieux que je meure enragé,
Que de rendre d’un mot mon esprit allegé.
Si c’est l’ambition qui vous rend languissante,
330 Dites-moy son objet*, & quelle est votre attente ;
Et d’un soin merveilleux j’emploiray mon pouvoir,
A la porter plus loin, mesme que vostre espoir.
Notre Empire s’étend sur cent belles Provinces,
Nous avons pour vassaux, & des Roys & des Princes ;
335 Et si tant de grandeur est peu pour vos projets, {p. C; 17}
Bien-tost tous les humains deviendront vos sujets ;
Et lors* que vous serez la Maistresse du monde,
Si vostre authorité veut estre sans seconde,
Moy-mesme vous cedant, & mon Sceptre & mes droits,
340 Je seray le premier à fléchir sous vos loix.
Si vous le desirez, je feray plus encore,
Je feray dans ces lieux, que chacun vous adore,
Et que tout l’Univers vous dressant des Autels,
Vous rende les honneurs, qu’on rend aux immortels.
345 Apres ce zele ardent, & cette deference,
Pouvez-vous, ma Princesse, observer le silence ?
Ah ! parlez ; & croyez que pour vous obeïr,
Je seray prest à tout, jusques à me trahir.

SEMIRAMIS.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que j’ai vû grand Monarque,
350 De votre affection, une infaillible marque.
Dés lors que j’eus l’honneur de parestre à vos yeux,
Je reconnus en vous ce feu* prodigieux*,
Qui n’ayant pour objet* que fort peu de merites,
N’a jamais eu pourtant ny bornes, ny limites,
355 Puis qu’en vous combattant, enfin je vous acquis,
Et que de conquerant, vous fustes le conquis.
Mais en vain mon esprit, ma langue, & ma memoire,
Vous retracent icy le tableau de ma gloire ;
Celuy que vous voulez de mes sens interdits*, {p. 18}
360 Veut bien d’autres couleurs, & des traits* plus hardis.
Obéïssons pourtant ; mais en cette occurrence,
Souvenez vous, Seigneur, que mon obeïssance
Est plûtost un effet de vostre authorité,
Que de mon imprudence, ou de ma volonté.
365 Il ne faut pas enfin, pour me rendre contente,
Que l’Univers soûmis, remplisse mon attente,
Que vostre affection oblige les mortels,
A flatter mon orgueil, ny d’encens, ny d’Autels,
Ou que pour satisfaire à mon effronterie,
370 Vostre zele à l’amour joigne l’idolâtrie.
Je ne me laisse pas à ce poinct aveugler,
J’ay de l’ambition, mais je la sçay regler ;
Et pour la vanité dont mon ame est saisie,
Il suffira, grand Roy, du Sceptre de l’Asie.
375 Si seule j’ay l’honneur pour trois jours seulement,
De pouvoir sur le Trône agir absolument,
Mon ame en cet estat pleinement satisfaite,
Aura de vos bontez, tout ce qu’elle souhaite.
Ce n’est pas qu’aspirant à ce degré* si haut,
380 Je voye en vos exploits ny tâche, ny defaut ;
Au contraire, Seigneur, vostre conduite est telle,
Quelle est des plus parfaits, l’admirable modele ;
Et la saincte equité qu’on remarque en vos Loix,
Dévroit estre la regle & l’étude des Roys.
385 Permettez qu’en suivant ce merveilleux exemple, {p. 19}
Babilone ravie, aujourd’huy me contemple ;
Et regarde une femme avec étonnement,
Faire rougir des Roys, par son Gouvernement.
Vous sçavez, ô Ninus, par des preuves certaines,
390 Que j’ay toûjours fait honte à tous vos Capitaines ;
Qu’ils ont en cent combats admiré ma valeur,
Que toûjours ma prudence a surmonté la leur ;
Et leur gloire est autant au dessous de la nostre,
Que la mienne paroist au dessous de la vostre.
395 Souffrez* qu’en peu de jours j’adjoûte à cet éclat,
L’avantage & l’honneur de regir un Estat ;
Et que je fasse un jour dire aux races futures,
Qui sans doute liront nos belles avantures,
Quels estoient, justes Dieux ! les hommes de ce temps,
400 Si les Femmes ont fait des miracles si grands ;
Ou si vous repugnez au desir qui me presse,
Faites un autre effort, oubliez ma foiblesse ;
Et puis que mon regret m’en peut assez punir,
Chassez en desormais jusques au souvenir.
405 Mais ce n’est pas assez, reparez de ma teste,
L’offence que vous fait une injuste requeste ;
Dans les flots de mon sang, étouffez mon orgueil ;
Et puis qu’au lieu du Trône, on m’apreste un cercueil ;
Enfin …

NINUS.

...N’achevez pas, il sufit ma Princesse, {p. 20}
410 Que je vous ay d’abord engagé ma promesse ;
Et ma foy vous doit rendre assurée à ce poinct,
Que les sermens des Roys, ne se revoquent point.
Oüy, dedans mes Estats vous serez Souveraine,
Seule vous jouïrez du beau Titre de Reyne ;
415 Et pour rendre plûtost vos desirs satisfaits,
Je m’en vay de ce pas travailler aux effets.

SCENE IV. §

SEMIRAMIS.

Dy que par cette voye à ma faveur ouverte,
Tu t’en vas, mal-heureux, travailler à ta perte ;
Et par l’effet d’un prodige* nouveau,
420 Me preparer un Trône, & t’ouvrir le tombeau.

Fin du Premier Acte.

{p. 21}

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

SEMIRAMIS, PRAZIMENE, HERMINIE.

SEMIRAMIS.

Pourquoy desadvoüer une chose certaine ?
Ne dissimulez point ; vous l’aimez, Prazimene ;
Et sans considerer s’il est digne de vous,
Vostre aveugle desir le choisit pour Espoux.
425 Oüy, n’en rougissez point, vous aimez Melistrate ;
J’advouë avecque vous que sa valeur éclate,
Que son bras genereux* est l’appuy de l’Estat ;
Mais ce grand homme enfin, n’est qu’un simple soldat ;
Ses belles actions meritent vostre estime ;
430 La gloire est à ses faits un tribut legitime ;
Et je croy qu’il rencontre en ses nobles emplois,
Un salaire assez grand, pour ses rares exploits.
Mais vous donner à luy ! songez-vous, Prazimene, {p. 22}
Qu’un sujet est trop bas pour une Souveraine ?
435 Et que vous faites tort, par un indigne amour,
A cet illustre sang, dont vous tenez le jour ?
Comment vous estes vous à ce poinct oubliée ?
Ne vous souvient-il plus d’estre nostre alliée ?
Et que vous offencez, par des lâches soûpirs,
440 Un cœur qui doit pretendre* à bien d’autres desirs ?
Ah ! reconnoissez-vous, & rentrez en vous-mesme ;
Le prix de vostre amour, doit estre un Diadéme ;
L’esperance d’un Trône, en doit estre l’objet* ;
Un Roy doit vous charmer, & non pas un sujet.

PRAZIMENE.

445 Madame, le beau feu* dont on me croit atteinte,
Est tel, que je le puis avoüer sans contrainte :
Oüy, j’aime Melistrate ; & je serois sans cœur,
Si j’estois insensible aux traits* de ce vainqueur.
Mais dans ce sentiment que la vertu me donne,
450 J’aime ses qualitez bien plus que sa personne ;
Et quiconque atteindroit à ses perfections,
Partageroit aussi mes inclinations* :
Il est vray que je suis de naissance Royale,
Mais la sienne n’est pas à la mienne inégale,
455 Puis qu’il fait voir assez par ses nobles exploits,
S’il n’est du sang des Dieux, qu’il est du sang des Roys.
La pompe ny l’orgueil, ne font point les Monarques, {p. 23}
Le pourpre* & les grandeurs, en sont de foibles marques ;
Mais il faut advoüer, quelque erreur qu’on ait eu,
460 Que ce qui fait les Roys, est la seule vertu.

SEMIRAMIS.

Oüy, mais cette vertu qui n’est pas ordinaire,
Décend fort rarement dans une ame vulgaire,
Le vice enfin l’imite ; & l’on peut bien alors,
Adorer l’un pour l’autre, & l’ombre pour le corps.
465 Déjà ce faux brillant qui vous plaist & vous flate,
Vous seduit en faveur de vostre Melistrate ;
Il a si bien charmé vostre cœur & vos yeux,
Qu’ils auroient à mépris & des Roys & des Dieux :
Mais quoy que vos vertus lâchement étouffées,
470 A ce jeune Heros soient d’illustres trophées,
M’asseureriez-vous bien qu’il n’ait point de froideur
Pour une si puissante & si fidelle ardeur ?
La gloire est un Demon d’une étrange* nature,
Qui la possede plus, connoit moins sa mesure ;
475 C’est un Demon qui tüe avecque des appas*,
Qui commande toûjours, & ne s’arreste pas.
Peut-estre que devant qu’elle eut enflé son ame,
Melistrate eut pour vous quelque legere flâme ;
Et son esprit alors moins superbe* & plus doux,
480 Ne crût point s’abaisser, en s’adressant à vous :
Mais maintenant que tout pour sa gloire conspire, {p. 24}
Qu’il ne luy faut qu’un pas pour monter à l’Empire,
Et que tout l’Univers le redoute aujourd’huy,
Peut-estre qu’il vous croit bien au dessous de luy :
485 Evitez cet affront, songez-y, Prazimene,
Vous devez craindre tout d’une ame si hautaine ;
Il peut rendre vos vœux, & trompez & confus ;
Toute amante qui s’offre, est digne de refus ;
Et d’une passion trop ardente & trop prompte,
490 Il n’en resulte rien, souvent que de la honte.

PRAZIMENE.

Mon cœur n’a rien à craindre en cette occasion,
Ny de la vanité, ny de ma passion :
Madame, à quelque poinct que mon ame le prise,
Je suis à conquerir, & ne suis pas conquise.
495 Il m’a bien advoüé que dés lors qu’il me vit,
Il trouva quelque chose en moy qui le ravit ;
Mais que le mesme objet* qui fit naistre sa flâme,
Luy mit avec l’amour, tant de respect en l’ame,
Qu’il a long-temps brûlé, sans ozer declarer,
500 L’ardeur qui le faisoit sans cesse soûpirer.
Le jour que couronné des mains de la victoire,
Il parut à la Cour tout rayonnant de gloire,
D’un superbe* ennemy triomphant & vainqueur,
J’appris lors que mes yeux triomphoient de son cœur ;
505 Sortant d’aupres de vous, cet illustre courage, {p. D;25}
Tout tremblant de respect, vint m’offrir cet hommage ;
Et je fus toutesfois glorieuse à ce poinct,
Qu’encore qu’il me plût, je ne l’acceptay point.

SEMIRAMIS.

Non, mais de ce mépris son ame s’est vengée,
510 Et pour luy desormais vostre humeur est changée ;
Apres tant de froideurs, à present vous brûlez ?

PRAZIMENE.

Moy, Madame ?

SEMIRAMIS.

Oüy vous, en vain vous le celez* ;
Les effets, malgré vous, l’ont assez fait paroistre.

PRAZIMENE.

Quels effets ?

SEMIRAMIS.

Voyez-les.

PRAZIMENE reconnoissant la Lettre.

Ah, l’ingrat ! ah, le traistre !
515 Que voyez-vous, mes yeux ?

SEMIRAMIS.

Un étrange* secret. {p. 26}
O le parfait Amant ! Qu’il est sage & discret.
Hé bien, que ferez-vous apres un tel outrage ?
Ainsi que sans raison, serez-vous sans courage ?
Si vous estiez aimable* à ce superbe* esprit,
520 L’ingrat n’auroit jamais negligé cet écrit.
Il l’auroit tenu cher à l’égal de sa vie ;
Mais ravy qu’on vous sçache à ses loix asservie,
Luy mesme l’a sans doute à chacun exposé,
Et permis un larcin, qu’on n’auroit pas ozé.

PRAZIMENE.

525 Prest de faire en son sang un funeste naufrage,
Il eut de ma pitié ce honteux témoignage ;
Mais puis qu’il est perfide, il verra qu’à son tour,
Le dépit en mon cœur, est plus fort que l’amour.

SEMIRAMIS.

Sans porter vostre esprit à quelque violence,
530 A ses lâches projets, opposez la prudence ;
Et quand vous le verrez, qu’un assez froid accueil,
Par de justes mépris, punisse son orgueil :
Cependant, agréez les devoirs d’Oronclide,
Répondez à ses vœux, aux yeux de ce perfide,
535 Afin que le voyant pres de vous en credit, {p. 27}
Il forcene de rage, & creve de depit.
Ce choix reparera la bassesse de l’autre,
Oronclide est d’un sang qui répond mieux au vostre,
Il a des qualitez capables de charmer ;
540 Et si vous m’en croyez, vous le devez aimer.

PRAZIMENE.

Sortant si fraichement d’un visible naufrage,
Je ne veux point si tost m’exposer à l’orage,
Ny trop imprudemment une autrefois courir,
Vers le mesme rocher, où j’ay pensé perir.
545 Je veux d’oresnavant, en pareille occurrence,
Employer plus de temps, & plus de prevoyance,
Et montrer desormais, que plus sage en amour,
Prazimene n’est pas la conqueste d’un jour.

SEMIRAMIS.

Vous y pourrez songer, allez.

PRAZIMENE s’en allant.

C’est mon envie :
550 Mais non, perdons plûtost l’esperance & la vie,
Et faisons par un coup aussi juste que beau,
Qu’où l’Amour eu son Trône, il treuve son tombeau.

SCENE II. §

SEMIRAMIS seule.

Tout répond à mes vœux ; le dépit & la haine, {p. 28}
Font d’étranges* effets au cœur de Prazimene ;
555 Cette ruse subtile a rompu ses liens,
Et la mesme à present vient d’asseurer les miens :
Mon bon-heur desormais n’a plus rien qui l’égale,
Puis que j’ay supplanté ma superbe* rivale,
Et que tout se dispose au gré de mes desirs,
560 A seconder ma flâme, & faire mes plaisirs.
D’elle-mesme déja la victime s’appreste,
Le glaive pend déjà sur son illustre teste ;
Et pour ce sacrifice ardemment desiré,
Le magnifique Autel est déja preparé ;
565 Pour un coup si celebre & de telle importance,
On attend seulement mon ordre, & ma presence ;
Et pour executer un si hardy dessein,
Je n’ay plus desormais qu’à choisir une main,
Qui puisse sans remords faire un illustre crime,
570 Et sans étonnement* immoler la victime.
La voicy.

SCENE III. §

SEMIRAMIS, MERZABANE.

SEMIRAMIS.

Merzabane, aujourd’huy je veux voir, {p. 29}
Combien mes volontez ont sur vous de pouvoir.
Je vous vay reveler un secret qui me touche,
Jusqu’au poinct, qu’à regret je le fie à ma bouche ;
575 Et pourtant, sans tirer de vous aucun serment,
Mon cœur va devant vous s’ouvrir entierement :
Aussi loin de prier, songez que je commande ;
Le trépas de Ninus, est ce que je demande ;
Et pour me procurer ce bon-heur souverain,
580 Connoissant vostre cœur*, j’ay choisy vostre main.
Ne me demandez pas les raisons, ny la cause,
Mais songez aux effets de ce que je propose ;
Il suffit que ce coup est un coup que je veux,
Pour sortir de mes fers*, & pour vous rendre heureux.
585 De plus, souvenez-vous, qu’en suivant mon envie,
Cette mort que j’attends, asseure votre vie,
Que d’injustes soupçons vont bien tost vous ravir, {p. 30}
Si la crainte vous rend trop lent à me servir.
Pour vous rendre discret, ayez en la memoire,
590 Que je mets en vos mains mon repos & ma gloire ;
Et si vous ne voulez vous-mesme vous trahir,
Qu’il n’est plus mesme en vous de me desobeïr ;
Vous ayant honnoré de cette confidence,
Vostre esprit ne doit plus demeurer en balance ;
595 Songez-y Merzabane, ou je vous feray voir,
Qu’il faut donner le coup, ou bien le recevoir.
Comme ce coup est grand, tentez vostre courage ;
Ou si le cœur* vous manque en un si grand ouvrage,
Au moins ayez des yeux pour voir executer,
600 Ce qu’une vaine peur vous defend de tenter* :
Oüy, oüy, si vous tremblez, venez voir une femme,
Achever hardiment le complot qu’elle trame,
Et vous faire advoüer, qu’elle n’aura pas moins
De grands admirateurs, qu’elle aura de témoins.

MERZABANE.

605 Madame, si jamais j’avois manqué de zele,
Pour rendre à vos desirs un service fidelle,
Vous pourriez soupçonner en cette occasion,
Mon ardeur, mon courage, & ma discretion ;
Mais vous ayant donné tant de preuves certaines,
610 Que pour moy, vos desirs sont des loix souveraines,
Pardonnez si je dis à vostre Majesté, {p. 31}
Qu’elle a tort de douter de ma fidelité.
Madame, croyez donc que pour vostre service,
Il n’est rien que je n’ose, & que je n’accomplisse ;
615 J’apporterai pour vous, & l’enfer & les Cieux,
Le fer, le feu, la mort, & les hommes et les Dieux :
Pour vous je trouveray tout acte legitime,
Je hazarderay* tout, ma gloire, mon estime,
Ma fortune*, mon sang, mon païs, mon honneur,
620 Pourveu que mon peril fasse vostre bon-heur.

SEMIRAMIS.

Vous ne hazardez* rien en un si bon office,
Puis que mesme Ninus sera vostre complice,
Et que ce lâche Roy, devenu mon sujet,
Secondera le coup, dont il sera l’objet*.
625 Pour trois jours seulement il me cede l’Empire,
Mais dés ce mesme jour je pretends* qu’il expire ;
Et que pour m’asseurer le Trône tout à fait,
Il signe de son sang le present qu’il m’a fait.

MERZABANE.

Madame, quand j’auray l’ordre qu’il me faut suivre,
630 Il cessera bien-tost de regner & de vivre.

SEMIRAMIS.

Quelqu’un vient, suivez moy, je vous diray comment
Vous pourrez obeïr à mon commandement.

SCENE IV. §

PRAZIMENE seule.

Tyran des cœurs, Bourreau des Ames, {p. 32}
Maistre des Humains, & des Dieux,
635 Redoutable vainqueur des plus ambitieux,
Dieu de fers*, de soûpirs, de tourmens, & de flâmes :
Amour, que les coups de tes traits*,
Ont d’abord de puissans attraits,
Qu’ils font une agreable & charmante blessure ;
640 Mais apres de si doux momens,
Helas ! que ton humeur change bien de nature,
Et qu’elle est fatale aux Amans.
En vain insensible & rebelle,
Mon cœur a long-temps combattu ;
645 Pour venger cet affront, tu punis ma vertu,
Par les legeretez* d’un Amant infidelle.
Ah ! si tu ne me faits raison
De cette injuste trahison,
Je sçay bien les moyens de braver ta malice ;
650 Et faisant un illustre effort,
M’affranchir de tes fers*, & de ton injustice,
Avecque les traits* de la mort.
Mais c’est la commune allegeance [E; 33]
Que cherchent les foibles Esprits ;
655 Aux mépris d’un ingrat, opposons le mépris,
Et de ses propres traits*, faisons nostre vengeance :
Que son nom soit ensevely
Dedans un eternel oubly,
Que ses feintes* ardeurs sortent de ma memoire ;
660 Et que par de justes dédains,
Mes yeux reparent tost, en dépit de sa gloire,
La faute qu’ont feinte* mes mains.
Melistrate ! ô grands Dieux ! est-il bien veritable,
Que d’un crime si noir il ait esté capable ?
665 La fortune* auroit-elle à ce poinct aveuglé,
Cet Astre de la Cour, cet Esprit si reglé ?
Ah ! quoy que son forfait ait beaucoup d’apparence,
Mes yeux peuvent à peine établir ma creance,
Et je sens en mon cœur un secret mouvement,
670 Qui me parle en faveur de ce perfide Amant ;
J’écoute avec plaisir ce penser qui me flate,
Et puis je le détruis, & blâme Melistrate.
Ah ! desordres confus de mes pensers errans,
Où se termineront mes desseins differens ?
675 Je deteste son nom, je le hay, je l’abhorre,
Je le fuis, je le crains, & si je l’aime encore :
Je sens mon feu* s’éteindre, & puis se r’allumer ; {p. 34}
Je ne le puis haïr, je ne le puis aimer,
Le dépit me saisit, & puis il m’abandonne,
680 Tantost je le condamne, apres je luy pardonne ;
Et dans ces flots divers, qui viennent m’agiter,
Mon esprit incertain ne sçait où s’arreter :
Ah ! c’est trop... Mais, ô Dieux ! ne vois-je point paraistre
Le Confident adroit d’un si perfide Maistre ?
685 Oüy, c’est luy ; que feray-je ?

SCENE V. §

PRAZIMENE, PALMEDON.

PRAZIMENE.

Advancez, Palmedon ;
Qu’est-ce, me venez-vous demander un pardon,
Pour le plus insolent & plus lâche des hommes,
Qu’ait soûtenu la Terre en ce siecle où nous sommes ?
Ou pour plaire à ce cœur en crimes si feconds,
690 Venez-vous au premier adjoûter le second ?
Ce vainqueur orgueilleux, ce superbe* courage,
Veut-il de mon amour quelqu’autre témoignage ?
N’est-il pas satisfait de ceux qu’il a receus ? {p. 35}
Ne répondent-ils pas aux vœux qu’il a conceus ?
695 Ont-ils trop de froideur, ou trop d’indifference,
Pour étaler ma honte, ou bien son arrogance ?
Ayant jetté ma Lettre avec tant de mépris,
Peut estre que l’ingrat veut r’avoir ses écrits ;
Et vous, pour obeïr à cette ame hautaine,
700 Vous les redemandez peut-estre à Prazimene.
Mais quoy qu’ils soient formez & signez de son sang,
Qu’il sçache neantmoins, que celles de mon rang,
A sa confusion, ont assez de courage,
Pour avoir méprisé ce honteux avantage.
705 Oüy, si ce projet seul vous amene en ces lieux ;
Vous pouvez retourner vers cet ambitieux,
Et luy certifier que j’ay reduit en cendre,
Les Lettres dont les traits* ont pensé me surpendre ;
Et que son cœur ingrat, que j’estimois à tort,
710 S’il estoit en mes mains, auroit un mesme sort.

PALMEDON.

Confus, triste, pensif, je ne sçay que resoudre,
Ayant oüy gronder l’épouventable foudre,
Qui menace aujourd’huy le Heros plus parfait,
Et le plus innocent que la Nature ait fait.
715 Mais, ô Dieux ! quels Demons pleins d’envie & de rage,
Ont si soudainement excité cet orage ?
Qu’ay-je veu ? qu’ay-je oüy? quelles impressions, {p. 36}
Causent en vostre cœur ces alterations ?
Quoy, Madame, est-ce en vous que cette haine éclate ?
720 Est-ce vous qui se plaint, & blâme Melistrate ?
Vous qu’il aime, ou plûtost qu’il adore en tous lieux,
Avec plus de respect, qu’on n’adore les Dieux.
Quoy, vous traittez d’ingrat, d’insolent & de traistre,
Le plus fidelle Amant que le Ciel ait fait naistre ?
725 Quoy, vous le condamnez, & mesme sans l’oüir ?
Luy qui mourroit cent fois, plûtost que vous trahir.
Ah ! quittez cette erreur, & quittez la pensée,
Que par aucun mépris il vous ait offencée ;
Il est toûjours luy-mesme ; il est toûjours à vous,
730 Et merite, sans doute, un traittement plus doux.
Apres tant de respects, apres tant d’asseurances,
D’ardeurs, de vœux, de soins, de pleurs, d’obeïssances,
D’un veritable amour, ordinaires témoins,
Vous deviez bien, Madame en douter un peu moins.
735 Comment avez-vous pû si legerement croire,
De si faux sentimens, formez contre sa gloire ?
Quel charme* si puissant a pû vous ébloüir ?

PRAZIMENE.

Celuy qu’il souhaittoit afin de me trahir,
La Lettre qu’en son nom vous m’avez demandée,
740 Et qu’enfin ma pitié vous avoit accordée :
Oüy, ce funeste écrit que vous eustes de moy, {p. 37}
Quand son perfide sang m’asseuroit de sa foy,
Estant par son moyen au pouvoir de la Reyne,
Fait aveque raison éclater Prazimene.
745 S’il m’avoit adorée avec tant de ferveur,
Il auroit mieux gardé cette insigne* faveur,
Et n’auroit pas rendu par un traict* qui me pique,
Sa vanité visible, & ma honte publique.

PALMEDON.

Ah ! Madame, il suffit : Souffrez*, au nom des Dieux,
750 Que Palmedon icy vous desile les yeux,
Et qu’il vous fasse voir, qu’une fausse apparence,
Vous fait injustement condamner l’innocence :
Il est vray que l’écrit dont vous m’avez parlé,
Luy fut dernierement dans sa chambre volé,
755 Tandis qu’il reposoit, & qu’il songeoit encore,
Au present qu’il tenoit d’une main qu’il adore.
Oüy, Madame, aussi-tost qu’il eut receu de moy
Ce gage mutuel d’une constante foy,
Il baisa mille fois ce divin caractere,
760 Le sommeil le surprit ; & lors* un temeraire,
S’approchant de son lit en ce triste moment,
Sans doute luy ravit un tresor si charmant.
Helas ! à son réveil quelle fut sa tristesse,
Quand il ne trouva plus l’écrit de sa Princesse !
765 Ah ! Je vis sa douleur, je vis son desespoir, {p. 38}
Et plût aux Dieux alors, que vous l’eussiez pû voir ;
D’une juste pitié, vostre belle ame atteinte,
Eut de ce cher objet* détourné vostre plainte.
Pour la faire éclater avec plus de raison,
770 Contre le lâche autheur de cette trahison.
Merzabane, Madame, a fait ce trait* perfide,
Pour perdre Melistrate, & servir Oronclide,
Qui n’ozant jusqu’à vous élever ses esprits,
Bâtira desormais sur ce triste debris.
775 Mais helas !

PRAZIMENE.

C’est assez, n’en dy pas davantage,
Tes puissantes raisons ont appaisé l’orage,
Qui m’a presque reduite à descendre au tombeau ;
Mais à peine j’en sors, que j’en crains un nouveau :
Le projet d’Oronclide est une autre tempeste,
780 Dont déjà les éclairs ont menacé ma teste ;
Mais avant qu’elle soit en estat d’éclater,
Puis que je la prevois, je pourray l’eviter.

PALMEDON.

Melistrate revient, & je croy que ses palmes
Pourront rendre vos jours plus serains & plus calmes ;
785 Je vous venois, Madame, annoncer son retour.

PRAZIMENE.

Tu me rends, Palmedon, & la vie & l’amour.

Fin du Second Acte.

{p. 39}

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

NINUS, SEMIRAMIS, MERZABANE, ORONCLIDE, CAMBISES, ZENOPHIRE,& les Gardes.

NINUS au Trône.

Enfin voicy l’heureuse & celebre journée,
Que la mesme vertu se verra couronnée,
Et que le plus parfait des ouvrages des Cieux,
790 Regnera sur un Trône égal à ceux des Dieux.
Princes, qui relevez de ce superbe* Empire,
Que tout le monde craint, & que le Ciel admire,
Appuy de cet Estat, & qu’on peut en ce jour,
Appeler justement les Astres de ma Cour :
795 Il est temps que ma voix vous fasse l’ouverture,
D’un projet admirable à toute la Nature,
Et vous rende sçavans en cette occasion,
Des illustres motifs d’une telle action.
Il faut premierement vous remettre en memoire, {p. 40}
800 Ces triomphes divers, & ces jours pleins de gloire,
Qui nous virent dompter tant de peuples puissans,
Les Parthes, ceux de Thir, les Medes, les Persans ;
Et puis vous souvenir quelles forces si prestes,
Bornerent* tout à coup le cours de nos conquestes.
805 Vous sçavez qu’animé de ces nobles ardeurs,
Qu’inspire le desir, de nouvelles grandeurs,
Au Roy des Syriens, je dénonçay la guerre,
Que j’armay contre luy presque toute la Terre,
Et que je contraignis ce Prince genereux*,
810 De ceder au plus fort, ou du moins plus heureux.
Vous sçavez qu’Ascalon fut son dernier azile*,
Que je luy fis alors un tombeau de sa Ville ;
Et vous n’ignorez pas, qu’apres ce grand effort,
L’Amour se resolut de combattre la Mort.
815 Oüy, ce pâle Demon de tant de funerailles,
M’ayant suivy toûjours en trois grandes batailles,
Fut enfin arresté par les traits* d’un enfant,
Que deux yeux tout divins rendirent triomphant.
Souvenez-vous un peu quelle fut l’asseurance,
820 La generosité, l’adresse, & la vaillance
Du redoutable bras qui m’oza défier*,
Et tenter* les hazards* d’un combat singulier.
Ne m’advoüerez vous pas qu’une telle personne,
Qui sçait vaincre des Roys, merite une Couronne ?
825 On n’en sçauroit douter, & c’est ce que je veux, [F; 41]
Pour luy rendre justice, & contenter ses vœux :
Vous la voyez icy, cette personne auguste*,
Que je dois honnorer d’un hommage si juste :
Oüy, c’est ce rare objet*, cette Semiramis,
830 Dont le bras a defait un monde d’ennemis,
Cet objet* si charmant qui fait toute ma gloire,
Que le destin revere*, & que suit la victoire,
Semiramis enfin, dont les nobles travaux,
Apres cent beaux combats, m’ont rendu sans rivaux.
835 Mais en vain je vous faits ces brillantes peintures,
Puis que vous avez veu ses hautes avantures,
Et que de tant d’exploits, de prudence, & de soins,
Elle vous a rendus les illustres témoins.
Combien de fois couverte, & de sang & de poudre,
840 A t’elle devant moy passé comme la foudre ?
De combien de dangers m’a-t’elle retiré ?
Combien de fois son bras, aussi craint qu’admiré,
A-t’il des plus vaillans étonné* le courage,
Et forcé les vainqueurs à changer de visage ?
845 Lors que dans les conseils je la laissois agir,
Ne vous a-t’elle pas vous mesme fait rougir ?
Et contraint maintes fois les ames plus altieres*,
De ceder à l’éclat de ses vives lumieres ?
Je pourrois adjoûter à tant de beaux effets,
850 Ceux que ce grand esprit a produits dans la paix,
Ces murs si renommez, dont ma belle Amazone, {p. 42}
N’a pas moins embelly, que muny Babilonne,
Ces Temples si fameux, & ces Palais divers,
Dont la magnificence étonne* l’Univers :
855 Mais laissant à vos yeux l’objet* de ces merveilles,
Des plus rares effets vont charmer vos oreilles.
Pour donner à des traits*, si doux & si charmans,
Et leur perfection, & leurs finissements,
Figurez vous ma Reyne, alors qu’elle surmonte,
860 Dans l’horreur de la nuit, le traistre Thermodonte :
Voyez la qui s’habille, & qui s’arme à demy,
Pour aller repousser ce superbe* ennemy,
Qui pressé des transports* d’une ardeur sans égale,
Venoit pour attenter* à ma couche Royale :
865 Voyez la teste nuë, & les cheveux épars,
Fendre un Peuple surpris en ses propres rempars,
Rétablir le desordre, arrester l’insolence,
Faire agir la valleur, avec la prudence ;
Et d’un bras, par les Dieux à vaincre destiné,
870 Immoler à ses pieds, un Monstre couronné.
Apres cette action, & mille exploits celebres,
Dont l’éclat se perdit dans l’horreur des tenebres,
Puis-je, sans estre injuste, & passer pour ingrat,
Refuser à ses mains les resnes de l’Estat ?
875 Non, non, ce n’est pas mesme un salaire assez ample,
Et c’est trop peu qu’un Trône, à qui merite un Temple :
Toutefois, puis qu’enfin un objet* si parfait, {p. 43}
Borne* là ses desirs, approuvons en l’effet ;
Et luy cedans les droicts de ma toute-puissance,
880 Rendons luy le premier entiere obeïssance :
Que chacun se dispose à ce juste devoir ;
Rendez comme vassaux, hommage à son pouvoir ;
Prestez luy le serment ; & reverez* en Reyne,
Celle qui desormais est vostre Souveraine.

MERZABANE.

885 Grand Prince, pardonnez à ma temerité*,
Si je dis franchement à vostre Majesté,
Que j’ay pour ma patrie une ame trop fidelle,
Pour faire jamais rien, qui soit indigne d’elle,
Ou souffrir* que mon cœur consente lâchement,
890 A ce prodigieux* & triste changement.
Les revolutions, encore que fameuses,
En matiere d’Estat, sont toûjours dangereuses ;
Et l’on n’a jamais veu dans les siecles passez,
De Princes souverains, qui se soient abaissez.
895 On dit bien qu’autrefois le Dieu de la lumiere,
Receut de Phaëton une mesme priere ;
Et que trop indulgent à ses superbes* vœux,
Il le mit, pour un jour, sur son Char lumineux ;
Mais on asseure aussi, qu’errant à l’aventure,
900 Son desordre pensa ruiner la Nature ;
Et que pour le punir d’un si funeste orgueil, {p. 44}
Le feu fit son supplice, & l’onde son cercueil.
Je confesse, Seigneur, en parlant de la sorte,
Que j’écoute un peu trop le zele qui m’emporte ;
905 Et parmy vos vassaux, je ne sçaurois nier,
Que mon advis ne doive estre dit le dernier :
Mais voyant qu’ils n’ont pas le cœur* ny l’asseurance,
De parler en un fait de telle consequence ;
J’aime bien mieux faillir par ma sincerité,
910 Que par ma complaisance, ou par ma lâcheté.
Que la Reyne, ô grand Roy, s’il luy plaist, me pardonne,
Si du joug de ses Loix, j’affranchis ma personne ;
Ne la pouvant subir, j’aime mieux dés ce jour,
Pour le temps de son Regne, abandonner la Cour,
915 Et m’exempter au moins de cette honte infame,
Qu’on ait veu Merzabane, Esclave d’une Femme.

NINUS.

Dy plûtost qu’un Esprit sous le vice abattu,
Ne reconnoit jamais les Loix de la vertu.
Mais en vain d’une voix insolente & prophane,
920 Tu choques* mes desirs ; souviens-toy, Merzabane,
Que tu te dois resoudre à sentir mon courroux,
Ou bien luy rendre hommage, & mesmes à genoux ;
Et si durant le temps qu’elle aura cet Empire,
Aucun de cette Cour s’absente ou se retire,
925 Je jure par le feu, Saincte Divinité, {p. 45}
Qu’il se repentira de sa temerité*.
Avancez donc, Madame, & prenez, grande Reyne,
Avec ces ornemens, le rang de Souveraine ;
Usez sur nous des droicts d’un pouvoir absolu.

MERZABANE.

(A part, tandis que les Roys rendent leurs hommages à Semiramis.)
930 Hé bien j’obeïray, puis que tu l’as voulu ;
Mais puis qu’en ce devoir tu me faits violence,
Si tu viens à perir par mon obeïssance,
Souvien-toy pour le moins que cet evenement,
Ne sera que l’effet de ton commandement.

SEMIRAMIS au Trône.

935 Princes, si j’ay receu ces adorables marques,
Qu’a remis en mes mains le plus grand des Monarques,
Ne vous figurez pas, qu’en cette occasion,
Je n’aye eu pour objet*, que mon ambition,
Puis qu’enfin vous verrez que mon ame n’aspire,
940 Qu’à l’affermissement de ce superbe* Empire,
Et que dans peu de temps, vous connoistrez en moy,
Un cœur* beaucoup plus grand que d’un homme & d’un Roy.
Mais avant que je passe à cette experience,
Voyons quelques effets de vostre obeïssance ;
945 Retirez-vous, Ninus, & comme mon sujet,
Laissez-moy desormais achever mon projet ;
Vostre presence icy ne m’est plus necessaire. {p. 46}

NINUS s’en allant.

Il est de mon devoir d’obeïr, & me taire.

SEMIRAMIS.

Allez.

SCENE II. §

SEMIRAMIS, CAMBISES, ZENOPHIRE, ORONCLIDE, MERZABANE, & les Gardes.

SEMIRAMIS debout.

Dieux ! que feray-je ? & quel est mon dessein ?
950 Je tremble, je fremis, le cœur me bat au sein ;
Sur le poinct de parler, j’ouvre & ferme la bouche,
Et sens je ne sçay quoy dans l’ame qui me touche :
Toutesfois c’est en vain que je veux reculer,
Le trait* déjà lancé, ne se peut rappeller ;
955 Il faut, il faut franchir constamment la carriere ;
Et qu’avecque le Sceptre, il perde la lumiere.
Elle se remet au Trône, & continuë.
Si par mes yeux, Seigneurs, ou par mon action,
Vous voyez maintenant quelque alteration,
Peut-estre croyez-vous que mon esprit s’étonne*, {p. 47}
960 Ou se trouve accablé du faix d’une Couronne :
Mais vous pouvez penser, qu’ayant veu sous nos pieds,
Avecque leurs grandeurs, des Roys humiliez,
Nostre cœur est trop bon, & nostre ame trop ferme,
Pour estre jamais mise en un si mauvais terme.
965 Sçachez donc que le trouble où je suis à present,
Naist d’un sujet plus juste, & beaucoup plus puissant ;
Et que Semiramis n’en peut estre affranchie,
Sans se trahir soy-mesme, ou cette Monarchie.
Vous voyez bien, Seigneurs, ainsi que je le vois,
970 Le tort qu’on vient de faire au sacré rang des Roys ;
Et je ne doute point, qu’un si sensible* outrage,
De vos sens interdits*, ne suspende l’usage ;
Mais que par cet affront, vos esprits rappellez,
Vous vengent de vos droicts lâchement violez ;
975 Il me cede ses droicts, son Sceptre, sa Couronne,
Il m’abandonne tout, & je vous l’abandonne :
Mais que dis-je, il me cede ? il ne me cede rien,
Ce Trône est mon partage, & ce Sceptre est mon bien ;
Vous parlant de ses droicts, ma langue s’est trompée,
980 Il me rend seulement ma couronne uzurpée ;
Et ce lâche ennemy des Peuples & des Roys,
Se rendant mon sujet, ne me rend que mes droicts :
De cet usurpateur, cet Estat fut la proye,
Il se fit à l’Empire une sanglante voye ;
985 Et de sa propre main, mon pere massacré, {p. 48}
Du Trône où je l’ay veu, fut le premier degré* :
Oüy, son tombeau servit à ce sanglant ouvrage,
Dont le funeste objet* réveille mon courage ;
Il me dit qu’un Tyran dont je veux le trépas,
990 M’en doit pareillement former le premier pas.
C’est ce que je demande, & ce qu’il vous faut faire,
Pour appaiser les Dieux, & l’ombre de mon Pere,
Qui vous voyant subir d’illegitimes Loix,
Pour vous en affranchir, vous parle par ma voix.
995 Ne luy refusez pas ce juste sacrifice,
C’est un sujet coupable, & je veux qu’il perisse.
Si j’ay jusques icy son trépas differé,
Ce n’estoit qu’à dessein de le rendre asseuré,
Et pour ne pas manquer, par trop d’impatience,
1000 Une si raisonnable & si noble vengeance.
Merzabane, on vous a commandé d’obeïr,
Songez que mon espoir ne se doit point trahir,
Qu’il veut un prompt effet, que je suis Souveraine,
Qu’il faut suivre mes Loix, ou redouter ma haine ;
1005 Et quiconque ozera me choquer*, ou m’aigrir,
Qu’il doit, avec Ninus, se resoudre à perir.

SCENE III. §

[G; 49]
CAMBISES, ZENOPHIRE, MERZABANE,ORONCLIDE.

MERZABANE.

He bien, Seigneurs, enfin qu’elle est vostre pensée ?
Prendrons-nous le party d’une Reyne offensée ?
Subirons-nous le joug où nous sommes soûmis ?
1010 Serons-nous ses sujets, ou bien ses ennemis ?
C’est Ninus qui nous fait un si sensible* outrage.
Quoy ? comme il fut sans cœur*, serez-vous sans courage ?
Qui vous rend de la sorte interdits*, & confus ?

ZENOPHIRE.

Un trouble, Merzabane, où jamais je ne fus,
1015 Un prodige* incroyable, une étrange* merveille,
Qui fait qu’avec raison je doute si je veille.

ORONCLIDE.

Certes, ce changement est si prodigieux*,
Que mon esprit encor le dispute à mes yeux ;
Et cette verité tient si fort du mensonge, {p. 50}
1020 Que mesme en la voyant, je croyois faire un songe :
Mais enfin ma raison a rêveillé mes sens,
Que tenoient assouppis des charmes* si puissans ;
Et tout ce que j’ay veu n’a plus rien qui m’étonne.
On reçoit aisément l’éclat d’une Couronne ;
1025 Mais quand il faut quitter un si bel ornement,
Un cœur ambitieux s’y resout rarement.
Pour cette qualité si pompeuse & si chere,
L’Enfant assez souvent s’arme contre le Pere ;
Et le Frere envieux d’un pouvoir souverain,
1030 Dispute quelquefois le Sceptre à son germain.
Ne presumez donc pas que la Reyne le quitte,
Cette haute vengeance, où sa voix vous invite,
Est sans doute un moyen quelle veut obtenir,
Pour s’asseurer le Trône, & pour s’y maintenir.

CAMBISES.

1035 Mais on peut mépriser une injuste demande,
Et rétablir Ninus.

ORONCLIDE.

Oüy, mais elle commande ;
Et dans l’estat qu’elle est, ne luy pas obeïr,
C’est pour sauver Ninus, nous mesmes nous trahir :
Elle est femme, il est vray, mais femme genereuse*,
1040 Invincible, prudente, adroitte, & valeureuse ;
Et qui dés qu’elle auroit nos desseins reconnus, {p. 51}
Sans doute nous perdroit, aussi bien que Ninus.
Nous avons tous souffert* qu’il luy rendit hommage,
Et cette tollerance à present nous engage ?
1045 Puis qu’enfin le silence est un consentement,
En cette occasion, qui tient lieu de serment.

MERZABANE.

Non, non, il n’est plus temps de marcher en arriere,
Nous sommes trop avant dedans cette carriere,
Il faut que desormais nous allions jusqu’au bout ;
1050 Et puis qu’il est certain que la Reyne peut tout,
Ne nous immolons point, pour le salut d’un autre,
Et pour son interest, n’oublions point le nostre ;
Le trépas de Ninus, est le bien de l’Estat ;
Car pensant se remettre en son premier éclat,
1055 Les refus qu’il aura de la part de la Reyne,
L’empliront aussi-tost de dépit & de haine,
Qui semant parmy nous mille divisions,
Combleront tout d’horreurs, & de confusions.
Par toute l’Assyrie, & par toutes les Villes,
1060 On ne verra que meurtres & que guerre civiles,
Qui d’un si grand Empire, & tant d’Estats si beaux,
Ne feront à la fin, que de tristes tombeaux :
Oüy, je vous vois déjà déchirer vos entrailles,
Et des fleuves de sang arrouser vos murailes,
1065 Si nous ne prevenons par un coup rigoureux, {p. 52}
Mais necessaire enfin, des jours si malheureux.

ZENOPHIRE.

Hé bien, puis que si bien tu nous en dis les causes,
Passe jusqu’aux effets de ce que tu proposes ;
Et puis que de ce coup dépend nostre bon-heur,
1070 Nous t’en voulons ceder, & la gloire & l’honneur.

ORONCLIDE.

Suivez ce sentiment qu’approuve Zenophire,
Puis que c’est le salut du Peuple & de l’Empire ;
Un long retardement n’apporte point de fruit,
Et le dessein qu’il trame est à demy détruit ;
1075 La valeur sert icy moins que la diligence.

MERZABANE.

Reposez-vous sur moy de ce coup d’importance ;
Puis que vous consentez, il va perdre le jour,
Victime infortunée, & d’Estat & d’Amour.

SCENE IV. §

{p. 53}
MERZABANE, ORONCLIDE.

MERZABANE.

De ce pas, Oronclide, allez treuver la Reyne,
1080 Vous la rencontrerez dans la salle prochaine ;
Elle vous veut parler, suivez aveuglement,
Et ses intentions & son commandement.
Je vay treuver Ninus, elle veut qu’il perisse ;
J’en vay faire en secret un sanglant sacrifice.
1085 Cependant gardez-vous d’éventer ce dessein ;
Et ne permettez pas qu’il vous sorte du sein,
Que dans ce mesme lieu vous ne voyez paroistre
Melistrate reduit en l’estat qu’il doit estre.
Il revient, & tantost, comme je l’ay pû voir,
1090 On a fait choix de vous, pour l’aller recevoir.

Fin du Troisième Acte

{p. 54}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

MELISTRATE, ORONCLIDE, PALMEDON, & suitte.

MELISTRATE.

Grand Prince, l’ornement & l’honneur de l’Asie,
Je treuve de l’excés en vostre courtoisie ;
Tant de civilitez ont pour moy trop d’éclat,
Et c’est trop s’abaisser, pour un simple soldat.
1095 C’estoit chez vous, Seigneur, qu’il vous falloit attendre
Les devoirs que je suis obligé de vous rendre,
Et non pas prevenir à ma confusion,
Et mes justes respects, & mon affection.

ORONCLIDE.

Ce n’est de mes devoirs que la moindre partie,
1100 Et tout l’excés paroist en vostre modestie,
Puis que je ne pouvois prendre un plus digne employ, {p. 55}
Que d’aller recevoir & mon Maistre & mon Roy.

MELISTRATE.

Quoy, Seigneur, feignez* vous de ne me pas connoistre ?
Ninus est vostre Roy, Ninus est vostre Maistre,
1105 Je suis sa creature ; & je suis trop peu vain*,
Pour usurper des droicts deus à mon Souverain.
Allez donc, Oronclide, allez luy rendre hommage,
Et ne me tenez pas un injuste langage,
Je vous suivray de pres ; & je vous feray voir,
1110 Que je me sçay connoistre, & faire mon devoir.

ORONCLIDE.

Quand vous sçaurez aussi quel est l’estat des choses,
Et de mon procedé les raisons & les causes,
Je croy pareillement que je vous feray voir,
Que je me sçay connoistre, & faire mon devoir.
1115 Je sçay bien, & j’advouë avec toute la Terre,
Que ce bras triomphant, que ce foudre de guerre,
Qui dispose à son gré du destin des Estats,
Ayme à les maintenir, & ne les pretend* pas.
Je sçay bien que l’orgueil est un monstre qu’il brave,
1120 Que l’ambition cede, & qu’elle est vostre Esclave ;
Mas si nous negligions un si genereux* bras,
Apres tant de vaincus, il feroit des ingrats ;
Et nous meriterions d’expier nostre offence, {p. 56}
Dessous le mesme fer* qui prit nostre defense,
1125 Si l’Assyrie enfin ne donnoit aujourd’huy,
Son Sceptre & sa Couronne, à qui fut son appuy :
Oüy, Seigneur, croyez-moy, la saison est venuë,
Qu’on verra la vertu dignement reconnuë,
Et que sans concurrens, ainsi que sans rivaux,
1130 Vous joüirez du fruit de vos nobles travaux.
La gloire que vos faits répandoient sur un autre,
Retournera sur vous, & sera toute vostre ;
Les Soldats dont l’ardeur secondoit vos projets,
De vos imitateurs, deviendront vos sujets ;
1135 Et vostre authorité desormais sans seconde,
Vous rendra de vassal, le plus grand Roy du monde.
Enfin, Ninus est mort. Quoy, je vous vois pâlir ?
Ah ! son Trône est un lieu que vous devez remplir ;
Les marques de son sang vous en tracent la voye,
1140 Ne luy donnez donc point que des larmes de joye ;
Et ne soûpirez pas pour un heureux malheur,
Qui vous doit élever à ce haut rang d’honneur.

MELISTRATE.

Comment, Ninus est mort, & vous parlez de joye,
Vous voulez qu’en son sang ma tristesse se noye ?
1145 Ah ! discours sans raison ! ô penser plein d’horreur !
La joye est insensée, où regne la fureur !
Ninus est mort ? ô Dieux ! & comment Oronclide, [H; 57]
L’a-t’on assassiné ? quel est son homicide ?
Ce traistre, cet ingrat, respire-t’il le jour ?

ORONCLIDE.

1150 Oüy, Seigneur.

MELISTRATE.

Qui ?

ORONCLIDE.

Vous.

MELISTRATE.

Moy ?

ORONCLIDE.

Vous, ou plûtost l’Amour.
Oüy, ce cruel Enfant que vous avez fait naistre,
Est ce lâche assassin, cet ingrat, & ce traistre ;
Mais dont le crime enfin nous semble juste & doux,
Puis que ce qu’il nous oste, il le repare en vous.

MELISTRATE.

1155 Quoy, l’Amour produit-il les effets de la haine ?
Mais quel est ce amour, & de qui ?

ORONCLIDE.

De la Reyne.

MELISTRATE.

De la Reyne, Seigneur ? Ah ! ne m’éprouvez point, {p. 58}
Mon esprit n’est pas vain* ny credule à ce poinct.

ORONCLIDE.

Il est vray toutefois.

MELISTRATE.

Et peut-estre, Oronclide,
1160 Vous croyez que je puis aymer cette perfide,
Et qu’une aveugle ardeur sera l’indigne prix
Du plus lâche attentat* que l’on ait entrepris !
Est-il possible, ô Ciel ! que l’éclat de ma gloire,
Soit aujourd’huy soüillé d’une tâche si noire !
1165 Et que l’ingratte ait crû, qu’un crime plein d’horreur,
Fut le degré* d’un Trône, & la clef de mon cœur !
Non, non, je ne veux point d’un present si funeste ;
Loin de le souhaiter, mon ame le deteste ;
Et je croirois mon sort* & plus doux & plus beau,
1170 Si plûtost que le Trône, on m’offroit le tombeau.
Ah ! que ne suis-je mort au milieu des batailles,
Toute une armée en deüil eut fait mes funerailles ;
Je serois glorieux, & j’aurois le bon-heur,
D’avoir finy mes jours dedans le lit d’honneur ;
1175 Au lieu que par un sort* horrible à ma memoire,
Je survis à mon Prince, & peut-estre à ma gloire.

ORONCLIDE.

Dites que par un sort* aussi beau que charmant, {p. 59}
Vous survivez au Prince, & glorieusement,
Veu que par un effet dont l’Univers s’étonne*,
1180 Le coup qui l’a détruit, vous laisse une Couronne ;
Et que pour ce bonheur qui dévroit vous charmer,
Il vous faut seulement vous resoudre d’aimer.

MELISTRATE.

Vous me connoissez mal, de me croire capable,
D’estre jamais atteint d’un feu* si detestable.
1185 Apprenez Oronclide, en cette occasion,
Que je suis sans amour, & sans ambition ;
Ce superbe* appareil, qui trompe tant de Princes,
Qui rougit si souvent du sang de leurs Provinces,
Et ce faste orgueilleux, où l’on croit tant d’appas*,
1190 Cache seulement l’homme, & ne l’honnore pas :
C’est la vertu qui fait les Maistres de la terre,
Et qui met leur grandeur à l’abry du tonnerre ;
C’est elle, dont l’effort aussi juste que doux,
Met les humbles au Trône, & les grands à genoux ;
1195 Sans elle un Potentat n’est qu’une belle feinte*,
Qu’une Idole qu’on flatte, à cause quelle est crainte ;
Tenant un Sceptre en main, il n’est qu’un corps orné ;
Il porte une Couronne, & n’est pas couronné.

ORONCLIDE.

Mépriser de la sorte une grandeur Royale, {p. 60}
1200 C’est pratiquer sans doute une étrange* Morale ;
L’estat le plus parfait où l’on puisse aspirer,
C’est d’atteindre à celuy qui nous fait adorer.
Des sujets, un Palais, un Sceptre, une Couronne,
Le Daix, & les grandeurs qu’un Empire nous donne,
1205 Sont des poids trop pesans, pour ne pas renverser
Tout ce que vos raisons me pourroient opposer.

MELISTRATE.

Le Trône qu’établit le crime ou l’injustice,
A ses usurpateurs n’est qu’un grand precipice ;
L’Empire sans l’honneur ne fut jamais un bien ;
1210 La Couronne est un poids, & le Sceptre n’est rien.
Ne m’alleguez donc plus de si lâches maximes,
Et ne me rendez pas complice de vos crimes.
Allez & trop long temps vous m’avez combattu,
N’esperez pas jamais d’ébranler ma vertu,
1215 Ny que l’ambition fasse que je consente,
Qu’on reveste mon corps d’une pourpre* sanglante,
D’une pourpre* qu’a teinte en mille endroits divers,
Le sang du plus grand Roy qu’ait connu l’Univers.
Si malgré mes desseins, & contre mon envie,
1220 J’ay pû causer la fin d’une si belle vie,
Qu’on sçache que bien loin d’estre son successeur, {p. 61}
De mon consentement, j’en seray le vengeur.
Ou si pour empescher le courroux qui m’enflâme,
On tranche de mes jours la mal-heureuse trame,
1225 Pour nous venger tous deux en dépit de la mort,
C’est de toy, juste Ciel, que j’attends cet effort :
Arme en nostre faveur cette immortelle foudre,
Qui reduit les Palais & les Villes en poudre,
Ces flâmes, ces éclairs, & ce bras tout puissant,
1230 Si propice & si prompte à venger l’innocent.
Ou si jamais, grands Dieux, vous me croyez capable
De souffrir* sans horreur une offre si coupable,
Faites qu’auparavant que j’en vienne aux effets,
Que ma teste soit mise en butte à tous vos traits*,

ORONCLIDE.

1235 Voilà pour un bon-heur que ma voix vous annonce,
Une bien dédaigneuse & superbe* réponce !

MELISTRATE.

Et voilà pour un Prince, & grand & genereux*,
Un office bien bas, bien lâche, & bien honteux !
Est-ce vous que je vois ? est-ce vous, Oronclide,
1240 Qui me venez parler pour une parricide?
N’est-ce point un Phantosme, ou quelque illusion,
Qui s’offrant à mes sens, fait cette impression ?
C’est bien vous, si j’en crois les traits* de ce visage ; {p. 62}
Mais qu’il est mal d’accord avec vostre courage :
1245 Un si grand changement rend mon esprit confus ;
Et dans ce lâche estat, je ne vous connois plus.

ORONCLIDE.

Ce propos arrogant le fait assez paroistre,
Si dedans vostre orgueil vous m’aviez pû connoistre,
Vous parleriez d’un ton moins superbe* & moins haut ;
1250 Je vous puis envoyer du Trône à l’échafaut ;
D’un Arrest* plus puissant, qu’un éclat de la foudre,
Mettre tout vostre orgueil & vos lauriers* en poudre,
Et vous faire donner par la main d’un Bourreau,
Au lieu du Diadéme un funeste bandeau.

MELISTRATE.

1255 Quel qu’il soit, quelque main mesme qui me l’appreste,
Sans crainte & sans horreur, j’abandonne ma teste ;
Et je l’estimeray beaucoup moins odieux,
Que celuy qui t’aveugle, & l’esprit & les yeux :
Oüy, lâche ambassadeur d’une horrible furie,
1260 Et traistre à ton honneur, & traistre à ta patrie,
Tu peux executer ton barbare dessein,
Et redire à l’objet* qui te l’a mis au sein,
Qu’il n’est point de tourment, ny de mort si cruelle,
Qui ne me soit plus douce & plus aimable* qu’elle.

ORONCLIDE.

1265 Gardes, qu’on le conduise à mon appartement. {p. 63}

PALMEDON, mettant la main sur son espée.

Ah ! Seigneur.

MELISTRATE.

Palmedon.

ORONCLIDE.

Arrestez, autrement...

PALMEDON.

On me fera mourir, c’est ce que je demande.

MELISTRATE.

Arrestez, je le veux, & je vous le commande ;
Je vay suivre Ninus; & c’est beaucoup pour moy,
1270 Qu’on répande mon sang, sur celuy de mon Roy.

SCENE II. §

{p. 64}

ORONCLIDE seul.

O Fureurs ! ô desirs ! ô pouvoir d’une Reyne !
En cette occasion, que vostre ordre me gesne* !
Détruire Melistrate ? ah lâche ! quoy, veux-tu
Te détruire toy-mesme, & trahir ta vertu ?
1275 Ah ! revien ma raison, & fay mieux ton office,
Retire mon honneur des bords du precipice ;
Et malgré ma foiblesse en un pas si glissant,
Fay moy vivre equitable, ou, mourir innocent.

SCENE III. §

[J; 65]
MELISTRATE, ORONCLIDE, PRAZIMENE, PALMEDON,& les Gardes.

MELISTRATE de derriere le Theatre.

Ah !

ORONCLIDE.

D’où vient cette voix ? quel est ce bruit ?

PRAZIMENE.

Perfide,
1280 Voilà ce qui t’est deu.

ORONCLIDE.

Qu’est-ce donc ?

MELISTRATE.

Oronclide.

PRAZIMENE regardant Melistrate.

Justes Dieux ! qu’ay- je fait ?

MELISTRATE.

Je ne suis que blessé,
Acheve, acheve lâche, un coup mal commencé ;
Tu me serois cruel, estant plus pitoyable, {p. 66}
Frappe, éteints dans mon sang les jours d’un miserable,
1285 Et songe, quand le sort* attaque un mal-heureux,
Que le coup qui le tuë, est le moins rigoureux.

PRAZIMENE.

Ah ! ne l’accuse point, voicy le bras coupable,
Qui vient d’executer un coup si detestable.
Va, va, lâche instrument d’une aveugle fureur,
1290 Abandonne ma main, ton fer* me fait horreur ;
Toutesfois déloyal, vien punir une ingratte,
Vien passer dans mon sein, & venger Melistrate,
Vien percer...

ORONCLIDE.

Ah ! Madame, arrestez,

PRAZIMENE.

Laisse moy,
Ou plûtost venge un coup qui s’adressoit à toy ;
1295 Oüy, oüy, perce ce cœur, qu’une ardeur legitime
Armoit pour la vertu, mais qui commet un crime,
N’ayant pû discerner dans son aveuglement,
Le sein d’un ennemy, de celuy d’un Amant.
Non, ce coup t’appartient par une juste haine,
1300 Puny la déplorable & triste Prazimene,
Qui pensant te sauver, ou du moins secourir, {p. 67}
Aide à tes ennemis à te faire perir.

MELISTRATE.

Que vois-je ? est-ce un effet qu’ayent produit quelques charmes* ?
Est-ce vous ma Princesse ? ah ! laissez-là ces armes,
1305 Et faites moy perir d’un coup plus glorieux ;
Pour me percer le cœur, il suffit de vos yeux,
Sans qu’aucun autre effort serve à vostre colere,
Ils n’ont qu’à témoigner que j’ay pû vous déplaire ;
Et bien tost ma douleur reparera le tort,
1310 Que ce fer* vous a fait, en diferant* ma mort.

PRAZIMENE.

Ah ! qu’il faut bien plûtost que la mienne repare
L’outrage qu’à regret vous a fait ce barbare ;
Et que mes yeux confus par des traits* plus humains,
Monstrent qu’ils ne sont pas complices de mes mains ;
1315 D’un sang qui m’est si cher, ces cruelles sont teintes,
Mais croyez que mon cœur en ressent les atteintes,
Et que dans le tombeau je vous aurois suivy,
Si le jour, par ma main, vous eut esté ravy.
Non, je ne venois pas pour un coup si perfide,
1320 Je voulois vous sauver, en perdant Oronclide,
Que je sçavois chargé d’une commission,
Fatale à vos desirs, comme à nostre union.
Mais peut estre tandis que ce remords vous flate, {p. 68}
Mon imprudence icy hazarde* Melistrate ;
1325 Et je ne songe pas qu’il faut à son secours,
Employer d’autres soins, que de simples discours.

MELISTRATE.

Ah ! qu’ils sont souverains ! & que ces doux Oracles,
Font en un meme temps deux insignes* miracles !
Qu’ils font en ma faveur d’agreables efforts !
1330 Qu’ils sçavent promptement guerir l’ame & le corps !
Et que mesme la Mort a peine de pretendre*
Aucun droict sur un cœur que vous daignez defendre !
Dés lors que vous avez commencé de parler,
Mon sang, chere Princesse, a cessé de couler ;
1335 Et comme s’il eut veu que vous blâmiez sa course,
Il n’ose par respect s’éloigner de sa source ;
Mais inutilement vous avez diferé*
Le trépas que j’attends, & qui m’est preparé ;
Je vay mourir, Madame, & par la main d’un autre,
1340 Je ne meritois pas de mourir de la vostre ;
Et je treuve pourtant mon destin assez doux,
En ce poinct pour le moins, que je mourray pour vous.

PRAZIMENE.

Vous mourrez, dites-vous, & par la main d’un autre ?
Elle confondra donc mon sang avec le vostre ;
1345 Et le trait* de la Mort agissant à son tour, {p. 69}
Fera pour nos esprits, ce qu’auroit fait l’Amour :
Oüy, divisant nos corps, il unira nos ames,
Ses funestes glaçons n’éteindront pas nos flâmes ;
Et le fleuve d’oubly perdra sa qualité,
1350 Par ma perseverance & ma fidelité.
Mais dites-moy de grace, avant que m’y resoudre,
De quel bras si puissant doit partir cette foudre ?

MELISTRATE.

De celuy d’Oronclide & de Semiramis.

ORONCLIDE.

Ah ! ne me comptez plus entre vos ennemis.
1355 Je me rends, Melistrate, & je mets bas les armes,
Je cede à vos vertus, aussi bien qu’à vos charmes* ;
Et mon cœur qui s’estoit lâchement démenty*,
Quitte un projet injuste, & prend vostre party.
Ce monstre si fatal aux plus nobles courages,
1360 Et qui s’offre à nos sens sous mille faux visages,
L’ambition d’abord avecque son poison,
Avoit trompé mes sens, & seduit ma raison ;
L’Amour en mesme temps s’est rendu son complice ;
Et comme il est adroit & remply d’artifice,
1365 Il déguisoit mon crime avecque tant d’appas*
Que mon esprit charmé*, ne le connoissoit pas.
Mais maintenant, Seigneur, que vos vives lumieres {p. 70}
Ont dissipé la nuit qui couvroit mes paupieres,
Qu’à vostre auguste* aspect le bandeau m’est tombé,
1370 Et m’a rendu le jour qu’il m’avoit dérobé,
Que mon ambition cesse en vostre presence,
Perisse mon amour avec mon esperance,
Et perisse Oronclide avec Semiramis,
Si jamais on le voit entre vos ennemis.

MELISTRATE.

1375 Qu’entends-je, ô justes Dieux ! que l’on vous doit d’hommages,
D’avoir remis en l’un de vos plus beaux ouvrages,
Que le vice tenoit lâchement abattu,
Les nobles sentimens qu’inspire la vertu !
Que je vous dois d’encens, & que j’auray de gloire,
1380 Si ma captivité cause cette victoire,
Et si je contribuë à ce grand changement,
Lors que j’en attendois tout autre evenement !
Oüy, je n’en doute plus, je vois sur ce visage,
De vostre repentir un trop clair témoignage.
1385 J’oy du bruit, c’est la Reyne.

ORONCLIDE.

Ah ! sortons de ces lieux,
Il n’est pas temps encore de parestre à ses yeux ;
Sortons ; & vous verrez par un trait* sans exemple,
D’un juste repentir, une preuve assez grande.

SCENE IV. §

{p. 71}
SEMIRAMIS, MERZABANE.

SEMIRAMIS.

Ouy, sans vous je n’avois l’Empire qu’à demy,
1390 Le trépas de Ninus, a mon Trône affermy ;
Par un effet si prompt, j’ay connu vostre zele,
Et mesme en trahissant, que vous m’estiez fidelle :
Mais dites-moy comment & quel fut vostre abord ?
Et de quel front enfin il a receu la mort.

MERZABANE.

1395 D’un visage constant, & d’un courage ferme,
Il a veu de ses jours le déplorable terme ;
Et m’a fait reconnoistre, en mourant sans effroy,
S’il vivoit en sujet, qu’il expiroit en Roy.
Dés lors qu’il eut quitté vostre auguste* presence,
1400 Apres avoir cedé ses droicts & sa puissance,
Il se retira seul dans son appartement,
Où je le fis sans bruit investir promptement ;
Et laissant la plupart de mes gens à la porte, {p. 72}
J’entre ; Ninus alors me parle de la sorte.
1405 Qu’est-ce donc, Merzabane, & quel est vostre employ ?
Desire-t’on encor quelque chose de moy ?
Quelle commission en ce lieu vous ameine ?
Mon devoir, repliquay-je, & l’ordre de la Reyne ;
Vous-mesme vous m’avez commandé d’obeir.
1410 Il est vray, répond-il, garde de la trahir,
Toutes ses volontez sont des Loix qu’il faut suivre.
Et bien j’obey, dis-je ; & toy cesse de vivre.
Lors* ma main le frappant, il a dit seulement ;
Merzabane, je meurs, & peris justement ;
1415 Tu n’as que d’un moment prevenu mon envie,
Puis qu’en perdant le Sceptre, il faut perdre la vie.
Ce grand Prince, à ces mots, est enfin expiré ;
Et peu troublé du coup, je me suis retiré.

SEMIRAMIS.

C’est assez, nous pourrons, ainsi que je l’espere,
1420 Recompenser au Fils, les services du Pere,
Le voicy de retour.

SCENE V. §

[K; 73]
SEMIRAMIS, MERZABANE, ORONCLIDE, & suitte.

SEMIRAMIS.

He bien, qu’avez-vous fait ?
Nostre projet enfin aura-t’il son effet ?
Melistrate vient il ? & dois-je à sa personne
Preparer un supplice, ou bien une Couronne ?
1425 Hesite-t’il au choix, ou d’un Sceptre, ou des fers* ?

ORONCLIDE.

Non ; de ces deux presens à ce grand cœur offerts,
Le premier luy déplaist ; & sa haute constance,
Regarde le second avec indifference :
Enfin il m’a fait voir, qu’il aimoit beaucoup mieux,
1430 Estre Esclave innocent, que Monarque odieux.

SEMIRAMIS.

Quoy, loin de m’adorer, l’insolent me dédaigne !
Ah perfide ! C’est trop, tu sçauras que je regne ;
Et puis que tes mépris ont osé m’outrager, {p. 74}
Tu ne me verras pas moins prompte à me venger.
1435 Tu mourras, orgueilleux ; & ton ame hautaine,
Qui brave mon amour, éprouvera ma haine ;
Tu mourras. Ah, que dis-je ? ô vengeance ! ô courroux !
Haine, mépris, amour, où me reduisez-vous ?
Où me reduisez-vous, imperieuse flâme ?
1440 Si Melistrate meurt, que deviendra mon ame ?
Les coups qui la tiendront, ne m’atteingnent-ils pas ?
Sa mort n’est-elle point l’arrest* de mon trépas ?
Et quoy que je propose en ma fureur extréme,
Le puis-je perdre enfin, sans me perdre moy-mesme ?
1445 Non, qu’il vive. Mais quoy ? je luy suis en horreur,
Il faut donc, il faut donc qu’il sente ma fureur :
Oüy, oüy, vengeons sur luy l’outrage par l’outrage,
Donnons cet insolent pour victime à ma rage,
Enterrons, & la cause & l’objet* de mes feux*,
1450 Et puis, s’il est besoin, perdons-nous avec eux.
Son plaisir fait mon deüil, son repos fait ma peine,
Son espoir fait ma crainte, & son amour ma haine ;
Et ce qui plus m’outrage & blesse mes esprits,
C’est que seule je suis l’objet* de ses mépris.
1455 Faisons donc reconnoistre à cette ame arrogante,
Que Melistrate est foible, & moy toute puissante ;
Que tout me doit ceder, que mes vœux sont des Loix,
Qu’il n’est rien qu’un sujet, & moy Reyne des Roys.

[ORONCLIDE.]

{p. 75}
Ne diferez* donc point, que vostre haine éclate,
1460 En Oronclide icy vous trouvez Melistrate,
Son ame vit en moy, mon ame vit en luy,
Mesme cœur, mesme esprit nous anime aujourd’huy ;
De qui que le sang coule, on le peut dire nostre,
La fortune* de l’un, se communique à l’autre ;
1465 Et le Ciel fait en nous de si justes accords,
Que vous frappez son cœur, si vous frappez mon corps.

MERZABANE.

A-t’il perdu le sens ?

SEMIRAMIS.

Que dit ce temeraire ?

ORONCLIDE.

Je dis ce que je dois, & que vous devez faire,
Plûtost que d’étouffer ma gloire & mon honneur,
1470 Par les lâches effets d’un conseil suborneur ;
Mais avant desormais qu’on m’y puisse resoudre,
Lancez, lancez sur moy les carreaux de la foudre,
Dieux justes, Dieux vengeurs, plûtost que de souffrir*,
Qu’ingrat à vos faveurs, je les laisse perir.
1475 Vous avez attaché mon honneur à ma vie,
Que la perte de l’un, soit de l’autre suivie ;
Ou si chacun des deux doit perir à son tour,
Au moins avant l’honneur, que je perde le jour.

SEMIRAMIS.

C’est donc de la façon que je suis obeïe, {p. 76}
1480 L’Amant m’a méprisée, & l’Amy m’a trahie ;
Bien, bien, pour ne nous pas satisfaire à demy,
Nous perdrons tout ensemble, & l’Amant & l’Amy.
Qu’on l’oste de mes yeux, Gardes qu’on s’en saisisse.

MERZABANE.

Non, souffrez* qu’à vos yeux j’acheve son supplice ;
1485 Et que par un prodige* aussi grand que nouveau,
En son Pere à present il treuve son Bourreau.
Puis qu’il s’est départy de son obeïssance,
Qu’il renonce l’ingrat encore à sa naissance ;
S’il tient de moy le jour, par un contraire effort,
1490 Je sçauray luy ravir & luy donner la mort.

ORONCLIDE.

Suy, suy, Pere inhumain, tes sanglantes victimes,
Qu’un coup si genereux* couronne tous tes crimes,
Tu pourras bien encor adjoûter sans effroy
Le meurtre de ton Fils, à celuy de ton Roy.
1495 Ah ! si tu n’avois pas ce sacré caractere, {p. 77}
Qui veut que je t’épargne & que je te revere*,
Que ma main de bon cœur laveroit en ton sang,
Cet immortel affront que tu faits à ton rang !
Et suivant les ardeurs d’un zele legitime,
1500 D’un Prince mal-heureux, te rendroit la victime.
Mais puis que ce respect, mon destin, & les Dieux,
Ne me permettent pas un coup si glorieux,
Je m’en vay de tout poinct contenter ton envie,
Et te rendre, barbare, & mon sang & ma vie.
1505 Vien donc ; quelle raison rend ton courroux si lent ?
Vien me donner la mort.

SEMIRAMIS.

Ah, qu’il est insolent !
Qu’il est audacieux ! Qu’on l’emmeine.

MERZABANE.

Ah, je tremble !

SCENE VI. §

{p. 78}
SEMIRAMIS, MERZABANE.

SEMIRAMIS.

Il confond aujourd’huy nos interests ensemble ;
Et l’arrogant oublie en son lâche projet,
1510 Et qu’il est vostre Fils, & qu’il est mon sujet.
Soyez donc partisan de ma juste colere,
Il cesse d’estre Fils, vous cessez d’estre Pere,
Il nous a reproché le meurtre de son Roy,
Il est vostre censeur, vengez-vous, vengez-moy ;
1515 Puis que pour un ingrat sa passion éclate,
Commençons par sa mort, à punir Melistrate;
Attendant que le temps plus propice à nos vœux,
Nous donne les moyens de les perdre tous deux.

Fin du Quatriéme Acte.

{p. 79}

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

PALMEDON, MELISTRATE.
(Sortant chacun d’un costé differend.)

MELISTRATE.

Palmedon...

PALMEDON.

Ah, Seigneur ! retirez-vous de grace ;
1520 Ignorez vous encor qu’icy tout vous menace ?
Et que par vos mépris, une Reyne en courroux,
Brûle de se venger d’Oronclide & de vous ?
Pour un mesme transport*, ce Prince est à la chaisne ;
Evitez ce mal-heur.

MELISTRATE.

Ah ! C’est ce qui m’ameine.
1525 Ne m’importune pas d’un si lâche conseil ; {p. 80}
Par un mesme chemin, je cherche un sort* pareil.
Quoy, veux-tu que d’une ame aussi foible qu’ingrate,
Je démente* le cœur* qu’eut toûjours Melistrate ?
Veux-tu que j’abandonne un amy genereux*,
1530 Qui pour mes interests, s’est rendu mal-heureux ?
Quand il paroit pour moy, veux-tu que je me cache ?
Ah, non, non, Palmedon, je ne suis pas si lâche,
Il faut que de tout poinct nos destins soient égaux,
Que nos biens soient communs aussi bien que nos maux ;
1535 Et comme ce grand cœur a pris part à mes peines,
Que je partage aussi la gloire de ses chaisnes.

PALMEDON.

Mais, Seigneur.

MELISTRATE.

Tout obstacle est icy superflu,
On delibere en vain sur un poinct resolu.
Empescher les effets d’un coup si legitime,
1540 C’est pour sauver ma vie, exposer mon estime ;
Et par le lâche effet d’un conseil suborneur,
Pour épargner mon sang, prodiguer mon honneur.
Il a promis ma teste, & pour elle il s’immole,
Il faut par mon retour dégager sa parole ;
1545 Et bravant mes malheurs, comme nos ennemis,
Le tirer noblement des fers* où je l’ay mis.

PALMEDON.

[L; 81]
Dites que vous allez par des ardeurs si vaines*,
Vous perdre imprudemment & resserrer ses chaisnes :
Dites que par ce prompt & mal-heureux retour,
1550 Vous allez ruiner l’espoir de vostre amour.
Voyez à quel peril ce zele vous hazarde*.
Forcerez-vous tout seul les soldats de la garde ?
Et si vous esperez d’un Peuple plein d’effroy,
Fera-t’il plus pour vous, qu’il n’a fait pour son Roy ?
1555 Ah ! ne vous fiez pas à ce monstre à cent testes,
Qui sçait mieux exciter, qu’appaiser les tempestes ;
Et laissez faire aux Dieux, qui font tout sagement,
Ce qu’icy vostre ardeur tente inutilement.
De plus, ce qui me flate en cette conjoncture,
1560 C’est qu’il vient d’arriver une étrange* aventure ;
Et dont je me promets un bon evenement,
Si vous ne le troublez par vostre empressement.

MELISTRATE.

Hé bien, je le croiray ; mais acheve.

PALMEDON.

Oronclide,
D’un bras qu’arma le sort, & que la vertu guide,
1565 A blessé Merzabane, & ce grand coup est tel,
Que d’un commun accord, on le juge mortel.

MELISTRATE.

{p. 82}
Mais il est dans les fers*, & je ne puis comprendre
Comment ce coup s’est fait.

PALMEDON.

Je m’en vay vous l’apprendre.
Aussi-tost que la Reyne eut montré son courroux
1570 Contre ce cher amy, qui s’exposa pour vous,
Merzabane craignant l’effet de sa colere,
Feignit* de renoncer aux tendresses d’un Pere ;
Et par ce tour adroit, le voulant conserver,
Il s’offrit de le perdre, afin de le sauver.
1575 La Reyne le voyant si plein d’ire et de zele,
Crût ne pouvoir choisir une main plus fidelle,
Que celle qui déja sans crainte & sans horreur
Avoit sacrifié Ninus à sa fureur.
Cependant Oronclide en une tour obscure
1580 Se resout à la mort qu’il attend sans murmure ;
Et d’un visage égal témoigne qu’il est prest,
Comme de la souffrir*, d’en entendre l’arrest*.
Mais sans doute les Dieux touchez de sa constance
Ont voulu faire en luy triompher l’innocence,
1585 Et montrer par un rare & juste evenement,
Qu’une haute vertu succombe rarement.
Ils ont pour cet effet permis qu’en cet orage
Un soldat resolu, mais d’un noble courage,
Ait esté par bon heur à sa garde commis, {p. 83}
1590 Du choix de Merzabane & de Semiramis.
Ce Soldat le voyant au bord du precipice,
Et ne pouvant souffrir* une telle injustice,
S’est enfin découvert* ; & luy parlant sans fard,
En cette extremité l’a fourny d’un poignard,
1595 Qui dans ce mesme temps a réveillé l’envie,
Ou de venger sa mort, ou de venger sa vie.
Oronclide est encor dans un penser si doux,
Quand il entend un bruit de clefs & de verroux ;
Le soldat se retire, & luy dans le silence,
1600 Attend le fer* en main, un objet* qui s’avance ;
Et que dans son desordre il ne peut discerner,
Par la clarté qu’il porte, & qu’il vient luy donner.
Ne se figurant rien alors que de sinistre,
Il croit que de sa mort, c’est l’infame Ministre,
1605 Qui vient executer l’ordre qu’il a receu
Du plus cruel esprit que l’Enfer ait conceu.
Enfin le voyant proche, il s’emporte & s’élance
Sur celuy qui l’aborde avecque violence ;
Et sans se relâcher en son juste dessein,
1610 Luy plonge avec vigueur le poignard dans le sein.
Le mal-heureux s’écrie, Ah ! que fais-tu, prophane ?
Oronclide à la voix reconnoit Merzabane ;
Et croyant avoir fait un crime plein d’horreur,
Il veut contre soy-mesme employer sa fureur.
1615 Le blessé se saisit du poignar, & l’arrache ; {p. 84}
L’homicide gemit, & se plaint sans relâche,
Dedans l’erreur qu’il est d’avoir ouvert le flanc,
Qu’il avoit crû toûjours la source de son sang.
Mais Merzabane enfin, sans songer à l’outrage
1620 Qu’il en avoit receu, calme un peu cet orage ;
Et lors* luy declarant qu’il n’estoit pas son Fils,
Ses sens de furieux, devinrent interdits*.
Puis sortant tout à coup de ce desordre étrange*,
En curiosité ce grand trouble se change ;
1625 Il demande, il supplie, il presse pour sçavoir
Qui l’avoit mis au jour, qu’il croyoit luy devoir.
Mais voulant ménager la force qui luy reste,
Pour ne pas rendre en vain ce secret manifeste,
Merzabane affoibly, dit qu’il est à propos,
1630 Tant pour son interest, comme pour son repos,
Que ce discours se fasse & se preuve à la Reyne ;
Oronclide consent, Merzabane l’y meine ;
Et je croy qu’apresent ils sont à son lever,
Pour faire ce recit, qu’on doit y achever.
1635 C’est ce que depuis peu j’ay sceu du soldat mesme
Qui servit Oronclide dans ce desordre extréme ;
Et nous fera tirer en cette occasion
Un ordre merveilleux de sa confusion,
Faisant d’oresnavant, par la perte d’un autre,
1640 Le salut d’Oronclide, aussi bien que le vostre.
Ne precipitez rien, attendez cet effet, {p. 85}
Et bien tost vostre esprit se verra satisfait,
Si vostre desespoir ne le rend inutile.
Allez, Seigneur, allez vous rendre à vostre azile*,
1645 Tandis qu’un peu de nuit que va chasser le jour,
Vous y permet encor un facile retour.

MELISTRATE.

Non, non, que ma fortune* ou soit pure ou meilleure,
Qu’Oronclide soit libre, ou qu’il vive ou qu’il meure,
Je veux aller montrer à la Reyne aujourd’huy,
1650 Que je veux vivre enfin, ou mourir avec luy.
Elle vient, je l’entends, allons à sa rencontre.

PALMEDON.

Il n’est pas temps encor que ce grand cœur* se monstre,
Ne la surpenez point, & donnez un moment
Aux premieres chaleurs de son ressentiment :
1655 Vostre amy la va mettre en un assez grand trouble,
Sans que hors de saison vostre abord le redouble.

MELISTRATE.

Hé bien, d’un peu de temps diferons* cet effort ;
Mais ce jour doit conclure ou ma vie ou ma mort.

SCENE II. §

{p. 86}
SEMIRAMIS, MERZABANE, ORONCLIDE, PRAZIMENE, & suitte.

SEMIRAMIS.

Que demande un perfide, & qu’est-ce qu’il espere ?
1660 Vient-il joindre mon sang, à celuy de son Pere ?
Par un si triste objet* pense-t’il m’émouvoir ?
Vient-il braver ma haine, ou montrer son pouvoir ?
Croit-il qu’un parricide excuse son audace ?

ORONCLIDE.

Non, non, je veux ma mort.

MERZABANE.

Et j’implore sa grace.

SEMIRAMIS.

1665 Comment vous suppliez pour qui vous fait perir ?
Sauverez-vous la vie, à qui vous fait mourir ?
A qui vous fut cruel, serez-vous pitoyable ?
C’est un Fils, il est vray, mais un Fils detestable,
Mais un monstre plûtost que l’Enfer a vomy, {p. 87}
1670 Et vostre plus barbare & mortel ennemy ;
Il faut de vostre sang retrancher ce prodige*,
Arracher cette branche, indigne de sa tige ;
Et foudroyer enfin un si funeste fruit,
Qui dément*, & qui perd l’arbre qui l’a produit.

MERZABANE.

1675 Ah ! Madame, sauvez, non pas un parricide,
Mais bien la vertu mesme, en sauvant Oronclide,
Mais un Fils genereux* que le sort* m’a donné,
Et qui meriteroit de se voir couronné ;
Mais un Fils, ou plûtost un illustre prodige*,
1680 Une branche admirable & digne de sa tige,
Une excellente fleur, adorable fruit,
Qui sera refleurir l’arbre qui l’a produit.

SEMIRAMIS.

Mais priant pour ce Fils, vous me parlez d’un autre.

MERZABANE.

Helas ! il n’est pas mien !

SEMIRAMIS.

Comment ? il n’est pas vostre !

MERZABANE.

{p. 88}
1685 Non.

SEMIRAMIS.

De qui donc ?

PRAZIMENE.

Bons Dieux !

MERZABANE.

Vous allez tout sçavoir.

PRAZIMENE à part.

Sans toy, ses actions le faisoient assez voir.

MERZABANE.

Lors* que le grand Ninus, ô fatale memoire !
Ozay-je prononcer un nom si plein de gloire,
Moy qui suis l’execrable & perfide meurtrier
1690 Du Heros, qui jamais l’ait porté le premier ?
Lors, dis-je, que Ninus triomphant dans les armes,
Fut vaincu par vos yeux, & soûmis à vos charmes,
Deux ans auparavant, une jeune beauté,
Avoit à ce grand cœur ravy la liberté ;
1695 Et quoy que dans la pourpre* elle ne fut pas née,
Elle oza bien pretendre* un Royal Hymenée* ;
Son dessein reüssit, elle l’y disposa, {p. M; 89}
Et malgré nos conseils, ce Prince l’épousa.
Mais cette ardeur si prompte, & si démesurée,
1700 Passa comme un éclair, & n’eut point de durée ;
Car au poinct de produire un fruict de son amour,
En lui donnant la vie, elle perdit le jour.
Presqu’en ce mesme temps, un mien Fils prit naissance,
Ninus estoit absent, j’avois toute puissance ;
1705 De sorte que je pûs, sans que l’on en sceut rien,
Supposer mon Enfant à la place du sien,
Esperant quelque jour de luy faire connoistre,
Qu’il tenoit de moy seul sa grandeur & son estre ;
Et qu’il devoit enfin dans les occasions,
1710 Recompenser mes soins, & mes affections.
Mais peu de temps apres, la Fortune* inconstante,
Détruisit mes projets, & trompa mon attente ;
Car à peine mon Fils dans la pourpre* parut,
Que la bizarre fit aussi tost qu’il mourut ;
1715 Quoy qu’avec luy perit ma plus chere esperance,
Mon deüil fut toutesfois moindre que ma constance ;
Et je me consolay dans mon adversité,
De celuy que le Sort* ne m’avoit pas osté.
Comme il fut plein de cœur*, aussi bien que d’adresse,
1720 J’eus pour luy du depuis beaucoup plus de tendresse ;
Et l’inclination* produisit les effets,
Qu’au lieu de mon amour, la Nature auroit faits.
J’aimay donc cet Enfant, & c’estoit Oronclide, {p. 90}
Dés ses plus jeunes ans, il parut un Alcide ;
1725 Et les vices divers dont son cœur triompha,
Sont les monstres affreux que ce Prince étouffa ;
Apres tant de travaux si dignes de memoire,
C’est en moy qu’il acheve & ses faits & sa gloire ;
Car de tant d’ennemis dont il fut combattu,
1730 J’estois le plus fatal à sa haute vertu.
Il ne prit toutesfois jamais part à mes crimes,
Il rejetta toûjours mes cruelles maximes,
Puis que son coup helas, plus juste que le mien,
En répandant mon sang, n’a vengé que le sien.
1735 Oüy, le Fils a vengé le trépas de son Pere ;
Mais il vous reste encor une vengeance à faire :
Enfin pour expier tous les maux que je fis,
Vengez-vous de tous ceux qu’a soufferts* vostre Fils ;
Mais il n’est pas besoin que vostre foudre éclate,
1740 Car je sens que la mort vous venge, & Melistrate :
Ce qui me reste à dire avant que d’expirer,
C’est que ce cher Amant, qui vous fait soûpirer,
Est vostre fils, Madame.

ORONCLIDE.

O Dieux ! quelle aventure !

MERZABANE.

Et si vous consultez la voix de la Nature,
1745 Vous sçaurez qu’en ces feux* dans vostre ame excitez, {p. 91}
Vostre sang agissoit plus que ses qualitez.
La nuit qui vous cousta tant de sang & de larmes,
Quand Thermodonte vient s’immoler à vos armes,
Me servant de desordre & de l’occasion,
1750 J’enlevay cet obstacle à mon ambition ;
Je déguisay son nom, ainsi que sa naissance ;
Et quelqu’un que j’avois de mon intelligence,
Le faisant élever en des lieux peu connus,
Par mon ordre, obscurcit le beau sang de Ninus.
1755 Mais enfin ce grand cœur a forcé tout obstacle,
Je vous le rends.

PRAZIMENE.

O Ciel ! qui croira ce miracle ?

MERZABANE.

Je dois estre croyable en l’estat où je suis.
Suppléez, Oronclide, à ce que je ne puis ;
Rappellez vostre Frere, & faites que la Reyne,
1760 Au dela de mes jours n’étende point sa haine ;
Et si j’ose former encor quelques souhaits,
Souffrez* que hors d’icy j’aille mourir en paix.

SEMIRAMIS.

Va, meurs, d’un peu de temps devance ta complice,
Le trépas pour tous deux est un bien doux supplice :
1765 Heureuse, si ce cœur pouvoit estre percé {p. 92}
Par les mains de ce Fils, dont les yeux m’ont blessé.
Ce sacrifice enfin...

SCENE III. §

MELISTRATE, SEMIRAMIS, PRAZIMENE, ORONCLIDE, & suitte.

MELISTRATE.

Sera bien legitime ;
Qu’on appreste l’Autel, en voicy la victime,
Qui loin de faire effort à se justifier,
1770 Vient soy-mesme s’offrir, & se sacrifier.
Commandez seulement, ma main est toute preste ;
Et ce fer*, pour insigne* & derniere conqueste,
Vous va donner un cœur, mais un cœur tout sanglant,
Que vous n’avez pû voir amoureux ny brûlant ;
1775 Mais un cœur où l’amour de la vertu reside,
Qui veut mourir pour elle, & sauver Oronclide,
Qui bien plus genereux*, que vous ne l’esperiez,
S’est jetté dans les fers* que vous me prepariez.

SEMIRAMIS.

{p. 93}
C’est en vain qu’apresent ce zele vous emporte,
1780 En vain vostre courage éclate de la sorte,
En vain à mon courroux vous venez vous offrir,
Pour sauver Oronclide, ou pour le secourir.
Depuis peu mon destin a bien changé de face,
C’est à luy, c’est à vous qu’il faut demander grace ;
1785 Et je m’abaisserois à ce honteux devoir,
Si la mort que je veux n’estoit en mon pouvoir.
Il est juste pourtant que je vous la demande,
C’est un droict desormais qu’il faut que je vous rende ;
Et si vous estes tels qu’on me vient d’asseurer,
1790 Il n’est rien qu’aujourd’huy je ne doive esperer.
On vous dit tous deux Fils du malheureux Monarque,
Que j’ay fait sans remords immoler à la Parque.
Si vous estes les Fils, si vous estes son sang,
Vengez la mort d’un Pere, & reprennez son rang ;
1795 Ce grand coup en sera la veritable preuve,
Je suis sa meurtriere, & je ne suis pas sa vefve,
Puis que ce cœur enfin n’a jamais consenty
A ce fatal Hymen*, dont il s’est ressenty.
Qui de vous a le plus de haine ou de courage ?
(Parlant d’Oronclide.)
1800 Sa main en Merzabane a commencé l’ouvrage ;
Et pour vous faire part d’un si celebre employ,
C’est à vous, Melistrate, à l’achever en moy.
Que diferez* vous donc à venger vostre Pere ? {p. 94}
Quoy pour un coup si juste, on tremble ? on delibere ?

MELISTRATE.

1805 Helas !

SEMIRAMIS.

Cette pitié n’est pour moy que rigueur ;
Frappez, vous sçavez bien le chemin de mon cœur,
Vous l’avez déjà mis dans les fers*, dans la flâme,
Percé de mille traits* qui m’ont arraché l’ame ;
Et je serois déja dans les bras de la mort,
1810 Si vos charmes n’avoient suspendu son effort.
Faites-les donc cesser, ces redoutables charmes,
Si leurs traits* m’ont blessée, achevez par vos armes ;
Et puis que je n’avois que d’injustes desseins,
Que le crime des yeux soit puny par les mains.
1815 Mais helas ! Je voy bien qu’en cette conjoncture,
La nature en ce lieu combattra la Nature ;
Et que mon sexe icy vainement respecté,
Servira de pretexte à vostre lâcheté :
C’est pourquoy je ne veux dans ma fureur extréme,
1820 Demander du secours desormais qu’à moy-mesme ;
Je ne veux à ce coup employer que mon bras,
Trop humains ennemis, je vous rends vos Estats ;
Et pour rendre en mourant ma douleur sans égale,
Je veux voir avec vous triompher ma rivale,
1825 Du débris de mon sort*, faire le sien plus beau, {p. 95}
Et l’élever au Trône, en entrant au Tombeau.
Brillante illusion, precieuse fumée,
Dont ce matin encor mon ame estoit charmée,
Je vous quitte, grandeurs, presens empoisonnez,
1830 Qui détruisez toûjours ceux que vous couronnez.
Melistrate, Ascalon sera vostre partage,
Cet Empire est mon bien, il est vostre apennage ;
Et comme par mes soins Babilonne est à moy,
Je vous la donne encore, & je vous en faits Roy.
1835 Qu’Oronclide succede aux Estas de son Pere,
La mort est desormais tout le bien que j’espere ;
C’est le seul que je veux ; & je le tiens si cher,
Que ny vous, ny les Dieux, ne sçauriez l’empescher.

PRAZIMENE.

Seigneurs...

MELISTRATE.

Nous vous suivons ; Oronclide...

ORONCLIDE.

Ah ! mon Frere,
1840 Que le Ciel aujourd’huy nous est doux & severe !
Et qu’aux biens qu’il nous donne & nous oste, le Sort
Mesle confusément, & l’Amour & la Mort !

FIN.