SCENE PREMIERE. §
TRAPOLIN, IGNORANCE.
IGNORANCE.
Et bien mon cher, mon beau, mon tout, mon agreable,
L’essence des amans, coquet le plus aimable,
Idole de mon cœur, si je languis pour vous
230 Vous languissez pour moy : tout est égal en nous.
{p. 18 iij}
Nos jeunes cœurs blessez, et des fers et des flâmes
Qu’un amour mutuel a fait naistre en nos ames
N’en peuvent ma foy plus et je voy bien qu’il faut
Que l’hymen à l’amour livre un petit assaut;
235 Rien n’est égal à moy sur la terre et sur l’onde
Et mes beaux yeux mourans, font mourir tout le monde.
TRAPOLIN
Beauté, beaux yeux, mon cœur, belle bouche, beau teint.
IGNORANCE
Aujourd’huy j’en ay peu, mais j’en auray demain
Si je n’ay pas le teint, j’auray la marjolaine.
TRAPOLIN.
240 Que vous estes railleuse, adorable inhumaine.
IGNORANCE.
Que vous estes cruel, de me perser le cœur !
TRAPOLIN.
Ah ! Que vous me grillez, œil mon petit vainqueur !
IGNORANCE.
Petit fripon, voleur, et filoux de mon ame.
TRAPOLIN.
Ignorance, mon cœur, beau sujet de ma flâme,
245 Pour te suivre tousjours, je veux m’éfeminer,
Lire peu, manger bien, ne jamais raisonner.
IGNORANCE.
Voila le vray moyen d’estre aymé de sa belle
Et de me voir pour toy, plus douce que cruelle;
Je suis pour un Amant un fort joly tandron.
250 L’amour quand il est las se met sur mon giron,
Et ce petit fripon d’un ardeur sans égale,
Voudroit prendre mon cœur, et ma fleur virginale;
Mais ma pudeur combat avecque mes desirs;
Je pasme, je succombe, et pousse des soûpirs,
{p. 19}
255 Mais ma virginité demeure toujours pure;
Dieu me veüille sauver d’une cheute future;
Ah ! Si j’avois esté du temps du beau Paris,
Venus asseurement n’aurait pas eu le pris :
Les deesses auroient bien-tost baissé la veuë,
260 Si comme elles j’avois montré ma beauté nuë.
Et le sort ne rend pas mon visage serin,
D’un peu d’eau seulement je me nourry le teint.
La nature qui fit cét aimable visage,
De ces traits délicats seule à tout l’avantage.
265 Mais adieu, je m’en vais, maman me foüeteroit
Si je demeurois plus avec toy, mon coquet.
TRAPOLIN.
Adieu, lampe d’amour.
IGNORANCE
Adieu, lampe d’amour. Adieu falot de flâme.
IGNORANCE
Je soûpire Je meurs
TRAPOLIN
Je soûpire Je meurs Je succombe.
IGNORANCE.
Je soûpire Je meurs Je succombe. Ah ! je pasme !
Se quitter quand on s’aime, quelle cruauté !
TRAPOLIN.
270 Je soûpire à tout coup, et de tous les costez.
{p. 20 iiij}
SCENE III. §
LE DOCTEUR, TRAPOLIN
TRAPOLIN.
Docteurs, musiciens, poëtes; à mon lever,
290 Je suis riche et coquet, le sort veut m’élever.
LE DOCTEUR
Je ne m’estonne point de ce que la fortune
A chargé de ses biens ta figure commune;
Pour les pouvoir porter, il falloit un cheval :
L’homme est pour ce sujet un trop foible animal.
TRAPOLIN
295 Les Peintres, les Docteurs, avec tous les poëtes
Sont dessus ce sujet aussi fols que vous estes :
La fortune est aveugle à leur gré, mais ma foy,
Je tiens qu’elle voit clair, puis qu’elle vient à moy.
LE DOCTEUR
Éh bien, mettez le pied hors du commun vulgaire,
300 Dévelopez-un peu l’esprit de la matiere;
Un riche, un grand Seigneur de grandeurs revestu,
N’est que de l’or impur, s’il n’a point de vertu,
Qu’un soleil offusqué par un espais nuage
Et qu’un oyseau huppé qui n’a point de ramage.
305 Avecque vos tresors achetez de l‘esprit !
{p. 22}
TRAPOLIN
De l’esprit, en quel lieu ? qui m’en fera debit ?
LE DOCTEUR
Les Muses, Apollon, un docte Philosophe,
Des autheurs en un mot, des gens de mon étoffe.
TRAPOLIN
Pour vous rendre agreable à la Cour, au public
310 J’en veux faire passer douze par l’alambicq
Pour en tirer l’esprit, et puis par fantaisie
J’en prendray les matins comme de l’eau de vie.
LE DOCTEUR
Le beau fils de Latonne à luy-mesme épuré
Les esprits merveilleux au sublime degré :
315 Ce sont individus tout remplis de science
Qui ne sont point impurs, et qui ne sont qu’essence.
TRAPOLIN.
Qu’essence ? il en est donc chez nostre parfumeur :
Je n’ay qu’à demander de l’essence d’autheur;
S’il en est, j’en auray, de la plus excellente.
LE DOCTEUR.
320 Que j’ay peine à souffrir ta langue impertinente !
Le centre de l’esprit est au sacré ruisseau :
Vas-y voir ignorant !
TRAPOLIN.
Vas-y voir ignorant ! Qui moy ? boire de l’eau ?
Je ne bois que du vin ! quand j’ay beu je fais rage,
Si je parle d’amour, j’enfle mieux mon langage.
325 Quand j’ay beu, si je vay au pays feminin,
D’un an en un seul jour je fais tout le chemin;
Je pousse la douceur aupres d’une mignarde
Et soumets à mes loix l’amour la plus agarde;
Je ne m’amuse point à passer par les lieux
330 Où passent tant d’amans pour gagner de beaux yeux :
{p. 23}
Je monstre à ma Philis ma flâme toute nuë
Et vais au rendez-vous, dés la première veuë.
LE DOCTEUR.
Des sottises du temps la multiplicité
Cause beaucoup de peine et d’importunité;
335 J’ayme bien qu’un amant tost aupres d’une amante,
Monstre si sa pensée est ou bonne ou méchante.
Estre un an ou deux à faire le badin,
Parler sans raisonner, geler, brûler soudain,
Dépenser en cadeaux, en bals, en serenades,
340 En essence, en rubans, en gands, en limonades,
En oranges, en citrons, en pommettes d’apis,
En confiture, en chien, en musque, en ambre gris,
En collets, en dantelles, en bijoux, en
guenuche*,
En beau pendans d’oreilles, en panache d’autruche,
345 Ce n’est pas le moyen de se mettre en credit,
Si l’on ne fait jamais de dépense en esprit.
Je sçay comme un amant remporte la victoire,
Et comme un Galant rend sa flâme meritoire :
Apres certains objets on se met assez bien,
350 Dès l’instant que l’on fait dépense en bon chrestien;
D’autres aiment le fast et la galanterie,
Et d’autres le solide et la cajolerie.
Enfin, pour faire un nombre entre les vrais galands,
Il faut avoir du cœur, de l’esprit, et du sens.
TRAPOLIN
355 Les femmes ne sont pas difficiles à prendre :
Un coquet comme moy met tost leurs cœurs en cendre,
LE DOCTEUR.
Les femmes à mon gré... Les femmes...taisez-vous
Parlez avec respect de ces objets si doux !
Un galand de trois jours, un
marjolet* d’une heure
360 Dira je suis aimé d’une dame, je meure.
Et la belle souvent ne pense pas à luy.
L’autre dira tousjours : je suis exempt d’ennuy;
J’ay deux beaux rendez-vous sur le soir à la lune :
Mais laquelle verray-je, ou la blonde ou la brune ?
365 L’imaginaire Amant ne trouve en verité
Pour maistresse la nuict rien que sa vanité.
LE DOCTEUR.
Les femmes... Taisez-vous ! cent bourus, dans leurs ames,
Fourbez sans y penser par quelqu’unes des femmes,
Vomissent leurs venins contre le general;
370 La femme d’elle-mesme est un bel animal :
Un animal aime la source de l’espece
Où la nature verse et donne avec largesse :
Elle verse en son corps ce qu’elle a d’excellent
Et dedans son esprit ce qu’elle a de brillant.
TRAPOLIN
375 Les femmes.....
LE DOCTEVR.
Les femmes..... Taisez-vous, s’il est vray que des femmes
Ayant des actions diaboliques et infames,
La femme n’en est point coupable aucunement :
L’action de la femme a peché seulement.
Je diray, prouveray, par raison admirable
380 Que l ‘homme est tousjours homme, et n’est ny saint ny diable.
La femme a tousjours droict de regner sur le cœur,
Et la femme est tousjours le trône de l’honneur.
{p. 25}
S’il se treuve une femme et méchante et coupable,
La femme pour cela n’en est point responsable.
385 Enfin les femmes sont de foibles animaux,
Fort sujettes à broncher, mais nul n’est sans defaux;
Et Je vay hardiment sous l’estendart des femmes
Combatre et vaincre ceux qui sont contre les dames.
LE DOCTEUR
Les femmes.... Taisez-vous mille fois, taisez-vous !
390 Les femmes l’ont toujours emporté dessus nous.
LE DOCTEUR.
Les femmes.... Taisez-vous, ne parlons plus des femmes,
Ou si nous en parlons, mettons les dans nos ames,
Et supplions qu’amour sans peine et sans ennuy,
Nous en vueille donner quelque belle aujourd’huy.
TRAPOLIN.
395 Les femmes....
LE DOCTEUR.
Les femmes.... A genoux quand tu parle des femmes !
LE DOCTEUR.
Les dames... Tremble donc quand tu parles des Dames.
TRAPOLIN.
Leurs beautez....
LE DOCTEUR.
Leurs beautez.... Meur d’amour parlant de leurs beautez !
TRAPOLIN.
Leurs beaux yeux...
LE DOCTEUR.
Leurs beaux yeux... Du respect, pour les divinitez !
{p. C-26}
LE DOCTEUR.
Leur esprit... Malheureux, tu vas ouvrir ta tombe !
400 Laisse là leur esprit, que le tien y succombe.
TRAPOLIN.
Leur amour. Leur amour et leur fidelité
Va jusques à l’excez, ainsi que leur beauté.
Cette genereuse Artémise,
Par son amour et sa franchise,
405 A si bien fait pour son mary
Que le nom n’en a point pery;
Une des merveilles du monde
Vient de son amour sans seconde.
Panthée* à suivy noblement
410 Son mary dans le monument.
Evadne dans un duel extréme
Et tant d’autres firent de mesme.
Laodamie en un tombeau
Rejoignit le sien de nouveau,
415 Leur amour est incomparable,
Leur regret est inviolable;
Quand elles aiment une fois,
Leur amitié leur fait des loix,
Dont la force et la violence
420 Leur fait conserver leur confiance.
LE DOCTEUR
L’amour.... L’amour, l’amour perd un sot comme toy !
Des femmes sans cesser nous recevrons la loy :
[ 27]
Alexandre, Cesar, Sanson, Antoine, d’elles,
Furent-ils pas ferus, et charmez de leurs belles ?
425 Les doctes n’ont-ils pas ressenty tour à tour
Par leur charmans attraits le pouvoir de l’amour ?
Un honneste homme enfin, seroit-il honneste homme
S’il n’avoit pas aimé ? mais pour te monstrer comme...
TRAPOLIN.
Helas ! ne contes plus, veux-tu parler tousjours ?
430 Veux-tu parler un an ? tréve à tant de discours !
Ne parlez plus Docteur, quittez cette coustume !
LE DOCTEUR.
Je me sens en humeur de te dire un volume,
Mais J’ayme mieux aller retrouver mes autheur.
De parler aux pourceaux, c’est exposer des fleurs.
Le docteur sort.
TRAPOLIN seul.
435 Ah ! le Docteur m’entend, il me donne silence;
Je m’en vais à mon tour montrer mon eloquence.
Mais vous m’écouterez, au moins, mon cher Docteur !
Il se taist et m’entend, faisons donc l’orateur.
La femme est très-fâcheuse, elle n’a que malice;
440 Certain jaloux m’a dit, en demandant justice
Que la femme à l’amour plus leger que le vent :
Escoutez bien Docteur, et que le plus souvent,
Les jaloux eussent-ils l’exactitude entière,
Sieur Basle et Sieur Cadot viennent rompre en visiere.
445 Un homme est fort constant, la femme ne l’est pas;
Et je vous prouveray.... mais il n’écoute pas !
SCENE IV. §
LE DOCTEVR, TRAPOLIN
LE DOCTEUR revient.
Que veux-tu, veau doré, franc badin, esprit cruche ?
TRAPOLIN.
Peut-on passer une heure en conversation,
450 Mais il faut pour cela vostre permission,
Avec vos beautez, avec vos belles filles ?
LE DOCTEUR
Mes filles ne sont pas pour ouïr des
vetilles*;
Et cent petits mortels qui s’en disent amans
N’arriveront jamais jusqu’a leur firmamens.
455 Pour vous, de vostre esprit j’excuse les foiblesses
Parce que vous avez de tres-grandes richesses;
Mes filles ont esprit pour elles et pour vous
Et vous avez du bien et pour vous et pour nous.
J’ay deux filles enfin dont l’une est Poësie,
460 Elle chante tousjours, l’autre est Philosophie,
Elle est fort serieuse, et d’un temperament
Froid, dont l’abord fait endurer un Amant;
Ses secrets ne sont point connus, quoy que l’on fasse,
Elle est grande, elle est belle, elle a fort bonne grace,
465 Poësie est galante, elle a l’esprit serein,
Mais elle est fort quinteuse, et sujette au chagrin;
Chez tous les demis dieux elle est fort bien venuë,
Son langage est fort grand, mais sa bourse est menuë.
{p. 29}
Elles ont des amans dont le nombre est petit,
470 Mais vos grands biens, Monsieurs, les vont mettre en credit,
À deux portes d’icy loge Dame Ignorance :
Tout y va, tout y court avec grande abondance.
TRAPOLIN
Pour moy je suis tousjours la mode et son torrent :
Et j’ayme des long-temps, et son merite est grand;
475 J’y pourois bien aller avec tous les autres.
LE DOCTEUR.
Elle vous plaira fort, mais daignez voir les nôtres.
LE DOCTEUR.
Soit faict. Poetica et Philosophica.
SCENE V. §
PHILOSOPHIE, POESIE,
TRAPOLIN, LE DOCTEUR.
POESIE.
Qvid vis Papa ego sum paratissima.
PHILOSOPHIE.
Idsum tibi Papa, quid de me cupis ?
LE DOCTEUR.
480 Accedite.
TRAPOLIN.
Accedite. Cupis veut dire Cupidon,
Moy Cupidon, j’ay l’œil assez fripon.
{p. 30}
Il est vray, qu’à peu pres j’ay sa taille et sa mine,
J’ay comme luy les yeux, comme luy j’assassine;
Et si l’on veut d’amour prendre la nudité,
485 Du mignard et du brun, je veux estre emprunté.
Vos yeux vont me servir de chambre et d’antichambre,
Vostre beau sein de trône et de doux sachets d’ambre;
De la je lanceray la foudre chaque jour,
Et l’on m’appellera le beau petit amour.
POESIE.
490 Mon oncle le Parnasse, et ma tente Yperbole,
Voyant tant d’escrivains de l’un à l’autre pole,
Qui disent avoir faict des enfans avec moy,
Veulent que de l’hymen je reçoive la loy,
Comme vous, mon Papa, voulant que je m’excrime,
495 Pour mettre un jour au jour un enfant legitime.
Enfin je suis outrée avec juste raison :
Passe pour mon enfant, et j’en suis en colere,
N’ayant rien dissipé des esprits de son pere.
LE DOCTEUR.
500 Ce galand pour produire est-il à vostre gré.
POESIE.
Avec un peu de temps je le Poëtiseray,
Ensemble nous ferons un
Carme* magnifique :
Il fera le sonnet, et je feray l’epicque.
TRAPOLIN.
Moy Poëte ! ah bon Dieu, quel discours de travers !
505 Avant que de mourir, me voir manger au vers !
Dans mon berceau, maman me donna d’une poudre
Qui de mes vers estoit le redoutable foudre :
Elle m’en a purgé, pourquoy donc en autheur,
En remettray-je en moy l’insuportable humeur ?
{p. 31}
510 Et puis selon mon sens, s’il faut que je le dise,
Vous avez la façon, madame Poësie,
De me donner apres la consommation,
Au lieu de vostre foy, de quelque fixion.
La corne d’abondance est un de vos ouvrages;
515 Mars avecque Vulcan parlent ce langage.
Et puis avec vous à le trancher tout net,
Je ne pouray jamais faire qu’un beau sonnet.
PHILOSOPHIE.
Et moy Monsieur, qui met les beaux esprits en flâme,
Qui tiens dans mes liens et la raison et l’âme,
520 L’ame vient r’allumer ces feux à mon
tison*
Sans trop de vanité, ma beauté fait renaistre,
La confiance, le cœur, et la gloire de l’estre.
Que l’amante et la femme ait violé leur foy,
525 L’amant et le mary d’abord viennent à moy :
De cent infortunez je soulage les peines;
Jugez si pour le mien mes leçons seront vaines.
Et si quand par mal-heur je vous ferois cocu,
Je ne vous rendrois pas pacifique cornu.
530 Enfin je suis....
TRAPOLIN
Enfin je suis.... Ho, ho, Madame Philosophie,
Vous en sçavez beaucoup pour mon petit genie
Vous l’avez trop grand, l’esprit*,
Et moy je l’ay trop petit.
POESIE.
Ma sœur Philosophie, à de trop grands secrets;
535 Je suis bien plus connuë , et j’ay bien plus d’atraits :
On me penetre mieux, et je suis plus galante.
TRAPOLIN
Ouy vous estes de vray connuë et consonnante;
{p. 32}
Vostre esprit Poësie estoit doux et benin,
Vous sçavez assez bien placer le masculin,
540 Et jamais il ne va sans rime feminine;
Pour le masle tousjours vous estes fort benigne;
La propagation pour vous a des apas :
Un masculin tout seul ne vous contente pas,
Il vous en faut plusieurs, et si je me marie,
545 Je veux estre tout seul, ma belle Poësie
Ayez du feminin autant qu’il vous plaira,
Si je suis vostre espoux, nul ne me rimera.
POESIE.
Pour moy; je n’ay plaisir de me voir Poësie
Que parce qu’il me faut cette rime jolie;
550 On nommeroit mon homme un homme de vertu
Et je ne pourois pas trouver la rime en nu;
Les masculins seroient bien rares dans le monde,
Si je ne rimois pas cette rime feconde.
TRAPOLIN.
Ah ! que l’on rime en nu, sans moy dans l’univers :
555 Sur ce point je renonce à la regle des vers.
PHILOSOPHIE.
Vous avez bien raison, vous estes un brave homme !
Avec moy vous n’avez qu’à faire un
axiôme*
Et d’abord vous serez Philosophe parfaict;
Et pour en faire voir promptement un effet
560 Vous n’avez qu’à trouver du vuide en la nature
Et qu’à bien raisonner, selon la conjoncture,
Des Dames de sur tout connoistre les humeurs,
Imiter leur vertus, suivre leurs bonnes moeurs,
Discerner les effects du neant et de l’estre.
565 Il me faut penetrer afin de me connoistre,
Discourir fortement sur la vie et la mort,
Connoistre le destin, la nature et le sort.
{p. 33}
Parlant du papillon, du fourmy, de l’atome,
Il n’apartient qu’à moy de bien exercer l’homme.
570 Philosophie est belle, et je vous en réponds.
TRAPOLIN.
Ouy, mais Philosophie a pour moy trop de fonds;
Un teton ce me semble a beaucoup d’eloquence,
La chair a plus d’appas pour moy que la science;
Vous avez l’un et l’autre, il est vray, mais ma foy,
575 Vous en sçavez beaucoup, l’une et l’autre pour moy :
On m’a toujours fait craindre une femme sçavante,
J’aimerois quasi mieux une douce ignorante.
POESIE.
Il faut mieux tout risquer pour aimer en bons lieux.
Ma bouche parle enfin le langage des dieux,
580 S’augmente des Heros les esclatans trophées;
Un Esiode, Homere ont esté mes galans;
Dans Athenes jadis j’avois mes courtisans,
Mais Paris à présent est bien une autre Athenes,
On soûpire apres moy, j’y fait naistre des peines,
585 Mes neuf Muses y vont travailler nuict et jour;
On y veut que du tendre et du galant amour,
Mais on aime sur tout assez la bagatelle :
C’est ce qui fait causer dans la belle ruelle;
Et puisque me voila sur le tendre et le doux,
590 Profitez de ce temps, faites-vous mon espoux.
TRAPOLIN
Vous allez Poësie admirablement viste,
Mais vos pieds en sont cause; alte, ou bien je vous quite.
POESIE
Tant mieux, je ne veux point de froid temperament :
Il me faut plus de feux que de raisonnement,
595 Il faut estre pour moy d’une ame vigoureuse,
Une humeur enjoüée, une humeur amoureuse,
[ 34]
Dormir peu, cheminer du soir jusques au matin,
Se nourir d’esperance, et d’un peu de chagrin,
Aller en un seul jour du couchant à l’aurore,
600 Dormir chez le Sarmate, et souper chez le More,
Et s’ils avoient dîné, vous auriez en tout cas
Vostre gloire à manger qui ne manqueroit pas.
PHILOSOPHIE.
Pour moy j’aime une humeur pensive et solitaire,
Un grand contemplateur et sobre d’ordinaire,
605 Qui quitte le manger pour me faire l’amour
Et qui soit dans mes bras et la nuit et le jour.
TRAPOLIN.
Chere Philosophie, aimable Poësie,
Io bazio la mane à vostra Seignorie.
L’Amour est mon amy, mais cet effeminé
610 Ne me charme jamais qu’après avoir diné;
La table a des apas quand elle est bien garnie.
Quelle est cette beauté ?
SCENE VI. §
POESIE, TRAPOLIN, GALANTERIE.
POESIE.
Quelle est cette beauté ? La ? C’est Galanterie.
TRAPOLIN.
Ce sera bien mon fait, car je suis fort galant;
Approchons et faisons l’agreable en parlant.
615 O Dieu ! qu’elle est aimable, et qu’elle a bonne grace !
Aussi tout est de mise ou la Galante passe;
Son teint est plus riant que les fleurs du Printemps;
Je la veux espouser, elle charme mes sens.
{p. 35}
S’il vous faut des rubans belle Galanterie,
620 Je puis seul enrichir vostre robe jolie.
Ne vaudrois-je pas bien un pacquet de ruban ?
Courrez si vous voulez de la Scene au Liban;
Vous ne treuverez point mon pareil sur la terre,
Quant aux Dames mon oeil veut declarer la guerre;
625 Par où Trapolin passe on entend que rumeurs,
On oüit dire par tout gare, gare les cœurs.
GALANTERIE.
Avec moy vous aurez liberté toute entière :
Ouy, chacun avec moy peut vivre à sa maniere.
TRAPOLIN.
Ah ! cette fille est brave fille,
630 Elle m’a fort bien répondu,
Elle est courtoise, elle est gentille,
C’est un aimable individu;
Elle est souple comme une aiguille,
Elle a l’œil doux et bien fendu,
635 Elle fait des vers a la cheville,
Elle hait fort le temps perdu,
Elle travaille de l’aiguille,
En elle rien n’est confondu,
Car elle n’est pas cette fille,
640 Son tempérament morfondu,
Bref cette fille est brave fille,
Car elle m’a bien répondu.
GALANTERIE.
Je réponds assez juste, et je suis assez prompte;
Qui ne la voudroit pas en auroit de la honte.
645 J’ay du feu, j’ay du fast, et mon sort fortuné
Vient d’avoir un esprit bien doux et bien tourné.
Il me faut des bijoux, et je suis magnifique,
Du plus riche Marchand j’épuise la boutique.
{p. 36}
J’ayme mieux retrancher ma table et m’ajuster,
650 Et mon mary jamais ne m’y doit contester :
Et pourveu que je sois, mon amy dans ma chambre
Pleine d’adorateurs dans l’eau d’ange et de l’ambre,
Je suis dedans mon Ciel, et les petits mortels,
Doivent s’humilier aux pieds de mes autels.
TRAPOLIN.
655 Vous estes fort gentille, et je vous treuve aimable;
Mais ne me parlez point de retrancher ma table;
Car j’aime vos attraits, j’estime vos apas,
Mais ils ont moins pour moy de pris qu’un bon repas.
Je vous baise les mains, belle galanterie;
660 Je suis incompatible avec vos humeurs.
PHILOSOPHIE.
Devenez mon Amant, contez-moy des douceurs.
POESIE.
Illustre Trapolin, heros incomparable.
GALANTERIE.
Mon beau petit mignon, galand le plus aimable.
TRAPOLIN.
De vos doctes apas me voila degousté :
665 Par vous mon apetit seroit inquieté;
Et puis ma Poesie, il faut demeurer fille,
Afin que vos beaux vers demeurent sans cheville.
Si j’estois vostre espoux, vos doctes alliez,
Verroient tout aussi-tost vos beaux vers chevillez,
670 Et ne voyez-vous pas que les Muses sont filles,
Quoy qu’elles ayent esprit, et qu’elles soient gentilles;
Si je vous espousois, abordant vos apas,
Vostre Pagase* et vous me jetteriez à bas.
POESIE.
Les Muses de Paris ne sont pas toutes filles,
675 Et leurs vers toutefois se treuvent sans chevilles;
{p. D-37}
Et si lors qu’elles vont voir le sacré vallon,
Chacune sçait fort bien trouver son Apollon.
TRAPOLIN.
Et l’Apollon avec emphase
680 Ma foy fille qui fait des vers
POESIE.
Ma foy garçon qui n’en fait pas,
Est sujet à porter le bas.
POESIE.
Aimez nous. Suivez-nous.
GALANTERIE.
Aimez nous. Suivez-nous. Quittez l’indifférence.
TRAPOLIN.
685 Mais serois-je infidelle à ma chere ignorance ?
Dés le berceau je suis charmé de sa beauté,
Avec elle je dors sans estre inquieté;
Mais la voicy qui vient, que je la treuve aimable !
SCENE VIII. §
LE DOCTEUR, PHILOSOPHIE,
IGNORANCE, POESIE,
GALANTERIE, TRAPOLIN.
LE DOCTEUR
ET bien captivez-vous ce Phoenix des amans ?
PHILOSOPHIE.
Et le marirons-nous ? Ouy.
LE DOCTEVR.
Et le marirons-nous ? Ouy. De plaisir j’en dance.
PHILOSOPHIE.
Ouy, mais il nous méprise, et choisit l’Ignorance.
LE DOCTEVR.
710 Il choisit l’Ignorance ! et comment gros vilain,
Tu choisis le terrestre, et quitte le divin ?
Et toy, laide effrontée, as-tu bien l’insolence,
De me nuire sans cesse, effroyable Ignorance ?
Mes filles demeurer* pour toy qui ne vaut rien !
715 Seray-je tousjours gueux, auras-tu tout le bien ?
Coupe donc l’esprit et ta gauche;
Il faut que Socrates t’embroche,
Que Platon comme un pré te fauche,
Qu’Épicure te mette à bas,
720 Que Bias te coupe les bras,
Que Solon t’envoye au trépas;
Que Plutarque t’aneantisse,
Que Cloton ta trame t’ourdisse,
Ou que la parque la finisse,
725 Que Ciceron rive ton bec,
Que l’on ne te parle qu’en grec;
Que ton humide soit à sec.
Et moy Docteur, je te souhaitte
Que quelque maligne filette*
Car je trouve selon mon sens;
Sans que tu fasses des enfans,
Que la terre a trop d’ignorans.
POESIE.
Je te vais faire faire, au lieu d’epitalame,
735 De satyriques vers, et quelque écrit infame.
[ 40 D ij]
PHILOSOPHIE.
Et moy je vais monter dessus mes grands chevaux
Et te mettre vilain, dans le rang des brutaux.
GALANTERIE
Et moy qui sçay punir tous les sots de ta sorte,
Aux Bals je te feray tousjours fermer la porte;
740 Les laquais par mon ordre iront te nazarder.
Mes cousines allons, c’est icy trop tarder,
Et voyons sans regret mépriser la science :
Un ignorant ne peut aimer que l’Ignorance.
IGNORANCE.
Avec vos beaux discours et voste esprit divin,
745 Allez vous faire faire un autre Trapolin !
Allons, vient m’épouser, et chery ta mignonne,
Et sçache qu’en ménage Ignorance est fort bonne :
Elle fait le repos et l’honneur des maris,
Et science au contraire, embroüille leurs esprits
750 Et leur fait bien souvent leur sotise connoistre,
Qu’il vaudroit mieux pour eux ne voir jamais paroistre.
TRAPOLIN
Tu seras donc mon faict, puis qu’il faut ignorer.
IGNORANCE.
Par moy de mille maux tu te pouras parer;
Allons mon gros poupon !
TRAPOLIN
Allons mon gros poupon ! Allons mon Ignorance !
755 Beuvons, joüons, dansons, et laissons la science !
Allons nous en dormir et manger à foison.
Le plus grand ennemy de l’homme est la raison.
FIN.