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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Jean-Gilbert Durval. Agarite. Tragi-comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 20 sc. 446 répl. 2,8 l. 1 251 l. 1 251 l. 27 % 4 640 l. (100 %) 3,7 pers.
LE ROY 7 sc. 51 répl. 5,7 l. 422 l. (34 %) 291 l. (24 %) 70 % 2 272 l. (49 %) 5,4 pers.
LE FLAMAN 1 sc. 2 répl. 1,6 l. 106 l. (9 %) 3 l. (1 %) 4 % 424 l. (10 %) 4,0 pers.
CELIDOR 10 sc. 72 répl. 2,5 l. 644 l. (52 %) 178 l. (15 %) 28 % 3 043 l. (66 %) 4,7 pers.
AGARITE 9 sc. 83 répl. 2,1 l. 720 l. (58 %) 174 l. (14 %) 25 % 3 061 l. (66 %) 4,3 pers.
MEDON 8 sc. 37 répl. 2,4 l. 520 l. (42 %) 90 l. (8 %) 18 % 2 904 l. (63 %) 5,6 pers.
PHENICE 5 sc. 16 répl. 3,1 l. 359 l. (29 %) 50 l. (4 %) 14 % 2 341 l. (51 %) 6,5 pers.
AMELISE 3 sc. 7 répl. 2,3 l. 275 l. (22 %) 16 l. (2 %) 6 % 1 974 l. (43 %) 7,2 pers.
L’EXEMPT des gardes du Roy 2 sc. 3 répl. 1,2 l. 208 l. (17 %) 4 l. (1 %) 2 % 1 705 l. (37 %) 8,2 pers.
POLICASTE 6 sc. 72 répl. 3,2 l. 539 l. (44 %) 230 l. (19 %) 43 % 2 419 l. (53 %) 4,5 pers.
LIZENE 4 sc. 19 répl. 2,6 l. 226 l. (19 %) 50 l. (4 %) 22 % 761 l. (17 %) 3,4 pers.
CORINTIE 6 sc. 57 répl. 2,3 l. 416 l. (34 %) 129 l. (11 %) 31 % 2 125 l. (46 %) 5,1 pers.
LE COCHER de Medon 1 sc. 1 répl. 1,9 l. 55 l. (5 %) 2 l. (1 %) 4 % 164 l. (4 %) 3,0 pers.
LES PESCHEURS 3 sc. 15 répl. 1,5 l. 117 l. (10 %) 23 l. (2 %) 20 % 434 l. (10 %) 3,7 pers.
pecheur2 1 sc. 11 répl. 1,2 l. 33 l. (3 %) 13 l. (2 %) 41 % 67 l. (2 %) 2,0 pers.
Jean-Gilbert Durval. Agarite. Tragi-comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
LE ROY 61 l. (100 %) 1 répl. 60,9 l. 1 sc. 61 l. (5 %) 1,0 pers.
LE ROY
CELIDOR
63 l. (68 %) 18 répl. 3,4 l.
30 l. (33 %) 17 répl. 1,7 l.
5 sc. 92 l. (8 %) 6,5 pers.
LE ROY
AGARITE
4 l. (69 %) 2 répl. 1,5 l.
2 l. (32 %) 1 répl. 1,4 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 9,0 pers.
LE ROY
MEDON
68 l. (84 %) 10 répl. 6,7 l.
14 l. (17 %) 9 répl. 1,5 l.
4 sc. 81 l. (7 %) 7,1 pers.
LE ROY
PHENICE
26 l. (49 %) 5 répl. 5,2 l.
28 l. (52 %) 9 répl. 3,0 l.
4 sc. 53 l. (5 %) 7,1 pers.
LE ROY
AMELISE
10 l. (83 %) 3 répl. 3,1 l.
2 l. (18 %) 2 répl. 1,0 l.
1 sc. 11 l. (1 %) 9,0 pers.
LE ROY
L’EXEMPT des gardes du Roy
6 l. (81 %) 2 répl. 2,8 l.
2 l. (20 %) 1 répl. 1,3 l.
2 sc. 7 l. (1 %) 8,2 pers.
LE ROY
POLICASTE
48 l. (81 %) 6 répl. 7,9 l.
12 l. (20 %) 6 répl. 1,9 l.
1 sc. 59 l. (5 %) 9,0 pers.
LE ROY
CORINTIE
9 l. (80 %) 2 répl. 4,3 l.
3 l. (21 %) 2 répl. 1,1 l.
1 sc. 11 l. (1 %) 9,0 pers.
LE ROY
LES PESCHEURS
2 l. (55 %) 2 répl. 0,6 l.
1 l. (46 %) 1 répl. 1,0 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 5,0 pers.
LE FLAMAN
AGARITE
3 l. (17 %) 1 répl. 2,5 l.
13 l. (84 %) 2 répl. 6,3 l.
1 sc. 15 l. (2 %) 4,0 pers.
CELIDOR
AGARITE
70 l. (82 %) 11 répl. 6,3 l.
16 l. (19 %) 12 répl. 1,3 l.
1 sc. 86 l. (7 %) 4,0 pers.
CELIDOR
MEDON
6 l. (88 %) 3 répl. 1,9 l.
1 l. (13 %) 1 répl. 0,8 l.
2 sc. 6 l. (1 %) 4,0 pers.
CELIDOR
PHENICE
4 l. (49 %) 1 répl. 3,0 l.
4 l. (52 %) 1 répl. 3,3 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 6,0 pers.
CELIDOR
CORINTIE
71 l. (39 %) 40 répl. 1,8 l.
110 l. (62 %) 42 répl. 2,6 l.
4 sc. 180 l. (15 %) 5,4 pers.
AGARITE
MEDON
6 l. (14 %) 7 répl. 0,9 l.
39 l. (87 %) 7 répl. 5,5 l.
3 sc. 45 l. (4 %) 6,0 pers.
AGARITE
POLICASTE
118 l. (39 %) 58 répl. 2,0 l.
191 l. (62 %) 57 répl. 3,3 l.
5 sc. 308 l. (25 %) 2,7 pers.
AGARITE
LIZENE
21 l. (56 %) 3 répl. 6,8 l.
17 l. (45 %) 6 répl. 2,8 l.
2 sc. 37 l. (3 %) 3,3 pers.
MEDON
LIZENE
25 l. (52 %) 8 répl. 3,0 l.
23 l. (49 %) 5 répl. 4,5 l.
2 sc. 46 l. (4 %) 4,0 pers.
MEDON
CORINTIE
11 l. (45 %) 10 répl. 1,0 l.
14 l. (56 %) 10 répl. 1,3 l.
2 sc. 24 l. (2 %) 4,0 pers.
PHENICE
AMELISE
12 l. (49 %) 3 répl. 3,9 l.
13 l. (52 %) 4 répl. 3,2 l.
3 sc. 24 l. (2 %) 7,2 pers.
PHENICE
POLICASTE
6 l. (29 %) 2 répl. 2,5 l.
13 l. (72 %) 4 répl. 3,2 l.
2 sc. 18 l. (2 %) 7,5 pers.
PHENICE
LES PESCHEURS
3 l. (67 %) 1 répl. 2,4 l.
2 l. (34 %) 1 répl. 1,2 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 4,0 pers.
AMELISE
POLICASTE
2 l. (39 %) 1 répl. 1,4 l.
3 l. (62 %) 1 répl. 2,3 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 9,0 pers.
L’EXEMPT des gardes du Roy
CORINTIE
2 l. (68 %) 1 répl. 1,6 l.
1 l. (33 %) 1 répl. 0,8 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 9,0 pers.
POLICASTE
LIZENE
13 l. (82 %) 3 répl. 4,3 l.
3 l. (19 %) 2 répl. 1,5 l.
1 sc. 16 l. (2 %) 3,0 pers.
LIZENE 1 l. (100 %) 1 répl. 0,7 l. 1 sc. 1 l. (1 %) 1,0 pers.
LIZENE
CORINTIE
7 l. (73 %) 5 répl. 1,4 l.
3 l. (28 %) 2 répl. 1,3 l.
3 sc. 9 l. (1 %) 3,6 pers.
LES PESCHEURS
pecheur2
20 l. (60 %) 12 répl. 1,7 l.
14 l. (41 %) 11 répl. 1,2 l.
1 sc. 33 l. (3 %) 2,0 pers.

Jean-Gilbert Durval

1636

Agarite. Tragi-comédie

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Marine Jeannoutot
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Jean-Gilbert Durval. Agarite. Tragi-comédie. A PARIS, Chez François Targa, au premier pillier de la grand’Salle du Palais, devant la Chapelle, au Soleil d’or. M. DC. XXXVI. Avec privilege du Roy.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

AGARITE.
TRAGI-COMEDIE.
DEDIEE A MADAME la Duchesse de Nemours. §

A TRES HAUTE ET PUISSANTE PRINCESSE ANNE DE LORRAINE, Duchesse de Genevois, de Nemours & d’Aumale. §

Madame,

Le tesmoignage, que rend le public des pieces de Theatre, n’estant bien souvent fondé que sur le bien faire des Acteurs, n’est pas une lettre de recommandation pour les faire passer à la Posterité. Celle-cy que j’ay l’honneur de presenter à Vostre Grandeur ayant esté aucunement bien receuë sem/ {p. II}/bloit ne devoir plus craindre l’injure du temps ny les coups de langue : mais l’approbation de quelques bons Esprits durant l’espace de peu d’années n’est pas une marque suffisante pour faire trouver bonne la plus belle Poësie, si le travail de la presse ne fait les mesmes effects que l’artifice du Theatre ce que n’osant me promettre de ce genre de Poëme je differois tousjours d’en faire mettre les Vers en lumiere, prevoyant assés qu’une lecture interrompuë d’Actes et de Scenes osteroit la grace qu’ils peuvent avoir en la bouche des Acteurs. Toutefois puisqu’ils n’ont jamais esté recités comme les voicy j’ay pensé que mes fautes estant publiques je les devois reparer par cette edition. Que si d’avanture cette occupation d’esprit vous semble peu serieuse, c’est encore un peu de jeunesse qui n’est pas incompatible avec l’âge viril & pour ainsi dire c’est la plus proche folie de la / {p. III}/sagesse. Vous entendés bien, Madame, que je me veux excuser de sçavoir faire des Vers en loüant un Art souvent incommode, & quelque fois ridicule en ceux qui l’exercent, mais jusqu’icy n’ayant point fait rencherir le papier a force d’escrire, je pense n’avoir employé en ce gracieux travail que certaines heures de recreation. Pourtant quand il s’agira de traiter a bon escient quelque haut sujet qui vous appartienne, encore que les Princes de

vostre Maison soient Tres Illustres dans les Histoires & que le simple discours de vostre Genealogie surpasse en magnificience le stile des Poëtes & des Orateurs j’ose vous promettre des pieces de meilleure trempe & de plus longue haleine. Alors pour faire admirer à tout le monde les Ducs, & les Chevaliers d’Aumale je traceray volontiers un plus grand dessein. Les noms de Nemours, & de Genevois me fourniront de hautes / {p. IV}/pensées & sans mediter rien de fabuleux, j’imagineray peut-estre de si nobles fictions qu’elles seront respectées pour l’amour de vous & me feront connoistre.

Madame,

De vostre Grandeur, Tres-humble & tres-obeïssant serviteur,

DURVAL./ {p. V}/

AU LECTEUR. §

Ne pense pas Lecteur, que je vueille mettre un long preambule au devant de cette Piece pour suspendre les opinions des maistres sur le jugement qu’ils en pourront faire. Je ne suis point si amoureux de mes Poëmes que je ne les supprime tres volontiers, quand ils seront condamnés par des Juges competants. Cependant & jusqu’à tant que nos Poetes & nos Orateurs soient erigés en tiltre d’office, je n’estime pas qu’ils se puissent attribuer une souveraine juridiction sur les matieres de Prose ou de Vers. Et je crois qu’il me doit estre permis comme à plusieurs autres d’en dire mon petit mot pour le temps que j’ay mis à lire les œuvres de quelques-uns qui me semblent plus curieux de trouver de nouveaux accents en nostre langue par la nouvelle orthographe que d’animer & polir leurs escrits par la force de leur genie & par les graces de l’Eloquence acquise. Je ne les veux point choquer plus rudement de peur que le contre coup ne me fasse mal, car je ne sens point en moy plus de vigueur qu’ils en peuvent avoir, & les def/ {p. VI}/fauts [que] je remarque en eux, je les ay peut-estre sans que je les voye. C’est pourquoy je ne laisse point aller sans passe-port cette premiere Tragi-Comedie , que je te prie de ne pas prendre pour un modelle adjusté de tout point aux regles qui serviront un jour de Preface à d’autres, si tu la reçeois ainsi, je te puis asseurer d’un volume de quatre pieces plus justes & plus nombreuses , chacune desquelles tenant sa partie te fera voir comme alors que je me suis diverty à cette belle science, j’ay separément traité, La Tragedie, La Tragi-Comedie, La Pastorale et la Comedie, les unes dans la pretendue Regle de vingt-quatre heures, comme Poemes simples & les autres

hors de la mesme regle, comme Poemes composés . C’est tout ce que mon loisir m’a permis de contribuer à la Scene Françoise qui ne peut avoir que les quatre faces que je te monstre. Je laisse aux autres à remplir les niches du Theatre de ses figures & decorations exterieures, & je me contente d’en avoir mis le plan à fleur de terre & dressé la base quadrangulaire sur laquelle tous les bons ouvriers peuvent jetter les fondemens de l’œuvre dramatique & le conduire à sa perfection./ {p. VII}/

A MONSIEUR DURVAL.
Sur la Tragi-Comedie d’Agarite.
ODE. §

En vain le Ciel pretend l’hommage,
De produire icy bas des Dieux ;
C’est un dessein injurieux
Que nous ravir cet adventage ;
5 Durval possede ce pouvoir,
Et dedans ses vers nous fait voir 
La naissance d’une Carite ?
Le moins qu’il en doit esperer,
Est que sous le nom d’Agarite,
10 On se porte à le reverer./ {p. VIII}/
Comme elle parut aux theatres,
Et qu’elle y sema ses douceurs,
Les plus critiques des censeurs,
Y devinrent ses idolatres ;
15 Elle vainquit ses envieux
Et l’on jugea bien que les Cieux,
Avoient infus dedans son pere,
Les graces, l’ardeur, les appas,
Qui rendirent Jupiter mere,
20 Lorsqu’il enfanta sa Pallas.
Agarite fournit des charmes,
Qui derobent la liberté,
Son advanture et sa beauté,
Ont fait rire et jetter des larmes,
25 Sa bouche recelle un Aimant,
Où le plus horrible tourment,
Sent estouffer toute sa rage ?
C’est un Oracle des Neuf sœurs,
Qu’il faut n’avoir point de courage,
30 Pour ne flechir à ses douceurs./ {p. IX}/
Divine amorce à nos oreilles,
Dont nostre esprit reste estonné,
Qui devroit estre courronné,
Pour avoir fait tant de merveilles ?
35 Alors que ton sage guerrier
Parut couronné de Laurier,
Et le cœur rempli de delices,
Sortit des Enfers tenebreux,
On vit que les travaux d’Ulysses,
40 Pour toy seul n’estoient que des jeux.
Ce grand heros a le merite,
Qui luy fait tout vaincre et charmer,
Mais l’honneur de se faire aimer,
Est reservé pour Agarite.
45 Ainsi tous deux ont leurs appas,
Et donnent tous deux le trespas,
A qui leur porte de l’envie,
Pres ce prodige de valeur,
Celuy qui conserve sa vie,
50 La rend aux charmes de sa sœur./ {p. X}/
Durval dans le sacré mistere,
Que Parnasse tient recelé
Où l’onde du cheval Aislé,
Apprend à parler et se taire,
55 Rencontre des charmes si doux,
Que le Ciel en devient jaloux,
Contre le bonheur de la terre,
Et son despit est si peu fainct,
Que rien n’arreste son tonnerre,
60 Que les Lauriers dont il est ceint.
Esprit qui ne sens nuls obstacles,
A façonner les plus beaux vers,
Et des beautez de l’univers,
Fais les moindres de tes miracles,
65 Agarite qui sort au jour,
Suspend nos vœux, et nostre amour,
Sur ses graces et tes louanges ;
Mais dans ce doute, hasardeux,
Le Ciel m’enseigne par ses anges,
70 Qu’on vous doit admirer tous deux.
ALLARD. / {p. XI}/

ARGUMENT. §

Agarite jeune Damoiselle, mais trop agreable aux yeux d’un Roy est sollicitée par Celidor, son favory. Medon pour eluder cette artificieuse poursuite, se vient plaindre à la Majesté du rapt qu’il suppose avoir esté fait de sa fille. Cependant il la depaïse & l’envoye aux champs en une maison de plaisance. Elle n’y est pas si tost que deux Gentilshommes en deviennent amoureux. Policaste gaigne son cœur, & Lisene provoque sa haine. Cetui-cy d’aussi bonne maison que son Rival, & plus riche que luy : pour mieux reüssir en sa recherche vient trouver le pere, qui le reçoit comme il desire ; & envoye querir sa fille pour les accorder. Corintie en l’absence de son Frere est cajolée par Celidor, qui en devient amoureux en cherchant Agarite, mais comme elle ne peut l’entretenir longtemps, il retourne aupres du Roy rendre compte de sa Commission. Là il apprend par le commun bruit, & la bouche du Roy, le Mariage que Medon pretend faire, & sur le soupçon qu’ils ont que c’est pour reparer le rapt commis, ils deliberent de se défaire du marié le soir de ses nopces, & d’enlever la mariée. Mais Policaste, executant le premier un autre stratageme, dont il est demeuré d’accord avec Agarite, frustre le dessein du Roy une seconde fois. Le soir de ses nopces venu, Agarite est ravie par son Amant, & conduite par eau dans une place forte. Lisene son espoux est tué dans un Balet inventé exprés par Celidor & Medon n’est pas plus affligé de la perte de sa fille & du meurtre de son gendre que le/ {p. XII}/Roy l’est de son entreprise mal executée. Enfin pour surcharge d’afflictions ce malheureux pere est amené devant ce Prince irrité, qui l’accuse du meurtre de son Gendre, & luy impose la mort de sa fille, pour luy faire declarer où elle est. Dans cette confusion turbulente d’evenemens tragiques, un Pescheur vient dire que sur le bord de la riviere il a treuvé des habits de femme à l’usage d’une Damoiselle. On s’y transporte. Medon les reconnoist pour ceux de sa fille, & le Roy presumant qu’Agarite s’est noyée par desespoir, en est si fort troublé, qu’il luy fait dresser un Lict de parade, où tous les jours il vient faire ses regrets. D’autre costé Celidor ayant sçeu que Lisene qu’il a tué estoit Frere de Corintie son Amante, se resoust de faire penitence d’un si grand crime, & pour s’en aller en pelerinage, il prent congé d’elle, mais celle cy pour rompre son dessein, le suit bien-tost déguisée en Cavalier. Tandis Policaste & Agarite demeurent dans leur Chasteau, d’où enfin ils sortent pour venir en Cour & treuver moyen en desabusant le Roy, d’accomplir leur mariage. Ils s’addressent à Phenice gouverneur d’Amelise, auquel ils conseillent de faire mettre ceste jeune Princesse à la place de l’effigie d’Agarite que le Roy idolatre, afin qu’il s’en puisse rendre amoureux, & qu’il soit plus facile de luy faire changer son amour imaginaire en une affection réglée & legitime. Ce qu’ils executent au contentement d’Amelise, qui est bien aise de faire l’idole pour devenir Reine, & s’estans pris garde que depuis une telle supposition le Roy n’est plus si furieux. Un jour entre autres qu’il se plaint dans sa chambre, Amelise se leve en sursaut de dessus le lict de parade. Incontinent Phenice parest suivi de Policaste & d’Agarite deguisée en Page. Tous ensemble le rasseurent, & Pheni/ {p. XIII}/ce luy ayant monstré l’Autheur de la feinte s’esvertuë encor par vives raisons de luy oster Agarite de la memoire, pour luy faire prendre un party sortable à la dignité de sa personne. Finalement il se resout d’espouser Amelise. Alors Policaste descouvre Agarite, & la reconnoist pour sa maistresse. Le Roy, autant ravy de ce miracle, que la grande affection qui est entr’eux, change l’amour qu’il a eu pour elle en bienveillance, & pour recompenser Policaste d’une feinte qui reüssit à tant d’heureux effects, il luy accorde Agarite en mariage. Au mesme temps Celidor & Corintie estans retournez en Cour en habits déguisez, sont aussi reconnus & mariez ensemble.

Une consideration m’empesche de nommer le Royaume & la Province où j’ay feint cette Histoire. Je diray seulement contre l’opinion de ceux qui veulent que la Scene soit en un seul lieu, qu’une partie des adventures de ce Poëme se passe aux champs, & l’autre à la ville, s’ils ne veulent prendre pour un seul lieu toute une contrée . / {p. XIV}/

PERSONNAGES §

  • LE ROY.
  • LE FLAMAN, Peintre & Marchand de Tableaux.
  • CELIDOR, Favory du Roy, Amant de Corintie.
  • AGARITE, Amante de Policaste.
  • MEDON, Pere d’Agarite.
  • PHENICE, gouverneur d’Amelise.
  • AMELISE, jeune Princesse.
  • L’EXEMPT des gardes du Roy.
  • POLICASTE, Amant d’Agarite.
  • LIZENE, rival de Policaste.
  • CORINTIE, sœur de Lizene.
  • LE COCHER de Medon.
  • LES PESCHEURS (I et II).
{p. 1 ; A}

ACTE PREMIER §

Scene premiere. §

Le roy, celidor.

le roy.

Que les Roys de mon aage ont de trouble en aymant !
Et qu’un Sceptre déplaist en la main d’un Amant !
L’éclat de ma Couronne est contraire à la flame*
Qu’un Soleil de beautés allume dans mon ame.
5 Et bien que ma fortune* esleve mon amour {p. 2}
Elle me fait haïr les pompes de ma Cour,
J’ayme d’entretenir à des heures secrettes*
Celuy d’entre les Dieux qu’on adore à cachettes :
C’est icy qu’avec luy je confère souvent,
10 Il entend* les raisons que je mets en avant :
Je luy dy mes secrets*, il me preste l’oreille,
Et tout Roy que je suis un enfant me conseille.
Ce petit Dieu m’apprend que les plus innocens
Souffrent* quand il luy plaist les peines* que je sens.
15 Et lors que je me plains des tourmens* que j’endure
Il me dit que j’ay tort d’accuser la Nature* 
Qui sousmet tout le monde à ses divines lois*,
Et luy fait obeïr les Princes et les Rois,
Ainsi contre l’Amour j’esprouve* ma constance,
20 Et toutefois en vain je lui fay resistance,
Comment luy resister ? Il est armé de traits*,
Et pour se faire aymer ma belle a tant d’atraits,
Que si je ne cedois à la force des armes,
Elle me gaigneroit par l’effect* de ses charmes*.
25 Mais voicy de retour celuy qui tous les jours
A l’honneur* de la voir.
{p. 3}

Celidor.

Sire point* de discours*
On ne la peut gaigner par des belles parolles,
Une chaine de prix et du poids des pistolles
Pourroit à mon advis.

Le Roy.

Ha ! ce traffic aussi
30 Me desplaist.

Celidor.

Si fait on toutes choses ainsi.

Le Roy.

L’or ne peut enrichir que les Nymphes du Tage,
Il faut qu’à celle-cy je donne davantage.

Celidor.

O Prince liberal que l’on deût adorer !
Que nous verrons longtemps vostre regne durer !

Le Roy.

35 Si tu me fais jouyr d’une beauté si rare*,
Outre qu’en ton endroit je ne suis point* avare,
Sçache qu’en un instant je te puis eslever
Jusques où tes souhaits ne sçauroient arriver.

Celidor.

J’y fay tout mon pouvoir mais plus je continuë
40 Et plus dans le discours* je la voy retenuë. {p. 4}

Le Roy.

Il n’en faut donc jamais esperer d’amitié* ?

Celidor.

Jamais qu’elle ne soit vostre chere moitié.

Le Roy.

Celidor tu sçais bien que c’est chose impossible
Sollicite, poursuis et la rends plus sensible,
45 La jeunesse, l’Amour et la simplicité
Gaigneront son esprit* estant sollicité.

Celidor.

Il est vray que l’Amour fond les ames de glace
Il faudra que ce feu* dans son cœur trouve place,
Vis à vis de chez elle un Marchand de tableaux
50 Qui s’entend* avec moy, fait monstre des plus beaux.
Elle de qui l’esprit* aux nouveautés s’applique,
Pour les considerer entre dans la boutique.
Alors je prens mon temps et la viens accoster
Luy monstrant des objets* qui la peuvent tenter.
55 Enfin vostre pourtrait dont je dy des merveilles*
Charme* autant ses beaux yeux que je fay ses oreilles,

Le Roy.

Tu luy parles d’amour. {p. 5}

Celidor.

Je vous laisse à penser.

Le Roy.

O service qu’un Roy ne peut recompenser !
Tu te peux asseurer que ta fortune* est grande,
60 Mais voy la plus souvent et fay qu’elle se rende.

ACTE I.

Scene II. §

Agarite, le Flaman, Celidor, Medon.

Agarite.

Si le mignon du Roy n’est point* un suborneur*
Qui tâche d’abuser une fille d’honneur*,
Ce nom de Masjesté m’esblouyt et me tente
Et celuy de l’amour me peut rendre contente,
65 Mais quoy ! c’est me flatter* d’esperances en l’air {p. 6}
Qui passent devant moy plus viste qu’un esclair,
Encore que les Rois cherissent les plus belles
Ils n’espousent jamais de simples Damoiselles.
Et pour moy j’ayme mieux vivre sans vanité
70 Que de perdre la fleur de ma pudicité :
C’est tousjours le plus seur. Mais les belles figures*
He Dieu ! que ce Flaman a de riches* peintures ?
Je m’en vay l’aborder pour les voir de plus prés.
Monsieur asseurement vous les faites exprés,
75 Vous nous monstrés tousjours quelques pieces nouvelles.

Le Flaman.

Le monde qui les voit les estime plus belle
Quand elles ont receu quelques traits* de vos yeux ;
En effect* il est vray qu’elles s’en vendent mieux.

Agarite.

Ha ! ne me gaussés point* en me voulant complaire*

Le Flaman.

80 Excusez j’ay là haut quelques comptes à faire.

Celidor.

Page* tiens mon espée et m’attends là devant,
Vrayment j’eusse mal fait de passer plus avant {p. 7}
Voyant des raretés où l’art de la Peinture
Compare tous ses traits* à ceux de la Nature*.

Agarite.

85 Monsieur, je vous entends* : mais de tous ces pourtraits
Vous ne voyés en moy que les plus rudes traits*.

Celidor.

J’estime que l’amour n’acheva cet ouvrage
Qu’aprés vous avoir veuë en la fleur de votre âge.

Agarite.

Pensés-vous ? et l’on dit que l’amour n’a point* d’yeux.

Celidor.

90 On en peut dire autant de tous les autres Dieux.
Mais laissent ils de voir ce qu’on fait dans le monde ?

Agarite.

Je ne sçay donc sur quoy le vulgaire se fonde.

Celidor.

Passons outre, parlons de ce que nous voyons
Et disons librement ce que nous en croyons.

Agarite.

95 Bien que ce soient icy des peintures prophanes
Monsieur, que dites vous de ces deux courtisanes ?

Celidor.

Si leurs rares* tableaux se perdoient une fois {p. 8}
On treuveroit en vous les beautés que j’y vois.

Agarite.

Ha ! vous ne dites pas tout ce qu’il vous en semble
100 Je ne croy point* avoir tant de beautés ensemble.

Celidor.

Vous les avez pourtant et ne les semblez pas
Car ceste belle gorge a bien d’autres appas*.

Agarite.

Dites mieux que de loin je parois estre telle,
Mais à me voir de prés que je ne suis plus belle.

Celidor.

105 Je ne feray jamais ceste comparaison,
Ce seroit proprement dementir la raison,
Et délors ces pourtraits qui manquent de parole
En auroient pour reprendre une personne fole.

Agarite.

Vous ne serés jamais par leurs bouches repris.

Celidor.

110 Pourquoy ? de leurs beaux yeux je me sens bien espris,
Ils font dedans mon cœur ce qu’au vostre peut faire
Ceste image* du Roy capable de vous plaire. {p. 9}

Agarite.

Pour me parler du Roy vous me dites cela.

Celidor.

Comment ! négligés vous la passion* qu’il a ?
115 Il est si liberal, si vaillant, et si sage.

Agarite.

Vrayment ce sont bien là de beaux traits* de visage,
Mais une autre que moy le pourra contenter*.

Celidor.

Dieux ! tout ce que je voy vous y deut inviter,
Voyés ce beau Printemps où l’amour s’est luy mesme
120 Representé par tout comme sur un Embléme.
Il n’est trait* là dedans qui ne vous face voir
Des chef-d’œuvres entiers de son divin pouvoir.
Alors que ces peupliers à la Vigne se lient
Leurs feüilles tremblent d’aise et leurs branches s’en plient,
125 L’esprit* qui les produit d’un soin* perpetuel,
Nourit entre leurs troncs un amour mutuel :
Ainsi le Grenadier et le Myrthe se baisent,
Et parmy les Citrons les Oranges se plaisent, {p. 10}
Cette Palme profite et se charge de fruits,
130 Passant près de son masle et les jours et les nuits,
Ces arbres où l’on prend des poires et des pommes
Ont chacun leurs moitiés aussi bien que les hommes,
Et sans nous arrester à tant de vegetaux
La nature* marie encore les metaux,
135 L’or avecques le plomb sur le feu* se r’assemble
Et dedans ce creuset ils se meslent ensemble,
Sçavés vous bien pourquoy l’on a peint ce cailloux ?
C’est pour monstrer qu’il a plus d’amitié* que vous,
Car le jaspe s’engendre au cœur de ceste pierre,
140 Et rien de vostre cœur ne germe sur la terre,
Certes sans y penser nous tombons dans la mer,
Où mesme les poissons nous enseignent d’aymer,
Dans ce froid element, les Sepches s’entrelassent
Les Dauphins font l’amour, et les Poulpes s’embrassent.
145 Ceux-cy qui sont plongés au fonds de ce tableau
N’esteignent point* le feu* qui les brusle dans l’eau.
On diroit à les voir qu’ils se meurent de joye
Et que dedans du laict l’un et l’autre se noye,
O[u] que bien à propos en la saison des fleurs {p. 11}
150 Le peintre les a faits de diverses couleurs,
Car c’est la verité qu’aprochans du rivage
Ils prennent la couleur de tout un paysage,
En la mesme façon que vous prenés en vous
Tout l’esclat des pourtraits qui sont autour de nous.
155 Mais c’est trop vous mener à la mercy des ondes    
Retournons maintenant dans les plaines fecondes ;
Que pensez vous que fait dedans ce chaume sec
Cette belle Perdris qui nous monstre son bec :
Elle en conçoit une autre à la moindre parole
160 Qu’elle entend* prononcer à son masle qui vole,
Il ne faudroit que voir ces Ramiers accouplés,
Pour sçavoir en quel temps les desers sont peuplés,
Quoy ! ne direz-vous pas que ces deux Tourterelles
R’appellent leurs maris pour coucher avec elles,
165 Regardés ces Lapins, ces Lievres, ces Chevreux
Ce sont des animaux qui sont tous amoureux.
Sur tout considerez que ce boccage sombre
Où l’ouvrier a caché deux personnes à l’ombre,
N’empesche point* de voir ces deux jeunes amans {p. 12}
170 Qui sont venus au but de leurs contentemens*,
Il n’en faut point* mentir cette piece merite
Il n’y manque rien plus que l’amour d’Agarite.

Agarite.

Mon cœur ne s’est esmeu non plus de ce discours*
Que mes yeux en voyant tant de sortes d’amours,
175 Le papier souffre* tout et la toile de mesme.

Celidor.

Quoy ! n’aymerez vous pas un Prince qui vous ayme ?
Serez vous seule au monde en qui la cruauté
Ait de l’intelligence avecque la beauté.

Medon.

Qu’est-ce que ce mignon peut tant dire à ma fille ?
180 Sur la fleur de ses ans je crains cette chenille.

Agarite.

Monsieur retirez-vous, hé Dieu ! j’entens* parler
Mon Pere à la fenestre.

Celidor.

Il faut donc s’en aller.
{p. 13}

Medon.

Agarite ma fille.

Agarite.

Escoutez il m’appelle !
Adieu c’est trop causer.

Celidor.

Adieu doncque cruelle*
185 Ha ! qu’il est mal aisé de la solliciter
En passant par icy je ne puis m’arrester 
Qu’ aussitost d’elle et moy son pere ne soupçonne ;
Ce viellard ne veut pas qu’elle parle à personne,
Et la tient de si prés, que mesme de chez luy
190 Il voit ce qu’elle fait en la maison d’autruy.
Allons trouver le Roy, mais faignons que l’affaire
S’est passée autrement affin de luy complaire*,
Il faut payer les Grands d’esperance et de vent
Car de mesme monnoye ils nous payent souvent.

ACTE I.

{p. 14}

Scene III. §

Medon, Agarite.

Medon.

195 Agarite parfois pour estre trop civile
On fait courre de soy de faux bruits* dans la ville ;
Que te monstroit là bas le favory* du Roy ?

Agarite.

Un tableau du Printemps.

Medon.

Ma fille je te croy.
Mais dans mon cabinet j’en ay bien un plus rare*,
200 Celuy de qui je l’ay l’acheta d’ un Barbare*.

Agarite.

Hé ! mon pere voyons ce tableau pretieux.

Medon.

Il faut bien contenter* ton esprit* curieux,
Voy comme là dedans toutes choses finissent,
Comme les unes font que les autres perissent, {p. 15}
205 Et de quelle façon la nature* reduit
Aux termes du neant tout ce qu’elle produit.
D’abord tu cognois* bien qu’à l’entour de la vigne,
Ce Laurier est tousjours une plante maligne,
Que ce jeune Olivier un vieux chesne destruit,
210 Et que tous deux mourans ils ne font aucun fruit,
L’or l’argent et l’estain dans ce fourneau de pierre
Se font comme tu vois une cruelle* guerre,
Et tu peux bien juger* que ce fin diamant
Empesche tout à fait la vertu* de l’Aymant.
215 Ce Congre dans la mer devore une Lamproye,
Et cet autre poisson est des Poulpes la proye.
Sur terre nous voyons qu’il n’est point* d’animal
Qui ne nuise à quelque autre, ou ne luy veuille mal,
Ainsi cette Perdris deux ou trois fois remise
220 Sous la main de l’Autour, enfin se trouve prise,
L’Aigle dessus les bois va prendre des Ramiers
Et les Cerfs sont dedans deschirez des limiers.
O Dieux ! que voy-je là ? non loin de ce fueillage
Une Bergere meurt à la fleur de son aage, {p. 16}
225 C’est un jeune Seigneur qui feignant de chasser
Luy vient oster la vie en la voulant forcer.
Agarite prens garde où sa rage le porte
Et songe que l’on peut te traiter de la sorte.

Agarite.

Las ! Pourvoyez y donc car c’est la verité
230 Qu’on attente desja sur ma pudicité,
Le Favory* du Roy tous les jours m’importune
Il voudroit que l’amour gouvernast ma fortune*.

Medon.

Ha ! ma fille l’Amour est un mauvais Enfant
Il se plaist à des jeux que l’honneur* luy desfend,
235 Garde que ce Mignon. Mais il est difficile
D’empescher son dessein* demeurant dans la ville ;
Il faut. Attends un peu que je songe à cecy,
Il faut que sur le soir tu t’en ailles d’icy,
Et qu’aussitost après en déplorant ma vie
240 Je vienne dire au Roy que quelqu’un t’a ravie,
Qu’en dis-tu mon enfant il n’est pas mal aisé,
De sauver ton honneur* par un rapt supposé,
Je te feray mener en un lieu de plaisance
Esloigné de la Cour et de la medisance,
245 Et je pourray sous-main te trouver un espoux, {p. 17 ; B.}
Dont le Roy quelque jour ne sera point* jaloux.

Agarite.

On ne sçauroit trouver une fourbe meilleure.

Medon.

Non, mais il faut aussi l’accomplir de bonne heure.

ACTE I.

Scene IV. §

Phenice, Amelise, le Roy, Celidor, l’Exempt [, Medon].

Phenice.

Quand je pense, Madame, au bon-heur qui vous fuit,
250 Il me semble de voir un beau jour qui me luit.
Soit que je vous regarde ou que je considere,
Le grand bien* pour l’estat* que de vous on espère,
Il n’est point* de Princesse, en qui sans vanité,
On puisse remarquer tant de prosperité.
255 Outre que tout le monde à bon droit* vous honore, {p. 18}
Tant de nobles partis vous regardent encore,
Qu’il ne vous reste plus.

Amelise.

Phenice taisez vous,
Je sçay que vous allez me parler d’un espoux,
Mais ne me flattés* point* d’une esperance vaine,
260 Et ne me parlés plus de ce tiltre de Reine.
J’ay bien assés de cœur pour regner quelque jour,
Si j’estois creature à donner de l’amour,
Encore que le Roy, quelque fois me caresse,
Une moindre beauté luy tient lieu de maistresse*,
265 Mais il entre au Conseil*, allez-y vistement
Tandis je me retire en mon apartement.

Phenice.

Je reviendray bien tost.

Le Roy.

Les affaires civiles,
Nous tiennent prisonniers dans les plus belles villes,
Les Sceptres dont les Rois gouvernent les humains,
270 Sont d’un Cedre pesant qui suë entre leurs mains,
Ceux qui sont eslevés au faiste d’un Empire, {p. 19}
Tiennent à mon advis le timon d’un Navire,
Dont le fonds est d’Ebene et le reste d’un bois,
Que l’orage et la foudre enflament comme poix,
275 Et puis en leur endroit tous les vents sont propices
Ils nagent dans les biens* et dedans les delices.
Erreur de loüer tant la fortune* des Roys,
En mon particulier je me contenterois*
Si quelqu’un sans toucher à l’interest* des Princes,
280 Pouvoit mettre un bon ordre en toutes mes provinces.

Phenice.

Si la teste n’agit, tout les membres du corps,
En matiere d’Estat* sont de foibles ressors.
Sire, pardonnez-moy, je le dis d’un bon zele,
A peine trouvez-vous un seul homme fidelle*,
285 Il est temps desormais de ne croire que vous,
Puisque vos Conseillers* vous trompent quasi tous.

Le Roy.

Les Roys sur leurs sujets ne sont pas tousjours maistres,
On voit en tous estats* des meschans et des traistres ;
Si mon Conseil* n’est bon, pour le moins je n’eslis {p. 20}
290 Que des hommes de bien* lors que je l’establis.

Phenice.

C’est aussi dans ce choix que les sages vous trompent
Car dedans les honneurs* les hommes se corrompent.
Et tels que de bienfaits vous pensez obliger*,
Ont de l’intelligence avecques l’estranger*.

Celidor.

295 Monsieur quand on a sçeu de semblables cabales,
On a tousjours puny ces ames desloyales.
Quiconque sert les Rois, et ne vit comme il faut,
Est mené tost ou tard dessus un Eschaffaut.

Phenice.

Oüy, quand les Magistrats ne se laissent corrompre.

Le Roy.

300 Que me veut cet Exempt qui nous vient interrompre ?

Exempt.

Sire, un pauvre Vieillard, et fort inquieté,
Desire de parler à vostre Majesté. {p. 21}

Le Roy.

Et bien faites le entrer, ma clemence m’oblige*
D’avoir pitié de ceux que la Fortune* afflige.

Celidor.

305 C’est le Pere, escoutez à l’oreille.

Le Roy.

Tant mieux.

Medon.

Sire, si ce discours* ne vous est ennuyeux,
Je demande justice, et me plains d’une injure*,
Qui trouble en mes vieux ans le cours de la Nature*.
On a ravy ma fille (Helas ! en ce penser
310 Mille traits* de douleur me viennent traverser.)

Le Roy.

Console-toy, Bon-homme, en des crimes semblables,
Il se faut informer des personnes coupables.
Sçachons les Ravisseurs, afin de les punir 
Et voyons quel chemin ils auront pu tenir.
315 Celidor, c’est de toy que j’attens la vengeance,
Te chargeant tout exprés de ceste diligence. {p. 22}

Celidor.

Quiconque soit l’Autheur de ceste lascheté
Je respons de sa teste à vostre Majesté.
{p. 23}

ACTE II §

Scene premiere. §

Agarite, Lizene, Policaste.

Agarite.

Je pense qu’autrefois en ceste solitude,
320 Quelque Esprit* amoureux s’occupoit à l’estude,
Et je croy que celuy qui fit bastir ce lieu,
Faisoit icy des vers à la gloire d’un Dieu.
Pour le moins j’ay trouvé sur de vieilles Armoires,
Ce Recueil où l’Amour a rangé ces memoires.
325 Il semble que l’Autheur ne les fit imprimer
Que pour me faire voir comme je dois aimer. {p. 24}
Dans ce livre tout plein d’agreables meslanges,
La Flatterie enseigne à donner des loüanges.
On apprend à parler avec des complimens
330 Capables de tromper les meilleurs jugemens.
Il est un peu meslé de Sonnets Satyriques :
Mais c’est pour condamner ces Amans frenetiques,
Qui ne veulent jamais recevoir d’autre loy*,
Encore qu’on rejette et qu’on blasme leur foy*.
335 Tel est en mon endroit cet obstiné Lyzene,
Dont l’Amour s’est rendu coulpable de ma haine,
Tant il est déplaisant, et tant j’ayme celuy
Que je dois par dessein* obliger* aujourd’huy.
J’ay choisi dans ces Vers une sorte de style,
340 Où Lyzene verra sa recherche inutile :
En un mesme fueillet j’ay trouvé ce qu’il est,
Et combien en son lieu Policaste me plaist :
Mais les voicy tous deux à propos.
{p. 25}

Lyzene.

C’est merveilles*
De voir une Beauté qui n’a point* de pareille.

Agarite.

345 Vous pouvez bien aussi vous tromper en ce point*.

Policaste.

Ha ! nous sommes d’accord, que vous n’en avez point*.

Agarite.

Peu s’en faut que tous deux je ne vous desadvouë.

Policaste.

Si vous ne voulez pas que personne vous louë,
Je ne sçay comme il faut vous faire un compliment.

Agarite.

350 Lisez où j’en estois, et vous sçaurez comment.

Policaste.

Sonnet, d’un Gentilhomme aymé de sa Maistresse*.

Lyzene.

Celuy-là meritoit d’estre mis sur la Presse*, {p. 26}
Acheve Policaste, il semble que l’Autheur
Eut dessein* là dedans de parler du Lecteur.

Policaste.

355 Celle que je cheris ne rougit point* de honte,
Quand je prens sur sa bouche un amoureux baiser,
Et si quelque rougeur sur sa face luy monte
Elle provient d’un feu* que je sçais attiser.
Souvent entre ses bras, il faut que je luy conte,
360 D’où peut naistre ce feu* qui nous vient embraser,
Et quand c’est tout de bon que l’Amour nous surmonte,
Ceste flame* s’accroist au lieu de s’appaiser.
Alors pour adoucir mes amoureuses peines*
Et rafraischir le sang qui me boult dans les veines,
365 Elle me fait presser la neige de son sein. {p. 27}
Mais en cette action elle a beau me complaire*,
La Nature* a formé ses Tetons à dessein*
Qu’il en sorte du laict, et non pas de l’eau claire.

Lyzene.

Je meure, ce Sonnet en sa pointe* me plait,

Policaste.

370 L’eau m’en vient à la bouche, avec ce goust de laict.

Lyzene.

De grace*, permettez que j’en trouve un semblable.

Agarite.

Tournez donc le fueillet, sans chercher à la Table.

Lyzene.

Je suis d’un beau sujet espris si follement,
Que je prens à faveur* le desdain et la haine,
375 Celle que je poursuis me hait mortellement {p. 28}
Et si je n’oseroy l’appeller inhumaine.
Je fay ce que je puis pour son contentement*,
Elle ce qu’elle peut pour rengreiger ma peine*,
Et si je la veux voir une heure seulement,
380 Elle ne me veut voir de toute la semaine.
Jamais je n’en auray le plaisir que j’attens :
Un autre jouyra du bien* que je pretens,
Car alors qu’elle voit mon ame a la torture,
Elle irrite mon mal au lieu de le guerir,
385 Et dit en se mocquant des tourmens* que j’endure,
Qu’elle m’aymeroit bien, si j’en pouvois mourir.
Cela s’addresse à moy, je trouve en ceste page
Pour sortir de chez vous un honneste passage.
Adieu la belle Adieu : vous avez de l’esprit*
390 De me donner ainsi mon congé par escrit.

Agarite.

Policaste va voir, je ne croy pas qu’il sorte,
Il nous peut escouter sur le sueil de la porte. {p. 29}

Policaste.

Il est desja bien loing,

Agarite.

laisse le donc courir,
Ce n’est pas avec luy que je veux discourir.

Policaste.

395 Je crains que de colere il descouvre la vie
Que nous faisons tous deux,

Agarite.

Il crevera d’envie
Plustost que d’en parler : car un sot amoureux
Espere tost ou tard de se voir bien heureux 
Et ne s’offense point* quelque mal qu’on luy fasse.

Policaste.

400 Je serois bien fasché si j’estois à sa place.

Agarite.

Je n’ay garde, mon cœur de te desobliger*,

Policaste.

Ce seroit le moyen de me bien affliger.

Agarite.

Que jamais ce penser n’interrompe nostre aise,
{p. 30}

Policaste.

Pour n’y penser jamais, permets que je te baise.

Agarite.

405 Pourveu qu’en tout honneur*.

Policaste.

Je ne demande rien.
Autre chose, d’honneur*, je ne veux que le tien.

Agarite.

Tu t’émancipes trop de parler de la sorte.

Policaste.

Ha ! que tu cognois* mal l’amour que je te porte.

Agarite.

Apres un doux baiser ne demande rien plus,
410 Je hay plus que la mort ces plaisirs dissolus.

Policaste.

Je ne veux point* passer ou le sein ou la bouche.
Mignarde ne crains point* qu’autre part je te touche.

Agarite.

C’est trop recommencer : ha ! je me fascheray.

Policaste.

Je n’en veux plus qu’un autre, et puis je m’en iray.
{p. 31}

Agarite.

415 Despeschez-vous : je crains que Lyzene revienne.

Policaste.

Adieu, je prens ton livre, afin qu’il t’en souvienne.

Agarite.

Agreable maison mon honneur* est chez toy,
Beaucoup plus seurement qu’à la ville où j’estoy.
Il est vray qu’en ce lieu je suis comme captive,
420 Mais l’Amour encourage une fille craintive ;
Et ce qui me console en ma captivité,
Est de voir Policaste en toute liberté :
Son entretien me plaist en ce lieu solitaire,
Plus que tous les honneurs* qu’un Roy me pouvoit faire.
425 Et certes desormais l’amour qu’il a pour moy
Me fait hair la Cour autant que je l’aymoy.

ACTE II.

{p. 32}

Scene II. §

Lyzene, Corintie, Celidor.

Lyzene.

Malgré ses cruautez je luy seray fidelle*,
Ma sœur ne parle point* de son pere, ny d’elle,
Peut-estre qu’à la fin.

Corintie.

Elle se resoudra
430 De prendre le party que son Pere voudra,
Medon depuis long temps cognoist* nostre famille.

Lyzene.

En tout cas je m’en vay luy demander sa fille :
Adieu, si je l’espouse on te viendra querir.

Corintie.

Je ne sçay quoy, me dit qu’on le fera mourir,
435 Mais je n’oserois pas luy conter ce presage :
Et d’ailleurs pour le croire, il n’est pas assez sage : {p. 33 ; C.}
Dieu vueille qu’aucun mal ne luy puisse arriver.
Cependant Celidor me doit venir trouver,
Et pourveu qu’à chasser il ne s’arreste guere,
440 Nous sçaurons mesnager l’absence de mon Frere.
Courage*, le voicy, j’entends* un Cor d’argent,
Son Veneur ce matin est assez diligent,
Afin qu’aucun des siens ne le puisse distraire,
Je m’en vay luy monstrer le signal ordinaire.
445 Quand je mets un bouquet sur ma fenestre, alors
Il est bien asseuré que mon Frere est dehors.
O qu’heureuse me fut sa premiere visite !
Il me trouva n’aguere en cherchant Agarite,
Et je luy pleus si fort qu’à la faveur* des bois,
450 Il est venu depuis me revoir plusieurs fois.

Celidor.

Beaux yeux qui m’arrestez le matin quand je passe,
Et me faites quitter le plaisir de la Chasse,
C’est icy que de vous je reçois le bon jour, {p. 34}
Et non pas du Soleil qui luit sur ceste Tour.

Corintie.

455 Si comme le Soleil je reglois les journées,
Celles-cy croyez-moy dureroient des années.

Celidor.

Celle par qui je compte et les jours et les nuicts,
Peut bien croistre ma joye, et finir mes ennuis*.

Corintie.

Ne vous en mocquez pas une personne absente
460 Pourra rendre vostre ame et la mienne contente.

Celidor.

Hé Dieu ! seroit-ce bien vostre Frere ?

Corintie.

C’est luy.
{p. 35}

Celidor.

Mais quoy ! ne doit-il pas retourner d’aujourd’huy ?

Corintie.

Possible de huict jours.

Celidor.

O favorable absence !
Donne nous desormais un peu plus de licence*.

Corintie.

465 Il faut croire qu’un Dieu nous procure ce bien*,
Pour unir à ce coup* vostre cœur et le mien.
Vous sçavez que mon ame est unie à la vostre,
Il n’est point* d’amitié* qui ressemble la nostre.

Corintie.

En ce parfait amour une difficulté
470 M’empesche de gouster nostre felicité.

Celidor.

Quelle difficulté vous empesche de rire ?
{p. 36}

Corintie.

Je n’ose descouvrir ce que mon cœur desire.

Celidor.

Me taire tel secret*, c’est me faire un affront.

Corintie.

Il se fait voir assez lisez-le sur mon front.

Celidor.

475 Vrayment, puisque l’Amour se lit en vostre face
Comme une vive flame* en une belle Glace,
Je vay parler si haut de vos rares* beautez
Que je vous raviray si vous les escoutez.
Ceste Gorge d’appas*, et de graces* pourveuë,
480 Est le plus bel object* qui contente* ma veuë.
Voire, si la Beauté s’appelle proprement
Une chose que l’œil cognoist* parfaictement,
Il faut avec les yeux m’oster la cognoissance,
Ou croire que de vous mon amour prend naissance.
485 Au reste, qui ne voit que vos yeux ravissans
Pour attirer les cœurs ont des charmes* puissans ?
Ils jettent dans les miens de petites bluettes*, {p. 37}
Et des langues de feu* qui ne parlent muettes :
Les astres prennent tous leur clairté de la leur :
490 C’est d’eux que le Ciel emprunte sa couleur.
Mais nul à mon advis ne doit trouver estrange*
Qu’ils soient de bleu celeste au visage d’un Ange.

Corintie.

Que vous estes flatteur* !

Celidor.

Voila trop m’offenser

Corintie.

De parler autrement que vous n’osez penser.

Celidor.

495 Ha ! vous le payerez,

Corintie.

Tout beau je vous supplie.

Celidor.

Il faut,

Corintie.

Arrestez-vous : Hé Dieu ! quelle folie.
{p. 38}

Celidor.

Quand l’ame par les yeux exprime ses desirs
Pourquoy priver le corps de ses menus plaisirs ?

Corintie.

Ha ! que vous estes fin.

Celidor.

Quelle grande finesse
500 Trouvez [-vous] en l’humeur* d’une simple jeunesse ?

Corintie.

Vous taschez de venir,

Celidor.

Achevez sur un poinct*.

Corintie.

Où sans doute (Beau-fils) vous n’arriverez point*.

Celidor.

Possible qu’au jardin dessous un beau fueillage,
Vous laisserez la fleur de vostre Pucelage.
{p. 39}

Corintie.

505 Ha ! vous ferez beaucoup d’obtenir un baiser.

Celidor.

Allons, je ne suis plus en humeur* de causer.

ACTE II.

[ 40]

Scene III. §

Policaste, Agarite, [le cocher].

Policaste.

Celuy qui n’ayme pas n’est pas digne de vivre,
J’ay marqué ce beau traict* fueilletant vostre Livre.

Agarite.

Où l’avez-vous laissé ?

Policaste.

Dedans mon Cabinet.

Agarite.

510 Vous ne lirez donc point* maintenant de Sonnet.

Policaste.

Non, mais je pourray lire en plus beaux caracteres
Les merveilles* d’Amour et ses divins mysteres. {p. 41}
Où sçaurois-je mieux voir sa puissance qu’en vous ?
Elle y paroist escrite en un stile si doux,
515 Qu’il n’est Esprit* humain qui me la puisse apprendre
Comme un si beau sujet me la peut faire entendre*.

Agarite.

Tout-beau vous me feriez entrer en vanité
Reprenez le discours* que vous avez quitté.

Policaste.

Je disois que ceux-là sont indignes de vivre
520 Qui censurent l’Amour, ou ne l’osent pas suivre ;
Si je suis amoureux, ne vous en estonnez*,
Ce n’est que pour aymer que nous sommes tous nez,
Et je croy que les Dieux seroient ce que nous sommes,
Si l’on aymoit au Ciel à la façon des hommes.
{p. 42}

Agarite.

525 Vous voulez donc conclure, afin de me charmer*,
Qu’il n’est point* de plaisir

Policaste.

Plus grand que de s’aymer.
C’est le souverain bien* des personnes bien nées.

Agarite.

Passons donc en aymant nos meilleures années.

Policaste.

Vivons, vivons contents, mais que mal à propos
530 Celuy-cy vient troubler nostre amoureux repos.

Agarite.

Ha ! c’est nostre Cocher : et bien quelle nouvelle
A la ville ?

Policaste.

Il me faut retirer d’aupres d’Elle.

Le Cocher.

Monsieur m’a commandé de vous venir querir,
Et depuis mes chevaux n’ont cessé de courir : {p. 43}
535 Il vous escrit ce mot.

Agarite.

monstre que je le voye.
O le mauvais conseil* que mon Pere m’envoye !
Cocher, fay tout le moins repaistre tes chevaux.
Dieux, tousjours les Amans auront-ils des Rivaux ?

Policaste.

Entendez*-vous parler de Lyzene ?

Agarite.

mon Pere
540 Me le fait espouser, cela me desespere.

Policaste.

L’apparence qu’absente on vous puisse obliger* ?
Un Pere ne le peut, mais il y faut songer.

Agarite.

Si je n’ay qu’un lourdaut, le moyen que je l’ayme.
Lyzene, couvert d’or sera tousjours luy-mesme :
545 Il sera tousjours tel que je l’ay recogneu, {p. 44}
Ha ! j’ayme mieux avoir Policaste tout nu.

Policaste.

Escoutez le conseil* que l’amour me suggere
J’ay trouvé le moyen de tromper vostre Pere :
Mais il faut que ce soit bien avant dans la nuict,
550 Et lors qu‘és grands chemins on n’entend* plus de bruit* :
En sortant de la ville on voit sur la Riviere
Un Clocher ruineux dedans un Cymetiere,
C’est le lieu plus commode où peut s’executer
Le glorieux* dessein* que je viens d’inventer.

Agarite.

555 Tousjours vous inventez quelque ruse gentille.

Policaste.

Vous sçavez comme on danse aux nopces d’une fille.
Le soir estant venu qu’espere mon Rival,
Il vous faut esquiver de la Presse* du Bal.
Quand vous serez venuë à la rive du fleuve,
560 Où dans le mesme temps il faut que je me treuve, {p. 45}
Vous lairrez vos habits, où durant les chaleurs
Ceux qui se vont baigner se despoüillent des leurs.
Le monde qui verra cet indice funeste*,
Pourra s’imaginer facilement le reste,
565 Et croira que d’ennuy, de rage et desespoir,
Vous vintes vous noyer à quelque heure du soir.
Tandis à la faveur* de l’Ombre et des Estoilles,
Je vous auray conduit à rames et à voiles,
Jusques dans une Place, où mon Pere autrefois,
570 A souffert des assauts, et des sieges de Rois,
Là nous pourrons tous deux finir nos destinées,
Ou du moins nous aymer durant longues années.

Agarite.

Je trouve aucunement ce dessein* hazardeux
Toutesfois l’entreprise est heureuse à tous deux. {p. 46}
575 Mon cœur asseurez-vous que l’affaire est concluë,
Adieu, c’est assez dit, m’y voilà resoluë.

ACTE II.

{p. 47}

Scene IV. §

Le Roy, Celidor.

Le Roy.

Je ne m’estonne* pas si tes gens n’ont rien fait
Et si tu n’as pas mis ta promesse en effect*,
Tu n’avois pas moyen de trouver ceste Belle,
580 Puisque son Ravisseur est en ville avec elle.
Or bien que ta poursuitte ait fort mal reüssi,
Tu peux sçavoir le bruit* qu’on en fait courre icy :
On dit que le Seigneur qui la tenoit n’aguere,
Afin de l’espouser est venu vers le Pere,
585 Et que du rapt commis luy demandant pardon,
Il a flechy le cœur du bon-homme Medon
Tellement que bien-tost la nopce se doit faire,
Pour couvrir ce forfaict d’un amour volontaire.

Celidor.

En ce rapt vous avez le plus grand interest*
590 C’est un crime public, Sire, je suis tout prest {p. 48}
D’exterminer l’Autheur d’une faute si grande.

Le Roy.

Celidor, c’est aussi ce que je te commande,
Quand tu verras le soir de la nopce approcher,
Une heure auparavant qu’on s’en aille coucher,
595 Il le faut.

Celidor.

C’est tout dire.

Le Roy.

Et ravir l’Espousée.

Celidor.

Sire je voy desja l’affaire bien aisée.

Le Roy.

Escoute, si tu fais ce coup* là dextrement,
Juge* que peut un Roy qui t’ayme uniquement.

Celidor.

Pourveu que ses faveurs* soient un peu de durée,
600 Je verray pour long temps ma fortune* asseurée.
Tandis qu’un Gentil-homme a l’oreille d’un Roy, {p. 49 ; D.}
A tous ses courtisans il impose la Loy*,
Mais au premier revers de la moindre disgrace
Chacun la luy veut faire et se mettre en sa place,
605 De sorte qu’à la Cour, dés la premiere fois,
Il se faut bien servir de la bonté des Rois.
{p. 50}

ACTE III. §

Scene premiere. §

Medon, Lyzene, Agarite, Corintie.

Medon.

Le sacré mariage unit l’homme et la femme,
D’un nœud comme celuy qui joint le corps et l’ame,
Et l’anneau conjugal qui les serre est si fort
610 Que leur chaste amitié* dure jusqu’à la mort.
Ainsi de temps en temps le monde multiplie
Et la loy* de nature* est tousjours accomplie, {p. 51}
Par elle on voit tousjours les peres rajeunir,
Et l’on ne voit jamais les familles finir,
615 Mais il vaut mieux entrer dans quelque Monastere,
Et mourir tous les jours dans une vie austere
Que d’estre mal ensemble et de s’injurier,
Pour avoir un sujet de se demarier.
Depuis que la discorde entre dans un mesnage,
620 On y passe à regret le reste de son âge,
Et le contentement* qu’on y devroit avoir
Se change en une horreur que l’on a de se voir.
Agarite je croy que vous estes bien aise,
Que Lyzene aujourd’huy vous caresse et vous baise.
625 Mais il luy faut monstrer un visage gaillard,
Prenez exemple à moy qui ne suis qu’un vieillard,
De l’aise que j’en ay, j’ay quitté la callotte,
Et bien-tost pour danser je vay prendre la botte,
Afin de tesmoigner aux hommes de mon temps
630 Que je retourne encore à l’aage de vingt ans.
{p. 52}

Lyzene.

Est ce que vous craignez quelque trait* de malice,
Quand nous serons tous deux en l’amoureuse lice ?
Il n’en faut pas rougir, et cet œil rigoureux
Ne se doit offencer d’un langage* amoureux.

Agarite.

635 Excusez mon humeur*, je suis ainsi nourrie.

Lyzene.

Je vous adouciray.

Agarite.

Laissez moy je vous prie.

Medon.

Volontiers qu’elle songe aux prises qu’à ce soir
Vous aurez avec elle et vous le pouvez voir.

Lyzene.

Est-il vray.

Agarite.

Je ne sçay.

Medon.

Tu ne l’oses pas dire.
{p. 53}

Lizene.

640 Elle a bien de la peine* à s’empescher de rire.

Agarite.

Je n’en ay point* d’envie, au moins avecques vous.

Lizene.

C’est que vous me craignez en qualité d’époux,
Mais ne vous arrestez sur de telles pensees,
Vos apprehensions seront bien-tost passees.

Corintie.

645 Causeur promettez moins et la payez comptant.
Faites-en davantage et n’en dites pas tant.

Medon.

Ces rencontres* gaillards abbregent les journees
Et pourroient de beaucoup prolonger mes annees.
Sus allons de bon cœur recevoir nos amis,
650 Et leur donnons le bal que je leur ay promis.

ACTE II.

{p. 54}

Scene II. §

Policaste, vestu en battelier, Agarite.

Policaste.

Nymphes ne trouvés point* ce changement estrange*,
Ce n’est qu’en vestemens que j’affecte le change*,
Et puis je suis de ceux que vous favorisez*,
Vos amoureux Bergers sont ainsi deguisez,
655 Et je croy que ceux-là ne sçavent pas leur monde,
Qui ne font le mestier que je fay dessus l’onde,
Icy vos claires eaux me servent de miroir
Pour plaire à vos beautez que je suis venu voir,
Mais quoy sans y penser je caresse des Fées
660 Couvertes de roseaux et de saules coiffées,
Nymphes je m’en dédis je ne vous puis flatter*,
Agarite croiroit que je la veux quitter,
Elle en seroit jalouse, et diroit à part elle,
Que je serois espris d’une flame* nouvelle, [ 55]
665 Ou du moins que le feu* qui me brûle en aimant
Se pourroit amortir dedans vostre élement,
J’aime mieux vous laisser que de la mettre en peine*,
Tandis courez tousjours afin que je l’emmeine,
Ou plutost retenez pour un temps mon batteau,
670 Je m’en vay la treuver sur la rive de l’eau,
Dieux ! qu’il fait desja noir, la campagne deserte
En un crespe de dueil change sa robbe verte :
Il fait clair dessus l’eau, mais ce petit faux jour
Ne me peut enseigner les chemins d’alentour.
675 Je rencontre à tastons des murailles de brique,
C’est je pense la tour de ce clocher antique,
Où j’estois obligé* de me rendre à ce soir ;
Voicy les monumens où je me dois asseoir.
Tombeaux, où les Defuncts sont pourris de vermine,
680 Sepulchres démolis que la Riviere mine,
Reliques du vieux Temps où les flots courroucez
Deterrent quelquesfois les pauvres Trespassez.
Piliers d’Antiquitez, vieilles Poutres, Masures : {p. 56}
Je vous remarqueray dedans mes advantures*,
685 Et sur vos fondemens j’esleveray des Tours,
Que l’on verra durer autant que mes Amours,
Dans l’horreur de la nuit je vous rendray celebres
Et vous feray paroistre au milieu des tenebres :
Vos pierres parleront de ma fidelité*,
690 Je les feray cognoistre* à la Posterité.
Et bien que leur hauteur ne surpasse les arbres,
Elles dureront plus que les Palais de marbres,
Mais qu’Agarite est longue à me venir trouver
Elle est cause qu’icy je m’amuse à resver.
695 O Ciel ! si les flambeaux ne percent le nuage
Qui s’estend sur la terre et te couvre d’ombrage,
Le moyen qu’elle vienne en ces lieux escartez ?
Toutesfois si tes feux* nous monstroient leurs clartez
Quelqu’un la pourroit voir en passant dans les rues.
700 Donc ô flambeaux des Cieux ne dissipez les nuës,
Ne chassez de la nuict que les spectres hideux,
Qui peuvent à present nous effrayer tous deux.
Sorciers, allez bien loing allumer vos bougies, [ 57]
Et courez autre part faire voir vos magies.
705 Vous Fantosmes errans qui n’avez point* de corps,
N’en prenez point* icy dans les bieres des morts.
Et toy Dieu du repos et des songes nocturnes,
Afin de m’assoupir en ces lieux taciturnes,
Sur mes yeux languissans fay glisser le sommeil,
710 Et puis en t’en allant fay venir mon Soleil.
Las ! pour ce que la nuict est mere du Silence,
Il semble qu’en parlant je luy fay violence,
Ou que je veux forcer ceste fille de l’Air,
Que les murs seulement peuvent faire parler.
715 Et bien, c’est pour le mieux que je voy toute chose
Se taire en ce quartier, afin que je repose.
Agarite en ce lieu je vay penser à toy.
Encore que desja tu me manques de foy*.
Je voy que tes sermens se tournent en mensonge :
720 Mais je m’efforceray de te baiser en songe.
Et si de ce tombeau je ne me leve pas,
Dy qu’au lieu du sommeil j’ay trouvé le trépas.
{p. 58}

Agarite.

On n’entend* plus de bruit* dans les places publiques,
Tous les Gens de Mestiers ont fermé leurs boutiques.
725 Le Guet ne marche plus chacun est en repos.
Pouvois-je de chez nous sortir plus à propos ?
Non certes : mais pourtant une chose m’attriste,
A trouver les chemins ma Fortune* consiste,
Et le Ciel est si plein de brouïllards, que la nuit
730 En me favorisant* de son Ombre me nuit.
O Dieux ! que la campagne est pleine de Tenebres !
Que d’images* affreux, et de songes funebres !
J’ay peur à chaque pas de l’ombre qui me suit,
Et je crains en parlant de faire trop de bruit* :
735 Si je ferme les yeux, mon ame est offensée,
De celle d’un Defunt qui m’entre en la pensée.
Amour, vas-tu la nuit sans prendre ton flambeau ?
Voy-tu pas que la peur me va mettre au Tombeau ?
Je te prie ayde moy d’un rayon de lumiere.
740 A ce coup* je cognois* qu’il entend* ma priere :
Ces petits Feux* Ardens qui font un peu de jour, {p. 59}
Ne peuvent estre nez que du flambeau d’Amour :
On dit que ces Feux*-là menent vers les Rivieres,
Quand pour se faire suivre ils charment* nos paupieres.
745 Mais je le sçauray bien, je m’en vay l’esprouver*
Sur la rive du Fleuve, où je dois arriver.
Toutesfois en suivant ces bluettes* errantes,
Si je me laissois choir dans les ondes courantes,
Qui pourroit dedans l’eau me venir secourir ?
750 Ma flame* seroit lors en danger de mourir,
Et l’on verroit icy tous les jours Polycaste,
Qui me reprocheroit d’estre morte si chaste.
Ne suivre point* aussi le chemin où je suis,
Ce n’est pas m’esloigner de la mort que je fuis :
755 Puis que celuy que j’ayme est sur le bord des ondes,
Où me veulent mener ces flame* vagabondes,
Sans doute si je veux me rendre sur le port,
Je trouveray ma vie où je crains tant la mort.
Ha ! c’est trop consulter* une affaire pressée,
760 La crainte que j’avois est à demy passée.
Mais j’entens* sous mes pieds des os s’entrechoquer. {p. 60}
La mort en cet endroit me veut-elle attaquer ?
Je ne m’estonne* point* de son images* blesme,
Par les fléches d’Amour elle meurt elle-même.
765 Cependant, quand j’y pense il semble que j’ay peur ?
Helas ! c’est de trouver Policaste trompeur.
Qu’est-ce à dire ? vrayment pourveu que je le treuve ;
De sa fidelité* je ne veux autre preuve.
La Mort et le sommeil n’ont qu’un lict pour tous deux,
770 Aupres de quelque tombe il repose avec eux.
Il le faut appeler. Dieux ! tout nous favorise*
Et tous les elemens consultent* de ma prise.
J’entends* pour mon sujet les vents se quereller
A qui repoussera les injures* de l’air.
775 Le Ciel en ma faveur* est couvert d’un grand voile,
Il ne voit que d’un œil, je ne voy qu’une estoile.
Les flots disent entr’eux qu’ils me veulent servir,
Et la terre consent qu’ils me viennent ravir.
Paresseux es-tu sourd es-tu mort sur la rive {p. 61}
780 Si tu l’es, c’en est fait, il faut que je te suive.
Neantmoins un baiser te peut resusciter.

Policaste.

La riviere s’arreste afin de l’escouter.
C’est elle mais je veux la tenir en haleine
Le plaisir est plus grand avec un peu de peine*.

Agarite.

785 Policaste, respons tu n’es point* endormy.
Ou pour le moins sans moy tu ne l’es qu’à demy

Policaste.

Ingrate, desloyale, et cruelle* maistresse*.

Agarite.

He ! mauvais à la fin j’ay tenu ma promesse.

Policaste.

Tu ne viens qu’en esprit* et pour me faire peur.

Agarite.

790 Je reduiray bien-tost cette crainte en vapeur.

Policaste.

Tu visites les morts pour en croistre le nombre.
{p. 62}

Agarite.

Resveur, asseurément, tu me prens pour une Ombre :
Mais je vay te heurter au rencontre* si fort,
Que tu diras.

Policaste.

Hé Dieu ! je croyois estre mort.

Agarite.

795 Au moins jusques icy tu ne m’as pas cognuë*.

Policaste.

C’est que je n’ay pas creu que tu fusses venuë.

Agarite.

Et moy, bien que le jour ne soit pas arrivé,
J’ay cognu* Policaste et si je l’ay trouvé.

Policaste.

Il nous reste mon cœur de prevenir l’Aurore
800 Nous sommes asseurez qu’elle sommeille encore.

Agarite.

J’entends* comme tu sçais luy donner mes habis,
Et ne me veux laisser ny perles ny rubis.

Policaste.

Que le jour sera beau si l’Aurore se pare
Des habis somptueux d’une beauté si rare*.
805 Mais laisse là ta coiffe et ton masque ennuyeux, {p. 63}
Ceste nuit le serain ne fait point* mal aux yeux.

Agarite.

Puisque tu me previens en ce loüable office,
Ayde à me devestir, mais ne songe malice.

Policaste.

Mon ame le moyen de t’ayder à tastons ?
810 La main en ce devoir est si prés des tetons,
Qu’on ne peut.

Agarite.

Laisse moy.

Policaste.

Pourquoy te laisseray-je ?
Miracle ! j’ay trouvé sur deux pommes de neige
Deux petits glands de feu*.

Agarite.

Sois sage.

Policaste.

En cet endroit.
Comme peux-tu sentir plus de chaud que de froid ?
{p. 64}

Agarite.

815 Mon Dieu ! que faisons nous si long temps sur la rive,
J’apprehende le jour.

Policaste.

Ne crain point* qu’il arrive.

Agarite.

Les eaux ne coulent pas si viste que le temps.

Policaste.

Tu verras à la fin que nous serons contens.

Agarite.

Despeschons.

Policaste.

As-tu fait.

Agarite.

Allons me voila preste.

Policaste.

820 Afin que le serein ne te nuise à la teste,
Entre dans la cabane et laisse-moy ramer.

Agarite.

Au moins que ce basteau n’aille point* dans la mer.
{p. 65 ; E.}

Policaste.

Peureuse nous n’irons que dans la place forte,
Où le vent est d’accord que ce fleuve nous porte.

Agarite.

825 J’ay peur que cet accord ne tienne.

Policaste.

Pour le moins
En le voulant passer ils ont pris deux tesmoins.

Agarite.

Je meure… la riviere est bonne larronnesse.

Policaste.

Comment.

Agarite.

Pour me ravir elle use de finesse,
Je n’entends* plus le bruit* de son flus et reflus.

Policaste.

830 Ayant ce qu’elle veut elle n’en parle plus.

ACTE II.

{p. 66}

Scene III. §

Medon, Lizene, Corintie.
En ceste Scene est representé le Balet des Quatre-vents, lequel est dansé pour faire tuer Lyzene le soir de ses nopces par un stratageme inventé par Celidor.

Medon.

Il faut voir ce Balet.

Lizene.

Je commence d’entendre*
Le son des instrumens.

Medon.

Prenons place mon Gendre.

Corintie.

Les voicy j’entrevoy la clairté d’un flambeau.

Lizene.

Chacun dit que la Cour n’a rien veu de si beau.
{p. 67}

Medon.

835 A propos il faudroit appeller l’espousée.

Lizene.

La mauvaise me fuit de peur d’estre baisée.

Corintie.

Les Dames maintenant parloient de la coucher.

Medon.

Possible que pour rire elles la font cacher.

Corintie.

Prenez garde Monsieur ils sont tous à la porte.

Medon.

840 N’ont-ils point* de cartel.

Lizene.

Le voicy qu’on l’apporte.

Corintie.

Mon frere je les voy.

Medon.

Lyzene je ne puis
En faire la lecture à la place où je suis.

Lizene.

Donnez-moy.

Medon.

Quel plaisir en auroient les Poëtes
Si pour lire des Vers je prenois mes lunettes. {p. 68}

Lizene.

845 Des quatre coins de l’Univers,
Où chacun de nous quatre a choisi sa demeure,
D’habits tous differens et de plumes couvers,
Nous sommes venus dans une heure.
Par nostre souffle seulement
850 Nous esprouvons* en quoy nostre force consiste,
Remuant toute chose aussi facilement
Que le moulin qui nous resiste.
En cette Province arrivans,
Nous monstrons que c’est nous qui possedons les Dames,
855 Car puisque leurs esprits* se tournent à tous Vents,
Nous pouvons tout dessus leurs Ames.
Pour nous garantir du trespas
Que nous pourroient causer leurs œillades mortelles,
Nous n’allons que la nuict et pour ne les voir pas {p. 69}
860 Nous tuons toutes les chandelles.
Les pistollets que nous avons
Representent l’esclair, la foudre et le tonnerre
Et nos vases pleins d’eau monstrent que nous pouvons
Faire pleuvoir dessus la terre.

AUX DAMES.

865 Beaux sujets paroissez hardiment,
Les Vents que vous voyez n’enrhument point* les Dames,
Ils les couvrent fort bien et souflent seulement
Dans leur sein amoureux des souspirs et des flames*.
Ce sont les Quatre-vents que nous verrons danser,

Medon.

870 C’est assez taisons-nous, car ils vont commencer.
Icy se danse le Ballet
{p. 70}

Celidor masqué representant l’un des Quatre-vents, le Balet finy dit les vers suyvants.

Amis le coup* est fait, avant qu’il resuscite
Un autre jouyra des amours d’Agarite.
Cependant sauvons-nous puisqu’on ne peut trouver
La belle qu’à ce soir je voulois enlever.

Medon.

875 Ce balet sur la fin me deplaist de ses feintes*,
Quelqu’un rallumez nous les chandelles esteintes,
O Dieux ! ce n’est pas feinte*.

Corintie.

O Ciel ! tout est perdu,
Mon frere aupres de nous est tout roide estendu.

Medon.

O scandaleuse danse !

Corintie.

O nopce infortunée* !

Medon.

880 O malheureuse nuict !
{p. 71}

Corintie.

O funeste* journée !

Medon.

Helas ! je vay sçavoir.

Corintie.

Ha ! je meurs de douleur.

Medon.

Ce que l’on aura fait de ma fille.

Corintie.

O malheur !
Ou plustost perfidie horrible à la memoire !
Execrable homicide et dificile à croire,
885 Mon frere ay-je perdu ce nom plein de douceur ?
Ne sçaurois-je pour tout m’appeller vostre sœur ?
Mon frere encore un mot, un soupir, une œillade.
Hé Dieu ! peut-on mourir que l’on ne soit malade,
O Cieux ! l’horible coup* ! c’en est fait il est mort,
890 O coup* de trahison ! que tu me fais de tort.
{p. 72}

Medon.

Bons Dieux ! que ferons nous ma fille est enlevée,
Las ! j’ay cherché par tout et ne l’ay point* trouvée.

Corintie.

Amis emportés nous dans un mesme cercueil,
Venez m’ayder.

Medon.

Allons nous revestir de dueil.
{p. 73}

Acte IIII. §

Scene premiere. §

Les pescheurs I. et II.

[Pescheur] I.

895 Tant que dessus les eaux nous voyons la bonasse,
Les poissons clairvoyants n’entrent point* dans ma Nasse,
Mais apres que les vents ont troublé nos marets,
Et que l’egout du Ciel inondant nos guerets,
A coulé dans ce fleuve une espaisse lécive
900 C’est alors qu’il est bon de pescher à la rive. {p. 74}
H[i]er soir il fit un temps qui coucha nos moissons.
Il aura dans l’eau trouble estourdy les poissons.
Prenons chacun un Croc qui nous serve de sonde,
Pour trouver mon Panier, jusques au fond de l’Onde.

[Pescheur] II.

905 Faisons tout bellement pour le tirer dehors,
L’adresse fait autant que la force du corps.

[Pescheur] I.

Sens-tu dans le profond nostre nasse ?

[Pescheur] II.

Courage* !
Nous allons voir bien-tost des Anguilles en cage.
O la belle ! Compere apprestez nostre seau.

[Pescheur] I.

910 Donne-moy ce poisson qui se bat hors de l’eau.
Il est froid comme glace, et luisant comme verre.

[Pescheur] II.

Prenez garde, il eschappe à celuy qui le serre.
{p. 75}

[Pescheur] I.

Meschante, je m’en vay te percer le gosier
Et passer à travers une branche d’Osier.

[Pescheur] II.

915 L’autre jour en raillant, je disois qu’une Anguille
Passeroit aisément par le trou d’une aiguille,
Et ma femme disoit qu’elle n’en croyroit rien.

[Pescheur] I.

Pauvre sot, tu devois la passer dans le sien.

[Pescheur] II.

Je vous prie allons boire, et changeons de langage*.

[Pescheur] I.

920 Je le veux, allons voir l’Hostesse du Village.
Tu mangeras ta part de la pesche

[Pescheur] II.

Vrayment
Je l’entens* bien ainsi mon Parrain, autrement,

[Pescheur] I.

Garson, voicy de quoy s’estonner*

[Pescheur] II.

Au contraire
Il se faut resjouyr d’une si bonne affaire. {p. 76}

[Pescheur] I.

925 Ces habits que tu vois si riches* et si beaux,
Me font apprehender sur la rive des eaux
Quelque Dame imbecille ou d’amour transportee
Pour finir ses ennuis* dans les flots s’est jettée.

[Pescheur] II.

Et quoy ! laisserons-nous ces vestemens tous neufs ?
930 Ils nous vaudront l’argent de vingt paires de bœufs,
Prenons les.

[Pescheur] I.

Si tu veux que l’on te mene pendre.

[Pescheur] II.

Ho ! Ho ! que dites vous je ne veux pas les prendre.

[Pescheur] I.

Sçay-tu que nous ferons, retourne à la maison.
{p. 77}

[Pescheur] II.

Il vaut mieux s’y tenir que d’aller en prison.

[Pescheur] I.

935 Cependant.

[Pescheur] II.

N’ayez peur que l’on m’en divertisse.

[Pescheur] I.

Je m’en vay de ce cas advertir la justice.

ACTE IIII.

{p. 78}

Scene II. §

Le Roy, Celidor, Medon, Phenice, le Pescheur.

Le Roy.

Un desir violent me presse de la voir,
Où croy-tu qu’elle soit  ?

Celidor.

On ne le peut sçavoir.

Le Roy.

Je l’auray morte ou vive, ou ma juste colere
940 Dans le fonds d’un cachot fera mourir son pere.
Qu’on le fasse venir se voyant mal traité,
Il sçaura bien trouver cette jeune beauté.

Celidor.

Sire, si je sçavois ce qu’elle est devenuë.

Le Roy.

Ta bonne volonté ne m’est que trop cognuë*,
945 Il faut que ce viellard qui la fit esquiver
En quel lieu qu’elle soit me la fasse trouver. {p. 79}
Escoutons ces raisons, le voicy. Miserable.
Est-il vray que tu sois de deux meurtres coupable ?
Pour celuy de ton gendre il n’en faut plus douter
950 Sur un autre plus grand je te veux escouter,
Qu’as-tu fait de ta fille ?

Medon.

O noire calomnie !

Le Roy.

On n’est pas deschargé des crimes que l’on nie :
Confesse qu’elle est morte ou me la fais venir,
Autrement ton bon droit* ne se peut soustenir.

Medon.

955 O Cieux ! de quel forfait l’innocence est chargée.

Le Roy.

Barbare* je cognoy* que tu l’as esgorgée,
N’osant venir au point* qui te presse le plus
Tu nous veux abuser de propos superflus.

Medon.

Sire, pour me purger d’une telle imposture
960 Il ne faudroit qu’ouyr la voix de la nature*.
On a ravy ma fille et fait un assassin {p. 80}
Mais je n’ay point* trempé dans ce mauvais dessein*.

Le Roy.

C’est trop dissimuler, qu’on le mene au supplice,
Toutefois attendez, que j’escoute Phenice,
965 C’est peut estre un tesmoin qu’il nous ameine icy,
Afin que sur le tout je sois mieux esclaircy.

Phenice.

Sire, ce bon Pescheur sur une conjecture
Desire vous conter une estrange* advanture*.

Le Roy.

Dépesche, que veux-tu nous dire de nouveau.

Le Pescheur.

970 Sire, que j’ay trouvé dessus le bord de l’eau
Des vestemens.

Le Roy.

Voicy de mauvaises nouvelles.

Le Pescheur.

Tels qu’on en voit porter aux jeunes Damoiselles.
{p. 81 ; F.}

Medon.

Las, peut-estre ma fille, haissant son espoux
Au soir pour se noyer se dérobba de nous.

Le Roy.

975 Je suspens ma colere et veux que la justice
Examine à son tour de plus prés cet indice,
Pescheur viens nous mener au rivage.

Medon.

Les Cieux
N’influent dessus moy que la haine des Dieux.

ACTE IIII.

{p. 82}

Scene III. §

Policaste, Agarite.

Policaste.

Encore qu’en ce lieu tu sois en ma puissance,
980 Je crains de te parler avec trop de licence*,
J’ay peur de te déplaire, et croy faire un larcin
De toucher seulement l’albastre de ton sein.
Je n’ose mesurer ceste main à la mienne.
Ma bouche n’ose prendre un baiser sur la tienne,
985 Il semble que je sors des bornes du devoir
Depuis que je conseille à mes yeux de te voir.
Enfin dirois-tu pas en cet amour extréme
Que je suis trop discret ou jaloux de moy-mesme.

Agarite.

Si tes deportemens ressemblent tes discours*
990 Vrayment j’auray sujet de le dire tousjours, {p. 83}
Et jamais avec toy je n’auray de divorce*.

Policaste.

Mon Ame, le moyen que je prenne par force
Des faveurs* que l’Honneur* me permet librement.

Agarite.

Que tu sçais obtenir un baiser finement,

Policaste.

995 Agarite, j’entens* demeurer un quart d’heure
Sur ceste belle gorge.

Agarite.

Ha ! tu veux que je meure,
C’est trop en voilà plus que je ne t’ay promis.

Policaste.

Dieux ! que ne m’en as-tu davantage permis ?
Pourquoy ne passons-nous jusqu’à la jouyssance.

Agarite.

1000 Amour ne seroit plus à l’aage d’innocence.

Policaste.

Estant comme je suis à l’aage de raison,
Il ne te pourroit faire aucune trahison.
{p. 84}

Agarite.

Les Amans font tousjours tant de belles promesses.

Policaste.

Je ne suis point* de ceux qui changent de Maistresses*.
1005 Si tu veux en ce point* des marques de ma foy*,
Je ne t’en puis monstrer autre part que chez moy.
Considere ces Tours dont l’assiette guerriere,
Resiste fortement au cours de la riviere,
Et de grace* dy moy, si tu vois ce Chasteau
1010 Se bouger tant soit peu pour la vague de l’eau.
Quand les flots raviront ceste forte muraille,
Tout ainsi qu’ils feroient une loge de paille,
Jure que Policaste est un esprit* leger,
Et dy que pour un[e] autre il t’a voulu changer.

Agarite.

1015 Lors qu’on demandera ceste Roche perduë,
Comme si dans ce fleuve elle s’estoit fonduë,
Appelle-moy volage, et sur le bord de l’eau
Accuse d’inconstance un debile cerveau.
{p. 85}

Policaste.

Bien que nous ayons tous le cerveau fort humide,
1020 Amour n’a point* en moy de siege plus solide :
Et pourtant je n’obtiens que le simple baiser
Que mesme aux inconstans on ne peut refuser.

Agarite.

C’est tout ce que je puis te donner à cette heure,
En attendant tousjours quelque saison meilleure.

Policaste.

1025 Ainsi nous esperons que les fleurs du Printemps
Feront naistre des fruicts au bout de quelque temps.

Agarite.

Les Dieux nous ayderont, allons je te supplie
Passer en quelque lieu nostre melancholie.

Policaste.

Dans ce Parc où les Dains se promenent parfois
1030 Nous pouvons faire un tour à l’ombrage des bois.

ACTE IIII.

{p. 86}

Scene [IIII]. §

Le Roy, Medon, Phenice, le Pescheur.

Le Roy.

Nous voicy sur le lieu.

Medon.

Ha ! je cognoy* ma perte.
De ces mesmes habits ma fille estoit couverte :
Amis soustenez-moy, je tombe en pasmoison.

Phenice.

La douleur en ce corps fait l’effect* du poison,
1035 Pescheur cours vistement au bord de la Riviere,
Tes mains en un besoin te serviront d’Aiguiere.

Le Pescheur.

Tenez voila de l’eau tant qu’il en peut tenir
Dans le creux de ma main.
{p. 87}

Phenice.

Faisons-le revenir.

Le Roy.

Oyseaux qui vous cachez dans les vieilles masures,
1040 Et cherchez vostre vie auprés des sepultures,
Quittez ces monumens. Venez tristes hibous
Sur la rive des eaux vous plaindre comme nous :
Agarite est perduë et les Ondes coupables
M’ont privé de l’object* de ses beautez aymables ;
1045 J’esperois de la voir au lever du Soleil,
Et l’horreur de la nuict m’a caché son bel œil.
O Ciel ! ô Terre ! ô Mer ! ô Ciel devois-tu luire
De tant d’astres malins ce soir-là pour me nuire ?
O Terre devois-tu priver de monument
1050 Celle que je demande à ce traistre Element ?
O Mer ! devois-tu pas engloutir tout ce fleuve
Qui d’un si beau sujet fait la nature* veufve.
Et vous tristes Rochers d’où naissent les ruisseaux,
Qui vont perdre leur nom dans l’abysme des eaux, {p. 88}
1055 Pourquoy d’un frein glacé n’arrestiez-vous leurs courses,
Ou ne les faisiez-vous remonter à leurs sources ?
Ha ! c’est qu’en ceste nuict si pleine de malheurs
Vous n’aviez pas moyen de retenir vos pleurs,
Mesme il semble à present que vostre dueil redouble,
1060 Et que de vos torrents la Riviere se trouble.
Mais ce n’est pas à vous, ô Rochers ! de pleurer,
Et ce n’est pas à vous, ô Vents de souspirer,
La tristesse n’agit qu’en un sujet passible
Et c’est aux hommes seuls que le mal est sensible.
1065 Qu’on ne me peigne plus Amour comme un oyseau,
Depuis cet accident il nage dessous l’eau,
Si jadis il sortit d’une conque marine
Il est allé trouver sa premiere origine.
Et dans ce desespoir se jettant sous les joncs
1070 Il a voulu donner ses aisles aux plongeons.
Pescheur en cet endroit ne jette plus ta ligne : [ 89]
Purge plustost les eaux de toute herbe maligne,
Et croy que les poissons qui vivent dans leurs cours
Desormais en ce lieu seront autant d’amours,
1075 Pour toy n’afflige point* ce vieillard davantage,
Ne baigne plus son front de l’eau de ce rivage,
Oblige* moy Phenice : Ha ! tu le fais mourir.
Si sa fille en est morte on ne peut le guerir.
O riches* vestemens ! dont l’ornement superbe
1080 De honte et de regret se cache dessous l’herbe.
Je veux qu’à mon exemple on arrouse de pleurs
Ce fertile gazon qui vous couvre de fleurs.
Je vous tiendray tousjours ainsi que des reliques,
Et vous feray monstrer en nos festes publiques,
1085 Je vous enchasseray dans un riche* metal,
Et vous feray baiser à travers un christal.
Qu’on prenne ces habits qu’on les parfume d’Ambre,
Et que tout de ce pas on les porte en ma chambre,
J’y veux voir Agarite, et là de tous costez,
1090 En sa belle Effigie adorer ses beautez. {p. 90}
Je veux que l’on luy dresse un beau lict de parade,
Où de dueil et d’ennuy je devienne malade :
Mais le pauvre Medon est enfin revenu.
Dieux que ce mal de cœur vous a long temps tenu ?

Medon.

1095 Ha ! Sire, commandez s’il vous plaist qu’on m’emporte.

Le Roy.

Qu’on l’emmeine, pour moy la douleur me transporte.

ACTE IIII.

{p. 91}

Scene V. §

Corintie vestuë en dueil, Celidor en pelerin.

Corintie.

Quel jour peut amener le Soleil qui nous luit
Qui ne soit obscurcy de l’ombre de la nuit ?
L’air peut-il estre calme où mes pleurs continues
1100 Versent plus de Torrens qu’il n’en tombe des nuës ?
Le moyen qu’en ce lieu s’exhalent mes souspirs
Sans troubler à l’entour le rire des zephirs,
Les champs qui sont ailleurs tapissez de verdure,
Souffrent* icy leur part des peines* que j’endure,
1105 Et les fleurs que mes yeux regardent par mespris, {p. 92}
Contractent la couleur des atours que j’ay pris.
Ce Boccage attristé du crespe que je porte,
D’un vestement de dueil couvre sa fueille morte.
La mort d’un voile obscur ombrage les buissons,
1110 Et pare les chemins de ses noirs Escussons :
En quel lieu je passe une image* tremblante
Me fait voir comme en songe une teste sanglante,
Aux champs et dans la ville un Esprit* me poursuit
Lizene massacré m’apparest chaque nuict
1115 Et sçachant que l’amour a commis cette offense
Contre mon propre sang, j’excuse son enfance.
Triste dueil falloit-il que ta noire couleur
Accusast un Amant d’avoir fait ce malheur ?
Si d’un drap si pesant je n’eusse esté chargée
1120 Celidor là dessus ne m’eut interrogée.
Et je n’eusse pas sceu le crime qu’il a fait.
Crime, helas ! dont ses yeux m’ont plus que satisfait.
Il faudroit qu’il eust eu la poitrine de Roche
Pour tuer celuy-là qui m’estoit le plus proche. {p. 93}
1125 Mais jamais par malheur il ne l’avoit cognu*,
Encore que chez nous il fut souvent venu.
Pour ce que ma beauté luy fut tousjours si chere,
Qu’il sembloit acheter l’absence de mon Frere.
Or bien que l’ignorance excuse tout peché,
1130 Il pense que le sien ne peut estre caché.
Sçachant que les Amans ne souffrent* qu’en l’absence,
Il veut aller bien loing en faire penitence.
Hé Dieu ! n’est-ce pas luy, qui tenant un bourdon,
Vient encore une fois me demander pardon ?
1135 En fin ce dessein* est d’aller en Terre saincte.

Celidor.

C’est là que j’ay conclu d’aller cueillir l’absynthe
Qui par son amertume efface les pechez.

Corintie.

Ha ! je vous retiendray.

Celidor.

Helas ! ne me touchez
Que je ne sois purgé d’un meurtre detestable. {p. 94}

Corintie.

1140 L’ignorance et l’amour l’ont rendu pardonnable.

Celidor.

Tousjours est-ce commettre un enorme forfait
De rompre le sainct vœu qu’une personne a fait.

Corintie.

Accomplir celuy-cy c’est un crime bien pire.

Celidor.

Ne blasmes le conseil* qu’un bon Ange m’inspire.

Corintie.

1145 S’il faut que sur l’Amour un Ange soit vainqueur,
Vous ferez donc encore un meurtre dans mon cœur.

Celidor.

Cet Archer qui n’aguere y faisoit quelques bresches,
Par dessous mon habit ne tire plus de flèches,

Corintie

Ce Chasseur qui souvent m’est venu visiter, {p. 95}
1150 Encore par les champs se fait-il redouter.

Celidor.

Croyez-moy ce Bourdon que j’ay pour toutes armes
Ne me sert qu’à passer les ruisseaux de mes larmes.

Corintie.

Les miennes que vous seul pouvez faire cesser,
Font icy des Torrents que l’on ne peut passer.

Celidor.

1155 Adieu, vous ne pouvez m’empescher le passage,
Me deussé-je noyer commençant mon voyage.

Corintie.

Tu n’iras guere loing sans m’avoir prés de toy,
Ton remords ne sçauroit te separer de moy.
Cruel* ! pourrois-tu faire une plus grande offense
1160 Que me priver ainsi de ta chere presence ?
Ne croy pas que je vueille attendre ton retour,
Je me sçauray servir des conseils* de l’Amour.
Si je me déguisois ? Dieux comme les pensées, {p. 96}
Nous viennent promptement aux affaires pressees.
1165 Je recevray dans l’ame un plaisir singulier
De le suivre par tout en jeune Cavalier,
J’esveilleray par fois son humeur* solitaire,
Et puis en temps et lieu je luy diray l’affaire,
C’est le meilleur moyen que je puisse trouver :
1170 Au reste d’accident il n’en peut arriver :
Je puis en peu de temps dresser mon equipage,
Et sans estre cognuë* entreprendre un voyage.
Allons, je me resous de partir promptement,
Et ne veux differer ce dessein* d’un moment.

ACTE IIII.

{p. 97 ; G.}

Scene VI. §

Le Roy furieux*.

1175 Traistres sortez d’icy, mes fureurs*, et mes rages
Me servent-elles pas d’Officiers et de pages* ?
Voulez-vous par despit irriter vostre Roy ?
Laissez faire l’amour, je ne suis plus à moy.
Je deteste, j’enrage. Ha ! Dieux ! je desespere,
1180 Que le Ciel contre moy ne se met en colere ?
Que la Terre ne s’ouvre, et qu’au bruit* de mes cris
Je ne fay souslever tous les malins Esprits* ?
Engeance de Sorciers ! Fantosmes effroyables,
Qui nous faites haïr les objects* plus aimables,
1185 Venez m’empoisonner de fiel et de rancœur,
Et chassez le Tyran* qui regne dans mon cœur.
Faites moy confesser en l’ardeur qui m’enflame, {p. 98}
Que je n’ay plus d’amour qui ne soit tout de flame* !
Demons, ouvrez le sein d’un Monarque amoureux,
1190 Et faites y l’Enfer d’un Prince malheureux.
Tenez, le voilà prest, accourez je vous prie ;
Mais ces Monstres cruels* ont peur de ma furie.
Foudre, Gresles, Esclairs, Quoy ! n’estes vous là haut,
Que pour faire combattre et le froid et le chauld ?
1195 N’osez-vous me frapper ? faut-il que mes blasphemes,
Et mes cris insolens irritent les Dieux mesmes ?
Faux Dieux que les Mortels ont formé de leurs doigts
Là haut comme icy bas ils vous ont fait de bois.
Puisque pas un de vous n’est sensible à l’outrage
1200 Que vomit contre luy ma furie et ma rage… {p. 99}
Ha ! c’est icy le trosne où la Divinité
Ne souffre* que je vive avec impunité.
Mais, ô saincte Beauté, que seule je reclame,
Contente* toy du corps, et ne puny mon ame.
1205 Helas ! que te sert-il de me voir insensé,
Te suffiroit-il pas de me voir trespassé,
Si du mal que je sens tu n’es pas satisfaite,
Puny, puny de mort la faute que j’ay faite
Traite moy, je te prie, avec plus de rigueur,
1210 Et ne me laisse plus si long temps en langueur.
Las ! je me plains en vain, celle que je regrette,
Animeroit plustost cette idole muette,
Et je verrois plustost son corps ressuscité
Que je ne flechirois son esprit* irrité.
1215 Cruelle*, si faut-il que je te tesmoigne encore,
Quel pouvoir a sur moy ton ombre que j’adore,
Ma bouche baisera ce chef-d’œuvre parfaict,
Et benira la main de l’ouvrier qui l’a fait :
Mes yeux contempleront cette belle effigie,
1220 Où l’art semble avoir fait quelques traicts* de magie,
Figurant ma Deesse avec tant de rapport
Qu’on croit mesme de prés que c’est elle qui dort. {p. 100}
O divine Beauté ! depuis que tu reposes
On n’a point* veu mourir les œillets ny les roses,
1225 Ton front majestueux, ton visage vermeil
Conservent leur beau teint en dépit du sommeil,
Et je croy que l’amour n’a fermé ses paupieres
Que pour mieux eviter leurs œillades meurtrieres,
Quand ma belle perdit la lumiere des Cieux
1230 Il fit cette figure* aggreable à mes yeux,
Croyant que son idée emprainte en cette image*
Pourroit aucunement reparer ce dommage.
Autre qu’Amour n’a fait un ouvrage si beau,
Il suivit tout exprés Agarite sous l’eau,
1235 Afin de rapporter sa chevelure blonde,
Que naguere en plongeant il a sauvé de l’onde.
Beaux cheveux qui sçauroit que vous fustes jadis
Les cheveux du Soleil croiroit ce que je dis,
Qui verroit en ce lieu comme je vous adore,
1240 Verroit idolatrer les atours de l’Aurore,
Il seroit amoureux de tout ce que je voy, {p. 101}
Mais ce mol entretien est indigne d’un Roy,
O paroles de femme, un homme de courage*
Se deut-il eschaper a tenir ce langage* ?
1245 Brise là ce discours* et monstre que tu peux
Disposer ta raison à tout ce que tu veux.
Ne souffre* ce tiran* qui regne sur la terre
Et tasche desormais de luy faire la guerre.
Pauvre Prince desja ton courage* abbatu
1250 Pour complaire* à l’amour a trahy ta vertu*.
Tu n’avois dans l’esprit* qu’une bonne pensée
Et le meilleur remede à ton ame blessée*,
C’est de perdre le soin* de venir tous les jours
T’entretenir icy de tes folles amours.
{p. 102}

Acte V. §

Scene premiere. §

Policaste, Agarite, en Page, Phenice, Amelise.

Policaste.

1255 Tant de braves Seigneurs que le Roy tient à gages,
Et que l’on voit suivis d’une troupe de Pages*,
Ne s’imaginent pas, me voyant à la Cour,
Que je mene avec toy la prudence et l’amour,
Si mon dessein*estoit seulement de paroistre, {p. 103}
1260 La sottise et l’orgueil me feroient mieux connoistre*,
Le vice a plus de train que non pas la vertu*,
Chacun de ses couleurs desire estre vestu,
Tel pour faire le brave en bonne compagnie,
Engage sa Noblesse et vend sa Baronnie,
1265 Et souvent la plus part de tous ceux que tu vois
Se vient faire de feste à la suitte des Rois :
Mais c’est pitié de voir que tant de volontaires,
Au lieu de s’advancer y font mal leurs affaires,
Je ne m’estonne* pas si le monde s’en rit,
1270 Il n’est parmy les grands que d’avoir de l’esprit*,
J’ay par tout des ressors dont je fay des merveilles*,
Et si je ne fay rien que tu ne me conseilles.
Amour en soit loüé, c’est luy qui dans tes yeux
Me monstre les moyens de passer en tous lieux,
1275 N'agueres qu’ avec toy j’estois à la Campagne,
Dedans ce beau Chasteau, que la Riviere bagne,
Le Dieu que nous servons me montroit les détours,
Et les chemins secrets* pour sortir de nos tours. {p. 104}
Il m’a dit le premier cette nouvelle heureuse,
1280 Que le Roy languissoit d’une fiévre amoureuse,
Et m’a fait esperer, qu’en luy donnant secours,
Je verrois à la fin réussir mes amours :
Tant est que j’ay songé cette noble furie,
Par quelque beau secret* pouvoir estre guerie.
1285 J’ay pensé qu’arrivant dans la chambre du Roy,
Il nous pourra tous deux regarder sans effroy,
Et qu’il perdra l’amour d’une muette idole,
Si je puis seulement luy dire une parole.
Qu’en dis-tu ? Si je puis le remettre en santé.

Agarite.

1290 Vous serez plus heureux que vous n’avés esté.

Policaste.

La plus grande faveur* que le Roy me peut faire,
Dépend de t’espouser.

Agarite.

C’est le juste salaire
Que j’attends d’un Seigneur de vostre qualité.

Policaste.

Page*, vous m’alleguez vostre fidelité*.
1295 Quoy que le vermeillon vous monte sur la face, {p. 105}
Encore en ce discours* vous avez bonne grace*.

Agarite.

Me voulez-vous long temps gausser de la façon
A cause qu’à present je ressemble un garçon.

[Policaste.]

Agarite, chacun fait l’amour à sa guise,
1300 Et l’on doit trouver bon qu’ainsi je te déguise.

Agarite.

Mais direz-vous au Roy qui je suis ?

Policaste.

Je diray,
Si je m’y voy contraint, ce que j’adviseray.
Ce pendant je voudrois avoir trouvé Phenice,
Je suis bien asseuré que sçachant l’artifice
1305 Dont je me veux servir, il nous feroit entrer.

Agarite.

Cet honneste Escuyer nous le pourra montrer.

Policaste.

Dieux ! faites réussir cette haute entreprise.
C’est luy-mesme, il conduit la Princesse Amelise :
Allons le salüer.
{p. 106}

Agarite.

Je vous suis.

Policaste.

Monseigneur.
1310 J’interprete déja ce rencontre* à bon-heur,
En ce Palais Royal, le dessein* qui m’ameine,
Est de guerir le Roy, vous donnant une Reine

Phenice.

Si vous avez moyen de le desabuser,
Voicy bien la Beauté qu’il pourroit espouser,
1315 On ne sçauroit trouver un party plus sortable
Pour un Roy si puissant, mais, chose epouvantable !
Il est si furieux* qu’on ne le peut tenir.

Policaste.

Dites-moy, s’il vous plaist, d’où son mal peut venir.

Phenice.

D’un amour déreglé, maudite resverie,
1320 Qui par aucun secret* ne peut estre guerie.

Policaste.

Cet amour déreglé, qui luy passe en fureur*,
D’ordinaire provient d’une divine erreur,
Et ne se guerit point* comme une maladie, {p. 107}
Dont l’assoupissement rend nostre ame étourdie.
1325 Les fièvres, dans nos corps, s’engendrent des humeurs*,
Mais telles passions* s’engendrent de nos mœurs:
De sorte que ce mal, que vous nommez furie,
Procede d’une belle, et noble intemperie.
Et jamais il ne faut estimer insensé
1330 Celuy-là que l’Amour de ses traits* a blessé*.
Veu qu’un mal qui provient d’une cause divine
Comme un bien* souverain, porte sa medecine.

Phenice.

Si le Roy vous oyoit quelque temps discourir,
Pour le seur vos raisons le pourroient bien guerir.

Amelise.

1335 Encore pour venir à bout de cette cure,
Quel secret* sçavez-vous en toute la Nature* ?

Phenice.

Il nous le pourra dire en un lieu moins suspect,
Où nous le traitterons avec plus de respect.
On ne sçauroit icy recevoir la Noblesse,
1340 Selon qu’elle merite, à cause de la presse*.
Entrons dans le Palais. {p. 108}

Amelise.

Venez m’entretenir,
Du loüable dessein* qui vous a fait venir.

ACTE V.

Scene II. §

Corintie, en cavalier, Celidor [,] en pelerin.

Corintie.

Mon Amant doit passer au coin de ce Boccage,
En ce lieu je pourray le guetter au passage,
1345 Cet Ormeau que je voy, de Lambrusches couvert,
Me peut mettre à l’abry de son fueillage vert.

Celidor.

En fin, m’accoustumant à baiser les fontaines,
J’étancheray ma soif de leurs eaux souveraines.
Et me desalterant de leur fraische liqueur, {p. 109}
1350 J’amortiray le feu* que je sens dans le cœur.
Je me trompe, les eaux n’augmentent que ma braise,
Et mon amour renaist des Nymphes que je baise.

Corintie.

Demeure, Pelerin, dans ce bois écarté,
Un jeune homme se plaint que tu l’as maltraitté.

Celidor.

1355 Genereux Cavalier, à tort on me soupçonne,
Croyez-moy, dans ce bois je n’ay trouvé personne.

Corintie.

Je te croy, Celidor, et je te parle ainsi,
Afin tant seulement, de t’arrester icy.
Ne fay pas l’étonné*, tu cheris Corintie,
1360 Ta flame* dans cette eau ne s’est point* amortie,
Tu ne t’en peux dédire.

Celidor.

Il est vray, je l’ay dit
A l’Echo.
{p. 110}

Corintie.

Tu voulois qu’elle te respondit,
Mais en cet entretien ma voix l’a prevenuë.

Celidor.

Helas ! pourquoy dés lors ne vous ay-je cogneuë* ?

Corintie.

1365 Pourveu que je t’emmeine, il n’importe.

Celidor.

Vrayment.
Je vous suivray par tout en qualité d’Amant,

Corintie.

Ainsi j’ay le pouvoir de rompre ce voyage,
Où tu voulois passer le meilleur de ton aage :
Tu confesses qu’Amour n’exauce point* de vœux
1370 Contraires à celuy que nous fismes tous deux.

Celidor.

Que vous m’avez surpris d’une façon estrange*,
Il faut que mon humeur* à la vostre se range,
Un pauvre Pelerin ne peut aller plus loing,
Voyant un Cavalier qui vient l’épée au poing.

Corintie.

1375 Ta volonté suffit, les Dieux pour une offense,
Sont déja satisfaits aussi tost qu’on y pense. {p. 111}

Celidor.

Helas ! vous dites vray, les Dieux ont eu pitié,
Et de nostre fortune*, et de nostre amitié* :
Mais que vous me plaisez d’estre ainsi déguisee.

Corintie.

1380 Pour rompre ton dessein*, je me suis advisee
D’errer à l’advanture*, ainsi que ces guerriers
Que nos vieux Amadis couronnent de lauriers.

Celidor.

Donc pour les imiter, icy tout nous convie
De gouster les douceurs d’une paisible vie :
1385 Sans passer plus avant il nous faut reposer,
Et prendre l’un de l’autre un amoureux baiser :
Ha ! que je sens de mal en cette solitude !

Corintie.

Tout ce mal ne sera qu’un peu de lassitude,
Vous avez beu trop chaut, vous avez trop marché,
1390 Mais vous ne serez pas demie heure couché,
Que vous serez guery.
{p. 112}

Celidor.

Soustenez-moy, je pasme.

Corintie.

Hé, Dieux ! entre mes bras voulez-vous rendre l’ame.
Il ne tient pas à moy de vous bien secourir,
Pourquoy, sans me tuer, vous laissez-vous mourir ?

Celidor.

1395 Ne vous effrayez point*.    

Corintie.

D’où vient cette foiblesse,
Qui vous rend si defait ?

Celidor.

Peu de chose me blesse*,
Et toutefois mes sens me vont abandonner,
Si je n’ay le plaisir de vous deboutonner.

Corintie.

Je vous entends*, vos yeux meurent de jalousie.

Celidor.

1400 Pour ne vous point* mentir, j’ay dans la fantaisie
De vous prendre au collet, et d’ouvrir ce pourpoint
Pour voir à découvert ce que je ne voy point*. {p. 113 ; H.}

Corintie.

Est-ce que vous doutez que je sois Corintie ?

Celidor.

Non, mais vous m’en cachez la plus saine partie.

Corintie.

1405 Pelerin, je connois* quel est vostre dessein*.

Celidor.

Suis-je pas bien devot, d’aimer tant vostre sein ?

Corintie.

Alors qu’il sera temps d’entrer en jouïssance,
Des biens* que la Nature* a mis en ma puissance,
Et lors qu’en mesme lict on nous fera coucher,
1410 Je t’abandonneray ce que j’ay de plus cher,
Ce pendant aimons-nous.

Celidor.

Ha ! que ce temps me dure ?
Et qu’il fait bon icy nous coucher sur la dure.

Corintie.

Nous n’avons point* de droit* sur les terres d’autruy.
Debout, il nous faut rendre à la Cour aujourd’huy.
{p. 114}

Celidor.

1415 Las ! sans vous obeïr, le moyen que je vive ?
Allons, puis qu’il vous plaist, il faut que je vous suive.

Corintie.

Sans toy, mon cher Amant, je pourrois m’égarer,
Avec toy le chemin ne me sçauroit durer.

ACTE V.

{p. III.}

Scene derniere §

Le Roy, Policaste, Amelise, Phenice, Agarite, Medon, l’exempt, Celidor, Corintie.

Le Roy.

En fin cette Beauté, dont je suis idolatre,
1420 A changé ma fureur* en une humeur* folastre,
Je ne sens plus en moy ce transport furieux*,
Qui me venoit de voir son pourtrait glorieux*,
Ma passion* n’est plus dans la melancolie, {p. 115}
Et mon amour n’est plus qu’une douce folie,
1425 Qui porte mon esprit* à parler seulement,
A des choses qui n’ont, ny sens, ny mouvement.
Ainsi dessus ce lict mon ame s’imagine
Qu’elle adore en essence une Beauté divine,
Et tout autour de moy je ne voy point* d’objet*,
1430 Que pour m’entretenir sur un si beau sujet.
O Divine Effigie, où l’humaine industrie
A fait ce qu’elle a pû pour mon idolatrie,
Trouve bon qu’un Pecheur, et qu’un pauvre Mortel
T’esleve sur ce lict, comme sur un Autel.
1435 Et toy, divin Esprit*, belle Ame que j’honore,
Puissance que je crains, Deesse que j’adore,
Cependant qu’à genoux j’admire ton Pourtrait,
Fay que d’aucun des miens je ne sois point* distrait.
Icy puisse le Ciel respandre tant de Baume,
1440 Qu’il soit en Orient p[l] us cher qu’en mon Royaume :
Icy brusle tousjours tant de Myrrhe et d’Encens,
Que l’on flaire du Ciel les odeurs que je sens,
Comme si l’on avoit parfumé toutes choses {p. 116}
De l’essence des lys, et de celle des roses.
1445 O beau visage aimé d’un Prince malheureux,
Ha ! vraiment ton bel œil ne m’est plus rigoureux.
Je te trouve aujourd’huy plus beau que de coustume ;
Une plus noble flame* en mon ame s’allume,
Et mon cœur est épris de tant de Majesté
1450 Que je voy sur le front d’une Divinité.
En toy je ne croy plus adorer une idole :
Et si tu me respons une seule parole,
Je croiray qu’à ce coup*, pour m’oster de soucy*,
Une belle Deesse est descenduë icy.
1455 Je croiray que l’Amour anime cet albastre,
Et n’invoqueray plus une image* de plastre.
Ha ! si tu me disois un seul mot, je pourrois
M’en prevaloir beaucoup dessus les autres Rois :
Mais, helas ! t’en prier, c’est faire une insolence,
1460 Ta Majesté veut estre adorée en silence.

Policaste.

Il est temps de parestre.

Phenice.

Allons l’entretenir.

Le Roy.

O Dieux ! elle se leve , elle me veut punir, {p. 117}
Méchant ! j’ay prophané ce beau lict de parade.

Policaste.

Quoy ! Sire, craignez-vous de mourir d’une œillade,
1465 Où courez-vous ainsi ? cette chaste beauté
Ne deut pas faire peur à vostre Majesté.

Amelise.

Sire, me voicy preste à tout ce que vostre ame
Peut jamais desirer d’une pudique Dame.

Policaste.

L’image* que vos yeux adoroient cy devant,
1470 Fut-il jamais si beau que ce portrait vivant ?

Le Roy.

Confus d’étonnement*, et ravy de merveille*,
Je ressemble à celuy qui d’un songe s’eveille :
Ha ! quand elle dormoit, je disois bien alors
Que la Grace* et l’Amour animoient ce beau corps.

Amelise.

1475 Apres l’evenement* d’une feinte* subtile,
Celle qui sur un lict paroissoit immobile,
A repris la parole, et vous offre à present
Ce que le cœur disoit, la langue se taisant.

Phenice.

Sire, qu’en dites-vous, de pareilles Princesses {p. 118}
1480 Feroient-elles pas honte aux plus belles Deesses ?

Le Roy.

Phenice, as-tu trouvé ce merveilleux* secret*
Pour chasser de mon cœur un amour indiscret,
Et pour éteindre en moy cette flame* illicite
Qui n’a pû s’amortir en la mort d’Agarite ?

Phenice.

1485 Sire, ce Gentil-homme a luy-mesme trouvé
Le secret* que sur vous nous avons éprouvé :
Mais afin de vous dire encore mieux sa feinte*,
Pour vous oster l’amour d’une figure* peinte,
Et pour vous faire aimer Amelise en son lieu,
1490 Il a fait ce qu’à peine auroit pû faire un Dieu :
Il nous a conseillez de vous faire connoistre*
Qu’il ne faut se troubler de ce qui ne peut estre ;
Et vous me permettrez de vous representer,
Qu’Agarite icy bas ne peut ressusciter :
1495 Mesmes pour ne frustrer cette amour excessive
Qui vous est demeurée en l’imaginative,
Nous avons trouvé bon de surprendre vos yeux
Par un autre sujet qui vous plaist déja mieux.
Sire, pensez à vous, et quand bien Agarite {p. 119}
1500 Retourneroit au monde avec plus de merite,
Songez que sur vous-mesme il faut estre absolu
Pour éteindre le feu* d’un amour dissolu.
En fin, puis qu’on a mis Amelise en sa place,
Avec autant d’appas*, avec autant de grace*,
1505 Ne l’éconduisez point* par un honteux refus.

Le Roy.

Las ! tu m’en as trop dit pour me rendre confus,
Je reconnois ma faute, et j’en porte la peine*,
De n’oser voir en face une si belle Reine :
Car, à ne point* mentir, j’ay deu considerer
1510 Qu’aux plus belles du monde on la doït preferer ;
De ma part je consens que la foy* mutuelle
Confirme l’amitié* que je nouë avec elle.

Phenice.

C’est le commun souhait de tous les gens de bien*,
Les Dieux vueillent unir vostre cœur et le mien.

Le Roy.

1515 Madame, le party vous est-il agreable,
Pour moy je n’en sçay point* qui me soit plus sortable.

Amelise.

Sire, le bon plaisir de vostre Majesté
Agit absolument dessus ma volonté. {p. 120}

Le Roy.

Ha ! que cette parole a de grace* en la bouche
1520 D’une belle Princesse, et digne de ma couche.
Peuple, resjouy toy, l’allegresse, et la paix
Font un nœud que la mort ne defera jamais 
Pour toy, qui m’as guery, je te donne parole,
Mais parole d’un Roy plus ferme que le Pole,
1525 De te recompenser ainsi que tu voudras,
Et mesmes si tu veux un Sceptre, tu l’auras.

Policaste.

De charges, et d’honneurs*, mon ame est assouvie,
Je voudrois contenter* mon amoureuse envie.

Le Roy.

Parle donc, et choisi quelque noble party :
1530 On passera par tout où j’auray consenty.

Policaste.

Si quelqu’un d’entre nous vous montroit tout à l’heure
Cette jeune Beauté que tout le monde pleure,
En qualité d’époux, la pourroit-il avoir.

Le Roy.

Il faudroit que les Dieux nous la fissent revoir.

Policaste.

1535 Cette affaire pourtant, n’est pas fort malaisee : {p. 121}
Car la belle Agarite est ainsi deguisee.

Le Roy.

O Cieux ! qu’auparavant ne m’en suis-je apperceu ?
Toutefois je me suis heureusement déceu*,
Et je me resjouïs qu’une amitié* si forte,
1540 Face ressusciter une personne morte.

Agarite.

Sire, je le cheris d’un amour conjugal,
Et luy ne trouve point* de party plus egal.

Le Roy.

O merveille* d’Amour ! ô joyeuse nouvelle !
Le Ciel vueille benir vostre couple fidelle*.
1545 Finissez avec moy vos amoureux tourmens*,
Jouïssant du repos qu’attendent les Amans.
Qu’on appelle Medon, que mon peuple la voye,
Et que toute la ville en fasse feu* de joye.
Ha ! vraiment dans ma Cour il n’est point* de Seigneur,
1550 Qui ne voulut avoir un tel Page* d’honneur*.

Policaste.

Sire, je vous promets qu’elle fut tousjours sage,
Et qu’elle l’est encore en cet habit de Page* : {p. 122}
Cent fois entre ses bras j’ay demeuré vaincu !
Mais le frere et la sœur n’auroient pas mieux vécu.

Le Roy.

1555 Agarite en sera davantage estimee,
En cela tu fais voir comme tu l’as aimee.
Un amour débauché ne sçauroit prosperer,
Les plaisirs dissolus ne peuvent pas durer,
Et sont comme des fruits que par force l’on cueille,
1560 Ou que le vent abbat auparavant la fueille ;
Au contraire l’amour qui cede à la raison,
Ne craint point* la rigueur de l’arriere saison,
Semblable à l’oranger, dont la fueille ne tremble
Que pour donner des fleurs, et des fruicts tout ensemble.

Medon.

1565 Ha ! Sire, montrez-moy ma fille.

Le Roy.

La voicy.

Agarite.

Hé ! mon Pere, prenez vostre fille à mercy.

Medon.

Mon Enfant, leve-toy, j’excuse ta jeunesse,
Qu’a voulu gouverner mon avare viellesse. [ 123]

Le Roy.

Ce n’est pas tout, il faut la pourvoir promptement,
1570 Ce brave Gentil-homme est son fidel* Amant.

Medon.

Les Dieux en soient loüez.

Policaste.

Je meurs d’impatience,
De passer avec vous cette heureuse alliance.

Le Roy.

J’approuve cet accord, mais je pense tousjours
Aux effets* arrivez dans vos longues amours,
1575 Ami, je m’en étonne*, il faut que je medite
Sur ce qu’ont fait les Dieux pour l’Amour d’Agarite.
Je veux penser comment nous fusmes tous déceus* ;
Laissez-moy quelque temps ruminer là dessus.

L’exempt.

Je pense que ces gens qui heurtent à la porte,
1580 Sont de ceux qui croyoient qu’Agarite fut morte.

Corintie.

Estrangers*, nous venons pour voir sa Majesté.
{p. 124}

L’exempt.

Entrez, et vous tenez seulement à costé.

Celidor.

Il nous faut demeurer en un profond silence.

Le Roy.

La fortune* et l’amour sont en juste balance,
1585 Je ne sçay que juger* de tant d’évenemens*
Qui traversent ainsi les plaisirs des Amans,
Pourtant, puis que je voy que les Dieux nous benissent,
Et que pour mesme fin nos volontez s’unissent,
Ma Reine, de rechef je vous donne ma foy*.

Amelise.

1590 Sire, dessus mon cœur vous serez tousjours Roy.

Le Roy.

Dites qu’en vos beautés je conqueste un Empire,
Et qu’en terre il n’est plus de Couronne où j’aspire.
Escoute voyageur, possible tu verras
Tout ce que l’Ocean renferme de ses bras,
1595 Quand tu feras le tour de la terre et de l’onde,
Vante toy d’avoir veu le plus grand Roy du monde.

Celidor.

Sire, pardonnez-moy, je seray prés de vous,
Celidor se plaist trop en un regne si doux. {p. 125}

Le Roy.

Ravy d’étonnement*, croiray-je ce miracle,
1600 Ay-je oüy Celidor, ou la voix d’un Oracle ?
Hé, Dieux ! en quel habit te viens-tu presenter ?

Celidor.

Je serois trop long temps à vous le raconter,
Vous sçaurez à loisir toutes mes advantures*,
Cependant, si je suis entre vos Creatures,
1605 Celuy que dessus tous vous avez plus chery,
Donnez ce Cavalier à vostre favory*.

Corintie.

Sire, sous tel habit vous voyez une Amante.

Le Roy.

Dieux ! mon étonnement* de plus en plus s’augmente,
Je croy qu’en ma faveur* le Ciel fait tout cecy,
1610 Et que tous les Amans se trouveront icy.

Corintie.

Que vostre Majesté, s’il luy plaist, me permette
D’espouser aujourd’huy celuy que je souhaite.

Le Roy.

Approche, Cavalier. Pelerin, le sainct noeu
Que je fais entre vous, t’excuse de ton vœu. {p. 126}
1615 Or sus, que tout mon peuple, et toute ma Noblesse
Prepare un Carrousel à ma Belle Princesse,
Que l’on nous mene tous dans un Char triomphant,
Où l’Amour soit assis, non pas comme un enfant :
Mais comme un jeune Roy que la presse* environne,
1620 Lors qu’en ceremonie on luy met la Couronne.

FIN

PRIVILEGE DU ROY. §

Louis, par la grace de Dieu, Roy de France & de Navarre, A nos amez & feaux Conseillers les Gens tenans nos Cours de Parlement de Paris, Roüen, Tholoze, Bordeaux, Rennes, Aix, Dijon, Grenoble, Metz, Prevost dudit Paris, Seneschaux de Lyon, Poictou, Anjou, Baillifs, Prevosts & tous autres nos justiciers & Officiers qu’il appartiendra, Salut. Nostre bien amé François Targa, Marchand Libraire de nostre bonne ville de Paris, nous a fait remontrer qu’il a nouvellement recouvré un Livre, intitulé, Agarite, Tragi-Comedie, faite par le sieur Durval, lequel il desireroit imprimer & mettre en vente. Mais il craint qu’aprés les frais qu’il a déja faits, & qu’il luy convient faire pour la perfection dudit Livre, quelques autres Imprimeurs & Libraires ne se voulussent ingerer de l’imprimer, & mettre en vente, & le frustrer par ce moyen du fruict qu’il espere de son travail, Nous requerant tres-humblement nos Lettres à ce necessaires. A ces causes, Nous avons audit exposant, permis & permettons par ces presentes, de faire imprimer, vendre, & distribuer ledit Livre pendant le temps & espace de six années à compter du jour qu’il sera parachevé d’imprimer. Pendant lequel temps Nous avons fait tres-expresses inhibitions & defenses à tous Imprimeurs & Libraires de nostre Royaume, & à toutes autres personnes, de quelque qualité & condition qu’ils soient, d’imprimer, ou faire imprimer, vendre, ou distribuer ledit Livre, sans le congé de l’exposant, Sur peine aux contrevenans, de cinq cents livres d’amende, & confiscation des exemplaires qui se trouveront imprimez, & mis en vente au prejudice des presentes. Voulons en outre qu’en mettant au commencement, ou à la fin de chacun desdits livres autant de cesdites presentes, ou l’extraict d’icelles, qu’elles soient tenuës pour signifiées et venuës à la cognoissance de tous. A la charge de mettre deux exemplaires de chacun dudit livre en nostre Bibliotecque, gardée aux Cordeliers de nostre bonne ville de Paris, & une autre és mains de nostre tres-cher et feal le Sieur Seguier, Chevalier, Garde des Sceaux de France, avant les exposer en vente, à peine d’estre décheu du present Privilege. S i vous mandons que de ces presentes vous ayez à faire jouïr plainement, & paisiblement ledit exposant, et au premier nostre Huissier, ou Sergent sur ce requis, faire pour l’execution desdites presentes, tous exploicts requis & necessaires sans pour ce demander aucun congé & permission et nonobstant Clameur de Haro, chartres Normande, prise à partie, & lettres à ce contraires. Car tel est nostre plaisir. Donné à Paris, le treiziesme jour de Mars, l’an de grace mil six cens trente cinq, et de nostre regne le vingt-cinquiesme.

Par le Roy en son Conseil.

Signé
FARDOIL
.

Achevé d’imprimer le deuxiesme jour de juin mil six cens trente-six.

Les Exemplaires ont esté fournis en la Bibliotheque du Roy, & à Monseigneur le Chancelier.