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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Claude de L'Estoille. L'Intrigue des filous. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 31 sc. 517 répl. 2,5 l. 1 310 l. 1 310 l. 37 % 3 554 l. (100 %) 2,7 pers.
LUCIDOR 7 sc. 67 répl. 1,7 l. 339 l. (26 %) 116 l. (9 %) 35 % 1 119 l. (32 %) 3,3 pers.
OLYMPE 5 sc. 36 répl. 2,3 l. 198 l. (16 %) 81 l. (7 %) 42 % 612 l. (18 %) 3,1 pers.
FLORINDE 7 sc. 45 répl. 2,6 l. 314 l. (24 %) 118 l. (9 %) 38 % 951 l. (27 %) 3,0 pers.
CLORISE 4 sc. 17 répl. 2,8 l. 228 l. (18 %) 48 l. (4 %) 22 % 744 l. (21 %) 3,3 pers.
TERSANDRE 10 sc. 101 répl. 1,8 l. 436 l. (34 %) 186 l. (15 %) 43 % 941 l. (27 %) 2,2 pers.
RAGONDE 16 sc. 83 répl. 2,8 l. 675 l. (52 %) 230 l. (18 %) 35 % 1 914 l. (54 %) 2,8 pers.
LE BALAFRÉ 5 sc. 21 répl. 2,4 l. 216 l. (17 %) 51 l. (4 %) 24 % 833 l. (24 %) 3,9 pers.
LE BORGNE 6 sc. 24 répl. 2,0 l. 260 l. (20 %) 47 l. (4 %) 19 % 920 l. (26 %) 3,5 pers.
LE BRAS-DE-FER 6 sc. 26 répl. 2,7 l. 260 l. (20 %) 71 l. (6 %) 28 % 920 l. (26 %) 3,5 pers.
BERONTE 12 sc. 97 répl. 3,7 l. 628 l. (48 %) 361 l. (28 %) 58 % 1 823 l. (52 %) 2,9 pers.
Claude de L'Estoille. L'Intrigue des filous. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
LUCIDOR
OLYMPE
2 l. (10 %) 2 répl. 0,6 l.
11 l. (91 %) 2 répl. 5,4 l.
2 sc. 12 l. (1 %) 4,0 pers.
LUCIDOR
FLORINDE
36 l. (54 %) 15 répl. 2,4 l.
32 l. (47 %) 12 répl. 2,6 l.
2 sc. 67 l. (6 %) 4,0 pers.
LUCIDOR
CLORISE
10 l. (44 %) 6 répl. 1,6 l.
13 l. (57 %) 6 répl. 2,1 l.
1 sc. 22 l. (2 %) 3,0 pers.
LUCIDOR
TERSANDRE
32 l. (53 %) 23 répl. 1,4 l.
29 l. (48 %) 24 répl. 1,2 l.
2 sc. 59 l. (5 %) 2,4 pers.
LUCIDOR
RAGONDE
32 l. (36 %) 18 répl. 1,8 l.
59 l. (65 %) 20 répl. 2,9 l.
5 sc. 90 l. (7 %) 3,6 pers.
LUCIDOR
BERONTE
8 l. (51 %) 3 répl. 2,4 l.
7 l. (50 %) 3 répl. 2,3 l.
1 sc. 14 l. (2 %) 4,0 pers.
OLYMPE
FLORINDE
31 l. (82 %) 6 répl. 5,1 l.
7 l. (19 %) 5 répl. 1,4 l.
2 sc. 38 l. (3 %) 3,2 pers.
OLYMPE
RAGONDE
25 l. (28 %) 19 répl. 1,3 l.
64 l. (73 %) 20 répl. 3,2 l.
3 sc. 88 l. (7 %) 2,5 pers.
OLYMPE
BERONTE
16 l. (52 %) 9 répl. 1,7 l.
15 l. (49 %) 9 répl. 1,6 l.
1 sc. 30 l. (3 %) 4,0 pers.
FLORINDE 16 l. (100 %) 1 répl. 15,2 l. 1 sc. 15 l. (2 %) 1,0 pers.
FLORINDE
CLORISE
7 l. (46 %) 4 répl. 1,7 l.
9 l. (55 %) 4 répl. 2,1 l.
2 sc. 15 l. (2 %) 3,8 pers.
FLORINDE
TERSANDRE
23 l. (57 %) 7 répl. 3,2 l.
18 l. (44 %) 8 répl. 2,2 l.
1 sc. 39 l. (4 %) 2,0 pers.
FLORINDE
RAGONDE
36 l. (46 %) 16 répl. 2,2 l.
43 l. (55 %) 13 répl. 3,3 l.
4 sc. 78 l. (6 %) 3,3 pers.
CLORISE
TERSANDRE
27 l. (59 %) 6 répl. 4,4 l.
20 l. (42 %) 6 répl. 3,2 l.
1 sc. 46 l. (4 %) 2,0 pers.
CLORISE
RAGONDE
1 l. (55 %) 1 répl. 0,8 l.
1 l. (46 %) 1 répl. 0,7 l.
1 sc. 1 l. (1 %) 4,0 pers.
TERSANDRE 28 l. (100 %) 1 répl. 28,0 l. 1 sc. 28 l. (3 %) 1,0 pers.
TERSANDRE
RAGONDE
16 l. (32 %) 15 répl. 1,0 l.
34 l. (69 %) 15 répl. 2,2 l.
3 sc. 49 l. (4 %) 2,7 pers.
TERSANDRE
BERONTE
78 l. (39 %) 47 répl. 1,7 l.
123 l. (62 %) 46 répl. 2,7 l.
5 sc. 201 l. (16 %) 2,4 pers.
RAGONDE 6 l. (100 %) 1 répl. 5,5 l. 1 sc. 6 l. (1 %) 1,0 pers.
RAGONDE
BERONTE
26 l. (20 %) 13 répl. 2,0 l.
108 l. (81 %) 13 répl. 8,3 l.
5 sc. 134 l. (11 %) 2,8 pers.
LE BALAFRÉ
LE BORGNE
15 l. (64 %) 6 répl. 2,3 l.
9 l. (37 %) 3 répl. 2,7 l.
4 sc. 22 l. (2 %) 3,8 pers.
LE BALAFRÉ
LE BRAS-DE-FER
9 l. (46 %) 3 répl. 3,0 l.
11 l. (55 %) 4 répl. 2,6 l.
3 sc. 19 l. (2 %) 3,8 pers.
LE BALAFRÉ
BERONTE
29 l. (34 %) 12 répl. 2,4 l.
56 l. (67 %) 14 répl. 4,0 l.
3 sc. 84 l. (7 %) 4,0 pers.
LE BORGNE
LE BRAS-DE-FER
34 l. (46 %) 16 répl. 2,1 l.
41 l. (55 %) 14 répl. 2,9 l.
6 sc. 74 l. (6 %) 3,5 pers.
LE BORGNE
BERONTE
6 l. (27 %) 5 répl. 1,1 l.
16 l. (74 %) 5 répl. 3,1 l.
2 sc. 21 l. (2 %) 4,0 pers.
LE BRAS-DE-FER
BERONTE
21 l. (52 %) 8 répl. 2,6 l.
20 l. (49 %) 6 répl. 3,2 l.
2 sc. 40 l. (4 %) 4,0 pers.
BERONTE 19 l. (100 %) 1 répl. 19,0 l. 1 sc. 19 l. (2 %) 1,0 pers.

Claude de L'Estoille

1648

L'Intrigue des filous. Comédie

Édition de Jie Chen
sous la direction de Georges Forestier
2015
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2015, license cc.
Source : L'Intrigue des filous de Claude de l'Estoile, À Paris, chez Antoine de Sommaville, au Palais, dans la petite salle des Merciers, à l'Escu de France. M. DC. XLVIII. Avec privilège du Roy.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

L’INTRIGUE
DES FILOUS §

A MESSIRE
CHARLES TESTU
CONSEILLER DU ROY
EN SON CONSEIL D’ESTAT,
MAISTRE D’HOSTEL ORDINAIRE
DE SA MAJESTE,
CHEVALIER ET CAPITAINE DU GUET DE PARIS §

MONSIEUR,

Je ne sçay quel jugement vous ferez de moy, & si vous ne m’accuserez point d’extravagance, ou du moins d’incivilité, de vous demander aujourd’huy vostre protection pour ceux là mesmes dont vous avez entrepris la ruine. La charge qu’on a donnée à vostre vertu, & qui depuis tantost un siecle a passé de pere en fils dans vostre Maison, vous oblige à faire guerre à ces Ennemis cachez, qui la font indifferemment à tout le monde, & portent leurs mains sacrileges jusques dans les Temples & sur les Autels. Cependant, quoy qu’il soit de vostre devoir de les exterminer tous, j’ose vous en presenter icy quelques uns, pour vous prier de les traiter favorablement, & d’embrasser leur deffense. Il est vray qu’il n’est bruit que de leur intrigue ; & toutefois pour estre les plus fameux, ils ne sont pas des plus coupables. Car apres tout qu’ont-ils fait? Ils ont fait possible autant que les autres ; mais leur addresse est leur excuse : elle a comme fasciné les yeux de leurs Tesmoins, en leur faisant voir que les crimes sont beaux quand ils les font ; & qu’il y peut avoir de la gloire à faire le mestier dont ils se meslent. Aussi, MONSIEUR, il y a fort peu de plaintes contr’eux. Ils n’ont point de Partie : Aucun ne vous presse de mettre vos Gens en campagne pour les poursuivre ; & si vous daignés vous entretenir avec eux de leurs tours de souplesse, ils vous feront passer peut-estre quelques heures assez agreablement. Les termes dont ils expriment leurs pensees sont grotesques ; la maniere dont ils attrapent les plus Fins, l’est encore davantage, & le Receleur dont ils se servent n’est pas fou, mais il n’est gueres moins plaisant que s’il l’estoit. Il n’est point de melancholie à l’espreuve de sa mine, & de son langage ; & il faudroit estre plus chagrin que ce Philosophe qui pleuroit tousjours, pour ne pas rire au recit de ses advantures. Enfin, MONSIEUR, ils sont le divertissement & des yeux, & des oreilles ; & comme ils ont plus d’agréement ou de bon-heur que les autres, ils ont aussi plus de privilege. On permettoit en Lacedemone de voler en secret, mais on leur permet icy de voler en public, & cette nouvelle permission apporte plus d’utilité que de dommage. Ce sont des Ennemis descouverts, & qui desployant leurs finesses à la veue du Peuple & de la Cour, enseignent la Cour & le peuple à se garder d’en estre trompez. Mais quelque licence & quelque applaudissement qu’on leur donne dans les Assemblees, ils en prennent peu de vanité, & se desfient avecque raison de l’approbation de la Multitude. Quoy que ce Monstre ait un nombre infiny d’yeux, il ne voit que la superficie des choses ; & pour avoir tant de testes, ils n’en a pas plus de jugement. Ils croyent donc que c’est à vous & non pas à luy à prononcer* sur leurs actions, & ils ne sont entrez chez vous qu’avec crainte, sçachant bien que ce qu’il admire le plus est quelquesfois ce que vous condamnez davantage. Ils apprehendent d’estre examinez en particulier par un Juge si clair-voyant, & si juste, & de n’estre rien moins dans le Cabinet, que ce qu’ils paroissent sur le Theatre. Certes, MONSIEUR, ils ont beau faire les asseurez ; ils ne disent pas un mot qu’ils ne tremblent ; & je n’en excepte pas ce Compagnon, qui parmy eux tranche du sçavant, & qui n’aymant pas moins l’estude, que le larcin, est devenu borgne à force de lire. Il me semble toutesfois qu’ils ne sont pas si criminels qu’ils s’imaginent, & qu’estant plus dignes de faveur que de chastiment, vostre bonté peut parler pour eux à vostre justice. Ce ne sont pas des Filous ordinaires, de ces Trouble-festes, dont la rencontre est importune. On accourt en foule pour les veoir ; & comme il y a plus de gloire à les proteger qu’à les perdre, je pourrois les adresser sans rougir au plus grand Prince de la terre  ; mais je ne veux tenir leur grace que de vous, & pour l’obtenir, je vous offrirois mesme des presens, n’estoit que vous n’estes pas moins incorruptible que je suis.

MONSIEUR,

Vostre tres-humble, & tres-
obeyssant serviteur, DE LESTOILE.

LETTRE DE MR BALLESDENS §

A MR DE LESTOILE §

MONSIEUR,

Il faut que vous soyez bien ennemy de vostre gloire, puisque vous n’estes pas venu Jeudi dernier à Fontaine-bleau. Je vous y avoit convié par mon Billet, pour vous faire jouyr des honneurs dont l’Intrigue de vos Filous vous auroit comblé. Mais sans doute il vous suffit de meriter des Couronnes : & par un excez d’humilité qui n’a point d’exemple, vous avez voulu éviter l’occasion d’en recevoir une de ces mains royalles qui les distribuent à ceux qui sçavent regner comme vous sur les Esprits. Je ne croyois pas jusques à present qu’il y eust de Philosophie si severe, que de vous obliger à fuyr tant d’honneur avec tant d’indifference ; ny d’Autheur si humble ou si delicat, que de s’absenter comme vous de la plus belle Cour de l’Europe, de crainte d’estre incommodé de ce battement de mains, dont le bruit, quelque grand qu’il soit, charme tousjours le cœur & les oreilles des autres. Mais si les grandes Assemblees vous sont importunes, souffrez au moins que cette Lettre vous aille trouver dans vostre Cabinet. Pour vous dire des nouvelles du beau monde ; & ne me sçachez pas mauvais gré, si cognoissant l’aversion que vous avez pour les loüanges, je ne puis m’empescher en passant de vous en donner quelques unes ; puis qu’en vous les donnant je ne suis qu’un faible Echo de la voix publique. En tout cas, j’ayme mieux courir le hazard de vous offencer, à l’imitation de tant d’honnestes gens qui font si hautement vostre Eloge ; qu’en me taisant tout seul, passer parmy eux pour ignorant ou pour insensible, j’auray pour le moins cét advantage, que si vous tenez pour vos ennemis ceux qui vous loüent, il ne vous fera pas si facile de vous vanger de moy que vous croiriez : puis qu’en cette occasion j’ay le bon heur d’estre du party des Princes, & des plus illustres Esprits du Royaume. Sans mentir, MONSIEUR, toute la France vous est beaucoup obligee du present que vous luy avez fait de cét ouvrage, qui ne contribuë pas moins au divertissement public, qu’à la seurté des particuliers. Vous y avez meslé si judicieusement l’utile avec le delectable, que vous nous avez fait voir avec joye, & sans aucun sujet d’apprehension, des personnes dont l’adresse a esté jusques icy d’un tres dangereux usage parmy les hommes. Les belles paroles que vous leur avez mises dans la bouche, en nous descouvrant leurs artifices, nous ont appris à nous en deffendre : & dans un pays de Forests & de Rochers, qui est ordinairement si favorable aux desseins des voleurs, nous les avons veus de prés & sans danger, quoy que leur approche soit tousjours funeste. L’objet de nos craintes s’est changé en un sujet d’admiration & de loüange. Ces Meschants qui ont fait un pact avec la malice, & une alliance avec la mort, sont devenus divertissants & officieux : Et il ne nous font point d’autre violence que de nous contraindre d’aymer nos ennemis, à force de nous donner du plaisir. Bien loin de crier aux voleurs en les voyant, ils n’ont tiré de nous que des applaudissemens & des cris de joye ? Et je ne puis m’empescher de croire, ou que vous estes de moitié avec eux, ou que vous en estes le Receleur, puisque leur plus veritable larcin, est de voler les cœurs, & l’estime de ceux qui les escoutent. Aussi ne sont-il pas de ceux à qui les portes du Louvre sont deffenduës. Ils traversent toutes les Compagnies des Gardes, sans apprehender le grand Prevost, ny le Chevalier du Guet. Lorsque les autres cherchent l’obscurité, ceux-cy cherchent le plus grand jour, pour avoir plus de tesmoins de leurs actions. Ils font mesme le mal avec tant de grace, qu’ils obligeroient les Juges les plus severes à les en absoudre ; Et vos vers leur ont acquis tant de faveurs aupres de leurs Majestez, que les Fleurs de Lys, qui sont la terreur des autres, & les marques les plus ordinaires de leur punition, n’environnent ceux-cy que pour leur servir d’ornement, & de marques d’honneur. Certes, MONSIEUR, il seroit à souhaiter que tant de beaux Esprits, qui travaillent comme vous pour le public, nous donnassent des ouvrages de pareille instruction que le vostre. Vous avez choisi sans doute à ce coup la plus vaste & la plus belle matiere que les Muses pouvoient prendre pour s’occuper utilement. Il y a des Filous de toutes sortes de conditions ? Et l’on ne presente point de Piece qui ait tant d’Acteurs que cette grande Comedie, que tant de Fourbes joüent incessament dans le monde, & dont le Theatre est tout l’Univers. Quant à moy je ne sçaurois jamais y faire un bon Personnage. Quelque connoissance que j’aye de cette adresse, qui semble passer aujourd’huy pour la premiere vertu du siecle, & quelque amour que vous m’ayez donné pour vos Filous j’ay trop de sincerité, pour n’avoir comme eux que des compliments dissimulez ; Et je vous supplie de croire que ma main est parfaictement d’accord avec mon cœur, quand je vous escris que je suis,

MONSIEUR,

VOSTRE & C.

De Fontainebleau Ce

6, d’Octobre, 1647.

ADVIS IMPORTANT AU LECTEUR §

Cher Lecteur, j’offre à tes yeux un corps sans ame, j’appelle ainsi toute Comedie qui se voit sur le papier, & non pas sur le Theatre. Les plus galantes & les mieux achevees sont froides pour la pluspart & languissantes, si elles ne sont animees par le secours de la representation. Les comediens n’en font pas seulement paroistre toutes les graces avec esclat : ils leur en prestent encore de nouvelles ; & la mesme piece qui semble admirable quand ils la recitent, ne se peut lire quelquesfois sans degoust. Ils ont fait valoir celle-cy, quoy que ce ne soit autre chose qu’une pure bouffonnerie, qui n’est digne ny de toy ny de moy-mesme : aussi serois-je encore à te la donner, n’estoit que j’apprehendois avec raison qu’il ne prist envie à quelqu’un de t’en faire un present à mon deçeu, & que la faisant imprimer avec peu de soin, il n’adjoustât des fautes aux miennes, qui ne sont desja qu’en trop grand nombre. Neantmoins, cher Lecteur, je ne desadvouë point ce petit ouvrage, quoy qu’il soit de peu de merite : mais je t’avertis qu’il y en a quelques autres que tu acheptes pour estre de moy qui n’en sont point ; & que faute de bien cognoistre ma façon d’escrire, tu te laisses abuser par une fourberie qui n’est guere adroite que plaisante. Un certain Libraire me fait passer tous les jours pour estre Autheur de plusieurs livres qui ne sont pas de ma science, & dont je n’ay jamais seulement veu le titre : cependant il te les debite avec asseurance qu’ils partent de mon esprit, & pour donner couleur à ce mensonge il se sert de cét artifice. Il met à la premiere page, & à la fin de l’Epistre, un petit nombre d’estoilles, n’osant y mettre mon nom ; & voila comme il te trompe, & me fait tort. J’ay bien voulu t’en donner advis, afin qu’à l’advenir tu ne t’y laisses plus surprendre, & que tu sçaches que je ne fus jamais d’humeur à me parer des despoüilles, ny des Vivans, ny des Morts.

Extrait du privilege du Roy §

Par grace & Privilege du Roy donné à Paris le 5 jour de Fevrier 1648. Signé par le Roy en son Conseil LE BRUN : il est permis à ANTHOINE DE SOMMAVILLE Marchand Libraire à Paris, d’Imprimer ou faire Imprimer, vendre & distribuer une piece de Theatre intitulee l’Intrigue des Filous, & ce pendant le temps & espace de cinq ans, à compter du jour que ladite piece sera Imprimée, & deffences sont faites à tous autres Libraires & Imprimeurs d’en vendre d’autres impressions que de celle qu’aura fait, ou fait faire ledit SOMMAVILLE ou ceux qui auront droit de luy, sous les peines portées par lesdites lettres qui sont en vertu du present Extrait tenuës pour deuëment signifiées.

Achevé d’Imprimer le 24, Avril 1648

ACTEURS §

  • LUCIDOR Capitaine François
  • OLYMPE Veuve d’un Partizan
  • FLORINDE Sa fille & Maistresse de Lucidor
  • CLORISE Confidente de Florinde
  • TERSANDRE Rival de Lucidor
  • RAGONDE Revendeuse
  • LE BALAFRÉ Filou
  • LE BORGNE Filou
  • LE BRAS-DE-FER Filou
  • BERONTE Receleur
La Scène est à Paris, dans l’Isle du Palais, devant le Cheval de Bronze.
[A,1]

ACTE PREMIER, §

SCENE PREMIERE. §

BERONTE. LE BALAFRÉ. LE BRAS-DE-FER. LE BORGNE.

BERONTE.

Bon-courage, mes pieds, courons viste, volons,
Ils sont au Roy de Bronze, ils sont à nos talons,
Au Voleur, au Filou, mais Dieu je perds l’haleine !
Cachons-nous, autrement nostre perte est certaine.
Il se cache.

LE BALAFRÉ.

{p. 2}
5 Où donc ce Malotru peut-il s’estre fourré ?
Dans sa Chambre à l’envy nous l’avons bien bourré,
Et nous le poursuivions, pour l’achever de peindre.

LE BORGNE.

Il va comme la foudre, on a peine à l’atteindre.

LE BRAS-DE-FER.

Je l’atteindray pourtant, & le rouëray de coups,
10 Ainsi qu’ à des Valets ce Faquin parle à nous,
Et nous a destourné cette Casaque* bleuë,
Qui nous mit l’autre jour cent Archers à la queuë.

LE BORGNE.

La Foy* n’habite point parmy les Receleurs ;
Ils sont fourbes, meschants, & volent les Voleurs :
15 Mais comme-quoy sans eux ferions-nous nos affaires ? {p. 3}
Ces Marauts aux Larrons sont des maux necessaires.

LE BRAS-DE-FER.

Quoy ? souffrir* qu’un Pendard qui devroit estre sec,
Nous fasse ainsi passer la plume par le bec?
Si de ce bras de fer une fois je l’attrappe,
20 Il sera bien subtil, & bien fort s’il eschappe :
Mais prenons-en quel-qu’autre ; aussi-bien on sçait trop
Qu’aux petites Maisons il va le grand galop.

LE BORGNE.

Depuis que le jettant contre un pillier de couche,
Vous fistes de sa teste un abbreuvoir à mouche,
25 Il a le cerveau creux, & sent une douleur,
Qui le rend comme fou quand la Vigne est en fleur :
Il grimasse parfois comme un Enfant qu’on sévre ;
Tantost rit, tantost pleure, & pour rien prend la chevre,
Enfin il est bizarre, & parest insensé,
30 Mais ce mal n’est pas long, il est bien-tost passé.

LE BALAFRÉ.

Non non, il a tousjours la cervelle en escharpe,
Et sa main a desja trop joüé de la harpe;
Il nous gasconne tout, & dans le Cabaret
Il fait à nos despens tirer blanc & clairet ;
35 Mais quoy qu’il nous ayt pris, il faut qu’il le rapporte,
Sinon il se verra traitter d’estrange sorte.
Courons donc le chercher suivons le jusqu’au bout,
Et frotons*-le à l’envy sur le ventre et par tout.
Ils rentrent.

BERONTE seul.

Aller frotter* un Asne, & non un honneste Homme,
40 Mais silence, je crains que leur main ne m’assomme,
Si dans ce petit coin ils m’eussent rencontré, {p. 4}
Dieu sçait de quelle sorte ils m’auroient accoustré* ;
Je tremblois d’une peur qui n’estoit pas petite,
Et j’en aurois voulu pour un bras estre quitte.
45 Mais ils s’en sont allez ces Cruels sans mercy*,
Ma frayeur est passée, ils sont bien loing d’icy :
Retirons-nous pourtant où Ragonde demeure.
Beronte heurte chez Ragonde.

SCENE SECONDE. §

RAGONDE. BERONTE.

RAGONDE.

Qui-va-là ?

BERONTE.

Vostre Amy.

RAGONDE.

Vrayment il est belle heure ;
Mais que voy-je ? la crainte a mon coeur tout transy.

BERONTE.

50 Je suis

RAGONDE.

Quelque Vaut-rien, retire-toy d’icy,
Ragonde mécongnoist Beronte, & luy ferme la porte.

BERONTE.

{p. 5}
Recognoissez ma voix, & r’ouvrez-moy la porte.

RAGONDE.

Qui vous recognoistroit vestu de cette sorte ?
Le plaisant équipage, hé ! Dieu d’où venez-vous ?

BERONTE.

Je viens de me sauver de la main des Filous.
55 Ouy, grace à ma lanterne, avec assez d’adresse,
Je me suis finement éschappé de la presse* ;
Mais voyez si j’éstois estourdy du bateau* ?
J’ai pris un garderobe* au lieu de mon manteau ;
Et n’ayant eu loisir de chausser qu’une botte,
60 J’ay fait la culebutte au milieu de la crotte.

RAGONDE.

En ces occasions on perd tout jugement.

BERONTE.

Il y paroist assez à mon habillement ;
La méprise est plaisante, & certes me fait rire,
Quand je crains de tomber d’un grand mal dans un pire.
65 S’ils reviennent à moy, je seray mal-traité,
Et cû par dessus teste en l’eau precipité.
Si bien qu’il dira vray ce Liseur de Grimoire, {p. 6}
Qui m’a prédit qu’un jour je mourrois de trop boire.

RAGONDE.

D’où vient donc leur colere ?

BERONTE.

Ils sont venus tantost*
70 Revoir quelques habits qu’ils m’ont mis en depost,
Et sans nulle raison me voulant faire accroire,
Que j’avois engagé de leurs hardes pour boire,
Ils m’ont poché d’abord un oeil au beurre noir,
Et cassé sur le nez & bouteille & miroir,
75 Ces Batteurs de pavé, ces Marauts sans resource,
Vouloient m’oster la vie aussi bien que la bourse ;
Qu’ils m’ont bien testonné* ! suis-je pas beau garçon?
Je ne me suis point veu traitter de la façon,
Ma teste en mille endroits est eslevée en bosse,
80 Et jamais Receleur ne fut à telle nopce:
Me prenant pour cheval ils m’ont bien estrillé*,
Et chez-moy chacun d’eux jouë au Roi despoüillé;
Par terre l’un assis sur son cû comme un singe,
Amasse en un paquet le meilleur de mon linge,
85 L’autre destend mon lict, & serre sous ses bras
Les pantes*, les rideaux ; la couverte & les draps,
Enfin ils pillent tout ces Plieurs de toilette,
Et m’ont fait malgré moy déloger sans trompette:
Quelques-uns m’ont suivy, mais ils ne m’ont pas veu {p. 7}
90 Dans ce coin où j’éstois, pied chaussé, l’autre nu.

RAGONDE.

Je vous retirerois, fust-ce en ma chambre mesme,
Mais j’ay de ces Escrocs une frayeur extrême ;
S’ils sçavent que chez-moy, je vous ay fait cacher
A l’heure de minuict ils viendront vous chercher ;
95 Ils me chanteront poüille*, ils me feront desordre,
Et jamais ces Mastins* n’ont abboyé sans mordre ;
Cherchez-donc giste ailleurs.
Elle rentre

BERONTE, seul.

Qui s’en seroit douté ?
Quelle reception ? quelle civilité ?
Me voila bien camus* : mais quel sujet la porte
100 A refuser ainsi les hommes de ma sorte ?
Elle est inexcusable, & fourbe de tout poinct,
Ces Filous qu’elle craint ne la cognoissent point,
Cependant, que feray-je ? où sera mon azile ?
Au Diable le denier*, je n’ay ny croix ny pile.
105 Je suis leger d’un grain, & la Necessitê
S’en va me rendre sec, comme un Pendu d’Estè.
Mais d’où vient qu’au logis de cette fine Mouche*
Qui Chapelet en main fait la Saincte Nitouche*,
Le nez dans son manteau, sans suitte & sans clarté, {p. 8}
Lucidor heurte chez Ragonde & une jeune fille qui le suit de loin entre apres luy.
110 Heurte ce Gentilhomme ou ce Vilain* botté ?
Iroit-il si matin faire emplette chez-Elle ?
Il y va bien plustost attendre cette Belle,
Habillée en j’en-veux qui de loin suit ses pas
Et qui de son mouchoir me cache ses appas ;
115 Elle entre chez Ragonde, & non comme je pense,
Pour luy communiquer un cas de conscience,
Seule apres un Plumet: par un petit destour
Chez une Revendeuse entrer au poinct du jour,
Et d’un mouchoir encor, prenant de tout ombrage,
120 De peur d’estre cognuë affubler* son visage,
Mon doute est esclaircy, je cognois la raison,
Qui trop indignement m’a fermê sa maison:
La Matoïse* qu’elle est, a peur que je ne voye,
Qu’elle y loge tousjours quelque fille de joye.
125 Elle en est soubçonnée, & c’est le commun bruit,
Que sans avoir procez souvent elle produit*.
Il semble cependant à voir sa contenance,
Qu’elle a de tout son cœur fait vœu de continance* ;
Et que de luy parler de toucher un teton
130 Ce soit luy parler Grec, Arabe ou bas Breton ;
Mais Elle fait l’Amour, ou du moins le fait faire ;
Et fust-ce aux Quinze-vingts, la preuve en seroit claire.
L’Hypocrite à la fin se cognoist tost ou tard ;
On cajolle* chez elle, aussi bien qu’autre part,
135 Et corrompant l’honneur des meilleures Familles, [B,9]
Peut-estre qu’elle vend moins d’habits que de Filles.
Ma foy c’est un mestier qui vaut mieux que le mien ;
On y fait des amys, on y gaigne du bien,
On void mille Beautez, & s’il en prend envie,
140 On se donne un plaisir le plus doux de la vie.
Changeons donc d’exercice*, & pour nous rendre heureux,
Soyons Ambassadeur du Roi des Amoureux.
Beronte treuve ici le portrait de Florinde que Clorise a laissé tomber en entrant chez Ragonde.
Mais que voy-je ? est-ce pas le portraict de la Belle ?
Que n’aguere Ragonde a fait entrer chez-elle,
145 Et que sans y penser elle aura laissé cheoir
Lors que pour se cacher elle a pris son moucheoir.
Elle a passé soudain, je ne l’ay qu’entre-veuë,
Mais si* la recognois-je, ou j’ay bien la berleuë;
Ouy voila son visage, & j’y voy des appas,
150 Qui me pourroient tenter, apres un bon repas.
Mais le flambeau d’Amour s’allume à la Cuisine,
Et sur cette peinture on n’auroit pas chopine.
Allons donc veoir chez-moy, si rien ne m’est resté
Sur quoy je puisse un peu trinquer à ma santé ;
155 Aussi bien quelqu’un sort, & je crains non sans cause,
Qu’on ne vienne m’oster une si belle chose :
Fuyons à tout hazard.

SCENE TROISIESME. §

{p. 10}
LUCIDOR. CLORISE. RAGONDE.

LUCIDOR.

O Comble de mal-heurs !
Puis-je chere Clorise assez verser de pleurs,
Regrettant le portrait de celle que j’adore ?
160 Mais comment as-tu pû le perdre ?

CLORISE.

Je l’ignore,
De sa part chez Ragonde allant vous le porter,
Je ne sçay pas comment on a pû me l’oster.

LUCIDOR.

Ha que ton peu de soin est peu digne d’excuse !

CLORISE.

Aussi, loin d’en chercher, moy-mesme je m’accuse :
165 Mais ne voulez-vous point moderer vostre ennuy*?
C’est un portraict perdu : {p. 11}

LUCIDOR.

Je le suis plus que luy.
Ce bien m’estoit promis, & ta belle Maistresse
Me l’envoyoit aussi pour tenir sa promesse,
Et consoler par là son mal-heureux Amant*
170 De n’ozer plus la voir qu’en secret seulement ;
Mais je ne l’auray point, ta negligence extresme
M’a frustrè pour jamais de cét autre elle-mesme,
De ce charme des yeux, qui ravissant les miens,
Eust flatté* ma douleur en l’absence des siens.

RAGONDE.

175 Faut-il pester ainsi contre vostre advanture,
Pour un petit carton barboüillé de peinture,
Où, peut-estre Florinde est laide en cramoisy?

LUCIDOR.

Ha ! ne ris point du mal dont mon coeur est saisy.

CLORISE.

Il faut se consoler.

LUCIDOR.

Il faut perdre la vie.

CLORISE.

{p. 12}
180 Je sçay qu’à fondre en pleurs ce malheur vous convie.
Mais tenez-le secret, ou bien preparez-vous
A me voir de Florinde essuyer le courrous.
Ouy, si ma negligence arrive à ses oreilles,
J’auray beau reclamer ses bontez nompareilles,
185 Je seray soufflettée, et sans plus de caquet*,
Il faudra me resoudre à faire mon paquet*.

LUCIDOR.

Luy pourrois-je cacher une si grande perte ?

RAGONDE.

Devez-vous l’advertir que vous l’ayez soufferte* ?
Au contraire en parlant avec elle aujourd’huy
190 Mentez comme un beau Diable, & donnez-vous à luy,
Si tousjours ce portrait n’occupe vostre veuë.

LUCIDOR.

Mentirois-je à qui voit mon ame toute nuë ?
Que puissay-je plustost estre privé du jour,

RAGONDE.

Que fait-on que mensonge en l’Empire d’Amour ?
195 C’est-là qu’impunément à toute heure il s’en forge,
Et vous avez menty cent pieds dans vostre gorge; {p. 13}
Alors que tant de fois, sans rougir seulement,
Vous m’avez asseuré d’estre mort en l’aimant.
Vous parlez, vous marchez, qui doncques je vous prie
200 Vous a resuscité ?

LUCIDOR.

Treve de raillerie,
Moy pour cacher un crime en commettre un si noir ?

CLORISE.

Si le mien se cognoist, où sera mon espoir ?
Par une menterie asseurez ma fortune,
J’en ay fait cent pour vous, pour moy faites en une.

LUCIDOR.

205 Puis donc que tu le veux, si je n’y suis forcé,
Je ne luy diray rien de ce qui s’est passé,
Je t’en donne parolle, & le Ciel me confonde*,
Si j’en parle jamais à personne du monde.
Mais au Temple aujourd’huy ne la pourray-je voir ?

CLORISE.

210 Ragonde avec moy s’en vienne le sçavoir.

LUCIDOR.

Va, Ragonde, va donc, sa mere a mille doutes
Qui la tiennent souvent tout un jour aux escoutes: {p. 14}
Mais tes inventions, qu’on ne peut esgaler,
Treuvent bien toutesfois moyen de luy parler.
215 On n’en soupçonne rien, ton adresse est extrême,
Et tu pourrois tromper la deffiance mesme.
Mais adieu, je t’amuse*.
Il rentre.

RAGONDE.

O quels transports* d’Amour !
Mais Florinde parest.

SCENE QUATRIESME. §

FLORINDE, CLORISE, RAGONDE.

FLORINDE.

J’attens vostre retour ;
L’avez-vous veu Clorise ? a-t’il ce qu’il demande ?

CLORISE.

220 Il s’est treuvé surpris d’une faveur* si grande ;
Cent fois il l’a baisée ; & mesme devant nous
Il s’est pour l’adorer voulu mettre à genous :
Mais quoy que ce portrait luy donne tant de joye,
Il dit qu’il faut qu’il meure, ou qu’enfin il vous voye. {p. 15}

FLORINDE.

225 Au Temple ce matin je pourray bien aller,
Mais qu’il n’espere pas que j’ose luy parler ;
Il n’est pas à sçavoir qu’on m’en a fait deffense,
Et que son entretien me tiendroit lieu d’offense.

RAGONDE.

Faut-il que vos parens contraignent vos desirs ?
230 Voyez en liberté l’objet* de vos plaisirs :
Est-il pas Gentil-homme ? est-il pas Capitaine ?
Si j’estois que de vous, ma foy ribon ribene
Bongré malgré leurs dents, je les ferois bouquer.

FLORINDE.

Sans choquer* mon devoir, pourrois-je les choquer* ?

RAGONDE.

235 Quoy dependés-vous d’eux ? vous n’avez plus de Pere,
Et le bien vient de luy, non pas de vostre Mere,
Qui se voyant encore en la fleur de ses ans,
Se laisse cajoller* à mille Courtisans.
Mais si quelque Galand luy donne dans la veuë,
240 Vous imaginez-vous d’en estre mieux pourveuë ?
Les biens que vostre Pere a pour vous amassez,
Seront pour un Plumet follement despensez, {p. 16}
Et Dieu sçait cependant comme iront ses affaires,
Et combien au procez les amours sont contraires.
245 Le miroir qu’elle prend, afin de s’ajuster,
Est le seul Advocat qu’elle ira consulter.
Desja son plus grand soin est de parestre belle,
Elle invente à tous coups quelque mode nouvelle ;
Et vostre Pere est mort en sa jeune saison,
250 Du regret de la voir ruyner sa Maison,
Et non pas, comme croit sottement le vulgaire,
De quelque qui pro quo de son Apotiquaire.
Mais à vous convertir perdray-je mon latin ?

FLORINDE.

Taisons-nous, la voicy.

SCENE CINQUIESME §

OLYMPE, FLORINDE, CLORISE, RAGONDE,

OLYMPE.

Vous sortez bien matin,
255 Mais plus matin encor je me suis habillée, {p. C,17}
Pour sçavoir qui si tost vous avoit esveillée,
Où courez-vous ?

FLORINDE.

Au Temple.

OLYMPE.

Et cette femme aussi ?

FLORINDE.

Afin de vous parler, elle venoit icy.

RAGONDE.

Madame, si j’en croy la nouvelle publique,
260 Vous donnez un Espous à vostre fille unique ?

OLYMPE.

Vous venez de bonne heure, afin de le sçavoir.

RAGONDE.

Madame excusez-moy, je ne viens que pour voir
Si vous auriez besoin de quelques Pierreries,
De beaux Linge de Lits, ou de Tapisseries

OLYMPE.

{p. 18}
265 Non pas pour le present.

RAGONDE.

J’ay des meubles chez moy,
Capables de servir dans la chambre du Roy.
Mais pour les achepter je ne treuve personne,
Le temps est miserable, on vend moins qu’on ne donne :
A peine le Bourgeois me demande combien,
270 Et chacun à la Cour veut avoir tout pour rien.
On apprend la Lezine, on a plus d’autre livre,
Je suis de tous mestiers, & si* je ne puis vivre,
Je perds sans rien gaigner mes peines & mes pas.

OLYMPE.

Hé que faites-vous donc ?

RAGONDE.

Mais que ne fais-je pas ?
275 Madame je revends, je fais prester sur gages,
Je predis l’advenir, & fais des mariages :
Cherchez-vous un mary ? Je sçay bien vostre fait*,
C’est un homme de mine, & plus encor d’effet.

OLYMPE.

{p. 19}
Je le croy, mais l’Hymen est un joug que j’abhorre.

RAGONDE.

280 Quoy vous tiendrez-vous Veuve, estant si jeune encore,
J’en voy remarierqui passent cinquante ans,
Reprenez un Mary, mesnagez vostre temps,
Et ressouvenez-vous, qu’il n’est rien si semblable
Que l’estat d’une Veuve, & d’une miserable.
285 Souvent elle est reduitte à vaincre ses desirs,
Pour garder son honneur, elle perd ses plaisirs :
Que si quelqu’un la void, soudain on en caquette*,
Elle est au ROQVANTIN, on l’appelle Coquette,
Et ses propres enfans condamnant ses humeurs,
290 Sont par fois les premiers à censurer ses mœurs :
Tout veuvage est fâcheux, & j’en fais bien l’espreuve,
Fust-on femme d’un Sot, on est mieux qu’estant Veuve.

OLYMPE.

Je la suis toutesfois, & la seray tousjours,
Adieu, n’en parlons plus, brisons là ce discours.

RAGONDE.

295 Vous refusez un bien que le Ciel vous presente.

OLYMPE.

{p. 20}
La charge d’un Mary me semble trop pesante.

RAGONDE.

Vous pourriez toutes-fois la porter aysément :
Mais je parle Madame un peu trop librement,
Et crains de vous avoir trop long-temps arrestée.
Elle rentre.

OLYMPE.

300 Ne seroit-ce point là quelque Femme apostée* ?
Peut-estre Lucidor emprunte son secours,
Pour vous faire tenir des lettres tous les jours ;
Et peut-estre à respondre encore il vous engage,
A dessein seulement d’en tirer advantage :
305 L’Amant* dans la poursuitte est un Renard si fin,
Que nous n’avons poulets qu’il n’atrappe à la fin.
Mais il devient lyon aux caresses premieres,
Nous fait trembler de peur, nous retient prisonnieres,
Et dans la jouyssance il se change en serpent,
310 Dont le mortel venin contre nous se respand,
Il nous siffle, il nous mord, & nous quitte avec joye,
Pour chercher autre part quelque nouvelle proye.

FLORINDE.

Mes yeux sont à sçavoir comment sa main escrit,

OLYMPE.

{p. 21}
Vous devez pour jamais, l’oster de vostre esprit :
315 Mais qui croiroit qu’Amour vous eust préocupée
D’un homme qui n’a rien que la cappe & l’espèe?
Mais toutes ses vertus ne sont pas de l’argent :
Cependant il vous charme, & Tersandre au contraire,
320 Avecque tous ses biens tasche en vain de vous plaire ;
Mais en fuyant Tersandre, & suivant son Rival,
Vous fuyez vostre biens ; & suivez vostre mal :
Tersandre est en effet plus riche qu’en parolles,
Ne luy gardons-nous pas deux grands sacs de pistolles,
325 Un coffret tout comblé de chaisnes d’or massif,
Et qui pour leur grosseur sont d’un prix excessif,
Un diamant encore, en splendeur admirable,
En grandeur monstrueux, en tout incomparable ?

FLORINDE.

Ouy, mais il est jalous, jusques-là que parfois,
330 A ma langue, à mes yeux, il veut donner des loix ;
Je n’ose entretenir ny regarder personne,
Sans aucune raison souvent il me soupçonne,
Et si de moy s’approche, ou servante, ou valet,
Il jure qu’en mes mains on a mis le poulet*.

OLYMPE.

{p. 22}
335 Plus un homme est jalous, plus son amour est forte,
Et nulle ne s’egale à celle qu’il vous porte ;
Il sera vostre Espoux, c’est un point arresté,
Rentrons.

FLORINDE.

Dieu ! que feray-je en cette extremité ?

Fin du premier Acte.

{p. 23}

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

BERONTE, seul.

Ha ! je m’en doutois bien que je serois Prophete ;
340 Sans user de balais, ils ont fait maison nette;
Ces Filous qui juroient en Chartier embourbez,
Ont en moins d’une nuict tous mes biens desrobez ;
Et ne me laissant pas, pour me pendre, une corde,
A cette seule botte ont fait misericorde ;
345 La voyant vielle, seiche, & moisie à moitié,
Tous barbares qu’ils sont, ils en ont eu pitié ;
Mais il faut au besoin* de tout bois faire fleche,
Il n’importe dequoy l’on repare la brêche,
Ny mesme à quel mestier on gaigne de l’argent,
350 Quand de biens & d’amys on se treuve indigent ;
Faisons profit de tout, cet objet plein de charmes,
De la Chasteté mesme arracheroit les armes ;
Et pour se resjouyr* une heure seulement {p. 24}
Avec l’Original d’un portrait si charmant ;
355 Il n’est point de boiteux qui ne prenne la course,
Ny d’homme si vilain, qui ne m’ouvre sa bourse ;
Donc nous promenant seul par ces lieux destournez,
Voyons qui des passans aura le plus beau nez ;
Et soudain pour tirer profit de sa rencontre,
360 D’une telle peinture allons luy faire monstre.
Je pourrois bien sans elle, apres cet accident,
Comme les Espagnols, disner d’un Cure-dent.

SCENE DEUXIESME. §

TERSANDRE. BERONTE.

BERONTE.

Mais qui voy-je parestre ? Amour me favorise,
Ce frizé semble avoir l’oeil à la friandise;
365 La pochette garnie, & le cœur genereux,
Pour bien payer le droit d’un advis amoureux,
Monsieur,

TERSANDRE.

Que me veux-tu ?

BERONTE.

{p. D,25}
Que vaut-bien cét ouvrage ?
Se peindra-t’il jamais un plus gentil* visage ?

TERSANDRE.

Ce portraict a vrayment un charme tout nouveau :

BERONTE.

370 Vous, & l’Original, en feriez un plus beau.
Il est icy tout proche, & si je vous y meine,
Vous me confesserez qu’elle en vaut bien la peine.

TERSANDRE.

O Ciel ! dans ce portraict voy-je pas esclater
Tous les traits dont Florinde a sçeu me surmonter*?
375 Que dis-tu mal-heureux ? me veux-tu faire accroire
Que ce corps si parfaict ait une ame si noire ?

BERONTE.

C’est un jeune Tendron*, de l’âge de quinze ans :
Mais qu’on ne peut gaigner qu’à force de presens.

TERSANDRE.

O Dieu quelle rencontre ! ô Dieu quelle nouvelle !
380 Je me la figurois aussi chaste que belle,
Mais je veux me vanger, ou terminer mes jours, {p. 26}

BERONTE.

Il faut plustost cueillir le fruit de vos amours ;
De la faute d’autruy porterez-vous la peine ?
Et mourrez-vous de soif, aupres d’une fontaine ?
385 Où tant d’honnestes Gens se vont desalterer ?

TERSANDRE.

Ce mot suffit tout seul pour me desesperer ;
Mais c’est trop discourir, accomply ta promesse,
Ma curiosité se plaint de ta paresse :
Marche, sers moy de guide, est-ce par ce destour ?

BERONTE.

390 Fait-on marcher pour rien un Messager d’Amour ?

TERSANDRE.

Je te tiens, tu viendras, tu ne t’en peux deffendre.

BERONTE.

Vous avez la main dure,ou bien j’ay la peau tendre.
O la chaude pratique*! Où me suis-je adressé ?

TERSANDRE.

Je pense qu’il est ivre, ou plustost incensé ;
395 Mais donnons luy la piece, afin qu’il nous y meine. {p. 27}
Tersandre donne une piece d’argent à Beronte.
Tien, voilà bien dequoy te payer de ta peine.
Je ne veux rien pour rien; mais dépesche, autrement
Une rupture d’os sera ton chastiment.

BERONTE.

Dans ce petit logis lestement* accoustrée,
400 Avec un Vergaland*, tantost* elle est rentrée ;
Ils y seront encore.

TERSANDRE.

Est-ce point mon Rival ?
Tirons-nous promptement d’un doute si fatal :
Entrons, & là dedans le treuvant avec elle,
Poignardons-le à l’instant au sein de l’Infidèle.
405 Heurte, redouble encore. Ha ! je meurs de regret.

BERONTE.

Beronte heurte chez Ragonde.
Dans tous les lieux d’honneur il faut estre discret.

SCENE TROISIESME. §

{p. 28}
TERSANDRE. RAGONDE. BERONTE.

RAGONDE.

Que vous plaist-il Monsieur ? voulez-vous dans ma chambre
Voir quelques bracelets, ou de coral, ou d’ambre ?
De beaux emmeublemens, mille sortes d’habits,
410 De nouveaux Pointct-coupez, des Monstres de rubis ?

BERONTE.

Il ne vient pas icy pour y faire rencontre
Beronte tire à part Ragonde, & luy parle.
D’habits, de bracelets, de dentelle, ou de monstre :
Mais bien d’un petit Cœur, dont l’esclat est si grand,
Et que vous desirez de vendre au plus Offrant.

RAGONDE.

415 Il est vray qu’il est beau, mais ces Traisneurs d’espée
Sont Seigneurs d’argent-court, & souvent m’ont trompée ;
J’ayme bien mieux le vendre à quelque Financier.

TERSANDRE.

Contentez le desir de qui veut bien payer.

RAGONDE.

{p. 29}
Ce que vous desirez de cent feux estincelle,
420 Mais Monsieur, sçavez-vous comment cela s’appelle ?
Ce joly petit Cœur qui n’a rien de commun,
Et cinquante escus d’or, en un mot c’est tout un.

TERSANDRE.

Monstrez-le promptement,vostre longueur me tuë,

RAGONDE.

Vous ne donnerez rien pour en avoir la veuë ;
Elle luy monstre un cœur de diamant.
425 Le voilà, n’est-il pas plus brillant qu’un Soleil ?
Ce Cœur de diamant n’eut jamais de pareil.

TERSANDRE.

O rencontre bizarre ! ô plaisante équivoque !
Qui malgré ma douleur à rire me provoque,
Je ne cherche rien moins qu’un cœur de diamant.

RAGONDE.

430 Hé ! que cherchez-vous donc ? parlez plus clairement,

BERONTE.

Ce n’est pas avec moy qu’il faut faire la fine,
Que ne luy monstrez-vous cette jeune Poupine*;
Dont le teint est si frais, & l’oeil est si riant, {p. 30}
Qu’on n’a jamais tasté d’un morceau plus friand ;
435 On sçait bien cependant que chacun en dispose,
Et qu’on ne treuve point d’espine à cette Rose.

RAGONDE.

Les Filous de tantost* ne pardonnant à rien,
T’auroient-ils emporté l’esprit avec le bien ?

TERSANDRE.

Nous vous contenterons, n’usez plus de remise.

RAGONDE.

440 Je n’ay pour vous, Messieurs, aucune marchandise ;
Fors une couverture, où l’on berne les Foux.
Elle rentre.

TERSANDRE.

Quoy ? nous fermer la porte en se raillant de nous ?
Faire l’honneste femme, & produire* des filles ?

BERONTE.

Troussons, de peur des coups, nostre sac & nos quilles,
Il rentre.

TERSANDRE, seul.

445 Il s’enfuit, & me laisse avecque des transports*,
Dont jamais ma raison ne vaincra les efforts,
Mais plus que ce portrait, suis-je pas insensible, {p. 31}
Si je ne me ressens d’un affront si visible ?
J’oublieray toute chose, avant que l’oublier,
450 Et moy-mesme par tout j’iray le publier* ;
Mais dois-je declarer une faute si grande ?
Mon honneur le deffend, mon despit le commande :
Sans honte je ne puis decouvrir mon malheur,
Et ne le puis celer, sans mourir de douleur ;
455 Au moins sa Confidente en doit estre advertie,
Mais n’est-il pas trop vray qu’elle est de la partie ?
Qu’avecque sa Maistresse, elle passe son temps,
Et peut-estre la vend à beaux deniers contans.
La voicy l’Effrontée*; où s’en va donc Clorise ?

SCENE QUATRIESME. §

TERSANDRE, CLORISE.

CLORISE.

460 Icy prés.

TERSANDRE.

Toute seule ? & mesme si surprise ?

CLORISE.

A quoy tend ce propos ? mais, ô Ciel ! qu’avez-vous ?
Dieu je vous voy rougir & paslir à tous coups, {p. 32}
Et de tant de couleurs se peint vostre visage,
Que jamais l’Arc-en-Ciel n’en monstra d’avantage.

TERSANDRE.

465 Allez vous resjouyr* & saoulez vos desirs
Des molles voluptez des amoureux plaisirs.
Allez avec Florinde en des Maisons de joye,
Mais au moins gardez-bien que quelqu’un ne vous voye,
Car, si l’on vous y prend, quel excez de bon heur
470 Vous pourra faire un jour recouvrer vostre honneur ?
Lorsque la renommée est une fois perduë,
Quoy que l’on face apres, elle n’est point renduë ;
Il vaudroit mieux pécher, & que l’on n’en sçeut rien,
Que faire penser mal à l’heure qu’on fait bien,

CLORISE.

475 Les Ivrognes, les foux, & les enfans font rire,
Et l’on a peu d’esgard à ce qu’ils peuvent dire ;
Mais on doit encor moins s’offencer d’un Amant*,
A qui la jalousie oste le jugement :
C’est une passion qui jamais ne vous quitte,
480 On rit des mouvements dont elle vous agite.
Elle vous fait tenir d’extravagans propos,
Vous fait parler tout seul, vous oste le repos,
Et fait que tous les jours quelque soubçon vous porte.
A veoir combien de fois on ouvre nostre porte ; [E,33]
485 Ce Monstre est défiant, & croit que la Beauté
Ne sçauroit compatir avec la Chasteté,
Il est tousjours au guet, il est tousjours en doute,
Il a plus d’yeux qu’Argus, & pourtant ne voit goutte.

TERSANDRE.

Je ne voy que trop bien, il n’est plus de couleur*,
490 Qui puisse déguiser un si honteux mal-heur ;
Florinde est descouverte, & je cognoy la flâme,
De l’impudique feu qui brusle dans son ame.

CLORISE.

Ma foy, si vostre esprit, que j’ay tant admiré,
N’est perdu tout à fait, il est bien esgaré :
495 Qui prendroit garde à vous, vous voyant si peu sage,
Pour apprendre à parler, vous feroit mettre en cage.

TERSANDRE.

Ma foy, si vostre honneur que j’ay tant protegé,
N’est vendu tout à fait il est bien engagé.
Qui prendroit garde à vous, pourroit bien vous déplaire,
500 S’il ne vouloit tout voir, tout oüyr, & se taire.

CLORISE.

Hé ! qu’avez-vous donc veu ? qu’avez-vous donc ouy ?
Quelles fausses clartez vous ont donc esblouy ? {p. 34}
Florinde n’a jamais fait d’actions blasmables,
Et plus que ses beautez, ses vertus sont aymables ;
505 J’espouserois plutost un tombeau qu’un jalous,
Quel Vertigo vous prend ? & vous met hors de vous ?
Quels discours ? quels regards ? quels transports* de folie ?
Si vous continuez je crains qu’on ne vous lie,
Et que vous ne faciez les cordes rencherir ;

TERSANDRE.

510 Ha ! ne m’en parlez plus, vous me faites mourir ;
N’allez-vous pas ensemble en ces maisons infames
Où souvent un seul corps a fait perdre mille ames ?

CLORISE.

Non, mais j’iray bien-tost avec devotion,
Prier sainct Mathurin à vostre intention.
Clorise r’entre chez Florinde.

TERSANDRE.

515 Et moy j’iray prier, descouvrant qui vous estes,
Qu’on vous donne logis dans les Magdelonnettes;

SCENE CINQUIESME. §

{p. 35}

TERSANDRE, seul.

Voyez quelle response, & de quelle fierté,
Elle ose devant moy nier la verité ;
De tout ce que je dis, elle fait raillerie,
520 Et je ne vis jamais pareille effronterie :
J’accuse sa Maistresse, & loin de l’excuser,
J’ay tort si je l’en croy, je me laisse abuser ;
Elle me traitte enfin de Jalous, de credule,
Et d’esprit qui va mesme au de là du scrupule :
525 M’auroit-on bien deceu*? crois-je point de leger?
Ay-je juste subjet de me tant affliger ?
Cette accusation possible n’est pas vraye,
Le bruit m’a renversé, la peur m’a fait la playe ;
Et c’est trop la blasmer sur le simple rapport
530 D’un homme que le Vice a choisi pour support.
Il ne cognut jamais pas une honneste fille,
Et des pechez du peuple il nourrit sa famille :
Mais si tout ce qu’il dit n’est qu’un conte inventé,
Et qu’elle soit si chaste avec tant de beauté,
535 D’où luy vient ce portrait ? & l’audace de dire
Qu’on en peut obtenir tout ce qu’on en desire ?
Ha ! que je devois bien, imprudent que je suis, {p. 36}
Tirer quelques clartez, pour dissiper mes nuits,
Avant que de laisser eschaper cet Infame,
540 Par qui mille soubçons se glissent dans mon ame.
Quand je pleure (peut-estre) elle se resjoüit*,
Et peut estre à souhait Lucidor en joüit.
Dans ce logis, dit-il, lestement accoustrée,
Avec un Ver-galand tantost* elle est entrée.
545 Est-ce un autre que luy ? Je n’en sçay que juger,
Mon esprit là dessus se laisse partager :
Mais cherchons ce Rival sans tarder davantage,
Monstrons luy ce portrait, pour voir si son visage,
Son geste, ou son discours, ne m’esclaircira point
550 D’un doute qui vrayment me trouble au dernier point ;
On tente tous moyens pour se tirer de peine,
Mais je pense le voir, mon bon-heur me l’ameine.

SCENE SIXIESME. §

LUCIDOR, TERSANDRE.

TERSANDRE.

Où donc, triste & resveur allez-vous seul ainsi ?
Vous est-il survenu quelque nouveau soucy ?

LUCIDOR.

{p. 37}
555 On voit à tous momens quelque affaire importune
Survenir à qui suit l’Amour ou la Fortune.

TERSANDRE.

J’ay pourtant peu souffert, depuis l’aymable* jour,
Que j’ay suivy par tout la Fortune & l’Amour.

LUCIDOR.

La Fortune vous rit, & vous est favorable,
560 Mais je croy que l’Amour vous rend fort miserable.

TERSANDRE.

Quiconque peut avoir la fortune pour luy,
A bien dequoy guerir de l’amoureux ennuy*.

LUCIDOR.

{p. 38}
La Fortune se plaist à nous estre infidelle,
Et quiconque la suit est aveugle comme elle.

TERSANDRE.

565 Est-ce un aveuglement que de suivre en tous lieux
Celle dont la richesse esblouit tous les yeux ?
Mais posseder le cœur de la belle Florinde,
Est plus que posseder tous les tresors de l’Inde.

LUCIDOR.

Je l’advouë, il est vray ; mais le possedez-vous
570 Ce cœur qui sembloit estre insensible à vos coups ?

TERSANDRE.

Je sçay bien que n’aguere elle m’estoit cruelle,
Et qu’au joug de vos loix vous reteniez la belle :
Mais pour s’en desgager, elle a pris mes liens,
Et semble avoir esteint tous vos feux dans les miens.

LUCIDOR.

575 A flatter vos desirs, on l’invite, on la force ;
Mais d’un arbre si beau vous n’aurez que l’escorce.

TERSANDRE.

Si* m’a-t’elle fait don ;

LUCIDOR.

De quoy?

TERSANDRE.

Je suis discret,
Un Amant* doit mourir avecque son secret.

LUCIDOR.

Sa main, par qui l’Amour mit le feu dans mon ame,
580 Vous a peut-estre escrit au mespris de ma flame.

TERSANDRE.

{p. 39}
Point du tout.

LUCIDOR.

Ses cheveux semez de tant d’appas,
Ainsi que vostre cœur, ont-ils lié vos bras ?

TERSANDRE.

Encor moins.

LUCIDOR.

Qu’est-ce donc ? cette belle farouche
Vous fait-elle cueillir les roses de sa bouche ?

TERSANDRE.

585 Vous l’avez deviné, je baise quand je veux
Le coral de sa bouche, & l’or de ses cheveux.

LUCIDOR.

Quelle foy vous croiroit ?

TERSANDRE.

Ce n’est point un mensonge.

LUCIDOR.

Peut-estre qu’en dormant vous la baisez en songe.

TERSANDRE.

{p. 40}
Non non, je ne dors point, & d’amour transporté*,
590 Je puis mesme à vos yeux baiser cette beauté.

LUCIDOR.

A mes yeux !

TERSANDRE.

A vos yeux, j’en feray la gageure,

LUCIDOR.

Hé ! comment la baiser si ce n’est en peinture ?

TERSANDRE.

Ha ! je l’entens ainsi, la baiser autrement,
Tersandre luy monstre le portrait.
N’appartient pas à nous.

LUCIDOR.

C’est là mon sentiment*;
595 En ce cas je le quitte, & croy que tout à l’aise
En ce petit carton vostre bouche la baise :
Mais encor, depuis quand avez-vous ce tableau ?

TERSANDRE.

Depuis peu.

LUCIDOR.

[F,41]
Mais de qui ?

TERSANDRE.

D’elle mesme.

LUCIDOR.

Ha ! tout beau.

TERSANDRE.

Elle m’en a faict don au lever de l’Aurore.

LUCIDOR.

600 Voyez-vous si matin ce Soleil qu’on adore.

TERSANDRE.

Dans sa chambre parfois j’entre avecque le jour,
Et voy lever du lit ce bel Astre d’Amour.

LUCIDOR.

Ha ! vous en dites trop, pour acquerir creance,
Et ne pas en fureur tourner ma patiance.
605 Certes vos vanitez passent jusqu’à l’excez,

TERSANDRE.

On permet de crier à qui perd son procez.

LUCIDOR.

{p. 42}
Moy je perdrois le mien ? mais Florinde s’avance,
Et pourroit contre moy prendre vostre deffense.
Dans une heure au plus tard je seray seul icy.

TERSANDRE.

610 Et pour vostre mal-heur j’y seray seul aussi.

SCENE SEPTIESME. §

FLORINDE. TERSANDRE.

TERSANDRE.

Adorable beauté, pour moy seul inhumaine,
Dans les lieux où je suis, quel sujet vous ameine ?

FLORINDE.

J’y viens pour m’esclaircir d’un doute seulement ;
On dit que vous avez perdu le jugement ?
615 Et que dans vos discours, dont je suis si touchée,
La plus fille de bien passe pour desbauchée.
Que vostre mesdisance est seule esgale à soy,
Et que vous n’espargnez, ny Clorise, ny moy.
Je sçay bien qu’un excez d’aveugle jalousie, {p. 43}
620 De tant de faux soubçons rend vostre ame saisie,
Que peut-estre au rapport de vos sens abusez,
Les filles que je voy sont garçons desguisez :
Mais que vostre folie à ce poinct fust venuë,
Que de parler de moy comme d’une perduë;
625 Qui me l’auroit predit, fust-ce un esprit divin,
Auroit passé chez moy pour un mauvais Devin;
Et n’estoit que je suis plus sage que vous n’estes,
Tous mes proches sçauroient l’affront que vous me faites
Et pas un ne seroit insensible à ce coup.

TERSANDRE.

630 J’ay peu dit à Clorise, elle en a dit beaucoup ;
Mais vous arrestez-vous à des contes frivoles ?
Le vent, avec la poudre emporte ses parolles.
Plaise au Ciel seulement qu’on ne vous blasme pas,
De porter des liens honteux à vos appas.

FLORINDE.

635 Puis qu’un indigne Objet* de liberté me prive,
Cessez d’estre en m’aymant captif d’une Captive,
D’esperer guerison de qui meurt en langueur,
Et d’aymer tant un corps dont un autre a le cœur.

TERSANDRE.

Doit-il le posseder ? Il est vain* jusqu’à dire
640 Que ce n’est que pour luy que vostre cœur souspire, {p. 44}
Et qu’enfin.

FLORINDE.

Poursuivez.

TERSANDRE.

Que selon son desir,
Chez une Revendeuse il vous voit à loisir.
Ayant de vostre amour tous les jours quelques gages.

FLORINDE.

Luy faire ce mensonge !

TERSANDRE.

Il fait bien d’avantage,
645 Il monstre vos faveurs*, mais je n’ay pû souffrir*,
Que jusques à mes yeux il ozast les offrir.
Ma main a de la sienne avecque violence,
Arrachant le portraict, puny son insolence :

FLORINDE.

Où donc l’a-t’il treuvé ? de qui l’a-t’il receu ?
650 Il l’a fait quelque part tirer à mon deceu:
Mais redonnez-le moy, de crainte qu’à ma honte
Quelqu’un vous le voyant n’en fasse un mauvais conte.

TERSANDRE.

{p. 45}
Mes yeux l’admireront, mon cœur l’adorera,
Mais fors* moy seulement aucun ne le verra.

FLORINDE.

655 Quoy vous me refusez ?

TERSANDRE.

Dieu quelle est vostre envie !
Demandez-moy plutost jusqu’à ma propre vie.

FLORINDE.

Gardez-bien le portraict, mais croyez desormais,
Que pour l’Original vous ne l’aurez jamais.
Elle rentre.

TERSANDRE.

Aucun ne l’aura donc, que devant cette espée
660 Ne se voye en son sang jusqu’aux gardes trempée.

Fin du second Acte.

{p. 46}

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

FLORINDE, seule.

Doncques de mes faveurs* l’Insolent s’est vanté !
Ha ! je ne puis souffrir* ce trait de vanité ;
Je veux estre vangée, & monstrer à ce Traistre
Que mon amour est mort pour ne jamais renaistre ;
665 Pour ne jamais renaistre ! ha ! je m’en vante à tort,
Un amour si parfait renaist dés qu’il est mort :
Dans mon cœur je le sens qui desja resuscite,
Et pour l’en empescher ma force est trop petite :
Mais si nostre raison n’a rien d’assez puissant,
670 Pour estouffer en nous ce Monstre renaissant ;
En mourant dans ses fers au moins treuvons l’usage
De porter la franchise & la joye au visage ;
Dissimulons enfin nostre honteux regret,
Et ne souspirons plus, si ce n’est en secret,
675 Moy souspirer pour luy ! moy l’estimer encore ? {p. 47}
Non non je me mesprens, je le hay, je l’abhorre ;
J’ay recouvré la veuë, & changé tout soudain,
Une si grande estime en un plus grand dedain,
Mais Ragonde en ces lieux arrive en diligence*.

SCENE DEUXIESME. §

FLORINDE, RAGONDE.

RAGONDE.

680 Un Malade d’Amour sans espoir d’allegeance,
Lucidor, ce Resveur qui dort moins qu’un Lutin,
Vous attendant au Temple a passé le matin,
Et dans ce mot d’escrit vous dépeint son martyre.
Ragonde luy apporte une lettre de Lucidor.

FLORINDE.

Quoy, le Fourbe qu’il est, ose encore m’escrire ?
685 Reportez-luy sa lettre, & lui faites sçavoir,
Que jamais de sa part je n’en veux recevoir ;
Il monstre mes faveurs*, il en prend adavantage,
Et j’en ay de Tersandre un certain tesmoignage,

RAGONDE.

{p. 48}
O le plaisant tesmoin qu’un Rival si jalous !
690 Il a des visions, il est au rang des fous.
Vous le dites vous-mesme, & son extravagance
Ne se peut comparer qu’à sa seule arrogance :
Il se vante en Gascon, se marche en Espagnol,
Et pense que le Ciel est trop bas pour son vol :
695 Il enrage de voir son amour maltraittée,
Son tymbre en est feslé*, sa cervelle eventée*,
Et tantost* un caprice hors de comparaison
L’a fait sans me cognoistre heurter à ma maison :
Il m’a chante goguette*, & sans aucune cause
700 Il luy sembloit à voir que j’estois quelque chose;
Mais le reste à loisir se pourra mieux conter ;
Madame cependant cessez de l’escoutter,
Il est fou, mais meschant, & menteur au possible.

FLORINDE.

Que dit-il dont je n’aye une preuve visible ?
705 Apres avoir d’abord arraché de sa main,
Mon portraict, dont ce traistre osoit faire le vain*,
Me l’a-t’il pas fait voir ? pouvez-vous le deffendre ?

RAGONDE.

Ne le condamnez pas, avant que de l’entendre ;
Peut-estre son mal-heur a perdu le portrait, {p. 49}
710 Et l’autre le treuvant vous a joué d’un trait.

FLORINDE.

Quoy qu’il en soit, Ragonde, il a fait une offense,
Sinon de vanité, du moins de negligence ;
Folle donc qui s’y fie, & qui ne cognoit bien,
Que de tous les Amants* le meilleur ne vaut rien ;
715 Je sçay leurs vanitez, je sçay leurs médisances,
Je prens pour trahison toutes leurs complaisances,
Et c’est mon sentiment* qu’il n’est rien de si doux,
Que de n’avoir jamais ny d’Amant* ny d’Espoux.

RAGONDE.

Mais encor,

FLORINDE.

Brisons là ; tout ce que je souhaitte
720 N’est que de me vanger pour mourir satisfaitte,
Ne l’excusez donc point, & courez le trouver,
Ce méchant, qui du Ciel doit la foudre esprouver ;
Il a de mes faveurs*, allez, faites en sorte,
De l’amener ce soir, & qu’il me les rapporte.

RAGONDE.

725 Madame,

FLORINDE.

{p. 50}
Je le veux.

RAGONDE.

J’y vay donc de ce pas.

FLORINDE.

Mais dites luy qu’il vienne, & qu’il n’y manque pas,

RAGONDE.

C’est assez dit.

FLORINDE.

Sur tout vous luy ferez promettre,
Qu’il me rapportera jusqu’à la moindre lettre,
Je veux rompre avec luy pour ne plus renouër.

RAGONDE.

730 Vostre colere est grande, il le faut advouër.

FLORINDE.

Sa faute l’est bien plus, mais Dieu ! voicy ma Mere,
Reserrez cette lettre, évitez sa colere.

RAGONDE.

Je sçauray dans le nid remettre ce poulet* ;
Et craignant son courroux filer doux comme laict.

SCENE TROISIESME. §

[G,51]
OLYMPE, FLORINDE, RAGONDE.

OLYMPE.

735 Ainsi donc à toute heure il faut que je descende,
Pour voir ce que chés moy cette femme demande :
Quoy ? deux fois en un jour, nous venir visiter ?

RAGONDE.

J’avois tantost*, Madame, oublié d’apporter
Des perles que voicy, blanches, rondes, polies,
740 Et que par l’artifice on n’a point embellies.

OLYMPE.

Est-ce le seul sujet qui vous conduit icy ?

RAGONDE.

J’ay bien quelques bijoux à vous monstrer aussi.

OLYMPE.

Et vous n’apportez point parmy ces bagatelles,
De ces petits poulets* qui cajollent les belles ? {p. 52}

RAGONDE.

745 Qu’entendès-vous par-là ? pour qui me prenés-vous ?
Moy donner des poulets* en monstrant des byjoux !
Qu’une femme de bien est souvent soubçonnée !

OLYMPE.

Ne vous y joüez pas, vous seriez mal-menée :
Mais combien en un mot, vendrez-vous ces deux rangs ?

RAGONDE.

750 Pas une maille moins de seize mille francs.

OLYMPE.

Je ne vous puis qu’offrir, cette somme est trop grande.

RAGONDE.

Je les ay refusez, ou jamais je n’en vende.

OLYMPE.

Ne les pourrois-je point avoir pour la moitié ?

RAGONDE.

Bien moins pour ce prix là, que pour vostre amitié,
755 Il faudroit sur ma foy qu’on les eust desrobées,

OLYMPE.

Comment entre les mains vous sont elles tombées ?

RAGONDE.

{p. 53}
Pourquoy dire comment ? cela m’est deffendu,
Il suffit que je livre, apres que j’ay vendu.

OLYMPE.

L’eau ne m’en desplaist pas,

RAGONDE.

Nulle autre n’en approche ;
760 Voyez il ne faut point achepter chat en poche:
Regardez-les partout, c’est un marché donné ;
Mais quoy, je ne vends rien, je n’ay pas estrené;
Et ne laisse à si peu, si belle marchandise,
Que pour avoir l’honneur de vostre chalandise:
765 Madame, ce collier, foy de femme de bien,
Vaut entre deux amis, vingt mille francs ; ou rien ;
Je ne surfais jamais, hé bien ! vous duisent* elles ?
Si vous en acheptez prenez-en d’aussi belles;
Qui choisit prend le pire, & qui barguigne* tant,
770 En a tousjours plus cher,

OLYMPE.

Je paye argent contant,

RAGONDE.

On ne fait plus credit de quoy que l’on achèpte,
Sinon depuis la main jusques à la pochette,
Qui preste maintenant n’est pas fin à demy, {p. 54}
Et souvent d’un Intime, il fait un ennemy ;
775 Maudy soit le premier qui presta sur la mine,
Vive l’argent contant, il porte medecine,
Chez-moy Credit est mort, & l’on n’ignore pas,
Que de mauvais payeurs ont causé son trespas.

OLYMPE.

Je vous veux bien payer, mais c’est chose certaine,
780 Que ce collier n’est point tout ce qui vous ameine,
Vous ne le mettez pas à raisonnable prix,
La peur en me parlant agite vos esprits,
Vostre teint a changé quand je me suis monstrée,
Et je vous tiens enfin, une femme attiltrée;
785 Vous subornez ma fille, & contre mon dessein,
Luy soufflez par l’oreille un poison dans le sein ;

RAGONDE.

O Dieu ! qui vid jamais femme plus soubçonneuse ?
Quoy ? je passe chez-vous pour une suborneuse,
Je suis femme d’honneur, j’en leverois la main,

OLYMPE.

790 Je devrois la lever, & vous punir soudain,
Je ne sçay qui me tient.
Elle r’entre.

RAGONDE, seule.

{p. 55}
Je l’ay belle eschappee,
Mais je veux bien mourir si j’y suis ratrappee ;
Je n’ay membre sur moy qui de peur n’ayt tremblé,
Et mon esprit encore en est comme troublé ;
795 D’une telle frayeur taschons à nous remettre,
Courons chez Lucidor, redonnons-luy sa lettre.
Mais, qui vois-je arriver ?

SCENE QUATRIESME. §

RAGONDE, BERONTE.

BERONTE.

Je suis un vray longis*,
D’estre encore à courir jusqu’à vostre logis ;
Mais j’allois pour m’y rendre, afin d’obtenir grace,
800 Et puis avecque vous trinquer* à pleine tasse.

RAGONDE.

Ny viens pas, si d’abord tu n’en veux à mon gré
Conter à reculons jusqu’au dernier degré :
Oses-tu bien encor, Monstre de medisance,
Apres un tel affront parestre en ma presence ? {p. 56}
805 Devant ce Fanfaron, devant ce Fierabras,
Qu’à peine je cognois, qui ne me cognoit pas :
Me traitter de gaillarde*! & conter des sornettes ;
A te faire au derriere attacher des sonnettes,
J’en creve en mes panneaux, ouy cet indigne tour,
810 Me fait enfler le sein aussi gros qu’un tambour:
Mais je sçauray te rendre injure pour injure,
Adieu, garde ton dos de mauvaise avanture.
Elle rentre.

BERONTE, seul.

Le feu de son courroux, tant soit il vehément,
Dans un peu de piot s’esteint facilement :
815 Aussi pour l’en coiffer je m’en irois la suivre,
N’estoit que je ne sçay si je ne suis point ivre :
J’ay trinqué trop de fois d’un certain vin nouveau,
Qui fait tinter l’oreille, & tourner le cerveau,
Ce portrait merveilleux, & treuvé par merveille,
820 Tout jusques au goulet a remply ma bouteille.
J’en ay tiré la piece & peut-estre sans luy,
J’aurois couru danger de jeusner aujourd’huy.
Mais sont-ce pas vraiment des esprits d’imposture,
Qui disent que le vin conforte la Nature :
825 Et que pour soustenir le corps un jour entier,
Il suffit le matin d’un bon demi-setier:
J’en ay beu plus de quarte; & si*, quoy que je fasse,
A peine sans broncher*, je puis changer de place, [H,57]
Je chancelle, & je croy que celuy n’est pas fin,
830 Qui pour marcher plus ferme a fait jambes de vin.
Cependant, ô mal-heur ! si je ne prens courage,
Ce grand Coupe-jaret* viendra me faire outrage.
Fuyons, mais je ne puis faire un pas maintenant,
Ce vin n’est gueres fort, il n’est pas soustenant
835 Je tombe, je suis pris.

SCENE CINQVIESME. §

TERSANDRE. BERONTE.

TERSANDRE.

Enfin je te retreuve
Et de ce bras vangeur tu vas faire l’espreuve ;
Ouy je te tiens, perfide, & tu m’esclairciras,
Ou de cent coups d’espée à l’instant tu mourras,
Parle, qui t’a donné ce portrait adorable ?

BERONTE.

840 Le hazard.

TERSANDRE.

Le hazard ! qui t’a donc, miserable,
Fait feindre qu’elle mesme avoit mis en tes mains, {p. 58}
Un ouvrage à charmer tous les yeux des humains ?

BERONTE.

La faim,

TERSANDRE.

Comment la faim ?

BERONTE.

N’ayant plus de quoy frire,
J’ay tasché d’en r’avoir.

TERSANDRE.

Qu’est-ce que tu veux dire ?

BERONTE.

845 J’ay treuvé son portrait, je ne la cognois pas.

TERSANDRE.

Mais chez la Revendeuse elle a porté ses pas,
Avec un Vergalant,

BERONTE.

C’est chose que j’ay veuë,

TERSANDRE.

Hé ! de quelle façon estoit-elle vestuë ?

BERONTE.

{p. 59}
Ravy de ses appas, Monsieur, j’ay seulement,
850 Comtemplé le visage, & non l’habillement,

TERSANDRE.

Qu’est-cecy ?

BERONTE.

Toutesfois cette jeune merveille,
Avoit, comme je croy, le bouquet sur l’oreille,
Sans doute, elle est a vendre :

TERSANDRE.

Elle n’en met jamais,
Ne sçais-tu rien de plus,

BERONTE.

Non, je vous le promets :
855 Si ce n’est que mon nez, m’a dit entre autre chose,
Qu’elle porte des gans qui sentent comme rose.

TERSANDRE.

Tu la prens pour une autre, elle craint les senteurs,
Et dés-là je te tiens le plus grand des menteurs ;
Mais plus je te regarde, & plus je m’imagine,
860 Qu’en toy, je voy parestre, & le port* & la mine :
D’un assez bon Valet, qui par legereté, {p. 60}
Depuis desja long-temps mal-gré moy m’a quitté ;
Les transports* où j’estois par ton faux tesmoignage,
M’ont tantost* empesché d’observer ton visage :
865 Je t’ay veu, sans te voir, mais tu m’ostes d’erreur,
Et chasses loin de moy cette aveugle fureur,
Enfin je voy Beronte.

BERONTE.

Hé Dieu ! voy-je Tersandre ?
Quoy mon Maistre, est-ce vous ? on m’avoit fait entendre,
Que vous aviez en Greve esté roüé* tout vif.

TERSANDRE.

870 Certes tu n’es pas moins credule que naif.

BERONTE.

On a donc pris pour vous quelqu’un qui vous ressemble ;
Cependant est-il vray que le sort nous r’assemble.
La voix vous a grossy, le poil vous est venu,
Si bien qu’en vous voyant, je vous ay mescogneu.

TERSANDRE.

875 La barbe comme à moy t’estant aussi venuë,
Et ton crotesque* habit ont fasciné* ma veuë :
Mais voicy les jours gras, & possible allois-tu
Porter quelque Momon, estant ainsi vestu. {p. 61}

BERONTE.

Je suis un peu plus leste à mon accoustumée,
880 Et j’avois vaillamment faict fortune à l’Armée ;
Ouy, j’en estois venu vestu comme un oignon :
Mais de certains Filous, qui me portent guignon,
Ont crocheté ma chambre, & pris tout mon bagage.

TERSANDRE.

Je te plains, mais où donc a paru ton courage ?

BERONTE.

885 L’Allemagne est tesmoin si je crains le danger ;
Quand la Trompette sonne, & qu’il en faut manger,
J’y cours tout des premiers, & porte tout par terre ;
Aussi Frappe-d’abord estoit mon nom de Guerre.
Dans la meslée un jour treuvant le Papenain,
890 Je parus un Geant, qui combattoit un Nain,
Et mon front fut deslors à l’honneur de la France,
Plus couvert de Lauriers qu’un jambon de Mayence.
Que vous diray-je plus ? j’estois dans le festin,
Où se fit le complot de tuër le Walstin;
895 Et dés que ce grand Traistre eut perdu la lumiere,
On me luy vid donner mille coups par derriere.

TERSANDRE.

Donc apres qu’il fut mort tu luy fis bien du mal ?

BERONTE.

{p. 62}
Aux Trigaux comme luy mon courage est fatal.

TERSANDRE.

Tes discours autrefois marquoient quelque prudence :
900 Mais tu ne parles plus qu’avec extravagance.

BERONTE.

Ces Filous en sont cause, ils m’ont écervelé,
Et tout mon pauvre esprit s’en est tantost allé,
Par trois ou quatre trous qu’ils m’ont faicts à la teste.

TERSANDRE.

Je les quitterois*-là.

BERONTE.

C’est à quoy je m’appreste,
905 Je n’ay que trop servy ces trois Diables d’Enfer,
Le Balafré, le Borgne, avec le Bras-de-fer :
Mais qui vous rend chagrin ? si mon oeil ne void trouble,
Je suis plus gay que vous, moy qui n’ay pas le double.

TERSANDRE.

Je n’ai jamais de rien faict secret avec toy,
910 Je suis dans un malheur seul comparable à soy.
J’ayme. {p. 63}

BERONTE.

Hé bien ! vous aymez, c’est chose assez commune.

TERSANDRE.

Mais on ne m’ayme point, un Rival m’importune,
Et nul effort secret de mes inventions,
Ne le peut destourner de ses pretentions.
915 Nous avons eu parolle, & quoy qu’il m’en advienne,
Je m’en vay mesurer mon espée à la sienne.

BERONTE.

Pourveu que grand de cœur, & souple de jaret,
Vous fassiez à l’espée aussi bien qu’au fleuret,
Quel qu’adroit qu’il puisse estre il en aura dans l’aisle:
920 Mais de vos differens au moins la cause est belle ?

TERSANDRE.

Belle, à n’avoir rien veu de si beau sous les Cieux.

BERONTE.

La beauté vaut beaucoup, mais l’argent vaut bien mieux,
En a t’elle ?

TERSANDRE.

Son pere estoit un homme chiche,
Et qui, dans les partis, comme un Juif, s’est faict riche. {p. 64}

BERONTE.

925 Comment l’appellez-vous ?

TERSANDRE.

Almir.

BERONTE.

Quoy, ce Maraut,
Qui seul a faict monter le vin à prix si haut ?
Quoy ce Monopoleur, dont l’art diabolique
A retranché le quart de la liqueur Bachique ?
Un jour, si des talons il n’eust esté dispos,
930 L’appellant Maltotier, Voleur, Rogneur de pots,
Cent beuveurs l’alloient pendre avec une bouteille,
Pour avoir mis impost sur le jus de la Treille.

TERSANDRE.

Tay toy.

BERONTE.

C’est un secret que je ne puis celer,
Une juste douleur me force de parler.
935 Je ne boy presque plus que vinaigre & qu’absinthe,
De simple ripopé vaut cinq & six sous pinte.
Enfin il est si cher, que qui n’a bien de quoy, {p. I,65}
Souvent avec sa soif se couche comme moy.

TERSANDRE.

C’est trop.

BERONTE.

Vostre Rival, est-il plus honneste homme ?
940 Apprenons ce qu’il est, & comment il se nomme.

TERSANDRE.

Son nom est Lucidor.

BERONTE.

Quoy luy vostre Rival ?
Je crains, non sans raison, qu’il ne vous traitte mal :
Je connois sa valeur, c’estoit mon Capitaine,
Quand sur les bords du Rhin, j’ai souffert tant de peine :
945 Mais enfin avec luy, je m’y suis signalé,
Nous avons veu Galas, & l’avons bien galé.

TERSANDRE.

Est-il donc si vaillant ?

BERONTE.

Mes yeux l’ont veu combattre,
Et contre l’Ennemy faire le diable à quatre: {p. 66}
J’estime ce Guerrier, mais je ne l’ayme pas ;
950 Et je voudrois desja qu’il eust passé le pas,
Il m’a traitté cent fois avec ignominie,
Et mis honteusement hors de sa compagnie.

TERSANDRE.

Hé ! la raison ?

BERONTE.

Un jour il creut prendre sans vert
Ce brusleur de Maisons, ce fameux Jean de Vert:
955 Mais nous perdismes temps, & peine à le poursuivre,
Il s’eschappa de nous, encore qu’il fust ivre.

TERSANDRE.

Hé ! comment fit-il donc ?

BERONTE.

Disons tout aujourd’huy,
C’est que mes compagnons estoient plus saouls que luy,
Et qu’estant estourdis d’avoir trop fait desbauche,
960 Ils le suivoient à droit, lors qu’il fuyoit à gauche.
Lucidor, que sa fuite avoit mis hors de soy,
Me treuvant, deschargea sa colere sur moy ;
Me traitta d’éventé, de poltron, & d’ivrogne,
Et me chassa d’abord, me donnant sur la trogne*,
965 Je veux donc contre luy vous servir au besoin*, {p. 67}
Battez-vous hardiment, je seray dans un coin ;
Et si tost que de-là je verray son courage,
Estre prest d’emporter sur le vostre advantage ;
Je viendray finement d’un coup d’estramaçon*:
970 Pour fendre jusqu’aux dents un si mauvais garçon.

TERSANDRE.

Ainsi tu vangera ta querelle & la mienne,
Je viens l’attendre icy.

BERONTE.

J’enrage qu’il n’y vienne,
Son trespas est certain ; nous avons bien tous deux,
Fait ensemble autresfois des coups plus hazardeux,
975 Combien ayant pour vous ma valeur occupée,
Ay-je usé de mouchoirs essuyant mon espée ?
Il apprendra dans peu ce Fendeur de nazeaux,
Si je sçay dégaisner & joüer des cousteaux,

TERSANDRE.

Le voicy, cache toy, mais retien ta colere,
980 Et ne te monstre point, qu’il ne soit necessaire.
Beronte se cache.

SCENE SIXIESME. §

{p. 68}
LUCIDOR. TERSANDRE. BERONTE.

TERSANDRE.

Enfin vous le voulez, le sort en est jetté ;
Mais n’est-ce pas folie ou plutost lascheté ?
Que de se battre ainsi pour une ame inconstante ?
Et qui honteusement a trahy vostre attente ?
985 Reprenez vos Esprits, n’aymez plus qui vous hait,
Et laissez-moy jouyr du bien qu’elle m’a fait.

LUCIDOR.

Quoy, Florinde, en vos mains a remis sa peinture ?
Il ne se dit jamais de pareille imposture.
Tirez, tirez l’espée, & sans plus discourir,
990 Songez à vous deffendre, ou plutost à mourir,
Si vous ne me rendez une chose si belle.

TERSANDRE.

Pour la derniere fois jette les yeux sur elle,
Tersandre se deboutonne, & fait voir à Lucidor le portrait de Florinde sur sa chemise.
La voilà.

LUCIDOR.

Je seray bien-tost victorieux.
Quoy que vous m’ayez mis le Soleil dans les yeux. [J,69]

TERSANDRE.

995 Qui vous !

LUCIDOR.

N’en doutez point, ouy selon mon envie,
Vous rendrez le portraict, ou vous mourrez.

TERSANDRE.

La vie.

LUCIDOR.

Hé bien, je vous la laisse, & vostre espée encor,
Il suffit que j’emporte un si rare tresor.
Lucidor l’ayant terrassé luy arrache le portraict, & s’en va.
Il rentre.

TERSANDRE.

Toy qui les bras croisez nous as regardé faire,
1000 Homme le plus poltron que le Soleil esclaire ;
Pourquoy, lasche, pourquoy quand il m’a terrassé,
N’as-tu pas dans ses reins un poignard enfoncé ?
Responds : mais dans ce coin il dort ou je m’abuse.
Holà-ho ?

BERONTE.

Beronte s’estant endormi dans un coin se reveille en sursaut.
Qui-va-là ? J’y suis ; mon harquebuse ?
1005 Où sont les Ennemis ? courons faut-il donner*? {p. 70}
Vous verrez si jamais on peut mieux assener*,

TERSANDRE.

Est-ce ainsi sac à vin que l’on tient sa promesse,

BERONTE.

Ha ! pardon, je resvois, j’ai tort, je le confesse ;
Mais vos dons en sont cause, ouy vostre quart-d’escu
1010 A fait que j’ay tantost* mis bouteille sur cû;
Ce n’estoit que ginguet*, & pourtant ses fumées,
Ont insensiblement mes paupieres fermées.

TERSANDRE.

Cependant mal-heureux, il m’a tout emporté.

BERONTE.

Vous auriez eu besoin de ce bras indompté,
1015 Je vous l’avois bien dit qu’il alloit à la charge,
Et vous en donneroit* & du long, & du large;
Que ne m’esveilliez-vous ? je veux estre berné,
Si ce ne seroit fait de ce Diable incarné.

TERSANDRE.

Suy-moy, traistre, suy-moy.

BERONTE.

{p. 71}
Dieu ! prenez ma deffense.

TERSANDRE.

1020 Mille coups de baston puniront ton offense.
Comme Tersandre & Beronte rentrent, les Filous les apperçoivent.

SCENE SEPTIESME. §

LE BALAFRÉ. LE BRAS-DE-FER. LE BORGNE.

LE BALAFRÉ.

Courons apres ces Gens, il est nuict, autant vaut.

LE BRAS-DE-FER.

Que profiterons-nous à les prendre d’assaut ?
Au Diable soit donné le lange* qui les couvre,
Puis ils heurtent là bas, & voilà qu’on leur ouvre.

LE BORGNE.

1025 Ils rodent en pourpoinct sans lumiere & sans train,

LE BALAFRÉ.

Les manteaux en Hyver craignent fort le serain,
Et leurs Maistres le soir les laissant dans la chambre,
Comme au chaud de Juillet vont au froid de Decembre,
Mais l’un de ces deux-là, si mon oeil n’est trompé, {p. 72}
1030 Est nostre Receleur de nos mains eschappé,
Attendons-le au retour, pour luy donner atteinte ;

LE BORGNE.

Mais s’il nous apperçoit, il fremira de crainte,
Et fust-il Cû-de-jatte, en ce mesme moment,
Il treuvera des pieds, & fuyra promptement.

LE BRAS-DE-FER.

1035 Cachons-nous donc tous trois, & s’il sort sans escorte,
Battons-le jusqu’à tant que le Diable l’emporte.

Fin du troisiesme Acte.

[K,73]

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

RAGONDE.

Dieu, qu’est-ce que je voy ? n’allons pas plus avant,
De peur de ce Filou, tapy sous cet auvent ;
Mais un autre plus loin s’offre encore à ma veuë,
Les Filous paroissent.
1040 Ils sont deux, ils sont trois, c’est fait, je suis perduë,
Où fuiray-je ? le cœur me bat comme un claquet*,
Et s’ils m’appercevoient, je serois bien du guet.
Heurtons viste, r’entrons.
Elle heurte chez Lucidor d’où elle vient de sortir.

SCENE DEUXIESME. §

LUCIDOR, RAGONDE.

LUCIDOR.

Qu’est-ce qui te r’amene ?

RAGONDE.

{p. 74}
Je tremble.

LUCIDOR.

Qu’as-tu donc ?

RAGONDE.

Trois grands Tireurs-de-laine
1045 Sont au guet à cette heure, & jette dans ces lieux,
La main sur les passans aussi-tost que les yeux ;
Je les viens d’entrevoir, et prenant l’espouvante,
Aussi-tost j’ay heurté plus morte que vivante ;
Mais ils sont disparus, & je cours à l’instant,
1050 Treuver à petit bruit Florinde qui m’attend,
Pour r’avoir ses faveurs*, qu’elle vous redemande,

LUCIDOR.

S’est-il jamais commis d’injustice plus grande ?
Qu’ay-je dit ? qu’ay-je fait ? ha ! malgré son desir,
Je les conserveray jusqu’au dernier souspir,
1055 Et quand mesme la mort aura finy mon terme,
Sous la tombe avec moy je veux qu’on les enferme,

RAGONDE.

C’est là qu’elles seront en lieu de seureté,

LUCIDOR.

{p. 75}
Vouloir m’oster ainsi ce qui m’a tant cousté !
Non, non Ragonde non, retourne-t’en luy dire,
1060 Qu’elle n’obtiendra rien de ce qu’elle desire.

RAGONDE.

Je crains que ce refus n’irrite son courroux,

LUCIDOR.

S’il m’estoit plus cruel, il me seroit plus doux,
Qu’il m’arrache la vie, & je luy rendray grace,

RAGONDE.

Est-il transport* d’Amour qui le vostre surpasse ?
1065 Mais c’est trop m’amuser*.

LUCIDOR.

Que dira-t’elle, helas ?
Revien,

RAGONDE.

Que voulez-vous ?

LUCIDOR.

Rien, rien, poursuy tes pas,

RAGONDE.

{p. 76}
Adieu donc.

LUCIDOR.

Toutesfois, encore une parolle.
A quoy me résoudray-je ?

RAGONDE.

O demande frivole !
Il luy faut obeir.

LUCIDOR.

O trop injuste sort.
1070 Faut-il que ce portrait soit cause de ma mort ?
Clorise l’a perdue par trop de negligence,
Et cependant moy seul j’en fais la penitence,
Sa faute, & mon mal-heur ne peuvent s’esgaler.

RAGONDE.

Vostre bouche a promis de jamais n’en parler,
1075 Mais vous estes Norman, vous pouvez vous dédire.

LUCIDOR.

Ha ! ne te raille point, il n’est pas temps de rire,

RAGONDE.

{p. 77}
Que vous estes Niais de vous taire aujourd’huy,
Quand on punit en vous la sottise d’autruy,
Que dira le pays où vous pristes naissance ?
1080 Luy qui se fait nommer pays de sapience?
Jamais à son dommage on n’y garde sa foy,
Et c’est estre peu fin que d’agir contre soy.

LUCIDOR.

Tu me donnois tantost* des conseils bien contraires.

RAGONDE.

Il faut nouveaux conseils à nouvelles affaires,
1085 Je ne devinois pas ce qui vient d’arriver,
Mais Florinde parest, allons tost la treuver.

SCENE TROISIESME. §

LUCIDOR, FLORINDE, CLORISE, RAGONDE.

LUCIDOR.

Puis-je bien me resoudre à cette perfidie ?
Amour inspire moy ce qu’il faut que je die,
Je viens pour obeyr à vos commandemens,
1090 Vous rendre ce qui fait tous mes contentemens :
Mais du moins, ô merveille ! à mes yeux adorables ; {p. 78}
Apprenez moy, de grace, en quoy je suis coupable.

FLORINDE.

Quoy vostre vanité, temeraire, indiscret,
N’a pas dit que souvent je vous parle en secret,
1095 Et n’a jamais monstré mon portraict à personne?

LUCIDOR.

Non, ou que pour jamais Florinde m’abandonne.

FLORINDE.

Tersandre ne l’a pas arraché de vos mains ?

LUCIDOR.

Tersandre peut-il seul plus que tous les humains ?

FLORINDE.

Il a sceu toutesfois vous contraindre à le rendre.

LUCIDOR.

1100 Ce que je n’avois pas, pouvoit-il me le prendre ?
Helas !

FLORINDE.

Expliquez-vous, sans faire l’estonné.
De ma part ce matin vous l’a-t’on pas donné ? {p. 79}
Quoy vous ne l’aviez pas ? qu’en dites-vous Clorise ?
Vous changez de visage, & paroissez surprise ;
1105 D’où vient ce changement ? parlez.

CLORISE.

Madame.

FLORINDE.

Hé bien,
Vous en demeurez-là ! vous ne dites plus rien.

RAGONDE.

Qui ne prendroit cecy pour une Comedie ?

CLORISE.

Dieu comme on me trahit ! Dieu quelle perfidie !

RAGONDE.

La mesche est descouverte, implorez sa mercy.

FLORINDE.

1110 Je ne la veux plus voir, qu’elle sorte d’icy,
Ou que de mon portraict elle me rende conte.

CLORISE.

Ce conte peut-il bien se rendre qu’à ma honte?
Il est vray, Lucidor ne l’a jamais tenu : {p. 80}
Mais je vous ay caché le malheur advenu ;
1115 Je l’ay perdu, Madame, & n’ozant vous le dire,
Mon silence a causé vostre commun martyre.

FLORINDE.

Dieu ! que me dites-vous ?

CLORISE.

Je vous parle sans fard.

FLORINDE.

Tersandre l’avoit donc rencontré par hazard ?

LUCIDOR.

Il est ainsi, Madame, & j’ay sceu par les armes
1120 Arracher de sa main ce miracle de charmes :
Plus que sa propre vie il feignoit le cherir,
Mais il a mieux aymé le rendre que mourir.

FLORINDE.

De quelle ancre assez noire est digne d’estre escrite
La malice qui regne en cette ame hypocrite ?
1125 Il est esgalement, & meschant, & jaloux.

LUCIDOR.

Cependant on vous force à l’avoir pour Espoux :
Mais à la violence opposons la finesse, [L,81]
Ne peut-on surmonter la force par l’adresse ?
Si vous m’aimez,

FLORINDE.

Quel si ! pouvez-vous en douter ?

LUCIDOR.

1130 À la faveur de l’ombre il nous faut absenter,
L’Amour garde par tout ceux qui luy sont fidelles,
Et pour nous enfuir il nous offre ses aisles ;

FLORINDE.

Cette offre avec honneur se peut-elle accepter ?

LUCIDOR.

En ce pressant besoin* doit-on la rejetter ?
1135 Sauvez-vous, sauvez-moy,

FLORINDE.

Sauvez ma renommée,
Voulez-vous pour jamais me rendre diffamée ?
Ha ! vous ne m’aimez point.

LUCIDOR.

Ha ! si vous pouviez voir,
Ces Esprits* qui me font & parler & mouvoir, {p. 82}
Vous verriez vostre image au plus beau de mon ame,
1140 Et seriés esbloüye, à l’esclat de ma flame*.

FLORINDE.

La mienne n’est pas moindre, & mon contentement
Seroit d’estre avec vous jusqu’au dernier moment,
Mais vous suivre en cent lieux comme une vagabonde !
Que diroit-on de moy ?

LUCIDOR.

Laissez parler le monde,
1145 Et rendez-vous heureuse en me rendant heureux,

FLORINDE.

Mon devoir me deffend de complaire à vos vœux,

RAGONDE.

Enfin que dira-t’il ? enfin que dira-t’elle ?
Vous empesche d’aller où l’Amour vous appelle
Ou quelque bon Frater, estant peu scrupuleux,
1150 Puisse en Catiminy, vous espouser tous deux,

FLORINDE.

Ferois-je cet affront à ceux dont je suis née ?
Ils sçauroient s’en vanger, romproient mon hymenée,
Pesteroient contre moy, retiendroit tout mon bien ; {p. 83}
Et jamais nul mal-heur ne fut esgal au mien.

RAGONDE.

1155 Je croy bien que d’abord quelque Diable en soutane,
Lancera sur vous deux mille traits de Chicane;
Mais contre la justice ayant bien regimbé*,
Il faudra qu’ à la fin ils viennent à jubé*;
Jusqu’au dernier teston* ils rendront la richesse,
1160 Qu’autresfois vostre pere acquit par son adresse,
A-t’on veu Partizan faire mieux son mago*?
Il pondoit sur ses œufs & vivoit à gogo,
Vous estes belle au coffre aussi bien qu’au visage,
Et vingt mille escus d’or sont vostre mariage.
1165 Mais quoy ? si vostre mere un jour y met la main ?
Ces vingt mille Soleils s’esclipseront soudain,
Et n’ayant plus l’esclat dont ils vous font parestre,
Chacun fera semblant de ne vous plus cognoistre ;
Quoy que vous soyez belle on vous mesprisera,
1170 Et nul pour vos beaux yeux ne vous espousera ;
Toutesfois je me trompe, & quand vostre richesse,
Consisteroit sans plus en l’or de vostre tresse,
Lucidor est fidelle, & si coiffé* de vous,
Qu’il feroit vanité de se voir vostre Espoux.

LUCIDOR.

1175 Vostre seule personne a mon ame ravie,
L’esclat de vos grands biens tente peu mon envie ; {p. 84}
Et si quelque mal-heur vous les avoit ostez,
Je n’en serois pas moins captif de vos beautez :
Mais il faut l’un ou l’autre ; ou que je vous enleve,
1180 Ou que de mon Rival l’entreprise s’acheve,
Et qu’on voye à ma honte, & malgré vos efforts,
Cet orgueilleux Démon posseder ce beau corps.

FLORINDE.

Quoy luy me posseder ! puisse plutost la Foudre
Me frapper à vos yeux & me reduire en poudre.
1185 Il n’a bien ny vertu qui me puissent tenter,
Et ses soubmissions* ne font que m’irriter.
Moy sous ses volontez me voir assujettie !
Moy souffrir* qu’on m’attache à mon antipathie !
Non, non, ne craignez rien, je vous tiendray la foy,
1190 Et la mort avant luy triomphera de moy.

LUCIDOR.

Donc la peur de vous voir à son joug asservie
Arresteroit le cours d’une si belle vie !
Je rompray par sa perte un si sanglant dessein,
Ouy cent coups de poignard luy perceront le sein ;
1195 Et si mon action attire vostre blasme,
De ce mesme poignard je coupperay ma trâme*.

FLORINDE.

{p. 85}
Quelle aveugle fureur vous agite aujourd’huy
Jusqu’à le vouloir perdre, & vous perdre apres luy ?
Chassez loin le desir de ce double homicide,

LUCIDOR.

1200 Chassez donc loin aussi cette vertu timide*
Qui s’effroyant de tout vous retient d’eviter
L’orage qui sur vous est tout prest d’esclatter.

FLORINDE.

A la fin vos raisons ébranlent ma constance,
Et ce n’est plus qu’en vain qu’elle y fait resistance :
1205 Donc à ce qu’il vous plaist je veux bien consentir,
Et mesme avant le jour me resoudre à partir ;
Mais lorsque de vous seul estant accompagnée
Je seray pour jamais de ces lieux esloignée,
Ne me demandez rien contre ce que je doy,
1210 Monstrez que vous m’aimez moins pour vous que pour moy ;
Et sans jamais brusler d’une illicite flame*,
Gardez-bien que le corps ne triomphe de l’ame,
Quoy que je vous estime, & vous prefere à tous,
J’ayme encor toutesfois mon honneur mieux que vous
1215 Et si vous l’offensez, je m’osteray la vie.

LUCIDOR.

Quel Demon peut jamais m’en inspirer l’envie ?
Vos seules volontez regleront mes desirs, {p. 86}
Et le bien de vous voir fera tous mes plaisirs.

FLORINDE.

Doncques sur le mi-nuit sans qu’on vous puisse entendre
1220 A la porte secrete ayez soin de vous rendre ;
Mais adieu, quelqu’un vient.
Elle rentre.

RAGONDE.

Dieu ! ce sont ces Filous,

LUCIDOR

Ne crains rien.

RAGONDE

Hé ! tout beau, rengainez, sauvons-nous.

SCENE QUATRIESME. §

LE BALAFRÉ. LE BRAS-DE-FER. LE BORGNE.

LE BALAFRÉ.

Quel bruit chers compagnons a frappé nos oreilles ?
Tandis qu’ainsi tous trois nous beyons aux Corneilles,
1225 Ce maudit Receleur pourroit bien battre aux champs,

LE BORGNE.

{p. 87}
Ce Coquin a bon nez, il prendra mieux son temps ;
Et peut-estre desja sentant nostre partie*,
Il a fait en secret un bransle de sortie.

LE BRAS-DE-FER.

Soit icy, soit ailleurs, je l’attraperay bien,
1230 Et cent coups de baston ne luy cousterons rien :
Mais ferons-nous encor long-temps le pied de gruë,
Attendant chappe-cheute, au coin de cette ruë ?
Filer icy la laine est un pauvre mestier,
Il ne passe personne en ce maudit quartier ;
1235 Mais si quelqu’un y vient, il faut qu’on le destrousse,
Et s’il a bien dequoy nous en ferons carrousse.

LE BALAFRÉ

Je ne treuve rien tel que nager en grand’eau
Volons une maison, & non pas un manteau,
Changeons la bierre en vin, & la menestreen bisque ;

LE BORGNE

1240 Mais garde le Prevost,

LE BRAS-DE-FER

Nous courons peu de risque,
Cet homme environné de Chevaliers errans, {p. 88}
Prend les petits voleurs, & laisse aller les grands,
Mais quand il me prendroit ? si ma faute est punie,
Je mourray pour le moins en bonne compagnie.

SCENE CINQUIESME. §

BERONTE. LE BORGNE. LE BALAFRÉ. LE BRAS-DE-FER.

LE BORGNE.

1245 Silence, Compagnons, quelqu’un marche là bas.

LE BALAFRÉ.

Suivons-le.

LE BORGNE.

Ne bougez, il dresse icy ses pas.

LE BRAS-DE-FER.

Il nous voit, il s’enfuit, attrapons-le à la course.

LE BALAFRÉ.

Je le tiens, peu s’en faut, rends la vie, ou la bourse.

BERONTE.

Là voilà.

LE BALAFRÉ.

{p. M,89}
Quelle est platte ! elle est vide, es-tu fou ?
1250 Tu portes une bourse, & ny mets pas un sou,
Ça le manteau.

BERONTE.

Prenez-le,

LE BALAFRÉ.

Il ne vaut pas le prendre,
Porter du camelot! il gele à pierre fendre ;
Voila bien se mocquer de l’Hyver & de nous,

BERONTE.

Mon Maistre contre moy s’estant mis en courrous,
1255 J’ai happé le taillis, & courant en chat maigre
J’ay pris sans y penser ce manteau de vinaigre.

LE BRAS-DE-FER.

Vrayment la prise est belle,on la doit bien garder,
Mais encore au minois* il faut le regarder,
Sa parolle me trompe ou me le fait cognoistre,
Il prend la lanterne & regardant Beronte au visage il le recognoist.
1260 Ça la Lanterne, hé bien, le voila pas le traistre,
Qui comme un honnest homme a fait courre apres luy,
Ha ! que nous te ferons bonne chereaujourd’huy, {p. 90}
Tu nous as fait cent vols, tu nous as fait cent niches,

BERONTE.

Faites-moy quelque grace, & je vous feray riches.

LE BORGNE.

1265 Aurois-tu quelque part un peu d’argent caché ?

BERONTE.

Ay-je gousset ny poche où vous n’ayez cherché ?
Non, je n’ay pas un sou, mais sçachant vostre addresse,
Je veux vous enseigner un monde de richesse,
Voyez-vous ce logis.

LE BALAFRÉ.

N’avons-nous pas des yeux ?

BERONTE.

1270 Il ne s’y treuve rien qui ne soit precieux,
Personne de deffense à present n’y demeure,
Et faire un si beau vol est l’ouvrage d’une heure,
Une femme s’y tient veuve d’un Partizan,
Qui voloit en un jour plus que vous en un an,
1275 Et qui par un impost qu’il mit sur la vendange,
A fait de son logis un second Pont au Change : {p. 91}
Y peut-on plus de biens l’un sur l’autre entasser,
Tout s’y treuve d’argent, jusqu’aux pots à pisser.

LE BORGNE.

Pour t’eschapper de nous dis-tu point une fable ?

BERONTE.

1280 Ce ne sont que trésors, ou je me donne au Diable,

LE BORGNE.

Et ce riche logis est de facile accez ?

BERONTE.

Nous y pourrons entrer & remplir nos goussets ;
Il regorge de biens cette veuve fertille,
Pour se remarier, de marier sa fille,
1285 Ce mariage est prest, & c’est argent contant,

LE BALAFRÉ.

Hé ! de qui tiens-tu donc, cet advis important ?

BERONTE.

Je le tiens d’une femme avec qui j’ay commerce*,
Le mestier de revendre est celuy qu’elle exerce,
Au deceu dela Veuve, elle y va tous les jours, {p. 92}
1290 Et cognoit de ce lieu les biens & les destours :
Quelquesfois sur la brune* avec elle en cachette,
Elle m’y fait entrer par la porte secrette,
Y reçoit d’une fille habits, nappes & draps,
Et j’en reviens chargé comme un cheval de bats ;
1295 Or si j’en croy mes yeux, cette porte est mal seure,
Ses verroux sont mauvais, mauvaise est sa serrure,
Et de l’ouvrir enfin vous viendrez bien à bout,

LE BRAS-DE-FER.

Avecque nos engins nous entrerons par tout.

BERONTE.

Mais elle a pour deffense un effroyable Dogue,

LE BALAFRÉ.

1300 Je sçay pour l’assoupir une admirable* drogue ;
Et dont en un moment il sentira l’effet.

LE BORGNE.

Puisse mon luminaire estre estein tout à fait,
Si pour y voler tout je ne fais l’impossible,
Y d’eussay-je estre pris, & perce comme un crible.

LE BRAS-DE-FER.

{p. 93}
1305 Et pour ce Bras-de-fer, puissay-je en avoir deux,
Si je ne suis encor plus que vous hazardeux*.

LE BALAFRÉ.

Je me resous aussi de tenter la fortune,
Deussay-je en rapporter cent balaffres pour une :
Mais il s’agist de faire, & non de discourir.
1310 Et depenser plustost à vivre qu’à mourir :
Que Beronte avec moy vienne donc tout à l’heure*,
Pour prendre ce qu’il faut jusques à sa demeure :
Nous y courons ensemble, & dans peu de momens,
Nous reviendrons chargez de divers instruments,
1315 Nous en apporterons pour limer les ferrures,
Et nous servir de clefs à toutes les serrures,

LE BRAS-DE-FER.

Allez, & cependant nous boirons prés d’icy.

BERONTE.

Avant nostre retour, nous trinquerons aussi,
Le vin me rend hardy, quand j’ay beu je fais rage.

LE BORGNE.

{p. 94}
1320 Nous trousserons la pinte & non pas davantage,
Et puis à pas de Loup nous reviendrons daguet,
Pour voir qui va qui vient tous deux faire le guet.

Fin du quatriesme Acte.

{p. 95}

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

LE BRAS-DE-FER. LE BORGNE.

LE BRAS-DE-FER.

Viennent-ils ?

LE BORGNE.

Nullement.
Le borgne regarde si ses compagnons ne reviennent point.

LE BRAS-DE-FER.

Qu’est-ce qui les arreste ?

LE BORGNE.

Ils s’amusent* peut-estre à trinquer teste à teste,
1325 Ces Engoule-bouteille, au gozier tout de feu,
Ne sont pas des Mignons qui boivent pour un peu,
Et n’ozent de rubis enluminer leurs trognes. {p. 96}

LE BRAS-DE-FER.

Mais ne craignez vous point que ces maistres ivrognes
Laissent le jugement au fonds du gobelet,
1330 Et qu’icy jusqu’au jour nous gardions le mulet?

LE BORGNE.

Souvent le Receleur est rond comme une boule,
Mais pour le Balafré rarement il se saoule :
Il boit, mais sans jamais se barboüiller l’armet,
Et son ventre est petit pour tout ce qu’il y met ;
1335 Ses debauches de vin sont en tout monstrueuses,
Et je n’asseure pas qu’il n’ait les cuisses creuses.

LE BRAS-DE-FER.

A ce conte il auroit trois ventres au lieu d’un,

LE BORGNE

Au moins il boit & mange au delà du commun,
N’ayme rien que la table, & n’en sort qu’avec peine,

LE BRAS-DE-FER.

1340 De leur retardement c’est la cause certaine,
Mais on a cent decrets contre ce Balafré,
Et les Archers du Guet l’ont peut-estre coffré.

LE BORGNE.

[N,97]
S’il est pris je le plains il faudra qu’il en meure,

LE BRAS-DE-FER.

C’est à faire à passer quelque mauvais quart-d’heure.

LE BORGNE.

1345 Quand nous en venons là nous sommes bien surpris,
Le Bourreau fait trembler les plus fermes esprits ;
Et la corde à la main dans les lieux où nous sommes,
Quand cet homme gagé pour massacrer les hommes ;
Entre, & de par le Roy, s’en vient nous saluer,
1350 Ce funeste salut suffit pour nous tuër ;
Il nous rompt au milieu d’une publique place,
Et le coup de la mort nous est un coup de grace,
Ce coup est-il receu ? nos membres tous brisez,
Sur quelque grand chemin demeurent exposez,
1355 Sont l’horreur des passans, la butte des tempestes,
Servent d’exemple au peuple, & de pasture au bestes,

LE BRAS-DE-FER.

Vous qui n’estant pas moins sçavant qu’irresolu,
Estes devenu borgne, à force d’avoir leu,
N’avez-vous point appris que ces vaines images,
1360 Ne donnent de l’effroy qu’à de faibles courages ?
Apres que la Justice a nos ans limitez, {p. 98}
Que nous importe-t’il où nos corps soient jettez ?
Qu’ils soient sous des caillous, ou sous des pierreries,
Au milieu des parfums, ou parmy des voiries ;
1365 Posez sur des gibets, ou mis en des tombeaux,
Et soient mangez des vers, ou mangez des Corbeaux ;
Tout est indifferent, ny loüange ny blasme,
Ne touchent un mortel quand il a rendu l’ame,
Et quiconque a du cœur, au lieu de s’estonner,
1370 Regarde d’un oeil sec son destin terminer,

LE BORGNE.

C’est vostre opinion,

LE BRAS-DE-FER.

Que vostre ame est craintive !
La mort est tousjours mort, quelque part qu’elle arrive ;
Et qui finit ses jours couché bien mollement,
Entre les draps d’un lict paré superbement ;
1375 Ne revit pas plutost que qui meurt sur la rouë,
Et mort on est pas mieux dans l’or que dans la bouë ;

LE BORGNE.

On siffle, les voicy ;

SCENE DEUXIESME. §

{p. 99}
LE BALAFRÉ, BERONTE, LE BRAS-DE-FER, LE BORGNE.

LE BRAS-DE-FER.

Doublez doublez le pas,
Falloit-il si long-temps estre à fripper les plats ?
Dix heures ont frappé,

BERONTE.

Je croy qu’il en est onze,
1380 Mais à peine estions-nous prés du Cheval de bronze,
Que le Guet a passé tenant deux grands Filous,
Que nos yeux effroyez ont d’abord pris pour vous ;
Tant ils vous ressembloient d’habit & de visage,

LE BRAS-DE-FER.

La rencontre est fascheuse & de mauvais presage.
1385 Mais il est desja tard,

LE BORGNE.

Ne parlez pas si haut.

LE BRAS-DE-FER.

Nos engins* sont-ils prests ?

BERONTE.

{p. 100}
Voicy tout ce qu’il faut,
Crochets, passe-par tout, lime sourde, tenaille,
Et tant d’autres outils dont nostre main travaille.

LE BRAS-DE-FER.

Le morceau, pour jetter en la gueule du chien,
1390 L’avez-vous apporté ? ne nous manque-t’il rien ?

LE BALAFRÉ.

Tout est prest.

LE BRAS-DE-FER.

C’est assez, allons, la nuict s’avance ;

BERONTE.

J’ay dans la Gibeciere un outil d’importance,
C’est la main d’un Pendu dont je vous feray voir,
En cette occasion l’admirable* pouvoir ;
1395 Mettant à chaque doigt une chandelle noire,
Et prononçant dessus quelques mots du Grimoire ;
J’ose bien asseurer que ceux qui dormiront,
Ne s’éveilleront pas tant qu’elles brusleront ;

LE BORGNE.

Hé ! s’ils sont éveillez ?

BERONTE.

{p. 101}
Ils nous verrons tout prendre,
1400 Sans pourvoir ny parler, ny mesme se deffendre.

LE BRAS-DE-FER.

Quel esprit eust jamais plus de credulité ?
C’est un conte de vieille à plaisir inventé,
Défions-nous tousjours de la force des charmes,
Et ne nous asseurons qu’en celle de nos armes ;

BERONTE.

1405 Mais si par un mal-heur nous sommes apperceus,
Que faire ?

LE BALAFRÉ.

On ne doit point consulter là-dessus,
Il faut que nostre main au carnage occupée,
Passe indifferemment tout au fil de l’espée.

BERONTE.

Je ne tueray jamais, si je n’y suis forcé,

LE BRAS-DE-FER.

1410 La pitié du Barbier est cruelle au blessé,
Et celle du Voleur est cruelle à luy-mesme,
Et le plonge souvent dans un mal-heur extrême, {p. 102}
De nos crimes jamais ne laissons de témoins,
On nous recherche apres avecque trop de soins,
1415 Un Prevost nous attrappe, & puis une potence
Est de nostre pitié la juste recompense ;
Mais devois-tu toy-mesme à ce vol nous porter ?
Pour t’éforcer apres de nous en degouster ?
As-tu cuvé ton vin ? n’es-tu point ivre encore ?

BERONTE.

1420 Le meurtre me déplaist, c’est chose que j’abhorre,
Desrobons plus de bien, & versons moins de sang,

LE BALAFRÉ.

Quoy, desja de frayeur vous devenez tout blanc ?

BERONTE.

Plaise au Ciel que ce vol ne nous soit pas funeste :

LE BALAFRÉ.

Funeste, ou bien heureux, j’y couche de mon reste,
1425 Et quiconque viendra me saisir au colet,
Se verra saluer d’un coup de pistolet.
Mais puis que vous tremblez d’une frayeur si forte,
Au moins faites le guet au prés de cette porte,
Cependant sans tarder nous entrerons tous trois,
1430 Par celle où sur le soir vous entrez quelquesfois, {p. 103}
Nous l’ouvrirons sans bruit, mais non pas sans lumiere
Donnez-nous la Lanterne avec la Gibeciere,
De clartez & d’outils nostre adresse a besoin.

BERONTE.

Seray-je icy tout seul !

LE BALAFRÉ.

Nous n’en serons pas loin,
1435 Prestez l’oreille au bruit, faites la sentinelle,
Et si l’on vous descouvre enfilez la venelle;

BERONTE.

S’il tombe sur mon dos une gresle de coups,

LE BALAFRÉ.

Vous n’avez qu’à siffler, & nous viendrons à vous :

BERONTE.

Tandis que vous viendrez, s’il advient qu’on me tuë,

LE BALAFRÉ.

1440 Que de vaines frayeurs vostre ame est combatuë ;
Nous serons plus heureux, ce mal n’adviendra point,
Adieu, conservez bien le moule du pourpoint.
Ils s’en vont.

BERONTE.

{p. 104}
Conservez bien le vostre, & si l’on vous attrappe,
Et que de ce danger par miracle j’eschappe ;
1445 A quelque question* que vous soyez soubmis,
Ayez tousjours bon bec, beuvez à vos amys,
Allez, & que le Ciel rende vaine la crainte,
Qui m’attaque & me porte une si vive atteinte :
Il me semble desja que tout ce que je voy
1450 Se transforme en Sergent, se vient saisir de moy,
Et m’enferme à cent clefs, où desja d’avanture,
J’ay sans devotion trop couché sur la dure :
Mais où va ce fendant que j’entrevoy de loin,
Lucidor passe pour aller enlever Florinde.
Le manteau sur le nez, marcher l’espée au poing ?
1455 Siffleray-je, ou plutost quitteray-je la place ?
Il passe outre, & mon sang est encor tout de glace,
La crainte qui souvent fait voir ce qui n’est pas,
Vient de me figurer l’image du trepas,
J’ay presque pris la fuite, & j’ay veu ce me semble
1460 En cet homme tout seul cinquante Archers ensemble ;
Je n’avois pas quinze ans, que le vol d’un manteau,
Fit que l’on m’attacha le dos contre un posteau,
Où le cou dans le fer, & les pieds dans la bouë,
Aux passans malgré moy je fis long-temps la moüe :
1465 Je fus marqué depuis à la marque du Roy,
Et si l’on me reprend n’est-ce pas fait de moy ?
Il n’est point de present, d’amy, ny d’artifice, [O,105]
Qui puissent m’exempter d’un infame supplice ;
Il faudra qu’en charette, & suivy du Bourgeois,
1470 J’aille sans violons dancer au bout d’un Bois.
Mais qui cause les bruits qui maintenant s’entendent ?
Et fait que tant de gens & montent & descendent ;
Ce bruit est causé par les Voleurs, qui estant descouverts taschent à se sauver.
Sifflons, sifflons encor ; Ha ! Dieu pas un ne vient,
S’ils ne sont desja pris, qu’est-ce qui les retient ?
1475 Quel battement de pied ! quel cliquetis d’espées !
Quel murrmure confus de voix entrecouppées ?
Fuyons, mais où fuyray-je ! helas de tous costez,
Ce ne sont que Voisins, ce ne sont que clartez :
Ils ont pris ces Filous, ils me cherchent peut-estre,
1480 Et j’en tiens pour long-temps, s’il m’advient de parestre :
Laissons-les donc r’entrer, avant que de partir,
Cependant cachons-nous, j’entens quelqu’un sortir,
Il se cache.

SCENE TROISIESME. §

OLYMPE, RAGONDE, BERONTE, caché.

OLYMPE, seule.

Au Voleur, au Voleur, accourez à mon ayde,

RAGONDE.

Est-ce donc de chez vous que ce grand bruit procede ?
1485 Madame, avec frayeur je me viens d’éveiller, {p. 106}
Et pour vous secourir, je sors sans habiller,

OLYMPE.

Des Larrons sont entrez par la petite porte,
Et nul que Lucidor ne me preste main forte :
Ma maison est perduë.

RAGONDE.

Il se bat comme il faut,
1490 Et seul à ces Coquins fera gaigner le haut,
Mais le voicy.

SCENE QUATRIESME. §

LUCIDOR, OLYMPE, RAGONDE, BERONTE, caché.

LUCIDOR.

Madame, ils ont tous fait retraitte,
Apres s’estre sauvez par la porte secrete ;
Mais qui vois-je à ce coin ?

BERONTE caché.

Dieu ! je tremble d’effroy,
Fends-toy par la moitié, muraille cache-moy,

OLYMPE.

{p. 107}
1495 C’est un Voleur, prenez-le, il faut qu’il rende l’ame,
Entre mille tourmens.

BERONTE.

Grace, grace, Madame
Et je vous sauveray l’honneur avec le bien.

OLYMPE.

Tu fais une promesse où je ne comprens rien :
Mon bien & mon honneur sont-ils prés du naufrage ?
1500 Parle plus clairement, esclaircy ce langage ;
Et si tu m’avertis de quelque trahison,
Je t’exempte de tout, mesme de la prison.

BERONTE.

Donc sur vostre parolle escouter une histoire,
Que d’abord vostre esprit refusera de croire.
1505 Tersandre, qui chez vous se voit combler d’honneur,
Qui fait du magnifique, & tranche du Seigneur,
N’est rien asseurement de tout ce qui vous semble.

OLYMPE.

N’est-il pas honnest-Homme, & riche tout ensemble ?
Ses merites partout aujourd’huy sont prisez,
1510 Et ses biens trop cognus l’ont fait mettre aux Aysez ! {p. 108}

BERONTE.

Qu’en Espions le Roy despend mal d’ordinaire,

OLYMPE.

Qui ne s’explique mieux gaigne autant à se taire :

BERONTE.

Que diriez-vous de luy, si par subtilité,
Ce Matois* abusant vostre credulité,
1515 Estoit le plus grand Gueux que le Soleil regarde ?

OLYMPE.

Où donc auroit-il pris tout ce que je luy garde ?
Ces chaisnes d’or massif ? & ce gros diament ?

BERONTE.

Ce sont chaisnes qu’il fait de cuivre seulement ;

OLYMPE.

Quoy ce n’est pas bon or ? ô grand Dieu quelle bourde*!
1520 Et ce gros diament.

BERONTE.

C’est une happelourde*,
Je l’ay veu travailler, je l’ay servy vingt mois, {p. 109}
Et je sçay les bons tours qu’il a faits mille fois.

OLYMPE.

O mal-heur ! mais je veux que ces biens soient frivoles*,
Ne luy gardons-nous pas deux grands sacs de pistoles;

BERONTE.

1525 Je croy qu’au Roy d’Espagne elles ont cousté peu,
A faire fabriquer.

OLYMPE.

Desnouë, ou romps ce nœu,
Est-il faux Monnoyeur ?

BERONTE.

Il n’a point de semblable,
Pour fondre les metaux, ny pour jetter en sable.

OLYMPE.

O le plus Scelerat du reste des humains ?
1530 Mais pourquoy mettre ainsi ces biens faux en mes mains ?

BERONTE.

Pour éblouir vos yeux, & ceux de sa Maistresse,
Par les trompeurs appas d’une feinte richesse.

RAGONDE.

{p. 110}
Dieu quel Maistre Gonin!

BERONTE.

Il fait bien d’autres coups,
Mais je croirois plutost qu’il les cacha chez-vous,
1535 De crainte que le temps descouvrant toutes choses,
Ne vint à descouvrir chez-luy le pot aux roses;
Et que quelque Grippeur de mauvais Garnements,
Ne le fist malgré luy changer de logement.

LUCIDOR.

Il s’en faut esclaircir.

OLYMPE.

Je n’ay point d’autre envie,
1540 Si ton rapport est vray, je te donne la vie ;
Mais s’il est faux aussi tu sera maltraitté,
Entrons visitons tout.
Elle rentre.

LUCIDOR.

Dis-tu la verité
Mais ne t’ay-je pas veu sous moy porter les armes ?
Ouy c’est toy qui tremblois aux premieres allarmes,
Lucidor recognoist Beronte.
1545 Et dont l’ivrognerie oza tant m’offenser,
Que de ma Compagnie il te fallut chasser. {p. 111}
Tu vivois en pourceau, tousjours la panse pleine :
Mais tu veux t’eschapper, Maraut,

BERONTE.

Mon Capitaine,
Me tiendra-t’on promesse ?

LUCIDOR.

Ouy, si tu ne ments point.

BERONTE.

1550 Que puissent vos Goujats* m’oster gregue* & pourpoint,
Et m’en donner* par tout, si c’est une imposture.

LUCIDOR.

Entre donc, & sans peur vien finir l’avanture.
Ils r’entrent.

RAGONDE, seule.

Que d’un tour si subtil j’ay l’esprit estonné !
Fust-ce Nostra damusl’auroit-il deviné ?
1555 Quoy, ce n’est qu’un Trompeur, qu’un Donneur de bricoles?
Qu’un Attrapeminon, qu’un Rogneur de pistolles,
Qu’un Gueux pour tout potage, encor que tous les jours
Monté comme un sainct Georgeil face mille tours !
Il n’est rien si trompeur qu’une belle apparence,
1560 Comment donc là dessus fonder quelque asseurance ? {p. 112}
Aucun sur ce qu’il voit ne peut prendre party,
Et doit dire à ses yeux, vous en avez menty :
Mais voicy ce Mangeur de charette ferrée,
Qui m’est venu tantost* faire une eschauffourrée*,
1565 Les rayons de la Lune à mes yeux le font voir.

SCENE CINQUIESME. §

TERSANDRE. RAGONDE.

TERSANDRE.

Quels cris ay-je entendus ? ne le puis-je sçavoir ?

RAGONDE.

Ce sont Voleurs, Monsieur, qu’on cherche par la Ville,
Vous sont-ils point cognus ?

TERSANDRE.

La demande est civile,
A qui crois-tu parler ?

RAGONDE.

A qui je ne dois rien.
1570 A qui me cognoist mal, & que je cognois bien.
A qui doit s’en aller vendre ailleurs ses coquilles, [P,113]
A qui croit que je sois Revendeuse de filles.
Et pour me faire affront m’a tenu des propos,
A se faire casser cent bastons sur le dos.

TERSANDRE.

1575 Ha ! je te recognois, mais à cette heure induë,
Que fais-tu toute seule au milieu de la ruë ?
Ayant trop bû d’un coup, tu cherches ton chemin.

RAGONDE.

Je predy presque tout, quand j’ay bû de bon vin,
Et sans aucun aspect d’Estoile, ny de Lune,
1580 Je vous dirois bien-tost vostre bonne-Fortune.

TERSANDRE.

Cognois-tu l’advenir ?

RAGONDE.

Ouy, mieux que le passé,
D’un bizarre trespas vous estes menacè,
Et vous mourrez en l’air faisant la capriole.

TERSANDRE.

Et plus que ton sçavoir, si le mien n’est frivole*,
1585 Avec quelque Commere ayant le verre en main,
Tu mourras en chantant beuvons jusqu’à demain : {p. 114}
J’excuse ton ivresse à nulle autre pareille,
Et je pardonne au vin, mais garde la bouteille.

RAGONDE.

Gardez-vous bien vous mesme, autrement doutez-vous
1590 Que l’on ne vous enferme en la boëtte aux cailloux?
Ne vous desguisez plus, il faut lever le masque,
Songer à la retraitte, & courir comme un Basque;
On vous cherche par tout, & je vous donne advis
De chausser des souliers qui soient sans ponlevis.

TERSANDRE.

1595 Qui dit cette Insensée ?

RAGONDE.

On sçait de vos affaires,
Les feintes maintenant vous sont peu necessaires.

TERSANDRE.

Moy feindre ! moy fuïr ! as-tu perdu le sens ?

RAGONDE.

N’apprehendez-vous point d’estre veu des Passans ?
Que de tous vos bons tours on ne sçache le nombre,
1600 Et que de peur du hasle on ne vous mette à l’ombre ?
Bandez viste la Quaisse, ostez tout de ce lieu, {p. 115}
N’oubliez rien enfin sinon à dire adieu.

TERSANDRE.

Moy ?

RAGONDE.

Vous mesme.

TERSANDRE.

Hé ! qui donc t’a conté cette Fable ?

RAGONDE.

Celuy mesme qui vient.

SCENE SIXIESME. §

TESANDRE. RAGONDE. BERONTE.

TERSANDRE.

Qu’as-tu dis Miserable ?

BERONTE.

1605 Mais vous qu’avez vous fait, m’ayant si mal traitté ?
Pour avoir fait faillite à vostre lascheté ?
Ferois-je le Lyon, quand vous faites la Cane? {p. 116}
Vous avez pris de quoy me sangler comme un Asne ;
Et si ma fuite alors n’eut trompé vostre main,
1610 J’aurois demeuré tard à me lever demain :
Mais n’aguere estant prest, pour un vol d’importance,
D’aller danser sur rien au bout d’une potence ;
J’ay, pour m’en exempter, & me venger aussi,
Fait de vos actions un portrait racourcy :
1615 Ouy, Florinde & sa Mere ont veu de quelle adresse
Vous sçavez des plus fins abuser la finesse :
Ce qu’elles vous gardoient elles l’ont visité,
Je leur en ay fait voir toute la fausseté ;
Et par ce seul moyen j’ay rachepté ma vie,
1620 Qu’un colier trop estroit eust sans doute ravie.

TERSANDRE.

Ha perfide !

RAGONDE.

Tout beau, soyez moins Furibon,
Estant seul contre deux vous n’auriez pas du bon.

TERSANDRE.

Il mourra ; l’Imposteur,

BERONTE.

Rengainez je vous prie,
Ou je me jetteray sur vostre fripperie, {p. 117}
1625 Vous feray sous ma main passer & repasser,
Et jamais Violon ne vous fit mieux danser.

TERSANDRE.

Hé ! je puis d’un valet endurer cet outrage ?

RAGONDE.

Adieu Monsieur l’Escroc.

BERONTE.

Adieu, devenez sage.

TERSANDRE.

Je deviendray Bourreau, pour te rompre le cou.
Tersandre donne un coup de pied à Beronte, & un coup de poing à Ragonde, & s’enfuit.

BERONTE.

1630 Ha Dieu quel coup de pied m’a lancé ce Filou !

RAGONDE.

Ha Dieu quel coup de poing ! je voy mille chandelles.
Au voleur.

BERONTE.

Au secours.

TERSANDRE.

Fuyons.
Il s’enfuit.

BERONTE.

{p. 118}
Il a des aisles.

SCENE DERNIERE. §

OLYMPE. LUCIDOR. FLORINDE. RAGONDE. BERONTE.

LUCIDOR.

Qui donc crie au voleur ? D’où provient ce grand bruit ?

RAGONDE.

Des coups que m’a donnez ce Fourbe qui s’enfuit.
Ragonde & Beronte r’entrent pour courir apres Tersandre.

LUCIDOR.

1635 Madame, laissez-moy, je sçauray le poursuivre.
Lucidor veut courir apres Tersandre, mais Olympe & sa fille l’en empeschent.

OLYMPE.

Pour sa punition il le faut laisser vivre,
Cependant mon honneur est blessé vivement,
Par le honteux dessein de cet enlevement :
Mais il a fait tout seul l’heureuse descouverte,
1640 De ces Voleurs de nuict qui conspiroient ma perte ;
Et sans qui toutesfois mon esprit abusé, {p. 119}
M’auroit donné pour gendre un Filou desguisé.
Puis donc que vostre espée à ce poinct m’a servie,
Qu’elle a sauvé mon bien, mon honneur, & ma vie,
1645 Je vous pardonne tout, & vous promets encor,
Que Florinde jamais n’aura que Lucidor.

LUCIDOR

O charmante promesse !

FLORINDE

O faveur non commune !

OLYMPE

Allez vous reposer, benissez la Fortune
Qui fait que dés demain pour finir vos langueurs,
1650 L’Hymen joindra vos corps, comme Amour joint vos cœurs.

Fin du cinquiesme & dernier Acte.