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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Gabriel Gilbert. Les Amours d'Ovide. Pastorale héroïque. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 30 sc. 451 répl. 2,9 l. 1 322 l. 1 322 l. 36 % 3 679 l. (100 %) 2,8 pers.
LES GRACES 2 sc. 4 répl. 11,1 l. 185 l. (14 %) 45 l. (4 %) 25 % 867 l. (24 %) 4,7 pers.
grace-2 1 sc. 1 répl. 0,7 l. 28 l. (3 %) 1 l. (1 %) 3 % 84 l. (3 %) 3,0 pers.
grace-3 1 sc. 1 répl. 2,4 l. 28 l. (3 %) 2 l. (1 %) 9 % 84 l. (3 %) 3,0 pers.
OVIDE 14 sc. 134 répl. 3,3 l. 857 l. (65 %) 445 l. (34 %) 52 % 2 709 l. (74 %) 3,2 pers.
CORINNE 10 sc. 71 répl. 2,2 l. 618 l. (47 %) 159 l. (13 %) 26 % 2 130 l. (58 %) 3,4 pers.
CEPHISE 18 sc. 114 répl. 2,3 l. 844 l. (64 %) 258 l. (20 %) 31 % 2 619 l. (72 %) 3,1 pers.
HYACINTHE 13 sc. 91 répl. 2,9 l. 782 l. (60 %) 266 l. (21 %) 34 % 2 526 l. (69 %) 3,2 pers.
MAXIME 2 sc. 5 répl. 12,9 l. 107 l. (9 %) 65 l. (5 %) 61 % 344 l. (10 %) 3,2 pers.
DAPHNIS 2 sc. 7 répl. 3,5 l. 86 l. (7 %) 24 l. (2 %) 29 % 283 l. (8 %) 3,3 pers.
AMINTE 4 sc. 13 répl. 1,7 l. 80 l. (7 %) 22 l. (2 %) 28 % 206 l. (6 %) 2,6 pers.
CELIE 2 sc. 9 répl. 1,6 l. 43 l. (4 %) 15 l. (2 %) 35 % 90 l. (3 %) 2,1 pers.
L’AMOUR 1 sc. 1 répl. 20,3 l. 20 l. (2 %) 20 l. (2 %) 100 % 20 l. (1 %) 1,0 pers.
Gabriel Gilbert. Les Amours d'Ovide. Pastorale héroïque. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
LES GRACES
OVIDE
7 l. (39 %) 1 répl. 6,5 l.
11 l. (62 %) 1 répl. 10,4 l.
1 sc. 17 l. (2 %) 5,0 pers.
LES GRACES
HYACINTHE
14 l. (95 %) 2 répl. 6,6 l.
1 l. (6 %) 1 répl. 0,8 l.
1 sc. 14 l. (2 %) 5,0 pers.
grace-2
grace-3
1 l. (23 %) 1 répl. 0,7 l.
3 l. (78 %) 1 répl. 2,4 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 3,0 pers.
OVIDE 18 l. (100 %) 1 répl. 17,9 l. 1 sc. 18 l. (2 %) 1,0 pers.
OVIDE
CORINNE
72 l. (60 %) 27 répl. 2,6 l.
48 l. (41 %) 25 répl. 1,9 l.
6 sc. 119 l. (10 %) 3,9 pers.
OVIDE
CEPHISE
163 l. (73 %) 51 répl. 3,2 l.
64 l. (28 %) 46 répl. 1,4 l.
7 sc. 226 l. (18 %) 3,7 pers.
OVIDE
HYACINTHE
178 l. (59 %) 51 répl. 3,5 l.
129 l. (42 %) 52 répl. 2,5 l.
8 sc. 306 l. (24 %) 3,6 pers.
OVIDE
MAXIME
5 l. (8 %) 2 répl. 2,1 l.
52 l. (93 %) 3 répl. 17,3 l.
1 sc. 56 l. (5 %) 3,0 pers.
OVIDE
DAPHNIS
2 l. (19 %) 1 répl. 1,2 l.
6 l. (82 %) 1 répl. 5,2 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 4,0 pers.
CORINNE
CEPHISE
60 l. (50 %) 24 répl. 2,5 l.
62 l. (51 %) 30 répl. 2,0 l.
6 sc. 121 l. (10 %) 3,8 pers.
CORINNE
HYACINTHE
27 l. (55 %) 13 répl. 2,0 l.
22 l. (46 %) 7 répl. 3,1 l.
4 sc. 48 l. (4 %) 4,3 pers.
CORINNE
CELIE
26 l. (66 %) 9 répl. 2,8 l.
14 l. (35 %) 8 répl. 1,7 l.
1 sc. 39 l. (3 %) 2,0 pers.
CEPHISE 55 l. (100 %) 3 répl. 18,0 l. 3 sc. 54 l. (5 %) 1,0 pers.
CEPHISE
HYACINTHE
60 l. (40 %) 21 répl. 2,8 l.
90 l. (61 %) 25 répl. 3,6 l.
6 sc. 149 l. (12 %) 3,7 pers.
CEPHISE
AMINTE
21 l. (57 %) 14 répl. 1,5 l.
16 l. (44 %) 12 répl. 1,3 l.
4 sc. 36 l. (3 %) 2,6 pers.
HYACINTHE 21 l. (100 %) 1 répl. 20,1 l. 1 sc. 20 l. (2 %) 1,0 pers.
HYACINTHE
MAXIME
2 l. (11 %) 2 répl. 0,7 l.
13 l. (90 %) 1 répl. 12,1 l.
1 sc. 14 l. (2 %) 3,0 pers.
HYACINTHE
DAPHNIS
4 l. (17 %) 3 répl. 1,1 l.
18 l. (84 %) 5 répl. 3,5 l.
2 sc. 21 l. (2 %) 3,3 pers.
MAXIME
DAPHNIS
1 l. (35 %) 1 répl. 0,8 l.
2 l. (66 %) 1 répl. 1,5 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 4,0 pers.
L’AMOUR 21 l. (100 %) 1 répl. 20,3 l. 1 sc. 20 l. (2 %) 1,0 pers.

Gabriel Gilbert

1663

Les Amours d'Ovide. Pastorale héroïque

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Valérie Louchart
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Gabriel Gilbert, Les Amours d'Ovide. Pastorale héroïque, Paris, Chez Guillaume de Luynes, 1663.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

LES
AMOURS
D’OVIDE.
PASTORALE HEROIQUE. §

[A ij]

A MONSEIGNEUR
COLBERT
CONSEILLER DU ROY
En tous ses Conseils, & Intendant
De ses Finances. §

MONSEIGNEUR,

Il y a long-temps que j’aurois pris la liberté de vous dedier quelques-uns de mes ouvrages, sans les grandes affaires qui vous occupent continuellement ; cela me faisait apprehender de vous dérober quelques-uns de ces momens precieux que vous employez à executer les ordres du Roy. Mais comme feu S.E a bien voulu quelquefois se delasser l’esprit dans la lecture de mes écrits ; j’ai crû que vous n’auriez pas desagreable que j’eusse l’honneur de vous presenter celuy-cy, & que j’entreprisse quelque jour de faire vostre Eloge. Vous ne pouviez jamais avoir une marque plus infaillible de vostre merite*, que l’estime* que ce grand Ministre a faite de vous, & le choix que S.M en a fait en suite pour l’administration de ses finances, la chose la plus delicate & la plus importante d’un Estat. Les Romains qui estoient de sages Politiques, éprouvoient par ces charges la fidelité & la suffisance* de leurs Citoyens ; Il vous est fort glorieux, MONSEIGNEUR, que ce soit dans le temps que vous avez le maniement des finances que la France ait commencé à faire des largesses, & que le Roy ait répandu ses libéralitez sur la fleur* des gens de Lettres de ce Royaume, & les actions illustres* des plus grands Monarques ne suffisent pas pour les rendre immortels, si quelqu’un ne prend soin d’en conserver la memoire. Mais ces excellents Genies sur qui S.M a fait éclater* ses bienfaits, n’en seront pas ingrats, & feront retentir son Nom de siecle en siecle, & d’un bout du monde jusques à l’autre. Le regne de Louys XIV se rendra plus fameux à la posterité que celuy du II. des Cesars : sous la domination d’un Prince plus parfait qu’Auguste, les Armes & les Sciences fleuriront dans cét Empire avec plus d’éclat* qu’elles n’ont fait autrefois dans Rome. Ovide, cét illustre* malheureux, après en avoir esté injustement exilé, vient chercher un azile dans cette Cour ; il espere estre mieux receu en France que dans sa propre patrie & se promet* que vous aurez la bonté d’estre son Protecteur : son crime n’est que d’avoir esté trop galant*, & d’avoir enseigné un Art, sans qui la moitié du monde seroit ennemie de l’autre. Ce Chevalier Romain ayant faire l’Art de plaire, qui a esté admiré de toute la terre ; j’ai crû que je pourrois faire une Comedie de luy, qui ne déplairoit pas. Depuis plusieurs années j’ay mis en lumiere divers Escrits en vers & en prose, sans en avoir tiré autre avantage que de les avoir presentez à ce que la France avoit de plus Auguste & de plus Eminent. Bien que nous soyons dans un temps où les Muses sont mieux traitées par les Graces ; de quelques maniere que l’on considere mes ouvrages, je m’estimeray assez heureux, si vous ne me refusez pas l’honneur de vostre protection*, & si vous me permettez de prendre la qualité,

MONSEIGNEUR,

De vostre tres-humble & tres-obeïssant serviteur,

GILBERT.

EXTRAICT DU PRIVILEGE du Roy. §

Par Grace* & Privilege du Roy donné à Paris le dix-neufiesme Juillet 1663.signé par le Roy en son conseil MARESCHAL; Il est permis à CLAUDE BARBIN, Marchand Libraire, de faire imprimer, vendre & débiter* une Comedie intitulée, Les Amours d Ovide par Monsieur Gilbert, & ce durant le temps & espace de sept ans ; & deffences sont faites à tous les autres d’ imprimer, vendre et debiter* ledit livre sans permission dudit Barbin, à peine de mil livres d’amande, & de tous despens, dommages & interets, comme il est porté plus amplement par lesdites Lettres.

Et ledit Barbin a fait part de son Privilege à Guillaume de Luyne, & Estienne Loyson, pour en jouir le temps porté par iceluy.

Achevé d’imprimé pour la premiere fois le 20 Aoust 1663.

PROLOGUE
DES
GRACES. §

TALIE, une des GRACES.

Nous sommes de Venus les compagnes fidelles,
Qui venons presider aux festes solemnelles,
Que l’Amour, pour charmer* ses regrets infinis,
Fait celebrer dans Cypre en l’honneur d’Adonis.
De cinq ans en cinq ans, une pompe* si belle
Par l’ordre de Venus tousjours se renouvelle :
Le premier jour on donne un pris à la beauté ;
Le second à l’amant* qui l’a mieux mérité ;
Et le troisiéme jour cette Isle fortunée*,
Voit descendre du Ciel le pompeux* Hyménée,
Qui joint de nœuds sacrez & de chaisnes d’aymant,
La plus parfaite Nymphe au plus parfaict Amant*.
Afin qu’heureusement on aborde en cette Isle,
Tant que la feste dure, on voit la mer tranquille :
Et les petits Amours de roses couronnez,
Tiennent dessus les flots tous les vents enchaisnez :
Excepté seulement le gracieux* Zephiré*,
Qu’Eole laisse en paix regner dans son Empire,
Qui prend soin des Vaisseaux qui voguent vers ce bord,
Et d’un soufle amoureux les conduit dans le port.
Mais parmi tant d’Amans & d’illustres Amantes,
Qui brillent à l’envi de qualitez charmantes*,
Et de toutes les Cours viennent dans cette Cour*,
Afin de disputer* les Couronnes D’Amour,
Ovide avec Corinne, Hyacinthe & Cephise,
A qui ce Dieu vainqueur a ravi la franchise*,
Sont les plus renommez qui vivent sous ses loix
Et sont les seuls aussi dont nous avons fait choix,
Ce Grec & ce Romain, tous deux d’illustre* race,
Desguisez en pasteurs* auront beaucoup de grace*,
Et la Mere d’Amour en faveur d’Adonis*,
Veut que sous ces habits on dispute les prix.

2.GRACE.

Allons donc, donner ordre* à la Ceremonie.

3.GRACE.

Pour combler les Amans d’une gloire* infinie,
De l’élite* des fleurs qui naissent dans ces lieux,
Allons pour couronner leurs fronts victorieux.

ACTEURS. §

  • LES GRACES.
  • OVIDE. Chevalier Romain.
  • CORINNE. Maistresse* d’Ovide Dame Romaine.
  • CEPHISE, Nymphe de l’Isle de Cypre.
  • HYACINTHE, Amant* de Cephise
  • MAXIME, Confident* d’Ovide.
  • DAPHNIS, Confident* d’Hyacinthe.
  • AMINTE, Confidente* de Cephise.
  • CELIE, Confidente* de Corinne
  • L’AMOUR, Finit la Piece.
La Scene est en l’Isle de Cypre, dans les Jardins d’Adonis.

RECIT. §

Venez, Amans, dans ces beaux lieux,
Où par l’ordre de Citherée
Les Graces descendent des Cieux,
Pour venir presider à la Feste sacrée ;
Venez voir Triompher sur les flots applanis
Venus & les Amours en faveur d’Adonis.
{p. 7}

ACTE I §

SCENE PREMIERE. §

HIACINTHE, OVIDE.

HIACINTHE.

Et bien, que dites-vous de cette Isle sacrée,
Des plus beaux feux du jour en tous temps esclairée,
Où regnoit Adonis, où Venus tient la Cour* ;
Où l’on vient disputer* des Climats* d’alentour,
5 La Pomme d’or qu’Amour donne à la plus parfaite ;
Où ce Dieu recompense une flame* discrette ;
Où celle qu’on couronne icy publiquement,
Elle mesme est le prix du plus parfait amant* ?
La ville des Cesars est-elle plus galante*  ?
10 Qu’en croit Ovide enfin ?
{p. 8}

OVIDE.

Cette Isle est plus charmante* ;
Ses heureux habitans pour la gloire* sont nez,
Et de tous les mortels sont les plus fortunez*.
Rome ne voit les Dieux qu’en statuë, en peinture,
Ils sont presens en Cypre, & non pas en figure*.
15 La Celeste Venus, & les Graces encor
Font dans ce doux climat* revoir le siecle d’or.
Le soleil n’y produit que d’agreable choses,
Les champs y sont couverts de Myrrhes & de Roses ;
Des ruiseaux de cristal coulant parmi les fleurs
20 Conservent leur fraicheur & leurs vives couleurs ;
Il n’est rien de plus doux que l’air qu’on y respire,
Tout y rit, tout y plaist, d’aise l’on y souspire ;
Et des bois d’orangers sont des nuits en plain jour,
Où l’on peut decider* tous les doutes* d’Amour.

HYACINTHE.

25 Nos Nymphes à vos yeux sont-elles agreables ?

OVIDE.

Vos Nymphes à mes yeux sont toutes admirables*,
La blancheur de la neige éclate sur leur tein
Et leur levre est d’un feu qui jamais ne s’esteint ; [B ; 9]
De leur esprit charmant* l’entretien* est si rare,
30 Que c’est un labyrinthe où la raison* s’égare ;
On ne peut sans peril voir souvant tant d’appas*.

HYACINTHE.

Ovide s’en plaint-il ?

OVIDE.

Non, je ne m’en plains pas.

HYACINTHE.

Vous sçavez adoucir la beauté la plus fiere*,

OVIDE.

Si je me puis vanter de sçavoir l’art de plaire,
35 Le secret est d’aymer, si l’on veut estre aymé.

HIACINTHE.

Quelque Nymphe en ces lieux vous a-t-elle charmé* ?

OVIDE.

La plus belle, Hiacinthe a ravy ma franchise*.

HIACINTHE.

Mais quelle est-elle enfin ?
{p. 10}

OVIDE.

C’est l’aymable* Cephise.

HIACINTHE.

Vous aymeriez Cephise ! ah ! je ne le croy pas.

OVIDE.

40 Quoy ! pour se faire aymer, manque-t’elle d’appas* ?

HIACINTHE.

Elle n’en a que trop, elle n’est que trop belle.

OVIDE.

Pourquoi doutez*-vous donc, que je brulle* pour elle ?

HIACINTHE.

Mon plus parfait amy seroit-il mon Rival ?

OVIDE.

L’Amour & l’amitié ne s’accordent* pas mal ;
45 Car comme l’amitié naist de la ressemblance,
Celle à qui vous pensez, est celle à qui je pense.
{p. 11}

HIACINTHE.

Afin de destourner ce fatal* accident*,
D’abord* de mon Amour je vous fis confident*,
Et vous dis que mon cœur souspiroit pour Cephise.

OVIDE.

50 J’usay vers vous d’abord* de la mesme franchise*,
Et vous dis que Corinne avoit sceu m’enflammer*.

HIACINTHE.

Mais je ne l’ayme pas.

OVIDE.

Vous la pouvez aymer,
Sans que pour ce sujet Ovide vous querelle*.

HIACINTHE.

Je n’ayme que Cephise, & je luy suis fidelle ;
55 Mais mon Amour est grand, il est né dés longtemps.

OVIDE.

J’ayme autant en un jour, qu’un autre ayme en dix ans.
{p. 12}

HYACINTHE.

Pour demeurer amis que devons-nous donc faire ?

OVIDE.

Continuer tous deux de tascher* à luy plaire,
Et que le moins heureux la cede à son Rival,
60 Sans en estre jaloux, ni luy vouloir de mal ;
Puis qu’elle est à nos yeux esgallement* aymable*,
Prenons donc ce party* que je croy raisonnable*.

HYACINTHE.

J’y consens volontiers.

OVIDE.

Et moy pareillement.
Depuis cinq ans entiers qu’Hyacinthe est amant*,
65 Parlons en vrais amis sans user de finesse*,
A-t’il quelques faveurs* de la belle Maistresse* ?

HYACINTHE.

Nulle.

OVIDE.

Je ne la sers* pour moy que depuis peu,
Et devant ses beaux yeux j’ay fait briller* mon feu* :
Mais malgré sa pudeur* & sa vertu* severe*,
70 A mon ardente* Amour elle n’est point contraire, {p. C ; 13    }
Et pour me tesmoigner qu’elle m’ayme en effet,
C’est qu’elle a bien voulu recevoir mon portrait.

HYACINTHE.

Je ne puis aisement croire* cette nouvelle.

OVIDE.

Elle porte un miroir dont la glace est fort belle,
75 Mon portrait est derriere, & vous le pourrez voir
En tirant le ressort fort facile à mouvoir ;
Vous pouvez aisement voir Cephise à toute heure,
Puisque nous habitons cette aymable* demeure,
Et que ceux qu’on choisit pour disputer* les prix,
80 Logent durant la feste aux Jardins d’Adonis.
L’habit que nous portons donne quelque licence*.

HYACINTHE.

Des mœurs du premier siecle il fait voir l’innocence ;
Encor qu’il soit modeste*, il est fort glorieux*[,]
L’Amour change en Bergers les Heros & les Dieux.
85 Mais j’apperçoy Cephise & Corinne avec elle. {p. 14}

OVIDE.

Il faut dissimuler nostre illustre* querelle* ;
Vous ayant en amy descouvert mon secret,
Vous sçaurez en user* en confident* discret.

SCENE II. §

OVIDE, HYACINTHE, CEPHISE, CORINNE, AMINTE, CELIE.

OVIDE.

Nous venons admirer vostre rare merite*,
90 Et nous avions dessein de vous rendre visite,
Mais vos esprits charmants*, dont les cœurs sont tentez,
Sont des traits* dangereux contre nos libertez.
L’agreable Cephise & l’aymable* Corinne,
Par leur majesté* douce & leur grace* divine,
95 Des deux sexes vaincus triomphans dans ce jour,
L’un pleure de despit*, & l’autre meurt d’amour.

HYACINTHE.

Ovide, à qui vos yeux ont causé tant de peine,
Prise* la beauté Grecque & la beauté Romaine, {p. Cij ; 15}
Et croit que toutes deux on vous doit couronner ;
100 Les Graces toutesfois n’ont qu’un prix à donner.

CORINNE.

La parfaite beauté, dont mon sexe se pique*,
De mesme que le prix, icy bas est unique.

HYACINTHE.

Chaque beauté diverse a sa perfection,
Selon le goust divers de chaque nation.
105 Le Danube & le Pô vantent dessus leurs rives,
Avec les cheveux blonds les couleurs les plus vives,
Mais avec un teint brun, l’air* & la majesté*,
Remportent chez les Grecs le prix de la beauté.
Celuy qu’avec justice on donne dans cét Isle,
110 A qui veut l’obtenir est assez difficile :
Il faut pour meriter un prix si glorieux*,
Les charmes de l’esprit & la douceur des yeux ;
La pomme qu’on reçoit par les mains de Thalie,
Est pour la plus aymable* & la plus accomplie*.

OVIDE.

115 Mais il en faudrait deux pour ces rares beautés,
Qui brillent à l’envy d’aymables* qualitez ;
Pour rendre la justice, & plaire à tout le monde,
Il faudrait couronner & la brune, & la blonde. {p. 16}

CEPHISE.

S’il n’est qu’une beauté, qu’une Venus aux Cieux,
120 Ovide sur la Terre en peut-il trouver deux ?

OVIDE.

Je les rencontre en vous par un bonheur extreme,
Mon sentiment s’accorde* avec le vostre mesme ;
Si l’une & l’autre aspire au prix qu’on donne icy,
Vous croiez toutes deux le meriter aussi.

CEPHISE.

125 Cent Nymphes avec nous à cét honneur pretendent*,
Et de tous les costez à cét Isle se rendent ;
Mais les Graces de qui nous recevons la loy,
Ont fait choix seulement de Corinne & de moy,
Je puis de leurs faveurs* m’esbloüir la premiere ;
130 Si cét heureux Climat* dont je tiens la lumiere,
N’avoit accoustumé* de remporter le prix,
Jamais ce doux espoir n’eut flatté* mes esprits,
Sans l’amour du païs, qui dans mon cœur domine,
J’aurais voulu ceder cét honneur à Corinne,
135 Voyant en ma Rivale esclatter tant d’appas* ;
Quoy qu’il puisse arriver, je n’en rougiray pas,
Soit que je sois vaincuë, ou que je la surmonte*,
J’auray beaucoup de gloire*, ou j’auray peu de honte*. {p. Ciij ; 17}

CORINNE.

A vos rares beautez on doit tout accorder* ;
140 Quoy que jusques icy rien ne m’ait veu ceder,
Je n’aurois pas voulu vous disputer* la pomme,
Pour mon seul interest*, sans interest* de Rome.
Mais ma gloire* estant jointe à celle des Romains,
Qui se font admirer entre tous les humains,
145 Je dois pour leur honneur faire voir à la terre,
Qu’ils triomphent en paix, ainsi que dans la guerre.
L’amour de mon païs m’embraze comme vous,
Et me flatte* l’esprit d’un espoir aussi doux ;
Bien que de mille attraits* esclatte ma rivale,
150 Qu’au jugement des Grecs, elle soit sans esgalle,
Et que de toutes parts on vienne l’admirer,
Je crains moins toutesfois que je n’ose esperer ;
Soit que je sois vaincuë, ou que je la surmonte*,
J’auray beaucoup de gloire*, ou j’auray peu de honte*.

OVIDE.

155 Les desirs de la gloire* esgaux entre vous deux,
Sont pour vostre amitié des escueils dangereux,

CEPHISE.

Nostre amitié n’est pas comme l’amour d’Ovide
Sujet au changement, elle est pure & solide. {p. 18}

CORINNE.

Ouy, nous servons d’exemple aux plus parfaits amans,
160 Nous avons toute deux les mesmes sentiments,
Nous n’avons l’une & l’autre & qu’un cœur, & qu’une ame.

OVIDE.

Vous osez comparer vos froideurs* à ma flamme,
Vostre amitié de glace à mon ardante* amour ?
Si je m’expliquois mieux, je ferois mal ma Cour*.

CORINNE.

165 Achevez, achevez, dites tout sans rien craindre.

HYACINTHE.

Croiez-vous que leurs cœurs soient capables de feindre* ?

OVIDE.

Ouy leur sexe jamais ne s’ayme à bien parler,
Il y a trop d’interests* sans cesse à demesler* ;
Sa beauté, ses amans, & l’amour de la gloire*,
170 Le desir d’emporter en tous lieux la victoire,
Et sa grande fierté* qui ne veut rien ceder,
Avec l’amitié ne peut s’accorder*.
Pour m’expliquer encor avec plus de franchise*,
Corinne asseurément ne plaist point à Cephise, {p. 19}
175 Ny Cephise à Corinne, & son cœur en secret
Hait ce qu’elle a d’aymable*, & le voit à regret.
Plus leur merite* est grand, plus leur charme est visible,
Et plus leur jalousie est grande, est invincible.
Mais je sçay un secret admirable* pour vous,
180 D’aymer parfaitement.

CEPHISE.

Quel est-il ?

OVIDE.

Aymez nous,
Aymez, aymez Ovide, & l’aymable* Hyacinthe,
Car pour vostre amitié ce n’est rien qu’une feinte*,
L’on la verra finir avant la fin du jour,
Quand les Graces seront au Tribunal d’Amour,
185 Et que l’on vous verra briller* en leur presence,
Vous n’aurez plus alors aucune complaisance* ;
Mais pour joüir d’un bien plus durable & plus doux,
Ne dissimulez plus, l’une & l’autre aymez nous.

CEPHISE.

Il y faudra penser.

OVIDE.

Et vous belle Corinne
{p. 20}

CORINNE.

190 J’y veux penser aussi.

OVIDE.

Ne faites point la fine*,
Mais pensez tout de bon, sans croire* les flatteurs*,
Que la beauté n’est rien sans les adorateurs ;
Les Dames ont raison d’apprehender leur perte,
L’Amante sans Amans n’a qu’une Cour* deserte :
195 Et les yeux les plus beaux, sans le flambeau d’Amour
Sont aussi mal-heureux que des peuples sans jour.
Où voulez-vous aller ?

CORINNE.

Au bord de la fontaine.

OVIDE.

Je vais vous y conduire, agreable inhumaine.
{p. D; 21}

SCENE III. §

CEPHISE, HYACINTHE.

CEPHISE.

Ovide ne sçauroit la quitter un moment,
200 Il tesmoigne par là, comme il l’ayme ardemment.

HYACINTHE.

Il ne l’ayme pas seule, & quelqu’autre l’engage*.

CEPHISE.

Je connois son humeur*, il est un peu volage ;
Bien qu’il ayme à changer, Corinne a des appas*
Qui peuvent l’arrester.

HYACINTHE.

Elle n’en manque pas.

CEPHISE.

205 Pour elle il a laissé la Princesse Julie,
Et pour la suivre en Cypre il quitte l’Italie.
{p. 22}

HYACINTHE.

Il ne vient en ces lieux que pour voir les beautez,
Que cette feste attire icy de tous costez.

CEPHISE.

Je sais qu’il est galand*, qu’à chacune il en conte ;
210 Depuis un mois au plus qu’il est dans Amathonte,
Pour diverses beautez on l’a veu souspirer,
Et son cœur à plus d’une ose se declarer ;
Lors que* de quelque appas* une Nymphe est pourveuë,
Dés qu’il la voit, il l’aime.

HYACINTHE.

Ovide vous a veuë.

CEPHISE.

215 Il me vient visiter, sans qu’il me soit suspect,
Je sçais à qui m’approche inspirer le respect.

HYACINTHE.

Si vos grandes vertus font que l’on vous admire,
Vostre merite* aussi fait que chacun souspire.
Vos appas* sont si doux, vos regards si charmans,
220 Qu’ils donnent de l’esclat* aux moindres ornemens, [ 23]
De ce miroir sur vous la glace paraist belle.

CEPHISE.

La bordure en est riche, & la façon nouvelle,
Et le Preteur m’en fit present hier au soir.

HYACINTHE.

Le peut-on voir de pres ?

CEPHISE.

Oüy, vous le pouvez-voir.

HYACINTHE.

225 Un present si galand ne vous doit* pas desplaire.

CEPHISE.

Il falut l’accepter par l’ordre de mon pere,
Et sans son ordre expres* je l’aurois refusé,
Il eut peû s’offenser, & je n’ay pas osé.

HYACINTHE, voyant le portraict d’Ovide.

Dieux, qu’est-ce que je voy ! ma surprise est extréme !
{p. 24}

CEPHISE.

230 Que regardez-vous tant ?

HYACINTHE.

Regardez-le vous mesme ?

CEPHISE.

C’est le portrait d’Ovide.

HYACINTHE.

Ah ! n’en rougissez pas ;
Et si l’original a pour vous des appas*,
Contentez vos desirs, gardez-en la peinture :
Il faut bien me resoudre à souffrir* cette injure* ;
235 Puisque vous le voulez.

CEPHISE.

N’en soiez point jaloux.
Je suis plus estonnée & surprise que vous ;
J’ignorois qu’un portrait…

HYACINTHE.

N’en soiez point confuse*,
Et vers un mal-heureux ne cherchez point d’excuse.
Faut-il qu’un Estranger arrivé sur ces bords,
240 Qui n’a point ressenty mes amoureux transports*. [E ; 25]
Rende par son bonheur mes esperances vaines,
Me ravisse en un jour le fruit de tant de peines,
Et m’oste pour jamais l’objet* de mes desirs,
Sans qu’il lui couste helas ! ni larme, ni souspirs ?
245 Avant que mon Rival acheve mes disgraces*,
Nous paraistrons tous deux au Tribunal des Graces ;
Et si leur juste Arrest ne me vient secourir,
J’auray du cœur assez pour vaincre, ou pour mourir.

SCENE IV. §

CEPHISE, AMINTE.

CEPHISE.

Il s’en va sans m’oüir, & me laisse confuse*,
250 Et malgré ma vertu* mon silence m’accuse.
Aminte ; cours apres, vas t’en le rappeller,
Dis luy mes desplaisirs*, que je luy veux parler.
Mais ce seroit en vain ; que luy puis je respondre ?
Sa presence ne peut servir qu’à me confondre.
255 Vas t’en plutost chercher Ovide promptement,
Qu’il me vienne trouver sans tarder un moment
Il se promene au parc ; vas, cours en diligence*. {p. 26}

SCENE V. §

CEPHISE, seule.

De ce perfide Amant* je veux prendre vengeance,
Luy seul asseurément m’a fait ce lasche trait ;
260 Par addresse au miroir il a joint son portrait,
Et veut persuader avec cette imposture,
Que l’original plaist dont on a la peinture.
Ah ! si je le convainc* de ce crime, ô Dieux !
Je le veux pour jamais eloigner de mes yeux ;
265 Ovide sentira jusqu’où va ma colere.    265
Mais puis-je le bannir sans irriter mon pere ?
Il prend son interest*, parce qu’il est Romain,
Et voudroit m’obliger à luy donner la main.
Bien qu’aux plus grands de Cypre il doive sa naissance,
270 D’un simple Chevalier il cherche l’alliance
Afin d’avoir l’appuy de Rome & du Preteur.
Un crime est-il si grand, dont l’amour est autheur ?
Mais puis-je le souffrir* après un tel outrage ?
Ovide est un trompeur, un perfide, un volage.
275 D’une fausse faveur* s’il s’est desja vanté,
Que ne diroit-il point, s’il estoit mieux traité ?
Je veux pour m’en vanger, & montrer mon addresse,
A qui m’oste un Amant*, oster une Maistresse*. [Eij ; 27]
Mais je le voy paroistre, il faut l’entretenir*,
280 Et cacher le dessein que j’ay de le punir.

SCENE VI. §

CEPHISE, OVIDE.

CEPHISE.

De vostre procedé je suis fort en colere.

OVIDE.

Si je n’ay jamais eu dessein que de vous plaire,
Je ne puis deviner d’où naist vostre courroux.

CEPHISE.

Ce pourtrait-là vient-il du Preteur, ou de vous ?

OVIDE.

285 Ce pourtrait vient de moy, n’en soyez pas surprise ;
M’estant donné moy-mesme à la belle Cephise,
Je pouvois bien encor luy donner mon pourtrait.
{p. 28}

CEPHISE.

Pouviez-vous m’offenser par un plus lasche trait ?
Par cette invention, par ce beau stratageme,
290 Vous voulez faire croire* à chacun qu’on vous ayme.

OVIDE.

Si l’on vouloit m’aymer, je serois fort discret,
Et je n’en parlerois non plus que mon pourtrait.

CEPHISE.

Vous n’en avez pas fait confident* Hyacinthe.

OVIDE.

C’est donc-là le sujet qui cause vostre plainte ;
295 Vous ne craignez donc pas, à parler franchement,
La perte de l’honneur, mais celle d’un Amant*;
Vous estes de l’humeur* dont sont toutes les belles,
Qui faisant tous les jours des conquestes nouvelles,
N’ayment pas à rien perdre, & veulent chaque jour
300 Augmenter leur Empire, & voir grossir leur Cour*.
Pour nuire à mon rival, si mon pourtrait le chasse
Cephise n’y pert rien, car je remplis la place ;
Sans faire trop le vain* je pourrois me vanter,
D’en estre moins indigne & la mieux meriter :
305 Vous n’emportez sur luy qu’une obscure victoire ; [Eiij ; 29]
Je puis plus noblement servir à vostre gloire*.
Et mon ardent* amour connu de toutes pars,
Qui m’a rendu fameux à la Cour* des Cesars,
Pour vous adorer seule & vivre dans vos chaines,
310 Veut mespriser pour vous les plus belles Romaines,
Ces superbes* beautez qui troublent le repos
Des plus sages mortels & des plus grands heros ;
Pour faire plus d’honneur à Cephise, à la Grece,
Je quitteray pour vous une Auguste Princesse,
315 De qui tout l’Univers doit recevoir la loy,
Et vous triompherez & de Rome & de moy.

CEPHISE.

Vous mesprisez pour moy ces illustres* Amantes,
Vous me les immolez lors qu'*elles sont absentes,
Ces superbes* beautez ; mais à vostre retour
320 Vous me sacrifirez tout de mesme* à mon tour.

OVIDE.

Qu’à croire* mon Amour vous estes difficile !
Vous en faut-il donner des preuves dans cette Isle ?
Voulez-vous que pour vous j’abandonne Phriné,
Breseïs, Celimene, Amarante, & Daphné ?
325 Ces Nymphes apres vous sont dans Cypre vantées.

CEPHISE.

Vostre esprit inconstant les a desja quittées.

OVIDE.

Que dois-je faire donc ? commandez librement. {p. 30}

CEPHISE.

Il faut abandonner Corinne seulement.

OVIDE.

Entre tant de beautez pourquoi choisir Corinne ?

CEPHISE.

330 Parce qu’en vostre cœur je croy qu’elle domine.

OVIDE.

C’est vostre illustre* amie.

CEPHISE.

Et vostre amante aussi.

OVIDE.

Apres avoir fait voir mes respects jusqu’icy,
Je ne puis me resoudre à luy faire un outrage.

CEPHISE.

Et moy je ne veux point d’un cœur qui se partage

OVIDE.

335 De cet ordre cruel je suis un peu surpris. {p. 31}

CEPHISE.

On ne peut toutesfois m’aspaiser qu’à ce prix.

OVIDE.

Un billet luy dira ce que je n’ose dire.

CEPHISE.

Au sortir de ces lieux vous le pourrez escrire.
Je le feray tenir apres fort seurement.

OVIDE.

340 J’en prendray bien le soin, n’en doutez* nullement.

CEPHISE.

Non, non, je veux le voir, & l’envoyer moi-mesme.

OVIDE.

C’est trop se deffier* d’un Amant* qui vous ayme.

CEPHISE.

Je le veux.

OVIDE.

Je rendray vos desirs satisfaits. {p. 32}

CEPHISE.

Vous me l’envoyrez donc.

OVIDE.

Ouy, je vous le promets.

CEPHISE.

345 Mais puis-je m’assurer sur de telles promesses,

OVIDE.

Vous seule l’emportez sur toutes mes Maistresses*
Et mon esprit touché d’un charme si puissant.
Si c’estoit trop peu d’une en immoleroit cent.
[F ; 33]

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

CEPHISE, AMINTE.

CEPHISE.

Tu dis qu’on a rendu le billet à Corinne,
350 N’a-t-on point observé qu’elle eut l’humeur* chagrine* ?

AMINTE.

On n’a rien remarqué dans tout son entretien*.

CEPHISE.

Corinne a de l’esprit, & dissimule bien ;
Pour ne luy plus laisser aucun sujet de plainte,
As-tu desabusé le constant Hyacinthe ?
355 Du trait qu’on m’a joüé, sçait-il la verité ?

AMINTE.

Daphnis m’est venu voir, à qui j’ay tout conté, {p. 34}
C’est le meilleur amy qu’il ait dans toute l’Isle.

CEPHISE.

C’est assez.

AMINTE.

Mais ce soin me paroist inutile
De le desabuser, si vous ne l’aymez pas,
360 Si ce fidel Amant* est pour vous sans appas*.

CEPHISE.

J’ay destourné l’effet de son dessein funeste*,
Quand on a de l’esprit, l’on devine le reste.

AMINTE.

Il a fort constamment adoré vos beautez ;
Mais Ovide fait voir cent rares qualitez,
365 Il a l’air* fort galand, & l’esprit admirable*.

CEPHISE.

S’il estoit moins changeant, il seroit plus aymable*.

AMINTE.

Duquel des deux Rivaux recevez-vous les vœux ?

CEPHISE.

Je ne t’en diray rien, devine si tu peux ; {p. 35}
Je ne ressemble point à ces faibles Amantes,
370 Qui dans leurs passions* veulent des confidantes* ;
Et si jamais d’aymer je prenois quelque soin,
Je ne voudrois avoir que mon cœur pour tesmoin.

AMINTE.

Avec ce noble orgueil vous estes fort à plaindre,
S’il faut aux yeux de tous sans cesse vous contraindre.
375 Et mal traiter souvent un Amant* qui vous plaist.

CEPHISE.

Finissons ce discours, car Corinne paraist,
Et vient confidemment me dire une nouvelle,
Dont je suis l’origine, & que je sçais mieux qu’elle.
{p. 36}

SCENE II. §

CEPHISE, CORINNE, AMINTE.

CEPHISE.

Qu’avez-vous fait d’Ovide ? où l’avez-vous laissé ?
380 A vous suivre partout il fait fort l’empressé*.

CORINNE.

Depuis qu’il m’a conduite au bord de la fontaine,
Je ne l’ay point reveu, ny n’en suis point en peine.

CEPHISE.

Quand il ne vous suit pas, c’est un fort grand hazard*.

CORINNE.

Je viens de recevoir un billet de sa part.

CEPHISE.

385 Où sans doute* il vous peint son ardeur amoureuse.
[G ; 37]

CORINNE.

Je veux vous le montrer.

CEPHISE.

Je suis peu curieuse
De sçavoir vos secrets.

CORINNE.

Je n’en ay point pour vous,
Vous aurez du plaisir à voir ce billet doux.

CEPHISE.

Puis que vous le voulez, je m’en vais donc le lire

AMINTE, à Cephise tout bas.

390 C’est ce que par vostre ordre Ovide vient d’escrire.

PREMIER BILLET.
à Corinne.

Corinne, si vostre merite*
Est dans Rome admiré de tous,
La Nymphe pour qui je vous quitte,
Brille dans ces lieux plus que vous ;
395 Sans m’accuser d’estre infidelle, {p. 38}
Pour aymer ce que Cypre a de plus glorieux*,
Accusez seulement la nature & les Dieux,
Qui vous firent naistre moins belle.

Ovide.

CORINNE, apres que Cephise a leu le billet.

Le procedé d’Ovide & bien vous surprend-il ?

CEPHISE.

400 Il est fort peu galand, & beaucoup incivil*.

CORINNE.

Il me donne congé d’assez mauvaise grace*.

CEPHISE.

Ah ! je m’en vengerais estant en vostre place,
Et quoy qu’il me pût dire apres de pareils traits
Avecque moy jamais il ne feroit la paix :
405 On a de mauvais* yeux alors qu’on vous mesprise.

CORINNE.

De ce second billet vous serez plus surprise,
Que luy mesme m’avoit escrit auparavant.

CEPHISE.

S’il est du mesme stile, il escrit trop souvant. [Gij ; 39]

CORINNE.

Vous verrez.

SECOND BILLET
A Corinne.

CEPHISE.

410 Quand je vous escriray que je manque de foy*,
De ce billet forcé ne soyez point surprise,
Imputez ce crime à Cephise,
Et n’en blasmez l’Amour, ny moy ;
Plaignez un mal-heureux dans cette conjoncture,
415 Et de vostre Rivale accusez la rigueur ;
Je luy prestay ma main pour vous faire une injure*,
Mais pour vous en vanger je vous donne mon cœur.

Ovide.

CEPHISE, ayant leu le second billet.

Il nous joüe*, & la galanterie*,
A ne rien desguiser, passe* la raillerie ; {p. 40}
Il faut pour le punir, nous vanger toutes deux,
420 Si Corinne y consent.

CORINNE.

De bon cœur je le veux ;
Mais pour bien reüssir comment faudra-t’il faire ?

CEPHISE.

Il faut dissimuler nostre juste colere,
Et luy dire en raillant, pour tromper ce trompeur,
Que nous voulons sçavoir qui des deux a son cœur ;
425 Et que prisans beaucoup un merite* si rare,
Pour l’une de nous deux il faut qu’il se declare.

CORINNE.

S’il s’explique* pour vous ?

CEPHISE.

S’il s’explique* pour moy,
Vous pourrez l’accuser de vous manquer de foy*,
S’il s’explique* pour vous, je pourray tout de mesme*
430 Le blasmer justement d’une inconstance extreme ;
Ainsi lors qu’*il pretend* nous joüer aujourd’huy,
Toutes deux de concert nous nous joüerons de luy. {p. 41}

CORINNE.

Il vient tout à propos, l’occasion est belle.

CEPHISE.

De peur qu’il n’imagine une ruse nouvelle,
435 Ne perdons point de temps, & le poussons à bout*,
Raillons cet inconstant qui se raille de tout.

SCENE III. §

OVIDE, CEPHISE, CORINNE.

OVIDE.

Il n’est pas à propos que je les voye ensemble,
Il faut me retirer.

CEPHISE.

Il s’en va ce me semble ;
De peur qu’il ne s’echappe, il faut le rappeler ;
440 Ovide, revenez, où vouliez-vous aller ?
Et quoy ? nous fuyez-vous.

OVIDE.

Vous sçavez le contraire, {p. 42}
Et que mon plus grand soin est celuy de vous plaire ;
J’ay creû que vous vouliez vous parler en secret,
Et je me retirois.

CEPHISE.

Vous estes trop discret.

OVIDE.

445 Je puis une autre fois vous rendre ma visite.

CEPHISE.

Non, il faut demeurer, vous n’en estes pas quitte.

OVIDE.

Ah ! tout est découvert.

CORINNE.

Il change de couleur.

CEPHISE.

Il a quelque soupçon, & prevoit son mal-heur.

CORINNE.

Nous voulons vous parler de chose d’importance. {p. 43}

OVIDE.

450 Ne retenez donc point mon esprit en balance.

CEPHISE.

Ces billets obligeans, dites, sont-ils de vous ?

OVIDE.

Que leur diray-je, ô Dieux !

CEPHISE.

Parlez, respondez nous ?

OVIDE.

C’est par galanterie*

CEPHISE.

Elle est un peu trop forte ;
Vostre inconstante humeur* en use* de la sorte,
455 Mais vos billets nous font un trop sensible* affront*.

OVIDE.

Que l’une ait le premier, & l’autre le second ; {p. 44}
Vous les lirez tous deux sans en avoir de honte*,
L’une & l’autre loüée y trouvera son conte,
Car chacune y verra preferer sa beauté.

CEPHISE.

460 Et chacune y verra vostre infidelité.
Ovide en nous joüant a montré trop d’audace ;
Mais pour luy son merite* a demandé sa grace*,
Et nous luy pardonnons pour la premiere fois,
Pourveû que sur le champ son amour fasse un choix.

OVIDE.

465 De deux objets* charmans le choix est difficile ;
Celuy que je ferois pourroit estre inutile,    
Ne pouvant deviner laquelle de vous deux
Veut m’estre favorable & recevoir mes vœux* ;
Mais faites choix de moy plustost ou l’une ou l’autre,
470 Puis que ma volonté se regle par la vostre ;
Sans faire le cruel, je donneray mon cœur    
A celle qui pour moy quittera sa rigueur ;
Elle ne risque rien, fort seure d’estre aymée.

CEPHISE.

Vous contez donc pour rien, l’honneur, la renommée ?
475 Pour un esprit galand c’est mal faire la Cour*, [H ; 45]
Que de nous obliger à vous parler d’amour ;    
Mon sexe en doit donner*, & le vostre en doit prendre,
Rendez-nous le respect que vous nous devez rendre,
Quittez cette humeur* vaine*, & nepretendez* pas.
480 Que mon sexe orgueilleux fasse les premiers pas.

OVIDE.

J’en ay déjà fait deux d’une importance extrême,
Alors qu’à toutes deux j’ay declaré que j’ayme,
Sans avoir dans vos cœurs excité la pitié.

CEPHISE.

En vouloir aymer deux, c’est trop de la moytié.

OVIDE.

485 Je vous l’ay dê-ja dit, ce chois n’est pas facile.

CORINNE.

Pour vous en exempter, la ruse est inutile.

OVIDE.

Et quoy ? Corinne aussi parle donc contre moy ?

CORINNE.

Ovide à toutes deux ayant manqué de foy*,
Nous voulons aujourd’huy malgré son inconstance, {p. 46}
490 Sçavoir a qui son cœur donne la preferance.

OVIDE.

Vous tenez toutes deux mes esprits suspendus,
Aux merites* pareils mesmes respects sont deus,
Rien n’esgalle icy-bas mes divines Maistresse* ;
Et celuy qui fut Juge entre les trois Deesses,
495 Avec tout son esprit n’eust pas peû decider*
Entre vos deux beautez laquelle doit ceder ;
Si je vous parle donc sans aucun artifice,
Ne me contraignez pas à faire une injustice,
Dont l’une de vous deux se pourroit repentir.

CEPHISE.

500 Nous sommes dans un doute*, & voulons en sortir.

OVIDE.

Au lieu de persister dans cette injuste envie,
Partagez toutes deux les heures de ma vie,
Comme vous partagez mes desirs & mon cœur ;
Je veux bien avoüer que j’ay plus d’un vainqueur,
505 Mon ardeur sans pareille à vos beautez ressemble,
Et j’ayme plus moy seul, que deux constans ensemble ;
Je sçay m’accommoder à divers sentimens,
Et deux Amours parfaits valent bien deux Amans.

CEPHISE.

Puis que nous condamnons vostre humeur* inconstante, {p. 47}
510 Il ne faut qu’un Amour, & qu’une seule Amante.

CORINNE.

Aymer celle où vos yeux rencontrent plus d’appas*.

OVIDE.

Qui sera celle ô Dieux ! que je n’aymeray pas ?
Helas !

CEPHISE.

Par cet helas ! il va monstrer sa flamme.

CORINNE.

Il s’en va descouvrir les secrets de son ame.

CEPHISE.

515 Il me fait les yeux doux.

CORINNE.

Il me serre la main.

CEPHISE.

Il faut vous expliquer, vous l’evitez en vain.

OVIDE.

Je ne puis dire rien, ayant trop à vous dire, {p. 48}
Et je m’explique assez, alors que je souspire.

CORINNE.

A laquelle de nous addressez-vous vos vœux ?
520 Pour qui sont ces souspirs, dites ?

OVIDE.

Pour toutes deux.

CEPHISE.

Sans nous entretenir* d’une flame importune,
Pour n’en pas perdre deux, il en faut choisir une.

OVIDE.

Ainsi l’une de vous m’oblige à la trahir.

CORINNE.

Et bien, nous le voulons.

OVIDE.

Il faut vous obeïr,
525 Puis qu’à me conserver vous prenez quelque peine,
Si vos rares beautez n’ont point pour moy de haine, [ I ; 49]
Pour vous mieux meriter, & pour se rendre heureux,
Ovide doit agir en Amant* genereux* ;
Mais si ma passion* suivoit icy la vostre,
530 Si je preferois l’une en presence de l’autre,
Et si j’osois luy faire un affront* esclattant,
Je serois incivil* pour paraistre constant :
Pour ne rien faire donc contre la bienseance,
Et d’un pas dangereux sortir avec prudence,
535 Sans blesser mon honneur, ny vous faire rougir,
Voyez comme l’Amour me conseille d’agir :
Celle à qui je rendray la premiere visite,
Sera celle où mon cœur trouvant plus de merite*,
Jusqu’au dernier souspir fait dessein d’adorer,
540 Adieu, pour ce beau choix je vais me preparer

CEPHISE.

Si nous habitons tous cette belle demeure,
Nous nous rencontrerons aisément à toute heure.

OVIDE.

J’iray voir tout expres dans son appartement,
Celle que j’aymeray le plus parfaitement.

CEPHISE.

545 Que son addresse est grande !

CORINNE.

Elle n’a point d’esgalle. {p. 50}
Il sort adroitement d’un amoureux dédalle.

CEPHISE.

Nous sçaurons malgré luy, lors qu’*’il fera le choix,
De laquelle des deux il veut prendre des loix.

SCENE IV. §

CORINNE, CELIE.

CORINNE.

Ovide ayme Cephise, & l’ingrat la respecte.
550 Sa maniere d’agir me doit* estre suspecte,
De concert avec moy de Rome il est party,
Des raisons* l’obligeoient à prendre mon party*.
Un serment mutuel l’un à l’autre nous lie,
Nous avons fait des loix en partant d’Italie,
555 Sur les sacrés Autels en presence des Dieux,
Qu’il devoit observer jusques dedans ces lieux.
{p. Iij ; 51}

CELIE.

Plus de ces belles lois vous faites un mystere,
Plus je brusle d’oüir ce que vous voulez taire.
Vous avoit-il promis d’estre un jour vostre Espoux ?

CORINNE.

560 Non, & ce sont des loix secretes entre nous.

CELIE.

Si c’est d’estre constant, il en tient peu de conte*,
Tel qu’il estoit dans Rome, il est dans Amathonte.

CORINNE.

Je le cheris pourtant, tout volage qu’il est ;
Qui l’escoute, l’admire, & des qu’il parle, il plaist.

CELIE.

565 D’ordinaire l’amour naist de la ressemblance.

CORINNE.

Voudrais-tu, comme luy, m’accuser d’inconstance ?

CELIE.

De l’air* dont bien souvant on vous en voit user*,
On a grande raison* de vous en accuser ;
Un amant* vous suffit dans Rome, ou dans cette Isle ? {p. 52}

CORINNE.

570 L’Amour n’en voudroit, qu’un, mais la gloire* en veut mille ;
Une ame ambitieuse en a tousjour trop peu,
Pour orner son Triomphe.

CELIE.

Ah Dieux ! l’estrange aveu !
Quand vous parlez ainsi, j’ay bien peine à vous croire*.

CORINNE.

Tu ne sçais pas encor ce que c’est que la gloire* :
575 D’un double honneur mon sexe a l’esprit combattu,
L’un naist de la beauté, l’autre de la vertu* ;    
La vertu* s’est acquise une estime* assez forte,
Mais tousjour la beauté dans le monde l’emporte ;
L’une en fort petit nombre a ses admirateurs,
580 Mais l’autre fait la foulle & les Adorateurs.

CELIE.

Mais cette foulle aussi perd nostre renommée.

CORINNE.

La honte* vient d’aymer, & l’honneur d’estre aymée,
L’on conte nos attraits en contant nos Amans, {p. Iiij ; 53}
Leur perte ou leur mesprit fait nos secrets tourmens* ;
585 C’est la raison* qui fait que je souffre avec peine    585
Qu’Ovide qui m’aimoit ose rompre la chaisne.
Mais pour le rengager*, il faut le traiter mal.

CELIE.

Quel Amant* pourriez-vous luy donner pour Rival,
Qui peust avec sujet luy donner* de la crainte ?

CORINNE.

590 Je veux pour son Rival luy donner Hyacinthe.

CELIE.

Vous ne sçauriez jamais faire un plus digne choix,
Mais si Cephise aussi le range sous ses loix,
Ce dessein hazardeux* vous doit rendre timide*.

CORINNE.

Je ne luy tens des retz que pour reprendre Ovide,
595 Et ne hazarde* rien. Mais il vient à propos ;
Voy si j’entens bien l’art d’enchaisner le Heros.
{p. 54}

SCENE V. §

CORINNE, HYACINTHE, CELIE.

CORINNE.

Je viens vous annoncer une heureuse nouvelle.

HYACINTHE.

Rien de facheux* ne sort d’une bouche si belle ;
Mais mon Astre à me nuire est si fort obstiné,
600 Que je n’ose esperer de me voir fortuné*.

CORINNE.

Hyacinthe en la fleur de ses jeunes années,
Par ses hautes vertus vaincra les destinées.

HYACINTHE.

Si mon sort se pouvoit changer par la valeur,
Mon amour est si grand qu’il vaincroit mon mal-heur ;
605 Mais le cruel destin m’oste toute esperance.

CORINNE.

Hyacinthe est cent fois plus heureux qu’il ne pense ; {p. 55}
Une jeune beauté, l’ornement de ces lieux,
Qui parmi ces Captifs conte des Demy-Dieux.
Connoissant vos vertus n’a point pour vous de hayne.

HIACINTHE.

610 L’excés de mes ennuis*, la grandeur de ma peine,
M’ostent avecque l’espoir la curiosité.

CORINNE.

Si vous sçaviez le nom de l’illustre* beauté,
Qui m’oblige à vous faire un glorieux* message,
Vous changeriez bientost d’humeur* & de langage.

HYACINTHE.

615 Puis que de son estime* elle fait un secret,
Vouloir sçavoir son nom c’est paraistre indiscret*.

CORINNE.

Sa pudeur* cache un feu que sa raison* fait naistre,
J’en avois dit assez pour la faire connaistre,
Lors que* j’ay dit qu’elle est l’ornement de ces lieux ;
620 Mais je m’en vais encore vous la depeindre mieux.
C’est celle qui pretend* de remporter la pomme    
Sur toutes les beautez de la Grece & de Rome ; {p. 56}
Qui connoist vos vertus, mais qui jusqu’à ce jour
N’a point encore voulu vous montrer son amour,
625 Et s’est tousjour fait voir aussi fiere* que belle.

HIACINTHE.

Je reconnois Cephise, à ces marques, c’est elle,
Seule elle peut causer ma joye & mon ennuy,
Qu’avez-vous de sa part à me dire aujourd’huy ?
Ah ! de grace* achevez, pour finir mon martire.

CORINNE.

630 A Dieu, je me raillois, & n’ay rien à vous dire.

SCENE VI. §

HIACINTHE, seul.

Je ne puis rien connaistre à cet obscur discours,
Elle dit qu’elle vient pour me donner secours.
Et tourne, en me quittant, ma peine en raillerie,
De son dessein Amour, instruis moy je te prie ?
635 Cette fiere* beauté m’a descouvert ses feux,
Ovide est son Amant*, en voudroit-elle deux,
Que puis-je imaginer, non Corinne m’abuse,
De ce stille trompeur je reconnois la ruse,
Elle agit de concert avecque mon Rival, [K ; 57]
640 Et veut que son amour me devienne fatal* :
Elle feint de m’aymer, & de parler pour elle,
Pour faire soubçonner que je suis infidelle :
Afin qu’apres Cephise avec quelque équité
Me puisse reprocher cette infidelité.
645 Mais sans qu’Ovide ait part au mal qu’on me veut faire,
L’intrigue du portrait me doit* assez deplaire,    
Pour luy faire sentir les traits de mon courroux.
Et pour m’abandonner à des transports* jaloux.
Sans pousser* un Rival ny marcher sur ses traces,
650 Attendons un arrest de la bouche des Graces,
Qui brilleront* demain sous ces ombrages vers.    
Pour me faire Justice aux yeux de l’Univers.
Apres si ce perfide excite encore ma haine,
Malgré l’orgueil du Tybre & la grandeur Romaine,
655 Je luy feray santir dans mon ressentiment,
Que rien n’est à couvert des fureurs d’un Amant*.
{p. 58}

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

OVIDE, CORINNE.

OVIDE.

Dieux, j’aperçois Corinne ! esvitons sa presence ;
Puisque c’est par rencontre*, elle est sans consequence.

CORINNE.

Alliez vous me chercher dans mon appartement ?

OVIDE.

660 Puis que vous en sortez, ce seroit vainement,
Corinne, escoutez moy, sans faire la cruelle ;
Où voulez vous aller ?

CORINNE.

Où la gloire* m’appelle, {p. 59}
Je vais chercher le prix que vous me refusez,
Ingrat[.]

OVIDE.

Je ne sçay pas dequoy vous m’accusez.

CORINNE.

665 Que m’aviez vous promis au rivage du Tybre,

OVIDE.

D’adorer vos beautez, sans cesser d’estre libre.

CORINNE.

N’avons-nous pas tous deux fait de secrettes loix,
Qui ne nous laissent plus la liberté du choix ?

OVIDE.

Pour les mieux observer apres les avoir faites,
670 Je les porte avec moy toûjours sur des tablettes,
Et n’en ay violé pas une asseurement.    

CORINNE.

Pour estre convaincu lisez-les seulement.

OVIDE.

Puis que vous l’ordonnez, je vais vous satisfaire, {p. 60}
Et vous n’aurez aprez nul reproche à me faire,

ARTICLES SECRETS

Accordez entre Ovide & Corinne, en
partant de Rome pour aller en l’Isle de
Cypre.

I. ARTICLE.

675 Avant que de partir de cette Auguste Cour*,
Nous jurons sur l’Autel d’Amour,
De garder l’un pour l’autre une foy* mutuelle,
Et d’avoir de nous plaire un desir violent,
Tant qu’Ovide sera galand*,
680 Et que Corinne sera belle.

II. ARTICLE.

Nous voulons pour joüir du plus parfait bonheur,
Que chacun suive son humeur*,
Sans Jalousie & sans murmure*,
Que l’on ne parle point du facheux* nom d’espoux,
685 Et que tousjours l’Hymen soit banni d’avec nous,
Comme un oiseau funeste* & de mauvais* augure.
[L ; 61]
Pour esloigner tous les soucis*,
Qui troublent les Amans transis,
Nous voulons un amour qui soit exempt d’allarmes*,
690 Qui n’ait ny prisons ny liens,
Et ne mesle en ses entretiens*
Jamais de regrets ny de larmes.
Sans nous piquer* d’estre constants,
Nous voulons tous deux en tous temps
695 Offrir & recevoir des vœux* & des caresses ;
Et que tousjour en liberté,    
Chacun puisse de son costé,
Faire divers Amans & diverses Maistresses*.
Pour laisser un champ libre à nos jeunes Amours,
700 Et dans la fleur de nos beaux jours
Voir couronner nos fronts de plus d’une victoire,
Sans que des liens de l’un, l’autre soit envieux,
Ovide peut chercher les plaisirs en tous lieux,
Et Corinne par tout la gloire*.

OVIDE apres avoir leu les cinq articles.

705 De violer ces lois puis-je estre convaincu ?

CORINNE.

Non, mais vous le ferez, quand vous aurez tout leû. {p. 62}
Tournez donc le feüillet, pour voir la principale,
Qui parle en ma faveur & contre ma Rivale ;
Cet article important sert à mes interests*.

OVIDE.

710 Je l’avois oublié.

CORINNE.

Vous l’oubliez exprés.

VI. & dernier ARTICLE.

Alors que nous serons dans l’Isle de Venus,
Où mille charmes* inconnus
Ont une secrette puissance ;
De quelque aymable* objet*, qu’Ovide soit tanté,
715 Pour l’interest* de la beauté,
Corrine sur toute autre aura la preference.

CORINNE.

Et bien n’avez-vous pas violé cette loy ?

OVIDE.

Non, & Corinne a tort de se plaindre de moy.

CORINNE.

Ne me deviez-vous pas preferer à Cephise ? [Lij ; 63]

OVIDE.

720 N’est-il pas temps encore ?

CORINNE.

Parlons avec franchise*,
Vous l’aymez fort.

OVIDE.

Nos loix ne me defendent pas
De porter en tous lieux mes desirs & mes pas :
Je cherche le plaisir & vous cherchez la gloire*.

CORINNE.

Je dois sur ma Rivale emporter la victoire ;
725 Dites donc la raison* qui vous fait differer
De me tenir parole & de me preferer,
Vous me l’avez promis, & cét écrit vous lie.

OVIDE.

Attendez que le prix soit donné par Thalie,
Et si son jugement dans des lieux si charmans
730 Ne s’accorde* pas bien avec vos sentimens,
Si Thalie aujourd’huy vous fait une injustice,    
Quand Cephise avec vous paroistra dans la lice, {p. 64}
Je jure par vos yeux dont les traits sont si doux,
Que mon cœur aussi-tost s’expliquera* pour vous,
735 Et se declarera devant toute la Grece.

CORINNE.

De ce discours subtil* je reconnois l’adresse*,
Vous voulez que le Ciel couronne nos appas*.
Avant vous declarer, pour ne me tromper pas.
Mais si j’obtiens le prix avec cet avantage*,
740 Je verray si je dois recevoir vostre hommage.

OVIDE.

Un Dieu sçaura pour moy flechir vostre rigueur,
Vous allez remporter & la pomme & mon cœur,
Avec juste raison* vous y pouvez pretendre*.

SCENE II. §

CELIE, CORINNE, OVIDE.

CELIE.

Dans la place des jeux les Graces se vont rendre,
745 Et vostre Char est prest.

OVIDE.

La place n’est pas loing ; [Liij ; 65]
Je fais des vœux pour vous, l’Amour m’en est tesmoin.

CORINNE.

Je vais voir quel succez aura mon entreprise* ;
Adieu, fidel Amant* de la belle Cephise.

SCENE III. §

OVIDE seul.

Je fais des vœux pour elle, afin qu’elle ait le prix,
750 Sa Rivale pourtant regne sur mes esprits ;
Et bien qu’aux yeux de tous Corinne soit plus belle,
Cephise a pour me plaire une grace* nouvelle ;
Et ce qu’elle a d’aymable* avec la nouveauté,
Est un charme assez grand pour en estre tenté :
755 Corinne est plus coquette & plus ambitieuse,
Mais Cephise est plus prude & bien plus amoureuse.
Celle qui dans son sein estouffe ses soupirs,
Accroist par ses refus l’ardeur de ses desirs ;
Moins on parle d’amour, plus on le sent dans l’ame ;
760 La plus chaste en son cœur a des sources de flamme,
Que l’on void desborder apres comme torens, {p. 66}
Quand les desirs vainqueurs deviennent ses tyrans.
C’est ce qui rend Cephise à mes yeux plus charmante*.
D’autre costé Corinne a l’humeur* plus galante*,
765 Elle a milles attraits pour r’allumer mes feux,
Je les veux si je puis, conserver toutes deux,
Et s’il faut faire un choix, je veux suivre les traces
De celle qu’aujourd’huy vont couronner les Graces.
Mais mon Rival paroist, escoutons ce jaloux,
770 Sans avoir contre luy ny haine, ny courroux.

SCENE IV. §

HYACINTHE, OVIDE.

HIACINTHE.

Je vous rends l’amitié que vous m’aviez jurée.

OVIDE.

La vostre à ce discours* est de courte durée ;
Mais lors qu’*on fait dessein de rompre avec[que] moy,
Il est juste du moins qu’on me dise pourquoy.

HYACINTHE.

775 De ce que l’on a fait, on garde la memoire,
L’intrigue du portrait n’est pas à vostre gloire*, {p. 67}
Daphnis m’en a donné tout l’esclaircissement*.

OVIDE.

Et vous le croiez donc ?

HYACINTHE.

N’en doutez* nullement.

OVIDE.

Si je perds un amy pour avoir trop d’adresse*,
780 J’iray m’en consoler aupres de ma Maistresse*,
Sans que cet accident* me cause aucun soucy*.

HYACINTHE.

Et j’iray comme vous me consoler aussi.

OVIDE.

Puis-je encore vous parler avec quelque franchise* ?
Vous perdez vostre temps de penser à Cephise,
785 Je plains vostre malheur de m’avoir pour rival.

HYACINTHE.

Mais vous mesme craignez que je vous sois fatal*.

OVIDE.

Si mes Escrits dans Rome enseignent l’art de plaire,
Me disputer* un cœur, c’est estre temeraire*.

HIACINTHE.

Je sçay que l’art d’aymer fait bruit de toutes parts,
790 Et qu’il vous rend fameux à la Cour* des Cezars ; {p. 68}
Mais l’on doit avoüer, à moins que d’estre injuste,
Que la Cour* de Venus vaut bien celle d’Auguste.
L’air qu’on respire en Cypre, est si pur, si charmant*,
Qu’on n’y peut estre un jour sans devenir Amant*,
795 Et selon vostre aveû, cette Isle a l’avantage* :
Des Dieux au bord du Tybre on ne voit que l’image,
Au lieu que nous voyons dans cet heureux sejour*
Converser parmi nous les Graces & l’Amour.
Enfin ce doux Climat* ne voit point naistre d’homme,
800 Qui ne fit des leçons au plus galand de Rome ;
Les dances & le chant, la coiffure & le fard,
Au lieu de la vertu* sont presque tout vostre Art.

OVIDE.

C’est estre peu galand, sçavoir peu l’art de plaire,
Que d’apprendre à ce sexe à se monstrer severe* ;
805 Qui luy veut enseigner la vertu* qui nous nuit,
Aux mysteres d’amour est assez mal instruit :
Il faut devant ce Dieu que les sages se taisent,
Il n’est point Philosophe, & les erreurs luy plaisent,
Il inspire toujours d’agreables desirs,
810 Et bannit la raison* qui banit les plaisirs :
De mesme que l’Amour, chacun sçait que les belles
Craignent cette raison* qui n’est jamais pour elles ;
Et pour en triompher par leurs attraits puissants,
Elles sçavent user de l’adresse* des sens,
815 Elles mettent leurs soins & toute leur estude
A causer des soucis* & de l’inquietude, {p. M ; 69}
Leurs souris affectez*, leurs regards seducteurs,    
Sont pour nous engager* d’aymables* imposteurs,
Leur accueil, leurs dedains, leurs amoureuses plaintes,
820 Leurs reproches secrets & leurs coleres feintes*,
Et ce je ne sçay quoy qu’on ne peut exprimer,    
De ce sexe galand composent l’art d’aymer.    

HYACINTHE.

Ces maximes d’Amour & ces jolis preceptes.
Ne sont que pour Ovide, & que pour les Coquettes.
825 Et vous faites grand tort à ce sexe charmant*,
De luy vouloir ravir son plus rare ornement,
Vous le faites combatre avec de foibles armes ;
Sans l’eclat* des vertus la beauté perd ses charmes,
Et qui veut retenir tous les cœurs en prison,
830 Doit accorder* les sens avec[que] la raison*.

OVIDE.

Lors que* vous banissez l’amour du cœur des belles,
Que vous leur enseignez à paraistre cruelles,
C’est faire à leurs Amans negliger leurs appas*,
Puis qu’on les ayme en vain, quand elles n’ayment pas.
835 Par l’esclat* dangereux de vos raisons* subtiles*,    
Les charmes de leurs yeux deviennent inutiles ;
Rendre une Amante ingrate, est la vouloir trahir,
Ce n’est pas l’art d’aymer, mais c’est l’art de hayr.

HYACINTE.

Les faveurs* bien souvent ne font qu’un infidelle, {p. 70}
840 Mais la vertu* retient ceux qu’un bel œil appelle ;
Et ce sexe sçavant à troubler le repos,    
En fuyant seulement sçait vaincre les Heros.

OVIDE.

Avez-vous enseigné ce bel art à Cephise ?

HYACINTHE.

Elle n’a pas besoin que personne l’instruise.

OVIDE.

845 Vous vous mettez vous mesme au rang des demy-Dieux,
Quand vous osez servir* cet objet* glorieux*.

HYACINTHE.

Je puis bien aspirer à cet honneur insigne,
Quand je vois un Rival qui n’en est pas plus digne.

OVIDE.

Un Chevalier Romain n’est pas à refuser.

HYACINTHE.

850 Et le sang des Heros n’est pas à mespriser ;
Et si vous vous vantez d’estre aymé des Princesses,
Ceux de ma race sont favoris des Deesses.

OVIDE.

Les Amours d’Adonis me sont assez connus ;
Mais il ne s’agit pas des Amans de Venus, {p. 71}
855 Il s’agit seulement de la belle Cephise,
Et vous faites pour elle une vaine* entreprise* !    

HYACINTHE.

Pour sçavoir qui de nous la merite le mieux,
Voyons ce que demain ordonneront les Dieux.
Jusques là le respect nous oblige à nous taire,
860 Apres au mescontent on pourra satisfaire*.

OVIDE.

Je vous satisferay* lors que* j’auray le prix,
Nos maistresses* en vain irritent nos esprits.
Si nostre sort dépend du destin de ces belles,
Il faut auparavant en sçavoir des nouvelles.

HYACINTHE.

865 S’il m’eust esté permis d’assister à ces jeux,
On n’eust point veû languir mes desirs curieux,
Et l’on n’eust pas donné le prix en mon absence.

OVIDE.

Moy j’estois fort tanté, malgré cette defence,
D’aller ouïr l’Arrest qu’on devoit prononcer.
{p. 72}

SCENE V. §

OVIDE, HYACINTHE, MAXIME.

OVIDE.

870 Mais Maxime paroist, qui vient nous l’annoncer ;
Corinne pourroit bien avoir eu l’avantage*.

HYACINTHE.

A Cephise vaincue, irez-vous rendre hommage [?]

OVIDE.

Il est d’un vrai Romain & d’un cœur genereux*,
D’estre pour les vaincus & pour les mal-heureux*.
875 Et bien Maxime, & bien, qui remporte la pomme ?
Est-ce Cypre & Cephise, ou bien Corinne & Rome ?
Parle ?

MAXIME.

L’arrest n’est pas encore prononcé,
Mais je vais vous conter tout ce qui s’est passé,
Car je viens d’assister à la ceremonie,
880 Où de gens curieux une foule infinie,
Dans la place des jeux se rend de tous costez, [N ; 73    ]
Pour y voir disputer* le prix à ces beautez.    
Jamais Rome, jamais dans ses plus grandes festes,
Lors qu’*elle a triomphé pour d’illustres* conquestes
885 N’a fait voir à la fois tant de peuples divers.
Il semble que l’on ait assemblé l’univers,    
Afin de decider* dans cette douce guerre,
A qui demeurera l’Empire de la Terre.
Un si grand bruit s’espand dans cet heureux sejour*,
890 Que l’on oit retentir les echos d’alentour :
Mais dés qu’on apperçoit & Cephise & Corinne,
Ces deux charmans objets* dont la grace* est divine,
Qui comme deux Soleils descendent de leurs Chars,
Le silence succede au bruit de toutes parts.
895 Ce grand peuple ravy de ces rares marveilles,
N’est plus qu’un Corps plein d’yeux, sans voix & sans oreilles,
Que dans ces lieux à peine on entend respirer,
Et qui ne fait plus rien que voir & qu’admirer.
Sur un haut Tribunal les Graces eslevées,
900 D’un souris negligeant les ayant saluées,
Pour mieux considerer leur visage & ses traits,    
Elles font approcher ces Nymphes de plus prés.
Lors* d’un secret dépit* leur grande ame saisie,
Ne peut voir tant d’appas* sans quelque jalousie ;
905 Et la vive couleur qui paroist sur leur tein,
Descouvre ce dépit* qu’elles cachent en vain.
Pour ses deux sœurs Thalie ayant pris la parolle
D’un air* civil* pourtant leur parle & les cajolle* : {p. 74}
Mais pour diminuer un peu de leur orgueil,
910 Apres leur avoir fait un favorable accueil,
Elle dit hautement à ces belles Rivales ;
Que bien que leurs attraits les rendent sans egales,
Que leur charme puissant dont leurs yeux sont surpris,
Ne suffit pas encore pour remporter le prix,
915 Ni pour voir de sa main leur Teste couronnée,
Si de quelqu’autre don leur beauté n’est ornée.
Elle ordonne aussi-tost que pour le meriter,
L’une & l’autre ait le soin de leur faire eclater*,
Et pour rendre leur gloire* ou leur honte* publique,
920 Thalie enfin choisit la Dance & la Musique.

OVIDE.

Ces Arts en ce beau sexe ont beaucoup d’agréments*.

HYACINTHE.

Et Thalie en fait choix avec grand jugement.

MAXIME.

Par son ordre Cephise en mesme temps* s’avance,
Sur un riche Tapis preparé pour la dance,
925 Aux yeux des spectateurs cette Illustre* beauté
Paraist à sa demarche une Divinité.
Le jeune Iphidamas que dans Cypre on admire,
De sa sçavante main touche à sa douce Lire,
Et respand dans les airs un son melodieux,
930 Dont l’agreable bruit monte jusques aux Cieux.
La Nimphe qui fait voir une grace* infinie,
Pour accorder* ses pas avec cette harmonie,
D’un mouvement leger du Tapis fait le tour,
Et trace de son pied mille chiffres d’amour,
935 Tout le monde loüant sa merveilleuse adresse*, [Nij ; 75]
D’une victoire seure elle flatte* la Grece,    
Qui pense voir bien-tost couronner ses desseins,    
Mais un reste d’espoir flate encore les Romains.

HYACINTHE.

Chacun avec raison* pour son pais incline.

MAXIME.

940 Les Graces cependant font avancer Corinne,
Qui dispute le prix à Cephise à son tour,
Et le disputeroit* à la mere d’Amour.
Le noble orgueil qu’au front cette Romaine estalle,
Fait voir qu’elle craint peu sa superbe* Rivalle.
945 Pour faire triompher ses glorieux* appas*,
Cette beauté sçavante en l’art d’Iphidamas,
Chante d’un ton plaintif sur sa Lire dorée
Les Amours d’Adonis bruslant pour Cithérée.
Par sa voix ravissante* & ses divins accords,
950 Elle exprime si bien sa gloire* & ses transports*,
Que tous les assistans charmez par les oreilles,
Sentent dans leurs esprits des passions* pareilles,
Elle fait plaindre l’air avec tant de douceur,
Qu’on croit oüir encore cet amoureux Chasseur,
955 Qui bravant le destin meurt pour une Immortelle,
Et Corinne en Venus rend la douleur si belle,
Qu’elle excite en chacun les mesmes déplaisirs*,    
Et fait de tous les cœurs un concert de soupirs.

OVIDE.

Ainsi Corinne, ainsi charme au son de sa Lire.

MAXIME.

960 C’est un enchantement* que j’ay peine à descrire,
Et si de l’assemblée eut dependu le choix,
Sa voix melodieuse eût eû toutes les voix. {p. 76}

OVIDE.

Que pense à ce recit le constant Hyacinthe ?
Pour la belle Cephise a-t’il pas quelque crainte ?
965 Car Corinne fera couronner ses appas*.

HYACINTHE.

Il faut attendre encore, pour ne se tromper pas.

OVIDE.

Nous eussions, comme toi, veu la ceremonie,
Si nostre passion* n’en eût esté bannie ;
Mais nous n’ignorons pas que dans ces jeux sacrez,
970 On ne souffre jamais les Amans declarez,
De crainte que l’amour qu’ils ont pour leur Maistresse*,
Ne perdit le respect que l’on doit aux Deesses,
Et ne s’accordât* pas avec leur jugement.

HYACINTHE.

Les Intendants des jeus agissent prudemment.
975 Mais Daphnis vient icy, qui paroist hors d’haleine.

SCENE VI. §

DAPHNIS, HIACINTHE, OVIDE, MAXIME.

DAPHNIS.

Hyacinthe, je viens pour vous tirer de peine,
La divine Cephise a remporté le prix.
[Niij ; 77]

HIACINTHE

Ah ! que j’en ay de joye !

OVIDE.

Ah ! que j’en suis surpris !
Cephise a triomphé de Corinne & de Rome !

DAPHNIS.

980 Ouy, la belle Cephise a remporté la pomme,
Et tous les spectateurs en sont d’aize ravis.

MAXIME.

Ces esprits inconstans ont donc changé d’avis.

DAPHNIS.

Ils ont changé d’avis aussi-tost qu’ils l’ont veüe
Dans un Char Triomphant de mil attraits pourveüe,
985 La pomme d’Or en main, le front orné de fleurs,
Et le teint éclatant* des plus vives couleurs
Qu’une sage pudeur* apres cette victoire,
Faisoit naistre à propos pour croistre encor sa gloire*.

HYACINTHE.

Mais que disoit Corinne apres un tel affront* !
990 N’a-t’on point veu monter la rougeur sur son front ?

DAPHNIS.

Cette fiere* beauté n’en avoit nulle honte*,
Et de ce jugement elle fait peu de conte* ;
Dit que de ses appas* les charmes sont connus,
Et ne veut recevoir pour juge que Venus.
995 Cephise cependant en Triomphe est menée,
Sa superbe* beauté dans Cypre est couronnée,
Et l’on fait retentir son beau nom jusqu’aux Cieux.

OVIDE.

Puis que Cephise emporte un prix si glorieux*,
Allons donc rendre hommage à sa beauté divine. {p. 78}

HIACINTE.

1000 Non non, allez plus-tost pour consoler Corinne,
Il est d’un vrai Romain & d’un cœur genereux*,    
D’estre pour les vaincus & pour les mal-heureux.

OVIDE.

Il est d’un vrai Romain, d’une ame genereuse,
D’aymer la plus parfaite & la plus glorieuse :
1005 Et tout homme galand malgré vos feux constans,
Veut ce que veut l’amour & s’accomode au temps.
{p. 79}

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

CORINNE, CEPHISE.

CORINNE.

Je ne viens pas vous voir ainsi qu’une Rivale,
Dont la nouvelle gloire* à la mienne est fatale* ;
Car j’ay veu de mes yeux l’honneur qu’on vous a fait,
1010 Sans vous porter envie, & sans aucun regret ;
Sans temoigner aussi du chagrin* ny de honte*,
Je vous vois triompher dans les murs d’Amathonte.

CEPHISE.

Si vous sçavez si bien l’art de dissimuler,
Vous m’espargnez le soin de vous en consoler.

CORINNE.

1015 Je venois dans ces lieux vous consoler vous-mesme,
Vous donner un advis* d’une importance extresme. {p. 80}

CEPHISE.

Les gens conseillent mal qui sont interessez*.

CORINNE.

Ah ! vous n’en estes pas encore où vous pensez.
1020 Thalie eût ordonné que l’on s’approchât d’elle,
Et que ce vif esclat* que nous tenons des Cieux,
De tous les spectateurs eut attiré les yeux,
Dites, n’avez-vous pas observé que les Graces,
Comme l’ont remarqué ceux qui suivoient nos traces,
1025 N’ont peû nous regarder sans despit*, sans douleur ?

CEPHISE.

Oüy, j’ay veu que leur tein a changé de couleur.

CORINNE.

L’on sçait que leur dépit* n’estoit que trop visible,
Et que nous leur causions un déplaisirs* sensible*.

CEPHISE.

Quand les Graces auroient un sentiment jaloux,
1030 Leur dépit* pourroit-il descendre jusqu’à nous ?

CORINNE.

Leur indignation, leur colere divine,
Ne va pas jusqu’à vous & s’arrete à Corinne ;
On ne fait pas du bien à qui l’on veut du mal,
C’est à moy seulement que l’Arrest est fatal* ;
1035 Et leur jaloux despit* vous ayant negligée,
Contre moy seulement leur beauté s’est vangée ;
M’ostant la pomme d’or qu’on me devoit donner,
Elles vous dedaignoient vous faisant couronner ;
Ainsi quand vous pensiez me ravir la victoire,
1040 Vous en aviez la honte*, & moy seule la gloire*.

CEPHISE.

Vous estes satisfaite, & je la suis aussi ; [O ; 81]
Mais rendez sur un point mon esprit esclaircy.    
Puis que vous pretendez* estre victorieuse,
De quoy vous plaignez-vous, si vous estes heureuse ?
1045 Si vos charmans attraits dans Cypre sont connus,
Pourquoy donc implorer la faveur* de Venus ?    

CORINNE.

Pour convaincre* d’erreur ceux qui m’ont condamnée,
Pour me faire juger à Rome où je suis née,
Où Venus a son Temple, ainsi que dans ces lieux,
1050 Où brille un Empereur plus juste que vos Dieux.
Les Graces chez les Grecs avec excés vantées,
Sont du grand Jupiter des filles adoptées,
Qui furent autrefois mortelles comme moy,
De ces injustes sœurs je ne prends pas la loy :
1055 Pour juger qui des deux estoit la plus aymable*,
L’autre sexe eut paru beaucoup plus équitable ;
Au lieu d’une Rivalle il faloit un Amant*,
Et l’Amour en auroit jugé tout autrement.
Je voudrois que le Dieu que cette Isle revere,
1060 Empruntast pour nous voir les beaux yeux de sa mere,
Ou que pour nous juger il ostat son bandeau,     
Je n’appellerois* point d’un Jugement si beau.
Les Graces vont encor pour causer quelque plainte,
Juger les differens d’Ovide & d’Hyacinthe,
1065 Pour l’interest* d’Amour l’un & l’autre Rival,
Vont disputer* le prix devant leur Tribunal.
J’iray faire rougir encor ces Immortelles. {p. 82}
Qui perdent devant moy la qualité de belles,
Pour venger mon injure*, & braver leur pouvoir,
1070 Corinne seulement n’a qu’à se faire voir.

SCENE II. §

CEPHISE, AMINTE.

CEPHISE.

Quelle presomption ! qu’elle a l’humeur* hautaine* !

AMINTE.

Pour tout dire en un mot, Madame, elle est Romaine.

CEPHISE.

J’aperçois un Romain qui vient encor icy.

AMINTE.

Il a l’esprit plus doux, & n’agit pas ainsi.
{p. 83}

SCENE III. §

OVIDE, CEPHISE, AMINTE.

OVIDE.

1075 Je viens vous temoigner que j’aime vostre gloire*,
Je viens vous rendre hommage apres vostre Victoire,
Je viens pour admirer vos rares qualitez,    
Qui se font couronner par des Divinitez.
Je ne suis pas surpris, que la sage Talie
1080 Vous ait fait triompher de la fleur d’Italie,
Elle ne pouvoit pas vous refuser le prix.

CEPHISE.

Corinne dit pourtant que l’on s’est fort mépris,
Et veut estre jugée en presence d’Auguste.

OVIDE.

La honte* & le dépit* la font paroistre injuste ;
1085 Ovide l’abandonne à son transport* jaloux ;
Et tout Romain qu’il est, se declare pour vous.

CEPHISE.

Mais à Corinne ainsi vous estes infidelle.

OVIDE.

Qu’elle se pleigne aux Dieux qui vous firent plus belle.
Peut-elle me blasmer de la vouloir quitter,
1090 Sans blasmer ses appas* qui n’ont peû m’arrester ? {p. 84}
Mais pour se consoler, elle a quelque compagne    
A Rome, dans la Gaule, en Affrique, en Espagne.
Comme je suis touché des rares qualitez,
Je fais par tout ma cour* aux plus grandes beautez,
1095 Et je veux quelque jour vous en donner la liste.

CEPHISE.

Nous y verrons les noms d’Olimpe, de Caliste,
D’Albine, d’Emilie.

OVIDE.

Et cent autres encore,
Dans l’Almanach d’Amour je marque en Lettres d’or
Les noms de mes vainqueurs au jour de leur conqueste,
1100 Et de ces jours heureux je fais des jours de feste.

CEPHISE.

Le beau nom de Corinne est le premier de tous,
Quoy que vous me disiez.

OVIDE.

Elle n’est qu’apres vous,
Et lors que* je vous rends la premiere visite,
Je m’explique en faveur d’un si rare merite*.

CEPHISE.

1105 Vous me la deviez rendre en mon appartement.

OVIDE.

Pour vous y rencontrer, j’en viens presentement ;
Mais sans trop m’arrester à cette circonstance,
Je vous puis en ce lieu donner la preference.

CEPHISE.

Mais vous vous contraignez en me traictant ainsi.

OVIDE.

1110 Je ne me contrains point, ny ce que j’ayme aussi, [P ; 85]
Je vis en liberté.

CEPHISE.

C’est estre fort commode.

OVIDE.

Les Amoureux transis ne sont plus à la mode,
On se rit des constans parmy les beaux esprits,
Et tout Amant* qui pleure est digne de mespris.
1115 N’est-ce pas faire injure* aux charmes d’une belle,
De paroistre chagrin* lors qu’*on est auprés d’elle ?
Il faut sans se montrer ny triste ny jaloux,
Estre tel que je suis, quand je suis avec vous.

CEPHISE.

C’est dire son humeur* avec grande franchise*.

OVIDE.

1120 J’ay beaucoup de respect pour l’aymable* Cephise,
Et j’abandonne tout pour servir sa beauté,
Qui fait seule ma gloire* & ma felicité.    
Hyacinthe paraist, ce Rival haissable
M’oste l’occasion qui m’estoit favorable ;
1125 N’en témoignons pourtant ny chagrin* ny soucy*.
{p. 86}

SCENE IV. §

OVIDE, HYACINTHE, CEPHISE, AMINTE.

OVIDE.

Hyacinthe, à propos vous arrivez icy,
Vostre rare merite* a fait nostre querelle* ;
Mais pour nous accorder*, montrez vous moins cruelle,
Vous pouvez d’un seul mot vider nos differens.

HIACINTHE.

1130 Puis que vous les causez, ils doivent estre grands

CEPHISE.

J’ignore quels ils sont.

HYACINTHE.

Cela pourroit-il estre ?
Et peut-on ignorer des feux qu’on a fait naistre ?

OVIDE.

Puis que vous vous trouvez entre vos deux Amans,
Vous devez declarer quels sont vos sentimens,
1135 Mais vous en rougissez ? Amour, je te rends grace*,
D’avoir mis aujourd’huy cette Nymphe en ma place ;
Elle est dans l’embarras où tantost on m’a veu,
De choisir l’un des deux vostre tour est venu ;
Mais vous en sortirez avecque moins de peine, {p. 87}
1140 Car nous avons pour vous plus d’amour que de haine ;
Et de quelque costé que penchent vos esprits,
Vous n’apprehendez point ny froideur* ny mépris.

CEPHISE.

Nos humeurs* à tous deux sont assez differentes,
Je ne veux point d’Amans, vous vouliez deux Amantes.

OVIDE.

1145 Si deux sont trop pour vous, ne faites choix que d’un,
Prenez le plus galand & le moins importun.

HYACINTHE.

Vous figurez* l’amour d’une humeur* si legere,
Qu’elle croit que vos feux ne sont qu’une chimere.

OVIDE.

Et vous representez ce Dieu si peu charmant*,
1150 Que vous faites hayr & l’amour & l’amant*.
Voyez qui de nous deux avec plus juste titre
Merite vostre estime*, & soyez nostre arbitre,
Prononcez nostre Arrest, daignez nous obliger.

CEPHISE.

Je n’ay ny volonté ny droit de vous juger ;
1155 Celles qui font ma gloire*, & qui m’ont couronnée,
Vont faire de vous deux aussi la destinée ;
Sur ce haut Tribunal les Graces vont monter,
Pour donner la Couronne à qui doit l’emporter.
Mais desja dans ces lieux ces Deitez paraissent,
1160 Sous leurs pas glorieux* je voy des fleurs qui naissent.
Pour meriter le prix que pretendent* vos feux, {p. 88}
Allez leur adresser vos respects & vos vœux ;
Pour faire rendre hommage à ces trois Immortelles,
Les intendans des jeux font place devant elles,
1165 Corinne aussi les suit, & vous la pouvez voir.

OVIDE.

Vostre exemple aujourd’huy m’enseigne mon devoir.

SCENE V. §

LES GRACES, OVIDE, HYACINTHE, CEPHISE, CORINNE, CELIE, AMINTE, DAPHNIS, MAXIME, & trois intendans des jeux.

THALIE, l’une des Graces.

De tant d’Amans divers dont cette Isle est remplie,
Que de tous les costez de Grece & d’Italie,
L’on voit venir en foule en cet heureux sejour*,
1170 Afin de disputer* les Couronnes d’Amour,
Tous à ces deux Rivaux ont cedé cette gloire* ;    
Et puis que l’un & l’autre aspire à la victoire,    
Apprenons de quels traits leurs deux cœurs sont blessez.
Pour faire honneur à Rome, Ovide, commencez.
[Piij ; 89]

OVIDE POUR LES Inconstans.

1175 Pour d’un Myrrhe amoureux voir couronner ma teste,
Assiste moy, Venus, dans cette belle feste ;
Mesle dans mes discours ces entretiens* charmans,
Que tes divins regards inspirent aux Amans :
Et vous qui presidez dans Cypre & dans Cythere,
1180 Graces, filles du Ciel, sans qui rien ne peut plaire,
Declarez vous pour moy dans ce celebre jour,
Et me favorisez pour la gloire* d’Amour ;
Pour l’interest* d’un Dieu prenez celuy d’un homme,
Qui l’a fait triompher dans la superbes* Rome,
1185 Et veut qu’il regne encor, en tous lieux, en tout temps,
Malgré ces froids* esprits qu’on appelle constans.
Il faut dans les desirs imiter la nature,    
Qui ne peint pas les champs d’une mesme peinture,
Et par ses changements & ses diversitez,
1190 Fait briller* à nos yeux differentes beautez.
Chaque Dame a ses dons & remplit bien sa place,
L’une a la majesté, l’autre a la bonne grace*,
L’une a tous les traits beaux, l’autre un teint delicat,
L’une a de l’agrément*, l’autre beaucoup d’éclat,
1195 Enfin le Ciel a fait, pour charmer tout le Monde    
La belle, l’agreable, & la brune, & la blonde ; {p. 90}
Mais jusques à present nul n’a peu decider*,
Entre tant de beautez laquelle doit ceder.
Quand on n’est pas aveugle, & qu’on est raisonnable*,
1200 On doit aymer par tout tout ce qu’on voit d’aymable* :
Et qui n’est pas sensible* où brillent les appas*,
S’en croit lui-mesme indigne, ou ne les connoit pas.

HIACINTHE.

L’Amour est un Tribut que l’on doit au merite*.

OVIDE.

Tousjours civillement* l’inconstant s’en acquitte,
1205 Et pour n’attirer pas la colere d’un Dieu,
Il est prest à payer à toute heure, en tout lieu.
Mais jamais le constant n’agit que par caprice,
Aux belles tous les jours il fait quelque injustice,
A plus d’une il fait voir un cœur indifferent,
1210 Vers un sexe si fier* c’est un crime bien grand.
Pour de ces deux Amans mieux voir les differences,
Il faut peser leurs mœurs dans de justes balances :
L’inconstant a l’esprit doux, civil*, complaisant*,
Le constant est resveur, chagrain* & mesprisant,
1215 Je croy que ces remords & ces peines cruelles,
Viennent de n’avoir pas aymé toutes les belles.
Sourire est mal respondre en faveur des constans.

HYACINTHE.

Et bien, j’y respondray quand il en sera temps.

OVIDEmonstrant les Graces.

Mon esprit esclairé de ces belles lumieres,
1220 S’en va vous en donner de nouvelles matieres.    
Chacun connaist assez que ce sexe charmant*,
Tire de sa beauté son plus grand ornement,
Un amant* qui ne veut aymer qu’une maistresse*, {p. 91}
Quand la beauté s’enfuit avecque la jeunesse,
1225 Que ses regards esteints inspirent la froideur*,
Doit-il estre constant pour aymer la laideur ?

CORINNE.

Il rend par ces raisons* le constant ridicule.

OVIDE.

Qui cherit les defaux, se trompe, ou dissimule.
Un esprit inconstant agit plus prudemment,
1230 Et pour fuir la laideur, il court au changement.
Dans ce riche Univers où tout se renouvelle,
Quand la nature change, il faut changer comme elle,
En d’agreables lieux, ramener ses desirs,
Et chercher la beauté par tout & les plaisirs.

HYACINTHE.

1235 C’est estre plus changeant, mais non pas plus aymable*.

OVIDE.

C’est imiter les Dieux, c’est estre leur semblable.
Les actions des Dieux parlent en ma faveur,
Ou les Dieux immortels sont sujets à l’erreur.
Vous sages Deitez, mes trois aymables* Juges,
1240 Chez qui les vrais amans ont d’assurez refuges,
Pour vostre propre gloire* & pour vostre interest*,
Donnez en ma faveur un équitable Arrest,
Au plus parfait Amant* donnez la preference,
Condamnez mon Rival dont l’amour vous offense ;
1245 Une seule ne peut recevoir tous ses vœux*,
Puis que vous estes trois, qu’il n’en offense deux ;
Et puis que toutes trois je vous crois adorables,
Pour moy donc toutes trois monstrez vous favorables. {p. 92}

THALIE à Hyacinthe.

Vous dont le cœur constant brusle d’un autre Amour,
1250 Hyacinthe, parlez, car c’est à vostre tour.

HYACINTHE POUR LES Constans.

De mon Rival subtil* j’admire l’Eloquence,    
Et me condamnerois à garder le silence,    
N’ayant pas comme Ovide apris cet art charmant*,
Qui pour seduire un cœur trompe le jugement.
1255 Mais quand je vois icy pour mes juges les Graces,
Qui des Vertus leurs sœurs suivent par tout les traces,
Que ne sçauroit corrompre un langage flateur,
Je ne redoute plus ce fameux Orateur.
Pour commancer par vous, Déesses adorables,
1260 Ovide pour vous rendre à ses vœux favorables,
Dit qu’il veut partager l’estime* entre vous trois,    
De peur d’en blaisser deux par un unique choix.
Bien loin d’avoir pour vous d’obligeantes pensées,
Les Nymphes de ces lieux en seroient offensées ;
1265 Partager ses desirs ce n’est pas faire honneur,
Car la moindre beauté croit meriter un cœur.

CEPHISE.

Il n’est rien de mieux dit.

CORINNE.

La responce est jolie
[Q ; 93]

HYACINTHE.

Je passe à ces raisons*, belle & sage Thalie.
Le Genie amoureux qui bastit l’Univers,
1270 L’orna, dit-il, expres de cent charmes divers,
Et fit pour enchaisner les cœurs de tout le monde,
La belle, l’agreable, & la brune & la blonde.
Mais il fit pour reigler tant de diversitez,
Tout autant de desirs, qu’il a fait de beautez.

OVIDE.

1275 Qui peut plaire à plusieurs & n’en veut aymer qu’une,
Est un grand ennemy de sa bonne fortune.
Les plaisirs sont legers, estant si limitez ;
Mais on en reçoit mille, ayant mille beautez.

HYACINTHE.

D’un esprit divisé les desirs s’afoiblissent,
1280 Ils ne sont jamais grands, s’ils ne se réunissent ;
Qui prend divers partis* ne reüssit pas bien,
Et qui veut aymer tout, à la fin n’ayme rien.
L’inconstant est au bout de ses ruses galantes*,
Lors qu’*il est rencontré par deux de ses Amantes ;
1285 Recevant de leur part des ordres differens,
Il ne peut obeyr à deux en mesme temps* :
Si d’en servir* plus d’une il est si difficile,
Comment pretendez-vous qu’on en puisse aymer mille ?

OVIDE.

On peut fort aisement les aymer tour à tour,
1290 Les aymer par quartier*, comme on sert* à la Cour*.

HYACINTHE.

Ce sera pis encor, car celle que l’on quitte,
Se plaindra que l’on fait injure* à son merite*,
Et celle qu’il choisit, doit s’attendre qu’un jour
Un esprit si leger luy joüra mesme tour. {p. 94}
1295 Sur la fidelité l’amante se repose ;
Aymer, estre fidelle, est une mesme chose.    
Les desirs inconstans, & qui changent toujours,    
Ce sont des feux folets*, & non pas des amours.
Un trompeur qui s’engage* à diverses maistresses* ;
1300 Pour les mieux abuser par de feintes* promesses,
Et trouver une excuse à l’infidelité,
Dit qu’il fuit la laideur, & cherche la beauté ;
Mais la beauté du corps d’un volage adorée,
N’est pas à dire vray, de si courte durée ;
1305 Quoy que l’on la compare aux roses du Printemps,
Qu’elle ne dure assez pour voir des feux constans :
L’espace est assez long du regne d’une belle,
Pour obliger un cœur à demeurer fidelle ;
Et l’esprit n’a t il pas des charmes eclatans*,
1310 Qui ne sont point sujets à l’injure* du temps ?

OVIDE.

Fort bien, mais dites moy, les Amans de cette Isle,
Auroient-ils soupiré pour la vieille Sybille ?
Elle avoit l’esprit beau.

CORINNE.

C’est railler galamment.

HYACINTHE.

Ovide ne sçait pas ce que c’est qu’estre Amant*.
1315 Lors que* d’un mesme trait deux ames sont blessées,
Qu’elles n’ont toutes deux que les mémes pensées,
Elles ont des plaisirs qu’on ne peut exprimer,
Et qu’on sent seulement lors qu’*on sçait bien aymer ;
Leurs soucis* amoureux, qu’il appelle humeur noire,
1320 Ne sont pas des remords, mais des desirs de gloire* ; {p. 95}
Les grandes passions* ravissent le repos,
Et de mesme que Mars, l’Amour a ses Heros.
La plus illustre* vie est de soins toujours pleine,
Au feste du bonheur nul n’arrive sans peine ;
1325 Mais ce Dieu favorable au plus fidelle Amant*,
Paye un siecle d’ennuis* par un heureux moment.

OVIDE.

De vos Amans transis avez-vous des exemples,
De ceux à qui la gloire* a fait bastir des Temples  ?

HIACINTHE.

Il en est d’assez beaux & d’assez éclatans,
1330 Pour convaincre* d’erreur les esprits inconstans.
Le Dieu qui fait aymer, & qui sçait comme on ayme,
Qui des parfaits Amans est l’exemple luy mesme,
L’Amour d’un seul objet* a veu son cœur touché,
Et n’ayma jamais rien que la belle Psiché.
1335 Si j’ay pour moy l’Amour, la Vertu*, la Nature
En faveur des Constans je puis donc bien conclure,
Que n’ayans tous qu’un cœur & qu’une volonté,
Nous ne devons aymer qu’une seule beauté.

CORINNE.

Cephise desormais expliquez vous sans fainte.
1340 Pour lequel estes-vous, d’Ovide, ou d’Hyacinthe ?
L’un & l’autre a fait voir un amour sans pareil.

CEPHISE.

Les Graces sur ce point tiennent desja conseil.

OVIDE à Hyacinthe.

On va vous condamner, tremblez donc Hyacinthe.

HYACINTHE.

Mais vous mesme écoutez avec respect & crainte. {p. 96}

THALIE.

1345 Nous voudrions pouvoir tous deux vous couronner,
Mais nous n’avons qu’un prix seulement à donner ;
Vos differends d’ailleurs sont de telle importance,
Qu’ils tiennent justement nos esprits en balance,
Car vos deux passions*, vos divers sentimens,
1350 De l’empire d’amour sont les seuls fondemens :
Et puisqu’enfin Venus sur ce point s’interesse*,
Afin de consulter cette grande Deesse,
Nous allons toutes trois remonter dans les Cieux,
Attendez cependant ses ordres dans ces lieux.

RECIT.

1355 Sous ces ombrages vers, troupe illustre* & fidelle,
Attendez nous en paix ;    
Venus, cette aymable* immortelle,    
A nostre heureux retour unira pour jamais,
Le plus parfait Amant* avecque la plus belle.

HYACINTHE.

1360 Allons sacrifier à ces belles Deesses,
Qui doivent mettre fin à toutes nos tristesses.

OVIDE.

J’attendray leur retour sans craindre & soupirer ;
Quand on aime par tout, on doit tout esperer.
[R ; 97]

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

CEPHISE seule.

STANCES.

L’Amour & la Vertu* sont deux grandes puissances,
1365 Qu’on revere dans l’Univers ;
A leurs adorateurs divers,
Chacun offre des recompenses :    
L’une & l’autre a pouvoir d’allumer nos desirs,
Et voudroit sur nos cœurs remporter la victoire ;
1370 L’Amour nous promet les plaisirs,
Et la Vertu* promet la gloire*.
Mon sexe d’une humeur* severe*,
Trouve en la Vertu* des appas* ;
L’autre d’Amour suivant les pas,
1375 Met tout son bonheur à nous plaire ;
Pour nous vaincre il fait ses efforts,
Nostre fierté* paraist visible ;
On sauve toujours le dehors ; {p. 98}
Mais souvent au-dedans on n’est pas insensible.
1380 La Vertu* par fois elle-mesme,
Nous trahit en faveur d’Amour ;
Lors qu’*un Heros nous fait la cour*,
Nous courons un danger extréme,
Il flechit nos cœurs glorieux*,
1385 Et l’ame la plus genereuse
Croit, pour aymer les vertueux
N’en estre pas moins vertueuse.
C’est l’estat où je suis reduite,
Depuis cinq ans que dans ces lieux,
1390 Un Grec égal aux demi-Dieux,
Fait marcher l’Amour à sa suite ;
En vain contre ce Dieu vainqueur,
Ma pudeur* differe à se rendre,
Lors qu’*il est entré dans un cœur,
1395 Il est trop tard de s’en deffendre.
Depuis le jour fatal* que j’ayme,
Mon orgueil accroist mon tourment* ;
Je ne combats plus mon Amant*,
Mais je combats contre moy-mesme,
1400 J’esprouve en mon sort rigoureux,
Que la sagesse qu’on admire,
Fait quelque fois des malheureux*,
Puis que c’est un grand mal que d’aymer sans le dire.
Pour finir ma dure contrainte
1405 Sans ternir mon nom glorieux*,
En ma faveur, ô justes Dieux ! [Rij ; 99]
Venez couronner Hyacinte,    
Afin que mon cœur combatu,
Puisse accorder* par sa victoire,
1410 L’Amour avecque la Vertu*,
Et les plaisirs avec la gloire*.
Mais Aminte paraist, pour finir mes tourmens*,
Elle vient m’annoncer le sort de deux Amans.

SCENE II. §

CEPHISE, AMINTE.

CEPHISE continuë.

Dy les Graces du Ciel sont-elles revenuës ?

AMINTHE.

1415 Oüy leur superbe* Char a traversé les nuës,
Elles sont de retour, l’on a donné le prix :
Mais helas !

CEPHISE.

Ne tiens point en suspens mes esprits,
Dis qui l’a remporté, d’Hyacinte, ou d’Ovide.

AMINTE.

Je crains de vous fascher.

CEPHISE.

C’est estre trop timide* :
1420 Si tu ne connois pas le secret de mon cœur,
Pourquoy redoutes-tu de nommer le vainqueur ?

AMINTE.

Je crains fort que Venus n’ait esté favorable, {p. 100}
A celuy qui pour vous n’est pas le plus aymable*.

CEPHISE.

Ovide seroit-il cét Amant* fortuné* ?

AMINTE.

1425 Non, vous voyez celuy que l’on a couronné.

SCENE III. §

HYACINTE, CEPHISE.

HIACINTHE.

Je viens pour vous offrir cette Illustre* couronne,
Que l’Amour a conquise, & que le Ciel me donne,
Sur mon fameux Rival je viens de l’emporter,
Sans par un vain* orgueil croire* vous meriter :
1430 Pour la mettre à vos pieds je l’oste de ma teste,
Et bien que du vainqueur vous soyez la conqueste,
De ce bon-heur trop grand je n’abuseray pas,    
Je veux rendre l’honneur qu’on doit à vos apas,
Pour monstrer mon amour par un respect extrême,
1435 Cephise peut encor disposer d’elle mesme :
Je me croy son Captif, & non son Souverain,
Et ne puis la contraindre à me donner la main,
Quoy-que Venus l’ordonne, & le Ciel l’authorise, [Riij ; 101]
Car je ne veux devoir Cephise qu’à Cephise.

CEPHISE.

1440 Ce procedé me plaist dont vous usez vers moy,
Et d’un si doux vainqueur je veux prendre la loy.
Apres tant de respects je dois enfin me rendre,
Contre vous ma raison* ne peut plus se defendre :
Et mon superbe* esprit par l’amour combatu,
1445 Ne sçauroit resister contre tant de vertu*:
Pour n’estre pas ingrate aux yeux de tout le monde,
Il faut que mon estime* à la vostre responde,
Si j’ose l’avouer sans blesser la pudeur*,
Je n’eus jamais pour vous ny mespris ny froideur*,
1450 L’Amour seul excepté, tout vous estoit contraire,
Mon sexe, la pudeur*, un Rival & mon pere :
Mais pour me declarer aujourd’huy contre tous,    
J’attendois que le Ciel se declarast pour vous ;
Et puis qu’à vos desirs il s’est monstré propice,
1455 Cephise avec le Ciel vous veut rendre justice ;
Avec ma main encor je vous donne mon cœur,
Et ne veux plus cacher sa gloire* à mon vainqueur.

HYACINTHE.

Quoy ? la belle Cephise à ma peine est sensible*,
Et me donne son cœur ! ô Dieux, est-il possible !

CEPHISE.

1460 Hyacinthe n’a rien qu’il n’ait sçeu meriter,
Et ma reconnoissance enfin doit éclater.

HYACINTHE.

Je suis tout transporté* d’oüir cette nouvelle ;
C’est un plaisir d’aymer une amante si belle ; {p. 102}
Mais de s’en voir aymé, c’est un si grand honneur,
1465 Que rien dans l’Univers n’egale ce bonheur.
Vous superbes* Cezars, qui triomphez en guerre,
Que la fortune aveugle a faits Dieux sur la terre,    
Qui de vostre grandeur rendez les Roys jaloux,
Venez voir un Amant* plus satisfait que vous,
1470 Et qui sans commander à tout cét hemisphere,
Est heureux & n’a plus aucun souhait à faire.

CEPHISE.

Ce grand transport* me plaist dont il est agité,
Puis qu’il fait voir son zele & sa fidelité.

HYACINTHE.

Je voudrois que le Dieu qui lance le tonnere,
1475 Nous voulut oublier dans un coin de la terre ;
Et que dans un desert jusqu’à mon dernier jour,
Je ne visse plus rien que Cephise & l’Amour.
Mais Daphnis vient icy troubler nostre alaigresse,
Il fait voir sur son front une sombre tristesse,
1480 Et l’on voit dans ses yeux éclater la douleur.
{p. 103}

SCENE IV. §

DAPHNIS, HYACINTHE, CEPHISE, AMINTE.

DAPHNIS.

Je viens vous annoncer un sensible* malheur,
Et vous aurez besoin de tout vostre courage ;
Vostre amour dans le port est proche du naufrage.

HYACINTE.

Puis que le Ciel prend soin de nous favoriser,
1485 Quelqu’un à son Arrest ose-t’il s’opposer ?

DAPHNIS.

Ovide.

HIACINTHE.

Et bien, Ovide…

CEPHISE.

O dieux ! que j’ay de crainte !

HIACINTE.

Acheve donc.

DAPHNIS.

Jaloux du bonheur d’Hyacinthe[,]
Pour braver la Déesse au milieu de la Cour*,
Veut mespriser les loix de la mere d’Amour ;
1490 Et ce subtil* Romain dit que cette Immortelle,
Peut juger seulement des charmes d’une belle :
Mais que ce droit divin n’appartient qu’à son fils, {p. 104}
De juger des Amans, & de donner le prix ;
Il imite Corinne, & veut à son exemple,
1495 Estre jugé dans Rome où l’Amour a son Temple.
Son pere ambitieux approuvant ses desseins,
Veut en despit du Ciel s’allier aux Romains,    
Et luy mesme dans peu la veut conduire à Rome.

HYACINTHE.

Cephise donc en vain a remporté la pomme,
1500 Et les Graces en vain aussi m’ont couronnée,
Puis que de mon Rival l’orgueil trop obstiné
Jusque dans Cypre mesme a bravé la Deesse,
Et voudroit me ravir ma divine Maistresse* :
On la conduit à Rome, helas ! que m’as-tu dit ?

CEPHISE.

1505 Quoy ? par cette nouvelle estes-vous interdit* ?

HYACINTHE.

O dieux ! qu’en un moment la fortune est changeante !
Tout sembloit dans ces lieux respondre à mon attente,
Par un Arrest du Ciel mes desirs satisfaits,
Eslevoient mon bonheur au dessus des souhaits ;
1510 Les Graces & Venus, tout m’estoit favorable,
J’aymois, j’estois aymé d’une Amante adorable,
Qui me vouloit donner & sa main & son cœur,
Et l’Amour d’un Rival m’avoit rendu vainqueur :
J’estois égal aux Dieux, lors qu’*un coup de tempeste
1515 Du haut du Capitole a menacé ma teste :
Et l’aveugle destin par ce coup rigoureux,
Du plus heureux Amant* fait le plus malheureux*.
Mais malgré l’Empereur, malgré l’Aigle Romaine, [S ; 105]
Ovide sentira les effets de ma haine :
1520 Entre les bras des siens je luy veut faire voir,
Ce que peut un Amant* qu’arme le desespoir.

CEPHISE.

Arreste les transports* d’une aveugle colere,
Et calme tes fureurs, si Cephise t’est chere ;
Ne m’abandonne pas aux cruels desplaisirs*,
1525 De voir ta derniere heure & tes derniers soupirs.
Mais n’as-tu pas assez de bonheur & de gloire*,
Quand ton cœur sur le mien remporte la victoire,
Sans vouloir malgré moy chercher un autre prix,
Aux despens d’un Rival pour qui j’ay du mespris ?

HYACINTHE.

1530 Je redoute Alcidon à mon amour contraire.

CEPHISE.

Quand le Ciel est pour nous pourquoy craindre mon pere ?

HYACINTHE.

Mais l’orgueil des Cezars peut m’imposer la loy.

CEPHISE.

Craindre Rome & Cezar, c’est douter* de ma foy*,
Car la vertu* partout est triomphante & libre,
1535 La mienne va briller* au rivage du Tybre :
Et je me rejoüis malgré tout ton effroy,
Que cette occasion se soit offerte à moy.    
Qu’Auguste redouté sur la terre & sur l’onde,
Par l’ordre des destins, soit le Maistre du monde,
1540 Que trente legions l’en rendent le vainqueur,
Ce Tyran qui peut tout, ne peut rien sur mon cœur : {p. 106}
Si sa grandeur s’oppose à mon ardeur fidelle,
Ma constance est plus grande, & triomphera d’elle[,]
Plus il est redouté, plus il a de pouvoir,
1545 Et plus j’auray de gloire* à faire mon devoir.
Puis que je veux agir en genereuse Amante,
Bannis de ton esprit tout ce qui t’espouvante,
Et crois avec[que] moy pour braver les hazards*,
Que l’Amour est un Dieu qui commande aux Cesars.

HYACINTHE.

1550 Puis que vostre vertu*, vostre beauté divine
Fait voir des sentimens dignes d’une Heroïne,
Je suis prest de vous suivre, & traineray mes fers    
Des rivages de Cypre aux bouts de l’Univers,
Sans craindre que jamais les Tyrans ny l’envie
1555 Puisse troubler le cours de nostre illustre* vie.
Mais Ovide paraist, dans mon transport* jaloux
J’ay peine à moderer l’ardeur de mon couroux.    

CEPHISE.

Mais il le faut dompter, encor qu’il soit extréme,
Et qui veut vaincre autruy, se doit vaincre soy mesme,
1560 Je m’en vais luy parler.
{p. 107}

SCENE V. §

CEPHISE, OVIDE, HYACINTHE, CORINNE, AMINTE, MAXIME, DAPHNIS, CELIE.

CEPHISE.

Venez-vous dans ces lieux,
Afin de nous braver encor apres nos Dieux ?

OVIDE.

De quoy vous plaignez-vous ? d’où naissent vos tristesses ?

CEPHISE.

N’avez-vous pas trahy dans un jour deux Maistresses*,
Et ce parfait amy ?

OVIDE.

L’Amour rend tout permis,
1565 Et quiconque est Amant* ne connaist plus d’amis :
Je suis pour accorder* la raison* & mes flammes,
Fort fier* à mes Rivaux, & fort civil* aux Dames,
Corinne qui le sçait, ne se plaint pas de moy.

CEPHISE, à Corinne.

Quoy ? vous pardonnez donc à cet amant* sans foy* ?

CORINNE.

1570 Vostre pere vouloit par le nœud d’Himenée
Et d’Ovide & de vous unir la destinée : {p. 108}
Mais luy qui craint sur tout de si facheux* liens,    
Neglige vos attraits pour rendre hommages aux miens.

CEPHISE.

Il faut s’en consoler, & j’ay l’ame assez belle,
1575 Pour le loüer encor lors qu’*il m’est infidelle,
Je prends vos interests* dans cette occasion.

CORINNE.

Vous en avez pourtant de la confusion*,
Et vous en rougissez.

HIACINTHE.

Elle en est peu surprise.

OVIDE.

J’ay beaucoup de respect pour l’aymable* Cephise,
1580 Je prise* infiniment cette rare beauté,
Mais j’ayme cherement aussi ma liberté.

HIACINTHE.

Quoy Cephise n’a plus nul charme qui vous touche ?

OVIDE.

Dés qu’on parle d’Hymen, mon amour s’effarouche :
Ce Dieu vous peut tous deux enchaisner dès demain,
1585 Pour moy de ce peril je retire la main.

HIACINTHE.

Moy j’y fais consister le bonheur de ma vie.

OVIDE.

Je verray ce bonheur sans vous porter envie.
Et pour n’estre jamais ny facheux* ny jaloux,
Chagrin*, ny pire encor, je fuis le nom d’espoux.
[T ; 109]

HYACINTE.

1590 Mais l’Hymen des Amans assure* la conqueste.

OVIDE.

Il ne vient dans ces lieux que pour troubler la feste,
C’est le plus importun de tous les Immortels,
Et si l’on me croyoit, il n’auroit point d’Autels ;
Les Amans & l’Hymen s’accordent* mal ensemble,
1595 Il divise les cœurs que l’on croit qu’il assemble,
Il ne plaist tout au plus que trois jours seulement,
Et veut que son pouvoir dure éternellement.

HIACINTHE.

Si vous le mesprisez & lui faites la guerre,
Pourquoy remuez-vous & le Ciel & la terre,
1600 Pour empescher encor que nous soyons unis ?

CEPHISE.

C’est vous seul qui troublez la feste d’Adonis,
Lors que* vous pretendez* que l’on nous juge à Rome.

OVIDE.

Lors que* j’agis ainsi, j’agis en galant* homme,
Et je ne puis souffrir* qu’on veüille injustement
1605 Me disputer* le nom du plus parfait Amant*,
Je veux sur Hyacinte emporter la victoire,
Triompher d’un Rival qui veut ternir ma gloire*.

CORINNE.

Ainsi qu’Ovide, aussi je pretens remporter
Le prix que dans cette Isle on me vouloit oster.

HYACINTHE.

1610 Les prix estoient donnez justement ce me semble,
Mais je voy que tous deux vous cabalez* ensemble.
En despit de Venus & de l’ordre des Cieux,
Vous voulez contenter vos cœurs ambitieux, {p. 110}
Mais je jure l’Amour & les Dieux de la Grece,
1615 De servir* contre tous mon illustre* Maistresse*.    

OVIDE.

Et moy je jure aussi par les Dieux des Romains,
Plus forts que ceux des Grecs, & Maistres des humains,
Sans que dans mes sermens la fureur me domine,
De prendre contre tous l’interest* de Corinne.

CEPHISE.

1620 Ne sçauroit-on enfin vous accorder* tous deux ?
Mais d’où vient que le Ciel est tout remply de feux ?

CORINNE.

Je voy de longs esclairs qui percent le nuage,
Ces signes que je croy sont de mauvais* presages.

OVIDE.

Peut-estre que l’Hymen va descendre des Cieux.

CORINNE.

1625 Mais j’entends dans les airs un son harmonieux.
Escoutons.

RECIT.

Bannissez toutes vos haines,
Amour, le plus beau des Dieux,
Pour mettre fin à vos peines,
1630 Va faire un Ciel de ces lieux,
Et couronner de fleurs sur ces rives charmantes*,
Et les Amans, & les Amantes.

HIACINTHE.

C’est l’Amour dans le Char de sa mere.

CEPHISE.

Que son visage est beau !

CORINNE.

Qu’il a d’attraits pour plaire ! {p. 111}

SCENE VI. & derniere. §

L’AMOUR, HYACINTHE, CEPHISE, OVIDE, CORINNE, AMINTE, CELIE, DAPHNIS, MAXIME.

L’AMOUR.

Je viens mettre la paix dans cet heureux sejour*,
1635 Et mon empire est doux, puis que je suis l’Amour.
Vous fidelles Amans, Hyacinthe & Cephise.
A qui mes traits puissans ont ravi la franchise*,
Pour augmenter vos biens j’ay fait croistre vos maux,
Mais je vais desormais couronner vos travaux*,
1640 Pour voir de vos beaux jours la course fortunée*,
Je fais venir du Ciel le pompeux* Hymenée :
Joüissez donc en paix de la felicité,
Dans des liens plus doux que n’est la liberté.
Je vais changer l’Arrest prononcé par les Graces,
1645 Et veux que dans mon Temple & dans toutes les places,
Le peuple d’Amathonte entende publier {p. 112}
Celuy-cy que l’Amour lui deffend d’oublier.
Je veux que desormais on puisse dans le monde,
Aymer esgallement* & la brune & la blonde,
1650 Sans que pas un Amant* ait droit de decider*,
Entre ces deux beautez laquelle doit ceder ;
Ovide retournez au rivage du Tybre,
Soyez tousjours Amant*, & soyez tousjours libre,
Que Corinne vous suive, & vous imite aussi,
1655 Vivez dans mon Empire exempts de tout soucy* :
Bien que dans l’Univers vous serviez à ma gloire*,
Cedez aux plus constans le prix de la Victoire,
Et pour sortir d’erreur, aprenez aujourd’huy,
Qu’Hymen n’est point facheux* quand je suis avec luy.

FIN.