ACTE I §
MELEAGRE, ARISTANDRE, CHŒUR DE PEUPLE, TROUPE DE PAYSANS, I VENEUR.
MELEAGRE.
Fille de Jupiter, Déesse trois fois grande,
Au Ciel, dans les forests, & où Pluton commande,
D’un peuple, pour son Roy trop long tems châtié.
Qu’exerce
dessur* nous ce monstre impitoyable,
Ce sanglier qui remplit la province d’horreur,
Qui d’un monde englouty ne borne sa fureur.
Helas ! l’impieté du mépris de mon pere,
10 Tes honneurs oubliez alluma ta colere,
Les siens, & luy, punis de l’offense à bon droit,
Car qui plus autrement des mortels te craindroit ?
Poursuivre toutefois ne convient pas à celle,
Qu’oblige à la clemence un titre de pucelle,
15 Saturne des humains dissipe la rancœur,
Te peut la tienne donc demeurer sur le cœur ?
Mesme apres ne sçavoir offrande, ny victime,
Qui puisse plus laver l’énormité du crime,
Apres mainte hecatombe,
outre* le sang humain,
20 Qu’épanche l’animal implacable de faim,
O vierge Latoïde, ô puissance premiere,
A qui nous devons tous la celeste lumiere,
D’un
diffame* éternel mon regne malheureux !
25 Ou mon peuple affranchy, détourne sur ma teste,
Repete sur moy seul, comme plus criminel,
Qui me vouë au païs le delit paternel.
ARISTANDRE.
Plus le pilote expert voit s’accroître l’orage,
30 D’autant sçait-il mesler l’
industrie* au courage,
Sa constance redouble, ainsy que le danger,
Et ne sçauroit la peur où chez lui se ranger!
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Imitez-le grand Roy vostre vertu montrée,
En chose digne d’elle à propos rencontrée,
35 Sans doute qu’on devoit selon l’ordre tenu,
Tel malheur du courroux celeste provenu,
N’épargner aucuns vœux, sacrifice, priere,
Remedes appliquez en leur propre saison,
40 Mais il faut que l’effet succede à l’
oraison*;
Quiconque attend oisif l’assistance divine,
Ne la merite pas, amy de sa ruine,
Sire, il faut employer l’
artifice*, & l’effort,
Qui desire exaucé, mettre le monstre à mort.
MELEAGRE.
45 Las ! Où la
Deïté* nos malheurs favorise,
Toujours trop d’aliment nourit leur flâme éprise,
On a beau se deffendre, on a beau rechercher,
Dequoy pouvoir le flus d’un torrent empescher,
Qui dissipe, qui pert, qui se trouve passage,
50 Parmy la prévoyance aveugle du plus sage !
Ce sanglier qui n’a plus son repaire aux forests,
Qui s’ose impunément jusqu’aux portes des villes,
Exiger un tribut sur leurs troupes serviles;
55 L’inévitable parque accompagne ses pas,
Mon Empire, & ma gloire envoyez au trépas,
Hé ! qui jamais eust creu les natures celestes,
O déplorable Prince, ô trop inique sort,
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60 Un peuple aporte icy ses plaintes de renfort.
CHŒUR DE PEUPLE.
Pere comun des tiens, Monarque magnanime,
Vueille faire cesser le mal qui les opprime,
Ce mal qui vagabond assiege nos citez,
Prive les habitans de leurs necessitez,
65 Interdit le commerce, épouventez de sorte,
Qu’il n’y a contre luy forteresse assez forte,
Que l’horreur de ce monstre empreinte au souvenir,
Chacun qui çà, qui là, minutant sa retraite,
70 Où il la juge en lieu de
sauveté* distraite,
Or* dois-tu vray pasteur, ton troupeau secourir,
A l’extrême réduit, sur le point de mourir.
MELEAGRE.
Chetifs* ! l’affliction vous ôte la prudence,
Telle plainte vers moy coupable d’imprudence,
75 Qui l’Empire attaqué de voisins ennemis,
Où le juste combat d’homme, à homme, permis,
Dés* long tems,
dés* long tems, ma vie abandonée,
Mon desir brûle apres ce dessein vertueux,
80 Que le cruel destin me rend infructueux :
Toutefois chers amis, la bonne conscience,
M’asseure que dans peu (munis de patience)
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Un secours employé qui surpasse l’humain,
Joyeux vous brisera ce servage inhumain,
Mais ? quel spectacle encor nous arrive
moleste*,
D’une troupe champestre effroyable de pleurs ?
Indice plus que vray témoignant ses malheurs.
TROUPE DE PAYSANS.
Plaise à ta Majesté, ne souffrir davantage,
90 Qu’un
fier* hôte infernal gâte son heritage,
Desesperez d’avoir toujours perte sur perte,
Sont contraints de quitter la province deserte,
95 Province que viendra la famine engloutir,
Où nul n’ose l’enclos de ses Lares sortir,
Lares impunément violez à toute heure,
Du monstre carnacier qui fait que chacun pleure,
Qui vient les nouriçons aux meres arracher,
100 Mortes de ses regards lancez à l’approcher.
Quiconque d’entre nous ose prendre les armes,
Ne faisant rien qu’acroistre, & la perte, & les larmes,
Si qu*’au lieu de l’espoir de la blonde Ceres,
Les steriles chardons herissent nos
guerets*,
105 Bacchus sur les cotaux languit la teste basse,
Helas ! qui le pourroit ? l’image du trépas,
Presente, inseparable, unie à chaque pas.
Ren nous donc, ô grand Roy, la
franchise* premiere,
110 Où te cherche qui plus habite un coemetiere,
Pareille extrémité dispense du devoir,
Au cas que ton secours n’avise d’y pourvoir.
MELEAGRE.
Relevez-vous enfans, d’espoir & de courage,
Un beau soleil plus gay, va luire apres l’orage,
115 Qui ce foudre pouvoit decoché retenir :
Qui des mortels parer aux coups de l’avenir ?
Nul certes, le destin maitre absolu, dispose,
De l’Empire des Roys, qu’il couronne, & dépose,
Sa justice expiant le crime paternel,
120 Me reserve un courrous de rancœur éternel ;
Ce feu meurt à present, faute de nouriture,
Autre dificulté plus grande ne me tient,
A qui du monstre
occis* la victoire apartient,
125 Sinon joints d’arrester sa fuite vagabonde,
Chacun donc vigilant à l’envy me seconde,
Patron me reconnoisse à ce grand coup de vent,
Sans murmure obeïsse, & sans plus entreprendre,
130 Que ne veut notre oracle, à peine de méprendre.
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CHŒUR DE PEUPLE.
Quiconque à ce devoir
impieux* contredit,
Soit du moteur suprême, & des hommes maudit,
Quiconque, épargnera sa fortune, ou sa vie,
Puisse, l’ âme aux enfers criminelle ravie,
135 De memoire execrable à la posterité,
Recevoir un supplice éternel merité.
TROUPE DE PAYSANS.
L’usage n’ait apris des outils de la guerre,
Propres à conquerir ce brutal ennemy,
140 Nul pourtant ne voudroit paroitre homme à demy,
Nul, où la Majesté du Prince se
hazarde*,
Montrer d’aucune peur l’aparence coüarde,
Plus digne, où le trépas, volontaire souffrir.
MELEAGRE.
Or* preparez ensemble à une brêve atente,
Chacun paisiblement se retire chez soy,
Nos veneurs de retour à propos j’apperçoy,
Qui
possible* auront mieux la beste reconnuë,
150 Comme tout au labeur cede à la
continuë*,
Et bien ? quelle nouvelle ? avons-nous découvert,
Un chemin desormais à la victoire ouvert ?
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I VENEUR.
L’ animal effroyable en son espece énorme,
Surpasse des sangliers la nature, & la forme,
155 Qui ne sçauroit de l’œil estre assez admiré,
Sa
hure* une forest ombrageuse ressemble,
N’estant à son mouvoir si
brave* qui ne tremble,
Dessous chaque paupiere un tison furieux,
160 Toujours étincelant luy compose les yeux,
Quelque chesne vieillard qu’imprime sa deffence,
S’ensuit comme du foudre une mortelle offence,
Nous-mêmes l’avons veu par maniere d’
ébat*,
Dechirer un lion aggresseur du combat,
165 Son soufle, bruit plus fort qu’une forte tourmente,
Et jadis le pareil
es* forests d’ Erymanthe ;
Sous Alcide broncha ce demy-dieu vaincoeur,
Que le Tonant fournit de forces, & de
cœur*.
MELEAGRE.
Préoccupez d’effroy, ce rapport peu fidelle,
170 Ne touche au principal du
soin* qui me martelle,
(Repaire accoutumé) l’animal violent,
Nul n’ignore que là
gist* le nœu de l’affaire,
II. VENEUR.
Chaque action chez lui nous ébloüit les yeux,
Aucuns secrets appris du métier de la chasse,
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Non quand un Orion tiendroit la même place,
Ne le reconnoitroit qui
vague* sans égard,
180 Et giste, où sa fureur s’adonne de
hazard*.
MELEAGRE.
L’œuvre laborieux ma presence demande,
Bel œuvre qu’à un Roy la pieté commande,
Que de ne rien étraindre à force d’embrasser :
185 Aristandre, va donc exercer ta
faconde*,
Chez la fleur des vaillants qui decore le monde,
De ces preux Myniens, qui la riche toison,
Conquirent avec moy au Thessale Jason :
Accepte Ambassadeur un offre magnanime,
190 D’affranchir le païs du fleau qui l’opprime,
Accepte necessaire un secours étranger,
A qui ma main premiere écarte le danger,
A qui l’extrémité communique ma gloire,
Honteux qu’une si basse, & brutale victoire,
195 Profane la valeur des fils de Jupiter,
Mais le destin nous veut jusques-là mal-traiter.
ARISTANDRE
Un prince vertueux n’obscurcit sa loüange,
Où la necessité à ce party le range,
D’employer les amis capables reconnus,
200 Et ne luy en sont pas ses peuples moins tenus,
Qui le voyent
premier* aux effets en personne ;
Ainsy le bon pasteur contraint reclamera,
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La troupe des voisins qui promte s’armera,
205 Et du loup combatu la gloire luy demeure,
Bien qu’accablé parmy la multitude il meure :
Sire, pareil honneur ce bel exploit attend,
MELEAGRE.
Afin que l’entreprise heureuse nous succede,
210 J’entends qu’un sacrifice à Diane précede,
Que mainte pure
hostie* arrouse ses autels :
Un signe favorable à la chasse entreprise :
215 Vous autres
derechef*, & promts, & vigilans,
Ce foudre découvert, à ses pas violens,
Toute difficulté, toute demeure ôtée,
Ne faudrez de donner l’adresse souhaitée,
Quiconque plus expert fera mieux son devoir,
220 Un salaire Royal certain de recevoir.