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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Sieur de Hauteroche. Crispin musicien. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 60 sc. 1285 répl. 1,2 l. 1 523 l. 1 523 l. 33 % 4 757 l. (100 %) 3,1 pers.
PHELONTE 24 sc. 228 répl. 1,2 l. 810 l. (54 %) 284 l. (19 %) 36 % 2 872 l. (61 %) 3,5 pers.
MELANTE 4 sc. 35 répl. 1,1 l. 151 l. (10 %) 39 l. (3 %) 26 % 787 l. (17 %) 5,2 pers.
DORAME 16 sc. 182 répl. 0,9 l. 532 l. (35 %) 157 l. (11 %) 30 % 2 159 l. (46 %) 4,1 pers.
DAPHNIS 16 sc. 65 répl. 1,2 l. 474 l. (32 %) 80 l. (6 %) 17 % 2 080 l. (44 %) 4,4 pers.
LISE 3 sc. 15 répl. 0,7 l. 128 l. (9 %) 10 l. (1 %) 8 % 719 l. (16 %) 5,6 pers.
TOINON 28 sc. 164 répl. 1,5 l. 783 l. (52 %) 239 l. (16 %) 31 % 3 008 l. (64 %) 3,8 pers.
FANCHON 15 sc. 100 répl. 1,0 l. 274 l. (18 %) 104 l. (7 %) 38 % 1 040 l. (22 %) 3,8 pers.
BONIFACE 3 sc. 18 répl. 1,1 l. 41 l. (3 %) 20 l. (2 %) 49 % 105 l. (3 %) 2,6 pers.
ANASTASE 7 sc. 54 répl. 1,2 l. 191 l. (13 %) 65 l. (5 %) 35 % 672 l. (15 %) 3,5 pers.
CRISPIN 35 sc. 292 répl. 1,3 l. 1 056 l. (70 %) 388 l. (26 %) 37 % 3 521 l. (75 %) 3,3 pers.
LE BRETON 2 sc. 21 répl. 0,6 l. 37 l. (3 %) 13 l. (1 %) 35 % 112 l. (3 %) 3,0 pers.
LA RONCE 10 sc. 44 répl. 0,6 l. 75 l. (5 %) 25 l. (2 %) 34 % 181 l. (4 %) 2,4 pers.
UN MAISTRE DE MUSIQUE 4 sc. 66 répl. 1,5 l. 178 l. (12 %) 97 l. (7 %) 55 % 505 l. (11 %) 2,8 pers.
les-violons 1 sc. 1 répl. 3,8 l. 26 l. (2 %) 4 l. (1 %) 15 % 157 l. (4 %) 6,0 pers.
Sieur de Hauteroche. Crispin musicien. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
PHELONTE 18 l. (100 %) 1 répl. 17,7 l. 1 sc. 18 l. (2 %) 1,0 pers.
PHELONTE
MELANTE
23 l. (49 %) 15 répl. 1,5 l.
25 l. (52 %) 16 répl. 1,5 l.
1 sc. 47 l. (4 %) 3,0 pers.
PHELONTE
DORAME
15 l. (48 %) 12 répl. 1,2 l.
17 l. (53 %) 13 répl. 1,2 l.
3 sc. 31 l. (3 %) 6,2 pers.
PHELONTE
DAPHNIS
43 l. (57 %) 13 répl. 3,3 l.
33 l. (44 %) 10 répl. 3,2 l.
2 sc. 74 l. (5 %) 4,0 pers.
PHELONTE
TOINON
36 l. (53 %) 27 répl. 1,3 l.
33 l. (48 %) 23 répl. 1,4 l.
5 sc. 68 l. (5 %) 4,0 pers.
PHELONTE
FANCHON
19 l. (52 %) 25 répl. 0,8 l.
18 l. (49 %) 23 répl. 0,8 l.
6 sc. 36 l. (3 %) 5,7 pers.
PHELONTE
BONIFACE
3 l. (40 %) 4 répl. 0,5 l.
4 l. (61 %) 4 répl. 0,8 l.
1 sc. 5 l. (1 %) 4,0 pers.
PHELONTE
CRISPIN
118 l. (41 %) 110 répl. 1,1 l.
174 l. (60 %) 112 répl. 1,5 l.
18 sc. 291 l. (20 %) 3,5 pers.
PHELONTE
LA RONCE
3 l. (43 %) 5 répl. 0,5 l.
4 l. (58 %) 5 répl. 0,7 l.
3 sc. 6 l. (1 %) 3,0 pers.
PHELONTE
UN MAISTRE DE MUSIQUE
10 l. (30 %) 16 répl. 0,6 l.
24 l. (71 %) 13 répl. 1,8 l.
1 sc. 34 l. (3 %) 3,0 pers.
MELANTE
DORAME
5 l. (59 %) 3 répl. 1,3 l.
3 l. (42 %) 3 répl. 1,0 l.
1 sc. 7 l. (1 %) 8,0 pers.
MELANTE
LISE
2 l. (37 %) 2 répl. 1,0 l.
4 l. (64 %) 4 répl. 0,8 l.
2 sc. 5 l. (1 %) 7,2 pers.
MELANTE
FANCHON
7 l. (28 %) 10 répl. 0,6 l.
17 l. (73 %) 8 répl. 2,0 l.
2 sc. 22 l. (2 %) 3,0 pers.
MELANTE
CRISPIN
1 l. (23 %) 1 répl. 0,6 l.
3 l. (78 %) 1 répl. 2,1 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 5,9 pers.
MELANTE
LE BRETON
2 l. (44 %) 3 répl. 0,5 l.
3 l. (57 %) 3 répl. 0,7 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 3,0 pers.
DORAME
DAPHNIS
5 l. (80 %) 3 répl. 1,6 l.
2 l. (21 %) 3 répl. 0,4 l.
2 sc. 6 l. (1 %) 7,1 pers.
DORAME
LISE
8 l. (60 %) 7 répl. 1,0 l.
5 l. (41 %) 7 répl. 0,7 l.
2 sc. 12 l. (1 %) 5,9 pers.
DORAME
TOINON
51 l. (34 %) 58 répl. 0,9 l.
102 l. (67 %) 59 répl. 1,7 l.
12 sc. 153 l. (11 %) 4,4 pers.
DORAME
ANASTASE
22 l. (43 %) 29 répl. 0,7 l.
29 l. (58 %) 26 répl. 1,1 l.
4 sc. 50 l. (4 %) 3,8 pers.
DORAME
CRISPIN
38 l. (37 %) 46 répl. 0,8 l.
67 l. (64 %) 53 répl. 1,3 l.
7 sc. 104 l. (7 %) 5,1 pers.
DORAME
UN MAISTRE DE MUSIQUE
15 l. (31 %) 23 répl. 0,7 l.
34 l. (70 %) 19 répl. 1,8 l.
3 sc. 49 l. (4 %) 2,7 pers.
DAPHNIS
TOINON
20 l. (30 %) 22 répl. 0,9 l.
47 l. (71 %) 25 répl. 1,9 l.
13 sc. 66 l. (5 %) 3,8 pers.
DAPHNIS
ANASTASE
6 l. (29 %) 6 répl. 1,0 l.
15 l. (72 %) 9 répl. 1,7 l.
4 sc. 21 l. (2 %) 3,5 pers.
DAPHNIS
CRISPIN
22 l. (42 %) 24 répl. 0,9 l.
32 l. (59 %) 22 répl. 1,4 l.
8 sc. 53 l. (4 %) 4,9 pers.
LISE
TOINON
1 l. (28 %) 1 répl. 0,8 l.
3 l. (73 %) 1 répl. 2,1 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 3,0 pers.
LISE
FANCHON
1 l. (6 %) 1 répl. 0,2 l.
4 l. (95 %) 3 répl. 1,2 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 3,0 pers.
LISE
CRISPIN
1 l. (33 %) 1 répl. 0,4 l.
1 l. (68 %) 2 répl. 0,5 l.
1 sc. 1 l. (1 %) 8,0 pers.
TOINON
ANASTASE
17 l. (44 %) 20 répl. 0,8 l.
22 l. (57 %) 19 répl. 1,1 l.
5 sc. 38 l. (3 %) 3,1 pers.
TOINON
CRISPIN
40 l. (50 %) 36 répl. 1,1 l.
41 l. (51 %) 35 répl. 1,2 l.
13 sc. 81 l. (6 %) 4,4 pers.
FANCHON
BONIFACE
15 l. (51 %) 11 répl. 1,3 l.
14 l. (50 %) 11 répl. 1,3 l.
3 sc. 28 l. (2 %) 2,6 pers.
FANCHON
CRISPIN
33 l. (57 %) 23 répl. 1,4 l.
25 l. (44 %) 24 répl. 1,0 l.
5 sc. 57 l. (4 %) 5,1 pers.
FANCHON
LE BRETON
4 l. (29 %) 14 répl. 0,2 l.
9 l. (72 %) 13 répl. 0,7 l.
1 sc. 12 l. (1 %) 3,0 pers.
FANCHON
LA RONCE
17 l. (66 %) 18 répl. 0,9 l.
9 l. (35 %) 17 répl. 0,5 l.
4 sc. 25 l. (2 %) 2,5 pers.
BONIFACE
LA RONCE
1 l. (27 %) 2 répl. 0,2 l.
2 l. (73 %) 3 répl. 0,4 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 3,0 pers.
CRISPIN 10 l. (100 %) 1 répl. 10,0 l. 1 sc. 10 l. (1 %) 1,0 pers.
CRISPIN
LA RONCE
9 l. (54 %) 13 répl. 0,7 l.
8 l. (47 %) 14 répl. 0,5 l.
3 sc. 16 l. (2 %) 2,4 pers.
CRISPIN
UN MAISTRE DE MUSIQUE
29 l. (42 %) 28 répl. 1,0 l.
40 l. (59 %) 34 répl. 1,2 l.
3 sc. 68 l. (5 %) 3,1 pers.
LE BRETON
LA RONCE
3 l. (68 %) 5 répl. 0,5 l.
2 l. (33 %) 4 répl. 0,3 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 3,0 pers.
LA RONCE 4 l. (100 %) 1 répl. 3,3 l. 1 sc. 3 l. (1 %) 1,0 pers.

Sieur de Hauteroche

1674

Crispin musicien. Comédie

Édition de Cécile Gervais
sous la direction de Georges Forestier
2015
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2015, license cc.
Source : Sieur de Hauteroche, Crispin musicien. Comédie, à Paris, Chez Pierre Promé, sur le Quay des Grands Augustins, à la Charité, 1674.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

CRISPIN MUSICIEN,
COMEDIE. §

PREFACE §

Si l’on doit juger d’une Comedie par sa rêüssite, j’ay lieu de croire que celle-cy n’est pas des plus mêchantes. Quarante Representations de suite dans la plus mauvaise saison de l’année, me persuadent aisêment qu’elle n’est pas sans merite ; et à parler de bonne foy, je pense qu’un autre en ma place, auroit peine à ne pas se laisser aller à cette persuasion. Le Public, qui dêcide ordinairement de ces sortes d’Ouvrages, a paru fort content de celuy-cy : mais parmy tant de beau Monde qui l’est venu voir en foule, il s’est rencontrê de ces Critiques à outrance, qui ne luy ont pas estê si favorables. Ils ont, suivant leur chagrin naturel, condamnê plusieurs endroits de cette Comedie ; mais le succés qu’elle a eu, m’a vangê pleinement de la malignité de leur humeur critiquante. J’ai le plaisir de voir malgré eux, que sans cabale & sans aucune brigue*, cette Piece s’est d’elle-mesme attirêe l’estime de tout Paris, et que je n’en suis obligê qu’à l’equitê du public, et au soin de mes Camarades. Ces Messieurs les Critiques ont crû donner une grande atteinte à cette Comedie, en faisant remarquer qu’il y a peu de Sujet ; mais je ne voy pas que ce soit un grand defaut, ny que cette remarque me soit desavantageuse. Je sçais comme eux, qu’on y trouvera une duplicitê d’action ; mais je sçais bien aussi que l’action episodique est moindre que la principale, que cette duplicitê n’est pas sans liaison, et qu’il est aisê de connoistre que c’est par les Personnages episodiques que le dênoüement s’en fait. On dit qu’ils m’ont fait la grace de passer legerement sur la conduite ; mais qu’ils ont blâmê fortement quelques Personnages, qui selon leur censure, pouvoient estre retranchez sans rien alterer du Sujet. J’avouë qu’il y en a quelques-uns que possible j’aurois pû retrancher ; mais j’ose dire qu’ils ont produit un trop bon effet dans la Piece, pour croire que je me repente jamais de les y avoir laissez : outre, qu’à considerer la chose avec un peu de réflexion, on verra que ces Personnages ne sont pas si dêtachez que ces Messieurs ont voulu se l’imaginer. Le Musicien attendu par les Filles de Dorame, inspire la pensée à Toinon de faire Crispin Maistre de Musique, pour se tirer de l’embaras où ils sont ; et cette adresse dont elle se sert en cette rencontre, donne lieu à des incidens fort agreables, qui aident beaucoup au dènoüement. Le Breton qui vient au quatrième Acte pour faire un message à Phelonte de la part de Melante son Maistre, ne rompt point le fil de l’action : il estoit de la prudence de Melante en cette occasion d’envoyer avertir Phelonte de sa venuë, afin de ne pas exposer la personne qu’il aime à la veuë des Gens que le hazard pouvoit faire rencontrer au logis de Phelonte. Pour prevenir cet inconvenient, Melante y envoye son Valet, et n’en ayant point de réponse, il y vient luy-mesme : ainsi on peut conclure que la Scene du Breton n’est pas tout-à-fait inutile, et que son Personnage est en quelque façon attaché à la Piece. A la veritè, Melante y pouvoit venir d’abord ; mais en de pareilles occurrences, un Amant n’abandonne guere sa Maitresse, particulierement lors qu’il a un Valet sur lequel il peut se reposer. Sans m’arrester à répondre à toutes les chicanes des Critiques, je diray en passant que nous avons quantitè d’exemples de ces Personnages que ces Messieurs trouvent ètrangers au Sujet, qui souvent ont fait naistre au Theatre des plaisanteries fort spirituelles. Plaute et Terence n’ont point fait de difficultè de s’en servir ; et l’Illustre Moliere, ayant suivy leurs traces, ne s’en est pas mal trouvè. Ce n’est pas que je veuille dire par là que ces exemples soient toûjours bons à suivre ; au contraire, je tiens que l’Art* est un chemin bien plus certain, et que ses preceptes conduisent plus seûrement à la perfection que ne font ces sortes de libertez, quoy qu’elles ayent esté fort heureuses. Il est constant qu’on ne peut jamais déplaire avec l’Art, et qu’il est dangereux de s’ècarter de ses regles ; mais je croy qu’on est pas tout-à-fait condamnable quand en le faisant on rèüssit, et qu’on trouve le moyen de plaire, qui est le but de ce grand Art*.

ACTEURS. §

  • PHELONTE, Amans.
  • MELANTE, Amans.
  • DORAME, [Père de Daphnis et Lise.]
  • DAPHNIS, Filles de Dorame.
  • LISE, Filles de Dorame.
  • TOINON, Servante de Dorame.
  • FANCHON, Servante de Phélonte.
  • BONIFACE, Précepteurs.
  • ANASTASE, Précepteurs.
  • CRISPIN, Valet de Phélonte.
  • LE BRETON, Valet de Mélante.
  • LA RONCE, Laquais de Phélonte.
  • UN MAISTRE DE MUSIQUE.
La Scène est à Paris, dans la Maison de Phélonte, & dans celle de Dorame.
Le Premier Acte se passe dans l’Antichambre de Phêlonte, où d’abord il doit y avoir un Clavessin sur le costê du devant du Theatre ; & dans le fonds, des Sieges aux deux costez : Sur les uns il faut y voir un gros Manteau de campagne ; sur les autres un Chapeau sans plumes, les plumes sur un Siege pres celuy du Chapeau.
{p. 1, A}

ACTE PREMIER. §

SCENE PREMIERE. §

LA RONCE à ses Camarades.

Ses Camarades sont six Violons habillez en Laquais comme luy.
Eh, Messieurs, un moment concertons* entre nous ;
De nostre peu de soin, Monsieur est en courroux :
Nous avons, sans mentir, beaucoup de nonchalance*.
Ils joüent l’Ouverture, & après La Ronce dit le dernier Vers, & s’en vont.
Allons. Cela va bien ; mais plus de negligence.
{p. 2}

SCENE II §

CRISPIN entre de l’autre costé, & apres avoir un peu resvê.

5 Ah Crispin ! ah Crispin ! Quel destin rigoureux
T’a laissé voir Toinon, pour en estre amoureux ?
Que d’angoisse en aimant ! Ah Ciel, ah Destinée !
Il faut souffrir, Amour, cruel Sort, Hymenée…
Je ne sçay où j’en suis, et ma raison se pert ;
10 J’ay l’esprit bouché, moy, qui l’eus toûjours ouvert.
Cette vivacité que j’avois d’ordinaire
A sortir promptement d’une mauvaise affaire,
Et qui de tout Paris me faisoit admirer,
M’abandonne ! Amour, ah ! laisse-moy respirer.
15 Hé ! tout doux ; dans mon cœur ne descens pas si viste.
Quoy ! tu ne peux ailleurs chercher un autre giste ?
Peste des Importuns !

SCENE III §

LA RONCE, avec les six autres Laquais, tenant chacun un Violon, CRISPIN.

LA RONCE

Est-il jour là-dedans ?

CRISPIN répondant chagrinement*.

Oüy.
{p. 3}

LA RONCE

Personne aujourd’huy ne mange-t-il ceans ?

CRISPIN

Je ne sçay.

LA RONCE

Joüerons-nous ?

CRISPIN

Hé qui vous en empesche ?

LA RONCE

20 Voüay ! Crispin, du matin, a l’humeur bien revesche ?

CRISPIN

Je l’ay comme il me plaist.

LA RONCE

Monsieur est-il au Lit ?

CRISPIN

Non, il est habillé.

LA RONCE

Bon : Que fait-il ?

CRISPIN

Il lit.

LA RONCE

Nous pouvons donc joüer ?

CRISPIN

Le Diable vous emporte ;
Joüez, ne joüez pas, tout cela ne m’importe.
25 Mais tréve aux questions : Si tu m’en fais jamais…

LA RONCE

Hé bien ?
{p. 4}

SCENE IV §

PHELONTE, CRISPIN, Les six Laquais.

PHELONTE ouvrant la porte de sa Chambre.

Quel bruit entens-je ?

CRISPIN

Hé ce sont vos Laquais.

PHELONTE

Qu’on se taise.

LA RONCE

Monsieur, c’est luy qui nous querelle.

CRISPIN

Je…

PHELONTE

Paix.

LA RONCE

Nous sommes prests à cette Ritournelle
Que vous…

PHELONTE rentrant.

J’entens ; Allez, ce sera pour tantost*.
{p. 5}

SCENE V §

CRISPIN, LA RONCE, Les six autres Laquais.

LA RONCE, en raillant, apres que ses Camarades ont fait une revêrence à Crispin.

30 Je suis fâché…

CRISPIN

Faquin !

LA RONCE

C’est votre honneur.

CRISPIN

Maraut*,
Si…

LA RONCE

Maraut* ! Autrefois nous estions Camarades :
D’où vient donc cet orgüeil & ces foles boutades* ?

CRISPIN

Point de comparaison, vois-tu, car…

LA RONCE

En effet,
Au nom d’Homme de Chambre on doit un grand respect.

CRISPIN menaçant.

35 Fat…

LA RONCE luy faisant la revérence.

C’est vostre honneur.

CRISPIN

Sors, avec toute ta Clique.
Apres qu’ils sont sortis, il continuë.
On est dans ce Logis accablé de Musique :
Je n’y puis en repos resver à mon amour ;
Je n’entens qu’E mi la, qu’F ut fa, tout la jour,
Que B mol, fugue, tierce… Ah, voicy la Parleuse.
{p. 6}

SCENE VI §

FANCHON, CRISPIN qui saluë seulement Fanchon d’un signe de teste.

FANCHON

40 Bon-jour, Crispin. Toûjours dans ton humeur grondeuse ?

CRISPIN à part.

Ah que je hay les Gens, qui sur les moindres cas
Commencent de parler, pour ne déparler* pas.

FANCHON

Que dis-tu ?

CRISPIN

Rien.

FANCHON

Sçais-tu si Monsieur me demande ?
S’il n’a point à traitter* quelque Gaupe* friande,
45 Qui viendra, sans raison, censurer* chaque Mets,
Et faire icy crier Servantes & Valets ?
Je hay cela tout-franc, Crispin ; & sur mon ame,
J’aime mieux voir icy quatre Hommes, qu’une Femme.
Je sçay que tu diras, Monsieur le veut ainsi ;
50 Ta raison est fort bonne, & je l’approuve aussy :
Le servant, tu ne dois aspirer qu’à luy plaire.

CRISPIN

Et ne le sers-tu pas, toy ?

FANCHON

C’est une autre affaire ;
Ce que je fais pour luy, c’est par affection.
{p. 7}

CRISPIN

Je ne m’oppose point à la distinction ;
55 Entre vous le debat.

FANCHON

Laisse-là la sottise,
Aupres de moy tu sçais qu’elle n’est pas de mise ;
Toutes mes actions ont deû t’en informer :
J’aime fort nostre Maistre, & j’ay lieu de l’aimer ;
Il ne me traitte pas sur le pied de Servante.
60 Mais dy, quelle autre aussy gouverna mieux sa Tante ?
Cette Dame mal saine, au Lit depuis deux ans,
M’oblige, quoy qu’on die, à demeurer ceans ;
D’ailleurs, la Dame morte, il en vient quelque chose.

CRISPIN

Je n’y demande rien ; qu’on se taise, ou qu’on cause…

FANCHON

65 Pour un Garçon d’esprit, c’est répondre fort mal.

CRISPIN

Et qu’ay-je affaire aussy…

FANCHON

Que tu deviens brutal !

CRISPIN

Je deviens… Laisse-moy.

FANCHON

Brutaliser encore !
Sçais-tu que depuis peu ton bon sens s’évapore ?

CRISPIN

Qu’il s’évapore, ou non, que t’importe cela ?
70 Va-t’en étudier ton Ré mi fa sol la,
Ou bien voir si la Tante…

FANCHON

Hom… Ta mélancolie*
A des égaremens* qui vont à la folie ;
Prens garde à toy, Crispin.
{p. 8}

CRISPIN

Oh parle tout ton soû :
Si je te dis plus rien, qu’on me rompe le coû.

FANCHON mettant le bout du doigt à son front.

75 Hom…

CRISPIN faisant la mesme chose par dépit.

Hom…

SCENE 7 §

PHELONTE, FANCHON, CRISPIN.

PHELONTE entrant.

Bon-jour, Fanchon.

FANCHON apres avoir fait une revérence.

Hier, Monsieur vostre Frere
Vint avec son Pédant icy.

PHELONTE

Qu’y vint-il faire ?

FANCHON

Hé, pour tâcher, Monsieur, à refaire sa paix.

PHELONTE

Fanchon, en sa faveur, ne me parles jamais ;
C’est un petit Mignon* par trop incorrigible,
80 Et ma facilité* luy deviendroit nuisible :
Qu’il demeure au College avec son Précepteur,
Et me laisse en repos ; autrement…

FANCHON

Eh Monsieur,
Songez…
{p. 9}

PHELONTE

C’est un Esprit qu’il est bon de réduire,
Et sur ce qu’il me doit je veux un peu l’instruire,
85 Il n’en sera que mieux : Mais viença, dy, Fanchon,
Sçais-tu ce Menüet ?

FANCHON

Oüy, Monsieur.

PHELONTE

Tout-de-bon ?

FANCHON

Oüy.

PHELONTE

Mais bien ?

FANCHON

Je le croy. Vous plaist-il de l’entendre ?

PHELONTE

Ah tu l’offres trop bien, pour vouloir m’en défendre.
Çà, voyons.
Il s’en va à son Clavessin.

FANCHON

Seulement donnez-moy vostre ton ;
90 Puis…

PHELONTE apres avoir préludê.

Le voila.
FANCHON prélude, La, la, la, la, &c.

PHELONTE

Fort-bien.

FANCHON

Vous raillez ?

PHELONTE

Point.

FANCHON

Sy.

PHELONTE

Non :
Allons, chante.
{p. 10}

FANCHON chante.

On passe en douceur la vie,
Quand on aime le bon Vin :
Mais quand on chérit Silvie,
On a souvent du chagrin.
On passe en douceur la vie,
Quand on aime le bon Vin.

PHELONTE

Fort-bien.

FANCHON poursuit.

Un Beuveur, en Homme habile,
Conserve sa libertê ;
Car l’Amant le plus tranquille
Est toûjours inquietê.
Un Beuveur, en Homme habile,
Conserve sa liberté.

PHELONTE

Tu deviendras sçavante,
Si… Qu’est-ce ?

SCENE 8 §

PHELONTE, FANCHON, CRISPIN.

LA RONCE

C’est, Monsieur, Madame vostre Tante,
Qui demande Fanchon.

PHELONTE

Je n’ose t’arrester*.

FANCHON

Estes-vous content ?
{p. 11}

PHELONTE

Fort.

FANCHON

Vous voulez me flater.

PHELONTE

95 Point du tout ; J’ay, croy-moy, grand plaisir à t’entendre.

FANCHON

C’est beaucoup pour moy.

PHELONTE

Va, ne te fais point attendre.
Elle s’en va.
La Ronce, fay venir la Fluste, & Jolycœur.

LA RONCE

Faut-il qu’il ait sa Basse ?

PHELONTE

Oüy : Reviens.

LA RONCE

Bien, Monsieur.
Il touche* le Clavessin.

SCENE 9 §

LA FLUSTE, JOLYCOEUR, PHELONTE, LA RONCE, CRISPIN.

PHELONTE apres avoir touché* quelques accords.

Allons, cette Chaconne en Ce sol ut.
Ils joüent tous ensemble la Chaconne, & ensuite il dit.
Qu’on range
100 Ce Clavessin : sortez.

CRISPIN à part resvant.

Amour, quel sort étrange !
{p. 12}

SCENE 10 §

PHELONTE, CRISPIN.

PHELONTE sur son siege à Crispin, apres qu’on range le Clavessin dans le fonds du Théatre.

Là, prendras-tu le soin d’ajuster mon Chapeau ?

CRISPIN luy presentant son manteau.

Le voila.

PHELONTE

Pourquoy donc m’apporter mon Manteau ?

CRISPIN

Vous me le demandez.

PHELONTE

Moy, je te le demande ?

CRISPIN le reportant.

Oüy.

PHELONTE

Peut-on soûtenir imposture* plus grande ?
105 Quoy ! Tu continuëras à me faire enrager ?
Aujourd’huy, d’avec moy, songe à déménager* ;
Autrement, mille coups feront ta récompense.

CRISPIN

Eh Monsieur !

PHELONTE

Quoy, Monsieur ?

CRISPIN

Un peu de patience.

PHELONTE

Un peu de patience ! Eh Monsieur le Coquin,
110 Depuis un mois & plus, qu’il faut, soir & matin,
Qu’à tes égaremens* ma bonté fasse grace,
Qu’un autre à me servir à tous coups prend ta place,
Que tu pers le bon sens sans espoir de retour, {p. 13}
Que je vois ta folie augmenter chaque jour,
115 Que d’instant en instant la raison t’abandonne,
Que tu fais à rebours tout ce que je t’ordonne,
Un peu de patience ? Ah c’en est trop souffrir,
Que l’on sorte au plutost, & sans plus discourir ;
Sinon…

CRISPIN

Monsieur, de grace…

PHELONTE

Hé bien, que veux-tu dire ?

CRISPIN

120 C’est que je sens un mal… qui tous les jours empire.
Si vous sçaviez… Ah, ah.

PHELONTE

Si je prens un Baston,
Je pourray t’obliger à prendre un autre ton :
Crains de pousser à bout ma patience extréme.
Qu’as-tu donc ? Parle, ou bien…

CRISPIN

Eh Monsieur, c’est que j’aime :
125 L’Amour, depuis un mois, me fait devenir fou,
Nuit & jour je soûpire, & dors moins qu’un Hibou ;
Enfin j’en sens, Monsieur, une peine cruelle.

PHELONTE

L’Amour, me dites-vous, vous trouble la cervelle ?

CRISPIN

Oüy, Monsieur, cet amour a sur moy tout pouvoir,
130 Et c’est luy qui me fait oublier mon devoir.

PHELONTE

Ah ! Puisque cet Amour est si peu raisonnable,
Je veux, pour le punir, te frotter comme un Diable,
A grands coups redoublez le chasser de chez toy.

CRISPIN

Hé Monsieur, de ce mal faut-il se prendre à moy ?
{p. 14}

PHELONTE

135 A qui donc, traistre, à qui veux-tu que je m’en prenne,
Dis ?

CRISPIN

A ce chien d’Amour, qui sans cesse m’entraîne,
Vers l’Objet* dont mon cœur est embrasé…

PHELONTE

Maraut*,
Aimer, toy ?

CRISPIN

Mon bon sens, Monsieur, a fait le saut.

PHELONTE

Et pourquoy donc d’aimer as-tu l’extravagance* ?

CRISPIN recite ce couplet à peu pres comme un baston rompu.

140 Eh l’on aime souvent lors que moins on y pense ;
L’Amour, ce petit Dieu, se glisse dans le cœur,
Et sans nous consulter, il s’en rend le vainqueur.
Quand par un doux regard un bel œil nous enflame,
Nous sentons tout-à-coup je ne sçay quoy dans l’ame ;
145 Sans dessein toutefois on se laisse enflâmer,
On aime en ce moment, sans que l’on veüille aimer ;
Cet amour qui toûjours vient nous surprendre en traistre…
Dans le cœur qu’il surprend*, se fait chérir en Maistre ;
La raison, de l’aider, se fait comme une Loy,
150 Ce cœur avec plaisir succombe malgré soy,
Et cette passion d’une ame grande… & haute…
Enfin vous voyez bien que ce n’est pas ma faute.

PHELONTE

Où diable a-t-il donc pris tout ce langage-là ?

CRISPIN

Les Amans parlent-ils autrement que cela ?

PHELONTE

155 Il a pris ces grands mots dans quelque Comédie.
{p. 15}

CRISPIN

Il est vray, j’en ay leu plus de cent en ma vie ;
Mais l’Amour, de luy-méme est un grand Précepteur,
Il sçait faire parler un Fat en Orateur ;
Le plus grossier par luy manque peu d’éloquence.

PHELONTE

160 Et par luy le plus sage est plein d’extravagance* ;
Par luy je voy cent Fous que j’ay peine à souffrir ;
Sans plus me raisonner*, qu’on pense à s’en guerir,
Ou les coups de Baston t’iront rendre visite.

CRISPIN

Eh Monsieur, d’un tel soin* de grand cœur je les quitte,
165 Leur visite est mal propre aux Gens qui sont Amans*,
Morbleu, si de l’Amour vous sentiez les tourmens*,
Pour l’Objet inconnu de vos galanteries*,
A qui vous en contez les soirs aux Tuileries,
Vous verriez…

PHELONTE

Que verrois-je ?

CRISPIN

Eh vous verriez, Monsieur,
170 Quel Lutin est l’Amour, quand il est dans un cœur.

PHELONTE

Je me ris des effets de sa Lutinerie.

CRISPIN

Tout-franc, ne tournez point la chose en raillerie :
Apres que contre luy l’on a bien regimbé,
Souvent on est contraint de venir à jubé ;
175 Et si je m’y connoy, cette Dame masquée,
Qui sur vos doux propos ne s’est point expliquée,
Peut enfin…

PHELONTE

De mon cœur je viens toûjours à bout.

CRISPIN

Mais il ne faut qu’un jour, Monsieur, pour payer tout.
{p. 16}

PHELONTE

Je crains peu…

CRISPIN

Cependant vous la courrez* : Peut-estre
180 Vous y verray-je pris, car l’Amour est bien traistre ;
La Dame a de l’esprit, & pourra vous toucher.

PHELONTE

Mais toûjours sous un masque elle aime à se cacher ;
Par là je la crois laide.

CRISPIN

Et si, comme il peut estre,
Quand sans masque à vos yeux elle voudra parestre,
185 Vous luy trouviez autant de beauté que d’esprit,
Hem ? Vous ne dites mot. Sa Suivante m’a dit
Qu’elle est belle, archibelle.

PHELONTE

Et tu vois la Suivante,
Quand tu luy parles ?

CRISPIN

Oüy, tous les soirs c’est ma rente :
Tandis que sa maistresse, & vous, parlez tout bas,
190 Elle leve la coëffe, & ne se cache pas.

PHELONTE

Ne la connois-tu point ?

CRISPIN

Non. En vain je la presse
De m’apprendre son nom, & quelle est sa Maistresse ;
Vous estes si connu pour un Coquet* errant,
Qu’offert de tous costez, personne ne vous prend :
195 Mais pour moy je suis pris, je sens qu’Amour m’opresse.

PHELONTE

Est-ce que tu prétens extravaguer* sans cesse ?

CRISPIN

Monsieur, l’Amour peut-il…
{p. 17, B}

PHELONTE

Ecoute, si jamais
Tu me viens étourdir de ton amour…

CRISPIN

La paix,
Monsieur, quoy que l’Amour…

PHELONTE en colere.

Encor ?

CRISPIN

Je vay me taire,
200 C’est fait.

SCENE 11 §

MELANTE, PHELONTE, CRISPIN.

MELANTE entrant.

Qu’a donc Phélonte à se mettre en colere ?

PHELONTE

Ah Melante, c’est toy.

MELANTE

Tu querelles Crispin.

PHELONTE

Et comment ne le pas quereller ? Le Faquin*
S’est mis l’amour en teste, & depuis ce caprice,
Il fait tout de travers, pas le moindre service,
205 Toûjours grondant ; Enfin ce Fou, depuis un mois,
Lasse ma patience, & la met aux abois.
Si je ris, de chagrin* ce Maraut* fait le grave ;
Qu’on l’envoye au Grenier, il descend à la Cave ;
On diroit qu’il se plaist à me faire enrager. {p. 18}
210 Si je demande à boire, il m’apporte à manger ;
Il resve incessamment ; & quoy que l’on luy die,
Il semble estre toûjours dans une létargie,
Enfin : si je luy parle, il ne m’écoute pas ;
Et le Diable est en haut, quand on le croit en bas.

MELANTE

215 Toûjours de ce Valet, tu vantois le service.

PHELONTE

Alors qu’il faisoit bien, je luy rendois justice ;
Mais depuis que l’Amour luy renverse l’esprit,
Il sert mal, & souvent il ne sait ce qu’il dit.

MELANTE

Je le plains, si l’Amour à ce point le possede.

PHELONTE

220 D’un mal si chagrinant*, je sçay bien le remede ;
Le Baston…

CRISPIN

Le Baston, Monsieur ? Quelle pitié !
Pour avoir le cœur tendre, & de bonne amitié*,
On veut que sur mon dos la Bastonnade jouë.

MELANTE

Tu le blâmes d’aimer, mais pour moy je l’en louë ;
225 Comme je suis Amant*, je prens ses intérests.

PHELONTE riant.

Amant !

MELANTE

Tu me vois fou, toy qui n’aimas jamais.

PHELONTE

Moy, j’aime comme il faut.

MELANTE

Quel amour !

PHELONTE

Tres-commode.
{p. 19}

MELANTE

Aimer en mille endroits…

PHELONTE

C’est la bonne méthode ;
Par elle je me fais un plaisir assez doux.

MELANTE

230 Le véritable amour ne dépend point de nous.

PHELONTE

Belle excuse aux Amans !

MELANTE

Laissons cette matiere,
Et me dis si je puis te faire une priere ;
Ma flame en ton secours met son plus doux espoir.

PHELONTE

Parle, je t’offre tout, & tu n’as qu’à vouloir.

MELANTE

235 Je te l’ay déjà dit, aprouve, ou blâme, j’aime,
Et la Beauté pour qui mon amour est extréme
Vit sous les loix d’un Pere, opulent, plein d’honneur,
Mais qui chérit un Fils avecque tant d’ardeur,
Que pour le rendre riche, & le faire paroistre,
240 Son but est d’enfermer ses Filles dans un Cloistre.
Celle qui de mon cœur cause la passion,
Se sent pour la Closture* entiere aversion :
Mais à dissimuler son adresse est extréme.
Son Pere a découvert cependant que je l’aime,
245 Et c’est ce qui nous met tous deux dans l’embarras.

PHELONTE

Quelle est cette Beauté ?

MELANTE

Tu ne la connois pas.

PHELONTE

Pour toy, que puis-je donc ?
{p. 20}

MELANTE

Elle vient de m’ecrire,
Qu’elle a sur nostre amour quelque chose à me dire,
Que je choisisse un Lieu propre à cet entretien :
250 Mon Logis est suspect…

PHELONTE

Eh dispose du mien,
Il est à toy, pourveu qu’elle veüille s’y rendre ;
A toute heure, en tout temps, tu peux venir l’attendre,
Je t’en laisse le Maistre.

MELANTE

Ah c’est trop m’obliger,
L’entreveuë au plutost m’importe à ménager ;
255 Et puis que tu consens que mon amour se serve…

PHELONTE

Je n’ay rien qui ne soit à toy, c’est sans reserve.

MELANTE

Je te devrois icy mille remercîmens ;
Mais tu pardonneras à mes empressemens.
Adieu, je cours en haste où leur cause m’appelle.

PHELONTE

260 Donne ordre au rendez-vous, & compte sur mon zele*.

MELANTE

Si le mien peut jamais trouver lieu d’éclater…

PHELONTE

Je pense qu’avec moy tu veux complimenter* ?
L’amitié le défend, & s’en fait un outrage.
Il sort.
{p. 21}

SCENE 12 §

PHELONTE, CRISPIN.

PHELONTE

Hé bien, peut-on sçavoir quel objet* vous engage ?
265 Parlez, Monsieur l’Amant ? C’est, sans doute, Fanchon.

CRISPIN

Quoy, la Fanchon d’icy ?

PHELONTE

Quelle donc ? oüy.

CRISPIN

Non, non.

PHELONTE

Ne vaut-elle pas bien que pour elle on soûpire ?

CRISPIN

Je suis son Serviteur, Monsieur, c’est tout vous dire.

PHELONTE

Elle ne te plaist pas ?

CRISPIN

Eh…

PHELONTE

Tu luy fais affront,
270 Elle est aimable*.

CRISPIN

Oüy ; mais j’ay grand soin de mon front.

PHELONTE

Du costé de Fanchon, ton front n’a rien à craindre.
{p. 22}

CRISPIN

Vous sçavez bien que si, Monsieur, que sert de feindre ?

PHELONTE

Quoy ! Tu refuserois de te voir son Epoux ?

CRISPIN

Oüy.

PHELONTE

D’où vient ?

CRISPIN

Eh Monsieur, qui le sçait mieux que vous ?

PHELONTE

275 Moy, je le sçay ?

CRISPIN

Vous.

PHELONTE

Moy ?

CRISPIN

Vous-mesme.

PHELONTE

Mais que sçay-je ?

CRISPIN

Vous avez sur Fanchon un certain privilege…
Privilege fâcheux pour son futur Epoux.
Cela me déplairoit, je le dis entre nous.

PHELONTE

Si j’estime Fanchon, c’est parce qu’elle chante.

CRISPIN

280 Vous estes content d’elle, elle est de vous contente,
Et vos contentemens m’obligent à douter,
Si j’aurois à mon tour dequoy me contenter.

PHELONTE

Et qui donc aimes-tu ? Quelque sotte Figure.

CRISPIN

Rien moins, & je hazarde à la grosse avanture,
285 Car la Beauté… Monsieur, avant qu’il en soit temps, {p. 23}
Ne me demandez rien.

PHELONTE

Ah ma foy, je prétens,
Si je souffre de toy, qu’au moins…

CRISPIN

Tournez la veuë.

PHELONTE

Qu’est-ce ?

CRISPIN

On vient de la part de la dame inconnuë.

PHELONTE

C’est donc là sa Suivante ?

CRISPIN

Elle-mesme.

PHELONTE

Crispin,
290 Qu’en crois-tu ?

CRISPIN

Je ne sçay.

PHELONTE

Sçachons quelle est sa fin.

SCENE 13 §

PHELONTE, CRISPIN, TOINON.

PHELONTE

Qui t’améne ? & que veut ta charmante Maîtresse ?

TOINON masquée.

Vous me reconnoissez !
{p. 24}

PHELONTE

Vrayment…

TOINON

J’ay charge expresse,
De ne donner qu’à vous le Billet que voicy,
Et là-dessus bon-soir.

PHELONTE

Quoy ! Me quitter ainsy,
295 Sans avoir la Réponce ?

TOINON

On n’en demande aucune.

PHELONTE

Point de Réponce ?

TOINON

Non.

CRISPIN

Ma Chere, sans rancune,
Mon Maistre veut écrire, &…

TOINON

Tout seroit perdu,
Si je portois Réponce, on me l’a défendu.
Lisez.

PHELONTE

Auparavant, souffrez que je vous voye.

TOINON

300 Non, Monsieur, ce n’est pas pour cela qu’on m’envoye.

PHELONTE

Ne me refusez point.

TOINON

Et qu’y gagnerez-vous ?
Je vous suis inconnuë.

PHELONTE voulant oster son Masque.

Il n’importe.
{p. 25, C}

TOINON

Ah tout-doux,
Il ne faut point user de tant de violence.

PHELONTE

Te cacher ainsy faite !

TOINON

Ah point de complaisance ;
305 Je sçay bien qu’il en est de plus sotte que moy,
Mais aussy…

PHELONTE

Ta Maistresse est-elle comme toy ?

TOINON

Comme moy ? C’est un Ange, & rien n’aproche d’elle ;
Des traits doux, achevez, l’œil beau, la bouche belle…

PHELONTE

Tout-de-bon ?

TOINON

Tout-de-bon ; mais lisez promptement,
310 Ou…

PHELONTE

Je vais satisfaire à ton empressement.

PHELONTE lit.

Ne vous donnez plus la peine de me venir chercher aux Tuileries, car je vous assure que vous ne m’y trouverez pas davantage. C’est assez pour moy d’avoir pû meriter quinze jours durant vos assiduitez : ce m’est une gloire qui n’est pas petite, & je n’en attendois pas tant d’un Homme dont le cœur a toûjours esté sans amour. Je veux bien vous dire que tout le monde blâme vostre insensibilitê pour nostre sexe, & que cela fait dire des choses de vous qui ne sont pas à vostre avantage. Vous devez, pour vostre gloire*, faire reflexion sur ce que je vous écris, & profiter des avis sincéres que vous donne une Personne qui sent pour vous une forte estime*. Adieu pour toûjours.

La résolution est assez surprenante : {p. 26}
Un Adieu pour toûjours !

TOINON

Elle est vostre Servante.

PHELONTE

Ne me plus voir ! En quoy luy puis-je avoir déplû ?
Qu’ay-je fait ? Qu’ay-je dit ?…

TOINON

C’est autant de conclu.
315 Se fiëra-t-on à vous, quand on sçait que vous estes
Le Protestant banal de toutes les Coquettes*?
Et que si par hazard un cœur se rend à vous,
Aussi-tost le mépris…

PHELONTE

D’accord ; mais, entre nous,
Je sens pour ta Maistresse une sincére flâme.

TOINON

320 Quoy ! Sans voir, à l’Amour vous livreriez vostre ame ?

PHELONTE

L’Esprit est un grand charme* ; elle en a tant !

TOINON

Assez
Pour refuser des vœux un peu trop dispercez.

PHELONTE

M’estime*-t-elle un peu ?

TOINON

Je n’en fais point de doute ;
Je sçay que vous plaisez alors qu’on vous écoute.

PHELONTE

325 De grace, charge-toy d’un Billet de ma part ;
Mon cœur, par ce Billet, s’expliquera sans fard*.

TOINON

J’ay l’ordre du contraire, il faut que j’obeïsse.
{p. 27}

PHELONTE

Cet obstiné refus est rempli d’injustice.

TOINON

Quel plaisir auriez-vous à me faire gronder ?

CRISPIN

330 Bon ! Est-ce de si pres qu’il y faut regarder ?

TOINON

Chacun sçait ce qu’il sçait.

CRISPIN

Est-on perdu pour lire…

TOINON

Mais…

CRISPIN

Je l’arresteray, Monsieur, allez écrire.

PHELONTE

Deux mots ; Dans un moment je te viens retrouver.

SCENE 14 §

CRISPIN, TOINON.

CRISPIN

Toinon, cela va bien, il ne faut qu’achever.

TOINON

335 Va, laisse-m’en le soin.

CRISPIN

Il ne s’attendoit guére
Au brusque compliment* que tu luy viens de faire ;
Car il est de luy-mesme à tel point entesté…

TOINON

S’il sçavoit qu’entre nous le tout est concerté,
Que tu viens en secret parler à ma Maistresse…
{p. 28}

CRISPIN

340 Par où le deviner ? Il faut qu’avec adresse
Elle luy donne enfin le moyen de la voir.

TOINON

L’occasion viendra, laisse-nous y pourvoir.

CRISPIN

S’il en tient une fois, j’auray bien lieu de rire ;
Il me traitte de fou, quand d’amour je soûpire,
345 Et toûjours le Baston est prest à me guérir.

TOINON

Quoy ! Tu dis nos secrets, & vas nous découvrir ?

CRISPIN

Moy, je le dis ?

TOINON

Tu viens de t’accuser toy-mesme.

CRISPIN

Il me sçait amoureux, sans sçavoir que je t’aime :
Mais, Toinon, apprens-moy jusqu’où le cœur t’en dit.

TOINON

350 As-tu bien de l’amour ?

CRISPIN

Ma foy, j’en pers l’esprit ;
Et je croy que bientost, si tu n’y remedies,
J’auray le cerveau creux.

TOINON

Ah !

CRISPIN

Quoy que tu m’en dies,
L’Amour qui se délecte à grapiller souvent,
Ne trouve point son compte à se nourrir de vent.

TOINON

355 Ton amour est gourmand ?
{p. 29}

CRISPIN

Si gourmand qu’il puisse estre,
Tu n’as que trop dequoy fournir à le repaistre ;
Mais quand il faut donner, l’avarice te tient,
Friponne.

TOINON

St. Voicy ton Maistre qui revient.

SCENE 15 §

PHELONTE, CRISPIN, TOINON.

PHELONTE

En donnant ce Billet, assure ta Maistresse…

TOINON

360 Moy, répondre de vous, qu’on voit changer sans cesse ?

PHELONTE

Tu ne hazardes rien, agis, parles pour moy.

TOINON

J’y feray de mon mieux.

PHELONTE

Je n’espere qu’en toy.
Et son nom ?

TOINON

Là-dessus je n’ose vous rien dire ;
Mais Crispin est adroit, & cela doit suffire :
365 Ma Maistresse m’attend dans son Apartement*,
Qu’il me suive, & qu’il entre apres moy brusquement ;
Je feray l’étonnée, & crieray d’importance.
Cependant il faudra qu’on prenne patience ;
Et quand, pour le chasser, on joüeroit du Baston, {p. 30}
370 Il aura veu la Dame, & sçaura la Maison,
Le reste vous regarde.

CRISPIN

Et par bon privilege,
J’auray vers moy les coups, peste ?

PHELONTE

Que te diray-je,
Pour te faire assez voir…

TOINON

Ne me dites plus rien,
On m’attend, & j’ay trop prolongé l’entretien ;
375 J’en seray querellée. Adieu.

SCENE 16 §

PHELONTE, CRISPIN.

PHELONTE

Crispin, va viste,
Suy-là.

CRISPIN

Si vous vouliez, Monsieur, m’en tenir quitte…

PHELONTE

Pourquoy ?

CRISPIN

Puis que l’amour est fadaise pour vous,
A quoy bon…

PHELONTE

Suy, te dis-je, ou…
{p. 31}

CRISPIN

Les Amans* sont fous ;
Vous ne voudriez pas…

PHELONTE

Redoute ma colere.
Crispin sort.
380 J’ay de l’inquiétude*, & ne m’en puis défaire.
D’où me vient tout-à-coup un si prompt changement ?
Seroit-ce qu’en effet je deviendrois Amant* ?
Le dessein de me fuir, que l’on me fait paroistre,
Redouble en moy l’ardeur de voir & de connoistre.
385 Ne nous rebutons point, & laissant au Destin
A régler l’avanture, attendons-en la fin.

Fin du Premier Acte.

Phélonte se retirant, ses six Laquais entrent par les deux costez du fonds du Theatre, & s’y estant rangez de face sur une mesme ligne, joüent un air pour discerner* l’Acte. En suite on pousse deux Chassis qui les couvrent : Ces Chassis, qu’on nomme Ferme, doivent representer la Salle de Dorame, de mesme que le reste du Theatre, dans laquelle se passe tout le Second Acte. Il faut qu’à cette Ferme il y ait deux Portes qui marquent deux Cabinets.
{p. 32}

ACTE II §

SCENE PREMIERE §

DORAME, LISE, TOINON.

DORAME

Vous allez au Convent, pour voir vostre Cousine ?

LISE

Oüy, mon Pere.

DORAME

Fort-bien.

LISE

Si cela vous chagrine*,
Je n’iray pas.

DORAME

Non, non, allez, c’est fort bien fait,
390 Et cette volonté répond à mon souhait.
De combien d’embarras le Cloistre nous délivre !
Lise, vostre Cousine, est un modele à suivre.

LISE

Il est vray ; mais il faut pour la Religion,
Ressentir dans le cœur de la vocation ;
395 Je n’en sens point encor.
{p. 33}

DORAME

Que le Ciel te l’envoye !
Te voir dans un Convent feroit toute ma joye :
Si ta Sœur & Toinon en vouloient faire autant,
Je vivrois satisfait, & je mourrois content.

TOINON

A suivre cet avis, je ne suis pas fort preste ;
400 Vous n’avez plus, Monsieur, que le Convent en teste,
Vous voulez tout cloistrer ; & qui vous en croiroit,
Avant qu’il fut dix ans, le Monde périroit.
Hé bien, mettez-vous-y, s’il vous en prend envie,
Et laissez à chacun mener son train de vie.
405 Pour moy, j’aime le monde, & sans tant discourir,
Je ne suis pas d’humeur à le laisser périr ;
D’avoir un bon Mary, j’ay tentation grande,
Et, tout-franc, du Convent je ne suis point friande.

DORAME

C’est parler sans façon.

TOINON

Vous nous en contez bien !
410 Parce que maintenant vous n’estes bon à rien,
Et que tous les plaisirs n’ont pour vous aucun charme* ;
Contre nos jeunes sens vostre esprit se gendarme*.
Si vous estes sans goust*, devons-nous en pâtir ?
Et sans avoir mal-fait, doit on se repentir ?
415 Dans vostre jeune temps, l’Hymen a sçeu vous plaire,
On veut vous imiter, Monsieur, laissez-nous faire.

DORAME riotant*.

La franchise, Toinon, regne dans tes discours.

TOINON

Monsieur, comme je fus, je veux estre toujours :
Je dis franc ma pensée, & je fuis la grimace* ;
420 Ce que je sens dans l’ame, on le voit sur ma face ;
Et sans fourber* les Gens par un discours trompeur, {p. 34}
Je fais voir sur mon front ce que j’ay dans le cœur.

DORAME

Mais il est bon d’avoir un peu de retenuë.

TOINON

Eh pour ce que je suis je veux estre connuë :
425 Tout-franc, ne parlez plus de la Religion,
Et n’y fourez aucun sans inclination.

LISE

La contrainte en ces lieux enfante le desordre.

TOINON

Ma foy, je donnerois bien du fil à retordre
Aux Gens qui m’auroient mis en ce Lieu malgré moy.

DORAME

430 Va, cesse d’en jurer, il suffit, je te crois :
Le serment en cela n’est pas fort nécessaire.

TOINON

Ha vrayment, là-dessus, voila bien du mystere.
Je croy qu’on peut jurer, quand on dit verité :
Mais je veux vous parler avec sincérité.
435 De tout temps, sans courroux, vous souffrez ma franchise,
Et vous ne voulez pas que rien je vous déguise :
Je vay m’expliquer net, en vous donnant avis,
Qu’on vous blâme tout haut d’aimer trop vostre Fils ;
Que pour son intérest, vos Filles non pourveuës,
440 Pour la Religion vous font avoir des veuës ;
Et que pour l’avancer, vous voulez les cloistrer.

DORAME

Dans le fond de mon cœur on sçait mal penétrer !
Je presche le Convent, mais c’est dans la pensée
Que l’ame, en ce Lieu saint, est bien moins traversée,
445 Qu’elle n’est au milieu de cent mille embarras
Dont chacun dans le monde est suivy pas à pas.
Retenez ce discours, profitez en, ma Fille,
Allez.
{p. 35}

SCENE II §

DORAME, TOINON.

TOINON

Vous souhaitez qu’elle épouse une Grille,
Franchement ?

DORAME

Fais-je mal ?

TOINON

Mais faut-il, pour un Fils,
450 Cloistrer ainsi…

DORAME

Tay-toy ; C’est un Enfant soûmis,
Que je sçauray tourner en sortant du College.

TOINON

Cloistrer les gens par force, est un pur sacrilege :
Pensez-y bien, Monsieur, souvent on se repent ;
La raison le condamne, & le Ciel le défend.

DORAME

455 Mon Fils est un Garçon que tout le Monde admire.

TOINON

Sur vos Filles aussy je ne voy rien à dire ;
Il leur manque un Epoux, c’est là tout leur defaut.

DORAME

Il leur manque… Toinon, je sçay ce qu’il leur faut.

TOINON

Il leur faut un Epoux, c’est le plus nécessaire.

DORAME

460 Il leur faut… Je le sçay ; Ce n’est pas ton affaire.
{p. 36}

TOINON

Non ; mais c’est un Epoux dont chacune a besoin ;
Déja vous dévriez estre exempt de ce soin*.
Considérez leur âge, il est plus que nubile ;
Cessez d’estre, Monsieur, l’entretien de la Ville ;
465 Et donnant à chacune un agreable Epoux,
Faites taire par là ceux qui parlent de vous.

DORAME

Mais encor, que dit-on ?

TOINON

Que sert de vous redire,
Qu’on vous voit par ce Fils l’objet de la Satire,
Qu’à vos Filles il faut des Epoux bien tournez,
470 Jeunes, bien-faits… Enfin bien conditionnez :
Car, à ne point mentir, la plus jeune est d’un âge
A porter aisément le faix du Mariage.
Pour Monsieur vostre Fils, qui fait tant babiller,
En sortant du College, on le fait Conseiller.
475 C’est là vostre dessein, au moins chacun l’assure,
Et qu’un Cloistre à ses Sœurs est une chose seûre.

DORAME

La Cadette se porte à la Religion.

TOINON

Je luy croy, pour ce Lieu, peu d’inclination.

DORAME

Mais souvent elle y va visiter sa Cousine,
480 Tu le vois.

TOINON

D’accord ; mais je croirois à sa mine,
Qu’un Mary luy plairoit autant & plus qu’à moy.

DORAME

T’a-t-elle, là-dessus, parlé de bonne foy ?

TOINON

En vain à le sçavoir je me suis attachée,
Et je ne vis jamais une ame plus cachée,
485 Car… Elle tient de vous, c’est tout dire. {p. 37}

DORAME

Fort-bien.

TOINON

Daphnis est plus sincére, & ne déguise rien.

DORAME

Lise a l’esprit adroit, & l’humeur défiante.
Mais…

TOINON

Mais sçauroit-on rien de l’amour de Melante,
Sans…

DORAME

Tout cela n’estoit que pure vision.

TOINON

490 Mais elle avoit pour luy de l’inclination*.

DORAME

Point.

TOINON

Je le veux bien. Mais je reviens à ma these ;
Il leur faut à chacune un Mary qui leur plaise ;
En élevant leur Frere, & mariant ses Sœurs,
Par là vous trouverez des jours pleins de douceurs ;
Il s’en va.
495 Toute vostre Famille… Eh quoy ! Point de réponse ?
Seule.
A luy parler raison, il faut que je renonce ;
En vain vous luy parlez, sans parler de son Fils ;
Hors cela, nos conseils sont rarement suivis…
{p. 38}

SCENE III §

DAPHNIS, TOINON.

DAPHNIS

Mon Pere est donc sorty ?

TOINON

Tout-à-l’heure il me quitte :
500 Peut-estre qu’à son Fils il va rendre visite ;
Ce Fils l’occupe seul, ce Fils a tout son cœur,
Je luy voy pour vous deux une grande tiédeur :
J’ay pour vos intérests parlé de Mariage,
Mais il ne preste point l’oreille à ce langage,
505 Et pour toute réponse il exalte son Fils.

DAPHNIS

Il faut patienter. Toinon, à ton avis,
Penses-tu que Phélonte ait pour moy de l’estime* ?

TOINON

Par son tendre Billet ardemment il s’exprime.
Pour moy, je le croirois.

DAPHNIS

Il ne me connoist pas.

TOINON

510 Mais c’est de vostre esprit dont Phélonte fait cas.
Je vous ay déja dit ce qu’il m’a fait paraistre,
Que Crispin me suivoit par l’ordre de son Maistre,
Et que craignant Dorame, il attend pres d’icy
Que j’aille l’avertir… Madame, le voicy.
{p. 39}

SCENE IV §

DAPHNIS, CRISPIN, TOINON.

CRISPIN à la porte.

515 Dorame…

TOINON

Entre.

DAPHNIS

Crispin, je n’ay rien à te dire ;
De tous mes sentimens Toinon a sçeu t’instruire :
Mais si tu sers ma flâme avec fidelité,
Tu sçauras pour tes soins ce que j’ay projetté.

CRISPIN

Je fais, de vous servir, tout mon plus grand delice,
520 Et ne veux que Toinon pour prix de mon service.

TOINON

Vrayment, Monsieur Crispin, je vous trouve fort bon !
Pour prix de son service, il ne veut que Toinon ;
Il vous montre par là, qu’il me croit peu de chose.

CRISPIN

Ah pour prix de mes soins, lors que je te propose,
525 Je prouve qu’en toy seule est mon ambition.

DAPHNIS

T’aime-t-elle, dy-moy ?

CRISPIN

Tantost oüy, tantost non ;
Tantost elle est affable, & tantost inhumaine.

DAPHNIS

De l’adoucir, pour toy je veux prendre la peine,
Et dans peu, de mes soins tu connoistras l’effet. {p. 40}
530 Cependant à ton Maistre il faut rendre un Billet,
Sonder adroitement si pour moy sa tendresse*
Est vraye.

CRISPIN

A le sçavoir, pour vous je m’intéresse*.

DAPHNIS

Mais sçait-il que Toinon est l’objet de tes vœux ?

CRISPIN

Non, il sçait seulement que je suis amoureux.

DAPHNIS

535 Ainsy de son dessein tu sçauras mieux la suite…

CRISPIN

J’entens* ; de vostre amour laissez-moy la conduite.

DAPHNIS

Ce Billet est tout prest, je vay le cacheter ;
Vien le prendre, Toinon : on va te l’apporter,
Patiente un moment.

CRISPIN

Oh volontiers, Madame.
Seul.
540 Si mon Maistre a pour elle une sincére flâme,
La mienne à cette fois a tout lieu d’espérer.
Il resve.

SCENE V §

DORAME, CRISPIN.

DORAME entrant.

Un Homme en mon Logis ! Qui l’y peut attirer ?

CRISPIN

Mais dois-je croire… Ah Ciel ! que faire ? c’est Dorame.
{p. 41, D}

DORAME à part.

Ma présence luy cause un peu de trouble en l’ame.
545 N’est-ce point un Voleur ? Que faites-vous icy ?

CRISPIN

Hé… De ce que j’y fais, qui vous met en soucy ?

DORAME

Insolent, apprenez qu’icy je suis le Maistre.

CRISPIN

Je n’avois pas, Monsieur, l’honneur de vous connoistre,
J’ay tort d’avoir parlé… comme j’ay répondu ;
550 J’en demande pardon.

DORAME

Mais ceans que fais-tu ?
Répons.

CRISPIN

Je n’y fais rien, Monsieur, je me retire.

DORAME le prenant au collet.

On ne sort pas ainsy.

CRISPIN

Mais…

DORAME

Non, il faut me dire
Le sujet qui te porte à te rendre chez moy.

CRISPIN

Monsieur… Monsieur.

DORAME

Hé bien ?

CRISPIN

Tout-franc, voyez-vous…

DORAME

Quoy ?

CRISPIN

555 Enfin je suis… suffit.
Il veut s’en aller.
{p. 42}

DORAME l’arrestant.

Ce n’est pas là répondre,
Ton soin à m’échaper, ne sert qu’à te confondre ;
Et tes yeux me font voir les regards d’un Voleur :
Mais tu seras pendu.

CRISPIN

Je suis Homme d’honneur.

DORAME le tenant.

Hola quelqu’un, hola.

SCENE VI §

DORAME, CRISPIN, TOINON.

TOINON sortant êtonnée.

Que vois-je, nostre Maistre !
560 Tout est perdu.

DORAME

Toinon, que fait icy ce Traistre ?

TOINON interdite.

Ne vous l’a-t-il pas dit ?

DORAME

Je n’en puis rien sçavoir.

TOINON revenant à elle.

à part.
Ah bon.
à Dor.
Civilement il faut le recevoir.

DORAME

La raison ?

TOINON

C’est…
{p. 43}

DORAME

Quoy, c’est ?

TOINON

Un Maistre de Musique,
Envoyé de la part de Madame Angélique,
565 Pour vos Filles.

DORAME le salüant humblement.

Monsieur, excusez-moy, j’ay tort :
Mais pourquoy, s’il vous plaist, vous obstiner si fort
A ne répondre pas ?

CRISPIN feignant de la colere.

Est-ce ainsy qu’on en use ?
Me traitter de Voleur…

TOINON

Quelquefois on s’abuse.
D’ailleurs, en pareil cas on peut bien s’abuser,
570 Et vous n’avez pas lieu de vous scandaliser.
Que ne répondiez-vous ? car il faut qu’on s’explique.

CRISPIN

Je suis Homme d’honneur, & Maistre de Musique ;
Voila mes qualitez.

DORAME

Ah Monsieur, je le croy.

CRISPIN

Me faire un tel affront…

TOINON

Bon, voila bien dequoy.

CRISPIN

575 Voleur !

DORAME

Je suis, Monsieur, tout à vostre service ;
à Toinon.
La plûpart de ces Gens sont remplis de caprice.
Estre un Musicien ! Qui diable l’auroit dit,
A voir cette figure, & mesme son habit ?
{p. 44}

TOINON

Il est vray.

CRISPIN feignant de se mordre les doigts.

Moy, Voleur !

TOINON à Crispin.

Tout-franc, c’est vostre faute,
580 Et faire icy le fier, c’est compter sans son Hoste.
à Dorame.
Il faut le laisser dire, & ne pas vous fâcher.

DORAME à Toinon.

C’est bien à ses discours que je veux m’attacher !
Il peut toûjours parler, sans que j’en sois en peine.

TOINON

Ma Maistresse a, Monsieur, un reste de migraine,
585 Qui ne luy permet pas de descendre à present.
Vous plaist-il de monter ?

CRISPIN marchant fierement.

Montons, j’en suis content.

TOINON à Dorame.

Monsieur, vous…

DORAME

Là-dessus à rien je ne m’oppose,
Allez.
Dorame seul.
Il faut un peu leur souffrir quelque chose ;
La Musique est un Art qui contente l’esprit,
590 Et qui dans le Convent donne quelque crédit.

SCENE VII §

DORAME, UN MUSICIEN.

LE MUSICIEN entrant, & parlant Gascon.

Monsieur.

DORAME

Que vous plaist-il ?
{p. 45}

LE MUSICIEN

De la part d’Angélique,
Je viens…

DORAME

Hé bien ?

LE MUSICIEN

Je suis un Maistre de Musique ;
On dit que vostre Fille en cherche un excellent,
Et j’ay pour ce grand Art* un merveilleux talent ;
595 Sur tout j’y suis sçavant autant qu’on le peut estre ;
Et sans trop me vanter, j’y suis assez grand Maistre.

DORAME à part.

Que veut dire cecy ?

LE MUSICIEN parlant Gascon.

Monsieur, c’est un grand bien ;
Quand un Maistre est habile, & qu’il n’ignore rien,
C’est pour un Ecolier un fort grand avantage.

DORAME secoüant la teste.

600 Ecoutons jusqu’au bout.

LE MUSICIEN

Que c’est un rare ouvrage,
Qu’un grand Musicien !

DORAME

Je le croy comme vous.

LE MUSICIEN parlant Gascon.

Mais on en voit si peu… Je creve de courroux,
De voir cent Mirmidons en ce Siecle où nous sommes ;
Pres les plus éclairez se croire de grands Hommes,
605 Et ces Fats soûtenus par cabale de Gens,
Dépouveus à la fois d’esprit et de bon sens.
Monsieur, si j’ay l’honneur d’apprendre à vostre Fille,
Vous verrez dans mes Chants un certain tour qui brille,
Et qui, sans me vanter, me sçait tirer du pair.
610 Nous touchons* le Theorbe, & nous chantons un Air,
Pour le moins aussi-bien qu’aucun qui soit en France. {p. 46}
Ce n’est pas coucher gros.

DORAME à part.

Ah quelle suffisance !
Que tous ces Gens sont vains !

LE MUSICIEN

Plaist-il ?

DORAME

Je ne dis mot.

LE MUSICIEN

Monsieur, dans mon Mestier, je ne suis pas un sot.

DORAME

615 Ah je vous croy, Monsieur, un grand Maistre en Musique.

LE MUSICIEN

Dorame le regarde.
Et de plus Gentilhomme. Oüy, Monsieur, je m’en pique ;
Car la Musique enfin ne dégenere* pas.
Si ce grand Art pour moy n’eust eu beaucoup d’apas*,
Sans doute je serois avancé dans l’Armée,
620 Où je verrois du Roy ma valeur estimée.

DORAME à part.

Le grand fou !

LE MUSICIEN montrant l’endroit du cœur.

Grace au Ciel, nous avons cela bon,
Et je sçay m’en servir de la bonne façon ;
Car quand l’occasion se trouve un peu pressante,
Je sangle* un coup d’Epée aussi-bien que je chante.
Il allonge une estocade à Dorame avec la main.

DORAME portant la main à son estomach.

625 Fort-bien.

LE MUSICIEN

Je sçay qu’il est force Musiciens,
Qu’avec juste raison on estime des riens :
Mais si j’en estois crû, dans l’état où nous sommes,
Les bons, à leur mépris, seroient faits Gentilhommes.
{p. 47}

DORAME

Quel besoin pour chanter de cette qualité !
630 Par là l’on n’en est pas beaucoup mieux écouté.

LE MUSICIEN

Ce grand Art est un Art digne d’un rang sublime.

DORAME

Et cet Art est un Art* dans la commune estime.
Quant à moy, franchement, j’en suis peu curieux :
Apercevant Crispin.
Parlez-en à Monsieur, il vous répondra mieux.
635 Moy, j’écoute.

SCENE VIII §

DORAME, CRISPIN, LE MUSICIEN parlant toûjours Gascon.

LE MUSICIEN

Monsieur sçait-il de la Musique ?

DORAME

J’ignore s’il en sçait, mais je sçay qu’il s’en pique*.

LE MUSICIEN riotant*.

Ah Monsieur a tout l’air d’un Chantre de Lutrin ;
Il est propre à chanter à quelque Tabarin,
Ou bien à l’Orviétan, je le vois à sa mine.
640 J’admire son habit, & sa taille poupine ;
Je gage que Monsieur touche* quelque Instrument.

DORAME

Cela peut estre vray.

LE MUSICIEN

Mais délicatement.
Aparemment, Monsieur, vous joüez de la Vielle. {p. 48}

CRISPIN

bas.
Que dire !
haut.
Et nous joüons…
Il fait de la main comme s’il joüoit de la Vielle.

LE MUSICIEN

Je vous tiens un modelle
645 Qu’on doit suivre par tout.

CRISPIN

Il n’en faut point douter.

LE MUSICIEN

Sur un Trio nouveau peut-on vous consulter ?

CRSIPIN à part.

Payons d’effronterie.

LE MUSICIEN luy montrant un papier.

Or faites-moy la grace
De m’éclaircir un peu sur ce qui m’embarasse :
C’est un certain endroit que j’ay peine à sauver*.

CRISPIN

650 Pour en venir à bout, il falloit y resver*.

LE MUSICIEN

Voyez, de vos avis ne soyez point avare,
La Basse va devant cet E mi la B quarre.
Hem ?

CRISPIN apres avoir regardé.

Voila des accords dont je suis enchanté.

LE MUSICIEN

Ces accords ne font pas cette difficulté :
655 Je sçay que ces derniers ont peu de consonnance ;
Mais j’ay, pour m’en tirer, certaine intelligence*,
Que peu de nos Sçavans possede comme moy.
Là, voyez.

CRISPIN bas.

Je voudrois te voir au Diable.
{p. 49, E}

LE MUSICIEN

Quoy ?

CRISPIN

Rien.

LE MUSICIEN

C’est cet E mi la qui me fait de la peine,
660 Et pour le bien sauver, il me met à la gesne.
Que feriez-vous, Monsieur, dans un tel embarras ?

CRISPIN

A vous dire le vray… Je ne l’y mettrois pas.

LE MUSICIEN

Pourquoy non ?

CRISPIN

C’est que… Non, je ne vous veux rien dire.

LE MUSICIEN

Donnez-m’en la raison, & daignez m’en instruire.

CRISPIN

665 C’est que cet E mi la qui vous met en soucy,
Et que ce mi B fa que vous traittez ainsy,
Sortant par la De mode, en fait la raisonnance,
Qui rentrant en B mol, forme la conséquence.
Il faut considérer, qu’ut re mi fa sol la,
670 Rebattant par B quarre, & puis s’arrestant là,
Font des accords aigus… s’il faut que je m’explique,
Qui fait que dans les sons… on voit de la Musique…
Comprenez-vous bien ?

LE MUSICIEN

Non, je ne vous entens* pas,
Ce discours n’est pour moy qu’un galimatias.

CRISPIN

675 Tant-pis.

LE MUSICIEN

D’où vient ?
{p. 50}

CRISPIN

Il faut manquer de connoissance,
Ou posseder au moins bien peu d’intelligence*,
Pour me répondre ainsi ; car Monsieur m’entend* bien.

DORAME

Il est vray que j’entens, mais je ne comprens rien.

CRISPIN à Dorame.

Ne perdez pas cecy. La quarte, ou bien la quinte
680 Formant des embarras… jette en un labyrinte…
au Mus.
Qui fait que vous tombez dans la difficulté.
à Dor.
Or la tierce, la fugue… en cette extremité,
Rentrant subitement, fait voir, ne vous déplaise,
au Mus.
La seconde du son, & la rend plus mauvaise ;
à Dor.
685 Car le dessus… la basse… entrant dans l’unisson
au M.
Fait que vous rencontrez… l’intervale du son…
à Dor.
Me comprenez-vous mieux ?

DORAME

Ma foy, la mesme chose :
J’entendois peu le texte, & j’entens moins la glose.
Parlez tous deux François, sans chercher ces grands mots.

CRISPIN

690 Ah les termes de l’Art* sont là fort à propos,
Demandez.

LE MUSICIEN

Vos discours confondent ma science :
Mais, Monsieur, solfiez, pour plus d’intelligence,
Je vous comprendray mieux.

CRISPIN luy rejettant son Trio.

Qui, moy ! moy, solfier !
C’est me traitter par là de petit Ecolier ;
695 Vous estes plaisant !

DORAME au Musicien.

C’est un Maistre de Musique,
Envoyé de la part de Madame Angélique.
{p. 51}

LE MUSICIEN

Luy Maistre de Musique ! Ah c’est un imposteur.

CRISPIN

Vous en avez menty.

LE MUSICIEN voulant mettre l’Epée à la main.

Quoy…

DORAME l’empeschant.

Tréve de fureur,
Ou…

LE MUSICIEN

J’ay tort, oüy, Monsieur, car il n’a point d’Epée.

DORAME

700 La vostre, en ce moment, seroit mal occupée ;
On diroit…

LE MUSICIEN

Je le sçay ; Mais souffrir un affront
De ce Fat, non, non.

CRISPIN

Hom… J’ay le bras un peu prompt,
Va-t-en.

DORAME

Sortez d’icy, si vous voulez vous battre.

LE MUSICIEN voulant se jetter sur Crispin.

Il faut…

DORAME l’empeschant.

Tout-doux.

CRISPIN

Ce Fat se fait tenir à quatre.

LE MUSICIEN prenant un siege.

705 Ah ç’en est trop souffrir.

CRISPIN prenant un autre siege.

Le Drôle en veut par là.

DORAME au Musicien.

Arrestez.
{p. 52}

LE MUSICIEN

Laissez-nous…

DORAME

Hola quelqu’un, hola.

LE MUSICIEN voulant fraper Crispin.

CRISPIN de mesme.

Maraut* !

DORAME entre-deux, qui voit tantost un siege prest à tomber sur luy, & tantost l’autre.

Ah, ah, ah, Messieurs, prenez garde ;
Sinon…

LE MUSICIEN s’embarasse de son Epêe.

Fourbe* !

CRSIPIN

Coquin* !

DORAME court à sa Halebarde.

C’est trop ; Ma Halebarde ;
Qu’on arreste, ou bien…

CRISPIN menaçant le Musicien.

Hom…

LE MUSICIEN

Tu m’échapes en vain.
{p. 53}

SCENE IX §

DORAME, LE MUSICIEN, CRISPIN, TOINON.

TOINON

710 D’où vient cecy ? Monsieur les armes à la main !

DORAME

Toinon, Monsieur se dit un Maistre de Musique,
Qui vient, dit-il, icy de la part d’Angélique ;
Et sur des mots de l’Art* ils se sont querellez.
Et moy, pour mettre fin à tous leurs démeslez,
715 J’ay pris ma Halebarde.

TOINON

Et d’où vient qu’Angélique
Envoyroit tout-à-coup deux Maistres de Musique ?

DORAME

C’est pour en faire choix.

LE MUSICIEN

Ce Fourbe* ne l’est pas.

CRISPIN

Vous en avez menty.

LE MUSICIEN

Sors.

CRISPIN

Va, je suis tes pas.

LE MUSICIEN s’en allant.

Je t’attens.

DORAME à Crispin.

Vous pourrez vous battre dans la Rüe,
720 Et…
Il s’en va.
Serviteur.
{p. 54}

SCENE X §

TOINON, CRISPIN.

TOINON bas.

Crispin, ah je suis toute émûë.

CRISPIN

Qu’as-tu ?

TOINON

Je crains…

CRISPIN

Pour qui ?

TOINON

Pour toy.

CRISPIN

Va, ne crains rien.

TOINON

Mais…

DORAME au dedans.

Toinon.

TOINON

J’y vais.

CRISPIN s’en allant.

Va, je m’en tireray bien.

Fin du Second Acte.

On tire la Ferme, & l’on voit les six Laquais de Phélonte qui discernent* l’Acte, & en suite ils se retirent par les ailes du fonds. Le troisiéme Acte se passe dans l’Antichambre de Phélonte, comme le premier.
{p. 55}

ACTE III §

SCENE PREMIERE §

CRISPIN, PHELONTE.

CRISPIN

En peu de mots, Monsieur, voila toute l’histoire.

PHELONTE

D’un autre que toy, j’aurois peine à la croire :
725 Car comment passer là pour un Musicien,
Et raisonner* d’un Art* où tu ne connois rien ?

CRISPIN

Ne vous ay-je pas dit, qu’un peu d’effronterie
M’a tiré d’embarras ? Que ce Maistre en furie,
D’un galimatias dont j’ay sçeu l’étourdir,
730 La matiere un peu trop vouloit aprofondir ;
Que des termes de l’Art* bourant mon ignorance,
Sans paroistre vaincu, j’ay payé d’impudence ;
Que ce Maistre voulant me faire solfier,
J’ay sçeu, pour m’en parer, le traitter d’Ecolier ;
735 Que le Pere d’ailleurs ignorant en Musique,
Est dans tous nos debats demeuré sans replique ;
Qu’au sortir du Logis, quinze ou vingt coups de poing {p. 56}
Commençoient d’attirer déja quelque Témoin ;
Que craignant que quelqu’un ne vint à me connoistre,
740 J’ay crû que promptement je devois disparoistre.
Sur chaque circonstance estes-vous bien instruit ?
Faut-il recommencer ?

PHELONTE

Non, Crispin, il suffit.
Mais pour mieux étourdir ce Maistre de Musique,
Et devant le Vieillard luy faire un peu la nique,
745 Il falloit sçavoir là quelques termes de l’Art*.

CRISPIN

Bon, j’en sçay.

PHELONTE

D’où ?

CRSIPIN

J’en ay retenu par hazard,
Alors qu’à composer vostre Maistre vous montre,
Dont j’ay sçeu, sans raison, m’aider en ce rencontre*.
D’ailleurs, vos Violons, souvent hors de propos,
750 Meslent dans leurs discours quantité de ces mots ;
Et quoy que mal citez, pensant faire merveilles,
Ils m’en ont mille fois étourdy les oreilles.

PHELONTE

Fort-bien.

CRISPIN

Sur chaque point vous estes satisfait ;
Mais la Dame, Monsieur…

PHELONTE

Ecoute son billet.

PHELONTE lit.

Vostre Lettre, Phélonte, pourroit persuader une Personne qui vous connoistroit moins que moy : mais je veux bien vous dire que je suis parfaitement {p. 57} instruite de toutes vos manieres. Vous avez crû, sans doute, que l’occasion se presentoit favorable, & qu’il falloit la prendre aux cheveux, c’est fort bien fait à vous ; mais là-dessus je suis vostre Servante. Dites-moy, s’il vous plaist, s’il estoit vray que vous m’aimassiez autant que vous le marquez dans vostre Lettre ? Croyez-vous en bonne-foy, qu’il n’y auroit point un peu d’extravagances* ? Aimer les Gens sans les connoistre, ny sans les avoir jamais veus, cela approche un peu de l’égarement*. Non, non, vous n’estes point capable d’une foiblesse semblable ; vous avez de l’esprit, & vous sçavez trop bien ce que vous faites : Vous voulez me payer galamment des bons avis que je vous ay donnez, mais je ne suis point interessée, & c’est assez pour moy qu’ils ne vous soient pas inutiles. Adieu, pensez à ce que je vous écris, & croyez que je parle avec sinceritê, quand je dis que j’estime* Phélonte.

PHELONTE

755 Qu’en penses-tu, Crispin ?

CRISPIN

Elle paroist sincere,
Et la Dame a, Monsieur, tout ce qu’il faut pour plaire.

PHELONTE

A ne te rien celer, j’aime son procedé.

CRISPIN

Elle a beaucoup d’apas*.

PHELONTE

J’en suis persuadé ;
Tu me l’as peinte aimable* autant qu’on le peut estre.

CRISPIN

760 Je n’en juge qu’autant que je puis m’y connestre ;
Mais elle me plaist fort.
{p. 58}

PHELONTE

Je brûle de la voir,
Crispin.

CRISPIN

Il faut tâcher à luy faire sçavoir.

PHELONTE

Allons, Crispin, allons, vien, conduis-moy chez elle.

CRISPIN

Quoy ! d’un plein saut, Monsieur, entrer chez cette Belle ?
765 De ce peu de respect elle pourroit gronder.

PHELONTE

Oh tu m’introduiras.

CRISPIN

Dieu m’en veüille garder ;
Le Pere est d’une humeur* qui n’est pas fort tranquille,
Je crains sa Halebarde, & plus encor sa bile ;
Au moindre différent les armes à la main,
770 Nous montre qu’il n’a pas un esprit fort humain.

PHELONTE

Ne crains rien.

CRISPIN

Tout-de-bon, aimez-vous cette Dame ?

PHELONTE

Oüy.

CRISPIN

Vous sentez pour elle une sincére flâme ?

PHELONTE

Oüy.

CRISPIN

Point.

PHELONTE

Pourquoy non ?

CRISPIN

Bon ; Vostre amour libertin*
S’attache-t-il jamais que pour faire butin ?
775 Et quand une Beauté parle de Mariage, {p. 59}
Le Scélerat veut-il entendre ce langage ?
Il sçait bien soûpirer, peindre sa passion ;
Mais tout cela ne va qu’à la conclusion.
S’il trouve en quelque Objet* un peu de resistance,
780 Vous sçavez l’en tirer par quelque revérence ;
Et disant serviteur, bon-soir, & grand-mercy,
Vous laissez cet Objet, & le quittez ainsy :
Mais la Dame, Monsieur, vous montre par sa Lettre,
Ce que de sa vertu vous devez vous promettre…

PHELONTE

785 C’est du Sexe* toûjours la façon de parler.

CRISPIN

Je la connois fort peu ; mais je juge à son air,
Qu’elle est sage, Monsieur.

PHELONTE

Eh Crispin, la Sagesse
Ne s’épouvante pas pour un peu de tendresse* :
Cette vertu n’a plus cette austere rigueur,
790 Qui ne pouvoit souffrir de l’amour dans un cœur ;
L’une n’a plus pour l’autre aucune répugnance,
Elles sont maintenant de bonne intelligence* ;
Et pour duper les Gens, par de communs accords,
L’Amour regne au-dedans, la Sagesse au dehors.

CRISPIN

795 A leur façon d’agir vostre amour s’accommode.
Je voy bien, vous voulez, suivant vostre méthode,
De la Dame, en un mot, essuyer un refus,
Vous retirer apres, & n’y retourner plus.

PHELONTE

Non, allons.

CRISPIN

Je ne sçay ce qu’il faut que j’en croye.
{p. 60}

PHELONTE

800 D’où vient ?

CRISPIN

Vous aimer ! vous !

PHELONTE

Oüy.

CRISPIN

Que j’aurois de joye,
De vous voir avec nous au nombre des Amans* !
Songez-y bien, la Dame a beaucoup d’agrémens.

PHELONTE

Allons ; si sa beauté répond à mon attente,
Tu me verras pour elle une flâme constante.

SCENE II §

PHELONTE, LA RONCE, CRISPIN.

CRISPIN

805 Ce changement en vous, est contre mon espoir.

LA RONCE

Un Homme est là, Monsieur, qui demande à vous voir.

PHELONTE

Il faut le faire entrer. C’est sans doute Mélante,
Il vient au rendez-vous, mais contre mon attente,
Je vois un Inconnu…

CRISPIN

C’est ce Musicien,
810 Ne me découvrez pas.

PHELONTE

Je m’en garderay bien,
Ce seroit tout gaster.
Crispin se cache le plus qu’il peut.
{p. 61}

SCENE III §

LE MUSICIEN, PHELONTE, CRISPIN.

PHELONTE

Que vous plaist-il ?

LE MUSICIEN apres plusieurs revêrences, & parlant toûjours Gascon.

De grace,
Connoissez-moy, Monsieur, excusez mon audace ;
J’enseigne la Musique, & cet Art*, Dieu mercy,
Dans tous mes Ecoliers m’a si bien réüssy,
815 Que loin d’avoir besoin de pratique nouvelle,
Je puis fournir à peine aux lieux où l’on m’appelle.
Ainsy je ne viens point icy par intérest :
Mais, si comme l’on dit, la Musique vous plaist,
Car de beaucoup de Gens j’apprens avecque joye,
820 Qu’à chanter la plûpart de vostre temps s’employe,
Ce bruit a fait en moy naistre un ardent desir
De vous voir, & je viens…

PHELONTE

Vous me faites plaisir.

LE MUSICIEN

J’ay fait un Opera, Monsieur, qui doit surprendre*,
Et je viens tout exprés vous prier de l’entendre.

PHELONTE

825 Volontiers.
{p. 62}

LE MUSICIEN

Je m’en tais ; mais sans faire le vain…
Chez Madame Angélique il paroistra demain.

PHELONTE

Je ne la connoy point.

LE MUSICIEN

Ce Billet marque l’heure,
Et par luy vous serez instruit de sa demeure.

PHELONTE le prenant.

Je n’y manqueray pas.

LE MUSICIEN

Ah c’est une faveur
830 Dont se flatte aujourd’huy vostre humble Serviteur.

PHELONTE

Suffit ; Adieu.

LE MUSICIEN

Monsieur, je vous feray connoistre…
Appercevant Crispin.
Mais je voy, ce me semble, un…

PHELONTE luy montrant Crispin.

Vous voyez mon Maistre.

LE MUSICIEN

Je m’étonne, Monsieur, que vous ayiez choisy
L’Homme le plus ignare…

CRISPIN

Hé morbleu ! venez-y,
835 Disputer avec moy sur la préeminence
D’un Art*… Je vous le livre aussy plein d’ignorance,
Que Chantre du Pont-neuf.

PHELONTE

Hé, Messieurs ! là, tout-doux.

LE MUSICIEN

Quoy ! pouvez-vous souffrir cet Ignorant chez vous ?
Je vay le décrier dans tous les Lieux du Monde ;
840 Et ne souffriray point…
{p. 63}

PHELONTE

Permettez qu’il réponde :
Comme vous l’accusez d’estre ignorant, il doit…

CRISPIN

Monsieur, la verité se peut toucher au doigt :
Il fait le suffisant, à cause de sa Brette.

LE MUSICIEN

J’ay droit de la porter. Mon Pere…

CRISPIN

Estoit Vedette*,
845 Quand dans la plaine d’Oüille on vint camper. Voila
Ses Titres de Noblesse entez sur E mi la.

LE MUSICIEN

Tout ce qu’il dit, fadaise. Il parle comme il chante.

PHELONTE

Mais, Monsieur, il n’a point la méthode meschante* :
Je m’en suis bien trouvé jusqu’icy.

LE MUSICIEN

Bien trouvé !
850 De tous les Ignorans c’est le plus achevé,
Je vous le dis encor.

PHELONTE

Sans chaleur, je vous prie.

LE MUSICIEN

Il n’a que du jargon, & de l’effronterie.

CRISPIN

Je viens pourtant encor de vous rendre Mutus
Chez un certain Vieillard, là, tout-à-l’heure.

LE MUSICIEN

Abus ;
855 C’est un extravagant ; par son seul équipage*
J’ay d’abord aisément jugé du Personnage :
N’est-ce pas affronter la Musique ? Il est fou.

CRISPIN

Prenez-vous par le nez.
{p. 64}

PHELONTE

Mais de grace, par où
Avez-vous découvert qu’il est si meschant* Maistre ?

LE MUSICIEN

860 Par cent mots où luy-mesme il ne peut rien connoistre :
Tout ce qu’il dit sur l’Art*, pur galimatias.

CRISPIN

La pécore ! Monsieur, ne m’entendez*-vous pas ?

PHELONTE

Sa façon d’enseigner n’est pas trop affectée,
Et je croy n’avoir point encor la voix gastée.

LE MUSICIEN

865 Il vous la gastera, si vous ne le changez.

PHELONTE

Il faudra voir.

CRISPIN

J’ay peur, si vous ne délogez…

LE MUSICIEN

Pour rien, au lieu de luy, j’aime mieux vous aprendre.

PHELONTE

Pour rien ?

LE MUSICIEN

Pour rien, vous dis-je.

CRISPIN

Oüy, oüy, l’on va te prendre !
Tu n’es bon qu’à montrer à des Grenouilles.

LE MUSICIEN

Moy !
870 Pour l’honneur du Mestier, Monsieur…

PHELONTE

De bonne-foy,
Il est juste qu’apres plusieurs ans…

LE MUSICIEN

A l’épreuve,
De mon sçavoir gratis je vous offre la preuve :
Mais pour vous faire voir que c’est un Ignorant, {p. 65, F}
Et que je crains fort peu ce chétif Concurrent,
875 Je vay chanter un Air, qu’il en fasse de mesme.
Par là vous jugerez… Ecoutez, chacun l’aime.

CHANSON

Il chante en Gascon.
Beautê, qui captivez mes sens,
Ma voix, par ses tristes accens,
Vous peint l’excés de mon martyre.
880 Mais Dieux ! quelle haine avez-vous ?
Quand mon cœur ose vous le dire,
Soudain vous entrez en courroux.

CRISPIN

Ce Chanteur me fait rire, avec son chant Gascon.

LE MUSICIEN

Sçachez que maintenant c’est la belle façon,
885 Et que cette maniere est le plus à la mode.

CRISPIN

Je gage que Monsieur blâme cette méthode.

LE MUSICIEN

Laissons cela, chantez.

CRISPIN

Moy ? je n’en feray rien ;
Vostre accent est Gascon, le mien Parisien :
Apprenez mon accent, & j’apprendray le vostre,
890 Puis on pourra juger & de l’un, & de l’autre.

LE MUSICIEN

Monsieur, vous jugez bien par ce raisonnement…

CRISPIN

Monsieur sçait que je parle avec grand jugement*.

PHELONTE

Enfin, c’est sans raison…

LE MUSICIEN

Je suis las de l’entendre ;
Monsieur, encor un coup, oüy, je veux vous aprendre ;
895 Et si je ne vous fais mieux chanter mille fois… {p. 66}
Qu’il n’a pû…

PHELONTE

Trouvez bon qu’il acheve son Mois,
Nous nous verrons en suite.

LE MUSICIEN

Il faut vous laisser faire ;
Mais je veux…

CRISPIN

Tu prétens qu’à moy l’on te préfere,
Musicien de bale ?

LE MUSICIEN

En autre lieu qu’icy,
900 Je t’apprendray…

CRISPIN

Va, va, n’en sois point en soucy ;
Si tu sçais ferrailler, je chamaille à merveilles.

LE MUSICIEN s’en allant.

Munis-toy d’une Epée, avec armes pareilles,
Seul-à-seul de pied ferme, on te peut divertir.

CRISPIN

Je ne veux contre toy, qu’une Broche à rostir.
905 Adieu, ré mi fa sol.

SCENE IV §

PHELONTE, CRISPIN.

CRISPIN

Ma Maistresse le pique*.

PHELONTE riant.

Je te vois Gradué, peu s’en faut, en Musique.
{p. 67}

CRISPIN

Oüy, mais cette Musique attirera sur moy
Quelque moment fâcheux.

PHELONTE

Le crains-tu ?

CRISPIN

Non, ma foy :
Mais si le rencontrant, il faut que je chamaille,
910 Et que d’un coup d’Epée il me gaste la taille,
Hem ?

PHELONTE en riotant*.

J’en serois fâché.

CRISPIN

Vous en riez ! Fort-bien.

PHELONTE

Je préviendray ce mal, n’en appréhendes rien ;
Mais allons, sans tarder, visiter cette Belle,
Je veux l’aimer, Crispin, d’une flâme immortelle.

CRISPIN

915 Il faut que depuis peu vous soyez bien changé !

SCENE V §

PHELONTE, FANCHON, CRISPIN.

PHELONTE

Fanchon, tu sçais à quoy je me suis engagé
A Mélante.

FANCHON

Oüy, Monsieur, vous m’en avez instruite.

PHELONTE

Dis-luy, quand il viendra, qu’une affaire subite
M’a forcé de sortir, mais qu’il peut tout icy. {p. 68}

FANCHON

920 Fort-bien.

PHELONTE

J’entens quelqu’un ; Peut-estre le voicy.

FANCHON

Ce n’est pas luy.

PHELONTE

Qui donc ?

FANCHON montrant Boniface.

C’est Monsieur Boniface,
Qui vient pour vostre Frere implorer vostre grace.

SCENE VI §

PHELONTE, BONIFACE, FANCHON, CRISPIN.

BONIFACE

Oüy, Monsieur.

PHELONTE

Là-dessus qu’on me laisse en repos.

BONIFACE

La Clemence est, Monsieur, la vertu des Héros :
925 Vous sçavez que Plutarque… 

PHELONTE

Eh Monsieur Boniface,
Plutarque, en cet endroit, n’est pas fort en sa place.

FANCHON

Qu’est-il besoin aussy de citer cet Autheur ?
{p. 69}

BONIFACE

De Monsieur vostre Frere estant le Précepteur,
J’ose vous demander pardon de son offence.

PHELONTE

930 Je suis trop irrité de son impertinence.

BONIFACE

Qui se repent d’un mal, mérite le pardon :
Hé la Monsieur Crispin, vous Madame Fanchon,
Obtenons de Monsieur, le pardon pour son Frere.

CRISPIN

Eh Monsieur !

FANCHON

Eh Monsieur !

PHELONTE

Non, je n’en veux rien faire.

BONIFACE

935 Monsieur…

PHELONTE s’en allant.

Suis-moy, Crispin.

SCENE VII §

BONIFACE, FANCHON.

BONIFACE

On ne peut le fléchir.

FANCHON

Peut-estre, avec le temps, qu’on pourra l’adoucir.
Pour son Frere, entre nous, il faut mieux le conduire.
{p. 70}

BONIFACE

C’est un jeune Eventé*, que j’ay peine à réduire.

FANCHON

Souffrir qu’il s’enrolast !

BONIFACE

C’estoit à mon insçeu ;
940 Il m’avoit, pour le faire, adroitement déceu* ;
Mais tout ce différent ne m’inquiéte guére,
Qu’ils s’accordent entr’eux, Fanchon, c’est leur affaire.

FANCHON

En effet.

BONIFACE

Quant à moy, j’en prens peu de soucy.

FANCHON

C’est fort bien fait à vous.

BONIFACE

Le Ciel m’a fait ainsy.

FANCHON

945 Vous fuyez le chagrin*.

BONIFACE

Mon partage est la joye,
Par elle on a des jours filez d’or & de soye.
Non, non, point de chagrin, vive la gayeté,
Elle nourrit l’esprit, & soûtient la santé.

FANCHON

Que vostre humeur me plaist ! Ah Monsieur Boniface,
950 Qu’un grand fond de santé reluit sur vostre face !
Quel teint ! Vous estes né d’une compléxion,
Qui travaille sans cesse à l’augmentation :
Vous ne mourrez jamais, si l’on ne vous assomme ;
Gras, dodu, l’humeur gaye ; Ah quel embonpoint d’Homme !
955 Un Malade, à vous voir, pourroit estre guery :
Où prenez-vous le glan dont vous estes nourry ?
{p. 71}

BONIFACE

Eh je le prens, Fanchon, où vous prenez le vostre,
Et dans tous mes repas je n’en use point d’autre.

FANCHON

Du moins il vous profite autant & plus qu’à moy,
960 Cela se voit.

BONIFACE

Oüy ; mais parlons de bonne-foy ;
Fanchon, vostre embonpoint assez du mien approche,
Je suis un peu Cochon, vous estes un peu Coche.

FANCHON

Vous, un peu ? Bon ; Je gage, au rapport de mes yeux,
Que si je peze un cent, vous en pezez bien deux.

BONIFACE

965 Tel que je sois enfin, je suis peu haïssable,
Et je vous aime autant que vous estes aimable*.

FANCHON

Ne parlons point d’aimer, & changeons de propos.

SCENE VIII §

LA RONCE, FANCHON, BONIFACE.

LA RONCE

Fort-bien. Ne viens-je point icy mal à propos ?

FANCHON

Non.

LA RONCE

Avez-vous tout dit ?

FANCHON

Nous n’avons rien à dire.
{p. 72}

LA RONCE

970 Si je suis importun, parlez, je me retire.

BONIFACE

Non, demeurez, je sors.

LA RONCE

En suis-je cause ?

BONIFACE

Non.

LA RONCE

Si c’est moy…

BONIFACE

Non, vous dis-je ; Adieu, belle Fanchon.

FANCHON

Adieu, beau Boniface.

BONIFACE s’en allant, fait une grande revérence.

Ah !

SCENE IX §

FANCHON, LA RONCE.

FANCHON

Qu’est-ce ?

LA RONCE

On vous demande.

FANCHON

Et qui ?

LA RONCE

C’est vostre Maistre à chanter.
{p. 73, G}

FANCHON

Qu’il attende.

LA RONCE

975 Il est pressé, dit-il.

FANCHON

Qu’il revienne tantost* :
Dy-luy que je ne puis…

LA RONCE voulant s’en aller.

Je diray ce qu’il faut.

FANCHON haussant la voix.

Et que luy diras-tu ?

LA RONCE revenant.

Qu’une affaire pressée,
Pour quelque temps icy vous tient embarassée.
L’excuse est-elle bonne ?

FANCHON

Oüy, va, c’est fort bien dit.

LA RONCE

980 Est-ce que vous croyez que je manque d’esprit ?

FANCHON

Non, mais par trop d’ardeur tu prestes peu silence,
Et souvent tu répons, sans sçavoir ce qu’on pense.

LA RONCE

Moy ?

FANCHON luy fermant la bouche.

Va rendre réponse à mon Maistre à chanter.

LA RONCE

Mais…

FANCHON

Va, te dis-je ; apres je sçauray t’écouter.
Seule.
985 Ces Esprits turbulens me font devenir fole,
Car jusques dans la bouche ils coupent la parole :
Souvent, loin qu’avec eux on puisse s’expliquer,
A peine parle-t-on, qu’ils veulent repliquer ;
Sans entendre les Gens, leur jugement* décide, {p. 74}
990 Quoy qu’il n’ait le bon sens, ny la raison pour guide ;
Lors qu’ils sont entestez* de quelque opinion,
Ils n’ont, pour l’appuyer, que l’obstination,
De trop d’estime d’eux leur esprit les enyvre,
Et croit que leur avis est le seul qu’il faut suivre.

SCENE X §

LA RONCE, FANCHON.

FANCHON

995 Hé bien, reviendra-t-il ?

LA RONCE

Il n’y manquera pas.

FANCHON

Qu’a-t-il dit ?

LA RONCE

Rien.

FANCHON

Tant-mieux.

LA RONCE

Le Bréton est là-bas.

FANCHON

Le Bréton !

LA RONCE

Autrement le Valet de Mélante ;
Il demande Monsieur pour affaire pressante.

FANCHON

Je sçay bien ce que c’est ; Dy-luy qu’il vienne icy.
{p. 75}

LA RONCE

1000 Il a beu plus d’un coup.

FANCHON

Qu’importe.

LA RONCE

Le voicy.

SCENE XI §

FANCHON, LE BRETON, LA RONCE.

FANCHON

Que veux-tu ?

LE BRETON un peu yvre.

Je veux…

FANCHON

Quoy ?

LE BRETON

Je veux Monsieur ton Maistre.

FANCHON

Il est sorty.

LE BRETON

Tant-pis : Mais où donc peut-il estre ?

FANCHON

Je ne sçay.

LE BRETON faisant un hoquet.

Tu ne sçais ?

FANCHON

Non.
{p. 76}

LE BRETON

Il faut le chercher,
Car mon Maistre dans peu…

FANCHON

Parle sans t’aprocher.

LE BRETON

1005 Pourquoy ?

FANCHON

Pour rien.

LE BRETON

Fanchon, mon ame… te convoite,
Je t’aime.

FANCHON

Soûtiens-toy.

LE BRETON

Crois-tu que je sois boite ?

FANCHON

Boite ?

LE BRETON

Oüy, c’est à dire yvre, en langage Breton.

FANCHON

Je m’en raporte à toy.

LE BRETON

Je n’ay pas beu.

LA RONCE

Luy ? Bon.
Il est à jeun, voyez.

LE BRETON faisant un hoquet.

Oüy da, qu’en veux-tu dire ?

FANCHON riant.

1010 Courage.

LA RONCE

Il n’a pas beu, c’est d’amour qu’il soûpire.
{p. 77}

FANCHON

Mais ton Maistre, dy-moy…

LE BRETON

Dans peu tu le verras :
Chantons en l’attendant.

FANCHON riant.

Fort-bien.

LE BRETON

Tu ne veux pas,
Toy qui chantes si bien, qu’aucun n’y peut atteindre ?
J’aime à t’oüir chanter, car tu chantes à peindre.
1015 Vois-tu, je paye Pot ; çà, chante un Passe-Pié.

FANCHON

Je n’en sçay point.

LE BRETON

Ecoute.
Il chante & dance un Passe-Pié & il tombe.

FANCHON riant.

Il s’est estropié,
Releve-le.

LE BRETON

Dy-moy, sçais-je pas la cadance ?

LA RONCE le relevant.

Oüy.

LE BRETON

Prens ton Violon, tu verras si je dance.

LA RONCE riotant*.

On ne peut mieux dancer.

LE BRETON se relevant.

Ah tu fais le rieur.

LA RONCE

1020 Point.

LE BRETON prend La Ronce par la main, & chante & dance le Passe-Pié.

Le pied m’a glissé ; mais…
{p. 78}

SCENE XII §

MELANTE, FANCHON, LE BRETON, LA RONCE.

MELANTE entrant, & le regardant.

Plaist-il ?

LE BRETON

Rien, Monsieur ;
C’est La Ronce…

MELANTE

Est-ce ainsy que l’on me rend réponce ?

LE BRETON

Monsieur, je m’en allois, demandez à La Ronce.

MELANTE

Fort-bien.Depuis une heure où s’est-il arresté ?

LE BRETON

C’est… Nous allons tous deux boire à vostre santé.

MELANTE les regardant aller.

1025 Qu’il a beu !

FANCHON

Point du tout.

MELANTE

Quelquefois il s’en donne ;
Mais il est bon Valet.

FANCHON

Il a l’humeur boufonne.

MELANTE

Phélonte est-il icy ?
{p. 79}

FANCHON

Non.

MELANTE se chagrinant*.

Le fâcheux moment !

FANCHON

Pour affaire pressée il sort presentement :
Mais soyez sans chagrin*, je suis de tout instruite,
1030 De sa part, avec soin, j’attens vostre visite :
Je sçay que vous aimez, & qu’un Pere fâcheux
S’oppose aux sentimens de l’Objet* de vos vœux,
Et que pour luy parler, vous avez de la peine.
Icy vous pouvez tout sans que rien vous y gesne ;
1035 C’est l’ordre de Monsieur.

MELANTE

Tu m’ostes de soucy* :
Cette Dame est en Chaise* à trente pas d’icy,
Je m’en vay l’amener.

FANCHON

Moy, je vay vous attendre.
seule.
Ma foy, contre l’Amour, tous les soins qu’on peut prendre,
Empeschent rarement qu’il ne vienne à sa fin,
1040 Il sçeut, sçait, & sçaura décevoir* le plus fin :
En vain oppose-t-on l’autorité d’un Pere,
C’est dequoy le Fripon ne s’inquiéte guere,
Il se rit des chagrins* de ces Amans jaloux,
Et met toute sa joye à tromper un Epoux ;
1045 Nous trouvons tout possible alors qu’il nous enflâme.
J’entens parler quelqu’un ; C’est Mélante & sa Dame.
{p. 80}

SCENE XIII §

MELANTE, LISE, FANCHON.

MELANTE entrant.

Madame, ostez le masque, & n’apréhendez rien ;
Je suis icy le Maistre, & ce Logis est mien.

LISE

A vostre honnesteté je me laisse conduire ;
1050 Vous voulez que je l’oste, & cela doit suffire.

MELANTE

Fanchon, tu vois l’Objet dont mon cœur est charmé*.

FANCHON

Je vous tiens fort heureux, si vous estes aimé.

MELANTE

Sur l’espoir de l’Hymen tout mon bonheur se fonde.

FANCHON

Madame a des appas* à charmer* tout le monde.

LISE

1055 Me railler ?

FANCHON

Je sçay trop tout ce que je vous doy,
Et quand je parle ainsy, je dis ce que je voy ;
A loüer vos appas je me sens engagée.

LISE

De ces bons sentimens je vous suis obligée.

MELANTE

Fanchon a l’humeur franche, & de l’esprit enfin.

FANCHON

1060 Oh point. Vous plairoit-il de descendre au Jardin ?
{p. 81}

LISE

Volontiers, allons.

MELANTE prend Lise par la main.

Passe.

FANCHON

Ah je sçay trop…

MELANTE

N’importe,
Passe.

FANCHON

Puis qu’il vous plaist, je vais ouvrir la Porte.

Fin du Troisiéme Acte.

Les six Laquais sortent comme au premier Acte ; & ayant joüé un Air, on pousse la Ferme, qui les fait disparoistre. Le quatriéme Acte se passe dans la Salle de Dorame, de mesme que le second.
{p. 82}

ACTE IV §

SCENE PREMIERE §

TOINON, DAPHNIS.

TOINON

L’embarras est leger, & n’aura point de suite* ;
Du faux Musicien Angélique est instruite,
1065 Elle en sçait l’avanture ; & si notre Vieillard,
Etonné d’avoir veu deux Maistre de sa part,
Va, de ce double envoy, luy demander la cause,
Laissez faire, elle est Femme à bien tourner la chose,
N’en appréhendez rien.

DAPHNIS

S’il faut t’ouvrir mon cœur,
1070 Ce n’est pas là, Toinon, le sujet de ma peur.

TOINON

Qu’avez-vous donc ?

DAPHNIS

Je crains de n’avoir, qu’à ma honte,
Entrepris de fixer* le vagabond Phélonte ;
Et que toûjours luy-mesme, il ne soit peu touché {p. 83}
De l’avance où pour luy mon cœur s’est relâché.

TOINON

1075 J’en aurois, comme vous, un peu de défiance :
Phélonte est honneste Homme, & de bonne naissance,
Riche, & par son humeur en tous lieux bien venu ;
Mais en faveur du Sexe* il est mal prévenu*,
Et par certains soupçons où son panchant l’incline,
1080 Sa maniere d’aimer est un peu libertine*.
Courant de Belle en Belle étaller ses douceurs,
Il ne veut en amour ny soûpirs, ni langueurs,
Et d’un Amant plaintif les tristes doleances,
Sont, s’il faut qu’on l’en croye, autant d’impertinences ;
1085 Son seul but est la joye, il en fait vanité,
Le plus fier cependant est le plutost dompté ;
Et tous ces Rodomons en matiere de tendre,
Ont leur instant fatal, c’est là qu’il les faut prendre.
Phélonte en tient déja, vostre esprit l’a charmé*,
1090 Pour vous, sans vous connoistre, il est tout enflâmé,
Et par vostre Billet… Mais Crispin qui s’avance…

SCENE II §

CRISPIN, DAPHNIS, TOINON.

CRISPIN

Mon Maistre, de vous voir, brûle d’impatience,
Madame ; il attend l’ordre à quatre pas d’icy.

TOINON

Cours le faire entrer.
{p. 84}

DAPHNIS

Non.

CRISPIN

Quel scrupule est-ce-cy ?

DAPHNIS

1095 Je crains trop que mon Pere…

TOINON

Eh mon Dieu, vostre Pere
Est sorty pour longtemps. Va, Crispin…

DAPHNIS

Qu’il différe,
Le péril me fait peur ; Une autre fois, Toinon,
Je m’offre…

TOINON

Une autre fois vous diriez encor non ;
Point de remise.

DAPHNIS

Quoy ! tu veux que je hazarde…

CRISPIN

1100 Vous allez tout gaster, si vous n’y prenez garde,
Car mon Maistre n’est pas de ces Martyrs d’amour,
Qui pour un rendez-vous font le guet tout un jour ;
La peine l’éfarouche, & dés le moindre obstacle,
S’il ne dit Serviteur, il faut crier miracle :
1105 Puis que par vostre Lettre il s’est laissé charmer*,
Prenez-le moy tandis qu’il est en train d’aimer ;
Il est certains momens, pouveu qu’on le mitonne…

TOINON

Quand l’occasion presse, est-il temps qu’on raisonne ?
Devrois-tu pas déja l’avoir averty ? Cours,
1110 Sans plus jaser.

CRISPIN s’en allant.

J’ay tort.
{p. 85}

SCENE III §

DAPHNIS, TOINON.

DAPHNIS

Où sera mon recours,
Si mon Pere survient ? Tu me pers.

TOINON

A ce compte,
Ce n’est donc rien pour vous, que d’acquérir Phélonte ?
J’enrage de vous voir sottement barguigner* !
Qu’est-ce, qu’en reculant, vous auriez pû gagner ?
1115 Prétendez-vous qu’il aime un Objet* invisible ?

DAPHNIS

Non ; mais le voir ailleurs, n’estoit pas impossible,
Et nous eussions cherché…

TOINON

Le plutost vaut le mieux.
Il vient, songez à vous.
{p. 86}

SCENE IV §

PHELONTE, DAPHNIS, CRISPIN, TOINON.

PHELONTE à Crispin en entrant.

Qu’elle est aimable* ! Ah Dieux !
D’amour, en la voyant, j’ay déja l’ame pleine.

CRISPIN

1120 Je vous l’avois bien dit, qu’elle en valloit la peine :
Voyez comme ses yeux friponnement tournez…

PHELONTE

Qu’ils sont touchans, Crispin !

CRISPIN

Le friand petit nez !
Si j’estois vous, Monsieur, j’en tâterois.

PHELONTE

Madame,
Ne vous étonnez point du trouble de mon ame ;
1125 La surprise* où je suis de voir tant de beauté,
Ne laisse à ma raison aucune liberté ;
Et quoy que de mes sens cette raison maistresse,
M’ait fait traitter l’Amour jusqu’icy de foiblesse,
Je sors enfin d’erreur, & sens aupres de vous,
1130 Que vous offrir des vœux, est le sort le plus doux.
Souffrez donc que les miens…

DAPHNIS

Ah ç’en est trop, Phélonte,
Toute ardeur m’est suspecte alors qu’elle est si prompte,
Et quoy que vous veüillez trouver en moy d’appas*, {p. 87}
On aime foiblement ce qu’on ne connoist pas ;
1135 Le temps seul…

PHELONTE

Non, Madame, alors qu’il faut qu’on aime,
L’Amour, en un moment, prend un pouvoir extréme ;
J’en fais l’expérience, on m’a veu mille fois
Soûtenir fiérement qu’on aimoit qu’à son choix ;
Toûjours libre, toûjours à couvert de surprise*,
1140 J’ay contre cent Beautez défendu ma franchise*,
Et dés que je vous voy, tout mon cœur enflâmé,
Est contraint de se rendre aux yeux qui l’ont charmé* :
Voyez-en dans les miens l’assuré témoignage,
Ils parlent, c’est à vous d’entendre leur langage,
1145 Ils vous seront garants…

DAPHNIS

Que diriez-vous de moy,
Si j’avois pour les croire assez de bonne-foy ?
On vous connoist Phélonte, aujourd’huy c’est mon regne,
Il n’est cœur que pour moy le vostre ne dédaigne,
Et demain par l’Amour vers un autre appellé,
1150 Vous ne songerez pas que vous m’avez parlé.

PHELONTE

Je n’y songeray pas, Madame ? quel outrage !
De mon cœur tout à vous, vous soupçonnez l’hommage :
Si ce cœur n’est toûjours ferme à vous adorer,
Que le Ciel…

TOINON

Pensez-vous estre crû pour jurer ?
1155 Ce n’est pas en amour un secours fort utile ;
Les Amans, quels qu’ils soient, ont tous le mesme stile ;
Et si chaque serment leur tenoit lieu d’effets,
Le Fourbe gagneroit sa Cause à peu de frais ;
Ce sont toûjours beaux mots, mais non pas sans reserve.
{p. 88}

PHELONTE

1160 C’est à tort…

TOINON

Voyez-vous, il n’est qu’un mot qui serve ;
Quand on veut de deux cœurs assurer l’union,
On y broüille trois grains de Matrimonium :
Cela fait, on se peut aimer tout à son aise.

PHELONTE

Oserois-je espérer que le Party vous plaise ?
1165 Dans la brûlante ardeur qui m’engage aux soûpirs,
L’Hymen est le seul but où tendent mes desirs.
Madame, prononcez ; & quand mon cœur se donne…

DAPHNIS

Phélonte, en verité, ce changement m’étonne* :
Quoy ! vous, parler d’Hymen, c’est dequoy s’écrier…

PHELONTE

1170 Oüy, j’ay blâmé quiconque osoit se marier :
Cependant, avec vous, telle est ma destinée,
Que sans voir ma fortune à la vostre enchaînée,
Je ne puis vivre heureux. Vostre Lettre d’abord
M’a fait sentir pour vous le plus ardent transport* ;
1175 A ce doux charme* en vain j’ay voulu mettre obstacle,
Et voila que vos yeux achevent ce miracle ;
Les désavoûrez-vous, ces beaux yeux que l’Amour…

DAPHNIS

De peur d’en dire trop, pensez-y plus d’un jour ;
Il est bon quelquefois de n’aller pas si viste.

PHELONTE

1180 Non, je suis convaincu de tout vostre mérite ;
Et pour vous empescher de douter de mon feu,
Je vais à vostre Pere en demander l’aveu* ;
S’il ne me connoist pas, il connoist ma Famille.

DAPHNIS

Quelque rang où l’Hymen pût élever sa Fille,
1185 Comme il faut peu de chose à le mécontenter, {p. 89, H}
Le prendre au dépouveu, ce seroit tout gaster :
Ne vous déclarez point, que je ne vous revoye.

PHELONTE

Et quand puis-je, Madame, espérer cette joye ?

DAPHNIS

Peut-estre que chez vous j’iray dés aujourd’huy.
1190 Séparons-nous ; adieu.

PHELONTE

Vous quitter ! quel ennuy* !

DAPHNIS

Je ne puis vous parler icy, que je ne tremble ;
Mon Pere peut venir, & s’il nous trouve ensemble,
Quoy que vous luy disiez, il n’écoutera rien.

PHELONTE

Mais me priver si-tost d’un si cher entretien,
1195 Madame…

DAPHNIS entendant fraper à la Porte.

Je l’entens, c’est luy, que deviendray-je ?

PHELONTE

Une honneste recherche* a quelque privilege ;
Et si je luy dis…

DAPHNIS

Non. Toinon, & viste.

TOINON

Quoy,
Peut-on… Comme il redouble !

DAPHNIS

Et tost, c’est fait de moy.
Que dans ce Cabinet ils entrent l’un & l’autre.

CRISPIN

1200 Monsieur, nous voila pris.

TOINON

Ma pensée est la vostre ;
Coulez-vous là-dedans, & motus. L’on y va. {p. 90}

CRISPIN entrant.

Peste ! il a belle haste.

DAPHNIS

Et la Clef, tire-la.

TOINON

Mon Dieu, ne craignez rien. Il heurte avec emphase.

SCENE V §

DAPHNIS, ANASTASE, TOINON.

TOINON apres avoir ouvert la Porte.

Au Diable l’animal !

DAPHNIS

Quoy ! Monsieur Anastase,
1205 C’est donc vous…

ANASTASE faisant une grande revêrence.

Oüy, Madame, excusez si j’ay tort.

TOINON

Comme il frape !

ANASTASE

J’ay crû ne fraper pas trop fort.

TOINON

Justement. Il croyoit heurter à son College.

ANASTASE

Il est vray qu’on s’y donne un peu de privilege,
Et qu’à grand bruit toûjours chaque chose s’y fait.
1210 Avec des Ecoliers du repos !

DAPHNIS

En effet :
Mais, Monsieur Anastase, en deux mots, voyons, qu’est-ce ? {p. 91}
Que voulez-vous ?

ANASTASE

L’Etude orne bien la Jeunesse,
Et j’ay mis, grace au Ciel, vostre Frere en état
De soûtenir bientost sa These avec éclat.
1215 A present qu’il est Grec, ce sont ses Galleries,
Que les Universaux & les Cathégories,
Sans certains Argumens sur l’étre de raison,
Par lesquels…

DAPHNIS

Finissons, si vous le pouvez.

TOINON

Bon :
Pensez-vous qu’un Pédant d’un seul mot se contente ?
1220 C’est…

ANASTASE

Madame, Toinon est toûjours mordicante*,
Et son aversion, quoy que sans fondement,
Ne m’a jamais traitté qu’antipatiquement :
Quand elle auroit puisé dans le sein de la haine,
Les dédains corrosifs…

TOINON

Vostre fievre-quartaine:
1225 Voyez ce qu’il veut dire avec son corrosif ?
Eh parlez-nous Chretien.

ANASTASE

Ah cœur vindicatif !
Elle m’en a voulu, depuis qu’un jour contr’elle…

DAPHNIS

Oüy ; mais sçachons vers nous quel sujet vous appelle.

ANASTASE

Je viens trouver Monsieur de la part de son Fils,
1230 Luy rendre cette Lettre.
{p. 92}

DAPHNIS

Il n’est pas au Logis ;
Je la rendray pour vous, donnez.

ANASTASE retenant la Lettre.

Je vay l’attendre,
L’affaire le requiert. Pour vous la faire entendre,
Vous sçaurez…

TOINON

On ne veut y prendre aucune part,
Délogez ; car Monsieur ne reviendra que tard.

ANASTASE

1235 Tard soit, il est besoin que j’en aye audiance.

TOINON

Revenez donc tantost*.

ANASTASE

Non, j’auray patience,
Et n’incommodant pas, j’aime mieux en ce lieu…

TOINON

Le Mouchoir* de Madame est de travers ; Adieu,
Il faut le rajuster, point de Témoins.

ANASTASE

Diane
1240 Fut jadis exposée aux regards d’un Profane ;
Ses yeux gasterent-ils les celestes beautez…

TOINON

Quoy ! Messieurs du College aiment les nuditez ?
Je ne le sçavois pas.

ANASTASE

La Nature…

DAPHNIS

Eh, de grace,
Ne moralisez point, & nous quittez la place.

ANASTASE

1245 Vous avez droit d’agir impérativement,
Je sors, & suis fâché…
{p. 93}

TOINON

Trévé de compliment*,
On vous quitte.

DAPHNIS

Enfin il s’en va, je respire.

SCENE VI §

TOINON, DAPHNIS.

TOINON

Qu’un Pédant à souffrir est un cruel martyre !

DAPHNIS

Ne perdons point de temps, de crainte d’avoir pis ;
1250 Congédions…

SCENE VII §

DORAME, ANASTASE, DAPHNIS, TOINON.

DORAME à Anastase.

J’estois en peine de mon Fils,
Comment est-il ?

ANASTASE

Fort bien, Monsieur.

DAPHNIS

Toinon, que faire ?
{p. 94}

TOINON

Ne rien dire, & laisser raisonner vostre Pere.

DORAME

Nous ne l’avons point veu depuis huit ou dix jours.

ANASTASE

A raciociner* comme il vaque toûjours,
1255 Il ne sort point, & c’est pour cela qu’il m’envoye
Vous faire humble requeste.

DORAME

Ah j’en ay de la joye.
Dequoy donc s’agit-il ?

ANASTASE

D’un accommodement.

DORAME

Est-ce qu’il auroit eu querelle ?

ANASTASE

Nullement ;
Il a vers la douceur, propension entiere :
1260 Mais un sien Camarade agissant par priere,
Luy fait sur certain cas prendre son intérest.
Cette Lettre, Monsieur, vous dira ce que c’est.

DAPHNIS à Toinon, tandis que Dorame lit bas.

Je ne sçais où j’en suis, s’il falloit pour écrire
Que dans ce Cabinet…

TOINON

Vous mettez tout au pire.
1265 Que sert de craindre ? Alors comme alors, on verra,
Si l’embarras échoit, comme on s’en tirera.

DORAME apres avoir leu.

Oüy, Monsieur Anastase, avec plaisir j’espere
Venir, sans trop de peine, à bout de cette affaire,
Assurez-en mon Fils ; J’aime à voir que son cœur,
1270 A de semblables soins, se porte avec ardeur.
{p. 95}

ANASTASE

Au bien Pedetentim toûjours je l’achemine,
L’induis aux bonnes mœurs ; & sous ma discipline,
Depuis cinq ans entiers, il est à remarquer,
Qu’il n’a sçeu ce que c’est que de prévariquer*.

DORAME

1275 Je suis content de vous, autant qu’on le peut estre.

ANASTASE

Monsieur, sans vanité…

TOINON bas.

Finira-t-il, le traistre ?

ANASTASE

Le Ciel m’a de tout temps concedé le talent,
Quand j’ay soin d’un terroir, de le rendre excellent ;
Il n’est que d’estre mis d’abord en bonne Ecole ;
1280 Car la jeunesse, elle est comme une cire mole…

DORAME

C’est fort bien dit, allez, je sçay ce que je doy,
Et l’on ne perd jamais ce que l’on fait pour moy.
Demain, mon Fils sçaura ce que j’auray pû faire ;
Adieu.

SCENE VIII §

TOINON, ANASTASE, DAPHNIS.

TOINON à Daphnis.

Bon, nous voila quittes de vostre Pere.

ANASTASE à Daphnis.

1285 Que m’ordonnerez-vous ?

TOINON

De décamper ; Bon-soir.
{p. 96}

DAPHNIS

A mon Frere, qu’il est trop longtemps sans me voir.

ANASTASE revenant.

Quoy qu’il soit, sans vouloir user de privilege,
Rigide observateur des Regles du College,
Si c’est necessité necessitante…

DAPHNIS

Non,
1290 Quand il pourra venir, qu’il vienne.
Il sort.
Enfin, Toinon,
Nostre Importun…

TOINON

Maudit soit tout Pédant qui jase.

SCENE IX §

DORAME, ANASTASE, DAPHNIS, TOINON.

DORAME revenant.

J’allois oublier. Ho, Monsieur Anastase.

TOINON

Il est déja bien loin, & ne vous entend pas.

DORAME

Pas si loin ; je le voy qui revient sur ses pas.

ANASTASE

1295 Monsieur.

DAPHNIS bas à Toinon.

Le rappeller !

TOINON

C’est bien une autre histoire.

DORAME

J’ay fait, depuis deux jours, achapt d’une Ecritoire,
Que vous m’obligerez de porter à mon Fils ; {p. 97, I}
Elle est toute gravée, & d’un travail exquis ;
Je vous la vay donner.

DAPHNIS

Ah me voila perduë !

DORAME ne trouvant point la Clef.

1300 La Clef du Cabinet, qu’est-elle devenuë ?

TOINON

Moy, le dois-je sçavoir ? Elle peut estre en bas,
Il faut y voir.

DORAME

Je cherche, & ne la trouve pas ;
Je l’ay tantost* laissée à la Porte.

DAPHNIS

Peut-estre
Toinon en balayant…

DORAME

Tout sur le dos du Maistre.
1305 Les Valets sont bien nez pour nous faire enrager !
Qu’ils perdent, brisent tout…

TOINON

Le dégast est léger :
Hé bien, c’est une Clef, voyez la grande perte !

DORAME

Mais si du Cabinet la Porte n’est ouverte ?
L’Ecritoire est dedans.

TOINON

Le beau sujet d’ennuy* !
1310 Vous l’envoyrez demain, si ce n’est aujourd’huy.

DORAME

Oyez-la raisonner.

ANASTASE

Comme je suis tout vostre,
Demain, puis que la Clef…
{p. 98}

DORAME

J’en ay là-haut une autre,
Je m’en vay la chercher.

DAPHNIS bas à Toinon.

Fay ce que tu pourras ;
Quant à moy je me sauve, & ne l’attendray pas.

TOINON

1315 Eh que pourray-je faire ? Elle sort, & me laisse.

SCENE X §

ANASTASE, TOINON.

ANASTASE

Donc, Madame Toinon sera toûjours tygresse,
Et rien n’adoucira son naturel felon* ?

TOINON à Anastase.

Montez viste, Monsieur vous appelle.

ANASTASE

Moy ? Non,
Il ne m’appelle point.

TOINON

Vous estes sourd, je pense.

ANASTASE

1320 Ma faculté d’oüir n’est point en défaillance ;
Et si quelque douceur de vostre chere voix…

TOINON rêpondant comme si on l’appelloit.

Tout-à-l’heure. Avez-vous entendu cette fois ?

ANASTASE

Rien moins.

TOINON

Il vous attend ; montez là-haut, vous dis-je.
{p. 99}

ANASTASE

O trop fier rejetton d’une sauvage tige !
1325 Par quelle dureté m’envier* le trésor
De l’heureux teste-à-teste ? Helas ! qu’au poids de l’or
Je voudrois mille fois…

TOINON

Peste de la pécore* !

SCENE XI §

DORAME, ANASTASE, TOINON.

DORAME

Voicy mon autre Clef, qu’on me la perde encore.

TOINON bas.

Tout va se découvrir.

DORAME ouvrant la porte.

Si… Mais que vois-je là ?
Crispin au dedans chante, Fa re mi fa, fa sol fa mi, fa re fa, sol fa re mi fa, bis. & ils sortent en continuant.
{p. 100}

SCENE XII §

DORAME, ANASTASE, PHELONTE, CRISPIN, TOINON.

CRISPIN en sortant, à Phélonte, qui tient un papier.

1330 Suivez bien vostre Mode, allons, par E mi la.
Le mesme, Fa re mi fa, fa sol fa mi, fa re fa, sol fa re mi fa. bis.

DORAME à Toinon.

Que veut dire cecy ? répons.

TOINON

Quelle demande !

DORAME

Deux Hommes !

TOINON

La surprise en doit estre bien grande ;
Est-ce une nouveauté que deux Hommes ?

CRISPIN à Phélonte.

La, la,
à Dor.
Monsieur, vous voulez bien nous pardonner cela.

DORAME

1335 Ne sçachant…

PHELONTE à Dorame.

Excusez, si j’ose avec franchise*,
Prendre une liberté que Monsieur autorise :
Comme il a commencé, c’est à luy jusqu’au bout,
A vous…
{p. 101}

CRISPIN

Les Gens d’honneur sont bien venus par tout,
Et Monsieur, qui sçait vivre, est Homme raisonnable,
1340 Il excuse aisément…

PHELONTE à Dorame.

En rencontre* semblable,
Vous…

CRISPIN

Monsieur est tout cœur pour les honnestes Gens :
L’heure me presse un peu, ne perdons point de temps.

DORAME à part.

Deux Hommes enfermez ; point de clef ; Patience,
Nous éclaircirons tout.

CRISPIN à Phélonte.

Chantez donc.

PHELONTE

Je commence.

CRISPIN

1345 Je l’ay fort bien noté : Là, marquez bien ce fa,
Fa, fa.

DORAME

Me raille-t-on ? quel Prélude est-ce là ?
Il faut voir jusqu’au bout.

ANASTASE

La Musique est touchante.

DORAME faisant signe du doigt.

Toinon…

TOINON

Hé bien, est-il défendu qu’on ne chante ?

CRISPIN

Sol, sol.
A Dor.
Nous aurons fait dans un moment.

PHELONTE

Fa, mi

CRISPIN

1350 Hardiment ; A quoy bon entonner à demy ?
{p. 102}

PHELONTE chante, & Crispin bat la mesure.

L’Amour cause trop de peine,
Je ne veux plus m’engager ;
Un Amant souffre la gesne*,
Quand l’Objet* vient à changer.
1355 L’Amour cause trop de peine,
Je ne veux plus m’engager.

CRISPIN, apres que Phêlonte a chanté, se retourne

devers Dorame, battant la mesure.

Fa re mi fa, fa sol fa mi, fa re fa, sol fa re mi fa. bis.

La Basse continuë, oyez.

DORAME

Je vous entens.

CRISPIN à Phélonte.

Allons, encore un coup, marquez moy bien vos temps.
PHELONTE chante, L’Amour cause trop, &c.

CRISPIN se retourne encore à Dorame, apres la fin du Couplet.

Le mesme, Fa re mi fa, &c.
C’est un petit Rondeau.

DORAME

Rondeau soit ; mais de grace…

CRISPIN

1360 N’estes-vous pas, sur tout, charmé de cette Basse ?

Fa re mi fa, fa sol fa me, &c.

DORAME

Mais, Monsieur…

CRISPIN

Fa re mi fa, &c.

bas à Phélonte.
Sortons.
Phélonte sort allant apres eux.
{p. 103}

DORAME

Mais…

CRISPIN revenant.

Fa re mi fa, &c.

DORAME

Laissez ce re mi fa,
Et m’apprenez, Monsieur, ce que vous faisiez là ?

CRISPIN

Eh, j’y notois ce… fa re mi fa, fa sol fa mi, &c.

TOINON à part.

Bon : Il se tire d’affaire.

DORAME

Mais pourquoy…

CRISPIN

fa re mi fa, fa sol fa mi, &c.

DORAME

Ce re fa commence à me déplaire :
1365 D’où vient que ce Monsieur…

CRISPIN battant toûjours la mesure.

Fa re mi fa, &c.

Il sort en chantant, Fa re mi fa, fa sol fa mi.

DORAME à Toinon.

Que veut dire cecy ?

SCENE XIII §

DORAME, ANASTASE, TOINON.

TOINON riotant*.

Ces Messieurs enfermez, vous mettent en soucy.

DORAME

A te voir, tout cela ne t’inquiéte guére.
{p. 104}

TOINON

Ma foy, non.

DORAME

Non, ta foy.

TOINON

Voyez la grande affaire !
C’est peut-estre un Galant qui m’en veut, que sçait-on ?

DORAME

1370 La Coquine !

ANASTASE

Monsieur…

TOINON

La, prenez vostre ton,
Grondez jusqu’à demain.

ANASTASE

L’ire qui vous embraze,
Va sans doute trop loin, car…

DORAME

Monsieur Anastase,
Avecque vos Pédans meslez-vous, s’il vous plaist,
D’un Argument en forme, il sçavent ce que c’est.

ANASTASE

1375 L’allucination, dans cette conjoncture,
Vous oste les clartez d’une telle avanture ;
C’est pourquoy vous devez penétrer* à loisir.

DORAME

D’accord.

ANASTASE

L’Homme prudent doit se faire un plaisir,
De connoistre le vray.

DORAME

Vous plaist-il de vous taire ?

ANASTASE

1380 Oh volontiers. D’ailleurs ce n’est pas mon affaire.
{p. 105}

DORAME

Quoy ?

ANASTASE

Rien. Mais un conseil…

DORAME en colere.

Encor ? Eh taisez-vous.

ANASTASE à Dorame.

Je me tairay.

DORAME

Fort-bien.
à Toinon.
Cà, parlons entre nous.

ANASTASE

Le silence est pourtant le propre de la Beste.

DORAME

Hem ?

ANASTASE

A vous contenter, je sens que je m’apreste :
1385 Parlez. Je me tais.

DORAME

Hom…

TOINON

Il grille dans sa peau.

DORAME à Toinon.

Que faisoient là ces Gens ?

TOINON

Il notoient ce Rondeau,
Et c’est un pur hazard qui vous doit peu surprendre.
Vostre Fille, Monsieur, ayant dessein d’apprendre,
Ce Maistre entroit icy pour luy faire leçon ;
1390 Mais en entrant, il a prié qu’on trouvast bon,
Qu’il pût à ce Monsieur, en ce Logis, écrire
Ce Rondeau que, dit-il, chacun partout desire ;
Et nous a fort pressé de luy faire apporter
Du papier & de l’encre, afin de le noter.
1395 Moy, dans ce Cabinet sçachant une Ecritoire, {p. 106}
Je les ay fait entrer, voila toute l’histoire :
Les refuser, c’estoit une incivilité.

DORAME

Il pouvoit estre ailleurs tout aussy bien noté.

TOINON

Il est vray, mais…

DORAME

Il entre en cecy du mystere.

TOINON

1400 Comment ?

DORAME

Quand on ne fait que ce que l’on doit faire,
On n’oste point la Clef d’une Porte, Toinon ;
Il y va là du vostre.

TOINON

Et qui vous dit que non ?
Oüy, j’ay fermé la Porte, & pris la Clef.

DORAME

La Gueuse !
Pourquoy donc, s’il vous plaist ?

TOINON

Pour vostre humeur* grondeuse :
1405 Tout vous choque, & pour rien vous entrez en courroux ;
Une Mouche à tout autre, est Eléphant pour vous
Et quand vous vous mettez dessus la gronderie,
C’en est pour quinze jours.

DORAME se fâchant.

Voyez l’effronterie !
Ce n’est rien d’enfermer deux Hommes sans façon ?

TOINON

1410 Le grand crime que c’est, d’écrire une Chanson !

DORAME

Pour écrire, on n’a point sur soy la Porte close.
{p. 107}

TOINON

Vous mériteriez bien que ce fut autre chose.

ANASTASE

Monsieur, la tempérence est entre les Vertus…

DORAME

Tempérez vostre langue, & ne me parlez plus.

ANASTASE

1415 Monsieur, la fâcherie est à craindre à vostre âge,
Et peut causer en vous un notable dommage :
Je dois, par mes avis, tâcher à vous guérir…

DORAME

Je veux me fâcher, moy.

ANASTASE

Vous en pourriez mourir,
Et l’on m’accuseroit d’estre cause seconde
1420 De ce cruel malheur.

DORAME

Que le Ciel te confonde !

ANASTASE

Je ne souffriray point que vous vous fâchiez, non.

DORAME

Eh Monsieur Anastase…

TOINON

Il a grande raison,
La colere aux Vieillards est chose trop funeste.

ANASTASE

De la bile enflâmée il reste certain reste,
1425 Dont la vapeur* maligne attaquant leur cerveau,
Le corrompt & le gaste, & les mene au tombeau.

TOINON

Ecoutez ce qu’il dit, &…

DORAME

Voudrois-tu te taire ?

TOINON

Oüy, Monsieur.
{p. 108}

DORAME à Anastase.

Vous…

TOINON

La mort suit de pres la colere,
Car Monsieur Anastase en donne la raison.

ANASTASE

1430 Elle est fort dangereuse en la vieille saison,
Dorame ouvre la bouche.
Dit Hipocrate ; c’est de l’Homme l’ennemie,
Elle produit en luy cette cacochimie*,
Nuisible à la santé.

DORAME

Je brûle de courroux.

ANASTASE

Oh j’empescheray bien, moy, restant pres de vous,
1435 Que vous ne vous fâchiez.

TOINON

C’est bien fait.

DORAME

Que la Peste
Etoufe l’un & l’autre.

ANASTASE

Eh Monsieur…

DORAME

Je déteste :
Eh taisez-vous tous deux, & me laissez parler.

ANASTASE

Quand cette humeur* en nous vient la rate opiler*,
L’hypocondre* est alors…
le poursuivant.

DORAME

Quoy, sans cesse ? Ah j’enrage.

ANASTASE

1440 Eh Monsieur…

TOINON de mesme.

Eh Monsieur…
{p. 109}

DORAME

Coquine…

ANASTASE

L’Homme sage…

DORAME

Homme fou, vous plaist-il me laisser en repos ?

ANASTASE

En ce fâcheux état, il n’est pas à propos…

DORAME

Oh pour moy je te laisse.

TOINON

Il a fermé la Porte,
Allez-vous en, adieu.

ANASTASE

Non, j’attendray qu’il sorte.
Toinon s’en va, faisant un signe de la teste.

DORAME revenant.

1445 Voila cette Ecritoire.

ANASTASE

Eh Monsieur…

DORAME le poussant.

Eh Bourreau,
Laisse-moy, sors.

ANASTASE s’en allant.

Craignez un transport* au cerveau.

Fin du Quatriéme Acte.

On retire la Ferme, & les six Laquais paroissent qui joüent comme aux autres Actes, & se retirent par les deux costez du fonds. Ce cinquiéme Acte se passe dans l’Antichambre de Phêlonte.
{p. 110}

ACTE V §

SCENE PREMIERE §

CRISPIN en sortant.

Fa re mi fa, fa sol fa mi, &c.

Hem ?

PHELONTE

Que Crispin est fou !

CRISPIN

Mais peut-on ne pas rire,

fa re mi, &c.

En songeant à… Je crois que vostre cœur soûpire.

PHELONTE

Cette Dame est, Crispin, dans un grand embarras !

CRISPIN

1450 Elle s’en tirera, ne vous chagrinez* pas.
A propos, tous vos Gens sont là-haut qui repétent.

PHELONTE

Pour chanter avec eux, trop de soins* m’inquiétent ;
Et quoy que la Musique ait de charmes* pour moy,
Elle adouciroit peu le trouble où je me voy.
1455 J’ay veu Daphnis, Crispin ; qu’elle est aimable & belle !

CRISPIN

Quoy ! tout-de-bon, Monsieur, vous en tenez* pour elle,
Et des langueurs d’amour, vous l’ennemy juré, {p. 111}
Converty tout-à-coup, vous auriez abjuré ?

PHELONTE

Oüy, Crispin, ç’en est fait, par je ne sçay quel charme*,
1460 De toute ma fierté sa beauté me desarme ;
Je m’y rends, & je trouve en tout ce qu’elle dit,
Un agrément flateur, un tour aisé d’esprit,
Qui m’enleve à moy-mesme, & me fait trop connoistre
Qu’il est des nœuds secrets dont on n’est pas le maistre ;
1465 Son absence me tüe, & loin de ses beaux yeux,
Point de repos pour moy, tout me déplaist.

CRISPIN

Tant-mieux.
Car à vous parler franc, quoy qu’aupres de la Belle
Vous vous soyez dépeint l’Amant* le plus fidelle,
Comme je vous connois sujet à caution,
1470 Je doutois que ce fut à bonne intention ;
Mais enfin vostre cœur suit la route des nostres,
Et vous estes pris, vous, qui vous moquiez des autres.

PHELONTE

Il faut te l’avoüer, ce changement est grand ;
A voir ce que je fus, moy-mesme il me surprend ;
1475 Mais j’ay beau raisonner, l’Amour parle, il m’attire,
Et je me sens forcé de suivre son empire.

CRISPIN

Dame, il est attirant plus que vous ne pensiez,
Et ces coups de Baston dont vous me menaciez,
Il m’en devoit couster tout au moins une coste ?
1480 Si j’aime, hé bien, Monsieur, voyez, est-ce ma faute ?

PHELONTE

J’eus tort, de mon erreur enfin tu viens à bout.

CRISPIN

L’Amour est un Oyseau qui se niche partout,
Et souvent ce n’est pas, quoy qu’il aime à le taire, {p. 112}
En Auberge d’éclat qu’il fait meilleure chere.
1485 Chacun se sent, Monsieur, selon ses facultez.

PHELONTE

Ah Crispin, que Daphnis fait briller de beautez !
Je ne sçay si pour voir mon ame assujettie,
Le Destin contre moy se met de la partie :
Mais rien ne me paroist égaler ses attraits,
1490 Et je sens dans mon cœur ce qui n’y fut jamais.
M’aimes-tu ?

CRISPIN

Moy, Monsieur ?

PHELONTE

Il s’agit de me rendre
Un service qui passe…

CRISPIN

Et par où m’en défendre ?
Je suis vostre Valet, et Valet tres-acquis ;
Et Daphnis, dont enfin les yeux vous ont conquis,
1495 Se trouve d’abondant, par un bonheur extréme,
Maistresse de Toinon, & c’est Toinon que j’aime.

PHELONTE

Toinon ! Agis, Crispin, tu travailles pour toy.

CRISPIN

Oüy, dites-vous, mais…

PHELONTE

Va, que Daphnis soit à moy,
J’obtiendray de Toinon, puis qu’elle t’est si chere…

CRISPIN

1500 Voyons à cela pres, qu’est-ce ? que faut-il faire ?

PHELONTE

Porter à ce que j’aime un Billet de ma part,
Luy demander pour moy…
{p. 113, K}

CRISPIN

C’est bien dit ; au hazard,
Que le Vieillard mutin* à m’étriller s’aplique.

PHELONTE

S’il te voit de nouveau, tu parleras Musique.

CRISPIN

1505 Oüy ; mais s’il s’avisoit, comme il est violent,
De me faire chanter sur quelque ton dolent,
Il connoist d’autres Clefs que B mol & B quarre.

PHELONTE

Quand on est amoureux, à tout on se prépare :
Ah Crispin, quand on aime, & qu’on aime ardemment,
1510 Donne-t-on comme toy sur le raisonnement ?1510
Pouvant revoir Toinon, tu crains…

CRISPIN

Quel Docteur ! diantre !
Aux Gens, en dépit d’eux, il met le cœur au ventre :
Mais comme la crainte est malseante aux Amans*,
Vous-mesme vous pourriez faire vos complimens*,
1515 Ils seroient mieux de vous.

PHELONTE

Si je suis veu de Pere,
J’embarasse Daphnis, je ruine l’affaire.

CRISPIN

Ecrivez, je voy bien qu’au péril de mon dos
Il faut marcher.
{p. 114}

SCENE II §

FANCHON, PHELONTE, CRISPIN.

FANCHON en entrant.

Quoy donc, icy dans le repos ?
Et ne sçavez-vous pas, que depuis plus d’une heure
1520 Mélante est au Jardin ?

CRISPIN

Hé bien, qu’il y demeure,
Nous sommes en affaire, & qui presse.

PHELONTE

Dy-moy,
Est-il seul ?

FANCHON

Une Dame est avec luy.

CRISPIN

Je croy
Qu’un tiers ne leur est pas tout-à-fait nécessaire.

FANCHON

J’ay fait ce que pour eux vous m’aviez dit de faire,
1525 Et je les ay reçeus de mon mieux.

PHELONTE

A-t-on dit
Que je suis rentré ?

FANCHON

Non.

PHELONTE

Qu’on les laisse, il suffit :
J’entre en mon Cabinet un moment pour écrire ;
J’iray les voir apres.
{p. 115}

FANCHON

Il faut encor vous dire,
Que là-haut vostre Maistre, accompagné du mien,
1530 Sur quelques Airs nouveaux ont un grand entretien,
Et veulent sur ces Airs sçavoir vostre pensée.

PHELONTE s’en allant.

Qu’ils attendent.

SCENE III §

CRISPIN, FANCHON.

FANCHON

Crispin, quelle affaire pressée
Pourroit avoir Monsieur ? dis.

CRISPIN

Vois-tu bien, il a
Ce qui vient par icy d’ordinaire, & va là ;
1535 Un mal aussy malin…

FANCHON

Et quel mal, je te prie ?

CRISPIN

C’est un mal qui jamais n’entendist raillerie,
Qui cuit & qui chatoüille, & qui sçeut de tout temps
Donner à corps perdu sur les honnestes Gens :
En un mot mon Maistre est, puis qu’il te faut tout dire,
1540 Mon Confrere en amour.

FANCHON

Quoy, Phelonte soûpire,
Il seroit amoureux !
{p. 116}

CRISPIN

Il en tient d’aujourd’huy.

FANCHON

Je ne m’étonnois pas de te voir fou, mais luy !

CRISPIN

Aimer est donc folie ?

FANCHON

Et de la plus à craindre.
Le beau ragoust* d’avoir à gémir, à se plaindre !
1545 Vivons, rions, chantons, & point d’amour.

CRISPIN

Fort-bien,
Il faut t’entendre, avec ta Musique de Chien.

FANCHON

Je suis…

CRISPIN

Tout-franc, depuis que tu t’es mis en teste
Ut re mi fa sol la, tu n’es plus qu’une Beste*.

FANCHON

Mais toy, qui fais le sot, je te trouve fort bon ;
1550 C’est bien à toy d’aimer ? un Pié-plat* !

CRISPIN

Pourquoy non ?
Lors que de s’en mesler, le Diable a la malice,
Puis-je empescher qu’en moy Nature ne pâtisse ?

FANCHON

Que ne suis-je ton Maistre, afin de t’empescher ?

CRISPIN

Toy ? bon.

FANCHON

Sur le bon pied je te ferois marcher,
1555 Je t’aprendrois…

CRISPIN

Va-t-en aupres de ta Malade,
Ta voix la peut guerir, elle a besoin d’aubade.
{p. 117}

FANCHON

C’est à dire qu’il faut que ta folie ait cours,
Et que tu veux, sans moy, resver à tes amours.

CRISPIN

Ce n’est pas ton affaire, adieu.

FANCHON

Tu te courouces,
1560 Bon-soir.

CRISPIN seul apres avoir resvé.

Amour, amour, quelles rudes secousses !
Laisse quelque moment mon cœur en repos. Non,
Tu veux qu’il aille & vienne. Ah Toinon ! ah Toinon !

SCENE IV §

CRISPIN, TOINON, DAPHNIS.

TOINON entrant.

Hé bien, que luy veux-tu ? voicy Toinon.

CRISPIN la caressant*.

Friponne !
Tu vois comme sans cesse avec toy je raisonne*.

TOINON

1565 Tout-doux, tu ne vois pas ma Maistresse ?

DAPHNIS

Crispin,
Que fait ton Maistre ?

CRISPIN

Il est possedé d’un Lutin,
Qui dans son Cabinet broüille fort sa cervelle.

DAPHNIS

Est-il seul ?
{p. 118}

CRISPIN

S’il est seul ? Non, avec une Belle.

DAPHNIS

Une Belle !

CRISPIN

Oüy, qu’il aime, & tendrement.

DAPHNIS

Ah Dieux !
1570 Viens, Toinon.

CRISPIN l’arrestant.

Sans courroux, le plus-tard vaut le mieux.

DAPHNIS

Tu m’arrestes en vain.

CRISPIN

Eh mon Dieu, patience ;
Estre avec une Belle…

DAPHNIS

Ah c’est une impudence
Qui doit le diffamer…

CRISPIN

Pas tant que vous croyez ;
C’est avec vous qu’il est, il vous écrit.

TOINON

Voyez,
1575 Il estoit bien besoin de nous donner l’allarme ?

DAPHNIS

Quoy, Crispin, tu me dis…

CRISPIN

Que vous estes son charme*,
Et que mettant sa joye à vous le protester*,
Il écrit un Billet que j’allois vous porter ;
Mais je cours l’avertir…

DAPHNIS

Non, je le veux attendre,
1580 Nous verrons de quel air il aura sçeu s’y prendre,
Si l’amour… Mais, Crispin, ne m’abuses-tu point ? {p. 119}

CRISPIN

Non, je me donne au Diable, il vous aime à tel point,
Qu’au besoin, pour vous mieux soûmettre sa fortune,
Il vous épouseroit quinze fois au lieu d’une.

TOINON

1585 Va, Crispin, c’est assez d’épouser une fois,
Encor en est-il bien qui s’en mordent les doigts ;
L’Hymen est une Cage, où tout Oyseau qui chante…

CRISPIN

Madame, avec mon Maistre, aura l’ame contente,
C’est pour elle un coup seûr ; Quand un Coquet* fieffé,
1590 D’amour, de bonne sorte, une fois s’est coëffé,
Cela tient comme glu.

DAPHNIS

Si-bien donc, qu’à ton conte,
Je ne dois plus douter d’avoir touché Phélonte ?

CRISPIN

Vous faites de son cœur l’unique passion ;
J’en répons, s’il le faut.

TOINON

La bonne Caution !

CRISPIN

1595 Oüy, bonne, & je voudrois en avoir une telle,
Qui m’asseurast de toy.

TOINON

Je te suis si fidelle !
Que crains-tu ?

CRISPIN

Que venant à parler tout de bon,
Au lieu de dire oüy, tu n’ailles dire non.

DAPHNIS

Phélonte y pourra tout, s’il a de la constance ;
1600 S’il m’épouse, Toinon sera ta récompense,
Je t’en donne parole. {p. 120}

CRISPIN

Et toy ?

TOINON

Ne sçais-tu pas
Qu’une Servante suit sa Maistresse à grands pas ?
Ainsi le tout dépend de bien servir sa flame.

SCENE V §

PHELONTE, DAPHNIS, CRISPIN, TOINON.

PHELONTE sortant.

Tien, Crispin, va porter promptement… Ah Madame,
1605 Vous icy ! quel bonheur pouvoit m’estre plus cher ?

DAPHNIS

Voyons donc ce Billet.

PHELONTE

Il vous alloit chercher :
Mais, Madame, à quoy bon perdre du temps à lire,
Ce qu’on ne peut jamais que foiblement écrire ?
Je vous aime, & mon cœur qui paroist dans mes yeux,
1610 Quand ma bouche le dit, vous le dit encor mieux ;
Tout nourrit, tout accroist cette ardeur impréveuë
Qui m’a fait estre à vous dés que je vous ay veuë ;
Je vous revois, Madame, & mes vœux satisfaits…

DAPHNIS

J’aurois lieu de rougir, à voir ce que je fais :
1615 Venir jusques chez vous, c’est offencer ma gloire*,
Mais vostre amour l’emporte, & je l’ay voulu croire ;
Vous le peignez sincére, & s’il l’est en effet, {p. 121, L}
Quoy que j’ose pour vous, je n’auray pas trop fait.
Ainsy vous estes seûr d’estre écouté, de plaire ;
1620 Mon cœur sera pour vous, mais je dépens d’un Pere,
Et c’est à vous à voir, si vous pourrez souffrir
Les fâcheux contretemps qui se pourront offrir :
Jamais il ne veut rien de ce qu’on luy propose,
Quel qu’en soit l’avantage, il resiste, il s’oppose ;
1625 Mais sur le point d’honneur il est fort délicat,
Et s’il voit que vos feux s’obstinent à l’éclat,
Comme il craint les sots bruits, pour s’en sauver, j’espere
Qu’il croira nostre Hymen un party nécessaire.
Voila ce qui m’amene, il faut déliberer…

PHELONTE

1630 Madame, c’est assez que je puisse espérer ;
Cet obstacle d’un Pere est de peu d’importance,
S’il peut estre levé par ma perseverance :
Mais ne vous ay-je point attiré son courroux ?
Qu’a-t-il dit de m’avoir trouvé tantost* chez vous ?

DAPHNIS

1635 Il n’a pas fait paroistre encor qu’il me soupçonne ;
Mais pour Toinon…

TOINON

Je sçay qu’il me la garde bonne ;
L’orage crevera, mais ma foy je l’attens :
Voyez le vieux resveur ! il a passé son temps,
Et ne s’informe pas, quand une Fille a l’âge,
1640 Si les jours qu’elle perd…

DAPHNIS

Toinon n’est guere sage.

TOINON

Mon Dieu, Toinon vaut trop, n’en dites que du bien,
Elle a gagné le cœur d’un grand Musicien ;
C’est là de son mérite une preuve autentique, {p. 122}
Crispin.

CRISPIN

Ne railles point, honneur à ma Musique ;
1645 Sans le Rondeau noté, nous estions pris sans vert.

PHELONTE

Tout-à-propos pour moy le Rondeau s’est offert,
Mais c’est à Crispin seul qu’on doit le stratagéme :
Toinon, ce trait d’esprit mérite assez qu’on l’aime,
Qu’en dis-tu ?

TOINON

Moy ? Je dis que le cœur m’en diroit ;
1650 Mais j’ay martel en teste, & toute autre l’auroit :
La Servante d’icy me semble un peu trop belle ;
En entrant j’ay veu…

CRISPIN

Quoy ? Fanchon ?

PHELONTE

Ne crains rien d’elle ;
Comme elle a de la voix, elle en est folle au point,
De renoncer à tout, pour ne la perdre point :
1655 Ainsy rien ne la peut résoudre au Mariage,
Les Enfans luy romproient l’estomach*.

TOINON

Quel dommage !
Ne plus chanter ! Pour moy, j’aimerois mieux cent fois
Avoir un bon Mary, que la plus belle voix ;
Car, pour vivre en repos, chanter ne sert de guére,
1660 Et je tiens qu’un Epoux est chose necessaire.

PHELONTE

Toinon a le goust bon.

TOINON appercevant Dorame.

Pas trop méchant* : mais Dieux !

DAPHNIS

C’est mon Pere !
{p. 123}

CRISPIN à Daphnis.

Vers luy ne tournez point les yeux.

PHELONTE bas.

Ah Crispin !

DAPHNIS à Crispin.

Quel malheur !

CRISPIN à Daphnis, apres un peu de silence.

Secondez mon adresse.

SCENE VI §

PHELONTE, DORAME, DAPHNIS, CRISPIN, TOINON.

DORAME

Que vois-je icy ? Ma Fille !

CRISPIN à Daphnis.

Un peu de hardiesse ;
1665 Le ton n’est pas trop haut, croyez-moy, Sol mi fa.
Je connois vostre voix, elle ira jusques là.

DORAME

Ma Fille en ce Logis !

CRISPIN à Phélonte.

Ah Monsieur, quelle peine…

PHELONTE

Monsieur, vous voir icy ! quel sujet vous amene ?

DORAME

C’est Phélonte : Est-ce vous ?

PHELONTE

Oüy.
{p. 124}

DORAME

Je veux vous parler :
1670 Mais je voudrois en vain vous le dissimuler ;
Voir ma Fille chez vous, trouble si fort mon ame…

CRISPIN

Le mal n’est pas bien grand.

DORAME

Il n’est pas grand ? L’infame !

PHELONTE

Eh Monsieur…

CRISPIN

Vostre Fille est chez moy, s’il vous plaist.

DORAME

Comment, chez vous !

CRISPIN

Sçachez la chose comme elle est.
1675 Quoy qu’en son nom Monsieur ait la Maison entiere,
Il n’a que le devant, j’occupe le derriere ;
Nous vivons l’un pour l’autre assez commodement :
Mais cependant, cecy c’est mon Apartement*,
J’y fais pour mes Amis Concert chaque semaine ;
1680 Madame a sçeu le jour, voila ce qui l’ameine.

DAPHNIS

Mon Pere, pardonnez, si pour oüir chanter…

CRISPIN

Attendant le Concert que je fais apprester,
Je luy voulois apprendre un petit Air.

DORAME

De grace,
Laissez vos petits Airs.

CRISPIN

Il est Dessus & Basse,
1685 Joly : Si vous voulez…

DORAME

Je n’ay rien à vouloir.
{p. 125}

CRISPIN

On court de toutes parts apres moy pour l’avoir.

DORAME

Depuis les Opera, la rage de Musique
S’est mise dans Paris, tout le monde s’en pique*,
Je le sçay : mais ma Fille apprendra, s’il vous plaist,
1690 A chanter toute seule, ou point.

TOINON

Quel meurtre c’est !
Mais peut-on bien chanter, sans sçavoir la mesure ?

DORAME

Coquine.

TOINON

Luy laisser perdre la voix ! J’en jure,
Si j’estois en sa place, il ne seroit pas dit
Que j’aurois de la voix pour rien.

DORAME

Il me suffit,
1695 C’est toy…

TOINON

Pour bien chanter, il faut de la pratique.

DORAME

J’auray soin…

TOINON

Malgré vous, j’apprendrois la Musique.

DORAME

Tay-toi ; si…

TOINON

Le grand mal, que d’oüir concerter* !

DORAME

Oüy, si grand, que…

CRISPIN

Monsieur, c’est trop vous emporter ;
Nous sommes Gens publics, chez qui chacun, sans honte,
1700 Vient comme bon luy semble.
{p. 126}

DORAME

Et ce n’est pas mon compte ;
C’est par là justement qu’une Fille se perd ;
Il est tant de Concerts qui se font de concert.

CRISPIN

Je suis tendre à l’honneur, & c’est me faire injure.

DORAME

Comment vous nomme-t-on ?

CRISPIN

Mon nom est… La Verdure.

DORAME

1705 La Verdure !

CRISPIN

Oüy, Monsieur.

DORAME

Pour un Musicien,
Ce nom, à mon avis, ne convient pas trop bien.

CRISPIN

Celuy de ma Famille est, de la Garaniere,
Nom que j’avois d’abord assez mis en lumiere :
Mais comme tous mes Airs, du premier au dernier,
1710 Ont un je-ne-sçay-quoy de gay, de printannier,
Que je les rends toûjours fleuris outre-mesure,
On m’a par excellence appellé La Verdure.

DORAME

Le Fourbe ! Mais il faut le pousser jusqu’au bout.
Cà, puis que tous vos Airs sont si fleuris par tout,
1715 Entendons ce Concert.

CRISPIN

Grand honneur.

DAPHNIS

Ah je tremble !

CRISPIN

Mes Chanteurs sont là-haut, qui repétent ensemble,
Je vay les amener.
Il va parler à l’oreille de Phélonte.
{p. 127}

DAPHNIS à Toinon.

Se pourroit-il qu’il pût…

TOINON

Quand on a de l’adresse, on sort de tout ; mais chut.

PHELONTE apres que Crispin est sorty.

Tandis qu’on se prépare au Concert, puis-je apprendre
1720 Quel service je dois m’apprester à vous rendre ?
Quoy que ce soit, Monsieur, commandez, j’obeïs.

DORAME

Voudrez-vous accorder une grace à mon Fils ?

PHELONTE

Tout. Mais pourquoy chez vous avoir voulu me taire,
Ce que pour vous servir, il s’agissoit de faire ?

DORAME

1725 Quand chez moy, par hazard, tantost* je vous ay veu,
Vostre visage encor ne m’estoit pas connu ;
Vostre nom me l’estoit ; c’est tout ce qu’à mon âge
Je sçay des jeunes Gens.

PHELONTE

Ce m’est un avantage,
Que ma Famille au moins vous soit connüe assez,
1730 Pour ne…

DORAME

Je la connois mieux que vous ne pensez :
Vous avez un Cadet Philosophe en Navarre.

PHELONTE

Oüy, remply de caprice, & d’humeur fort bizarre*.

DORAME

Il vous a chagriné ; mais par son repentir,
A luy pardonner tout vous devez consentir ;
1735 C’est la grace, par moy, que mon Fils vous demande.

PHELONTE

La partie est trop forte, il faut que je me rende.
{p. 128}

DORAME

Il est son Camarade, & ce qu’il m’en écrit…

PHELONTE

Vous le voulez, Monsieur, & cela me suffit.
Cependant, à mon tour, oserois-je prétendre…

DORAME appercevant Crispin.

1740 Ecoutons le Concert, j’ay promis de l’entendre.

SCENE VII §

DORAME, PHELONTE, DAPHNIS, CRISPIN, TOINON.

CRISPIN aux Musiciens, aux Violons, & à Fanchon.

Monsieur a le goust fin, de vostre mieux allons,
Fa sol. Prenez le ton avec les Violons.
Tout le monde est-il prest ?

TOINON à Daphnis.

Monsieur de la Verdure
Fait merveilles.

CRISPIN

Sur tout, suivez bien la mesure.

LES VIOLONS préludent, & Crispin dit, Fa, sol, re, mi, la, sol, fa, &c. En suite on chante ce qui suit : Crispin bat la mesure, & Phêlonte accompagne du Clavessin.

On chante.
1745 Tu viens peindre nos Prez des plus vives couleurs,
Printemps, tu ramenes les Fleurs,
Chacun en a l’ame ravie* :
Mais qu’ay-je affaire helas ! de tout ce que je voy ? {p. 129}
Tu ne ramenes point Silvie,
1750 Ainsy tu ne fais rien pour moy.

PHELONTE à Dorame.

Qu’en dites-vous, Monsieur ?

DORAME

Si je puis m’y connaistre,
Les Ecoliers sont bons ; Je ne dis rien du Maistre.

CRISPIN Fa re fa sol, &c.

On chante encore.
Ce verd de qui l’éclat brille sur nos Costeaux,
Le doux ramage des Oyseaux,
1755 Tout rit, tout au plaisir convie :
Mais mon amour helas ! m’impose une autre loy ;
Et quand je ne voy point Silvie,
Il n’est point de plaisir pour moy.

CRISPIN à Dorame.

Estes-vous content ?

DORAME

Oüy.

CRISPIN

Cet Air ?…

DORAME

Il est fort beau.

CRISPIN

1760 Vous plairoit-il encor, ce Menüet Rondeau ?
Avec les Violons il est incomparable.

DORAME

Volontiers.

TOINON à Daphnis.

Il prend goust…
{p. 130}

DAPHNIS

Crispin est admirable.

CRISPIN avec le Prélude des Violons.

Fa, fa, sol, fa, &c.

On chante.
L’Amour cause trop de peine,
Je ne veux plus m’engager ;
1765 Un Amant souffre la gesne*,
Quand l’Objet* vient à changer.
L’Amour cause trop de peine,
Je ne veux plus m’engager.
La Basse seule.
Bacchus est le seul remede
1770 Qui peut guerir de l’amour :
Quand son ardeur me possede,
Je vay luy faire ma Cour.
Bacchus est le seul remede
Qui peut guerir de l’amour.

CRISPIN

1775 Mes Airs ont le bon tour.

DORAME

Je vous l’ay déja dit,
Ils sont fort beaux.

CRISPIN

Ce sont éternûmens d’esprit ;
J’ay pour les composer, une certaine aisance…
Messieurs, du mouvement marquons bien la cadance ;
Allons, encore un coup ce Couplet de Bacchus,
1780 Et que tous à la fois on fasse un grand Chorus.
Tous ensemble le dernier Couplet.
{p. 131}

SCENE DERNIERE §

DORAME, PHELONTE, MELANTE, DAPHNIS, LISE, TOINON, FANCHON, CRISPIN.

MELANTE tenant Lise.

Nous venons prendre part au Concert.

CRISPIN à Dorame.

Le beau Monde
Vient chez moy librement.

LISE appercevant Dorame.

Ma peine est sans seconde.

CRISPIN à Mélante, sans regarder Lise.

Voyez, point de scrupule.

DAPHNIS à Toinon.

Ah Toinon, qu’est-ce-cy ?

DORAME à part.

C’est ma Fille.

LISE

Mon Pere & ma Sœur sont icy.

DORAME

1785 Le Concert est charmant, je l’avouë.

LISE

Ah mon Pere !

PHELONTE à Crispin.

Son Pere !

CRISPIN

C’est bien pis.
{p. 132}

LISE

J’ay failly ; mais j’espere…

DORAME

Quoy…

TOINON

Voila ce que c’est que se faire prier :
Quand une Fille a l’âge, il faut la marier,
Je vous l’ay dit cent fois.

DORAME

Ecoutez l’insolente !

MELANTE

1790 Monsieur, il ne faut point…

DORAME

Hé bien, qu’est-ce, Melante ?
Vous veniez au Concert, ç’en est icy le jour.

MELANTE

Non, en vain je voudrois vous cacher mon amour :
Depuis un an entier j’adore vostre Fille ;
Vous connoissez mon bien, vous sçavez ma Famille,
1795 Daignez laisser uny, ce que l’Amour a joint.

DORAME

Mon honneur souffriroit à n’y consentir point :
Mais quoy ! dois-je excuser une Fille sans honte*,
Et qui de ma défense a fait si peu de conte ?

LISE

Pour obtenir pardon, j’embrasse vos genoux.
Daphnis, Toinon, & Crispin, se jettent à genoux avec Lise.

MELANTE

1800 Eh Monsieur, par pitié…

LISE

Mon Pere…

DORAME

Levez-vous.

LISE larmoyant.

Je sçay que j’ay failly, j’ay tort, je le confesse ;
Mais pardonnez…
{p. 133}

DORAME

Ses pleurs réveillent ma tendresse,
Et… C’est assez, Mélante, elle est à vous.

MELANTE

Hé quoy,
Se peut-il que vous…

DORAME

Oüy, j’agis de bonne foy.
1805 Phélonte, à cœur ouvert, Daphnis a sçeu vous plaire.

PHELONTE

Oüy, ce seroit en vain que j’oserois le taire :
Je l’aime, faites grace à ma temérité,
Rien ne manquera lors à ma felicité :
C’est de vous seulement que je la dois attendre.

DORAME

1810 Je n’aurois pris peut-estre aucun des deux pour Gendre :
Mais puisque sur ce point, sans craindre mon courroux,
Mes Filles, malgré moy, sont d’accord avec vous,
L’éclat de mes refus tourneroit à ma honte :
Ainsy, si c’est bonheur, soyez heureux, Phélonte.

PHELONTE

1815 Puis-je assez reconnoistre un si charmant aveu* ?

DORAME

Le Maistre de Musique a bien joüé son jeu ;
Et c’est, pour peu qu’il trouve à payer d’artifice,
Un Fourbe aussy complet…

CRISPIN

Fort à vostre service :
Vous n’avez seulement qu’à me donner Toinon,
1820 Je fourbe* apres pour vous de la bonne façon.

DORAME

Mais Toinon…

CRISPIN

Dans un mois, avec ma Tablature,
Elle pourra chanter, & battre la Mesure.
{p. 134}

TOINON

Et si par de faux tons tu me gastes la voix…

CRISPIN

Ne crains rien. Voulez-vous qu’on en fasse à deux fois ?
1825 Tandis qu’on est en train, mettez-moy de la Bande ;
Toinon m’aime, je l’aime, & je vous la demande.

DORAME

La Musique pourroit se ravaler si bas ?
A Toinon !

CRISPIN

Chacun sçait ce qu’il sçait. En tout cas,
S’il faut, pour l’épouser, me faire mieux connaistre,
1830 Crispin est mon vray nom, & vous voyez mon Maistre.

DORAME

Ah puis qu’il est ainsy, je dois tout accorder ;
Mais en te l’accordant, on peut te demander
Encore un petit Air.

CRISPIN

Si cela vous contente,
On va vous en chanter, non pas un, mais cinquante.

PHELONTE à Dorame.

1835 Ah Monsieur ! commandez, vous pouvez tout icy.

CRISPIN

Oüy, sans doute, & Monsieur n’en est point en soucy ;
Répondons seulement à ce qu’il nous demande.

DORAME

Il a raison.

PHELONTE

D’accord.

CRISPIN aux Musiciens.

Çà, quelque Air de commande ;
Allons, Messieurs, allons, faites de vostre mieux.

FANCHON à Phêlonte.

1840 Quel Air chanterons-nous ?
{p. 135}

PHELONTE touchant le Clavessin.

La, la, la.

Est-il rien plus heureux ?

CRISPIN

Fa, fa, fa.

PHELONTE

Tay-toy.

CRISPIN

Tout aujourd’huy je garde ma Maistrise,
Monsieur.

PHELONTE

Mais à present elle n’est plus de mise,
Et…

CRISPIN

Je suis obstiné ; tout-franc, j’en veux par là.

PHELONTE

Fay donc.

CRISPIN aux Violons.

Messieurs, allons. Fa sol fa, la, la, la.
On chante.
1845 Est-il rien plus heureux,
Qu’un cœur amoureux,
Exempt de jalousie ?
Qu’avec l’Objet* aimé,
Que ce cœur a charmé*,
1850 Il passe doucement la vie !

AUTRE AIR

Vivez, vivez heureux Amans,
Que toûjours les contentemens
Rendent vos flâmes mutuelles :
L’Hymen couronne vos amours ;
1855 Mais sur tout, soyez-vous fidelles,
Par là vous aurez de beaux jours.

AUTRE {p. 136}

Pour Crispin & Toinon,
Que dans neuf mois un beau Garçon
Soit le fruit d’un Hymen prospere.
1860 Ah ! que si ce petit Poupon
Vient au jour beau comme son Pere,
Ce doit estre un joly Mignon !

CRISPIN

Toinon, à cette fin tu dois me seconder.
à Dor.
Si vous n’estes content, vous pouvez commander :
1865 Vous plaist-il encor…

DORAME

Non, mon ame est satisfaite.

PHELONTE

S’il est ainsy, Monsieur, ah ma joye est parfaite.

DORAME

Allons, je suis sincére, & ne sçay point farder*.

CRISPIN seul.

Messieurs, si mon Concert peut vous accommoder,
On le repete icy trois fois par Semaine,
1870 Venez l’oüir en foule, il en vaut bien la peine.

FIN.

Permis d’imprimer. Fait à Paris le 21. de Septembre 1674.

DE LA REYNIE.