Scène Première §
Done Elvire, Don Alvar
Done Elvire
Retournez, Don Alvar, et perdez l’espérance,
De me persuader l’oubli de cette offense ;
1090 Cette plaie en mon cœur ne saurait se guérir,
Et les soins qu’on en prend ne font rien que l’aigrir.
À quelques faux respects croit-il que je défère ?
Non, non, il a poussé trop avant ma colère ;
Et son vain repentir qui porte ici vos pas,
1095 Sollicite un pardon que vous n’obtiendrez pas.
Don Alvar
Madame, il fait pitié, jamais cœur que je pense,
Par un plus vif remords n’expia son offense ;
Et si dans sa douleur vous le considériez,
Il toucherait votre âme, et vous l’excuseriez.
1100 On sait bien que le Prince est dans un âge à suivre
Les premiers mouvements, où son âme se livre,
Et qu’en un sang bouillant, toutes les passions
Ne laissent guère place à des réflexions.
Don Lope prévenu d’une fausse lumière,
1105 De l’erreur de son Maître, a fourni la matière ;
Un bruit assez confus, dont le zèle indiscret,
A de l’abord du Comte éventé le secret,
Vous avait mise aussi de cette intelligence,
Qui dans ces lieux gardés a donné sa présence,
1110 Le Prince a cru l’avis, et son amour séduit,
Sur une fausse alarme a fait tout ce grand bruit ;
Mais d’une telle erreur son âme est revenue,
Votre innocence, enfin, lui vient d’être connue,
Et Don Lope, qu’il chasse, est un visible effet,
1115 Du vif remords qu’il sent de l’éclat qu’il a fait.
Done Elvire
Ah ! c’est trop promptement qu’il croit mon innocence,
Il n’en a pas encore une entière assurance ;
Dites-lui, dites-lui, qu’il doit bien tout peser,
Et ne se hâter point, de peur de s’abuser.
Don Alvar
1120 Madame, il sait trop bien…
Done Elvire
Madame, il sait trop bien… Mais, Don Alvar, de grâce,
N’étendons pas plus loin un discours qui me lasse,
Il réveille un chagrin qui vient à contre-temps,
En troubler dans mon cœur d’autres plus importants.
Oui, d’un trop grand malheur la surprise me presse,
1125 Et le bruit du trépas de l’illustre Comtesse,
Doit s’emparer si bien de tout mon déplaisir,
Qu’aucun autre souci n’a droit de me saisir.
Don Alvar
Madame, ce peut être une fausse nouvelle,
Mais mon retour au Prince, en porte une cruelle.
Done Elvire
1130 De quelque grand ennui qu’il puisse être agité,
Il en aura toujours moins qu’il n’a mérité.
Scène VI §
Don Garcie, Don Alvar, Élise
Don Garcie
Ah ! sois un peu sensible à ma disgrâce extrême,
Élise, et prends pitié d’un cœur infortuné,
Qu’aux plus vives douleurs tu vois abandonné.
Élise
1180 C’est avec d’autres yeux que ne fait la Princesse,
Seigneur, que je verrais le tourment qui vous presse ;
Mais nous avons du Ciel, ou du tempérament,
Que nous jugeons de tout chacun diversement.
Et puisqu’elle vous blâme, et que sa fantaisie,
1185 Lui fait un monstre affreux de votre jalousie ;
Je serais complaisante, et voudrais m’efforcer
De cacher à ses yeux, ce qui peut les blesser.
Un Amant suit sans doute une utile méthode,
S’il fait qu’à notre humeur la sienne s’accommode,
1190 Et cent devoirs font moins que ces ajustements,
Qui font croire en deux cœurs les mêmes sentiments.
L’art de ces doux rapports fortement les assemble,
Et nous n’aimons rien tant, que ce qui nous ressemble.
Don Garcie
Je le sais, mais hélas ! les destins inhumains,
1195 S’opposent à l’effet de ces justes desseins ;
Et malgré tous mes soins viennent toujours me tendre
Un piège, dont mon cœur ne saurait se défendre ;
Ce n’est pas que l’ingrate aux yeux de mon Rival,
N’ait fait contre mes feux un aveu trop fatal ;
1200 Et témoigné pour lui des excès de tendresse,
Dont le cruel objet me reviendra sans cesse :
Mais comme trop d’ardeur, enfin, m’avait séduit,
Quand j’ai cru qu’en ces lieux elle l’ait introduit,
D’un trop cuisant ennui je sentirais l’atteinte,
1205 À lui laisser sur moi quelque sujet de plainte.
Oui, je veux faire au moins, si je m’en vois quitté,
Que ce soit de son cœur pure infidélité ;
Et venant m’excuser d’un trait de promptitude,
Dérober tout prétexte à son ingratitude.
Élise
1210 Laissez un peu de temps à son ressentiment,
Et ne la voyez point, Seigneur, si promptement.
Don Garcie
Ah ! si tu me chéris, obtiens que je la voie,
C’est une liberté qu’il faut qu’elle m’octroie ;
Je ne pars point d’ici qu’au moins son fier dédain…
Élise
1215 De grâce différez l’effet de ce dessein.
Don Garcie
Non, ne m’oppose point une excuse frivole.
Élise
Il faut que ce soit elle, avec une parole,
Qui trouve les moyens de le faire en aller,
Demeurez donc, Seigneur, je m’en vais lui parler.
Don Garcie
1220 Dis-lui, que j’ai d’abord banni de ma présence,
Celui dont les avis ont causé mon offense,
Que Don Lope jamais…
Scène VIII §
Done Elvire, Don Garcie, Don Alvar
Done Elvire
Hé bien que voulez-vous, et quel espoir, de grâce,
Après vos procédés peut flatter votre audace ?
Osez-vous à mes yeux encor vous présenter,
Et que me direz-vous que je doive écouter ?
Don Garcie
1260 Que toutes les horreurs, dont une âme est capable
À vos déloyautés n’ont rien de comparable,
Que le sort, les démons, et le Ciel en courroux,
N’ont jamais rien produit de si méchant que vous.
Done Elvire
Ah ! vraiment j’attendais l’excuse d’un outrage,
1265 Mais à ce que je vois, c’est un autre langage.
Don Garcie
Oui, oui, c’en est un autre, et vous n’attendiez pas
Que j’eusse découvert le traître dans vos bras,
Qu’un funeste hasard par la porte entrouverte,
Eût offert à mes yeux votre honte, et ma perte.
1270 Est-ce l’heureux Amant sur ses pas revenu,
Ou quelque autre Rival qui m’était inconnu ?
Ô Ciel ! donne à mon cœur des forces suffisantes
Pour pouvoir supporter des douleurs si cuisantes,
Rougissez maintenant, vous en avez raison,
1275 Et le masque est levé de votre trahison.
Voilà ce que marquaient les troubles de mon âme,
Ce n’était pas en vain que s’alarmait ma flamme ;
Par ces fréquents soupçons qu’on trouvait odieux,
Je cherchais le malheur qu’ont rencontré mes yeux.
1280 Et malgré tous vos soins, et votre adresse à feindre,
Mon astre me disait ce que j’avais à craindre ;
Mais ne présumez pas que sans être vengé,
Je souffre le dépit de me voir outragé.
Je sais que sur les vœux on n’a point de puissance,
1285 Que l’amour veut partout naître sans dépendance,
Que jamais par la force on n’entra dans un cœur,
Et que toute âme est libre à nommer son vainqueur :
Aussi ne trouverais-je aucun sujet de plainte,
Si pour moi votre bouche avait parlé sans feinte,
1290 Et son arrêt livrant mon espoir à la mort,
Mon cœur n’aurait eu droit de s’en prendre qu’au sort.
Mais d’un aveu trompeur voir ma flamme applaudie,
C’est une trahison, c’est une perfidie,
Qui ne saurait trouver de trop grands châtiments,
1295 Et je puis tout permettre à mes ressentiments ;
Non, non, n’espérez rien après un tel outrage,
Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage,
Trahi de tous côtés, mis dans un triste état,
Il faut que mon amour se venge avec éclat,
1300 Qu’ici j’immole tout à ma fureur extrême,
Et que mon désespoir achève par moi-même.
Done Elvire
Assez paisiblement vous a-t-on écouté,
Et pourrai-je à mon tour parler en liberté ?
Don Garcie
Et par quels beaux discours que l’artifice inspire…
Done Elvire
1305 Si vous avez encor quelque chose à me dire,
Vous pouvez l’ajouter, je suis prête à l’ouïr,
Sinon faites au moins que je puisse jouir
De deux, ou trois moments de paisible audience.
Don Garcie
Hé bien j’écoute, ô Ciel, quelle est ma patience !
Done Elvire
1310 Je force ma colère, et veux sans nulle aigreur,
Répondre à ce discours si rempli de fureur.
Don Garcie
C’est que vous voyez bien…
Done Elvire
C’est que vous voyez bien… Ah ! j’ai prêté l’oreille,
Autant qu’il vous a plu, rendez-moi la pareille ;
J’admire mon destin, et jamais sous les Cieux,
1315 Il ne fut rien, je crois, de si prodigieux,
Rien dont la nouveauté soit plus inconcevable,
Et rien que la raison rende moins supportable.
Je me vois un Amant, qui sans se rebuter
Applique tous ses soins à me persécuter,
1320 Qui dans tout cet amour que sa bouche m’exprime,
Ne conserve pour moi nul sentiment d’estime,
Rien au fond de ce cœur qu’ont pu blesser mes yeux,
Qui fasse droit au sang que j’ai reçu des Cieux,
Et de mes actions défende l’innocence
1325 Contre le moindre effort d’une fausse apparence.
Oui, je vois… Ah ! surtout ne m’interrompez point,
Je vois, dis-je, mon sort malheureux à ce point,
Qu’un cœur qui dit qu’il m’aime, et qui doit faire croire,
Que quand tout l’Univers douterait de ma gloire,
1330 Il voudrait contre tous en être le garant,
Est celui qui s’en fait l’ennemi le plus grand.
On ne voit échapper aux soins que prend sa flamme
Aucune occasion de soupçonner mon âme ;
Mais c’est peu des soupçons, il en fait des éclats,
1335 Que sans être blessé l’amour ne souffre pas.
Loin d’agir en Amant, qui plus que la mort même,
Appréhende toujours d’offenser ce qu’il aime,
Qui se plaint doucement, et cherche avec respect
À pouvoir s’éclaircir de ce qu’il croit suspect,
1340 À toute extrémité dans ses doutes il passe,
Et ce n’est que fureur, qu’injure, et que menace ;
Cependant aujourd’hui je veux fermer les yeux
Sur tout ce qui devrait me le rendre odieux,
Et lui donner moyen par une bonté pure
1345 De tirer son salut d’une nouvelle injure.
Ce grand emportement qu’il m’a fallu souffrir,
Part de ce qu’à vos yeux le hasard vient d’offrir,
J’aurais tort de vouloir démentir votre vue,
Et votre âme sans doute a dû paraître émue.
Don Garcie
1350 Et n’est-ce pas…
Done Elvire
Et n’est-ce pas… Encore un peu d’attention,
Et vous allez savoir ma résolution.
Il faut que de nous deux le destin s’accomplisse,
Vous êtes maintenant sur un grand précipice,
Et ce que votre cœur pourra délibérer,
1355 Va vous y faire choir, ou bien vous en tirer.
Si malgré cet objet qui vous a pu surprendre,
Prince, vous me rendez ce que vous devez rendre,
Et ne demandez point d’autre preuve que moi
Pour condamner l’erreur du trouble où je vous vois,
1360 Si de vos sentiments la prompte déférence,
Veut sur ma seule foi croire mon innocence,
Et de tous vos soupçons démentir le crédit,
Pour croire aveuglément ce que mon cœur vous dit ;
Cette soumission, cette marque d’estime,
1365 Du passé dans ce cœur efface tout le crime.
Je rétracte à l’instant, ce qu’un juste courroux
M’a fait dans la chaleur prononcer contre vous ;
Et si je puis un jour choisir ma destinée,
Sans choquer les devoirs du rang où je suis née,
1370 Mon honneur satisfait par ce respect soudain
Promet à votre amour, et mes vœux, et ma main ;
Mais prêtez bien l’oreille, à ce que je vais dire,
Si cet offre sur vous obtient si peu d’empire,
Que vous me refusiez de me faire entre nous
1375 Un sacrifice entier de vos soupçons jaloux ;
S’il ne vous suffit pas de toute l’assurance
Que vous peuvent donner mon cœur, et ma naissance,
Et que de votre esprit les ombrages puissants,
Forcent mon innocence à convaincre vos sens,
1380 Et porter à vos yeux l’éclatant témoignage
D’une vertu sincère à qui l’on fait outrage :
Je suis prête à le faire, et vous serez content,
Mais il vous faut de moi détacher à l’instant,
À mes vœux pour jamais renoncer de vous-même,
1385 Et j’atteste du Ciel la puissance suprême,
Que quoi que le destin puisse ordonner de nous,
Je choisirai plutôt d’être à la mort qu’à vous ;
Voilà dans ces deux choix de quoi vous satisfaire,
Avisez maintenant celui qui peut vous plaire.
Don Garcie
1390 Juste Ciel ! jamais rien peut-il être inventé
Avec plus d’artifice, et de déloyauté ?
Tout ce que des Enfers la malice étudie,
A-t-il rien de si noir que cette perfidie,
Et peut-elle trouver dans toute sa rigueur
1395 Un plus cruel moyen d’embarrasser un cœur ?
Ah ! que vous savez bien, ici contre moi-même,
Ingrate, vous servir de ma faiblesse extrême,
Et ménager pour vous l’effort prodigieux
De ce fatal amour né de vos traîtres yeux,
1400 Parce qu’on est surprise, et qu’on manque d’excuse,
D’un offre de pardon on emprunte la ruse,
Votre feinte douceur forge un amusement,
Pour divertir l’effet de mon ressentiment ;
Et par le nœud subtil du choix qu’elle embarrasse,
1405 Veut soustraire un perfide au coup qui le menace,
Oui, vos dextérités veulent me détourner
D’un éclaircissement qui vous doit condamner ;
Et votre âme feignant une innocence entière
Ne s’offre à m’en donner une pleine lumière,
1410 Qu’à des conditions, qu’après d’ardents souhaits,
Vous pensez que mon cœur n’acceptera jamais ;
Mais vous serez trompée en me croyant surprendre,
Oui, oui, je prétends voir ce qui doit vous défendre,
Et quel fameux prodige accusant ma fureur,
1415 Peut de ce que j’ai vu justifier l’horreur.
Done Elvire
Songez que par ce choix vous allez vous prescrire
De ne plus rien prétendre au cœur de Done Elvire.
Don Garcie
Soit, je souscris à tout, et mes vœux aussi bien,
En l’état où je suis ne prétendent plus rien.
Done Elvire
1420 Vous vous repentirez de l’éclat que vous faites.
Don Garcie
Non, non, tous ces discours sont de vaines défaites,
Et c’est moi bien plutôt qui dois vous avertir,
Que quelque autre dans peu se pourra repentir ;
Le traître, quel qu’il soit, n’aura pas l’avantage,
1425 De dérober sa vie à l’effort de ma rage.
Done Elvire
Ah ! c’est trop en souffrir, et mon cœur irrité
Ne doit plus conserver une sotte bonté ;
Abandonnons l’ingrat à son propre caprice,
Et puisqu’il veut périr, consentons qu’il périsse ;
1430 Élise… À cet éclat vous voulez me forcer,
Mais je vous apprendrai que c’est trop m’offenser.
Élise entre.
Faites un peu sortir la personne chérie…
Allez, vous m’entendez, dites que je l’en prie.
Done Elvire
Et je puis… Attendez vous serez satisfait.
Élise
1435 Voici de son jaloux sans doute un nouveau trait.
Done Elvire
Prenez garde qu’au moins cette noble colère,
Dans la même fierté, jusqu’au bout persévère ;
Et surtout désormais songez bien à quel prix
Vous avez voulu voir vos soupçons éclaircis.
1440 Voici, grâces au Ciel, ce qui les a fait naître,
Ces soupçons obligeants que l’on me fait paraître,
Voyez bien ce visage, et si de Done Ignès,
Vos yeux au même instant n’y connaissent les traits.
Scène IX §
Don Garcie, Done Elvire, Done Ignès, Don Alvar, Élise
Done Elvire
Ô Ciel ! Si la fureur dont votre âme est émue,
1445 Vous trouble jusque-là l’usage de la vue,
Vous avez d’autres yeux à pouvoir consulter,
Qui ne vous laisseront aucun lieu de douter.
Sa mort est une adresse au besoin inventée
Pour fuir l’autorité qui l’a persécutée,
1450 Et sous un tel habit elle cachait son sort
Pour mieux jouir du fruit de cette feinte mort.
Madame, pardonnez, s’il faut que je consente
À trahir vos secrets, et tromper votre attente ;
Je me vois exposée à sa témérité,
1455 Toutes mes actions n’ont plus de liberté,
Et mon honneur en butte aux soupçons qu’il peut prendre,
Est réduit à toute heure aux soins de se défendre.
Nos doux embrassements qu’a surpris ce jaloux,
De cent indignités m’ont fait souffrir les coups.
1460 Oui, voilà le sujet d’une fureur si prompte,
Et l’assuré témoin qu’on produit de ma honte ;
Jouissez à cette heure en Tyran absolu
De l’éclaircissement que vous avez voulu ;
Mais sachez que j’aurai sans cesse la mémoire
1465 De l’outrage sanglant qu’on a fait à ma gloire,
Et si je puis jamais oublier mes serments,
Tombent sur moi du Ciel les plus grands châtiments,
Qu’un tonnerre éclatant mette ma tête en poudre,
Lorsqu’à souffrir vos feux je pourrai me résoudre.
1470 Allons, Madame, allons, ôtons-nous de ces lieux,
Qu’infectent les regards d’un monstre furieux,
Fuyons-en promptement l’atteinte envenimée,
Évitons les effets de sa rage animée,
Et ne faisons des vœux dans nos justes desseins,
1475 Que pour nous voir bientôt affranchir de ses mains.
Done Ignès
Seigneur, de vos soupçons l’injuste violence,
À la même vertu vient de faire une offense.
Don Garcie
Quelles tristes clartés dissipent mon erreur,
Enveloppent mes sens d’une profonde horreur,
1480 Et ne laissent plus voir à mon âme abattue,
Que l’effroyable objet d’un remords qui me tue !
Ah ! Don Alvar, je vois que vous avez raison,
Mais l’Enfer dans mon cœur a soufflé son poison ;
Et par un trait fatal d’une rigueur extrême,
1485 Mon plus grand ennemi se rencontre en moi-même.
Que me sert-il d’aimer du plus ardent amour,
Qu’une âme consumée ait jamais mis au jour ;
Si par ses mouvements qui font toute ma peine,
Cet amour à tous coups se rend digne de haine ?
1490 Il faut, il faut venger par mon juste trépas
L’outrage que j’ai fait à ses divins appas ;
Aussi bien quel conseil aujourd’hui puis-je suivre ?
Ah ! j’ai perdu l’objet, pour qui j’aimais à vivre,
Si j’ai pu renoncer à l’espoir de ses vœux,
1495 Renoncer à la vie, est beaucoup moins fâcheux.
Don Garcie
Seigneur. Non, Don Alvar, ma mort est nécessaire,
Il n’est soins, ni raisons qui m’en puissent distraire ;
Mais il faut que mon sort en se précipitant
Rende à cette Princesse un service éclatant.
1500 Et je veux me chercher dans cette illustre envie
Les moyens glorieux de sortir de la vie,
Faire par un grand coup qui signale ma foi,
Qu’en expirant pour elle, elle ait regret à moi,
Et qu’elle puisse dire en se voyant vengée,
1505 C’est par son trop d’amour qu’il m’avait outragée.
Il faut que de ma main un illustre attentat
Porte une mort trop due au sein de Mauregat,
Que j’aille prévenir par une belle audace,
Le coup, dont la Castille avec bruit le menace,
1510 Et j’aurai des douceurs dans mon instant fatal,
De ravir cette gloire, à l’espoir d’un Rival.
Don Alvar
Un service, Seigneur, de cette conséquence
Aurait bien le pouvoir d’effacer votre offense ;
Mais hasarder…
Don Garcie
Mais hasarder… Allons par un juste devoir,
1515 Faire à ce noble effort servir mon désespoir.
Fin du quatrième Acte.