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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Montfleury. La Fille capitaine. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 55 sc. 782 répl. 1,7 l. 1 301 l. 1 301 l. 42 % 3 166 l. (100 %) 2,4 pers.
MONSIEUR LE BLANC 36 sc. 233 répl. 2,0 l. 875 l. (68 %) 456 l. (36 %) 53 % 2 105 l. (67 %) 2,4 pers.
MADAME LE BLANC 10 sc. 54 répl. 1,0 l. 237 l. (19 %) 56 l. (5 %) 24 % 702 l. (23 %) 3,0 pers.
LUCINDE 18 sc. 91 répl. 1,6 l. 488 l. (38 %) 144 l. (12 %) 30 % 1 338 l. (43 %) 2,7 pers.
ANGELIQUE 19 sc. 152 répl. 1,7 l. 545 l. (42 %) 253 l. (20 %) 47 % 1 646 l. (52 %) 3,0 pers.
DAMON 13 sc. 80 répl. 1,4 l. 362 l. (28 %) 113 l. (9 %) 32 % 1 035 l. (33 %) 2,9 pers.
L’ESPERANCE 10 sc. 51 répl. 1,7 l. 216 l. (17 %) 89 l. (7 %) 42 % 698 l. (23 %) 3,2 pers.
CATO 20 sc. 120 répl. 1,6 l. 436 l. (34 %) 188 l. (15 %) 44 % 1 179 l. (38 %) 2,7 pers.
LA BRIE 1 sc. 1 répl. 2,3 l. 9 l. (1 %) 2 l. (1 %) 27 % 44 l. (2 %) 5,0 pers.
Montfleury. La Fille capitaine. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
MONSIEUR LE BLANC 109 l. (100 %) 10 répl. 10,8 l. 10 sc. 108 l. (9 %) 1,0 pers.
MONSIEUR LE BLANC
MADAME LE BLANC
50 l. (61 %) 31 répl. 1,6 l.
33 l. (40 %) 30 répl. 1,1 l.
4 sc. 82 l. (7 %) 3,0 pers.
MONSIEUR LE BLANC
LUCINDE
51 l. (66 %) 20 répl. 2,5 l.
27 l. (35 %) 19 répl. 1,4 l.
6 sc. 76 l. (6 %) 2,9 pers.
MONSIEUR LE BLANC
ANGELIQUE
35 l. (33 %) 42 répl. 0,8 l.
71 l. (68 %) 47 répl. 1,5 l.
8 sc. 105 l. (9 %) 3,3 pers.
MONSIEUR LE BLANC
DAMON
114 l. (63 %) 55 répl. 2,1 l.
69 l. (38 %) 52 répl. 1,3 l.
7 sc. 182 l. (14 %) 2,6 pers.
MONSIEUR LE BLANC
L’ESPERANCE
9 l. (38 %) 14 répl. 0,6 l.
14 l. (63 %) 13 répl. 1,1 l.
3 sc. 22 l. (2 %) 3,3 pers.
MONSIEUR LE BLANC
CATO
93 l. (51 %) 61 répl. 1,5 l.
91 l. (50 %) 67 répl. 1,4 l.
10 sc. 183 l. (15 %) 2,5 pers.
MADAME LE BLANC
LUCINDE
5 l. (51 %) 2 répl. 2,4 l.
5 l. (50 %) 2 répl. 2,3 l.
1 sc. 10 l. (1 %) 3,0 pers.
MADAME LE BLANC
ANGELIQUE
6 l. (22 %) 5 répl. 1,0 l.
19 l. (79 %) 7 répl. 2,7 l.
4 sc. 24 l. (2 %) 4,0 pers.
MADAME LE BLANC
CATO
12 l. (28 %) 14 répl. 0,8 l.
32 l. (73 %) 15 répl. 2,1 l.
2 sc. 44 l. (4 %) 2,5 pers.
LUCINDE
ANGELIQUE
85 l. (44 %) 51 répl. 1,7 l.
109 l. (57 %) 51 répl. 2,1 l.
7 sc. 193 l. (15 %) 2,9 pers.
LUCINDE
DAMON
14 l. (32 %) 6 répl. 2,3 l.
31 l. (69 %) 11 répl. 2,7 l.
5 sc. 44 l. (4 %) 3,6 pers.
LUCINDE
L’ESPERANCE
5 l. (32 %) 6 répl. 0,7 l.
10 l. (69 %) 4 répl. 2,4 l.
2 sc. 14 l. (2 %) 4,7 pers.
LUCINDE
CATO
11 l. (30 %) 6 répl. 1,8 l.
26 l. (71 %) 6 répl. 4,3 l.
2 sc. 36 l. (3 %) 2,5 pers.
ANGELIQUE
DAMON
16 l. (58 %) 9 répl. 1,7 l.
12 l. (43 %) 13 répl. 0,9 l.
4 sc. 27 l. (3 %) 3,2 pers.
ANGELIQUE
L’ESPERANCE
18 l. (32 %) 20 répl. 0,9 l.
38 l. (69 %) 21 répl. 1,8 l.
6 sc. 55 l. (5 %) 3,6 pers.
ANGELIQUE
CATO
22 l. (55 %) 18 répl. 1,2 l.
18 l. (46 %) 17 répl. 1,0 l.
5 sc. 39 l. (3 %) 3,9 pers.
DAMON
CATO
3 l. (36 %) 4 répl. 0,6 l.
5 l. (65 %) 6 répl. 0,7 l.
2 sc. 7 l. (1 %) 3,4 pers.
L’ESPERANCE 16 l. (100 %) 1 répl. 15,4 l. 1 sc. 15 l. (2 %) 1,0 pers.
L’ESPERANCE
CATO
12 l. (60 %) 11 répl. 1,0 l.
8 l. (41 %) 7 répl. 1,1 l.
4 sc. 19 l. (2 %) 3,7 pers.
CATO 10 l. (100 %) 2 répl. 4,7 l. 2 sc. 9 l. (1 %) 1,0 pers.

Montfleury

1672

La Fille capitaine. Comédie

Édition de Marine Secchi
sous la direction de Georges Forestier
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Montfleury, La Fille capitaine. Comédie, Paris, Chez Pierre Le Monnier, 1672.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

LA FILLE CAPITAINE, COMEDIE. §

A SON ALTESSE MONSEIGNEUR
MONSEIGNEUR LE PRINCE EUGENE DE SAVOYE, COMTE DE SOISSONS, Duc de Carignan en Luxembourg, Gouverneur & Lieutenant General pour le Roy en ses Provinces de Champagne & Brie, Colonel General des Suisses & Grisons. §

MONSEIGNEUR,

Il y a longtemps que je devrois vous avoir donné des marques de [ã ij] mon respect & de ma reconnaissance ; & je n’aurois pas tant diferé, si je ne m’estois mis en teste, qu’avant que de dédier une de mes Pieces à VOSTRE ALTESSE, je devois attendre que le temps & mes soins m’eussent rendu capable d’en mettre quelqu’une au jour qui meritât l’honneur de vous estre offerte : Mais quand j’ay fait reflexion sur ce beau dessein, je l’ay trouvé plus conforme à mon zele qu’à mes forces ; & l’empressement d’offrir cette Comedie à V.A. m’a semblé plus raisonnable, que l’esperance de luy faire jamais un présent digne d’elle. Je vous presente donc un Capitaine qui ne craint ny la Paix, ny la Reforme ; Il est si fier de l’honneur qu’il a eu de vous divertir & de vous plaire, qu’il n’a plus d’ambition que celle de se honoré d’une protection aussi glorieuse que celle de V.A. Il sçait que vous sortez d’un Sang si fertile en Héros, qu’il ne s’étonne point de voir en vous tant de valeur jointe à tant de vertu, ny tant de belles lumieres jointes à toutes les qualitez avantageuses qui peuvent rendre un Prince accomply. Il sçait que le merite que toute la France admire en V.A n’est pas renfermé dans des bornes ordinaires, qu’elle connoist parfaitement tout ce que les Muses ont de grace & de delicatesse, & qu’elle fait des jugements tres-judicieux de toutes sortes d’Ouvrages ; mais il est persuadé que vous estes aussi genereux [ã iij]qu’éclairé, & que V.A. n’a pas moins d’indulgence pour en excuser les defauts, que de facilité à les connoistre. C’est, MONSEIGNEUR, ce qui me fait esperer que si V.A. condamne la foiblesse de mon génie, elle aura peut-estre la bonté d’aprouver mon zele, & qu’elle regardera ce que je luy offre moins comme une production d’esprit, que comme une preuve de la passion respectueuse avec laquelle je suis,

MONSEIGNEUR,

DE V.A.

Le tres-humble & tres-obeïssant Serviteur,

MONTFLEURY

Extrait du Privilege du Roy. §

Par Grace & Privilege du Roy, donné à Saint Germain en Laye le 17 jour de Decembre 1671. Signé, Par le Roy en son Conseil, D’ALENCE : Il est permis au Sieur Montfleury, de faire imprimer par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra choisir, une Piece de Theatre de sa composition, intitulée LA FILLE CAPITAINE, & ce durant cinq années, à compter du jour que ladite Piece sera achevée d’imprimer pour la premiere fois : Et defenses sont faites à tous autres Imprimeurs ou Libraires, de l’imprimer ou faire imprimer, vendre & debiter, sans le consentement de l’Exposant, ou de ceux qui auront droict de luy, à peine aux contrevenans de cinq cens livres d’amende, confiscation des Exemplaires contrefaits, & de tous despens, dommages & interests, ainsi que plus au long il est porté par ledit Privilege.

Registré sur le Livre de la Communauté, suivant l’Arret de la Cour de Parlement, le 30. Dec. 1671.

THIERRY, Syndic.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 4. Janvier 1672.

ACTEURS §

  • MONSIEUR LE BLANC.
  • MADAME LE BLANC sa Femme.
  • LUCINDE.
  • ANGELIQUE, Cousine de Lucinde.
  • DAMON, Amant de Lucinde.
  • L’ESPERANCE, Sergent d’une Compagnie du Regiment du Roy.
  • CATO, Suivante de Lucinde.
  • LA BRIE, Laquais de Damon.
La Scene est à Paris.
[A1]

ACTE PREMIER §

SCENE PREMIERE §

ANGELIQUE, LUCINDE

ANGELIQUE

Je suis libre à present, & maistresse de moy,
Cousine, & je m’en vais passer huit jours chez toy.

LUCINDE

C’est un honneur pour moy qui passe mon attente.

ANGELIQUE

Laissons-là ces honneurs; de Parente à Parente,
5 Doit-on toûjours avoir le compliment* en main ? {p. 2}
Mon Père est ce matin party pour Saint Germain :
Comme il entre en quartier dans deux jours, son absence
Me permet de répondre à mon impatience.

LUCINDE

Et moy, j’attens mon Frere icy de jour en jour.

ANGELIQUE

10 Il faut nous divertir jusques à leur retour :
Nous pourrons jusqu’au jour qu’il faut que je te quitte,
Ou voir la Comedie, ou bien faire visite,
A voir les Violons, masquer à petit bruit,
Passer le jour au Jeu, et courir le Bal la nuit ;
15 La Saison le permet ; & je veux bien te dire,
Que jamais je ne fus tant en humeur de rire.
Mais si ton Frere arrive icy lors qu’à souhait…

LUCINDE

Il n’est pas incommode, il est jeune & bien fait ;
Sa preference bientost nous en rendra certaines ;
20 Le Regiment du Roy n’a point de Capitaines
Qui soient plus estimez, ny plus galans* que luy.

ANGELIQUE

Pour nous divertir donc, il faudroit qu’aujourd’huy
Ce Frere si galans*, vint par Lettre de Change ;
Car enfin les plaisirs demandent du meslange,
25 Et nous n’aurons Damon qu’assez mal-aisément ;
Les Dez, & le grand Jeu, l’occupent tellement,
Qu’il n’est hors ce plaisir, rien qui le divertisse,
Et les jours sont trop courts…

LUCINDE

C’est luy faire injustice.
Non, cet empressement n’est point si violent ;
30 Damon aime le Jeu, mais Damon est galant* ;
Outre que la beauté dont le Ciel t’a pourveuë,
Le rendra plus sensible au plaisir de ta veuë*.

ANGELIQUE

Ne fais point avec moy la fine à contre-temps, {p. 3}
Ce Chevalier t’en veut, je me connois en Gens ;
35 Sur ce que j’en ay veu, je gagerois* qu’il t’aime,
Du moins c’est mon avis, & je crois qu’au tien méme
Pour rendre ton bonheur à son amour égal,
Le nom de ton Epoux ne luy siéroit pas mal.

LUCINDE

Cousine, j’aurois tort de t’en faire un mystere.
40 Je veux bien t’avoüer que Damon m’a sçeu plaire,
Que mon Frere revient, & qu’avec tant d’amour,
Damon, pour m’obtenir, n’attend que son retour :
Mais quoy qu’enfin sur tout ton humeur cherche à rire,
Je le crois à couvert des traits de ta Satire ;
45 Il est jeune, bien fait, galant*, riche, & je crois
Qu’on ne peut me blâmer d’avoir fait un tel choix.

ANGELIQUE

Il est bien malaisé qu’un tel Galant* ne plaise :
Ce moderne Adonis ne te vient voir qu’en Chaise,
Du nom de Chevalier soûtient sa vanité,
50 Contrefait à ravir l’Homme de Qualité ;
Il ne tient presque rien de son peu de naissance,
Il aime les plaisirs, & la grande dépense,
Dans son ajustement ne veut rien de commun ;
Il jouë à tous les Jeux, & ne gagne à pas-un ;
55 De faire le Coquet ne fait aucun mystere,
Et c’est pour un Epoux un fort bon caractere.

LUCINDE

C’est sur de tels sujets que ton esprit s’étend ;
Sur le premier venu ta bile se répand ;
Tu te plais à railler sans épargner personne ;
60 Tu peux continuer sans que je m’en étonne ;
Ton temps n’est pas venu, peut-estre quelque jour
Tu pourras ressentir les effets de l’Amour.
Plût au Ciel qu’un Hymen* à tes yeux plein de charmes, [A ij 4]
Pour me vanger de toy, pût te coûter des larmes !
65 Pour lors la raillerie agiroit foiblement.

ANGELIQUE

Tu n’auras ce plaisir qu’assez mal-aisément.

LUCINDE

Quoy, tu prétens toûjours estre railleuse & fiere ?

ANGELIQUE

Je veux vivre toûjours, Cousine, à ma manière ;
Et mon cœur ne sera pour l’Hymen* attendry,
70 Que quand on se pourra défaire d’un Mary
Comme on fait d’un Habit qui n’est plus à la mode :
Des manieres d’agir, j’aime la plus commode ;
Sous un joug que je crains, mon esprit languiroit ;
Je me fais des plaisirs que l’Hymen* troubleroit ;
75 On ne sçait ce qu’on fait souvent quand on se donne ;
Pour n’aimer qu’un Mary, j’aime trop ma personne ;
J’aime le Jeu, le Bal, la Dance, l’entretien*,
J’aime à troubler des cœurs sans engager le mien,
A tourner d’un Amant l’ardeur en ridicule,
80 A vivre sans attache, & railler sans scrupule,
A flater vingt Galans* de l’espoir de ma main,
Et mesme quelquefois à dauber le prochain :
Si bien qu’à ces plaisirs donnant mon ame en proye,
Des sottises d’autruy je me fais une joye,
85 Et ne veux point troquer par de semblables nœuds
Tant de plaisirs certains, contre un plaisir douteux.

LUCINDE

Ce Portrait est galant ; & si rien ne t’engage…

ANGELIQUE

Celuy que j’aperçoy, te plaira davantage.
Voicy ton Chevalier : & je lis dans ses yeux,
90 Que si ton Frere estoit comme nous dans ces lieux,
Au plaisir de te voir il seroit plus sensible.

SCENE II §

{p. 5}
DAMON, ANGELIQUE, LUCINDE

LUCINDE

Est-ce ce qui vous trouble ? & seroit-il possible…

DAMON

Oüy, Madame, il est vray, ce long retardement
Mettroit au desespoir le moins sensible Amant.
95 Vostre Frere qui doit regler nostre Hymenée*,
M’en semble pour jamais éloigner la journée :
Depuis pres de deux mois j’attens de jour en jour
Que quelque heureux moment m’annonce son retour ;
Mon cœur plein d’un amour combatu par la crainte,
100 N’a pour se soulager, que l’espoir & la plainte,
Et me force à conter dans l’ennuy* que je sens,
Le nombre de mes maux, par celuy des momens.

LUCINDE

Damon, ainsi que vous, vous m’en voyez surprise,
Et sa derniere Lettre estoit assez précise.

ANGELIQUE

105 Quelque accident peut-estre altere sa santé.

LUCINDE

Ou quelque ordre impréveu l’a sans doute arresté.
Mon Frere, si le Sort seconde son envie,
Doit à la Garnison laisser sa Compagnie,
Et venir à Paris passer le Carnaval,
110 Et du moins en ce temps…

ANGELIQUE

Nous aurons donc le Bal !

DAMON

Pourveu que le succés mette fin à mes craintes, {p. 6}
La joye & les plaisirs succederont aux plaintes :
Mais s’il faut voir enfin mes feux* sacrifiez…

ANGELIQUE

Eh mon Dieu, vous serez assez tost mariez :
115 Quand au nom de Galant* celuy d’Epoux succede,
L’Hymen* pour ces ardeurs devient un grand remede ;
Et quelque soit l’amour dont vous brûliez tous deux,
Un an de Mariage appaise bien des feux*.

DAMON

Ah, pour diminuer, mes flames* sont trop belles.

SCENE III §

ANGELIQUE, LUCINDE, DAMON, CATO

CATO

120 Ah que pour vostre amour j’ay de bonnes nouvelles !
Nous irons à la Nopce, & l’Hymen* achevé…

DAMON

Madame, vostre Frere est sans doute arrivé.

LUCINDE

Mon Frere est-il venu ? Le bonheur où j’aspire…

CATO

Non, ce n’est pas cela que je voulois vous dire.

DAMON

125 Sçais-tu quand il revient ? & peux-tu là-dessus
Nous aprendre…

CATO

Moy ? Non, je n’en sçay rien non plus. {p. 7}

ANGELIQUE

Que viens-tu donc nous dire ? elle est bonne, ou je meure.

CATO

Que l’Esperance vient d’arriver tout-à-l’heure*.

DAMON

Qu’est-ce que L’Esperance ? as-tu perdu le sens ?

LUCINDE

130 Un Valet que mon Frere avoit depuis longtemps,
Et qu’il a fait Sergent dedans* sa Compagnie.

DAMON

Puis qu’il revient sans luy, je crains bien qu’il n’oublie…

LUCINDE

Sçachons ce qui l’ameine, & puis qu’il est ainsi,
Rentrons dans le Logis.

CATO

Madame, le voicy.

SCENE IV §

LUCINDE, DAMON, ANGELIQUE, CATO, L’ESPERANCE

L’ESPERANCE

135 Madame, Serviteur à vostre Compagnie,
Fussiez-vous trente.

ANGELIQUE

Bon ; j’aime cette saillie.

L’ESPERANCE donnant un Billet à Lucinde

Vostre Frere est gaillard, & ce Billet contient…

ANGELIQUE

Il se porte bien ? {p. 8}

L’ESPERANCE

Mieux qu’à luy n’apartient.
Suivant l’ordre que j’ay d’avoir soin du Bagage,
140 Je suis venu devant* avec son Equipage*.
Gernidié, quels chemins ! Allez, nostre Mulet
A dancé sur la route un diable de Balet.
Ah le maudit Païs en Hyver, que la Flandre !
Mon Capitaine vient, qui pourra vous l’apprendre.

LUCINDE

145 J’aprehendois pour luy quelque incommodité.

L’ESPERANCE

Bon ! Il beut l’autre jour tant à vostre santé,
Que douze heures apres il estoit encor yvre.

DAMON

Fort bien. Enfin il vient.

LUCINDE

Sa Lettre me délivre
De la peine où j’estois. L’attendras-tu ?

L’ESPERANCE

Moy ? Non,
150 Il faut que je retourne à nostre Garnison.

LUCINDE

Quoy, si-tost ?

L’ESPERANCE

J’en enrage, ou la peste me tuë.

LUCINDE

Mais quoy faire ?

L’ESPERANCE

Mordié, mener une Recruë* :
Mais avant que quitter les Fauxbourgs de Paris,
Ma foy, je prétens boire avec mes bons Amis.
155 Je veux renouveller certaine connoissance… {p. 9}
Bonjour, Cato.

CATO

Bonjour, Monsieur de L’Esperance.

ANGELIQUE

Ainsi l’Hymen* dans peu va flater vostre amour.

LUCINDE

Il me mande qu’il vient, sans en marquer le jour.
Quand pourrons-nous joüir du plaisir de sa veuë* ?

L’ESPERANCE

160 Dés que le Commissaire aura fait la Revuë.
On l’attendoit. Si-tost qu’il sera délogé,
Ils sont vingt Officiers qui prendront leur congé.
Allez, assurez-vous qu’il ne tardera guere.

LUCINDE

J’auray bien du plaisir à voir icy mon Frere :
165 Mais vostre Oncle a-t-il sçeu de vous que vostre amour,
Pour se donner à moy, n’attend que ce retour ?
Car vous sçavez combien son aveu* nous importe.

DAMON

Non ; mais enfin pour moy sa tendresse* est trop forte,
Pour ne pas aprouver l’éclat d’un si beau feu :
170 Cependant comme il faut en ménager l’aveu*,
Je vais pour l’obtenir, me rendre à sa demeure.
Je vous quitte à regret, & reviens dans une heure.

SCENE V §

{p. 10}
LUCINDE, ANGELIQUE, L’ESPERANCE, CATO

L’ESPERANCE

Elles vont toutes deux jaser jusqu’à demain,
Et je meurs de soif.

CATO

Viens dans le Logis.

SCENE VI §

ANGELIQUE, LUCINDE

ANGELIQUE

En vain
175 Ton amour s’alarmoit, & toute autre en ta place…

LUCINDE

Il est vray ; mais l’aveu* de l’Oncle m’embarasse ;
Je crains qu’il ne l’obtienne assez mal-aisément,
Et qu’il ne soit surpris d’un pareil compliment*.

ANGELIQUE

Parce qu’il a du bien, tu crains qu’il ne s’oppose ?...

LUCINDE

180 Ma crainte cesseroit, si ç’en estoit la cause :
Cet Oncle m’est suspect, tu veux sçavoir pour quoy ?

ANGELIQUE

Oüy. {p. 11}

LUCINDE

C’est que ce Parent est amoureux de moy ;
Il m’aime, à ce qu’il dit, d’une ardeur* peu commune ;
Il me suit en tous lieux, par tout il m’importune,
185 S’obstine à m’en parler, voyant que sur ce poinct…

ANGELIQUE

Quel est donc ce Parent ? ne le connois-je point ?

LUCINDE

Le bon sens avec luy paroist incompatible,
Son abord est choquant, & sa mine risible ;
Son air, quoy que Bourgeois, est fort particulier,
190 Son entretien* plaisant, & mesme familier.

ANGELIQUE

Ne me diras-tu point aussi comme on le nomme ?

LUCINDE

Monsieur le Blanc.

ANGELIQUE

Ce doit estre un fort plaisant Homme ;
Je ne le connois point, mais dessus ton recit…

LUCINDE

Son corps fait cependant honneur à son esprit ;
195 Il m’a par ses discours divertie & surprise ;
Il ne dit pas deux mots sans dire une sottise ;
Il choque en se montrant, beaucoup moins qu’en parlant,
Et je crois…

ANGELIQUE

Ah, grands Dieux, le douloureux Galant* !
Cousin, ordonne-luy quelques grains d’Elebore.

LUCINDE

200 Ce n’est pas encore tout.

ANGELIQUE

Auroit-il pis encore ?

LUCINDE

Oüy sans doute, & ce Fou devroit estre lié. {p. 12}

ANGELIQUE

Que peut-il donc avoir ?

LUCINDE

C’est qu’il est marié.

ANGELIQUE

Ce Magot* ?

LUCINDE

Il a mesme une Femme bien faite,
Il m’en fait un mystere, & me conte fleurette,
205 Comme s’il aspiroit à me donner sa foy*.

ANGELIQUE

Et lors qu’impunément il se moque de toy,
Je gage* que tu fais la sotte, la honteuse.

LUCINDE

Oüy, certaines raisons me rendent scrupuleuse.

ANGELIQUE

Ah ! si j’en estois cruë, avant qu’il fût demain,
210 Ce Monsieur le Galant* verroit bien du chemin,
Et je le bernerois de la belle manière.

LUCINDE

A suivre cet avis je serois la premiere ;
Mais il est de Damon & l’Oncle & le Tuteur,
Et tu vois…

ANGELIQUE

Je voy bien ce qui te tient au cœur ;
215 Tu crains aparemment que vangeant cet outrage,
Ce Parent irrité ne nuise au Mariage.

LUCINDE

Il doit le ménager : outre qu’il a son bien*,
Tu sçauras que Damon doit heriter du sien :
Comme il n’a point d’Enfans, tout ce bien le regarde ;
220 Damon assurément le perd, s’il le hazarde,
Et je ne prétens pas qu’il se prive pour moy… {p. 13}

ANGELIQUE

Sçait-il bien que son Oncle est amoureux de toy ?

LUCINDE

De peur de les broüiller, j’en ay fait un mystere ;
Outre que c’est un feu que j’ay crû devoir taire.
225 Le temps…

ANGELIQUE

Si ce Parent refuse son aveu*,
Croy-moy, laisse-moy faire, & nous verrons beau jeu:
Je me charge du soin de le rendre traittable ;
Je sçay, pour le berner, un moyen admirable.

LUCINDE

Quel?

ANGELIQUE

Je te le diray.

LUCINDE

S’il n’y veut consentir,
230 Il faudra l’éprouver, & nous en divertir.
Voila Monsieur le Blanc.

ANGELIQUE

Ah la bonne Figure* !
Tu voudrois l’épargner ? ah c’est malice pure.
Que j’auray de plaisir à rire à ses dépens !

LUCINDE

Evitons-le, il pourroit m’aborder.

ANGELIQUE

J’y consens.

SCENE VII §

{p. 14}
MONSIEUR LE BLANC, MADAME LE BLANC

MADAME LE BLANC

235 Où voulez-vous aller ? Je ne sçay point d’affaire…

MONSIEUR LE BLANC

Ma divine Moitié, vous n’en avez que faire :
Si vous voulez me plaire, il faut changer de ton.

MADAME LE BLANC

Il sera bientost nuit.

MONSIEUR LE BLANC

Et m’enlevera-t-on ?

MADAME LE BLANC

Si vous revenez tard ?

MONSIEUR LE BLANC

On m’ouvrira la Porte.

MADAME LE BLANC

240 On tua l’autre nuit un Homme.

MONSIEUR LE BLANC

Que m’importe ?

MADAME LE BLANC

A vingt pas du Logis, hyer on en vola deux
Jusques à leurs Habits.

MONSIEUR LE BLANC

Hé bien, tant-pis pour eux.

MADAME LE BLANC

Ne vaudroit-il pas mieux…

MONSIEUR LE BLANC

Il vaudroit mieux vous taire.

MADAME LE BLANC

Quand on aime un Mary… {p. 15}

MONSIEUR LE BLANC

L’on fait ce qu’on doit faire.

MADAME LE BLANC

245 Si l’on vous attaquoit ?

MONSIEUR LE BLANC

Il faudroit financer.

MADAME LE BLANC

Et si l’on vous blessoit ?

MONSIEUR LE BLANC

Je me ferois penser.

MADAME LE BLANC

Cependant…

MONSIEUR LE BLANC

Cependant, en un mot, comme en mille,
De vos si mal placez, la suite est inutile :
D’un soin tout different nous voulons nous piquer ;
250 Vous de me contredire, & moy de m’en moquer.

MADAME LE BLANC

Les momens, loin de vous, me semblent des années :
Faut-il que sans vous voir je passe mes journées ?
Et que loin d’un Epoux chery comme le mien…

MONSIEUR LE BLANC

Penélope fut bien dix sans voir le sien.

MADAME LE BLANC

255 Quel chagrin croyez-vous que ce mépris me donne,
A moy qui ne sors point, & qui ne vois personne,
Qui toûjours renfermée, & seule, ne consens…

MONSIEUR LE BLANC

Ouvrez vostre fenestre, & voyez les passans,
Je ne l’empesche pas.

MADAME LE BLANC

De l’humeur dont vous estes, {p. 16}
260 Il vous falloit pour Femme une de ces Coquettes
Qui pres d’elle toûjours eust quelque Favory,
Tout prest à reparer l’absence d’un Mary,
Qui se fist, vous montrant une tendresse* feinte,
Un sujet de plaisir, du sujet de ma plainte,
265 Et pour qui vostre cœur foiblement convaincu…

MONSIEUR LE BLANC

Je vous entens, j’ay tort de n’estre pas Cocu ;
Je dois m’y préparer, ma Chere, & c’est dommage
Qu’une Moitié semblable ait esté mon partage :
Vostre honneur desormais ne me répond de rien,
270 Et vous vous repentez d’estre Femme de bien.

MADAME LE BLANC

Mais enfin ?

MONSIEUR LE BLANC

Mais enfin, voila vostre Morale,
Voila le but où tend vostre Mercuriale.

MADAME LE BLANC

Vous prenez mal la chose, & ce jaloux transport*
Explique à contre-sens…

MONSIEUR LE BLANC

Il est vray, j’ay grand tort ;
275 Par ce raisonnement vous me faites connoistre
Que je ne le suis pas, mais que je devrois l’estre,
Et que vostre devoir consiste desormais
A me faire porter…

MADAME LE BLANC

Mais je dis…

MONSIEUR LE BLANC

Point de mais :
Pour faire des Galans*, le prétexte est honneste.

MADAME LE BLANC

280 Vous sçavez… [B 17]

MONSIEUR LE BLANC

Laissez-moy, vous me rompez la teste,
Vous me feriez encor quelque autre sot discours.

MADAME LE BLANC

Si…

MONSIEUR LE BLANC

Morbleu, laissez-moy, vous raisonnez toûjours.

SCENE VIII §

MONSIEUR LE BLANC seul.

De pareils Animaux, la moitié d’une paire, [B]
Si l’on n’y tient la main, donne plus d’une affaire.
285 Où diable a-t-elle pris ce beau raisonnement ?
Veut-elle, concluant ainsi directement,
Insinuer en moy, par ses raisons obliques,
Le tranquille sang froid des Marys pacifiques ?
Ou si quelque soupçon de mon nouvel amour
290 L’a fait, pour m’imiter, servir de ce détour ?
Mais voicy mon Neveu, je pense qu’il murmure.

SCENE IX §

{p. 18}
MONSIEUR LE BLANC, DAMON.

MONSIEUR LE BLANC

Qu’avez-vous, Chevalier de la triste Figure*?
Quelque sept-&-le va, vous a-t-il mal traitté ?
Quelque coup de cornet auroit-il transplanté,
295 Par un nouvel effet d’un malheur sans resource,
Dans un Corps étranger, l’ame de vostre bourse ?

DAMON

Non.

MONSIEUR LE BLANC

D’un pic & capot, le desordre outrageant,
Vous auroit-il laissé sans joye & sans argent ?

DAMON

Non.

MONSIEUR LE BLANC

Sur un trente & un, quelque indiscret quarante,
300 Ne vous a-t-il point fait visite trop frequente ?
Ou bien si c’est d’ailleurs quelque nouveau malheur
Qui fait faire une éclipse à vostre belle humeur ?

DAMON

D’une autre passion mon ame sent l’atteinte ;
Le Jeu n’a point de part au sujet de ma plainte ;
305 Et je serois enfin heureux jusqu’à ce jour.
Si le Jeu dans mon cœur n’eust fait place à l’Amour.

MONSIEUR LE BLANC

Voila du fruit nouveau. Donques pour quelque Belle,
Mon doucereux Neveu, vous en avez dans l’aisle ?

DAMON

Oüy, je cede, mon Oncle, à des charmes puissans, {p. 19}
310 L’Hymen* est le seul but du beau feu que je sens ;
Jamais tant de vertu jointe à tant de mérites,
N’a fait voir…

MONSIEUR LE BLANC

J’en croy plus encor que vous n’en dites,
Et je croy que l’on doit voir devant ses appas*
Les Roses & les Lys mettre pavillon bas.
315 Mais vous trouverez bon, mon Cadet, qu’on vous dise,
Qu’il est toûjours trop tost pour faire une sottise,
Et que quoy que l’Amour vous promette de doux,
Le nombre des Marys n’est que trop grand sans vous ;
Qu’il faut quand l’Hymen* tient nostre cœur en balance,
320 Ensevelir l’Amour dans un drap de prudence ;
Que j’ay pour en juger, suffisamment vescu,
Et que dans la Famille il suffit d’un Cocu.

DAMON

Vostre Femme est trop sage, & fait assez connoistre…

MONSIEUR LE BLANC

Si je ne le suis pas, je suis en train de l’estre.

DAMON

325 Loin que d’un tel soupçon mon feu soit alteré,
Mon Oncle, sa vertu m’est un gage assuré :
Je veux bien vous ouvrir mon ame avec franchise,
Estant vostre Neveu, c’est par vostre entremise
Que je dois ménager…

MONSIEUR LE BLANC

Je voy tout le secret :
330 Estant vostre Tuteur à vostre grand regret,
Vous voulez que je parle au Père de la Belle.

DAMON

C’est un Frere qu’elle a, qui doit disposer d’elle ;
Il arrive à Paris dans peu pour voir sa Sœur : [B ij 20]
Dés qu’il sera venu pour faire mon bonheur,
335 Parlez luy, l’interest d’une ardeur peu commune,
Joint à ceux de l’Amour celuy de ma fortune :
Cette Belle a du bien ; ma vie & mon repos*
Dépendent du succés…

MONSIEUR LE BLANC

C’est à dire, en deux mots,
Que ses biens à l’Hymen* vous feront condescendre,
340 Et que sur vostre front vous mettez, Place à vendre.
Hé bien j’en suis d’accord ; mais sçaurons-nous son nom ?

DAMON

C’est Lucinde.

MONSIEUR LE BLANC

Comment ? Parlez-vous tout de bon?
C’est…

DAMON

Lucinde.

MONSIEUR LE BLANC à part.

Morbleu, je meurs d’amour pour elle.

DAMON

Vous la pouvez connoistre, elle est jeune & belle.

MONSIEUR LE BLANC

345 Cette Belle seroit bien lasse de sa peau;
Et vous estes pour elle un plaisant Etourneau*.

DAMON

Pourquoy ne faut-il pas que ma flâme* y prétende ?
Si son merite est grand, la gloire en est plus grande.

MONSIEUR LE BLANC

Il est vray ; mais enfin ce seroit la tromper,
350 Et dans un tel dessein je ne veux point tremper ;
Car puis que vous voulez qu’enfin on vous le die,
De quel air passez-vous & le temps & la vie ?
Quoy que vous ne soyez que le Fils d’un Banquier,
Vous vous faites nommer Monsieur le Chevalier, {p. 21}
355 Et vous estes de ceux dont la Chevalerie
N’eut jamais à Paris d’Ordre que l’Industrie ;
De ces Gueux faineans, de qui l’air est cocquet,
Dont le sort est écrit sur les os d’un Cornet,
Dont les Commandeurs sont les Carmes & les Sannes,
360 Et qui font chez Fredoc* toutes leurs Caravannes
Il faut que vous ayez toûjours dans vos Festins
Des Escrocs qu’on ne voit que chez les Libertins,
Des gosiers toûjours secs, puisqu’il faut qu’on s’explique,
Des diseurs de bons mots, des brailleurs en Musique,
365 De ces chanteurs oisifs, dont l’ardeur d’entonner
Sur les charmes d’un Air hipoteque un Disner,
Et qui payent chez vous, se trouvant dans leur centre,
Aux dépens de leur voix, le tribut à leur ventre.
Vous voulez faire en tout l’Homme de Qualité :
370 Tanstot à la faveur d’un Carrosse emprunté,
Bigarré du fatras de vingt modes nouvelles,
Vous allez au grand trot, du Brelan, chez les Belles ;
Et l’on vous voit au Cours, sur le déclin du jour,
Aussi fier qu’un Bourgeois qui porte un deüil de Cour.

DAMON

375 Songez que mon amour…

MONSIEUR LE BLANC

Il n’est amour qui tienne,
Vostre facon d’agir quadre mal à la sienne ;
Vos parolis frequents, & souvent mal placez,
Luy feroient bientost voir ses Loüis éclipsez,
Et vous pourriez porter, vivant à vostre guise,
380 Un bois de Cerf pour timbre, & J’en tiens pour devise.
C’est un petit malheur dont je veux vous parer.

DAMON

Voulez-vous me reduire à ne rien esperer ?
A l’amour que je sens devenez moins contraire {p. 22}

MONSIEUR LE BLANC

Mais il n’en fera rien. & je n’en veux rien faire :
385 Taisez-vous.

DAMON

Si mon cœur à l’aimer destiné…

MONSIEUR LE BLANC

Taisez-vous, vous dit-on, pupille suranné.

DAMON

Je metais; & de peur de vous mettre en colere,
Je m’éloigne de vous.

MONSIEUR LE BLANC

Vous ne sçauriez mieux faire.

SCENE X §

MONSIEUR LE BLANC seul.

Cecy n’est pas mon compte, & ce jeune Coquet
390 A pû charmer Lucinde avecque son cacquet ;
Puis qu’il l’aime à ce point, on peut l’aimer de méme.
Cependant je l’adore, & depuis que je l’aime,
Je n’ay point de repos*, je maigris tous les jours,
L’Amour a mis chez moy la Raison en decours;
395 Je la suis en tous lieux ; mais quoy que l’on en die,
Je veux absolument rompre cette partie.
Le dessein que je fais est un peu dangereux,
Mais il faut hazarder, si l’on veut estre heureux ;
Je l’aime, elle le sçait, mes soins l’ont fait connoistre :
400 Voyons-la ; Que sçait-on ? je lui plairay peut-estre.

Fin du Premier Acte.

{p. 23}

ACTE II §

SCENE PREMIERE §

LUCINDE, CATO.

CATO

Quoy, ce Monsieur le Blanc fait l’amoureux de vous,
Comme s’il esperoit devenir vostre Epoux ?
Et quoy que marié, ce Magot* vous fait croire,
Qu’à se donner à vous il met toute sa gloire ?
405 Qu’il veut vous épouser ? Le Fourbe !

LUCINDE

Chaque jour
Il me suit, il m’aborde, il me parle d’amour,
Et mesme à nostre Hymen* Damon dit qu’il s’opose.
Je m’en estois doutée, & j’en sçavois la cause.

CATO

Mais enfin ce chagrin n’est pas fort de saison ;
410 Vostre Cousine va vous en faire raison ;
Le piege qu’on luy tend, flate vostre esperance,
Je le trouve plaisant, & j’en ris par avance.
Le hazard semble exprés pour cet Amant transy {p. 24}
Envoyer les Habits de vostre Frere icy ;
415 La Cousine en met un, en attendant qu’il vienne :
Vous la verrez tanstot* faire le Capitaine ;
Elle est d’un enjoûement qu’on ne peut exprimer,
Dans ce nouvel habit elle va vous charmer ;
Et si Monsieur le Blanc est Homme de parole,
420 Vous m’allez voir joüer un assez plaisant rôle.
Sçait-il…

LUCINDE

Oüy, je luy dis à la Porte hyer au soir,
Qu’à quelque heure aujourd’huy je prétendois le voir.
Je feignis de l’aimer, je luy fis bonne mine,
Et je suivis en tout l’ordre de ma Cousine.

CATO

425 Dieu sçait s’il va venir au Rendez-vous en feu,
De l’humeur dont il est, apres un tel aveu*.
Ce Singe vous croyant fole de sa Figure*,
Voudra venir au fait, avant que de conclure,
Et croira que ceans* dés la premiere fois
430 Il n’aura qu’à soufler, & remuer les doigts.
Que nous pourrons donner, apres cette avanture,
Aux Hommes trop coquets, de bonne tablature !
On leur garde, ma foy, des Filles de quinze ans !
C'est bien à des Marys à faire les Galans!
435 Encor si ce Magot* estoit un Homme à plaire…

LUCINDE

Hé bien…

CATO

Eh… L’on verroit ce que l’on pourroit faire.

LUCINDE

Sa Femme doit servir au stratagéme aussy,
Et Damon s’est chargé de l’emmener icy ;
Et comme dans la chose elle est interessée, {p. 25}
440 Elle y contribûra, du moins c’est ma pensée.

CATO

Reposez-vous sur nous du succés de vos feux*,
Nous allons le berner, en vous servant tous deux :
Prenez-vous-en à moy, si vous n’estes contente.
Mais Damon vient, je pense, avecque sa Parente.

SCENE II §

LUCINDE, MADAME LE BLANC, DAMON, CATO.

DAMON

445 Voila ce qui se passe, & ce que l’on résout ;
En nous divertissant, nous en viendrons à bout.
J’en fus, en l’aprenant, surpris comme vous l’estes.

LUCINDE allant saluer Madame le Blanc

Il faut la recevoir. L’honneur que vous me faites,
Me reproche en secret une civilité
450 Dont mon respect pour vous devroit s’estre acquité ;
Et les soins du Mary n’ont plus rien qui m’irrite,
Puis qu’à son amour seul je dois cette visite.

MADAME LE BLANC

Je ne m’étonne plus de voir dans mon Epoux,
Pour moy tant de froideur, & tant d’amour pour vous :
455 Vostre beauté, Madame, à qui tout est possible,
Peut forcer à se rendre une ame moins sensible :
Vos appas* sont si grands, & leur éclat est tel…

LUCINDE

Ce qu’on en voit en vous, le rend plus criminel.

DAMON

Ces discours obligeans font voir de part & d’autre {p. 26 C}
460 Des soins que vostre Sexe usurpe sur le nostre.
Je pourrois, pour l’entendre, estre assez complaisant :
Mais comme un autre soin nous occupe à présent,
Allons voir si tanstot* vostre aimable Cousine
Executera bien tout ce qu’elle imagine,
465 Et si son enjoûement pourra bien soûtenir…

LUCINDE

Il n’en est pas besoin, car je la voy venir.

MADAME LE BLANC

On ne peut estre mieux, & j’aurois de la peine…

SCENE III §

LUCINDE, ANGELIQUE vestuë en Capitaine du Regiment du Roy, DAMON, CATO, L’ESPERANCE, MADAME LE BLANC.

ANGELIQUE

L’ Esperance ? mes Gens ?

L’ESPERANCE

Plaist-il*, mon Capitaine ?

ANGELIQUE

Bon cela. Souviens-toy…

L’ESPERANCE

Je sçay bien.

ANGELIQUE

Chevalier,
470 Dites-moy, sentons-nous un peu nostre Officier ?
A Lucinde
{p. 27}
Que dites-vous de nous ? Ce port, cette manière,
A vostre avis, ma Chere, est-elle Cavaliere ?
Avons-nous le bon air ? Croyez-vous que le Roy
Ait bien des Officiers qui soient faits comme moy ?

LUCINDE

475 Qu’elle est bien !

L’ESPERANCE

Elle a l’air, dedans* cet équipage*,
De ces petits Fripons qu’on fait sortir de Page,
Pour envoyer à Malte aprendre leur Mestier.

ANGELIQUE

Monsieur le Blanc, de moy, n’aura pas grand quartier*.
Aparemment, voila vostre belle Parente,
480 Je suis son Serviteur, & mesme sa Servante :
Pour peu que vous vouliez seconder nos desseins,
Vostre Epoux va tomber en d’assez bonnes mains ;
Et ce tour doit vous faire admirer nostre zele,
Puis que c’est un moyen de le rendre fidelle.

MADAME LE BLANC

485 J’ay promis à Damon de suivre vos avis.

SCENE IV §

ANGELIQUE, LUCINDE, MADAME LE BLANC, CATO, L’ESPERANCE, LA BRIE.

LUCINDE

Qu’est-ce ?

LA BRIE

Monsieur le Blanc est proche du Logis ;
On m’avoit commandé de voir par la fenestre, {p. 28}
Et si-tost qu’il viendroit, d’en avertir mon Maistre.

ANGELIQUE

Fort-bien. Cato, c’est toy qui dois le recevoir.

CATO

490 Je sçay bien ma leçon, je feray mon devoir.

MADAME LE BLANC

Mais si par mon Mary vous estes reconnuë…

ANGELIQUE

Comment me reconnoistre ? il ne m’a jamais veuë,
Ny mon Cousin non plus : Que craindroit on de luy ?
Tout est bien concerté ; je prétens aujourd huy
495 Vous donner un plaisir qui n’ait rien qui l’égale.
Mais je les vois venir, entrons dans cette Salle.

SCENE V §

MONSIEUR LE BLANC, CATO.

MONSIEUR LE BLANC

Oüy, Madame Cato, vous m’en voyez charmé ;
Et je viens de plaisir & de joye affamé,
Voir si par un bonheur qui passe mon mérite,
500 Je puis faire ceans* une heureuse visite.

CATO

Vous sçavez que Lucinde a souhaité vous voir,
Et qu’elle vous le dit elle-mesme hyer au soir.

MONSIEUR LE BLANC

Oüy, ma Chere, dy-moi, penses-tu qu’elle m’aime ?

CATO

Ah Monsieur…

MONSIEUR LE BLANC

Quoy ? poursuis. {p. 29}

CATO

Cent fois plus qu’elle-méme!

MONSIEUR LE BLANC

505 Mon air luy plaist ?

CATO

Helas ! il luy semble si doux…

MONSIEUR LE BLANC

Elle m’aime ?

CATO

Elle meurt, Monsieur, d’amour pour vous.

MONSIEUR LE BLANC

La Friponne ! Instruis-moy de toute sa tendresse*.

CATO

Elle parle de vous, & soûpire sans cesse ;
Elle passe les nuits à vous faire pitié ;
510 Moy-mesme, de ses maux je soufre la moitié :
Elle se plaint si fort, que la nuit toute entiere
Je l’entens, & ne puis en clore la paupiere.

MONSIEUR LE BLANC

Va, va, si le succés peut feconder mes vœux,
Je vous feray bientost mieux dormir toutes deux :
515 Je veux que par mes soins vous soyez soulagées,
Et que…

CATO

Nous vous serons, Monsieur, bien obligées.

MONSIEUR LE BLANC

Avec un peu de temps, je veux pourvoir à tout :
Mais puis qu’à me souffrir Lucinde se résout,
Ne la verray-je pas…

CATO

Dans la Chambre prochaine
520 Je croy qu’elle entretient Monsieur le Capitaine.

MONSIEUR LE BLANC

Un Capitaine ! D’où ? {p. 30}

CATO

Du Regiment du Roy.
Son Frere ; Il est icy pour quelque temps je croy.
Il vint, pour nos pechez, hyer au soir.

MONSIEUR LE BLANC

Quel Homme est-ce ?

CATO

Un petit enragé, qui ferraille sans cesse :
525 Jamais Homme ne fut de si méchante humeur,
Car il est étourdy, mutin, fier, querelleur,
Brave comme un César, mais brutal, & capable…

MONSIEUR LE BLANC

Ces pestes d’Officiers sont querelleurs en diable.

CATO

Quand la fougue le prend, Monsieur, pour moins d’un rien
530 Comme on tuë un Poulet, il tuëroit un Chrestien :
Mais aussi quelque jour il joüera de son reste ;
Il en a tué dix depuis dix mois.

MONSIEUR LE BLANC

La peste !
Avec de tels Bréteurs il faut filer bien doux.
S’il me voyoit ceans*

CATO

Ce seroit fait de vous,
535 Monsieur, il vous tuëroit, & toute nostre adresse…

MONSIEUR LE BLANC

Je m’en vais faire un tour, & verray ta Maistresse
Quand il n’y sera plus.

CATO

Quoy, sortir sans la voir !
Ah ce seroit, Monsieur, la mettre au desespoir.
Pourquoy vous éloigner ?

MONSIEUR LE BLANC

Ne t’en mets point en peine. {p. 31}

CATO

540 Mais si Lucinde sçait…

MONSIEUR LE BLANC

Mais si le Capitaine
Vient à voir ma Figure*, & se tient insulté,
Je me garantis mort à perpetuité.

CATO

Si ce n’est que cela, vous la pouvez attendre ;
Je me garderay bien de vous laisser surprendre :
545 Au pis aller, Monsieur, il faudra vous cacher.
Allez, rassurez-vous, je m’en vay la chercher ;
Si son Frere paroist, cachez-vous, je vous prie.

SCENE VI §

MONSIEUR LE BLANC seul.

Hé bien va. Tout cecy passe la raillerie ;
Je crains dans mon calcul de m’estre méconté.
550 Ah que mal-à-propos le Diable m’a tenté !
Si je m’y connois bien, ce maudit Capitaine
Ne feroit pas façon d’ensanglanter la Scene.
Ouf, je tremble de peur dés que j’entens du bruit ;
Le cœur me bat, je croy que c’est luy qui me suit.
555 Que c’est bien employé ! N’ay-je pas une Femme
Honneste, s’il en est ? qui m’adore dans l’ame ?
Belle, & dont la vertu ne se peut contester ?
Quelle démangeaison me prend de coqueter ?
Et de venir chercher, par une sotte envie,
560 Un moment d’entretien* aux dépens de ma vie ?
Ah dessus* ce sujet que j’ay mal raisonné ! {p. 32}
Mais si l’on m’y retient, je veux estre berné,
Car j’en auray la fievre au moins une semaine.
Ah morbleu, je suis mort, voicy le Capitaine.
Il cherche à se cacher, & tombe.

SCENE VII §

MONSIEUR LE BLANC, LUCINDE, CATO.

LUCINDE

565 O Dieux ! Monsieur le Blanc, vous estes-vous blessé ?

MONSIEUR LE BLANC se relevant

Je dançois la Bourrée, & le pied m’a glissé.
Ce n’est rien : Mais que fait Monsieur le Capitaine ?

LUCINDE

Je pense qu’il écrit.
A Cato.
Prends garde qu’il ne vienne.

SCENE VIII §

MONSIEUR LE BLANC, LUCINDE.

LUCINDE

Vous voyez jusqu’où va ma tendresse* pour vous,
570 Et combien le plaisir de vous revoir m’est doux :
Vostre merite est tel, que quelques reprimandes…

MONSIEUR LE BLANC

Mon merite est petit, mais vos bontez sont grandes.

LUCINDE

Verray-je tant d’amour fecondé par vos soins ? {p. 33}
Vous ne répondez rien.

MONSIEUR LE BLANC

Je n’en pense pas moins ;
575 Mais je crains qu’on ne trouble un bonheur dont je doute,
Et la peur quelquefois met la joy en déroute.

LUCINDE

Douter de mon amour ? lors que le vostre obtient…

SCENE IX §

LUCINDE, M. LE BLANC, CATO.

CATO

Ah Monsieur, cachez-vous, le Capitaine vient.

MONSIEUR LE BLANC

Le facheux contretemps !

CATO

Sur peine de la vie,
580 Gardez de vous montrer.

MONSIEUR LE BLANC

Je n’en ay pas envie.

LUCINDE

Je vous quitte à regret.

MONSIEUR LE BLANC

Tréve de compliment*,
Où faut-il me cacher ?

CATO

Dans cet Apartement.

MONSIEUR LE BLANC

Je me fie à Cato, qui me trahit peut-estre. {p. 34}
Ecoutons-les sans bruit, je pourray le connoistre.

SCENE X §

ANGELIQUE, M. LE BLANC caché, CATO.

ANGELIQUE

585 Cato, je te cherchois, & depuis mon retour
A peine ay-je eu le temps de te dire bonjour.
Il ne me souvient point de t’avoir embrassée.
Il n’est pas sorty.
Elle l’embrasse.

CATO

Non.

ANGELIQUE

J’ay l’ame embarassée,
Et je me sens reduit à te dire en deux mots.
590 A propos.

CATO

D’où vient donc, Monsieur, cet A propos ?

ANGELIQUE

Avant que de porter plus loin la confidence,
Je veux sçavoir de toy, si pendant mon absence
Ma Sœur sortoit souvent, ou bien si quelque Amant
Ne la visitoit point un peu trop frequemment ?

MONSIEUR LE BLANC caché dans une Entrée

595 Je tremble.

CATO

Non, Monsieur. {p. 35}

ANGELIQUE

Une Fille à cet âge
Est ordinairement plus coquette que sage.

CATO

Elle estoit toûjours seule, & jamais ne sortoit,
A moins que…

ANGELIQUE

Par la mort, si quelqu’un s’y frotoit,
Je lui feroit passer un fort méchant quart-d’heure.

CATO

600 On n’a garde, Monsieur.

ANGELIQUE

On fait bien, ou je meure.

CATO

Elle est trop vertueuse, & l’on le sçait trop bien.

ANGELIQUE

Changeons donc de discours. Dy-moy, par ton moyen,
Ne sçaurois-je revoir cette jeune Bourgeoise…

CATO

Je vous entens, Monsieur ; Pourquoy non ?

MONSIEUR LE BLANC

La Matoise,
605 Est de plus d’un Mestier.

ANGELIQUE

Cato, depuis deux ans
J’ay songé mille fois à tous les doux momens
Que j’ay passé pres d’elle, & de toutes les Belles…

CATO

Elle m’a demandé vingt fois de vos nouvelles.

ANGELIQUE

M’aimeroit-elle encor ?

CATO

En doutez-vous ? {p. 36}

ANGELIQUE

Hélas !
610 La verray-je ?

CATO

Pourquoy ne la verriez- vous pas ?
Cette Belle, ma foy, seroit bien dégoûtée,
Si vous ne luy plaisiez ; Car pour moy…

MONSIEUR LE BLANC

L’éfrontée !

ANGELIQUE

Mais puis-je en esperer…

CATO

Je vous répons, Monsieur,
Qu’elle vous recevra du meilleur de son cœur.

ANGELIQUE

615 Cato, va, s’il se peut, sçavoir de cette Belle,
Si je la pourray voir ou ceans*, ou chez elle.

CATO

Pour chez elle, Monsieur, neant.

ANGELIQUE

Et pourquoy non ?

CATO

C’est que je ne sçay point son Logis, ny son nom ;
Comme elle est mariée, elle craint le scandale.

ANGELIQUE

620 Comment faisois-tu donc, lors que par intervalle
Tu l’amenois ceans* ?

CATO

La Veuve d’un Bourgeois
Chez qui j’allois apprendre à coëffer autrefois,
Quand je luy veux parler, va chercher cette Belle,
Tandis que je l’attens, & pour raison, dit-elle,
625 Taist son nom. Vous sçavez que par honnesteté {p. 37}
Il faut garder en tout de la fidelité.
Ce que je sçay le mieux de cette belle Brune,
C’est qu’elle a pour Epoux un Chercheur de fortune,
Un Pié-plat* qui la fuit, & qu’on dit pour la voir,
630 Qu’on va pour la coëffer.

ANGELIQUE

Que j’en conçois d’espoir !
Ne pers donc point de temps ; & si ton soin m’oblige*,
Sois seûre…

CATO

Vous aurez contentement, vous dis-je ;
Cele ne pourra, si je n’en viens à bout.
J’y cours, & je vous viens rendre raison de tout.

MONSIEUR LE BLANC

635 L’obligeante Cato luy va chercher la Belle.
Morbleu, fut-il déjà dans sa Chambre avec elle.

ANGELIQUE

L’Esperance ?

SCENE XI §

ANGELIQUE, M. LE BLANC, L’ESPERANCE.

L’ESPERANCE

Monsieur ?

MONSIEUR LE BLANC

Il ne sort point d’icy.

ANGELIQUE

Viença. {p. 38}

MONSIEUR LE BLANC

Le grand Fripon que paroist celuy-ci !

ANGELIQUE

As-tu veu mon Cousin ? a-t-il fait ma Recruë* ?

L’ESPERANCE

640 Oüy, je vous en répons.

ANGELIQUE

Mais enfin l’as-tu veuë ?
M’a-t-il fait vingt Soldats comme il m’avoit promis ?

L’ESPERANCE

Il n’en a que dix-neuf, mais ils sont bien choisis ;
Il ne faut point, Monsieur, apres eux, qu’on en cherche ;
Ils sont, mordié, tretous aussi grands qu’une perche,
645 Je les ay fait toiser moy-mesme dans sa cour,
Ils ont six pieds de haut, & trois grands pieds de tour,
Et des barbes, morbleu, qui les rendent plus graves…

ANGELIQUE

Sont-ils braves, à voir ?

L’ESPERANCE en riant

Morgué, s’ils n’etoient braves,
Les voudrois-je emmener ?

ANGELIQUE

C’est parler de bon sens :
650 Mais à la Garnison il faut mener ces Gens ;
Comme tu ne m’es plus à Paris necessaire,
Tu partiras…

L’ESPERANCE

Demain, & j’en fais mon affaire ;
Préparez de l’argent.

ANGELIQUE

C’est fort bien raisonné.

L’ESPERANCE

Votre œil est aujourd’huy bien emmerillonné ! {p. 39}
655 Vous avez vostre conte.

ANGELIQUE

Oüy, j’ay l’ame contente ;
Cato me fait revoir, pour flater mon attente,
Cette jeune Beauté que tu vis une fois…

L’ESPERANCE

Je sçay bien, je sçay bien, la Femme d’un Bourgeois,
Qui venoit quelquefois vous tenir compagnie.

ANGELIQUE

660 Elles-mesme, & je dois…

L’ESPERANCE

Peste, qu’elle est jolie !
Dieu sçait si le Mary… plaist-il*, Monsieur ?

ANGELIQUE

Tay-toy,
Quelqu’un vient, laisse-nous, c’est elle que je voy.

SCENE XII §

ANGELIQUE, MADAME LE BLANC, MONSIEUR LE BLANC, CATO.

CATO

A Vingt pas du Logis, j’ay rencontré Madame.

ANGELIQUE la saluant.

Que mon bonheur est grand !

MONSIEUR LE BLANC caché.

La peste ! C’est ma Femme !

ANGELIQUE

665 Depuis que j’eus l’honneur de vous voir en ce Lieu, {p. 40}
Rien ne m’a tant touché que ce funeste adieu ;
L’absence a fait sentir à mon ame amoureuse
Tout ce qu’elle a de rude.

MADAME LE BLANC

Est-il bien vray ?

MONSIEUR LE BLANC

La Gueuse !

ANGELIQUE

Mais puis que mon bonheur me fait vous retrouver,
670 C’est en vous embrassant que je le veux prouver :
Je veux, puisque pour moy vostre ardeur s’intéresse,
Que mon empressement seconde ma tendresse*.

CATO

Là-donc, comme elle fait la prude aupres de luy !
Quand vous ne nous seriez jamais veus qu’aujourd’huy.

MONSIEUR LE BLANC

675 La Coquine !

ANGELIQUE

Je crois en deviner la cause ;
L’amour pour vostre Epoux, à mon bonheur s’opose.

MADAME LE BLANC

Helas ! quelque charmant que peut estre un Epoux,
Que ne souffre-t-on point d’un Homme comme vous ?
Ah ! si jamais le Sort secondoit mon envie…

ANGELIQUE

680 Hé bien ?

MADAME LE BLANC

Je vous verrois tous les jours de ma vie.

MONSIEUR LE BLANC

Fort-bien.

ANGELIQUE

Pour un Amant qui meurt pour vous d’amour, {p. 41}
C’est & trop de bontez & de joye en un jour.
J’ay pour vous une ardeur qui n’a rien qui l’égale :
Mais comme tout le monde aborde en cette Salle,
685 Ce Lieu n’est pas fort propre à vous bien recevoir,
Et pour y souffrir, je sçais trop mon devoir.

MADAME LE BLANC

Entrons, puis que le Sort permet que je vous voye.

ANGELIQUE en rentrant.

Cato ?

CATO rentrant aussi.

Monsieur ?

SCENE XIII §

MONSIEUR LE BLANC seul.

Voila la Marchande de joye :
L’affront que l’on me fait, ne m’est que trop connu,
690 Et l’aveu* qu’on en fait, n’est que trop ingénu.
Voila de ces Serpens, de ces Pestes publiques,
Qui trafiquent l’honneur par de sourdes pratiques,
Et dont l’art secondant les soins d’un Favory,
Feint de coëffer la Femme, & coëffe le Mary.
695 Et vous, nostre Moitié, qui devenez commune,
Vous avez donc des Gens qui vous cherchent fortune ?
Pour le premier venu vous vous laisser tenter,
Et souffrez sans façon qu’on vous vienne emprunter ?
Eh parbleu, vous irez entre quatre murailles
700 De vos foles amours faire les funerailles,
Et vous irez aprendre en une autre Maison {p. 42 D}
A mettre de niveau l’Amour & la Raison.
Peut-estre qu’au moment que je tiens ce langage,
Monsieur le Capitaine & ma Femme… Ah j’enrage.
705 Ne nous contraignons plus, faisons du bruit, je veux
Et les chercher & leur chanter poüille à tous deux.
Mais s’il alloit me tuer ? Non, perdons cette envie,
Il est plus d’une Femme, & l’on a qu’une vie;
Il est mutin en diable, & Cato me l’a dit.
710 Taisons-nous, attendons qu’elle… J’entens du bruit.

SCENE XIV §

MONSIEUR LE BLANC, CATO.

CATO

Il faut faire sortir nostre Amoureux.

MONSIEUR LE BLANC

C’est elle,
Sortons ; assez longtemps c’est estre en sentinelle.

CATO

Il s’est fallu, Monsieur, contraindre jusqu’au bout :
Mais vous vous estes bien ennuyé ?

MONSIEUR LE BLANC

Point du tout.
715 Le moyen ? quand on voit des intrigues si drôles.

CATO

Avec de jeunes Gens on fait d’étranges rôles.

MONSIEUR LE BLANC

Oüy sans doute, & cela ne se peut autrement.

CATO

N’en faites point, Monsieur, de mauvais jugement,
J’ay sur le point-d’honneur trop de délicatesse : {p. 43}
720 Mais vous sçavez que quand on sert de la Jeunesse,
Et qu’on y fait son compte, il vaut mieux consentir…

MONSIEUR LE BLANC

Bon ! ne sçay-je pas bien qu’il faut se divertir ?
Monsieur le Capitaine aime fort cette Belle ?

CATO

Cela n’est pas croyable.

MONSIEUR LE BLANC

Et cette Damoiselle
725 L’aime fort ?

CATO

Oüy, Monsieur.

MONSIEUR LE BLANC

Presentement… je crois…

CATO

Ils se sont embrassez déjà plus de cent fois.

MONSIEUR LE BLANC

Ta Maistresse sçaura, si tu luy veux apprendre,
Que je suis son Valet.

CATO

Mais, Monsieur, où vous prendre,
Si l’on vous veut parler ? Où logez-vous ?

MONSIEUR LE BLANC

Trop loin.

CATO

730 Je vous irois chercher.

MONSIEUR LE BLANC

Il n’en est pas besoin.

CATO

Dites vostre Logis, ma Maistresse est capable,
L’ignorant…

MONSIEUR LE BLANC à part.

On le sçait trop bien, de par le Diable.
Que l’on me laisse aller, je la verray dans peu. {p. 44}

CATO

Puis que vous le voulez, adieu, Monsieur.

MONSIEUR LE BLANC

Adieu.

SCENE XV §

CATO seule.

735 Il meurt de jalousie, & de colere ensemble.
J’ay bien joüé mon rôle ; & voila, ce me semble,
Pour un commencement, assez bien débuté.
Allons songer au reste, & rire en liberté.

Fin du Second Acte.

{p. 45}

ACTE III §

SCENE PREMIERE §

ANGELIQUE, LUCINDE.

LUCINDE

Cato ?

ANGELIQUE

Que luy veux-tu ?

LUCINDE

Qu’est-elle devenuë ?

ANGELIQUE

740 Tu l’apelles en vain.

LUCINDE

L’auroit-on retenuë ?

ANGELIQUE

Je ne crois pas.

LUCINDE

Comment, nous suivoit-elle ?

ANGELIQUE

Non.

LUCINDE

Elle estoit avec nous chez la Sœur de Damon.

ANGELIQUE

Il est vray ; mais je viens de l’envoyer en Ville, {p. 46}
Et le soin que tu prens, Cousine, est inutile.

LUCINDE

745 Et quoy faire ?

ANGELIQUE

Chercher Monsieur le Blanc.

LUCINDE

Pourquoy ?

ANGELIQUE

Pour lui rendre un Poulet de ta part.

LUCINDE

Mais, dy-moy,
Que contient-il ?

ANGELIQUE

Il est fort galant*, & fort tendre.

LUCINDE

Ton enjoûment, Cousine, a dequoy me surprendre.

ANGELIQUE

Ecoute, laisse-moy ménager ton amour ;
750 Je veux me divertir tout le reste du jour,
J’en sçay bien le moyen. Toy, sans me contredire,
Ne t’informes de rien, & ne songes qu’à rire.

LUCINDE

On peut sur ton début croire qu’avec le temps…

ANGELIQUE

Nostre Monsieur le Blanc a bien donné dedans ;
755 Il croit de bonne-foy sa Femme…

LUCINDE

Je t’avouë
Que ton air goguenard* merite qu’on te louë :
Il seroit malaisé de mieux faire l’Amant,
Et tu devrois estre Homme avec tant d’enjoûment.

ANGELIQUE

Si le Ciel m’avoit fait Homme, comme il le pense, {p. 47}
760 Ma foy, j’aurois esté Coquet à toute outrance ;
J’aurois sçeu, pour vanter ma peine & mon ardeur,
Mentir en Courtisan, & jurer en Joüeur ;
J’aurois, pour me pouvoir rendre maître d’une ame,
Apellé les Cadeaux au secours de ma flâme* ;
765 J’aurois veu fréquemment les Belles sans témoins,
J’aurois esté flateur, j’aurois rendu des soins,
Et pressé de si pres les Blondes & les Brunes,
Que j’aurois eu ma part des meilleures fortunes.

LUCINDE

Tu pourrois te tromper.

ANGELIQUE

Je ne sçay ; mais enfin,
770 Un cœur pour m’échaper, m’auroit semblé bien fin.

LUCINDE

Mais puis que tu prétens porter plus loin la chose
Avec Monsieur le Blanc, & que l’on s’y dispose,
Il falloit retenir sa Femme.

ANGELIQUE

Point du tout ;
Pour juger du dessein, attens jusques au bout.

LUCINDE

775 Outre qu’elle pouvoit nous estre necessaire,
Son Mary pourroit bien chez luy, dans sa colere,
Prenant ce qu’il a veu pour une verité,
En venir avec elle à quelque extremité.

ANGELIQUE

Damon prendra ce soin : il la mene, & se flate,
780 En la justifiant, d’empescher qu’il n’éclate ;
Il n’est pas violent, il connoit son humeur,
Outre que leur défaite est preste.

LUCINDE

J’aurois peur… {p. 48}

ANGELIQUE

Tay-toy, je l’aperçois, évitons-le, & pour cause.
Allons dans le Logis préparer chaque chose.

SCENE II §

MONSIEUR LE BLANC, seul.

785 Ma Femme ne vient point, elle se trouve bien,
Et son honneur, je croy, fait bon marché du mien :
Mon affront est certain, je sçais trop qu’on m’offence,
Mais je ne sçay comment j’en dois tirer vangeance.
Si je fais de l’éclat, tout Paris le sçaura,
790 Et d’un doigt, pour le moins, chacun me montrera.
Si je feins d’ignorer son amour & ma honte,
Demain, sur nouveaux frais, j’en auray pour mon conte.
Si je la fais raser de mon autorité,
Elle se pourvoira contre ma cruauté :
795 Les Juges là-dessus sont sans miséricorde.
Si je la fais mourir, il y va de la corde.
Comment diable punir un semblable Animal?
Le remede par tout est pire que le mal.
Chacun vit des effets dont on souffre les causes ;
800 Car si, comme on devroit, on mettoit ordre aux choses,
Pour le bien du public, n’établiroit-on pas
Des Cocus consultants, comme des Avocats ?
Leur conseil au besoin…Mais j’aperçoy la Belle,
Et Monsieur l’Officier n’a plus que faire d’elle :
805 Mon Neveu l’accompagne. Il faut dissimuler.

SCENE III §

{p. 49}
MONSIEUR LE BLANC, MADAME LE BLANC, DAMON.

MONSIEUR LE BLANC à Damon, qui luy fait la reverence.

Serviteur.
A sa Femme.
Venez-vous de vous faire enrôler ?

MADAME LE BLANC

Comment donc ?

MONSIEUR LE BLANC

Venez-vous de voir faire Reveuë ?
Les Belles du Marais font-elles leur Recruë* ?
Avez-vous mis en vain ces Mouches & ce Point?
810 Et la Coëffeuse enfin…

MADAME LE BALNC

Je ne vous entens point.

MONSIEUR LE BLANC

Taisez-vous, éfrontée !

DAMON

Eh, mon Oncle, de grace…

MONSIEUR LE BLANC

Mon Dieu, mon cher Neveu, ce mystere vous passe,
Vous parlez sans sçavoir : Taisez-vous ! vous ferez,
Quand vous serez Cocu, comme vous l’entendrez.

MADAME LE BLANC

815 A de pareils discours je ne puis rien comprendre.

DAMON

Mais si vostre dessein est de vous faire entendre, {p. 50E}
Expliquez…

MONSIEUR LE BLANC

Je commence enfin à m’échauffer.
Une Femme chez qui l’on aprend à coëffer,
Ne vous ménage pas les lieux où l’on vous meine.
820 Vous ne sortez jamais, & certain Capitaine
Vous embrassant d’abord, bras dessus, bras dessous,
N’a pas tanstot* chez luy… Plaist-il* : m’entendez vous ?

MADAME LE BLANC

Pour flater son amour, j’aurois trahy le vostre ?

DAMON

Qui peut vous avoir fait de tels discours ?

MONSIEUR LE BLANC

A l’autre.
825 Vous plaist-il de vous taire ? Enfin jusques au bout
Vous pensez vous tirer d’affaire, en niant tout ?
Vous croyez que quelqu’un, pour se faire de feste,
M’a fait recit du bois dont on charge ma teste,
Et que j’en fais grand bruit, quand je le crois le moins ;
830 Mais voila la Partie, & voila les Témoins :
Montrant son front, & ses yeux.
J’ay veu de ces deux yeux leur abord & ma honte :
C’est par moy que je sçay que j’en ay pour mon conte.
Elle faisoit la Belle, il s’en disoit charmé ;
Et la Friponne enfin l’a si bien empaumé,
835 Que ce beau Capitaine a sans cerémonie
Commandé, moy present, chez luy, sa Compagnie.
D’un endroit où j’avois pris soin de me placer,
Je les ay veu tous deux se parler, s’embrasser,
Et cherchant à se voir une secrette voye,
840 Faire de cent baisers un prologue à leur joye.

DAMON

Cela n’est pas possible ! Un projet si hardy {p. 51}
Auroit pû s’estre fait…

MONSIEUR LE BLANC

Peste de l’étourdy :
Cette teste à l’évent me prend pour quelque Gruë.
Hé bien, qu’en dites-vous ?

MADAME LE BLANC

Que si vous m’avez veuë,
845 Sans venir faire icy cet éclaircissement,
Vous pouviez me confondre assez facilement ;
Qu’il faloit vous montrer, cette voye estoit seûre.
Que ne paroissiez-vous ?

MONSIEUR LE BLANC

Ah voilà l’encloüeûre.

DAMON

Il est vray, vous deviez vous montrer, & tout haut
850 Luy dire…

MONSIEUR LE BLANC

Mallepeste, il y faisoit trop chaud ;
Quand on risque sa vie, il n’est Femme qui tienne,
Et j’avois ma raison, comme elle avoit la sienne.

MADAME LE BLANC

Il l’a resvé sans doute, & ne se souvient plus
Que c’est l’effet d’un songe.

MONSIEUR LE BLANC

A d’autres là-dessus ;
855 Je ne sçay que trop bien ce qu’il faut que j’en pense.
Rentrez, morbleu, rentrez, & craignez ma vangeance,
Je suis de vos amours un assez bon témoin.

DAMON

Mon Oncle…

MONSIEUR LE BLANC

Mon Neveu, vous prenez trop de soin.

SCENE IV §

{p. 52}
MONSIEUR LE BLANC, DAMON.

DAMON

On doit pour une Femme avoir quelque scrupule.

MONSIEUR LE BLANC

860 Il est vray, je devrois avaler la pilule,
Et dire galamment, sans me rendre importun,
Que le mal n’est plus mal, quand il est si commun ;
Me rendre sur ce point traitable comme un autre.
C’est vostre sentiment, mais ce n’est pas le nostre ;
865 De ces conseils benins, l’usage est bel & bon :
Cependant…

DAMON

Cependant sur un simple soupçon
Vous…

MONSIEUR LE BLANC

Vous estes un fat, & vostre esprit s’érige…

DAMON

Mais…

MONSIEUR LE BLANC

Vous estes un sot avant terme, vous dis-je.
On vous dit qu’on a veu.

DAMON

Sur la foy de ses yeux,
870 Croit-on que ce qu’on voit, soit ce qu’on sçait le mieux ?
Il faut, pour avérer une semblable offence,
D’avec la verité détacher l’aparence,
Ne pas croire toûjours des sentiments si bas.

MONSIEUR LE BLANC

Et que croiray-je donc, ce que je ne voy pas ? {p. 53}
875 Parbleu, vostre morale est d’un admirable Homme !
Lors que je parle à vous, faut-il vous croire à Rome ?
Ou gager* fortement, sur vostre beau discours,
Que vous estes muet, quand vous jazez toûjours ?
J’ay tout veu ; mon offence est-elle assez prouvée ?

DAMON

880 L’étrange opinion ! Où l’aurois-je trouvée,
Pour luy donner la main, & la conduire icy ?

MONSIEUR LE BLANC

En quelque Lieu d’honneur où vous estiez aussy,
Ce n’est pas pour tous deux une chose nouvelle.

DAMON

Je sors de chez ma Sœur, où j’estois avec elle :
885 Elle n’a veu que nous, depuis qu’elle est dehors.

MONSIEUR LE BLANC

Et vous en répondez ?

DAMON

J’en répons.

MONSIEUR LE BLANC

Corps pour corps ?

DAMON

Elle a trop de pudeur, & trop de retenuë,
Pour souffrir…

MONSIEUR LE BLANC

Comment diable, aurois-je eu la berluë ?

DAMON

Outre que j’en répons, elle sçait son devoir :
890 Vos yeux se sont trompez, vous avez crû la voir,
Vous avez sans sujet blessé son innocence,
Sans doute, & c’est l’effet de quelque ressemblance ;
Non que si cet affront estoit bien avéré,
Ce courroux*, à mon sens, ne fût trop modéré :
895 Mais quand on blâme à tort des Femmes vertueuses, {p. 54}
De semblables éclats ont des fuites fâcheuses.
Des exemples du temps, faites-vous des leçons ;
Les soupçons mal fondez, sont toûjours des soupçons ;
Ces doutes indiscrets dont l’ame est obsédée,
900 De l’affront qu’on se fait, laissent toûjours l’idée,
Il n’est dans les esprits jamais bien effacé;
Ce bruit fait son effet, quand on le croit cessé ;
Sur la foy d’un Mary, le monde s’abandonne
A taxer la pudeur de celle qu’il soupçonne,
905 Et ne peut présumer, s’il a trop éclaté,
Qu’elle ait de la vertu, puis qu’il en a douté.

MONSIEUR LE BLANC

Comme vous dites.

DAMON

Si depuis peu sa conduite,
D’un amour aparent vous fait craindre la suite,
Eclaircissez-vous-en sans vous mettre en courroux* ;
910 Tâchez de la convaincre, & pour lors vangez-vous.

MONSIEUR LE BLANC

Il a presque raison.

DAMON

De peur de vous détruire,
Ne faites jusques-là rien qui puisse vous nuire ;
D’un repentir sans fruit épargnez-vous l’ennuy.

MONSIEUR LE BLANC

L’avis n’est point mauvais, & je puis aujourd’huy
915 La convaincre de tout avec un peu d’adresse,
Et je sçais un moyen… Serviteur.

DAMON

Je vous laisse.

SCENE V §

{p. 55}

MONSIEUR LE BLANC seul.

Il raisonne assez bien, je puis m’estre trompé,
Et la peur peut enfin m’avoir préoccupé:
La voyant de costé, la moindre ressemblance
920 A pû de mes soupçons causer la violence:
Je n’ay pû la bien voir ; mais je sçauray bientost
Si l’amour conjugal est chez elle un defaut.
Quelque précaution qu’elle mette en pratique,
J’ay trouvé le secret de la voir sans replique:
925 J’imagine le tour qu’elle prévoit le moins,
Tâchons de voir Cato, j’ay besoin de ses soins,
L'éclat de mes Loüis la tentera sans doute,
Et je veux m’éclaircir enfin, quoy qu’il m’en couste;
Cherchons-la, je prétens, en sortant de ces lieux,
930 Que…Mais tout-à-propos elle s’offre à mes yeux.

SCENE VI §

MONSIEUR LE BLANC, CATO.

CATO

Je vous ay tant cherché, que j’en suis hors d’haleine :
Ma foy, depuis une heure, & plus, je me proméne,
Monsieur ; & graces à vostre opiniâtreté,
J’ay bien esté grondée, & j’ay bien arpenté.

MONSIEUR LE BLANC

935 Pourquoy ? {p. 56}

CATO

Pour n’avoir pû dire vostre demeure,
Lucinde s’est d’abord emportée, & sur l’heure
M’a donné ce Billet, & m’a bien defendu
De rentrer au Logis, qu’il n’ait esté rendu.
Quoy que pour l’apaiser je ne sçeusse où vous prendre,
940 La peur de l’irriter m’a fait tout entreprendre,
Et m’a fait regarder d’icy jusques chez nous,
Vingt Courtauts sous le nez, que je prenois pour vous,
Ce Billet vous dira si sa peine est cruelle,
Et si l’on doit…

MONSIEUR LE BLANC

Voyons du style de la Belle.
Il lit
945 Depuis vostre depart je suis au desespoir,
Et d’un ennuy si grand vostre absence est suivie,
Que j’aime autant perdre la vie,
Que l’esperance de vous voir.
Venez me rassurer, si ma perte vous touche,
950 Rétablir mon repos* d’un mot de vostre bouche ;
Et vous ressouvenez, pour ne m’alarmer plus,
Et de me faire regler mon amour sur le vostre,
Que les momens qu’on passe éloignez l’un de l’autre,
Sont autant de momens perdus.

LUCINDE.

Il continuë.
955 Le Billet est pressant, & la Sœur tient du Frere ;
Tous deux aiment l’intrigue, & tous deux sans mistere
Cherchent secrettement à ménager leurs feux*,
Et la bonne Cato sert d’Agente à tous deux.
Bien loin de s’en fâcher, elle n’en fait que rire.

CATO

960 Il seroit à present trop tard pour en dédire ; {p. 57}
Ils m’ont prise chez eux, Monsieur, pour estre à tout.
Mais ne viendrez-vous pas ?

MONSIEUR LE BLANC

Il faut voir jusqu’au bout.
A part.
Oüy, oüy, j’iray. Ma Femme y reviendra peut-estre,
Et nous verrons beau jeu : Mais prens garde à ton Maistre,
965 Il m’a tantost* pensé faire mourir de peur.

CATO

Ne craignez rien de luy. Jusqu’au revoir Monsieur.

MONSIEUR LE BLANC

Viença, viença, j’ay bien autre chose à te dire.
Comme tu fais plaisir à quiconque aime à rire,
Et que tu sçais enfin, en faveur des galans*,
970 Ce que chaque Quartier a d’honneurs chancelans,
Serois-tu bien d’humeur à chercher une voye
De ménager pour nous un quart-d’heure de joye.

CATO

Que veut dire cela ?

MONSIEUR LE BLANC

C’est à dire, en deux mots,
Que la Coëffeuse peut beaucoup pour mon repos* ;
975 Que pour elle & pour toy je seray sans reserve,
Si vous voulez… Enfin il n’est qu’un mot qui serve ;
Voicy la question. J’aime autant qu’on le peut
Cette belle Bourgeoise à qui ton Maistre en veut :
Oüy, sa beauté tantost* m’a charmé, je l’adore,
980 Et je meurs du desir de la revoir encore.
Si tu veux établir ton bonheur & le sien,
Fais que j’aye avec elle une heure d’entretien* ;
Tu peux, pour me servir, employer ta Compagne,
Ma Chere, mets pour moy la Coëffeuse en campagne.

CATO

985 Quoy, vous aimez Lucinde, & vous voulez en conter ? {p. 58}
Si, comme tout se sçait, elle se peut douter
De vostre amour nouveau, que pourra-t-elle dire ?

MONSIEUR LE BLANC

Rien, ma pauvre Cato ; Va, ce n’est que pour rire,
Je ne luy veux parler qu’un moment.

CATO

Je ne puis,
990 Cette Femme n’est pas…

MONSIEUR LE BLANC

Je donne dix Loüis,
Et ma Bague.

CATO

On verra ce que l’on pourra faire.

MONSIEUR LE BLANC

Que tu fais de façons pour conclure une affaire !
Songe à bien ménager…

CATO

Vous serez satisfait.

MONSIEUR LE BLANC

Dy-moy, quand ce projet aura-t-il son effet ?
995 Le plutost vaut le mieux. Quand verray-je la Belle ?
Penses-tu que pour nous elle soit fort cruelle ?

CATO

Je ne croy pas, Monsieur ; & si vous luy parlez…

MONSIEUR LE BLANC

Où la verray-je enfin ?

CATO

Chez vous, si vous voulez.

A part MONSIEUR LE BLANC

Elle n’y viendroit pas. Non, non, chez la Coëffeuse
1000 Je feray mieux l’aveu* de ma flâme* amoureuse.

CATO

Je le veux. {p. 59}

MONSIEUR LE BLANC

Je prévoy sa honte à mon aspect,
Quand je verray ma Femme en quelque Lieu suspect.
Je voy plus d’un Mary rire à teste levée,
A qui mesme avanture est peut-estre arrivée.
1005 Cato, cela vaut fait.

CATO

Je vous répons de tout.

MONSIEUR LE BLANC

J’iray tantost* chez toy. Feignons jusques au bout.
Je vais revoir ma Femme, & veux à l’amiable
A son honneur douteux faire amande honorable,
Et feindre d’un discours, & d’un air composé,
1010 Pour la mieux abuser, d’estre des-abusé.

Fin du Troisième Acte.

{p. 60}

ACTE IV §

SCENE PREMIERE §

L’ESPERANCE seul.

A la fin, Dieu mercy, j’ons tout ce qui nous faut,
Et je pourrons partir, si je voulons, bientost :
J’ons Mousquets, Baudriers, Epées, Bandoulieres,
Habits, Chapeaux, Souliers, avec dix-neuf bons Freres
1015 Qui ne cherchent qu’à rire ; & j’espere demain,
Quand j’aurons bû trétous six coups de chaque main,
Prendre joyeusement le chemin de la Flandre.
Mon Capitaine, icy, m’avoit dit de l’attendre
Un jour, ou deux; mais zeste, il viendra justement
1020 Comme je dance ; Il fait en quelqu’endroit l’Amant,
Il cajole par tout & petites, & grandes ;
Dieu sçait ce qui s’ensuit. Par ma foy, ces Flamandes
Sont de bonne amitié. Quand je les visitons,
Leurs Marys sont, morgué, plus doux que des Moutons :
1025 Il n’est point d’Officiers qui ne trouvent fortune ; {p. 61}
Et jusqu’à leurs Valets, chacun à sa chacune.
Le bon Païs que c’est, pour une Garnison !
Mais ce raisonnement n’est pas fort de saison,
Allons tout préparer, & faisons diligence.

SCENE II §

L’ESPERANCE, CATO.

L’ESPERANCE

1030 Ah, Cato, ton Valet.

CATO

Ah, bonjour, L’Esperance.
On te cherche par tout, & tu dois nous aider…

L’ESPERANCE

Que veut-on ? me voila.

CATO

Faut-il le demander ?
C’est pour Monsieur le Blanc. Angelique elle-méme
Prépare à le berner, un nouveau stratagéme :
1035 Pour en venir à bout, elle a besoin de toy.

L’ESPERANCE

Je suis prest à bien faire, & tu verras…

CATO

Dy-moi,
N’a-t-elle pas joüé bien plaisamment son rôle
Avec nostre Galant* ?

L’ESPERANCE

Elle est, morgué, trop drôle :
Elle m’a bien fait rire ; & le pauvre lourdaut…

CATO

1040 Tay-toi, nous parlerons de tout cela tantost*. {p. 62}

L’ESPERANCE

Je le veux, aussi-bien il faut que je t’en conte.

CATO

C’est pour une autre fois ; ils sont tous là-haut ; monte
Pour voir ce qu’on te veut.

L’ESPERANCE

Je te l’ay déjà dit,
Mon amour est bien las de te faire crédit :
1045 Depuis plus de dix ans, tu sçais bien que je t’aime ;
Pour un baiser, ou deux, veux-tu…

CATO

Veux-tu toy-méme
Me laisser en repos* ?

ANGELIQUE de dedans* une entrée apelle.

L’Esperance ?

L’ESPERANCE

Monsieur ?

CATO

Va.

L’ESPERANCE la baisant.

Tu n’en es pas quitte. On y va. Serviteur.

SCENE III §

CATO seule.

Peste du gros lourdaut ! voyez, qu’il prend de peine.
1050 Tu n’as qu’à revenir. M’en voilà hors d’haleine.
Qu’il me tarde de voir nostre Galant* icy !
Sa Femme, m’a-t-on dit, devoit s’y rendre aussy.
Cependant l’heure approche, & je ne voy personne ; {p. 63}
Il nous payera bien la peine qu’il nous donne.
1055 Le tour qu’on luy prépare est plaisant, sur ma foy ;
Sa Femme devroit bien venir… Mais je la voy.

SCENE IV §

MADAME LE BLANC, CATO.

CATO

Je craignois bien qu’icy vous ne pûssiez vous rendre.

MADAME LE BLANC

A quoy passe le temps, Lucinde ?

CATO

A vous attendre.
Et moy, j’attens aussi que Monsieur vostre Epoux
1060 Vienne, comme il l’a dit, tantost* au Rendez-vous.
Angelique & Damon joindront leurs soins aux vostres.

MADAME LE BLANC

Que son humeur me plaist !

CATO

Elle plaist à bien d’autres.

MADAME LE BLANC

Je brûle de les voir, pour sçavoir quelle peur
On luy veut faire encor.

CATO l’arrestant

Si vous estiez d’humeur
1065 A garder un secret…

MADAME LE BLANC

Parle, je sçais me taire.

CATO

Je puis vous confier une assez bonne affaire ;
L’occasion vous rit, & je sçais un moyen, {p. 64}
Si vous me promettez que vous n’en direz rien,
De ménager pour vous…

MADAME LE BLANC

Ah ce doute m’offence.

CATO

1070 Vous sçaurez donc…

MADAME LE BLANC

Hé bien ?

CATO

Qu’un Galant* d’importance
Est amoureux de vous, & que pour vous gagner
Il est dans le dessein de ne rien épargner :
Outre ce que pour vous il aura de tendresse*,
Il a des tas d’écus dont il vous fait maistresse ;
1075 Et son cœur & son bien sont à vous aujourd’huy,
Si vous voulez passer une heure avecque luy.
Je me suis engagée à vous porter parole,
Et crû vous obliger*.

MADAME LE BLANC

Depuis quand es-tu folle ?
Veux-tu qu’en profitant de tes bonnes leçons,
1080 Je donne rendez-vous…

CATO

Mon Dieu, que de façons !
Pourquoy non ?

MADAME LE BLANC

Tu prétens que son argent m’oblige*,
Malgré ce que je dois…

CATO

Oüy, ce Galant*, vous dis-je,
Verra par des faveurs récompenser son choix,
Et ce ne sera pas pour la premiere fois.

MADAME LE BLANC

1085 Pour la premiere fois ! Tu peux… {p. 65}

CATO

Il me le semble,
Et vous avez passé de bons momens ensemble.

MADAME LE BLANC

Je commence à trouver ce discours ennuyeux :
C’est porter un peu loin l’insolence à mes yeux ;
Mais tu peux t’assurer que devant* que je parte…

CATO

1090 Nous ne jurons de rien, mais nous sçavons la Carte.
Cependant le Galant*, pour vous voir, doit venir;
J’ay donné ma parole, & prétens la tenir :
Il m’a fort bien payée, & m’a donné sa Bague,
Et des Loüis forts bons ; voyez si j’extravague.

MADAME LE BLANC

1095 Montre, je la connois… Je croy…

CATO

Cela se peut.

MADAME LE BLANC

Qu’elle est à mon Mary.

CATO

C’est luy qui vous en veut.
Depuis qu’il vous a veuë en ce lieu si docile,
Il croit que vous allez chercher fortune en Ville,
Qu’à faire des galans* vous avez du panchant,
1100 Que c’est par mon moyen que vous trouvez Marchand ;
Et prétend, pour régler son amour sur le vostre,
Estre pour son argent, bien venu comme un autre.
Hé bien, le verrez-vous tantost* ?

MADAME LE BLANC

Helas ! je crains
Qu’il n’ait contre mes jours fait d’étranges desseins,
1105 Et que l’on ait trop loin poussé la raillerie.

CATO

On va, pour l’apaiser, changer de batterie, {p. 66 F}
Ne vous allarmez point. Dans une heure d’icy
Vous en verrez l’effet. Mais quelqu’un vient icy,
Rentrez, c’est vostre Epoux. Dites à ma Maistresse
1110 Qu’elle songe à son rôle.

MADAME LE BLANC

Il suffit, je te laisse.

SCENE V §

MONSIEUR LE BLANC, CATO.

MONSIEUR LE BLANC

Comment va nostre affaire ?

CATO

Eh tout ira fort bien.

MONSIEUR LE BLANC

Bon : Et le Capitaine ?

CATO

Allez, n’en craignez rien.

MONSIEUR LE BLANC

Ce n’est pas sans sujet que ma peur est extréme ;
Et tu sçais que tantost*

CATO

Oh ce n’est pas de mesme,
1115 Il est hors du Logis, & pour tout aujourd’huy
Il est avec un tas de Vauriens comme luy,
Pour faire la débauche, & Dieu nous en délivre :
Il faudra que tantost* il creve, ou qu’il s’enyvre ;
Et je croy, comme enfin il n’en fait pas façon,
1120 Que quand nous le verrons, il sera beau Garçon.

MONSIEUR LE BLANC

Mais comme de Bacchus Vénus aime l’aproche, {p. 67}
As-tu pour son retour, quelque Mignonne en poche ?
De l’humeur dont il est, tu dois prendre ce soin.

CATO

Ma foy, je ne croy pas qu’il en ait grand besoin :
1125 C’est pour vous que je veux employer mon adresse.

MONSIEUR LE BLANC

C’est bien fait : Mais, dy-moi, verray-je ta Maistresse ?
Pourray-je luy parler, & veux-tu t’employer…

CATO

Oüy, Monsieur, attendez, je vay vous l’envoyer.

SCENE VI §

MONSIEUR LE BLANC seul.

Pour finir l’embarras d’un amour qui me gesne*,
1130 Je veux tout hazarder, pour soulager ma peine :
Aussi-bien, tost ou tard, Lucinde peut sçavoir
Que c’est pour la tromper, que je cherche à la voir ;
Et si le Capitaine en aprend quelque chose,
Je suis un Homme mort ; Ainsi je me propose
1135 De voir si sur l’espoir d’estre ma Femme un jour,
Lucinde me voudroit prester un peu d’amour ;
Tâcher de l’engager, voir si par ma morale
Sa sagesse pourroit avoir quelque intervalle ;
Essayer si de nous rien ne la peut tenter,
1140 Et selon le succés, la suivre, ou la quitter.
Lucinde est Fille & jeune, innocente, ingénuë,
Peu de chose souvent leur donne dans la veuë ;
Et quand on se prévaut de leur simplicité, {p. 68}
On peut… Mais reprenons un peu de gravité,
1145 La voicy.

SCENE VII §

MONSIEUR LE BLANC, LUCINDE.

MONSIEUR LE BLANC

Revenu d’une frayeur mortelle,
Je ramene à vos pieds un Protestant fidelle,
Passablement poltron : Mais nous autres Bourgeois,
Qui faisons volontiers l’amour en tapinois,
Nous n’aimons pas le bruit, & pour sauver la vie…

LUCINDE

1150 La vostre assurément vous eust esté ravie :
Mon Frere est si brutal, que je bénis le Sort
D’avoir par ce moyen empesché vostre mort,
Et je ne puis assez loüer vostre conduite :
Mais comme ce malheur peut avoir quelque suite
1155 Qui feroit de l’éclat, empeschons-en le cours ;
Faites, sans diférer, l’aveu* de nos amours ;
De grace, proposez nostre Hymen* à mon Frere.

MONSIEUR LE BLANC

S’il s’opose…

LUCINDE

Et pourquoy nous seroit-il contraire ?
Vous estes riche ?

MONSIEUR LE BLANC

Un peu.

LUCINDE

Bien fait ? {p. 69}

MONSIEUR LE BLANC

Sans vanité.
1160 Nous avons le bon air. Pour de la qualité…

LUCINDE

Ah je regarde en vous vostre seule Personne.
Luy proposerez-vous… Dites donc ?

MONSIEUR LE BLANC

Oüy, Mignonne.

LUCINDE

S’il y veut consentir, si rien ne le retient,
Quand épouserons-nous ?

MONSIEUR LE BLANC

La Semaine qui vient.

LUCINDE

1165 C’est l’unique bonheur où mon amour aspire.
Quoy, je serois à vous ?

MONSIEUR LE BLANC

Cela va sans dire.
Si par quelque accident qu’on ne peut pas prévoir,
Cet Hymen* se devoit ou remettre, ou surseoir,
Nous pourrons établir entre nous, sous silence,
1170 Un commerce galant d’Hymen* de conscience,
Diférer pour un temps les Bancs & le Festin,
Payer au Dieu d’Hymen* un tribut clandestin,
En faveur de nos feux* nous rendre un peu credules,
Brûler de bonne-foy d’un amour sans scrupules,
1175 Faire moins un présent qu’un troc de nostre cœur,
Laisser tranquillement meurir nostre bonheur,
Et par quelques douceurs où nous puissions prétendre,
Nous consoler souvent du déplaisir d’attendre.
C’est un expedient qui peut nous rendre heureux.

LUCINDE

1180 Il est vray, c’en est un, mais il est dangereux : {p. 70}
Un pareil Mariage…

MONSIEUR LE BLANC

Ah c’est le plus commode,
Le moins embarassant, & le plus à la mode.
Quand d’un Hymen* en forme on avance l’effet,
Le jour qu’on se marie, on ne sçait ce qu’on fait.
1185 Dedans* l’ardeur que cause un feu qui vient de naistre,
On s’engage à l’Hymen*, sans la sçavoir connoistre ;
Et le bonheur enfin s’y trouve rarement,
Quand le caprice agit sans le discernement :
Autant que l’on le peut, on doit, quoy qu’il arrive,
1190 En matiere d’Hymen*, faire une tentative.
Devant tous les Humains, je soûtiens qu’il est vray,
Que qui tend à l’Hymen*, en doit faire l’essay,
Que la joye à ce Dieu doit servir d’entremise,
Et que faire autrement, c’est faire une sottise.

LUCINDE

1195 Que vous raisonnez juste !

MONSIEUR LE BLANC

Oh, oh. Cela posé,
Nous pourrons contracter un Mariage aisé ;
Sans rien précipiter, nous pourrons, quoy qu’on die,
Ordonner à loisir de la Cerémonie,
Du Cadeau, des Habits : Quant à vos interests,
1200 Vous en déciderez, ainsi que des aprests.

LUCINDE

Rien n’est plus obligeant.

MONSIEUR LE BLANC

Si vous estes contente
D’un Epoux possedant deux mille écus de rente,
Je suis vostre Homme, & puis vous en faire present
Quand je voudray, demain, ou bien en épousant ;
1205 Et pour vous faire voir à quel poinct je vous aime, {p. 71}
Vous ferez le Contract, si vous voulez, vous-mesme ;
Et vous pourrez de plus y mettre à vostre choix,
Si vous le souhaitez, la clause des six mois.

LUCINDE

A vous dire vray, j’entens peu les affaires :
1210 Mais comme je vous crois enfin des plus sincéres,
A suivre vos avis, mon amour se résout.

MONSIEUR LE BLANC

Comment…vous consentez…

LUCINDE

Oüy, je consens à tout.
Dés ce mesme moment vous avez une Femme.

MONSIEUR LE BLANC

A part.
Elle a raison. Que c’est de gloire pour ma flâme* !

LUCINDE

1215 Vous voyez que pour vous je fais un grand effort :
Mais pour m’en dispenser, mon amour est trop fort ;
Vostre discretion jointe à vostre tendresse*,
Seront, si vous m’aimez, le prix de ma foiblesse.

MONSIEUR LE BLANC

Oüy, je proteste icy de n’aimer rien que vous,
1220 Et que pour mériter des sentiments si doux,
Je seray moins sans vous que le corps n’est sans ombre :
Angelique paroist, & l’observe.
Je veux pour le prouver, par des baisers sans nombre,
Devorer à genoux & ces mains, & ces bras.
Il se met à genoux, en luy baisant la main

SCENE VIII §

{p. 72}
ANGELIQUE, M. LE BLANC, LUCINDE.

ANGELIQUE luy prenant le bras.

Alte-là, vieux Magot*, vous vous baissez trop bas.

MONSIEUR LE BLANC

1225 Morbleu, je suis perdu !

ANGELIQUE

Comment ! en ma presence
Vous luy baisez la main, Faquin ? Vostre insolence
A mon insçeu, ceans*, attente à mon honneur,
Et vous venez chez moy pour suborner ma Sœur ?
Et ma honte, & ta mort, également certaine,
1230 Feront voir…
Elle tire l’épée, & fait semblant de vouloir le fraper.

MONSIEUR LE BLANC baissant la teste.

Ah tout doux, Monsieur le Capitaine.

LUCINDE le retenant.

Mon Frere…

MONSIEUR LE BLANC

Je croyois avoir la teste à bas.

LUCINDE

Avant que m’écouter, ne vous emportez pas!

ANGELIQUE

Que faut-il écouter ? Coquette que vous estes,
Vous prestez donc ainsi l’oreille à ses sornettes ?
1235 Vous aimez ce vieux Singe ? il vous baise la main ? {p. 73}
Par la mort… Vous sçaurez…
Elle fait feinte de luy donner de l’épée.

LUCINDE

Je le niërois en vain.

ANGELIQUE

On me l’avoit bien dit, que contre ma defense
Vous voyiez un Pié-plat* ceans* en mon absence,
Et que de vos amours on murmuroit tout-bas.

LUCINDE

1240 Oüy, mon Frere, il est vray, je ne m’en défens pas :
De grace, à cet amour soyez plus favorable,
Il m’a rendu des soins, il m’a trouvé aimable,
Il m’adore, je l’aime, & vous pouvez sçavoir
Ce que c’est que l’Amour, & quel est son pouvoir.

ANGELIQUE

1245 L’amour dont il s’agit, aprend-il qu’une Fille,
Et de nobles Parens, & d’illustre Famille,
Doit faire un tel affront à tout une Maison ?

LUCINDE

L’Amour prend-il toûjours avis de la Raison ?

ANGELIQUE

Ah pour vous en punir, je prendray peu des vostres :
1250 Ce galant* servira d’exemple à tous les autres.
Elle le menace de l’épée.

MONSIEUR LE BLANC

Helas !

ANGELIQUE

Vous aprendrez à respecter en moy
Un Capitaine en pied du Regiment du Roy,
Dieu me damne : Et pour vous, je vous tiendray bien fine,
Si vous faites jamais l’amour à la sourdine.

LUCINDE

1255 Non, non, j’attens de vous une plus douce loy ; {p. 74 G}
J’espere que le sang vous parlera pour moy ;
Que malgré ce courroux*, vos bontez que j’implore,
Donneront à mes pleurs un Amant que j’adore.
Non, je ne puis penser que vous blâmiez ce choix,
1260 Sur tout quand vous sçaurez que c’est un bon bourgeois
Qui m’aime d’une ardeur & sincére & constante,
Qui m’offre, avec son cœur, deux mille écus de rente,
Qui prétend m’épouser, & me donner la main,
Si vous y consentez, mon Frere, & dés demain.

ANGELIQUE

1265 Monsieur a, dites-vous, deux mille écus de rente,
Et veut vous épouser ?

LUCINDE

Oüy.

ANGELIQUE

Vous estes contente
De l’avoir pour Epoux ?

LUCINDE

Mon amour affermy…

ANGELIQUE

En ce cas, je rengaîne, & je suis son amy.
Elle l’embrasse.
Excusez le transport* qu’une douleur mortelle
1270 A causé contre vous.

MONSIEUR LE BLANC

C’est une bagatelle.
A part.
Nos affaires vont mieux.

ANGELIQUE

Vous aimez donc ma Sœur ?

MONSIEUR LE BLANC

Bas.
Feignons.
Haut.
Terriblement.

ANGELIQUE

Et nous faites l’honneur
De la vouloir choisir pour estre vostre Femme ? {p. 75}

MONSIEUR LE BLANC

Ah l’honneur m’en demeure.
Bas.
Il est bon, sur mon ame.

ANGELIQUE

1275 Vous avez amassé de grands biens par vos soins ?

MONSIEUR LE BLANC

Deux fois vingt mille écus parisis, pour le moins ;
Et pour les augmenter, tous les jours je m’occupe.
A part.
Le drôle croit avoir déjà trouvé sa dûpe.

ANGELIQUE

Bien loin de m’oposer à des feux* si constans,
1280 Je veux contribuer à vous rendre contens :
J’aime à voir tant d’amour, & déjà par avance
Je vous aime en Beaufrere.

MONSIEUR LE BLANC

Ah trop d’honneur.

ANGELIQUE

Je pense
Que pour l’Hymen* mes soins ne vous déplairont pas.

MONSIEUR LE BLANC

Tant-s’en-faut.

ANGELIQUE

Je vais tout disposer de ce pas :
1285 Et pour vous faire voir combien je veux vous plaire ;
L’Esperance?

SCENE IX §

{p. 76}
L’ESPERANCE, ANGELIQUE, M. LE BLANC, LUCINDE.

L’ESPERANCE

Monsieur ?

ANGELIQUE

Va querir un Notaire.
Je vous fais marier dans ce mesme moment.

MONSIEUR LE BLANC

Me marier ? Monsieur L’Esperance ?

ANGELIQUE

Comment ?

MONSIEUR LE BLANC

Ne précipitons rien, s’il vous plaist.

ANGELIQUE

Cette voye,
1290 En nous comblant d’honneur, assure vostre joye,
Et quand l’amour est fort, il est hors de raison.

MONSIEUR LE BLANC

N’importe, diférons de grace, & pour raison.

ANGELIQUE

Et pourquoy diferer ? Va, depesche, & l’ameine.
L’Esperance part.

MONSIEUR LE BLANC

Ah me voila gasté ! N’en prenez pas la peine.
1295 Demeurez. Attendez. Ah, morbleu, que d’ennuis !

ANGELIQUE

Quelle est vostre raison ? {p. 77}

MONSIEUR LE BLANC

Monsieur…

ANGELIQUE

Hé bien ?

MONSIEUR LE BLANC

Je suis
Un Homme… qui…

ANGELIQUE

Comment ? quelles mines vous faites !

MONSIEUR LE BLANC

Je vous dis que je suis…

ANGELIQUE

Ma Sœur dit que vous estes
Un honneste Bourgeois ; & m’assure de plus,
1300 Que vostre revenu monte à deux mille écus.

MONSIEUR LE BLANC

Il est vray.

ANGELIQUE

Je n’en veux pas sçavoir davantage.

MONSIEUR LE BLANC

Mais, Monsieur… vous sçaurez…

ANGELIQUE

Cela suffit.

MONSIEUR LE BLANC

J’enrage.

ANGELIQUE

Mais pour estre assuré de ma Sœur & de vous,
Je prétens qu’à l’instant vous soyez son Epoux :
1305 C’est vous parler François, si vostre amour m’oblige*.
Ces détours à la fin…

MONSIEUR LE BLANC

Monsieur, je suis, vous dis-je…
J’ay pour certaine affaire… un certain embarras… {p. 78}
Attendons à demain.

ANGELIQUE

Cela ne se peut pas ;
Demain je prens la Poste, & je retourne en Flandre.
1310 Ma Sœur, ainsi que moy, se lasseroit d’attendre,
Et je veux aujourd’huy vous la voir épouser.

MONSIEUR LE BLANC

Ah je voy bien qu’en vain je veux temporiser.
Hé bien, si vous voulez en sçavoir davantage,
Je suis…

ANGELIQUE

Quoy ?

MONSIEUR LE BLANC

Marié, Monsieur, & j’en enrage.

ANGELIQUE

1315 Vous avez une Femme, & subornez ma Sœur ?
Ah ventre, vous mourrez !
Elle tire l’épée.

MONSIEUR LE BLANC

Ah la vie.

L’ESPERANCE la retenant.

Eh Monsieur,

ANGELIQUE

Moy l’épargner ? Non, non, il faut qu’il meure.

MONSIEUR LE BLANC

Misericorde ! helas !

L’ESPERANCE

Comme ce vieux Fou pleure.

ANGELIQUE

Il mourra de ma main.

L’ESPERANCE

Eh ne le tuez pas :
1320 Morgué, vous sçavez bien qu’il nous faut vingt Soldats,
Je n’en ons que dix-neuf, qu’il fasse le vingtiéme, {p. 79}
Il portera fort bien un Mousquet.

MONSIEUR LE BLANC

Moy ?

L’ESPERANCE à part à M. le Blanc

Vous-mesme.

MONSIEUR LE BLANC

Je suis trop pacifique, & c’est mon grand defaut.

ANGELIQUE

Hé bien, j’en suis d’accord, qu’on l’enrôle au plutost,
1325 Et le conduis demain avecque la Recruë*
A nostre Garnison.

MONSIEUR LE BLANC

Ah cet ordre me tuë.
Me mener à la Guerre ! Ah j’aime autant périr,
J’y mourray tous les jours de la peur de mourir.
Monsieur, de bonne-foy, je suis poltron en diable,
1330 Ayez pitié de moy, je suis inconsolable.

ANGELIQUE

Tu répondras de luy.

MONSIEUR LE BLANC

J’aime autant le trépas,
Que d’aller à la Guerre.

ANGELIQUE

Hé bien, tu n’iras pas,
Tu seras satisfait ; & je te vais, infame,
Faire à travers ton corps, un passage à ton ame.
Mettant la main à son épée.

MONSIEUR LE BLANC

1335 J’iray, Monsieur, j’iray, quoy que poltron & vieux ;
Et mourir pour mourir, le plus tard vaut le mieux.

LUCINDE

Vous avez une Femme ?

ANGELIQUE

à Lucinde fort.
Evitez ma presence, {p. 80 Giiij}
Coquette, & redoutez l’éclat de ma vangeance.
A M. le Blanc.
Tu prends le bon party.
A l’Esperance.
Qu’on le fasse sans bruit
1340 Partir devant* le jour, ou mesme cette nuit.
Fais-le équiper de tout.

L’ESPERANCE

bas.
J’auray soin de l’aubade,
Reposez-vous sur moy. Suivez-moy, Camarade.

MONSIEUR LE BLANC

Camarade ? Le Gueux ! Ce Goujat, sans façon,
Vit avec moy déjà de pair & compagnon.

L’ESPERANCE

1345 Je suis parbleu ravy que vous soyez des nostres.

MONSIEUR LE BLANC

Fort-bien. Avec le temps nous en verrons bien d’autres.

Fin du Quatrième Acte.

{p. 81}

ACTE V §

SCENE PREMIERE. §

LUCINDE, DAMON.

DAMON

Est-il bien vray, Madame?

LUCINDE

Oüy, je viens de sçavoir
Que mon Frère, au plus-tard, arrivera ce soir.

DAMON

Mon malheur désormais n’a plus rien qui m’étonne*;
1350 Et charmé de l’espoir que ce retour me donne,
Je me flate de voir que mon cœur et mes soins,
Apres un tel aveu*, ne vous plairont pas moins;
Qu’en faveur d’un amour que vous avez fait naistre,
Vous voudrez bien permettre au vostre de paraistre,
1355 Et soufrir que j’adjoûte, en me donnant à vous,
Au nom de vostre Amant, celuy de vostre Epoux.

LUCINDE

Si je sçay jusqu’où va pour moi vostre tendresse*,
Vous connoissez pour vous combien je m’intéresse.
Je ne puis jusques-là vous rien dire de plus:
1360 Mais sans perdre le temps en discours superflus,
Voyons par quel moyen nous pourrons faire en sorte {p. 82}
D’avoir pour cet Hymen* l’aveu* qui nous importe;
Ma Cousine est là haut, et sans sortir d’icy,
Nous en pourrons sçavoir…

DAMON

Madame, la voicy.

SCENE II §

LUCINDE, ANGELIQUE, DAMON, MADAME LE BLANC.

ANGELIQUE

1365 Vous craignez?

MADAME LE BLANC

Oüy, je crains quand vous serez connüe…

ANGELIQUE

Ne vous allarmez point, je réponds de l’issuë.

DAMON

Vostre Cousine sent son petit Libertin.

ANGELIQUE

Hé bien ay-je bon air à faire le mutin?

DAMON

Oüy, sans doute. Que fait Monsieur le Blanc? Je pense…

ANGELIQUE

1370 Il est entre les mains du brave l’Espérance:
Il est, quoy que grossier, assez dépaïsé;
Il en rendra bon compte.

DAMON

Il sera donc aisé…

ANGELIQUE

Je vous ay tanstot* dit ce que vous devez faire.

DAMON

Il m’en souvient, Madame, et j’en fais mon affaire.

ANGELIQUE

1375 Cato secondera vos soins. Quant à l’effet… {p. 83}
L’Espérance paroist, sçachons ce qu’il a fait.

SCENE III §

LUCINDE, ANGELIQUE, DAMON, M. LE BLANC, L’ESPERANCE.

L’ESPERANCE en riant

Ce que j’ons fait? Morgué, j’avons fait des merveilles:
Si quelqu’un l’entend mieux, je donne mes oreilles.
Vostre Monsieur le Blanc est un drôle de corps!
1380 Il voudroit, pour un bras, pouvoir estre dehors;
Je viens de l’enrôler et d’orner sa Figure*,
En me divertissant, d’un bon Habit de bure;
De l’équiper de tout: Mais le régal estoit
De voir, en l’habillant, comme il se tourmentoit;
1385 Pour en venir à bout, il falloit des machines,
Et c’estoit le plaisir car il faisoit des mines
Et des contorsions qui vous auroient fait peur:
J’en ay ry tout mon soû. Je voudrois de bon cœur
Que vous l’eussiez pû voir, la peste me renie;
1390 Cela valoit morgué mieux qu’une Comédie.
Il tâche à se resoudre, et croit que de pas…

ANGELIQUE

Mais où l’as-tu laissé?

L’ESPERANCE

Je l’ay laissé là-bas
Avec ces aigres-fins que je mene à l’Armée,
Qui luy souflent au nez du tabac en fumée;
1395 Plus ils faisaient les fous, plus il est sérieux. {p. 84}

ANGELIQUE

Il est bien étonné de se voir avec eux.

L’ESPERANCE

Oüy, ma foy, car ce sont d’assez bonnes Figures*.

ANGELIQUE

Ah que pour mon dessein j’ay mal pris mes mesures!
Avecque mon épée il blessera quelqu’un.

L’ESPERANCE

1400 Bon ; Son épée, et rien, Madame, c’est tout un:
Vous verrez là-dessus son attente trompée;
J’ay tantost fait river le bout de son épée.

ANGELIQUE

Le brave L’Esperance entend à demy-mot.

L’ESPERANCE

Je ne nous mouchons pas de la patte d’un Sot,
1405 Madame, et Dieu mercy j’y mettons bien la nostre.

ANGELIQUE

Il faut que ce discours fasse place à quelqu’autre.
Commençons.

L’ESPERANCE

Je l’entends, il a fait bande à part.
Si vous voulez bien rire, écoutez-le à l’écart.

SCENE IV §

M. LE BLANC seul sur le Théâtre, avec son habit de Soldat, et les autres dans une Entrée.

Quel équipage*, helas! ma peine est sans seconde;
1410 Il faut aller en Flandre, ou bien en l’autre Monde,
Me voir en Garnison, pour me sauver de pis,
Et quitter pour jamais la vie, ou mon Païs.
C’en est fait, me voilà, malgré ma résistance, {p. 85}
Soldat de la façon de Monsieur L’Espérance;
1415 Ce Fripon m’a donné deux écus malgré moy,
M’a fait boire sans soif à la santé du Roy,
A paré vingt Pié-plats* de semblables jaquettes,
A mis en marmotant mon nom sur ses tablettes,
A troqué de son chef, sans consulter mon choix,
1420 En habit de Goujat, mon habit de Bourgeois;
S'est moqué du malheur où mon amour m’expose,
Et s’est fait mon Parain, pour m’appeler la Roze.
Si pour me consoler, et pour servir le Roy,
Tous les Cocus venoient en Flandre avec moy,
1425 Je pourrois me vanter, malgré la raillerie,
D’aller en Garnison en bonne compagnie.
Si je trouvois moyen de sortir de ceans*….
Mais j’aperçoy Cato, prenons mieux nostre temps.

SCENE V §

MONSIEUR LE BLANC, CATO.
Et le reste dans l’Entrée.

MONSIEUR LE BLANC

Elle pleure, je croy. Qu’as-tu, ma Chere? écoute;

CATO faisant la pleureuse.

1430 Vous avez mis ceans*, Monsieur, tout en déroute;
Et nostre Maitre….

MONSIEUR LE BLANC

Hé bien?

CATO

Il est pis qu’enragé,
Là-haut, en vous quittant, il a tout ravagé;
Lucinde auroit sans nous essuyé sa colere, {p. 86}
Il la vouloit tuer. Voyez la belle affaire!

MONSIEUR LE BLANC

1435 Il n’en a rien fait?

CATO

Non; mais devant* qu’il soit nuit,
Il la veut du Logis faire emmener sans bruit,
Et veut que... La douleur m’empesche la parole.

MONSIEUR LE BLANC

Hé bien, dis, que veut-il?

L’ESPERANCE dans l’Entrée.

Elle fait bien son rôle.

CATO

Qu’elle aille pour pleurer ses funestes amours,
1440 Passer dans un Couvent le reste de ses jours.

MONSIEUR LE BLANC

Quel malheur! Je croyois que tu m’allois apprendre
Qu’il eust fait enrôler, pour l’envoyer en Flandre.

CATO

Où voyez-vous qu’un Homme à qui l’on s’est fié,
Cherche à tromper les Gens, quand il est marié?

MONSIEUR LE BLANC

1445 Mais où diable vois-tu, toy qui me fais la mine,
Qu’on enrôle les Gens, pour aimer leur Voisine?

CATO

Sans vous flater, Monsieur, vous le méritez bien.
Vous estes bien heureux…

MONSIEUR LE BLANC

Quittons cet entretien*,
Et me dis, aussi bien le souvenir me blesse,
1450 S’il n’est aucun moyen de tenir ta promesse
Touchant cette Beauté qui venoit visiter…

CATO

Elle est là-haut, Monsieur, elle y vient de monter.

MONSIEUR LE BLANC

Elle vient visiter Monsieur le Capitaine? {p. 87}

CATO

Voyant qu’à l’adoucir nostre adresse estoit vaine,
1455 Ne sçachant plus que faire, ou dequoy m’aviser,
Je la viens d’amener, afin de l’apaiser.

MONSIEUR LE BLANC

Si tu veux voir mes maux meslez de quelque joye,
Cato, fait, s’il se peut, qu’un moment je la voye.
Tu m’as fait espérer…

CATO

Comment faire, Monsieur?

MONSIEUR LE BLANC

1460 Que fait le Capitaine?

CATO

Il est avec sa Sœur.

MONSIEUR LE BLANC

Profitons de ce temps, Cato.

CATO

Comment s’y prendre?

MONSIEUR LE BLANC

Comment? Va de sa part la prier de descendre;
Dy-luy qu’il est icy.

CATO

Ne verra-t-elle pas…

MONSIEUR LE BLANC

J’éteindray la chandelle, et luy parleray bas.
1465 Je n’attens pour partir, dedans* cette occurrence,
Que la commodité de Monsieur L’Espérance:
Il est nuit; à mes feux* cesse de t’oposer,
Va…

CATO

Je n’ay pas le cœur de vous rien refuser,
Je risque tout pour vous; Je vais querir la Belle;
1470 Quand vous nous entendrez, éteignez la chandelle.

SCENE VI §

{p. 88}

MONSIEUR LE BLANC seul.

Mieux que je n’esperois, mes soins ont reüssy,
Et j’auray le plaisir de partir éclaircy.
Il vaut mieux, à mon sens, quelque soin qu’il en coûte,
Estre seur une fois, qu’estre toûjours en doute ;
1475 Cet éclaircissement peut-estre produira…

SCENE VII §

L’ESPERANCE, M. LE BLANC.

L’ESPERANCE

Eh, la Roze?

MONSIEUR LE BLANC

Plaist-il* ?

L’ESPERANCE

Que diable fais-tu là?

MONSIEUR LE BLANC

Ah j’enrage, mon Corps va changer de demeure.

L’ESPERANCE

Je nous en vons partir.

MONSIEUR LE BLANC

Quand partir?

L’ESPERANCE

Tout-à-l’heure*.
As-tu ce qu’il te faut dedans* ton Havre-sac?
1480 T’es-tu fait acheter des Pipes, du Tabac?

MONSIEUR LE BLANC

Non, & n’ay point mangé depuis que l’on me traitte… {p. 89}

L’ESPERANCE

Va, je boirons un coup tanstot* à la Villette;
Marche à moy.
Il fait semblant de marcher.

MONSIEUR LE BLANC

Comment donc, partir si promptement?
Diférons, s’il se peut, d’une heure seulement.

L’ESPERANCE

1485 Il est morgué plaisant ! Veux-tu que pour te plaire,
Avec mon Commandant je me fasse une affaire?
Marche.

MONSIEUR LE BLANC

Mais…

L’ESPERANCE le tirant par le bras

Marche donc, ou tu seras traitté…

MONSIEUR LE BLANC

Prenez ces trois Loüis pour boire à ma santé,
Et ne me forcez point…

L’ESPERANCE ostant son chapeau, et lui faisant la reverence.

Ah Monsieur de la Roze,
1490 Deux heures plus ou moins, ne font rien à la chose;
Je partirons tanstot*, puis que vous le voulez;
Je m’en vay boire un coup en attendant.

MONSIEUR LE BLANC

Allez.

SCENE VIII §

MONSIEUR LE BLANC seul.

Sans argent, mille coups relançoient ma prière.
J’entens venir quelqu’un, éteignons la lumière.
{p. 90 H}

SCENE IX §

CATO, MONSIEUR LE BLANC, MADAME LE BLANC.

CATO

1495 Monsieur, voilà Madame.

MONSIEUR LE BLANC

Il suffit, laisse-nous :
Ecoutons.

MADAME LE BLANC

Vous voyez ce que je fais pour vous;
Je fais tous mes plaisirs, du bonheur de vous plaire.

MONSIEUR LE BLANC

C’est elle, c’est la voix. Dieu me damne, ma Chère,
Je brûlois de vous voir, & ce dernier aveu*
1500 Va porter à l’excés ce que je sens de feu;
Vos bontez me font voir qu’il n’a rien qui vous blesse.

MADAME LE BLANC

Non, vous ne sçavez point jusqu’où va ma tendresse*,
Combien de vous aimer je me fais une loy,
Ny combien votre amour a de charmes pour moy.
1505 Jamais…

MONSIEUR LE BLANC

Pour le bonheur que vostre amour m’anonce,
Souffrez que ce baiser me serve de réponce.
A part.
L’éfrontée! elle croit estre avec son Amant,
Et reçoit ses baisers fort amiablement.

MADAME LE BLANC

M’aimerez-vous toûjours? Helas! que j’aprehende…

MONSIEUR LE BLANC

1510 Si je vous aimeray? La plaisante demande!
On dit que vous avez un singe de Mary; {p. 91}
N’auriez-vous point pour luy le cœur trop attendry?
Sur quelque empressement que mon espoir se fonde,
C’est vostre Epoux.

MADAME LE BLANC

Hors vous, tous les Hommes du Monde,
1515 Quelque soin que l’on prît à me prouver leurs feux*,
Ne peuvent rien avoir de charmant à mes yeux :
Enfin vous estes seul le maistre de mon ame,
Mon cœur ne sent d’amour que pour vous.

MONSIEUR LE BLANC

Ah l’infame !
Vous passerez la nuit ceans*; & vostre Epoux…

MADAME LE BLANC

1520 Je le veux bien pourveu que ce soit avec vous.

MONSIEUR LE BLANC bas.

C’est parler sans enigme, & j’en ay pour mon conte.
Il veut tirer son épée, & ne peut.
Ton sang, ame sans foy, va reparer ma honte;
Je suis suffisamment instruit de tes amours.
Le voila cet Epoux.

MADAME LE BLANC s’enfuyant.

Au secours.

SCENE X §

MONSIEUR LE BLANC, CATO.

CATO

Au secours,
1525 A l’aide. Ces transports* vous sont-ils ordinaires?
Estes-vous fou, Monsieur?

MONSIEUR LE BLANC

Chacun sçait ses affaires. {p. 92}

CATO

Vous, insulter ceans* une Femme d’honneur?

SCENE XI §

M. LE BLANC, CATO, DAMON.

DAMON

Qui cause un tel desordre en ce Logis?

CATO

Monsieur.

DAMON

Mon Oncle?

MONSIEUR LE BLANC

Vous sçaurez…

DAMON

En un tel equipage*!
1530 Vous, aller à la Guerre!

MONSIEUR LE BLANC

On m’a fait…

DAMON

A vostre âge!
Un notable Bourgeois, un Homme de bon sens,
Quitter, à nostre insçeu, Maison, Femme, Parens!

MONSIEUR LE BLANC

C’est un tour…

DAMON

Auriez-vous quelque méchante affaire?
Quel desespoir vous chasse avec tant de mystere?

MONSIEUR LE BLANC

1535 C’est un affront, vous dis-je…

DAMON

Ah non, vous n’irez point. {p. 93}

MONSIEUR LE BLANC

Peste du babillard.

DAMON

Je suis ferme en ce poinct.

MONSIEUR LE BLANC

Je n’ay pû m’en dédire, on m’a pris…

DAMON

Il n’importe,
Vous ne sçauriez avoir raison assez forte.

MONSIEUR LE BLANC

Je prétens me vanger…

DAMON

Vangez-vous autrement.

MONSIEUR LE BLANC

1540 Ah le maudit causeur!

DAMON

Et songez seulement
Que vous devez…

MONSIEUR LE BLANC

Je scay tout ce que je dois faire,
Avant que vous fussiez le Fils de vostre Père,
Pedagogue importun, dont le zele indiscret
Me fait, malgré mes dents, gardien d’un secret.
1545 On vous dit que ceans* on me fait violence,
Qu’on m’a fait enrôler malgré ma resistance,
Qu’avec une Recruë* un certain grand Pendard
M’alloit mener en Flandre un quart-d’heure plus tard.

DAMON

Qui l’a fait enrôler?

CATO

Monsieur le Capitaine.

DAMON

1550 Je m’en vais luy parler.

CATO

N’en prenez pas la peine, {p. 94}
Je le vais avertir.

SCENE XII §

MONSIEUR LE BLANC, DAMON.

DAMON

L’auriez-vous insulté?

MONSIEUR LE BLANC

Jamais: Mais vous sçaurez que ce jeune éventé…
Le voicy, vous allez en sçavoir davantage.

SCENE XIII §

DAMON, MONSIEUR LE BLANC, ANGELIQUE.

ANGELIQUE

Je suis faché, voulant me vanger d’un outrage,
1555 Que le sort soit tombé sur un de vos Parens;
Mais je vous en viens faire l’excuse, & vous le rens:
Malgré ce qu’il a fait, je vous en fais le Maistre,
Et l’auroit épargné, s’il se fut fait connoistre.

DAMON

Qu’a-t-il fait? quel outrage? & surquoy* cette peur?

ANGELIQUE

1560 Comment! venir ceans* pour suborner ma Sœur?
Chez moi, morbleu, chez moi, la Sœur d’un Capitaine?
Par la mort… Mais enfin je consens qu’on l’emméne
Ou chez vous, ou chez luy, prest à nous allier; {p. 95}
En faveur du Parens, je veux tout oublier;
1565 Je l’aime, sans sçavoir mesme comme on le nomme,
Sa Figure* me plaist, je le trouve brave Homme,
Au rang de ses Amis je me mets aujourd’huy,
Et veux, morbleu, casser un Verre avecque luy.
A l’hymen* de ma Sœur puisqu’il n’est plus contraire,
1570 Qu’on la fasse venir?

MONSIEUR LE BLANC

Il n’est pas nécessaire.

ANGELIQUE

Ne consentez-vous pas à une telle union…

MONSIEUR LE BLANC

Il est vray, j’y consens, mais à condition…

DAMON

Faites que promptement…

ANGELIQUE

Dites-nous, qu’elle est-elle?
Quelque difficulté…

MONSIEUR LE BLANC

C’est une bagatelle;
1575 Mais jamais mon Neveu ne sera son Epoux,
Qu’il ne se soit coupé la gorge avecque vous.
C’est la condition que je mets à la chose.

DAMON

D’un tel emportement, qui peut estre la cause?
Mon Oncle, voulez-vous me mettre au desespoir?

MONSIEUR LE BLANC

1580 J’ay mis la Belle à prix, & c’est à vous de voir…

DAMON

A vouloir son trépas, quel motif vous engage?
En avez-vous reçeu quelque sensible outrage?

MONSIEUR LE BLANC

Oüy.

DAMON

J’ay, pour vous vanger, le cœur assez hardy; {p. 96}
Mais je prétens sçavoir…

MONSIEUR LE BLANC

C’est que cet étourdy,
1585 Qui fait le goguenard*, qui rit, & qui se cache,
Me fait…

DAMON

Hé bien?

MONSIEUR LE BLANC

Cocu, puis qu’il faut qu’on le sçache.

DAMON

Luy? Vostre Femme a pû…

ANGELIQUE

Je répons de sa foy,
Tant qu’elle n’aura point d’autre Galant* que moy.

MONSIEUR LE BLANC

Cependant je le suis, & Monsieur la gouverne…

ANGELIQUE

1590 Si c’est de ma façon, je veux que l’on me berne;
Vous le meriteriez, mais un certain defaut…

MONSIEUR LE BLANC

Fort-bien. Vous n’avez pas une Belle là-haut,
Qui vous vient visiter, qui souffre vos caresses?

ANGELIQUE

Nous autres Officiers manquons-nous de Maistresses?
1595 Il est vray, j’en conviens, mais…

DAMON

Mais enfin sçachons…

ANGELIQUE

Elle n’est point sa Femme, & je vous en répons.

MONSIEUR LE BLANC

Non, car elle est la vostre.

DAMON

Il faut la voir, & prendre…

ANGELIQUE

Je le veux bien. Cato, qu’on la fasse descendre. {p. 97}

MONSIEUR LE BLANC

Si de la Belle en fait je me trouve l’Epoux,
1600 Hem?

ANGELIQUE

Vous l’emmenerez tout doucement chez vous.

MONSIEUR LE BLANC

Je serois assez sot…

ANGELIQUE

Calmez cette colere:
Je veux vous faire voir combien j’ay sçeu luy plaire,
Vous montrer jusqu’où vont les transports* des Amans,
Que vos yeux soient témoins de nos embrassements,
1605 Luy donner devant vous des marques de ma flame*,
En avoir des faveurs : Et si c’est vostre Femme,
Lors que quelque autre Objet aura sçeu me charmer,
Que las de ses faveurs, ou cessant de l’aimer,
Pour m’en débarasser, je voudray vous la rendre,
1610 Vous serez trop heureux encor de la reprendre.

MONSIEUR LE BLANC

Hé bien, vous l’entendez?

DAMON

C’est un jeune emporté;
Mais nous luy rabattrons tanstot* sa vanité:
Quand nous aurons de tout une entiere assurance,
Vous verrez quelle part je prends dans cette offence.

ANGELIQUE

1615 Je l’entens, vous serez à l’instant satisfait.

MONSIEUR LE BLANC

Qu’en dites-vous?

DAMON

Je croy que c’est elle en effet.

SCENE XIV §

{p. 98 I}
ANGELIQUE, DAMON, MONSIEUR LE BLANC, MADAME LE BLANC, CATO.

ANGELIQUE

Permettez qu’à leurs yeux, quelque soin qui les touche,
Je prenne deux baisers sur cette belle bouche.

MONSIEUR LE BLANC

La baiser à mes yeux! Ventre.
Il met le pied sur la garde de son épée pour la tirer, & ne peut.

DAMON

Dans sa Maison!

MONSIEUR LE BLANC

1620 Oüy, je veux tout tuer.

DAMON

Vous n’avez pas raison.

MONSIEUR LE BLANC

Qu’importe ? ame sans foy, peste de ta Famille.

MADAME LE BLANC

Pouvez-vous me blâmer, de baiser une Fille?

DAMON

Une Fille!

ANGELIQUE

Oüy, ma foy, c’est à mon grand regret;
Aussi-bien est-il temps d’éventer ce secret.

MONSIEUR LE BLANC

1625 Quoy, c’est une Fille?

DAMON

Oüy, la chose est assurée. {p. 99}

MONSIEUR LE BLANC

Ah si je l’avois sçeu, que je l’eusse bourée!
Mais pourquoy, s’il vous plaist, ce beau déguisement?

ANGELIQUE

Pourquoy? pour vous montrer à faire le Galant*,
Et vous aprendre, ayant une Femme bien faite,
1630 A n’aller point ailleurs debiter la sornette,
A vous tenir content du nom de vostre Epoux,
Sans chercher à tromper les Gens plus fins que vous.

MONSIEUR LE BLANC

Elle a parbleu raison, & l’avanture est drôle;
Elle a, pour l’en blâmer, trop bien joüé son rôle:
1635 Mais puis-je m’assurer, Parent, que cet aveu*
Ne soit point un moyen de mieux couvrir leur jeu?

DAMON

Non, vous pouvez l’en croire, apres cette assurance.

MONSIEUR LE BLANC

Il seroit bon de voir, la chose est d’importance.

ANGELIQUE

Il n’en est pas besoin, voila vostre Garent.

MONSIEUR LE BLANC

1640 Songeons à son repos*, pour celuy qu’il me rend.

SCENE DERNIERE §

{p. 100}
MONSIEUR LE BLANC, MADAME LE BLANC, DAMON, LUCINDE, ANGELIQUE.

LUCINDE

Mon Frere est arrivé, nous voila hors de peine.

ANGELIQUE

Comment, le Capitaine?

MONSIEUR LE BLANC

Encore un capitaine!
Je pense qu’il en pleut. Vostre Hymen* se fera,
Mais ce sera demain, ou quand il vous plaira;
1645 J’y consens : Cependant je vay reprendre haleine;
Et saluë humblement LA FILLE CAPITAINE.

FIN