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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Antoine Jacob Montfleury. Le Mary sans femme. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 46 sc. 612 répl. 2,1 l. 1 276 l. 1 276 l. 39 % 3 309 l. (100 %) 2,6 pers.
DOM BRUSQUIN D’ALVARADE 15 sc. 110 répl. 2,4 l. 450 l. (36 %) 260 l. (21 %) 58 % 1 076 l. (33 %) 2,4 pers.
JULIE 8 sc. 18 répl. 2,2 l. 190 l. (15 %) 39 l. (4 %) 21 % 639 l. (20 %) 3,4 pers.
CARLOS 10 sc. 41 répl. 1,7 l. 317 l. (25 %) 69 l. (6 %) 22 % 996 l. (31 %) 3,1 pers.
FATIMAN 20 sc. 123 répl. 1,8 l. 537 l. (43 %) 218 l. (18 %) 41 % 1 423 l. (43 %) 2,6 pers.
CELIME 16 sc. 126 répl. 2,1 l. 477 l. (38 %) 259 l. (21 %) 55 % 1 348 l. (41 %) 2,8 pers.
ZAIRE 16 sc. 58 répl. 1,7 l. 477 l. (38 %) 101 l. (8 %) 22 % 1 329 l. (41 %) 2,8 pers.
MARINE 5 sc. 52 répl. 1,8 l. 273 l. (22 %) 91 l. (8 %) 34 % 822 l. (25 %) 3,0 pers.
TOMIRE 7 sc. 58 répl. 3,3 l. 343 l. (27 %) 190 l. (15 %) 56 % 1 039 l. (32 %) 3,0 pers.
GUSMAN 1 sc. 8 répl. 2,1 l. 69 l. (6 %) 17 l. (2 %) 25 % 139 l. (5 %) 2,0 pers.
STAMORAT 7 sc. 18 répl. 1,7 l. 175 l. (14 %) 30 l. (3 %) 18 % 464 l. (15 %) 2,6 pers.
SUITE de Turcs 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
Antoine Jacob Montfleury. Le Mary sans femme. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
DOM BRUSQUIN D’ALVARADE 11 l. (100 %) 2 répl. 5,2 l. 2 sc. 10 l. (1 %) 1,0 pers.
DOM BRUSQUIN D’ALVARADE
JULIE
10 l. (38 %) 4 répl. 2,4 l.
16 l. (63 %) 4 répl. 4,0 l.
4 sc. 25 l. (2 %) 3,4 pers.
DOM BRUSQUIN D’ALVARADE
CARLOS
2 l. (62 %) 1 répl. 1,2 l.
1 l. (39 %) 1 répl. 0,8 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 3,0 pers.
DOM BRUSQUIN D’ALVARADE
FATIMAN
119 l. (56 %) 55 répl. 2,1 l.
97 l. (45 %) 55 répl. 1,8 l.
6 sc. 214 l. (17 %) 2,7 pers.
DOM BRUSQUIN D’ALVARADE
MARINE
41 l. (52 %) 28 répl. 1,4 l.
39 l. (49 %) 29 répl. 1,3 l.
1 sc. 79 l. (7 %) 2,0 pers.
DOM BRUSQUIN D’ALVARADE
TOMIRE
1 l. (44 %) 1 répl. 0,5 l.
1 l. (57 %) 2 répl. 0,3 l.
1 sc. 1 l. (1 %) 3,0 pers.
DOM BRUSQUIN D’ALVARADE
GUSMAN
53 l. (76 %) 9 répl. 5,8 l.
18 l. (25 %) 8 répl. 2,1 l.
1 sc. 69 l. (6 %) 2,0 pers.
DOM BRUSQUIN D’ALVARADE
STAMORAT
28 l. (71 %) 10 répl. 2,8 l.
12 l. (30 %) 9 répl. 1,3 l.
4 sc. 39 l. (4 %) 2,8 pers.
JULIE
CARLOS
11 l. (34 %) 9 répl. 1,1 l.
20 l. (67 %) 8 répl. 2,5 l.
2 sc. 30 l. (3 %) 3,7 pers.
JULIE
FATIMAN
1 l. (11 %) 1 répl. 0,8 l.
7 l. (90 %) 2 répl. 3,3 l.
2 sc. 7 l. (1 %) 2,8 pers.
JULIE
ZAIRE
1 l. (2 %) 1 répl. 0,5 l.
26 l. (99 %) 2 répl. 12,6 l.
1 sc. 26 l. (3 %) 2,0 pers.
JULIE
MARINE
12 l. (69 %) 3 répl. 4,0 l.
6 l. (32 %) 3 répl. 1,8 l.
1 sc. 18 l. (2 %) 4,0 pers.
CARLOS 6 l. (100 %) 1 répl. 5,6 l. 1 sc. 6 l. (1 %) 1,0 pers.
CARLOS
FATIMAN
1 l. (4 %) 2 répl. 0,2 l.
12 l. (97 %) 3 répl. 3,9 l.
2 sc. 12 l. (1 %) 3,3 pers.
CARLOS
CELIME
25 l. (31 %) 9 répl. 2,7 l.
56 l. (70 %) 10 répl. 5,5 l.
3 sc. 80 l. (7 %) 2,9 pers.
CARLOS
MARINE
6 l. (49 %) 3 répl. 1,9 l.
7 l. (52 %) 4 répl. 1,5 l.
1 sc. 12 l. (1 %) 4,0 pers.
CARLOS
TOMIRE
12 l. (22 %) 16 répl. 0,7 l.
41 l. (79 %) 15 répl. 2,7 l.
2 sc. 52 l. (5 %) 3,5 pers.
FATIMAN 5 l. (100 %) 1 répl. 4,7 l. 1 sc. 5 l. (1 %) 1,0 pers.
FATIMAN
CELIME
63 l. (47 %) 44 répl. 1,4 l.
74 l. (54 %) 43 répl. 1,7 l.
7 sc. 136 l. (11 %) 2,9 pers.
FATIMAN
ZAIRE
17 l. (62 %) 9 répl. 1,8 l.
11 l. (39 %) 12 répl. 0,9 l.
4 sc. 27 l. (3 %) 2,8 pers.
FATIMAN
TOMIRE
2 l. (6 %) 2 répl. 1,0 l.
35 l. (95 %) 3 répl. 11,6 l.
1 sc. 37 l. (3 %) 2,0 pers.
FATIMAN
STAMORAT
18 l. (59 %) 7 répl. 2,6 l.
13 l. (42 %) 7 répl. 1,8 l.
3 sc. 31 l. (3 %) 2,7 pers.
CELIME
ZAIRE
93 l. (63 %) 44 répl. 2,1 l.
57 l. (38 %) 41 répl. 1,4 l.
11 sc. 149 l. (12 %) 2,9 pers.
CELIME
MARINE
4 l. (32 %) 4 répl. 0,8 l.
7 l. (69 %) 4 répl. 1,7 l.
1 sc. 10 l. (1 %) 4,0 pers.
CELIME
TOMIRE
33 l. (36 %) 23 répl. 1,4 l.
60 l. (65 %) 25 répl. 2,4 l.
2 sc. 92 l. (8 %) 3,4 pers.
CELIME
STAMORAT
3 l. (32 %) 2 répl. 1,3 l.
6 l. (69 %) 2 répl. 2,9 l.
1 sc. 8 l. (1 %) 2,0 pers.
ZAIRE 8 l. (100 %) 2 répl. 4,0 l. 2 sc. 8 l. (1 %) 1,0 pers.
MARINE
TOMIRE
35 l. (40 %) 12 répl. 2,9 l.
54 l. (61 %) 13 répl. 4,1 l.
3 sc. 88 l. (7 %) 3,3 pers.

Antoine Jacob Montfleury

1705

Le Mary sans femme. Comédie

Édition de Gwendolyn Kergoulay
sous la direction de Georges Forestier
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Le Mary sans femme, par M. de Montfleurydans Les Oeuvres de Monsieur Montfleury, contenant ses pièces de théâtre, représentées par la Troupe des Comédiens du Roy à Paris, tome second, À Paris, chez Christophe David, Quay des Augustins, à l'Image S. Christophe. M. DCC. V. Avec privilège du Roy
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Le Mary sans femme. Comédie. §

{p. M}

ACTEURS. §

  • DOM BRUSQUIN D’ALVARADE, Gentilhomme Espagnol.
  • JULIE, Dame Espagnole.
  • CARLOS, Amant de Julie.
  • FATIMAN, Gouverneur d’Alger.
  • CELIME, Dame Turque.
  • ZAIRE, Naine Esclave de Celime.
  • MARINE, Suivante de Julie.
  • TOMIRE, Valet de Carlos.
  • GUSMAN, Valet de Dom Brusquin.
  • STAMORAT, Turc.
  • SUITE de Turcs.
La scène est dans Alger.
{p. Mij}

ACTE PREMIER. §

SCENE PREMIERE. §

JULIE, CARLOS, ZAIRE, MARINE, TOMIRE.

ZAIRE.

Entrez, je vais sçavoir*, si Celime est visible,
Elle est depuis huit jours dans un chagrin* horrible*,
Pour la bien divertir*, & faire vôtre cour*,
Préparez-vous, dans peu je seray de retour.

SCENE II. §

JULIE, CARLOS, MARINE, TOMIRE.

JULIE

5 Ah Carlos !

CARLOS.

Ah Julie !

TOMIRE.

Ah Marine!

MARINE.

Ah Tomire!

JULIE.

Quels ennuis*!

CARLOS.

Quels chagrins* !

TOMIRE.

J’en créve*.

MARINE.

J’en soûpire !

CARLOS.

Helas ! que nôtre sort.

JULIE.

Helas ! que nos malheurs !

CARLOS.

Me va causer d’ennuis* !

JULIE.

Me vont coûter de pleurs !

CARLOS.

Si vous pouviez sçavoir, Julie, à quoy m’expose*
10 Le cruel desespoir d’en avoir été cause :
Car, enfin, c’est moy seul que j’en dois accuser, {p. Miij}
C’est moy de qui l’orgueil crut pouvoir tout oser.
De vos ressentimens* rien ne me peut défendre ;
Ma forte passion* me fit tout entreprendre,
15 C’est moy seul ; c’est, enfin, ce trop sensible* Amant*,
Que l’amour fit résoudre à vôtre enlevement,
Pour finir mon malheur, j’ay seul causé le vôtre ;
Mais, enfin, vous veniez d’en épouser un autre,
On vous avoit forcée à prendre cet Epoux,
20 Vous m’aimiez tendrement, je n’adorois* que vous,
Malgré ce que l’Amour m’avoit semblé promettre,
Dans son lit, dans ses bras l’hymen* vous alloit mettre,
Je voyois vos chagrins*, vous entendiez mes cris,
Quel autre en cet état* n’eût pas tout entrepris ?

JULIE.

25 Dans toutes ces raisons ne cherchez point d’excuse.
Ce n’est que mon malheur, Carlos, que j’en accuse.
Oüy, c’est moy, qui depuis cette funeste* nuit,
prémices* cruels du malheur qui me suit,
Sans égard pour mes pleurs une Mere inhumaine,
30 Me venoit de livrer à l’objet* de ma haine,
Je sortois de l’Autel troublée, & dans mon cœur*,
Cet hymen* avoit mis tant de crainte, & d’horreur* ;
Que sans considerer quelle en seroit la suite,
Je crus que mon bonheur dépendoit de ma fuite.
35 Marine m’en pressa*, même elle me fit voir,
Que fuïr ses Ennemis est le premier devoir,
Et ses conseils…

MARINE.

Allons, mettons tout sur Marine,
Voyons, qu’ay-je tant fait ? ça* que je m’examine*,
Je vous voyois tous deux desesperez, mourans,
40 L’un enrageoit* dehors*, l’autre pestoit* dedans*,
L’un souhaitoit sa mort, l’autre juroit la sienne ;
Vous me fîtes pitié ; car je suis trop humaine.
Vous fûtes enlevée, il est vray, je conviens*
Que j’en facilitay, de ma part les moyens*,
45 Que je vous conseillay d’aller pour cette affaire
A Cadix, où Carlos disoit avoir sa Mere ;
Et que sans moy l’Hymen* alloit se consommer* ;
Mais, quoy, sçavois-je moy que l’on iroit par Mer ?
à Tomire.
Et c’est ta faute, à toy, que le malheur engraisse,
50 Chien* de porteguignon*, tu n’eus jamais de cesse*,
Que nous ne fussions tous embarquez, car enfin…

TOMIRE.

Eh ! devinois-je, moy, qu’au milieu du chemin,
Lors que l’on se croyoit le mieux dans ses affaires,
Le Vaisseau seroit pris par ces Chiens* de Corsaires,
55 Et qu’ils nous meneroient captifs au port d’Alger ?
..............................................................................
Il t’a toûjours falu quelque amoureux mystere*,
Quelque intrigue*, & pour toy c’est un faire il le faut ?
60 Car, enfin, on le sçait, on te pendroit plûtôt,
Que tu n’eusses toûjours quelque intrigue* en campagne.
Que ne me laissois-tu vivre en paix en Espagne ;
Je me vois sans Amis, là j’en avois un cent,
J’y mangeois tous les jours comme un convalescent,
65 J’y riois comme un fou, j’étois gras comme un Moine,
J’y dormois en Abbé, j’y bûvois en Chanoine ;
Que ne m’y laissois-tu, Traitresse, car c’est toy,
Qui m’a mis en l’état* fâcheux où je me voy.

CARLOS.

Laisse-nous en repos*, & te tais , va Tomire.

TOMIRE.

70 Cela vous est facile à vous autres à dire,
Qui par bonheur pour vous instruits à bien chanter,
Sçavez dire des Airs qu’on se plaît d’écouter ;
Nôtre Patron chez luy s’en divertit*, & même
Tous les jours au lever de la beauté* qu’il aime, {p. Miiij}
75 Depuis que le destin* sçût nous assujettir*,
Vous venez par son ordre icy le divertir*.
Vous ne manquez de rien, vous vivez à vôtre aise,
Mais pour moy qui ne sçait rien faire qui leur plaise,
Dés qu’un leger sommeil fait place à ma douleur,
80 Un gros Coquin* de Turc dont le diable auroit peur,
Disant cent Carachou, se montrant à ma vûë,
De dix coups de Gourdin* sans façon* me saluë.
Moy j’ouvre de grands yeux, n’entendant pas ces mots ;
Luy de vingt autres coups me chamarre le dos ;
85 Disant sursa cauvé sursa, de son ton grave,
Comme si devinant qu’on me feroit Esclave,
J’avois dû par avance exprés avoir appris,
A parler Turc, avant que le traître m’eût pris.

MARINE.

Pour moy je ne sçaurois perdre encor l’esperance*
90 De revoir mon Païs.

JULIE.

Et sur quelle assurance* ?
Sur quoy ?

MARINE.

Je ne sçaurois croire que vôtre Epoux,
Ou vôtre Mere n’ait quelque pitié de vous,
Vôtre Mere vous aime, & je me persuade
Que vôtre digne Epoux D. Brusquin d’Alvarade,
95 Etant fort amoureux avec le bien* qu’il a…
Enfin le cœur* me dit qu’il vous rachetera.

JULIE.

C’est se vouloir flater* d’un espoir chimerique,
Qui leur auroit appris que je suis en Afrique ?

MARINE.

Je ne puis plus vous rien cacher en cet état*,
100 Lors que nous fûmes pris, un certain Renegat*,
Touché de ma douleur voulut bien me promettre,
Que si je luy voulois donner un mot de Lettre,
Il trouveroit moyen* de le faire tenir*.

CARLOS.

L’as-tu fait !

MARINE.

La réponce en est prête à venir.

CARLOS.

105 Quel Demon* ennemy du bonheur de ma vie,
Pour me combler de maux t’inspira cette envie* ?
Tu te devois sur moy remettre du soucy*

MARINE.

Ma foy, sauve qui peut, que diantre* faire icy ?
Et de plus, franchement, puis qu’il vous faut tout dire,
110 Je craignois qu’en perdant l’occasion d’écrire,
Quelques Turcs, comme on sçait qu’ils n’en font pas façon*,
Ne voulût à la fin quelque jour… que sçait-on
Ce qu’il auroit voulu ?

TOMIRE.

Elle a raison, je pense
Tenez, ces chiens* de Turcs n’ont point de conscience*.

CARLOS.

115 Où ta fausse pitié nous va-t-elle engager* ?
Fatiman mon Patron est Gouverneur* d’Alger,
Pour m’en faire estimer j’ay tout mis en usage,
J’esperois par mes soins* finir nôtre Esclavage,
Mon Oncle…

MARINE.

Tout cela n’auroit rien fait pour nous,
120 Vôtre Oncle tout au plus n’eût racheté que vous.

CARLOS.

Ah !

TOMIRE.

Zaïre paroît, cachez-luy vôtre peine.

SCENE III. §

ZAIRE, JULIE, CARLOS, MARINE, TOMIRE.

ZAIRE.

Celime va passer dans la chambre prochaine*,
Vous l’y pouvez attendre, & vous y concerter,
Dépêchez, écoutez, n’allez pas luy chanter
125 De ces Airs indolens* qui font dormir le monde,
Sa tristesse est déja si grande & si profonde,
Que pour peu que vôtre Air soit grave & langoureux*,
Son chagrin* se pourroit répandre sur vous deux.
Je vous en avertis.

JULIE.

Nous vous en rendons grace*.

ZAIRE.

130 Elle est depuis huit jours d’un bourru* qui me passe,
Je ne la connois plus, tout luy déplaît ; Enfin
Je me vois tous les jours en butte* à son chagrin*.
Si j’ay de l’enjouëment*, elle m’appelle folle :
Si je suis sérieuse, elle m’appelle idole ;
135 Si je la suis partout, je la mets en courroux*,
Si je ne la suis point, j’ay quelque rendez-vous ;
Si je la veux servir, je fais la necessaire*,
Si je ne la sers pas, on ne me voit rien faire ;
Si je dis qu’elle est bien, je me plais à flatter*,
140 Si je dis qu’elle est mal, je cherche à contester* ;
Prompte, j’ay trop de feu* ; Lente, mon froid* la gele* ;
Enfin je ne sçay point comment vivre avec elle,
Son chagrin* se répand jusques sur ses amours,
Fatiman esperoit l’épouser dans deux jours,
145 Il avoit son aveu*, sa passion* est grande,
Maintenant elle dit, qu’elle veut qu’il attende,
Et que pour bien juger de ses empressemens*,
Elle veut éprouver son amour quelque temps.
Dés qu’il la veut presser, son chagrin* renouvelle.
150 Ah ! que si j’étois belle & bien faite comme elle,
Et qu’avec moy quelqu’un voulût se marier,
Je me garderois* bien de me faire prier.
Mais à propos, entrez, elle pourroit attendre.

SCENE IV. §

ZAIREseule.

Fasse le juste Ciel qu’elle se puisse rendre
155 Aux feux* de Fatiman ; si l’Hymen* concerté*
Se conclut*, il me doit donner la liberté.
Quand il donne parole, il la tient sans reserve.
Qu’a-t’elle à differer*, il faut que je l’observe,
Pour sçavoir*… Elle vient, son chagrin* me fait peur.

SCENE V. §

CELIME, ZAIRE.

CELIME.

160 Ah ! qu’un nouvel amour met de trouble* en un cœur*,
Sur tout lors que l’on craint d’avoir une Rivale !

ZAIRE.

Vous alliez, disiez-vous, passer dans l’autre Salle,
Ces Gens vous attendoient pour vous y divertir*,
Mais puis que vous voilà, je vais les avertir.

CELIME.

165 Non, demeure.

ZAIRE.

Eh ! souffrez que je les avertisse,
De grace*, & trouvez bon que l’on vous divertisse*,
Vous avez du chagrin*, il ne sert qu’à laidir*,
Tenez, un petit Air vous va ragaillardir,
Laissez-moy faire.

CELIME.

Non, avant qu’on les appelle,
170 Je veux t’entretenir*, Zaire.

ZAIRE à part.

Que veut-elle ?

CELIME.

Tu vois icy Julie, & Carlos tous les jours,
De quel air* la voit-il, & quels sont leurs discours* ?

ZAIRE.

Leurs discours ? Jamais Gens autres que des Idoles
Ne se sont expliquez* avec moins de paroles :
175 Tenez, voulez-vous voir, ce qui se passe entr’eux ;
De temps en temps Julie un mouchoir sur les yeux,
Pleure en gesticulant*, ensuite elle est rêveuse.

CELIME.

Elle pleure, gémit, rêve, elle est amoureuse,
Et que répond Carlos à cet ennuy* profond ?

ZAIRE.

180 Luy ? tenez. Ah ! voilà tout ce qu’il luy répond.

CELIME.

Sans doute, ils s’aiment ; mais quand leurs douleurs s’appaisent,
A quoy s’occuppent-ils ? que font-ils ?

ZAIRE.

Ils se taisent,
Jusqu’à vôtre réveil ils sont en cet état*,
Non jamais entretien* de gens ne fut si plat,
185 Et je ne croirois point, sans le voir d’ordinaire,
Qu’une Femme jamais pût si long-temps se taire ;
Il faut les avertir, je vais prendre ce soin*,
Ils vous réjoüiront, vous en avez besoin.

SCENE VI. §

CELIME seule.

N’étoit ce pas assez du destin* qui me brave*,
190 D’avoir soûmis mon cœur* à l’amour d’un Esclave,
Sans que par un malheur que je ne puis dompter*
La jalousie aidât à me persecuter ?
Si j’en crois leurs regards & ce qu’ils ont de tendre*,
Carlos… Mais cependant j’ay pû les mal entendre,
195 Ma défiance* peut avoir trompé mes yeux,
Et le temps & mes soins* m’en éclairciront* mieux.
Les voicy ; Pour sçavoir* ce que je crains d’apprendre
Avec des yeux perçans je m’en vais les entendre.
Approchez, venez-vous, suivant mes volontez
200 Sur les Européens me donner des clartez,
De ces Peuples heureux révérez dans l’Afrique,
Dont on ne sçait que trop la valeur heroïque ;
Allez-vous me chanter par des tons animez
Les diverses façons d’aimer & d’être aimez ?

CARLOS.

205 Nous allons vous tracer une legere image
De ce qu’en ces climats l’Amour met en usage,
Madame.

CELIME.

Commencez, je vais vous écoutez.
à part.
De ce qu’ils vont chanter, tâchons de profiter.
On chante.
Dans ce vaste Univers sur tout ce qui respire,
210 L’Amour étend son empire :
Par des ardeurs* toûjours nouvelles
Le François se laisse enflâmer,
Il ne ménage* point les Belles ;
Mais il sçait s’en faire aimer.
215 Il signor Italien
Aime assez bien,
N’attrape rien.
Il cherche les exploits qui sont de longue haleine,
Et quand sous la fenêtre il va chanter sa peine,
220 La signora
Est ailleurs impedita.
Pour tout secret de l’amoureux mistere*
L’Alemand sçait donner : C’est l’art* de plaire.
Et de ne pas aimer en vain,
225 Il est constant toute sa vie
Et traite une Silvie
Comme un muid* de Vin,
Il en boit, il en boit jusqu’à la lie*.
Aussi fidele qu’amoureux,
230 Aussi tendre* que l’Amour même
L’Espagnol sçait seul comme on aime
Et merite seul d’être heureux.

CELIME aprés qu’on a chanté.

Cette diversité de passions* m’enchante*,
Je suis de ce concert extrêmement contente.
235 Vous m’avez plû : rentrez dans vôtre Appartement,
Je veux demeurer seule en ces lieux un moment.

ZAIRE.

A vouloir s’ennuïer* c’est être industrieuse*.

CELIME.

Revenez, je me sens aujourd’huy curieuse
Ce que je veux apprendre importe* à mon repos*,
240 Que chacun se retire, il suffit de Carlos.

ZAIRE.

Il suffit de Carlos ! que peut-elle prétendre* ?
Au Cabinet* prochain*, cachons-nous pour l’entendre.

CELIME.

Carlos vous nous venez apprendre par vos chants
Combien dans vos Amours vos cœurs ont de penchans :
245 Mais vous ne m’avez point exprimé ceux des Femmes,
Vous êtes connoisseur, vôtre Espagne a des Dames.
De grace*, apprenez-moy quand quelqu’une à son tour,
Abandonne son ame* aux charmes* de l’Amour,
Comment à son Vainqueur dans son ardeur* extrême,
250 Pour la premiére fois, elle dit, je vous aime.

CARLOS.

Madame, cet aveu*, si charmant* en effet
Qui coûte tant à faire, & qui pourtant se fait
Dans les occasions diversement s’exprime,
Selon la qualité de celle qu’il anime.

CELIME.

255 J’entens de ces beautez* illustres par le Sang,
De mon âge à peu prés, Carlos, & de mon rang.

CARLOS.

S’il se trouve en son choix plus ou moins de distances*,
Il faut ou qu’elle attende ou fasse les avances*,
Madame.

CELIME.

C’est à dire, en ces transports* si doux,
260 Que si celuy qu’elle aime est d’un rang au dessous,
C’est elle qui se doit expliquer* la premiere ?

CARLOS.

Oüy.

CELIME.

Mais de s’énoncer*, comment est la maniere ?

CARLOS.

D’abord* par ses regards, truchemens* de son cœur*,
Elle le fait sçavant de son prochain* bonheur,
265 Invente des bienfaits, se plaît à les répandre.

CELIME.

Et si le Cavalier* ne veut pas les entendre.

CARLOS.

Personne n’est aveugle à cette passion*,
L’Amour voit clair, & plus encor l’ambition,
Si le respect oblige à quelque retenuë,
270 La Dame ouvre son cœur* ; parle, elle est entenduë.

CELIME.

Mais (car je prétens tout sçavoir*) si par malheur,
Le Cavalier* ailleurs avoit donné son cœur*.
A son premier amour s’il veut être fidelle,
Que dit à ce mépris la Dame, que fait-elle ?

CARLOS.

275 Malheur au Cavalier* qui méprise ses vœux*,
Et plus encor malheur à l’objet* de ses feux*.
Qu’en ce funeste* état* ces Amans* sont à plaindre !
Dans sa fureur* la Dame offensée est à craindre,
Pouvant tout dans sa haine, elle n’épargne rien.

CELIME.

280 Regardez-moy, Carlos, envisagez*-moy bien.
Sur mon front*, dans mes yeux, lisez vôtre avantage*,
Je vous permets, Carlos, d’expliquer* leur langage,
Et de prendre pour vous ce qu’ils ont de douceur :
Comptez sur mes bienfaits, comptez sur ma faveur*.
285 Vivre en sa liberté, dans ce climat barbare*,
Est le moindre des biens, que ma main* vous prépare.
Portez donc jusqu’à moy vos regards & vos vœux*,
Ma bouche vous l’ordonne ; Aimez-moy, je le veux ;
Obeïssez, craignez d’irriter ma tendresse*,
290 Je puis tout en ces lieux, pensez-y, je vous laisse,
Songez que vôtre sort dépend de mon repos*,
Vous me rendrez tantôt réponce. Adieu, Carlos.

ZAIRE cachée.

Elle aime cet Esclave ! Ah ! quelle extravagance* !
Mais il faut la rejoindre, & garder le silence.

SCENE VII. §

CARLOS seul.

295 L’ay-je bien entenduë, ou me suis-je abusé,
A quel plus grand malheur pouvois-je être exposé* ?
Puis-je jusqu’à l’aimer, sans horreur* me contraindre ?
Et puis-je mépriser son ardeur* sans la craindre.
Helas ! mille dangers m’allarment tour à tour,
300 Je crains également sa haine & son amour.
Je me pers, & n’osant resister ny me rendre…

SCENE VIII. §

TOMIRE, CARLOS.

TOMIRE.

Monsieur aprés cecy vous n’avez qu’à vous pendre.

CARLOS.

Qu’est-ce encore, que viens-tu m’annoncer ?

TOMIRE.

[N]
Un malheur
A se desespérer, à mourir de douleur,
305 Et, comme je vous l’ay déja dit, à se pendre,
Et si vous m’en croyez, vous irez sans m’entendre…

CARLOS.

Julie est-elle morte, & le destin* jaloux…

TOMIRE.

Non.

CARLOS.

Que me dis-tu donc ?

TOMIRE.

Qu’elle est morte pour vous.
Qu’elle vit pour un autre, & que jamais œillade*...

CARLOS.

310 Comment !

TOMIRE.

Vous connoissez Dom Brusquin d’Alvarade,
Ce brave* Dom Brusquin, cet obstacle à vos feux*,
Fantasque* comme un diable, & jaloux comme deux,
Maussade comme trois, avare comme quatre.

CARLOS.

Et bien ?

TOMIRE.

Il est icy.

CARLOS.

Que d’ennuis* à combattre ?
315 Ah Ciel ! il est icy, qui te l’a dit ?

TOMIRE.

Mes yeux.

CARLOS.

Ne t’ont-ils point trompé ?

TOMIRE.

Non, je vous répons d’eux.

CARLOS.

Il est icy ?

TOMIRE.

Luy-même.

CARLOS.

Où le Ciel me destine* !
Voilà ce qu’ont produit les Lettres de Marine :
Mais où l’as-tu trouvé ; comment sur son rapport* ?

TOMIRE.

320 Tout à l’heure, Monsieur, en allant vers le Port,
Je l’ay vû d’assez loin descendre d’une Barque ;
Et comme sa figure est assez de remarque,
Les Turcs railleurs aprés l’avoir examiné*,
En luy riant au nez l’ont tous environné*,
325 J’ay fait comme eux, voulant m’éclaircir* davantage ;
Mais dés que de plus prés j’ay pû voir son visage,
J’ay vû que c’étoit luy, je ne puis vous flater* ;
Sur tout quand il a dit, qu’il venoit racheter
Sa Femme, qui depuis six mois en Barbarie*,
330 Etoit chez Fatiman sous le nom de Julie.

CARLOS.

Juste Ciel !

TOMIRE.

Vous sçavez qu’il ne vous connoît point ;
Venez vous éclaircir* vous-même sur ce point.
Venez.

CARLOS.

Et bien ! allons nous montrer à sa vûë,
Il mourra de ma main si la chose est concluë* ;
335 Ou si Julie enfin doit partir de ces lieux,
Je ne le verray point sans mourir à ses yeux.

TOMIRE.

Si vous voulez, Monsieur, faire quelque folie,
Ne m’allez pas mener avec vous, je vous prie,
On met à la raison les mutins* en ces lieux,
340 Séparons-nous plûtôt ; car, enfin, j’aime mieux, [Nij]
Quoy que je sçache bien qu’il faudra que je meure,
Etre Esclave cent ans, que pendu demi-heure,
Je vous en avertis, examinez*-vous bien.
Autrement…

CARLOS.

Vien, suis moy, Tomire, & ne crains rien.

Fin du premier Acte.

ACTE II. §

SCENE PREMIERE. §

D. BRUSQUIN, GUSMAN.

D. BRUSQUIN lisant.

345 Si Julie encore vous est chere,
Ne pensez point à la chercher
Autre part que dans Alger.
Son malheur en a fait le butin d’un Corsaire.
Ah, morbleu !… Fatiman Gouverneur* dans ces lieux
350 Nous tient Esclaves toutes deux.
En payant nos rançons, nôtre ennuy* se termine,
Ne perdez point de temps, secondez nos souhaits,
Elle est plus belle que jamais,
Et moy plus que jamais, & caetera, Marine.

GUSMAN.

355 Quoy, Monsieur, sur le point de revoir en Julie,
Aprés six mois d’absence, une Femme cherie,
Quand à terre à couvert de l’orage, & du vent,
Dont le bruit & la peur vous menaçoient souvent ;
Je me flatois de voir Dom Brusquin d’Alvarade,
360 Ne songer qu’à la joye & qu’à faire gambade*,
Vous êtes tout chagrin, & malgré tous mes soins*,
Je vous vois…

D. BRUSQUIN.

Malepeste* ! on le seroit à moins,
Tant qu’avec toy sur Mer a duré le voyage,
Je n’avois dans l’esprit que la peur du nauffrage.
365 La crainte du peril me donnoit des frissons,
Et maintenant tout plein de mes jaloux soupçons,
J’ay, quand je vois ces Turcs, leur port & leur allure,
Des frayeurs pour mon front* de fort mauvais augure.
Oüy, quand je me remets* que presque entre mes bras,
370 Par un coup de Demon* que je ne comprens pas,
On m’a ravy Julie, & que je me rappelle,
Le chagrin* qu’elle avoit quand j’étois auprés d’elle,
Les pleurs qu’elle versa, que j’étois son Epoux,
La peine qu’eut sa Mere, à la fléchir pour nous,
375 Et que de bonne foy, tout de bon j’examine*,
Que j’ay l’humeur bouruë*, & que je péche* en mine,
Que chez un Turc la belle est à discretion*,
Que ce sont gens amis de la conclusion,
Contre qui, sans miracle, une Belle captive,
380 Soûtient mal-aisément six mois de négative*,
Certain instinc fondé sur beaucoup de raison,
Me dit que ce sera grand hazard si mon nom,
Occupant d’un Railleur le papier & la plume,
Des Maris baffoüez ne grossit le Volume.

GUSMAN.

385 C’est d’un pareil scrupule être trop combattu,
Monsieur, Julie est sage, elle a de la vertu, [Niij]
Et vous devez enfin mieux juger en vôtre ame*.

D. BRUSQUIN.

Elle est sage, il est vray ; mais enfin elle est Femme,
Et cette qualité seule peut là-dessus
390 Servir de contre-poids à toutes les vertus.

GUSMAN.

Mais si pour vôtre honneur vous aviez tant d’allarmes,
Pourquoy venir si loin la chercher, par quels charmes*,
Craignant pour vôtre sort le fruit de ses Amours,
Hazarder sur la Mer vôtre argent, & vos jours ?

D. BRUSQUIN.

395 Ah ! j’ay pour mes pechez, pour elle un chien de tendre*,
Qui n’a jamais voulu me rien laisser entendre :
Et mon penchant plus fort que toute ma raison,
N’a pü faire avorter cette demangeaison.
A peine un Matelot, que le Ciel extermine,
400 M’eut confirmé l’avis que me donnoit Marine,
Que le Diable ennemy juré de mon repos*,
Me fit mettre ma vie à la mercy des flots ;
Comme si pour ces flots, ou pour Dame Fortune,
J’avois un sauf-conduit* signé du Dieu Neptune.

GUSMAN.

405 Vous en repentez-vous ?

D. BRUSQUIN.

Je ne sçay ; mais je crois
Que si j’étois chez moy, j’y songerois deux fois,
Ce noir pressentiment où ma raison s’obstine,
Me fait…

GUSMAN.

Mais il faut bien que cecy se termine.
Vous en avez trop fait, pour ne pas achever,
410 On sçait à quel dessein vous venez d’arriver,
Et vôtre Femme, enfin, ou coquette, ou fidelle,
En payant sa Rançon vous sera…

D. BRUSQUIN.

Bagatelle,
Si je puis découvrir que ce Turc pour début
Se soit fait de son chef icy mon Substitut,
415 Qu’il se soit par ses mains, enfin, de quelque sorte
Payé de l’interêt de l’argent que j’apporte ;
Et que ma Femme enfin avec ce Fatiman,
Ait mis son cœur* à prix, & mon front* à l’encan*,
Je dis, nescio vos, & m’en vais sans replique,
420 Et l’affaire entre nous est fort problematique.

GUSMAN.

Et qui sçaura cela chez vous, quand par vos soins*...

D. BRUSQUIN.

Pour n’être pas crû sot, un Homme l’est-il moins,
Dis, Maraut* ?

GUSMAN.

Mais pourquoy jusques en sa demeure?

D. BRUSQUIN.

On me doit faire voir Marine tout à l’heure,
425 Un Esclave en entrant me l’a promis ainsi,
Moyennant…

GUSMAN.

J’entens bien.

D. BRUSQUIN.

Et je l’attens icy.
Vois-tu, je veux sçavoir* avant que de conclure*,
Sur quoy, par qui, comment, & par quelle avanture
Julie est en Alger ? Car à te parler net,
430 Je crains fort dans cecy quelque complot secret ;
Je n’ay pû jusqu’icy penétrer ce mistere,
Marine avecque moy n’est pas Fille à se taire,
En la flattant* un peu je puis être éclaircy
De tout ce que je crains d’apprendre ; La voicy. [Niiij]

SCENE II. §

DOM BRUSQUIN, TOMIRE, GUSMAN, MARINE.

TOMIRE.

435 Prens bien garde…

MARINE.

Suffit.

TOMIRE à D. Brusquin.

Vous voyez, je m’acquitte,

D. BRUSQUIN.

Je vous suis obligé, Serviteur.

TOMIRE.

Je vous quitte.

SCENE III. §

D. BRUSQUIN, MARINE.

MARINE.

C’est luy-même, & d’abord* je l’ay bien reconnu.
Ah ! Monsieur.

D. BRUSQUIN.

Dieu te gard.

MARINE.

Soyez le bien venu.

D.BRUSQUIN.

Bien ou mal, me voilà. Concluons*.

MARINE.

Quoy ! vous-même
440 Venir jusques icy !

D. BRUSQUIN.

Que veux-tu, quand on aime
On est sot, on est fou de mettre tous ses soins*

MARINE.

On seroit bien fâché que vous le fussiez moins.

D. BRUSQUIN.

Passons.

MARINE.

Julie aura…

D. BRUSQUIN.

Comment se porte-t’elle ?

MARINE.

Bien.

D. BRUSQUIN.

Comme de tous temps j’ay reconnu ton zele,
445 Et que jamais pour moy tu n’eus rien de caché,
Avant que de conclure* icy nôtre marché,
J’ay voulu te parler un peu sur cette affaire ;
Sûr qu’avec ta franchise & ton zele ordinaire,
Par amitié pour moy mettant la feinte au croc,
450 Tu vas à cœur* ouvert…

MARINE.

Oh ! cela vous est hoc.
Parlez, je suis pour vous tout cœur*.

D. BRUSQUIN.

Ta récompence
Au reste passera de loin ton espérance,
Et je t’ay préparé de quoy te voir un jour,
Au dessus…. tu sçauras le reste à mon retour.

MARINE.

455 Ah ! Monsieur, parlez donc.

D. BRUSQUIN.

[Nw]
Dis-moy, je te conjure,
Comment, à quel dessein, & par quelle avanture
Vous êtes toutes deux icy depuis ce soir.

MARINE.

L’avanture, Monsieur, est aisée à sçavoir*.
On venoit de souper, la soirée étoit belle,
460 Julie étoit chagrine, & je fus avec elle
Faire un tour de Jardin, en attendant la nuit,
Tout d’un coup regardant que l’on faisoit du bruit,
Je vis des gens masquez, qui d’abord qu’ils nous virent,
Sans être épouvantez de nos cris, nous saisirent,
465 La porte du Jardin s’ouvrit en même temps,
Un Carosse étoit là; l’on nous jetta dedans* ;
Touche Cocher, dit-on, l’embarras de la Nôce…

D. BRUSQUIN.

Et vous êtes venus sur la Mer en Carosse ?

MARINE.

Sur la Mer en Carosse ! Eh qui vous dit cela ?
470 Ecoutez jusqu’au bout.

D. BRUSQUIN.

Lors qu’on vous enleva,
Vous criâtes bien fort ?

MARINE.

Bien fort ? A pleine tête,
Au voleur, au secours, au meurtre, arrête, arrête.
Non, pour du bruit, jamais Femme n’en a tant fait.

D. BRUSQUIN.

Il falloit que ces gens eussent quelque secret
475 Pour avoir rendu sourds, pendant tout ce ravage*
Tous les gens du Logis, & tout le Voisinage,
Car dedans* ny dehors* pas un n’entendit rien.

MARINE.

Enfin, il est pourtant très assuré…

D. BRUSQUIN.

Fort bien.
Passons.

MARINE.

Nous arrivons au Port, où cette Trouppe
480 Du Carrosse nous mit dedans* une Chalouppe,
De là dans un Vaisseau qui n’attendant plus rien…

D. BRUSQUIN.

Et que se passa t’il ? Car, enfin, l’on sçait bien
Que quand pour s’exposer à diverses fortunes*,
On enleve les Gens, ce n’est pas pour des prunes.

MARINE.

485 A peine eût-on été quelques heures en Mer
Qu’on vit avec le jour les Corsaires d’Alger
Prêts à nous attaquer, on voulut se défendre,
On se battit long-temps ; mais il falut se rendre,
On nous prit, & pour nous le Corsaire adoucy,
490 Nous prit dans son Vaisseau, pour nous conduire icy,
Où depuis…

D. BRUSQUIN.

Franchement je trouve cette histoire
Peu possible ; mais bien tres difficile à croire,
Que devinrent ces Gens masquez dont les efforts
Avoient…

MARINE.

Apparemment ils sont captifs, ou morts,
495 Mais comme pas-un d’eux ne montra son visage,
Je ne vous en puis pas apprendre davantage.

D. BRUSQUIN.

Fatiman étoit donc ce Corsaire d’Alger.

MARINE.

Il en est Gouverneur*, & ne va guere en Mer.
Ce fut un autre Turc.

D. BRUSQUIN.

Comment, en sa puissance.

MARINE.

[Nvj]
500 C’est qu’il est Gouverneur*.

D. BRUSQUIN.

Et quelle consequence ?

MARINE.

En cette qualité par un droit peu commun,
Des Esclaves qu’on fait, de huit il en prend un,
Il nous vit, & d’abord* nous prit pour son partage.

D. BRUSQUIN.

Sans doute que ce Turc, comme c’est leur usage
505 Avoit quelque Serail* à meubler, sur ma foy…

MARINE.

Toûjours prêt d’expliquer*

D. BRUSQUIN.

Tout doucement dis moy ;
Tu sçay bien qu’il manquoit, lors que l’on prit Julie,
A nôtre Mariage une Cerémonie.

MARINE.

Quelle Cerémonie ?

D. BRUSQUIN.

Eh ! celle que l’Amour
510 Ordonne à frais communs la nuit de ce grand jour.
Celle chez qui des gens que l’on marie ensemble
Fait un nœud gordien* du nœud qui les assemble.
Qui lors que l’on nous eut l’un à l’autre conjoint,
Devoit le soir… Enfin, celle qu’on ne fit point.

MARINE.

515 Eh bien ?

D. BRUSQUIN.

Je voudrois bien avant que de conclure*,
Sçavoir* si quelque Turc épris de sa figure
Ne s’est point….

MARINE.

Quoy ?

D. BRUSQUIN.

Chargé de la commission
De mettre nôtre Hymen* dans sa perfection.

MARINE.

Quels contes ! Par ma foy, c’est grand dommage.

D. BRUSQUIN.

Ecoute,
520 Tu crois donc qu’il ne s’est rien passé ?

MARINE.

Le beau doute !

D. BRUSQUIN.

Qu’auprés d’elle ce Turc n’a jamais entrepris
De mettre sur mon frond* les Armes du Pays,
Que de force ou de gré pas un n’a rien eu d’elle ?

MARINE.

Pas un.

D. BRUSQUIN.

Et qu’elle soit aussi sage que belle.

MARINE.

525 Vous n’en sçauriez douter sans luy faire un affront.

D. BRUSQUIN.

Vivat*, je trouve icy sûreté pour mon front*.

MARINE.

Croyez-en mon rapport*, & vous mettez en tête
Qu’elle a toûjours trouvé Fatiman fort honnête,
Fort civil, obligeant, même respectueux ;
530 Outre que quand pour elle il eût senty des feux*,
Il eût perdu son temps, puis qu’enfin ma Maîtresse
Sur ce chapitre là n’en doit rien à Lucrece.

D. BRUSQUIN.

C’est à dire, entre nous, parlant de bonne foy ;
Qu’à son défaut, ces Turcs se sont passez* de toy.

MARINE.

535 Quels discours* ! N’avez-vous rien de meilleur à dire ?

D. BRUSQUIN.

Va, je n’en diray rien, cecy me peut suffire.

MARINE.

Fatiman vient, je sors…

SCENE IV. §

DOM BRUSQUIN, FATIMAN, STAMORAT. Suite.

D. BRUSQUIN à part.

Peste* ! quel égrillard* !
A son air* je crains bien d’être venu trop tard ;
Et que sur mon honneur, enfin, étant à même,
540 Comme sur la capture il n’ait pris le huitiéme.

STAMORAT salüant Fatiman.

Voilà cet Espagnol dont on vous a parlé.

D. BRUSQUIN salüe Fatiman à sa mode, & les Turcs l’examinent.

Salut, suis-je venu pour être contrôllé* ?
Messieurs, afin qu’icy personne ne l’ignore,
Je prétend* avec vous traiter de Turc à Maure.
545 Vous avez pris sur Mer ma Femme sans façon*,
Rendez-la moy de même, en payant sa rançon :
Çà répondez-moy juste au discours* que j’entame.
J’ay de l’argent, de plus j’ay besoin de ma Femme.

FATIMAN.

Ta Femme, ce n’est pas Julie, apparemment ?

D. BRUSQUIN.

550 Comment ? Est-ce la vôtre ? Hem ! parlez franchement.

FATIMAN.

Non. Mais pour une Femme aussi bien-faite qu’elle,
Franchement, je te trouve un Mary sans modelle,
A ne te pas flater*, car la beauté qu’elle a…

D. BRUSQUIN.

Il n’est pas à present question de cela ;
555 Pour ne pas chamarrer le dessus de ma lévre
Comme l’on fait icy, d’une barbe de Chévre,
Sçachez qu’étant un jour tête à tête* au Pays,
Nous ne manquerions pas… Bref chacun vaut son prix,
Elle est pourtant ma Femme, ou peu s’en faut, je n’ose…

FATIMAN.

560 C’est un malheur pour elle.

D. BRUSQUIN.

Ah ! parlons d’autre chose,
S’il vous plaît.

FATIMAN.

J’y consens, je voy bien que tes vœux*
Vont à vous voir chez vous bien réünis tous deux.
Tu meurs de la revoir, car je lis dans ton ame*,
Elle a de la beauté, tu l’aimes, c’est ta Femme ;
565 C’est pourquoy je ne veux que six mille Ducats,
Pour la mettre en tes mains.

D. BRUSQUIN.

Quoy ! vous n’y songez pas.
Comment, pour une Femme ?

FATIMAN.

Ouy.

D. BRUSQUIN.

Peste*, quelle Somme
Combien faudroit-il donc vous donner pour un Homme ?

FATIMAN.

A bien meilleur marché je vendrois leurs maris,
570 Ce beau Sexe chez nous est un tresor sans prix.
...........................................................................

D. BRUSQUIN.

Je vous conseille fort, pourtant, de n’en plus prendre.

FATIMAN.

De Femmes ?

D. BRUSQUIN.

Ouy, sur tout des environs.

FATIMAN.

Pourquoy ?

D. BRUSQUIN.

C’est que pour vous parler franc, & de bonne foy,
575 Je vois force Maris qui passent pour tres-sages,
Qui vous les laisseroient sûrement pour les gages,
Et je vous suis garant qu’ils en seroient ravis*.
Faites-nous bon marché pour nôtre droit d’avis.
Contentez-vous du tiers pour elle & pour Marine,
580 C’est beaucoup. Il ne faut point tant faire la mine.

FATIMAN.

Tu les veux toutes deux.

D. BRUSQUIN.

Ouy, je l’avouë aussi,
Si l’on vendoit chez nous les Femmes, comme icy,
Pour moitié de l’Argent que j’offre pour la mienne,
J’en aurois, à choisir, du moins une douzaine.

FATIMAN.

585 Finissons, je suis las d’un pareil entretien*,
Tu perds icy ton temps, j’en veux cinq mil, ou rien,
Regle-toy là-dessus, & prens bien tes mesures,
J’en demeure d’accord, ces Loix sont un peu dures ;
Mais cependant il faut ne me voir desormais,
590 Que l’Argent à la main, & me laisser en paix.
Allez…

D. BRUSQUIN.

Quelle Somme ! Ah ! j’en ay la mort dans l’ame*,
J’aimerois presqu’autant qu’ils gardassent ma Femme.
Ils pourroient s’en dédire, il faut se dépêcher.
Ah, Chien* de Turc !

FATIMAN.

Plaît-il ?

D. BRUSQUIN.

Je m’en vais vous chercher
595 Les cinq mille Ducats.

FATIMAN.

Cette affaire est concluë*.
Allons voir si Celime est enfin résoluë
A terminer l’Hymen* qui me doit rendre heureux.
La voicy.

SCENE V. §

FATIMAN, CELIME, ZAIRE.

FATIMAN.

Quel bonheur vous présente à mes yeux ?
Qui vous ameine icy ?

CELIME.

Vous-même.

FATIMAN.

Moy, Madame.
600 O Ciel! à quel dessein?

CELIME.

De vous ouvrir mon ame*.

FATIMAN.

Qui vous cause ce soin*, Madame, est-ce l’Amour ?

CELIME.

Je l’avouë, il me fait vous chercher à mon tour.

FATIMAN.

Et l’Hymen* suivra-t’il ce feu* qui le devance ?

CELIME.

Oüy, luy seul à present fait mon impatience.

FATIMAN.

605 O trop heureux mortel ! O fortuné moment !
A qui dois-je, Madame, un si grand changement ?

CELIME.

Je ne suis pas ingrate, & je vais vous l’apprendre.
Tout ce que dans mes yeux vous remarquez de tendre*,
Ces feux* qu’heureusement vous comprenez si bien,
610 Me viennent d’avoir vû cet Esclave Chrétien.

FATIMAN.

Quoy, Madame…

CELIME.

Jamais ; croyez, s’il est possible,
Vous ne me pouvez faire un plaisir plus sensible,
Que d’en avoir fait choix pour me dés-ennuyer*,
Dans ses Chants que jamais je ne veux oublier,
615 Il a tant fait sentir à mon ame* charmée,
L’agréable douceur d’aimer & d’être aimée,
Que mon cœur* se dévouë à l’Amour desormais,
Et d’un heureux Hymen* je fais tous mes souhaits.

FATIMAN

Que ne luy dois-je point ? que ma surprise est grande.
620 O Ciel !

CELIME.

Puis-je pour luy vous faire une demande,
C’est de sa liberté ; me l’accorderez-vous ?

FATIMAN.

Moy, Madame, je vais luy rendre un bien si doux.
J’y cours.

CELIME.

Non, laissez-moi ce petit soin*. Zaïre,
Vous l’entendez, Carlos est libre ; allez luy dire,
625 Et par vôtre discours* faites-luy concevoir,
Qu’aprés ce grand bien-fait, il songe à son devoir.

ZAIRE.

J’y vais, Madame.

FATIMAN.

Aprés ce que je viens de faire,
Je puis donc me flater de l’Hymen* que j’espere ?
Je puis…

CELIME.

Si le destin* favorise mes pas,
630 Vous verrez des transports* que vous n’attendez pas,
Adieu.

SCENE VI. §

FATIMAN, ZAIRE.

FATIMAN.

De mon amour la confiance fidelle,
Enfin va remporter…

ZAIRE.

O la fine Femelle !

FATIMAN.

Qui, Celime ?

ZAIRE.

Oüy.

FATIMAN.

Comment, au lieu de la loüer…

ZAIRE.

Quoy, vous ne voyez pas qu’elle veut vous joüer ?

FATIMAN.

635 Elle ?

ZAIRE.

Elle aime Carlos.

FATIMAN.

Ah ! quelle perfidie !
Ciel ! elle aime, dis-tu, Carlos ?

ZAIRE.

A la folie.

FATIMAN.

D’où sçais-tu cet amour dont elle brûle en vain,
Dis-moy ?

ZAIRE.

Tantôt cachée au Cabinet* prochain*,
J’ay de ses feux* naissans, entendu le mistere,
640 Dans l’aveu* qu’à Carlos, sa bouche en a sçu faire,
Elle luy promettoit des biens en quantité,
Dont le moindre à ses yeux étoit la liberté,
Et c’est pour ce sujet qu’elle l’a demandée.

FATIMAN.

De quelle passion* est-elle possédée !
645 Et Carlos qu’a t’il dit ? tu l’as bien entendu ?

ZAIRE.

Interdit* & confus il n’a rien répondu.

FATIMAN.

De ce complot maudit je veux sçavoir* la suite,
Zaire, j’en commets* le soin* à ta conduite*.
Va trouver Dom Carlos, comme elle te l’a dit.
650 Acheve exactement ce qu’elle t’a prescrit.
Observe adroitement ses yeux, sa contenance
Ses gestes, ses discours*, & même son silence ;
De peur d’être surpris dans cet Appartement,
Tu viendras dans le mien m’instruire promptement,
655 Vole, ta liberté que ma bouche a jurée,
Sera par ce service encor plus assurée.

ZAIRE.

Pour redevenir libre, allons trouver Carlos.

SCENE VII. §

JULIE, CARLOS.

JULIE.

Zaire ?… Elle me fuit, tout nuit à mon repos*,
Je cherche en vain Carlos pour adoucir ma peine.
660 En vain… Mais le voicy, mon bonheur me l’ameine.
Carlos me laissez-vous en proye à mes douleurs ?
Venez avecque moy détourner mes malheurs ;
Pour empêcher ma mort, allons trouver Celime.

CARLOS.

Ah ! quel empressement* de la voir, vous anime ?
665 Madame.

JULIE.

Dom Brusquin est icy dés ce jour,
Avecque Fatiman il traite mon retour.
Par ce rachat cruel livrée à ce barbare*,
Demain nôtre malheur pour jamais nous separe,
Et Celime pourroit auprés de Fatiman…

CARLOS.

670 Ah ! nous sommes perdus, s’il faut son agrément*.
Et plus que Dom Brusquin, elle est nôtre Ennemie.

JULIE.

Comment ?

CARLOS.

Vous le diray-je, helas ! belle Julie,
Pour cet infortuné, par un instinc jaloux,
Elle a le même cœur*, les mêmes yeux que vous.

JULIE.

675 Elle vous aime ? helas !

CARLOS.

Elle a sçû me le dire.

JULIE.

L’aimez-vous ?

CARLOS.

Moy ! Madame, ah ! plûtôt que j’expire
A vos genoux…

SCENE VIII. §

D. BRUSQUIN, JULIE, CARLOS.

D. BRUSQUIN.

Allons pour consommer cela…
Que voy-je icy ? ma Femme !

JULIE.

Ah !

D. BRUSQUIN.

Que faites-vous là ?
Parlez, travaillez-vous tous deux pour nôtre honte.

CARLOS.

680 Je ne suis pas icy pour vous en rendre compte.
Il s’en va.

SCENE IX. §

D. BRUSQUIN, JULIE.

D. BRUSQUIN.

Me voilà, quel accüeil ! Quoy sans sçavoir nâger,
Quand de la Mer pour vous je brave* le danger,
Je ne vous vois pour moy remüer pié ny patte.
Vous ne pouvez, du moins me dénier ingrate,
685 Que vous voyez en moy vôtre Liberateur.

JULIE en s’en allant.

Je ne puis voir en vous, que mon Persecuteur.

SCENE X. §

D. BRUSQUIN seul.

Suis-je pas un grand Sot d’aimer cette Traîtresse ?
Mais puis que rien ne peut guerir tant de foiblesse,
Et que le Diable épargne enfin si peu de fronts*,
690 Hazard à mon marché, concluons* & partons.

Fin du second Acte.

ACTE III. §

SCENE PREMIERE. §

STAMORAT, FATIMAN, ZAIRE.

STAMORAT.

D’un air* brusque, augmenté par sa mélancolie,
Le brave* Dom Brusquin pour rachetter Julie,
Vient de nous délivrer les cinq mille Ducats.
Impatient de voir sa Femme entre ses bras,
695 Pour partir promptement il demande Audiance,
Il est proche d’icy ; vous plaît-il qu’il avance ?

FATIMAN.

Non, lors que je voudray le voir, il entrera.

STAMORAT.

Luy diray-je le temps, quand…

FATIMAN.

Quand il me plaira,
En faveur de Carlos, je prétens*, quoy qu’il die,
700 D’avec ce Dom Bouru* démarier Julie.
La remettre, Zaire, à cet heureux Amant*,
Pour prix d’avoir été sincere à Fatiman.
Oüy, ce qu’il m’a fait voir pour moy contre Celime,
L’assure pour jamais de toute mon estime.
705 Quant à l’Ingrate, enfin, je veux jusques au bout
La suivre, la surprendre, & la confondre en tout.
Par des Airs concertez & chantez devant elle,
Insulter, irriter son ardeur* criminelle ;
Toy, comme je l’ay dit, agis de ton côté,
710 Sûre que mes bienfaits suivront ta liberté.

SCENE II. §

CELIME, ZAIRE.

ZAIRE.

Pour me voir libre, allons trouver… Elle s’avance.

CELIME.

Je ne puis resister à mon impatience ;
J’ignore si Carlos a remply son devoir,
Je brûle de l’apprendre, & crains de le sçavoir*,
715 Zaïre est paresseuse &… La voicy. Zaïre,
De la part de Carlos que venez-vous me dire,
A-t’il avec transport* reçû sa liberté,
De quels regards, Zaïre, a-t’il vû ma bonté ?

ZAIRE.

Je voudrois, dans l’état* où j’ay trouvé son ame*,
720 Que de vos propres yeux vous l’eussiez vû, Madame.
Pour en être surprise autant que je la suis.

CELIME.

La joye est éclatante aprés de longs ennuis*.
Il t’a, je m’imagine, avec peu de conduite*,
Fait des remercimens par des discours* sans suite,
725 Et qu’il viendroit bien-tôt redevable à mes soins*
Embrasser mes genoux.

ZAIRE.

Luy ! Madame, rien moins.
A le voir interdit*, rêveur, muet, stupide*,
Le regard égaré, le visage insipide*,
D’une froide sueür il a paru trempé, [O]
730 Comme si du Tonnerre il eût été frappé.

CELIME.

Un bien* qu’on n’attend pas surprend & saisit l’ame,
Enfin il a parlé ?

ZAIRE.

Rien moins encor, Madame :
De rompre le silence en vain je l’ay pressé*,
Plus je montrois d’ardeur*, plus il étoit glacé,
735 Et sur son teint, du Rouge ayant perdu les charmes*,
Grosses comme des poix j’ay vû couler ses larmes.

CELIME.

On pâlit de surprise, & la joye a ses pleurs.

ZAIRE.

Non, si je m’en rapporte au langage des cœurs,
Les siennes à Julie exprimoient le contraire.

CELIME.

740 Quoy, Julie… Au récit que tu luy viens de faire
Elle était donc présente ?

ZAIRE.

Ils ne se quittent pas,
Madame.

CELIME.

Le crois-tu charmé* de ses appas ?
Seroit-il aimé d’elle, est-ce un plaisir qu’il goûte ?

ZAIRE.

Il ne m’en a jamais parlé, mais je m’en doute.

CELIME.

745 Un desir curieux me porte à le sçavoir*,
Et je veux… Mais quel Homme icy viens-je de voir ?

ZAIRE.

C’est Tomire, autrefois son Valet.

CELIME.

Va luy dire,
Que je veux luy parler, & qu’il vienne.

ZAIRE.

Tomire
Viens, on veut te parler.

SCENE III. §

CELIME, TOMIRE, ZAIRE.

TOMIRE.

J’allois chez Fatiman,
750 Courir executer l’ordre & l’empressement*
Du brave* D. Brusquin, qui demande audience,
Vous voyant, par respect, je retournois.

CELIME.

Avance
Vien. Autrefois Carlos étoit servy par toy ?
Parle.

TOMIRE.

Il n’a jamais eû d’autre Valet que moy.

CELIME.

755 Et tu l’aimes ?

TOMIRE.

Autant qu’un Valet aime un Maître.

CELIME.

Il est noble en Espagne ?

TOMIRE.

Oüy, tout ce qu’on peut l’être.

CELIME.

Quelle honte ! j’admire étant de qualité,
Comment par sa Famille il n’est pas racheté !

TOMIRE.

En Europe souvent, quoy qu’ils soient en estimes,
760 Madame, noble & gueux sont termes synonimes ; [Oij]
Carlos auroit ces noms sans l’espoir singulier*
D’un Oncle riche & vieux dont il est heritier,
Dieu mercy.

CELIME.

Mais ayant cet Oncle, est-il croyable
Qu’il l’abandonne ?

TOMIRE.

Il est avare comme un Diable ;
765 Madame, & nous verroit plûtôt crever* tous deux,
Que de donner un soû.

CELIME.

Sa mort proche, étant vieux,
Enrichira Carlos d’une assez grande Somme.

TOMIRE.

Il est vray qu’il est vieux, mais comme c’est un Hõme
Qui depuis le berceau pour nous faire enrager*,
770 Ne s’est fait, ny seigner, ny droguer, ny purger,
Et qu’il ne veut point voir de Medecins, je doute
Qu’il meure encor.

CELIME.

Parlons d’autres choses, écoute
Carlos t’ouvroit son cœur*, te connoissant prudent ?

TOMIRE.

J’ay toûjours, quoyqu’indigne, été son Confident.

CELIME.

775 Conte-moy ses Amours ?

TOMIRE.

Oh ! Ces Historiettes
De mysteres* galants, d’intrigues, d’amourettes,
Comme vous jugez bien sont de petits secrets,
Qu’un Valet bien discret, ne révéle jamais.
Ainsi, vous voulez bien me dispenser, Madame,
780 De découvrir icy le secret de sa flâme*.
Ce Dom Carlos dont j’ay ménagé* les Amours,
Fut mon Maître, & je veux m’en souvenir toûjours.
Tel que vous me voyez, j’ay pour luy tant de zéle,
Que je veux être un jour cité comme modéle,
785 D’un Valet achevé, malheureux, mais nazard ;
Et je ne haï rien tant qu’un Valet babillard*,
Qui veut à tous venans, même sans les connoître,
Conter de but* en blanc les Amours de son Maître.

CELIME.

Carlos est bienheureux que sa condition
790 Luy conserve un tel zéle ; & ta discretion
Me paroît à la fois si rare, & si loüable,
Que le plaisir que j’ay de t’en trouver capable,
Est payé de ce prix.
Elle luy donne une Bague.

TOMIRE.

Oh ! C’est…

CELIME.

Prens, j’aime à voir
Que rien contre Carlos n’ébranle ton devoir.
795 Son interêt m’est cher : qu’à l’avenir ton zéle,
Ne démente jamais une ardeur* si fidelle,
Tu sçais tous ses secrets, garde-toy d’en parler,
Et meurs plûtôt cent fois que de les reveler.

TOMIRE.

Oh !

CELIME.

Quant à ses Amours qu’on auroit peine à croire,
800 Carlos m’en a conté tantôt toute l’Histoire.
Ce n’est plus à present un mystere* pour moy,
Il m’a dit qu’il aimoit Julie.

TOMIRE.

Ah ! je le croy,
Cela n’est pas nouveau.

CELIME.

Qu’une ardeur* mutuelle
Rendoit malgré leurs Fers leur Amour éternelle ; [Oiij]
805 Par quel hazard ils ont perdu la liberté,
Leurs traverses*, leurs pleurs…

TOMIRE.

Il vous a donc conté
Comment il l’enleva du logis de sa Mere ;
La rencontre qu’il fit de ce Vaisseau Corsaire ?

CELIME.

Ouy, vôtre Embarquement, & comment on vous prit.
810 Le desespoir qu’il eut.

TOMIRE.

Il vous aura donc dit,
Là… que la chose fut justement accomplie,
Dans le tems qu’on venoit de marier Julie,
Qui haïssoit à mort l’Epoux qu’on luy donnoit,
Que deux heures plus tard l’Hymen* se consommoit*.

CELIME.

815 Il m’a dit tout cela de point en point, Tomire.

TOMIRE.

Il faut que sur son cœur* vous ayez grand empire,
Pour s’être ouvert à vous ainsi, j’en suis surpris,

CELIME.

J’estime fort Carlos.

TOMIRE

Et vous a-t’il appris
Que ce vieux Singe, à qui l’on maria Julie,
820 Est pour la rachetter dés hier en Barbarie*,
Et qu’avec Fatiman il a fait son marché ?

CELIME.

Je le sçay, & Carlos m’en paroît si touché,
Que sensible* à l’ennuy* qu’il m’en faisoit paroître…

TOMIRE.

Hé bien ! voyez un peu le caprice d’un Maître,
825 Il l’a dit, il n’auroit point cessé de crier,
Si j’en avois ouvert la bouche le premier.
Le monde est ainsi fait.

CELIME.

Cette triste nouvelle,
Me donne pour Carlos, une douleur mortelle,
Car il perd sa Maîtresse, & l’ennuy* qu’il en a…

TOMIRE.

830 Ne vous affligez point, si ce n’est que cela ;
Depuis une heure ou deux tout a changé de face.

CELIME.

Quoy ! ne me cache rien, dis-moy ce qui se passe.

TOMIRE.

Je n’en suis pas encor tout-à-fait informé,
Mais je viens de laisser Carlos joyeux, charmé,
835 Parlant de se voir libre, & vous nommant, Madame,
Avecque des transports* qui découvrent son ame*.

CELIME.

Vous m’en aviez, Zaïre, informée autrement.

ZAIRE.

J’ay dit ce que j’ay vû, Madame, assûrément,
Carlos étoit chagrin & triste en ma présence.

TOMIRE.

840 C’est donc qu’il a voulu vous cacher ce qu’il pense ;
Car c’est un fin matois*, à le dire entre nous,
Mais maintenant avec Julie, à ses genoux,
Sa bouche tendrement sur ses mains attachées,
Il les baise d’un air* dont vous seriez touchée* ;
845 Je m’en vais leur conter, Madame, avec ardeur*
Combien vous témoignez de joye à leur bonheur.

CELIME.

Non, laisse-moy ce soin*, & ne dis rien, Tomire.

TOMIRE.

Je me tairay, Madame, & vous n’avez qu’à dire. [Oiiij]

SCENE IV. §

CELIME, ZAIRE.

CELIME.

M’estes-vous infidelle, & me tromperiez-vous,
850 Zaïre ?

ZAIRE.

Moy, Madame, ah !

CELIME.

Craignez mon courroux*.
Vous sçavez qui je suis ; malheur à qui m’offence.

ZAIRE.

Et quel seroit le fruit de cette intelligence* ?
Je retourne de prés les examiner* mieux.

CELIME.

Non, je n’en veux plus rien sçavoir* que par mes yeux.
855 Demeurez ; Mais qui vient me chagriner.

SCENE V. §

CELIME, STAMORAT, ZAIRE.

STAMORAT.

Madame,
Fatiman pénétré du bonheur de sa flâme* ;
Pour devancer l’Hymen* qui doit le rendre heureux,
Et répondre aux transports* de son cœur* Amoureux,
Vous offre ce Coffret remply de Pierreries.

CELIME.

860 Je suis bien obligée à ses galanteries.
Tenez, Zaïre, adieu.

STAMORAT.

Dans ce même moment
Il vous fait préparer pour divertissement,
Un Opera chanté par Carlos, & Julie ;
Mais il craint toutefois que ce chant vous ennuye*.

CELIME.

865 Non, non, j’ay des raisons pour m’y bien divertir*
Si-tôt qu’il sera prêt, qu’on me fasse avertir.

SCENE VI. §

FATIMAN, STAMORAT.

STAMORAT.

Elle n’est pas sensible* à l’Amour legitime.
J’ay peur que Fatiman… il vient.

FATIMAN.

Comment Celime
A-t’elle envisagé mon present ?

STAMORAT.

Froidement.

FATIMAN.

870 Et que t’a-t’elle dit du divertissement ?

STAMORAT.

Avec beaucoup d’ardeur* elle m’a fait connoître
Qu’il luy feroit plaisir, & qu’elle y vouloit être :
Qu’elle avoit des raisons pour s’y bien divertir*,
Et quand il sera prêt, qu’on la fasse avertir.

FATIMAN.

[Ov]
875 Elle y trouvera moins de plaisir qu’elle pense,
Fais venir Dom Brusquin, qu’il vienne à l’Audience.
Je vais pour obliger Julie, & Dom Carlos,
Contraindre ce Magot* de signer leur repos*.

SCENE VII. §

DOM BRUSQUIN, FATIMAN, STAMORAT.

D. BRUSQUIN.

Ça*, Seigneur Fatiman, concluons* je vous prie,
880 Aussi bien je commence à voir que je m’ennuye* ;
J’ay demandé ma Femme, & l’on m’a fait sçavoir*
Que c’est de vôtre main, qu’il la faut recevoir,
Je veux partir, enfin ; en un mot, comme en douze ;
J’ay livré mon Argent, livrez-moy mon Epouse.

FATIMAN.

885 Elle est libre, & de plus contre nôtre Traité,
Je prétens* luy donner gratis la liberté.
La rendre sans Argent, & qu’elle se retire…

D. BRUSQUIN.

Quel excés de bonté ! Sans Argent, c’est à dire,
Que ce Drôle voyant qu’elle quittoit ce lieu,
890 S’est payé par ses mains en luy disant adieu.
De ses bontez pour nous voilà la récompense,
Et je vais sur mon front* en porter la Quittance.
Que feray-je à cela, passons ? Apparemment
Nous pouvons donc partir ; tréve de compliment,
895 Puis que vous voulez bien sans Argent me la rendre,
De peur de vous fâcher, je m’en vais la reprendre ;
Si vous venez chez nous, vous me ferez honneur,
Reste à vous dire adieu but à but, serviteur.

FATIMAN.

Avant que de partir il faut qu’avec Julie,
900 Vous soyez le témoin d’une Cérémonie,
Et que vous me donniez icy quelques momens.

D. BRUSQUIN.

C’est pour une autre fois, nous n’avons pas le temps,
A nous faire partir, vôtre honneur vous oblige.

FATIMAN.

Vous ne sçauriez partir qu’après cela, vous dis-je,
905 Il faut qu’absolument vous y soyez tous deux.

D. BRUSQUIN.

Vous raillez.

FATIMAN.

Il le faut, vous dis-je, & je le veux.

D. BRUSQUIN.

Dites-moy donc quelle est cette Cérémonie,
Qui veut & ma présence, & celle de Julie,
Sans indiscretion peut-on vous en prier ?

FATIMAN.

910 C’est que je veux ce soir…

D. BRUSQUIN.

Hé bien !

FATIMAN.

La marier.

D. BRUSQUIN.

Julie ?

FATIMAN.

Elle.

D. BRUSQUIN.

Expliquons* s’il vous plaît ce langage,
Est-ce qu’on doute icy de nôtre mariage.
Et que craignant en Mer pour son honnêteté
On veut nous marier pour plus de sûreté ?

FATIMAN.

[Ovj]
915 Non.

D. BRUSQUIN.

Non ?

FATIMAN.

Non, je sçay bien que tu l’as épousée,
Que toûjours à ta flâme* elle s’est refusée,
Que rien ne vous unit, enfin, que quelques mots
Qui n’ont point eu d’effet ; Ainsi pour son repos*
Et même pour le tien, il vaut mieux, ce me semble,
920 Vous separer tous deux, que vous unir ensemble,
L’usage le permet icy, comme chez vous,
Et je luy vais ce soir donner un autre Epoux.

D. BRUSQUIN.

A ma Femme ?

FATIMAN.

A ta Femme : Et de plus….

D. BRUSQUIN.

Quel Negoce*.

FATIMAN.

Ton Argent servira pour les frais de la Nôce.

D. BRUSQUIN.

925 Nous nous entendons mal assurément tous deux.
Vous prétendez* ce soir marier à mes yeux,
Qui, dites-vous, Julie ?

FATIMAN.

Ouy.

D. BRUSQUIN.

Ma Femme : ah ! j’enrage*,
De quel droit, s’il vous plaît, rompre mon mariage ?

FATIMAN.

J’ay de deux Marabous* pouvoir pendant dix ans,
930 De démarier ceux qui ne sont pas contens.

D. BRUSQUIN.

Vous ? Si cela se sçait, un jour il faut qu’il fonde,
Des Maris en ces lieux des quatre coins du monde.
Et si vous pouvez mettre à profit tout ce temps,
Cela vous vaudra mieux que vingt Gouvernemens.

FATIMAN.

935 Sans doute, & pour ne pas differer* davantage,
J’en fais ce soir l’essay par ton démariage.
Vous y serez présent, vous en verrez le fruit.

D. BRUSQUIN.

Moy ! Ciel ! à quel malheur me vois-je icy réduit !
Qui l’eût dit ? Quand chez moy je partis plein de flâme*,
940 Que c’étoit pour venir aux Nôces de ma Femme ;
Et que me souhaitant des aîles aux talons,
Je viendrois de si loin payer les violons* ;
Est-ce un Arrêt pour moy sans appel ; & ma bourse
Ne peut-elle adoucir ?…

FATIMAN.

L’affaire est sans ressource.
945 Je luy donne un Epoux malgré tous tes discours*.

D. BRUSQUIN.

Sera-ce pour long-temps ?

FATIMAN.

Ce sera pour toûjours.

D. BRUSQUIN.

L’a-t’on dit à Julie ?

FATIMAN.

Ouy, je luy viens d’apprendre.

D. BRUSQUIN.

Que dit-elle à cela ?

FATIMAN.

Qu’elle est prête à se rendre,
Et qu’elle aimeroit mieux en te manquant de foy*,
950 Estre aux Fers avec luy, que Reine avecque toy.

D. BRUSQUIN.

Ah ! me voilà donc veuf du vivant de ma Femme.
Et quel est ce beau Fils qui cause tant de flâme* ?
Est-ce un secret pour moy ? ne le puis-je sçavoir* ?

FATIMAN.

Tu le sçauras tantôt, je te le feray voir.

D. BRUSQUIN.

955 Scelerat ! Est-ce ainsi que vous me percez l’ame ?
Vous me coupez la bourse, & me volez ma Femme.
Vous pouviez l’avoir fait, sans m’avoir attendu
Mais si j’y suis présent, je veux être pendu.
Je pars, & vais, pleurant des malheurs incroyables,
960 Donner cent fois le jour les Turcs à tous les Diables.
Il s’en va.

FATIMAN.

Il a beau se hâter, il n’ira pas bien loin.
Suivez-le, Stamorat ; Allez, prenez-en soin.

SCENE VIII. §

FATIMAN, CELIME.

CELIME.

Je ne voy rien encor préparé pour la Fête,
Qui retient le Concert, qu’est-ce qui vous arrête ?
965 Je ne croyois jamais être assez tôt icy,
Et je ne vois encor Personne.

FATIMAN.

Les voicy,
Madame.

SCENE IX. §

FATIMAN, CELIME, CARLOS, JULIE.

FATIMAN.

Qu’allez-vous, Carlos, nous faire entendre ?

CARLOS.

De deux Amans* heureux, une Scéne assez tendre*.
On chante.
En vain l’on conspire
970 Pour séduire
Un cœur* amoureux,
Tout ce qu’on fait pour le surprendre
Ne sert qu’à le rendre
Plus fidele & plus tendre*,
975 Pour ses premiers feux*.
Les présens, les faveurs*
N’arrêtent pas toûjours les cœurs,
En amour il faut se contraindre,
Quand on a sçû charmer* ;
980 C’est un feu* qu’il faut feindre,
Et ce qu’on fait pour l’allumer,
Sert bien souvent à l’éteindre.
Les présens, les faveurs*
N’arrêtent pas toûjours les cœurs ;
985 Mais je crois que l’Amour…

CELIME aprés qu’on a chanté.

Taisez-vous, Dom Carlos, vôtre chant m’étourdit ;
Mais que fais-je, où m’emporte un trop juste dépit ;
Ils s’aiment, je ne puis l’ignorer. O vengeance,
Prête-moy tous tes traits, pour punir cette offence.

FATIMAN.

990 Il paroît que ces Chants qui me semblent si doux,
Madame, ne font pas le même effet sur vous.

CELIME.

Je ne sçay par quel Air leurs voix ont sçû vous plaire,
Je crains d’en pénétrer l’injurieux mystere* :
Et si je m’en croyois… Mais il vaut mieux sortir.

FATIMAN.

995 Et qui peut vous avoir causé ce déplaisir ?
Madame, expliquez*-vous.

CELIME.

J’aurois peur d’en trop dire,
Je ne suis pas assez à moy ; je me retire.

FATIMAN.

Je ne souffriray point que vous quittiez ces lieux
Sans que vôtre courroux* s’explique*, & qu’à vos yeux
1000 Un châtiment soudain n’étouffe vôtre haine.

CELIME.

Non, vous souffririez trop, je n’en vaux pas la peine ;
A l’affront qui m’est fait vous avez trop de part.

FATIMAN.

Je jure…

CELIME.

A ces sermens prononcez au hazard,
Pour peu que vous vouliez que je donne croyance,
1005 Il faut pour satisfaire à ma juste vengeance,
Que vous chargiez de Fers, sans aucune pitié,
Ces Esclaves Objets* de mon inimitié,
Qu’en des lieux séparez, accablez de misere,
Ils sentent le malheur de m’avoir sçû déplaire.

FATIMAN.

1010 Madame…

CELIME.

Obéïssez, remplissez mes souhaits
Ou bien résolvez-vous à ne me voir jamais.

SCENE X. §

FATIMAN, JULIE, CARLOS, ZAIRE.

JULIE.

Seigneur de ses fureurs* sauvez nôtre innocence.

FATIMAN.

Je veux voir jusqu’où peut aller son insolence,
Et luy dresser un piége adroit, ingénieux :
1015 Mais allons-en parler ailleurs que dans ces lieux,
Et toy cours la trouver, Zaïre, va luy dire
Que je vais accomplir tout ce qu’elle desire.

Fin du troisiéme Acte.

ACTE IV. §

SCENE PREMIERE. §

CELIME, ZAIRE.

CELIME.

Zaïre, je vous ay confié mon secret,
J’ay crû ne le pouvoir dans un sein plus discret ;
1020 Si je vous vois répondre à cette confiance,
Zaïre, attendez tout de ma reconnoissance ;
Mais si de me trahir vous cherchez le moment,
Zaïre, craignez tout de mon ressentiment*.

ZAIRE.

J’entre dans vos secrets, Madame, sans contrainte,
1025 Et de vôtre courroux* je ne crains point l’atteinte,
Si la peur maintenant se renferme en mon sein,
Si je tremble, ce n’est que pour vôtre dessein.

CELIME.

L’Amour qui l’entreprend guidera l’entreprise.

ZAIRE.

Et c’est de cet Amour, que mon ame* est surprise,
1030 Madame, est-il bien vray que vous aimiez Carlos ?

CELIME.

Si je l’aime ! l’ingrat, que trop pour mon repos*.

ZAIRE.

Emprisonné, Madame, & trahy par vous-même,
Vous le persecutez, est-ce là comme on aime ?

CELIME.

As-tu vû ses tourmens*, sçais-tu son desespoir ?

ZAIRE.

1035 Dans l’abime profond du cachot le plus noir,
Mains, & piés enchaînez, éloigné de Julie,
Il faut voir ses clameurs.

CELIME.

Que mon ame* est ravie*.

ZAIRE.

Je ne vous comprens pas.

CELIME.

Dans ses cruels ennuis*
Il reconnoît sa faute, il voit ce que je puis,
1040 Plus de son noir Cachot la rigueur est extrême,
Plus il sent qu’il n’en peut sortir que par moy-même,
Et de sa liberté redevable à mes soins*,
Il m’aimera, peut-être, il le feindra du moins.

ZAIRE.

Vous l’allez donc remettre en sa faveur* premiere ?

CELIME.

1045 Ouy, Fatiman rompra ses Fers à ma priere.

ZAIRE.

Mais ne craignez-vous point, l’en pressant* trop souvent,
Que Fatiman ne sorte enfin d’aveuglement ?

CELIME.

Fatiman veut ma main, il s’empresse à me plaire.
Il m’aime, j’en feray ce que j’en voudray faire.

ZAIRE.

1050 Il vient.

SCENE II. §

FATIMAN, CELIME, ZAIRE, suite.

FATIMAN.

He bien, Madame, est-ce aujourd’huy le jour
Où je verray l’Hymen* couronner mon amour :
Mon cœur* impatient d’en celebrer la Fête,
Remplit tous les devoirs dûs à vôtre conquête.
Allons, Madame, aux yeux d’Alger & du Divan*
1055 Joindre à jamais Celime à l’heureux Fatiman.

CELIME.

Avant que d’achever cette Cerémonie,
Guerissez, s’il vous plaît, mes soupçons sur Julie.
Avez-vous accomply toutes mes volontez ?

FATIMAN.

Vos ordres sont déja, Madame, executez.
1060 Dans un cachot obscur gémissant sous la chaîne,
De vous avoir déplû, Carlos souffre la peine.

CELIME.

Et Julie ? Avez-vous pas la même rigueur ?

FATIMAN.

Non.

CELIME.

Non !

FATIMAN.

Je l’avouëray, touché de son malheur,
Des graces, des beautez, comme vous le modele,
1065 J’ay respecté les droits, de vôtre Sexe en elle,
Elle est libre.

CELIME.

Ah ! voilà mes soupçons confirmez,
Vôtre cœur* m’est connu, perfide, vous l’aimez.

FATIMAN.

Je l’aime !

CELIME.

Vous.

FATIMAN.

Moy !

CELIME.

Vous. Enfin ma jalousie
Pour être moderée est trop bien éclaircie.
1070 De ces Chants concertez je vois la verité.

FATIMAN.

Eh… quelle erreur, Madame, & quelle pauvreté !
A mon Accusateur j’avois dequoy répondre ;
Mais mon cœur* l’entreprend, & je veux vous confondre,
Pour gagner vôtre cœur*, pour avoir vôtre main,
1075 Pour remplir vos desirs, que faut-il faire, enfin ?

CELIME.

Non, non, je ne veux pas que pour moy l’on se gêne*,
Et l’execution vous feroit trop de peine.

FATIMAN.

Non, non, pour satisfaire à ce que vous voulez ;
Je ne conçois plus rien d’impossible, Parlez.

CELIME.

1080 Il faut à son Epoux que vous rendiez Julie,
La bannir de vos yeux pour toute vôtre vie.

FATIMAN.

Hé bien ! tantôt, Madame, à vos yeux, devant vous,
Je remettray Julie aux mains de son Epoux,
Et je vay de ce pas répondre à vôtre attente.

CELIME.

1085 Ce n’est pas tout, encor, pour me rendre contente,
Et me débarrasser d’un visage odieux,
Que pour jamais Carlos abandonne ces lieux,
Et qu’à peine sorty des Fers de l’esclavage,
Ce soir, avec la nuit, il quitte ce rivage.

FATIMAN.

1090 Vous serez obeïe.

CELIME.

Avant que de partir
Que je luy parle, il faut, & c’est tout mon desir,
Qu’il connoisse pour luy le fond de ma pensée,
Pour ne pas voir ma haine, il m’a trop offensée.

FATIMAN.

Que l’on fasse venir l’Esclave à ses genoux.

CELIME.

1095 Demain vous connoîtrez ce que je sens pour vous.

FATIMAN à part en s’en allant.

Elle embrasse un dessein que je ne puis comprendre,
Observons-la de prés, cachons-nous pour l’entendre.

CELIME.

L’ay-je amené, Zaïre, au point où j’ay voulu ?
Je me sers assez bien du pouvoir absolu.
1100 Dans les rusez détours d’une Œuvre mercenaire,
Fatiman est bon Turc, grand pilleur, franc Corsaire,
Mais dans ces tours d’esprit aux Amans* destinez,
C’est un Homme à ne voir pas plus loin que son nez.

ZAIRE.

Il est vray ; mais, Madame, ou j’ay peu de lumiere,
1105 Ou je ne comprens pas ce que vous voulez faire.
L’infortuné Carlos est aimable à vos yeux,
Et vous voulez ce soir qu’il parte de ces lieux.

CELIME.

Ouy ; mais de mes desseins acheve de t’instruire,
Toutes deux avec luy nous partirons, Zaïre.

ZAIRE.

1110 Nous !

CELIME.

J’ay tout préparé, pour ce prochain* départ,
Un Bâtiment Anglois est gagné de ma part,
Mon bien* est en Argent comptant ; dans ma retraite
Je ne laisseray rien icy que je regrette.
Il falloit pour sortir facilement du Port,
1115 Du Seigneur Fatiman avoir un Passeport,
Sa bonté me l’accorde, & par son entremise,
Demain de sa tendresse* il verra la sottise.
Tu peux t’en assurer…

ZAIRE.

Et malgré ces apprêts,
Si Carlos est toûjours rebelle à vos souhaits ?

CELIME.

1120 A me plaire, Zaïre, il mettra son attache*,
Il sçait ce qu’il en coûte, alors que l’on me fâche,
Et puis quand seul à seul, nous nous verrons sur Mer,
Quand il se verra loin de qui l’a sçû charmer*,
Faite comme je suis, il n’est pas impossible
1125 Que son cœur* à mes feux* ne devienne sensible*.

ZAIRE.

Le voilà.

SCENE III. §

ZAIRE, CELIME, CARLOS, FATIMAN caché.

CELIME.

Je le plains des maux qu’il a soufferts,
Zaïre approchez-vous, que l’on ôte ses Fers.
Qu’on me laisse. Restez, vous. Hé bien ! téméraire,
Tu vois quel est le fruit de m’avoir sçû déplaire ;
1130 Je suis absolument maîtresse de ton Sort :
La plus aimable vie, ou la plus dure mort
Sont à ton choix.

CARLOS.

Madame.

CELIME.

En l’état* déplorable,
Où Julie a réduit ton destin* miserable,
S’arracher d’un Objet* qu’on aime tendrement,
1135 N’est pas, je le sçay trop, l’ouvrage d’un moment ;
Aussi, je laisse au temps à faire cet office ;
Mes soins* te forceront à me rendre justice.
Pour gage d’un Amour dont mon cœur* est garant,
Accepte ces essais de ma tendresse*, prend.
1140 Prens, dis je, je te laisse, écoute, & crois Zaïre,
Elle connoît pour toy quel mouvement m’inspire.
Fais, voyant ce que peut mon courroux* dangereux,
Ce qu’elle te dira, si tu veux vivre heureux.
Adieu.

SCENE IV. §

CARLOS, ZAIRE, FATIMAN.

CARLOS.

Ciel ! Je… Mais vous à ce qu’elle souhaite,
1145 Prêteriez-vous les mains ?

ZAIRE.

M’en garde le Prophete.
Allons chez Fatiman luy…

FATIMAN.

J’ay tout entendu
Au Cabinet* prochain* ; étonné*, confondu,
De voir à quel excés elle poussoit l’outrage,
Indigné de l’affront, inspiré par la rage,
1150 Je me suis vû tenté de la perdre à vos yeux,
Et je n’ay differé que pour la punir mieux.

ZAIRE.

Je crois que d’un Amant* la fureur* est extrême,
Quand il se voit trahy par la Dame qu’il aime.

FATIMAN.

Je l’aime ! Environné de soins*, sur mon retour*,
1155 Né dans le sein des Flots, suis-je fait pour l’Amour ?
Son bien*, plus que ses yeux, me la rendent aimable.
Et je benis du Ciel le moment favorable,
Qui me montrant l’abîme où j’allois me plonger,
Me fournit les moyens encor de me vanger.
1160 Voyons quel est l’essay de ses galanteries.

CARLOS.

Le voilà.

FATIMAN.

Ce Coffret. Comment, mes Pierreries !
L’usage qu’elle en fait m’inspire le dessein,
D’inventer des tourmens* qui perceront son sein.
Va la trouver, Zaïre, & pour flater* son ame*,
1165 Feins-luy que son Amant* peut répondre à sa flâme*,
Qu’à la suivre déja tu l’as vû balancer*,
Le reste me regarde, & je vais y penser.
Nous… Qu’est-ce ? [P]

SCENE V. §

TOMIRE, FATIMAN, ZAIRE, CARLOS.

TOMIRE.

Je venois, Seigneur, l’ame contente
Raconter à mon Maître une Histoire plaisante :
1170 Mais…

FATIMAN.

Dis-moy ce que c’est.

TOMIRE.

L’illustre D. Brusquin,
S’en alloit vers le Port fort outré de chagrin* :
Donnant les Turcs au Diable, & résolu sur l’heure
De se remettre en Mer, pour changer de demeure,
Lors que huit ou dix Turcs luy couppant le chemin,
1175 Qu’il prenoit pour se voir maître de son destin*,
En se moquant de luy, le traitant d’Excellence,
Ont fait en l’abordant chacun la reverence ;
Puis aprés un d’entr’eux faisant l’Ambassadeur,
L’a salüé fort bas, luy disant, Monseigneur,
1180 Sçachant que de Julie un bonheur tres-insigne*
Vous a fait, cy-devant le Mary tres-indigne,
Fatiman préposé pour pourvoir* aux abus,
Que des gens mal sensez commettent là-dessus ;
Pour vous démarier de bonne intelligence,
1185 Et la remarier, vous prie, avec instance,
De vouloir, terminant la chose avec éclat,
Assister à la Nôce, & signer le Contrat.
Moy signer au Contrat ! Traître, qu’il aille au Diable ,
A-t’il dit, suis je icy pour luy servir de Fable ?
1190 Qu’on me laisse partir, & que ce Suborneur*,
Se contente d’avoir… Mais, enfin, Monseigneur,
A dit d’un ton soûmis l’autre, vôtre Excellence,
Sçait que Fatiman prie, & qu’un refus l’offence,
Et si de ce plaisir vous allez le priver,
1195 Il aura du regret…. puisse-t’il en crever*,
Le Scélérat qu’il est, a dit l’autre en colere.
Puisqu’il ne vous plaît pas, Monseigneur, d’en rien faire,
A dit le Turc, cherchant dessous son Casaquin*,
Respectueusement trois quartiers de Gourdin*
1200 Dont il s’étoit muny ; Voicy d’une racine,
Qui met à la raison l’ame la plus mutine*,
Vous en ferez l’essay, s’il vous plaît. A ces mots
Le Drôle de vingt coups a chamarré son dos.
Ah ! quartier, a-t’il dit, voulez-vous que je meure ?
1205 Je suis prêt d’aller voir Fatiman tout à l’heure ;
Ne pouvant de vos coups me sauver qu’à ce prix.
Là-dessus ils ont pris le chemin du Logis,
Il demandoit venant, le desespoir dans l’ame,
Si l’on n’est pas content de luy voler sa Femme,
1210 D’où vient que, malgré luy, l’on le rameine icy,
Et si ce Fatiman veut l’épouser aussi ?
On l’ameine.

FATIMAN à Carlos.

A ses yeux tu ne dois point paroître,
Que quand il sera tems de te faire connoître,
Laisse-moy.

TOMIRE.

Le voilà plaisamment consterné. [Pij]

SCENE VI. §

DOM BRUSQUIN, FATIMAN, STAMORAT, suite.

D. BRUSQUIN.

1215 Hé bien ! me trouvez-vous suffisamment berné ?
Ah Traitres ! à quoy bon avec vos Excellences
En me roüant de coups, toutes ces revérences ?
Non jamais un mortel, à parler Franchement
Ne s’est vû mieux battu, ny plus civilement.

STAMORAT.

1220 Vous voyez Fatiman, vîte, la revérence,
A son aspect : Bas, bas, plus bas.

D. BRUSQUIN.

Quelle arrogance !
Le Traître de mes coups, rit, entre cuir & chair,
Et pour comble de maux je n’ose m’en fâcher.

STAMORAT.

Le brave* D. Brusquin de civile maniere,
1225 Devant tes yeux, Seigneur, paroît à ta priere.

FATIMAN à D. Brusquin.

Je vous suis obligé d’avoir tant eû d’égard
Pour les gens qui vous ont salüé de ma part.

D. BRUSQUIN.

Brisons là, ce n’est pas le fruit de leur Harangue ;
Et leurs coups de bâton ont plus fait que leur langue,
1230 Ils m’ont roüé de coups, & n’auroient pas cessé*

FATIMAN.

Ils ont tort. Mais, enfin, oublions le passé.
Cela n’est rien, il faut qu’une amitié sincere…

D. BRUSQUIN.

Quoy que mal-aisément tout cecy se digére,
Puis qu’on fait à mon dos une necessité,
1235 De vous rendre aujourd’huy le maître du Traité ;
Soyez-le, j’y consens, les beaux yeux de ma Femme
Ont mis, je le vois bien, du désordre en vôtre ame*.
Vous voulez la garder, hé bien ! soit, gardez-la,
Faites-en… faites en tout ce qu’il vous plaira.
1240 Vous n’y manquerez pas ; mais que l’on me renvoye,
Qu’on ne me rende point témoin de vôtre joye,
Je n’auray, sans mes yeux, que de trop bons Témoins ;
....................................................................................

FATIMAN.

Hé bien ! puis que ton cœur* a tant de répugnance
1245 A souffrir que l’Hymen* se fasse en ta présence,
Je veux bien t’obliger, & t’accorder ce point ;
Je te feray partir, tu ne le verras point,
Mais à condition…

D. BRUSQUIN.

Quel est ce nouveau Pacte ?

FATIMAN.

Qu’avant que de partir, on mettra dans un Acte,
1250 Que te trouvant indigne, & n’étant pas le fait*
De Julie, & voyant qu’un Hymen* sans effet,
Te fit contre son gré l’Epoux de cette Belle,
Tu t’es démis du droit qu’on te donna sur elle.
Que volontairement vous consentez tous deux,
1255 Que d’un pareil Hymen* quelqu’un brise les nœuds :
Que Julie en cecy consentit la derniere ;
Que c’est pour t’obliger, & même à ta priere :
Qu’à cet effet pour toy sa bonté se résout,
Que même à tes dépens.

D. BRUSQUIN.

Le Papier souffre tout,
1260 Que l’on y mette tout ce que l’on voudra mettre,
Pourrois-je l’empêcher ? Je veux bien m’en remettre
Sur les soins* que je crois que vous-même en aurez. [Piij]

FATIMAN.

Il faudra le signer, & puis vous partirez.

D. BRUSQUIN.

Moy le signer.

FATIMAN.

Ouy toy, la chose étant écrite,
1265 Il faudra bien signer.

D. BRUSQUIN.

Ah le chien* d’hypocrite !
Quoy, vouloir qu’en signant un pareil Concordat*,
Je passe pour un Sot sur mon Certificat* ;
Et que pour ma Moitié par écrit je convienne*,
Que je consens qu’un Turc en fasse icy la sienne :
1270 Dûssay-je être témoin de tout ce qu’on voudra,
Je ne signeray rien de ce qu’on y mettra.
Ouy, je vous mets au pis, vous avez beau me dire,
Pour signer contre moy, je ne sçay point écrire.

FATIMAN.

C’est t’emporter en vain, tu n’y veux pas signer ;
1275 Hé bien ! soit, je consens à ne te point gêner*.
Mais comme tout est prêt pour la Cérémonie,
On ne laissera* pas de marier Julie,
Tu verras pour cela ce qui s’est concerté*.
Et comme je luy veux donner la liberté,
1280 Il faudra te résoudre, en souffrant qu’il se fasse,
A demeurer Esclave en échange à sa place ;
Jusqu’à ce que la mort finissant tes regrets,
Ait pris l’un de vous d’eux pour laisser l’autre en paix,
Quiconque restera…

D. BRUSQUIN.

Moy Captif ! & le vôtre !

FATIMAN.

1285 Ira porter chez luy les nouvelles de l’autre.
Tu feras cependant quelque voyage en Mer,
Par divertissement, pour t’apprendre à ramer.

D. BRUSQUIN.

Qui, moy, ramer !

FATIMAN.

Toy-même.

D. BRUSQUIN.

Ah Ciel ! quel coup de foudre !

FATIMAN.

Souviens-toy que tu n’as qu’une heure à te résoudre.
1290 S’il est passé ce tems, constant dans ses refus,
Qu’on le mette à la Chaîne, & qu’on n’en parle plus.

STAMORAT.

Nous irons l’embarquer Forçat* sur les Galeres,
Qui des Côtes d’Alger partiront les premieres.

FATIMAN.

Justement. J’en sçauray tantôt le résultat.

SCENE VII. §

D. BRUSQUIN, STAMORAT, Suite.

D. BRUSQUIN.

1295 Ah ! Canaille maudite ! ah Traître ! moy Forçat* !
Quoy donc ? Il faut finir mes jours en Barbarie*,
Ou la rame à la main, ou noté d’infamie ?
Aux dépens de mes bras m’épargner un affront,
Ou bien les soulager aux dépens de mon front* ?
1300 Ah ! Bourreaux qui sur moy faites ces violences !

STAMORAT.

Il faut aller plus loin faire tes doléances.

D. BRUSQUIN.

Croyez-vous que mon cœur* sans douleur souffrira ?

STAMORAT.

Va, songe à te résoudre, & l’on te répondra.

Fin du quatriéme Acte. [Piiij]

ACTE V. §

SCENE PREMIERE. §

TOMIRE, MARINE.

TOMIRE.

Il faut attendre icy Celime à son passage.
1305 De la bouche, des yeux, du geste, & du visage,
Songeons à suivre en tout l’ordre de Fatiman.

MARINE.

Que ne ferois-je point pour ce bon Musulman ?
Sur l’ardeur* de mon zéle, il peut compter, Tomire ;
Mais de nôtre bonheur achéve de m’instruire.
1310 Le Frere de Carlos vient d’arriver icy,
M’as-tu dit, & son Oncle est mort ?

TOMIRE.

Ouy, Dieu mercy.
Le bon Homme est défunt, & pour longues années,
Nous allons voir bien-tôt changer nos destinées*.
Que diable ! pour mourir, qu’est-ce qu’il attendoit ?
1315 Que la peste le créve* en quelqu’endroit qu’il soit.
Le vieux Renard qu’il est.

MARINE.

Ton dépit me fait rire,
Pourquoy le maudis-tu ?

TOMIRE.

Je le puis bien maudire.
Si quelques mois plûtôt ce Singe eût trépassé,
Mon gros Diable de Turc ne m’eût point tant rossé*.
1320 Il avoit force Argent, & le Frere en apporte
Dequoy payer trois fois la rançon la plus forte.
Carlos l’a de ces Turcs tres-amplement instruit,
Et puis chez Fatiman il l’a d’abord* conduit.
Et je ne doute point que cette conjoncture
1325 Ne rende leur marché fort facile à conclure*.
Ainsi, comme tu vois, il ne faut plus songer
Qu’à nous bien réjoüir, & bien-tôt déloger.

MARINE.

Celime ne vient point, Tomire, qui l’arrête ?

TOMIRE.

Tant mieux ; nous en aurons un plus long tête à tête,
1330 Il s’offre rarement, tâchons d’en profiter.
Vois-tu, le cœur* m’en dit, & je t’en veux conter.

MARINE.

Toy ? quelle vision ! vraîment l’audace est belle,
M’en conter !

TOMIRE.

Ouy, comment est-ce chose nouvelle ?
Avant que ta Maîtresse eût eu son Sot Epoux,
1335 Est-ce que je manquois jamais au rendez-vous ?
Et tandis que mon Maître entretenoit* Julie,
N’allois-je pas les soirs dedans* la Gallerie,
Te faire bec à bec mille petits Rébus*,
Entrelassez de la… tu ne t’en souviens plus ?

MARINE.

1340 Il m’en souvient que trop, mais depuis six mois, Traître,
Que nous sommes icy, que m’as-tu fait paroître,
Pour me faire la cour*, qu’as-tu fait, qu’as-tu dit ?
Quelques mots en passant par maniere d’acquit.
Quand on aime, on en parle.

TOMIRE.

En étois-je capable ?
1345 J’avois pour Directeur un cœur* impitoyable, [Pv]
Qui depuis le matin jusqu’à minuit sonnant,
Querelle à lettre vûë, & rosse* argent comptant.
Il me roüoit de coups, & pour ne te rien feindre,
Je n’avois que le tems qu’il falloit pour me plaindre.
1350 Et je ne sçache rien, Marine, tout de bon,
Si contraire à l’Amour, que les coups de bâton ;
Mais, enfin, à présent qu’un rayon d’espérance
Nous flate, & qu’on nous traite avec plus d’indulgence,
Comme jamais pour toy mon Amour n’a cessé,
1355 Je veux récompenser un peu le temps passé,
Et folâtrer un peu sur nouveaux frais ; je meure
Si mon cœur*

MARINE.

Et demain, peut-être, ou dans une heure,
Si les coups de bâton surviennent là-dessus,
Tu ne me diras rien, ou ne m’aimeras plus.
1360 Je prétens qu’un Amant*, en pareille avanture,
Conserve un cœur* plus tendre* en une peau plus dure,
Et je me mocque, moy, de cet Amour poltron,
A qui la peur des coups fait faire le plongeon.
Entens-tu ?

TOMIRE.

Cependant, à regret je m’en vante ;
1365 Mon amour n’est point ladre, & la peur l’épouvante :
J’en conviens*, c’est pour moy, si tu veux, un malheur ;
Mais j’ay la peau fort tendre, aussi-bien que le cœur* ;
Enfin, pour abreger un discours* qui t’ennuïe* ;
Et te faire ma cour, sçais-tu bien que Julie
1370 M’a tantôt promis...

MARINE.

Quoy ?

TOMIRE.

Que nous serions unis.

MARINE.

Il vaudroit mieux pour toy que je te l’eus promis.

TOMIRE.

Chut, Celime paroît

MARINE.

Elle parle à Zaïre.
Ecoutons, & songeons à ce qu’il nous faut dire.

SCENE II. §

CELIME, ZAIRE, TOMIRE, MARINE.

CELIME.

Pour le départ, Zaïre, hé bien tout est-il prêt ?

ZAIRE.

1375 Avant que de partir, j’en ay vû tout l’apprêt.

CELIME.

As-tu de mes trésors chargé le Capitaine ?

ZAIRE.

Ils sont en bonne main*, n’en soyez point en peine.

CELIME.

Et Carlos ?

ZAIRE.

Avec vous il s’apprête à partir.

CELIME.

Dis-moy, son cœur* est-il touché de repentir ?
1380 En luy parlant de moy, l’as-tu vû se confondre ?

ZAIRE.

A vos desirs, Madame, il m’a paru répondre.

CELIME.

Je viens de sa promesse avertir Fatiman.
Qu’il est temps qu’il réponde à mon empressement*,
Qu’avecque son Epoux je veux revoir Julie, [Pvj]
1385 Pendant que se fera cette Cérémonie.
Dans les cris, le tumulte, & l’ombre de la nuit,
Moy, Dom Carlos, & toy, nous partirons sans bruit.
Que voy-je ? quelle Fille icy s’offre à ma vuë ?

ZAIRE.

Elle est à Julie.

CELIME.

Ah ! m’auroit-elle entenduë ?

ZAIRE.

1390 Je ne crois pas, Madame, elle est trop loin.

CELIME.

Voilà
Le Valet de Carlos aussi ! Que fais-tu là ?

TOMIRE.

Sauf ce qui vous est dû, du meilleur de mon ame*,
Je ris dans mon petit particulier, Madame.

CELIME.

Quoy ?

TOMIRE.

Marine est en place à se désesperer.
1395 Et mon petit Esprit rit de la voir pleurer.

CELIME.

Elle pleure ?

MARINE.

Ouy, Madame.

CELIME.

Eh pourquoy ? qu’est-ce à dire ?

MARINE.

Je pleure de dépit que j’ay de le voir rire.

CELIME.

Ces contrarietez que vous me faites voir,
Ont d’autres fondemens ; & je les veux sçavoir*.

TOMIRE

1400 Madame, à dire vray pour moy, c’est que mon Maître,
Joyeux, charmé, ravy, tout ce qu’on sçauroit l’être,
M’a dit que nous étions tous deux en liberté,
Que rien n’étoit égal à sa felicité ;
Et depuis ce moment je ris, ne vous déplaise,
1405 A gorge déployée, & ne me sens pas d’aise.

CELIME à Zaïre bas.

Zaïre, il est enfin sensible* à mes ardeurs*.
Et toy, parle, quelle est la source de tes pleurs.

MARINE.

Un chagrin qui ne peut finir qu’avec ma vie.
Aux vœux* de D. Brusquin, Fatiman rend Julie.
1410 Cet Hymen* renoüé produit à nos regrets
Une source de pleurs à ne tarir jamais.

CELIME bas à Zaïre.

Quel plaisir, de pouvoir tourmenter sa Rivale !
Zaïre, ç’en est un pour moy, que rien n’égale.
Mais qui vous fait venir, dans mon Appartement
1415 Donner chacun l’essort à son temperamment.

TOMIRE.

Mon Maître dans ces lieux m’ordonne de l’attendre
Pour un fait d’importance il doit venir s’y rendre,
Il m’a recommandé que cecy fût secret.
Madame, vous sçavez comme je suis discret ;
1420 Ma langue est morte, & j’ay cadenacé ma bouche.

CELIME bas à Zaïre.

Carlos se rend, Zaïre, & mon amour le touche.

MARINE.

Et moy je viens icy, Madame, à vos genoux ;
Vous prier d’empêcher que ce vilain Epoux,
A l’amour de Carlos n’arrache ma Maîtresse.
1425 Elle mourroit, ayez pitié de sa tendresse*.

CELIME.

De cette impertinence osez-vous me prier ?
Moy ! que j’aide Julie à se démarier ?
Sortez, à mon courroux* dérobez vôtre vie.
Zaïre, en ce moment que mon ame* est ravie* !

ZAIRE.

1430 Tout va bien.

SCENE III. §

CELIME, FATIMAN, ZAIRE, TOMIRE, MARINE.

FATIMAN, montrant Tomire aux Turcs.

Le voilà, que l’on le mette aux Fers.

CELIME.

Dans mon Appartement ? devant moy ?

ZAIRE.

Quels revers ?

SCENE IV. §

FATIMAN, CELIME, ZAIRE.

CELIME bas.

Helas !

FATIMAN.

Par des ingrats je suis trahy, Madame.
Malgré tous mes bienfaits, pleins d’une noirceur d’ame,
N’écoutant qu’un esprit au crime abandonné,
1435 Pas un endroit sensible* ils m’ont assassiné.

CELIME bas.

Me voilà découverte. O rigueur inhumaine !

FATIMAN.

Mais Carlos le premier en va porter la peine.
Sous les tourmens* divers que j’ay fait préparer,
Venez le voir, Madame, à vos yeux expirer.
1440 Suivez moy.

CELIME.

Juste Ciel !

FATIMAN.

Vous semblez chancelante,
Venez le voir mourir.

CELIME.

De son crime ignorante
Je cherche en mon esprit, confus, embarrassé,
Par quel endroit il peut vous avoir offensé.

FATIMAN.

Ce seul témoin suffit pour convaincre vôtre ame*,
1445 On l’a trouvé saisi de ce Coffret, Madame.

CELIME.

Hé bien !

FATIMAN.

Ces Diamans entre ses mains tombez,
Prouvent qu’il vous les a sûrement dérobez.

CELIME.

Luy, dérobez !

FATIMAN.

Comment puis-je ne le pas croire ?
Prendrois-je des soupçons honteux à vôtre gloire ?
1450 Les auroit-il reçûs de vôtre main ? Parlez ?

CELIME.

Vous a-t’il confessé qu’il les avoit volez ?

FATIMAN.

De frivoles raisons il vouloit se défendre ;
Mais mon juste courroux* n’a pas voulu l’entendre.

CELIME.

Zaïre, ce que c’est que d’être malheureux !
1455 Un Homme qui se trouve en cet état* affreux,
Est soupçonné de tout, tout ce qu’il fait offence,
On le croit criminel, même dans l’innocence.

FATIMAN.

Qu’entendez-vous par là ?

CELIME.

Dom Carlos en fait foy.
Tu sçais que ces bijoux luy sont donnez par moy.

ZAIRE.

1460 Ouy, Madame.

FATIMAN.

Il les tient de vous? Qu’osez vous dire ?

CELIME.

Et tu n’ignores pas à quel dessein Zaïre ?

ZAIRE.

Non, Madame.

CELIME.

Et tu vois comment il est traité ?

FATIMAN.

Madame, où poussez-vous ma curiosité ?
De ce dessein, de grace*, expliquez* la manœuvre.

CELIME.

1465 Voyant ces Diamans assez mal mis en œuvre,
Desirant les voir mieux ; de Carlos j’ay fait choix,
Pour les porter à ce Lapidaire* François ;
Qui de tout vôtre Alger s’est attiré l’estime.
Il est de ses Amis, Seigneur, voilà son crime.

FATIMAN.

1470 Mais pourquoy le vouloir charger de cet employ ?
Vous pouvez vous servir de vos gens ou de moy.

CELIME.

Me servant de mes gens on auroit pû l’apprendre,
Et je vous l’avouëray, je voulois vous surprendre.

FATIMAN.

Vous vouliez me surprendre, & vous m’avez surpris :
1475 Mais bien-tôt vos bontez en recevront le prix.
Dans un moment Carlos alloit cesser de vivre :
Mais étant innocent ; courez, qu’on le délivre.

CELIME.

Ayant presque causé, moy-même, son trépas,
J’y veux moy-même aller, & reviens sur mes pas.

SCENE V. §

FATIMAN, ZAIRE, suite.

FATIMAN.

1480 Plus loin & plus long-tems peut-on pousser l’audace !
Mais je seray vangé, tout va changer de face :
Elle va recevoir le prix de sa noirceur,
Et d’avance déja j’en goûte la douceur.
Dom Brusquin vient, ses cris le font assez connoître.
1485 Ecoutons ses discours*, avant que de paroître.

SCENE VI. §

D. BRUSQUIN, STAMORAT, FATIMAN, suite.

D. BRUSQUIN.

Messieurs, que faites-vous, je suis prêt à signer,
L’heure n’est pas sonnée ?

STAMORAT.

Elle vient de sonner.
Et c’est ta faute, au lieu d’aller au necessaire,
Tu veux moraliser, ou tu ne fais que braire,
1490 Tu crois qu’on soit payé pour t’entendre crier.
Je te l’ay déja dit vingt fois ; point de quartier.

D. BRUSQUIN.

Eh de grace* ! Monsieur, en pareille matiere,
Un moment plus ou moins ne fait rien à l’affaire,
Au nom de Belzebut, vôtre digne Patron,
1495 Voyez Fatiman, vous, ou vôtre Compagnon,
Dites-luy, que soûmis à la loy qu’il m’imppose,
Je luy donne ma Femme à Bail emphithéose*.
Et que s’il veut du sang, je signeray du mien,
Que de cent ans & plus je ne demande rien.

STAMORAT.

1500 Il n’est plus tems, te dis je, & l’heure est expirée.
Nôtre ordre est positif* & ta priere usée.
Il ne revient jamais, quand il a décidé.

D. BRUSQUIN.

Ah Chien* d’honneur, pourquoy m’as-tu tant obsedé ?
N’importe, par pitié, des peines que j’endure,
1505 Parlez à Fatiman, allez, je vous conjure,
Dites-luy que d’abord* j’avois pris mon party.

STAMORAT.

Ne verra-t’il pas bien que nous aurons menty ?

D. BRUSQUIN.

N’importe, donnez-moy cette derniere joye.

STAMORAT.

Il va me renvoyer.

D. BRUSQUIN.

Eh bien, s’il vous renvoye,
1510 Vous ferez lors de moy tout ce qu’il vous plaira :
Voyons de quel secours mon Argent me sera.
Tenez, prenez cecy, pour vous donner courage.

STAMORAT.

Attendez, je vay voir ; mais s’il vient, soyez sage.

SCENE VII. §

D. BRUSQUIN, suite de Turcs.

D. BRUSQUIN.

Helas ! à mes dépens je connois, mais trop tard,
1515 Qu’un Homme est un grand Sot quand un coup du hazard,
Le défait d’une Femme un peu Coquette & belle,
D’aller passer les Mers pour courir aprés elle.
Ah ! que je vois par tout de gens mal satisfaits,
Qui rendroient grace* au Ciel d’en être ainsi défaits !
1520 Quelqu’un vient, je crains fort, & je ne m’en puis taire,
Que mon retardement ne m’ait fait quelque affaire.

SCENE VIII. §

D. BRUSQUIN, FATIMAN, STAMORAT, suite.
.......................................................................

D. BRUSQUIN.

Me voilà ! je feray tout ce qu’il vous plaira,
Et signeray, plûtôt que vous mettre en colere ;
1525 Pour moy, pour mon Ayeul, & pour défunt mon Pere,
Que nous avons été des Sots de Pere en Fils,
Et même si l’on veut pour tous mes bons Amis,
Je laisse le champ libre à qui voudra m’en croire.

FATIMAN.

C’est quelque chose ; Mais si j’ay bonne memoire
1530 Je ne t’avois donné pour régler ton départ,
Qu’une heure, & ce choix vient, ce me semble un peu tard.

D. BRUSQUIN.

C’est que j’ay quelque tems, parlant de vôtre flâme*,
Entretenu* vos gens du bonheur de ma Femme,
Du plaisir que j’avois à vous trouver d’humeur,
1535 De vouloir consentir… de me faire l’honneur,
D’en recevoir tantôt, sans qu’elle y soit forcée,
Ce qu’elle… ils m’écoutoient, & l’heure s’est passée.

FATIMAN.

Ainsi, tu signeras ce qui t’est ordonné ?

D. BRUSQUIN.

Qu’on me fasse partir, je donne un blanc signé*.

FATIMAN.

1540 Outre ce blanc signé*, ton amitié s’engage*
A payer, sans chagrin*, les frais du Mariage.

D. BRUSQUIN.

Si j’en ay, je sçauray ne le point faire voir.

FATIMAN.

Que tu seras présent à leurs Nôces ce soir,
Et qu’à table auprés d’eux tes discours* ordinaires ;

D. BRUSQUIN.

1545 Pour cela décomptez.

FATIMAN.

Décomptez ! aux Galeres.

D. BRUSQUIN.

Quartier, Messieurs, s’il faut cela pour m’en sauver,
Je boiray leur santé, quand j’en devrois crever*.
Je vous en laisseray possesseur fort tranquille.

FATIMAN.

Comme pour ton repos* cet Hymen* est utile,
1550 Et que l’Epoux, enfin, que je luy veux donner ;
Peut avoir, quelque peine à se déterminer.
A moins que ton aveu* ne seconde sa flâme*,
Il faudra le prier d’avoir soin* de ta Femme ;
Et de la recevoir de ta main, autrement…

D BRUSQUIN.

1555 Ah ! faites-moy credit d’un si sot compliment,
De quel air* voulez vous que pour le satisfaire...

FATIMAN.

Quoy, cela te fait peine ?

D. BRUSQUIN.

Ouy, sans doute.

FATIMAN.

En Galere,
Allez, c’est trop vouloir marchander avec moy.

D. BRUSQUIN.

Je suis soûmis à tout, & vous donne ma foy*
1560 De faire exactement sur chaque circonstance,
Ce qu’on exigera de mon obéïssance.

FATIMAN.

Qu’on luy fasse signer tout ce qu’il me promet.

SCENE IX. §

FATIMAN, JULIE, D. BRUSQUIN, STAMORAT, suite.

FATIMAN.

Venez remercier D. Brusquin, s’il vous plaît,
Belle Julie, enfin, d’une indulgence extrême,
1565 Il renonce à ses droits, & vous rend à vous-même.

JULIE.

En faisant cet effort sur son cœur* aujourd’huy,
Il fait beaucoup pour moy ; mais encor plus pour luy.

D. BRUSQUIN.

Ouy, c’est beaucoup pour moy que d’abaisser mon ame*,
A signer le Contrat du Mary de ma Femme,
1570 Quel honteux personnage on me fait joüer là !

FATIMAN.

Je t’entens murmurer, que veut dire cela ?

D. BRUSQUIN.

Non, j’ay signé, tout est à vos ordres conforme ;
Jamais Homme ne fut Sot en meilleure forme.

FATIMAN.

Maintenant qu’à mes vœux*, tu veux bien consentir,
1575 Je vais pour t’obliger, & te faire partir,
Te faire voir l’Epoux que je donne à ta Femme.

D. BRUSQUIN.

Comment, ce n’est pas vous ?

FATIMAN.

Non, sans doute, & sa flâme*
N’ayant pû se cacher, son cœur* s’est declaré
En faveur* de celuy qu’elle t’a préferé :
1580 Et touché d’une ardeur* si tendre* & si fidelle,
J’ay voulu les unir par amitié pour elle.

D. BRUSQUIN.

J’entens bien ; & pour prix d’une telle faveur*,
Vous ne vous réservez que le droit du Seigneur,
Mon front* est à l’enchere, & ma Femme au pillage.

SCENE X. §

FATIMAN, DOM BRUSQUIN, CELIME, CARLOS, JULIE, MARINE, TOMIRE, &c.

CELIME.

1585 Il est temps désormais d’achever vôtre Ouvrage.
Pour le voir accomplir, je rameine Carlos.
A tant d’infortunez assurez le repos*,
Qu’il soit libre, rendez un Epoux à Julie,
Et qu’ils prennent congé tous de la Compagnie.

FATIMAN.

1590 Ainsi dit, ainsi fait, Julie approchez-vous,
Recevez de ma main Carlos pour vôtre Epoux.

CELIME.

Quoy, Carlos ! est-ce ainsi que mes ordres…

FATIMAN.

Perfide,
De l’odieux amour qui vous charme* & vous guide,
Grace à mes bons destins* le projet m’est connu,
1595 Mais de vous en punir le moment est venu,
Ingrate, rougissez.

CELIME.

O Ciel ! je suis trahie.

FATIMAN.

Qui vous portoit Cruelle, à cette perfidie ?

CELIME.

Peux-tu le demander, je l’aimois, je te hais !
Aprés mon procedé contre tous mes souhaits,
1600 D’être unie à Carlos je n’ay plus l’espérance ;
Mais ne crois pas me voir briguer ton alliance,
Je vais sortir d’Alger, pour ne te voir jamais.

FATIMAN.

Non, devant le Divan instruit de vos forfaits,
Il faut qu’auparavant, vous soyez confonduë,
1605 Qu’on l’ôte de ces lieux, elle blesse ma vûë.

CELIME.

Ils blessent tous la mienne, allons, sortons d’icy.

SCENE DERNIERE. §

FATIMAN, JULIE, CARLOS, STAMORAT, MARINE, TOMIRE, D. BRUSQUIN, suite.

CARLOS.

Seigneur en faveur…

FATIMAN.

Non, n’ayez nul soucy*.
Aprés tous les travaux* d’une longue constance,
Venez de vôtre amour cüeillir la récompense,
1610 Vous êtes à Carlos, & Julie est à vous.
D. Brusquin y consent.

D. BRUSQUIN.

Quoy ! c’est là cet Epoux ?

FATIMAN.

Ouy, c’est luy, qui charmé des beaux yeux de Julie
L’enleva de tes bras, c’est luy qu’en Barbarie*,
L’Amour pour te l’ôter fit Esclave, & c’est luy,
1615 Qu’on va faire à tes yeux son Epoux aujourd’huy.

D. BRUSQUIN.

Quoy ! c’est là le Paris, de cette belle Heleine ?

JULIE.

On me livra sans peine à l’objet* de ma haine,
Il vous plût de souffrir qu’on en usât ainsi,
On vous force à me rendre, & je le souffre aussi.
On chante.
1620 O Giornata
Fortunata !
Ringrasciar Mahometa,
Mi donnar la libertà,
Di tonar in Patria
1625 Allegria.
Hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà,
Hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà,
Mi rompir Catena,
Ti donar Femina,
1630 Allegria.
Hà, hà, &c. Libertà.
Voglio casciar d’amar vaga belta
L’amore fa penar
E tropo sospirar
1635 La crudeltà.
Libertà, libertà, &c.
Air pour les Turcs.
O le bon Païs que la Turquie,
Si l’on y bûvoit du Vin,
Si-tôt qu’une Femme ennuïe*,
1640 Sans autre cérémonie,
On la donne à son Voisin.
O le bon, &c.
S’il ne falloit que passer la Mer,
Et se rendre en Alger,
1645 Pour rompre un Mariage,
Plus de la moitié des Maris
Qui sont aujourd’huy dans Paris,
Feroient dés demain le voyage.

D. BRUSQUIN, aprés qu’on a dansé.

Helas, tous mes Amis se moquant de ma flâme*,
1650 Ne m’appelleront plus que le Mary sans Femme ;
Mais que ferois-je, enfin, il faut s’en consoler ;
Bien des gens que je vois, voudroient me ressembler.
On reprend icy le même divertissement.

FIN.