SCENE PREMIERE. §
D. BRUSQUIN, GUSMAN.
D. BRUSQUIN lisant.
345 Si Julie encore vous est chere,
Ne pensez point à la chercher
Autre part que dans Alger.
Son malheur en a fait le butin d’un Corsaire.
350 Nous tient Esclaves toutes deux.
En payant nos rançons, nôtre
ennuy* se termine,
Ne perdez point de temps, secondez nos souhaits,
Elle est plus belle que jamais,
Et moy plus que jamais, & caetera, Marine.
GUSMAN.
355 Quoy, Monsieur, sur le point de revoir en Julie,
Aprés six mois d’absence, une Femme cherie,
Quand à terre à couvert de l’orage, & du vent,
Dont le bruit & la peur vous menaçoient souvent ;
Je me flatois de voir Dom Brusquin d’Alvarade,
360 Ne songer qu’à la joye & qu’à faire
gambade*,
Vous êtes tout chagrin, & malgré tous mes
soins*,
Je vous vois…
D. BRUSQUIN.
Tant qu’avec toy sur Mer a duré le voyage,
Je n’avois dans l’esprit que la peur du nauffrage.
365 La crainte du peril me donnoit des frissons,
Et maintenant tout plein de mes jaloux soupçons,
J’ay, quand je vois ces Turcs, leur port & leur allure,
Des frayeurs pour mon
front* de fort mauvais augure.
Oüy, quand je me
remets* que presque entre mes bras,
370 Par un coup de
Demon* que je ne comprens pas,
On m’a ravy Julie, & que je me rappelle,
Le
chagrin* qu’elle avoit quand j’étois auprés d’elle,
Les pleurs qu’elle versa, que j’étois son Epoux,
La peine qu’eut sa Mere, à la fléchir pour nous,
375 Et que de bonne foy, tout de bon j’
examine*,
Que ce sont gens amis de la conclusion,
Contre qui, sans miracle, une Belle captive,
380 Soûtient mal-aisément six mois de
négative*,
Certain instinc fondé sur beaucoup de raison,
Me dit que ce sera grand hazard si mon nom,
Occupant d’un Railleur le papier & la plume,
Des Maris baffoüez ne grossit le Volume.
GUSMAN.
385 C’est d’un pareil scrupule être trop combattu,
Monsieur, Julie est sage, elle a de la vertu,
[Niij]
Et vous devez enfin mieux juger en vôtre
ame*.
D. BRUSQUIN.
Elle est sage, il est vray ; mais enfin elle est Femme,
Et cette qualité seule peut là-dessus
390 Servir de contre-poids à toutes les vertus.
GUSMAN.
Mais si pour vôtre honneur vous aviez tant d’allarmes,
Pourquoy venir si loin la chercher, par quels
charmes*,
Craignant pour vôtre sort le fruit de ses Amours,
Hazarder sur la Mer vôtre argent, & vos jours ?
D. BRUSQUIN.
395 Ah ! j’ay pour mes pechez, pour elle un chien de
tendre*,
Qui n’a jamais voulu me rien laisser entendre :
Et mon penchant plus fort que toute ma raison,
N’a pü faire avorter cette demangeaison.
A peine un Matelot, que le Ciel extermine,
400 M’eut confirmé l’avis que me donnoit Marine,
Que le Diable ennemy juré de mon
repos*,
Me fit mettre ma vie à la mercy des flots ;
Comme si pour ces flots, ou pour Dame Fortune,
GUSMAN.
405 Vous en repentez-vous ?
D. BRUSQUIN.
Vous en repentez-vous ? Je ne sçay ; mais je crois
Que si j’étois chez moy, j’y songerois deux fois,
Ce noir pressentiment où ma raison s’obstine,
Me fait…
GUSMAN.
Me fait… Mais il faut bien que cecy se termine.
Vous en avez trop fait, pour ne pas achever,
410 On sçait à quel dessein vous venez d’arriver,
Et vôtre Femme, enfin, ou coquette, ou fidelle,
En payant sa Rançon vous sera…
D. BRUSQUIN.
En payant sa Rançon vous sera… Bagatelle,
Si je puis découvrir que ce Turc pour début
Se soit fait de son chef icy mon Substitut,
415 Qu’il se soit par ses mains, enfin, de quelque sorte
Payé de l’interêt de l’argent que j’apporte ;
Et que ma Femme enfin avec ce Fatiman,
Je dis, nescio vos, & m’en vais sans replique,
420 Et l’affaire entre nous est fort problematique.
GUSMAN.
Et qui sçaura cela chez vous, quand par vos
soins*...
D. BRUSQUIN.
Pour n’être pas crû sot, un Homme l’est-il moins,
GUSMAN.
Dis, Maraut* ? Mais pourquoy jusques en sa demeure?
D. BRUSQUIN.
On me doit faire voir Marine tout à l’heure,
425 Un Esclave en entrant me l’a promis ainsi,
Moyennant…
GUSMAN.
Moyennant… J’entens bien.
D. BRUSQUIN.
Moyennant… J’entens bien. Et je l’attens icy.
Sur quoy, par qui, comment, & par quelle avanture
Julie est en Alger ? Car à te parler net,
430 Je crains fort dans cecy quelque complot secret ;
Je n’ay pû jusqu’icy penétrer ce mistere,
Marine avecque moy n’est pas Fille à se taire,
De tout ce que je crains d’apprendre ; La voicy.
[Niiij]
SCENE III. §
D. BRUSQUIN, MARINE.
MARINE.
C’est luy-même, & d’
abord* je l’ay bien reconnu.
Ah ! Monsieur.
D. BRUSQUIN.
Ah ! Monsieur. Dieu te gard.
MARINE.
Ah ! Monsieur. Dieu te gard. Soyez le bien venu.
MARINE.
Bien ou mal, me voilà. Concluons*. Quoy ! vous-même
440 Venir jusques icy !
D. BRUSQUIN.
Venir jusques icy ! Que veux-tu, quand on aime
On est sot, on est fou de mettre tous ses
soins*…
MARINE.
On seroit bien fâché que vous le fussiez moins.
MARINE.
Passons. Julie aura…
D. BRUSQUIN.
Passons. Julie aura… Comment se porte-t’elle ?
D. BRUSQUIN.
Bien. Comme de tous temps j’ay reconnu ton zele,
445 Et que jamais pour moy tu n’eus rien de caché,
J’ay voulu te parler un peu sur cette affaire ;
Sûr qu’avec ta franchise & ton zele ordinaire,
Par amitié pour moy mettant la feinte au croc,
450 Tu vas à
cœur* ouvert…
MARINE.
Tu vas à cœur* ouvert… Oh ! cela vous est hoc.
Parlez, je suis pour vous tout
cœur*.
D. BRUSQUIN.
Parlez, je suis pour vous tout cœur*. Ta récompence
Au reste passera de loin ton espérance,
Et je t’ay préparé de quoy te voir un jour,
Au dessus…. tu sçauras le reste à mon retour.
MARINE.
455 Ah ! Monsieur, parlez donc.
D. BRUSQUIN.
[Nw]
Ah ! Monsieur, parlez donc. Dis-moy, je te conjure,
Comment, à quel dessein, & par quelle avanture
Vous êtes toutes deux icy depuis ce soir.
MARINE.
L’avanture, Monsieur, est aisée à
sçavoir*.
On venoit de souper, la soirée étoit belle,
460 Julie étoit chagrine, & je fus avec elle
Faire un tour de Jardin, en attendant la nuit,
Tout d’un coup regardant que l’on faisoit du bruit,
Je vis des gens masquez, qui d’abord qu’ils nous virent,
Sans être épouvantez de nos cris, nous saisirent,
465 La porte du Jardin s’ouvrit en même temps,
Un Carosse étoit là; l’on nous jetta
dedans* ;
Touche Cocher, dit-on, l’embarras de la Nôce…
D. BRUSQUIN.
Et vous êtes venus sur la Mer en Carosse ?
MARINE.
Sur la Mer en Carosse ! Eh qui vous dit cela ?
470 Ecoutez jusqu’au bout.
D. BRUSQUIN.
Ecoutez jusqu’au bout. Lors qu’on vous enleva,
Vous criâtes bien fort ?
MARINE.
Vous criâtes bien fort ? Bien fort ? A pleine tête,
Au voleur, au secours, au meurtre, arrête, arrête.
Non, pour du bruit, jamais Femme n’en a tant fait.
D. BRUSQUIN.
Il falloit que ces gens eussent quelque secret
475 Pour avoir rendu sourds, pendant tout ce
ravage*
Tous les gens du Logis, & tout le Voisinage,
MARINE.
Enfin, il est pourtant très assuré…
D. BRUSQUIN.
Enfin, il est pourtant très assuré… Fort bien.
Passons.
MARINE.
Passons. Nous arrivons au Port, où cette Trouppe
480 Du Carrosse nous mit
dedans* une Chalouppe,
De là dans un Vaisseau qui n’attendant plus rien…
D. BRUSQUIN.
Et que se passa t’il ? Car, enfin, l’on sçait bien
Que quand pour s’exposer à diverses
fortunes*,
On enleve les Gens, ce n’est pas pour des prunes.
MARINE.
485 A peine eût-on été quelques heures en Mer
Qu’on vit avec le jour les Corsaires d’Alger
Prêts à nous attaquer, on voulut se défendre,
On se battit long-temps ; mais il falut se rendre,
On nous prit, & pour nous le Corsaire adoucy,
490 Nous prit dans son Vaisseau, pour nous conduire icy,
Où depuis…
D. BRUSQUIN.
Où depuis… Franchement je trouve cette histoire
Peu possible ; mais bien tres difficile à croire,
Que devinrent ces Gens masquez dont les efforts
Avoient…
MARINE.
Avoient… Apparemment ils sont captifs, ou morts,
495 Mais comme pas-un d’eux ne montra son visage,
Je ne vous en puis pas apprendre davantage.
D. BRUSQUIN.
Fatiman étoit donc ce Corsaire d’Alger.
MARINE.
Ce fut un autre Turc.
D. BRUSQUIN.
Ce fut un autre Turc. Comment, en sa puissance.
D. BRUSQUIN.
C’est qu’il est Gouverneur*. Et quelle consequence ?
MARINE.
En cette qualité par un droit peu commun,
Des Esclaves qu’on fait, de huit il en prend un,
Il nous vit, & d’
abord* nous prit pour son partage.
D. BRUSQUIN.
Sans doute que ce Turc, comme c’est leur usage
505 Avoit quelque
Serail* à meubler, sur ma foy…
D. BRUSQUIN.
Toûjours prêt d’expliquer*… Tout doucement dis moy ;
Tu sçay bien qu’il manquoit, lors que l’on prit Julie,
A nôtre Mariage une Cerémonie.
MARINE.
Quelle Cerémonie ?
D. BRUSQUIN.
Quelle Cerémonie ? Eh ! celle que l’Amour
510 Ordonne à frais communs la nuit de ce grand jour.
Celle chez qui des gens que l’on marie ensemble
Qui lors que l’on nous eut l’un à l’autre conjoint,
Devoit le soir… Enfin, celle qu’on ne fit point.
D. BRUSQUIN.
Eh bien ? Je voudrois bien avant que de
conclure*,
Sçavoir* si quelque Turc épris de sa figure
Ne s’est point….
MARINE.
Ne s’est point…. Quoy ?
D. BRUSQUIN.
Ne s’est point…. Quoy ? Chargé de la commission
De mettre nôtre
Hymen* dans sa perfection.
MARINE.
Quels contes ! Par ma foy, c’est grand dommage.
D. BRUSQUIN.
Quels contes ! Par ma foy, c’est grand dommage. Ecoute,
520 Tu crois donc qu’il ne s’est rien passé ?
MARINE.
Tu crois donc qu’il ne s’est rien passé ? Le beau doute !
D. BRUSQUIN.
Qu’auprés d’elle ce Turc n’a jamais entrepris
De mettre sur mon
frond* les Armes du Pays,
Que de force ou de gré pas un n’a rien eu d’elle ?
D. BRUSQUIN.
Pas un. Et qu’elle soit aussi sage que belle.
MARINE.
525 Vous n’en sçauriez douter sans luy faire un affront.
MARINE.
Croyez-en mon
rapport*, & vous mettez en tête
Qu’elle a toûjours trouvé Fatiman fort honnête,
Fort civil, obligeant, même respectueux ;
530 Outre que quand pour elle il eût senty des
feux*,
Il eût perdu son temps, puis qu’enfin ma Maîtresse
Sur ce chapitre là n’en doit rien à Lucrece.
D. BRUSQUIN.
C’est à dire, entre nous, parlant de bonne foy ;
Qu’à son défaut, ces Turcs se sont
passez* de toy.
MARINE.
535 Quels
discours* ! N’avez-vous rien de meilleur à dire ?
D. BRUSQUIN.
Va, je n’en diray rien, cecy me peut suffire.
MARINE.
Fatiman vient, je sors…
SCENE IV. §
DOM BRUSQUIN, FATIMAN, STAMORAT. Suite.
D. BRUSQUIN à part.
A son
air* je crains bien d’être venu trop tard ;
Et que sur mon honneur, enfin, étant à même,
540 Comme sur la capture il n’ait pris le
huitiéme.
STAMORAT salüant Fatiman.
Voilà cet Espagnol dont on vous a parlé.
D. BRUSQUIN salüe Fatiman à sa mode, & les Turcs l’examinent.
Messieurs, afin qu’icy personne ne l’ignore,
Je
prétend* avec vous traiter de Turc à Maure.
545 Vous avez pris sur Mer ma Femme sans
façon*,
Rendez-la moy de même, en payant sa rançon :
Çà répondez-moy juste au
discours* que j’entame.
J’ay de l’argent, de plus j’ay besoin de ma Femme.
FATIMAN.
Ta Femme, ce n’est pas Julie, apparemment ?
D. BRUSQUIN.
550 Comment ? Est-ce la vôtre ? Hem ! parlez franchement.
FATIMAN.
Non. Mais pour une Femme aussi bien-faite qu’elle,
Franchement, je te trouve un Mary sans modelle,
A ne te pas
flater*, car la beauté qu’elle a…
D. BRUSQUIN.
Il n’est pas à present question de cela ;
555 Pour ne pas chamarrer le dessus de ma lévre
Comme l’on fait icy, d’une barbe de Chévre,
Nous ne manquerions pas… Bref chacun vaut son prix,
Elle est pourtant ma Femme, ou peu s’en faut, je n’ose…
FATIMAN.
560 C’est un malheur pour elle.
D. BRUSQUIN.
C’est un malheur pour elle. Ah ! parlons d’autre chose,
S’il vous plaît.
FATIMAN.
S’il vous plaît. J’y consens, je voy bien que tes
vœux*
Vont à vous voir chez vous bien réünis tous deux.
Tu meurs de la revoir, car je lis dans ton
ame*,
Elle a de la beauté, tu l’aimes, c’est ta Femme ;
565 C’est pourquoy je ne veux que six mille Ducats,
Pour la mettre en tes mains.
D. BRUSQUIN.
Pour la mettre en tes mains. Quoy ! vous n’y songez pas.
Comment, pour une Femme ?
FATIMAN.
Comment, pour une Femme ? Ouy.
D. BRUSQUIN.
Comment, pour une Femme ? Ouy. Peste*, quelle Somme
Combien faudroit-il donc vous donner pour un Homme ?
FATIMAN.
A bien meilleur marché je vendrois leurs maris,
570 Ce beau Sexe chez nous est un tresor sans prix.
...........................................................................
D. BRUSQUIN.
Je vous conseille fort, pourtant, de n’en plus prendre.
D. BRUSQUIN.
De Femmes ? Ouy, sur tout des environs.
FATIMAN.
De Femmes ? Ouy, sur tout des environs. Pourquoy ?
D. BRUSQUIN.
C’est que pour vous parler franc, & de bonne foy,
575 Je vois force Maris qui passent pour tres-sages,
Qui vous les laisseroient sûrement pour les gages,
Et je vous suis garant qu’ils en seroient
ravis*.
Faites-nous bon marché pour nôtre droit d’avis.
Contentez-vous du tiers pour elle & pour Marine,
580 C’est beaucoup. Il ne faut point tant faire la mine.
FATIMAN.
Tu les veux toutes deux.
D. BRUSQUIN.
Tu les veux toutes deux. Ouy, je l’avouë aussi,
Si l’on vendoit chez nous les Femmes, comme icy,
Pour moitié de l’Argent que j’offre pour la mienne,
J’en aurois, à choisir, du moins une douzaine.
FATIMAN.
585 Finissons, je suis las d’un pareil
entretien*,
Tu perds icy ton temps, j’en veux cinq mil, ou rien,
Regle-toy là-dessus, & prens bien tes mesures,
J’en demeure d’accord, ces Loix sont un peu dures ;
Mais cependant il faut ne me voir desormais,
590 Que l’Argent à la main, & me laisser en paix.
Allez…
D. BRUSQUIN.
Allez… Quelle Somme ! Ah ! j’en ay la mort dans l’
ame*,
J’aimerois presqu’autant qu’ils gardassent ma Femme.
Ils pourroient s’en dédire, il faut se dépêcher.
FATIMAN.
Ah, Chien* de Turc ! Plaît-il ?
D. BRUSQUIN.
Ah, Chien* de Turc ! Plaît-il ? Je m’en vais vous chercher
595 Les cinq mille Ducats.
FATIMAN.
Les cinq mille Ducats. Cette affaire est
concluë*.
Allons voir si Celime est enfin résoluë
A terminer l’
Hymen* qui me doit rendre heureux.
La voicy.
SCENE V. §
FATIMAN, CELIME, ZAIRE.
FATIMAN.
La voicy. Quel bonheur vous présente à mes yeux ?
Qui vous ameine icy ?
CELIME.
Qui vous ameine icy ? Vous-même.
FATIMAN.
Qui vous ameine icy ? Vous-même. Moy, Madame.
600 O Ciel! à quel dessein?
CELIME.
O Ciel! à quel dessein? De vous ouvrir mon
ame*.
FATIMAN.
Qui vous cause ce
soin*, Madame, est-ce l’Amour ?
CELIME.
Je l’avouë, il me fait vous chercher à mon tour.
CELIME.
Oüy, luy seul à present fait mon impatience.
FATIMAN.
605 O trop heureux mortel ! O fortuné moment !
A qui dois-je, Madame, un si grand changement ?
CELIME.
Je ne suis pas ingrate, & je vais vous l’apprendre.
Tout ce que dans mes yeux vous remarquez de
tendre*,
Ces
feux* qu’heureusement vous comprenez si bien,
610 Me viennent d’avoir vû cet Esclave Chrétien.
CELIME.
Quoy, Madame… Jamais ; croyez, s’il est possible,
Vous ne me pouvez faire un plaisir plus sensible,
Que d’en avoir fait choix pour me dés-
ennuyer*,
Dans ses Chants que jamais je ne veux oublier,
615 Il a tant fait sentir à mon
ame* charmée,
L’agréable douceur d’aimer & d’être aimée,
Que mon
cœur* se dévouë à l’Amour desormais,
Et d’un heureux
Hymen* je fais tous mes souhaits.
FATIMAN
Que ne luy dois-je point ? que ma surprise est grande.
620 O Ciel !
CELIME.
O Ciel ! Puis-je pour luy vous faire une demande,
C’est de sa liberté ; me l’accorderez-vous ?
FATIMAN.
Moy, Madame, je vais luy rendre un bien si doux.
J’y cours.
CELIME.
J’y cours. Non, laissez-moi ce petit
soin*. Zaïre,
Vous l’entendez, Carlos est libre ; allez luy dire,
625 Et par vôtre
discours* faites-luy concevoir,
Qu’aprés ce grand bien-fait, il songe à son devoir.
FATIMAN.
J’y vais, Madame. Aprés ce que je viens de faire,
Je puis donc me flater de l’
Hymen* que j’espere ?
Je puis…
CELIME.
Je puis… Si le
destin* favorise mes pas,
630 Vous verrez des
transports* que vous n’attendez pas,
Adieu.
SCENE VI. §
FATIMAN, ZAIRE.
FATIMAN.
Adieu. De mon amour la confiance fidelle,
Enfin va remporter…
ZAIRE.
Enfin va remporter… O la fine Femelle !
ZAIRE.
Qui, Celime ? Oüy.
FATIMAN.
Qui, Celime ? Oüy. Comment, au lieu de la loüer…
ZAIRE.
Quoy, vous ne voyez pas qu’elle veut vous joüer ?
ZAIRE.
Elle ? Elle aime Carlos.
FATIMAN.
Elle ? Elle aime Carlos. Ah ! quelle perfidie !
Ciel ! elle aime, dis-tu, Carlos ?
ZAIRE.
Ciel ! elle aime, dis-tu, Carlos ? A la folie.
FATIMAN.
D’où sçais-tu cet amour dont elle brûle en vain,
Dis-moy ?
ZAIRE.
J’ay de ses
feux* naissans, entendu le mistere,
640 Dans l’
aveu* qu’à Carlos, sa bouche en a sçu faire,
Elle luy promettoit des biens en quantité,
Dont le moindre à ses yeux étoit la liberté,
Et c’est pour ce sujet qu’elle l’a demandée.
FATIMAN.
645 Et Carlos qu’a t’il dit ? tu l’as bien entendu ?
FATIMAN.
De ce complot maudit je veux
sçavoir* la suite,
Va trouver Dom Carlos, comme elle te l’a dit.
650 Acheve exactement ce qu’elle t’a prescrit.
Observe adroitement ses yeux, sa contenance
Ses gestes, ses
discours*, & même son silence ;
De peur d’être surpris dans cet Appartement,
Tu viendras dans le mien m’instruire promptement,
655 Vole, ta liberté que ma bouche a jurée,
Sera par ce service encor plus assurée.
ZAIRE.
Pour redevenir libre, allons trouver Carlos.