SCENE I. §
Clidamant, Croctin.
Clidamant.
Ce dessein* vous surprend. J’en suis tout
interdit*.
Croctin.
Vous le serez bien plus, lors que j’auray tout dit,
Vous vous plaignez d’un mal, et je me plains d’un autre,
Vous voyez ma tristesse, et moy je voy la vostre,
5 Vous aimez Isabelle et Florant l’aime aussy,
Clidamant.
Que je suis malheureux.
Croctin.
Que je suis malheureux. Que faire à tout cecy.
Ma foy je n’y vois goutte.
Clidamant.
Ma foy je n’y vois goutte. Il faudra que Lisette...
Clidamant.
Ne sera point porté. Pourquoy ? dans sa maison...
Croctin.
{p. 6}
10 Quand vous parlez ainsy, vous parlez sans raison.
Vous dites qu’en amour vous n’estes pas novice,
Mais vos raisonnements ne sont qu’un pur caprice.
Clidamant.
Te connoist il.
Croctin.
Te connoist il. Qui moy ? Jamais il ne m’a veu.
Clidamant.
Il faudra que tu fasse...
Croctin.
Il faudra que tu fasse... Et tout cela conclu,
15 Que pretendez vous faire.
Clidamant.
Que pretendez vous faire. Une chose admirable,
Que tu feras.
Croctin.
Que tu feras. Qui moy ? Que je me donne au Diable
Si j’y vais.
Clidamant.
Si j’y vais. Tu pourras, quand il sera sorty,
Entrer dans sa Maison.
Croctin.
Entrer dans sa Maison. Quand il seroit party,
Pour aller en Escosse, ou bien en Allemagne,
20 On voit certain
mouchart*, qui souvent m’accompagne.
C'est pourquoy je vous dis, que si l’on me tenoit,
On me feroit grand chere, ou l’on me meneroit
[A4, 7]
Dans le grand Chastelet, dans la Conciergerie,
J’y pourrais demeurer le reste de ma vie,
25 On a veu des decrets de tout temps contre moy,
Sans sçavoir la raison ny comment ny pourquoy,
On voit tant d’Innocents perir pour les coupables.
Clidamant.
Je suis plus malheureux que les plus miserables,
Si tu veux à present m’abandonner.
Croctin.
Si tu veux à present m’abandonner. Poussez.
Clidamant.
Je veux vous faire grace*. Il suffit,
Croctin.
Je veux vous faire grace*. Il suffit, C’est assez.
Deusse je estre pendu par mon col tout à l’heure,
Si je ne vais parler jusques à sa demeure...
Clidamant.
A ma chere Isabelle.
Croctin.
A ma chere Isabelle. Ouy je vous le promets
Vous me permettez bien.
il luy parle bas
Clidamant.
Vous me permettez bien. Ouy, je te le promets
35 Fais ce que tu voûdras.
{p. 8}
Croctin.
Fais ce que tu voûdras. Il faut vous satisfaire.
J’y vais tout de ce pas, rien ne m’en peut distraire,
Mais je suis arresté, car je vois nostre
amant*
Plus malheureux que n’est ...
SCENE II §
Clidamant, Croctin, Isabelle, Lisette.
Isabelle.
Plus malheureux que n’est ... Est-ce vous Clidamant ?
Clidamant.
Ouy, Madame, c’est moy
Lisette.
Ouy, Madame, c’est moy Croctin ?
Croctin.
Ouy, Madame, c’est moy Croctin ? Quoy ?
Lisette.
Ouy, Madame, c’est moy Croctin ? Quoy ? C’est ton Maistre ?
Clidamant.
40 Non, Madame, à vos yeux je n’osois pas paroistre.
De peur d’estre connu de ce fascheux jaloux,
Je n’osois seulement passer pres de chez vous
Je craignois ...
Isabelle.
Je craignois ... Quand on aime on ne sçauroit rien craindre,
Vostre inconstance seule ...
[A5, 9]
Clidamant.
Vostre inconstance seule ... Et pouvez vous vous plaindre,
45 Lors que vous m’ordonnez d’abandonner ces lieux,
Que je n’osois quitter, malgré les envieux,
Que je ne consens
point que par obeïssance,
Vous me venez d’abord accuser d’inconstance.
Hêlas sy vous voyiez jusqu’au
fond* de mon Cœur
50 Vous y verriez empreinte une vive douleur.
Isabelle.
Ouy, je voys, Clidamant, que vous m’aimez encore.
Je voy que vous avez ...
Croctin.
Je voy que vous avez ... Madame il vous adore,
Je suis homme d’honneur, croyez moy sur ma foy,
Lisette.
Tu crois l’estre, Croctin, mais tu te trompe.
Croctin
Tu crois l’estre, Croctin, mais tu te trompe. Quoy,
55 Je te vois contre moy pousser ton eloquence,
Tu veux te gendarmer, voyant que la finance,
Ne trotte pas chez nous comme l’on voudroit bien,
Laisse là mon amour, je ne veux
point du tien.
Lisette.
Quoy, Croctin, contre moy tu te mets en colere.
Croctin.
{p. 10}
60 A parler franchement je ne veux pas te plaire,
Et quant on me deplait, je veux dire ...
Lisette.
Et quant on me deplait, je veux dire ... Comment ?
Tu croirois donc beaucoup t’abaisser en m’aimant.
Croctin.
Non, je m’agrandirois entrant dedans ta couche,
Tu voudrois en taster, je t’entends, fine mousche,
65 Je t’en feray gouster quand nous serons chez nous.
Lisette.
Dequoy ? du mariage ?
Croctin.
Dequoy ? du mariage ? Et ouy.
Lisette.
Dequoy ? du mariage ? Et ouy. Pour mon espoux,
Je te veux bien, au moins.
Croctin.
Je te veux bien, au moins. Va je te veux de mesme.
Clidamant.
Croctin fera l’affaire, usant du stratagesme ...
Croctin.
Ouy, vous pourrez vous veoir et vous parler tous deux.
Isabelle
70 Et s’il en vient à bout : nous serons trop heureux,
Je luy feray du bien en luy donnant Lisette,
Clidamant.
Moy je sçauray, ...
Croctin.
[A6, 11]
Moy je sçauray, ... Comment la
peste* quelle emplette,
Je vous serviray bien, laissez faire Croctin,
J’ay là dedans dequoy fascher vostre
mastin*,
75 Sans sçavoir la raison pour laquelle il se fasche,
Je luy feray corner que c’est le plus grand lasche,
Que l’on puisse trouver de Paris au Japon,
Puis vous sçaurez ...
Isabelle.
Puis vous sçaurez ... Mais ...
Croctin.
Puis vous sçaurez ... Mais ... Mais quoy ? que dira-t-on ?
Isabelle.
Mais s’il alloit sçavoir.
Croctin.
Mais s’il alloit sçavoir. Que sçauroit il ? j’enrage,
80 Luy qui n’a jamais veu les traits de mon visage,
Me reconnoistra-t-il ? s’il ne m’a jamais veu.
Croctin.
Fais à ta fantaisie*. Et bien en suis je creu,
Sy je fais mon devoir.
Clidamant.
Sy je fais mon devoir. Va nous te laissons faire.
Croctin.
C’est asses, vostre face excite ma colere,
85 Retirez vous, Madame, allez vous en chez vous,
Il suffit que je vois le
fond* de ce mistere,
Mais quelqu’un vient, allons commencer nostre affaire.
SCENE III §
Florant, Fernant.
Florant.
Voyez, mon cher voisin, si je suis malheureux,
90 Vit on jamais un homme à mon aage amoureux
Fernant.
Quand on aime pourtant l’on n’agit pas de mesme,
On ne maltraitte pas l’object de son amour,
Florant.
Il est vray, je la bas au moins vingt fois le jour,
95 Quand la colere
emporte* on n’en est pas le maistre.
Fernant.
Pourquoy la battez vous ?
Florant.
Pourquoy la battez vous ? Je sçay qu’un certain traistre,
Chut au moins sur ce
point.
Fernant.
Chut au moins sur ce point. Quoy ?
Florant.
{p. 13}
Chut au moins sur ce point. Quoy ? Ce n’est pas pour vous,
Pour faire court, il vient la visiter chez nous,
Mais si je l’y puis voir ou je veux qu’on me
berne*,
100 Sy je ne le mets pas dans un lieu subalterne,
Il en pourra gouster, car souvent l’on sçait bien,
Quoy qu’il en soit, enfin cela ne touche en rien.
Il la voit donc souvent, je ne le puis connoistre,
Les cornes bien souvent doucement peuvent croistre,
105 Mais j’y veux donner ordre et dedans peu de temps,
Je le pourray connoistre et m’en aller aux champs,
Quand il sera coffré, je n’auray rien à craindre.
Fernant.
Isabelle pourroit tres justement se plaindre,
Si vous en agissiez de cette façon lá.
Florant.
110 Ne voyez vous pas bien que ce n’est que cela,
Qui me fait hesiter et que ma jalousie,
Qui me feroit passer à mon nés pour un fou,
Si je ne sçavois pas les moyens et par où,
115 Me tirer à present d’une facheuse affaire.
Fernant.
{p. 14}
Il est vray celle là n’est pas fort ordinaire.
Florant.
J’y donneray bon ordre et
devant* qu’il soit peu
Le commerce aura fin, ou nous verrons beau jeu.
Fernant.
Dans vos raisonnements, vous estes admirable,
120 Pouvez vous empescher qu’il ne la trouve aimable,
S’ils s’aiment bien tous deux que faire sur ce
point,
Que me respondrez vous ?
Florant.
Que me respondrez vous ? Qu’il ne la verra
point,
Que je l’enfermeray. De plus s’il faut se plaindre,
Je sçay bien comme on fait.
Fernant.
Je sçay bien comme on fait. Il faut tousjours tout craindre,
125 Isabelle entre nous depend elle de vous,
Jusques à supporter vostre facheux
couroux* ?
Florant.
Ouy, comme estant tuteur il faut qu’elle en depende,
Elle en mordra ses doigts, ou je veux qu’on me pende,
Je sçay bien les moyens de luy faire quitter,
Si j’ay raison ou non, ou si la chose est fausse.
Fernant.
Croyez vous qu’ils viendront vous parler la dessus.
Fernant.
Vous ne m’obligez* pas ... Je ne veux plus rien dire,
Si non que l’on doit craindre un revers de satyre,
Je vous parle en amy, lors que je parle ainsy.
Florant.
Je vous suis
obligé*. Je vous disois aussy,
Qu’il seroit bon de mettre à leurs vœux quelque obstacle.
Fernant.
140 Si vous faisiez cela vous feriez un miracle,
Car il est difficile alors qu’on est aimé,
D’abandonner si tost ce qui nous a charmé.
Florant.
Il est vray quand on aime, on aime avec
furie*.
Florant.
145 Que je ne sçavois pas et qu’il falloit sçavoir.
Fernant.
Vous pouvez cependant user de mon pouvoir,
Vous sçavez que je suis tout à vostre
service*,
Fernant.
Vous m’obligez* beaucoup. Et que c’est mon supplice,
Quant on n’en agit pas en toute liberté.
Florant.
150 Je vous apprendray donc quelle est ma volonté
Qui feront tout pour nous.
Fernant.
Qui feront tout pour nous. Vous avez des flateurs,
Sont des gens affidez, qui ne pourront parroistre,
Que pour tout emporter ce qui sera chez vous,
Croyez moy, cher voisin, tirez-vous de ces coups,
C’est le plus seur.
Florant.
C’est le plus seur. Et bien il faut vous satisfaire.
160 Je vais vous dire tout ce que je viens de faire,
Gros, Rons et qui feront fort bien le coup d’honneur,
Apres luy avoir parlé à l’oreille.
[ 17]
Si le
Galand* paroist ils feront tous merveille,
Que me conseillez vous.
Fernant.
Que me conseillez vous. Qui moy ? je vous conseille
165 De faire sans tarder ce que vous dites là,
C’est là le seul moyen.
Florant.
C’est là le seul moyen. En effect le voila.
Mais je pretends de plus, je voy quelqu’un, courage,
Escoutons les un peu.
Fernant.
Escoutons les un peu. Tirons nous de l’orage.
SCENE IV. §
Florant, Fernant Cachez dans la maison de Florant. Fabrice, Roguepine.
Fabrice appellant son valet.
Roguepine.
Roguepine.
Roguepine. Monsieur.
Fabrice.
Roguepine. Monsieur. Approchez-vous,
faquin*.
Fabrice.
Dis moy ce que t’a dit cette belle assassine,
Elle m’estime fort, n’est ce pas Roguepine.
Son amour va ...
Roguepine.
Son amour va ... Pourquoy n’en auroit elle pas
Un Marquis, comme vous, peut il manquer d’
appas*,
175 Allez croyez tousjours que la belle est de
flamme*,
Et que je sçay fort bien tout ce qu’elle a dans l’ame.
Fabrice.
Mais crois tu qu’Isabelle avec tous ses attraicts,
Ne m’eust pas envoyé desja six mille traicts,
Elle me charme enfin paroissant à sa veüe,
180 Si tost que je la vois mon ame est toute émeüe,
Elle a les yeux brillants, de belles qualitez,
Un teint uny, charmant enfin tant de beautez
Regnent en cette belle et c’est assez te dire.
Puisque mon coeur sans cesse apres elle soupire,
185 Car tu peux bien juger qu’un homme comme moy,
Ne voudroit pas aimer si ce n’estoit dequoy,
Je ne ressemble pas Clidamant de Moncade.
Et ...
Roguepine.
Et ... Comment pouves vous vous retirer des coups,
{p. 19}
Fabrice.
Ma perruque est jolie et mon
point* admirable,
Oui je suis un Marquis, mais tout à fait aimable,
J’ay du coeur.
Roguepine.
J’ay du coeur. Comme un bœuf vostre mere l’a dit.
Fabrice.
Mes canons sont fort bien, j’ay de plus du credit,
195 Bref en tout et par tout ma personne charmante
Roguepine.
Je contenterois bien Lisette ma
guenon*,
Elle me dit souvent approche, mon mignon,
200 Elle vous aime fort, elle a de la tendresse,
Mais à propos, Monsieur, a-t-elle bien dequoy.
Fabrice.
Roguepine elle est riche.
Roguepine.
Roguepine elle est riche. Elle est bien egrillarde,
Du moins elle paroist un tant soit peu gaillarde,
205 Qu’en dites vous, Monsieur, disant la verité,
{p. 20}
Je croy ne pas pecher contre la charité,
N’est ce pas.
Fabrice.
N’est ce pas. Tu te trompe elle est sage.
Roguepine.
N’est ce pas. Tu te trompe elle est sage. Ou je meure …
Fabrice.
Je te la feray voir
devant* qu’il soit une heure.
Tu pourras juger d’elle, et si dans sa beauté,
210 Tu ne trouveras pas quelle est sa qualité.
Qu’il dit tout ce qu’il peut et fust elle tigresse.
Tu verras si j’
impose* ou si c’est verité,
Et tu pourras connoistre enfin cette beauté.
Roguepine.
215 Je sçay que vous l’aymez comme on voit qu’elle est belle.
Fabrice.
De toutes les beautez elle est le seul modelle,
Tu connoistras apres si semblables
appas*,
Peuvent charmer un cœur en ne le perdant pas,
Tu l’avoüeras toy mesme et si sans nulle feinte,
220 L’on ne peut pas aymer tant de beautes. Aminte,
Polixene, Herminie, Andromache, Didon,
Si vous estiez icy ...
Roguepine.
Si vous estiez icy ... Vous les aymeriez.
Fabrice.
Si vous estiez icy ... Vous les aymeriez. Non,
{p. 21}
Je ne quitterois pas mon aimable Isabelle.
Attends moy, je m’en vais entrer chez cette belle.
Roguepine.
225 Vous me faite plaisir,
Florant
Dans la maison aux crocheteurs apres que Fabrice est entre.
Vous me faite plaisir, Allons enfants poussez.
Fabrice. en sortant.
Me maltraitter ainsy.
Roguepine aux crocheteurs.
Me maltraitter ainsy. C’est mon Maistre rossez.
Les crocheteurs ayant mis dehors le Marquis se retirent, hors un, qui danse une entrée pour finir l’acte.
Fin du premier acte.