SCENE II §
{p. 28}
CLITANDRE, ELIZE, CLORIMANT, ORMIN, GERASTE, PAULINE
CLITANDRE
Pardonnez-moy, je viens de la part d’une Dame
365 Vit-on jamais au monde une telle beauté ?
En contemplant les traits d’un si parfait visage,
Que je ne sçaurois pas achever mon message
Je tremble devant vous, & me sens tout transy.
ELIZE
370 Si Diane, Monsieur, vous fait venir icy
Pour me faire sçavoir combien elle est heureuse
De vous avoir acquis, & se dire Amoureuse
D’un homme de merite, & bien fait comme vous,
Qu’elle peut regarder en
qualité* d’espoux,
375 Elle m’
oblige* fort, & je la tiens loüable.
D’avoir sçeu faire en vous un choix si raisonnable,
CLITANDRE
Je meurs, je n’en puis plus, ah destins inhumains
Que voulez vous de moy, que pretendez vous faire ?
380 Appelez-moy Madame, innocent, temeraire,
Si j’ose devant vous, d’un cœur audacieux,
Advoüer franchement que j’adore vos yeux,
Devant que de vous voir Diane estoit
aymable*,
Mais estant compar[ée] au sujet adorable
385 Que j’ay devant mes yeux, je jure qu’elle n’est
Qui vit dessous les lois de la divine Elize.
Elize qui n’est point des communes beautez
390 Dont les foibles attraits gaignent les volontez,
Ce n’est point un rayon qui d’un faux jour esclate,
Nature n’a point fait ce miracle à la haste,
Elle a dans ce chef-d’œuvre employé son pinceau,
Pour mettre en ce sujet tout ce qu’elle a de beau.
395 Ouy, Madame, j’advouë en ce peril extresme,
Qu’on ne vous peut trouver sans se perdre soy mesme,
D’abord on est à vous, & l’on n’est plus à soy.
ELIZE
Tout ce discours ne tend qu’à vous mocquer de moy,
Je
souffre* les effets de cette raillerie,
400 Puis qu’elle vient de vous. Mais, Monsieur, je vous prie
{p. 30}
D’asseurer la beauté qui me fait la faveur
De vous faire venir afin que je vous voye[,]
Que je la veux payer en la mesme monnoye,
405 En luy monstrant le choix que j’ay fait d’un espoux
Qui sans vous faire tort vaut bien autant que vous.
CLITANDRE
Ah Madame, il vaut mieux mille fois que moy-mesme,
Puis qu’il a cét adveu de vostre
ardeur* extresme,
Mais horsmis vostre amour, qui l’esleve à ce point
410 Croyez-moy qu’en merite il ne m’égale point,
Et beaucoup moins encor en l’amour qu’il vous porte.
CLORIMANT dedans voulant sortir
Geraste arreste toy, laisse il faut que je sorte,
Que je vange l’affront que ce traistre me fait.
GERASTE dedans
Tout beau* ! quoy voulez vous vous perdre tout à fait,
415 Ne songez point à vous, considerez Elize.
ELIZE
Pardonnez si je parle avec cette franchise,
Vous me desobligez de discourir ainsi,
D’un homme que j’estime, & qui m’estime aussi.
{p. 31}
420 De ne tesmoigner pas ce que vostre cœur pense,
Puis que pour ce sujet je vous ay desjà dit
L’estime que j’en fais.
CLITANDRE
L’estime que j’en fais. Je suis tout
interdit*.
J’ay les sens tout confus, permettez moy, Madame,
Puis que vous possedez, & mon cœur, & mon Ame,
425 Que je baise la main qui me donne la mort.
ELIZE
Vous vous mocquez de moy, Monsieur vous avez tort,
Ce n’est point mon dessein de vouloir estre aymée,
Si quelqu’un survenoit serois-je pas blasmée :
Car que penseroit-on de vous voir en ce lieu ?
430 Allez vous en de grace, & me dites Adieu.
CLITANDRE
Mon ame est dans vos fers tellement enchaisnée,
Que s’il plaisoit au Ciel qu’un heureux
Hymenée*
Nous peust joindre tous deux, quel seroit mon destin.
Madame excusez moy tout tend à bonne fin,
435 Si vous me rebutez mon esperance est morte.
{p. 32}
ORMIN à Pauline
Mesprisez vous aussi l’amour que je vous porte ?
N’aurez vous point pitié d’un miserable Amant
Que vos beaux yeux ont peû charmer en un moment ?
ELIZE
Ces offres de
service*, & ces feux vrais, ou feints,
Ne peuvent qu’à la fin rendre vos espoirs vains,
Laissez moy seule icy, retirez vous de grace.
PAULINE
On appelle Madame.
ELIZE
On appelle Madame. Ah grands Dieux qui sera-ce ?
SCENE III §
[E 33]
ELIZE, PAULINE, POLEMAS, CLITANDRE, OCTAVE, ORMIN
ELIZE
445 Qu’on ouvre promptement.
POLEMAS
il entre
Qu’on ouvre promptement. Vous mocquez-vous de moy ?
De me faire tarder. Mais qu’est-ce que je voy ?
L’avois-je pas bien dit ?
OCTAVE
L’avois-je pas bien dit ? Souffrez*-vous cette injure ?
CLITANDRE bas
Je suis perdu, grands Dieux !
OCTAVE
Je suis perdu, grands Dieux ! Un homme icy ! je jure.
POLEMAS
Octave arrestez-vous, laissez-moy ce soucy,
450 Sçachons ce qu’il demande, & ce qu’il fait icy.
Parlez à moy, Monsieur, dites-moy quelle affaire
{p. 34}
Vous emmeine en ce lieu ?
ELIZE bas
Vous emmeine en ce lieu ? Grands Dieux je desespere.
CLITANDRE se trouble
J’estois venu Monsieur, de la part, arrivant ;
Mais moy, quand elle fut, je suis auparavant.
OCTAVE
455 Qu’attendez-vous Monsieur ?
ELIZE bas
Qu’attendez-vous Monsieur ? O fille mal-heureuse.
POLEMAS
Que faites vous icy ? Non n’ayez point de peur,
Parlez sans vous troubler.
CLITANDRE
Parlez sans vous troubler. Je vous jure Monsieur,
Croyez-moy s’il vous plaist, que jamais en ma vie,
460 Je ne vous offenç[ai], ny n’en ay point d’envie.
{p. 35}
POLEMAS
Laissons-là ce discours, c’est assez je vous crois,
Que faites-vous icy ?
CLITANDRE
Que faites-vous icy ? C’est la premiere fois,
[Ou] je puisse perir.
POLEMAS
[Ou] je puisse perir. Je sçay bien le contraire.
465 Si vous me déguisez ainsi la verité.
CLITANDRE
Je vous la dy Monsieur.
OCTAVE
Je vous la dy Monsieur. Ah quelle fausseté !
POLEMAS
Mais quel est vostre nom ?
CLITANDRE
Mais quel est vostre nom ? On m’appelle Clitandre.
{p. 36}
POLEMAS
Le nom de vostre pere ?
CLITANDRE
Le nom de vostre pere ? Il est mort.
POLEMAS
Le nom de vostre pere ? Il est mort. Mais comment
470 Le nommoit-on ?
CLITANDRE
Le nommoit-on ? Son nom estoit Theodomant.
POLEMAS
Je l’ay cognu, c’estoit un homme de merite
A venir voir ma fille ? estes-vous engagé
Sous les lois de l’Hymen ?
CLITANDRE
Sous les lois de l’Hymen ? Non.
POLEMAS
Sous les lois de l’Hymen ? Non. Je l’ay bien jugé.
{p. 37}
OCTAVE
475 Pourquoy ces questions où la preuve est si claire ?
A quoy bon ce discours ?
POLEMAS
A quoy bon ce discours ? Tout beau*, laisse moy faire.
Venez çà, sçavez-vous que ce logis est mien ?
Et que je suis son pere ?
CLITANDRE
Et que je suis son pere ? Ouy je le sçay fort bien.
POLEMAS
Passez un peu deçà.
CLITANDRE bas
Passez un peu deçà. Dieux soyez à mon ayde,
480 Il faut perir icy, la chose est sans remede,
ELIZE bas
Ou souffrir* un affront. J’ay le cœur tout
transi*.
POLEMAS à ELIZE
Elize respons moy, quel est cét homme icy ?
{p. 38}
ELIZE
Celuy qu’il vous a dit.
POLEMAS
Celuy qu’il vous a dit. Mais dy moy qui l’engage
A te venir chercher ?
ELIZE
A te venir chercher ? Il m’apporte un message
485 De Diane qu’il sert.
OCTAVE à Polemas
De Diane qu’il sert. Ah Monsieur en effet
C’est mon rival qui sert cét adorable
objet*
Il espouse ma sœur ou
souffrez* que je meure ;
Je n’en puis autrement jamais venir à bout.
POLEMAS à ELIZE
Elize ne dy mot, il n’est point necessaire
D’alleguer tes raisons, mais appren à te taire.
Tu sçais combien je suis
jaloux* de mon honneur [:]
495 Qui tasche effrontement d’acquerir la victoire
{p. 39}
Sur tes chastes desirs, je ne le veux pas croire
Ny luy faire ce tort ; [o]uy je tiens pour certain
Que s’il entre
ceans* c’est avec bon dessein,
Il tenteroit en vain cette
infame* poursuitte,
500 J’ay trop d’opinion de ta sage conduitte,
A tout ce que je vay resoudre sur ce point,
Consens-y sans replique, & ne contredy point.
ELIZE
Il faut bien se resoudre à prendre
patience*.
Monsieur vous cognoistrez un jour mon innocence,
505 Et que vous m’accusez en ceci sans raison.
POLEMAS
Avec ma propre fille, & ne suis point en peine
De m’informer de vous quel sujet vous y meine,
Je le cognois assez, j’en suis trop éclaircy.
510 Qu’il soit honneste & saint, je le veux croire ainsi,
Mais vous ne devez rien ce me semble entreprendre,
Sans mon consentement de qui tout doit despendre.
Si ma fille vous plaist, parlez-moy franchement,
Aymez-là,
servez*-là, mais legitimement,
515 Je cognoy vos moyens, je sçay vostre lignage,
Si vous la desirez avoir en mariage
Je vous l’offre, & vous donne un temps pour y penser :
{p. 40}
Songez-y, je n’ay point dessein de vous forcer,
Car il ne seroit pas juste ny raisonnable.
CLITANDRE
520 Monsieur si mon Amour est saint & veritable
Cognoissez-le par là, je me tiens trop heureux
Si je puis acquerir le tiltre glorieux,
Non seulement d’Espoux, mais d’esclave d’Élize.
Et si cette faveur aujourd’huy m’est acquise,
525 Je n’ay plus rien au monde apres à souhaiter.
POLEMAS
Ce n’est pas mon dessein icy de profiter
De cette occasion par trop precipitée,
Avant que cette affaire entre nous soit traittée,
Allez-vous-en chez vous, pensez-y meurement ;
530 On ne doit pas ainsi traitter en un moment
Une affaire de poids, & de tant d’importance :
Je ne possede pas des biens en abondance,
Mais je m’efforceray pourtant de la
pourvoir*,
Non selon mon desir, mais selon mon pouvoir,
535 Encor que la vertu d’Elize, & sa sagesse
Peuvent bien suppléer au defaut de richesse
Qui passe de beaucoup ce que je puis donner.
[F 41]
CLITANDRE
Je l’adore Monsieur, & pour vous tesmoigner
Que j’estime l’honneur d’une telle alliance
540 Autant que son merite, allons en diligence
En dresser les accords, & le contract passer.
OCTAVE
C’est parler comme il faut, je vous veux embrasser.
POLEMAS
Allons puis qu’il vous plaist, j’en ay l’ame ravie.
ORMIN à CLITANDRE
Vous vous mariez donc ? d’où vous naist cette envie ?
545 Pourrez-vous à Diane ainsi manquer de
foy* ?
SCENE IIII §
{p. 42}
CLORIMANT, GERASTE, ELIZE, PAULINE
CLORIMANT
Ingrate &
fiere* Elize a mon ame agitée
Cent fois plus que la palme à ceux qui l’ont plantée,
Croy que si ce rival eust tardé seulement
550 A sortir de
ceans* l’espace d’un moment
La mine auroit crevé, car mon ardante flame
Auroit par cent endroits fait passage à mon ame
Quand j’ay veu que Clitandre icy te caressoit,
Que jusques à ce point ce traistre m’offençoit
555 J’estois hors de moy-mesme, & je bruslois d’envie
De vanger cét affront aux despens de sa vie.
Mais ton honneur ingrate, en mon esprit jaloux,
A moderé l’
ardeur* de mon juste courroux.
Ne fay point tes efforts pour forger une excuse,
560 La faute est à toy seule, & toy seule j’accuse,
Que sert de me tromper par mille faux serments
En feignant de m’aymer, je sçay bien que tu ments.
Dy moy, ne crains-tu point que le Ciel te punisse,
De rendre à mon Amour une telle injustice.
565 Tout estoit concerté, tu l’as fait à dessein,
{p. 43}
Tu me plonges ingrate un poignard dans le sein,
Contre moy vous estiez tous deux d’intelligence,
Mais pourquoy me tromper d’une fausse esperance ?
Pourquoy me faire voir en idée un bon-heur,
570 Dont tu veux rendre ingrate un autre possesseur ?
J’auray recours au Ciel punisseur des parjures,
Pour chastier ton crime, & vanger mes injures.
Tu l’as pris à tesmoin, tu m’as donné la
foy*,
Devant luy de n’aymer jamais d’autre que moy.
575 Pourquoy veux-tu destruire une si belle flame ?
Pourquoy veux-tu
souffrir* que l’on force ton ame
Qui dépend des Dieux seuls, & non point de celuy
Qui veut injustement te contraindre aujourd’huy
A recevoir les loix d’un fascheux
Hymenée*
580 Et faire revoquer ta parole donnée ?
Peut-on te rendre ainsi le courage abatu ?
Pourquoy ne dis-tu mot, que ne me responds-tu ?
ELIZE
Ah mon cher Clorimant ! Grands Dieux je suis troublée
Par le nombre des maux dont je suis accablée,
585 Je ne suis plus à moy, toutesfois je puis bien
Alors que je te perds encor t’appeler mien ;
J’ay promis il est vray, mais te faisant promesse,
De t’aymer Clorimant, & d’estre ta maistresse,
Je n’eusse jamais creu qu’un obstacle si fort
{p. 44}
590 Me deust faire aujourd’huy perir dedans le port.
L’obstacle qui pouvoit esbranler ma confiance,
Estoit comme tu sçais, la seule obeyssance,
Ce seul point reservé, dispose à ton plaisir,
De tout ce que je puis permettre à ton desir,
595 Pour l’ame elle est à moy, mon cœur je te la donne,
Mon pere ne peut pas la livrer à personne,
Mais il m’a donné l’estre, & du corps il en peut
Malgré moy, Clorimant, disposer comme il veut.
Ne m’en veux point de mal, cher Amant je te prie,
600 C’est où je ne puis rien, si par ton industrie,
Tu peux trouver moyen de rompre cét accord
En te satisfaisant tu destournes ma mort.
Si tu peux empescher ce fascheux
Hymenée*,
Je ne revoque point ma parole donnée,
605 Dispose à ton plaisir de tout ce que je puis,
Je te seray tousjours telle que je te suis.
Elize te le jure.
CLORIMANT
Elize te le jure. Ah non ce n’est point elle,
Elize ne sçauroit jamais estre infidelle,
Ou celle maintenant qui [se] presente à moy
Je sçay que la beauté que j’ay tant adorée
Puis qu’elle me renonce, & me traitte à tel point,
Si c’est elle en effet je ne la cognoy point.
ELIZE
615 Tu me fais tort mon cœur, non, non je suis la mesme
Je suis comme je fus, cette Elize qui t’ayme,
Croy ce que je te dis, & que je te promets,
Quoy qu’il puisse arriver de t’aymer à jamais.
As-tu droit Clorimant de me donner du blasme,
620 Si tu vois malgré moy que l’on force mon ame ?
Non, on ne peut m’oster ce qui n’est plus à moy,
Je t’ay fait dés long temps un present de ma
foy*,
625 Elle auroit peu d’esprit, & moins de
jugement*
De vouloir preferer un autre à Clorimant,
Je te l’ay dit cent fois, & te le dis encore.
CLORIMANT
C’est ce qui te convainc, & qui te deshonore.
Ta voix me favorise, ingrate, mais ton cœur
630 Se livre absolument à ce nouveau vainqueur.
Va ne t’en dédy point, poursuy ton entreprise,
J’abandonne tes fers ingrate &
fiere* Elize,
L’honneur me doit soustraire à tes trompeurs appas,
A present que mon Prince a besoin de mon bras,
{p. 46}
635 Ce Monarque indompté s’avance à la campagne
Pour abatre la force, & l’orgueil de l’Espagne,
Allons l’accompagner, joignons nous à son sort ;
Cherchons, s’il faut mourir, une honorable mort.
Je conjure le Ciel ingrate, & déloyale,
640 En arrivant au camp, que la premiere bale
Laissant mon pasle corps sans force, & sans vigueur,
Efface pour jamais ton portrait de mon cœur.
ELIZE
Va si la guerre plaist à [ton] humeur mutine,
N’as-tu pas en toy-mesme une guerre intestine ?
645 L’Amour ne fait-il pas chez toy de tous costez,
Mesme dedans ton cœur, des sujets revoltez ?
Combats des passions celle qui te commande,
Le peril est bien moindre, & la gloire plus grande.
Quel exploit te rendroit des ennemis vainqueur,
650 Si tu m’as dit cent fois que tu n’as plus de cœur ?
Comment peux-tu jamais rien de bon entreprendre ?
Si bien loin d’attaquer tu ne te peux deffendre ?
Ne t’en va point mon cœur, ne m’abandonne pas.
CLORIMANT
Veux-tu m’accompagner, veux-tu suivre mes pas ?
{p. 47}
ELIZE
655 Dieux ! es-tu raisonn[a]ble ?
CLORIMANT
Dieux ! es-tu raisonn[a]ble ? Et pourquoy donc ingrate
Veux-tu qu’en te croyant encore je me flate ?
ELIZE
Quel scandale grands Dieux ! que diroit-on de moy ?
Pense à ce que tu dis.
CLORIMANT
Tu me dis que je pense & que je considere !
660 En matiere d’Amour, celle qui delibere
N’en a point, ou du moins s’il faut qu’elle en ait eu
En parlant de la sorte elle l’a tout perdu.
ELIZE
Avant que de partir escoute deux paroles.
CLORIMANT
Ce ne seroit pour moy que des contes frivoles,
665 Je me mocque à present des discours que tu fais,
Si le vent les emporte, il me faut des effets.
(Il s’en va)
PAULINE
Non je n’escoute plus. Geraste que t’en semble ?
GERASTE
Que je m’enfuy de toy, que nous partons ensemble,
Desloyale parjure, ame ingrate, & sans
foy*.
670 Va qu’une balle passe à mille pas de moy,
Et qu’entre deux treteaux je briffe en la cuisine
Si tu me vois jamais infidelle Pauline.
(Il s’en va)
ELIZE
Va promptement Pauline, appelle Clorimant.
PAULINE
Il n’ira pas bien loing, car sçachez qu’un Amant
675 Qui fait le furieux en quittant ce qu’il ayme,
Fait en cette action violence à soy-mesme.
ELIZE
Je suis morte r’entrons, peut-estre un mot d’escrit
Aura quelque pouvoir sur ce boüillant esprit.
SCENE VI §
{p. 50}
DIANE, CLITANDRE, JULIE, ORMIN
DIANE
Qu’il est triste ? avez vous quelque trouble dans l’ame ?
Vous estes ce me semble
interdit* de tout point,
690 Que veut dire cela ? quoy vous ne parlez point.
CLITANDRE bas
De divers sentiments, je sens mon ame atteinte.
CLITANDRE
Qui vous rend interdit* & muët ? Une crainte.
DIANE
Une crainte avec moy ? Dieux ! pour quel suject ?
Dites avez vous veu cét agreable object ?
CLITANDRE bas en souspirant
695 Ouy, c’est pour cét object que je suis tout de flame.
{p. 51}
DIANE
Comment vous souspirez.
CLITANDRE
Comment vous souspirez. Je souspire, Madame.
DIANE
Ouy mon cœur, est-ce moy qui vous fait souspirer ?
CLITANDRE bas
Ouy c’est pour un subject que je veux adorer.
JULIE à Ormin
Ormin es-tu muët aussi bien que ton maistre ?
ORMIN
700 En cette
occasion*, helas peussay-je l’estre !
DIANE
Encor d’où venez-vous, qu’avez-vous ?
CLITANDRE
Encor d’où venez-vous, qu’avez-vous ? Je ne sçay,
Madame, je ne puis vous dire ce que j’ay,
DIANE
Je viens de veoir Elize. He bien quelle nouvelle ?
Parlez-moy franchement, comment se porte t’elle ?
CLITANDRE
705 Elle se porte bien.
DIANE
Elle se porte bien. Dites-moy donc mon Cœur,
D’où vous naist ce
chagrin*, cette mauvaise humeur ?
Vous a-t-elle pas dit combien je vous estime ?
CLITANDRE
Madame excusez moy, je commettrois un crime
Indigne de l’honneur de vostre affection,
710 Si je vous celois rien en cette
occasion*.
Je ne sçay toutefois comme je vous puis dire
Mais il le faut pourtant, oüy je l’ay resolu,
Je n’ay fait qu’obéir, car vous l’avez voulu.
715 Je viens de voir Elize, & je jure Madame,
Que ce que n’auroit pû, ni le fer, ni la flame,
Un sort injurieux contre ma volonté,
Considerez un peu l’excez de ma misere,
720 A peine estois-je entré que son pere & son frere,
{p. 53}
M’ont surpris avec elle, & sur certain soupçon
Ils m’ont forcé tous deux, mais de telle façon,
Que quoy [que] j’aye dit, quoy que j’aye pû faire,
Il m’a falu, grands Dieux, ce mot me desespere.
CLITANDRE
Quoy donc ? Il m’a falu sur l’heure l’espouser.
DIANE
Que dites-vous grands Dieux ?
CLITANDRE
Que dites-vous grands Dieux ? Pouvois-je m’opposer
Avec si peu de force à tant de violence ?
On n’a jamais parlé d’une telle insolence,
Si j’eusse d’un seul mot resisté seulement,
730 Tous deux ne m’auroient pas laissé vivre un moment.
DIANE
Vit-on jamais au monde une telle surprise ?
Mais à tout ce discours encor qu’a dit Elize ?
{p. 54}
CLITANDRE
Qu’auroit-elle pû dire ? en fin il a falu,
Puis qu’elle a veu son pere à ce poinct resolu,
735 Se resoudre elle mesme & prendre
patience*.
DIANE
M’osez vous bien parler avec cette impudence ?
M’estimez vous si simple, & l’esprit si mal sain
Que je ne puisse pas penetrer ?
CLITANDRE
Que je ne puisse pas penetrer ? C’est en vain.
Vous me blasmez à tort, ouy je jure Madame
740 Que vous n’avez point droict de soubçonner ma flame[.]
Ce que j’ay fait n’est point par infidelité,
Je suis tel à present que j’ay tousjours esté.
Mais ce qui plus que tout [encor] me desespere
Et me met hors de moy, c’est qu’Octave son frere,
745 Vous le cognoissez bien, brusle d’amour pour vous,
M’ayant dit qu’il estoit de mon bon-heur jaloux
Et m’a contrainct de faire aupres de vous en sorte
Que vous ayez esgard à l’amour qu’il vous porte,
Et qu’un sainct
Hymenée* apres ces maux soufferts
750 Esteigne tous ses
feux* & relasche ses fers.
Madame accomplissons ce double mariage.
{p. 55}
DIANE
Perfide, osez-vous bien me tenir ce langage ?
Je vous entends tres-bien, vous estes je le voy,
[Tous] trois d’intelligence, & liguez contre moy.
755 Je voy bien ce que c’est Elize m’a trahie,
Adieu, perfide ingrat.
CLITANDRE
Adieu, perfide ingrat. Escoutez je vous prie.
DIANE
Ta presence [aujourd’huy] me cause de l’effroy.
(Elle s’en va)
Sors, & n’espere pas de me voir de ta vie.
ORMIN
760 Elle part en cholere.
CLITANDRE
Elle part en cholere. Arreste-la Julie.
JULIE
Je ne le puis. Ormin tu t’en repentiras.
(Elle s’en va)
Pauline aura pour toy de plus charmants appas,
ORMIN
Que ferons-nous Monsieur ?
CLITANDRE
Que ferons-nous Monsieur ? Mon Elize est un Ange :
765 Sortons, n’arrestons pas d’avantage en ce lieu.
Allons revoir Élize. Adieu Diane, Adieu.
Fin du second Acte