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Antoine d'Ourville. L'Absent chez soy. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 41 sc. 727 répl. 2,2 l. 1 588 l. 1 588 l. 26 % 6 334 l. (100 %) 4,0 pers.
DIANE 15 sc. 75 répl. 1,9 l. 470 l. (30 %) 141 l. (9 %) 30 % 2 132 l. (34 %) 4,5 pers.
ELIZE 18 sc. 127 répl. 2,7 l. 864 l. (55 %) 337 l. (22 %) 40 % 4 089 l. (65 %) 4,7 pers.
PAULINE 15 sc. 72 répl. 1,3 l. 776 l. (49 %) 96 l. (7 %) 13 % 3 421 l. (55 %) 4,4 pers.
JULIE 15 sc. 33 répl. 1,2 l. 493 l. (32 %) 40 l. (3 %) 9 % 2 179 l. (35 %) 4,4 pers.
CLORIMANT 18 sc. 112 répl. 2,8 l. 876 l. (56 %) 310 l. (20 %) 36 % 3 852 l. (61 %) 4,4 pers.
CLITANDRE 16 sc. 98 répl. 2,3 l. 679 l. (43 %) 226 l. (15 %) 34 % 3 248 l. (52 %) 4,8 pers.
GERASTE 16 sc. 45 répl. 1,7 l. 729 l. (46 %) 78 l. (5 %) 11 % 3 165 l. (50 %) 4,3 pers.
ORMIN 11 sc. 35 répl. 2,2 l. 539 l. (34 %) 77 l. (5 %) 15 % 2 681 l. (43 %) 5,0 pers.
POLEMAS 9 sc. 77 répl. 2,4 l. 435 l. (28 %) 182 l. (12 %) 42 % 2 114 l. (34 %) 4,9 pers.
OCTAVE 10 sc. 53 répl. 1,9 l. 473 l. (30 %) 100 l. (7 %) 22 % 2 260 l. (36 %) 4,8 pers.
Antoine d'Ourville. L'Absent chez soy. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
DIANE
ELIZE
22 l. (34 %) 8 répl. 2,8 l.
44 l. (67 %) 8 répl. 5,5 l.
3 sc. 66 l. (5 %) 5,3 pers.
DIANE
JULIE
25 l. (69 %) 11 répl. 2,2 l.
12 l. (32 %) 9 répl. 1,2 l.
8 sc. 36 l. (3 %) 4,3 pers.
DIANE
CLORIMANT
19 l. (39 %) 11 répl. 1,7 l.
30 l. (62 %) 14 répl. 2,1 l.
4 sc. 48 l. (4 %) 5,5 pers.
DIANE
CLITANDRE
54 l. (37 %) 33 répl. 1,6 l.
93 l. (64 %) 34 répl. 2,7 l.
6 sc. 146 l. (10 %) 4,6 pers.
DIANE
ORMIN
4 l. (83 %) 3 répl. 1,2 l.
1 l. (18 %) 1 répl. 0,8 l.
3 sc. 4 l. (1 %) 5,0 pers.
DIANE
OCTAVE
14 l. (49 %) 7 répl. 1,9 l.
15 l. (52 %) 6 répl. 2,4 l.
3 sc. 28 l. (2 %) 5,7 pers.
ELIZE
PAULINE
64 l. (63 %) 38 répl. 1,7 l.
39 l. (38 %) 35 répl. 1,1 l.
8 sc. 102 l. (7 %) 4,8 pers.
ELIZE
JULIE
2 l. (67 %) 1 répl. 1,4 l.
1 l. (34 %) 1 répl. 0,7 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 6,0 pers.
ELIZE
CLORIMANT
148 l. (49 %) 41 répl. 3,6 l.
157 l. (52 %) 42 répl. 3,7 l.
7 sc. 304 l. (20 %) 5,1 pers.
ELIZE
CLITANDRE
32 l. (50 %) 11 répl. 2,8 l.
33 l. (51 %) 12 répl. 2,7 l.
7 sc. 63 l. (4 %) 5,9 pers.
ELIZE
GERASTE
3 l. (31 %) 2 répl. 1,3 l.
6 l. (70 %) 3 répl. 1,9 l.
3 sc. 8 l. (1 %) 4,9 pers.
ELIZE
POLEMAS
45 l. (59 %) 23 répl. 1,9 l.
33 l. (42 %) 17 répl. 1,9 l.
6 sc. 77 l. (5 %) 5,6 pers.
ELIZE
OCTAVE
4 l. (74 %) 3 répl. 1,1 l.
2 l. (27 %) 3 répl. 0,4 l.
3 sc. 4 l. (1 %) 4,2 pers.
PAULINE
JULIE
29 l. (65 %) 11 répl. 2,6 l.
16 l. (36 %) 10 répl. 1,5 l.
2 sc. 44 l. (3 %) 2,4 pers.
PAULINE
CLORIMANT
14 l. (21 %) 12 répl. 1,1 l.
52 l. (80 %) 16 répl. 3,2 l.
4 sc. 65 l. (5 %) 3,7 pers.
PAULINE
GERASTE
10 l. (44 %) 7 répl. 1,4 l.
13 l. (57 %) 5 répl. 2,6 l.
6 sc. 23 l. (2 %) 4,0 pers.
PAULINE
ORMIN
5 l. (26 %) 4 répl. 1,2 l.
15 l. (75 %) 5 répl. 2,8 l.
2 sc. 19 l. (2 %) 5,4 pers.
PAULINE
POLEMAS
2 l. (37 %) 3 répl. 0,7 l.
4 l. (64 %) 3 répl. 1,2 l.
2 sc. 6 l. (1 %) 6,3 pers.
JULIE
CLORIMANT
2 l. (61 %) 3 répl. 0,6 l.
2 l. (40 %) 1 répl. 1,2 l.
2 sc. 3 l. (1 %) 4,0 pers.
JULIE
CLITANDRE
1 l. (23 %) 1 répl. 0,8 l.
3 l. (78 %) 4 répl. 0,7 l.
2 sc. 3 l. (1 %) 4,0 pers.
JULIE
GERASTE
6 l. (48 %) 4 répl. 1,3 l.
6 l. (53 %) 5 répl. 1,1 l.
3 sc. 11 l. (1 %) 4,0 pers.
JULIE
ORMIN
5 l. (17 %) 4 répl. 1,1 l.
23 l. (84 %) 4 répl. 5,6 l.
3 sc. 27 l. (2 %) 5,0 pers.
CLORIMANT
CLITANDRE
1 l. (15 %) 1 répl. 0,8 l.
5 l. (86 %) 2 répl. 2,3 l.
2 sc. 5 l. (1 %) 6,6 pers.
CLORIMANT
GERASTE
63 l. (55 %) 34 répl. 1,8 l.
53 l. (46 %) 30 répl. 1,7 l.
10 sc. 115 l. (8 %) 4,6 pers.
CLORIMANT
POLEMAS
6 l. (43 %) 2 répl. 2,7 l.
8 l. (58 %) 4 répl. 1,8 l.
1 sc. 13 l. (1 %) 7,0 pers.
CLORIMANT
OCTAVE
2 l. (54 %) 2 répl. 0,9 l.
2 l. (47 %) 3 répl. 0,5 l.
2 sc. 3 l. (1 %) 4,9 pers.
CLITANDRE
ORMIN
58 l. (59 %) 23 répl. 2,5 l.
41 l. (42 %) 25 répl. 1,6 l.
10 sc. 97 l. (7 %) 5,1 pers.
CLITANDRE
POLEMAS
19 l. (27 %) 14 répl. 1,3 l.
53 l. (74 %) 21 répl. 2,5 l.
6 sc. 71 l. (5 %) 6,0 pers.
CLITANDRE
OCTAVE
19 l. (43 %) 9 répl. 2,1 l.
25 l. (58 %) 8 répl. 3,1 l.
3 sc. 43 l. (3 %) 4,7 pers.
POLEMAS
OCTAVE
86 l. (61 %) 31 répl. 2,8 l.
57 l. (40 %) 32 répl. 1,8 l.
7 sc. 143 l. (9 %) 4,5 pers.

Antoine d'Ourville

1643

L'Absent chez soy. Comédie

Édition de Céline Fournial
sous la direction de Georges Forestier
2015
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2015, license cc.
Source : L'Absent chez soy. Comedie. Par Monsieur d'Ouville. A PARIS, Chez TOUSSAINCT QUINET, au Palais, sous la montée de la Cour des Aydes. M. DC. XLIII. AVEC PRIVILEGE DU ROY.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

L’ABSENT
CHEZ SOY.
COMEDIE. §

EXTRAIT DU PRIVILEGE. §

Par grâce & Privilège du Roy, donné à Paris le 21 Juillet 1643, signé, par le Roy en son Conseil LE BRUN, Il est permis à TOUSSAINCT QUINET, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre & distribuer une pièce de Théâtre intitulée, L’Absent chez soy, Comédie du sieur D’Ouville, & ce durant le temps de cinq ans à compter du jour que ladite pièce sera achevée d’imprimer. Et deffenses sont faites à tous Imprimeurs & Libraires d’en imprimer, vendre et distribuer d’autre impression que de celle qu’aura fait faïre ledit QUINET, ou les ayans cause ; sur peine aux contrevenans de mil livres d’amende, confiscation des exemplaires, & de tous les despens, dommages, & interests, ainsi qu’il est plus au long porté par lesdites lettres, qui sont en vertu du present Extraict tenuës pour deüment signifiées.

Achevé d’imprimer le 28. Avril 1643.

Les Exemplaires ont esté fournis.

Les noms des Acteurs. §

  • DIANE, Damoiselle parisienne, Maistresse de Clitandre.
  • ELIZE, Damoiselle parisienne, Maistresse de Clorimant.
  • PAULINE, suivante [d’Elize], Maistresse de Geraste.
  • JULIE, suivante de [Diane], Maistresse d’Ormin.
  • CLORIMANT, Gentil-homme Parisien, amoureux d’Elize.
  • CLITANDRE, Gentil-homme Parisien, amoureux de Diane.
  • GERASTE, serviteur de Clorimant, amoureux de Pauline.
  • ORMIN, serviteur de Clitandre, amoureux de Julie.
  • POLEMAS, vieillard, Pere d’Elize, & d’Octave.
  • OCTAVE, frere d’Elize, & amoureux de Diane.
La Scene est à Paris.
[A1]

ACTE PREMIER. §

SCENE I. §

DIANE & ELIZE masquées sortant du bal au matin, où elles ont passé la nuict ; & PAULINE & JULIE les accompagnant.

DIANE

JE beny cette nuict qui me donne le bien
De goûter les plaisirs d’un si doux entretien.
Puis que je vous cognoy je me tiens trop heureuse. {p. 2}

ELIZE

Je me tiens de cét heur* moy-mesme glorieuse,
5 Chery cette rencontre, & vous dy sans mentir,
Que ce lieu me plaist tant que je n’en puis sortir.
Le voisinage joint à vos rares* merites
Me fera vous prier d’agréer mes visites.

DIANE

Je joüiray du bien que vous me promettez,
10 Si vous daignez souffrir* mes importunitez.

ELIZE

Je sçay trop le respect où mon devoir m’engage,
Non, non, vous n’aurez point sur moy cét advantage,
Je vous previendray bien ; cependant s’il vous plaist,
Je vous rendray chez vous, mon carrosse est tout prest.

DIANE

15 Le mien qu’un cavalier* aura soin qu’on m’emmeine,
Sera bien-tost icy, n’en prenez pas la peine,
Voyez un peu Julie, il doit estre venu.

JULIE

Je ne sçay qui l’aura si long temps retenu,
Le lacquais que j’attens ne m’a point advertie. {p. 3}

DIANE

20 Je me repen[s] bien donc d’estre si tost sortie.
Rentrons.

ELIZE

Je le veux bien.

DIANE

Et toy demeure icy.
Attens-y mon carrosse.

ELIZE

Et toy Pauline aussi.

SCENE II §

PAULINE, JULIE

PAULINE

JE me réjoüys fort de voir que nos maistresses
S’entr’ayment, & se font ainsi tant de caresses*,
25 Il nous faut contracter* ensemble une amitié
Qui surpasse la leur encor de la moitié,
J’ay bien intention que nous rions ensemble. {p. 4}

JULIE

Nous en aurons souvent le loisir ce me semble.
Est-ce depuis long-temps que tu sers là dedans ?

PAULINE

30 J’ay servy la deffunte en mes plus jeunes ans,
Et j’ay depuis sa mort tousjours servy la fille.
Les biens n’y sont pas grands, mais c’est une famille
Des plus nobles qui soient, & personnes d’honneur.

JULIE

Élize est-elle douce & d’agréable humeur ?

PAULINE

35 Julie asseure-toy que jamais la Nature,
N’a dans le monde encor formé de creature,
Qui la passe en merite & l’égale en bonté,
Et je n’aurois jamais si grande liberté
Chez mes propres parens comme je l’ay chez elle.

JULIE

40 Elle me semble douce ; & parfaitement belle ;
Mais ses yeux si charmants auraient-ils le pouvoir
De donner de l’amour à tous sans en avoir ? {p. 5}

PAULINE

On ne la sçauroit voir en effet qu’on ne l’ayme,
Mais elle ayme un Amant cent fois plus qu’elle mesme,
45 Un brave* Cavalier* qui l’adore & je croy,
Qu’ils se sont engagez l’un et l’autre de foy*.
Et je souhaite fort cette heureuse journée,
Qu’ensemble ils seront joints sous les lois d’Hymenée*.
Mais j’apprehende bien que selon leurs desirs
50 Ils ne puissent sitost accomplir leurs plaisirs.

JULIE

Pourquoy ?

PAULINE

Parce qu’encor on [n’]en dit rien au pere.

JULIE

Elle a son pere encor ?

PAULINE

Ouy, son pere & son frere,
Un jeune Cavalier*[.]

JULIE

Mais dy moy, son Amant,
Comment le nomme t’on ? {p. 6}

PAULINE

Son nom est Clorimant[.]

JULIE

55 Aurois tu point conceu quelque amoureuse flame,
Pour quelqu’un de ses gens ?

PAULINE

Tu lis dedans mon ame,
Les voyants tous les jours si fort se mignarder,
Serions nous entre nous oysifs à regarder ?
Ce que j’ayme est plaisant, & de si bonne grace,
60 Qu’il agrée à mes yeux quelque chose qu’il face ;
Il reste peu de chose à nous mettre d’accord.
Mais de nos actions si tu t’enquiers si fort,
A present de tout point que tu cognois les miennes,
Fay que je sçache aussi quelque chose des tiennes,
65 Ta maitresse sans doute aura plusieurs galands*.

JULIE

Quoy ? belle comme elle est, en l’age de vingt ans,
Avec beaucoup de biens, & sans pere, & sans mere,
N’en aurait elle point estant seule heritiere ?
Mais elle est dans huit jours preste à se marier,
70 Avec un galand* homme, un brave* Cavalier*,
Qu’elle ayme, & et dont elle est sans mentir adorée. {p. 7}

PAULINE

Ton galand* est à luy ?

JULIE

Si tu t’es déclarée,
N’aurois-je pas grand tort si je te celois rien ?
Il est vray que je l’ayme, & qu’il me veut du bien,
75 Le carosse est venu, j’advertis ma maitresse[.]

PAULINE

Elles viennent ensemble.

SCENE III §

DIANE, JULIE, ELIZE, PAULINE

DIANE

Et bien quelle paresse !

JULIE

Il est venu Madame.

DIANE à ELIZE

Adieu je vous promets
De l’envoyer chez vous. {p. 8}

ELIZE

Croyez moy qu’à jamais,
Ce poinct m’obligera* ; car je brusle d’envie
80 De voir ce qui vous a la liberté ravie[,]
Ce brave* Cavalier* que vous vantez si fort[.]

DIANE

Lors que vous l’aurez veu vous benirez mon sort,
Je vous le loüe encor bien moins qu’il ne merite.

ELIZE

Vostre depart m’afflige & me laisse interditte*,
85 Faites-moy s’il vous plaist la faveur de m’aymer,
Vous me l’avez promis.

DIANE

Je doy trop estimer
L’honneur que je reçoy de vostre connoissance,
Pour ne vous pas servir de toute ma puissance.

ELIZE

Pauline, allons.

PAULINE

Julie au moins souvienne toy
90 De ce que tu m’as dit. [B 9]

JULIE

Repose-toy sur moy.

SCENE IV §

DIANE, JULIE, CLITANDRE, ORMIN

DIANE

Vous vous estes, Monsieur, fait bien long-temps attendre[.]

CLITANDRE

Quand vous estes au bal vous ne vous sçauriez rendre,
Je pensois sans mentir estre encor arrivé
Plutost qu’il ne falloit, mais vous avez trouvé
95 Pour vous entretenir une du voisinage,
Quel est ce digne object ? quel est ce beau visage
Avec qui vous avez si long temps discouru ?

DIANE

C’est un sujet divin, je n’eusse jamais cru
Qu’on eust pû rencontrer une beauté pareille,
100 Un esprit adorable, une telle merveille,
Un œil si gratieux, un entretien si doux. {p. 10}

CLITANDRE

Quels estoient vos discours ?

DIANE

Nous discourions de vous.
J’ay dit que vous estiez un Cavalier* qui m’ayme,
Et que j’estime autant aussi comme moy-mesme.
105 J’ay peint vostre merite, & je vous ay vanté
Si plain de courtoisie & de civilité,
Et l’esprit si bien fait qu’elle vous veut cognoistre.

CLITANDRE

Apres tous ces discours je n’oserois paroistre,
Car si je la voyois à cette heure, je croy
110 Qu’elle se mocqueroit & de vous & de moy.

DIANE

Vous la verrez pourtant, elle s’appelle Elize.
Elle est extrémement courtoise* & bien apprise*.
Vous irez de ma part, & verrez ce que c’est.

CLITANDRE

Entrons, je le veux bien, j’iray puis qu’il vous plaist.

SCENE V §

{p. 11}
CLORIMANT, GERASTE

CLORIMANT

115 Bien que t’a[-t-elle] dit ?

GERASTE

Le Ciel vous est prospere,
N’apprehendez plus rien, car son pere & son frere
S’en vont tous deux aux champs, & sont prests à partir.
Elle m’a commandé de vous en advertir[.]

CLORIMANT

Bannissons desormais de chez nous la tristesse,
120 Quoy ! te verray-je donc, ô ma chere maitresse ?
Quoy ! de tant de tourmens me verray-je allegé ?
Sortez d’icy souspirs, je vous donne congé,
Je banny de chez moy la douleur & la plainte,
Puis que je te puis voir sans obstacle & sans crainte,
125 Adorable beauté qui causes mon tourment.
Est-il dessous le Ciel un plus heureux Amant ?
Tu dis qu’elle m’attend ?

GERASTE

Ouy, seule, & qui desire
Vous parler à loisir. {p. 12}

CLORIMANT

C’est le but où j’aspire.
Et qui rend à ce coup tous mes désirs contens :
130 Mais allons de ce pas, ne perdons point de temps.

GERASTE

Ils sortent, je les voy sur le pas de la porte,
Ils vous verront, Monsieur, cachez vous.

CLORIMANT

Il n’importe.
N’estant point cognu d’eux, puis-je pas sans soupçons
Estre en la rue ?

GERASTE

Octave est un mauvais garçon,
135 Que sçavons nous Monsieur, peut-estre qu’il nous guette.

SCENE VI §

{p. 13}
POLEMAS, OCTAVE, CLORIMANT, GERASTE

POLEMAS

Elize ne vient point !

OCTAVE

Elle est toute deffaitte,
Avec certain chagrin*.

POLEMAS

Qui cause ce soucy* ?

OCTAVE

C’est d’avoir trop veillé.

CLORIMANT à GERASTE

Retirons-nous d’icy.
Nous pourrions en ce lieu causer des jalousies.
([Clorimant] & Geraste s’en vont).

OCTAVE

140 Mais qui vous meine aux champs ?

POLEMAS

Certaines fantaisies*
Qui troublent mon repos. {p. 14}

OCTAVE

D’où vient cela Monsieur ?

POLEMAS

J’ay l’esprit agité pour l’amour de ta sœur.

OCTAVE

Comment ! ma sœur estant & vertueuse & sage,
Quel subject avez vous d’en prendre de l’ombrage* ?

POLEMAS

145 Pourtant elle me cause un estrange soucy*.
Je veux sur ce subject t’entretenir icy.

OCTAVE

Je ne m’estonne point qu’une fille comme elle,
Honneste, vertueuse, & parfaitement belle,
D’un esprit agreable en la fleur de ses ans,
150 Resveille les esprits à plusieurs pretendans,
Qu’elle soit poursuivie, & qu’elle soit priée.

POLEMAS

Je souhaitterois fort qu’elle fust mariée.

OCTAVE

Auroit-elle bien fait quelque legereté*
Qui peust faire une tache à sa pudicité* [?] {p. 15}

POLEMAS

155 Non, non tu me verrois parler d’une autre sorte,
Le fait ne va pas là, car ce fer que je porte,
Ayant fait quelque chose indigne de son rang,
Auroit esté desjà trempé dedans son sang.

OCTAVE

Qui vous oblige donc à tenir ce langage ?
160 Il fait bien en effet.

POLEMAS

Non, non, Elize est sage.
Mais je souhaitterois qu’il fust en mon pouvoir
Pour beaucoup de raisons de bien-tost la pourvoir*.
Je ne crains pas pourtant, quoy qu’elle soit sans mere,
Qu’elle face jamais chose qui degenere
165 De la sage vertu de ses predecesseurs.

OCTAVE

Vous me mettez pourtant en l’esprit des frayeurs,
Qui me font soupçonner qu’il en est quelque chose.

POLEMAS

Non, non, que ton esprit de tout poinct se repose.
Tu sçauras ce que c’est. On m’a dit seulement {p. 16}
170 Que son cœur respondoit aux desirs d’un Amant,
Un peu plus librement qu’elle ne devroit faire.

OCTAVE

C’est veritablement bien déguiser l’affaire,
Qu’appelez vous respondre en matiere d’Amour ?

POLEMAS

Respondre à quelque Amant qui pourroit quelque jour
175 Si je le trouvois bon l’avoir en mariage.
Laisseroit-elle donc pour cela d’estre sage ?

OCTAVE

Vous venez à propos m’entretenir du sien,
Quand j’avois resolu de vous parler du mien.

POLEMAS

Te veux-tu marier ?

OCTAVE

Avec vostre licence.
180 Pourquoy ? n’est-il pas temps.

POLEMAS

Et quelle est l’alliance
Que tu nous veux donner ? je n’y contredy pas {p. C 17}
Si plutost que l’Amour, l’honneur guide tes pas.

OCTAVE

L’un & l’autre Monsieur, & de plus la richesse.

POLEMAS

C’est ce qui m’en plaist fort : mais quelle est ta Maistresse ?
185 La cognois-je ?

OCTAVE

Fort bien.

POLEMAS

Dy donc.

OCTAVE

Il est besoing
De prendre auparavant la chose de plus loing,
Vous vous souvenez bien, au moins il me le semble,
Que nous fusmes tous deux un jour souper ensemble
Au logis de Climante, où l’on me fit asseoir
190 Vis à vis d’un objet* qu’alors vous peustes voir.

POLEMAS

Seroit-ce bien Diane ? {p. 18}

OCTAVE

Ouy Monsieur, c’est la mesme,
C’est ce divin object*, cette beauté que j’ayme,
Mais plutost que j’adore, & je jure, & promets
Si vous le trouvez bon de l’aymer à jamais.

POLEMAS

195 J’ayme ton choix, & loüe une telle entreprise,
Pleust au Ciel que celui qu’a fait ta sœur Elize
Fust aussi raisonnable, & que j’eusse cét heur*,
Tant ce party me plaist, de t’en voir possesseur.
Pour mon consentement, oüy, va je te le donne,
200 Quand son pere vivoit, je sçay bien que personne
Ne pouvoit sur son cœur autant que je pouvois,
Mais ce n’est pas assez que j’approuve ton choix,
Tu sçais bien à present que cette Damoiselle
N’a ny pere ny mere, & que tout dépend d’elle.
205 As-tu par ton service* acquis sa volonté ?
Fait-elle quelque estat de ta fidélité ?
Sans cela tu rendras tes pretentions vaines,
Tu n’y feras que perdre & ton temps & tes peynes,
Elle est riche & puissante, & voudra, que je croy,
210 Non un homme mieux fait, mais plus riche que toy. {p. 19}

OCTAVE

Elle ayme un Cavalier* qu’on appelle Clitandre,
Mais je ne laisse pas pour cela d’y pretendre,
Car il est si leger, & si lasche* en Amour
Qu’il fait à tous objets* incessamment la Cour.
215 Il est, à ce qu’on dit, jusqu’à tel poinct volage,
Qu’on n’a qu’à luy monstrer seulement un visage
Pour peu qu’il ait d’attraits qu’à l’instant il est pris.
Croyez que ce rival trouble peu mes esprits,
Et bien qu’en ce dessein je trouve cét obstacle,
220 L’Amour peut, s’il le veut, faire un plus grand miracle.

POLEMAS

C’est l’entendre tres-mal ; car tout homme aujourd’huy
A tort d’aller ainsi sur les traces d’autruy,
Je n’en espere rien puis que la place est prise.
Mais je veux revenir à te parler d’Elize,
225 Et laisser ce discours pour une autre saison.
Sitost que nous sortons hors de nostre maison[,]
J’ay sceu de bonne part, qu’un certain Gentil-homme*,
Mais je n’ay peu sçavoir encor comme il se nomme,
La visite chez elle, & que sa passion
230 Fait remarquer à tous son inclination*.
Mon dessein à present n’est autre que d’attendre
Qu’il vienne en nostre absence afin de le surprendre,
Et ce qui me le fait encor plus soupçonner, {p. 20}
Elize est demeurée, afin de luy donner
235 Le moyen de venir discourir avec elle.
Il n’y manquera pas, l’occasion est belle.
Nous en le surprenant nous sçaurons quel il est,
Son nom, sa qualité*, si ma fille luy plaist,
Et quel est son dessein. Car je ne veux pas croire,
240 Quand mesme il voudroit faire une action si noire,
D’attenter* laschement sur sa pudicité*,
Qu’il se prist à des gens de nostre qualité*.
Si tout de bon il veut engager sa franchise*
J’accepteray ses vœux, loüeray son entreprise ;
245 L’homme le meritant, & qu’avecque l’honneur
Par mon consentement il luy donne son cœur.
Et veux si ce ne sont que simples Amourettes
Bannir hors de chez moy ces pratiques secrettes.

OCTAVE

Vous ferez sagement, allons, si son Amour
250 Perd icy le respect, il en perdra le jour :
Quand ce galand* seroit un Prince, je vous jure
Que ce fer vangeroit nostre commune injure.

POLEMAS

Il n’en faut pas encor venir jusqu’à ce point.
Octave taisez-vous, ne vous emportez point.
255 Je veux voir aujourd’huy par cet[t]e experience {p. 21}
Si l’Amour est plus fort que n’est l’obeyssance,
Ou si l’obeyssance est maistresse d’Amour ;
Ne tardons point, allons icy pres faire un tour.

SCENE VII §

CLORIMANT, ELIZE, GERASTE, PAULINE

CLORIMANT

Je bruslois de desir dedans l’impatience
260 Que j’avois de joüir de ta chere presence.

ELIZE

T’imaginois-tu pas cher Clorimant aussi,
Que j’estois de ma part en semblable soucy* ?

CLORIMANT

Ouy, tu me fais si bien cognoistre à nud ton ame,
Que je serois ingrat de douter de ta flame,
265 Et tu serois ingrate aussi de ton costé
Si tu pouvois douter de ma fidelité.

ELIZE

Je crains qu’avec le temps, mon cœur tu ne mesprises,
Ainsi que plusieurs font, ces trop grandes franchises*,
Tu pourras m’accuser de peu de jugement* {p. 22}
270 De te laisser entrer ceans* si librement.
Mais ce seroit user d’une lâche vengeance,
Si tu voulois par là tromper mon innocence.

CLORIMANT

Ne serois-je pas bien de mon bon-heur jaloux* ?
N’y puis-je pas entrer en qualité* d’espoux ?

ELIZE

275 Je crains ton changement. Cela me met en peyne,
Le temps change souvent un grand amour en haine,
Et c’est ce qui me trouble, & me met hors de moy.

CLORIMANT

Quoy ma belle, aurois-tu ces doutes de ma foy* ?
Quel sujet en as-tu ? je prie, & je conjure
280 Le Temps, le Ciel, la Mort, & toute la Nature
Qu’à l’instant que j’auray seulement le dessein
De vouloir arracher cét Amour de mon sein
Pour me faire oublier ta beauté que j’adore,
Qu’ils conjurent ma perte, & qu’ils rendent encore
285 Ma funeste memoire afin de me punir,
Execrable à jamais aux races advenir.
Ah tu m’offences trop par cette deffiance. {p. 23}

ELIZE

Je te veux demander pardon de cette offence,
J’ay tort si je croy rien capable desormais
290 De faire desmentir les serments que tu fais.
Pour toy tu sçais assez l’Amour que je te porte,
Je ne sçaurois t’aymer d’une amitié plus forte.
Ce cœur est à toy seul, en toute liberté
Tu peux en disposer de plaine authorité,
295 Je t’y cede tout droit, car ma pudique flame
Te donne tout pouvoir sur tous ceux de mon ame.
Je ne reserve rien, tu peux tout maitriser,
Mais quant à ceux du corps, je n’en puis disposer,
Ils ne sont point à moy, mon pere en est le maistre,
300 Je les tiens tous de luy puis qu’il m’a donné l’estre.

CLORIMANT

Ton pere te peut il deffendre de m’aymer ?

ELIZE

Non, mais à son vouloir il me faut conformer :
Je te puis bien aymer cher Clorimant sans feindre.
Mon pere n’eut jamais pouvoir de me contraindre,
305 Car je tiens des Dieux seuls ma libre volonté.
Mais quelque Amour que j’aye, & quelque fermeté
Je sçay ce que je dois aux droits de ma naissance,
Je n’oserois manquer à cette obeyssance {p. 24}
Que je dois à celuy de qui je tiens le jour,
310 Quoy qu’il ne puisse pas destruire mon Amour ;
Mais cette Amour, ô Dieux, ne sert rien qu’à nous nuire,
Pour nostre commun bien elle ne peut produire
Que des fleurs seulement, car mon heur* qui me fuit
Nous peut bien empescher d’en recueillir le fruit.
315 Que ne declares-tu ton dessein à mon pere ?
Que differes-tu plus ? qui t’oblige à te taire ?
Si quelque rival vient traverser* tes desseins,
Que pourray-je pour toy ? mes efforts seront vains
Si mon pere me dit : ma fille, je desire
320 Te pourvoir* en tel lieu, je n’auray rien à dire,
Sans rien deliberer je suivray son dessein,
Quand je devrois me mettre un poignard dans le sein.
Ouy, ne m’en blasme point, Clorimant, je te prie.
Avec cette pudeur* on m’a tousjours nourrie.

CLORIMANT

325 Le Ciel ne voudra pas me rendre malheureux
Jusques à ruyner mes desseins Amoureux.
S’il ne tient qu’à cela je te promets mon ame,
Que ton pere sçaura mon amoureuse flame,
Je me veux declarer à luy si tu le veux,
330 Et bien-tost le prier d’esteindre tous mes feux*.
Ayant passé la nuit je te voy le teint fade, {p. D 25}
C’est pour avoir veillé, de peur d’estre malade
Va reposer une heure, & moy durant ce temps
J’iray faire une affaire.

ELIZE

Il est vray, je me sens
335 L’esprit tout assoupi. Va, mais ne tarde guere.

GERASTE à Pauline

Sommes-nous pas d’accord ?

PAULINE

Parle donc à mon pere.
Je n’oserois jamais sans son consentement,
Quand je devrois mourir, recevoir un Amant.

GERASTE

Ne tient-il qu’à cela ? Je le feray Pauline,
340 Mais quand je reviendray, ne me fay pas la mine,
Si tu ne veux soudain me mettre au desespoir.

PAULINE

Va ne crains rien, & vien promptement me revoir.

Fin du premier Acte

{p. 26}

ACTE II §

SCENE I §

CLORIMANT, PAULINE, ELIZE, GERASTE

CLORIMANT

Je me trompe, ou je voy Pauline dans la ruë ?
Dy moy, que fais-tu là ?

PAULINE

Je suis icy venuë
345 Expres pour vous attendre, elle est en grand soucy*
Pourquoy vous tardez tant. Madame le voicy.

ELIZE

Approche, Clorimant, tu te fais bien attendre.

CLORIMANT

J’estois en compagnie, & n’ay peû me deffendre
De quelques miens amis qui m’ont entretenu. {p. 27}
350 Je serois toutefois encor plustost venu,
Si je n’eusse pensé te trouver endormie.

ELIZE

J’ay sans mentir esté plus d’une heure & demie
Sans pouvoir fermer l’œil, à ne resver qu’à toy,
Je n’ay plaisir aucun que lors que je te voy.

CLORIMANT

355 Ravy d’un tel bon-heur qui d’ayse* me transporte*.

PAULINE entre

Madame, un Cavalier* vous demande à la porte
De la part de Diane.

ELIZE

Ah je sçay bien que c’est.
Elle veut que je voye un Amant qui luy plaist,
Qu’elle m’a fort loué, cache toy la derriere,
360 De peur qu’il ne te voye, il ne tardera guere,
Il n’est pas à propos qu’il te rencontre icy.

CLORIMANT

Je fais ce que tu veux.

ELIZE

Et toy Geraste aussi.

SCENE II §

{p. 28}
CLITANDRE, ELIZE, CLORIMANT, ORMIN, GERASTE, PAULINE

CLITANDRE

Pardonnez-moy, je viens de la part d’une Dame
Qui vous baise les mains*. Dieux je suis tout de flame,
365 Vit-on jamais au monde une telle beauté ?
Madame excusez moy, je suis si transporté*
En contemplant les traits d’un si parfait visage,
Que je ne sçaurois pas achever mon message
Je tremble devant vous, & me sens tout transy.

ELIZE

370 Si Diane, Monsieur, vous fait venir icy
Pour me faire sçavoir combien elle est heureuse
De vous avoir acquis, & se dire Amoureuse
D’un homme de merite, & bien fait comme vous,
Qu’elle peut regarder en qualité* d’espoux,
375 Elle m’oblige* fort, & je la tiens loüable.
D’avoir sçeu faire en vous un choix si raisonnable,
Et pour cette faveur je luy baise les mains*. {p. 29}

CLITANDRE

Je meurs, je n’en puis plus, ah destins inhumains
Que voulez vous de moy, que pretendez vous faire ?
380 Appelez-moy Madame, innocent, temeraire,
Si j’ose devant vous, d’un cœur audacieux,
Advoüer franchement que j’adore vos yeux,
Devant que de vous voir Diane estoit aymable*,
Mais estant compar[ée] au sujet adorable
385 Que j’ay devant mes yeux, je jure qu’elle n’est
Rien à mon jugement* de ce qu’elle paroist.
Heureux qui peut en vous engager sa franchise*[,]
Qui vit dessous les lois de la divine Elize.
Elize qui n’est point des communes beautez
390 Dont les foibles attraits gaignent les volontez,
Ce n’est point un rayon qui d’un faux jour esclate,
Nature n’a point fait ce miracle à la haste,
Elle a dans ce chef-d’œuvre employé son pinceau,
Pour mettre en ce sujet tout ce qu’elle a de beau.
395 Ouy, Madame, j’advouë en ce peril extresme,
Qu’on ne vous peut trouver sans se perdre soy mesme,
D’abord on est à vous, & l’on n’est plus à soy.

ELIZE

Tout ce discours ne tend qu’à vous mocquer de moy,
Je souffre* les effets de cette raillerie,
400 Puis qu’elle vient de vous. Mais, Monsieur, je vous prie {p. 30}
Laissons les compliments*, & me faites l’honneur
D’asseurer la beauté qui me fait la faveur
De vous faire venir afin que je vous voye[,]
Que je la veux payer en la mesme monnoye,
405 En luy monstrant le choix que j’ay fait d’un espoux
Qui sans vous faire tort vaut bien autant que vous.

CLITANDRE

Ah Madame, il vaut mieux mille fois que moy-mesme,
Puis qu’il a cét adveu de vostre ardeur* extresme,
Mais horsmis vostre amour, qui l’esleve à ce point
410 Croyez-moy qu’en merite il ne m’égale point,
Et beaucoup moins encor en l’amour qu’il vous porte.

CLORIMANT dedans voulant sortir

Geraste arreste toy, laisse il faut que je sorte,
Que je vange l’affront que ce traistre me fait.

GERASTE dedans

Tout beau* ! quoy voulez vous vous perdre tout à fait,
415 Ne songez point à vous, considerez Elize.

ELIZE

Pardonnez si je parle avec cette franchise,
Vous me desobligez de discourir ainsi,
D’un homme que j’estime, & qui m’estime aussi. {p. 31}
Vous devez pour le moins avoir la complaisance*
420 De ne tesmoigner pas ce que vostre cœur pense,
Puis que pour ce sujet je vous ay desjà dit
L’estime que j’en fais.

CLITANDRE

Je suis tout interdit*.
J’ay les sens tout confus, permettez moy, Madame,
Puis que vous possedez, & mon cœur, & mon Ame,
425 Que je baise la main qui me donne la mort.

ELIZE

Vous vous mocquez de moy, Monsieur vous avez tort,
Ce n’est point mon dessein de vouloir estre aymée,
Si quelqu’un survenoit serois-je pas blasmée :
Car que penseroit-on de vous voir en ce lieu ?
430 Allez vous en de grace, & me dites Adieu.

CLITANDRE

Mon ame est dans vos fers tellement enchaisnée,
Que s’il plaisoit au Ciel qu’un heureux Hymenée*
Nous peust joindre tous deux, quel seroit mon destin.
Madame excusez moy tout tend à bonne fin,
435 Si vous me rebutez mon esperance est morte. {p. 32}

ORMIN à Pauline

Mesprisez vous aussi l’amour que je vous porte ?
N’aurez vous point pitié d’un miserable Amant
Que vos beaux yeux ont peû charmer en un moment ?

PAULINE

J’ay bien d’autres pensers dedans la fantaisie*.

ELIZE

440 Ces furieux* transports* dont vostre ame est saisie
Ces offres de service*, & ces feux vrais, ou feints,
Ne peuvent qu’à la fin rendre vos espoirs vains,
Laissez moy seule icy, retirez vous de grace.

PAULINE

On appelle Madame.

ELIZE

Ah grands Dieux qui sera-ce ?

SCENE III §

[E 33]
ELIZE, PAULINE, POLEMAS, CLITANDRE, OCTAVE, ORMIN

ELIZE

445 Qu’on ouvre promptement.

POLEMAS

il entre
Vous mocquez-vous de moy ?
De me faire tarder. Mais qu’est-ce que je voy ?
L’avois-je pas bien dit ?

OCTAVE

Souffrez*-vous cette injure ?

CLITANDRE bas

Je suis perdu, grands Dieux !

OCTAVE

Un homme icy ! je jure.

POLEMAS

Octave arrestez-vous, laissez-moy ce soucy,
450 Sçachons ce qu’il demande, & ce qu’il fait icy.
Parlez à moy, Monsieur, dites-moy quelle affaire {p. 34}
Vous emmeine en ce lieu ?

ELIZE bas

Grands Dieux je desespere.

CLITANDRE se trouble

J’estois venu Monsieur, de la part, arrivant ;
Mais moy, quand elle fut, je suis auparavant.

OCTAVE

455 Qu’attendez-vous Monsieur ?

ELIZE bas

O fille mal-heureuse.

POLEMAS

En pareils accidents* la force est dangereuse,
Que faites vous icy ? Non n’ayez point de peur,
Parlez sans vous troubler.

CLITANDRE

Je vous jure Monsieur,
Croyez-moy s’il vous plaist, que jamais en ma vie,
460 Je ne vous offenç[ai], ny n’en ay point d’envie. {p. 35}

POLEMAS

Laissons-là ce discours, c’est assez je vous crois,
Que faites-vous icy ?

CLITANDRE

C’est la premiere fois,
[Ou] je puisse perir.

POLEMAS

Je sçay bien le contraire.
Ce n’est pas le moyen d’accommoder* l’affaire,
465 Si vous me déguisez ainsi la verité.

CLITANDRE

Je vous la dy Monsieur.

OCTAVE

Ah quelle fausseté !

POLEMAS

Croyez qu’on ne peut pas aysément me surprendre* :
Mais quel est vostre nom ?

CLITANDRE

On m’appelle Clitandre. {p. 36}

POLEMAS

Le nom de vostre pere ?

CLITANDRE

Il est mort.

POLEMAS

Mais comment
470 Le nommoit-on ?

CLITANDRE

Son nom estoit Theodomant.

POLEMAS

Je l’ay cognu, c’estoit un homme de merite
Et de condition* ; mais vous qui vous incite
A venir voir ma fille ? estes-vous engagé
Sous les lois de l’Hymen ?

CLITANDRE

Non.

POLEMAS

Je l’ay bien jugé. {p. 37}

OCTAVE

475 Pourquoy ces questions où la preuve est si claire ?
A quoy bon ce discours ?

POLEMAS

Tout beau*, laisse moy faire.
Venez çà, sçavez-vous que ce logis est mien ?
Et que je suis son pere ?

CLITANDRE

Ouy je le sçay fort bien.

POLEMAS

Passez un peu deçà.

CLITANDRE bas

Dieux soyez à mon ayde,
480 Il faut perir icy, la chose est sans remede,
Ou souffrir* un affront.

ELIZE bas

J’ay le cœur tout transi*.

POLEMAS à ELIZE

Elize respons moy, quel est cét homme icy ? {p. 38}

ELIZE

Celuy qu’il vous a dit.

POLEMAS

Mais dy moy qui l’engage
A te venir chercher ?

ELIZE

Il m’apporte un message
485 De Diane qu’il sert.

OCTAVE à Polemas

Ah Monsieur en effet
C’est mon rival qui sert cét adorable objet*
Dont je vous ay parlé faictes que tout à l’heure*
Il espouse ma sœur ou souffrez* que je meure ;
Je n’en puis autrement jamais venir à bout.

POLEMAS à ELIZE

490 Laisse-moy ce soucy, j’accommoderay* tout,
Elize ne dy mot, il n’est point necessaire
D’alleguer tes raisons, mais appren à te taire.
Tu sçais combien je suis jaloux* de mon honneur [:]
Que ce jeune homme icy soit quelque suborneur*[,]
495 Qui tasche effrontement d’acquerir la victoire {p. 39}
Sur tes chastes desirs, je ne le veux pas croire
Ny luy faire ce tort ; [o]uy je tiens pour certain
Que s’il entre ceans* c’est avec bon dessein,
Il tenteroit en vain cette infame* poursuitte,
500 J’ay trop d’opinion de ta sage conduitte,
A tout ce que je vay resoudre sur ce point,
Consens-y sans replique, & ne contredy point.

ELIZE

Il faut bien se resoudre à prendre patience*.
Monsieur vous cognoistrez un jour mon innocence,
505 Et que vous m’accusez en ceci sans raison.

POLEMAS

Cavalier* je vous trouve icy dans ma maison,
Avec ma propre fille, & ne suis point en peine
De m’informer de vous quel sujet vous y meine,
Je le cognois assez, j’en suis trop éclaircy.
510 Qu’il soit honneste & saint, je le veux croire ainsi,
Mais vous ne devez rien ce me semble entreprendre,
Sans mon consentement de qui tout doit despendre.
Si ma fille vous plaist, parlez-moy franchement,
Aymez-là, servez*-là, mais legitimement,
515 Je cognoy vos moyens, je sçay vostre lignage,
Si vous la desirez avoir en mariage
Je vous l’offre, & vous donne un temps pour y penser : {p. 40}
Songez-y, je n’ay point dessein de vous forcer,
Car il ne seroit pas juste ny raisonnable.

CLITANDRE

520 Monsieur si mon Amour est saint & veritable
Cognoissez-le par là, je me tiens trop heureux
Si je puis acquerir le tiltre glorieux,
Non seulement d’Espoux, mais d’esclave d’Élize.
Et si cette faveur aujourd’huy m’est acquise,
525 Je n’ay plus rien au monde apres à souhaiter.

POLEMAS

Ce n’est pas mon dessein icy de profiter
De cette occasion par trop precipitée,
Avant que cette affaire entre nous soit traittée,
Allez-vous-en chez vous, pensez-y meurement ;
530 On ne doit pas ainsi traitter en un moment
Une affaire de poids, & de tant d’importance :
Je ne possede pas des biens en abondance,
Mais je m’efforceray pourtant de la pourvoir*,
Non selon mon desir, mais selon mon pouvoir,
535 Encor que la vertu d’Elize, & sa sagesse
Peuvent bien suppléer au defaut de richesse
Qui passe de beaucoup ce que je puis donner. [F 41]

CLITANDRE

Je l’adore Monsieur, & pour vous tesmoigner
Que j’estime l’honneur d’une telle alliance
540 Autant que son merite, allons en diligence
En dresser les accords, & le contract passer.

OCTAVE

C’est parler comme il faut, je vous veux embrasser.

POLEMAS

Allons puis qu’il vous plaist, j’en ay l’ame ravie.

ORMIN à CLITANDRE

Vous vous mariez donc ? d’où vous naist cette envie ?
545 Pourrez-vous à Diane ainsi manquer de foy* ?

CLITANDRE

Elle aura patience* aussi bien comme moy.

SCENE IIII §

{p. 42}
CLORIMANT, GERASTE, ELIZE, PAULINE

CLORIMANT

Ingrate & fiere* Elize a mon ame agitée
Cent fois plus que la palme à ceux qui l’ont plantée,
Croy que si ce rival eust tardé seulement
550 A sortir de ceans* l’espace d’un moment
La mine auroit crevé, car mon ardante flame
Auroit par cent endroits fait passage à mon ame
Quand j’ay veu que Clitandre icy te caressoit,
Que jusques à ce point ce traistre m’offençoit
555 J’estois hors de moy-mesme, & je bruslois d’envie
De vanger cét affront aux despens de sa vie.
Mais ton honneur ingrate, en mon esprit jaloux,
A moderé l’ardeur* de mon juste courroux.
Ne fay point tes efforts pour forger une excuse,
560 La faute est à toy seule, & toy seule j’accuse,
Que sert de me tromper par mille faux serments
En feignant de m’aymer, je sçay bien que tu ments.
Dy moy, ne crains-tu point que le Ciel te punisse,
De rendre à mon Amour une telle injustice.
565 Tout estoit concerté, tu l’as fait à dessein, {p. 43}
Tu me plonges ingrate un poignard dans le sein,
Contre moy vous estiez tous deux d’intelligence,
Mais pourquoy me tromper d’une fausse esperance ?
Pourquoy me faire voir en idée un bon-heur,
570 Dont tu veux rendre ingrate un autre possesseur ?
J’auray recours au Ciel punisseur des parjures,
Pour chastier ton crime, & vanger mes injures.
Tu l’as pris à tesmoin, tu m’as donné la foy*,
Devant luy de n’aymer jamais d’autre que moy.
575 Pourquoy veux-tu destruire une si belle flame ?
Pourquoy veux-tu souffrir* que l’on force ton ame
Qui dépend des Dieux seuls, & non point de celuy
Qui veut injustement te contraindre aujourd’huy
A recevoir les loix d’un fascheux Hymenée*
580 Et faire revoquer ta parole donnée ?
Peut-on te rendre ainsi le courage abatu ?
Pourquoy ne dis-tu mot, que ne me responds-tu ?

ELIZE

Ah mon cher Clorimant ! Grands Dieux je suis troublée
Par le nombre des maux dont je suis accablée,
585 Je ne suis plus à moy, toutesfois je puis bien
Alors que je te perds encor t’appeler mien ;
J’ay promis il est vray, mais te faisant promesse,
De t’aymer Clorimant, & d’estre ta maistresse,
Je n’eusse jamais creu qu’un obstacle si fort {p. 44}
590 Me deust faire aujourd’huy perir dedans le port.
L’obstacle qui pouvoit esbranler ma confiance,
Estoit comme tu sçais, la seule obeyssance,
Ce seul point reservé, dispose à ton plaisir,
De tout ce que je puis permettre à ton desir,
595 Pour l’ame elle est à moy, mon cœur je te la donne,
Mon pere ne peut pas la livrer à personne,
Mais il m’a donné l’estre, & du corps il en peut
Malgré moy, Clorimant, disposer comme il veut.
Ne m’en veux point de mal, cher Amant je te prie,
600 C’est où je ne puis rien, si par ton industrie,
Tu peux trouver moyen de rompre cét accord
En te satisfaisant tu destournes ma mort.
Si tu peux empescher ce fascheux Hymenée*,
Je ne revoque point ma parole donnée,
605 Dispose à ton plaisir de tout ce que je puis,
Je te seray tousjours telle que je te suis.
Elize te le jure.

CLORIMANT

Ah non ce n’est point elle,
Elize ne sçauroit jamais estre infidelle,
Ou celle maintenant qui [se] presente à moy
610 Est ingrate, parjure, inconstante*, & sans foy*.
Je sçay que la beauté que j’ay tant adorée
Me garderoit la foy* qu’elle m’avoit jurée, {p. 45}
Puis qu’elle me renonce, & me traitte à tel point,
Si c’est elle en effet je ne la cognoy point.

ELIZE

615 Tu me fais tort mon cœur, non, non je suis la mesme
Je suis comme je fus, cette Elize qui t’ayme,
Croy ce que je te dis, & que je te promets,
Quoy qu’il puisse arriver de t’aymer à jamais.
As-tu droit Clorimant de me donner du blasme,
620 Si tu vois malgré moy que l’on force mon ame ?
Non, on ne peut m’oster ce qui n’est plus à moy,
Je t’ay fait dés long temps un present de ma foy*,
Et tu t’abuserois* si tu croyois qu’Elize
Peust à d’autre qu’à toy soumettre sa franchise*,
625 Elle auroit peu d’esprit, & moins de jugement*
De vouloir preferer un autre à Clorimant,
Je te l’ay dit cent fois, & te le dis encore.

CLORIMANT

C’est ce qui te convainc, & qui te deshonore.
Ta voix me favorise, ingrate, mais ton cœur
630 Se livre absolument à ce nouveau vainqueur.
Va ne t’en dédy point, poursuy ton entreprise,
J’abandonne tes fers ingrate & fiere* Elize,
L’honneur me doit soustraire à tes trompeurs appas,
A present que mon Prince a besoin de mon bras, {p. 46}
635 Ce Monarque indompté s’avance à la campagne
Pour abatre la force, & l’orgueil de l’Espagne,
Allons l’accompagner, joignons nous à son sort ;
Cherchons, s’il faut mourir, une honorable mort.
Je conjure le Ciel ingrate, & déloyale,
640 En arrivant au camp, que la premiere bale
Laissant mon pasle corps sans force, & sans vigueur,
Efface pour jamais ton portrait de mon cœur.

ELIZE

Va si la guerre plaist à [ton] humeur mutine,
N’as-tu pas en toy-mesme une guerre intestine ?
645 L’Amour ne fait-il pas chez toy de tous costez,
Mesme dedans ton cœur, des sujets revoltez ?
Combats des passions celle qui te commande,
Le peril est bien moindre, & la gloire plus grande.
Quel exploit te rendroit des ennemis vainqueur,
650 Si tu m’as dit cent fois que tu n’as plus de cœur ?
Comment peux-tu jamais rien de bon entreprendre ?
Si bien loin d’attaquer tu ne te peux deffendre ?
Ne t’en va point mon cœur, ne m’abandonne pas.

CLORIMANT

Veux-tu m’accompagner, veux-tu suivre mes pas ? {p. 47}

ELIZE

655 Dieux ! es-tu raisonn[a]ble ?

CLORIMANT

Et pourquoy donc ingrate
Veux-tu qu’en te croyant encore je me flate ?

ELIZE

Quel scandale grands Dieux ! que diroit-on de moy ?
Pense à ce que tu dis.

CLORIMANT

Ame lasche* & sans foy*.
Tu me dis que je pense & que je considere !
660 En matiere d’Amour, celle qui delibere
N’en a point, ou du moins s’il faut qu’elle en ait eu
En parlant de la sorte elle l’a tout perdu.

ELIZE

Avant que de partir escoute deux paroles.

CLORIMANT

Ce ne seroit pour moy que des contes frivoles,
665 Je me mocque à present des discours que tu fais,
Si le vent les emporte, il me faut des effets.
Non je n’escoute plus. {p. 48}
(Il s’en va)

PAULINE

Geraste que t’en semble ?

GERASTE

Que je m’enfuy de toy, que nous partons ensemble,
Desloyale parjure, ame ingrate, & sans foy*.
670 Va qu’une balle passe à mille pas de moy,
Et qu’entre deux treteaux je briffe en la cuisine
Si tu me vois jamais infidelle Pauline.
(Il s’en va)

ELIZE

Va promptement Pauline, appelle Clorimant.

PAULINE

Il n’ira pas bien loing, car sçachez qu’un Amant
675 Qui fait le furieux en quittant ce qu’il ayme,
Fait en cette action violence à soy-mesme.

ELIZE

Je suis morte r’entrons, peut-estre un mot d’escrit
Aura quelque pouvoir sur ce boüillant esprit.

SCENE V §

[G 49]
DIANE, JULIE

DIANE

Clitandre s’entretient long-temps avec Elize,
680 Crois-tu pas en effet qu’elle sera surprise,
Et peut-estre jalouse en voyant que j’ay l’heur*
De posseder ce brave* & galand* serviteur.

JULIE

Il est vray que Clitandre a beaucoup de merite,
Mais n’apprehendez rien d’une telle visite ;
685 Car je sçay de certain qu’Elize ayme, & je croy
Qu’elle a[,] si l’on dit vray, mesme engagé sa foy*.

DIANE

J’oy du bruit, voy qui c’est.

JULIE

C’est Clitandre, Madame.

SCENE VI §

{p. 50}
DIANE, CLITANDRE, JULIE, ORMIN

DIANE

Qu’il est triste ? avez vous quelque trouble dans l’ame ?
Vous estes ce me semble interdit* de tout point,
690 Que veut dire cela ? quoy vous ne parlez point.

CLITANDRE bas

De divers sentiments, je sens mon ame atteinte.

DIANE

Qui vous rend interdit* & muët ?

CLITANDRE

Une crainte.

DIANE

Une crainte avec moy ? Dieux ! pour quel suject ?
Dites avez vous veu cét agreable object ?

CLITANDRE bas en souspirant

695 Ouy, c’est pour cét object que je suis tout de flame. {p. 51}

DIANE

Comment vous souspirez.

CLITANDRE

Je souspire, Madame.

DIANE

Ouy mon cœur, est-ce moy qui vous fait souspirer ?

CLITANDRE bas

Ouy c’est pour un subject que je veux adorer.

JULIE à Ormin

Ormin es-tu muët aussi bien que ton maistre ?

ORMIN

700 En cette occasion*, helas peussay-je l’estre !

DIANE

Encor d’où venez-vous, qu’avez-vous ?

CLITANDRE

Je ne sçay,
Madame, je ne puis vous dire ce que j’ay,
Je viens de veoir Elize. {p. 52}

DIANE

He bien quelle nouvelle ?
Parlez-moy franchement, comment se porte t’elle ?

CLITANDRE

705 Elle se porte bien.

DIANE

Dites-moy donc mon Cœur,
D’où vous naist ce chagrin*, cette mauvaise humeur ?
Vous a-t-elle pas dit combien je vous estime ?

CLITANDRE

Madame excusez moy, je commettrois un crime
Indigne de l’honneur de vostre affection,
710 Si je vous celois rien en cette occasion*.
Je ne sçay toutefois comme je vous puis dire
Cét estrange accident* qui cause mon martyre* ;
Mais il le faut pourtant, oüy je l’ay resolu,
Je n’ay fait qu’obéir, car vous l’avez voulu.
715 Je viens de voir Elize, & je jure Madame,
Que ce que n’auroit pû, ni le fer, ni la flame,
Un sort injurieux contre ma volonté,
M’a fait en mon Amour faire une lascheté*.
Considerez un peu l’excez de ma misere,
720 A peine estois-je entré que son pere & son frere, {p. 53}
M’ont surpris avec elle, & sur certain soupçon
Ils m’ont forcé tous deux, mais de telle façon,
Que quoy [que] j’aye dit, quoy que j’aye pû faire,
Il m’a falu, grands Dieux, ce mot me desespere.

DIANE

725 Quoy donc ?

CLITANDRE

Il m’a falu sur l’heure l’espouser.

DIANE

Que dites-vous grands Dieux ?

CLITANDRE

Pouvois-je m’opposer
Avec si peu de force à tant de violence ?
On n’a jamais parlé d’une telle insolence,
Si j’eusse d’un seul mot resisté seulement,
730 Tous deux ne m’auroient pas laissé vivre un moment.

DIANE

Vit-on jamais au monde une telle surprise ?
Mais à tout ce discours encor qu’a dit Elize ? {p. 54}

CLITANDRE

Qu’auroit-elle pû dire ? en fin il a falu,
Puis qu’elle a veu son pere à ce poinct resolu,
735 Se resoudre elle mesme & prendre patience*.

DIANE

M’osez vous bien parler avec cette impudence ?
M’estimez vous si simple, & l’esprit si mal sain
Que je ne puisse pas penetrer ?

CLITANDRE

C’est en vain.
Vous me blasmez à tort, ouy je jure Madame
740 Que vous n’avez point droict de soubçonner ma flame[.]
Ce que j’ay fait n’est point par infidelité,
Je suis tel à present que j’ay tousjours esté.
Mais ce qui plus que tout [encor] me desespere
Et me met hors de moy, c’est qu’Octave son frere,
745 Vous le cognoissez bien, brusle d’amour pour vous,
M’ayant dit qu’il estoit de mon bon-heur jaloux
Et m’a contrainct de faire aupres de vous en sorte
Que vous ayez esgard à l’amour qu’il vous porte,
Et qu’un sainct Hymenée* apres ces maux soufferts
750 Esteigne tous ses feux* & relasche ses fers.
Madame accomplissons ce double mariage. {p. 55}

DIANE

Perfide, osez-vous bien me tenir ce langage ?
Je vous entends tres-bien, vous estes je le voy,
[Tous] trois d’intelligence, & liguez contre moy.
755 Je voy bien ce que c’est Elize m’a trahie,
Adieu, perfide ingrat.

CLITANDRE

Escoutez je vous prie.

DIANE

Que veux-tu que j’escoute, ame lasche* & sans foy* ?
Ta presence [aujourd’huy] me cause de l’effroy.
(Elle s’en va)
Sors, & n’espere pas de me voir de ta vie.

ORMIN

760 Elle part en cholere.

CLITANDRE

Arreste-la Julie.

JULIE

Je ne le puis. Ormin tu t’en repentiras.
(Elle s’en va)
Pauline aura pour toy de plus charmants appas,
Imite cét ingrat, comme luy cours au change*. {p. 56}

ORMIN

Que ferons-nous Monsieur ?

CLITANDRE

Mon Elize est un Ange :
765 Sortons, n’arrestons pas d’avantage en ce lieu.
Allons revoir Élize. Adieu Diane, Adieu.

Fin du second Acte

[H 57]

ACTE III §

SCENE I §

CLORIMANT vestu en Soldat, botté & esperonné, avec un grand colet de Buffle, & force plumes : & GERASTE vestu en Soldat ridiculement.

CLORIMANT

Tout mon fait est-il prest ?

GERASTE

Monsieur vostre valize,
Est en fort bon estat.

CLORIMANT

Adieu perfide Elize,
Je m’en vay de ce pas, je veux t’abandonner,
770 Mes chevaux ? {p. 58}

GERASTE

Tout à l’heure* on les doit emmener,
Mais pourrez-vous quitter cét objet* plain de charmes
Pour qui je vous ay veu respandre tant de larmes ?

CLORIMANT

En doutes-tu Geraste ?

GERASTE

Oüy j’ay lieu d’en douter,
Vous feignez de parler, & de vous absenter,
775 Afin de luy donner un peu de jalousie,
Vous n’irez pas bien loing[.]

CLORIMANT

Dieux quelle frenaisie,
Escoute, & si je ments, me punissent les Dieux.
Un trait poussé de l’arc, un oyseau dans les Cieux,
Ny l’esclair qui d’abord nous esbloüit la veuë
780 Ne descendit jamais plus viste de la nuë
Que je fuy de ces lieux, je suis trop irrité
Pour souffrir* les mespris d’une ingrate beauté.

GERASTE

Quoy, Monsieur, seriez vous jusqu’à ce point farouche,
Qu’un escrit de sa main, un soupir de sa bouche, {p. 59}
785 Une larme d’un œil qui tellement vous plaist,
Ne puisse retracter ce rigoureux arrest*.

CLORIMANT

D’un œil qui pour un autre a maintenant des charmes
Pourrois-je voir pour moy jamais couler des larmes ?
La main dont mon rival doit estre possesseur,
790 Peut-elle rien tracer qui soit en ma faveur ?
Un soûpir de sa bouche ? ah que plustost ma vie
Soit d’affronts signalez & d’opprobres suivie,
Si pour tous ces efforts je voulois seulement
Retarder mon depart l’espace d’un moment,
795 Va tu m’offenceras si tu veux d’avantage
T’opposer au dessein d’un si juste voyage.
Ne m’en [parle] donc plus.

GERASTE

J’ateste* tous les Dieux
Que le moindre soûpir, deux larmes de ses yeux,
Quatre mots de sa main escrits avec tendresse,
800 Car je cognois assez quelle est vostre foiblesse,
Au milieu de la nuë arresteroient l’esclair,
Le trait poussé de l’arc, & l’oyseau dedans l’air.

CLORIMANT

J’entends quelqu’un frapper, ouvre-tost, c’est Pauline. {p. 60}

GERASTE

Ils seront occupez, comme je m’imagine,
805 Tous aux nopces d’Elize, à recevoir l’Espoux,
Et vous pensez encor qu’elles songent à vous ?
Dieux quelle extravagance !

CLORIMANT

Ouvre, c’est elle-mesme.

GERASTE

Me doutois-je pas bien qu’en cette ardeur* extresme,
Le moindre compliment* pourroit vous ébranler,
810 Qu’est devenu ce trait, cét oyseau, cét esclair ?
Est-ce pour ce subjet que vous faisiez le brave ?

CLORIMANT

Ouvre, te dis-je.

GERASTE

Hé quoy ! vous faisiez tant du grave,
Des larmes de ses yeux, des lettres de ses mains,
Des souspirs de sa bouche ! à quoy bon ces dédains ?

CLORIMANT

815 Veux-tu que tout de bon je me mette en colere ! {p. 61}

GERASTE

En colere ? pourquoy ! vous n’auriez guere à faire.
Elle entre icy, Monsieur.

SCENE II §

PAULINE, CLORIMANT, GERASTE

PAULINE

O le brave* soldat !

GERASTE

Quoy ? n’en vois-tu pas deux prests d’aller au combat ?
Lisant des Espagnols la sanglante défaite,
820 Tu verras plusieurs fois mon nom dans la Gazette,
(Bas)
Nous ne partirons point sans doute de chez nous,
Et serons dans Paris bien éloignez des coups.

PAULINE

O Dieux qu’il est gentil, & qu’il a bonne mine,
Où de grace allez-vous ?

CLORIMANT

A la guerre, Pauline. {p. 62}

PAULINE

825 Que je ry de vous voir, que j’y prens de plaisir,
De grace laissez-vous contempler à loisir.

CLORIMANT

Satisfaits si tu veux à present ton envie,
Car tu ne me verras je jure de ta vie.
Mais Pauline que fais cette femme dy moy ?

PAULINE

830 La nommez-vous ainsi ?

CLORIMANT

Je fay ce que je doy.
Dy moy comment veux-tu qu’à present je la nomme,
Si [l’on] donne ce nom à qui possede un homme
En qualité* d’Espoux, elle est en ayant deux
Doublement femme, & moy doublement mal-heureux,
835 Car par la loy du monde, elle appartient Pauline,
A Clitandre, il est vray, mais par la loy Divine
Elle ne sçauroit estre à nul autre qu’à moy.
Je ne veux en cecy d’autre tesmoin que toy ;
M’a t’elle pas cent fois la parole donnée
840 D’estre à moy sous les lois d’un heureux Hymenée* ?
Qui la peut obliger à cette lascheté* ?
Mais que tardé-je plus ? le sort en est jetté[.] {p. 63}
Fay ce que tu voudras, obeys à ton pere,
Romps ta foy* déloyale afin de luy complaire,
845 J’y consens de bon cœur, ouy je te le promets ;
Mais je sors de ces lieux pour ne t’y voir jamais,
Tu t’en dois asseurer. Mais dy moy qui t’emmeine ?

PAULINE

Un papier que voicy.

CLORIMANT

Quoy de cette inhumaine ?
Elle me contera sa nopce en cét escrit.

PAULINE

850 Si vous sçaviez le trouble où se voit son esprit,
Pour conserver pour vous le tiltre de fidelle,
Je croy qu’asseurément vous auriez pitié d’elle

CLORIMANT

Une lettre d’Elize est un venin pour moy.
Reporte-là de grace.

PAULINE

Ah justes Dieux pourquoy ?
855 Voyez ce qu’elle escrit. {p. 64}

CLORIMANT

Que me peut-elle dire ?
Bien pour l’amour de toy, Pauline, il la faut lire.

LETTRE

Pour avoir desiré garder l’obeyssance
Que je dois à celuy de qui je tiens le jour,
Pouvez-vous m’accuser d’avoir eu peu d’Amour ?
860 D’avoir trahy vos feux, & manqué de constance ?
Ah ! si vous penetriez jusqu’au fond de mon ame,
Croyez-moy, Clorimant, que je vous ferois voir,
Que malgré le respect mon cœur est tout de flame,
Et que je puis aymer sans trahir mon devoir.
865 Que la raison en vous demeure la plus forte,
Mais si c’est un spectacle agreable à vos yeux,
Avant vostre depart, de voir Elize morte,
Vous n’avez qu’à parler d’abandonner ces lieux.
Partez, & me laissez de tout poinct affligée,
870 Mais avant donnez-moy le bon-heur de vous voir,
Vostre Elize n’est pas tout à fait engagée,
Et peut tomber encor dessous vostre pouvoir. {p. I 65}

CLORIMANT

Ouy j’ay grand tort Elise, & vous avez [raison],
Justes Dieux quelle noire & lasche* trahison,
875 Quel procedé perfide est aujourd’huy le vostre ?
Cette main que bien-tost doit posseder un autre
Veut-elle derechef exciter mon courroux
Par ce style outrageux ?

PAULINE

De quoy vous plaignez-vous ?

CLORIMANT

Allegue-t’elle icy raison en sa deffence
880 Qui puisse d’un moment retarder mon absence ?
Que je parle dit-elle ?

PAULINE

Ah vous avez grand tort.
D’où vous naist dites-moy ce furieux* transport* ?
Voyez-vous pas assez qu’Elize vous adore ?

CLORIMANT

Que sous d’autre pouvoir elle n’est pas encore
885 Me dit-elle l’ingrate. {p. 66}

PAULINE

Où songez vous grands Dieux ?
Relisez cét escrit, considerez-le mieux,
Voyez qu’il est remply d’Amour & de tendresse.

CLORIMANT

Il me trahit Pauline il dément sa promesse,
Cette lettre ne tend qu’à dégager* sa foy*,
890 Elle tesmoigne avoir quelque pitié de moy,
La perfide voyant l’excez de ma misere :
Mais ce n’est point l’amour qui l’oblige à ce faire.
Escrit, tu ris de moy, mais tu le payeras.
(Il le rompt)

PAULINE

Que faites-vous Monsieur ? ah ne le rompez pas.

CLORIMANT

895 C’en est fait, c’est trop peu pour une ame offencée,
Que ne tiens-je aussi bien la main qui l’a tracée.

PAULINE

Ne respondrez-vous point ?

CLORIMANT

Tay toy, sors de ce lieu,
Ne me parle jamais de cette ingratte, Adieu. {p. 67}

PAULINE

Je reviendray tantost, vous estes en colere.

SCENE III §

GERASTE, CLORIMANT

GERASTE

900 Vous avez tort, Monsieur, mais que pensez-vous faire ?
Songez qui vous attaque, & ne vous laissez point
En cette occasion* emporter à tel point.
Pourquoy vous prenez vous à la mesme innocence ?
Si Pauline obeït, Elize vous offence.
905 C’est elle seulement que vous devez blasmer.

CLORIMANT

Quoy traistre en ma presence, oses-tu bien nommer
Encor cette perfide ?

GERASTE

En cette ardeur* extresme,
Si vous n’estes, Monsieur, du tout hors de vous-mesme
Vous parroissez avoir perdu le jugement*.
910 Moderez-vous un peu, soyez moins vehement, {p. 68}
Valoit-il pas bien mieux sans vous mettre en colere,
Sans rebuter Pauline, et faire [le] severe,
Respondre à cette lettre, & luy faire sçavoir
Qu’avant que de partir vous iriez pour la voir
915 Puis qu’elle le desire, & qu’elle vous en presse,
Ce billet semble escrit avec tant de tendresse
Que vous ne devez pas la condamner ainsi.

CLORIMANT

Appelle-la, Geraste.

GERASTE

Elle est bien loin d’icy.

CLORIMANT

Va promptement apres.

GERASTE

J’y cours Monsieur.

CLORIMANT

Arreste,
920 N’y va pas.

GERASTE

Bien Monsieur. {p. 69}

CLORIMANT

L’action que j’ay faite
Monstre que j’ay du cœur en ayant resisté
Au desir d’aller voir cette ingrate beauté.
Mais pourray-je souffrir* d’estre un moment sans elle.
Pauline n’est pas loing, cours apres & l’apelle.

GERASTE

925 J’y vay Monsieur.

CLORIMANT

Que dis-je, escoute n’en fais rien.
Vit-on jamais mal-heur qui fust esgal au mien ?
La chose est resoluë, oüy sans plus de remise*,
Il faut absolument que j’aille voir Elize.
La Cholere ne peut l’emporter sur l’Amour.

GERASTE

930 Allons-y cette nuit.

CLORIMANT

Non, non, j’yray de jour.

GERASTE

De jour, comment cela ? {p. 70}

CLORIMANT

Ne t’en mets pas en peine.
Grands Dieux changez Elize, ou mon Amour en haine.

SCENE IV §

ORMIN, CLITANDRE

ORMIN

Vous estes tout pensif, qu’avez vous ?

CLITANDRE

Je ne sçay.
L’alliance d’Elize où je me voy forcé
935 Me met, lors que j’y pense, en grande inquietude.

ORMIN

Vous la trouviez si belle.

CLITANDRE

Ouy, mais n’est-il pas rude
Qu’en fait de mariage & d’inclination*
On force un Cavalier* de ma condition* ?
Vit-on jamais au monde une telle surprise ?
940 La fille me plaist fort, car en effet Elize {p. 71}
A beaucoup de merite, & des yeux si charmants,
Qu’ils peuvent d’un regard captiver mille amants.
Mais à ne point mentir le procedé m’en fasche* ;
Que dira-t’on de moy ? je passeray pour lasche*,
945 Quand on sçaura par tout, que pour m’avoir trouvé
Seul avecque sa fille un pere m’ait bravé,
Mais jusques à tel point, ah ce seul mot m’outrage,
De m’avoir malgré moy fait faire un mariage.

ORMIN

Vous n’avez pas raison, car vous l’avez voulu.

CLITANDRE

950 J’ay feint de le vouloir, car il l’a bien falu.

ORMIN

Mais, Monsieur, entre nous, souffrez* que je le die,
Vostre amoureuse ardeur* s’est bien-tost refroidie,
Je vous voyois tantost bouïllant, & tout de feu,
Et je voy qu’à present vous en avez fort peu.
955 Mais je ne trouve point en vous ce fait estrange,
C’est vostre humeur, Monsieur, d’aller courir au change*.

CLITANDRE

On me donne trop peu, dy ce que tu voudras.
Comment me contenter de six mille ducats {p. 72}
Que le pere promet, moy qui les ay de rente.

ORMIN

960 Vous deviez y songer, mais à l’heure presente,
Vous n’avez pas raison, car vous ne deviez point,
Pour vous en repentir leur accorder ce point.

CLITANDRE

Pour attraper mon bien, croy moy qu’elle & son pere
Ont fort adroittement mesnagé cette affaire,
965 Ouy de me la livrer ils avoient fait complot,
Mesme à ma premiere offre & de me prendre au mot.
Pourray-je me sauver, & m’exempter de blasme ?
Que dira-t’on de moy ?

ORMIN

Que vous avez pris femme
Parfaite, belle, & sage, & qui pourroit je croy,
970 Je dy sans la flatter l’estre mesme d’un Roy.
Si l’on vous a surpris, cette surprise est belle,
Mais que tardez-vous plus, on vous attend chez elle.

CLITANDRE

Il le faut bien Ormin, alons n’y pensons plus,
C’en est fait ces discours ne sont que superflus,
975 Voy s’ils sont au logis, nous sommes à la porte. [K 73]

ORMIN

Monsieur songez à vous, gouvernez vous de sorte
Qu’on n’ait pas de sujet de vous rien reprocher,
La chose est sans remede, il n’en faut plus chercher.
Je m’en vais appeler, mais faites que l’on voye
980 Des marques sur ce front d’allegresse, & de joie.
Tout est ouvert entrons.
(Il faut lever la toile)

SCENE V §

POLEMAS, CLITANDRE, ORMIN, ELIZE, PAULINE, OCTAVE

[POLEMAS]

Toute la Cour, Monsieur,
Ayant sçeu que de vous je reçois tant d’honneur,
De desirer entrer dedans nostre famille,
M’a fait des compliments* : mais j’ay peur que ma fille
985 N’ait trop peu de merite, & trop peu de beauté,
Pour posseder ce bien qu’elle a peu merité.

CLITANDRE

C’est moy qui suis heureux d’asservir ma franchise*
Sous les divines loix de la parfaite Elize,
Qui voy dans ce bon-heur tous mes desirs contents. {p. 74}

OCTAVE

990 Je m’estonne Monsieur, comme en si peu de temps
On ait peû dans Paris sçavoir ce mariage.

POLEMAS

Pourquoy s’en estonner, Clitandre a l’advantage
D’estre connu de tous, & chery d’un chacun.

OCTAVE

Croyez que dans Paris ce bruit est tout commun,
995 Et qu’il s’est fait par tout bien promptement respandre.

POLEMAS

Je tiens quoy qu’il en soit, Clitandre pour mon gendre.

CLITANDRE

J’y gagne seul, Monsieur.

ELIZE bas

Et moy seule j’y perds.

CLITANDRE

Vous me mettrez aux Cieux. {p. 75}

ELIZE bas

Et moy dans les Enfers.

POLEMAS

Des sieges promptement.

OCTAVE bas

Que j’ay l’ame ravie.

ELIZE bas

1000 Grands Dieux, c’est à ce coup qu’on attente* à ma vie.

SCENE VI §

PAULINE, POLEMAS, OCTAVE, CLORIMANT, ELIZE, CLITANDRE, ORMIN, GERASTE

PAULINE

Un Cavalier* là bas vous demande, Monsieur.

POLEMAS

Qu’il entre. C’est quelqu’un qui me fait la faveur
De vouloir prendre part à l’excés de joye,
Que toute la Cour sçait que le Ciel nous envoye. {p. 76}

OCTAVE

1005 Il n’en faut point douter.

CLORIMANT entre

Me trouvant fort pressé
De faire un grand voyage où je me voy forcé.
Ayant appris aussi qu’une importante affaire
Vous tient tous assemblez, il n’est point necessaire
De vous entretenir de discours superflus.

ELIZE bas

1010 Que voy-je justes Dieux ? que j’ay l’esprit confus.

POLEMAS

Seyez-vous donc Monsieur, mettez vous à vostre ayse ;
Holà, que promptement on luy donne une chaise.

CLORIMANT

Avant qu’agir du fait qui m’emmeine ceans*,
Je doy feliciter ces bien-heureux Amants,
1015 Puis qu’aujourd’huy l’Hymen joint vos deux destinées,
Que ce soit s’il luy plaist pour un siecle d’années.

ELIZE bas à Pauline

Dieux quelle effronterie ! {p. 77}

PAULINE bas à Elize

Elle est au dernier point ;
Madame est-il troublé ?

ELIZE bas à Pauline

Non non il ne l’est point.

POLEMAS

Mes enfants respondez.

CLITANDRE

Pour cét honneur extresme

ELIZE

Et moy j’en fais de mesme.

CLORIMANT à Polemas

Pour ne vous tenir pas davantage en soucy,
Je vous diray, Monsieur, ce qui m’emmeine icy.
Je vay tout de ce pas en poste à Barcelone ;
Pourriez vous me donner pour Beziers ou Narbonne
1025 Quelque argent à toucher, & me faire ce bien
Avant que de partir de recevoir le mien
Qui me peze par trop. {p. 78}

ELIZE bas à Pauline

Ah ! cét homme Pauline
Est venu pour me perdre ; hé Dieux il m’assassine.

PAULINE bas à Elize

Dissimulez un peu.

ELIZE bas à Pauline

Pauline je ne puis.

CLORIMANT

1030 C’est de quoy j’ay besoing en l’estat où je suis.
J’ay sçeu que vous aviez de la correspondance
Sur tous les lieux qui sont aux frontieres de France,
Et vous ne voudrez pas, tant vous estes courtois*,
Me refuser ce bien.

POLEMAS

Il est vray qu’autre fois
1035 Aysement j’eusse peû vous rendre ce service,
Mais j’ay depuis dix ans quitté cét exercice,
Et je suis fort marry de n’avoir point cét heur*.

CLORIMANT

Je suis trop mal-heureux. {p. 79}

ELIZE

Si vous voulez, Monsieur,
Pour quelque peu de temps differer ce voyage
1040 Vous en pourrez trouver mesme avec advantage.

CLORIMANT

Je le souhaitterois, Madame, extresmement ;
Mais je ne sçaurois plus retarder un moment.
Ce depart m’est sans doute un rigoureux martire*,
Mais mon mal en restant seroit encor bien pire.

ELIZE

1045 Sçaurois-je point pourquoy vous fuyez de ces lieux ?
Nostre sexe, Monsieur, est prompt & curieux ;
Excusez si je suis en ce point mal apprise*.

CLITANDRE bas à Ormin

Est-ce ce Cavalier* qui recherchoit Elize ?

ORMIN bas à Clitandre

Ouy qui part de cholere.

CLITANDRE bas à Ormin

Ah ! qu’il l’ait j’y consens
1050 Luy cédant de bon cœur le droit que j’y prétens. {p. 80}

ELIZE à Clorimant

Dites-m’en le sujet, Monsieur, je vous supplie.

CLORIMANT

Cette cause provient d’une melancolie,
Je croy qu’en la sçachant je vous feray pitié ;
J’avois fait en ces lieux une estroitte amitié
1055 Avec un Cavalier* par trop digne de blasme :
Car nous deux en deux corps ne possedions [qu]’une Ame.
Pour l’autre nul de nous n’avoit rien de caché,
De ce qui touchoit l’un, l’autre en estoit touché.
Mais, Madame, escoutez ; justes Dieux quand j’y pense,
1060 Jamais ne fut au monde une telle inconstance* ;
Je vous en fait le juge, eut-il quelque raison
D’user d’une si lasche* & noire trahison
Envers un qui l’adore ; ah ! je jure, Madame,
Si, comme je l’ay dit, nous deux n’avions qu’une ame,
1065 Nous n’eussions [possedé] tous deux qu’un mesme corps,
Je l’aurois exposé sur l’heure à mille morts.
Ouy j’atteste les Dieux qu’il m’eust pris cette envie
Pour vanger cet affront aux despens de ma vie.
Madame il m’a quitté pour suivre un estranger,
1070 Qui, comme je l’ay fait, ne sçauroit l’obliger*.
Et qu’il ne cognoist point, & cette enorme offence, [L 81]
Il la veut paslier du nom d’obeyssance.
Nom que je trouve injuste en un cœur obligé*,
Voyant que je ne puis estre à present vangé,
1075 De crainte tous les jours de les trouver ensemble,
Bravans ma passion, le meilleur ce me semble,
Est de les quitter là. Que je puisse voler
Pour sortir de ces lieux viste comme un esclair.

ELIZE

Si de vos differents vous me jugez croyable,
1080 Je ne vous trouve pas en ce poinct raisonnable ;
Vous vous trompez peut-estre. Ouy je ferois serment
Que vous le condamnez un peu legerement.
Cét amy n’a vers vous commis aucune offence,
Si tout ce qu’il a fait est par obeyssance,
1085 Comme vous confessez vous-mesme, & sans mentir
Vous ne me pouvez pas sur ce poinct repartir*.
C’est avoir peu de soin ; car dites-moy de grace,
Ce que vous avez fait pour recouvrer la place
Que vous aviez acquise au cœur de cet amy ?
1090 Pourquoy vous estes-vous sur ce poinct endormy ?
Employez en remedes, & non en larmes feintes,
Les heures que sans fruit vous consommez en plaintes ;
Et vous sçaurez voyant vos soupçons dissipez,
Si vostre amy vous trompe, ou si vous vous trompez.

CLORIMANT

1095 Le sort en est jetté je ne m’en puis desdire. {p. 82}

CLITANDRE

Ouy, de tous les affrons, le mespris est le pire,
Je n’en ferois pas moins ; & vous avez raison
De vous vanger ainsi de cette trahison.
Croyez-moy, Clorimant, usez-en de la sorte[.]

ORMIN bas à Clitandre

1100 La passion, Monsieur, en ce poinct vous emporte,
Vous vous delorez trop.

CLITANDRE bas à Ormin

Nous nous entendons bien.

CLORIMANT

Je ne veux pas, Messieurs, troubler vostre entretien,
Je pren congé de vous.

ELIZE bas à Pauline

Ah Pauline je pasme !

PAULINE bas à Elize

Vous vous delorez trop, moderez vous Madame. {p. 83}

ELIZE bas à Pauline

1105 Pauline je ne puis.

[POLEMAS] à Clorimant

Je suis au desespoir !
En cette occasion* que je n’ay le pouvoir
De vous servir, Monsieur, comme je le souhaite.

CLORIMANT

Pardonnez s’il vous plaist la faute que j’ay faite,
C’est abuser du temps qui vous doit estre cher.

POLEMAS

1110 C’est ce qu’on ne sçauroit, Monsieur, vous reprocher.

CLORIMANT

Adieu, je ne veux pas arrester davantage.

OCTAVE

Puissiez-vous revenir en santé du voyage.
(Clorimant sort)

SCENE VII §

{p. 84}
POLEMAS, CLITANDRE, ORMIN, ELIZE, PAULINE, OCTAVE

POLEMAS

Ce Cavalier* icy sans doute me prenoit
Pour homme de trafic.

CLITANDRE

C’est ce qui l’emmenoit.

POLEMAS

1115 Clorimant, dites-vous ? Est-ce ainsi qu’on le nomme ?

CLITANDRE

Ouy, Monsieur.

POLEMAS

Il paroist fort brave* Gentil-homme*.
Pour quelque peu de temps pourrois-je vous quitter ?

OCTAVE

C’est ce qu’il doit, Monsieur, que je croy souhaitter
Pour pouvoir discourir avecque sa maistresse. {p. 85}
1120 Donnons-luy le loisir.

POLEMAS

Bien Monsieur je vous laisse,
Il est juste, & mon fils a fort bonne raison.
Disposez comme estant enfant de la maison.

CLITANDRE

Vous me rendez confus par cét honneur extresme.
(Polemas & Octave s’en vont)

SCENE VIII §

ORMIN, PAULINE, CLITANDRE, ELIZE

ORMIN

Je ne sçaurois celer, Pauline, que je t’ayme.
1125 Ta maistresse & mon maistre estans tous deux rangez
Dessous le joug d’Hymen nous sommes obligez
De faire entre nous deux un second mariage.

PAULINE

Ne t’imagine pas que je sois si volage,
J’ayme, & je ne puis pas me desgager* ainsi.

ORMIN

1130 Quoy ! ce nouveau soldat te met-il en soucy ?
Ce procedé me semble extremement estrange, {p. 86}
Car tu cognois assez que tu gagnes au change.
Ce maraut ose-t’il seulement t’aborder ?
Et sans trembler de peur peut-il me regarder ?
1135 S’il l’osoit je ferois.

PAULINE

Quoy ?

ORMIN

Dieux je desespere,
N’excite point de grace à ce point ma cholere,
S’il s’oppose jamais au bien que je pretends !

PAULINE

Ormin en ta cholere espargne les absens,
S’il estoit devant toy tu serois ce me semble
1140 Un peu plus retenu[,] tel menace qui tremble,
Ce courage estant seul, est grandement suspect.

ORMIN

(Durant ce temps Clitandre & Elize sont assis sans parler)
Apres un tel discours puis-je avoir du respect ?
Mais à ce que je voy mon maistre & ta maistresse
Sont muets, si j’osois prendre la hardiesse
1145 Je les resveillerois.

PAULINE

Pourquoy ? tu le peux bien. {p. 87}

ORMIN

Oserois-je Monsieur troubler vostre entretien ?
Aupres d’un tel object pouvez vous bien vous taire ?

CLITANDRE

Ormin en luy parlant je crains de luy déplaire.
Madame ne dit mot, & je me tais aussi.

ORMIN bas à Clitandre

1150 Vous paroissez, Monsieur, un amoureux transi.

CLITANDRE en se levant

Madame si j’osois je prendrois la licence
De demander congé pour chose d’importance[,]
Mais quoy j’offencerois en ce point mon devoir.

ELIZE

Vous estes maistre icy, vous avez tout pouvoir.

CLITANDRE

1155 Je sors donc, & ce soir je vous verray, Madame.

ELIZE

Faites ce qu’il vous plaist. {p. 88}

SCENE IX §

ELIZE, PAULINE

ELIZE

Ah, Pauline, je pasme !
En cette occasion*, qui me peut consoler ?

PAULINE

Mais, Madame, il falloit icy dissimuler,
Et luy faire à l’abord un peu meilleure mine,
1160 Vous contraindre un moment.

ELIZE

Je ne sçaurois Pauline.
Que ferois-je grands Dieux ? puis-je agir autrement ?
Il faut bien que je meure en perdant Clorimant,
Il s’absente ; à ce mot Dieux je perds la parole,
Il s’en va de ces lieux, mais plutost il s’envole.

PAULINE

1165 Il faut trouver moyen de le faire arrester.

ELIZE

L’honneur me le deffend, mais je le veux dompter.
Ouy pour toy j’ay tout fait, Honneur, je le proteste*, {p. M 89}
Mais il faut que l’Amour joue icy de son reste.

PAULINE

Madame voulez-vous vous resoudre à ce point,
1170 Laissez-m’en le soucy, ne vous tourmentez point.
Faites choix d’une amie, à qui vous puissiez dire
Quelle est la passion qui cause ce martire*,
Qui puisse vous servir en ce pressant besoing.

ELIZE

Croy que pour la trouver je n’irois pas bien loing.
1175 Sans doute que Diane ayant perdu Clitandre
M’en donnera du blasme, il luy faut faire entendre
Que je n’ay point failly, qu’elle m’accuse à tort,
Et qu’elle s’en doit prendre à la rigueur du Sort.

PAULINE

C’est bien pensé, pourveu qu’elle vous soit fidelle,
1180 Il la faut supplier de le mander chez elle,
Feignant adroittement qu’elle luy veut parler[.]

ELIZE

Mais en fera-t’il compte, y voudra-t’il aller ? {p. 90}

PAULINE

Il n’y manquera pas, vous avez tort de craindre,
Et là vous luy direz que l’on vous veut contraindre ;
1185 Mais que nul envers vous n’en aura le pouvoir,
Et que l’Amour l’emporte au dessus du devoir.

ELIZE

Mon pere, c’en est faict, pardonnez cette offence,
Mon Amour est plus fort que mon obeïssance.

Fin du troisiesme Acte

{p. 91}

ACTE IIII §

SCENE I §

CLORIMANT, DIANE, GERASTE, JULIE

CLORIMANT

Est-il dessous le Ciel un plus heureux Amant ?

DIANE

1190 Ce que je vous ay dit est tres-vray, Clorimant,
Je quitte cét ingrat voyant qu’il me mesprise.

CLORIMANT

Ah Dieux ! par quel moyen je me vange d’Elize.
Va cheris ce Rival je n’en suis point jaloux,
En possedant Diane en qualité* d’Espoux.

DIANE

1195 C’est moy qui doit cherir une telle alliance,
Mais quoy que je m’y porte à present par vengeance, {p. 92}
Pour punir cét ingrat, croyez que quelque jour
Ma vengeance pourra [se] changer en Amour.
Mais consultons un peu ce que nous devons faire.
(Ils parlent à l’oreille)

GERASTE à Julie

1200 Que t’en semble Julie, es-tu point en cholere
Aussi bien comme moy de perdre ton Espoux ?

JULIE

S’ils veulent se vanger, Geraste vangeons-nous ;
Si pour l’Amour de moy tu veux quitter Pauline,
Je quitte cét ingrat.

GERASTE

Mais ne faits pas la fine,
1205 Pour me quitter apres & te mocquer de moy ?

JULIE

Va sçache que je t’ayme, & que je suis à toy.

CLORIMANT à Diane

C’est tres-bien advisé* d’en user de la sorte.

DIANE

J’entends quelqu’un là bas qui frappe à nostre porte.
Va voir qui c’est, Julie, & reviens promptement. {p. 93}

JULIE sort & rentre

1210 Madame, c’est Elize.

CLORIMANT

Elize ?

DIANE

Ah ! Clorimant
Cachez-vous là dedans, il n’est pas raisonnable
Qu’elle vous trouve icy.

CLORIMANT

Se connoissant coulpable,
Elle vient pour vous voir afin de s’excuser.

DIANE

Cachez-vous donc de grace.

CLORIMANT

Il se faut exposer
1215 Encor à cét affront ; car l’honneur m’y convie,
Quoy que pour me cacher j’ay hazardé ma vie.
Madame j’obeys, & je me cache icy. {p. 94}

GERASTE

Que deviendray-je moy ?

JULIE

Va te cacher aussi.
(Ils se cachent)

SCENE II §

ELIZE, DIANE, PAULINE, JULIE, CLORIMANT & GERASTE, cachez dans une chambre voisine.

ELIZE

Parce que vous avez juste subject de plainte,
1220 Je n’ay point, chere amye, en cette rude atteinte
De mon cruel destin, dont je ressens les coups,
Voulu chercher d’asile autre part que chez vous,
Ny qu’autres que vous sçeust les secrets de mon ame.
Vous direz que je suis lasche* & digne de blasme,
1225 De vous avoir traittée avec tant de rigueur,
Qu’apres m’avoir ouvert vostre ame & vostre cœur,
Je vous ay laschement ravy vostre Clitandre,
C’est un crime, ô Dieux, dont je me veux deffendre.
J’ay fait cette action contre ma volonté,
1230 Mon pere m’a reduite à cette extremité.
Tout mon crime envers vous n’est qu’une obeissance, {p. 95}
Il a sur mon esprit fait une violence,
A quoy je n’ay pas eu pouvoir de resister,
Mais mon amour m’oblige à present d’esclater.
1235 Chere amie, aprenez jusqu’où va ma foiblesse,
J’adore Clorimant, & voyant qu’il me laisse,
Qu’il s’enfuit de ces lieux de crainte de me voir
(M’[aymant] comme il me fait) sous un autre pouvoir,
Permettez qu’à ses yeux, & qu’en vostre presence,
1240 [Je] foule aux pieds l’honneur avec l’obeyssance,
Je veux presentement, & dans vostre maison,
Faire voir qu’on m’accuse à tort de trahison.
Trouvez-le bon, Madame, & que je vous supplie
D’envoyer promptement de vostre part Julie,
1245 Luy dire qu’à cette heure il vous vienne trouver,
C’est l’unique moyen qui me pourra sauver.
Vous verrez devant vous la chose terminée,
Vous nous verrez rangez sous le joug d’Hymenée*,
Malgré l’obeyssance, & malgré le respect
1250 Qui peut rendre l’honneur d’une fille suspect.

DIANE

Vous vous estes, Madame, un peu tard advisée*,
Vous pouvez tout sur moy, la chose estoit aysée,
Clorimant est party, croyez que c’est en vain,
De penser à present retarder son dessein.
1255 Ouy je l’ay veu partir les yeux baignez de larmes- {p. 96}
De regret qu’il avoit d’abandonner vos charmes,
En passant il m’a dit, Diane obligez* moy
De rendre tesmoignage à chacun de ma foy* :
Dites je vous supplie à cette ame infidelle,
1260 Que je pars de ces lieux, que je m’esloigne d’elle,
Que ce fascheux sejour m’est à present fatal,
Que pour ne pas souffrir* cét indigne rival,
Caresser tous les jours cette ingrate à ma veuë,
J’ayme mieux que l’ennuy* de l’absence me tuë.
1265 Et sans m’avoir donné le loisir de parler,
Il est party d’icy plus viste qu’un esclair.

ELIZE

A ce triste discours Dieux que je suis surprise,
Clorimant est absent & tu peux vivre Elize ?
Ô rage ! ô desespoir ! ô rigueur de mon sort.
1270 Où Clorimant n’est plus tout pour Elize est mort.
Rigoureux point d’honneur, fantosme [ridicule],
Execrable bourreau d’une ame trop credule[,]
Pour observer tes loix je me prive du jour,
Et pour t’avoir suivy j’ay trahy mon Amour.
1275 J’ay la vie en horreur, il faut que je m’en prive,
Car Clorimant absent, croy-t’on qu’Elize vive ?
Que n’ay-je, en bannissant les pleurs & les soûpirs,
Lasché sans consulter la bride à mes desirs ?
Tyranique devoir, respect, obeissance, [N 97]
1280 Vous n’esbranlerez pas à ce point ma constance ;
Il faut par une belle & hardie action,
Faire paroistre icy quelle est ma passion.
Il faut de tant de maux que la mort me delivre,
Car Clorimant absent Elize ne peut vivre :
1285 On ne me peut forcer, mon pere ne peut point
Separer nos deux cœurs que l’amour a conjoint.
Qu’un ennemi commun attente* sur ma vie,
Que par mes propres mains elle me soit ravie
Si je consens jamais à cette lascheté*,
1290 Si je tiens des Dieux seuls ma franche* volonté
Peut on icy tenir ma liberté captive ?
Et Clorimant absent, croy-t’on qu’Elize vive ?

PAULINE

Que faites vous Madame ? ah Dieux [songez] à vous !

ELIZE

As-tu dessein icy d’exciter mon courroux ?

PAULINE

1295 Considerez un peu.

ELIZE

Moy que je considere ?
Quoy ? {p. 98}

PAULINE

Madame escoutez sans vous mettre en cholere,
Vostre honneur.

ELIZE

Tes discours sont icy superflus.

PAULINE

Le respect.

ELIZE

Je le perds, & je n’escoute plus.
Non, non, je veux mourir, si je ne le puis suivre,
1300 Car Clorimant absent Elize ne peut vivre.

CLORIMANT caché à Geraste bas

Geraste laisse moy que je suive ses pas.

GERASTE à Clorimant bas

Retenez vous, Monsieur, grands Dieux ne sortez pas.

CLORIMANT bas à Geraste

Vois-tu mon heur* present, & qu’Elize m’adore,
Va laisse moy sortir. {p. 99}

GERASTE

Il n’est pas temps encore.

ELIZE

1305 Je rentre maintenant en un gouffre d’ennuis,
Qui me peut consoler en l’estat où je suis ?
Non, non, il faut mourir, puis que le Ciel l’ordonne ;
A quoy me sert le corps si l’ame m’abandonne ?
Ah mon cher Clorimant ! tu peux me reprocher,
1310 Que j’ay paru trop lente à te venir chercher.
Puis que ma mort te plaist assouvy ton envie :
Car Elize sans toy ne peut aymer la vie.

DIANE

Madame je voudrois vous pouvoir consoler,
Mais dans mon sentiment je ne sçaurois parler.

JULIE entre

1315 Octave monte icy, Madame, avec Clitandre.

ELIZE surprise

(Elle entre au mesme lieu où Clorimant & Geraste sont cachez)
Dieux il me faut cacher je ne m’en puis deffendre.
Grands Dieux que faites vous ?

SCENE III §

{p. 100}
OCTAVE, CLITANDRE, JULIE, DIANE, & CLORIMANT, GERASTE, ELIZE, & PAULINE, cachez dans la mesme chambre

OCTAVE bas à Clitandre en entrant

En cette occasion*
Il vous faut puissamment marquer ma passion,
Dire que je l’adore, & que comme beau frere,
1320 Vous venez terminer cette importante affaire.

CLITANDRE bas à Octave

Laissez moy ce soucy, je n’y [manquerois] point.

DIANE

Je vous trouve insolent jusques au dernier point,
D’oser avec ce front, avec cette impudence,
Vous offrir à mes yeux m’ayant fait une offence,
1325 Qui par aucun moyen ne se peut reparer.

CLITANDRE

Ce violent courroux ne peut long temps durer,
Madame si je prends beaucoup de hardiesse,
Si j’ose entrer ceans*, c’est qu’Octave me presse,
Et c’est pour vostre bien que je vous viens trouver, {p. 101}
1330 Il m’accuse d’un fait dont je me veux laver.
Madame excusez moy cette affaire m’importe,
Vous ay-je pas parlé de l’Amour qu’il vous porte ?
Vous ay-je pas priée avecque passion
De vous rendre sensible à son affection ?
1335 Il veut de vostre voix recevoir la sentence,
Et mourir de douleur, ou vivre d’esperance.

OCTAVE

Dieux je serois, Madame, au comble de mes vœux,
Si vous pouviez souffrir* cét homme ambitieux,
Qui brusle de desir de vous dire luy mesme,
1340 Combien il vous honnore, & combien il vous ayme.
Vostre arrest* quel qu’il soit terminera mon sort,
Et me donnant la vie, ou me causant la mort.

DIANE

De tant de soins, Monsieur, je me sens obligée* ;
Mais j’ay tantost ailleurs ma parole engagée.

OCTAVE

1345 Avec qui ? justes Dieux, je demeure transi* !

DIANE

Avec un Cavalier* qui n’est pas loing d’icy. {p. 102}

CLITANDRE

Qu’on nomme ?

DIANE

Clorimant.

CLITANDRE

Quel Clorimant ?

OCTAVE bas

J’expire.

DIANE

Vous cognoissez fort bien celuy que je veux dire.

CLITANDRE

Celuy que je cognois est absent de ces lieux.

OCTAVE

1350 Madame, il a raison. Qu’entens-je justes Dieux ?

CLITANDRE

Par ces inventions pretendez-vous, Madame,
Exciter maintenant quelque trouble en mon ame ?
Si vous avez dessein de me rendre jaloux
Vous travaillez en vain. {p. 103}

DIANE

Qu’ai je affaire de vous ?
1355 N’esperez pas perfide, ame ingratte & volage,
Que je vous puisse voir & souffrir* davantage.
J’abhore tout de vous, jusques à vostre nom,
Et demain vous verrez si je vous ments ou non.

OCTAVE

Clorimant est party, Madame, je le jure.

CLITANDRE

1360 Il n’est rien de plus vray.

DIANE

Dieux l’estrange imposture !
Sçachez que Clorimant n’est pas bien loing d’icy.

OCTAVE

Il m’est assez aysé de m’en voir esclaircy.
Je sçay bien son logis, allons y je vous prie.

CLITANDRE

Allons je le veux bien, c’est une raillerie,
1365 Cela ne sçauroit estre en aucune façon. {p. 104}

OCTAVE

De grace esclaircissons promptement ce soupçon.
Grands Dieux si ce discours estoit bien veritable
Seroit-il un Amant qui fust plus miserable ?

CLITANDRE bas

Si le Ciel me reserve à ce sensible ennuy*,
1370 Je suis plus miserable & plus confus que luy.
S’il est vray qu’elle soit à cét autre engagée,
Peut-elle estre de moy plus puissamment vengée ?
(Ils s’en vont)

DIANE à Julie

Sçauroit on jamais voir deux Amans plus honteux ?

JULIE

Vous les avez tuez d’un mesme coup tous deux.

SCENE IV §

ELIZE, CLORIMANT, GERASTE, [PAULINE], [DIANE], JULIE

[CLORIMANT apres Elize & Pauline fuyant]

1375 Justes Dieux quels dédains vous me faites paroistre,
Qui vous oblige à fuyr ? [O 105]

ELIZE

Veux-tu me laisser traistre.

CLORIMANT

Considerez, mon Cœur, que de tous les Amans
Je suis le plus fidelle.

ELIZE

Ah perfide ! tu ments.
Oses-tu bien, ingrat, me tenir ce langage ?

CLORIMANT

1380 Qui vous peut obliger à ce cruel outrage ?
Vous me venez chercher, & quand vous me trouvez,
Vous fuyez ma rencontre, ou bien vous me bravez*.

ELIZE

N’excite pas encor à ce poinct ma cholere,
Devrois-tu pas rougir, infidelle, & te taire,
1385 Apres t’avoir fait voir que je n’ayme que toy,
Apres t’avoir rendu ces preuves de ma foy*.
Apres avoir cognu que je bruslois d’envie
D’abandonner pour toy l’honneur mesme & la vie
Le respect, le debvoir, estant ce que je suis,
1390 En te venant chercher perfide tu t’enfuys.
Et pour mieux faire voir ton ame desloyalle {p. 106}
Je te trouve caché chez ma propre rivale,
Qui par la lascheté* d’un traistre suborneur*
Pense eslever sa gloire, & bastir son bon-heur
1395 Par les débris d’autruy sur ma propre ruine.
Quoy ! dois-je encor aymer celuy qui m’assassine ?
M’inquieter pour luy, ne l’imagine pas,
Va j’ay trop fait pour toy tu t’en repentiras.
Pour t’oster tout espoir je te veux faire entendre
1400 Que je n’auray jamais d’autre espoux que Clitandre.
Avant qu’il soit une heure, il recevra ma foy*.
Adieu perfide ingrat.

CLORIMANT

Madame escoutez moy.

ELIZE

Que veux tu que j’escoute esprit lasche* & volage ?
Oses-tu repartir* ? est-ce là ce voyage
1405 Que [l’on] ne pouvoit pas retarder d’un moment ?

CLORIMANT

Madame ayez pitié d’un miserable Amant,
Qui veut mourir s’il perd vostre beauté divine.

GERASTE

Vous perdez vostre temps. Toy que dis tu Pauline ?
(Elle s’en va)
Feras-tu comme luy ? Veux-tu m’abandonner ? {p. 107}

PAULINE

1410 Ne viens pas davantage icy m’importuner,
Julie aura pour toy la grace plus charmante.
Ay-je si peu de cœur que je ne me ressente
D’une si detestable & noire trahison ?
Puis que je t’ay trouvé caché dans sa maison.
1415 Je ne te veux ny voir ny parler de ma vie.

SCENE V §

CLORIMANT, DIANE, JULIE, GERASTE

CLORIMANT

Acheve-moy cruelle, assouvy ton envie.
(À Diane)
Madame permettez que je suive ses pas.

DIANE

Escoutez Clorimant.

CLORIMANT

Non je ne le puis pas.
Madame il faut mourir, ou fleschir ma cruelle[.] {p. 108}

JULIE à Geraste

1420 Geraste que dis-tu ? veux-tu m’estre infidelle ?
Veux-tu comme ton maistre estre ingrat.

GERASTE

Laisse moy.
Je veux suivre Pauline & luy garder la foy*.
(Ils s’en vont)

SCENE VI §

DIANE, JULIE

DIANE

Que dis-tu de cela ? vois-tu comme on nous traitte ?

JULIE

Vous n’estes pas je croy plus que moy [satisfaicte].
1425 Mais dites moy Madame, aymez vous Clorimant ?

DIANE

Clitandre est à mes yeux encore plus charmant.
J’auray pour son subject tousjours mesme tendresse,
Quoy qu’inconstant* pourveu qu’Elize me le laisse. {p. 109}

SCENE VII §

ORMIN, CLITANDRE de nuit

ORMIN

Pensez y mieux Monsieur, pourquoy desirez vous
1430 De deux hommes d’honneur exciter le courroux ?
Ne leur avez vous pas la parole donnée
D’accomplir aujourdhuy cét heureux Hymenée*,
Le sort en est jetté vous reculez en vain.

CLITANDRE

Je leur ay demandé terme jusqu’à demain.
1435 Pour te dire le vray j’ay peine à m’y resoudre,
Et je veux si je puis tascher à le dissoudre.

ORMIN

Comment le pourrez vous ?

CLITANDRE

Je leur veux demander
Plus qu’ils ne m’ont promis.

ORMIN

C’est mal y proceder.
Cette action Monsieur n’est point d’un honneste homme, {p. 110}
1440 Vous ne leur avez point demandé d’autre somme
Avant que de conclure, & maintenant pourquoy
Sans raison voulez-vous desgager* vostre foy* ?
Que dira-t’on de vous ?

CLITANDRE

Tout ce qu’on voudra dire,
J’ay fait presentement dessein de leur escrire
1445 Que je suis resolu de ne l’espouser pas,
Si l’on n’adjouste encor quatre mille ducats
A la somme promise avant le mariage[.]
Ils diront que je suis inconstant* & volage,
Perfide, desloyal, & lasche* au dernier point,
1450 Qu’ils disent encor pis il ne m’importe point.
Ouy je souffriray* tout bien plustost que le blasme
Que j’aurois d’avoir pris par contrainte une femme.

ORMIN

Vous avez tort Monsieur, car vous l’avez voulu.

CLITANDRE

Tay toy je suis, te dis-je, à ce point resolu.

ORMIN

1455 C’est d’Octave par trop irriter la colere. {p. 111}

CLITANDRE

Octave, me dis-tu, que me sçauroit il faire ?
Ma Diane a pour moy de plus charmants appas,
Elle brusle pour moy, l’autre ne m’ayme pas.
Allons la voir, allons repaistre nostre veuë,
1460 Des celestes appas dont le Ciel l’a pourveuë.

ORMIN

(Clorimant & Geraste sortent)
Il est bien tard Monsieur, regardez qu’il est nuit.

CLITANDRE

Allons soupper devant retirons-nous sans bruit.

ORMIN

C’est fort bien dit Monsieur, je vais à la cuisine.

SCENE VIII §

CLORIMANT, GERASTE de nuit

CLORIMANT

Geraste escoute un mot, dis-tu pas que Pauline
1465 Te veut entretenir cette nuit ?

GERASTE

Ouy Monsieur,
Mais j’y dois aller seul. {p. 112}

CLORIMANT

Que t’importe, as-tu peur ?

GERASTE

Ouy, car facilement on vous pourroit cognoistre,
Elle me doit tantost parler à la fenestre.
Retirez-vous, Monsieur, on ouvre que je croy.

CLORIMANT

1470 Non, je luy veux parler Geraste au lieu de toy.

GERASTE

Mais ce que vous voulez ne sçaurois-je luy dire.

CLORIMANT

Comme moy tu ne peux exprimer mon martire*.

SCENE IX §

ELIZE & PAULINE à la fenestre de Clorimant, & Geraste à la ruë

ELIZE

Geraste doit-il pas te venir voir icy ?

PAULINE

Madame je l’attens & croy que le voicy. [P 113]

ELIZE

1475 Retire toy ; je veux luy parler en ta place.

PAULINE

Luy diray-je pas bien ?

ELIZE

Tu n’auras pas la grace
D’exprimer ce que j’ay dans l’ame, cache toy.
Est-ce pas toy Geraste ?

CLORIMANT

Ouy Pauline, c’est moy :
(Bas)
C’est Elize à la voix je l’ay bien recognuë.

ELIZE

(Bas)
1480 C’est Clorimant sans doute, ou je suis bien deceuë*.
C’est luy mesme, voyez quel pouvoir a l’amour ?

CLORIMANT bas

Je recognois Elize aussi bien qu’en plein jour.

ELIZE

Dy que fait Clorimant, Geraste, mais peut-estre,
Que tu ne voudras pas parler contre ton maistre.
1485 Je sçay que tu prens part dedans son interest, {p. 114}
Estant aussi volage & perfide qu’il est.
Quoy demander que fait cette ame desloyalle,
Il trahit ma maistresse, il est chez sa rivalle.
Sçavons nous pas que rien ne peut les desunir,
1490 Et tu viens cependant icy m’entretenir.
Mais peux-tu bien, Geraste, abandonner Julie ?

CLORIMANT

Mon maistre aymer Diane ? ah Dieux quelle folie.
Tu te trompes Pauline, & crois qu’il n’en est rien.

ELIZE

Pourquoy veux-tu nier ce que je sçay fort bien ?
1495 L’avons nous pas trouvé n’agueres avec elle ?

CLORIMANT

Tu l’imites Pauline, en m’estant infidelle,
Je sçay que tu cheris cét Ormin mon rival,
A qui ce fer icy bien-tost sera fatal :
Mais tay toy je sçay bien à qui je m’en dois prendre.

ELIZE

1500 Tu veux dire en effet qu’Elize ayme Clitandre,
Mais peux tu bien, Geraste, excuser Clorimant
S’il dit qu’il n’ayme pas Diane, asseurement :
Tu sçais bien en ce point qu’il celle ce qu’il pense. {p. 115}

CLORIMANT

Il mourroit de regret en cette longue absence,
1505 Et l’on verroit ses sens de tous points interdits*
S’il la quittoit l’aymant ainsi comme tu dis.

ELIZE

Il ne s’en ira point :

CLORIMANT

Quoy Pauline es-tu folle
Il ne s’en ira point ? non, car croy moy qu’il volle.
Il est bien loing d’icy.

ELIZE

Te mocques-tu de moy ?

CLORIMANT

1510 Mais te suis-je suspect[,] doutes-tu de ma foy* ?

ELIZE

Si tu dis vray, pourquoy t’a t’il laissé derriere ?

CLORIMANT

Il me laisse en ce lieu pour un certain affaire
Qu’il m’a [recommandé]. {p. 116}

ELIZE bas

Ah Dieux ! comme aysément
En cette occasion* j’abuse* Clorimant.
1515 Et luy tout au rebours croit de m’avoir trompée.

CLORIMANT bas

Elle me croit absent, elle est bien attrapée.

ELIZE bas

S’il pense me surprendre* il l’[entreprend] en vain.

CLORIMANT

Je m’en vay le trouver[,] je partiray demain,
Si ta maistresse veut luy mander quelque chose
1520 Au moins sçache-le d’elle ?

ELIZE

Ah Geraste je n’ose,
Elle s’en veut deffaire & le laisser aller,
Elle ne veut jamais le voir n’y luy parler.
Quoy demain sans faillir elle espouse Clitandre.
La chose est resoluë.

CLORIMANT

Ah que viens-je d’entendre ?
1525 Elle espouse Clitandre ? est-il dessous les Cieux {p. 117}
Homme plus miserable ; oze-t’elle à mes yeux,
Commettre cette lasche* & noire perfidie ?
Dy luy.

ELIZE

Que veux-tu donc encor que je luy die ?

CLORIMANT

Qu’elle trahit, Pauline, un tres-fidelle Amant
1530 Qu’elle est […]

ELIZE

Tout beau* Geraste.

CLORIMANT

Ah je suis Clorimant,
Que la perfide Elize à sa fureur immole.

ELIZE

Qui Clorimant absent, qui Clorimant qui vole.
Qui s’enfuit de ces lieux plus viste que le vent.

CLORIMANT

J’estois absent d’Elize, encore que present,
1535 Car l’oubly se peut bien comparer à l’absence.
Elize m’oubliant, c’est une consequence {p. 118}
Que j’estois absent d’elle, & que je perds le sens
Songeant à cette injure, & pour toy qui m’entends
Qui voit mon desespoir dis à cette infidelle
1540 Qu’il n’est rien plus volage & plus inconstant* qu’elle[,]
Qu’elle est une perfide une […]

ELIZE

Tout beau* c’est moy.

CLORIMANT

Je te cognoissois bien, ame ingratte & sans foy*,
J’ay feint de m’en aller, perfide, je le jure
Que ce que j’en disois n’estoit qu’une imposture,
1545 Je te quitte à present me sentant outragé,
Mais croy qu’auparavant je veux estre vangé,
Et pour ne garder rien d’un esprit si volage
Tien voilà tes escrits que j’immole à ma rage
Tes cheveux, ton pourtraict.

GERASTE

Monsieur que faites vous ?

CLORIMANT

1550 Pourquoy me retiens tu ? {p. 119}

GERASTE

Moderez ce courroux,
Et ne les rompez pas, apres cette cholere
Vous mourriez de regret.

CLORIMANT

Quand je le considere
Tu dis vray, mais as-tu quelques papiers sur toy.

GERASTE

J’ay des cartes, Monsieur[.]

CLORIMANT

Bon, bon, donne les moy.
(Il luy donne des cartes. Il les rompt)
1555 Tien je romps le pourtraict de cette ingratte Dame,
Que je veux encor mieux effacer de mon ame.
Et ces escrits tesmoings de ses legeretez,
Pleins de discours trompeurs, pleins d’infidelitez,
Qui me reprocheroient à toute heure ton crime,
1560 A ma juste fureur serviront de victime.
Tout ce que j’ay de toy, je le laisse, & je veux
Jetter encor au vent tes indignes cheveux.
Et pour plus grand mespris je veux avoir la gloire
De bannir de mon cœur jusques à ta [memoire].
1565 Adieu perfide, adieu, je sors de ton pouvoir,
Et n’imagine pas de jamais me revoir. {p. 120}

ELIZE

Ne t’en va pas mon cœur[,] escoute une parole.

CLORIMANT

Non je n[e l]’entends point d’une qui la viole.

PAULINE à Geraste

Et toy Geraste aussi, veux-tu quitter ce lieu ?

GERASTE

(Il s’en va)
1570 Ouy perfide, & te dire un eternel adieu.
Tien voilà ton pourtraict, pour avec ton image
Perdre le souvenir d’un objet* si volage,
Tes escrits, tes rubans, tes indignes cheveux,
Et je vay dans le vin esteindre tous mes feux*.
1575 Tu t’en repentiras, je jure aussi bien qu’elle.

SCENE X §

PAULINE, ELIZE

ELIZE

Il est le seul coupable & me fait criminelle. [Q 121]

PAULINE

Ils sont partis Madame[.]

ELIZE

Ah si je ne sçavois
Que ce n’est pas, Pauline, icy la seule fois
Qu’il fait le furieux, qu’il part & qu’il demeure,
1580 Je croy qu’assurément je mourrois tout à l’heure*.

PAULINE

Il n’ira pas bien loing, ce n’est rien qu’un destour,
Pour faire rapprocher de plus pres son amour.
C’est comme un papillon qui fuit & bat de l’aile,
Et qui se vient en fin brusler à la chandelle.
1585 Il a devant les yeux un trop obscur bandeau,
C’est comme un ciel couvert qui nous menace d’eau
Dont pourtant on ne voit jamais tomber la pluye.

ELIZE

Ah ! Pauline, je crains.

PAULINE

Ne craignez pas qu’il fuye.

ELIZE

Mais il vient à mes yeux de rompre mes escrits,
1590 C’est ce qui me surprend, & trouble les esprits, {p. 122}
Je ne le celle point[,] cela me met en peine.

PAULINE

Il ne s’en ira point la chose est tres-certaine,
Il est trop enchaisné de vos divins appas.

ELIZE

De peur d’un accident*, va promptement là bas,
1595 Ramasse ces escrits ; grands Dieux je desespere !
Ils pourroient aysément estre veus de mon pere.

PAULINE

Bien Madame, j’y vay.
(Elle sort)

ELIZE

En l’estat où je suis,
Grands Dieux retirez moy de ce gouffre d’ennuis.
(Pauline à la ruë avec une chandelle, & Elize à la fenestre)

ELIZE

Est-il possible, ô Dieux ! qu’il m’ait fait cette injure,
1600 Ramasse ces papiers.

PAULINE

Des papiers je vous jure
Que je n’en voy pas un. {p. 123}

ELIZE

Qu’est-ce que je voy là ?

PAULINE

Une carte rompuë.

ELIZE

Aporte.

PAULINE

Là voilà.

ELIZE

Que porte-t’elle ?

PAULINE

Rien[.]

ELIZE

Ah Pauline regarde.

PAULINE

Je voy bien ce que c’est.

ELIZE

Quoy ? {p. 124}

PAULINE

C’est la hallebarde
1605 Du Valet de carreau.

ELIZE

Que dis-tu ?

PAULINE

Que voicy
Le bas du Roy de trefle.

ELIZE

Et l’autre ?

PAULINE

C’est icy
L’as de cœur.

ELIZE

Vois-tu point quelque pourtrait, Pauline ?

PAULINE

Ouy, je tiens une teste elle s’appelle Argine.
Madame c’est le haut de la Dame de cœur. {p. 125}

ELIZE

1610 Sans doute Clorimant est de jolie humeur,
Il se mocque de nous la chose est evidente.

PAULINE

L’invention, Madame, est certes excellente.

ELIZE

Monte, viens te coucher.

PAULINE

Me coucher ! il est jour.

[ELIZE]

Clorimant tu ne peux desmentir ton amour.
1615 Va je ne te crains plus, & croy, quoy que tu faces,
Qu’à present je me ry de toutes tes menaces.

Fin du quatriesme Acte

{p. 126}

ACTE V §

SCENE I §

POLEMAS, OCTAVE

OCTAVE

D’où vient que je vous voy, Monsieur si tost levé ?

POLEMAS

Comme je m’esveillois ce matin, j’ay trouvé
Ce billet que voicy, de la part de Clitandre,
1620 Je croy que tu seras aussi surpris d’entendre
Ce qu’il m’escrit que moy, lors que tu l’auras leu.

OCTAVE

Encore que mande-t’il ?

POLEMAS

Je n’eusse jamais creu
Qu’un Cavalier* d’honneur fust parjure ny lasche*,
Et procedast si mal, mais ce qui plus m’en fasche*,
1625 Est que tout Paris sçait maintenant nostre accord. {p. 127}

OCTAVE

Sçauray-je point que c’est ?

POLEMAS

Ah Clitandre a grand tort.
Allons trouver ta sœur, tu sçauras devant elle
Le sujet qui me trouble, & me met en cervelle,
Elle sera surprise aussi bien comme moy.

OCTAVE

1630 Il est un peu matin, & ma sœur que je croy
Ne peut pas à cette heure estre encor esveillée.
Mais la voicy qui sort, mesme toute habillée.

SCENE II §

POLEMAS, ELIZE, PAULINE, OCTAVE

POLEMAS

Ma fille quel sujet vous fait veiller ainsi ?

ELIZE

Je ne sçaurois dormir.

POLEMAS

Si c’est pour le soucy*
1635 Que vous cause l’amour de vostre Espoux Clitandre, {p. 128}
Ma fille je vous veux en trois mots faire entendre
Que vous n’y pensiez plus. Voyez ce qu’il m’escrit.

ELIZE

N’importe cét amour trouble peu mon esprit.
Mais encor que dit-il ?

POLEMAS

Sçachez que cét infame*
1640 Plus amoureux cent fois des biens que d’une femme
Vous veut bien espouser, mais à condition
(Voyez jusqu’à quel poinct monte sa passion,
Et de quelle façon il vous cherit Elize)
Qu’il veut avoir de plus, que la somme promise,
1645 Quatre mille ducats.

ELIZE

Grands Dieux que dites-vous ?

POLEMAS

C’est ce que par ce mot me mande vostre Espoux.

OCTAVE

Ah l’infame* qu’il est de cét esprit volage,
Pouvez-vous esperer, Monsieur, un moindre outrage.
Il ne me surprend point, il use tous les jours [R 129]
1650 De mesme perfidie & d’aussi lasches* tours.
On me l’avoit bien dit.

POLEMAS

Voilà comme il vous ayme.

ELIZE

Je ne le celle point[,] la surprise est extresme,
Mais que resolvez vous en cette extremité ?

POLEMAS

Que sçaurois-je respondre à cette lascheté* ?
1655 Il faut bien quitter-là ce traistre, ce parjure.

ELIZE

Mais qui reparera nostre commune injure ?
L’affaire est d’un tel poids, qu’elle merite bien
D’y songer meurement, & de n’espargner rien.
Sçachez que cét affront passe la raillerie,
1660 Il y va trop du mien, ah Monsieur je vous prie,
De considerer mieux ce qu’on dira de moy.
Chacun sçait dans Paris qu’il m’a donné la foy*.
Qu’aujourd’huy l’on devoit terminer l’hymenée*,
Dont nous avons tous deux la parole donnée,
1665 Qui pourroit empescher un chacun [aujourd’huy]
De faire un jugement* advantageux pour luy. {p. 130}
Qui me pourroit combler de honte & d’infamie ?
Je serois bien, Monsieur, de moy-mesme ennemie,
Si je pouvois souffrir* qu’un traistre, un affronteur,
1670 Par discours médisants offençast mon honneur.
Monsieur, à deux genoux j’implore vostre grace.

POLEMAS

Mais, ma fille, dy moy que veux-tu que je face ?

ELIZE

Accordez-luy, Monsieur, tout ce qu’il veut avoir.

POLEMAS

Elize, sçais-tu bien si j’en ay le pouvoir ?

ELIZE

1675 Vous ne pouvez, Monsieur, de ce point vous deffendre :
Vostre honneur vous y force.

POLEMAS

Il me faudroit donc vendre
Jusques à ma maison pour y pouvoir fournir.
Où me tiendrois-je apres ?

ELIZE

Vous vous pouvez tenir.
Aysément avec moy. {p. 131}

POLEMAS

Mais que dira ton frere ?

OCTAVE

1680 Ne laissez pas, Monsieur, de terminer l’affaire,
Si Diane est à moy je me tiens trop heureux.

POLEMAS

Bien doncques j’y consens, vous le voulez tous deux,
Mais où si promptement puis-je avoir cette somme ?

OCTAVE

Laissez-m’en le soucy, je cognois bien un homme,
1685 Si vous vous obligez*, qui nous rendra contens ;
Cét homme a de l’argent.

POLEMAS

Va, ne perds point de temps.
Puis va-t’en aussi-tost au logis de Clitandre,
Dy luy que pour avoir l’heur* de le voir mon gendre,
J’ay fait tous mes efforts pour le rendre content,
1690 Que je luy veux donner la somme qu’il pretend,
Mais à condition que sans plus de remise*,
Il sera ce matin joint à ta sœur Elize.
Je m’en vay convier mes amis de ce pas, {p. 132}
Fay qu’il vienne avec toy.

OCTAVE

Je n’y manqueray pas.

ELIZE bas en s’en allant

1695 Puis que ta lascheté* se fait ainsi paroistre,
Amour fay qu’aujourd’huy je me vange du traistre.

SCENE III §

CLITANDRE, ORMIN

CLITANDRE

C’en est fait me voilà maintenant desgagé*,
J’ay d’Elize & du pere aujourd’huy pris congé,
Ma lettre que je croy leur aura fait entendre
1700 Qu’ils ne doivent plus rien esperer de Clitandre,
Non, non, ce n’est plus vous, Elize, que je sers,
Je me vay renchaisner dedans mes premiers fers.

ORMIN

Tout bien consideré, ce procedé m’estonne,
Songez à vous, Monsieur, je sçay bien que personne
1705 N’approuvera jamais une telle action. {p. 133}

CLITANDRE

Il n’importe, il suffit, je suy ma passion.
Que sert plus d’y penser puis que la chose est faite ?

ORMIN

La conduisent les Dieux ainsi que je [souhaite].

CLITANDRE

Entrons donc chez Diane.

ORMIN

Elle sort je la voy.

SCENE IV §

CLITANDRE, DIANE, ORMIN, JULIE

DIANE

1710 Que veut dire cela ? Clitandre entrer chez moy ?
Avez-vous bien encor assez de hardiesse ?
Apres avoir acquis Elize pour Maistresse,
Apres m’avoir traittée avec tant de mespris,
D’oser entrer ceans* ? vous vous estes [mespris].
1715 Vous prenez ce logis pour la maison d’Elize ? {p. 134}

CLITANDRE

Considerez, madame, avec quelle franchise
Je vous dy mes pensers, & vous ouvre mon cœur.
Je rentre sous les fers de mon premier vainqueur,
Elize n’eut jamais pour me vaincre des armes,
1720 Qui peussent égaler le moindre de vos charmes :
Aussi n’ay-je jamais eu rien de mon costé
Qui peust porter mon cœur à l’infidelité.
J’adore vos appas, tant qu’il m’est impossible
Que pour un autre object je devienne sensible.
1725 Je confesse avoir feint d’aymer en autre lieu,
Mais j’ay brisé mes fers, je viens de dire adieu.
Me voilà delivré de ce fascheux servage*
Qui m’avoit pres de vous fait passer pour volage.
Ne traittez pas Clitandre avec tant de rigueur,
1730 Et luy rendez la place acquise en vostre cœur.
Acceptez derechef sa nouvelle franchise,
Et ne luy reprochez jamais l’amour d’Elize,
Puis qu’il proteste* icy, madame, à deux genoux,
Qu’il meurt pour vos appas, & n’adore que vous.

DIANE

1735 Comment pourrois-je croire, ame ingrate & volage,
Qu’on peut en un moment dissoudre un mariage ?
Un contract bien passé ? sans doute tu pretends
De nouveau m’abuser*, & surprendre* mes sens. {p. 135}

CLITANDRE

J’ateste* les beautez qui vous rendent aymable*,
1740 Que je ne vous dy rien qui ne soit veritable.
Et vous puis asseurer qu’il ne tiendra qu’à vous
Que je ne vous possede en qualité* d’Espoux.

DIANE

Je ne me repais point de ces discours frivoles,
Comment ? je me fierois encor à tes paroles ?
1745 Ne t’imagine pas que je puisse en effect
Te pardonner ainsi l’affront que tu m’as faict.

CLITANDRE

Madame, au nom des Dieux calmez vostre colere,
Accordez-moy ce poinct.

DIANE

Non, je ne le puis faire.
Je suis trop irritée.

CLITANDRE

Et bien posons le cas
1750 Que j’aye justement merité le trespas,
Demandant à genoux pardon de mon offence
Ne l’obtiendray-je point ? {p. 136}

DIANE

Clitandre quand j’y pense
Je ne sçaurois pour tout endurer ces mespris.
Mais si tu veux un peu remettre mes esprits,
1755 Dy moy du mal d’Elize.

CLITANDRE

Ah justes Dieux ! Madame,
Pourquoy desirez vous que j’endure le blasme
Que l’on me donnera de la traitter ainsi.

DIANE

Clitandre je le veux, & te l’ordonne aussi
Pour refaire ta paix, c’est l’unique remede.

CLITANDRE

1760 J’obey donc, Madame, Elize est sotte & laide,
Élize n’eut jamais de grace ny d’attraits.
Elle déplaist de loing, mais encor plus de prez.
Je suis son ennemy, je fais gloire de l’estre,
Nul homme ne sçauroit l’aymer, & la cognoistre,
1765 Et pour dire en un mot, Elize est à la Cour
Un objet de pitié, bien plustost que d’Amour.

DIANE

Je te pardonne tout.
(Ils devisent bas ensemble)
[S 137]

ORMIN à JULIE

Pour rentrer en ta grace,
Dy moy ? qu’est-il besoin à present que je face ?

JULIE

Dy du mal de Pauline, & puis je suis à toy.

ORMIN

1770 Pauline je le jure est un objet d’effroy,
Son visage basty d’une façon estrange,
Me semble long & large, ainsi qu’une [lozange],
Et croy que je pourrois tant je le trouve laid
En quatre coups de serpe en former un mieux fait.
1775 Ses gestes tout contraincts sont de mauvaise grace,
Elle ne peut ouvrir la bouche sans grimace,
Elle est, & plate, & seche, & grande comme un four,
Et croy qu’on oublia lors qu’elle vint au jour,
À luy faire une bouche, & qu’apres la Nature,
1780 Sous le nez d’un razoir luy fit cette ouverture,
Quand elle rit son nez en grandeur nompareil,
Peut marquer sur ses dents un quadran au soleil,
Son corps sec & ridé ressemble un vray squelette,
Elle a la taille faite ainsi qu’une levrette,
1785 On peut innocemment avec elle coucher,
On n’y trouveroit pas un seul morceau de chair.
Et croy qu’en luy coupant le derriere & la pance, {p. 138}
On pourroit l’enterrer dans l’estuy d’une lance.

JULIE

Pourveu que tes discours, Ormin, ne soient pas feints,
1790 Qu’elle soit à tes yeux comme tu [la] dépeins,
Je n’y puis resister, ta grace t’est acquise.

DIANE à CLITANDRE

Je ne vous trouve pas trop bien deffait d’Elize,
Si l’on luy donne encor quatre mille ducats.

CLITANDRE

Quand mesme il le voudroit, son pere ne peut pas.

JULIE

1795 J’entens monter quelqu’un, Madame, c’est Octave.

CLITANDRE

Il vient pour m’attaquer, il vient faire du brave.

SCENE V §

{p. 139}
OCTAVE, DIANE, CLITANDRE, ORMIN, JULIE

OCTAVE à Clitandre

Comme je vous cherchois, quelqu’un m’a dit Monsieur,
Que vous estiez ceans*, pourrois-je avoir l’honneur
De luy dire deux mots, avec vostre licence.

DIANE

1800 Ouy pourveu que ce soit, Octave, en ma presence.

OCTAVE

Madame je le veux, il ne m’importe pas.
Vous demandez encor quatre mille ducats,
Quoy que ce procedé me semble fort estrange
Voyant que tous les jours vous vous portez au change*,
1805 Je n’examine point si fort vos actions,
Ny quel est le motif de vos intentions.
Il suffit seulement de dire que mon pere,
Quoy qu’il puisse arriver veut terminer l’affaire,
Et si vous estimez tellement l’interest,
1810 Venez avecque moy vostre argent est tout prest ;
Mon pere veut avoir absolument pour gendre
Un tel homme que vous ; & sçachez, cher Clitandre,
Qu’à ce dessein ma sœur l’a puissamment porté, {p. 140}
Il est advantageux pour vous. De mon costé,
1815 J’ay tant que je l’ay peu secondé cette envie,
Il ne m’importe pas de moins que de la vie.
Vous m’entendez assez, & vous sçavez pourquoy,
Mais il vous faut venir promptement avec moy,
Car ma sœur vous souhaitte avec impatience.

CLITANDRE à Diane

1820 Qu’en dites vous Madame ?

DIANE

Ah Dieux quelle impudence !
Osez vous sans rougir me tenir ce discours ?

CLITANDRE

Si vous n’estes encor l’object de mes amours,
Que je puisse perir. Mais voulez vous, Madame,
Qu’en cette occasion* je passe pour infame* ?
1825 J’ay donné ma parole, & croyez s’il vous plaist,
Que ce n’est point l’Amour, moins encor l’interest,
Quoy que vous en pensiez, qui m’oblige à ce faire.

DIANE

Impudent imposteur.

CLITANDRE

Vous estes en colere ;
Je souffre* tout de vous, mais Madame escoutez, {p. 141}
1830 Car je ne diray mot si vous vous emportez.
Dites moy, voulez vous qu’à present je viole
Les serments que j’ay faits, j’ay donné ma parole :
Et cette lascheté* seroit à reprocher,
Aux personnes d’honneur qui n’ont rien de plus cher.

DIANE

1835 Vous brassiez dés long temps une telle alliance,
Vous estiez contre moy tous trois d’intelligence :
Je vous entends fort bien :

OCTAVE

Madame au nom des Dieux
Moderez ces transports*, & tournez ces beaux yeux
Vers moy qui vous adore, & qui brusle d’envie
1840 De hazarder pour vous, & l’honneur & la vie.
Voyez sans envier le bon-heur de ma sœur,
Si Clitandre à present en devient possesseur.
Faites qu’à tant de bien aujourd’huy je succede,
[En] me cédant ses droicts qu’Octave vous possede.

DIANE

1845 Si Clitandre Monsieur, n’en avoit point parlé,
Je vous escouterois, mais il s’en est meslé, {p. 142}
Et le sujet qui fait que je n’y puis entendre,
Est que je ne veux pas m’allier de Clitandre.

OCTAVE

Je ne perds pas l’espoir, Madame, quelque jour,
1850 Vous recompenserez un si fidelle amour,
Ne l’importunons plus, sortons d’icy mon frere.

CLITANDRE

J’en suis au desespoir, mais je n’y puis que faire.

ORMIN

Julie en te quittant je fay ce que je doy
Tu n’aurois pas raison de te plaindre de moy,
1855 Pourrois-je justement abandonner mon maistre [?]

JULIE

Je n’attendois pas moins d’un perfide & d’un traistre.

SCENE VI §

{p. 143}
DIANE, JULIE

JULIE

Encor que dites-vous de cette lascheté* ?

DIANE

Pense-t’il me braver* avec impunité !
Ah Dieux, vit-on jamais femme plus outragée ?
1860 Le perfide se vange, apres m’estre vangée,
Ah que n’ay je traitté cét infidelle Amant
Aussi bien à la fin comme au commencement ?
Qu’en cette occasion* j’ay paru mal habile,
Hé Dieux que nostre sexe est leger & fragile,
1865 Et que celle de nous qui prend le plus de soins
D’agir avec esprit, monstre en avoir le moins.
Qui doy-je maintenant implorer à mon ayde ?
Clorimant est parti, la chose est sans remede,
C’est luy seul en ce cas qui pourroit me vanger,
1870 Mais puis qu’il est absent, il n’y faut plus songer.

JULIE

Madame le voilà. {p. 144}

DIANE

Te mocques* tu Julie ?
Ma joye est à present de tout point accomplie.

SCENE VII §

CLORIMANT, DIANE, GERASTE, JULIE

JULIE

Quoy vous estes icy Clorimant ? justes Dieux !

CLORIMANT

Madame je feignois de partir de ces lieux,
1875 Afin de me vanger d’une Dame infidelle.
Mais je suis appaisé, je ne me plaints plus d’elle.
J’ay sceu que l’on avoit forcé la volonté
De cette incomparable & parfaite beauté :
Mais que je n’en dois plus avoir aucun ombrage*,
1880 Madame on a rompu ce fascheux mariage,
Qui nous causoit icy tant de peine* à tous deux :
Je vois en ce moment renaistre tous mes feux,
Puis que je voy renaistre un rayon d’esperance,
De recueillir les fruits de ma perseverance.
1885 Vous y participez, madame, que je croy. [T 145]

DIANE

Justes Dieux ! Clorimant, vous mocquez vous de moy ?
Vous ignorez encor comme va cette affaire,
Vous estes bien trompé, car Clitandre & son frere
Vous sçavez bien qui c’est, je nomme Octave ainsi
1890 Ne font presentement que de sortir d’icy,
Qui de telle façon sont concertez ensemble,
Qu’ils ne se peuvent pas separer ce me semble.
Le pere vouloit rompre, estant fort irrité
Du refus de Clitandre & de sa lascheté*.
1895 Mais Elize a tant fait, que sur l’heure son pere,
En dépit qu’il en eut a terminé l’affaire,
Et dans une heure au plus Clitandre […]

CLORIMANT

Ah taisez vous.

DIANE

Sera n’en doutez point son legitime espoux.

CLORIMANT

A ce mot justes Dieux, je manque de parole,
1900 Mais si facilement Elize s’en console.
Quoy que d’un feu cuisant je me sente brusler,
Je l’imite Madame, & me veux consoler.

DIANE

Si vous l’estes d’Elize, [ah] je vous fais entendre.
Que je le suis encor beaucoup mieux de Clitandre. {p. 146}

CLORIMANT

1905 Si je vous veux aymer, dites, m’aymerez vous ?
Et vous puis-je pretendre en qualité* d’Espoux ?

DIANE

Je vous l’ay dit tantost, & vous le dis encore.

CLORIMANT

Je suis trop glorieux, ô beauté que j’adore,
De nouveau je me veux avec vous engager.

DIANE

1910 C’est l’unique moyen de nous pouvoir vanger.

CLORIMANT

Ouy Madame en un mot j’ay l’ame traversée*
De voir une amitié si mal recompensée.
Cette legereté* m’offence & je suis las,
De me voir tous les jours dans un tel embarras,
1915 Je vous donne la main, & demande la vostre.

DIANE

Monsieur je suis à vous ; & renonce à tout autre.

CLORIMANT

Madame allons au temple ; & faisons devant eux
Accomplir nostre hymen. {p. 147}

DIANE

Clorimant je le veux.
C’est ainsi que je veux me vanger de ce traistre.

GERASTE

1920 Julie où songes tu ? ferons nous pas parestre
Qu’aussi bien comme ils font nous nous pouvons vanger ?

JULIE

Ouy va je suis à toy, si tu veux m’obliger*
De m’aymer à jamais, & de m’estre fidelle.

GERASTE

Ouy je te le promets.

CLORIMANT bas à Geraste

Dis à cette cruelle
1925 Que je suis à Paris & ne l’ay point quitté.
Qu’icy j’ay recognu son infidelité.
Qu’elle espouze Clitandre, & dy qu’à son exemple,
Avecque mes parents à present dans le temple,
Dessous les mesmes loix je m’en vay me ranger,
1930 Et me joindre à Diane afin de me vanger.

SCENE VIII §

{p. 148}
POLEMAS, CLITANDRE, ELIZE, PAULINE, ORMIN, OCTAVE, & accompagnement

POLEMAS

Des sieges promptement, sçachez mon cher Clitandre,
Que le desir que j’ay de vous avoir pour gendre,
Et le ressentiment de tant d’affection
Que ma fille tesmoigne à vostre occasion*
1935 M’ont fait faire un effort par dessus ma puissance,
Et puis que tout le monde en avoit cognoissance
Je luy serois peut-estre un subjet de mespris
Si je n’achevois pas cét hymen entrepris.

CLITANDRE

Jamais pour desirer des biens de la fortune
1940 Je n’eusse fait Monsieur de demande importune,
Mais l’advis des parents qui sont interessez
Ont contre mon amour mes sentiments forcez.

POLEMAS

Laissons ces differents & terminons l’affaire.

PAULINE bas à Geraste

(Geraste entre qui tire Pauline)
Quoy Geraste à Paris, hé que pense tu faire,
1945 Qui t’emmene en ces lieux ? {p. 149}

GERASTE

Pauline escoute icy
Je te veux dire un mot.
(Il luy parle à l’oreille)

POLEMAS

(La compagnie entre)
Courage les voicy.
Messieurs nous n’attendions pas vostre compagnie,
Afin d’authoriser cette ceremonie.

PAULINE

Je vay trouver Elize[,] attend.

POLEMAS

(Pauline parle à l’oreille d’Elize, & vient dire à Geraste)
Assayons nous[,]
1950 Il ne manque plus rien nous sommes icy tous[.]

PAULINE bas à Geraste

Ma maistresse m’a dit que je te face attendre.

POLEMAS

Allons donc promptement, vous plaist-il pas Clitandre.

CLITANDRE

J’en suis content.

ELIZE à Polemas

Monsieur avant que de jouir
De ce bien, faites moy la faveur de m’ouir. {p. 150}

POLEMAS

1955 Parlez je vous entends.

ELIZE

Monsieur j’ay lieu de craindre
Que Clitandre à la fin n’ait subject de se plaindre :
Car pour dire le vray vous n’aviez pas raison,
Pour l’avoir rencontré dedans une maison,
Pour la premiere fois de le vouloir surprendre*
1960 Pour par force aujourd’huy l’avoir pour vostre gendre.
Ou je jure que luy [ny] moy ne songions point.
Il est tres-important de resoudre ce point.
Puis qu’il faut tout conclure, & que l’heure est si proche,
Mettez moy s’il vous plaist à l’abry d’un reproche
1965 Que Clitandre pourroit me faire justement,
Il se plaindroit de moy d’avoir legerement
Fait contre son vouloir ce fascheux Himenée*,
Dont par force il m’auroit la parole donnée.
Dites luy donc qu’il est en pleine liberté,
1970 Que vous ne voulez point forcer sa volonté[,]
Que tout despend de luy, qu’il est en sa puissance
De rompre entierement ou noüer l’alliance.

POLEMAS à Clitandre

Vostre demande est juste, & bien qu’en dites vous ? {p. 151}

CLITANDRE

Ouy Monsieur je confesse en presence de tous
1975 Que volontairement je soubmets ma franchise*
Dessous les douces loix de la parfaite Elize.
Que je suis satis-faict de ce qui s’est passé,
Et qu’à ce mariage on ne m’a point forcé.

POLEMAS

Vous ne pouvez, ma fille, esperer davantage.

ELIZE

1980 Monsieur je desirois avoir cét advantage,
Par la confession qu’il me fait aujourd’huy,
De monstrer que c’est moy qui ne veut point de luy[,]
Puis que je le cognois [jusqu’]à ce poinct infame*,
De faire plus de cas des biens que d’une femme.

CLITANDRE

1985 Ah, Madame, est-ce ainsi ?

ELIZE

Lasche* retirez-vous.

POLEMAS

Ma fille moderez ce violent courroux,
Vous faites trop de perte en rebutant Clitandre. {p. 152}

ELIZE

Si je perds cét ingrat, je vous redonne un gendre
Qui sçait priser Elize, & trouve plus d’appas
1990 En la vertu que j’ay qu’en dix mille ducats.
En fin c’est Clorimant.

POLEMAS

Il est absent.

ELIZE

Mon pere,
Il n’est pas loing d’icy. Cours & ne tarde guere.
Geraste appelle-[le].

GERASTE

Bien Madame j’y cours.

CLITANDRE

Consentez-vous, Monsieur à de si lasches* tours ?
1995 Apres tant de devoirs & tant de complaisance*.

POLEMAS

Ce n’est pas mon dessein d’user de violence,
Je luy souffre* en ce cas d’agir comme il luy plaist.

ELIZE

Je cherche mon repos, & vous vostre interest. [U 153]

SCENE IX & derniere §

CLORIMANT, ELIZE, POLEMAS, DIANE, CLITANDRE, GERASTE, ORMIN, JULIE, PAULINE, OCTAVE, & accompagnement

CLORIMANT

Par vostre mandement je suis venu, Madame,
2000 Pour vous dire combien je sens d’ayse* en mon ame
D’avoir sçeu qu’il vous plaist me faire la faveur
De me rendre aujourd’huy bien-heureux possesseur
De vos rares* beautez sous la loy d’hymenée*.

DIANE

Quoy donc pour ce subject m’avez vous emmenée ?

CLORIMANT

2005 Madame pardonnez si maintenant mon cœur
Se range sous les loix de son premier vainqueur.

ELIZE à Polemas

Monsieur je mets en vous toute mon esperance.

POLEMAS

Si Monsieur veut entrer dedans vostre alliance,
Il nous honore trop, non non, je ne sçaurois {p. 154}
2010 Jamais avec raison desapprouver ton choix.
Si Monsieur m’eust parlé plustost, j’eusse sur l’heure
Terminé cette affaire.

CLITANDRE

Ah Clorimant ! je meure
Si je suis de vostre heur* aucunement jaloux.
Diane je veux estre aujourd’huy vostre Espoux,
2015 Je rentre dans vos fers, & j’abandonne Elize.

DIANE

Je ne veux point de vous, Monsieur, je suis promise.

CLITANDRE

À qui ?

DIANE

Ce Cavalier* n’est pas bien loing d’icy.

CLITANDRE

Madame resvez-vous ? me raillez vous ainsi ?

DIANE

Je ne vous raille point, Monsieur[.] Parlez Octave
2020 M’estimez vous encor ?

OCTAVE

Dieux je suis vostre esclave. {p. 155}

DIANE

Monsieur je suis à vous, & vous donne la main.

CLITANDRE

Vous mocquez* vous Madame, à quoy bon ce desdain ?

DIANE

Clitandre j’ayme Octave, & je hay l’inconstance*.

ORMIN

Elle a raison d’user d’une telle vangeance,
2025 Les voulant toutes deux Monsieur, vous voyez bien
Qu’en voulant tout avoir vous ne possedez rien.
J’y perds beaucoup pourtant puisque je perds Julie :
Car ne croyez jamais qu’à d’autre je m’allie.

JULIE

Ormin tu m’as quittée & je te quitte aussy.

OCTAVE

2030 Va je te veux pourvoir* laisse m’en le soucy.
Un homme qui me sert est ton fait ce me semble.

GERASTE à Clorimant

Monsieur voulez vous pas nous marier ensemble,
Pauline & moy j’entends. {p. 156}

CLORIMANT

Ouy Geraste je veux
Aussi bien que les miens esteindre tous tes feux*.

ELIZE

2035 Amour vous m’octroyez tout ce que je souhaite.

CLITANDRE

Que vois-je ? Justes Dieux ! est-ce ainsi qu’on me traite ?

ORMIN

Certes nous meritons à ce que je cognoy,
Qu’on se mocque, Monsieur, & de vous & de moy.

FIN