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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Antoine d'Ourville. La Coifeuse à la mode. Comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 30 sc. 508 répl. 2,8 l. 1 411 l. 1 411 l. 32 % 4 420 l. (100 %) 3,1 pers.
ACASTE 21 sc. 142 répl. 2,2 l. 792 l. (57 %) 317 l. (23 %) 41 % 2 792 l. (64 %) 3,5 pers.
ARIMANT 15 sc. 78 répl. 3,0 l. 723 l. (52 %) 234 l. (17 %) 33 % 2 533 l. (58 %) 3,5 pers.
FLORE 11 sc. 89 répl. 2,9 l. 564 l. (40 %) 256 l. (19 %) 46 % 1 999 l. (46 %) 3,5 pers.
BEATRIX 6 sc. 17 répl. 0,9 l. 347 l. (25 %) 15 l. (2 %) 5 % 1 382 l. (32 %) 4,0 pers.
DOROTHEE 10 sc. 85 répl. 4,4 l. 682 l. (49 %) 376 l. (27 %) 56 % 2 597 l. (59 %) 3,8 pers.
PAMPHILE 5 sc. 22 répl. 2,0 l. 332 l. (24 %) 43 l. (4 %) 13 % 1 059 l. (24 %) 3,2 pers.
PAULINE 2 sc. 6 répl. 3,3 l. 185 l. (14 %) 20 l. (2 %) 11 % 630 l. (15 %) 3,4 pers.
LEONOR 4 sc. 18 répl. 3,2 l. 286 l. (21 %) 58 l. (5 %) 21 % 1 272 l. (29 %) 4,4 pers.
PHILIPIN 15 sc. 51 répl. 1,8 l. 509 l. (37 %) 93 l. (7 %) 19 % 2 084 l. (48 %) 4,1 pers.
Antoine d'Ourville. La Coifeuse à la mode. Comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
ACASTE
ARIMANT
109 l. (43 %) 40 répl. 2,7 l.
149 l. (58 %) 38 répl. 3,9 l.
11 sc. 258 l. (19 %) 3,6 pers.
ACASTE
FLORE
45 l. (51 %) 23 répl. 2,0 l.
44 l. (50 %) 22 répl. 2,0 l.
5 sc. 89 l. (7 %) 4,9 pers.
ACASTE
DOROTHEE
50 l. (36 %) 27 répl. 1,8 l.
90 l. (65 %) 33 répl. 2,7 l.
6 sc. 139 l. (10 %) 5,0 pers.
ACASTE
PAMPHILE
6 l. (34 %) 4 répl. 1,3 l.
11 l. (67 %) 7 répl. 1,5 l.
3 sc. 15 l. (2 %) 3,8 pers.
ACASTE
LEONOR
2 l. (38 %) 2 répl. 0,7 l.
3 l. (63 %) 1 répl. 2,4 l.
1 sc. 4 l. (1 %) 5,0 pers.
ACASTE
PHILIPIN
108 l. (57 %) 46 répl. 2,3 l.
83 l. (44 %) 41 répl. 2,0 l.
14 sc. 189 l. (14 %) 4,1 pers.
ARIMANT
FLORE
78 l. (44 %) 36 répl. 2,2 l.
100 l. (57 %) 36 répl. 2,8 l.
6 sc. 178 l. (13 %) 3,6 pers.
ARIMANT
BEATRIX
3 l. (64 %) 1 répl. 2,2 l.
2 l. (37 %) 2 répl. 0,6 l.
2 sc. 3 l. (1 %) 3,3 pers.
ARIMANT
DOROTHEE
1 l. (12 %) 1 répl. 0,1 l.
1 l. (89 %) 1 répl. 0,9 l.
1 sc. 1 l. (1 %) 4,0 pers.
FLORE 70 l. (100 %) 2 répl. 34,8 l. 2 sc. 70 l. (5 %) 1,0 pers.
FLORE
BEATRIX
24 l. (64 %) 14 répl. 1,7 l.
14 l. (37 %) 14 répl. 1,0 l.
5 sc. 36 l. (3 %) 4,0 pers.
FLORE
DOROTHEE
20 l. (24 %) 14 répl. 1,4 l.
65 l. (77 %) 13 répl. 5,0 l.
3 sc. 84 l. (6 %) 4,9 pers.
FLORE
LEONOR
1 l. (37 %) 1 répl. 0,7 l.
2 l. (64 %) 1 répl. 1,2 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 7,0 pers.
DOROTHEE
PAMPHILE
123 l. (81 %) 14 répl. 8,7 l.
30 l. (20 %) 13 répl. 2,3 l.
4 sc. 152 l. (11 %) 3,2 pers.
DOROTHEE
PAULINE
67 l. (79 %) 7 répl. 9,4 l.
19 l. (22 %) 5 répl. 3,7 l.
2 sc. 84 l. (6 %) 3,4 pers.
DOROTHEE
LEONOR
30 l. (35 %) 15 répl. 1,9 l.
55 l. (66 %) 16 répl. 3,4 l.
4 sc. 84 l. (6 %) 4,4 pers.
DOROTHEE
PHILIPIN
4 l. (29 %) 2 répl. 1,5 l.
8 l. (72 %) 8 répl. 1,0 l.
5 sc. 11 l. (1 %) 5,0 pers.
PAMPHILE
PHILIPIN
4 l. (58 %) 2 répl. 1,7 l.
3 l. (43 %) 2 répl. 1,2 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 3,0 pers.

Antoine d'Ourville

1647

La Coifeuse à la mode. Comédie

Édition de Pauline du Chayla
sous la direction de Georges Forestier
2015
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2015, license cc.
Source : La Coifeuse à la mode, comédie, à Paris, chez Toussainct Quinet, au Palais, sous la montée de la Cour des Aydes, M. DC. XLVII., avec privilège du roi.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

LA
COIFEUSE
A
LA MODE
COMEDIE §

Extraict du Privilège. §

Par grace et Privilège du Roy donné a Fontainebleau le dix-septiesme jour de Septembre mil six cents quarante-six, signé, Par le Roy en son conseil, Le Brun. Il est permis a TOUSSAINCT QUINET Marchand libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, vendre et distribuer une piece de Theatre intitulée, La Coiffeuse à la mode, Comédie, durant le temps de cinq années, à commencer du jour qu’elle sera achevée d’imprimer. Et défenses sont faîtes à tous Libraires et Imprimeurs de contrefaire ladite piece, ny en vendre ou exposer en vente, à peine de trois mil livres d’amende, de tous despens, domages et interests : ainsi qu’il est plus amplement porté par lesdites Lettres, qui sont en vertu du present extraict tenuës pour bien et deuëment signifiées, à ce qu’aucun n’en pretende cause d’ignorance.

Achevé d’imprimer le 6, Novembre 1646.

Les exemplaires ont esté fournis.

Ledit QUINET a fait part du present Privilege à ANTOINE DE SOMMAVILLE, Marchand Libraire, pour en jouyr pendant le temps et conditions portées par iceluy : ainsi qu’il a esté accordé entre eux.

ACTEURS §

  • ACASTE, Gentil homme Lyonnois, Amoureux de Dorothee, Amy d’Arimant.
  • ARIMANT, Gentil homme Parisien, amy d’Acaste, et Amoureux de Flore.
  • FLORE, Damoiselle Parisienne, Maistresse d’Arimant.
  • BEATRIX, Servante de Flore.
  • DOROTHEE, Damoiselle Lyonnoise, Amoureuse d’Acaste.
  • PAMPHILE, Vieillard, serviteur de Dorothee.
  • PAULINE, Servante de Dorothee, Amoureuse de Philipin.
  • LEONOR, Perruquier.
  • PHILIPIN, Serviteur d’Acaste, Amoureux de Pauline.
La Scene est à Paris.

ACTE I. §

Scène première §

ACASTE, ARIMANT.

ACASTE.

[A, 1]
Certainement amy je commence à connestre
Que je suis moins aymé que je ne pensois l’estre,
Puisque j’ignore encor ce qui vous trouble ainsi.

ARIMANT.

Mais suis-je si troublé pour vous mettre en soucy, {p. 2}
5 Je voy bien en effect quelque metamorphose
De ma premiere humeur dont j’ignore la cause:
Mais si vous n’estes pas plus resjoüy que moi,
Me pouvez-vous blasmer?

ACASTE.

Vous scavez bien pourquoi;
Vous cognoissez assez l’excez de mes miseres,
10 Je ne vous ay point teu l’estat de mes affaires,
Vous en pouvez vous plaindre? et devez vous juger
Qu’au trouble* où je me voy j’ai tort de m’affliger?

ARIMANT.

Si j’estois comme vous qui n’avez rien à craindre,
J’aurois certainement quelque tort de me plaindre.

ACASTE.

15 Je l’advouë, il est vray, qu’estant logé chez vous.
Aupres d’un tel Amy mon sort ne m’est que doux,
Je n’aurois pas raison de regretter l’absence
De mes plus chers parents: mais Dieux quelle aparence!
De n’estre pas chagrin, lors que je ne voy pas
20 L’objet* de qui mon ame adore les appas?
Cette rare beaute de qui je suis esclave?
Vous ai-je pas comté que pour la mort d’Octave
J’ai quitté ma maitresse, et mon pays aussi.

ARIMANT.

Hé bien, qui vous oblige estant fort esclaircy,
25 Comme vous m’avez dit, de cette jalousie
Qui vous avoit à tort troublé la fantasie*
De vous plaindre du sort? vous scavez, de certain
Que vous vous estes plaint de Dorotée en vain,
D’aymer vostre rival, et vous scavez encore
30 Qu’autant que vous l’aymez cet objet* vous adore,
Estant vray, cher Amy, vous estes trop heureux.

ACASTE.

Je suis autant aymé que je suis amoureux,
Cher amy je l’advouë, il est tres-veritable
Et qu’elle n’est en rien de cette mort coupable,
35 Que ce fut un caprice, et qu’en effect j’eus tort
En cette occasion de m’emporter si fort :
Car puis qu’Octave avoit des yeux et des oreilles?
Devois-je le blasmer d’aymer tant de merveilles?
Mais la jalouse humeur d’un veritable Amant
40 Ne se laisse pas vaincre à ce raisonnement,
On est aveugle et sourd parmy de tels misteres.

ARIMANT.

On vous escrit souvent. {p. 4}

ACASTE.

Par tous les ordinaires,
Et j’espere tantost d’en recevoir.

ARIMANT.

O Dieux!
Comment! vous plaignez vous de la rigueur des Cieux?
45 Ils vous obligent* trop, que ne m’est-il posible
D’estre heureux comme vous? Mais j’aime une insensible,
Une vaine, une ingrate, une glace, un rocher
Que mes pleurs ny mes soins n’ont jamais pû toucher.

ACASTE.

Comment la nommez-vous?

ARIMANT.

Elle s’appelle Flore,
50 Plus elle me rebute, et plus mon Coeur l’adore,
Vous scaurez cette histoire, et ma ferme amitié*
Qu’on paye avec mespris vous va faire pitié.

ACASTE.

Vous m’obligerez* fort.

ARIMANT.

Apprenez donc que j’ayme {p. 5}
Depuis un an entier Flore plus que moy-mesme.
55 Elle parut d’abord avec tant de beauté
Que vous excuseriez la dure extremité
Où je suis à present reduit pour la cruelle,
Si vous pouviez avoir jetté les yeux sur elle.
Ce fut dans un Jardin que je peûs obtenir
60 Le bon-heur de la voir et de l´entretenir,
Et si l’on ne s’abuse en l’amour de soy-mesme,
Mon abord pleust sans doute à la beauté que j’ayme.
Voulant s’en retourner chez elle, je m’offris
De la conduire enfin jusques à son logis,
65 Ce qu’elle m’accorda, mais de fort bonne grace,
Dans tout notre discours je n’eus jamais l’audace
D’oser luy descouvrir l’excez de mon amour,
Ce que six mois apres je fis un certain jour,
Que j’eus l’heur* de la voir en une promenade,
70 Où je fus enhardy par une douce oeillade,
Quand je parlay d’amour à cét objet* charmant,
Je vy qu’elle m’escoutoit fort attentivement.
Mais sa response apres trompa mon esperance,
Me prononçant soudain cette rude sentence,
75 Cause de la tristesse où maintenant je vis.
Arimant, me dit-elle avec un faux sousris,
Adoucissant par là l’aigreur de sa response, {p. 6}
Escoutez cét arrest qu’icy je vous prononce;
Vous m’aymez dites vous, et certes en ce point,
80 Vous m’obligez* beaucoup, mais moy je n’ayme point.
Voyant presque aujourd’hui tout mon sexe se plaindre
Des hommes de ce temps, j’ay grand sujet de craindre.
Ouy j’apprends en tous lieux que tout homme est leger,
Et que le plus constant est sujet à changer.
85 Il faut donc bien choisir quand on choisit un maistre,
Aucun ne m’a trompée et je crain trop de l’estre;
Mais pour ne monstrer pas que je veux rebuter
Tout à fait cét amour qu’il vous plaist me porter,
Et que je ne suis pas jusqu’à ce point ingrate,
90 Loing de vouloir icy que ma colere esclate
Je promets de souffrir vos visites chez moy
Quand vous voudrez me voir, mais avec cette loy
Tant je crains que l’amour ne se coule en mon ame,
Que vous ne parlerez ny de fers ny de flame*,
95 Car on m’asseure au vray qu’outre qu’un serviteur
Est tousjours inconstant, il est aussi menteur.
Peut-estre qu’en ce point à faux je vous accuse,
Mais cent que je connoy me serviront d’excuse,
Enfin vous me perdrez dès le mesme moment
100 Que vous me parlerez d’amour ou de tourment*;
Moy pour gagner du temps, ne pouvant autre chose
J’accepte librement la loy qu’elle m’impose,
Et depuis ce temps là, six mois se sont passez, {p. 7}
Que mes plus chauds desirs ont paru tout glacez,
105 Car puisque le discours jusqu’à ce point l’offence,
Il me faut devant elle observer le silence,
Devorer mes soupirs, brusler à petit feu,
En fin souffrir beaucoup, et le tesmoigner peu,
Si j’accuse à part moy sa rigueur sans pareille,
110 Ma plainte n’ose aller jusques à son oreille,
Je suis en sa presence interdit, et confus,
Tant qu’il semble quasi que je ne l’ayme plus,
Je parois pour tascher de plaire à l’inhumaine
Ingrat à mon amour, et muet à ma peine*,
115 Je desments de tout point mon inclination,
Combatant laschement ma propre passion.
Lors que je veux parler, je suis comme une souche,
Les mots demy fomez se meurent en ma bouche;
J’en lasche quelques fois d’assez intelligents
120 Qu’elle entend murmurer souvent entre mes dents,
Mais de me declarer d’autre facon je n’ose
Et fay tousjours semblant de parler d’autre chose.
Si mon mal paroist tant qu’elle en puisse douter,
Je le desguise alors de peur de l’irriter,
125 Mais mes yeux clairement luy descouvrent ma flame*,
S’ils sont comme l’on dit les vrais miroirs de l’ame,
Et puis que je l’estime une divinité,
Elle lit dans mon coeur, connoit ma volonté,
Sçait que tous mes desirs ne tendent qu’à luy plaire, {p. 8}
130 Et que je puis pour elle et brûler, et me taire.
Je croy qu’elle n’est née avec tant de rigueurs
Que pour estre la gesne et le tourment* des coeurs.
Quelle Enigme est-ce icy? grands Dieux cette inhumaine
Me met dedans le Ciel, et si je suis en peine*.
135 Car je voy quand je veux son visage charmant,
Sans sortir pour cela de peine* et de tourment*,

ACASTE.

Cette fille sans doute est d’une humeure estrange.

ARIMANT.

Je suis mort autant vaut si cette humeur ne change
Mais voicy son logis, vous me permettrez bien
140 De jouyr un moment de son doux entretien,
Voyez avec quel charme elle sort de chez elle.

ACASTE.

Amy je vous pardonne, il est vray elle est belle.

ARIMANT.

Je vay voir si le Ciel vaincra mes desplaisirs.

ACASTE.

Qu’il vueille de tout point seconder vos desirs.

Scène 2 §

FLORE Superbement vestuë.
BEATRIX. ARIMANT.

BEATRIX.

145 Il faut peu de suject pour vous mettre en colere. {p. 9}

FLORE.

Qu’on ne m’en parle point, je ne le veux pas faire.
Que sert de contester plus long-temps sur ce point?
Jacinte absoluëment ne me servira point.
Je ne veux point chez moy de servante amoureuse.

BEATRIX.

150 Vous estes sans mentir un peu trop scrupuleuse,150
Autre-fois elle ayma, mais elle n’ayme plus
Depuis qu’elle vous sert.

FLORE.

Non, non, c’est un abus,
Si Jacinte a conceu quelque amoureuse flâme*,
Ne croy pas que le temps en guerisse son ame,
155 Enfin qui se resout de vivre avecque moy
Sans s’enquerir de rien doit subir cette loy, [B, 10]
Et doit en m’imitant dans le siecle où nous sommes,
Comme ennemis mortels regarder tous les hommes.

BEATRIX.

Ouy ceux-là doivent estre en ennemis traittez
160 Qui l’ont peu meriter par leurs legeretez:
Mais tout homme n’est pas de ce crime coupable.

FLORE.

Moy je les traitte tous d’une façon semblable,
Et si [tout] ce maudit sexe estoit en mon pouvoir
Je les chastierois tous, le meschant pour avoir
165 Des-ja commis le mal, et je serois severe 165
Envers le bon aussi, par ce qu’il le peut faire.
Est-ce vous Arimant?

ARIMANT Bas.

Ouy Madame. (Hà j’entens
Un rigoureux arrest qui trouble tous mes sens)
Comment va vostre amour? Je veux dire, Madame,
170 Vostre hayne, envers ceux qui vivent dans la flame*,
Lors qu’ils sont esclairez du feu de vos beaux yeux?

FLORE.

Pour moy je suis toujours d’esgale humeur pour eux.
Ainsi que mon desgoust, ma rigueur est extresme. {p. 11}

ARIMANT. bas

Et pour vous mon amour en tout temps est le mesme.
175 Encor pour quel sujet?

FLORE.

Est-il homme icy bas
Qui nous puisse parler, et ne nous mentir pas?

ARIMANT.

Vous concevez, Madame, à tort cette croyance.

FLORE.

Si pas un en parlant ne nous dit ce qu’il pense,
Cette preuve suffit: ces lettres en font foy,
180 Regardez ces poulets* qui s’adressent à moy,
Que je viens de trouver par hazard sur ma table,
Qui me parlent d’amour. Hà c’est chose admirable,
Je les ay voulu voir par curiosité,
Et n’ay pas leu dedans un mot de verité.

ARIMANT.

185 Un mot de verité?

FLORE.

Voulez-vous pas me croire? {p. 12}
Les voila, lisez lez.

ARIMANT bas. Il lit.

Je veux avoir la gloire
De la vaincre par là. Voyons quels sont icy
Ces mensonges si grands: le premier dit ainsi.
Il lit.
Depuis le premier jour que j’eu cét advantage,
190 D’admirer les attraits d’un si parfait visage,
J’ay senty les effets d’un violent trespas.

FLORE.

Arrestez Arimant, toubeau, n’achevez pas.
Cét Amant a menti, car auroit-il envie
D’adorer mes beautez s’il n’estoit plus en vie?
195 Fut-il jamais au monde un plus sot entretien?
Pourroit-il estant mort sentir ny mal ny bien.

ARIMANT.

On appelle une mort les peynes* qu’on endure
Pour un object charmant.

FLORE.

Une mort en peinture,
S’il dit plus qu’il ne souffre, est-il pas vray qu’il ment? {p. 13}
200 Il suffit, passez donc au second, Arimant.

ARIMANT. Il lit.

Je me senty brusler aussi-tost qu’à ma veuë
Vous parustes hier de tant d’attraits pourveuë.

FLORE.

Voyez l’impertinent! Dieux qu’il est sot et vain,
Il ne luy reste rien à faire pour demain,
205 Si dès le premier jour son coeur est tout de flâme*.

ARIMANT.

Pourquoi l’en blasmez vous? Sçavez vous pas Madame
Que les astres reglants nos inclinations
Agissent tout à coup sur nos elections,
Nous portants à l’amour aussi bien qu’à la hayne?

FLORE.

210 Ils nous inclinent bien, c’est chose tres-certaine
Mais ils ne forcent point nostre choix en amour
Pour nous piquer* si fort, et dès le premier jour.
La taille, la beauté, le teint, la bonne mine
Nous peut plaire à l’abord, tout cela nous incline,
215 Mais vous confesserez aussi que pour avoir
Un amour tres-parfait, il faut bien plus que voir.
La conversation, l’esprit, la gentillesse,
Nous font avec le temps aymer une maitresse,
Plus que la beauté mesme, et puis que cet Amant
220 Ne m’a que fort peu veuë, il est certain qu’il ment.
Puis que son amour est si fort precipitée,
Et brusle mesme avant que de de m’avoir hantée*.

ARIMANT bas.

Quelle humeur! et qu’en puis-je esperer justes Dieux!

FLORE.

Lisez l’autre, Arimant.

ARIMANT. Lit.

Le soleil de vos yeux.

FLORE.

225 Que veut dire ce fat?

ARIMANT.

Hé quoy divine Flore !
Estimez-vous qu’il ment et qu’il s’esgare encore?
Sont-ce pas des Soleils qui brillent dans vos yeux?

FLORE.

Il ment, car le soleil est là haut dans les Cieux. {p. 15}
Encor si le soleil n’est couvert d’une nuë,
230 Le peut-on regarder sans s’ebloüir la veuë?
Comment donc cét Amant pourroit-il concevoir
Tant de feux dans son coeur comme il dit sans me voir?
Ce discours seulement me choque quand j’y pense,
A-t’on jamais parlé de telle extravagance?
235 Mais de plus dites-moy quelle proportion
D’une femme au soleil?

ARIMANT.

C’est que sa passion
Vous donne par ce mot la plus grande loüange
Qu’on vous puisse donner, quand vous seriez un Ange,
Et si cela vous choque, ah! c’est un grand hazard
240 Si toute chose n’est mensonge à votre esgard.

FLORE.

Pourquoy donc voulez-vous que je croye une chose
Que je tiens pour mensonge?

ARIMANT. bas.

Il faut que je suppose
Quelque lettre qui m’ayde et qui sans declarer
Luy puisse adroittement mon amour declarer. {p. 16}

FLORE.

245 Lisez l’autre, Arimant.

ARIMANT. bas, il fait semblant de lire.

Sus donc prenons courage,
Depuis un an entier Flore j’ay l’advantage
D’adorer en vos yeux une divinité
Avecque tant d’amour et de fidelité,
Avec tant de secret et tant de retenuë,
250 Que je n’ose aborder ce bel oeil qui me tuë,
Ny vous dire, de peur de vous mettre en courroux,
Les tourments* excessifs que j’endure pour vous.
J’estouffe dans mon coeur vos rigueurs et mes peynes*,
Je chery mon servage, et j’adore mes chaines.
255 Je ne me suis pas plaint des rigueurs de mon sort,
Je ne vous ay jamais tesmoigné d’estre mort,
Encor que vous soyez de mille attraits pourveuë,
Je ne vous ayme point dès la premiere veuë.
Et bien que mon amour soit rare, et sans pareil,
260 Je ne vous ay jamais comparée au soleil,
Puis donc que je parois en tout si veritable,
Jugez si quelque amour est au mien comparable?

FLORE.

Si j’ay bonne memoire il ne me souvient pas
D’avoir leu cét escrit: le nom est-il au bas? {p. 17}

ARIMANT.

265 Ouy Madame.

FLORE.

Comment?

ARIMANT.

Arimant.

FLORE.

Temeraire!
Ne vous avois-je pas commandé de vous taire?
Comment osez-vous donc parler si librement?

ARIMANT.

Si je meurs sans oser declarer mon tourment*,
S’il ne m’est pas permis de soûpirer, Madame,
270 Celà doit-il causer des troubles* en vostre ame?
Celà doit-il si fort alterer vostre esprit?
Suis-je si criminel d’avoir leu cét escrit,
Quand vous avez ouy ceux que je viens de lire
De trois de mes rivaux?

FLORE.

Est-il permis de dire
275 Tout ce que l’on escrit Arimant? aprenez
Que la parole offence, et que vous profanez {p. C, 18}
Le respect qui m’est deu par cette hardiesse,
Un Amant peut bien mieux escrire à sa maitresse
Qu’il ne luy peut parler, le crime en est plus doux,
280 Les autres ne sont pas si coupables que vous.
Ils sont absents, et vous, vous avez l’asseurance
De discourir d’amour estans en ma presence?
De plus je ne l’ay pas aux autres deffendu,
Mais voulant tout gagner vous avez tout perdu.
285 Les fautes de ces trois ont attiré les vostres,
Et vous mentez sans doute aussi bien que les autres.

ARIMANT.

Moy, Madame, je ments?

FLORE.

Ouy certes vous mentez,
Si vous ne tenez pas ce que vous prometez,
Cognoissant mon humeur deviez vous temeraire
290 Avoir dit à mes yeux ce qui me peut desplaire?
Vous manquez au respect, vous manquez à la loy
Que je vous ay prescrite, et pechez contre moy:
Mais pour vous faire avoir une humeur plus craintive
Afin qu’une autrefois telle chose n’arrive,
295 Et pour vous empescher un si libre entretien,
Je vous declare icy, quoi que je sçache bien
Que vous ne m’avez point dès l’abord adorée, {p. 19}
Que vous ne m’avez point au soleil comparée,
Que vous avez pourtant excité mon couroux,
300 Et pour vous le marquer je me bannis de vous.
Elle s’en va.

ARIMANT.

Hà! Madame arrestez, escoutez moy de grace,
Et souffrez pour le moins que je vous satisface.
Beatrix, je consents d’en estre chastié.

BEATRIX.

O le pauvre jeune homme, ah! qu’il me fait pitié!

Scène 3 §

ARIMANT, ACASTE

ARIMANT.

305 Voy cruelle! Est-ce là toute la recompense
Que je devois attendre, ô Dieux quelle arrogance!
Acaste, cher amy, vous venez à propos
Acaste paroist
Pour dissiper l’ennuy* qui trouble mon repos.

ACASTE.

D’où vous vient depuis peu cette extresme tristesse?

ARIMANT.

310 Je suis mort autant vaut; cette ingrate maitresse {p. 20}
Me vient d’assassiner. Helas tout est perdu!

ACASTE.

Que vous a-t-elle fait?

ARIMANT.

Elle m’a deffendu
De la voir de ma vie. Ah rigoureux martire!

ACASTE.

Encor, pour quel suject?

ARIMANT.

Je ne vous le puis dire,
315 Triste et desesperé dans ce trouble* d’ennuis*
Je ne sçaurois parler en l’estat où je suis

ACASTE.

Mais encor, cher amy, que pretendez-vous faire?

ARIMANT.

Mourir, s’il faut mourir, ou souffrir, et me taire,
Ne laissez pas d’aymer cette fière beauté,
320 Toute ingrate qu’elle est à ma fidélité, {p. 21}
Jusqu’à ce qu’à loisir elle se desabuse
Et qu’elle advouë en fin qu’à tort elle m’accuse.
Qu’un bon Demon l’inspire, et luy face sentir,
De ses severitez un juste repentir.
325 Qu’elle se mire un jour l’arrogante, et cognoisse
Qu’elle est femme en effect, et non une Deesse
Comme elle s’imagine, et sçache qu’Arimant
Est de tous ses captifs, le plus fidèlle Amant.
Qu’il ne merite point un traittement si rude,
330 Ny qu’on le paye à tort de tant d’ingratitude,
Ou pour vanger l’affront fait à ma passion,
S’il faut faire contr’elle une imprecation,
Je conjure l’amour quelque jour qu’il la face
Brusler pour un qui soit pour elle tout de glace.
335 Adieu fidelle Acaste, il nous faut separer,
Pour me donner moyen de pouvoir respirer.

ACASTE.

Je vous suy.

ARIMANT.

Laissez moy.

ACASTE.

Refusez vous mon aide?

ARIMANT.

Mon mal est incapable à present de remede, {p. 22}
Je n’en espere point, si ce n’est en la mort.

Scène 4 §

ACASTE, PHILIPIN

ACASTE.

340 Il le faut laisser seul, je deplore son sort,
Mais je voy Philipin, d’où vien-tu qui t’ameine?

PHILIPIN.

Je viens expres icy pour vous tirer de peyne*,
Je viens presentement*, Monsieur, de recevoir,
Ce pacquet de Lion, mais je vous fay sçavoir,
345 Qu’il est venu tantost par l’extraordinaire,
Un autre arrivera dans ce soir, et j’espere
Que vous aurez encor des nouvelles par luy.

ACASTE.

Pourrois-je recevoir tant de grace aujourd’huy?
Hà! qui doute à present, ma chere Dorotée,
350 Que tu ne sois des tiens assez persecutée,
Qu’on veut forcer ton coeur, et pour l’amour de moy,
Mais croy moy que je suis plus à plaindre que toy.

PHILIPIN.

Puis-je me contenir et m’empescher de rire? {p. 23}
De ce plaisant discours?

ACASTE.

Maraut*, que veux-tu dire?

PHILIPIN.

355 Moins à plaindre que vous! que dites-vous Monsieur?
Vous estes maintenant dans Paris en lieu seur
Dans les plaisirs parfaits, mesme dans l’abondance,
Où vostre Dorotée est dedans l’abstinence,
Enfermée à Lion et dedans un Convent,
360 On fait grand chere icy, là l’on jeusne souvent,
Elle craint tout, icy vous n’avez rien à craindre,
Dites qui de vous deux, Monsieur, est plus à plaindre?

ACASTE.

Mais quel contentement en ce lieu puis-je avoir?
Ay-je d’autre plaisir icy qu’à recevoir
365 Des lettres de sa part?

PHILIPIN.

En peut-elle avoir d’autres
Aux lieux où l’on la tient qu’y recevoir des vostres?
Vous allez pour le moins par tout où vous voulez {p. 24}
Où l’humeur vous en dit, vous hantez* et parlez,
Elle n’est pas de mesme, et vous logez encore,
370 Chez un parfait amy, qui certes vous adore,
Et qui ne pense à rien, qu’à vous bien resjouyr.

ACASTE.

Tu ne sçais que tu dis, je ne puis plus t’oüir,
Comment me pourroit-il resjouyr, si luy mesme
Est reduit à present dans un chagrin extresme?
375 Qui luy fera je croy bouleverser l’esprit.
Allons le consoler, et lire cét escrit
Qui me vient de la part de celle que j’adore
Pleust au Ciel qu’Arimant en eust autant de Flore.

Fin du premier Acte.

ACTE II §

Scène première §

ACASTE ARIMANT PHILIPIN

ACASTE.

Et bien, qu’en dites-vous? lors que pour un Amy {p. 25}
380 Je me veux employer, m’y portè-je à demy?

ARIMANT.

Vous m’avez, cher amy, remis dedans la gloire,
Vous avez beaucoup fait, et j’eusse eu peine à croire
Qu’aucun mortel eust eu le pouvoir de toucher
Par aucun compliment cette ame de rocher,
385 Je vous suis sans mentir obligé de la vie.

ACASTE.

Je suis ravy* d’avoir contenté vostre envie, {p. 26}
Mais que vous semble encor de mon invention,
Ne l’ay-je pas conduite à sa perfection?
Croyez que je la trouve extremement civile.

ARIMANT.

390 Elle n’est pas à tous si douce et si facile,
Envers vous elle l’est, il le faut advoüer,
Mais pour moy je n’ai pas sujet de m’en loüer,
Vous estes trop heureux, cher Acaste, je meure.

ACASTE.

Elle a voulu sçavoir mon nom, et ma demeure,
395 Et sur le champ elle a moderé son courroux,
Ayant appris de moy que je logeois chez vous.
Elle n’a fait paraistre aversion aucune
De ce que vous m’ayez conté vostre infortune,
Elle s’est plainte à moy qu’avecque liberté,
400 Vous aviez abusé tantost de sa bonté.
Je voy, quoy qu’elle feigne estre fort courroucée,
Que cette liberté ne l’a point offencée.
En faut-il davantage? avez-vous pas bien veu
Tantost de quel visage elle vous a receu?

ARIMANT.

405 Mais je ne tenois rien sans vous je vous proteste {p. 27}

ACASTE.

Laissons ces compliments, vous estes trop modeste,
Ce n’estoit qu’un pretexte, et tenez pour certain,
Si vous avez eu peur que c’estoit bien en vain.

ARIMANT.

S’il vous plaist de tout point que je me satisface,
410 Si vous aimez ma vie obligez*-moy de grace
Que nous passions chez elle encor une heure ou deux.

ACASTE.

Si vous le desirez, cher amy, je le veux.

PHILIPIN, à Acaste.

Vous la retournez voir? bien soyez en cervelle*,
Je crains que vous n’ayez un peu d’amour pour elle.

ACASTE.

415 Je vais accompagner mon Amy seulement,
Serois-je son rival?

PHILIPPIN.

Je croy asseurément {p. 28}
Que Dorotée, au moins j’y voy grande apparence,
Se sentira bien-tost de cette connoissance.

Scène 2 §

PAMPHILE. DOROTEE. PAULINE.

PAMPHILE.

Madame excusez moy, je ne puis nullement
420 Comprendre le suject de ce déguisement,
Certes je concoy moins, plus j’y resve, et j’y pense,
Qui vous peut obliger à si grande licence.
Est-ce pour ce subject que vous avez ainsi
Quitté votre pays et vos parens aussi?
425 Que diront-ils, Madame, en sçachant cette histoire?
Je la voy de mes yeux, et j’ay peine* à la croire.

DOROTEE, vestuë en chaperon*.

A quoy bon ce discours? mon amy que veux-tu?
Que cette action soit ou folie ou vertu,
Le sort en est jetté, je ne m’en puis desdire.

PAMPHILE.

430 C’est de moy seulement que chacun se doit rire,
D’avoir esté si fol* en l’aage où je me voy, {p. 29}
De vous accompagner sans m’informer pourquoy,
Une fille d’honneur, et d’illustre naissance
Se desguiser ainsi? Dieux! quelle extravagance,
435 Que dira-t-on de vous?

DOROTEE.

Tout ce que l’on voudra.
Laissons causer le monde, apres il se taira,
Mais ne t’estonne* point de cecy je te prie,
Croy que cette action m’importe de la vie.
Tu n’as point de raison de te plaindre de moy,
440 Je t’ay pris comme sage, et je me fie à toy.

PAMPHILE.

Tout mon mal-heur provient de cette confiance.

DOROTEE.

Tu juges de l’effet par la seule apparence,
Mais lors que tu sçauras le tout de poinct en point,
Tu ne me blasmeras, ny ne te plaindras point.
445 Cognoissant le mal-heur où je me voy reduite
Mon peu de prevoyance, et mon peu de conduite.
Et pour ce que tu dis que mes parens un jour
Me pourront reprocher l’effet de mon Amour.
Pamphile tu sçauras qu’il n’est en la puissance {p. 30}
450 D’aucun de mes parens d’avoir la cognoissance
Du pays où je suis, ny mesme de sçavoir
Si j’ay jamais rien fait qui choque mon devoir.
Parle que dirois-tu si cet Amant que j’ayme,
Si mes proches parents, et si mon oncle mesme
455 Par une tres-subtile et rare invention,
Croyoient tous que je fusse encore dans Lyon?
Croy que par ce moyen l’ame la plus rusee
Indubitablement y seroit abusee.

PAMPHILE.

Cela ne se peut pas, Madame asseurément.

DOROTEE.

460 Va je te le veux dire, escoute seulement,
Et tu verras comment une fille amoureuse
Est dans ses interests assez industrieuse.
Apren que mon Amant est un homme accomply,
Qu’il est autant d’honneur que de grace remply,
465 Et quoy que je confesse estre d’amour esprise,
Ne croy pas que jamais il fasse une sottise.
Il suit asseurement ce que je suy tousjours,
L’honneur jusqu’à la mort reglera mes amours.

PAMHILE.

Madame, au nom des Dieux faites que je le sçache {p. 31}

DOROTEE.

470 Ne t’imagine pas que de toy je me cache,
Escoute, et tu sçauras le tout de point en point,
Tu sçais bien que j’aymois, mais qui ne le sçait point?
Car cette affection estoit si bien cogneuë
Que tous à haute voix en parloient dans la ruë,
475 Que je commence bien à conter mes malheurs,
Si l’amour est la fin de toutes les douleurs,
Et qu’en lui tous les maux comme au centre s’unissent,
J’ay droict de commencer par où d’autres finissent.
Tu sçais qu’Acaste estoit l’objet de mon Amour,
480 Et qu’Octave pour lors qui me faisoit la cour,
Par cette liberté troubla sa fantasie*.

PAMPHILE.

Ouy je le sçay, Madame, et que la jalousie
L’obligea de le voir les armes à la main,
Il tua son rival en duel, et soudain
485 Il sortit de Lyon et vint en cette ville,
Croyant y rencontrer un favorable asile;
Vous l’y venez chercher mais encor dites moy
Quel est vostre dessein? et dites-moy pourquoy
Vous déguisant ainsi vous pensez le surprendre? {p. 32}
490 C’est chose en verité que je ne puis comprendre.

DOROTEE.

Donne-toy patience, et m’escoute à loisir,
Et je contenteray sur ce point ton desir,
Estant de ce mal-heur extrémement touchée,
Craignant que cette mort ne me fust reprochée,
495 Car chacun cognoissant mon inclination,
Jugeoit bien que c’estoit à mon occasion:
Je sortis du logis redoutant l’infamie,
Et me refugié chez une mienne amie:
Là je fus quelques jours sans qu’on s’en apperceust,
500 Car j’apprehendois fort que mon oncle le sceust,
Qui picqué de colere en ses impatiences,
Faisoit pour me trouver toutes ses diligences*,
Moy ne sçachant que faire en cette extremité,
Et me voyant reduite à la necessïté:
505 Le meilleur eust esté, quand je le considere,
De me refugier dans quelque Monastere:
Mais sçachant que Paris est un lieu si charmant,
Et remply de beautez, j’eus peur que mon Amant,
Quoy qu’il se picque* d’estre et constant et fidelle,
510 Ne s’esprit en ce lieu de quelque Amour nouvelle
Se voyant loing de moy ; cette apprehension
A changé tout à coup ma resolution,
Pour venir apres luy, j’entreprends ce voyage, {p. 33}
Mais afin qu’il n’ait pas sur moy cet advantage
515 De se vanter partout, d’avoir eu le pouvoir
De me faire courir apres luy pour le voir;
Outre qu’il se pourroit refroidir en luy mesme,
Sçachant jusqu’à tel point une Maitresse l’ayme.
Je n’ay point eu dessein en aucune façon
520 Que de mon arrivée il peust prendre soupçon,
Je veux faire un effort afin de le surprendre,
Voilà ce qu’en effect tu ne pouvois comprendre.
Il m’escrit fort souvent, je reçoy chaque jour
Des lettres de sa part qui marquent son amour,
525 Et Lise sous mon nom dans un Convent receué
Et qui se tient au lit pour ne pas estre veuë,
Trompant par son adresse Acaste et mes parens
Fait croire absolument que je suis là dedans.
J’ay voulu pour guerir la crainte qui me tuë
530 Voir Acaste à Paris, mais sans en estre veuë,
Et sans qu’en mon pays en aucune façon
De ce voyage icy l’on puisse avoir soupçon,
Qui semblent en effect choses incompatibles,
Et pour dire le vray qui sont presque impossibles.
535 Pour y parvenir donc, Pauline a dans Lion
Une cadette à qui j’ay fait prendre mon nom,
Sous ce nom supposé j’ay fait qu’on l’a receuë
Dedans un Monastere, apres l’avoir vestuë. [E,34]
D’un de mes beaux habits chacun croit en effect
540 Que c’est moy dont Acaste est bien fort satisfait.
A qui j’ay fait sçavoir par un escrit sur l’heure
Que ce Couvent estoit le lieu de ma demeure,
Où je m’estois expres retirée à dessein
De me mettre à couvert des faux bruits, et soudain
545 J’en advertis mon oncle en toute diligence*,
Luy mandant que j’estois en un lieu d’asseurance
Pour le mettre en repos, mesme pour l’empescher,
De faire aucun effort pour me faire chercher,
Et de peur que quelqu’un dedans ce Monastere,
550 Me demandant ne vint descouvrir ce mistere.
Cette soeur de Pauline, ainsi tenant ma place,
M’advertit en ce lieu de tout ce qui se passe.
J’y respons par la Poste, et le Facteur soudain
Suborné par argent met les lettres en main
555 De celuy que je veux ; usant de cette adresse,
Acaste ne peut pas sçavoir que sa Maitresse
Soit ailleurs qu’à Lion, que s’il est arresté
Esclave sous les loix de quelque autre beauté,
Je puis en peu de jours descouvrir la Geoliere.
560 Parlant à Leonor, fameuse perruquiere,
Qui hante* en mille lieux, que je vis l’autre jour,
Et qui coiffe par tout les Dames de la Cour.
Elle m’a conseillé d’user de cette ruse,
Pour surprendre l’ingrat s’il est vray qu’il m’abuse,
565 Et qu’il en ayme une autre, et de me desguiser {p. 35}
Dessous ce feint habit qui pourra l’abuser.
Elle me doit mener en tous lieux avec elle,
Je diray que je Coiffe à la Mode nouvelle.
Ainsi je pourray bien descouvrir aisement,
570 Si quelque Dame icy recelle mon Amant.
Elle me nommera par tout son alliée,
Chez moy je passeray pour femme mariée
Sous le nom d’Angelique, et j’ay nom à present
La Coifeuse à la Mode, Isabelle autrement.
575 Considere Pamphile à present je te prie,
Par cet exemple icy que c’est que jalousie.

PAMPHILE.

Mais vous ne m’ostez pas mon apprehension,
Par la subtilité de vostre invention.
Pensez y meurement, vous vous flatez peut-estre.

DOROTEE.

580 En cet habit icy qui me pourroit connoistre?
Và ne redoute rien. Pauline va sçavoir
Si Leonor est là, si je la pourray voir?
Mais la voicy qui sort, arreste-toy Pauline.

Scène 3 §

DOROTEE, LEONOR, PAULINE, PAMPHILE.
{p. 36}

DOROTEE.

Et bien que vous en semble? ay-je pas bonne mine?
585 Suis-je bien desguisêe?

LEONOR.

Ouy tres-excellemment,
Vous ne pourriez jamais estre plus proprement,
Vous avez sans mentir encor meilleure grace
Qu’avec vostre autre habit.

DOROTEE.

Que faut-il que je face?

LEONOR.

Il vous faudra fournir de cordons et de noeuds,
590 De coiffes, de rubans, de tresses de cheveux,
Les ayant ajustez dedans une cassette
Vous les debiterez d’une facon adrette,
Je pourray vous conduire en cent endroits divers
Dans les bonnes maisons des Dames que je sers,
595 Il vous faudra choisir l’heure la plus commode, {p. 37}
Je vous feray passer pour Coifeuse à la Mode.
Je vanteray par tout vostre dexterité,
Vostre adresse à Coifer, et vostre propreté.
Pour vos nippes il faut que je vous fasse entendre,
600 Le prix au dernier mot que vous les devrez vendre,
Je vous diray les mots, et les termes de l’art,
Et si de quelque Dame il faut que par hazard
Vostre Amant soit espris, il est bien difficile
Que vous ne le trouviez s’il est en cette Ville.

DOROTEE.

605 S’il est en cette Ville? il n’en faut point douter,
Et ne manquera pas sans doute de hanter*
Où se rencontrera quelque beauté notable.

LEONOR.

J’en cognois une icy parfaitement aymable
Chez qui j’ay ce matin rencontré deux Amants
610 De fort bonne façon, tous couverts de galands*,
Et je croy que l’un d’eux, ou je me l’imagine,
N’est pas de ce pays: car il en a la mine.

DOROTEE.

Ce sera luy sans doute, allons y promptement
Leonor, je vous prie. Ah! le perfide Amant,
615 Sans doute il me trahit. {p. 38}

LEONOR.

N’entrez point en cervelle*
De cette Dame là, car je vous respons d’elle,
Si c’est pour cét objet* qu’il a quelque dessein,
Croyez-moi qu’il s’abuse, et qu’il travaille en vain,
Je ne cognu jamais fille plus orgueilleuse,
620 Plus vaine, plus revesche, et plus capricieuse;
Qui hait plus que la mort qu’on luy face la cour,
Que de prez ou de loing on luy parle d’amour.
Elle a jusqu’à tel point la cervelle blessée
Qu’elle s’offenceroit de la seule pensée,
625 A cause qu’elle croit (sotte credulité)
Qu’il n’est homme qui die un mot de verité.

DOROTEE.

Puis qu’elle les hait tous, ainsi comme vous dites,
Pourquoy les recevoir, et souffrir leurs visites?

LEONOR.

Par curiosité, Madame, seulement:
630 Mais si vous y trouvez par hazard vostre aman.
Je crois asseurement, quoy que bien desguisée,
Qu’il vous reconnoistroit.

DOROTEE.

Je suis assez rusée {p. 39}
Pour surprendre ses sens par mes subtilitez
Et pour venir à bout d’autres difficultez,
635 Je ne veux seulement que le mettre en cervelle*,
Et le rendre amoureux d’une beauté nouvelle
En despit qu’il en aye, et tascher aujourd’hui
D’avoir quelque advantage en ce point-là sur luy.
Il n’est rien impossible à mon amour extresme,
640 Une femme peut tout, si tost qu’elle dit j’ayme.

PAMPHILE.

Vostre esprit seul Madame est capable de tout
Il n’est rien icy bas dont il ne vienne à bout,
Mais il ne laisse pas, pardonnez moy Madame,
De me rester encor quelque scrupule en l’ame,
645 Que tout n’arrive pas comme vous l’esperez.

DOROTEE.

Pamphile en ce point-là tes sens sont esgarez
Va je ne manque point ny d’esprit ny d’adresse.

LEONOR.

Flore m’a commandé d’aporter une tresse
Nous l’irons voir tanstot, allons montons là-haut.
650 Nous trouverons chez moy les hardes* qu’il nous faut. {p. 40}

DOROTEE.

Va, retourne au logis, et me laisse Pauline,
Il n’est pas à propos comme je m’imagine
Que tu sois avec moy, si Philipin te voit
Il est tres-asseuré qu’il te recognoistroit,
655 Acaste me voyant sans suitte et desguisée,
Si bien comme je suis, ce sera chose aisée
De luy persuader qu’une autre dans ces lieux
Dessous ma ressemblance ait peu tromper ses yeux.
Persistant à luy dire, il croira qu’il s’abuse.

PAULINE.

660 Mais Madame je croy quelque subtile ruse,
Dont vous puissiez user qu’il n’est pas fort aisé,
De decevoir* Acaste, il est par trop rusé.

DOROTEE.

Laisse-m’en le souci ; pour toy tu peux, Pamphile,
M’accompagner par tout allant par cette Ville,
665 Tu ne cours point de risque il ne te cognoit pas.

PAMPHILE.

Mais pour qui passerais-je?

DOROTEE.

Escoute, tu diras, {p. 41}
A qui t’en enquerra, que tu seras mon pere,
Et pour encore mieux couvrir nostre mistere,
Qu’estant necessiteux, avec passion
670 Tu cherches pour ta fille une condition
Chez quelque honneste Dame, où dessous sa conduite
De mille cajoleurs esvitant la poursuite
Je vive avec honneur ; va, va, tu m’entens bien,
J’ay tort sur ce sujet de te prescrire rien.

PAMPHILE.

675 Mais pourquoy voulez-vous aussi que je m’engage?

DOROTEE.

Ah! c’est trop raisonner, fay bien ton personage,
Et je feray le mien. C’est bien à des valets.

LEONOR.

Madame il faudra donc envoyer au Palais
Pour avoir ce qu’il faut dans cette matinée.

DOROTEE.

680 Ouy, la commission en est desja donnée. [F]

Fin du second Acte.

ACTE III §

Scène première §

FLORE seule

Quel changement mon Coeur? et quelle frenaisie {p. 42}
Me vient presentement* troubler la fantasie*?
D’où vous vient ce caprice, et cette nouveauté?
Quoy vous aymez mon coeur? dites la verité
685 Pourquoy pour ce sujet vous voulez vous contraindre?
Parlez-moy franchement, et l’advoüez sans craindre.
Mais ne le faites pas, non gardez-vous en bien,
Ne me faites jamais un si sot entretien,
Ne me l’advoüez point: car si depuis que j’ayme
690 J’ay pris un nouvel estre, et ne suis plus la mesme
Que j’estois cy-devant ainsi que je cognoy,
Comme si je parlois à quelque autre qu’à moy
En discourant d’amour s’il faut que je m’escoute,
De honte que j’auray, je rougiray sans doute. {p. 43}
695 J’auray peur de moy-mesme advoüant que mon Coeur
S’asservit sous les loix de ce nouveau vainqueur.
Je vy dans la tempeste où j’estois dans le calme,
Dessus ce Coeur altier vous remportez la palme
Amour, et je confesse à present devant tous
700 Que tous plaisirs sont morts en ce monde sans vous:
En vivant sans amour on vit dans l’innocence,
Si c’est une vertu ce n’est qu’en apparence,
Mais ce n’est en effet que folie, et je croy
Qu’un qui peut s’exempter d’une si douce loy
705 Vit à l’abry des maux que le Ciel nous envoye,
Mais comme un qui n’est plus, il est mort pour la joye
Et pour tout passe-temps, comme pour le tourment*
Et renonce des-lors à tout contentement.
Mais Dieux jusqu’à quel point montré-je ma foiblesse?
710 J’ayme un amant qui meurt pour une autre maistresse,
J’ayme Acaste, et je sçay qu’Acaste a dans Lyon
Pour objet de sa flame* et de sa passion,
La belle Dorotée, et qu’en effet il l’ayme
D’un coeur ferme et constant et d’une ardeur extréme,
715 Et j’apprens par son zele* et sa sincerité
Qu’il se trouve icy bas de la fidelité
Qu’un homme en est capable et que ma repugnance
A l’amour provenait d’une fausse croyance
Que j’avois, qu’il n’estoit aucun homme icy bas
720 En nous parlant d’amour qui ne nous mentist pas. {p. 44}
Mais helas! je voy bien à present le contraire,
Je me relasche aussi de cette humeur sevère
Et confesse que j’ayme aujourd’hui ce qu’à tort
Je haïssois hier à l’esgal de la mort.
725 Je m’admire moy-mesme en ma metamorphose,
Car bien que j’eusse peu croire la mesme chose
Qu’Arimant qui m’adore, et depuis si long-temps,
L’amour la plus parfaite est entre les absens.
Acaste est dans Paris, il voit et considere
730 Mille rares beautez capables de luy plaire,
Et son coeur toutefois n’a point encore esté
Accusé d’inconstance et d’infidélité :
Mais dans mon nouveau mal il se trouve un obstacle
Que je ne puis lever si ce n’est par miracle,
735 Mais un obstacle grand; car dans ma passion
Il se rencontre trop de contradiction.
J’ayme Acaste, et s’il faut qu’Acaste se declare
En ma faveur il perd cette constance rare
Qui m’oblige à l’aymer, et par cette action
740 Il deviendra l’objet de mon adversion.
Mais d’un autre costé, quoy! pourroy-je luy dire
Qu’il est cause à present de mon nouveau martyre?
Non, je ne le dois pas estant ce que je suis,
Quel est donc, justes Dieux! l’amour que je poursuis?
745 Où tendent vos desseins? car il est infaillible,
Que j’ayme, et d’estre aymée il ne m’est pas possible {p. 45}
J’ayme sans esperance, il faut qu’un mesme jour
Ensemble voye et naistre, et mourir mon amour.
Chassons ce fol* desir qui ma raison emporte.

Scène 2 §

BEATRIX. FLORE.

FLORE.

750 Que veux-tu?

BEATRIX.

Vostre Amant est là bas à la porte,
Madame, entrera-t’il?

FLORE.

Que dis-tu? quel Amant?

BEATRIX.

Moy je n’en cognois qu’un, je parle d’Arimant.

FLORE. bas

Quelle peine* grands Dieux est pareille à la mienne?
Il ne peut à present, va dy luy qu’il revienne {p. 46}
755 Une autrefois icy, cet abord m’est fatal.
Dy luy que je ne puis, que je me trouve mal,
Il viendra seul icy me parler de sa flame*,
Et me rompra la teste.

BEATRIX.

Il n’est pas seul Madame,
Acaste est avec luy.

FLORE.

Va descend promptement,
760 Beatrix, et luy dy qu’il entre librement,
Que je me porte bien, qu’il a toute puissance.

BEATRIX.

Si je n’avais Madame une ample connoissance
De vostre humeur Modeste, et de vostre vertu,
Je dirois.

FLORE.

Et quoy?

BEATRIX.

Rien.

FLORE.

Encor que dirois-tu?

BEATRIX

765 Que ce contentement que vous faites paroistre
Proviendroit. {p. 47}

FLORE.

Quoy d’amour?

BEATRIX.

Ne pourroit-il pas estre?

FLORE.

Vois-tu pas que ce n’est qu’un simple compliment?
Et que je ne puis pas refuser justement
Que par galanterie un homme me frequente.
770 Autre chose est d’aimer ou d’estre complaisante.

Scène 3 §

BEATRIX. ARIMANT. ACASTE. FLORE.

BEATRIX.

Entrez, Messieurs, entrez.

ARIMANT.

Madame, nous venons
En ce lieu. {p. 48}

FLORE.

Soyons-nous, et puis nous parlerons.
De quels divers combats mon ame est assaillie.

ARIMANT.

Vous nous obligez* trop.

ACASTE.

Et moy je vous supplie
775 De m’excuser si j’entre icy si librement.

FLORE bas.

Vous me faites honneur. Sçachons adroitement
Ce que ces deux amans ont dans le fonds de l’ame.
Comme vous portez-vous Arimant?

ARIMANT.

Moy Madame?
Je suis icy en vous voyant au bout de mes souhaits.

FLORE.

780 Vous Acaste?

ACASTE.

Ignorant ainsi comme je fais
En quel estat se trouve à present Dorotée, {p. 49}
Ayant les sens troublez et l’ame inquietée*
De cent divers pensers, Madame je ne puis
Vous dire asseurement en quel estat je suis:
785 Car puis que Dorotée est l’ame de mon ame,
Et qu’en elle je vy, puis-je savoir, Madame,
Si je suis vif ou mort? si malade ou bien sain?
Estant de sa santé doncques si peu certain,
Vous puis-je de la mienne apprendre la nouvelle?
790 Je ne sçay rien de moy, si je sçay si peu d’elle.

FLORE.

Un homme dans Paris qui voit tant de beautez
Qui peuvent à chacun ravir les libertez,
Ne peut-il rien trouver capable de luy plaire?

ACASTE.

Nulle jusqu’à present ne m’a peu satisfaire.
795 Il est vray que je voy des beautez chaque jour
Capables de charmer, de donner de l’amour.
Mais quoy qu’un autre objet* puisse plaire à ma veuë,
La seule Dorotée est celuy qui me tuë.

FLORE, bas

Cét obligeant discours flate ma vanité,
800 Et je dois esperer beaucoup de ma beauté, [G, 50]
Vous vous trompez, Monsieur, car il pourroit bien estre
haut
Qu’à Lyon quelque objet* vous aura peu paroistre
Avec ces qualitez; mais avez vous raison
D’en vouloir à Paris faire comparaison?
805 Paris cét abregé des merveilles du monde,
Où l’Art, où la Nature en miracles abonde,
Où l’on void des beautez dignes de plaire aux Dieux,
Dont l’éclat obscurcit tous les Astres des Cieux.

ACASTE.

Vous avez bien raison, Madame, je confesse
810 Que je puis avoir tort disant que ma maistresse
L’emporte par dessus les beautez de Paris,
On sçait que sous ce nom tout sans doute est compris,
Dans cette erreur pourtant il faut que je persiste,
S’il est vray, comme on dit, que la beauté consiste
815 Dans un je ne sçay quoy, qu’on appelle agréement,
Ce qui nous plaist nous semble estre beau seulement.
Aussi quoy que Ma dame en effet fust moins belle
Que celles de la Cour, rien ne me plaist comme elle,
Car quand il seroit vray que parmy ses appas
820 Elle eust quelques defauts, je ne les verrois pas.

FLORE, bas.

Dieux! quel impertinent.

ARIMANT, bas.

{p. 51}
Flore n’est pas contente
A ce que je puis voir d’entendre que l’on vante,
De Dorotée ainsi la grace et la beauté:
Mais cela ne provient que de la vanité
825 De vouloir plus qu’aucune estre considerée,
Et de vouloir de plus par tout estre adorée;
Ce n’est point par amour sans doute je le croy
Connoissant son humeur comme je la connoy.

Scène 4 §

PHILIPPIN. ACASTE. FLORE.
ARIMANT. BEATRIX.

PHILIPPIN.

Que me donnerez-vous pour la bonne nouvelle?

ACASTE.

830 As-tu des lettres?

PHILIPPIN.

Ouy.

ACASTE.

De Dorotée?

PHILIPPIN.

Ouy d’elle.

ACASTE.

{p. 52}
Donne-les promptement. Vous m’excuserez bien
Madame, si je quitte un si doux entretien.
Pardonnez s’il vous plaist à mon impatience.

FLORE bas

Justes Dieux! c’est bien pis, je perds toute esperance.

ACASTE lit

835 Je ne sçaurois mon coeur vivre un moment sans toy.

FLORE bas

Dieux! qu’est-ce que j’entends? Dieux! qu’est-ce que je voy?
Ne suffisoit-il point d’avoir l’ame saisie
De ce nouvel amour, sans que la jalousie
Me vint livrer encor ce furieux combat?
840 Acaste sans mentir n’est nullement ingrat
A l’amour qu’on luy porte, il le fait bien paroistre.

ARIMANT.

Et moy je suis pour vous bien éloigné de l’estre
En l’estat où pour vous m’a mis ma passion.
Bas

FLORE.

Pourquoy?

ARIMANT.

{p. 53}
Ne vous ayant nulle obligation,
845 Madame usant vers moy d’un traitement si rude
Pourriez-vous m’accuser jamais d’ingratitude?

FLORE.

Vous vous emancipez un peu trop, Arimant.

ARIMANT.

Je peche, si l’on peut pecher en vous aymant.

FLORE.

Arimant, osez-vous me parler de la sorte?

ARIMANT.

850 Madame pardonnez.

FLORE.

Voy qui frape à la porte.
Va viste Beatrix.

BEATRIX.

Bien Madame j’y cours.

FLORE.

Ne me tenez jamais de semblables discours. {p. 54}
Si vous n’avez dessein de me mettre en colere.

ARIMANT.

Madame excusez-moy.

Scène 5 §

BEATRIX, FLORE, DOROTEE, ACASTE,
ARIMANT, PHILIPPIN.

BEATRIX.

C’est cette Perruquiere
855 Qui vient pour vous coiffer.

FLORE.

Ah! Beatrix, dy luy,
Que je ne sçaurois pas me coiffer aujourd’hui.
Est-ce pas Leonor?

BEATRIX.

Ouy, Madame, c’est elle.

DOROTEE.

Entre avec la quaissette.
{p. 55}
Madame vous plaist-il d’une façon nouvelle
Voir des coiffes, des noeuds, des tresses, des rubans,
860 Des bracelets brodez, et de forts beaux galands*?

FLORE.

Je le veux bien, voyons, approche toy ma fille.

DOROTEE.

J’en ay de toute sorte.

FLORE.

O Dieux qu’elle est gentille,
Vostre nom.

DOROTEE.

Isabelle.

LEONOR.

Elle cherche à servir,
Madame, et vous sçavez qu’elle coiffe à ravir.

FLORE.

865 Emmenez la demain Leonor, je vous prie.

LEONOR.

Je n’y manqueray pas.

DOROTEE à Leonor, bas.

{p. 56}
Je ne vis en ma vie
Une plus agreable et plus rare beauté.

ACASTE serrant sa lettre.

Vous excuserez bien mon incivilité,
Madame, s’il vous plaist.

DOROTEE bas à Leonor.

Dieux! j’aperçoy ce traistre.
870 Ah Leonor! c’est luy.

LEONOR bas à Dorotée.

Ne faites pas paroistre
Que vous le connoissez.

DOROTEE bas, à Leonor.

Leonor, je ne puis
Contenir mon esprit dans le trouble* où je suis.

LEONOR.

Ne vous emportez pas.

DOROTEE.

Que je suis agitée!

FLORE.

Cette lettre, Monsieur, vient donc de Dorotée?

ACASTE.

875 Ouy, Madame, excusez j’ai desiré la voir. {p. 57}

DOROTEE.

Bas.
Que voye-je? justes Dieux! je suis au desespoir.

ACASTE.

Et vous avez raison de m’en faire un reproche.

FLORE.

Pour quel sujet, Monsieur?

ACASTE bas, à Philippin.

Tiens, Philipin approche.

PHILIPIN bas, à Acaste.

Je vous entends fort bien.

ACASTE bas, à Philipin.

Escoute, parle à moy.
880 N’est-ce pas Dorotée à present que je voy.

PHILIPIN.

Ce ne l’est pas, Monsieur, mais ce la devroit estre.

DOROTEE ouvrant la quaissette.

[H,58]
Je perds l’esprit grands Dieux! voyez un peu le traistre,
Le tour que m’a joüé cét insigne affronteur,
Maudit soit le mestier, je le dy de bon cœur,
Elle rompt une coiffe.
885 Si jamais je m’en mesle.

FLORE.

Ah Dieux! estes-vous fole* ?
Que faites-vous mamie?

DOROTEE, bas.

Ah ! je perds la parole.
Qui ne la seroit pas voyant ce que je voy.
haut.

FLORE.

Etes-vous en colere.

DOROTEE.

Ouy j’y suis.

FLORE.

Mais pourquoi ?

DOROTEE.

J’en ay trop de sujet.

FLORE.

{p. 59}
Dites-le, je vous prie.

DOROTEE, bas.

890 Il faut dissimuler. Voyez l’effronterie,
Et si je n’ay pas lieu de me deseperer.
En certaine maison où je n’ay fait qu’entrer,
Madame, l’on m’a pris une piece à ma veüe,
Et tout presentement* je m’en suis apperceuë,
895 Et c’est celle en effect que j’estimois le plus.

ACASTE, bas à Philipin.

O Dieux vit-on jamais un homme plus confus!
Si je ne connoissois fort bien cette escriture,
Mais que dis-je, c’est elle ?

PHILIPIN.

Elle ?

ACASTE

Ouy, je te le jure.

PHILIPIN.

Ne jurez point, Monsieur, pourquoy vous obstiner ?
900 Vous pechez seulement de vous l’imaginer.

ACASTE.

Je ne sçaurois du tout comprendre ce mystere,
Je sçais que Dorotée est dans un Monastere
Que sert de contester plus long-temps sur ce point ?

DOROTEE.

Je veux r’avoir mon bien, je ne le perdray point. {p. 60}

FLORE.

905 Vous estes sans mentir un peu trop violente.

DOROTEE.

Ah! Madame, c’estoit une piece excellente,
Si vous la connoissiez comme je la connois.

ACASTE.

Regarde, Philipin, jusqu’au ton de la voix
N’est-ce pas elle-mesme ? ah! c’est chose admirable.

PHILIPIN.

910 Il est vray qu’on ne peut rien voir de plus semblable.

DOROTEE.

Je feray pour l’avoir tout ce que je pourray
Quand je devrois perir.

ACASTE.

Je vous la payeray
Dites ce qu’elle vaut la belle, je vous prie.

DOROTEE.

Je me plains seulement de la fripponnerie, {p. 61}
915 Et non pas de l’argent, je n’en fay point de cas :
Mais deussé-je mourir, je ne m’en tairay pas.
Le voleur n’est pas loing, au moins je le soubçonne
Je me vangeray bien de certaine personne
Que j’ay pris jusqu’icy pour un homme d’honneur,
920 Quoy qu’il paroisse tel, ce n’est qu’un affronteur,
Il estoit dans la chambre aupres de moy, ce traistre,
Qui m’a joüé ce tour, je luy feray paroistre,
Quelle femme je suis, il n’en doit pas douter,
Et si je luy pardonne il s’en pourra vanter.

ACASTE bas.

925 Voyant qu’elle est si fort semblable à ma maistresse
Comme elle sans mentir je ressens la tristesse,
Pour si peu de sujet faut-il crier si fort ?

DOROTEE.

Si c’est tout mon vaillant, Monsieur, ai-je grand tort
De sentir cette perte.

ACASTE.

Ah! la pierre est jettée,
930 Si cette fille icy ressemble à Dorotée {p. 62}
Quelle qu’elle puisse estre il faut absolument
Quoy qu’il puisse arriver, que je sois son amant.

PHILIPPIN.

Vous mocquez-vous, Monsieur, estes-vous en vous-mesme ?

ACASTE.

Il faut absolument, Philipin, que je l’ayme
935 Il n’est rien icy bas qui m’en puisse empescher.

DOROTEE, s’en allant.

Adieu, Madame, adieu, je m’en vay le chercher.

ACASTE.

Suivons-la, Philipin, et courons apres elle,
Pardonnez moy, Madame, une affaire m’appelle,
Qui m’importe beaucoup, je prens congé de vous.

FLORE.

940 Adieu, Monsieur.

ACASTE, à Arimant.

Adieu.

ARIMANT.

Pour moi je me resous
De vous accompagner. {p. 63}

ACASTE.

Demeurez je vous prie,
Il faut que je sois seul, je vous en remercie.

Scène 6 §

FLORE, ARIMANT, BEATRIX.

FLORE.

Comment, vous le laissez aller seul Arimant ?
Vous ne le devez pas, je croy qu’asseurement
945 Il a quelque querelle, et vous auriez du blasme
De le quitter ainsi.

ARIMANT.

Je croy qu’il va, Madame,
Respondre à ce pacquet qu’il vient de recevoir,
Vous n’avez pas sujet d’ainsi vous esmouvoir,
Sur une foible peur peut-estre mal fondée.

FLORE.

950 Moy si pour ce sujet je suis intimidée,
Et si vous m’en voyez le visage blemy
C’est parce que je sçay qu’Acaste est vostre amy.

ARIMANT.

Mais à quoy bon, Madame, envers moy cette excuse ? {p. 64}
Celuy qui satisfait avant que l’on l’accuse
955 Donne lieu de douter, et d’entrer en soubçon.

FLORE.

Ah ! vous vous emportez d’une estrange façon,
Quel sujet avez vous d’entrer en frenaisie ?

ARIMANT.

Vous donnez lieu vous-mesme à cette jalousie,
Par ces soins superflus, et ces precautions,
960 Je ne me repais point d’imaginations.
Mais puis que le mal-heur d’Acaste vous afflige,
Sçachez que desormais, Madame, je m’oblige
Pour ne pas exciter à ce point vostre ennuy*,
De ne venir jamais vous visiter sans luy.
965 Afin de recevoir de vous meilleur visage.

FLORE.

Osez-vous, Arimant, me tenir ce langage ?
N’avez-vous pas esté de moy fort bien receu,
Devant qu’il m’eust connuë, et que je l’eusse veu ?
Je tasche à le cacher, mais il est impossible
bas.
970 Dans mes yeux seulement mon amour est visible, {p. 65}
Arimant le cognoist, il s’en apperçoit bien.

ARIMANT.

Je vay vous delivrer d’un fascheux entretien.
Je prends congé de vous.

FLORE en s’en allant,

Je suis vostre servante.

ARIMANT bas.

Elle brusle d’amour la chose est evidente,
975 Je cognois bien qu’Acaste est maistre de son cœur,
Mais il est mon amy je n’en ay point de peur
Et puis il ayme trop sa chere Dorotée.
Il s’en va.

Scène 7 §

ACASTE. PHILIPIN.

ACASTE.

Je l’ay toujours suivie, et ne l’ay point quittée
C’est dans ce logis-là que je l’ay veuë entrer.

PHILIPIN.

980 Il est certain, Monsieur, qu’on ne peut rencontrer
Dans l’univers entier un object* si semblable. {p. I, 66}

ACASTE.

Il est vray, je le jure, et c’est chose admirable.
Et je croy peu s’en faut, en un fait si douteux.
Qu’en effet ce ne soit qu’une seule des deux.

PHILIPIN.

985 Mais que voulez-vous faire ?

ACASTE.

Attendre à cette porte,
Car enfin tost ou tard il faudra qu’elle sorte.
Mais je croy qu’il vaut mieux entrer dans la maison
Pour obliger cét homme à luy faire raison
Du larcin qu’il a fait, car c’est chose certaine,
990 Voyant de la façon qu’elle en estoit en peine*,
Que c’est-là son logis, je crains les accidents,
Car on luy pourroit faire un affront là-dedans.

PHILIPIN.

Quel est vostre dessein, je ne le puis comprendre.

ACASTE.

De force ou d’amitié* je lui veut faire rendre
995 Ce qu’elle veut ravoir, ne perdons point de temps,
Va frappe. {p. 67}

PHILIPIN.

Vous avez je croy perdu le sens.
Parlez vous tout de bon, Monsieur ?

ACASTE.

Frappe, te dis-je.
Je parle tout de bon.

PHILIPIN.

Encor qui vous oblige
A cette extravagance ? Ah Monsieur avons-nous
1000 Le moyen de pouvoir resister à leurs coups ?
Quelle force avons-nous pour oser l’entreprendre ?
Si vous les attaquez ils se voudront deffendre,
Et nous assommeront, Monsieur, pensez-y bien.

ACASTE.

Va tu n’es qu’un maraut*, je ne redoute rien.

Scène 8 §

PAMPHILE. ACASTE. PHILIPIN.
{p. 68}

PAMPHILE.

1005 Que voulez-vous, Monsieur ?

ACASTE.

Tout à l’heure mon pere
Vient d’entrer là dedans certaine perruquiere
Qui va coiffer en ville, et qui vend que je croy
Quelques hardes* d’atour, de grace obligez* moy
De me la faire voir, et de luy faire rendre
1010 Des hardes* que tanstot elle m’a fait entendre
Qu’on luy retient ceans*. Autrement

PHILIPIN.

Autrement
Nous nous retirerons Monsieur asseurément.

PAMPHILE.

Celle dont vous parlez n’est point icy venuê.

ACASTE.

Je ne me trompe point mon amy, je l’ay veuë.
1015 Mes yeux ne peuvent pas s’abuser que je croy. {p. 69}

PAMPHILE.

Mais vous me devez croire et vous fier à moy,
S’il est vray toutesfois que cette perruquiere
Soit entrée au logis, la porte de derriere
Aura peu luy donner moyen de s’eschaper.

PHILIPIN.

1020 Monsieur ne voudroit pas que je croy vous tromper,
Et ne le diroit pas s’il n’estoit veritable.

PAMPHILE.

Ah ! c’est icy Monsieur un logis honorable,
Où l’on ne commet point une telle action,
La Dame qui l’habite est de condition,
1025 Femme depuis trois ans d’un brave et galand homme
Maistre d’hostel du Roy.

ACASTE.

Comment est-ce qu’on la nomme ?

PAMPHILE.

Son nom est Angelique.

ACASTE.

Ah ! j’ay les sens confus.
Et je suis interdit si jamais je le fus. {p. 70}

PAMPHILE.

Il est tres-vray, Monsieur,

ACASTE.

Encor que je vous croye,
1030 Je sçais qu’elle est ceans*, faites que je la voye
Mon amy je vous prie, ou bien je me resous.

PAMPHILE.

Ne me croyez-vous point ?

PHILIPIN.

Pourquoy contestez-vous ?
Monsieur le voudroit-il soustenir de la sorte.

ACASTE.

Entrons et visitons un peu cette autre porte.

Fin du troisième Acte

ACTE IV §

Scène première §

ACASTE. PHILIPIN.
{p. 71}

PHIPIPIN.

1035 Quel est vostre dessein ? pourquoy revenez-vous
Encor de ce bon homme exciter le couroux ?
Je crains plus que la mort que ce Vieillard ne sorte,
Il ne viendra point seul, il aura de l’escorte,
Ils nous pourront frotter asseurément, Monsieur,
1040 Il est fort résolu.

ACASTE.

Quoy maraut*, as-tu peur ?

PHILIPIN.

Non je n’ay point de peur, mais cette diligence*
Me paroist inutile, encor quelle apparence,
Que cette fille icy soit encor là dedans. {p. 72}
C’est perdre icy, Monsieur, et sa peine* et son temps.
1045 Leonor vous a dit maintenant qu’Isabelle
N’estoit plus en ces lieux, et qu’elle estoit chez elle,
Elle vous a promis de faire son pouvoir
Dans deux heures au plus de vous la faire voir.

ACASTE.

C’est une invention peut-estre dont elle use
1050 Pour s’eschaper de moy, je croy qu’elle m’abuse,
Et qu’elle ne veut pas que je la trouve icy,
Mais tout presentement* j’en veux estre éclaircy,
Sçachons si Leonor est en cecy coupable.
Si mon soubçon est faux, ou s’il est veritable.
1055 Va frappe à cette porte.

PHILIPIN.

Ah Monsieur tout de bon ?
Gardons-nous, ce Vieillard est un mauvais garçon,
Il nous lorgnoit tanstot d’une estrange posture,
Et nous mangeoit des yeux, c’est une chose seure,
Qu’il bande son fuzil, et s’arme là dedans

Scène 2 §

DOROTEE en habit de Dame superbement parée.
ACASTE. PHILIPIN. PAMPHILE.
{p. 73}

DOROTEE.

1060 Que voulez-vous, Monsieur ? que cherchez-vous ceans* ?

ACASTE bas à Philipin.

Madame je cherchois. Ah Philipin regarde,
Que voi-je que vois-tu ? justes Dieux pren bien garde
Si cette Dame icy te paroist comme à moy ?

PHILIPIN.

Nous sommes fols* tous deux, ouy Monsieur je le croy,
1065 Que diable voi-je icy ce miracle m’effroye.

ACASTE.

Me trompez-vous mes yeux ? que faut-il que je voye ?

PHILIPIN.

Nous avons la berluë, et nous n’avons rien veu.

DOROTEE.

Vous ne respondez point ?

PAMPHILE.

[K, 74]
Ce Cavalier a creu
Qu’il est entré chez vous une certaine fille
1070 Qui coiffe proprement, et qu’il trouve gentille.
Il faudroit bien nous mettre au rang des innocens,
Si l’on trompoit ainsi le plus clair de nos sens.
J’ay dit la verité, mais Madame il s’en pique*.

ACASTE.

Madame est-il bien vray qu’on vous nomme Angelique,
1075 Et que depuis trois ans vous avez pour espoux
Un officier du Roy ?

DOROTEE.

De quoy vous meslez-vous ?
Et qui vous fait, Monsieur, informer de ma vie ?
D’où vous vient cette humeur ? d’où vous naist cette envie ?

ACASTE.

Ha ! je perdrois icy cent fois le jugement.

PHILIPIN.

1080 N’en doütez point Monsieur, c’est un enchantement*.

ACASTE.

Si je vous croy, madame, il faut croire un miracle,
Je vous croy toutesfois, quoy qu’un puissant obstacle {p. 75}
S’oppose à ma croyance, et par là je voy bien
Que je ne dois apres jamais douter de rien.
1085 Pour ne pas dementir une bouche si belle,
Je croy ce qu’elle dit, et je me fie en elle,
Plus qu’à mes propres yeux ; Ouy, madame je croy
Que mes yeux m’ont trompé, qu’ils se mocquent de moy,
Que sans les consulter cette maison est vostre,
1090 Et que je prens sans doute un logis pour un autre.

DOROTEE.

Je vous entends, je voy vostre cœur dans vos yeux,
Le mien m’en dit assez, mais il vaudroit bien mieux
Que dans ces actions qu’on doit tenir secrettes,
Je vous visse autrement agir que vous ne faites,
1095 Car s’il est vray, Monsieur, ainsi que je le croy,
Que vous ayez du zele* et de l’amour pour moy,
Si comme il est certain vous estes celuy mesme
Qui depuis quelque jours fait paroistre qu’il m’ayme,
Qui par mille concerts me resveille la nuict,
1100 Qu’est-il besoin, monsieur, de faire tant de bruit ?
Vous pouvez autrement tesmoigner vostre flame*,
Que par ces actions publiques.

ACASTE.

Moy, Madame ?

PHILIPIN.

{p. 76}
C’est à ce coup grands Dieux que je perds tous les sens.

DOROTEE.

Vous devez mieux, monsieur, employer vostre temps,
1105 Quoy que je vous en sois en effet obligée,
Ma reputation y peut estre engagée,
Cette galanterie est bien hors de saison,
N’y revenez donc plus, vous n’avez pas raison.
Jugez que mon mary, comme il est homme d’aage,
1110 De bien moindres subjets peut prendre de l’ombrage.
Il est homme d’honneur qui hait les vanitez,
Et qui ne souffre point toutes ces libertez.
Pourquoy desirez-vous vous mettre je vous prie
A chaque heure du jour au peril de la vie ?
1115 Il est d’autres moyens, on gaigne des valets
On peut secrettement envoyer des poulets*,
Sans faire tant de bruits, et sans se mettre en peine*,
Je ne suis point, monsieur, tout à fait inhumaine,
Declarez-vous de jour, sans emprunter les nuicts,
1120 Car j’ayme autant l’honneur que je hay les sots bruits.
Si vous estes discret vous pouvez bien m’entendre,
Ce que je dis n’est pas difficile à comprendre,
Adieu, je suis troublée, et je crains mesme aussi
Que mon mary ne vienne, et ne vous trouve icy.
1125 Cecy vous doit suffire.

ACASTE.

{p. 77}
Hé quoy ! ma chere Dame,
Elle part, et me laisse un grand trouble* dans l’ame,

DOROTEE, en s’en allant.

Je l’embarrace bien, qu’il doit estre confus.

ACASTE.

Je suis tout hors de moy si jamais je le fus,
Quelle confusion à la mienne est pareille ?
1130 Respons moy Philipin, est-il vray que je veille ?

PHILIPIN.

O la belle demande, il faut certainement
Que nous dormions tous deux par quelque enchantement*,
Quelque démon sans doute, ou bien quelque sorciere
Qui revient du sabat, nous trouble la visiere.

ACASTE.

1135 Je ne puis que juger en cette occasion,
Je sçais que Dorotée est sans doute à Lyon,
Elle est dans un couvent mes amis me l’escrivent,
Je n’en sçaurois douter, et mes lettres arrivent
Tous les jours en ses mains, elle reçoit aussi
1140 Celles que je luy mande : Ah ! Philipin, icy
Je perds le jugement et l’esprit tout ensemble, {p. 78}
Car cette Dame icy tellement luy ressemble,
Que tout autre en ma place y seroit attrapé,
Mais voy comme d’ailleurs je suis encor trompé.
1145 La Coiffeuse de Cour, la petite Isabelle,
Luy ressemble si fort qu’on la prendrait pour elle,
Et je suis tres-certain qu’aucune toutesfois
De ces deux là ne l’est.

PHILIPIN.

Ainsi c’en sont donc trois
Pour une Dorotée.

ACASTE.

Ouy Philipin, et semble
1150 Que pour troubler mes sens le destin les assemble.

PHILIPIN.

Que pretendez-vous faire en cette occasion ?

ACASTE.

Je ne sçay Philipin, la forte passion
Que j’ay pour Dorotée, a fait pour l’amour d’elle,
Que j’ay tantost suivy la petite Isabelle,
1155 A cause du rapport de son visage au sien,
Si cette Dame icy, comme je le voy bien
Avecque Dorotée est une mesme chose, {p. 79}
Pour elle à tout peril desormais je m’expose,
Ouy, je la veux servir ayant sceu d’aujourd’huy,
1160 Qu’un galand la courtise, et qu’on me prend pour luy.

PHILIPIN.

Que dira Leonor, qui vous a fait promesse
De vous faire parler à vostre autre maistresse,
J’entens à la Coifeuse ? elle vous descrira
Aupres d’elle sans doute, et s’imaginera,
1165 Mesme elle aura raison que vous vous mocquez d’elle.

ACASTE.

Ah ! j’adore Angelique , aussi bien qu’Isabelle,
Toutes deux sur mes sens ont un esgal pouvoir,
Car j’ayme Dorotée, et je la pense voir
Comme dans une glace en ces deux beaux visages,
1170 Ouy, le Ciel a formé ces trois parfaits ouvrages,
Dessus un mesme moule, et je croy qu’en effet
Des trois l’une de l’autre est le vivant portrait
Leonor m’a parlé je croy par raillerie,
Isabelle me fuit, Angelique me prie,
1175 Oüi c’est bien me prier m’indiquant la façon
Dont je la doy servir, et m’en faisant leçon,
Et quand bien ma poursuite en ce cas seroit vaine,
Du moins durant ce temps j’entretiendray ma peine :
Et j’auray le plaisir de flater mon tourment* {p. 80}
1180 Tandis que je vivray dans cét enchantement*

PHILIPIN.

Le Ciel vueille à bon port conduire cette affaire,
Et vous inspire bien ce que vous devez faire.

ACASTE.

M’en blasme qui voudra le sort en est jetté,
Adorons cette rare et charmante beauté.

Scène 3 §

DOROTEE. LEONOR. PAULINE.

DOROTEE.

1185 Tu l’as veu, Leonor ?

LEONOR.

Je ne vous sçaurois dire
Combien pour vos beautez ce pauvre amant souspire,
J’ay veu dedans ses yeux plus à clair que le jour,
Que pour vostre sujet il brusle et meurt d’amour,
Et pour vous faire voir que cette ressemblance
1190 L’a picqué jusqu’au vif, sur la seule esperance
Qu’il a que je vous dois parler en sa faveur,
J’ay veu qu’il reprenoit sa belle et gaye humeur, {p. 81}
Et m’a mis dans la main malgré moy dix pistoles*,
Disant qu’il ne vouloit qu’autant de mes paroles,
1195 Pour marquer ses transports et sa ferme amitié*,
Certes cette franchise a touché ma pitié,
Mais en voyant d’abord son ame inquietée*,
Doutant que vous fussiez la mesme Dorotée,
J’ay sceu luy déguiser la chose de façon
1200 Que j’ay facilement effacé ce soubçon.
Il vous prend pour une autre, et pour luy faire croire,
J’ay commençé sur l’heure à luy faire une histoire :
Tellement intriguée, et pleine d’embarras
Qu’il vous croit en effet ce que vous n’estes pas.

DOROTEE.

1205 Et bien qu’en dites-vous ? ô folles* que nous sommes,
De nous vouloir fier aux paroles des hommes.

PAULINE.

Ah ! Madame, il est vray, ce sont tous affronteurs,
Infidelles, legers, perfides, imposteurs,
Qui pourroit se fier jamais à leur parole,
1210 Je veux gager aussi que Philipin cajole
La servante de Flore, il n’en faut point douter.

DOROTEE.

Il fait comme son maistre, il le doit imiter.
De façon donc qu’Acaste en tient pour Isabelle ? [L, 82]

LEONOR.

Madame il est certain, il meurt d’amour pour elle.

DOROTEE.

1215 Dieux ! je croyois plutost que le Ciel deust changer,
Que de croire qu’Acaste eust esté si leger,
Cét Acaste, grands Dieux ! que mon cœur idolatre,
Sans celles que j’ignore est amoureux de quatre,
Et puis faictes estat de son affection.
1220 Il ayme Dorotée, il la croit à Lyon,
Et dans un mesme temps cét inconstant se pique*
D’Isabelle à Paris, de Flore, et d’Angelique.
Il faut bien qu’il adore Isabelle en son cœur
Puis qu’il vous a prié d’agir en sa faveur,
1225 Et de luy tesmoigner l’amour qu’il a pour elle,
Pour Flore tout de mesme, il se met en cervelle*.
Durant que nous estions tanstot dans sa maison,
Il m’a fait assez voir sa lasche trahison.
Dois-je douter de plus d’Angelique ? il l’adore
1230 Autant il est certain, qu’Isabelle, et que Flore :
Car si vous eussiez veu, Leonor, à quel point
Il estoit interdit vous n’en douteriez point.
Il me faisoit chez moi de l’œil mille carresses,
Ainsi sans Dorotée Acaste a trois maistresses,
1235 Si donc le plus fidelle et le plus constant d’eux {p. 83}
Est tel, que dirons-nous des autres amoureux ?

PAULINE.

Mais, madame, je suis bien plus que vous à plaindre,
Vous n’avez ce me semble aucun sujet de craindre,
Rien ne doit aujourd’huy troubler vostre repos.
1240 Vous vous embarracez l’esprit mal à propos,
Il ayme en mesme temps ses objets* adorables,
Parce qu’ils sont de vous les vivantes images,
Mais Philipin voit-il en Beatrix un traict
Qu’on puisse de Pauline apeller le portrait.
1245 Ainsi dans ce mal-heur que vous nommez extresme,
Vous estes seulement jalouse de vous mesme,
Et n’avez pas raison de vous plaindre si fort.

DOROTEE.

Croy moy si je me plains que ce n’est point à tort,
Cette Flore qu’il ayme, et qui m’a supplantée
1250 Est-elle donc semblable encor à Dorotée ?

PAULINE.

Mais cét amour n’est pas encor bien averé,
Peut-estre avez-vous tort tout bien consideré.

LEONOR.

Pour l’avoir rencontré dans la maison de Flore.
Madame est-ce un sujet pour dire qu’il l’adore ? {p. 84}

DOROTEE.

1255 Je le sçaurais bien-tost, je n’espargneray rien,
Quand je devrois perir, j’esclairciray fort bien
Ce soubçon aujourd’hui.

LEONOR.

Que pretendez-vous faire ?

DOROTEE.

Ma fille, absolument je me veux satisfaire,
Je veux si je le puis garder mes interests,
1260 Ouy je luy rogneray les ongles de si pres
Que je l’empescheray desormais qu’il ne puisse
Entreprendre en amour rien à mon prejudice,
Et si de m’offenser il a quelque dessein
Je pareray le coup, et je le rendray vain.
1265 Je veux aller voir Flore, et je veux sçavoir d’elle
S’ils bruslent d’une flame* égale et mutuelle
Quelques subtils qu’ils soient, ils auront que je croy
Tous deux bien de la peine*à se cacher de moy.
Leonor me l’a peint d’une humeur dédaigneuse,
1270 Si farouche, si sotte, et si capricieuse,
Qu’il n’est homme icy bas qui ne luy fasse peur,
A cause qu’elle croit que tout homme est trompeur.

LEONOR.

{p. 85}
Ce remede est certain.

DOROTEE.

Pour croistre son ombrage,
Je luy veux peindre Acaste et menteur et volage.
1275 Je connoistray par là s’il est vray qu’elle en tient,
Et verray si l’on butte à ce qui m’appartient.
Je me veux déguiser sous le feint nom d’Helene,
J’yray visiter Flore, et c’est chose certaine,
Que je donneray droit au but où je pretens,
1280 Cependant Leonor, ne perdons point de temps,
Taschons de mesnager adroittement l’affaire.
Il faut que vous alliez promptement contrefaire
Un escrit d’Isabelle, et dedans ce moment
Vous la mettrez aux mains de ce volage amant :
1285 Ce billet contiendra qu’Isabelle l’adore,
Qu’elle se meurt d’amour, et faut qu’il dise encore
Qu’elle brusle d’envie aujourd’hui de le voir,
Et vous me menerez en son logis ce soir.
On attend de Lyon un extraordinaire
1290 Qui doit venir tantost, je veux du Monastere
Qu’il reçoive par luy de ma part un escrit,
Qui luy va plus que tout encor troubler l’esprit :
Car je luy manderay que j’ay sujet de craindre
Que mon oncle à la fin ne me vueille contraindre
1295 D’espouser un rival dont il me presse fort,
Et que pour l’empescher il fasse son effort,
Et qu’il vienne à Lyon en toute diligence*,
Lucille par delà qui passe en la croyance
De tous pour Dorotée ayant sceu mon dessein
1300 A donné cét advis par un mot de ma main,
A Clite, à qui sur tous mon Acaste se fie.
Or je n’ay pas de peur qu’un confident oublie
A luy faire sçavoir cét advis important,
Acaste recevra mes lettres en mesme instant,
1305 Pamphile ira le voir de la part d’Angelique,
Luy portant un billet nous verrons s’il s’en picque*,
Ce billet chantera que son mary soudain
Part pour aller aux champs, et que s’il a dessein
De la voir librement, il peut aller chez elle,
1310 Je cognoitray par là son amitié* nouvelle,
Et s’il preferera cette inclination
Qu’il a dedans Paris à celle de Lyon.
Par cette invention que je trouve admirable,
Je verray si sa flame* est feinte ou veritable,
1315 Et je me vangeray par là de tout l’ennuy*,
Et de tous les tourmens* que j’endure pour luy.
Dans la confusion de cét amour extresme,
Il en aymera trois sans sçavoir ce qu’il ayme :
Et puis que par moy-mesme il m’offense aujourd’huy,
1320 J’en pretens faire autant, et me vanger par luy. {p. 87}

PAULINE.

Cette subtilité me semble une merveille,
A-t-on jamais parlé d’une fourbe pareille ?
Quel autre esprit pourroit en telle occasion
Trouver une plus belle et rare invention ?

DOROTEE.

1325 Des finesses l’Amour est le pere et le maistre.

PAULINE.

Vous le faictes, Madame, aujourd’hui bien paroistre.

DOROTEE.

Tu le verras tanstot, et c’est ce que l’Amour
M’a depuis que j’y suis apris en cette Cour.

Scène 4 §

ACASTE. PHILIPIN.

ACASTE.

Quelle confusion est pareille à la mienne ?

PHILIPIN.

1330 Cette femme est je croy quelque magicienne, {p. 88}
Ou plutost quelque Diable. Ah ! monsieur, il faut bien
Que cét enchantement* où je ne comprens rien
Vienne d’un rare esprit, voicy des coups de maistre.
Car dites-moy comment un seul objet* peut estre
1335 Angelique, Isabelle, et Dorotée encor,
Mais vous attendez-vous, Monsieur, que Leonor
Vous revienne trouver ? Ce ne sont que frivoles,
Croyez qu’apres avoir attrapé vos pistoles*
Elle se mocquera de vous asseurément.

ACASTE.

1340 Nous le verrons.

PHILIPIN.

Que trop.

ACASTE.

Mais je vois Arimant.

Scène 5 §

ARIMANT. ACASTE. PHILIPIN.
{p. 89}

ARIMANT.

Quoy si pres du logis je vous trouve en la ruë ?
Sans entrer ?

ACASTE.

J’attendois icy vostre venuë.

ARIMANT.

Pourquoi ?

ACASTE.

Je ne doy pas, et n’aurois pas raison
D’entrer seul et sans vous dedans cette maison,
1345 Car cette liberté vous feroit prejudice,
Croyez que si j’y viens c’est pour vostre service.

ARIMANT.

Tresve de compliments je vous prie entre nous,
Vous pouvez plus icy sans moi, que moy sans vous.

ACASTE.

Je ne vous entends point, cette enigme m’estonne*.

ARIMANT.

{p. M, 90}
1350 Je ne veux, cher Acaste, estre obscur à personne,
Je me veux expliquer, sçachez donc que je croy
Que Flore a de l’amour pour vous, et peu pour moy.

ACASTE.

Je vous quitte Arimant, vous me faittes outrage,
Et je ne puis souffrir ce discours davantage.

ARIMANT.

1355 Ne vous offensez point, je vous tiens innocent,
Celuy seul est coupable en amour qui consent.
Cher Acaste on vous ayme, il est indubitable,
Mais vostre cœur n’est point de trahison capable,
Je le sçay, je le voy sans en estre jaloux,
1360 Enfin je ne crains rien d’un tel amy que vous.
Voyons ensemblement cette belle orgueilleuse
Qui mesprisoit l’amour, et qu’on voit amoureuse.
Souffrez puisque son cœur de vos yeux est espris
Que par vous je me vange en fin de ses mespris,

ACASTE.

1365 Puis que vous le voulez, je n’ose contredire,
Entrons, je le veux bien, mais je voudrois escrire
Un mot auparavant, le courrier va partir
Dans une heure au plus tard, on m’en vient d’avertir.
Puis donc que ma presence en ce lieu vous console,
1370 Entrez je vous rejoins, j’en donne ma parole.

ARIMANT.

Je n’ose, allez escrire, Acaste, et cependant
Je me promeneray seul en vous attendant.

Scène 6 §

FLORE. BEATRIX. DOROTEE.
PAMPHILE. PAULINE.

FLORE.

Je n’ay jamais ouy parler de cette femme.
Helene, me dis-tu de Peralte ?

BEATRIX

Ouy, Madame,
1375 A ce que dit son homme elle s’appelle ainsi.

FLORE.

Je ne la cognoy point, et je suis en soucy
Beatrix, quelle elle est.

BEATRIX.

{p. 92}
Madame elle est tres-belle.

FLORE.

Enfin, dy luy qu’elle entre, allons au devant d’elle.

DOROTEE.

Madame excusez-moy, ma curiosité
1380 M’a fait venir icy pour voir vostre beauté,
Ce n’est point sans sujet que par tout on l’estime.

FLORE.

La loüange pour vous seroit plus legitime,
N’ayant rien qui ne charme, et l’on doit advoüer,
Madame, qu’apres elle il ne faut rien loüer.

DOROTEE.

1385 Quoy cette belle bouche a de la flatterie,
Mais que regardez-vous Madame je vous prie.

FLORE.

Ou mon œil m’a trompée, ou sans mentir je croy
Vous avoir veüe ailleurs.

DOROTEE.

Madame excusez-moy,
Cela ne peut pas estre. Il faut que je vous die {p. 93}
1390 Le sujet qui me fait paroistre si hardie,
D’oser si librement venir vous visiter,
Je viens pour vous servir, et pour vous réciter
Un estrange discours, et sçay que ma venuë
(Encor que je n’ay pas l’honneur d’estre conneuë
1395 D’un objet* si charmant) ne vous déplaira pas.
Je hay les innocens, j’abhorre les ingrats,
Et je ne puis souffrir qu’un traistre et qu’un volage
Ait la gloire d’avoir sur vous quelque advantage,
Comme il l’ose par tout vainement publier.
1400 Vous devez donc sçavoir qu’un brave Cavalier
Bien fait, vaillant, et noble autant qu’on le peut estre,
Mais volage, inconstant, vanteur perfide et traistre,
Abuse tout le monde, et fait profession
D’avoir en mille lieux de l’inclination.
1405 A certaine beauté cét Hylas par caprice
A fait depuis un an offre de son service,
Et la pauvre abusee aymant ce suborneur,
Enfin abandonna jusques à son honneur.
Un peu de temps apres sans faire nul cas d’elle
1410 Ce volage brusla pour une Amour nouvelle,
Et ce nouvel amour l’emporta de façon
Qu’il luy troubla les sens, car pour certain soubçon
D’un rival qui d’abord troubla sa fantasie*,
L’appelant en duël, il le priva de vie.
1415 Il fut soudain forcé pour ce meurtre commis {p. 94}
Pour se mettre à couvert de quitter son pays.
Icy je meurs de honte, et le courroux m’emporte,
Madame escoutez moy, ce discours vous importe
Plus que vous ne pensez : Cét inconstant Hylas
1420 Depuis qu’il est en Cour adore les apas
D’une rare beauté, d’une humeur dédaigneuse,
Mais d’un merite extresme, et si fort scrupuleuse
En matiere d’honneur, qu’elle avoit fait serment
De n’accepter jamais les vœux d’aucun amant :
1425 Mais cette modestie et cette retenuë,
A ce que l’on m’a dit, à present est vaincuë,
Je ne sçay s’il a pû d’elle venir à bout,
Mais je sçay bien au moins qu’il s’en vante partout.
Or tout presentement* quelqu’un m’a fait entendre
1430 Que depuis ce matin son cœur s’est laissé prendre
Aux attraits amoureux d’une jeune beauté,
D’un petit chaperon*, d’un visage affetté
Qui hante* en mille lieux, et qui sçait la metode
De coiffer proprement les Dames à la mode.
1435 Ce n’est pas tout, Madame, il est dedans Paris
Depuis une heure ou deux, esperduëment espris
D’une femme d’honneur qu’on appelle Angelique,
Ce discours est obscur, il faut que je m’explique,
Et que presentement* je vous declare icy
1440 Le nom de ce Galand, et des Dames aussi.
Cèt Hylas est Acaste, et la premiere Dame {p. 95}
Pour qui son cœur conceut une si prompte flame*,
C’est moy qui ne crains point de dire franchement
Que j’ay donné mon cœur à ce perfide Amant,
1445 Que je l’ay dés Lyon suivi dans cette ville,
Et que chez Arimant, comme dans un asile,
Il me tient enfermée, et n’ay pû jusqu’icy
Me faire voir d’aucun, ny voir aucun aussi.
L’autre apres qu’il ayma s’appelle Dorotée
1450 Qui se tient à Lyon, fille qu’il a quittée
Pour cét objet* charmant que je vous ay conté,
Qui hait tous les Amans pour leur legereté.
S’il est vray que c’est vous estant ce que vous estes,
Voudrez vous d’un tel homme augmenter les conquestes ?

FLORE.

1455 Ce discours me surprend, et je ne sçay pourquoy
Vous osez faire icy tel jugement de moy.
Madame, si je n’ay l’honneur de vous connoistre
Par ce libre discours, vous faites bien paroistre
Ne me cognoistre point en aucune façon,
1460 Et pour vous effacer de l’esprit ce soubçon,
Tenez pour asseuré que celui que vous dites,
Et dont injustement vous vantez les merites
M’a veuë, et me cognoist seulement d’aujourd’huy,
S’il n’a pas plus d’amour pour moy, que moy pour luy.
1465 Vous l’accusez à tort, et m’accusez moy-mesme, {p. 96}
Aussi mal à propos en disant que je l’ayme.

DOROTEE.

Madame excusez-moy d’avoir si mal jugé

FLORE.

Ah ! le lasche.

DOROTEE.

Je sors et prens de vous congé,
Je pensois vous servir, et je vous mescontente.

FLORE.

1470 Madame excusez-moy je suis vostre servante.

Fin du quatriesme acte.

ACTE V §

Scène première §

FLORE seule.

{p. 97}
Resvez-je point icy ? suis-je bien éveillée ?
Ma paupiere, grands Dieux ! est-elle dessillée ?
Quoy respiray-je encor ? quels charmes si puissans
M’empeschent de joüir de l’usage des sens ?
1475 Quelle confusion à la mienne est pareille ?
Vous abusez-vous point en cecy mon aureille ?
Avez-vous entendu ce discours clairement ?
Est-ce une chose vraye, ou quelque enchantement* ?
Acaste est infidelle, et j’en ay tenu conte ?
1480 Je l’aymois, justes Dieux ! Ah j’aurois trop de honte
Que cét indigne amour peust m’estre reproché,
J’ay fait ce que j’ay pû pour le tenir caché.
Mais mes yeux ont trahy les secrets de ma flame*, [N, 98]
Sors de mon cœur perfide, abandonne mon ame.
1485 Acaste est infidelle, ah Dieux ils le sont tous !
Le meilleur ne vaut rien, enfin je me resous
De n’en croire pas un, mais je le voy paroistre
Le volage, l’ingrat, le perfide, le traistre,
Dissimulons mon cœur, mais non je ne le puis,
1490 Faisons voir quel il est, et montrons qui je suis.

Scène 2 §

FLORE. ACASTE. ARIMANT. BEATRIX.

FLORE.

Acaste est-il bien vray ce que je viens d’entendre ?

ACASTE.

Quoy, Madame ?

FLORE.

Je viens presentement* d’apprendre
Vos rares qualitez, s’il est vray ce qu’on dit
Vous avez pres de moy perdu vostre credit.
1495 Ne vous montrez jamais à mes yeux je vous prie.

ACASTE.

Encor pour quel sujet ?

FLORE.

Dieux quelle effronterie {p. 99}
Le diray-je en un mot, il pretend vous oster
Tout sujet desormais de vous pouvoir vanter,
Comme vous avez fait publiquement que Flore
1500 Ne voit que par vos yeux et qu’elle vous adore.

ACASTE.

Dieux qui peut exciter ainsi vostre courroux !
Que dites-vous Madame ?

FLORE.

Acaste taisez-vous,
Ce que je dis est vray j’en suis bien informée,
Et c’est avec raison que je suis animée.

ACASTE.

1505 Encor qui vous a fait de moy ce faux rapport ?

FLORE.

Ce rapport n’est point faux, non, non vous auriez tort
De vouloir démentir l’objet de vostre flame*,
Dites, cognoissez-vous une certaine Dame
Qui se nomme : mais quoy, je sçay qu’asseurément {p. 100}
1510 Vous direz qu’il est faux, Acaste, et qu’elle ment,
Et mesme vous feindrez de ne la pas cognoistre.

ACASTE.

Nommez-la s’il vous plaist, qui pourroit-ce bien estre ?

FLORE.

Helene de Peralte, elle s’appelle ainsi,
La cognoissez-vous pas ?

ACASTE.

Ah Dieux ! qu’entens-je icy ?
1515 Madame asseurez-vous que c’est une imposture,
Et que je ne cognois.

ARIMANT

Bas à Acaste.
Amy je vous conjure
D’admirer franchement tout ce que Flore dit,
Que vous importe-t’il de perdre tout credit,
Si vous ne l’aymez point ? que vous importe encore
1520 D’estre d’oresnavant bien ou mal avec Flore,
Vous me donnez la vie, advoüant en ce point
Que vous la cognoissez, et qu’elle ne ment point.

ACASTEbas à Arimant.

Quoy pour l’amour de vous, faut-il que je confesse,
Que j’ay le cœur si bas. {p. 101}

ARIMANT.

Ce n’est que gentillesse.
1525 Je ferois plus pour vous et n’espargnerois rien.

FLORE.

Il est confus de voir que je la cognoy bien.
Que dit-il Arimant ? Car je suis asseurée
Par la fidelité que vous m’avez jurée
Que vous me direz vray.

ARIMANT à Acaste.

Craignez-vous de parler
1530 Que vous sert, cher amy, je me voulois contraindre,
Mais si vous sçavez tout, que serviroit de feindre ?
Quoy qu’en le confessant je demeure interdit.
Il n’est rien de plus vray que ce qu’on vous a dit.

FLORE.

Vous confessez d’aimer la petite Isabelle,
1535 La Coifeuse à la Mode ?

ACASTE.

Ouy je brusle pour elle.
Elle a tant de beauté, tant de grace, et d’appas,
Que je ne sçaurois vivre, et ne l’adorer pas. {p. 102}

FLORE.

Vous aymez Angelique aussi.

ACASTE.

Je le confesse

FLORE.

Mais quel cas faites-vous de cette autre maistresse
1540 Qui se tient à Lyon, qu’on nomme, que je croy,
La belle Dorotée ?

ACASTE.

Autant que je le doy.
J’estime Dorotée.

FLORE.

Et bien, que vous en semble ?
Vous me confessez donc d’en aymer trois ensemble ?

ACASTE.

Ouy, Madame, il est vray.

FLORE.

J’admire en verité
1545 Ces marques de confiance et de fidelité.
Vous aymez l’autre aussi que je vous ay nommée {p. 103}
Helene De Peralte ; ah ! c’est la mieux aymée,
Je n’en sçaurois douter, puis que secretement
Vous la tenez cachée au logis d’Arimant.

ACASTE.

1550 Ce point là n’est pas vray, Madame, je proteste
Que je vous l’advoürois aussi bien que le reste.
Arimant luy fait signe d’advoüer tout.

FLORE.

Pourquoy le celez vous, puis qu’elle me l’a dit ?
Bas
Voyez un peu l’ingrat comme il est interdit,
Ce sont des procedez estranges que les vostres,
1555 Acaste est inconstant aussi bien que les autres.
Mon cœur ouvre la porte et laisse desormais
Sortir cét inconstant sans qu’il rentre jamais.
Haut
Je me treuve un peu mal, messieurs soufrez de grace
Que je vous quitte, adieu, je vous cede la place.
Elle s’en va.

ACASTEs’en allant.

1560 Nous n’avons pas dessein de vous incommoder.

Scène 3 §

ACASTE. ARIMANT.
{p. 104}

ACASTE.

Mais encore sur quoy se veut-elle fonder ?
Je jure que jamais je ne fus tant en peine* !
Que me veut-elle dire, et quelle est cette Helene,
Qui cognoist tellement mes inclinations,
1565 Et qui glose si fort dessus mes actions ?

ARIMANT.

Ce qu’elle vient de dire est-il bien veritable ?

ACASTE.

Il n’est rien de plus vray, ce n’est point une fable,
Et je croy sans mentir que je suis enchanté,
Sçachez qu’elle m’a dit la pure verité
1570 En tout fors en un point, mais je suis bien en peine*
Qui luy fait ces rapports, et quelle est cette Helene
Qui s’informe de moy, qui sçait tous mes secrets,
Qui lit dedans mon cœur, et sçait ce que je fais.
Je croy que Dorotée, ouy si je ne m’abuse,
1575 Pour decevoir* mes sens employe icy sa ruse,
Paroissant à mes yeux en habit déguisé, {p. 105}
Et qu’elle parle à moy sous un nom supposé
Je croy que Dorotée est la mesme sans doute
Qui s’appelle Angelique, ou bien je ne voy goutte ;
1580 Et la Coiffeuse mesme Arimant en effet
Est de ma Dorotée un si vivant portrait,
Qu’il me semble la voir elle-mesme, et soubçonne
Que toutes trois ne sont qu’une mesme personne.
Ouy les trois ne sont qu’une, ou j’ay perdu l’esprit.

Scène 4 §

PHILIPIN. ACASTE. ARIMANT.

PHILIPIN.

1585 J’ay des lettres, Monsieur,

ACASTE.

Quoy Dorotée escrit ?

PHILIPIN.

Ouy voilà deux pacquets.

ACASTE.

Ah ! l’heureuse nouvelle,
Je me trompe Arimant, non, non, ce n’est point elle.
Dieux ! quelle vision avois-je !

ARIMANT.

[O, 106]
Encor pourquoi ?

ACASTE.

Il n’est rien de plus clair Arimant, car je voy
1590 Que je reçoy souvent lettres de Dorotée,
Celle-cy de trois jours seulement est dattée,
Que punctuellement respond à mes escrits,
Estant dedans Lyon peut-elle estre à Paris ?

ARIMANT.

Cette raison sans doute est pressante et bien claire.

ACASTE.

1595 Et de plus sa lettre est escrite au Monastere.

PHILIPIN.

Cette lettre est de Clite, ou je la mescognois.

ACASTE.

De Clite ? ah justes Dieux ! comme je m’abusois.

LETTRE.

Vous apprendrez deux nouvelles par cette lettre ;la
premiere que le pere d’Octave à la solicitation de
1600 vos proches, remet sa vengeance entre les mains de ses
amis, et se veut accomoder avec vous. Ayant apris
que vous avez tué son fils en homme d’honneur. La
seconde que l’oncle de Dorotée traitte de la faire espou {p. 107}
ser avec un sien parent qui depuis peu est venu de la
1605 Rochelle, afin que le bien ne sorte point hors de sa fa-
mille, Dorotée m’en a donné advis, et vous le fait sça-
voir, voyez maintenant ce que vous avez à resoudre
là-dessus ; et vous asseurez que vous me trouverez
prompt à tout ce que vous desirerez de mon service.
1610 Vostre tres-humble et fidelle serviteur, CLITE.

ARIMANT.

Et bien qu’en dites-vous ?

ACASTE.

Amy je le confesse,
J’ay creu bien follement d’avoir veu ma maistresse.

ARIMANT.

Voyez comme on se trompe en son opinion,
Si son oncle la veut marier dans Lion,
1615 Où vous sçavez qu’elle est et dans un monastere
Si Clite vous l’escrit, comment se peut-il faire
Comme vous sousteniez, qu’elle soit dans Paris,
Sous des noms desguisez.

PHILIPIN.

Ah ! Monsieur, je m’en ris.
On ne peut sans avoir la cervelle blessée, {p. 108}
1620 Loger dans son esprit cette sale pensée
Qu’une fille d’honneur, et de condition
Voulust jamais commettre une telle action.
Car quoy que par effet il soit bien veritable
Que nostre Dorotée à ces deux fort semblable,
1625 Ce penser n’a jamais tombé dans mon esprit.

ACASTE.

Tay toy, n’en parlons plus, et lisons son escrit.

LETTRE.

Mon malheur augmente tous les jours, Cher Aca-
ste, car outre le mauvais traittement que je re-
çoy de mon Oncle, comme vous sçavez, pour comble
1630 de mes disgraces, il me veut forcer d’espouzer un hom-
me que je ne cognoy point, et me contraindre à rompre
la foy que je vous ay donnée. C’est pourquoy si vous
avez soing de ma vie, et si vous m’aymez au point
que vous me le voulez persuader ne manquez pas si
1635 tost que vous aurez reçeu cette lettre de partir de Paris
et venir icy en diligence*, puis que sans risque vous le
pouvez à faire present, afin de nous marier prompte-
ment avant que la force me contraigne de mettre les
choses en un estat desesperé, qui ne soufriroit plus aucun
1640 remede. Dieu vous vueille preserver, et vous rame-
ner en santé. Vostre tres-humble et fidelle servante.
DOROTEE. Du Couvent de S.Pierre, et c. {p. 109}

ACASTE.

Et bien apres cela puis-je estre plus en doute ?
Il n’en faut plus parler, toy Philipin escoute
1645 Va t’en droit à la poste, et retien pour demain
Trois Cheveaux entens-tu ?

ARIMANT.

Vous avez donc dessein
De nous quitter si tost ?

ACASTE.

Cher amy je vous prie
Ne me retenez pas, il y va de ma vie,
Puisque l’on veut ainsi destruire mon amour.
1650 Vois-tu je veux partir dés la pointe du jour,

PHILIPIN.

Bien j’y cours de ce pas.

Scène 5 §

ACASTE. PHILIPIN. ARIMANT.
DOROTEE. LEONOR.
{p. 110}

PHILIPPIN.

Monsieur bonne nouvelle,
Leonor est icy.

ACASTE.

Que dit mon Isabelle,
Leonor respons-moy.

LEONOR.

Je vous l’ameine icy.
Tiens-je pas ma parole ?

DOROTEE en chaperon*.

Ouy, Monsieur, la voicy.

ACASTE.

1655 Je vous suis obligé d’une faveur si grande.

LEONOR.

Je donne encore plus que l’on ne me demande,
Vous voyez bien, Monsieur, que je ne ments jamais, {p. 111}
Tiens-je pas en effet plus que je ne promets ?

ACASTE.

Ouy, chere Leonor, j’en suis ton redevable.

DOROTEE.

1660 Mais dites-moy, Monsieur, seroit-il vray-semblable
Qu’un homme si bien né sentit son cœur espris
D’une fille si simple et de si peu de pris.

ACASTE.

Va, tu vaux un thresor ; ma fille je t’estime,
Et t’ayme beaucoup mieux que l’on ne te l’exprime.
1665 Arimant peut-on voir un visage plus doux ?

DOROTEE.

Ce cœur que vous m’offrez, Monsieur, est il à vous ?
En pouvez-vous ainsi disposer ? Ah je gage
Que vous estes espris de quelque autre visage,
Vous ne songez à rien qu’à passer vostre temps,
1670 Monsieur vous voulez rire, et rire à mes despens
Si vous voulez railler cherchez je vous en prie
Avec qui pratiquer ailleurs la raillerie,
Les hommes d’aujourd’huy sont de vrais cajolleurs
Et mesme on ne doit pas se fier aux meilleurs.

ACASTE.

{p. 112}
1675 Arimant, cette fille est de l’humeur de Flore.

ARIMANT.

Pleust au Ciel qu’il fust vray.

ACASTE.

Ma fille je t’adore,
Je meurs d’amour pour toy, n’en doute nullement.

DOROTEE.

Leonor qu’en est-il ? je gageray qu’il ment.
Je sçay que vous avez en main une pratique
1680 D’une Dame de Cour, qu’on appelle Angelique
Femme depuis trois ans d’un officier du Roy.
N’est-il pas vray, Monsieur ?

ACASTE.

Que je suis hors de moy.
Qui t’a fait ce discours ?

DOROTEE.

La chose est tres certaine
Je le sçay d’une Dame.

ACASTE.

Et qui s’appelle Helene
1685 De Peralte sans doute. {p. 113}

DOROTEE.

Ouy, l’on la nomme ainsi.

ACASTE.

Quoy justes Dieux, faut-il que l’on me jouë icy,
Mais quelle est cette Helene, et d’où luy naist l’envie
D’aller en chaque lieu s’informer de ma vie ?
Si je la cognoissois je luy ferois sentir,

DOROTEE.

Quoy ?

ACASTE.

1690 Que qui me jourra s’en pourra repentir.
En fin c’est un peu trop la colere m’emporte.

DOROTEE.

Vrayment elle a grand tort d’en user de la sorte.

Scène 6 §

PHILIPIN entre

Les cheveaux seront prests, et vous pourrez sortir
Dès la pointe du jour.

DOROTEE

[P, 114]
Qui veut doncques partir ?
1695 Sit tost de cette ville ?

ARIMANT.

Acaste.

DOROTEE.

Ah je vous prie
Espargnez-moy Monsieur, tresve de raillerie ;
Cela ne peut pas estre.

ACASTE.

Ah ma fille, il est vray,
Je ne puis exprimer le regret que j’en ay,
Croy que j’y suis forcé, la chose est importante,

DOROTEE.

1700 Vostre amitié* pour moy paroist trop obligeante
Et quoy vous me quittez, ah certes je veux voir
Si j’ay sur vostre esprit quelque peu de pouvoir,
Ne quittez point Paris, enfin je vous en prie,
Ou bien n’esperez plus me voir de vostre vie.

ACASTE.

1705 Ma belle il te faut dire la verité,
Je suis en mon pays espris d’une beauté, {p. 115}
Que je perds pour jamais s’il faut que je differe
D’un moment à partir, c’est un mal necessaire,
Je reviendray bien tost, va croy moy qu’en effet,
1710 Que la beauté que j’ayme est ton vivant pourtraict,
Ce n’est pas sans regret enfin que je te quitte.

DOROTEE.

Je ne sçaurois souffrir ce discours hypocrite,
Quel regret, allant voir ainsi que je le voy,
Celle que vous aymez mille fois mieux que moy.

ACASTE.

1715 Je l’ayme il est certain, mais croy moy qu’il me semble
La perdre en te perdant, tant elle te ressemble.

DOROTEE bas.

Courage, tout va bien.

Scène 7 §

PHILIPIN ACASTE.

PHILIPPIN.

Un certain homme en bas
Vous demande.

ACASTE.

{p. 116}
Son nom.

PHILIPPIN.

Je ne le cognoy pas,
Mais je pense pourtant avoir veu son visage,
1720 Il vient à ce qu’il dit vous porter un message
D’une Dame qu’il sert.

ACASTE.

Qu’il entre promptement.

Scène 8 §

PAMPHILE, DOROTEE, LEONOR, ACASTE,
PHILIPIN, ARIMANT.

PAMPHILE.

Monsieur, je viens icy par le commandement
De Madame Angelique.

DOROTEE.

Achevez, que dit-elle ?

PAMPHILE.

Que son mary s’en va demain à la Rochelle.

DOROTEE.

{p. 117}
1725 Que nous importe-t’il ?

PAMPHILE.

Et vous pourrez avoir,
Monsieur, n’y estant plus le moyen de la voir,
Si vous le desirez,

DOROTEE.

Dites-luy je vous prie
Qu’estant avecque moy, c’est une raillerie
De penser qu’il me quitte, et luy dites aussi,
1730 Que demain au matin Acaste part d’icy
Pour aller à Lyon voir un certain visage
Dont il est amoureux.

PAMPHILE.

Je feray le message,
Adieu Monsieur.

ACASTE.

Atten Isabelle croy moy
Que cette Angelique est toute telle que toy :
1735 Et que ma Dorotée.

DOROTEE.

{p. 118}
Oh la plaisante histoire,
Vous imaginez-vous que je vous aille croire ?

PHILIPIN.

Flore entre, Monsieur,

ACASTE.

Flore ?

PHILIPIN.

Ouy Flore asseurément.

DOROTEE.

Encor une autre ?

ACASTE.

Elle est maistresse d’Arimant.

Scène 9 et dernière §

FLORE. ARIMANT. BEATRIX. LEONOR.
ACASTE. PHILIPIN. PAMPHILE.

ARIMANT.

Flore icy, justes Dieux! cela ne peut pas estre.

FLORE bas.

{p. 119}
1740 La coiffeuse est icy ? voyez un peu le traistre,
Cette Helene sans doute a dit la verité.

ARIMANT.

Je me sens tout esmeu quand je voy sa beauté.

FLORE.

Escoutez Arimant le sujet qui m’emmeine,
Injuste en mon estime aussi bien qu’en ma hayne.
1745 Je viens vous descouvrir un cœur desabusé,
Qui vous croyant leger vous avoit mesprisé,
Et qui jugeant Acaste un miroir de constance,
Avoit conceu pour luy beaucoup de bienveillance :
Mais enfin j’ay connu cét infidelle amant,
1750 Et la fidelité que conserve Arimant,
Ainsi que sa vertu sa flame* estant extresme
Je ne rougiray point de dire que je l’ayme,
Et confesser aussi que je prefere à tous,
Ce veritable Amant pour estre mon espoux.

ARIMANT.

1755 Ah Madame ! s’il faut que ce bon-heur m’advienne
Est-il felicité comparable à la mienne ?
Quel homme assez heureux me pourroit égaler.

ACASTE.

{p. 120}
Permettez-moy, Madame, à present de parler,
La vengeance sans doute est juste, et legitime :
1760 Mais encor que je sois si mal dans vostre estime,
Croyez que j’ayme bien puis qu’un billet d’amour,
Dès demain au matin me chasse de la Cour.

FLORE.

Encor, pour quel sujet ?

ACASTE.

Une Dame fort belle
M’attend dedans Lyon.

FLORE.

Comment se nomme-t-elle ?

ACASTE.

1765 Son nom est Dorotée.

FLORE.

Encor pour quel suject ?

ACASTE.

Pour aller espouzer ce ravissant object.

DOROTEE.

{p. 121}
Ce n’est pas le moyen d’appaiser vostre flame*,
Que de partir.

ACASTE.

Pourquoy ?

DOROTEE.

Parce que cette Dame
N’est plus dans le Convent, ny mesme dans Lyon.

ACASTE.

1770 Encor qui te l’a dit ?

DOROTEE.

Que vostre passion
Vous aveugle l’esprit, comment se peut-il faire
Que vous ne puissiez pas comprendre ce mistere ?
Ouvrez les yeux Acaste, et voyez qui je suis.
Vous desabusez-vous ?

ACASTE.

Helas je ne le puis.

DOROTEE.

1775 Quoy voyant Dorotée ?

ACASTE.

[Q, 122]
Ah ! je crains ta malice !
Si tu crois m’arrester avec cét artifice,
Tu n’y feras que perdre, et ta peine*, et ton temps,
Penses-tu m’ébloüir et surprendre mes sens ?
Je sçay bien qu’en effet cela ne sçauroit estre,
1780 Car je viens maintenant de recevoir sa lettre
Escrite du Convent où je puis m’asseurer
Qu’elle demeure encor.

DOROTEE.

En voudriez vous jurer?
Pour vous desabuser en faut-il davantage 
Que de vous faire voir les traits de mon visage ?

ACASTE.

1785 Ce visage me charme, et trouble mes esprits,

DOROTEE luy montrant ses lettres.

Et si ce n’est assez lisez tous ces escrits,
Et dans cette action admirez mon adresse,
J’ay sçeu tromper vos yeux, et par cette finesse
Je me suis déguisée en cét habit icy.
1790 Pour venir apres vous, et pour sçavoir aussi
Si vous estiez espris des yeux de quelque belle,
J’ay feint en mesme temps que j’estois Isabelle, {p. 123}
Que j’estois Angelique, et mesme que j’estois,
Helene de Peralte aussi tout à la fois,
1795 Mais afin d’asseurer vostre ame inquietée*
Je vous dy franchement que je suis Dorotée.

ACASTE.

Pour moy je n’eu jamais l’esprit plus interdit.

PHILIPIN.

En doutiez-vous Monsieur ? cent fois je vous l’ay dit,
Mais que sert de jurer à qui ne veut pas croire,

ACASTE.

1800 Dieux pouvois-je jamais esperer cette gloire ?
Ah l’heur* des bien-heureux n’est point égal au mien.
Escoutez Arimant, quittez vostre entretien,
Venez participer à l’excez de la joye,
Que l’Amour me procure, et que le Ciel m’envoye,
1805 Amy je suis ravy*.

ARIMANT.

Encor pour quel suject ?

ACASTE.

Cher Amy, vous voyez, en ce charmant object,
Où toute la beauté de la terre s’assemble, {p. 124}
Isabelle, Angelique, et Dorotée ensemble.
Voilà le beau sujet dont mon cœur est espris.
1810 Et pourquoy je voulois m’absenter de Paris.
En un mot, cher Amy, voilà ma Dorothée.

ARIMANT.

Est-il possible ô Dieux !

ACASTE.

J’ay l’ame transportée
D’un plaisir si parfait, et d’un heur* si charmant
Que je crains de mourir dans ce ravissement*.

ARIMANT.

1815 Cet heur* inesperé surpassoit notre attente.

FLORE.

Madame excusez-moy.

DOROTEE.

Je suis vostre servante.

ACASTE.

Tresve de compliments puis que je reconnoy
Que vous estes contente aussi bien comme moy.
Madame mettons fin à ce double Hymenée. {p. 125}

FLORE.

1820 C’est ce que je souhaite.

ARIMANT.

Ah ! l’heureuse journée.

PHILIPIN.

Et moy m’oublie-t’on ?

DOROTEE.

Non, Pauline est à toy,
Je la feray venir tanstot, elle est chez moy,
Qui te garde la foy qu’elle t’avoit promise.

PHILIPIN.

Est-il possible, ô Dieux ! le Ciel te favorise,
1825 Tout rit à tes desseins, trop heureux Philipin.
Je m’en vay de bon cœur donner ordre au festin.

FIN.