[A,1]
AU ROY. §
{p. 3}
Sire,
Aprez avoir rendu Vostre Estat victorieux, tranquille & bien-heureux, il ne restoit plus à V.M. qu’à le rendre riche, brillant & magnifique. C’est dans cette veuë qu’elle a transplanté dans son Royaume les Arts Liberaux, le Commerce & les Manufactures, & qu’elle s’est appliquée avec tant de soin à l’embellissement de ses Maisons, & de sa Ville Capitale : C’est cét Esprit de grandeur & de magnificence, dont Vostre Ame Royale est entierement possedée, qui a fait sortir de terre ces grands Palais du Louvre, & de Versailles, & qui les a comblez de cette profusion admirable de meubles & de richesses : C’est luy qui a donné à la France tant de beaux divertissemens, & nouvellement ce Superbe Ballet, qui a fait l’étonnement* de toute l’Europe. Toutes ces choses m’ont persuadé, S I R E, que V. M. auroit agreable que {p. 4} l’on introduisit dans son Royaume le seul spectacle & l’unique divertissement dont il estoit privé, qui est celuy des Opera, que l’Italie & l’Allemagne avoient de particuliers, & sembloient nous reprocher tous les jours. V. M. S I RE, a eu la bonté d’approuver mon dessein, & de l’appuyer de son authorité, & j’ay eu le bon-heur d’estre assisté dans cette entreprise des soins et de la dépense d’un des plus grands Seigneurs tout ensemble, & des plus beaux Genies de Vostre Royaume. Avec cela, S I R E, V. M. trouvera sans doute que nous avons mal répondu à la grandeur de ses illustres desseins, & à la magnificence de ses Ballets : Mais quelle proportion y peut-il avoir entre le Soleil et les Etoiles, entre de foibles sujets, & le plus grand des Roys. Le courage, S I R E, nous manque moins que les forces : Elles redoubleront, si V. M. honore nos representations de sa Royale presence, & nostre Academie de sa toute-puissante protection : Nous luy demandons tres-humblement l’un & l’autre. Pour moy, S I R E, je suis déja plus que content d’avoir témoigné par cet effort temeraire le zele* passionné que j’ay pour l’avancement de vostre gloire, & la profonde veneration avec laquelle je suis,
SIRE,
De V. M.
Le tres-humble, tres-obeïssant, & tres-fidele sujet & serviteur.
PERRIN.
AVANT-PROPOS. §
[B,5]
Dez les premieres representations de cét Opera, mes amis m’avertirent que l’on en critiquoit les paroles, & comme ils estoient persuadez que c’estoit injustement, ils me conseillerent pour les justifier de les faire imprimer : Je m’en suis deffendu jusqu’icy, en leur representant que je n’estois point surpris des mauvais bruits que l’on en faisoit courir ; qu’outre que par une fronde* de deux années j’estois tout accoustumé & tout preparé aux caquets des envieux*, des interessez, & des ignorans, dont le nombre estoit infiny, je ne doutois pas que la nouveauté* de cette Poësie Lyrique & Dramatique tout ensemble ne frapat d’abord les plus habiles* , jusqu’à ce qu’ils en eussent pris le goust, & qu’à force de reflechir dessus ils fussent entrez dans son esprit, d’autant plus qu’ils ne trouveroient pas icy ce qu’ils attendoient, qui estoit des Airs & des Chansons de Chambre sur des paroles retournées & pleines de redites continuelles, telles que la Musique Françoise en a produit jusqu’icy, mais d’une manière de Poësie originale et sans modele : Que je devois estre content de voir que contre l’opinion generale j’estois parvenu à ma fin, & que ces Vers si criti- [B, 6]quez formoient non seulement un Opera François, que les Maistres de l’Art soûtenoient estre impossible par le deffaut de la langue & des Acteurs ; mais, de l’aveu public, le spectacle le plus surprenant, le plus divertissant & le plus beau que des particuliers ayent donné de nos jours à la France. Que les plus mal intentionnez, apres l’avoir veu & censuré* en toutes ses parties, estoient forcez de revenir, & d’avoüer qu’ils ne s’y estoient point ennuyez, & que tout leur chagrin*, apres deux heures & demie de representation, estoit de le voir si-tost finir : Qu’au reste ce n’estoient que des bruits confus & mal articulez, qui n’aboutissoient qu’à blâmer trois ou quatre vers, dont les expressions, disoit-on, estoient trop basses et trop vulgaires, sans considerer ny les personnes qui parlent, ny les choses ausquelles elles sont appliquées, & lesquels mesme j’ay changez pour éviter procez, & pour m’épargner des explications importunes.
Que le reste n’estoient que de fausses plaisanteries, que l’on y crioit, disoit-on, des Pommes & des Artichauts, que l’on y parloit de Bourriques*, & de pareils quolibets, qui ne meritoient pas une reflexion. Qu’enfin je devois estre consolé d’apprendre que quatre ou cinq de nos plus habiles* hommes en Poësie, qui connoissoient par leur propre experience l’Art & la difficulté de composer des paroles pour la Musique, ne disoient pas du mal de celles-cy, & y reprenoient peu de choses, qu’ils confessoient encore estre faciles à corriger.
{p. 7} Mes amis n’ont pas esté satisfaits de ces raisons, & m’ont representé. Que les bruits se fortifioient de jour en jour. Que le venin se glissoit par contagion jusques dans les esprits les plus éclairez, & les personnes les plus desinteressées. Que je leur donnois le temps de former & de debiter de mauvais jugemens, dont apres ils auroient honte & peine de se retracter ; qu’il y alloit non seulement de mon honneur de me justifier en imprimant les vers, mais de l’interest de cét establissement, que ses ennemis tachoient de ruïner par ces calomnies, & qu’enfin je donnasse quelque chose à leur amitié & à leur zele*, & que je leur fournisse des armes pour me deffendre.
Je me suis enfin rendu à leurs raisons & à leurs prieres, & j’ay consenty que la piece fût imprimée plûtost que je ne l’avois resolu, sans toutesfois pretendre de la justifier icy pour plusieurs raisons. L’une que j’aurois mauvaise grace de faire moy-mesme mon Apologie, l’autre que la matiere est trop vaste pour estre renfermée dans un Avant-Propos, & la derniere que je serois obligé d’expliquer les secrets d’un Art que j’ay découverts par un long estude, & que je suis bien aise de me reserver. Je supplie seulement ceux qui ne seront pas satisfaits de la piece d’en faire la critique, & de la donner au jour, nous en profiterons le public & moy. De ma part je pourray me corriger de mes deffauts, et d’ailleurs m’engageans à une responce, ils donneront occasion à une dissertation curieuse sur ce {p. 8} sujet, qui pourra tout ensemble instruire et plaire : Je les avertis seulement de remarquer que par les raisons que j’ay dites dans l’Avant-Propos de l’Argument que j’ay fait imprimer, j’ay jugé à propos d’ouvrir le Theatre par une piece Pastorale, bien que j’en eusse trois Heroïques* toutes composées, qu’il en faut juger sur ce pied la, & considerer qu’elle est composée de Divinitez, & de Personnages Champestres, & qu’elle conduit tout ensemble, sur les Styles enjoüé* & Rustique, l’intrigue de Theatre, la Musique & la Symphonie* continuelles, la Machine & la Danse.
Je leur demande apres cela qu’ils attaquent la place en galants* hommes ; c’est à dire en soldats & par les formes, et non pas en frondeurs* en escarmouchant, & je leur declare que s’ils continuënt de le faire par satyres et par invectives, je leur répondray par un doux silence, & que je donneray toute mon application à composer de nouvelles pieces pour continuer à les divertir.
Au reste le champ est ouvert pour mieux faire, & si quelqu’un veut travailler* sur cette matiere, & faire l’honneur à l’Academie de luy presenter un Opera, je luy dy de sa part, qu’apres qu’il aura esté examiné par des gens habiles* et non suspects, s’il est par eux jugé digne d’estre representé, il le sera de bonne foy avec tous les soins & tous les ornemens possibles, & mesme si c’est une personne d’interest, on luy promet une honneste reconnoissance.
{p. C, 9}
PERSONNAGES. §
MUSICIENS. §
Personnages veritables. §
-
POMONE.
Deesse des Fruicts.
-
FLORE.
Sœur de Pomone, Deesse des Fleurs.
-
VERTUNE.
Dieu des Lares ou Follets, amoureux* de Pomone.
-
FAUNE ou FAT*.
Dieu des Villageois, amoureux* de Pomone.
-
LE DIEU DES JARDINS.
Amoureux* de Pomone.
-
JUTURNE.
Nymphe de Pomone.
-
VENILIE.
Nymphe de Pomone.
-
BEROÉ.
Nymphe de Pomone.
-
Nourrisse de Pomone.
-
CHŒUR DE JARDINIERS.
Personnages feints, & transformez. §
{p. 10}
-
VERTUNE transformé. EN BERGERE DE LAMPSACE,
Ville de Grece, où nâquit le Dieu des Jardins.
-
VERTUNE transformé. EN PLUTON,
Dieu des tresors.
-
VERTUNE transformé. EN BACCHUS.
-
VERTUNE transformé. EN BEROÉ.
-
FOLLETS transformez. EN BERGERES DE LAMPSACE.
-
FOLLETS transformez. EN SATYRES.
-
FOLLETS transformez. EN AMOURS, MUSES ET DIEUX.
-
Deux follets, cachez.
DANSEURS.
personnages veritables. §
-
BOUVIERS.
-
CUEILLEURS DE FRUICTS.
-
FOLLETS transformez. EN FANTÔMES*.
-
FOLLETS transformez. EN DEMONS.
-
FOLLETS transformez. EN ESCLAVES.
PERSONNAGES MUETS. §
-
TROUPE DE FOLLETS.
-
VERTUNE. transformé. EN DRAGON.
-
VERTUNE. transformé. EN BUISSON D’EPINES.
-
FOLLETS. transformez. EN BUISSONS D’EPINES.
-
FOLLETS. transformez. EN JOUEURS D’INSTRUMENS.
Decorations, ou changements* de theatre. §
La veuë de Paris à l’endroit du Louvre.
Vergers de Pomone.
Parc de Chesnes.
Rochers & Verdures.
Palais de Pluton.
Jardin & Berceau de Pomone.
Palais de Vertune.
La Scene est en Albanie, au pays Latin, dans la Maison de Pomone.
PROLOGUE. §
{p. 11}
Decoration. Paris à l’endroit du Louvre.
La toile se leve, & l’on voit Vertune & la Nymphe de la Seine.
Vertune, la nymphe de la Seine.
La nymphe de la Seine.
Toy qui vis autresfois le Fleuve des Romains
Triompher des humains
Et porter le sceptre du Monde,
Vertune, que dis-tu de ma rive feconde ?
Vertune.
De ta belle Cité ;
Du Roy qui la commande.
10 Dans l’Auguste LOUIS je trouve un
nouveau* Mars,
Jamais, jamais un si grand homme
Ne fut assis au thrône des Cesars.
La nymphe de la Seine
Aussi sur la Terre & sur l’onde,
{p. 12}
15 Ce Monarque puissant ne fait point de projets,
Que le Ciel ne seconde :
Il est l’Amour.
Ensemble.
Il est l’Amour & la terreur du monde ;
L’effroy de ses voisins, le cœur de ses sujets.
La nymphe de la Seine.
20 Mais quel dessein t’amene
Sur le bord de la Seine ?
Vertune.
Moy qui forge les visions,
Je viens tromper ses yeux de mes illusions,
Ensemble.
Commençons de charmer son cœur & ses oreilles :
Meslons nos voix, & remplissons les champs
Du doux bruit de nos chants.
Acte I. §
{p. D,13}
Scene premiere. §
Pomone, Juturne, Venilie, Beroe,
Pomone.
Passons nos jours dans ces vergers,
30 Loin des amours & des Bergers.
Passons nos jours
Pomone, Juturne, à 2.
Passons nos jours passons nos jours
Pomone.
Qui voudra s’engage
Sous les loix d’amour
35 Qui voudra s’engage
Et fasse la cour
Qui voudra l’adore,
40 Le flot de la mer,
Est moins infidele
Venilie.
N’a que peine et douleur.
Juturne.
Le sort le plus heureux
Est le plus dangereux.
Venilie.
50 Le flot de la mer
Est moins infidele.
Juturne.
La fleur en est belle
Juturne.
Qui ne dure qu’un matin,
Il a le destin
Des plus belles choses,
60 Il naist, il fleurit, il passe en un jour
Les chaisnes d’amour,
Sont chaisnes de Roses.
Pomone.
Passons nos jours dans ces vergers,
{p. 15}
65 Loin des amours et des Bergers,
Passons nos jours,
Pomone, Juturne, à 2.
Passons nos jours, passons nos jours
Loin des Bergers et des amours.
Ritorn*.
Scene deuxiesme. §
Pomone, Juturne, Venilie, Beroé, Flore.
Flore.
Ah ! ma sœur, à quoy penses-tu ?
Veux-tu bannir de ton empire
70 Ce Dieu puissant, dont la vertu
Anime tout ce qui respire,
Et dont les fecondes chaleurs
Font naistre tes fruits et mes fleurs.
Pomone.
Je consens que ses flâmes
75 Brûlent tout l’univers
Pourveu que dans nos ames
Flore.
Ah !si tu connoissois comme moy ses delices !
Beroé.
Ah !si tu connoissois comme moi ses
malices* !
Flore.
80 De combien de douçeurs il
flatte* nos désirs !
Beroé.
Combien il cause de soupirs !
{p. 16}
Beroé.
Que ses fers que ses lois
Flore.
Que ses fers que ses lois sont doux ;
Beroé.
Que ses fers que ses lois sont doux ; sont inhumaines !
Beroé.
Qu’il est beau, qu’il est dur,
Flore, Beroé, à 2.
Qu’il est beau, qu’il est dur, de vivre dans ses chaisnes !
Pomone.
Il a des biens, il a des peines ;
85 Et je ne veux que des plaisirs.
Scene troisiesme. §
Pomone, Juturne, Venilie, Beroé, Flore, le dieu des jardins, troupe de Jardiniers.
Le dieu des jardins.
Soulage donc les flames
Du grand Dieu des Jardins.
De plaisirs eternels il sçait remplir les ames,
90 Foibles trompeurs, inconstans et
badins*,
Unissons, unissons nos cœurs et nos empires ;
Ajoûte aux fruits de tes vergers
Les herbes de mes potagers,
Join mes Melons à tes Poncires ;
95 Et mesle parmy tes Pignons
Mes Truffes et mes Champignons.
Scene Quatriesme. §
Pomone, Juturne, Venilie, Beroé, Flore, le Dieu des jardins, troupe de jardiniers, Faune, troupe de bouviers.
Faune.
C’est bien à toy, Dieu miserable,
De pretendre à tes maux quelque soulagement !
Le Dieu des jardins.
100 De servir un
objet* si rare et si charmant !
Faune.
Elle a beau resister et faire la
mutine*,
C’est à moy,
Faune, le Dieu des jardins, à 2.
C’est à moy, C’est à moy que le Ciel la destine.
Le Dieu des jardins.
Tout cede
Le Dieu des jardins, Faune,à 2.
Tout cede, tout se rend à mon pouvoir divin.
{p. 18}
Flore.
105 Vous le dites en vain,
On vous connoit tous deux, mais éprouvons les vôtres,
Faites chanter les uns, faites danser les autres.
Le Dieu fait avancer sa troupe.
Les jardiniers.
Vive le Dieu des Jardiniers,
Il est toujours prest à bien faire,
110 Bergeres, portez vos paniers,
Il a dequoy vous satisfaire.
Sans luy les jeux, les passe-temps
N’ont qu’une douceur imparfaite ;
Et s’il n’est de la feste,
115 L’on ne rit pas long-temps.
Ny si plaisant que sa
folie* ;
Elle bannit de nostre cœur
La plus noire mélancolie,
120 Sans luy, etc.
Le dieu des jardins, à Faune.
Hé bien ! dans tes buissons,
Tes Oyseaux chantent-ils de pareilles Chansons ?
Faune.
Il est vray que jamais Rossignols d’Arcadie
N’ont fait plus douce melodie.
Le dieu des jardins, aux Bouviers.
125 A vous, Bouviers,
Passepied, Menüet, Gavotte ou Sarabande.
Entrée de ballet.
Bouviers.
La troupe s’écarte pour faire place aux Danseurs, puis se rassemble, la danse finie.
Faune, le Dieu des jardins, à Pomone, à 2.
Couronnez, il est temps, couronnez le vainqueur,
130 Donnez-luy vostre main, donnez-luy vostre cœur.
Pomone, à ses Nymphes.
Cueillez, Nymphes, dans ces prairies,
Cueillez pour eux des guirlandes fleuries.
Pomone fait signe à ses Nymphes de joüer ses Amans, elles feignent d’aller cueillir des fleurs.
Et vous, ma sœur,
à Flore
Couronnez le vainqueur.
Elle fait un pareil signe à Flore, et se retirant, elle se cache pour les observer et pour en rire.
Scene cinquiesme. §
Flore, Juturne, Venilie, Beroé, le Dieu des jardins, troupe de Jardiniers, Faune, troupe de Bouviers.
Faune, le Dieu des jardins, à Pomone, à 2.
135 Donnez-luy vostre main, donnez-luy vostre cœur.
Les Nymphes rapportent à Flore une corbeille, dans laquelle est une couronne d’épine, et une autre de chardons.
Flore, aux Dieux.
Et recevoir le premier de ses dons,
{p. 20}
Elle tire les deux couronnes de la corbeille, et faisant l’étonnée, leur dit en se moquant.
Pour vous l’épine et les chardons.
Flore, Juturne, Venilie, Beroé, à 4.
140 Ah !pour un plus heureux, etc.
La Deesse donne au Dieu des Jardins la couronne d’épine, à Faune celle des chardons.
Scène sixiesme. §
Faune, Troupe de Bouviers, le Dieu des jardins, troupe de jardiniers.
Faune.
Montrant au Dieu et à sa troupe la couronne d’épine qui leur a esté donnée.
Voyla le prix de vos Musiques,
Et ce que meritent vos chants :
Ritornele*, pendant laquelle les Bouviers dansent en se moquant.
Le Dieu des jardins.
Montrant à Faune et à sa troupe la couronne de chardons.
Voyla le fruit du Dieu des champs,
Le Dieu et les jardiniers.
145 Voyla le fruit, etc.
Scene septiesme. §
Vertune.
Helas !que me sert-il de changer tous les jours
De forme et de figure,
Si je ne puis changer l’
objet* de mes amours !
Qui se rit du tourment
Et des soins d’un amant.
Que ferons-nous, mon cœur, en des peines si dures ?
155 Ah ! puis que vainement je dirois mes
langueurs*,
Il faut nous transformer, et sous d’autres figures,
Vous que le Ciel soumet à ma puissance,
Hola, Follets, venez, volez, suivez mes pas,
Une troupe de Follets vole de tous les costez du Theatre.
160 Mais ne vous monstrez pas,
A mes loix seulement rendez obeyssance.
Ils disparoissent.
Acte II. §
Scène première. §
Béroé.
Ah ! n’est-ce pas assez qu’on aime et qu’on soupire
Pendant le cours de sa jeune saison ?
Pourquoy faut-il, Amour, étendre ton Empire
{p. 22}
165 Jusques sur nostre âge
grison* ?
Malgré tous mes efforts, malgré toutes mes feintes,
Je sents vivre tes feux dans mes cendres éteintes :
D’une crüelle ardeur je me voy consumer,
Que la
glace* des ans ne fait que rallumer ;
170 J’ayme un Dieu… le voicy, tachons de le surprendre ;
Il réve à ses amours, cachons-nous pour l’entendre.
Scène deuxiesme. §
Vertune, Beroé cachée.
Vertune.
O doux Zephirs
Vous enflamez la terre
Par vos soupirs ;
175 Et de vos pleurs
Naistre les fleurs :
Helas ! ainsi que vous,
Je suis tendre et fidele,
180 Discret et doux ;
Et mes douleurs
Pour qui je meurs.
Mais pourquoy tant gemir ? poursuy ton entreprise,
185 Lache, c’est trop se plaindre et soupirer en vain,
Il faut l’attendre icy ; dans ce
bocage* vert,
Elle cherche souvent le frais et le
couvert*.
Scene troisiesme. §
Vertune, Beroé.
Beroé.
190 Quoy toujours inflexible,
Toujours sourd à mes vœux,
Vertune à l’écart.
195 L’Enfer l’amene icy pour troubler mon projet.
Beroé.
Quoy ? tant d’amour ? ingrat !
Vertune, à l’écart.
Quoy ? tant d’amour ? ingrat ! évitons sa poursuite.
Beroé, l’arrestant.
Arreste, et voy du moins ma peine et mes
langueurs*,
Un moment encor et je meurs.
Vertune, à l’écart.
Il faut l’épouvanter et luy donner la fuite.
Vertune se transforme en Dragon, et court à elle comme pour la devorer.
Scene quatriesme. §
{p. 24}
Beroé, Vertune en dragon.
Beroé.
200 Que voyez-vous mes yeux ?
Mais non, rasseurons-nous, c’est luy qui se transforme
Elle affronte le Dragon.
Hé bien ! cruël,
saoule*-toy de mon sang,
Dechire moy le flanc,
Arrache moy la vie
Je béniray mon sort,
Et je ne puis mourir d’une plus douce mort.
Le Ciel brille d’éclairs, et gronde de tonnerres, la terre tremble, et douze Follets, par ordre de leur Dieu, transformez en
Fantômes*, armez de
foudres* et de griffes de fer, tombent du Ciel dans un nüage enflamé.
Scene cinquiesme. §
Beroé.
210 Mais quel éclair ? quel horrible tonnerre ?
Quel tremblement de terre ?
Quels Fantômes affreux et quelles visions ?
215 Je vous connoy, Follets, et vos illusions.
Et me joüer à vostre tour :
Mais l’on ne peut former les
glaces* de la crainte,
Où regnent les feux de l’amour.
Les Follets en
Fantômes* descendus de la Machine, s’épandent à l’entour de Beroé, et pour l’épouvanter dansent à ses yeux une danse terrible.
Entrée de ballet.
Fantomes*.
Beroé reste sans s’effrayer, et la Danse finie, dit aux Fantômes.
Beroé.
Et croyez-vous encor sous ce
masque* trompeur,
Me donner de la peur ?
Trois
Fantômes* disparoissent, quatre saisissants Beroé l’emportent en l’air, cinq restent sur le Theatre.
Beroé.
Au secours, je suis morte,
225 On m’entraisne, on m’emporte.
Le Dieu des Jardins, suivy de quatre Jardiniers, accourt pour la secourir.
Scene sixiesme. §
Cinq follets en
fantomes*, le dieu des jardins, quatre jardiniers.
Le Dieu, et les jardiniers, à 5.
Pauvre Nourrisse, helas ! tes cris sont superflus.
Le Dieu et sa Trouppe, ne pouvans arracher la Nourrice aux
Fantômes*, qui
{p. 26}l’emportent, s’en veulent venger sur les cinq qui restent, et crient,
Donnons, donnons, frapons dessus.
Le Dieu, et les quatre Jardiniers veulent fraper sur les cinq
fantômes* ; mais comme ils ont le bras levé, ces derniers se transforment en autant de Bourgeoises de Lampsace, Ville de Grece, où nâquit le Dieu des Jardins, amies, femmes, maistresses et parentes du Dieu et de sa troupe.
Scene septiesme. §
Le Dieu des jardins, quatre jardiniers, cinq Follets en bourgeoises de Lampsace.
La premiere bourgeoise, au Dieu des Jardins.
Tu veux m’assassiner ?
Le Dieu, à la premiere.
Tu veux m’assassiner ? Ah ! ma chere voisine !
Le premier jardinier, à la deuxiéme.
Ma sœur !
Le deuxiéme, à la troisiéme.
Ma sœur ! ma femme !
Le troisiéme, à la quatriéme.
Ma sœur ! ma femme ! ma cousine !
la cinquiéme, au quatriéme.
230 C’est toy, Philandre, helas !
Le quatriéme, à la cinquiéme.
C’est toy, Philandre, helas ! c’est toy chere Cloris !
La deuxiéme, au troisiéme.
Mon aymable Alcidor !
Le troisiéme, à la deuxiéme.
La troisiéme, au quatriéme.
Le quatriéme, à la troisiéme.
Ah Damon ! ah ! Climene !
O Dieux ! qui vous amene
En ces bords étrangers ?
La troisiéme.
235 Le desir de revoir nos aymables Bergers
La premiere.
Depuis que vous cessez de cultiver nos terres,
La mousse et les buissons croissent dans nos
parterres* :
La deuxiéme.
On voit sur nostre teint une jaune
pasleur*,
La troisiéme.
Nous n’avons plus de Lys
La quatriéme.
Nous n’avons plus de Lys nous n’avons plus de Roses,
La cinquiéme.
240 Et nos fleurs demy closes
Fletrissent de douleur.
Le troisiéme jardinier.
Depuis vostre absence,
Ce n’est que souffrance,
Le quatriéme.
245 Dez la moindre peine,
Nous perdons haleine,
Courage et vigueur.
Le troisiéme.
Nos peaux sont plus seches
Le troisiéme, et le quatriéme. à 2.
Nous tombent des mains.
Le deuxiéme.
Allons, Bergers,
Le premier.
Allons, Bergers, allons, Bergeres.
Tous.
Allons Bergers, allons, Bergeres
Gouster les douceurs du retour.
La premiere, et la deuxiéme bourgeoise. à 2.
255 Allons sur les vertes fougeres
Cueillir les doux fruits de l’amour.
Tous.
Allons sur les vertes etc.
Le Dieu et les Jardiniers vont embrasser chacun leur Bourgeoise, mais dans le moment elles se transforment en autant de Buissons d’Epines.
Scene huitiesme. §
Le Dieu des jardins, quatre jardiniers, cinq Follets en buissons d’epines.
Le Dieu et sa troupe, en se piquant. à 5.
Ah !nous trouvons l’épine, où nous cherchons la Rose !
Le Dieu des jardins.
260 Que viens-tu faire en ce lieu,
Pauvre Dieu ?
Tu brûles de vaines flâmes,
[H,29]
Et tu souffres cent mépris,
Toy qui fus l’amour des Dames,
265 Et la terreur des maris.
Est-ce à toy de soûpirer
Et prier,
Toy qu’à genoux on implore ?
Va soulager les desirs
270 De la belle qui t’adore,
Et qui meurt pour tes plaisirs.
Deux Follets cachez, chacun dans le tronc d’un Chesne, achevent de joüer le Dieu.
Deux Follets cachez. à 2.
Cesse, grand Dieu, cesse tes plaintes vaines.
Le dieu des jardins.
Qu’enten-je ? quelle voix sort des rives prochaines,
Echos, Arbres, Rochers ; est-ce vous, est-ce vous ?
Deux Follets cachez. à 2.
275 Nous sommes deux Nymphes des Chesnes,
Et le Ciel t’annonce par nous,
Qu’un jour il finira tes peines.
Le Dieu des jardins.
Helas ! hé quand viendra ce bien-heureux moment ?
Deux Follets cachez. à 2.
Quand tu seras discret et fidele en aymant.
Le Dieu des jardins.
280 Taisez-vous, taisez-vous, impertinents oracles,
Amour en ma faveur fait bien d’autres miracles,
On perd tout pour attendre,
{p. 30}
Et que le vigoureux
285 Est souvent plus heureux
Que le sage et le tendre.
Le Dieu, et les jardiniers, à 5.
Apprenez, apprenez, etc.
Acte III. §
Scene premiere. §
Vertune.
A la fin délivré d’une troupe importune,
Je puis me transformer et paréstre à ses yeux.
290 La voicy, cachons-nous : Destin, Amour, Fortune,
Favorisez mes vœux.
Scene deuxiesme. §
Pomone, Juturne, Venilie, Vertune caché.
Pomone, Venilie, à 2.
Sortez, petits Oyseaux, sortez de vos boccages,
Quittez, quittez vos nids et vos buissons,
295 A nos agreables Chansons. Flutes.
Volez, doux Rossignols, volez dans ces feüillages,
Venez, Serins, venez, venez Pinsons,
Et meslez, etc.
Vertune paroit transformé en Pluton, dieu des tresors.
Scene troisiesme. §
Pomone, Juturne, Venilie, Vertune en Pluton.
Vertune en Pluton.
Charmé de tes accents, adorable Pomone,
300 Mais plus charmé de l’éclat de tes yeux,
Je sors de mon empire et je viens en ces lieux,
Du plus riche des Dieux
T’offrir et le cœur et le throne.
Si tu doutes de mes ardeurs
305 Dans mes regards tu les pourras connestre :
Si tu doutes de mes grandeurs
Voy de quels biens je suis le maistre.
Un Palais doré paroit, et cinq Follets transformez en Demons, portants des corbeilles pleines d’or et de richesses.
Scene quatriesme. §
{p. 32}
Pomone, Juturne, Venilie, Vertune en Pluton, cinq Follets en demons.
Entrée de ballet.
Follets en demons.
Pomone, ses Nymphes, et Vertune en Pluton s’écartent pour faire place aux Danseurs, puis se rassemblent la danse finie.
Vertune en Pluton, à Pomone.
Mon throne et mes tresors, ma flame et mes
langueurs*
Ne pourront-ils, Deesse ? adoucir tes
rigueurs*.
Pomone.
310 Non, non, garde ton or, tes pierres et tes marbres,
Mon unique tresor sont mes fruits et mes arbres.
Vertune en Pluton.
Si tu bornes là tes plaisirs,
J’ay dequoy pleinement contenter tes desirs.
Il montre à la Deesse dans la main de ses Demons une corbeille pleine de Bigarrades d’or, et une autre pleine de Grenades, dont les grains sont des rubis.
Voy-tu ces Bigarrades,
315 Elles sont toutes d’or, et ces belles Grenades,
Leurs grains sont rubis pretieux ;
Je puis en peupler tous ces lieux.
Pomone.
Il me suffit de mon partage,
320 Moins de biens, moins de biens, et plus de liberté.
Pomone, Juturne. à 2.
Liberté, liberté.
Vertune, en Pluton.
Hé bien garde ta pauvreté,
Adieu, c’est trop aimer une
ingrate* beauté.
Le palais disparoit, et le Dieu avec ses Demons s’enfonce dans la terre.
Scene cinquiesme. §
Pomone, Juturne, Venilie.
Juturne, Venilie.
Liberté, liberté.
Venilie.
325 O la grande foiblesse !
De cherir les tresors,
O la grande foiblesse !
C’est prendre l’ombre pour le corps,
Et suivre un bien qui nous füit et nous laisse.
Juturne.
330 Bannir de son cœur la noire tristesse,
La folle tendresse,
Les soins, les desirs :
Rire, chanter, passer en plaisirs
Sa belle jeunesse,
335 C’est la veritable sagesse,
La grandeur, la richesse
N’est qu’ombre et vanité.
Pomone, Juturne, Venilie, à 3.
Liberté, liberté.
Scene sixiesme. §
{p. 34}
Pomone, Juturne, Venilie, Vertune à l’écart.
Vertune à l’écart.
J’ay perdu mes soins et mes pas :
340 Mais je ne me rends pas :
Et l’abordons sous une autre figure.
Vertune transformé en Bacchus paroit, devancé par trois Satyres, qui tiennent à la main des couppes, des bouteilles et des flaccons.
Scene septiesme. §
Pomone, Juturne, Venilie, Vertune en Bacchus, Follets en Satyres.
Les Follets en Satyres. à 3.
Place, place voisins,
Place au Dieu des raisins.
Ritorn*.
Vertune en Bacchus.
345 Remply d’amour et de tendresse,
Je viens, belle Déesse,
Comme les autres Dieux
Rendre hommage à tes yeux,
Et t’offrir à mon tour mon sceptre et ma couronne.
Pomone.
350 Je sçay qu’elle a beaucoup d’éclat et de splendeur :
Mais je renferme ma grandeur
Dans celle que le Ciel me donne.
Bacchus.
Ta couronne est illustre et ton pouvoir divin,
{p. 35}
Mais le mien se répand sur la Terre et sur l’Onde,
355 Et t’offrant l’empire du vin,
Je t’offre l’empire du monde.
Pomone.
N’ay-je pas dans le mien un
jus* doux et charmant,
Que l’on cherit également ?
Les Follets en satyres. à 3.
O la comparaison étrange,
360 Du Cidre au
jus* de la vandange !
Vive nostre aymable liqueur.
Pomone, Juturne, Venilie. à 3.
Vive nostre aymable liqueur,
Juturne.
Elle charme le goust,
Premier Satyre.
Elle charme le goust, elle échauffe le cœur.
Venilie.
C’est le nectar des Dieux,
Second Satyre.
C’est le nectar des Dieux, c’est l’honneur de la table.
Juturne.
365 Rien n’est si doux,
Troisiesme Satyre
Rien n’est si doux, rien n’est si delectable.
Tous. à 7.
Vive nostre aymable liqueur.
Ritorn*.
Pomone et ses Nymphes se retirent en se moquant, Faune arrive.
Scene huitiesme. §
{p. 36}
Faune, Vertune en Bacchus, Follets en Satyres.
Faune.
O Dieux ! quelle chaleur m’enflame !
Je suis dans un double brasier,
La soif altere mon gosier,
370 Et l’amour échauffe mon ame.
Que je te rencontre à propos,
Grand Dieu des verres et des pots,
Ah ! j’implore ta grace
Et ton secours divin,
375 Verse, helas ! dans ma tasse
Une larme de vin.
Vertune en Bacchus.
Il faut le secourir,
Faune.
Il faut le secourir, il y va de ta gloire.
Vertune en Bacchus, aux Satyres.
Donnez-luy du meilleur du muy,
Enfants, faites-le boire, et beuvez avec luy.
Il fait signe aux Follets de joüer son rival.
Scene neufviesme. §
[K,37]
Faune, Follets en Satyres.
Les Follets en Satyres. à 3.
380 Beuvons tous à la ronde,
Beuvons au Dieu fallot ;
Que chacun me seconde ;
Beuvons tous à la ronde
A ce vieux sibilot :
385 Fringue la tasse, fringue,
Masse à luy, tope et tingue.
Faune, leur presentant sa tasse.
Versez, versez à rouge bord,
Les Follets, continuants à boire sans l’écouter, à 3.
Masse à luy, tope et tingue.
Faune, s’impatientant.
Donnez-donc, je meurs,
Les Follets, continuants de mesme.
390 Masse à luy, tope et tingue.
Faune leur saisissant la bouteille.
Masse à luy, tope et tingue. je suis mort.
Donnez, donnez, quelle fadese !
Le 2.Satyre.
Tien, bon-homme, fay nous raison,
Et pour estre mieux à ton ayse
Couche toy-là sur le gazon.
Les Follets placent Faune sur un gazon, et mettent alentour de luy trois flacons, et trois bouteilles.
Faune.
395 O quel plaisir, quand on est alteré,
{p. 38}
De voir autour de ses oreiles
Un cercle inesperé
De pots et de bouteilles !
Beuvons, beuvons, mais qu’est cecy ?
Comme il veut prendre une bouteille elle s’enfuit, et traverse le Theatre, il s’attaque à la seconde, qui fait le mesme.
400 La bouteille s’enfuit, et la seconde aussi.
Il veut saisir la troisiéme, elle s’éleve en l’ait, où un Follet la vient emporter.
A l’ayde, le Demon l’entraisne.
Il croit s’emparer de la quatriéme, elle fond en terre : la cinquiéme fait de mesme.
Et toy, joly flacon, te prendra-t-on ainsi ;
Quoy toute la demy douzaine ?
Il empoigne la sixiéme, et boit à mesme.
Ah ! du moins j’auray celle-cy,
405 Et j’en rempliray ma bedaine.
Il trouve que c’est de l’eau, et crache.
Les Follets en Satyres. à 3.
Il boit de l’eau pour du vin.
Faune, en se levant.
On me berne, on me raille,
Courez dessus Bouviers,
Les Follets en Satyres. à 3.
{p. 39}
Faune les poursuit à coups de massüe, ils disparoissent.
Acte IV. §
Scene premiere. §
Beroé.
Sors de mon cœur,
415 Aveugle frenesie,
Brutale ardeur, maudite jalousie ;
Peste* des cœurs, dont le poison
Détruit l’amour et la raison,
420 C’est trop d’affronts soufferts,
Rompons, brisons nos fers,
Vengeons nous de qui nous méprise ;
Et renversons du moins toute son entreprise,
A l’écart.
Mais le voicy qui medite en son cœur
Et n’a pas épuisé sa ruse et ses
malices*,
{p. 40}
Scene seconde. §
Vertune, Beroé cachée.
Vertune.
Amour, dy-moy, que dois-je faire,
Pour la fléchir et pour luy plaire ?
430 Amour, dy-moy, que dois-je faire ?
En qui me transformer ? des plus puissans des Dieux,
Mais pourquoy l’attaquer sous la forme d’un autre ?
Peut-estre pourrions-nous luy plaire sous la nostre.
435 Tachons de la surprendre une derniere fois,
Prenons de Beroé la figure et la voix,
Cette vieille insensée
Possede entierement son cœur et sa pensée.
Et si dans cet habit je ne puis la tenter,
440 Je veux me presenter,
Et luy parler moy-mesme
De mon amour extréme,
Je veux…mais la voicy.
Il se cache.
Scene troisiesme. §
Pomone, Flore, Vertune et Beroé, cachez.
Flore soûpire.
Pomone.
Qui cause ce soûpir
Flore.
Qui tourmente mon ame.
Pomone.
450 Allons sous la verte feüillée
Voir danser nos cüeilleurs de fruits.
Vertune s’avance, transformé en Beroé.
Scene quatriesme. §
Pomone, Flore, Vertune en Beroé,Beroé cachée.
Pomone à Vertune, en Beroé.
Mais te voila, Nourrisse,
Hé qui t’a fait absenter si long-temps ?
Il faut qu’un baiser t’en punisse.
Elle le baise.
455 Mets-toy là, bonne mere, et voy nos passetemps.
Pomone, Flore et Vertune en Beroé vont s’asseoir sous la feüillée. Des Cüeilleurs, et des Cüeilleuses de fruits, la hotte sur le dos, viennent danser.
Scene cinquiesme. §
Pomone, Flore, Vertune en Beroé, Beroé cachée. Cueilleurs, et cueilleuses de fruits.
Entrée de Ballet.
Cueilleurs de fruits.
Scene sixiesme. §
{p. 42}
Pomone, Flore, Vertune en Beroé. Beroé cachée.
Apres la Danse, Pomone, Flore et Vertune en Beroé se rassemblent.
Pomone, à Flore.
Hé bien ! que dis-tu ma sœur
De nostre charmante vie ?
Flore.
Je dy que sa douceur
460 Sans le plaisir d’amour tous les autres plaisirs,
Lassent facilement nos cœurs et nos desirs.
Pomone.
Tu me conseilles donc desormais de le suivre ?
Flore.
Qui commence d’aymer, il commence de vivre.
Pomone, à Vertune en Beroé.
Nourisse, qu’en dis-tu ?
Vertune en Beroé.
Nourisse, qu’en dis-tu ? Croiras-tu mes avis ?
Pomone.
465 Je les ay jusqu’icy fidelement suivis.
Vertune en Beroé.
Je detestois l’amour et traitois ses delices
De crime et de supplices :
Mais depuis que j’ay veu Vertune ton amant,
J’ay bien changé de sentiment.
470 Qu’il a d’amour ! qu’il a de charmes !
Il me dit l’autre jour les peines qu’il ressent,
D’un air si doux, si languissant,
{p. 43}
Qu’il m’attendrit et me tira des larmes.
Je le dy franchement,
475 Si j’estois jeune et belle,
Mon cœur à cét amant
Ne seroit point rebelle.
Beroé cachée.
Le rusé, l’imposteur* !
Pomone.
Le rusé, l’imposteur* ! il seroit à mes yeux
Le plus parfait des Dieux,
Non, non, ce cœur est invincible.
Beroé cachée.
Allons le démentir.
Vertune en Beroé.
Souvent le plus constant
S’ébranle en un instant.
Beroé, courant à luy.
485 Je te tiens, fourbe, lâche.
Vertune reprend soudainement sa figure naturelle.
Scene septiesme. §
Pomone, Flore, Vertune, Beroé,
Vertune, à Beroé.
Dequoy m’accuses-tu ? quel crime ay-je commis ?
Ah ! n’ay-je pas sans-toy d’assez fiers ennemis ?
Beroé, à l’écart.
Hélas ! en le voyant ma
fureur* se relâche.
Pomone, à l’écart.
Qu’il a l’air fier et doux ! ha ! qu’est-ce que je sents ?
{p. 44}
490 Un mouvement secret me transporte les sens.
Vertune.
J’ay failly toutesfois, je suis un témeraire,
D’aspirer, ô Deesse ! à l’honneur de te plaire.
Beroé, à l’écart.
O Ciel ! que ferons-nous ?
Vertune.
O Ciel ! que ferons-nous ? aussi jusqu’à ce jour
Le respect m’a contraint de cacher mon amour :
495 Mais enfin emporté par son ardeur extreme,
Je viens à tes genoux te dire que je t’aime,
Il se jette à genoux devant la Déesse.
Pomone, à l’écart.
O Dieux ! il m’attendrit.
Vertune.
O Dieux ! il m’attendrit. et me voir condamner
Pomone, à l’écart.
Je n’en puis plus !
Vertune.
Je n’en puis plus ! à des peines mortelles,
Pomone, à l’écart.
Helas !
Vertune.
Helas ! et d’autant plus cruelles
Vertune.
Et je sents que la mort ne peut les terminer,
Pomone, se tournant à luy.
Vertune.
Et je sents que dis-tu ?
Pomone.
Et je sents que dis-tu ? ce que je n’ose dire
En le relevant.
Et je sents que mon cœur partage ton martire.
Venilie entre d’un costé, Faune et le Dieu des Jardins de l’autre.
Scene huitiesme. §
Pomone, Flore, Vertune, Beroé, Venilie. Faune le dieu des jardins.
Pomone, Flore, Vertune, à 3.
505 Les honneurs, la richesse
Ont tenté vainement ;
L’amour et la beauté le font en un moment.
Scene neufviesme. §
Faune, le Dieu des jardins, Beroé, Venilie.
Faune, au Dieu.
Pauvre Dieu des Jardins !
Le Dieu des Jardins.
Pauvre Dieu de Village !
Faune en luy presentant Beroé.
{p. 46}
510 Voicy ce que le Ciel te reserve en partage.
Le Dieu des jardins en montrant Venilie.
Voicy le mien
En luy montrant les cornes qu’il porte au front.
Voicy le mien Voyla le tien.
Faune, en luy montrant sa bouteille.
Voicy le mien
En luy montrant Beroé.
Voicy le mien Voyla le tien.
Faune et le Dieu, à 2. En continüant.
Voicy le mien,
Voyla le tien.
Venilie, au Dieu des Jardins.
515 Si d’un Vulcain aussi difforme
Le Ciel me faisoit la Venus ;
Il en auroit le front aussi bien que la forme,
Et ne cederoit point aux Dieux les plus cornus.
En montrant Faune.
Acte V. §
Scene premiere. §
Vertune, Pomone, Juturne, Venilie.
Pomone.
En vain tu veux me faire voir
520 L’estat de ton empire et ton divin pouvoir,
{p. 47}
Grand Dieu, ce que mon ame
Ressent pour toy de tendresse et d’ardeur,
Tu le dois à ta flame.
Bien plus qu’à ta grandeur.
525 C’est assez….
Vertune
Mais ce que je pretends
Te montrer de puissance
530 Est plus un passe-temps
Qu’une magnificence.
Nous regale aujourd’huy d’un aimable present.
Scene deuxiesme. §
Vertune, Pomone, Juturne, Venilie, Flore.
Flore.
Presentant aux Amants le Chappeau d’Hymen.
Vous ne manquez pas de couronne,
535 Heureux amants, et le Ciel vous en donne
Des plus nobles de l’Univers :
Mais pour un cœur qu’amour tient dans ses fers,
La plus belle et la plus charmante
Est le Chappeau d’Hymen que ma main vous presente.
540 Passez dans ses plaisirs et les jours et les nuits,
Portez ses fleurs, goustez ses fruits.
Ritorn*.
Scene troisiesme. §
{p. 48}
Vertune, Pomone, Juturne, Venilie, Flore, le Dieu des jardins, deux jardiniers.
Le Dieu des Jardins prend de la main d’un des Jardiniers une corbeille pleine de Truffes et d’Artichauts, et la presente aux Amants.
Le Dieu des jardins.
Je vous offre, grands Dieux, le present d’un pauvre homme,
Et dans un jour pareil la Truffe et l’Artichaut
545 Vallent mieux que la Pomme.
Vertune.
Suivons nostre dessein : sus,
sus*, Lares, Follets,
Qu’on bastisse un Palais
A ma belle maistresse.
Un Palais magnifique se montre.
Pages, valets,
550 Qu’on serve ma Deesse.
Huits follets transformez en esclaves font la reverence à la Deesse.
Scene quatriesme. §
Vertune, Pomone, Juturne, Venilie, Flore, le Dieu des jardins, deux Jardiniers, Follets en esclaves.
Vertune.
Qu’on enfonce mille tonneaux,
Que le vin coule à plein ruisseaux.
Une fontaine de vin paroit.
Que le Haut-bois s’apreste
[N,49]
A celebrer la feste.
Un balcon à ferrade se montre, et sur le balcon une troupe de Haut-bois vestus de
livrées* des mariez, et dans le mesme temps, vingt-quatre violons, vestus de mesme, paroissent sur les deux aisles du Theatre.
Scene cinquiesme. §
Vertune, Pomone, Juturne, Venilie, Flore, le Dieu des jardins, deux jardiniers, Follets en esclaves, Follets en symphonistes.
Vertune.
555 Vous, Esclaves, dansez,
Et la divertissez.
Entrée de ballet.
Follets en esclaves.
La troupe s’écarte pour faire place aux danseurs, puis se rassemble, la danse finie.
Vertune.
Hola, follets, paroissez dans les airs,
Sous mille plaisantes images,
Et pour la divertir, formez dans les nüages
560 Des spectacles charmants, et d’aymables
concerts*.
Dix-huit Follets transformez paroissent en differentes nües brillantes, six aux fonds du Theatre dans une grande nüe, six sur le costé droit en trois petites nües diverses, et autant sur le gauche, sous des formes de Dieux de Muses et d’Amours, partie chantants, partie joüants des instruments.
Scene sixiesme. §
Vertune, Pomone, Juturne, Venilie, Flore, le Dieu des jardin, deux jardiniers, Follets en esclaves, Follets en symphonistes, Follets en dieux dans les nües.
Les Follets dans les nües.
{p. 50}
Venez, Dieux et mortels, à cette grande feste,
Celebrez ce jour de conqueste,
Ce jour illustre et bienheureux :
Nostre Dieu va gouster les plaisirs
amoureux*,
565 Sautons, rions, dansons, et chantons à sa gloire
Des chants d’amour et de victoire. Rit.
Juturne, Venilie, à 2.
Courez, courez à pas legers,
Courez, Satyres et Bergers,
Sautez, riez, dansez, et chantez, etc. Rit. par les violons.
Les Follets dans les nües.
570 Et vous, Follets, qui formez dans les airs
Des vents et des nuages,
Arbitres souverains,
Rendez les Cieux tranquilles et serains,
575 Et chassez loin de nous la
foudre* et les orages.
Voicy le jour, voicy le temps,
Des jeux des ris, des passe-temps.
Sautons, rions, dansons, et chantons, etc.
Ritorn*.
Scene septiesme. §
Vertune, Pomone et les autres. Faune.
Faune, en dansant et se moquant.
Sautons, rions, dansons, etc.
580 On attrappe aujourd’huy le plus fin des
Renards*,
Aujourd’huy se grossit le nombre des
Cornards*.
Nous les porterons sur le front ;
{p. 51}
Mais les miennes y paroistront,
585 Les siennes seront invisibles.
La Nourisse paroit.
Scene derniere. §
Vertune, Pomone et les autres. Beroé,
Faune.
Et toy, Nourisse, aussi,
Tu viens paréstre icy ?
Pauvre vieille insensée,
Ne crains-tu pas de cet amant
590 La hayne et le ressentiment ?
Oses-tu regarder ta maistresse offensée ?
Beroé.
Avant la fin du jour
Mes fautes dans l’oubly seront ensevelies,
Et qui ressent les plaisirs de l’amour,
595 En pardonne aysement le crime et les
folies*.
Pomone.
Non, non, sans m’offencer tu peux l’aymer toûjours,
Nourisse, ne crains rien et poursuy tes amours.
Vertune.
Vivons, vivons amis.
Vertune, Faune, Le Dieu des jardins, Pomone, Flore, Beroé.
Flore, Faune.à 2.
Vivons, vivons amis. Ritorn*. que par toute la terre
600 On chasse les
ennuis*, on bannisse la guerre.
Flore.
Que l’Automne, que le Printemps,
Pomone, Flore.à 2.
Brillent de jeux, de passe-temps ;
Flore.
Que pendant nos belles saisons,
On fasse l’amour sur nos terres.
Le dieu des jardins.
Dans les jardins,
Vertune.
Dans les jardins, dans les maisons,
Pomone.
Les champs, les vergers,
Tous. Instrumens et Voix.
610 Dans les jardins, dans les maisons,
Les six petites nües se retirent, et la grande vole du fond du Theatre sur le ceintre.
Fin. [O,53]
Lettres patentes du roy, pour establir, par tout le Royaume, des Academies d’opera, ou Representations en Musique en Langue Françoise, sur le pied de celles d’Italie. §
Louis par la grace de Dieu, Roy de France et de Navarre : A tous ceux qui ces presentes Lettres verront ; SALUT. Nôtre amé et feal Pierre Perrin, Conseiller en nos Conseils, et Introducteur des Ambassadeurs prés la personne de feu nostre tres-cher et bien-amé Oncle le Duc d’Orleans, nous a tres-humblement fait remonstrer, que depuis quelques années les Italiens ont estably diverses Academies, dans lesquelles il se fait des Representations en Musique, qu’on nomme OPERA ; Que ces Academies estans composées des plus excellens Musiciens du Pape et autres Princes, mesme de personnes d’honneste famille, Nobles et Gentils-hommes de naissance, tres-sçavans et experimentez en l’Art de la Musique, qui y vont chanter, font à present les plus beaux Spectacles et les plus agreables divertissemens, non seulement des Villes de Rome, Venise et autres Cours d’Italie ; Mais encore ceux des Villes et Cours d’Allemagne et Angleterre, où lesdites Academies ont esté pareillement établies à l’imitation des Italiens ; Que ceux qui font les frais necessaires pour lesdites Representations se {p. 54} remboursent de leurs avances sur ce qui se prend du Public à la Porte des lieux où elles se font. Enfin que s’il nous plaisoit luy accorder la permission d’establir dans nostre Royaume de pareilles Academies, pour y faire chanter en public de pareils OPERA , ou Representations en Musique en Langue Françoise ; Il espere que non seulement ces choses contribuëroient à nostre divertissement et à celuy du Public, mais encore que nos Sujets s’accoustumans au goust de la Musique, se porteroient insensiblement à se perfectionner en cet Art, l’un des plus nobles des Liberaux.
A CES CAUSES, desirant contribuer à l’avancement des Arts dans nostre Royaume, et traitter favorablement ledit Exposant, tant en consideration des services qu’il a rendus à feu nostre tres-cher et bien-amé Oncle le Duc d’Orleans, que de ceux qu’il Nous rend depuis plusieurs années en la composition des paroles de musique qui se chantent tant en nostre Chapelle, qu’en nostre Chambre : Nous avons audit Perrin accordé et octroyé, accordons et octroyons, par ces presentes signées de nôtre main, la permission d’establir en notre bonne ville de Paris, et autres de nostre Royaume, des Academies composées de tel nombre et qualité de Personnes qu’il avisera, pour y representer et chanter en public des OPERA et representations en Musique en Vers François, pareilles et semblables à celles d’Italie. Et pour dédommager l’Exposant des grands frais qu’il conviendra faire pour lesdites representations, tant pour les {p. 55}Théâtres, Machines, Decorations, Habits, qu’autres choses necessaires ; Nous luy permettons de prendre du Public telles sommes qu’il avisera, et à cette fin d’establir des Gardes et autres Gens necessaires à la porte des Lieux où se feront lesdites representations ; Faisant tres-expresses inhibitions et deffences à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, mesme aux Officiers de nostre Maison, d’y entrer sans payer, et de faire chanter de pareilles OPERA ou representations en Musique en vers françois, dans toute l’étenduë de nostre Royaume pendant douze années, sans le consentement et permission dudit Exposant, à peine de dix mil livres d’amende, confiscation des Theatres, Machines et Habits, applicable un tiers à Nous, un tiers à l’Hospital General, et l’autre tiers audit Exposant. Et attendu que lesdits OPERA et Representations sont des ouvrages de Musique tous differents des Comedies recitées, et que Nous les erigeons par cesdites presentes sur le pied de celles des Academies d’Italie, où les Gentil-hommes chantent sans déroger : VOULONS et nous plaist, que tous Gentil-hommes, Damoiselles, et autres personnes, puissent chanter ausdits OPERA, sans que pour ce ils dérogent au tiltre de Noblesse ny à leurs Privileges, Charges, Droits et Immunitez. REVOQUONS par ces presentes toutes Permissions et Privileges que Nous pourrions avoir cy-devant donnez et accordez, tant pour raison desdits OPERA, que pour reciter des {p. 56} Comedies en Musique, sous quelques noms, qualitez, conditions et pretextes que ce puisse estre. SI DONNONS EN MANDEMENT à nos amez et feaux Conseillers les Gens tenans nostre Cour de Parlement à Paris, et autres nos Justiciers et Officiers qu’il appartiendra, que ces presentes ils ayent à faire lire, publier et enregistrer, et du contenu en icelles, faire joüir et user ledit Exposant pleinement et paisiblement, cessant et faisant cesser tous troubles et empéchemens au contraire : CAR tel est nostre plaisir. DONNÉ à S. Germain en Laye le 28. Jour de Juin 1669. Et de nostre Regne le vingt-septiéme. Signé LOUIS ; et sur le reply, par le Roy, COLBERT. Et scellé du grand Sceau de cire jaune.