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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Jean Puget de la Serre. Le Martyre de sainte Catherine. Tragédie en prose. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 19 sc. 259 répl. 3,6 l. 922 l. 922 l. 35 % 2 669 l. (100 %) 2,9 pers.
L'EMPEREUR 11 sc. 75 répl. 3,8 l. 598 l. (65 %) 288 l. (32 %) 49 % 1 915 l. (72 %) 3,2 pers.
L'IMPERATRICE 6 sc. 21 répl. 4,2 l. 375 l. (41 %) 88 l. (10 %) 24 % 1 256 l. (48 %) 3,3 pers.
LEONOR 2 sc. 5 répl. 5,1 l. 87 l. (10 %) 26 l. (3 %) 30 % 237 l. (9 %) 2,7 pers.
Et ROSILEE 1 sc. 3 répl. 5,4 l. 64 l. (7 %) 16 l. (2 %) 26 % 191 l. (8 %) 3,0 pers.
STE CATHERINE 9 sc. 92 répl. 3,0 l. 629 l. (69 %) 273 l. (30 %) 44 % 1 924 l. (73 %) 3,1 pers.
Et EMILIE 2 sc. 7 répl. 2,4 l. 93 l. (11 %) 17 l. (2 %) 19 % 243 l. (10 %) 2,6 pers.
PORPHIRE 5 sc. 27 répl. 4,2 l. 359 l. (39 %) 115 l. (13 %) 32 % 1 159 l. (44 %) 3,2 pers.
CORVIN 3 sc. 10 répl. 5,0 l. 199 l. (22 %) 50 l. (6 %) 25 % 731 l. (28 %) 3,7 pers.
LEPIDE 3 sc. 7 répl. 1,9 l. 148 l. (17 %) 14 l. (2 %) 10 % 574 l. (22 %) 3,9 pers.
LUCIUS 1 sc. 11 répl. 3,3 l. 115 l. (13 %) 36 l. (4 %) 32 % 576 l. (22 %) 5,0 pers.
[TRASEE] 1 sc. 1 répl. 2,0 l. 2 l. (1 %) 2 l. (1 %) 100 % 2 l. (1 %) 1,0 pers.
Jean Puget de la Serre. Le Martyre de sainte Catherine. Tragédie en prose. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
L'EMPEREUR 10 l. (100 %) 1 répl. 9,1 l. 1 sc. 9 l. (1 %) 1,0 pers.
L'EMPEREUR
L'IMPERATRICE
31 l. (72 %) 6 répl. 5,0 l.
12 l. (29 %) 4 répl. 2,9 l.
3 sc. 42 l. (5 %) 3,9 pers.
L'EMPEREUR
STE CATHERINE
108 l. (53 %) 45 répl. 2,4 l.
99 l. (48 %) 43 répl. 2,3 l.
4 sc. 207 l. (23 %) 3,6 pers.
L'EMPEREUR
PORPHIRE
72 l. (46 %) 10 répl. 7,2 l.
87 l. (55 %) 9 répl. 9,6 l.
4 sc. 158 l. (18 %) 3,5 pers.
L'EMPEREUR
CORVIN
8 l. (25 %) 2 répl. 3,5 l.
22 l. (76 %) 2 répl. 10,8 l.
2 sc. 29 l. (4 %) 3,9 pers.
L'EMPEREUR
LEPIDE
50 l. (79 %) 8 répl. 6,2 l.
14 l. (22 %) 7 répl. 1,9 l.
3 sc. 63 l. (7 %) 3,9 pers.
L'EMPEREUR
LUCIUS
13 l. (39 %) 3 répl. 4,0 l.
19 l. (62 %) 3 répl. 6,3 l.
1 sc. 31 l. (4 %) 5,0 pers.
L'IMPERATRICE
LEONOR
42 l. (84 %) 6 répl. 6,9 l.
9 l. (17 %) 2 répl. 4,1 l.
2 sc. 50 l. (6 %) 2,7 pers.
L'IMPERATRICE
Et ROSILEE
4 l. (18 %) 1 répl. 3,3 l.
17 l. (83 %) 3 répl. 5,4 l.
1 sc. 20 l. (3 %) 3,0 pers.
L'IMPERATRICE
STE CATHERINE
28 l. (47 %) 9 répl. 3,1 l.
33 l. (54 %) 7 répl. 4,6 l.
2 sc. 60 l. (7 %) 4,0 pers.
STE CATHERINE 14 l. (100 %) 1 répl. 13,7 l. 1 sc. 14 l. (2 %) 1,0 pers.
STE CATHERINE
Et EMILIE
30 l. (64 %) 8 répl. 3,7 l.
17 l. (37 %) 7 répl. 2,4 l.
2 sc. 46 l. (6 %) 2,6 pers.
STE CATHERINE
PORPHIRE
42 l. (60 %) 18 répl. 2,3 l.
29 l. (41 %) 18 répl. 1,6 l.
1 sc. 70 l. (8 %) 2,0 pers.
STE CATHERINE
CORVIN
20 l. (41 %) 7 répl. 2,7 l.
28 l. (60 %) 8 répl. 3,5 l.
1 sc. 47 l. (6 %) 3,0 pers.
STE CATHERINE
LUCIUS
38 l. (73 %) 8 répl. 4,7 l.
15 l. (28 %) 7 répl. 2,1 l.
1 sc. 52 l. (6 %) 5,0 pers.
[TRASEE] 3 l. (100 %) 1 répl. 2,0 l. 1 sc. 2 l. (1 %) 1,0 pers.

Jean Puget de la Serre

1643

Le Martyre de sainte Catherine. Tragédie en prose

Édition de Judith Fischer
sous la direction de Georges Forestier
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Source : Jean Puget de la Serre, Le Martyre de sainte Catherine. Tragédie en prose dédiée à Madame La Chancellière, Paris, Antoine de Sommaville, 1643.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML-TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

Le Martyre de sainte Catherine §

A MADAME
MADAME
LA CHANCELLIERE, §

MADAME,

Ce n’est point à vostre Grandeur à qui je dedie cét ouvrage, vostre merite me l’arrache des mains, mais si doucement que luy mesme me contraynt d’en aimer la violence. Il est vray, MADAME, que des le moment que j’eus la pensée de la faire, je me resolus à vous l’offrir, mais comme en ce dessein la force de vostre esprit & la foiblesse du mien me rendoient esgalement respectueux & timide, il falloit de necessité que vostre vertu qui en estoit l’objet me violentast en quelque sorte pour le mettre au jour que vous luy donnez. Sa pieté a tant de rapport à la vostre qu’on peut dire que de tous les divins exemples de perfection qu’il expose en public, vous nous en faictes voir aujoud’huy les plus belles pratiques. En effet, MADAME, on peut lire dans vos actions de mesme que dans ce livre tous les sages preceptes qu’il nous sçauroit enseigner, & comme en cela vous joignez encore les effets aux paroles, on n’a qu’à vous suivre, & à vous imiter pour se rendre accomply en toutes choses. Qui n’a pas ouy parler de ceste grande charité que vous professez en secret pour le public, quoyqu’elle ne cherche que l’ombre des prisons, comme si elle apprehendoit d’estre cognue. Qui peut douter de vostre bonté si elle s’interesse tousjours pour le soulagement des miserables, & qui ne cognoit pas vostre sagesse dans l’heureux employ de vos occupations, n’ayant pour objet que la gloire de Dieu & l’utilité du prochain. Et ce sont ces veritez, MADAME, qui m’ont servi de commandement absolu pour m’acquitter de ce que je vous devois avec tant de justice, & pour faire cognoistre à toute la terre, qu’une vertu eminente comme la vostre sçait l’art de forcer les volontez quelques libres qu’elles soient, à luy rendre les honneurs, & les respects qui luy appartiennent. Mais certes, MADAME, cest avantage me demeure dans la contrainte qu’elle exerce aujourd’huy sur moy de l’avoir prevenüe de mes souhaits, estant bien aise d’avoir rencontré l’occasion où je puisse vous tesmoigner publiquement comme je fais, que je suis sans interest, & seray toute ma vie avec passion.

MADAME,

Vostre tres-humble & tres-
obeïssant serviteur.
PUGET DE LA SERRE.

AUX ESPRITS FORTS §

Je donne enfin cét Ouvrage à vostre curiosité, pour voir si vous sçavez louer avec raison, ou médire de bonne grace. Ce n’est pas que je desire vostre approbation, ny que je craigne vostre censure; je cherche seulement ma satisfaction, vous donnant sujet de parler, pour avoir celuy de vous cognoistre. Il n’est point de Tableau qui ne demande & son jour & sa bordure. Que si celuy-cy avec tous ces ornemens ne peut encore vous agreer, vous me forcerez de croire que son éclat éblouit vostre veüe, ou que vos sentimens sont trop profanes pour un objet si divin. Je vous laisse pourtant la liberté que je ne sçaurois vous oster, d’en juger à vostre fantaisie. Mais je vous conseille de peser vos paroles, puis que l’estime & le mespris qu’on en fera, vous servira de recompense, ou de punition.

EXTRAYT DU PRIVILEGE
du Roy §

Par grace & Privilege du Roy, donné à Paris le 22. jour de Fevrier 1643. signé par le Roy en son conseil, COMBES, il est permis au Sieur DE LA SERRE, de faire Imprimer un Livre qu’il a composé, intitulé, Saincte Catherine, Tragedie, par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra, durant le temps de cinq ans. Et deffences sont faites à toutes personnes de quelque qualité ou condition qu’elles soient, de l’imprimer, ou faire imprimer, sinon ceux qui auront droit dudit Sieur DE LA SERRE, à peine de deux mil livres d’amende, ainsi qu’il est porté plus au long par ledit Privilege.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois, le vingtieme de Mars mil six cens quarante-trois.

Ledit Sieur de la Serre a cedé son Privilege à Antoine de Sommaville & Augustin Courbé, Marchands Libraires à Paris, suivant l’accord fait entr'eux.

Les exemplaires ont esté fournis

NOMS DES ACTEURS §

  • L'EMPEREUR,
  • L'IMPERATRICE,
  • LEONOR, Fille de l’Imperatrice.
  • Et ROSILEE, Fille de l’Imperatrice.
  • STE CATHERINE,
  • Et EMILIE Sa compagne.
  • PORPHIRE, favory de l’Empereur.
  • CORVIN, Gentilhomme de l’Empereur.
  • LEPIDE, Capitaine des Gardes.
  • LUCIUS, Docteur converty.
  • [TRASEE]
La Scene est dans le Palais de l’Empereur en Alexandrie.

PREMIER ACTE §

SCENE PREMIERE §

L'Imperatrice, Leonor & Rosilee ses filles

L'IMPERATRICE

Que les bornes de cét Empire sont aujourd’huy de longue étenduë, puis qu’une derniere victoire nous fait triompher de tout l’Univers. L'Empereur n’a plus d’ennemis; tous subissent ses loix en redoutant ses armes. Et il semble que les Dieux mesmes, quoy que jaloux* de leur autorité, l’ayent / {p. 2}/ partagée avec luy, le laissant regner sur la terre aussi absolument qu’ils regnent dans le Ciel. Mais parmy toutes ces felicitez qui me comblent de joye, un secret deplaisir en modere l’excez*. Je ne sçaurois souffrir la tyrannie de cét Edit qui condemne les Chrestiens à la mort s’ils refusent de l’encens à nos Divinitez. Leur sort par trop funeste me demande des pleurs, au mesme temps que mon devoir en fait tarir la source. J'ay beau porter toutesfois des offrandes sur nos Autels, en signe d’allegresse, mon coeur devancera ma main, offrant des soûpirs de compassion pour ces misérables, plustost que des coronnes de gloire pour nos Dieux.

LEONOR

Quel demon jaloux de vostre repos, Madame, vous oste le sentiment de ses delices : Tout rit à vos desirs ; le Soleil vous peut faire voir sur la terre autant d’esclaves qu’elle porte de mortels. Et comme si vous estiez insensible à toutes ces faveurs, vous en mesprisez la jouïssance, apres avoir fait mille vœux pour les acquerir. Les Chrestiens doivent estre immolez à la juste cholere de l’Empereur, pour porter la peine de leur des-obeïssance. Nos Autels attendent aujourd’huy ces victimes, ou leurs offrandes.

ROSILEE

{p. 3}

La Religion ne s’introduit pas dans nos ames, ma soeur, ny par le fer, ny par le feu, il faut que la Nature nous en donne les premiers sentimens, & que les Dieux achevent le reste. Car comme ils ne sont que lumiere, c’est à eux d’esclairer nos esprits pour les eslever jusques à leur connoissance, selon la portée* de nostre condition. Les Chrestiens sont plus malheureux que coupables. Que si les Loix de l’Etat, plustost que celle de la Raison, demandent ou leur vie, ou leur obeïssance, dans la necessité* où ils se treuvent reduits, je souffre avec eux une partie de sa violence.

L'IMPERATRICE

Mon ame est si sensible aux miseres d’autruy, qu’elle ne se deffend jamais contre les atteintes de compassion qu’elles luy donnent. Je veux que les Chrestiens soient criminels d’Etat, le devoir & la pitié tiennent mon ame partagée; si je souffre qu’on les accuse, je ne sçaurois me resoudre à les voir punir.

LEONOR

J'appréhende que vostre Majesté n’aye / {p. 4}/ beaucoup de peine, & peu de satisfaction dans le dessein qu’elle a de les sauver, puis que l’Empereur a conjuré* leur perte. Quelle honte luy seroit ce, apres tant de victoires, de recevoir la loy au milieu de sa Court, d’une poignée de gens nez de la lie du peuple. Si sa Justice n’en extermine la race, il faudra un nouvel Hercule pour en domter la rebellion.

ROSILEE

Vous nous voudriez persuader que les Dieux se baigneront de joye dans le sang des Chrestiens, comme s’ils prenaient plaisir à détruire leurs ouvrages. On doit s’informer de leur vie, & non pas de leur creance. On doit disje les instruire par l’exemple de nostre vertu, plustost que par l’apprehension des supplices.

L'IMPERATRICE

Je ne sçaurois me persuader que sa Majesté adjoute à tant de victoires qui la comblent d’honneur, la deffaite des Chrestiens qui la couvriront de honte. Quel avantage luy sera-ce de mener en triomphe des ennemis qui n’ont que des soûpirs et des larmes pour resister à sa violence. / {p. 5}/ La foiblesse et la soubmission ne demandent jamais grace inutilement qu’à la Tyrannie.

LEONOR

Il faut bien que sa Majesté se serve de la force des tourmens* pour se faire obeir, puis que celle de ses loix est inutile.

ROSILEE

La Clemence assujetit plus de coeurs, que la Cruauté n’en sçauroit immoler.

L'IMPERATRICE

En effet, si les Roys ne tiennent leurs sujets enchaisnez par l’amour, aussi bien que par la crainte, ils ne songent jamais qu’à recouvrer leur liberté, ne pouvant supporter le joug de leur servitude.

{p. 6}

SCENE II §

[L'Imperatrice, Leonor, Rosilee, Trasee]

TRASEE

Madame, les preparatifs du Sacrifice sont faits, l’Empereur est desja en chemin pour aller au Temple, le voicy qui vient.

SCENE III §

[L'Imperatrice,] L'Empereur, Porphire, suivy de toute sa Court

L'EMPEREUR

Madame, nos voeux sont exaucez, & nos esperances terminées*. Les Dieux protecteurs de mon Empire, ont voulu étandre son autorite aussi / {p. 7}/ loin que le Soleil porte ses rayons. Toute la terre est mon Domaine, tous les mortels sont mes sujets, & je ne voy rien aujourd’huy sous le Ciel qui ne contribuë à mes felicitez pour me faire cognoistre qu’elles sont hors d’exemple. Mon Destin plus puissant que la Fortune, l’assujetit sous mes loix, puis que le Sceptre que je porte à la main sert de clou pour arrester sa roüe. Mais je veux faire voir à ce mesme Soleil qui éclaire mes Triomphes, que les Sacrifices continuels que je rendray aux Dieux en seront les plus superbes trophées, faisant eriger à leur gloire immortelle autant d’autels que j’ay vaincu d’ennemis.

L'IMPERATRICE

Il est juste de rendre aux Dieux les hommages de reconnoisance que nous devons à leur bonté, apres une si grande victoire, & les Sacrifices n’en peuvent estre que publics, puis que chacun doit prendre part à nostre joye.

L'EMPEREUR

Porphire, renouvelle mes plaisirs dans le nouveau* recit des merveilles que Silanus & Thesiphonte ont faites à l’extremité de la terre pour m’en rendre l’unique conquerant. Tu ne sçaurois charmer mes oreilles d’une plus douce harmonie.

PORPHIRE

{p. 8}

Leur valeur incomparable et leur courage invincible, me fournissant d’abord trop de matiere, je me trouve muet dans un si beau sujet de parler. Toutesfois comme leurs actions sont également admirables, l’éclat des unes representera à vostre Majesté la beauté des autres. Ces deux Heros de nostre Siecle n’eurent pas plustost fait prendre terre à leur armée au premier port de la Scithie, apres avoir forcé la resistance qui s’opposa à leur dessein, que se rendans maistres de la campagne, le bruit de vostre renommée depeupla tout à coup les villes, & enrichit les deserts de leurs depoüilles pour en oster l’esperance à ces conquerans. Mais comme les obstacles qu’ils rencontroient dans le chemin de leurs victoires en augmentoient les coronnes, ils porterent leurs armes aussi loin que la crainte avoit porté leurs ennemis; & jusques dans ces mesmes deserts pour en accroistre l’horreur en le peuplant de morts, dont on ne peut jamais sçavoir le nombre; & moins encore le prix des tresors qui enrichirent nos soldats. Les nouvelles de cette grande defaite donnant l’allarme à tous les peuples voisins, les Sarmates, les Caspiens, & les Basternes, composerent un nouveau corps d’armée, du debris  / {p. 9}/ de celle des Scithes, & y joignirent leur force pour la rendre invincible. Douze Roys se firent voir dans un champ de bataille à la teste de cent mille combatans, pour deffendre leur liberté aussi bien que leur vie; Et ce fut en ce dernier combat, où Silanus et Thesiphonte, animez également du seul Genie de vostre Majesté en firent admirer* la Fortune, par la grandeur de leur courage, puis qu’avec une armée moins forte en nombre, que celle des ennemis, ils en punirent l’audace, immolant les uns à leur juste fureur*, & réservant les autres à une juste servitude. La premiere attaque parut d’abord funeste de tous costez. Les Scithes qui portoient encore gravées sur le front les marques de leur defaite, hasardoient* leur vie pour en effacer la honte, & comme en cela ils partageoient le peril qu’ils couroient, on les voyoit aussi-tost vaincus que vainqueurs, recevant & donnant tout à la fois mille playes mortelles. Les Sarmates, & les Basternes animez de ce bel exemple, aussi bien que de leur propre valeur, méprisoient tellement la mort, qu’ils ne reculoient jamais d’un pas à sa rencontre, & dans le desespoir de se sauver, ils en ostoient souvent l’esperance à leurs vainqueurs, mourant tous ensemble pour emporter une mesme gloire. Mais enfin tous les efforts de ce grand nombre d’ennemis / {p. 10}/ n’en purent retarder la defaite que d’un moment. Les uns se voüerent à la fuite comme à leur Deesse tutelaire, & les autres encoururent le sort de la servitude, en se treuvant forcez de vivre dans les fers qui leur avoient esté destinez. Une journée entiere fut employée au gain de cette bataille. Et il est croyable que les Dieux protecteurs de cét Empire, alantissoient* la courbe du Soleil pour avancer la defaite de vos ennemis, puis que la nuict ne s’approchoit qu’à la mesure de nos desirs, comme si nous eussions esté Maistres également & de nostre fortune & de celle des vaincus. Dix Roys furent contez au nombre des morts, & les deux autres courant la mesme disgrace que leurs sujets, en partagerent les chaisnes, & se treuvent esclaves dans une mesme prison. Le seul bruit d’un Triomphe si glorieux s’estant épandu dans l’Orient, servit d’une nouvelle armee pour forcer tous les autres peuples barbares qui l’habitent, à se rendre, & dans les dix jours nous vismes à nos pieds leurs Ambassadeurs, chargez des presens, ou plustost des tributs, qu’eux-mesmes s’estoient imposez pour prevenir nos demandes. De sorte que vostre Majesté peut disposer / {p. 11}/ aujourd’huy d’autant de Coronnes qu’il y a de peuples sur la terre, puis que tout le monde ensemble vous recognoist pour Souverain.

L'EMPEREUR

Ces felicitez sont des presens des Dieux, plustost que de la Fortune, & les bruits de mon nom ny la force de mes armes ne me rendroient point aujourd’huy Maistre de toute la terre, si le Ciel n’eût donné un nouveau* courage à mes Soldats pour emporter le prix* d’une telle conqueste; je veux que Silanus et Thésiphonte ayent contraint les plus incredules d’adjoûter foy aux miracles de leur valeur; si faut-il confesser que les Dieux en soustenant mes interests ont gaigné la victoire. Ce qui m’oblige en recognoissance de tant de faveurs, de faire un Sacrifice aussi pompeux* que mon Triomphe, & pour le rendre plus celebre*, il faut que les Chrestiens en soient, ou les admirateurs, ou les victimes, ne pouvant souffrir dans mon Empire des Sujets qui refusent de l’encens aux Divinitez que j’adore.

{p. 12}

SCENE IV §

Lepide et les autres

LEPIDE

Le Grand Prestre attend vos Majestez dans le Temple où tout le peuple est assemblé, pour commencer le Sacrifice.

L'EMPEREUR

Allons Madame, allons celebrer la feste des Dieux durant ce beau jour de Triomphe; il leur en faut offrir les coronnes pour en meriter la gloire; Que si les Chrestiens au mespris de mon Edit ne suivent mon exemple, je jure par ma vie, que la leur sera l’objet de mon juste Courroux.

Fin du Premier Acte

{p. 15}

ACTE II §

PREMIERE SCENE §

SAINTE CATHERINE, ET EMILIE sa cousine

SAINCTE CATHERINE

Que cét Edit qu’on a fait contre les Chrestiens me paroist doux & cruel tout à la fois. Il est doux en menassant de nous oster une vie toute remplie de miseres, pour nous en donner une autre toute pleine de felicytez! Et il est cruel en voulant effacer du milieu de nos coeurs ou par le fer, ou par la flame, les sacrez caracteres* de nostre Religion. Le silence & la crainte de cette rencontre me rendroient malheureuse et criminelle. Je veux plaider la cause des Chrestiens, puis que je suis / {p. 16}/ également interessée & dans le gain, & dans la perte qu’ils en feront.

EMILIE

Vous pouvez plaindre secrettement leur infortune, & par generosité & par rayson, puis que vous professez une mesme creance: Mais si peu d’éclat que facent vos plaintes, vous courez hasard de subir la peine où ils sont déjà condamnez.

Ste CATHERINE

Le Dieu que j’adore ne veut pas estre servi en secret. Il se dit la parole de son Pere; Serois-je muette quand il faut confesser son nom: puis qu’il est mort pour mon salut, je veux sacrifier ma vie pour sa gloire.

EMILIE

Vous devez menager egalement en cette rencontre*, & vostre vie & vostre credit; croyez vous faire changer en faveur des Chrestiens la resolution qu’on a prise de les perdre. Il faut de nécessité qu’ils soient ou victimes, ou idolatres: les Edits & l’Empereur sont des loix qu’on ne peut violer.

Ste CATHERINE

{p. 17}

Quand le dessein que j’ay de les proteger ne reüssiroit pas, je me satisferay toujours la premiere, en courant un mesme sort; ma vie & mon credit sont au rang des choses périssables, je ne veux faire fortune que dans le Ciel.

EMILIE

Si faut-il que la prudence modere l’excez* de vostre zele. Quel profit peuvent tirer les Chrestiens de vostre dommage*: Vous avez donné des larmes à leur malheur, vous soûpirez* encore de leurs miseres; vous joignez vos soins* à leurs voeux pour leur faire recouvrer la liberté, que sçauroient-ils pretendre* davantage.

Ste CATHERINE

Je méprise les conseils de la prudence humaine, où il y va de l’interest* de mon salut. Ma mort sera plus utile aux Chrestiens que ma vie, puis que l’exemple de mon Martyre doit donner du courage aux plus timides pour franchir la carriere* des tourmens* où ils sont destinez. Voicy Corvin qui m’en porte sans doute les premieres nouvelles.

{p. 18}

SCENE II §

[SAINTE CATHERINE, EMILIE] CORVIN

CORVIN

Madame, l’horreur & la pitié rendent mes yeux plus éloquens que ma bouche, pour vous faire voir par mes larmes plutost que par mes discours le deplorable sort des Chrestiens; lisez donc Madame sur mon triste visage le funeste recit de leur mort, puisque la voix me defaut pour vous en raconter l’histoire; Je vous diray toutefois en peu de mots, qu’Alexandrie n’est plus qu’un Theatre sanglant où l’Empereur fait representer aujourd’huy la tragedie de ses cruautez, par autant de bourreaux qu’il a choisi de victimes; & à voir les ruës toutes couvertes de sang, on diroit que le Nil qui en porte la couleur s’est débordé pour en tirer vangeance.

Ste CATHERINE

Ce funeste recit des tourmens* qu’ils ont soufferts blesse si vivement mon coeur par les oreilles, / {p. 19}/ qu’il en soûpire de douleur aussi bien que de compassion. Mais son ressentiment me paroist trop lâche, dans le peu de soin que je prens de les secourir: Allons arracher des mains des bourreaux ces innocentes victimes, ou les forcer à me mettre au nombre. Ma conscience & mon devoir me reprochent déja ma paresse. Je veux désarmer la colere du Tyran, ou l’animer* à ma propre ruine*.

CORVIN

Aurez-vous bien le courage de soutenir l’interest des Chrestiens devant l’Empereur qui est leur partie*.

Ste CATHERINE

On ne manque jamais de hardiesse à soustenir la verité; la perfection de la grace en ces rencontres*, suplée au deffaut de la nature. Il suffit de le desirer pour l’entreprendre, & c’est assez de commencer pour y reüssir.

CORVIN

Tous vos amis vous conseillent la fuite.

Ste CATHERINE

O pernicieux conseil! Et où fuiray-je pour estre à l’abry des / {p. 20}/ atteintes* de ma lascheté, puis que ses honteux reproches troubleront en tous lieux le repos de ma vie! Quand j’éviterois la colere du Tyran, celle du Ciel me poursuivroit toujours fuyant l’occasion de combattre pour sa gloire, il faut deffendre ses Autels.

EMILIE

Tous vos efforts seront inutiles

Ste CATHERINE

Mais le dessein en sera glorieux

EMILIE

Qui peut resister à une puissance absoluë

Ste CATHERINE

Un esprit resolu comme le mien

EMILIE

La tyrannie de l’Empereur est à craindre

Ste CATHERINE

{p. 21}

Et la gloire du Martyre à desirer

EMILIE

L'occasion de le souffrir se presente à tous momens

Ste CATHERINE

Et l’impatience en cette attente s’augmente à toute heure.

CORVIN

Pourquoy vous precipitez vous avec tant de violence dans un peril si aparent.

Ste CATHERINE

Parce qu’il y a plus d’honneur à l’encourir, que de contentement à l’évitter.

CORVIN

De quel charme* trompeur avez vous les sens offusquez*, faisant si peu de cas des conseils que mon affection* vous donne.

Ste CATHERINE

{p. 22}

Et de quel funeste sommeil avez vous l’esprit assoupi meprisant les raisons que Dieu seul me suggere

CORVIN

Tous ces sentiments sont des faiblesses de vostre humeur, que la prudence ne peut souffrir.

Ste CATHERINE

Et tous vos discours autant de temoins* de vostre aveuglement, que la Justice ne sçauroit approuver.

CORVIN

Vostre perte ne sauvera pas le reste des Chrestiens qui vivent encore.

Ste CATHERINE

Non, mais elle leur apprendra à mepriser les grandeurs de la terre, pour posseder les félicitez du Ciel.

elle s’en va

CORVIN seul

Il faut avouer qu’un zele indiscret* est aussi aveugle / {p. 23}/ qu’une amour passionnée. Cette jeune Princesse court avec trop de violence au devant du peril dont elle est menacée, par un excez* de charité que la nature ni la raison ne sçauroient approuver. La colere des Rois ne se peut adoucir que par la soumission; c’est un Torrent qui entraine tout ce qu’il trouve; Et comme il ne veut que passer, la prudence luy fait un chemin dont la pente precipite la courbe. Je sens déjà par avance tous les malheurs qu’elle doit encourir.

SCENE III §

L'EMPEREUR, L'IMPERATRICE, PORPHIRE, & toute leur suite

L'EMPEREUR

La feste des Sacrifices que je presente aux Dieux ne sçauroit estre dignement celebrée, si le dernier des Chrestiens n’en est aujourd’huy la victime sur les mesmes Autels qu’il aura profanez de son mespris. Je veux estouffer cette race dans son berceau, / {p. 24}/ en condemnant au feu tous les enfans qu’elle fait naistre; & je prens encore à témoin les mesmes Dieux que j’adore, de n’epargner personne, & de faire eclatter le bruit de ma vengeance aussi loin que mes armes ont porté mon nom.

L'IMPERATRICE

Les cris & les plaintes de ces malheureux seront des objets de compassion qui modereront en quelque sorte nostre joye. Il est temps ce me semble de faire cognoistre vostre bonté, apres avoir fait ressentir vostre puissance.

L'EMPEREUR

Les plaintes des criminels sont autant de Cantiques de gloire pour les Dieux, puisqu’elles publient hautement leur Justice; que si nos sens sont effrayez des tourmens* qu’ils endurent, la force de la raison doit prevaloir sur cette foiblesse de la nature, pour rejouïr nos esprits de l’avantage qui nous en revient.

SCENE IV §

{p. 25}
[LEPIDE, L’EMPEREUR]

LEPIDE

Sire, la Princesse Catherine demande audience à vostre Majesté.

L'EMPEREUR

Qu'on la face entrer, pour sçavoir le sujet qui la meine: mais j’appréhende d’en estre trop tost esclaircy*, m’imaginant ce qu’elle a à me dire.

SCENE V §

SAINTE CATHERINE, [L'EMPEREUR]

L'EMPEREUR, parle le premier

Que desirez-vous de moi, ma Princesse.

Ste CATHERINE

{p. 26}

Un moment d’audience*

L'EMPEREUR

Parlez hardiment, vostre merite & vostre condition vous en donnent la liberté.

Ste CATHERINE

Je m’estonne que vostre Majesté jette les fondemens de son Empire sur les cendres des Chrestiens? comme si son repos dependoit de leur ruine*. Elle veut commencer son Regne par un deluge de sang, dont la cruauté de ses Edits va inonder toute la Grece; mais le Ciel y prepare déja vostre cercueil, vous metant au nombre des victimes qu’on doit immoler sur vos Autels.

L'EMPEREUR

Qui vous rend si hardie de plaider la cause des Criminels d’Estat en ma presence.

Ste CATHERINE

Mon devoir

L'EMPEREUR

{p. 27}

Mais vous ne considerez pas qu’en demandant leur grace, vous vous rendez coupable.

Ste CATHERINE

Si leur Religion fait mon crime, je ne m’en justifieray jamais.

L'EMPEREUR

Quoy professer leur creance dans ma Cour & devant mes yeux, sans rougir de la honte de vostre impieté, ou sans pâlir de la crainte de ma vengeance.

Ste CATHERINE

En quelque lieu où je me treuve ma bouche ne dement* jamais mon coeur. Si je rougis de honte ce sera pour vostre aveuglement, & si je pâlis de crainte, ce ne peut estre que pour vostre perte.

L'EMPEREUR

Ne songez qu’à vostre salut, puis que vous respirez à la veille de vos funerailles.

Ste CATHERINE

{p. 28}

J'y songe aussi continuellement par le mespris que je fay de vos nouvelles loix.

L'EMPEREUR

Doutez vous de mon authorité dans la condition où je me treuve ?

Ste CATHERINE

Non, mais j’en mesprise la puissance dans la resolution où je suis.

L'EMPEREUR

Ne savez vous pas que mes volontez sont reverées par toute la terre, & que mon Sceptre est aussi redoutable que le foudre des Dieux ?

Ste CATHERINE

A quoy vous servent toutes ces marques de souveraineté, si vostre raison est au nombre de vos esclaves. Vostre Sceptre est de mesme matiere que la main qui le porte: son authorité absoluë ne fait peur qu’aux meschans, les ames innocentes en méprisent la tyrannie, ayant assez de constance* pour la souffrir, quand le pouvoir leur manque de l’éviter.

L'EMPEREUR

{p. 29}

Je sçay l’art de me faire craindre.

Ste CATHERINE

Apprenez donc maintenant celuy de vous faire aymer.

L'EMPEREUR

Je me feray plutost obéir, & si je trouve de la resistance, je me serviray des bourreaux & des supplices pour la domter.

Ste CATHERINE

Croyez vous que la force des tourmens* estonne* le courage des Martyrs: Ils souhaitent la mort dont vous les menassez; mais s’ils en portent la peine, vous en souffrirez la honte, puis que vostre seule Tyrannie les a declarez criminels.

L'EMPEREUR

Mes passions* ne s’interessent point dans ma Justice, & si je l’exerce aujourd’huy avec severité, mon devoir m’y contraint, & avec violence.

Ste CATHERINE

{p. 30}

Les Chrestiens ont toujours eu du respect & de la sousmission* pour vos commandemens, que s’ils preferent maintenant la mort à l’obéïssance de vostre nouvel Edict; j’envie la gloire d’un si beau trespas à ceux qui m’ont déja devancée! On doit subir les decrets du Ciel, plutost que les ordonnances des hommes.

L'EMPEREUR

Le Ciel a estably les fondemens de mon Empire ici bas.

Ste CATHERINE

Mais luy-mesme destruira bien tost ceux de vos Temples.

L'EMPEREUR

Il faut donc que les Dieux se destruisent eux-mesmes, puis que leur gloire n’a point de trosne plus éclatant que celuy de nos Autels.

Ste CATHERINE

Vos divinitez sont des chimeres de la fantaisie* à qui la reverie* des Gentils a donné des noms differens, & leur / {p. 31}/ industrie* des corps de toute sorte de matiere pour charmer* les esprits de ces fausses illusions, & tromper les sens par leurs sensibles apparances; mais le Soleil de la Verité, qui dissipe à nos yeux toutes ces ombres, vous en laisse l’obscurité dans vostre aveuglement volontaire, & nous en donne la cognoissance pour en eviter le peril.

L'EMPEREUR

Ha! quelle impudence ? mais quels blasphemes, les cheveux me hérissent à l’ouye de ces discours, qui vous anime à* me tenir ce lengage?

Ste CATHERINE

La raison.

L'EMPEREUR

Et c’est elle-mesme qui se declare vostre partie*, puisqu’elle me contraint malgré les persuasions de vostre jeunesse, de punir vostre impieté.

Ste CATHERINE

Si vostre fureur* a fait des Martyrs dans le berceau, ma jeunesse ne doit point arrester le cours de ces violences. Laissez, laissez-là se desalterer dans mon sang, & épargnez / {p. 32}/ celuy de tant d’autres innocens que vos bourreaux traisnent au supplice.

L'EMPEREUR

Quel plaisir prenez vous d’avancer vostre perte pour retarder celle d’autruy ?

Ste CATHERINE

Et quel avantage vous sera-ce de ruiner vostre reputation pour assouvir vos cruautez ?

L'EMPEREUR

Appelez-vous cruauté de venger les Dieux, & punir des rebelles.

Ste CATHERINE

Est-ce une action de clemence, de forcer les volontez, & violer les loix de la Nature.

L'EMPEREUR

Ha quelle arrogance! Elle contraint ma Justice à la punir, au lieu d’implorer ma bonté pour la pardonner.

Ste CATHERINE

Ha quel aveuglement! il met mon devoir au rang de mes / {p. 33}/ crimes, & condemne la Raison parce qu’elle tient mon party.

L'EMPEREUR

Vous avez beau courre à vostre ruine*, ma pitié s’interesse pour vostre salut: Qu'on l’arreste prisonniere dans mon Palais. Je vous donne le loisir de considerer vostre faute.

Ste CATHERINE

Dites plutost pour pleurer de la vostre.

L'EMPEREUR

Je veux depeupler la terre, & remplir les enfers de cette race de Demons, dont eux-mesme excitent la malice*, pour semer toujours la division parmy mes sujets, en leur persuadant la revolte. Je veux disje faire creuser un tombeau si profond pour les y ensevelir dedans tous ensemble, qu’on perde peu à peu jusques à la memoire de leur nom. Il faut regner absolument si l’on veut porter la qualité de Souverain, les Sceptres & les coronnes ne relevent que d’eux-mesmes. Mais que dis-je ? cette inhumaine se rit de mes desseins, sçachant que le pouvoir de ses charmes* s’estend beaucoup plus loin que / {p. 34}/ celuy de mon authorité. Cette belle idolatre me persuade de le devenir; Car à mesure que le feu de la cholere embrase mon coeur, je sens que celuy de l’amour s’allume dans mon ame. Quel party doisje prendre? Fuiray je les sentimens de la Justice ou ceux de l’amour. Les Dieux veulent estre vangez, mais si je leur obéïs je me punis moy-mesme. En cette extremité mon esprit irresolu me suggere tout à la fois mille differentes pensées sans se pouvoir determiner au choix de l’une, ou de l’autre. Mais c’est trop long temps s’arrester dans un chemin où la raison & mon devoir me veulent servir de guide, courons à la vengeance, au mespris de l’amour, & s’il faut mourir de la blessure dont je suis atteint, sauvons l’honneur en perdant la vie, ce me sera toujours quelque sorte de consolation.

Fin du Second Acte

{p. 35}

ACTE III §

SCENE PREMIERE §

L'EMPEREUR, PORPHIRE

L'EMPEREUR

Ha Porphire, que mon sort est deplorable! J'ay fait prisonniere dans mon Palais celle-là mesme qui me tient esclave sous son Empire; ma tyrannie a commandé qu’on la mist aux fers, & sa beauté plus cruelle encore me donne à tous momens la gesne*. Je veux vanger les Dieux de son impieté, & elle me punit déja de la pensée que j’en ai euë; quel party dois-je prendre en l’estat où tu me vois reduit.

PORPHIRE

{p. 38}

Quoy, la Princesse Catherine seroit si heureuse dans son malheur d’enchesner son geolier, d’imposer des loix à son Souverain, & de se faire dresser des Autels par celuy-là mesme qui l’avoit desja destinée* pour victime: ce discours me surprend.

L'EMPEREUR

Pourquoy t’estonnes-tu de ces merveilles, puis que l’Amour en est l’ouvrier*: Ouy, cette belle criminelle & cette adorable impie me demande des Autels, au mesme temps que je dois exiger d’elle des Sacrifices; Je la veux forcer d’adorer nos Dieux, & elle me contraint de la mettre au nombre de nos Deesses. Comment l’accuseray-je d’idolatrie, si j’en fais aujourd’huy mon Idole.

PORPHIRE

C'est toujours servir les Dieux d’obeir à celuy qui s’en dit le maistre; vostre Majesté se doit faire justice la premiere, la colere & la vengeance ne sont plus de saison contre un ennemy qui se fait redouter dans sa foiblesse, & qui mene en triomphe son vainqueur.

L'EMPEREUR

{p. 39}

J'approuve ce conseil: Mais j’ay besoin de ton secours; Il faut que tu la persuades de changer de Religion, & d’agreer l’amour que j’ay pour elle. Que si la vertu prenant ses interests luy fait mépriser les miens; represente* luy pour la satisfaire*, que la justice autorise ma passion* dans le dessein que j’ay de partager mon autorité avec elle en qualité d’espouse.

PORPHIRE

Les honneurs dont vostre Majesté la veut combler aujourd’huy, me semblent si considerables, qu’il faudroit estre insensible pour refuser ce présent; & il seroit inutile d’employer d’autre éloquence que celle de tous ces avantages pour la persuader, puis qu’ils se font souhaiter eux-mesmes par les grandeurs qui les accompagnent.

L'EMPEREUR

Offre luy hardiment & mon sceptre & ma couronne, puis que le coeur qui anime la teste et la main qui les portent, ne connoist plus que ses loix.

PORPHIRE

{p. 40}

Si le succez des desseins de vostre Majesté ne depend que de mes services, elle sera bien tost satisfaite.

L'EMPEREUR

Va donc promptement consulter l’Oracle de ma bonne fortune*, j’ay déjà de l’impatience pour ton retour. Mais considere toujours la fin de ton message, je la veux posseder à quelque prix que ce soit. Si elle se met en colere, adoucis la par tes sousmissions*. Si elle mesprise tes offres, represente* luy sans t’émouvoir le tort qu’elle se fait. Enfin ménage discretement* le temps & l’occasion de l’entretenir, & ne hazarde* rien sur tout en cette affaire, puis qu’il y va de mon repos.

PORPHIRE

J'executeray fidelement les commandemens de vostre Majesté.

{p. 41}

SCENE II §

L'IMPERATRICE, & LEONOR

L'IMPERATRICE

J'ay decouvert à la fin* les artifices de l’empereur; il fait semblant de vanger les Dieux, en punissant les Chrestiens, & il protege Catherine dans son Palais, la fait traiter en Reine plustost qu’en esclave, & commande qu’on luy rende les honneurs qui ne sont deuz qu’à ma qualité, comme si elle occupoit déja la place de mon trosne. Il soûpire en secret de ses appas; Et pour cacher à mes yeux le feu de son amour, il fait semblant d’attiser celuy de sa colere, croyant me decevoir*.

LEONOR

Quelle apparence*, Madame, que l’Empereur ait dessein de contracter alliance avec une Chrestienne au mespris des Dieux & de la foy qu’il a donnée à vostre Majesté. Je veux que Catherine soit la plus belle du / {p. 42}/ monde, le pouvoir de ses charmes* ne s’étend pas si loin que ses désirs.

L'IMPERATRICE

Il faut que j’apprenne de sa bouche les sentimens de son coeur, pour sçavoir au vray où tendent ses entreprises*; L'ambition n’a pas moins de charmes* pour la tenter, que son visage d’attraits pour me donner de la jalousie.

LEONOR

Ce n’est pas le moyen de moderer sa vanité, que de luy rendre visite jusques dans sa prison; vos sousmissions* esleveront si haut son arrogance, qu’elle portera sans doute ses desseins aussi loin que ses pensées.

L'IMPERATRICE

Je veux bien me satisfaire* dans l’inquietude où je me treuve, son entretien éclaircira* mon esprit de ses doutes; Suivez moy, ne vous opposez plus à mon contentement.

{p. 43}

SCENE III §

Ste CATHERINE, seule dans la chambre de sa prison

"O Divin Redempteur de mon ame, puis que vostre bonté toujours "infinie guide aujourd’huy mes pas dans le mesme chemin que vous avez "tenu pour acquerir vostre propre gloire, éclairez mon esprit de la lumiere de "vos "graces: Echaufez ma volonté du feu de vostre amour, & animez mon "courage de la force de vostre protection, afin que je connoisse la verité en "vous adorant, que je mesprise teutes choses en vous aymant, & que je "triomphe de tous mes ennemis en leur faisant confesser & vostre nom, & "leur erreur par la voix d’une humble repentance. Adjoutez Seigneur, à "toutes ces graces, celle de pouvoir mourir pour vous, n’estant plus capable "de passion* que pour en souhaiter la gloire. Mais d’un desir impatient*, puis "qu’il me fait sans cesse soûpirer* en cette attente. Voicy Porphire, que "desire t’il-de moi.

SCENE IV §

PORPHIRE, SAINTE CATHERINE

PORPHIRE

Madame, réjoüissez-vous, je viens rompre vos chesnes, & vous preter la main pour vous ayder à monter sur le trône qu’on vous a preparé, si vous étes resoluë à changer de creance.

Ste CATHERINE

Monsieur, les chesnes de ma servitude me sont plus agreables, que les nouvelles que vous m’aporter de les rompre; & je n’ay pas besoin de vostre appuy pour monter sur le trône où j’aspire, puis que la Religion que je professe, & la mort qu’elle me fait esperer y ont desja marqué la place.

PORPHIRE

Ne vous est-ce pas un grand honneur de voir assujetty sous vos loix par la seule force de vos appas le seul Monarque de la terre.

Ste CATHERINE

{p. 45}

La gloire est bien plus grande de se vaincre soy-mesme par le mespris de toutes ces vanitez.

PORPHIRE

Apellez-vous vanité la conqueste d’un Royaume.

Ste CATHERINE

Mettez-vous au rang des tresors les felicitez d’icy-bas.

PORPHIRE

Est-il rien de plus doux qu’un Empire absolu.

Ste CATHERINE

Non, pourveu que nos passions* en soient les sujetes.

PORPHIRE

Il faut regner à quelque prix que ce soit.

Ste CATHERINE

Quand je regnerois sur les mortels, je n’aurois de l’empire que sur des miserables qui courent sans cesse au tombeau en me suivant*; Je veux des grandeurs qui soient à / {p. 46}/ l’épreuve du temps, & hors des attaintes de son inconstance.

PORPHIRE

Qui vous peut disputer* la qualité d’Imperatrice que l’Empereur vous donne maintenant si vous quittez celle de Chrestienne.

Ste CATHERINE

Croyez-vous que pour une coronne que la Fortune m’offre aujourd’huy, & que la mort me peut oster demain, je change la qualité de Chrestienne avec celle d’Imperatrice: Non, non, Monsieur, le Dieu que j’adore est l’Epoux de mon ame, je luy ait donné ma foy, il possede mon coeur, je ne puis contracter icy bas des secondes nopces.

PORPHIRE

Considerez vostre jeunesse.

Ste CATHERINE

Elle vieillit à toute heure.

PORPHIRE

Songez aux grandeurs qui vous accompagnent.

Ste CATHERINE

{p. 47}

Elles ne me suivront que jusques au tombeau.

PORPHIRE

Mépriserez-vous encore cette grande beauté dont la Nature vous a pourveuë.

Ste CATHERINE

Ma beauté est un éclair qui ne luit que pour disparestre.

PORPHIRE

Estes-vous insensible aux plaisirs de la Cour.

Ste CATHERINE

Les contentemens du monde sont des jeux d’enfant, puis que leur usage nous oste celuy de la raison: Je ne sçaurois avoir de l’amour que pour les delices eternelles.

PORPHIRE

Ne changerez-vous jamais d’humeur, vostre merite attire à vos pieds & les Sceptres & les Coronnes, pourquoy en méprisez-vous le present,

Ste CATHERINE

{p. 48}

Parce que je n’en sçaurois que faire.

PORPHIRE

Encore que* la Nature vous en ait enrichie de ses faveurs, celle de la Fortune ne sont point à refuser.

Ste CATHERINE

Les biens de la Nature sont aussi perissables que ceux de la Fortune; tous ensemble relevent du temps avec tant de souveraineté, que si un de ses momens nous en donne l’usage, celuy qui le suit a le pouvoir de nous l’oster; Je veux des felicitez qui durent toujours, puis que mon ame est immortelle.

PORPHIRE

Si les richesses ny les grandeurs ne vous peuvent toucher, considerez au moins l’interest* de vos parens, & celuy des Chrestiens, dans la protection que vous leur pouvez donner durant le temps de vostre regne.

Ste CATHERINE

Je ne considere que la gloire de Dieu, mes parens / {p. 49}/ seront heureux s’ils cherchent leur félicité dans sa crainte. Et les Chrestiens ne manqueront jamais de protection, puis que le Ciel s’interesse en leur deffence.

PORPHIRE

Mais n’aprehendez-vous pas que vos rigueurs changent à la fin* cette grande affection* que l’Empereur a pour vous, en un excez* de tyrannie.

Ste CATHERINE

Comment voulez-vous que j’apprehende ce que je souhaite: Je prefereray toujours sa haine à son amour, dans la resolution que j’ay prise de n’aymer rien au monde que Dieu seul.

PORPHIRE

Que dites-vous, Madame, de preferer aux caresses*, & aux respects d’un grand Monarque, ses mespris & ses vengeances.

Ste CATHERINE

Ouy, Porphire: Car ses respects & ses caresses ruineront ma reputation en retardant ma perte, & ses mespris & ses vengeances me combleront de joye en avançant ma mort.

PORPHIRE

{p. 50}

Pensez à ce que vous dites, Madame.

Ste CATHERINE

Songez à ce que vous faites, Porphire.

PORPHIRE

Je crains que la cholere de l’Empereur n’éclate sur vostre teste.

Ste CATHERINE

Et j’espere que la Bonté de Dieu fera bien-tost coronner la vostre.

PORPHIRE

(Il parle tout bas)

Fuyons promptement, je sens ma foiblesse comme si mon coeur tenoit déja son party. Madame, je m’en vay rendre compte à l’Empereur de mon message.

Ste CATHERINE

Allez hardiment, le Ciel prépare vostre recompense. Mais voicy l’Imperatrice; Je sçay le dessein qui l’ameine, le succez* luy en sera favorable.

{p. 51}

SCENE V §

L'IMPERATRICE, parlant à Ste Catherine

L'IMPERATRICE

CHere Princesse, je suis fort ayse* que vostre vertu & vostre beauté obligent aujourd’huy l’Empereur à vous élever sur son trosne. Je n’envieray jamais vos felicitez, & moins encore vos grandeurs, sçachant que vostre naissance est aussi considerable que vostre merite.

Ste CATHERINE

Madame, vostre Majesté remplit* si dignement la place qu’elle occupe, que je n’ay pas sujet* d’y pretendre: Et quelque éclat qu’ayt ma naissance, & quelque loüange que la flaterie me donne, mon devoir me tiendra toujours rabaissée aux pieds de vostre Majesté, pour luy rendre les respects & les deferances d’une sujete.

L'IMPERATRICE

{p. 52}

Pourquoy me celez-vous le secret de vostre ambition; vostre naissance, vostre esprit, vostre beauté, & mille autres qualitez aymables qui vous rendent aujourd’huy si admirable aux yeux de toute la Cour, trahissent vos desseins, & me font voir jusques dans vostre coeur la verité que vos discours me cachent.

Ste CATHERINE

Madame, puis que la curiosité de sçavoir mes intentions, persuade vostre Majesté de me rendre l’honneur de sa visite, je luy diray hardiment qu’elle doit guerir son esprit de la crainte, & son ame de la jalousie, estant resoluë d’emporter dans le tombeau la seule qualité de Chrestienne.

L'IMPERATRICE

Ma naissance m’oste la crainte, & ma condition me deffend la jalousie: Je ne viens icy que pour me resjoüir avec vous des avantages que l’Empereur vous offre, avec la qualité de son Epouse.

Ste CATHERINE

Il est vray, Madame, que je suis vostre rivalle dans un / {p. 53}/ mesme dessein, puis que nous n’aurons toutes deux qu’un mesme Epoux.

L'IMPERATRICE

Vous m’étonnez sans vous faire entendre.

Ste CATHERINE

Il n’est plus temps de feindre, Madame, vostre Majesté veut cognoistre mon coeur, je luy en veux dire les pensées. Elle apprehende que j’épouse l’Empereur pour partager avec elle l’authorité de son Sceptre & de sa Couronne; Le Ciel nous invite toutes deux à des plus grandes nopces; preparons-nous seulement d’en recevoir l’honneur.

L'IMPERATRICE

Mais quel est cét Epoux.

Ste CATHERINE

C'est le Fils unique du Pere Eternel: Considerez sa puissance, le Ciel & la terre sont les ouvrages de sa parole. Representez-vous sa beauté, le Soleil ne luit que de ses regards: Reverez sa Sagesse, toutes les choses qu’il a créees en portent les caracteres* dans l’ordre où elles agissent continuellement. Adorez son amour, il a epousé nostre condition, s’est revestu de nos miseres, & est mort pour nous racheter / {p. 54}/ de son sang la mesme vie que sa Bonté nous avoit donnée, & que nostre malice* nous avoit fait perdre; Luy peut-on refuser des Autels ?

L'IMPERATRICE

Ha Divine Catherine! vos paroles toutes de lumiere & de feu en illuminant mon esprit, enflamment tellement mon coeur de l’amour de ce celeste Epoux dont vous me faites esperer la joüissance, que je soûpireray* sans cesse du regret de son éloignement. Allons, allons donc au devant de la mort, je ne voy plus le jour qu’à regret en l’attente de ce beau Soleil qui doit éclairer nos ames d’une lumiere eternelle. Et toutes les grandeurs qui m’environnent me sont si fort à mépris, que je n’en sçaurois souffrir la pensée, bien loin d’en supporter l’éclat.

Ste CATHERINE

L'heure de nostre retraite sonnera bien-tost, Madame, mourons fidelles aujourd’huy, pour vivre eternellement heureuses.

L'IMPERATRICE

Mais si vous avez l’honneur de me devancer, faites que la / {p. 55}/ voix de vostre sang crie misericorde en ma faveur pour m’obtenir la grace de vostre constance*, ma foiblesse a besoin de vostre secours.

Ste CATHERINE

Il faut que vostre esperance surmonte vostre crainte, le Ciel n’abandonne jamais ceux qui combatent pour sa gloire: Je ne vous dy point adieu, Madame, nos ames se verront bien tost dans le Ciel.

L'IMPERATRICE

Cette esperance me console de nostre separation.

Fin du Troisiesme Acte

{p. 57}

ACTE IV §

SCENE PREMIERE §

L'EMPEREUR ET PORPHIRE avec sa suite

L'EMPEREUR

J'ay de la peine à croire ce que tu dis ? Quoy, elle méprise le present de mon Sceptre, & de ma couronne, je me sens contraint à démentir* tes yeux & tes oreilles. C'est en vain que tu t’eforces à me le persuader.

PORPHIRE

Je ne sçaurois flatter* vostre Majesté en une action si importante à son repos, elle a paru insensible à toutes les offres des grandeurs & des richesses, de mesmes qu’aux menasses des suplices, & de la mort.

L'EMPEREUR

{p. 58}

En quel état me voy-je reduit, à quoy me sert cette puissance absoluë que le destin, la fortune, & mes armes victorieuses m’ont fait acquerir sur toute la terre, si une fille aujourd’huy borne mon autorité de ses desirs, assujetit mon Sceptre sous ses loix, & porte sur ses levres, l’Empire de ma Couronne? Où sont ces flatteurs maintenant qui disent que les Roys sont Tous-puissans icy bas, afin que ma foiblesse leur reproche cette imposture ? Fut-il jamais sujet* si miserable que moy ? je regne par tout fors que* dans le coeur de celle qui possede le mien; tout le monde me craint, & celle que j’ayme uniquement, méprise mon amour, & se rit de mes peines ? Ha Porphire ! puisque mon mal est sans remede, donne moy au moins quelque soulagement.

PORPHIRE

Si l’on ne luy fait connoistre* son erreur pour l’obliger à changer de creance, vostre Majesté n’en tirera jamais raison.

L'EMPEREUR

Il faut que je me serve de ce dernier moyen, j’ay commandé / {p. 59}/ qu’on fit assembler les plus sçavants Philosophes, ou que Lucius comme le plus fameux de tous preuve en ma presence la verité de nostre Religion & la fausseté de la sienne. Mais avant qu’on commance la dispute je veux me donner le contentement de luy parler, qu’on la face venir. Ha ! que j’ay mauvaise grace de faire le Souverain devant cette Reyne de mon ame, j’ay beau cacher dans mon sein le feu qui me devore, mes soûpirs sont autant d’estincelles qui en decelent le secret.

SCENE II §

SAINTE CATHERINE, [L’EMPEREUR]

L'EMPEREUR luy parle

Belle Princesse, l’Amour a beau me solliciter* de luy accorder la grace de vostre crime, je ne puis la donner qu’à vostre repentir.

Ste CATHERINE

L'innocence ne se repent jamais.

L'EMPEREUR

{p. 60}

Vous voyez le respect que j’ay pour vostre condition, que n’avez vous de la defference pour mes Edits.

Ste CATHERINE

Vostre Majesté cognoist la Justice qu’il y a dans mes plaintes, que n’a-t-elle de l’affection* pour mon soulagement.

L'EMPEREUR

N'est-ce pas aymer vostre repos de le preferer à celuy de ma vie.

Ste CATHERINE

Et n’est-ce pas estre jalouse* de vostre gloire de vous representer* les malheurs qui en peuvent offusquer* l’éclat.

L'EMPEREUR

Quel Demon vous anime* avec tant d’opiniatreté à creuser le tombeau où vous devez estre ensevelie.

Ste CATHERINE

{p. 61}

Et quelle fureur* vous transporte avec tant d’aveuglement de chercher vos plaisirs dans les miseres d’autrui

L'EMPEREUR

Je punis les rebelles.

Ste CATHERINE

Je protege les Innocens.

L'EMPEREUR

Moderez ce zelle indiscret* qui vous rend si ingenieuse à treuver les moyens de vous perdre.

Ste CATHERINE

Donnez quelque intervalle à cette passion* de vengence qui vous fait passer pour tyran en mille lieux.

L'EMPEREUR

Est-ce tyrannie de rompre vos fers, ou d’en partager la servitude.

Ste CATHERINE

{p. 62}

Est-ce bonté de combatre des ennemis, apres que vostre puissance les a desarmez.

L'EMPEREUR

Je voy bien que vostre desespoir l’emporte sur ma raison. J'ay compassion toutesfois de vostre jeunesse, vous estes aveugle aussi bien que moy; Mais nos bandeaux sont differents, vous portez celuy de l’ignorance, & moi celuy de l’amour. Il faut que je fasse rompre le vostre, & que je vous donne la moitié du mien.

Ste CATHERINE

Il est vray que nous sommes aveugles tous deux, vous à la lumiere de la Verité que je vous represente*, & moy à l’éclat des richesses que vous m’offrez. Mais vostre aveuglement comme volontaire, ne vous peut estre que funeste; & le mien comme necessaire me sera tousjours glorieux.

L'EMPEREUR

Le Philosophe que j’ay envoyé querir vous instruira en ma presence, pour vous faire connoistre* vostre erreur.

Ste CATHERINE

{p. 63}

J'espere que luy-mesme confessera bien tost la sienne à vostre confusion & à son avantage, puis que les larmes de son repentir, & le sang de son martyre en éteignant les foudres du Ciel, luy en feront acquerir la gloire.

L'EMPEREUR

Quelle apparence*, qu’un disciple instruise son maistre: deffendez-vous seulement, encore que* vous soyez vaincuë, la hardiesse que vous avez de vous presenter au combat, merite des couronnes.

SCENE III §

CORVIN

Le Philosophe Lucius choisi & deputé de tous ses compagnons*, est à la porte de la chambre; il demande à vostre Majesté la liberté d’entrer.

L'EMPEREUR

{p. 64}

Faites le venir, j’attends desja avec impatience le succez de son entreprise.

SCENE IV §

LUCIUS PHILOSOPHE [et tous les autres]

L'EMPEREUR luy parle.

Lucius, il faut que tu me donnes aujourd’huy ce contentement, d’instruire cette belle ignorante, & de luy faire connoistre* à force de raisons, l’erreur où elle a vescu, & la verité qu’elle doit suivre; sa jeunesse doit excuser la vanité qu’elle a, d’entrer en dispute avec un homme de ta reputation. Que si tu ne remportes pas beaucoup d’honneur à la vaincre, cét avantage te demeurera toujours de m’avoir obey.

LUCIUS

Il est vray que j’ay de la peine d’entrer dans une lice d’honneur, pour en disputer les couronnes à une fille / {p. 65}/ dont l’ignorance & le begayement rendront ma victoire aussi honteuse que ma deffaite. Mais puis-qu’en cette action il s’agit de la gloire des Dieux, & du contentement de vostre Majesté, je trouve le mien particulier dans l’obeissance que je luy veux rendre.

L'EMPEREUR

Commencez la dispute; voicy l’Imperatrice. Madame, vous aurez le contentement de l’oüir.

L'IMPERATRICE

J'en espere plus de profit que de joye.

Ste CATHERINE

Seigneur, puis que ta providence me destine aujourd’huy à soustenir publiquement la gloire de ton Nom, fay que ton divin Esprit change ma langue de chair, en une de ces langues de feu, dont tes Apostres embrasoient de ton amour les coeurs les plus insensibles. Parle maintenant par ma bouche, Fay toy entendre par ma voix, il n’appartient qu’à toy seul de parler dignement de toy-mesme.

LUCIUS

Sire, comment pourroit-elle preuver la verité de sa creance / {p. 66}/, si elle ne sçait ce que c’est que Religion.

Ste CATHERINE

C'est l’art de sauver l’homme en servant Dieu, & l’on peut s’élever à sa cognoissance par la lumiere de la Foy; l’adorant comme Createur, l’aimant comme Redempteur, & luy obeissant comme Souverain absolu en toutes choses.

LUCIUS

Qu'on l’aime comme Redempteur, peut-on aimer un Dieu crucifié ?

Ste CATHERINE

Escoutez l’Oracle de la Sibile Cumaine, Dieu aura pitié de sa Creature, & la rachetera par le bois.

LUCIUS

Mais parmy tant de peuples differens dont le monde est remply, qui sont ceux qui servent Dieu fidelement.

Ste CATHERINE

Les Chrestiens seuls, parce qu’ils ne cognoissent que le Dieu qui a fait l’homme. Tout au contraire de vous autres / {p. 67}/ Payens, qui adorez les Dieux que l’homme a faits. Vostre Saturne inhumain, vostre Jupiter adultere, & vostre Mercure trompeur, sont autant de divinitez fantastiques qui ne subsistent icy bas que par la matiere de leurs Statuës.

LUCIUS

Quelle impieté, quelle imposture ? Il se cognoist bien que nos Dieux sont veritables & tous-puissans, puis qu’ils font le destin de tous les hommes. Et les Romains en adorant les Dieux de toutes les nations, se sont rendus Maistres de tous les peuples.

Ste CATHERINE

Le nombre des Dieux ne differe point de l’Atheisme, comme nous asseure la Sibile Persane, puis qu’en effet les Dieux ne sont que creatures, ou vanitez. Et quand tous les mortels adoreroient vos Dieux, cette idolatrie n’en preuveroit pas la verité. Les Romains dans leurs conquestes nous ont laissé beaucoup plus de marques de leur folle ambition, que de temoins* de la puissance de leurs Dieux.

LUCIUS

{p. 68}

Quelle comparaison peut-on faire des Dieux des Gentils, avec le Dieu des Chrestiens; Si ceux-là regnent glorieusement dans le Ciel, & si celuy-cy est mort honteusement sur la terre.

Ste CATHERINE

L'impieté a beau eriger des Trosnes au dessus des nuës à vos fausses divinitez, l’Enfer est maintenant leur Olympe. Et si mon Sauveur est mort icy bas, c’est pour nous faire voir dans l’excez* de son amour, les apparences de sa foiblesse, & la verité de son pouvoir, puis qu’entrant comme homme dans la sepulture, il en est sorty comme Dieu.

LUCIUS

Mais si vostre Dieu est Tout-puissant, donnez moy des preuves de sa puissance souveraine & independante.

Ste CATHERINE

En sçauriez vous souhaiter de plus grandes que de voir cette fille dont vous preschiez* si haut & l’ignorance & le begayement, vous rendre muet et confus avec toute vostre sagesse.

LUCIUS

[P.69]

Ce sont des merveilles, je suis curieux de voir ses miracles.

Ste CATHERINE

Tu ressentiras bien-tost la Vertu du premier qu’il a fait, Lucius, puis que la boüe de ton corps detrempée avec les larmes de tes yeux, fera maintenant recouvrer la veüe à ton ame. Ecoute encore l’Oracle de la Sibile Cumaine, La Lumiere parlera pour instruire les aveugles. Il n’est plus temps de resister.

LUCIUS

Ha Seigneur, le jour de ta grace commence à luire dans mon ame ! Sa lumiere perce le bandeau de mon aveuglement: Je ressens ta Bonté, je recognois ta Puissance, je confesse ton Nom; J'adore le Dieu des Chrestiens. Sire, vostre Majesté peut voir son erreur dans la confession publique que je fais mienne, mon esprit humilié, & ma raison sousmise sous le doux joug de la Foy, me font cognoistre* mon ignorance. Le Dieu seul des Chrestiens doit estre adoré.

L'EMPEREUR

{p. 70}
L'Empereur se leve de sa chaise avec colere.

Quel subit changement ? Quoy Lucius ? une fille nouvellement instruite dans sa Religion vous imposera silence au mépris des Dieux & de mon autorité, c’est ce que je ne puis concevoir. Recommencez la dispute.

LUCIUS

La dispute est finie, puis que je n’ay plus rien à dire. J'ay esté attaqué par une fille; mais le Dieu de Verité m’a vaincu. Je sens également & son pouvoir & ma foiblesse: je voy mon neant devant sa grandeur,& ne suis plus capable de passion* que pour detester la folle religion que j’ay si long-temps professée.

L'EMPEREUR

Quelle manie* le transporte. Si vous ne changez de discours, je vous immoleray à mon juste ressentiment.

LUCIUS

O agreable Sacrifice ! que n’ay-je mille vies à vous offrir pour acquerir mille couronnes en souffrant autant de morts. Je ne cognois d’autre Dieu que celuy des Chrestiens.

L'IMPERATRICE

{p. 71}

Je luy ay dressé un autel dans mon ame, où elle-mesme luy a présenté tous ses voeux; & afin qu’on n’en puisse plus douter, je confesse hautement que je suis Chrestienne.

L'EMPEREUR

Que dites-vous, Madame, n’apprehendez-vous pas les foudres du Ciel.

L'IMPERATRICE

Je ne les apprehende que pour vous, puis que leurs flâmes vengeresses punissent les impies.

L'EMPEREUR

Changez de creance, Madame, ou vous ressentirez bien-tost les effets* de mon courroux.

L'IMPERATRICE

Je cherche la mort, pour treuver la vie. Alons, allons au martyre, où sont les bourreaux, il ne faut point de témoins pour me convaincre*, ny de Juge pour me condemner, j’adore le Dieu des Chrestiens.

PORPHIRE

{p. 72}

Je veux mourir pour sa gloire en confessant son Nom.

L'EMPEREUR

Quel changement effroyable? ô Dieux! prestez-moy vos foudres pour un moment, afin je vous venge, & que je me satisface. Que Lucius soit brulé tout vif, & Porphire devoré des Lyons: Qu'on trenche la teste à l’Impératrice, & qu’on mette en pieces cette enchanteresse*, dans les supplices des roües; mais tout maintenant, de peur que ma justice trop tardive* ne me rende complice de leur impieté.

Ste CATHERINE seule

O adorable Redempteur! dont la parole toute-puissante s’est servie de ma bouche pour annoncer vos loüanges & soûtenir la verité, Je vous rends graces d’avoir exaucé mes voeux en illuminant ces aveugles, pour leur apprendre le chemin du Calvaire, où vostre misericorde infinie leur a preparé tout à la fois, & des autels & des couronnes. Agreez seulement le zele de toutes ces victimes; Et puis que vostre Bonté m’a mise du nombre, je vous offre par avance le coeur de ce corps qui vous doit étre immolé, pour achever le sacrifice à vôtre gloire.

Fin du Quatriesme Acte {p. 73}

{p. 75}

ACTE V §

SCENE PREMIERE §

Ste CATHERINE. L'EMPEREUR avec sa suite

L'EMPEREUR

Je veux eriger un Autel à la Justice des Dieux, où la mienne y portera en offrande les cendres de Lucius, les os de Porphire, la teste de l’Imperatrice,& le corps brisé de cette malheureuse Princesse, afin que ces objets d’horreur & d’effroy punissent par avance les rebelles à force de crainte & d’étonnement*. A t’on executé mes commandemens?

CORVIN

Lucius est expiré à la fin* dans les flâmes, & l’on eust dit qu’il / {p. 76}/ s’y baignoit de joye chantant des Hymnes, & des Cantiques à la gloire du Dieu des Chrestiens. J'ay retenu ces dernieres paroles, qui en esclatant dans l’air ont frappé mes oreilles. Seigneur, fay que le feu dont tu as embrasé mon ame, dure autant qu’elle, afin que je brusle eternellement sans me consommer* jamais dans les flammes de ton amour. Porphire s’est écrié tout haut se voyant sur le point d’estre precipité dans la fosse aux Lyons, Souverain Createur de toutes choses, puis que ta bonté infinie me destine aujourd’huy à servir de proye à ces bestes farouches, ne permets pas qu’en devorant mon coeur elles effacent les caracteres* de ta crainte, & de ton amour, que tu y as gravez de ta main propre. L'Imperatrice a fait sans y penser un trône de son eschaffaut, puis que toutes les graces & toutes les majestez qui estoient affectees à sa naissance, sont montees dessus avec elle, pour donner à sa mort le mesme éclat qu’avoit eu sa vie. La Princesse Catherine seule, vit encore, ayant brisé par le pouvoir de ses charmes*, & la rouë & les liens qui l’y tenoient enchaisnee;

L'EMPEREUR

Quoy ? les Demons à l’exemple des Geans, declareront la guerre aux Dieux en s’opposant aux desseins de leur vengeance, c’est / {p. 77}/ ce que je ne puis me persuader. Mais voicy Lepide qui m’esclaircira de cette doute.

LEPIDE

C'est en vain que vostre Majesté a condamné à la mort la Princesse Catherine, elle mesprise esgalement & les bourreaux & les supplices, paroissant insensible aux attaintes* de tous ensemble.

L'EMPEREUR

Seroit-elle immortelle pour me faire mourir eternellement, Je veux estre tesmoin de tous ces prodiges.

Bruits de tonnerre

LEPIDE

Vos oreilles le sont déja par le bruit effroyable qu’elles entendent.

L'EMPEREUR

Il faut que mes yeux le soient aussi, j’ay de la peine à le croire:

(On tire le rideau)

Quel estrange* spectacle, elle sort triomphante du milieu des tourmens*, comme si son corps estoit de pierre ou de bronze. Belle enchanteresse*, tous vos charmes* sont inutiles, puis que j’ay resisté à ceux de vos yeux. Vous avez beau appeller l’Enfer à vostre secours / {p. 78}/, le Ciel a conjuré* vostre ruine*, & vous ne sçauriez l’éviter qu’en portant de l’encens sur nos autels.

Ste CATHERINE

Le sang de mon Martyre sera l’encens que j’offriray au Dieu de mon ame, pour jouyr de la gloire eternelle qu’il me fait esperer, au lieu des honneurs perissables que vostre Majesté me presente.

L'EMPEREUR

Je vous offre l’Empire de toute la terre.

Ste CATHERINE

Je n’en prétends* que l’espace de mon tombeau

L'EMPEREUR

Refuserez-vous la couronne de l’Univers.

Ste CATHERINE

Toutes les couronnes du monde ne meritent pas seulement d’estre souhaitees, puisqu’à peine a t’on le loisir de les essayer en passant. Je ne voy rien icy bas digne de mon envie.

L'EMPEREUR

{p. 79}

Mais pourquoy voulez-vous mourir à la veille de posseder toutes les grandeurs de mon Empire.

Ste CATHERINE

Parce que le jour est venu que je dois acquerir toutes les felicitez du Paradis.

L'EMPEREUR

Ha chere Princesse! ouvrez les yeux à l’esclat des honneurs qui vous attendent sur mon trosne.

Ste CATHERINE

Ha grand Monarque! prestez l’oreille au bruit de ces foudres qui vous menassent dans vostre Palais.

L'EMPEREUR

Rendez-vous aux prieres de mon amour.

Ste CATHERINE

Ne resistez plus à celles de mon zele.

L'EMPEREUR

Considerez les richesses que vous mesprisez.

Ste CATHERINE

{p. 80}

Pensez aux tresors que vous pouvez acquerir.

L'EMPEREUR

Tous mes sujets vous attendent dans ma court pour vous rendre les premiers hommages de leur servitude.

Ste CATHERINE

Et tous les Anges vous appellent dans le Ciel pour vous faire partager la couronne de Gloire que vostre Epouse a remportee;

L'EMPEREUR

Partagez plustost avec moy les felicitez dont elle a fait si peu d’estime, & ne courez point aveuglement à la mort;

Ste CATHERINE

Les felicitez que je desire ne sont point des fruits d’icy bas, & si je cours à la mort qu’on me prepare, c’est pour treuver la vie que j’attends.

L'EMPEREUR

Sauvez-vous pour éviter ma perte, puis que l’amour que j’ay pour / {p. 81}/ vous, me fait prendre part à tous vos malheurs.

Ste CATHERINE

Perdez-vous plustost heureusement avec moy, si vous m’aimez comme vous dites, puis que la gloire de nostre commun trespas doit rendre nos felicitez égales.

L'EMPEREUR

Je ne sçaurois vous suivre dans vostre desespoir.

Ste CATHERINE

Et je ne puis vous imiter en vostre idolatrie.

L'EMPEREUR

Mourez dans vostre Religion pour vous contenter: Mais vivez dans la mienne pour me satisfaire.

Ste CATHERINE

La mort n’a point des Couronnes à donner, que celle-là mesmes que nous avons faites durant la vie. Je veux suivre le chemin de la Verité, pour treuver celuy de la Gloire.

L'EMPEREUR[p.82]

Pourquoy me forcez-vous avec tant de violence, de vous abandonner à la rigueur de mes loix.

Ste CATHERINE

Parce que je ne sçaurois acquerir les felicitez que je desire, qu’en souffrant les nouveaux tourmens* dont vous me menacez.

L'EMPEREUR

Je voy bien que mes respects l’offencent, & que ma douceur excite sa colere. Qu'on luy tranche la teste tout maintenant, il faut éprouver* si la force de ses charmes* resistera à celle du glaive. Je vous abandonne à vostre desespoir.

Ste CATHERINE

Et moy à vostre aveuglement.

L'EMPEREUR seul

Quel Demon jaloux de mon repos suscite aujourd’huy cette mal-heureuse Princesse, à preferer les horreurs de la mort aux delices de la vie. La jeunesse & la beauté, les richesses & les grandeurs, luy presentent à l’envy tout ce qu’elles ont de plus / {p. 83}/ precieux & de plus agreable, & d’un pas precipité elle court aveuglement au tombeau pour se couronner des épines de toutes ces roses. Amour qui dans ta petitesse veut estre reconnu pour le plus grand des Dieux, à quoy servent maintenant tes Autels, si tu animes* tes sujets à y sacrifier dessus les objets qu’ils adorent ? Tu m’avois rendu idolatre des beautez de cette Princesse; Et sans me faire changer de passion*, non plus qu’à celle de visage, tu te sers maintenant de ma puissance absoluë pour l’immoler à ma fureur. Ha cruel! ne porte plus ce nom d’Amour, que pour te faire haïr davantage de ceux qui te connoissent. Et tu as beau d’oresnavant te cacher sous le voile de ton bandeau; j’ay deschiré le mien pour descouvrir tes ruses. Mais de quelle manie* ay je l’esprit agité. J'ay commandé qu’on fist mourir cette belle Princesse, & un moment de son absence me fait ressentir mille morts. Faut-il que je sois absolu pour ma ruine, & que mon autorité souveraine ne me donne des sujets que pour m’affliger en m’obeïssant. Il me semble que je la voy la teste baissée sous l’effort* de ma tyrannie, attendant la derniere atteinte* de sa fureur*. O Dieux! pardonnez-moy si j’abandonne vos interests dans le repentir qui me demeure d’avoir vengé vostre querelle*. Il est vray, cette Princesse estoit coupable / {p. 84}/. Mais comment pouvois-je la contraindre à vous apporter de l’encens, si elle m’en demandoit à toute heure. Je l’accusois d’idolatrie, & sa beauté m’en avoit déja convaincu. Ha! quelle injustice, elle a porté seule la peine d’un crime qui nous estoit commun. Voicy Lepide qui vient m’en apprendre les funestes nouvelles. Et bien, est-elle morte ?

LEPIDE

C'en est fait, Sire: mais sans mentir, son trépas a esté tout remply de prodiges.

L'EMPEREUR

Parle hardiment, il n’est plus temps de feindre, le desespoir commence d’amortir* mes flammes dans son sang.

LEPIDE

Ses veines n’on versé que du laict. Et à ce miracle visible qui a frappé d’estonnement* tous les spectateurs, la Musique des Anges qui ont enlevé son corps a charmé si doucement mes oreilles, que mon esprit en est encore tout ravy.

L'EMPEREUR

{p. 85}

Puis-je adjoûter foy à tes paroles. Mais qu’est-ce que j’entends ?

LEPIDE

On ouvre la tapisserie.

Le nouveau* recit sans doute des veritez que je viens de raconter.

L'EMPEREUR

Il écoute la Musique des Anges qui paroissent sur la montagne de Sinay, où ils ensevelissent le corps de Sainte Catherine.

De quels miracles éclatans suis-je delicieusement éblouy ? de quels charmes* de joye sens-je mon ame comblée ? Je perds peu à peu l’usage de la voix dans mon ravissement.

Il demeure quelque temps sans parler.

L'EMPEREUR reprend la parole apres que la Musique a cessé;

Ha divine Catherine! pardonne mon erreur, excuse mon aveuglement: J'adore ta vertu en cessant d’aymer ta beauté, & confesse hautement que le Dieu de tes Autels doit avoir place dans nos Temples: Je reclame sa bonté, j’implore ton secours; Et pour en meriter la grace, je t’accorde celle des Chrestiens, & leur laisse la liberté de professer publiquement leur Religion, /p.86/ puis que la gloire de ta mort efface la honte de leur vie. Allons Lepide, allons renouveller ces voeux dans nos Temples, le Ciel s’est declaré protecteur des Chrestiens.

FIN.