SCENE I §
ALCANDRE Seul.
Qu’on ne me parle plus de ces cruels tourments,
Que le demon des cœurs fait souffrir aux
amants*,
Qu’on ne me parle plus des rigoureuses peines,
1200 Que nous cause un bel
œil dont on porte les chaines.
Un seul mot, un seul geste, un regard, un
sousris*
Nous fait estre des dieux les premiers favoris,
On ne se souvient plus des traverses passées,
Et nostre ame se plonge en de douces pensées.
1205 La moindre des faveurs qu’une beauté depart
Nous fait mettre bien-tost les desplaisirs à part :
Nous fait nommer heureux les jours de nostre vie.
Et les premiers moments que nous l’avons servie
{p. 82}
Quels tourments souffre t’on dans l’empire d’amour
1210 Que je n’aye esprouvez depuis le premier jour,
Depuis le jour qu’un œil dont j’adore les charmes,
Me faisant son captif me fit rendre les armes.
Inquiet, solitaire, ennemy de mon bien,
Les rochers et les bois ont eu mon entretien :
1215 J’ay vescu sans repos, j’ay souspiré sans cesse,
Et je ne me suis pleu qu’aux objets de tristesse.
Depuis j’ay mille fois au bord de ce ruisseau,
Veu couler tout ensemble et mes pleurs et son eau
Et depuis mille fois mes amoureuses craintes
1220 Ont fait gemir Zephire à l’accent de mes plaintes,
Depuis j’ay mille fois au fort de mes douleurs
Mouillé cette herbe verte, et l’esmail de ses fleurs :
A qui l’eau de mes yeux a redonné la vie,
Quand l’ardeur du soleil la leur avoit ravie :
1225 Mais depuis un moment que ce bel
œil vainqueur
D’un regard favorable a soulagé mon cœur,
Et qu’elle a recogneu ma passion fidèlle,
Je me crois trop heureux d’avoir souffert pour elle,
Les tourments me sont chers dedans mon souvenir,
1230 Et l’on me fait plaisir de m’en entretenir.
{p. 83}
Arbres de qui souvent j’ay deschiré l’escorce,
Ne me reprochégs point cette amoureuse force,
Et pour l’amour de moy conservez cherement
Les marques que j’y mets de mon contentement.
SCENE II §
CIRCEINE, ALCANDRE.
CIRCEINE.
1235 Alcandre qui tenoit sa flame si secrète,
Seroit il devenu d’une humeur indiscrète,
Je ne puis pas le croire, il a tousjours este
Dans les loix du devoir, et de l’honnesteté.
Mais il escrit icy sur l’escorce d’un arbre.
ALCANDRE.
Après avoir escrit,
1240 Garde le mieux encor que ne feroit le marbre.
Et me preste ton ombre où je puisse rever,
Au bon heur nompareil qui vient de m’arriver.
Adorable Circeine, est il doncques possible,
Qu’à mon affection tu te montre sensible ?
{p. 84}
CIRCEINE.
1245 Il est en beau chemin escoutons seulement.
ALCANDRE.
S’il est vray, peut on voir un plus heureux
amant*,
En pourrois-je douter, puis que par son seing mesme
Elle tesmoigne assez qu’elle veut que je l’aime :
Mais si le seing aussi n’estoit pas de sa main,
1250 Qu’Arimant l’eust signée en estant l’escrivain.
CIRCEINE.
Cette doute me plaist, elle me sert d’indice,
Que le faux Clorian use icy de malice,
Aprochons le plus prés que je pourray de luy.
ALCANDRE.
Tirant la lettre
Souverain appareil de mon cruel ennuy,
1255 Devant que de t’ouvrir, que cent fois je te baise.
CIRCEINE.
Si je m’en puis saisir j’interrompray ton aise.
Lettre de Circeine à Alcandre.
La discrétion et l’honneteté d’Alcandre m’obligent en fin à l’asseurer que ses services me sont agréables, qu’il vive donc content après cette asseurance, et qu’il sçache que j’estime trop ses mérites, pour ne vouloir pas qu’il continuë d’aimer Circeine. {p. 85}
ALCANDRE.
Après l’avoir leuë
Ouy c’est son propre seing, il n’en faut plus douter,
Un Dieu ne pourroit pas ces faveurs mériter.
CIRCEINE.
Prenant la lettre
Non, non
ALCANDRE.
Non, non Dieux, qu’est cecy qu’un voleur me l’emporte,
1260 Impie, oses-tu bien y toucher de la sorte,
Ton sang expiera ce profane attentat
Attens
Il se leve en disant cela le poignard à la main.
CIRCEINE l’arrestant.
Attens Vous n’estes pas Alcandre en bon estat,
Sans doute vous dormiez, et vostre fantaisie
A jetté vostre esprit dans quelque frénésie,
1265 Me voulez vous tuer ?
ALCANDRE.
Me voulez vous tuer ? Ah ! que plustost ce
fer* {p. 86}
Plongé dedans mon sein, me pousse dans l’enfer,
Ma belle pardonnez l’action insolente
Que je viens de commettre.
CIRCEINE.
Que je viens de commettre. Elle est trop violente.
ALCANDRE.
Ouy pour vous : mais un autre en seroit desja mort
1270 Ayant eu le dessein de me faire ce tort.
CIRCEINE.
C’est pour vous advertir que ces lieux solitaires
Ne sont pas bien souvent fidèlles secrétaires.
ALCANDRE.
Pardon belle Circeine, et je vous fais serment
De ne m’emporter plus dans mon contentement.
CIRCEINE.
1275 Nous en pourrons parler, lisons cette escriture
Que vous avez gravée en cette escorce dure.
ALCANDRE.
Ce ne sont que des vers qui disent que vos yeux
Me peuvent abismer ou m’eslever aux cieux.
ALCANDRE.
Je les veux voir pourtant. C’est chose bien aisée.
ALCANDRE.
Lisez-les Qui voudroit vous avoir refusée.
Il lit les vers qui sont sur l’escorce.
Mon espoir comme toy fust autres fois plus bas,
Et pouvoient comme à toy me donner le trépas :
Mais en l’estat présent nous ne le craignons pas,
1285 Si nostre mort ne vient d’une cause divine,
Ta mort du feu du ciel qui brusle ta racine,
La mienne des ardeurs des deux yeux pleins d’apas.
ALCANDRE.
Après les avoir leus.
Voila ce que je laisse à ce bel arbre en garde,
Puis qu’avecque douceur ce bel œil me regarde.
CIRCEINE.
1290 Alcandre en tous endroits occupe ses esprits
ALCANDRE.
Seul ou non Rendés moy ce que vous m’avés pris.
Apres je recevray de bon cœur vos loüanges.
CIRCEINE.
Qu’en leurs déguisements les hommes sont estranges,
Vous n’en avez que faire, Alcandre est satisfaict,
1295 Tout le monde l’a veuë, Clorian le sçait :
Mais je sçay qu’en cela mon oncle m’a surprise.
ALCANDRE.
Si depuis qu’Arimant en mes mains l’a remise,
Autre que vous l’a veuë avec moy que les dieux,
Pour punir ce forfait m’escrasent à vos yeux :
1300 Mais je voy ce que c’est, vous estes repentante
De m’avoir obligé si loin de mon attente,
Puis que vous le voulez prenez encor mon sang,
Arrachez moy la vie en me perçant le flanc,
Et sçachez qu’elle m’est plus chere que la vie.
1305 Je recognois assez, belle, que vostre envie
Retirant cest escrit n’est pas de m’
obliger*,
Et que vous me voulez tout à faict affliger.
Pleust aux dieux que Circeine estimast tout de mesme
Ce qui vient de la part d’un malheureux qui l’aime,
{p. M, 89}
1310 Et qu’elle le gardast si cherement que moy :
Mais nous ne sommes pas sous une mesme loy.
Je suis trop amoureux et vous trop dédaigneuse.
CIRCEINE.
Et pour vous faire voir que j’en suis plus soigneuse.
Vous trouverez vos vers où vous les avez mis,
1315 Prenez ce gand,
ALCANDRE.
Prenez ce gand, Cet
heur* ne m’estoit pas promis
Il tire et lit les quatre vers que Clorian y avoit supposez.
Puis que tu m’asseure ma belle
Que seul j’ay part en ton amour,
Je te jure par l’œil du jour
Que Clorian sera fidèle.
Après avoir veu ces vers.
1320 Ah ! que c’est dextrement me donner le poison,
Me pouvois-je empescher de cette trahison ?
Amour qui vois mon mal et me défends la plainte
Te serois tu douté d’une semblable feinte ?
Elle se plaint de moy sans en avoir subjet,
1325 Et donne à son courrroux un songe pour object.
{p. 90}
Sans me faire languir vous deviez m’oster l’ame,
Et non pas vous mocquer de ma fidèle flame,
Adieu cruelle, adieu, c’est par ce coup fatal,
Que Clorian ou moy nous verrons sans rival.
CIRCEINE seule.
1330 Il me laisse en colére, Alcandre brave Alcandre,
Il est desja si loin qu’il ne me peut entendre,
Si ne le veux-je pas laisser dans ce soupçon,
Ny souffrir qu’on se jouë à moy de la façon,
Clorian est l’auteur de cette tromperie,
1335 Et je me vangeray de sa supercherie.
SCENE III §
CIRCEINE, FLORICE, PALINICE.
CIRCEINE.
En vain je l’ay suivi, je n’ay peu l’attraper,
Je voudrois toutesfois le pouvoir détromper,
1350 Que les plaisirs d’amour sont de peu de durée,
Je dois estre pourtant de sa flame asseurée.
FLORICE.
Allons donc la chercher, mais la voicy venir,
Qui seule dans ce lieu semble s’entretenir.
PALINICE, parlant à Circeine.
Que vous vous espargnez d’une grande courvée,
{p. 92}
1355 Le bon-heur nous en veut de vous avoir trouvée.
CIRCEINE.
Il vous est arrivé ce que je désirois.
FLORICE.
L’entretien sera bon estant de toutes trois.
PALINICE.
Mais il faut nous parler sans aucune contrainte,
Et dire nos pensers, et sans fard et sans crainte.
CIRCEINE.
1360 Je l’ay bien résolu, mon esprit offencé,
Dans tout ce qui se passe est trop intéressé,
Pour ne vous dire pas nettement nos pensées.
FLORICE.
Je crains que nous soyons toutes intéressées.
PALINICE.
Dites nous donc que c’est,
CIRCEINE.
Dites nous donc que c’est, Vous sçaurez qu’aujourd’huy
Clorian m’a pressée avecque violence,
Et sans aucun respect et beaucoup d’insolence
M’a reproché cent fois que trop légèrement
{p. 93}
Je l’avois mesprisé pour un nouvel
amant*.
1370 Et comme si j’estois sousmise à sa puissance,
A pris dans ses discours une grande licence.
Alcandre toutesfois sans beaucoup s’esmouvoir,
L’a voulu doucement remettre à son devoir,
Mais il s’est emporté sans le vouloir entendre,
1375 Et montrant qu’il avoit de l’aigreur contre Alcandre,
S’en est allé faché.
PALINICE.
S’en est allé faché. C’est fort mal procéder
Alcandre n’est pas homme à luy vouloir céder,
Et j’avois tousjours craint qu’en fin sa jalousie
Porteroit son esprit à cette frénésie.
CIRCEINE tout bas.
1380 Que j’ay subtilement déduit mon intérest,
Leur cachant ce qui doit estre tenu secret.
FLORICE.
Que vous a dit Alcandre après cette
saillie* ?
CIRCEINE.
Rien, mais il s’est jetté dans la mélancholie,
Et sans me dire mot a voulu me quitter,
1385 J’ay fait ce que j’ay peu taschant de l’arrester,
{p. 94}
Mais je ne l’ay peu faire
PALINICE parlant à Florice, et s’en allant tous deux.
Mais je ne l’ay peu faire Allons belle compagne
Envoyer leurs amis par toute la campagne,
Ils se sont allez battre.
CIRCEINE.
Ils se sont allez battre. Elles sont en
soucy*,
Mais je voudrois desja que cela fut ainsi,
1390 Alcandre vangeroit nostre commune offence,
Et si je m’y trouvois je prendrois sa deffence.
C’est Cerinte et mon frere, il est vray ce sont eux.
Quelque accident nouveau les assemble tous deux.
SCENE V §
ALCANDRE, CLORIAN, FLORICE, CIRCEINE, PALINICE, CERINTE, SILEINE
ALCANDRE ET CLORIAN.
ALCANDRE.
Puis que l’amour le veut : et qu’il est impossible
Que nous possédions d’eux ce miracle visible,
Et que l’on ne veut point à l’autre le céder,
Voyons à qui le fer le fera posséder.
CLORIAN.
1410 Hastons nous donc de peur que l’on ne nous sépare,
FLORICE.
Les voila sur Florice le point d’une action barbare.
PALINICE.
Ne nous amusons pas, courons les empescher.
[N, 97]
SILEINE.
Courons, ils ne sçauroit à nos yeux se cacher,
CERINTE.
Circeine fera plus envers eux que nous quatre,
1415 Sa parole les peut empescher de se battre.
ALCANDRE.
Finissons par ce coup on nous viens séparer.
CLORIAN.
Finissons ou mourons, c’est trop long temps durer.
CERINTE.
Ils montrent par leurs coups l’ardeur de leur colere,
SILEINE.
C’est assez cher amis, que pensez vous de faire ?
CIRCEINE.
1420 Alcandre, Clorian, est-ce ainsi qu’on me
sert* ?
Non, non, arrestez-vous, c’est par là qu’on me perd.
ALCANDRE.
Voilà mes armes bas, je n’ay plus de déffence,
Puis que cette action ma belle vous offence.
CLORIAN.
Que vous avez sur nous un pouvoir souverain,
1425 De nous faire tomber les armes de la main.
{p. 98}
CIRCEINE.
Qu’un effort généreux se faisant dans vos ames,
Rende vostre raison maistresse de vos flames.
Je ne suis pas d’advis d’endurer plus long-temps,
1430 Qui selon les objets qu’ils ont aux fantaisies,
Forment à mes despens de folles jalousies.
ALCANDRE.
Belle que j’ay tousjours fidèlement servy,
Pardonnez mon offense ou bien m’ostez la vie.
CLORIAN.
Si j’ay jamais rien fait qui vous puisse offencer,
1435 Madame asseurez-moy de jamais n’y penser.
CIRCEINE.
Je pardonne à tous deux, à la charge pourtant,
De ne penser jamais à m’en refaire autant.
CERINTE. parlant à Florice
Belle dois je tousjours vivre sans espérance,
Et n’aurez vous pour moy que de l’indifférence ?
1440 Ce vieillard qui n’a plus que la peau sur les os,
Est-il assez puissant pour troubler mon repos ?
FLORICE.
Le voicy qui s’en vient tout prest à vous respondre.
SCENE VI §
ARIMANT, SILEINE, PALINICE
FLORICE, CIRCEINE, ALCANDRE
CERINTE, CLORIAN.
ARIMANT.
Voicy, voicy le bras qui te pourra confondre,
{p. 99}
Alcandre et Clorian n’ont rien fait qu’à demy,
1445 Mets l’espée à la main je suis ton ennemy,
Tu ne peux t’en dédire*, il faut que par les armes
Nous voyons qui de nous doit pretendre à ses charmes.
SILEINE.
Mon oncle quel démon ennemy de vos jours
Vous a mis dans l’esprit de si folles amours ?
1450 Remettez vostre espée, et vous monstrez plus sage,
L’amour est
importun* aux hommes de vostre âge.
ARIMANT.
Ces jeunes estourdis me voudroient reformer,
Et me persuader qu’ils doivent seuls aymer.
{p. 100}
Non non, il faut mourir ou posséder Florice,
1455 L’espée au poing Cerinte.
ALCANDRE.
L’espée au poing Cerinte. O le plaisant caprice !
FLORICE.
Je ne puis plus souffrir cette importunité,
C’est trop nous faire voir vostre témérité.
PALINICE.
Voyant les
accidens* que vostre amour apporte,
Trouvons quelque moyen de vivre d’autre sorte.
1460 Vous ne pouvez jamais estre tous contentez,
Les uns seront aimez, les autres rejettez,
Souffrez donc que leur chois librement en dispose.
CLORIAN.
J’accepte de bon cœur ce que ma sœur propose,
A la charge pourtant que les deux malheureux
1465 Laisseront en repos les autres amoureux :
Et se retireront n’ayant plus d’espérance,
Ou verront ces beautez avec indifference.
ALCANDRE.
Je n’y contredis point.
CERINTE.
Je n’y contredis point. J’en suis fort satisfaict.
{p. 101}
CIRCEINE.
Et vous qu’en dites vous ?
ARIMANT.
Et vous qu’en dites vous ? Que le moyen m’en plait.
ALCANDRE.
1470 Il dépend donc de vous de nous tirer de peine.
PALINICE.
Florice, c’est à vous, et de suite à Circeine.
FLORICE.
Je feray quant à moy tout ce que l’on voudra.
CIRCEINE.
Et moy j’approuveray ce que l’on resoudra.
Je voudrois bien pourtant ne nous voir pas forcées,
1475 De dire là-dessus clairement nos pensées.
CERINTE.
Il vous y faut resoudre
FLORICE.
Il vous y faut resoudre Il est vray, mais jurez
Qu’à ce que nous dirons vous vous conformerez,
Et que vous garderez nos volontez dernières.
SILEINE.
{p. 102}
Parlant à Palinice
Ne serez vous jamais moins sourde à mes prières ?
1480 Considerez en fin que depuis si long temps
Malgré tous vos mespris mes feux sont si
constans*.
PALINICE.
Donnez vous patience, escoutons ces deux dames,
Apres nous parlerons de soulager vos flames.
SILEINE.
Puis que vous le voulez, je le veux bien aussi.
FLORICE.
1485 Nous le promettez-vous ?
CLORIAN.
Nous le promettez-vous ? Nous le jurons ainsi.
FLORICE.
Parlant à Arimant et à Cerinte
Vous qui sçavez pourquoy mon ame est agitée,
Qui depuis si long temps m’avez inquietée,
Voyez si j’ay raison de vous blasmer tous deux,
Et de desaprouver les effects de vos feux :
1490 Mais puis qu’il faut au vray dire ce que je pense,
Qu’il faut que l’un n’ait rien, l’autre ait sa récompense,
Que vous n’espérés point que de l’avoir de moy,
{p. 103}
Que je vous dois donner une derniere loy,
Balançant le mérite et de l’un et de l’autre,
1495 J’aprouve vostre amour et j’estime le vostre :
Je sçay bien qu’Arimant nourrit dedans son sein
Avecque son amour un généreux dessein,
Son feu devant le vostre est de ma cognoissance
Le sien est desja vieux le vostre en sa naissance.
ARIMANT. tout bas
1500 Courage à mon parti l’amour la va ranger.
CERINTE. tout bas
Je voy bien que mon sort ne se peut pas changer,
Cette vielle amitié prévaudra sur la mienne
Quoy que dans sa grandeur elle passe la sienne,
L’amour de ce vieux tronc pour quelque peu de bien
1505 Sans aucune raison prevaudra sur le mien.
FLORICE. Continuant
Pardonnés Arimant à mon humeur cruelle
Si j’ay faict peu d’estat de vostre amour fidelle.
Puisque pour des raisons que je ne diray pas,
Cerinte aura seul part en ce que j’ay d’apas.
ARIMANT.
1510 Le Ciel a-t-il fait naistre une chose si rare,
{p. 104}
Pour luy donner apres une ame si barbare ?
A t’il mis en ce
sexe* une extreme beauté,
Pour y joindre la fraude avec la cruauté ?
Que nous sommes poussez d’un malheureux genie
1515 Lors que nous desirons d’estre en sa compagnie,
Et bien vivez heureux Cerinte à mes despens.
CERINTE.
Que vous m’avez tenu longuement en suspens.
FLORICE.
Circeine c’est à vous de conclure l’affaire.
ARIMANT.
Souvenez-vous du tort que l’on vient de me faire.
CIRCEINE.
1520 Les interests icy ne sont point recognus.
Nous devons faire voir nos sentimens tous nus.
Ma compagne desja m’en a donné l’exemple.
ALCANDRE.
Amour dont ces beaux yeux sont l’autel et le temple,
Et mon cœur la victime oblige un pauvre
amant*,
1525 Et donne en ma faveur ce dernier jugement.
CIRCEINE.
J’eusse bien désiré de n’estre pas contrainte
[O, 105]
De vous donner jamais aucun subject de plainte :
Mais desirant tous deux ce qu’un seul doit avoir
De vous contenter tous n’est pas en mon pouvoir.
1530 C’est pourquoy je vous prie, apres que par ma bouche
Vous aurez sceu de qui la passion me touche,
Ne me reprochez point vos services passez,
Ny vos soins amoureux trop mal recompensez :
Je sçay que Clorian m’a tousjours estimée,
1535 Et que dés mon enfance il m’a beaucoup aymée,
Qu’il a pris mille soins pour m’obliger à luy,
Que j’ay participé dans son cruel ennuy.
ALCANDRE. tout bas
Veux-je plus clairement entendre ma ruine,
Et l’arrest de ma mort par sa bouche divine ?
1540 Non non, rompons icy les respects amoureux,
Et faisons l’action d’un homme généreux.
ALCANDRE. tout bas
Mais, Ah ! ce mais ! remet toute mon espérance,
Et donne à mon esprit quelque peu d’asseurance.
{p. 106}
CIRCEINE.
Alcandre d’autre part m’a fait voir mille fois
1545 Qu’un amour violent l’arrestoit sous mes loix,
Avec tant de respect qu’il ne m’est pas possible
De m’en ressouvenir qu’il ne me soit sensible,
Et pour luy monstrer
CLORIAN. tout bas
Et pour luy monstrer O Dieux, quel changement !
Elle estime ma flame, et prend un autre
amant*.
CIRCEINE.
1550 S’il est vray qu’il luy reste encore dedans l’ame
Apres mon jugement quelque reste de flame,
Et qu’il ait le dessein de tousjours m’obliger,
Qu’il aime Clorian.
CLORIAN. tout bas
Qu’il aime Clorian. Mon soupçon est léger,
Elle va prononcer à son désadvantage.
ALCANDRE.
1555 On m’a fait voir le port où je feray naufrage.
CIRCEINE.
Et moy je veux aymer le reste de mes jours
Alcandre de qui seul j’approuve les amours.
CLORIAN.
Le pilote qui voit fondre dessus sa teste
{p. 107}
Durant un temps serain une horrible tempeste,
1560 Qui voit rompre ses mats, voit briser son vaisseau,
Est moins surpris que moy par un coup si nouveau.
ALCANDRE.
Emporté de trop d’aise, et presque hors de moy mesme,
Je me trouve interdit dans le bon heur extrême,
Je crains que quelque songe en son illusion
1565 Me vienne icy flater dans mon affection.
ARIMANT.
Ingrate Clorian laissons ces plaintes vaines,
Allons loin de ces lieux mettre fin à nos peines.
CLORIAN.
Pour moy je veux chercher mon vray repos ailleurs,
Et prendre désormais des mouvements meilleurs.
ARIMANT.
1570 Et moy me retirant dans une solitude,
{p. 108}
Je veux rire à loisir de son ingratitude.
CLORIAN. s’en allant
Pour oublier du tout ces esprits inconstans,
Prenons pour médecins le dépit et le temps.
SILEINE.
Me laisserés-vous seul aimable Palinice,
1575 Et n’obtiendray-je rien pour un si long service ?
Au moins si je voyois ce rival amoureux,
Nous verrions qui des deux seroit le plus heureux,
Nommez le moy.
FLORICE.
Nommez le moy. Sçachant sa longue servitude
Vous le devez tirer de son inquietude,
1580 Vous devez comme nous dire vos sentiments,
Et perdre son espoir ou finir ses tourments.
PALINICE.
Vous parlez sans sçavoir s’il s’y voudroit résoudre.
SILEINE.
Que la foudre à vos yeux me vienne mettre en poudre :
Si je n’obeys pas à vostre volonté.
CIRCEINE.
1585 Palinice montrez icy vostre bonté,
{p. 109}
Dites luy franchement quelle est vostre pensée.
CERINTE.
Ma sœur ne rompez point vostre vieille amitié,
Ses peines vous devroient esmouvoir à pitié.
PALINICE.
1590 Puis qu’il faut s’expliquer, Sileine je vous aime,
Et vous n’eustes jamais de rival que vous mesme.
Que voulez-vous de plus ?
SILEINE.
Que voulez-vous de plus ? Rien qu’un point seulement
Pour couronner ma flame et mon contentement.
PALINICE.
Que demandez-vous donc ?
SILEINE.
Que demandez-vous donc ? Qu’un hymen nous assemble
1595 Pour vivre desormais heureusement ensemble.
ALCANDRE.
Je croy que vos desseins se conforment icy,
Si vous le désirez nous le voulons aussi.
PALINICE.
Il s’y faudra résoudre, et passer une vie
{p. 110}
Qui nous mette à couvert des efforts de l’envie.
1600 Mes compaignes et moy chérissons vos plaisirs,
Et nous accordons tout à vos chastes désirs.
CERINTE.
De voir un tel succez à nos peines diverses.
FIN