SCÈNE PREMIÈRE. Cosroës, Syra, Sardarigue, Gardes. §
COSROËS furieux, suivi des autres.
Noires divinités, filles impitoyables,
350 Des vengeances du Ciel, ministres effroyables,
Cruelles, redoublez, ou cessez votre effort,
Pour me laisser la vie, ou me donner la mort.
Ce corps, n’a plus d’endroit, exempt de vos blessures,
Vos couleuvres n’ont plus, où marquer leurs morsures ;
355 Et de tant de chemins, que vous m’avez ouverts,
Je n’en trouve pas un, qui me mène aux Enfers ;
Ce n’est qu’en m’épargnant, que la mort m’est cruelle,
Je ne puis arriver, où mon Père m’appelle,
Achevez de me perdre, et dedans son tombeau,
360 Enfermez avec lui, son fils, et son bourreau.
SYRA
Chassez de votre esprit, les soins mélancoliques,
Qui montrent à vos yeux, ces objets chimériques ;
C’est une illusion, dont ils sont effrayés,
Et vous ne voyez rien, de ce que vous voyez.
COSROËS
365 Quoi, n’entendez-vous pas, du fonds de cet abîme,
Une effroyable voix, me reprocher mon crime,
Et me peignant l’horreur, de cet acte inhumain ;
Contre mon propre flanc, solliciter ma main ?
N’apercevez-vous pas, dans cet épais nuage,
370 De mon Père expirant, la ténébreuse image,
M’ordonner de sortir, de son trône usurpé,
Et me montrer l’endroit, par où je l’ai frappé ;
Voyez-vous pas sortir, de cet horrible gouffre,
Qui n’exhale, que feu, que bitume, et que soufre ;
375 Un spectre décharné, qui me tendant le bras,
M’invite d’y descendre, et d’y suivre ses pas ?
Ô dangereux poison, peste des grandes âmes,
Maudite ambition, dont je crus trop les flammes,
Et qui pour t’assouvir, ne peut rien épargner,
380 Que tu m’as cher vendu, le plaisir de régner !
Pour atteindre à tes voeux, et pour te satisfaire,
Cruelle, il t’a fallu, sacrifier mon Père.
Je t’ai d’un même coup, immolé mon repos,
Qu’un remords éternel, traverse à tout propos ;
385 Il te faut de moi-même, encor le sacrifice,
Et déjà, dans le Ciel, j’ois gronder mon supplice ;
Et son funèbre apprêt, noircir tout l’horizon.
Il se promène, et fait des signes de revenir en lui-même.
SARDARIGUE
Cet accès, a longtemps, possédé sa raison.
SYRA
Il cesse, et son bon sens, recouvre son usage ;
Bas.
390 De cette occasion, il faut prendre avantage,
Et pressant son dessein, savoir le temps précis,
Qui doit combler mes voeux, en couronnant mon fils.
On lui donne un siège.
Nourrirez-vous toujours, ce remords qui vous reste ;
Si vous ne l’étouffez, il vous sera funeste ;
395 De ce malheur, Seigneur, perdez le souvenir,
L’avoir gardé vingt ans, est trop vous en punir.
COSROËS
Tout l’État, où j’occupe un rang illégitime,
M’entretient cette idée, et me montre mon crime ;
L’aversion du peuple, et celle des soldats,
400 M’est un témoin public, de la mort d’Hormisdas ;
Et plus que tout, hélas ! la fureur qui m’agite,
Quand elle me possède, à le suivre m’invite !
J’ai regret, que ce mal, vous coûte tant de soins,
Et honte en même temps, qu’il vous ait pour témoins,
405 Mais plus de honte, encor, de son énorme cause,
Qui fol, et parricide, à tout l’État m’expose.
SYRA
Tant que vous retiendrez les rênes de l’État
Vous y verrez l’objet, qui fit votre attentat ;
Et vous ne pouvez voir, ni sceptre, ni Couronne,
410 Sans vous ressouvenir, qu’un crime vous les donne ;
Votre repos, encor, souffre visiblement,
Du soin que vous prenez, pour le gouvernement ;
Vos ennuis, de ce soin, vous rendent moins capable,
Déposez ce fardeau, devant qu’il vous accable ;
415 C’est un faix qu’il me faut déposer avec vous,
Mais je renonce à tout, pour sauver un époux ;
Déchargez votre esprit, de ce qui le traverse,
Cosroës m’est plus cher, qu’un Monarque de Perse ;
Sans lui, je ne puis vivre, et vivant avec lui,
420 Je puis être encor Reine, et régner en autrui ;
La puissance, qui passe, en un autre nous-même,
Laisse encor en nos mains, l’autorité suprême ;
Et nous ne perdons rien, lorsque le même rang,
Quoique sous d’autres noms, demeure à notre sang.
COSROËS
425 J’ai trop d’expérience, et j’ai trop vu de marques,
Ô généreux Surgeon, et tige de Monarques,
De l’étroite union, que produisent nos feux,
Pour croire, avec l’État, devoir perdre vos voeux ;
Je sais, que votre amour, s’attache à ma personne,
430 Qu’elle me considère, et non pas ma couronne ;
Aussi depuis longtemps, le faix, ne m’en est doux,
Que par l’honneur, qu’il a d’être porté de vous ;
Je n’en aime l’éclat, que dessus votre tête,
Je sais, combien j’en fis, une indigne conquête ;
435 Je ne puis me parer, d’un ornement si cher,
Que je ne pense au front, d’où j’osai l’arracher ;
Et sais, que sur le mien, tout ce qu’il a de lustre,
D’un énorme forfait, n’est qu’une marque illustre.
Si vous le voulez donc, au front de votre fils,
440 Je m’en prive avec joie, et je vous l’ai promis ;
Je ne le puis garder par droit héréditaire,
Après m’être souillé, du meurtre de mon père ;
Mardesane en sera plus juste successeur,
Du bien de son aïeul, faisons-le possesseur ;
445 Si l’acquisition, en fut illégitime ;
J’en ai joui sans droit, la garde en est un crime ;
Je le retiens à tort, comme à tort je le pris,
J’en dépouillai mon père, et j’en frustre mes fils ;
Ne consultons donc plus, Madame, allons élire,
450 À la tête du Camp, une tête à l’Empire ;
Tranquille, et déchargé d’un faix qui m’a lassé,
Je verrai sans regret, en cet âge glacé,
Mon sceptre soutenu, d’une main plus capable,
Et mon sang innocent, succéder au coupable.
SARDARIGUE
455 Mais peut-il l’accepter, Seigneur, sans attentat
Contre le droit d’aînesse, et la loi de l’État ?
De mon zèle, Madame, excusez la licence,
Syroës, a pour lui, le droit de la naissance ;
Voulez-vous voir armer la Perse contre soi,
460 Et lui donner la guerre en lui donnant un Roi ?
Songez à quels malheurs vous l’exposez en butte,
Un rang si élevé, vaut bien qu’on le dispute.
SYRA
Objet de nos encens, Soleil ! tu m’es témoin,
Si l’intérêt d’un fils, me produit aucun soin !
465 Et si l’ambition qu’excite un Diadème,
Pour en parer autrui, sortirait de moi-même !
Votre seul intérêt, Seigneur, m’en peut priver,
Je le perds sans regret, quand il vous faut sauver ?
Mais déposant ce faix, où votre âge succombe,
470 Voyez, sur qui des deux, il importe qu’il tombe ;
L’intérêt de l’aîné, (vous vivant) est couvert,
Et son aînesse, encor, n’a point de droit ouvert ;
Un Roi qui fuit le soin, et dont l’âge s’abaisse,
Peut dessus qui lui plaît reposer sa vieillesse ;
475 Et pour faire en autrui, considérer ses lois
Donner à ses agents, la qualité de Rois.
Syroës, appuyé, du droit qu’il peut prétendre,
Sitôt qu’il régnera, ne voudra plus dépendre ;
Et vous croyant l’Empire, avecques lui commun,
480 Vous serez à son règne, un obstacle importun ;
Vous le verrez bientôt, s’il se sent l’avantage,
Éloigner les objets, qui lui feront ombrage ;
Et je puis craindre pis, après que ce matin,
Il eût, sans Mardesane, été mon assassin ;
485 Et que pour cet effet, il a tiré l’épée.
COSROËS
Ô Dieux ! que dites-vous !
SYRA
Ô Dieux ! que dites-vous ! Il ne m’a point trompée ;
Comme il croit mon crédit, fatal à son espoir,
Il n’a jamais cessé, de choquer mon pouvoir ;
Et pour toute raison, j’ai l’honneur de vous plaire,
490 Et la haine du fils, naît de l’amour du Père.
Que puis-je attendre, donc, de son autorité ?
COSROËS
Je pourvoirai, Madame, à votre sûreté.
SYRA
Élevant Mardesane, à ce degré suprême,
Vous régnerez (Seigneur) en un autre vous-même ;
495 Sous le gouvernement, qu’il se verra commis,
Et l’État, et le Roi, tout vous sera soumis ;
Et pour votre repos, dont l’intérêt nous touche,
Vos ordres, seulement, passeront par sa bouche ;
Par lui vous régnerez, par vous il régnera,
500 Et ce seront vos lois qu’il vous dispensera.
Le soin le regardant, la gloire sera nôtre ;
Je connais sa vertu, c’est mon sang, c’est le vôtre,
Dont vos chastes ardeurs, ont honoré ce flanc,
Et que j’ose pleiger, du reste de mon sang.
COSROËS
505 Par les pleurs, que je dois, aux cendres de mon père,
Par le char éclatant, du Dieu que je révère,
Par l’âge qui me reste, et qu’il éclairera,
Mardesane, Madame, aujourd’hui régnera ;
Je vous l’avais promis, et mon repos me presse,
510 Autant que mon amour, d’acquitter ma promesse ;
Par forme, Sardarigue, assemblez le Conseil,
Mais, du couronnement, disposez l’appareil.
SARDARIGUE
Ou la Reine, Seigneur, semble être intéressée,
Je n’ose plus avant, vous ouvrir ma pensée ;
515 Mais...
SYRA
Mais... On n’a pas dessein, d’en croire vos avis.
SARDARIGUE
Ils n’ont point fait de tort, quand on les a suivis.
Et ce projet, Madame, est d’assez d’importance,
Pour ne le pas presser, avecques tant d’instance.
Si j’en prévois l’issue, elle doit aller loin.
COSROËS
520 Je prendrai vos conseils, quand j’en aurai besoin.
Cependant, pour ne rien tenter à notre honte,
Arrêtez Syroës, et m’en rendez bon compte.
SARDARIGUE
Si vous voulez (grand Roi) voir le peuple en courroux,
Le camp, et tout l’État, soulevés contre vous ;
525 Imposez-moi cet ordre, et faites qu’on l’arrête.
COSROËS
À ne pas obéir, il va de votre tête.
SARDARIGUE bas, sortant avec ses Gardes.
Ô Dieux, dont les décrets passent nos jugements,
Rendez vaine, l’horreur, de mes pressentiments !
SYRA
Si les Grands écoutaient, tout ce qu’on leur propose,
530 Ils ne résoudraient rien, et craindrais toute chose,
Le peuple parle assez, mais exécute peu,
Et s’alentit bientôt, après son premier feu.
Un exemple en tous cas, à l’un des chefs funeste,
En ces soulèvements, désarme tout le reste.
SCÈNE II. Mardesane, Cosroës, Syra, Hormisdate, Gardes. §
COSROËS à Mardesane.
535 Venez, l’État lassé, de ployer sous ma loi,
Et mon propre repos, nous demandent un Roi ;
Prince, allons le donner, et consultez vos forces.
MARDESANE bas.
Funeste ambition, cache-moi tes amorces !
COSROËS
Mes jours, prêts d’arriver, à leur dernière nuit,
540 Et l’incommodité, qui les presse, et les suit,
Et qui bientôt m’appelle, au tribunal céleste ;
Souffrent qu’à mon Empire, après ma mort je reste ;
Les travaux, et les soins, qui m’ont tant fait vieillir,
Ne peuvent toutefois, entier m’ensevelir ;
545 Malgré l’effort du temps, et de mes destinées,
J’ai par qui prolonger ma gloire, et mes années,
Par qui las de régner, voir le règne suivant,
Me le perpétuer, et renaître vivant,
Par qui laissant l’État, en demeurer le Maître,
550 Et c’est vous, Mardesane, en qui je veux renaître ;
Soutenez bien le bras, qui vous couronnera,
C’est un prix que je dois, à l’amour de Syra ;
Remplissez dignement, le trône, et notre attente,
Et représentez bien, celui qui vous présente.
MARDESANE
555 Je suis à vous, Grand Prince, et je serais jaloux,
Qu’un autre eût plus de zèle, et plus d’ardeur pour vous ;
Je sais, ce que je dois à votre amour extrême,
J’en ai le témoignage, et le gage en moi-même ;
Et quand dès le berceau, vous m’auriez couronné,
560 En me donnant le jour , vous m’avez plus donné ;
À quoi donc, puis-je mieux, en employer l’usage,
Et destiner mes soins, qu’au soutien de votre âge ?
Occupez-les, Seigneur, j’en serai glorieux,
Le faix de vos travaux, me sera précieux,
565 Mais, m’en donnant l’emploi, demeurez-en l’arbitre,
Commettez le pouvoir, mais retenez le titre ;
Ou si vous dépouillez, le titre, et le pouvoir,
Voyez, qui justement, vous en devez pourvoir.
Par la loi de l’État, le sceptre héréditaire,
570 Doit tomber de vos mains, en celles de mon frère ;
Comblez-le des bontés, que vous avez pour moi.
COSROËS
La loi, qu’impose un père, est la première loi.
SYRA
Vains sentiments de mère, importune tendresse !
On reçoit vos faveurs, avec tant de faiblesse !
575 J’ai mis au monde un fruit, indigne de mon rang !
Et ne puis en mon fils, reconnaître mon sang !
Nourri, si dignement, et né pour la Province,
Il n’a pu contracter, les sentiments d’un Prince ;
Et l’offre qu’on lui fait, d’un pouvoir absolu,
580 Peut trouver en son sein, un coeur irrésolu.
MARDESANE
D’un sang assez ardent, n’animez point les flammes,
J’ai tous les sentiments, dignes des grandes âmes.
Et mon ambition, me sollicite assez,
Du rang que je rejette, et dont vous me pressez.
585 Un trône attire trop, on y monte sans peine,
L’importance, est de voir, quel chemin nous y mène ;
De ne s’y presser pas, pour bientôt en sortir,
Et pour n’y rencontrer, qu’un fameux repentir.
Si j’en osais, Seigneur, proposer votre exemple,
590 De cette vérité, sa preuve est assez ample ;
Ce bâton, sans un sceptre, honore assez mon bras,
Grand Roi, par le démon, qui préside aux États ;
Par ses soins providents, qui font fleurir le vôtre,
Par le sang de Cyrus, noble source du nôtre ;
595 Par l’ombre d’Hormisdas, par ce bras indompté,
D’Héraclius, encor, aujourd’hui redouté ;
Et par ce que vaut même, et ce qu’a de mérite,
La Reine, dont l’amour , pour moi vous sollicite,
De son affection, ne servez point les feux,
600 Et sourd en ma faveur, une fois à ses voeux,
Souffrez-moi de l’Empire, un mépris salutaire,
Et sauvez ma vertu, de l’amour d’une mère,
Songez, de quels périls, vous me faites l’objet,
Si votre complaisance, approuve son projet ;
605 Les Grecs, et les Romains, aux pieds de nos murailles,
Consomment de l’État, les dernières entrailles ;
Et poussant jusqu’au bout leur sort toujours vainqueur,
En ce dernier asile, en attaquent le coeur ;
Des Satrapes, mon frère, a les intelligences,
610 Et cette occasion, qui s’offre à leurs vengeances,
Donne un pieux prétexte à leurs soulèvements,
Et va faire éclater tous leurs ressentiments ;
Un Palmyras, enflé de tant de renommée,
Démis de ses emplois, et chassé de l’armée ;
615 Un Pharnace, un Sain, dont les Pères proscrits,
D’une secrète haine animait les esprits ;
Peuvent-ils négliger, l’occasion si belle,
Quand elle se présente, ou plutôt les appelle ?
Si l’ennemi, le droit, les Grands, sont contre moi,
620 Au parti malheureux, qui gardera la foi ?
Par qui, l’autorité, que vous aurez quittée,
Sera-t-elle, en ce trouble, ou crainte, ou respectée ;
Si pour donner des lois, il les faut violer ?
En m’honorant, Seigneur, craignez de m’immoler ;
625 Qui veut faire usurper, un droit illégitime,
Souvent, au lieu d’un Roi, couronne une victime ;
Et l’État est le temple, et le trône l’autel,
Où cette malheureuse, attend le coup mortel.
COSROËS
Vous craignez de régner, faute d’expérience ;
630 Il y faut de l’ardeur, et de la confiance ;
Un sceptre, à le porter, perd beaucoup de son poids ;
Votre règne établi, justifiera vos droits ;
Des factieux, mon ordre, a prévenu les ligues,
L’arrêt de Syroës, rompra toutes ses brigues ;
635 Si quelque bruit s’émeut, mon soin y pourvoira ;
Contre tous vos mutins, mon droit vous appuiera ;
Je puis, sur qui me plaît, reposer ma couronne ;
Et pour toute raison, portez-la, je l’ordonne.
MARDESANE
C’est un de vos présents, je ne puis le haïr ;
640 Vous voulez que je règne, il vous faut obéir.
Mais je monte à regret, assuré de ma chute,
Et plaise au Ciel ! Qu’au sort, mes jours soient seuls en butte !
Parlant à Syra.
Ha, Madame ! Quel fruit, me produit votre amour.