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Nombre de personnages parlants sur scène : ordre temporel et ordre croissant  
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Sallebray. La Belle Égyptienne. Tragi-comédie. Table des rôles
Rôle Scènes Répl. Répl. moy. Présence Texte Texte % prés. Texte × pers. Interlocution
[TOUS] 33 sc. 626 répl. 2,3 l. 1 416 l. 1 416 l. 35 % 4 139 l. (100 %) 2,9 pers.
DOM JEAN DE CARCAME 20 sc. 166 répl. 2,6 l. 917 l. (65 %) 425 l. (31 %) 47 % 2 834 l. (69 %) 3,1 pers.
PRECIEUSE 21 sc. 171 répl. 1,9 l. 1 024 l. (73 %) 322 l. (23 %) 32 % 3 433 l. (83 %) 3,4 pers.
LA VIEILLE 15 sc. 82 répl. 1,4 l. 698 l. (50 %) 118 l. (9 %) 17 % 2 744 l. (67 %) 3,9 pers.
LE POETE 6 sc. 44 répl. 2,9 l. 259 l. (19 %) 126 l. (9 %) 49 % 612 l. (15 %) 2,4 pers.
LE CAPITAINE des Egyptiens 4 sc. 19 répl. 6,3 l. 234 l. (17 %) 120 l. (9 %) 52 % 1 235 l. (30 %) 5,3 pers.
LA TROUPE des Egyptiens 1 sc. 1 répl. 3,0 l. 160 l. (12 %) 3 l. (1 %) 2 % 801 l. (20 %) 5,0 pers.
egyptien 3 sc. 9 répl. 1,7 l. 54 l. (4 %) 16 l. (2 %) 29 % 199 l. (5 %) 3,7 pers.
FERDINAND 5 sc. 35 répl. 1,8 l. 182 l. (13 %) 65 l. (5 %) 36 % 692 l. (17 %) 3,8 pers.
ISABELLE 5 sc. 46 répl. 2,3 l. 309 l. (22 %) 107 l. (8 %) 35 % 1 057 l. (26 %) 3,4 pers.
HIPOLITE 5 sc. 36 répl. 2,7 l. 177 l. (13 %) 97 l. (7 %) 55 % 598 l. (15 %) 3,4 pers.
LE PREVOST 3 sc. 16 répl. 1,1 l. 80 l. (6 %) 18 l. (2 %) 23 % 421 l. (11 %) 5,3 pers.
LES ARCHERS 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
archer 1 sc. 1 répl. 0,3 l. 47 l. (4 %) 0 l. (1 %) 1 % 326 l. (8 %) 7,0 pers.
UN VALET muet 0 sc. 0 répl. 0 0 l. (0 %) 0 l. (0 %) 0 % 0 l. (0 %) 0
Sallebray. La Belle Égyptienne. Tragi-comédie. Statistiques par relation
Relation Scènes Texte Interlocution
DOM JEAN DE CARCAME 109 l. (100 %) 3 répl. 36,1 l. 3 sc. 108 l. (8 %) 1,0 pers.
DOM JEAN DE CARCAME
PRECIEUSE
150 l. (55 %) 79 répl. 1,9 l.
126 l. (46 %) 84 répl. 1,5 l.
12 sc. 275 l. (20 %) 3,7 pers.
DOM JEAN DE CARCAME
LA VIEILLE
29 l. (67 %) 16 répl. 1,8 l.
15 l. (34 %) 12 répl. 1,2 l.
7 sc. 42 l. (3 %) 4,4 pers.
DOM JEAN DE CARCAME
LE POETE
60 l. (61 %) 19 répl. 3,1 l.
39 l. (40 %) 19 répl. 2,1 l.
3 sc. 98 l. (7 %) 2,6 pers.
DOM JEAN DE CARCAME
LE CAPITAINE des Egyptiens
15 l. (14 %) 10 répl. 1,4 l.
89 l. (87 %) 8 répl. 11,0 l.
2 sc. 102 l. (8 %) 4,9 pers.
DOM JEAN DE CARCAME
FERDINAND
14 l. (48 %) 9 répl. 1,6 l.
16 l. (53 %) 8 répl. 1,9 l.
1 sc. 29 l. (3 %) 5,0 pers.
DOM JEAN DE CARCAME
ISABELLE
10 l. (72 %) 2 répl. 5,0 l.
4 l. (29 %) 3 répl. 1,3 l.
1 sc. 14 l. (1 %) 5,0 pers.
DOM JEAN DE CARCAME
HIPOLITE
40 l. (36 %) 25 répl. 1,6 l.
74 l. (65 %) 24 répl. 3,0 l.
3 sc. 113 l. (8 %) 3,6 pers.
DOM JEAN DE CARCAME
LE PREVOST
2 l. (30 %) 2 répl. 0,7 l.
4 l. (71 %) 4 répl. 0,8 l.
1 sc. 5 l. (1 %) 7,0 pers.
PRECIEUSE
LA VIEILLE
78 l. (57 %) 41 répl. 1,9 l.
61 l. (44 %) 47 répl. 1,3 l.
9 sc. 138 l. (10 %) 3,7 pers.
PRECIEUSE
LE POETE
38 l. (34 %) 13 répl. 2,9 l.
74 l. (67 %) 13 répl. 5,7 l.
2 sc. 112 l. (8 %) 2,2 pers.
PRECIEUSE
LE CAPITAINE des Egyptiens
2 l. (13 %) 2 répl. 0,8 l.
11 l. (88 %) 4 répl. 2,7 l.
2 sc. 12 l. (1 %) 5,4 pers.
PRECIEUSE
FERDINAND
28 l. (71 %) 10 répl. 2,8 l.
12 l. (30 %) 9 répl. 1,3 l.
3 sc. 39 l. (3 %) 4,3 pers.
PRECIEUSE
ISABELLE
47 l. (58 %) 15 répl. 3,1 l.
35 l. (43 %) 17 répl. 2,0 l.
3 sc. 80 l. (6 %) 3,7 pers.
PRECIEUSE
HIPOLITE
3 l. (45 %) 3 répl. 1,0 l.
4 l. (56 %) 3 répl. 1,2 l.
2 sc. 7 l. (1 %) 5,9 pers.
PRECIEUSE
LE PREVOST
2 l. (59 %) 2 répl. 1,0 l.
2 l. (42 %) 1 répl. 1,4 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 7,0 pers.
LA VIEILLE
LE POETE
8 l. (49 %) 3 répl. 2,6 l.
9 l. (52 %) 4 répl. 2,0 l.
3 sc. 16 l. (2 %) 3,8 pers.
LA VIEILLE
LE CAPITAINE des Egyptiens
2 l. (11 %) 2 répl. 0,8 l.
15 l. (90 %) 3 répl. 4,7 l.
1 sc. 16 l. (2 %) 5,0 pers.
LA VIEILLE
FERDINAND
2 l. (21 %) 2 répl. 0,7 l.
6 l. (80 %) 2 répl. 2,6 l.
2 sc. 7 l. (1 %) 4,6 pers.
LA VIEILLE
ISABELLE
32 l. (52 %) 14 répl. 2,2 l.
29 l. (49 %) 14 répl. 2,1 l.
1 sc. 60 l. (5 %) 3,0 pers.
LA VIEILLE
LE PREVOST
1 l. (24 %) 1 répl. 0,5 l.
2 l. (77 %) 2 répl. 0,7 l.
1 sc. 2 l. (1 %) 7,0 pers.
LE POETE
egyptien
6 l. (30 %) 8 répl. 0,7 l.
13 l. (71 %) 7 répl. 1,9 l.
1 sc. 19 l. (2 %) 2,0 pers.
LE CAPITAINE des Egyptiens
LA TROUPE des Egyptiens
3 l. (50 %) 1 répl. 3,0 l.
3 l. (50 %) 1 répl. 3,0 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 5,0 pers.
LE CAPITAINE des Egyptiens
FERDINAND
1 l. (27 %) 1 répl. 0,8 l.
3 l. (74 %) 1 répl. 2,2 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 4,0 pers.
egyptien
FERDINAND
2 l. (25 %) 1 répl. 1,5 l.
5 l. (76 %) 1 répl. 4,6 l.
1 sc. 6 l. (1 %) 4,0 pers.
FERDINAND
ISABELLE
25 l. (39 %) 13 répl. 1,9 l.
40 l. (62 %) 12 répl. 3,3 l.
4 sc. 64 l. (5 %) 3,8 pers.
FERDINAND
LE PREVOST
2 l. (58 %) 1 répl. 1,5 l.
2 l. (43 %) 1 répl. 1,1 l.
1 sc. 3 l. (1 %) 4,0 pers.
HIPOLITE 5 l. (100 %) 1 répl. 4,2 l. 1 sc. 4 l. (1 %) 1,0 pers.
HIPOLITE
LE PREVOST
16 l. (61 %) 8 répl. 2,0 l.
11 l. (40 %) 8 répl. 1,3 l.
2 sc. 26 l. (2 %) 5,6 pers.

Sallebray

1642

La Belle Égyptienne. Tragi-comédie

sous la direction de Georges Forestier
Édition de Melanie Slaviero
2014
CELLF 16-18 (CNRS & université Paris-Sorbonne), 2014, license cc.
Sallebray, La Belle Égyptienne. Tragi-comédie, Paris, Chez A. de Sommaville et A. Courbé, 1642.
Ont participé à cette édition électronique : Amélie Canu (Édition XML/TEI) et Frédéric Glorieux (Informatique éditoriale).

La Belle Egyptienne. Tragi-comédie §

Extrait du Privilege du Roy. §

Par Grace et Privilege du Roy, donné à Paris le 8 jour d’Avril 1642. Signé par le Roy en son Conseil, le BRUN, il est permis à Augustin Courbé, Marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer une piece de Theatre, intitulée la belle Egyptienne, durant cinq ans : Et deffences sont faites à tous autres d’en vendre d’autre impression que de celle qu’aura fait faire ledit Courbé, ou les ayans cause, à peine de trois mil liures d’amende, et de tous ses despens, dommages et interests, ainsi qu’il est plus au long porté par ledit Privilege.

Et le dit Courbé a associé audit Priviliege Antoine de Sommaville, aussi Marchand Libraire à Paris, suivant l’accord fait entr'eux.

Achevé d’imprimer le deuxiesme jour de May 1642.

LES PERSONNAGES. §

  • DOM JEAN DE CARCAME, dit ANDRES, amoureux de Precieuse.
  • PRECIEUSE, la belle Egyptienne.
  • LA VIEILLE, Tante pretenduë de Precieuse.
  • LE POETE, amoureux de Precieuse.
  • LE CAPITAINE des Egyptiens.
  • LA TROUPE des Egyptiens.
  • FERDINAND, Seneschal de Tolede.
  • ISABELLE, femme du Seneschal.
  • HIPOLITE, amoureuse d’Andrés.
  • LE PREVOST.
  • LES ARCHERS.
  • UN VALET muet.
La Scene est à Tolede, ville d’Espagne.

LA BELLE [A, 1]
EGIPTIENNE,
TRAGI-COMEDIE

ACTE I §

PRECIEUSE, LA VIEILLE, DOM JEAN DE CARCAME, LE POETE.

SCENE PREMIERE §

PRECIEUSE, LA VIEILLE sortant de leur tante.

Precieuse.

Enfin, personne icy ne sçauroit nous entendre,
Quel est donc le bon-heur que vous voulez m’apprendre ?
Je meurs de le sçavoir, contentez mon désir,
Qui le déclare tost fait doublement plaisir. {p. 2 }

La Vieille.

5 Ha l’heureux accident* ! l’admirable avanture*,
Si j’en doy croire au moins certaine conjecture.

Precieuse.

Mais ces ravissemens* sont pour moy superflus,
Et mon impatience en augmente encor plus.

La Vieille.

O Ciel ! quelle fortune* à la nostre est pareille ?
10 Et que ne promet point cette rare merveille ?

Precieuse.

Tout cela jusqu’icy ne m’éclaircit de rien,
Et je treuve une peine où j’atendois un bien.

La Vieille.

Ne hâtons point celuy que le sort nous envoye,
Ménageons ses faveurs ainsi que nostre joye.

Precieuse.

15 Hé ne me tenés plus davantage en langueur,
Ou comblés d’un refus vôtre injuste rigueur.
Vous retranchés ce bien que vous croyés étendre,
Et qui veut l’augmenter, il nous en doit surprendre. {p. 3}

La Vieille.

Encor, sur ce sujet quel est ton sentiment* ?
20 Songe un peu.

Precieuse.

N'est-ce point quelque nouvel amant ?

La Vieille.

Déja dans ce penser un démon te l’inspire,
Mais il faut qu’on m’embrasse avant que de le dire.

Precieuse.

S'il ne tient qu’à cela, j’aime mieux vous baiser,
Je ne sçay rien apres qu’on me dût refuser.

La Vieille.

25 Flateuse, c’en est fait, je cede à tes caresses,
Aprens donc en trois mots l’effet de tes adresses.
Le dernier mois passé, tu sçais bien que nos Gens
Voulûrent dans Seville aréter quelque temps,
Que la permission leur en fut accordée.

Precieuse.

30 De l’honneur qu’on m’y fit je garde encor l’idée. {p. 4}

La Vieille.

Là, le jour du balet (jour des plus fortunés)
Où tu menois danser des Mores enchainés...

Precieuse.

En effet, ce jour-là j’eus quelques avantages*.

La Vieille.

Tes larcins glorieux en sont des témoignages.
35 Ne te souvient-il pas de ce jeune Seigneur ?

Precieuse.

Je vous entens venir, le fils du Gouverneur
N'est-ce pas ?

La Vieille.

Justement.

Precieuse.

Ha Dieu qu’il est aimable !
Qu'il est respectueux, galand, civil, affable !

La Vieille.

Toutes ces qualités ne font ni bien, ni mal, {p. 5}
40 Di qu’il est genereux*, di qu’il est liberal*,
C'est la vertu des Rois, et qui fait l’honeste homme,
De toute autre vertu l’effet est moins qu’un somme,
A peine est-il formé qu’il meurt le plus souvent,
Ce n’est qu’ombre et fumée, un apas decevant* :
45 La liberalité* produit tout au contraire
Un effet à la fois solide et necessaire,
Tel que sont ces ducas* dont il me fit present,
Joint que l’aspect aussi n’en est pas deplaisant.

Precieuse.

Par son merite seul il m’est considerable.

La Vieille.

50 Et moy par ses dons seuls je le treuve adorable.

Precieuse.

Enfin quoy qu’il en soit, qu’a-t-il fait ce Seigneur ?

La Vieille.

Sçache, le croirais-tu ? qu’il nous a fait l’honeur...
Remettons à tantost cette bonne nouvelle. {p. 6}

Precieuse.

Ha ma tante ! vrayment c’est étre trop cruelle
55 De faire ainsi languir ma curiosité,
De grace poursuivés ce discours arrété,
Il nous a...

La Vieille.

Ce matin, m’ayant veuë à Tolede.

Precieuse.

Que dit-elle, bon Dieu ? quel transport* me possede ?

La Vieille.

Il nous a fait l’honeur de s’enquerir de toy.

Precieuse.

60 Il est en cette ville, et se souvient de moy ?
Depuis quand, je vous prie, avez-vous fait ce songe ?

La Vieille.

Dans quelque étonnement* que ce discours te plonge,
Croy qu’il est veritable, et de plus...

Precieuse.

Achevés, {p. 7}
Et ne me celés rien de ce que vous sçavés.

La Vieille.

65 Que c’est à ton sujet qu’il a fait ce voyage,
Ainsi que dans les mains, je li dans le visage.

Precieuse.

O Ciel ! est-il possible ?

La Vieille.

Ouy, puisqu’il est certain.

Precieuse.

Il est vray que souvent il me baisoit la main,
Et mesmes au raport que m’en fait ma mémoire,
70 Les discours qu’il me tint furent tous à ma gloire*,
M'accusant d’un grand vol qu’avoit fait ma beauté.

La Vieille.

De son cœur, de son ame.

Precieuse.

Et de sa liberté :
Mais quoy qu’il me jurast dans sa cajolerie*, {p. 8}
Je crus que ce n’étoit que par galanterie.

La Vieille.

75 Par là, mon doute encore en est mieux éclaircy.

Precieuse.

Taisons-nous, j’apercoy quelqu’un qui vient icy.

La Vieille.

C'est nôtre Poëte, ô Dieu, l’étrange personnage !

SCENE II. §

LE POETE, LA VIEILLE, PRECIEUSE.

Le Poete.

C'est elle, je la voy.

Precieuse.

Le moyen qu’il fut sage,
Il est jeune, il est Poëte, et de plus amoureux,
80 De ces trois qualitez naist un mal dangereux.

La Vieille.

Ouy, c’est la pauvreté, fuyons de sa presence. [B, 9]

Precieuse.

Ayés en ma faveur un peu de complaisance.

Le Poete.

Doux charme de mon cœur, miracle de nos jours,
Jeune source d’apas*, de graces, et d’Amours,
85 Vôtre divine main m’enchaina dans Séville,
La mesme a resserré mes fers en cette ville,
Et ce rencontre heureux fait voir que le destin
A vos yeux mes vainqueurs veut rendre leur butin.

Precieuse.

Franchement, voulés-vous m’obliger d’une grace ?

Le Poete.

90 Je vous veux obeir, que faut-il que je fasse ?

Precieuse.

Tréve d’Amour icy, ne parlons que de Vers.

Le Poete.

A quoy m’obligés-vous, honneur de l’Univers ?
Doy-je pas de nouveau vous rendre mes homages ? {p. 10}
Doy-je pas de mon feu retracer les images ?
95 Et bravant les effors d’un respect rigoureux,
Doy-je pas derechef* m’avouër Amoureux ?
Ce discours vous déplaist, et je suis temeraire,
Mais qui se sent brûler ne sçauroit pas se taire,
Et les trais* de vos yeux, malgré vôtre rigueur,
100 M'ouvrent tout à la fois et la bouche et le cœur.

Precieuse.

Vous sçavez à quel point j’aime la Poësie,
Donnez preuve par là de vôtre courtésie,
Quelque aimable travail de ce noble métier
Qui charge son autheur de gloire et de laurier,
105 Nous peut mieux divertir, et causer moins de blâme,
Que tous ces vains discours et de trais* et de flame.

Le Poete.

Parlons-en, je le veux, m’avés vous fait l’honneur
De lire ce Sonnet où j’ai peint mon bon-heur ?

La Vieille, à part avec Precieuse.

Puisque cet entretien te plaist et te contente,
110 Je m’en vay cependant faire un tour dans la tante, {p. 11}
Mais si de son amour il t’ose encor parler,
Tranche luy moy tout court, ou me viens appeler.

Precieuse.

Allés, cela vaut fait.

SCENE III. §

PRECIEUSE, LE POETE.

Precieuse.

Ouy, j’ay leu cet ouvrage,
C'est sur nôtre rencontre.

Le Poete.

Ajoutés mon servage.

Precieuse.

115 Chaque rime en est riche, et dans les plus nouveaux,
Les termes, à mon gré, ne semblent point si beaux,
Le tour du Vers est noble, agréable et facile,
Enfin vous triomphés dans la douceur du stile. {p. 12}

Le Poete.

Enfin vous vous moqués de ce que j’ay produit,
120 Mais dans le triste état où vous m’avés réduit,
Sous le fais de mes maux, mon ame gemissante
Abat ainsi ma Muse, et la rend languissante,
Et c’est bien rarement que l’on void des enfans,
Quand leur pere se meurt, pompeux et triomphans.
125 Mais si de quelque espoir vous consolés ma peine,
Si vos rudes frédeurs ne glacent plus ma veine,
Vous en verrés couler mille torrens de Vers,
Qui de vôtre beau nom rempliront l’Univers,
Et qui prenans dans l’air une route conuë,
130 Vous remettront au Ciel, d’où vous étes venuë ;
Beaux yeux qui m’inspirés ce glorieux dessein,
Lancés pour son effet vôtre feu dans mon sein,
Soyez mon Apollon...

Precieuse.

C'est assés me confondre,
Donnés-moy pour le moins le temps de vous répondre,
135 Ou plustost , excusés ma curiosité,
Vous mesme répondés, mais avec verité.
Ce que je veux aprendre au moins n’est pas sans cause, {p. 13}
Et le sçavoir au vray m’importe en quelque chose ;
Dites-moy donc sans feinte, étes-vous Poëte ?

Le Poete.

Non :
140 Il est trop peu de gens qui méritent ce nom,
Avec ardeur* pourtant j’aime la Poësie,
Et j’en puis sans secours, passer ma fantaisie.
Si j’ay besoin d’une Ode, ou de quelque Sonnet,
Une heure en fait l’office au lit, au cabinet,
145 Mais pour faire des Vers je ne suis pas Poëte,
Dieu me garde de l’étre, ou que je le souhaite.

Precieuse.

Peu de gens, dites-vous, en meritent le nom,
Et vous en craignés tout, mesme jusqu’au renom :
Cette condition n’est donc pas honorable.

Le Poete.

150 A ne faire autre chose elle est peu favorable.
Ce n’est pas que l’effet n’en soit bien glorieux.

Precieuse.

Pourquoy le nom de Poëte est-il donc odieux ?

Le Poete.

C'est sans doute un venin de ces ames vulgaires {p. 14}
Qui n’ont aucune part à nos sacrés mysteres,
155 D'un tas de jeunes gens qui n’ont pas merité
De sentir ce rayon de la divinité,
De ces petits esprits qui se donnent la géne*
Pour treuver dans leur teste un mot qui rime à chaine,
Qui n’ont sceu penetrer dans ces saintes forests,
160 Où le Dieu du sçavoir découvre ses secrets,
Et que les doctes Soeurs ont jugé trop indignes
D'honorer comme nous de leurs faveurs* insignes*,
Ignorans, babillars*, censeurs, ambitieux,
Enragés de nous voir si bien avec les Dieux :
165 Ouy, ce sont ces messieurs, qui d’une humeur profane
Approuvent dans leur cœur ce que leur voix condane :
Car enfin ce bel Art, l’amour des beaux esprits,
Dont les honestes gens se sentent tous épris,
Cette chaste beauté qu’on nomme Poësie,
170 Ne vient point, comme on croit, de nôtre frenesie*,
Elle est fille du Ciel, son aimable entretien
Fait reverer par tout quiconque en use bien.
Les Rois avec plaisir goûtent sa compagnie,
Sa douceur est charmante, et sa grace infinie,
175 C'est le Trône animé des plus nobles vertus, {p. 15}
Le beau champ où l’on void les vices abatus,
Le guide qui conduit les Heros à la gloire,
La triomphante voix qui chante leur victoire,
Le marbre où sont gravés leurs noms dignes des Cieux,
180 Le temple de l’honneur, le langage des Dieux,
La Reine des destins, la source de la vie,
Le tresor des beaux fais, et le fleau de l’envie :
Voylà de ce Soleil quelques simples crayons,
Vous traceray-je encor quelqu’un de ses rayons ?
185 C'est une piece rare, où cent beautés paressent,
Qu'il ne faut exposer qu’à ceux qui s’y conessent,
Non pas à la façon de quelques importuns,
Qui, les offrant à tous, rendent ces biens communs.

Precieuse.

Ouy, mais cette beauté si noble et si cherie
190 Est pauvre à ce qu’on dit.

Le Poete.

C'est une raillerie,
Au contraire elle est riche, au moins void-on contens
Tous ceux qui dans son sein prenent leurs passe-temps :
Rare condition, belle Philosophie, {p. 16}
Dont l’usage est puissant, puisqu’il nous deïfie,
195 Mais rendés-moy le bien que je vous ay prété,
En excusant aussi ma curiosité,
De la vôtre apres tout, peut-on sçavoir la cause ?

Precieuse.

Ouy da*, c’est la raison qu’icy je vous l’expose,
C'est que vous croyant Poëte à vôtre procedé,
200 Et par cette raison pas trop acommodé,
Voulant lire vos Vers, je crus étre charmée
De voir une pistole* avec eux enfermée,
Je la tâtay cent fois, et j’en doutais encor,
Mais l’ayant fait sonner, je veis qu’elle étoit d’or,
205 Lors, quoy que toute seule à ce nouveau spectacle,
Un Poëte, m’écriay-je, a de l’argent, Miracle !

Le Poete.

Que je le sois ou non.

Precieuse.

Souffrés* ma liberté,
Puisque vous n’avés rien de cette qualité.

Le Poete.

Prenés ces autres Vers qui partent de ma veine
210 Et de ce que je suis ne soyés plus en peine, {p. C, 17}
Suffit que si j’étois d’un monde possesseur,
Je vous l’offrirois tout, aussi bien que mon cœur.

Precieuse.

(Elle le tâte.)
O Dieu ! ce papier brûle, il est tout plein de flames,
Et doit vivre long-temps, car il a plusieurs ames,
215 La pistole en est une, et puis celle des Vers,
Où l’on en void tousjours plus que dans l’Univers.
Or sus, mon Cavalier, de ces biens qui sont vôtres,
Reprenés l’ame d’or, je retiendray les autres,
Voylà celle d’hier que je vous rens aussi,
220 C'est elle-mesme au moins, et puisqu’il est ainsi,
Contractons entre nous une amitié qui dure,
Mais changés cette infame et lâche procedure,
Venés me visiter quelque fois, j’y consens,
Comme faiseur de Vers, et non pas de presens.

Le Poete.

225 Hé bien vous le voulés ? il faut donc les reprendre,
Trop heureux de cett’offre, où je n’osois pretendre :
Mais ayant eu l’honeur de passer par vos mains,
Il ne doit plus servir au trafic des humains {p. 18}
Ce tresor que j’égalle à ceux des Republiques,
230 Et je vay l’enchâsser ainsi que des Reliques.

SCENE IV. §

LA VIEILLE, PRECIEUSE.

La Vieille.

Précieuse.

Precieuse.

C'est fait.

La Vieille.

R'entre sans contester,
J'entens venir quelqu’un qui pouroit t’arréter,
Nos gens vont à la ville, il faut que tu te pares.

Precieuse.

Nous bravons sans cela les beautés les plus rares.
(En se retirant elle laisse choir sans dessein le papier que le Poëte luy a donné.)
{p. 19}

SCENE V. §

DOM JEAN DE CARCAME, seul.

235 Hé bien, es-tu content puissant Maistre des Dieux,
Conessant le sujet qui m’amene en ces lieux ?
Ay-je enfin satisfait à ta juste colere ?
Et puis-je desormais esperer de te plaire ?
Je le confesse Amour, j’ay bravé ton pouvoir,
240 Tes effets jusqu’icy n’avoient pû m’émouvoir,
J'ay devant tes sujets ta gloire* méprisée,
J'ay fait de ton carquois un objet de risée,
J'ay renversé ton trône, abatu tes autels,
Je t’ay mesme tiré du rang des immortels,
245 Et ne t’avois placé que dans la fantaisie*
De ceux qui sont ateints d’un peu de frenesie* :
Mais puisque je pechois par une aveugle erreur,
Tu devois moderer l’excés de ta fureur,
Et pour rendre pareil le châtiment au crime,
250 N'ajoûter point la honte à ce joug qui m’oprime.
S'il me faloit servir ces illustres beautés,
Où la naissance est jointe aux rares qualités,
Bien loin d’en murmurer je benirois mes chaines, {p. 20}
Et ferois mon bon-heur des tourmens et des génes,
255 Car enfin il est vray qu’il n’est rien de plus doux
Que de se voir l’objet de leurs aimables coups,
Que nôtre ame est heureuse alors qu’elle en soupire !
Et que cet esclavage est plus beau qu’un empire !
Mais qu’une Egiptienne ait rangé sous sa loy
260 Ce cœur ambitieux, ce cœur digne d’un Roy,
O mortelle infamie ! ô honte irréparable !
Par là tu prouves mieux ton pouvoir redoutable
Que si tu deplyois tes plus puissans ressors,
Et tu parois plus fort par ces febles effors,
265 Il est, il est d’un Dieu, de prendre d’une offence
Par un moyen si bas, une haute vengeance.
Si bas, ha crime encor plus noir que le premier !
Peux-tu m’avoir ouy, Ciel, sans me foudroyer ?
Profane qu’ay-je dit ? pardonne moy bel Ange,
270 Tu ne brilles pas moins pour estre dans la fange,
La terre a ses tresors, la nuit a son Soleil,
L'éclat du diamant est par tout sans pareil,
La rose est toujours rose au milieu des espines,
Enfin, tout sert de lustre à tes beautés divines.
(Il tire une bourse de sa poche.)
275 Precieux instrument des nobles passions,
Brillant fourier d’amour de toutes nations,
Favorable enchanteur* dont la force des charmes {p. 21}
Peut des plus chastes mains faire tomber des armes,
Ame de l’Univers qui fais tout, qui peux tout,
280 Par qui de toute chose on peut venir à bout,
Metal incorruptible, et qui peux tout corrompre,
Puisqu’il n’est rien si fort que tu ne puisse rompre,
Qu'un Dieu mesme implora ton pouvoir souverain,
Et n’entra que par toy dedans la tour d’airain,
285 Tu peux bien faire moins, seconde* ma licence,
Et fay moy triompher d’une jeune innocence.
La voicy, Dieux ! je tremble à son divin aspect,
Et je sens ce desir qui se change en respect.

SCENE VI. §

LA VIEILLE, PRECIEUSE, DOM JEAN DE CARCAME.

LA VIEILLE, voyant Precieuse qui cherche quelque chose.

Qu'est-ce donc ?

Precieuse.

Ce n’est rien. {p. 22}

DOM JEAN, seul.

Amour soutien ta cause.

La Vieille.

290 Rien !

Precieuse.

Non rien.

La Vieille.

Il faut bien que ce soit quelque chose.

Precieuse.

Dieu, qu’un petit sujet vous donne un grand soucy !
Hé bien, c’est une papier qui vient de choir icy.
Etes-vous satisfaite ?

Dom Jean, à part.

Ha que cet Astre brille !

Precieuse, ayant apperceu son papier.

Le voylà.

La Vieille.

C'est luy-mesme. {p. 23}

Precieuse.

Ouy.

La Vieille.

Vien, suy moy ma fille,
295 Il le faut aborder.

Precieuse.

Qui ?

La Vieille.

Ce Seigneur.

Precieuse.

O Dieux !
Je ne le voyois pas, mais feignons pour le mieux.
La Croix mon Cavalier.

Dom Jean.

O favorable augure !

Precieuse.

Nous vous dirons apres vôtre bonne avanture.

Dom Jean.

Viens-tu de quelque espoir consoler ma langueur, {p. 24}
300 Et moderer le feu que tu meis dans mon cœur ?
Répons en ma faveur une bonne parole.

Precieuse.

Voyons dans vôtre main, qui ce discours cajole*.

La Vieille.

Mon bon Seigneur sur tout, mettés la Croix dedans,
Celles d’or marquent mieux les heureux accidens*.

Precieuse.

305 Vous étes né sous les planettes
D'Amour et de Valeur, de Venus et de Mars,
Vôtre honneur court quelques hazars*
Dans l’entreprise que vous faites.

Dom Jean.

325 Ha ! ne me flate plus de cette erreur comune,
De toy seulle depend l’une et l’autre fortune*,
Et mon sort si tu veux, soit doux, soit inhumain,
Se lira dans tes yeux beaucoup mieux qu’en ma main.
Ne reconois-tu pas ce Dom Jean de Carcame ?
330 C'en est le corps au moins qui vient joindre son ame,
Son ame que tu pris...

Precieuse.

En quel temps ? En quel lieu ?

Dom Jean.

Où ta rare beauté mit en sa place un Dieu,
A Seville en un mot, ha ! c’est trop méconétre {p. 26}
L'Amour que dans ton sein tes beaux yeux firent naitre,
335 Là tu ravis mon cœur que je t’allois offrir,
Et commenças dés lors à me faire souffrir,
Garde le bien ce cœur, ce larcin m’est aimable,
Je gaigne en cette perte un bien inestimable,
Et si tous mes tresors te pouvoient contenter,
340 En voicy quelques-uns que je viens t’apporter.
(Il luy offre la bourse)

La Vieille.

Bon cela.

Dom Jean.

Recoy les avecque l’asseurance
De posseder le reste.

La Vieille.

Agreable esperance.

Dom Jean.

Si tu veux approuver ma constante amitié*.

La Vieille.

Ma fille qu’en dis-tu ? pour moy j’en ay pitié.

Dom Jean.

345 Ouy, si quelque faveur* répond à mon envie,
Sans mener plus long-temps cette honteuse vie, {p. 27}
Je vous mets toutes deux au faiste du bon-heur,
Et je vous fay passer de l’opprobre à l’honneur.

Precieuse.

Vous n’étes pas le seul de qui l’ame abusée
350 A jugé mon honneur une conqueste aisée,
Plusieurs l’ont ataqué, tous ont été confus
De souffrir* comme vous la honte du refus.
Consolés-vous Monsieur, vous avés des semblables,
C'est le soulagement de tous les miserables.
355 Le métier que je fays, et mes gayes humeurs,
Qui sont de faux miroirs pour exposer mes mœurs,
Inspirent, je le croy, cette injuste licence,
Mais quand de ma vertu j’ai donné conessance,
On se repent aussi des discours qu’on m’a fais,
360 Voyant que l’apparence est contraire aux effets.
Je vay, je viens, je cours, je ris et je folâtre,
Toujours avec l’honneur dont je suis idolâtre,
Et bien loin d’imiter vos Dames des Cités,
Qui couvrent de frédeur leurs impudicités,
365 J'ay les yeux tout de flame, et le cœur tout de glace,
Et j’ose les braver dans mon honéte audace,
Je ne perdis jamais à ce pudique jeu,
Et c’est ainsi que l’or s’affine dans le feu. {p. 28}
Si j’ay parlé de Croix, n’ayés pas la pensée
370 Qu'un si lâche trafic me rende interessée,
Non, non, l’argent n’est point l’objet de mes souhais,
Et chacun sçait fort bien que je n’en pris jamais.
Gardés donc vos tresors, et croyés je vous prie,
Que ce que j’en ay dit c’est par galanterie,
375 N'esperés pas par là ces innocens plaisirs,
Qui sont dûs seulement aux innocens desirs,
Si je vens mon honeur, ce seul tresor que j’aime,
Ce ne sera jamais qu’au prix de l’honneur mesme.

La Vieille.

Voylà bien raisoner.

Dom Jean.

Ha ! banny ce penser,
380 Le garder un moment, c’est beaucoup m’offenser :
Mets là ta belle main, et sois toute asseurée
D'une foy, d’une amour d’eternelle durée.

La Vieille.

Ma foy c’est tout de bon, il ne se moque point.

Precieuse.

Plusieurs difficultés s’opposent à ce point,
385 Vous ne vaincrés jamais de si puissans obstacles. {p. 29}

Dom Jean.

Amour dans le besoin* sçait faire des miracles.

La Vieille.

Ouy, ouy, mon bon Seigneur.

Precieuse.

Sçachés que parmi nous
La fille et son amant qui s’offre pour époux
Eprouvent leurs humeurs* le cours de deux années,
390 Avant que de pouvoir joindre leurs destinées.
A ces conditions engager vôtre foy,
Subir à mon sujet la rigueur de la loy,
Abaisser vôtre rang à cette infame vie,
Avoués que déjà vous en perdés l’envie.

Dom Jean.

395 Douter de ma constance*, ha ! mon cœur conoy mieux
Le pouvoir de ma flame, et celuy de tes yeux.
Propose si tu veux à mon ame asseurée
Les perils encourus pour la Toison dorée,
Rien ne peut étonner* mon amour courageux,
400 Tout m’est doux, tout m’est beau, tout m’est avantageux*:
Bref le Ciel m’est témoin qu’avec ma Precieuse {p. 30}
Toute condition me sera glorieuse,
Et je triompheray de toutes ses rigueurs,
Pourveu qu’un chaste hymen* unisse un jour nos cœurs.

La Vieille.

405 O merveilleux dessein !

Precieuse.

Apres cette assurance,
Si ma tante y consent...

Dom Jean.

Vivray-je en esperance ?

La Vieille.

Moy je consens à tout.

Precieuse.

Hé bien, ouy, je me rends,
Mais de quelle façon abuser vos parens ?
Nous serions tous perdus s’ils en avoient un doute.

Dom Jean.

410 Je conclus avec eux, ayant sceu vôtre route,
De voyager en France, et m’en suis separé {p. 31}
Sous ce pretexte faux qui me tient assuré,
La guerre en fut un autre à m’exenter de suite.

Precieuse.

Quoy, vous étes tout seul ?

Dom Jean.

Ouy.

Precieuse.

La rare conduite !

Dom Jean.

415 Il la faut achever, ne perdons point de temps,
Pour ma réception préparés tous vos gens,
Tandis que je feray transporter dans vos tantes.

Precieuse.

Quoy ?

Dom Jean.

Tout mon équipage, en serés vous contente ?

La Vieille.

Faites.

Dom Jean, lui presentant la bourse.

En m’atendant garde toujours cecy.

Precieuse.

420 Enfin vous m’offencés de me traiter ainsi. {p. 32}

La Vieille.

Donnés j’en auray soin.

Precieuse.

Non pas.

La Vieille.

Elle se moque.

Precieuse.

Je vous l’ay déjà dit, ce procedé me choque,
De grace...

Dom Jean.

C'est assés, à Dieu, je t’obéis.

SCENE VII. §

LA VIEILLE, PRECIEUSE.

La Vieille.

Mes leçons et mes soins* sont donc ainsi trahis.

Precieuse.

425 Voyez vous ? je haï trop cette humeur mercenaire. [E, 33]

La Vieille.

Folle tu ne sçais pas ce qui t’est necessaire,
Refuser de l’argent, ô Dieux ! te moque-tu ?
Conoy-tu son pouvoir ? en sçais-tu la vertu ?
Somes-nous en danger ? l’argent nous en delivre,
430 Dans les bras de la mort souvent l’argent fait vivre,
Nous principalement, dont le sort quelque fois
Est prest de succomber sous la rigueur des lois :
Ces rayons exposés éblouïssent la veuë,
Dissipent du malheur l’épouventable nuë,
435 Eclairent à signer nôtre élargissement*,
Et nous font retirer des prisons prontement,
Apprens qu’une clef d’or ouvre toutes serrures.

Precieuse.

Sçachés que la Vertu brave ces procedures,
Au reste, allons hâter nos desseins resolus.

La Vieille.

440 Passe pour cette fois, mais n’y retourne plus.

Fin du premier Acte.

{p. 34}

ACTE II §

DOM JEAN, LA VIEILLE, PRECIEUSE, LE CAPITAINE. Et la Troupe d’Egiptiens.

SCENE PREMIERE §

Dom Jean, seul.

A peine mon vaisseau s’éloigne du rivage,
Qu'un Neptune jaloux veut exciter l’orage,
A peine dans la lice ay-je fait quelques pas,
Qu'un fantôme importun me dit, ne poursui pas,
445 Et lâche que je suis presque dans la bonace,
Je cede au moindre effort du vent qui me menace,
Et mon cœur infidelle apres un juste choix,
Veut ce semble obeïr à cette injuste voix.
Quel demon d’interest en mes routes divines
450 Seme confusément la fange et les espines,
Et pour me détourner d’un but si souhaité, {p. 35}
Oppose l’infamie et la difficulté ?
Forçons, forçons, mon cœur, ce rempart inutile,
Rien n’est aux vrais Amans honteux ni difficile.
455 Insolens ennemis de mon affection,
Rang, honeur, qualité, naissance, ambition,
Adieu, retirés-vous, sortés de ma pensée,
De vos lâches conseils mon ame est offensée,
En vain vous combatés ce vainqueur que je sers,
460 Qui me donte à ma gloire, et m’honore en ses fers.
Quel noble sentiment, partisan de ma flame,
Me fait voir glorieux* ce que je crûs infame* ?
Et quels nouveaux rayons ont si-tost dissipé
Les vapeurs dont mon cœur étoit envelopé.
465 Je sens qu’il est plus calme, et mon ame éclairée
Dans ce beau champ d’Amour marche plus assurée.
Le Ciel rit à mes vœux, l’air me semble plus dous.
(Voyant Precieuse.)
C'est l’effet du Soleil qui s’approche de nous.
{p. 36}

SCENE II. §

LE CAPITAINE et la Troupe d’Egiptiens, DOM JEAN, LA VIEILLE, PRECIEUSE.

Le Capitaine.

Il faut entretenir le feu qui le consome.

La Vieille.

470 Le voylà.

Le Capitaine.

C'est assés.

Precieuse.

Hé bien mon Gentilhome,
Avés-vous medité dessus votre dessein ?
Et sentés-vous encor mesme ardeur* dans le sein ?
Etes-vous resolu d’entrer en nôtre bande ?

Dom Jean.

Mais veut-on m’honorer d’une faveur* si grande ?

Precieuse.

475 Vous étes-vous tâté de toutes les façons ? {p. 37}
Car enfin...

Dom Jean.

Hé ! mon ame à quoy tant de soupçons ?
J'ay remis en tes mains et mon sort et ma vie,
Tu peux en disposer au gré de ton envie.
Le dessein que j’ay fait de vivre sous tes lois,
480 Doit m’élever plus haut que le trône des Rois,
Juge si ma fortune en si beau lieu placée,
Me peut faire dédire* et changer de pensée.

Precieuse.

Venés donc suivés-moy, vous serés enrôlé.
Voicy le Cavalier dont on vous a parlé.

Le Capitaine.

485 Bon, la façon m’en plaist, sa taille, et tous ses gestes,
Sont d’un adroit voleur les preuves manifestes,
J'atens de luy beaucoup en ce qu’il entreprend,
Et sa mine promet quelque chose de grand.
Tu sois le bien venu, cher soldat de Mercure,
490 Aprens de ce nom seul quelle est ton avanture*.
Le Ciel de ses faveurs fut ainsi liberal*,
Donnant à nôtre armée un Dieu pour General, {p. 38}
Rien n’échape à nos mains avec ses artifices,
Et nous hazardons* tout sous ses divins auspices,
495 Cet avertissement doit déjà t’animer.

DOM JEAN, bas.

Le glorieux motif !

Le Capitaine.

Pour te faire estimer
Dans la profession que tu veux entreprendre,
Observe bien nos lois, que je te vais apprendre.
Eloigne en premier lieu ce fantôme d’honneur,
500 Si tu veux réussir avec quelque bon-heur*,
C'est un fâcheux demon jaloux de nôtre adresse,
Qui rafine sur tout, et de tout s’interesse,
Dont les tristes conseils, et les severes lois,
Chargent de fers dorés les sujets et les Rois,
505 Et nous portant au bien le moins digne d’envie,
Retranchent les trois parts des plaisirs de la vie,
Loin donc cet ennemi de nos contentemens,
Loin la honte du blâme, et la peur des tourmens,
Apres ces bons avis tu peux prendre les armes.

Dom Jean.

510 L'honorable milice ! ô Dieux qu’elle a de charmes !

Le Capitaine.

Nous cherchons les combas dont la bourse est le prix, {p. 39}
Où la gloire* consiste à n’étre point surpris,
Où la subtilité l’emporte sur la force.
Là, l’espoir du butin nous est bien quelque amorce*,
515 Le gain donne un plaisir, mais il s’en faut beaucoup
Qu'il égale celuy d’avoir fait un beau coup,
Eprouve cette joye, et quoy que tu hazardes*,
Songe qu’il faut duper qui se tient sur ses gardes,
Endormir de discours ceux que nous réveillons,
520 Et parétre en repos lors que nous travaillons,
Comme il faut plus d’esprit, nôtre ame est plus ravie
Quand un heureux* effet succede à son envie.
Etre prompt, avisé, hardi, subtil, adroit,
Tirer sans qu’on le sente une bague du doit,
525 Dénouër un colier, fouïller dans une poche,
Prendre quoy que ce soit à qui que l’on approche,
Afiner le plus fin*, et le moins empéché,
Escamoter par tout, dans le Temple, au marché,
Relever ce qui tombe, et serrer ce qui traine,
530 Tout nous duit, tout nous plaist, tout est bon, quoy qu’on prene,
Des gans, une chemise, un mouchoir, un chapeau, {p. 40}
Une poule, un coc-d’Inde, un mouton, une peau,
Tandis qu’un frere chasse, entretenir le maitre,
Luy déguiser son bien jusqu’à le méconetre,
535 Faire la guerre à l’oeil, que rien ne soit perdu,
Bref, ne livrer jamais ce que l’on a vendu,
C'est à quoy nôtre esprit applique son étude*,
Secondé* de nos mains et de leur prontitude.

Dom Jean.

Le royal passe-temps ! quel divertissement* !
540 Et que jusques icy le métier est charmant !

Le Capitaine.

Ne te rebute pas de nos plaisans mysteres
Pour l’ordre du carcan, le fouët ou les galeres,
Pour quelque trait de corde, ou ces petits afrons
Dont on punit icy les plus fameux larrons :
545 Que pas un de ces maux n’ébranle ta constance*,
Et si ton mauvais sort te fait surprendre en France,
Comme un present du Roy, reçoy la fleur de Lys,
Par ces marques d’honneur nous somes ennoblis,
Un bon soldat s’anime en voyant ses blessures,
550 Et sans rien avouër nous souffrons les tortures,
Au pouvoir du Prevost un de nous est-il mis,
Il subit châtiment, non pour ce qu’il a pris, [F, 41]
Mais pour étre si sot de s’étre laissé prendre.
Qui ne sçait son métier doit tâcher de l’apprendre,
555 Cela le subtilise* en autre occasion,
Et le rend bien plus prompt à l’execution.

Dom Jean, bas.

Qu'on prepare mon ame à d’agreables choses.

Le Capitaine.

Passons de quelque épine en des plaines de roses.
Nous possedons sans peur mille tresors divers,
560 Et nous somes Seigneurs de ce grand Univers,
Nous chassons dans les bois et dessus les montagnes,
Nous jouissons des biens des plus riches campagnes,
La terre à nos desirs offre tout avec chois,
Les forests au besoin* nous presentent du bois,
565 Les fontaines de l’eau, les côteaux de l’ombrage,
Les rochers un abri quand il fait quelque orage,
Les vignes des raisins, les étangs des poissons,
Les arbres et les champs des fruis et des moissons,
Enfin avecque nous, pour peu que tu t’exposes,
570 Sans qu’il te couste rien espere toutes choses.

Dom Jean.

Qui ne seroit ravi de ces commodités ? {p. 42}

Le Capitaine.

Jamais nous ne logeons dans l’enclos des Cités,
Les dehors sont plus beaux, plus surs, et plus utiles,
C'est là que nous plantons nos pavillons mobiles,
575 Et nous en delogeons au moins quand il nous plaist,
Là, nôtre emmeublement se trouve tousjours prest,
Les gazons sont nos lits, et la belle prairie
A nos palais volans sert de tapisserie,
Nous y voyons aussi quantité de tableaux,
580 Jamais dedans la Flandre il n’en fut de si beaux,
L'art ne sçauroit atteindre à ces vivans ouvrages,
Et Nature elle-méme a fait ces païsages.
Ce cuir impenetrable aux rigueurs des saisons
Nous fait braver le Ciel dans ces febles maisons,
585 Les tonerres grondans sont pour nous des musiques,
Les vens impetueux des zephirs* pacifiques,
Les éclairs des flambeaux, la pluye un bain charmant,
Et les neges enfin un rafraichissement : {p. 43}
Ainsi toujours contens nous passons nôtre vie
590 Exemps d’ambition, de soucis, et d’envie,
Ce beau dereglement ne te charme-t’il pas ?

Dom Jean.

Ouy certes, et le trône a beaucoup moins d’apas.

Le Capitaine.

Au reste, tu peux prendre en l’ardeur* qui t’enflame
Cette jeune beauté pour maitresse ou pour femme.

Precieuse.

595 Arrétés-la de grace, et ne poursuivés point,
Il est tombé d’acord avec moy sur ce point.
Que s’il veut renoncer aux lois que j’ay prescrites,
Je prefere l’honneur à ces rares merites,
Nul de vous n’a pouvoir dessus ma volonté,
600 N'en disposés donc pas avec autorité,
Ce droit nous appartient avec plus de justice,
Je l’ay fait esperer à deux ans de service,
Mais quoy que le serment semble nous obliger,
Il nous est libre encor de nous en dégager,
605 Consultés-vous, Monsieur, touchant cette promesse,
Recueillés vôtre cœur du someil qui le presse, {p. 44}
Arrachés le bandeau qui vous couvre les yeux,
Soyés plus raisonable, enfin choisissés mieux,
Vôtre équipage est là, vous pouvés le reprendre.

La Vieille.

610 Je ne pourois jamais me resoudre à le rendre,
Accordés-vous plustost.

Dom Jean.

Je te suis donc suspect ?
Quoy dans beaucoup d’amour crains-tu peu de respect* ?
Non, non, engage encor mes flames amoureuses
A des conditions qui soient plus rigoureuses,
615 Mon cœur est une cire où tu ne peux imprimer
Ces chastes sentimens qui te font estimer,
Mais sçache que pour toy ce mesme cœur de cire
Changera de nature apres ce doux martire,
Et que pour mieux garder ton vouloir souverain
620 Il deviendra plus dur que le fer ou l’airain.
Ouy, ta seule presence entretiendra ma joye,
Je seray trop content pourveu que je te voye,
Et si l’Amour m’excite à quelque autre plaisir,
Un baiser tout au plus bornera mon desir,
625 Puis-je pas esperer ce remede à ma flame ?

Precieuse.

Ouy, si sage d’ailleurs... {p. 45}

Dom Jean.

N'en doute plus mon ame.
Et vous mon Capitaine, il me faut octroyer
Un mois d’aprentissage a ce noble métier.

Le Capitaine.

C'est trop de la moitié pour étre passé maitre,
630 Apres deux ou trois vols assure-toy de l’etre.

Dom Jean.

Souffrés* que dans ce temps je n’en fasse pas un,
Ces quatre cens ducas* départis au comun
Supleront au defaut de cette main oisive,
Prenés-les pour ma part du bien dont je vous prive, 635
635 Apres qu’on laisse faire à mes secrets effors,
Mon adresse d’abord s’ataque aux coffres fors.

Le Capitaine.

Ta generosité n’eut jamais son égale,
Ouy, ces riches effets de ta main liberale*,
Font resoudre la troupe à quoy que tu voudras,
640 Dispose de nos cœurs ainsi que de nos bras.
Il reste maintenant à prendre un nom de guerre {p. 46}
Qui te fasse inconu courir toute la terre,
Herite de celuy du plus fameux voleur
Qui jamais parmi nous signala sa valeur,
645 Il se nomoit Andrés, plaist-il à ton envie ?

Dom Jean.

Je le conserveray tout le temps de ma vie,
Andrés, ha ! que ce nom me semble glorieux*,
Puisqu’il m’est imposé pour servir ces beaux yeux !

Le Capitaine.

Donc que chacun de nous montre son allegresse,
650 D'un si cher camarade exaltons la noblesse,
Meslons un doux concert à nos remercimens,
Et faisons mille vœux pour ses contentemens.

Les Egiptienschantent en musique ces quatre Vers.

Vive le noble Andrés, vive la Precieuse
D'une vie à leur gré la plus delicieuse,
655 Qu'Hymen* joigne bien-tost ce beau couple d’Amans,
Et que rien ne s’oppose à leurs embrassemens*.

Le Capitaine.

Voyla qui vaut l’argent, cet objet* qui t’engage
Du fard Egiptien t’enseignera l’usage, {p. 47}
Surtout change d’habit pour nôtre seureté,
660 Et pour aller par tout avecque liberté,
Nous en avons tousjours quelques-un dans nos tantes
Pour ceux qui sont receus au métier que tu tentes :
Tandis, pour eviter tout accident* fatal,
Je vay rendre l’honneur qu’on doit au Senechal,
665 Nôtre bande a besoin du pouvoir qu’il possede,
Déjà depuis deux jours nous rodons dans Tolede
Sans la permission qu’il nous faut obtenir,
Adieu, demeurés seuls pour vous entretenir.

La Vieille.

Enfin tout est à nous, homme, argent et bagage,
670 Mais allons de plus prez visiter l’équipage.

Le Capitaine.

Puissant Dieu des matois, et des subtilités,
Mercure inspire luy tes bonnes qualités,
Afin qu’aux yeux de tous il vole en assurance,
Et trompe des Argus l’exacte vigilance.
675 Suivés-moy Compagnons, tous en ordre rangés,
Ces ducas* au retour vous seront partagés.
{p. 48}

SCENE III. §

ANDRES, PRECIEUSE.

Andres.

Enfin j’ay le bon-heur où mon amour aspire,
Mon sort est dans tes mains, je vis sous ton empire,
Me voyla ton sujet, et j’ay receu tes lois,
680 C'est trop pour égaler la fortune des Rois.
Ce n’est point le pouvoir que ce titre leur donne
Qui m’atache avec joye auprez de ta personne,
Ce n’est point un espoir de leurs vaines grandeurs
Qui contente mes sens et nourrit mes ardeurs*,
685 Ce n’est point ce hazard* contre qui l’on declame,
Qui fait voir dans tes fers et mon corps et mon ame,
C'est ce charme adorable, invisible et puissant
Que forment tes atrais, et ton cœur inocent,
C'est cet esprit divin dont ce beau corps s’anime,
690 Qui s’est acquis par tout une si haute estime,
C'est ce je ne sçay quoy qui brille dans tes yeux
Capable d’enchanter et les Rois et les Dieux.
Ainsi puisque l’Amour et ta seule puissance
Me rangent aujourd’huy sous ton obéissance, [G, 49]
695 Espere que ces noms et d’esclave et d’amant
Ne me feront traiter que favorablement,
Me le jure tu pas par la celeste flame
Que ces deux Astres bruns lancent jusqu’en mon ame ?
Par la reflexion de ce feu glorieux
700 Que l’une et l’autre joue emprunte de tes yeux,
Par ce vivant coral qui fait tant de miracles,
Et qui rend tous les jours mille divins oracles.
Me le jure tu pas par ce berceau d’Amour,
Où, comme dans tes yeux, ce Dieu fait son sejour ?
705 Par ces monts animés dont le beau privilege
Peut enflamer les cœurs à l’aspect de leur nege,
Et par ce noble tout, ouvrage precieux
Que formerent l’Amour, la Nature et les Dieux :
Mais à te voir si triste en mon bon-heur insigne*,
710 Il semble que déjà tu m’en juges indigne.

Precieuse.

Me doy-je réjouir de vous avoir réduit
A quiter un beau jour pour une afreuse nuit,
A quiter des rayons pour un nuage sombre,
La gloire* pour la honte, et le Soleil pour l’ombre,
715 Les plaisirs pour la peine, et les biens pour les maux,
Un repos assuré pour de rudes travaux*, {p. 50}
Une Princesse enfin pour une Egiptienne ?
Non, Seigneur, croyés-moy, quelque honneur qui m’en vienne,
Je vous estime trop pour ne m’afliger pas
720 Du tort que je vous fais par mes febles apas*.

Andres.

Que ton affliction console bien mon ame !
Que ton regret me plaist ! que ta frédeur m’enflame !
Il est donc vray, mon cœur, que ta sainte amitié*
Fait déjà le devoir d’une chaste moitié :
725 Mais ne plains point mon sort digne qu’un Dieu l’envie,
Et juge mieux de l’heur* qui va suivre ma vie,
Treuvay-je pas en toy sans forcer mes desirs
Ma gloire*, mon repos, mes biens et mes plaisirs ?
Tes yeux ne sont-ils pas des Soleils ? et ces Astres
730 N'écarteront-ils par loin de moy les desastres ?
N'ont-ils pas pour rayons mille feux petillans ?
Et pour étre un peu noirs en sont-ils moins brillans ?
Non, non, d’une façon qui n’est point coûtumiere
Cette noirceur éclate et me rend la lumiere,
735 Contre l’ordre du monde elle fait un beau jour,
Et r'alume par tout le flambeau de l’Amour, {p. 51}
Mais pardonneras-tu ma première licence ?

Precieuse.

Ouy, puisque vous avés une entière puissance.

Andres.

(Il a aperceu dans son sein le papier du Poëte.)
D'où te vient ce papier ? que son destin est doux !

Precieuse.

740 Si c’est une douceur que de faire un jaloux,
Ce poulet en ce lieu vous donne de l’ombrage,
Avoüés.

Andres.

Nullement.

Precieuse.

L'Auteur vaut bien l’ouvrage.

Andres.

Je le croy.

Precieuse.

Tout de bon ?

Andres.

Ouy certes.

Precieuse.

Cependant, {p. 52}
Je veux de son rival faire mon confident,
745 Tenés, apres cela doutés que je vous aime,
Car je ne l’ay point leu.

Andres.

La faveur est extreme.

Precieuse.

J'en espere pourtant un aimable entretien,
(A part.)
Il est un peu remis.

ANDRES, à part, ayant leu.

Mon cœur ne crains plus rien.

Precieuse.

Lisés haut, vous riés.

Andres.

Il faut bien que je rie
750 De l’agreable effet de cette tromperie,
Ce sont des Vers.

Precieuse.

Hé bien, c’est le parler des Dieux,
Le stile en est plus doux, et persuade mieux. {p. 53}

Andres.

(Il lit tout haut ces Vers.)
Je chante dans les fers mieux qu’un Egiptien,
Vous me réjouissés en me donnant la géne*:
755 Mais pourquoy joignés-vous le repos à ma chaine ?
Suis-je si malheureux de n’étre propre à rien ?
L'esclave trop oisif souffre un double tourment,
Servés-vous du pouvoir que mon destin vous donne
D'un employ prez de vous honorés ma personne,
760 Et ne rejetés pas les vœux d’un pauvre amant.

Precieuse.

Hé bien qu’en dites-vous ? ce n’est pas un novice,
Voyés qu’adrétement il m’offre son service.

Andres.

Voylà pour un captif parler bien librement,
Mais il ne devoit pas finir si pauvrement,
765 L'Amour est de ce mal la mortelle ennemie,
Et pour un pauvre Amant je serois endormie.

Precieuse.

Ainsi que de ses Vers vous rirés de l’objet.

Andres.

Mais qui t’en feroit voir sur un autre sujet ? {p. 54}

Precieuse.

De qui ?

Andres.

(Bas.)
Dissimulons. D'un jeune Gentilhomme
770 Mon plus intime amy, qui t’aime.

Precieuse.

Et qui se nomme ?

Andres.

Son nom ne se dit pas.

Precieuse.

(Bas.)
C'est luy-mesme. Et pourquoy ?

Andres.

Pour cause, les voicy, c’est un recit pour toy,
Au balet que...

Precieuse.

J'entens ce que vous voulés dire,
Voyons.

Andres.

A ce penser il faut que je soupire, {p. 55}
775 Là, mes superbes* sens furent humiliés,
Et ta grace à danser foula mon cœur aux piés.

Precieuse.

Epargnés ces discours où l’amour vous emporte.

Andres.

Tu devois à peu pres nous parler de la sorte.

Precieuse.

Vous avés leu les miens, que je lise ceux-ci.

Andres.

780 Il est juste, tiens donc, tu peux en rire aussi.

PRECIEUSE, lit ce qui suit.

Recit de la belle Egiptienne.
Si je vous semble Egiptienne,
Je n’en ay que l’habit, l’adresse et les cheveux,
Et quoy que d’un Cesar leur Reine ait eu les vœux,
Sa beauté toutefois fut moindre que la mienne.
785 J'attire à moy tous les humains,
Curieux de me voir ainsi que de m’entendre, {p. 56}
Et pas un ne se peut defendre
Des coups où mes beaux yeux font l’office des mains.
Je donne aux ames la torture,
790 Je ne prens que des cœurs, mes larcins sont hardis,
Et je fais mieux que je ne dis,
La bonne ou mauvaise avanture.
Mes compagnes et moy d’une adresse subtile
Nous volons en tous lieux,
795 Mais de tout nôtre bien je leur quite l’utile,
Et ne profite point que du delicieux.
Comme on void nos larcins estre fort différens,
Nos restitutions ont des effets contraires,
La leur oblige* fort, et moy lorsque je rens,
800 Je cause des douleurs ameres,
Et l’on me fait mille prieres
De retenir tousjours ce que je prens.

Andres.

Que t’en semble ?

Precieuse.

L'ouvrage est sans doute admirable,
Heureuse si le sens en étoit véritable.

Andres.

805 Je le puis assurer sans faire le flateur. [H, 57]

Precieuse.

Si vous craignés encor qu’on découvre l’autheur,
Suivés-moy seulement.

Andres.

Sçais-tu qui ce peut estre ?

Precieuse.

Je le vay deguiser, il se fait trop conestre,
Mais il faut qu’avec moy vous y mettiés la main.

Andres.

810 Elle s’en doute, Amour seconde* son dessein.

Fin du second Acte.

{p. 58}

ACTE III §

LE POETE, 2 EGIPTIENS, LA VIEILLE, ANDRES, PRECIEUSE.

SCENE PREMIERE. §

LE POETE, LES EGIPTIENS.

LE POETE, en habit de berger et de nuit.

Au secours, je suis mort, ha ! quelle destinée
M'a fait treuver ces chiens dans leur rage obstinée ?

L'Egiptienà son camarade.

Sans doute nos mâtins font quelque bon repas,
Ils cessent d’aboyer, suy moy, doublons le pas.

Le Poete.

815 O Dieux ! je n’en puis plus.

L'Egiptien.

J'entens quelqu’un se plaindre. {p. 59}
Approche ta lumiere, et garde de l’éteindre.
Ma foy c’est un berger prest à laisser sa peau,
Tu verras que nos chiens sont apres le troupeau.
Es-tu mort ?

Le Poete.

Je me meurs.

L'Egiptien.

Hé ! qui diable t’ameine
820 En ces lieux, et de nuit ?

Le Poete.

Ma fortune* inhumaine,
Mais sans plus discourir, de grace assistés-moy.

L'Egiptien.

Apres, qui nous payra ?

Le Poete.

Moy-mesme.

L'Egiptien.

As-tu de quoy ?
Je ne fais rien pour rien, songe à quoy tu t’engages. {p. 60}

Le Poete.

Ouy, tenés, ce ducat* vous servira de gages*.

L'Egiptien.

825 Prens courage à present, va, croy moy, ce n’est rien,
Quant tu seras guery tu te porteras bien.
(A part.)
Un ducat* d’un berger !

Le Poete.

Amis, qui vous arreste ?

L'Egiptien.

Ca, donne-moy tes piés, toy prens-le par la teste,
Une vieille entre nous par un magique sort,
830 En touchant de l’argent feroit revivre un mort,
Nous allons de ce pas te porter dans sa tante,
Pour en estre content, rens-la devant* contente.

Le Poete.

Je n’épargneray rien pour mon soulagement.
{p. 61}

SCENE II. §

ANDRES, LA VIEILLE, PRECIEUSE LES EGIPTIENS, LE POETE.

La Vieille, à Andres.

Mon fils, où courés-vous ?

Precieuse.

Arrestés un moment.

L'Egiptien.

835 La voyla, je l’entens, approchés bonne mere,
Voicy de la pratique.

Andres.

O Dieux quelle misere !

La Vieille.

C'est la cause du bruit qui vous faisoit courir.

Precieuse.

Ma tante dépechons, il faut le secourir.

La Vieille.

Hé bien, qu’est-ce qui fait le sujet de tes plaintes ? {p. 62}

Le Poete.

840 Les dens de vos mâtins sur mes jambes empraintes.
Helas ! si dans le temps qu’ils me faisoient ce mal,
Il ne fut par bon-heur passé quelque animal,
Dessus qui maintenant ils repaissent leur rage,
Ils n’auroient pas encore arresté leur outrage.

La Vieille.

845 Si je te puis guerir que me donneras-tu ?
L'or est un prompt remede, et de grande vertu,
Le baume le meilleur coule de cette source,
Et pour fermer la playe il fait ouvrir la bource.

Le Poete.

Hâtés ma guerison de tout vôtre pouvoir,
850 Je vous contenteray par dessus vôtre espoir.

La Vieille.

Enfans, portés-le donc en la plus proche tante,
Ma fille va querir de mon divin Nepante
Je gueris avec luy toute sorte de maux, {p. 63}
Mais il faut sur les tiens murmurer quelques mots,
855 Pour arrester le sang qui coule en abondance.

Le Poete.

Mon mal va jusqu’au cœur.

Andres.

Amy, prens patience.

La Vieille, à Precieuse.

Ne l’as-tu point tantost assés considéré ?
Cours, es-tu revenuë ?

PRECIEUSE, à part en s’en allant.

Il est trop assuré,
C'est nôtre Poëte, ô Dieux ! quelle est son entreprise,
860 De nuit, et déguisé, je crains quelque surprise.
{p. 64}

SCENE III. §

LE POETE, LA VIEILLE, ANDRES, LES EGIPTIENS.

Le Poete.

Soleil dont la lumiere est si douce à mes yeux,
Tarderas-tu long-temps de parétre en ces lieux ?

Andres.

Non, il est tantost jour.

Le Poete.

Sa divine presence
Peut des maux que je sens charmer la violence.

La Vieille, aux Egiptiens.

865 Entrés-là, c’en est fait, son sang est arresté.

Andres.

O discours salutaire en cette extremité.
(Les Egiptiens portent le poëte dans une tante.)
{p. I, 65}

SCENE IV. §

LA VIEILLE, ANDRES, PRECIEUSE

ANDRES, à Precieuse.

Quoy déjà de retour ?

La Vieille.

(Elle suit les Egiptiens.)
Viste, ma fille apporte.

SCENE V. §

PRECIEUSE, ANDRES.

Precieuse.

La charité m’oblige* à courir de la sorte.

Andres.

Tu dois, s’il est ainsi, faire quelques effors,
870 Pour soulager mon ame aussi bien que son corps.

Precieuse.

Si vous n’avés besoin que de ma diligence... {p. 66}

Andres.

Tu pourois sans courir hâter mon alegeance.

SCENE VI. §

LA VIEILLE, ANDRES, PRECIEUSE.

LA VIEILLE sortant de la tante et parlant au Poëte.

Te voylà bien, à Dieu, repose en seureté,
Tandis que j’en vay faire autant de mon côté,
875 Si pour ta guerison trop long-temps je someille,
Aprens qu’au son de l’or nôtre soin se réveille.

Andres.

Sa mine et son discours me font conestre assés
Que vos soins quelque jour seront recompensés.

La Vieille.

J'entens bien dés demain recevoir mon salaire,
880 Fut-il mon propre enfant, fut-il mon propre frere, {p. 67}
S'il m’avoit fait attendre apres luy plus long-temps,
L'un de l’autre tous deux nous serions mécontens,
Point d’argent, point d’unguent, dessus cette pensée
Allons nous retirer.

Andres.

Qu'elle est intéressée !

Precieuse.

885 Ma tante allés devant, nous vous suivons de prez.

SCENE VII. §

PRECIEUSE, ANDRES.

Precieuse.

Les Lauriers d’Apollon sont changez en Cyprez.

Andres.

Comment ? à ce discours je ne puis rien comprendre.

Precieuse.

Le plaisant accident* que je vous vais apprendre ! {p. 68}

Andres.

Qu'est-ce donc mon soucy ?

Precieuse.

Mais me promettés-vous ?

Andres.

890 Ouy, parle, que veux-tu ?

Precieuse.

De n’estre point jalous.

Andres.

Assis entre les Dieux, et parmi l’ambroisie,
Qui pouroit à present troubler ma fantaisie* ?

Precieuse.

Ce mal nous vient souvent d’un soupçon plus leger.
Qui pensés-vous que soit ce malheureux berger ?

Andres.

895 Parle-tu du blessé ?

Precieuse.

Je parle de luy-mesme. {p. 69}

Andres.

Le connois-tu d’ailleurs ? est-ce quelqu’un qui t’aime ?

Precieuse.

N'exciteray-je point une mauvaise humeur ?

Andres.

Point du tout.

Precieuse.

Sçachez donc que c’est nôtre rimeur.

Andres.

Quoy, celuy dont tantost nous avons leu des Stances ?

Precieuse.

900 Celuy-là mesme, autheur de ces extravagances*.

Andres.

Ha ! certes j’ay pitié de ce pauvre garçon.

Precieuse.

Le sort le persecute en plus d’une façon, {p. 70}
Ce n’estoit pas assés qu’il eut mal à la teste,
Il falloit que ses piés...

Andres.

Enfin c’est ta conqueste,
905 Pourquoy traiter si mal un si fidelle Amant ?
Tu l’as porté peut-estre à ce déguisement.

Precieuse.

Ne voyla pas déja des effets de ma crainte.
Vous estes donc jaloux.

ANDRES, à part.

Est-ce franchise ou feinte ?
Moy, jaloux, nullement.

Precieuse.

L'estrange vision*
910 De me croire complice en cette occasion* !
Hé bien, pour avoir paix, et me montrer fidelle,
Je ne le verray point.

Andres.

C'est estre bien cruelle.

Precieuse.

Je vous ay fait déja deux fois mon confident, {p. 71}
J'attens de vous le mesme en pareil accident*,
915 Ne me procurés point le mal dont je vous prive,
Et chassons le martel aussi-tost qu’il arrive.

Andres.

Si je pouvois un jour t’en causer en effet,
Je serois bien vangé du mal que m’as fait.

Precieuse.

Ha ! ma sainte amitié* defend cette vangeance,
920 Adieu, separons-nous en bonne intelligence*.

Andres.

Un baiser tout au moins m’en fera la raison,
Peut-on cueillir ce fruit en plus belle saison ?

Precieuse.

Est-ce là ce respect et cette retenuë ?

Andres.

Ouy, mal-gré mon amour mon respect continuë,
925 Mais c’est une faveur* permise à mon desir.

Precieuse.

Nous en disputerons le jour plus à loisir.
Je n’ay pas entendu que ce fut à toute heure. {p. 72}

Andres.

La nuit, et sans témoins elle seroit meilleure.

SCENE VIII. §

ANDRES, seul.

Loin de ces beaux charmeurs qui corrompent les sens,
930 Donnons un libre cours à nos desirs pressans,
Amour, foy, complaisance, incomparable idée,
Dont par enchantement mon ame est possedée,
Retirés-vous comme eux, et me laissés icy
Examiner à part l’objet de mon soucy,
935 Vôtre ligue est trop forte, et cette conference
Demande une severe et juste indifference,
Mon cœur à vôtre aspect n’agit point librement,
Bref vous estes suspects à nôtre jugement.
Ce rival odieux plus conforme à sa guise,
940 Connoist, void, parle, escrit, vient de nuit, se déguise,
Et je ne croirois pas qu’un favorable aveu
Au mépris de ma flame entretienne son feu ;
Ha, que ta trahison visiblement éclate ! [K, 73]
Inconstante beauté, lâche cœur, ame ingrate,
945 Dont l’adresse perfide a caché sous des fleurs
Le dangereux aspic qui cause mes douleurs.
Ne suis-je descendu du plus haut rang de gloire*
Dans ce honteux estat qui ternit ma memoire ?
Ne t’avois-je promis d’élever ton bon-heur
950 Au faiste des plaisirs, des biens et de l’honneur ?
Enfin n’ay-je engagé mes plus belles années
A suivre avecque toy d’infames destinées,
Que pour voir preferer à mon chaste dessein
Celuy d’un suborneur qui regne dans ton sein ?
955 Acheve d’eriger ton indigne trophée,
Sur le reste mourant de ma flame estouffée,
Comble-le de faveurs* en me comblant d’ennuis*,
Tout m’est indifferent en l’estat où je suis,
Ton lâche mouvement vient d’arrester ma course,
960 Et je vay remonter à mon illustre source.
Mais pouray-je accomplir le projet que je fais ?
Non, j’aime trop mes fers pour en sortir jamais :
Impuissans ennemis du Dieu qui me maitrise,
Sçavés-vous quelle chaine arreste ma franchise* ?
965 Sçavés-vous le pouvoir de ces noirs assassins ,
Qui me percent le cœur, et rompent vos desseins ?
Si les trais* et les feux vous marquent leur puissance,
Que ne me rangés-vous sous leur obeissance,
Et si de ces brillans vous ignorés le prix, {p. 74}
970 Pourquoy me conseiller un injuste mépris ?
Devés-vous pas avoir beaucoup de retenuë
A dire vôtre avis d’une chose inconnuë ?
Conseillers indiscrets, ou laissés-moy perir,
Ou par d’autres moyens venés me secourir.
975 Quoy donc je fay regner mon amour dereglée ?
Quelle ombre, ou quel grand jour à mon ame aveuglée ?
On s’offre à me tirer d’une infame prison,
Et ce zele obligeant* me paroist trahison,
A quel point m’a reduit ma fiere destinée ?
980 Dans cet aveuglement mon ame est obstinée,
A me faire du mal je suis ingenieux,
Et qui me veut aider me semble injurieux,
De qui doy-je esperer un effet secourable,
Puisque ma volonté ne m’est pas favorable ?
985 Mais pour mieux profiter de ce raisonnement,
Tirons de ce rival un éclaircissement,
Arrachons son aveu par force ou par adresse,
Et perdons puis apres le traitre et la traitresse.
{p. 75}

SCENE IX. §

ANDRES, LE POETE couché dans la tante.

ANDRES, ayant relevé un costé de la tante.

Camarade, dors-tu ?

Le Poete.

Les langueurs que je sens
990 Commençoient d’assoupir mes esprits et mes sens.

Andres.

Hé bien, que dit le cœur ? comment vont tes morsures ?

Le Poete.

Comme il plaist au destin qui m’a fait ces blessures.

Andres.

Je plains ton infortune*, et j’en suis bien marry.
Dans trois jours au plus tard tu seras tout guery.
995 Mais qui te presse ainsi ? quelle affaire importante {p. 76}
Te fait marcher de nuit, et devers* cette tante ?
Parle.

Le Poete.

Helas !

Andres.

Je le tiens, ce discours l’a surpris.
Répons-moy, que crains-tu ? r'appelle tes esprits,
Tu peux m’entretenir avec toute assurance.

Le Poete.

1000 Hé de quoy ? de douleurs, de peine, de souffrance,
C'est là tout l’entretien que vous pourriés avoir,
Déplaisant à donner, et triste à recevoir...

Andres.

Voyés qu’il equivoque, et qu’il feint bien le traitre.
Plus je t’entens parler, plus je te croy conestre,
1005 Ta mine et cet estat ont trop peu de rapport,
Et ce rustique habit cache un plus noble sort,
Confesse.

Le Poete.

Plût au Ciel.

Andres.

Ma pensée est trop vraye, {p. 77}
Et me fait découvrir une nouvelle playe,
Mon ame a succombé sous de plus doux effors,
1010 N'est-elle pas blessée encor plus que ton corps ?
Certes, s’il est ainsi que je me l’imagine,
Tu merite le bien que l’Amour te destine.
Nous avons entre nous une jeune beauté,
Dont l’éclat a de l’air de la Divinité,
1015 Un cœur aura receu son adorable Image,
Et par son ordre exprez tu viens luy rendre hommage.

Le Poete.

Rien moins.

Andres.

Ce rare effet de ta discretion
Te rend plus digne encor de son affection.

Le Poete.

Perdés encore un coup cette injuste pensée,
1020 Dont sa chaste pudeur pouroit estre offensée.

Andres.

Comme il prend son parti, mais allons jusqu’au bout,
Il faut apres cela qu’il me declare tout. {p. 78}
A quoy bon, découvert te cacher davantage ?

Le Poete.

Je ne puis avouer un si faux avantage*.

Andres.

1025 Pour estre Egiptien ne croy pas que mon cœur
Ignore le pouvoir de ce noble vainqueur,
Je sçay bien que l’Amour porte à d’estranges choses,
Et je pourois parler de ses Metamorfoses.
Ne me cele donc plus ton dessein ni tes feux,
1030 La belle Egiptienne est digne de tes vœux,
Bien loin de la blâmer j’estime ton adresse,
Et je te veux servir auprez de ta maitresse.

Le Poete.

Ton zele enfin me charme, et ta civilité
Me force à contenter ta curiosité,
1035 Mon cœur s’ouvre de joye au nom de cette belle,
J'ay l’heur* de la connestre, et d’estre connu d’elle,
Et puisque tu peux lire en ce cœur malheureux,
Je ne te niray plus que j’en suis amoureux.

Andres.

Apres avoir langui, enfin ce mot me tuë.

Le Poete.

1040 Elle a rendu la force à mon ame abatuë, {p. 79}
Et l’appareil plus doux à mon mal furieux,
Fut le charme innocent qui vint de ses beaux yeux.

Andres.

Il guerit et je meurs, mais la rage m’anime,
De ton rare merite elle fait grand’ estime.

Le Poete.

1045 Si peu.

Andres.

Quoy tu t’en plains, ha ! n’en fais plus le fin*,
Acheve d’exposer ton bien-heureux destin,
Nous sommes, tu le sçais, les plus secrets du monde.
As-tu de ses faveurs* ? ta gloire* est sans seconde,
Montre-les moy, de grace, et ne me cache rien,
1050 Fay moy ton confident, je te feray le mien,
Sous d’autres vestemens j’ay fait des avantures,
Dignes de raconter à nos races* futures,
Et sans aller plus loin que ce mesme sejour,
Je t’en pourois conter une du dernier jour,
1055 Qui vaut bien à mon gré la peine de l’entendre.

Le Poete.

Que je seray ravy si tu veux me l’apprendre ! {p. 80}

Andres.

Tu me fermes la bouche en me fermant ton coeur,
Et tu me crois sans doute indiscret ou moqueur,
Voy-tu ? ne couvre plus une flame apparente,
1060 Et sçache que la fille est ma proche parente,
Que je vous puis servir tous deux en vos amours,
Vous faisant preferer des nuits aux plus beaux jours.

Le Poete.

Je ne refuse pas cette offre avantageuse*,
Mais mieux que son parent je connoy Precieuse,
1065 On ne peut faire bréche à sa chaste vertu,
Par discours, par presens, en vain j’ay combatu,
Rien ne peut ébranler cette vivante roche,
Mille trais* enflamés en défendent l’approche,
Et lorsqu’on la permet, c’est pour mieux faire voir
1070 Que sans intelligence* on ne la peut avoir.

Andres.

Ha ! ce dernier discours me redonne la vie,
Mais redoublons l’épreuve, et sçachons son envie.
Dy ce que tu voudras pour cacher ton dessein, [L, 81]
Je voy ce que tous deux vous avés dans le sein,
1075 Et dedans vôtre amour mon zele s’interesse,
Mais enfin la veux-tu pour femme ou pour maitresse ?
Si tu la veux pour femme, hé bien dans peu de temps
J'y feray consentir tous ses autres parens,
Sinon il ne faut point tant de ceremonies,
1080 De semblables vertus parmi nous sont banies,
Pourveu que nous voyons quelque somme d’argent.

Le Poete.

Cher ami, ce discours est par trop obligeant*.

Andres.

En as-tu ?

Le Poete.

J'ay sur moy quelques six vingts pistoles*.

Andres.

(A part.)
C'est pour la suborner. Donc sans plus de paroles
1085 Laisse-moy faire.

Le Poete.

Hélas ! pers ce soin odieux,
Puisqu’un autre dessein m’a conduit en ces lieux, {p. 82}
Ce n’est pas qu’en effet je n’aime Precieuse,
Et que ma passion ne me soit glorieuse :
Mais de mon seul destin l’implacable couroux
1090 Me fait venir chercher un azile entre vous.
Apprens en peu de mots le sujet qui m’ameine,
Qui m’a fait déguiser, et qui cause ma peine.
La mort d’un Cavalier couché sur le pavé,
Dedans une querelle où je m’estois treuvé,
1095 Me fit quiter Séville, et venir à Tolede
Pour treuver dans ma fuite un assuré remede.
Mes parens cependant qui sçavent où je suis,
Avertis du danger où mes jours sont réduis,
M'ont fait donner avis cette mesme soirée,
1100 Que j’eusse à me pourvoir de retraite assurée,
Tout ce que j’ay pû faire en ce pressant soucy,
Est de changer d’habit, et de venir icy,
Contre les trais* du sort implorer assistance.

Andres.

Si ce n’est que cela repose en assurance,
1105 Je m’en vay de ce pas y resoudre nos gens.

Le Poete.

Va, je reconnestray tant de soins obligeans*.
(La tante se referme.)

ANDRES, en s’en allant.

Marche droit hardiment*, ou mon ame abusée {p. 83}
Sçaura bien se vanger de ta flame rusée,
Qui cherche ma maitresse il cherche le trespas*,
1110 Je t’irois immoler*, à ses yeux, dans ses bras,
Et si son lâche cœur trempoit dedans ton crime,
J'abatrois d’un seul coup l’autel et la victime.

Fin du troisieme Acte.

{p. 84}

ACTE IV §

ANDRES, PRECIEUSE, LA VIEILLE LE CAPITAINE ET LA TROUPE D'EGIPTIENS, HIPOLITE, LE PREVOST ET SES ARCHERS.

SCENE PREMIERE. §

ANDRES, PRECIEUSE.

Andres.

Mais tu ne me dis rien de ce pauvre blessé,
Est-ce ainsi qu’un Amant doit estre delaissé ?
1115 Est-ce ainsi que l’amour doit ceder à la crainte ?

Precieuse.

Que vous estes adroit à couvrir une feinte !
Vous l’avés veu sans doute.

Andres.

Ouy, je l’ay visité,
J'ay plus de soin* que toy, j’ay plus de charité. {p. 85}

Precieuse.

S'il est vray qu’on appelle ainsi la jalousie.

Andres.

1120 J'ay flaté la douleur dont son ame est saisie,
Et mesme j’ay promis de l’en faire guerir.

Precieuse.

Apres avoir eu soin* de vous bien enquerir,
Mais se porte-t’il mieux ?

Andres.

Je crains qu’il ne se trouble,
Sa playe est toute en feu, la fiévre luy redouble,
1125 Enfin il est fort mal, tu devois bien aussi
Faire en sorte qu’il vint plus surement icy,
Et c’étoit bien assés du feu qui le devore.

Precieuse.

Quoy ? sur cet accident* vous me raillés encore,
Apprenés-moy plustost quel etrange dessein
1130 Sous ce rustique habit il cache dans le sein,
Ce secret n’aura pas échapé vôtre adresse.

Andres.

Il ne le dira point qu’à sa seule maitresse,
Et je me suis chargé pour son allegement*, {p. 86}
D'obtenir l’entretien d’une heure seulement,
1135 Ne luy refuse pas un bien si desirable,
Et prepare à ses vœux un acueil favorable.

SCENE II. §

ANDRES, PRECIEUSE, HIPOLITE

ANDRES, ayant apperceu Hipolite.

Ha ! le fâcheux objet*.

Precieuse.

Hé quel mal-heur* si prompt
Vous met la flame aux yeux et la rougeur au front ?
Ha ! c’est une Maistresse.

Andres.

Une fille importune.

Precieuse.

1140 Hé bien, faut-il rougir d’une bonne fortune* ?
Voyla ce que produit vôtre sombre beauté,
Et le fard que je donne à cette qualité,
Mais sa peine m’oblige à vous laisser ensemble. {p. 87}

Andres.

Voy mon dernier refus.

Hipolite.

Le voyla, mais je tremble.

Precieuse.

1145 Prié par ce regard si doux et si charmant
D'une heure d’entretien pour son allegement*,
Ne luy refusés pas un bien si desirable,
Et faites à ses vœux un acueil favorable.

Andres.

Je voy bien ce que c’est, tu veux rire à ton tour,
1150 Mais ne croy pas au moins...

Precieuse.

Adieu, jusqu’au retour.

Hipolite.

Feignons de l’arrester, quoy qui nous en avienne,
Où va si promptement la belle Egiptienne ?
Peut-on pour un moment icy l’entretenir ?

Precieuse.

Je ne suis point du tout sçavante en l’avenir.
1155 Celuy que vous voyés suivant ma conjecture*, {p. 88}
Vous dira mieux que moy vôtre bonne avanture.

Hipolite.

Hélas ! elle a raison, éprouvons son avis.

Andres.

De quel nouveau mal-heur* mes jours sont-ils suivis ?

SCENE III. §

ANDRES, HIPOLITE.

Andres.

Madame, vous m’offrés un honneur qui m’étonne*.
1160 J'ay veu de vôtre part l’une et l’autre personne,
Toutes deux m’ont parlé de vôtre indigne choix,
Toutes deux m’ont ravy l’usage de la voix,
Et maintenant encor je ne sçay que répondre,
Trop d’éclat m’éblouit, trop d’heur* me vient confondre,
1165 Et ces rares faveurs* me font imaginer
Qu'à quelque autre qu’à moy vous croyés les donner : {p. M, 89}
Sortés de vôtre erreur, voyés ce que vous faites,
Regardés qui je suis, et songés qui vous estes,
Si vos yeux ont un voile, ou si vous sommeillés,
1170 Arrachés-le, Madame, ou bien vous éveillés.

Hipolite.

Non, non, ma passion ne m’a point aveuglée,
C'est toy seul qui la rens et juste et déreglée,
Tu contrains à t’aimer quiconque ose te voir,
Et c’est le moindre effet de ton charmant pouvoir.
1175 Mon ame te sentit dès que mes yeux te veirent,
Ta douceur m’enchanta, tes graces me ravirent,
Je treuvay de l’éclat dans ce teint bazané,
Et d’une obscure tige un noble Amour est né,
Amour qui te remet les biens que je possede,
1180 En quoy sçache que nul ne m’égalle à Tolede,
Amour qui t’offre encore un tresor plus exquis,
Triomphe beau vainqueur après avoir conquis :
De ce mesme regard qui me meit toute en flame,
Lance un rayon d’espoir qui contente mon ame,
1185 Modere ton tourment, et romps enfin le sort
Qui l’agite, la trouble, et me donne la mort.

Andres.

Nôtre pouvoir est vain pour les charmes de l’ame, {p. 90}
Et ce sont les démons qu’en ce point on reclame.

Hipolite.

Autre démon que toy ne l’y sceut attacher,
1190 Autre démon que toy ne l’en peut arracher,
Laisse, laisse cruel une importune feinte
Qui donne à mon amour une mortelle atteinte.
De Roy ne devient point un tyran de mon cœur,
Ni de maitre adorable un insolent vainqueur,
1195 Que l’amitié* succede à la feinte banie,
N'ajoûte point la honte à ma peine infinie,
Ne méle point l’orgueil aux belles qualités
Que je vois au travers de ces obscurités.
Quoy, manquay-je d’apas* ? quoy, manquay-je de charmes
1200 Qui puissent t’obliger à me rendre les armes ?
Ma personne, mes biens, et ma condition,
Ne peuvent-ils forcer ton inclination ?
Ne peux-tu preferer à cette vie infame
L'avantageux* bon-heur* de m’avoir pour ta femme ?
1205 Quitte, quitte la honte où le sort t’engagea,
Sors de cette misere où le sort te plongea,
Seconde* mes desirs en faveur de toy-mesme, {p. 91}
Respons au nom d’Hymen* à mon amour extréme,
Par là, de mes tresors tu deviens possesseur,
1210 Tu vivras avec gloire*, en paix, dans la douceur,
Et goûtant des plaisirs tous purs et sans limites,
Braveras la Fortune* ingratte à tes mérites.

Andres.

Descendre jusqu’à moy, m’élever jusqu’à vous,
D'un pauvre Egiptien en faire vôtre époux,
1215 Ravi d’une si haute et si rare merveille,
Quoy que prez d’un soleil je doute si je veille,
Et je ne comprens pas par quel heureux destin
J'ai pû faire un si noble, et si riche butin.
A quelles dures lois est mon ame asservie,
1220 Que je ne puisse pas contenter vôtre envie,
Que je ne puisse pas jouir de ce bon-heur
Qui contient le plaisir, la richesse et l’honneur ?
Ha ! c’est bien maintenant que l’ingratte Fortune*
Me fait sentir les trais* de sa haine importune,
1225 Me venant d’une main un tresor presenter,
Que l’autre au mesme instant me defend d’accepter.

Hipolite.

Dans ce consentement que ta grace m’octroye,
Qui s’oppose à ton bien ? qui s’oppose à ma joye ? {p. 92}

Andres.

La rigueur de nos loix, qui veut que parmi nous
1230 Nous prénions une femme et la fille un époux,
Lors par qui mon mal-heur* a sa rage assouvie,
Et qu’il faut observer sur peine de la vie.

Hipolite.

Je te sauve de tout par mon authorité.

Andres.

Vous ne me sauvés pas de l’infidelité.

Hipolite.

1235 Es-tu déjà soûmis au joug de l’Hymenée* ?

Andres.

J'espere voir bien-tost cette heureuse journée.

Hipolite.

L'avantage* en ce cas te permet de changer.

Andres.

Trop puissant est l’objet* qui me sceut engager,

Hipolite.

Mais cet objet* enfin n’est qu’une Egiptienne.

Andres.

1240 Sa vertu me plaist mieux qu’une race* ancienne. {p. 93}

Hipolite.

Quiconque a l’une et l’autre, elle est à preferer.

Andres.

De la seule vertu je puis tout esperer.

Hipolite.

Prens la possession, et quitte l’esperance.

Andres.

Je me tiens à l’espoir, qui m’en donne assurance.

Hipolite.

1245 Le mal-heur* trop souvent suit cet esprit flateur.

Andres.

Quoy qui puisse arriver j’en beniray l’autheur.

Hipolite.

La misere et l’orgueil ne sont pas bien ensemble.

Andres.

J'aime dans mon destin le nœud qui les assemble.

Hipolite.

Quoy ? mon atente est vaine, et je souffre un refus. {p. 94}

Andres.

1250 Je ne vous puis donner un cœur que je n’ay plus.

Hipolite.

Quoy d’un Egiptien je me voy refusée !
Quoy d’un fier vagabond je me voy méprisée !
Ma faveur le poursuit, il suit d’autres apas,
Je luy parle d’Hymen*, il ne l’accepte pas,
1255 Honte, dépit, affront, ressentiment, vengeance,
Laissés-vous triompher cette superbe* engeance ?
Souffrés*-vous que ce traitre avec impunité
Profane ma vertu, ma gloire* et ma beauté ?
Au secours ma fureur, viste forgeons un foudre,
1260 Qui reduise à mes yeux ces deux amans en poudre,
Faisons pour le haster des effors merveilleux,
Et lançons-le d’abord sur ce roc orgueilleux,
Roc qui brave le Ciel qui s’atache à la terre ;
Et semble défier les éclats du tonnerre,
1265 Bien-tost, bien-tost, ingrat, il va tomber sur toy,
Tu sçauras ce que c’est de se moquer de moy,
Tu sçauras ce que c’est de mépriser ma flame,
Et de me preferer je ne sçay quelle infame, {p. 95}
Tu ne tiens pas encor cet objet de tes vœux,
1270 Tu periras au port, et peut-estre tous deux,
Je te vays de ce pas faire charger de chaines,
Je te vays exposer aux plus cruelles génes*,
Et tu confesseras dans l’horreur de tes fers,
Qu'il vaudroit mieux vivant tomber dans les enfers,
1275 Qu'au pouvoir irrité d’une amante enragée
D'un indigne mépris dont je seray vangée.

SCENE IV. §

ANDRES, PRECIEUSE.

Precieuse.

Bon augure, il est seul, mais las ! en peu de temps
On peut beaucoup resoudre. Est-ce luy que j’entens ?
Quoy soûpirer tout seul ? cette belle Maitresse
1280 Vous a quitté trop tost, c’est le mal qui vous presse.
Que vous estes confus ! vous deviés bien aussi
Luy donner rendés-vous en autre lieu qu’icy,
Et c’est un peu manquer d’adresse et de prudence, {p. 96}
Contés-moy vos transpors, Dieux le triste silence !
1285 Vous ne me dites mot, mais quelle est mon erreur ?
Peut-on garder la voix ayant perdu le cœur ?

Andres.

Amour, que ton pouvoir tyranise nos ames,
Et que de ton flambeau sortent d’étranges flames !

Precieuse.

Il est vray que l’Amour est un étrange Dieu,
1290 Il nous prend, il nous laisse, en tout temps, en tout lieu.

Andres.

Que dans ce changement une fille est à craindre.

Precieuse.

Non, non, ne craignés rien, j’aurois tort de m’en plaindre.

Andres.

Que cette affaire, helas, est fatale à ma foy !

Precieuse.

Vous y puis-je servir ? voyés, employés-moy.

Andres.

1295 Dieu ! quelle est ta malice, ha ! sois moins soupçonneuse. [N, 97]

Precieuse.

Il le faut avouër, je suis bien mal-heureuse,
Je souffre* tout, je m’offre, et le veux consoler,
Et pour tant de bontés il me vient quereller.

Andres.

Pardon, tu vois mon ame encor toute agitée
1300 Du menaçant couroux d’une amante irritée.

Precieuse.

Est-ce à moy qu’elle en veut ? j’implore, beau vainqueur,
Le pouvoir que l’Amour vous donne sur son cœur,
Sauvés-moy du danger que prepare sa rage.

Andres.

Je suis compris aussi dans ce mortel orage,
1305 Mais le Ciel m’est témoin si j’ay peur que pour toy,
Quoy que cette enragée ait vomy contre moy,
Quelques fers qu’à present me forge sa malice,
Je ne me plaindrois point d’un si proche supplice*,
Si ce mesme démon pour crestre mes douleurs, {p. 98}
1310 Ne vouloit t’exposer à de mesmes mal-heurs* ;
Je crains que sa menace enfin ne s’effectuë,
Et c’est ce qui me trouble, et c’est qui me tuë,
Fuyons, si tu m’en crois, de ce lieu mal-heureux.

Precieuse.

Fort bien, pour mieux nier vos larcins amoureux.
1315 Peut-on couvrir sa faute avec plus d’industrie* ?

Andres.

Tréve, tréve, mon cœur à cette raillerie,
L'orage dessus nous est tout prest à crever,
Et nous sommes perdus si l’on nous peut treuver.

Precieuse.

Je ne puis croire encor ce projet detestable.

Andres.

1320 Helas ! nôtre mal-heur le rend trop veritable.

Precieuse.

Dieux ! que m’apprenés-vous ?

Andres.

Un sanglant desespoir,
Mais fuyons j’oy du bruit.

Precieuse.

Que je crains son pouvoir ! {p. 99}
Courons donc du depart prier le Capitaine,
Faut-il qu’à mon sujet vous ayés tant de peine ?
1325 O Ciel ! contre ces traits* daigne armer nôtre sein,
Ou bien fais avorter ce damnable dessein.

SCENE V. §

HIPOLITE, LE PREVOST, SES ARCHERS.

Hipolite.

Je bénis ce rencontre à mes yeux favorable,
J'allois vous supplier de m’estre secourable.

Le Prevost.

En quoy ? me voyla prest, et je me sens ravir
1330 Du glorieux bon-heur de vous pouvoir servir.

Hipolite.

Ces infames autheurs de mille fourberies
Me sont venus voler toutes mes pierreries,
Et je n’ay point d’espoir de recouvrer ce bien,
Que par vôtre assistance, et par vôtre moyen. {p. 100}

Le Prevost.

1335 Il faut pour cet effet prendre le Capitaine,
Nôtre exacte recherche autrement seroit vaine.

Hipolite.

Un certain entre tous d’assés bonne façon,
De tout le voisinage attire le soupçon,
On l’a veu qui rodoit fort prez de nôtre porte,
1340 Et les plus assurés l’ont dépeint de la sorte,
Châtain clair, un peu gréle, et le plus haut de tous,
Qui semble le plus propre à de semblables coups,
Et dont la mine dit qu’il en a bien fait d’autres :
Faites-le moy d’abord saisir par un des vôtres,
1345 Apres, nous fouillerons et sa valise et luy.

Le Prevost.

Ces assés, ces voleurs rendront tout aujourd’huy.
Ne perdons point de temps, l’affaire est d’importance,
Allons, c’est icy prez, et s’ils font resistance,
Sans attendre ma voix, main basse, tués tout,
1350 Du meurtre general mon pouvoir vous absout.
{p. 101}

SCENE VI. §

HIPOLITE, seule.

Je te tiens arrogant, et ta perte arrestée
Va vanger mon amour lachement rejetée,
Ma fourbe par mes mains conduite adrétement,
(Elle tient dans sa main les joyaux, dont on l’a veuë parée.)
Prépare à ton orgueil un juste châtiment,
1355 Et ces joyaux tirés du fond de ta valise
Feront selon mes vœux réussir l’entreprise.

SCENE VII. §

ANDRES, PRECIEUSE, LA VIEILLE, LE CAPITAINE ET LA TROUPE D'EGIPTIENS.

Le Capitaine.

Ouy, je treuve à propos d’éviter sa fureur,
La femme en se vengeant va jusques à l’horreur,
La flame méprisée allume d’autres flames,
1360 Dans leurs caresses mesme il faut craindre les femmes,
C'et pourquoy que chacun se prepare au depart, {p. 102}
Afin de déloger quand il sera plus tard,
Nous pouvons cette nuit choisir une retraite,
Et les bois en sont une assurée et secrete.

Precieuse.

1365 A quelle extremité vous ay-je ici reduit ?

Andres.

Ha ! mon cœur, c’est bien moy...

Le Capitaine.

Ne faisons point de bruit,
Et ne poursuivés point cette plainte inutille,
Je m’en vay cependant faire un tour dans la ville,
Afin d’en ramener quelques-uns de nos gens.

Precieuse.

1370 Ainsi rien ne s’oppose à vos soins diligens*.

Andres.

Sur nos chastes desseins mon amour se repose.

La Vieille.

On dit bien vray, l’épine est proche de la rose.
{p. 103}

SCENE VIII. §

LE PREVOST, SES ARCHERS, HIPOLITE, LE CAPITAINE ET LA TROUPE D'EGIPTIENS, ANDRES, PRECIEUSE, LA VIEILLE.

Le Prevost.

Demeurés. Le premier qui fait le moindre effort.

La Vieille.

Ha bon Dieu ! qu’est cecy ?

Le Prevost.

Je le tuë, il est mort.
1375 Il faut restituer à cette jeune Dame
Ses joyaux qu’on a pris.

Andres.

L'effrontée !

Precieuse.

Ha ! l’infame.

Le Capitaine.

Vous peut-elle preuver son accusation ? {p. 104}

Le Prevost.

On ne connoist que trop l’autheur de l’action.

Hipolite.

Ouy, voyla mon voleur.

Andres.

Moy !

Hipolite.

Toy-mesme en personne,
1380 Toy que l’on m’a dépeint, et que chacun soupçonne.

ANDRES la tirant à part, et luy parlant bas.

Celle qui m’a prié m’ose-t’elle accuser ?
Craint-elle point la honte où je puis l’exposer ?

Hipolite.

Non, non, tout maintenant je veux qu’on me les rende,
Ou l’on va t’enchainer avec toute la bande,
1385 Voyés qu’il est rusé : Sans faire plus de bruit
Je les auray, dit-il, et devant qu’il soit nuit. [O, 105]

Andres.

Justes Dieux souffrés-vous cette lâche imposture ?

Hipolite.

Son bagage fouillé prouve ma conjecture*,
Commandés qu’on l’apporte.

Andres.

Ouy, qu’on l’aille querir,
(Un Egiptien va querir la malle.)
1390 Si tout ne m’appartient je consens à périr.

Precieuse.

Que ta fidelité me va coûter de larmes !

Andres.

Qui croiroit tant de ruses avecque tant de charmes ?

Precieuse.

C'est l’aspic sous les fleurs.

Le Prevost.

La veue en fera foy.

Hipolite.

Ne fiés, s’il vous plaist, la recherche qu’à moy. {p. 106}

Le Prevost.

1395 Elle vous appartient estant interessée.

La Vieille.

Nous n’aurions point ces maux si l’on l’eut caressée.

HIPOLITE voyant l’Egiptien qui revient avec la malle.

Apporte icy, mets là, vous verrés si j’ay tort
D'accuser ce voleur.

Andres.

Quel titre !

Precieuse.

Mais quel sort !

HIPOLITE, fouillant la malle.

Ne voyla pas déjà mes bracelets, ma chaine ?
1400 Pour découvrir le reste il ne faut point de géne*.

Andres.

Que voy-je ?

Hipolite.

Ton larcin. {p. 107}

Andres.

Dieux que je suis confus !

Hipolite.

Tu dois bien l’estre aussi, si jamais tu le fus,
Bon, je tiens mon colier, il faut que tout revienne,
Oseras-tu nier que ce bien m’appartienne ?

Andres.

1405 Tout cela ne se fait que par enchantement.

Hipolite.

Il me revient encore un certain diamant,
Cherchons bien.

Precieuse.

Juste Ciel fay voir son innocence.

Andres.

C'est de luy seulement que j’attens ma defense.

Hipolite.

Courage, le voicy, nous tenons tout. Enfin
1410 Confesse qu’avec moy tu n’es pas le plus fin*. {p. 108}

Andres.

Ouy, je succombe aux trais* de ta noire malice.

Hipolite.

Il m’injurie encor.

Le Prevost.

Viste, qu’on le saisisse,
Et qu’on le mette aux fers.

Andres.

Ecoutés pour le moins.

Hipolite.

Que peut-il alleguer, faut-il d’autres témoins ?
1415 Commandés qu’il se taise.

Andres.

Ha monstre que j’abhorre !
Tu m’empesches en vain.

UN ARCHER luy donnant un soufflet.

Tu discoures encore.

Precieuse.

Ha Dieu, quelle impudence !

ANDRES le tuant de son épée, qu’il luy tire de son costé.

Un soufflet, effronté ! {p. 109}
Ton sang me vangera de ta temerité.

Le Prevost.

Empeschés.

Andres.

C'en est fait, il est mort.

Le Prevost.

Quoy perfide,
1420 A ton larcin encor ajoûter l’homicide !

Andres.

Je n’enduray jamais de semblables affrons.

Hipolite.

Il faut le dépescher.

Le Prevost.

C'est ce que nous ferons.

Hipolite.

Amis, vangés la mort de vôtre camarade,
Immolés*-luy ce traitre, et toute sa brigade,
1425 Encor sera-ce peu pour contenter son sang. {p. 110}

Le Prevost.

Allons, et que pas un ne sorte de son rang,
L'arrest du Senéchal fera punir son crime.

Precieuse.

Bourreaux, vous lâcherés cette illustre victime,
Et je luy vay conter, lâche, ta trahison.

Le Prevost.

1430 Vous autres, vous aurés mon logis pour prison.

Hipolite.

Je sçauray reconnestre un si loüable office.

Le Prevost.

Je seray toujours prest à vous rendre service.

Fin du quatriéme Acte.

{p. 111}

ACTE V §

FERDINAND, ISABELLE, PRECIEUSE, ANDRES, LA VIEILLE, LE PREVOST, UN VALET muët, LE CAPITAINE ET LA TROUPE D'EGIPTIENS.

SCENE PREMIERE. §

FERDINAND, ISABELLE.

Isabelle.

Vous voyés bien, Monsieur, par cet évenement,
Qu'hier je combatois vos bontés justement,
1435 Et qu’avecque raison mon ame estoit génée*
De la permission que vous aviés donnée :
Ces démons que le Ciel eut déjà foudroyés,
Si comme un de ses fleaux il n’estoient envoyés,
Ont-ils pû s’abstenir de leur crime ordinaire ?
1440 Mais pour ce rare effort comment pouroient-ils faire ?
Ils semblent destinés à ce mestier honteux,
Ils naissent de larrons, sont nourris avec eux, {p. 112}
Et du premier moment qu’ils se peuvent connestre,
S'efforcent d’imiter ceux dont ils tienent l’estre,
1445 Tant ce charme odieux est puissant sur leurs cœurs,
Il faut donc l’arracher par d’extrémes rigueurs,
Et qu’un arrest de flame en ce jour extérmine
Ces noirs autheurs de maux, de fraude et de rapine*.

Ferdinand.

Madame, il est certain qu’un foudre rougissant
1450 Devroit exterminer cet hydre renaissant,
Encor que tels voleurs, quoy qu’il nous puissent prendre,
Par un droit ancien soient quites pour le rendre :
Mais le meurtre jamais ne se doit pardonner,
Et l’homicide ouy je le vay condamner.

Isabelle.

1455 N'en demeurés pas là, que de rudes suplices*
Soient aussi preparés pour ses lâches complices ;
Une seule entre tous m’excite à la pitié,
Et par un tendre instinct gagne mon amitié*,
Ce charme de nos cœurs, ce jeune astre qui brille,
1460 Me fait ressouvenir de nôtre chere fille,
A ce triste penser, coulés, coulés mes pleurs. [P, 113]

Ferdinand.

Ne renouvellés point nos sensibles douleurs,
Et laissons faire au Ciel, dont la toute-puissance
Des secrets plus cachés sçait donner connessance.

Isabelle.

1465 Helas ! depuis douze ans qu’un destin mal-heureux
Nous ravit à Madrid ce gage de nos feux,
Au travers des ennuis* dont je suis possedee,
Cet objet* que je plains m’en retrace l’idee.
Cela luy doit valoir quelque meilleur parti,
1470 Son sort avec ce traitre estoit mal assorti,
Pour un plus noble époux elle semble estre nee.

Ferdinand.

Comment ? au criminel elle estoit destinée.

Isabelle.

En m’apprenant son crime on me l’a dit ainsi,
Mais dessus ce propos je croy que la voicy,
1475 Considérés, Monsieur, sa grace non commune,
Et ce front dont l’éclat repugne à sa fortune*.

Ferdinand.

En effet, j’y remarque un air tout glorieux,
Laissés faire à mes soins, je la pourvoiray mieux. {p. 114}

Isabelle.

La vertu sollicite aujourd’huy pour le vice.

Ferdinand.

1480 Il la faut escouter.

SCENE II. §

PRECIEUSE, LA VIEILLE, ISABELLE, FERDINAND.

Precieuse.

Ha ! Monseigneur, justice,
Delivrés mon époux, sauvés un innocent,
Sa vertu vous en prie, et le Ciel y consent,
S'il meurt, je doy mourir, c’est à tort qu’on l’accuse,
Le vol qu’on luy suppose est l’effet d’une ruse,
1485 C'est un mauvais office*, et qui part d’un démon
Dont il vous apprendra la malice et le nom,
Faites-luy seulement la faveur de l’entendre,
Escoutés ses raisons qui le sçauront defendre,
Et ne vous hâtés pas de juger ce procez, {p. 115}
1490 Dont le Ciel par vos soins me promet bon succez.

Ferdinand.

Ma fille, laisse là l’interest d’un perfide,
Le vol peut estre faux, et non pas l’homicide.

Precieuse.

Il est vray que son bras l’a vangé d’un affront
Qui fait rougir ensemble et sa jouë et son front,
1495 Il est homme d’honneur, et dans son innocence
Endurer un soufflet excedoit sa puissance :
Mais, Monsieur, nous mettons nos biens à l’abandon,
Pour obtenir plustost un si juste pardon,
Et si, pour accorder sa grace à nostre envie,
1500 Ils ne suffisent pas, j’offre encore ma vie,
Qu'on me mette en sa place, et qu’il soit delivré,
Il ne sçauroit mourir tandis que je vivray,
Il vit dedans mon cœur beaucoup mieux qu’en luy-mesme,
Et je suis cause enfin de ce mal-heur* extréme.
1505 Mais oyés ses raisons.

Ferdinand.

Cesse de t’affliger,
Ouy, tes vœux sont receus, je vay l’interroger,
Demeure cependant pour divertir* Madame. {p. 116}

Isabelle.

Je chasseray le dueil qui regne dans son ame.

Ferdinand.

Cette affaire contient des mysteres cachés,
1510 Il s’en faut éclaircir.

Precieuse.

Hé ! Monsieur, depéchés.
Justes Dieux qui sçavés le crime et l’innocence !
N'ordonnés point la peine à qui souffre* l’offense.

SCENE III. §

ISABELLE, PRECIEUSE, LA VIEILLE.

ISABELLE

Ne crains point, Precieuse, approche, baise moy,
Si l’on luy fait faveur, c’est pour l’amour de toy.
1515 Tay toy, seche tes pleurs, banny cette tristesse,
Tu briseras d’icy la chaine qui le presse,
Et tu sçais emporter d’un effort ravisseur {p. 117}
Ce que ta voix demande avec tant de douceur.
Quel charme as-tu sur toy dont la force secrete
1520 T'obtient si promptement ce que ton cœur souhaite ?
Par quel aimable sort te fais-tu tant aimer ?
Ha ! ce sont tes beaux yeux qui nous sçavent charmer,
Ta beauté, ton esprit, ta grace et ton adresse
Elevent jusqu’au Ciel ton indigne bassesse,
1525 Bonne mere, approchés.

LA VIEILLE à part.

Dans l’ennuy* que je sens
Quelle nouvelle peur vient troubler tous mes sens ?

Isabelle.

Je voy bien qu’en son mal vostre ame s’interesse,
Cette fille est à vous.

La Vieille.

Madame, c’est ma Niece.

Isabelle.

Quel âge a-t’elle bien ?

La Vieille.

Je croy qu’elle a quinze ans,
1530 C'est tout ce que j’en sçay. Ha ! discours déplaisans. {p. 118}

Isabelle.

Helas ! c’est à peu prez l’âge qu’auroit ma fille,
Elle seroit ainsi belle, aimable et gentille,
Et rien ne semble mieux à ce gage d’Amour,
Qu'on nous ravit si jeune à Madrid en plein jour.

LA VIEILLE à part.

1535 Dieu ! Qu'est-ce que j’entens ?

Isabelle.

Ha, ma chere Constance !

LA VIEILLE à part.

Voyla son mesme nom.

Isabelle.

Montre moy ta presence,
Fay nous voir ta personne, et non pas ton portrait.

LA VIEILLE à part.

O Ciel ! pour quelque temps cache encor ce secret.

Isabelle.

Mais quel nouveau soucy semble acrestre ta peine ?
1540 Parle un peu, répons-moy. {p. 119}

Precieuse.

Si ma priere est vaine,
Madame assurés-vous que je cours au trespas*,
Puisque de mon époux je veux suivre les pas.

Isabelle.

Ha ! c’est trop affecter sa ville destinée,
Espere, Precieuse, un plus noble Hymenée*,
1545 Ouy, nous voulons donner en cette occasion
Un plus illustre objet* à ton affection.

Precieuse.

Sa vertu me contente ainsi que sa naissance,
Que puissiés vous, Madame, en avoir connessance,
Je cesserois de craindre, et vous de m’affliger,
1550 Voulant porter icy mon esprit à changer.

Isabelle.

Mais encor quelle chaine et si belle et si forte
Dedans ses interests t’engage de la sorte ?
A-t’il quelque merite, et d’autre qualité
Que celle de voler avec subtilité ?

Precieuse.

1555 Ha ! ne luy donnés point cette honteuse tache,
Il est bien éloigné d’un sentiment* si lâche, {p. 120}
Puisque quelque tresor qu’on lui vint presenter,
Je doute avec raison qu’il voulut l’accepter.
Il est riche et content, il est sage et fidelle,
1560 C'est d’un homme de bien le plus parfait modelle,
Et s’il avait l’honneur d’estre connu de vous,
Vous vous étonneriés* qu’il se fit mon époux.

Isabelle.

Quoy, tu veux que son corps enferme une belle ame ?

Precieuse.

Il a le cœur d’un Roy sous cet habit infame.

Isabelle.

1565 Quoy, tu veux faire croire, estant Egiptien,
Qu'il est homme d’honneur, qu’il est homme de bien ?
Il se voit à ce conte unique en son espece.

Precieuse.

Aussi l’est-il, Madame, en merite, en noblesse,
Et ce cœur genereux* n’eut jamais de second.

ISABELLE

1570 Quoy, tu veux annoblir un traitre, un vagabond ?

Precieuse.

Il est ce qu’il vous plaist, mais il est honneste homme, [Q, 121]
Et vous me croirés mieux s’il faut que je le nomme.

Isabelle.

Mais il est criminel, et quel que soit son sort,
La Justice aujourd’huy doit conclure à sa mort.

Precieuse.

1575 Qu'ay-je ouy, juste Ciel ! ha ! mon ame abatuë
Cede au cruel effort de ce mot qui me tuë :
Si j’ay l’honneur encor de plaire à ces beaux yeux
Qui sceurent enchanter un Ministre des Dieux,
Si vous daignés comme eux defendre l’innocence,
1580 Si vostre cœur connoist l’Amour et sa puissance,
Si vous avés aimé son joug aimable et doux,
Si vous aimés encor vostre fidelle époux,
Madame, par vos soins, vos bontés et vos charmes,
Par ces divines mains que j’arrose de larmes,
1585 Par vostre cher époux, par mes fébles apas*,
Que vous me témoignés ne vous déplaire pas,
Par vostre fille prise en un âge si tendre,
Que peut-estre le Ciel se prepare à vous rendre,
Par cette ressemblance et ce juste rapport, {p. 122}
1590 D'âge, d’aspect, de mœurs, et possible de sort,
Enfin au nom d’Hymen* je demande une grace,
Que la Justice mesme ordonne qu’on nous fasse,
Ne laissés point au vice opprimer la vertu,
Mon genereux* Andres l’a trop bien combatu,
1595 Sauvés-le du danger où l’a mis l’imposture,
Mon destin est meslé dans sa triste avanture*,
E s’il succombe aux trais* d’une injuste rigueur,
Les mesmes trais* aussi me perceront le cœur.

Isabelle.

Quoy qu’il ait fait pour toy, par là tu le surpasses,
1600 Heureux dans son mal-heur* d’avoir tes bonnes graces*,
Hé bien, pour t’obliger* ; je parleray pour luy,
Modere cependant l’excez de ton ennuy*.

LA VIEILLE à part.

Parlons ; pour seconder* une si juste envie,
C'est l’unique moyen pour luy sauver la vie.
1605 Puis-je esperer, Madame, un pardon ?

Isabelle.

Et de quoy ?

La Vieille.

D'un important larcin que j’ay fait. {p. 123}

Isabelle.

Est-ce à moy ?

La Vieille.

Helas ! ouy, c’est à vous.

Isabelle.

La bonne conscience !

La Vieille.

Donnés moy, s’il vous plaist, un moment d’audience,
Et je vous feray voir ce que je vous ay pris.

Isabelle.

1610 Un si nouveau remors estonne* mes espris,
Et déja sur ce point certain desir me presse,
Parlés donc,

Precieuse.

Quel espoir vient chasser ma tristesse ?

La Vieille.

Si l’heureux accident* que je vay découvrir
Ne sçauroit empescher qu’on me fasse mourir, {p. 124}
1615 Et si vostre bonté vainement je reclame,
Au moins auparavant, lisés cela Madame,
Consultés vostre cœur, et voyés bien aussi
Si vous reconnestrés le colier que voicy.

Isabelle.

O funeste present que le sort me renvoye,
1620 Quelle confusion de douleur et de joye !
Hé bien qu’est devenu cet enfant precieux ?
Est-il vivant ou mort ?

La Vieille.

Demandés-le à vos yeux,
Si vous ne l’apprenés de vostre fille mesme,
La voyla, parlés-luy.

Precieuse.

Felicité supréme !

Isabelle.

1625 Quoy, c’est là ma Constance ? hé dites-moy comment,
Ne laissés point de doute en mon ravissement*.

La Vieille.

Faites-moy donc l’honneur de m’écouter encore.
Je pris cette beauté, que tout le monde adore, {p. 125}
A l’âge de trois ans, devers* cette saison,
1630 A Madrid, en plein jour, et dans vôtre maison,
J'appris secretement qu’on la nommoit Constance,
Et fis écrire un mot de chaque circonstance,
Afin que quelque jour tout cela pût servir
A luy rendre les biens que j’osois luy ravir,
1635 Et sauver l’un de nous d’une mort violente,
Comme l’occasion aujourd’huy s’en presente.
Depuis elle a vescu mieux que nous ne faisons,
En combatant nos mœurs avec mille raisons,
Dont les moindres prouvoient par leur force divine
1640 La gloire* et la vertu de sa noble origine.

Isabelle.

Est-il vray ? n’est-ce point un fantôme moqueur ?
Mais pourquoy dementir et mes yeux et mon cœur ?
Ha ! je n’en doute plus, vien mon sang, vien ma vie
Redoubler le plaisir dont mon ame est ravie.

Precieuse.

1645 Madame, je cheris un bon-heur* si parfait,
D'autant plus que je voy qu’il vous plaist en effet.

Isabelle.

Apres douze ans d’ennuis* et de peine soufferte*, {p. 126}
Je recouvre en ce jour une si chere perte,
Je te revoy, ma fille, ha quel contentement !
1650 O favorable* jour, ô bien-heureux moment !
Ouy, tout confirme icy ces faveurs desirees,
J'en voy dessus ton bras des marques assurees,
Mon œil de ce colier reconnoist la façon,
Le sang acheve enfin de lever tout soupçon,
1655 Hola, viste quelqu’un.
(Un valet paroist).
Ma fille Egiptienne,
Allés dire à Monsieur qu’il quitte tout, qu’il vienne,
Ma Constance.

Precieuse.

Madame.

Isabelle.

Unique et cher tresor,
Approche, baise-moy, que je t’embrasse encor.
Mais parmy ces transpors, quelle estrange disgrace
1660 D'un reproche honteux diffame nôtre race ?
Deviés-vous l’accorder, sçachant sa qualité,
Avec un de vos gens, quelle inegalité ?

La Vieille.

Madame, il est aussi d’une illustre naissance. {p. 127}

Isabelle.

O Dieux !

La Vieille.

Et son nom seul en donne connessance.
1665 L'esprit de vôtre fille avec sa chasteté,
D'un pouvoir glorieux secondant* sa beauté,
Ont fait naitre en plusieurs une amour sans pareille
Pour cette incomparable et celeste merveille,
Mais Dom Jean de Carcame est le seul entre tous
1670 Que j’ay treuvé plus propre à faire son époux,
Et d’hier seulement il est en cette ville.

Isabelle.

Ce nom nous est connu, n’est-il pas de Seville ?

Precieuse.

Ouy, Madame, et son pere en est le Gouverneur.

Isabelle.

Ha l’aimable avanture*, ha l’insigne* bon-heur* !
1675 Sois beny juste Ciel d’un destin si prospere, {p. 128}
Que ce rare accident* va réjouir ton père !

Precieuse.

Madame, un doux excez de joye et de plaisirs
Arreste bien ma voix, et non pas mes desirs.

Isabelle.

Que veux-tu ?

Precieuse.

Le pardon pour cette bonne mere,
1680 Qui tremble et qui fremit au seul nom de mon pere.
Faites qu’il s’y contente, appaisés son couroux.

La Vieille.

Ma bonne Dame, helas ! je n’espere qu’en vous.

Precieuse.

Dans quelque étrange sort qu’elle m’ait engagee,
D'un vray soin maternel je luy suis obligee,
1685 Joint qu’ayant declaré ce rapt sans l’y forcer,
On doit songer plustost à la recompenser.

Isabelle.

Allés, ne craignés rien.

Precieuse.

Ce n’est pas tout, Madame, [R, 129]
Il faut tirer des fers la moitié de mon ame,
Helas ! songeant aux maux qu’il endure pour moy,
1690 Je succombe, je meurs.

Isabelle.

Enfin, console toy,
Attens cette faveur des bontés de ton pere,
C'est luy qui te rendra ce noble époux, espere :
Ce que tu m’as appris de son extraction*
Le rend un digne objet* de ton affection,
1695 Mais le voicy.

SCENE IV. §

FERDINAND, ISABELLE, PRECIEUSE, LA VIEILLE, UN VALET muët.

Isabelle.

Monsieur, benissés l’avanture*
Qui prepare une histoire à la race* future,
Qui nous rend nôtre fille. {p. 130}

Ferdinand.

O Dieux ! qu’ay-je entendu ?

Isabelle.

Qui nous rend ce tresor que nous avons perdu.

Ferdinand.

Le verray-je ?

Isabelle.

Ouy Monsieur, approche ma Constance,
1700 Non, non, ne témoignés aucune resistance,
Mon esprit sur ce doute est trop bien éclaircy,
La marque de son bras, le colier que voicy,
Et ce que dit encor cette carte roulee
De l’endroit et du temps qu’elle nous fut volee,
1705 Vous doivent bien, Monsieur, assurer du bon-heur*
Qui nous la rend si belle, et même avec l’honneur.

Ferdinand.

Inutilles témoins d’une fille si chere,
Cedés à son aspect aux atteintes du pere,
Ouy, je te reconnois espoir de mes vieux jours,
1710 Gage si precieux de mes chastes amours,
Accours dedans mes bras, vien ça que je t’embrasse. {p. 131}

Precieuse.

Ha Monsieur, que d’honneur succede à ma disgrace !

Ferdinand.

O du Ciel et du sort l’incomparable effet !
Apres tant de faveurs je mouray satisfait.
1715 Mais qui t’a découvert cet étrange mystere ?
Ne sçaurois-je punir l’autheur de ta misere ?

La Vieille.

O Dieux ! je suis perdue.

Precieuse.

Hé ! Monsieur, par ce nom
Ou de pere ou de fille accordés ce pardon,
Voyla qui la causa, mais loin d’estre punie,
1720 Je la doy caresser puisqu’elle l’a finie.

Isabelle.

Il est juste, Monsieur.

Ferdinand.

Madame, révés-vous ?
A nôtre fille encor destiner un époux {p. 132}
Un traitre Egiptien, un voleur, un infame.

Isabelle.

Mais fils du Chevalier Dom François de Carcame,
1725 Qui s’est mis dans leur troupe épris de sa beauté.

Ferdinand.

Dieux ! que m’apprenés-vous ?

Precieuse.

La pure vérité.

Ferdinand.

Courés viste quelqu’un dans la prochaine,
Et que sans luy rien dire icy l’on me l’ameine,
S'il est vray, le pardon vous est tout assuré.

La Vieille.

1730 Ainsi chacun aura ce qu’il a desiré.

Ferdinand.

Dom François de Carcame ! ô Ciel ! quels avantages*,
Ce noble compagnon d’armes et de voyages,
Mon Pylade avec qui j’ay si long-temps vescu, {p. 133}
Mon second*, avec qui j’ay tant de fois vaincu,
1735 Ha comble de plaisir qui n’est point ordinaire !
Ouy par l’aspect du fils je me remets le pere,
Il est ainsi posé, grave, modeste et doux.

Isabelle.

Ne desirés-vous pas en faire son époux ?
Ne desirés-vous pas en faire vôtre gendre ?

Ferdinand.

1740 Si tu l’aimes, ma fille, ouy tu peux le pretendre.

Precieuse.

Je n’ay d’amour pour luy dans un si grand bon-heur*
Que ce qu’en doit avoir une fille d’honneur,
Une fille portée à la reconnessance
Des devoirs d’un amant de si haute naissance,
1745 Qui méprisant son rang a tout quitté pour moy,
S'est fait Egiptien, et m’a donné sa foy.

Ferdinand.

O miracle d’Amour, ô vertu sans pareille !

Isabelle.

Il nous faut achever cette rare merveille,
Le voicy qu’on amene. {p. 134}

Precieuse.

En quel état odieux.

Ferdinand.

1750 Que personne à present ne montre un front joyeux,
D'un si parfait bon-heur ma voix le veut surprendre.

Precieuse.

Que j’ay peur de sa crainte, ha s’il pouvoit m’entendre !

SCENE V. §

FERDINAND, ISABELLE, ANDRES, PRECIEUSE, LA VIEILLE.

Ferdinand.

Approche scelerat.

Precieuse.

Dieu ! qu’est-ce j’entens ?

Ferdinand.

Ouy, je veux aujourd’huy rendre tes vœux contens, {p. 135}
1755 Devant que de souffrir* la mort la plus infame,
A l’Hymen* pretendu dispose icy ton ame,
M'as-tu pas demandé cette insigne* faveur ?

Andres.

C'est le dernier souhait qui parte de mon cœur,
Et je mouray content pourveu que je l’obtienne.

Ferdinand.

1760 C'est aussi le desir de cette Egiptienne.

Andres.

Sa vertu meritoit un destin plus heureux,
Et je devois avoir un sort moins rigoureux.

Ferdinand.

Toy meurtrier, toy voleur.

Precieuse.

Ha Dieu que j’apprehende !

Ferdinand.

Toy le plus renommé de cette infame bande
1765 Que ma juste fureur dût toute exterminer, {p. 136}
Pour vanger tant de maux, et pour les terminer.

Andres.

Ces reproches honteux commencent mon suplice*.

Ferdinand.

De tes vols pour le moins cette fille est complice.

Andres.

Dites, sans offenser sa generosité,
1770 Complice d’innocence et de fidelité.

Ferdinand.

Ce larron d’Andres mort, si Dom Jean de Carcame
Succede à son bon-heur, et la reçoit pour femme.

Andres.

Quoy donc je suis trahy de son affection ?

Ferdinand.

Elle n’a pû se taire en cette occasion,
1775 Mais pour vous témoigner combien je vous honore,
Outre la liberté, prenés ma fille encore,
Je voy chacun content de cet offre. [S, 137]

Isabelle.

En effet,
Nous ne pouvons pretendre un gendre plus parfait,
Et je ne pense pas que Monsieur le refuse.

Andres.

1780 Si j’ay la liberté, permetés que j’en use.
Ce n’est pas que mon sort dans l’honneur de ce chois
Ne fut trop glorieux* de vivre sous ses lois,
Mais j’ay déja donné mon ame à cette belle,
Et j’aime mieux mourir mal-heureux qu’infidelle.

Ferdinand.

1785 Si son cœur y consent vous ne le serés point,
Et nous nous promettons son aveu sur ce point.

Precieuse.

Ouy, cet Hymen* me plaist, et je vous le conseille.

Andres.

O Ciel ! ha lâcheté qui n’a point de pareille !
Quoy tu peux consentir... {p. 138}

Ferdinand.

Ne vous en fâchez pas,
1790 Ma fille est aussi belle, et n’a pas moins d’apas*.
Madame, montrés-luy.

Isabelle.

Vien ma Constance, approche.

Precieuse.

Quoy vous me refusés ? ha ! j’ai droit de reproche.

Andres.

O Dieux !

Ferdinand.

N'en doutés point, et n’apprehendés plus,
Vous serés à loisir éclaircy là dessus,
1795 Ouy, c’est ma fille unique, et cette Egiptienne
Empesche vôtre perte en reparant la mienne.

Andres.

Quoy donc je voy finir la rigueur de mon sort ?
Je treuve mon salut dans les bras de la mort,
Et dans le desespoir la source de ma joye,
1800 Que le Ciel me cherit ! que de biens il m’envoye !
Ha si-tost que je veis cette rare beauté, {p. 139}
Je leus bien sur son front en sa haute qualité,
Je leus bien dans ses yeux son illustre naissance,
Toutes ses actions en donnoient connessance,
1805 Et sans examiner ces témoins superflus,
Sa pudique vertu le prouvoit encor plus.
Mais de ces belles fleurs qui flatent mon estime,
Peut-estre voulés-vous couronner la victime.

Isabelle.

Non, non, un faux apas* n’abuse point vos yeux,
1810 Au nom de l’Hymenée* embrassés-vous tous deux.

Andres.

Mon Soleil.

Precieuse.

Mon espoir.

Andres.

Ma lumière.

Precieuse.

Ma vie.

Andres.

Que mon cœur est content !

Precieuse.

Que mon ame est ravie ! {p. 140}

Andres.

Enfin je suis a toy doux charme de mes sens.

Precieuse.

Enfin je suis à vous sans attendre deux ans.

La Vieille.

1815 Le Ciel vueille allonger vos nobles destinees,
Une fois pour le moins autant que j’ay d’annees.

Andres.

Et vous, pour vous payer ma gloire* et votre soin*,
Puissiés vous jusqu’au bout en estre le témoin.
Mais en faveur du bien que je prétens vous faire,
1820 Ayés soin du blessé dont vous sçavés l’affaire.

La Vieille.

Je vous obeiray.

Precieuse.

Je vous en prie aussi.

La Vieille.

Dés qu’il pourra marcher je vous l’amene icy.

Ferdinand.

Au reste assurés-vous d’un aveu* que j’espere, {p. 141}
Estant comme je suis amy de vôtre pere,
1825 Joint que l’extraction*, les biens, la qualité,
Font voir de nos deux maisons dedans l’égalité.

Andres.

Le mal me presse un peu, hâtés ce doux remede.

Isabelle.

Un Courier dés demain partira de Tolede.

Andres.

Que je suis redevable à vos rares bontés !
1830 Que de joye à la fois ! que de felicités !
Madame, Amour, Monsieur, mon pere, ma Maitresse,
A qui premier de vous faut-il que je m’adresse ?

Ferdinand.

Dieux ! qui nous vient troubler en ce jour solemnel ?
{p. 142}

SCENE DERNIERE. §

FERDINAND, ISABELLE, ANDRES, PRECIEUSE, LA VIEILLE, LE PREVOST, LE CAPITAINE, ET LA TROUPE D'EGIPTIENS.

Le Capitaine.

Grace, grace, Monsieur, il n’est point criminel.

Ferdinand.

1835 Ne craignés plus pour luy, je sçay toute l’affaire,
Hipolite en a fait un aveu volontaire.

Le Prevost.

C'est elle qui m’a dit que j’amenasse icy
Ces gens que vous voyés.

Ferdinand.

C'estoit mon ordre aussi,
Puisque dans ce païs ils n’ont point fait de crime,
1840 Qu'ils ayent la liberté dont ils font tant d’estime.

Le Capitaine.

Enfans, reconnessés la grace qu’on vous fait, {p. 143}
Payés d’une Cascade un si rare bien-fait,
Faites le noble Andres témoin de vôtre adresse,
Et dancés en faveur de sa belle Maitresse.
(Icy les Egiptiens dancent un petit Ballet.)

Un de la Troupe.

1845 Si nous eussions préveu tant de contentement,
Nous eussions augmenté ce divertissement*.

LE SENESCHAL.

Allés, vivés contens, rendés grace à ma fille,
Dont vous avés privé si long-temps ma famille,
Publiés ce bon-heur* et nos ravissements*,
1850 Annoncés la vertu de ces nobles Amans,
Et que par vôtre choix voix l’Univers s’entretienne
Du destin qu’épreuva la belle egiptienne.

FIN.