SCENE IV. §
MAGDELON, CATHOS, GORGIBUS.
GORGIBUS.
Cela n’est par ma foy du tout, ny bien ny beau
Et c’est trop despencer, pour graisser son museau
85 Dites ? Qu'ont ces Messieurs, qu’avez vous pû leur faire ?
Ils sortent froidement, & me semblent colere
Puisque je l’avois dit, que ne les traittiez vous,
Comme gens destinez, pour estre vos espoux.
[B 13]
MAGDELON.
Ah ! Que dites vous là, quelle estime, mon pere
90 Pourions nous toutes deux, & devrions nous faire,
(Quand bien vous nous l’auriez vous mesme commandé)
De ces sortes de gens de qui le
procedé*
CATHOS.
Est irregulier*. Des filles raisonnables
Ne peuvent accepter des personnes semblables.
95 Mon oncle, quel moyen de s’en accommoder ?
GORGIBUS.
Que trouvez vous en eux ?
MAGDELON.
Que trouvez vous en eux ? Qu'osez-vous demander
Ils n’ont fait leur debut que par le mariage.
{p. 14}
GORGIBUS.
Devoient-ils debutter par le concubinage ?
Estoit-ce le moyen de gaigner vôtre cœur ?
100 Ne devriez vous pas estimer leur
ardeur*,
Quoy ? Pouvoient-ils tous deux, parler d’une maniere
Qui fust plus obligeante, & deust plus satisfaire,
Ne marque-t-il pas bien, la vertu de leurs vœux.
MAGDELON.
105 Mon pere, songez mieux, à tout ce que vous dites,
Ces fautes tout de bon, ne sont pas trop petites ;
Mais faites vous de grace, instruire une autre fois,
Ce que vous avez dit, est du dernier Bourgeois,
Je ne vous puis ouïr, & la honte m’accable.
110 Lors que je vous entends faire un discours semblable.
J'en suis encore surprise & confuse. Bon Dieu !
{p. 15}
Pour vous desabrutir, il vous faudroit un peu
Apprendre ce que c’est, que le bel
air* des choses.
GORGIBUS.
Quel discours est-ce là ? quelles metamorphoses.
115 Je n’ay que faire icy, ny d’air, ny de chanson
Ce discours me desplaist, & paroist sans raison,
Et je te dis encor, que c’est estre tres-sage
Que de parler ainsi, puis que le mariage,
De chacun aujourd’huy, doit estre reveré
120 Et qu’il n’a rien du tout, que de sainct & sacré.
MAGDELON.
Dieux ! si chacun estoit de vostre
humeur* mon pere,
Que la fin d’un Roman, seroit facile à faire,
Sans esprouver du tout, les caprices du sort
125 Avoit Mandane, & si sans hazarder sa vie
Aronce, de plein pied, espousoit sa Clélie.
GORGIBUS.
Qu'est-ce que celle-là me vient icy conter,
A la fin je seray bien-tost las d’escouter.
MAGDELON.
Si vous vouliez mon pere un moment nous
entendre* ?
130 Et ma cousine & moy, nous pourions vous apprendre.
Que jamais un
hymen* ne se doit accorder
Qu'apres les accidens qui doivent preceder.
Il faut que dans l’abord, un amant veritable
Afin qu’à sa maistresse il se rende agreable,
Il sçache
debiter* tous les beaux sentimens,
Et que sans se lasser, pour pouvoir la surprendre,
Il sçache bien pousser, & le doux & le tendre,
Que pour monstrer combien son cœur est enchaisné
140 Il fasse tout cela d’un air passionné,
Et s’il pretend enfin, avancer ses affaires,
Que la procedure ait les formes ordinaires.
Il doit dedans le temple, ou dedans d’autres lieux.
Voir l’aymable beauté, qui cause tous les vœux,
Par un des bons amis, ou parent de la belle.
Il sort apres cela, tout chagrin tout resveur,
A l’objet de ses vœux, cache un temps son
ardeur*,
Cependant il luy rend de frequentes visites
{p. 18}
150 Et puis le plus souvent, apres bien des redites,
On voit sur le tapis, mettre une question
Qui fait adroitement sçavoir sa passion,
Et qui quoy que la belle, en paroisse troublée
Exerce les esprits de toute l’assemblée.
155 De declarer son
feu*, le jour arrive enfin,
Ce qui se fait souvent dedans quelque jardin
Lors que par un bonheur, que le hazard ameine
La compagnie quitte, ou plus loing se promeine,
D'abord à cét adveu, succede un prompt couroux
160 Qui banit quelque temps l’amant d’aupres de nous.
Il trouve apres moyen, de rassurer nostre ame
De nous accoustumer, aux discours de sa
flamme*,
Et de tirer de nous, cet important
aveu*
Qui nous fait tant de peine, & luy couste si peu.
165 Viennent apres cela toutes les advantures
{p. 19}
Les jaloux desespoirs, les craintes les murmures,
Les plaintes sans sujet, les cris & les rivaux
Qui d’un parfait amour, sont les plus cruels maux
Quand par une soudaine, & facheuse saillie
170 Ils viennent traverser, une
flame* establie.
On voit venir encor, les persecutions
D'un pere, qui combat de fortes passions,
Qui s’obstine à les vaincre. On voit la jalousie ;
175 On voit enfin les pleurs & les emportemens,
Les fureurs d’un Amant, & les enlevemens,
Et tout ce qui s’ensuit. Dans les belles manieres,
C'est ainsi que chacun doit traitter ses affaires,
180 Que quiconque est galand ne peut se dispenser ;
Mais peut-on jamais voir recherche plus brutalle,
{p. 20}
Parler de but en blanc, d’union conjugalle,
Venir rendre visite, & des le mesme jour
Vouloir passer contract, pour monstrer leur amour
185 Et prendre
justement* (sans voir ce qu’il faut faire)
Le Roman par la queuë. Encore un coup mon pere,
Vous pouriez bien-tost voir, si vous preniez conseil,
Qu'il n’est rien plus marchand qu’un
procedé* pareil.
Pour moy, j’ay mal au cœur, & me sens inquiette
190 De la vision seule, où leur discours me jette.
GORGIBUS.
Voicy bien du haut stile : He ! que vient celle-cy
Avecque son jargon, de me conter icy.
CATHOS.
Ah ! mon oncle en effet, je vous diray si j’ose
Qu'elle vient de donner dans le vray de la chose ;
195 Et quel moyen aussi de recevoir des gens,
{p. 21}
Qu'à faire leur devoir, on voit si negligens,
Et qui sont incongrus dans la galanterie,
Pour moy sans croire icy, follement m’engager
200 Contre qui le voudra, j’oseray bien
gager*
Que leur esprit jamais ne fut né pour apprendre
Ce que c’est que l’amour, & la carte de tendre,
Qu'ils ont le jugement tout à fait de travers,
Et que billets galands, petits soins, jolis vers,
205 Billets doux, sont pour eux des terres inconnuës.
Je puis vous dire encor, sans en demeurer là,
Que tout leur
procedé* marque assez bien cela,
Et qu’on ne trouve point dans toute leur personne
{p. 22}
Ce je ne sçay quel charme, & qui des l’abord donne
210 Par un air attirant, & de condition
De quantité de gens, fort bonne opinion.
Vit on jamais encor, chose plus merveilleuse
Oser venir tous deux en visite amoureuse
Avecque des chappeaux de plumes desarmez,
215 Ne paroistre tous deux nullement
enflamez*,
Avoir avec cela, la jambe toute unie,
La teste de cheveux, tout à fait dégarnie,
Qui ressemblent à ceux de quelque vray
gredin*,
220 Et souffrent de rubans une extréme indigence.
Ah ! mon Dieu, quels
Amans*, j’en rougis quand j’y pense,
Quelle frugalité d’ajustement, bon Dieu
Est-ce ainsi que l’on doit venir offrir ses vœux,
Que d’indigence en tout, & quelle secheresse
{p. 23}
225 De conversation, ah ! tout cela me blesse,
Tousjours on y languit, on n’y tient point Helas !
J'ay remarqué deplus encor, que leurs rabats
Par l’excez surprenant d’une avarice honteuse,
N'ont jamais esté faits, par la bonne faiseuse ;
230 Qu'il s’en faut demy pied (je le dis sans erreur)
Que leurs chausses enfin, n’ayent assez de largeur.
GORGIBUS.
Voila de grands discours que je ne puis
entendre*
A tout ce baragouin, qui pourroit rien comprendre,
Elles sont folles. Vous Cathos & Magdelon,
235 Apprenez aujourd’huy que je veux tout de bon,
Que vous vous prepariez.....
{p. 24}
MAGDELON.
Que vous vous prepariez..... He ! de grace, mon pere,
Des ces
estranges* noms, taschez de vous deffaire,
Et si vous le pouvez, nommez-nous autrement.
GORGIBUS.
O Dieux ! qu’enten-je dire ?
estranges* noms, comment ?
240 Et ne sont-ce pas là vos vrais noms de baptesme ?
MAGDELON.
Que vous estes
vulgaire*, avec ces sentiments,
Est que vous ayez fait une fille si sage
245 Et si pleine d’esprit. Dedans le beau langage,
Oüy-t’on jamais nommer, Magdelon & Cathos ?
Et n’advoüerez-vous pas, qu’enfin de noms si sots
Descrier* le Roman, le plus charmant du monde.
CATHOS.
250 Mon oncle, il est tres-vray, que ces sortes de noms
Ont un je ne sçay quoy de bas dedans leurs sons,
Qui n’a rien d’attirant, qui n’a rien qui ne blesse,
Et pour peu qu’une oreille, ait de delicatesse,
On voit qu’elle patit, tres-furieusement
255 Entendant prononcer ces mots là seulement.
D'Aminte le beau nom, celui de Polixene,
Que ma cousine & moy nous avons pris sans peine,
Ont des attraits en eux, dont vous devez
d’abord*
Sans aucun contredit estre avec moy d’accord.
{p. 26}
GORGIBUS.
260 Escoutez toutes deux, il n’est qu’un mot qui serve,
Quand je dis une chose, il faut que l’on l’observe,
Et je ne pretens pas tomber jamais d’accord,
De ces noms, que je vois qui vous plaisent si fort ;
Quittez les, car je veux que vous gardiez les vostres :
265 Je ne sçaurois
souffrir*, que vous en ayez d’autres,
Que ceux que vos parains vous ont jadis donnez.
Pour ces Messieurs aussi, lesquels vous desdaignez :
Je sçay quels sont leurs biens, je connois leurs familles,
Et comme je suis las de tant garder deux filles,
270 Je veux qu’absolument vous songiez toutes deux
A recevoir bien-tost leur main avec leurs vœux.
De deux filles la garde, est une rude charge,
{p. 27}
Et ne peine que trop un homme de mon aage.
CATHOS.
Ce que je vous puis dire icy, mon oncle helas !
275 C'est que le mariage est pour moy sans
appas*,
Que je trouve que c’est une chose choquante,
Et qu’enfin le penser, seulement m’epouvante
D'estre couchée aupres d’un homme vrayement nû.
MAGDELON.
Mon pere, nostre nom, sera bien-tost connu,
280 C'est pourquoy vous devez, nous permettre sans peine,
Qu'avec les beaux esprits, nous reprenions haleine
Et comme dans Paris, nous venons d’arriver,
Vous devez, s’il vous plaist, nous laisser achever
De nostre beau Roman, le tissu sans exemple,
{p. 28}
285 Et n’en pas tant presser, par un pouvoir trop ample
La conclusion.
GORGIBUS.
La conclusion. Dieux ! qu’enten-je icy conter ?
Leur folie est visible, il n’en faut plus douter.
Encor un coup, sçachez, que je ne puis comprendre
Ces balivernes cy, que je veux sans attendre,
290 Et sans qu’on me responde, estre maistre absolu,
Et que l’on fasse enfin, ce que j’ay resolu.
C'est pourquoy ces Messieurs, seront dans ma famille,
Ou chacune de vous restera tousjours fille,
Ou sera par ma foy, mise doresnavant
295 Puis que je l’ay juré, dedans un bon Couvent.
{p. 29}
SCENE IX. §
MAGDELON, CATHOS
MASCARILLE, ALMANZOR.
MASCARILLE, (apres avoir salué.)
Elles viennent Monsieur, Mes Dames mon audace
385 Poura vous estonner ; mais cette aymable grace
Que l’on admire en vous, vous cause ce malheur :
La reputation qui parle, à vostre honneur
M’a forcé ce jourd’huy, de vous rendre visite
Et pour moy je poursuis en tous lieux le merite.
{p. 42}
MAGDELON.
390 Si vous le poursuivez ce n’est pas en ces lieux
Que vous devez chasser.
CATHOS.
Que vous devez chasser. Pour le voir à nos yeux
Il a falu Monsieur, qu’il vint sous vostre auspice.
MASCARILLE.
Ah ! je m’inscris en faux contre cette injustice.
Le renom parle juste, en contant vos vertus
395 Par là, les plus galands, seront bien-tost battus,
Vous allez faire pic, repic, & capot mesme,
Tout ce que dans Paris, l’on cherit & l’on aime.
MAGDELON.
Nous n’attendions pas moins, d’un homme tel que vous ;
Que ma cousine, & moy, pour éviter le change,
Nous ne donnerons pas, de nostre serieux
Dedans un compliment, qu’on ne peut faire mieux ;
Car enfin nous craignons de tomber dans le piege.
CATHOS.
405 Mais ma chere, il faudroit faire apporter un siege.
MAGDELON. (à Almanzor.)
Voiturez nous icy, viste, petit garçon,
Les commoditez de la conversation.
MASCARILLE.
Mais auray-je du moins, sureté de personne ?
MASCARILLE.
410 J'ay tout à redouter, tout me doit faire peur ;
Je crains premierement, quelque vol de mon cœur,
Je vois icy des yeux, dont mon ame est surprise
Ils ont mine sur tout, d’estre mauvais garçons
415 De faire insulte aux gens, & les oster d’arçons,
Ravir les libertez, faire qu’on les adore
Et mesme de traitter, un cœur de Turc à More.
Ils se mettent en garde, ah ! qu’ils sont dangereux ;
420 Ma foy je m’en defie, & vais prendre la fuitte
Ou je veux caution de leur bonne conduitte.
MAGDELON.
Ma chere, ce qu’il dit est tout plain d’enjouëment.
{p. 45}
CATHOS.
Il efface Amilcar, tant il y a d’agrement.
MAGDELON.
Ne craignez rien, nos yeux sont exempts de malice,
425 Leurs desseins innocens, & sans nul
artifice* ;
Vostre cœur peut dormir en toute seureté
CATHOS.
Mais de grace Monsieur rendez vous exorable.
Aux yeux de ce fauteuil, dont le soing équitable
430 Lui fait ouvrir les bras, contentez son dessein
Depuis pres d’un quart-d’heure, il vous ouvre son sein,
Souffrez qu’il vous embrasse.
MASCARILLE.
(apres s’estre peigné , & avoir ajusté ses canons .)
Que vous semble Paris ? car c’est aux belles ames
435 D'en porter jugement.
MAGDELON.
D'en porter jugement. Qu'en dirions nous helas
Tout le monde est d’accord, qu’il est remply d’
appas*,
Que c’est le grand Bureau, de toutes les merveilles,
Le centre du bon goust, le charme des oreilles,
Le plaisir des esprits, le lieu des agrements,
440 Et le refuge enfin, des plus nobles
amants*.
MASCARILLE.
Je tiens qu’hors de Paris, pour les hommes illustres,
Il n’est point de salut, les campagnards sont rustres.
MASCARILLE.
Ce qu’il a de fascheux, c’est qu’il y fait crotté ;
445 Mais nous avons la chaise.
{p. 47}
MAGDELON.
Mais nous avons la chaise. Il est vray que la chaise
Est un retranchement, où l’on est à son aise,
Un propice instrument, pour les honnestes gens,
Un merveilleux abry, contre le mauvais temps.
MASFCARILLE.
Vous recevez beaucoup, & de belles visites ?
450 Car tous les beaux esprits, cherchent les grands merites ;
Mais encor qui sont ceux qu’attirent vos
appas*,
Dites ?
MAGDELON.
Dites ? Helas ! Monsieur, l’on ne nous connoist pas ;
Mais peut-estre bien tost qu’on nous poura connoistre,
455 Nous avons une amie, & qui nous a promis
{p. 48}
Qu'elle nous feroit voir, des gens de ses amis,
Qui sont dans les recueils des belles Poësies,
Ces Messieurs, des Romans, & des pieces choisies.
CATHOS.
Et de certains encor, connus & renommez,
460 Que comme gens sçavans (elle nous a nommez,)
Qui decident aussi, de ces sortes de choses,
Et qui sçavent l’Histoire, & les Metamorphoses.
MASCARILLE.
Je feray vostre affaire, ils me visitent tous
Et je puis aisement, les amener chez vous
465 J'en ay tous les matins, une demy-douzaine.
MAGDELON.
Eh ! mon Dieu, voudriez-vous, vous donner cette peine ;
Nous vous aurons, la derniere obligation,
[E 49]
Si vous nous procurez leur conversation ;
Car enfin vous sçavez, que sans leur connoissance,
470 On n’est point du beau monde, & voila l’importance :
D'eux despend dans Paris, la reputation,
Ainsi l’on doit chercher leur frequentation ;
Une femme par là, peut devenir heureuse,
Et mesme s’acquerir, le
bruit* de connoisseuse :
475 Et j’en connois beaucoup, qui l’ont acquis par là,
Quoy que l’on n’y trouvât rien du tout que cela.
Et principalement, ce que je considere,
Ce qu’à tout autre bien, aisement je prefere,
C’est que par ce moyen des choses l’on s’instruit,
480 Qu’il faut qu’on sçache enfin pour estre bel esprit.
Puis l’on sçait chaque jour, les petites nouvelles,
{p. 50}
Tout ce que les galands, escrivent à leurs belles.
Tout ce que l’on escrit, sur cent sujets divers.
485 On sçait à point nommé, tel a fait une piece
Jolie autant qu’on peut, unique en son espece,
Tout le monde l’estime à cause du sujet
Une telle personne a fait un beau portrait.
Sur un tel air nouveau, telle a fait des parolles.
490 L'Anagramme d’un tel est pleine d’hiperbolles.
Un tel Autheur Gascon, a fait un Madrigal
Sur une jouïssance. Un tel donne le bal.
Cet autre a composé, des Sonnets & des Stances
Sur des yeux, sur un teint & sur des inconstances.
495 Un tel hier au soir, escrivit un sizain
{p. 51}
Pour une Damoiselle ; elle par un dixain
Le lendemain matin, en envoya responce.
On poursuit le Roman, de Clelie & d’Aronce.
Tel Poëte fort illustre, a fait un tel dessein.
500 La piece de cet autre, est un public larcin.
Un tel fait un Roman, parce que l’on l’en presse.
Les ouvrages d’un tel, se mettent sous la presse.
C'est là sans contredit, ce que l’on doit sçavoir
Pour se faire connoistre, & se faire valoir
505 Dedans les lieux connus ; & j’ose dire encore
Que quelque esprit qu’on ait, alors qu’on les ignore
Il ne vaut pas un clou.
CATHOS.
Il ne vaut pas un clou. Je trouve qu’en effet,
Sans cela l’on ne peut avoir l’esprit bien fait :
Je l’avouëray pour moy, c’est là tout mon scrupule
{p. 52}
510 Je croy qu’on encherit dessus le ridicule
De se picquer d’esprit, & de ne sçavoir pas
Jus-qu’au moindre quatrain ; pour moy j’en fais amas,
Et si l’on me venoit, demander quelque chose
Que je n’aurois pas veu, soit de vers, soit de Prose
515 J'en aurois de la honte.
MASCARILLE.
J'en aurois de la honte. On n’estime point ceux
Qui n’ont pas des premiers, tous les vers amoureux
Et mesme ce qu’on fait, d’une plus longue haleine ;
Mais fiez vous sur moy, n’en soyez point en peine.
J'assembleray chez vous, nombre de beaux esprits.
520 Vos mains de leurs travaux, leur donneront le prix,
Et je veux qu’à Paris, pas un vers ne se fasse
Que dans vostre memoire, il n’occuppe une place
Avant qu’aucun l’ait veu. Tel que vous me voyez
{p. 53}
Je m’en excrime un peu, je veux que vous sçachiez
525 Que vous verrez courir, dans les belles ruelles
Plus de deux cens chansons, presque toutes nouvelles,
Des Sonnets tout autant, sur de divers sujets,
Bien mille Madrigaux, pour differens objets,
Et mesme sans compter plus de cent Elegies
530 Faites, sur des desdains ; sans les Apologies,
Enigmes, & Portraits.
MAGDELON.
Enigmes, & Portraits. Ah ! furieusement
Je suis pour les portraits ; rien n’est de plus charmant,
Ny rien de plus galand.
MASCARILLE.
Ny rien de plus galand. Ils sont bien difficiles,
Et veulent des esprits profonds, sçavans, habiles.
535 Vous en verrez de moy, qui ne desplaisent pas.
{p. 54}
CATHOS.
Une Enigme a pour moy, terriblement d’
appas*.
MASCARILLE.
Par là l’esprit s’exerce, & j’en ay tracé quatre
Encore ce matin, qu’afin de vous esbattre
Vous pourez deviner.
MAGDELON.
Vous pourez deviner. J'aime les Madrigaux,
540 Quand ils sont bien tournez, ils sont tout à fait beaux.
MASCARILLE.
Ah ! c’est là mon talent, & je donne mes peines
A mettre en Madrigaux les annalles Romaines.
MAGDELON.
Ce dessein est illustre, autant qu’il est nouveau,
Cet ouvrage, Monsieur, sera du dernier beau,
545 Et si vous l’imprimez, j’en veux un exemplaire.
{p. 55}
MASCARILLE.
Je sçay trop mon devoir, pour n’y pas satisfaire,
Et je vous en promets au moins à chacune un,
Qui seront reliez mieux que ceux du commun,
Pour ma condition, c’est un bas exercice
550 Je le fais seulement pour rendre un bon office
Au libraire importun, qui m’en vient accabler
Et ce matin encor, m’en est venu parler.
MAGDELON.
Le plaisir est bien grand d’estre mis sous la presse.
MASCARILLE.
555 Et les noms imprimez, ont une autre vertu ;
Mais à propos, il faut vous dire un impromptu
Que je fis avant-hier, chez certaine Duchesse
{p. 56}
Que je fus visiter, il est plein de tendresse,
Tous les plus fiers esprits, s’en verroient combatus
560 Car je suis diablement fort sur les impromptus
CATHOS.
De l’esprit, il nous plaist, il nous charme, il nous touche.
MAGDELON.
Escoutez ; Ce sera, Monsieur, avec plaisir,
Et vous pouvez parler avecque tout loisir,
565 Dans le juste desir d’oüir tant de merveilles,
Nous y sommes desja de toutes nos oreilles.
{p. 57}
MASCARILLE.
Oh, oh, je n’y prenois pas garde,
Tandis que sans songer à mal, je vous regarde.
Vostre œil en tapinois, me dérobe mon cœur,
570
Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur.
CATHOS.
Ah ! mon Dieu, que ces vers ont des attraits puissans,
Par leur délicatesse, ils enchantent les sens ;
Ces vers là sont poussez sans nulle flatterie
Jusques au dernier point de la galanterie.
MASCARILLE.
575 Je ne fais rien du tout, qui n’ait l’air
cavalier*.
Je n’ay rien de Pedant encor moins d’Escolier.
CATHOS.
Il en est esloigné, tout autant qu’on peut l’estre
MASCARILLE.
Avez vous remarqué ? dans ce commancement
Oh, oh, en s’estonnant, un homme qui s’avise,
Tout d’un coup, oh, oh, oh, voyez vous la surprise ?
Oh, oh ;
MAGDELON.
Oh, oh ; Ouy ce oh, oh, ne peut pas estre mieux !
MASCARILLE.
Cela ne semble rien.
CATHOS.
Cela ne semble rien. Il est miraculeux
585 Et ce sont là Monsieur, de ces choses si belles
Qu'on ne les peut payer.
MAGDELON.
Et j’aymerois bien mieux, avoir fait ce
oh, oh,
{p. 59}
Que tout un Poëme Epique.
MASCARILLE.
Que tout un Poëme Epique. En effet il est beau,
Vous avez le goust bon tu dieu, vous estes fine
MAGDELON.
590 Je ne l’ay pas mauvais, & souvent je rafine.
MASCARILLE.
Je m’en aperçois bien. Mais n’admirez vous pas :
Je n’y prenois pas garde. On ne voit rien de bas
Dedans cette façon, je n’y prenois pas garde,
Elle est fort naturelle, & de plus fort mignarde,
595 Tandis que sans songer à mal qu’innocemment
Comme un pauvre mouton, tandis que bonnement
Que je vous considere, & que je vous admire
600 Votre œil en tapinois ; peut-on s’esnoncer mieux
Tapinois ? de ce mot encor que vous en semble ?
N'est-il pas bien choisi ?
CATHOS.
N'est-il pas bien choisi ? Dieux ? qu’ils sont bien ensemble.
MASCARILLE.
Tapinois, en cachette, il semble qu’un bon chat
Ait pris une souris, ou bien quelque gros rat :
605 Tapinois
MAGDELON.
Tapinois Il est vray cette pensée est forte.
MASCARILLE.
Me derobe mon cœur, me l’oste me l’emporte,
Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur,
N'est-ce pas peindre au vif, la perte de son coeur,
Et ne diriez-vous pas ? qu’on crie à pleine teste
[F 61]
610 Apres quelque voleur, arreste, arreste, arreste,
Comme en le poursuivant, tout saisy de frayeur,
Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur.
MAGDELON.
J’advoüeray que cela, sans qu’icy je vous flatte,
Delecte, & plaist, au goust de la plus delicate.
615 Tant le tour est galand, spirituel & beau.
MASCARILLE.
L'air que j’ay fait dessus, me semble assez nouveau,
Faut que je vous le die.
CATHOS.
Faut que je vous le die. A quoy bon ne pas dire,
Que vous avez appris la Musique, Ah ! sans rire
Vous ne faites pas bien.
MASCARILLE.
Vous ne faites pas bien. Quoy moy, j’aurois appris
620 La Musique, Ah ! jamais.
{p. 62}
CATHOS.
La Musique, Ah ! jamais. Mes sens, en sont surpris ;
Car comment donc Monsieur, cela se peut-il faire ?
MASCARILLE.
Sans avoir rien appris, ils sçavent tousjours tout.
MAGDELON.
Ma chere, assurement.
MASCARILLE.
Ma chere, assurement. Voyons si vostre goust
625 En trouvera l’air bon, escoutez, je commence.
Hem, hem, la, la, la, la. J'ay fort peu d’eslocance,
Oüais, la brutalité, de la saison qu’il fait
Est furieusement contraire, à mon projet,
Elle a gasté ma voix ; mais certes il n’importe,
(Il chante.)
C'est à la cavalliere*.
Oh, oh, je n’y prenois pas.....
CATHOS.
C'est à la cavalliere*. Oh, oh, je n’y prenois pas..... Ah ! Dieux, cela m’emporte ;
Que je trouve cet air pressent, passionné,
Est-ce qu’on n’en meurt point ?
MAGDELON.
Est-ce qu’on n’en meurt point ? Il est assaisonné
De la bonne façon ; mais dans cette musique
L'on voit bien qu’on a mis, beaucoup de Cromatique.
CATHOS.
635 Cet air assurement est tout remply d’
appas*.
MASCARILLE.
Dites-moy donc un peu si vous ne trouvez pas
La pensée assez bien dans le chant exprimée ?
Au voleur. Et comme une personne animée,
640 Bien fort crie, au, au, au, au, au, au, au voleur,
Et tout d’un coup apres tout comme une personne
Essouflée,
au voleur. Quoy cela vous
estonne* ?
MAGDELON.
C'est là sçavoir le fin des choses, le grand fin,
Le fin du fin, tout brille, & tout y charme enfin,
645 Je vous promets, car j’ay de l’air & des paroles
L'ame entousiasmée.
CATHOS.
L'ame entousiasmée. Et moy sans hiperboles
Je n’ay jamais rien veu, de cette force-là
MASCARILLE.
Ah ! tout ce que je fais me vient comme cela
Fort naturellement, & sans aucune estude.
{p. 65}
MAGDELON.
650 C'est pour ne pas avoir beaucoup d’inquietude,
Et nous persuader que la nature aussi
Vous a vrayement traitté, Monsieur, jusques icy,
Comme une vraye mere, un peu passionnée,
655 Vous fait bien remarquer, pour son enfant gasté.
MASCARILLE.
A quoy donc passez vous le temps ?
CATHOS.
A quoy donc passez vous le temps ? En vérité,
Monsieur, à rien du tout.
MAGDELON.
Monsieur, à rien du tout. Par un sort incroyable
Nous avons demeuré dans un jeusne effroyable
De divertissement.
MASCARILLE.
De divertissement. Je m’offre à vous mener
660 Le jour qu’il vous plaira, mes Dames, destiner,
Voir quelque Comedie, on en doit joüer une,
{p. 66}
Dont je connois l’Autheur, & qui n’est pas commune,
Que je seray bien aise, au moins que nous puissions
S'il se peut voir ensemble.
MAGDELON.
S'il se peut voir ensemble. Ah ! telles actions
665 Ne sont pas de refus.
MASCARILLE.
Ne sont pas de refus. Aussi je vous demande
Lors que nous serons là, que toute vostre bande
Admire, approuve tout, applaudisse bien fort,
Pour qu’on trouve tout beau, fasse tout son effort.
Je veux vous engager, comme on m’y sollicite,
670 De faire que la piece ait grande reüssite
Car pour m’en
conjurer*, je vous jure ma foy,
Que l’Autheur ce matin, m’est venu voir chez moy,
Qu'à toute heure, en tous lieux il m’en prie et m’en presse,
{p. 67}
Et fait que mes amis me le disent sans cesse.
675 C'est la coustume icy, qu’à des gens comme nous,
Pour tous les vers qu’ils font, les Poëtes viennent tous
Implorer nos bontez, & des pieces nouvelles
Faire lecture, afin que nous les trouvions belles,
Et qu’ils puissent aussi, par là nous engager
680 A leur donner grand
bruit*. Je vous laisse à juger
Si d’une piece enfin, quoy que nous puissions dire,
Le parterre jamais, ose nous contredire.
Pour moy j’y suis
exact*, & des que quelque Autheur
685 Je crie avant qu’on ait allumé les chandelles,
Que ses vers sont pompeux, sa piece des plus belles.
{p. 68}
MAGDELON.
Non, ne m’en parlez point, Paris, est bien charmant,
Tous les jours il s’y passe, & fort evidemment,
Cent choses que tousjours en Province on ignore,
690 Quelque spirituelle, & quelque soin encore
Que l’on puisse apporter......
CATHOS.
Que l’on puisse apporter...... C'est assez il suffit,
Personne à tout cela, n’a jamais contredit ;
Mais, Monsieur, puis qu’enfin nous en sommes instruittes
Nous ferons seurement, tout ce que vous nous dites,
695 Et nous nous rescrirons, aussi comme il faudra
Sur tout ce que d’esprit, & de beau l’on dira
MASCARILLE.
Je ne vous diray pas du tout si je devine,
Mais je me trompe fort, ou vous avez la mine,
De quelque Comedie, avoir fait le tissu.
{p. 69}
MAGDELON.
700 Eh ! il pouroit bien estre, & sans que l’on l’ait sceu
De cela quelque chose.
MASCARILLE.
De cela quelque chose. Eh ! bien si bon vous semble
Ma foy, nous la verrons, quand vous voudrez ensemble ;
Mais puis qu’il est ainsi, je veux sans differer,
Un secret important icy vous declarer.
705 Entre nous, j’en ay faite une, je vous l’avouë,
Que je veux dedans peu, faire en sorte qu’on jouë.
CATHOS.
Et quels Comediens la representeront ?
MASCARILLE.
Ah ! la belle demande, & ma foy ce seront
Les grands Comediens ; ils en sont seuls capables,
710 Leur recit a tousjours, des graces admirables
Pour les autres on sçait, qu’ils sont des ignorants ;
Tous leurs gestes n’ont rien qui ne soit du
vulgaire*,
Et comme on parle enfin, recitent d’ordinaire ;
715 Les vers ne ronflent point, qu’articule leur voix,
Ils ne s’arrestent point, du tout, aux beaux endroits,
Et quel moyen a t’on ? de les pouvoir connoistre,
S'il n’y fait une pose, & n’advertit par là
720 A quels endroits, il faut faire le brouhaha.
CATHOS.
Il est une maniere en effet, qui fait mesme
Sentir à ses Autheurs, tous les attraits d’un poësme,
Et les choses souvent, ne valent du tout rien,
S'ils ne sont dans leur jour, & ne se disent bien.
{p. 71}
MASCARILLE (monstrant le ruban de ses chausses.)
725 Ma petite oye est elle à l’habit congruante ?
MASCARILLE.
Tout à fait. Le ruban est d’une main sçavante,
N'est-il pas bien choisy ?
MAGDELON.
N'est-il pas bien choisy ? Furieusement bien
C'est Perdrijon tout pur.
MASCARILLE (estallant ses canons.)
C'est Perdrijon tout pur. Ne me direz vous rien
Aussi de mes canons ? ont ils l’
heur* de vous plaire
730 Dites, que vous en semble ?
MAGDELON.
Dites, que vous en semble ? Ah ! je ne m’en puis taire,
MASCARILLE.
Par ma foy je me plais, à vous ouïr parler.
Je trouve que leur air, n’a rien que d’admirable,
Et je puis me vanter, qu’il n’est rien de semblable,
735 Qu'avec raison, j’en suis tout à fait satisfait,
Puis qu’ils ont un quartier, plus que tous ceux qu’on fait.
MAGDELON.
Je dois bien l’avouër ; car je n’ay que je pense
Jamais d’ajustement veu porter l’elegance,
Dedans un si haut point. Que vous donnez d’esclat
740 A ce que vous avez.
MASCARILLE (luy donnant ses gands à sentir.)
A ce que vous avez. Mais de vostre odorat
Que la reflexion dessus ces gands s’attache.
[G 73]
MAGDELON.
Je n’eus jamais d’odeur plus douce que je sçache,
Qu'ils sentent en effet, & terriblement bon.
CATHOS.
745 Je n’ay point respiré, depuis que je suis née,
D'odeur, qui me parût mieux conditionnée.
MASCARILLE (luy faisant sentir ses cheveux.)
Et celle-là ?
MAGDELON.
Et celle-là ? Je dis avecque verité
Que je la trouve aussi de bonne qualité,
Je sens qu’elle me plaist, & sens que je l’estime,
750 A cause qu’elle est bonne, & qu’enfin le sublime
En est certes, touché délicieusement.
{p. 74}
MASCARILLE (monstrant ses plumes.)
Vous ne me dites rien de mes plumes, comment
Les trouvez-vous, enfin ?
CATHOS.
Les trouvez-vous, enfin ? On peut bien dire d’elles
Qu'elles sont en effet, effroyablement belles.
MASCARILLE.
755 Vous vous y connoissez, je le vois ; mais encor
Sçavez-vous que le brin me couste un Louis d’or ?
Pour moy sans me vanter, il faut que je vous die,
Que depuis bien long-temps, j’ay pris cette manie
De donner par ma foy, trop generallement
760 Sur tout ce que l’on voit, de rare & de charmant.
{p. 75}
MAGDELON.
Nous sympathisons fort ensemble, je vous jure,
Et c’est sans vous mentir, qu’icy je vous assure
Que je suis delicate, & furieusement
Pour tout ce qui me sert, en mon habillement,
765 Et jusqu’à des chossons, je n’en puis d’ordinaire
Souffrir, s’ils ne sont faits, de la bonne ouvriere.
MASCARILLE (s’escriant brusquement.)
Mes Dames, ahy, ahy, ahy, de grace doucement,
Ce n’est pas Dieu me damne, en user prudammant,
De vostre
procedé*, j’aurois lieu de me plaindre,
770 Cela n’est pas honneste, & vous me faites craindre......
CATHOS.
Qu'est-ce donc ? qu’avez vous ? qui vous trouble, Monsieur.
{p. 76}
MASCARILLE.
Toutes deux à la fois, s’attaquer à mon cœur,
Me prendre à droit, à gauche, ah certes la partie,
N'est pas du tout esgale, & je veux garantie,
775 Ou puis que vous allez, contre le droit des gens,
Je vais crier au meurtre, & sortir de
ceans*.
CATHOS.
Il ne dit rien du tout qu’avec une maniere
Tout à fait agreable, & qui n’est point
vulgaire*
MAGDELON.
Il a dedans l’esprit un tour ; mais sans esgal.
CATHOS.
780 Vous avez bien, Monsieur, plus de peur que de mal,
Et vostre cœur craintif, crie avant qu’on l’escorche.
{p. 77}
MASCARILLE.
J'ay sujet toutefois, de faire ce reproche :
Comment diable, je sens que quoy que vous disiez
Il est depuis la teste escorché jusqu’aux pieds.
{p. 78}
SCENE XI. §
JODELET, MASCARILLE, CATHOS, MAGDELON, MAROTTE.
MASCARILLE.
Ah ! Vicomte,
JODELET (s’embrassant l’un l’autre.)
Ah ! Vicomte, Ah ! Marquis,
MASCARILLE.
Ah ! Vicomte, Ah ! Marquis, Que tous mes sens esmeus
Marquent bien le plaisir, que j’ay de ta rencontre.
JODELET.
Et la joye que j’ay, mon visage la monstre.
{p. 81}
MASCARILLE.
795 Baise moy donc encor, Vicomte, baise moy,
JODELET (l’ayant baisé.)
Je t’en conjure*. Il t’en faut de plus doux ma foy.
MAGDELON.
Nous commançons ma bonne, enfin d’estre connuës,
Du beau monde chez nous, nous allons estre veuës,
Puis qu’il prend le chemin de nous y visiter.
MASCARILLE.
800 Mes Dames, s’il vous plaist, de ma part d’accepter
Ce Gentilhomme cy ; sans que je le cajolle,
Il est assurement, digne (sur ma parolle)
D'estre connû de vous.
JODELET.
D'estre connû de vous. Il est juste, & de droit
De vous venir chez vous, rendre ce qu’on vous doit ;
805 Car enfin, vos attraits exigent sur les hommes
{p. 82}
Leurs droits seigneuriaux.
MAGDELON.
Leurs droits seigneuriaux. Nous sçavons qui nous sommes,
Monsieur, & c’est pousser pour nos esprits peu fins
Vostre civilité, jusqu’aux derniers confins
De la galanterie.
CATHOS.
De la galanterie. Ah ! Dieux, cette journée
810 Doit estre comme grande, ensemble & fortunée,
Marquée dedans nostre almanach.
MAGDELON (à Almanzor.)
Marquée dedans nostre almanach. Petit garçon,
Quoy vous faut-il tousjours, faire vostre leçon,
Ne voyez-vous pas bien surcroist de compagnie,
Et qu’il faut un fauteuil ?
JODELET (s’assit.)
Et qu’il faut un fauteuil ? C'est sans ceremonie.
{p. 83}
MASCARILLE.
815 Ne vous estonnez pas, s’il est si desconfit,
Il ne fait que sortir, d’un mal qui l’a boufit,
Comme vous le voyez, c’est pourquoi son visage
Est si maigre, & si pasle.
JODELET.
Est si maigre, & si pasle. Et c’est tout l’adventage,
Et les fruicts qu’on reçoit des veilles de la Cour,
820 Des travaux de la guerre, & des
soins* de l’amour.
MASCARILLE.
Mais dites cependant, sçavez vous bien mes Dames ?
Qu'on place le Vicomte, au rang des belles ames,
Qu'il est de ces vaillans, à qui le fer sied bien,
C'est un brave à trois poils.
JODELET.
C'est un brave à trois poils. Vous ne m’en devez rien,
825 Marquis, & nous sçavons ce que vous sçavez faire.
{p. 84}
MASCARILLE.
Ah ! ma foy, ma science, auprés vous doit se taire,
Il est vray que tous deux, nous nous sommes souvent
Veüs dans l’occasion.
JODELET.
Veüs dans l’occasion. Quelques fois trop avant
830 Bien du chaud à souffrir.
MASCARILLE.
Bien du chaud à souffrir. Oüy ; mais Vicomte, escoute,
Pas tant de chaud qu’icy, hay, hay, hay.
JODELET.
Pas tant de chaud qu’icy, hay, hay, hay. Nous avons
Fait nostre connoissance à l’armée, & vivons
Depuis en
amitié*. Le jour que nous nous vismes
Pour la premiere fois, ma foy tous deux nous fismes
835 Ce pacte d’estre amis. Il commandoit alors
[H 85]
Un fort beau regiment de cavaliers tres-fors,
Sur, si je m’en souviens, les galeres de Malthe.
MASCARILLE.
C'est vray ; mais Vicomte, icy trop l’on m’exalte.
Vous estiez toutefois, dans l’employ devant moy,
840 Et je me souviens bien à present sur ma foy,
Que je n’avois encor qu’une charge assez basse,
Que vous estiez desja dans une belle passe,
Et que vous commandiez les deux mille chevaux.
JODELET.
La guerre est belle ; mais on a trop de travaux,
845 Et la Cour aujourd’huy pour des gens de services
MASCARILLE.
Nous recompense mal. Ce ne sont qu’injustices :
C'est pourquoy, je veux pendre aussi l’espée au croc,
Et ne plus m’exposer du tout à pas un choc.
CATHOS.
J'ay pour les gens d’espée, un tres-furieux tendre,
MAGDELON.
850 Ils me plaisent aussi ; mais il faut pour me prendre,
Assaisonner d’Esprit, la bravoure & le cœur.
MASCARILLE.
Te souvient-il Vicomte, avec quelle vigueur
Nous prismes, toutefois suivis de la fortune
Dessus nos ennemis, dis, cette demy-lune,
855 Estant devant Arras ?
JODELET.
Estant devant Arras ? Que veux tu dire toy ?
Avec ta demy-lune, & tu resves, je croy
Penses-y, c’estoit bien, toute une lune entierre
{p. 87}
MASCARILLE.
Il a parbieu raison.
JODELET.
Il a parbieu raison. J'y crûs mon Cimetiere,
Il m’en souvient ma foy, car j’y fus fort blessé
860 D'un grand coup de grenade, à la jambe, & je sçay
Que j’en porte la marque encore ; mais de grace
(Faisant tater à sa jambe.)
Tastez vous sentirez le coup, voila la place.
CATHOS. (ayant porté la main.)
La cicatrice est grande.
MASCARILLE.
La cicatrice est grande. Apportez donc aussi
Vostre main, & tatez justement celuy-cy
865 Là, là le trouvez vous ? là derrierre la teste.
{p. 88}
MAGDELON.
(Ayant la main derriere la teste de Mascarille.)
Ouy je sens quelque chose. Un tel coup vous appreste
Aussi force lauriers.
MASCARILLE.
Aussi force lauriers. Je receus ce coup-là
Ma derniere campagne.
JODELET (à Cathos.)
Ma derniere campagne. Ah ! tatez donc voila
Encore un autre coup, je l’eus à Graveline
870 Et depuis j’ay souffert d’une fievre maligne
De fort aspres douleurs.
MASCARILLE.
(Mettant la main sur le bouton de son haut de chausse.)
De fort aspres douleurs. Moy je vais vous monstrer
Une effroyable playe
MAGDELON.
Sans y voir on vous croit, & vos faits admirables.
{p. 89}
MASCARILLE.
Ce sont à dire vray, des marques honorables
875 Qui font voir ce qu’on est.
CATHOS.
Qui font voir ce qu’on est. Ah ! Monsieur, sans cela
Nous vous connoissons bien.
MASCARILLE.
Nous vous connoissons bien. Dis Vicomte, as-tu là
Ton carosse ?
JODELET.
Ton carosse ? Pourquoy ?
MASCARILLE.
Ton carosse ? Pourquoy ? Nous menerions ces Dames,
Prendre hors des portes l’air, pour delecter leurs ames,
Et puis leur donnerions, par apres un cadeau,
880 Le temps nous y convie, il est tout à fait beau
MAGDELON.
Nous ne sçaurions sortir d’aujourd’huy
{p. 90}
MASCARILLE.
Nous ne sçaurions sortir d’aujourd’huy Faut remettre
A quelques jours d’icy la partie, & promettre
Aussi que vous viendrez.
CATHOS.
Aussi que vous viendrez. He ! bien nous le voulons.
MASCARILLE
Ayons donc pour danser icy les violons.
JODELET.
885 C'est fort bien advisé.
MAGDELON.
C'est fort bien advisé. Pour cela, c’est sans peine
Que nous y consentons ; mais faut qu’on nous ameine
Surcroist de Compagnie.
MASCARILLE.
Surcroist de Compagnie. Hola, ho Poitevin,
Bourguignon, Provençal, Champagne, Langevin,
La Verdure, Lorrain, Basque, la Violette,
890 La Ramée, Picart, Cascaret, la Valette,
Au Diable les laquais, pour moy je ne crois pas,
{p. 91}
Que je ne rompe à tous les jambes, & les bras,
Non je ne trouve point, de Gentilhomme en France
Plus mal servy que moy, de ces races je pence ;
895 Car ces canailles là, ne m’entendent jamais.
MAGDELON.
Allez viste, Almanzor, là bas dire aux laquais
Des violons ;
(à Marotte)
Des violons ; & vous prenez aussi la peine
De nous faire venir ces Dames, & Messieurs
900 D'icy pres, pour peupler avecque tous les leurs
De nostre bal si prompt la triste solitude.
MASCARILLE.
Ces yeux n’auroient-ils point destruit ta quietude.
JODELET.
Vicomte, qu’en dis-tu ? Mais toy-mesme Marquis,
Qu'en pourois-tu penser ?
MASCARILLE.
Qu'en pourois-tu penser ? Moy, par ma foy je dis
905 Qu'icy nos libertez, sont à demy sujettes,
Qu'à peine elles pouront sortir les brayes nettes,
Au moins pour moy, je sens qu’en mon cœur je reçois
Une
estrange* secousse, & mesme aussi je crois
Qu'il n’est plus retenu, que par fort peu de chose ;
910 Mais quand je le perdrois j’en cherirois la cause.
MAGDELON.
Dieux que tout ce qu’il dit, est fort & naturel
Qu'on voit bien qu’il n’a rien, qui soit materiel
Et qu’il tourne à miracle une douceur ma chere.
{p. 93}
CATHOS.
Il est vray qu’il est seul, je croy qui puisse faire
915 Une telle despence, en esprit & sçavoir.
MASCARILLE.
Mesdames, toutefois pour vous mieux faire voir
Que je ne vous ments point, je pretends ou je meure
CATHOS.
Eh ! je vous en conjure, avec toute l’
ardeur*
920 Et la devotion, ensemble de mon cœur
Que nous ayons au moins quelque chose, qu’on sçache
Que l’on ait fait pour nous.
JODELET.
Que l’on ait fait pour nous. Peste cela me fasche
J'aurois envie aussi d’en faire tout autant ;
Mais faut que vous sçachiez & teniez pour constant
925 Que je suis aujourd’huy, s’il faut que je m’explique,
{p. 94}
Beaucoup incommodé de la veine Poëtique
Pour luy trop avoir fait de seignées ma foy,
Ces jours passez.
CATHOS.
Ces jours passez. Monsieur, sans cela je vous croy
MASCARILLE.
Que diable est donc cela ? je fais tousjours sans peine,
930 Fort bien le premier vers ; mais je suis à la gehenne
Pour poursuivre. Ma foy cecy presse trop fort :
A loisir, je feray pour vous sans nul effort
Ne vous desplaira pas.
JODELET.
Ne vous desplaira pas. Il a pour son partage
935 A mon sens, de l’esprit en demon.
{p. 95}
MAGDELON.
A mon sens, de l’esprit en demon. Mais du grand,
Du bien tourné, du fin, mesme du plus galand.
MASCARILLE.
Vicomte, depuis quand as-tu veu la Comtesse ?
JODELET.
Elle auroit bien raison d’accuser ma paresse ;
Car il s’est escoulé trois semaines & plus
940 Depuis que je l’ay veuë.
MASCARILLE.
Depuis que je l’ay veuë. Ah Dieu ! j’en suis confus,
Quoy l’aller voir si peu ? mais faut que je te conte
Que le Duc ce matin m’est venu voir Vicomte,
Et m’a voulu mener courir avecque luy
Le Cerf à la campagne.
JODELET.
Le Cerf à la campagne. Et tu l’as esconduy ?
{p. 96}
MASCARILLE.
945 Quoy donc ?
MAGDELON.
Quoy donc ? Messieurs, voycy nos amies qui viennent.
MASCARILLE.
Nous sommes obligez aux peines qu’elles prennent.
{p. I 97}