V i,.E.r, D A N T E,'
AVEC UNE NOTICE DÉTAILLÉE;. DE SES OUVRAGES. Par M. DE de Royale des Lettres, 9 & de celle de
A AMSTERDAM;
Et fe trouve A Paris,
Chez LA COMBE, Libraire, me Chriftine^ près la nie Dauphine.
M. D C C. L X X 1 I I,
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AVERTISSEMENT.
CE qui compofe celle Brochure devoit faite partie d'un Ouvrage plus étendu, conjîflant en des recherches fur l'état des Lettres en Italie, dans le treizième t & dans; le~ quatorzième fiècle. Ces recherches dévoient être accompagnées de la vie des principaux Ecrivains de ce tems-là. Des confîdérations particulières nous ant forcés d'abréger ce travail 3 & de publier cet ejfai.
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V I E
D U
DANTE.
JL e Dante naquit à Florence l'an i z6$ d'une Famille noble & distinguée. Cacciaguida, fon tri (aïeul, époufa une Aldighieri de la Ville de Ferrare le nom d'Alighieri ( i ) fut donné aux enfans & aux petits-enfans. Le Dante le reçut en naiflant & ce ne fut que long-rems après qu'on l'appela Dante, en recon(i) On avoit retranché le d..
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noiflance, dit on des avantages que fon génie avoit procurés à fon pays (i). Cette étymologie nous femble un peu fufpecte & Bayle en indique une plus naturelle. Le jeune Alighieri dans fon enfance, avoit été turnommé Durante; par abréviation l'on prononça Dante; c'eft ce nom que notre Poëte a confervé, que fes Ouvrages ont illuftré, tk. qui s'eft maintenu dans fa poftérité comme un titre de gloire.
L'Italie, au treizième Cède, étoit livrée à un esprit de faction qui produifoit, non-feulement des guerres entre les États voifins mais des inimitiés irréconciliables entre les Citoyens des mêmes États. Chaque Ville, partagée en Guelfes & en Gibelins, formoit deux Villes ennemies l'une de l'autre. Chaque faction fe fubdivifoit encore pour des intérêts particuliers. L'effet le plus afpreux (i) Dantf qui donne.
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de ces divifions fut l'inimitié perpétuée dans les mêmes familles, la haine tranfmife de père en fils comme un héritage, & devenue la première leçon des enfans; dès qu'ils pouvoient Se connoître.
Voilà dans quel tems naquit le Dante, reftaurateur des Lettres, & créateur de la. Poëfie Italienne.
Par quel fort étrange le règne .(les Mufes, amies de la paix, fe trouve-t-il toujours lié à des tems de difcorde Se d'horreurs? Le fiècle de Périclès fut celui de la guerre du Péloponnèfe; les Lettres s'accrurent à Rome parmi les guerres civiles, au milieu des proscriptions d'Augufte & du fein des troubles de la fronde, nous avons vu éclore le règne des beaux Arts.
Le Dante, témoin des malheurs de fa patrie, put dire comme Énée: quorum pars magna fui. Il joua un grand rôle dans l'Etat, & fentit tout le poids der calamités publiques»
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Il avoit perdu fort père de bonnet -heure; mais fbn éducation avoit été confiée aux foins d'un homme allez habile pour développer fcs talens. Cet homme s'appelait Brunetto Latini. Le flom de l'Élève fuffiroit pour illuftrer telui du Maître mais Brunetto, par luimême, eut quelque part à la renaiflance dès Lettres, comme nous le ferons voir ailleurs.
Un des Ecrivains de la vie du Dante retranché de fon récit toute la jeuneflè de notre Paëte, fôus prétexte que l'amour en fut là principale occupation. Nous h'imitêrôns point cette réticence trop févère eh pourquoi dédaigner les prër miers mouvemens d'une âme doucement attirée vers l'objet qui lui plaît? Les pafïîôns de l'homme mûr le concentrent tout entier en lui l'amour le fait vivre dans un autre n'aurions.-nous le droit tftntéreiîer qu'en apprenant à ne plus aimer que nous-mêmes?
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Le Dante a mieux jugé de fes amours & de fa jeunefïe. C'eft le feul tems de fa vie dont il ait voulu tranfmettre le fbuvenir. Nous avons de lui le récit complet de la paffion qui occupa (es premières années & ce récit, il l'a nommé fa Yie nouvelle, Yita nuova, commet la naiffànce de fon amour eût été pour lui le commencement d'une nouvelle exiftence. Le petit Ouvrage que nous citons eft écrit d'un ftyle naïf & mélancolique. O» y reconnoît une âme profondément fcnfible une imagination forte & fufceptible des impreifions les plus vives. Nous citerons cet Ouvrage le plus que nous pourrons, & dans toute la fidélité du texte ainfi, rapportant du Dante fes fentixnens, fes actions & fes paroles, nous n'aurons rien omis de .ce qui peut le faire connoître.
Le Dante fut de moyenne ftacure [on vifage étoit long, fon nez aquilin, fes yeux fortans, fes lèvres épaiffes, & celle d'en
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Vit. di
Danr.
haut plus avancée. Il avoit le teint rembruni, la barbe & les cheveux noirs épais & crépus. Bocace rapporte à ce fiijet une anecdote allez plaifante.
Des femmes voyoient un jour le Dante paffer dans les rues de Vérone. Son Poëmc de l'Enfer avoit déjà fait du bruit. L'une de ces femmes dit à l'autre « Tenez, voilà cet homme qui eft revenu « de l'Enfer pour nous en donner des nouvelles. --=- Son teint & fa barbe, reprit l'autre, font encore noirs de la sa fumée de ce lieu e. Le Dante entendit cc propos; il regarda ces femmes, &c s'appercevant qu'elles parloient de bonne foi, da picra il fourit & les falua.
La phyfîonomie de notre Poëte avoit, -comme tes Ouvrages, je ne fais quoi de doux & de mélancolique qui intéreiToit. Avec cet avantage, avec ceux du génie; plus, encore avec la paillon qui l'animoit, le Dante avoit droit de prétendre
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au fort des Amans heureux. Il fut loin de l'obtenir. Il ne connut guères que cette félicité pafTagère ôc d'illufioa que les grandes paillons fe procurent elles mêmes car, en amour le plus facile contenter eft celui qui aime le plus il eft trop enivré de ce qu'il fent pour difputer fur le retour dont on le paye. Les Amans paiîîomiés reflèmblent aux grands parleurs; pleins de ce qu'ils ont à dire, il fuffit qu'on.ait l'air de les écouter avec intérêt, & fans les diftraire.
Dante n'avoit que neuf ans lorsqu'il vit la fille de Folco Portinari, Citoyen de Florence il la vit & ne l'oublia plus.
Neuf ans femblent un âge prématuré pour l'amour mais l'ardeur du climat accélère le développement des paffions. D'ailleurs, les befoins d'une âme tendre s'annoncent de fi bonne ,heure! & la {implicite du premier âge y mêle une
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teinte de candeur & d'innocence, qui ajoute encore à l'intérêt qu'ils infpirent.
Écoutons un moment le Dante parler de fa paflîon. La première foïs qu'il rencontra Béatrix fa maîtreflè peu de tems après leur première entrevue, elle jeta fur lui les yeux. « Ce regard, dit-il, me parut le dernier terme de la féli» cité. J'étois tellement pénétré de fentimens doux, que mon plus cruel ennemi, dans ce moment, n'auroit pu » me déplaire. Rien de pénible, rien de douloureux ne pouvoit entrer dans mon m âme Ailleurs il dit que les regards de Béatrix répandent la douceur par-tout on il fent l'amertume.
Portan dolce ovunque iô fento amaro.
S'il faut l'en croire, il négligeoit le foin de fa fanté, il s'afibibliffoit, il dépériAfoir; ics Amis frappés de ce changement, lui en demandoient la, caufe;
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l'Amour, répondoit-il comment m le difïimuler? Mon vifage en perçoit « tous les lignes. Ils me queftionnoieat » fur le nom de celle qui m'éçoit chère: « je les regardois, je foupirois, & ne ré« pondois rien Il y a dans ce récit du Dante une fimplicité qui invite à le Croire.
Dante étoit jaloux du myftèrc que recherchent les grandes payons &, pour cacher la fieime, il entretint l'erreur d'une femme qui s'en croyoit l'objet. Voici le fait.
Un jour,àrEgli(è) il teuoït les yeux fixement attachés fur Béatrix; une femme, aflifc auprès d'elle 3 s'attribua loue l'honneur de ces regards. L'éloignement & la vanité aidoient à la méprife. Le Dante s'en applaudit comme d'un moyen propre à favorifer le fecret de ton amour. îî pouïïk l'artifice, difons-le, la perfidie, jusqu'à faire des vers tendres pour celle qui s'applaudiïïbit gratuitement de-
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conquête. Ce ferait ici le cas de convoquer une de ces Cours d'Amour qu'on tenoit dans les tems de la Ghevalerie. La conduite du Dante, examinée ce Tribunal, ferait jugée par les Dames; le fait eft de leur compétence. Il s'agit d'une femme, trompée pour afïurer le fccret d'une autre. Il femble qu'en pa-r reille circonftance l'indulgence des Juges doit incliner vers le coupable; fa faute naît de fa difcrétion & les femmes ont quelque intérêt à ne pas punir trop févè^ rement des fautes femblables.
En parlant de la paillon du Dante, xaous voudrions pouvoir en louer l'objet, & le rendre intéreflànt, du moins par fa reconnoiuance. Mais, Fontenelle l'a dit, Ceft le fort d'un amour extrême
De faire toujours des ingrats.
Un jour, entre-autres, Béatrix s'apperçut du trouble où fon Amant étoit devant elle. Elle le vit & s'en moqua. Ces
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mots coûtent à écrire. Il eft trifte de voir uni à la jeune£fe, aux grâces, à la beauté, un fentiment de dureté qui en' détruit l'imprefîîon. Malheureufement ces exemples ne font pas rares; les peines que les femmes plaignent le moins font celles que l'on fouffre pour elles.
Dante, bleue des plaifanteries de fa Maîtreflè, fe retira chez lui pour fe livrer à fa douleur. La3 dit-il, au bout de quelque tems je m'endormis fur mes larmes comme un enfant qu'on vient de châtier. Me pardonneroit-on fi je racontois un ionge du Dante? Une raifon pourroit m'y autorifer; c'eft que fon Poëme eft plein de fonges Se de vifions. Rapporter celui-ci, c'eft en quelque forte confronter le Daine avec fon Ouvrage, & rapprocher l'homme du Poëte.
Il étoit tourmenté d'une maladie douloureufe, & s'en occupoit moins que de Béatrix. S'ilfalloit qu'elle fouffrît ce que je fouffre! Si j'étois réduit à la perdre!
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Il s'endormit au milieu de ces idées, & fes rêves furent tels que ceux d'un homme enphrénéfîe. Je voyois, dit il, » des femmes échevelées marcher autour de mon lit l'une me diroit, tu mour*» ras; l'autre, tu es ,mort. Au même » inftant le fpieil s'obfçurcit la terre « trembla; un Ami s'approcha de moi » & me dit Béatrix nefl plus. A ces » mots je pleura; mon malheur n'étoit »> qu'un fonge mes larmes étoienc »? réelles. Je jetai un cri; on vinjç à moi, » je m'éveillai & raconta4 mon rêve, mais je tus le nom de Béatrix ». En lifant ce récit du Dante ou croit lire un morceau de fort Poème.
Si j'avois à comparer quelque Poëte celui dont j'écris la vie, c'eft Young que je choiurois pour ce parallèle, qui ne manquerait pas de juftefle. Il ppurroit conduire à cette obfervation, que prcfque tous les mélancoliques font tendres. La mélancolie femble réfulfer d'un grand
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befoin d'aimer qu'on ne peut fatisfaire. C'eit l'effet d'un fentiment qui féjourn© trop dans le coeur il y pèfe il s'altère, il s'aigrit; mais cette aigreur ne fait pas entièrement oublier fa douceur primitive & naturelle.
Le Dante eut bientôt à pleurer celle qu'il aimoit elle ne vécut que vingtquatre ans. Le chagrin de la perdre le mit prévue au tombeau. Il négligeoit le foin de fa perfonne; & bientôt faltération de fes traits le rendit méconnoifiable même pour fes Amis. Ses yeux, dit-il, fembloient deux chofes faires pour pleurer. Miei occhi pareano due cofe che dejîderaffino pur di piangere. C'eft avec la même fimplicité encore qu'il ajoute: « Quand je penfe à la mort il m'en vient un defîr il doux, qu'il fe peine » malgré moi fur mon vifage
Pour confoler le Dante de fon affliction, on lui perfuada de fe marier. Le remède fut pire que le mal. Il ne trouva;
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dans ce lien que des contrariétés qui le réduisirent enfin à fe féparer de fa femme. Il eut en mariage le même fort que Socrate, Se ne fut pas doué de la même patience. L'âme d'un Poëte eft moins exercée à cette vertu que celle d'un Phi- lofophe.
La femme du Dante s'appeloit Gemma elle étoit de la Famille des Donati, depuis long-tems illuftre Florence. Revenons fur nos pas, & considérons* la vie du Dante fous un point de vue différent. En le fuivant dans fes travaux,, dans fa vie active & publique, nous parcourrons un nouvel ordre d'infortunes. L'homme, en changeant de paillons, ne fait fouvent que changer de malheurs. Ceux de l'amour, du moins, portent avec eux une confolation fecrete, qui tient fans doute à la fatisfà£fcion que l'on a de fe trouver fenfiblë: mais, quand les plaies de l'ame viennent de l'ambition, quel- appareil y mettre? L'orgueil mécontent ne
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ne goûte pas même la douceur d'être plaint il hait le confident de fcs peines, parce qu'il voit en lui le témoin de fon. humiliation.
Le Dante, dès fes premières études-, cmbraflà tout à la fois,laPoëfîe, l'Hittoire & la Théologie. Ce dernier genre de connoifïances femble peu fait pour s'allier avec les talens du Poëte mais la. Science des chofes faintes émit alors d'un,' ufage général parmi les perfonnes un peu instruites. Les Eccléfiaftiques s'y livroient par devoir, les autres, pour communiquer avec eux. Aihu* fe forme par les circonftances, l'efprit général d'un fiècle. Le fiècle du Dante fe peint dans les écrits; on y voit un mêlange abfurde de vérités Théologiques, & de fables puisées dans la Mythologie mélange qui infûlte tout à la fois au goût, au bon fehs^ &: à la Religion. Au projet bizarre d'employer cent chants à décrire l'Enfer, le Purgatoire & le Paradis, on ne pouvoit péùt-
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Murât. AnaLd'ItaL
être ajouter qu'une feule bizarrerie c'étoit d'appeler cet Ouvrage une Comédie &c c'eft ce que le Dante a fait; toutes les idées alors étoient confondues.
S'agit-il de juftificr le Dante fur le choix de fon fujet? On en trouve les moyens dans l'Hiftoire même de fon
Siècle.
L'an 1304 l'Evêque d'Oftie fut envoyé par le Pape à Florence. On voulut faire honneur au Légat, & famufer par une fête. On n'en imagina point de plus convenable ni de plus intéreiTante qu'une repréfentation de l'Enfer donnée folennellement fur le fleuve de l'Arno. J'ignore ce que pouvoit être cette repréfentation; mais elle devint funefte à un grand nombre de fpecl:ateurs. Le pont de YAtmfrétmt fi chargé qu'il s'écroula, & beaucoup de Citoyens périrent. La nailïance du Dante fon efprit & lesconnôiflances lui donncjient des droits
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aux premières places de la République; il y parvint. En 1300 il fut nommé Prieur, c'eft-à-dire un des premiers Ma" giftrats de Florence. Cet honneur fut. la fource de fes difgrâces, comme il le dit lui même dans une lettre que nous confervée un des Hiftoriens de fa vie. La place que j'avais briguée- » toutes mes infortunes non que j'en » fuile indigne mon zèle & mon âge ̃» me permettoient d'y prétendre* Dix m ans s'étoient écoulés depuis la fomeufe *5 bataille de Campaldino ait- le parti » Gibelin fut presque entièrement dé»> truit. J'étois déjà hors de l'enfance »j lorfque j'y combattis. Les divers êvénemens de cette bataille me reritpii» rent de crainte, &: fon fuccès mMrem» plit de la joie la plus vive 'H^Jf- Cette lettre ne permet pas ^iff douter que le Dante n'eût été d'abord du parti des Guelfes. Peut-être la conduite de Boniface VIII fervit à l'en détacher-, Se
Lcon, d'À»;
rezzo.
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pour lors il fe jeta dans celui des Gibelins. La' neutralité eût été un parti trop £,ce pour un Républicain 8c pour un Poëte. Une Loi de Solon interdifoit aux Athéniens cette neutralité cette Loi, fans doute, étoit fage en elle même car, dans un Eut bien policé, perfonne ne doit fe montrer indifférent aux événemens publics mais quand le fonds de la querelle des deux parts étoit abfurde & ridicule, le Citoyen n'avoitil pas à gémir d'une Loi qui le forçoit de prendre parti pour l'un ou pour l'autre, c'eft'à-dire, contre fa raifon ?
Le Dante fervit la caufe des Gibelins avec autant d'ardeur qu'il en avoit mis fans doute à les pourfuivre car.dans les diiïeniions civiles, le fonds de la caufe n'eft rien on fe bat pour fe battre, a peu-près comme ces animaux qu'efb lance dans une arène, èc dont la fureur devient redoutable à ceux mêmes qui fe font fait un jeu de l'animer.
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Il perçue que vers l'an 1l84la 'Ville de Florence avoit fufpendu fes troubles le parti des Guelfes" tel qu'un Athlète vi&oricux, fe repofoit un moment, & haleroit fur le corps de fan rivât à demi étouffé, mais refpir ant encore la vengeance. Ce calme de l'oppremon ne dura pas long-tems» L'efprit de,, faction faiiît de nouveaux prétextes pour éclater il furvint un nouveau différend appelé la querelle des Noirs 8c des Blancs. Éclaircifibns-en l'origine
Il y avoit dans Piftoïe une famille riche & confidérable qu'on appeloit Cancellieri. Deux branches de cette famille? avoient pour chefs Guillaume Se Métis,. Ces deux branches étoicnt ennemies l'une de l'autre on crayoit avoir obfcrvé qu'elles dirïeroient de goûts &de caractères le haiard inettoit entre-elles une différence encore plus ieniiblc celle de la couleur des cheveux & cet indice parut donné par la Nature pour
Hiflt. iï
Ferrer, cli
Vicen. Rer,.
..Irai. Scrip_
Tom. IX.*
Scip.Anmv
hiit. di Fir.
Tom. I.
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défigner à la haine fes victimes ( i )% On ne durcie croire combien, dans les troubles civils, les plus légères circonftances fomentent l'inimitié. J'ai vu une Ville dont Ies, Citoyens fe faifoienx la. guerre la Ville, bâtie en amphithéâtre, fe divifoir en deux quartiers; ennemies, l'un de l'autre, & s'appeloit Ville haute & Tjille baffe. « Que ne nous a-^t'on bâtis, de plain pied, » difoit un Politique de ce Pays! Il feroiç: » bien plus aifé de ramener la paix par-^ s> mi nous ».
Dorius, fils de Guillaume, jouoit un jour aux dez avec Vannis, fils de Meiïs% Le premier, mécontent de la fortune s'échappe en injures contre fon Adverfaire les injures font rendues Dorius j(è jette fur fon fabre, Vannis o.ppofe la. main au coup qui menace fa tête, & (i) On les. nwurnoit Cancellieri Blanchi & -Heri
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ce coup lui enlève quatre doigts. Dorius s'enfuit chez fon père Vannis bleffë retourne chez le fien.
Guillaume condamna la violence exercée par ion fils &; après quelques lenteurs, ménagées pour lailïèr au reffbntiment le tems de fe refroidir, il livra fort fils à Meus, remettant le coupable au pouvoir de l'ofienfé.
Meus abufa de ce pouvoir il eonduifit Dorius dans une étable; &, lui pavane le bras dans les barreaux du ratelier il lui coupa le poing qu'il fit jeter dans. le grand chemin. Dorius, en retournant chez lui, trouva la main qu'on venoit de lui couper il la ramafla & vint la jeter aux piés de fon père en prononçant ce feul mot, vengeance. Ce mot fut le lignai de la guerre, l'injufKce trouva des partifans, & l'on fe battit pour le crime d'un lâche.
Les Magifta-ats. de Piftoïe, pour remédier au défordre, exilèrent les chefs des
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deux factions. Florence ouvrit fes portcs quelques-uns de ces exilés; c'étoit admettre du poifon dans un corps ravagé long-tems par la contagion, &: qui n'avoir, pas purgé tout fon levain. On vit bientôt les effets d'une telle imprudence & la Ville de Florence fut aufli acharnée pour la querelle des Noirs & des Blancs, que fi cette querelle fût née dans fon fein que fes Citoyens eullent eu à venger des amis, des frères ou des enfans. Le Lante étoit en place lorfque les. nouveaux troubles éclatèrent. Il y montra lavage modération d'un Magiftrat non l'emportement d'un {éditieux on foupçonna plus qu'on ne reconnut fon fecret attachement pour la faction des Blancs. C'étoit le parti coupable qu'il afFe&ionnoit car les Blancs originairement étoîent pour Meüs mais Boniface favorifoit les Noirs, Se le Dante étoit GibeIin fon âme n'avoit pas le choix du parti le plus jufte.
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Les Noirs, affemblés dans l'Egîifc de la Trinité, arrêtèrent entre-eux de conjurer le fouverain Pontife, qu'il voulût bien les mettre fous la proteflion de Charles de Valois, frère de Philippe le Bel. Les Blancs, alarmes de cette ligue, coururent chez les Magiiirats en demander punition. On fit en cette occafion à Florence ce qu'on avoit fait précédemment à Piitoïc; on exila les chefs des deux partis & le mal fut appaifé, du moins pour quelque tems.
Cependant il fut queftion de députer vers Boniface pour le détourner d'intéreflèr Charles de Valois à la querelle. On jeta les yeux fur le Dante pour cette députation &c ce fut alors qu'il lui échappa un mot qui décèle une exceiîive préfomption. Si je vais à Rome ditm il, qui me remplacera ici ? Si je de» meure, qui enverrez-vous à Rome?-» Le Dante n'avoit pas befoin de montrer tant d'orgueil pour s'attirer des ennemis;
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lx iupénoriré de fes talens fufiifoit pour lui en fairc.
Il partit pour Rome mais vraisemblablement il étoit trop fufpecfc au Pape pour influer beaucoup fur fes résolutions. D'ailleurs, l'injuftice dont on uioie envers les Noirs, eu laiiîant leurs chefs dans le bannilïèment tandis que les Blancs étoient rappelés, invitoit les premiers à fe fortiner d'un fecours. étranger. Il fut donc réfohi que Charles de Valois ieroit l'appui de leur caufe, l'arbitre des. différends qui partageoient Florence, Se le pacificateur de l'Etat. Charles apporta la vengeance &. non la paixLes Noirs, forts. de fon fecours., fe permirent tout en retour des maux qu'ils avaient iouiferts.. Les Blancs cflliyèrent a. leur tour la perfécution ils furent chapes de la Ville 5c leurs maifons furent livrées au pillage.
Le Dante fut un des plus maltraités: il. perdit tout .ce <ju'il pofledoit èc le
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Podcftat de Florence, ufant des droits de fa place, le ciza en jugement pour fon adminiftration paflee. Le Dante absent fut jugé par contumace & condamné. Il s'enfuit Sienne, & pafla enfuite dans Arczzo, où il attendit, avec les Compagnons de fon Infortune, le moment de s'élever contre la persécution.
En 13 04 ils firent une tentative inutile fur une des portes de Florence ils furent repouiTés & Dante alors fe retira dans Vérone, où l'amitié d'Àlbuin. de Lefcale lui offrit un afyle. Cette amitié ne dura pas on ne fait il ce fut la faute du protecteur ou celle du protégé qui qu'il en foit, une réponfe hardie de celuici acheva de le perdre dans remplit du Prince.
Albuin montrait au Dante une efpèce de fou qu'il avoit Il fa Cour, personnage en qui de balïès complaifaaces ̃& -d'iiî:lipides bouffoaeries faifoieat fi.ippor.ter l'abfence de tout mérite. Comment ie
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» fait-il, difoit Albuin, que cet homme fê 53 fafle aimer ici plus que vous? C'eit, « répondit le Dante, qu'il y trouve plus que moi des hommes qui lui reiïèmblent ( i )•
Les Hiftoriens ont loué notre Poëte de fa fermeté dans les difgrâces; il paroît avoir démenti cet éloge en écrivant, de fon exil, aux Magiftrats de Florence, des iettres pleines de repentir 8c de fournillion; l'une des ces lettres commençoit par ces mots Popule meus* quid. fcci tibi ? Ce ftyle convenait mal à celui qui venoit d'employer la violence pour rentrer dans fa patrie; & qui, peu de tems après, reprit le ton de l'infulte & de la menace.
Dante, dans fon exil, parcourut différentes Villes de l'Italie où il Séjourna. peu. C'eft à Sienne que lui arriva un (i) C'eft le fens de fa réponfe, fi ce ne fout pas fes propres paroles.
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événement qui fait connoître la profonde application dont fon efprit étoit fufceptible.
Il fe trouvoit un jour dans la place publique;lorfqu'on lui remit un livre que depuis long-tcms il avoit envie de connoître. Son impatience ne lui permet pas de retourner chez lui. Il s'appuye fur le devant d'une boutique, ouvre le livre Se lit. Peu de rems après la place-Ce remplit de monde on y célébroit ce jour -là une fête que Bocace appelle Armeggiata. Grand bruit d'armes, d'inftrumens, d'applaudifTemens & enfuite de danfes & de jeux de toute efpèce. Rien ne put diftraire notre Poëte; il continua fa lecture jufqu'au foir, & jufqu'à ce que le livre fite achevé. Enfuite, lorfqu'on lui parla de la fête, on s'apperçut qu'il n'en favoit feulement pas eu conüoiffance. Après avoir erré dans l'Italie, il pana les Alpes & vint à Paris. Tous les Écrivains ne font pas d'accord fur ce voyage,
Vit. <!ïDanr.
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\) mais Bocace l'accède, Se fon autorité eft d'un grand poids, Dante lui-même, au dixième chant de foil Paradis, nous apprend qu'il fFtivait les Écoles rue du Fouarre. Bocace dit qu'il argumentoit en Théologie, occupation convenable à celui qui, par choix, 3 écrivoi: de l'Enfer Se du Purgatoire.
Tandis que le Dante étoit hors de l'Italie, il iè faifoit dans l'ét:lt politique de l'Europe des changemens qui pouvoient intéreffer fa patrie &c lui-même. Clément V étoit motité au trône Pontifical, Se ia brigue avoit fait nommer Empereur, Henri de Luxembourg. Le premier foin de Henri, après fon élévation, fut de venir foumettre l'Italie, que les Empereurs regardoient toujours comme un patrimoine aliéné. Henri mit le fiége devant Breflè. Au bruit de cet événement, le Dante fentit remuer dans fon cœur l'espoir de «la vengeance. Il repallà! les Alpes ôc fe rendit auprès de l'Empereur.
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Les bannis de Florence venoient due toutes parts fe ranger fous les drapeaux de ce Prince ils lui perfuadèrent de lever le fiége de Brelïe pour former celui de Florence, lui faifant envifager que la reddition de cette place entraîneroit celle de l'Italie entière. Henri fe laiiïà prendre à Tillufion de ces promenés, mais l'événement le détrompa il échoua devant Florence & fut obligé de fe retirer (1). Le Dante ne prit point les armes contre fa patrie, mais il pouffa la main armée pour la punir.
La mort de l'Empereur fuivit de près fa retraite. Il mourut près de Sienne, à Buonconvento, l'an 1 313.
Le Dante, par cette mort, perâoir fa dernière efpérance. Exilé, fans biens, (i) Nous avons une lettre du Dante écrite à" l'Empereur dans ces circonftances. La haine qu'il avoir pour fa patrie y e& peinte avec les couleurs les plus fortes.
Fcrrct. c!i
Vie. Hiit
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tout lui manqttoit mais fon talent lui refloit encore, & ce talent lui fit un ami digne de le accourir dans fa. difgrâce. Gaido da Polenta Souverain dans Ravenne, étoit du petit nombre de ces ciprits heureux, qui, alors, favoient déjà rougir de l'ignorance & qui goûtoient le charme des lettres naifiantes. Que l'on fe peigne la fituation d'un Prince ifolé par fon rang, & qui, né avec le goût de Pinftrutfcion ne trouve dans aucun de ceux qui l'approchent de quoi fe délaffer des foins de la grandeur, & fe confoler en quelque forte de la folitude du trône. Combien dans une fituation pareille l'homme de génie devient utile & néceffaire au Prince! Lorfque celui-ci l'appelle, & fubvient â tous fes befoins, on ne fait lequel des deux doit le plus à l'autre.
Guido favoit qu'il eft une noble fierté inféparable du talent & qui s'accroît, dans l'infortune. Il [avoir que l'homme
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l'homme de mérite, réduit à l'indigence, frémit de rencontrer le regard du mépris que dis je ? Il favoit que le plus doux plaifir du bienfaiteur, n'eft. pas de verfer d'en haut fes bienfaits avec la fupériorité de l'homme qui domine, mais de les tranf mettre de niveau, pour ainfi dire, avec le charme de l'égalité. Guido goûta ce plaifir délicat; il fut au-devant du Dante profcrit, indigent & malheureux. Il lui offrit ià Cour pour afyle, & lui fit part de fes richeiïes. Dante reçut avec noblefle un fervice offert noblement il devint l'ami du Souverain plus que fon protégé. Fixé dans Ravenne, il y fit un grand nombre de Disciples dans la Langue dont il étoit pour ainii dire le créateur. 1 Cette école de Poëfie tenue par le Dante, étoit une forte de domination exercée fur les efprits, & bien propre le confoler des honneurs qu'il avoit perdus. Ceux dont il jouifToit tenoient à fon
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talent, à fa perfonne; & (ce qui dévoie en relever le prix) dans l'infortune publique, il étoir le feul qui pût goûter de tels dédommagemens.
Les biens & les maux fe fuivent de prés leur prompte alternative laifle à peine à l'homme ie t.ems de jouir de fon bonheur. Ce paflàge rapide eft remarquable dans la vie du Dante. Son élévation à la Magiftrature avoit commencé le cours de fes difgrâces le tems de fon Ambaflàde auprès du Pape fut celui de fa ruine; une nouvelle Ambaflàde devint l'époque de fa mort.
Les Vénitiens menaçoient fÉtat de Ravenne. Guido alarmé d'une guerre où il prévoyoit fon infériorité, tenta, par la voie des négociations, de ramener à la paix le Confeil de Venife. Il confia fes intérêts l'ami que l'infortune venoit de livrer à fes bienfaits. On a fait au Dante l'honneur de penfer que le chagrin de n'avoir pu fervir fon bienfaiteur
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dans une négociation fi importante, avoit abrégé fes jours» Quoi qu'il en foit d'une conjecture honorable pour le Dante & pour l'humanité, à fon retour de Ve-
nife il tomba malade & mourut âgé de 5 6 ans. On l'enterra folennellement
à Ravenne, dans l'Eglife des Frères Mineurs», Les premiers de la Ville portoient fon cercueil; le lit funèbre étoit décoré d'ornemens relatifs à la Poëfie. Après la cérémonie du convoi Guido prononça dans fon Palais, l'éloge du Dante; il fe propofoit de lui élever un maufolée, & il invita les meilleurs Poëtes à lui fournir une épitaphe digne de celui qu'il vouloit honorer.
Guido n'eut pas le tems d'exécuter fes projets; il avoit foulagé l'infortu* ne, il la fentit lui-même. Privé de fes États il finit fes jours à Bologne. Bo* caçc, qui avoit vu les différentes épi* taphes faites pour le Dante, nous a transmis celle qu'il jugeoit la meilleure. Sur
Ãn. iJiU
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ce morceau informe, on peut fe faire une idée du dépériïlement de la Poëfie, -dans ce fiècle qui cii préparoit la renaifrance.
Theologus Dantes nullius dogmatis expers lnclita fama cujus univcrfum pénétrât orbem Dantes Alighcrii Florenti genitus urbe
Cônditor eloquii, lumen decusq.. Mufarnm Vulnere ùzvx nccis ftratus, ad fiderà tendens Dominicis annis tçr-fcptem mille trecentis Septembrisidibus, praciènti clauditur aulà. On feroit tenté de penfer que l'Auteur de cette épitaphe crut l'écrire en vers mais les fautes de quantité y font fi groffières qu'on ne peut s'arrêter à cette idée, à moins de croire que la profodie Latine étoit entièrement perdue.
Obièrvons que le premier titre donné au Dante dans l'épitaphe que nous venons de cirer, cet celui de Théologien ce qui prouve que, pour plaire à ioii ïiècle il n'avoitpasmal choiiîle fujet de ion Poëme.
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Voici une autre épitaphe attribuée aa Dante même, & qu'il composa, dit-on, les derniers jours de fa vie. La quantité y eft plus exacte, & les vers font rimés. Ce moment opérait une révolution dans la Langue 8c dans la Poëfîe, & l'idiome Italien fc farnxoit de la décomposition du Latin, altéré, corrompu jui'ques dans fes élémens.
JuraMonarcIîix, Superos, Phlcgeconra, racnfqùè Luflxando cecini voluerudt fara quoulquc. Sed quia pars ceffit melioribus liofpka caftris Àuéloremqne fimin»pctiic fclidor afixis, ̃ Hic claudor Dames) patriifque excorrisab bris Qnem genuit parvi Florentia mater araoris^ Si cette épitaphe eût été compofée par le Dante,. Guido ne l'eût pas ignorée, & vraifemblablement il n'eût pas invité les Poètes en composer d'autres.- Le Dante eut quatre fils, appelés Pierre, Jacques, Alighier, Éiifée; le plus diftingué d'cntte eux fut Pierre. Il vécut à
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Vérone, où il fuïvït l'étude des Loix. Il a exifté un Commentaire de lui fur les Ouvrages dc fon Père; ians ce Commentaire, Philelphe ne penfoit pas que ces. Ouvrages puiTent être entendus. Il eft malheureux pour un Poëte, d'avoir befoin de telles reflburces. On a fondé des Chaires en Italie pour expliquer le Dante; en France, fa réputation fe foutient par le rcfpecî d'une ancienne tradition on le loue plus qu'on ne le lit. La vie du Dante eft faite pour préparer à la çonnoiflànce de fes Ouvrages, c'eft dans, cette vue que nous l'avons écrite fon Poème eft l'image vivante de fon efprit, 6c nous venons, en quelque forte, d'en efquifTer les premiers traits. Ajoutons y un trait encore qui couronnera fon portrait Se fon éloge. Il créa la Poëfîe Italienne, & en préferva l'orii gine de toutes les agrégations d'un goût vicieux & corrompu. Ses iuccefïèurs Font ils toujours imité ? Le Dante, par le natu-
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rei de fon eCprit jfi.it digne de nditrc dans les beaux fîècles de la Littérature^ combien doit on l'eftimer d'avoir le premier connu ce naturel & d'en avoir donné l'exemple
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Mcm. de
l'Acad. des Infcr. Hift. Vie Je Brun. Lnc.parPhilt ViiL
NOTICE
DES OUVRAGES DU DANTE.
J'ai annoncé dans la vie du Dante que je parlerois de Brunetto Latini fon maître c'eft ici l'occasion d'en dire quelques mots.
Brunetto naquit Florence peu après le commencement du treizième fiècle. Il
étoit Orateur, Poëte, Hiftorien, Philofophe & Théologien. Il contrilaua beaucoup la renaiflance des Lettres.
Enveloppé dans la difgrâce des Guelfes, dont il fuivoit le parti, il vint le réfugier en France l'an iz6o. C'eft à Paris qu'il composa, l'ouvrage qu'il intitula le Tréfor; il y traite de la Philofophie théorique Se pratique. Dans cette divifon l'Auteur embrafïe la Cofmogra-
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phie, la Géographie, l'Hifl:oire facrée &: profane, l'Hiltoire-Natiuvlie, la Morale, la Rhétorique Se la Logique. L'Ouvrage eft écrit en François l'Auteur aifcétionnoit cette Langue, il en aimoit fur-tout la douceur.
On a eu tort de penfer que le Dante avoit étudié à Paris fous Brunetto ils ne s'y trouvèrent point enfemble; mais lorfque Brunetto fut de retour à Florence, il dirigea les premières études du Dante encore enfant.
L'Ouvrage de Brunetto que j'ai cité, n'existe qu'en manuscrit: une raitoil pour qu'il foit peu connu. On a de lui un autre Ouvrage imprimé, extrait en partie du premier &: moins confïdérable. Le titre de celui ci eft le petit Tréfor, Teforetto il eft écrit en Italien. Nous allons fommairement le faire connoître.
L'Auteur fuppofe qu'il revient d'E£pagne} il s'égare dans un bois & fe
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trouve bientôt après, au pié d'une montagne couverte d'animaux, de fleurs, de fruits de toute efpëce. Ces plantes, ces animaux font foumis au commandement d'une femme que le Poëte dépeint ainiï « Sa tête 'touche aux Cieux qui fem» blent lui fervir de voile & d'ornements Le Ciel à fa voix s'obfcurcit 5c devient M ierein fes bras s'étendent aux extré« mités du monde. Cette femme eu la. Nature
Ce commencement promet beaucoup, & trop fans doute pour ce qui vient après,. Cette idée de la Nature perfonnifiée, eft du même ton que les plus belles fictions d'Homère mais que devient ce début fi noble & fi imposant?
La Nature que le Poëte fait parler,. .décrit en vers très-plats la création du monde. Elle fe jette enfui te dans les détails d'une phyfique auffi contraire à la Poëfie qu'à la faine raifon. Elle entre-
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prend d'expliquer quel eft,dans la tête de l'homme, le fiége de la penfée, celui de l'entendement & celui de la mémoire.
Après la Physique, la Morale a fon tour, & la Nature veut aufli en développer les principes. Mais ces principes Ce bornent aux Commandemens de Dieu & de l'Églife, mis en vers techniques, tels que ceux dont on a coutume d'aider la mémoire des enfans.
Par cet extrait de l'Ouvrage de Brui netto, on voit ce que peuvent les premiers efforts d'un homme inftruit, dans un tems d'ignorance & de barbarie. Le lavoir entame fous fes mains les matériaux des plus beaux ouvrages; mais ces matériaux relent en défordre dans fes écrits comme dans fa tête, & ce qu'il produit n'eft qu'une maflè informe Congeftaqne codem
Non benc junftarum difcordia femina rcrutnt
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On auroit droit de s'étonner de ce qu'à la. renaiflànce de la Poëfie le goût; fat ft lent fe forlner les modèles du vrai goût, les Anciens, étoient fous les yeux de ces premiers Écrivains qui raUumoient le flambeau des Lettres comment l'imitation fi naturelle à l'homme, ne formait-elle pas les écrits des Modernes fur ceux des Maîtres qu'ils étudioient Se qu'ils admiroient? Cela ne peut guères s'expliquer ni fe concevoir, qu'en colifidéraut à quel point on naît efclave de fon fiècle. Brunetto-, le Dante trouvèrent le leur en partie enveloppé des ténèbres de l'ignorance, em partie éclairé des faulTes lueurs du jour qui commençait: à fe répandre. Les disputes de l'école, la haine des Papes ou le zèle fanatique de leur caufe, enfin je ne fais quel amour idéal, fruit extraordinaire des mœurs de la Chevalerie voilà qu'elles. étaient les idées dominantes & univerfellement établies. Il était.
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difficile de s'y conformer fans 5' éloigner de celles des Anciens. Mais les efprirs ayant une fois pris -leur, direction, û l'imitation les rappeloit aux premiers modèles, le mouvement qui les en rappro.choit devenoit contraint & gêné c'étok en quelque forte celui d'une eau, dont un cours violent contredit la pente naturelle. Je me repréfente les Ecrivaüis du treizième fîècle, relativement à l'Antiquité, comme un Peintre qui tourneroit le dos ion modèle toutes les fois qu'il voudoit le consulter, il fe trouvei-oit dans une attitude forcée, &L l'ouvrage s'en reflenriroit. Auffi peut-on obferver que l'imitation des Anciens dépare plus qu'elle n'embellit les Ouvrages des Écrivains dont je parle. Les beautés vraiment eftimables du Dante & de Pétrarque, n'.appartiennent en rien ni aux Grecs, maux Latins leur filiation ne remonte pas fi haut ce font fi j'ofe aînfi parler des Nobles d'extraction nouvelle, êc
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que leur propre mérite vient d'anoblir. L'extrait de la Comédie du Dante en fournira la preuve.
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DE LA COMÉDIE
DU DANTE.
LE DANTE avoît commencé fan Poëmc en Latin & en vers hexamètres. Le pre-r .mier de ces vers nous a été confervé. Ultime regna canam Huido contermina munckv Il fervoit d'expofition à l'Ouvrage ëc en indiquoit le fujet. L'Auteur, en r.éfléchiflànt fur l'ignorance de fon iîècle, M -dit Bocace, fentit qu'écrire en Latin Se en ftyle relevé, c'étoit donner des croû-n tes à mordre à des enfans qui fuçoient ̃n encore la mamelle Le Dante changea donc de projet; il écrivit fon Poème en Langue vulgaire, Se dans un ftyle humhle, pour parler comme Bocace. Sur quoi nous ferons quelques obfervations,
Le Dante, qui J'abord commençoit Çqq.
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Poème à la manière des Anciens, par une exposition claire & fuccintle, Suivit une autre méthode dès qu'il écrivit dans une Langue diflérente; comme ïi l'idiome eût réglé le plan qu'il devoit fuivrc. Nous verrons bientôt que le commencement" de l'Enfer eft abfolument femblable Icelui du Teforetto. On eût dit que le Dante marchoit fous des enseignes différentes Brunetto devenoit fon guide. Mais ce qui pouvoit convenir à un Ouvrage auffi court que celui de Brunetto, ne convenait plus au Poëme du Dante, trop étendu pour qu'on ne dût pas d'abord en expliquer le fujet*
Notre féconde obfervation porte fur le ftyle humble que le Dante fe crut obligé de prendre, pour fe conformer la foiblefïè de fes Lecteurs. Ce fut, nous dit-on, ce caractère du ftyle qui détermina le titre de l'Ouvrage (1) ce titre (i) Comédie. eft
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eft d'autant moins juftifié par -là, que l'Auteur n'a pas tenu ce qu'il s'étoit promis. Il a parcouru toutes les nuances du ftyle, depuis l'épique jufqu'au fami- lier. Cette variété même, eft un des mé* rites que fes admirateurs ont fait valoir. Il prend, dit Gravina, le ftyle tragique « dans les morceaux élevés, le comique >» Se le fatirique dans ceux qui le font moins le lyrique dans la louange, » & l'élégiaque dans la douleur ». On, en a dit autant d'Homère cet éloge femble avoir pane du Poëte ancien au moderne, à peu-près comme au l'habit du principal Acteur pafTe à, fort double.
J'ai dit que le Poëme du Dante commence de même que celui dé Bruriétto. Le Dante voyage, & fe perd dans une forêt. Je ne fais, dit le Poëte, comment j'y entrai tant j'étois appefanti par le Jbmmeil. Il arrive au pié d'une mon-; tagne, .dont. le Soleil levant éclairoit la
Rag. IVsît»
Diic. 1.
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cime: il veut gravir fur la montagne; un léopard s'oppofe à fon paffage l'animai furieux étoit prefTé par la faim, fon àfpecVinfpiroit l'effroi, l'air méme en paroijfoit épouvanté;
Si che parea che raër ne temeflè.
Penfée fauffe.
Virgile a dit, dans une circonftance femblable,
Refluitque exterritus amnis.
Fit Racine,
La terre s'en émeur, l'air en eft infedé
Le flot qui l'apporta recule épouvanté.
L'un & l'autre eft vrai, parce que le rebroujjiment du fleuve peut juftifier le fentiment qu'on lui prête, mais la préfence d'u.n monftre ne produit dans l'air aucun effet fenfîble auquel on puiiïc attacher le fentiment de la crainte.
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Le monstre avançant toujours fur le Dante, le force à defcendre jufques dans. des lieux profonds oû le Soleil Je taîti Mi ripingeva dovèi Sol tace.
Cette expreflîon mérite qu'on s'y artête, ne fut-ce que pour examiner ce qui la rend défe&ueufer Le filence &. l'obfcurité ont entre-eux une analogie certaine; l'un & l'autre eft l'absence de ce qui frappe deux de nos fens; le bruit & là lumière. A l'aide de cette analogie on pourroit adapter aux ténèbres Une ex~preflion propre au lilence la plupart des métaphores ne consent que dans- cet ufage détourné des mots que nos fens, fi j'ofe ainfi parler, s'empruntent & fe rendent réciproquement. Dans l'exemple préfent, ce qui gêne l'esprit, c'eft que la métaphore n'aflbeie pas le filence & les ténèbres, mais le Soleil èc le filence. L'analogie n'eft pas fentte, & l'expreffion métaphorique vient de trop
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Enf. cant. j.
loin chercher le mot auquel elle s'unir. De tels rapprochemens doivent te faire iL de moindres diftances & par un parfage intenable, afin que l'efprit n'y fente aucun effort, n'y trouve aucune violence.
Au refte la métaphore que nous blâmons ici eft familière au Dante il a dit ailleurs: J'arrivai dons un Lieu, muet de toute lumière. JE venni in luogo ̃d'ogni luce muto. Reprenons la fuite du Poërne..
Le Dante, frappé d'effroi, s'renfonce de plus en plus dans les profondeurs d'une vallée obfcure. Au milieu d'un vafte défert ii apperçoit une ombre; il lui crie d'avoir pitié de fon fort. A fes cris l'ombre accourt cette ombre eft Virgile que Béatrix envoie pour raffurer le Dante,- & pour le promener dans les régions de fEnfer. Le difcours de Virgile & le nom de Béàtrix diffipent peu à peu la frayeur du Dante; il reprend fes efprits
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Se revient à lui-même, ce que le Poète exprime aiufi
Quai' i fiorctti dal notturno Gclo
Chinati, & chiufi poi ch el fol gl'imbianca. Si drizzan tutti aperti in loro ftelo
Tal nii fec' io di mia virtutc ftanca
Et tanto buon ardir al cor mio corfc.
Comme un lis qu'attriftoit la froidure ennemie,. Sur fa tige inclinée, infirme & langùilîant, Aux première clartés du foîcîl renaiflànc Leve fa tête appefantie,
Et s'ouvre aux doux rayons de l'acre Ainfi mon âme épanouie
Renaît à l'efpérancc &c revient à la vie.
Le Dante, fous les aufpices de. Virgile, pénètre dans l'Enfer. La defçriptioa qu'il en fait, ne reffemble point à celle qu'on lit dans l'Éneïde. En lifant l'Enfer du Dante, on ne peut s'empêcher de regretter les nobles fictions de la Mythologie ancienne auffi conformes au
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génie des beaux Arts, que celles du Dante y font contraires. Dans l'ouvrage de ce dernier, l'Enfer eft un abyfme profond, qui, depuis fon ouverture jufqu'à fa dernière profondeur, conferve une forme ronde régulière. C'elt, proprement parler, un puits immense, dont les différens cercles forment autant derégions, Au reffe, le commencement de il lç faut avouer a quelque chofé de très-Jmpofant.
Le premier objet que le Pçëtc apperçoit,eft. une porte d'airam au-deirus do laquelle iont écrits ces vers
Per nie fi va ncîla città dolentc
Pcr mc fi va nel eterno doîore
Per me lî va trà la perdura gente»
Giuilizia raoîîel mio alto fattore»
Fecc mi la divina poteftate
la fomma. fapicnza, c'l primo amorce
Dinanzi a nie non fur cofe create,
Sç non çteme» &. io çterno duro.
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Laffâte ogni fperanxa voi ch' entraxe.
Quefle parole di colore ofcuro
Vid' io fcritte al fommo d'una porta.
C'efl ici de l'Enfer le paffâge effroyable,
C'eft ici le chemin vers la race coupable C'eft ici le féjour du crimc & des tourment. L'Éternel en jeta les facrés fondemcns.
La fàgeflè & l'amour gouvernent fit puiflànce, Sa juftice m'a fait pour fervir fa vengeance. Je fus fait avant tout, & n'aurai point de fin. Vous, qu'amènent ici les ordres du deftin Sur, le feuil en entrant dépofez l'efpcrance. Ces mots étoient traecs fur des portes d'airain» Cepafîage, fi je ne me trompe a quelque chofe de plus impoiant de plus. fombre, de plus terrible que tout ce qu'on lit dans le fixième Livre de Virgile. Ce vers entre-autres
Laflàte ogni iperanza voi ch* entrafte
Sur le feuil en entrant dépofez l'espérance porte un caractère de févérité qui in^>ire
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le refpcéb & la crainte. Quoique cette porte & cette infcription ne foient que (les fi&ions du Poëte, elles femblent appartenir de plus près la vérité, que les fictions dont Virgile embellit fa description de l'Enfer,
D'ailleurs, une obfervation que je crois vraie, c'eft qu'un ftyle auffi élégant auffi harmonieux que celui de Virgile, diminue l'horreur des objets les plus effrayans, & mêle je ne fais quoi de doux aux imprenions les plus terribles. C'eft ce que Jîoileau fans doute indiquoit par ces vers;
Il n'cft point de ferpent ni de montre odieux Qui par lsart imité, ne puiflè plaire aux yeux. D'un pinceau délicat l'artifice agréable
Pu plus affreux objet fait un objet aimable, il réfulte de-la, que les ouvrages oit J'art a mis la dernière perfection, font d'un effet plus égal, plus continü & plus 4oux; mais dans certains ouvrages moins
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parfaits, le génie fe montre, par intervalles ious un appareil terrible. Ses accens ont une énergie brute Si. fauvage,- dont l'âme s'étonne èc dont elle frémit intérieurement.
Nous ne fuivrons point le Dante pas à pas dans l'Enfer; les rencontres qu'il y fuit, & les divers entretiens des ombres qui lui apparoifTent, font, pour la plupart, dénués d'intérêt. Le Lecteur aimerà mieux lire un pafïage imité de Virgile, Se comparer le ftyle des deux Poètes. Le Dante veut repréfenter les ombres prêtes à paner le fleuve de l'Enfer; il Come d'Auturano f levai! le foglie
L'un apprcffb delsaîtra infiu çhel ramg
Vedc a la terra tutte le fue fppglie
Similmcnte, il mal feme d'Adqmo
Getta fi di quel lito ad tma ad iina
Pcr cenni, com' au(-CI per f«Q riehia»tto, Quand l'Automne jauni? h,s fcviiliç?
Çanto 5.
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Toor-à-touronles voit de leur tige arrachées,. Tomber, couvrir.Ia terre & l'arbre dans les airs Élève un tronc hideux fymbole des hivers. Aïnii du fcrible Adam la race criminelle
Comme l'autour docile à lit voix qui l'appelle, Accourt fur cc rivage, & franchit tour- à-tour Ces bords que tout mortel doit palier fans retour. Voici le paflàge de Virgile
Htîc omràs turba ad ripas effufa mebat
Matres arque viri, defundaque corpora vit! Magmnimûtn heroum, pueri,innuptœquc puelIx Impofitiquc rogis juvenes ante Qra parenturo QaàiB mnka in filvis Autumni fngorc primo tapfâ cadunt folia autad terram gurgiteabaîra Qaàm rouharglomerantur avcs, ttbi frigidns annus Trans pontum fiigat, & terris immittit apeicis. Après avoir vu dans la vie du Dante combien il fitt dominé par le Sentiment de l'amour, on auroit fujet de s'étonner s'il n'en avoit fait aucune mention dans fon Ouvrage mais il n'a point laiiFé au î*ecl:eur ce fujet d'étonnement. Le Dante
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fe promène dans la région de l'Enfer qu'habitent les Amans malheureux. Il y rencontre Françoife fille de Guido da. Polenta, auprès duquel le Dante a fmi fes jours, & Paul, l'un des fils de Malatelle, Souverain dans Rimini. Françoife, de fon vivant, avoit aimé Paul, ôc lui avoit été deftinée en mariage mais Lanciotto, frère aîné de Paul, s'étoit vu préférer par la famüle. Ce mariage eut des fuites funeftes Paul & Françoife ne furent pas commander à leur paflion; Lanciotto les épia, des furprit &. les affaffina tous deux. Ce font ces victimes de l'amour que le Dante apperçoit de loin dans l'Enfer, au milieu d'une région désolée par des vents impétueux. Le Dante appelle ces deux ombres
Quali colombe dal difio chiamate
Con Mi alzate, & ferme al dolce nido
Volan per l'aër dal voler portate;
Cotai» ufcir della fchiera ov'è Dido
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A noi venendo per l'aër maligno
Si forte fù l'affèttuolb grido.
Françoife la première adreffe la parole au Dante
O! animal gratiofo & benigno
Che vifitando vai per faër perfo
Noi, che tigncmmo'l mondo di fanguigno Se foflè amico il rè de funiverfo,
Noi pregheremo lui per la tua pace
Po ch'ai pietà del noftro mal perverfo.
Di quel eh'udir, & che parlar ti piace
Noi udiremo, & parleremo a vui
Mentre che'l vento, come fa, fi tace.
Siede la terra dove nata fui
Su la marina, dove'l Pô difcende
Per haver pace co' feguaci fui.
Amor, ch'al cor gentil ratto s'apprende,
Prefe coftni de la beîla perfona
Che mi fù tolta, e'1 modo ancor m'offènde. Amor, ch'a null' amato amar perdona,
Mi prcfc del coftui piacer si forte
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Chc,come vedi, ancor non m'abbandona. Amor conduffe noi ad una morte.
Caina ( i ) attende che'n vita ci (penfe.
Qucfte parole da lot ci fur porte.
Dà ch'io intefi que! anime offenfc
China'l vifo, & tantol tenni baflb
Fin chc'l poeta mi diiïè che penfi ?
Quando rifpcfi cominciai O laflb!
Quanti dolci penucr, quanto difio
Menôcoftoro al dolorofbpaflb!
Poi mi rivols' a loro, & parlai io
Et cominciai; Francefca, i tuoi martiri
A lacrimar mi fanno trifto & pio.
Ma dimmi al tempo de' doici fbfpiri
A che, & come concedette amore
Che conofcefte i dubbiofi defîriî
Et ell' a me; nefllin maggior doloie
Che ricordarfi del tempo felice
(i) C'eft le nom que donne le Dante à une des régions de l'Enfer.
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Ne la miferia; & cio lîi'l tu dottoret
Ma s'a conofcer la prima radice
Del noftr'amor tu hai cotanto affetto
Faro come colui che piange, & dice.
Noi leggiavam' un giorno per diletto
Di Lancilotta, come amor la Urinée
Sali eravamo & fenza alcun fofpetto.
Per più fiate gli occhi ci fofpinfe
Qucîla lettura, ôc fcolorocc' il vifo
Ma fol un punto fù quel che ci vinfe.
Quando îegemmo il difiato rifo
Elîèr baciato dà cotanto, amante
Quefti che mai da me non fia divifo
La bocca mi bafcio tutto trcmante:
Galcotto fù il libro, & chi lo Icriflè ( i
Quel giorno piu non vl Iegemmo avantc. Mentre che l'uno fpirto quefto diflè
(i) Dans le Roman qu'ils lifoienc, Galeotto avoit favorifé la pat1ion des deux Amans Françoife dit qu'enrre elle & fon Amant, le Livre Joua le même tôle,& favorifa leurs amours.
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L'aîtro piangcva sl che di pictade
venni men, cosi m'io moriflè
Et caddi, come corpo mortocadc.
Ce morceau eft plein de naturel, de douceur &C de grâces la fîtuation des deux Amans, au moment où ils s'atte.üdriilent, & où le Livre leur tombe des mains, exprimée fur la toile, formeroit un tableau charmant.
Tel qu'un couple amoureux de colombes fidelles Vole vers fes petits, les couvre de fes ailes; Tel ce couple léger, d'un vol précipité Fend les noires vapeurs dont fair eft infeâé. Françoife, en gémiflânt, m'adreflê la parole. » O vous, dont la pitié plaint, recherche, confolc » Deux Amans par le fer immolés autrefois Aux bontés de monDieu s'il me reftoit t des droits, » J'implorerais pour vous les dons de fa clémence, » Et vos vertus auroient leur jufte récompenfe. Mais je vois quel deflein vous a conduit ici. Écoutez de mon fort vous ferez éclairci.
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» Je puis parler; les vents ont ceiVé leurs ravages. » La Ville où je naquis embellit ces rivages »Où l'Eridan fougueux précipitant fcs eaux, u Court aux tranquilles mers demander le repos. » L'Amour (qui foumet tout & qu'un infant fait naître) » Lui ( 1 ) fit en même tems & chérir & connoître « Desattraitsdontl'éclatapaffc comme un jour. » L'Amour (ce fentiment que l'on doit àl' Amour) « Près de lui m'enivroit de ces pures délices Que mon cœur goûte encore au féjour des fupplices »L'Amour5du même coup nous fitpérir tous deux. » Sous cegouffre profond, un gouffre plus affreux 3' Attend le meurtrier qui nous ôta la vie Ces mots retentiflbient dans mon âme attendrie. Je demeurai frappé d'un long étonnement: Mais enfin, revenu de mon faififièment, 0 mortels m'écriai-je, ô races infenfées « Des defits les plus doux,des plus douces penfées, » Voilà donc où conduit la dangereufe erreur! » Françoife, vos difcours ont paffé dans mon cœur. (1) En montrant PauL-
» Mais,
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» Mais, répondez au tems de votre heureufe ivreflé 'el indice?!. vos yeux découvrit la tendreffe? » Ce fecret dans un cœur aime à fe renfermer, Et l'amour le pius viffait le moins s'exprimer » 1 i ). Francoifc répondit: « Quandoneftmiférable, » D'un bonheur qui n'eft plus le Souvenir accable; » C'eft le plus grand des maux que l'on puiflè éprouve: » Mais mon récit vous touche il le fautachéver. » Un jour, de Lancelot l'amoureuse aventure » Occupoknosloifîrs,charmoitnotre lecture (z): En lifitnt le récit de Ces heureux deftins
»Plus d\ineïois le Livre échappa de nos mains; » Et le trouble confus, peint fur notre vifagc, » Exprimant nos defirs,nous tint lieu de langage. » Un moment plus fatal acheva tous nos maux; » Le livre fe r'ouvrit, & nous lûmes ces mots » Lancelot d'un baifer que ravit fa tendreffe. (1) Ce Sentiment paroitra moins étonnant à ceux qui, auront lu la vie du Dante, & qui fauront combien l'amour le rendoit circonspect: & timide. (z) Les Amours de Lancelot font dans le Roman de la Table ronde.
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Cant. 9.
ce mot ma rougeur attefta ma foibleflè » Eh quelle Amante, ô Ciel! auroit pu réiifter » Ce que fit Lancclot, Paul ofa le tenter;
» Sa bouche s'approcha de ma bouche tremblante, Son âme fe perdit au fein de fon Amante. » Hélas depuis ce jour fi funefte à tous deux, » Le livre ne s'eft plus ouvert devant nos yeux Ainfi m'entretenoit cette Ombre défolée,
L'autre verfoit des pleurs, & mon âme accablée, D'une mort paffàgère éprouvoit les douleurs; Je demeurai fans voix, fans force & fans couleurs. A ce morceau d'un genre facile & doux, je vais en oppofer un autre d'un genre différent. Celui-ci eft la peinture d'un ouragan
Et già venïa fû per le torbid' onde
Un ftacaflb d'un fuon pien di fpavento
Per cui tremavan amendue le fpondej
Non altrimenti fattô che d'un vento
Impemafo per gli avverfi ardori
Che fier la felva fenz' alcun rattento
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Gli rami Ichianta, abatte, & porta i fiori, Dinanzi palverofo va fuperbo
Et ra fuggir le fiere & gli paitori.
Déjà fbrtoit du fein des ondes refoulées
Un bruit dont frémifibient les rives ébranlées. Ainfi, lorfque l'Eté darde fes feuxbrulans, Un ouragan s'élève & fait mugir les vents A travers les forêts il fuit comme un tonnerre; De leurs débris femés il couvre au loin la terre; D'un épais tourbillon il marche environné Tout fuit, tout difparoîtjle Berger concerne Cherche pour fes troupeaux un abri iàlurairc; Et la brute fe cache en [on obfcur repaire. Mon dcflcin n'eft pas de relever uniquement dans le Poëme du Dante ce qui me paroît le plus digne de louange: il entre dans mon plan de faire connoître fes défauts & même les plus groflîers car ceci eft une notice 8c non pas un éloge. Le Dante voit avancer un monstre horrible Virgile, qui accompagne notre Poëte, monte fur la croupe de cet ani-
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mal, & il exhorte ton Compagnon fe fervir de la même monture. « Voilà lui » dit-il les échelles à l'aide desquelles 53 nous de[cendrons désormais. Place» toi devant moi, de crainte que la queue ̃>̃> du monstre ne te bleile M. Ce montre efl Gerion Virgile lui commande de defcendre en décrivant de grands cercles. » Songe dit-il, à la nouvelle charge qu tu tu portes
Cette fiction pourroit tenir fa,.pl:ace au milieu des folies de l'Ariofte; mais dans le genre grave, ténébreux, adopté par le Dante, & qui convenoit à fon génie, ces folies, triftement plaifantes, ne forment qu'une difpar-ate ennuyeuse.
Le Dante tombe encore dans des fautes plus grollières. Il ouvre aux yeux détecteurs un fejour d'immondices, où il peint les criminels fe roulant dans l'ordure. Un Poète que fon fujet condamneroit à tracer de telles images, chercheroit du moins les déguifer, à les
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embellir par le charme du coloris &: par la magie de Texpreifiori. Mais ici ,1'ex-* preffion eft. auffi fale que l'image; l'une & l'autre ne préfeiitent au Lecteur qu'une: horreur dégoûtante on peut en juger.. Quindi giù nel foflb.
Vidi gente.attuffata in uno fr-crco
Che dà.gli human privati,parea riioliQ • j>
Et mentre che la già, con Focchiocerco Vidi un cp'l capo sLdi merda lordo Che non pa.rca s'era. laïco, ,0, chertco. Ceux qui liront ces vers me- diipenfcront: de les traduire.
Ailleurs, le Poëte dépeint des criminels dont la tète a tourné fur leurs épaules, de forte qu'ils ont le vidage cla côté du dos; ce qu'il exprime ai nïî r E'I pianto degli occhi
Le natiche bagnava por b fciïb.
.]̃' Des fautes fîgroffières nous font juget du fiècle oit le Dante écrivait., Il- cil ;v
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préfumer que ce Poëte, qui avoit reçu l'éducation la plus diftinguée, Se qui vécut long-tems à la Cour des Souverains, n'eût pas rimé des fotifes dégoûtantes, s'il avoit eu des Lecteurs qu'elles dutTent dégoûter. L'homme de génie païe un tribut au tems ou il eft né on fait que Molière, par égard pour un Public encore trop peu éclairé, compofa quelques-unes de fes farces, & mit dans plufieurs pièces des mots obfcènes & des plaisanteries trop licencieufes.
Mais fi, au tems du Dante, l'efprit, le goût étoient réduits à cet état d'abjection que les deux derniers morceaux nous font connoître pour s'élever de ce point fes idées les plus hautes, quel intervalle le Poëte n'a -t- il pas franchi ? En s'élevant il foulevoit toctt fon fiècle avec lui ce qui le prouve c'eft qu'aucun de fes fuccefïeurs n'eft tombé dans les fautes groffières que nous venons de lui reprocher;
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les efprits s'étoient éclairés, 8C la lumière même de fes écrits en faifoic éviter les erreurs.
Après plufieurs morceaux défe&ueux repofons-nous fur le plus bel endroit de l'ouvrage celui du Comte Ugolin Le Poëte errant dans les abyfmes de l'Enfer, y découvre deux criminels, dont l'un déchire avec fes dents la; iêtê de l'autre, & fe nourrit de fa -chair. Il interroge ce furieux- fur les motifs de fa rage.
La bocca fcllevo dal fiero pafto
Quel peccator, forbendola a capelli
Del capo ch'egli havea di retro giiafto;
Poi comincio, tu vuoi ch' io rinovclli
Difperato dolor, che'lcor mi preraë
Già pur penfando pria ch' ia ne favelli;
Ma fe le mie parole eflèr den feme
Che frutti infamia al traditor ch' io rodo; Parlar, & lagrimar vedrai infienne.
Io non sô chi tu fie, ni per che modo
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Venùto fe quà giù. Ma Florentine
Mifèmbriveramentejqaand' io t'ada.
Tu dei faper ch' io fui Conte Ugolino
Et quefti è l'Arcivefcovo Ruggieri::
Hor ti diro perch' io fon tal vicino.
Che per l'effetto.de fuo ma penfieri
Fidando mi di lui io foflè prefo
Et pôfcià morto dir non è meflieri.
Perô quel che non puoi havere intefo
Çioè corne la morte mia fà cruda:
Udirai, & fàprai fe.m'ha oflfefb.
Brève pertugio dentro da la muda
( Laquai per me ha't titol de la fame
En che convien anchor ch' altri fi chiuda) M'havea moftrato per Io fuo forame
Più lume già quand'io feci'l mal fbnno
Che del futuro mi fqnarcià il velame.
Quefti pareva a me maeftro & donne
Cacciando'l lupb e lupicini, al monte
Per che PiCan vedcrLucca non pdnno,
Contcagne magre, ftudiofe, & conte.
Gualandi, con Sifmondï, & con Lanfranchi S'havéa meffi dinanzi dà la fronte.
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In picciol corfo mi pareano ftanchi
Lo padre, e flgli; con l'acute fèanc
Mi parea lor veder fender li 6anchi.
Quando fui defto innanzi la dimane
Pianger fenti fra'i fonnot i miei %liuol|
Ch' cran con meco, & dimandar del pane. Ben fe cradcl fc tu già non ti duoli
Penfando cio che'l mio cor s'annuntiava; E fe non piangi, di che pianger fuoli?
Già cran defti, 8c l'hora s'apprcflàva
Che'l cibo ne foleva effèr adotto;
E per fuo fbgno ciafcun dubitava:
.Et io fenti chiavar PuCcio di fotto
A l'horribil torre; ond' io guardai
Ncl vifb à miei figliuoli fenza far motta.
Io non piangeva, si dentro impietrai,
Piangevan elli & Anfelmuccio mio
Diflè tu guardi si padre; che hai ?
Pero non îagrimai ne rifpos' io
Tutto quel giorno ne la notte apprcflb
Infin che ra!tro fol nel Illaild0 ufcio.
Corne un poco di raggio fi fù meflb
Nel dolorofo carcerc, & io fcorfî
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Per quattro vifi il mio afpetto fteflb;
Ambo le mani per dolor mi morfi:
Et quei penfando ch' io'l fefïï per voglia
Di manicar, di fubito levarfi
Etdiflèrj padre, aflài ci fia men doglia
Se tu mangi di noi; tu ne veftifti
Qnefte mifere carni, & tu le fpoglïa.
Quêta mi allhor per non far li piu triai.
Quel di, & l'ahro ftemmo tutti muti.
Ahi dura terra, perche non t'aprifti ?
Pofèia che fummo al quarto di venuti
Gaddo mi fi gitto diftefo a piedi
Dicendo padre mio, che non m'aiuti
Quivi mori, & come tu mi vedi
̃ Vid' io cafcar li tre ad uno, ad uno
Tra'I quinto di, e'1 fefto ond* io mi diedi Già cicco a brancolar fovra ciafcuno
Et tre di Ii chiamai poiche fur morti.
Pofcià più che'l dolor pote il digiuno.
Quando hebbe detto cio, con gli occhi torti Riprefel tefchio mitero co' denti.
Le coupable à ma voix lève un regard farouche,
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Le crâne qu'il rongeoit échappe de fa bouche, Il en quitte regret les reftes dépouillés; Et fur ces longs cheveux que fes dents ont fouillés, Il prctïè en fbupirant fes lèvres qu'il effuie. « Comment te raconter les malheurs de ma vieî » Mon cœur, en y fongeant, frémit épouvanté: » Mais fi de mes difcours l'horrible vérité » Au monftre qui gémit fous ma dent ennemie » Peut, du plus noir affront, transmettre l'infamie, » Je parlerai. J'ignore, en cette obfcure nuit, Quel guide, quel fentier jufqu'à moi t'a conduit: » 5i j'en crois tes accens,tu naquis dans Florence; » Hélas! près de ces murs je reçus la naiflàncc » Ugolin eft mon nom, & Roger eft le fien ( i } » De tons deux à jamais fon crime eft le lien; » Le bras du Tout-Puiflànt le livre à ma vengeance; » Le perfide autrefois trompa ma confiance, » Et,Iorfqu'à fes confeils j'abandonnois moa fort, » Iltramoitma ruine & préparoit ma mort, » Quelle mort! l'avenir aura peine à le croire; » Je vais t'en retracer l'abominable hiftoire. (i) En le montrant.
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» Le cachot de la faim m'a fervi de prifon; 31 De mon fupplice encore il conferve le nom. « L'aube y jetoit à peine une foible lumière) Quand la main du fommeil abaiflant ma paupière » De fonges défaftreux tout-à-coup m'entoura; » Et le fbmbre avenir devant moi s'éclaira. « Je voyois fur ces monts dont la cime étendue Entre Luques & Pife intercepte la vue, « Je voyois les Simons, les Gâlans, les Lanfrans, y> Sous ce montre cruel montres obéiflàns a Pourfuivre un loup craintif, & des chiens fur fa trace » Preflèrl'inftina fougueux & ranimer l'audace. » L'animal fatigué qu'entouroient fes petits, » Traînoit avec effort fes pas appesantis
il s'arrête un moment; fa force l'abandonne; La troupe carnacière auflî-tôt l'environne, 53 Égorge fes petits fur fon corps étendus, 55 Et traîne dans le fang leurs lambeaux confondus; 35 Je m'éveille: mes fils ( i ) que le fommeil accable, (i) Ils étoient quatre, comme on le verra plus bas.
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« Tourmentés par la faim, dans un fonge effroyable S'agiraient, m'appeloient, & demandoient du pain. « O tai toi, qui m'entends, fi ton coeur inhumain
» Peut ouïr ce récit fans trouble & fans alarmes,
» Quel récit plus touchant fera couler tes larmes?
» Déjà l'heure approchoit qui de nos trilles jours
» Devoit renouveler l'ordinaire feeaurs
» Des fonges de la nuit les horreurs retracées
Dans un filence morneoccupoient nos penfées,
» Quand tout-à-coup. ô jour! ô terreur l ô forfaits » La prifbn fe ferma pour ne s'ouvrir jamais.
» Je regardai mes fils; ils fembloient tous m'entendre; » Je vis couler leurs pleurs, & ne pus en répandre, » Mon cœur étoit de pierre. 0 mon pére pourquoi » Tes yeux avec douleur Je tournent-ils vers moi,
» Me dit mon cher Anfèlmc encore en fon enfonce ? J'écoutai ce difcours & gardai le filence.
» Le cercle de la nuit déjà prête à finir
» Se fermoit dans les deux, fans qu'un mot,un foupi » Eût encore épanché ma douleur folitaire:
Des feux d'un jour nouveau quand la prifbns'éclaire A la foible lueur de (es rayons nailïàns
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» Je contemplai mes fils: fur leurs fronts pâliflâns » L'image de la mort quatre fois répétée,
» Quatre fois repouflà ma vue épouvantée
s> Â ce Spectacle affreux je déchire mon fein,
» Mes dents avec fureur ensanglantent ma main: »> Mon père arrête., 3 arrête t &fufpens ta furie,
Immole tes befoins ma languijffante vie;
» Nourris-toi de ce fang que tu nous a donné. » Je m'arrête en effet: abattu, concerné,
» J'eus pitié de mes fils, & je contins ma rage; » Lamortm'eûtmoins coûté cet excès de courage » N'adoucitqu'un momentla rigueur de leur fort: » Gaddi pour m'approcher mit un dernier eff'ort; » Il fe traîne, & fon corps fillonne la pouffière «II meurt, en fe plaignant des cruautésd'un père, » Il meurt,en m'imputant l'horreur de fon trépas, » Il meurt fur mon fein même & s'éteint dans mes bra » Chaque jour qui fuivit une mort fi cruelle
n Accrut mon défefpoir par une mort nouvelle » Par-tout de mes enfans les cadavres hideux
Effrayoient mes regards; j'errois au milieu d'eux, m Me roulant fur la terre avec des cris de rage,
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» Et preflànt dans mes bras leur infenfiblc image. » Le trépas mit un terme à des malheurs fi grands, » Et la faim fècourable abrégea mes tourmens. Il dit; & fatisfak, plein d'une horrible joie D'une dent dévorante il refï'aifit fa proier
Si l'on applique à ce morceau du Dante, ce que nous avons dit plus haut du ftyle inculte & des effets qu'il produit, on approuvera, je penfe, mes obfervations. L'effet général de ce morceau, eft de jeter dans l'âme du Lecteur une horreur fombre, qui le fatigue en quelque forte, 6c dont il a besoin de fe repofer le récit des faits les plus atroces dans Virgile, dans Ovide, & dans tout Poëte élégant, harmonieux, ne produit point cette impreffion pénible fi l'action qu'ils décrivent, l'image qu'ils repréfentent, portent à l'âme un coup qui la fait baigner, la douceur du ilyle eft un baume qui coule fur la plaie, & qui endort la douleur. Le Dante fait rarement éprou-
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ver cet effet confolant; par exemple, au moment ou le Comte Ugolin raconte qu'il dévoroit fes mains, le Poëte fait dire aux enfans de ce malheureux Afïâi ci fia men doglia
Se tu mangi di noi.
mot- à-mot rrzon père, il nous fera moins horrible que tu nous manges. Cette expreffion devient terrible à force d'être naturelle elle préfente une vérité effrayante, & n'y mêle aucun adouciflement. Que le Poëte eût foigné davantage l'expreflion, fans s'écarter du fentiment vrai, ce fentiment fe fût infinué dans l'âme avec plus de charme faute de cet art, le récit du Comte Ugolin attrifte plus qu'il n'attendrit, effraye plus qu'il ne touche s'il coûte quelques larmes, elles font rares & pénibles. C'eft lorfque l'âme eft préparée, attendrie par l'illu{ion des fens, que la fource des pleurs eu: abondante.,
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abondante & qu'il ell doux de les répandre.
Malgré ces obfervations critiques nous foufcrivons à l'avis de ceux qui] ont avancé que plufieurs morceaux aulli beaux que celui d'Ugolin, mériteraient au Dante une place entre Homère & Milton mais malheureafemezit les beautés de l'Ouvrage ne font pas en aflez grand nombre pour en compenfer les défauts.
De toutes les qualités qui font un bon Écrivain, le goût eft la plus tardive. Le génie eft un don de la Nature; &, par-tout où elle en jette la femence, ce germe ne tarde pas à paraître. Celui du goût ne peut s'accroître & fe développer qu'avec le fecours du tems &C de l'expérience, fecours qui manquoir au Dante, puifqu'il entroit le premier dans la carrière. Le Dante abufe quelquefois d'une pensée vraie il la rend faufle en y ajoutant. La vérité en matière de
Lcc. deVicg, àLcgifl.dcl. nuov. Arc.
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goût n'eft. qu'une ligne un point le mérite n'en: pas d'aller au-delà de ce but, mais de l'atteindre, & d'y refter. Citons quelques endroits où le Dante n'a pas apperçu le point jufte auquel il devoit s'arrêter.
Veut-il exprimer le trouble dont il eft iaifi en voyant fa Mai trèfle? Il dit: E'1 fangue che è per le vene dilperfo
Fuggcndo corre verfo
Lo cor che'l chiama.
Tout monfang reflue vers mon coeur., qui l'appelle. Les deux derniers mots font de trop
Racine a dit
Le voici vers mon cœur tout mon fàngfe retire. Entrano i raggi di quefti occhi belli
Ne miei inamorati
E portan dolce, ovunque io fento amaro. Ses regards pajjent dans mon âme, ù
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répandent la douceur ou je fens l'arnertume. Le Poëte ajoute Ces regards fuïvent la route que les regards précédens leur ont tracée ils favent le lieu où l'Amour les a laiflés. On ne peut trop s'étonner qu'après avoir conçu une penfée jufle & agréable, le Poète la défigure ainfi c'eft à plaifir eftropier l'enfant que l'on a mis au jour, bien conftitué, & doué de grâces naturelles.
Je veux citer ici un pailage du Taffè fouvcnt relevé, fouvent admiré, & qui cependant, faifi dans les.nuances du goût les plus imperceptibles, n'eft pas à l'abri de toute objection.
Volea gridar, dove o crndel me fola
Lafciï Ma il varco al fiion chiure il dolore, Si che tornô la Sébile parola
Piu amara indietro a rimbombar fu'l coré. « Elle vouloit s'écrier ou m'abandonnes-tu cruel? Mais la douleur fer<' tnant le pafTage à fa voix, ces mots
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Effai fur la
Poëfie Épiq. dl. 1.
M lamentables retournèrent en arrière M & retentirent avec plus d'amertume îj fur fon cœur ».
M. de Voltaire a loué ces vers; mais il parait laiffer entendre qu'il y a quelque critique à en faire. Si on les traduit exactement en français, dit-il, ce ne fera plus que du galimatias. Se feroit-il exprimé de même s'il eût jugé la penféeparfaitement jufte Se raifonnable?
Oferai-je dire ce, que j'en penfe? Peutêtre y pourroit-on blâmer un peu trop de recherche. Il Semble que le Poëte n'ait pu, fans quelque effort, imaginer que des mots étouffes par la douleur retournent en arrière s &fe font entendre intérieurement. Si l'Auteur de cette penfée n'étoit pas connu, & qu'il fallût deviner dans quel fiècle on l'a mife au jour, il feroit aifé d'affirmer qu'elle n'eft pas du tems d'Homère.
Au refte, veut-on voir la même idée préfcntée avec moins d'art èc de goût?
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C'eft dans le Poëme-du Dante qu'il faut la chercher elle y eft furchargée d'acceffoires. peu naturels, èc le Poëfe, dans ce paifage encore, a. dit plus qu'il ne falloit
El duol chetrova in fu gK occhi-rîritoppo Si volve innentro a far crefcer l'ambafcia. Sa douleur, qui ne peut fe foulager par les larmes, retourne fi concentrer dans l'âme j ô augmente/on angoijje intérieure^ Voyez la fuite-
Che le lagrime prime fànno gropp»
Et si come vifiere di criftallo
Riempioa fotto ciglio tutto il coppo.
Ce font leschent les autres de couler. Elfes tem- plijfenp toute la concavité des yeux & forment des vifières de criftalj ce qui fait dire au Poëte
Lo pianto fteffo li piânger non Iàfâa,
Ses pleurs mêmes l'empêchent de pleurer*
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On fent combien ces détails font éloignés de la vérité.
Le Dante a imaginé un fupplice de fEnfer auquel nul Poëte, avant lui, n'avoit fongé; c'eft le fupplice du froid. Il plonge les criminels dans un étang glacé je ne connois que l'Ifis de Qui- naut où l'on ait employé un tourment M: de Voltaire a traduit, ou' plutôt imité librement, comme il le dit luimême, un morceau de l'Enfer du Dante, que nous allons mettre fous les yeux du Lecteur.
Je m'appelais le Comte de Guidon;
Je'fus fur terre & ïoidat& poltron,
Puis m'enrôlai fous Saint François d'Affilé Afin ^ju'un jour le bout de fon cordon
Me donnât place en la célefte Églifèj
Et j'y ferais fans ce Pape félon
Quwn'ordottna de Servir fa feintïfe,
Et me rendit aux griffes du Démon.
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Voici le fait Quand j'étois fur la terre Vers Rimini je fis lorig-tems la guerre,
Moins, je l'avoue, en héros qu'en fripon. L'art de fourber me fit un grand renom Mais, quand mon chef eut porté poil grifon Tems de retraite où convient la fageffe, Le repentir vint ronger ma vieillefl"e,
Et j'eus recours à la confeffion.
O repentir tardif & peu durable
Le bon Saint Père en ce tems guerroyoit, Non le Soudan, non le Turc intraitable, Mais les Chrétiens qu'en vrai Turc il pilloir. Or, fans respect pour tiare & tonfure,
Pour Saint François, fon froc & fa ceinture, « Frère, dit-il, il me convient d'avoir
Inceflammcnt Prénefte en mon pouvoir » Gonfeille-moi, cherche fous ton capuce M Quelque bon tour,quelque gentille aftuce. Pour ajouter en bref à mes États
» Ce qui me tente & ne m'appartient pas. » J'ai les deux clés du Ciel en ma puiflànce » De Céleftin la dévote imprudence
j^S'en fervit mal, & moi, je fais ouvrir
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» Et refermer le Ciel, mon plaifir.
Si tu me fers, ce Ciel eft ton partage Je le fervis, & trop bien, dont j'enrage.
Il eut Prénefte & la mort me fàifit.
Lors devers moi Saint François descendit, Comptant au Ciel amener ma bonne âme Mais Belzébut vint en pofte, & lui dit:
« Monfieur d'Affife, arrêtez; je réclame » Ce Conseiller du Saint Père: il eft mien » Bon Saint François, que chacun aitlefien». Lors, tout penaud, le bonhomme d'Affife M'abandonnoit au grand diable d'Enfer Je lui criai: «Monfieur de Lucifer,
>. Je fuis un Saint voyez ma robe grife:
» Je fus abfous par le Chef de l'Églife.
» J'aurai toujours, répondit le Démon,
» Un grand respect pour l'absolution
» On eft lavé de fes vieilles fotifes,
M Pourvu qu'après autres ne fbientcommifès*" » J'ai fait fouvent cette diftinâaon
j> Â tes pareils; &, grâce à l'Italie,-
m Le Diable fait de la Théologie
Il dit, & rit. Je ne répliquai rien
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A Bdzcbuc il rail'onnoit trop bien.
Lors il m'empoigne,& d'un bras roide Se ferme Il appliqua fur ma trifte épiderme
Vingt coups de fouet dont bien fort il me cuit; Que Dieu le rende à Boniface huit!
Ce Poëme, ainfî traduit, auroit plus de |Le£fceurs qu'il n'en trouve aujourd'hui.
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DU PURGATOIRE. LA DESCRIPTION du Purgatoire dans le Poëme du Dante, eft auffi bizarre que celle de l'Enfer. Si l'Enfer eft un vaAe abyfme creufé en rond, le Purgatoire eft une maflè cylindrique, élevée à une hauteur prodigieufe. De diftance en diftance, des corniches faillantes fe détachent du cylindre, en fuivant toujours la circonférence. C'efl fur ces corniches que les coupables expient. leurs fautes, les uns plus haut, les autres plus bas, felon la mefure de leurs iniquités. On pane d'une corniche l'autre par des degrés de pierre, fort efcarpés; & enfin, au-de£fiis de la maffe entière, c'eft-à-dire au haut du Purgatoire, eft une plate-forme ornée d'arbres & de plantes de toute efpèce. l C'eft le Paradis terreftre qui fe trouve tranfporté la, on ne fait pas comment*
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& qui forme l'avenue du Paradis célefte. Je ne crois pas que cette descriptions éveille le génie d'aucun Peintre. i Le Dante décrit agréablement la première région qu'il parcourt en fortant de l'Enfer. Le Ciel s'y peint des couleurs du Saphir, & Paftre qui fait aimer, (le Soleil) éclaire & embellit tout l'Orient. Lo bel pianetta ch' ad amar conforta
Faceva tutto rider l'oriente.
Cette expreffion paroît imitée de Lucrèce:
Innubilus xthet
Integit, & large diSaCo lumine ridet.
Le Dante apperçoit un vieillard refpeccable; c'eft Caton, qui, étonné de voir un homme au féjour des Ombres, queftionne le Dante Se Virgile fur le fujet qui les amène. Virgile répond au héros d'Utique; & celui-ci exhorte le Poëte Latin à laver le vifage du Dante,
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fouillé des fumées de l'Enfer & à lui ceindre la tête avec un des rofeaux qui bordent la rive prochaine. Virgile fuit ce confeil le rofeau arraché, il en répoufle un autre; c'eft la même notion que dans l'JEnéïde au fujet du rameau d'or, und\ avulfoy non déficit alter. Le paffage des Ombres fur ce fleuve eft encore imité du Poëme Latin mais ici c'eft un Ange qui fait l'office du vieux Caron, qui admet dans fa barque certaines Ombres» & en rejette d'autres. Ce mélange de la la fable & des vérités faintes, déroge aux grâces de l'une, & à la dignité des autre. Nous ne ferons que parcourir rapidement toutes les dernières parties du Poëme, parce qu'il s'y présente peu d'en- j droits dignes ,d'arréter le Lecteur. Au chant vingt unième un tremblement de terre annonce la délivrance d'une âme du, Purgatoire. Cette âme eft celle de Stace. Son. Ombre fe joint aux deux Voyageurs & les accompagne
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dans leurs courfes. Stace, qui paffe du Purgatoire au Paradis, Caton qui dc- meure au féjour des Expiations, Virgile qui paroîc condamné à d'éternels fupplices, &c. on ne fait ce qui régloit le Poëte dans cette diipenfation des peines & des récompenfes, ni comment il con- cilioit ces idées avec celles de la Reli'on.
Dante, au chant vingt- quatrième, s'entretient avec Forèfe7 qu'il a connu fur la terre. L'entretien fini, celui-ci demande au Poëte quand il aura le plaifîr de le revoir. Cette demande faite en Purgatoire peut paroître plaifànte; le Dante y répond d'une manière grave & férieufe J'ignore, dit-il, le tems de » ma mort mais elle ne peut être afTez prochaine vu les défordres où ma patrie eft plongée ».
Veut-on voir un exemple des recherches vaines & ridicules auxquelles les efprits de ce tems s'appliquoient?
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Le Dante vient d'appercevoir dans le Purgatoire des Ombres plus maigres, plus décharnées que les autres. Il demande à Virgile comment on maigrit dans un endroit où l'on fubfifte fans nourriture. Virgile lui cite l'exemple de Méléagre, qui dépériflbit à meure que fe confumoit le tifon d'où dépendoit fa vie. Il employé auflî la comparaifon ou miroir où notre image fe peint. Il ne paroît pas que ces réponfes duîlènt fatiffaire la curiofité du Dante; il pouvoit dire à Virgile Comparaifon n-efl pas raifort. Stace, pour le mieux inftruire, lui apprend comment l'enfant fe forme dans le fein de la mère, comment le corps s'accroît, & reçoit par degrés la vie & la penfée voilà où le Poète en vouloit venir il vouloit déployer fa fcience dans ces détails d'une anatomie tout-à-fait conjecturale, & d'une métaphyfiquc obfcure. C'eft comme dans le Poème deBrunetto; & ces traits, répétés
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dans plufieurs Écrivains du même tems, font le cachet du fiècle.
Achevons cet extrait par la citation d'un morceau qui fera connoître l'efprit du Dante & celui de fes Commentateurs. Béatrix eft arrivée dans un char; le char s'arrête au pié d'un arbre un aigle dcfcend à tire d'aîle; il brife l'écorce, & fait tomber les feuilles & les fleurs. Un renard maigre s'élance dans le char, & Béatrix le met en fuite; l'aigle y pénètre fon tour & y laifle fes plumes; furvient un Géant qu'une Courtifanne careflè: ce Géant, difent les Commentateurs, eft Philippe-le-Bel la Courtifanne défigne Boniface VIII qui vendoit au Roi de France les grâces Spirituelles. Le Géant, qui s'apperçoit des coquetteries de la Courtifanne, l'entraîne dans un bois où il la fouette des pieds jufqu'à la tête; cela fignifie que le Roi de France fit transférer dans Avignon le Siège Apoftolique.
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Je veux croire que cette confuu"or* d'objets décrits par le Dante cft allégorique; mais il valoit autant en laiflèr le fens inconnu, que de l'expliquer ainfi. Nous épargnerons au Lecteur l'ennui d'cn lire davantage. Le Paradis du Dante reflemble à fon Purgatoire ce font des n'étions fie des allégories du même genre. Le Poëte voit fuccetlivement la gloire des Saints, celle des Anges, de la Vierge, & enfin celle de Dieu même; c'eft par-là qu'il finit, fans dire comment fà vifîon celle, ni comment il revient fur la terre.
DES
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DES POESIES LYRIQUES DU DANTE.
sua. Poésie, au treizième fiècle, dut en quelque forte fa renaiiïànce à l'amour, la galanterie. Le delir. d'être lu des belles, & d'en célébrer particulièrement quelqu'une, fit naître aux Poètes l'idée de fe fervir de la Langue Italienne, nom- mée alors Langue vulgaire, & reléguée au feul ufage de la converfation. Pétrarque fuivit en ce point l'exemple du Dante, & les mouvemens de fon coeur. Il aimoit Laure; &, pour lui offrir un hommage dont elle pût jouir, il adopta. l'idiome vulgaire quand l'âge de l'amour fut pafTé, il fe reprocha cette infidélité faite au latin, qui étoit la Langue des gens inftruits; cçtte– kujdélité pourtant a fait toute fe fouvient
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Dia!. de
Orat.
plus que Pétrarque ait écrit en latin; on fe Souvient qu'il a dégroffi fon idiome naturel, qu'il lui a fait. perdre fa première rudefle qu'il a purgé poli & façonné cet or bruc& ferrant de la mine. Le Dante, qui le devança, eut moins que lui cette partie du talent qui conftitue le Poëte chez lui, la Langue encore rude & groifière, fe montre plus voifine de fon origine. C'eft le côté foible du Dante, & malheureufement ce défaut eft capital dans un Poëte; car nous n'oferions dire de la Poëfie ce que Qiïintilien a;ditde YOraifon, qu'un extérieur âpre & hérilT°é lui fied mieux que le fard & les atours d'une Courtifanne.
Le Dante dévoie les premiers travaux k la Mure Lyrique,, puisque les. premiers mouvement de fon.- cœur étoient pour pelfcttemutuelïeswent ;-lear réunion facite &' nacurelle s'opère chez le Poète, des que lefentknerat par.le en\ lui:: auffi dans toue
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les tems la Poëfïe Lyrique a-t'elle devancé les autres genres dé Poëfiê il n'èh eft qu'un peut-être qui eût le droit de naître avant elle, comme ayant fa fource plus avant dans le cœur humain; ce genre eft la fatire.
Muratori fe plaint de èe que la Gomédie du Dante, a feule, entre les Ou-
vrages de ce Poète attiré l'attention des Lecteurs & les foins des Comrëierïtateurs. Ses Poêles Lyriques, dit-il, ne méritent pas moins d'eftittie. Je m penfe même qu'on y trouvé fouvërit des beautés qui dans fa Comédie, » font plus rares. Ses Sonnets S& fes Chansons découvrent le talent le plus »> heuréùic pour là PeëfiëJ fôàt- dès » diamans mal polis, des perles mal àtta» chées mais ha. rudefTè dti ftyle ri'éiiipê» che pas de reconnoître dans lès vers le fuc des penfées f i j, leur nobletfe & » leur agrément m.
(1) Stïgofo penfier.
Dell. Perf.
poct. lib. 1.
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A ce fentiment d'un Littérateur fanous ajouterons quelques mots. L'obfcurité, trop ordinaire au ftyle du Dante, règne dans Ces Poëfies Lyriques. On dit de quelques perfonnes que l'infortune les rend intéreflantes ce mot pourroit s'appliquer au talent du Dante. Ses vers n'infpirent jamais plus d'intérêt que lorsqu'il y déplore fes peines réelles plus fon ftyle eft négligé, plus il fert de témoignage à la douleur. Ce n'eil pas un Poëte exprimant avec art des peines .qu'il n'a jamais fenties; c'eft un malheureux qui fouffre & qui gémit de fes écrits il s'exhale en quelque forte une mélancolie douce, qui, femblable à une vapeur fombrc fe répand fur l'efprit du Lecteur.
Entre les Poëfies Lyriques du Dante, nous citerons, de préférence, la chanfon qu'il a compofée fur la Imort de Beatrix fa maîtreiTe on peut reprocher à cette pièce des répétitions & des longueurs;
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mais, fi je ne me trompe, ily règne un toa de mélancolie, dont on fe laifîè aifément pénétrer.
Gli occhi dolenti per pictà dcl core
Hanno di lacrimar foffèrta pena;
Sicche per vinti fon rimafi omai:
Ora, s'io voglio sfogare il dolore
Ch' appoco appoco alla morte mi mena
Convienmi di parlar, traendo guai
E pcrch'el mi ricorda ch'io parlai
Délia mia donna, mentre che vivea
Donne Gentili, volontier con voi
Non vo' parlare altrui
Se non à cor gentil, che'n donna fia:
E dicero di Ici piangendo poi
Che fen' ita in ciel fiibitamente
Ed ha lafciato Amor mcco dolente.
Ita n'è Beatrice in l'alto cielo
Nel reame ove angelihannopace;
E ftà con loro, e voi, donne ha lafeiate.
Non la ci tolfe qualità di gielo
Ne di calor, fieconae l'altre face:
Ma fola fù fua gran benignitate,
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Che luce della fua umilitate
Pafso Ii cietï con tanta virtute
Che fe' maravigliar l'eterno Sire;
Sicche dolce defire
Lo giunfe di chiamar tanta falute;
E fella di qu^ggiufo a fe venire
Perche vedea, ch'efta vita noiofa
Non era degna di si gentil cofa.
Parti fli dclla fua bclla perfona
Piena di grazia l'anima gentile
Ed effi gloriofa in laco degno.
Chi non la piange quando ne ragiona
Cuore ha di pietra, si malvagio, c vile
Ch' entrar non vl puè fpirito benegno.
:Non di cuor villan si alto ingcgno
Che pofla immaginar di Ici alquanto;
E pero non gli vien di pianger voglia,
Ma vien triftiïia e doglia
Di ibfpirarc e di morir di pianto j
E d'ogni çoqfolar l'anima fpoglia
Chi vede net penfîero alcuna volta
Quai' ella fu, e corn' ella n' ètoîta.
Donantni angofçia li ibipiri forte
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Quando'l penfiero nella mente grave
Mi reca quelia che tu'ha'l cor dïviio.
E fpeiîè Rate penfàrtdo alla morte
Meus viene un dilto canro faave
Chc mi tramuta lo color ne! vifo.
Quando Io immaginar mi vien ben fifo
Giugne mi tanta pena d'ogni parte
Ch' io mi rifcuoto pcr dolor ch' io lento; E si fateo divento
Clic dalle genti vergogna mi parte
Pofcia piangendo fol ncl mio lamento
Chiamo Béatrice e dieu, or fe'tu morta
E mentre clz' io la chiamo, mi conforta.
Piangcr di doglia, e fbfpirar de angofeia Mi ftrugge il core, ovanque fol mi truovo Sicchè ne'ncrefcerrebbe a chi'l vedeffe.
E qualë è Rata la mia vita pofcia
Che là mia donna àndô ne! fecol ntiovd
Lingûâ non é che dicer 10 fàpcflc.
E pero, donne mie, perch'io volcffè
Non vi faprei ben dicer quel che io fonoj Si mi fa travagliar l'acerba vita
La quale è si invilita
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Che ogn' nom parmi dica, io t'abbandono Veggendo la mia labbia tramortica:
Ma quai ch' i' fia, la mia donna fe'l vede Ed io ne fpero ancor da lei merzede.
Pietofa mia canzone, or va piangcndo
E ritruova le donne, e le donzelle
A cui le tue forelle
Erano ufate di portar letizia.
E tu che fei figliuola di triftizia
Vattene fconfolata a itar con elle ( i ).
IMITATION
DE LA CHANSON PRÉCÉDENTE. Stances irrégulières.
J'ai caché trop long-tems mes pénibles regrets, Trop long-tcms j'ai pleure dans un fïlence aubère; D'une douleur muette épanchons les Secrets, (i) L'édition de Venifc, que j'ai fuivie pour le texte, fupprime ici ttois vers que l'on trouvera dans ma traduction.
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Et rendons, s'il fe peut, ma peine moins amère. Béatrix ne voit plus le jour:
Le monde, en fon vafte féjour,
N'offre plus rien qui m'inrérefle
Béatrix ne voit plus le jour:
Les derniers foins de mon amour
Seront de la pleurer tans celle.
Ne me demandez point par quels funeftes coups Le fort vient d'abréger fa vie:
Elle eut trop de vertus pour être parmi nous, Le Ciel nous l'envioit; le Ciel eft fa patrie. Déjà fur fon front rayonnant
Les Anges ont placé la couronne immortelle: Hélas que nos deftins diffèrent maintenant Mes maux font infinis; fa gloire eft éternelle. Quel mortel infenfible a connu fes appas, Et peut à fon trépas
Ne point donner de larmes?
Ah pour lui la vertu n'aura jamais de charmes. Quand jemepeins fes yeux éteints&languiflàns,
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Son teint pile & flétri fon image effacée; Le defir de la mort pénètre tous mes fens, Et c'eft dans mes ennuis ma plus douce penfée. Alors des liens les plus chers
Ma trifte vie eft dégagée,
Je fuis4ein des humains, dans un autre univers, J'appelle Béatrix au fond de mes déferts
En ia nommant, hélas! ma peine cft foulagce. Depuis que j'ai perdu cet objet précieux, Mon trouble, ma douleur extrême
Eft importune à tous les yeux
Et rebute la pitié même.
Mais qu'importe au coeur qui gémit
La pitié des humains ou leur indifférence r Béatrix me voit; il fuffie
Ses regards font ma récompense.
Allez mes vers, enfàns de mes longs dépîaifirs» Çhcrchez de Béatrix les compagnes fideIles: De mes chants autrefois j'êgayois leurs loifn-s; Je ne veux aujourd'hui que pleurer avec elles.
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Des coeurs compatiflans
Réveillez la tendrefle:
Béatrix ne voit plus le tour;
Les derniers foins de mon amour
Seront de la pleurer fans cefrc.
Si l'on rapproche de la chan[on du Pan te celle que Pétrarque a écrite dans une circonstance pareille, après la mort de fa Maîtrelïe, on trouvera dans la dernière plus de grâces de ftyle, mais moins de naïveté, moins de profondeur dans les fentimens. Pétrarque mêle i'efprit & le faux bel-efprit au langage de la douleur; c'eft démentir le fentlment dont il fe dit pénétré.
Nous ne terminerons point cet article des Poëfies Lyriques fans parler de Guido Cavalcanti, concitoyen du .Dante, fon émule & fon ami. Ils avoient tous deux fait leurs études fous Brunetto JLatini. Cavalcanti fut, comme le Dante, enveloppe dans la querelle des Noirs Se
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Vit. deGuid. Cavalc. da Ccif. Cirad.
ïft. dcll.
Vlllcr. Poëf. Tom. II.
des Blancs il fut, comme lui, banni de Florence il tomba malade en exil &
obtint la permiffion de revenir dans fa
patrie ou il mourut bientôt après. Plus d'un Littérateur Italien a fait l'éloge de Cavalcanti. « La poëfie vul» gaire, dit Crefcimbeni, doit beaucoup » à fes Ouvrages; elle en a reçu de la force & de l'éclat M.
Landino penfe que la réputation de Cavalcanti feroit plus grande, fi elle n'eût pas été obfcurcie par celle, du Dante. Bocace, dans fon Décaméron, a fait auffi une mention honorable de ce Poëte.
Les Poëfies de Cavalcanti roulent prefque toutes fur l'amour mais il n'en parle ni avec autant de naturel, ni avec autant de fenfibilité que le Dante. Ce n'eft couvent qu'un jargon métaphyfique tout-à-fait inintelligible (i).
(i) Voy. le Sonnet XIII Perii occhifiere3 &c«
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On pourroit obfcrver que les Anciens (presque toujours plus rapprochés de la nature que nous) n'ont pour ainii dire,peint l'amour dans leurs Ouvrages, que comme une rage des fens &. un tourment phyfique. Tout, dans leurs écrits, attefte cette vérité, depuis les Idylles de Théocrite, Se le fragment de Sapho, jufqu'à la Phèdre d'Euripide. L'amour ainfi confidèré, infpireroit moins d'intérêt, fi les Anciens n'en avoient embelli la peinture, par les charmes de cette poëfie qui anoblit tout & qui rend tout aimable.
Les Modernes, fur-tout au tems de la Chevalerie s'écartant des traces des Anciens, donnèrent dans un excès toutà-fait oppofé. Chez eux l'amour, au lieu de tenir aux befoins des fens, parut en être indépendant ce ne fut, pour ainfi dire, que le befoin de louer une femme de préférence à toutes les autres, & de la louer de cent façons différentes. Ce
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froid amafement de l'esprit ne pouvoic aboutir qu'à des éloges ovtrés les Poëtes iï'avoient que le choix d'être fenfément ennuyeux, ou piqttans par une exagération ridicule ils exagérèrent, & la multitude applauçlit.
AinCif détourné une fois du fentier de la nature, le gm1t, de jour en jour, s'égara davantage, jufqu'à ce qu'enfin des hommes doués d'un fentirttem exquis, le remiflent dans la route véritable, & cherchaient l'accord du fenriment, de l'efprit & de la faifoft.
Le morceau de Cavalcanti le plus agréa- ble eft celui ou il s'eit le plus éloigné de l'efprit de ion tiède, &: dans lequel il a traité l'amour un peu à la. manière des Anciens. Nous allons citer ce morceau de poëfie, qui eft une ballade. On trouvera fans doute que la jeune Bergère y abrège un peu les formalités de l'amour mais encore vaut-il mieux, p'ottt l'intérêt du Leûettr, atcâr à fupporter ce défaut,
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qu'un autre plus oppofé à la nature. In un bofchetta trovai paftoretfa
Più che ta flella bella al mio parere:
Capegti havea biondtecti e riccioteHi,
E gli occhi pien d'amor, cera rofata.
Con fua verghettapaftoravaagnelli,
E fcalza, e di rugiada. era bagnata
Cantava come fbfre inamorata
Era adornata di tutto piacere.
D'amor la falutai immantenente
E demandai stiaiveflè compagnia-i
Ed etla roi ripofe'doleemente
Chcfofer per la boftogia;
E difiè « Quando-Fauget pia
» AHior defta îo mio cuor drudo havcre >». P'oi che tni dîflfe di fua conditions
E per ï& bolco ugei udio caiicare,
Frà me ffeflb dicex: Hora- ftagïone
»*Kq«efta paftoreHa' gioi' pigliare ».
Merce lé chiefi- fol che dl baciare
E d'abbraciare- fofle ih fuo volëre»
Per man miprefe d-araorofe vogKa
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E diflè che donato m'havea il core
Menommi fotto una frefchetta'foglia
La dove io vidi fior d'ogni colore
E tanto vi fentio gioi' & dolzore
Che Dio d'Amor mi parve vedere.
Je vais donner d'abord la traduction en profe de cette ballade j'y joindrai enfuite une Idylle dont ce morceau m'a fourni l'idée,, mais dont elle n'eft qu'une imitation fort éloignée.
« J'ai trouvé dans un bofquet une » jeune Bergère, plus belle mes yeux » que l'aftre du matin. Ses blonds che» veux fe relevoient en boucles, fes yeux m brilloient du feu de l'Amour, & ion m teint des couleurs de la rofe. A l'aide os d'un bâton léger, elle conduifoit fes agneaux & fes pieds nuds fe bai» gnoient dans la rofée. Elle chantoit; » à l'entendre on eût dit qu'elle aimoit « le plaifir embellifïbit fa figure. Je lui fis un ialut amoureux, & lui demandai
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ii fi quelqu'un accompagnent fes pas. Elle »j me répondit; d'un air doux Qu'elle ̃a erroit feule dans ce bois. Puis elle i3 ajouta quand l'oifeau chante (; ap^pèîlèfa compagne (i), alors mon cœur »> defire avoir un Amant. A peine elle eu{ 5 prononcé ces mots, que j'entendis l'oi» feau chanter. Ah! me dis-je à moi>i même, voici Tinflànt d'obtenir les plus » douces faveurs. Je lui demandai feu« lemënt un baifer, un baifer que je >J dune à la tendreue. Preflee d'un défît1 m amoureux elle me prit la main, es r* mé dit que fort cœur étoit à moi. Je » fui vis fes pas fous la fraîche feùil>j lée la, mille fleurs enchantèrent mes » regards la, je goûtai dQ||païfirs fi jj doux que, fous les traits de la Ber-» 4> gère, je crus l'Amour, même préfeiit à ïùts yeux (i) Ces motsf|^ font point dans le texte, mais j'imagine que Pexpreffipn italienne pia, les fonsencend.
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LA COL.OM BE,
IDYLLE.
Sous l'ombrage écarté d'un bofquet folkairc J'apperçus l'autre jour une jeune Bergère
Elle avoit de Venus la fraîcheur & l'éclat;
Son teint s'emhelliflbit d'un modefte incarnat Elle fculoit aux pieds l'herbe tendre.& fleurie, Où l'humide rofee en perles arrondie,
Brilloic pour rafraîchir la trace de les pas.
lui] jonc fouple ornement de tes doigts délicats Raflembloit fes troupeaux errans à l'aventure y L'çr dé fes blonds, cheveux lui fervoit de parure, Elle chantait l'Amour la tendre volupté;
Et l'attrait du pîaifir animôit fa beauté.
Bergère étes-voûs feule î ~r Hélas répondit-elle, » J'erre feule en rappelle » J'en Ibfsjlorlqué la nuit recommence ion çours. Sont-ce-ïà les plaifirs de l'aimable jeunefle^
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Je voudrois ignorer qu'il en eu: de plus doux. L'A M. AN T.-
L'ignorcr! Eh pourquoi 3 Parlez, expliquei&voui. LA BERGÈRE.
Tousles jours kGoloml?e j çn ce boisgçmilîàntç, Elle appelle un oiiëau qui Soudain lui répond, Et leur joie innocente aufiî-tôt fe confond. Ce fpe&acle touchant que chaque jour répète, Jette un trouble confus dans mon âtne inquiète Quand la Colombe chante, une douce langueur M'avertit en fecreç des fe^çfoitis de mon coeur. À cette voix, Bergère, il eG: tems de te rendre: Tesbcfoinsfbntremplisfi ton coeur veut m'entendre Dis un mot à tes jours j'aflbeierai les miens; Ce bien (cul qui ce manque eft le plus grand des biens Et ton âme, éprouvant tout ce qu'Amour infpire, N'enviera plus le fort de l'oifeau qui foupire.
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*Tu crains de t'expliquer: parle, timide enfant; Ouvre-moi les replis de ton cœur innocent
Souf&èqif à tes fecrets je faffe violence.
Je la preflbis en vain, & fon jaloux filence
Retardoit un bonheur ou j'étois dcftiné
-Mais du haut d'un feuillage) en ceintre couronné, La Colombe éleva fa voix plaintive & tendre; La Bergère en rougit, & Ion cœur fut troublé: 'ci Hélas! je n'ai plus rien,me dit-elle,à t'apprcnd rè; « Je n'avois qu'un fccret: Toifeau l'a révélé.
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DES AUTRES OUVRAGES D a' juE premier de ces Ouvrages dont, nous rendrons celui que l'Auteur a intitulé 1$ Banquet». Çonvitt) (i). Sur, ce, tkre on penferoit. d'abord que le Dante a voulu imiter Xénpphpn Platon ou Plutarque ,qui, tous trois., ont donné le titre à l'un de leurs Traités. Mais -celui -ci n'a rien de commun avec les trois. autres; l'Auteur moderne ne .juftifie le. titre de fon Ouvrage qu'en difant /que la doctrine qu'il y répand eft une^nourriturc pour refprit, & qu'il inyke; chacun a en prendre fa, part. L'Ouvrage n'eft. pourtant qu'un Commentaire prolixe des 1 Ou bien Cqnvivio^ Voyez. la Bibl; de Font^.
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V. îePurg.
cli. 17.
trois Chanfons du Dante; il eft vrai que Ciel eft-il nommé dans un vers, le Commentaire, à 6c fe perd dans un long détail agronomique; ainfi dit r première fois la Gôîiiédié'du "Bâtitë dans unèv édition pëiit s'étohner alïèz qiîë-;ïes ^oftimëntàteuf-s ayene fuppofé lie âtè: fit tohtraits de Râchër &t; En llfarit toutes ceé TechcV tnéV qui dEc;Bfét? de Màtha- fë fuflèrit âirid donné pour
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fens fatisfaifant dès faut l'aller chercher fî loinr.Mai$ combien ma furvu que le Pantelui^mênie a tracé le;, chemin, né t'exemple? Nan^-fèolemein: eonimentep mais, il ea donne encore)e ièns allégoïiqûe;; doute .hieri de ce que doit êtr^. ce fens. enyeiop,pé. JL'efprit hùmaxn fait pitié-» lorfqu'ori en retrouve l'enfance l'ont, éclairé fur les au ». que Je points ientilcs ngaeurs de .»3 l'inluftice,,
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m pauvreté! Florence, cette fille augure » de Rome, s'eft fait un jeu de me resj pouffer de fon fein; de fon fein ou je a fus nourri, où je reçus le jour; de fon m fein où je defire repofer mon cœur fatigué & terminer en paix ma vië, '̃» J'ai parcouru tous les Pays où ma Lari» gué maternelle eft connue j'y ai pafTé «comme un étranger qui mendie; & *3 par-tout j'ai montré les plaies que m'a M faites la fortune mais par-tout l'on fait un tort aux malheureux des disgrâces qu'ils éprouvent »,
La méthode du Dante, dans fés Ouvrages de profe & de rationnement, eft celle d'Âriftote il procède comme lui par la voie de l'analyse; il définit diftingue Se divife. Mais le Dante abufe de cette méthode, & la dégénérer en des fubtilités vétilleufés, qui tiennent plus a rergotifme des écoles, qu'aux procédés de la faine raifon. Citons-en un exemple entre mille. Lç Dante veut fe juftifiçr
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d'avoir employé l'idiome vulgaire des préférence à la Langue Latine la raifon qu'il en donne eft l'affë&ion qu'il a pour la Langue de fon Paya;, mais cette raison fi iîmpîe lui fournit une triple divifîon tout-à-fait inutile, & dès-lors ridicule. « L'Amour, dit-il, porte naturellement à trois choses, à glorifier l'objet aimé 53 à en être jaloux, le défendre Chacune de ces diviiions fert ensuite de texte à une longue parapKrafe. En voilà plus qu'il n'en faut pour juger délàmarnière de raifonner du Dante, Scduton de philo fopliic de fon iîècle.
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Bocac. vit.
di Danr.
d e
l'éloquence VULGAIRE,
N Ó u s apprenons de Bocace que le Dante, peu de tems avant fa more, écrivit ün Traité fuir l'Eloquence vul- gaire (ou plutôt fur. la Langue vulgaire^
comme nous le verrons bientôt); qu'il vouloit diviser cet Ouvrage en quatre Livres, mais qu'après la. mort il ne s'en éft trouve que. deux y fait que l'Auteur n'ait pas eu le teins d'achever ce 'Traité foit que les deux derniers Livres fe foient perdus. L'Ouvrage que nous avons aujourd'hui, & qûijpoite le titre de l'Eloquence vulgaire' ï à été publié en 1 5 77 par Corbinelli, traduit .du Latin en Italien par le Triilin, dit-on ( 1 ) mais cet (1) Murât, den. perfett. poëf. pag. 24, fembie
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Ouvrage effc-il vraiment celui du Dante? Ç'cft un « problème qui a exerce la critique de quelques Sa vans de l'Italie £c qui, maigre leurs recherches, eft encore difficile à réfoudre..
Salvinipenfe que l'Ouvrage n'eft pas du Dante & la raifon qu'il en apporte c'eft qu'on y traite des quef- tions qui n'ont été agitées que quel: ques fîècles après le Dante, lorfque, la critique fut connue en Italie, & que l'usage s'établit d'écrire en langue vul- te Varchi ne reconnoît point non plus le pour Auteur du Traité, parce qu'on y parle mal. de l'idiome Florentin que le Dante a employé dans fes Ppëfies; ce qui femble impliquer con- tradi£bion.
A ces raifons on pourroit en ajouter indiquer que le Triffin n'eft pas Auteur de la tradu&ion.
Delta per-
fett. poef. notes, vol. i.
p. 1 g. T. IL pag. 84,8 î, &c.
Voy.C.rcf-
cimb. dcli. poëf. valg. P-373-
IJ.
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iroit de pair avec les autres. L'Ouvrage du Dante fitt écrit, dit-on Sur la fin de: fa vie &: par conséquent lorsqu'il étoit a Ravenne auprès de Guido da Polenta, fort ami. Le Dante alors étoit fans efpôir de rentrer dans fa patrie, & il dévoie moins que jamais en avoir le defir- puifque la; Cour du Souverain de Ravenne lui ôffroit, avec profufïon, & les distinctions & les plaiurs. Il eft vraifemblable que dans cette fituation le Dante avoit pouf fa patrie cette haine active & toute républicaine, dont il a donné des témoignages en plufieurs endroits de fon Poëme,& plus encore dans la lettre qu'il écrivit à Henri de Luxembourg pour l'exciter punir & à foumettre Florence. Cepeiidant, au chapitre fixième de l'Éloquence vulgaire, l'Auteur parle de Florence avec les expreffions d'un zèle ardent & refpectueux. Eft-ce le Dante qui s'eft exprimé; ainfi lorfqu'il ne femble pas qu'il pue
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avoir l'efpérance de ramener à lui i'efprk de fes Concitoyens ?
Toutes ces conjectures jettent affez peu de lumière fur le point dont ils'agit auffi le favant Muratori ne voit pas de raifons de décider que le Traité de l'Eloquence vulgaire n'eft point du Dante.
Voici en peu de mots quel eft le fonds & la forme de l'Ouvrage.
Il roule, non fur l'Eloquence, mais fur les différens idiomes en ufage dans l'Italie. L'Auteur les cite & les déprécie, tous l'un après l'autre mais ilque principalement l'idiome Romain qui, felon lui, eil, comme les moeurs.de,. cette Ville, infect & corrompu, pu^olento.
L'idiome préférable eft celui qui n'eft propre particulièrement à aucune Ville mais généralement ufké dans toute l'Ita^ lie. L'Auteur appelle ce langage, vulgaire* ilkifire principal, 3 aulique 8t courtifan y
Volgareit
luftre, cardinale, auiico & cortigia^
PO-
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épithètes qu'il explique & juffcifie comme il peut. Salvini, à l'occaflôn de ce paf/âge, en cite un d'Henri Etienne, tiré 'de fon Ouvrage fur la conformité dû langage François avec le Grec, a Je veaux » bien avertir le Lecteur que mon intense tion n'eft pas de parler de ce langage »> François bigarré, qui change tous les » jours de livrée, félon que la fantaifie » prend à Monfieur le Courtisan ou à » Meilleurs du Palais, de l'accoûtrer », Voilà dit l'Abbé Salvini, le parler de -la Cour du Palais clairement dé%né.
Dans le fecond'livre, l'Auteur traite dés vers, des mots. Seules tours qui conviennent aux Paëmes Italiens nommés Chanfons, Canqoni. La Chanfon, en ItaMe, ri'eft pas; comme parmi nous, un badîriage galant, tendre ou bachique eîfé participe plus du genre Sérieux de îFOHéî M:uïeërJfe définie :aiml «Un tragique de lances égalés,
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fans interlocuteurs & qui aboutit à une maxime
Les principes qu'il établit, font propres à ce Poème & n'ont rien d'intéreflant pour nous.
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DE LA MONARCHIE* .Pious n'avons plus a rendre compte que d'un Ouvrage du Dante, écrit en Latin, ôc intitulé de Monarchici* •Nous avons vu que la querelle du Sacerdoce Se de l'Empire partageoit l'Ita* lie en deux factions les Guelfes & Ies Gibelins,; le Dante, attaché à la caufe des derniers, voulut la défendre par fes écrits, & porter atteinte à l'autorité fuprême qu'affe&oient les Souverains Pontifes, & dont ils n'abufoient que trop fouvent. J'ignore fi l'Auteur a joui du fuccès de fon Ouvrage; mais du moins, après fa mort, fon Traité produif l'effet qu'il en devoit attendre les Proteftans s'en fervirent comme d'une autorité redoutable aux Papes, & les Papes le condamnèrent commeinfecté d'héréfîe.
L'Ouvrage
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l'Ouvrage fe divife en trois Livres; Dans le premier l'on examine fi la Monarchie univerfelle (car c'eft de celle qu'il s'agit) convient au bonheur du monde; dans le Seconde SI les Romains ont eu droit de s'arroger cet empire univerfel; dans le troifième, SI le Monarque qui en jouit doit dépendre de Dieu immédiatement ou du Souverain Pontife qui repréfente Dieu fur la terre» De ces trois queftions la première appartient toute à la politique, & ne pâroîtpas difficile à réfoudre; la Seconde eft abfurdé & ne Sauroit fe propofer; la troifième tient aux diftin£fcions délicates du fpirituel & du temporel; elle eft aujourd'hui réfolue pour tout le monde.: Citons les opinions du Dante concernant ces trois queftions*
D'abord il penfe que l'Univers a befoin d*un jfeul Maître; fentiment qui doit étonner dans un Républicain. Une maifon,1 dit-il, une famille, une Yille^np
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Q uod per
duelluin acquiritur, de jure acqui- ficur.
peuvent fubfifter fans un Chef il en eft de même du monde entier. C'eft fous un Maître, ajoute-t-il, que les hommes font libres. L'Auteur a fous-entendu les preuves de cette auercion, qui valoienc bien la peine d'être alléguées.
Seconde opinion. Les Romains, comme- le peuple le plus noble du monde, avoient droit au gouvernement Suprême. D'ailleurs, le droit de conquête eft un
droit légitime. On fe doute bien encore que la preuve n'eft pas au bout de i'zCfertion, ou du moins cette preuve n'eft: pas faris réplique.
La troifième opinion du Dante eft que le Monarque univerfel ne relève que de Dieu fèul, & non de fon Vicaire fur la terre. Il réfute les faufTes interprétations de quelques paflages de l'Écriture dont ons'eft fervi pour favorifer la caufe du facerdoce. Il reléve les ufuipations des 'Papes, & il établit que l'usurpation ne ^ndë pas un droit. Cependant il avoit
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dit plus haut que le droit de conquête eft légitime c'eft que les Papes ne font ni Guerriers, ni Conquérans; le Dante, qui les regardoit comme des ufurpateurs politiques, condamne cette forte d'ufurpation, & juftifie celle qui fe fait par les armes. Rien ne prouve mieux fon aveugle prévention. Au refte, en prononçant ainfi contre la Cour de Rome, il apporte des tempéramens à fes décifions. Il recommande aux Empereurs le refpeét qu'ils doivent au Souverain Pontife. Que Céfar, dit-il, foit pour le fucce£»j feur de Saint Pierre ce que le premier>> né des enfans eft pour un père qu'il » honore & qu'éclairé de fes lumière, « il gouverne fagement le monde auquel « il fut prépofé par Dieu feul M.
Tel eft l'extrait des Ouvrages du Dan te. Il fufht, je penfe, pour comparer ce Poëte à fa réputation, & pour juger s'il mérite les honneurs dont il joui.
FIN.