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ESSAI
D E
LITTÉRATURE.
TOM E S E C O IV D*
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ESSAI
DE LITTÉRATUllE, A L'USAGE DES DAMES.
PAR
A. H. DAMPMARTIN,
Les lettres forment la jeunesse & font le charme de L'âge avancé. La prospérité en efl p/us brillante , l'adverjité en reçoit des consolations, & dans nos maisons, dans celles des autres, dans les voyages, dans la solitude, en tout tems, en tout lieu, elles font la douceur de notre vie.
CI CE R 0 N.
TOME SECOND.
A AMSTERDA
- 1 li" l , CIle GSPARD HEJNTZEN, T.;1,-~;-- .J-..-,- - il 1
- -. , "¿..I.1J'-I.L Libraire, dans le Warnioesftraat, vis-à-vis le Vygendam.
1 7 9 4.
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E S S A I
b È
LITTÉRATURE.
TRENTE DEUXIEME LECTURE,
OUVRAGES DE GAIETÉ.
(QUELQUEFOIS l'ame éprouvé des mouvéméns d'une melancolie fatigante, sans pouvoir se rendre compte à elle même du motif qui les produit: Cherchez alors un remede dans les ouvrages de gaieté. Je n'en pourrai mettte tous vos yeux que peu dé ce genre, car il n'y a pas dé nation plus fage que hi Française lia. plume à la main (*). Ce ne fera pas sans quelque surprise que vous trouverez à chaque pas la raison, la retenue , que vous rencontrerez de loin en loin la frivolité , l'enjouement parmi les ecrits d'un peuple réputé léger, inconséquentautant d'après ses aétions que d'après' ses discours. ,.'; L'art de plaisanter si difficile, si rare , ne faufait supporter de iÜédiocrité, il plait par dessus tout , du devient insupportable. Les tournures recherchées
(*} Voltaire.
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pfoduifent tout au plus un ioUrire, qui, né sur les lèvres y meurt sur le champ sans pénetrer jusqu'au cœur. De tous les etigagemens, il n'en existe pas: de plus délicat, que celui d'amuser , tant oh le rend difficile à l'instant même où on le forme: Qui se propose de répandre de l'enjouement s'impose une tache bien pénible. S'il écrit, qu'il foit naturel, qu'il ne promette rien d'avance ; s'il parle, qu'il ne perde pas de vue que les éclats de rire du plaisant tuent la joye de ceux qui l'écoutent.
Dès qu'on parle de gaiété, le piemier hommage appartient à Rabelais. Il faut connaître, au moins de nom, cet homme fameux & singulier que le bon La Fontaine trouvait si naïf, si plaisant, si. naturel , qu'il ne pouvait concevoir les personnes qui ne lui accordaient pas la préférence sur les plus graves écrivains de l'antiquité. Quelque favorable prévention que vous inspire ce fufftage, assurément d'un très grand poids, vous achèverez avec peine la leétLIre du Gargantua , amas informe dans lequel on ne parvient à ramasser des pailletes qu'en remuant d'énormes décombres. Les plus beaux diamans, ne vous sembleraient-ils pas trop payés, s'il fallait les retirer vousmême de la mine, les dépouiller de leur grossiere enveloppe & les polir avant d'en faire usage.
Rabelais possedait un esprit propre à briller dans les plus beaux tems, mais taché de tous les défauts du mauvais goût. Du reste plus loué que lu, il obtient presque toujours de ses admirateurs une estime sur parole. Ceux qui le goûtent réellement
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font quelques hommes supérieurs dont les yeux y découvrent des beautés cachées au vulgaire: Dans un assemblage aussi considérable d'allégories, d'allusions, chaque leéteur fait une récolte différente feIon son intelligence , Ion application, ou d'après ses goûts : Ce qui frappe l'un , échappe à l'autre.
En pareil cas, les sentimens dépendent trop de la fantaisie pour se rencontrer uniformes. Des caraéteres chagrins se plaisent à voir les gouvernemens critiqués, les grands maltraités, les Rois tournés en ridicule : Enfin des esprits forts, recherchent avec ardeur les premiers germes de la hardiesse prétendue philoiophique qui a produit tant de violenter explosions. A ce dernier égard le curé de Meudon eut des opinions très prononcées , il attaqua les corps les plus refpedés, les plus redoutés de son tems. Plus ferme dans ses principes que la foule de ses imitateurs, la mort ne lui causa aucun effroi, ses dernieres paroles furent une proffesfion de foi conforme à ce qu'il avait toujours dit & écrit : ,, Je „ vais chercher un grand peut-être ; tirez le rideau, „ la farce est jouée :-,-, Impietés inexcusables.
Vous saisirez de bien bonnes armes contre la tristesse dans le Roman comique plein d'une franche gaieté , écrit d'un très bon style ; c'est le seul des ouvrages de Scaron qui foit encore lu.
Cyrano de Bergerac reconnu, par le sévere Boileau pour un fou de beaucoup d'esprit, nous a laisré des ouvrages, à la fois plaisans & originaux : De plats jeux de mots, de fades quolibets, vous bles*
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feront mais ne fautaient entièrement ternir les effets d'une brillante imagination. On se rend avec plaisir dans l'empire de la lune : A travers les grelots de la folie qui retentissent autour de tous les écrits de Cyrano, se fait de tems en tems entendre la voix de la philosophie, voix qui plait infiniment d'après la surprise qu'elle cause.
- Quoique la réputation de Voisenon ait été appellée de son tems, „ une bluette sortie du plus frêle des 5, atomes," elle ne s'évanouira pourtant pas. Ses contes, surtout son histoire de la félicité, plaisent beaucoup : Ce font, il est vrai, des bagatelles, mais rendues avec grace , pleines de bonnes plaisanteries, semées de réflexions fines, qui prouvent la connaissânce des hommes, tandis que celle de la société est annoncée par de très justes observations., VoifenoA, portant dans le monde les faillies dont font ornés ses écrits, fut d'abord recherché pourses agrémens; bientôt son honéteté obtint l'estime enfin sa sensible délicatesse le fit chérir: Un de mes amis à qui cet homme , d'après de longues & intimes liaisons, semble avoir transmis ses talens & ses qualités attachantes, m'a raconté qu'un méchant auteur fit une épigramme contre Voisenon, avec la précaution d'omettre son nom dans le courant de la piece ; il la porte à l'aimable abbé pour lui en demander son avis. Celui-ci voit à merveille qu'il en est le liéros ; mais sans en rien témoigner,. il prend une pltime, corrige quelques mauvais vers, met au haut du papier: Contre l'abbé de Voisenon. Tenez., Mon-
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sieur, dit-il à l'auteur, „ vous pouvez à présent la y, faire courir, les petites correétions, que j'y ai „ faites, la rendront plus piquante. Cafote me paraît un écrivain très agréable. Le Diable amoureux Ca), Olivier excitent à un rire franc & naturel, patceque l'on n'apperçoit ni la prétention à l'esprit, ni l'annonce d'un plan préparé. La gaieté de Cafote fait une partie de son être, il vit par elle & toujours avec elle; aussi pour la répandre dans ses écrits, nuls efforts ne lui font nécessaires , puisqu'on chercherait envain a étouffer cette gaieté par les plus grands dangers , comme le prouve évidemment son entrée dans les prisons de l'abbaye.
„ On fit coucher, dans notre chambre , dit St.
"Méard (b), un homme âgé d'environ quatre ,, vingt ans ; nous apprimes le lendemain que c'é,, tait le fleur Cafote, la gaieté un peu folle de ce „ vieillard, sa façon de parler orientale, firent di„ verflon à notre ennui Le lendemain plu>1 fieuts voix appellèrent, fortement Mr. Cafoee; un "illftall après nous entendimes passer sur l'esy, calier une foule de personnes qui parlaient fort ,, haut, des cliquetfs d'armes, des cris d'hommes „ & de femmes. q C'était ce vieillard suivi de
(a) J'ignore pourquoi Carote a retranché dans sa dernière édition les estampes de Diable amoureux , mais je les regrette fincercment, ainsi que leur très plaifaate explication.
(b) Dans son agomie de 38 heures.
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,, sa fille qu'on entraînait : Lors qu'il fut hors du „ guichet, cette généreuse fille se précipita au cou „ de son pere ; le peuple touché de ce Ipe&acle.
„ demanda sa grace & l'obtint." Anecdote attendrissante & sublime : 0 naturel Que tes sentimens ont d'intérêt, ont de puissances; quels cœurs assez barbares pour les outrager? A leur afpeét la plus cruelle fureur tombe désarmée.
TRENTE TROISIEME LECTURE.
QUELQUE vif, quelque sincere que foit le desir qui m'anime de ne laisser dans l'oubli aucune des branches de la littérature, je crains que plusieurs aient échappé à mes recherches. Il est donc de mon devoir de vous indiquer les ressources propres à réparer d'involontaires erreurs; ressources, dont vous même sentirez la valeur & la nécessité; car cet essai ne présente aucune partie approfondie , c'est simplement à leur origine que vous vous trouverez conduite afin de prendre celles dont il vous plaira de suivre le cours. Votre choix fixé, vous trouverez en grand nombre des mftrufrtions plus étendues que les miennes.
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Critiques.
Cherchez d'abord les Critiques, écrivains nécessaires qui feraient très estimés, si trop souvent ils ne servaient pas d'organes à de coupables pas.
fions. Les beautés des auteurs haïs s'évanouissent.
les défauts des auteurs favorisés disparaissent, Ra" rement se présente la juste appréciation qui reconnaît dans les ouvrages des hommes le mélange inévitable de bien & de mal. Selon celui des deux qui domine, un ouvrage est bon ou mauvais: Tout accorder, tout réfuser, c'est également s'éloigner du vrai, Si par exemple Clément eut employé moins d'aigreur contre Voltaire, nous applaudirions unanimement a d'importans services rendus aux lettres.
Vous ne tirerez donc un avantage réel des Critiques, qu'après des efforts dirigés pour distinguer les dégrés de confiance, qui leur font dus.
D'abord se présentent en foule les Critiques qui mus par de vils motifs, cherchent avec assiduité , relévent avec çomplaisance les défauts d'un ouvrage & de son auteur, tandis qu'ils s'efforcent de fermer les yeux du public sur les choses dignes d'eftime ou de louange. „ Un critique, dit Swift, „ qui lit uniquement pour trouver l'occasion de „ faire des censures, des reproches, me parait un ,, être aussi barbare que le ferait un juge qui pren„ drait la résolution de faire pendre tous les hom., mes conduits devant son tribunal," Rejettez loin
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de vous avec indignation les écrite. Sortis d'entre des mains ii coupables.
Ne derobez aucun inflant ni à vos occupations, ni à vos plaisirs en faveur des Critiques, attachés à des recherches de date, à des éclaircisfemens de texte. Leurs longues veilles enfantent péniblement quelques pefantgs dissertations sur de minutises bagatelles ; reçus avec empressement, tout le tems du triomphe des érudits ? ils languissent oubliés depuis que les progrès de la ; niifon ont fait sentir, „ qu'il vaut mieux avoir du bon sens, „ qu'une mémoire. #>vute xemplip 4e gieublçg inutiles "T Etudiez les estimables Critiques qui discutent avec clarté, qui jugent sans prévention, qui font des reproches à regret, qui recherchent les occasions de louer, qui respectent, mais qui adoucissent le plus possible les arrêts diétés par la justice , qui ménagent enfin les auteurs. Le grand Arnauld s'écrie: ,, Faites voir avec force les absurdités des auteurs „ que vous réfutez, mais en même tems ayez „ beaucoup de douceur pour les personnes coupa„ bles ; surtout ne vous permettez pas des réflexions ,, désobligeantes ; donnez à ce que vous critiquez le „ nom le plus favorab 'le,& prenez quelques tours pour yy accorder les CQntraditions les plus apparentes." Vous concevrez de vous même qu'un Critique est rigoureusement astreint à très bien posséder les ob-
( * ) Style.
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jets sur lesquels il prononce : En un mot, „ pour „ bien critiquer, il faut avoir du jugement, de la ,3 science de l'intégrité, de la vigueur & de la ,, modestie (*)•*' Nous voyons chaque jour des écrivains, qui faute d'avoir assez muri leurs connaissances, sentent retomber sur eux-mêmes les traits qu'ils lancent & restent couverts de ridicules ineffaçables.
Peu d'ouvrages me semblent aussi propres à bien diriger des leétures, que les deux âges du goût & du génie Français : Vous louerez un plan parfaitement conçu , des objets classès avec justesse , les différens genres bien définis, des vers agréables, une proie prenant le ton convenable à chaque sujet. Vous ne ferez blessée que d'une partialité peutêtre pardonnable d'après sa rareté. La Dixmerie, ne se laissant point entourer par les serpens de l'envie, réclame pour ses contemporains une supériorité trop souvent appuyée sur des titres incertains ou faux. Adorateur fanatique de Voltaire, il met aux pieds de cet esprit universel des êtres qui planent dans les mêmes régions ; pour comble d'idolâtrie , J. Jacques est sacrifié par les mains d'un homme qui dans toute autre circonstance, montre un esprit aimable, une ame généreuse, un cœur fenfr ble. Peut-être l'enthousiasme ne produisit jamais un tel aveuglement: Les injustices, commises envers Rousseau, non feulement outragent le goût, le gé-
(*) Boiller.
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nie & la vertu, mais elles nuisent au systeme que l'auteur prétend établir. Une téméraire imprudence entreprit feule de prouver la prééminence de notre siecle , sans employer son plus bel ornement.
Journaux.
POU R classer nos idées, pour guider nos études, pour diriger nos leétures , nous possédons des secours dont les anciens étoient privés ; ce font les Journaux.
Leur nombre augmente chaque jour d'après leur uti." lité, d'après leur agrément. Tous n'obtiennent pas la même faveur; quelques, uns ont un succès brillant, mais passager; plusieurs meurent dès leur naissance; cependant il en est qui conservent une estime, une confiance acquises & méritées par d'anciens, par de multipliés services. Ayez; recours à ces derniers afin d'ajouter aux ouvrages que je vous ai indiqué, afin de reétifier les arrêts que je puis avoir prononcé avec plus de zèle que de justesse, Regardez enfin les journalistes comme des juges autorisés par la fanétion publique , & recusés feulement par la médiocrité on par l'esprit de vengeance, Sallo, quoiqu'en aient publié ses ennemis, fut le créateur des Journaux. Lorsque son journal des savans parut, les bons esprits prévirent combien d'avantages réfuteraient de ce nouvel établissement ; mais les auteurs, n'étant point accoutumés à se voir repris sur leurs négligences, sur leurs défauts, s'é-
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levèrent avec fureur , cabalèrent avec habileté , ob-* tinrent par des intrigues, par des flatteries, l'apjII pui de plusieurs grands. Des persécutions, des chagrins , telles furent les récompenses qui abrégèrent les jours d'un homme digne d'éloges & d'honneurs, puisque dans l'espoir de contribuer aux progrès des beaux arts, des sciences, il consacra sa vie à l'étude, quitta son état, consuma sa fortune , sacrifia sa fanté.
Bayle fit prendre le plus grand essor aux Journaux ; ses nouvelles de la république des lettres produisirent d'heureux effets. On peut en grande partie leur rapporter le goût de faine critique , de fagediscuffionqui parut tout à coup. Soyez fure d'en retirer de l'inftruétion, du plaisir ; elles réussissent même par des défauts assez considérables. Quelques mauvaises plaisanteries, quelques récits graveleux , quelques dissertations trop circonstanciées sur des matières délicates, font des négligences qui plaisent beaucoup , chez Bayle , parce qu'elles mettent son génie plus au niveau de celui du leéteur; de plus elles inspirent la confiance. D'ailleurs ce fage froid impartial avait devant lui le livre, jamais l'auteur: Procédé, que trop fou vent ses successeurs ont dédaigné.
Tournemine suivit avec honneur les traces de Bayle, son style est élégant, son esprit pénétrant. Par malheur d'un caraétere vif, il se livrait à de repréhensibles préventions; membre d'un corps ambitieux, puissant & despotique , il obéissait aux ordres de ses fupé-
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rieurs, yçspeétait les préjugés de ses confreres, foutenait leurs principes, défendait leurs intérêts. & ne pouvait par conséquent pi recommander, pi pratiquer Ja véritable philosophie.
Je ne vous ponduirai pas parmi tous les bons Journaux, parceque nous nous trouvons à cet égard dans une espece d'opulence qu'il ferait trop fastidieux de. déployer en entier. Un mouvement de prédilection me porterait sans hésiter vers les cinq années littéraires du Génévois Clement, si leur légèreté, leur agrément, leur impartialité, n'étaient dépréciés par un fréquent ptlbli de décence, défauts qyelquefpis la fuite d'une fausse imitation de Bayle t mais provenant bien plus souvent d'une erreur, çpmmune chez les hommes de cabinet: Lorsqu'ils prétendent se revêtir des airs du beau monde, ils -prennent le ton libre pour l'amabilité. Les grâces loin de leur sourire fuient à la yue de la pudeur blessée, Le Mercure de France a mérité une place honorable dans les bibliothèques les mieux çlwifies. Malheureusement sa rédaction n'a pas toujours été confiée à des Marmontel, à des Laharpe.
L'esprit des Journaux présente un monument favorable à la splendeur des lettres. Vous le verrez généralement répandu, recherché , honoré de beaucoup de confiance. Le. Mais la crainte de vous arrêter trop longtems m'empêche de donner tous les éloges qu'il me ferait doux d'offrir.
La reconnaissance publique, feulle récompenle
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digne des travaux de l'homme de lettres, aPPât.
tient'de droit aux bons journalistes, d'après les défagrémens & les dangers aux quels ils s'exposent en remplissant avec exactitude d'inarates, de pénibles fonctions. L'amour propre des auteurs s'éffarouche si vite, qu'il prend pour autant d'outrages des actes de justice. Les expressions les plus honnêtes n'adoucissent pas l'amertume de la critique ; c'est envain que
Le Seigneur Jupiter fait dorer la pilule (iIf).
L'écrivain jugé répond aux remarques par de§ plaintes, souvent même par des injures. Comment se persuader , ce qui pourtant est vrai, que Fréron joignait à beaucoup d'esprit un goût assés sur pour que Voltaire répondit à un seigneur Piémontais qui lui demandait quel critique il consulterait avec le plus de fruit à Paris. „ Je ne connais personne au "dessus de ce coquin de Fréron, & certes mon fuf- "frage n'est pas fuspeét." L'auteur dé l'année littéraire était en outré exj cellent homme, cher à ses amis, recherché dans la société; cependant le croiriés-vous ? C'est ce même Fréron „ par qui l'on baille en France.D'abord si plaifament acoutré dans la Dunciade d'une paire d'ailes mises a rebours, ensuite représenté fous la figure d'un âne brayant au pied d'un arbre , sur le sommet duquel est placé une Lyre,
(*) Moliere.
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Que veut dire cette Lyre ?
Oeft Melpomene ou Clairon, Et ce monjîeur qui fait rire, N'est-ce pas Martin Fréron ?
Enfin par le plus impardonable des excès il fut produit sur la scene, pour y être couvert d'oprobres & de calomnies.
DICTION AIRES.
Tou R NEZ à votre avantage les bons Diétionaires, qui répandant & mettant à la portée de tout le monde les connaissances, enlèvent bien des épines au travail : Leur excès peut cependant nuire.
Qui borne ses études aux Diétionaires se pare de trompeuses apparances, propres à séduire au premier abord, mais dont le moindre usage fait évanouir le faux brillant. Employons donc les Diétionaires, mais avec retenue , consultons les sur tout objet à parcourir, mais non pour les parties qu'il est de notre ambition ou de notre intérêt de parfaitement posséder.
Dans la foule des Diétionaires se fait remarquer le Diefionaire. Historique (é), dont J'ai retiré de grands services pour cet essai. On loue avec empressement les auteurs de ce bel ouvrage comme ayant réun; une érudition vaste, un ityle correct, un goût fé vere , à un grand refpeft pour les mœurs, & pour la Religion.
(c) La derniere édition que je connais est de Caen 1789.
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TRENTE QUATRIEME LECTURE.
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OUVRAGES Q U*I L EST DANGEREUX DE URE TROP TÔT.
LA prudence ordonne de reculer, jusqu'à ce que la raison foit murie par de bonnes leétures, par de fages réflexions, quelques livres dangereux, les uns pour les esprits peu formés, les autres pour les cceurâ neufs. Aux maux que produisent ces derniers opposons les digues les plus fortes. On peut vivre heureux, on peut contribuer au bonheur des fiens, on peut même servir utilement sa patrie sans pas..
féder des lumieres très étendues, mais qui dédaigne les vertus surcharge la terre d'un inutile fardeau quand il ne répand pas le désordre par' ses crimes.
LIVRES DANGEREUX POUR LE C Œ U R.
Sous les plus riantes fleurs font cachés quelquesfois des animaux venimeux qui blessent d'une mortelle atteinte la main assez imprudente pour cueillir avec précipitation & sans choix tout ce qu'elle peut atteindre. Tel est le poison que plusieurs écrivains répandent dans leurs ouvrages, à la faveur de séduisantes apparences. Ses fuites deviennent d'autant
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Plus certaines, d'autant plus funestes, que des formes agréables le revêtissent. Le crime à découvert n'est point à craindre : La nature le fit hideux afil qu'il inipirat de l-horreur ; l'art au contraire travaille sans relâche à corriger cette difformité, & rrcp souvent le succès couronne de coupables efforts.
C est surtout la jeunesse qui doit redouter des pieges que l'expérience consommée n'évite elle même quc difficilement. -
Un cœur bien affermi dans ses principes, peut seul savourer sans péril l'histoire des amours de anon L'Escaut & du Chevalier Desgrieux i ouvrée unique en ion genre. Par le plus grand abus d'esprit Prévôt parvient à y faire chérir un jeune étourdi, une fille sans mœurs. Tous les torts de Manon font effacés au moment où elle expire dans un défert 11orrible, accablée de fatigues de chagrins, n'ayant que le ciel & son amant pour témoins de ses souffrances. Personne qui n'arrose de pleurs la fosse que l'infortuné Desgrieux creuse de.
ses mains avec le seul secours de son épeé rompue, & dans laquelle il renferme les relies de la beauté qu il aimait si éperdument.
Plus de talens encore semblent employés dans les Haiibns dangereuses; dans ces lettres d'une magie de jtyÍe qu'on ne cesse d'admirer ; mais de quels maux profonds & dangereux devait être cangrenée la nation sur les mœurs de laquelle un auteur ,(*) a pu faire
(*) Liclosi
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faire de telles observations, les rassembler & les mettre au jour sans qu'il s'éleva un cri général d'indignation.
Peres & meres; époux & épouses, dont les vertus font trop solidement fondées, pour que rien les ébranle, vous frémirez des dangers qui menacent les objets confiés à votre tendre surveillance. Toutes les précautions paraîtront insuffisantes à vos yeux effrayés. Jeunes gens .ayez le courage de repousses loin de vous ce véritable cours de corruption. Si, sourds à mes conseils, vous vous obstinez à le lire, ne perdez pas de vue que peu de mortels naissent organisés pour atteindre au grand, même dans le crime. Un Victe. de Valmont, surtout une Marqie. de Mertueil, font, grâce au ciel, des êtres extrêmement rares. Aussi presque tous ceux qui ont l'aveuglement de les prendre pour modeles, échouant dans leur entreprise * deviennent de détestables copies, bientôt couvertes de ridicules & de honte,
LIVRES DANGEREUX POUR L'ESPRIT, Q UOIQUÉ la poésie rende à certains égards les traits de la Satyre plus acéré; ils conservent pourtant du piquant dans la prose; mais ils y dégénèrent bien plus facilement en offenses perfonelles d'après les détails qui ne sauraient trouver p"acè dans des vers.
Sans nul doute la Satyre Ménippée est la premieré de toutes celles en prose: Cette composition originale
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réunit des beautés de toute espèce : Près de plaisanteries ingénieuses se trouvent des morceaux dignes 1 des premiers orateurs , quelquefois des passages qui rappellent la majesté de l'Épopée , partout une marche rapide; enfin l'arme du ridicule si bien maniée que la, ligue en reçut un coup mortel.
Le vieux langage de la Satyre Ménippée dérobera peut être à vos yeux une partie de ses agrémens, mais vous .jouirez de tous ceux des lettres adressées à l'auteur des hèrésies imaginaires ; lettres recherchées avec empressèment, malgré l'entier oubli dans lequel restent plongés l'écrivain & l'ouvrage qu'elles attaquent. Leur grande beauté vous affligera par fois; on souffre de ne pouvoir pas effacer jusqu'au souvenir de quelques phrases employées à se jouer de personnages refpeétables auxquels Racine devait tant de reconnaissance , comme lui même ne tarda pas à le sentir. Aussi Boileau, après avoir entendu la leéture de la fécondé lettre, modele achevé d'ironie, figure si rarement bien mise en usage, si froide quand elle n'est pas très ménagée, Boileau dit à son ami : „ Cette lettre fera autant de tort à votre ?, cœur, que d'honneur à votre esprit." A quelque oisiveté que vous soyez condamnée ne perdez pas un seul moment à la leéture des lettres de Patin , très imprudemment recommandées à la jeunesse: Elles font le dernier excès de la méchanceté. Leur auteur plein de venin le distillait sur tous les objets qui se rencontraient fb s sa plume & cela sans choix, sans mesure, sans exception. Il défigurait les anec-
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dotes, déchirait ses ennemis, maltraitrait ses amis; & ne s'épargnait pas lui même plutôt que de laisfer échapper roccafion de lancer un trait épigr,mmq.
tique.
Les maux physiques, les contrariétés du fort, en aigrissant le caraétere, en excitant l'esprit, ulcèrent quelquefois entièrement le cœur. Plusieurs libellistes méritent donc la pitié. Un régime fain, quelques secours les raccommoderaient avec le genre humain qu'ils attaquent moins par haine que par humeur ; mais d'autres, plus rares à la vérité, font pour ainsi dire pétris de fiel, restent par essence , par goût, par principe à jamais déchainés contre tous les hommes. Un Chevrier, par exemple, éprouvait, lorsqu'il composait, des élans de méchanceté, comme J.
Jacques était transporté par des enthousiasmes de fen-* fibilité & Voltaire par des effervescences d'imagina,:, tion: Ces accès j dignes d'une furie, enfantèrent des écrits remplis d'esprit mais virulens de noirceur.
Le colporteur, tracé. avec énergie, écrit avec feu; offre à chaque pas des traits empoisonnés des portraits affreux. Clément dit * en parlant des ridicules du liecle : „ Je doute que Mr. Chevrier; quoi„ que membre de deux académies de province, ait „ assez vu la cour & les femmes du grand monde f ,, pour en faire des portraits bien resfemblans. Que ï> j'aye tort'ou non, c'est sans malice que je va „ lui fournir un ridicule pour la feconde édition dé „ son chapitre des beaux esprits ; c'est celui de té ,, peintre aveugle qui se plaisait à tracer avee ilS
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„ bâton la figure qu'il imaginait aux gens dont il ,, entendait parler." Il ferait difficile de rencontrer dans aucun tems un écrivain plus universellement lu que Mercier. L'année 2440, le Tableau de Paris, satyres outrées, fouvent ameres, mais hélas ! Quelquefois trop vraies, ont été dévorées par le public. Une forte énergie, des vues neuves, un Hyle attachant, même par ses défauts, font devenus autant de titres recommandar bles dans un tems où tous les esprits fermentaient.
TRENTE CINQUIEME LECTURE.
LIVRES LICENTIEUX PROHIBAS.
A sagesse des allions, la modestie du maintien qualités qui méritent de très grands éloges, ne suffisent pas à la femme vertueuse. Peu contente des plus belles apparences, elle croirait blesser la chasteté , si ses plus secrettes pensées s'écartaient de la décence. Les livres, qui tendent à pervertir les mœurs , vous feront donc toujours étrangers. Redoutez ces dangereux ouvrage, honteux abus de l'esprit, dernier terme de la corruption. Leurs coupables auteurs restent voués au mépris des gens honnêtes : Ce mépris s'est exprimé avec tant de force que depuis plusieurs années aucun nouvel ouvrage licentieux n'a paru. Ce n'est que dans des compositions an-
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ciennes & rebattues, n'offrant aucun sel, privées d 1 tout agrément, que la jeunesse fouille son imagination, dégrade ses qualités morales. Quelque sévere que dut être cette prohibition, je crains bien d'être forcé de laisser une fois dormir la loi. Pourrais-je en effet sans une rigueur extrême prétendre que vous renonçassiez au plaisir de connaître ce poëme unique, riche galerie de tableaux si vrais, si gais, d'un coloris si parfait. Laissez donc aprocher de vous la trop séduisante Jeanne ; cependant couvrez la d'un voile qu'il ne faudra lever que lorsque vous ferez certaine de rester sans témoins. Toute femme , surprise avec une brochure-indécente à la main, se trouve exposée aux entreprises de ces hommes corrompus qui font profession d'épier les faiblesles d'un sexe, qu'il est aussi flatteur d'embraser d'une passion véritable, qu'affreux de séduire de propos délibéré.
LIVRES CONTRE LA RELIGION.
LES attaques contre la Religion, dirigées il y a vingt cinq ans avec autant d'acharnement que d'ostentation, ont perdu le nom de hardiesses philosophiques, pour prendre celui d'indécens & criminels écarts. Ces écarts affligent les hommes de bien , éblouissent les esprits bornés, égarent les caracteres faibles, conduisent à une viellesfe malheureuse, rendent affreux le terme inévitable. A notre heure derniere, se réveillent tout à coup les principes gravés
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dans l'enfance, oublies, pendant l'orage des passions, outragés dans le tems de force, & suivis dans ce terrible moment du remords le plus redoutable effet du courroux céleste. Écrivains téméraires, qui portez une main sacrilége sur les dogmes religieux, courez près de ce lit de douleur, & reconnaissez les fuites terribles de vos criminelles entreprises. Un malheureux étendu, le corps brifé de souffrances, l'œil.
égaré, l'esprit abattu, le cœur desséché, charge de.
malédictions les auteurs des livres dans lesquels il a puisé l'impiété: Envain des parens désolés, des pasteurs animés d'un saint zele, s'efforcent de lui apporter quelques foulagemens : Une ame inquiète & bourrelée peut elle dans un instant acquérir cette paix, qui, produite par 1Jexercice des venus, par l'entiere confiance dans l'Être suprème, adoucit feule les affres de la mort. A cet asped effrayant vous vous prendrez vous mêmes en horreur, vous maudirez les mouvemens d'un funeste délire, mouvemens inspirés par l'orgueil & par la méchanceté.
Les défenses, quelques légeres qu'elles soient, les avis, quelques réservés qu'ils paraissent, fatiguent à la longue; qu'il me foit donc permis de suspendre pendant peu d'instans le rôle de conseiller, pour en remplir un bien plus agréable , celui d'admirateur.
Ce doux relâche donné à mon esprit lui permettra d'entrer avec plus de vigueur dans quelques parties très intéressantes, mais dont on ne tire de grands avantages qu'à la fuite de nombreux & de pénibles
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travaux: Semblables en cela à ces terres très fortesqui, pour donner de riches moissons, attendent quet le cultivateur les ait arrosées de ses sueurs.
Après avoir rendu des hommages aux efforts de l'art, aux productions du génie, mon cœur m'appelle près du sexe le plus bel ouvrage de Ja nature, - le plus intéressant ornement de la terre. Les honneurs mérités par celles, dont nous trouvons en vous tant de traits, doivent présenter à vos yeux des images d'un grand prix.
Je mets Pesfai particulier sur les ouvrages des femmes aux pieds d'une mortelle dont les charmes ravissent, dont l'esprit subjugue, dont la vertu imprime le refpeét, dont la bonté attache. Proposez vous d'approcher de cet être parfait, sans que la difficulté de l'atteindre, vous étonne : Remplissez votre ame d'une généreuse émulation : Gardez vous de céder à un? crainte pusillanime, en apparence fondée sur la sagesse ; mais qui comme le lierre desséche les ramaux auxquels elle s'attache. Qu'on place devant deux jeunes éleves ,, ce fameux Apollon du Belvé,, der, la plus parfaite des statues, où le marbre „ animé offre à nos regards un être trop beau, trop ,, parfait pour ne pas représenter un Dieu: Produc„ tion unique, la feule dans laquelle l'art ait ja„ mais surpassé la nature." ( i) L'un des éleves, ébloui par tant de beautés laisse tomber le ciseau de ses mains défaillantes dès lors ses idées se ré-
Cd) Hilloire de la Rivalité de Cuthage & de Rome.
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trécisfent, ses vues se raccourcissent, toujours il languira dans la médiocrité. Son compagnon au contraire fent son imagination s'élever ; son fang bouilloner, son cœur palpiter, il brûle d'exhaler le feu qui l'embrase: Les premieres difficultés, les revers d'abord inévitables accroissent son ardeur, il produit d'admirables copies : Bientôt même il en♦ fante des morceaux qui lui font propres : Son nom reste à jamais gravé dans le temple de mémoire.
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ESSAI
SUR LES
FEMMES, DÉDIÉ A MA VERTUEUSE AMIE T****.
Que fervent le [avoir, Pesprit & le talent ?
T'aimer, te plaire est tout, & le reste est néant.
Des fages quelquefois j'entends la voir sublime.
Chanter les Dieux, le tems, le cahos & l'abymt, Ht peindre les beautés du naissant univers.
Je ne fais, mais l'ennui se mêle à leurs concerts.
uiuprès de ta beauté, qu'efi-ce que le génie 7
HELVETIUS.
,, UN sëntiment purifiant l'ame, détruisant l'empire des sens, soumettant l'intérêt personnel à ce„ lui de l'objet aimé , élevant l'homme au desius ,, de lui même , un tel sentiment parut longtems à „ mes yeux la chimere favorite des imaginations vi,, ves, des cœurs sensibles tant que la sévere deltrucy, trice des illusions, l'expérience, ne les a pas éclai- ,, rés. Je pensais que l'union des ames existait un'quement dans le fameux systeme de Platon, re,, gardé dans l'antiquité comme une inspiration di,, vine, mais relégué de nos jours parmi les rcyes
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„ de la philosophie encore au berceau. Plus d'une „ fois j'osai d'une langue indiscrette lancer des traits „ contre les partisans de l'extrême sensibilité, qui „ transportant notre être dans les régions romanesques, „ causaient un délire heureusement passager. Je vous „ ai connu, & toutes mes idées ont pris un nou5, veau cours." „ Les anciennes jouissances dépouillées d'appas „ empruntés, n'ont plus présenté qu'une repoussante 9, fumée: Les prétendues erreurs se font montrées „ revêtues de charmes incorruptibles, célestes & furs 3, de plaire à jamais, parceque le vice ne les flé- ,, trit point par son soufle empoisonné." ,, 0 jour fortuné, oÙ pour la première fois s'offrit „ à mes regards celle qui devait déchirer l'épais ,, bandeau des préjugés, vous resterez présent à ma ,, mémoire, tant que quelque chaleur circulera dans „ mes veines. Une fête rassemblait la plus brillante ,, société chez ***: La réputation de votre beauté "étoit déjà répandue : Avant votre arrivée les „ femmes se plaignaient que les hommes distraits ne f, regardaient que la porte par laquelle vous deviez „ entrer : Dès que vous parûtes, les yeux, que l'on „ comptait arrêter pendant peu d'instans pour fatis„ faire la curiosité, restèrent fixés, sans qu'un fenti„ ment indéfinissable leur permit de se détourner." ,, Engagé dans d'autres liens j'approchai lente„ ment; que devins-je en voyant ces traits régu„ liers mais agréables, ces grands yeux pleins de "feu mais où se peint la bonté, cette taille
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3, noble mais aisée : Un mouvement inconnu, une „ agitation tumultueuse & douce, s'emparèrent de „ moi: mon trouble ne vous échappa point. L'accueil „ le plus flatteur fit disparaître tout figne d'embarras; ,, le calme régna sur mon front, tandis que l'orage „ intérieur continua dans toute sa violence,"
„ jih ! qui pourrait effacer dans un jour 5, La profondeur des traces de l'amour ?
„ C'est le torrent, qui, jillonant la plaine, 3, A tout empreint du fable qu'il entraine.
„ Les près rougis , le guérèts dépouillés v Marquent les lieux que fin cours a fouillés ; ,, Mais un printcms suffit à la nature ,, Pour réparer Vémail de la verdure: „ La vie entierc à peine reproduit, „ La paix du cœur qu'un seul instant détruit."(*)
„ Un feu dévorant, qui s'insinua dans les plus „ petites parties de mon être, m'étonna sans m'al„ larmer. Quelques lueurs d'espérance versaient sur ,, mes premiers pas une faible lumiere & suffisaient "pour bannir l'effroi. Admis dans votre société ,, j'osai d'abord nourrir des vues. Vous m'en „ avez fait rougir, vous m'avez pendant peu d'in,, stans mis à votre hauteur. Près de vous j'ai ,, goûté la volupté fuprêine dont les hommes s'éloi- „ gnent à si grands pas, quand ils la cherchent dans „ des plaisirs moins délicats. Un seul soupir nous rendait
(1) Bernard.
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?, heureux ; ce soupir était pur comme votre ame, 9) nul remords ne l'empoisonnait. Je n'étais pas for„ cé de prodiguer ces fausses & hypocrites préve*, nances par lesquelles l'amant fascine les regards y, de l'époux trompé; prévenances qui répugnent aux Î, cœurs honnêtes & qui deviennent le comble de 9) l'outrage, quand leur motif parait au jour.
„ Près d'atteindre mon sixieme lustre, lancé de,, puis plusieurs années dans le tourbillon du grand 9» monde, entraîné par le torrent des plaisirs enfans » bruyans du luxe & de la corruption, je ne fem,, biais plus appelé au bonheur de goûter les jouis"fances de l'ame. Les doux parfums renfermés ,, dans le modeste calice de la fleur des champs, ne „ flattent plus l'odorat blafé par l'excès des fortes „ odeurs. Cette régénération presque surnaturelle , ,, un seul instant la produisit, il changea toute mon y, existence ; il me transporta dans un monde nou„ veau ; il soutient encore mon courage au milieu »,- des revers. Mille fois j'ai prétendu le décrire , „ mais désespéré de rendre froide, inanimée, une „ scene dont la feule idée allume en moi un brûlant „ enthousiasme, d'impatience, de fureur j'ai brifé „ ma plume : N'importe, encore une tentative elle ,, soulagera du moins ma peine. Tel est l'appanage ,, des plaisirs de la vertu ; leurs traces qui plaisent „ dans tous les tems, laissent empreint en nous un ,, tableau touchant, sur lequel nos yeux, desséchés „ ou par trop de bien, ou par trop de chagrin, re„ prennent l'attendrissante humanité. Les plus fé-
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„ duifantes formes des plaisirs du vice font entremê,, lées d'amertume, s'évanouissent avec rapidité, & 3, ne laissent après elles que des traces hideuses. L'hom„ me, s'il n'est pas abruti, s'efforce d'arracher de sa „ mémoire ses égaremens, mais hélas! tous ses efforts ,, restent luperfius." il Heureux, cent fois heureux, qui peut sans troù,j ble, sans repentir, ramener ses pensées sur toutes j, les actions de sa vie. Le présent, idole encensé „ par tant de mortels, n'a de valeur que par le „ passé , au pouvoir duquel se trouve également „ soumise l'espérance compagne fidelle & dernier j, ressource des infortunés." „ Mes regards se portent avec inquiétude sur ce „ passé puissant mobile de notre bonheur, ou de no„ tre peine. Une mer orageuse me pénètre de ter,, reur; les flots mugisfans se brifent contre dénor,, mes rochers; des volcans vomissent des torrens de "feu & de fumée; les cieux font couverts de "nuages ténébreux : A cet effrayant aspeét mes ,, esprits font abbatus, tout à coup un éclair part, „ sillonne, fend l'atmosphère, & par sa clarté bien„ faifante me découvre une isle fortunée que refpec„ tent les Autans : Le seul Zéphir la fertilise par sa „ caressante haleine : Toujours les horreurs de la ,, nature font ressortit ses beautés." „ Je cours vers cet afile enchanteur: 0 délicieuse „ surprise ! Je reconnais le lieu où nous fumes en„ semble : Là s'éleve le temple de la paix ; les reIl greçs sur le passé, les soucis du présent, les crain-
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„ tes pour l'avenit n'osent jamais approcher de ion ,, sacré parvis. 0 ma vertueuse amie, la divinité * j, placée sur l'autel, m'apparaît fous vos traits, pour m'apprendre que jusqu'à mon dernier soupir, c'est de ;, vous que je dois attendre quelques heures fortunées." ,, Depuis six mois, je vous adorais: Ma bouche, faible interprète, répettait sans cesse que je vivrais toujours fous vos loix. Vos principes , en $, me pénétrant de refpeét m'empêchaient de connaître „ si je possédais quelque pouvoir sur vous. Le doute „ affreux empoisonnait ma vie; touchée de tant dé „ fouÍfrances, vous me dites un jour: 9, Demain mon mari part de grand matin pour la chasse, je pré„ tends profiter de cette occasion pour vous faire con,, naître les sentimens dont mon cœur est rempli. Ces "mots enflammèrent mon imagination. Envain la nuit vient elle porter le calme sur la terre , le "sommes n'approche point de ma paupiere. Je „ devance les premiers rayons de l'aurore : Le bruit „ le plus léger m'occupe, m'intéresse, enfin le fort ,, des trompes, les aboyemens des chiens, les cris ,, des valets annoncent le départ des chasseurs. Je „ fors de mon appartement, le cœur palpitant de „ désir, de crainte, d'espérance: Je vous rencontre, 9, vous prenez mon bras, vous dirigez mes pas vers , une montagne peu éloignée dont le flanc était 3, couvert de bois élevés. Nous avançons, bientôt 9t la forêt nous prête Ion ombre majestueuse. Nous *, reconnaissons le caraétere de la nature ; agréable f> dans son enfance, imposante dans sa force, aflreufç
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h dans sa caducité. Ce bosquet, planté de rejettons 3, naisfans, égaye l'esprit, le remplit d'amoureuses pensées: Ces arbres vigoureux, dont le sommet sel ,, balance dans les airs, approche des cieux & cou„ vre au loin la terre d'une ombre épaisse, impri-!
„ ment dans l'ame un refpeét religieux : Ces bran-
ches rompues, ces troncs dépouillés, ramènent la „ trisse, la pénible, mais profitable image d'une de,, ftruétion inévitable. Je me crois transporté dans ,, un fanduaire ; une mélancolie tendre & refpec"tueuse éleve mes pensées purifie mes désirs. Ce„ pendant nous gravissons lentement, observant cet „ expreiTif silence si bien goûté (e) par les êtres „ sensibles, & plongés dans de douces rêveries. Tan„ dis que je parais rassurer votre marche chancelante, ,, vous me pénétrez d'étincelles qui feules empê"chent mes jambes affoiblies de se dérober fous ,, moi. Enfin nous atteignons le sommet. Quel mag„ nifique point de vue frappe nos regards!" „ Le soleil, dans toute sa pompe, parcourt un j, ciel azuré ; aucun nuage n'obscurcit cet astre vi,, vissant, sans le secours duquel la nuit étendrait „ ses voiles funebres & la mort régnerait sur une ,, terre privée de chaleur." „ Le fleuve formant au dessous de nos pieds une „ énorme cataraéte, qu'on ne peut ni voir ni enten-
ÇO Le Chev. de Meude Monpas a dit avec autant d'agrément que de vérité
L'amoureux silence t Rend les mots superflus,
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s, dre sans émotion, poursuit son cours majestueux à s, travers du plus beau vallon: Deschamps variés, des 9j troupeaux nombreux , des villages étendus dév ployent les richesses de la nature, rehaussées par , l'aétive industrie de l'opulent cultivateur : Des » monts, glacés terminant l'horison avec leurs têtes „ chenues, couronnent le plus superbe tableau." ,, Mes yeux, d'abord étonnés, éblouis, se re"portent bientôt sur vous, j'éprouve une eni"vrante sensation : Je me vois entouré des plus ,, parfaits ouvrages fortis des mains de l'ordonnateur „ suprême. (f) Tout à coup vous tombez à genoux ,, vos belles mains se lévent vers le ciel, votre „ charmante bouche fait entendre de mélodieux accens. Etre tout puissant, infiniment bon, infiniment a juste, par qui tout ce que nous voyons exijie1 que „ ma voix parvienne jusqu'à toi : Ecoute le ferment „ que je jàis d'aimer jusqu'au dernier soupir le mort ,, tel à qui je m'unis. QjJ/il régne à jamais sur ,, moi. Mes pensées, mes déjirs, je les mets en ,, son pouvoir , ma vertu fera le seul sacrifice qu'il ,, n'obtiendra pas. Exauce mes priéres. Si nous ne ,, trahiffons pas nos devoirs, permets que nous vivions ,, l'un pour Vautre ! Si au contraire nous violons les ,, refpecîables loix de l'honnêteté, fais tomber sur nos ,, têtes les châtimens dus aux parjures Je
(/) Sacré lfambeau du jour, n'en fojez pas jaloux Vous parûtes alors aussî peu devant elle RIJe les feux de la nuit araient fait devant vout.
M A u v 1 L L 94
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„ Je suivis votre exemple : tous deux nous prîmes 99 l'engagement sacré avec trop de zèle, avec trop aj d'ardeur j pour que dans aucun tems il foit violé" 51 Comtez, me dites-Vous alors, sur ma fidélité sur n ma confiance; tuais rappellez vous toujours qu'une 5, femme vertueuse ne saurait être f éduite, vos entreiy prifts; sans vous conduire à votre but; me jette» raient dans le désespoir 5, Depuis cette union solemnelle, lous me prodigâtes les plus tendres foins, les prévenances les plus 3, délicate s : J'existais en vous, vous existiez en moi.
Le sentiment céleste, qui nous animait, en don,, nant du prix aux moindres plaisirs, allegeait toutes „ nos peines. Trop heureux momens, pourquoi n'avez ,, vous pas terminé ma carriere? J'ai connu une fé,, licité près de la qu'elle toute autre déformais res,, tera froide & sans prix."
„ A l'instant où le devoir m'arrachait d'auprès „ de vous, la fortune me sourit, l'ambition me ,, flatta. Tel que -la viétime parée pour le facri91 sice, je m'avançai vers le malheur ; chargé d'a", gréables festons & de brillantes bandelettes: Son„ ge trompeur, reveil affreux. L'homme, ,, assez heureux pour vous intéresser, paraîssait dès„ lors appelé à toujours s'ennorgueillir de son fort; 3, maintenant jetté sur une terre étrangère , pliant „ sa tête fous le joug pesant de la nécessité, privé „ du fruit de vingt deux années de travaux, il ,, cherche l'intérêt & ne trouve que la pitié, le plus „ insultant outrage pour une ame fiere. Séduit quel-
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„ quefois par de flatteuses apparences, il court pour ,, embrasser un ami, il ne rencontre qu'un protec„ teur. Son cœur, que l'espérance avait épanoui, 5, se resfere soudain par la honte." „ Le désir, d'apporter des foulagemens à mes ,, peines, de satisfaire ma reconnaissante sensibilité, „ m'engage à tracer d'une main appesantie par la „ douleur quelques traits à la louance des femmes „ dont sans vous je ne me ferais formé qu'une bien ,, imparfaite image." ^— i
FEMMES AUTEURS.
PLUSIEURS femmes, peu satisfaites de plaire dans un cercle circonscrit, ont aspiré à faire les délices du public. Quelques unes, d'après de très heureuses tentatives, occupent au temple de mémoire des places distinguées. Vous ferez bientôt convaincue que, si elles cèdent aux hommes l'honneur de remporter le prix dans l'éloquence, dans la haute poésie, enfin dans les sujets ou très relevés ou très profonds, en revanche, une supériorité marquée leur échoit en partage, quand font traités les sujets de simple agrément, où le paturel parait plus que l'acquis.
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LE STYLE ÉPISTOLAIRE APPARTIENT AUX FEMMES.
LE Style Épiltolaire semble exclusivement appartenir aux Femmes: Des esprits, si j'ose m'exprimer ainsi, plus en monnoie courante , s'employent, bien mieux aux usages journaliers. Chez une femme d'esprit, coulent comme d'une source abondante, les détails légèrs qui coûtent beaucoup à l'homme supérieur. Lisez deux lettres: La premiere d'une femme, la fécondé d'un homme ; en supposant les deux personnes, de qui elles viennent, douées au même dégré d'esprit & de talens : Vous ne sauriez prononcer que la lettre de la Femme foit réellement mieux écrite, cependant vous la préférerez à cause d'un moëleux, d'un oubli de travail, qui ne se rencontrent pas dans la lettre de l'homme à laquelle les efforts, faits pour acquérir des grâces, donnent un ton de gêne, ainsi qu'une tournure guindée.
Supposé que cette expérience , proposée pour se convaincre de combien les ffemmes surpassent les hommes dans le Style Épistolaire , ne vous paraisse pas suffisante ; il me fera facile de l'appuyer de quelques exemples.
Quand Balzac donna ses lettres, il produisit une ,grande sensation dans le monde littéraire : Les hommes, les plus éclairés que posfidait la France, se divifcrent d'opinion, mais tous, foit comme approbateurs, foit connue critiques, s'occupèrent long-
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tems d'un livre que maintenant peu de personnes ouvrent. L'enthousiasme passé; l'oubli présent font je pense , également injustes.
Les lettres de Balzac, remplies de déclamations, de jeux de mots, ne sauraient être dépouillées du mérite réel d'avoir été le premier ouvrage en prose écrit avec quelque élégance dans la langue Française. On n'avait pas encore eu d'exemple d'un style aussi plein, aussi nombreux. Son auteur peut, à juste titre, passer pour avoir autant contribué à la perfection de la prose , que Boileau à celle de la poésie. Cependant la réputation du premier se trouve entièrement évanouie tandis que la gloire du dernier reste inaltérable ; différence que nous devons moins attribuer à une inégalité de talens , qu'aux époques diverses dans lesquelles ont paru ces deux hommes estimables (g). v Si Balzac n'eut écrit que dans le tems où les esprits s'étaient éclairés, où fermentaient les germes de tous les talens, on ne ferait pas sans doute choqué des hyperboles & des pointes qui défigurent ses belles pensées & ses nobles expressions: On ne souffrirait pas de la peine que l'auteur a prise pour donner de .l'importance, de l'éclat, de la valeur, à des matieres dont lui-même reconnaissait la futilité, quand il les appelait de pompeuses bagatelles.
Voiture , contemporain , émule, ami de Balzac, obtint encore plus d'applaudissemens. ,, C'est le
(c) Balzac est né en 1594 & Boileau est 1636.
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,, premier qui fut en France ce qu'on appelle un „ bel esprit (*)." Ses lettres, composées avec autant de travail que celles de Balzac, me paraissent fort au dessous, parcequ'à mes yeux , l'affeétation de gaieté & de légèreté devient de toutes les affectations la plus détéstable. Vous ne lirez donc Voiture que pour juger de la marche du goût dont les progrès furent fort rapides, Un homme, assez admiré pour que Me. de Sévigné ne pardonne pas aux critiques indiscrets qui se permettent quelques remarques sensées sur ,, un esprit libre , badin, „ charmant ; tant pis pour ceux qui ne l'entendent „ pas," un homme, que Boileau dans sa jeunesse avait loué , fut peu d'années après accablé de reproches pour la fausseté de ses idées, pour la maniere ridicule de ion style. Quelques traits fins ou délicats font trop achetés par une foule de plates équivoques & de fades boufonneries.
Les bonnes plaisanteries étaient assurément inconnues de ceux qui les faisaient aussi bien que de ceux qui les appréciaient ; lorsque la lettre de la Carpe fut reçue comme un chef-d'œuvre. Voiture l'écrivit pour féliciter le Duc d'Enghien de ses succès en Allemagne : Il y fit parler la Carpe au Brochet par allusion à un jeu de société dans lequel le prince & lui avaient reçu les noms de ces deux poissons.
Pour qu'un tel badinage réussit de nos jours, il
(*) Voltaire. «
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faudrait qu'il présentat des pensées ingénieurs sans recherche, & simples sans trivialité. Celles que je Vais citer n'y feraient pas admises. „ Quoique vous ,, ayez été excellent, jusques ici, dans toutes les „ fausses où l'on vous à mangé , il faut avouer 9) que la fausse d'Allemagne vous donne un grand 5> goût & que les lauriers, qui y entrent, vous re,, lévent à merveille. Les gens de l'Empereur, qui „ vous .pensaient frire & vous manger avec un grain.
"de sel, en font venus à bout comme j'ai le j, dos." Vous vous croirez fondée à me représenter que , puisque jusqu'à présent j'ai cherché les niodeles de perfection chez les écrivains venus pendant ou depuis les beaux jours de Louis XIV , c'est une injustice de tenir une conduite différente par rapport au style épistolaire. „ Pourquoi, direz vous, citer Bal,, zac & Voiture placés au premier Crépuscule, par ,, conséquent ,'Ó'appercevant que de faibles rayons de la lumiere dont jouirent ceux qui fleurirent „ dans la force de ces mêmes beaux jours, vers le "déclin desquels nous marchons à grands pas ?" La meilleure réponse à cette objection fera de vous présenter un homme lié par ses talens avec les plus beaux esprits de son fiede, & par son rang avec les plus grands personnages.
Busfi Rabutin a donné sept volumes de lettres.
L'écrivain, dont l'histoire amoureuse des gaules fit la célébrité, & causa. les malheurs, possédait un esprit supérieur : La richesse de [pu imagination,
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la carriere qu'il parcourut lui donnent même beaucoup de ressemblance avec Ovide. Tombé comme le poëte Romain dans la disgrace de son maître, il chercha les moyens d'en sortir par des louanges immodérées, par des assurances excessives de dévouement. Louis XIV ne reçut ces différens hommages qu'avec dégoût, malgré sa paillon pour la flaterie.
Quoique les éloges du Roi & ceux, sans doute plus sinceres, que Bufil s'adresse à lui-même, remplissent le plus grand nombre de ses lettres ; quelques unes roulent cependant sur des sujets importans, & toutes font très bien écrites. Dans plulieurs circonstances elles montrent dans leur auteur un homme d'un goût exquis.
Cependant des succès d'abord prodigieux ne se font pas soutenu d'après une gêne, d'après une roideur qui felon moi, loin de leur être particulière , se retrouvent dans toutes les lettres écrites par des hommes.
Ce jugement, porté sur les lettres familières, ne s'étend pas jusqu'à celles qui font des corps d'ouvrage d'une forme assez nouvelle , que plusieurs hommes célèbres ont très heureusement employé , dans des Romans, dans des Voyages, dans des leçons de morale , & même dans des cours de science : Elle a divers avantages entre lesquels se distingue la possibilité de changer de fuj ets sans le secours des transitions, si difficiles à bien amener.
L'affranchissement des entraves séduit toujours les
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hommes, paresseux par nature ; aussi les tentatives en ce genre ont elles été très fréquentes, mais la plûpart malheureules. Les auteurs, qui trompés à la vue d'un désordre apparent se font persuadés qu'ils travailleraient avec succès sans suivre de plan ne pouvaient que par de cruelles chûtes payer une si grossiere erreur : Aucun ouvrage n'est beau qu'autant qu'il présente un enfembie dont la liaison relie plus ou moins visible félon la nature du sujet, ou felon le genre d'esprit de celui qui le compose ; mais souvent l'auteur couronné de palmes, grâce à ses lettres dellinées au public, loin de conserver des traits saillans dans celles adressée:; à ses amis , s'y montre sec & froid. Montesquieu partait de Paris permettez-moi de vous écrire, dit-il à une femme extrêmement aimable. ,, Volontiers, répondit celle,, ci pourvu que ce foit des lettres Persanes.?' :
SUCCÈS DES FEMMES DANS L'ANT 1 QUI T Ï.
SI chez les Grecs Sapho surpassa en délicatesse, en harmonie tous les poètes ; si Corinne osant disputer la palme à Pindare l'emporta cinq fois; si la célèbre Aspasie donna de? leçons de goût aux Alcibiade, aux Périclés, aux Platon, même à Socrate ; si Thargelie mit à ses pieds, les princes, les philosophes, subjugués par des charmes aux quels les années notèrent rien de leur pouvoir: Un Roi de Thessalie s'étant cru trop heureux de partager son trône avec cette Femme étonnante, après qu'elle eut
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couronné publiquement la passion de quatorze amans ; si dans Rome une Julie, une Agrippine brillèrent près des plus illustres écrivains, que ne doit-on pas attendre des talens des femmes chez un peuple qui de tout tems leur prodigua l'encens ; qui toujours se plut à orner les idoles aux pieds desquelles il passait ses beaux jours.
SUCCÈS DES FEMMES EN FRANCE.
QUAND même les Femmes Françaises n'eussent été que peu riches des dons de la nature il leur eut suffi, pour mériter des succès, d'être l'ame des affaires, comme celle des plaisirs, de présider publiquement aux fêtes, d'inspirer en secret les plus importantes résolutions, de diriger les goûts, de fixer les suffrages.
La grande influence des femmes se retrouve à toutes les époques de l'histoire de notte patrie, même dans le tems où ce superbe pays était couvert d'immenses forêts habitées par des hommes à demi fuvages. Annibal ne parvint à traverser les hordes des Gaulois qu'en captivant, par ses présens, par ses flatteries , les grossieres beautés auxqu'elles étaient remis les intérêts publics : Ce fut avec un égal fruit, que Charles Quint employa depuis les mêmes moyens. Sans doute dans ce long espace de tems les objets de féduétion avaient beaucoup chan"
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gé de formes ; mais malgré les siecles écoulés, toujours subsistait, en son entier pour le fonds, la galanterie qualité presque inhérente au caraétere national.
Cette galanterie, portée fous François I. à un très haut degré, contribua beaucoup à la renaissance des lettres. Tandis qu'un Roi spirituel, vaillant, aimable , méritait par des secours généreux, par une protection éclairée, par le foin d'appeler à la.
cour des Femmes reléguées jusqu'alors dans leurs chateaux, méritait, dis-je, le titre glorieux de restaurateur des lettres ; sa fœur les cultivait aveo dillinétion: La prose de Marguerite est d'une naïveté à la fois agréable & piquante ; on la rechercherait encore, si elle respeétait d'avantage la décence. Comment accorder le ton licentieux de l'Heptameron avec la vertu qui faisait dire que cette princesse, ,, Surpassait en pureté comme en "valeur les perles d'orient." Vous jugerez à quel prix considérable elle mettait la poésie d'après la fin de sa jolie épigramme faite pour Marot :
Mais on ne peut & j'en donne ma foi uijfez priser votre belle science.
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L E T T K. E S.
OUA ND fous Louis XIV. la France parut le foyer du génie, & qu'on y vit en même tems fleurir des hommes supérieurs dans tous les genres , les femmes -ne relièrent point au dessous de leur siecle ; plusieurs contribuèrent au triomphe de la nation, aucune autant que Me. de Sévigné. Vous ne connaissez pas encore ses lettres : J'ose prédire que vous les lirez avec tant de ravissement, qu'à peine sorties de vos mains elles y rentreront. On ne peut quitter ce recueil dont le fonds est une inépuisable sensibilité, qu'exprime fous des formes toujours nouvelles toujours élégantes , un esprit abondant, plein de feu & de délicatesse ; trésor moins bien connu des Français que des étrangers instruits qui nous envient sa possession & qui sentent que comme il n'eut jamais de modele, il ne produira que- d'imparfaites copies.
Rien n'honore d'avantage cette femme unique que d'avoir compté parmi ses amies d'autres femmes qu'un esprit moins élevé eut traité en rivales : Elle chérit Me. de Villars connue par de charmantes lettres, dans lesquelles se rencontrent sur la cour de Charles II, des anecdotes curieuses qui peignent, d'une maniere aussi vive qu'enjouée, les usages, les mœurs des Espagnols.
Busfi bel esprit Fanfaron, qui ne put malgré tous ses effortS" approcher de son inimitable cou-
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fine , se vit également surpassé par sa fille dont les lettres font écrites avec naturel, avec esprit, avec délicatesse. A son entrée dans le monde fous le nom de Me. de Coligni, elle réunit tous les suffrages. "Rien de plus charmant, de plus interes,, fant que cette jeune Rabutin ," disait Me. de Sévigné. Mlle. Scuderi de ion côté mandait à Bulfi : j, Votre fille a autant d'esprit que si elle vous vo„ yait tous les jours, & elle est aussi fage que si u elle ne vous avait jamais vu." Malheureusement les idées exagérées du pere l'emportèrent sur de si louables dispositions; une femmes considérée & respeétée, se couvrit de ridicules par son ardeur à réaliser des chimeres Romanesques. On la vit, avec autant de surprise que d'indignation, plaider contre son fecond époux , La Riviere , un des hommes les plus aimables, les plus spirituels de son tems. Ces belles qualités avaient enflammé le cœur de la jeune veuve au point, que dans un transport passionné elle avait pris avec lui des en- gagemens signés de fan fang. L'amant adoré devint bientôt un époux odieux indignement outragé. La vanité ne tarde pas à étouffer la tendresse chez les femmes, quand le délire est plus dans leur esprit que dans leur cœur.
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ROMANS.
M de Sévigné fut recherchée par les plus illulires personnes de son tems, mais son cœur cédant à une douce fimpathie préféra toujours l'auteur de Zayde,de ce Roman délicieux dont le succès parut bientôt balancé i même éclipsé par celui de la princesse de Gleves. Me. de La Fayette se surpassa elle-même dans cette fécondé produdion que rendent aimable son élégance , sa décence , sa vraisemblance. C'est la premiere de ce genre qui ait mérité en France de plaire aux hommes de goût, aussi at-elle reçu des diftindtions extrêmement flatteuses.
Fontenelle la lut trois fois; le grand Frédéric l'admit dans sa bibliothèque personnelle. La princesse de Cleves obtint trop de couronnes, pour que quelques épines n'aient pas percé a travers des fleurs dont elles font formées.
Je me plais à vous rapporter la critique de Bussi ; c'est un modele qu'applaudit Mc. de Sévigné : Vitre critique de la princesse de Cleves est admi,, rable , mon Confia : Je m'y reconnais ; & j'y au„ rais même ajouté deux ou trois bagatelles qui vous ,, ont assurément échappé ,, J'oubliais de vous dire que j'ai enfin lu la prin„ cesse de Cleves avec un esprit d'équité, & point ,, du tout prévenu du bien & du mal qu'on en a „ écrit. J'ai trouvé la premiere partie admirable ; „ la feconde ne m'a pas paru de même. Dans le
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v fecond l'aveu de Madame de Cleves à son mari 3, est extravagant, & ne se peut dire que dans „ une liiftoire véritable ; mais quand on en a fait „ une à plaisir, il est ridicule de donner à son j, Héroïne un sentiment si extraordinaire. L'auteur, 3, en le faisant a plus fongé à ne pas ressembler ,, aux autres Romans qu'à suivre le bon sens. Une ;,' femme dit rarement à son mari qu'on est amou,, reux d'elle; mais jamais qu'elle ait de l'amour 5, pour un autre que pour lui ; & d'autant moins ,, qu'en se jettant à ses genoux, comme fait la „ princesie, elle peut faire croire à son mari, "quelle n'a gardé aucune borne dans l'outrage „ qu'elle lui a fait. D'ailleurs , il n'est pas vrai"ièmblable qu'une passion d'amour foit longtems ,, dans un cœur de même force que la vertu, de,, puis qu'à la cour en quinze jours, trois semaines, ou un mois, une femme attaquée n'a pas pris „ le parti de la rigueur, elle ne fonge plus qu'à disputer le terrein pour se faire valoir, & si, contre toute apparence & contre l'usage, ce „ combat de l'amour & de la vertu durait dans ,, son cœur jusqu'à la mort de son mari, alors elle „ ferait ravie de les pouvoir accorder ensemble en „ épousant un homme de sa qualité , le mieux fait „ & le plus joli cavalier de son tems. La premiej, re aventure des jardins de Coulumiers n'est pas 3, vraisfemblable & fent le Roman. C'est une grande "justesse que la premiere fois que la princesse fait ,, à ion mari l'aveu de là passion pour un autre ,
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,, monsieur de Nemours foit à point nommé derrie,, une palissade d'où il l'entend. Je ne vois pas „ même de nécessité qu'il la fut & en tout cas ,, il fallait le lui faire savoir par d'autres voyes.
„ Cela lent encore bien le Roman de faire par,, 1er les gens tous seuls, car outre que ce n'est 5, pas l'usage de se parler à foi-même, c'est qu'on „ ne pourrait savoir ce qu'une personne se ferait 3, dit ; à moins qu'elle n'eut écrit son hiftQire ; en3, core dirait-elle feulement ce qu'elle aurait pensé.
,, La lettre écrite à Me. de Chartres est encore du „ style des lettres de Roman , obscure, trop lon„ gue & point du tout naturelle : Cependant dans ce "fecond tome tout y est aussi bien conté & les ,, expressions en font aussi belles que dans le pre„ mier." Ou reconnait avec peine, avec surprise la hauteur souvent petite de Busfi, en lisant, dans la lettre qui fuit celle que je viens de citer, „ notre criti3> que de la princesse de Cleves est de gens de qua10) lité qui ont de l'esprit. Le désir d'imiter Me. La Fayette anima Me. de Givri. Sa Comtesse de Savoye approche de Zayde ; il y régne un air de modestie, un ton de simplicité qui lui donnent beaucoup de grâce.
Me. de Tencin moins heureuse resta très loin & du modele & de l'imitatrice, je désire pourtant que vous lisiez ses œuvres, parceque le ton de la très bonne compagnie y domine. Personne ne pouvait mieux le connaître , qu'une femme qui pendant longtems
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rassembla chez elle ce que non feulement Paris, mais l'Europe possédait de plus distingué par le rang & par l'esprit. Les grands seigneurs, les beaux esprits ; les philoiophes, les savans de toutes les côiitrées s'empressaient de grossir la société que Me.
de Tencin appellait, sa ménagerie spirituelle & dontelle se faisait écouter avec autant d'attention que de plaifit.
Me. D'Aunoi, encore plus faible, plait cependant à la jeunesse par la légéreté, par la facilité avec lesquelles font écrits ses contes & plus particulièrement Ion voyage d'Espagne.
Si je nomme ici Me. de Villedieu qui par son extraordinaire abondance obtint d'abord quelque réputation , c'est pour vous prévenir que les seuls jugemens des hommes éclairés doivent êsse adoptés. Si vous vous en rapportiez aux éloges donnés, ou par l'ignorance, ou par l'esprit de parti, vous vous trouveriez engagée dans la Ieéture, „ din'i „ fipides écrits qui gâtent le goût, des jeûner „ gens C*)." Il appartenait à Me. Ricôboni de marcher avec éclat dans une route aussi battue. Ses ouvrages, pleins d'esprit, respirent à chaque page une sensibilité que nul homme ne parviendrait à exprimer avec autant de délicatesse. Les lettres de Juliette Catesby resteront toujours comme un chef-d'œuvre: de naturel & de grâce.
Une
(#) Voltaire.
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Une femme , dont la tombe est encore journellement arrosée des pleurs de lamitié,' dont le nom seul émeut ceux qui ont eu le bonheur d'admirer en elle la réunion, peut-être unique, des plus belles, des plus attachantes qualités : Me. Elie de Beaumont a donné le tableau des femmes sans pudeur, des hommes sans morale livrés aux désordres, malheureusement tolérés par les mœurs du jour. Ce tableau se trouve plein de vérité , les routes ténébreuses, les ressources criminelles du vice y font découvertes avec autant de force que de justesse: Des mains pures attaquèrent les autels élevés à la corruption; elles les ébranlèrent; honneur assez grand, puisque celui de les renverser relie au desfus des forces humaines.
Les lettres du marquis de Roselle sauveront de l'oubli le nom de Me. Elle de Beaumont ; mais quoique très estimées, elles ne feront jamais un titre assez distingué de gloire pour obtenir les hommages dus à celle dont les talens, fondés sur une mémoire prodigieuse , sur des connaissances variées, sur un goût très fain , étaient rehaussées par une inaltérable douceur, par une aimable gaieté , par une rare prudence. L'image de la vertu se voyait empreinte jusques sur les traits de sa noble figure.
Tous ces Romans, très agréables, ont en outre le mérite précieux d'avoir contribué à la chûte du genre détestable que les éblouisians succès de la Calprenéde firent adopter à Mlle. Scuderi: Sa carte du. Tendre, accueillie par les petits maîtres de la
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cour de Louis XIV, est de nos jours unanimement méprisée. Quel leéteur a le courage de s'occuper de tendre sur inclination, de tendre sur estime , de tendre sur reeonnaisfance. Si par hasard la curiosité porte à jetter les yeux dessus, le dégoût les fait promptement détourner. Vous regretterez qu'une personne d'autant de mérite ait employé beaucoup de tems à la composition de cet insupportable verbiage. Ses travaux mieux dirigés nous eussent enrichi d'ouvrages dans les quels se feraient rencontrés tout à la fois des leçons & des plaisirs. Nous avons pour gage de ce que j'avance la morale du monde : Cet excellent livre plait par son indulgente sagesse, étonne par une singuliere connaissance des femmes que l'auteur juge avec une impartialité dont aucun homme ne ferait capable. Vous verrez que, précédant les philosophes modernes, qui se font glorissés de découvrir une vérité neuve au moment où ils rapportaient toutes nos aétions à l'intérêt, cette fille eitimable désigne l'avarice comme l'unique cause de tous les crimes ; cause funeste , qui, ne se .bornant pas à propager le vice, étouffe la vertu.
La fraîcheur, la grâce de l'imagination de Mlle.
Scuderi semblent prouvées par le très joli impromptu qu'elle fit à Vincennes, envoyant une pierre où le grand Condé, pour soulager les ennuis de sa prison, avait planté des œuillets qu'il arrosait tous les jours.
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En voyant ces œillets, qu'un illustre guerrier, uirrofa d'une main qui gagna des batailles, Soltviéizs-toi qu Apollon bâtissait des murailles , Et ne t'étonne plus de voir Mars jardinier.
O u v rades Utiles.
Qu'EI'QtJ£ valeur que vous attachiez aux pro-
durions que j'ai cité, il"en existe cependant qui réclament plus d'estime d'après une utilité mieux marquée. '-' , ..,' Les conseils de Me. de Puisieux à son amie offrent un taét très juste sur la société , sur ses usages, sur Ion esprit, sur ses mœurs. Vous y verrez parfaitement, indiqués, & peints les ridicules à fuir 9 les défauts à détester , les vertus à cultiver.
Si je m'addresfais a. une de ces jeunes personnes, qui, livrées aux égaremens de la jeunesse, cherchent.* le. bonheur dillufions en illusions, négligent leurs devoirs & ne respirent que pour une coquett&rie, à la fuite de laquelle marchent trop souvent les désordres & les regrets , je lui dirais : „ Lisez les œuvres de Me. Lambert; si vous ne ,, chérissez pas ensuite la vertu , c'est que le ger„ me n'en existe pas dans votre ame ; des lors ,, vos malheurs pourront exciter la pitié , mais ils ne mériteront jamais l'intérêt." Ce que je conseillerais alors, dans l'espérance qu'il en résulterait un fruit salutaire, je vous le propose comme un moyen assuré d'obtenir une des plus douces jouis-
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fances, celle de trouver très bien rendus les fetitimens, les principes gravés au fond de votre cœur.
Les devoirs des enfans, les fondions maternelles, l'amitié, l'amour, traités par Me. Lambert avec finesse, avec grâce, avec vivacité d'imagination , avec justesse d'esprit, prouvent que cette femme charmante fut parfaite comme amie, comme épouse, comme mere : Elle inspire le désir de l'imiter, parceque sa philosophie n'ayant rien de sec, rien d'outré, rien de pédantesque, offre une route femée de fleurs; en un mot tout ce qui est forti de sa plume porte les signes d'un goût supérieur , & respire la douce chaleur d'un cœur aimant.
OUVRAGES AGRÉABLES.
9, Qui réunit l'utile à l'agréable emporte tous „ les fuflrages." (A) Ce haut point de perfection est trop rarement atteint pour que toute ambition modérée ne foit pas satisfaite, quand elle obtient un des deux avantages, celui de plaire, ou celui d'instruire.
Mlle. de Montpensier a mis beaucoup d'esprit & de grace dans des portraits, compositions très à la mode pendant quelque tems, mais tombées d'après les efforts qu'elles coûtent, ainsi que d'après leur peu de vérité. Tous les portraits qui nous restent
1") Omne ttilit funiïum qui miscet utile dulçi, HORACE
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quoique fortis d'entre des mains habiles paraissent ou vagues ou flattés : Ceux d'après nature eussent été renvoyés parmi les coupables libelles. Quelques personnes ont prétendu se peindre elles-mêmes; il en est résulté un combat assez singulier entre la vanité brûlant de se satisfaire & la modestie désirant inspirer de la confiance. La premiere, toujours la plus forte , espère pouvoir impunément à la faveur d'aveux peu considérables vanter de belles qualités.
, L'inévitable prévention, produite par l'amour propre quand nous parlons de nous mêmes, marche également à la fuite d'autres penchans quand nous parlons de nos contemporains. On posséde deux portraits de Me. de Sévigné dans lesquels se rencontrent de nombreuses contradiétions: A celui fait par Me. de La Fayette appartient sans nul doute la préférence, ce.
pendant pour qui lit avec foin les lettres de Me. de Sévigné il est impossible de ne pas reconnaître que Bull, quoique fusped à titre d'amant malheureux, dit souvent la vérité. Pour bien juger d'après un portrait , il faudrait démêler le sentiment qui l'a inspiré, afin d'adoucir les traits, foit favorables r foit désavantageux; mais tous les sentimens ne demandent pas une égale discunion. La haine déprécie bien mie-ux que l'amitié ne loue. L'amour ne saurait presque compter pour rien : A sa naissance il voit tout parfait; dans sa force il jouit sans rien discerner. S'éteint-il, les défauts se grossissent, les qualités estimables s'eiïacent : „ Il n'y a gueres de „ gens qui ne soient honteux de s'être aimés, quand
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» ils ne s'aiment plus:n (%) Maxime. Me#,, afflige^?
tç_, par malheur, hélasI, généralement vraie.
Vous trouverez beaucoup, d'esprit, beaucoup de facilité dans la relation,, de l'isle imaginaiJe, dans la Princesse de Paphiagonie, deux nouvelles dJ ; Mlle. de Montpensier, où elle s'est mise en jeu fous le nom de la Reine des Amazones; mais pour apprécier cette illustre Princesse, il faut lire ses mémoires. Quoiqu'elle y paraisse trop souvent ocçupée. d'objets minutieux, elle n'en inspire pas moins du refpeét, de l'intérêt: Du refpecr, quand elle a la noble ferrnet i de ne pas prendre le deuil dont la cour de France; se couvrit Iiouteufement à.la mort de Cromwel: De l'intérêt, quel cœur assez dur pour en refuier à une femme, qui après avoir dédaigné la main de plusieurs Princes, voulut rendre à l'amour un des plus beaux hommages qu'il ait jamais reçu , en élevant,à elle un simple gentilhomme : Embrasée par une passion impétueuse, elle n'éprouva que comja.dicUons, qu'infortunes; la félicité ne sembla l'approcher que pour rendre sa chûte plus affreuse : Déjà elle goûtait la douce joye de combler de bienfaits l'objet de sa tendresse, déjà se préparait le beau jour qui devait couronner ses feux, quand l'autorité lui enleva tout espoir de bonheur, en arrachant de ses bras son amant pour le charger de fers. Ses plaintes, ses gémissemens, retentirent envain : L'amante genéreuse prodigua des richesses énormes; sacrifice léger, lorsqu'il
( * ) La Rochefoucault.
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procure la liberté de l'objet aimé. Cette liberté -tant desirée, si chèrement achetée, loin de mettre un terme aux peines de Mademoiselle, ne fit qu'en ouvrir une nouvelle source. Laufun traita avec froideur, avec mépris, la bienfaitrice aux pieds de laquelle il eut vécu, s'il n'avait pas été indigne de ses bontés. Ce favori, vain, indiscret, ambitieux, poussa l'ingratitude jusqu'à reprocher comme excessive la vivacité des sentimens, que la reconnaissance lui prescrivait de refpeéter, au cas que son cœur ne lui permit pas de les payer d'un égal retour.
Dans le recueil assez considérable des œuvres de Mlle. de Montpensier, vous distinguerez avec plaisir plusieurs lettres de Me. de Motteville , femme qui par les agrémens de son esprit, par les qualités de son cœur, se fit chérir de tout le monde, & qui posséda la confiance de trois grandes Princesses. Nous lui devons des mémoires fûrs de plaire malgré la négligence de leur style, On y rencontre des anecdotes rendues avec un ton de bonne foi que la feule vérité peut prendre.
Me. de Nemours, parente, contemporaine, émule de Mlle. de Montpensier , n'a pas des titres moins heureux vis-à-vis de la postérité. Vous remarquerez la grâce du style de ses mémoires, loués en outre comme très fidelles. Les portraits y font d'une touche délicate : Des détails intéressans s'y trouvent fauvés de l'oubli dont ils ne feraient pas fortis sans ce secours.
Mlle. Bernard fit de tels progrès dans la beauté du
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style, que les critiques restent encore incertains, s'ils lui doivent attribuer, ou à son ami Fontenelle la relation de l'isle de Bornéo, allégorie connue tant par sa tournure ingénieuse, que parcequ'elle est la premiere des trop nombreuses attaques faites à la religion. Rome & Geneve, y font introduites & maltraitées fous les noms de Mero & tfEnegu., Je compte parmi les instans de ma vie les plus agréablement occupés, ceux que j'ai donné à la leéture des mémoires de Me. Staal : Vous ferez peu surprise de la simplicité, de l'élégance, du goût de cette femme célèbre en apprenant que née avec infiniment d'esprit, elle passa presque toute sa vie à la cour de Sceaux; c'est-à-dire au milieu de ce que la France posséda de plus aimable & de plus illustre ; en un mot dans le fein de la politesse, de la magnificence ; amie des Toureil, des Malefieu , elle embrasa de feux ardens Chaulieu dont le cœur ne put être fauvé par les glaces de l'âge. Au mérite littéraire de ces mémoires se joint celui de l'intérêt.
Ce n'est point une de ces- vies dont les circonstances, importantes pour ceux qui en font les aéteurs, restent aux yeux du public d'insipides bagatelles.
Dans celle-ci se retrouve une partie des principaux événemens d'une époque orageuse: Vous y appercevrez les fils sécrets qui faisaient mouvoir les divers ressorts, & qui font ailleurs imperceptibles.
L'amour fuit les pas de Me. Staal : Par lui une prison dJétat devient le séjour de la volupté ; des fers pesans se changent en chaines de fleurs: La passion
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des deux captifs que le ledteur se plait à partager, rend très fenilble l'inconstance du Chevalier : Cette inconstance, qui fit verser tant de larmes à l'amante abandonnée, ne fut pas Ion seul malheur en ce genre. Dépourvue d'attraits, elle eut souvent, comme Sapho, le malheur de pleurer sur le mépris de plu) d'un Phaon.
Sans avoir le dessein de se parer d'un excès de sévérité, Me. Staal, de son aveu, ne voulut se peindre qu'en buste ; circonfpeétion, qui n'empêche pas d'appercevoir qu'elle paya tribut à la galanterie un peu libre, qui fort en vogue fous le gouvernement du Duc d'Orléans, ressemble si peu à celle des beaux jours de Louis XIV, que le nom seul de cette dcrniere est parvenu jusque nous: En un mot Me. de Staal eut les mœurs reçues:
,, Pendant le tems de Vaimable régence, „ Tems consacré par la licence, - ,, Où la folie, agitant son grelot, „ D'un pied leger parcourt toute la France, 5, Où nul mortel ne daigne être devot, ,> Où Von fait tout, excepté pénitence. (*)
La ressemblance de nom est cause qu'assez de personnes confondent Me. Staal avec Me. Staël, auteur des lettres sur J. Jacques; ces lettres, accueillies avec transport par une partie du public , avec dureté par une autre partie, étincellent d'esprit. Les
(*) Volaire.
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inégalités du génie s'y reconnaissent : Des négligent ces, des passages déclamatoires font très souvent suivis par le ton propre à célèbrer l'écrivain le plus éloquent, l'homme le plus sensible qui jamais ait paru sur la terre.
OUVRAGES DE SENTIMENT.
„ ZA, mon cher Aza! -Il Ces seuls mots rappellent à toute ame aimante les lettres d'une Péruvienne si tendres & si naïves. Jamais, jamais, les mouvemens tumultueux d'un cœur passioné ne furent aussi bien exprimés. Les infortunes, les persécutions relévent les charmes, les vertus de Zilia. Elle devient une héroïne au milieu des dangers ; sa confiance ne parait ébranlée que quand le fori la réservant à la plus forte des épreuves la place entre l'homme qu'elle adore & son généreux bienfaiteur.
Il n'y avait qu'une femme d'infiniment d'esprit, & d'une parfaite sensibilité, capable de décrire, avec tant de grâce, avec tant de délicatesse, jusqu'aux plus secrets mystères du cœur d'une amante jeune & tendre; mais elle eut du remettre la plume entre les mains de Ion ami, quand l'amant parait en scene.
Que cet Aza se montre peu fait pour inspirer une grande passion 1 Qu'il est froid ! Comment a-t-il allumé une flamme presque céleste sans être lui même çmbrafé? On souffre pour Zilia, on la plaint, on est prêt à la blâmer d'après l'espèce de responsabilité à la quelle toute femme se voit soumise sur
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son choix, puisque le plus souvent l'opinion publique est fixée par ce choix. Vous ne pardonnerez aussi qu'avec regret à l'intéressante Péruvienne, quelques tournures recherchées, quelques deftinétions métaphysiques, qui ne se rencontrent pas dans le langage du sentiment, surtout lorsque les femmes l'employent. C'est à elles qu'il appartient de préférence de saisir ce naturel, cet abandon que l'esprit cherche envain à imiter. Qui fent le mieux, exprime nécessairement le mieux, or personne ne met en doute que les femmes, ne sentent beaucoup mieux que les hommes : Par un si bel avantage la nature prétendit les dédommager des asfujettisfemens , des maux aux quels elle les condamnait. Comme c'est en proportion du sentiment qu'on éprouve, & non de celui qu'on inspire, qu'existe le bonheur, celui des femmes surpasse de beaucoup le nôtre : Outre d'incalculables sacrifices, qui toujours faibles au gré de rÉtre assés heureux pour les faire, resférent si fort les liens qu'elles forment, une paillon vraie devient le centre ou se rapportent toutes leurs actions, toutes leurs pensées, tous leurs désirs ; tandis que chez les hommes, cette même paillon reste iouvent secondaire d'après la fois des grandeurs & des richesses. Eh !
Qui pourrait niéconnaitre que lorsque l'amour ne régne pas sans partage, d'abord il languit, bientôt il périt, s'il parait se fou tenir pendant un terme assez long, c'est que son apparence survit toujours à sa réalité.
Le mortel, dépourvu d'organes intellectuels, mé-
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connait seul , que l'amour tient tes facultés physiques & morales des femmes asservies fous L'Empire le plus absolu. Les phénomènes, produits chez elles par ce sentiment si puissant, se retrouvent à toutes les époques de l'histoire, sur toutes les parties de la terre.
Je me plais à mettre fous vos yeux un exemple tiré d'une florissante contrée, où les hommes, adonnés à de sérieuses, à d'aétives occupations, ne peuvent pas se livrer à la sensuelle paresse, mere des voluptueux plaisirs ; où les femmes, souvent solitaires & négligées, ne sauraient exalter leur imagination par ces entretiens galans & passionnés, qui font prendre un essort si relevé à la sensibilité naturelle, où le climat n'embrase pas les sens par des feux dévorans, où la terre enfin prèsque soumise à l'Empire des Eaux , n'offre aucun trait du lieu où fut bâti le t temple de l'amour, Palais enchanté, si bien décrit par Voltaire:
„ Là tous les champs YOifillS, peuplés de myrtes verds ,, Nont jamais ressenti Voutrage des hyvers.
„ Partout on voit mûrir, partout on voit éclore ,, Et les fruits de Ponione & les présens de Flore, „ Et la terre n'attend, pour donner ses moissons,
9.5 Ni les vœux des humains, ni l'ordre des faisons.
En Hollande, une jeune fille fut subitement attaquée (*) de symptomes terribles & pestilentiels.
D'après l'arrêt fatal des Médecins, ses parens la re-
(*) En 1646,
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leguèrent dans un jardin écarté dont personne n'approchait qu'avec effroi. Quelques alimens, tendus de loin, restèrent les seuls secours accordés à cette infortunée. ,
Depuis six mois que durait une si cruelle captivité, les maux, aigris par les chagrins, ne laissaient plus aucun rayon d'espoir. Celui qu'elle aimait arriva des régions lointaines dans lesquelles son devoir l'avait pendant long-tems retenu. Plein d'impatience, ivre d'amour , il courût chez le pere de sa bien aimée, il la demanda avec empressement ; ô coup funeste! On lui apprend qu'il a perdu son amante : Les détails de la plus déplorable des situations le pénètrent de pitié, de colere; sentimens, qui s'épanchent en plaintes sur le fort de la Ylétime, en inventives contre les persécuteurs : ,, Barbares, s'é,, criet-il, renoncez aux titras sacrés de pere, de „ mere, que vous avez fouillés: Celui de bourreau 9, vous appartient. Je vais près d'elle ; mes foins „ l'arracheront au trépas'; ou du moins j'obtiendrai ,, du ciel la cruelle faveur de périr au même in„ stans qu'elle."
Ses amis prétendent l'arrêter : Efforts inutiles ! Quels obstacles ne franchit pas le véritable amant? La porte se brife ; il entre : Le fpedtacle, qui frappe ses regards , fait hérisser ses cheveux : Cellequ'il adore, étendue sur un lit de douleur, livide, froide, respirant à peine; il la prend dans ses bras, il la presse contre son fein, il lui prodigue les plus tendres, les plus vives cares-
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ses, il les continue sans relâche, il foulage d'abord ses fÓÜffrances. Bientôt l'amour achevant ce miracle, le danger disparait. Un mois à peine est écoulé , que la jeune personne reprend ses charmes, & couronne les feux de son libérateur. :
Amfterdam- accorda des distinctions, des biens à ce couple intéressant qu'une poëte rendit à jamais immortel: (*)
p 0 E 8 le.
L'AMOUR, n'en doutons pas, fit les premiers poëtes. Ces mortels, dont les noms eussent du pasfer à la postérité la plus reculée, voulurent plaire à la beauté quand ils inventèrent un langage qui flatte également nos facultés morales & physiques. Les femmes, douées d'organes beaucoup plus délicats, sa vent mieux que nous apprécier les vers qu'elles inspirent. Plusieurs, intimement & à juste titre convaincues que le simple rôle de juge était au desfoiis d'elles, ont pris en main la Lyre poétique & lui ont fait rendre des fons harmonieux.
Une d'entr'elles osa bien invoquer Calliope, mais bientôt malgré ses talens, effrayée de la vaste carrière qui se déployait à ses regards, elle ne se crût pas assez de force pour tracer le plan d'un poème
(*) Vincent Fabricius.
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épique : Cette crainte la fit se dérober à un travail qu'il est aussi glorieux que difficile d'exécuter heureusement. En effet, une belle charpente épique suppose dans qui l'exécute un esprit étendu ,.,une imagination forte, un jugement droit, un goût sevère, soutenus par des connaissances approfondies & variées sur les produétions de la nature, sur les usages des sociétés, sur les mœurs des hommes, sur les influences du climat, sur la position des lieux: Aussi dès qu'un poëte est parvenu à l'exécuter avec succès, l'édifice de l'Épopée se trouve presque porté ait comble. Me. du Boccage se contenta d'imiter Milton ; mais ne pouvant pas racheter des fautes de conduite, des violations de mœurs, des écarts fréquens, par les sublimes & ravissans élans du poète anglais ; sa Colombiade n'obtint que peu de succès.
Cet exemple malheureux ne semblerait-il pas une barriere élevée pour s'opposer aux tentatives des fem- mes que l'orgueil remplirait du préfomtueux désir de prendre un vol trop haut; au lieu qu'elles se voyent attirées vers les genres légers par les roses également fraiches & "brillantes, nées fous les pas de celles qui n'ont prétendu cultiver que de rians parterres.
Les mêmes mains ne sauraient former des bouquets & rasfembler- "des faisceaux d'armes. Les vôtres feraient tallées par l'attouchement des durs métaux; les nôtres dépouilleraient les fleurs de leurs attraits encore plus délicats qu'éclatans. Empresfonsnous de chercher les traces des femmes, mais que ce foit avec le seul dessein de relever les nombreul'es,
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les charmantes guirlandes dont elles font couvertes & ornées.
Une Princesse, dont la beauté, dont l'esprit, dont les grâces captivaient tous les cœurs, & dont les infortunes exciteront dans tous les siecles la pitié ; Marie Stuart, qui après avoir eu le front ceint de deux couronnes, périt par la main du Bourreau, aimait beaucoup les vers & les faisait assez bien : Quelques poésies, consacrées à chanter sa tendresse pour Chatelard, furent mises au nombre des accusations portées contre elle : Son goût pour la galanterie., son ardeur pour les plajfirs, la jettèrent dans de très blâmables imprudences que l'on aurait pourtant tort de regarder comme la véritable cause de ion injuste supplice. La Reine d'Écosse périt victime immolée à l'implacable jalousie d'Elisabeth, femme extraordinaire , qui prétendait au double avantage de compter par ses talens parmi les grandshommes, & par ses agrémens parmi les plus belles personnes de son sexe : Attachant un prix infini à les charmes, elle fut pénétrée pour sa cousine de la haine que toute rivale voue à celle qui l'éclipse.
Marie, née pour l'amour, accoutumée aux hommages d'une cour magnifique & polie, se sentait elle-même peu propre au gouvernement; & n'entreprit de régir l'Ecosse que par obéissance aux ordres des Guises ses oncles. Le sceptre fut toujours prêt à s'échapper de les belles mains : Ne pouvant en soutenir le poids, elle le partagea avec des hommes ornés des qualités propres à séduire, mais dépourvus de
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de celles nécessaires pour commander. Après millet petites intrigues, trop souvent ensanglantées, la Reine ; chassée par ses sujets, réduite à une longué' captivité périt sur un échafaud, avec un courage qui rend sa mémoire l'efpeétable.
Elle lemble avoir prévu d'avance l'enchaînement des malheurs qui l'attendaient. Ce fut avec la plus vive douleur qu'elle s'arracha d'une terre appellée à juste titre le Paradis des Femmes : Ses adieux font répétés chaque jour.
Adieu, plaisant pays de France, O ma patrie La plus chérie, qui a nourri ma jeune enfance.
Adieu, France, adieu, nos beaux jours: La nef, qui déjoint nos amours, N'a eu de moi que la moitié: Une part te reste, elle est tienne ; Je la fie à ton amitié.
Pour que de Vautre il te souvienne.
La famille de Paschal semble avoir été choisie pour présenter un phénomène, qui, sans exemple jusqu'à elle, ne paraîtra peut-être jamais : La vertu y imposait silence au génie. Mlle, Paschal, ainsi que son illustre frere, négligea des talens propres à charmer les hommes, qu'elle préféra d'édifier par une fervente- piété. Cette vertueuse fille avait i., fait beaucoup d'éclat dans le monde par la beau„ té de ion esprit, par un talent iingulier pour la
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„ poésie, mais elle avait renoncé de bonne heure „ aux vains amusemens du siecle, & était une des "plus humbles religieuses de la maison de Port „ Royal (*)." Mlle. Chéron a laissé des poésies agréables, & dignes d'éloges, quoiqu'assez faibles. Cette fille célèbre réussit bien mieux dans ses tableaux, dont plusieurs méritent d'être recherchés.
Me. de Brégy reçut un accueil empressé, de la part des érudits & des hommes de lettres qui se disputaient l'honneur de couronner la niece du savant Saumaise. Bientôt elle montra qu'elle n'avait pas besoin de titres étrangers pour donner du lustre à ses talens. Ses vers ingénieux annoncent plus de finesse d'esprit, que de sensibilité de cœur. On lui doit cette jolie épitaphe :
„ Cy dessous git un grand seigneur, „ Qui de son vivant nous apprit, „ Q?un homme peut vivre sans cœur ,, Et mourir sans rendre l'esprit."
Me. Déshoulieres a donné des idylles pleines de douceur, de grâce, de naturel qui ne recevraient aucun reproche si les leçons d'une morale assurément très estimables n'y devenaient pas fatigantes par leur monotonie , & si les images, leurs plus jolis ornemens, n'étaient pas reconnues pour des copies tirées d'anciens recueils. Malgré ces taches, Voltaire a
(«) Racine.
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dit ,, de toutes les dames Françaisfes qui ont cul,, tivé la poésie, Me. Deshoulieres est celle qui a le 5) plus l'éuffi, puisque c'est celle dont on a retenu 5, le plus de vers." Tout le monde se rapelle cette maxime pleine de vérité.
„ Nul n'est content de sa fortune „ Ni mécontent de son esprit."
MUe. Déshoulieres hérita d'une bien faible partie des talens de sa mere, puisque rarement elle releva au dessus du médiocre.
Me. de La Suse , plus avantageusement partage e , a donné des élégies très recherchées pour leur délicatesse ; ses jolis Madrigaux plaisent beaucoup ; mais pour que ses odes fussent favorablement reçues, il fallait que les ledeurs se laifasfent séduire par les grâces du poëte dont on a dit agréablement:
M Qu'elle Déésse ainji vers nous descend des deux ?
„ Est-ce Yenus, Pallas, ou la Reine des dieux, ,, Dont nous ressentons la présence ?
1,1, Dont nous re „ Toutes trois en vérité.
C'est Junon par sa naissance , 5, Minerve par sa science, 5) Et Vénus par sa beauté.
Non loin de Me. de La Suse, retenez une place pour Me. de Montaigu dont les ouvrages font lus avec plaisir.
D'illustres étrangers ont, de toHt tems, consacré
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leurs instans de loisir à tracer des vers français.
La mere du Maréchal de Saxe 9 de ce héros dont les talens ramenèrent la gloire imposante de Louis XIV à son plus haut apogée. La belle Me. de Konismark cultivait notre poésie. Envoyée par Auguste pour fléchir Charles XII, elle ne put approcher d'un Roi, qui livré tout entier aux travaux militaires, dédaignait la volupté,
,, Pour goûter, tout sanglant, le plaisir & la gloire, 9, Que donne aux jeunes cœurs la premiere vi £ îoire(*
L'affedlation avec laquelle Charles évita sa rencontre , lui parut un mouvement de crainte honorant plus le pouvoir de ses charmes que l'encens des autres mortels. Son admiration pour ce conquérant généreux, magnanime, mais „ fier & même un ,, peu farouche i" se peignit dans des vers que nos femmes les plus célèbres eussent adopté avec empressement, „ elle introduisait les dieux de la fable „ qui tous louaient les différentes vertus de Charles ; ,, la piece finissait ainsi (t )."
,, Enfin chacun des dieux discourant à sa gloiret „ Le plaçait par avance au temple de mémoire; „ Mais yénus ni Bacchus n'en dirent pas un mot."
De nos jours mille charmantes pieces; échappées des porte-feuilles des femmes, prouvent que chez
r (*) Racine. (t) Voltaire.
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elles les talens & le goût ne font pas menacés de la décadence dont les tristes signes percent dans une foule d'écrits modernes.
Me. de Beauharnais jouit d'une réputation trop bien établie pour qu'un fuflfrage de plus put y rien ajouter. Personne n'a mieux chanté l'amour & l'amitié. Voyez comme ces deux sentimens paraissent tour à tour agréablement peints dans ses poésies:
„ Sans l'amitié, sans sa douceur, ,, La vie., hélas 1 est importune: 39 Qjle fait le rang & la fortune ?
„ ..Ah! l'on n'est rien que par le cœur.
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- - - - - - - amour, amour r „ Au fein des songes je t'adore ; Je te cherche dans mon sommeil 9 „ Et c'est pour t'adorer encore, „ Que j'aime. l'instant du reveil s gëlil ouvre ou ferme sa carriere, „ Hé! que me fait l'astre du jour ?
„ A peine je vois sa lumiere : „ L'apperçoit-on en ce sêjour ?
„ CPeft ton flambeau qui l'éclaire."
1
L'idylle sur La Fontaine de Vaucluse assure à Me. Verdier l'honneur d'avoir mis au jour un des morceaux des plus purs , des plus élégans de la poésie Française. Dans toutes les productions de cette femme à la fois si supérieure & si modeste, se rencontre le style du cœur de Me. Déshoulieres,
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mais soutenu par l'exaélitude de Boileau, mais réhaussé par l'harmonie de Racine.
Son heureux talent se prête également à tous les tons; prétend-elle peindre les avantages, des beaux arts qui remplissent ses instans, qui charment : ses ennuis , elle met fous nos yçux le berger Hilas adorant Aminte; mais Aminte non moins insensible que belle, se rit des voeux empressés de mille amans & n'aime que les chans de Plulomele ; Rilas cherche à imiter ces fous mélodieux.
,, Hôtes légers de ce bocage , „ Oiseaux disoit-il dans ses chans >
„ Enseignez moi vôtre ramage, ,, Ma bergere aime vos accens ; „ Fussent-ils plus tendres encore , y, Ils nefauraient rendre jamais, ,, L'excès des charmes que jJadore, ,, Ni l'excès, des maux qu'ils m'ontfait.
Aminte ravie passe de l'indifférence à l'amour.
,, Jeunes amans profitez de l'exemple, ,, Pour être aimésc'est peu d'être constans, 9, Sacrifiez au grâces aux talens, ,, Et le bonheur vous ouvrira son temple ; v Vous ne devez qu'a leur secours heureux, Le don charmant d'intéreffir une ame; ,, Hilas aimait, on méprisa sa lfamme ; v Hilas chanta > l'amour comble ses veux"
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Entrelace-t'elle des fleurs ou des ramaux , elle en assortit le mélange avec une grâce infinie ; la lyre d'Orphée animait les objets les moins sensibles, M*. Verdier, par une métamorphose bien plus heure use rend tout les objets aimans.
„ Ces ormeaux joignent leur feuillage, „ Non pour braver les feux du jour, ,) Mais pour nous présenter l'image, 5, De deux cœurs unis par l'amour."
Veut-elle, après avoir comme Tibulle soupire des vers diétés par la tendresse, chanter sur ses pipeaux rustiques; une aimable simplicité devient sa parure. r
„ Il n'est point ici de ruisseaux y Qui coule sur Vherbe fleurie$ „ Pour exciter la réverie", „ Nous n'avons ni bois ni berceaux.
,, uiu lieu de hêtres & de chênes, „ L'arbre de Pallas sur nos plaines „ Étend son paijible rameau ; „ QiLant aux habitans du hameau ,,- Ils n'ont ni rubans, ni houlette, ,, Des fleurs n'ornent point leur chapeau, „ Et pour rassembler leur troupeau, ,, Un cornet leur fert de musette
Si Me. de Bourdic , autrefois Me. D'Entremont eut donné plusieurs pieces telles que la déliçieuse
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fèuvette, elle eut obtenu d'être comparée à Yoitair re pour les pieces fugitives, dans lesquelles ce grand lipnune est le plus inimitable.
Le papillon, de la rose Reçoit le premier soupir; Lefoir une peu plus éclose Elle écoute le Zéphir.
Jouir 'de la même chose , Ç'est enfin ne plus jouir.
apprenez de ma fauvette.
Qu'on se doit au changement Par ennui d'être seulette , Elle eut moineau pour amant.
Ç'etf fûremçnt être adroite, Et Je pourvoir joliment.
Mais moineau fera-t-il fage 7 foi la fauvette en souci.
Sil changeoit. Dieux quels dommage 7 Mais moineaux aiment ainsi.
Puis qu'Hercule fut volage, Moineaux peuvent l'être aulJi.
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Fous croiriez que la pauvrette 9 En regrets se consuma : Au village une fillette, Aurait ces foiblesses là ; Mais le même jour fauvette, Avec pinçon s'arrangea.
La faiblesse de la poéiie de Me. de Busfi n'empêche pas de remarquer du naturel, de l'agrément dans plusieurs des pieces qu'elle nous a laissé. Je ne crois donc pas céder aux préventions d'une anciene amitié quand je retrace à ma mémoire cette jolie Elégie ;
,, Vous qui vous balancez fous ces ormes touffus, „ Oiseaux, éloignez vous de ce funeste azile , „ Pour goûter vos chansons il faut un cœur tranquille, ,, Et mon cœur, hélas! ne l'est plus.
w Un berger trop cher me délaisse ; „ Mes pleurs,ses sermens, n'ont pu le retenir ; Liiigrat ! il porte ailleurs ses vœux & sa tendresfe» ,, Et de ma trop longue faiblesse, 5, Il a perdu le souvenir
Les femmes conservent en poélie la prééminence que nous leurs avons reconnu dans la prose, toutes les fois qu'infpiréçs par leur ame elles rendent les mouvemens touchans de la sensibilité ; lisez les vers suivans, & jugez vous-même- Votre sexe pouvait seul avec autant 4e déiicatesfe , de goût, de grâce offrir des consolations a un infortuné courbé fous le
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poids des disgrâces. Si dans l'exil le moindre trait d'intérêt nous affeéte , combien ne devons nous pas être ému , d'un sentiment qui nous remplirait d'admiration, de reconnaissances, de refpeét, au comble de la prospérité. Heureux me direz vous le mortel qui à pu inspirer un si doux épanchement ; j'ose vous assurer, que, fait pour lapprécier, il fent que par lui font adoucies les plaies les plus douloureuses de son cœur, ÉPITRE A MON AMI ÉMIGRÉ.
Tu regrettes donc ta patrie, Et ton épouse & tes enfans ; Une mere bonne & chérie, Et les roses de ton printems.
Pleurs qu'un souvenir fait répandre, Prouvent la sensibilité j
Avec une ame douce & tendre, Q-e laifénient on est affecté !
Mon bien aimé, le cri de la nature , Ne pourra jamais m'ojfenfer ; Bien loin que mon cœur eu xnurmure , Que ne peut-il tout remplacer : Le tems seul te fera connaître, Si * * ** fùt aimer ; Et nos liens un jour peut-être , uiuront le droit de te charmer : Mon pays deviendra la terre; Où tu couleras tes vieux ans, Mes tendres foins replaceront ta mere,
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Et mes hommages tes enfans.
Une épouse par sa tendresse, Pourrait-elle plus accorder ?
Mon bon ami, partage mon ivresse, Et tu croiras tout posséder.
Pourquoi redouter de Vautomne , Les approches & les ^Autans ; Les fruits si doux que dispense Pomone9 Valent bien les fleurs du printems.
Que num ame fut satisfaite , Quand exilé par l'aveugle fureur; jlu fonds d'une simple retraite , Tu vins m'apporter le bonheur.
Vas, ne crains pas cette horde ennemie9 Dont vainement l'implacable furie , Jusqu'en mes bras viendrait pour t'écraser; Le nœud qui myenchaîne à ta vie , Dis-moi ! qui pourrait le brifer ?
L'amour en déploiant son aîle, Te voilerait au meurtrier; Et mon cœur a sa loifidelle, Te ferYirait de Bouclier.
Mais loin de moi cette effrayante image, Du prêfentfeulje goûte la douceur, Le plaisir fera mon partage, Un feu si pur brûle mon cœur.
Rappelle toi que la confiance, Accompagne les vrais amours, Et loin des rives de la France , Tu retrouveras d'heureux jours.
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VERS DE SOCIÉTÉ.
Po l N T de cercle à cette heure qui ce se glorisse de son bel esprit, de son poète : Dans les villes du dernier ordre se rencontrent des hommes, qui écrivent avec élégance, qui font des vers agréables.
L'esprit a pénétré jusques dans les lieux les plus retirés, en résulte-t-il des avantages réels ? C'est sur quoi l'on peut difficilement établir une opinion certaine. Si tout à coup la mer, sans ajouter à la masse de ses eaux, franchissait les bornes qui lui font prescrites, & couvrait la surface de la terre, sa profondeur diminuerait à proportion que sa superficie croitrait : Des barques légères sillonneraient encore fis eaux devenues incapables de porter de très gros bâtimens. De même les jolies compositions abondent de toutes parts tandis que les ouvrages de grande haleine font en vain désirés. Plus de têtes organisées pour en concevoir le plan ; point de mains assez fortes pour employer les matériaux nécessaires dans leurs fondemens.
Cette diminution de profondeur devient le triom.
phe des femmes, d'autant que leur esprit se trouve joint à une finesse de taét qui les préserve presque toujours du ridicule ; elles peuvent réclamer comme un bien propre les plus jolis vers de société. Leurs succès en ce genre, renouvellés sans cesse, ne permettent pas, tant ils font nombreux , que personne se propose jamais de les rasièmbler.
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Me. de Luxembourg, célèbre par ses charmes qui produifireot une si vive sensation, quand elle entra dans le monde fous le nom de Bouflers, que l'on "crut voir la mere des amours," attirait autant d'hommages par les agrémens de son esprit que par ses graces extérieures. Vous chercherez longtems avant de rencontrer des vers aussi légers, aussi délicats que ceux qu'elle fit pour Me. de la Valiere : Ils accompagnaient une navette envoyée à cette amie qui, après avoir dans ses beaux jours poussé au plus haut dégré l'art de plaire, reçut lors de sa viellesse la récompense de son excellent caraétere dans les foins que tout Paris lui prodigua.
,, Lleniblérnefrtippe ici nos yeux : ,, Si les graces , l'amour & l'amitié parfaite, .,, Peuvent jamais former des noeuds, 1, Vous devez tenir la navette.
Tendre Amie, intéressante Cousine (i), sans la crainte que les sentimens qui m'attachent à vous ne rendissent mes éloges fuspeéts, je 'célébretais ici vos talens. Une grande sensibilité aux malheurs de ceux qui vous font chers s'est opposée à vos pro-
(i) Mlle. de Danjpmartin Collorgues, dont le pere n donné de charmantes poésies entre lesquelles se diltingue une épitre appelée la.
grande garde & çomposée pendant une campagne qu'il fallait comme capitaine de cavalerie dans le régiment du Comraisfaire général: Quelques comédies de Mr. de Collorgues ont été trouvées pie * nés d'esprit & d'une grande gaieté.
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grès. Vos jours ont été consumés dans les antres de la douleur; à peine un rayon de joye a parfois frappé vos yeux ; cependant vous avez chanté le plaisir. Parmi ces agréables couplets, bien plutôt épanchemens de votre cœur, qu'efforts de votre esprit, auxquels une voix touchante prête des attraits que je ne saurais leur conserver, j'ai fidellement retenu ce conseil :
0 vous tendres amàns, Qui voulez qu'on vous aimt, Arrivez à pas lens A ce bonheur suprême.
Eh ! que ferait l'amour Sans la délicatesse?
Leplaifir est Jî court!
Prolongez son ivreJJe.
SUCCÈs EN VERS ET EN PROSE.
BOILEAU, qui par l'extrême justesse de fou esprit, a mérité que plusieurs de ses vers devinssent des maximes générales, prouve par son propre exemple la vérité de ces deux-ci :
9, La nature, fertile en esprits excellens, e, Sait entre les auteurs partager les talens."
41 Ce poëte supérieur se traîne, pour aussi dire, dans la prose. Corneille, le grand Corneille devient pesant, diffus, dès qu'il ne parle plus ce langage
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par fois si sublime dans la bouche de ses héros. Racine & Voltaire, ainsi que les mortels assez heureux pour suivre leurs .pas, font des êtres privilégiés, qui loin d'exciter l'envie , devraient inspirer de l'admiration, de la reconnaissance , puisqu'à eux seuls appartient l'inappréciable avantage d'éclairer & d'enchanter tour à tour. Les femmes, dans des genres à la vérité assez frivoles, offrent quelques unes d'entr'elles favorisées du double talent des vers, & de la prose.
La petite fille du Maréchal de la Force cueillit avec assez d'honneur la double palme pour qu'un nom , déjà glorieusement tracé sur les pages de l'histoire , obtint le même éclat dans les faites de la littérature.
Le poëme des Chateaux en Espagne paraît l'élan d'une belle imagination : Des pieces de poéiie légère offrent de la grâce, de la facilité , du naturel : En prose l'hiltoire secrette de Marie de Bourgogne, celle de Marguerite de Valois, font lues avec d'autant plus de plaisir, que leur Ityle est à la fois pur, agréable & varié : Vous y remarquerez sans doute l'art heureux qui fait allier le langage d'un amour vrai, avec les expressions d'un galanterie noble.
Me. Murât, auteur du Roman des lutins de Kermofi & du voyage de campagne , deux productions pleines d'agrément, a réuni tous les fuffiages par ses poésies dont plusieurs font d'un heureux naturel.
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& Faut-il être tant volage 1 j> jli-je dit au doux plaisir, ,; Dès qu'on peut te saisir.
a Ce plaijir, tant regrettable 1 0) Me répond : rends grâces aux iltuki 10, S'ils m'avaient fait plus durable Ô5 Ils m'auraient gardé pour eux
Théâtre.
THE A T R :£ X, Ë Théâtre, champ dans lequel les viftoires remportées font les plus flatteuses pour l'amour propre , a été parcouru par quelques femmes qui n'y ont obtenu que des honneurs secondaires. La Tragédie demande que les pallions soient peintes d'une inaniere forte qui ne s'accorde ni avec les facultés délicates j ni avec la tournure d'esprit des femmes.
Là comédie exige une connaissance également approfondie & variée de la société; connaissance, que les femmes ne sauraient gueres acquérir d'après un genre de vie qui les réduit à n'appercevoir qu'uti nombre peu conlldérablè d'objets.
D'ailleurs le tÓle, qu'elles font destinées à jouer dans le monde, rendant un seul point important pour elles, c'est sur ce point que se réunissent leurs observations : Aussi savent-elles manier les esprits 4 émouvoir les cœurs avec une finesse & avec une?
adresse surprenantes.
L'esprit de parti prétendit égaler le Brutus dé Mlle. Bernard au Brutus de Voltaire ; mais ceuxmêmes,
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inême , qui mettaient en avant cette comparaifol1, en sentirent si bien l'absurdité qu'ils ne tardèrent pas à la livrer au mépris général.
Les tragédies de Mlle. Barbier, sagement conduites, souvent attendrissantes, font d'une faiblesse qui ne permet plus de les présenter aux regards du public. On fent que malgré beaucoup de talent, cette fille estimable n'a point eu assez de confiance dans ses forces pour prendre un essor convenable : Elle n'a point saisi la marche hardie du poëte tragique.
Une autre source d'erreur pour Mlle. Barbier, fut le désir de rendre d'éclatans hommages à son sexe: Elle prétendit donner la plus haute élévation aux caradteres des femmes introduites dans ses pieces ; mais elle n'eut pas assez de génie pour le faire sans jetter les hommes dans un avilissement qui réjaillit sur celles qu'elle avait dessein d'honorer : Quand les héros inspirent peu d'intérêt, peu d'estime, les héroïnes ne sauraient se montrer nobles & grandes.
Habis, Sémiramis, Cléarque , Marfidie , tentatives qui furent malheureuses, malgré la bienveillance du public , que Me. de Gomés avait acquise par d'autres ouvrages. Les cent nouvelles nouvelles de cette dame , surtout ses journées amusantes, se font toujours lire avec plaisir , quoiqu'elles soient écrites d'un style lâche & prolixe. Quelques favorablement prévenus que fussent les fpeétateurs, ils ne purent supporter des caraderes sans énergie, des pallions languissantes ; des intrigues petites, des incidens
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commune D'heureuses expositions méritèrent feules des applaudissemens.
L'honneur d'approcher de la palme tragique, plus qu'aucune personne de son sexe, dut consoler Me.
du Boccage de ses revers dans l'épopée. La belle tragédie des Amazones ne reçoit de reproches que sur le peu de force des caraéleres: LJexpofition en est claire, la conduite fage , le dénouement naturel.
Plusieurs vers d'une grande beauté ne périront jamais. Celui par exemple, dans lequel Arithie se peint il bien.
„ Qjti venge l'univers peut bien dompter mon cœur."
Ce ne .fut qu'après s'être bien assurée que les personnes de son sexe restaient loin de l'élévation tragique, que Me. de Maintenon eut recours à Racine, „ pour qu'il contribuat aux vues qu'elle avait „ de divertir les demoiselles de St. Cyr en les in„ ftruifant, démarche à laquelle on doit Esther & ,, Athalie. Me. de Brinon, premiere supérieure de „ St. Cyr, aimant les vers & la comédie, composait „ des pieces détestables quoiqu'elle eut de l'esprit, „ & une facilité incroyable d'écrire & de parler.
„ Me. de Maintenon voulut voir une de ces pie,, ces: Elle la trouva telle qu'elle était, c'est-à-dire, „ si mauvaise, qu'elle la pria de n'en plus faire jouer ,, de semblables.
Nous donnons ces particularités d'après Me. de Caylus, ses souvenirs justifient l'enthousiasme dont
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elle pénétra tous les beaux esprits de son tems, & que nul d'entr'eux n'exprima mieux que La Fare.
;; Sans espérance & même sans désirs, "Je regrettais les sensibles plaiJirs 9, Dont la douceur enchanta ma jeuneffi. ,, Sont-ils perdu,, disais-je, (ans retour?
j, Et n'es-tu pas cruel, amour , Toi, que j'ai fait dans mon enfance t >, Le maître de mes plus beaux jours, „ D'en laissèr terminer le cours ,, A l'ennuyeuse indiiférenfe: 5) Alors j'apperçus dans les airs * „ L'enfant, maître de l'univers , 9) Qjti , d'une joye inhumaine, Me dit, en souriant, Tircis , ne se plains plust vaii mettre fin à ta peine, 1, Je te promets un regard de Caylus"-
Me. de Grafigni a fait répandre bien des larmes dans Cénie, piece intéressante, femée de traits heureux, remp lie de sentimens attendrisfans, mais écrite avec une recherche très contraire au naturel du.
dialogue, mais entièrement dépourvue de force cqmique.
Les jolies petites pieces de Me. de Genlis se rangent parmi les plus délicates productions consacrées à la jeunesse, sans pourtant augmenter les richesfci de notre Théâtre.
Me. Monnet, auteur des agréables contes orientaux, a depuis peu joui de l'honneur de voir Ces
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Montagnards d'Auvergne applaudis & suivis. Cette comédie plaît, intéresse , respire partout une touchante sensibilité ; parfois elle étincelle d'esprit, mais trop souvent vous la trouverez faible, languissante, même obscure. Nulles qualités louables ne dédomagent d'une gêne fatigante que produit, foit la préfence de caradteres épisodiques, foit l'introduction de scenes inutiles.
Adoptez pour principe fondamental de vos jugemens sur tout ouvrage dramatique, que les personnages, les discours, les situations, les faits, les incidens, doivent concourir à la marche de l'aétion. Du moment où il est possible, comme dans la plûpart des pieces des femmes, d'intercaller ou de supprimer des scenes , sans renverser en entier l'édifice ; on a peut être produit un ouvrage charmant fous plusieurs rapports, mais auquel très certainement n'appartiennent pas les honneurs scéniques.
TRADUCTIONS.
POUR qu'on ne puisse pas reprocher à leur sexe d'avoir négligé aucune espece d'étude, plusieurs femmes se font assujetties au rôle de traduéteur qui demande un travail, une patience bien pénibles pour des esprits légers, pour des imaginations vives.
Lorsque nous remonterons à la littérature des anciens, vous aurez lieu d'admirer les efforts de Me.
Dacier, femme à la fois étonnante par son érudition, estimable par les services qu'elle a rendu, re-
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fpeétable par ses vertus. Sur de si beaux titres furent, pendant sa vie , jettés des nuages provenant d'un zèle outré, mais presqu'entiérement dissipés aux yeux de la postérité.
Laissant dans l'oubli quelques Traductions qui semblent peu convenir aux femmes, comme par exemple , celle de Mlle. Joncoux des nottes latines faites par Nicole sur les lettres provinciales: Empressons nous de reconnaître , que les Français doivent à des dames, presque tous les ouvrages Italiens & Anglais transportés dans leur langue.
Afin d'éviter une longue énumération, je me contenterai de deux exemples. Ce ne fut pas d'abord sans quelque peine que le célèbre Hume apprit qu'une femme entreprenait de traduire sa belle histoire d'Angleterre. Le philosophe peu galant se permit même quelques sarcasmes ; mais après avoir lu l'ouvrage de Me. Bénoit, il crut devoir des remercimens à cette dame : Elle les méritait ainsi que les suffrages du public.
Me. Bontems si connue par ses grâces, par ion esprit, a traduit, avec autant d'exaétitude que d'élégance, le poëme des faisons de Thompson.
ÉLOQUENCE.
L'AMOUR seul devient impétueux chez les femmes, tandis que les autres passions font en général tendres, douces & délicates: Elles restent donc le plus souvent privées du véritable aliment de l'éloquence, dont le sublime fuit & entraîna de fortes agitations.
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Cependant un talent bien prononce éleva MUe. Ma..
zarelli au dessus des bornes ordinaires. Les éloges de Sulli & de Descartes appellent cette fille estimable dans le fein des meilleurs orateurs.
ERUDITION E'T SCIENCES.
1.1 E N de plus rare que de se borner aux choses pour lesquelles on a de véritables talens. Une espeçe d'inquiétude porte souvent nos désirs sur ce qui n'est pas regardé comme de notre ressort. Les désirs , accueillis par l'amour propre , se changent à nos yeux en d'heureuses dispositions. De là tant de revers essuyés même pas des hommes de mérite , pour avoir préféré de fausses routes à celles que la nature leur indiquait de suivre. Les femmes, loin d'éviter cette erreur, s'enfoncèrent lors de la renaissance des lettres, à la fuite des savans , dans les profondes mines de l'érudition : Nullement propres à y pénétrer , elles en rapportèrent plus de ridicules que de connaissances.
Personne ne pouvait s'empêcher de sourire, en entendant les expressions feientifiques & surannées, dont se servait Mlle. de Gournai, immortalisée par l'honneur que lui fit Montaigne de l'adopter pour sa fille d'alliance.
La famille de Patin suça l'érudition avec le lait : Les Guy, les Charles, admis dans le monde savant, n'y rencQntrèrent pas un succès aussi flatteur que leurs femmçs, que leujs fœurs, hérissées de grec &
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de latin. Malgré leur énorme & pesante masse, les in folio n'étouffent pas entièrement le penchant pour le beau sexe , mais ils rendent feulement son expression ridicule. Me. Patin & ses filles Gabrielle & Charlotte prirent place à l'académie de Padoue. Toutes trois à l'envie publièrent des ouvrages dans la plûpart des quels elles dédaignèrent d'employer la langue vulgaire. Les panégyriques, les harangues, les dissertations, fruits de leurs longs travaux, restent enfouis dans le fonds des bibliothèques , dont par fois l'on retire les réflexions morales & chrétiennes de Me. Patin la mere.
Les hommages , que j'ai été jaloux de rendre à Me. Dacier, ne m'empêchent pas de reconnaître la pesanteur de son style , l'aigreur de son ton dans les disputes littéraires. Ces défauts deviennent des preuves évidentes que les savantes études dénaturent un sexe dans lequel tout doit plaire, jusqu'aux leçons qu'il donne. Les causes de la corruption du goût, l'Homére défendu font regretter qu'une dame , recommandable par tant de titres, ait dans ces deux circonstances perdu de vue la devise qu'elle avait adopté d'après Sophocle , „ le silence eit , „ l'ornement d'une femme." Ce ne fut pas sans surprise que le public vit la conduite différente des combattans: Tandis que l'homme de lettres réunissait politesse , légéreté , philosophie ; la femme savante se montrait prévenue jusqu'à l'aveuglement, pédante & grossiere. „ Elle fuit les Graces , disait Boi„ leau, & les Grâces la fuyent."
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Certain Rhéteur d'Athènes, s'écria Me. Dacier., louait Homére avec des expréssions grossieres & déplacées; Alcibiade justement choqué donna un soufflet à cet imprudent orateur. A quel traitement devrait donc être condamné Mr. de la Motte pour les blasphèmes dont-il n'a pas craint de fouiller sa bouche, & que chaque jour encore il vomit contre l'iliade & contre l'odisfée P. „ Par un bonheur inoui, répondit en M souriant l'aimable académicien , la riche mémoi„ re de Me. Dacier ne lui a pas rappellé l'anecdote 9y d'Athènes lors de notre derniere rencontre : D'a„ près la chaleur avec laquelle disputait cette da„ me, il est apparent que j'eusse été encore plus ,, maltraité que ce pauvre Rhéteur innocemment ,, coupable." Quelque vrai que foit un principe, toujours se rencontrent des exceptions. Me. Desroche & sa fil.
le parûrent à la fois vertueuses, érudites, belles , agréables, sa vantes & spirituelles. Ces rares qualités leur acquirent moins de célébrité que la tendresse qui les unissait entr'elles. De toutes parts des admirateursj des adorateurs accouraient les encenser.
Pasquier dans des vers très passionés nous apprend qu'une puce apperçue sur la gorge de la fille fut chantée par les plus grands hommes du siecle en Français, en Italien, en Latin, en Grec. Les têtes, embrasées par le feu poétique,par te beau lieu qu'occupait ce trop heureux infeéte, lui promirent l'immortalité. La demoiselle répondit très galamment, & dans les diverses langues que chacun avait employé.
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Les époux furent journellement refusés, quoique plusîeurs d'entr'eux fondasfent leurs prétentions sur des talens distingués, sur des richesses considérables.
La mère & la fille, émules, amies, compagnes fidelles, ne trouvaient des charmes à la vie, qu'autant qu'elles étaient réunies. Toutes deux, à l'exemple de Philémon & Baucis, demandèrent au ciel de ne pas se survivre : ,, Vœux touchans pleinement j, exaucés !" La peste les ravit le même jour à leur patrie qui les honbra. de regrets sinceres, qui les cite encore comme un titre de gloire (k).
De même que chez les Athéniens Arhetée, fachant éviter les excès d'Hyparchie & les ridicules des femmes pédantes, honora la philosophie ; chez les Français une femme philosophe a recueilli la glaire de faire connaître à ses compatriotes, le grand-homme, devant le génie duquel s'abaissent tous les esprits.
,, La nature, ses loix étaient obscurité , 3, Dieu dit: que Newton Joit; dès lors tout fut clarté (/).
Me. du Châtelet fut, en calculant la marche de l'univers, sacrifier aux Grâces. Toujours on la vit l'ornement des fêtes, les délices de la société. Le grand monde n'appercevait qu'une femme aimable dans celle près de qui les philosophes venaient s'inftruire: Les sciences, les lettres, les plaisirs, l'amitié
( k ) Elles moururent en 1587 à Poitiers.
( 1 ) „ Nature and pâtures laws lay al night , „ said New ta:1 is : and ail was light
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remplirent ses jours que l'amour prit foin aussi d'embellir de ses faveurs.
Ce surprenant assemblage de talens opposés fut heureusement exprimé dans l'étrenne que voici :
1 ,, Une Etrenne frivole à la Doïïe Uranie,1 ,, Peut-on la pr érenter ? oh! très bien; j'en réponds.
„ Tout lui plait, tout convient à son vasse génie, ,, Les livres, les bijoux, les compas, les pompons, ,, Les vers, les diamans, le biribi, l'optique, „ Z'algebre, les soupers , le latin, les jupons , ,, L'opéra, les procès, le bal & la phyjique."
Ces vers furent envoyés par Me. de Bouflers dont l'esprit, dont l'amabilité , se retrouvent traits pour traits dans le Chevalier de Bouflers, que vous verrez avoir bien agréablement célèbré sa charmante Maman. Cette dame conferva jusqu'au dernier soupir ses qualités attachantes, son enjouement ipirituel, sa bonté facile : Par un dernier épanchement de sensibilité elle voulut que les plaisirs de la jeunesse folâtrasfent autour de son lit de mort. Peu d'heures avant que la tendre & confiante amitié lui fermat les yeux, son appartement devint une salle de bal.
Me. du Chatelet, en répondant à ion amie, voulut prouver qu'elle était digne de chercher le bonheur dans le sentiment : -
,> Hélas ! vous avez oublié, „ Dans cette longue Kyrielle, ,, De placer le nom de l'amitié; , le donnerais le reste pour elle.'
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PRÉTENTIONS A L'ESPRIT.
A fureur de passer pour savantes produisit chez les femmes l'affeétation de pensées & de langage répandue sur toute la France , mais dont le principal foyer se trouvait au fameux hôtel de Rambouillet.
Les meilleurs esprits se laissèrent séduire par un faux & éblouissant jargon, jusqu'au jour où Moliere déssilla tous les yeux par les Précieuses ridicules.
Ménage, à la preiniere représentation de cette piece, eut la iranchife de dire à son ami Chapelain assis près de lui & empressé de mêler ses applaudissemens à ceux du public : „ Nous approuvions vous ,, & moi toutes les sottises qui font critiquées si fine3, ment, & avec tant de bon sens," Par une heureuse révolution dans le ton des entretiens , le naturel, jusqu'alors rigoureusement évité, parut & avec lui le véritable esprit. Rien néanmoins de plus difficile dans tous les tems que de rassembler un cercle de beaux esprits, sans que les prétentions percent bientôt, elles fubilituent la contrainte , la roideur à l'aimable & douce négligence.
L'envie démesurée de briller devient autant le tourment de celui qui l'éprouve que du témoin des pénibles efforts qu'elle inspire : Une société , très célèbre en ce genre , se rassembla longtems chez la rélpedtable Me. Geoffrin, chez cette femme toujours
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occupée d'aétes de bienfaisance. Quoiqu'un grand nombre d'hommes, distingués par leur mérite, par leurs talens, composassent ce bureau d'esprit, les poëtes, les auteurs comiques l'ont pourtant à l'envie exposé au ridicule. La plupart des traits malins furent sans doute aiguisés par la jalousie ; mais la vérité ordonne de reconnaître que plusieurs ne portaient pas à faux. On applaudissait trop souvent à des mots recherchés dans le goût de celui par lequel Me.
Geoffrin , pour désigner les hommes , qui devant tout à leur mémoire , ne font riches que de réminiscence , les appelait des bêtes frottées d'esprit.
Les heureux changemens, qu'introdufirent dans le monde les cliefs-dloeuvres de Moliere , furent développés par une fille étonnante. Au fein des voluptés elle fut montrer afiez d'esprit, assez de grâces, pour s'aiïurer, plus certainement, l'immortalité que bien des hommes studieux consacrant leurs plus belles années aux moyens d'acquérir la moins frivole de toutes les chimeres.
Mlle. L'Enclos fixant près d'elle les premiers hommes de la Ville & de la Cour, leur comuniqua son enjouement, sa légéreté d'esprit, sa prévenante politesse. Ils reçurent le nom d'oiseaux des Tournelles par allusion au quartier de Paris qu'habitait celle qui les réunissait. Charlesval, admis dans cette charmante société que le plaisir animait, & dont il devint lui-même un des premiers ornemens, s'écria : ■ •
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"Je ne fuis plus oiseau des champs, „ Mais un des oiseaux des Tournelles , » Qui sans choix des faisons nouvelles, j, Se parlent d'amour en tout tems , „ Et qui plaignent les tourterelles, „ De ne se baiser qu'au printems.
L'on répétera toujours plusieurs faillies heureuses de cette personne unique dont les cheveux blancs, dont les rides ne firent pas fuir l'amour ; qui cueillit les roses du plaisir dans l'âge où les autres mortels font condamnés à n'envisager que les cyprès de la mort. La viellesfe termina ses jours, sans avoir pu lui enlever les moyens de plaire.
Les lettres, que D'amours a publié fous le nom de MUe. l'Enclos, font beaucoup d'honneur à cet écrivain ; mais Vhéroïne de la galanterie n'eut ce--tainement pas adopté une métaphisique très subtile, très précieuse', par conséquent bien éloignée de la philofophie simple, du naturel, de la délicatesse , qui se distinguent dans le peu de ses lettres que nous a confervé st. Evremont.
Aucun écrit ne peindra jamais aussi fidellement le caraétere de Ninon , que le mot qu'elle répettait souvent à ses amis : „ Dès que j'ai fait usage de „ ma raison , je me fuis mise en tête d'examiner ,, lequel des deux sexes était le mieux partagé. J'ai 5> vu que les hommes ne s'étaient point du tout mal„ traités dans la diltribution des lots, & je me fuis „ faite homme."
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D É v o T 1 Ó v.
JTLtfË s femmes se trouvent condamnées par la nature à une épreuve aussi pénible que délicate, lorsque le doux besoin d'aimer & l'impérieux désir de plaire survivent au pouvoir des charmes. La dévotion, l'ambition peuvent feules soulager de cruelles inquiétudes , & mettre fin- à un mal-aise plus difficile à supporter que l'infortune, parcequ'aucun sacrifice ne vient, en flattant l'amour propre, relever le courage & centupler la patience: De ces deux trilles ressources, la derniere n'appartient qu'aux femmes qui par leur rang, ou par leurs talens peuvent influer sur les événemens. Tandis que la dévotion offre un port ouvert indiftinétement à tous les individus. Les dévotes surpassent donc de beaucoup les ambitieuses : Elles font distinguées entr'elles par différentes nuances très marquées.
La première de ces nuances, malheureusement peu répandue, offre une piété à la fois humble, compasissante , éclairée; vertu sublime qu'on ne peut s'empêcher d'aimer , & qu'on ne saurait trop refpeéter.
Vous plaindrez, en leur accordant de l'intérêt, ces cœurs Amples & bons qui, autant paroifiveté que par sensibilité, cherchent toujours à s'attacher; qui, de bonne foi dans la dévotion comme dans la galanterie, font néanmoins prêts à passer tour à tour de la volupté au recueillement, du recueillement à la volupté,
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,, Car de P amour à la dévotion,
„ Il n'est qu'un pas : l'un & l'autre est faiblesfeÇ*).>
Vous blâmerez ces esprits ardens, fanatiques, orgueilleux , inquiets, qui prétendent à Phonneur dangereux de devenir chefs de fedte 9 qui trompent les êtres crédules & s'appuyent du secours de quelques hommes assez intéressés pour feindre le rôle de leurs disciples.
Le siecle dernier vit une demoiselle Bourignon , promener ses bizarres rêveries dans toutes les contrées de l'Europe, parceque mécontente des hommes qu'elle rencontrait , on l'entendait s'écrier : „ Ce ,, ne font pas là les Chrétiens que je demande , „ menez moi au pays des Chrétiens." Apôtre , auteur, inspirée, elle prêchait une doétrine qu'elle ne comprenait sans doute gueres mieux que ses auditeurs.
Nous eussions laissé dans l'oubli cette fille singuliere, si son injuste célèbrité n'était pas due en grande partie à l'influence qu'elle eut sur les deilinées de l'illustre archevêque de Cambrai. On vit un grand-homme s'attirer des chagrins pour avoir écouté une folle. Dans cette circonstance, l'esprit de Fénelon fut la dupe de son cœur, des épanchemens d'amour de Dieu émurent une ame très aimante , fermèrent des yeux très clairvoyans, au point de leur cacher l'absurdité d'ouvrages méprisables.
Vous abhorrerez les créatures assez perverses pour
(*) Voltaire. -
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couvrir du masque de la religioii, la colère , la méchanceté, en un mot toutes les passions coupables. De tels monstres font vomis par l'enfer en courroux : Leur soufle empoisonné répand sur la terre la médisance , la calomnie & la douleur.
AMBITION.
TA N Dis que Ninon, par sa confiance à marcher sans intérruption dans le chemin de la volupté, rendait son nom célèbre à jamais; la compagne de ses plaisirs l'abandonna pour suivre l'ambition, & par la plus étonnante' fortune attira sur elle les regards de l'Europe, & arrête encore ceux de la postérité. Celle , qui dans son enfance traniportée sur les côtes de l'Amérique, y fut presque abandonnée aux bêtes féroces, qui dans la fleur de sa beauté regarda comme une faveur du fort de devenir l'épouse de Scarron, poëte burlesque, pauvre & rongé d'infirmités ; parvenue à l'âge de cinquante ans, subjugua le plus fier des Monarques, s'assit presque sur le trône, Cette femme n'employa point son pouvoir à faire le bien de la France : Elle rétrécit, pour le mieux, dominer, l'esprit de Louis XIV : Elle protégea l'hypocrisie , elle éleva la médiocrité , elle persécuta le mérite. Un Marfin commanda les armées, un Chamlllard fut écrasé fous le poids du ministere, & Catinat languit dans l'exil.
Mé. de Maintenon semble un exemple mémorable fiacé
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placé pour détourner dans tous lès tems les femmes tentées de se livrer à l'ambition , que la nature l que la société leur inierdiient. Cette feitime, dont le crédit sans bornes allumait l'envie dé ses contemporaines , paya bien cher fà grandeur. L'ennui rongeur empoisonnant sa vie , la fit souvent soupirer après Ion ancienne obscurité. Pour .remplir la.
.pénible tâche d'àmuser un homme blafé sur tout, elle défirai le secours de Ninon à qui des richesses, des honneurs furent offerts, pourvu qu'elle marchat fous les étendarts de l'hypocrisie; mais cette fillé philosophe répondit à l'homme chargé dé la négociation: „ Jeuae, j'ai refusé de vendre mon corps; ,, vieille, je ne mettrai pas mon ame -à prix." 3, Vous avez sans douté la promesse d'époufer dans „ l'autre monde Dieu le pere," disait le cyniqué D'Aubigné quand il entendait sa fœ:t soupirer après la fin d'une grandeur devenue par l'habitudé une insupportàble contrainte.' Telle est la fuite trop commune de cette tyrannique passion; quiconque se met fous son joug né tarde pas a le détester, mais se fent contraint, par un irrésistible pouvoir, à le porter jusqu'au dernier soupirs ,y
La mort se montre moins effrayante que Iç repos à celui qui s'est livré longtems au tui-nulte Oes assài": res. Charles Quint soulageait son ennui en tourmentant les moines chez lesquels if s'était retiré.
Tout ânniftre disgracié, quelque célébré qu'il ait été par ses talens, par ion amabilité, lors des jours de son élévation , n'est plus le même d'ns l'xil: son;
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inquiétude fait le tourment de sa famille; tous ceux qui l'entourent, traînent une vie si triste, qu'ils fou pirent après l'instant où doit se terminer une carriere sur la fin de laquelle on chercherait , sans aucun fruit, à répandre quelques fleurs.
M*, de Maintenon, avide de tous les genres de réputation , voulut augmenter le nombre des femmes auteurs. Elle a laissé des lettres écrites avec esprit ; mais qui font dépourvues des agrémens des lettres de femmes. On les croirait volontiers l'ouvrage d'un homme, ne perdant pas de vue qu'il travaillait pour le public. Vous y rencontrerez quelques anecdotes piquantes : Les efforts de la favorite, pour donner une idée avantageuse de son caradere, ne vous empêcheront pas de reconnaître une ame impérieuse , hautaine, hypocrite.
Les partisans de Me. de Maintenon citent en son honneul. la maison de S1. Cyr. Ce refpedable établissement, loué avec excès, ne saurait entrer en compensation avec de profondes blessures, dont les cicatrices encore douloureuses ont contribué aux secousses aétuelles; mais, ajoutent-ils, elle fut désintéressée. Cette vertu ne coûte rien aux ambitieux.
Celui qui possède avec la fois des grandeurs l'énergie propre à les atteindre, méprise les richesses. La cupidité est toujours l'annonce de vues étroites.
Arrêtez vos regards sur tous les ambitieux qui se présentent dans l'histoire, depuis Alexandre & César jusqu'au Cardinal de Rets: Vous les verrez tous prodigues : S'ils souhaitent de l'or, c'est pour acheter
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les instrumens méprisables qui fervent à leur élévation & qu'ils font toujours également prêts à récompenser ou bien à brifer, félon que le demande l'exécution de leurs projets.
La Beaumelle, éditeur des lettres de Me. de Maintenon , s'y est permis plusieurs altérations ; il leur a joint des mémoires écrits avec chaleur, aux quels les gens instruits n'accordent que peu de confiance ; ils leur reprochent de fréquens outrages à la vérité, un manque de retenue ainsi que des invraisemblances dans les aétions 1 dans les discours des personnes mises en scene. Ce ferait cependant commettre une injustice de les traiter avec le mépris dont Voltaire a prétendu les couvrir: La haine difta un arrêt trop sévere. La Beaumelle, avec une imprudence, avec une effronterie impardonnables, attaqua un homme pour lequel il se sentait plus que personne pénétré d'admiration. Rage insensée & criminelle, malheureusement trop dans la nature, de chercher la célébrité par des coups portés aux grandes choses. Plus d'un Erostrate consent à se fuire éctafer, pourvu que le bruit s'en conferve.
Voltaire, trop affeété d'outrages fort au dessous de lui, traita de sot celui que devant ses amis il reconnaissait pour un pendart de beaucoup d'esprit,
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FEMMES APPELÉES AU GOUVERNEMENT.
QUO l QUE la nature, juste dans les dons qu'elle fait à l'humanité, semble ira voir pas destiné les mêmes aux deux sexes : Plusieurs femmes néanmoins ont possédé les talens, le génie, les vertus, qui caradérifent les grands hommes. Sémiramis, Elisabeth égalèrent les plus illustres Monarques. Les siecles à venir ne parleront qu'avec étonnement de Catherine qui d'une main assurée régit le plus vaste empire de la terre ; qui, protedice des arts, conquérante , législatrice, voit sa renommée croître chaque jour.
Sur les dégrés les plus élevés du trône, quelques femmes ont occupé des postes importans. Me. de Guébriant, revêtue du caraétere d'Ambassadeur en Pologne, soutint ce caraétere avec beaucoup de dignité ; les détails de sa conduite plaisent infiniment dans le récit qu'en a fait Laboureur. Vous y apprendrez que cette dame avait, de l'aveu des historiens, ,, autant de droit au titre de Maréchal de France n que son époux qui vécut & mourut en héros."
TALENT POUR RECONNAITRt LE MÉRITE.
DES exemples aussi [rappans, qui pourraient être soutenus par plusieurs autres, ne me paraissent pourtant pas des preuves convaincantes , que les femmes soient en général destinées aux emplois du:
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gouvernement. Ces emplois les détourneraient trop de leurs devoirs les plus sacrés, pour qu'elles s'y trouvent souvent bien appelées; mais un talent, extrêmement utile à la société, & que l'on doit regarder comme leur appartenant de préférence, c'est la sagacité avec laquelle elles pénètrent le mérite, avant qu'il foit développé & souvent plutôt que l'homme même qui le posséde. L'histoire offre, à l'appui de cette vérité, des traits sans nombre : Il suffira de vous en citer un bien digne de remarque.
Me. de Guercheville découvrit dans Richelieu très jeune, & prédicateur assez médiocre, les germes d'un génie supérieur ; elle lui fit faire son premier pas vers la grande fortune qui le rendit arbitre des deItinées de l'Europe. - J Les femmes ne se bornent point à découvrir le mérite, à lui accorder ce stérile hommage avec lequel la plupart des hommes croient assez le récom, penser; elles l'encouragent, elles le soutiennent: Leur sensibilité, leur vanité font également satisfaites en voyant les talens couronnés par leurs foins. D'ailleurs plus vives dans leurs sentimens, elles s'attachent aux lettres avec une ardeur que nous ne connoissons pas.
C'est, ou sur le trône, ou parmi les dames du plus haut rang, ou tout au moins chez celles qui font dans l'aisance, que nous avons trouvé les femmes qui se font rendues recommandables à la postérité ; tandis que les princes, que les grands, que les riches ont rarement pris la plume, & plus rarement encore s'en font servi avec habileté, sans doute d'a.
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près les foins importans qui les occupent. Le plus souvent les hommes deviennent auteurs par intérêt, les femmes le font par goût.
Mlle. Lussan est la feule femme très connue qui ait écrit pour vivre. Ses ouvrages portent plusieurs empreintes de l'étroite gêne à laquelle était reduite l'au-tur. Cependant elle fut constamment aidée par son ami la Serre, homme d'esfrit & de goût, quoiqu'assez détestable poëte pour que Boileau le flétrit à chaque pas.
Le besoin de grossir, de multiplier les produétions qui la nouriisfaient, força Mlle. Lussan à rendre faibles des Romans dont les plans étaient fages, les situations heureuses, les caraéteres naturels. Trente deux volumes, réduits à six ou sept, formeraient une très agréable collection ; mais quel littérateur possédera la patience nécessaire pour entreprendre ce long retranchement. On ne se charge pas volontiers de réparer une maison dont presque toutes les pieces font entièrement inhabitables. En effet les feules anecdotes de la cour de Philippe Auguste se lisent encore avec plaisir; mais elles font assez communément refusées à Mlle. Lussan ; Boismorand, leur véritable auteur, crut dit-on, devoir à son caractère d'Ecclésiastique de ne pas les faire paraît tre fous son nom.
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* PROTECTRICES DES TALENS.
A distinétion, que je viens de remarquer, très flatteuse pour les femmes, se retrouve également dans les secours qu'elles accordent. Le grand fait presque toujours sentir le poids de sa proteétion; son épouse au contraire prend le ton de l'amitié vis-à-vis de ses moindres protégés. Les services du premier font quelquefois plus durs à recevoir que les refus de la feconde: Aussi de tout tems les auteurs preférérent ils les bienfaitrices aux bienfaiteur. Ce fut près de Christine que Descartes termina une carriere à jamais célèbre par le premier éclair qui ait jetté de la clarté dans des ténèbres trop épaisses, trop anciennes pour se dissiper par les efforts d'un seul mortel. Qui trouva la méthode, ouvrit le chemin de la vérité, & déploya une étendue de génie, une force d'ame que l'on ne saurait trop admirer.
Christine parut aux yeux de Descartes mériter qu'il lui consacrat sa vie. Après la mort du philosophe Français, cette Reine trouva que les sa vans attirés près d'elle ne satisfaisaient pas assez ion désir de s'instruire ; elle descendit du trône pour cultiver les lettres : Des singularités obscurcirent aux yeux du vulgaire un génie que les hommes éclairés admiraient, sans se dissimuler , que celle qui le possédait en faisait souvent mauvais usage , d'après une inquiétude commune à tous les Etres placés hors de leur élément. Dans Rome, pour lors le centre des beaux
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arts, Christine se rappelait quelque fois avec regrêt son ancienne grandeur : La générosité fut la feule vertu qu'elle conferva sans altération. Ses bienfaits lie s'arrêtèrent jamais, ils furent distribués avec
choix, avec délicatesse. Le poëte Filocaya leur dut Pexifténce de sa famille fous1 la loi très expresse de garder le silence le plus scrupuleux sur la main qui le secourait : Un tel silence est l'unique condition que les cœurs sensibles trouvent difficile à remplir pour prouver leur reconnaisiance.
Christine, qui dut ses principaux titres de gloire aux encouragemens, aux secours répandus sur les savans, sur les hommes de lettres, mérita aussi des éloges personnels pour quelques ouvrages. SesLolJirs, recommandables pour des pensées fortes, pour des apperçus fins, font défigurés par une foule de choquantes contradictions. Ses réflexions sur Alexandre annoncent la plus grande préférence, en faveur d'un prince sur les traces du quel elle eut voulu marcher, & avec lequel elle se flattait d'avoir des traits de ressemblance. Les penchans héroïques se dévéloppèrent de bonne heure dans son ame. De ce moment elle gémit sur son sexe. La fille de Gustave Adolphe frémissait de douleur & de rage de ne pas imiter son pere, un des plus grands hommes qu'offre l'histoire moderne. Personne en effet ne peut méconnaitre ce héros du' nord pour un prince aimable, sensible, - éloquent, vertueux, ,, mort, l'épée à la ,, main, le commandement à la bouche, & la vic- „ toire dans l'imagination." :
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Les Écrivains, inspirés par de justes & nobles sentimens, ont iramortalifé mille & mille protectrices, toutes assurément recommandables, mais à des dégrés différéns: Peu d'entr'elles ont acquis autant de droits que Me. de Longueville , à qui son esprit & ses charmes firent jouer un rôle très important dans les troubles de la fronde. Que cet esprit devait avoir d'agrément! Que ces charmes devaient être puissans, puisque dans le nombre des hommes subjugués par leur irréliitible ascendant furent deux fages : Turenne, éblpui, porta à la révolte l'armée qu'il commandait : La Rochefoucault, atteint d'un coup de Moufquçt, s'éçri 7 ,, Pour mériter son cœu.r pour plaire à ses beaux yeux, "f'aifaÜ la guerre aux Rois; je V aurais faite aux Dieux." L'esprit d'intrigue, l'ambition , s'éteignant chez.
Me. de Longueville, firent place au goût des lettres: Elle poussa d'abord ce goût jusqu'à l'extrême ; elle y porta l'ardeur, l'inquiétude qui, lors des désordres politiques, l'avaient jettée dans des inconséquences, dans des entreprises hasardées, d'après les qu'elles d'héroïne d'un grand parti., elle en devint lavan-' turiere. Benferad-e, Voiture, beaux esprits à la mode, divisaient alors le public au sujet de deux sonnets ; l'un de Job par Benserade, l'autre d'Uranie par Voiture. Le Prince de Conti parut à la tête des partisans de Job; Me. de Longueville mit en usage toute la véhémence, toute l'habileté d'un ehef de parti consommé, pour soutenir Uranie. Si son
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excessive chaleur mérita le blâme, son goût fixa les suffrages. Job bientôt ne trouva plus de leéteurs : Uranie peut encore plaire ; son début est très naturel. Mais fous quelque raport que se foit montrée Me. de Longueville lors des guerres civiles & depuis dans les disputes littéraires, sa mémoire ne nous intéresse dans cet instant que d'après sa généreuse amitié pour Mess. de Port Royal: Son hôtel, son crédit, ses biens furent consacrés à sauver de la persécution de refrettables & grands Écrivains, trop savans, trop vertueux pour que , sans la fureur de parti, on ne se fut pas empressé de recevoir leurs leçons, de quelque manière qu'elles fussent présentées.
Qu'importe le nom ? Tout ce qui porte les hommes au bien mérite la considération.
Les littérateurs, les savans pleuraient encore Me.
de Longueville , lorsque la fortune favorable leur offrit un avantageux dédomagement. Me. du Maine, appelant près d'elle les hommes les plus célèbres, fit de féaux le séjour de l'amabilité, le temple du goût, la retraite de la philosophie. Nous ne possédons aucun ouvrage de cette princesse ; mais nous savons que personne ne parla „ jamais avec plus de ,, grâces, avec plus de netteté, avec plus de rapi„ dité." Me. la Sabliere possédait les talens du bel esprit & les connaissances du vrai philosophe. Bernier, en lui dédiant ses doutes, reconnut publiquement sa transcendante supériorité dans les hautes sciences.
De si rares avantages, joints à la protection coft-
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stante & éclairée qu'elle ne le lassa pas de répandre sur tous les hommes d'un mérite distingué, feraient sans doute les titres les plus honorables de toute autre femme, mais ils restent presqu'entièrement oubliés quand on parle de I'intéressante,&le. la Sabliere.
Tout cœur sensible respecte & chérit en elle la tendre amie de La Fontaine, qui sans cesse prodigua des foins empressés à son cher Fablkr : Celui-ci fut de son côté jaloux d'immortaliser les agrémens, les vertus de sa bienfaitrice :
3? Je vous gardais un temple dans mes vers.
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, 0 vous, Iris, qui savez tout charmer, 5, Qui savez plaire en un dégré suprême ; ,, Vous que l'on aime à l'égal de foi-même.
3, Ce que chez vous nous voyons estimer 3, N'cft pas un Roi qui ne fait pas aimer, ,, C'est un mortel qui fait mettre sa vie ,, Pour son amie"
INFLUENCE DES FEMMES DANS LA SOCIÉTÉ.
I4'I NF LUE NeE des femmes dans la société, se trouve sur toutes les pages de l'histoire, gravée profondèment avec des caraéteres que l'homme réfléchi lit sans peine.
Tant quà Sparte les mœurs se conservèrent assez pures pour (*) „ que l'on y eut plus facilement ren-
( * ) Plutarque,
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"contré un chameau buvant du haut du mont » Taygete dans PEurotas, qu'une femme adultéré," les Lacédémoniens furent refpeétés & redoutés : Ils donnaient des généraux aux Grecs; ils faisaient trembler les plus puissans despotes. Du jour où la richesle s'introdùisit, le luxe nacquit, & traîna à sa fuite la corruption ; les loix de Lycurgue tombèrent en desuétude ; les hommes prostituèrent eux-mêmes les Épouses sans pudeur: Les meres spartiates cessèrent de porter dans leur fein des citoyens : Le premier peuple de la terre eu devint bientôt le dernier.
Dans Rome naissante „ les femmes se distinguaient „ par leur sobriété, par leur décence, par leur pudeur : „ Elles restaient étrangères à cette hardiesse repousfan„ te qui, commune maintenant, était si rare ch,ez les „ anciens Romains: Une femme ayant elle-même „ plaidé sa cause, le fénat fit consulter l'oracle d'A„ pollon pour savoir si cet événement extraordinaire „ n'annonçait pas à la République quelques malheurs „ prochains." (m) Sous Auguste, sans être au dessus de tout reproehe sur leurs mœurs, les femmes refpeftaient la décence, cultivaient & protégeaient les lettres; aussi ce beau siecle compta-t-il des Pollion, des Agrippa, des Mécene ; vit-il fleurir Virgile, Horace, Ovide & le sensible Tibulle: Du moment où les Messaline, où les Popée, foulant aux pieds toute bienséance, ne rougirent plus d'aucun désordra, les crimes inon-
( 7i) Hiflotre de la Rivalité de Chartag* df de Rom*.
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dèrent l'Empire; ils furent sans termes comme sans bornes. ',.
Lors des beaux jours de Louis XIV une galantelie recherchée, délicate , magnifique?, embelisfait la cour de France & la rendait le modele de l'Europe.
Racine, Boileau, Molière, La Fontaine, aspirèrent aux suffrages des Sévigné, des La Fayette, des Montespan ; ils cherchaient les graces près d'unj sexe au quel l'on peut dire avec vérité :
1, Tout auteur, qui voudra vivre entore après lui y y, Doit s'aqu.lrir votre suffrage.
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„ Il n'est beauté dans nos écrits i, Dont vous ne connaiffiés jusques aux moindres traces."(*)
La licence, introduite par le régent, rendit bientôt ridicules &' surannés les hommages éclatans offerts à la beauté ; que de maux n'eussent-ils pas prévenu i Les femmes, sur les qu'elles se fondent nos plus cheres espérances, ne doivent pas rejetter les avantages qui leur font accordés. Loin d'exposer un empire du plus grand prix ; qu'elles cherchent à le conserver tout entier, qu'elles pénétrent jusque dans ses fondemens. Nos vœux feront comblés, si nous pou.
vons les feconder dans cette importante recherche.
1
( 4 ) La Fontaine.
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POUVOIR DE L'ESPRIT AU DESSUS DE -,.. CELUI DE LA BEAUTÉ,
L;ü B S E R V AT E' UR attentif ne vit pas longtems dans le monde, sans remarquer que les hommes n'y occupent de rang qu'en proportion de leurs emplois on de leurs richesses.; Il n'en est aucun dont l'entiere exiftenee foit le fruit de ses qualités perfonelles. Au lieu que plusieurs femmes, recherchées, honorées pour elles mêmes, justifient le mot de Me.
de Sévigné : „ L'esprit de Me. de Coulanges est „ une dignité." Si l'esprit devient pour les femmes une dignité il n'en est pas de même des avantages extérieurs, qu'elles mettent pourtant fort a dessus dans lour propre estime. Loin de moi la pensée de méconnaître le pouvoir de la beauté, de ce don céleste, qui subjugue presque tous les mortels, & dont peutêtre aucun ne ressentit plus fortement les effets. Je chéris la mémoire des jours passés fous son empire , qu'un seul regard fonde, mais qui bientôt s'écroule lorsque les agrémens de l'esprit ne le soutiennent pas.
Me. ***, par sa charmante phifionomie, par sa tournure séduisante, attirait autour d'elle beaucoup d'amans promptement mis en fuite par sa maussade conversation : Un deux se permit cette épigramme qui trouve dans le monde de fréquentes applications :
„ Alexandrine à la double pouvoir „ De rendre un cœur indifférent & tendre;
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„ Car pour Vaimer s'il suffit de la voir, ,, Pour n'aimer plus il suffit de l'entendre."
La beauté traîne après elle de nombreux dangers : le plus commun est la prétention de jouir de les droits lorsqu'ils font anéantis. L'amour propre dérobe aux yeux des femmes un écueil contre le quel presque toutes viennent échouer: Comment ne pas souhaiter avec ardeur de se dissimuler à foi-même, de cacher aux autres la perte d'un bien qui nous à toujours paru d'un si grand prix? Toute femme devrait écrire sur le premier feuillet de son fou venir;
,, Oui n'a vas l'es Qui n'a pas l'esprit de son age, I., De son âge a tout le malheur. (*)
Pour celles qui font condamnées à ne quitter les ornemens de la galanterie que pour se revêtir des livrées de la dévotion, elles font peut-être bien de retarder le plus qu'il leur est possible un si triite changement. Mais qu'elles fachent que la jeunesse feule leur offre des ressources, „ les vielles femmes 9, ont raison d'aimer les jeunes gens; ils font si heu„ reusement disposés par la nature , qu'ils voyent ,, des charmes où les autres ne voyent que des rui5, nes & des débris." et)
( * ) Voltaire.
(t> Juftiue & St. Flour par Ferrieres.
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PouvOIR. DU CŒUR AU DESSUS DE CELUI DE L'E S P K I T, A beauté frappé, mais bientôt elle' se fâne; fouvent même l'hâbitude lui ôte tout son prix. Rarement celui, qui parvient à la conquérir, conserve, t-n dans sa possession d'autre jouissance que celle de la vanité flattée d'entendre ses succès applaudis oU jaloufcs. Lesprit, se reproduisant sans cesse fous des formes différentes, plait plus longtems ; cependant l'habitude ne lui devient gueres moins funeste qu'à la beauté. L'erivie de plaire, son principal aiguillon, s'émousse dans un commerce intime & journalier, qui ne tarde pas a répandre cette langueur pénible dont, par un bonheur digne d'envie, les hommes bornés ne soupçonnent pas l'existencé. Ces personnes, si recherchées dans le monde, qui se goûtent, qui s'estiment, qui s'aiment, réunies en famille tombent bientôt dans l'engourdissement, laisfcnt par intervalle échapper quelques phrases oiseUses: Un étranger parait-il; toutes à l'instant se réveillent: Le feu n'était que couvert; il reprend de l'éclat, dès qu'on le nourrit avec l'amour propre, son véritable aliment.
La beauté, l'esprit ne remportent donc que des succès plus ou moins passagers: Ceux qui font inaltérables appartiennent au cœur ; ses qualités attachent à jamais: Elles acquièrent chaque jour plus de valeut; elles s'épanchent sans interruption & sans si 1' ;
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fin; feules elles répandent le bonheur ; feules elles assurent la félicité de celle qui les posséde.
CONCLUSION.
TD" N coup-d'œil aussi peu étendu prouve assez que je n'ai point eu la prétention de vous faire connaître toutes les personnes de votre sexe, distinguées par des talens. Jusqu'à ce jour de simples esfais ont été consacrés à les célébrer, pendant que les éloges qu'elles méritent fourniraient sans peine des matériaux suffisans pour plus d'un ouvrage considérable. Quand à moi jaloux de donner des marques d'un estime, d'un dévouement sans bornes, je me fuis proposé de montrer que, supérieures dans les genres d'agrément, elles se font rendues utiles par des leçons d'une aimable & riante sagesse ; moins heureuses du côté des sciences & de l'érudition , quelques unes s'y font cependant illustrées.
Tant de titres de gloire puisfeut-ils nous apprend dre à refpeéter; à admirer celles qu'un attrait tout puissant nous fait chérir. Sachons, pour les rendre dignes d'elles, épurer les hommages que nous leur offrons. Qui ne s'occupe que de leurs appas ne jouit que de la moindre partie de leurs charmes, puisque c'est en éclairant; en poliçant les hommes qu'elles les conduisent à la félicité.
Femmes, que l'Être suprême a produit dans sa bonté, pour femer quelques fleurs sur notre courte existence, pour adoucir l'amertume de la source abondante dans
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laquelle tant de malheureux boivent à longs traits les peines, les fouflfrances, les humiliations; pour étouf1 fer les vices ; pour assurer le triomphe de la bienfaisance : Écoutez les derniers accens d'une voix si longtems consacrée à répéter les sermens d'un cœur brûlé d'amour: Peut-être alors eusfai- je sans succès tenté de vous donner de fages conseils : La passion eut égaré ma raison ; maintenant que mes seuls plaisirs se rencontrent dans un doux sentiment de réminiscence, je mets fous vos yeux quelques réflexions inspirées par un vif intérêt, mûries par une assez longue expérience.
Par la beauté vous acquérez des admirateurs, par l'esprit vous obtenez d'être recherchées, par la conduite vous parvenez à la considération, mais par le cœur vous vous faites adorer: Par lui vous bravez les outrages du tems, vous étouffez l'inconstance, vous regnez sur la terre.
Évitez la coquetterie ; appreciez les pompeuses frivolités du luxe; fuyez les êtres corrompus; dédaignez la médisance; abhorrez l'envie; mettez votre gloire dans les titres d'amie, de fille, d'épouse, d'amante, de mere ; refpeétez la morale ; chérissez la religion ; idolatrez la vertu ; soyez, soyez sensibles, les hommes vous élèveront des autels sur les quels fumera sans cesse un encens aussi pur que délicieux.
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TRENTE SIXIEME LECTURE.
Jt. E vois à cette heure, distinctement, le but que je me fuis proposé d'atteindre. D'abord trompé par une premiere apparence , je l'ai cru peu loin du lieu d'où je partais. Mon œil embrassant à la fois tout l'espace à parcourir , appercevant en perspective le terme, je ne me formais pas une idée juste du chemin qui m'en séparait. Le voyageur inexpérimenté se réjouit d'arriver dans peu d'instans au pied de cette tour élevée qui termine une droite & large avenue ; il marche sans précaution , il ne ménage ni ses forces ni son haleine; mais, 6 surprise cruelle! L'objet désiré semble à chaque pas s'éloigner; des obstacles d'abord invisibles naissent en foule ; l'impatience, l'ennui font maudire cent fois l'entreprise : Enfin ce n'est que bien avant dans la nuit que le malheureux harassé finit une journée, qui ne lui avait d'abord paru qu'une simple promenade.
Sans le feu sacré de l'amitié, qui plusîeurs fois a ranimé mes forces épuilees, depuis longtems j'eusse abandonné une tâche trop difficile à remplir au milieu d'assujettissantes occupations. Des conseils, aux quels je destinais peu de place, formeront presque un ouvrage : Cependant la partie la plus étendue est achevée : La littérature des anciens 9 celle de quel-.
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ques nations modernes, ne feront pas traitées avec autant de détails que la littérature des Français 1 parce que cette derniere devenue pour ainsi dire univ.erfelle est particulièrement la votre.
Ce choix de leéture fera peut-être loin d'obtenir votre aveu : vous me reprocherez l'oubli de plulieurs parties importantes: Un tel oubli ferait inexcusable, si je vous avais promis des leçons élémentaires & universelles, mais le seul titre d'essai me soustrait à la nécessité de justifier les fautes commises; malgré tous mes efforts pour les éviter. Je ne crois de mon devoir que de vous rendre compte des motifs d'après lesquels quelques sujets ne m'ont pas paru propres à être traités.
SCIENCE, ÉRUDITION.
LA science, l'érudition s'acquièrent par des travaux fou vent si fatigans, si secs, qu'ils vous dégoûteraient à jamais, non feulement de toute étude , mais encore de toute ledure : Il est très heureux que des personnes cultivent les terreins arides & ingrats. Sans le secours des hommes profonds, toute imagination vive se lasserait, ou bien flétrirait ses charmes par de longues recherches. Laissez l'érudition aux hommes, réservez-vous l'agrément ; ces qualités bien rarement existent ensemble : La premiere réclame pour elle feule tous les instans d'une vie longue & appliquée.
L'homme qui réunit à la fois les honneurs de bel
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esprit, de savant, d'érudit le doit presque toujours à une charlatanerie assez artistement combinée, pour faire qu'une certaine masse de connaissances paraisse beaucoup plus considérable qu'elle ne l'est réellement.
PHILOSOPHIE MODERNE.
SI l'orgueilleuse philosophie moderne vous appelle; soyez sourde à sa voix Une femme, qui remplit bien ses devoirs, pratique la sagesse mieux que tous ces précepteurs du genre humain, fiers de donner des leçons dont personne ne profite , aux qu'elles eux-mêmes n'accordent aucune confiance; leur conduite forme souvent une choquante contradiction avec la sévere morale de leurs écrits: Tous ces hommes, occupés de paraître fages plutôt par leurs raisonnemens que par leurs aéhons, satisfont une vaine chimere au prix d'une précieuse réalité : Devenus vieux ils peuvent s'appliquer les vers que Chaulieu, s'adresfalt à lui-même,
,, Je regarde & n'envisage, „ Pour mon arriere faison, 9> Qu-e le malheur d'être fage, ,, Et l'inutile avantage, „ De connaître la raifbn."
N'allez pas surtout vous former de la sagesse une rebutante image ; la véritable plait par sa douceur : La fausse effraye par son aust,érité, l'une aspire à di-
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riger nos penchans, l'autre affiche la prétention de les étouffer. L'homme entièrement livré à ses pasfions court au devant de sa perte : L'homme sans pallions végète privé de toute énergie: L'homme modéré mérite seul le nom de fage. Heureux qui le doit à la nature, estimable qui l'obtient par de généreux efforts. Les vertus de tempérament font les plus certaines , les vertus de principe font les plus refpeétables, car que de combats à livrer, quand il faut surmonter nos organes physiques, nos modifications intellectuelles ainsi que les influences du lieu qui nous a vu naître: Ces dernieres, bien loin d'être chimériques, se retrouvent chez toutes les générations.
Soumis ainsi que tous les hommes infortunés à l'espece de dure contrainte qui, ne leur permettant pas de perdre de vue leurs malheurs, font qu'ils y rapportent tous les objets, j'avais longtems réfléchi sur les miens, sans pouvoir remonter à leur source, lorsqu'à ma très grande surprise je la découvris dans ce passage d'une lettre de Racine, écrite de la ville où j'ai vu le jour: „ Vous saurez qu'en ce pais-ci on ,, ne veit gueres d'amour médiocre; toutes les pas3, fions y font démesurées & les esprits de la ville „ d'Uzés, qui font assez légers en d'autres choses, ,, s'engagent plus fortement dans leurs inclinations, ,, que dans tout autre pays du monde." Trop souvent l'hypocrite de vertu , le pédant de sagesse se voyent confondus avec le philosophe. Si vous desirez ne pas commettre d'erreur en ce genre, gravez dans votre mémoire, & comparez aux hommes
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qui se présenteront devant vous, le portrait aussi si..
delle qu'énergique qu'a tracé le vertueux Destouchety
La phiîofophie est sobre en ses discours, Et croit que les meilleurs font toujours les plus courts; Que de la vérité l'on atteint l'excellence Par la réflexion & le profond silence.
Le but d'un philosophe est de si bien agir QjLe de ses aêfions, il n'ait point à rougir, Il ne tend qu'à pouvoir se maîtriser foi-même: C'est là qu'il met sa gloire 6? son bonheur fuprêms.
Sans vouloir imposer par ses opinions, Il ne parle jamais que par ses aêflons.
Loin qu'en fyflemes vains son esprit s'alambique; Etre vrai, juste & bon, c'est son systeme unique.
Humble dans le bonheur, grand dans l'advcrfiiê, Dans la feule vertu trouvant la volupté, Faisant d'un dour loisir ses plus cheres délices, Plaignant les vicieux, & détestant les vices 9 Voila le Philosophe. Et s'il n'est ainsi fait, Il usurpe un beau nom, sans en avoir l'effet.
Politique.
J E vous féliciterai sincèrement, si assez iieureufe pour vous soustraire à la fureur du jour, vous évitez les discussions politiques, fous le poids desquelles l'esprit & le bon sens font presqu'entièrement étouffés. La raison n'inspire gueres nos légiilateurs de ruelles. Le politique, admiré dans un cercle, exciterait l'indignation ou plutôt la pitié de l'homme in"
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struit qui se verrait pour ton malheur condamné à l'écouter.
De tout tems les hommes, se piquant d'amabilité, furent des êtres frivoles, occupés d'eux-mêmes, incapables de lier ensemble deux idées. Semblable au Caméléon à qui l'on ne connait de couleur que celle de l'objet sur le quel il est posé, le fat n'a point de qualités qui lui soient propres : La mode fournit les différentes nuances dont il se pare sans qu'aucune laisse d'impression profonde. Nos peres le virent galant & léger; séduisantes bluettes, qui s'évanouirent avec rapidité. Déjà Me. Deshouliéres exhalait ses plaintes sur les manieres indécentes des jeunes courtisans: ,, Nous gémissons toutes, écrivait-elle, de ,, voir que les Nemours, les Guise, les Basfompiere „ aient des successeurs si peu resfemblans avec eux.,, On se rappelle le tems où la hardiesse philosophique inspirait les propos de l'agréable: Depuis anglomane, il fut occupé de ses chevaux, corrompu sans délicatesse, prodigue sans magnificence, étranger aux beaux arts: Aujourd'hui vous l'entendez calculer les intérêts de l'Europe, demain peut-être. toujours rien.Du reste Peffërvescence des Français par rapport mix opérations du gouvernement, quoiqu'ayant éclatée depuis peu d'années, remonte très haut. Pendant longtems les feux renfermés dans les flancs caverneux d'un volcan se font entendre, grôndent, jettent au milieu des habitans d'alentour un effroi avec lequel l'habitude ne tarde pas à les familiariser. Tout
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là coup l'éruption se fait, elle est d'autant plus violente que plus de barrieres s'y font opposées.
Tous les cœurs formaient, des vœux pour de fdges réformes. Les meilleurs esprits annonçaient des secousses inévitables, le nom de liberté retentissait ,dans tous les écrits, dans tous les discours. Cependant nul mortel qui prévit les terriblçs bouleverse., mens dont nous fomipes témoins.
Dans les premieres secousses ont paru des talens assez marqués, assez nombreux pour étonner l'Europe , quelques uns parviendront à la postérité : Le nom de Mirabeau reilera gravé dans les fastes de l'histoire, comme l'effrayant exemple de ce que peut produire le génie alimenté par tous les vices.
Cependant la vertu pouvant feule donner à l'éloquence le grand caraétere de la sublimité , les antagonistes de Mirabeau l'éclipsèrent. Plusieurs font applaudis, & conserveront toujours un éclat qu'aucun reproche n'obscurcira : Parmi eux se distingue Rivarol, dont les talens deviennent chaque jour d'un plus grand prix : Ils doivent contribuer au soutien du goût & des beaux arts. Mais quel mortel assez fort pour supporter , comme une autre Atlas, le monde littéraire ébranlé jusques dans ses fondemens?
J. Jacques, toi seul eus pu ne pas fléchir fous un tel fardeau.
Les entretiens politiques, que si peu d'hommes
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font en état de soutenir avec quelques succès, de.
viennent trop souvent ridicules dans la bouche des femmes. Plaire est leur partage, discuter ne leur réussit pas, puisqu'elles ne le font presque jamais sans aigreur. Permettez moi de vous rapporter le mot plein d'esprit & de raison prononcé par un prince que personne n'accusera jamais de rigidité ou d'indifférence. Le régent, Philippe Duc d'Orléans sollicité par une maîtresse qu'il adorait de lui confier les secrets du cabinet, la conduisit devant sa glace : „ Regarde, juge toi-même; ces traits char„ mans, chefs-d'œuvres de la nature, rendez-vous 99 des amours, ont été formés pour les plaisirs, & „ nullement pour les affaires."
TRENTE SEPTIEME LECTURE.
LITTÉRATURE ANCIENNE.
LEs richesses de la langue Française font assez abondantes pour que l'on puisse y accumuler des trésors, je ne saurais cependant qu'applaudir à l'ardeur, que vous m'avez témoigné, de posséder d'autres langues, afin de jouir d'une foule de beautés que vous vous flateriez envain de retrouver dans les traduétions. Chaque langue possède son caradtere propre , qui ne se transmet qu'imparfaitement dans une autre. Le traducteur fidelle voit avec surprise, avec douleur
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les plus riches tableaux devenir entre ses mains, de froides copies: Homme impatient, il renonce à son entreprise ; dépourvu de délicatesse, il donne sans scrupule son esquisse au public'; entraîné par un esprit vif, il trace une imitation dont les beautés dépendent de la portée de ses talens, mais laissent les ledteurs étrangers au mérite réel de l'original.
Les langues mortes deviendront-elles l'objet de vos études ? Depuis que Moliere a porté une si forte atteinte aux femmes savantes , l'érudition ne vient plus étouffer les grâces. La pédanterie ne se place plus près de la beauté : Ce ridicule se rencontre même rarement parmi les femmes d'un certain âge, qui pourtant employent tant de patience, tant d'efforts, tant d'industrie , pour jouer le plus difficile de tous les rôles ; celui de conserver une existence dans ce que l'on appelle la société , quand les agrémens font évanouis. Je ne vous verrais donc qu'avec peine un Despotaire entre les mains, ou chargeant votre mémoire du jardin des racines grecques.
Cependant les liens du fang, mais plus encore ceux de l'amitié, m'unissent à une jeune personne qui, guidée par un vif désir de s'inftrujre & sans aucun secours, a franchi heureusement les difficultés dont se voit entourée l'approche des productions de l'antiquité ; ces difficultés font semblables aux terreins arides, aux rochers affreux fous lesquels la nature cache les plus
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précieux métaux, comme pour nous apprendre que le travail devient le partage de l'homme dès qu'il prétend s'approprier foit les richesses matérielles, foit les richesses intelleétuelles.
Un seul exemple doit rarement servir de règle.
Celle-la feule imitera sans danger Mlle. de Latourdaigues, qui comme elle réunira application, esprit, sagesse. Ses succès n'ont eu aucune influence sur son caraétere. Sa douceur , sa simplicité , sa modestie ne laissent entrevoir de ses talens que ce qui peut plaire , sans exciter la jalousie ; Elle obtient d'autant plus surement des éloges qu'elle les cherche moins.
L'arrêt, que je me fuis permis de porter sur l'infuffifanc du travail des traducteurs, vous rendra plus pénible à suivre le conseil qui vous détourne de l'étude des langues grecques & latines.
Il. m'en coûte à moi-même que vous renonciez à la jouissance de ces inimitables chefs-d'œuvres, qui depuis des siecles excitent l'admiration des hommes éclairés: Pour qu'ils ne vous relient pas tout à fait étrangers, prenez en du moins une faible idée dans quelques traductions. Les Français ne font pas opulens en ce genre.
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TA N T que l'érudition conferve de la vogue, les ouvrages originaux se trouvant entre les mains de la plûpart des leéteurs, on compte peu de traductions, & celles qui voyent le jour n'obtiennent pas assez d'estime pour occuper des hommes de mérite.
Les savans en us avaient perdu de leur haute faveur en France , lorsque D'Ablancourt se dévoua tout entier à la carriere, „ bien moins honorée „ qu'honorable" de traducteur. Ses amis, loin de rendre justice à l'utilité de ses entreprises , cherchèrent à l'en détourner , mais il eut la sagesse de résister à leurs prieres. „ L'on fert mieux sa pairie, „ disait-il, en traduisant de bons livres, qu'en en „ composant qui le plus souvent ne disent rien de „ bon, ni de nouveau." Les succès de D'Ablancourt devinrent aussi brillans que nombreux : Ils furent dus en grande partie à la bonté de ses ouvrages, mais beaucoup aussi à sa réputation d'esprit, surtout à son talent supérieur de la parole. Dans ce dernier genre il séduisait au point de faire dire qu'en entendant son admirable conversation, on regrettait qu'il n'y eut pas toujours un homme chargé de l'écrire. Ses traductions , accueillies par le public comme autant de morceaux parfaits, choquèrent par leur manque d'exaétitude les gens instruits qui, forcés de dissimuler pour ne pas
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fclesferl*enthoufiàshië générai, présentèrent leurs reproches fous des formes recherchées. Les traductions reçurent dé leur part le nom de belles infidelles que les gens du monde changèrent en celui de belles immortelles : Lequel de ces deux titres qu'il plaise d'agréer, l'on doit convenir de bonne foi que peu de personnes aujourd'hui les lisent avec plaiEr, & que toutes y défirent des changemens & des correétions.
Les hommes les plus éclairés de l'Europe; réunis en une société dont la vertu, dont la piété étaient les liens; ont rendu de grands services pour hâter les progrès de l'esprit humain; Port Royal fut un foyer, duquel se répandirent des torrens de luJniere, pour vivifier toutes les branches des connaissances. Racine dans cette école , prit pour les anciens, un goût éclairé qui devint une des principales causes de la perfection de son talent. Ses fucccs ne lui firent pas perdre de vue les maîtres aux leçons desquels il devait tout. On le vit rechercher avec empressement j recevoir avec refpeét les conseils d'Arnauld, à la fois grammairien, géometre, logicien, métaphysicien, théologien & philosophe.
Quoique les immenses ouvrages d'Arnauld soient d'un genre qui les empêche d'être beaucoup lus , vous ne sauriez douter de la réalité d'une prééminence qui lui était accordée par tous ses contempotains. Boileau, juge si sévere du mérite, si peu flatteur sur ce point y que le roi l'objet de son
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culte ne put jamais influer sur sa maniere d'apprécier les auteurs, Boileau cite à la poftéritéj comme le titre qui met le comble à sa gloire.
Arnauld le grand Arnauli fit mon apologie.
Le poëte mettait au dessus de tout, l'eiïime, le suffrage de ce martyr,
En cent lieux opprimé par la noire cabale, Le plus f avant mortel qui jamais ait écrit.
Après avoir donné des méthodes pour apprendre les langues, après avoir fait paraître leur estimable Rhétorique, leur excellente logique, les vénérables solitaires crûrent les traduétions des auteurs anciens d'une nécefftté absolue : Plusieurs succès couronnèrent leurs louables desseins.
TRENTE HUITIEME LECTURE.
LITTÉRATURE GREC QUE ET LATINE.
J" E réunirai dans le même corps les ouvrages des Grecs & des Romains, parce que de leur ensemble se forme la belle antiquité. Ces peuples fameux n'eurent qu'une feule littérature que le vainqueur adopta de celui qu'il chargeait de fers. Pendant long- tems ,, Rome se souvint que son destin était de D soumettre les peuples fous son empire, de dicter
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les loix de la paix, de pardonner à ceux qui fc „ fouine ttaient, d'abattre les orgueilleux. (*)" Quand les citoyens, renonçant à leur grand caraétere, sentirent le prix des productions du génie, de celles des beaux arts, ils ne rougirent pas de s'instruire près d'hommes aussi connus pour leur esprit, pour leurs talens, que méprisés pour leur basfesse, & pour leur corruption. La main , qui brifa dans Athènes la statue de la liberté , y dessécha toutes les sources des vertus. Le lang des Miltiade, des Cimon , des Théraiitocle, des Arifiide, ne coula plus dans les veines d'aucun de leur deseendans ; l'avilisiement de ces derniers parait une juste expiation de l'ingratitude qui persécuta , lors des beaux jours de la République , les grands hommes ses soutiens & ses ornemens.
La flatterie, dégradant tous les individus, l'homme puissant trouvait dans Athènes les honneurs réservés à la divinité: Le malheureux. y cherchait inutilement un afile, il n'y rencontrait que d'infultans, que d'inhumàins refus. Tel est cependant le pouvoir des beaux arts , qu'ils protègent ceux qui les possedent, même après la perte de toute eftiine, & de.
toute considération.
Sylla n'eut pas plùtot satisfait un juste mouvement de courroux, en livrant pendant vingt quatre heures Athènes à la fureur des soldats, qu'il s'empreslu de relever ses édifices; de l'honorer du titre d'amis
(*) Virgile.
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d'amie des Romains, de lui rendre un lustre littéraire moins éclatant à la vérité, mais bien plus doux & peut-être plus flatteur que le luûre acquis par les armes ou par la politique.
Atticus passa ses plus beaux jours à Athènes. Atticus, nomme étonnant dont Phiftoire dans aucun tems n'offre pas d'autre exemple, qui fut au milieu des plus violens orages vivre heureux & tranquille ; modele des fages * il se fit chérir par des ennemis irréconciliables entr'eux ; dans les dernieres & terribles eonvulfions de la liberté de sa patrie, il conferva sans nulle altération une neutralité, criminelle si elle eut été l'effet de l'indifférence & de l'égoïsme, mais refpecftablé étant le fruit d'une faine raison & d'une douce sensibilité. „ Quel plus frappant té„ moignage de Ion amabilité (**), jeune il fut „ très agréable à Sylla, vieux il plut à M. Bru,, tus : Dans rage mur il vécut intimement lié „ avec Hortensius, avec Cicéron, de forte qu'il „ est difficile de juger à quelle époque de sa vie il mérita le plus d'être recherchée ': Cicéron fit briller à Athènes les premiers éclairs de ses sublimes talens, éclairs encore faibles, mais qui suffirent pour offusquer les Rhéteurs les plus renommés de la Grèce. Néanmoins Àthènes continua pendant plusieurs siecles à rester l'école des jeunés Romains distingués par leur naissance & par leurs richesses.
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Cornélius Nepos.
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Tous les siecles anciens comme les modernes portènt des caraderes prononcés, par lesquels font influencés, les meilleurs esprits. Nul mortel n'est assez fort de lui-même, pour se mettre entièrement au desius du goût de ses contemporains. Celui qui dans ses écrits leur adresse le plus de plaintes & de reproches reste enlassé dans d'indissolubles liens, que très souvent il n'apperçoit pas. D'heureuies circonitances vous permettent de juger les effets produits par l'esprit du jour, en comparant entr'eux deux illustres Romains dont nous possédons des ouvrages de même genre, traduits avec une admirable perfeétion.
Cicéron & Pline le jeune ont laissé dans leurs lettres des monumens d'un très grand prix : Celles de Cicéron à Atticus ont été rendues par Mongault avec autant d'exaétitude que d'élégance ; elles font de plus enrichies de notes savantes, propres à répandre un grand jour sur les personnages qui jouèrent des rôles importans à l'époque mémorable de la chute de la république Romaine. Prèsvôt a si bien pris le ton, la tournure des lettres iamilieres, que vous croirez lire un ouvrage excellent écrit en Français. La traduction de Sacy des lettres de Pline est célèbre par des beautés qui font disparaître les légers défauts de l'original.
Vous admirerez ces deux refpeétables anciens; vous reconnaîtrez dans Pline un génie aufTt vaste, une ame aussi élevée, un cœur aussi sensible. Mais vous regretterez que la noble simplicité, le charmant naturel
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de Cicéron soient remplacés par des traits brillans; & par des recherches afedées.
TRENTE NEUVIEME LECTURE.
POÉSIE DES A N CIE N S D'après ce que j'ai dit de l'origine de la poériè, ainsi que de la marche lente de l'esprit humain vers la prose, les poëtes anciens nous occuperont les premiers.
Le chantre d'Achille commande le respect & l'admiration. C'est un fleuve qui coule dans uri vaste lit creusé par la nature : Ses flots roulent des richesses inappréciables & répandent l'abondance : Des milliers de canaux tirés de son fein n'affaiblissent pns son cours; aucun d'entr'eux n'approche de sa majelté. La main de Pimitateur, quelqu'habile qu'elle foit, ne saurait donner à ses ouvrages le noble caraétere que le génie créateur imprime aux productions qu'il enfante.
Me. Dacier doit à un mérite réel, Pavantage de conserver beaucoup de leéteurs, mais entre ses mains Homere ; qu'elle aimait avec tant de pasfionvoit son feu entièrement éteint. Il ne pouvait appartenir qu'à une femme savante de dépouiller ainii de ses charmes l'objet qu'elle adorait ; toute autre lui
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-en eut au contraire prêté de nouveaux , enfantée par son imagination. Cependant son ouvrage, maL gré ses défauts, n'a pas été surpassé, ni par celui de Gien, ni par celui de Bitaubé; Le Brun peut seul entrer en balance.
Cherchez une idée de la sublimité d'Homere, sublimité de pensées, de circonilances, d'expressions dans quelques passages traduits par Boileau : Vos justes éloges feront mêlés de sinceres regrêts de ce que le pere de la poésie ne revive pas tout entier sur ce ton admirable. Boileau & Racine furent longtems indécis, s'ils ne réuniraient pas leurs talens & leurs efforts pour faire au public le beau présent d'une traduction de l'Iliade : Mais des raisons, que personne n'oserait blâmer, tant elles doivent avoir été d'un grand poids, persuadèrent à ces deux illustres amis qu'ils consumeraient beaucoup données sans parvenir à des résultats dignes d'eux. Quelle riche moisson ne semblait pas promettre des morceaux tels que ceux-ci i
Comme l'on voit les flots soulevés par t'orage, Fondre sur un vaisseau qui s'oppose à leur rage; Le vent avec fureur dans les voiles frémit: La mer blanchit d'écume & l'air au loin gémit.
Le matelot troublé, que son art abandonne, Croit voir dans chaque flot, la mort qui l'environne.
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L, enfer s'énieut au bruit de Neptune en furie, Pluton fort de son trône, il pâlit, il s'écrie:
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Il a peur que ce Dieu dans cet affreux séjour D'un coup de Jon trident ne fajje entrer le jour} Et par le centre ouvert de la terre ébranlée, Ne faffe voir du styx la rive désolée, x Ne découvre aux vivans cet empire odieux Abhorré des mortels & craint mime des Dieux.
Hésiode, moins grand, moins sublime qu'Homere, parle de l'agriculture sur laquelle il apprend plutôt les préjugés du peuple que des procédés à fiiivre.
Encore moins critique sur les sujets religieux, il rassemble dans son bouclier d'Hercule tout ce que la superstition avait fait éclore dans des esprits ignorans, vifs & légers. Bergier & Gien en ont donné chacun, une traduétion également fidelle.
Sapho, la plus spirituelle des femmes qui jamais aient existé, dut à ses talens le titre de dixième mufe; titre glorieux, mérité dans cette circonstance, mais depuis ridiculement prostitué. Une ame de feu, un cœur sensible, une imagination vive, un caraétere impétueux livrèrent cette fille célebre à deg passions violentes qui la précipitèrent au milieu des flots, dans lesquels elle périt, martyre à jamais méwo-.
rable de l'amour.
Une ode, un hymne, quelques fragmens confervés par d'anciens auteurs, font les seuls débris qui nous restent des poésies de Sapho. Ces morceaux font au dessus de toute valeur : Appréciez leurs beautés dans le peu que Boileau a fit passer dans sa langue avec tant de succès.
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Heureux, qui près de toi pour toi feule foupirc Qui jouit du plaijir de t'entendre parler; Qjii te voit quelque fois doucement lui sourire.
Les Dieux dans fort bonheur peuvent-ils l'égaler?
Je sens de veine en veine, une subtile flamme, Courir par tout mon corps, sitôt que je te vois : Et dans les doux transports où s'égare mon ame Je ne saurais trouver de langue ni de voix.
Un nuage confus se répand sur ma vue.
Je n'entends plus, je tombe en de douces langueurs, Et pâle, sans haleine, interdite, éperdue Un frisson me saisit, je tombe, je me meurs. 1
Quelques chansons, inspirées par la volupté, produites par un esprit aimable, polies par un goût délicat, rendent Anacréon immortel. Suivre de loin ses pas, tel fut, tel est encore, tel fera sans doute toujours le but vers lequel tendront les efforts des bons poètes. Ce parfait modèle n'existerait que pour les savans si La Fontaine ne nous avait transmis un petit nombre de ses morceaux , sans leur dérober aucune de leurs grâces, totalement évanouies, fous la plume de plusieurs traducteurs, à la tête des quels sa voit pourtant Me. Dacier.
Jamais le naturel, J'abondance, la simplicité, ne se rencontrèrent chez aucun poète au même dégré
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que dans Théocrite. Ses poésies tirent souvent de beautés de leur négligence; semblables à de douces,^ à de naïves, à de sensibles bergères qui dédaignent les parures de la ville; loin d'ajouter à leurs attraits elles les dénatureraient, si elles ne les dérobaient pas tout à fait. Appliquez à Théocrite les paroles qu'il adressait aux Mufes: „ Tout ce que vous tou1, chez s'embellit." Son heureux talent mit à profit les précieux avantages de la langue Grecque, si harmonieuse qu'aucune expression n'y est basse, & que les plus petits détails s'y rendent avec agrément, avec noblesse. L'idylle des Pécheurs, le morceau le plus délicat de tous ceux confervés des anciens, aura pour vous beaucoup d'attraits. De l'esprit, de la sensibilité deviennent nécessaires pour goûter l'aimable douceur de charmes simples & attachans, qui puisés dans la belle nature n'ont point été profanés parles ornemens de l'art: L'ingénieux Fontenelle n'en sentit pas la valeur ; ses yeux pénétrans, mais que ne mouillaient jamais de douces larmes, n'étaient pas formés pour s'arrêter sur Théocrite : Ce poète enchanteur conferve, entre les mains de Chabanon , tant d'élégance, tant de fraicheur, qu'on ne peut méconnaître beaucoup de rapport entre le pocte Grec & l'écrivain Français.
Bion, Moschus contemporains, émules de Théocrite, présentent des idées simples, riantes & rendues avec une charmante délicatesse. La mort d'Adonis reparait encore chaque jour traduite ou imitée par nos meilleurs poëtes. L'amour fugitif" est uns des
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„ plus agréables pieces de poésie qui se soient ja„ mais faites." L'Antologie (n) parait telle qu'une guirlande entrelacée par les grâces, pour réunir ces aimables chantres de la nature, dont elle-même achève de rendre le groupe si intéressant. La main de l'amitié m'ossi"e une de ces sieurs:Daignez en recevoir l'hommage.
ÉPI RAMME IMITÉE DE L'ANTOLOGIE.
Laisse moi [ifr ton front poser cette couronne, Qite la Reine des fleurs à tressé e sa main; La Rose , le Muguet & la tendre Anémone, font envier l'éclat de top beau fein.
* Ne t'énorgueillis pas de paraître si belle, Zéphir détruit le foir, ses amours du matin, Et la beauté, *** comme la fleur nouvelle , Brille,se fane & se ternit soudain.
Une réunion, à la fois déliçieuse & attachante telle que celle des poëtes lyriques dont je viens de vous parler , ne saurait être formée que chez les Grecs : La poésie des Romains, celle des modernes ne font point émaillées de fleurs aussi nqmbreufes ? aussi variées, aussi brillantes. Presque toutes se font évanouies ou du moins ont été fanées entre les mains ,de Longepiere destiné , malgré tout son zèle pour l'antiquité, à défigurer ses plus beaux puvrages. Les
(n) Ce mot, dont la lignification propre est recueil de fleurs, s'applique au recueil des jolies épigrammes de différens poëtes J grtcs. Celle que je cite ell imitée par l'auteiir de la Romance.
t. p. pag. 153.
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traductions de cet auteur faites en prose rimée font dépourvues d'agrément & de précision: Elles ne tombent pas dans un entier oubli, grâce a quelques notes très estimables.
Une prose traînante a plusieurs fois défiguré lEnéide.
Ce poëme ne vous fera donc qu'inparfaitement connu , même dans la traduction de Desfontaines , la feule qui se lift.
Celui qui peut se pénétrer des beautés de l'Enéide les voit naître en foule autour de lui, & s'empresse de les recueillir toutes, incapable de déterminer un choix. Quelle ordonnance iùperbe, quel merveilleux sublime , quelle diétion pure, qu'elle poésie harmonieuse ont contribué à l'élévation de cet inappréciable monument du génie ? Les plus nobles sentimens, les plus beaux mouvemens de l'ame, les plus touchans épanchemens de sensibilité s'y trouvent réunis. Nul mortel sans doute assez dévourvu de facultés sentimentales pour contempler d'un œil sec l'affreux désespoir de Didon, Princesse ornée de toutes les qualités faite pour inspirer, pour fixer l'amour, &, „ qui n'étant point étrangère au malheur, apprit ,, à sècourir les malheureux." Le peu d'intérêt qu'on se fent pour Enée vous affligera.. Est-ce donc là le fils de Vénus, à la naissance, à l'éducation duquel les Graces présidèrent sans doute. Spirituel, franc, vaillant, généreux, tel il devrait s'offrir à nos yeux. Je lui pardonnerais quelques brillans écarts, quelques aimables faiblesses, bien plus volontiers que cette trille raison, que
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cette prudente réserve qui ne lui permettent jamais de plaire sans des secours surnaturels. Achille impétueux, adorant Briséis , bravant Agamemnon, laenflant Hector, aux mânes de son ami, essuyant les pleurs du vieux Priam : Voilà le Héros qui m'attache , qui m'entraîne , avec lequel je brûle de me précipiter au milieu des combats.
Plusieurs écrivains ont pensé, que la froideur du premier personnage de l'Enéide résultait de sa trop grande piété, d'après laquelle St. Evremont prétendait voir plûtot en lui le chef d'un monastere que le fondateur d'un empire: Ce reproche est mal fondé, puisqu'Enée, présentant l'image d'un législateur en même tems que celle d'un conquérant, ne pouvait trop refpeéter la religion, unique bafe sur laquelle doit porter un bon gouvernement : En rejettant une cause , il faut établir celle qui la remplace , je vais le tenter.
De la maniéré dont un homme se présente pour la première fois, foit dans la société, foit dans lhistoire, foit dans le poëme, foit sur la scene, foit dans le Roman, résulte une prévention qui depuis influe beaucoup sur les sentimens qu'on lui accorde : Souvent ou fent l'injustice d'effets auxquels on ne peut se dérober quoiqu'ils soient produits par une feule vue : D'après cette importance du début, importance qui ne sauroit jamais être mise à une trop haute valeur , jugeons des fuites de celui d'Enée le plus désavantageux possible.
Le courroux implacable de Junon poursuit les
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infortunés échappés au désastre & à Tembrafement de Troye; cette Déésse excite une violente tempête: Les vents déchainés soûlévent les flots; les plus ,, épaisses ténèbres s'étendent sur la mer ; les pôles "retentissent du bruit de la foudre; le ciel est ,, embrasé du feu des éclairs ; tout annonce aux ma„ telots une mort prochaine ; soudain les membres j, d'Enée font saisis par le froid, il léve ses mains „ suppliantes vers le ciel." Quel mouvement déplacé dans un héros, qui doit au moins envisager avec fermeté le trépas, quand il ne l'affronte pas de propos délibéré. En vain des commentateurs prérendent-ils qu'Enée ne regrettait pas la vie, mais se plaignait de la perdre sans gloire.
Un tel sentiment s'exprime par l'indignation & non par des plaintes. Cette terreur, juste objet du mépris des deux sexes, flétrit souvent le caraétere d'Enée: A plusieurs reprises „ ses cheveux se dressent, „ sa voix expire sur ses levres (o.)" Virgile point assez satisfait de l'Enéide (I) dans l'exécution de laquelle il appercevait des négligences, qui la plupart relient invisibles pour les critiques les plus sévéres, demanda qu'après sa mort ce poème fut livré aux flammes. Ses seuls titres inconteltables lui paraissaient être ses Eglogues & surtout ses Géorgiques. ,, J'éprouve , dit Roucher, en lisant certains „ morceaux des Églogues & des Géorgiques un atten„ drisfement qui ne se manifeste point, il est vrai,
(0) Steterunt comte, & YOX fauclbus hæ/it
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jj par des larmes, mais qui peut-être est plus doux par., ,, ce qu'il me fait tomber comme dans une espece „ de réverie amoureuse. Virgile fait aimer ce qu'il „ chante rarce qu'il l'a aimé le premier." Il appartenait à notre siecle de produire un poë" te Français qui, à l'exemple des célèbres Pope & Dryden , transporta dans une langue moderne les beautés d'un ancien. De Lille nous a présenté sans rien dérober de leurs charmes les Géorgiques, c'est à-dire le poëme le plus travaillé qu'ait laissé le prince des poëtes Latins.
Lucain se soumettant à la marche hiltorique ne pouvait atteindre la majestueuse grandeur de l'Epopée: Une exaétitude, qui bannit le merveilleux, qui ne permet que peu d'épilbdes, justifie les critiques assez sevéres pour dépouiller la Pharsale des honneurs accordés aux grands poèmes. Trop peu d'intervalle séparait la chûte de la république , du règne de Néron , pour que la réputation des guerriers, qui fixèrent en Theslaliejes devinées de la terre, ne conservat pas des traces de quelques faiblesses : La lime du tems peut feule plonger dans l'oubli les tributs, que tout mortel paye à l'humanité. „ Le refpeét qu'on a pour ,, les Héros, dit avec raison Racine , s'augmente à „ mesure qu'ils s'éloignent de nous : L'éloignement „ des pays répare en quelque forte la trop grande ,, proximité du tems; car le peuple ne met gueres „ de différence entre ce qui est, si j'oiè ainsi parm, iUe ans de lui, & ce qui en est à mil„ le lieues."
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Lucain crut que malgré le rapprochement des époques & des contrées, les personnages grâce à Ton coloris, acquéreraient dans ses mains, de la dignité : Il réunit toutes les forces de son génie, pour leur donner une haute llature ; mais outrant les proportions, employant des formes gigantesques, il rendit quelques fois puérils, même ridicules ceux que son dessein était de présenter nobles & imposans : Ses récits par leurs exagérations devienent secs & froids ; ses maximes philosophiques calquées sur celles de Sénéque, bléssent encore plus dans les vers du neveu , que dans la prose de l'oncle; mais des beautés ravissantes rachètent de si graves défauts.
Les harangues, les descriptions, ont dans Lucain , une sublimité, que vous chercheriez sans fruit chez tout autre poëte ; leur force de pensées, leur richesse de poésie, leur chaleur d'expresifon, subjuguent, entraînent, inspirent l'enthousiasme :Des éclairs, de génie brillans, nombreux & prolongés, s'oppafent à ce que le goût après avoir rejetté les éloges excessifs, adopte une entiere condamnation. Si Racine & Boileau proscrivirent la Pharsale, Corneille l'admira, en fit ses délices, lui dut ses plus profondes vues politiques, ses plus impétueux mouvemens : Ce grand nom suffit pour tenir la balance dans un juste équilibre.
Brébeuf loin d'adoucir les traits forcés de son modele , semble au contraire s'être plu a le surcharger d'hyperboles, d'antithéses, de sentimens hors de
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nature. Cependant la pompe de sa marche , les élans de son imagination * le luxe de soji style éblouirent au point d'obtenir des fuftrages unanimes. Un terme assez long s'écoula, avant que dans Paris :
On maudit la pharsale, aux provinces si chere (*).
Si l'ehfémblé du travail de Brébeuf causé quelque iasfitude, plusieurs passages se font vivement applaudir. Quel poëte de nos jours, rejetterait la description, de cette horrible forêt, consacrée par l'absurde & cruel fanatisme des habitans de Marseille.
Pour la premiere fois les soldats de César connurent la crainte dont les fit bientôt rougir, ce chef intrépide qui le riait également du courroux du ciel & de la terre.
j, Tous les vœux criminels qui s'offrent en ces lieux, „ Ojfenfent la nature, en révérant les Dieux: „ Là du fang des humains, on voit fuer les marbres, „ On voit fumer la terre, on voit rougir les arbres.
„ La foudre accoutUmée, à punir les forfaits, * ,, Craint ce lieu si coupable & n'y tombe jamais.
Là de cent Dieux divers, les grossieres images, „ Impriment l'épouvante & forcent les hommages.
„ La moufle & la pâleur, de leurs membres hideux ,, Semblent mieux attirer les refPeCis & les vœuXi j, Sous un air plus connu la divinité peinte y y, Trouverait -moins d'encens & ferait moins de crainte.
( * j BÓileauo"
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j, Tant aux faibles mortels il efi bon d'ignorer, Les Dieux qu'il leur faut craindre & qu'ilfaut honorer.
Marmontel a traduit Lucain, avec beaucoup de sagesse, mais point assez de chaleur. D'après les foins de La Harpe, notre poésie est pnrichie de plulieurs beaux morceaux de la Pharsale.
Aucun passage n'est a mes yeux, aussi faillant que celui dont j'ose vous présenter une traduétion. Heu.
reux si ma copie conferve quelques traits du plus luperbe tableau : L'antiquité dans ses riches & abondans trésors ne renferme rien de plus sublime : Les traits qui le composent larges, fermes & hardis, eussent étonné le génie de Virgile , même celui d'Homère.
Quoique la Pharsale .foit un monument élevé en l'honneur de Pompée ; cet illustre romain n'y occupe pas le premier rang : Tous les regards s'arrêtent sur Caton dont la superiorité, paraît à, la fois brillante, soutenue & juste. Longtems après l'anéantissement de la République, son plus zèlé défenseur inspirait encore aux Romains un enthousiasme sans bornes :Les maîtres du monde ne devinrent pas tout à coup assez vils, pour oublier qu'à la funeste époque; où la licence, l'anarchie, le vice déchiraient les entrailles de Rome; où le peuple, séduit, égaré, corrompu , servait l'ambition & l'avarice des grands : Où les soldats cangrénés, indifférens au bien public, vendus à leurs chefs, fecondaient les plus criminels desfeins; Caton seul combattait en faveur de la liberté: "Ne (*) croyant pas être placé sur la terre pour
(*f Lucain.
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son avantage personnel, mais pour le service de „ l'état j la joie n'approcha plus de son cœur dès que 5, la patrie fut en danger. Du jour ou se déploya le sinistre étendart de la guerre civile, ses cheveux blancs tombèrent sans foin sur son front „ rigide: Une barbe hideuse couvrit ses joues : „ Toute étude lui devint importune, tout plaisir „ étranger, sans cesse il pleura sur les malheurs du „ genre humain." Tandis que les poëtes chantaient Caton, les orateurs faisaient retentir la tribune de ses louanges. César quoique voyant l'univers a ses pieds, fut blessé de la gloire du seul mortel qu'il n'avait pû dompter : Rome point encore façonnée à la servitude cacha mal son indignation, quand elle entendit le vainqueur de Pharsale, outrager (*) les cendres d'un ennemi, dont les vertus prescrivaient du refped à ceux même qui le haÏssaient. Les historiens par leurs suffrages ùnanimes donnèrent aux divers éloges une imposante fanétion: L'un d'eux (f) recommandable fous plusieurs rapports s'écrie: 1, Caton par son génie, par sa vertu était „ plus près des dieux que des hommes. Jamais il ne ,, fit le bien par oftcntation ; mais d'après l'impoffibi„ lité de s'en écarter. Ne croyant raisonnable que ,, ce qui était juste , exempt des vices, loin des fai3, blesses, il se plaça toujours au dessus des coups de la fortune." « Après
C) L'unti Caton.
(t) Velleius Piterculus*
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Après la défaite de Pharsale; Caton surpris mais point accablé, résolut de sauver la république; ou de périr fous ses débris: Ennemi de deux hommes également ambitieux, on l'avait vu marcher fous les ordres de celui qui plus vain & moins habile, loin de menacer d'un danger très pressant, marquait une ombre d'égards aux légitimes dépositaires de l'autorité : Quand ce chef malheureux fut tombé fous le fer d'un assassin; & que quelques grains de terre jettés par la main d'un esclave cachèrent obscurément, sur les rives du Nil, les restes du grand Pompée , Caton courut en Afrique, près du gendre de ce même Pompée , auquel malgré les initantes prieres de toute l'armée, il céda le commandement, par déférence pour sa dignité consulaire : Cet aéte de refpeét, bien digne du généreux support des loix, entraîna la ruine de la république. Scipion point assez citoyen pour sacrifier son orgueil, se chargea d'un fardeau fous lequel il fléchit, tandis qu'il eut été léger pour Caton : L'intrépidité, les talens, les vertus de ce grand homme se déployèrent dans la marche parmi les déserts de la Lybie : Les légions parvinrent à surmonter des obstacles, presqu'invraisemblables. La nature du terrein, la disette de vivres, le manque d'eau, la violence des orages, furent des digues fortes, élévées, & nombreuses, mais s'abbaisfant à Paspedt de Caton.
,, Après une tempête qui pendant quelques heures ,, parut le présage de l'entière ruine de la nature.
,, Tout .chemin est effacé, nulle trace pour se diriger y
TOM. H. K
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que quelques feux célestes, comme sur le fein des ,, mers. Les Astres fervent de guides, encore l'ho-
,, rizon resserré de la Lybie ne les offre t'il pas „ tous, plusieurs restent cachés fous la convexité 9) du globe." }) Bientôt la chaleur étouffe le vent qu'avait fait j, naître l'orage : L'air s'embrase, les membres font „ baignés de sueur, les bouches desséchées par la „ fois. 011 apperçoit, loin de toute source, quelques „ goûtes d'une eau bourbeuse : Un soldat les arra,, chant avec peine de dessus le fable, les recueille ,, dans son casque, & les offre à Caton. La gorge ,, des soldats était fouillée de poussiere; le général „ tenant en ses mains ce peu de liqueur allumait „ l'envie. Me crois tu donc s'écria Caton, le seul ,, de l'armée, qui foit dégradé & sans vertu? Te pa„ rais-je donc si efféminé, si anéanti par les premieres „ chaleurs. Seul tu mériterais le supplice de boire „ aux yeux de tes compagnons altérés. Alors plein „ d'indignation il fait rouler au loin le casque : 3, Cette eau fuilit à tous." „ On approche du seul temple de la Lybie; il ap„ partient aux sauvages Garamantes ; Là Jupiter ne "patait point la foudre en main, mais fous la >, forme d'un bélier armé de cornes tortueuses, il ,, reçoit le titre d'Ammon. Les peuples ne lui ont ,, pas élevé de somptueux édifices ; leurs offrandes „ ne resplendissent pas de rubis & de diamans.
,, Quoique le fier Ethiopien, l'heureux Arabe, le ,, riche habitant de l'Inde, adorent le seul Jupiter
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i, Ammon, ce Dieu est encore pauvre : Ses autels depuis tant de siecles ne font pas profanées par „ le luxe : Son fanétuaire repousse l'or de Rome "par les mœurs anciennes. Une forêt verdo" ,, yante unique dans ses contrées annonce la pré», fence d'un Dieu. Tandis qu'aucun feuillage ne 9, parait sur la mer de fables brû!ans qui sépare ,, Bérenice, de Leptis, des arbres élevés couvrent le ,, faîte du séjour d'Ammon. Ce prodige est l'effet ,, d'une source qui captive l'arêne , bannit la fé,, cheresfe, & répand la fertilité. Rien cependant i, n'oppose d'obstacle aux feux du soleil, lorsque se s, balançant au sommet de l'Olimpe il partage le jour.
"Les branches protégent à peine leurs troncs, j,, tant l'ombre raccourcie par les rayons se res„ ferre vers le centre. En ce lieu le cercle du Solstice » frappe le Zodiaque. Là les signes du ciel se meu,, vent verticalement : Le Scorpion ne marche pas „ avant le Taureau ; le Bélier ne céde pas à la Ba,, lance; la Vierge n'ordonne pas aux Poissons de „ hâter leurs pas tardifs ; Chiron se montre égal r, aux Gémaux ; l'ardent Cancer envisage l'humide „ Capricorne ; le Lion ne s'éleve point au dessus du l' Verseau. Qui que tu fois habitant séparé du reste des l' mortels par la Zone torride l'ombre que tu reçois ,, est toujours oppolee à la notre: Tu trouves Cy„ nofure (*) lente; tu penses qu'Arcas (t) plonge
( 0 ) La petite ourse.
Ct) La grande ourse,
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„ dans l'abyme des eaux son char desféclié : Tu » crois toute constellation, même dans son apogée, 3) soumise à la mer: Tu restes à une égale distance ,, des deux Pôles: Tu vis fous l'Equateur qui dans „ son cours rapide, entraîne le firmament à travers ), l'immensité des cieux.
,, Des peuples accourus de FOrient ) remplissaient les ,, portiques, demandaient à Jupiter Ammon de leur dé,, voiler l'avenir, tous par refpeât se retirent à l'appro,, che du général romain. Les chefs supplient Caton, de „ consulter cet oracle si renommé dans l'univers, d'apprécier par lui-même son antique célébrité. Labienus ,, plus qu'aucun autre le presse de s'éclairer sur les „ événemens, par le secours du ciel Le hasard,
„ (dit-il) la fortune elle-même, conduisent nos pas vers ,, le parvis d'un Dieu redoutable, dont l'appui nous est ,, offert : Soutenus par un si puissant proteUeur nous fur,, monterons les Syrtes, nous connaîtrons les divers ,, hasards de cette guerre, A qui les Immortels décou,, vriraient-ils plur de vérité, coniferaient-ils plus de „ fieras, qu'a l'auguste Caton ? Par leurs suprêmes „ loix ta vie fut toujours dirigée : Tu marches sur ,, les traces d'un Dieu. La liberté d'entretenir Jupiter „ t'est donnée ; Instruis toi des destins, du criminel César, „ recherche quelles révolutions menacent notre patrie. Le "peuple rentrera-t'il dans ses privilèges? Obéira-t'il „ aux loix, ou la guerre civile restera-t'elle sans fruit?
,, PaJJïonné pour l'austere vertu, remonte à son eJJence ,, & demande, quel est le vrai modele de l'honnête/'
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Caton plein du Dieu qu'il porte dans son ame » tranquille, épanche ces paroles dignes du Trépied „ sacré. Que prétens tu Labienus que je cherche ? Ne 5, veux je pas plûtôt mourir libre, les armes à la 9, main, que de ramper fous un maître ? La vie est „ elle rien autre chose que le retardement d'un état 9, fiable 1 Quelle force peut nuire à l'homme de bien ?
,, La fortune aux prises avec la vertu ne prodigue t-elle 99 pas envain des menaces? Le déjîr des actions loua,, bles ne suffit pas ? La vertu tire t-elle quelque luflre ,, du succès ? roUd ce que nous savons, Ammon ne le 9, graverait pas plus profondément dans nos cœurs !
9, Quelque silence qui régne dans les temples nous dé,, pendons de la divinité, nous n'agissons, que d'après ,, ses décrets proclamés à toute heure, sans le secours 9, d'inutiles paroles. L'Etre suprême découvre à l'homme 9, naissant, les objets jusques auxquels son intelligence ,9 peut parvenir: Il ne choisit point une plage aride pour "si manifester à peu de mortels ; il n'ensevelit pas ,9 la vérité dans ces fables ? A-t-il d'autre demeure ,9 que la terre , l'onde, le ciel, & le cœur du juste" 9, Pourquoi donc le chercher si loin ? Jupiter est tout ,, ce que tu vois, tout ce que tu sens, tout ce que M „ penses. Que les hommes timides9 livrés à de per"petulles allarmes sur lavenir, aient recours aux ,, prestiges: Pour moi ce n'est point un oracle, mais 99 la certitude de la mort, qui me rend inébranlable: "Sous Jes coups tombent également le lâche & le 9, courageux: Il suffit que le ciel ait prononcé cet arrêté „ Ainsi parle Caton, & sans outrager la foi qu'on
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» porte à ce temple, il s'éloigne de ses autels, aban« donnant aux peuples leur Ammon qu'il ne daigne „ pas éprouver." „ Le soldat harassé fuit avec refpeft son général, ,, marchant à pied une lance à la main. Caton n'or,f donne pas, il montre par son exemple à soutenir » les travaux: On ne le voit point assis sur un char, ee ses esclaves ne plient pas fous une litiere ; le fom,, meil ne ferme ses yéux que par courts intervalles: Lorsque parait une fontaine longtems désirée, j, la jeunesse impatiente court s'abreuver de ses eaux : „ Caton s'arrête & n'étanche sa fois qu'après que j, les derniers valets de l'armée ont satisfait à leurs 99 besoins." ,, Si la plus éclatante gloire appartient aux hom„ mes vraiment magnanimes, si l'on contemple la ,, vertu dérouillée du succès, ce que nous louons „ avec transport dans nos plus illustres ancêtres, fut „ l'ouvrage de la fortune. Qui d'entreux, par des „. viétoires remportées, par des fleuves de fang „ répandus, par des peuples conquis, mérita un si ,, grand nom ? Je me glorifierais bien plus de cette „ marche à travers les syrtes de la Lybie , que „ du farouche honneur de fouler à mes pieds, „ comme Marius, la tête de Jugurtha , que de la „ fastueuse gloire de monter au Capitole , comme „ Pompée, trois jours de fuite sur un char. Rome „ reconnais le pere de la patrie, le héros digne de „ tes autels, par qui dans aucun tems tu ne rougiras ,, de jurer , tu l'adoreras même comme un Dieu
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„ tutélaire si jamais ta tête se relève, après avoir „ brifé le joug." „ Cependant on foule une plaine de feu, que jus„ qu'à ce jour les Dieux avaient interdit aux mor„ tels, les rayons du soleil deviennent plus forts, ,5 les sources plus rares. Tout à coup jaillit du ,, milieu des fables une fontaine, ses eaux abondan9, tes, font si remplies de serpens qu'à peine peu„ vent elles les contenir. Les froids Aspics rampent ,, sur ses bords: Dans son fein des Dispes brûlans restent ,, altérés. Caton certain que ses soldats périssent, „ s'ils s'éloignent de cette source, s'écrie. Compa3, gnons ne redoutez point un danger chimérique, puisez ,,[ans retard cette onde salutaire, le venin des fer„ pens neftifunefle que mêlé dans le fang, leurs morfu„ res le portent, leurs dents tranchent nos dessinées ; mais ,, leur boisson n'et f pas mortelle. Il dit & prend ,, de ce poison incertain. Dans les fables de la Ly,, bie, ce fut la feule fontaine dont il but le „ premier;,'
Votre cœur penêtré d'autant d'amour, que de refpeét pour la divinité eut ressenti un mouvement d'indignation si par égard aux époques j'avais placé Lucrece à la tête des grands poëtes latins. Cet homme d'un esprit supérieur, s'égara dans ses principes. Sa main audacieuse & facrilê ge prétendit sapper,les antiques appuis de la société; renverser les cultes; étouffer les sentimens religieux; ce but lui paraissait si noble, que
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"espérance d'en avoir approché, dans son poëme, „ de la nature des choses" devint une glorieuse récompense : Il périt viétime de fan criminel systême dont les germes avaient été femés & dévéloppés dans son ame par de fougueuses passions : Un philtre amoureux répandu dans ses veines, & se joignant à de cruels xemords sa raison fut troublée : De noirs accés de fureur le tourmentèrent, un d'eux l'emporta dans la force de l'âge.La Grange à traduit avec force, & enrichi de notes savantes le poëme de la nature. La prédileftion du traduéteur ne l"empêche pas de reconnaître, avec tous les hommes instruits, que si les plus graves reproches encourus par Lucrèce portent sur ses principes , plusieurs néanmoins font avec raison faits à ses talens. Sa belle poésie parait souvent déparée par des fautes de style assez fortes pour répandre d'épais nuages sur des matieres inintelligibles dès qu'elles ne font pas dévéloppées avec la plus grande çlarté! Ses exprelBons dures blessent des personnes accoutumées au beau langage des écrivains du siecle d'Auguste. La divinité que Lucrece invoque ne lui prête que rarement sa ceinture enchanteresse.
„ Mere des descendans d'Enée, volupté des hom„ mes & des dieux, vivifiante Venus, tu fécon„ des les mers couvertes de vaisseaux & les champs ,, chargés de fruits. Par toi tous les êtres animés „ respirent, & jouissent de l'éclat du soleil A ton 99 approche, les Vents fuyent; les Nuages se dissipent, „ la Terre t'offre en tribut ses fleurs parfumées; les
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„ flots de l'Océan te sourient ; l'Olympe paisible brille „ d'une douce lumiere." Si vous vous hasardez dans cette dangereuse lecture , tenez fous votre main le contre-poison, propre à détruire ses fâcheux effets : Il fut préparé par le Cardinal de Polignac, l'aimable compagnon de voyage que se choisit Voltaire , allant chez le Dieu du goût. Dans l'anti-Lucrece font combattus avec chaleur, réfutés avec succès les systemes du poëte latin , qui se voit encore vaincu dans sa propre langue, par la perfeftion du style. La ravissante harmonie de Virgile se retrouve quelques fois dans Polignac, dont le riche pinceau présente de bien belles images.
Qu'il ferait doux de prodiguer des éloges, sans les mêler d'aucunes critiques, à une entreprise si refpeétable par son but, & souvent si belle dans son exécution ; mais la sévere impartialité, prescrit d'avouer, que l'orgueil du théologien perce près de la sagesse du philosophe: Des préjugés mettent l'auteur moderne, presque dans le même état d'enfance, sur les objets de phyiique, que l'adversaire qu'il eut du terrasser d'après les immenses piogrès, faits depuis plusieurs siecles vers le lommet des sciences, Bougainville a réuni les suffrages, par son beau travail sur l'anti-Lucrece. La traduction du poëme, très exaéte, très pure, mais point assez noble , est précédée d'un discours écrit avec tant d'élégance, de goût & de sagesse, qu'il suffit pour assurer la ré-
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ru:atio!1 de cet estimable écrivain, que sa modestie priva des honneurs littéraires.
Le poëte du goût, de l'imagination, delaraifon, Horace , philosophe hardi, Courtisan aimable, n'a trouvé chez les Français que de faibles traducteurs: Le Batteux est fbrti sans succès d'une entreprise à laquelle l'avait appellé la voix publique, d'après ton mérite littéraire bien reconnu. Ce n'est point à un Rhéteur que peut appartenir la gloire de faire revivre l'am de Mécène, l'Emule de Virgile, le disciple d'Epicure : Elle fera le partage de celui qui, par un concours extraordinaire réunira le génie de la poésie, l'étude de la philosophie, la-politesse du plus grand monde. Elle eut été recueillie de nos jours par le Duc de Nivernois si cédant aux vœux de plufie-urs hommes éclairés, il eut tenté une entreprise pour laquelle la nature, l'étude & la fortune remblaient l'avoir formé.
Le poète aimable auquel j'ai dû les intéressans regrets permet que je vous présente deux odes traduites avec assez d'élégance & de fidélité pour inspirer le désir qu'il s'occupe avec fuite d'une entreprise dont l'heureuse exécution enrichirait infiniment les lettres.
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CONSEILS D'UN AMANT JALOUX à UNE MAITRESSE INFIDELLE.
Doris, ne vante plus de ton nouvel amant Le visage vermeil, la blonde Chevelure, De ses bras arrondis Vaibàtre éblouissant, Et cet ensemble heureux qu'a formé la nature.
Du désespoir alors j'éprouve les fureurs; Je pâlis, je rougis, & je pâlis encore ; Mon œil laisse à regret échapper quelques pleurs, Signe, hélas ! trop certain du feu qui me dévore.
Je brûle, quand je vois ce jeune audacieux Profaner ton beau fein, dans sa rage amoureuse, Ou laisser sur ta levre un trophée odieux Du bonheur quy grava sa dent voluptUeufl.
Crois en. à mes conseils, Doris, n'écoute pas Des sermens qu'a diblé la feule jouissance.
Le cruel! il flétrit ces baisers délicats Qjie Vénus embauma de sa plus douce ejJence.
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Heureux ! cent fois heureux ! ces tranquilles époux QIf' affinzblenr de Vhymen les chaînes fortunées : uîmour chassant loin d'eux la crainte S les dégoâts Comble encor de faveurs leurs dernieres années.
A UN JEUNE HOMME TROP AMOUREUX DE SA FIGURE,
0 toi, que pare encor l'éclat de la jcuneflc, gje rtnus embellit de toutes ses faveurs, Ne t'énorgueillis point: la main de la viellejfç Doit te faire bientôt éprouver ses rigueurs*
Quand Page aura blanchi ta blonde Chevelure, Quand ce teint, qui fait honte aux lis éblouiffans, Quand ces traits enchanteurs 9 l'orgueil de la nature, Auront été flétris par les glaces du tems :
En voyant au miroir un si cruel outrage, „ Dieux! (diras-tu, confus de ta vaine fiertO ,, Que n'eus-je en mes beaux jours la raison en partage, „ Ou que ne puis-je voir refleurir ma beauté 1"
, Barthe, admirateur fanatique d'Ovide, a traduit son art d'aimer. Des passages extrêmement libres, des descriptions couvertes d'ne gaze encore moins
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épaisse que celle qui aux yeux des Romains paraisfait trop claire pour ne pas blesser la pudeur, font des défauts sans doute graves, mais presqu'à chaque pas se retrouve une touche aimable & légère.
Quelques partisans qu'eut l'art d'aimer, ce n'était pourtant pas sur ce fonds léger qu'Ovide prétendait élever l'édifice d'une grande réputation.. Il croyait y être parvenu par son livre des Métamorphoses , qui paraissait à ses yeux un chef-d'œuvre, puisqu'il- s'exprime ainsi quand il en parle : ,, J'ai ,, conduit à sa fin un ouvrage que - ni le fer , ni „ la flamme, ni le tems dévorant, ni le courroux des dieux, ne sauraient détruire.h Le poëte pouvait, seul s'aveugler à ce point. La profusion d'esprit ne répare pas les défauts majeurs d'un ouvrage qu'il est difficile de clairer. Honorerez vous du titre de poëme épique des morceaux détachés , qui placés sans ordre , qui dépourvus de liaisons n'offrent pas la moindre trace d'un plan , de cette importante partie à laquelle l'Epopée doit presque toute sa pompe majestueuse? Appellerezvous poëme didactique des aventures dont l'esprit ne tire aucune inftruétion, & dont la plupart peuvent corrompre le cœur i Forcée de refuser aux Métamorphoses le grand & rare mérite de l'ensemble , vous ferez réduite à louer les beautés de détail: Elles font en grand nombre, plusieurs du premier ordre ; mais près d'elles on rencontre des pasfages languissans, quelques uns indécens sans agré-
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ment. Les fictions souvent plutôt puériles qu'ingéiiieufes, d'ailleurs presque toutes inventées par de très anciens auteurs, n'ont laissé au poëte latin que le faible honneur de les réunir & de les rajeunir dans ses vers.
Le succès de cette célèbre compilation n'eii a pas moins été prodigieux, parceque ion auteur possédait les qualités qui font illusion. Un esprit vif, une.
poésie harmonieuse font disparaître ses défauts, & les rendent même féduifans. Auili contribua-t'il infiniment à dépraver le goût de son siecle : Les jeunes gens & les femmes mirent son faux brillant à la mode: Tandis que ce bel esprit, consumé de douleurs dans l'exil, immortalisait la petitesse, la bassesse de son ame par ses plaintes honteuses, & par les flatteries outrées qu'il adressait à un prince dont il ne parvint jamais à fléchir le courroux, Rome lui prodiguait l'encers. Malgré sa facilité bien surprenante, à la juger par ses propres paroles, „ tout ce ", que j'essaye d'écrire se trouve naturellement de la „ poésie ," il ne pouvait satisfaire aux demandes empressées que ses amis lui faisaient au nom des gens du plus haut rang. Parmi tant d'admirateurs se rencontrèrent bientôt des imitateurs qui perpétuèrent les défauts d'Ovide , sans les couvrir des mêmes fleurs. On s'écarta sans peine de la belle nature, on surchargea les écrits de faillies & de jeux de mots; mais personne ne posséda cette superbe
imagination, qui quoique sans frein plait par sa rithesfe, enchante par les vives couleurs dont elle
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orne tous les objets, qui souvent attendrit > & qui ne perd de sa chaleur que par trop de fécondité.
L'enthousiasme de ses contemporains pour Ovide renaît chaque jour, surtout dans l'âge où, le goût n'étant pas encore formé, l'on fent plûtot que l'on ne juge les ouvrages.
Les Métamorphoses ont été longtems, pour ainsi dire, le magasin des beaux arts. Les Artistes de tous les genres venaient y chercher leurs sujets, leurs matériaux & leurs ornemens. Si vous négligiez de les connaître , vous ne jouiriez qu'imparfaitement d'une infinité de très belles choses.
Entre plusieurs traductions Françaises des Méta.
morphofes, celle de Banier est recherchée.
Thomas Corneille voulut que la littérature Fran..
çaise lui dut un Ovide en vers. Son entreprise, très louable fous plusieurs rapports, échoua par un manque de chaleur, défaut commun à tous les ouvrages de cet écrivain.
St. Ange a donné des preuves de talent dans une nouvelle traduétion des Métamorphoses qui n'est pas entièrement achevée. Le mérite de l'exactitude s'y trouve relevé par celui d'une vérification élégante & correéte ; mais le véritable imitateur d'Ovide c'est Quinault. Il a mis fous les yeux des fpedateurs les merveilles enfantées par la mythologie ; il a dans ses beaux opera donné la vie aux récits des Métamorphoses.
La facilité, la légéreté, l'enjouement de Cattule s'évanouissent même fous la plume de Pesai :
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L'auteur de Zélis au bain semblait tenter sans témérité de rendre de précieux fragmens inspirés par la volupté même. Peut-être n'a-t'il échoué que d'après la faiblesse qu'il eut de prendre pour modèle Dorat, sur la supériorité duquel l'amitié feule pouvait lui faire illusion. Aussi le moineau de Lesbie ne nous est-il transmis que dépouillé de presque toutes ses graces.
Properce , si recherché des hommes aimables de son tems, n'a point obtenu de nos jours les mêmes succès, malgré les efforts de l'eftiinable Lôngchamps.
Tibulle, à vous dont la délicatessé & la sensibilité ont tant d'attraits pour les belles âmes; qu'avec raison vous êtes appelle le poëte des amans: Nous posséderions vos touchantes compositions sans qu'elles eussent perdu de leur intérêt, si Coïardeau eut entrepris de les traduire, La Fare n'effc parvenu qu'à de faibles imitations, & Marolles ne présenté qu'un corps décharné, privé de toute chaleur & de toute vie ; Bertin a souvent imité Tibulle de la maniéré la plus heureuse. Jeunes beautés, répétez souvent ses chants.
Songez-y bien ; la coupable beauté Que nul amant n'a pu trouver confiants j Dans son Automne expiant sa fierté; Seule en un coin plaintive & gémisjante 1 A la lueur d'une lampe mourante , Conduit l'aiguille, ou d'une main tremblante j 70urne un fuseau de ses pleurs humedie 1 , En
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En la voyant la maligne jeunesse, Triomphe & rit de sa douleur.
L'amour, armé d'un fouet vengeur, De déjirs impuisfans tourmente sa viellesfe ; Elle implore Vénus ; mais la ifere Dèesse , Détourne ses regards & lui répond sans cesse, Qu'elle a mérité son malheur.
9 f
Un nouveau tradudeur de Tibulle, s'étant proposé pour but d'unir l'élégance à la facilité, l'a atteint. Jugez-le vous même d'après cette courte élégie dans laquelle l'aimable Sulpicie est feufée s'adresser à elle même ces paroles: "Il est né enfin ce sentiment que doit cacher la „ pudeur, & qu'une fausse gloire m'ordonne de ne "pas révéler. Fléchie par mes vers, Cithérée l'a "conduit & l'a placé dans mon fein. Vénus a "rempli ses promesses. Qu'il peigne mes plaisirs „ celui qui n'a jamais connu l'amour. Je n'en veux „ rien confier à mes tablettes mêmes. Quelqu'un 5, pourrait les lire avant mon amant : Que mon erreur m'est chere ! il est dur de forcer son vifa,, ge à feindre la vertu. Cérinthe est digne de moi; "je fuis digne de Cérinthe" Cet agréable ouvrage vient d'une main à laquelle nous devions déjà de la reconnoissance pour plus d'un présent d'une grande valeur : Pastoret a sans doute voulu "prouver que l'immense érudition ne chasse pas toujours les grâces : Quand, occupé de Moyse, de Zoroastre, de Confucius & de Mahomet f
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cet auteur se plonge dans de profondes recherclies de métaphysique, de morale & de législation, il discute avec ordre , clarté & précision : Son élégance sa délicatesse, sa sensibilité plaisent autant qu'elles intéressent, lorsqu'il nous transmet les expressions sentimentales du plus aimable des poètes.
Rien de plus simple , de plus varié, de plus élégant que les fables de Phèdre ; quoique peu nombreuses elles suffisent à la gloire de leur auteur , qui s'attachant à donner des leçons d'une morale très pure , ne mériterait aucun reproche sans les éloges qu'il s'est souvent prodigué lui-même. De tels éloges contrastent avec le titre de fables Efopiennes que la modestie l'avait engagé de donner à son recueil, afin de se reconnaître hautement imitateur; ils deviennent en quelque forte excusables par la nécessité de se défendre contre des courtisans devenus accusateurs par flatterie : Séjan , homme méchant, ministre absolu, sentait sa conscience si bourrelée par les remords, que les hommages rendus à la vertu lui paraissaient autant de reproches indirects & outrageans, aussi le vit-on ouvertement persécuteur de Phèdre. La Fontaine a paré de nouveaux attraits le fabuliste latin, sans jamais atteindre sa précision que vous retrouverez d'avantage dans la traduétion de Sacy, mais plus encore dans le beau travail de Lallemant.
Perse , obscur & ferré, mais grand penseur, me semble autant au dessus du mépris dans lequel quelques critiques ont prétendu le plonger, qu'au des-
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fous des éloges exagérés d'un petit nombre d'admirateurs. Selis & Monnier se font efforcés de vaincre les difficultés que présente la traduétion d'un poëte parfois inintelligible ; leurs travaux les ont conduit à une espece de guerre dans laquelle vous ne prendrez aucun parti, puisque ces deux écrivains ont de justes droits à des éloges.
Juvenal, dont la colere fut l'Apollon, met sans cesse au jour le sentiment qui l'anime ; ses critiques trop ameres, ses portraits trop chargés, ses reproches trop sanglans choquent bien plus qu'ils ne corrigent.
Ses ouvrages tous pleins d'affreusès vérités, ,, Etincellent pourtant de sublimes beautés.
,, Soit que sur un écrit arrivé de Caprée ,, Il brife de Séjan la Jlatue adorée ; „ Soit qu'il faffe au conseil courir les sénateurs, 3, D'un tyran foupçoneux pâles adulateurs, „ Ou que poussant à bout la luxure latine , ,, Aux porte-faix de Rome il vende Messaline, ,, Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeux (*).
Dussieux, surmontant des difficultés contre les quelles plusieurs auteurs avaient édlOUé, s'est acquis un rang honorable entre les hommes de lettres par sa belle traduétion de Juvenal.
Martial n'existe en Français d'une maniere lifiblc que dans quelques imitations dispersées chez les poë*
( * ) Boileau.
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tes. Votre bonté vous empêchera de regretter les ouvrages d'un poëte protégé par Domitien, méprisé par Trajan , doué de beaucoup d'esprit, mais étranger au naturel, ne connaissant pas les mouvemens de sensibilité, blessant à chaque pas le goût: Ses compositions consistaient en épigrammes mieux jugées par lui-même que par aucun critique: ,, Peu „ font bonnes, quelques unes font médiocres, plu„ fleurs font détestables."
QUARANTIEME LECTURE.
TRAGÉDIE DES ANCIENS.
CHE z les Grecs la Tragédie parvint à un dégré de perfection qu'ont admiré tous les peuples polis.
Vous pourrez jouir d'une partie de ce trésor, d'après le théatre des Grecs de Brumoi (p). Cet ouvrage , accompagné de discours très fages & de remarques profondes, ferait au dessus de tout reproche sans un style diffus, sans une prévention trop marquée pour les anciens, que le savant jésuite fut traduire mais chercha inutilement à imiter.
Eschyle, trouvant l'art dans l'enfance, lui fit faire de louables progrès ; Il fut porter la terreur au plus
(p) Il fout se servir de la derniere édition, d'une supériorité bie.
marquée dans toutes les parties.
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haut point ; mais son ton toujours enflé & rude parait- quelquefois celui d'un énergumene. Si Brumoi vous semble ne l'avoir pas rendu avec des traits assez mâles, vous aurez recours à la belle traduction de Pompignan.
Le premier pas de Sophocle dans cette carriere fut une viétoire remportée sur Eschyle, qu'il était aussi hardi d'attaquer , que glorieux de vaincre.
Cet éclatant succès plaça le jeune poëte dans un rang qu'il occupa honorablement jusque dans la viellesse la plus avancée. Nous ne possédons que peu de ses pieces , la plus célèbre, Philodtete , a paru sur le théâtre Français par les foins de La Harpe. Ce travail estimable eut réuni plus de fllffrages, si Fénélon n'avait pas tiré du même Philoctete une épisode regardée avec raison comme le plus bel ornement de Télémaque, par conféquenc trop admirée pour qu'il ne foit pas dangereux d'être mis en comparaison avec elle.
Euripide seul fut digne de disputer la palme à Sophocle: Celui-ci, noble , élevé, ayant de plus nérité par la douceur de ses vers le surnom de Ild- 'teille attique , n'inspirait pas les douces, les déliiieufes émotions dont Euripide pénétrait les cœurs : ?lein de sensibilité , il fit parler à l'amour son vé'itable langage ; toucher fut le principal moyen lu'll employa mais sans négliger ses vers toujours kits & polis avec peine. De plus il respectait assez la morale pour que Socrate voulut aslner à toutes tes pieces. Le Sage jouissait avec
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empressement du fruit des leçons qu'il avait donné au poëte l'un de ses diciples.
Plufiel's beautés des chefs-d'œuvres dramatiques des Grecs restent effacées, depuis la chûte de la langue dans laquelle ils furent composés. Car quelle haute idée ne doit on pas concevoir de productions dont les effets feraient rejettés, comme des contes liors de toute vraisemblance, sans le refp<;ét du aux graves historiens qui les attestent.
A la vue des Euménides, la terreur fut telle que des enfans moururent, que des femmes enceintes se blessèrent ; la représentation d'Andromaque jetta les Abdérites dans une espece de démence. Après la défaite de Nicias en Sicile , les soldats vaincus durent la liberté & la' vie aux vers d'Euripide qu'ils recitèrent ; anecdote également honorable pour les peuples victorieux, pour les prisonniers & pour le poète.
Avant de quitter les Tragiques Grecs, vous remarquerez qu'ils ont eu un avantage bien réel sur les Tragiques Français : Celui du rang qu'ils occupaient. dans l'état. Des particuliers cultivant les lettres dans le silence du cabinet, rarement admis prés des grands, jamais nommés aux places importantes, ne sauraient atteindre l'élévation de pensées, démcler les ressorts de la politique, pénétrer les mouvemens d'une ame ambitieuse, comme des hommes appellés au timon des affaires, conduisant pendant la.
guerre les soldats sur le chemin de la gloire & char-
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gés pendant la paix de l'administration. Eschyle.
Sophocle, couverts de nobles cicatrices, recueillirent à la fois les couronnes accordées aux belles ac..
tions & celles obtenues par les talens. Euripide, fuyant Athènes d'après sa trop grande sensibilité à d'injustes critiques, vint chez Archelaus Roi de Macédoine, qui s'empressa de le choisir pour premier ministre.
Si les grands tragiques modernes ambitionnent d'être mis en parallele avec les grands tragiques Grecs, ils dédaignent d'entrer en lice avec ceux des Romains, tant ces derniers font restés loin des modeles qu'ils prétendaient imiter.
Nous ne possédons des tragédies jouées à Rome que la colleftion communément attribuée à Séné4ue, quoiqu'on y reconnaisse sans peine le caractere très marqué de plusieurs auteurs. Ce recueil, dont Marolles a donné une traduction presqu'inlisible, choque également la rdifon & le goût. Cependant il se fait par momens admirer.
QUARANTE ET UNIEME LECTURE.
COMÉDIE DES ANCIENS.
ou s trouverez les Comédies des Anciens plus difficiles à bien apprécier que leurs tragédies, parce qu'elles tiennent aux usages, aux ridicules, aux vices
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du flecle qui les vit naître. Tandis que l'ambition, la pitié, la terreur , l'amour, les grands mobiles tragiques, se retrouvent dans tous les tems, chez tous les peuples.
L'amertume des traits que lancent les auteurs comiques annonce le dégré de sociabilité de leurs contemporains. Athènes ne s'était donc pas entièrement purgée de l'ancienne barbarie commune aux premiers Grecs, lorsque ses habitans accueillirent avec transport Aristophane & lui prodiguèrent même des honneurs, il lança son venin impunément sur les plus grands personnages sans respeft ni pour les talens, ni pour les vertus. Il persécuta Euripide; il prépara la ciguë que firent boire à Socrate des scélérats hypocrites.
Si le peuple ne s'était pas accoutumé à voir impunément outrager dans la Comédie des Nuées le plus fage des philosophes, un vieillard vénérable n'eut pas péri par la main des bourreaux, après avoir dans sa jeunesse versé son fang pour la défense de sa patrie, après avoir consacré son âge mûr à former des citoyens vertueux. Au moment où cet injuste supplice flétrissait la réputation d'Athènes, Aristophane triomphant blessait sur le théâtre la pudeur & la religion par des obscénités, par des impiétés que Bru moi cherche inutilement à pallier. Ce poëte effronté, qu'enivraient les applaudissemens de ses concitoyens & des étrangers, se regardait comme un personnage de telle importance qu'il dit un jour en public : „ Si les Lacédemoniens demandent
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f ?, Egine, ce n'est pas qu'ils se soucient de cette ,, isle , mais c'est qu'ils veulent se venger de moi » & m'ôter mon bien." Quelques hommes indignés de sa faveur populaire citèrent Aristophane devant les juges, comme coupable de prendre sans aucun droit le titre de citoyen. L'accusé, loin de s'en laisser imposer par l'aspea: d'un tribunal refpeétable, récita pour unique défense & d'un ton impudent les vers qu'Homère, perdant un peu de vue la majesté de l'Epo..
pée, met dans la bouche de Télémaque :
e) Ma mere m'a bien dit que mon pere est Ulisse, ,, Pourtant je n'en fais rien; car il n'est nul qui puisse, „ Me dire pour certain de quel pere il est fils Cq)."
L'esprit de société paraît avoir beaucoup gagné depuis Aristophane jusqu'à Ménandre. La supériorité de celui-ci est bien reconnue , quelques peu nombreux que soient les fragmens qui nous relient de lui : Ils font ti-ès précieux , Le Clerc les a recueilli.
Chez les Romains, Plaute avec beaucoup d'esprit, avec beaucoup de verve , fut bas dans ses plaisanteries, outré dans ses caraéteres, & plat dans ses jeux de mots. De si énormes défauts furent hau-
tement blâmés par les beaux esprits du siecle d'Auguste , mais ils ne firent pas tomber des pieces fou-
Cq) Traduction de Dupicix.
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tenues pendant plusieurs siecles par leur force comique.
Cette force manque entièrement à Térence, qui présente pour compensation de la pureté , de la délicatesse, de la grâce, en un mot ce que l'on appelait par excellence de 1, Jttticisme. Ses portraits achevés , pleins de vérité, mais exécutés avec des traits trop fins, trop déliés, pour ne pas se perdre dans la perfpcétive, frappaient peu à la représentation.
Aussi du tems de César ne paraissaient-ils déjà plus sur le théâtre quoiqu'ils se trouvassent entre les mains de toutes les personnes instruites, comme de nos jours. Ce qui vous frappera le plus, c'est le progrès immense que l'urbanité semble avoir faite depuis Plaute jusqu'à Térence , quoique ces deux poëtes aient été presque contemporains. Le grand avantage du dernier à cet égard parut la fuite de son étroite liaiIon avec les premiers hommes de la République.
Scipion, Lélius passèrent pour être ses guides, & ses coopérateurs dans l'exécution de ses pieces élégantes, qui plairont tant qu'il, existera quelqu'étincelle de goût.
Nie. Dacier, qui a traduit ces deux poëtes, préfé., re le plus ancien. Ses. éloges, un peu outrés sur la chaleur de son aétion, sur la variété de ses intrigues, deviennent insupportables lorsqu'ils font consacrés à égaler des pieces très informes aux plus belles de Molière; c'est choquer la raison que prétendre assimiler deux hommes entre lesquels se trouve tant de distance.
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TRADUCTIONS EN VERS.
LES esprits froids, qui s'attachent plus au fonds qu'aux formes, les esprits vifs, qui dévorent les belles images, demandent également des traduéleurs t> pour les poëtes, mais prescrivent des marches différentes : Les premiers permettent d'écrire en prose ; les feconds imposent d'employer la poésie. Peu de discus- fions ont occupé autant de bons esprits. Vous trouverez, on ne saurait mieux éclaircis, tous les points de vue fous lesquels peut être considérée cette question de littérature.
Il n'est aucun doute que celui qui traduit en vers surmonte mille & mille difficultés que ne rencontre pas celui qui traduit en prose : Par conséquent il acquiert plus de gloire. Mais l'avantage , reconnu en l'honneur de l'écrivain, s'étend-il jusqu'à l'ouvrage? C'est une difficulté trop délicate pour que je me hasarde de la résoudre : C'est à vous feule de prononcer, sur une préférence qui tient si fort au goût, que ce que mon expérience peut vous apprendre sur cela se réduit presqu'à rien.
La prose plus exaéte fait évanouir la fraîcheur l'éclat, l'harmonie , en un mot les véritables' beautés poétiques. Les vers en évitant la sécheresse s'écartent de la réalité. Lorsque vous lirez des poésies traduites en prose, autant vaudrait, comme l'a dit un homme d'esprit, regarder une tapisserie à l'envers. Si elles le font en vers, vous prendrez une
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idée de l'ensemble ; vous saisirez les principaux traits parsemés de loin en loin ; les autres relieront perdus, peut-être feulement altérés, peut-être même plus finis, mais toujours changés.
QUARANTE-DEUXIEME LECTURE.
ÉLOQUENCE DES ANCIENS.
LA nature, magnifique dans ses dons, produit à la même époque les hommes supérieurs.
Les grands prosateurs font le plus souvent les contemporains des grands poètes. Si le fer d'un assassin guidé par des tyrans n'eut abattu la tête de Cicéron, autour de lui se feraient rassemblés les Virgile, les Horace, &c.
L'orateur Romain , qui ravit à Athènes la supériorité de talens qu'elle conservait même après sa chute; qui sauva sa patrie des complots d'un fcélé— rat ; qui flatta Pompée ; qui rampa aux pieds de César; qui mourut jouet d'un enfant, avait une ame honnête, mais peu proportionnée à la beauté de son génie. Il entraînait par son éloquence; il répandait du jour sur la nature des Etres ; il instruisait les hommes sur leurs devoirs; il consolait la viellesfe ; il donnait des leçons à la jeunesse, sans pourtant influer en rien sur les destinées de l'Empire. Dans les révolutions qui se succédèrent avec rapidité, chaque
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chef désira d'être loué par lui, mais aucun ne l'employa ni comme guerrier, ni comme homme d'état.
Aussi survécut-il à la grande considération dont il avait joui.
La paix, la guerre, les intérêts politiques discutés dans les assemblées publiques, chez les peuples libres, donnaient le plus grand prix aux travaux des orateurs qui tenaient souvent entre leurs mains le salut ou la perte de l'état ; mais la chute de la liberté entraina celle de lÉloquence. Si dans Athènes, si à Rome courbés fous le joug de la Tyrannie, furent entendus quelques discours remarquables, ils parurent consacrés à la flatterie ; ils devinrent la preuve de l'esprit de ceux qui les prononçaient, mais ils firent rarement l'éloge de leur ame.
Nous ne saurions déterminer avec justesse le dégré d'impression produite par les orateurs de l'antiquité, puisque leur principal moyen n'est pas parvenu jusqu'à nous. Chez eux le débit était de toutes les qualités celle qui obtenait le plus de succès. Les longs & pénibles efforts de Demosthènes pour corriger quelques imperfeétions dans ses organes, prouvent l'importance attachée à la maniere de s'énoncer. En gourmandant les flots mutinés, ce pere de l'éloquence avait acquis une force d'expression à la qu'elle ses ennemis rendaient eux-mêmes justice. Eschyne, ayant ôfé lutter contre lui, dans la harangue de la Couronne, paya de l'éxil sa témérité. Retiré chez les Rhodiens, il leur lut les deux discours prononcés dans cette fameuse querelle. Le fien reçut des ap-
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plaudisfemens ; mais celui de son rival excita des transports d'admiration. "Ah 1 s'écria l'infortuné, ,, qu'aurait-ce été, si vous eussiez entendu mugir le ,, taureauV' Cicéron assure que les plus beaux esprits préten-
draient en vain acquérir quelque gloire dans la carriere de l'Éloquence , s'ils négligeaient l'aétion.
„ Représentez-vous, dit-il, Gracchus faisant retentir „ ces sublimes exclamations:" Où fuyerai-je? Au capitole? Hélas! Il est fouillé du fang de mon frere.
Chercherai-je un aflle dans mes foyers domefiiques ; une mert au comble de. L'infortune my attend baignée de larmes, livrée au désespoir; „ Le ton, les rej, gards, les gestes du tribun donnèrent tant dft „ pouvoir à des mouvemens déja très passionés, par „ eux-mêmes, que ses ennemis les plus acharnés „ versèrent des pleurs. La physionomie, les bras j „ surtout la voix font les armes de l'orateur ; sans ,, elles il ne saurait vaincre." Cette aétion, présentée comme si nécessaire, semble un secours superflu à celui qui lit avec attention les harangues qui nous ont été conservées. Comment admettre que de si grandes beautés demandassent, pour exciter l'admiration, les secours d'ornemens étrangers ; mais ces beautés ne furent jamais préfextées en entier au peuple devant qui elles eussent été déplacées. Quelque fpitituelle j quelque polié qu'on se permette de supposer la populace ou d'Athènes ou de Rome ; elle n'en était pas moins une ïnasfe que les grands effets pouvaient seuls remuer;
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& sur laquelle les traits délicats se feraient émoussés.
Livrez à un statuaire habile deux blocs de marbre : De l'un doit sortir une llatue pour décorer votre jardin ; de l'autre l'image d'un ami pour orner votre cabinet. Des coups de ciseaux hardis produiront la llatue du jardin, avec des traits d'autant plus fortement prononces, que se trouvera plus éloigné le point de vue du quel on devra l'appercevoir.
Celle au contraire destinée à être, pour ainsi dire, fous votre main, charmera par la délicatesse & par le moëlleux de ses formes, par le parfait du poli, en un mot par le fini de l'exécution. Les orateurs connaisfàiit les effets de la perfpeétive ne livraient pas aux lecteurs éclairés les harangues, telles que les avaient entendues des assemblées tumultueuses & paffionées. Les changemens étaient toujours considérables & souvent très heureux.
Quand l'infame Clodius périt fous les coups des esclaves de Milon, les hommes de bien, qui restaient en petit nombre dans Rome, virent avec plaisir le châtiment d'une foule de crimes dont l'impunité prouvait à la fois la corruption du gouvernement, le pouvoir de la licence, le triomphe de l'anarchie.
Cicéron s'offrit pour être le défenseur de celui qui l'avait délivré de son plus cruel ennemi; mais dans une ville devenue le repaire de brigands qui foulaint aux pieds des loix divines & humaines, le méchant rencontrait d'hardis complices : Ceux de Clodius rempli" rent la place le jour du plaidoyer. Inutilement le f
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bons citoyens s'abaissèrent-ils jusqu'à se liguer avec les fadieux vendus à un homme presqu'aussi dépravé que celui qu'il avait immolé. Le désordre parut extrême; Cicéron trembla, Milon fut éxilé: Ayant reçu quelques mois après de la part de l'orateur le discours composé en sa faveur, il lui répondit : „ Je ,, te remercie de ton superbe ouvrage ; si tu avais ,, ainsi parlé devant le peuple, je ferais à Rome; „ mais je ne mangerais pas d'excellens barbeaux à „ Marseille." Le talent des deux orateurs par excellence à été souvent comparé & mis en balance. Plusieurs érudits, d'opinions diverses, ont enfanté des milliers, d'énormes, & de pesans volumes dans les quels est défini & analysé ce dont l'homme de goût jouit avec ravissement. Si Démosthène montre un génie plus mâle, plus vigoureux, peut-être Cicéron l'emporte-t-il comme parfait écrivain. Cependant ce dernier, que certainement l'on ne soupçonnera pas de ne point apprécier ses grands moyens, reconnait la supériorité du premier, qui seul remplissait l'idée qu'il s'était formée de l'éloquence.
Evitant de prononcer un jugement au dessus de mes forces, je me bornerai à remarquer que ces deux hommes de génie eurent dans leur caraétere plusieurs traits de ressemblance & qu'ils vécurent dans des circonstances semblables. Egalement enthoufias..
tes de la liberté , ils n'eurent le courage de la deffendre que dans leurs écrits. Après avoir excité leurs
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leurs citoyens à la guerre, ils ne furent pas y paraître avec dignité. Démosthènes prit la fuite à la bataille de Chéronée , livrée d'après ses conseils ; n'ayant pas honte d'entreprendre l'éloge des guerriers morts dans cette rencontre, il reçut d'Eschine ce reproche sanglant & mérité : „ Comment avec les pieds qui ont 99 si lachement quitté leur poste au combat, ose..
3, tu monter à la tribune pour y louer des Guet,, riers, que toi seul a conduit au trépas." Cicéron en Thessalie. Ne pouvant dissimuler sa frayeur. Exagérait sans cesse les forces de César „ Si tu passais, lui dit Pompée, dans le camp enne- „ mi, nous deviendrions aussitôt redoutables à tes „ yeux : Cependant va dans quelque ville atten„ dre quel fera le fort des armes :11 Ce conseil fut suivi avec un empressement peu honorable.
Une si honteuie faiblesse, qu'il est bien difficile l'allier avec une grande vertu , fit chez les deux dateurs place à beaucoup de fermeté, du moment )ù ils virent devant eux une mort inévitable. L'im..
îdrieufe loi de la nécessité éleva leur ame au niveau le leur génie. L'orgueil étouffant la pufillaniniité, ts remplirent avec éclat cette scene terrible, au miieu des horreurs de laquelle l'homme attache encore [u prix aux applaudissemens de ceux qui l'entourent.
Quand approche l'instant de la deftruétion, les corps olitiques comme les corps animés donnent; par un ernier effort, des lignes de vigueur propres à faire lusson sur leurs maux, mais les tristes avant-coureurs
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d'une ruine totale : Athènes & Rome ne voyaient autour d'elles que des rivaux fournis lorsque deux mortels d'un caradere entreprenant, d'un courage inébranblable-, d'un génie fécond , d'une ambition vaste, conçurent le projet de leur donner un maître. Philippe & César, à des époques très éloignées l'une de l'autre , obtinrent les mêmes succès. Nuls obstacles ne les arrêtèrent : Le danger pressant de leur patrie enflamma d'un noble zèle Démosthènes & Cicéron. Ce sentiment inspira de superbes morceaux, faits pour relever ceux à qui ils étaient adrer fés; mais les hommes corrompus ne font tout au plus susceptibles que d'une effervescence passagere après laquelle ils tombent épuisés.
Demosthènes & Cicéron portèrent si loin l'éloquence , qu'elle devait nécessairement rétrograder après eux. Nés libres, ils moururent sujets: Chez eux se rencontrent plusieurs des vertus du citoyen, quelques uns des défauts du courtisan. Après avoir loué avec magnificence les meurtriers des usurpateurs, l'un fut séduit par Alexandre, l'autre servit Auguste.
Vous ne lirez pas sans plaisir , sans utilité une traduétion de Démosthènes ouvrage très estimable D'Auger.
Cicéron jouit d'une telle considération dans le monde littéraire, que la liste de ses commentateurs, de ses traducteurs, de ses panégyristes formerait feule un volume : Je me garderai bien de vous en donner une longue & fatigante énumération , mais vous
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trouverez successivement indiqués les ouvrages les plus propres à vous faire connaître ce grand - hom ine Ses pehfées font aussi solides que ses maximes nobles : Son plus beau talent est de presenter la vérité avec tant de force & fous des formes si variées que les esprits les plus faibles en font frappés , que les hommes les plus dissipés l'apperçoivent. "Il semble , dit Maucroy , que les. grâces diétent tout ce qu-'écrit Cicéron : Il fort tant s, de Iumiere de ses ouvrages que ceux qui les li,, fent en font éclairés, & l'on remarque que de tous ,, les auteurs anciens, c'est celui qui donne le plus j, d'esprit à ses lecteurs." Préparez vous à connaitre Cicéron dans tes immortels écrits, par la leéture de l'histoire de sa vie qui fait beaucoup d'honneur à son auteur Midleton.
On trouve difficilement rassemblés dans le même corps d'ouvrage autant d'agrément, d'intérêt, d'érudition.
Un littérateur, compté parmi les généreux dessen..
feurs du bon goût, d'Olivet pôussait jusqu'à l'ido- latrie son enthousiasme pour l'orateur Romain Quelques traductions, favorablement accueillies par le public; font trop dépourvues de chaleur pour que leut premier succès se soutint longtems : Elles restent rié.
anmoins recommandables, par une pureté qui furprend peu chez un des meilleurs grammairiens qui ait jamais existé.
Ce savant; dont en général les écrits ont été plus estimés que recherchés, parce que l'esprit de sagèsse
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qui les didait négligeait trop les moyens de plaire , a parfaitement réussi dans l'édition latine de Ciçéron : Elle suppose des connaissances très faines, très variées & très nombreuses.
QUARANTE TROISIEME LECTURF.
LIVRES CLASSIQUES DES ANCIENS.
HOM ER E, Sophocle, Euripide, étaient depuis longtems dans la tombe ; Démosthènes, Eschine ne faisaient plus entendre leurs voix, quand Aristote, dans sa Rhétorique & dans sa poétique , donna des préceptes faits pour être toujours médités avec fruit.
Ces deux excellens ouvrages, dont Cassandre nous a donné une très estimable traduétion, font dignes du jeune prince auquel ils ont été destinés.
Alexandre dut aux leçons reçues dans sa jeunesse un goût des beaux arts, un amour de la philosophie qui souvent percèrent au milieu des Guerres continuelles dans lesquelles le précipita une fois de gloire que rien ne pouvait assouvir. Cette fois s'étendant à tous les genres de succès, souvent il s'écria : „ 0 Athéniens, qu'il m'en coute pour être "loué de vous !" Ce conquérant pensait d'après Aristote que les hommes éclairés d'Athènes possedaient le goût pur & délicat, à qui seul il appartient de donner aux belles choses leur juste valeur.
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p L'illustre instituteur d'Alexandre nous prouve, par" es arrêts qu'il prononce, que chez les anciens com- me chez les modernes, des passions, des intérêts per- T fonnels influent sur les jugemens des particuliers.Tandis que le respedable Isocrate est loué pour "es grands talens ; tandis que Démosthénes, l'appeant son maître, attribue à une extrême timidité & à une très faible voix, si cet excellent & habile homme n'a pas régné dans la tribune, tandis que Cicéron le regarde comme le créateur de l'harmonie de la langue Grecque, Aristote dit : "Il est i, honteux de se taire quand Isocrate parle." Cette harmonie de la langue Grecque, perfedtionlée par les travaux d'Isocrate, était trop admira)le pour que nous puissions prendre une juste idée le ses effets, encore moins concevoir comment eller pouvait être aussi répandue.
Théophraste depuis soixante ans comptait parmi es écrivains les plus élégans, les plus purs d'Athèies : Son éloquence , sa politesse consolaient de la nort de Platon : Un jour s'approchant d"une femne qui vendait des fruits, il lui en demande quellues uns. Ce ne fut pas sans peine qu'il reçut pour réponse : ,, Étranger, je vais à linftant vous servir;' în effet ce philolbphe avait pris naissance à Erefe (r) d'où il s'était éloigné depuis l'âge de quinze ans.
Ce fut dans l'étude de Cicéron que Quintiien puisa la faine critique , l'art d'écrire, la ri-
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(r) Ville de Lesbos.
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chesse d'expressions & la justesse de pensées qui brillent dans les institutions oratoires au point d'en forïner la plus parfaite des Rhétoriques. Gédoin l'a traduite & l'a enrichie d'une préface, excellent morceau de littérature. Quelques critiques reprochent à cet aimable écrivain de ne pas être assez fidelle traducteur; mais tout le monde se trouve forcé de reconnaître que quand de lui-même il donne des leçons, elles font bonnes, & présentées avec autant de netteté que de grâces.
L'obscurité & l'enflure s'étaient emparées des discours & des écrits, quand Longin donna son traité du sublime, ,, dans lequel il est lui-même très "sublime." L'excellent jugement de Boileau lui fit sentir le prix infini de cet ouvrage nommé par Casaubon Livre d'or, ,, pour marquer que malgré sa "petitesse il peut être mis en balance avec les plus „ gros volumes." Une traduction forue d'entre des mains aussi habiles ne pouvait être que très précieuse.
Je me rappellerai toujours d'avoir eu le bonheur de voir Duclos à Dinant sa patrie. On recherchait avec empreslement un homme que son esprit faisait admirer , dont les vertus inspiraient le refpeét & qu'il était difficile de ne pas chérir malgré sa franchise, poussée quelquefois jusqu'à la brusquerie ; personne qui ne rechercha une conversation pleine de faillies heureuses, entremêlée de récits agréables.
Parmi quelques conseils, que cet homme célèbre voulut bien me donner pour le choix de mes études,
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il répéta plusieurs fois celui-ci: ,, Lisez, étudie: „ sans jamais vous en lasser la traduction de Boi„ leau du traité du sublÎme." La marche de l'esprit à été la même en France que dans Athènes & dans Rome. Le style entortillé, le néologisme distinguaient les nouveaux écrivains, lorsque le Batteux donna son cours d'étude & Crevier sa Rhétorique. Depuis longtems l'on désirait en vain des successeurs dignes des orateurs sacrés du iiecle de Louis XIV , quand Mauri publia son essai sur l'éloquence de la chaire. On jouissait
enfin des immortels chefs-d'œuvres de la poésie, Voltaire lui-même n'ajoutait plus de nouveaux titres à la gloire acquise lors de ses beaux jours, au moment où Marmontel mit au jour sa poétique.
QUARANTE QUATRIEME LECTURE.
SCIENCES DES ANCIENS. t SI vous eussiez voulu fixer votre attention sur les Sciences, je me ferais bien gardé de vous chercher des maîtres chez les Anciens.
L'imagination put dès les premiers tems donner cours à son feu créateur. La morale ne demandait pour paraître que peu d'observations faites par des esprits j uftes & réfléchis. La législation dut ses premiers fondemens à l'amour de la justice gravé dans
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le cœur de l'homme, & fit des progrès d'après les avantages que chaque individu attendit de la bonté, de la force du gouvernement ; mais des siecles sans nombre se font écoulés avant que l'on ait porté jusqu'au point où nous les voyons maintenant les expériences sans lesquelles toute science reste chimérique , ou du moins incertaine.
Les mathématiques pures, destinées à fixer les justes rapports entre différentes idées, restèrent dans l'enfance. On ne peut y découvrir des vérités que par roblervation, on n'y parvient à des principes certains que d'après l'expérience ; ces deux guides étaient bannis par l'esprit de systême généralement répandu.
Les mathématiques mixtes , qui soumettent les phénomènes au calcul & à la mesure, avaient fait des progrès, mais sans approcher de la transcendance qu'ont atteint les savans modernes. Nous ntappercevons chez les anciens aucune çonnaissance de la véritable clef des découvertes importantes, de l'application de l'algebre à la géoriletrie. Cette derniere partie, malgré sa simplicité , marchait avec une extrême lenteur. Pythagore offrit aux Dieux une Hécatombe (s), quand il fut certain que le quarré, formé sur l'hypoténuse (t) d'un triangle reétangle, était égal à la somme des quarrés formés sur les deux
( s) Sacrifice de cent bœufs.
(t) On appelle triangle rectangle celui dans lequel il y a un angle droit : a ligne opposëe à cet angle est l'hypoténuse.
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autres côtés; proposition facile que plusieurs jeunes gens pressentent d'eux mêmes.
La Physique des anciens resta toujours dans le dernier état de faiblesse. Les uns trouvaient le principe universel des choses dans le feu ; les autres dans l'eau , plusieurs dans l'air, mais presque tous admettaient des Corpuscules élémentaires de formes variées qui, se mouvant depuis l'éternité & se réunissant fortuitement, produisaient sans nulle volonté les superbes & innombrables richesses de la nature.
Ces Corpuscules, connus fous le nom d'Atomes, durent tant de célébrité à Démocrite D'Abdere, qu'on les crut longtems inventés par ce philosophe quoiqu'ils fussent très - antérieures à lui.
L'Astronomie étayait ses absurdes conjectures de raisonnemens que peu de réflexions eussent renversés. Thalés, allez instruit pour prédire les Eclipses, n'en place pas moins la terre immobile au centre du Monde. Anaximène prenait la Terre pour une furface plate que l'air ibutenait, & que le Ciel renfermait. Ce Ciel était une voûte de cristal où les Étoiles restaient clouées, & qui devait sa clarté au Soleil & à la Lune, deux énormes roues pleines de feu.
Anaxagore pensait donner une idée de l'énorme masre du Soleil, quand il disait que cet astre surpassait sn grandeur le Péloponnese. Pythagore à jamais illustre annonça le mouvement de la terre, l'éxistence ies Antipodes, la révolutions des Cometes, la nature des Étoiles & des PIanetes, mais il flétrit sa :lojre en avançant, en soutenant avec chaleur que
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les Astres, par leurs mouvemens, formaient un concert parfait. Comme peu de personnes adoptaient ce paradoxe, Pythagore, substituant le personnage d'imposteur au caraétere de philosophe, prétendit que ses oreilles étaient délicieusement affeétées par l'harmonie céleste : Soudain ses disciples l'annoncèrent pour certaine. Dans cette seéte, l'enthoufiasme en faveur du chef était porté si haut que du moment où l'on pouvait prononcer : , Il a dit," les doutes s'évanouissaient, la raison se taisait, la plus aveugle confiance était feule écoutée.
L'histoire de la nature resta même négligée jusqu'à l'époque où Alexandre , par une magnificence digne du conquérant de la plus riche partie de la Terre , fit parvenir à son ancien gouverneur huit cents talens , lui donna des chasseurs , des pêcheurs, enfin lui procura toutes les ressources nécessaires pour subvenir aux travaux , aux dépenses qu'exigent les nombreuses & profondes recherces à faire dans cette immense partie.
Aristote répondit à la confiance dont il était honoré. Ce prince des philosophes joignait à une passion extraordinaire pour l'étude , un esprit en même tems vaste & capable de réussir également dans des genres très différens: Son histoire des animaux, admirée de l'antiquité, estimée de nos jours , n'a point encore été traduite en Français.
Vous supporterez sans peine la privation de l'ouvrage d'Aristote par la jouissance de celui de Pluie.
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i, Pline , dit Buffon, a travaillé sur un plan bien „ plus vaste ; il a voulu tout embrasser ; il semble ,, avoir voulu mesurer la nacure , & l'avoir trouvée >, trop petite pour l'étendue de son esprit.J' La grande érudition, l'étonnante variété de cet auteur font des sources inépuisables de plaisir & d'utilité.
A la fois savant studieux, citoyen respectable, il s'occupait des moyens d'augmenter ses connaissances, même pendant les heures que l'homme le plus fournis à l'impérieuse loi de la nécessité consacre aux douceurs du repos. Comme écrivain il se distingue par un style appartenant à lui seul, qui, ferré , fort, énergique devient trop souvent dur. On est surpris que celui, qui dessine avec tant de vérité la nature, ne prenne jamais son ton.
Pline a trouvé un traducteur digne de lui dans Poinsinet de Sivry, dont le très estimable travail est connu de peu de personnes, parce quJil paraît bien froid près de la belle imitation que Buffon a donné du même ouvrage dans Ion histoire naturelle.
Ne portez jamais vos regards sur les Sophismes, qu'inventa Eubolide fécond chef de la secte Mégarique. Toutes les autres seétes en furent tellement infectées qu'ils y étouffèrent entièrement la voix de la raison. L'art de la discussion parut d'abord ; bientôt vint celui de la dispute. Des difficultés d'abord subtiles & captieuses dégénérèrent en ridicules & absurdes puérilités. On souriait sans doute de pitié, quand un orgueilleux stoïcien fier de prescrire des leçons aux humains, foulant aux pieds
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les grandeurs, dédaignant les richesses, s'égalant aux Dieux, débitait avec un sérieux ridicule : Rat est une syllabe , or un rat a mangé le from» mage, donc une syllabe a mangé le fromage."
QUARANTE CINQUIEME LECTURE
MORALE DES ANCIENS.
LES anciens se font montrés véritablement grands en morale, leurs succès prodigieux dans cette intéressante partie furent le fruit d'une parfaite connaissance des hommes, à J'étude de laquelle les fages se livraient avec ardeur. De longs & fréquens voyages hâtèrent leurs progrès *. Le tems a détruit des relations qui, diétées par un esprit d'observation, devaient être extrêmement précieuses. Cette perte augmente l'estime méritée par te fameux voyage de Pausanias où se trouvent rassemblés beaucoup de faits importa ns sur l'hiftolre, la Géographie, & la Chronologie. Vous le lirez avec d'autant plus de plaisir que Gédoin en a donné une très fidelle & très élégante traduction.
Quelques éloges qui soient accordés aux philosophes qui ont écrit sur la morale ; la justice prescrit néanmoins de reconnaître que Socrate est en Grece le plus illustre fondateur de cette véritable bafe de toute société. Sa réputation se transmet de siecles en
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ïfiecles : Déclaré par l'oracle le plus fage des Grecs, il semble avoir été réellement le plus fage qui ait existé chez aucun peuple, & dans aucun tems. Peu jaloux de lJimmortaUté, il ne chercha point à l'acquérir par des ouvrages; mais deux de ses disciples la lui ont assuré. Sous le nom de leur maître, ils ont donné des préceptes de vertu dans lesquels on refpeéte le caraétere des grandes ames; on admire les expressions du génie.
Platon, noble, majestueux, parlant un langage presqu'au dessus de celui des hommes , mérita le titre de divin pour la pureté de sa morale. Cette morale parut même si belle aux premiers peres de l'église, que plusieurs d'entr'eux crurent y démêler assez de traits du christianisme , pour la regarder comme une préparation à l'Evangile ; mais payant tribut aux faiblesses de l'esprit humain , Platon fut souvent incompréhensible à force de subtilité : Sa prétention à une sublimité continuelle le jetta dans des figures ridicules par leur exagération. Le re:ueil de ses œuvres, complet en Français d'après es travaux de Dacier, de Louis Racine , & de Maucroix , ne présente qu'une assez faible traduction. Le goût sévere de Xénophon, lui faisant éviter es défauts de Platon, le met bien au dessus pour :eux qui savent jouir des véritables beautés. Sa dante simplicité, son aimable douceur ont fait dire" , que les grâces reposaient sur ses levres." Les 3recs l'appelèrent la mufe Athénienne: Les plus cé-
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lebres Rbmains ên firent leurs déîicès ; les modernes éclairés font ses admirateurs. Ce grand-homme, à la fois guerrier, hiltorien, philosophe , préfehte en outre le carafleré le plus attachant dont on conferve le fbuvenir ; il est, si j'ose m'exprimer ainfij la fleur de l'antiquité. A peine pourrez vous le lire dans Charpentier, & quoique l'Archer ait moins mal réussi j vous désirerez cependant qu'une autre traducteur paraisse sur les rangs.
Epicure, voyant avec peine que peu d'hommes se pénétraient des principes des moralistes ses prédécesseurs ou ses contemporains, pensa qu'il conduisait à la vertu , s'il ouvrait i pour y parvenir, une route femée de fleurs. „ Sa doétrine fut que le a bonheur de l'homme est dans la volupté.-,' Paroles mémorables dont la fausse interprétation à jetté une foule de personnes dans des désordres, que le fondateur de l'Epicurisme combattit toujours avec force par ses écrits, comme par ses exemples Gassendi, un des plus respectables savans que la France ait possédé, a rendu hautement justice aux principes & aux mœurs de ce fameux philosophe Grec. Le Batteux a prouvé autant de talent que d'érudition dans la morale d'Epicure tirée de les propres écrits. Ce livre vous plaira beaucoup eri vous instruisant. La lettre à Ménécée mérite furtout, une attention particulière.
Quoique le Batteux foit moins enthousiaste que Gassendi, il vous prouvera cependant qu--Epieurè exhortait sans cesse a, la continence i à 1" sobriété,
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qu'il pratiquait les vertus d'un fage , d'un citoyen; qu'il refpeftait la religion. "Quelle fête, quel fpeétacle pour moi, s'écriait Dioclés, de voir Epicure dans un temple ! tous mes soupçons s'cva„ nouisient, la piété reprend sa place , & je ne sen..
„ tis jamais mieux la grandeur de Jupiter, que de;, puis que je vois Epicure a genoux." Des intentions ausli louables ont pourtant entraîné des fuites funestes : Pour avoir imprudemment employé le mot de volupté sans lui attacher une définition précise , un mortel, qui se proposait de faire triompher la sagesse, fut l'auteur de la corruption de plusieurs siecles.
Le même génie, qui ravit à la Grece la palme de l'éloquence , eut aussi l'honneur de transporter dans sa patrie la sagesse d'Athènes. Les ouvrages de philosophie, enfans du loisir de Cicéron, n'ont malgré le poids des fieeles, rien perdu ni de leur utilité, ni de leur agrément, ni de leur éclat. Addisson assure ,, qu'une pensée revêtue du style de „ Cicéron, ou bien présentée par un écrivain ordi,, naire offre la même différence que celle qui le "trouve dans un objet , quand il est d'abord édai- "ré par la lumiere du soleil, ensuite par une fim„ pie bougie." Les offices de Cicéron, c'est-à-dire les devoirs de l'homme dont Voltaire a dit, ,, on n'écrira jamais „ rien de plus fage, de plus vrai, de plus utile," ont été, depuis peu , traduits d'une maniere très distinguée par Brocard.
!
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Supposé qu'un penchant déterminé pour les moralistes anciens vous fasse désirer un plus grand nombre de leurs- ouvrages, il fera facile de vous satisfaire par la leéture de Sénèque. Les célèbres penseurs modernes, Montaigne, Bayle, J. jaques - ont puisé leurs plus fortes idées dans cet auteur, dont ils se nourisfaient. Très souvent nous n'avons fous de nouveaux titres que des extraits, ou des paraphrases du fameux Stoïcien Romain. Tant qu'il est resté dans sa langue, bien des personnes ignoraient la source qui fournissait avec tant de libéralité aux fages du jour; mais cette source reste découverte à tous les yeux par une traduétiOli, qui, quoique très bonne, n'a pourtant pas atteint le dégré ou l'eut porté Fe timable, le savant La Grange , si la mort n'avait arrêté le cours de ses travaux.
Sénèque est un de ces hommes rares, sur les talens duquel personne n'ôfe élever des doutes quoique chacun leur accorde de différcns dégrés de mérite.
Comme Ecrivain il réunit, felon Quintilien, tous les défauts brillans propres à séduire les jeunes gens; en effet il faut avoir un jugement formé pour ne pas être entrainé par sa grande abondance, par ses pompeuses expressions, par ses éblouissantes antitheses. Il offre i'asfembllge des beautés, des défauts qui se rencontrent dans tous les traits des beaux arts, quand à la fuite de la plus haute perfeétion paraissent les premiers symptomes de décadence.
Alors les ornemens font riches & finis, mais ils furchargent, ils étouffent le vrai Beau, toujours naturel, toujours
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toujours simple, quelqu'élevés que puissent être les sujets traités.
Confidéré dans son caraétère de philosophe, Sénéque mériterait peu d'éloges dans les superbes lettres adressées à Licinius. Lisez les, mais ne touchez jamais ses traités; ils vous causeraient de l'ennui, môme de la peine par le peu de confiance qu'inspire leur auteur : On y voit infiniment d'esprit & d'incroyables efforts employés à prêcher une morale trop sévere, pour qu'elle ait été proposée de bonne foi.
Saches que quiconque loue beaucoup une qualité" ne la possede pas. La crainte, qu'un œil pénétrant ne démêle que nous fQmmes étrangers à ce dont nous nous glorifions , nous jette dans l'excès. Celui qui fait le vain étalage d'une vertu n'en contiait que le nom; celui qui la met en pratique, en parle peu, & toujours avec modestie.
Le faux dévot, dur, intoléralit, prétend imposer des loix auxquelles il se soumet à l'extérieur pour mieux s'y soustraire en secret. L'homme pieux an contraire, doux, indulgent excuse les fautes des autrès & ne se pardonne à lui-même aucune faiblesses Le Fanfaron veut tout effrayer; il traite de pusillanimité jusqu'aux moindres attes de prévoyance: Le brave au contraire ne se pare point de ce qu'il croit un devoir & non pas un mérite d'exécuter; soupçonnant difficilement l'existence du lâche, il se montre prêt à l'excuser, il rougirait de l'outrager* L'hypocrite en morale annonce avec faste des réglés outrées, prescrit une perfection imaginaire & cotH
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damne les plus innocens penchans. Le Sage au contraire veille sans cesse sur sa propre conduite, n'afseéte aucune supériorité & met une aimable douceur dans ses discours, dans ses achons. Diaprès ces principes jugeons Sénéque.
Ne soyez point étonnée si je développe le caractere de ce Coryphée du Stoïcisme; mon dessein est de vous indiquer par un exemple aussi distingué; les moyens de reconnaître les moralistes auxquels vous devrez du refpeét. „ Il y a, dit Voltaire, des char,, latans en tout; en histoire, en littérature, en phi,, lofophie, même en science." Prévenir la jeunesse contre les artifices dont elle se voit entourée, me semble un service réel, qui mérite de compter parmi les premieres preuves d'intérêt qu'on peut lui donner.
Sénéque, ne se bornant pas à de Amples exhortations, donne des ordres absolus. Selon ce maître rigide, loin de redouter le malheur, il faut le braver, il faut regarder les grandeurs avec mépris, rejetter les voluptés, chérir la pauvreté, désirer la mort. Quelque vertueux que fut l'homme qui préscrirait de tels devoirs, je ne craindrais pas de lui reprocher trop de dureté, mais de quelle impudence ne mérite pas d'être accusé celui qui les éxige impérieusement & les dément par sa conduite.
Le plus beau fpeciacle que la terre puisse offrir au ciel, dit Sénéque, est Phomme jufie aux prises avec la fortune. De quelle maniéré soutient-il une lutte qu'il loue si magnifiquement? En éxil dans la Corse, son orgueil lui fait dabord adresser à sa mere de
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iuperbes consolations, que peu de tems après il contredit. Ce n'est point assez pour lui d'adorer les coups que porte Claude, comme ceux de la foudre - lancée par Jupiter, on le voit prodiguer les plus basses flatteries à Polybe, ramper aux pieds de ce vil affranchi, & solliciter avec bassesse un ordre de retour.
Les grandeurs font au dessous des vœux du rage l'écrivain, qui s'exprime ainsi, passa sa jeunesse lancé dans les intrigues de la cour de Caligula ; il y chercha de l'élévation par tous les moyens possibles, même par la galanterie. Le châtiment trop sévere, que lui fit essuyer l'Empereur, le rendit intéressant.
¡Agrippine crut donc flatter l'opinion publique quand elle l'appella pour partager avec Burrhus le foin des .premieres années de Néron.
Sénéque, d'après ce choix , se trouva dans un rang élevé, & rien ne lui coûta pour s'y maintenir.
Il composa en l'honneur de Claude un éloge tellement exagéré que (u) „ personne ne put retenir ses rires.
„ en entendant parler de la prudence, de la sagesse "dJun imbécille, que le même orateur outrageait ,, d'un autre côté par la plus sanglante Satyre." ev) Il favorisa les premieres passions de son éleve : Aussi lorsque Néron, „ subjugué par la force de fou
( u) Poflquam ad prudmtiam, fapientiamqus yertit nemo temperar» fifum.
TAC.
(y) L'açocôlakintofts que J. Jacquts a traduit.
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„ amour pour Aélé , cessa d'obéir à sa mere, il ,, donna toute sa confiance à Sénéque." (x) De la désobéissance aux ordres de sa mere, Néron passa bientôt à la haine, enfin au désir du parricide ; ce monstre, frémissant d'avoir échoué dans sa premiere tentative, fit sur le champ appeller ses deux instituteurs. Qy) ,, Avaient-ils auparavant ignoré l'at,, tentat? Rien de plus incertain, (z) Saisis d'ef3, froi ils gardèrent un profond nience, jusqu'à ce 5, que Sénéque 'plus hardi fixa Burrhus comme pour 3f lui demander s'il fallait commander aux soldats 3, le meurtre d'Agrippine." Afin qu'aucune circonfiance, capable d'aggraver l'horreur d'un si grand crime, ne manquât, l'Empereur à la face de la terre fendit compte de sa conduite. Cependant „ (aa) ce 9, ne fut pas contre Néron, dont l'inhumanité était „ au dessus de tout reproche, mais contre Sénéque „ que s'élevèrent des murmures pour avoir écrit un ,, semblable aveu." U ennemi, que l'homme doit à la fois le plus mépriser & le plus redouter; c'efi la volupté. Sénéque,
(x) Donec Yi amoris [ubaflus exueret obsequium in matrem Sentque permit/eret.
TAC.
(y) Quos flatim aCÛycrat J incertum an ante ignaros.
TAC.
(z) Poss Seneca haflenus promptior refficere Burrhum, ac Ii fcitaretur an militi imperanda cœdes efret.
TAC.
(aa) Ergo non jam Nero cujus immariitas omnium qtieflus anteibat , fcd adverjo rumort Seneca erat qatd oratione tali eonfejifontm fcripfiffet. - - TA 0* - TAC.
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en publiant cette maxime , ne prétendait pas l'appuyer de son exemple. Peu content de vivre dans des maisons délicieuses, disposées pour les différentes.
faisons, & dont les ornemens annonçaient autant dogoût que de magnificence, il s'unit malgré son grand âge avec une jeune personne très belle dont U paraissait plutôt le pere que l'époux.
De quel front Sénéque ôsait-il preicrire comme une loi indispensable de chérir la pauvreté, pendant qu'il régorgeait de richesses commencées par la prodigalité du jeune Prince, mais accrues d'après des voies sourdes, rien moins qu'honorables. Lui-même croyait entendre autour de lui de justes reproches. ,, Oii „ est (bb) cette ame contente de la médiocrité ?
„ Est-ce elle qui ordonne de tels jardins, qui habite.
„ ces maisons dans le. Faubourg , qui possède de li „ vastes champs & de si grosses sommes placées à ,, illtérê." Tout Stoïcien affectait de dédaigner la mort, Sénéque , le plus fier de tous, assura qu'elle devait être, l'objet de nos désirs: Mais quand il entendit gronder l'orage sur sa tête , la crainte devint sa premiere passion ; elle lui fit offrir à Néron le sacrifice entier..
de ses biens. Le refus qu'il reçut, accompagné d'assurances de protection, d'estime, d'amitié, mais entremêlé d'ironie, parut à ses yeux la preuve que sa perte jurée s'exécuterait par quelque moyen secret.
( Ib ) Ubi est animus illi modlcls contenttfs 1 Tales hortos. infiruit , &' per j'ubuT/;ana ïnccdit, £ ? tanth agrollilll fpatiis , tam hlo fcnQTI cxuberat*
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Pour se faire oublier, "il écarta (cc) la foule de ,, ses courtisans, il évita les sociétés; rarement à la 9, ville, il se renferma dans son intérieur comme re-/ „ tenu par le dérangement de sa fanté ou par l'é„ tude:" L'eau feule le désaltera, des fruits devinrent son unique nourriture.
Vaines précautions! Le tyran était trop altéré de son fang pour l'épargner. L'arrêt de sa mort le pé.
nètre à la vérité d'une énergie digne d'Eloge, malgré l'orgueil qui se trouve dans ses dernieres paroles.
3, (dd) Il assure à ses amis qu'il leur laisse le plus „ beau des présens, l'exemple de sa vie." Arrêtez vous peu de tems près de Sénéque; mais fuyez, fuyez ce sombre Epiétete qui traîne sur ses pas l'ennui, la tristesse & presque le désespoir.
QUARANTE SIXIEME LECTURE.
MORALE LOCALE DES ANCIENS.
L A morale locale ne fut pas moins connue des anciens que la morale univerfellp. Les caraéteres de Théophraste ont été le modele de ceux de la Bruye-
(ce) Prohibet Catus falutantium, vitat comitantts, rarus per vrhem quasi yalctudine incenfa aut sapientia fludits attineretur.
TAC.
(Mi) Pulcherrimum haicbat imaginent yitœ rtlinqutrt tepatuT.
TA C.
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re ; des traits délicats, des apperçus fins, des tableaux charmans rendent leur leéture très agréable : On y voit avec surprise, fous des formes peu diffé- rentes, les ridicules puérils, les vices petits. & bas, qui flétrissent encore nos oisives sociétés.
Le philosophe Grec avait longtems vécu parmi les grands & les riches d'Athènes ; il avait beaucoup vu, beaucoup réfléchi, avait joint à son esprit naturellement brillant, à sa vaste érudion les charmes d'une aimable politesse ; ce fut à plus de quatre vingt dix ans, qu'il composa son livre, un des plus précieux fragmens échappés aux outrages des années, aux dévastations des Barbares, (ee) La finesse, la légèreté, l'élégance furent des qualités trop chéries par les Grecs, pour qu'is ne les aient pas souvent rencontrées. Lucien, les possèdant au plus haut dégré, surpassa ceux qui l'avaient précédé, laissa loin de lui ses contemporains & n'a depuis été atteint par personne.
Montesquieu dans les lettres Persannes s'est montre le plus heureux imitateur de cet ingénieux Ecrivain.
Fontenelle, d'après sa finesse, ses allusions, ses contrastes , ses résultats extraordinaires n'est parvenu dans ce genre qu'à des succès passagers. Très peu de ses dialogues des morts font dignes d'être placés près de ceux du bel esprit Grec.
La sagesse douce, simple, en un mot parée de
( et:) Baflien a donné, des caracleres de Théophrafle une tra.
duction beaucoup plus fîdelle que celle de la Bruyere.
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charmes entrainans, vous appelle près de Plutaroue, Quoique les vies des hommes illustres soient réelle..
ment fort supérieures aux œuvres de morale ; ces dernieres ont néanmoins de grandes beautés. Le philosophe de Chéronée y parait tel qu'un viellard vénérable que l'âge met au dessus de toute parure, dont l'expérience éclaire, dont la bonté touche, & qui remplit les yeux de ses auditeurs de larmes d'attendrissement.
0 viellesfe ! que de refpeét tu imprimes, que d'attachement tu inspires, lorsque tu parais au milieu <le nous indulgente & gaye. La divinité semble avoir placé la persuasion sur tes levres, pour nous remplir de l'amour de la vertu.
Amyot, par son style vif, naturel, naïf, élégant, a rendu les ouvrages de Plutarque un trésor national. (ff) Ce service peut seul sauver de l'éxécration la mémoire de l'instituteur de deux Rois ; l'un le plus emporté, l'autre le plus faible qui se soient assis sur le trône de France.
Les étrangels, pour qui notre langue dans son ensance, n'a que des difficultés, & point de grâces, doivent préférer Dacier exaét 3 correét, mais froid traduéteur,
Xf) .Amyot à su conserver toutes les grâces des amours de Théagène & Chariclée. Il dl digne de remaïque, que cet ouvrage dont les jolis tableaux font très voluptueux, quelquesfois assez indécens pour blesser la pudeur à pourtant été composé par Héliodore évéque de Trica & traduit par un autre prélat. Ce roman peut se regarder comme le modele de tous les livres de gar lanterie, qui ont parû depuis en si grand nombre.
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Tous ceux qui chérisient les lettres recherchent le travail du savant & spirituel Ricard. Son élégante & noble traduction se montre enrichie de notes inihuétives, avant lesquelles plulieurs passages restaient inintelligibles, ou paraissaient déplacés. Puissent les orages aétuels ne pas interrompre le cours d'une des plus belles yntreprifes littéraires que présente notre siècle.
QUARANTE SEPTIEME LECTURE.
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MORALISTES DE LA PLUS HAUTE ANTIQUITÉ.
LES Grecs instituteurs des Romains en morale, avaient eux-mêmes été devancés par des notions, qui toutes faisaient remonter leurs coutumes, leurs connaissances, leurs mœurs, leurs loix , jusqu'à dif..
férens fages. Les écrits de ces fages furent des flambeaux à la clarté desquels, marchèrent les phiIofophes du Portique, de l'Académie &c. L'orgueil de ces derniers ne se prêta qu'avec répugnance aux sentimens qu'ils devaient à leurs maîtres : Aussi ne possèdons nous que des traditions, souvent obscures, sur les refpedtables législateurs de la haute antiquité. Le premier de ces hommes, produits pour la félicité de leurs semblables est Moyse: Dix siecles avant le regne de la philosophie grecque, il entre-»
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prit de policer un reuple dont les mœurs étaient très corrompues. Le viol, le rapt, l'adultere l'inceste, se rencontrent presqu'à chaque pas chez les .générations antiques, qu'un esprit de préjugé donne imprudemment pour modeles.
La vie pastorale était alors la plus honorée. Abel gardant ses brebis fut plus cher à l'être suprême, que Cain fertilisant la terre par ses sueurs. Abraham , Jacob, eurent pour richesses des troupeaux : Moyse soignait ceux de Jethro quand il fut appelle pour sa mission. Puissant, par son génie dont les payens ont souvent reconnu la supériorité, par son caraétere dont les plus critiques circonstances dévéloppèrent la force, il donna des loix morales dignes de la refpeétueufe admiration de tous les siecles.
Les vices furent proscrits, surtout la vengeance, „ Ne vous bornez pas à ne point outrager vôtre y, ennemi, secourez le non feulement en sa personne „ mais encore soulagez les animaux qui lui appartien„ nent." L'aumône, fous le beau nom de justice , devi t un devoir d'une indispensable nécessité.
Enfin , de toutes les vérités morales & religieuses , celle qui porte les plus heureux fruits parut profondément gravée. „ Si nous pouvons dérober nos ac„ tions à Pceil severe des loix, aux regards péné„ trans du public, elles n'échappent point à l'être „ suprême qui punit le scélerat dans quelqu'obfcu„ rité qu'il prétende se cacher." Le seul reproche fait à Moyse, est d'avoir oublié le reste de la terre, pour réunir un peuple étranger
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à tous les autres: En effet les Juifs, vertueux jusqu'au scrupule vis-à-vis de leurs concitoyens, restent tout à fait libres d'égards par rapport aux autres hommes. Le législateur pensa que quiconque s'attache par humanité aux habitans de toutes les contrées devient froid pour sa patrie. Les affections du cœur s'affaiblissent, par trop de dévéloppement.
Le philantrope universel n'aime rien avec feu. Moyse d'après ces principes inspira aux hébreux de la haine contre tous les gentils; les astraignit à des coutumes particulières qui les séparent des autres sociétés, & les unissent entr'eux : L'expérience prouve avec quelle sagesse habile, ont été jettés les fondemens, d'un édifice destiné à braver les outrages des siecles accumulés.
Le Juif dispersé sur la face de la terre, est partout le même : Vous le trouverez dans l'immense.
Pékin, dans l'opulente Amsterdam, dans Rome dégradée, tel qu'il fut il y a trois mille ans; exad au sabbat, ami du travail, indullrieux dans le commerce ; flattant les hommes dont il a besoin, mais plein de haine contre ceux qui ne suivent pas sa loi ; de plus, justement révolté des procédés durs, que d'absurdes préjugés lui prodiguent sans cesse.
Les nombreuses ramifications des Juifs répandues au milieu des plus grands peuples, peuvent se comparer à des filets dJeaux, qui couleraient à travers des ,fleuves, sans se mêler avec leurs ondes.
Peu de personnes ont assez réfléchi pour se couvaincre que de très petites barrières, font les oblta-
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des qui se franchissent le plus difficilement ; parceque, si jlôfc m'exprimer ainsi, le peuple s'identifie avec les usages journaliers: Puisse l'avenir ne pas donner de nouvelles preuves de ce que j'avance : Les changemens, apportés dans les mois, les semaines les lettrès chez un grand peuple, après avoir d'abord produit un sourire de mépris, deviendront peut être aux yeux de la postérité, l'opération la plus profondément calculée j pour affermir la nouvelle repu-* blique.
L'antiquité de Moyse ne permet pas de le regarder comme un imitateur des grecs: Dans sa jeunesse, il eut pour contemporain Cécrops, qui le premier réunit les habitans de la grece, pour lors assez barbares, pour n'avoir aucune idée ni de l'union conjugale, ni de la divinité : Dans ses derniers jours, Cadmus porta quelques connaissances des lettres, chez les fils des hommes, que Cécrops avait réuni soixante années avant.
Moyse au dessus du rôle de plagiaire , n'a pourtant pas de droits au titre de fondateur universel.
Les premiers peres de l'Eglise, animés d'un zele refpeétable dans son principe, mais excessif dans ses effets, prétendirent, que les ouvrages de ce grand homme, ont été l'immense réservoir , dans lequel, font venus puiser , se Aristote, les Numa , enfin tous les fages du Paganisme : Les fanatiques, les superstitieux en avaient aussi rapporté toutes les erreurs de la fable : Par quelques raisonnemens qu'ait été appuyé ce systeme il s'est bien vite évanoui,
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devant quelques judicieuses observations. De l'aveu de Joseph, historien non fuspedl quand il parle au désavantage de ses compatriotes, les peuples restèrent très longtems dans une entiere ignorance sur les Juifs, & sur leurs livres. Avant Alexandre, les grecs n'avaient point pénétré da.ns la Judée. La Bible, dépôt sacré des loix, du culte, des mœurs des hébreux ne fut traduite que par l'ordre de Ptolomée Philadelphe.
Sans chercher dq communication entre les anciens moralistes & législateurs, on doit trouver très naturelle la ressemblance qui se rencontre dans leurs maximes, & dans leurs loix. Tous partis du même point, ont suivi la même route, étudié les hommes, mis à profit l'espérience, & font parvenus aux mêmes résultats: L'éloignement des contrées, celui des siecles, ne changent pas les pallions placées par la nature dans le cœur de l'homme. ,
Thoot légillateur des Egyptiens, ne nous a laissé qu'un nom très célèbre , les tems ont effacé toute trace d'institutions refpeétées chez les anciens. L'Egypte fut pendant longtems reconnue pour le sanctuaire dela sagesse, vers lequel accouraient les fages jaloux d'éclairer leurs semblables: Loin d'y recueillir de précieuses récoltes, Thalés ainsi que les autres phi- lofophes de la grece n'en rapportèrent que des erreurs. Sans doute, que les sciences se divisaient en deux parties, dont l'une se dérobait avec foin aux yeux des étrangers : Nous devons le croire d'aprèi 1. Théologie a qui présentait deux corps de doétrine
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bien distinéts; le premier) public, contenait des su, perditions aussi grossieres que ridicules, le fecond, occulte, découvrait aux seuls initiés, des vérités transcendantes & sublimes.
„ On reconnait que Zoroastre Rois des Baârielis, „ est le premier qui ait pratiqué les arts de la ma„ gie, découvert les principes des choses,. & calculé „ les mouvemens des Astres." (*) Les Grecs habitués à flétrir du nom de barbare tout étranger, reconnurent le législateur, le fage des Pprfes, pour un être supérieur, interprète & confident des dieux: Pythagore s'avoua disciple de ce grand homme, dont la seéte subsiste de nos jours. Ses principes, sur les devoirs civils, sur les sentimens d'amitié, d'amour, sur les vertus religieuses., inspirent autant de refpeét qu'ils causent d'admiration.
Les plus savantes recherches laissent des nuages, des incertitudes, sur l'existence des premiers législateurs: Les anciens donnaient souvent les noms, diaprés la profession : Zoroastre lignifie Observateur des uifires, ce qui rend probable, le systeme que plusieurs Zoroastres ont paru sur la terre. Dans le tems où le plus connu des Zoroastres instruisait presque toute l'Afie, cinq siecles avant les philosophes grecs, Confucius fleurissait à la Chine. Cet homme d'un mérite étonnant parvint à obtenir une vénération, qui transmise de siecles en hecles, est devenue un culte religieux dont il n'existe pas d'autre exemple, Les
(0) Justin.
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dynasties se font fuceèdées, l'empire lui-même, à souvent changé de maîtres, sans que l'on ait enlevéaucune prérogative aux descendans de Confucius » Lui-même reçoit encore les noms de faite du genre humain, comble de sainteté, modele des rois. Cette prodigieuse renommée, fut autant acquise par des ouvrages admirables de philosophie, que par des actions dignes de louange : Toujours Confucius exerça les vertus qu'il prescrivait ; dans sa vie conforme à res préceptes il déploya de la bonté, de la patience, du courage, & cela sans faste, sans jamais se donner en fpeétacle: Sa grandeur d'ame loin de l'abandonner redoubla dans l'infortune t „ Je fuis accablé „ par (*) l'indigence (disait-il) j'obtiens à peine , quelques mets grossiers, & je n'ai que de l'eau , pour pure boisson. Si je veux goûter un sommeil ,, nécessaire, mon bras replié fous ma tête est mon , seul oreiller. Eh bien ! Je trouve dans cet état , même une espece de volupté, l'infortune & la dou, leur ont des délices pour la vertu, que m'importe , cette considération que les riches ou les puissans , tirent de leur rang, ou de leurs trésors: Ces digni, tés j cette opulence ressemblent pour moi à. ces , nuages légers, que le vent pousse & agite dans , les airs.
Un titre commun à Zoroastre & à Confucius, les ouvre des rayons d'une gloire pure, bien au dessus, ,e l'éclat souvent trompeur dont brillent les mora-
( * ) Traduit par Pafîoret.
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listes Grecs ou Romains: Tous deux exhortent à ne jamais remettre au lendemain une bonne a&ion ,- & preferivent de pardonner les injures : Mais quelques respeétables qu'ils se montrent, fous de si intéressans rapports , combien restent-ils au dessous du législateur des chrétiens. Sans une lumiere furna-turelle , la sagesse humaine ne se ferait sans doute pas élevée, jusqu'au sommet de toutes les vertus: Traités de morale, Receuils d'apophtegnes, rentrez tous dans la pousliere à l'approche du discours prononcé sur la Montagne : Reçu, suivi par les hommes, il porterait au milieu deux, la paix le bonheur, la sainteté.
>, Aimez vos ennemis, benissez ceux qui vous mau„ dissent, faites du bien a ceux qui vous haïssent, „ & priez pour ceux qui vous courent fus, & vous ,, persecutent. 1' Quand les vertus font réelles, il suffit de les nomner : Leur excellence frappe tout esprit qui n'est pas fasfiné par les passions, ce principe devient un nouvel hommage rendu à la supériorité du Christ, dont les leçons toujours concises, paraissent souvent offertes fous des images attachantes.
L'ostentation, la vengeance , la calomnie, font étouffées, jusque dans leurs plus profondes Racines.
„ Quand tu fais l'aumône , que ta main gauche
,, ne fache point ce que fait ta droite.
„ Si quelqu'un te frappe à la joue tourne lui, P) aussitôt l'autre.
,, Pourquoi regarde tu le fœtus qui est dans l'œil „ dC
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„ de ton voisin, tu n'apperçois pas une poutre qui 3, est dans ton oeil." Enfin l'humilité est la bafe des vertus Chrétienne" comme l'orgueil est celle des vertus philosophiques.
QUARANTE HUITIEME LECTURE.
SUPÉRIORITÉ DES ANCIENS SUR LES MODERNES.
D AN S chaque necle, outre les qualités à louer & les vices à blâmer, on remarque encore un goût prédominant qui se répand sur tous les objets, qui se retrouve chez tous les individus. Lors des beaux jours de la France il y régnait un esprit de dispute , triste reste de la Rage Théologique, l'un des plus terribles fléaux dont l'humanité ait été affligée.
Les opinions religieuses, les systemes sur les sciences, les discussions littéraires produisirent de nombreux & de violens orages. Une querelle à jamais célébré fut celle de la supériorité des anciens sur les modernes, supériorité rejettée avec hauteur par un parti, tandis qu'un autre la soutenait avec feu.
Des deux côtés parurent des hommes à talens qui, loin de rester unis par les liens de l'estime, devinrent ennemis irréconciliables. Des propositions hasardéeS, des épigrammes furent les escarmouches qui précédèrent un engagement général. Perrault
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auquel les traits de la satyre n'ont point enlevé la réputation d'un mérite distingué, fît la premiere attaque. Ses parallèles des anciens & des modernes causèrent une fermentation générale. Quelques vues faines, quelques jugemens impartiaux font étouffés par l'esprit de parti qui diéta & déprécia cet ouvrage: Il prouve que la passion, aveuglée sur ses propres intérêts, se prive souvent elle-même de ses meilleures ressources. Des Chapelain, des Scudéri font opposés aux Anacréon, aux Euripide , tandis que les Racine, les Boileau restent dans l'oubli, C'est le général, qui, marchant à une aétion périlleuse, laisserait en arriere ses meilleures troupes.
Les éloges parurent prodigués si màl à propos, & les critiques si peu justes, que le prince de Conti dit: ,, C'est un livre où tout ce que vous avez jamais 9, ouï louer dans le monde est blâmé, & où tout ce „ que vous avez jamais entendu blâmer est loué.
„ Si Boileau n'y répond pas, j'irai à l'académie „ Française écrire à sa place : Tu dors Brutus." Quelqu'eut été le motif du silence de Boileau, il n'attendit pas de nouvelles instances pour le rompre.
Ses réflexions critiques sur Longin décellent plus d'humeur contre les modernes, que de zèle pour les anciens (gg).
C Cg) Pérsult est traité avec une dureté révoltante; il reçoit le reproche de heurter lourdement la rd[on ; crdir.- tombé dans des ignorances si grojfttrts qu'elles lui ont attiré la risée des gens de lettres ; de prouver par son galmathias qu'il n'a entendu ni le Latid à ni le
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La guerre allumée se continua avec acharnement, en vain les esprits modérés proposérent-ils de rer chercher les bons ouvrages, de négliger les mauvais, sans aucun égard à la date de leurs compositions : Ils ne furent point écoutés. Le tumulte s'augmentant chaque jour parut enfin extrême quand La Motte descendit dans l'arène. Après avoir traduit j on plutôt défiguré en vers très faibles l'Iliade , il attaqua le pere de la poésie épique, condamna ion plan, ses longs détails, ses comparaisons communes, ses héros grossiers, ses fages Babillards, ses Dieux âbsurdes : Cet attentat enflamma le courroux de Ale. Dacier & lui fit entreprendre son ouvrage sur les causes de la corruption du goût. La Motte répondit par des réflexions sur la critique , où l'élégance, la finesse, l'honnêteté, les raisonnemens spécieux font tour à tour employés.
La dispute s'échauffa de plus en plus. Les érudits, secouant la poussiere de leurs cabinets, coururent se ranger près de celle qui défendait lantiquité, avec plus de courage que d'adresse & surtout de modération. La Motte s'offrit presque seul à cette foule d'ennemis : Leurs coups redoublés ne le firent jamais s'écarter de l'inaltérable douceur qui marquait toutes les circonstances de sa vie. Les
Gree, ni le lrançais. Le manque de poliresfe se trouve quelque fois peu compensé par la solidité des raisonnemens, car personne n'admettra comme convainquant : si Pitidare fera toujours Pinjare „ IIonieTe toujours Homere , Se les Scudcri des scudcri."
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épigrammes les plus sanglantes, les injures les plus grossieres n'étaient rerousfées que par des ouvrages qui honoraient également l'esprit & le caraétere de cet intéressant écrivain.
Fontenelle ne soutint Ion ami qu'avec circonfpectiçn ; la paix lui paraissait un bien préférable à tout autre.
Le France entiere fut agitée & partagée à l'occasion de débats oiseux, fuites de la fureur du jour, jusqu'à ce que plusieurs écrivains rendissent le fervice de les couvrir de ridicule, tant dans leurs ouvrages que sur le théâtre.
La grande question de la supériorité des anciens, me paraît impossible à résoudre, car dans les langues mortes, de même que plusieurs beautés font perdues, beaucoup de défauts font adoucis. Les traits fins & délicats, les fautes légeres , qui nous échapent, frappaient certainement, les hommes éclairés d'Athènes & de Rome. S'ils revoyaient le jour, les volumineuses dissertations de nos érudits feraient à leurs yeux des pieces ridicules, dans lesquelles ils trouveraient peut-être blamés les passages qu'ils louaient, & loués ceux qu'ils blamaient. Cependant supposé que le public eut exigé un arrêt définitif, il eut fallu se défendre de préventions faites pour pousser aux extrêmes, il eut fallu discuter avec sagesse, il eut surtout fallu bannir l'aigreur qui produit toujours de coupables excès. On suivit une route très différente. Pendant que Perrault & ses partisans s'obstinaient à ne rien trouver de beau
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chez les anciens ; ceux, qui les combattaient, admiraient aveuglement toute chose datant de deux mille années. Me. Dacier, loin de reconnaître avec Horace qu'Homère par fois sommeille, passe d'exta-
ses en extases. Sa tendresse pour les anciens connut afiez peu de bornes, pour qu'elle soutint la pureté des mœurs de Sapho.
Sans la crainte de paraître trop présomptueux en élévant ma voix, après que tant d'illustres adversaires ont déploy,é les ressources de l'attaque & de la défence, je dirais que les anciens rapprochés de la nature offrent plus de beautés primitives, & les modernes plus de beautés fa&ices. C'est-à-dire, que les premiers ont la supériorité pour la force des pensées, pour la grandeur des images; en un mot, pour tout ce qui tient à l'invention : Les feconds pour l'ordre, pour le goût ; en un mot, pour tout ce qui dépend de la correction.
QUARANTE NEUVIEME LECTURE,
LANGUES MODERNES.
BOR NÉE à lJétude des Langues Modernes, vous ne ferez sans doute pas entraînée par la déraisonna.- ble prétention de les posséder toutes ; vous vous garderez bien de consumer beaucoup de tems pour
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un succès très incertain. Les seuls organes de l'ensance se plient à la multiplicité des idiomes : La 1 Hollande offre en ce genre des phénomènes qui surprennent les étrangers : Des enfans de dix ans parlent avec facilité presque toutes, les langues de l'Europe.
C'est pour me conformer à Pufage reç u que j'cfn.ployé l'expression parler les différentes langues; elle me parait toujours improprement appliquée rour les enfans, comme pour les hommes. En effet, parler n'est autre chose qu'exprimer ses pensées, or tout homme n'a de pensées que dans la langue qui lui servit pour distinguer les premières sensations, & que l'on appelle à juste titre langue maternelle. Dans mon opinion nous ne parlons effeétivement qu'une feule langue; nous la revêtons à la vérité de mots différens, mais sans jamais la perdre de vue: Son génie se soutient partout, il perce à chaque infiant malgré nos efforts pour l'étouffer.
- Je ne me hazarderai point à fixer votre choix ; convaincu que dans tous les genres d'étude les progrès font dus en grande partie au goût qui nous les fait embrasser ; mais ce goût en général très utile me paraît d'une nécessité absolue pour apprendre les langues. Sans un attrait bien senti la sécheresse des Grammaires devient un obstacle iniurmontable.
Plusieurs routes s'offriront à vos regards: Choisissez sans crainte , puisque toutes aboutissent à des termes heureux.
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LANGUE HOLLANDAISE.
QUA N D les Hollandais possédèrent un état indépendant, fruit de leur patience, de leur fermeté, de leur courage, ils se portèrent avec énergie vers deux objets importans ; la conservation d'une liberté si chèrement achetée, & la découverte d'un moyen qui put, par des richesses acquises, suppléer à celles que le fol refusait : Tous les bons esprits concoururent à l'envie pour former un gouvernement, pour créer un commerce. La sagesse de l'un , la splendeur de l'autre étonnèrent l'Europe. Aucun pays que le Hollandais n'ait rendu tributaire de son indultrie, aucune contrée où il ne se foit fait estimer par son économie par sa simplicité, par sa bonne foi. Chez de tels hommes n'ont percé que très tard, le luxe, la galanterie, funestes causes des désordres, mais aussi véritables principes des beaux arts & des lettres. La nature a prescrit par ses loix immuables que des mêmes sources découleraient à la fois des biens & des maux, comme pour apprendre à lJhom- me, qu'if n'existe aucune chose à laquelle il puisse sans péril se livrer aveuglement: Rien au contrai..
re dont la prudence ne trouve moyen de tirer quelque avantage. Le goût de la littérature n'a donc jamais été ni très commun, ni très vif en HoUande. D'habiles mécaniciens, de profonds calculateurs, de savans ingénieurs, de grands Marins, y parurent toujours préférables aux beaux esprits :
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mais le génie, loin d'avoir besoin d'encouragemens, iurmonte les entraves qui lui font opposées, aussi rien n'at-il pu priver la Hollande d'excellens auteurs lfeuris dans son fein.
Des poëtes Hollandais, envisageant sans crainte la carriere de l'Epopée , en ont surmonté les nombreuses difficultés & paraissent près des modeles antiques. La poésie dramatique est heureusement cultivée.
Plusieurs poëtes chaussent le cothurne avec noblesse, tandis que d'autres font applaudis dans la comédie.
Les pleces érotiques & légères, que le naturel sérieux de la nation semblait devoir bannir, existent en aÍfez grand nombre; elles réunissent légé* reté, grace, & facilité.
Trop souvent en Hollande on éprouve le sincere regret de voir d'estimables talens négligés par ceux qui les possédent. De graves occupations empêchent de toucher la Lyre poétique.
LANGUE ESÏAGNO L),.:E.
L A Langue Espagnole, dans laquelle nos plus grands poëtes, nos meilleurs Romanciers ont cherché & trouvé de précieux secours, parait maintenant assez peu répandue. Sa noblesse, sa pompe méritent de grands éloges ; elle présente d'ailleurs peu de difficultés. Par malheur différentes causes ont concouru à suspendre les progrès d'un peu-
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ple distingué par un esprit vif & par un imagination briPante. Les efforts de l'ignorance, de l'intérêt & du fanatisme ont répandu des ténèbres assez épaisses pour justisier du moins en partie le mot de Montesquieu : „ Le meilleur livre des Es„ pagnols est celui qui se moque de tous les autres." Mais la feule jouissance des beautés de cet inimitable Cervantes devient un dédomagement avantageux de travaux assez courts.
CINQUANTIEME LECTURE.
LANGUE ALLEMAND E.
ZÉ ONGTEMS les Allemands conservèrent dans leur caractere, comme dans leur langue, l'empreinte de la rudesse des Germains. Des fons durs, des articulations fortes convenaient à des hommes passionnés pour la guerre, ne trouvant de plaisirs que dans les violens exercices de la chasse , ou dans des jeux presque toujours ensanglantés, Le repos extrêmement pénible à leurs yeux, les livrait aux excès de la table. Dans ces tems ils ne se formaient pas même d'idée ni de la littérature, ni de la galanterie qui feules perfectionnent les langues.
Quand le goût des lettres dissipa les ténèbres rérandues sur l'Europe, les Allemands ne se livrèrent Sabord avec ardeur qu'à la feule érudition dans
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, laquelle un esprit réfléchi, un caraérere confiant, leur assurèrent de grands [uccès. Un voyageur difait avec raison : „ L'on trouve danschaque uni„ verlité Allemande deux ou trois bibliothèques pars, lantes." Depuis quelques années le goût, pénétrant enfin en Allemagne, y a fait des progrès rapides qui ont excité l'étonnement & l'admiration. Plusieurs auteun célébrés placent la littérature Allemande au plus haut rang : Ne se bornant pas à réunir connaisfances, imagination, goût , ils ont de plus introduit dans leur langue une harmonie suffi belle que douce.
Peut-être n'est-il jamais forti d'entre les mains des hommes un monument aussi extraordinaire , aussi hardi, aussi neuf que 4a Messiade. Klopftok a déployé dans ce poëme une force d'esprit, une richesse d'jmagination, une pompe de style, qui portent son génie jusqu'à la hauteur des régions célestes & des êtres surnaturels qu'il chante. De grandes beautés devenaient nécessaires pour rendre interessant un sujet éloigné de l'esprit & du goût de notre siecle.
Depuis plusieurs années la raison prétend exclusivement gouverner, & elle s'efforce d'étouffer toute énergie ; mais le cœur fortement passioné; mais l'ame très émue dédaignent & rejettent les froides discussions qui glaceraient le feu qu'allume le [ublime: l'Homere allemand entraîne subjugue & ravit. Telle est la magie de son coloris, que chez lui se font admirer des pensées & des images qui partout ailleurs choqueraient comme ridicules, ou gigantesques.
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Je regrettais de ne vous présenter sur la Messiade que de vains éloges, qui ne pouvaient en donner aucune idée , lorsque j'ai su qu'un littérateur Français s'occupait de cette magnifique composition : Son amitié a bien voulu me donner deux morceaux pris dans les deux premiers livres & d'après lesquels vous apprécierez sans peine les talens du poëte.
Le dessein de transporter dans une langue correcte & froide les brûlantes expressions d'une langue aussi riche que nombreuse, présente des difficultés qui ne feront surmontées que par de longs & pénibles travaux. Les passages suivans montreront la possibilité de cette entreprise.
lu „ Cependant Jesus commence à éprouver les souffrances de la rédemption. Gabriel, frappé d'une inspiration soudaine, reposait incliné dans un éloignement refpeétueux. Depuis les siecles qu'il exiite, (l'éternité n'est pas plus longue aux yeux de lJame qui la mesure , lorsque planant sur l'aile rapide de la peni'ée, elle se dégage de son enveloppe mortelle) depuis ces siecles innombrables, il n'a pas encore éprouvé de sensation aussi sublime. La divinité, l'homme réconcilié, l'amour éternel du médiateur céleste, tout s'offre à ses regards. Rempli des bienfaits qu'il va verser sur les êtres créés, Dieu imprima dans l'ame du Séraphin ces sublimes pensées.
Étonné, Gabriel se leve, il prie, une joye inexprimable frissonne dans son cœur, un éclat éblouissant & des rayons de lumière jaillissent de son corps.
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Autour de lui la terre s'embellit des ondulations de cette douce clarté. Le médiateur céleste apperçoit le Séraphin , lorsqu'il couvrait de Ion éclat le fammet de la Montagne. ,, Gabriel, lui dit-il, „ monte sur ton nuage , hâte toi de porter ma prie,, re aux pieds du trône paternel : Que le petit 5, nombre d'Elus parmi les hommes, les saints prophé,, tes, & les cieux rassemblés apprenent que ces ,, tems, objets de leurs désirs, font enfin accomplis." A ces mots, comme envoyé du réconcilateur divin, l'Ange brille d'une douce lumière. Silencieux, il s'éleve majestueusement dans les airs. Jesus le fuit de l'œi1, déjà il l'apperçoit aux pieds du trône de la magnificence de Dieu, lorsque le Séraphin ailé n'a pas même encore atteint les frontières du Ciel. Alors s'élevent entre le Messie & ton pere des entretiens profonds, sublimes, mystérieux entretiens qui doivent déployer un jour aux regards des hommes rachetés la magnificence de la rédemption.
Brillant comme l'aube du jour, le Séraphin cependant se hâte vers les dernieres limites du Ciel. Des Soleils en embrassent les contours : semblables à des rideaux aériens tissus de lumiere, leur éclat se déploye autour de sa riche étendue. Aucun globe n'ose approcher du ciel dont les feux le dévoreraient.
Enveloppée d'un voile oebuleux, la Terre fuit de loin & se perd dans l'espace: A fbn aspeét disparaissent les autres mondes, atomes imperceptibles.
Ainsi fermente & s'affaisse fous le pied du voyageur , une vile poulliere, réceptacle des vers. Autour
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du ciel s'ouvrent mille chemins , immenses, magnifi..
ques, environnés de soleils.
A travers la voie étincelante qui conduit à la terre, un torrent aërien, jaillissant d'une source divine , descendait vers Eden. Jadis, sur ses bords heureux , l'éternel & les anges venaient, enveloppés de nuages, converser familièrement avec les mortels; mais bientôt ce torrent fut rappelé vers sa source, lorsque l'homme se fut déclaré l'ennemi de Dieu par le péché. Alors les esprits célestes ne voulurent plus
visiter fous une forme visible des contrées que défiguraient les ravages de la mort. Ces montagnes silencieuses, empreintes encore des traces de l'éternel, ces boccages harmonieux, que vivifiait autrefois le soufie de la divinité présente, ces vallées bienheureuses & paisibles que visitait jadis avec plaisir la jeunesse du ciel, ces berceaux ombragés fous lesquels les hommes ennivrés de sensations délicieuses , pleuraient de joye sur leur création éternelle, la terre entiere, vaste sépulcre de ses enfants jadis immortels, reposait fous la malédiétion. Mais un jour lorsque l'édifice des mondes se rajeunira, & sortira triomphant de la pousfiete de la grande j ulli- ce, lorsque Dieu par sa toute puissance réunira tous les cercles du monde au ciel qu'il habite ; alors plus brillant, le torrent aërien defeendra de nouveau de sa source céleste vers un nouvel Eden ; alors ses rivages se trouveront encore peuplés d'Augustes voyageurs, qui viendront sur la terre visiter de nouveaux immortel.
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Tel est lé chemin radieux à travers lequel ie Séraphin s'approche de loin du trône de la magnifia cence de Dieu.
Au milieu des soleils s'élève le ciel, rond, im.
înenfurable, le modele des mondes, le chef - d"'œuVres dé ces beautés visibles , qui semblables à des ruisseaux fugitifs, épanchent dans l'espace leurs formes imitatrices. Lorsqu'il tourne sur son axe, les douces harmonies qui s'échapent de sa Sphere, vont, portées sur les ailes des Zéphirs, retentir sur les rivages des soleils. Sous les doigts des anges, les harpes célefies font entendre une mélodie vivifiante.
Leurs sublimes accords vont porter aux pieds de l'auditeur immortel, les cantiques d'aétions de grâces.
Comme son regard satisfait se réjouit à la vue de les ouvrages, ainsi ton oreille divine est flattée de l'harmonie des Spheres.
Pendant le cantique que les deux chantent toujours après les mots consacrés de trois fois Saint, l'envoyé sublime du médiateur avait déjà pénétré dans un de ces soleils qui brillent aux portes des Cieux.
Soudain les Séraphins se taisent, & folemnifent le regard de bonté dont l'éternel récompense toujours leurs cantiques. Alors sortant du globe lumineux, le Séraphin avance dans le ciel. Dieu & les anges l'apperçoivent ; Gabriel s'incline & prie. Deux fois l'espace qu'un Chérubin prononce le nom de Jehovat & la formule consacrée du trois fois saint, l'ange fut honoré d'un regard de la divinité. Soudain 1er
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premier né des trônes descend vers Gabriel pour le conduire solemnellement vers Dieu. L'éternel le nomme l'élu, & le ciel, Eloa. Plus parfait que tous les êtres créés, il occupe la premiere place auprès de l'être infini. Une de ses pensées est plus belle que 1 'ame que l'ame entiere de l'homme, lorsque digne de son immortalité , elle réflechit sur la grandeur de son essence. Son regard est plus doux que le matin d'un printems, plus radieux que les étoiles , lorsque brillantes de jeunesse & clarté, elles se balancent dans leurs cours près du trône céleste. Dieu le créa le premier, il puisa dans une Aurore les couleurs dont il nuança ion corps aérien. Lorsqu'il nâquit, un groupe de nuages flottait autour de lui : Dieu lui-même le souleva dans les bras, & lui dit en le bénissant : „ Me voici, ange nouveau né." Tout à coup le Séraphin Eloa voit l'éternel devant lui, il le contemple plein de ravissement, s'arrête, le contemple encore , saisi d'une fainte inspiration, & s'incline, perdu dans la contemplation de Dieu.
Il parle enfin & découvre à l'éternel les pensées nouvelles & les sensations sublimes qui jaillissent dans son cœur. Les mondes disparaîtront, &, renouvellés, s'élanceront de leur poussiere , tous les siecles s'engloutiront dans l'océan de l'éternité , avant que le chrétien le plus sublime éprouve de si grandes sensations , Cependant enveloppé de vapeurs & de nuages, satan s'élance à travers la vallée de Josaphat, sur la mer de lu mort; delà il vole au lbmmet du
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mont Carmel, & du mont Carmel vers les cicux. Là d'un œil courroucé, il parcourt l'édifice céleste. Son âme s'indigne , de ce qu'il brille encore après tant de siecles dans la même magnificence dont l'embellit
le maître du tonnerre. Dans son délire il veut imiter, l'éternel, il révet son corps d'un éclat aërien; Trompées par ces formes brillantes, les étoiles du matin n'apperçurent pas sa face ténèbreuse. Mais bientôt ce vêtement de lumiere l'importune, il s'élance hors de l'enceinte formidable de la création, & vole vers IJEnfer. Déjà, rapide comme l'ouragan, il s'est abaissé vers les dernières limites du monde. Sous ses pas s'entrouvrent des espaces immensurables. Satan nomme ces gouffres, les avenues des Royaumes plus étendus sur lesquels il domine. Là, il voit se prolonger une clarté fugitive, aussi loin que les dernieres étoiles de la création répandent un faible crépuscule dans ce vuide immense ; il n'apperçoit pas encore l'Enfer. Loin de son séjour & des esprits bienheureux, la Divinité l'avait enséveli au fein d'une éternelle nuit, dans des abymes plus profonds. Car dans le monde, théatre de ses miséricordes, aucun espace ne fut destiné aux souffrances. L'Eternel imprima à ces voûtes sombres une redoutable & magnifique perfection pour Paccomplisfement de ses vengeances ; il consacra trois épouvantables nuits à leur création , & pour jamais en détourna ces mêmes regards qu'il laisse tomber avec bienveillance sur ses créatures. Deux des Anges les plus belliqueux veillent à la garde de l'Enfer. En les benissant Dieu les revêtit d'une armure guerriere.
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guerrière. Ils doivent, (tel est l'ordre divin) contenir éternellement dans leurs bornes ces lieux d'éternelle souffrance, pour que Satan ne puisse assaillir la création de son pied ténébreux ; & défigurer par le ravage les formes de la belle nature; Du pied de la hauteur où dominent les deux gardiens célestes, s'ouvre eh ligne direéte vers le ciel & les mondes de Dieu, un chemin rayonnant, semblable au fleuve limpide, qui jaillit d'une double source. Ainsi même dans leur éloignement, ils participent aux faintes joyes qu'épanche le fpeétacle diversifié des beautés de la création. Près de ce chemin brillant, Satan pénétré dans l'enfer; furieux, il s'élance à travers la porte ; déjà d'un pas rapide il est monté sur son formidable trône. Uri brouillard épais le dérobe aux yeux de cette horde hideuse, flétrie par la nuit & le défespo:r. Sophiel, un des hérauts d'armes des enfers , découvre seul le voile nébuleux qui se déploye sur les marches élevées du trône. , N'est-ce point Satan, dit-il, ,, qui reparait dans ion empire; ce sombre brouil,, lard n'annonce-t-il pas Un retour , après lequel les „ Dieux soupirent depuis si longtems?" Pendant qu'il parle encore , le nuage ténébreux.
s'éclipse: Terrible, déjà Satan est assis sur son trône avec un œil courroucé. Soudain Sophie] ministre fervilç & zélé, vole vers les Montagnes de feu qui toujours annoncent avec des torrens & des flammes l'arrivée de Satan à toutes les contrées de l'abymè.
Porté sur les ailes d'un orage, il le rend à travers
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les cavités de la Montagne, vers son embouchure fulphureufe. Soudain les foudres & les éclairs dé* couvrent l'itnmenfe enceinte des ténébres. Chacun contemple de loin l'épouvantable Roi dans ces gouffres sillonnés de feux. Tous les habitants de l'abyme paraissent; leurs chefs courent se placer près de Satan sur les marches du trône.
Toi, qui pleine de ravisfemeht & de majésté, portes tes regards dans les enfers, en même tems que tu contemples la clarté divine sur le front de l'éternel, fille de Sion , montre moi ces ténébreux abymes, & fais retentir ma voix puissante , comme la tempête ou les ouragans de Dieu.
Adramelec vient le premier, esprit plus pervers & plus dissimulé que le Roi même des enfers. Son cœur brûle encore de Rage contre Satan, de ce que le premier il hazarda la grande ScissIon, qu'il avait depuis longtems lui-même frojetté. S'il prêta le secours de son bras, ce fut moins pour protéger les Royaumes de Satan , que pour son intérêt personnel. Déjà depuis des liecles incalculables, il avait réflechi comment il s'éleverait à la fupremat;, comment il exciterait de nouveau Satan à combattra Dieu, comment il l'éloignerait à jamais dans l'esp tee infini , comment enfin, si tous ces plans repaient infructueux, il l'y contraindrait pir la force des armes. Il roulait ces projets, alor même que les anges vaincus fuyaient devant l'éternel. I/Enfer les avait déjà rassemblés: Adramelec arrive le dernier, il porte devant son armure guerriere une ta-
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blette brillante d'or, & s'écrie : ,,:Des Rois fuir ainil lâchement ! guerriers vous devriez plutôt „ célèbrer votre liberté conquise , & pénétrer en triomphe dans ces nouvelles demeures de magnificence & d'immortalité. Lorsque l'éternel & fo 11 fils forgerent leurs nouveaux foudres, & qu'au ,; milieu de la mêlée, ils vous ponrfuivaient avec „ un regard formidable, je montai dans le fanuaire de Dieu ; là je trouvai cette tablette, où re„ posent écrites les deilinées dé votre future grandeur j rasfem blés. vous, lisez l'écrit celeste, voici comme s'énonce le Destin : - ,, Un de ceux sur qui maintenant Jehova commande comme à des „ esclaves, reconnaîtra qu'il est Dieu; il abandonnera le ciel, & dans un espace solitaire il trouvera des retraites avec ses compagnons déifiés.
„ A la vérité il les habitera d'abord avec dégoût, comme son ennemi même habita le chaos, avant „ que j'eusse bâti pour lui Tédificc du monde. Mais „ qu'il séjourne avec courage dans les Royaumes ;, des enfers ; un jour des empires glorieux sortiront de leur fein. Satan doit les fonder, il en „ recevra de moi-même le plan céleste, du pied de „ mon 'trône sublime. Ainsi je l'ordonne moi Dieu „ des Dieux , qui seul embrasse dans mon infinité „ le cercle immense de l'espace avec ses mondes & ;, ses Dieux." Mais l'enfer ne crut point à cette prédiétjon L'Eternel entendit la voix de l'impoflure, & il dit : il Je fuis Jehova , éternellement semblable 4
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9$moi-même ; le pèchent même épouvanté est ,, la preuve de ma grandeur.-*' Soudain la sévere justice s'échappe du fein de Dieu.
Dans le creux des Enfers s'élance sans cesse hors de l'océan des flammes, un tourbillon de feux, qui court se perdre dans la mer de la mort. Tout à coup franchissant ses bornes, entouré d'un groupe de tonnerres, il enveloppe Adramelec & le précipite dans les vagues ténèbreuses. Sept nuits consecutives s'abaissèrent sur ces sombres rivages. Pendant cet intervalle Adramelec reposa dans J'abyme. Longtems après il éleva au destin un temp'e, où comme grand prêtre de cette Divinité supérieure, il déposa cette tablette d'or. A la vérité nul ne croit ces fabuleux récits ; mais des hipocrites, vils adulateurs d'Adramelec , se courbent en sa présence devant cet être chimérique, dont ils se jouent, quand le grand prêtre est éloigné. Adramelec fort de ce temple, & plein d'une fureur concentrée, il court se placer sur le trône auprès de Satan.
Après lui Moloch, esprit Guerrier, arrive du haut de ses monts caverneux. Là sans cesse, pour sa désense, il entasse Montagnes sur Montagnes, dans le cas que le guerrier tonnant, c'est ainsi qu'il nomme Jehova, descendit dans les plaines de l'Enfer pour s'enemparer. Là quand le jour s'éleve triste & nébuleux sur les bords enflammés de l'océan, les habitans de l'Enfer le contemplent , lorsque , haletant fous le poids des rochers qui retentissent comme l'airain, il gravit péniblement jusqu'au sommet de la Mon-
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tagne. Quand de cette hauteur il a précipité ces nouvelles masses vers lesvoûtes de l'Enfer, & que les rocs brifés réfpnnent encore dans la profondeur ) il s'éleve dans des nuages, & s'imagine que son bras lance le tonnerre. Saisis d'admiration, les esprits infernaux le regardent d'en bas. Moloch fait retentit sur leurs têtes le fracas des Montagnes ; soudain ils fuyent devant le guerrier dans une terreur refpeétueufe. Il marche, son armure guerriere retentit comme le tonnerre enveloppé de sombres nuages; devant lui les Montagnes frémissent, & les rochers tremblants s'affaissent sur ces traces. C'est ainsi qu'il approche du trône de Satan.
Belielel le fuit, il arrive dans un morne silence des forêts & des plaines, où jaillissant d'une source nébuleuse, les ruisseaux de la mort roulent vers le trône de Satan. Là Belielel habite, en vain, éternellement en vain il s'efforce de façonner à l'image des mondes du créateur les contrées de la malédiétioll. Eternel, tu le contemples avec un sourire sublime, lorsque d'un bras impuissant, il tâche sur ces rives ténèbreuses, de transformer en Zéphirs rafraichissants les formidables tempêtes. Soins inuti" les! Les ouragans grondent sans cesse, & les terreurs de Dieu se déployent sur leurs ailes dévastatrices.
La folititude & le ravage reposent indeftrudtibles dans l'abyme ébranlé. Plein de rage, Belielel fonge à ce printems immortel, qui souriait, comm un jeune Séraphin, autour des plaines céleftes* Comme.
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il désirerait transporter llll" parure dans les forabres vallées de l'Enfer. Dans ion impuisiance il soupire de rage. Eternellement deserts, éternellement informes, ces trilles vallons, séjours de douleur, languissent devant lui dans une aiïreufe obfcnrite.
L'œil morne, Belielel s'approche de Satan. Son cœur relpire encore la vengeance contre celui, qui du haut des plaines célestes le précipita dans les Enfers, dont le féjpur lui paraît de siecle en fiecie plus horrible.
Tu vis aussi dans tes gouffres le retour de Satan, toi Magog, habitant de la mer de la mort. Soudain tu t'élances hors de tes tourbillons mugissants.
Les mers se partagent en deux hautes Montagnes, lorsque son pied rapide fend les ondes ténèbreuses.
Il maudit l'Eternel depuis sa prolèription, sa bouche exhale sans cesse le blasphémé & l'outrage.
Dans ses projets de vengeance , il veut anéantir les enfers, dut-il y consacrer des Eternités. A peine at-il quitté les flots, que d'un bras deftruéteur il lance dans l'abyme & des montagnes & des rivages.
Ainsi se réunissent auprès de Satan les princes de l'Enfer, leur bruit confus ressemble à ce'.ui des iles de la mer arrachées de leurs fondemens. Au milieu d'eux , la foule des esprits subalternes s'agite innombrable autour du trône de Satan : Ainsi.
les vagues de la mer se brifent contre les rochers.
Déjà tous les esprits infernaux font rassemblés ; ils marchent, & chantent leurs propres exploits condamnés à la honte & à la flétrissure immortelle, au
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bruit de harpes lugubres, sacrileges, fêlées par le tonnerre, & désaccordées au ton de la mort. Tels, dans les heures les plus sombres de la nuit, retentissent des cèdres, lorsque roulant sur son char d'airain, le vent du nord se promene sur leur cime , que le Liban tremble, & que Wiermon frémit. Satan voit ses sujets & les entend approcher. Plein d'une joye sauvage, il se léve avec impetuosité, & les parcourt de l'œil. De loin, parmi la classe la plus abjeéte, il apperçoit dans une attitude dérisoire, la horde vile des Athées. Gog est à leur tête, il les surpasse par sa stature & sa demence.
Dans leur delire, ils s'excitent, ils se tourmentent mutuellement pour se persuader, que l'exiftellce de Jehova d'abord pere, ensuite juge, n'est qu'un fonge, un jeu d'une imagination egarée. Satan les contemple avec dérision , car au milieu de son aveuglement, il ne fent que trop qu'il existe un Eternel. Tantôt il se leve plongé, dans une profonde rêverie, tantôt il promene lentement ses regards autour de lui, tantôt il s'asseoit de nouveau.
Ainsi des orages menaçants se divisent & s'étendent sur des montagnes inhabitées. Bientôt sa bouche s'ouvre avec impétuosité, il parle: Mille tonnerres s'échappent de son fein.
Les passages, que je viens de citer, outre l'avantage de vous donner une juste idée de la magnificence & de la sublimité du poeme, feront un
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exemple de la manière dont les poëtes doivent être traduits en proie.
- La nature elle-même semble inspirer les aimables ouvrages de Gessner. Quelques anciens avaient ap..
proché de cette attachante simplicité, que les modernes & surtout les Français ont sans beaucoup de faccès tenté d'imiter. Les beautés pastorales intéréssent les hommes, quelques soient leur patrie, leur rang , & leur état ; à moins qu'ils n'aient en partage une ame entièrement desséchée.
Wieland, souvent sublime & grand , se montre toujours élégant, toujours corredt: Son miroir d'or, ion Agathon suffiraient seuls pour lui assurer l'immortalité ;.— mais je m'rrête, car il ferait trop présomptueux à moi de prétendre vous faire coniaîpre tous les écrivains qui fleurissent en Allemagne : Quand même je posséderais les connaissances qui me manquent pour remplir cette belle, mais difficile tâche, il suffirait, pour que j'y renonçasse, qu'elle prescrivit la nécessité d'un ouvrage beaucoup plus étendu qu celui-ci.
Cependant je ne te laisserai pas dans l'oubli, 0 toi, qui, d'un pinceau si vrai, si sombre, si hardi, nous peignis les passions du jeune Werther. 0 Goethe ! comment as-tq pénétré aussi profondément dans les abymes d'un cœur enflammé ! le génie ne suffisait pas : Ton ame de feu fut sans doute en proie aux f(mgueux orages d l'amour. L'être sensible que la passion ira pas encore subjugué versera des pleurs sur le fort du jeune Werther & recevra par
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cet exemple d'utiles leçons ; mais si Charlotte a paru, si elle est adorée, si elle est enlevée, s'il faut y renoncer pour toujours. Que le voile le plus impénétrable dérobe aux yeux de l'amant désespéré un tableau déchirant qui l'égarerait, qui lui ferait chercher avec avidité dans le suicide la fin de ses maux.
La sagesse, la vertu.de Goethe. font trop connues pour ne pas rendre éclatante la pureté de ses intentions. Cependant plus d'un malheureux, après avoir dévoré cette terrible & sublime composition, s'est frappé. Que tout homme, en proye à une grande paillon, redoute l'effet de ce tableau si vrai: S'il ose le fixer, l'enchaînement, la force, la vérité des situations, étoufferont la voix de sa raison.
En effet, quand l'amour. Insensé, qu'allais-j e faire ? M'appartient-il de parler encore de l'amour ?
puis-je oublier qu'il est des circonstances dans lesquelles l'homme doit effacer de sa mémoire jusqu'au .nom du sentiment, dont les plus cruelles peines font mille fois préférables à l'accablante stupeur de l'indifférence. Quelle affreuse position ! puisqu'il n'est que trop vrai.
Qu'on meurt deux fois dans ce bas monde, La premiere en perdant les faveurs de Fenus, Peu mimporte la feconde, C'est un bien quand on n'aime plus (hh).
(MI) Les plus célébrés auteurs "ne présentent souvent pour fruit de leur i.n.isiiiation que de Amples réminiscences. Ils imitent
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CINQUANTE ET UNIEME LECTURE.
S U I S S E.
lUdE Suisse généreux, libre & pauvre conferve dans son caraétere, un courage, une franchise, une sensibilité qui ne se rencontrent chez aucun autre peuple. Les mœurs pures ne lui causent point de furprise, & ne font jamais l'obj et de ses railleries; cherchez donc parmi ces vertueux Républicains les traits de l'homme primitif, avant que la nature eut corrompu toutes nos affrétions, ou du moins les eut dirigées vers des réfuitats opposés à leurs principes. C'est fous les toits rustiques des cr.ntons intérieurs qu'habitent les sentimens honnêtes, les vertus simples; leur réunion présente un ensemble bien attachant : La paix & l'aisance répandent un joie douce, une propreté riante , dans ces retraites enchantées, à l'aprroche des quelles tout cœur sensible
même des écrivains fort au dessous d'eux ; alors la copie conferve du prx pendant que l'original reste dans l'oubli; les vers que je rapporte de La Motte font peu connus, tandis que tous les gens de goût savent par coeur l'imitation qu'en a donné Voltaire:
On meurt deux fois, je le vois bien ; Cesser d'aimer & d'être aimable, C'efl une mort inftipportable, Cesser de vivre, ce n'eit rien.
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s'épanouit. Des vallons fertiles, des paturages abondans font couverts de troupeaux immenses, les vaches traînent avec peine leurs mamelles bienfaisantes ; les brebis plient fous le poids de riches toisons ; des paysannes grandes, fraîches & jolies font retentir les Bois de chansons aussi naïves que mélodieuses. L'habitant de ces contrées, assez peu fage pour les quitter, en conferve toujours le plus tendre souvenir. Les illusions dont l'entourent la vanité, le luxe & la grandeur, remplacent mal les jouisfances de sa jeunesse : Leur souvenir le plonge dans la mélancolie & remplit souvent ses yeux de larmes.
Les mêmes lieux , dans lesquels la sensibilité se nourrit d'aitedions touchantes, élévent l'ame par de fortes images. Nulle part l'effet heureux des contrastes ne fut mieux prononcé, la nature déployant ses facultés avec énergie, prit plaisir à renfermer ses attraits les plus aimables dans le fein des plus farouches beautés, tout dans cette région paraît tracé avec de' grands traits ; chaque pas offre d'imposans fpe&acles. D'immenses lacs, de hautes montagnes, de bruyantes cataractes, d'énormes glaciers, pénétrent d'un réligieux refpeâ: ; les cimes des monts, tels que des temples habités par l'esprit divin, transportent les mortels hors d'eux mêmes. Là le fein se dilate, le cœur palpite, l'ame se purifie, les idées se dévéloppent, le génie centuple ses farces, toutes les qualités morales & physiques atteignent une majeihieufe grandeur. Les peuples de l'antiquité celebrèrent leurs cultes sur les hauts
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Lieux, qui toujours filcrés étaient quelques fois des divinités. Atlas, Etna, Caucase offraient à la vérité des exemples d'une sévere justice, mais Cythéron & mille autres su bfiitaient, éternels monumens des récompenses accordées aux actions vertueuses.
Les Romains adoraient au Capitole ce Dieu très grand (*) maître des autres dieux , seul assez puis-* fant pour assurer l'empire de la Terre. C'est sur le Sinai, retentissant des éclats de la foudre., embrasé du feu des éclairs, que Moyse. reçut la loi des Hébreux. < Jeune homme qui portes n toi l'amour de l'hw.
manité & la fois de la gloire, la Suisse t'appelle cours y fructifier des germes jnapréciables: Dans ces parties fertiles, tu t'accoutumeras à pratiquer les vertus : Parmi nous, tu n'apprendrais qu'à les louer. De même que les Athéniens corompus, nous connoissons ce qui est bien, mais nous le laissons exécuter à d'autres. Parvenu au sommet des Alpes, tu verras les orages se former fous tes pieds, la Terre devenir un seul point, les monumens de l'industrie , les mobiles de l'intérêt, les jouissances de l'orgueil disparaîtront de devant tes yeux : Qui se dépouille du voile épais des préjugés sourit, de pitié, à l'aspeét des objets les plus frappans, lorsque l'imagination les revêtit de ses preihges.
Le seul reproche qu'un être sensible adresse aux Suisses, porte sur la coutume de vendre leur fang
H Dsus wxivttt.
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à tous les états de l'Europe, avec une ihdiiïerefice & une cupidité qui bléssent. Cette erreur paraît moins coupable , quand on pense que c'est pour se maintenir en état de résister à la puissance des Rois, que ces Républicains les fervent : Le plus souvent après avoir confutné de longues années dans le tumulte des cours , au milieu du luxe des grandes villes, ils regagnent leurs foyers empressés d'y vivre avec une franche & modeste bonhomie.
Plusieurs auteurs ont peint, une terre intéréssante par elle même & par les hommes qui l'habitent.
Les tableaux fortis d'entre les mains de J. Jacques font superbes, achevés, ravissans, ils parlent à l'imagination, à l'esprit & au cœur.
Un Anglais a donné une esquisse agréable de la Suisse , Ramond s'en est saisi : Un modele de peu d'étendue a produit une copie pleine d'intérêt j riche de savantes recherches, ornée de descriptions sentimentales. Buffon loua le jeune auteur, qui décrivait si bien les phénomènes des Alpes, depuis il l'admira quand parurent les observations sur les Pyrénées : Ce grand homme, poussa la générolité jusqu'au point de dire que le style de l'histoire na* turelle était égalé par celui de Ramond : Si la modèstie diéta cet arrêt, la justice du moins prescrit de reconnaît tre que peu d'imitations approchèrent jamais autant des beautés originales.
Les vertus des Suisses, si dignes d'éloges, favori- fent peu la culture des lettres & des beaux arts.
Cependant parmi eux , ont paru des écrivains, des
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reux climat de l'Europe, au milieu des beautés enchanteresses de la nature , des "chef-d'œuvres des arts, a formé des écrivains dignes d'elle. Quoique plusieurs prosateurs aient déployé un mérite réel , ils font presque tous éclipsés par les poètes.
Le Dante prenant 'le plus grand essort; surpassa ses contemporains, plana dans des régions que l'œil de l'imitateur n'ose pas fixer ; mais il ne put malgré toute la force de son génie répandre sur ses ouvrages une lumiere assez éclatante; ce poëte sublime , ferré, obscur, inégal reste trop souvent incompréhensible.
D'entlioufîastes italiens élévent des autels à là divine Comédie, d'injustes étrangers outragent la Comédie de l'Enfer, du Purgatoire & du Paradis.
Tous obéissent a des passions d'autant plus blâmables , qu'elles font aveugles : Ils peuvent être comparés a des juges odieux qui pour prononcer sur les accusés, ne demanderaient que leurs noms, très indifférens d'ailleurs sur la nature des plaintes, ou des réclamations.Le désordre du plan, la grossiereté des mœurs, la disparate des caraéteres, l'oubli des regles, font l'effet de l'absence totale du bon goût, dans le siecle où vivait le Dante : Ce fut à lui seul, qu'il dut, les pensées profondes, les peintures aimables, les descriptions brillantes, les traits ingénieux, les mouvemens pathétiques, qui donnent tant de prix à sa bizarre compositions Ugolin
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Ugolin rongeant le crâne de son ennemi présente un tableau qui fait frissonner : Jamais la terreur ne fut plus profondément maniée : Cette situation de génie suffirait pour assurer l'immortalité. Le discours du fpeélre se retrouve dans la belle scene de Romeo & Juliette, de Ducis : Qui pourrait l'envisager sans effroi, quand Larive transporte le fpeétateur dans l'affreux cachot: On voit le vieux Montaigue, on entend la porte se chahger en mur : On partage le déchirement de ce pere infortuné: On receuille avec lui les derniers ioupirs de ses fils expirans de faim: On partage ià fois de vengeance ; on s'offense du peu d'indignation que fait naître l'horrible récit; on s'écrie en partageant son transporte
,, La raison, Romeo, vient vite a tonfecours, ,, Ce n'est pas dans ton fang, qu'ils ont puisé leurs jours, „ Ton cœur donne à leur perte, une pitié légere, » Tu nefens pas pour eux, les entrailles de pere."
Rivarol marche l'égal des meilleurs écrivains dans sa traduction du Dante, dont le style est brillant, pur & nerveux.
Le Tasse , l'Arioste , placés près d'Homere & de Virgile , ont élevé deux monumens auxquels font dus de très grands éloges, sans que d'après l'extrême différence de leur genre , l'on foit dans le cas d'établir entr'eux aucune comparaison.
Le premier, exécuté sur un plan vaste & noble, offre la plus belle machine épique, qui foit connue.
L'éclat de ses beautés ne saurait être terni, ni par
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quelques faux brillans, ni par un merveilleux dans lequel font confondues les austeres vérités de la religion & les riantes allégories de la mythologie : Malgré ces défauts bien reconnus, l'homme sensible pardonne difficilement à PAriftarque Français de s'être appesanti avec une espece d'acharnement sur le clinquant de la Jerufaient dèlivrée.
Qui se trouve privé du plaisir, du bonheur de lire dans sa langue le Roland furieux, ne faura jamais jusqu'où peuvent atteindre l'imagination & le génie ; d'inappréciables trésors y font répandus avec prodigalité. La froide symétrie, entièrement négligée , fait place à de nombreux & superbes écarts toujours furs de plaire. Ce fera , je pense , assez magnifiquement louer le prince des poètes Italiens de dire que Voltaire fut, pendant vingt années & dans la force de son talent, occupé de ce poëme unique : Qu'il en a donné une imitation reconnue pour le plus beau poëme Français, qui néanmoins est bien loin d'égaler son modele.
Il ne faut pas que vous ignoriez une circonstance, qui ajoute beaucoup aux difficultés de la Langue Italienne. Cette langue se divise en deux branches bien diftinétes, l'une employée par la poésie , l'autre par la prose. La premiere, sans règles précises, dépend entièrement du caprice des poëtes.
Dès qu'un d'entr'eux de quelque réputation , s'est servi d'un mot, il reste comme fondé sur une autorité infaillible. Le plus souvent, d'anciens tourqe que la prose a perdue , se retrouvent dans la poésie,
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dent on pourrait presqu'appeller la langue une langue morte. Plusieurs poètes font inintelligibles pour ceux qui n'ont pas fait une étude particulière des licences poétiques ? On doit attribuer leur origine à la division de Mtalie en plusieurs états.
Comme il n'existe pas de capitale qui puisse fetvir d'école universelle, de réservoir commun de connaissances, chaque ville considérable adopte des préceptes différens.
Les licences, devenues beaucoup trop communes , loin de contribuer à la perfeétion de l'art poëtique, y nuisent au contraire d'après la facilité qu'elles donnent, aux versificateurs médiocres, de suppléer par des tournures singulieres au manque d'idées. Les Italiens ont donc très grand tort de se glorifier d'une prétendue richesse, que fera sans doute tomber en désuétude l'exemple donné par Metastase. Ce poëte, le plus élégant qu'ait produit l'Italie, a renoncé au langage poëtique : Fort de fou génie, il a fui toute affeétation. La noble simplicité de son style donne à ses immortels ouvrages un naturel bien préferable aux Concettis, dont les plus recherchés rlaifent un instant, mais ne tardent pas à fatiguer.
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CIN QUANTE TROISIEME LECTUR E
LITTÉRATURE ANGLAISE, L'ANGLETERRE, de tout tehis fiere rivale de la France en richesse , en industrie, en puissance , lle lui cède ni dans la perfection des beaux arts, ni dans la culture des lettres. Sur les bords de la Tamise ont brillé autant d'hommes célèbres que sur ceux de la Seine. Ces deux nations se font plues à tous les genres, mais chacune d'elles en a rencontré dans lesquels ses succès paraissent plus marqués. L'estimation des différens dégrés de fupérioîité, ou d'infériorité déplairait aux deux parties :,intéressées. Les peuples, ainfl que les individus, d'après une vanité indéfinissable, attachent d'autant plus de prix aux qualités qu'ils ont moins de certitude de les posséder. D'Alembert eut appris sans courroux que le titre de grand mathématicien lui -était refusé ; mais il n'eut, jamais pardonné à qui 3e ferait permis de jetter quelques doutes sur ses prétentions littéraires: Tandis que Voltaire se ferait senti bien plus agréablement ému par le flatteur, qui l'aurait comparé à Newton , que par l'homme juste admirant en lui le chantre de Henri IV, l'historien de Charles XII, & le pere d'Alzire.
Oferais- je prononcer sur Milton qui tantôt me transporte , tantôt me choque , mais que toujours
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je respeéte en voyant les Adisfon (si) J les Stéel lui accorder une admiration trop éclairée pour que.
personne la combatte. „ Ceux , disent-ils dans la „ fpeétteur, qui ne veulent pas donner le titre do ,, pocme - épique au Paradis perdu de Milton , peu- „ vent, s'il leur plaie, l'appeller un poëme divin.
,, L'on ne saurait méconnaître ses perfections, du ,, moment où l'on voit qu'il réunit toutes les beau,, tés des plus hauts genres de poésie. Une leétiure ,, réfléchie suffit pour convaincre que le Paradis ,, perdu, confidéré par rapport aux quatre grandes „ parties de FEpppée, la fable , les caratfteres y „ les sentimens, la poésie , excelle clans chacune „ d'elles; mais le premier talent de Milton , celui „ qui marque une supériorité bien diftinéte, c'est „ la sublimité de ses pensées. Parmi les modernes ,, on rencontre souvent des rivaux dignes fous plur „ lieurs points de vue d'être opposés à cet homme „ étonnant, tandis qu'en grandeur de sentimens il „ triomphe de tous les poëtes foit anciens, foit „ modernes, excepté du seul Homere." L'éloge que je mets fous vos yeux, susceptible des quelques modifications, ne doit être retouché que*
C ii) Les discours du fpeétateur sur Milton se resfenrenr un peu de la prévention nationale, plus forte peut-être chez les Anglais que chez tout autre peuple. Cependant ces discours peuvent êtra regardés comme des inodeles de diseuffion & de critique. Je conseille donc aux jeunes personnes qui apprennent l'Anglais non feulement de les lire avec a :rclltiOI1 J mais de les traduire. Speft.
No. 267. 279. &c,
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par des mains très habiles: Celle d'un français bonleverferait ce qui doit finalement se corriger.
Le seul reproche que j'adresse à Milton, est la sublime grànd&ur de l'Ange des ténébres. On admire celui qu'on devrait abhorrer : De l'admiration à l'intérêt, l'intervalle reste trop court, pour ne pas être promptement franchi. L'idée d'ajouter à la gloire d'un héros, par le mérite de ses adversaires -est sans doute très noble ; mais d'après les bornes prescrites -à nos sentimens, à notre imagination, celui qui trace le grand, échoue dans l'entreprise de placer au dessus d'une maniere deftméte le très grand. Hedtor balance au moins Achille : Turnus intéresse d'avantage qu'Enée: Tancrede fait oublier, Renaud; ces deux derniers héros font souvent elfacés par Argan. J'ai vu mon ami se passionner pour le farouche, le terrible mais intrépide Circassien.
Les grandes images font à mes yeux le vrai triomphe de Milton.
,, Satan léve sa tête au dessus des flots enflam,, més, roule sur l'abyme des yeux' étincelans ; le „ reste de son corps immense flotte au loin l'espace ,, de plulieurs milles : Il voit ses compagnons abat;, tus, enchainés, semblables à ces iles mouvantes „ que le Maure fixe sur la surface de la Mer : Il "voit son séjour d'horreur entouré de terres qui ,, brûlent d'un feu solide comme le lac brûle d'un 3, feu liquide.
Toute main qui après avoir placé dans une ba.
lance Corneille & Sliakespear , la fait pencher en fa-
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veur d'un de ces grands hommes, me parait bien téméraire. Quelque foit celui des deux Eschyles modernes que le goût condamne , je resterai pénétré d'une égale & refpeftueufe admiration : On ne me vera pas, comme l'imprudent Houza, soutenir l'Arche chancelante.
Shakespear entraîné par un génie vigoureux; mais rude , peint la nature avec des traits hardis pleins de vérité, en un mot admirables, si quelques fois ils ne blessaient pas faute d'assez de poli.
Chez ce poëte précurseur de la renaissance du goût, l'homme se montre tout entier: Aucun art n'est mis en usage pour former des caraéteres appropriés au théatre , & dans lesquels les foins pris, pour donner une noblesse trop soutenue, étouffent jusques aux moindre- traces de naturel ; là tandis que des adtes de courage , des vues profondes, des vertus magnani.
mes, des sentimens généreux remplissent l'ame d'un brûlant enthouilasme : Les vices bas, les passions honteuses, les crimes atroces, les cruautés dégoûtantes , font frisonner d'horreur. Cette scrupuleuse exaétitude met fous nos regards, l'image hélas !
trop fidelle, des faiblesses, des grandeurs dont notre être se compose. L'Anglais l'admire , le Français la repousse : Le poëte que l'un encense comme presque divin, paraît à l'autre, diffus, dur & presque Barbare.
Voltaire le premier nous donna une idée de Shakespear, ses éloges firent naître un goût, aux trop grands progrès duquel, il voulut depuis s'opposer
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mais en vain. Quiconque donne aux cliofes une trop forte impulsion, perd bien vite le pouvoir de les diriger, ou de les retenir. Nous avons été témoins d'indécens débats, survenus entre les partisans & les détracteurs du tragique Anglais : Le juge impartial prononce que ses beautés n'effacent pas ses défaut, que ses défauts n'éclipsent pas ses beautés.
Si l'artiste dont le génie enfanta le groupe de Laocoon , eût laissé quelques morceaux de marbre entièrement bruts, malgré de vifs regrets, en ferions nous moins frappés de l'ordonnance de ce sublime Monument? N'entendrions nous plus retentir jusque dans nos cœurs les cris déchirans de la nature ?
Ne nous sentirions-nous plus transportés par ce combat terrible , ou le marbre animé exprime à la fois le courage, le dévouement, la tendresse.
,, Les monstres brillans du St. Cristhophe des tra- ,, giques, plaisent aux Anglais, mille fois plus que „ la sagesse moderne. Cet arrêt de Voltaire est cause que plusieurs personnes résolues de donner des éloges, mais incapables de les fonder sur leur propre expérience , pensent que les mouvemens impétueux, se font seuls admirer dans Shakespear.
Ce grand-homme né très fenuble, qui ne délire qu'une feule fois des richesses pour goûter les plaisirs de la bienfaisance, a peint avec succès les sentimens les plus doux. Des morceaux pleins d'ame, attachent par leur pathétique & rappellent, par leur iimplicité, le vrai beau des anciens. Je vai.
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tâcher de vous en offrir un tiré de la tragédie d'Othel!o. Le héros de cette belle piece , superbe dans Ion irrégularité, est un Maure accusé d'avoir mis en usage des philtres & des resfouroes magi..
ques, pour séduire la fille du sénateur Brabante ; Il demande qu'elle foit appelles devant le tribunal & dit ensuite.
Othello.
,, Jusqu'à ce que Desdémone paraisse , le ciel m'est - témoin qu'avec la même franchise qui dide l'avez ,, des vices de mon fang, je vous apprendrai comment l'amour m'enflamma pour cette beauté & elle pour „ moi.
„ Sonpere m'aimait, m'appellait souvent, m'inter"rogeait sans cesse sur les événemens orageux de „ ma vie, sur les sieges, les batailles, les hazards : Par „ ses ordres je remontais de l'heure où il m'écoutait ,, aux jours d2 ma plus tendre enfance. Tantôt je rap"pellais d'affreux désastres : De cruels accidens sur „ les flots & sur la Terre : D'inperceptibles ressource "dans les dangers prêts à fondre sur ma tête : Un » ennemi audacieux me rangeant parmi ses captifs : „ Mes mains chargées des fers de l'esclavage: Ma li,, berté reconquise: Des combats soutenus avec intré„ pidité & constance : Des vidoires éclatantes : Des „ revers qui coûtaient des larmes aux vainqueurs. D'au>} très fois je décrivais un Hége, pendant le cours du„ quel, la fortune m'avait réduit à braver la peste & "la famine, à maîtriser des soldats sans foIde, sans
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s, discipline, aussi lâches contre leurs ennemis qu'infQ9i solens envers leurs chefs," ,, Désdémone eût ardamment désiré ne rien per-.
dre de nos entretiens. Cependant quelques foins domestiques l'arrachaient souvent d'auprès de jj nous : se hâtant de les terminer elle accourait & "d'un air passionné dévorait mes discours. Cette „ attention me frappa , je saisis une heure favorable, u j'obtins que son cœur épancha une pressante 'j,priere de raconter mes avantures: Presque toutes „lui étaient connues; mais sans ordre & sans fuite.
j? Jaloux de la satisfaire, j'apperçus souvent des larj, mes, que la pudeur prétendait cacher, mais que w la sensibilité versait sur les maux auxquels ma "jeunesse fut souvent en bute.
,, Le récit terminé , mille & mille soupirs furent „ ma rccompenfe. Désdémone s'écria, En vérité c'est merveilleux, au dessus du merveilleux, digne d'in,, térét, du plus vif intérêt.,. Elle voudrait n* „ l'avoir pas entendu. Elle voudrait pourtant que 9> les cieux l'eussent formée semblable a un tel homj, me.,. Elle ajoute, si un de vos amis était jjpaiTionni pour moi , apprenez lui à narrer votre „ histoire, il plaira : D'après cet aveu tendre „& flatteur, je parlai. Elle m'aima pour les „ dangers que j'avais courû, je l'aimai, parce qu'elle leur accordait de la pitié.
,, Tel est l'enchantement dont j'ai fait usage, Désdémone s'avance, qu'elle atteste la vérité."
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B R A B A W T E.
„ Approche ma fille, devant cette noble asfem„ blée reconnais à qui tu dois le plus d'obéisj, sance." DÉSDÉMONE.
,, ô Mon illustre pere , j'observe qu'ici mon devoir v se trouve partagé. C'est de vous que 'j-'ai reçu ,, la vie & l'éducation , ces deux bienfaits, me rap,, pellent sans cesse combien il faut vous respecter.
„ Comptez donc sur ma soumission, toujours vous ,, trouverez en moi une fille tendre, empressée; mais ,, voilà mon époux. Ma mere vous préférant à son ,, pere, se montra digne d'éloges: A son exemple, "je réclame en ce jour qu'il me foit permis de ,, reconnaître hautement les droits du Maure, mon „ seigneur." Pénétré d'une forte estime pour Addisfon, & m'aveuglant sur mes forces, je tentai, il y a quelques années, de transporter dans notre langue la belle Tragédie de Caton. Ce ne ferait donc que payer tribut à la faiblesse ordinaire des traduéteurs, d'élever ce poète au dessus de tous ceux qui ont existé ; mais un sentiment, plus fort que toute prédilection , la justice m'arrête , à l'instant où je voudrais l'égaler aux grands poëtes tragiques Français. Moins sublime que Corneille, trcs loin de la désésperante perfection de Racine , il approche de Voltaire, sans pourtant l'égaler. Comme lui Addi-
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son offre de superbes détails de poésie , de belles & trop nombreuses maximes poétiques & philosophiques, enfin il puise de l'intérêt dans la pompe du ipeétacle ; mais le poëte Français, du moins lors de ses jours de triomphe , n'aurait pas introduit dans un fujçt aussi noble , aussi grave, d'aussi froides amours; il eût surtout évité d'ourdir avec beaucoup de foins une conjuration , qui ne fert à rien dans la marche de la piece.
Outre les auteurs , qui, chez les deux nations, peuvent réciproquement trouver des objets de comparaison, chacune en posséde quelques-uns qui lui font propres, & qui n'ont nul trait de ressemblance.
chez les étrangers.
Young, par sa touche sombre & hardie, jette l'ame dans un état de mélancolie, d'admiration » de terreur, que personne avant lui n'avait inspiré.
La grandeur des images, la rapidité des idées , la pompe du style, la vérité des peintures, forment du poëme des nuits, malgré ses grands défauts, un ensemble sublime qui transporte, qui déchire & dont on ne peut s'arracher. C'est un sentiment nouveau qui nous pénétre à la fois de notre faiblesse, de notre force, de notre misere , de notre îioblesfe. L'homme, au comble du bonheur, apprend avec effroi que les plaisirs passagers font suivis de longs regrets: Le malheureux fent ses peines allégées par l'espoir magnifiquement annoncé que ce théâtre de douleur n'est qu'une épreuve de peu de durée,
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luivie de biens sans nombre , & sans fin. L'ambitieux s'étonne de voir les objets de ses désirs les plus ardens, devenus à ses yeux vils & méprisables.
Sterne , auteur original dans toutes ses productions, inimitable dans quelqlles-ùnes, n'inspire pas des sentimens modérés. Ses partisàns le louent avec transport, tes ennemis le déchirent avec acharnement.
J'avoue que les opinions de Tristam Shandi ne m'ont procuré que peu de plaisir. Le sens des allégories, qui, dit on , y fourmillant , m'est échappé ; le sel <les pkifanteries m'a paru beaucoup trop acre ; le seul épisode de Le Fevre se retrace souvent à ma mémoire fous les plus touchantes formes, Quels cœurs assez iridifférens pour que le voyage sentimental ne les pénétre pas des émotions les plus délicieuses.
Par un charme impossible à définir, dans le même instant, le cœur palpite , les yeux font remplis du larmes, le sourire naît sur les levres.
L'Humour, expression dont approchent, sans la reri-* dre pal-faitement, les mots dé gaieté & de badinâge, procure aux Anglais des jouissances peu goûtées par les étrangers. Lès charmes applaudis & récherchés à Londre paraissent ailleurs un peu forcés. Cette différence de goût se retrouve, chez toutes les nations, par rapport aux objets de plaisirs : Ils tiennent à trop de causes locales pour obtenir un aveu unanime , comme ce qui est le résultat de l'expérience ou du raisonnement ; les plaifantëties léeres, que les français mettent à un si haut prix, ne font qu'effleurer les autres hommes, près-
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que tous leur reprochent d'être froides & formées de traits, plutôt alambiqués qu'ingénieux. Ne pensez pas que Sterne parle ironiquement, quand il se plaint de trouver les français trop sérieux. J'ai moi-même éprouvé, combien il est difficile de satisfaire un Anglais qui demande un livre gai dans notre langue.
"Le véritable humour C") réside dans la pen99 fée ; résulte de l'art avec lequel on présente les „ objets dans des situations piquantes & fous des as99 peéts neufs. Une pensée plaisante frappe par sa „ beauté naturelle : Ses agrémens font bien plutôt ,, flétris que réhaussés par ce style ridicule que s'ef,, forcent de mettre en vogue , les gens a préten,, tions d'humour. Cette classe de gens rappelle les „ charlatans, qui pour faire un homme d'esprit le „ revêtissent de quelques costumes fantasques: Que nos écrivains, qui dans leurs frivoles compofi„ tions mettent de la caqueterie au lieu d'esprit, „ apprennent que l'humour a deux extrêmes également 9} blâmables : Le faux brillant & le pédantisme ; ,, l'un fent la toilette, l'autre les bancs.
Sans vous arrêter parmi les auteurs obscurs qui n'ont été que bas, quand [ils se croyaient plaisans , & dont les ris font des grimaces , remontez au Rabelais de l'Angleterre, à Swift: Dans ces ouvrages l'humour se rencontre au plus haut degré de perfection, aussi ses compatriotes lui prodiguèrent-ils des
(*) Tiré du Speétateur,
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dommages que l'on rend encore à sa mémoire.
Cet homme célèbre plein d'esprit, de feu, d'énergie , passe presque toujours , les bornes : Chez lui les plaisanteries font foiivent grossieres, les allusions froides, les contes puérils ; de révoltantes indécences déparent un style aussi pur qu'élégant : L'ironie prodiguée sans mesure devient d'une pénible froideur; mais une érudition très vaste & très faine étonne ; une morale parfaite mérite les plus grands éloges: En un mot, si le goût eût maîtrisé la riche imagination de Swift, nous applaudirions à l'honneur que lui fit Voltaire de le placer au dessus de Rabelais : Peut-être même personne n'accuserait Orreri d'une coupable prévention , pour avoir établi un paralleie entre Swift & Horace.
Pope , dont les talens poëtiques font si connus, si admirés, avait un penchant irrésistible vers la causticité : Les satyres en vers, les critiques en prose, se trouvent en grand nombre dans ses œuvres. Vous diltinguerez Martin Scriblerus , composition très ingénieuse & très gaie , pour laquelle il se joignit à Swift : Ces deux grands maîtres y couvrirent de ridicules l'amour excessïf de quelques pédans pour l'antiquité ; mais ils attaquèrent en même tems avec beaucoup de finesse, quoique d'une maniéré indirecte, les préjugés de leur tems.
„ Cornélius Scriblerus gros & grave allemand ,, habitait à Munster : Les anciens lui avaient in-
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5, spiré une raffion sans bornes. Indifférent pour w tous ses contemporains, il lie voulut porter le joùg "du mariage que quand la fortune propice lui of„ frit une jeune rerfonne, enrichie d'avantages "aussi rares que précieux : Elle comptait au rang "de ses ancêtres du chef de son pere , Cardan , „ de celui de sa mere, Aldovandre. Cette dame si bien choisîe après quelques expériences, tirées de chez les grecs, met au jour un fils.
,, A peine quelques faibles cris se font-ils entendre „ Scriblerus accourt, prend l'enfant, le confidere avec ,, attention : Quel pinceau pourra peindre la joie „ de ce bon pere à la vue des trésors possedés par ,, son fils : Il reconnait, en pleurant de tendresse , 99 la verrue de Cicéron, le cou plié d'Alexandre, les "varÏsfes des jambes de Marius : une de celle du ,, nouveau né, plus courte que l'autre, rappelait Age„ filas, quelques signes du bégaiement de Démosthè,, nés paraissaient le pronostic d'une égale éloquence. Tel est le cœur de l'homme, toujours ouvert „ aux désirs ambitieux. Scriblerus se flatta qu'avec "le tems, son trop heureux rejeton posséderait „ tous les défauts des hommes illustres chez les an„ ciens.
"Livr à de si doux pensers, il ne se lassait „ pas de regarder l'enfant, lorsque la fage femme „ impatiantée le lui arrache des bras afin de l'Elii„ mailloter : Vemmailloter ! s'écrie-t'il, loin, loin de "moi cette absurde coutUme. Mon fils n'est-il pas un homme? un homme n'est-il pas le roi de Ilit9, nivers;
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"ni vers. Est-ce donc ainsi que vous recevez ce mo,, narque entrant pour la première fois dans ses états?
,, Lui lier les pieds & les mains? Direz vous en„ core qu'il est libre? Si vous ne refpecîez pas sa "liberté naturelle ) ménagez au moins ses facultés.
„ uidmivez son adresse, remarquez avec quelle aifan,, ce, il remue indifféremment, les doits de ses pieds „ & ceux de ses mains: Dans peu d'années l'un de „ ces deux avantages lui fera ravi , par les cruelles gênes des bas & des souliers. Ses oreilles que les ,, autres animaux tournent avec tant de profit du côté ,, des objets sonores, refieront à jamais , graces aux ,, foins mal entendus d'une nourrice, plates & inznzo'" ,, biles. Les anciens bien différens les remuaient à ,, volonté c'efi pour cela que les poëtes , nous rs„ présentent si souvent leurs auditeurs, uirreSiis aurin bus (kk).
» Ojie diable cela veut-il dire? Voudriez-vous que votre ,, fils remuât ses oreilles comme un gros singe ? [ans doute.
„ Pourquoi s'opposer à ce qu'il ait la perfection d'un gros "singe ou d: tout autre animal ?"
Dans les imitateurs de Swift vous retrouverez beaucoup des défauts & peu des beautés de cet homme justement célebre fous bien des rapports.
Une branche de littérature dans laquelle les Anglais conservent jusqu'à ce jour la plus incontestable prééminence fixera particulièrement mes regards.
Heureux , si je parviens à vous inspirer le désir de
( kk ) Les oreilles dressées.
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la connaître , puisque dans mon opinion le goût des Romans Anglais, en procurant d'agréables jouisfances, contribue beaucoup à former l'esprit & le cœur.
Quelle fuite de tableaux pris dans la société; quel concours de situations neuves, vraies & intéressantes ; quel naturel, quelle connaissance des hommes, se rencontrent dans les Romans du premier mérite ? Ce ne font point de ces portraits qui, sans ordre, sans correction, & dépourvus de vérité , n'ont pour eux qu'un coloris brillant, dont l'œil d'abord ébloui, bientôt lassé, se détourne avec dégoût, pour ne jamais y revenir. On vit au milieu d'êtres animés qui attachent, qui font partager leurs plaisirs, leurs peines & leurs pallions. L'auteur reste entièrement caché ; il ne se trahit jamais par des traits d'esprit, par des réflexions morales, par des maximes exagérées, enfin il ne cherche point à briller aux dépens de la vraisemblance. Diderot a dit avec autant d'esprit que de justesse : Je connais la maison des Harlove, comme la „ mienne. Je me fuis fait une image des perfon,, nages que l'auteur a mis en scene ; leurs phifio..
nomies font là ; je les reconnais dans les rues, ,, dans les places publiques, dans les maisons ; elles „ m'inspirent du penchant, de l'aversion." Le nom d'Harlove rappelle le souvenir d'une des plus superbes compositions dont l'esprit humain puisse s'honorer. La vertu , qui combat, avec autant de peine que de gloire, contre le vice profondément
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calculé, offre un Spectacle bien imposant, bien digne d'intérêt. Clarisse, abandonnée de toute la terre, jettée dans un repaire infame de corruption, étonne , subjugue le génie entreprenant & fécond de Lovelace ; elle triomphe même à l'instant où elle reçoit le dernier outrage ; cet outrage , dont la honte rejaillit sur les monstres capables de le méditer, de l'exécuter, porte la mort dans le fein de la vietime innocente. Cataftropht déchirante, mais leçon terrible, qui nous apprend les fuites affreuses qu'entraîne une feule imprudence. Si la plus belle, la plus spirituelle , la plus vertueuse des créatures, ne peut éviter de tomber dans l'abyme, pour avoir hazardé de le considerer ; de quelle salutaire circonfpeélion toute jeune personne ne doit-elle pas être pénétrée ?
Le noble enthousiasme, dont se sentit animé Diderot, quand il célébra un si bel ouvrage, l'élevant au dessus de lui-même, il ne fut plus alors cet auteur connu par une obscure & presqu'inintelligible métaphyîfque, mais un écrivain éloquent, sensible ; en un mot, on retrouva pour cette fois le philosophe dont la conversation entraînante & sublime se faifaic rechercher avec empressement, tandis que ses écrits trouvaient peu de leéteurs.
Après un éloge qu'on peut presqu'appeller un hymne en prose, le mien resterait bien froid, je le supprime donc, mais à regret. Qu'il m'en coûte surtout de ne pas rendre hommage à la plus aimable des femmes, à la plus tendre des amies, à la
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charmante Miss Howe. Un homme de génie a pré-4 tendu transporter ce caraftere dans notre langue f ion succès à cet égard n'a pas été complet. Claire, à la vérité" présente plusieurs traits admirables f mais elle reste très loin de son heureux modele.
L'admiration, ressentie pour les chefs-d'œuvres de Richardson , ferait outrée , si elle rendait insensible au mérite de Fielding.
Malheureux qui ne connaît pas Tom Jones! bien plus malheureux qui le connaît & ne l'aime pas. Ce délicieux ouvrage instruit, amuse, attache. En le lisant on devient meilleur, on apprend à connaître les hommes, on fent la nécessité de pardonner des faiblesses qui presque toujours se rencontrent dans les plus riches naturels. L'intérêt se soutient avec la même chaleur depuis la naissance de Tom, jusque l'époque de son mariage. Les carafleres ne se démentent jamais & font tous achevés.
Vous admirerez le vertueux Alworthy, l'impétueux Western, la belle, l'aimable, la sensible Sophie chérissant son pere, supportant avec résignation une tante vieille, prude & pédante. Jones spirituel, bon, généreux , franc, incapable de haîne, pétulant, étourdi, entraîné par un irrésistible penchant vers les plaisirs, se nuisant à lui-même, ne faisant de mal à qui ce foit au monde : Blifil en proie au vice le plus hideux dont l'humanité foit affligée. Ce Blifil, qui fait horreur, par les traits de grand maître avec lesquels est déployée l'infernale noirceur de son ame, doit être médité par les
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peres de famille. Ne demandons jamais aux hommes un caraétere contrastant avec leur âge. L'enfant raisonnable , le jeune homme grave , l'homme fait oisif, le vieillard coquet, blessant également l'ordre de la nature font peu dignes d'estime & de confiance.
0 vous, parfaite image de la reconnaissance, bonne dame Miller, combien je vous chéris, que de douces larmes vous me faites repandre, quand je vous entends défendre avec chaleur votre jeune ami indignement calomnié: Je vois la bouillioire prête à voler , pour infliger un prompt châtiment à l'infame neveu, mais retenue par la présence de l'oncle vénérable. Que j'aime à vous suivre lorsque par un dernier effort, surmontant toute répugnance, vous portez une lettre à Sophie, qui ne peut cacher sa.
surprise : „ Votre physionomie, madame, n'annanca ,, pas le rôle que vous jouez." Ce reproche, peu mérité, tourne à votre honneur, en vous inspirant une réponse pleine de noblesse, d'éloquence &. de sensibilité Non feulement ces premiers caraéteres font admirables , mais ceux d'un ordre inférieur méritent d'être remarqués. Quiconque parcourt cette nombreuse & riche galerie, ressent une agréable surprise en voyant que tous les portraits, qui la composent, offrent des traits frappans (ll).
t Il) Je réclame pour le ministre Supple une attentiop particuIie- re. Ce personnage paraît tellement secondaire que la plûpart des
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Enfin aucun détail ne reste négligé. Si j'entre dans une auberge, l'hotesse fixe mes regards ; je retrouve sur le champ la main qui avec tant de finesse , tant d'habileté, tant de connaissances de la société, a peint le cercle, & les mœurs de Lady Alton.
Tout éloge exclusif annonce, ou l'aveuglement , ou le manque de iincérité : Avouons donc que Tom Jones voit ses belles qualités ternies par quelques défauts, dont un m'a plus particulièrement frappé.
Fielding point assez satisfait des richesles de son propre fonds, prétendit les augmenter par des imitations tirées des modeles les plus célèbres. Je pense qu'en cela il tomba dans l'erreur : L'auteur d'un Roman ou d'une Comédie a raison de s'emparer des situations heureuses dont on n'aura pas tiré tout le parti qu'elles promettaient ; mais il ne doit pas comme Fielding hasarder des copies de très grands maîtres. Partridge & l'auberge d'Upton font d'après Cervantes.
Aucun des caraéteres de Tom Jones ne laisse autant appercevoir le travail que celui du Barbier.
Cependant les efforts de l'auteur Anglais n'ont pu le rendre à beaucoup près aussi aimable que Sancho. Le Latin de Benjamin remplace mal les excel-
teneurs le remarquent à peine, & que très peu s'apperçoivcnt qu'il cft excellent ; pour l'apprécier il faut avoir vécu chez quelques riches gentil nomme s campagnards, avoir vu leurs curés bons & coniplaifans commensaux, à moins que l'ardeur de la chicane ne rompit toute liaison entre le ftigneur & le pasteur.
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lens proverbes. D'ailleurs Partridge mal-adroit, gourmand, indiscret, poltron , ne rachette pas comme le prototype des écuyers, ses défauts par cette naïveté , cette simplicité qu'accompagne toujours une finesse aussi gaie qu'agréable.
La féconde imitation est bien meilleure. Les aventures de l'auberge d'Upton, resteront à jamais célèbres par leur variété , par leur vivacité. On revient à ce morceau avec d'autant plus d'empressement que les rencontres nombreuses & singulieres ne blessent pas la vrailemblance, Cependant ce même morceau paraît dépourvu de chaleur, quand on le place près de la mémorable matinée où le Barbier réclame l'armet de Mambrin. Dans le tumulte pittoresque de l'hotellerie les incidens naissent en foule, ils se pressent, ils entraînent. La multiplicité des personnes employées, la rapidité des mouvemens, laissent à peine respirer le lec.'teur. Les hazards, les aéteurs, s'accumulent sans qu'il en résulte d'obscurité, on peut les regarder comme des fils très déliés, qui se mêleraient ensemble sans se brouiller. Certes c'est avec raison que Don Qui- , chotte au fort de la tempête se rappelle la discorde troublant le camp d'Agramant & compare les objets qui l'entourent à cette situation, sans contredit la plus belle qui se rencontre dans aucun poëme épique , foit ancien , foit moderne.
Si je parais m'être trop étendu sur un seul ouvrage , ne l'attribuez qu'au prix infini que je mets
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mets à ce que vous le lisiez. Puisse mon excuse faire pardonner ma prolixité. Malgré quelques longueurs, quelques peintures un peu communes, vous admirerez une foule de traits heureux dans les ouvrages de Smolett. Les effets de J'amour propre font rendus avec autant de force que de vérité, dans le caraétere de Peregrine Pikle. Trugnon est à la fois plaisant & bon: Pyple intéresse par un franc & courageux dévouement.
Mais rien de plus parfait dans son genre qu'Hatohaway. Dévorez dans le même ouvrage les mémoires d'une dame de qualité. Ah ! Milady.— Combien malgré vos erreurs vous intéressez. Votre exemple instruit toutes les personnes de votre sexe. Les femmes réservées apprennent que sans la vertu, les dons de la beauté , de l'esprit, du cœur ne conduisent qu'à des regrets. Les femmes égarées voyent, que des actions bienfaisantes font oublier leurs fautes.
Le Vicaire de Wakefield est un chef-d'œuvre qui reçoit le seul reproche de trop de briéveté. Jamais composition ne parut ornée de plus d'esprit, de graces & de naturel. Une teinte sentimentale, une tournure philosophique l'embellissent d'autant plus, que le goût empêche la premiere d'être trop forabre, & la fecçnde de tomber par son excès dans le ridicule.
Le Vicaire de Wakefield n'est pas le seul titre de célébrité que posséde Goldsmith: Ses histoires de Rome & d'Angleterre font d'estimables abrégés. Le
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voyageur se fait rechercher par l'élégance de sa poésie, par la justesse des idées. Les grâces, douces naïves & sensibles habitent le village défert. „ Pai„ sible folitude-, amie du déclin de nos jours, afile ? » étranger aux soucis que je n'eusse jamais du con„ naître : Combien est heureux celui qui fous des ombrages aussi frais que les tiens, couronne par une ,, viellesfe aisée , une vie orageuse ; qui s'éloigna ,, d'un monde dans lequel les paŒons s'agitent sans >, cesse, & qui fait fuir après de violens combats.
,, Pour lui aucun infortuné, ne iupporte la peine, 99 ne verse de pleur, ne fouille de mines, ne bra„ ve le courroux des mers. Quand sa demiere heu- , „ re approche, des esprits célestes empressés autour », de Pami des vertus biellfaifantes, le conduisent „ par une pente douce, imperceptible. La résignation "applanit la route, ses regards apperçoivent au s, terme de brillantes perfpeétives, les cieux s'oui, vrent devant lui avant que la terre l'abandonne.
Parmi les essais de Goldsmith plusieurs font agréables, quelques uns présentent d'utiles conseils. Je me plais à mettre fous vos yeux, un morceau qui a fait sur moi beaucoup d'impression : Il devient un& leçon frappante , pour tous les infortunés, qu'à cette heure le fort cruel persécute: Le but du philosophe Anglais est de prouver, que l'humiliante pitié se lasse bien vite : Les imprudens, les insensés accordent seuls leur confiance à ce faible support.
„ La pitié donne par fois des secours, mais cette "paillon de très courte durée, ne fait qu'un bien
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», passager : Chez plulleurs hommes le premier inté3, rét se soutient, jusqu'à ce que la main foit for„ tie de la poche : Chez d'autres il se prolonge, une j, ou deux fois plus longtems: Enfin chez des êtres s, d'une merveilleuse sensibilité , je l'ai vu ne s'é1) teindre qu'après une heure & demie : Mais quel"que durée que nous accordions à la pitié, elle „ produit toujours des aumônes *. Le même motif „ porte a donner tantôt cinq fols , tantôt une guij, née. Le malheur qui vous intéresse le plus, au ,, premier aspeét , émeut moins chaque fois qu'on le » présente de nouveau. De même que la répéti„ tion d'un écho diminue, a force de le frapper, ,, nos sentimens à la longue perdent toute teinte 9, d'intérêt, & se changent en véritable mépris. Cette réflexion rappelle a ma mémoire le fort de „ Jammingam , garçon d'un très bon naturel, qui „ maintenant n'existe plus : Il avait été élevé avec ,, assez de rigueur dans une maison de commerce: ,, Son pere mourant a l'époque de sa majorité, lui ,, laissa une belle fortune, & nombre d'amis.' "La contrainte dans laquelle Jammingam avait ), passé ses premieres années, répandait sur son ca"taétere un sombre, que plusieurs personnes i,, prenaient pour de la prudence. Sa réputation "se répandit avec rapidité , & lui valut de „ toute part des marques d'intérêt , des témoi„ gnages d'estime. Les riches le pressaient de puiser dans leur bourse, les peres qui avaient des filles, „ l'invitaient d'une maniéré affeétueufe à se marier.
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,, Comme il se trouvait dans une pofitionagréable, bien ,, traité par la fortune, par l'amitié , par l'amour, ,, toutes ces avances honnêtes furent réfusées avec M modestie.
,,Des erreurs dans la conduite de ses affaires, des 9, pertes dans son commerce, conduisirent Jammingara 5, à une différente façon de penser : Il crut que le 9, moment était arrivé, d'avoir recours à ses amis , „ en leur annonçant que des offres longtems reiuy, fées, feraient fort bien reçues. Sa premiere déj, marche fut près d'un notaire , qui souvent l'a99 vait prié d'accepter son amitié, de disposer de 9, sa fortune, dans des circonstances à la vérité ou 9, des refus paraissaient certains.
„ Plein de confiance il demanda cent guinées qui "lui étaient nécessaires pour peu de jours. Eh ,, Monjieur, dit le notaire, feriez-vous sans cette.
,, fonime? -- Oui, autrement vous la demùnderais-je?-- » J'en fuis faché, qui n'a pas d'argent quand il enz99 prunte, en manque toujours à l'époque de l'échéan,, ce: En vérité dans ces tems-ci, Monjîeur, l'argeni 9, est de l'argent. Pour mon compte je le crois tout au ,, fond de la mer. Celui qui en a gagné quelque peu „ est bien fou, s'il ne le garde pas soigneusement. i „ Notre homme un peu déconcerté sJadresfe au ,, meilleur ami qu'il eût dans le monde. Ce nouveau „ personnage parfaitement bien élevé, accueillit la.
„ demande avec une politesse , telle qu'on devait „ l'attendre de son grand usage du monde , & de 39 ses sentimens généreux." Qjxe je vous fils gvz
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,, Mon cher James, de me donner la préférence dans ,, cette occasion. Laissez-mai réfléchir un instant, vous „ déjirez cent guinées; est-ce que cinquante ne fuffira„ ient pas à vos bejoins ? — Il le faudra bien, si vous y, n'en avez que cinquante à me prêter — Cinquante à ,, vous prêter ! je ne dis pas cela, puisque tout au 1, plus vingt restent a ma disposition. — Et bien je "prendrai les trente chez un autre ami, — Parbleu „ ne ferait-il pas plus simple d'emprunter la '[amm.e j, entiere, de cet autre ami, il ne faudrait qu'un bil » let.. Vous savez. que depuis longtems les complimens .j, font bannis entre nous ; je fuis, je ferai toujours votre 9) compagnon fidelle. Mais voyez sur le champ ce monsieur, ensuite ne manquez pas de nous rejoindre „ pour l'heure du diner. Adieu, je fuis tout à vous.
,, Jamraingam, trahi par la fortune , par l'amitié „ fut affligé mais point abattu: L'amour paraissait ,, à ses yeux un support certain. Molly jeune veu,, ve , maîtresse de sa fortune , lui avait souvent ,, prodigué toutes les avances, qui ne blessaient pas „ la modestie de son sexe: Il courut chez elle plein ,, de douces espérances. Bientôt hélas! l'expérience „ lui apprit qu'un amant dans la misere, trouve peu de beautés favorables. Molly n'était plus n tnaîtresfe de son cœur, devenu le partage d'un n homme très riche, de plus, disait-elle , également „ honnête & sensible : Tous les voisins prévoyaient „ déjà son mariage.
"Cependant chaque jour dépoullait monpauvre ami ,, de quelqu'effet : Ses habits coururent piece par pie-
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t, ce chez l'usurier: Enfin on le vit rèvêtu des tristes livrées de l'indigence; mais se croyant 9, encore à l'abri d'une urgente nécessité, d'après de nombreuses invitations dont quelques unes ,, faites, même depuis sa ruine: Il prit la réfolu,, tion d'accepter des diners, parce qu'il en manquait.
,, Une semaine se passa dans ce nouveau genre de ,, vie', sans qu'il reçût d'affront, d'aucun de ses ,, amis; mais bientôt leur patience se lassa.
,, La derniere fois que je vis Jammingam, c; „ fut chez un vénérable* ecclésiastique. Sa visite mepa„ rut bien calculée avec l'heure du diner puisqu'on 5, mettait la table : Je le vis s'asseoir sans invita„ tion ; parler sans qu'on répondit, apprendre à la ,, société, qu'il n'était pas de meilleur moyen pour gagner de l'appétit, qu'une promenade comme cel„ le qu'il venait de faire dans le Parc : La beau„ té du linge reçut ses éloges : Nous eumes la de„ fcription d'une fête donnée la veille, danslaquel„ le le gibier avait manqué. Tous les efforts fut' rent vains, ils n'arrachèrent pas une politesse. En„ fin l'infortuné , trouvant le maître du logis lourd „ à tous ses petits artifices, alla domter son appé„ tit par une fécondé promenade du Parc.
„ Vous donc, ô Pauvres, mes connaissances, mes „ amis , mes compagnons, à quelqu'état que le "fort vous réduise, dans quelque lieu où le fort ,, vous jette , qu'il me foit permis de vous offrir y, un conseil fondé, hélas ! sur une facheuse expérien,, ce : Pour obtenir une chose ne paraissez pas en
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99 avoir besoin : Adressez vous de préférence à tout 5, autre sentiment qu'à la pitié. Vous pourrez ti,, rer des secours solides de la vanité , de l'amour », propre, même de l'avarice , jamais, jamais de la 5, compassion. L'éloquence du pauvre repousse ; sa ,, bouche fut-elle ouverte par le génie & par la "sagesse choquerait, tant on craindrait qu'elle ne „ se fermât qu'après une désagréable demande." Malgré mon estime pour les Romans Anglais ce ne fera pas par un d'eux que vous commencerez votre étude de la langue. La préférence appartient au Speétateur, cours pratique de morale , modele de bonne critique , école de vertu, en un mot colleétion unique, dans le genre de laquelle, rien ne se rencontre chez les autres peuples.
L'éducation, l'objet le plus important aux yeux d'une femme honnête & sensible, parait on ne peut mieux discutée chez les autres Anglais. Le spectateur, à ses autres belles qualités, joint celle de présenter aux peres de famille, aux instituteurs, des vues faines & neuves. Ce ne ferait pas, je pense, sans en tirer des avantages, que vous réuniriez , ce qui dispersé dans plusieurs (mm) volumes reste de peu d'effet. -
(mm) J'ai traduit du fpeétateur tous les morceaux relatifs a l'éducation: Quoiqu'ils soient très bien faits, j'y trouve plusieurs points sur lesquels il m'est impossible de ne pas différer, ce qui m'a fourni le sujet de quelques remarques. Mon projet était de faire paraître ce travail à la fuite de l'essai de Littérature, mais j'en ai été détourné parce qu'il y a déjà une traduétiOll français
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La langue Anglaise, dont la prononciation préfente aux étrangers des difficultés insurmontables, est entendue sans beaucoup de peine : Les terminai..
fons tirées du latin, celles en grand nombre , qui font les mêmes que dans le français, font autant de secours.
Les auteurs modernes ont encore applani la route: Depuis plusieurs années les Anglais ont adopté la conftruétion direfte ; notre grammaire étant devenue la leur, ils écrivent réellement en français avec des mots Anglais. Vous ne rencontrerez donc dans les ouvrages nouveaux aucuns de ces anglicismes qui arrêtent quelques fois, dans les auteurs anciens, même dans ceux du dernier fieele. Une très grande différence se trouve entre la langue employée par le philosophe Stéel, & celle dont depuis peu a fait usage Gibbon : Gibbon historien profond, lumineux, éloquent, que l'Europe en cet instant honore de ses regrets, malgré l'espece de froideur répandue sur tout ce qui tient à l'esprit & aux arts.
Plusieurs Anglais regrettent des expressions, des tournures , auxquelles leur langue devait un caraétere très prononcé. En la soumettant trop aux coups d'une scrupuleuse lime , on efface sa physionomie f on lui dérobe cette chaleur ferme & soutenue, qui semblait imprimée par l'esprit public.
Les poëtes conservent plus de tours caraétériftiques,
du fpeétatetir. Si cependant mes ledteurs pensent que ce recueil peut-être de quelqu'utilité, je les prie de vouloir bien m'en in* ftruire , je Je livrerai volontiers a l'ûnpreffion.
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le langage du sublime Pope, celui de l'aimable Prior font encore adoptés par les poëtes, qui aspirent à la gloire de marcher sur leurs traces. Vous ne les lirez qu'après d'assez longues études.
CINQUANTE QUATRIEME LECTURE.
A MA PATRIE.
A moiu P, de la patrie, tu n'es point une vaine chimere : Sans cesse tu retentis au fond de notre cœur : Tu ne peux , il est vrai, lors des jours d'orage , déployer dans toute sa force ta voix étouffée , par l'ambition , la cupidité , la licence ; mais tu reprens tes droits imprescriptibles en quelque contrée, en quelque rang où la fortune nous place.
Les froideurs, les railleries, les injustices si poignantes , quand on les éprouve, perdent leur amertume dans l'éloignement. L'impression des défauts de nos concitoyens s'affaiblit, celle de leurs bonnes qualités s'accroit, jusqu'à ce que cette derniere survive feule.
Tout vieillard fent le souris naître sur ses lèvres, quand il reconnaît les vestiges des jeux.de son enfance: Son fang glacé reprend quelque chaleur près du théâtre de ses plaisirs innocens : Son œil se mouille encore d'une larme à la vue du lieu dans lequel, pour la première fois, son cœur palpita. Lorsque les paslions
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lions fafîices font étouffées, les facultés réelles fortents de leur engourdissement, l'homme parvenu à ce ter-, me renonce aux trompeuses illusions, pour goûter les touchantes jouissances; alors il foule avec atten-, drisfement la tombe de ses peres. Ses cendres se confondront bientôt dans le même espace : Cette idée dépouille la mort de ses horreurs, si l'esprit jouit du réveil des sèntimens religieux , si l'ame pressent la, félicité de rejoindre pour toujours les objets de sa.
tendre si e.
Les peuples rapprochés de la nature, jouissent le plus des charmes entraînans de la véritable sensibilité. Chez ces hommes simples, les monumens qui renferment les dépouilles de leurs ancêtres, deviennent des objets d'un culte tendre & refpeétueux. L'Américain sollicité. d'abandonner son habitation, s'écrie : „ Dirai-je aux ossemens de mes peres, levez,, vous, & suivez-moi." Le Lapon pleure, languit, bientôt expire de regrets, lorsqirune main cruelle l'arrache à ses foyers. L'être lupréme dans sa: munificence fit à ce peuple, des dons dignes d'envie; son cœur aimant s'épanche sur tous les objets qui l'entourent : Par lui d'horribles retraites font ornées, de rigoureuses faisons adoucies, des disgrâces phyiiques oubliées.
Uzés ne fleurit pas au milieu d'une riche campagne ; ne voit pas ses murs baignés par un fleuve; ne domine point sur de vastes contrées ; n'ouvre pas ses portes à d'immenses avenues ; n'étale point de magnifiques palais ; n'est pas vivifiée par le commer-
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ce ; n'est riche ni des trésors de l'Inde, ni des chefs-d'œuvres des beaux arts. Des monts arides annoncent son approche ; des rochers énormes l'entourent ; de tristes oliviers les prêtent leurs faibles ombrages. Des maisons bâties sans faste, dispersées sans ordre remplissent son humble enceinte ; des tours, antiques, noires , élevées portent au loin une mélancolie dont on ne peut se défendre: Cependant au milieu de l'éclat de la plus superbe cité , mes regards se retournent sans cesse vers cet afile. Son image gravée dans ma mémoire, flétrit les beautés qui m'entourent. Je ne foulage mes ennuis que par l'espérance. Avec quel empressement, je fuivrais les sinuosités de ce sentier pierreux, qui conduit à un vallon resserré, mais charmant. De son fein jaillit l'eau que les Romains transportèrent à si grands frais, dans les murs de la voluptueuse Nismes.
Assis près de son bassin, plongé dans de douces rêveries, je réflechirais sur la naissance, les progrès, la clrûte des ouvrages' des humains. Cet aquéduc modeste dans son principe s'éleve rapidement jusqu'au comble de la magnificence: Plus l'onde s'éloigne de sa source, plus. elle perd de sa limpidité, plus elle est surchargée d'ornemens; mais en vain les maitres de la terre ont-ils soulevé des blocs effrayans, ont - ils efitasfé des carrieres, la faux du tems a déjoué leurs efforts. Des ruines feules nous rappellent leurs gigantesques entrepifes. Quelques débris, tels que le Pont du Gard, déployant une entiere majestê, semblent conrervés, comme d'éternels
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ïnonumetis de l'instabilité des empires. La race des mortels capables d'exécuter de si importans travaux, est effacée d'entre les puissances.
Le vertueux fils de Caton , Porcius pénétré des derniers conseils de Ion pere, évita les honneurs, courut chercher un séjour tranquille t Satisfait de vivre bon, juste , généreux ; se répétant sans cesCe. „ Quand le vice triomphe, quand l'autorité ,, est entre les mains d'hommes impies, le poste de „ l'honneur se trouve dans une noble retraite." 11 fut frappé d'une solitude des Gaules, y jetta les fondemens d'une ville. L'amour de la liberté, transmis avec le fang de Caton, donna à cette ville naissante le nom d'Utetia , en mémoire d'Uiica9 dont une feule aétion perpétuera la renommée de siecles en siecles.
Les cir confiances d'après lesquelles , le fondateur fixa son choix, font devenues des obstacles à l'aggrandissement d'Uzés : Sa prospérité n'est pas parvenue au point que promettait, l'aétivité, & l'intelligence de ses habitans.
Cette colonie conferve plusieurs traits cara&ériftiques, qui se transmettent avec peu d'altération..
Les hommes spirituels, vifs, légers, font malins sans méchanceté, impatiens sans haine, hardis sans confiance : Un désir inquiet, porte leurs regards sur tous les genres d'étude ; mais bientôt lassés ils quittent les objets avant de les posséder parfaite* ment: Quiconque prétend éblouir par un faux favoir, par une apparence de talens, doit chercher un
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autre théâtre : Sur celui-ci il se Verrait bientôt dé* masqué" rien n'y étant inconnu.
Les femmes plus jolies que belles , plus coqúettes que feiifibles; plus enjduées que galantes, semblent dans le secret des graces, sur les moyens de plaire.
Des teints Vifs & animés ne paraissent légèrement rembrunis que pour mieux contraster avec l'émail de superbes dents : Des voix harmonieuses & justes rendent certains, d'heureux succès en mulique : Des formes élégantes & Sveltes invitent à la danse: Des pieds mignons & fugitifs rappellent Camille; cette Camille plus vite que les vents (*): ,, Elle eût „ volé sur des grains prêts à être moissonnés, sans „ courber leur sommet onduleux, sans que sa cour* „ se brifât un seul épi. Si elle se fût faite une 5, route au milieu des mers, les flots soulevés l'eusfent porte , l'onde n'aurait pas fouillé la plante de „ ses pieds," Des mains délicates & adroites couvrent de roses, des chaînes, dont les années ne sautaient diminuer la force. L'Uzétien fijaloux de sa liberté, la perdretour près de l'objet qu'il aime. Jamais ij'ne te'nfe') il ne dtfire de rompre ses engagemens.
A moins que l'absence. Hélas î il en éprouve toutes les fuites dangereuses.
Ce lieu peu connu , s'honore d'avoir produit & possédé pJufieurs hommes célebres.
Mercier fleurit avant la renaissance des lettres:
( s) Virgile.
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D'abord livré à l'étude des loix , il y fit des progrès, qui surprirent ses contemporains, sans flattes ion amour propre. La jurisprudence sur laquelle, d'illustres magistrats ont depuis répandu de la clarté, présentait dans ces tems reculés un cahos incohérent. Tout esprit fage ne pouvait que ressentir un insurmontable dégoût, pour de grossieres pratiques , d'absurdes chicanes, de superstitieuses préventions. Mercier renonça promptement au barreau ; mais incapable de vivre dans l'oisiveté , il ne fit que changer l'objet de ses études.
j Les langues savantes étaient très en vogue dan le seizieme iiecle : On les mettait à une valeur exceffi ve, on éprouvait pour elles, une passion qu'il eût été fage de modérer, sans vouloir comme les beaux esprits de nos jours, l'éteindre. La coupe Hébraïque, Grecque, Orientale est d'une majeftlleuse simplicité, qui se fait regretter dans les plus beaux ouvrages de notre siecle.
Mercier partit de Toulouse , pour occuper à Paris la chaire d'hébreu que le savant Valade laissait vacquante. Ce poste honorable & lucratif semblait le fixer ; mais les troubles religieux rendirent son éloignement nécessaire, Venise l'appella, & le reçut avec diihnétion. Admis près des grands , comblé de faveurs , on le croyait heureux , il l'aurait été sans le souvenir de sa patrie. Dès que la permission lui en fut accordée, Mercier quitta les canaux bruyans de Venise, pour couler ses vieux jours, fous les arcades paisibles d'Uzés. Les grands travaux desfé-
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chèrent son corps ; mais n'eurent aucune influence sur son esprit, dont le feu brilla jusqu'au dernier moment de sa très longue vie.
Josias Mercier joignit à la vaste érudition de ion pere, une critique bien plus faine. Parmi plusieurs de ses ouvrages, encore utiles, se distinguent d'excellentes notes sur Tacite. Mercier parvint au bonheur glorieux, de contribuer à l'élévation d'un écrivain, reconnu pour le plus savant homme de son siecle: Il fut l'instituteur 9 l'ami, le beau pere de Claude Saumaise.
Nous ne conservons de Croy que quelques livres de théologie. Ils font femés de traits d'esprit, d'éclairs d'imagination, d'épanchemens de cceur, qualités qui semblent étrangères à ce genre d'ouvrage : Elles causent peu de surprise, lorsque l'on connaît la vie de l'auteur.
Croy naquit dans le fein d'une famille illustre; la nature joignit ses dons aux faveurs de la fortune. Tout concourait à lui préparer une brillante carriere. L'ambition détruisit ses espérances, & creusa fous ses pieds un abyme affreux. Ses parens jaloux de soutenir l'ostentation d'un fils ainé, uniquement chéri, forcèrent leurs autres enfans à embrasser l'état ecclésiastique. Croy se jette aux pieds des auteurs de ses jours, demande la révocation de cet ordre cruel. ,, 0 mon pere ! 0 ma mere ! fouf„ frez que j'évite des liens odieux : Laissez-moi „ suivre le parti des armes. Je ne demande qu'u,, ne épée. Que mon frere garde des biens méprjfa-
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„ bles à mes yeux : L'homme de courage n'a be,, foin d'aucun secours. Vos regards le détournent, „ mes prieres ne sauraient vous toucher. Eh bien j, frémissez. l'engagement qu'on me pre"fcrit ferait un sacrilege. Mon corps, mon es>9 prit, mon cœur, ma vie ne m'appartiennent pas.
„ L'amour a fait Emilie souveraine absolue de tout ,, mon être. Le Ciel pris à témoin" L'indignation du pere ne connaît plus de bornes, il s'écrie : „ J'ai pu par excès d'indulgence, ne pas in„ terrompre vos prieres, mais je ne saurais fuppor„ ter l'idée d'un aussi sanglant outrage ; comment à ,, mon insçu vous avez eu l'audace de donner "votre foi. Une prompte soumission peut feule „ appaiser mon juste courroux : Sans nul retard, re,, cevez les ordres, ou le plus sévere châtiment tom„ bera sur votre tête." Le trait frappant avec violence sur un marbre très dur, loin de pénétrer , réjaillit & blesse la main aITez imprudente pour le lancer ; de même, l'aveu par lequel Croy pensait désarmer ses parens , hâta sa ruine, entraîna celle de sa bien aimée. Le secret d'Emilie parut au jour, sa famille voulut en effacer jusqu'à la moindre trace. Un cloitre ensevelit cette infortunée. Le même jour les deux amans furent traînés aux pieds des autels: Leurs bouches prononcèrent le vœu de vivre pour l'Eternel ; leurs cœurs répétèrent le ferment de s'idolâtrer jusqu'au dernier soupir.
Croy puise dans la persécution, une inébranlable
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fermeté, brave les dangers, brife les fers d'Emilie : Déjà ils ont franchi l'enceinte cruelle ; ils font à Geneve ; ils tombent à genoux devant le confiItoire; ils tendent des mains suppliantes, ils attellent la Divinité. "Pasteurs vénérables, bienfaiians, éclairés; au nom de la religion, de l'humanité, „ de la justice, deux viétimes d'une affreuse barba„ rie implorent vos secours ; leur reconnaissance..
Les miniltres > les relèvent , les cCe\Ülle11t, les •unisfent. 1 Ces époux parfaits vinrent donner à Uzés l'exemple d'une tendresse mutuelle. Tous deux s'y montrèrent partisans, défenseurs, apôtres de la religion dont leur bonheur était l'ouvrage : Ce sentiment est bien naturel, qui pourrait ne pas s'attacher à la source d'où découle notre félicité? On désire, on espere la retrouver dans d'autres séjours : Douce illusson des ames sensibles, qui leur fait entrevoir le bonheur suprême, au milieu des objets qu'elles ché-
risfent. Nos citoyens font encore émus à l'approche du simple réduit dans lequel la Thébaïde fut composée.
L'aspeét des lieux influe beaucoup sur la marche de l'esprit, sur le feu de l'imagination , sur les.
mouvemens du cœur ; Racine vis-à-vis d'une Montagne , sur laquelle s'élevent de loin en loin quelques arbustes tortueux, & dont la cime n'est jamais foulée par aucun être vivant , ne put se livrer à cette inépuisable sensibilité qui pare de charmes si entraînans, ses divins écrits : Il répandit le fang à grands
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flots: Un combat pénible, causé par le contraste de ses penchans naturels avec sa position du moment, produisit le mélange dhorreurs, & de faiblesses, qui rejette les freres ennemis, si loin des chefs-d'œuvres du prince des poètes francais.. Ce premier élan d'un génie dans son aurore, reste au dessus du vol de plusieurs écrivains assez orgueilleux pour n'en parler qu'avec mépris, Moliere y reconnut le germe de Phèdre. Corneille ne pliant pas son génie aux foins nécessaires à l'observateur ; crut que la France, n'allait ajouter à ses richesses littéraires, qu'un poëte comique assez médiocre..
Marfolier préféra le calme d'Uzés, au tumulte de la capitale : Nous devons à sa retraite , des histoires qui font lues avec plaisir. Un style léger, vif & coulant, fait pardonner quelques oublis, quelques inconséquences, quelques affeétations. L'esprit entraîne par fois cet écrivain : Il prédit, alors, les événemens que peu après on verra ; de cette conduite résulte une gène assez pénible.
La vie de Ximenès porte les empreintes d'un vif désir de faire connaître l'importance du rôle qu'a joué cet ambitieux & fier prélat. Revêtu d'un froc, les pieds dans des sandales, Ximenès futminiftre, conquérant, despote. Sou cordon fit longtems trembler l'Europe. Les Castillans frémirent de porter le joug d'un moine; mais leur indignation s'exhala en plaintes vaines, en humilians murmures. Cette autorité sans exemple , acquise avec la sagesse, foutenue par le courage devint de jour en jour plus re.
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ipedable. Ferdinand jaloux de l'homme qu'il avait forti d'un cloitre, chercha sa perte dans des moyens bas & honteux; Tous échouèrent. Ce prince, le plus habile politique de son siecle, dépouillant au lit de la mort toute crainte, remit ses états entre les mains de l'objet de sa haîne, Le grand homme force tôt ou tard ses plus implacables ennemis à fléchir devant lui.
L'Hiitoire de Henri VII, peut-être le chef-d'œuvre de Marfolier, fait les délices des leéteurs attachés à cet intéressant genre d'ouvrages.
Les hommes fages, admirent non sans quelque surprise , l'impartialité , la critique, la sagesse , le courage déployés dans l'hifroire de l'inquisition & de son origine. Nos modernes efprits- forts, dans leurs discours empoulés, n'ont rien dit de plus juste, de plus fort, de plus précis, contre ce funeste tribunal que toujours la France abhorra.
Un sentiment très tendre unisiait entr'eux Rancé & Marfollier. La vie du célebre réformateur parut remplie d'un feu refpeétable, qui la rendit plutôt un panégyrique, qu'une histoire. Est-ce donc le sujet d'un reproche sévere ? Je le demande à tout homme sensible , parlera-t'il jamais sans émotion de son ami ?
Erasme réunissait fous ses étendarts, des disciples, des admirateurs, des enthousiastes. Dans cette foule érudite, dont notre goût actuel ne permet guéres de concevoir l'existence, Marfolier fut distingué: Ne se bornant pas à une apologie également propre, à lui
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faire des ennemis, & à honorer son caraétere, il imita l'auteur qu'il célébrait. Ses entretiens tracés dans le genre des Colloques familiers , contiennent de fages coniëils sur les devoirs de la vie civile , plusîeurs bonnes maximes de morale, quelques principes très châtiés pour les mœurs ; mais ces titres estimables font noyés dans des longueurs : On re..
grette surtout , l'enjouement, la vivacité , la hardiesse du philosophe Hollandais, 0 trop fortuné Erasme, tu honoras une patrie digne de toi : Ta statue immortalise la reconnoissance de citoyens aisez éclairés, assez justes pour respecter le mérite. Ce monument consacré au génie [ verse sur Rotterdam des rayons d'une brillante gloire. L'ame élevée qui le fixe, fent la chaleur d'un feu éleétrifant. On parcourt à regret nos superbes cités, sans rencontrer les images de ceux qui furent leurs ornemcns, leurs bienfaiteurs. Combien ces images, paraîtraient plus nobles, plus intéressantes, que les faltueuies décorations du luxe, ou de l'orgueil.
Si les recherches aussi savantes que curieuses de Marfolier, sur l'origine des dixmes, eussent été plus répandues, elles auraient pu prévenir une foule d'erreurs.
Firmin Abaufi fut dans sa première jeunesse ar..
raché d'Uzés, par ion zélé pour le calvinisme. Genève le compta parmi'•les plus fermes foutiensjjde ses dogmes, parmi les plus habiles champions de controverse. Si ses nombreux ouvrages de théolo-
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gie conservent peu d'intérêt, il n'en est pas de même d'une superbe édition de Miiftoire de Geneve, par Spon : Ce, travail fera dans tous les tems, mis à une très grande valeur. Abaufi, doux , modeste, & pieux fut encore plus respecté par ses vertus, que célébré par ses taleus.
Cotte rempli du désir d'être utile , a tendu des fer vices bien au dessus d.e lestime qu'ils obtiennent.
La traduétioll de l'essai sur l'entendement humain, compte au nombre, des principales causes du progrès de la philosophie en France. Quand Loke fit à sa patrie l'inapréciable présent. que j'ai déjà réclamé comme une proprieté commune au monde entier, la langue Auglaife était peu répandue. Cette circonitance, je l'avoue , augmenta le succès de l'entreprise' du savant Uzétien ; mais ce ferait une erreur de penser qu'elle a perdu toute utilité. Non feulement les personnes qui savent la langue Anglaise ne font pas en aussi grand nombre qu'on le pense, mais plusieurs d'entr'elles échoueraient en entreprenant la ledure de Loke, Les faits historiques se lient entr'eux, les situations romanesques s'entraînent mutuellement, les peintures poëtiques tiennent, foit à des penchans universels, foit à des allégories connues : Peu d'eSorts bien dirigés conduisent à la jouissance de ces diverses parties: Des raisonnemens pipfonds, des découvertes subtiles, des observations ingéniyufes, des UDjctS neufs, font difficilement saisis : Aucun guide
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tout conduite, aucun appui pour soutenir, aucun point pour se reconnaître : Personne qui ne puisse se rendre certain de la différence de lire dans une langue étrangère , un ouvrage de littérature , ou d'étudier dans cette même langue, un traité de métaphy.
fiquc.
Coste , érudit, exadl & ragé, a donné plusîeurs éditions devenues classiques pour la jeunesse. Les succès en ce genre, touchent plus le cœur, qu'ils ne flattent l'otgneil. Les notes sur Montaigne font traitées comme minutiéuses & superflues par plufleurs Français : Les seuls étrangers me paraissent à cet égard des juges compétens : Pour eux Coste a travaillé. Plusieurs parlent avec éloge de ces notes mises par nous à si peu d'estime.
La vie dil grand Condé furemefit écrite, très exaéte & bien pensée, reste froide sans que néanmoins aucun reproche puisse à bon droit retomber sur Coste. Le nom seul du héros de Rocroi embrase l'imagination. Tout leéteûr, très ému d'avance, s'attend à des mouvemens, qui ne naissent que dans là poésie, ou dans l'éloquence. La voix de Bossuet atteignit le faite du sublime en célébrant ce grand homme, dont il avait avec l'Europe admiré les éclatantes qualités, dont il avait chéri de près les aimables vertus. Ce ton imposait contrasterait avec celui de l'histoire, Mânes que nous aimons, que nous refpedons ! Si ma voix est trop faible, pour faire entendre au loin des éloges dignes de vous, je me glorifierai du tiaoins
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de l'avoir tenté. Puissent mes efforts ne pas relier infruétueux : L'esquisse que j'ai crayonnée, fournira peut-être à quelques-uns de mes concitoyens, le plan d'un vaste tableau. Plusieurs possédent des talens assez distingués pour lui donner une superbe ordonnance, pour le revêtir d'un coloris délicieux.
J'ai déjà jetté quelques fleurs aux pieds de l'intéressante Mc. Verdier. Près d'elle vit un frere empressé de l'imiter, le savant, le modeitc, le vertueux Ail ut : L'encyclopédie le reconnaît pour un de ses plus utiles coopérateurs.
La modestie, l'amour du repos , la sévérité du goût imposent silence à quelques hommes supérieurs.
Un magistrat refpecrable fut longtems l'ornement, la lumiere d'un des plus illustres tribunaux du royaume : Organe de son corps il porta la vérité jusqu'au pied du trône. Les ministres étonnés reconnurent hautement le pouvoir d'une éloquence fondée sur la justice. Ses beaux jours consacrés au service de la patrie, lui assurent une viellesfe honorable dans le fein d'un studieux loisir : Il n'a quitté le temple de Thémis, que pour rendre un culte empressé dans celui des Mufes. Les premiers érudits de l'Europe se plaisent à lui offrir un rang parmi eux.
Un mortel favori de la nature possède au fuprêmg dégré les talens, les vertus. Son génie s'est d'un vol aufil soutenu que rapide, élancé dans les hautes régions du monde intellectuel: L'antiquité n'a plus de secret à ses yeux. Son ame, Sanétuaire de biefifki-
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iaiice, subjugue par un attrait adtigtliqut: En l'é.
coutant les cœurs les plus durs font amollis : Près de lui on se plaît, on s'éclaire, on est touché, bient6t on se fent meilleur.
Je ne vous laisserai pas dans l'oubli, le François poëte facile, philosophe enjoué , ami constant. La fortune vous a persécuté , les chagrins vous font trop connus ; la calomnie vous a déchiré. Ces obstacles sans étouffer vos grands moyens, ont suspendu leur entier développement. Je place ici quelques passages d'une épitre, fruit de votre loisir pendant de bien beaux jours.
Ces jours étaient filés par l'amour, par l'amitié: Des plaisirs tranquilles, des études modérées embellissaient tous leurs momens : Ils commençaient, ils s'écoulaient, ils se terminaient dans une paix parfaite. Quelques tendres désirs, quelques foins empressés prévenaient la triste monotonie , l'accablante indifférence. L'ambition, l'intérêt, l'orgueil ne répandaient pas ce venin, qui flétrit tous les biens, Pouvions-nous penser qu'ils passeraient avec tant de rapidité, & sans laisser d'espoir de retour. Sombres idées, inutiles regrets, fatigante prévoyance, éloignez-vous : Que je puisse donner quelques instans à d'aimables images, & répéter fan3 nul trouble des fons qui m'ont jadis parû si doux.
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Tandis qu'en tt moment plus d'une belle enrag, De vous voir prêt à fuir cet aimable sèjour, Un ami qui chez vous n'a vû que votre page, Yenaît vous y souhaiter, bon & très court voyage J Surtout grade nouveau , mais non nouvel amour.
Quand l'objet qu'on adore est aujJi beau que rage t uih l c'est un crime affreux de Je montrer volage.
Partez bien amoûreux, revenez bien confiant, Vabfence a des écueils dont il faut se défendre ± Jlu plaijir de changer gardez vous de vous rendre > Le véritable amour n'est jamais èonqzièrant.
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Le changement n'est fait que poui- l'homme de cour: Là le cœur le plus fttux a droit de tout prétendre, Mais fodvent pris lui-même 9 aú piege qu'il veut tendre, L'homme le plus heureux n'est pas l'homme du jour.
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Voici des vérités faciles à comprendre : Le bonheur est le lôt d'un cœur fidelle <$? tendre , Il s'enfuit au plus loin de tout être inconstant.
Quoiqu'on doive à mon âge en savoir plus qu-au votre ut regret avec vous je fais ici l'apôtre, Car si c'est Un travers d'être volage amant, Vous êtes * * * si jeune & si charmant.
Ope ce tort, quel qu'il foit, vous fied mieux qu'à tout autre.
CIN-
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CINQUANTE CINQUIEME LECTURE.
A MES ENFANS.
MES peines se font trouvées un peu suspendues, tant que j'ai travaillé. Cependant un poids terrible oppresse mon cœur : Un nuage épais couvre sans cesse mes yeux. La nature n'a plus d'attraits pour moi. Mes jours font affreux. Mes enfans! je les appelle à toute heure. Tancrede, Fanni. Loin de vous, point de paix : Pour vous seuls j'sxifte , l'efpoir de vous prouver ma tendresse, prolonge seul une vie inutile à la ibciété, à charge à moi-même.
Lorsque je buvais à longs traits dans le calice de l'infortune, votre souvenir soutenait mon courage: En pensant à vous j'ai bravé fatigues, injuftiees, persécutions, calomnies. Toute chaleur s'éteindrait dans mon fein, sans l'espérance de travailler un jour à votre bonheur. Si le ciel me condamne à ne pas satisfaire le besoin le plus pressant de mon cœur, à ne plus vous donner mes foins, à ne pas tourner a votre avantage une expérience si chèrement achetée , puisse bientôt se terminer une pénible carriere : Recevez mes adieux & ce peu de conseils.
Reconnaissez & refpedez avant tout le pouvoir de la religion, sans elle on ne peut marcher d'un pas ferme dans le chemin de la vertu.' 1,
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Préférez les qualités du cœur à celles de l'erprit.
Etouffez dans sa naissance la vanité ; si ce dé.
faut vous subjugue, vos efforts pour lJétouffer échoue" tont: C'est l'hydre de la fable dont les têtes abattues renaissaient sur le champ. Qui cherche des admirateurs, ne rencontre le plus souvent que des ennemis (II). Couvrez-vous donc du manteau de la médiocrité , fous lui seul vous jouirez de la paix !
Soyez fermes dans vos résolutions; celui qui n'a point de caraétere, devient tôt ou tard jouet des circonstances & dupe des intrigans. "Rien de plus ., certain, que les carafteres faibles ont le doublé inconvénient de ne pas pouvoir se répondre de leurs „ vertus, & de servir d'instrument aux vices de „ ceux qui les gouvernent (*). Opposez un front serein à l'infortune t Dès lora elle vous honorera, peut-être même elle deviendra salutaire. Souvent la peine qui déchire notre cœur > est un creuset dans lequel la vertu s'épure.
Jouissez du bonheur , mais sans en être ébloui : Le plus envié cache fous ses brillantes parures de cruelles inquiétudes : Le plus solidement fondé s'écroule d'un instant à l'autre. Tel triomphe au lever de l'aurore, qui gémit avant que le soleil ait terminé son cours : Les biens, les grandeurs, la volupté se font évanouis, comme une fumée légère se diffipc au moindre soufle de vent. Le navigateur impru-
(#3 Ducl03. 1
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dent & présomptueux, se berce, s'endort, dans une aveugle sécurité tant que son vaisseau vogue sur la surface unie des flots; il ne prévoit pas les violens assauts que lui prépare ce point noir, presqu'imperceptible sur l'horizon. Le nuage grossit, approche, s'entrouvre; de ses flancs sortent, la pluye, la foudre , les éclairs : Les ressources de l'art, les efforts du courage, mis trop tard en usage, échouent: Cette tempête dont la prévoyance, eût diminué les dangers, rompt, brife , submerge. Le calme dans la prospérité , la résignation dans l'infortune distinguent le fage : ,, Si l'univers brifé, s'ccroulait, ses ruines le frapperaient sans l'effrayer," (*) Portez vis-à-vis de vos semblables, cette douce, cette attachante indulgence, qui si souvent vous fera nécessaire. Les moralistes rigides , rendent nos vices plus funestesi Pourquoi refuser tout pardon , condamner toute faiblesse : Cet excès de sévérité nous pousse dans l'abyme, à l'instant où une main compatissante nous en sortirait.
Menagez la susceptibilité, commune chez tant d'êtres honnêtes : Les hommes froids la regardent comme une chimere : Les hommes durs l'appellent démence : Tous l'évitent, comme non moins à charge pour qui en est témoin, que pour qui l'éprouve. Comment blàme-t-onles plaintes de l'infortuné, lui seul connaît le degré de ses souffrances. Les plus cruelles injures font quelques fois celles qui paralsfent les plus légeres aux
( * ) Horace.
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témoins indifférells. St. Réal dit avec raifort : „ Pénétrez le dégré de sensibilité de vos amis, car ,, c'est elle qui mettra le taux à vos bienfaits „ comme à vos torts vis-à-vis d'eux.
Cultivez le talent de la conversation (III) qui consiste à plaire aux autres, en les rendant contens d'eux-mêmes.
Ne parlez jamais de vous parce que ,, se louer ,, est d'un orgueilleux, se déprécier est d'un in„ sensé (*).
Préférez la solitude des' champs à l'éclat trompeur des cités.
Habitant des campagnes i tu ferais trop fortuné si tu savais apprécier ton bonheur: Loin du luxe, à l'abri de la flatterie, étranger aux désirs dévorans, tu trouves la fanté, l'aifaiice , la paix, dans un travail, fain, agréable & modéré: Tu répands l'abondance; tu contribues au soutien de l'état; tu encourages l'industrie ; tu secoures le pauvre. „ Ren„ tré dans tes foyers, d'aimables enfans attachés à „ ton cou te prodiguent leurs innocentes caresses.
„ Ton toit rustique est le vrai temple de la pu„ deur : Une épouse tendre & vertueuse comble tes "vœux. De ses mains pures, elle verse les dons „ de Bacchus, le pere de la joie franche ct). Dédaignez les sociétés frivoles, formées par l'ennui , entretenues par l'orgueil, où des jours précieux se consument parmi des êtres indifférens qui ne s'ai-
d.) Socrate.
(t) Virgile.
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ment, ni ne s'estiment, mais qui cherchent à s'étourdir sur le fardeau pénible d'une oisive existence.
Etudiez les hommes: L'expérience, la méditation font les plus grands maîtres en ce genre. Néanmoins d'utiles leçons se rencontrent dans ce refpeétable Helvetien, ce Lavater dont la sagesse & le génie marchent à la clarté d'un flambeau qu'al„ lume l'amonr de l'humanité.
Redoutez le goût des voyages, après bien des oourfes fatigantes, on finit toujours par dire en soupirant :
L'esprit peut aimer les voyages, Mais le cœur aime, le ftjour.
Soyez jaloux de votre propre estime , elle vous assurera celle des gens de bien : Le mépris de l'opinion publique annonce le comble de la dépravation: La crainte des traits du méchant, des épigrammes de l'oisif devient le dernier excès de faiblesse.
L'homme, qui ne rerpeéte pas la vérité, tombe dans l'avilissement : Le prodigue ne saurait être généreux : L'avare est inhumain. L'ordre , l'esprit de j uftice , l'obéissance aux loix, l'amour de son souverain, l'inaltérable bonté, voilà les biens les plus précieux que l'homme puisse possédes ; s'ils vous font accordés, votre partage fera digne d'envie.
- Gardez-vous de regretter les faveurs de la fortune; quelques richesses, quelques places qu'obtiennent l'ambition aidée des talens ? soutenue par la
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patience, fecondée par d'heureux hazards , les revers prouvent bientôt la vérité de cette sublime maxime: 1
,, Les œuvres des humains font fragiles comme eux (*)." Près des cendres de mon bienfaiteur, arrosez-Ies souvent de vos larmes; priez sa fille, votre bonne, votre refpeétable ayeule , de vous répéter les leçons dont il voulut éclairer ma jeunesse, leçons pour mon malheur trop peu suivies : Hélas ! le ciel me l'a ravi au moment où ses seçours m'eussent été les plus nécessaires.
Ce mortel fut simple, aimable, (nn) complaisant, généreux. Le sourire de la bonté rendait ses traits touchans : Des connaissances variées ornaient son esprit naturel: Une douce bonhomie laissait échapper les nombreux élans de sa riche imagination: Une inépuisable philantropie animait son cœur : Un courage élevé embrasait son ame. Son seizieme lustre s'ouvrait, quand il pardonna la plus noire ingratitude , quand il courut à cent lieues venger une injure. La sensibilité le fit descendre dans la tombe.
Des nœuds formés par l'amour , resserrés par l'amitié , l'estime, l'habitude furent rompus : Les regrets de survivre à celle qui pendant quarante années avait été une partie de lui-même le consumèrent. Nos foins vifs, tendres, & continus ne purent
(6) Voltaire.
(na) J. F. Venant Marquis D'vergni né à Arras en 17II, mort à utés au mois d'Août 1785.
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arracher une larme de ses yeux. Son cœur était brifé , tout espoir nous fut ravi. La nature encore pleine de force , repoussa l'anéantissement par des efforts qui rendirent affreux ses derniers mornens. Des maux cruels ne servirent qu'à déployer l'inébranlable fermeté de son caractere, Sans se livrer aux regrets, aux murmures, aux craintes, mouvemens si faibles , si communs, si pardonnables, il ne prononça que ce peu de paroles : „ Pourquoi ne mourrons - nous pas comme nous naissons, à „ notre insçu." Je puis comme Tacite, m'écrier ,, Sa fin si cruels, le pour nous, affligea ses amis, ne fut pas indif9; férente aux étrangers : Personne qui se réjouit "de sa mort. Notre douleur reçoit quelqu'adou.
"cisfement de l'idée , que le destin l'a fouftraic „ aux violens orages de sa patrie : Il n'a pas vu „ la cour , l'objet des outrages, les magistrats asfail„ lis par des Satellites, l'état entieremeîit changé : „ Il n'a par gémi sur la chute de tant de têtes il„ lustres , sur la fuite de tant de personnages re„ fpeétables, de tant de femmes intéressantes. Il „ a donc été heureux pour le calme de sa vie , „ pour le tems convenable de sa mort." 0 mon bienfaiteur, la plus noble partie de ton être, cette ame image sacrée du Tout puissant n'est pas anéantie : Elle reçoit la juste récompense due aux hommes de bien. J'aime à penser que les objets qui te furent chers excitent encore ton intérêt.
Tel est l'empire d'une imagination profondément
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émue: Mes yeux sans cesse te voyent. Mon - cœur tressaille aux fons touchans de ta voix: Mes études, je t'en consacre le fruit: Mes fautes, je les pleure à tes pieds : Mes aétions louables, je t'en rends hommage : La vertu , je l'apprécie à sa haute valeur ; je l'encense d'une main tremblante ; je l'inoque avec transport, parce que toujours à mes regards, tu la chéris, tu la pratiquas , tu la montras parée des charmes les plus entraînans. Ta présence m'éleve au dessus de moi-même, m'affermit contre les rigueurs du fort, me rend insensible aux traits de la haîne. Il m'approuve. fort de cette feule idée je brave, les froideurs, les injustices, les persécutions.
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CONCLUSION.
jP arvenu près du but vers lequel se font dirigés mes pas, un mouvement mêlé de crainte, d'espérance & de plaisir agite mon cœur : Je redoute les arrêts d'une sévere critique ; j'attends des jouissances de votre indulgente amitié; je me plais à la vue du motif qui m'inspira.
— Mon désir fut de contribuer à la perfeétion des agrémens du sexe le plus aimable , de faire éclore des vertus dont le germe se trouve presque toujours au fond de fon- cœur : Aucun travail ne peut conduire à de plus intéressans résultats.
Mortel ! jaloux de remporter cette palme, si la sensibilité te fut refuiee , de quelques talens que la nature t'ait doué, il ne t'appartiem pas de parler à des êtres qui puisent tout leur esprit, toutes leurs vertus dans les facultés de leur ame, non dans l'crganifation de leur tête.
Des succès en ce genre assureraient des droits à * la reconnaissance universelle, puisque les mœurs publiques, ainsi que les mœurs privées, font l'ouvrage des femmes: Entre leurs mains se trouvent le bonheur des états & celui des particuliers ; vérité sentie par les pliilofophes de l'antiquité la plus reculée.
Simonide a dit : ,, L'homme ne peut posséder au-
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u cune chose qui foit meilleure qu'une bonne femme, n ni aucune çhose qui foit pire qu'une méchante M femme." La reconnoissance a jetté les fondemens de ce faible ouvrage, c'est Je titre qui m'a valu plusieurs secours, sans lesquels mon entreprise resterait privée de ses plus précieux ornemens: Il me ferait bien doux de rendre hommage à ceux qui ont enrichi ce recueil; mais un engagement précis me défend, tout éloge. Je sens combien il est difficile de parler des personnes, à qui l'on a des obligations, sans qu'il échappe des traits propres à blesser la modestie.
Vous acquitterez ma dette par vos applaudissemens: Us ne feront que précéder, ceux dont le public comblera dans peu le nouveau traducteur de Théocrite.
Nous verrons un agréable poëte bucolique ajouté au petit nombre de ce genre , que notre littérature çompte. Plusieurs morceaux de cet essai fpnt fortis d'entre ses mains; la fable de la rose, la charade sur le mot volage, & le dernier impromptu. Ce ferait une privation trop dure , que de ne pas présenter à vos regards, les vers ingénieux & légers que cet aimable littérateur m'adressa après avoir reçu vn exemplaire de Phifloire de la Rivalité de Carthatge & de Rome,
Votre rivalité de Rome & de Carthage, Croyez moi, pour mon cœur, est un présent bien doux.
De vos heureux talens bien loin d'être jaloux, C'eJl un plaisir pour moi, que de vous rendre hommage,
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Et tous les sentimens que Réprouve pour vous , Sont la certitude & le gage, Que la rivalité , qui brille dans Pouvrage , Ne peut jamais exister entre nous.
C'est Mademoiselle, du seul sentiment qu'une ame blessée tire des remedes ; j'ai donc cherché & rencontré des ressources dans les preuves du dévouement entier, empressé & refpeétueux, dont mon cœur est rempli pour vous : Si mes foins vous deviennent utiles pu agréables, ils feront trop payés.
FIN.
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NOTES.
(I) Segrais fut assez hardi, pour traduire en vers l'Enéide ; mais il échoua dans une entreprise trop au dessus de ses forces. Sa poésie faible dans l'églogtie , n'approche jamais du ton épique : Toujours elle languit, devient même basse , quand son auteur la croit naturelle. Le jeune poëte dont je vous ai déjà présenté quelques morceaux (*), a bien voulu, cédant à mes désirs, tenterla copie de l'épisode de Cacus. D'abord surpris de l'imposante & majestueuse bçauté de ce superbe tableau, il ne s'en est approché qu'avec refpeét, qu'avec crainte : Il y renonçait même sans les prieres de l'amitié toujours sacrées pour lui: Puisfentles applaudissemens du public , devenir le prix de sa complaisance , & la source d'une vive émulation.
EPISODE DE CACUS.
Traduit de Virgile, du VIII Livre de PEnéide royez de ces vieux monts les débris dispersés, Sur d'énormes rochers ces rochers entassés , Ces amas monstrueux, ces immenses décombres : Ld, parmi les détours de ces cavernes [ombres, Cacus avait fixé son horrible séjour; jî ce monfire Vulcain avait donné le jour :
( ) Le sonnet & le logogryphe.
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Sa bouche de carnage <$? de fahg affamée Vomissait des torrents de flamme & de fumée ; Son [outerrain, jonché de cadavres sanglants , Offrait des malheureux les membres palpitants; Son bras toujours fumait du fang de ses viBimes, Et sur les mûrs du roc Ièul témoin de ses crimes, Demeuraient suspendus des squelettes hideux.
Enfin les immortels exaucèrent nos voeux*' Le Dieu, dont en ce jour nous célébrons la fête, Vainqueur de Gérion & fier de sa défaite, Alcide, le fléau de tous les fcélétats, Alcide triomphant, visita ces climats.
Il traînait après lui, pour prix de son courage, Des troupeaux qui couvraient la plaine & le rivage; A ce superbe afpeCf, transporté de fureur, Cacus fent bouillonner sa criminelle ardeur; Il choisit six taureaux & six belles génisses ; Et ce monstre enfantant les plus noirs artifices , Les détourne avec foin, & vers ses souterrains , Les traîne à reculons par différens chemins, Afin que de leurs pas l'empreinte dangereuse, Ne trace le sentier de sa caverne affreuft.
Alcide cependant, rassemblant ses troupeaux, Se préparait bientôt à quitter ces coteaux; Mais, avant de sortir de leurs gras paturages, Les taureaux de leurs voix font gémir nos parages : Soudain une génijJe, à leurs mugissements , Répond du fond du roc par ses gémissements , Et trompe de Cacus Vefpoir trop téméraire.
Le héros de Tyrinthe, enflammé de colerc,
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Prend ses armes ; d'un pas guidé pat la valeur, Il s'élance: Cacus est saisi de terreur, lift trouble , il pâlit; il prévoit sa iéfaite, Et plus prompt que l'éclair il fuit vers sa retraite.
Un rocher » soutenu par des chaines de fer , .Aux bords du souterrain se balançait dans l'air: Cacus veut de son antre obfiruer le passage, Et d'un bras que poussaient la frayeur & la rage, Il brife tous ces fers fabriqués par Vulcainy Et le roc abattu ferme son souterrain.
Le valeureux Alcide, armé de sa massue, De l'antre de Cacus en vain cherche une issue : Trois fois , en frémi ffant de rage & de fureur, Il parcourt l'^Aventin ; trois fois avec douleur f Il ébranle le roc, & trois fois hors dJhaleine 9 Le héros fatigué redescent dans la plaine.
Sur la croupe du mont un rocher sourcilleux, Des sinistres oiseaux refuge ténébreux, Couvrait du vil Cacus les demeurés profondes j Incliné vers le Tibre il menaçait ses ondes : Alcide avec vigueur le pousse vers ses bords 9 Il l'agite, il le rompt ; cédant à ses efforts, Le roc déraciné roule vers le rivage, Sous son énorme poids il fait trembler la plage, De l'horrible fracas l'Olimpe au loin mugit, Le Tibre épouvanté recule hors de son lit.
Pour la premiere fois dans sa sombre tanieret Le monflrueux Caclls voit entrer la lumiere.
Si par une secousse, ou de longs tremblements9
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L'univers, ébranlé jusqu'en fis fondements, Decouvrait à nos yeux ses plus profonds abymes » Nous Verrions de III mort les tremblantes viêlimes t Cet empire odieux, cet infernal séjour ; Et les mânes troublés par la clarté du jour j Nous entendrions du Styx le ténébreux murmure, L'horteur des immortels, Veffroi de la nature.
Interdit; s'agitant au fond du [outerrain, r Et faisant de ses cris retentir Vuiventin * Cacus ne peut cacher ses mortèlles allarmesi Le héros a recours à toutes fortes d'armes; Bientôt du haut du mont sur lui de toutes parts Il fait pleuvoir des troncs, des rochers C des dardh Cacus, ne pouvant fuir * de sa bouche enflammée * 0 prodige ! vomit une épaisse fumée l Et de ses tourbillons enveloppant ces lieut Dans le fond de son fort se dérobe à nos yeux.
Mais Alcide, malgré les vains feux qu'il lui lancé Furieux sur le monflre au même instant s"*élance, Et bravant sa fureur, parmi les flots de feux; Il le faijki le presse, & dans ses bras nerveux f Il l'étouffé : Soudain, jaillissant de sa tête; Le fang à gros bouillons inonde sa retraite: La porte est renversée & le repaire ouvert 9 Dans ses vastes contours paraît à découvert.' Alcide voit alors les taureaux, les genisses 9 Les rapines » les vols que par ses artifices, Le nïonftre dérobait à le clarté du jour : Il le traine hors du roc, les peuples d'alentouf,
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Regardent fixement son terrible visage , Tous jes membres hideux couverts d'un poil sauvage, Ses yeux ensanglantés, ses monstrueuses mains, Et fou horrible bouche où les feux font éteints.
Par A. de G.
(II) Les critiques s'empressent d'accabler les écrivains des traits de leurs Satyres. Les amis, ou les impartiaux, n'offrent que tard & rarement quelques fleurs précieuses. L'auteur de Galathée , le pere d'Estelle, le confident d'Egerie fut du petit nombre de ceux qui me dédommagèrent de mes travaux & de mes veilles. La reconnoissance, la sensibilité, le désir de conserver tout ce qui fort de la plume du seul poëte vraiment pastoral qu'ait produit la France, m'engage à publier cette lettre.
J?ai reçu, Monsieur , avec une reconfiaisfance bien vive, le bel ouvrage que vous avez eu la bonté de m'envoyer, & l'aimable lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Je n'ai pas encore achevé votre excellent livre ; mais ce que j'en ai lu me promet un plaisir que j'ai déjà ressenti. Votre style élégant & facile , fait s'élever, ce me semble , à la hauteur de votre sujet. Depuis longtems j'étais étonné qu'aucun écrivain ne tentât de nous tracer une guerre qui a autant illustré Tite-Live, que Scipion. Je m'etollnerais à présent qu'on essayât de l'écrire après vous. La clarté & l'éloquente raison qui
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^ui animent vos récits, me fait souhaiter que vous vous livriez au genre qui manque peut être à notre littérature , au genre le plus utile, celui de l'hirstoire.
Permettez-moi de ne pas troubler le plaisir que je trouve a vous louer, en répondant aux trop flatteurs éloges, dont votre indulgence veut bien me combler. Je fuis loin de les mériter, Monsieur, mais je les regarde comme des encouragemens, & je tâcherai d'acquérir ce que votre bonté miaccorde.
Vous traitez Estelle en compatriote, elle oublierait volontiers ses chansons, pour écouter vos nobles récits ; & vous me faites d'autant plus regretter ma douce patrie, que j'y trotiverois l'occasion de vous parler quelques fois de ia refpeétleufe reconnoissance avec laquelle j'ai l'honneur d'être , &c.
Le Chevalier DE F J, 0 R 1 A N.
(III) Le talent de la conversation me paraît si avantageux, que je crois rendre un fer vice réel aux jeunes gens, en leur donnant ici l'extrait d'un essai, dont le fameux Fielding est auteur :
; ,, Tout homme bien élevé , devant se proposer ,,dans ses aétioiis comme dans ses discours de con,, tribuer au plaisir, même s'il peut au bonheur da ;, ceux avec qui il vit, son premier foin fera toujours de rendre ses défauts les moins importans
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» possible, & de travailler à se mettre au niveau des "sociétés dans laquelle il se trouvera ; foit en élé99 vant ceux au dessous de lui, foit en évitant d'ê» tre importun à ceux au dessous." „ Combien donc paraît absurde la conduite de „ Cinedoxe qui, ayant assez profité de l'avantage w d'une bonne éducation pour faire des progrès „ dans differens genres de connaissance, mêles con„ tinuellement , aux conversations familières des ,, sujets relevés : Il parle d'auteurs classiques devant „ des femmes, & de critiques Grecques parmi des „ jeunes gens rassemblés pour s'amuser, n'insulte-t-il „ pas aux sociétés sur lesquelles il affeéte de la fu,, périorité, & dont il sacrifie impitoyablement le ,, tems au désir de satisfaire sa vanité ?
„ Combien est différente l'aimable conduite de „ Sophone qui, quoiqu'il surpasse de beaucoup Ci„ nedoxe en habileté , se soumet à parler des ma„ tieres les plus futiles, plutôt que d'en introduire d'étrangers aux personnes avec lesquelles il s'en„ tretient : Il- fait avec les dames juger des ma3, des, inventer des amusements : Parmi les gentil„ hommes campagnards il s'occupe de chevaux, "de chiens, de chasse ; cet homme qui discute , ,, qui développe les questions les plus importantes 3, & les plus profondes, s'étend agréablement sur „ une parure, sur une course de chevaux. Aucun, u de ceux avec qui il vit, ne soupçonnerait ses vastes „ connoissances sans la justice que s'empressent à ,, lui rendre les gens instruits. A'
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M Comparons ensémble ces deux hommeS: Cinei, doxe se propose de satisfaire son orgueil, au ris,; que d'offenser ceux qui l'écoutent. Sophonè au ,, contraire ne pelife qu'à leur plaisir. Dans la fd.
i, ciété de Ciiledoxe, chacun devient triste de son w ignorance, & soupire après la fin d'un entretien „ maussade : Avec Sophone tout le monde se montre contenta lait cas de ses propres connaissances, Lorsqu'on traite des fuj ets graves qui dej, mandent beaucoup de fuite & d'habileté; Padmi,, ration se voit quelques ibis contrainte pour le pre3, mier, mais s'accorde toujours avec empressement; avec joye au dernier ; autant celui là est évité; » autant celui-ci est recherche.
3i La conduite de Cinedoxe peut donher en -par- ,; tie lieu à une observation que vous aurez fou„ vent occasion de renouveller ; c'est que la conver"ration des hommes d'une sagacité ordinaire; est souvent préférée à celle des hommes fuptrieurs." „ Le monde en cela agit plus sagement qu'il ne "paraît au premier afped, car contre l'espece dé ,, répugnance commune à tous les hommes pour 3, donner leur admiration, peuvent - ils rencontrer „ rien de plus ennuyeux, de plus désagréable que „ des discours au dessus de leur portée : Autant 3, vaudrait entendre les fons d'une langue entiere„ ment inconnue. Si quelques fois nous paraissons ,, désirer une société supérieure à nous en habileté^ ;, ou en sciences, c'est un sacrifice fait à notre jj vanité qui nous persuade que par là nous donne-
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$, rons une haute opinion de notre mérite. Pour „ une chimere, nous renonçons à goûter lesplaifirs „ fuites naturelles des conversations agréables.
,, II exilte en outre une autre faute très com,, mune , également deftruétice du plaisir, quoiqu'é"loignée de devoir son origine à aucune fupério,, rité réelle d'esprit ou d'inftruétion. C'est quand „ quelqu'un discourt, sur les détails d'une profession „ tout à fait étrangère à la société, si l'on en excep„ te un ou deux individus. Les militaires, les „ gens de robe, méritent souvent des reproches en „ ce genre d'après l'habitude de vivre assez géné„ ralement entr'eux.
„ Celui qui parle trop , déplait nécessairement, quelques soient ses moyens , à moins qu'il ne se 99 laisse aller à de misérables bouffonneries, parce „ que le mépris qu'elles attirent devient une espe..
ce de compensation des applaudissemens arrachés 9, dans d'autres genres.
„ Un homme bien élevé ne prend la parole que ,, lorsque son tour vient: Loin de se livrer à l'im„ pétuofité de ion caraétere, il ne parle pas même „ avec trop de chaleur en discutant. Il s'efforce » surtout de cacher toute supériorité , certain que ,, laisser appercevoir au public des prétentions n'est ,, pas moins imprudent que de présenter son fein „ découvert & sans défence, au fer d'un ennemi: „ Chaque homme tient dans sa main un poignard ,, prêt à frapper la vanité des autres, partout où „ elle percer
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„ Les principeaux moyend.e rendre laconv&rfation „ agréable font, que les discours soient mis à la j, portée de tout le monde, & roulent sur des fuj, jets qui intéressent également tous les assistans ; ,, que chacun se voye admis à parier, enfin que „ toute dispute, tout emportement, toute violence „ soient evités avec foin.
„ Je ne saurais passer fons silence la plaifante„ rie si difficile à bien manier , & qui trop foin „ vent me rappelle la fable du petit chien & de ,, l'âne. Telle chose paraît agréable & légere en„ tre des mains habiles , qui devient dans d'autres "lourde & facheuse. Quiconque veut employer „ l'art si dangereux de railler, doit ne jamais per„ dre de vue que le bonheur , ou le plaisir des "hommes est le but de la conversation. C'est ,, entièrement s'en écarter que d'affliger , que de „ mortifier quelqu'un en l'expofanr au mépris des „ autres. La raillerie ne doit donc porter que sur „ quelques faibles, assez légers, pour que celui ,, qui la reçoit, puisse en rire lui même. Tout ,, malheur, toute faute grave, tout vice ne saurait ,, en devenir l'objet, puisque leur seul souvenir „ devient un affront.
„ Quelques gens de beaucoup d'esprit parvien.
„ nent à faire de la raillerie des éloges très flat„ teurs, en paraissant accuser de ce dont on est ,, le plus éloigné.
"Deux remarques importantes termineront cet „ essai.
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,, Tout homme , qui satisfait son mauvais natu-r 9, rel & sa vanité aux dépens des autres en les in.
5, sultant, en les contrariant, ou même en leur „ causant de la confusion, mérite d'être rejetté.
„ Celui, qui par sa complaisance , par sa dou5, ceur s'efforce de contribuer au bonheur, à la "fatisfaétion des autres , a droit de se faire re„ chercher dans le monde , dans quelque place que „ la fortune l'ait relegué, & quelques médiocres que fpient les dons qu'il a reçus de la nature."
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TABLE GÉNÉRALE.
TOME PREMIER.
pages ENVOI 1 PREMIERE LECTURE. £ Religion. 5 SECONDE LECTURE 9 Etude de la Langue Française 9 Rhétorique. * Il Mythologie 15 TROISIEME LECTURE. , 18 Livres propres à former le goût 19 QUATRIEME LECTURE. 27 Livres agrément 28 CINQUIÈME LECTURE. 37 J)u beau 37 Exemple du beau. 38 Ouvrages qui approchent du beau sans Ouvrag es qui a l'atteindre. 41 SIXIEME LECTURE 48 Eloquence 48 Eloquence de la chaire 50 Oraisons funebres 55 SEPTIEME LECTURE 60 Eloquence du barreau 60
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pages Haute Magiflrature 60 uivocats t £ 4 Eloquence guerrier e 67 HUI T l M E LECTURE ,. 70 Eloquence des Académies 70 Eloquence d'adiiiiniftration 75 NEUVIEME LECTURE 78 Poésie 78 ÇIXIEME LECTURE 87 Poéjie épique 87 Poëmes de dijférens genres 93 OJSTZIEME LECTURE 99 Ode. 102 Sonnet ! 105 Fable 106 Coiîte 112 DOUZIEME LECTURE 119 Epitre 119 Stityre 123 Epigramme' 128 TREI^IEME LECTURE 129 JDYLE 131 EGLOGUE 132 Elégie ., 133 QUATORZIEME LECTURE 141 Poéfielégere. 141 QUINZIÈME LECTURE 151 Chanfo-à 151 Impromptu 155
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pages Tnfcription. Epitaphe , : 157 Madrigal. , ,. 159 Enigme.. ! 160 EPITLIPLAME , 163 SEIZIEME LECTURE 166 Tragédie 166 DIX SEPTIEME LECTURE ! 180 Suite de la Tragédie 180 Tragi-Comédie 190 Dix HUITIEME LECTURE R 192 COMÉDIE «. 192 DIX NEUVIEME LECTURE 216 Suite (Le la Comédie 216 Farce 221 PARODIE , '! 223 VINGTIEME LECTURE 223 Qpéra 223 Opéra Comique 232 Opéra Bouffon 233 VINGT ET UNIEME LECTURE 234 LOGIQUE 234 Métaphysique.. e , 236MÉTAPHYJIQUE DU FENTIMENT , • 238 < VINGT DEUXIEME LECTURE 239 MORALE S 239 Morale Universels?. 239 Morale LOCALE 247 VINGT TROISIEME LECTURE 252 Voyages 252
------------------------------------------------------------------------
pages J7Óyages gbJéraur , 56 Voyages particuliers , 256 VINGT QUATRIEME LECTURE , , 258 Législation , , 258 VINGT CINQUIEME LECTURE 264 Histoire Naturelle 564 VINGT SIXIEME LECTURE , 268 Marche de Pesprit humain 68 ENCYCLOPÉDIE 271 VINGT SEETIEME LECTURE 274 ~C~M~ 274 VINGT HUITIÈME LECTURE 284 Histoire , 284 ESSAI SUR L'ÉTUDE DE L'HISTQIKE ; 287 Envoi a Hyppolite c 287 Essai Sp0 VINGT NEUVIÈME LECTURE 336 Romans 335 TRENTIEME LECTURE 341 Suite des Romans 341 TRENTE ET UNIÈME LECTURE 348 Suite des Romans 348 CONSTANCE IMITÉE DE L'ANGLAIS 355 Envoi à Cécile , 355 Confiance 358
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TOME S E Ç 0 N D,
pges TRENTE DEUXIÈME LECTURE 1 Ouvrages de Gaieté » 1 TRENTE TROISIEME LECTURE. 6 Critiques * 7 Journaux 10 Dièlionnaires 15 TRENTE QUATRIEME LECTURE 15 Ouvrage qu'il est dangereux de lire trop tot. 15 Livres dangereux pour le cœur 15 givres dangereux pour l'esprit.., 17 TRENTE CINQUIEME LECTURE - 20 Livres licentieux prohibés 20 Livres contre la religion , 21 ESSAI SUR LES FEMMES 26 Envoi a ma vertueuse amie T. 26 j~mm~a~f 34 Style épistolaire appartient aux femmes' 35 Succès des femmes dans Vantiquité : 4° Succès des femmes en France 41 Lettres 43 Romans 45 Ouvrages Utiles 5r Ouvrages agréables 52 Ouvrages de sentiment 58 Poéjie 62 Vers de Société 76 Succès en Fers <S? en. Prose 7g
------------------------------------------------------------------------
pages Théâtre , 80 TraduCiiol! 84 Eloquence. 85 Erudition & Sciences, 86 JPrétention à l'esprit. 91 Dévotion 94 Ambition. 96 ,.1!èmnzeS appellées au gouvernement.. 100 Talent pour reconnaître le mérite 100 ProteClricu des talens 103 Influence des finîmes dans la société 107 Pouvoir de l'esprit au des/us de celui de la beauté 110 Pouvoir du cœur au dessus de celui de l'çjprit 112 Conciujion 113 TRENTE SIXIEME LECTURE 116 J'cf~cg,~rM~~ 116 Philosophie moderne 117 Politique 120 TRENTE SEPTIEME LECTURE - 122 Littérature Ancienne 122 Traductions 126 TRENTE HUITIÈME,LECTURE 127 Littérature Grecque & Latine 127 TRENTE NEUVIEME LECTURE 131 Poéjîe des Anciens 131 QUARANTIEME LECTURF, 164 Tragédie des Anciens 164
------------------------------------------------------------------------
pages QUARANTE ET UNIEME LECTURE 167 Comédie des Anciens » 167 Traductions en Vers 171 QUARANTE DEUXIEME LECTURE 172 Eloquence des Anciens 17 2 QUARANTE TROISIEME LECTURE 180 Livres classiques des ANCIENS * 180 QUARANTE QUATRIÈME LECTURE 183 Sciences des Anciens 183 QUARANTE CINQUIEME LECTURE 188 Morale des Anciens 188 QUARANTE SIXIEME LECTURE. 198 JJforale locale des Anciens. 198 QUARANTE SEPTIEME LECTURE 201 Moralistes de la plus haute antiquité 201 QUARANTE HUITIEME LECTURE 209 Supériorité des anciens sur les modernes 209 QUARANTE NEUVIEME LECTURE. 213 Langues modernes 213 Langue Hollandaise. « 215 Langue Espagnole T 216 CINQUANTIEME LECTURE 217 Langue .Allemande. 217 CINQUANTE ET UNIEME LECTURE 234 Suisse 234 CINQUANTE DEUXIEME LECTURE 239 Langue Italienne 239 CINQUANTE T R OISIEME LECTURE 244 LITTÉRATURE Anglaift 244
------------------------------------------------------------------------
pages CINQUANTE QUATRIÈME LECTURE 272 yl ma Patrie - - - - - -. 272 CINQUANTE CINQUIÈME LECTURE 289 jd mes JSnfans - - - - 89 CONCLUSION 91 NOTES - *» *. - - .* «. -. GOO ."Episode de Cacus traduit en vers par M. jl. G. - - - - i.. - - - goo Lettre de M. de Florian - - - - * 304 Extrait d'un essai sur la conversation par Fiedling - - - - - - - - 305
GRAVURES.
Vue du Bosquet de Lacq d'après la fltuaLion, de la page 2. du premier Polume.
Perfpeêïive d'O. lieu dans lequel s'efipasfé l'événement de la page 32. du fécond Folunie.
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LISTE DES Noms cités dans VEJfai de Littérature : Ils font rangés par ordre alphabetique.
A.
Abndiè.
Abaufr Abel.
Ablancourt; (b) Abraham.
Achille.
Ji été.
Adam. (Pere) Adele.
Adifibn* Agricola.
Agrippa.
Agrippine.
Aguesseau, (D') Albane.
Alcibiade.
Alembert. (D') Alexandre le grandi Ailut.
Améric Vespuce.
Amyot.
Anacréon.
Anaxagore.
Âcaximene.
A.
Ancourt. (D') André.
AngeIi.
Anne de Ruftte.
Annibal le gtand. ,
AnquetiL Anson.
Arc. (D') Archélaus.
Archer. (L') Archimede.
Argens. (D') Argonne. (D') Arhetée.
Ariofie.
Aristide.
ArifiophaneAristote.
Arnauld.
Arnauld de BaculcIJ Aflouci. (D') Atticus.
Aubert.
Aubigné.
------------------------------------------------------------------------
Auger. (D') A ugufie.
Aulaire- (S*.) Aunoy (Mad. d') Aurele- (Marc) AuteroGbe (D') Ayrault.
6.
Bachaumont.
JBacon.
Baitlet.
Banier.
Barbier. (Mad.) Barbouj Barthe.
Barthelemi.
Baffompiere.
Bastien.
Batteux, (Le) Bayle.
Beau. (Le) Beauharnois (Mad ) Beaumarchais.
B. (Prince) Beaumelle. (La) Beaumont. (Elie de) Beaumont. (Elie de Mad.) Beauregard.
Beauzée.
Bébé.
Beddemart; Belloi (Du)
Benoît (Mad.) Benserade.
Bergier.
Bernard.
Bernard. (Mad.)
Bernier.
Bernis.
Berquin.
Bertauld.
Bertin.
Besplas.
Biesvre (de) , Bion* Birron. (Maréchal) Bitaubé.
Blanchet (l'ancien) Blanchet (Moderne) Bletterie (La) Boccage (Mad* du) Boileau.
Boilet.
Boismorandi BoissY.
BolingbrokdBomard.
Bonnard* Bonnet.
Bontems. (Mad*) Bossu.
Bossuet.
Bouflers. (Mad. de) Bouflers. (Chev. de) Bou-
------------------------------------------------------------------------
Bougainville. (De) Bougainville. (Jean P.) Bouhours..
Boulainvilliers, Bourdaloue.
Bourdic. (Mad.) Bourignon. (Mad.) Boursault.
Boyer.
Brantôme.
Brebœuf.
Bregi- (Mad. de) Brisson. (Mad. de) Brissac.
BroffeJard.
Brueys.
Brumoy.
Brun. (Le) BruIre.
Brutus. (M.) Bruyere. (La) Buffon.
Burrhus.
Buflx Rabutin.
Bufli. (Mad.) C.
Cadmus de Milet.
Cailhava.
Cain.
Calas.
Caligula.
Calonne.
Calprenede. (La) Campistron.
Canaye.
Casaubon.
Cafotte, Cassandre.
Catherine II, impératrice de toutes les Russies.
Catinat, Caton d'Utique- Catulle.
Caylus. (Mad.) Cecile Henriett Cervantes.
César. (Jules) Chabanon. : , Chamiilard.
Champfort.
Chapelain; Chapelle.
Charlemagne.
Charles-Quint.
Charles VII.
Charles XII.
Charleval.
Charpentier.
Charron.
Chatelard.
Chatelet. (Mad.) Chaulieu.
IChauffée. (La)
------------------------------------------------------------------------
Qïessrnais.
Cbcrier.
Chcroa. (Md.) Chevert.
CbevrierCboiii.
Chompré.
ChritUneCkeron.
CimonCincinnatus- Claude.
Clément de Geneve.
Clément.
Clerc. (Le) Clodius.
Coger.
Cotardeau.
Colin d'Harleville.
Collet.
Colletet.
Colomb.
Commines.
Comtat. (Mad.) Condamine (La) Condé. (Le grand) Condillac.
Condorcet.
Confucius, Conti. (Prince de) Corinne.
Corneille. (Pierre)
Corneille. (Thomas) Cofte.
Coulange. (Mad. de) Courtin. Crébillon.
Crebillon. (Fils) Créqui.
Crevier.
Cromwel.
Croy.
Cynéas.
Cyrano de Bergerac.
Cyrus.
D.
Dacier Dacier. (Mad.) DamoursDampmartin de Colrogue.
Dampmartin de ColIogue(Mlle.) DancbetDaniel.
Dante. (Le) Dardenne.
Darius.
D*. (Frédéric) Demérrius.
Démocrite.
Démosthénes.
Denis- (Mad.) De Nelle. (Mad.) Descartes.
Des Fontaines.
------------------------------------------------------------------------
Des Iloulierts. (Mad Des Houhéres. ("Mlle ) Desmahis.
Desportes.
Destouches, Diderot.
Diodes.
Dixmerie. (La) Domitien.
Dorat. (L'ancien) Dorat.
pracon.
Dryden* Dubos.
Ducis.
Duclos.
Dupaty.
Dupleix.
Dupuis.
Durfé.
Duffieux.
E.
Elisée.
Elizabeth.
Epiéècte.
Epicure.
Erasme* Eschine.
Eschyle.
Esope.
Efiiffac. (Duc d')
Eubolide.
Evrcmonc. (St) Euîler. ,
Euripide.
F.
Fabricius.
Fagan.
Favart.
Fayette. (Mad. de la) Faye. (La) Fenéion.
Ferdinand.
FergusCon.
Ferrieres.
Fielding*
Filotaya.
Fléchier.
Fleuri.
Florian.
Folard.
Fontaine- (La) Fontange. (Mad. de) Fontenelle.
Force. (Mad. de la) Fort*
Fortiguera.
Franc (Le) François I.
François. (Le) Frédéric (Le grand) Freron.
------------------------------------------------------------------------
Fresny. (Du) Frouquet.
Fufelier.
G.
Gaillard.
Garnier.
Gassendi.
Gédoin.
Gelais. eSt.) Genlis. (Mad. de) Geoffrin. (Mad. de) Germanicus.
Gessner.
Gerbier.
Gibbon.
Gien.
G* (Achille de) Girard. ,
Givri. (Mad. de) Goethe.
Goldsmith.
Gomes. (Mad. de) Gourville.
Gournai. (Mad. de) Gracchus- (Caius) Gracchus. (Tiberius) Graffigny. (Mad. de)
Grammont.
Grange (La) Grasfin.
Greffee-
Guebriant. (Mad. de) Guercheville. (Mad. de) Guerin.
Guibert.' Guimont de la Touche.
Guire.
Gustave, (Adolphe) H.
Haller.
HamiltOn.
Harley.
Harpe. (La) Héliodore.
Helvetius.
HelvidiusHénault.
Henri I* Henri III.
Henri IVHenri VII Hérodote.
� Hésiode.
Hocke.
Hocquincourt.
Homere.
HopitaI. eL') Horace.
Hortalus.
Hortensius.
Hume.
Hyparchie.
------------------------------------------------------------------------
HyppoIite.
I.
Innocent III.
Isocrate.
J.
Jacob.
Jesus ChriftJethro.
joinvilleJoucoux- (Mad.) Josephe. (Tavien) Julie.
JuftinJuvenal.
K.
Kain. (Le) Klopflok.
Konismark. (Mad. de) L.
Laboureur. ,
Laclos.
Lafare* Lafosse.
Lagrange Chancel.
Laiffac.
Lalemand* Limbcrt. (Mad.) Lambert. (St.)
Lamoignon.
Langlet du Fresnoy.
La Rive.
Larivée.
Latourdaigue, (Mad.) Lavater.
Lavau.
Laure%
Lauris- (Guillaume) Lausan.
Lelius.
Le Miere.
Lenclos. (Ninon de) Leon X. Léonard.
Licinius.
Lille. (De) Linguet.
Locke.
Lon champs.
Longepiere.
Longris.
Longueville- (Mad. de) Louis IX* Louis XI.
Louis XIV.
Louis XV.
Louis XVI.
Lucain.
Lucien.Lucrece. ,.
Lulli.
------------------------------------------------------------------------
Lussan. (Mad-) Luther. (Martin)Luxembourg. (Mr. de) Lycophron.
Lycurgue Lytteleton.
M.
Mably.
Mahomet.
MaillardMaine. (Duc du) Maine- (Mad la Duchefife du) Mainbourg.
Maintenon. (Mad. de) Malherbes.
Mallebranche.
M al ville.
Marivault.
Marlborough.
Marmontel» Marolles.
Marot. (ClérncDt) MarMHer.
Martial.
Marfin.
Mascaron.
Massillon.
Maucroy.
Maupertius.
Mauri.
Mazarelli. (lvlad.)
Mazarin. (Harrenre) Meard. (S1 ) Mécene Med:cis. (Laurent) Meillan.
Menabe.
Ménandre.
Menot.
Mercier (Jean) Mercier. (Jonas) Mercier.
Meffaline» Metastase.
Meude de Monpas. (Chev. de) Meun (Jean de) dit Clopinel, Mezerai.
M iddleton.
Milon.
Miltiades.
Milton.
Mirabeau.
Molé- (Matthieu 1 Mo'é.
Moliere.
Monclafc Moi cris.
Monet. (Mad.) Mongault.
Monsma.
MontaigneMontaigne (Mad ) Montausier.
------------------------------------------------------------------------
Montespan. (Mad. de) Montesquieu.
Montfleuri.
Montfort. (Simon de) Montpander. (Mad. de) Morat.
Moîchus.
Mothe. Le Vayer (La) Motte Houdart. (La) Motteville.
Mourier. (Du) Moustier.
Moyse.
Muralt.
Murât. (Mad. de) Musée.
N.
Necker.
Nemours. (Mr. de) NemoursNéron.
NewtonNicole- Nivernois. (Duc de) Noue. (La) Numa.
0.
Octavius.
Olivet.
Orléans. (Duc d') Orléans.
Orphée.
Orreri.
OtOwai.
OttevilIe.
Ovide.
p.
Pages.
Palaprat.
Palissot.
Parny.
Paschas.
PaCchal. (Mad.) Pastoret.
Pasquier.
Patin. (Mad.) Patin.
Patrix.
Patru.
Paul. (St.) Pavillon.
Pausanias.' PelisCon.
Pelegrin* Perérixe.
Péricles.
Perrier. (Du) Perrault. 1 Perron. (Du) * Perse.' Pefay.
Peyroufe. (La) Phaon.
------------------------------------------------------------------------
Phédres.
Phérecide de Scyros.
Phiiippe de Macedoine.
Pierre le Grand.
Pieyre* Piis.
Pilatre du Rosier.
Pindare.
Piron.
Place: (La) Piaton.
Plaute.
Pline l'ancien.
Pline le jeune' Pluche, Plutarcque.
Poinsinet.
Poinsinet de Sivry.
Polignac.
Pollion.
Polype.
Pompadour. (Mad. de) Pompée.
Pçmpignan. (Le Franc de) Pope.
Poppée.
Porcius.
Poule. v
Poulli.
Pradon.
Presvot.
Prior,
Properce.
Puisieux. (Mad. de) Pythagore.
Q.
Quinault.
Quince-Curce.
Quintilien.
R.
Rabelais.
Racine. (Jean) Racine fils ainé.
Racine. (Louis) Ramond.
RamCctu, Ramfey.
Rancé.
Raprin.
Rapin Thirras.
Raynal Réal. (St.) Regnard.
ReginerRenauld.
RenyRefulieres..
Richardson.
Richelieu.
Richer.
Ricoboni. (Mad.) Rivarol.
------------------------------------------------------------------------
Riviere. (La) Riviere. (Mad. de La) Robertson. Rochefoucault (La) Rollin.
Ronfayd.
Rouche. (Mad. & Mlle. des)
RotrouRoubaut.
Roucher.
Rousseau. (Jean Baptiste) Rousseau, (Jean Jacques) Roy.
S.
Sabliere. (Mad. de La) Sacy.
Sage. (Le) Sallo.
Salluste.
Sapho.
Sauvary.
Saumaile (Glaude) Sausfurc.
Saxe. M ad. de) Scarron.
Scham.
Scipion.
Scuderi.
Scuderi. (Mad.) S*-** (Pauline de) Segrais.
Segnirer.
Sejari, Semiramis ,, Seneque.
Servan' Sevigné.
Shakespear. -
Simonide.
Smolette.
Socrate.
So!on.
Sophocle.
Spon.
Staal. (Mad.) Staël. (Mad.) SteelSterne.
Stuart. (Marie) Suze. (Mad. de la) S wifto
Sylla.
T.
Tacite. ,
Talon.
Tasse. (Le)
Temiftocle.
Tencin. (Mad. de) Terasfon.
Térence.
Thales. Thargelie.
------------------------------------------------------------------------
Themana.
Theocrite.
Theophra£te.
Thomas.
Thompfbn.
ThootThou (Criftophe) Thoux.
Thucidide.
Thullier.
Tibere.
Tibulle.
Tite - Live.
T ♦ * *• Totte.
Toulouse. (Card, de) Toureil.
Tournefort.
TournemineTourneur.
Toussaint.
Trajan.
Trafea* TrelTan.
Turenne. (Marc1, de) V.
Vadé.
Vaillant.
Valade* Valiere (Mre. de la) Valiere (Mad. de la)
Valois (Marguerite de) Valincourt.
Van Dyck.
Varron.
Vaugelas.
Vauvenarques.
Velli.
Venant. (Mquis. d,lvergni) Verdier. (Mad.) Vergier.
Vertot.Vicq d'ACyr; Vigneul de MarviIleVillaret.
Villars. (Mad- de) Villedieu. (Mad.) Villon.
Vincent de Paul, Vincent Fabricius.
Virgile.
Vivonne..
Voisenon.
VoitUre.
Volney.
Vultaire.
W.
Weisse.
Wieland.
X.
Xenophon.
------------------------------------------------------------------------
Xiæenés. (Cardinal) Y'
Young.
- Z.
Zaleucus.
Zenon..
Zoroallr Zoyle.
ERRATA DU SECOND VOLUME.
page ligne fautes lisez 5 2 de la Ie note de du 5 i de la 2e note agomie agonie 16 15 fille fille S3 4 comtes 1 comptez 34 8 louance louange 50 26 Envoyant En voyant SI 7 cite x citée 59 4 deftinftions diltinftions 61 17 s'écriet-il s'écrie-t-il 62 7 qu'une poète qu'un poëte III 19 vielles vieille 113 25 poliçant polissant 113 27 a produit a produite 156 21 d'ne d'une 185 15 anterieuves antérieure 186 7 certaine certain 302 21 devit devint 242 30 perdue perdus 345 14 d'avantage davantage
------------------------------------------------------------------------
page - ligne.. fautes lisez 247 21 informer frissonner 2S° 9 épancha Épanchât 25° 26 courû courus 252 6 d'aussi d'aussi 2^° 26 à qui ce foit à qui que ce foit 274 4 les lui