OBSERVATIONS CRITIQUES
SUR L'OUVRAGE INTITULÉ:
LE GÉNIE DU CHRISTIANISME.
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On trouve chez le même Libraire :
Tableau historique de l'état et des progrès de la littérature française, depuis 1789 , par M. J. de Chenier ; seconde édition. 1 vol. in-8°. prix, 6 fr.
Fragmens du Cours de littérature, fait à l'Athénée, et autres morceaux de littérature du même auteur ; 1 vol.
in-8°. Sous presse.
Poésies inédites et autres poésies diverses, du même auteur; 1 vol. in-8°. Sous presse.
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OBSERVATIONS CRITIQUES
SUR L'OUVRAGE INTITULÉ:
LE GÉNIE DU CHRISTIANISME;
PAR M. DE CHATEAUBRIAND.
Pour faire suite au Tableau de la Littérature française, par M. J. DE CHENIER.
IMPRIMERIE D'ANGE CLÒ.
A PARIS, CHEZ MARADAN, LIBRAIRE, RUE CUtKEGACD, N*. Q.
J 8 1 7-
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AVIS DE L'ÉDITEUR.
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CET ouvrage a échappé, comme par miracle; à la destruction : il a été retrouvé, par lambeaux, au milieu d'une foule d'autres papiers inutiles, destinés également à périr.
Nous avons rassemblé ces morceaux épars, et nous avons eu le bonheur d'en réunir la totalité. Nous l'offrons au public, convaincus qu'il l'accueillera avec satisfaction.
Les auteurs, tant du rapport que des opinions sur un ouvrage aussi recom.
mandable, et dont l'auteur ne l'est pas moins , nous pardonneront, ainsi que
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lui, une indiscrétion qui ne saurait que tourner au profit de la saine littérature, du bon goût, et même de sa gloire.
Rien d'amer ici, rien de désagréable pour l'auteur du Génie du Christianisme.
Ce recueil ne peut, au contraire, que l'honorer, comme il honore les critiques distingués, constitués juges de son ouvrage, et dont la plupart ont porté dans cet examen une si parfaite et une si noble impartialité ; autrement notre profonde estime pour M. de Chateaubriand nous aurait empêché de le publier, et nous n'aurions pas cru faire un sacrifice.
Les renseignemens que nous nous sommes procurés nous ont appris que l'ouvrage n'a jamais été publié, et que toutes les épreuves en étaient demeurées dans les bureaux de l'administration. C'est
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sans doute dans la confusion, occasionnée par les grands événemens qui se sont passés depuis, que l'ouvrage se sera trouvé, par inadvertance, relégué parmi des papiers inutiles.
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TABLE.
RAPPORT sur le Génie du Christianisme, fait par ordre de la classe de la langue et de la littérature françaises, par Af. le comte Daru. Pag. I Opinion de M. Lacretelle. 77 Opinion de M. Morellet. 99 Opinion de M. le comte Regnaud de Saint- Jean d'Angeg. 152 Opinion de M. l'abbé Sicard. 149 Opinion de M. Lemercier. 220 Extraits des procès -verbaux de la classe de la langue et de la littérature fran- çaises. 226
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RAPPORT
SUR
LE GÉNIE DU CHRISTIANISME,
FAIT
Par ordre de la Classe de la Langue et de la Littérature françaises,
PAR M. LE COMTE DARU.
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Le génie d'une institution en est, ce me semble, ce qui constitue son caractère particulier, l'esprit du fondateur, l'objet vers lequel l'institution parait principalement dirigée. Si on me dit que l'esprit des institutions romaines était de resserrer les liens qui unissent l'homme à sa famille, le citoyen à sa patrie; si on me dit que le génie du christianisme est la perfection des vertus humaines, je concevrai que les fondateurs de cette religion, de cette
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république ont eu tel ou tel objet ; mais si après m'avoir annoncé qu'on va m'exposer le génie du christianisme, on traduit cette expression par cellc-ci, ou beautés poétiques et morales rie la religion chrétienne, je me demanderai comment on a pu croire que l'intérêt tle la poésie était entré pour quelque chose dans l'objet d'une pareille institution, et je m'étonnerai qu'on rapetisse un su iet aussi grave en le considérant sous d'aussi frivoles rapports. Sans doute un effet peut être le résultat d'une combinaison, sans être entré dans les fins que l'auteur s'était proposées; mais alors ce n'est plus qu'un accident qui n'appartient point au génie, à l'esprit de la chose dont il dérive.
Cette observation qui ne s'applique qu'au titre de l'ouvrage , ne mériterait pas d'être énoncée, si dans une pareille matière il n'importait de commencer par bien savoir ce que l'auteur entend démontrer.
Un homme de bon tous avait dit :
De la foi d'un chrétien, les mystères terribles, D'ornement égayés ne sont point susceptibles, etc.
Un homme de talent s'est proposé de prou-
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ver que les dogmes et les préceptes du christianisme n'étaient pas moins favorables à la poésie, que ces my thologiescréées exprès pour elle, et qui lui ont fourni de si charmantes images. Jusque-là, on aurait pu ne voir dans ce système que le paradoxe ingénieux d'un écrivain qui cherchait à se frayer des routes nouvelles; mais la gravité, la mélancolie, l'élévation même do son style, avertissent bientôt que ce n'est point des frivoles intérêts de la littérature qu'il veut s'occuper : c'est dans l'intérêt de la religion qu'il examine si clic est favorable il la poésie, et c'est dans les modèles qu'elle lui fournit, dans les richesses qu'elle lui présente, qu'il trouve une nouvelle preuve de son origine céleste, de sa vérité.
Une pareille conséquence semblerait d'abord faire sortir cet ouvrage du domaine de la critique littéraire; car si la divinité de la religion tenait à ses beautés poétiques, ce serait douter de la religion, que de nier son affinité avec la poésie. Mais, de bonne foi, pourrait-on se former sérieusement un semblable scrupule ? et lorsqu'on élève sa pensée à ces méditations, par lesquelles il a été permis à l'homme d'arriver jusqu'aux pieds de son
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créateur, peut-on faire dépendre sa foi de quelques circonstances futiles? peut-on, en recevant les lois éternelles, compter pour quelque chose les avantages qu'elles prêtent h un art créé par notre vanité, pour le plaisir d'un instant et la gloire d'un jour?
Je ne sais si ceux h qui leurs lumières permettent de défendre une cause aussi grave avec des armes dignes d'elle, ont pensé que c'était servir la religion avec tout le respect qui lui est dû, que de la présenter sous des rapports purement humains et même frivoles.
Mais ce n'est pas dans ses rapports avec la religion que je dois moi-même examiner l'ouvrage dont il s'agit. Je n'oublie point d'ailleurs que l'auteur a voulu justifier son entrepris, en disant qu'assez d'autres avaient travaillé à convaincre, qu'il voulait persuader; que Dieu ne défend pas les routes fleuries, quand elles servent à revenir à lui, et qu'il était temps de répondre à ceux qui accusent le christianisme d'être ennemi des arts, des lettres et de la beauté.
Quand cela serait, cela ne prouverait rien contre le christianisme. Le législateur du goût est celui qui s'est énoncé sur cet objet de la
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manière la plus positive; mais il a dit seulement que le merveilleux de la religion n'était guère propre à entrer dans la poésie, et la raison qu'il en donne, c'est le respect même dû h la religion. Quand il se serait trompé, ce serait une erreur de son goût, mais non pas do sa foi. Si d'autres ont accusé le culte de n'éire favorable ni aux lettres ni aux arts, toutes les nations chrétiennes ont vu leurs plus beaux génies répondre par des chefs-d'œuvres à cette inculpation. Le Tasse, Milton, Corneille, Racine, J.-B. Rousseau, Voltaire lui-même ont déjà prouvé, par des faits, que le christianisme pouvait aussi agrandir le domaino de la poésie et de l'imagination.
Si on a dit que les mystères, la morale du christianisme repoussaient absolument toute alliance avec les arts, c'est une erreur réfutée par les écrivains que je viens de nommer.
Si on a prétendu que telle religion, qu'assurément personne ne donne pour vraie, était plus propre que la nôtre à jeter du charme sur les ouvrages de l'imagination, ce peut être l'objet d'une discussion dans laquelle la religion n'est point intéressée.
Je craius bien d'être obligé d'arriver ù cette
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conséquence qu'on a supposé une exagération pour avoir le plaisir de la combattre, et je lui.
très-disposé à excuser cet artifice oratoire.
M. do Chateaubriand a voulu faire comme ce philosophe devant qui on niait le mouvement ; il a marché. Il a composé sur la reli- gion un ouvrage littéraire, et c'est sous ce point de vue qu'il est permis de l'examiner.
Je traitais tout à l'heure la littérature d'art frivole, mais je la considérais alors comparativement à l'objet le plus grave qui puisse occuper les méditations des hommes. Maintenant je serais injuste si je n'y voyais qu'une vaine combinaison de mots; une raison saine en est la première base, et en discutant le mérite d'un livre de littérature, on ignore tous les droits de l'art, si on ne considère dans l'ouvrage que les formes dont l'auteur a revêtu ses pensées. Il faut nécessairement, pour que le jugement soit solide, arriver jusqu'aux pensées elles-mêmes, et examiner cet ordre d'où dérivent leur justesse, leur correspondance , leur clarté.
Ceci nous oblige d'analyser rapidement l'ouvrage de M. de Chàteaubriand.
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L'auteur annonce qu'il divise son ouvrage en quatre parties.
La première traite des dogmes et de la doctrine ; La deuxième et la troisième renferment la poétique entière du christianisme , ou les rapports de cette religion avec la poésie, la littérature et les arts.
La quatrième contient le culte, c'est-à-dire tout ce qui concerne les cérémonies de l'église.
De cette division, l'auteur a eu l'intention de tirer trois sortes de preuve : Ce que le christianisme offre de touchant pour le cœur dans ses mystères et ses dogmes ; (io que l'esprit lui doit de jouissances; Ce que le culte, les institutions religieuses, les faits, ont de convaincant pour la raison.
On voit du premier coup d'œil que la deuxiè- me partie appartient à un ordre de choses tout différent des deux autres; et il en résulte, ce me semble, un défaut d'unité dans le ton de l'ouvrage, dont tous les lecteurs s'aperçoivent peut-être sans pouvoir s'en rend re raison.
Examinons quelques-unes des preuves que
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l'auteur a développées dans sa première partie; mais en faisant remarquer celles qui ne nous paraissent pas dignes d'un pareil sujet, l'équité veut que nous ajoutions que toutes ne méritent pas la même critique.
L'autour commence par des considérations sur les mystères. An sujet de la Trinité, il dit: K Nous croyons entrevoir dans la nature mé« me une sorte de preuve physique de la Tri« nité. Elle est l'archétype de l'univers, ou, si « l'on veut, sa divine charpente. Ne serait-il « pas possible que la forme extérieure et ma« lériulle participât de l'arche intérieure et cc spirituelle qui la soutient, de même que « Platon représentait les choses corporelles « comme l'ombre des pensées de Dieu? Le « nombre de trois semble être, dans la naïf turc, le terme par excellence. Le trois n'est « point engendré, et engendre toutes les au« tres fractions; ce qui le faisait appeler le « nombre sans mère, par Pythagore. »
« On peut découvrir quelque tradition » obscure de la Trinité jusque dans les fables » du Polythéisme. Les Grâces l'avaient prise » pour leur terme ; elle existait au Tartare » pour la vie et la mort de l'homme , et
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» pour la vengeance céleste j enfin, trois » Dieux frères composaient, en se réunisM sant, la puissance entière de l'univers.
« Les philosophes divisaient l'homme » moral en trois parts, et les Pères de l'église » ont cru retrouver l'image de la Trinité » spirituelle dans l'ame de l'homme. M Je viens de transcrire tonte la partie de raisonnement qui compose ce chapitre, 1 ,e reste est une très-belle citation de Bossuet, et une peinture poétique des trois personnes de la Trinité. J'avoue que je ne crois point la fbi intéressée à s'appuyer sur de telles preuves; je ne comprends pas , h beaucoup près, tout ce que je viens de citer, mais je comprends encore moins que les propriétés du nombre trois et les inventions des poètes, comme les trois Parques, les trois Grâces, les trois Juges des enfers, puissent sérieusement être comparés à un mystère devant lequel la raison de l'homme ne peut que s'humilier.
Faire de tels rapprochemens, c'est s'écarter de la nature des preuves qu'admet un sujet aussi grave.
Dans le chapitre de la rédemption, l'auteur s'est plus sagement renfermé dans la
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nature de son sujet. Il développe, dans de très-belles pages , de hautes pensées sur la dégénération de l'homme, qui explique le penchant vicieux de la nature toujours combattu par la voix secrète de la conscience. Mais plus on est satisfait de la suite de ses raisonnemens, plus on est étonné de l'entendre s'écrier: u Si ce parfait modèle du bon fils , cet » exemple des amis fidèles, si cette retraite » au mont des oliviers, ce calice omnr, cette » sueur de sang , cette douceur d'anie, cette » sublimité d'esprit, cette croix, ce voile » déchiré , ce rocher fendu , ces ténèbres de » la nature , si ce Dieu expirant pour les » hommes ne peut ni ravir notre cœur , ni » enflammer nos pensées, il est à craindre » qu'on ne trouve jamais dans nos ouvrages, » comme dans ceux du poëte , des miracles M éclatans ; speciosa miracula. » Ainsi, après avoir appliqué toutes les forces de la raison à prouver le plus grand des I)ft) stères ,1a peine qu'il prédit aux incrédules, c'est qu'ils seront condamnés à ne faire que de mauvais vers. Heureusement cette peine ne s'étend pas dans l'autre vie.
Aprôs les mystères, l'auteur traite des sa-
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cremens ; il cherche dans ces institutions di.
vines ce qu'elles ont de touchant pour le cœur, de brillant pour l'imagination. Souvent aon talent le sert fort heureusement pour peindre des tableaux qu'il faut admirer, mais souvent aussi il oublie quel est ion véritable objet, et considère son sujet sous des rapports purement humains ou même fabuleux ,ponr auribuer ensuite le charme qu'il a su y répandre, à ce sentiment auguste et religieux qui aurait dû y dominer.
Par exemple, la cérémonie du baptême a un caractère touchant qu'on ne peut méconnattre. « Voyez, dit M. de Châteaubriand, » le néophyte debout au milieu des ondes du a Jourdain, le solitaire du rocher verse l'eau » lustrale sur sa téte; le fleuve des patriarches, » les chameaux de ses rivages, le temple de » Jérusalem, les cèdres du Liban paraissent » attentifs ; ou plutôt regardez ce jeune enfant » sur les fontaines sacrées , une famille » pleine de joie l'environne ; elle renonce » pour lui au péché ; elle lui donne le » nom de son aïeul qui devient immortel par » cette renaissance perpétuée par l'amour de If race en race. Déjà le père, dont le cœur
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» bondit d'alcgresse, s'empresse de reprendre » son fils pour le reporter ti une épouse im» patiente, qui compte sous les rideaux tous » les coups de la cloche baptismale. On en» toure le lit maternel, des pleurs d'attendris» sement et de religion coulent de tous les » yeux , le nom nouveau du bel enfant, lo » nom antique de son ancêtre est répété de M bouche en bouche, et chacun , mêlant le » souvenir du passé aux joies présentes, croit » reconnaître le bon vieillard dans l'enfant » qui fait revivre l'a mémoire. Tels sont les » tableaux que présente le sacrement de » baptême. »
Assurément ce tableau est tracé par un homme de talent ; mais pourquoi cet homme de talent ne s'est-il pas aperçu que cette joie, ces noms donnés, cette ressemblance remarquée J sont des circonstances purement humaines ; que ces circonstances doivent se retrouver dans toutes les cérémonies, par lesquelles les divers peuples célèbrent la naissance d'un enfant ? C'est qu'il voulait faire un tableau, et qu'il a oublié qu'il s'agissait de fournir une preuve de la divinité du baptême.
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Sans doute cet homme nouveau lavé dans la piscine de la tache héréditaire, les engagemens qne ses parens prennent pour lui, les bons exemples, les saintes instructions qu'ils lui promettent, leur reconnaissance envers le Dieu qui le leur a donne, la faiblesse de cet enfant né pour la douleur et promis h la vertu, sa présentation h l'autel, son agrégation dans la grande famille chrétienne , ces circonstances caractérisent plus particulièrement le baptême que l'eau lustrale et les chameaux du Jourdain.
Le sage du monde se bornerait à dire à cet enfant, tu pleures, et tout ce qui t'environne est dans la joie: puisses-tu traverser la vie de manière que, lorsque la mort arrivera , tout pleure autour de toi, et que toi seul tu conserves ta sérénité. Le prêtre chrétien lui promet déjà une autre vie.
Lorsque l'auteur ajoute : « S'il n'y a pas » dans ce premier acte de la vie chrétienne, » un mélange divin de théologie, de morale, » de mystère et de simplicité, rien ne sera » jamais divin en religiou. » On regrette qu'il n'ait pas conservé lui-même, dans son ouvrage, ce précieux caractère de simplicité
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qui est si persuasif. Les ornemens étrangers DU sujet prouvent que l'esprit se partage entre le désir de briller et celui de convaincre. Il n'était pas nécessaire de comparer, « la con» firmation , qui soutient nos pas tremblans, » n ces sceptres qui passaient de race en race , » citez les rois antiques , et sur lesquels les » Kvandre ci les Nestor, pasteurs des hommes, » s'appuyaient en jugeant les peuples. »
Mais surtout les ornemens ambitieux , en annonçant le dessein qu'on a de nous éblouir, nous avertissent de nous tenir en garde contre cette illusion.
Au sujet de l'ordre et du mariage, l'auteur veut prouver que la virginité est l'état de perfect ion ; il s'adresse d'abord aux moralistes, et il leur dit : « Que le Rédempteur naquit M d'une vierge, pour nous enseigner que, » sous les rapports politiques et naturels , la » terre était arrivé à son complément d'habi» tans , et que, loin de multiplier les généra» tions , il faudrait désormais les restreindre; M que les Etats ne périssent jamaispar le défaut, « mais par le trop grand nombre d'hommes. »
A près divers raisonnemens sur ce sujet, « Voi» là , ajoute-t-il, ce que nous avons à ré-
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N pondre aux moralistes touchant le célibat M des prêtres. Voyons si nous trouverons » quelque chose pour les prêtes : ici il nous » faut d'autres raisons, d'autres autorités et M un autre style. »
D'abord on ne voit pas pourquoi l'auteur prend la peine d'adresser une démonstration aux poëtes qu'il ne peut espérer de convaincre , par l'exemple de Minerve et de Vénus-Uranie, puisqu'ils savent fort bien à quoi s'en tenir sur ces deux divinités. Mais il ajoute : « Considérée sous les autres rAp« porls, la virginité n'est pas moins aimable.
« Dans les trois règnes de la nature elle « est la source des grâces et la perfection « de la beauté. Les poètes, que nous vou« Ions surtout convaincre ici, nous servi« ront d'autorité contre eux-mêmes. Ne se « plaisent-ils pas à reproduire partout l'idée M de la virginité , comme un charme à leurs « descriptions et à leurs tableaux ? Ils la « retrouvent ainsi au milieu des campagnes, et dans les roses du printemps et dans la * neige de l'hiver, et c'est ainsi qu'ils la « placent aux deux extrémités de la vie, sur « les lèvres de l'enfant, et sur les cheveux
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« du vieillard ; ils la mêlent encore aux mys« tères de la tombe, et ils nous parlent de « l'antiquité qui consacrait aux mânes des « arbres sans semence, parce que la niort « est stérile, ou parce que dans une autre vie « les sexes sont inconnus , et que l'âme est « une vierge immortelle ; enfin ils nous « disent que , parmi les animaux , ceux qui M se rapprochent le plus de notre intelligence, « sont voués à la chasteté. Ne croirait-on « pas en effet reconnaître dans la ruche des « abeilles, le modèle de ces monastères, où « des vestales com posent un miel céleste, « avec la fleur des vertus ?
« Quant aux beaux-arts , la virginité en « fait également les charmes , les Muscs lui M doivent leur éternelle jeunesse. »
L'intention très-louable de l'auteur a été ici de rendre la virginité aimable , niais il a senti sûrement avant nous que de tels raisounemens ne prouveront rien à ceux qui auront de la peine à comprendre ce que c'est que la virginité du bouton de rose , de la neige et des cheveux du vieillard , et quel rapport il y a entre tout cela et la virginité dans sa véritable acception.
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Laùtcur continue : « Le vieillard chaste « est une sorte de divinité. Priam, vieux « comme le mont IJa, et blanchi comme « le clicnc du Gargare, Priam dans son » palais au milieu de ses cinquante fils, « présente le spectacle le plus auguste de la « paternité. Mais un Platon , sans épouse et « sans famillp, assis au pied d'un temple « sur la pointe d'un cap battu des flots ; un « Platon enseignant l'existence de Dieu a ses « disciples , est un être bien plus divin. Il « ne tient point à la terre; il semble appar« tenir à ces dérnons, à ces intelligences « supérieures dont il nous parle dans ses « écrits. »
« Ainsi la virginité, remontant depuis la (let-iiiel, anneau de la chaîne des êtres jus« qu'à l'homme , passe bientôt de l'homme » aux anges et des anges à Dieu , où elle « se perd. Dieu brille à jamais unique dons f les espaces de l'éternité comme le soleil, « son image dans le temps. Concluons donc tt que les portes et les hommes du goût le « plus délicat ne peuvent objecter rien de « raisonnable contre le célibat du prêtre , » puisque la virginité fait partie du souvenir
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« dans les choses antiques , des charmes i* dans l'amitié, du mystère dans la tombe f « de l'innocence dans le berceau , de l'cn- « chantement dans la jeunesse , de l'huma- « nité dans le religieux, de la sainteté dans fi le prêtre et dans le vieillard , et de la f< divinité dans les anges et dans Dieu « même. »
L'analyse que l'auteur vient de faire de ce chapitre me dispense de faire remarquer comment, à propos de la virginité , il cite pour exemple les plantes, les abeilles, la neige , Dieu et Platon à qui je me souviens d'avoir entendu reprocher plus d'une faiblesse, car il aima, dit-on , la vieille Archéanasse , la courtisanne Xantippc. Il écrivait à Dion : « Tu rends mon âme folle d'amonr o.
Et au jeune Aster : « Je voudrais être le ciel, « afin d'être tout yeux pour te regarder». Je sais que la vie de Platon est d'ailleurs trèsbelle , mais il n'y a pas là de quoi être cité pour sa continence.
Après les mystères et les sacremens, l'auteur considère les vertus et les lois morales qui appartiennent au christianisme
Ici son sujet présentait une plus heureuse
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analogie avec le système de son travail. Les profonds mystères de la religion ne souffrent point l'emploi des raisonnemens purement humains, ni même les ornemens qui contrastent avec la gravité des choies saintes.
La morale , au contraire; plus h la portée de notre faible intelligence, permet quelquefois à l'imagination de l'embellir.
M, de Châteaubriand n'a consacré a cette partie de son sujet que peu de pages j il parle rapidement de la foi , de l'espérance et de la charité , et rapproche , plutôt qu'il ne les compare, les préceptes du décaloguo et ceux qu'ont enseignés les principaux législateurs do l'antiquité.
11 s'empresse de rentrer dans les voies ardues et périlleuses. 11 entreprend de discuter la cosmogonie de Moyse, la chute de l'homme.
Je n'ai garde de le suivre dans l'examen de ses preuves chronologiques et astronomique, qui tendent à établir que le monde n'est pas si ancien que l'ont cru certains philosophes.
C'est dans ce livre qu'il fait une description du déluge , très-belle à quelques égards, mais tachée de quelques expressions bizarres sur
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lesquelles le goût et la raison ne peuvent point transiger.
11 se fait à lui-même l'objection que les géologues tirent ( pour prouver l'ancienneté du globe ) de ces minéraux, qui sont le produit d'un travail si lent de la nature. Voici sa réponse : u Le monde fut créé avec toutes « les marques de vétusté que nous lui « voyons ». A la bonne heure , il n'est pas plus dillicile de concevoir la création d'un chêne que celle d'un gland ; niais voici la raison qu'il en donne : « Si le monde etit été « à la lois jeune et vieux, le grand , le sé« rieux, le moral disparaissaient de la nature, M car ces sentimens tiennent par essence aux « choses antiques; cha que site etit perdu ses « merveilles; le rocher en ruines n'eût plus H pendu sur l'abyme avec ses longues grami« nées , etc. Mais Dieu ne fut pas un si M méchant dessinateur des bocages d'Eden « que les incrédules le prétendent. L'homme « roi naquit lui-même à trente années , afin « de s'accorder par sa majesté avec les anti« ques grandeurs de son nouvel Empire ; de t. même que sacompagne compta, sans doute, « seize printemps, qu'elle n'avait pourtant
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« point vécu, pour être en harmonie avec les « fleurs, les petits oiseaux, l'innocence, les « amours et toute la jeune partie de l'univers, D Pour arriver à prouver les récompenses et les peines de l'autre vie, l'auteur établit l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme.
Il prouve l'existence de Dieu par les merveilles de la nature. Cette sorte de preuves appartient en général h toutes les religions ; niais c'est nn sujet riche et favorable au talent que l'auteur (le cet ouvrage aime à montrer pour les descriptions.
Le spectacle général de l'univers, l'organisation des animaux et des plantes, l'instinct des animaux , l'homme physique sont les sujets qui lui fournissent des observations, nous ne dirons pas toujours exactes, parce que nous ne 80mmel point capables d'en juger | mais toujours plus ou moins ingénieuses, souvent des descriptions éloq uentes, et plus rarement que dans les autres parties de l'ouvrage des exagérations, des fautes contre la simplicité et le goût.
Parmi ces dernières, on peut citer « une » vallée vuide de la Providence, et l'oiseau qui » semble le véritable emblème du chrétien
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n ici-bas. — La corneille qui, immobile et o comme pleine de pensées, abandonne de » temps en temps aux vents des monosylla» bes prophétiques. — Lorsqu'au coucher du » soleil le courli siffle sur la pointe d'un rot, cher, que le bruit sourd des vagues roc» compagne en formant la basse du concert, » c'est une des harmonies les plus nuHancou liques qu'on puisse entendre. »
Mais il est juste d'indiquer aussi la hel10 description de la prière du soir à boni d'un vaisseau , et des passages charmans sur les oiseaux voyageurs.
Après la nature physique, M. de Chateau- briand examine le moral de l'homme. La premier sentiment qu'il considère en lui, est l'amour de la patrie. Ce chapitre est un des meilleurs de l'ouvrage. Les suivant traitent du désir du bonheur, de la conscience, des remords, de l'immortalité de l'ame, du danger et de l'inutilité de l'athéisme.
Jusque-là ses observations ne s'appliquent pas spécialement au christianisme ; car il nous cite Alexandre et César comme des exemples de héros religieux 1 mais il rentre dans son sujet en traitant des récompenses et do. peines
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de l'autre vie t du jugement dernier et du bonheur des justes. Ces derniers chapitres sont extrêmement courts et peu remarquables. Ce qui nous a paru l'être davantage dans le livre sur l'homme moral, est une peinture de la femme incrédule, c'est-à-dire athée au lit de mort.
Après avoir peint l'abandon de cette femme dans sa vieillesse. « Oli ! qu'alors In solitude » est profonde, lorsque la Divinité et les M hommes se sont retirés à la fois ! Elle meurt i, cette femme, elle expire entre les bras M d'une garde payée, ou d'un homme dé» goûté par ses souffrances, qui trouve qu'elle » a résisté au mal bien des jours. Un cercueil » de quelques pieds de long renferme toute M l'infortunée. »
» On ne voit à ses funérailles ni une fille » échevelée, ni des gendres et des petits-fils » en pleurs, digne pompe qui, avec la béM nédiction du peuple et le chant des prêtres, » accompagne au tombeau la mère de famille.
« Peut-être seulement quelque fils inconnu, M qui ignore le secret de sa triste naissance, » rencontre par liaeord le convoi, s'étonne al de l'abandon de cette bière, et .l':III:&Uù' !«..
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» nom du mort aux quatre porteurs qui vont » jeter aux vers le cadavre qui leur fut promis M par la femme athée. »
Ce dernier trait me pnrait d'une grande force; ce fils inconnu qui rencontre le cercueil de sa mère, et qui n'éprouve que la curiosité de l'indifférence.
Ici se termine l'analyse de la première partie de cet ouvrage.
La poétique du christianisme est l'objet de la deuxième et de la troisième partie. Par ces mots, il faut entendre les beautés que la poésie peut devoir ii la religion, ou, comme le dit l'auteur, les effets du christianisme dans la poésie. Ici M. de Châteaubriand va entreprendre de comparer des poëtes de l'andquité avec des poètes chrétiens, et l'on voit d'avance qu'après avoir prouvé, dans les circonstances données, la supériorité de ceux-ci, il faudra avoir soin d'en montrer la cause dans la religion du poëte.
Mais si on va plus loin , si on veut que la supériorité de l'écrivain soit une preuve de la vérité de cette religion même, voye* quelle dangereuse conséquence découlerait de ces prlmlsses.
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Homère, Virgile, Milton, le Tasse, voilà de grands noms ; mais enfin on peut hésiter dans le choix. Je ne contesterai point, si l'on vent, que Milton est loin par delà les Homère et les Virgile ; mais si malheureusement on s'avisait de trouver qu'Homère est plus riche de poésie que le Tasse et Milton , la religion des Grecs se trouverait établie sur une preuve qui manquerait à la nblre; et si Homère avait encore ses défenseurs zélés que nous lui avons connus, il ne faudrait pas désespérer du voir une madame Dacier se faire brûler pour sa gloire.
11 faut donc écarter cette considération qui intéresse la divinité du christianisme dans la gloire des poètes chrétiens, et il est fâcheux d'avouer que c'est par cette considération que les deux volume , dont nous allons entreprendre rexamen, tiennent au sujet.
Les réflexions préliminaires de l'auteur sont en général frappantes par leur justesse et leur sagacité. Son parallèle d'Homère , de Virgile et du Tasse, est plein de goût : on aime h l'entendre dire « qu'il faut prendre garde » d'abuser des hardiesses de style ; que quand » on les recherche, elles ne deviennent plus
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» qu'un jeu de mots puéril aussi pernicieux JJ à la langue qu'au bon goût; qu'on tombe » dans d'étranges erreurs pnr horreur de l'ix mitation , qui conduit à l'honneur d'être n médiocrement original et barbare à votre » man ière. »
Le Paradis perdu était le poëme le plus digne des observations de l'auteur, dans l'objet qu'il se proposait. Ce poëme rappelle bien quelquefois les réflexious que je viens de iratis.
crire; mais il y a de la grandeur, de la force et un genre de beautés jusqu'alors inconnues, dont il est évident que la religion a fourni au moins une partie.
Le Saint-Louis du P. Lemoine, la Pucelle de Chapelain, le Moïse sauvé de SaintAmant, le David de Coras ne méritaient guère que M. de Châteaubriand en fit mention, parce que ces sujets chrétiens n'ont malheureusement produit que de fort mauvais poëmes , ce qu'il serait assurément trèsinjuste d'imputer à la religion des auteurs; et ce qu'il y a de malheureux encore, c'est que cet ouvrages rappellent le fameux anathème de Boileau, parce que c'est précisément contre eux qu'il a été lancé.
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L'Araucana, In Lusiade, le Messie, la Mort d'Abel étaient plus dignes d'arrêter le lecteur. Mais dans le premier de ces pOlimc", il n'y a point de merveilleux chrétien; le second offre un mélange bizarre du christianisme et de la fable : on y trouve la vierge Marie et Bacchus.
M. de Châteaubriand reconnaît dans la ffenviaric un plan snge, une narration vive et pressée de beaux vers, une diction élégante, un goût pur, un style correct. Assurément, il y a beaucoup de critiques de qui on n'oserait espérer de semblables concessions ; mais l'auteur ajoute que ces qualités si importantes ne suffisent pas pour constituer une épopée, et il a raison.
Ce serait une dispute de mois d'examiner si ce poëme a assez de ce merveilleux , de cette machine poétique pour mériter le nom d'épopée. Le fait est que ce merveilleux y est moins heureusement employé que dans les grandes épopées d'Homère, du Tasse et de Milton. M. de Châteaubriand regrette de n'y pas trouver « de vieux châteaux, avec des « mâchicoulis , des souterrains, des tours verfi dits par le lierre et pleines d'histoires mer-
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« veilleuses, des druides, des tournois; mais « Voltaire, ajoute-t-il, a brise la corde la plus « harmonieuse de sa lyre, eu refusant de chan« ter cette milice sacrée, cette armée des niar.
« tyrs et des anges dont ses talens auraient « pu tirer un parti admirable. »
Nous sommes bien loin de contester le parti que le talent aurait pu tirer de ces moyens, mais nous devons faire remarquer que les vieux châteaux et les druides ne seraient point des ornemens fournis par le christianisme. Au reste on doit cette justice a M. de Chàteaubriand de dire qu'il parle de Voltaire avec beaucoup de Jtaltiee, de goût et de décence. 11 sépare fort bien l'homme de talent et l'homme de parti, et c'est un mérite dont il faut lui tenir compte dans un siècle où nous sommes élevés jusqu'au mépris d'un si beau génie.
M. de Châteaubriand a droit aux mêmes égards de la part de ses critiques ; et en déplu.
rant l'abus qu'il a quelquefois fait de son talent , il serait injuste de fermer les yeux sur ce talent même, et de ne pas ajouter que, dans ses erreurs, la noblesse de ses lu tentions, l'élévation de son caractère ne se démentent jamais.
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Je l'ai suivi dans l'analyse rapide qu'il a faite des principaux poëmes dont le christianisme a fourni le merveilleux.
Quelques-uns sont reconnus pour de mauvais ouvrages; dans quelques autres, remploi du christianisme n'a pas été heureux, ou se trouve indignement allié à d'autres fic- tions. Il resterait donc à dire quelles sont les beautés de Milton, du Tasse et de Klopstock, dont on est redevable à la religion chrétienne (et il y en a beaucoup sans doute) ; mais il faudrait ensuite comparer ces beautés à celles d'Homère, à celles que ces poètes eux-mè- mes doivent à l'ancienne mythologie, et c'est ce que l'auteur n'a point entrepris. On ferait une assez longue énumération des beautés que M. de Châteaubriand lui - même doit à l'imitation des auteurs qui n'étaient pas chrétiens ; d'où il résulte que cette partie de son livre prouve beaucoup moins qu'il n'avait annoncé.
Voilà la série des propositions : Milton. le Tasse et Klopstock sont, h quelques égards, supérieurs à Homère et à Virgile.
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Ils doivent leur supériorité au christia- nisme.
Donc le christianisme est plus favorable à la poésie, que la religion d'Homère et de Virgile.
On voit de quelle controverse chacune de ces propositions est susceptible, mente après les démonstrations de M. de Châteaubriaud, Après ce coup d a'it jeté sur les poëmes dont le christianisme a fourni le sujet, l'auteur examine l'influence de cette religion sur la peinture des caractères, et choisissant de heaux tableaux dans la littérature ancienne et moderne , il compare la manière dont les poëtes païens et chrétiens ont peint les époux, c'est-à-dire Ulysse et Pénélope, Adam et Eve; le père, c'est-à-dire Priam et Lusignan; la mère ou Andromaque, le fils ou Gusman, la tille, Iphigénie et Zaïre; le prêtre, Joad et la Sybille, les guerriers d'Homère, et les chevaliers du Tasse. Puis il en vient aux passions. Didon est le modèle qu'il choisit dans l'antiquité; les épouses chrétiennes qu'il lui oppose, sont Phèdre, la Julie de J.-J. Rousseau , Clémentine et Héloïse.
Sans doute on ne peut se défendre de quel-
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que étonnement en voyant opposer à l'antiquité, des caractères dont elle-même a fourni le modèle. Mais en considérant les peintures que nous a tracées d'Andromaque, de Phèdre et d'Iphigénie, un poëte aussi connu par son respect pour la religion, que par son amour pour les anciens, l'auteur s'est attache à montrer combien il a adouci de traits et corrigé les vices par ln délicatesse du sentiment.
Ces observations donnent lieu à une foule d'aperçus ingénieux, mais qui ne sont pas toujours également justes ; ce qui l'est encore moins, c'est de confondre deux causes qu'il fallait distinguer.
Si ou entreprenait de prouver les bienfaits du christianisme, ou aurait à citer l'abolition de l'esclavage, la charité recommandée, les passions contenues, la morale épurée, l'orgueil humilié, le pauvre replacé au rang des hommes. M. de Chateaubriand développe luimême tous ces bienfaits d'une manière admi- rable dans la suite de son ouvrage.
On ne peut douter que la civilisation, en polissant l'espèce humaine, n'ait perfectionne le beau idéal des caractères, c'est-à-dire le modèle proposé à notre imitation. De là
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cette délicatesse des hommes, toutes les foi* qu'il s'agit de juger les autres, et les efforts des artistes pour ne pas blesser cette délicatesse dans les caractères qu'ils peignent d'imagination.
Sans doute la religion a eu une grande influence sur la civilisation, mais son influence sur l'art n'est pas immédiate, et c'est parce que les mœurs ont changé, que les artistes se sont perfectionnés avec les mœurs. Lamotte développe fort bien cette observation. « Si 1* » poësie consiste, dit-il, dans l'imitation M d'une nature choisie, il s'ensuit que celui » qui la choisit le mieux, en imitant d'ailleurs « aussi bien que les autres, est le plus grand » poëte de son temps. Il s'ensuit aussi qu'à M mesure que le monde s'embellit par les » arts, et qu'il se perfectionne par la morale » M la matière poétique en devient plus belle, » et, qu'à dispositions égales, les poètes dol- » vent être meilleurs m. De là des traits que Racine a dounés à Phèdre et à Andromaque, et qu'Euripide n'aurait jamais soupçonnés; Il les a peintes non moins tendres, mais plus délicates; de même qu'involontairement, il a quelquefois donné h ses héros quelque res-
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semblance avec les hommes de la cour dé Louis XIV, et l'on sait que les auteurs des grands romans qui parurent à cette époque, poussèrent un peu loin cette imitation de mœurs contemporaines.
Ensuite chacun des spectateurs ne voit, dans les physionomies des personnages, que le trait qui tient à ses propres penchans, à ses habitudes, pour en faire le trait principal.
M. de Chàteaubriand appelle Phèdre une épouse chrétienne ; c'est ainsi que le grand Arnaud trouvait dans ce rôle un bel exemple des combats de la passion et de la grâce.
Mais qu'est-ce que tout cela prouve? Que les mœurs se sont, je ne dirai pas perfectionnees, mais polies; car les mêmes vices existent, la peinture en est plus ingénieuse; voilà tout.
Au reste, je ne prétends pas juger ici un siècle : c'est bien assez d'avoir à dire mou avis sur un livre; mais il me semble qu'en ceci l'auteur a forcé les rapports du fait et des conséquences, pour faire entrer cette matière dans son sujet.
La preuve que cet effet est indépendant de
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la religion, c'est qu'il peut exister sans elle.
Voyez Homère et Virgile. Leur religion est la même, et cependant le poëte de la cour d Auguste a corrigé les héros de leur jactance, de leur cruauté, et il ne tiendrait qu'à nous d'appeler le pieux Enée, V* guerrier, le père, l'amant chrétien.
Il y a plus, c'est qu'il ne faudrait pas toujours faire intervenir la religion dans les pas- sions des hommes, parce qu'alors on l'en rendrait responsable. C'est ce qui arriva au sujet de Phèdre, et voici comment le fils de l'auteur l'en a justifié. « Je ne dois point finir « l'examen de cette pièce, sans détruire l'in« juste soupçon de quelques personnes qui « prétendent qu'elle inspire un principe de fi morale très-dangereux, parce que ces per« sonnes s'imaginent y voir le ciel auteur du « crime ».
« Le langage que Phèdre tient dans cette « pièce, est le langage ordinaire des païens.
« Quoique convaincus qu'ils étaient libres « ( vérité que nous sentons toujours en nous« mêmes), dans la violence de leurs passions, « ils les imputaient à quelque Dieu, et oppo« saient cette prompte excuse à leurs re« mords. »
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En voilà beaucoup sur ce rôle de Phèdre qu'on ne s'attendait guère à voir citer comme un caractère chrétien.
Avant de quitter ce livre, il peut ne pas être inutile de relever quelques propositions qu'on pourrait appeler des hérésies, en empruntant une expression dans la nature de ce sujet.
« La plus belle moitié de la poésie, la par- « tie dramatique, ne recevait aucun secours « du polythéisme. u L'auteur oublie quel parti la tragédie ancienne a tiré du dogme de la fatalité : et si les effets de ce genre de tragédie sont encore puissans sur notre théâtre, il faut reconnaître qn'ils devaient l'être bien davantage chez les Grecs ; d'ail on pourrait conclure que la tragédie a perdu au changement de religion.
« Il nous semble que Zaïre, come tragé* die, est plus intéressante qu'Iphigénie. » Voltaire n'aurait jamais reçu un plus bel éloge.
« Racine et Virgile sont tous deux timides « dans les caractères d'hommes, tous deux parfaits dans les caractères de femmes. »
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Cela peut être un peu vrai de Virgile ; mais Oreste, Mithridate , Acomat, Burrhus, Narcisse, Néron, sont des créations de Racine, et ne passent point pour des caractères faiblement tracés.
« Il nous semble que les personnages mis '1 en action dans la Jérusalem, sont fort suIl périeurs à ceux de r lliade. Le Tasse, en « peignant le chevalier, trace le modèle du t( parfait guerrier ; tandis qu'Homère, en re« présentant les hommes des temps héroï« ques , n'a fait que des espèces de monstres.
« C'est que le christianisme a fourni, dès sa « naissance, le beau idéal moral, ou le beau « idéal des caractères, et que le polythéisme « n'a pu donner cet avantage au chantre dl« lion. C'est .'ce qui fait la beauté des temps « chevaleresques, et ce qui leur donne la su« périorité tant sur les siècles héroïques, que « sur les siècles tout-à-fait modernes. M
11 y a de la vérité dans cette observation ; mais elle est trop absolue. Sans doute les chevaliers sont des personnages très - heureusement nés pour la poésie; mais sont - ils plus poétiqueb que les héros d'Homère? c'est une autre question.
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On remarqne cher, les héros anciens plu; de variété de physionomie. Ils sont moralement moins bons, sans doute , mais leurs défauts même ne sont pas indifférons à la poésie : la colère d'Achille, la rudesse d'Ajax, l'impiété de Diomède, la fausseté d'Ulysse, ont fourni au poëte une source de beautés.
Les vieillards sont tous beaux dans Homère.
Priam , Nestor, se distinguent à des caractères particuliers. Les femmes, depuis Hécube jusqu'à Hélène, présentent toutes les gradations des sentimens et des caractères qui appartiennent à leur sexe. A joutez que les guerriers d'Homère sont bien autrement éloquens que ceux du Tasse. Sans doute la plus grande partie de ces avantages n'est due qu'au talent du poète ; et voilà pourquoi ce ne serait pas raisonner juste que d'en tirer un argument en faveur du polythéisme.
« Les vertus des chevaliers, dit M. de Châ« teaubriand, sont des vertus véritablement M chrétiennes, M Toutes les vertus, sans doute, appartiennent à la religion, et sont perfectionnées par elle ; mais la foi, la sincérité, le désintéressement, la vaillance, la protection accordées à la faiblesse, ont caractérise
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des guerriers de diverses religions; et quand elles appartiendraient exclusivement h laclievalerie, il ne faudrait pas oublier que le mahométisme a eu des chevaliers non moins délicats en amour, non moius généreux que les chevaliers chrétiens.
Tous ces exemples ne prouvent pas davantage que ceux que l'auteur a choisis dans les romans; car si l'éloquence de la dévote Julie prouvait quelque chose, le caraclère de l'incrédule Wolmar aurait aussi son poids; et comme malheureusement ils ont eu le même secrétaire, les lettres de Wolmar ne manquent pas d'éloquence.
En général, dans tous les ouvrages modernes qui ont pour objet la peinture des passions, on les a représentées exaltées par la contrainte , et cela, non parce que la religion ordonne de les réprimer, mais parce que les observations faites sur l'art nous ont appris le parti qu'ou peut tirer, l'effet qu'on doit attendre de ce jeu de deux contrepoids qui tiennent le spectateur dans l'incertitude du triomphe ou du sacrifice de la passion.
Ce système avait été aperçu par les anciens ; le quatrième chant de l'Enéide en est un
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exemple; mais les modernes en ont perfectionne la théorie ; et depuis le Cid jusqu'à Zaïre , vous voyez les personnages éminemment tragiques eutre la passion et le devoir.
L'auteur compte, parmi les avantages poétiques qui sont dus au christianisme, l'enthousiasme religieux à la poésie ; mais est-ce une expression convenable que de l'appeler le Christianisme considéré comme passion ?
Ce mot passion ne se prend-il pas en général en mauvaise part, lorsqu'il exprime une force qui nous maîtrise, un penchant irrésistible qui est ordinairement désordonné? Cet enthousiasme a sans doute fourni de beaux sujets ; l'auteur ajoute un chapitre sur le vague des passions. « Il reste à parler, dit-il, d'un état « de l'ame qui, ce me semble, n'a pas encore « été bien observé, c'est celui qui précède le « développement des passions, lorsque nos « facultés , jeunes , actives, entières, mais « renfermées, ne se sont exercées que sur « elles-mêmes, sans but et sans objet. Plus « les peuples avancent en civilisation, plus w cet état du vague des passions augmente. Il M reste encore des désirs et l'on n'a plus dil- « lusions. L'imagination est riche, abondante
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fi et merveilleuse, l'existence pauvre, sccht « et désenchantée. On habite , avec un cœur « plein , un monde vuide; et sans avoir usé « de rien , on est désabusé de tout : l'amertume « que cet état de l'ame répand sur In vie est « incroyable. Les anciens ont peu connu cette « inquiétude secrète. »
L'auteur n'entend pas attribuer l'existence de cette maladie à la religion ; mais alors on pourrait demander à propos de quoi il la fait entrer dans le génie du christianisme, Il s'étonne que les écrivains modernes n'ayent pas encore songé à peindre cette singulière position de l'ame; et à défaut d'autres exemples, il nous raconte la vie de René. Ce jeune homme a parcouru la Grèce, l'Italie, la France, l'Angleterre ; il a tout vu d'un œil dédaigneux, comme ces gens de lettres dont le goût ressemble au dégoût. Le malheur de n'avoir pu trouver dans le monde rien de digne de son admiration que « les sons de la cloche loin« taine, qui appelait au temple l'homme des « champs » , détermine cet infortuné à se donner la mort. Une sœur, compagne de son enfance, le fait consentir à vivre; mais elle s'arrache bientôt de ses bras pour se jeter dans
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un monastère, où René apprend que la cause de cette fuite est un amour incestueux. Cette histoire des malheurs de René serait peut-être, aux yeux du moraliste, peu louable, par l'intérêt même qu'elle inspire, si elle n'était terminée par un discours très-sage du missionnaire à qui elle est racontée, et qui dit à René : M Rien ne mérite dans cette histoire la pitié « qu'on vous montre ici ; je vois un jeune « homme entêté de chimères, à qui tout dé« plaît, et qui s'est soustrait aux charges de « la société, pour se livrer à d'inutiles rêve« ries. On n'est point un homme supérieur, » parce qu'on aperçoit le monde sous un jour « odieux, » Ces paroles sont assurément fort belles et fort raisonnables ; mais il en résulte que le vague des passions est une maladie très-dangereuse.
L'auteur revient à la poésie, et nous apprend que la mythologie rapetissait la nature, en détruisait les véritables charmes, et que les anciens n'ont pas connu la poésie descriptive.
M. de Châteaubriand est un admirateur trop éclairé des anciens pour que nous croyions
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nécessaire de lui rappeler que c'est dans leur..
ouvrages qu'il faut encore aller chercher les plus belles peintures de cette nature, dans laquelle ils ne voyaient Jo selon lui, qu'une IUliforme machine d'Opéra.
Quant à la poésie descriptive, c'est un mot nouveau, et il ne faut pas disputer sur les mots ; mais il me semble qu'Homère, Virgile et Boileau ont excellé dans cette partie de l'art, qui consiste à peindre les ohjets. Il est peutêtre vrai aussi qu'ils ont fait de la poésie descriptive sans le savoir, car ils ne décrivaient pas pour décrire, et je pense qu'à cela près, on pourrait, sans leur faire trop de grâce, les proposer pour modèles à ceux qui entreprennent une suite de descriptions.
Cependant M. de Chateaubriand nous dit : a Les apôtres avaient a peine commencé de « prêcher l'Evangile au monde, qu'on vit « nattre la poésie descriptive. Tout rentra « dans la vérité devant celui qui tient la place 41 de la vérité sur la terre. »
Ceci aurait besoin d'une explication. Assurément les apôtres ne s'étaient point occupés des intérêts de la poésie, et malheureusement les poètes qui parurent dans le monde immé-
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dintemcnt après eux, n'étaient que des auteurs païens, qui , même en poésie descriptive, passent pour être fort iuférieurs à Homère et à Virgile.
L'auteur veut-il parler et des anachorètes « qui écrivirent de la douceur du rocher et « des délices de la contemplation. M Tout le monde n'est pas à portée d'en juger.
Les pi res, qui vinrent apres les anachorètes, ont été quelquefois très éloquens; mais ils ont assez généralement écrit en prose, et cela était eu effet très convenable à leur objet. Si, dans leurs ouvrages, il y a de beaux tableaux de la nature, il faut reconnaître que plusieurs d'entre eux se sont écartés de cette nature pour suivre le mauvais goût de leur siècle.
Il me semble qu'ici le bon goût veut qu'on ajoute que, si les anciens n'ont pas poussé jusqu'à l'abus le talent qu'ils avaient pour la description , c'est un mérite de plus et une preuve, non-seulement qu'ils ont excellé dans cet art, mais qu'ils ont su l'apprécier, l'appliquer à son véritable usage, et qu'ils en ont connu les bornes.
Il y a entre leurs peintures et le genre de poésie descriptive, actuellement en honneur
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parmi les modernes, une différence essentielle. Chez eux , la description est vive, pittoresque, parce qu'elle n'est pas trop fréquente , et animée par un sentiment, parce qu'elle est amenée par le sujet. Chez les portes qui décrivent pour décrire, la main est moins hardie, le trait plus minutieux. On admire le mécanisme du vers plutôt que l'inspiration du poëte, parce que le sentiment ne peut guère naitre d'une suite de descriptions ; cela n'empêche pas qu'il n'y ait dans quelques ouvrages modernes des descriptions admirables; mais il me parait qu'en général il y a dans ces poëmes une recherche que le talent des auteurs a bien de la peine à déguiser.
M. de Chàteaubriand a pris soin de nous expliquer qu'en général les anciens ont peint les mœurs et que nous peignons les choses, qu'il pense qu'ils avaient raison de regarder la poésie descriptive, comme l'accessoire ; mais dans ce cas, pourquoi prendre tant de peine à prouver que cette poésie , purement descriptive, est un bienfait dont nous sommes redevables au christianisme ?
, Une autre proposition de M. de Chàteaubriand, qui pourrait être susceptible d'une
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.«user, longue controverse, c'est que les divinités chétiennes ont poétiquement la supériorité sur celles du paganisme. Il faut convenir que ce sont là de ces choses qui se prouvent par les faits, et que les personnages divins que nous a peints Homère peuvent conserver leur place jusqu'à ce qu'on ait mis heureusement en action dans un poëme « ces prophètes, « ces fils de la vision avec une barbe argentée « descendant sur leur poitrine immortelle, « et l'esprit divin éclatant dans leurs regards, a — ou l'ange des rêveries du cœur, - ou M bien l'ange de la nuit reposant au milieu » des cieux, oit il ressemble à la luneendor» mie sur un nuage, et dont les talons et le « front sont un peu rougis de la pourpre de m l'aurore et de celle du crépuscule ; — ou « bien l'ange des saintes amours qui donne « aux vierges un regard céleste, — ou enfin « l'ange des harmonies qui leur fait présent « des grâces, n Jusque-là Boileau me parait avoir eu raison, et je doute qu'il approuvât ces expressions mystiques, dans un ouvrage liltéraire, surtout si elles n'y étaient pas employées avec une grande sobriété. L'auteur compare quelques phrases d'Homère et de Milton, de Virgile et de Racine. Au sujet du
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songe d'Alhalie il ajoute : « Cette ombre d'une « mère qui se baisse vers le lit de sa fillc,comme « pour s'y cacher, et qui se transforme tout « à coup en os et en chair meurtris, est une « de ces beautés vagues, de ces circonstances « terribles de la vraie nature du fantôme. )b Je n'ai garde de rien contester de tout cela ; c'est une de ces ressemblances dont tout le monde n'a pas été à portée de juger.
L'enfer est le théâtre où triomphe le génie poétique du christianisme. Milton et le Dante ont fourni de belles pages; mais ,en vérité il y en a dans le nombre, même de celles que M. de Châteaubriand a citées, que je ne puis caractériser que d'inintelligihles. Par exemple: et Un reptile enflammé parut s'échapper vers « les deux autres coupables. 11 était noir et tr luisant comme l'ébène; il frappa l'un d'eux (t nu lIomhril, premier passage des alimens « dans nous, et tomba vers ses pieds étendu.
« L'homme frappé ne le vit point et ne cria « point ; mais immobile et debout, il bâillait » comme aux approches du sommeil, on (t d'une brûlante fièvre. Il bâillait et fixait le « I-Cptile giti lejia-ait Itti-nièiiie; tous deux u se contemplaient; la bouche de l'un et la
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ci blessure de l'autre fumaient comme deux « soupiraux , et les deux fumées s'élevaient « ensemble.
« Je vis la croupe de l'un se fendre et se fi diviser, et les jambes de l'autre s'unir sans t intervalle : ici la peau s'étend re et s'amoll ir, et et là se durcir en écailles ; ensuite les bras # du coupable décroissant à ses côtés, le « monstre alongea deux de ses pieds vers « ses flancs, et les deux autres réunis plus « bas lui donnèrent le sexe que perdait « l'ombre malheureuse. »
Voilà un morceau qui, selon le traducteur Rivarol, approche beaucoup du Laocoon; j'ignore de quel Laocoon il a voulu parler; mais ce ne peut pas être de celui de Virgile.
« Tel peut, dit M. de Châteaubriand ( prele mière édition), devenir un enfer chrétien.
u sous un pinceau habite. Si tout ceci ne « forme pas un corps de preuves sans ré« plique, en faveur des beautés poétiques du « christianisme, jamais rien ne sera prouvé « en littérature M.
Hélas! il faut en convenir, il y a bien peu de choses démontrées en littérature, toutes Us vérités y sont de sentiment, et voilà pour-
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quoi on dispute, voilà pourquoi tout le mondé a le droit de juger. L'auteur, obligé d'avouer que le paradis n'a pas été peint avec te même succès, s'étonne qu'avec autant d'avantages les poëtes chrétiens aient échoué dans la peinture du ciel, et il ajoute: « Que, pour éviCf ter la froideur qui résulte de l'éternelle et « toujours semblable félicité des justes, on « pourrait essayer d'établir dans le ciel une ff espérance, une attente quelconque de plus « de bonheur, ou d'une époque inconnue dans « la révolution des êtres. It Ceci me rappelle quatre petits vers : Ami, le bonheur M compose De biens présens, de souvenirs, Et, pour avoir tous les plaisirs, Il faut regretter quelque chose.
Le fond de cette pensée est très-vrai ; mais l'auteur de ces vers ne parle point du bonheur du paradis, ni de la nature parfaite des justes.
M. de Cbàteaubriand a consacré un livre à comparer la Bible et Iloritète. On sait que, dans deux grands ouvrages t on peut trouver des morceaux qui viennent à l'appui ile telle ou telle opinion. En géuéral, cette
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partie ne nous a pas paru truitée avec cette sagacité qui se fait remarquer dans beaucoup d'autres endroits de l'ouvrage.
Nous n'osons guère entreprendre d'examiner l'influence du christianisme sur la mu* sique, la peinture et l'architecture, parce qu'il est également incontestable, et que le culte a donné à ces beaux arts des occasions du s'exercer, et que leur origine est antérieure à ce culte même.
M. de Chateaubriand révoque en doute cette tradition de l'antiquité qui attribuait à l'amour l'invention de la peinture, Il est Impossible, en effet, que cette tradition ne soit qu'une fable ingénieuse ; mais est-ce bien sérieusement, qu'après avoir nié l'aventure de Dibutade, on ajoute : « L'école chrétienne a « cherché un autre maître, elle le reconnaît « dans cet artiste qui, pétrissant un peu de « limon entre ses mains puissantes, prononça « ces paroles : Faisons V homme à notre image; « donc pour nous, le premier trait du dessin « a existé dans l'idée éternelle de Dieu, et la le première statue que vit le monde fut cette u fameuse argile animée du souflle du CI'l-u" « teur H.
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Platon, comme M. de Châteaubriand, aurait reconnu Dieu pour le premier principe des arts, mais Platon aurait toléré une fiction ingénieuse qui en attribue la découverte au sentiment, et Platon savait bien que la création du modèle ne pouvait qu'être antérieure à la statue. ,
Toutes ces choses*12i peuvent être des sujet!
de dispute fort indifférens, j'ajoute et fort inutiles, car on ne parvient guère à des dé- monstrations. et quand on y parviendrait t quelle conséquence serait-on autorisé à en tirer i Malheureusement le septicisme trouve beaucoup à s'exercer dans toutes les questions qui tiennent aux choses de l'imagination, du goût ou du sentiment.
On ne doit pas s'en étonner, car M. de Châteaubriand nous apprend lui-même , d'après Hobbes, « qu'il n'y a pas moins de suit jets de doute en mathématiques qu'en phy« sique et en morale ( conirà gcomêtrat sit* ¥ contrà plastum professorum) 9 et que ce « qu'un appelle vérité mathématique se fétliiit, selon Bunn, à des identités d'idées, « et n'a aucune réalité. »
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D'après cela, personne n'est plus en droit etc se plaindre du doute qu'on oppose h assertions : « Les esprits géométriques sont « souvent faux, dit l'auteur, parce qu'ils veuff lent trouver partout des vérités absolues , « tandis qu'en morale et en politique les vc« rités sont relatives. Kn mathématiques on ft ne doit regarder que le principe, en morale que la conséquence. »
Cela est fort bien dit, et il en résulte, ce me semble, que les vérités ne peuvent guère être absolues, parce qu'elles sont, en géné- l'ni , complexes, et que de cette variété de rapports on peut tirer des conséquences tresdiverses. De là vient la tentation à laquelle notre auteur a succombé plus d'une fois, tout comme un autre, de négliger une partie des rapports pour tirer des conséquences plus décisives, d'altérer un peu la vérité pour viser à Pellet.
Par exemple, une infinité de circonstances ont contribué à modifier les productions des arts ; il peut être plus piquant, mais il n'est pas juste de trouver dans une seule cause la raison de ces différences.
t.es bons esprits ne se permettent guère
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d'annoncer des vérités absolues, Je trouver des causes uniques ; mais ils ne se croient pas obligés non plus de *:c paver des raisons plus ou moins ingénieuses que fournil l'imagination.
C'est encore le désir de viser à l'effet qui fait qu'on s'écarte de la vérité dans le si)'le.
Cc n'est point la nature qui inspire ces locutions énigmatiques, dont la nouveauté étonne et ne satisfait pas tou j ours; ces métaphores singulières ou forcées, ce luxe de grands mots pour des sujets quelquefois très simples, et cette hardiesse dédaigneuse qui consiste à braver l'usage par l'emploi de quelques locutions trop familières.
Tout cela compose le style tendu, dont le plus grand malheur est de réclamer continuel.
lement l'admiration , de sacrifier la clarté des idées à l'éclat qu'on veut leur donner, et de manquer souvent son ell'et précisément parce qu'on veut en produire toujours.
Si l'on vous demandait quel style vous croyez le plus propre à un ouvrage de démonstration, de raisonnement, de morale, de sentiment, et à une narration d'aventures héroïques, de combats, de fables, de
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sions , vous ne vous aviseriez pas île penser que le philosophe cHlt laisser le style simple au poëte? Eh bien ! voyez si vous feriez entrer quatre pages du Télémaque dans le génie du chiristianisme, sans faire ressortir ou l'extrême simplicité de l'un, ou le luxe de poésie qui domine dans l'autre, L'écrivain du grand siècle, nourri de la lecture des an(jCIlt;, conseillé par le goût le plus pur, imagina de raconter les aventures du fils d' Ulysse. Si cette histoire eût été écrite par Racine ou Boileau, 011 y trouverait vraisemblableîncnt la richesse du style, la hardiesse des figures qui caractérisent le Lutrin, Phèdre, lphigénie; mais Fénélon, ne voulant écrire qu'en prose, sentit qu'il ne devait chercher que les effets qu'on peut attendre de l'instru- ment dont il avait à se scrvir. Il renonça tout- à-fait au luxt. des phrases pour chercher dans la beauté et la douceur de sa narration les effets qu'il avait à produire. Je sens bien que la nature de son talent dut influer sur ce choix, et qu'il ne dépendait peut-être pas de lui de jeter des phrases à la manière de Bossuet.
Mais ce n'en était pas ici la place. Voltaire lui a reproché sa prose un peu traînante, c'està-dire, son extrême simplicité, et cette cri-
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tique est remarquable du la part d'un profiteur qui, ayant écrit h peu près sur tous les sujets, n'a pas une sculo phrase obscure ou ambitieuse h se reprocher.
Et veut-on savoir h quoi j'attribue cette stirv%.40 de Voltaire dans la prose ? C'est qu'il riait porte, c'est qu'il connaissait les moyens, les effets, les limites des deux arts : c'est un grand seigneur poli qui se montre sans hauteur, parce qu'on ne peut pas lui contester son rang.
Nous voyons des prosateurs qui transportent la poésie dans la prose, qui font des poëmes en prose. Mais la prose do M. Delille est toujours naturelle; celle de M. de Fontanes, dans des sujets plus élevés, conserve tou- jours cette simplicité qui est elle-même un des caractères du la véritable grandeur; c'est que l'un et l'autre savent faire de beaux vers.
Il ne suffit pas de faire du beau, il faut savoir le montrer i sa place. Nous avons entendu un homme, aussi recommandable par son goût que par son talent, louer beaucoup cette phrase : « Les reines ont été vues pleu« rant comme de simples femmes, et l'on « s'est étonué de la quantité de larmes que
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« contiennent les yeux des rois. » Effectivement, si on lisait ces paroles dans une oraison funèbre, on admirerait avec raison cet artifice de style, par lequel l'auteur rappelle les joies et la pompe dont les rois ont été environnés , et exprime d'une manière neuve et ,., "f'
énergique une vérité trivia l e. Mais si j'enten- dais un pauvre missionnaire du désert, exhortant à la mort une fille étendue sur un lit de feuilles, en présence d'un jeune saurage, parler des reines et en parler avec ces formes oratoires qu'il faut réserver pour un grand concours d'auditeurs, je lui dirais, vous parles très-bien, mais ce n'est point d' inspira- tion, c'est de réminIscence; vous ne cherchez pas à imiter la nature, mais Bossuet, Limitation des grands maîtres n'est pas toujours louable , pas toujours également heu- reuse. Depuis long-temps les poëtes ont cherché à exprimer d'une manière pittoresque ce silence général dont l'effet est si puissant sur l'ame. Par un de ces procédés qui sont si familiers à leur art, ils ont transporté au silence, qui n'est en sot qu'une abstraction, les qualités qui ne lui sont pas propres : le poule latin avait dit les lieux silencieux m
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loin. La il n'y a point de figure, Millon pour exprimer que toute la nature écouté dans le silence et le ravissement , dit : le silence est ravii ce que M. Delille a traduit ainsi : Il citant»), l'air répond et le silence écouta.
Le même M. Delille a dit:
11 n* voit que la nuit, n'entend que le silence.
Ce poëte n'est pas moins linrdi, lorsque par une figure il applique au silence, ce qui ne doit se dire que de la parole.
Sa réponse esl dictée, et mfnie son silence.
l,afontnine donne au silence une épithète qui fait image : FIIYcr. les bois et leur vaste silence.
Dans tous ces exemples plus ou moins heureux , l'intention de l'auteur est sensible ; on f'e rend raison de la hardiesse de l'expression ; mais lorsque M. de Chateaubriand parle des premiers silences de la nuit, on ne comprend pas ce pluriel, parce qu'on rj peut pas supposer plusieurs silences, comme on supposerait plusieurs bruits divers : plus il
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y a de silence, au contraire t plus il y a unitd.
Reprenons le cours de l'ouvrage. L'auteur traite un peu sévèrement les géomètre, les chimistes, les naturalistes, quoique assuré- ment il y ait parmi eux des hommes aussi eminens par leur piété que par leur savoir; mais autant que j'ai pu en juger , le reproche porte sur ce qu'ils n'ont pas lié la cause de la science à celle de la religion; d'où il résulte, selon notre auteur, que les sciences amènent nécessairement les âges irreligieux : M Que cette fureur de ramener « nos connaissances h des signes physiques, « de ne voir dans les races diverses de la « création, que des doigts, des dents, des « becs, pourrait conduire insensiblement la M jeunesse au matérialisme. »
Je n'ai pas le droit de me porter pour défenseur des sciences, mais je me permettrai de représenter que ces méthodes nouvelles consistent , dit-on, a constater des faita, et à n'admettre que des conséquences rigoureuses. Cette manière de raisonner écarte tout les rapports que l'imagination se plait à établir, mais elle ne les oie pas. Le physicien, comme
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le géomètre, raisonne d'après des abstrac- tions; et de ce que l'homme est classé parmi les mammifères, il ne s'ensuit point que, sous d'autres rapports , il nit perdu la place qu'il occupait à la tête de la création.
M. de Otatenubttund nous apprend ailleurs qu'il avait conçu le projet de composer unu histoire naturcHe religieuse , pour l'opposer à tous les livres scientifiques modernes , ou l'on ne voit plus que la matière. Personne ne désapprouvera que , des observations faites sur la nature on tire des conséquences d'un nuire supérieur ; maison est en droit de demander que l'ex position des faits soit exacte, et h, conséquence bien llécluite, Or , je doute que les naturalistes se croient obligés d'admettre les observations suivantes: ci La chèvre a quelque chose de tremblant « et de sauvage dans la voix, comme les « rochers et les ruines où elle aime à se de suspendre. — Le cheval belliqueux imite fi les sons grêles du clairon. — Presque tous « les animaux qui vivent de sang ont un « cri particulier qui ressemble à celui de -tc leurs victimes. — L'épervier ,';bpit comme « le lapin, et miaule comme les jeunes chats.
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« — Le chat lui-même une espace de mur« mure semblable à celui des petits oiseaux.
« de nos lardisie.- Le loup bêle, mugit ou « aboie. — Le renard glousse et crie. — Le If tigre a le mugissement du tnurenu, et Tours « marin une sorte d'affreux rùlemeut , (cl ff que le bruit des rescifa battus des vagues « où il cherche sa proie. Celte loi est fort « étonnante et cac he peut-être un secret ter« rible. i)
Voyct jusqu'où peut conduire cette manière d'observer. « On peut remarquer que « la première voyelle de l'alphabet se retrouve « daus presque tous les mots qui peignent Il les scènes de la cnmpngne , comme dans tf charme , vache , cheval, laboureur, valIl lée, montagne, arbre, pâturage, laitage, M etc., et dans les épithètes qui ordinaireIf ment accompagnent ces noms , telles « que pesante, champêtre, laboritux, grasse, n agreste t /mis > délectable, etc. Cette obM servation tombe avec la même justesse sur « tous les idiomes connus. Le son A con« vient au calme d'un cœur champêtre et à » la paix des tableaux rustiques, L'accent d'une « ame passionnée est aigu , sindant, préci-
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« pilé ; l'A est trop long pour elle. Il faut une « bouclic pastorale qui puisse prendre le temps « de le prononcer avec lenteur. Mais, toute- « fois, il entre bien encore dans les plaintes, « dans les larmes amoureuses , et dans les « naïfs hvlatt d'un chévrier. Enfiu la nature « fait entendre cette lettre rurale dans ses « bruits, et une oreille attentive peut la rew connaître diversement accentuée dans les K murmures de certains ombrages, comme « dans celui du tremble et du lierre, dans « la première voix ou dans la' finale du bèle« mens des troupeaux et la nuit dans les « aboiemens du chien rustique. w Je ne crois pas que l'on puisse pousser plus loin le commentaire h propos d'un vers de Théocrite.
Revenons aux sciences. Si elles devaient conduire à l'irréligion, l'Eglise ne mériterait que de la reconnaissance, pour en avoir quelquêtais ralenti les progrès, mais il ne serait pas juste de considérer , comme un système fixe et permanent de l'Eglise , quelques erreurs du gouvernement pontifical qui ne pou* vait guère être plus exempt de préjugés que les autres gouvernemens.
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Quand on a dix - huit siècles d'histoire à feuilleter, on n'est pas embarrassé d'y trouver des faits contradictoires.
Ou citera tel pape , tel parlement qui.
obéissant à l'esprit de leur temps, ont condamné une dérouverte utile ; tnais cela n'enipi'< liera pas que les gens d'église, les gens de lui, n ayent contribué aux progrès des lumières , et que les gouvernemens en général n'ayent encouragé ces progrès.
La métaphysique et la morale doivent certainement beaucoup au christianisme, et M.
de Chateaubriand le prouve très-bien.
Il est plus embarrassé lorsqu'il entreprend de démontrer que le christianisme n'est pas moins favorable au génie de l'histoire. Les historiens grecs et latins paraissent soutenir la gloire de l'antiquité contre les modernes avec plus d'avantages que les poëtes. On leur oppose quelques historiens anglais, Machiavel , Montesquieu, Voltaire, et surtout Bossuet: « Hume, Robertson et Gibbon , dit notre autt leur. ont plus ou moins suivi ou Saluste ou « Tacite. Mais ce dernier historien a produit fe deux hommes aussi grands que lui-même, « Machiavel et Montesquieu. «
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et Néanmoins Tacite doit être choisi pour « modèle nvec précaution ; il y a moins d'in« eonvcnien* h s'attacher à Tite-Live. L'élo« q notice du premier lui est trop particulière » pour être tentée par quiconque n'a pas son « génie. Tacite, Machiavel et Montesquieu « ont formé une école dangereuse, en intro« duisant ces mots ambitieux , ces phrases sè« ches, ces tours prompts qui, sous une ap« parence de brièveté touchent à l'obscur et « au mauvais goût.
« Laissons donc ce shh? u ces génies Im'< mortels qui, pour d'autres causes, se sont « créé un genre à part, genre qu'eux seuls « pouvaient soutenir et qu'il est périlleux d'ici miter. Rappelons-nous que les écrivains des « beaux siècles littéraires ont ignoré cette con- « cision affectée d'idées et de langage. Les « pensées de l'ile-l.ive et de Bossuet sont « abondantes et enchaînées les unes aux 8U.
« tres. Chaque mot, chez eux , naît du mot « qui le précède, et devient le genre du mot « qui va le suivre. Ce n'est pas par bonds, par « intervalles et en ligne droite que coulent les « grands fleuves ( si nous pouvous employer « cette imqgo) e ih amènent longuement de
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« leur sonrce un flot qui grossit sans cesse ; ft leurs détours sont larges dans les plaines, « ils embrassent de leurs orbes immenses les « cités et les forêts , et portent à l'Océan « agrandi des eaux capables de combler ses « gouffres, » Ce passage nous parait à la fois très-juste et très-beau ; mais on sent qu'il y aurait encore bien des choses a éclaircir avant de se décider pour la supériorité des historiens modernes.
A propos de Philippe de Commines, M. do Chateaubriand dit : « Le vieux seigneur gauIl lois, avec l'Evangile et sa foi dans les her- * mites, a laissé, tout ignorant qu'il était , « des mémoires plein d'enseignement IJ, Cela est vrai , mais n'y a-t il pas quelques exagé- rations à ajouter. « Chez les anciens il fallait « être docte pour eouc ; parmi nous un sim« ple chrétieu , livré pour seu l e élude à l'a— « tnour de Dieu, a souvent composé un adif mirable volume. »
Si l'auleur n'eût cnlendu parler que des livres inspirés et qui sont en effet aussi beaux que bons , il n'y aurait rien à dire; mais s'il considère les écrivains religieux comme au-
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teurs, son assertion pourrait , littérairement parlant, être moins générale , et si on citait en preuve l'imitation de Jésus-Christ, le livre le plus beau, disait Fontenelle, t/ni soit sorti de la main des hommes , puisque l' /ù'angi le n'en vient pas, on pourrait représenter que cet exemple lie prouve rien, puisqu'on n'est pas sur d'en connaître le véritable auteur.
Après avoir compare les historiens, M. de Chateaubriand compare les orateurs. Il n'est pas douteux que la religion n'ait donné naissance n un nouveau genre d'éloquence, et que, parmi les orateurs chrétieus, il n'y ait des hommes que notre littérature oppose avec orgueil à l'antiquité. Toute cette partie du livre est fort belle ; mais l'abbé d'Olivet n'aurait point pardonné une phrase où l'auteur dit, tt qu'on lit une fois, deux fois peut-être, « les ferrineSy les Ca fi lin aires de Cicéron, « V Oraison pour la couronne, et les Plli/¡/,- « piques de Démosthènes, Il Il attribue à l'incrédulité la décadence du goût et du génie. Voilà une de ces questions complexes qui ne peuvent pas être décidées par quelques assertions. Il me sem ble qu'un esprit juste reconnaît que l'incrédulité, en fui-
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tant disparaître tous les rapports entre la terré et le ciel, doit diminuer la sensibilité et éteindre l'imagination : mais d'abord il faut, pour arriver h ce résultat, pousser l'idée de l'incrédulité jusqu'à ce système absurde qui nie l'existence do Dieu. En second lieu, beaucoup d'autres causes peuvent influer sur la décatlcuce du goût et du génie.
« On aura beau chercher, dit M. de Cha« teaubriand, à ravaler le génie de Bossuet et H de Racine, il aura le sort de cette grande rf figure d'Homère qu'on aperçoit derrière les « âges. »
Je ne crois pas qu'il soit tout-à-fait juste d'accuser les littérateurs modernes d'avoir cherché à ravaler le génie de Bossuet et de Racine.
Est-il bien vrai encore que - l'incrédulité « Introduise nécessairement l'esprit raison« neur, les définitions abstraites, le style « scientifique, et avec lui le néologisme 9 cho« ses mortelles au goût et à l'éloquence ? »
Lia anciens philosophes, qui n'étaient pas des incrédules , Platon, Aristote, ne se sontils pas eféé nM ltogue qu'on a appelée depuis
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le jargon de l'école? Toutes les dispntes, mémo celles de théologie, n'ont-elles pas excité l'esprit raisonneur?
« Il y a eu dans notre âge, à quelques exft replions près, continue l'auteur, une sorte « d'avortement général des talens. On dirait « nie me que l'impiété, qui rend tout stérile, « se manifeste aussi par l'appauvrissement de ff la nature physique. Jetez, les yeux sur les « générations qui succédèrent au siècle de « Louis XIV : où sont ces hommes à figures n calmes et majestueuses, au port et au vête" It meut nobles, au langage épuré, à l'air guer« rier et classique, conquérant et inspiré des le arts ? On les cherche et on ne les trouve « plus. De petits hommes inconnus se pro« mènent, comme des pygmées, sous les hauts « portiques des monumens d'un autre âge.
« Sur leur front dur respirent l'égoïsme et le u mépris de Dieu ; ils ont perdu et la noblesse « de l'habit et la pureté du langage. On les « prendrait, non pour les fils, mais pour les « baladins de la grande race qui les a prêcéet des. »
Ce morceau nous a paru manquer d'un peu d'onction; c'est ainsi qu'aurait pu s'expri-
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mer le vénérable Sully arrivant à la cour de Louis XIII.
On voit bien qu'il y a quelque exagération à reprocher à la génération présente, les chan- gcmcns survenus dans le costume et l'appauvrissement de la nature physique. Est-il bien certain que, sous le rapport physique, l'espèce ail dégénéré ? Et quant au reproche d'impiété adressé à toute une génération, comment le concilier avec cet autre passage du même livre?
« Enfin, de nos jours même et sous nos « propres yeux, est-ce des athées qui ont abais« se la cime des Pyrénées et des Alpes, ef« frayé le Rhin et le Danube, subjugué le Nil, « fait trembler le Bosphore, qui ont vaincu « aux champs de Fleurus et d'Arcole, aux li« gnes de Weissenbourg et aux pieds des py« ramides, dans les vallées de Pampplune et « dans les plaines de la Bavière, qui ont mis « sous leur joug l'Allemagne et l'Italie, le te Brabant et la Suisse, les lies de la Balavie, « et celles de la Grèce, Munich et Home, « Amsterdam et Malle, Mayence et le Caire ?
« Est-ce des athées qui ont gagné plus de « soixante batailles rangées, et pris plus du
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le jargon de l'école ? Toutes les disputes, même celles de théologie, n'ont-elles pas excité l'esprit raisonneur ?
« Il y a eu dans notre âge, à quelques exfI ceptions près, continue l'auteur, une sorte « d'avortement général des talens. On dirait ri même que l'impiété, qui rend tout stérile, c se manifeste aussi par l'appauvrissement de « la nature physique. Jetex les yeux sur les « générations qui succédèrent au siècle de « Louis XIV : où sont ces hommes à figures « calmes et majestueuses, au port et au véte- « ment nobles, au langage épuré, à l'air guerit ricr et classique, conquérant et inspiré des fi arts? On les cherche et on ne les trouve « plus. De petits hommes inconnus se pro« mènent, comme des pygmées, sous les hauts « portiques des inonumens d'un autre âge.
« Sur leur front dur respirent l'égoïsme et le * mépris de Dieu ; ils ont perdu et la noblesse « de l'hahit et la pureté du langage. On les « prendrait, non pour les fils, mais pour les « baladins de la grande race qui les a précéci des. Il Ce morceau nous a paru manquer d'un peu d'ouction; c'est ainsi qu'aurait pu s'expri-
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mer le vénérable Sully arrivant h la cour de Louis XIII.
On voit bien qu'il y a quelque exagération à reprocher à la génératiou présente, les changemens survenus daus le costume et l'appauvrissement de la nature physique. Est-il bien certain que, sous le rapport physique, l'espèce ait dégéuéré ? Et quant au reproche d'impiété adressé h toute une génération, comment le concilier avec cet autre passage du même livre !
« Enfin, de non jours même et sous nos » propres yeux, est-ce des athées qui ont abais« sé la cime des Pyrénées et des Alpes, ef« frayé le Rhin et le Danube, subjugué le Nil, « fait trembler le Bosphore, qui ont vaincu « aux champs de Fleurus et d'Arcole, aux lit( gnes de Weissenbourg et aux pieds des PI« ramides, dans les vallées de Pampelne et « dans les plaines de la Bavière, qui ont mis et sous leur joug l'Allemagne et l'Italie, le n Brabant et la Suisse, les îles de la Batavie, « et celles de la Grèce, Munich et Home, M Amsterdam et Malle, Mayence et le Caire ?
« Est-ce des athées qui ont gagné plus de « soixante batailles rangée., et pris plus de
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« cent forteresses, qui ont rendu vaine la coa* « lition de huit grands empires, el fait trem« hier les souverains des Indes derrière toutes « les solitudes de l'Asie? Est-ce des alliées qui « ont accompli tant de prodiges ? ou bien est« ce les paysans chrétiens, de braves officiers « qui avaient pratiqué toute leur vie les de« voirs de la religion? — On ne voit pas que « ces grands esprits qui ne pouvaient s'abais« ser jusqu'à croire en Dieu, se souciassent « beaucoup d'aller aux combats. Qu'il eût été « beau pourtant de voir une armée d'incré« dules aux prises avec ces Cosaques qui pcn« sent monter au ciel en mourant sur h champ « de bataille 1 » L'Auteur a supprimé ce passage dans les nouvelles éditions de son ouvrage, mais les faits subsistent et paraissent permettre, à la génération qui les a opérés , de lire , sans rougir , l'Histoire militaire du siècle de Louis XIF.
Après ce livre sur les arts, la philosophie, l'histoire et l'éloquence , l'auteur traite des harmonies de la religion avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain.
Il n'y a pu long-temps que ce système des
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harmonies a été découvert, et les lecteurs qui sont bien aises de comprendre tout ce qu'on leur dit, surtout quand c'est un philosophe qui parle, auraient bien quelques doutes à proposer à l'auteur des Etudes de la Aature, sur la légitimité de cette expression. Mais comme ces harmonies sont des rapports que l'imagination saisit entre les objets moraux et physiques, on se laisse entraîner par cette enchanteresse, et on se garde bien de disputer sur les mots.
Les couvens , les ruines , les dévotions populaires sont les objets sur lesquels l'imagination de l'auteur s'exerce tour-à-tour , et quelquefois il fait parcourir au lecteur des pages charmantes.
Quant aux harmonies du christianisme avec les passions, M. de Châteaubriaud a adopté, pour les traiter, la forme du roman. Atala a été vouée , par sa mère, à la virginité ; elle devient amoureuse d'un jeune sauvage, et dans un moment où elle craint de succomber aux transports de son amant, elle avale du poison pour ne pas condamner aux feux éternels l'ame de sa mère.
Ce sacrifice est infiniment touchant , le3
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récits de la passion et de la catastrophe sont d'un beau pathétique ; le missionnaire est là pour faire ressortir la moralité de l'ouvrage, et ces trois personnages sont peints avec les couleurs qui leur sont propres, comme la nature qui les environne l'est avec une grande richesse de style et d'imagination. Le bLy le de ce roman a bien les défauts généraux que nous avons déjà en occanou de relever dans les autres parties de cet ouvrage , ils y sont môme plus frequens , mais eu même temps moins remarquables , parce qu'ici l'auteur parle à l'imagination, et l'imagination n'est pas pointilleuse comme la raison.
Ce roman a été l'objet de tant de critiques, qu'il serait inutile aujourd'hui d'y revenir : je pense qu'on ne peut y méconnaître deux qualités essentielles , les deux qualités qui font tivre un ouvrage, l'intérêt du sujet et le mérite du style. Tout ce que je demande, c'est qu'on ne justifie point le luxe des phrases ambitieuses qu'on peut y relever , en disant que c'est de la prose poétique ; car en fait de poëmes en prose, je suis obligé de confesser mon incrédulité, mon impiété.
Nous voici arrivés à la dernière partie de l'ouvrage.
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L'auteur décrit d'abord ce qu'ont de majeslueux, de touchant, les diverses cérémonies du culte: un livre est consacré aux tombeaux, uu autre au clergé; et dans les trois derniers, o.1 trouve le tableau des missions , les ordres de chevalerie et les bienfaits que la société doit à la religion.
On voit, d'après ce seul exposé, qu'ici il ne s'agit plus de considérer la religion sous le rapport des arts , et par conséquent de développer, d'une manière qui n'est pas toujours également satisfaisante , les avantages quelle leur prête. Tout, dans cette partie, appartient bien réellement au sujet, et toutes les conséquences principales sont d'une vérité incontestable ; car ce n'est pas ici le lieu de discuter J'utilité des ordres monastiques , et on sent que c'est une concession préliminaire qu'il est juste de faire a l'auteur. Au reste, il ne la réclamerait pas, car il entend bien justifier sous tous les rapports ces sortes d'institutions.
De cet heureux accord qu'il y a entre l'objet que l'auteur a proposé et la nature de ses développemens et de ses preuves, il résulte que les orncmens naissent de la matière
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elle-même ; que l'écrivain n'est plus oblige de fatiguer son imagination pour chercher çà et là ce que son sujet ne lui fournissait point ; que son esprit devient plus juste , son style plus sage, et par conséquent son livre plus éloquent. Il l'est beaucoup dans divers endroits , et cc serait altérer le plaisir qu'on éprouve à rendre justice h un écrivain, à se rappeler les jouiwances qu 'on lui doit, que de citer quelques phrases bizarres, quelques idées étranges qui lui sont encore échappées lorsqu'il n'en avait nul besoin pour étonner son lecteur.
En parlant des religieux qui accompagnent à la mort des criminels qu'on envoie au supplice , il dit : « Quel honneur, quel profit m revenait à ces moines de tant de sacrifices, « sinon la dérision du monde et les injures « mêmes des prisonniers qu'ils consolaient?
« mais du moins les hommes , tout ingrats if qu'ils sont, avaient confessé leur nullité « dans ces grandes rencontres de la vie, « puisqu'ils les avaient, abandonnés à la « religion, seul véritable secours au dernier « degré du malheur. 0 ap6tres de Jésus« Christ ! De quelles catastrophes n'étiez-vous
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u pas témoins, vous qui, près du bourreau , « ne craigniez puint de vous couvrir du sang « des misérables, el qui étiez leur dernier « ami ! Voici un des plus hauts spectacles « de la terre. Aux deux coins de cet échau faud les deux justices sont en présence, « la justice humaine et la justice divine : » l'une, implacable et appuyée sur un glai« ve, est accompagnée du désespoir; l'au- ft tre, tenant un voile trempé de pleurs, se (t montre entre la pi lié et l'espérance : une « a pour ministre un homme de sang ; l'au« tre, un hotnme de paix : l'une condamne, « l'antre absout; innocente ou coupable, la « première dit à la victime : meurs ; la seu conde lui crie : fils de l'innocence ou du « repentir, montez au ciel. »
Cet admirable passage rachèterait bien des fautes de style ; avec un peu de goût on évite ces fautes, mais ce n'est pas avec du goût qu'on écrit des morceaux aussi éloquens. Le livre des Missions est plein d'onction et d'intcnH ; celui des Bienfaits dit christianisme présente beaucoup d'idées grandes et fortes, et l'on regrette que cette partie, la dernière de toutes, ne constitue pas le corps de l'ouvrage.
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Si maintenant nous jetons un coup d'œil sur la carrière que l'auteur nous a fait parcourir, nous remarquerons que, pour remplir son objet qui était de prouver l'excellence de la religion chrétienne, il a voulu montrer qu'elle était favorable aux lettres, aux beaux-arts, plus que le polythéisme. Ce système l'a engagé dans des routes fleurics, mais périlleuses, où il s'est quelquefois égaré.
La résolution prise de décider ce qui était susceptible d'interminables controverses, l'a obligé de se contenter de quelques aperçus ingénieux, en négligeant mille rapports sous lesquels il ne pouvait, sans compromettre le succès de sa thèse, envisager une question aussi complexe que l'était celle-ci.
De là des conclusions que la raison se refuse d'admettre, et une nature de preuves que le sujet même ne comportait pas : de là des efforts de l'imagination pour venir au secours du raisonnement, et le désir de compenser, par l'effet du style, ce qui manque à cette partie de l'ouvrage en force véritable et en solidité : de là les défauts même de ce style trop bardi pour être juste, trop ambitieux pour être puissant.
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Mais dans cette partie même du livre, J'ôquité veut qu'on remarque que toutes les pensées sont d'un ordre élevé, les sentimens nohtet, les dissertations littéraires ordinairement neuves et pleines de sagacité, l'élocution libre et fière, et presque toujours animée par le sentiment.
Et lorsque l'on considère ensuite qu'une autre partie de l'ouvrage méritc, sous les rapports de l'ordre, de la clarté, de la justesse , des éloges susceptibles de peu de restrictions; lorsqu'on y trouve à la fois plus de simplicité et d'éloquence, de belles formes de style, des tableaux de la nature riches de couleurs neuves et brillantes, des peintures énergiques de nos passions, des descriptions charmantes, des pensées aussi vraies que fortes , des sentimens touchans et des passages admirables, on ne doit plus s'étonner qu'un pareil livre ait été lu avidement, traduit dans toutes les langues, vanté avec enthousiasme, et l'on se demande alors si ce n'est pas un soin trop minutieux que celui qu'on a pris d'en relever et d'en expliquer les défauts; mais ce soin était une tâche que le devoir imposait, et que le goût n'aurait pas choisie.
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L'intérêt des lettres veut qu'en recommandant à l'estime publique les ouvrages qui en sont dignes, on avertisse de leur imperfection; car la foule des imitateurs est là toute prête à s'emparer de la manière d'un auteur, sans pouvoir lui emprunter son talent ; et dans une occasion solennelle, où celui qui est le dispensateur de la gloire, daigne, parmi tant d'autres soins, s'occuper de distribuer des palmes aux beaux-arts, le corps littéraire à qui il a confié la noble fonction d'apprécier le mérite des talens rivaux, ne pouvait être juste qu'en faisant la part de la critique , comme celle de l'éloge.
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OPINION
DE M. LA CRETELLE,
SUR
LE GÉNIE DU CHRISTIANISME.
Si l'on s'arrête au sujet de cet ouvrage, il est au-dessus d'un simple intérêt littéraire; il est d'une haute importance pour les sociétés humaines : c'est un traité et un tableau de toute la religion chrétienne.
En ne considérant dans le Génie du christianisme qu'un ouvrage de littérature, il est encore remarquable par le système de tout subordonner dans les littératures à l'influence de la religion chrétienne, de lui créer une nouvelle source de gloire et de puissance par la conquête de la poésie, de l'éloquence, de la philosophie, qui n'auraient plus ailleurs le
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principe de leurs beautés, de leur* services, de leurs succès; il l'est encore par deux romans d'une couleur singulière , introduits dans l'ouvrage, sans lui appartenir; il l'est enfin par un très-beau talent qui s'y fait reconnaître, et par un style souvent bizarre, qui parait moins tenir à un défaut dans le talent de l'auteur, qu'à une combinaison dans son but.
Mais si on pouvait consentir h ne juger cet ouvrage que par son prodigieux succès, il faudrait, avant même tout examen, le réputer une de ces productions de premier ordre, qui donnent une impulsion à tout un siècle, qui marquent à une haute distinction l'époque qui en fat illustrée; en un mot, une de ces productions qui naissent immortelles.
Nous ne remplirions pas dignement la mission qui nous est déférée, si nous accordions trop h cette mesure d'appréciation. Nous le savons, il est de la destinée des plus beaux et des meilleurs ouvrages, même quand ils sont appropriés à leur temps, et quand les circonstances leur sont favorables, de voir leur juste réputation se former, s'agrandir, se fixer par des lectures répétées, par des ba-
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lancemcns dans les opinions contraires, par des jugemcns toujours plus éclairés, Il n'cti est autrement que pour ces productions, qui ont le périlleux avantage de tomber dans Int cours désordonné de certaines idées, certaines affections, dans cet enthousiasme de pnrti, qui ne dépasse toute mesure sur l'objet auquel il s'applique, que parce qu'il a un but au delà. Alors point de bornes au succès; et difficilement la proportion entre le succès et le mérite.
Nous pouvons tous nous rendre témoignage des causes accidentelles qui ont environné la publication de cet ouvrage d'une faveur extraordinaire; je dis des causes accidentelles; et je vais expliquer mon idée.
Je ne dois rien anticiper sur le résultat de mon examen ; mais je puis déjà conjecturer les deux sortes de réprobation opposées l'une à l'autre, que ce livre eût éprouvées à deux époques dont l'esprit dominant nous est bien connu.
Supposons le Génie du christianisme soumis au jugement des Bossuet et des Fénélon, des Racine et des Boileau, des Pascal et des Labruyère : la pensée fondamentale de cet
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ouvrage, le dessin , développé en cinq volumes, de faire de la religion la plus huile des poésies passées, présentes et à ,ellir, u.citt.cllc pas paru une sorte de profanation devant ces hommes pour qui et par qui la religion avait toute sa puissance, toute sa majesté, toute sa eamtete?
Descendons l'ouvrage au siècle suivant; H* vrons h l'examen des Montesquieu, des Voltaire, des Fotitenelle , des Buflon , de ces écrivains qui commencèrent à ne pas soumettre tout leur esprit aux doctrines religieuses : qu'en eussent-ils pensé, qu'en eûton pensé sous ces arbitres de l'opinion ?
N'eût-il pas risqué de périr sous ce genre de plaisanterie dont on ne se relevait pas?
Il fallait donc, pour un tel succès, un temps devenu étranger et à cette grave pureté de la foi, et à ces accablantes dérisions de l'indépendance religieuse : on peut même dire, qu'à ces deux époques, cet ouvrage n'eût pat été fait, ou qu'il eût été fait tout autrement.
Félicitons-nous des avantages de l'époque actuelle où nous pouvons échapper à tout excès, soit dans le blâme, soit dans l'éloge;
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nu déjà se sont affaiblies les exagérations des partis contraires, et où , lorsque les autels sont relevés, et la liberté des cultes t'!fl fondée, nous pouvons et nous devons également respecter et chérir, en les séparant, les droits de la religion et ceux du la philosol'taie, Souvenons-nous que nous parlons dans le temple de toutes les gloires littéraires ; qu'ici se réunissent par une admiration commune tous les grands noms de deux beaux sièdes; et que nos regards ne peuvent parcourir cette enceinte , sans voir à côté les unes des autres les statues de Bossuet et de Montesquieu, do Fénélon et de Voltaire.
Dans le Génie du Christianisme, une seule vue, une seule pensée, un seu l résultat, une source unique des beautés et des défauts se font sentir du commcncement à la fin. L'auteur rapporte tout à la religion chrétienne, voit tout en elle, n'apprécie rien que par elle, ou en fait tout émaner directement ou indirectement.
Arrêté par le refus continuel de mon sens intime de se prêter à une telle manière de traiter un grand et beau sujet, effrayé en même
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temps de la nécessité d'avoir a diminuer Ici justes hommages rendus à l'objet le plus vénérable; pour mettre en liberté mes pensées et conserver à ma discussion l'énergie que je ne dois pas lui ôter, je me suis senti entraîné à déplacer le genre de la logique de l'auteur.
J'ai choisi un autre sujet sur lequel j'npplique cette logique ; j'ai adopté celui-là même pour lequel mes études et nies faibles travaux doivent m'avoir donné une prédilection naturelle; en un mot, je me suis représenté, pour la défense de ce qu'on appelle la philosophie moderne, un ouvrage calqué trait pour trait sur le Génie du Christianisme. C'est sur cette apologie enthousiaste de la philosophie que j'ai transposé les réflexions critiques, que je n 'aurais pu développer qu'avec embarras et contrainte sur l'ouvrage de M. de Chateaubriand.
J'espère qu'en faveur du motif, l'Académie voudra bien se prêter à ce cadre, dans lequel se produira la partie, qui m'a été pénible, du travail qu'elle m'a imposé,
Aux dogmes de la religion, mon philosophe oppose les principes dont il fait les bases de la philosophie. Comme les dogmes émanés de Dieu sont éternels, les vérités nées de l'ordre
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des choses le sont aussi. C'en ainsi que la philosophie a commencé avec le monde , quoiqu'elle n'ait reçu son complément quu dans le dix-huitième siècle.
Long-temps elle se voila sous des figures et de emblèmes; ce sont là ses mystères. Il faut donc la chercher dans les cosmogonies, dans les my thologies, dans toutes les institutions primordiales, dans les acquisitions lUC- cessives de la société.
Partout où une belle idée, un beau netiti- ment, une belle action se rencontrent, cela ne peut vunir que de ce qu'il y a de meilleur au monde, la philosophie. Un rapport prochain ou éloigné est bientôt trouvé avec un des principes philosophiques ; et de cette manière, notre écrivain revendique tout pour l'objet de sou culte.
Dans tous les temps, la philosophie a eu des M'otea t elle a inspiré des établissemens ; elle a dirigé des rois, des héros, donné à ses disciples des mœurs qui les distinguaient : voilà sa doctrine, sa propagation , son culte , ses docteurs et ses pères.
Elle a souvent attiré des persécutions sur des hommes immortels suscités pour la faire COII-
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naître et la répandre ; ce sont ses confesseurs et ses martyrs.
Elle envoyait , tlans hs anciens jours, ses disciples recueillir les premiers germes des *ricu(TS , des arts et de la morale, chez des nations déjà vieillies dans la civilisation, pour les rapporter h des peuples encore barbares.
Dans nos derniers temps, toutes les nations civilisées ont envoyé des savans dans de nouveaux mondes ex plorer les choses inconnues et y montrer nos sciences , nos arts , nos mœurs ; et voilà les missionnaires de la philosophie.
Vient une époque où les religions ingrates s'arment contre la philosophie do ses propres bienfaits, où elles osent exister et prévaloir par les altérations et les corruptions qu'elles ont portées dans les principes philosophiques.
nils-lors notre écrivain se met en guerre avec toutes les religions ; et c'est sous un nouvel aspect qu'il descend dans les âges et parcourt le monde.
Partout où il voit le mal, ce sont les religions qui prédominent ; où il reconnaît un peu de bien, c'est la philosophie qui a enrôle son invincible influence ; elle agit encore
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secrètement dans toute la société ; on lui doit tout, depuis l'agriculture jusqu'à la danse.
Oit est l'ordre dvil" partout où les religions ont été forcées de céder l'empire aux barrières de la philosophie.
Oit est le beau des mœurs, des caractères, des passions ? dans les œuvres avouées de la philosophie.
Où les sciences arrivent - elles à toute leur gloire P dans les temps et par les hommes qui triomphent des religions.
Où sont les grands historiens, les véritables orateurs, les premiers artistes? parmi les philosophes seuls.
Oit la poésie, surtout, puise-telle ses plus hautes conceptious, toutes ses richesses, toutes ses grâces, tous ses dons, tous ses secrets, tout sou mystérieux empire? dans les profondeurs et dans les abymes de la philosophie; car la pensée dominante de notre écrivain est que la philosophie absorbe toute la poésie, et se transforme elle-même en poesie.
Je vous le demande, Messieurs, que penseriez - vous d'un ouvrage ainsi conçu, ainsi exécuté? il me semble assister à votre délibé-
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ration portée sur un objet on vos pensées , ainsi que les miennes , séraient plus libres et plus (l'undlcfa; il me sem ble n'avoir plus à émettre mon opinion, mais h recueillir le ré* sultat de vos impressions débattues et moti- tcg Que signifie, diriez-vous, ce système ahsolu et exclusif, qui ne s'assujettit jamais aux choses qu'il examine, qui les soumet toujours a une seule vue, à une seule affection, conçues avant l'examen même qui eût pu les l'nfanter? Où va cet enthousiasme qui, ramenant tout sous un seul aspect , y dénature tout, ne laisse plus à rien Ma principes, ses caracterra, ses couleurs, brouille tout, et dans l'objet préféré, et dans les objets aacrnïëa?
Où sera le triomphe de la cause, si partout le livre se jette hors des voles de la raison 7 où le moyen réel, même d'une illusion passagère, s'il faut s'en imposer encore plus que l'écrivain, pour se plier a cette manière d'envisager son sujet?
Nous professons feapect, dévouement eu amour pour la philosophie; nous croyons qu'elle a aujourd'hui, pour ceux qui se sont appliqués li la saisir, un corps de vérités ln-
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finiment précieuses et fécondes ; mais si quelques erreurs y restaient encore à côté des vérités , nous nous réservons le droit de les r' taquer, de les repousser, d'en purger la philosophie m*'me, car rien ne peut lui faire plus de mal que ses propres erreurs.
Son histoire révèle partout des écarts, des dissentions, des troubles, tout ce que les hommes portent toujours, même dans les institutions destinées à les retenir dans le vrai, à les diriger au bien; et on ne veut rien avouer, rien apercevoir dans des choses si sensibles et si déplorables !
Le monde roule à travers les siècles, so1us une foule de mobiles qui, tantôt se réunissent , tantôt se séparent : ici des révolutions physiques, là des révolutions politiques; ici des passious travaillent les peuples, là des évéuemens qui ne paraissent sortir que du cours des choses, les entraînent par une sorte de fatalité; ici la multitude bouillonne comme une mer tempôteuse ; là, quelques hommes forts, ou de leur génie ou de leur fortune, asservissent tout; ici l'ignorance enveloppe tout de ses ténèbres; là les sciences éclairent quelques coins de l'horizon, et pro-
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jettent seulement quelques rayons sur les parties obscures : la philosophie avance ou recule , subit elle - même ses propres révolutions au sein de ce vaste ensemble de causes, souvent plus puissantes qu'elle : mais parce qu'elle est là, elle opère tout ; ou plutôt tout lu bien lui appartient ; et jamais le mal ne peut tenir même aux abus qu'on peut en faire !
Elle coexiste , par une destinée inévitable et une loi salutaire, avec les religions ; mais elle ne voudra rien de bon et d'utile hors de son sein ! Les religions n'auront en propre que des crimes et des malheurs ! Si elle est conséquente, elle devra soulever les peu.
ples ou les puissances contre les cultes; elle devra s'user et se déshonorer dans la vaine entreprise d'anéantir cette auguste communication de la terre avec le ciel ; éternel penchant du cœur humain ; besoin universel des sociétés ; heureux supplément des lots par de nouvelles affections portées dans les devoirs j par de plus hautes récompenses pour tout ce qui est bien, par une réfrénation intérieure de tout ce qui est mal J aimable et touchant cortège de la vie et de
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la mort; source sacrée des pieux souvenirs, des belles espérances et des seules consolations égales aux douleurs? La philosophie posera elle-même, comme une loi de la sociéh:, la persécution ; en sa faveur, si elle est forte ; contre elle, si elle est faible ! car la persécution, une fois admise en droit, appartient à qui peut s'en saisir; et tout est lk action et réaction.
Quelle idée encore de faire découler la poésie de la philosophie! Elles peuvent tout s'emprunter , mais en restant toujours h leur propre destination. Que les poètes s'emparent de la philosophie, leurs fictions viendront chasser les vérités de leur sanctuaire, et les charmes du prestige dégraderont l'importance des plus graves objets ! Que les poètes ne relèvent plus que de la philosophie, ils ne seront plus à l'inspiration de la nature , mais dans les liens d'une doctrine. Les philosophes et les poëtes n'auront rien de bon à produire, que par une continuelle rébellion à cette funeste servitude.
Nous réprouvons, au nom de la philosophie , ce panégyrique , qui la compromettrait elle-même; tout ce qu'on fait pour elle
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doit tenir de sa simple dignité, de cette vérité modeste, objet de ses soins et de ses études.
Pénétré de l'évidence de cette censure, j'ai osé, Messieurs , paraître la recevoir de vousmême, pour vous l'exposer avec plus de confiance. Je n'ai rien dit sur l'ouvrage que j'ai feint, qui ne s'applique à celui que nous avons à juger.
Vous concevez les autres défauts qui ont dû naitre de ce vice radical.
Comment bien raisonner, lorsque le principe de la discussion est toujours erroné ?
ou plutôt lorsqu une affirmation continuelle d'une seule idée est toute la discussion ?
Aussi jamais ouvrage peut-être n'a offert des preuves si p::u digues des objets, si faibles; et il faut bien le dire, si souvent dérisoires.
Comment bien composer un grand ouvrage, lorsque , tant les parties qui appartiennent au sujet, que celles qui lui sont étrangères, n'y viennent que pour être comparées à une vue systématique, qui se répète sans cesse et ne s'établit jamais? Toujours et unique-
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ment une adoration sans mesure de tout ce qui tient à la religion ou de ce qu'on lui rattache, sans son aveu. Voilh tout ce qui lie ensemble les objets; ce qui les subordonne; ce qui les fait, non pas s'entraîner, mais se succéder.
Le cadre est immense, l'ouvrage est court, vu tout ce qu'il embrasse. Des études forlcs et sérieuses s'y font reconnaître. L'auteur s'y montre tour à tour théologien et poëte, physicien et moraliste, érudit et pUtosophe ; orateur , historien, littérateur. Quoiqu'il n'affecte pas la manière de l'Esprit des lois, on voit qu'il aspire à montrer une vaste science , un esprit qui domine toutes les matières. un talent qui emporte tout un sujet dans un court chapitre. Mais on n'y trouva pas, comme dans l'Esprit des lois , de ces idées fondamentales, créées ou fixées, d'où tout part, oit tout revient, et qui répandent sur toutes les parties une lumière commune, mi heureux enchaînement, un intérêt progressif. On n'y trouve pas, comme dans l'Esprit des lois j qui du reste ne me parait pas toujours au-dessus de la critique dans son ensemble, la prcsicion dans Idtetidtte ) l'u-
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nité dans la diversité, la richesse dans les sacrifices ; ce qui est l'art ou plutôt le génie dans un beau traité.
On peut avoir bien fait encore, en étant resté bien, loin d'une des plus fortes et des plus hautes conceptions de l'esprit humain.
Je voudrais pouvoir arriver à un éloge res- treint en faveur du Grf,,;(! du christianisme ; mais je n'accuserais pas mon opinion, si j'exprimais sur le système , le plan et la marche, le moindre éloge.
Ce sera une distinction particulière à ce livre d'être absolument vicieux et même stérile par le fonds ; et néamoins de rester digne de sa célébrité par un grand nombre de beaux détails de tout genre et même quelquefois d'un ordre supérieur. Mais je dois commencer par rendre compte de la disposition d'esprit où j'ai été obligé de me placer, pour les bien saisir et les goûter.
J'ai conçu qu'avec un esprit sévèrement religieux, il y aurait souvent lieu de se choquer de cette continuelle envie de doter la religion d'attributs profanes dont son indulgence peut admettre l'emploi, mais dont sa grave pureté ne pourrait se prévaloir. J'ai
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éprouvé aussi qu'on ue pouvait le lire avec sa raison, satis être repoussé par cette absence continuelle de la logique la plus ordinaire.
Telle avait été mon impression , à une première lecture. J'ai senti qu'il ne fallait plus garder eu moi que cette facilité de l'imagination b se laisser frapper et éblouir, comme duits ces lectures où le bon sens n'a pas à se preudre j alors j'ai reçu par mon plaisir tout le prix de ce sacrifice nécessaire.
Il m'a fallu encore me bien démêler a moimême les deux élémens qui entrent dans le style de l'auteur. Nous connaissons, parmi les anciens, comme parmi les modernes, des écri.
vains qui ont un défaut ne, pour ainsi dire, de leur talent ; de même qu'en morale, certaines vertus touchent presque inévitablement à certains vices; alors il faut passer les défauts pour avoir les beautés.
Dans M. de Chateaubriand, ce n'est pas cela; son talent est vrai, il tient au goût; il s'appuie sur l'étude et le sentiment des meilleurs modèles. Mais il semble s'être pourvu, comme à dessein, d'un autre style, destiné sans doute aux lecteurs qui voudront bien prendre pour un coloris original une affecta-
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tion bien caractérisée. Celle de M. de Châteaubriand tient, ce me semble, de cette teinte mystique qui n du charme dans les livres de dévotion, quand elle ne domine pas trop ; de cette fausse métaphysique des mots vagues et mystérieux portés dans les impressions poéti.
ques , et des illusions poétiques substituées h l'expression naturelle des pensées et h la réalité des objets. Souvent il plaît h l'auteur de ne puiser que dans son talent ; et voilh une belle pensée, un sentiment heureux, une image noble et simple, une expression juste et vdolaute, une belle page, même un beau chapitre ; cela va à son adresse. Mais d'autres fois il lui plaît de ne puiser, tantôt avec profusion, tantôt avec réserve, que dans cette affectation étudiée, dont il s'est fait un langage subsidiaire ; et cela vu h son adresse aussi.
En me prêtant dans une seconde lecture et au système du livre et au double style de l'auteur, me contentant de ce qui est bien en soi, sans plus m'enquérir ni des principes, ni des conséquences, ni du système, ni de la marche, il m'a semblé que le livre n'offrait jamais de ces grandes vues sur le sujet ou les accessoires qui sont les richesses propres d'un beau
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traite; non que je croie l'auteur inhabile à ce genre de mérite ; j'ai déjà indiqué quelle cause le lui avait interdit; Qu'il manquait aussi de ces grands morceaux où une belle et haute idée est développée d'une manière large et pleine, avec une énergie et une chaleur soutenues; et cela encore parce que son plan s'y refusait ; Qu'il n'avait pu môme que rarement jeter de ces pages de verve et d'inspiration, qui, dans un ouvrage de ce genre, ne naissent que de la lutte d'un sentiment fort avec un beau dessein à accomplir; et certes la sorte de superstition générale qui conduit l'auteur lui rendait trop faciles toutes ses idées.
Mais il abonde en beaux morceaux de littérature dans la partie qu'il appelle Poésie du christianisme ; en morceaux pleins du charme religieux dans ses hymnes ou ses bucoliques lur les institutions bienfaisantes et les touchantes cérémonies du christianisme. Ici son talent est libre et abandonné ; il parle avec les philosophes et pour les philosophes eux-mêmes qui se complaisent autant que lui dans ces objets.
Nul ouvrage ne montre davantage l'ambition
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de rivaliser, au moins par des chapitres , avec les plus grands écrivains; et celui-ci justifie souvent cette audace par le succès. — Buffon a un morceau sublime qu'il appelle Vue sur la nature t où le philosophe contemple en poëte l'ensemble des êtres. M. de Chàteaubriand trace un aspect de la nature, pris d'un vaisseau , au milieu de l'Océan, entre un beau soir et une belle nuit; le morceau se termine avec autant de goût que d'intérêt, à la prière du soir sur le vaisseau ; c'est un des plus beaux endroits de l'ouvrage. Plein du poëte dont la muse a créé les premières scènes du monde, il a tracé celle du déluge universel; et il approche des pinceaux fiers et terribles du peintre du chaos et des enfers.
Il ose quelquefois penser à grands traits avec Montesquieu j et parmi quelques chapitres qui aspirent h ce genre de ityle, celui intitulé : Beau côté de l'histoire moderne, ne serait pas indigne d'entrer dans l'Esprit des lois. Il a voulu narrer, après Voltaire, l'his- toire du phénomène politique, que les jésuites avaient réalisé au Paraguay; la, le morceau est pur et bon, mais au-dessous du modèle, ce qui prouverait que le talent petit davantage
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Rapprocher de l'éloquence originale, qu'emprunter une élégance exquise. Il a saisi de beaux traits dramatiques dans le tableau de la h fort de la femme athée (qu'il aurait appelée plus justement la Jemme sans pudeur, sans honneur et sans conscience), comme potit l'opposer h l'admirable tableau de la Mort du pdchcur dans Massillon. Pl usieurs écrivains du dernier siècle ont élevé la critique littéraire a la hauteur des beaux ouvrages; c'est la particulièrement où un rang distingué appartiendrait à M. de Chateaubriand, si la partialité de son système n'avait sans cesse comprimé la force de son jugement et la délicatesse de son goût. On juge bien que les deux grands hommes avec lesquels il cherche le plus de rapprochement , ce sont Fénélon et Bossuet. —
Il a touvent quelque chose des heureux mouvemens de style de l'auteur de l'Existence de Dieu, dans ses peintures des rites religieux; et il participe des élans prophétiques et de ce langage à part du premier des orateurs, lorsqu'il veut le peindre lui-même.
Pour qu'on ne se méprenne pas à cet éloge, je dois répéter ici que M. de Chàteaubriand lutte avec cet éerivaios, mais sans les imiter 1
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il ne se montre jamais plus lui-même que dans ces morceaux qui provoquent des comparaisons si redoutables. Je pourrais ajouter que ses deux romans sont des contre-épreuves de deux romans célèbres, le jeune Werther et Paul et Virginie ; mais ces deux épisodes de son ouvrage mériteraient d'être appréciés séparément.
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OPINION DE M. MORELLET,
SUR
LE GÉNIE DU CHRISTIANISME.
MESSIEURS, Vous avez demandé de vos commissaires qui seront charges de l'examen du Génie du Christianisme, un résume de leur opinion sur cet ouvrage, et des motifs de cette opinion.
Je remets sur le bureau le petit travail que j'ai fait pour remplir cette tâche.
J'ai suivi la marche indiquée par le décret qui énonce les qualités exigées dans l'ouvrage de littérature auquel est décerné le onzième grand prix, en supposant que l'ouvrage de M. de Chateaubriand peut être regardé comme appartenant a ce genre.
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Le décret déclare que le prix sera décerné à l'auteur dit meilleur ouvrage de littérature qui réunira au plus haut degré la nouveauté des idées, le talent de la composition et l'élégance du stj le.
Par les idées dans lesquelles le décret exige la nouveauté, nous entendons le fonds de la doctrine que l'auteur étahlit, le but principal auquel tend son ouvrage; et comme la nouveauté ne peut être un mérite que lorsqu'elle est jointe à la justesse et à la vérité, nous supposons que le décret demande que ces idées neuves soient en même temps vraies et justes.
En second lieu, par la composition, où le decret veut que brille le talent, nous entendons le plan , la disposition des parties et l'ensemble de l'exécution.
Enfin, par l'élégance du style, nous n'entendons pas seulement les agrémens, les ornemens un peu recherchés que ce mot d'élégance réveille , et nous supposons que le décret demande de l'écrivain, non-seulement l'élégance, niais la force, la justesse, la clarté, etc.
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Du but de ÏJutcur y et de la doctrine qui fait le fonds de son Ouvrage.
Poun nous faire, sur ce point, une idée juste du Cit!nie du christianisme, nous ne pouvons mieux faire que de puiser dans l'ouvrage même. Voiei comment l'auteur s'en explique.
« Que la religion chrétienne est la plus poé« tique, la plus humaine, la plus favorable à Il la liberté, aux arts et aux lettres de toutes a les religions qui ont jamais existé; qu'elle « favorise le génie; qu'elle donne de la viCI gueur à la pensée ; que le monde moderne a lui doit tout, depuis l'agriculture jusqu'aux « sciences abstraites; que rien n'est plus di« vin que sa morale, rien de plus aimable que « ses dogmes, sa doctrine et son culte. Voilà « tout notre ouvrage. »
Après cet exposé, l'auteur distingue luimême dans son ouvrage deux parties; l'une renfermée toute entière dans le 2" et le 5U volumes, et dans laquelle il s'efforce de prouver que la religion chrétienne est très-poétique et la plus poétique de toutes; l'autre,
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qui forme le 1er et le 4e volumes, où il traite de ce qu'il appelle les dogmes et le culte chrétien, De ces deux parties, il est aisé de voir que la première seule peut être regardée comme littéraire, tandis que la seconde est vraiment théologique ; et comme celle-ci ne parait pas être de la compétence de l' A cadémie, et ne pourrait guère devenir l'objet de son travail, sans quelques inconvénicns bien connus, nous avons cru devoir nous borner à l'examen de cette question : la religion chrétienne est-elle, comme le prétend l'auteur dit Génie du Chris- tianisme, non-seulement très-poétique, mais la plus poétique de toutes celles qui ont jamais existé ?
Pour nous mettre en état de juger cette question, eu connaissance de cause, nous avons lu avec attention le 2" et le 3e volumes, oit l'auteur l'a traitée, et nous avons discuté tous les argumens déduits dans les douze livres qui les composent, de sorte que notre opinion s'est formée, non pas seulement d'après une vue générale de la question, et les principes que peut fournir quelque connaissance eu littérature, mais encore sur la con-
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viclion acquise de la faiblesse des preuves dont M. du Chateaubriand a cru pouvoir appuyer son paradoxe.
Mais, comme pour le résumé qu'on nous demande, une discussion qui embrasserait tous ces détails, serait inutile et incontestable, nous nous bornerons ici à exposer les raisons générales qui nous ont conduits à regarder comme fausse cette théorie qui est la but et qui fait le fonds de la partie du Génie dit christianisme que nous nous bornerons à examiner. Si M. de Chateaubriand s'était contenté de dire qu'on peut faire de belle poésie sur des sujets chrétiens, en y employant quelques parties de la théologie chrétienne, cette idée, qui n'est pas neuve, ne lui serait pas contestée.
En blâmant l'emploi fait, par quelques auteurs dans l'épopée , des êtres spirituels que reconnaît le christianisme, personne n'a nié que la religion chrétienne ne pût fournir à la poésie de grandes beautés, ce qui demeure d'ailleurs prouvé par les poëmes de Milton et du Tasse, et par Polyeucte, et par le poème de la Religion ; ce qu'aucun incrédule n'a nié. Mais l'auteur ne s'en tient pas là, et il
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avance que la théologie chrétienne fournit aux poètes plus de moyens, est une source de beautés plus abondante que celle où ont puisé Homère et Virgile. Nous avouerons que cette idée est vraiment neuve , mais nous sommes convenus qu'a la nouveauté devaient être jointes la justesse et la vérité, et ces qualités nous paraissent absolument manquer ici.
1. A cette doctrine, nous commencerons par opposer l'autorité de nos maîtres. Celle de Hoileau, en ces matières, est si bien établie, ses décisions si connues, ses vers si bien gravés dans notre mémoire, dès nos plus jeunes ans, qu'en les rapportant de nouveau, on aurait l'air d'insulter h ses lecteurs.
Nous nous contenterons donc de les rappeler à leur souvenir , comme une réfutation complète de l'hérésie avancée par M de ( iliàteaubriand , et d'observer qu'il est difficile d'expliquer comment un homme d'autant d'esprit qu'en montre l'auteur du Génie tin christianisme, formé d'ailleurs à l'étude de bons modèles, plein de respect pour nos mai.
tres en l'art de penser et d'écrire, a osé combattre et violer du si sages préceptes ; corn-
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ment il a pu dédaigner ainsi une grande autorité.
IL Un grand vice de cette doctrine de M.
de Chateaubriand est son entière inutilité; en quoi , demanderai-je , peut-elle servir la littérature ou la religion? fera-t-elle faire un beau poëme '! convertira-t-elle un incrédule?
Quant à la littérature, pour croire qu'elle en peut tirer parti, il faut supposer que la mythologie (je prends ce mot dans son acception la plus étendue ) est une source abondante de beautés poétiques , et lui attribuer une part du mérite des poèmes beaucoup plus grande que celle qui lui appartient en eftet ; mais cette supposition est tout-à-fait fausse.
Une belle mythologie , des fictions agréables , d'ingénieuses allégories peuvent amener quelques beautés poétiques; mais la plus abondante , la plus riche source à laquelle ont du puiser les poètes païens et chrétiens, est la nature. La peinture des passions , le développement des caractères , la vérité des descriptions , la chaleur du style, un bon plan , voilà les beautés véritables que la mythologie d'aucune religion ne peut fournir.
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Ce qui nous charme dans Didon, ce n'est pas la fiction de l'amour caché sous les traits du jeune Ascagne , et embrasant la reine de Carthage de ses feux ; c'est la peinture si vraie et si énergique d'un amour si tendre et si mal.
heureux.
Dans l'épisode d'Olitide et de Sophronie, le Tasse a pu emprunter quelques beautés de la circonstance que l'image de la mère de Dieu a été enlevée de la mosquée par une main invisible et miraculeuse ; mais ce qu'il y a de beau, c'est le dévouement généreux de So- phronie pour sauver ses concitoyens ; c'est l'amour d'Olinde pour Sophronie si timide, si réservé, si pur j c'est la peinture des deux amans attachés au même pieu, et allant périr dans le même bûcher ; c'est l'humanité de Clorinde ; et ce n'est point la religion chrétienne qui fournit au Tasse toutes ces beautés.
III. Un grand fait combat l'opinion de M.
de Châteaubriand ; c'est que depuis l'ère chré.
tienne jusqu'au Dante, pendant près de quinze siècles , la religion chrétienne n'a pas fait faire un bon poëme , ni peut-être dix boni vers; car , certes les Hymnes de Prudence et le Te Deutn de saint Ambroise, et le P.",.
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ge tingua de saint Thomas d'Aquin ne pouvent être cités comme tels ; et si la religion chrétienne est si éminemment poétique, pourquoi, durant ce long période pendant lequel elle a conservé plus de vigueur et de pureté que dans notre lie des siècles , pourquoi. dis.
je , n'a-t-elle rien produit qui approche du Carmen toeculat-o ?
Quant au service que cette doctrine peut rendre au christianisme , une religion qui prêche le renoncement à soi-même, la pauvreté, le célibat, le monachisme, les mortifications corporelles , etc., qui arrache l'homme à ses plus chères annotions, aux plaisirs pour lesquels ses sens semblent faits, qui l'effraie de la crainte de supplices éternels, etc., une religion semblable ne peut que dédaigner et pousser loin d'elle les idées profanes, les fictions agréables, les illusions douces, les jeux de l'imagination, toutes choses dont la poésie vit.
C'est ce qu'ont pensé sans doute plusieurs personnes pieuses , qui, se rappelant cette maxime,
Le mensonge et les vers de tout temps sont amis,
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ont trouvé mauvais qu'on se donnât tant de peine pour prouver que la religion chrétienne est très-poétique , et plus poétique que celles qui ont fourni à Homère, à Virgile, à Ovide, et aux conteurs arabes et persans, leurs agréables fictions.
IV. Un obstacle puissant traverse les tentatives de M. de Châteaubriand pour nous faire rejeter la mythologie païenne et adoptrr celle du christianisme, obstacle qui me semble n'avoir pas été assez remarqué, et qui ne tient pas h la nature de Tune et de l'autre, mais a une circonstance extérieure, et pour ainsi dire étrangère à toutes deux.
Cette circonstance est que la mythologie païenne, consacrée par de beaux ouvrages, objets et instrumens des études de notre jeunesse , source où nous avons puisé nos premières idées et l'expression de nos premiers sentimens, est, depuis une longue suite de siècles , en possession de la place que le christianisme de M. de Chàteaubriand vient lui disputer aujourd'hui.
Nous avons une Vénus, des Amours et des Grâces , et l'on veut nous donner à leur
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place un Démon de la volupté, de petits Diables, et des Saintes vêtues de bure.
J'ai un Neptune soulevant et calmant les slots, et vous me proposez d'y substituer un Ange des mers, avec des ailes et une écharpe bleues ; un Pluton rognant aux enfers , et vous me demander de donner son trône à Satan; un Jupiter olympien ébranlant l'Uni- vers d'un mouvement de son sourcil, et vous voulez que je mette à sa place un Père éternel!
Vous ignorez donc la force de l'habitude et les droits du premier occupant. Nous avons été bercés des agréables fictions d'Homère , de Virgile et d'Ovide; nous avons vécu au milieu de ces divinités qui peuplent les cieux, la terre, les mers et les enfers mêmes, et l'on nous propose de les chasser pour mettre à leur place des Anges et des Démons, des Apôtres et des Martyrs , des Hermites, des Vierges.
C'est à quoi uous ne pouvons nous résoudre.
INIais , nous dira M. de Châteaubriand, c'est la vérité que je vous propose de substituer à des fables.
On peut lui répondre que ce n'est point une recommandation pour elle d'être ou do
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se dire la vérité, si nous en croyons un grand moraliste qui nous dit : L'homme rst de glace aux ,'éritd., Il est de feu pour le mensonge.
Renoncez donc au projet de nous faire recevoir des vérités que vous convenez être sévères, si mêtàie elles ne sont pas tristes, et n'espérez pas que nous rejetions les agréables mensonges qui nous ont donné de si grands plaisirs.
Ceci suffit pour défendre le dix-huitième siècle de l'imputation virulente que lui intente M. de Châteaubriand, qui prétend que c'est la haine contre l'Evangile qui a reporté le dix-huitième siècle vers la mythologie de Home et de la Grèce, et « qu'on n'a pas été « honteux de regretter ce culte infâme qui « ne faisait du genre humaiu qu'un trou« peau d'insensés , d'impudiques , ou de « bêtes féroces. »
Combien cette déclamation est déraisonnable! Il est trop clair que ceux qui défendent aujourd'hui la cause de la mythologie païenne, et qui ne font en cela que suivre les préceptes de Boileau et les exemples de Racine *
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et de Fénélon, ne regrettent pas le culte infâme de ces divinités auxquelles ils re croient point, et que les qualifications injurieuses sont tout-a-fait hors de propos appliquées à une opinion littéraire adoptée par des hommes qui ne veulent point faire du genre humain un troupeau d'iusensés ou de bêtes féroces, et qui ne font que se laisser aller à la douce habitude de parler cet agréable langage.
V. Au livre V de son deuxième volume, M, de Châteaubriand donne une extension nouvelle à sa théorie, en avançant que « c'est « à la religion chrétienne que nous devons la « poésie descriptive ; que les anciens ne l'ont « pas connuej qu'on l'a vu naître en même « temps que les apôtres ont commencé à « prêcher l'Evangile au monde ; que les ana« chorètes écrivirent de la douceur du rocher « et des délices de la contemplation, et que « voilà les premiers pas de la poésie descrip« tive. »
Dans toute cette partie de son travail, l'auteur confond la poésie descriptive avec le poëme descriptif : il n'y a point de poésie sans description ; mais un poëme descriptif est celui dans lequel la description des objets que
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fournissent la nature ou l'art, est le but du poëte ; le poëme descriptif est en même temps didactique, parce qu'il enseigne eu décrivant. L'ouvrage de Lucrèce et les lidorgiques de Virgile sont des poèmes didacticodescriptifs , quoique M. de Cbâteaubriand n'en convienne pas ; et pour achever de déterminer le sens de ce mot, il ne faut qut: citer les exemples des Saisons de Saint-Lambert, de r Homme des champs, et des Trois Itègnes de la Nature, de M. Delille.
Cette distinction faite, on peut entendre M. de Châteaubriand avançant que, jusqu'à nos derniers temps, les anciens n'ont pas connu le poëme descriptif (si lui-même refuse ce nom au poëme de Lucrèce et aux Géorgiques); mais, lorsqu'il veut nous persuader qu'avant les apôtres il n'y a point eu de poésie descriptive , on ne l'entend plus.
Et comment croire que la poésie descriptive , au second de ces sens, a été ignorée des anciens, lorsque nous avons sous les yeux la grotte du Cyclope dans Homère et Théocrite, les jardins d'Alcinoüs, l'île de Calypso, et des traits sans nombre de Virgile, d'Horace, de Tibullc, de Properce, d'Ovide, de Lucain.
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Si les anciens ne nous avaient point faissé de poëme descriptif, on s'ils ont moins cultivé ce genre que les autres, on pourrait en donner des raisons tout-à-fait étrangères à la religion chrétienne; ils pourraient avoir pensé, comme beaucoup de littérateurs de notre temps , que le genre du poème purement descriptif n'était pas hou ; qu'il était trop diflicile de lui donner un plan , de l'ensemble, un progrès et de lunité. Peut-être aussi l'idée de faire des poëmes descriptifs ne se serait-elle présentée aux hommes que lorsque les autres genres auraient été déjà employés , et pour ainsi dire épuisés ; ou lorsqu'une connaissance plus étendue des objets de la nature, des phénomènes qu'offre le monde physique mieux connu, leur auraient donné plus de moyens de les décrire. On n'a pu faire un poème des amours des plantes, qu'après avoir reconnu qu'elles ont les deux sexes. Il a fallu reconnaître et rassembler les végétaux des deux mondes avant qu'on pût faire un poème des jardins.
Quant au mérite qu'on fait aux Apôtres et à l'Évangile d'avoir créé la poésie descriptive, c'est une idée vraiment bizarre. On pent-
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dire qu'on ne s'attend guère à voir les Apùtres eu cette affaire, non plus que les anachorètes de la Thébaïde, écrivant de la douceur du ivcher, sujet bien sec , et des délices de la contemplation, l'ennemie irréconciliable de toute observation de la nature, sans laquelle il ne peut y avoir de poésie descriptive.
Il n'y a pas, dans toute l'antiquité chrétienne, une phrase de poésie descriptive qu'on puisse attribuer à un Apôtre. Il n'y a pas un mot du poésie descriptive, ni dans les conférences do 0 ni dans les vies des pères du désert de Théodoret et de Palladius, ni dans celles qu'a laissées saint Jérôme des solitaires les plus illustres de la Thébaïde, saint Antoine, saint Paul , liermite, saint Hilarion, saint Siméon-Stylite; il nous a peint la vie dénaturée que menaient ces pauvres gens, leurs jeûnes excessifs, leurs tentations, les illusions dont l'esprit malin les tourmentait ; c'est chez lui qu'on trouve le conte du corbeau qui, depuis quarante ans, apportait la moitié d'un pain à l'hermite Paul, et qui lui en apporte un entier le jour où Antoine est venu le visiter; et celui des deux lions qui creusent la fosse dans laquelle Antoine doit le placer, J'avoue que
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je no vois point de poésie descriptive dans tout son récit.
Ces contes d'enfant en étaient cependant susceptibles, et M. de Châteaubriand l'a bien senti ; car il en a tiré parti au livre XI do ses mortyrs; mais il en a sagement retiré un des deux lions, un seul lui ayant paru suffisant, et la difficulté de l'apprivoiser et de le nourri r moins grande; mais ni saint Jérôme, ni aucun des historiens des pères du désert n'a laissé do poésie descriptive. Et quelle description pouvaient en eflet fournir ces horribles lieux, régions de sables brûlés du soleil, où la nature morte n'offre à l'homme que des tombeaux !
VI. Pour nous prouver que les anciens n'ont pas eu de poésie descriptive, M. de (Ihhteaubriand croit pouvoir s'appuyer de l'explication suivante : « La mythologie païenne, dit-il, peuplant If l'univers d'élégans fantômes , ôtait à la Il création sa gravité, sa grandeur, sa solitude, If sa mélancolie ; aux grottes leur silence, et « aux bois leur rêverie ; aux déserts un carac« tère plus triste, plus vague, plus sublime, < qu'ils ont repris sous notre culte, etc. # Dao. cette manière d'argumenter, l'auteur
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nous paraît mettre une grande confiance à la puissance des mots auxquels on n'attache pas un sens bien précis.
Nous demandons qu'on nous explique co que c'est que le vague du désert, et comment lu religion chrétienne met du vague dans le désert, et comment elle y apporte la mélancolie et la tristesse, et en quoi elle peut servit par là la poésie descriptive ?
L'auteur croira avoir répondu à ces questions, en disant que les dieux de la sable peuplant l'univers, l'Aurore aux doigts de rose ouvrant les portes du jour, les Heures attelant et dételanl les chevaux du soleil, empêchaient d'admirer chaque merveille de la création, et le rayon du soleil prêt à s'éteindre, formant une tangente d'or sur rare roulant des mers , et ne laissant voir partout aux anciens qu'une machine d'opera.
Si la fiction poétique du char et des chevaux du soleil n'eût laissé voir aux anciens qu'une machine d'opéra, ils n'auraient eu ni physiciens , ni astronomes. Cependant , tout en lisant Homère, Thalès, Anaximandre, Anaxagore, Pythagore, Démocdte, etc. étudiaient
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la nature et recherchaient les causes de ses grands phénomènes.
Quant aux poëtes, l'intervention des dieux, de la faille ne pouvait pas les i-Mpêcher du faire des descriptions et des poëmes descriptifs, s'ils en eussent eu la fantaisie, puisqu'il leur était bien possible de faire abstraction , comme ils l'ont fait en une infinité d'endroits, de ces sables auxquelles ils ne croyaient point, et qui n'étaient pour eux-mêmes que des allégories ingénieuses.
VII. M. de Châteaubriand nous fournit même ici un argument pour le combattre; car il nous dit que c'est uu avantage du poële chrétien ; que si sa religion lui donne une nature solitaire, il peut avoir à volonté une nature habitée , et qu'après avoir placé des anges à la garde des forêts et aux cataractes de l'abyme, etc., il peut les faire disparaître à son gré. Or, il est évident que rien n'empècliaii les anciens d'en faire autant, et qu'ils l'ont fait ; c'est ainsi que Lucrèce et Virgile , décrivant la peste et une épizootie, n'ont point mis en scène, comme Homère, Apollon lançant ses traits mortels sur les hommes et les animaux; et que Lucain, dérrixaiil h1.
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forêt sacrée que 1rs soldats de César vont violer, en bannit d'abord Pan, les Nymphes et les Sylvains.
Je terminerai ici l'examen de ce que j'ai appelé la doctrine principale et le but de l'auteur , et qui fait le fonds de son ouvrage ; et je conclus cette partie de mon résumé en disant que cette doctrine restreinte à dire que la religion chrétienne peut fournir des beautés à la poésie, ne peut servir ni la littérature ni la religion , et qu'exagérée comme elle l'est dans le Génie du christianisme, jusqu'à prétendre que la religion chrétienne est la plus poétique de toutes celles qui ont jamais existé , elle est évidemment fausse et vicie l'ouvrage où l'on a eu pour objet de l'établir ; et enfin que le Génie du christianisme est bien éloigné d'atteindre ait plus haut degré de la nouveauté des idées réunies à la justesse et a la vérité.
Du plan et de la composition.
Nous dirons maintenant notre opinion sur ce que le décret appelle la composition de l'ouvrage dans laquelle il faut aussi que le talent se montre.
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Nous avons vu l'auteur distribuer son ou- vrage en deux parties ; l'une formée du premier et du quatrième volumes, dans laquelle il traite du dogme et du culte ; l'uutre contenue au deuxième et autroisième volumcs, comprenant ce qu'il appelle la poétique du christianisme.
Cette distribution bizarre, In séparation du même sujet en des vo l umes qui ne se suivent pas, est un vice dans le plan. Ces deux partics sont nussi disparates et de genres trop différent) pour entrer dans le mémo ouvra go.
Prouver que la religion chrétienne peut fournir à la poésie des moyens et des ressources de plus d'un genre , ce peut être le sujet d'une discussion littéraire assez peu intéressante, et à mon sens , fort bornée , si l'on ne vent toucher que ce qui appartient au sujet bien conçu et sagement circonscrit ; mais entreprendre de prouver que rien n'est si divin que la morale du christianisme, rien de si aimable que ses dogmes et son culte, < 'est un ouvrage la part et qui n'a aucune liaison, aucun rapport avec lo premier.
Un autre exposé du plan de l'auteur, trncé par lui-même, en rendra le vice sensible.
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Selon M. de Châteaubriand, « la religion « chrétienne n'ayant été attaquée dans ces « derniers temps que par des sophismes et « des épigrammes, on ne doit pas répondre H sérieusement aux sophistes qu'il est imposer sible de convaincre , parce qu'ils ont tou« jours tort, qu'ils ne cherchent jamais la u vérité ; il faut seulement défendre le chris< tianisme des reproches de grossièreté , de « petitesse , de niaiserie ; prouver qu'il n'est » point barbare et ridicule dans ses cérémo« nies, ennemi des arts , des lettres et de c la beauté. »
On voit par là que M. de Chateaubriand , entreprenant de prouver que la religion chrétienne est très-poétique et la plus poétique , suppose que , par cela seul , s'il réussit dans son projet, il aura défendu la religion.
Cependant on ne la défend pas, en prouvant que la procession des rogations, dans un gros village peuplé de cultivateurs aisés, est une fête religieuse fort agréable; qu'une antique abbaye et ses cloîtres obscurs et ses vitraux et ses tours embellissent beaucoup un paysage ; que les ruines des monumetts gothiques et chrétiens sont d'un cjfet aussi
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pittoresque que les débris de l'architecture grecque, et que la communion s'embellit de mille charmes, lorsque de jeunes filles, vêtues de lin et de jeunes garçons parés de feuillages, voient le Christ descendre sur l'autel pour leurs ames délicates. A Dieu ne plaise que je trouve ces objets désagréables et ces pratiques ridicules ; mais qu'est-ce que cela prouve? et comment, au su jet de sa description de la première communion, M. de Cliàteaubriand conclut-il, par ces paroles ?
« Nous ne savons pas ce qu'on peut ob« jecter contre un sacrement qui commence « avec des fleurs , de jeunes années et des « grâces, et qui finit par faire descendre Dieu « sur la terre pour le donner en pâture spiK rituelle ? l'homme; » car que font a la vé.
rite, dont il s'agit toujours et en toutes choses , les fleurs, les grâces et les jeunes années ?
M. de Châteaubriand se trompe en avançant que, dans ces derniers temps et dans tout le 18e siècle, on n'a attaqué la religion chrétienne que par des plaisanteries ; car c'est dans un grand nombre d'ouvrages sérieux qu'on a combattu ses dogmes, ses mystères,
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et surtout les pratiques et l'autorité de la religion romaine. A des discussions de ce genre, on ne répond pas, en prouvant que la religion chrétienne est très-poétique, et même la plus poétique de toutes. Le plan de l'auteur se trouve par là absolument vicieux.
Les ennemis de la religion que l'auteur appelle sophistes, l'ont attaquée dans des écrits sérieux, et les raisons que donne l'auteur pour ne point leur répondre, ne sont pas recevaldes , puisqu'elles supposent toutes ce qui est en giiestioti ce qui est le plus grossier des sopliismes; il faut répondre aux sophistes en leur faisant voir, si l'on peut, que leurs raisonnemens sont mauvais, ce qui n'est jamais impossible, ni même difficile à celui qui défend la cause de la raison et de la vérité.
Quant aux ouvrages oit , comme dans ceux de M. de Voltaire, on a employé la plaisanterie, il faut considérer que la plaisanterie cllc-Illèmc est toujours fondée sur un raisonnement bon ou mauvais. Lorsqu'elle ne montre en ridicule que ce qui mérite d'être appelé ainsi, cette manière de combattre est aussi bonne et aussi légitime que toute autre.
Les Jésuites, attaqués ainsi par Pascal, disaient
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aussi qu'on ne les combattait que par des plaisanteries, et personne n'a trouvé leur défense lionne. Si, au contraire, la plaisanterie n'est pas appuyée par la raison, on y répond en montrant qu'elle manque de cet appui, et dans ce genre de défense on ne peut tirer encore aucun parti pour la religion de la théorie poétique de M. de Châteaubriand.
Je dirai encore un autre vice du plan : l'auteur, en composant son ouvrage de deux parties, rune littéraire, et l'autre théologique, s'est donné à combattre diverses sortes d'ennemis.
Dans ce qu'il dit de la poétique du chris- tianisme, il n'a pour adversaires que Boileau et les liomnies de lettres qui respectent son autorité, et qui croient que le goût et la raison consacrent les principes de ce maître de l'art. Ce n'est là qu'une question de littérature, et ceux qui la jugent, contre l'opinion de M. de Châteaubriand, ne sont en cela ni ennemis de la religion chrét ienne, catholique ou réformée, ni sociniens, ni athées. Il en est autrement de la partie théologique de son ouvrage, dans laquelle il a d'autres ennemis à combattre, dont on peut faire deux
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dasses: la première, de ceux qui n'attaquent que les doctrines qu'ils croient contraires à la raison , et qui reconnaissent un être suprême qui a produit et ordonne le monde et la distinction du bien et du mal moral; et la seconde, de ceux qui, franchissant encore cette barrière, méconnaissent la divinité, soit en admettant une distinction du juste et do l'injuste, fondée sur la nature de l'homme et ses rapports avec ses semblables; soit, s'il y en a de tels, en n'admettant aucune sorte de moralité.
Il parait juste et nécessaire de distinguer ces diverses sortes d'incrédules qui peuvent être jugés avec différens degrés de sévérité, et combattus avec des armes différentes.
Il nous sem ble que celui qui refuse de croire au péché originel, à la Trinité, à la présence réelle, en môme temps qu'il professe le théisme, ne doit pas être traité avec la même dureté que celui qui s'est affranchi de toute croyance religieuse; et, a plus forte raison, que celui qui est assrz malheureux pour méconnaître toute espèce de moralité.
Cependant M. de Châteaubriand dans son livre les attaque tous avec la même véhémen-
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te. Les protestans qu'a combattus Bossuet, les théistes, tous les philosophes du dix-huitième siècle, les encyclopédistes, dont il no fait qu'une masse de réprouvés et qu'il suppose tous avoir été dans les mêmes opinions, tous ces gens sont confondus avec les athées et traités par M de Chateaubriand comme tels.
De cette confusion de différentes classes d'ennemis de la religion , il arrive que l'auteur perd le plus souvent son temps, et manqun jion objet, puisqu'en une grande partie de son ouvrage il combat des ennemis de la religion qui admettent les doctrines mêmes qu'il entreprend de leur prouver, et qu'il ne leur prouve point celles sur lesquelles ils sont d'opinion opposée à la sienne.
Lorsque M. de Châteaubriand a prouvé l'existence de Dieu par les merveilles de la nature, comme l'ont fait des milliers d'écrivains avant lui, que peut-on en conclure pour justifier le vol des Egyptiens, et les cruautés du peuple de Dieu envers les habitans du pays de Chanaan, et celles des prêtres coupant le roi Agag en morceaux par l'ordre de Samuel, et pour faire croire au rebroussement des eaux
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du Jourdain, laissant passer les Israélites, et engloutissant l'armée de Pharaon, et au soleil arrêté dans sa course, etc.
Et par la même raison , après avoir établi la mission de Moïse, l'origine divine de la religion juive et de tout l'ancien Testament, ou n a pas pour cela répondu aux objections sans nombre qu'élèvcnt les incrédules contre la religion chrétienne, ses mystères, ses dogmes qu'on attaque comme contraires à la raison, plusieurs de ses pratiques qu'on regarde comme funestes à la société et ennemies de la nature, et contre la corruption de ses ministres ; et je Unis par dire que c'est lit un défaut dans le plan et la composition.
C'est encore un vice notable dans le plan et dans la composition de l'ouvrage, que M. de Chlitcauhriauli y soit constamment occupé de faire prendre pour guide l'imagination au lieu de la rai son ; projet funeste qui, grâces à l'imprimerie et aux lumières acquises, ne peut plus s'exécuter complétement, mais dont on peut craindre, et dont il ne tient pas h M. de Chàteaubriand que quelque partie ne s'exécute dans l'esprit de ses lecteurs. Ce projet d'écarter la raison se montre partout : le cœur.
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l'ame, le sentimenty voilù, dit-il, les oracles rlue nous devons consulter.
Qui ne voit qu'un l'nquir mahomélan, un disciple de Brahma, un Tnlnpoin, un (Illinois dévot h Foé, un Japonais de la religion des Siutoos, enfin un illuminé de ceux qu'on ii ouve dans toutes les religions, peuvent dire aussi a leurs catéchumènes : le c(t,iii-e Vante, sciiiiiiieiit y voilti les oracles que vous îlewz consulter.
En racontant les causes de sa conversion, fui f)lenrét dit-!!, et j'ai cru, comme si c'éhii là une raison do croire. Si l'cm arrive, dit-il, dans tes royaumes de la solitude en ne croyant rien, on en sort en croyant à tout.
El comment la solitude peut-elle conduire :, la croyance qu'on suppose être une croyance raisonnable ? C'est bien plutôt à l'erreur, à la superstition, à l'imbécillité.
La raison tl'ordinaira N'habite pas long-temps chez les gfnx séquestrés.
L'nu\etJr, rappelant au chapitre IV de son livre ï", tome 1er, et peignant les égarement monstrueux des révolutionnaires déchaînés contre le christianisme, observe que ces mê-
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iiies temples élevés au Dieu qui est connu de l'univers, et ces images de V ierges qui consolaient tant d'infortunes, étaient dédiés à lit vérité que personne ne vannait, et à la l'aison qui n'a jamais séché une larme.
C'est fort bien fait de venger Dieu et les Vierges; mais il ne faut pas que ce suit eu insultant à la vérité et à la raison. Si personne ne connaît la vérité, que prétend donc nous enseigner M. de Chateaubriand , qui, sans doute, ne s'exceptera pas seul de cette sentence ? El si l'on a pu élever au temps une statue avec cette inscription : à celui qui console, n'est-ce pas la raison qui, a l'aide du temps, adoucit et amortit les plus cruelles douleurs, puisque le temps n'est qu'un personnage altégorique qui n'a point d'action.
<( Pour réconcilier le monde à la religion, < il faut, dit-il encore, chercher à prouver « qu'elle est la plus poétique de toutes; il faut « appeler tous les enchantemens de l'irnagi< nation et tous les intérêts du cœur à son seM cours. » N'crt-ce pas là la maxime du P. Canaye : Point de raison, monseigneur; et comment se retrouve-t-elle eu principe dans les écritg d'un homme qui en a ri comme nous,
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en la trouvant dans la conversation du jésuite avec le maréchal d'Hocquincourt; et n'est-ce pas un grand vice dans la composition qua le soin que l'auteur a pris d'en écarter la raison ?
Du style.
Il nous reste à parler du style dans lequel l'ouvrage est écrit; et sur ce point, nous n'he" siieroui point a reconnaître qu'en beaucoup de parties l'auteur est inspiré par une brillante imagination; qu'il peint, qu'il colore, qu'il anime tout; qu'il a le sentiment du pouvoir du mot mis à sa place , de l'harmonie de la phrase et du balancement du ses parties; que ses petits romans de René et (IA inla, quoique gâtés ch et là par quelques taches, ont mérité leur succès ; que son chapitre des missions , au tome IV, peut être proposé pour modèle aux jeunes écrivains, et à l'auteur lui-même pour le retenir dans cette manière simple et vraie ou se montre le talent d'écrire porté à un très-haut degré ; qu'on peut dire la même chose de tout le livreVI et du quatrième tome, où l'auteur fait l'émunération des services rendue à la société par le christianisme, et d'une infinité de morceaux dont on ferait des
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volumes en les recueillant. Voilh le bien que nous proclamons avec satisfaction ; mais nous ne pouvons dissimuler les défauts que le succès même de l'ouvrage et la réputation de l'auteur peuvent rendre contagieux.
Comment, en effet, n'être pas alarmé pour les intérêts du goût, de voir sept éditions d'un ouvrage où l'on trouve trop souvent des expressions exagérées, des acceptions forcées données aux mois, des figures outrées, des métaphores incohérentes, des phrases obscures, et surtout une recherche qui exclut le naturel et la simplicité, une emphase qui dé* nature les objets pour les agrandir; enfin, comme l'a dit un de nos confrères de l'institut, M. Ginguené, dans une critique judicieuse et spirituelle de l'ouvrage que nous examinons, N un style trop souvent défiguré par de fré« quentes exagérations, des bizarreries, des n expressions de mauvais goût, et même des N fautes de langue. »
Je me dispense de citer des exemples de ces fautes. M. Sicard, notre confrère, ayant rempli cette tâche en même temps qu'il a rendu justice au talent de l'auteur dans les parties où ce talent se montre le mieux.
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Je dirai seulement qu'à raison de ces défauts qu'on ne peut s'empêcher de reconnaître dans h Génie dit Christianisme, la classe ne peut y voir la troisième des qualités que le décret exige, l'élégauce du style au plus haut degré, à moins qu'on n'entende celle qui se trouve dans plusieurs endroits de l'ouvrage seulement.
Je finis par dire que l'examen dont je viens de mettre le résultat sous vos yeux, m'a conduit aux mêmes conclusions que celles que vous avez prises dans votre dernière séance, et que je crois pouvoir énoncer ainsi : 1°. Les idées principales qui sont le fond de l'ouvrage, celles qu'on peut admettre, ne sont pas neuves; ou celles qui sont neuves , ne sont pas justes.
a*. Le plan et la composition sont défectueux par beaucoup de côtés.
5". Le style, taché de grands défauts, abonde en beautés du premier ordre, mérite qui rend à nos yeux l'ouvrage digne de quelque distinction.
.,.-.
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OPINION
tJf, M. LE COMTE
REGNAUD DE Sr.-JEAN D'ANGELY,
si n
LE GÉNIE DU CHRISTIANISME.
ii. tue semble que l'un des motifs qui a déterminé il demander l'avis de la classe sur ItJ (irait? du Christianisme, étant, comme le porte la lettre du Ministre de l'Intérieur, le succès remarquable qu'a obtenu M. de Chateaubriand , il ne serait pas hors de propos de rechercher s'il faut l'attribuer entièrement au mérite littéraire de l'ouvrage.
En examinant cette qnestion, on ne peut s'empêcher de reconnaître que l'esprit de parti a beaucoup contribué a ce succès.
Quand je parle de l'esprit de parti, je n'en-
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tend# pas seulement celui qui s'est armé en faveur de M. de Châteaubriand , niais cuciiro celui qui s'est mis en opposition et a contesté le mérite de l'ouvrage, parce qu'il contestait le mérite des opinions.
C'est, je n'en doute pas, à cette lutte entre les hommes de sentimens si divers, qu'est duc une grande partie de la célébrité du Génie du Christianisme.
Ses nombreuses éditions, ses traductions en plusieurs langues, si elles attestent le talent de l'auteur, si elles sont un hommage an mérite d'une imagination féconde et brillante, malgré ses écarts, d'un style souvent pur et élevé, malgré ses disparates et ses dangereuses nouveautés, n'attestent pas moins que l'auteur a parlé, tant en France que chex l'étranger, à des passions encore animées ou mal éteintes, à des hommes qui ont cru trouver dans son livre l'aliment de leurs ressentimens ou le gage de leurs espérances.
El qu'on ne croie pas, quand je m'exprime ainsi , que je veuille, comme on me l'a reproché injustement à la dernière séance, accuser M* de Châteaubriand ni de ses écrits, ni de l'effet qu'ils ont produit.
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J'ai toujours professé une haute estime pour son talent; j'ai toujours conçu de grandes espérances sur l'usage qu'il en pouvait faire pour la gloire des lettres françaises. Les fautes iin-nic que j'ai reprochées à l'ouvrage, je les ai aussitôt excusées que senties.
Quand l'auteur écrivait h Génie dit Chris- tianisme sur une terre lointaine, tous les regrets l'avaient poursuivi , toutes les douleurs l'avaient déchiré. Aux bords de ce fleuve sauvage dont il a fait une peinture si vraie, si animée, il était, comme les Hébreux aux rives ilo l'Euplirate, livré aux plus tristes souvenirs; ( I quel est l'homme assez dépourvu de sensibilité ou d'indulgence pour lui faire un crime tic n'avoir pas toujours assez soigneusement éloigné de sa plume ce qui pouvait réveiller les resseutimens et rappeler des malheurs que la France entière s'occupait à réparer.
.,.
Mais si je ne veux pas accuser l'auteur, je puis juger son livre et examiner, comme je l'ai dit en commençant, s'il n'a pas réussi autant et plus comme ouvrage de parti que comme ouvrage de littérature.
M. de Châteaubriand a pu ne pas apercevoir
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lui-même la vérité que j'exprime ici. H a déclaré qu'il n'était pas question de révolution dans le Génie du Christianisme (i). Sans doute son intention a été de se tenir parole à lui-même ; mais u't..iI pas plus d'une fols perdu de vue cet engagement 1 c'est ce que j'ai examiné en parcourant de nouveau son livre (a), et le vais, Messieurs, mettre sous vos yeux le résultat de cet examen que sa rapidité a nécessairement dtt rendre imparfait, mais qui sera du moins d'une fidélité scrupuleuse dans ce que je vous rapporterai.
Je passerai sur la partie de l'ouvrage où l'auteur accuse à la fois M. de Voltaire et ses amis d'avoir formé une ligue contre la religion , où il appelle l'Encyclopédie cette Babel des sciences et de la raison (5). 11 n'entre pas dans le plan du court travail que je veux vous présenter, de relever le peu d'équité que M. de Châteaubriand a mis dans son jugement sur le dix-huitième siècle, et sur les nuteurs dont le génie ou le talent ont le plus honoré cette époque qui est trop souvent ju-
(1) Tome V, préface, page j.
(a) Cinquième édition, à Lyon t chez Ballanche.
(3) Tome 1, page 8.
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gée avec ignorance, avec légéreté, avec mauvaise foi, avec injustice, avec ingratitude.
Mais il n'est pas hors de mon sujet de faire remarquer que cette tendance habituelle de l'auteur, cette direction de pensée qu'on retrouve sans cesse dans ses écrits, a été aussi un moyen de compter parmi les défenseurs du Génie du Christianisme, les membres de cette secte plus ardente aujourd'hui à décrier Voltaire, qu'on ne le fut jamais à louer les incontestables services qu'il a rendus aux lettres et à son pays.
Plus loin (i), l'auteur parlant du divorce permis par nos lois, dit : qu'il porte le détordre au stin des familles. en corrompant le cœur, en faisant dit mariage une prosti- tution civile.
J'omets de nombreux passages des trois premiers volumes, parce que le temps me manque pour les recueillir et les citer, et je viens au quatrième volume qui en renferme davantage.
Je trouve que l'auteur, qui, selon sa pré-
i) Tome I, page 86.
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face, ne doit pas parler de la révolution, dit (tom. IV, pag. 24) ; t'('IIp. journée de la bénédiction de la terre. choqua cette Convention qui avait fait alliance rtvec la mort, parce qu'elle était digne d'une telle sociêté.
F, lie voulut séparer le peuple français des autres peuples, et en faire romme des Juifs une caste ennemie du genre humain.
Page 75. Un chapitre entier est consacre à censurer la loi rendue en 1777 , et renouvelée de nos jours pour éloigner les lieux oit reposent les morts, des enceintes qu'habitent les vivans; je ne le transcrirai pas, j'y rcnvoie seulement, ainsi qu'h la note page 76 qui commence par ces mots : Nous passons sous silence les horreurs commises pendant les jours révolutionnaires ; il ny a point d'animal domestique qui ne fût inhumé avec plus de décence que le corps d'un citoyen Jfrançais, etc.
Page 84. Le chapitre IX est consacre h parler de l'ancienne sépulture des rois de France.
Je n'en rapporterai, je n'en blâmerai ici au* cune expression, mais je ferai remarquer la note F a la fin du volume, page 596. Elle contient une espèce de procès-v erbal de l'ex-
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humation de Saint-Denis. Je u'ai pu m'empêcher do me demander quel rapport ce procès-verbal peut avoir avec l'ouvrage, quelle explication il eu a donnée, ce qu'il y a ajouté; ce qu'il a de littéraire, de poétique, de religieux ; enfin, pourquoi même dans les dernières éditions, môme dans ses notes si nombreuses, si étendues, l'auteur ne dit pas un mot des monumens ordonnés, élevés, en ex- piation de ces événemens déplorables.
Je laisse à vous-mêmes, Messieurs, le soin de répondre à ces questions.
Plus loin l'auteur, parlant des missions, après avoir fait un juste éloge du zèle des hommes pieux qui s'y sont consacrés, étend cet éloge jusqu'à ces établissemensdes jésuites dans le Paraguay, monument de l'ambition plus que de la piété de ce corps célèbre, (tom. IV, pag. 200). Puis, passant aux missions de la nuyon., il rentre encore dans les événemens de la révolution, et nous peint (pag. 204), Billdltd-Plftnne M Pichegru dans U% même case à S.r'uamar:r ) etc.
Les hôpitaux rétablis de nos jours avec une bienfaisance si généreuse, j'ai presque dit, si
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prodigue t et les femmes si dignes de respect qui se consacrent à servir la pauvreté et la douleur dans les asiles qui leur sont ouverts, étaient un snjt:t digne de la plume de M. du Châteaubriand, et j'ai regretté de trouver, au lieu de la peinture touchante qu'il était capable d'en faire, le tableau de quelques jours de misère et de crimes dont il n'a pas été té* moin, et qu'il suppose avoir vus pour e.'excu.
ser d'en parler.
Nous avons vu, dit-il (pag. 283), les mfllades, les mourans près de passer, se soule- ver sur leurs couches, et faisant un dernier effort, accabler d'injures les lemmes angé- li(fîtes qui les servaient D'autres femmes semblables à celles-ci. ont dus publiquement fouettées.
Je m'arrête à ce dernier mot, le seul peutêtre de tout l'ouvrage qui contraste avec l'élévation continuelle du style ; et je demande encore, en vous laissant encore à répondre, qui a pu, dans cette page, faire supporter à un auteur, si délicat dans toutes les autres s une disparate aussi étrange ?
Plus loin ( pag. Su ), injuste envers son pays , injuste envers les Médicis, envers Fran-
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rois Ï", envers Louis XIV, l'auteur attribue au saint siège la civilisation de l'Europe.
« C'est une chose assez généralement re« connue, que l'Europe doit au saint siégc « sa civilisation, une partie de ses meilleures u lois et presque toutes ses sciences et ses arts.
« Les souverains pontifes vont maintenant « chercher d'autres moyens d'être utiles aux « hommes; une nouvelle carrière les attend, w et nous avons des présages qu'ils la rempli« ront avec gloire. Rome est remontée à celle Cf pauvreté évangélique qui faisait tout son « trésor dans les anciens jours. Par une conCI formÎlé remarquable, il y a des Gentils à N convertir, des peuples à rappeler 11 l'unité, « des haines à éteindre, des larmes à essuyer, « des plaies h fermer, et qui demandent tous et les baumes de la religion. Si Rome corn« prend bien sa position, jamais elle n'a eu « devant ello de plus grandes espérances et « de plus brillantes destinées. Nous disons « les espérances ; car nous comptons les tribu- « lations au nombre des désirs de FÊgiise de « Jésus-Christ. Le monde dégénéré appelle « une seconde prédication de levangile. le « christianisme se renouvelle et sort victorieux
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< du plus terrible dcs assauts que l'enfer lui ait « encore livrés. Qui sait si ce que nous avons !t pris pour la chute de Pl^glise , n'est pas sa ii réédilication ! Elle périssait dans la richesse if et le repos; elle ne se souvenait plus de la « croix. La croix a reparu, elle sera sauvée. »
Page 344 , on trouve l'apologie de la conduite des papes envers les souverains, en ces termes : « Lorsque les papes mettaient les royaumes « en interdit, lorsqu'ils forçaient les empe« reurs à venir rendre compte de leur conti duite au saint siége, ils ,,'ol'I'ol(caieut, sans rf doute, un pouvoir qu'ils n'avaient pas ; « mais en blessant la majesté du trône, ils <( faisaient peut-être du bien à l'humanité.
« Les rois devenaient plus circonspects ; ils H sentaient qu'ils avaient un frein , et le « peuple une égide. Les rescrits des pontifes « ne manquaient jamais de mêler la voix des fi nations et l'intérêt général des hommes aux « plaintes particulières.
« Il nous est venu des rapports que Phi« lippe, Ferdinand, Henri, opprimait son « peuple, etc. Tel était, à peu près, le début « de tout ces arrêts de la cour de Rome.
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« S'U existait au milieu de l'Europe un « tribunal qui jugeât, au nom de Dieu , les « uations et les monarques, et qui prévint M les guerres et le révolutions , ce tribunal fi serait le chef-d'œuvre de la politique et le « dernier degré de la perfection sociale. Les « papes, par l'influence qu'ils exerçaient sur « le monde chrétien, ont été au moment de a réaliser ce beau songe. »
Je n'ai pas rapporté ce que contient ce quatrième volume sur les congrégations religieuses , milices papales, objets des regrets et des éloges de l'auteur.
Une partie deces opinions peut être défendue par un homme juste, par un bon esprit, surtout par un cœur sensible et une imagination exaltée.
Les bonnes œuvres, les grands travaux des cénobites anciens sont incontestables; mais le temps qui a dénaturé ces institutions, en a amené la fin.
Ceux qui voudraient encore les relever malgré nos lois et en dépit de nos moeurs, ont eu un défenseur éloquent, et la voix de leur reconnaissance a dû se mêler aussi à ces voix nombreuses qui redisaient les passages que j'ai cités.
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J'ai eu occasion de faire remarquer qw les notes à la fin de chaque volume était ut !c plus souvent dans le même esprit que 1rs morceaux rapportes.
<l'est ainsi qu'on retrouve dans le eill'}u«'tnc volume consacré à une collection d'extraits critiques ou apologétiques, la même direction que dans les autres parties de l'ouvrage, et sans doute contre la primitive intention de roulcur; car (p. 12 J, il annonce avoir fait disparaître toutes les allusions dans les nouvelles éditions, et page 13, il assure '/Il(' se llonilietit qui le croient anime >fc l'esprit de parti.
Et cependant, malgré cette intention, malHrc cette résolution auxquelles son esprit s'était arrêté, un entraînement involontaire, une puissance presque irrrésislihle de sentiment et de situation portait l'écrivain vers la direction dont il croyait, sinon s'éloigncr, au moins se tenir a juste distance.
C'est ainsi que l'auteur plaçait au premier rang (préface t. 5, p. 17) les marques de bienveillance du successeur de Léon X et rie Pie VI, tandis qu'il n'a encore parlé nulle part, que je sache, de la bienveillance et de
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la bonté du monarque qui lui a rendu sa patrie, lui a permis la célébrité, en attendant qu'il obtint la gloire.
C'est ainsi qu'au cinquième volume, p. 125, on trouve, à propos de Corneille, ces paroles, qui, retranchées des nouvelles éditions, sont pourtant ainsi reproduites dans les notes ; ces paroles qu'on a besoin de copier, pour s'assurer qu'cllrs ont été écrites. « Le specta« teur demeure près que froid aujourd fini aux « scènes sublimes des Horaces et de Cintia, « derrière (nus ces mots admirables, quoi, vous K me pleureriez mourant pour mon pays, etc.
a On ne voit plus que du sang, des criHlcs.
Il et le langage de la tribune de la Conven- « tion. »
C'est ainsi qu'à la page 258, on insère un fragment de M. de Chateaubriand, où , à propos d'une procession à Lyon , il s'exprime ainsi : « Quelle est cette puissance extraordinaire « qui promène ces cent mille chrétiens sur « ces ruines ; par que! prodige la croix fepaie rait-elle en triomphe dans celte même cite M ou naguère uue dérision horrible la trainait « dans la fange ou le sang d'où renait cette
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« solennité proscrhc? quel chant de misû i fi corde a remplacé si soudainement lu bruit « du cation et les cris des chrétiens foudroyés!
« Ce sont les pèrcfI J les nures, les frères, les « sntuiis, les enfans de ces victimes qui prient < pour les ennemis de la foi, et que vous Il voyez, à genoux de toutes parts aux fcnû- tres de ces naaistJIII délabrées, et sur les « monceaux de pierres où le sang des maru tyrs fume encore 1 Ces collines chargées du Il monastères non moins religieux, parce qu'ils « sont déserts; ces deux fleuves, où la ceo« dre des confesseurs de Jésus-Christ a si lOU- « vent été jetée; tous ces lieux consacrés par ff les premiers pas du christianisme dans les « Gaules; cette grotte de Saint-Potliin, ces cav tacombes d'irénée, n'ont point vu de plus » grande miracles que celui qui s'opère aujour- « d'liui. Si o en 1793, au moment des mitrailla- « des de Lyon, lorsqu'on démolissait les tem« ples, et que l'on massacrait les prêtres; lors- < qu'on promenait dans les rues uu âne chargé » des ornemens sacrés, et que le bourreau, nr« mé de sa hache, accompagnait cette digne « pompe de la raison, si un homme eut dit « alors : avant que dix ans se soient écoulés, » uu archevêque de t'yoo portera publique-
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« ment le saint Sacrement dans ces mêmes « lieux; il sera accompagne d'un nombreux « clergé, des hommes de tout âge et de tou« tes professions, suivront et précéderont la « pompe avec des fleurs et des flambeaux; Il ces soldais trompés, que l'on a armés con« tre la religion , paraîtront dans cette fête « pour la protéger ; si un homme, disons« nous, ettt tenu un pareil langage, il eùt « passé pour un visionnaire. »
Morceau d'éloquence d'autant plus remarquable , que l'amertume des plus cruels sou- venirs n'est adoucie par aucun retour reconnaissant vers le pouvoir régénérateur, qui, dëe-tors, avait relevé les autels et permis à l'étendard sacré de la religion de marcher en.
tonré d'hommages et de respects, au milieu de légions françaises triomphantes, faisant hommage de la victoire au Dieu des armées.
Je m'arrête, Messieurs, moins étonné des erreurs que je viens de relever, dont le connais tant d'exemples avec moins d'excuses, que de tant de talent dans un genre qui n'a point de modèles ; qui aura, j'espère, peu d'imitateurs, et que peut-être abandonnera désormais celui-là même qui l'a créé.
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Il doit aimer ion pays, celui qui, dans Irg déserts de l'Amérique septentrionale, a parlé de la patrie, de son attrait, de son empire» de son amour, comme l'auteur du Gélllë du ihmthnisme,
Depuis que cette patrie lui a été rendue , que de grands et de nobles sujets ont ôlô créés pour une imagination féconde , un esprit clevti, un cœur ardent, une arnn fran- cahe !
Sans doute nous verrons M. de Chàteaubrianil t avec la conscience de son talent que tout le mpnde avoue, et revenant à une impartiale justice que tout le monde a jusqu'ici AU moins le prétexte de contester, réparer des erreurs dont alors on ne parlera plus , et m montrer digne des lettres françaises qu'it peut honorer ; des événement contemporains qu'il peut célébrer.
'1. .,.,.,.
Je conclus, comme je l'ai dit en commençant, qu'après avoir examiné le Génie du vhmtimisim, sous les rapports de sa composition , de son plan, de sou style, de son
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objet, la classe a droit d'examiner si l'esprit de parti n'a pas eu une part considérahle à son sucdts, et c'est un devoir pour elle de le déclarer, si elle le reconnaît.
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OPINION DE M. L'ABBÉ SICARP,
SUR
LE GÉNIE DU CHRISTIANISME.
»»»»*»»»»»»#»»»»
UN des membres de la Commission ayant rappelé à la classe tout ce qui a donne liclt au travail particulier que vous avez, demande à chacun de vos commissaires, et ce membre ayant mis sous vos yeux son opinion sur le plan de l'ouvrage, sur la liaison des parties principales qui eu forment l'ensemble, et sur le but que l'auteur a du se proposer, il ne nie reste plus qu'à vous communiquer mes observations particulières sur ce qui n'a pas été encore remarque.
La première imperfection qui m'a frappé,
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à l'inspection du litre de l'ouvrage, a été ce titre même, et je me suis dit : Le génie d'une institution quelconque n'est-il pas ce qui la constitue ce qu'elle est, son caractère propre, ce b quoi elle tend principalement et où se rapportent tout ses accessoires ?
C'est snns doute ce que son auteur a dia se proposer. Or, le fond, le caractère propre et dominant du christianisme , le but principal de son fondateur, n'a pu être d'exalter l'imagination des portes, des peintres, des sculpteurs, des musiciens et des artistes de toute espèce, des agriculteurs, de faire produire ce qu'on appelle des chefs-d'œuvre des beauxarts destinés à embellir la vie présente, à flatter les sens, ce qui ne servirait guère qu'à faire oublier la vie future; et ce n'est certainement pas l'objet de cette sainte religion » au dire même de l'auteur. Le chris- tianisme, étant une religion de privations, de mortifications et de pénitence, ne peut avoir pour objet d'exalter la tête au point de lui faire produire les chefs-d'œuvre de la musique, de la poésie, de la peinture. Ce n'est donc pas dans une imagination brillante qu'il fallait chercher son génie, sa destination, sou essence. L'apôtre l'avait dit en trois tnoU
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la grtice de Dieu notre Sauveur nous a appris ii vivre avec tempérance, avec justice, avec piété.
Voilà lo vrai génie < 111 c hristianisme , son propre caractère ; telle est la fin lie cette divine institution. C'est là son génie : le chercher ailleurs serait une e le faire servir à d'autres usages serait une véritable pro- fanation, Mais, ne nous y trompons pas, l'auteur n'a pas ignoré, plus que nous, le véritable esprit du christianisme ; il ne s'est pas mépris sur son génie. Il n'y a d'erreur ici que sur le choix du titre , et c'est unique- ment ce choix que je blâme ici.
Un autre objet non moins important a blessé mes regards et m'a paru égalemrnt en contradiction avec ce même titre. Sans doule , un ouvrage de littérature ne doit pas «•Ire un livre de dévotion ; mais chez toutt s les nations, et surtout chez une nation chrétienne , tout écrit doit tourner au profit des mœurs, et surtout quand cet écrit a pour objet principal de placer le christianisme hicn au-dessus de l'ancien polythéisme. Les deux récits de pure imagination qui représentent la peinture de cette passion funeste qui fait
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tant de ravages dans les jeunes cœllfA (i), ne devaient donc pas se trouver tlans l'ouvrage, et l'auteur l'a si bien senti , qu'il a reIrntulié ces deux épisodes dans l'édition des.
tinée aux jeunes gens.
,ft' l'invite à n'être pas moins sévère à l'é- gard de quelques phrases contraires a la sainteté de son hut, et qui forment une disparate choquante avec le ton religieux de l'ouvrage. Ces fautes me paraissent plus graves que celles qui échappent quelquefois h lauleur contre la clarté , l'élégance et la simplicité du langage. Je vais en indiquer un petit nombre de l'une et de l'autre espèce.
« Si l'on arrive , dit-il, en ne croyant « rien , dans le royaume de la solitude, on « en sort en croyant tout. »
A propos de Julie , cette fameuse héroïne de la Nouvelle Héloïse, l'amour en elle, dit M. Chateaubriand, « est une voix trou« blée qui sort d'un sanctuaire de paix, un « cri d'amour que prolonge, en l'adoucissant,
(1) Hoc maximè vitio periclitatur grnut humanum.
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Fccho religieux des tabernacles ». A'riI/wm'!. In cri ,tamou,' Qu'est-ce encore • pie le cri religieux des tabernacles qui pro- longe un cri d'amour en l'adoucissant ?
Je continue : « la religion charme l'esprit sans détruire la partie poétique tic l'anie, * en lui òtant le champ des découvertes et » des désirs, Il Celle même Julie n inspiré cette autre pensée : (t La nature rebelle, saisie toute v iil vante par la grâce , se débat vainement fr dalls les embrassemens du ciel. » Qu'est-ce que ces embrassemens du ciel ?
Ailleurs ou lit ce qui suit : « La beauté dont le chrétien passionné est Il épris ne se montre ici-bas à ses amans que » voilée, et s'enveloppant dans les replis de « l'univers comme dans un manteau. »
Le prophète avait dit que les cieux, que le firmament, que tout l'univers, publiaient la gloire, la bonté, la magnificence de leur auteur. Ici tous ces ouvrages ne sont qu'un voile et un manteau dans les replis duquel le chrétien tâche de les découvrir.
Il La Trinité sainte est la divine charpente
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» de l'univers ; elle a pour ternaire mystique M la cime, la racine et la sève des plantes. »
L'auteur voit la sainte Trinité jusque dans les trois Grâces, dans la vie et la mort de l'homme, et dans les trois dieux qui composaient, en se réunissant, la puissance entière de l'univers. Cet emblèmes sont bien loin d'être dignes de la majesté d'un si grand mystère.
Dans la félicité promise aux élus dans l'autre Vie, l'auteur ne voit qu'une froide uniformité, une fatigante monotonie. Pour prévenir ou dissiper l'ennui des bienheureux, il voudrait que l'cspoir d'un plus grand bonheur leur fût donné, ou même l'attente vague de quelque grande révolution { et si cela ne eunit pas, il est d'avis qu'on rappelle au ciel les affections de la terre, afin qu'on fasse revivre les passions dans l'ame des élus. Voici ses expressions : « Nous pensons que, pour éviter la froideur « et l'éternelle et toujours semblable félicité Cf des justes, il faudrait d'abord essayer d'éta« blir dans le ciel une attente quelconque de « plut de bonheur, ou de quelque grande « époque inconnue dans la révolution des « êtres. Euiuite on y pourrait rappeler da-
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If vantage les choses humaines, soit en tirant » des comparaisons, soit en donnant des afH fectious et même dt's passions aux élus. »
Mais il ne s'agissait pas de créer unciel poétique, il s'agissait seulement de prouver que le ciel des chrétiens est plus poétique que tous les autres, et je crains bien que les petits or- nemens que M. de (Ih?iteaubri.ind voudrait y ajouter, ne fassent croire précisément le con- traire de ce qu'il s'est proposé de persuader.
Ses adversaires pourront dire qu'il ne lui suffit pas de composer des romans pour ce bas inonde, qu'il en compose encore pour l'autre.
Par une suite de sa profonde sensibilité, l'auteur annonce partout l'amour le plus tendre pour les dévotions populaires, dont la religion a presque toujours autant de sujet de se plain.
dre que la raison.
« Qui ne connaît, s'écrie-t-ll, Notre-Dame- ff des-Boi, cette habitante du creux de la « Vieille-Epine, ou du trou moussu de la « fontaine ? elle est célèbre dans tout le ha« meau par ses miracles. Les filles qui ont fi perdu leurs fiancés ont souvent, au clair « de la lune, aperçu les âmes de ces jeunes « hommes dans ce lieu solitaire;effes ont
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ir reconnu leur voix dans les Aoupirs de la a fontaine. Les colombes, qui boivent les eaux ft de la fontaine, ont toujours des œuf» dans « leur nid ; et les fleurs flul croissent sur ses et bords, ont toujours des lioulotis sur leur h tige. Il était convenable que cette sainte « dus foruts fit des miracles doux comme les « mousses qu'elle habite, charmans comme « les eaux qui la voilent. »
De pareils détails sont peu dignes de la grandeur et de la noblesse du sujet, et forment un contraste désagréable avec les morceaux éloquens qu'on trouve à chaque page.
Continuons : « L'esprit de Jehova, porté « d'abord par l'emblème de la douceur et de et l'amour, n'est plus, dès que Dieu se sent « travaillé tilt fosoin rit semer III parole, «cette colombe qui couvrait les hommes de «ses ailes de paix ; il reprend sa consumante « ardeur, c'est un Verbe visible.» - t Ici l'i'«Prit-saint est confondu avec le Verbe.
L'auteur voit partout gravées, dans chaque objet, les paroles et les figures des mystères de l'Incarnation du Verbe : le fleuve, dit-il, sort de la fontaine ; le lion est nourri d'abord d'un lait pareil à celui que suce rORuea",
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Les anciens adorateurs des dieux du paganisme, sont, h ses yeux t de vénérables solitaires qui chantaient leurs dieux sur la lyre, el qui étaient tris-riches d'une vie sainte.
Que deviendrait alors re dogme du c!ms-' tiantsme qui enseigne qu'il n'y a de saiuteta que dans son sein ?
« L'cpouac d'un chrétien n'est pas, selon « l'auteur , une simple mortelle, c'est un être u extraordinaire, mystérieux, angélique : et « pourquoi cela? Parce qu'elle est la chair de » sa choir, le sang de son sang, une partie « de sa substance. »
D'où il suit évidemment que le mari est tout au moins aussi, h ses yeux, non un simple mortel, mais un âtre ejrtmordinaire, un être mystérieux, un être ang<!li(]tte, lies femmes étaient bien plus réellement des êtres extraordinaires, mystérieux, prophétiques chez les anciens Gaulois et dans les forêts des Druides : mais les anciens Gaulois et les Druides n' dtaient pas chrétiens.
Ce qui suit ne nous a pas paru assez naturel , nous y avons même remarqué un peu d'obscurité.
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« C'est pur la mort que la morale est entrée dans la vit*. o Le passage suivant ne nous a pas paru plus duir.
En parlant du moment critique où un jeune homme est sur le point d'éprouver le feu des pussions , « c'est, dit l'auteur, le moment où « Dieu devient l'immense génie dont l'adoles- a cent se sent tout & coup tourmeuté. »
Ailleurs, je trouve une comparaison bien plus singuliere ! f.e sacrement de la confirmai tion, selon M. de Châteaubriand, est comme ces sceptres qui passaient de race en race, chez ces rois IIIUqucI, et sur lesquels les Flandre et les Alosiot-, pasteurs des hommes, s'appuyaient en jugeant les peuples. Certainement le rapprochement d'objets aussi disparates blesse les règles de la justesse des idées, Ailleurs, l'auteur appelle la religion la fille des harpes et des torrens.
et Rien, dit-il, n'est plus religieux que les « caniiquea que chantent, avec les vents, les « chênes et les roseaux du désert. Le musicien, « qui veut suivre la religion dans tous ses rap- u ports, est obligé d'apprendre l'imitation des
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Il harmonies de la solitude. Il faut qu'il conff naisse les notes mélancoliques que rendent « les eaux et les arbres ; il faut qu'il ait étu« dili le bruit des vents dans les cloîtres, et « ces murmures qui régnent dans l'herbe < des cimetières, » Des oiseaux de passage se reposent-ils un instant dans nos forêt, et en reprenant leur vol laissent-ils tomber quelques plumes? l'auteur s'écrie aussitôt : « Heureux les hommes K qui ont quitté la terre sans y laisser d'autres « débris que quelques plumes de leurs ailes 1 Il Ailleurs, c'est une vieille corneille, qui, perchée sur un chêne, avec lequel elle a vieilli, s'y tient immobile et comme pleine de pensées, et abandonne. de temps en temps, aux vents du désert des monosyllabes pro- phétiiques.
Cette pensée rappelle ce vers de Virgile : Sitpr sinistra cavd prœciixit ab UUr mrnix.
C'est ainsi que parlait Virgile, et on sait qu'il n'était pas inspiré par le Génie du Christianisme.
Pour donner une idée du court passage de
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l'homme sur la terre, l'auteur s'exprime ainsi : « L'Eternel a placé la naiisance et la mot 1 « nous la forme de deux fantômes voilés, aux « deux bouts de notre carrière 1 et du haut ilt- « son trône, il a jeté notre vie comme une « petite colonne brisée roulant sans base et « sans sommet dans le vague du temps. »
L'auteur continue : « Dieu ne voulant pns et détruire tout l'homme, inventa la mort com- « me un demi-néant pour punir le pécheur, Il L'Ecriture donne ici un démenti formel h notre auteur; par ces paroles textuelles : Dcu* mortem non secit (1).
L'auteur reprend 1 « Au temps du déluge « les temples se remplirent de pâles supplians,, « qui peut-être avaient renié Dieu toute leur « vie. Mais bientôt on annonça que l'Océan « tout entier était aussi a la porte des tem<( pies » Y avait-il des temples au temps du déluge? C'était le temps de la loi de nature , et le premier qui ait été construit, ne l'a été que par Salomon, sous la loi écrite.
(1) lh la -,,," , lit. I, chap. 1.
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Voulant représenter un paysan sur la porte <1e sa cabane dans une attitude rcm,,, c ; < Voyez-vous, nous dit-il, cette noble figure, « plantée, comme In statue d'un Oim, sur le » seuil d'nne chaumière, ce front sublime.
fi ces épaules ombragées d'une noire dicvcfi lure, et qui semblent encore s'élever cOIn- <( nie pour soutenir le ciel, quoique courbées < sous le poids de la vie. »
Ne trouvera-t-on pas une exagération déplacée dans la peinture du ce paysan, ainsi debout sur la porte de sa cabane ?
L'auteur compare l'ame h un instrument incompleti à une lyre où il manque des cor* des, et oit nous sommes forcés de rendre les accent de la joie sur le ton consacré aux soupirs. En général ( pour parler le langage de l'auteur), la justesse est une corde qui me parait manquer souvent à sa lyre.
M. de Châteaubriand s'étonne, avec raison, que l'étude de la nature ne conduise pas à la conviction de l'existence de Dieu ; il cherche l'explication de ce phénomène. Eh ! qui croirait qu'il la trouve dans les cabinets d'his- toire naturelle?
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« C'est dans ces tombeaux (les cabinets « d'histoire naturelle) où le néant a rassem.
« blé ses merveilles ; c'est là qu'il faut clierH cher la raison du ce phénomène. A force de u se promener dans l'alhmosphèrc des sépul« eres, l'amc du naturaliste athée y a gagne Il ln mort. »
J'ai quelque regret d'être forcé de blâmer cet autre abus de la métaphore. Est-il vrai, en effet, que l'athée le soit devenu dans les cabinets d'histoire naturelle ? car c'est sans doute à l'athéisme que l'auteur donne le nom de mort; et c'est cette mort que l'athée, selon lui, a gagné dans ces cabinets, qu'il appelle des tombeaux.
Ces faits de l'histoire les plus conslans sont que lquefois dénaturés. L'auteur ne craint pas de dire que la loi évangélique a du abolir 1i1 loi naturelle qui favorisait la population au delà de certaines bornes. Pour appuyer cette assertion qu'il serait dillicile de défendre con- tre les reproches d'une sage politique, il dit qu'Abraham parut dans un temps d'innocence ; que Jésus-Christ, au contraire, vint au milieu de la corruption.
L'auteur qui parait si instruit des sainte»
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Ecritures, attrait dn se ressouvenir d'avoir lu , < omme nous, qu'au moment où Abraham parut dans le monde, Dieu n'avait presque plu* ni adorateurs, ni autels; que les mêmes crimes qui ! quelques siècles auparavant, avaient amené le déluge, couvraient de nouveau l'u- nivers ; que l'idolâtrie avait étendu ses sombres voiles sur toutes les nationa, et qu'une extrê- me dépravation de mœurs était l'inséparable compagne de l'idolâtrie. Il suffirait pour s'en convaincre, si on pouvait l'ignorer, de jeter un coup d'oeil sur l'Histoire universelle de Bossuet; on y verroit qu'au moment où Dieu appela A braham, les hommes, ensevelis dans la chair et le sang, n'avaient qu'une idée obscure de la puissance divine ; que le soleil, les astres, le feu, les élémens étaient l'objet du l'adoration universelle; que l'idée de Dieu était si profondément altérée dans la cœur de l'homme, qu'à peine pouvait-on en reconnaltre quelques traits; que, poussé par cette impression aveugle qui le dominait, le genre humain s'enfonçait dans l'idolâtrie sans que rien pût le retenir ; qu'un si étrange mal faisait des progrès si extraordinaires, que, de peur qu'il n'achevât d'infecter tout le genre humain, et n'effaçât tout-h-fait la connaissance de Dfcu,
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Dieu appela d'en haut son serviteur Abraham, dans la famille de qui il voulait établir son culte. Bossuet n'aurait doue pas approuvé l'opinion d'un écrivain qui aurait appelé temps t!fllllOïl'Ilt'" les siècles les plus déplorables et les plus ténébreux* 1 les femmes, que son ouvrage a enchantées, (rt cela devait tire), lui pardonneront dillicilement le trait suivant : « Telles femmes, pendant le règne de la terreur, avaient donné des preuves multie plier* d'héroïsme, de qui la vertu est veff nue échouer contre un bouquet de fleurs, « une Cèle, une mode nuuvelle. »
Mais ces héroïnes dont la vertu a fait, pour si peu de chose, un triste naufrage, ne trou- veront-elles pas à se rassurer contre les remords dans cette maxime générale, qui ôte à Dieu et aux hommes tout droit de s'en plain- ilrel « Dieu, dit M. de Chateaubriand, eu « condamnant la femme à enfanter avec dou« leur, lui a donné une force invincible pour « la peine ; mais, en même temps, il lui a ole; « toute puissance contre le plaisir.
Ne pourront-elles pu dire, s'appuyant sur
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cette maxime, que si elles n'ont, pu résider ii l'attrait du plaisir, c'est que le CIVMUMleur en a ôl«• lui-même toute futissetnee. Ouel molli'«l'excuse cl même «le justification n'auron:rlles pas pour avoir manqué découragé, si le pouvoir, sans lequel il n 'y eu a point, leur a manqué? ( 1 (~,s l'eut-êtrc aussi ce qu'il «lit «les temps des anciens chevaliers n'est-il pas à l'abri de lotit reproche. Ce n'est pas à un chrétien à regretter ces temps antiques , ces temps chevaleresques , ces nui'iirs, ces amours, ces galanteries de tous ces preux , leurs courses vagabondes , leurs défis, leurs cartels , le mélange de leurs superstitions et de leurs faits d'armes , et le grand zèle qui les tenait toujours prots h se battre pour la dame de leurs pensées. La religion pourrait-elle réellement, comme le dit l'auteur, s'en tenir honorée.
Ces chevaliers, dit-il, étaient en amour, tendres et délicats. Cela se peut, lui répondra un chrétien ; mais cela prouve-t-il que!que chose en faveur du christianisme ? Aussi n'est-ce pas aux muurs des chrétiens que notre auteur oppose les mœurs chevaleresques, niais seulement aux mœurs héroïques sons
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le polythéisme, ce qui justifie un peu ce morceau.
Le* Troubadours, dont les poésies étaient tout au moins galantes, et souvent licencieuse*, l'auteur nous apprend que c'est à sainte Geneviève que la France doit ces galuns rimeurs; que c'est le chant de cette vierge, si célèbre par sa vertu austère, qui les a inspirés.
« Do qui les gentilles Caules tiendraient- « elles leurs Troubadours, leur parler naïf, « et leur penchant aux grâces, si ce n'était « du chant pastoral de l'innocence et de la « beauté de leur patrone ( sainte Gene« viève )?
« La virginité , remontant depuis le der« nier anneau des êtres, Jusqu'à l'homme, « passe bientôt de l'homme aux anges, et des « auges a Dieu, où elle se perd..,..,.
Qu'est - ce qu'une virginité qui des pierres passe à l'homme, de l'homme à l'ange , et qui finit par se perdre m Dieu? Tout cela, il faut bien l'avouer nous parait obscur.
Les anthithèses manquent quelquefois de justesse. Les oiseaux qui , dans l'hiver, nous
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viennent du nord pour servir h notre nourriture, l'auteur les appelle la manne des an- tans, et les ossignols les rfnns des zvphirs ; on sait que les autans sont les vents du midi.
On a reproché h M. de Chateaubriand quelques fautes contre la langue ; quelques- unes peuvent être échappées à la négligence des imprimeurs, mais quand même on pourrait les attribuer h un écrivain aussi distingué, n'est-ce pas le cas de se rappeler ici le précepte d'Horace ;
ferritin ubi ptum hi lent mm egn pat icis Ojfrndar mnC'flliJ, , , ,
J'ai dû relever des inconvenances graves qui m'ont paru contraires au but de l'auteur , et qui pourraient, de temps en temps, faire perdre de vue la majesté de son sujet, et déparer la tioblesse et l'élégance habituelle de son style. Je m'arrêterai avec bien plus de plaisir sur les parties de son ouvrage qui doivent exciter une admiration durable et qui en justifient le très-grand succès.
Achevons auparavant de relever tout ce qui peut être l'aliment du blâme , et n'excu-
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80nl pas même ces fautes qui, comme je l'ai dit, pourraient être imputées aux imprimeurs. Ne dissimulons rien, quand ce que nous blâmons est racheté par tant de beautés.
Voici les fautes contre la langue : De peur qu'on EN découvre la fausseté.
Ne serait-il pas possible que la jorme ex- térieure NE participât de l'arche intérieure.
On ne peut douter que les institutions religieuses SERVISSENT an maintien des mœll,.s.
On ne peut se dissimuler que la marine, le commerce SOIENT NÉS de ces institu- tions.
Faute sur le OKNKC.
Au centre tfu If Il monticule* CETTE monticule sonore.
Faute sur le PARTICIPE.
La nation algonquine s'étant ATTIRÉE la haine.
Faute sur le relatif QUELQUE.
De QUEL côté qu'on envisage le culte de l'Evan,;".
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Faute sur le régime indiiibct.
J'eusse T",,:¡,:,.,f d'être jeté aux crocodiles de la fontaine, QUE de me trouver seul ainsi flvccA (fil fl, On lui reproche aussi quelques fautes sur la signification des mots latins.
Il traduit os, par bouche, au lieu de le traduire par visage ou physiowmie. On ne dit pas, pour traduire ces mots, crrro ivtr)u(ur igni, Didon huile d'un feu AVEUGLE; on dit, Didon brûle d'un feu SECREII.
Mais gardons-nous, par une dissection plus long-temps prolon gée , de llélrir des beautés dont on peut dire que la persév érante continuité serait trop fatigante. Un style audacieux , quelques incorrections jetées eh et là, comme des ombres, au lieu de le rebuter, reposent l'esprit. On aime ces hardiesses qui font chercher la pensée de l'auteur, et tout est excusé quand elle est devinée; mais c'est surtout quand on parcourt ces magnifiques tableaux dont nous allons enrichir notre rapport, que tout est excuse. Oni, tout est excusé, et même cet oubli des règles du langage et ces épisodes parasites qui trop souvent coupeut le Itl des idées ; et ces traits d'érudition
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semés sans économie, et qui ne devraient se trouver là que lorsque la nécessite les appellerait ; et ces images souvent trop grandes pour la taille juste des cjuts, et l'incohérence des mots, et leur pompo souvent factice, et les teinlcs exagérées de quelques-unes des couleurs de ses tableaux , et ces abus fréquens de l'imagination la plus riche et la plus poétique, et même cette recherche dans le style qui gâte, par un seul trait manqué, une description qui allait faire passer dans l'ame du lecteur l'enthousiasme de l'écrivain.
Telle est la part que nous avons cru devoir faire à la critique, pour avoir le droit de faire aussi la sienne à la louange.
Mais, nous dira-t-on, peut-être, quelle part peut avoir la louange dans l'examen d'un ouvrage où tant de fautes ont été remarquées, et tant de traits contraires h l'ordre des idées, à leur justesse et à leur fidèle ex pression l Nous demanderons , à notre tour, s'il n'y a rien à louer dans un ouvrage qu'un si grand succès a couronné ; nous demanderons les raisons de ce succès qui fut si éclatant, si extraordinaire , si universel, qui, après un si
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grand nombre d'éditions, est toujours le même ?
On pourrait nous faire la réponse que fit Balzac à Scuderi, lors du succès qui se soutient encore, après plus de cent soixante ans de gloire et de triomphe d'un des plus grands chefs-dcuvre qui ait jamais illustré la scène française.
« Toute la France, disait Balsac , entre eu « cause avec lui ( Corneille ) , et peut-être il M n'y a pas un des juges, dont vous êtes cou- « venus ensemble, qui n'ait loué ce que vous « désires qu'il condamne ; de sorte que , tt quand vos argumens seraient invincibles et et que votre adversaire y acquiescerait, il au« rait toujours de quoi se consoler glorieuse« ment de la perte de son procès, et vous « dire que c'est quelque chose de plus d'avoir « satisfait tout un royaume que d'avoir fait « une pièce régulière. Vous dites, Monsieur, « qu'il a ébloui les yeux du monde, et vous « l'accusez de charme et d'enchantement ; je » connais beaucoup de gens qui feraient va* ft nité d'une telle accusation. »
Ainsi les défenseurs de M. de Châteaubriand, tout en convenant de la justesse de
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notre critique, nous diront que c'est quelque chose de plus d'avoir excite, en faveur de son livre, un enthousiasme universel ; d'avoir mérité qu'il fût traduit dans toutes tes langues ; de le voir, à la faveur de tant d'éditions, dans les mains des lecteurs de toutes les classes ; d'avoir obtenu le suffrage des littérateurs les plus distingués, que d'avoir fait un ouvrage exempt de tous les défauts que nous lui reprochons, lis l'accuseront, si l'on veut, de charme et d'enchantement, comme les ennemis du Cid en accusaient Corneille ; et ainsi que ce grand tragique, M. de Chateaubriand fera vanité de cette accusation.
Balxac continue : « Corneille, Monsieur, « vous avouera qu'il a trompé toute la cour « et tout le peuple; mais que la tromperie, « qui s'étend à un si grand nombre de perM sonnes, est moins une fraude qu'une con« quête, » Les amis de notre auteur nous diront aussi que les fautes que noua relevons sont répandues dans un trèt-petit nombre de pagea où l'auteur traitait des choses les plus relevées de la religion, et que là son imagination dominant son esprit et maîtrisant son goût, il écrivait tous la dictée de cette Jolie,
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sans être assez calme pour consulter la nnsou dont les sages remontrances se Mouvaient toujours couvertes par les cris tumultueux .1e l'imagination.
Ils nous e'il'ont : « Ces mêmes pages où « votre critique minutieuse épluchait les « moindres mot*, et allait chercher ces taches « légères (Ille vous cxag<:re/, est les isolant, « sont étincelantes des beautés du premier te ordre. »
Ils nous diront : et Mais toute la partie hîs« torique oc t ouvrage est ccntc d'une perît fection à laquelle peu d'écrivains peuvent u se flatter d'atteind re ; pas une seule expres« sion vague, pas une épilhète (tlli ne soit « nécessaire, et qui n'ajoute une force nou« velle, une grâce de plus i. l'idée qui l'a ap« pelée; pas une forme de phrase qui ne soit ce facile, harmonieuse, sans que jamais, dans « la période oratoire, il y ait rien de force. »
Ils nous diront : « Voyez quelle vérité dans » les lohlcaux! I/écrivain ne raconte pas, il fe peint d'inspiration, comme si l'original était Cf sous ses yeux, toujours comme d'après nale turc ; voyez comme il écrit ; comme si ses « lecteurs étaient sou auditoire, comme s'il
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« les voyait lui-même l'entendant et parta- fe geant les vives émotions do son aine brti« lante. lih ! qui mieux que lui a pénétré te toutes les ames ? qui nous a jamais révélé « ces jouissances délicieuses qui, dans nos « lectures, nous charmaient sans en connaître ft la raison ? Voyez comme il entre en matière; u voyez le tableau rapide qu'il crayonne de ce u christianisme qui est l'objet inspirateur de et toutes ses pensées, et comparex cette miu niature à tout ce que les anciens ont dit de « plus enchanteur de tous les cultes, de celui « qui favorisait tontes les chimères de l'imau gination , et qui semblait être la religion du « ca-ur, quand il n'était que la religion des » sens.
if FiC christianisme y sublime par l'antiquité « de ses souvenirs, remonte au berceau du « monde; ineffable dans ses mystères, adoet rable dans ses sacreniens, intéressant dans « son histoire, céleste dans sa morale, riche « et charmant dans ses pompes, il réclame « toutes les sortes de tableaux, »
(,' Albane a-t-il jamais rien fait de plus suave ? y a-t-il là un seul mot qu'on puisse ôter ou qu'on puisse remplacer? Ne règne-lil
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pas entre les expressions et les idées In plan grande justesse ? Tout est harmonieux , ai- mable et doux dans cette peinture de la pins belle institution qui fut jamais. On sent que c'est ici la loi de grâce , la loi d'amour ; que de choses en si peu de lignes 1 rien ne manque a ce précis ; l'esprit et le cirur du chrétien y trouvent tout. Ou se demande bi c'est l'écrivain la qui l'on vient d'adresser (luelCJuesléRcrl reproches qui l'a tracé. Mais continuons : ce n'est plus lui, c'est l'enchanteur dont les savantes veilles ont conquis le suffrage de toute l'Europe.
Qu'il est touchant et vrai dans la peinture d'un ouvrage qui amène des tableaux si intéressans !
M Cependant l'obscurité redouble ; les nua« ges abaissés entrent dans l'omhre des bois ; « la nue se déchire et l'éclair trace une rapide « losange de feu. Un vent impétueux sorti « du couchant, roule les nuages sur les nua« ges, les forêts plient, le ciel s'ouvre coup fi sur coup , et à travers ses crevasses on « aperçoit de nouveaux cicux et des campa« gnes ardentes. Quel affreux, quel magui« lique spectacle ! la foudre met le feu dans
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» les bois; l'incendie s'étend comme une che« velure de flammes; des colonnes d'étincelles « et de fumée assiègent les nues qui vomissent « leurs foudres dans le vaste embrasement.
M A lors le grand Esprit couvre les montagnes « d'épaisses teubhres 1 du milieu de ce vaste ff chaos s'élève un mugissement confus formé « par le fracas des vents, le gémissement des « arbres, le hurlement des bêtes féroces, le et bourdonnement de l'incendie et la chute « répétée du tonnerre qui siffle en l'éteignant « dans les eaux. »
Cette peinture est suivie du beau discours de l'hermite, dont nous rapportons un extrait dans ce rapport, et c'est à la fin de ce discours que ce saint prêtre offre le saint sacrifice; c'est ici un des plus sublimes morceaux de l'ouvrage.
« Aussitôt le prêtre divin revêt une tunique « blanche d'écorce de mûriers ; les vases sait crés sont tirés d'un tabernacle au pied de la « croix , l'autel se prépare sur un quartier de » roche, l'eau se puise dans le torrent voisin, » et une grappe de raisin sauvage fournit le » vin du sacrifice. Nous nous mettons tous à
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•< genoux dans les hautes herbes; le myslue « commence.
« L'aurore paraissant derrière les montaif gnes enflammait l'orient ; tout était d'or ou « de rose dans la solitude. L'astre annoncé par « tant de splendeur sortit enfin d'un ahyme de si lumière , et son premier rayon rencontra « l'hostie consacrée, que lo prêtre, eu ce mot( ment, élevait dans les airs. 0 charme de la « religion ! A magnificence du culte chrétien !
« pour sacrificateur un vieil hermite, pour M autel un rocher, pour église le désert, pour M assistons d'innocent sauvages ! Non, je ne u doute point qu'au moment où nous nous « prosternâmes le grand mystère ne s'accom« plit, et que Dieu ne descendit sur la terre ; ft car je le sentis descendre dans mon cœur. »
Écoutons-le à propos du mot mystère : « la « pudeur, l'amour chaste, l'amitié vertueuse « sont pleines de secrets; on dirait que les « cœurs qui s'aiment s'entendent à demi-mot « et qu'ils ne sont qu'entr'ouverts. L'inno« cence, à son tour , qui n'est qu'une sainte tt ignorance, n'estelle pas le plus ineffable « des mystères ?
« L'enfance n'est si heureuse que parce
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tt qu'elle ne sait rien , et la vieillesse n'est si H misérable que parce qu'elle sait tout; mais tf heureusement pour elle, quand les mystères le de la vie finissent, ceux de la niort comf1 mencent. n
Ici on chercherait en vain, ou obscurité, ou emphase, ou incorrection, ou afféterie.
Le morceau est aussi bien écrit qu'il est bien pensé.
Voyez comme l'auteur sait ennoblir les plus simples détails, quand il s'agit de grandes choses : «< Voyons, dit-il, le souverain des « cieux dans une bergerie ; celui qui lance la « foudre dans des bandelettes de lin, celui « que l'univers ne peut contenir dans le sein « d'une femme. Comme l'antiquité eût tiré « parti de cette merveille 1 Quels tableaux un M Virgile ou un Homère ne nous eût-il pas te laissés d'un Dieu dans la crèche, du chant « des pasteurs, des mages conduits par les « étoiles, des anges descendant dans le dé« sert, d'une vierge-mêre ad orant son nou« veau-né, et de tout ce mélange d'innocen« ce, d'enchantement et de grandeur 1 * Ce beau chapitre pouvait-il être terminé
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d'une manière plus totieliaiitet Voici les der- nières images de ce charmant tableau.
« Marie est la divinité de l'innoccnce, de « la faiblesse et du malllcul' (quoi de plus vrai , de plus gracieux (lue cette image ) !
« La foule de ses adorateurs dans nos églises « se compose de pauvres matelots qu'elle a « sauvés du naufrage, de vieux invalides « qu'elle a arrachés h la mort, sous le fer des « ennemis de la France ; de jeunes mores dont tt elle a calmé les douleurs. Celles-ci appor« lent leurs nourrissons devant son image, et ft le cœur du nouveau-né, qui ne comprend « pas encore le Dieu du riel, comprend tléia t( cette diviue mère qui lient un enfant dans « ses bras. »
Comme il sait embellir jusqu'à la couche de l'agonisant, où la mort contre laquelle il avait lutté depuis son entrée a la vie s'apprête à remporter la dernière victoire t « Cet homme n'est plus l'homme du mon« de; il n'apparticnt plus à son pays; toutes « ses relations avec la société cessent; pour « lui, le calcul par le temps finit, et il ne « date plus que de la grande ère de l'éler-
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ft nité (i). Un prêtre assis a son chevet k f( console ; ce ministre saint s'entretient avec « l'agonisant de l'immortalité de l'ame ; et la ct scène sublime que l'antiquité entière n'a rcn présentée qu'une seule fois dans le premier « de ses philosophes mourans, se renouvelle, « chaque jour, sur l'humble grabat du der« niyer des chrétiens qui expire. h Qui mieux que lui n parlé du divorce? et qui pourrait résister à sa logique sentimentale ?
« Celui qui n'a pas fait le bonheur d'une te première épouse ; celui qui ne s'est pas at« taché pour toujours à sa femme par sa ma.
« ternilé première ; celui qui n'a pu dompter « ses passions ou joug de sa famille ; celui qui « n'a pu renfermer son cœur dans sa couche m nuptiale ; celui-là ne fera jamais la félicité « d'une seconde épouse. C'est en vain que « vous y compter ». Lui-même ne gagnera « pas davantage à ses échanges.
« On n'est heureux dans l'objet de son attn« chemcnt que lorsqu'on a vécu beaucoup de M jours, et surtout beaucoup de mauvais jours
(1) Expression sublime d'un Anglais qu'on menait à la mort.
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ff avec lui. Il faut se connaître jusqu'au fond M de l'orne; il faut que le voile mystérieux M dont on couvrait les deux époux dans rR« glise primitive ( 1 ) soit soulevé par eux « dans tous ses replis, tandis qu'il reste im« pénétrable à tous les autres.
M On ne s'attache qu'au bien dont on est « sûr. On n'aime point une propriété qu'on 't peut perdre. Ne donnons point à l'hymen Il les ailes de l'amour; ne faisons point d'une fi sainte réalité un sentiment volage.
« Une chose détruira encore votre bonheur « dans vos liens d'un instant. Vous y serez « poursuivi par vos souvenirs, vouscompn« rerez sans cesse une épouse à l'autre, co « que vous avez perdu et ce que vous avcx « trouvé ; et, ne nous y trompons pas, la bafi lance sera toute en faveur des choses pas« sées. Ainsi Dieu a fait le cœur de J'hommc, N Caresserez-vous votre nouvel enfant?
« vous songeres à celui que vous avez dé.
(e laissé. Tout tend à l'unité dam l'homme.
« Il n'est point heureux s'il se divise ; et com-
(1) Celte cérémonie a encore lieu au mariage dts chrétiens.
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« me Dieu le fil à son image, son amecher« che sans cesse à consacrer en un point le « passe, le présent et l'avenir. »
Y a-t-il rien de plus beau que ce qu'il dit sur les loi!ll" Y n-t-il rien de plus vrai, ricu de plus juste ? Mais ce n'est pas seulement le politique, le philosophe que nous sommes chargés de juger. On remarquera sans doute avec nous que tous ces morceaux sont écrits avec une pureté rare. On dirait que la pensée sort de son esprit avec le vêtement qui lui est propre, avec l'habit qui a pris le pli du ses moindres formes dans sa génération.
« Lois de Dieu, que vous ressemblez leu « à celles des hommes! Eternelles comme le « principe dont vous êtes émanées, c'est en « vain que les siècles s'écoulent ; vous résiste tez aux siècles, à la persécution et à la cor« ruption même des mœurs. Cette législation « religieuse, organisée au sein des législations « politiques, et néanmoins indépendantes de « leurs destinées, est un grand prodige. Tan« dis que les formes des royaumes passent et « se modifient ; que le pouvoir roule de main te en main au gré du sort; que les chrétiens, restés fidèles au milieu de ces inconstances
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'< de la foi tune, continuent d'adorer le mémo « Dieu, de se soumettre aux mûmes lois, il sons se croire dégagés de leurs liens par la « révolution, le malheur et l'exemple ! Quelle « religion dans l'antiquité n'a pris perdu son M influence morale, en perdant ses prêtres et « ses sacri fices ?
« Où sont les mystères de l'antre de Troie phoujufI, et les secrets de Cérès-Eleusine?
« Apollon n'est-il pas tombé tout entier avec CI Delphes, Baal avec Babylone, Scrapis avec « Thèbes, Jupiter avec le Capitole ? Le Chris« tianisme seul a souvent vu s'écrouler les « édifices oit se célébraient ses pompes, sans « être ébranlé de la chute. Jésus-Lhrist n'a « pas toujours eu des temples; niais tout est « temple au Dieu vivant, et la maison des « morts, et les cavernes des montagnes, et « surtout le cœur du juste. »
Rien ne nous a paru plus juste, el eu même temps plus neuf, que le caractère de l'humaine nature comparé avec celui des animaur Aucun métaphysicien, que nous sachions, n'en a donné une notion plus parfaite. L'auteur regardant la loi qui gouverne tous les êtres comme primitivement générale, l'appli-
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que d'abord aux êtres insensibles, et il commence ainsi : cc Si Von jette un regard sur le monde, on « remarquera que, par une loi générale, et « en même temps particulière, toutes les par- « lies intégrantés, tous les mouvemens inté« rieurs ou extérieurs, toutes les qualités des « êtres sont en un rapport parfait. Ainsi les « corps célestes accomplissent leurs révolu« tions dans une admirable unité, et chaque « corps, sans se contrarier soi-même, décrit « en particulier la courbe qui lui est propre.
M Un seul globe nous donne la lumière et la CI chaleur. Ces deux accidens ne sont point « répartis entre deux sphères, le soleil les « confond dans son orbe, comme Dieu dont « il est l'image unit au principe qui féconde « le principe qui éclaire.
« Dans les animaux, même loi ; leurs idées, « si on peut les appeler ainsi, sont toujours « d'accord avec leurs sentimens, leur raison « avec leurs passions ; c'est pourquoi il n'y a « chez eux ni accroissement, ni intelligence.
« Par quelle incompréhensible destinée l'hom« me seul est-il excepté de cette loi si nécesrc saire à l'ordre, à la conservation, h la paix,
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* au bonheur des êtres? Autant l'harmonie « des qualités et des mouvemens est visible M dans le reste de la nature, autant leur désu« nion est frappante dans l'homme. Un choc « perpétuel existe entre son entendement et « son désir, entre sa raison et son cœur.
« Quand il atteint au plus haut degré de ci« vilisation, il est au dernier échelon de la Il morale. S'il est libre, il est grossier : s'il et polit ses mœurs, il se forge des chaînes : M hrille-t-il par les sciences? son imagination « s'éteint : devicnt-il poëte ? il perd la pensée : « son cœur profite aux dépens de sa tête, et « sa tête aux dépens de son cœur. Il s'oppau- a vrit en idées à mesure qu'il s'enrichit en w sentimens; il se resserre en sentimens à me« sure qu'il s'étend en idées. La force le rend « sec et dur, la faiblesse lui amène les grâ- It ces. Toujours une vertu le conduit à un vice, w et toujours, en se retirant, un vice lui déce robe une vertu.
«
M Ainsi, l'homme tel que nous le voyons n'est « vraisemblablement pas l'hommc naturel. Il « contredit la nature : déréglé quand tout est « est réglé, double quant tout est simple, « mystérieux, changeaot, inexplicable; il cet
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que d'abord aux êtres insensibles, et il com- mcnce ainsi : « Si l'on jette un regard sur le monde, on « remarquera que, par une loi générale, et « en mcrne temps particulière, toutes les par« lies intégrantes, tous les mouvemens inté« rieurs ou extérieurs, toutes les qualités des « êtres sont en un rapport parfait. Ainsi les « corps célestes accomplissent leurs révolurt lions dans une admirable unité, et chaque « corps, sans se contrarier soi-même, décrit « en particulier la courbe qui lui est propre.
« Un seul globe nous donne la lumière et la Il chaleur. Ces deux accidens ne sont point tf répartis entre deux sphères, le soleil les « confond dans son orbe, comme Dieu dont « il est l'image unit au principe qui féconde « le principe qui éclaire.
« Dans les animaux, même loi ; leurs idées, « si on peut les appeler ainsi, sont toujours « d'accord avec leurs sentimens, leur raison a avec leurs passions; c'est pourquoi il n'y a « chez eux ni accroissement, ni intelligence.
« Par quelle incompréhensible destinée l'hom(c me seul est-il excepté de cette loi si nécesrf saire à l'ordre, à la conservation, à la paix,
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« au bonheur des êtres? Autant l'harmonie « des qualités et des mouvemens est visible M dans le reste de la nature, autant leur désuci nion est frappante dans l'homme. Un choc « perpétuel existe entre son entendement et M son désir, entre sa raison et son cœur.
« Quand il atteint au plus haut degré de ci- « vilisation, il est au dernier échelon de la « morale. S'il est libre, il est grossier : s'il « polit ses mœurs, il se forge des chaînes : ci brille-t-il par les sciences ? son imagination « s'éteint : devient-il poète ? il perd la pensée : « son cœur profite aux dépens de sa tète, et ci sa tête aux dépens de son cœur. Il s'appau« vrit en idées à mesure qu'il s'enrichit en « sentimens ; il se resserre en sentimens à me« sure qu'il s'étend en idées. La force le rend « sec et dur, la faiblesse lui amène les grà« ces. Toujours une vertu le conduit à un vice, « et toujours, en se retirant, un vice lui dé« robe une vertu.
«
« Ainsi, l'homme tel que nous le voyons n'est « vraisemblablement pas l'homme naturel. Il « contredit la nature : déréglé quand tout est « est réglé, double quant tout est simple, « mystérieux, changeant, inexplicable ; il est
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« visiblement dans l'état d'une chose qu'un ac.
« cident a bouleversée. C'est un palais écroulé « et rebâti avec ses propres ruines ; on y voit « des parties sublimes, et des parties hi« deuses, etc. ; en un mot, la confusion, le « désordre de toutes parts, surtout au sanc« tuaire. » Puuvait-on exprimer d'une manière plus éloquente la grande pensée de Pascal sur le mystère do l'homme, dont la dégradation est l'explication la plus claire de cette contradiction entre sa raison et ses désirs ?
L'auteur ne parle pas d'une manière moins énergique de l'existence d'un premier être.
« Il nous semble bien infortuné, l'astro« nome qui passe les nuits à lire dans les « astres, sans y découvrir le nom de Dieu !
H Le problème de la divinité n'est-il point « résolu dans les calculs mystérieux de tant « de soleils ? Une algébre aussi brillante ne « peut-elle servir à dégager la grande in« connue ? » -
Mais un sujet si grand lui parait exiger plus de force encore et des couleurs plus rembrunies.
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Dans ses méditations profondes, il se demande s'il n'y a au monde que quelques hommes qui, tout environnés qu'ils sont de toutes sortes d'encts, sont assez insensés pour nier l'existence des causes; et aussitôt son burin indigné, pour l'instruction et l'effroi des races futures qui croiront h peine à la parfaite ressemblance, grave ainsi le tableau du monstrueux modèle qui en a fourni les épouvantables traits.
« Eli ! comment concevoir qu'une femme « puisse être athée ? Qui appuyera ce roseau, u si la religion n'en soutient la fragilité ?
« Etre le plus faible de la nature, toujours « à la veille de la mort, ou de la perte de « ses charmes ! qui le soutiendra cet être qui « soupire et qui meurt , si son espoir n'est m point au delà d'une existence épbemère ?
« Par le seul intérêt de sa beauté, la femme « doit être pieuse. La douceur, la soum isu sion, l'aménité, la tendresse furent une « partie des ebarmes que le Créateur pro« digua a notre première mère, et la phi- « losophie est mortelle à cette sorte d'at« traits w .,.,.
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« La femme renonçant au doux instinct (i de son sexe, n'a, d'une main faible et té« méraire, chercher à soulever l'épais rideau m qui couvre la Divinité 1 A qui pense-t-elle » plaire par cet effort ridicule et sncrildgc '!
« croit-elle nous donner une grande idée de « son génie, en joignant ses petits blasphè« mes et sa frivole métaphysique aux impré« cations des Spinosa et aux sophismes des « Bayle? Sans doute elle n'a pas dessein de « se choisir un époux; car quel est l'homme « de hon sens qui voudrait s'associer une M compagne impie ?
» L'épouse incrédule a rarement l'idée de « ses devoirs : elle passe ses jours, ou à rai« sonner sur la vertu sans la pratiquer, ou « à sui vre ses plaisirs dans le tourbillon du « monde. Sa tête est vuide, son ame est « creuse, l'ennui la dévore. Elle n'a ni Dieu « ni soins domestiques pour remplir l'abyme « de ses momens.
« Mais le jour vengeur approche ; le temps « arrive menant la vieillesse par la main. Le « spectre aux cheveux blancs, aux épaules « voûtées, aux mains de glace, s'assied sur « le seuil du logis de la femme incrédule ;
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Cf elle l'aperçoit et pousse un cri ; mais qui « peut entendre sa voix? Est-ce un époux ?
« 11 n'y en a plus pour elle. Depuis long« temps il s'est éloigné du théâtre de son dés« honneur. Sont-ce des enfans? perdus par « une éducation impie et par l'exemple ma« ternel, se soucient-ils de leur mère ? Si M elle regarde dans le passé, elle n'y voit « aucune route ; car ses vertus n'y ont point « laissé de traces. Pour la première fois, sa « triste pensée se tourne vers le ciel, elle « commence à croire qu'il eût été plus doux « d'avoir une religion. Regret inutile ! la « dernière punition de l'athéisme dans ce « monde est de désirer la foi sans pouvoir « l'obtenir.
« Quand, au bout de sa carrière , on re- « connaît les mensonges d'une fausse philo« sophie ; quand le néant, comme un astre « funeste, commence à se lever sur l'hori« zon de la mort, on voudrait revenir à Dieu, « et il n'est plus temps : l'esprit abruti par « l'incrédulité rejette toute conviction. Oh !
« qu'alors la solitude est profonde, lorsque « la Divinité et les hommes se sont retirés à « la fois! Elle meurt cette femme ; elle ex-
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'i pire entre les hras d'une garde payée, ou « d'un homme dégoûté par ses souffrances, Il qui trouve qu'elle a résisté au mal bien « des jours; un cercueil de quelques pieds « de long renferme toute l'infortunée. On ne « voit à ses funérailles ni une fille écheve« lée, ni des gendres et des petits-fils en fi pleurs, digue pompe, qui, avec la béné« diction du peuple et le cliant des prêtres, « accompagne au tombeau la mère de fa« mille. Peut-être seulement quelque fils in« connu , qui ignore le secret de sa triste « naissance, rencontre par hasard le convoi; « il s'étonne de l'abandon de cette y « et demande le nom du mort aux quatre « porteurs qui vont jeter aux vers le cadavre « qui leur fut promis par la femme athée. n On a dû remarquer dans les fragmensdéjà cités, et l'on remarquera sans doute dans ceux que nous citerons encore, une grande perfection de style, et une élégance continue.
Il règne surtout un ton d'élévation très-remar- quable soutenu par la magie du langage souvent oriental, un goût antique uni à la plus élégante simplicité, et à ce que la grâce peut avoir de plus charmant et de plus suave.
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Quelquefois, comme on vient de le voir dans la mort de la femme athée, c'est une force imposante qui accable l'ame de tout le poids du vice dont Fauteur cherche à inspirer l'horreur.
Qui pourrait sans frémir y arrêter ses regards?
Rien ne nous a paru plus touchant que ce qu'il dit de l'homme chassé du lieu qui le vit naître, à propos des migrations des oiseaux.
H L'oiseau, dit-il, n'est banni, un mou ment, que pour son bonheur ; il part « avec ses voisins, avec son père et sa M mère, avec ses frères et ses soeurs; il ne « laisse rien après lui. Il emporte tout son « cœur. La solitude Ini prépare le vivre et le « couvert ; les bois ne sont point armés contre « lui ; il retourne enfin mourir aux bords qui « l'ont vu naître. Il retrouve le fleuve, l'arbre, « le nid, le soleil paternel; mais le mortel « chassé de ses foyers y rentre-t-il jamais ?
« Hélas 1 l'homme ne peut dire en naissant « quel coin de l'univers gardera ses cendres, « de quel côté le souffle de l'adversité les « portera et ",","", « II ne trouve pas, ainsi que l'oiseau, « l'hospitalité sur la route ; il frappe et on
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< n'ouvre pas; il n'a pour appuyer ses os fp« tigués, que la colonne du chemin public, « ou la borne solitaire de deux héritages.
« Souvent même on lui dispute ce lieu de u repos, qui, placé entre deux champs, « semblait n'appartenir à personne. On le « force à continuer sa route vers de nouveaux « déserts. Le bail qui l'a mis hors de son pnys, (t semble l'avoir mis hors du monde ; il meurt « et il n'a personne pour l'ensevelir. Son corps « gît délaissé sur un grabat d'où le juge est « obligé de le faire enlever, non comme le « corps d'un homme , niais comme une immondice dangereuse au vivans.
(i N'espérons que dans le ciel, et nous ne « craindrons plus l'exil.
11 est enchanteur quand il a l'occasion d'exprimer des setimens tendres. Ecoutez ce qu'il dit du serpent à sonnettes.
« Le serpent à sonnettes le dispute au « crocodile en affection maternelle. Ce su« perbe reptile qui donne à l'homme des « leçons de générosité, lui en donne encore « de tendresse. Quand sa famille est pourri suivie, il la reçoit dans sa gueule; peu
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u content des lieux oit il pourrait se cacher , « il la fait rentrer en lui, ne trouvant point « d'asile plus sur pour des enfans que le sein « d'une mère. Exemple d'un amour sublime » « il ne survit point à la perte (le ses petits ; « car pour les lui arracher, il faut les exhu« mer de ses entrailles. »
Nous ne pouvons résister au désir de retracer ce qu'il raconte de la génération des (leurs.
« Dans le moment où tout est tranquille, « un grand mystère s'accomplit. La nature 4concoit et ses plantes sont autant de jeunes « mères tournées vers la région m ystérieuse « d'où leur doit venir la fécondité. Des « sylphes ont des sympathies moins aérieu« nés, des communications moins invisibles.
« Le narcisse livre aux ruisseaux sa race « virginale ; la violette confie aux zéphirs « sa modeste postérité ; une abeille cueille (c du miel de fleurs en fleurs , et sans le « savoir, féconde toute une prairie; un pa« pillon porte un peuple entier sur son aile ; « un monde descend dans une goutte de p m rosée.
[ « La fleur donne le miel; elle est la fille
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et du matin , le charme du printemps, la « source des parfums, la grâce des vierges, « l'amour des portes. Elle passe vite comme « l'homme, mais elle rend doucement ses « feuilles à la terre. On conserve l'essence » de ses odeurs , ce sont ses pensées qui lui « survivent. »
Nous avons surtout remarqué le morceau où l'auteur, nous dirions presque le poöte, nous peint les premières pensées de l'homme, au sortir des mains du Créateur. Voici comment il dessine ce tableau.
« Rien de plus auguste , ni de plus inté« ressaut que celle élude des premiers mou- « vemens du cœur de l'homme. Adam s'é« veille à la vie ; ses yeux s'ouvrent; il ne « sait d'où il sort, il regarde le firmament; « par un mouvement de désir, il veut s'élanti cer vers cette belle voûte, et il se trouve « debout, la tète orgueilleusement levée vers et le ciel ; il touche ses membres, il court, « il s'arrête ; il veut parler et il parle ; il « nomme naturellement tout ce qu'il voit. Il « s'écrie: 6 toi, soleil ; vous, arbres, forêts, ce collines , vallées , animaux divers ! et « tous les noms qu'il donne sont les vrais
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« noms des choses. Et pourquoi Adam s'a« dresse-t-il au soleil, aux arbres ?
« Soleil, arbres, dit-il, savez-vans le nom « de celui qui m'a crée ? Ainsi le premier sen« liment de l'existence de l'homme, le pre(f mier besoin qu'il manifeste est le besoin do « Dieu. Que Milton est sublime dans ce pas'< sage, et qu'il est loin par delà des Homère « et des Virgile ! Mais eût-il atteint ces IlanIf teurs s'il n'eût connu la véritable religion ? En considérant seulement en critique l'épisodede René, peut-on ne pas convenir qu'il ne fut jamais rien pensé de plus parfait dans le genres du sentiment, de la connaissance profonde du cœur humain, de ses désirs, de ses vouloirs inconstans et variés, de ses incertitudes, de ce vague dans ses résolutions qui se succèdent, se détruisent , se renouvellent sans cesse ?
Tout ce morceau est un drame où un seul acteur semble se multiplier, etsans monotonie, occuper toujours la scène et intéresser sans cesse les spectateurs. Quel tableau que celui de la sœur de René, faisant à son frère la touchante confidence du passé et de l'avenir î Quelle peinture que celle du sacrifice d'Améhe, s'immolant sur l'autel de la religion, et
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laissant échapper ce grand secret d'une passion criminelle qui l'avait commandé 1 On serait tenté d'excuser ce dangereux récit en faveur de la leçon terrible qui en est le fruit, et de cette belle pensée qui le termine. « Ainsi, dit « René, toute pensée coupable, toute action M criminelle, entraîne après soi les désordres « et les malheurs. »
Fidèle à son principe, qui consiste h prouver combien la religion du Christ est supérieure à celle des paiens, même dans ses moyens poétiques, l'auteur profite de toutes les occasions d'en offrir le rapprochement.
Voici comment il caractérise et le Dieu des chrétiens et ce Jupiter dont la fable est si fière.
« A la voix du premier, les fleuves rebrous« sent leurs cours, le ciel se roule comme un « livre , les mers s'entrouvrent, les murs des « cilés se renversent, les morts ressuscitent, » les plaies descendent sur les nations. En lui « le sublime ex iste de soi- même, et il épargne « le soin de le chercher. Le Jupiter d Homère, « ébranlant le ciel d'un signe de ses sourcils, « est sans doute fort majestueux ; mais Jehova « descend dans le chaos, et lorsqu'il prononce
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« lefiat lux, le fabuleux fils de Saturne s'a« byme et rentre dans le néant. »
S'agit-il de considérer le christianisme sous le rapport de l'histoire, voici comment l'auteur démontre sa supériorité sur tout autre moyen.
« Celui-là connaîtra mieux les hommes, « qui aura long-temps médité les desseins de « la Providence, celui-là pourra démasquer 81 la sagesse humaine, qui nura pénétré les « ruses de la sagesse divine. Les desseins des « rois, les abominations des cités, les voies « iniques et détournées de la politique, le « remuement des cœurs par le fil secret des « passions ; ces longues inquiétudes qui sai« aissent par fois les peuples; ces transmutait tions de puissance du roi au sujet, du noble « au plébéien, du riche au pauvre ; tous cet « ressorts resteront inexplicables pour vous, « ai voua n'avez, pour ainsi dire, assisté au « conseil du Très-Haut, avec ces divers es« prits de force, de prudence, de faiblesse « et d'erreur qu'il envoie aux nations qu'il « veut ou sauver ou perdre. Mettons donc « l'éternité au fond de l'histoire des temps, « rapportons tout à Dieu, comme à la cause
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ff universelle. Qu'on vante tant qu'on voudra « celui qui, démêlant les secrets puérils de « nos cœurs , fait sortir les plus grands cvé<( nemens des sources les plus misérables.
« Dieu, attentif aux royaumes des hommes ; « l'mpiété, c'est-à-dire l'absence des vertus « morales, devenant la raison immédiate des (t malheurs des peuples ; voilà, ce nous semble, « une base historique bien plus noble et aussi t( bien plus certaine que la première. »
Mais le chapitre que M. de Châteaubriand a travaillé avec le plus de complaisance et de talent, c'est celui où il a considéré Bossuet comme historien. 11 faudrait le transcrire en entier.
« L'évêque de Meaux, politique comme « Thucydide, moral comme Xénoplion, élo« quent comme Tite-Live ; il a de plus une « parole grave, un tour sublime dont on ne « trouve ailleurs aucun exemple, hors dans « l'admirable début du livre des Machabées ; « Bossuet est plus qu 'un historien, c'est un « père de l'Église, c'est un prêtre inspiré qui n souvent a le rayon de l'eu sur le front comme « le législateur des Hébreux. Quelle revue il « fait sur la terre ! il est en mille lieux à la
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« fois ! patriarche sous le palmier deTophel, « ministre à la cour de Dabylone, prêtre à M Memphis, législateur à Sparte, citoyen à « Athènes et à Home, il change de temps et cc de place à son gré ; il passe avec la rapidité » et la majesté des siècles , la verge de la loi u à la main, avec une autorité incroyable ; il « chaise pèle - mêle devant lui et Juifs et « Gentils au tombeau. Il vient enfin lui-même « à la suite du convoi de tant de générations, « et marchant appuyé sur Isaïe et sur Jérécc mie, il élève ses lamentations prophétiques « à travers la poudre et les débris du genre u humain. »
M. de Chateaubriand le compare il Taci te, faisant remarquer que c'est autant h la religion qu'à son talent que l'aigle de Meaux doit sa supériorité. Voici les deux morceaux qui servent à ce parallèle. Voici celui de Tacite, en parlant des Bruclaires qui s'égorgèrent, à la vue d'un camp romain.
« Par la faveur des Dieux , nous eûmes le « plaisir de contempler ce combat, sans nous « y mêler. Simples spectateurs, nous vîmes « (ce qui est admirable) soixante mille homo mes s'égorger sous nos yeux, pour notre
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« amusement. Puissent les Nations, au dé« faut d'amour pour nous, entretenir ainsi Cf dans leur cœur, les unes contre les autres, « une haine éternelle ».
VOICI BOSSUE T.
« Ce fut après le déluge que parurent ces « ravageurs de provinces, qu'on a nommes » couquerans y qui , poussés par la seule « gloire du commandement, ont exterminé « tallt d innocens. Depuis ce temps, l'am« bition s'est jouée, sans aucune borne, de « la vie des liommes. Ils en sont venus à ce « point de s'entretuer sans se haïr : le comble « de la gloire et le plus beau de tous les arts « a été de se tuer les uns les autres. »
Voici encore deux traits à peu près pareils, à l'appui du système de l'auteur qui fait la base principale et le but essentiel de son ouvrage.
T A C I T E.
« D'après ces faits et quelques autres, je ne « sais si les choses de la vie sont assujetties « aux lois d'une immuable nécessité, ou si « elles ne dépendent que du hasard. »
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BOSSUIT.
« Ce long enchaînement de causes parti« culières qui font et défont les empires, « dépend des ordres secrets de la divine « Providence. Dieu tient, du plus haut des « deux, les rênes de tous les royaumes ; fi il a tous les cœurs dans sa main. Tantôt il « retient les passions, tantôt il leur lâche la « hride, et par là il remue tout le genre huir mai n.
cc Il connaît la sagesse humaine, toujours « courte par quelque endroit; il l'éclaire, il « étend ses vues, et puis il l'abandonne h ses « ignorances « C'est lui qui prépare les effets dans les « causes les plus éloignées, et qui frappe ces » grands coups dont le contre-coup porte si « loin. Mais que les hommes ne s'y » trompent pas. Dieu redresse, quand il lui « plaît, le sens égaré, et celui qui insultait à « l'aveuglement des autres tombe lui-même dans des ténèbres plus épaisses, sans qu'il « faille souvent autre chose pour lui renverser le sens, que de longues prospérités. n
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Voici ce que l'auteur dit de ce même Bossuet, considéré comme orateur.
« Penché comme sur les gouffres de J'éter» ii i te, Bossuet y laisse tomber sans cesse ces m grands mots de temps et de mort, qui vont « troublant de leur chute, tous ces abymes si.
« Icncieux. Il se plonge, il se noie dans des « mélancolies incroyables, dans d'inconce« vables douleurs.
«
« Mais comment l'évêque de Meaux, sans « cesse au milieu des pompes de Versailles, « a-t-il connu cette profondeur de rêverie?
« C'est qu'il a trouvé dans la religion toute « une solitude; c'est que son corps était dans « le monde et son esprit au désert. C'est qu'on « le voyait courir aux autels, pour goûter, « avec David, un humble repos, et s'enfonC( cer dans sop oratoire, où, malgré le tu« multe de la cour, il trouvait le carmel cc d'Elie, le désert de Jean, et la montagne si « souvent témoin des gémissemens de Jésus ».
M. de Chateaubriand ne pouvait oublier de nous parler de Bossuet comme orateur. C'est ici que les anciens et les modernes sont surpassés et que la religion triomphe. Laissons
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parler notre écrivain s'élevant presque à la hauteur du style bossuétique.
« Quand, ayant mis Condé au cercueil, il « appelle les peuples, les princes, les prélats, « les guerriers au catasalque des héros ; quand « enfin, s'avançant lui-même avec ses cheveux « hlancs, comme un grand fantôme , il fait « entendre les accens du cygne, se montrant « un pied dans la tombe , et le siècle de « Louis , dont il a l'air de faire les funé« rai lles, prêt a s'abymer dans l'éternité ; à (f ce dernier effort de l'éloquence humaine, (( les larmes de l'admiration sont tombées de « nos yeux et le livre de nos maius. »
Nous aimons à nous rappeler l'arrivée du pélerin dans sa famille.
cc La première personne qui vient au de« vant de lui, c'est sa femme relevée de cou« clic ; c'est son fils retrouvé; c'est son vieux « père tout ra jeuni.
« Heureux , reprend l'orateur , heureux « troisou quatre fois heureux ceux qui croient !
« Tous leurs jours sont d'aimables prodiges; « ils ne pèsent sourire sans compter qu'ils « souriront toujours : ils ne peuvent pleurer,
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« sans penser qu'ils touchent & la fin de leurs tr larmes. Non , leurs pleurs ne sont point « perdus ! la Religion li-s reçoit daus son « urne et les présente à l'Éterncl. »
Pourrions-nous passer sous silence , au milieu de tant de belles choses, le superbe discours du père Aubry ? Kl quel autre écrivain oserait ici disputer d'eloquence et de gloire? c'est le cœur qui va parler.
« Ma fille, dit le bon père avec un doux te sourire, si les Indiens idolâtres m'ont affligé, u ce sont de pauvres aveugles que Dieu éclai« rera un jour. Je les chéris même davantage, « en proportion des maux qu'ils m'ont faits ; « je n'ai pu rester dans ma patrie où j'étais « retourné , et où une illustre reine m'a fait « l'honneur de vouloir contempler ces faibles « marques de mon apostolat. El quelle récom« pense plus glorieuse pouvais-je recevoir de If mes travaux que d'avoir obtenu du chef « auguste de notre religion la permission de M célébrer le divin sacrifice avec ces mains « mutilées? Il ne me restait plus, après un « tel honneur, qu'à tâcher de m'en rendre « digne. Je suis revenu dans ces déserts « consumer le reste de ma vie au service de
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« mon Dieu. Il y a bientôt treute ans que « j'habite cette solitude, et il yen aura demain it vingt-deux que je suis établi dans ce rocher.
« Quand j'arrivai dans ces lieux, je n'y trou« vai que des familles vagabondes dont les « mœurs étaient féroces et la vie fort mise« rable. Je leur ai fait entendre la parole de (i paix , et leurs mœurs se sont graduellement M adoucies. Ils vivent maintenant rassemblés « dans une petite société chrétienne, an bas « de cette montagne. J'ai taché , en les ins« truisant dans la voie du salut, de leur en« seigner les premiers arts de la vie, mais « sans h s porler trop loin, et en retenant ces « honnêtes gens dans cette simplicité qui fait « le bonheur. Pour moi , craignant de les « gêner par ma présence, je me suis retiré a dans cette grotte où ils viennent me con« sulter. C'est ici que , loin des hommes, « j'admire Dieu dans la grandeur de ces « solitudes, et que je me prépare à la mort « que m'annoncent mes vieux jours. »
L'écrivain n'est pas moins touchant, moins sublime dans sa simplicité , moins éloquent dans les dernières paroles qu'il adresse à Atala. Nous ue pouvous nous défendre d'en
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rappeler ici quelques-unes : que ne pouvonsnous les rappeler toutes! mais nous serions trop longs.
« Quant à la vie, dit le bon père Aubry, « si le moment est arrive de vous endormir u au Seigneur; ah! nia chère en fant , que M vous perdez peu de chose en perdant ce « monde 1 Malgré la solitude où vous avei, '< vécu, vous avez connu les chagrins; que « penseriez-vous donc si vous eussiez f!tü « témoin des maux de la société ; si en 'f abordant sur les rivages de l'Europe votre « oreille eut été frappée de ce long cri de « douleur qui s'élève de cette vieille terre?
« L'habilant de la rabane et celui des palais , « tout souffre, tout gémit ici bas. Les l'cilles « ont été vues pleurant comme de simples « femmes, et l'on s'est étonné de la quantité u de larmes que contiennent les yeux des et rois.
« Enfin , ma chère fille , le grand tort des « hommes , dans leur songe de bonheur, est H d'oublier cette infirmité de la mort attachée « h leur nature ; il faut finir, il faut se dis- « soudre.
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w Tôl 011 lard, quelle qu'eut été votre féli« cité, ce beau visage se fut changé en cette « figure uniforme que le sépulcre donne à « toute la famille d'Adam. L'œil nicmc de te Chactas n'aurait pu vous reconnaître entre M vos sœurs de la tombe : l'amour n'étcnd « pas son empire sur les vers du cercueil.
« « « Remerciez donc la bonté divine, ma chère « fille, qui vous retire si vite de cette vallée « de misère. »
Que de traits sublimes, qui s'effacent les uns les autres, je pourrais encore citer, et qui rendent si touchante la lecture de cet ouvrage ! que de pensées sublimes qui en commencent ou qui en couronnent les divers tableaux !
En voici quelques-unes, prises au hasard, en le parcourant : « Sans doute elle fut révélée par le ciel « cette religion qui fit une vertu de l'espé« rance.
,CI Il n'y a de puissance que dans la con« viction.
« Les martyrs, sans armées, sans légions,
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« ont vaincu les tyrans, adouci les lions , « ôté nu feu sa violence, et au glaive sa « pointe.
« De la foi naissent les vertus de la so(e ciété , puisqu'il est vrai, du consentement « unanime des sages , que le dogme qui « commande de croire en un Dieu rémuné« rateur et vengeur, est le plus ferme sou« tien de la morale et de la politique.
« Foi céleste !. Foi consolatrice ! tu u fais plus que transporter les montagnes , « tu soulèves les poids accablans qui pèsent « sur le cœur de l'homme. » Combien d'autres pensées qu'on aime a retenir! « Per« suadez-vous que le prédestine a la con« viction intime que son bonheur ne finira « pas.
« Le goût est le bon sens du génie. »
Le portrait du serpent ne doit pas être oublié.
« Tout est mystérieux, caché, étonnant « dans cet incompréhensible reptile. Ses mouir vemens diffërent de ceux de tous les auit très animaux. On ne saurait dire où git « le principe de son déplacement ; car il n'a
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« ni nageoires, ni pieds, ni ailes, et cepen« dantil fuit comme une ombre, il s'évanouit « manquement, il reparait, disparait en« core, semblable à une petite fumée d'a« sur, ou aux éclairs d'un glaive dans les « ténèbres. Tantôt il se forme en cercle et If darde une langue de feu ; tantôt t debout et sur l'extrémité de sa queue, il marche « dans une attitude perpendiculaire ; comme « par enchantement, il se jette en orbe, « monte et s'abaisse en spirale, roule ses auft neaux comme une onde , circule sur les « branches des arbres, glisse sous l'herbe « des prairies, ou sur la surface des eaux : « ses couleurs sont aussi peu déterminées « que sa marche ; elles changent aux divers « aspects de la lumière, et, comme ses mou« vemens, elles ont le faux brillant et les va« riétés trompeuses de la séduction. »
Pourquoi Dieu détermina-t-il l'ange superbe à paraître plutôt sous cette forme que sous une autre ? dit M. de Châteaubriand ; et il répond que l'Ecriture nous l'insinue, en disant que le serpent était le plus fin de tous les animaux, c'est-à-dire , celui qui représentait mieux le démon dans sa malice,
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dans ses embûches, et ensuite dans son supplice.
Veut-on juger de la manière dont l'auteur sait décrire et intéresser toute l'ame, en mettant sous les yeux de ses lecteurs les objets les plus dignes de l'intérêt général ? qu'on s'arrête au déluge : quel noble début 1 « En ce temps-là, la race humaine fut « presque anéantie ; toutes les querelles des « nations finirent; toutes les révolutions cessèrent ; rois, peuples, armées ennemies « suspendirent leurs haines sanglantes et s'em« brassèrent, saisis d'une mortelle frayeur. »
( Ici manque ce que nous avons blâmé ailleurs au sujet des tcmples. )
« En vain les mères se sauvèrent avec leurs « enfans sur le sommet des montagnes. »
( Ici manque une image qui ne devrait pas se trouver dans une apologie du christianisme. )
« En vain les amis disputèrent aux ours « effrayés la cime des chênes ; l'oiseau même, ft chassé de branche en branche par le flot « toujours croissant, fatigua inutilement ses ff ailes sur ces plaines d'eau sans rivages ; h
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« soleil qui n'éclairait plus que la mort, au « travers des nues livides, se montrait terne « et violet comme un énorme cadavre noyé (( dans les cieux. Les volcans s'éteignirent « en vomissant de tumultueuses fumées, et « l'un des quatre élémens, le feu, périt avec « la lumière.
« Ce fut alors que le monde se couvrit « d'horribles ondes d'où sortaient d'effraiyan- « tes clameurs. Ce fut alors qu'au milieu « des humides ténèbres, le reste des êtres < vivans, le tigre et l'agneau, l'aigle et la « colombe, le reptile et l'insecte , l'homme « et la femme, gagnèrent tous ensemble la « roche la plus escarpée du globe. L'Océan « les y suivit, et soulevant autour d'eux sa « menaçante immensité, fit disparaître sous « les solitudes orageuses le dernier point de « la terre. »
Toutes ces belles horreurs rappellent à l'esprit le beau tableau de M. Cirodet, auquel t!U" ont servi de modèle.
Qu'il est beau le chapitre it du livre V du tome 1er, qui nous présente l'univers sous toutes ses faces!
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Mauis rien n'est beau comme XHistoire des Missions dans les Indes ; rien n'est parfait comme le récit qu'en fait M. de Chàleaubriand. Le style nous en a paru si pur, si cotrect, si enchanteur, que nous nous demandions , à chaque période, si c'était bien là le même écrivain à qui il est échappé les fautes que nous avons relevées dans la première partic de notre rapport. Le morceau des Missions, ainsi que cet autre où l'auteur raconte l'histoire des bienfaits du christianisme, et les services rendus par les ministres de cette sainte religion, sont des modèles où la critique la plus sévère, et même la plus maligne, ne trouve rien il reprendre; et quand l'auteur n'aurait composé que ce sublime récit, quand on voudrait supprimer et les deux ravisonsi,, épisodes de Hed^. et d'ATALA, et celui des mystères et celui des migrations des oiseaux, et celui du divorce et celui des lois, et celui de Bossuet et celui de l'existence de Dieu, et celui de sa providence, etc. quel écrivain, pris dans l'époque décennale, pourrait-on lui comparer? C'est ici qu'on peut appliquer k texte dit décret (article 10 ) , qui décerne un prix à l'ouvragé qui réunira, au pins haut degré, la nouveauté des idées, U talent de In
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composition et l'cirgruicc du stylo ; et c est, il (nul eu convenir, ce qui a fait la grande fortune de ee bel ouvrage. On y a trouvé ce qui sera toujours le succès de tous les écrits , l'imagination la plus riche, une sensibilité délicate et prosonde, qui cause à l'ame les plus vives émotions. Kh ! comment ne pas convaincre , ne pas entraîner , quand on échaufle et que l'on domine ainsi toutes les ames 1 Comment résistera ce charme puissant d'un style dont les formes, autant que les ex pressions, élèvent sans cesse le lecteur à la hauteur même de l'écrivain , sans lui laisser jamais reprendre la place où il était avant la lecture, tanl l'auteur possède l'art magique de s'associer tous ceux qui consentent à ce prestige, eu le lisant sans esprit de parti 1
Pouvait-on faire un plus heureux emploi de cette prose poétique, dont le cygne de Cambrai nous avait donné et la leçon et le modèle dans ce Telr'inaque qu'on ne sait non plus où classer? Quelle noblesse dans les images ! quelle force de logique, quand il compare la religion qu'il défend avec celle dont il dévoile la misérable inutilité, l'infâme cor-
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i-tiption ! Eh! qui jamais a réuni, à un plus haut degré, et les belles pensées et les senlimens généreux , et toutes les ressources d'un style qui n'est jamais ni au-dessous , ni audessus de tout ce qu'il décrit! Il sera à jamais le livre de tous les âges, cet ouvrage qtii renferme tant de beautés, et qui s'adresse également à l'esprit et au cœur; et plus on le lira, plus l'admiration qu'il aura excitée donnera l'envie de le relire encore, et ce qui doit consol er son estimable auteur des critiques ameres, c'est qu'il a bien mérité de la religion, m lui élevant un monument à jamais durable, qui sera passer son nom jusqu'à la dernière postérité, à côté des plus grands noms dont elle s'honore.
RÉSUMÉ DE L'OPINION
Lu à la Séance du i3 février 1811.
EN résumant mon opinion particulière, et les critiques générales que plusieurs membres ont faites du Génie "Il Christianisme, il me semble qu'en écartant les discussions politiques (puisqu'il ne s'agit que d'émettre une opinion littéraire; et que, pour donner à cette opinion une juste autorité , la Classe
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veut et doit la rendre indépendante de tout esprit de parti), il me sem ble, dis-je, que nous sommes à peu près d'accord, sur les nombreux défauts et les beautés réelles du Génie du Christianisme.
S'il s'agissait d'assigner un rang à cet ouvrage dans l'un des genres déterminés par le décret sur les prix décennaux, la Classe, persuadée que l'ouvrage n'appartient à aucun de ces genres, persisterait, sans doute, daus le silence qu'elle a gardé juqu'ici; mais, sans l'accuser d'avoir l'ait une application trop rigoureuse du décret , on lui demande ce qu'elle pense d'ailleurs dn mérite de l'ouvrage. C'est lui fournir une occasion favorable d'éclairer l'opinion publique, et de faire respecter l'impartialité de ses jugemens. Les observations critiques de M, l'abbé Morellet, et le travail de M. le comte Daru, rendent sa réponse facile. Quoique le Génie du Christia- nisme n'appartienne complètement à aucun des genres déterminés par le décret, la Classe n'a pu se livrer à un nouvel examen de l'ouvrage, sans le considérer dans ses rapports avec le genre dont il se rapproche le plus.
Elle y a donc cherché la nouveauté des idées,
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le talent de la composition et l'élégance du stflei qualités qui, réunies au plus haut degré, consacrent un ouvrage de littérature.
11 me semble que dans cet examen la Classe n reconnu, ln. que, parmi les idées qui se présentent dans le Génie dit Christianisme, nvec un air de nouveauté, plusieurs ne sont que des conséquences inattendues, et souvent forcées de principes plus ou moins ancinns, et que beaucoup d'autres, en effet, plus nouvelles, ne soutiennent pas l'analyse d'une froide raison ; mais que ces mêmes idées, considérées du côté poétique et dans la théorie des arts d'imagination, ne manquent cependunt ni de justesse, ni de vérité; qu'elles ont même conduit l'auteur à des résultats ingénieux et féconds, tels, par exemple, que ces nouvelles routes ouvertes par le christianisme à l'art dramatique chez les peuples modernes, où de nouveaux devoirs, opposant aux passions des obstacles jadis incotiiitas 9 ont produit ces agitations, ces combats, ces actes d'un dévouement sublime, que nous admirons dans les rôles de Polyeucte, de Zaïre, de Gusman, du grand-maître des Templier, etc. Je pense donc que la Classe ne peut
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refuser à l'auteur du Génie du Christianisme, la nouveauté des idées jusqu'à un certain degré.
2°. En avouant que le talent de la composition ne se fait pas assez sentir dans l'ordonnance générale et l'ensemble de l'ouvrage qui renferme, sans doute, des parties incohérentes et déplacées, personne n'a contesté que co talent ne fût remarquable dans plusieurs do ces mêmes parties, considérées isolément.
Atala, René, le morceau sur les missions, etc., sont assurément des épisodes et des fragmens composés avec beaucoup d'esprit, d'art et do talent.
3°. Enfin, si malgré les nombreuses corrections qu'il a faites au Génie du Christianisme , on peut encore Justement reprocher à l'auteur la recherche et l'enflure dans quelques passages, la bizarrerie et l'impropriété de certaines expressions, il n'en est pas moins vrai que le mérite éminent de son style est presque universellement reconnu. Les critiques les plus sévères y trouvent non-seulement de l'élégance et de la grâce, mais encore un heureux mélange de force et de douceur, d'élévation et de simplicité, surtout une foule d'ex-
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pressions vives, pittoresques, harmonicuses, qui ne peuvent partir que d'une imagination brillante et passionnée. La Classe ne refusera point, sans doute, de partager, h cet égard, l'opinion du public, confirmé par le succès de neuf ou dix. éditions en sept ou huit ans.
Il résulte clairement de ces observations et du seul intérêt que l'autorité la plus respecta- ble attache à nos discussions sur le Génie du Christianisme, que cet ouvrage mérite une DISTINCTION PANTICUUI'HE. La Classe doit en relever les nombreux défauts ; car ils touchent à des beautés éclatantes qui peuvent les rendre contagieux pour le troupeau servile des imitateurs. Mais lorsqu'elle a témoigné, dans son rapport, le désir qu'il fut institué uu prix à part pour une composition d'un genre a part, soit pour le poème en prose qui n'a d'autre appui en littérature que l'immortelle autorité du Télcmaque, soit pour tout autre ouvrage dont l'auteur, assez malheureux pour s'écarter de la sagesse des règles communes, ferait preuve néanmoins d'un talent au-dessus du commuu, la Classe n'a pas prétendu, sans doute, qu'une composition pareille , qu'elle a cependant désiré de pouvoir couronner, se-
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rait un ouvrage sans défaut ; mais elle a senti que, si dans l'époque du concours décennal la France avait eu l'honneur de produire un ouvrage tel que VEmile 1 ou tel que les Études de la nature, ornées de ce touchant épisode de Paul et firginie, traduit comme L'ATALA dans toutes les langues, admiré chez toutes les nations, il serait triste de ne pouvoir le présenter comme digne d'une récompense publique.
Je ne réclame pas le même honneur pour le CTAIE DU CHRISTIANISME. La postérité jugera si sa place n'est pas à côté de ces livres immortels ; mais je conclus à ce que la Classe, en déclarant que cet ouvrage serait par ses défauts et même par ses beautés un modèle dangereux à suivre, déclare aussi que le talent de l'auteur en a fait un monument tres-remar- quable et très-digne, sous ce rapport, d'obtenir Une DISTINCTION PARTICULIÈRE.
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OPINION
DE M. r.EMEUClEn,
SUR
LE GENIE DU CHRISTIANISME.
UN ouvrage littéraire est mauvais s'il n'a pas la raison pour objet fondamental , un langage propre et juste pour expression, et des figures vraies pour ornement de son élégance. Je n'aperçois aucune de ces qualités dans le Gônie dit Christianisme, si ce n'est en quelques pages où railleur développe des sentimens naturels.
Or, ce livre ne me parait bon que par un petit nombre de détails, et mauvais en le considérant dans son tout.
Le but que se propose l'écrivain, est-il religieux ou philosophique? S'il veut rappeler théologiquement ses lecteurs à la croyance de
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la révélation , les idées singulières qu'il en donne par des définitions, les déductions inconséquentes qu'il en tire, les rapprochemens bizarres de ses comparaisons, l'incohérence de ses images, seraient plutôt capables d'é- branler la foi par leur absurdité risible , que de l'affermir. Un dogme basé sur des rêveries si folles n'aurait guère de solidité. Je doute que l'orthodoxie des pères de l'Église eùt toléré les hérésies d'un esprit si peu versé dans leur doctrine, et voulût la rasseoir sur de pareilles chimères.
S'il veut prouver aux poètes que les mystères de l'Evangile sont plus fertiles pour l'imagination que les fables du polythéisme, et qu'uu art que les fictions constituent, doit préférer le christianisme à la mythologie, il tend à démontrer que la religion n'est qu'un jeu poétique ; et certes, en le supposant, les iucrédules auraient lieu de louer l'auteur d'avoir atteint le dernier terme de leur philosophie.
Mais telle est la puissance toujours triomphante des dogmes chrétiens, qu'ils se défendent encore contre cette intention du livre. Dieu soit loué ! les païens possèdent assez de beaux pointe. il d'éclatans exemples eu leur Ho-
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mère, en leur Virgile, en leur Horace, pour nous aider à réfuter les argumens du système erroné qu'il contient; et pour comble d'édification, le ciel a voulu que Milton lui même rt le catholique Racine ne puisassent leur merveilleux que dans la Bible, et non dans le Nouveau- T estament, c'est-à-d ire parmi les dieux des Philistins, adversaires du peuple élu, et dans la sainte Ecriture des Juifs, éternels ennemis des apôtres et des hons chrétiens.
Hrâce h tant de témoignages, le paganisme et les erreurs hébraïques demeurent encore les plus poétiques impostures, et les philosophes ne gagneraient rien a traiter comme ces mensonges les vérités évangéliques.
En outre, les superstitieuses disciplines des monastères des neuvième, dixième, onzième, douzième et treizième siècles, dont on a détruit les cloîtres, n'ont point d'attraits assez riaus pour qu'on chante leurs barbares usages que la sagesse des temps a fait tomber en désuétude. La niétaticolie excitée par ces objets n'est que morne et sombre. Ou convient qne la poésie a droit de tout peindre, mais non de tout vanter, et que ce n'est point le caractère de la grande imagination que de chercher ses ressources dans les transports du délire.
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J'examine le style : mélange (terni-prosaïque, demi-poétique; j'ignore il quel genre il appartient. Quand l'auteur raisonne sa logique, qui me semble fausse ou confuse, s'exprime sans simplicité en un langage coupé d'ellipses h peine admises en vers, chargé de mois et de tours foires et de tropes ambitieux ; quand il se passionne, son sens perd la netteté qui le rend intelligible, et ses images accumulées n'ont plus de suite distincte , ou prennent des formes exagérées. On sent néanmoins partout que l'écrivain ne pèche pas par ignorance, mais par une prétention aflcctée; cl la chaleur de son éloquence, dans les sentimens nobles et purs , révèle ce que son talent aurait de supérieur s'il en réglait mieux l'emploi. L'opinion que j'ai de son mérite m'inclinerait même à l'apprécier, s'il se présentait , comme l'un de nos candidats les plus dignes d'être choisis.
On nous contraint à expliquer les raisons du succfa d'un ouvrage qui, je crois, mérite notre blâme, parce qu'il n'est point fonde sur le bon sens ; livre sur lequel j'aurais souhaité que nous puissions nous taire, par les égards dus à son auteur, homme estimable et généralement estimé.
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Je trouve deux raisons de ce prompt succès, Tune politique, l'outre littéraire. Remontons à l'époque où le Grnie du Christianisme parut.
On se souvient qu'il fut publié lors du rétablissement du culte. Un nombreux parti eut d'abord intérêt à l'appuyer de son crédit. De Ul ces éloges outrés qu'il en fit, quitte à les démentir lui même, dès qu'il cesserait de lui être utile; de lit contradictoirement, comme l'a très-bien observé l'un de nos confrères distingués, la réaction d'un parti non moins nombreux, qui s'est empressé de dénigrer le livre avec autant de rigueur, que ses prosélytes montraient d'exaltation dans leurs louanges: il n'en faut pas moins, convenez-en, pour enflammer la curiosité publique, et valoir quinte éditions à la moindre brochure.
Nous ne pouvons passer cette cause sous ai.
lence, autrement nous attribuerons aux beautés de l'oeuvre le succès de circonstancii résultant de la force des choses. Remarquez qu'en parlant de deux partis opposés, je n'entends pas dire dei factions, mais la diversité ordinaire des opinions dans un grand Etat.
La seconde raison, tirée de ce qui concerne la littérature, est aussi claire, selon moi.
L'ouvrage entier n'est, dans son ensemble,
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qu'un composé des élémens hétérogènes des principaux poëmes et des principales traductions des Hébreux et des Saints. Cet amas de fragmens, dont les couleurs sont pourtant très-effacées, cette bigarrure de poésie, de style ascétique et de nuances sentimentales empruntées à la riclie palette de notre collègue Bernardin de Saint-Pierre, en son admirable roman , ont dû piquer, surprendre , éblouir l'esprit, et étonner le cœur des jeunes gens et des femmes. La multitude ne connaît pas les vieilles sources de ce brillant artifice; mais les doctes, à qui dès long-temps elles furent ouvertes, ont puisé trop de lumières dans les textes originaux, pour en goùter l'imparfaite imitation et le mélange désordonné.
Je conclus donc à ce que vous hâtiez le résumé de vos avis , de peur que les procèsverbaux des séances de notre classe ne s'empreignent , aux yeux de l'avenir, d'une petite teinte de ridicule, si nous prolongeons nos discussions sur l'examen du livre qu'on nous jait juger. Vous savez tous que la dignité d'une compagnie de lettrés l'oblige à quelques soins pour sa propre mémoire.
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INSTITUT DE FRANCE.
Extraits des procès-verbaux de la classe dq la langue et de la littérature françaises.
Séance du mercredi 2 janvier 1811.
XJE Président du dernier trimestre communique à la classe une lettre qui lui a été adressée par le Ministre de l'Intérieur, et par laquelle Son Excellence appelle de nouveau l'attention de la classe sur le Génie du Christianisme, et l'invite à répondre à la note.
, , dont il lui a été donné connaissance , eu énonçant une opinion motivée sur cet ouvrage.
Après ine discussion sur la manière de procéder au nouveau travail que le Ministre demaude à la classe , elle arrête qu'il sera
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nommé au scrutin cinq membres charges de rédiger, chacun en particulier, une opinion motivée sur le Génie du Christianisme, et de présenter le plus promptement possible leur travail à la discussion de la classe. Elle invite en même temps chacun de ses membres à s'occuper du même objet et à lui communiquer ses observations. Les cinq membres nommés sont : MM. MORELLET, ARNAULT, LAC"ITELLE, DARU et SICARO.
Séance du 16 janvier 1811.
M. MoRtLUT, un des membres nommés pour faire un rapport sur le Génie du Chris- tianisme , lit une partie des observations qu'il a rédigées sur cet objet. La suite est remise à une autre séance.
Séance du a3 janvier 1811.
M. SICARD fait lecture des observations qu'il a rédigées sur le Génie du Christianisme.
Cette lecture est suivie de quelques observations verbales sur le même sujet.
Séance du 5o janvier 1811.
M. MOHKLMT lit la suite de l'examen qu'il a fait du Génie du Christianisme. Après cette
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lecture, M. Arnault demande la parole, et déclare qu'il adhère aux opinions émises par le rapporteur, que ces opinions sont absolument les siennes, qu'il n'espère pas pouvoir les présenter sous une forme plus heureuse ; il demande en conséquence, et vu l'intérêt que la classe a de présenter, dans le plus court délai, le travail demandé, que la classe le délie de rengagement qu'elle lui a fait contracter, en le nommant commissaire pour l'examen du Génie du Christianisme.
La classe adopte cette proposition.
M. Daru lit ensuite des observations sur le même ouvrage. Quelques discussions sur le sujet remplissent le reste de la séance.
Séance du 6 Jévrier 1811.
M. Lacretklle lit quelques réflexions sur la manière dont il a considéré le travail dont il a été chargé pour l'examen du Génie du Christianisme.
Plusieurs membres présentent successivement différentes opinions sur le travail que la classe doit faire pour répondre à la demande du Gouvernement.
11 est arrêté que les commissaires qui ont
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rédigé des observai ions sur le Génie du Christianisme, apporteront à la séance prochaine un résumé de leur travail, et en même temps que les membres qui présenteront des opinions par écrit sur chacun des objets de la discussion, seront autorisés à les faire insérer au procès-verbal, si la classe l'approuve.
Séance du 13 février 1811.
M. REGNAUD DE SAINT-JEAN D'ANCÉLV, M. LACRETELLE et M. LEMERCIER, lisent quelques observations sur le Génie du Christianisme.
M. SICARD et M. MoRELLtT font ensuite lecture du résumé des observations qu'ils ont lues précédemment sur le même ouvrage.
Il s'établit une discussion qui donne lieu à des opinions diverses sur le rapport que la classe doit faire au Gouvernement.
On propose d'engager tous les membres qui ont émis par écrit leurs opinions sur le Génie du Christianisne, à en apporter chacun la rédaction définitive, qui formera la base du compte que la classe rendra au Ministre ; mais avant de mettre aux voix cette proposition , on demande que la classe termine la discussion par un résultat définitif sur les
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points essentiels de la question. Cet avis est adopté, et en conséqueuce la classa, résumant les rapports présentés par les commissaires et les opinions émises par ses membres , les réduit aux points sui vans , qui ont paru le résultat commun de tout ce qui a été exposé !
t 0 Le Génie du Christianisme, considéré comme ouvrage de littérature, a paru à la classe défectueux quant au fond et au plan.
20 Quand le fond et le plan n'auraient pas les défauts que la classe y a reconnus, l'exécution serait encore imparfaite.
5° Malgré les défauts remarqués dans le fontl de l'ouvrage, dans son plan et dans son exécution, la classe a reconnu un talent trèsdistingué dans le style.
4° Elle a trouvé de nombreux morceaux de détail remarquables par leur mérite, et dans quelques parties, des beautés du premier ordre.
5° Elle a trouvé toutefois que l'éclat du style et la beauté des détails n'auraient pas suili pour assurer à l'ouvrage le succès qu'il a obtenu , et que ce succès est dû aussi à l'esprit de parti et à des passions du moment, qui s'en sont emparés , soit pour l'exalter à l'excès, soit pour le déprimer avec injustice.
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Gr) Enfin la classe pense que l'ouvrage, tel qu'il est, pourrait mériter une distinction.
Séance dit 20 février 1811.
La classe arrête définitivement que chacun des membres qui ont été chargés de rédiger des observations sur le Génie du Christia- Plisille, remettront leur travail au secrétaire perpétuel avant la séance prochaine, pour être inséré textuellement au procès-verbal. Ceux des autres membres qui ont rédigé par écrit des observations sur le même objet, sont ialvités à les envoyer aussi au secrétaire, pour la même destination.
En conséquence des arrêtés précédons, es pièces adressées par leurs auteurs au Secrétaire perpétuel, sont inscrites au procès-verbal de la séance du 27 février 1811.