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Ôous presse:
DISCOURS SUR L'HARMONIE DES ÉTUDES BOTANIQUES, AVEC LE CARACTÈRE DES FEMMES,
Par
JOSEPH BARD.
TYPOGRAPHIE DE FIRMIN DIDOT, IMPR.IIWI I P. RU noi HT I>F. I,'INSTITUT, RUE JAOOB , «4.
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DES NATIONS,
Par
JOSEPH BARD, (DE LA CÔTE-D'OU), MEMBRE DE LA SOCIETE ROYALE ACADEMIQUE DE PARIS (CLASSE DES BELLESLETTRES), ASSOCIÉ DE L'ACADEMIE DE VAUCLUSE ET DE PLUSIEURS AUTRES ACADÉMIES.
« Le sort des nations, comme une mer profonde, « À ses écueils cachés et ses gouffres mouvans : « Aveugle qui ne voit, dans les destins du monde, Que le combat des flots, sous la lutte des vents ! »
("VICTOR HUGO, Ode III.) -
Varl*,e ,
N. PICHARD, QUAI DE CONTI, PRÈS LA MONNOIE.
CH. GOSSELIN, LIBRAIRE DE S. A. R. MONSEIGNEUR LE DUC DE BORDEAUX, RUE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS.
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3e n'ai jamais séparé dans ma penser, les mœurs et la littérature. Uous m'aut'? uu, essayant dembrasser ces nuances i)' aborb pagnes et indéterminées qu'elles impriment, à la longue, dans le cours des âges. iîles études se dirigeaient, avec plaisir, oers ces considérations bont f auois, peutêtre, mal jugé l'étendue : 4eureux efforts de l'es-
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prit qui ne firent pas toujours sa mobilitértomces contemplations qui ne calment pas toujours tes orales to la jeunesse!
jpuisse, cette esquisse îr'<Dut)racje m'apporter, sinon la renommée, bu moins, les encouragements tos gommes forts bf sagesse et bc tiertu ! auci que soit le sort to ma production, je BOUS la consacre tout entière.
paris, 2X 3am>ier iU!D€<!t€.ï.ttî3.
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AYANT passé, en province, une partie de l'année qui vient de s'écouler, l'AUTEUR, en essayant de rattacher quelques caractères généraux au développement moral et littéraire des nations, n'avoit, d'abord, eu d'autre but, que celui de charmer, par des études sérieuses, des loisirs pleins de sérénité. Il n'avoit pas songé à soumettre à l'attention publique, ces éléments épars d'un grand travail ; mais décidé à recevoir avec calme les leçons sévères de la critique, il poussera assez loin le sentiment de ses foibles moyens, pour rendre grâces à l'Aristarque judicieux qui, dans un langage convenable, lui aura montré quels sont les sentiers à suivre et les écueils à éviter, lorsqu'on aborde un pareil sujet.
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Nous ne vivons plus à cette époque fleurie où le champ de l'imagination s'offroit encore , brillant de fécondité, aux incursions de l'esprit. Toutes les grandes voies du génie ont été battues par d'illustres précurseurs; et nous, légataires infortunés d'un âge accablant, nous ne pouvons plus que mesurer, de loin, l'empreinte de nos maîtres et rendre hommage à leur gloire. Tous les genres où s'exercent les facultés humaines nous présentent des modèles inimitables. Mo-
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lière, après avoir saisi les couleurs primitives du ridicule, n'a guère laissé à sçs successeurs, que des nuances fugitives à apprécier, des intrigues sans intérêt, ou des mystifications puériles à produire sur la scène. Racine n'a formé qu'un élève, quelquefois digne de sa lyre, trop souvent indigne de sa morale (i). La chaire évangélique n'a plus d'organes dont elle puisse proclamer l'immortalité, parce que Bourdaloue et Massillon l'occupent encore de leurs pensées (a). L'orateur qui s'aviseroi t de
(i) Voltaire, qui lui-même, n'a formé aucun élèv-e de son talent.
(2) Pour bien entendre notre pensée, il faut se rappeler que nous ne parlons ici qne de l'invention. Certes, la France peut encore s'enorgueillir d'un grand nombre de prédicateurs distingués. Les Boulogne*, les Frayssi01
"* Quand nous écrivions cet avant-propos, au commencement de 1824 , M. de Boulogne vivoit encore.
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louer 1 dans la solennité de leurs pompes funèbres, un capitaine aussi fier dans ses revers, que magnanime dans ses triomphes, une princesse enlevée, dès le printemps de sa vie, à l'atmosphère enivrante des cours, ne pourroit guère offrir à l'attention de
nous, les Quélen, les Feutrier, les Rauzan, les Druilhet, méritent autant l'admiration des peuples par les charmes ou la vigueur de leur éloquence, qu'ils commandent la vénération par la pureté de leur cœur ; mais toutes les grandes applications, tous les grands développements de la morale évangélique ont été saisis par leurs devanciers, et il faudrait, pour ainsi dire, de nouveaux dogmes, pour exercer le génie contemporain.
Tous les genres d'éloquence ne sont pas absolument tombés dans la stérilité. Le barreau françois compte encore des orateurs qui joignent la connoissance approfondie des lois, aux grâces les plus brillantes de l'élocution.
Ce n'est plus cette éloquence intérieure qui retentissoit jadis dans le parlement de Paris; mais, que de pensées généreuses sont encore sorties, de nos jours, de la bouche des Desèze, des Dambray, des Marchangyet des Bellart ! Il est encore une nouvelle lice ouverte aux ora-
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son auditoire, que des mouvements empruntés au vol de Bossuet; en un mot, toutes les branches de la littérature sont frappées d'épuisement, depuis le dernier soupir du siècle de Louis XIV, et cependant, la curiosité et l'empressement du
teurs du dix-neuvième siècle. De cette tribune politique que nous devons à la force de nos institutions et à la sagesse d'un monarque éclairé, se sont fait entendre, quelquefois, des discours qui sembleraient appartenir à une autre époque, si l'impertinence et l'exaltation de la nôtre n'en souilloient trop souvent le caractère. Notre chambre des communes, il faut bien l'avouer, n'a pas toujours gardé sa dignité, malgré le noble exemple de la chambre-haute.
L'éloquence académique, si froide par elle - même, peut s'honorer aussi d'un orateur qui, bien jeune encore, a révélé tout son talent, et qui, de palmes en palmes, est arrivé jusqu'au sénat des lettres françoises.
Depuis Bossuet et Fléchier, je ne connois qu'un exorde sublime; je le mets, sans hésiter, en parallèle avec celui de l'oraison funèbre de Turenne, par ce dernier orateur : c'est l'exorde de XÉloge de Montesquieu, par Villemain.
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nôtre se sont augmentés à proportion de sa stérilité.
C'est un état bien déplorable, que celui d'une nation vieillie qui, chaque jour, voit éclore dans son sein mille productions fardées (i), dont elle aime à se dissimuler la
(i) Il seroit injuste, cependant, de flétrir un grand nombre d'ouvrages aimables, de productions gracieuses, que le goût dominant et dépravé du dix-neuvième siècle est, d'ailleurs, toujours prêt à absoudre de notre anathème.
L'histoire, cette institutrice éternelle des nations, qui tient aux sciences par l'érudition première qui fait sa base, et à la philosophie, par l'impartialité et la pénétration de jugement qu'elle exige dans ses organes, et qui n'est plus, à proprement parler, du domaine de l'imagination, puisqu'un peuple déjà vieilli, peut encore avoir un historien qui, comme Tacite, écrive avec autorité ses Annales : eh bien ! l'histoire a trouvé, en France, un interprète qui allie, peut-être, la profondeur de Thucydide, à l'élégance de XAbeille attique. C'est M. Lacretelle jeune. Il seroit, sans doute, à regretter, que cet illustre écrivain ne se chargeât pas d'une histoire de
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foiblesse, et qui s'imagine racheter sa langueur intellectuelle, par l'affectation et la suffisance. Nous tirerons de notre propre exemple, un argument sans réplique., en faveur de cette fièvre de l'âge présent.
Quelle mission avons-nous reçue pour instruire les hommes ? Notre front est-il sillonné par de longs travaux, avons-nous consacré aux recherches pénibles de l'histoire, aux méditations profondes de la retraite, cette période de force et d'activité
France complète : elle contre-balanceroit victorieusement les avantages que peuvent offrir à une classe de lecteurs, certaines annales où tout est crime dans notre gloire, avant la Régénération de 1793.
C'est un art bien facile que celui de la critique collective ! Il est bien plus aisé de proclamer la déchéance des lettres, que de produire une méditation pareille an Lac de M. Alphonse de Lamartine, un épisode du Génie du Christianisme. Eh quoi! n, sommes-nous pas suffisamment défrayés de notre appauvrissement littéraire ? Quel-
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la plus propre, sans doute, aux regards du génie, avons-nous, même, obtenu ces encouragements flatteurs, ces antécédents heureux qui éveillent le moi-pensant, et donnent à l'ami des lettres le sentiment de ses forces? Non, à peine arrivé à cette saison de la vie où l'on commence à apprendre et à réfléchir, à apercevoir, au-delà des illusions de la jeunesse, les tristes vérités de l'existence ; n'ayant d'autres gages de noviciat dans la culture des arts soumis à
ques esprits à courte-vue n'ont aperçu dans le style de M. de Chateaubriand, que des arrangements de mots sonores, des combinaisons de phrases ambitieuses : si le rigorisme plus ambitieux encore des rhéteurs doit quelques petits reproches au pélerin de Jérusalem, au chantre des MARTYRS, nous nous empressons de déclarer notre incompétence en cette matière. Le style de M. de Chateaubriand ressort de ses pensées ; il est brillant de verve et d'originalité. La source d'un pareil style, c'est le génie.
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î âme, que quelques essais poétiques qui attendent encore la sanction de la maturité; nous avons voulu céder à la pente générale des esprits, et payer au goût de nos contemporains, un tribut que, peutêtre , il désavouera.
Nous n'avons point aspiré à cet empire de la pensée qui traverse les siècles, planant sur toutes les passions, retrouvant le cœur humain dans tous les langages, se plaçant entre Babylone et Memphis, entre Athènes et Rome, jugeant les unes par les autres, les littératures et les générations, approfondissant tous les caractères qui signalent le développement, l'apogée et la dégradation de l'intelligence. Une pareille tentative deviendra, sans doute, un jour, 1 objet de nos efforts; mais, aujourd'hui, elle nous auroit accablé de son poids.
Nous n'exposerons jamais notre sentiment
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qu'avec réserve, ou en l'appuyant d'autorités imposantes ; nous indiquerons scrupuleusement les sources où nous aurons puisé quelques idées, quelques faits historiques ; et nous croirons avoir atteint notre but, si nous avons réussi à montrer à une nation inquiète et légère, que la vertu est la fin des lettres, que l'éloquence et les dons de l'esprit sont des prérogatives dangereuses, si
elles n'embellissent la cause sacrée de la morale et n'élèvent l'homme à la conscience de sa dignité, et à la pratique de ses devoirs..
De quelque qualification qu'on taxe nos jugements sur les hommes et sur les choses; qu'on y voie, ou la suffisance qui prononce sans connoître, ou la légèreté qui décide sans examen, ou le fanatisme qui admire avec passion et dénigre avec emportement, ou le calcul qui se rend tributaire des opinions du jour, ou enfin, l'ignorance altière
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qui invoque toutes les sources, revêt toutes les formes, pour improviser l'érudition et jouer la profondeur; nous n'en gardeTons pas moins l'attitude qui convient à l'indépendance personnelle; et cette indépendance qui permet l'expansion morale, vaut bien, et les encouragements frénéti- ques des partis, et les dons fugitifs de l'opulence, et les faveurs périlleuses des cours. Oui, les principes que nous signalons comme éternels dans l'ordre du bonheur, sont ceux auxquels se rapporteront toujours nos vœux et notre amour. Aujourd'hui qu'ils triomphent, nous les proclamons avec force; demain, nous nous armerions pour leur défense, s'ils étoient, de nouveau, voués à la proscription. Isolé de toutes les sectes, ennemi de tous les systèmes, nous savons que tous les rangs offrent, d'une part, les déguisements de
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l'ambition, de l'autre, l'expression généreuse du patriotisme et de la loyauté. Nous appartenons à cette grande famille de François, qui, se refusant, à la fois, à ramper dans la dégradation et à imposer l'esclavage, voudroient voir le bonheur civil des individus désormais inséparable de la dignité politique des nations (i). Notre philosophie est de tous les temps ; elle devient la morale de tous les peuples qui, placés sous la vigilance d'un monarque protecteur, ne relèveront que de la prévoyance des lois humaines et de la sagesse des lois divines.
Nous sommes dans un règne de justice et de vérité (2). Tous les hommages sont con-
(1) Dans tout ce qu'on écrit aujourd'hui, il faut une profession de foi politique ; nous la faisons d'autant plus volontiers, que la liberté plane sur toutes les pensées.
(2) Paroles de M. le baron Dupuytren. ( Discours pro-
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fondus,. toutes les haines sont éteintes.
Charles X sait mieux qu'aucune tête couron-
née, peut-être, quels sujets il faudroit percer d'un glaive, avant d'arriver à lui : il les distingue dans son cœur, et il saura répondre aux intrigants qui l'assourdiront de leurs clameurs : « Avez-vous du sang pour « la patrie, des larmes pour le malheur, « des forces intellectuelles pour les fonc« tions de l'Etat ? »
Jetons d'abord un coup-d'œil général sur le développement moral et littéraire des peuples. Voyons, ensuite, comment les hommes se sont réunis en sociétés, comment ces sociétés ont formé des nations. Indiquons quelles sont les grandes époques auxquelles
nonce, au nom de l'Académie royale de Médecine, en.
présence de S. M. Charles X, Jors de son avènement au.
trône. )
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.viennent se rallier les plus beaux triomphes de la pensée, les périodes diverses que les peuples ont parcourues, avant d'arriver à .ce terme mémorable ; quels ont été les : conditions, les caractères, les résultats de ce développement. Comparons les progrès des masses avec ceux des individus. Enfin, présentant l'Europe moderne comme une vaste république scientifique et littéraire, montrons quelles sont les garanties de sa conservation et les bases les plus solides de son inviolabilité. Nous avons suivi une méthode simple pour la division des chapitres: quelques mots en indiquent tout le contenu ( i ), et l'attention du. lecteur n'est pas fatiguée par l'absence de cette régularité, de cette unité de discours incompatibles avec la
(1) Cette manière de décrire et de diviser est celle de la plupart des écrivains anglois.
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trempe de notre esprit, et peut-être même, avec la nature du sujet tel que nous l'avons envisagé.
Nous laissons à une intelligence plus exercée que la nôtre, le soin de dominer toutes les connoissances humaines, d'en saisir tous les liens, toutes les progressions, de suivre, à travers de longs siècles d'ignorance et de ténèbres, les fils les plus imperceptibles qui unissent les anneaux de cette grande chaîne : un pareil travail, nous le répétons, seroit de beaucoup au-dessus de nos forces; il y auroit eu, de notre part, de la présomption à le concevoir, et de la témérité à l'entreprendre.
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tTJIID)rEmJl TrrT
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« Ce n'est qu'en perfectionnant leur raison, que les peuples peuvent se .flatter de perfectionner leur religion, leurs lois, leur gouvernement. »
(David HUME, Hist. d'Angleterre, traduction de Mme Bélot.)
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CMMÎRIRATÛMJS
POUR SERVIR
2t Op £ W3K€ DU JDC!EUC!Ef!JPJPC!EJUQEni
typé orel e/&f JP&aàoiM.
CHAPITRE PREMIER.
3îr& jginirale b£ a îrmloppmaxt
L'ESPRIT humain laisse, à de longs intervalles , des traces profondes de son em pire ; mais ces âges fortunés auxquels la postérité reconnoissante attache, ou le nom des hommes
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célèbres qui les ont enrichis de leurs veilles, ou le nom de l'homme puissant qui a fait jaillir, de tous les points de sa patrie, des sources de prospérité et de gloire, n'apparoissent pas, à la manière des météores que nous voyons, soudain, suspendus à la voûte des cieux. Semblables au léthargique qui signale son retour à la vie des sens externes, par de fréquentes alternatives de force et d'abattement, de calme et d'agitation, les peuples avoient été en proie à de longues convulsions, ils avoient fatigué de pénibles efforts une mer long-temps orageuse et rebelle, avant d'aborder au port de la raison, et de pouvoir ouvrir leurs yeux tout entiers à sa consolante lumière. Souvent, il ne fallut rien moins, pour amener de grandes révolutions morales, que le choc des passions, le déchirement des états, ou la férocité des vainqueurs; quelquefois, aussi, on vit l'influence heureuse du génie se mêler aux habitudes des sociétés,
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pour les étendre ou les adoucir, comme un fleuve bienfaisant qui, sans renverser avec fracas les obstacles qui s'opposent à son cours, s'approche lentement d'une terre desséchée par les ardeurs du soleil, pour la féconder de ses eaux.
Depuis long-temps, fatigué des crimes qu'on lui faisoit commettre,et de représailles atroces, un peuple qui n'estimoit que la force corporelle semble ressentir les premiers élans d'une intelligence vague et chancelante. Bientôt, ces élans se communiquent de proche en proche.
Une ère nouvelle se prépare dans un coin de la terre encore souillé par l'ignorance. La pensée long-temps captive veut enfin briser ses fers. En vain, quelques chefs audacieux s'efforceroient de comprimer l'essor de ce besoin moral, chez des esclaves, dont un despotisme brutal aimeroit tant à perpétuer la servitude.
Le plus souvent, épars dans l'obscurité des forets et sur les flancs sauvages des monta-
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gnes, pour disputer aux bêtes fauves une nourriture arrosée de leur sang, ou réunis, pour donner à leurs semblables une mort plus assurée, des hommes entrevoient une destination plus noble et osent croire à un avenir plus fortuné. « Quoi! disent-ils, dans un mouvement de douleur et d'espérance, orphelins délaissés d'une mère dont on nous arrache les bienfaits, obéirons-nous toujours à la crainte ?
La clarté du jour n'arrivera-t-elle jamais à nos paupières, qu'obscurcie des larmes de l'oppression ou des sueurs de la vengeance? Instruments ou victimes de passions brûlantes , jusques à quand serons-nous le jouet des vaigqueurs, ou la terreur des vaincus? Jusques à quand ressemblerons-nous à ces torrents écumeux qui languissent sous les rocs, ou portent dans la plaine le tumulte et l'effroi ? Quoi !
l'humanité féroce doit-elle sans cesse dévorer l'humanité ? »
Le foible s'unit au foible ; le fort les pro-
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tége de ses bras en les secondant de ses premiers efforts moraux; ils sentent tous le besoin d'établir, entre eux, des rapports où ne présideront plus la défiance et la mauvaise foi, de s'éclairer sur des intérêts d'un ordre supérieur qui appartiennent à la grande famille humaine. Les voilà, ces tribus naguère flétries par l'ignorance et la grossièreté natives, vouées au carnage d'un chasseur qui s'est arrogé le droit de les acheter ou de les vendre, à la fortune d'un combat ; les voilà qu'elles rencontrent dans le fond de leurs âmes quelque chose qui leur promet le bonheur ! Avec quelle ardeur elles échauffent ce sentiment encore obscur qui doit, bientôt, surgir pour leur gloire ! avec quel enthousiasme elles devinent leur émancipation prochaine! Tel, un enfant du malheur, jeté, des langes du berceau, dans la nuit d'un cachot, s'il aperçoit, par une fente des noires murailles, un rayonfurtif de lumière, préjuge déjà la clarté du jour, agrandit l'ouverture qui
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lui révèle une autre existence, et se donne la liberté.
Déjà les mœurs s'épurent, et dépouillent peu-à-peu cette violence ou cette bassesse qui en faisoient tour-à-tour le caractère. La soif de connoître s'est emparée de tous les esprits : on fouille avec avidité dans les annales des nations éteintes, pour savoir quelles furent leurs lois, leurs habitudes, leur religion. Les exercices pénibles du corps sont abandonnés sans retour à la masse incapable de s'élever aux rnéditations de la pensée.
Des philosophes voués à la retraite et à des élucubrations savantes, ont indiqué les routes du bon-sens et du goût : leur société est devenue une école précieuse où chacun recueille, avec extase, les leçons d'une morale pleine de douceur et de bienveillance.
De là, ces bienfaits d'une éducation sage et vigoureuse, ces premiers travaux, avant-coureurs de productions plus vastes dans leur en-
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semble et mieux combinées dans leurs détails, ce mouvement général vers tout ce qu'il y a d'utile et de profitable aux hommes, cette impulsion donnée à tous les sentiments généreux, ces encouragements décernés à la jeunesse , ces palmes accordées aux prémices de l'imagination, ces inspirations sublimes, conçues et élaborées au milieu du long enfantement d'un siècle mémorable; de là, enfin, ce règne du génie destiné à léguer à une descendance, trop souvent indigne d'un semblable héritage, le magnifique tableau d'une civilisation tempérée par la sévérité des principes et l'austérité des mœurs, et embellie de tous les chefs-d'œuvre de l'industrie et des arts.
Heureuse, trois fois heureuse, la nation témoin de son plus beau triomphe sur l'ignorance et l'asservissement de la pensée ! Heureux aussi l'homme immortel qui, par le vœu de ses concitoyens, ou par les droits de sa naissance , appelé à leur dicter des lois, a su méditer
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dans sa sagesse, et accomplir par la force de son caractère, le grand œuvre de leur régénération ! Le ciel enchanté de la Grèce vit naître une époque que Périclès dota de son nom et de sa munificence. Rome dut ses plus beaux titres d'orgueil à la sollicitude éclairée d'un Auguste. Bagdad devint le centre de la politesse et des beaux-arts sous la domination des Haroun-al-Raschild et des Almanou. Plus tard, Florence devoit avoir ses Cosme, ses Laurent et.
ses Pierre de Médicis (i), noble lignée à laquelle
(i) Cosme de Médicis étoit un simple citoyen de Florence qui, après avoir gagné, dans le commerce, une fortune considérable, ne l'employa qu'à des bienfaits et à appeler à Florence les savants grecs chassés de Constantinople. Les fils de ce grand-homme furent assassinés, comme l'avoient été ceux de Pisistrate par Harmodius et Aristogiton.
Sixte IV ne craignit pas d'excommunier les Florentins, pour avoir puni la conspiration.
Laurent de Médicis fut, à la fois, le père du commerce et celui des muses.
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appartenoit, aussi, ce Léon X (i), qui entoura la chaire de Saint-Pierre de toutes les pompes du génie ! Enfin, c'est à l'ombre tutélaire du trône de Louis-le-Grand, de son amour sans bornes pour l'honneur et la gloire de la France, que cette antique patrie du courage et de la loyauté parvint à planer sur toutes les voies de l'illustration intellectuelle. Mais, suivons pas à pas l'état moral et littéraire des peuples, en général, depuis son aurore, jusqu'à sa décadence,
a Laurent, dit Voltaire, vendoit d'une main les denrées du Levant, de l'autre , il soutenoit le fardeau de la république , entretenoit des facteurs, recevoit des ambassadeurs, cultivoit les belles-lettres, etc. « (Voy. VOLTAIRE, en son Essai sur les mœurs.) - See : Roscœ' s life of Lorenzo de' Medici called the magnificent, comprising some account of the political state of Italy and the rise of letters and of arts in Europe, in the fifteenth century.
(i) Jean de Médicis, arrière-petit-fils de Cosme , frère de Pierre de Médicis, joignoit à l'amour des lettres , une urbanité pleine de franchise et de bienveillance.
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après avoir démontré que la vie sociale et, par suite, la vie de la raison et de la pensée sont la fin de l'humanité sur la terre.
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CHAPITRE II.
Citat te wtizït flst-il bans la nature?
Mean tho' i am, notwholly so, Since quicken' d by thy breath !
Je suis vil, il est vrai; mais ton souffle m'anime!
(Pope's universal prarer.)
« L'HOMME, a-t-on dit, n'est sorti du néant, que pour aspirer au néant. Voué avec tous les êtres qui respirent, à cette triste destination , il doit, comme les fauves, passer
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ses jours au milieu des forêts, n'attendre sa subsistance que de rapines ensanglantées, ne lier avec ses semblables, d'autres rapports , que ceux de la violence et de la férocité , pour remplir le vœu de la création. »
Les champions de cette singulière hypothèse n'ont manqué ni d'éloquence pour la colorer, ni de paradoxes pour la soutenir.
Persuadés que la vie morale s'exerce presque toujours au détriment de la vie des organes, que les travaux de la pensée, les soucis de l'ambition, les commodités du luxe, les conventions du pacte social nous éloignent sans cesse du type primitif de notre existence, ils nous ont tracé un tableau effrayant des calamités qui assiègent la civilisation.
Un homme s'est rencontré, sans patrie parmi les hommes, qui traîna dans l'orgueil et la mélancolie, les malheurs de sa proscription.
Doué d'une imagination vive et déréglée, d'un cœur profondément empreint de cette sensi-
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bilité vague et inquiète qui ne s'applique à rien d'usuel sur la terre, d'un esprit également habile à détruire ou à relever, tour à tour, le pouvoir d'une proposition , singulier assemblage de cynisme et d'austérité, de bienveillance et de jalousie, Rousseau disserta sur les droits du citoyen, sans jamais en connoître les devoirs. Il crut (i) avoir à se plaindre de la société où sa naissance l'avoit placé si bas :
(i) Lorsqu'on examine avec quelque portée de vue les opinions humaines, on les voit, presque toujours , si étroitement liées à la condition respective des individus, qu'on seroit tenté de croire que la bonne-foi ne se trouve dans aucune des sectes; mais qu'elle appartient exclusivement à ces hommes de justice et de sagesse qui, étrangers aux passions des coteries, ne relèvent que de leur amour pour le bien, et de la noblesse de leurs sentiments. De semblables philosophes s'inquiètent peu des conflits d'orgueil qui s'élèvent autour d'eux ; ils n'interrogent que leur conscience; ils ne veulent de rang que celui qu'on leur assignera : leur supériorité, ils la tirent d'un génie assez grand pour ne point s'alarmer de sa source si elle se cache dans les bas étages de la société,
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on le vit, s'indigner de toutes les illustrations, flétrir tous les honneurs, se défier de tous les sentiments qui ne partoient point de lui-même.
La vanité du philosophe de Genève étoit telle, que la protection même des grands du monde l'eût humilié, et que les offres les plus généreuses lui eussent paru outrageantes. Un
et pour ne point s'en targuer avec insolence, si elle découle des illustrations historiques. Rousseau n'a jamais connu la bonne-foi dans ses principes, par cela même qu'il s'indignoit de sa naissance. Voltaire s'est montré plus franc : il a sacrifié à la vanité. Le seigneur de Ferney n'injurioit, parfois, que la haute aristocratie; mais il n'étoit pas fâché d'être tenu pour aristocrate par ses inférieurs. Voltaire a bien mieux établi la supériorité de fait de la noblesse, en s'efforçant de secouer le manteau plébéien, que Rousseau ne l'a affoiblie, en montrant ses trous , et en s'honorant, à regret, de ses lambeaux.
J'ai souvent réfléchi aux causes de la guerre éternelle qui existe entre les classes plébéiennes et les classes patriciennes; mais il est aisé de voir que de pareilles luttes deviendront interminables sous toutes les formes de gouvernement; en effet, ce ne sont point les éléments
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pareil homme devoit déclamer contre l'état social. Mais, étoit-il bien raisonnable d'attribuer à l'état social des vices que la dépravation et la méchanceté des individus ont, seules, enfantés sur la terre ? Essayons de puiser , dans cette nature même que chacun défigure au gré de ses passions, quelques données positives, à l'égard d'une question qui n'est
de la société qu'il faudroit changer, mais bien la nature humaine tout entière. L'amour-propre est indigène de toutes les castes; et je ne sais léquel est le plus entaché de vanité, ou de ce financier qui, enrichi par des spéculations souvent frauduleuses, conspire contre l'illustration héréditaire , en même temps qu'il devient intraitable avec ses fermiers, joue, vis-à-vis de ses commis, la dignité du gentilhomme, et assourdit tout le monde de son luxe et de sa fortune, ou de l'homme titré qui, toujours semblable à lui-même, a trouvé, dans sa famille, des exemples à suivre, dans sa caste, des rapports de politesse et d'éducation, et a évité, toute sa vie , le contact des parvenus. Voilà un doute que le bonsens résoudra facilement.
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devenue importante que par les sophismes de ses interprètes.
Le monde visible présente, dans l'action des substances les unes sur les autres, une réunion de causes et d'effets qui forment autant de cercles obligés, dont la force d'excentricité est, pour chaque être, et pour chaque portion d'être, très-invariablement fixée. Ce sont-là les types primitifs de l'univers; et partout, on les voit entourés de tous les moyens de se conserver dans leur pureté originelle. Ainsi donc , si l'affinité asservit toute la nature morte a des lois immuables, ce principe sans cesse agissant qu'on appelle vie, qu'on ne peut, sans les lumières d'en-haut, ni comprendre, ni définir, et qui préside à la formation, comme au développement des végétaux et des animaux, présente aussi son cadre absolu pour chaque espèce.
Dans les animaux domestiques, par exemple, il y a un maximum d'amélioration phy-
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sique au - delà duquel, l'espèce ne pouvant plus gagner, demeure à-peu-près stationnaire, tant que l'action des causes extérieures le permet , ou incline promptement vers la .dégradation ; mais on ne lui voit qu'après plusieurs générations, dépouiller les belles formes qu'elle avoit acquises , et les perdre dans la même proportion qui avoit marqué leur accroissement.
La race humaine , physiquement envisagée, nous offre aussi les mêmes chances de perfectionnement et de dégénération. Conservée d'autant plus pure, d'autant plus vigoureuse, qu'elle est plus éloignée de l'état trop rapidement corrompu des sociétés ; c'est du séjour des champs et des forêts, c'est du sein des plus hautes montagnes, qu'on voit jaillir, sans interruption, ces éléments nouveaux qui viennent réparer, chez elle, les effets pernicieux du luxe et de la mollesse. L'échange journalier qu'opèrent de fréquentes oscillations sociales,
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entre les hommes des cités et ceux des campagnes , les migrations presque naturelles qui se font, de certains climats, vers d'autres régions , le croisement nécessaire d'individus de toute origine, retrempent continuellement l'espèce et concourent, en général, à la garantir contre la tendance évidente qu'elle éprouveroit à dépouiller ses formes normales. C'est de l'action simultanée de tant de causes, que résulte cette sorte d'équilibre que la race des hommes doit conserver, tant que subsisteront les lois harmoniques du grand tout.
Ainsi (i), la matière organique est, comme la
(i) La plupart de ces considérations purement scientifiques, je les dois aux entretiens de mon père, médecin profondément versé dans la science des phénomènes vitaux, et qui, mieux encore, nourrit dans son âme, cet immatérialisme d'idées et de sentiments qui sanctionne, élève et ennoblit les connoissances que donne la matière.
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matière inerte, soumise à des règles éternelles, auxquelles elle doit son développement et sa durée. Les divers groupes de chaque espèce peuvent perdre et acquérir en perfection ; mais ces transitions ne sont jamais assez subites, pour que l'individu produit diffère éminemment de l'individu producteur. La nature devoit agir ainsi, dans l'intérêt des races, elle de voit les tenir à l'abri d'effets trop brusques, de la part des choses extérieures, pour écarter les nombreuses anomalies qui en eussent été la suite.
Il n'en est pas de même de l'accroissement moral des sujets. L'immense perfectibilité des hommes, par le travail et la méditation, les ressources incalculables qu'ils trouvent dans la patience et dans l'industrie, tout devient individuel et ne laisse à la race, que les dispositions innées qui la tiendront toujours si loin des brutes.
C'est une éducation à refaire, à chaque gé-
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nération. Le fils d'un homme de génie abandonné , dès l'âge le plus tendre, au milieu de peuplades barbares, n'auroit d'autres notions que celles qu'il auroit reçues de ses penchants primitifs et du contact de la horde qui seroit devenue sa patrie : et le fils d'un sauvage arraché, jeune encore, à l'horreur des forêts, pourroit, dans le commerce des villes, entouré des emblèmes de la civilisation, acquérir, et les formes séduisantes de la politesse , et les grâces de l'esprit, et la vigueur de la pensée.
Dans l'homme physique, l'extrême perfection de son système nerveux, et par conséquent, de ses moyens de percevoir des sensations, celle de l'organe de la préhension, la faculté d'articuler le son vocal, établissent une démarcation tellement absolue, qu'un grand nombre de physiologistes d'un esprit grossier et mécanique, n'ont envisagé la prééminence dont jouit l'espèce humaine sur le reste de la
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nature vivante, que comme un résultat de sa conformation organique. Les animaux pour offrir, parfois, dans quelques-uns de leurs sens , des propriétés plus étendues qu'elles ne le sont chez l'homme, sont bien éloignés de réunir cette masse de facultés qui distingue le maître de la terre.
L'homme immatériel laisse derrière lui, à une distance incalculable, tout ce que l'animal présente de plus fin et de plus délicat; et si, comme celui-ci, il offre des goûts, des appétits, des mouvements instinctifs qui se rapportent exclusivement à la conservation de l'individu et de l'espèce, il peut s'élever, par la pensée, jusque dans les espaces célestes.
Ses conceptions mille fois réfléchies sont susceptibles d'arriver, par une progression toujours croissante, jusques à ces merveilles de l'intelligence, à ces triomphes de la raison, sources sublimes d'où dérivent plus éloquents, et les dogmes du ciel, et la morale des peuples.
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Les animaux sont, il est vrai, capables d'un premier degré de perfectionnement intellectuel ; mais il est hors de la nature et n'est dû qu'aux efforts de l'homme. Il ne peut être transmis , d'individu à individu, que par voie d'enseignement: et s'il existe, entre eux, un mode de transmissibilité de sensations et d'actions, il se rapporte, uniquement, à cette tendance très-prononcée qu'ils partagent avec l'homme lui-même, à une imitation, pour ainsi dire, passive.
L'homme, au contraire, ne rencontre, que dans lui-même et dans son espèce, les causes de son développement moral. L'heureuse conformation de ses organes et le rayon sublime de la Divinité qui les anime, établissent, chez lui, une disposition constante à percevoir, à s'approprier, à reproduire, sous mille formes et mille combinaisons nouvelles, toutes les sensations du dehors. Partout, on le voit marcher vers l'agrandissement de la pensée et lutter
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contre les nombreux obstacles qu'élèvent autour de lui, les climats, les éléments. Chez l'homme, les progrès de l'entendement sont dus à la fois, à lui-même, à son espèce, aux accidents de la nature extérieure; tandis que sa croissance physique ne lui vient que de l'espèce et des choses qui l'environnent.
Mais, les connoissances acquises par chaque individu devant, comme nous l'avons dit, s'éteindre avec lui, et ne pouvant se transmettre par la voie de la génération, à sa descendance, il étoit nécessaire que les hommes vécussent rapprochés, pour que les sciences et les arts naquissent et s'augmentassent par les travaux successifs des divers âges. S'ils eussent vécu isolés et épars en foibles groupes, sur la surface du globe, toute harmonie de tendance , toute simultanéité , toute combinaison d'efforts vers un même but, seroient devenues impossibles , et l'état moral du genre humain auroit été condamné à une enfance perpétuelle.
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Nous voyons , au contraire, l'homme être partout entraîné vers l'homme, non seulement par une communauté de besoins tout matériels; mais encore, par l'attrait d'un bonheur spéculatif qui crée pour son esprit un nouveau genre d'existence résultant des nombreux moyens de communication exclusivement affectés à son espèce. On la voit, cette existence dont le créateur nous a imposé la nécessité, s'exprimer, chez les peuplades les plus sauvages, dans un langage imparfait qu'une civilisation avancée doit traduire par des signes (i).
« Les animaux, dit un philosophe vertueux, ne sentent que par les causes physiques : l'homme seul, sent par les causes morales ; c'est un principe d'action de plus auquel obéissent ses organes ; c'est une force vitale destinée à régénérer en lui le mouvement qu'il
(i) On regarde, généralement, les Égyptiens, comme les inventeurs de l'écriture.
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perd par l'exercice même de la vie. Les affections de l'âme sont, non seulement utiles au bonheur, elles sont utiles encore à l'existence: elles la prolongent, en même temps qu'elles en rendent le sentiment plus vif. (i) v L'homme n'est donc point né, pour borner son destin à se nourrir et à se multiplier. Ce n'est point en vain, que l'influence divine qui le maîtrise, le met sans cesse en rapport avec lui - même et avec ses semblables ; puisque, sous toutes les zones, nous le trouvons soumis aux mêmes penchants moraux, aux mêmes dispositions innées. L'âpreté du sol, la rudesse des mœurs, le vice des institutions peuvent restreindre ou relâcher ce lien ; mais il ne peut être rompu par aucun de ces obstacles.
Partout, l'entendement s'agrandit ou se resserre, selon que les réunions d'hommes sont plus ou
(1) Voyez DESÈzE, Recherches philos, et physiol. sur la sensibilité.
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moins nombreuses : partout, après s'être élevé, par le travail des individus et celui des masses à une hauteur sublime, il tombe dans la langueur et la stérilité. Mais l'étincelle capable d'enflammer de nouveau ce feu sacré de la pensée, vit encore sous la cendre : un vent favorable doit la ranimer un jour, jusqu'à ce que les révolutions dévorantes, pareilles aux volcans, l'ensevelissent, à leur tour, avec les débris de la gloire et des grandeurs d'ici-bas.
,Triste et cruelle loi de variabilité, à laquelle obéit la nature tout entière ! Mais sans doute, elle existe dans l'intérêt de ce qui est créé. Le Seigneur a dit, dans sa sagesse: «Ma puissance se montrera dans les orages et la sérénité, dans les victoires et les défaites. Les mutations du firmament apprendront aux peuples de la terre, qu'ils relèvent des mêmes vicissitudes : il n'y aura d'immuables, parmi les hommes, que la fragilité de leurs desseins, et l'incertitude de leur avenir. J'ai fait l'homme pour la société ;
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mais la société des hommes, à peine arrivée au midi de la civilisation, abusera de mes bienfaits.
Elle ne gardera point cet équilibre d'innocence et de lumière, de bienveillance et de franchise, d'austérité dans les mœurs et de délicatesse dans les formes, qui assureroit sa durée, tant qu'il plairoit à ma volonté. La société des hommes s'enivrera de sa gloire , elle deviendra oublieuse de son dieu, elle perdra le respect pour les principes que j'ai posés dans le cœur de ma créature, et pour les rois que j'ai jetés sur des trônes. C'est ainsi, que je balancerai les nations , jusqu'au terme redoutable, où ma justice distribuera des récompenses et des peines éternelles. »
Ainsi, que l'athée examine froidement les effets de la nature sensible, ou qu'ouvrant ses yeux à la raison, il interroge l'enchaînement des causes divines et conclue, pour sa conviction , des paroles du Seigneur, l'homme est né pour l'état social, puisque cet état seul peut
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lui imprimer toute l'étendue d'existence dont il est susceptible ; que cette existence morale s'applique à toutes ses dispositions, à toutes ses facultés, qu'elle lui assure le bonheur, en tant qu'il ne mettra pas les rêves fougueux de l'ambition, les appétits dévorants de la volupté, à la place des chastes penchants de la tendresse, et des expressions embellies de la bienveillance et de la gratitude. Ainsi, le plus haut degré de perfection des sociétés fraîches d'imagination, de candeur et d'innocence, doit être considéré comme l'apogée de la condition humaine (i).
(i) Voilà encore une question qui a été, mille fois, remise sur le tapis; celle de savoir si la vie morale procure le bonheur. M. Casimir Delavigne a, récemment, soutenu que les lettres nuisent à la société. Il est vrai de dire, que les écrits de Rousseau , de Diderot, d'Helvétius, de Volney ont nui à la société; mais Racine, Bossuet, Fénélon ont-ils exercé une influence dangereuse, par le pouvoir du talent et l'expression du génie?
tl Sous le règne de Louis XIV, tout ce qu'il y avoit de
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Honneur aux mortels qui ont proclamé la dignité sociale, et par suite, la dignité de la raison! Montesquieu, Desèze! vous avez servi pour la même cause, vous aviez la même patrie : j'aimerois à dire, si la distance des âges le permettait, que vous vous y êtes, peut-être, assez connus, pour vous promettre cette autre patrie qui rappelle ses enfants demeurés purs,
au milieu des épreuves de la terre ! Belles âmes, beaux noms! dont l'un protège encore le monde, et dont l'autre devoit rencontrer un si sublime avenir, dans le défenseur de Louis XVI!
Montesquieu , dans un jeu de son imagi-
savants, de philosophes, de moralistes, de poètes, d'orateurs, d'écrivains illustres, portoit à la religion le respect le plus profond ; partout, leurs ouvrages goûtés du public, nourrissoient, fortifioient l'amour de l'honnête et du beau; et la France se trouvoit universellement saine et forte de principes et de croyance. » (Voyez Défens. du christ. discours d'ouverture par Mgr. l'évêque d'Hermopolis.)
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nation , dans cet aimable épisode des Troglodytes, avoitfait le plus bel éloge de l'existence sociale, sans rien demander à ces sciences (i) du corps et de la matière, qui, trop souvent, matérialisent l'esprit. Desèze avoit plus emprunté à son coeur, qu'à ses études. Celui-ci, avec le génie , n'avoit pas besoin de prouver par des inductions physiologiques, il étoit le panégyriste de la société : celui-là n'avoit pas assez de gé-
« (i) J'ai toujours remarqué que les esprits grossiers excellent dans l'étude des sciences purement matérielles.
Desèze, Buffon, et de nos jours, M. Bérard, ont compris tout ce que la science de l'homme mort, dégagée de considérations morales, avoit de stérile pour l'âme.
« Les vrais ressorts de notre organisation, dit Buffon, ne sont pas ces muscles, ces artères, ces veines qu'on décrit avec tant d'exactitude. Il réside, dans nos corps organisés, des forces intérieures qui ne suivent point du tout les lois de la vile mécanique que nous avons imaginée, et à laquelle nous voudrions tout réduire. »
(Tome IV, page 199.)
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nie , pour être tout-puissant, sans la science extérieure. Il vouloit démontrer certains phénomènes physiques , vérités froides et vides, dont il aimoit à rompre la monotonie, par ces considérations morales qui découlent de l'intérieur même de l'âme!
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CHAPITRE III.
formation tos famille, peuples, natians.
<« At varios linguæ sonitus natura subegit Mittere, et utilitas expressit nomina rerum Non alia longè ratione, atque ipsa videtur, Protrahere ad gestum pueros infantia linguæ, Cum facit ut digito, quœ sint præsentia, moustrent. »
(TIT.LUCRET. CAR. de rer. nat. lib. v.)
LES HOMMES, dans leur abandon primitif, ne connoissoient de la vie, que ses douleurs et ses dégoûts. Toujours en lutte avec la nature, toujours errants et vagabonds, ils
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n'avoient le sentiment de leur frêle existence, que par celui des besoins qui apprennent à la soutenir. Occupés , durant le jour, à des exercices pénibles , ils ne demandoient à la terre qu'un antre profond, pour les dérober, pendant la nuit, aux attaques de leurs ennemis ou aux intempéries de l'air.
Mais, instruits mutuellement par l'épreuve de leur foiblesse individuelle, ils sentirent le besoin de se rapprocher. De là, ces premiers liens de confraternité, et ces éléments grossiers d'une association qui, en se compliquant dans ses formes, devoit dépouiller, trop tôt, sa simplicité et son innocence primordiales. Bientôt, ils interrogèrent les merveilles qui les environnoient. Ils observèrent cette vicissitude de biens et de maux qui se succèdent éternellement, et delà peut-être, la source de cette erreur qu'on retrouve chez les habitants de toutes les latitudes, dans l'ancien et le nouveau continents, et qui existoit
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probablement long -temps, avant que Manès en fît un dogme métaphysique. Ils s'imaginèrent que deux puissances ennemies se disputoient l'univers. « Il est des erreurs bornées à certains climats, comme il en est qui deviennent l'apanage du genre humain. Les premières peuvent céder quelquefois à la raison; les autres, nées avec la société, ne finiront qu'avec elle (i). »
Les hommes commencèrent à sentir tout Je prix du travail et de l'industrie. Ils s'aperçurent que tel germe sollicite, pour son développement, un terrain sec ou humide ; que cette plante s'accroît avec plus de vitesse dans une exposition plus ou moins dirigée vers l'astre du jour ; que celle-là semble réclamer un ombrage frais, des soins non interrompus, pour lui donner avec abondance le tribut de
(1) Voyez M. de FONTANES, discours préliminaire de la traduction de l'Essai sur l'homme, de Pope.
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ses fruits. Du développement de plusieurs idées, de l'assemblage de diverses impressions , naquit insensiblement, chez ces êtres primitifs, une langue pleine des images qui en avoient été le principe , et qui souvent, perpétue encore, à travers les nombreuses modifications des mœurs et des habitudes , quelque chose de son caractère originel, dans l'idiome des nations les plus enorgueillies de leur faste et de leurs lumières.
La haine ou la vengeance, la colère ou l'ambition ne trouvoient aucune place dans ces conversations innocentes, où l'homme fort interrogeoit l'homme foible sur ses besoins, où le chasseur victorieux offroit à celui qui manquoit de subsistance, de partager sa proie.
De l'agrandissement des hameaux, se formèrent des bourgs, des villes. La propriété s'établit par le droit de primo - culture, et les hommes confièrent spontanément aux plus forts d'entre eux, l'exercice d'une sorte de pa
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ternité qui, par la suite, se compliqua singulièrement dans ses effets et dans son but.
La demeure de ces antiques patriarches n'étoit encore défendue (i), que par l'affection et la reconnoissance d'une famille heureuse et bienveillante. C'est à ces siècles d'innocence, que les poètes ont donné le nom d'âge d'or (2).
La suite de leur allégorie étoit pleine de vérité; car, si les hommes durent quelque bienêtre (3) aux progrès de leur entendement, ils durent aussi une partie des calamités qui
(i) On n'y voyoit pas encore, La garde qui veille aux barrières du Louvre.
(Voyez MALH.)
(2) Voyez OVIDE.
(3) Nous avons dit, tout-à-l'heure (ch. 2.), que la vie morale étoit dans le vœu de la création, qu'elle s'appliquoit à tous les besoins, à toutes les facultés, au bonheur de l'hnmanité. Mais l'homme va toujours au-delà de tout. Les abus de l'intelligence sont aussi nuisibles à l'existence sociale, que la fermentation révolutionnaire le devient à l'existence politique.
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n'ont cessé de peser sur les états, même aux jours les plus solennels de leur grandeur, à ces abus de la pensée, qui suppléent les bonnes lettres par l'emphase , et les bonnes mœurs par l'avilissement et la cupidité.
L'enfance et la barbarie des peuples, sont deux états dont les esprits vulgaires ne sentent pas la différence. Dans le premier, on voit des hommes effrayés de leur foiblesse, en butte à mille causes apparentes ou cachées de destruction, se réunir pour opposer à ces causes, un appareil redoutable de force et de résistance, couler ensuite , au milieu d'une sphère bornée de besoins , des jours sereins et tranquilles , recueillir avec transport, les productions d'un champ dont ils n'ont indiqué les limites, que par interruption de culture. La vertu , chez ces hommes - enfants , n'est point une loi écrite ; c'est l'harmonie de tous les intérêts, la réciprocité de toutes les affections.lls sont étrangers à la paresse,
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parce que tous concourent également à la culture du sol ; à la cupidité et à la violence, parce qu'aucun homme ne s'est avisé d'en dépouiller un autre du fruit de ses labeurs ; à l'orgueil, parce qu'ils sont tous soumis aux mêmes besoins.
Mais, dans l'état de barbarie, les hommes obéissent déjà à des vainqueurs inexorables qui font tout plier à leurs volontés.
Ce n'est plus l'autorité douce et paternelle des premiers patriarches, c'est un despotisme appuyé sur la terreur. Le fort a déjà prévalu sur le foible; il s'est reposé sur lui, du soin pénible de labourer ses terres, pour en dévorer seul les produits. « La guerre, le brigandage ont paru sur la terre ; de grandes passions se sont allumées : il a fallu des torrents de sang, pour s'assurer la possession d'un pays ; la mort a plané sur toutes les tètes, et les hommes d'abord malheureux par la conscience de leur foiblesse, le sont devenus encore davan-
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tage par le sentiment de leurs forces (i). »
Cet état est, selon Robertson , le plus corrompu de la société humaine, parce que les hommes ont perdu leur indépendance et leur simplicité de mœurs primitives, sans être arrivés à ce degré de civilisation, où un sentiment de justice et d'honnêteté sert de frein aux passions féroces et cruelles (2).
Cependant, les familles ont formé des peuples, et ces peuples ont composé des nations, et ces nations, tour-à-tour, policées par un législateur, démembrées par un conquérant, superbes dans leurs triomphes et viles dans leur esclavage, se sont traînées, pendant de longs siècles d'opulence et de pauvreté, de
(1) Voyez BARTHÉLEMY, en son introduction au royage du jeune Anacharsis en Grèce.
(2) Voyez ROBERTSON, introduction à l'Histoire de Charles- Quint, traduction de Suard , de l'Académie françoise.
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gloire et d'opprobre, de crépuscule et de ténèbres, jusqu'au terme marqué pour l'accomplissement de leurs plus hautes destinées, et l'expansion de toutes leurs facultés intellectuelles. Mais, de même que ces guerriers terribles dont la gloire n'est souvent, aux yeux d'un observateur philosophe, qu'un tissu d'exploits ensanglantés, ces spoliateurs illustres qui, d'une main, brisoient des trônes, de l'autre, distribuoient aux vaincus des supplices ou des chaînes, apportent aux souvenirs de l'histoire des titres moins légitimes et moins durables, que le capitaine qui a assuré le bonheur des nations, par des traités pleins de justice et d'humanité, et qui a pu dire, comme Périclès au lit de la mort : « Personne n'a pris le deuil à cause de moi (i) »; de même aussi, les empires qui n'ont été que puissants et redoutables, qui ont fortifié des villes inacces-
Il (1) Voyez PLUTARQUE, rie de Périclès.
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sibles, mis sur pied des phalanges impénétrables , porté au loin la terreur de leurs armes et l'effroi de leurs débordements, passent, et ne laissent d'autres témoins de leur existence, que des ruines défigurées par le temps, quand l'éclat des conquêtes n'a été tempéré par l'éclat du génie. Si quelques chroniques misérables se trouvent encore enfouies sous des tombeaux brisés , elles portent l'empreinte des âges féroces qui les virent naître, et il est plus heureux que regrettable que de pareilles annales soient perdues pour la postérité (i).
L'avenir n'a pas besoin de leçons de dégradation.
Que de peuples orgueilleux, que de boulevards menaçants ont été ensevelis dans l'oubli ! On ignore jusqu'aux lieux où étoient assises ces cités fameuses qui couvroient toute
(1) Voyez DAVID HUME, Hist. de la maison de Plantagenet, traduction de Mme Bélot.
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r Asie de leur nom; l'histoire de leurs rois, leur succession au trône, deviennent des sujets intarissables de doute et de controverse (i).
Que reste-t-il de cette antique Palybothra qui, selon Mégastliènes (2), pouvoit armer quatre cent mille hommes? Que reste-t-il de cette vaste Allahabad, dont l'empereur Akbar érigea, à si grands frais, la grandeur monumentale? et de cette superbe Mahabalipour qui, d'après le récit des brachmames, dut sa
(1) Voyez PAGES , Nouveau Cours de littérature.
(2) Si l'on en croit la relation de Mégasthènes, ambassadeur de Séleucus, à la cour de Sandracotte, roi des Prasiens, Palybothra eût été une cité aussi vaste que puissante. Cette ville qui est réduite, aujourd'hui, à une moitié d'obélisque, étoit située au confluent du Gange et du Jumma; mais Rennel combat cette opinion et prétend qu'on doit reconnoître Palybothra dans la ville de Patna, sur les rives du Gange. (Voyez ROBERTSON, Recherches sur la connaissance que les anciens avoient de l'Inde. —
Sir W. CHAMBERT, Recherches asiatiques. - PAW, en ses Recherches philosophiques, tome I.)
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destruction à l'audace d'un Malescheren son fondateur (i)?
Montrez-moi l'enceinte de
(i) Malescheren, roi de Mahabalipour, ayant obtenu des dieux, d'être transporté dans leur céleste demeure, voulut, à son retour sur la terre, imiter la magnificence des cieux, et il bâtit sa capitale dans cet insolent dessein.
Mais , irrités de son audace, les dieux ordonnèrent à la mer de submerger cette cité, lorsqu'elle étoit parvenue au comble de sa puissance.
On voit que - les peuples isolés de la vraie croyance religieuse, se sont efforcés de reproduire dans les fastes de leur culte, l'historique de la religion juive, en le dénaturant. Tel, le sort des Titans qui n'est qu'une mauvaise caricature de celui que Dieu infligea aux prétendus astronomes de la Chaldée lorsqu'ils travailloient à l'édifice ambitieux de la tour de Babel Je trouve, dans les Annales Corésiennes, une circonstance qui ressemble beaucoup à l'érection de cette tour de Babel, dont certains historiens, pour mettre en défaut les traditions saintes, n'ont voulu faire qu'un observatoire ordonné par des savants.
« Il existe, dit Constant Dorville, chez les Coré siens , une tradition dont ils ignorent l'origine : c'est qu'ancien-
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cette capitale du roi Théglatphalasaar, auquel l'Orient donna tant de marques de respect, de crainte et de bassesse (J)? Combien de générations qui vécurent sans vivre, combien, qui ressemblèrent à la fumée fugitive de l'incendie, ou au tumulte passager de la tempête (':!)! .,.
Ces sommets de pagodes à demirongés, ces frises, ces volutes, ces cônes d'obélisques jetés pêle-mêle au milieu des flots
nement, le genre humain n'avoit qu'un langage j mais que la confusion des langues est venue à l'occasion d'une tour qui fut entreprise pour escalader le ciel, v (Voyez CONST. DORVILLE, en son Hist. des différents peuples du monde.) Voilà donc les traditions de l'écriture sainte accréditées, même parmi les adorateurs du sabisme !
(1) Voyez BOSSUET, Hist. universelle.
(2) Ne peut-on pas appliquer à ces peuples et à ces générations ce que dit Salluste des hommes adonnés à la vie corporelle? « Eorum ego vitam mortemque juxtà existumo, quoniam de utrâque siletur. »
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du Camboge ou de l'A va (i), pour leur servir de digue, est-ce là tout ce qui reste des temples du soleil et de la victoire? Ces simulacres poudreux de statues épars sur les bords sablonneux de l'Indus, ces fossiles humains que vomissent les crevasses du désert, est-ce là toute l'immortalité des triomphateurs qui firent trembler le Caucase ? Des débris sans nom que chasse au loin le vent d'Ethiopie, voilà donc les vestiges du passage d'un grand peuple ! et nul historien ne s'est chargé d'en instruire les siècles !
Ah! le souffle des conquérants a brûlé ces plages malheureuses ; les masses humaines ont été poussées, de vainqueurs en vainqueurs, comme de vils troupeaux; l'intelligence n'a respiré que dans des esclaves, elle n'a obéi qu'à l'ambition ou à la vanité
(I) L'AVA se jette dans le golfe de Bengale, et le CAMBOGK ou ZEVECK, à l'opposite de Bornéo.
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de quelques hommes. Si Rome eût été submergée par un effroyable débordement de la mer-iiiterne (i), serions-nous réduits à divaguer sur sa situation? si les plaines de l'Attique se fussent entr'ouvertes pour engloutir Athènes,ne saurions-nous ni le Parthénon, ni l'Académie ? est - ce dans la Chersonèse taurique (2), que nous chercherions cette métropole des arts et de la sagesse ? Non, les nations qui ont produit des Thucydide, des Platon et des Tacite, ne meurent jamais tout entières.
L'ombre de Bossuet survivra à toutes les révolutions , à tous les bouleversements dont l'Europe moderne peut devenir le théâtre : et si un jour doit arriver où elle sera bannie du
(1) Aujourd'hui, la mer Méditerranée.
(2) La CHERSONÈSE TAURIQUE s'appelle, dans le langage de la géographie moderne , la CRIMÉE : la forme de cette presqu'île ressemble assez bien à celle du Péloponèse.
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sein des François, elle se retirera dans le cœur des barbares, pour les instruire et les civiliser.
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CHAPITRE IV.
miS temps ^rmqut's.
Sed diù magnum inter mortales certamen fuit, vi-ne corporis, an virtute animi, res militaris magis procederet : nam et priùs quàni incipias consulto, et ubi consulueris, maturè facto opus est. Ità, utrumque perse indigens, alterum alterius auxilio viget.
(SALLUSTIl, Conjur. Catilinar.)
TOUTES les nations qui ont parcouru le cercle entier de leur développement, présentent quelques périodes assez distinctes qu'il convient d'indiquer. Toutes sont parties du même
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point, toutes sont arrivées au même but, en atteignant une sphère plus ou moins vaste de pensées et de découvertes. Il est des peuples qui n'ont obtenu d'autre supériorité que celle des armes ou du commerce, comme les Parthes, les Numides. Carthage et Syracuse n'ont guère transmis, dans leurs communications commerciales , que des marchandises, et les productions des contrées éloignées. Il est aussi des états, chez lesquels les progrès de la raison ont été plus ou moins accélérés. Rome n'avoit été que guerrière, jusqu'à Térence et Catulle.
Cependant, elle avoit connu de grandes vertus qui valent encore mieux que les harangues d'un ambitieux (i), et les poëmes d'un libertin ; mais, si tant est que nous voulions ici nous borner aux lettres, sans rien usurper à la morale, les Cincinnatus, les Décius, les Fabricius, précédèrent de beaucoup les Cicéron et, les Horace. La Grèce, plus heureuse,
(1) Je ne connois pas de portrait plus vrai et plus élo-
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formoit à peine un corps de nation, que déjà, elle avoit pu s'enorgueillir d'une Iliade et d'une Odyssée.
Ignorants et grossiers, les hommes établissent, en premier lieu, la supériorité du courage et de la force. Les athlètes les plus vigoureux ont seuls droit à leur admiration, et
quent de Cicéron, que celui qu'en trace Montesquieu, dans son parallèle de l'orateur romain, avec Caton. « Cicéron, dit-il, avec des parties admirables pour un second rôle, étoit incapable du premier. Il avoit un beau génie ; mais une âme souvent commune. L'accessoire, chez Cicéron, c'étoit la vertu : chez Caton, c'étoit la gloire.
Cicéron se voyoit toujours le premier, Caton s'oublioit toujours. Celui-ci vouloit sauver la république pour elle-même, celui-là pour s'en vanter. Je pourrois continuer ce parallèle, en disant que quand Caton ptévoyoit, Cicéron craignoit; que là où Caton espéroit, Cicéron se confioit; que le premier voyoit toujours les choses de sang-froid, l'autre , à travers de petites passions. »
(Voyez MONTESQUIEU, en ses Considérat. sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains.)
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les écoles de gymnastique parurent toujours long-temps, avant les académies destinées à l'enseignement de la philosophie et des beauxarts. Les Hercule, les Thésée, les Jason et tant d'autres personnages prodigieux, furent les premières idoles d'un peuple enfant, tant les hommes aiment à se créer des objets de culte et de respect ! Incapables de s'élever à l'idée d'une divinité qui ne seroit ni la foudre, ni la tempête, ils en confèrent tous les attributs aux guerriers qui étalent à leurs yeux éblouis les hauts-faits les plus étonnants, les formes les plus gigantesques. Ces temps ont reçu le nom d' héroiques, parce qu'ils furent féconds en braves qui, chez les Grecs, exterminoient des monstres , en France, protégeoient la foiblesse et l'innocence, tendoient aux malheureux une main secourable, délivroient les captifs, arrachoient des opprimés à l'injustice et à l'atrocité, couvroient de leur bouclier tutélaire , les femmes, les orphelins ,
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les ministres de la religion, et tous ceux qui ne pouvoient prendre les armes pour leur défense. « Cette noblesse généreuse ne connoissoit d'autre gloire que celle de la valeur et de la force corporelle, d'autre occupation que celle de combattre à outrance ses ennemis, ou de se. livrer au plaisir de la chasse. Impatiente du repos , jusqu'à donner à la paix même, l'apparence de la guerre, par des joûtes et des tournois-où, disoit-elle, la prouesse étoit vendue et achetée au fer ou à l'acier (i). »
Mais, peut-être, les exploits de ces héros ontils été singulièrement grossis dans la suite, par les prestiges de l'éloignement et les exagérations de l'ignorance.
Les événements remarquables des siècles reculés surgissent des ténèbres, avec des for-
(I) Voyez M. Maxime de CHOISECL-D'AILLECOURT, de l'influence des croisades sur l'état des peuples de l'Europe.
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mes plus imposantes, à mesure que s'augmente l'espace qui les sépare de nous ; et, comme les ombres que projette le soleil près d'éteindre son disque étincelant, on les voit arriver à cette apparence fantastique qui les défigure et les mène, comme en triomphe, à travers la nuit des temps. Cette vérité historique émane d'une disposition née avec l'esprit humain. Noble prérogative, qui enflamme ou nourrit les feux de l'imagination, agrandit le présent des souvenirs enchanteurs du passé, retrempe la piété refroidie d'une cour frivole, dans l'enthousiasme des croisades, marie nos illustrations contemporaines aux gloires de la France naissante; comme jadis, dans la maîtresse du monde, elle enivra les Cluentius de la gloire de Cloanthe, et intéressa l'honneur héréditaire du premier des Césars, dans les vertus royales des souverains de laTroade(i)!
(x) On sait que Jules César faisoit dériver son prénom
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L'homme, souvent fatigué des scènes monotones qui se passent sous ses yeux, impatient du cercle rétréci d'événements communs d ordinaires, dans lequel ses jours coulent sans illusions, évoque les ombres majestueuses de l'antiquité, s'exalte dans le récit des choses extraordinaires et semble oublier , dans son berceau , les malheurs de sa vieillesse. Ainsi, l'homme vit de souvenirs ou d'espérances : il se trompe dans des songes, ou s'indigne des réalités. Tel, un voyageur aperçoit de loin des masses vaporeuses (i) dont il brûle d'appro-
d'Iüle, fils d'Énée. Les Cluentius prétendoient descendre de Cloanthe, l'un des compagnons du héros troyen: comme les Memmius comptoient Mnesthée parmi leurs illustres aïeux. Virgile a su adroitement flatter, dans son poëme , la vanité des grands de Rome : Genus à quo sanguine Memmi.
(i) Les personnes qui ont visité les superbes horreurs de la vallée de LaUlerbrullnell, en Suisse, ont pu tcmai-
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cher : ici, un palais d'albâtre ravit ses regards fascinés ; là, un faîte pyramidal recèle, sans doute, les débris d'un grand de la terre ; cette grotte tapissée de feuillages épais doit protéger la source d'une onde limpide et pure ; cette tour couronnée de créneaux, c'étoit le donjon d'un preux, ou l'oratoire d'une aimable et tendre châtelaine ; cette colline ombragée, voilà l'orangerie d'une douairière, ou le parc d'un héros. Mais, hélas ! un rocher blanchi par les orages; la croupe sauvage d'un mont, mu-
quer ces jeux de l'atmosphère vaporeuse qui plane sur les pics de l'Helvétie. Plus on approche de Trachsellavinen, plus aussi, les illusions de l'optique acquièrent de charmes, à la vue de ces villages aëriens, de ces montagnes colossales, chargées de neige et de glaçons et qui, tantôt se présentent comme des châteaux de quartz, tantôt réfléchissent au loin les couleurs primitives, tantôt s'enveloppent de brouillards épais , pour ne laisser apercevoir que leurs cimes menaçantes.
(Voyez SIMON, DEPPING, Voyages en Suisse. M. RAOULROCKETTE, en ses Lettres sur la Suisse.)
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tilée dans son sommet, par l'entraînement des eaux; une citerne sombre et fétide; des masses calcaires entassées en face d'un précipice ; des landes semées de bruyères ; quel cruel décompte! quelles affreuses réalités!
Prestiges des sens physiques, prestiges de la pensée, prestiges des inclinations douces et expansives, prestiges des passions fougueuses, tout est prestiges parmi nous, passagers incertains de la vie, tout est prestiges, hormis la vertu ! Il n'y a de positifs que les naufrages, et le terme de nos destinées, fécond en vérités terribles ou consolantes ! ., Oui, la pureté du cœur est exempte d'illusions, elle brille sans éblouir ; c'est une auguste réalité qui embellit le palais des rois, bien mieux que les trophées et les insignes de la conquête. Aussi noble sous le chaume des patriarches, que sous la tente dorée des vainqueurs ; ici, elle est profanée
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quelquefois, par l'adulation tumultueuse des hommes vendus au pouvoir; là, elle est honorée, chaque jour, par les sueurs du pauvre et les prières de l'innocence. Elle seule prévaut sur toutes les gloires, comme la vérité simple et naïve prévaut sur les artifices du mensonge et l'emphase des paradoxes, comme la charité d'un Fénélon prévaut sur les sentences de Sénèque !
La plupart des hauts-faits qui nous plon- gent, aujourd'hui, dans l'étonnement et l'admiration, n'obtinrent qu'une renommée médiocre, dans les siècles témoins de tant de merveilles : car les contemporains sont toujours disposés à refuser même leur indulgence à l'âge présent, pour reporter un culte superstitieux aux âges qu'ils ne connoissent que par des traditions plus ou moins altérées ; de même que les individus semblent se complaire à vanter, sans cesse, les vertus et les avantages d'une génération qui s'éteint, pour exagérer les vices de la génération qui croît autour de leur vieillesse.
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Laudator temporis acti, Se puero, censor castigatorque minorum (i).
Un enfant se rappelle avec enthousiasme les jeux et les fables qui accompagnèrent ses premiers pas dans le monde. Tous les lieux qu'il a parcourus, tous les monuments qui ont frappé ses regards novices, il se les représente, après une longue absence, sous des dimensions extraordinaires, et, dans un âge avancé, il lui a fallu souvent se convaincre rigoureusement qu'un champ ou qu'une habitation n'a voient pas changé d'étendue, pour qu'il reconnût son erreur qui dérive de la fragilité des sens (2).
(1) HORAT. Ars poet.
(2) Cette erreur vient de ce que les sens n'ont pas encore beaucoup comparé. L'enfant qui n'auroit jamais vu que le toit paternel, arriveroit à un âge assez avancé, sans comprendre qu'il pût exister des habitations plus vastes et plus commodes que celle de sa naissance ; ou l'idée qu'il se feroit d'un palais, n'auroit rien de naturel et de mesuré. De même aussi, l'homme qui n'a jamais quitté le
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Les poètes n'ont pas seulement été entraînés par leur imagination fleurie, à nous peindre leurs héros antiques avec des forces physiques plus qu'humaines : ils l'ont fait pour céder à la pente générale des esprits vers ce genre de séduction ; et c'est encore à ceux dont la verve féconde a su déployer avec le plus de grâce, sur des récits pleins d'enthousiasme et d'extase, le voile enchanteur du merveilleux, que nous adjugeons les palmes de l'épopée. On peut encore déduire des conséquences plus éloignées de ce principe moral qui est inné chez tous les hommes, quelque étendu ou borné que soit, d'ailleurs, leuravan cement social.
Les réputations qui partent d'un centre
bourg au sein duquel il reçut le jour, ne suppose rien au-delà, et juge mal les distances et les formes monumentales, quand il arrive dans une capitale embellie des arts d'Athènes et de Rome.
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lointain, imposent toujours aux esprits foibles, en raison directe de la distance où ils sont du lieu qui en est le théâtre (i). Le vulgaire ne se figurera jamais qu'un homme qu'il peut voir à toute heure, qu'il peut aborder facilement, qu'il peut entretenir sans crainte , qu'un homme enfin, dont toutes les actions lui sont connues , ait reçu en partage le domaine du génie. C'est ce qui a fait dire à un auteur célèbre , que nul n'est grand-homme pour son valet-de-chambre. « Il y a une chose , dit Saint-Évremond, que je conseille à un habile homme, c'est de se rendre le plus rare qu'il pourra. Car s comme la présence diminue l'estime , l'absence et l'éloignement l'augmentent.
(i) On peut en dire autant de l'éloignement des âges.
« Sans monter au char de victoire, Meurt le poète créateur, Son siècle est trop près de sa gloire, Pour en mesurer la hauteur. »
(Y. HUGO, ode a5e.)
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La renommée grossit toujours les objets, et l'imagination va bien au-delà de la vue. Il ne faut donc jamais se prodiguer. Il faut se faire attendre, pour être bien venu (i). »
Mais, revenons aux temps héroïques qui ont donné naissance à toutes les fictions du paganisme et de la mythologie (2), chez les peuples de l'antiquité, et à la plupart des tradi-
(1) Voyez Mélange curieux des meilleures pièces attribuées à M. de Saint-Épremond) tome II.
(2) lia mythologie, ce champ si vaste que l'imagination des poètes a embelli de mille fleurs variées, est un tissu de contes bizarres, et un amas confus de faits souvent vrais dans le fond, mais dénués d'ordre , de vraisemblance et de chronologie. La plupart de ces fictions existoient bien avant Homère; elles passoient de bouche en bouche et avoient acquis une grande popularité, comme nos vieux contes des fées ; mais le poète sut les consacrer dans ses narrations, à une époque où elles jouissoient encore sur l'esprit de peuples à demi-barbares, d'un crédit immense.
Voyez GUÉRI N DU ROCHER, en son Histoire véritable des temps fabuleux.
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tions merveilleuses, chez les nations modernes.
C'est à cette époque où les forces externes prédominent le plus sur les puissances intellectuelles, que la Grèce rapporte, et sa conquête de la Toison d'or, et ses guerres de Thèbes, et sa destruction de Troie. On y voit figurer des circonstances romanesques et des héros invulnérables. Toutes les nations se ressemblent dans cette première phase de leur développement, toutes environnent leur berceau de fables et d'illusions qui le rendent imposant et respectable. Si l'on s'en rapporte aux chroniques chinoises les plus accréditées, leur monarchie fut fondée par un être miraculeux nommé Fo-hi (i), environ deux-mille-neuf cent-cinquante-deux ans, avant l'ère chrétienne.
Ce Fo-hi inventa toutes les sciences, tous les arts et jusqu'aux moindres instruments d'agriculture. Il étoit, à la fois, la Cérès, la Minerve,
(I) Voyez CONSTANT DORVILLE , ouvrage cité.
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l'Apollon et le Vulcain de' la Chine. Les Japonois ont des traditions vénérées qui leur apprennent qu'ils sont aborigènes, ou plutôt que leur origine remonte aux dieux. « Au commencement de l'ouverture de toutes choses, disent-elles, le chaos flottoit, comme les poissons nagent dans l'eau, pour leur plaisir.
De ce chaos, sortit quelque chose de semblable à une épine qui étoit susceptible de mouvement et de transformation.» Cette chose devint un esprit ou une âme, et cet esprit est appelé Kunitokodatsno-mi-katto (i). Il a produit leurs dieux, dont ils établissent deux différentes généalogies. L'une de ces généalogies est composée d'esprits célestes, ou d'êtres absolument dégagés de la matière, et ces êtres
(I) Voyez d'HERBELOT, Bibliothèque orientale. - Le père DUHALDE, le père LECOMTE, en leurs Relations de la Chine et du Japon.-CoNsTANT DORVILLE, ouvrage cité, tome I.
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ont gouverné le Japon pendant une longue suite de siècles.
Rome se forme des débris de la grandeur troyenne. Cette antique Ausonie , patrie de Saturne, berceau de l'âge d'or, est pour Énée, la terre promise aux enfants d'Abraham. Il arrive enfin , après bien des traverses et des naufrages, aux plages de Lavinie, et son fils Iule marqué du sceau des dieux, doit donner son nom au triomphateur de Pharsale (J).
Enfin, on voit un Romulus chef d'une troupe de bandits dont il partage tous les vices, mé-
(r) « Hùc geminas, nunc flecte acies, hanc adspice gentem , Romanos que tuos. Hic Cœsar, et, omnis luli Progenies, magnum cœli veutura sub axem.
Hic vir, hic est, tibi quempromitti swpiùs audi, Augustus Cæsar, divi-genus; aurea condet Sæcula qui rursùs Latio regriata per arva, Saturno quondam ; super et Garamantas et Indos, Proferet imperium. »
(VIRGIL. Æneid. lib. vi.) « Voilà César, voilà ces héros triomphants, Du Lloble sang d'Iule, innombrables enfants." (JACQUES DEULLE.)
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riter, après sa mort, les honneurs de l'apothéose. Cependant, il faut convenir que l'histoire romaine offre beaucoup moins de contes bizarres, de fictions ingénieuses, que celle de la descendance d'Inachus (i). Cette différence tient au sol, et à l'imagination des poètes, qui ne ressemblent pas toutes à celle d'Homère. « L'histoire des Gaulois, dit un écrivain éloquent (2), semblable à ces horizons vaporeux qui se confondent dans les nuages et qu'on ne peut dessiner qu'avec incertitude, s'entoure aussi d'un voile flatteur pour l'orgueil national. De là , cette origine merveilleuse qui fait venir nos ancêtres des rives du Scamandre et du Simoïs, et dont le prestige nous alliant aux Hector et aux Énée, trouve
(1) Vide C. JULII SOLINI Polyhistor, vel rerum tolo orbe rnemorabiliurn thesaurus, cap. 2. — TIT.-LIV. Hist.
rom. lib. 7.
(2) F. MARCHANGV, Gaule poétique.
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(les titres de famille dans les chants d'Homère et de Virgile. »
Le moyen-âge a ses Godefroi de Bouillon, ses Renaud, ses Baudoin, ses Raimond; mais le tableau de leur gloire militaire et aventureuse offre un aspect bien différent des combats de Diomède et d'Ajax, des associations guerrières d'Achille et de Patrocle. Ce ne sont plus des hauts-faits que la raison se refuse à croire, c'est un temps plein de charmes, où la valeur cherche des occasions légitimes de se distinguer. Ce sont des guerres entreprises dans un but noble et généreux par des seigneurs bouillants de jeunesse et de courage, accourant de tous les manoirs de l'Europe , pour voler à la défense de la Terre-sainte, et revenant ensuite, précédés de joyeux troubadours, de trouvères et de chantères, les fabliaux à la main (i), racon-
(l) Voy. JOINVILLE , VILLEHARDOIN, Chrono - SAUMGNY, Mœurs des François.
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ter à leurs dames les périls qu'ils ont défiés, les victoires qu'ils ont remportées , ou soupirer, au pied d'un gothique donjon, ces romances amoureuses et mélancoliques dont s'embellit le code de la chevalerie (i). Ce mélange de rudesse et d'aménité, cette fougue de bravoure, cette soif de prouesses qui n'ont rien de sanguinaire, cette galanterie qui ne se dément jamais, cette loyauté aussi inséparable du preux, que son heaume et son écu, sont les teintes qu'avoit seule droit de verser sur l'époque enchantée des croisades, une religion douce et humaine, et qui ne condamne point des amours chastes et pures.
C'est presque toujours du sein de cet état
(1) C'étoit un temps bien fortuné, quoiqu'en dise une philosophie née des orages politiques et de la dégradation morale des sociétés, que celui, où l'amour purifié par le christianisme, se mêloit à toutes les émotions, étoit de moitié dans tous les hauts-faits: que celui, où la bienveillance et la générosité tempéroient tous les triomphes, et rëparoient les malheurs de la guerre !
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secondaire qui allie encore la douceur à la rudesse , la violence à l'humanité (j), qu'ématient les premiers tributs de l'imagination, étincelants de feu et d'originalité; mais enveloppés encore des langes du mauvais goût. Tels sont les poëmes d'Homère , inimitables, surtout, parce qu'ils furent composés dans ces conditions morales et politiques, où la crédulité des peuples, le retentissement des hauts-faits, le pouvoir du merveilleux, mettent à la dispo sition du poète, tous les mouvements, tous les lieux, tous les prestiges.
Je vois, dans le fond des siècles, l'illustre créateur de l'épopée, sans autre maître, qu'une imagination fraîche de jeunesse et d'enthousiasme , tout brûlant des souvenirs de l'ancienne Grèce, riche de son âme, pour prêter aux fils de la victoire, une éloquence pleine de noblesse et de dignité, plus riche de son
(i) Voyez EARTHKI.F.MY , ouvrage cité.
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cœur, pour traduire les sublimes proportions de la bienveillance et de la générosité, concevant, dans les transports de son patriotisme, le prodigieux dessein de faire revivre, par les peintures de la pensée, le plus imposant drame de l'antiquité. Je vois ce divin fils de Mélès, évoquant toutes les gloires, rassemblant tous les exploits, s'exaltant de toutes les inspirations , s'appropriant le ciel et la terre, les vertus et les passions, agrandissant ses héros des forces divines, transportant, par fois , dans les célestes demeures, les foiblesses de l'humanité, assignant leur caractère, leur physionomie variés, aux Ulysse , aux Diomède, aux Ajax et aux Agamemnon, distribuant à chacun son rôle et ses lauriers, assistant aux conseils des dieux, aux vœux protecteurs des déesses, se plaçant sous la tente d'Achille et sous le faîte somptueux des palais de Priam, groupant tous les charmes , toutes les fictions, toutes les images, tous les enchantements,
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rattachant toutes les prédestinations des guerriers subalternes, à la fortune de la Grèce, disposant toutes les scènes de son vaste tableau, pour la perspective magique des ruines fumantes de Troie, montrant enfin, dans les flammes de cette opulente cité, à l'orgueil des Hellènes, la magnifique aurore de leur puissance, et formant, sans s'en douter, le plus beau patrimoine de l'esprit humain.
Plus près de nous , dans l'optique des âges, paroît l'Énéide, monument éternel de l'impression du génie sur le génie (i). Un grand empire détruit se relève dans la patrie de Saturne , les dieux vieillis d'Anchise , retrouveront un autre culte dans la ville de Romulus : les débris d'Ilion doivent orner le Capitole, et à la descendance royale de Laomédon, est promis le premier trône du monde. Tout est
(1) J. DELILLE, en sa préface de la traduction poétique de l'Enéide.
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noble dans les récits de Virgile, et la colère de Junon , et la fiction du bouclier de Vulcain, et les romans amoureux de Didon et de Lavinie , et le nuage parfumé de la reine de Cythère, et la descente d'Énée dans le domaine ténébreux de Pluton, et, enfin, cette superbe avenue du palais des Césars, toute pleine des illustrations grecques et romaines.
Mais le poète latin vivoit sous l'influence protectrice d'une cour polie et fastueuse, il parloit à un peuple refroidi par la civilisation, et les maximes philosophiques du siècle d'Auguste désenchantent, trop souvent, les mœurs primitives de la vieille Ausonie. L'Enéide, chef-d'œuvre de goût, ressemble à ces forêts d'art et d'imitation, où l'on apercevroit une statue de Pigal. L'Iliade , au contraire, est bien moins une œuvre littéraire , que l'expression poétique de la nature, dans toute la solennité de son ordonnance. Homère marchoit à l'immortalité sans le savoir, Virgile
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dévouoit toutes ses veilles à la renommée.
Tandis que l'un redisoit la gloire, pour la gloire elle-même, l'autre se montroit ingénieux à caresser des vanités contemporaines et à forcer des généalogies.
Ce qui distingue donc éminemment le chantre d'Ulysse, c'est l'invention; elle le place au-dessus de tous les poètes, comme elle a marqué à Platon, le premier rang parmi les prosateurs. Homère florissoit, àpeu-près, deux cents ans après la guerre de Troie (i), et ce grand-homme n'étoit pas éloigné, sans doute, de croire à la plupart des aventures qu'il racontoit avec toute l'éloquence d'une profonde admiration. Le poète dont sept villes de la Grèce revendiquèrent le
(1) 200 ans , selon Hérodote, et 400, d'après Barthélémy. Singulière destinée d'un grand-homme! Les historiens ne s'accordent, ni sur le lieu de sa naissance, ni sur
ilcftocjue où il vivoit : quelle leçon pour la vanité!
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berceau, avoit mendié (J) durant sa vie. Il chanta, dit-on , la guerre de Thèbes, et composa plusieurs ouvrages qui demeurent perdus pour le culte homérique.
Les siècles héroïques ayant toujours été féconds en événements extraordinaires, les poètes n'ont pu rester spectateurs muets des déchirements ou des triomphes de leur patrie.
Voilà pourquoi, on a vu les flambeaux poétiques briller d'un vif éclat, au milieu des ténèbres. Ici, c'est Moïse qui célèbre, dans un cantique sublime, la perte de Pharaon; là, c'est Orphée , Linus, Amphion qui rassemblent, au son du luth, des rochers pour la formation des premières villes, et des hommes pour les habiter; et cet Hésiode qui, dans un style plein de charmes, décrivit les généalogies des dieux et les travaux de la campagne,
(1) Voy. BARTHÉLEMY, ouvrage cité.
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et, enfin , ces larmes si poétiques versées sur les malheurs de la Messénie (l)!
Ainsi, les scènes dignes de la poësie primitive et de l'épopée, appartiennent à l'enfance des nations : cette vaste composition doit être l'écho majestueux de leurs pas redoutables vers la gloire et la puissance. Il est à remarquer que rarement, les triomphes du génie se rendent auxiliaires de l'empire des forces corporelles. Au milieu des faits d'armes d'un peuple barbare, il n'y a encore point de place pour l'imagination : d'ailleurs, ces prodiges de bravoure , ces actions souvent téméraires, réclament un point de vue pour devenir épiques. Les poètes se placent donc, ordinairement, entre le retentissement des exploits, la mémoire grandiose des traditions merveil-
(i) Voyez les Messéniennes de Comon et d'Euclète, (BARTHÉLEMY). — V. Les Élégies de Tyrtée sur les guerres des Lacédémoniens et des Messéniens.
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leuses, et le crépuscule d'une civilisation commençante. Voilà l'époque la plus favorable pour les conceptions épiques.
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CHAPITRE V.
JJoesif.
■< l e decet byinnus, Deus , in Sien ; rt libi reddetur voliim in Jmisulmi.
(Psalm. XLiV.)
N E sous l'influence d'un soleil toujours pur, agrandie dans ses impressions, et par la pompe des souvenirs, et par l'enthousiasme du beau, témoin des prodiges de la valeur et
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de la générosité, embrassant, dans ses regards de feu, la nature tout entière, avec la magie de ses tableaux et l'éloquence de ses inspirations , mesurant enfin son vol à celui du roi des airs, et son domaine à l'immensité ; l'imagination, lorsqu'elle plana, pour la première fois, sur le berceau des peuples, n'eut d'autre langage que la poésie.
Harmonieuse et touchante,quand ellepeignoit le cœur humain dans sa candeur et sa simplicité originelles, vaste et héroïque, quand elle célébroit la gloire des conquérants et les exploits des triomphateurs, imposante et sublime, quand elle détachoit quelques rayons de la splendeur des cieux ou de la majesté divine, on la vit se combiner aux mœurs publiques et leur imprimer ces modifications pleines de charmes qui, tant qu'elles conservèrent leurs teintes primitives, étendirent les jouissances de l'âme, sans altérer ses vertus. Se mêloit-elle, dans le printemps du monde, aux fêtes du peuple-
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saint, ses chants imitoieut les concerts des oiseaux de Sennaar et d'Ephraïm ; pleuroitelle sur le tombeau d'un juste, ses larmes étoient douces comme la rosée du matin et les sucs qui découlent des arbres d'Orient. Que si elle accompagnoit les accords de David ou de Salomon, lorsque ces fils d'Abraham redisoient les louanges du Seigneur, la mélodie de ses rhythmes s'élevoit dans le temple auguste, comme la fumée de la myrrhe ou de l'encens qui brûloient sur les autels !
Ses lamentations avoient quelque chose de la mélancolie du lac d'Asphar (i), et ses grands effets ressembloient aux cimes solennelles du Gelboë et du Thabor. Telle étoit la poésie , chez les Hébreux qui nous en ont laissé le plus ancien monument, dans ce fameux can-
(1) Le lac d'AsPHAR est situé près de Bethsura, non loin de la mer-Morte.
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tique composé par Moïse, après le passage de la Mer-Rouge (J).
L'armée tumultueuse de Pharaon trouvant son tombeau au sein des mêmes flots qui s'étoient entr'ouverts pour la délivrance des légions juives; la main du dieu de Jacob présente à la défaite et à la victoire; l'orgueil écrasé d'une part, l'humilité et la foi blesse triomphant de l'autre; un grand miracle, après tant de miracles, pour la punition des persécuteurs et l'éclatante protection des persécutés; le besoin vivement senti de payer au roi des rois, un tribut solennel de gratitude pour le présent, d'espérance et d'amour pour l'avenir, c'étoit l'épopée que le cœur de Moïse, encore moins que son génie devoit offrir à la terre : c'étoit cette épopée primordiale, traduction naturelle, plutôt qu'imitation forcée
(1) Voyez, chap. 15 de YExocle, traduction de LEMAISTRE DE SACY.
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des grands sentiments et des faits imposants de l'intervention divine, avec ses conditions les plus majestueuses, parce qu'elles étoient vraies.
Plus je médite sur ces vieilles actions-degrâces qui embellissent les livres saints, plus je me plais à y reconnoître le cachet de la vraie poésie. Magnifique nature de l'Orient, grandiose des teintes et des proportions, reflet du plus beau firmament de l'univers, exaltation de toutes les vertus, hommages d'admiration, de respect à l'Éternel, enthousiasme religieux, pureté pareille à celle des ondes du Jourdain, fraîcheur égale à celles des jeunes Sulamites, voilà la poésie d'Israël!
Le chant de triomphe de la Mer-Rouge qui, selon plusieurs historiens, fut composé par l'interprète de la loi du Seigneur, en vers hébraïques , se recommande également, et par l'éloquence du style, et par la hardiesse des figures, et par la noblesse des images. Les mêmes caractères se font remarquer dans les
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cantiques de la prophétesse Débora, d'Anne, dans ceux d'Isaïe et de David (i). Quiconque a du goût, et ce qui est plus rare encore , quiconque apporte à la lecture de ces compositions mémorables , le calme de la bonnefoi et l'absence de tous les préjugés qu'enfante l'irréligion, admirera dans ces hymnes toute la fécondité d'Homère, et quelquefois, un langage plus sublime, parce qu'il parle d'objets d'un ordre plus élevé. On peut conclure delà , que le véritable usage de la poësie appar tint d'abord à la religion qui, en s'adressant
(i) Voyez le cantique d'ÂNNE , ier liv. des Rois, (c. 2.) — Prières et actions-de-grâces de David, 2 liv. des Juges, (chap. 7.) — Cantique d'actions-de-grâces de ses victoires, même livre, (chap. 22.)—Isaie, livre d' Isaïe, (chap. 12.)Moïse ne rapporte point, dans son entier, le cantique de Marie, sœur d'Aaron.
Voyez aussi les chants lyriques de Saül si heureuse ment imités par M. Alphonse de Lamartine, (premières Méditations poétiques).
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à des hommes grossiers, dut les séduire par l'éclat et la variété (i). Aussi, n'étoit-elle, chez le peuple élu , consacrée qu'à chanter les louanges du Seigneur, et à relever ses divins attributs. On la vit, ensuite, prêter ses accents et sa majesté aux cérémonies du paganisme et aux fêtes puériles de l'idolâtrie. Tels sont les hymnes que l'on chantoit pendant les sacrifices, les odes de Pindare, la théogonie d'Hésiode. Des dieux, la poësie devoit descendre aux demi-dieux, aux héros, et ce fut dans cette destination inférieure, qu'elle reconnut pour son chef, Homère qui fixera les regards de tous les siècles, tant qu'on cultivera les lettres sur la terre et qu'on saura encore estimer les jouissances de l'esprit. Les Hébreux furent donc les premiers peuples qui surent la puissance du génie, comme ils surent celle de la vraie philosophie. Ces cantiques pleins d'en-
(I ) Voyez ROLLIN, en son Traité des études.
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thousiasme, ces prophéties bouillantes de verve qui composent leur domaine poétique, furent les sources sacrées, où les chantres d'Athènes et de Rome puisèrent leur coloris. Tel, on vit découler des dogmes immortels du culte de Jehovah , ces préceptes des Socrate et des Platon dont la sagesse devoit briller si pure, à travers les impuretés du paganisme !
On a beaucoup agité la question de savoir si la poësie est le résultat de la civilisation, ou l'expression hardie d'une nature, quelque sauvage qu'elle puisse être, d'ailleurs. On a même poussé le matérialisme du sentiment, jusqu'à avancer que la poésie hébraïque n'étoit qu'une harmonie nécessaire des imaginations orientales avec les feux du climat. Sans doute, il est certaines formes de poëmes qui n'ont pu éclore qu'au milieu d'une société policée ; mais la distribution sage et méthodique des idées, l'atticisme du goût, la fleur du langage, sontelles les éléments nécessaires de cette poësie
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qui enflamme le courage et qui improvise l'héroïsme? Pour moi, je voudrois que la poésie ne dépouillât jamais sa robe virginale, et je préférerai toujours aux poètes asservis par les règles et les principes, Moïse et Debora, David, Ossian (1). Homère créa un genre sans le savoir, il exagéra des exploits qu'on lui racontoit avec transport, et ses récits reçurent le ton d'une imagination fortement ébranlée, voilà ma justification. Le barde de la Grèce ne s'imaginoit guère, qu'un jour viendroit, où il plairoit à Horace et à Boileau de l'enfermer dans le cadre d'une poétique.
Toute la poétique, c'est l'âme. Poètes, exagérez la nature comme Homère, enivrez-vous de ses inspirations, soyez enthousiastes et fougueux; mais n'oubliez jamais que la source de vos couleurs primitives est tarie, quand la na-
(1) Voyez Chants galliques d'Ossian.
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ture physique elle-même, est défigurée par la main des hommes (i)! La poésie est le langage des enfants, comme la philosophie est celui des vieillards ; et je me ris des fabricants de vers qui croient se livrer au délire du Parnasse, dans un madrigal ou un sonnet, comme je me moquerois d'un peintre qui prétendroit imiter un tableau de Raphaël ou de Michel-Ange, d'après la caricature d'un barbouilleur d'enseignes. Il est plus aisé à la verve poétique de s'exalter à la vue d'un chêne couvert de mousse, brûlé dans son sommet, par la foudre, tandisque ses racines tortueuses s'étendent au loin, comme les serpents des forêts, qu'au milieu des savantes dispositions de Lenôtre et de
(i) On a un modèle de cette poésie qui vit de la nature inspirée, dans l'hymne au soleil de CARRIL (Ossian). Celui de Reyrac, en prose assez froide, n'approche point du premier.-Voyez Mémoires sur la poésie natu relle. ( Recueil de l'Académie des Inscriptions et BellesLettres).
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La Quintinie. Versailles est encore moins poétique pour nous, malgré les merveilles d'un grand roi, que les créneaux de Rambouillet et le donjon de Vincennes: le dôme de SainteGeneviève ne deviendra inspirateur, que dans dix siècles!
Mais, dira- t- on, quelle qualification donnez-vous à la poësie dramatique telle que l'ont faite, Corneille et Racine, Crébillon et Voltaire?
J'appellerai ce genre sublime, de grands sentiments, des actions héroïques exprimés, dans un langage pompeux et philosophique et asservis , néanmoins, à des règles fixes et invariables qui laissent un libre cours à l'élan de la pensée, tout en le modérant dans ses écarts.
Mais, je soutiendrai toujours que ce langage n'est pas même dans la nature inspirée. Jamais les dieux ni les héros n'ont rendu leurs discours esclaves d'une mesure sévère , et je ne sache pas qu'un assassin, en méditant un forfait , ait jamais rimé son monologue. En ré-
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sumé, la poësie dramatique si noble et si majestueuse, appartient aux nations sérieuses et réfléchies, pour lesquelles la vertu est devenue une étude politique, et le crime une science pleine de détours et de profondeurs.
Ceux qui prétendent que la poësie ne doit être considérée, sous les zones brûlantes, que comme une harmonie morale des hommes, avec le climat qu'ils habitent , n'ont, sans doute, jamais lu les ouvrages des Scaldes qui étoient les chantres scandinaves ; ils n'ont jamais admiré les hymnes du vieillard de Selma et des bardes de la Calédonie (i). C'est du sein des neiges et des frimas que s'élevoient, près du golfe de Bothnie, ces accents plus doux que
(i) L'étymologie de Skald ou Skiald, vient du mot svégothique skalla ou shialdre qui signifie retentir. Ces Scaldes étoient regardés dans la Scandinavie, comme les dispensateurs de l'immortalité. Nourrie dans le culte d'Odin, leur éloquence étoit rude et farouche, quelquefois douce et légère.
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les soupirs du rossignol, lorsqu'ils caressoient les charmes de l'amour, plus mâles et plus énergiques que les allocutions des héros de l'Iliade et de l'Enéide, lorsqu'ils excitoient le courage et la valeur des combattants (i). Ainsi, la poësie est de tous les pays, elle embrasse également le Nord et le Sud, l'Orient et l'Occident, le pin et l'olivier, les rochers affreux et les plaines fleuries, les cataractes tumultueuses et les ruisseaux limpides qui serpentent sous les cytises et réfléchissent, dans leurs ondes cristallines, un soleil toujours pur, un ciel toujours azuré.
(I) Voyez WoRmius, Littei-at. runic.— PELLOUTIER , Hist. des Celtes.—MONTBRON , Recueil de poésies Scandinal'es.-M. Fr. MARCHANGY, en sa Gaule poétique.
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CHAPITRE VI.
JnûuttKi bt la cbtvattrit, tes croisabts, bu CDmmtrCt, sur lt btutloppnnent moral te l'(furopt.
« De même que les Croisades avoient apporté les romans orientaux en Italie, les guerres de Charles VIII et de Louis XII, transportèrent en France quelques germes de bonne r littérature. François 1er, s'il ne fût point allé disputer le Milanois à Charles-Quint, n'eût, peut-être, jamais recherché le nom de père des lettres (i). »
(RUNAl., Hist. philos. et poütiq. tom. VII.)
COMMERCE.
Les grands exploits militaires et les communications commerciales sont généralement
(i) J'appelle, volontiers de l'opinion de l'abbé Ray-
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regardés comme les mobiles puissants des réactions intellectuelles chez les peuples. Les hommes, dans la réunion de leurs idées et le rapprochement de leurs forces, obtiennent des effets auxquels ils n'auroient pu atteindre, isolés et abandonnés à leurs propres moyens.
Mais pourquoi faut-il que ces armes de conquête se tournent bientôt contre eux, et deviennent des armes de destruction? « Ainsi, dit un orateur, les arts de la pensée ne montreront pas leur génie dans ces républiques industrieuses et commerçantes , où la liberté même n'est estimée que comme un instrument de richesses, où le patriotisme n'est qu'un cal-
nal, relativement à ce qu'eût fait François Ier, sans sa campagne du Milanois, pour la gloire littéraire de son royaume. Raynal juge le roi-chevalier, comme il a jugé la plupart de nos institutions. Mais ce qu'il y a de vrai, c'est que souvent le hasard d'un combat a décidé de la civilisation d'un peuple.
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cul d'intérêt, où les plus grands sacrifices sont des spéculations, plutôt que des vertus ; on n'a jamais vanté les orateurs de Carthage, on ne connoît pas les orateurs de la Hollande (i). »
Excepté ce fameux Archimède qui a encore laissé dans la physique moderne son nom et ses expériences , et quelques historiens qui ne manquent à aucune naticn, quelles renommées littéraires ont pris naissance à Syracuse? Carthage ne produisit que trois capitaines distingués, et l'égoïsme du négoce donna une preuve mémorable de sa politique, lorsqu'il condamna à mort un général malheureux qu'on auroit, à Rome, remercié de n'avoir pas désespéré du salut de la république (2). « Carthage devenue
(1) Voyez M. VILLEMAIN, discours prononcé à l'ouverture du cours d'éloquence.
(2) Le consul Terentius Vai ron avoit fui honteusement jusqu'à Venouse : cet homme de la lie du peuple, n'avoit été pronm au consulat, que pour mortifier la noblesse ;
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plus riche que Rome étoit aussi plus corrompue. Ainsi, pendant qu'à Rome les emplois publics ne s'obtenoient que par la vertu, et ne donnoient d'utilité que l'honneur et une préférence aux fatigues, tout ce que le public peut vendre aux particuliers, se vendoit à Carthage, et tout service rendu par les particuliers y étoit payé par le public (i). »
Barthélemy fait aussi remarquer que la gloire littéraire d'Athènes se corrompit sensiblement sous les successeurs de Périclès, parce que la dépravation amenée par le commerce y
mais le sénat ne voulut pas jouir de ce misérable triomphe. Il vit combien il étoit nécessaire qu'il s'attirât, dans cette occasion, la confiance du péuple, il alla audevant de Varron, et le remercia de ce qu'il n'avoit pas désespéré du-salut de la république.
(Voyez POLYBE, lib. 7.)
(1) Voyez MONTESQUIEU, Grandeur et décadence des Romains.
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étoit devenue générale (i). Lorsque la capitale de l'Attique s'abandonna tout entière à ces spéculations souvent frauduleuses qui dégradent l'homme, en faisant prévaloir dans sa pensée, les richesses à l'honneur, la perfidie à la probité, la science du lucre à la science de bien vivre et de bien penser; déjà on n'y voyoit plus un Socrate parlant à l'esprit de ses élèves, en même temps qu'il parloit à leur âme, leur montrant, à-la-fois, le plus grand écrivain de l'antiquité, et l'homme le plus sage parmi tous les sages de la philosophie païenne ; un Platon laissant, dans ses oeuvres , un impérissable monument de ce désir immense qu'il avoit d'être utile et de contribuer au bonheur de tous, consacrant son éloquence à peindre les beautés de la vérité, le ravissement des cœurs religieux, les plaisirs que donnent les sentiments honnêtes , regardant le vice comme une
(1) Voyez BARTHÉLEMY, ouvrage cité.
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maladie de l'âme, et déclarant qu'il vaut mieux être mort que malad e ainsi; enfin le sage ne s'écartant jamais de sa doctrine et de ses principes et ne cherchant d'autre gloire à ses conceptions, que celle de les avoir mises au jour pour le bien des hommes.
Cependant, si telle est l'influence déplorable du génie commercial, qu'il abrutit et dénature, à la longue, les sociétés humaines, il convient de reconnoître les bienfaits d'une semblable institution, tout en flétrissant les abus qui la déshonorent (i). C'est la corruption
(i) On m'a souvent cité l'Angleterre, comme offrant l'exemple de la compatibilité des lettres avec le commerce. Il faut être dénué des notions les plus simples de l'histoire, pour alléguer une semblable preuve.
On confond généralement, sous le nom de littérature angloise, tous les monuments littéraires de l'Ecosse , et l'Écosse n'est point commerçante. D'ailleurs, la nation angloise ne commença à se livrer au négoce que vers le milieu du règne d'Elisabeth. Jusque-là , le commerce extérieur avoit été tout entier entre les mains des Juifs et
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épidémique des hommes voués, la veille, aux moyens pénibles qui doivent assurer les dé-
les opérations maritimes fort peu importantes, quant à ce qui regardoit la partie mercantile , appartenoient exclusivement aux habitants des cinq-ports. Le reste de la Grande-Bretagne ne s'en occupoit guère : l'impulsion littéraire y avoit été donnée avant l'établissement du commerce; puisque Shakespeare avoit paru, et l'on devoit principalement cette impulsion aux maisons religieuses qui ne connoissoient, il est vrai, d'autre étude que celle de l'histoire et de la controverse, mais qui n'en avoient pas moins dirigé l'esprit de la nation vers la culture des lettres. Il y avoit long-temps, aussi, que l'université d'Oxford avoit été fondée.
L'Angleterre ne peut donc pas être présentée comme une exception favorable aux progrès simultanés de la littérature et du négoce, puisque ce n'est guère que sous le règne d'Anne, que cette nation devint réellement commerçante et qu'à cette époque, non-seulement les plus illustres écrivains anglois avoient déjà parcouru leur vie littéraire, mais que l'Ecosse faisoit partie de l'empire, que ses littérateurs étoient confondus avec ceux des rives de la Tamise, et l'Ecosse, nous l'avons déjà dit, n'a jamais été un peuple de négociants.
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bauches du lendemain, ce sont les vices et la mauvaise-foi, l'ostentation ; la culture de l'esprit , la pureté du cœur oubliées dans les sciences du libertinage et de l'ambition , qui ramènent les mœurs barbares : et le commerce n'en demeure pas moins le premier élément de la prospérité et du bonheur des états. Lui seul, en retrempant, sans cesse, le Nord dans le Midi, l'Occident dans l'Orient, peut maintenir un équilibre heureux entre les variations physiques et morales de tous les climats. Mais, examinons de quelle utilité furent en Europe la Chevalerie et les Croisades, pour l'avancement de la civilisation.
CROISADES.
Considérées dans leurs rapports avec l'émancipation littéraire de cette partie du globe, où s'est fixée la civilisation moderne, ces expéditions lointaines destinées à asseoir, parmi les esclaves de Mahomet, le triomphe
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de la croix, et à rendre l'antique Sion aux vrais enfants d'Israël, produisirent des effets qu'on n'avoit pu ni prévoir, ni attendre. Ces effets sont encore plus remarquables relativement à la France et aux contrées du Nord. La patrie illustre des Virgile et des Cicéron avoit, il est vrai, singulièrement dégénéré de sa classique splendeur ; mais elle nourrissoit encore quelques semences éparses des arts qui avoient embelli le règne des premiers Césars. Avant d'arriver en Palestine, il falloit traverser des pays où fleurissoit l'agriculture, et où les lettres conservoient quelque considération. On sait que l'Italie étoit le rendez - vous général des Croisés, et déjà Venise, Gènes, Pise, avoient donné l'impulsion au commerce qui, dans la suite, leur amena les merveilles de la Grèce.
A l'opposite des côtes de Sardaigne étoit une ville qui pouvoit être regardée comme le centre des sciences physiques. L'école de Salerne devoit sa célébrité et sa gloire aux rap-
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ports multipliés qu'elle entretenoit avec l'Asie (i), et les Arabes qui, riches des découvertes des Grecs, s'adonnoient avec ardeur à la philosophie, à la médecine, à l'histoire naturelle, à l'astronomie, à la poésie, et à qui, enfin, il ne manquoit, dit Thomas (2), que des orateurs, parce que, sous un despotisme militaire ou religieux, on croit, on agit, mais on ne persuade pas. Ces Sarrasins conquérants des nations, leur apportoient à-la- fois des fers et des livres, la terreur et les lumières. On les voyoit affluer à Salerne, de tous les ports de l'Orient, pour y trafiquer avec les Occidentaux. Non loin de Salerne, sur ce même rocher où saint-Benoît jeta les fondements de son ordre, s'élevoit Mont-Cassin, où des moines solitaires et érudits s'occupoient
(1) Voyez les Annales des Bénédictins.-M. de CHOISEUL, ouvrage cité.-M. MICIIAUD, Hist. des rroisades.
(2) Voyez THOMAS, Essai sur les éloges.
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à copier les chefs-d'œuvre d'Athènes et de Rome. Le traité de Cicéron de Naturâ Dei, Homère , Virgile, Horace, Ovide , Théocrite, avoient été disputés par eux à la barbarie des temps ; voilà tout ce qu'ils possédoient du grand naufrage dont ils avoient recueilli les restes ; mais c'en étoit assez pour éclairer les peuples!
On sent que les légions enthousiastes des Croisés, commandées par des chefs hardis et entreprenants , ne pouvoient traverser des pays de mœurs, d'habitudes, de langues diverses, voir des lois, des institutions variées, toute la pompe de l'ancienne Grèce, mariée aux formes nouvelles de la Grèce chrétienne, sans agrandir l'horizon de leurs idées et étendre le cercle de leurs connoissances. Semblables aux enfants qui essayent leurs yeux à la lumière, leurs regards étoient pleins de curiosité ; ils vouloient tout savoir, tout apprendre. Les mœurs efféminées des Orientaux adoucissoient leur caractère, sans le corrom-
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pre ; ils comparoient les masses lourdes et grossières de leurs moutiers gothiques, aux galeries élégantes élevées sous les Constantins. En un mot, les impressions qu'ils avoient reçues étoient trop fortes, pour qu'elles pussent s'effacer de leur mémoire lorsqu'ils rentroient dans leur patrie.
Des relations commerciales s'établirent entre Smyrne et Marseille, Alexandrie et Gènes ; les cours des princes étalèrent plus de magnificence ; on s'écarta insensiblement de cette loi somptuaire publiée par Philippe-le-Bel quienjoignoit à ses seigneurs que nul ne devoit donner un grand mangier( J). Il y eut plus de solennité et d'éclat dans les cérémonies religieuses ; le goût des aventures extraordinaires devint plus poétique et plus romanesque. L'ordre gothique
(i) Voyez DANIEL, Rist. de France. Recueil d'ordonnances de nos rois, tome III. — Règlement de Philippe-lebel, an i3o7.—SAiNT-Foix, Essais sur Paris.
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imité des forêts primitives, singulier mélange des architectures du Nord et de l'Orient, prit un essor aussi élevé que la fin à laquelle on en réservoit la plus majestueuse ordonnance.
Les cathédrales de Chartres, de Strasbourg, d'Orléans, d'Amiens, remplacèrent le vieux style qui avoit présidé à la construction de Saint - Germain - l'Auxerrois (i). Guy d'Arezzo inventa la musique à plusieurs parties, les lignes, la gamme et les syllabes ut, re, mi, etc.
Les chœurs de musique parurent dans les églises et dans les monastères. Le moulin-àvent , si utile dans les pays montagneux où manquent souvent les rivières nécessaires à la mise en mouvement des moulins-à-eau, nous fut apporté d'Asie. Les premiers bienfaits de cette avantageuse importation se firent sentir à Paris; un moulin-à-vent fut dressé sur le
I ) Voyez \Tovrt: Arc ON , Monuments de la monarchie franroisr.
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mont des Martyrs, et devint le modèle de tous ceux que nous voyons aujourd'hui, en France.
La boussole qui apprend au nautonier à se diriger au milieu de la nuit et des tempêtes, dut aussi son invention à l'élan irrésistible communiqué à l'intelligence et à la réflexion.
Les Universités (i), ainsi nommées de l'universalité, ou plutôt de la multitude des sciences qu'on y enseignoit, commencèrent à prendre une forme régulière, et le grand nombre d'étudiants qui y arrivoient de toute part, déposoient de la fermentation morale qui se faisoit sentir dans toutes les têtes (2). Déjà, les hommes avoient appris qu'il existe d'autres professions honorables au-delà du métier des armes. A l'exemple des princes arabes, saint-Louis ré-
(1) Voyez DOM RIVET, Histoire littéraire de la France.
(2) On enseignoit, dans ces universités, les quatre facultés, c'est-à-dire, la théologie, les lettres, la médecine et la jurisprudence.
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solut de former, en France, une bibliothèque immense (i) consacrée à l'usage public. Les Sarrasins d'Asie firent connoître aux Croisés la métaphysique d'Aristote qui, malgré les abus qu'elle engendra , exerça néanmoins utilement des esprits grossiers et matériels. La géographie , l'histoire, firent des progrès étonnants.
Ville-Hardouin, Joinville, n'étoient certainement pas des écrivains sans mérite (2). On croit aussi que ce fut à cette époque que nous empruntâmes des Arabes, les caractères numériques dont ils se servoient et qu'ils avoient eux-mêmes reçus des Indiens (3). Leclerc fait remarquer (4) que les médecins qui suivirent les Croisés en Palestine, eurent occasion de
(1) Voyez Annales du règne de St.-Louis.
[1) Voyez M. de CHOISEUL-D'AILLECOURT, ouvr. cité.
- M. LORIQUET, Abrégé de l'hist. de France.
(3) Voyez Annales des Bénédictins.
(4) Voyez LECLERc, Histoire de la médecine.
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connoître les ouvrages arabes qui étoient tous conçus d'après la doctrine de l'immortel vieillard de Cos, et du praticien de Pergame. Nous allons dire quelle fut l'origine de la renommée immense dont a joui, en Europe, l'école de Montpellier.
Les médecins françois qui avoient suivi les nobles bataillons de la croix, pour réparer, par leurs soins consolateurs, les maux inévitables de la guerre, et mêler leur charité douce et compatissante à la gloire des héros, voulurent, en rentrant sur le sol de la patrie, choisir une situation et un climat pareils à ceux de Salerne (r), pour y fonder l'institution florissante qui honoroit cette antique cité.
(i) On sait que du temps de saint-Louis, la mer s'avançoit beaucoup plus avant dans les terres qu'elle ne le fait aujourd'hui. AlGUES-MORTES où le roi saint s'embarqua, est actuellement placé à une certaine distance de la Méditerranée; ainsi, Montpellier se seroit trouvé, à cette époque , beaucoup plus voisin des flots.
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Montpellier fixa leurs vœux généreux : ce fut là où ils enseignèrent la science sublime par laquelle on arrache l'humanité souffrante aux douleurs et à la mort. Encouragés par la protection d'un gouvernement tutélaire, ils devinrent les premiers patriarches de cette longue filiation d'asclépiades qui, jusqu'à nos jours, se sont transmis , sans interruption, les mêmes droits à l'estime du passé et à la gratitude de l'avenir. Oui, l'école de Montpellier est encore forte des leçons du temps et de l'expérience; aussi ferme dans son éclectisme médical, qu'inviolable dans ses dogmes politiques, enrichie des découvertes nouvelles qu'elle n'a pas embrassées avec la témérité de l'enthousiasme, mais dont elle a confié l'examen à sa sagesse calme et méditative, elle a entendu le choc des doctrines contradictoires qui ont agité les sectes, comme les orages tumultueux de ces révolutions qui touchent à la stabilité des empires : cette école, fille des
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Croisades, est encore sans échos pour les passions humaines : tel, les mœurs efféminées d'Athènes se répand oient dans le Péloponèse, sans corrompre Lacédémone!
Avant saint-Louis, les hôpitaux n'avoient été que des lieux infects, où les malades entassés pêle-mêle, rencontroient promptement le trépas , au milieu de toutes les réactions critiques du principe vital. En vain, les secours d'un art encore incertain et systématique étoient-ils prodigués à ces malheureux; c'étoit des vices fondamentaux de disposition locale et de régime thérapeutique qu'il falloit saper.
Après les Croisades, on vit s'élever peu-à-peu ces asiles des infirmités humaines à cette amélioration que nous admirons aujourd'hui (i) ; et l'honneur d'alléger les maux du corps, en calmant les afflictions de l'esprit, devint la récompense d'hommes aussi vertueux qu'éclai-
(1) Voye2, PEYmi.Hr., Hist. de la chirurgie.
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rés. Ainsi, si les Croisades dépeuplèrent l'Occident de seigneurs quelquefois rebelles et turbulents, elles ramenèrent dans nos contrées les moyens précieux de prolonger ou de rendre la vie, et d'en embellir les loisirs par les sciences et les lettres. Mais , une institution singulière dont l'origine se perd dans les souvenirs de Roncevaux, et qui expira tout entière avec le grand cœur de Bayard, doit actuellement appeler notre attention.
CHEVALERIE.
La chevalerie (i) opéra, dans les mœurs européennes , des modifications qui se sont perpétuées jusqu'à nous. Long-temps, le gouvernement féodal n'avoit été qu'un état de vexation pour les peuples, de guerre et d'inquiétude pour les rois. Occupé, sans cesse, à
(i) Voyez ROBERTSON, introduction à Y Histoire de Charles- Quint.
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réprimer l'ambition des grands vassaux, et à opposer une digue à leurs envahissements, le trône n'avoit ni force intérieure, ni considération au dehors. L'industrie de cette portion si essentielle de la société, de ce peuple enfin qui n'a jamais été féroce que par la férocité de ses maîtres, étoit contrainte dans ses efforts, et la classe orgueilleuse des nobles ne dépouillant jamais, au sein de la paix, les attributs de la guerre, ne comprenoit pas qu'un gentilhomme pût être autre chose que chasseur, dans le si- lence de la vie domestique. Il étoit alors de la dignité d'un homme de condition, de ne paroître dans les villes, qu'avec des meutes nombreuses, et de rendre son ignorance même, un objet de déférence et de respect (i).
Mais, cette noblesse primitive qui nourrissoit dans son cœur tant de germes précieux de générosité , devoit bientôt se dévouer au bon-
(1) Voyez MABLY, Observations sur l'hist. de France.
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heur des hommes qu'elle avoit si long-temps écrasés. Le sang des Germains s'étoit peu-àpeu adouci et épuré dans leur descendance, et les farons (J) n'ayant conservé de leurs pères, que la valeur et la force corporelle, voulurent appliquer ces avantages au profit des peuples. Ils se déclarèrent les protecteurs intrépides de la foiblesse et de l'innocence. Telle fut l'origine de la chevalerie , quand les Infidèles eurent entièrement reconquis la TerreSainte. L'honneur et la justice étoient les caractères distinctifs du chevalier, comme le heaume, l'écu, le haubert, formoient son armure défensive. Le christianisme qui se mêloit, alors, à tous les sentiments et à toutes les passions (2), exaltoit prodigieusement l'enthousiasme de ces braves et leur imprimoit ces vertus
(1) C'est l'origine du mot baron. (Voyez de la ROQUE, Traité de la iioblesse.)-M. LORIQUET, (ouvrage cité.)
(2 ) Voyez ROBERTSON , ouvrage cité.
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sans calcul et sans politique qui sont leurs plus beaux titres de gloire. Cette association de nobles aventuriers donna des exemples de générosité aussi sublimes que ceux de l'antique philosophie ; et peut-être, celle-ci n'a-t-elle jamais autant prêché de bienveillance et d'humanité pratiques (i).
On sent quelle influence heureuse dut exercer sur la renaissance des lettres, le tableau de cette philosophie vraie du moyen-âge. Dans les républiques anciennes, au milieu des monuments du génie, la violence et la férocité ajoutoient quelquefois aux horreurs de la guerre ; un capitaine ne se montroit pas toujours aussi magnanime dans la victoire, que ferme dans les revers ; mais les mœurs modernes reçurent du christianisme et de la che-
(i) Combien cette philosophie usuelle qui s'applique aux bonnes actions, prévaut sur les systèmes de l'esprit humain!
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valerie , les couleurs nouvelles qui les distinguent si éminemment des mœurs grecques et romaines. D'abord, des peuples grossiers ne pouvoient admirer des perfections dont ils ignoroient le besoin et l'utilité; mais dès qu'on eut éprouvé les premiers effets d'une révolution qui rendit à une grande partie de la nation, l'indépendance de la raison (i), dès qu'on eut reconnu et apprécié les avantages de l'ordre et de la stabilité, les hommes se livrèrent à des recherches insolites, et les jouissances de l'esprit furent préférées aux voluptés des sens. Mais, pourquoi des disputes vagues et spéculatives, des subtilités ténébreuses, fuf rent-elles les seuls tributs de l'essor intellectuel ?
Nous avons remonté aux causes des pro-
(i) Voyez l'abbé de MABLY, Observations sur l'histoire (le France.
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grès de l'entendement humain, dans l'Europe moderne; voyons maintenant, ce que fit le seizième siècle, pour le siècle de Bossuet.
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CHAPITRE VII.
$t)mptômcs fttwnt-courcurs bn; granÎJs sicrire, tires bc ritat bc l'(furopc, au seizième.
« Je suis, dans leur essor, nos devanciers célèbres, Météores brillants, nés du sein des ténèbres, Qui, seuls et soutenus par leurs propres travaux, Marchèrent dans la nuit sans guide et sans rivaux. »
(X. B. SAINTINE, La renaissance des lettres et des arts.)
Au siècle des héros invulnérables, succède celui des lois et de toutes les grandes institutions politiques. La gloire militaire qui Jusquelà, n'avoit été que l'élan impétueux du cou-
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rage, le sentiment exalté d'un patriotisme farouche enfantés par la prépondérance du système organique sur la vie morale, devient le prix d'une ambition calculée et réfléchie, des combinaisons d'une tactique habile. La tente du général s'ouvre à la méditation, et la victoire est souvent la récompense du génie.
Les vainqueurs de Salamine et de Marathon remplacent les aventuriers de la Troade. Chez toutes les nations, cette époque de leur développement intellectuel est marquée par des caractères fortement prononcés. Les institutions primitives sont appropriées à des mœurs nouvelles ; l'intérêt d'une vaste famille réclame des améliorations importantes dans les formes et les bases de la justice.
Si la philosophie qui aime à embrasser dans ses regards dominateurs,les phases et les progrès de l'esprit humain, vouloit choisir, dans les annales des peuples, une époque solennelle qui lui présentât à-la-fois, et ce concours de grands
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événements qui accoutument les hommes à des impressions fortes et durables, et ce mouvement général d'impatience et de curiosité, avant - coureur des découvertes importantes, et cette alliance heureuse de la force physique aux efforts de l'intelligence, sans laquelle la raison languiroit encore dans les fers, et cette réunion de circonstances qui couronnent du succès les entreprises hardies et périlleuses, et ce juste tempérament dans lequel la liberté règne sans licence, la valeur sans témérité, la religion sans politique, la politique sans détours, l'érudition sans libertinage d'esprit, et enfin, cette fermentation bouillante dans toutes les têtes, cette lutte entre les souverains , de grandes choses et de grands exploits suivis de grandes pensées et de grands changements politiques ; c'est dans le tableau de l'Europe au seizième siècle, qu'elle devroit chercher ces longues convulsions de l'enfantement littéraire.
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Ici, les Basilides arrachent leur patrie au joug terrible des Tartares ; là, Gustave Vasa délivre son pays et reçoit la couronne en hommage de gratitude. L'Espagne, l'Italie, l'Allemagne , retentissent des victoires de Charles-Quint ; lui seul semble devenir l'Atlas de l'Europe. En France, c'est un François 1er qui se couvre de gloire dans ses triomphes et dans ses défaites, et fait respecter la dignité d'un noble vaincu. Ce grand-homme écrit à Florence pour attirer dans sa capitale les artistes encouragés par les Médicis , en même temps qu'il écrit à sa mère : « Nous avons tout perdu , fors l'honneur ».
Le Nouveau-Monde est découvert, le commerce s'établit entre les Indes-orientales et l'Europe. Naples, Venise, Florence, Ferrare, deviennent le séjour des lettres; les villes de la Flandre s'applaudissent de ne plus appartenir à la maison de Bourgogne : elles ont changé de joug; mais elles ont rencontré sous
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celui de Charles - Quint, l'influence d'un roi ami de tous les arts qui contribuent à la prospérité des peuples. L'industrie manufacturière peuple Lyon, tandis que l'antique colonie des Phocéens s'enrichit des productions du Levant. Francfort, Nuremberg, Ausbourg, répandent dans les contrées du Nord les trésors de l'Asie. L'abeille attique revit dans Guichardin ; le cardinal Bibiena ranime la comédie d'Athènes, dans l'Ausonie de Léon X, et Trissino, archevêque de Bénévent, les tragédies de Sophocle et d'Euripide. Le plus fougueux historien de l'Italie, Machiavel, met au jour cette Mandragore qui vaut peut-être mieux que toutes les pièces d'Aristophane, tandis que le Tasse dans XAminta, et le Guarini dans le Pastor fido, font revivre ce genre de la pastorale qui aura toujours tant de charmes pour les cœurs tendres et sensibles.
L'Angleterre obéissoit alors, à un souverain despote et cruel ; mais la direction nouvelle
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qu'il im prima à la politique, les changements qu'il introduisit dans toutes les branches de l'administration , concoururent à développer, dans le peuple anglois, ce besoin d'études et de réflexion, qu'il appliqua bientôt aux sciences et aux lettres. Falloit-il donc , nous le répétons , que ces premiers essais du génie fussent noyés dans les querelles de religions, et que la chaîne toujours ascendante des progrès littéraires et moraux, fût quelque temps interrompue ( i ), jusqu'à ce que Louis XIV rassemblât, à lui seul, tous les lauriers et toutes les gloires! Bientôt, ces restes de fanatisme,
(I) Voyez ROBERTSON , introduction à Y Histoire de Charles-Quint, relativement au mélange des premiers efforts intellectuels avec de vaines disputes théologiques.
— MACHIAVEL, en son histoire VOLTAIRE, Essai sur les mœurs des nations.
Singulière condition du génie ! A peine est-il affranchi de ses fers, qu'il essaye sa liberté dans de nouvelles chaînes qu'il s'impose à lui même. Combien d'erreurs il doit traverser, avant d'arriver à la vérité!
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dernières ombres d'une nuit de douze siècles, se dissipèrent à l'approche de l'astre éclatant qui de voit éclairer un si vaste horizon.
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CHAPITRE VIII.
Du goût.
Quod senlitur latente judicio, velut palato.
(QUINTIL. lib. 6, cap. 3.) Il faut avoir de l'âme, pour avoir du goût.
(VAUVENARGCES.)
J L seroit difficile de tracer du goût une définition exacte et précise. Cependant, il doit être regardé comme une fleur de discernement qui révèle à des hommes privilégiés les beautés
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vraies des prod uctions de l'esprit. Comme la législation du goût s'exerce principalement sur les travaux de l'imagination, il convient de nous étendre sur le double caractère de cette reine auguste des lettres et des arts.
Il y a, pour ainsi dire, deux sortes d'imaginations. « L'une ( i ), impatiente et enthousiaste compose ses inspirations dans des proportions toutes métaphysiques, exagère tous les sentiments , s'abandonne sans réserve à des rêves chimériques destinés plus à charmer qu'à instruire notre exil. De ces descriptions séduisantes qui ont tant de prix aux yeux des peuples privés de la réalité d'une belle nature ou de ceux dont la vie intellectuelle est soumise à l'influence d'une atmosphère embrasée, s'est formé ce genre de littérature qui a reçu chez les modernes le nom de romantique. Toujours
(i) Lettre h une Académie de province, sur l'école romantique, par Joseph BARD.
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sombre et mélancolique, il se complaît dans les idéalités d'une nature vaporeuse, et aime à ramener, sans cesse, l'âge présent aux scènes souvent fictives que le voile des siècles dérobe à nos regards. Vague dans ses espérances, comme dans ses souvenirs, dans ses regrets, comme dans ses consolations, la littérature romantique ne définit rien sur la terre.
« L'autre, semblable à la nature qui se révèle aux sens , conserve à cette fille céleste ses formes virginales, traduit tous les soupirs, tous les vœux, toutes les pensées, en tableaux gracieux et brillants, reproduit par des peintures ingénieuses les images qui l'environnent, et emprunte à leur coloris vrai, ces nuances lé gères et gracieuses, imposantes et sévères dont les poètes classiques embellissent leurs récits.
Amie du merveilleux, la littérature de Virgile et de Racine, en justifie l'emploi, par l'intervention des puissances éthérées, et la part de la nature est gardée. »
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Il faut donc, pour se faire du goût une idée juste et rationnelle, supposer aux hommes appelés par leur conformation morale, à s'approprier les tableaux du monde, ou à en juger l'application, un sentiment heureux, par lequel ils comparent la nature imitée avec la nature positive, une harmonie intellectuelle qui se met en rapport avec toutes les idéalités raisonnables. C'est le goût que les hommes apportent en naissant, avec l'organisation littéraire; car, dit un jeune académicien, ce sentiment est bien plus sûr pour juger, que la méditation (i). Le goût est susceptible de s'épurer et de se mûrir par l'étude et la réflexion : il se communique aux moeurs publiques et aux arts qui en sont l'expression.
On sait que Paul-Emile, après la conquête de la Macédoine, ayant donné une fête magni-
(1) Voyez M. VILLEMAIN, Discours prononcé à l'ouverture du cours d'éloquence, octobre, 1822.
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fique à toute la Grèce , et ayant remarqué qu'on en trouvoit l'ordonnance plus élégante et plus belle qu'on n'avoit droit de l'attendre d'un homme de guerre , répondit : «Vous avez tort de vous étonner. Le génie qui apprend à bien ranger une armée en bataille, préside également à la distribution d'une fête (J) ».
(1) Voyez ROLLIN, ouvrage cité.
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CHAPITRE IX.
«Motrt et îiwaSfiKf Ses Irttra.
«Dans l'éloquence, dans la poésie, dans la littérature, dans les livres de morale et d'agrément, les Frapçais furent les législateurs de l'Europe. »
(VOLTAIRE , Siècle de Louis XIV.) «« Quare aliàs sensus audaces et fidem egressi placuerint, alips abruptee sint sententise et suspiciosae, in quibus plus intelligendum est quàm audiendum : quare aliqua setas fuerit, quse translationis jure uteretur inverecundè. »
(SENEC. epist. 114.)
AINSI, les conquêtes et le commerce, les victoires et les défaites, l'esclavage et l'impatience des chaînes, les migrations des hommes vers d'autres climats, le mélange des indivi-
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dus, amenèrent l'ardeur des recherches, et celleci, l'ère la plus glorieuse pour le génie , celle où il ne produit que des chefs-d'œuvre dans tous les genres soumis à ses investigations.
C'est le siècle de Louis XIV dans toute sa sérénité : lorsque Corneille et Racine fixoient la tragédie, Despréaux les règles invariables du goût, que la voix des Bourdaloue et des Mascaron tonnoit dans la chaire évangélique, que l'aigle de Meaux s'immortalisoit dans l'histoire, en même temps qu'il immortalisoit ses héros, dans ces oraisons funèbres qui sont devenues les modèles du genre ; qu'il dictoit aux potentats de la terre des leçons sévères, mais aussi profitables à leur propre félicité, qu'à celle de leurs peuples, que Fénélon nous léguoit un poëme immortel, dans une prose toujours élégante et noble; que La Fontaine illustroit une carrière où l'on n'avoit remarqué que deux hommes, avant lui (i), et la fermoit, sans re-
(i) On connoît la qualification que donnoit au Bon-
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tour, à ses successeurs ; que Molière peignoit avec cette supériorité de talent, cette éloquence de vérité inimitables pour tous les nourrissons dégénérés de Thalie, les vices et les ridicules de la société au milieu de laquelle il vivoit, depuis la gravité pédantesque des médecins, jusqu'à la suffisance ignorante des marquis ; que Montesquieu commençoit une éducation qui devoit nourrir de si grandes pensées, que d'Aguesseau formoit ce cœur que la France trouva si fécond en vertus ; que les Lamoignon , les Letellier , honoroient la magistrature de leur vigilance , de leur intégrité et de leurs talents ; que Labruyère reprochoit à sa plume ces caractères pleins de vérité qui sont ceux de la nature humaine, lorsqu'elle est façonnée à l'état social ; que Laroctiefoucauld tracoit ces maximes aux-
homme, une dame de beaucoup d'esprit. Mme de la Sablière appeloit LaFontaine, le Fablier.
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quelles on n'a rien ajouté; en un mot, que la France, réfléchissant sur la moitié de la terre, l'éclat du génie, des institutions et des armes, s'enorgueillissoit de fleurir encore par toutes les vertus des temps anciens.
DÉCADENCE.
Mais hélas ! pourquoi les révolutions physiques qui changent, tout-à-coup, la face du globe, sont-elles aussi réservées à l'empire de la pensée et de l'imagination ! Ses victoires ne pourront donc jamais être durables, il ne pourra donc jamais compter sur ses conquêtes, et ses plus belles fleurs devront toujours se flétrir ! Triste et pénible vérité ! AM peine arrivé à ses plus hautes conceptions, l'entendement s'émousse et s'affoiblit. Les besoins de l'espèce humaine se sont étendus d'une manière effrayante, à l'aide d'une civilisation renforcée qui traîne à sa suite des arts
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frivoles et souvent dangereux. Les couleurs fades et apprêtées du bel-esprit ont succédé aux teintes mâles et énergiques du génie créateur. La peinture ne représente plus que des actions mesquines et rétrécies, légères et séduisantes ; l'architecture a perdu toute sa majesté ; la musique a pris un caractère efféminé, et au lieu d'éveiller le courage, elle l'énerve dans les plaisirs des sens externes. Le langage, auparavant plein de dignité n'est plus qu'un assemblage de périodes artistement combinées, de tours soigneusement enchaînés , de mots sonores et souvent vides de sens (i). Une troupe d'imitateurs qui se disent initiés aux secrets de l'éloquence et du sentiment, s'attachent bien moins à découvrir quelque idée neuve, à mettre au jour quelque vérité utile, à manier un sujet encore brut et ingrat, qu'à copier servilement les modèles de leurs devan-
(1) Voyez SÉNÈQDF,, ouvrage cité.
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ciers, en les affublant d'épithètes et de périphrases redondantes. Chacun veut instruire ou réformer ses semblables, soumettre l'imagination à des règles froides et stériles, comme si Homère et Milton, le Camoëns et le Tasse avoient circonscrit leurs inspirations dans les cadres étroits d'une poétique, et adapté leurs récits à des formes imaginées long-temps après eux, par des maîtres désespérés de ne pouvoir atteindre au grandiose de leurs conceptions.
Cependant, jamais les écoles n'ont été aussi multipliées, jamais les hommes-de-lettres n'ont été environnés de témoignages plus flatteurs de la considération publique; jamais, les inventions du luxe n'ont offert plus de charmes et de commodités à l'opulence. Toutes les classes de la société veulent se précipiter, à-la-fois, dans la lice, pour y recueillir des palmes et des encouragements. L'ambition du pouvoir ou de la renommée a passé dans tous les rangs On se torture l'es prit, pour enfanter des cor
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positions monstrueuses d'emphase et d'affectation. Mais, tous ces symptômes sont ceux d'une décadence littéraire et morale. L'instruction des hommes n'est plus qu'une branche vénale d'industrie, d'autant plus sûre, que leur avidité pour le bel-esprit, est devenue plus générale. Ce n'étoit pas pour augmenter leur fortune , que Zénon et Anaxagore formoient des disciples tels que Périclès, mais bien, pour enrichir l'état de citoyens vertueux et éclairés.
Les mœurs long-temps épurées au creuset de la civilisation, se corrompent et s'avilissent ; la jouissance d'une liberté honnête fait place aux rêves de la licence et de la démagogie. Ce même peuple qui avoit senti le besoin de s'imposer des lois, est tourmenté de la soif de les détruire. Le vice semble étaler son plus hideux spectacle, là où croissoient l'honneur et la probité. Déjà, une confusion horrible est le résultat du dérèglement des idées.
Quelques philosophes, à la vérité, ont bien
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soutenu, pendant quelque temps, l'édifice ruineux de la raison ; mais ils ont été bientôt écrasés par sa chute, et les traditions sublimes de la morale et du goût, ont été ensevelies avec eux dans l'abîme effroyable creusé par la barbarie, pour en être , peut-être, après de longues années, évoquées par des sages. Les sages prévirent tout ce désordre ; mais les sages sont-ils crus dans ces temps d'emportement (i) ?
Tel est le sort des plus beaux siècles, des plus belles institutions, de ces monuments augustes de la perfectibilité humaine. Que sont devenus ces fameux tribunaux d'Egypte, ces épreuves tumulaires où la justice ne transigeoit jamais avec les passions ? et cet aréopage de la Grèce qui, dans la gravité de ses sentences , cherchoit toujours à reconnoître l inno-
(i) Voyez BOSSUF.T, Oraison funèbre de la reine d'Angleterre.
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cence, pour taire tomber sur le crime tout le poids de la flétrissure ?. Tout passe dans le monde, la civilisation et la barbarie, l'opprobre et la vertu, les lettres et l'ignorance, les palais et les chaumières ; et ce n'est pas en vain que l'Ecclésiaste a dit : vanitas vanitatum et omnia vanitas (i)! Cette époque de déchéance, où les puissances de la vie immatérielle semblent exilées pour toujours, du milieu des peuples, avoit frappé, et la ville d'Auguste, et cette capitale élégante, l'orgueil des Hellènes, et la Rome Pontificale. Époque de stérilité dans l'imagination, de perfidie dans la politique, de bassesse et de dissimulation dans le caractère, époque plus dangereuse encore, que celle où la vengeance n'empruntoit pas les dehors trompeurs de la loyauté , et où les crimes étoient bien moins enfantés par la cupidité et la dépravation, lèpres hideuses des sociétés
(0 oyez le livre de VEcclésiaste, chap. i, verset 2.
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usées, que par l'aveuglement et la barbarie.
En montrant l'écueil fatal contre lequel sont venues se briser toutes les nations qui ont eû leur apogée de gloire littéraire, c'est-à-dire, cette décrépitude inflexible qui étendit son voile sombre, dès les règnes d'Alexandre et de Tibère ; nous avons peut-être, bien involontairement sans doute, reproduit quelques traits du tableau qu'offrit notre France, au dixhuitième siècle : siècle plein d'orages qui, dans ses derniers jours, auroit si profondément enseveli tous les vieux dogmes du bon-goût, tous les vieux principes de prudence et de raison, auroit enfin porté aux mœurs publibles un coup si meurtrier, que la patrie des preux ne se fut probablement jamais relevée de son abjection, si le rétablissement des lois, des croyances, du gouvernement légitime n'avoit amené celui des lettres, et ouvert une école nouvelle (i), qui a déjà donné des gages de
(i) Nous ne voulons point parler ici de l'école roman-
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ses forces et préludé glorieusement à son avenir, en s'attachant invinciblement au culte de l'antiquité et du siècle de Louis-le-Grand.
Rouille de la dégradation, contente-toi d'avoir souillé tant de mines fécondes que nous avions revivifiées: Babylone, Mempliis,
..,.
elles brillèrent de jeunesse et de vigueur, tu les as dévorées! Athènes, Corinthe et toutes les villes célèbres de l'Asie-Mineure,
tu as rongé leur gloire! l'Italie s'est parée deux fois des arts du Péloponèse, tu ne lui en as rien laissé !. Épargne donc, au moins, cet héritage moral défriché par François Ier, et couvert de prospérité et de magnificence, par le triomphateur de Lille et de Tournay.
Les regards attendris de ses enfants se reportent, sans cesse, vers leur auguste bienfaiteur.
tique; mais bien de celle des Bonald, des La Mennais, des Maistre, etc.
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Jamais, les nombreux amis des lettres n'ont entretenu un commerce plus intime avec la grande famille qu'il rallia autour de ses lauriers, comme pour en tempérer l'éclat. Jamais, ils n'ont salué d'un hommage plus pur ces philosophes qui ont honoré l'espèce humaine par leurs vertus, autant qu'ils l'ont instruite par leurs pensées ; et si quelques novateurs hardis, quelques dogmatiseurs insolents et pervers essayent de faire prévaloir leurs opinions extravagantes et hasardées sur les principes des Fénélon et des Racine, de la même manière qu'ils voudroient substituer un néologisme ténébreux, à la langue de ces grandshommes ; que l'exemple d'une majorité imposante de bons esprits, de citoyens droits et judicieux, fasse triompher les bonnes-lettres, et ramène invariablement leurs ennemis désarmés aux règles immuables du goût, comme aux sentiments indélébiles de la franchise et de la justice.
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Malgré les progressions bien prononcées que nous venons d'examiner dans ta marche de l'esprit humain, il ne faut pas croire que ces phases soient susceptibles d'être divisées avec une exactitude rigoureuse. Tout se lie, dans la nature ; c'est-à-dire, qu'on ne sauroit assigner d'une manière absolue le commencement d'un siècle nouveau et la fin de celui qui l'a précédé, littérairement parlant. Quand on cite les grands-hommes que Périclès encouragea de sa munificence, il en est aussi plusieurs qui appartiennent à la vie publique de Thémistocle, ou d'Aristide, comme Virgile fut le lien de deux empires, comme le grand Corneille, après avoir assisté aux derniers moments de Richelieu, vécut encore assez, pour contempler l'aurore du plus bel âge dont puisse s'enorgueillir l'intelligence humaine. Car cet âge est, selon Voltaire, celui qui approche le plus de la perfection, enrichi qu'il étoit de toutes les
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découvertes et de toutes les conquêtes des nations anciennes (t).
(1) Yovoz VOLTAIRE , Siècle de Louis XIV.
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CHAPITRE X.
Q[oup-b'odl sjrnfral sur la pl)ilDSopl)ir.
« J'ai appliqué mon cœur pour connoitre la prudence et la science, les erreurs et l'imprudence, et j'ai reconnu qu'en cela même, il y avoit bien de la peine et de l'affliction d'esprit. »
(Ecclés. chap. i , vers. 17, trad. de Lemaistre de Sacy.)
VANITÉ DES RECHERCHES MÉTAPHYSIQUES.
QU'EST - CE que l'intelligence , quelle est sa nature, son origine? Peu de questions ont été aussi violemment débattues, el il est peu d'é-
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crivains qui les aient abordées avec des intentions pures, ou dégagées de tous les préjugés de l'école. Trop souvent, le désir de mettre au jour des opinions neuves et hardies, celui d'insulter à des croyances respectables, ont égaré la plume des métaphysiciens, et le plus grand nombre d'entre eux ne nous a transmis que des rêves ou des paradoxes.
Ce fut toujours après les conquêtes brillantes de l'imagination, je dirois presque, en face de leur tombeau, que les peuples s'accoutumèrent à disserter froidement sur le principe de leur existence et de tous les phénomènes qui s'y lient (i). C'est, à cette époque de stérilité,
(i) Nous ne voulons point, ici, bannir du domaine des connoissances humaines, les siences qui se bornent à classer les phénomènes de la vie physique, à les étudier dans leurs résultats, leur application ; mais nous regarderons toujours comme superflus les efforts des psycologues qui voudront remonter aux principes finaux et qui préten-
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qu'on vit des novateurs impatients, la plupart dépourvus, et de ces connoissances positives (i) qui ouvrent la voie aux grandes découvertes, et de cette profondeur de pénétration qui va droit à la vérité, l'embrasse sous toutes ses formes, la saisit dans toutes ses analogies, et de cette sagacité de discernement qui la développe en silence et la proclame avec réserve, et enfin de cette indépendance de toutes préoccupations, de cette loyauté de caractère, sans lesquelles l'esprit humain ne rencontre qu'abîmes et mensonges, s'ériger en réformateurs des nations, s'imposer la tâche ambitieuse de déraisonner avec arrogance et de plonger leurs ignorants sectaires,
dront disserter sur les causes, comme ils dissertent sur les effets.
(i) Nous voulons parler de la physiologie. Cette science de l'homme vivant est, quelquefois, une sauve-garde contre les égarements de la métaphysique. Mais, aussi, qu'il est facile d'errer, en concluant de la matière!
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ou dans la stupidité de l'admiration, ou dans les ténèbres du matérialisme, ou dans la perplexité des hypothèses les plus contradictoires.
« Ainsi, péchant toujours dans la forme, et ordinairement dans le fond, voulant faire voir leur pénétration qu'ils auroient pu si bien montrer dans tant d'autres affaires qui leur étoient confiées, ils entreprirent des disputes vaines sur la nature de Dieu qui se cachant aux savants, parce qu'ils sont orgueilleux, ne se montre pas mieux aux grands de la terre (i) ». Mais, au lieu de se livrer avec tant d'ardeur à la recherche de causes finales qui déjoueront toutes les conjectures, tant que la force procréante de toutes ces causes secondaires ne nous aura pas initié aux secrets de sa puissance et de ses volontés ; les dogmatiseurs de tous les temps eussent peut-être bien mieux servi le bonheur général qui sembloit
(1) MONTESQUIEU, ouv. Cit.
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devoir être l'objet et la récompense de leurs veilles, en s'efforçant de rectifier le jugement des hommes altéré par les séductions du luxe et les vices avant-coureurs de la décadence, en leur présentant la vertu dans la simplicité et la candeur de ses antiques patriarches. Ils auroient, je crois , obtenu des triomphes bien plus précieux , en leur montrant le domaine immense que la pensée peut soumettre à ses luis, qu'en leur apprenant, par un exemple contagieux, à disserter sur l'origine du souffle intellectuel, et sur la main invisible qui l'a envoyé sur la terre, comme son plus bel ouvrage. Pourquoi les hommes préjugent - ils toujours si favorablement de leurs forces et de leurs moyensPJ n'en connoîtront-ils donc jamais les bornes ? et parce que la mer, l'air, ont été soumis à notre empire, les révolutions astronomiques à notre calcul, parce que chaque jour voit encore naître des découvertes importantes pour la vie de relation, doit-on
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conclure de-là, qu'un jour viendra aussi, où tous les grands éléments du monde cesseront d'être des problêmes? Mais alors, quelle distance nous sépareroit de la divinité ? Il n'y auroit plus, entre le créateur et la créature, que cet intervalle politique établi par la sagesse des lois entre un souverain qui tient de sa couronne le pouvoir exécutif, et le sujet qui, tout en calculant les ressorts du gouvernement, n'en relève pas moins de son autorité (1). «Parmi les philosophes, les uns ont
(i) Les poètes sont, quelquefois, de très-grands philosophes. Voyons comment s'exprime Pope, relativement à la foiblesse humaine :
« Mortel, si ton regard perçant l'immensité , Pouvoit de tous les cieux pénétrer la structure, Et de leurs habitants deviner la nature , S'il voyoit, à-la-fois, par des retours constants, Tous les mondes, sans fin, l'un sur l'autre flottants, Suivre, autour du soleil, leur marche régulière, Tu pourrois lire au sein de la cause première; Mais, ces secrets d'un Dieu , te sont-ils découverts, Foible atome, est-ce à toi d'embrasser l'univers ? »
(Essai sur l'homme, traduction de M. de FONTANES.)
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prétendu qu'on pouvoit savoir totit, ce sont des insensés, les autres que l'on ne pouvoit rien savoir; ceux-là ne sont pas plus sages.
Les premiers ont trop donné à l'homme, les seconds lui ont donné trop peu; les uns et les autres se sont jetés dans l'excès (i) ».
Cependant, la raison trouva çà et là, des interprètes dignes d'elle. Tous les pays comptèrent quelques sages : et peu s'en faut que Socrate condamné à boire la ciguë (2), parce qu'il osoit professer l'existence d'un dieu seul dans sa puissance et son immensité, Anaxagore traité d'impie, et, malgré les larmes de
(1) LACTANCE, ( de Falsâ sapientid, lib. III. cap. vi ).
(2) « Je me suis souvent demandé, dit, quelque part, Xénophon, comment les accusateurs de Socrate ont pu persuader aux Athéniens que ce grand-homme méritât la mort. Socrate est criminel, soutiennent-ils, parce qu'il méprise les objets que vénère la république, parce qu'il corrompt la jeunesse par des dogmes pernicieux.» (XÉNOP., chos. mémor. de Socrate, liv. Ier, page ire. )
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Périclès, banni honteusement d'Athènes parce qu'il soutint qu'une intelligence divine avoit (i) présidé à l'arrangement de l'univers, Cicéron enfin, qui, en descendant de cette tribune où il avoit fait retentir tant de fois, au milieu d'une assemblée ivre d'admiration, les noms saints de religion, de patrie et de bien public (2), se moquoit avec ses amis des fables du paganisme, et leur faisoit, à chaque instant, une confession énergique de son incrédulité; peu s'en faut, dis-je, que ces illustres citoyens n'aient pensé, sur bien des points, comme les Pascal et les Newton (3). Ces bienfaiteurs de
(1) M. CASIMIR DELAVIGNE, en son épître à MM. de l'Académie Françoise.
« La Divinité, même, inspire Anaxagore, D'un exil flétrissant l'arrêt le déshonore. »
(2) Qui ne connoît cette fameuse profession de foi relative aux divinités du polythéisme, que Cicéron faisoit à son ami Atticus : Adeo-ne me delirare censes, ut ista credam ?
(3) '<■ Paucis mutatis verbis, atque senténtiis, christiani
fierent. » ( S. AUGUST.; dè doct. chtis. cap. !¡:)
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l'humanité, loin de ravaler nos destinées à la vie purement organique des animaux, aimoient à s'élever, dans leurs considérations sublimes, jusqu'à la source céleste du génie, et à honorer de leur reconnoissance et de leur amour, le dispensateur suprême qui les avoit si largement partagés. L'ostracisme imposé à d'illustres Athéniens fut, peut-être, aussi utile à l'émancipation religieuse des Hellènes, que le martyre de quelques pêcheurs le devint au triomphe de l'Evangile.
BERCEAU DE LA PHILOSOPHIE.
Les siècles patriarchaux doivent être regardés (i) comme les plus beaux âges de la sa-
(r) « Aux premiers temps du monde, époque fortunée, Qui donnoit d'heureux jours et de longues années, Où , même après cent ans, loin encor du tombeau, Le pasteur, de son fils préparoit le berceau , etc. »
M. deNonviNs, poëme de l'Immortalité de l'ame.
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gesse humaine, puisqu'elle étoit alors l'inclination naturelle de tous les hommes, l'harmonie fortunée de toutes les familles. Seth, Énoch, Abraham, Joseph et Moïse, joignoient à la pratique de la vertu, une intelligence supérieure , et une participation éclairée aux connoissances scientifiques qui fleurissoient déjà sur les rives de l'Euphrate. On sait que le pasteur d'Haran (i) devoit à l'école de Babylone de compter avec une exactitude rigoureuse; et ce fut à cette même école que les Égyptiens puisèrent des données positives sur l'élévation de pôles, qu'ils apprirent tout ce qui concerne la division du jour en douze parties, et l'usage du quart du cercle (T.). Le
(i) La Genèse, chap. n.
(2) Il paroît certain, que ce fut en Chaldée, et non en Égypte, qu'on inventa le zodiaque. Voltaire montre, quelque part, que les signes inventés par les Chaldéens, ne pouvoient pas convenir aux Égyptiens qui, par exemple, n'auroient point représenté le taureau au mois d'avril,
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philosophe le plus lettré de ces premiers temps du monde, fut, sans contredit, l'immortel législateur des Juifs. Mais , tandis que Moïse écrivoit l'histoire des enfants d'Israël, déjà les Chaldéens se vantoient d'une antiquité prodigieuse. Leurs annales défigurées par des supputations mensongères et des calculs spécieux, dérobées mystérieusement aux yeux vulgaires, se perdoient dans la nuit des siècles. Inventée pour mettre en défaut les traditions du peuple de Dieu, leur civilisation fictive avoit enfanté des astronomes et des savants, ayant que le Créateur n'eût jeté la terre dans l'espace. Les prêtres de Ninive, à l'autorité trop respectée de pareilles croyances , ajoutoient encore les prestiges de leurs prédictions, et prétendoient
puisqu'ils ne labouroient pas dans cette saison ; qu'ils ne pouvoient, non plus, figurer février par une cruche d'eau, attendu qu'il pleut très-rarement, en Égypte, durant ce mois.
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pénétrer le mouvement des astres et la vicissitude des saisons. Le sabisme, c'est-à-dire le culte du feu céleste, et des intelligences divines, et le dogme de l'immortalité de l'âme, formoient la base essentielle de leur religion (J).
Quelque éloge qu'on fasse aujourd'hui de la philosophie des Egyptiens, des Mèdes, des Assyriens, des Phéniciens (2), quelque source qu'on interroge pour exhumer leurs monuments scientifiques ou littéraires (3) , je suis tenté de croire que cette vaste sagesse des
(1) Les Chaldéens croyoient qu'une intelligence divine présidoit à chaque constellation, et lui donnoit la lumière et la vie. ( DIODORE-DE-SICILE. liv. 2. )
(2) SANCHONIATON dont Eusèbe nous a conservé quelques pages , ne nous dit rien de la philosophie des Phéniciens; nous savons, seulement, que ce peuple industrieux , transmit à notre Occident, son alphabet et sa langue, et qu'il fonda Carthage. ( Eus. hist. temp. )
(3) Voyez de vastes recherches sur tous ces peuples : THOMAS STANLAY'S historj of philosophy.
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nations séparées du peuple-saint, se réduisit à la politique déguisée de prêtres imposteurs qui, au lieu de se consacrer tout entiers au service des autels, semblables aux Mages de la Perse, aux Gymnosophistes des Indes, aux Eubages et aux Sarronides des Gaules, s'appliquoient à la connoissance des astres, et en tiroient des armes puissantes pour l'asservissement moral des hommes soumis au despotisme théocratique. Il est très-probable aussi, que la magie dont le fameux Zoroastre enseigna, le premier, les dogmes chimériques, dans les temples de Suze, n'étoit autre chose que l'astronomie mêlée de sentences et de présages.
Les Mages étoient, à-la-fois, médecins , astrologues (i), mathématiciens, et ils étoient en-
(i) Ou a beaucoup agité la question de savoir si les Mages qui vinrent d'Orient à Bethléem, conduits par une étoile éclatante, pour adorer le dieu des Juifs, étoient les mêmes que ces Mages si célèbres en Perse, par leur savoir
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vironnés, dans leur patrie, d'une considération si imposante, que Cambyse allant faire la guerre, sur les bords du Nil, se reposa sur un de ces Mages nommé Pathizithès, du soin de gouverner l'état, pendant son absence (1).
Nous ne pourrions guère apprécier que d'une manière foible et presque conjecturale,
et leur sagesse. L'Écriture ne désigne point positivement de quelle partie d'Orient ils arrivèrent ( Evang. cap. 2. ).
Quelque dérision que l'incrédulité cherche à verser, aujourd'hui, sur cette noble migration de sages, je tendrois à croire que ces mages étoient quelques philosophes de la Perse, plus instruits que les autres dans l'astronomie.
Ayant aperçu, au-dessus de la Judée un météore lumineux, ils suivirent cette boussole, et arrivèrent directement à Bethléem.
(1) Pathizithès avoit un frère nommé Smerdis qu'il mit sur le trône, à la place d'un fils de Cyrus, que Cambyse avoit fait tuer. Cette supposition causa de grands troubles et obligea les premiers Satrapes de se défaire de Pathizithès et de tous les autres Mages. (Eus., chro. — Herod.
lib. 2. )
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l'état de la philosophie , chez ces hôtes antiques de l'Asie. La bibliothèque d'Alexandrie qui renfermoit tant de précieux documents sur leurs mœurs, leur histoire, leurs habitudes, nous découvriroit bien des trésors, et nous donneroit la clef de bien des problèmes, si elle n'avoit été ravie, par le fanatisme d'un Musulman, à la curiosité des siècles avides de lire dans les traditions du passé, pour éclairer l'avenir.
Pendant que le joug humiliant des mômeries sacerdotales pesoit sur les peuples de l'Orient; les Celtes tremblants sous la verge formidable des Druides (i), prostituoient auv
(i) Quelques philologues ont cru que l'origine du nom de Druides étoit hébraïque, et que ces prêtres qui s'appliquoient à la contemplation des œuvres de la nature avoient été appelés ainsi du mot Derusim qui signifie, dans la langue d'Israël, ceux qui recherchent quelque chose. Je croirois plus volontiers que l'étymologie de Druide se trouve dans le mot J'puç, qui signifie chêne. Le
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ministres d'Esus et de Teutatès, le titre auguste de philosophes. Ces contemplateurs si zélés des ouvrages de la nature, rendoient la nature elle-même complice de leur odieuse tyrannie, en faisant servir ses plus terribles effets, à la consternation des Gaulois superstitieux. Également versés dans la médecine, l'astrologie, la politique, la jurisprudence et la magie (1), ils s'étoient approprié toutes
nom de ces prêtres pouvoit fort bien découler de l'objet principal de leur adoration religieuse. Ce mot epug existoit avant la langue grecque, puisqu'il est phébicien. Tout cela, comme on voit, se rapporteroit encore assez à cette opinion qui fait des Celtes, une colonie de Phéniciens.
Plusieurs dénominations conservées dans notre langue, attestent encore le séjour des Druides. Dreux, MontDrud, etc. ( Voyez chacun en ce qui concerne son histoire, ROUILLARD, hist. de Chartres, THOMAS , hist. d'Autun, JEAN MUNIER, mém. d'Autun.)
(1) Diogène Laërce compare les Druides aux sages de Chaldée, aux philosophes de la Grèce; son admiration pour ces prêtres chargés d'imposture et de dissimulation, est sans bornes.
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les charges de l'état, ils étoient devenus les arbitres souverains de toutes les affaires publiques et particulières.
C'étoit, dans l'obscurité sépulcrale de forêts aussi vieilles que le monde, traversées par des eaux fétides, quelquefois même, au milieu des horreurs d'une nuit orageuse et des emblèmes de la mort, ou à la lueur vacillante de lampes suspendues dans les noirs rameaux des sapins, que les Druides célébroient leurs abominables mystères. C'étoit-là, qu'au pied toujours humide d'un chêne chargé du guy sacré, rongé jusque dans ses entrailles par la mousse et les lichens , entouré de simulacres informes des dieux de la foudre et des tempêtes, les Semnothées, le front ceint du bandeau étoilé, consommoient sur les autels de Tarants ( t), de Dis (2), de Niorder (3), le
(1) Dieu de la foudre.
(2) Dieu de la nuit.
(3) Dieu des tempêtes. ( Vove/. DOM MARTIN, Religion fies Gaulois )
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sacrifice sanglant des victimes humaines. Il est aisé de voir que la philosophie de ces temps misérables étoit tout entière entre les mains des prêtres. Instrument de passion et de despotisme , la science dégradée-dans son élément comme dans son but, la science faite pour éclairer les hommes, appartenoit toute à quelques-uns d'entre eux ; le fanatisme et la crédulité , l'esclavage et la misère étoient l'apanage des peuples (i). La robe blanche des Platon et des Pythagore, étoit bien moins un symbole de justice et de pureté, que le voile hideux d'une théocratie dévorante.
PROGRÈS DE LA PHILOSOPHIE CHEZ LES GRECS.
Instruits par les Hébreux, les Egyptiens et
(i) On peut consulter, avec avantage, relativement aux mœurs des Druides et des Gaulois, l'ouvrage de LAUREAU, Hist. de Fr. av. Clovis.
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les Perses, ce fut aux sages de la Grèce (i), qu'il étoit réservé d'être vertueux par le sentiment de la vertu, et savants, pour révéler au genre humain son pouvoir et sa dignité.
Ces hommes généreux, quels sont-ils? La sérénité se peint sur leur front, leur vie est exempte de mystères, leurs sentences n'ont rien de prophétique, leur attitude rien de composé : leur doctrine coule plus douce que le miel des abeilles de l'Himette. On les voit partager les plaisirs, et compatir aux peines de leurs semblables, on éprouve, en les écoutant, une émotion vive et profonde, une satisfaction intérieure qui augmentent le désir
(1) The philosophers of Greece dcduced their morals of the nature of man, rather from that of god. They meditaded, however, on the divine nature, as a very curious and important spéculation; and in the profound inquiry, they displaycd the strength and weakness of the human understanding. ( GIBBON'S History of the decline andfall of the roman empire. )
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de les écouter encore : s'ils s'élèvent au ciel, c'est pour consoler la terre, s'ils parlent de bienfaisance, c'est pour tendre une main secourable à toutes les infortunes. Ah ! préceptes immuables de la raison, dogmes saints de l'humanité , vous seuls donnez à l'âme les jouissances de la paix et du bonheur !.
Alors, les peuples reconnoissants du Péloponèse, décorèrent du nom de philosophes, ces amis sincères de la sagesse, qui ne s'arrachoient au silence de la retraite et aux méditations de la pensée, que pour distribuer des bienfaits. Ces hommes de mœurs simples et austères, aimoient à affronter les fatigues et les dangers, pour aller au-delà des mers, recueillir l'héritage de la science et consulter les anciennes traditions. Après de pénibles efforts, ils formoient des systèmes vastes dans leur ensemble et précis dans leur application; une telle philosophie ne tendoit qu'à rendre l'humanité meilleure, en l'instruisant sur sa nature
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et sur ses devoirs. C'est ainsi qu'un Thaïes de Milet avoit franchi cette Méditerranée qui devoit transmettre à-la-fois à nos contrées occidentales les trésors du Levant, et les découvertes de l'intelligence, la pourpre de Tyr, les parfums d'Arabie avec les sciences de Babylone, pour aller demander aux oracles de Sérapis et d'Isis les grands secrets de leur culte symbolique; c'est ainsi qu'un Pythagore fixa longtemps son séjour à Héliopolis, pour recevoir de la bouche iVÉnuphis, le dogme populaire de la métempsycose, peut-être, aussi, quelques-unes de ces idées d'harmonie générale dont il proclama les lois, et que, long-temps avant lui, les prêtres d'Égypte avoient concentrées dans leurs demeures inaccessibles et dans l'obscurité des sanctuaires (1). C'est ainsi qu'un Démocrite, un Anaxarque, un
(1) On peut voir une belle description de la doctrine de Pythagore dans Cicéron. ( Somnium Scipionis. )
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Pyrrhon, un Apollonius, vinrent s'initier à la religion et à la morale des bords de l'Indus ; qu'un Euclide sortoit de Mégare (i), sous des vêtements étrangers à son sexe, pour venir, au péril de ses jours, écouter à Athènes les leçons de Socrate; qu'un Cébès et un Simmias quittèrent la ville de Thèbes leur patrie, pour vivre dans la familiarité, du fils de Sophronisque ; qu'on vit un Xénophon consacrer à l'amitié du plus vertueux des Athéniens, des loisirs que le héros des dix-mille eût pu rendre si flatteurs pour son amour-propre, dans les cercles brillants des Archontes (2). Voyez-vous
(1) AUL. GELL. noct. att., lib. 6. cap. 10.
(2) Xénophon, après sa superbe retraite des dix-mille, fut abordé, un jour, dans une rue d'Athènes, par Socrate qui lui barra la voie avec son bâton. Où trouve-t-on les choses le plus utiles à la vie , demanda le philosophe, au héros? Au marché, répondit celui-ci; eh bien! ajouta Socrate, venez chez moi et vous l'apprendrez. Xénophon ne quitta plus le grand-homme, que pour se rendre à l'armée de Cyrus.
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ce Platon si grand par ses vertus , si grand par ses exemples, si grand par ses doctrines, qui plus éloquent que Socrate son maître, a pour ainsi dire monnoyé, dans son style divin, pour l'usage de la postérité, la plus belle âme des siècles antiques? Le voyez-vous allant promener ses pensées près des tombeaux des Pharaons , et du lac de Méris, et modifier ses propres méditations par la philosophie de Thèbes et de Memphis? et cet Eudoxe qui consentit à s'exiler pendant treize années de la patrie de Solon, pour y revenir après de longues études, avec ces connoissances approfondies et cette imagination exaltée qui servent toujours si bien la cause de la philosophie dans l'opinion des, hommes? C'étoit, alors, le pélerinage de la sagesse ; il valoit bien ceux de la Mecque, d'où l'on n'a jamais rapporté que le fanatisme de Mahomet, et la férocité de ses sectaires!.
Nous venons de voir les Thalès de la Grèce,
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protéger la philosophie naissante, de leurs méditations, de leurs périls et de leurs vertus, seconder de leur éloquence la direction heureuse imprimée à l'intelligence et à la raison, et montrer, dans la bienfaisance de leur cœur, la dignité de leur langage, l'austérité de leur vie, l'ouvrage presque accompli de cette morale sublime dont ils se rendoient les apôtres.
La philosophie d'un Socrate étoit simple, parce qu'elle étoit vraie, elle étoit pure, comme la source d'où elle émanoit ; c'étoit l'évangile dans la bouche du plus vertueux des païens.
CHINOIS.
En suivant d'une manière rapide et succincte, les progrès de la philosophie chez les différentes nations qui sont venues, tour-à-tour sur la terre, y laisser, ou les traces périssables de la puissance physique, ou les monuments immortels du génie ; nous ne saurions refuser
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une place dans notre tableau, à ce peuple bizarre, crédule et humain dont la civilisation se perd dans la rouille des âges , et qui, enseveli dans un cercle routinier de connoissances, de pensées et d'habitudes, semble appartenir à tous les siècles, en n'en scellant particulièrement aucun.
Deux grandes sectes philosophiques divisent les lettrés chinois (i). Les uns sont voués à la doctrine de Fo, les autres professent celle de Confutzée que nous nommons Confucius.
Si le culte de Fo est aussi méprisable par les impostures et les extravagances qu'il consacre, que par l'infamie des bonzes, qui, chaque
(i) Indépendamment de ces deux sectes, il y a encore celle de Ju-Kiau. Elle forme celle des philosophes de la nature. Leur système qui est un mélange confus et informe des idées de Confutzée et de Fo-hi, et de vieilles chimères métaphysiques, est, actuellement, ce qui constitue la religion moderne des lettrés. ( Cons. DORVILIF. ,
ouv. cit. )
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jour, s'étudient à en imposer à la plus vile populace (i) ; il n'en est pas de même des dogmes de Confucius (2). Les philosophes de la Chine ne prétendent pas qu'il ait établi une
(1) Quelques bonzes enlevèrent, un jour, un jeune homme et, après l'avoir lié dans une cage de fer, et lui avoir mis un bâillon qui l'empêchoit de crier, ils le présentèrent à la populace assemblée sur les bords d'une profonde rivière. « Ce jeune homme, dit un bonze, a la dévotion de se jeter dans ces eaux, nous lui avons permis de remplir son dessein ; mais il n'en mourra pas. Il sera reçu par des esprits charitables qui lui feront un accueil aussi favorable qu'il puisse le désirer. En vérité, c'est ce qui pouvoit lui arriver de plus heureux. Cent autres ont ambitionné sa place; mais nous lui avons accordé la préférence, en récompense de son zèle et de ses autres vertus. » Cependant, le hasard fit passer par-là le gouverneur de la province. Il voulut apprendre du jeune homme, les circonstances de son enlèvement. Instruit de tout, le gouverneur ordonna qu'on s'assurât des bonzes et que le supérieur de ces coquins fût précipité dans le fleuve, (DORVILLE. ouv. cit. NIEUHOFT, trad. de lie Carpentier.)
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(2) Confucius est le même philosophe dont les Japonois honorent la mémoire sous le nom de Koosi.
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religion ; mais ils croient qu'il a conserve l'ancienne dans toute sa pureté (i). Aussi, relèvent-ils l'instant de sa naissance par les plus étonnants prodiges. Les anges, disent-ils, descendirent jusque sur la terre, pour contempler, de près, les traits augustes de cet enfant miraculeux ; et les voûtes célestes retentirent de concerts sublimes. A peine eut-il ouvert ses yeux à la lumière, que des dragons ailés entourèrent son berceau, pour protéger des jours si précieux au genre humain (2). Dans un âge encore ordinairement tout soumis aux plaisirs et aux jeux de l'enfance, le jeune Confutzée se distinguoit par un maintien grave et sérieux. Il laissoit percer un amour extrême
(1) Voyez KOEMPFER, trad. angl. de son Hist. du .Japon, liv. 2, chap. 3.
(2) Confutzée naquit cinq-cent-cinquante-un ans avant J.-C., et, selon quelques auteurs chinois, quatre-centquatre-vingt-trois, seulement. Son père qu'il perdit presque en naissant , le fit appeler enfant de douleur.
(Voyez le P. COUPLET, en ses Relations de la Chine.)
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pour la vertu, et remplissoit ses devoirs avec ardeur. Après la lecture approfondie des meilleurs livres, de vastes et profondes méditations , des recherches pénibles et laborieuses, ce grand-homme ouvrit, dans la province de Lu, cette école de morale qui fit revivre l'âge d'or. Alors, dit un auteur chinois, « le respect pour les pères resserra les liens de la société dans les familles, la vertu régna dans tous les coeurs ; l'équité devint si grande, qu'on n'auroit pas osé ramasser ce qu'on auroit trouvé dans une voie publique, à moins que l'objet trouvé n'eut appartenu à celui qui s'en seroit saisi; et tous les citoyens vivoient entre eux avec autant d'intelligence et d'union, que s'ils n'eussent été qu'une seule famille. » Voici quelques points de la morale de Confutzée.
« j° La morale pratique a deux objets principaux , la culture de la nature intelligente, l'institution du peuple.
on L'un de ces objets demande que l'enten-
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dement soit orné de la science des choses, afin qu'il discerne le bien et le mal, le vrai et le faux ; que les passions soient modérées, que l'amour de la vérité et de la vertu se fortifient dans le cœur et que la conduite envers les uns et les autres soit décente et honnête.
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4° Le philosophe est celui qui a une connoissance approfondie des choses et des livres, qui pèse tout, soumet tout à la raison, et qui marche d'un pas assuré dans les voies de la vertu et de la justice.
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i3° La vertu n'a aucun besoin de ce dont elle ne pourroit pas faire part à toute la terre ; et elle ne pense rien qu'elle ne puisse s'avouer à elle-même, à la face du ciel.
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16° Il y a trois degrés de sagesse : savoir ce que c'est que la vertu ; l'aimer ; la posséder.
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22° Une nation peut plus par la vertu que par le feu et l'eau : je n'ai jamais vu périr le peuple qui l'a prise pour appui (i).» On peut voir, d'après ces points abrégés du dogme philosophique de Confutzée, que la morale humaine ne pouvoit pas rencontrer un interprète plus vertueux ; mais, à la Chine, comme sous d'autres latitudes, il y a des bonzes et des prêtres qui mêlent à la morale, le fanatisme et le mensonge et trafiquent honteusement de la crédulité des peuples.
Nous avons vu ce qu'étoient les ministres de
(1) Voyez le P. DUHALDE, Hist. de la Chine, tome 2.
-L'abbé PRÉVOST, Hist. gén. des voyages.-DORVILLE.
ouvrage cité.
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Fo-hi, et par quelles manœuvres ils surprenoient la confiance et le respect ; les sectaires de Confutzée échangent aussi, trop souvent, les devoirs de leur mission, contre les soins dégradants du despotisme et de la tyrannie.
Ainsi, les œuvres de ce grand-homme renferment la philosophie des Chinois tout entière.
Mais, après avoir étendu nos regards jusqu'aux confins de l'Orient, revenons à ces contrées que venoit d'éclairer la lumière naissante du christianisme.
ÉTAT DE LA PHILOSOPHIE, DEPUIS LE BAS-EMPIRE, JUSQU'AU SEIZIÈME SIÈCLE.
Depuis l'époque de la translation de l'empire romain sur les rives du Bosphore, jusqu'à la fin du seizième siècle , la science de la sagesse prit une direction inaccoutumée. Enveloppée de subtilités scolastiques et d'arguments captieux, elle ne fut long-temps qu'un jeu du lanGage,
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sans devenir un abus de 1 esprit : sou alliance à la religion du Christ lui imprimoit, d'ailleurs , un caractère respectable, et elle s'attachoit à former la raison, sans vouloir dessécher le cœur. Cette religion sublime, et par la pompe de ses souvenirs, et par la pureté de sa morale, et par la gloire de cette ère nouvelle depuis si long-temps prédite à la postérité de Jacob par les enfants d'Aaron, cette religion, dis-je, défigurée par le langage d'Aristote, transformée en matière inépuisable de questions pointilleuses et absurdes, étoit encore, entre les mains de moines ignorants, un objet digne de fixer l'attention des peuples. Mais, quel spectacle déplorable, de voir la doctrine éternelle du fils de Dieu, reposer presque entièrement sur des distinctions futiles, la plupart des orateurs de la chaire , tandis que les successeurs dégénérés des Césars régnent sur la corruption des mœurs et l'affectation stérile de l'esprit, se traîner dans les
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sentiers épineux d'une théologie spéculative, oublier la gravité et les devoirs de leur mission , pour disputer si le rayon qui brilla autour du Christ, sur le mont Thabor, étoit de feu créé ou incréé ! Tel étoit alors, le caractère philosophique , qu'on vit, dans la ville de Constantin, un héritier du trône de Trajan et de Marc-Aurèle, demander humblement pardon à des moines insolents, de s'être laissé enfermer dans un argument captieux, relativement à la chair du verbe et à la transfiguration du Saint-Esprit (i). Cependant, bientôt, on négligea cet art sophistique, cette ambiguité de termes qui remplirent les écoles, jusqu'à la fin du quinzième siècle. La philosophie se divisa en plusieurs branches d'un même arbre. Des âmes nobles et vertueuses,
(i) On peut lire, pour avoir la juste mesure du caractère philosophique de cette époque, PROCOPE; LEBEAU* Hist. du Bas-Empire.
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indépendamment des idées contemplatives, embrassèrent la morale évangélique, d'autres se livrèrent à la recherche des causes naturelIes, sans dépasser les bornes de l'analyse et de l'expérimentation. On abandonna aux rhéteurs les puérilités du syllogisme, et aux théologiens, ces subtilités dans les propositions, à l'aide desquelles on raisonne de tout, sans rien savoir.
CAUSES DE LA LONGUE ENFANCE DES SCIENCES
PHILOSOPHIQUES.
Les hommes observés dans leurs premiers pas vers la civilisation, de même que l'individu considéré isolément dans les premières périodes de son développement intellectuel , se trouvent, pour ainsi dire, malgré eux, entraînés à vouloir tout expliquer, à se rendre compte de tous les phénomènes qui les frappent , avant d'être arrivés à pouvoir les ana-
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lyser. Ce n'est qu au moyen de longues aberrations, qu'ils parviennent à cette pureté de jugement, à cette maturité de pensées qui préparent des principes solides, et jettent dans le vaste domaine des sciences, ces fondements durables sur lesquels viennent s'asseoir des travaux positifs. Il a fallu, en quelque sorte, que la vérité se trouvât presque toujours précédée de l'erreur (i) ; et la première, à la honte de notre esprit, eût, souvent, éludé tous nos efforts, si la main du hasard n'eût dévoilé, parfois, des mystères inaccessibles à nos investigations.
Promenons nos regards sur le passé, nous y verrons, dans des temps reculés, les connoissances les plus utiles à la société, cachées sous de ridicules déguisements et ne laisser percer quelques formes réelles, qu'à fravcl's toutes les illusions du faux raisonnement. La
(i) Fontciie-lle.
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théologie scolastique, regardée comme la partie la plus essentielle de la croyance auguste des Ambroise et des Jérôme ; la médecine, enveloppée d'un empirisme aveugle, l'astronomie d'interprétations erronées et de calculs chimériques ; l'histoire naturelle , entourant son origine de contes merveilleux sur les vertus des plantes et des minéraux (]) ; la physique générale défigurant ses premi ères données par des explications forcées ou puériles, et se perdant dans la recherche des qualités occultes et des causes inabordables.
Il a fallu que des observations exactes, une expérimentation sévère, réduisissent, peu-à-
(1) On peut voir les vertus singulières que DIOSCORIDE attribue au peuplier, au laurier, à la rhue, au scorpionterrestre, etc. (Cap. i5, lib. i ;-cap. 42, lib. 3;—cap. 10, lib. 2, de Usu pharmaceuiices, Edid. Thcobal. Lepleig.
Vindo. Lugd. apud J. et Franc. Frello., 1543.-VOY. aussi THÉOPHRASTE, lib. rj , de Humore et sapore plant. Edid.
Paris. Egidi. Gourmonc. 1529.)
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peu, les prétentions d'une métaphysique grossière qui avoit envahi toutes les avenues de la raison humaine. « Mais, depuis que des théories simples ont remplacé des spéculations ténébreuses, et que les écoles ont achevé de dépouiller le vain clinquant d'une dialectique abusive, nous avons vu l'art des Asclépiades, par exemple, rappelé par degrés à une plus juste direction, par des esprits droits, reprendre, comme aux beaux jours de son aurore, le sentier de l'observation. Ouvrons les fastes de la science, étudions toutes les doctrines qu'elle a vues se succéder, depuis celles de ses premiers patriarches, jusqu'à celles de nos contemporains, et nous serons bientôt étonnés des puissants efforts qu'ont faits les hommes de tous les âges, pour arriver à la vérité ; heureux, si les préjugés des temps, si la préoccupation en faveur d'hypothèses ingénieuses, n'eussent pas continuellement détourné leurs travaux du but vers le-
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quel ils tendoient (i) ! » C'est cette manière de procéder qui a fixé de premiers principes et commencé à former l'immense trésor scientifique de l'âge présent. C'est elle qui a conduit Galilée et Toricelli à chasser de l'école la doctrine de l'horreur du vide qui y régnoit depuis Aristote et qu'il devoit, lui-même, à ses devanciers : c'est elle qui a placé les Priestley, les Lavoisier , les Fourcroy, les Biot, les Chaptal et les Gay-Lussac, dans un rang si supérieur à cel ui des Arnaud - de-Villeneuve, des Paracelse et des Van-Helmont.
RENAISSANCE DE LA PHILOSOPHIE.
Ainsi, les premiers efforts de la philosophie nouvelle amenèrent l'ardeur des recherches et des réflexions, l'activité des esprits, et ac-
(1) Voyez Considérations sur VAdynamie, lues à l'ancienne Académie et insérées dans les Mémoires de la So-
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coutumèrent les hommes à se livrer à des exercices aussi utiles au cœur, que profitables au génie. Les relations commerciales eurent aussi une grande part à ce développement. Pendant le douzième et le treizième siècles , le monopole des denrées de rlnde avoit été tout entier entre les mains des Lombards ; mais, bientôt, on vit se former, dans les pays voisins de la mer Baltique, cette vaste confédération anséatique qui trouva dans le commerce ses richesses et sa prospérité, et sa gloire dans son indépendance.
Un peuple conquérant et fanatique avoit apporté sur les côtes d'Afrique et dans l'Espagne méridionale, avec les impostures de Mahomet, et le charlatanisme oriental, quelques
ciété de Médecine de Paris, janvier 1818 ; par le docteur BARD, de l'Académie royale de Médecine, Médecin de l'Hôtel-Dieu de Beaune, membre correspondant de la Société royale de Médecine de Marseille.
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germes de bonne philosophie. Les Arabes chargés des débris littéraires d'Athènes et de Rome, avoient rendu aux lettres les œuvres de Tite-Live, Pline, Cicéron, Tacite, par des commentaires et des traductions. Ils cultivoient avec succès l'astronomie, la médecine, la géométrie et la chimie, tandis que les Albucasis, les Avicenne, les Alli-Abbas, les Averroës et les Rhazis (i) conservoient quelques
(i) Jusqu'au commencement du douzième siècle, l'Espagne partagée entre les Musulmans et les Chrétiens , voyoit, cependant, fleurir les arts. Jamais ils n'avoient brillé d'un éclat aussi vif, sur cette presqu'île. La magnificence, la galanterie régnoient à la cour des rois maures. Les tournois, les combats à la barrière paraissent devoir leur invention aux Sarrasins. Ils avoient des cirques, des théâtres. Cordoue étoit une ville toute scientifique, et il conste, d'après un trait que nous empruntons à l'histoire, que les médecins arabes de ce temps-là étaient passablement insolents.
Sanche-le-gros , roi de Léon, fut obligé de réclamer
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lumières aux sciences naturelles. Ces lumières ayant passé, en s'augmentant, de cloîtres en cloîtres, y demeurèrent perdues pour la société, long-temps après l'anéantissement de la puissance musulmane, dans l'Europe occidentale. Quels hommes de la société, eussent, d'ailleurs, recueilli ces étincelles de l'intelligence ? Le clergé ?. Tous les clercs qui n'a ppartenoient pas aux ordres réguliers, passoient leur vie, les uns dans le cérémonial brillant des cours, les autres, au milieu des parchemins poudreux qui renfermoient l'his-
les soins du médecin Alboujavenzar, en 956, et manda ce savant, à sa cour. Alboujavenzar se refusa à l'invitation du monarque et lui écrivit que c'étoit à lui à venir le trouver dans sa résidence.
(Voyez, pour ce qui concerne les mœurs des Arabes, Notice sur les Maures, par FLORIAN, en tête de Gonsalve de Cordoue. — Pedro Diax DE RIBA, Jnt. de Cord. —
Voyage du chevalier a Arvieux. — RODERIC , Hist. des Arabes.)
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toire des siècles, et cela, sans fruit réel pour leurs contemporains. Les fleurs du langage appartenoient aux premiers, l'érudition grave et peu communicative des seconds ne servoit guère les intérêts de la civilisation intellectuelle. Ils n'avoient pas, isolés dans les archiprêtrés et dans les grands presbytères , cet esprit de corps, cette harmonie de zèle , cette concentration de veilles et de méditations, dont j'entends , chaque jour, calomnier le pouvoir et l'objet ; comme si les prolétaires de la France dégénérée vouloient accuser aujourd'hui , les enfants de Loyola, ou les solitaires de Mont-Cassin, de la gloire de leur ordre et de la part si active qu'ils ont prise à la renaissance des lettres ! D'autres prêtres, enfin, ignorants et modestes, maintenoient dans les campagnes, l'austérité des mœurs antiques ; c'étoit-là tout leur ministère ; noble et sublime mission qui n'a point en partage les honneurs de la terre , mais qui
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conduit sûrement à la gloire d'en-haut et fait asseoir le lévite et le prélat, sur le même gradin, aux pieds du roi des rois! Mais, quoi, les semences de la philosophie et du développement moral trouveront-elles dans les hommes d'épée, un sol fécond pour leur germination ? Leurs jours sont précieux à l'humanité ; mais ces preux, ils demandent encore tout au cœur, et rien à l'esprit. Les membres distingués du tiers-état seront-ils plus accessibles à la raison et au goût ? Chacun d'eux voués à une carrière souvent pénible, magistrats des cours subalternes, notaires, procureurs, redoutent l'élévation. Semblables aux bœufs de Normandie, ils traînent lentement leur attelage, et le sillon qu'ils ont tracé, forme le complément de leur ambition et de leurs efforts. Ainsi, la science règne dans les congrégations, et l'ignorance dans la société.
Long-temps nourrie et élaborée dans les monastères, la philosophie en sortit enfin ,
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pour n y plus rentrer ; et ce fut un moine anglois qui, le premier -, réveilla en Europe l'étude de la chimie. Bientôt, Galilée proclama le mouvement de la terre ; Copernic devina la position du soleil au centre du monde ; Gassendi renonça à l'astrologie, pour se livrer à l'observation astronomique. Toricelli inventa, dans la patrie des Médicis, le baromètre , pour connoître la densité de l'air; Boyle, en Angleterre, Pascal en France, essayèrent de mesurer la hauteur de l'atmosphère, Newton imagina le vrai système du monde et perfectionna l'astronomie par l'optique ; les Académies de Florence, de Leipsick, de Paris, la société royale de Londres (i), secondèrent de leurs sages travaux les efforts de ces grandshommes , et la gloire philosophique sembla toucher à son apogée.
(i) Voyez les Trans. philos, de la Société royale de Londres. — Mon. de l jîcad. roy. des Sciences de Leips.
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Cependant, tandis que l'Italie, l'Allemagne, l'Angleterre et la France, concouroient aux progrès de la physique générale, une science sublime et abstraite fixoit les regards des Descartes , des Mallebranche et des Leibnitz.
L'étude de l'âme devenoit un vaste champ ouvert à leurs immortelles méditations. Semblables au voyageur qui, pour atteindre une lumière lointaine ou fantastique, s'engage dans des sentiers difficiles et souvent impraticables, peut-être, ces hommes dont la dégradation a voulu, depuis, flétrir les travaux, s'égarèrentils encore dans une route nouvelle (i); mais
(i) Nous nous montrerons constamment conséquent au principe que nous avons établi quelque part. Il consistait à faire voir la vanité de toutes les recherches métaphysiques. Ce qui excuse les illustres philosophes dont nous parlons, c'est que leurs efforts avoient quelque chose de grandiose et de noble. Pleins de la doctrine sublime du christianisme, ils essayaient d'arriver à des connoissances qu'elle nous déclare être placées au-des-
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quels objets à leurs réflexions, qu'une métaphysique auguste et une morale qu'ils prêchoient de leurs exemples ! Ah ! sans doute, ils brûloient d'un saint amour pour toutes les vertus, ces hommes de sagesse et d'autorité morale. Ils ne considéroient cette vie mortelle que comme un passage à cette immortalité d'en-haut dont, Britannicus mourant n'osoit pas parler à ses amis. Vérité sacrée, tu es toute la philosophie !
LA PHILOSOPHIE SE RABAISSE ET BIENTÔT , SE DÉGRADE.
A peine arrivées à la majesté de l'âme, les études philosophiques se rabaissèrent. Fatigués des efforts de leurs devanciers, incapables de les suivre dans leur vol et de les apprécier dans leur but, les pygmées du dix-huitième
sus de l'intelligence humaine ; mais leur philosophie ¡.toit vertueuse , essentiellement vertueuse.
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siècle, se jetèrent dans l'idéologie et la science des sensations. Un insulaire ingénieux avoit donné le signal, et Condillac fut regardé, quelque temps après, en France , comme le chef de la nouvelle école.
C'est, à-peu-près à cette époque, qu'on vit paroître dans la patrie de Pascal, de Descartes et de Bossuet, les encyclopédistes, hommes frivoles et dangereux, qui, avec des tours séduisants, des raisonnements appropriés à toutes les conceptions, popularisèrent l'irréligion et le libertinage d'esprit, et préparèrent le triomphe de toutes les immoralités. Les coryphées de l'entreprise encyclopédique, n'avoient pas tous un génie égal à leurs orgueilleuses prétentions. Celui - ci (i), de bon mathématicien qu'il étoit, ne se fit littérateur froid et ennuyeux , que pour briller dans une société enthousiaste et prodigue de louanges, et porta
(1) D'Alembert.
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dans ses compositions, toute la sécheresse d'une âme vide de sentiments. Celui-là (i), homme
(i) Helvétius. Chacun sait qu'Helvétius étoit vertueux et bienfaisant. Peu d'hommes-de-lettres ont montré tant de générosité et de bienveillance dans le caractère.
Ces qualités étoient innées chez lui, et la société d'une femme aimable et spirituelle ne contribuoit pas peu à nourrir la sérénité de cet homme de bien , et à embellir sa vie. Le salon de madame Helvétius étoit devenu le rendez-vous de tout ce que Paris offroit de gens instruits.
Placé dans une position indépendante , Helvétius réunissoit lui-même tous les avantages qui séduisent ordinairement les hommes. Un nom distingué, une fortune brillante, les grâces et la culture de l'esprit, une conversation animée, le don précieux de rendre sa propre fortune profitable aux gens-de-lettres qui souvent, en man-
quent. Auteuil ressembloit à l'habitation d'un Mécène ou d'un Gallus. Mais, peut-être, Helvétius seroit-il plus pur à nos yeux, s'il se fût restreint au rôle si beau, d'ami éclairé des lettres, de protecteur des savants. Je crois néanmoins, qu'il ne fit corps avec les philosophes que parce que ceux-ci l'ayant enrôlé dans leur secte, s'imaginèrent devoir le soutenir, par obligation de confraternité. L'Esprit parut, il fut poursuivi, les
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vertueux et médiocre, fit le mal sans s'en douter, et ne dut sa célébrité qu'à la persécution dont son livre fut l'objet. Étranger à toutes les connoissances physiologiques fil s'imagina avoir rendu un service immense à la morale, en rattachant l'homme intellectuel et pensant, à son organisation physique, et en faisant dépendre de cette organisation, toutes ses idées et ses facultés. Cet autre enfin (i), avec l'exaltation d'un génie bouillant, la fougue d'une imagination déréglée, voulut ouvrir à la littérature des routes insolites, et tracer des règles qu'il n'enseignoit que trop, par ses égarements. On sait assez quel fut l'esprit de cette association admirable en elle-même, si elle n'eût point
philosophes prirent sa défense, et voilà la réputation philosophique d'Helvétius.
(Voyez l'abbé MORELLET, en ses Mémoires. — M. de BARANTE, Dix-huitième siècle,)
(i) Diderot.
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voulu réédifier sous les formes d'un siècle et d'une coterie, tout l'édifice des sciences humaines (i).
DOCTRINE DE LA FORMATION DES IDÉES, DE CONDILLAC : INFLUENCE DE SON SYSTÈME SUR LA
DIRECTION DES IDÉES PHILOSOPHIQUES QUE CONSACRA L ENCYCLOPEDIE.
La métaphysique peut être partagée en deux grands corps d'études. Les unes s'occupent de
(i) Il seroit souverainement injuste d'envelopper tous les encyclopédistes dans la même accusation. Cette entreprise si vaste où devoient figurer toutes les branches de l'intelligence humaine , avoit en elle quelque chose de grand, et les siècles passés n'avoient jamais conçu une idée aussi gigantesque, que celle de l'Encyclopédie; mais, comme il arrive dans tous les ouvrages consommés par plusieurs hommes, une sorte de triumvirat littéraire s'établit alors, et les opinions des chefs furent constamment reproduites sous toutes les formes, par leurs disciples, dans un monument destiné à donner aux siècles futurs, une haute idée des progrès de l'entendement, au dixhuitième siècle.
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l'âme, de son essence, de ses opérations intérieures , c'est la psycologie que Descartes et Leibnitz agrandirent par leurs travaux, sans l'éclairer, parce qu'elle est placée au-dessus de toutes les intelligences humaines; les autres examinent : l'impression des objets extérieurs sur l'âme, l'usage des sens, la formation des idées, c'est l'idéologie à laquelle s'appliquèrent spécialement Locke et Condillac. On les vit s'attacher avec ardeur à détruire une opinion long-temps accréditée dans le monde philosophique, celle des idées innées; mais leurs assertions furent trop exclusives. En comparant, pour ainsi dire, l'excitabilité de l'âme par les sens, à la mise en mouvement d'un pendule par une main étrangère, ils ne préjugèrent point, peut-être, jusqu'où pouvoit mener l'application d'une pareille doctrine. (c Il n'y a pas, dit Condillac, d'idées qui ne soient acquises : les premières viennent immédiatement des sens, les autres se multiplient à proportion
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qu'on est plus capable de réfléchir (i). » D'abord, il faudroit s'entendre sur la signification précise du mot idée que l'idéologue précité semble avoir fait plier à son système ; car, en amenant toutes les impressions de dehors en dedans, par le moyen des sens, il feint d'oublier ou de méconnoître la puissance interne qui, primitivement, a dû commander à leur jeu , dans l'embarras où il auroit été, sans doute, de qualifier cette puissance antérieure à toute perception.
Mais, l'intervention de ce souffle qu'on appelle âme et qu'on ne sauroit apprécier d'une manière exacte et mathématique dans son essence, étant liée immédiatement et d'une manière nécessaire à l'organe siège de toutes les sensations, cette âme , quelle que soit, d'ailleurs, sa perfectibilité, seroit-elle apte à
(I) Voyez CONDILLAC, Essai sur l'origine des connaissances humaines, chap. i.
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recevoir, en premier lieu, des impressions, à les combiner entre elles, si elle ne recéloit aussi un principe rationnel qui juge l'action des sens, la dirige ou la suspend à son gré?
Or, ce principe rationel co - existant à l'âme, ces dispositions indépendantes de toutes circonstances extérieures, qui se retrouvent dans une nation agrandie par l'étendue de ses lumières et la forme de ses institutions, comme dans une peuplade sauvage, cette faculté morale qui ne sera pour un peuple ou un individu enfants, que le sentiment de leurs premiers besoins, ne sont-ils pas des penchants innés, et, en quelque sorte, des idées innées?
« Partout, dit un philosophe, vous rencontrerez dans l'homme le sentiment de l'infini, vous le verrez désirant au-delà de ses besoins, demandant encore quand ils sont satisfaits, cherchant toujours au-delà de tout, supposant une vie après la sienne, respectant et ensevelissant les morts qu'il ne peut s'imaginer finis
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pour toujours, inquiet du cours de la nature, ne pouvant la croire immuable, lui soupçonnant un commencement, et redoutant sa destruction (i) ». L'étude et l'expérience, et à cet égard, la seconde proposition de Condillac est pleine de justesse et de vérité (2), peuvent
(1) M. de BARANTE, Littérature française du dix-huitième siècle.
(2) Il y a peu de différence, objectera-t-on, entre l'homme et l'animal, dans cette première période de leur développement instinctif. Ils ont tous deux l'organisation en partage, tous deux ont les mêmes instincts de leurs premiers besoins. Mais l'homme n'apporte-t-il pas, en naissant, l'idée du bien ? Tous savent qu'en frappant leur semblable, ils lui nuisent, ils le savent même, avant d'avoir pu l'apprendre par l'épreuve d'une agression.
Tous sont perfectibles, tandis que l'animal ne dépasse jamais le cercle borné de la vie organique , ou plutôt sa vie externe est façonnée pour ses besoins et pour les nôtres. La vie organique de l'animal est presque égale, aussitôt après sa naissance, à ce qu'elle doit devenir dans la suite. Oui, tous les hommes ont reçu primitivement un principe émané des cieux qui leur imprime le caractère
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imprimer à l'intelligence un développement et une capacité considérables, comme une terre qui recélant dans son sein tous les éléments d'une fécondité prochaine, n'offrira à l'oeil attristé qu'une végétation imparfaite, si les soins de l'homme des champs ne sollicitent pas ses faveurs. Il y a loin, certainement, de cet homme primitif qui ne frappe l'air de quelques sons, que pour faire passer dans l'âme de ses semblables des idées de douleur ou de plaisir, au philosophe d'un siècle éclairé qui accuse l'idiome de ses pères de mal se-
de l'immortalité spirituelle. Notre vie extérieure ne consiste pas uniquement dans les sens, il est, chez nous, des instincts que j'appellerai humains qui, en premier lieu, en ont fait jouer les ressorts. C'est en vain qu'une philosophie perverse voudroit nous rabaisser à la bête, souvent même à la matière, pour ne voir en nous qu'un appareil physique soumis à toutes les lois d'agrégation et d'affinité. C'est encore à ce sentiment inné de notre destition, que nous appellerons de ces paradoxes.
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conder les élans de son génie ; mais le principe pensant, le principe rationel , les dispositions primordiales , susceptibles de modifications et d'accroissement, appartiennent à tous les individus; et les sens que Condillac regardoit comme la cause afférente des idées, n'ont été, d'abord, que des agents et des ministres qui, dirigés par un sentiment inné, ont agi et transmis ensuite à l'âme le résultat de leur action. Il suit nécessairement de ce que nous avons dit, que l'homme apporte avec la lumière certains penchants, certaines idées obscures suffisants pour sa vie organique, et pour parcourir un cercle très- borné de vie extérieure ; mais que ces éléments primitifs de perfectibilité , ont besoin d'être étendus et développés par les sens, c'est-àdire , par l'éducation et l'expérience, s'il aspire à toute la dignité de l'existence morale.
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INFLUENCE DE LA DOCTRINE DE CONDILLAC, SUR LA RELIGION, LES MOEURS, LA DIRECTION DES IDÉES.
Cette doctrine idéologique dont Condillac fut le chef, doit être regardée comme une cause prochaine de la décadence des idées religieuses. Humble dans sa naissance, elle a levé, depuis, un front superbe et s'est montrée avec des armes nuisibles au bien-être social. D'abord, elle sembloit ne vouloir s'adresser qu'à la raison, éclairer l'esprit des hommes, sans affoiblir la morale; ses hostilités contre des principes que le christianisme a consacrés, étoient cachées sous les prestiges d'une éloquence persuasive, d'une dialectique spécieuse , d'une diction toujours pure et élégante. Peut-être, j'aime à le croire, des vœux grands et généreux eurent-ils quelque part aux premiers essais du philosophisme; mais,
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des disciples parurent ensuite , profonds en méchanceté, aussi bien qu'habiles dogmatiseurs qui, encouragés par les efforts de leurs maîtres , pour sortir des routes battues, et s'élever au-dessus de toutes les croyances admises , abusèrent de toutes leurs facultés, torturèrent la physique, la chimie , pour y trouver des analogies avec les lois de notre existence, réduisirent la vertu à la conservation du corps, et enfin, laissèrent à la justice et à l'opprobre, la perspective du néant. Tels, on vit les sectaires dégénérés d'un philosophe vertueux, se traîner dans la fange , en s'imaginant que l'ombre d'Epicure sanctifioit leurs débauches. Les voilà , ces hommes dont on vante la pénétration et la philantropie, ces encyclopédistes dont nous aurions dû n'entretenir succinctement nos lecteurs, qu'actuellement, pour suivre, à la rigueur, la marche progressive des temps et des opinions (i).
i) Nous avons déjà dit que quelques-uns des écrivains
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C'est bien moins dans la substance même des œuvres philosophiques des Bacon, des Locke et des Condillac, qu'on doit rechercher la cause du mal , que dans l'impulsion donnée à l'ambition de la pensée. Si ces oeuvres, malgré les erreurs qu'elles consacrent, eussent été les seuls monuments offerts à la curiosité du dix-huitième siècle , il est permis de croire que les envahissements de l'analyse métaphysique n'auroient pas abouti si promptement à l'athéisme ou à l'indifférence en matière de religion. Les observations apophtegmatiques et tranchantes de l'abbé de Mably, les assertions scandaleuses de Diderot, le livre de XEsprit, n'eussent, peut-être, été ni lus, ni compris, sans cette fermentation bouillante, cette fièvre de nouveautés, cette rébellion emportée contre toutes les idées reçues, éléments funestes qui
qui ont pris part à l'Encyclopédie, s'étoient associés à ce grand travail, avec des intentions droites et pures.
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s'étoient répandus en France, depuis les malheurs de Louis XIV et les débauches de son successeur. Les hommes ne passent pas, toutà-coup, de la douleur à la férocité, de même qu'ils ne quittent pas subitement le joug des principes séculaires, pour passer au scepticisme et à l'incrédulité. Mais, l'exemple d'un novateur exerce toujours une pernicieuse influence. Le libertinage d'esprit devient complice de la licence du langage. Quand on veut pénétrer au-delà de tout, déchirer tous les voiles, secouer toutes les dépendances , on rencontre bientôt cette variabilité d'opinions, ce scepticisme vague et incertain, véritable angoisse intellectuelle si bien caractérisée par Bossuet (i).
(1) Ce que dit BOSSUET (Oraison funèbre de la reine d'Angleterre), s'applique à la religion anglicane, à la fermentation des esprits devenus inquiets et libertins, et aux changements introduits dans la croyance religieuse,
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Nous ne prétendons point absoudre plutôt l'ambition des psycologues, que celle des idéologues; peut-être, nous soupçonneroit - on d'être accessible à la passion et à l'esprit de secte. Mais nous dirons avec force que ce désir de pénétrer dans les choses sublimes avoit un caractère noble dans les études d'un Pascal, d'un Descartes, d'un Mallebranche et d'un Leibnitz. Ceux - ci s'élevoient au ciel, pour consacrer la morale humaine, ceux-là fouilloient dans la nuit et interrogeoient les ténèbres. Cet aveu si sage et si prudent du grand Newton (i), par lequel il établissoit que l'âme est une substance incompréhensible , dépose
sous Cromwel. Qu'eut donc dit l'immortel prélat, s'il avoit vu, en France, des dogmatiseurs prétendre non pas à préconiser un culte plus simple, une religion modifiée; mais bien, à détruire toute croyance, à renverser toutes les garanties de la stabilité sociale?
(i) « Mais, Newton qui régloit la comète égarée.
A-t-il mieux lu que nous dans notre âme ignorée:>
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assez de la vanité de toutes les recherches métaphysiques. Car, après tout, à quoi se réduit la vraie philosophie, sinon à la science de la vertu et des effets sensibles de la nature ?
On a cru pouvoir parvenir, autrefois, à rendre les hommes meilleurs et plus instruits, en remontant aux causes finales : tel fut le but de l'ancienne philosophie qui n'avoit point de fanal pour la diriger au milieu de l'obscurité ; mais nous, éclairés que nous sommes des lumières du christianisme, nous connoissons suffisamment la nature de l'âme, puisque nous savons qu'elle dérive de Dieu lui-même , et pour cette autre partie de la philosophie d'application qui est la morale, nous en trouvons dans l'Écriture-Sainte, dans les Pères de l'E-
Lui qui de chaque étoile annonçoit le retour, Qui leur disoit: montez, desceudez tour-à-tour, Connut-il le principe et la fin de son être ?
Hélas! l'homme apprend tout, et ne peut se connoitre." (Essai sur l'homme, trad. de M. de FONTANES.)
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glise, dans les orateurs chrétiens, des principes plus purs et mieux développés que dans tous les livres des moralistes. « Scriptura divina intrà vos revocat , ab istâ superficie quae jactatur antè homines, revocat nos intrà.
Redi ad conscientiam tuam, ipsam interroga.
Noli attendere quod floret foris, sed quae radix est interna (1 ).» Quels préceptes, que ceux d'un saint-Paul qui nous dit: « que toute amertume, tout ressentiment, toute colère, toutes plaintes tumultueuses , toutes qualifications odieuses, aussi bien que tous desseins de nuire soient bannis d'entre vous ; mais soyez bons les uns envers les autres, pleins de compassion, de tendresse, vous pardonnant réciproquement, comme Dieu lui -même a pardonné en JésusChrist (2) ». Voilà la morale tout entière,
(1) ST.-AUGUST. Prœf in Ps., cap. 12.
(2) Voyez ST.-PAUL. « Omnis amaritudo et ira, et iniliynatio, et clamor et blaspheniia, etc. » (Ephes. 4-)
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voilà une philosophie qui ne peut égarer ses disciples; qu'elles deviennent donc enfin celles de tous les hommes, et les peuples béniront des principes qui assurent leur félicité. Quant aux sciences qui connoissent de la nature vivante ou inerte, sciences qu'on a presque toujours confondues avec la philosophie, quoiqu'elles n'aient rien de commun avec la sagesse proprement dite; renfermées dans de justes bornes, protégées par des sentiments élevés, elles peuvent servir utilement la raison humaine : Newton, Bonnet, Buffon, Lavoisier, passent à la postérité avec le nom de philosophes. Mais, jetons un dernier coup-d'œil sur le système de Condillac, et sur ses effets en France.
Quelles idées de justice et de puissance faudroit-il concevoir d'un dieu qui seroit comme enchaîné par sa propre main , et qui, en créant l'homme, ne l'auroit placé sur la terre, que comme un tableau décoloré qui doit recevoir
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la lumière et la vie de tous les objets extérieurs ? Quels seroient les attributs d'une pareille divinité ? Ne seroit-il pas permis de croire que nous ne devons le jour qu'à un hasard heureux (J), à un concours fortuit de circonstances , d'harmonies qui, en nous mettant en rapport avec la nature, lui a aban donné entièrement le soin de notre éducation?
Quoi ! l'homme n'apporte-t-il pas avec la vie quelques couleurs primitives qui révèlent son origine? n'est-il pas sur la terre un rayon af-
(1) « Ne parlons pas de hasard, dit BOSSUET, OU plutôt, parlons-en comme d'un nom dont nous couvrons notre ignorance. Ce qui est hasard à l'égard de nos conseils in-certains , est un dessein concerté dans le conseil plus haut, c'est-à-dire dans ce conseil éternel qui renferme toutes les causes et tous les effets dans un même ordre. De cette sorte, tout concourt à la même fin, et c'est faute d'entendre le tout, que nous trouvons du hasard ou de l'irrégularité dans les rencontres particulières. »
(BOSSUET, Discours sur VHist. universelle.)
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foibli de la majesté de Dieu (i) , sa perfectibilité est-elle toute commise à la matière ?
D'après Condillac, la science de la formation des idées ne deviendroit que celle de l'excitabilité d'une certaine matière invisible qu'il suppose inconnue et qu'il confesse ne pouvoir connoître par l'analyse. Ah ! philosophes enfants, quand vous demeurerez convaincus de la vanité de toutes vos recherches, de l'inutilité de toutes vos tentatives , c'est alors, que vous approcherez de cette raison qui est, sanscesse, dans votre bouche et à laquelle votre cœur demeure toujours étranger. Si du moins, au lieu de ces formes apophtegmatiques qui accompagnent vos assertions, la modestie du langage, l'aveu naïf de votre foiblesse, com-
(i) Nous sommes forcé de défigurer, ici, le beau vers et la belle pensée de M. Alphonse de LAMARTINE, pour les accommoder à notre misérable prose.
(Voyez Médit, à lord Byron,)
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mandoient parfois la défiance et éveilloient le doute, peut-être, cet hommage rendu à la candeur, expieroit-il quelque paradoxe et rabaisseroit-il l'orgueil de vos déclamations.
Quand on a rendu l'âme esclave de la matière, il n'est pas difficile de l'assujettir aussi aux besoins du corps. Ce fut à ce gymnase de morale physique, ouvert par Saint-Lambert, dans sa vieillesse chagrine et grondeuse, que se forma un voyageur qui appartient à deux siècles. Epris d'un beau zèle pour la science, il s'isola long-temps du monde, pour apprendre les langues orientales, et si, après avoir visité l'Egypte et la Syrie, il se fût borné à décrire des institutions et des climats, à méditer en présence des tombeaux et des débris de Palmyre, son nom ne seroit point, aujourd'hui , l'idole du matérialisme. Volney alla beaucoup plus loin qu'IIelvétius, il a composé, à l'usage du citoyen françois, un catéchisme dont on oublia, trop souvent, les préceptes
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sanitaires, au milieu des orgies de la révolution. Sa loi naturelle ordonne-t-elle le pardon des injures, c'est en tant que ce pardon s'accorde avec la conservation de nous - même ?
prêche - t - elle la tempérance, c'est parce que les abus de la table préparent à l'homme dérèglé des douleurs et des infirmités? Cependant, parmi les philosophes du dix-huitième siècle, il en est un qui, par ses efforts même, sembla accuser l'influence destructive du système exclusif des idées extérieures. Charles Bonnet avoit reçu le jour dans cette république voisine de la France, qui nous donna quelquefois ses lumières , reçut toujours les nôtres avec enthousiasme, prit part à toutes nos découvertes, s'illustra de toutes nos illustrations , nous rendit souvent grands-hommes pour grands-hommes, et semble encore placée entre la Saône et les Alpes, comme pour recueillir, d'une part, l'industrie grossière des montagnes , de l'autre les tributs séduisants
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de la civilisation et de l'intelligence. Doué d'une belle âme, de mœurs essentiellement douces et honnêtes, ami sincère de la vérité, le médecin de Genève sentit tout le vide de ces doctrines froides qui ne laissent rien dans l'âme qu'elles n'aient desséché. Il convint que les sensations avoient été, d'abord, éveillées par un sentiment inné ; il s'appliqua avec un zèle honorable à en rattacher toute la théorie aux croyances religieuses et à la nature morale.
Parlerons-nous des travaux idéologiques de Cabanis, Destutt-Tracy ? Le premier, homme d'un génie vaste et profond, a porté dans l'histoire des sensations, le flambeau de l'anatomie et de la physiologie. La partie physique des rapports dit physique et du moral est traitée avec une supériorité telle que la philosophie médicale n'en offroit point d'exemple. Moins heureux dans ses abstractions métaphysiques , le député de Brives a trop sacrifié aux opinions contemporaines ; son respect pour certains
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systèmes, y est explicitement professé, et, elles ont, je crois, quelque chose des temps orageux au milieu desquels elles furent conçues.
Par opposition aux impressions externes de Condillac, il admet des impressions internes ; mais il les fait toujours dépendre de notre organisation ; tout ce qu'il a réuni sous ce titre, se rapporte aux effets que le tempérament général exerce sur le moral.
Le second a substitué le sentiment à la sensation. Son livre n'a guère éclairé la science idéologique; mais il a presque totalement changé la doctrine de Condillac. Moins sceptique que Dugald Stewart (i) qui s'efforce de ne voir dans la causalité, qu'une illusion dérivant de la nature elle-même; M. DestuttTracy a donné, de ce problême, une solution qui plait à l'esprit, sans satisfaire la raison.
(i) Philosophie de l'esprit humain.
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Plus récemment encore, on a distingué les idées communiquées par les sens, des sentiments ou dispositions innées, et cette opinion qui est celle de MM. Laromiguière (1), et de Gérando, paroît la plus probable (2). La religion et la science viennent de se prononcer simultanément en faveur de l'ouvrage physicopsycologique d'un médecin distingué. M. le docteur F. Bérard est nourri des saines doctrines, ilappartient à cette école qui veut tout reconstruire (3).
(I) Voyez M. LAROMIGUIÈRE, Leçons de philosophie, ou Essai sur les facultés de fâme.-M. le baron de GÉRANDO, Hist. comparée des syst. philosoph. - M. F. BÉRARD, Doctrine des rapports du phys. et du moral, pour servir de fondement à la physiologie dite intellectuelle, et à la métaphysique.
(2) Un Italien, M. SINIBALDI, a renchéri, dernièrement encore, sur les idées de Locke et de Condillac. ( Voyez Anthropologie ou Science de l'homme, trad. de M. A.
BOMPARD.)
(3) Voyez M. F. BÉRARD, ouv. cité.
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Dans cet aperçu général et rapide sur les différents âges de la philosophie, nous n'avons approfondi aucun des systèmes qui ont, tourà-tour, balancé les sectes, relativement à l'âme premier élément de toutes les idées grandes et généreuses, de toutes les conceptions vastes et utiles dont l'ensemble compose l'empire du génie. La plupart de ces systèmes sont vagues ou paradoxaux, et pour en offrir l'analyse, il eût fallu, aussi, s'engager dans de longues et interminables discussions dont les résultats n'auroient pu être que spéculatifs. Car, il est des cimes dont l'oeil ne sauroit mesurer ni la hauteur, ni l'étendue, comme il est des causes premières qui trahiront éternellement la foiblesse de tous les raisonnements et la fragilité de toutes les combinaisons. « Il n'existe, dit le fils de Périctione (i), qu'une seule cause sou-
(1) PLATON. (Discours préliminaire de M. de FONTANES, en tète de la traduction de l'Essai sur l'homme.)
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verainement bonne, souverainement intelligente. Elle a créé le monde le plus parfait possible , pour des êtres imparfaits. L'homme occupe dans l'univers la place qui lui convient.
Loin de murmurer quand il souffre, il doit penser pour sa propre félicité, pour la gloire de son créateur, que tout est ce qu'il doit et peut être. Il faut donc se soumettre et attendre, en paix, que la mort découvre et justifie tout le plan des lois éternelles. »
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CHAPITRE XI.
De l'influencc trc la libcrtc tnonardjiquf, sur le trmloppimmt t rintclligwcf.
« Sous le despotisme, il n'y a pas de place pour l'éloquence, non plus que pour la gloire. »
(VILLEMAIN, Mélang-. littér.)
TELLE, la force physique d'un enfant, resserrée dans ses efforts, et contrainte dans sa croissance, ne formera jamais qu'un corps frêle et valétudinaire, tel aussi, le principe
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pensant refoulé par le despotisme, dans l'inaction et la langueur, finira par perdre toute son énergie, toute son excitabilité. Soit que l'esclavage flétrisse le génie, comme il flétrit le corps, soit qu'un organe devenu paresseux, dépouille peu-à- peu les causes de sa perfectibilité; les peuples qui ont plié, constamment, sous un joug de fer, n'ont jamais connu les élans d'une belle imagination, ils n'ont jamais souri aux tableaux de la prospérité publique, leur cœur ne s'est jamais ouvert qu'à la volupté grossière des sens. Ils n'ont pas même su mesurer la puissance qui les écrasoit! Éloquence des tribunes, accents triomphateurs du patriotisme et de la philantropie,
ils n'ont rien entendu !
ils n'ont rien entendu Fables ingénieuses, allégories douces et séduisantes
1
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e. "",,
ils n'ont rien senti ! Pompe des arts, magnificence des palais érigés à la gloire ou au génie, colonnes d'airain, coupoles majestueuses qui portent jusqu'au ciel , les leçons du passé,
2" Il.
",.,
ils n'ont rien vu !
Quelles traces a laissées après lui le despotisme d'Orient, sinon, celles de la dégradation humaine? Un souverain ignorant dominé par des courtisanes et des eunuques, des ministres avilis, un peuple rampant et féroce, voilà les Musulmans, tels que les a faits l'opprobre de la servitude !
Et toi, vieille patrie des arts , qu'as-tu fait de tes gloires ?
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Fils des colons de la sagesse et de la vertu, cette presqu'île, qui a rempli le monde de sa civilisation, ce Péloponèse où tout étoit classique, même dans l'horizon, excepté ces montagnes d'outre-mer qu'on apercevoit des sommets de l'Hymette, comme le boulevard de cette barbarie farouche qui résiste à toutes les tentatives de la pensée ; enfants de Périclès, répondez : cette Grèce où vous êtes tous nés du sang d'un grand homme, comment est-elle devenue pour vous une terre d'exil ? Socrate avoit prédit la dégradation morale des Hellènes; mais cette dégradation, il la lisoit dans l'abus futur des arts du génie ; il n'avoit pas pensé qu'un soldat fanatique devoit traverser Athènes! Oui,le précepteur de Platon, dans ses tristes préoccupations sur l'avenir de sa patrie, se reposoit encore sur le courage des montagnards de l'Épire, du soin de renouveler l'Attique, il
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croyoit, sans doute, à cet heureux auxiliaire de la puissance physique, pour défendre le PARTHÉNON, en désespoir de cause, il se fut confié à la gratitude du monde, si des irruptions barbares devoient inonder le Péloponèse ; Socrate ne savoit pas que le PIRÉE vomiroit l'esclavage sur ces rives où s'étoit promené PYTHAGORE!
On doit encore espérer des nations qui, dans la servitude, conjurent de leurs vœux l'affranchissement de la pensée ; il n'y a plus rien à attendre de celles qui dans leur avilissement politique, ont perdu jusqu'au sentiment de l'oppression. Les peuples reviennent quelquefois aussi de cette léthargie profonde qui succède aux beaux jours de l'intelligence. Rome s'étoit réveillée sous le pontificat de Léon X. Mais, les nations que frappe un esclavage passif, meurent pour toujours; les races s'y flétrissent, un caractère de réprobation devient la physionomie de tous les
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visages; et dégradées dans les masses, comme dans les individus, elles disparoissent lentement de la place qu'elles s'étoient assignée parmi les réunions humaines. Espérons que la Grèce va recommencer un cercle nouveau de civilisation. Elle touche, peut-être, une seconde fois, à ses temps héroïques. Quand retrouvera-t-elle le sang d'un Thucydide ?
Il lui faut, au moins, deux siècles pour se purifier.
Oui, la liberté est l'élément naturel de toutes les vertus , du courage et des lettres.
«La liberté, dit un des plus éloquents académiciens de nos jours, n'est-elle pas le plus grand des biens, et le premier besoin de l'homme) Elle enflamme le génie, elle élève le cœur, elle est nécessaire à l'ami des Muses , comme l'air qu'il respire. Les arts peuvent, jusqu'à un cer-
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tain point, vivre dans la dépendance, parce qu'ils se servent d'une langue à part, qui n'est pas entendue de la foule; mais les lettres qui parlent une langue universelle, languissent et meurent dans les fers. Comment produirat-on des pages dignes de l'avenir, s'il faut s'interdire, en écrivant, tout sentiment magnanime, toute pensée forte et grande! La liberté est si naturellement l'âme des lettres et des sciences, qu'elle se réfugie dans leur sein, lorsqu'elle est bannie du milieu des peuples (i) ».
Mais, que le philosophisme moderne n'interprète pas notre pensée dans le sens de sa doctrine et de ses vœux. Ce n'est point de cette liberté aveugle qui consacre toutes les dépravations, qui détruit toutes les garanties de l'ordre et toutes les bases du corps social,
(1) M. le vicomte A. de CHATEAUBRIAND (Discours de réception à VAcadémie françoise.)
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que nous avons épousé la cause. Il est une liberté plus digne de fixer nos regards, comme elle a fixé, aussi, ceux du chantre d'Atala, et comme elle se présente à tous les esprits droits et vertueux. Cette déesse protectrice embellit tout ce qu'elle inspire ; son culte n'a rien de tumultueux, il se confond toujours avec celui de la légitimité, dans l'ordre de nos monarchies constitutionnelles; et c'est de son temple auguste, qu'émanent toutes les conceptions sublimes, tous les exemples de générosité , tous les gages de bonheur et de félicité.
Oui, c'est sous ses auspices sacrés, c'est à l'ombre du trône de saint-Louis, que la France pourra toujours, dans le calme de la sérénité, goûter les jouissances pures de l'intelligence.
Honneur aux gouvernements éclairés, où la liberté est une constitution de l'état, qui, dans leur bienveillance , accordent des privilèges et des faveurs aux sciences, aux lettres et à toutes les professions morales et nobles
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qui reposent sur elles, leurs encouragements aux arts, autre domaine de la pensée, leur protection au commerce et à toutes ces industries utiles qui sont le partage d'une classe laborieuse; de pareils gouvernements seront toujours immortels dans les fastes de la gloire, et les peuples heureux sous leur égide!.
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CHAPITRE XII.
Ce génie ne meurt jamais tout entier sur la terre.
« L'ignorance des siècles grossiers, n'est autre chose que celle des règles du goût, de l'é légance du style et des formes usitées chez les peuples polis. »
(L. , Abrégc de CHisl. du France,,
ON pourroit assurer que jamais les counoissances humaines n'ont été entièrement ensevelies sur la terre. Nous ne sommes point de ceux qui croient à la barbarie universelle.
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Semblable à l'incendie qui, après avoir dévoré un vaste édifice, conserve encore long-temps, sous les cendres brûlantes, ses feux amortis, pour reparoître dans un portique voisin, le flambeau de la raison n'a jamais été totalement éteint sur ce globe fait pour être traversé de siècles en siècles, par des hommes qui pensent. Il vivoit, ce flambeau de l'intelligence chez les Hébreux de l'ancienne loi, lorsque ce peuple choisi traînoit, en Egypte , les douleurs de la captivité. Cet esclavage passager qui n'avoit pu affoiblir son courage, lui avoit épargné aussi sa flétrissure. La Grèce des Basile , des Grégoire-de-Nazianze, des Chrysostôme (i), perpétua la Grèce des Platon et des Xénophon. Les Romains, après la destruction de leur empire, avoient perdu cette pureté de goût qui distinguoit leurs ancêtres,
(1) Voyez les Chefs-d' œuvre des orateurs de F église grecque, traduction de M. PLANCHE.
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cette fleur d'imagination que les Virgile, les Cicéron, les Varius avoient emportée dans la tombe ; mais ils conservoient encore de l'amour pour la littérature , ils cultivoient les arts avec une ardeur digne de leur ancienne gloire. L'ère de François 1er amena celle de Richelieu qui vit s'asseoir, sur elle, le colosse du grand siècle. Ces âges intermédiaires qui méritent d'occuper aussi une grande place dans l'histoire, sont comme les sentinelles avancées de la civilisation. Souvent, un observateur judicieux et pénétrant aperçoit, dans ces transitions des siècles, des symptômes de développement moral qui échappent aux yeux d'un vulgaire insensé. Car, enfin, le génie est de tous les temps. « Sans doute, on ne savoit pas, au dixième siècle, écrire élégamment ; mais on savoit, comme aujourd'hui, raisonner avec justesse, traiter les affaires les plus épineuses, suivre le fil des négociations les plus délicates, délibérer et prendre
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le bon parti dans les occasions critiques (i) ».
Montaigne, avec la manière et les formes contemporaines, est l'un des peintres les plus ingénieux , l'un des philosophes les plus profonds qui aient honoré la France.
Le génie fermentoit souvent sous la cuirasse des premiers Francs; mais, au lieu de s'exhaler dans un poëme exactement distribué, dans une harangue divisée et ourdie avec art, il enfantoit un acte d'héroïsme ou une réponse vive et pénétrante, ou une exhortation sans ordre, mais pleine d'enthousiasme et d'âme.
Si ce fameux Roland qui finit ses exploits dans la vallée de Roncevaux, eût assisté au passage du Rhin, ou à la conquête de la Franche-Comté, il auroit, peut-être, uni la science militaire de Turenne, à cette valeur fougueuse qui embrassa tant de triomphes. Si cet Olivier de Clisson, ce Bertrand Duguesclin
(i) L. ouvrage cité.
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qui laissent dans nos annales, un nom si célèbre, eussent été formés sous les yeux d'un Catinat et d'un Villeroi; peut-être, auroient-ils mérité de figurer à côté de Jules-César, pour la profondeur de sa tactique et l'étendue de ses connoissances, en l'égalant, d'ailleurs, et par la force de sa volonté et par l'impatience de son courage. Enfin, ces Provençaux joyeux qui se répand oient, au douzième siècle, dans nos grandes villes, pour y assister aux festins et aux réjouissances, pénétroient jusque dans les palais des rois, se mêloient presque à leur table et chantoient, envers burlesques souvent ingénieux, la gloire d'augustes convives, recéloient, peut-être dans leur cerveau tous les éléments qui firent un Racine et un Corneille.
Il ne faut pas considérer les hommes de génie comme des êtres isolés dans la nature pensante : mieux vau droit croire encore que la vraie civilisation, c'est-à-dire la civilisation du siècle de Louis-le-Grand, avec tous ces tempéra-
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ments heureux qui disparoissent toujours trop tôt, est un accident de la nature politique.
Nous voici naturellement amenés à dire quelque chose de l'influence du pouvoir politique sur le développement des lettres ; car souvent, il a dépendu d'un souverain ou des amis du souverain, de rendre leur patrie florissante par elles, comme il a dépendu d'un homme puissant d'encourager des talents inconnus et de les appeler au grand jour, pour l'instruction des peuples.
Si l'amour des lettres, si cette ambition noble et pure qu'elles inspirent à leurs favoris a, quelquefois, présidé aux travaux de l'esprit , comme l'humanité et la philanthropie, aux méditations philosophiques, il faut convenir que l'intérêt et l'amour-propre ont fait beaucoup aussi pour la gloire des écrivains.
La Rochefoucault, en prouvant que l'amourpropre est le principe souverain des actions humaines , n'a dit qu'une vérité froide et vide ;
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mais cette vérité. est de tous les temps. Sans induire d'un pareil axiome, des conséquences générales, nous en ferons, en partie, l'application à la littérature. La plupart des grandshommes exposés à voir leurs ouvrages méprisés par leurs contemporains, ou brûlés par le fanatisme, ne se seroient, sans doute, pas reposés sur l'avenir, du soin de proclamer leur immortalité, si quelques voix d'admiration ne s'étoient élevées au milieu des concerts du mauvais goût et de la jalousie. Qui ne sait que Galilée fut obligé d'expier d'un pardon humiliant, la découverte du mouvement de la terre?
Cervantes écrivit, dans les fers, son roman inimitable. Le Tasse tombé en démence, passe de longs jours dans une prison, et croit mourir tout entier. Camoëns exilé de sa patrie, échappe au naufrage en emportant au milieu des flots, le manuscrit de la Lusiade. Virgile seulfut jugé favorablement par ses contemporains; seul, il put, de son vivant, compter ses lauriers et lire
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dans les âges futurs, son nom inscrit au temple de mémoire. Ce que n'auroient jamais fait les dispositions naturelles aux hommes, lorsqu'une conception nouvelle appelle leur attention, l'amitié d'un Pollion, d'un Mécènes, d'un Gallus, l'accomplit.
Colbert fit agréer à Louis XIV la proposition de l'établissement d'une Académie des Sciences. Il attira de l'Italie, Dominique Cassini par d'éclatantes récompenses. Cet illustre ministre se montroit aussi habile à recruter le génie, que d'autres dépositaires du pouvoir se sont honorés de l'avilir ou de le dédaigner.
La Fontaine découragé par les froideurs de la cour n'eût, peut-être, jamais mis au jour son admirable apologue du Chêne et du roseau, s'il n'avoit pas rencontré un duc de Bourgogne. Colbert, lui-même, qui a tant fait pour sa patrie, en étoit médiocrement récompensé. « Nous sentons, aujourd'hui, dit Voltaire, ce qu'il fit pour la gloire du royaume;
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mais, alors, on ne le sentoit pas (1). » Voilà donc encore Colbert placé au rang de ceux qui ont vécu sans goûter leurs triomphes !
Combien de lauriers il a cependant protégés, combien de belles renommées il a fait éclore!
« Que les noms de ces philanthropes qui ont deviné et développé les heureuses dispositions des hommes de talent, restent placés à côté de ceux-ci, et qu'ils partagent une gloire dont ils sont les premiers auteurs. La postérité reconnoissante doit se faire un devoir de payer, par ses éloges, le genre de bienfaits le plus profitable à l'humanité, celui qui lui donne, souvent, un grand-homme de plus (2). »
(1) Siècle de Louis XIF.
(2) Éloge hist. de Léon Rouzet, par le docteur F. BÉlaRD.
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CHAPITRE XIII.
JtarallH* toi btutlopptmtttt moral bi6 nations avec celui tes inimutots.
« Les peuples sont ce qu'est chaque homme en particulier." (VOLTAIRE, Siècle de Louis XIV.)
ON pourroit comparer la marche et les progrès de l'entendement chez un peuple considéré depuis son enfance, jusqu'au terme fatal de sa décrépitude, au développement d'un in-
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dividu né avec une conformation heureuse, et appelé à jouer dans la république des sciences ou des lettres, un rôle important. Les premiers élans du génie s'annoncent dans un âge encore tendre. Bientôt, l'enthousiasme du beau et cette émulation précieuse qu'inspirent des lectures aprofondies et des occupations sérieuses produisent les résultats souvent trop précoces d'une imagination qui n'a rien de réglé dans son essor. Peu-à-peu, de l'habitude du travail, naît une certaine sévérité de goût, mûrie par l'âge, épurée par la réflexion : c'est alors, que les études prennent un caractère grave et imposant. L'esprit long-temps nourri des traditions du passé a acquis toute son énergie et toute sa vigueur; il peut, ou se livrer à des recherches utiles au bonheur de la société, ou lui plaire par des tableaux gracieux et des récits pleins d'intérêt, ou lui dicter les leçons d'une morale embellie de tous les charmes de l'élocution, ou enfin l'ini-
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tier à la connoissance de cette philosophie qui consacre toutes les vertus. Mais, hélas! à peine a-t-il parcouru le cercle plus ou moins borné par la nature des organes propres à chaque individu, que les beaux jours de son imagination se flétrissent avec les fleurs de sa vie. Il peut encore long-temps avoir la conscience de sa supériorité, sentir les grands modèles; mais ses idées ne s'enchaînent plus avec le même ordre, le terme des productions est arrivé, il retombe, sans s'en apercevoir, dans les puérilités de l'enfance, et le philosophe qui s'est immortalisé par des ouvrages sublimes, s'incline lentement vers la tombe, comme un arbre épuisé, qui, après avoir été pendant de longues années, chargé des fruits les plus exquis, ressemble, dans sa dernière feuille, au plus ingrat végétal. C'est à trente ans que Le Tasse donna sa Jérusalem délivrée: on reconnoit à peine dans Corneille vieilli, l'auteur de Cinna et Polieucte.
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C'est donc dans l'âge mûr, que l'homme est capable des plus vastes entreprises et des plus fortes pensées; comme aussi, c'est à une épo- * que où les idées sont encore neuves sans être enveloppées des exàltations de leur premier essor, où les mœurs ne sont pas encore altérées par la licence et égarées par les sophismes des novateurs, que les nations sont susceptibles d'offrir les plus imposants tableaux d'illustration et de prospérité. C'est à cette époque toujours trop fugitive par la pente naturelle qu'ont tous les hommes et toutes les générations à se jeter sans cesse dans les rêves d'un avenir séduisant, à abuser de toutes leurs facultés, pour courir à des biens imaginaires qui leur font regretter vivement leur premier état; c'est à cette époque, dis-je, où les lois jouissent de tout leur empire, les croyances religieuses - de tout leur ascendant, les préceptes du goût de toute leur autorité, que je placerai le terme de tous les désirs raisonnables. C'est-
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là où j'aimerais. voir toutes les nations s'arrêter long-temps, et rompre enfin cette loi immuable que rien n'est stable dans la nature.
Quoique nous ayons montré l'âge mûr des individus, comme seul fécond en grandes méditations, et en grandes pensées, il faut avouer cependant, qu'il est des hommes chez lesquels les puissances externes sont presque entièrement éteintes, que leur imagination a conservé encore toute sa fraîcheur. Déjà la voix de l'immortel Bossuet étoit sensiblement affoiblie par l'âge qu'elle servoit encore d'interprète aux pensées les plus sublimes, et l'illustre octogénaire qui, au milieu des pompes funèbres d'un condé, sut ranimer les restes mortels du vainqueur de Norlingues et de Lens, et le placer avec toute sa gloire, en présence d'un auditoire immobile d'admiration et d'étonnement, comme pour le faire juge de ses triomphes, sut jeter sur son dernier tribut littéraire un heureux mélange de cette éloquence intérieure
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fruit de la méditation, et de cette éloquence vive et sémillante qui distingue la jeunesse.
Voltaire, après un long abus de ses facultés, enfantoit encore des chefs-d'œuvre, et léguoit avec la même force, l'héritage du savoir à la nombreuse famille dont il fut le chef, et qui, au lieu d'imiter ses talents, s'empressa de copier ses vices.
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CHAPITRE XIV.
întuolabilitt be la cimlbation (ontemporaittt.
Tous les malheurs sont possibles, aujourd'hui, excepté la barbarie.» (VILLEMAIN.)
DANS les temps anciens, la civilisation et la littérature étoient comme deux sœurs condamnées à périr bientôt, dans le coin de la terre qui les avoit vues naître. En vain, fières
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de leurs premiers triomphes, vouloient-elles étendre au loin leurs conquêtes. Elles manquoient encore de ces auxiliaires heureux que les découvertes modernes ont mis entre leurs mains; et des peuples aveugles osoient conspirer contre les envahissements du génie et les victoires de l'intelligence.
Quelques volumes fragiles, confiés à des mers orageuses, ou au succès incertain d'une expédition téméraire, étoient les seuls tributs que les nations policées envoyassent, à regret, à leurs féroces voisins. Apportés par les armes, ils étoient repoussés par les armes. Des germes épars de bonne littérature, transplantés sous un autre ciel, n'y fructifioient jamais, et l'humanité ne se reposoit pas sur l'humanité du soin de conserver le dépôt sacré de ses droits et de son bonheur. On ne savoit pas encore multiplier les monuments de la sagesse et du pouvoir moral, les répandre avec profusion , sur toutes les zones, sur toutes les
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parties habitées du globe, et contraindre les hommes de toutes les latitudes, à les imiter ou à les vénérer. Si quelques républiques plus ou moins fortes par leurs soldats ou leurs remparts, se rencontroient, à de longs intervalles, mûres pour la raison et la gloire littéraire, elles parcouroient trop rapidement, un cercle de besoins, d'intérêts, de passions nouveaux, sans transmettre à d'autres républiques courbées encore sous le joug de la barbarie, le secret d'une existence pleine de charmes, et de dignité. Athènes, Rome, deviennent successivement le séjour des beaux-arts : un peuple puissant et éclairé peut se livrer avec transport aux jouissances de l'âme , dans ces murs fortunés que n'a pas encore souillés l'esclavage, et ces capitales célèbres, sont comme des îles fleuries au milieu d'un Océan sans rivages : elles renferment , ces villes de mémoire, des hommes qui pensent, et tout ce qui respire au-delà , vit de la vie des bêtes !
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Grecs de l'ancien Péloponèse, vous dont le polythéisme aveugle divinisoit tous les bienfaiteurs des hommes, quels autels eussiez-vous érigés aux propagateurs du culte de l'intelligence? La découverte de l'imprimerie est arrivée , il y a quelques siècles, comme une réponse aux besoins et à l'activité de l'esprit humain tourné plus particulièrement sur un objet (1). Depuis lors, la civilisation et les lettres sont devenues inaliénables du patrimoine des peuples. La marche du génie res-
(1) Voyez VILLEMAIN.
« Plusieurs écrivains avaient remarqué 1 heureuse coïncidence de la découverte de l'imprimerie, avec l'émigration des lettres grecques en Occident. L'imprimerie fut inventée à l'époque précise où elle était le plus nécessaire, et sans doute, parce qu'elle l'était. En effet, ces prétendus hasards qui ont fait trouver tant de choses admirables, n'étaient presque toujours qu'une réponse aux besoins et à l'activité de l'esprit humain tourné plus particulièrement sur un objet" ( Lascaris. notes. )
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semble à celle de la religion chrétienne qui, d'abord nourrie dans les familles, dans les tribus, dans les nations, doit bientôt embrasser la terre. Oui, le temps n'est pas éloigné où l'on ne comprendra plus la barbarie. Philadelphie, Saint-Pétersbourg, Londres, Berlin, Naples, ne représentent pas des foyers isolés de lumières, ce sont des fanaux assez vastes pour éclairer tout l'intervalle qui les sépare sur la surface du globe.
Et toi, France des Charlemagne et des Éginhard, des Saint-Louis et des Joinville, des Richelieu et des Corneille, des Louis XIV et des Bossuet, ta destinée est invariablement fixée. Tu demeureras au sein d'une vaste république scientifique et littéraire, le Latium du bon goût et de la politesse. Instruite par les malheurs de temps orageux, tu as fait toimême , justice de tes emportements : tu as isolé de tes plages hospitalières ces hommes frénétiques qui avoient séduit tes enfants et
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corrompu tes citoyens. Tu as marié les pompes du moyen-âge à l'élégance des siècles contemporains, et la franchise des moeurs chevaleresques à l'urbanité des formes nouvelles.
Ta littérature flétrie durant la tempête, reprendra tout son éclat, elle puisera ses inspirations dans les souvenirs de la France héroïque et dans les espérances de la France civilisée : elle sera toujours pure, les lettres françoises doivent être pures comme le cœur d'un François! La protection du trône ne lui manquera pas, et de quel trône parlons-nous ?
',.,.
La couronne repose sur un fils de SaintLouis, CHARLES X a toute la piété du ROI TRÈS-CHRÉTIEN. , elle repose sur un fils de François Ier, il a toute la courtoisie du ROICHEVALIER , elle repose sur un fils d'Henri IV, il a toute la loyauté du BÉARNOIS ., elle repose sur un fils de Louis XIV, il a toute la munificence du VENGEUR DE RA-
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CINE, comme lui, il aime et protège les lettres : il a garanti leur inviolabilité., elle repose sur un frère de Louis XVI, il a toutes les vertus de LOUIS-LE-BIEN-AIMÉ ! Près de ce trône séculaire, je vois les étendards de Bovines, ils entourent un héros qui a improvisé l'expérience des camps et la gloire des Césars : ce héros a fait plus que les empereurs de la vieille Rome, il a combattu pour une cause sacrée. La postérité n'aura pas seulement à compter ses lauriers !.
Je vois deux princesses, l'une est fille du ROI-MARTYR, elle est semblable à son père., l'autre, nous a rendu le sang d'Henri IV, c'est un sang qui ne dégénère pas. ! La charité douce et bienveillante de MADAME est dans la bouche de tous les orphelins, tous les amis des arts s'applaudissent de sa passion pour les arts, ses grâces tempèrent la majesté d'une monarchie toute pleine du passé, du présent et de l'avenir!.
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La religion et les mœurs publiques, regardées comme les bases les plus fermes des états, la paix assise, entre les puissances chrétiennes, d'une manière durable, parce qu'elle est le résultat des fatigues de la guerre et d'un meilleur calcul des intérêts du genre humain, le grand arbre des connoissances humaines entretenu par des soins augustes sous le dôme classique de l'INsTITUT, tous les honneurs de la terre également ouverts au mérite personnel, une sorte de confraternité établie entre toutes les professions morales, entre les sciences et les lettres, les beaux-arts et l'agriculture, l'indépendance de la pensée érigée en principe national, la sanction irrévocable de tous les droits, voilà ce que cette monarchie nous a donné depuis douze ans qu'elle nous
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FIN.
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lablc bee iiititic'ree.
Pages ÉPÎTRE. 5 AVERTISSEMENT DE L'AUTEUR. 7 AVANT-PROPOS. 9 CHAPITRE Ier. — Idée générale du développement moral et littéraire des nations. 25 CHAPITRE II. —L'état de société est-il dans la nature? 35 CHAPITRE III. — Formation des familles, peuples, nations :.. 57 CHAPITRE IV. — Temps héroïques. 7 3 CHAPITRE V. - Poësie. - 101 CHAPITRE VI. — Influence du commerce, des croisades, de la chevalerie, sur le développement moral de l'Europe 115 CHAPITRE VII. — Symptômes avant-coureurs des grands siècles, tirés de l'état de l'Europe, au seizième 139 CHAPITRE VIII. — Du goût 1/17
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Pages.
CHAPITRE IX. — Gloire et décadençe des lettres. 153 CHAPITRE X. — Coup-d'œil général sur la philosophie. 167 CHAPITRE XI. — De l'Influence de la liberté monarchique, sur le développement de l'intelligence. 24 1 CHAPITRE XII. - Le génie ne meurt jamais tout entier, sur la terre. 251 CHAPITRE XIII. — Parallèle du développement moral des nations, avec celui des individus. 261 CHAPITRE XIV. - Inviolabilité de la civilisation contemporaine 267
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Sautes à cDrriger.
Pages 59, ligne dernière, lisez leur an lieu de lui.
— go, ligne 6, lisez des poètes qui ne sont pas tous aussi favorisés qu'Homère des dons de l'esprit.
— go, ligne 2 de la ile note, lisez thesaurum.
— 1 Ig, ligne 4, au lieu de en faisant prévaloir, lisez en lui faisant préférer.
— ia3, ligne 18, Sardaigne lisez Sicile.
— 168, ligne 7, a transmis lisez ont transmis.
— 212 , ligne 11 , dont la dégradation a lisez dont on a