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MÉLANGES
DE
LIT:TÉ-RATURE .ET
DE
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IMPXIVESIE DE HOrUUXOTJKCIZ», rue du Jardinet, ne 12.
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MÉLANGES
DE
LITTÉRATURE ET
DE POLITIQUE,
M. BENJAMIN- €<ONSTANT.
PARIS,
1829
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PRÉFACE;
•̃̃̃•̃?
Sollicité: par plusieurs réunir en un volume divers essais p.u-\ bliés à d'autres époques périodiques, j'y ai volontiers que je travail sans plus sérieuses et sansmirs plus impérieux» En? norceanx de ijiîérature rue je Toufeirainsï rassembler, iux emWe pouviSr me; fat reste, ton presque aucune xle îs ;SÏ c^e pu^îicàtïona quelque jmeritè
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J'ai défendu quarante ans le même
principe liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique: et par liberté, j'entends le triomphe de l'individualité, tant sur l'autorité, qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d'asservir. la minorité à la majorite. Le despotisme n'a aucun droit. La majorité a celui de contraindre la minprite à respectef l'ordre mais tout ce. qui ne trouble pas Tordre, tout ce qui, n'est qu'intérieur, comme l'opinion.; tout,, ce ne nuit, pas a autrui, soit, en provocruant des violences matérielles, soit en s'oppo-rsant a une manifestation contraire ctout ce oni, en fait trie .rivale s'exercer: {librement rej5t4nj3îne. saurait Jêtre, légitimement soumis au pouvoir social.:
J ai dit sur. tous ces objets toute^ma pensée;: Pjsut^tre^d;épki^ai-rje;îégalejnent,
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et aux incrédules; à ceux du moins1 qui ont embrassé l'incrédulité comme une doctrine dogmatique;cerne l'histoire de' nos troublés, 'auxadmirateurs bien intentionnés de' Robespierre et de Saint-Jùst, Malesherbes et de Là Fayette"; pour ce qui a trait àpoléon et à aversion des règles jalousés qui'Joui: si long-temps entravé les^progrès de notre ceux qui proclamaientsaire y parce que iX^u'impor-te ces choses tance vëutj°dans Son intérêt particulier qui lui est propre, savoir tpurner^sès voisins et se.placer sfërt Inën
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connaître la grande crise qui s'est préparée depuis deux siècles et manifestée depuis quarante ans, et de ,seconder le mouvement qui entraîne vers une sphère meilleure d'idées et d'institutions l'esj^ce humaine entière;, on peut et l'on doit dire tout ce qu'on pense.
La crise qui s'opère sous nos yeux eg
dépit des résistances des uns des déclamations des autres^ a l'insu même de la foule qui est- entraînée, à y concourir, n'est pas; Ja dernière qui. changera la face aujourd'huiijheaucoup tomberont encore; Mais ces destructions, ou pour mieux dire- ces délivrances ultérieures y sont réservées à une autre -époque.; participons point sur. les, temps pénétrons-nous. des docconsolident; .'̃: :r pJU^ alpine, des tes inaividus agglomérés en corps. :de^rha~ tioilj 7.
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les pays civilisés, la première condition de l'existence de tout gouvernement. Les fonctions seront différentes, les-formes se» ront combinées de manière à maintenir Tordre mais des limites fixes seront tracées à tous les pouvoirs parce que les, pouvoirs ne sont que les moyens et que la conservation et l'exercice des droits sont le but. Par conséquent il'yaura des variations- possibles des changemens progressifs dans les fonctions W formes l'entendue, la compétence, les dénominations des pouvoirs mais le fond sera nécessairement, sous ces diverses dénominations ou ces diverses formes, l'égalité de droites que nous venons d'indiquer; et tous ceux qui posséderont ces droits seront autorisé concourir à leur défense, participer par un confection d,es lois qui détermineront l'apr
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légale, nécessaire à l'époque mais la disposition' la division, la subdivision, la circulation et la dissémination de là praopriété, ne rencontreront aucune restriction, aucune entrave, parce que la liberté illimitée de conserver, d'aliéner, déniorcelër, de-dénaturer là propriété, est, dans notre état social le droit nièrent, le be^soin essentiel de tous ceux qui possèdent. Tous les genres de propriété seront également sacrés aux ^eux dé la loi mais cha^cuhe prendra le rang et jouira de l'influence que lui assigné la nature des choses. La propriété industriellè- se placera sans que la loi s'en mêle chaque jour plus•" cière, parce que, ainsi que nous ràvônsdit ailleurs; la propriété théière est, de 'là chose 5 l'industrielle i r'là valeur Se l'homme. Il y aura ïlé plus ^relativement à l'industrie liberté Concurrencé', "ab^- propres erreurs ( c'est ii'aëxpërîènce'à
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.les; éclairer): soit b pour assurer au public de meilleurs objets de consommation (c'est à son; expérience à. guider ses choix ) et tout monopole, tout privilège, toute corporation protégêVau détriment, de :Factiyité,et des entreprises individuelles disparaîtra sans retpnr. de croyances, de lumièreSjil y aura neutralitéxomplète de la parce. que le gonvernement, composé d'hojnme&dela même nature que ceux qu'il gouverne, n'a pas plus qu'eux des opinions incontestables des croyances certaines ou des lumières infaillibles. On lui accordera tout au plus la faculté de réunir et de conserver tous les matériaux de l'instruction d'établir des dépôts, ouverts à tous dans lesquels chacun la puise à son gré pour en faire usage àjsà guise, sans qu'aucune direction lui soit imprimée.
Tel est, je le pense; l'état sociai^ers le-
quel l'espèce humaine commence à marcher. social estlèbe-
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soin, et sera par conséquent la destinéede l'époque. Vouloir rester en-deçà serait Durant ce temps Beaucoup de choses
qui deviendront superflues seront encore envisagées comme nécessaires £ beaucoup qui deviendront nécessaires seront considérées comme problématiques, paradoxales peut-être criminelles. Ne nous en. siècle suffit son travail.
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TABLE DES MATIÈRES,
I. Aperçus sur là mûrche et les révolu-
i- 27
,-Il. De ianpaissance. de l'Angleterre durant.
là guerre, et de sa détresse à la paix,
̃'•'̃̃•-•̃•̃- •,jnSquyen i^èï8. 1
de
r v. Fragmehs'sùrlàTrance7 ttu 14 jmllet
:r'i- 92 Vlr Du développement progressif des idées
religieuses..• 0,3-127-
• VII. De M. Dunoyer et de quelques-uns
128-162
• Vlil. De madame deStaèl^t de ses ouvrages. i63-2to IX. De Goawili, et de son ouvrage sur la
justice
XI. De la juridiction du gouvernement sûr
?' XII. De la guerre détente de latrar-J
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XIII. De M. Fox et de M. Pitt 3aa-33i XIV. De la révolution d'Angleterre, de 1640
à 1688. -j 332-34^
XV. De l'effet du régime qu'on a nommé
révolutionnaire. reiativement au sa-
lutetalaiibertëdeiaFrance. '£•; '̃. 343-353
XVI. Des causes humâmes qui ont concouru
à l'établissement du christianisme.. 354-386
XVII. De la perfectibilité de l'espèce humaine. 38j-4j 5 XVIII. De la division des .propriétés foncières. AiG-foS • XIX. Des erreurs que lfhistoiré' ïavorisë sur
v,ernemens populaires. 4^0-436
XX. Pensées FIN-DE LATiBlS.
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MÉLANGES
DE
LES RÉVOLUTIONS Jffi LÀ PfflLOSÉBfflBDE! :.̃ .•̃: i.A:R©ME. oi ,que, leur. snlta pour eux des difficultés de leur situation
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On a voulu attribuer à la philosophie pythagorienne quelque influence sur les institutions de Numa, et l'on a pu d'autant plus fâcitelneat rassembler à cet égard quelques vraisemblances, qu'il est probable que Pythagore avait inséré dans sa philosophie plusieurs fragmens de doctrines sacerdotales auxquelles Numa m'était plus étranger; mais là doit se borner tout ce qu'il y a de commun entre le philosophe grec et le second roi de Rome (i). Même après Fépoque où les Romains formèrent des -liaisons avec les Grecs d'Italie et de Sicile ils n'apercevaient, .encore que légèreté mollesse et corruption chez ces peuples, qui, de leur côté, les traitaient de barVers la fin de la première guerre punique
les Romains acquirent la connaissance de la lit.là Grèce. Dés tragédies grecques, traduites ^arïifvîàs AndronicuS, qui les jeux des àteiÊaieS^ Ennïiis. xinéCaton de Sardaiene à Rome, non cbntetft'dés^sttccfequë lui'prodi'• "(®i&'Uiï,Yiî,ï: ̃•'•••̃̃
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raient des imitations pareilles, voulut en puiser de nouveaux dans une traduction de. l'Histoire sacrée d'Evhemère (i). C'eût été chez tout autre peuple un très grand pas dans la route philosophique, et peut-être était-ce l'intention de l'auteur latin mais il partait que lés Romains ne virent d'abord dans les hypothèses d'Evhemère qu'un objet de curiosité assez frivole. Ds étaient moins ombrageux que les Athéniens', parce qu'aucune expérience ne les avertissait des conséquences de la philosophie pour la religion. Il en fut de même de l'exposition du système d'Épicure par Lucrèce. Ces deux ouvrages étaient des germes jetés sur une terre qui n'était pas encore préparée pour les recevoir.
Bientôt les conquêtes des Romains leur ouvri-
rent un mode de communication plas facile avec la Grèce. Ils transportèrent à Rome des esclaves grecs, parmi lesquels il yavait des rhéteurs et des grammairiens, et ils leur confièrent l'éduca- tion de leurs enfans- Cet'usage: devint général malgré 3a désapprobation -die quelques Romains austères, parmi lesquels il est assez curieux de compter le grand-père de Cicéron (2). Comme premier qoi prétendit qne les diccx dé la Grècen'étaientqtie' des hommes dâfiés. :̃ 1<: ̃ ••'•̃.̃.̃:̃̃• ̃ :̃;> 'v-> !f (2) Cicer.,de Qrat.; 11, 66. • :̃
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ces rhéteurs enseignaient l'éloquence objet d'une si grande importance dans un pays libre, les craintes et les soupçons cédèrent toujours à l'avantage immédiat que leurs élèves pouvaient retirer de leurs leçons.
d'était ainsi que la philosophie avait.:com-
mencé à se glisser à Rome d'une manière partielle, isolée et presque Insensible, lors de la fameuse ambassade des trois philosophes, parmi lesquels on distingue Carnéade (i). Cette ambassade était composée de trois hommes que l'on pouvait considérer comme les représentas de. la philosophie grecque, de Cornéade l'académicien, du péripatéticien Critolaüs, et du stoicien Diogène. Avides de briller et flattés de l'effet qu'ils produisaient sur un peuple peu accoutumé à des recherches aussi subtiles, ces philosophes dé-. ployèrent toute là profondeur on toute la dex-. térité de leur dialectique devant les jeunes Romains,' qui furent saisis d'enthousiasme en découvrant cet usage inconnu de la parole: car (i) L'époque de cette ambassade est fixée, par Ciceron, I!an;de Borne 5gS.,Jcad. Qwest. rv,,45. Tusc. iv, & y a quelques raisons dé douter de J'exactitude, de cette date ;mais, il est certain que l'ambassade eut lieu vers. la fin du sixième siècle due Rome. ̃ •
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les hommes encore: simples n'ont aucune idée de sa prodigieuse flexibilité.
Le gouvernement s'alarma de cette commor
tion-subite. Les vieux sénateurs s'armèrent de toute l'autorité des usages pour repousser des spéculations qu'ils déclaraient dàngereuses:, et qu'ils dédaignaient comme.futiles. Pùblius Crassus disait-que le petit livre qui contenait les lois des douze Tables était supérieur::à, tous les écrits-dés Grecs (j)* Caton l'Ancien obtint d'une assemblée convaincue par des ràispnnémens rudes et .agrestes qu'on éloignerait -de«.Ia jeunessé romaine de perfides rhéteurs qui 'tra- vaillaient à la destruction de tottles lés traditions révérées et au bouleversement de touscipes de morale.. Lies, sophismes de' Cacçéade qui, se faisant un mérite du talent;, méprisable d'attaquer et de défendre indifféremment lesopinions les plus opposées, parlait en public, tantôt pour,- tantôt contre lau justice fouroissaient à Caton des argumensplausibJes.ilia philosophie, dèsson début, se présentait. sous des apparences défavorables: Caton; tie: savait pas qu'en Ja jugéant d'après un sophiste il la jugeait, mal ̃,[ et voulait proscrire, mieux approfondie et mieux (i). Cicer. Oral. i, 44» ••̃. >[
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connue serait le seul asile de son petit-fils contre les trahisons de la destinée et la clémence insolente de César.
On ne peut se défendre d'une sorte de sym-
pathie pour des vieillards vénérables opposant au .torrent qui leur paraissait mettre en danger la patrie, leurs cheveux blanchis et leur expérience antique évoquant pour repousser des doctrines qui leur semblaient menaçantes lès mânes de leurs ancêtres levant au ciel leurs bras fatigués de victoires, etappelant à leur aide, d'une voix débile mais prophétique, les souvenirs de six cents années de gloire et de liberté: Si toutefois on fait succéder cette impression
naturelle une réflexion calme. et impartiale, on sera obligé de reconnaître qaey pour arrêter les- progrès -de la philosophie et même des sophisnies de laXîrèce le sénat prenait de mauvais moyens.:
Tout ce qui est dangereux renferme en soi ua principe faux, -déguisé peut-être avec artifice > raais qu'il est toujours ^possible derdécouvrir. Affirmer le contraire -serait 'accuser la Divmîté inûrae; dans la connaissance de la véritéy «lle'aufait tendu un piège à:décbontrer la fausseté des opinions pernicieuses qu'il faut travailler, et non proscrire un examen
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qui, lorsqu'il est proscrit, ne s'en fait pas moins, mais se fait imparfaitement, avec troublé, passion, ressentiment et violence..
Était-il donc si difficile de répondre au so-
phiste d'Athènes? Était-il si difficile de prouver que ses raisonnemens contre la. justice, n'étaient que de misérables arguties? Était-ce une entreprise téméraire que d'en appeler dans le<:œur de la jeunesse romaine aux .sentimens indélébiles qui sont dans celui de tous les hommes, de soulever,. dans ces âmes encore neuves, lés élenvens primitifs de notre nature et dé diriger leuriridignation contre' une théorie qui, consistant tout entière en équivoques jet en chicanes, devait, par la plus simple analyse, se ^voir bientôt couverte et. de ridicule et dé mépris? .'̃̃ On sourira de pitié :peui?-être l'idée d'un
gouvernement se confiant à la raison au lieu d'employer les prohibitions et les menaces on aime bien, mieux les édits et les soldats.. Ces moyens sont commodes et paraissent surs jik ont l'air de tout réunir, fàcilîlé, brièveté, di- gnité. Ils. n'ont qu'un seul défaut tTcelui. dé we jamais réussir le sénat de Rome en fit lTexperiencè. Ce ne fut pas faute d'autorité qu'il échoua dans ses efforts contre la philosophie, grecque. Lëlius et Scipibn essayèrent dé-
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fendre {i). Caton s'applaudit sans doute, du triomphe passager qu'il remporta. Les députés d'Athènes furent renvoyés précipitamment. Pendant près d'un siècle, des édits sévères, fréquemment' renouvelés, luttèrent contre toute doctrine étrangère (2); lutte inutile l'impulsion était donnée, rien ne la pouvait arrêter. Les jeunes Romains conservèrent d'autant plus obstinément dans leur mémoire les discours des sophistes,- que ces organes d'une sagesse nouvelle leur paraissaient injustement bannis; ils regardèrent la dialectique de Carnéade, moins comme un système qu'il fallait examiner, que comme un bien qu'il fallait défendre. L'étude dé: la philosophie grecque né fut plus une affaire d'opinion, mais, ce qui paraît bien plus: précieux encore à l'époque de la.yié où'rime est douée de tontes ses forces de résistance, un triomphe sur l'autorité. Les hommes éclairés d'un âge plus mûr,, réduits à choisir' entre l'abandon dé toute spéculation philosophique et la désobéissance an gouvernement, furent forcés à ce dernier parti par le goût des lettres; passion qui lorsqu'une fois.elle a pris naissance, s'accroît chaque jour, (î).Cicer., Tusç. 1, 5a.
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parce que sa jouissance est en elle-même. Les uns suivirent la philosophie dans son exil d'Athènes, d'autres y envoyèrent leurs encans. Enfin la philosophie, lorsqu'elle revint de son bannissement, eut d'autant plus d'influence^ quelle arrivait de. plus loin et qu'on l'avait acquise avec plus de peine. Les généraux euxmêmes, que leur éducation belliqueuse et leur vie active auraient dû préserver de la; contagion des lumière, s'y livrèrent au contrainre avec empressement. Le métier des armes l'homme à mettre un grand prix à l'opinion; et cette habitude <, une fois contractée, se reporte ensuite sur des. objets étrangers au métier dés armes. C'est- pour cela que l'on voit souvent des hommes nés ou eL-vésdans les camps imiter la mode autant qu'il leur est possible, .,et. lorsque le: siècle est doux et policé, choisir ou aflec- ter des manières douées ou des occupations élé- gantes. Ainsi, le farouche Mummius-, -Voyant qu'il était d'usage à Rome d'aimer les statues crut se devoir d'en -envoyer de Corinthë, en exigeant des navigateurs qui se chargeaient de cet envoi -de remplacer -celles qui sèr-aient per- dues. De même, la philosophie étant en` faveur, les plus illustres' capitaines se firent suivre dans leurs expéditions par des philosophes qu'ils ramenèrent à Rome après leurs victoires. Autiochus
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l'académicien futle compagnon de Lucullus.Calon l'Ancien céda lui-même à l'exemple universel, et suivit, durant la seconde guerre punique, les leçons du pythagoricien Néarque, à Tarente. Sylla fit transporter dans la capitale la biblio-:thèque d7Appelicon de Theos, qu'Andronicus de Rhodes fut chargé de mettre en ordre.. Caton d'Utique, tribun militaire en Macédoine, fit nn voyage en Asie dans le seul espoir d'obtenir du stoicien Athénodore qu'il abandonnerait sa retraite de Pergame, et viendrait le consoler des ennuis et du tumulte des camps. Enfin Cicéron, pendant sa carrière active et glorieuse, ne cessa de consacrer à la philosophie tons les momens qu'il put dérober à ses devoirs d'orateur de soldat et de citoyen. Dès son enfance, intime ami de Diodote, disciple ensuite dePosidonins et protecteur de Cratippe, il se plaisait à répéter qu'il devait ses. talens et son éloquence bien plus: à là philosophie qu'à la rhétorique proprement dite(i).
Cependant les esprits qui -de la sorte se li-
vraient avec enthousiasme à la philosophie, n'étaient point prépares pour la plupart à des spéculations abstraites par des études anté-. rieures. B en résulta que la philosophie pénétra dans la tête de ces nouveaux disciples, pour ainsi (i) Gicer. de Orât., III.
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dire, en masse et dans son ensemble. Elle ne s'identifia point avec le reste de leurs opinions et son influence fat à là fois plus forte et moins continue qu'en Grèce plus forte dans les circonstances importantes, dans lesquelles l'homme, jeté hors. de la routine et dès habitudes, cherche des appuis, des motifs ou des consolations. extraordinaires moins. continue, parce que la philosophie, lorsque rien ne troublait l'ordre accoutume, redevenait pour les Romains une science qu'ils avaient apprise, plutôt qu'une règle de conduite applicable à tous les instans, de la vie sociale: Nous n'apercevons à Rome aucun individu qui se soit uniquement occupé de spéculations philosophiques"/ comme les principaux sages de la Grèce! mais, d'un autre côté, nous né voyons point: que les Grecs aient su tirer de la philosophie des-secôurs aussi pujssans que les illustres citoyens de Rome, au milieu des camps, des guerres civiles, des proscriptions, et à l'heure de la mort. Ce n'est .pas que plusieurs philo-? sophes.. grecs n'aient ,supporté' les persécutions avec un,grand courage mais .ce courage était une partie des devoirs: de leur profession, une- conséquence forcée de la carrière dans laquelle ils étaient entrés au lieu, que, les Romains; qui s'appuyèrent de la philosophie pour combattre et pour mourir, étaient des guerriers ,t des
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magistrats des sénateurs ou des conjures. D'après ce que nous venons de dire sur la ma-
nière dont la philosophie fut transportée à Rome, on peut concevoir facilement que les Romains se partagèrent plutôt entre les différens systèmes qui s'offrirent à eux, qu'ils ne les analysèrent. Ce partage, résultat naturel de l'adoption- sur parole d'une doctrine étrangère dut être aussi l'effet du mode d'enseignement adopté par les rhéteurs grecs. Les Grecs, pour la plupart esclaves ou affranchis, devaient, quelle que fut leur conviction personnelle et leur attachement pour une secte en particulier, s'efforcer de plaire à leurs maîtres; et quand ils remarquaient que teille hypôthèse les repoussait pas sa rigueur,- ou les fatiguait par sa subtilité, ils.se hâtaient de;leur. en -offrir une autre. Tel est le résultat de Indépendance:' Famour même delà vérité ^'affranchit pas innomme du joug; s'il ne transige 'pas'sur le fond de ses opinions, il en change'lés formes; s'il-ne lès désavoue pas, ils les défigure. '•' ••:< Lorsqu'à ces rhéteurs esclaves eureut; succédé
les rhéteurs mercenaires, l'avidité ne futpas moins complaisante que la servitude, Lés doctrines-de^viriréntune denréedont les Grecs -trafiquèrent; et dont par conséquent ils- donnèrent le choix à des hommes auxquels les questions philosophiques inspiraient plutôt de la curiosité que de l'intérêt.
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Cependant, toutes les sectes ne trouvèrent
pas à Rome une faveur égale. Bien que l'épîcuréisme eût eu l'avantage d'être exposé en très beaux vers par Lucrèce, il fat d'abord repousse par un sentiment presque universel. Cé fut moins à cause de sa morale dont. on ne prévoyait pas encore toutes les conséquences, que -parce qn'iI recommandait à ses disciples une vie spéculative et retirée, libre de la fatigue .et du danger des affaires. C'est en effet le principal reproche que Cicéron adresse à la philosophie épicurienne, qu'il poursuit dans ses ouvrages d'un blâme sévère (i). Les citoyens d'un état libre ne peuvent concevoir l'oubli de la patrie parce qu'ils en ont une; ils-considèrent comme une faiblesse coupable cet éloignement pour toute carrière active, qui, sous le despotisme, devient le besoin et la vertu de tous les hommes indépendans et intègres.
La philosophie épicurienne eut cependant pour
élève un Romain illustre je ne veux pas parler d'Atticus, caractère équivoque et doublé, sans principes et sans opinions, délicat dans ses relations privées et fidèle ses amis malheureux, ce qui le -distingue de ses imitateurs d'aujourd'hui mais insouciant sur les intérêts publics; (i) Cicer. de Oral., ni.•
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plaçant son impartialité dans l'indifférence, sa modération dans l'égoïsme.; production d'un siècle qui s'affaiblissait avant-coureur certain d'une dégradation peu éloignée, et donnant un exemple d'autant plus funeste que sous des formes élégantes il apprit à la foule encore indécise et vacillante, comment chacun pouvait s'isoler avec adresse et trahir décemment tous ses devoirs*; Le Romain dont je veux parler, c'est Cassius qui se voua dès son enfance à la cause de la liberté qui repoussant tous les plaisirs, toutes les douceurs de la vie, neut qu'une pensée qu'un intérêt, qu'une passion, la patrie qui fut l'âme des conspirations contre l'usurpateur qui la menaçait qui voulait, dans sa prévoyance, étendre sur Antoine la vengeance d'un peuple. opprimée;qui combattit ew regrettant de ne pouvoir appeler les dieux à la défense de Rome; qui mourut en s'affligeant de ne pas espérer une autre vie, ét dont la carrière fut toujours de la: sorte dans unie honorable opposition avec sa doctrine (i).
Les sectes de Pythagore, d'Aristote et de Pyrrhon rencontrèrent Rome des obstacles d7une autre espèce. La première,, par une conséquence fâcheuse mais naturelle, du secret dont (i) Plutarch. in Bruto..
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elle s'enveloppait depuis sa naissance, avait contracté de grandes affinités avec plusieurs superstitions' étrangères. C'est un des inoonvéniens du mystère, que, lors même que l'intention primitive est pure, l'imposture finit toujours par s'en emparer. Les prêtres et les astrologues, si souvent chassés par les décrets du sénat, et méprisés toujours par tous les hommes éclairés se disaient pour la plupart disciples de Pythagore. Nigidius Tulus est le seul philosophe pythagoricien qui paraisse .avoir joui chez les Romains de quelque considération. L'obscurité d'Aristote avait peu d'attraits pour des esprits étrangers aux spéculations abstraites, et plus curieux, que méditatifs. Enfin, l'exagération da pyrrhonisme devait révolter des raisons droites plutôt que subtiles, et qui ne trouvaient rien d'applicable dans un doute poussé jusqu'à l'extravagance et contraire aux témoignages des sens. Le platonisme, qui n'était point encore ce qu'il devint, deux siècles après, entre les mains des.-platoniciéns nouveaux, le scepticisme modéré de la seconde Académie, le stoïcisme furent les systèmes entre lesquels les; Romains se partagèrent. Lucullus, Brutus et Varron furent platoniciens. Cicéron qui fit ses délices de l'examen et de la comparaison de toutes les doctrines diverses, pencha pour l'indécision de l'Académie. Le stoïcisme
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seul eut des droits sur la grande âme de Caton. Une observation me frappe ici. On répète
machinalement de siècle en siècle par une facilité merveilleuse à dire ce qui a été dit, que la philosophie a fait la perte de Rome. Cependant tous les hommes qui défendirent la république furent philosophes. Varron mérita d'être proscrit par les triumvirs (i). Brutus chérissait tellement les doctrines grecques, qu'il n'existait pas dè son temps, nous dit Plutarque (2), une secte qui ne lui fût connue. Caton mourut en lisant Platon. Cicéron qui, moins fort de caractère mais non moins sincère dans ses opinions; sut recevoir le coup mortel sans faiblesse se: punissant ainsi d'avoir espéré d'Octave, s'était consolé par la philosophie de son exil et de toutes ses advérsifés. L'histoire ne nous apprend pas que les destructeurs de la liberté romaine eussent pour* la'méditation un pareil amour Nous n'avons pas de grands renseignemens sur la philosophie de Ca- itilina. César, à centrée de sa. funeste^carrière r^^ professa dansTe^sénat quelques principes d'une irréligion triviale; axiomes grossiers et confus', que probablement ce jeune conspirateur (1) Il échappa leurs poursuites, mais il perdit sa bifelio-
thèque et ses propres écrits.- > ̃̃̃̃̃̃̃ (1)' In Bndo. '• '.̃̃'̃̃̃
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rccueillis dans les rares intervalles de ses débauches et de ses' complots. Le voluptueux MarcAntoine, l'imbécille et lâche Lépide, et tous ces sénateurs avilis, et tous ces centurions féroces, dont les uns trahirent, dont les autres déchirèrent Rome expirante,- ne s'étaient, .que je sache formés dans aucune école.
Au milieu de ses erreurs même, la méditation
désintéressée agrandit l'esprit et ennoblit l'âme et la philosophie, tout en se trompant, a cet avantage., qu'elle détache ses sectateurs de ces intérêts ardens et avides, pour lesquels des ambitieux-, forcènés ou ignobles dévorent on abrutissent les générations asservies, et bouleversent le monde par-leurs fureurs, :ou, pèsent sur lui par leur masse. Avec Auguste commença, pour la philosophie
comme pour l'espèce humaine, une époque nouvelle, dont les symptômes devinrent remarquables surtout sous Tibère. • v
Durant le règne d7Auguste, les âmes qui
étaient fatiguées des discordes civiles, mais qui n'élaient pas façonnées au jong, s'occupèrent d'abord de ce travail intérieur que l'homme fait sur lui-même pour trouver une assiette fixe et tolérable dans une situation quMe blessé; travail plus ou moins long suivant que les peuples sont plus ou moins dégradés. Malgré la corruprion
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presque universelle, les souvenirs et les habitudes de la liberté avaient conservé sur les Romains assez de pouvoir pour qu'il. leur fallût quarante-cinq années avant de parvenir à une dégénération complète.
Au milieu de cette lutte entre ce qu'il y a de noble dans l'homme et ce qu'il doit devenir pour vivre doucement sous la tyrannie, ce sont surtout les distractions qu'il recherche. La philosophie devint à Rome une distraction un amusement, une espèce de p!al-ir moins avilissant que les autres, mais non moins frivole. Les Romains l'étudièrent alors historiquement, cest-à-dire ils voulurent savoir ce qu'on avait pensé plutôtqu'ils ne pensèrent eux-mêmes. On ne les voit s'attacher à aucun système hors à un seul, dont nous parlerons bientôt. Ce n'était pas qu'un examen sérieux les eût convaincus de l'insuffisance de toutes les hypothèses; c'est que, pour embrasser un ensemble,. il faut une certaine capacité et ces âmes qui travaillaient à se rétrécir ne l'avaient plus. Chacun saisissait. suivant le hasard, la fantaisie, quelquefois le besoin du moment, un &agment isole' de quelque doctrine. La réflexion ne choisissait pas, le caprice adoptait^, défendait, abandonnait des axiomes qui ne faisaient que remuer la superficie des esprits dont le fond déjà était morne et immobile. An-
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guste, dont la philosophie pratique avait consisté à tuer ce qu'il craignait, et dont l'humanité consistait à ne pas-tuer ce qu'il n'avait pas à. craindre; Mécène, fier du sens droit et de la raison habile qui l'avaient mis aux pieds du plus fort encourageaient cette occupation dans les débris de la classe éclairée qu'il leur était important de voir oisive et agréable de voir ingénieuse (i).
Une secte cependant fit. des progrès, parce
qu'èlle offrait précisément ce qu'il fallait aux Romains à cette époque un code de prudence et des règles de plaisir; ce fut; comme on le devine, la secte d'Épicure. On a voulu chercher dans cette philosophie la cause de la choie de la liberté; mais les dates prouvent qu'elle tut, au. contraire, un de ses effets. Nous voyons les. Romains les plus distingués du siècle d'Auguste se faire.en quelque sorte, violence pour se courber jusqu'à elle..
Horace peut être rangé parmi les épicuriens
les plus illustres et ce poète offre un exemple, très curieux dutravail que font les âmes élevées contre elles-mêmes sous le despotisme. Il avait çéd&à la destinée comme le reste du monde. Txiburtmi(i) Auguste écrivit lui-même un livre pour exhorter les
Romains à l'étude de la philosophie i.u, N..
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litaire sous Brutus, ,il était devenu le flatteur d'Auguste et le client de Mécène. Mais les esprits -d'une certaine trempe ont besoin de rattacher leur conduite et jusqu'à leurs faiblesses,, à des idées générales: Horace vanta donc l'épicuréisme -qui justifiait sa résignation. Cependant on voit qu'il regrette fréquemment qu'une plus noble doctrine lui soit interdite. Il rappelle sans cesse la brièveté de la vie, comme sa consolation secrète et son excuse à ses propres yeux. Il renonce à la liberté publique; mais il ressaisit obstinément -son indépendance individuelle. Il cherche la retraite; il fuit le crédit. Il échappe à Mécène au risque- de lui déplaire.
• Ce que fit Horace avec effort d'autres le firent
avec plus de facilité, parce qu'ils avaient moins 'de talent et plus de bassesse. La philosophie d'Épicure devint la' doctrine dominante.
Le vieux usurpateur, qui avait applaudi à ses
.pcépgés, tant qu'elle ne lui avait paru propre
tpi'à détacher les hommes de la liberté, s'en effraya lorsqu'il découvrit qu'elle les détachait aussi <3e tout le rester et que l'égoïsme n'était pas plus disposera se sacrifier pour un maître que pour la patrie. Il voulut recourir à des mesures répressives (i); mais il n'est pas donné aux au{i) Dion Cassius, lit. n.
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teurs de la corruption des peuples d'en être les réformateurs. Le ciel préparait d'ailleurs aux Romains une leçon plus sévère. Tibère, Caligula,. Claude et'Néron vinrent, comme cela devait être, recueillir le fruit des triomphes de :César et -de la politique d'Auguste et la faiblesse comme la force, le vice comme la vertu, la lâcheté comme le courage, furent frappés indistincte-, ment. Les Romains apprirent qu'il ne 'suffit pas, sous l'arbitraire d'être soumis pour vivre paisibles, ni d'êlve vils pour être épargnés^ L'oppresri sion, lorsqu'elle s'enveloppe de formes douces et hypocrites, énerve et avilit l'espèce humaine; mais quand elle est suffisamment redevient la rigoureuse et utile institutrice. C'est à la cruauté sombre du fils de Livie à la démence de son successeur, à fimbécillité du marid-Agiùppine, et à la dépravation sanguinaire et capricieuse de son fils, queRome dut larenaissanceda stoïcisme. Tous les philosophes de cette époque, furent stoïciens. Le scepticisme n'est supportable, que dans un temps de prospérité, ou du moins de repos. On se plaît dans,le doute quand; on- est heureux mais lorsqu'on. souffre besoin d'une opinion fixe. :̃̃. >jrvw.i Les stoïciens', retrempés: par le malhëùiy ne s'égarèrent point, comme les philosophes grecs, dans une métaphysique obscure et inapplicable;
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ils ne s'attachèrent qu'à la morale. Sénèque traitait avec un grand mépris les frivolités épineuses qui avaient occupé Chrysippe (i). Épictète, bien qu'il: enseignât publiquement la philosophie à N-icopolis, et fût par conséquent dans la même position particulière que les stoïciens de la Grèce, déclarait pourtant que le but de ses leçons.était la connaissance et l'exercice pratique de la vertu, et que la dialectique n'étai! qu'un moyen de mettre plus declartéet d'ordre dansles idées, moyendont il-fallait soigneusement éviter l'abus. C'est qu'alors ce n'était plus l'esprit qui cherchait un théâtre où déployer -ses facultés brillantes, mais l'ârne qui demandait un asile où se réfugier, et la morale seule pouvait lui offrir cet asile.
Les stoïciens de Rome. tirèrent des conséquences sublimes de quelques axiomes qui n'étaient en Grèce que des sophismes et des arguties. Afin de concilier la liberté humaine avec la nécessité,, les disciples de -Zénon avaient prétendu que l'homme, Pour être libre, n'avait qu'à vouloir ce que la nécessité lui commandait le stoïcisme' romain partit de cette ides pour créer un genre de liberté: qu'il plaça dans le fond' des coeurs comme dans un sanctuaire. Ne prouvant sortir Fiâdividû de la grande chaîne des évèScheci î«p'i xi-v 'et xlviu.
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nemens sans rompre cette chaîne, et sans renverser ainsi l'ordre de la nature et les notions de cause et d'effet, ils imaginèrent de le rendre Indépendant des évènemens par le sentiment et par la pensée et cette hypothèse, qui n'avait élé en Grèce qu'un moyen d'éluder de pressantes objections, devint un principe de.force, de sûreté, d'héroïsme, qui défia toutes les furenrs .des tyrans. Il en fut de même des maximes adoptées par cette secte sur la prière. Pour obtenir des dieux ce que nous voulons, avait-on dit, il faut ne leur demander que ce qu'ils veulent. Rédigé ainsi, cet axiome était presque une raillerie contre la bonté divine et l'efficacité dé nos vœux. Cette subtilité néanmoins servit mer- veilleusement à déterminer quelles sollicitations nous devons adresser aux dispensateurs des destinées. Le sage n'attend point que les dieux lui confèrent des faveurs extérieures et visibles il ne les invoque pas contre les éyènemens, mais contre sa faiblesse; il implore d'eux non la possession, mais, le mépris des richesses; non la prolongation de la vie,.mais le courage dans la mort (t). H: en fut de même encore des raisonnemens sur l'existence du mal. L'impossibilité de résoudre ce problème d'une (r) Antonin, v, 21; is, 4<>- Arricn 1, 16.
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manière satisfaisante avait suggéré plus d'une fois aux stoïciens grecs l'assertion hardie que le mal n'existait pas; les stoïciens romains donnèrent â cette assertion une forme plus raisonnable, moins absolue et surtout plus fertile en résultats élevés. Il n'existe, dirent-Ils d'autre mal que le vice, .d'autre bien que la vertn il est donc libre à tout homme d'éviter le mal, puisque tout homme est libre d'être vertueux (i).
Fortifié par un tel système, Cassius Julius at-
tendit la mort sans crainte sous Caligula, et, tournant sur lui-même à ce moment solennel un regard curieux, observa les gradations par lesquelles le principe de vie dépose ses organes et se sépare du corps (2). Thraséas imprima par son exemple, aux âmes les plus affaiblies, un ébranlement passager, mais salutaire (3); et le courage tardif de Sénèque lui rendit quelques droits à une estime mêlée de pitié.
Les tyrans de Rome redoublèrent en vain de violence contre cette force morale qui bravait leurs délateurs, leurs affranchis et leurs centurions. N-eron chassa de Rome le philosophe Mnsonius; mais, sous Domitien f les- éloges de cet exilé (i) Scnec., ep. latvi. de Provid. Anton., iv 59.
(2) Scnec., Ce TrcatqidU. i£.
(5) Tacit., Ann. xv, 20.
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étaient encore dans toutes lesbouches; et comme l'un des caractères auxquels, dans tous les temps, la tyrannie peut se reconnaître, c'est la poursuite de ceux qui défendent les accusés, et qui deviennent à leur tour accusés pour en avoir défendu d'autres, Domitien fit punir de mort un philosophe qui avait loué Musonius.
La philosophie s'éleva de la sorte à la plus
grande hauteur à laquelle l'esprit, humain l'eût encore portée, et ce fut sous les princes les moins faits pour l'apprécier, les plus disposés à la proscrire. Mais elle déchut bientôt de ce rang sous des empereurs qui l'honoraient ,de faveurs spéciales tant il est vrai que l'intelligence humaine n'a pa.s besoin des faveurs du pouvoir, .et que, s'il fallait choisir, il vaudrait peut-être mieux pour elle être proscrite que protégés 1
Adrien, fier, ou plutôt vain de ses connais-
sances dans la littérature grecqué, rassembla près de lui tout ce qui pouvait faire de' sa cour une académie, et combla de bienfaits tous les grammairiens et tous .les rhéteurs qui accoururent au premier signal pour lui composer un cortège phi- losophique. Il leur prodigua, non-seulement des trésors et des places, mais l'honneur plus précieux de son intimité. Assis à sa table, ils agitaient avec lui ou devant lui des questions abstraites. Ii aimait à les contempler, s'acharnant les uns sur
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les autres, et se poursuivant de syllogismes. L'idée de plaire au maître du monde enflammait leur zèle. Souvent il se mêlait de leurs discussions, il accablait ses doctes convives d'interrogations captieuses et d'objections frivoles; mais on sait que trente légions donnaient du poids à ses raisonnemens et de la finesse à ses railleries (i).
Alors la philosophie changea de caractère le
stoïcisme disparut; l'esprit de secte sembla prendre une activité qu'il n'avait jamais eue à Rome; mais ce ne fut pas l'esprit des sectes grecques, persévérant dans son investigation, sincère dans sa ténacité, et ne se livrant des combats à mort sur des questions de peu d'importance, que parce qu'il leur prêtait de bonne foi une importance imaginaire; ce fut un esprit de secte factice, calculé par des sophistes avides pour amuser un sophiste couronné.
Ce que les plus célèbres ou les plus heureux
faisaient à sa cour, d'autres moins connus le firent plus obscurément dans tous les palais des riches. L'imitation créa simultanément deux classes, les protégés et les protecteurs. On vit de toutes parts des hommes couverts de manteaux déchirés ou de robes superbes, affecter, les uns la rudesse de Diogène, les autres la médita(i) Spartian. in Hùdrian. i5.
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tion de Pythagore ou la gravité de Zénonj mais se ressemblant tous en ce point, qu'ils dévoraient l'outrage, prodiguaient la louange, et mendiaient des présens ou même, des repas, but passager d'une ambition bien modeste.
La véritable philosophie toutefois s'eleva de
nouveau, mais pour un moment, sous Marc.Aurèle. On lui doit l'exemple unique d'un homme maître d'un pouvoir sans bornes, et qui sut n'en pas abuser. Du reste, les récompenses, les salaires, les honneurs accordes aux philosophes, les établissemens publics institués en leur faveur par les Antonins, prouvent que la philosophie était sur son déclin au temps ou elle flo-^ rissait, de tels ènconragemens étaient superflus; ils furent inefflcaces des qu'ils parurent indispensables.
Je termine ici cet exposé rapide; parce qu'après
les Antonins la philosophie abandonna, en quelque sorte, la capitale du monde pour se transporter à Alexandrie.
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IL
DE LA PUISSANCE DE L'ANGLETERRE
DCKANT mA GUERRE,
ET DE SA DÉTRESSE A LA PAIX, JUSQU'EN 1818.
Pour la plupart des peuples, la guerre est une
cause de détresse et de souffrance la paix en est une de prospérité et de richesse. Il en a été autrement pour l'Angleterre durant les vingtcinq années qui viennent de s'écouler, par une complication de circonstances très singulières. C'est à la paix de 1814 que la misère de la classe
laborieuse, en Anglèterre, a commencé; cette misère a toujours été en s'aggravant jusqu'à. la fin de 1816. On s'en est ressenti en 18 17. Elle semble aujourd'hui toucher à son ,terme. les fonds haussent les capitaux reparaissent/ le peuple 'retrouve du travail et des moyens d'existence, et partout cette portion de la société, tant calomniée, ne demande qu'à ne pas mourir de faim pour vivre en repos.
Les périls. qui menaçaient depuis quelques
années cette île célèbre diversement par sa constitution intérieure et par son influence au
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dehors, sont donc ajournées. Le sont-ils pour long-temps? Le sont-ils pour toujours.?.C'est une question qui, selon moi, n'a.été encore ni examinée ni résolue.
Pour bien connaître l'état de l'Angleterre, il
faut distinguer soigneusement deux choses les causes de la détresse qu'elle a éprouvée depuis i8i4> et les effets moins manifestes, mais non moins graves, que cette détr.esse a produits.
L'état de gêne dont l'Angleterre a été frappée
immédiatement après la paix .de Paris tenait à la même cause que l'étonnante prospérité dont elle avait joni pendant qu'elle était .en: guerre avec toute l'Europe enrégimentée par Bonaparte. Une lutte de vingt ans, d'abord contre la France, ensuite contre ses alliés ;ou ses vassaux, comme on le voudra, avait tourné 17activité anglaise durant ce long espace de temps, vers.des genres d'industrie et vers des spéculations qui avaient pour base la guerre comme état .permanent. Une population d'entrepreneurs, de manufacturiers, de spéculateurs, de contrebandiers même, population militaire en quelque sorte, fêtait formée elle avait remplacé, la .population manufacturière et industrieuse des époques paisibles, et était aussi venue au secours de la partie de cette population qui restait sans .emploi direct, en l'associant, par des voies détournées, a ses
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entreprises et à ses profits. Sa prodigieuse acti-.vité, nécessitée et favorisée par les circonstances, non-seulement faisait illusion, mais en réalité réparait au jour le jour les inconvéniens d'une position pareille. De là, cette espèce de prodige de puissance qui a donné constamment un dénienti à toutes nos prédictions, et qui a fait que plus l'Angleterre a eu d'ennemis, et plus'elle a semblé accroître en force et en richesse.
La paix est venue; l'activité a dû cesser mo-
mentanément avec la guerre qui l'avait créée, et qui seule l'alimentait; elle a dû cesser, avant d'être remplacée par d'autres spéculations et une autre industrie, parce que les canaux, de,puis long-temps négligés,. ne pouvaient se rouvrir immédiatement ni là direction des capitiux changer aussi vite que l'on signait un traité. Par là même, les taxes devaient pour quelques iistans devenir intolérables; car ce qui avait:aidé à les supporter, c'était la circulation, rapide des capitaux employés dans les entreprises de la guerre, et les profits non moins rapides de ces capitaux. Ces ressorts n'agissant plus, non'-s'eu;lement les taxes devaient écraser ceux qui les payaient, mais ces derniers.' n'ayant plusdexjuoi occuper la classe laborieuse il devait en résulter aussi pour cette classe une misère affreuse. C'est ce qui. est arrivé.. ̃'̃
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Je suis loin d'ajouter foi aux exagérations
d'écrivains trop passionnés. Je n'ai jamais pensé que la détresse de l'Angleterre, même lorsqu'elle inspirait aux hommes d'état de cette contrée.les inquiétudes les plus sérieuses, offrit à ses en- nemis du dehors la moindre chance de succès. Une vieillie constitution encore libre, ouvrage du temps plus que du calcul, et se prêtant aux modifications requises avec une élasticité muerveilleuse un patriotisme d'autant plus actif qu'il est moins scrupuleux, et d'autant plus dévoué aux intérêts nationaux qu'il est moins cosmopolite, un immense orgueil national qui ne regrette aucun sacrifice et ne,recule devant aucun moyen de vengeance quand il est blessé sont des sauvegardés qui auraient préservé l'Angleterre de tous les périls extérieurs. Mais il n'en est pas moins vrai que sa situation intérieùre était quant à la gêne des propriétaires et à la misère du peuple, bien plus alarmante que n'a pu le croire le, continent,' qui avait pris l'habitude de douter de tout à cet égard, parce qu'on lui en avait trop raconte. Les. plus riches particu-r liée,. écrasés d'impôts étaient matériellement hors d'état d'y faire face le peuple état sans ouvrage, les classes nourries-r d'ordinaire par les riches étaient repoussées par- eux simultanément et restaient dénuées de -toute
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ressource; paysans, agriculteurs, fermiers, dome.stiques, artisans, étaient réduits aux extrémités les plus désastreuses.
J'apporte en preuve de mes assertions les at-
troupemens. qui eurent lieu alors dans diverses provinces, et jusque dans le voisinage de Londres attroupemens qui, vu la vigueur qu'une longue liberté donne toujours à une constitution ne mirent point l'État en péril, mais qui dans tout autre pays, auraient fait craindre une anarchie complète. J'apporte en preuve les processions de paysans que l'on a vues durant l'été de i8i6, entrer par bandes dans les maisons de la capitale pour demander du pain; ces autres processions-de charbonniers, attelés eux-mêmes à leurs chariots, et partis de divers comtés pour implorer le prince régent; dix, ou peut-être vingt mille domestiques mis sur le pavé presque au même jour dans la seule ville de Londres; l'innornbrable émigration des -riches, qui' s'arrangeaient pour passer sur le continent des an=nées entières, et qui licenciaient par cinquantaine tous leurs serviteurs. J'apporterais volontiers en preuve car les grandes causes produisent aussi de petits effets, cette économie- subite qui étonne dans le caractère anglais et dont il est bruit dans toute l'Europe; économie qui vient de ce que les Anglais nation conséquente, qui sait <:e
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qu'elle veut, étant sortis de leur Ile, parce qu'ils n'avaient pas de quoi y vivre, économiser) tsans.se gêner, etdans leurrésolution d'éviter toute prodigalité, craignent assez peu l'imputation d'avance. Cet état de choses a.changé. L'industrie, cet
infatigable auxiliaire des nations contre les fautes des gouvernement, a triomphé d'une calamité momentanée lestravaux ont repris leurscours; les pauvres ne, sont plus placés entre la mendicité et le crime; il n'y a nulle comparaison, comme bien-être, entre l'Angleterre en 1B16 et l'Angleterre en 1818.
Mais une autre, question reste a résoudre. Le
triomphe remporté sur le mal présent garantirat-il l'Angleterre des conséquences dont la menacent les changemens que ce mal, pendant qu'il a duré, aproduits dans une des bases, les. plus essentielles de la constitution politique?
L'Angleterre n'est, au fond., qu'une vaste, opulente et vigoureuse aristocratie. D'Immenses propriétés réunies dans les mêmes mains; des richesses, colossales accumulées sur les mêmes têtes; une çlientelle nombreuse et fidèle, grou- pée autour de chaque grand.propriétaire-et lui consacrant L'usage des droits politiques qu'elle semble n'avoir rec^jconstitutionnellernent que pour en faire.le sacrifice ;;enfin, pour résultat de cette combinaison, une représentation nationale
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composée d'une part, des salariés du gouvernement, -et de l'autre, des élus de l'aristocratie telle a- été l'organisation de l'Angleterre jusqu'à ce jour:
Cette organisation, qui parait fort imparfaite
et même fort oppressive en théorie, était adoucie en pratique, tant par les bons effets de la liberté conquise en 1 688 que par plusieurs circonstances particulières à l'Angleterre et qu'on n'a pas, je pense, assez remarquées, quand on a voulu transporter' ailleurs certaines institutions tenant aux privilèges, et empruntées, dans leursmodifications de la constitution britannique. Jé conviendrai même, de bonne foi,' que je ne me suis pas toujours suffisamment préservé de cette erreur:
celle de plusieurs autres pajs, l'ennemie du peuple. Appelée, dès les siècles les plus reculés, à revendiquer, contre la couronne, ce qû'ellë'nommàit -ses droits > elfe n'avait pu faire valoir sets prétentions qu'en établissant certains- principes utilésada massé bien* que 'rédigée empreintè de iëaùcoup^dé: vestiges did1 système féo^ment par jurés; saris* distinction de Tang ni "de
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En 11688, une grande partie de la pairie an-
glaise avait concouru à la révolution qui a-fondé, en Angleterre, le gouvernement constitutionnel:; et, depuis cette époque., au lieu de se vouer* la domesticité et aux antichambres, cette portion de nobles était restée à la tête d'un parti d'opposition, qu'elle servait de sa considération et de sa fortune, en même temps qu'elle en recevait delà force.
Faisant ainsi collectivement de son aristocratie
une des bases de la liberté, la noblesse anglaise se conciliai( en détail l'affection de la classe dépen- dante, parun patronage que sa durée et la fidélité avec laquelle les patrons accomplissaient leurs devoirs avaient rendu presque héréditaire. Les grandes propriétés des seigneurs anglais étaient en partie tenues à bail par de riches fermiers qui les dés; conditions restées depuis très long-temps les mêmes; leurs maisons étaient remplies de nombreux domestiques, que le :inaitre-payait chèrement^ et -qui lui paraissaient une charge inséparable de soaJ état.- Chacune de ces grands seigneurs étaiten quel-, que sorte le chef Infortune dépendait de lui, ̃ •-•». • II était résulté de
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gleterre l'aristocratie n'était nullement odieuse à la masse de la nation. Les lois mêmes qui sont émanées du parti populaire aux époques où il a tenu le pouvoir en main, n'ont jamais été diri- gées 'Contre la noblesse. Il ne faut pas m'opposer l'abolition -de la Chambre des Pairs durant les guerres civiles; cette mesure de révolution n'était point en harmonie avec le sens, vraiment national. Les privilèges de la noblesse, modifiés par l'usage .plus que par la Ioi, s'étaient conservés dans la Grande-Bretagne sans exciter l'irritation qu'ils causent ailleurs.
Au milieu de cette combinaison de liberté est d'aristocratie, de clientelle et de patronage, la détresse est venue. La fortune des grandsn'a,plus été -suffisante ponr. subvenir au maintien de leurs relations avec la population qui dépendais d'eux les propriétaires ont haussé leurs baux ou changé leurs fermiers; les maîtres ont renvoyé leurs domestiques ils n'ont vu, .dans cette manière d'agir, qu'une mesure d'économie. Je veux examiner spi cette mesure n'est pas le germe d'un changement dans les bases de Tordre social, changement dont je suis porté à croire que les symptômes sont déjà visibles, bien que la cause en soit ignorée: Partout où la masse des nations n'est pas comprimée par une force majeure, elle, ne consent à ce -qu'il y ait des classes qui la dominent que
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parce qu'elle croit voir, dans la suprématie de ces classes, de l'utilité pour elle» L'habitude, le pré- jugé, une espèce de sùpéretition, et le penchant de l'homme à .considérer ce qui existé comme devant exister, prolongent l'ascendant de ces classes, même après que leur utilité â cessé; mais leur existence est alors précaire, et la durée de leurs prérogatives devient incertaine. Ainsi le. clergé a vu diminuer sa puissance dès .qu'il n'a plus été leseul dépositaire des connaissances nécessaires à la vie sociale lespëuples n'bntplus voulu obéir implicitement à une classe dont ils pouvaient se passer. J/empiré des seigneurs féodaux a commencé à déchoir lorsquils n'ontpius «£fert à leurs vassaux 7 en compensation des privilèges que ceux-ci consentaient à respecter, une protection suffisante pour les dédommager de leur soumission- à ces privilèges. Lesgneurs anglais n'avaient ni le monopole- -des sciences comme les ecclésiastiques, ni celui, de la protection comme les tarons mais ils 'avaient celui du patronage, et'ils fèi-~ saient tolérer ce monopôle par rieures, en s'-attachant et se conciliant une vaste dientelle. Ils l'ont licenciée. Us ont cru, et c'est une erreur dans laquelle l'aristocratie tombe toujours, ils ont cra qu'ils pouvaient s'affranchir des charges et garder le bénéfice; mais les cliens, re-
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poussés par leurs patrons, se sont, par là même, sentis replacés sur un terrain d'égalité. Ils en ont été âvérris,par.un iristïnctsourd et rapide et toute la disposition morale del'Arigleterre a été changée. Les. anciens fermiers payant plus cher, ou les nouveaux fermiers qui ont remplacé les anciens, rie sont pins les dépendans des propriétaires; ce sont désiomines qui, ayant traité avec eux d'après les lois* ne reconnaissent pour intermédiaire que ces lois, au nom desquelles on leur à imposé récemment. -des conditions: plus onéreuses. Les serviteurs renvoyés ont renforcé la classe qui n?a gle terre, à cause de ses détestables lois prohibitives, et de ses parish leavs., si horribles contre les pauvres. De la sorte, une grande ;portîon_dù peuple, -qui était autrefois le soutien deil'aristOr • ;TjCe<premierrésùltat du licenciemeritde lardasse dépendante en a produit un-sécond, .et ces deux effetsse sont accrus • :•̃ •sentant -à Fabrides oragespop'qlairés, il ,lui:6,lait agréable de limiter à son profit: la ^puissance du trône^ Les nobles; de Foppositibn étaient'nattés dé; se montrer les tribuns d'un peopie<q«i^S/dirigeaient; Aujourd'hui^ cette, portion ?inême de
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l'aristocratie britannique s'aperçoit que-le gouvernail lui a échappe, et s'effraie: des. principes démocratiques qui font; des progrès. En «onserquence, sa marche est incertaine. Elle ne dermande plus tout elle ne désire .pas tout ce qu'elle; demande. Par exemple, de tous les anciens whigs réclamer ;la, réforme Jbien peu.qui yait,;par un acte de Jioppositipn ;prppremefl,t7dite veulent Pour .Êiire 'conçevoir'.tpute^i'éjtendue et.toute au vres ,sans, d'une traçait d'étroites limites lorsque des rassemJblemens,. poussés, par et ;mal concertés^
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celles qu'auraient attirées sur eux des délits politiques, aucune parole de rébellion n'a été prononcée, aucun signe de sédition arboré. Le peuple audésespoîr, entraîné par la misère à beaucoup d'actes irrégulrers, a paru néanmoins complètement étranger à toute intention de se soulever contre l'autorité et de porter la moindre atteinte à la constitution de FÉtat au contraire; après que- les années les plus fâcheuses étaient tradétresse, avait dîminué, que le peuple avait retrbuvé'dîes ressources, le pauvre de la sécurîtë des classes éclairées indiquaient que les craintes étaient dissipées et îa confiance revente, des conspiration? ont éclaté' des associationg dangereuses ont été signalées; et Fea a découveru qu'un nombre du peuple nôùrrissaïehl des désîrs et des projets de Bouléversèmehty et voulaient courîr.lèsr hasards d'urierévorution sans direction, des symptômes. L'affreux expédient d?envqyer des espions agiter' ̃ et' lpro^poser lia? revoïtépourla 'd'énoncer^ a concouru- ces môtivémeris désordonnés': Eesrmîséipables ont séduit ceux qai ont étrlé mal'teéur et prôBablemcntJaussi ils' ont accusé ceux-qû'Hs n'avatiënf plu iséduirei "Comme oh1 avâit'pris des
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mesures extraordinaires, il a fallu donner le plus de réalité qu'on a pu à des hypothèses alarmantes mais il ÿ a pourtant un fond de vérité dans ces hypothèses. Le Couder même, journal ministériel, comme on sait remarquait le fait, sans indiquer la cause. Maintenant que la. misère temporaire à cessé, disait-il dans un de -ses, numéros^ les démagogues se rejettent sur. lesdroits de 1;'homme.. C'est que? ce n'étaient plus les mêmes démagogues. Ce n'était plus dans le parlement que siégeait Tandis, et.peut-êtreparceque l'opposition ancienne a renoncé, au fond de son coeur, à la réforme par- s$e demande^des -parlermens annuels et le -:droit universel de suffeage, sans distinerioâdë propriété» Le licenciement de la abdiquer:le patroriage;,o^e;n!en^pluscr_emplir:les obligations., damental? Je ne .m^àçroge point le droit de^le II est contre' nature que le niveau, se maintienne .quand les
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poids sont devenus inégaux. Peser avec la main sur l'un des bassins de la balance, ce n'est pas rétablir" mais comprimer l'équilibre et; comme la main se fatigue, les poids respectifs reprennent leurs droits. L'arbitraire et le despotisme ne: re^médient à rien, même quand on y ajouté l'ingrédient de l'espionnage, -et il -y a beaucoup :de choses que là justice et la: liberté .adouciraient. Au reste y j'ai tant de vœux à former pour mon pays/que je n'ai pas leloisir d'en faire pour d'autres; d'un: village; des Vosgè^mïn- -•̃ P.' iSv enx8t8ïme des évènemens^postèrieurs tont plus^appuîs puis un '-mitftstèîre racines ̃y'fà hommes dont le nom s'était jusqu'alors rattaché toutes (es propositions libérales- et dont
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était empreint d'une certaine -démocratie hautaine à la vérité et qu'on pouvait, nommer féodale, ont-ils abjuré même cette apparence, jet se sont-Ils réunis aux torys leurs adversaires, contre des ministres qu'un parvenu présidait et qui n'étaient que des parvenus eux»inêmes. Iiord Grey, si long-temps l'unudes. «Refs les plus i-ilhis-tres de J'opposition a dirige .contre! M. £anmng sa superbe iéloqûence. On ieùt dit un iAppios j tonnant danstéïen révolté. axe dtsc-deBedford ne l'a sisté à cette contagion v parce qulilrtyi ajiiaas ison âme xme «bienveillance insu son patriotisme^ et: lui mençaitjTetidont prouver ceiqu'auraît produitcèttolattÈjadottdaJite ap% démagogmej, vers ¡la liberté; Mâfeiie/ce que: le combat que: 4a isiluatioh
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moins précaire. Les torys ont repris de l'ascendant.: mais ils ne sauraient en faire usage en faveur de leur système ils ont eu besoin pour obtenir qu'on les tolérât, de prendre pour éten.dard-une grande illustration militaire due au talent ou au hasard, peu importe, mais dépourvue d'ailleurs de toute qualité brillante et de toute capacité politique; et ce dictateur, que l'ol.igarchie a choisi, la conduit -il dans des voies oligarchiques ? nullement. Il. reste bien stationnaire pour ce qui regarde la t politique parce quîln-j a pas iassez de malaise pour provoquer un mouvement mais il concède aux amis delà liberté, et, il faut le dire, à rexàltàlion presque insurrectionnelle d'une population, l'itHmense progrès dé d'émancipation catholique. L'andquéeglise estébranlée et traditions?,' tous les antécédens qui de tempsinamémorialservaient d'appui Faristocraitie^ les qûentode.tdùs: côtés.' Je ne mais Elle sîaccoropltra paisibleineut ou avec vioîence. Lèrtempsoesprolétaires est passée encore profondément empreints dans les -têtes anglaises -et, chose bizarre! dans les hommes
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qu'on appelle, avec plus ou moins-de raisbn des factieux, autant que. dans ceux qui sont renommés comme des piliers de l'ordre établi. Sir Francis Burdett pense à ce sujet comme lord Eldon, et tous deux plaisent cette cause comme pourraient le faire un seigneur russe ou un moine espagnol. Mais ces plaidoyers sont inutiles. La division des propriétés, ce grand scandale- des regards anglais, ce phénomène que les voyageurs de cette nation ne peuvent concilier avec la prospérité dont jouit la France, la division des pro- priétés se fera jour en Angleterre sera-ce par le rapport des lois -qui -la. prohibent et par des ventes légales? Sera-ce par des spoliation cruelles et des lois colorant ces spoliations? je l'ignore. Mais je resté. convaincu en 1829 de ce dont j'étais convaincu en 1818, et le germe que j'indiquais' à cette dernière époque s'est déve-.loppé durant. cet intervalle plus fortement et plus :vite que je n'aurais osé l'augurer.
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DU PARLEMENT ANGLAIS
SOUS CEOMWEt.,
ET DU TJEUBUNAT..DANS LA CONSTITCTION JBE L'AN \Ul,
^JUSQU'A SO» J&PUF.AT1OK.
Les principaux attentats qui souillèrent la
révolution anglaise, notamment la mort de Charles Ier, «'appartiennent point au Parlement. Plusieurs de ces attentats furent, an .contraire, dirigés contre lui; tous furent commis par l'armée.
̃ -Dégénèrent
Ltcait. Pharsi
eliminatipny
en i802, est demeuré- étranger aux principales servilités qui se sont déployées, sous Napoléon, et qui étonneront nos neveux, comme lés.servilités de l'empire romain nous étonnent.
Cependant, ni le Parlement sous Cromwel, ni
le Tribunat sous Bonaparte, n'échappent a l'espèce de dédain qui attend les assemblées delibératives lorsqu'elles né résistent pas assez énergiquement à la tyrannie.
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Je veux essayer de rendre compte des circons-
tances qui ont gêné le Parlement de la -Grande-. Bretagne et le Tribunat de France, courbés l'un et l'autre sous deux grands génies que grandissait encore une admiration où l'enthousiasme. venait à: l'appui de la lassitude, etje montrerai que ces deux corporations opprimées ne mériLent point l'arrêt sévère que l'histoire parait disposée prononcer. L'usurpateur qui arrive après une révolution,
faite pour la liberté ou en son nom a beaucoup plus de moyens de se soutenir que toute autre espèce de despote. Lorsqu'un gouvernement rétabli opprime, la
nation se- divise en deux partis les opprimés et les oppresseurs; et comme il est de l'essence de l'arbitraire de peser sur tons successivement, bientôt la partie opprimée devient la majorité ou la totalité de èd nation moins quelques hommes. ••• ̃ -̃̃ •
Lorsqu'un usurpateur renverse' un gouverne-
ment établi et se met immédiatement à la place du gouvernement renversé, la nation.,ne se trouve encorediyiséè qu'en et celui du nouveau gouvernement. Mais; lors- liberté^- un usurpateur s'empare de la puissance* il scinde en trois parts la nation l'une regrette
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l'ancien gouvernement et s'efforce de le rétablir; l'autre regretté la liberté; la troisième défend l'usurpateur dont elle partage la puissance. Mais comme le parti qui regrette la liberté est celui qui a fait là révolution, et que c'est aussi d'une fraction de celui-ci que s'est formé le parti de l'usurpateur, ce parti se trouve le plus exposé, le plus affaibli, le plus hors d'état d'agir. L'usurpateur se servant. de .la source de son autorité, des. réminiscences et des intérêts de la révolution, subdivise encore ce parti, parce qu'il y a dans lès hommes iine grande propension a croire aux bonnes intentions de la puissance, et que, quand la conviction n'existe pas, la lâcheté en prend la forme pour paraître moins vile. De la sorte le parti de la liberté se trouve réduit à un très petit nombre d'hommes, qui voient, dans toute tentative en sa faveur outre un danger^ personnel une occasion de triomphe pour lés partisans de l'ancien despotisme.
L'usurpateur, de son côté, ne manque pas de
représenter, tantôt l'un tantôt l'autre de ces hommes, comme des agens des fauteurs de l'ancien gouvernement, et sème entre eux la défiance. • Les amis de l'ancien gouvernement, qui aime-
raient mieux le despotisme qu'ils regàrderit comme légitime, que le despotisme usurpé, ai-
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ment mieux encore ce dernier que la liberté d'abord comme vengeance contre leurs plus an* ciens ennemis et secondement comme se rapprochant de ce qu'ils regrettent- Ils secondent donc ce gouvernement en tant que mettant obstacle aux institutions libres renversées par leur idole s'il attaquent l'usurpateur ce n'est que secrètement, lorsqu'ils se croient-bien sûrs de leur fait, et toujours d'une manière qui empêche les amis de là liberté de faire cause commune avec eux. Enfin, comme une révolution froisse toujours beaucoup d'intérêts, et qu'inévitablement,- après une révolution, le peuple prend' eu haine les désordres et-les déchiremens qu'elle.a causés, le parti ami de la liberté se trouve de tous les partis lé plus défavorablement placé dans l'opinion publique. Le nouveau gouvernement procure au peuple un reposréel, les partisans de l'ancien, lui offrent un repos a venir qui ne serait^ à. ce qu'ils "disent, troublé par personne, et se font pardonner ainsi de menacer là tranquillité qui existé;, parcerqu'ils en promettent j une plus durable j mais Jies amis .de la libèrlé, que peuvent-ils ofirir a cette, désastreuse époque? ..Un.;bien auquel ou ne croit plus,: et dont. li perspective d'ailleurs nelprésente que quelquexhose de vagué et d'indéfini -et ce bien doit être acheté par des agitations nou-
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yelles, et après les agitations rien n'est prévue rien n'est terminé, tout est à faire.
Si l'on veut peser ces considérations, si l'on
pense que le Parlement sous Cromwrell, malgré la source illégitime de ses pouvoirs, osa plus d'une fois montrer. de la résistance et sut mériterenfin l'honneur d'être cassé on sera: porté peut-être à juger moins sévèrement cette corporation malheureuse. :̃̃̃ De toutes les assemblées qui ont existé depuis la révolution française jusqu'à la Chambre nommée,, en 1827V celle qui a le mieux rempli ses devoirs ,,st Ton calcule les circonstances, a été le Tjibunat. Cela semble étrange à dire je vais le Je dois observer d'abord que je ne parle de la
conduitedirTribunatquejusqu'à l'époque oùvingt deses membres furent; expulsés. A cette époque, le Txibunat cessa d'être un pouvoir politique; -Le i Tribunal n'a pas fait de grandes choses il n'en .pouvait i1 n'en devait pas Étire, Là Fiance sortait d'un état de trouble qui- avait les souvenirs des oppressions réyolutionjîaires et diles:âmes; lé système reprejsentatafr l'avaient dépouillé de tout^prestige:, -et même de toute considération-; la guerre exté-
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rienre était encore menaçante, et, dans l'intérieur, un pouvoir central, placé d'autant plus favorablement qu'il différait de tout ce qui avait existé, réunissait autour de lui tontes les forces réelles ettoutes les espérances.
• C'est dans des circonstances pareilles que se rassembla lé Tribunat/ corporation d'autant plus faible, quelle ne tenait plus de la nation la mission de la défendre; et la puissance qui avait imposé à cette nation des représentant qu'elle n'avait pas élus, se prévalait. avec adresse contre ces représentans de leur nomination équivoque, ou, pour mieux dire, illégale. Bar inné étrange bi* zarerrië la même opinion publique qui sé':dé^ clarait. ouvertement contre toute résistance ait pouvoir exécutif{et qui pesait d'un poids énorme contre tous les hommes disposées à quelque réclamation, les méprisait en même temps due leur patience. Au plus léger due leurs moûvêi mens, elle eût prêté son assentiment à' leur dispersion; mais leur Inaction lui paraissait aussi ridicule et coupable. C'est néanmoins dans ces circonstances qu'uncertain nombre de membrés du Tribunat, ayant àcêepté leurs fonctions dans l'espoir de transmettredition de liberté} développèrent du; cabine, 'dû"talent,' delà décision et dur courage: Dés apostats de tous lés partis écrivaient contre eux et l'on
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avait pris soin de leur oter la faculté de répondre. Des bruits .dé conspirations circulaient;, et pour être absurdes, ils n'en étaient que plus danger veux. Des .dénonciations, toujours démontrées fausses, se reproduisaient toujours. Sans essayer. une lutte inutile, sans se livrer à l'impatience, sans pâlir devant les fureurs, sans s'effrayer des calomnies, ces hommes suivirent une route unirforme, n'ayant pour appui que leur conscience, pour but que leur devoir. Persuadés qu'au milieu de l'Europe encore' armée, il fallait ménager le gouvernement, ils ne crurent pas devoir l'attaquer malgré ses fautes. Ils ne se déguisaient point toutefois qu'en combattant ses projets, en relevant, même sans aigreur l'irrégularité de plusieurs de ses actes, en professant invariable- ment une doctrine de liberté, que les adulateurs appelaient des abstraction séditieuses, ils ne s'attiraient, pas moins de haine que s'ils se fussent déclarés ses ennemis. Ils diminuaient leur mérite, ils ne diminuaient point leurs dangers.
L'Assemblée Constituante fut placée dans une situation plus heureuse; elle eut les honneurs de la bravoure sans courir le moindre péril. Elle avait combattre le fantôme imposant d'un pour voir long-temps absolu, mais ce fantôme n'existait quepourla gloire des assaillans; le pouvoir absolu était de fait renversé. L'Assemblée Constituante
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était entourée dé troupes menaçantes mais «es troupes étalent séduites, ou dévouées aux nouvelles opinions. De grands talens se développèrent dans cette assemblée; mais'ces talens étaient son-'tenus par des acclamations unanimes les défenseurs d'un peuple tout-puissant apercevaient d'un bout de la France à l'antre et des alliés et des ven-'geurs. L'Assemblée Constituante n'aurait eu besoin de courage que pour résister à l'impulsion populaire et c'est ce qu'elle né fît pas. Elle ne sut jamais modérer cette impulsion même devenue désordonnée et féroce dévastant les châteaux, envahissant les propriétés et menacant les propriétaires. L'énergie de KAssemblée Constituante fut l'énergie facile de l'obéissance au mouvement généraL
L'Assemblée Législative vota toujours contre le
sens delà majorité de ses membres., applaudit la chute du trône en le regrettant., et garda ie silence an milieu des massacres. La Convention livra ses. chefs à une-minorité
sanguinaire, consacra le despotisme du Comité du Salut public, et ne se réveilla que parce qu'elle vit que la servilité n'était plus une garantie. Le Tribunat, dansdes circonstances plus dé-
favorables, fut plus courageux, plus désintéressé, plus indépendant. Il se vit en.butte, non point à un roi chancelant. sur son trône y cerné
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de toutes parts par des,.volontés.et des institu-
tions plus que républicaines, mais à un pouvoir
jeune, altier, sans limites irritable, impétueux à une armée fière de son chef, brillante de gloire, dédaignant les lumières et les discussions qui lui semblaient puériles auprès du tumulte des camps à une nation enfin dont une partie nombreuse, regrettant la monarchie,,
voyait dans le despotisme un retour vers l'objet de ses^désirs, et dont la presque totalitévent déçue, toujours victime, né savait plus où rattacher des espérances sans cesse trompées, et ne demandait que le repos.
Menacée par. la forcé, désavouée par la fâi-
blesse repbussée par le découragement, là minorité du Tribunat demeura toujours fidèle à
.ses? /vérités alors universellement méconnues, à
des: devoirs qu'on ne lai savait nul gré de rem-
conscience, asile solitaire où s'effor-
çaient de la poursuivre les soupçons d-une foule
av«ugleet les calomnies de raut6rité..r
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:'̃' ̃'•̃ '.IV; '••̃̃̃ • ̃ ̃̃̃
LETTRE SUR-
Vous me demandez dé m'entretenir avec vous
de l'àmie que nous avons perdue, et que nous re- gretterons toujours. Vous m'imposez une tâché qui me sera douce à remplir. Julie à laissé dans mon cœurdes impressions profondes, etje trouve à me les retracer une jouissance mêlée de tristesse. ̃̃̃• ̃ ̃ •̃•• .̃.>̃̃̃̃̃̃̃ Elle n'était plus jeune quand je la rencontrai pour la première fois le temps des orages était passé pour elle. il n'exista jamais entre nous que de l'amitié. Mais, comme il arrive. souvent aux femmes que la nature a douées d'une sensibilité véritable, et qui ont éprouvé de vives émotions, son amitié avait quelque chose de tendre et de passionné qui lui donnait un charme particuSon esprit était juste, étendu, toujours pi-
(1) Cette lettre concerae une personne morte depuis vingt-
quatre ans, mais plusieurs de nos contemporains Font connue, et verront peut-être avec quelijuc intérêt cet hommage rendu à la mémoire d'une femmc qui, dans sa jeunesse, avait eu beaucoup d'admirateurs et qui, dans un âge plus avancé,. avait. conserve beaucoup d'amis.
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quant, quelquefois profond. Une raison exquise lui avait indiqué les opinions saines, plutôt que l'examen ne l'y avait conduite-; elle les développait avec force, elle les soutenait avec véhémence. Elle ne disait pas toujours peut-être tout ce qu'il y avait à dire en faveur de ce qu'elle voulait démontrera mais elle ne se, servait jamais d'un raisonnement faux et son instinct était infaillible contre toutes les. espèces de sophismes. L,a première moitié de sa vie, avait été trop
agitée pour qu'elle eût pu rassembler une grande masse de connaissances; mais par la rectitude de son jugement elle avait deviné en quelque sorte ce qu'elle n'avait pas appris. Elle avait.appliqué à l'histoire la connaissance. des hommes,, connaissance qu'elle avait acquise en société j et la ,lecture d'un très petit nombre d'historiens l'avait. mise eu état de démêler d'un coup d'oeil les motifs secrets des actions publiques,; et tous les détours du cœur humain. l: :>̃-̃ Lorsqu'une révolution mémorable fit naître
dans la tête de presque tous-les français des espérances qui furent long-temps trompées, elle embrassa cette révolution avec.. enthousiasme, et suivit de bonne foi ,l'impulsion, de son âme et la conviction de son esprit. Toutes les pensées nobles et, généreuses s'emparèrent d ellé,, et elle méconnut, comme bien dautres, les diffi.-
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cultes et les obstacles, et cette disproportion desespérante entre les idées-qu'on voulait établir et la nation qui devait -les recevoir, nation affaiblie par l'excès de la civilisat:on, nation devenue vaniteuse et frivole par l'éducation du pouvoir arbitraire et chez. laquelle les lumières même demeuraient stériles, parce que les lumières ne font qu'éclairer là route, mais ne: donnent point aux hommes la force de la parcourir..
Julie fut une amie passionnée de la révolution,ou, pour, parler plus exactement, de ce que la révolution promettait. La justesse de son esprit en faisait nécessairement une ennemie' impla- cable des préjugés de toute espèce, et dans sa haine contre les préjugés, elle n'était pas exempte d'esprit de parti. Il est presque impossible aux femmes de se préserver de l'esprit de parti elles sont toujours dominées par dés affections individuelles. Quelquefois ce sont ces affections individuelles qui leur suggèrent leurs opinions d'autrefois leurs opinions les dirigent dans le choix de leurs alentours. Mais dans ce dernier cas même, comnié elles ont essentiellénient besoin d'aimer; elles ressentent bientôt pour leurs alentours une affection vive., et,.de la sorte l'zttachement que l'opinion avait d'abord créé réâ-git sur elle et la rend plus violente.
Mais, si Julie eut de l'esprit de parti cet' esprit
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de parti même ne servait qu'à mettre plus .en évidence la bonté naturelle et la générosité de son caractère. Elle s'aveuglait sur les hommes qui semblaient partager ses opinions; mais elle ne fut jamais entraînée à méconnaître le mérite, à justifier la persécution de l'innocence ou à: rester sourde an malheur. Elle haissait le parti contraire au sien, mais elle se dévouait avec zèle et avec persévérance. à la défense de tout individu qu'elle voyait opprimé à l'aspect de la sonffrance' et de l'injustice, les sentimens nobles qui s'élevaient en elle faisaient taire toutes lés considérations partiales ou passionnées; et an milieu -des tempêtes politiques pendant lésquelles tous ont été successivement victimes nous l'avons vue souvent prêter à la es à des hommes persécutés, en sens opposés, tous les secours de son- activité et de son courage.
Sans doute, quand son coeur ne l'aurait pas ainsi dirigée elle était trop :éclairée pour ne pas prévoir que de mauvais moyens né condui- sent jamais à un résultat avantageux.; Lorsqu'elle voyait Farbitràire déployé en faveur de ce qu'on nommait la liberté, elle ne savait que trop que là liberté nt peut jamais naître de l'arbitraire; C'était donc avec douleur qu'elle contemplait les défenseurs de ses opinions chéries,' les sapant dans leur base, sous prétexte de les faire
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triompher, et s'efforçant plutôt de se saisir à: leur tour du despotisme que de le détruire. Cette manière de voir est un mérite dont il-faut savoir d.'autant plus de gré à Julie, que certes H n'a pas été commun:. Tous les partis, durant nos :troubles, se sont regardés comme ies héritiers les uns des: autres, et par cette .conduite chacun d7eux, en effet, a hérité dé la haine que le parti contraire avait d'abord inspirée.
Une autre qualité de Julie, c'est qu'au milieu
de sa véhémence d'opinion, l'esprit de parti ne l'a jamais entraînée à ]7esprit d'intrigue.
Une fierté innée T'en garantissait. Comme on se. fait toujours un système .d'après ses -défauts, beaucoup de femmes imaginent que c'est par un pur amour du bien qu'elles demandent pour leurs amis des places, du crédit, de l'influence. Mais quand il serait vrai que leur motif est aussi noble: qu'elles le supposent il y a dans les sollicitations de ce genre quelque chose de contraire à la pudeur et à la dignité de leur, sexe.; etlors même qu'elles commencent par ne songer qu'à l'intérêt public^ elles se trouvent engagées dans une route qui les dégrade £tles,peryeriit. IL, y a: dans cette carrière tant de boue à .traverser, que personne ne-peut s'en tirer sans éclabbussures.' Julie y -violente quelquefois, ne fut jamais intrigante ni;rusée. Elle désirait lets
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succès de. ses amis, parce qu'elle y voyait un succès pour les principes qu'elle croyait vrais; mais elle voulait qu'ils dussent ces succès à euxmêmes, et non pas à des voies détournées,, qui les leur eussent rendus moins flatteurs, et-en leur faisant contracter, comme il arrive la plupart du temps, des' engagemens équivoques, auraient faussé la ligne qu'ils devaient suivre. Elle aurait tout hasardé pour leur liberté, pour leur vie; mais elle n'aurait pas fait une seule démarche pour leur obtenir du pouvoir. Elle pensait, avec raison, que jamais le salut d'un peuple ne dépend de la place que remplit un individn; que la nature n'a donné, en ce genre, a personne des priviléges exclusifs; que tout individu qui est né pour faire du bien, en fait, quelque rang qu'il occupe, et qu'un peuple qui ne pourrait être sauvé que par tel-ou tel homme, ne serait pas sauvé pour long-temps même par cet homme, et de plus, ne mériterait guère la peine d'être sauvé. U n'en est pas de la liberté comme d'une bataille. Une bataille, étant l'affaire d'un jotuvpeut être gagnée par le talent du général mais la liberté, pour exister, doit avoir sa base dans la nation même, et non: dans les vertus ou dans le caractère d'un chef.
Les opinions politiques de Julie loin de s'a-
mortir pair le temps, avaient pris, vers la fia
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.de sa wie plus de véhémence. Comme elle raisonnait juste elle n'avait pas conclu; comme tant d'autres, de ce que, sous le nom de liberté, l'on avait établi successivement divers modes de tyrannie, que la tyrannie était un bien et la .liberté un mal. Elle n'avait pas cru què la république pût être déshonorée parce qu'il y avait des méchans ou des sots qui s'étaient appelés républicains. Elle n'avait pas adopté .cette doctrine bizarre d'après laquelle on prétend que, parce que les hommes sont corrompus, il fant donner. quelques-uns d'entre eux d'autant plus de pouvoir; elle avait senti, an contraire, qu'il fallait leur en donner moins; c'est-à-dire placer dans des institutions sagement combinées des contre-poids contre leuis vices et leurs faiblesses.
Son amour pour là liberté s'était identifié avec
ses sentimens les plus chers. La perte. dé l'aine de ses fils. fut un. coup dont elle ne se releva jamais; et cependant, au milieu même de, sens larmes, dans une lettre qu'elle adressait à l'ombre de .ce fils tant regretté, lettre qui n'était; pas destinée à être vue et que ses amis c!ont découverte que parmi ses papiers après sa mort; dans cette lettre, dis-jé, elle exprimait une douleur presque égale de la servitude de sa .patrie sous le régime impérial elle s'entretenait
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avec celui qui n'était plus de l'avilissement de ceux qui existaient encore tant il y avait dans cette âme quelque chose de romain
Eh lisant ce que je viens d'écrire sur les opi-
nions de Julie en politiqne, on se figurera peutêtre qu'elle avait abjuré la grâce et le charme de son sexe pour s'occuper de'ces objets c'est cé qui serait arrivé sans doute si elle s'y fut livrée par calcul, dans le but de se faire remarquer et d'obtenir de la considération et de l'influence; mais, comme je l'ai dit en commençant, elle devait tout à la nature, et dé la sorte elle n'avait acquis aucune de ses qualités aux dépens d'une autre. •.
Cette même femme, dont la logique était pré* dse et serrée; lorsqu'elle parlait sur les grands sujets qui intéressent les droits et la dignité de l'espèce humaine, avait là gaieté la plus piquante, la plaisanterie la plus légère elle ne disait' pas souvent des mots isolés qu'on pût retenir- et ta* ter,: et c'était encore là; selon moi l'un de ses charmes. Lesmotsdece genre, frappans en euxmêmes^ ont l'inconvénient de tuer la conversation ce sont, pour ainsi dire, des coups de fusil qu'on tire sur les idées des antres, «tiquMes -abattent.: :Ceux qui parlent par traits ont l'air ide se témYà FàfËût, et leur esprit n'est enrployé' qu'à prépàrér tout en ïàf-
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sant rire; dérange la suite des. pensées, et produit toujours un moment de silence. Telle n'était pas la manière de Julie. Elle. Val-
sait valoir les autres autant qu'elle-même; c'était pour eux., autant que pour elle, qu'elle discutait on plaisantait. Ses expressions n'étaient jamais recherchées; elle saisissait admirablement le vérrltable point de tontes les questions, sérieuses on frivoles. Elle disait toujours ce qu'il fallait dire, et l'on s'apercevait avec elle que là justesse des idées est aussi, nécessaire à la plaisanterie qu'elle peut l'être à la raison. Mais ce qui la distinguait encore beaucoup plus que sa conversation, c'étaient ses: lettres. Elle écrivait .avec une extrême facilité, et se plairait à écrire. Les anecdotes, les observations fines, les réflexions profondes, les traits: heureux se plaçaient, sous sa plume sans travail, et cependant toujours dans.l'ordre le plus propre les faire valoir l'un. par. l'antre. Son: style était pur, précis, rapide et léger; et quoique le talent épistolaire. soit reconnu, pour appartenir particulierrementaux femmes? j'oserai affirmer qu'il n'y. en. a presque aucune què;ron.;puissev. à cet égard, comparée à Julie.testerai pointia supériorité dans ce gènrer est. plus intéressante, par; son. style jqae pair'ses-pensées elle peint avec beaucoup de fidélisé y de vie:étde
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grâce; mais le cercle de ses idées n'est pas très étendu. La cour, la société, les caractères individuels, et, en fait d'opinions, tout au plus les plus reçues, les plus à la mode; voilà les bornes qu'elle ne franchit jamais. Il y a dans les lettres de Julie plus de réflexion elle s'élance souvent dans une sphère plus vaste; ses aperçus sont plus généraux; et comme il n'y a jamais en elle ni ..projet, ni pédanterie, ni emphase, comme tout est naturel, involontaire, imprévu, les observations générales qu'elle exprime en une ligne, parce qu'elles se présentaient à elle, et non parce qu'elle les cherchait', donnent certainement sa correspondance un mérite de plus.
Presque toutes les femmes parlent bien sur
l'amour c'est la grande affaire de leur vie; elles y appliquent tout leur esprit d'analyse, èt cette finesse d'aperçus dont la nature les a douées pour les dédommager de la force. Mais comme elles ont un intérêt. immédiat, elles- ne. sauraient être impartiales. Plus elles- ont de pureté d'âme, plus elles sont portées à mettre aux liaisons, de ce genre une' importance, je ne dirai pas, pour ne scandaliser personne, exagérée, mais cependant en contraste avec l'état nécessaire de la société.
Je crois bien que -Julie, lorsqu'il s'agissait
d'elle même, n'était guère plus désintéressée
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qu'une autre; mais elle reconnaissait au moins qu'elle était injuste, et elle en convenait. Elle savait,que ce penchant Impérieux, l'état naturel d'un sexe, n'est que la fièvre de l'autre; elle comprenait et avouait que les femmes qui se, sont données et les hommes qui ont obtenu sont dans une position précisément inverse.
Ce n'est qu'à l'époque de ce qu'on a nomme
leur défaite, que les femmes commencent à avoir un but précis, celui de conserver l'amant pour lequel elles ont fait ce qui doit leur sembler un grand saicrifice. Les hommes, au contraire, à cette même époque, cessent d'avoir un but ce qui en était un. pour eux leur devient un lien. D n'est pas étonnant que deux individus placés dans des relations aussi inégales arrivent rapidement à ne plus s'entendre; c'est pour cela que le mariage est une chose admirable, parce qu'au lieu d'un but qui n'existe plus, il introduit des intérêts;communs qui existent toujours.
Julie détestait la séduction elle pensait à juste
titre que les ruses, les calculs, les mensonges qu'elle exige dépravent tout autant que des mensonges, des calculs et des ruses employés pour servir tout autre genre d'égoïsme; mais partout où elle apercevait de^Si bonne foi, elle excusait inconstance, parce qu'elle la savait inévitable, et qu'en prodiguant des noms odieux
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aux lois due la nature, on ne parvient pas à les éluder. Jùlié parlait donc sur l'amour avec toute la Délicatesse et la grâce d'une femmes, mais avec le sens et la réflexion d'un homme. Je l'ai vue plus d'une fois entré deux amans, confidente de leurs peintes mutuelles, consolant, avec une sympathie adroite, la -femme qui s'apercevrait qu'ôn 'ne l'aimait plus, indiquant à l'homme le moyen de causer le moins de douleur possible, et leur faisant ainsi du bien à tous deux.
Julie n'avait point d7idées religieuses, et j'ai
quelquefois été surpris qu'avec une sensibilité profonde, un enthousiasme sincère pour tout ce qui était noble et grand, elle n'éprouvât jamais le besoin dé ce recoùrs à quelque chose de surnaturel,, qui nous soutient contre la souffrance que nous causent les hommes, et nous console d'être forces dé lés mépriser £ mais son éducation, là société qui l'avait entourée dès sa première j eunesse, ses liaisons intimes avec lés derniers philosophes du l'avaient rendue inaccessible à toutes les craintes à toutes les espérances de cetteport sous lequel elle eût, pour ainsi dire;, 'abjuré son habitude dé se décider par elle-même-, 'et mais la conviction en 'ce genre ne mé paraît
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motivée par rien et l'affirmation dans l'athée me semble annoncer un grand vice de raisonnement. Les dévots peuvent être entraînés par les besoins de l'imagination et du coeur, et leur esprit peut se plier à ces besoins sans être faussé; mais l'homme qui croit être arrivé par la logique à: rejeter sans hésitation tonte;idée réligieuse est nécessairement un esprit faux. L'incrédulité de Julie était au reste plutôt une
impression de 1'enfance qu'une persuasion réfléchie, et il en était résulté que cette incrédulité s'était logée dans un coin de sa tête, comme la religion se loge dans la tête de beaucoup de gens, c'est-àridire sans exercer aucune influence -sur le reste de ses, idées, où de sa conduite, mais en excitant toujours en elle une assez vive irritation quand elle éiait contredite suc ce point,
J'ai vu cette incrédulité aux iprises aroc: l'&.preuve la plus déchirante.; Le plus jeune descfiis de Julie fot.attaqué. ;d'une .maladie :de poitrine qui le conduisit lentement au tombeau;; :eSeole soigna, pendant près année, Faecompai- gnant.de sâJlemer ia^nature -implacable en -cherchant des climats plus dernier de^esenfens la perte des-deux premiers Je iui avait rendu plus .cher. L'amour înatemel
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avait remplacé en elle toutes les autres passions; cependant, au milieu de ses anxiétés, de ses incertitudes, de son désespoir, jamais la religion ne se présenta à son esprit que comme une idée importune, est, pour ainsi dire, ennemie; elle craignait qu'on ne tourmentât son fils dé terreurs chimériques; -et dans une situation qui aurait, à ce qu'il semble, dû lui faire adopter presque aveuglément les consolations les plus improbables et les espérances les plus vagues, la direction que ses idées avaient prise, plus forte que'les besoins de son coeur, ne lui permit jamais due considérer lés promesses religieuses que comme un moyen de domination et un prétexté d'into^lérance. Je ne puis ici m'empêcher de réfléchir au mal que causent à la religion est aux êtres souffrans qui auraient besoin d'elle l'esprit dominateur et: l'intolérance dogmatique.1 Qui ne croirait, quand la douleur a pénétré dans les replis les plus intimes de' l'âme quand la mort noms à frappés de coups irréparables/ quand tous les liens paraissent brisés entré nous ;et ce que nous chérissons; qui ne croirait, dis-je, qu'une voix nous annonçant une -réunion inespérée, faisant jaillir du sein des ténèbres éternelles une lumière inattendue arrachant au cercueil les objets sans lesquels nous ne saurions vîvréyet que nous pensions ne jamais revoir ,dévrait n'èx-.
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citer que la joie, la reconnaissance et l'assentiment ? Mais le consolateur se transforme en maître; il ordonne, il menace, il impose le dogme quand il fallait laisser la croyance germer au sein de l'espoir, et la raison se révolte et l'affection découragée se replie sur elle-même, et le doute, dont nous commencions à être affranchis, renait précisément parce qu'on nous a commandé la foi. C'est un des grands inconvéniens. des formes religieuses, trop stationnaires et trop positives, que l'aversion qu'elles inspirent aux esprits indépendans. Elles nuisent à ceux qui les adoptent, parce qu'elles rétrécis- sent et faussent leurs idées; et elles nuisent encore à. ceux qui ne les adoptent pas parce qu'elles les privent d'une source féconde d'idées douées et de. sentimens qui les rendraient meilleurs et plus heureux.
On a dit souvent que l'incrédulité;, dénotai
une âme sèche et la religion une âme douce et aimante. Je ne veux point nier ;cette;règle en général. Il me parait difficile qu'on soit parfaitement content de ce monde sans avoir un esprit étroit et un cœur aride; et lorsqu'on; n'esf pas content de ce monde, on. est bâen: près, d'en désirer et d'en espérer un-antre. II. y a dans les carractères profonds et sensibles un besoin de va-r gue que la religion seule satisfait, et ce besoin
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tient de si près à toutes les affections élevées ou délicates, que celui qui ne l'éprouve pas est presque infailliblement dépourvu d'une portion précieuse de sentiments et d'idées. Julie était néanmoins une exception remarquable à cette règle. SI y avait dans son coeur de la mélancolie, et de la .tendresse au fond de son âme; si elle n'eût pas vécu dans un pays où la religion avait longtemps été une puissance hostile et vexatoire, et ou son nom même réveillait des souvenirs de persécutions et de barbaries, il est possible que son imagination «ùl pris une direction toute différente. •̃•̃:•̃
La mort du. dernier fils de Julie fut la cause delà sienne, et lesignal d'un dépérissement aussi manifeste que rapide. Frappée troisfois en moins de trois ans d'un malheur du même ;genre', elle ne put résister à ces secousses douloureuses et multipliées; Sa santé souvent chancelante avait paru lutter contre la nature aussi lohg-témp^qttè ou que l'activité des «oins qu'elle prodiguait-â son fils mourant Tàvâit-Ktniméej lorsqu'elle -ne vit plus dé bien lui &ire> isès":forces l^abandbnnèreat. Elle re- -arrivée, tous les médecins en désespérèrent. -Sa maladie dura environ trois mois^ Pendent t<mt cet espacé de temps, 31 n'y rat pas une
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seule fois la moindre possibilité d'espérance. Chaque jour était marqué par quelque symptôme qui ne laissait aucune ressource l'amitié, avide de se tromper et chaque lendemain ajoutait au danger de la veille. Julie seule parut toujours ignorer ce danger. La nature de son mal favorise, dit-on, de telles illusions mais son caractère contribua sans doute beaucoup à ces illusions heureuses je dis heureuses, car je ne puis prononcer avec certitude- sur les craintes qu'une mort certaine lui aurait inspirées. Jamais cette idée ne se présenta d'une manière positive et directe à son esprit mais je crois qu'elle en eût ressenti une peine vive et profonde on s'en étonnera peut-être. Privée de ses enfans isolée sur cette terre, ayant a la fois une âme énergique, qui ne devait pas être accessible la peur, et une âme sensible, que tant de pertes devaient avoir déchirée ̃pou.yait-eUe regratter la vie ? Je ne mets pas en doute que si ses forces physiques eussent mieux résisté à sa douleur morale elle ou'eût pris en horreur la carrière sombre et solitaire -qui lui restait à parcourir. Mais menacée ellemême au moment où elle venait de voir disparaître tous les objets de son affection elle n'eut pas le temps, pour ainsi dire, de se livrer à
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ses regrets. Elle fut obligée trop rapidement de s'occuper d'elle, pour que d'autres pensées continuassent à dominer dans son âme sa maladie lui servit en quelque sorte de consolation et la naturel par un instinct involontaire recula devant la destruction qui s'avançait, et la rattacha â' l'existence.
Dans les dernières semaines qui précédèrent
sa mort, elle semblait se livrer à mille projets qui supposaient un long avenir; elle détaillait avec intérêt ses plans d'établissement de société et de fortune les soins de ses amis l'attendrissaient elle s'étonnait elle-même de se sentir re- prendre à la vie. C'était pour ceux qui l'entouraient une douleur de plus, une douleur d'autant plus amère qu'il fallait lui en dérober jusqu'à la moindre trace. Elle disposait dans ses discours d'une longue suite d'années, tandis qu'un petit nombre de jours lui restait à peine. On voyait en quelque sorte, derrière les chimères dont son imagination semblait se repaitre, la mort souriant comme avec ironie.
Je me reprochais quelquefois ma dissimilation
complaisante. Je sonffrais de cette barrière qu'élevait entre Julie et moi cette contrainte perpétuelle. Je m'accusais de blesser l'amitié, en là trompant, même pour adoucir ses derniers mor
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mens. Je me demandais si la vérité n'était pas un devoir; mais quel eût été le résultat d'une vérité que Julie craignait d'entendre?
J'ai déjà dit que le cercle de ses Idées ne s'é-
tendait point au-delà de cette vie: Jusqu'à ses malheurs personnels, la mort ne l'avait jamais frappée que comme un accident inévitable sur lequel il était superflu dé s'appesantir. La perte de ses enfans, en déchirant son cœur, n'avait rien changé à la direction de son esprit. Lorsque des symptômes trop peu méconnaissables pour elle, puisqu'elle les avait observés dans la longue maladie de son dernier fils jetaient à ses propres yeux une lueur soudaine sur sonétat, sa physionomie se couvrait d'un nuage mais elle repoussait cette impression; elle n'en parlait que pour demander à l'amitié, d'une manière détournée de concourir à l'écarter. y le moment terrible arriva. Depuis plusieurs jours son dépérissement s'était accru avec une rapidité accélérée mais il n'avait point influé sur la netteté, ni même sur l'originalité dé ses idées. Sa maladie, qui quelquefois avait paru modifier son caractère, n'avait point eu le même empire sur son esprit. Deux heures avant de mourir, elle parlait avec intérêt sur les objets qui l'avaient occupée toute sa vie, et ses réflexions fortes et profondes sur l'avilissement de
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l'espèce humaine, quand le despotisme pèse sur elle étaient entremêlées de plaisanteries piquantes sur les individus qui se sont le plus signalés dans cette carrière de dégradation. La mort vint mettre un terme à l'exercice de tant de facultés que n'avait pu affaiblir la souffrance physique. Dans son agonie, même, Julie conserva toute sa raison. Hors d'état de parler, elle indiquait, par des gestes les secours qu'elle croyait encore possible de lui donner. Elle me serrait la main en signe de reconnaissance. Ce fut ainsi qu'elle expira.
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FRÂGMENS SUR LA FRANCE,'
BU l4 ICILLET I789 AU 3l MABS l8l£
L'ancien régime était un mélange de corrup-
tion d'arbitraire et de faiblesse. Le 14 juillet renversa ce régime. Mais une révolution faite en vingt-quatre heures pouvait-elle changer un caractère nationale produit de plusieurs siècles? L'ancien régime avait laissé des traces qui ne permettaient guère d'espérer Beaucoup du nouveau. Aussi l'observateur désintéressé dût-il reconnaître, dans les concessions et dans les promesses d'un pouvoir enrayée de l'hypocrisie; dans les ébullitions d'un patriotisme de salon, une vanité qui avait Passez bons effets, puisqu'elle inspirait du désintéressement «t- des" sacrifices, mais qui n'en devait pas moins tôt' ou tard, avoir les mauvais effets de la vanité; dans la classe intermédiaire, qu'on nommait 'a1Órs,la Ijourgebisie, une ignorance et tme%rédulité qui la livraient' à toutes les suggestions et à toutes les impostures les classes inférieures tine misère qui exigeait pour première condition ds l'ordre unerèpar-
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tition de propriétés que le désordre seul pouvait
amener. Il s'ensuivit que si beaucoup de bonnes
choses furent décrétées, rien ne s'établit, et que
l'époque que l'on prenait pour celle de la régé-
nération n'était qu'une époque de destruction
nécessaire.
Au 9 thermidor la révolution avait eu son
cours. La leçon avait été sévère, et ce qui est
sévèrè est quelquefois instructif. Des hommes,
jadis exagérés parlaient un langage raison-
nable; l'aristocratie, mutilée et vaincue, sem-
blait convenir qu'on ne pouvait pas rétablir
tout ce que le torrent avait emporté; et la: dé-
mocratié mutilée aussi quoique victorieuse,,
témoignait le désir de relever parmi les ruines
celles qui pouvaient servir de matériaux pour
reconstruire l'ordre social. Cependant la super-
ficie seule était amendée; rien n'était changé
au fonds. Même hypocrisie dans les uns
même ignorance dans les autres, même vanité
dans presque tous; et, déplus, la création de
quelques dogmes, soi-disant républicains, qui,
malheureusement, embrassaient des crimes aussi
bien que des opinions, dogmes non moins ab-
solus et non moins invétérés, tout récens qu'ils
étaient, que les dogmes soi-disant monarchiques.
Ceux qui parlaient liberté voulaient le- despo-
I tïsme/et conspiraient pour lui ceux qui par"
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laient république voulaient un despotisme nouveau..
Au 18 brumaire l'Europe et la France se
remplirent du nom déjà célèbre de'Bonaparte le monde le proclama son libérateur. Ce libérateur était, sous plus d'un rapport, un très puissant génie, et, sous tous les rapports, un homme d'esprit il voulait du pouvoir, beaucoup de pouvoir, tout le pouvoir qu'il était possible de prendre; mais ce qu'il voulait avant tout, c'était une dose de pouvoir quelconque, et, s'il eût trouvé résistance; il eût négocie. Bien loin de là, il trouva une', nation qui se prosterna devant lui, comme un seul homme, et qui, loin de s'effaroucher, de L'autorité qu'il s'arrogeait, semblait s'irriter de ce qu'il ne s'en arrogeait' pas encore assez. On dirait que nos têtes. françaises n'ont de capacité que pour recevoir une seùle idée;. cette idée devient une espèce de religion, et les croyans traitent ceux qui pensent :avoir deux idées au lien d'une comme des hérétiques et des impies. L'idée dominante, en 89, 'était, détruisons tout pour tout -recréer; et quand on disait à ces destructeurs si bénévoles, qu'il, fallait peut-êtreiise dépêcher inoins., est dans -l'histoire, les révolutions.qui s'étaient appuyées sur des portions du passé avaient été les 'moins orageuses et les plus durables, anathème était
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soudain prononcé contré le moniteur importun. L'idée dominante, à la fin de 94, était punissons tous les forfaits de g3. Les hommes les plus doux chantaient à tue-tête, au nom de l'humanité, des chansons dont le refrain demandait des hécatombes; et quand on osait représenter aux meneurs de l'impulsion vengeresse, qu'employer une assemblée unique et sans frein a. sévir contre les crimes commis par une assemblée 'unique et sans frein, c'était frapper les effets sans écarter les causes, on était traité d'homme de sang, de complice de'la terreur. En i8oor l'idée dominante fut la liberté nous a fait du mal, nous ne. voulons plus de liberté -et ceux qui observaient modestement- à cers candidats.de la servitude que les maux de la révolution venaient précisément de ce que la révolution avait suspendu toute liberté, étaient poursuivis dans les salons idu nom. de jacobins et d'anarchistes. Une nation qui demandait Tesclavage à an chef militaire couvert de gloire est âgé de trente ans, devait être servie à souhait; elle le fut. Au' :consulat succéda l'empire. Les -guerriers républicaine restèrent dans les camps les Spartiates delà Convention prirent placé «Laas les conseil, les paladins ,dé la contre-réyôlution dans les antichambres. fls y Tetrouvaient l'air natal.
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Malheureusement pour les serviteurs comme
pour le maltre, le despotisme frappe de folie les plus distingués comme les, plus médiocres. Les uns conservent de la gr.andeur, de la générosité, quelquefois de.la justice, quand leur pouvoir n'est pas compromis; voyez Napoléon les autres'sont des.monstres abjects et féroces:; voyez Don Miguel.
Bonaparte despote devait se précipiter du
trône: lui seul le pouvait il le fit. Ceux qui se sont dits ses vainqueurs étaient ses vassaux et ses esclaves.
Tout homme qui n'aurait comparé, que les
forces matérielles eu aurait.,parié cent contre.;un pour Bonaparte. L'Europe se divisait endeux parts, en apparence
fort inégales. D'un côté, l'Angleterre, l'Espagne et.la Russie jde l'autre la France-avec tonte l'Allemagne, l'Italie, la Suisse et le Danemarck,, qui semblait devoir neutraliser la Suède; i. •
An ^premier coup (Tçeil, le succès ,de la .France semblait infaillible ses les uns djes autressurables forces:disponibles quecelles qu'il lui fallait ^pour alimenter la résistance-espagnole,: éta*£ tourdoieHr
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téedéjà par ses radicaux; le peuple se plaignait de la guerre à laquelle il attribuait son malaise, ne prévoyant pas que ce malaise serait accru précisément par la paix.
L'Espagne, hors d'état de se défendre en rase
campagne, n'avait de ressource que ses guérillas, des massacres partiels et des embuscades; ressources terribles contre une invasion, mais qui s'évanouissâient à la frontière.
La Russie refoulée dans ses vastes déserts, et toujours- exposée à des révolutions de palais, qu'on peut regarder, en quelque sorte, comme tenant, dans cet empire, la place d'une charte constitutionnelle, ce qni arrive toujours quand il n'y pas de charte; la Russie était presque inexpugnable chez elle. Cependant l'une de ses capitales était déjà au pouvoir du conquérant. Ses armée n'avaient éprouvé que des défaites et ses Cosaques ne sont bons qu'après des victoires. La coalition à la tête de laquelle se trouvait
la France paraissait, au contraire, compacté et invincible. Quoi qu'en disent auj ourd'hui !les cabinets^ les alliés du maître du monde leservaient très loyalement, et quand ils se vantent de l'avoir trahi, c'est de la fatuité dé perfidie: L'Autriche, qui venait de donner sa; fille à Napoléon, n'avait aucune envie de voir détrôner le gendre qu'elle avait adopté si récemment.
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La Prusse, qui aurait eu plus de motifs de
ressentiment, était contenue par son impuissance. Les suites de sa dernière tentative lui faisaient considérer toute résistance comme un acte. insensé. Si elle espérait des dédommagemens, c'était aux dépens de la Russie, qui. ne s'était pas refusée à lui enlever le district de Bialystock par un traité où elle stipulait comme son alliée; et c'était de très bonne foi que Frédéric-Guillaume désapprouvait tout ce qui pouvait lui donner un air de trahison qui n'était pas au fond de son cœur.
Quant au roi de Bavière, il avait fait preuve
de fidélité; celui de Saxe s'était montré plus loyal encore, et l'on ne saurait oublier l'obstination généreuse avec laquelle il s'est dévoué. Ajoutez à cela les liens secrets des ministres de ces princes avec le dominateur de la France, liens dont leur fortune et leurs cordons actuels rendent encore témoignage.
Telle était la position de l'Europe en 1812.
Assurément celle de la France était brillante; elle avait. pour auxiliaires tous les gouvernemens, elle n'avait pour ennemis que les peuples. Tant que la prospérité 'dure, la haine des peu-
ples n'est rien; mais au premier revers, cette haine éclate, et elle est invincible.
Le terrible hiver de 1 8 1 2 à 1 8 1 3 détruisit fàr-
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mée française. La Pologne, la Prusse, la Bavière,
le Rhin .virent Napoléon fugitif regagner la
France. U faut rendre justice à- ses auxiliaires;
leur-premier mouvement fut de lui rester fidèle
son antique renom le protégeait encore, et Ils con-
servaient la mémoire d'une épouvante de douze
ans; mais les peuples ne l'entendaient pas ainsi.
La royauté a deux intérêts très naturels et très
légitimes, le bonheur public sans doute, mais
aussi sa propre conservation. Quand ce dernier
intérêt est compromis, une protection, une su-
prématie étrangères peuventêtre admises ou sup-
portées t le premier intérêt des nations au con-
traire, c'est l'indépendance, et :1a condition fine
quâ non de l'indépendance c'est l'absence du
joug étranger. Un monarque peut devoir sa
couronne à un autre monarque un peuple ne
peut devoir -son indépendance qu'à lui-même.
Aussi, de la Vistule au Rhin ,.la voix des peu-
ples se fit entendre les princes .firent' quelque
temps la sourde oreiller mais les armées qui, en
définitive, sorties
gentlûuJQurs^sespenchan&efcîses^œux:, se dé--
clarçrent avec -eux! pour l'affranchissement deleur
patrie. Le torrent populaire vainquit les résis-
tances royales, et les sujets forcèrentleurs mal-
tres à redevenir libres.?. i :̃• t .•
Parlons maintenant ide làErance-liV
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Les mêmes causes qui avaient renversé Napo-
léon en Allemagne devaient le renverser sur le sol natal. Ici comme ailleurs il avait tué toutes les libertés, est, par là, soulevé contre lui toutes les facultés intellectuelles et industrielles qui aspiraient à se développer.
;On -a oublié aujourd'hui le sentiment de fati-
gue et d'aversion qui, vers la fin de l'empire, s'attachait même aux victoires que la France était condamnée à remporter. On a oublié ce sentiment; dis-je, comme à cette époque on..avait oublié le fol enthousiasme avec lequel on avait reçu l'arrivant d'Égÿpte, quatorze atis' plus tôt; mais le fait est qu'à l'exception de l'armée réunie sous ses ordres, et que la vue deliétendard étranger remplissait d'une indignation patriotique, il y avait en France bien peu de personnes qui fissent des voeux sincères pour la prolongation de son règne. Ceux qu'il avait comblésde bienfaits lui savaient mauvais gré de ce qu'en se mettant en péril lui-même, il les troublait dans la jouissance des laveurs qu'il leur avait- accordées. Le maintien de ces faveurs cootre toutes les; vicissitudes semblait un engagement .qu'il avait' pris, et, lorsqu'on le voyant compromis -on gnait' pas,'on l'accusait plutôt d'un manque due parole.^ '• ̃' ̃ < ̃ • -.̃,•̃̃ i • ••
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Les hommes puissans se trompent quand ils croient, s'assurer de la fidélité de leurs adhérens en ne mettant point de bornes à leur munificence au contraire, ils leur donnent plus de choses à conserver, et par là même ils multiplient en eux les motifs d'abandonner le pouvoir déchu et de capituler avec la fortune. Ceux qui ont lu les Mémoires de Las-Cases doivent se souvenir de cette femme comblée des bienfaits de l'Empereur, et qui écrivait « Grâces au ciel, le » petit homme va tomber, et nous serons de véritables comtesses. Ce qu'elle disait ainsi naïvement était la pensée de presque tout le monde. S'il n'y avait pas eu de comtesses impériales, il y aurait eu moins de gens intéressés à donner à ces titres la, sanction de la légitimité.'
Trahi par l'étranger, ne. trouvant nul appui
dans la masse des Français Napoléon succomba malgré des prodiges de talent et de courage-
J'ai soigneusement séparé sa chute d'avec la
restauration, parce qu'en effet ce sont deux choses différentes. Les puissances avaient déclaré vingt fois qu'elles ne prétendaient imposer à la France aucune famille, aucune forme de gouvernement en particulier; mais le trône était vacant, et quelque opinion qu'on professe sur la légitimité, son effet naturel est que, toutes choses étant égales eut
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toutes prétentions étant contestées, elle jette un poids dans la balance en faveur de celui qui peut l'invoquer.
D'ailleurs, avec le petit Napoléon venait une
régence autrichienne, qui ne tentait les amis ni de la France ni de la liberté. Le prince des PaysBas, qui ne portait pas encore ce titre, avait servi contre les Français en Portugal; î Bernadette, séduisant par les formes et souvent républicain dans ses expressions, n'en avait pas moins le tort irrémissible d'avoir soulevé les étrangers contre son pays natal. M. le duc d'Orléans n'étaitpas en France. ̃
La restauration s'accomplit. Mon dessein
n'est ici ni d'esquisser son histoire, ni d'indi«- quer les fautes commises par les hommes auxquels le pouvoir fut alors confié. J'ai tâché de remplir cette dernière tâche dans mes Mémoires sur les cent jours: je ne dirai donc que quelques mots sur ce que l'état des esprits à cette époque prescrivait de faire ou permettait de tenter.
1 Napoléon n'avait été renversé ni par les hourras des Cosaques, ni par l'or de l'Angleterre, ni par la diplomatie autrichienne;- ces choses avaient servi de moyens, mais la véritable cause de sa chute était un amour de la liberté que son despotisme avait réveillé dans le cœur «t des étranr
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gers et des Français. Quand on lit les noms de ceux qui concoururent à la fameuse: adresse du Corps-Législatif, on sent que l'entraînement luibéral devait être bien fort, puisque .ces, hommes ont mérité, une fois dans, leur vie, le, nom de factieux. :'̃ • •> r-1! .-̃: L'assertion, est. bizarre, mais elle est wraie
ces sont les principes de 89 qui ont rendu à Louis XYM la couronne que l'abus de ces;principes avait enlevée à Louis XYL -̃• ̃< Pour se consolider à jamais;, /pourrëndreberi
un instant à la France, dans: un but ^plus salutaire, une influence égale à celle qu'elle avait exercée sous Napoléon, la restauration n'avait qu'une ligne à suivre rester, dans le gouvernément intérieur, fidèle aux principes qui l'avaient 1 amenée et' prêter assistance à ces principes dans ses relations avec les souverains ses alliés.
Tout l'invitait à marcher,ainsi, les peuplés qui
avaient forcé leurs rois à s'affranchir du iouer impérial, n'avaient point eu pour but de sère-? mettre. sans condition sous, un joug, domestique; on sîeo était même expliqué franchement ayant et pendant la. crise.- >•<̃>}<>̃̃;̃•̃;̃< ̃̃ ̃ 'u-Aqlh :i~r •-̃'̃'̃ La les etadiaiisV les volontaires, les métaphysiciens métamôrphosésén guerriers; avaient
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souverains les avaient promises. Le plus puissant d'entre eux était alors l'avocat le plus ardent, le plus éloquent panégyriste des droits de l'homme dans toute leur étendue, et l'on pourrait indiquer encore quels salons de Paris ont retenti d'impériaIes' harangues en faveur de la liberté. Ces harangues, reproduites aujourd'hui, formeraient un singulier supplément aux conversations confidentielles divulguées depuis à la tribune par un de nos ministres. La France, en donnant l'exemple du respect pour les conventions stipulées entre les trônes et les nations,. n'aurait rien fait d'hostile contre les uns,et se serait acquis des droits solides à la confiance des autres.:
Le moment était favorable les rois délivrés
étaient reçonnaissans les peuples libérateurs avaient de ces dispositions bienveillantes, qui naissent du sentiment du bien <pi'on.a faits, et. -quise refusent à prévoir L'ingratitude; c'était entre les sujets et les princes une époque pareille àiCâelle de- la lune de entre En même temps :r.v ,• déclarant. avec franchise pour. la liberté constitutionnelle, aurait satisfait au voeu: national. Les inquiétudes, que M. de Châteaubriand indique si bien comme un:.résultat inévitable du rétablis-
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sèment des Bourbons (i), se seraient calmées. Force et considération au dehors, amour et confiance au dedans, tel eût été le partage de la restauration si elle eût adopté ce système.
Que si, voyant les choses de moins haut, elle
n'eût voulu que travailler à sa consolidation matérielle, une autre route lui était ouverte.
J'ai parlé des défections qui avaient signalé
les derniers instans de l'empire ces défections avaient eu pour motif le désir de mettre en sûreté, sous un autre que Napoléon, les biens et les honneurs que Napoléon avait accordés, mais qu'il ne pouvait plus garantir; en donnant aux possesseurs de ces honneurs et de ces biens pleine sécurité sur ce point, la restauration conquérait une armée; et certes, si le penchant secret des ministres de cette restauration était d'étouffer la liberté, rien ne conduisait plus directement à ce but que la -coopération d'une masse d'hommes qui, en ce genre, avaient fait leurs preuves; qui avaient servi pendant quatorze ans le.despotisme le plus complet qui eût jamais existé; qui étaient habitués aux affaires; qui connaissaient parfaitement le terrain, et qui avaient, dans toutes les portions de l'empire, des relations intimes et une clientelle zélée. (i) Réflexions politiques i53. ̃
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Je ne veux point ici faire la satire d'une classe
de gens qui, depuis i8i4> a reçu l'éducation, je ne dirai pas de l'adversité, le mot serait trop fort, mais de la vexation et de l'arbitraire. Je suis convaincu que les instrumens de Napoléon, séparés du pouvoir et n'en recueillant plus les avantages, en ont découvert. les inconvéniens et que, jetés par les circonstances dans l'opposition, ils ont appris à aimer la liberté à force de la défendre. Mais en 1814, ils n'en avaient encore ni les doctrines ni les habitudes, et s'ils avaient retrouvé, sous le gouvernement de la restauration protection, garantie et activité plusieurs, je crois pouvoir l'affirmer sans injustice, lui auraient transporté le zèle et le dévouement qu'ils avaient déployés naguère pour le gouvernement impérial. Ceux que le hasard a préservés du dédain ou de la réprobation du parti triomphant, et que ce parti..a daigné admettrè, nous ont donné d'assez beaux, échantillons de leurs dispositions à l'obéissance aveugle et passive.
En disant ce que la restauration aurait pu
faire en ce genre, je suis loin de regretter être indéfiniment ajournée mais je me place y T quand je raisonne, dans la position et dans l'intérêt des gens dont je parle, tout en me ré-
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jouissant peut-être de ce qu'ils n'on pas connu cette position, et de ce qu'ils ont mal entendu leur intérêt.
Enfin, si le ministère de la restauration ne
voulait ni de la liberté avec la nation en masse ni du despotisme avec ceux qui avaient si bien secondé le despotisme de l'Empereur, un troisième parti restait, hasardeux sans doute, mais le seul praticable, dès que les deux premiers étaient rejetés, c'était de refaire franchement la monarchie de Louis XIV, ^avec les adhérens de l'ancien régime. Je dis que ce parti était har- sardeûx c'était se mettre en contradiction avec les déclarations officielles de l'Europe est avec la disposition réelle de la France, car l'étendard du pouvoir absolu n'avait pas encore été relevé par ̃: ;les étrangers, ét, comme je l'ai dit plus haut, la '̃ f France était revenue d'intention et tï-espoir-à 1789.: .̃••• -vv'1 ;;•:̃• Mais,'du moins, le ministère qui auraittenté de; la sorte une cbntre-révolutionr • Manche- eût rallié autour de lui une masse d'intérêts queldùnijaesy les rois alliés n'étaient pas 'tellement -les -convertir en leur lors :ce o^'eux-mêmes'-ÔTit>itant;:réi'pété^epuisj que «l'est: à eux seuls -àfaire1 le leur donner la dose de liberté -qui leur -convient les oreilles royales
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s'ouvrent aisément à ce langage. Quant à la France, la majorité eût été mécontenter mais le Gouvernement aurait eu pour lui la minorité, et une minorité compacte, bruyante, placée au sommes de Ia hiérarchié sociale, parvient aisément nous en avons eu pins d'une fois la preuve, à se donner une apparence de majorité.
Ce parti, je le répète, eût été hasardeux;
il eût de plus été immoral; mais il vaut mieux, comme sûreté, prendre un mauvais parti que de n'en point prendre.
En ne suivant aucune de ces lignes, en voulant
plaire à la majorité nationale par une Charte, et à la minorité anti-riationale par la violation de cette Charte, le ministère de la restauration calculait très mal.
Nous subissons encore aujourd'hui la peine de
ses fautes. Elles ont entraîné tous les malheurs de i8i5, et les injustices qui suivirent ces malheurs, et l'hostilité qui sembla s'établir entre le Gouvernement et la nation en 1820, et la victoire momentanée d'une faction en 1821 et la douloureuse incertitude qui se prolonge encore depuis la chute de cette faction en Tant il est vrai qu'un^premierpas dans une faussé route entraine de fâcheuses et durables conséquences, et tant il importe à la puissance de
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bien se connaitre elle-même avant de se mettre en.marche, de savoir
Quidvaleanthianerî, quid ferre nouent;
et de ne vouloir dès l'origine que ce qu'elle est sûre de vouloir toujours.
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DU DÉVELOPPEMENT PROGRESSIF
DES IDÉES RELIGIEUSES..
Considérer la religion comme une chose fixe
immuable, qui doit être la même à toutes les époques de lacivilisation, c'est.partir d'un principe qui ne peut conduire qu'à des erreurs grossières.et dangereuses. Tout ce qui tientàliiomme et à ses opinions, sur quelque objet que ce soit, est nécessairementprogressif, c'est-à-dire variable et, transitoire. Cette vérité est évidente en politique, en science, en organisation sociale, en économie, soit administrative soit .indus- trielle:
L'état sauvage parait être un état stationnaire
mais il ne peut servir de base à aucun système, parce qu'il est impossible d'expliquer, soit par le raisonnement, soit par les faits, de quelle ma- nière l'homme en est sorti et l'instant même où il en sort est le signal d'un mouvement de progression., auquel l'espèce humaine: obéit. avec une; persévérance, .et une activité .infatigables. °. Lorsqu'elle rencontre; des obstacles-sur, la. route, elle travaille à tes surmonter. Son travail est
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plus ou moins manifeste, suivant la nature des obstacles et les dangers qu'il faut braver pour les vaincre; mais.lors même que ce travail est inaperçu, il ne s'en continue pas moins et, en définitive, c'est toujours en faveur de la progression que le succès se déclare.
Voyez la marche de la société civile et politi-
que. Au sortir de l'état sanvage, nous apercevons la théocratie. Les annales de tous les peuples remontent au règne des dieux. Ce règne des dieux ri'est antre chose que l'empire absolu d'une caste gouvernant le reste de l'espèce humaine, en vertu des ordres -du ciel et d'une suprématie mystérieuse, dont cette caste s'arroge le privilège. L'esclavage, consacré par la théocratie, est-plus dur, plus humiliant, et surtout, aussi long-temps que son principe subsiste, moins susceptible d'être mitigé, et, à plus forte raison, d'être détruit; que celui.- qui- résulte* plus tard du droit dé conquête. L'esclave du guerrier est un homme comme lui qui 4 cessé d'être son égal, mais qui demeure son semblable, et que les vicissitudes delà fortune ont seules réduit à Un état; d'infériorité et dé sujétion. L'esclave du prêtre, dans la théocratie, est' inférieur à son maître, par sa ria-w ture même c'est tmé créature immonde,: impure, qui ne peur se racheter de là flétrissure ineffaçable imprimée sur elle dès sa' naissance/
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et qu'elle porte gravée ;sur son front jusqu'au tombeau.
A la théocratie, détruite probablement par
le soulèvement des guerriers ;contre les prêtres,. succède la servitude civile c'est un progrès dont les conséquences sont, a la. vérités-plus importantes d'abord dans la théorie que dans la pratique, parce que les habitudes guerrières donnent à .ce nouvel esclavage des formes, farouches .et sanguinaires; mais .le progrès n'en existe pas moins. Ce n'est plus une volonté divine, immuable, irrésitiblë qui divise la race humaine en oppresseurs et en sort des ar- mes, le hasard des. combats. Le maître peut devenir esclave a son tour. Lagieuse, la consécration du mystère,.la différence de nature entre la caste qui impose et celle qui porte des fers ^toutes ces choses ont disparu.* A cet ordre social, si imparfait encore etsi
Vjâxâtoire,, en succède: un autre 1 qui "n'esfe; plus précisément l'esclavage, bien qu'il -lui xessemrble.à beaucoup -d'égards. Mais, touten^dmeh tant mande, et il suppose cependant une espèeede > &est lerégîmè; nOmmé féodalité. L'esclave sous j la théocratie r n'avait pas. xang d'homme l'esclave,
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sous la loi de la conquête, ne se voyait plus disputer cette qualité, mais était dépouillé de' tous les droits qui en dérivent; sa vie était à la merci de son maître, et toute propriété lui s. était étrangère. La vie du serf est, sinon garantie, du moins appréciée par les lois, d'une manière inégale et révoltante mais qui prouve pourtant qu'elle commence à avoir quelque valeur. Sa propriété est précaire, soumise à des conditions iniques, et souvent livrée sans défense au caprice et à l'avidité du seigneur. Toutefois la spoliation n'est ni si rapide ni si arbitraire; elle exige des formes, trompeuses sans doute et trop facilement eludées mais qui contiennent le germe d'une justice à venir plus impartiale, et sont un hommage rendu au pressentiment de cette justice. Qui peut nier ici un progrès important, avant-coureur manifeste et cause certaine de progrès futurs?
Bientôt la-noblesse remplace 'Ia féodalité. La
noblesse n'est en réalité que la féodalité dépouillée de ses prétentions les plus odieuses. La vie, là propriété, la liberté personnelle du plébéien acquièrent des sauvegardes. Ce qu'il y a de blessant subsiste; ce qu'il y a de menaçant s'adoucit. La voie des richesses s'ouvre pour la roture, et la noblesse, qui ne peut s'y opposer, s'en console par les apparences du dédain et
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s'en dédommage par un monopole de faveurs qui lui reste quelque. temps encore. Mais comparez l'esclave de la théocratie primitive, l'ilote .de Sparte, le serf du moyen .âge; au plébéien, même sous Louis XIV, et vous .verrez la carrière immense que l'espèce humaine.a franchie. Il n'est pas de notre sujet de la suivre plus loin dans cette marche toujours progressive. Ceux qui écriront dans cinquante années auront bien d'autres pas à iracer..
Ce que nous disons de l'avancement de la se-'
ciété politique ou civile, nous pourrions le dire avec.non moins de raison des sciences mais tout développement. serait supernu, parce que lavé- rite est trop évidente: et :il faut remarquer.que la progression n'a pas lieu uniquement en ce sens, que ceux qui s'occupent des sciences marchent d'une découverte à l'autre, et font avancer ainsi la science qui forme l'objet de leurs me-'ditations la progression s'exerce encore d'une autre manière, que nous nommerions volontiers horizontale, si nous ne répugnions aux expres- sions insolites. Non-seulement les hommes instraits sont plus instruits, mais une portion plus considérable de l'espèce humaine eutre,dans la ) classe des hommes instruits. Les connaissances 1 qui étaient jadis la propriété d'un petit. nombre deviennent celles d'un nombre beaucoup plus
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grand, et de la sorte les lumières gagnent tour à tour en intensité et en étendue.
Il en est de même de la morale. Restreinte
d'abord à la famille, elle se répand graduellement sur le peuple entier, et bientôt, généralises lois encore davantage, elle applique ses règles à tout le genre humain.
L'industrie est soumise à la même loi de pro-
gression. Dans l'état sauvage et à l'époque guerrière qui remplace immédiatement l'état sauvage, l'industrie est nulle. Tant que la forcé semble un moyen sûr d'arriver à la possession de ce qu'on 'désire, ce moyen doit être préféré à tous les autres. Quand l'expérience apprend à l'homme que ce moyen n'est pas infaillible, il conçoit l'idée de l'échange et l'industrie qui multiplie les objets d'échange prend alors naissance.
L'échange, le commerce, qui n'est que l'é-
change effectué l'industrie qui n'est que la créatiort des objets d'échange, ne sont au fond que des hommages rendus à la force du possesseur par l'aspirant à la possession ce sont des tentatives pour obtenir dé gré à gré ce qu'on n'espère plus conquérir par la violence. Un homme qui serait toujours le plus fort ne se résignerait à aucune de ces tentatives il n'en concevrait pas la nécessité; mais quand les faits lui prouvent que là guerre, c'est-à-dire remploi
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de sa force contre la force d'autrui, est exposée à diverses résistances et à divers échecs; il cherche des moyens plus doux et moins contestés d'engager l'intérêt des autres à consentir à ce qui convient à son intérêt.
Certes la progression n'est pas méconnaissable;
mais elle ne s'arrête pas là. •
L'industrie, long-temps inférieure à la pro-
priété foncière, sous le rapport du rang et- de l'influence devient par degrés son égale et .bientôt lui est supérieure. En ouvrant à l'homme une carrière plus vaste et plus libre elle tend perpétuellement à rendre disponibles les moyens à l'aide desquels cette carrière peut .'être parcourue plus rapidement et plus facilement. La propriété foncière arrive à n'être qu'un de ces moyens elle se divise alors pour circuler plus commodément tout ce qui contrarie cette division est sans résultat. La terre devient mobile, fractionnée; elle se disperse pour ainsi dire, entre mille mains qui s'en saisissent plutôt pour la transmettre à d'autres que pour la posséder. La propriété foncière est un effet à ordre qu'on négocie dès qu'on peut tirer un meilleur parti du capital qu'elle représenté car ce ne sont plus les capitaux qui représentent les terres, ce sont les terres qui représentent les capitaux.
Cette révolution change la société jusque dans
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ses bases. La propriété foncière est la valeur de la chose, l'industrie celle de l'homme. L'époque oh. la propriété foncière se voit domptée par l'industrie, c'est-à-dire forcée de prendre la nature de cette dernière et de se mettre à son niveau, est celle d'un nouveau progrès dans la route de la valeur morale et du perfectionnement intellectuel.
Nous avons cité ces divers exemples pour en
conclure qu'il existe une loi de progression qui s'exerce dans tous les sens et sur tous les objets. La religion seule en serait-elle exempte ? Tan-
dis qu'aucune des institutions, aucune des formes, aucune des notions contemporaines de l'enfance de l'état social ne saurait convenir à un état moins grossier la religion serait-elle condamnée à rester imparfaite et stationnaire, au milieu du mouvement universel et de l'amélioration générale ?
Non, sans doute. Dire que la même religion
peut convenir à une horde sauvage et à un peuple civilisé, à une nation plongée dans l'ignorance et à une société éclairée,. c'est dire unie absurdité qui frapperait tous les esprits, si on ne l'avait entourée d'un prestige qui la fait regarder comme sacrée.
j Ceci ne nuit en rien à la divinité de la reliygion, ou, pour mieux dire, du sentiment in-
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time sur lequel reposent les convictions religieuses. Plus on croit à la bonté et à la justice d'une providence qui a créé l'homme, et qui lui sert de guide, plus il est naturel d'admettre que cette providence bienfaisante proportionne ses enseigneméns à l'état des intelligences auxquelles ces enseigaemens sont destinés.
Il y a plus cette doctrine seule concilie les
idées que les hommes religieux conçoivent de cette providence avec la nature de l'esprit humain; On ne saurait nier que l'esprit humain n'ait un penchant invincible à l'investigation et à l'examen, Si son devoir le plus impérieux, si son plus grand mérite était une crédulité Implicite, pourquoi le' ciel l'aurait il doué d'une faculté qu'il ne pourrait exercer l'aurai t-il soumis à un besoin qu'il ne pourrait satisfaire sans se rendre coupable ? Serait-ce pour exiger de lui le sacrifie absolu de cette faculté? mais ce sacrifice îe/réduirait au rang de pure machine ce serait une espèces de suicide. Le dieu qui l'imposerait à l'homme ressemblerait plus à l'Amida de ces ido-.lâtres qui se font écraser sous les roues du car où est placée leur idole, <ju'à l'intelligence pure et bienveillante qué le christianisme offre à iaos adorations et à nôtre amour.
Il y a plus encore cette crédulité Implicite,
cette immobilité dans les dogmes, ce caractère
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stationnaire dans les croyances, toutes ces choses contre nature, qu'on recommande au nom de la religion, sont ce qu'il y a de plus opposé au sentiment religieux. Qu'est-ce, en effet,. que ce seni riment? le besoin de connaître les rapports qui existent entre l'homme et les êtres invisibles qui influent sur sa destinée. Il est dans son essence d'essayer, pour se satisfaire de chaque forme religieuse qarse crée ou qu'on lui présente mais il est aussi dans son essence, lorsque ces formes religieuses ne le satisfont plus de les modifierde manière à en écarter ce qui le blesse, ou même d'adopter quelque forme nouvelle qui lui convienne mieux. Le borner au présent, qui ne lui suffit jamais, lui interdire cet élan vers l'avenir, auquel l'insuffisance du, présent l'excite .c'est le frapper de mort. Partout ou il est ainsi enchaînée partout où il y a impossibilité de modifications- successives- dans les formes et dans les croyances il peut y avoir superstition, parce que la superstition est l'abnégation de l'intelligence et l'attachement aveugle aux pratiques imposées; il peut yavoirfanatisme, parce que le fanatisme est la superstition devenue furieuse; mais il ne saurait y avoir religion parce que la religion est le résultat des besoins de l'âme et des efforts de l'intelligence, et que des dogmes stationnaires mettent l'une et l'autre hors de la' question.
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Si nous voulions appuyer cette assertion de
faits irrécusables nous montrerions d'un côté l'Italie, de l'autre l'empire ottoman. En Italie les progrès de l'intelligence n'étant pas arrêtés sous d'autres rapports que ceux de la religion r qu'arrive-t-il ? que l'Italie, éclairée d'ailleurs sur plusieurs points est quant à la croyance livrée j à la fais à la superstition et à l'incrédulité. Chez' les Turcs, la prévoyance de leur prophète ayant rendu stationnaire, non-seulement la doctrine religieuse mais tout ce dont l'esprit humain aurait pu s'occuper, que voyons-nous2 une apathie complète dans les temps ordinaires -et un fanatisme qui se réveille dans les grandes crises, farouche et stupide, comme fll'était sons Omar. Mais, dans les deux cas, il n'y a plus de placepour le sentiment religieux, pour la religion proprement dite. La religion n'existe réellement, elle inexercé le genre djn- j d'accord ,avec toutes nos facultés et qu'elle. ne- _reste en arrière d'aucune de nos connaissances^ .Dans toute autre hypothèse, ces facultés qu'elle pousse, se soulèvent et se réunissent pour se venger et pour
Quand vouç prétendez maintenir intacte une
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doctrine née à une époque où les hommes étaient ignorans de toutes les lois de la nature physique, vous armez contre cette doctrine toutes les découvertes relatives à ces lois. Plus le monde matériel est connu, plus la religion instituée avant cette connaissance du monde matériel se trouve ébranlée. Avohs-nôus besoin de rappeler l'avantage que les incrédules ont tiré de la Physique eut de l'Astronomie de la Bible?
De mêmp, quand les mœurs se sont adoucies,
quand la morale s'est améliorée, n'est-il pas clair que si l'ori veut perpétuer dans la religion les rites et les pratiques qui existaient avant cette amélioration et cet adoucissement, une lutte doit s'élever, et que, malgré tes triomphes plus ou moins prolongés qu'une assistance extérîeure peut valoir à des cultes dont le terme est arrivé ces cultes ne sauraient sortir de cette lutte que déconsidérés et décrédités?'
i les bornes que nous nous sommes tracées nous le permettaient nous en appellerions à l'histoire, et nous montrerions que c'est presque toujours parce que les défenseurs des religions ont obstinément résisté à des perféctioninemens devenus nécessaires qu'elles se sont-brisées, contre l'intention même 'de ceux qui ne voulaient. qu'en modifier ou en corriger une partie. Les
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prêtres d'Athènes, ainsi que nous l'avons observé ailleurs (i), ayant les premiers rompu' la bonne intelligence qui subsistait entre la philosophie et le polythéisme, quelques philosophes en souffrirent, mais ce fut néanmoins le polythéisme qui tomba. La philosophie lui survécut; et plus tard, l'inflexibilité de'Léon X décida pour une grande partie de l'Europe, l'abolition du catholicisme, que Luther lui-même n'avait point en vue en commençant ses attaques contre les abus de l'église romaine.
C'est donc une erreur grave que de supposer
la religion intéressée à demeurer Immuable; elle l'est au contraire à ce que la faculté pro- gressive, qui est une loi de la nature de l'homme, luTsoit appliquée. Quand les croyances religieuses restent en arrière de la marche générale de l'esprit humain hostiles et isolées- qu'elles sont, ayant transformé leurs alliés en adversaires éllès se voient, pour ainsi dire, assiégées par les ennemis qu'elles se sont créés à plaisir. L'autorité qui peut disperser ses ennemis, ne ai saurait les vaincre. Ils croissent chaque jour en force et en nombre ils se recrutent par leurs défaites mêmes, et ils renouvellent avec obs(i) De la Religion, etc. tome I, page i5i. Chez Picbon
et Didier, libraires, quai des "Angustins, n; 47-- r
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(nation des attaques qui ne peuvent manquer d'aboutir à une victoire d'autant plus complète qu'elle a été plus long-temps contestée.
Mais si l'intérêt de la religion est de mar-
cher d'un pas égal avec l'intelligence, tel n'est pas l'intérêt du sacerdoce. L'immutabilité des j doctrines fait sa force et la progression ébranle sa puissance.
Aussi, dans tous les temps, le sacerdoce detoutes les.religions a-t-il frappé d'anathème l'idée- du changement, la tentative ou seulement l'espoir de l'amelioration. Nous n'avons besoin quede rappeler à nos lecteurs les prêtres d'Égypte,. les pontifes de l'ancienne Rome, et le sacerdocechrétiew jusqu'au protestantisme.
Le protestantisme lui-même, que son
principe fiit d'accord avec la vérité que. nous proclamons, et qu'il ne pût justifier sa scission que par l'adoption de cette vérité dans toute son étendue; le protestantisme, disons-nous r a paru en dévier dès son origine. Après avoir réclamé la légitimité du libre examen il a voulu s'approprier le libre examen comme vp monopole et tandis que l'église catholique disait à ses fidèles, Croyez et n'examinez pas, le protestantisme a dit long-temps aux siens, Examinez,, mais croyez comme si vous n'aviez, point examiné. Certes,, entre ces deux manières de rai-
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sonner l'avantage était du côté de I'église catholique. 1 Néanmoins, comme toute vérité porte ses fruits, celle qui avaitréveillé dans l'âme des réformateurs du quinzième siècle le sentiment des droits de l'indépendance intellectuelle n'a pas tardé à briser les chaînes dont ses premiers organes prétendaient la chargeur. Et c'est du sein de l'église protestante que le christianisme, rendu tout-à- la-fois à sa pureté ancienne et à sa perfectibilité progressive, se présente aujourd'hui comme une doctrine contemporaine de 'tous les siècles, parce qu'elle marche avec tous les siècles; ouverte à toutes lés lumières, parce qu'elle accueille et qu'elle adopte toutes les lumières; s'enrichissant de toutes les découvertes, parce qu'ellene lutte contre aucune. découverte; se.plaçant, à chaque époque au niveau de l'époqne; et déposant par cela même toutes les notions qui sont enrière des pas que fait chaque jour l'esprit humain. Que si quelqu'un, par ignorance ou jroau-
vaise foi 9!1 peut-être par clés considérations de convenances locales ou personnelles, contestant ce que nous affirmons, nous le renverrions aux ouvrages des principaux théologiens protestans de l'Allemagne.
Nous pensons donc que c'est désormais de
ce principe qu'il faut partir, si l'on veut rendre
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à la religion le seul hommage qui soit digne d'elle et si l'on veut, en même temps; l'appuyer sur les seuls Eondecnens qui soient solides et inébranlable, et c'est ainsi que nous procéderons dans les considérations suivantes.
Nous disons'que la religion est un sentiment inhérent à l'homme. Voyez en effet tous les peuples sauvages ou policés se prosternant aux pieds des autels.
a Nous disons que la forme que revêt Ia religion est toujours proportionnée à l'état social des nations ou_trîbus quj Jajjrofessent. Et en effet, le fétichisme chez le sauvage, le polythéisme, tel que îe décrit Homère chez les Grecs des âges héroïques, ce même polythéisme perfectionné chez les Athéniens du temps de Périclès,. la morale et la spiritualité introduites dans cette croyance depuis cette époque; le besoin d'en écarter les traditions grossières et dégradantes pour les objets de l'adoration la tendance 'vers l'unité à une époque encore postérieure, l'apparitiôn du théisme, au moment ou là réflexion et l'expérience commencent à démontrer l'inutilité de plusieurs causes pour expliquer les phénomènes de la nature ou tes vicissitudes de la destinée, enfin le triomphe de la doctrine unitaire quand l'esprit humain achève de -s'éclairer, toutés' ces choses composent une série
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de faits qui démontrent les rapports constans de la religion avec les progrès de l'intelligence, et sa tendance :1 se mettre toujours au niveau de ces progrès. Qu'ensuite, à de certaines époques, des moyens au-dessus de. notre nature faible et imparfaite aient, favorisé cette tendance; que, par exemple, quand l'homme était incapable de recevoir la notion du théisme, cette no- tion ait-tout à coup apparu, comme un phénomène inexplicable, au milieu d'une tribu ignorante que, plus tard, l'esprit humain s'étant élevé jusqu'à l'unité, mais. se trouvant hors d'état néanmoins de transformer cette idée abstraite en une doctrine animée et vivante, un secours inattendu., Fait aidé, cela, ne change rien- à ce que nous affirmons: la tendance existait, et le secours additionnel ne s'est exercé que conformément à cette tendance.
Nous disons enfin que le sacerdoce fait perpétuellement des efforts pour arrêter ou retarder cette marche; et en effet, le, jongleur du fétichisme lutte contre le polythéisme qui, en attribuant aux dieux la figure humaine brise les simulacres hideux des fétiches., et détruit l'influence des évocations et des sortilèges de leurs interprètes. Héritiers ou représentansde la plus grossière des croyances,; les prêtres de Dodpne conservent les mœurs, les habitudes, la divina-
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tion des jongleurs, persistent dans les hommages qu'ils rendent aux colombes divines aux chênes prophétiques, et déclarent une invention moderne et sacrilège la religion d'Homère-, qui, adaptant ses enseignemens à la société naissante, réunit les dieux en un corps, parce que leurs adorateurs composent un peuple.
Quand le polythéisme homérique a triomphé,
le sacerdoce, qui s'efforce de s'en emparer, use de sa puissance, bien que précaire et toujours contestée, pour empêcher cette forme religieuse d'avancer avec les notions contemporaines. Il s'oppose à ce que le caractère des .dieux s'améliore, lors même que la morale des hommes s'est améliorée. Il ne veut pas que leur essence devienne plus pure; il interdit à la métaphysique de leur appliquer l'hypothèse obscure, mais séduisante, de l'immatérialité. Il proclamé comme articles de foi et dogmes immuables, leurs besoins, leurs passions, leurs faiblesses, leurs vices. Il proscrit le spiritualisme d'Anaxagore, il punit la morale de Socrate, il menace la logique d'Aristote, sans réfléchir qu'en isolant ainsi la religion du mouvement général, il arme contre elle ce mouvement même et provoque Enfin, lorsqu'en dépit de ces résistances sf mal
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inévitables, le sacerdoce résigné à ces modifications, essaie de nouveau de planter sa bannière et de s'arrêter; et, quand il Toit s'avancer le théismé, dont ces modifications contiennent le germe et préparent le développement, il soulève contre lui l'autorité toujours alliée du présent, toujours ennemie de l'avenir, ét la populace, auxiliaire féroce de cette autorité qui la soudoie, accompagne de ses cris les chrétiens au cirque et se repait de l'agonie des martyrs.
Voilà donc, ce nous semble, nos trois pre-
mières assertions, l'universalité du sentiment religieux, la 'tendance de ce sentiment à perfectionner la orme qu'il revêt, a résistances du sacerdoce au perfectionnement de cëïiô~£or-r me; voilà, disons-nous, nos trois Premièressertions prouvées; mais il nous reste à indiquer la circonstance qui, favorisant le système stationnaire, a trompé les esprits les plus observateurs, et leur a caché la. niarclie nécessairement progressive de la religion.
Dès que l'homme a des dieux, et il a des
dieux dès qu'il porte ses regards autour de lui, ou que, se repliant sur lui-même, il consulte son sentiment intime, il éprouve lé' besoin de se rendre ces dieux favorables. Il essaie mille marnières de satisfairê ce besoin. H voit ses sémblables à côté de lui se livrer aux mêmes tenta-
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tives. Quelques-uns se vantent de leur succès, et la conviction sous ce rapport précède fimposture. Aussitôt les plus humbles et les moins confians dans leurs propres forces entourent ces mortels privilégiés; ils sollicitent implorent, achètent leur assistance. La profession d'interprête du ciel devient profitable, et partout où il y a profit, il y a bientôt calcul.
De là, dans le fétichisme même, les jongleurs et, dans ces jongleurs, un travail constant pour faire de, la religion leur propriété et leur monopole.
Voyez comment au milieu des bordes les plus
abruties, ils se renferment dans une enceinte impénétrable au vulgaire. Voyez-les, non moins jaloux que les druides de la Gaule ou les brames de l'Inde de tout ce qui tient à leurs fonctions sacrées, imposer au candidat qui sollicite son admission des épreuves longues, douloureuses et bizarres, vouer à une mort que des supplices raffinés précèdent les téméraires qui négligeant ou dédaignent l'affiliation prescrite, commander un inviolable mystère, inventer une langue inintelligible à tout profane,, entourer leurs cérémonies de ténèbres et de terreurs.. Apprentis hiérophantes, ils obéissent à l'instinct, secret qui dirigera plus tard les corporations d'Hiéropolis ou de Bénarès.
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Mais le fétichisme lutte par sa nature contre
l'empire sacerdotal. Le fétiche est un être portatif et disponible que son adorateur peut consulter lui-même dans toutes les circonstances et avec lequel il fait son traité directement, ce qui lui rend souvent l'intervention étrangère importune ou superflue. Aussi les jongleurs, investis quelquefois d'un pouvoirterrible, soient cependant ce pouvoir remis en question et contesté sans cesse. Comment donc se fait-il que plusieurs peuples, en sortant du fétichisme /on même en demeurant attachés à cette croyance sous une forme plus régulièïe accordent aux -prêtres une autorité durable et illimitée?
Le climat suffit- il pour nous expliquer ce
.phénomène ? Non car le sacerdoce à possédé quelquefois un ascendant sans limites dans tous les climats.
Les bouleversemens physiques seraient-ils une
cause plus satisfaisante? Non :'car toutes les parties du globe ont subi- ces boulèversemens et il y a des portions du globe où les prêtres sont restés sans pouvoir. ̃
Réussirions-nous mieux à dérober ce secrét à
l'histoire, si nous cherchions le mot dé l'énigme dans l'action -des colonies? Non car Faction des colonies ne peut être admise comme une cause première. Dire que telle colonie a imposé des
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institutions à tel pays c'est expliquer pourquoi le pays subjugué les a reçues; mais il reste encore à rechercher pourquoi elles étaient établies dans la patrie ancienne de la colonie qui les a portées au dehors.
La cause du pouvoir sacerdotal réside dans une circonstance qui tient de plus près aux notions que l'homme conçoit des êtres qu'il adore et qui est à la fois indispensable à la solution du problème, et suffisante pour cette solution.
Il y a des peuples dont toute l'existence dé-
pend de l'observation des astres.
Il y en a d'autres chez lesquels abondent des
phénomènes physiques de toute espèce les premiers sont entraînés à substituer au fétichisme ou à introduire dans le fétichisme le culte des corps célestes une nécessité non moins impérieuse force les seconds à l'adoration des élémens. Or ces deux systèmes créent immédiatement
un sacerdoce revêtu d'une puissance que n'oat est ne peuvent avoir les jongleurs des sauvages. Pour connaître le mouvemeut des astres., pour
observer les phénomènes. physiques il faut un certain degré d'attention et d'étude.
Cette nécessité constitue, dès l'origine des so-
ciétés et tandis que -la masse du peuple est encore tonte sauvage des corporations. qui font de Fétude des astres leur occupation de l'observation
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de la nature leur but, et des découvertes quelles recueillent sur ces deux objets leur propriété
Dès lors il y a deux espèces de sociétés, celles
qui sont indépendantes des prêtres et celles qui sont soumises à leur autorité, et ces deux espèces de sociétés ont deux religions tontes différenfes. Dans les premières, la progression continue telle que nous l'avons décrite plus haut; dans les secondes y elle s'arrête et la religion demeure stationnaire.
Tel est le spectacle que nous offrent l'Inde,
l'Éthiopie, l'Égypte. La faculté progressive y est frappée d'immobilité toute découverte lui est interdite, tout avancement est un crime, toute innovation un sacrilège. L'usage de, cet art précieux qui enregistre et transmet au loin la pensée est prohibé comme une impiété. La religion ne dépose point les vestiges hideux du grossier fétichisme; la figure des dieux reste informe, leur caractère vicieux et passionné.
Chez les Grecs, au contraire,. affranchis du joug sacerdotal, au moins à dater des temps héroïques tout est progressif. Ils arrachent aulx corporations théocratiques de l'Orient et du Midi les. élémens des sciences, que ces corporations retenaient captives dans leur mystérieuse enceinte. De languissantes et d'imrparfaites qu'étaient ces sciences dans la nuit du sanctuaire,
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elles revivent, s'étendent se développent, se perfectionnent à la clarté du jour et l'intelligence, suivant sa marche hardie, et s'élançant d'hypothèse en hypothèse à travers mille erreurs sans doute, arrive néanmoins, sinon jusqu'à la vérité absolue, qui est peut-être inaccessible pour elle; du moins jusqu'à ces vérités relatives', besoins de chaque époque, et qui sont autant d'échelons pour atteindre d'autres vérités, toujours d'un ordre plus élevé et d'une irnportance supérieure. La religion se ressent de cette activité de l'intelligence des torrens de lumière l'inondent de toutes parts, pour la pénétrer et la refondre.
Toutefois, dans les deux cas, un mouvement
contraire à l'impulsion dominante lutte contre elle, et les.oscillations de cette lutte peuvent induire en erreur les observateurs qui n'ont pas saisi la vérité première.
D'une part, comme nul effort humain ne rem-
porte sur les lois naturelles une victoire complètè, la progression se fait jour aussi, dans: les. religions sacerdotales, lentement et par des voies détournées; mais alors elle a ceci de particulier, que', l'intelligence étant concentrée dans une caste, la progression ne s'exerce que dans cette caste; et l'intérêt de cette caste étant opposé à la progression, loin de se féliciter des pas qu'elle
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fait,. elle s'en effmie; loin de s'en vanter, eHe les cache soigneusement à tout ce qui n'est pas admis dans ses mystères.
De l'autre part, 'l'intérêt sacerdotal étant con-
traire à la progression, même dans les religions indépendantes le sacerdoce tâche de l'arrêter, et empêche souvent qu'elle ne soit manifeste.
Il résulte de là que ceux qui ne remarquent
pas suffisamment l'enchaînement des faits, et ne remontent pas à leur cause première n'aperçoivent la progression régulière nulle. part. Ils voient partout, en Grèce comme en .Égypte., dans le protestantisme le plus perfectionné comme dans le catholicisme le plus immuable,des dogmes, des prêtres, et des philosophes, an.tagonistes dès dogmes et victimes des prêtres. L'incrédulité, qui est un effet ils la prennent pour une cause; ils croient qu'elle est volon- j .taire tandis qu'elle est forcée ils travestissent une époque en une révolte.
Us se trompent. Ce n'est pas une fantaisiechez
les peuples que d'être dévots.on irréligieux. On ne doute point parce qu'on veut douter, comme .on ne -croit point parce y a des temps ou il est impossible de semer le doute i1 y. en a où il est impossible dé ramener la conviction. ••. ;•̃ L'incrédulité naît dé la disproportion qui
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existe entre les objets offerts à l'adoration ou les dogmes présentés à la croyance, et l'état des esprits auxquels on commande cette adoration et qu'on veut soumettre cette croyance; et l'époqüë de cette disproportion arrive chez les peuples indépendans plus tôt,-chez les peuples soumis aux prêtres plus tard; mais elle arrive infailliblement chez tous les deux.
Elle arrive plus tôt chez les premiers parce
que l'oppression sacerdotale n'est ehez eux qu'un accident, une exception à la règle; elle arrive plus tard chez les seconds, parce que l'oppression sacerdotale est elle-même la règle, qu'il faut plus .d'efforts pour s'en affranchir, et qu'il y à plus de périls dans la tentative.
Il y a donc entre ces deux espèces de reli-.
gion, différence pour le temps il y a aussi différence pour le mode.
Dans les religions libres chaque modifica-
tion, s'opérant par l'opinion qui se modifie, est aperçue, avant même qu'elle ne soit accomplie., Les rites changent, les traditions se retirent dans un lointain, obscur,, qui fait -que les croyans les oublient,, et que les incrédules seuls les rappellent pour les attaquer. Les nouvelles idées se montrent presque sans voile; tout.se fait au grand jour. L'œil le moins exercé peut distinguer la religion dHomère de celle de Rndarejet
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dans le culte romain, qui, bien que sacerdotal par son origine étrusque, devint grec de bonne heure, à beaucoup d'égards,'même avant l'établissement de -la république il est impossible de ne pas voir l'intervalle qui sépare les sacrifices humains des simulacres de paille jetés dans le Tibre.
Les religions sacerdotales se modifient, au
contraire, à huis clos dans les ténèbres. Les formes, les expressions, les rites restent les mêmes. Sous les empereurs, comme avant Menès, les Égyptiens précipitaient encore dans le Nil une jeune vierge. Tout semble immuable jusqu'à la destruction complète de ces religions. Dans le premier cas, c'est un édificé 'qu'on
élève, qu'on répare, qu'on embellit à'la vue de tous, jusqu'au moment où les réparations., les embellissemens, les altérations qu'il subit amènent sa chnte dans le second, l'édifice conserve au dehors toutes les apparences dè la solidité qu'il n'a plus au dedans, et-l'on n'est qu'il est menacé que lorsqn'il tombé en ruines.
Le développement de ces vérités exigerait des
volumes. Nons le réservons pour une occasion: où nous serons moins gênés par le temps et l'espace (i). Nous invitons ici nos lecteurs à penses (i) Nous avons rappelé plus haut, très brièvement, quelque*
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par enx-mêmes plutôt que nous ne pensons pour eux et, comme nous croyons que le résultat de leurs méditations ne peut qu'être utile, nous ne nous aflligerons point d'être devancés. Dans le grand travail que nous avons entrepris nous ne verrons jamais dans nos rivaux que des auxiliaires.
Nous laissons donc de côté les preuves histo-
riques, la réponse aux objections et les faits nombreux que nous pourrions invoquer et nous allons déduire les conséquences du principe que nous avons établi. Voici, selon nous, ces conséquences.
La religion est progressive par un effet de ce
caractère, elle s'améliore, se perfectionne s'épnre graduellement. Quand la progression n'est pas interrompue, la religion ne peut faire que du bien pourvu qu'elle soit indépendante, elle a sous chacune de ses formes son .utilité, qu'on méconnaît quand ces formes sont tombées, et qui disparait lorsqu'on veut prolonger. ces formes au-delà de leur durée naturelle. Le fétichisme, tout absurde qu'il est, par cela
seul qu'il contraint le sauvage a reconnaître une unes des idées fondamentales exposées, dans les deux premiers volumes de notre ouvrage sur la religion: Le développement de celles que nous indiquons ici se trouvera appuyé de preuves, dans les volumes suivans. ̃̃
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force supérieure à lui lui apprend à ne point faire de sa propre force l'unique arbitre du juste et de l'injuste, du bien et du mal. Il introduit, entre ce sauvage et ses'semblables, la sainteté du serment; il fait pénétrer dans son âme. la notion du sacrifice il lui enseigne à triompher quelquefois de ses passions fougueuses et dé ses peüchans grossiers; et c'est beaucoup dans une situation presque pareille à celle des brutes, que de faire germer au sein de l'ignorance, la conception d'un monde invisible et je ne sais quel pressentiment d'immortalité. Laissez. l'intelligence libre, ce germe sera fécondé.
Le polythéisme le plus imparfait ajoute des
bienfaits nouveaux au fétichisme qu'il, remplace. La société naissante trouve .dans cette croyance sa base et sa sanction; des trèves consacrées interrompent les guerres acharnées des tpbus barbares. Des fêtes religieuses rapprochent ces peuplades défiantes et farouches; -les.,dieux bien que passionnés et égoïstes comme leurs adorateurs, forment un public plus auguste devant lequel ces. derniers rougissèn t des actions: honteuses., et qu'ils craignent d'indigner ^par; des actions coupables.. ̃•
Plus perfectionné '.le. polythéisme devisent
chaque jour plus salutaire. Cette assemblée :des immortels se dégage de sa ressemblance avec la
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nature hnmaine ses formes s'embellissent ses penchans s'épnrent elle prête sa garantie surnaturelle toutes les vertus; elle dirige sa sévérité contre toutes les inj ustices elle étend sa protection sur le faible et sur l'étranger: après avoir consolidé les liens de patrie qui unissent les individus en leur qualité de citoyens, elle établit des liens d'humanité d'hospitalité quai les unissent en leur qualité d'hommes et l'on voit apparaître cette notion sublime de fraternité universelle que le céleste auteur de notre croyance a proclamëe, mais que la religion, libre de toute autorité matérielle, avait déjà conçue et mûrie.
Enfin l'homme acquérant chaque jour des lu-
mières nouvelles ne peut tolérer plus longtemps le morcellement de la nature infinie et divine entre une foule d'êtres partiels et bornés; il les réunit dans la notion d'un seul être sui prême et le théisme descend du ciel sur la terre. Sans doute, au nom de la religion, l'on a fait
beaucoup de mal à l'humanité. Les auto-da-fé ont remplacé les sacrifices humains; un nouveau monopole s'étendant sur toutes les connaissances et sur tous les genres d'instruction, a rejeté, pour plusieurs siècles, les peuples dans'1'1gnorance.
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Mais qu'en doit-on conclure ? Que jdes, corpo-
rations théocratiques ont dénature le. sentiment religieux, en éternisant des formes qui n'étaient bonneli"qSe"poûr un temps que ce sentiment a été sans'c&sé en lutte avec ces corporations puissantes que, tandis qu'il tend à perfectionner les formes qu'il revête et à les mettre dans une proportion juste et salutaire avec les idées contemporaines de chaque époque, les corporations, qui ne Tout envisagé que comme base dé leur empire, ont voulu rendre stationnaire' ce qui devait être passager, et qu'une lutte violente entre la tendance naturelle à l'homme et les volontés de ces corporations, a fait d'un espoir une épouvante, d'une conSolation' une servitude d'un bienfait un fléau.'
Quoi de plus injuste donc et'de plus absurde
.que de confondre le sentiment religieux qui tend toujours à se développer avec les efforts des castes, dont le travail, opiniâtre et funeste, tend à étouffer ce développement 1 N'est-ce pas abjureur tout discernement que de frapper d'un égal anathème et là victime et les bourreaux?
Non, le sentiment religieux n'est en rien res-
ponsable de ce qu'ont faitenson nomdes hommes qui n'étaient pas religieux car ils ne sont point religieux, ceux qui font de lâ religion un moyen d'empire. Les membres des corporations sacer-
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dotales qui en Egypte, tyrannisaient les rois et les peuples, ou qui prêtaient en Perse un appui mercenaire à l'oppression politique ne regardaient point comme une chose divine le culte dont ils abusaient on ne spécule point sur les choses que l'on croit divines (i).
D'ailleurs, il faut le dire à la génération qui
s'élève elle vaut mieux, cette génération, que nous ne valions à son.âge; elle est grave, studieuse, pleine. d'amour du bien, et pénétrée d'une idée fort juste; c'est qu'avant tout et pour .tout, il faut savoir. Mais, comme toutes les ¡générations naissantes, elle se croit appelée à refondre le monde que ses prédécesseurs n'ont fait qu'ébranler; et néanmoins, comme toutes les générations naissantes, elle est sous l'empire des préjugés et des habitudes de ces prédécesseurs qu'elle dédaigne. Je ne sais quelle incrédulité frivole, qui n'est plus ni une disposition de l'âme ni une conviction dé l'esprit, mais qui surnage comme une tradition consacrée long-temps, et qui conserve en quelque sorte ^autorité .de la chose jugée, étourdit et entraide cette génération forte d'étude et faible d'expérience. Le :positif :lui semble avoir mis le le sentiment hors de cause, et, à l'entendre, (r) De la Religion, etc., tome I, jjage g4-
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la religion sera désormais étrangère à ce quai constitue le réel de la vie elle se trompe. De quelque manière .qu'on attaque les hypothèses et les espérances qui président aux croyances religieuses, de quelque anathème ironique ou sérieux qu'un siècle les frappe, ce qui fait leur essence survivra. Qui n'eût pensé qu'elles étaient vaincues au temps de Juvénal ou lorsque les applaudis- semens du monde civilisé encourageaient Lucien dans les insultes qu'il- leur prodiguait? Cependant, le sentiment religieux reparut bientôt, plus puissant .que jamais, sous une forme nouvelle; et, chez les peuples modernes euxmêmes, l'intolérance n'a-t-elle pas fait tout ce qu'elle a pu pour rendre odieuse la religion? Une plaisanterie méprisante n'a-t-elle pas tout essayé pour la rendre ridicule, et. le sentiment religieux s'agite de toute part. Voyez en Angleterre cette foule de sectes qui en font l'objet de leur ardeur la plus vive et de leurs méditations assidues l'Angleterre est pourtant le premier des pays européens pour le travail, la production l'industrie. Voyez l'Amérique plus heureuse que l'Angleterre, car elle n'a pas comme elle un clergé qui réclame et maintient l'oppression d'une province sous prétexte qu'elle est
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catholique, (1), l'Amérique couvre les mers de.son pavillon elle se livre plus qu'aucun peuple à l'exploitation de la nature pbysique; 'et cependant, telle est l'autorité du sentiment religieux dans cette contrée, que souvent une seule famille est divisée en plusieurs sectes, sans que cette divergence trouble la paix ou l'affection domestique, parce que les membres de cette famille se réunissent dans l'adoration d'une providence juste et bienfaisante, comme des voyageurs se retrouvent avec joie au but qu'ils ont atteint: par des sentiers difiè'rens.
Ailleurs l'agitation du sentiment religieux n'est
pas moins manifeste; comme autrefois il cherche sa forme il la veut. libre, pure et ennoblie, et, comme autrefois, il repousse les prêtres de Cybèle qui, l'importunant de leurs cris, le révoltant par leurs menaces, et le fatiguant de leurs minuties, sont ses plus fâcheux adversaires et ses ennemis les plus dangereux.
Laissons la' religion à elle-même: toujours
(i) On voit que ces lignes étaient écrites avant l'émancipa-
tion-des catholiques-, mesure que nous aurions pu citera l'appui de toutes nos assertions sur le progrès infaillible et irrésistible des idées. Lord Wellington achevant ce que M. Canning n'avait pu faire et n'osait plus même tenter Certes, quelle preuve plus incontestable,' que tout s'opère par une force des te choses dont les hommes ne sont que les instrumens!
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progressive et toujours proportionnée, elle marchera avec les idées, elle s'éclairera avec l'intelligence, elle s'épurera avec la morale, elle sanctionnera à chaque époque ce qu'il y a de meilleur. A chaque époque, réclamons sans cesse la liberté religieuse; elle entourera la religion d'une for.ce invincible et garantira sa perfectibilité. Ainsi l'entendait le divin auteur de notre croyance, lorsque, flétrissant les pharisiens et les scribes, il réclâmait pour tous la charité, pour tous la lumière, pour tous la liberté..
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Y1L
DE M. DUNOYER,
ET
DE QUELQUES-UNS DE SES OUVRAGES.
Il y a quinze ans que la France passa d'nn des-
potisme devenu intolérable à une forme de gouvernement qui reconnaissait les droits des citoyens et promettait de les respecter. Comme il arrive presque toujours, les actes ne tardèrent pas à différer des promesses. Une loi bizarre fut dirigée contre la liberté de la presse, parce que c'est toujours la première qu'on attaque, et avec raison. Tant qu'elle subsiste toutes les autres peuvent renaftre mais lorsqu'elle èst détruite aucune n'est en sûreté. Cependant les lois écrites, quelque absurdes qu'elles soient, ont cet avantage, qu'à force d'étude, on parvient à-les eluder. La loi sur la presse soumettait à la censure les ouvrages au-dessous de vingt feuilles d'impression. "Aussitôt des livres de vingt feuilles et demie se publièrent et les écrivains qui, n'ayant qu'une vérité à développer, l'auraient énoncée en quatre pages en cherchèrent d7autres quoi, réunies, pussent former un volume.
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Telle fat l'origine du Censeur européen, dont
lesauteurs, MM. Comte et Danoyer, se livrèrent avec bonne. foi et avec courage, à la re-'cherche, pour ainsi dire expérimentale, de là solidité des garanties que le nouveau pacte promettait à la nation.
Des lois contraires à ces garanties ayant été
proposées par un ministère timide et astucieux, et votées par des Chambres ignorantes et dociles, M. Dunoyer les combattit.. Cette audace patriotique ayant soulevé contre lui des persécntions, il se montra, dans sa défense,, plus occupé de, l'intérêt public que du sien propre. Il saisit, à ses risques et périls, cette occa-
sion de dévoiler les vices de notre législation,; l'insuffisance de la. protection que les citoyens peuvent en attendre et l'arbitraire que Tau-: torité puise dans les dispositions administratives' et judiciaires léguées par l'empire à la monarchie.
Il conquit de la sorte, pour nous et *sesv
dépens, une partie de nos libertés; car, bien qu'il ne soit point parvenu à obtenir pour elles les institutions qui les rendraient inviolables, son exemple et ses écrits ont popularisé des notions qai, lors même qu'elles ne sont pas consacrées en théorie, deviennent victorieuses en pratique, quand l'assentiment général les entoure..
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C'est ainsi qu'aujourd'hui la presse triomphe)
et des préjugés inhérens aux cours., et de l'impatience naturelle aux ministres, et des manœuvres plus dangereuses qui sont la ressource des associations occultes et des congrégations déguisées tant il est vrai que, pour arriver au bien, il ne faut que discuter et attendre Les germes déposés, en 1814, dans le Censeur européen, se sont développés et fructifient
Cependant, soit que le succès ait inspiré à
M. Dunoyer une sécurité trop grande soit que ses principes se soient modifiés nous voyons dans un des ouvrages qu'il a publiés plus tard De V Industrie et de la Morale dans leurs rapports avec la liberté, moins de sévérité contre les gouvernemens, et plus de défiance envers les nations. Ce n'est pas, selon lui, dans les gouvernemens que les plus grands obstacles existent; les nations sont la matière dont les gouvernemens sont faits ils sortent de leur sein; c'est dans leur sein qu'ils se recrutent, qu'ils se renouvellent par conséquent, lorsqu'ils sont mauvais, il faut bien qu'elles ne soient. pas excellentes.
Ce* nouveau principe est nécessaire à examiner tout ce qui décrédite les peuples est avidement recueilli par le pouvoir, et contre l'intention de M. Dunoyer, des autorités très. op-
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pressives s'emparaient aisément de cette partie de son système.
Mais remarquons premièrement, qu'il n'est
pas exact de dire que les gpuvememens sortent toujours des nations. Quelquefois ils leur sont imposés par la conquête'; aiors, ils leur restent certainement tout-a-fait étrangers. D'autres fois, ils sont l'héritage d'un passé dont tous les élémens ont été détruits par l'inévitable progrès des lumières et les changemens qui en sont résultés dans les intérêts; et rien, en ce cas, n'est moins homogène que les gouvernemens et les peuples: Secondement lors même que les gouverne-
meus sortent du sein des nations, il est dans leur nature d'être stationnaires, tandis qu'il est dans celle des nations d'être progressives. Il s'ensuit qu'une nation peut devenir beaucoup meilleure, et son gouvernement rester très mauvais. Qu'arrivé-t-il alors? que le gouvernement, pour maintenir la nation dans l'état où il a besoin qu'elle demeure afin- de la gouverner, travaille et réussit à la détériorer et à l'avilir.
Si donc il est raisonnable quelquefois d'ac-
cuser les nations des vices des gouvernemeris, il est beaucoup plus souvent de stricte justice d'accuser les gouvernemens des vices des nations il y a déplus, dans les deux cas, cette différence, que les nations ne pèchent jamais
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que par. ignorance, et que les gouvernemens pèchent d'ordinaire sciemment et intentionnellement. Sans doute, il est fort à désirer que les nations, en même temps qu'elles tâchent de réformer leurs gouveniemens, travaillent simultanément sur elles-mêmes. Malheureusement, les gouvernemens qu'elles voudraient corriger ne leur en laissent guère le temps.
Les colonies espagnoles avaient peu le loisir
de s'occuper de: leur amélioration intérieure pendant que la métropole faisait égorger leurs défenseurs. Avant de s'adoucir et de s'éclairer, les Grecs ont à éviter le pal et empêcber le rapt de leurs enfans, que les pachas traînent en Égypte pour y être circoncis ou vendus, à la grande satisfaction des fauteurs de l'intolérance et des ennemis de l'humanité. Les nègres de Saint-Domingue ne pouvaient pas avancer beaucoup dans leur éducation morale sous le fouet des colons. Si l'on découvre un jour une recette pour faire marcher de front le perfectionnement désirable et la résistance nécessaire la découverte sera précieuse. Jusqu'alors, malgré les défauts. des opprimés, il sera juste de faire plus large la part du blâme dû aux crimes des oppresseurs-
Nous relèverons une erreur dans laquelle
M. Dunoyer nous semble être tombé, erreur
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qui surprend d'autant plus que nous ne te plaçons point au rang de ces écrivains superficiéls qui ne lisent pas ce qu'ils réfutent. Dans un de ses chapitres, il range sous une même catégorie, Rousseau, M. de Châteaubriant, je ne sais quel pamphlétaire anglais soldé par lord Castelrèagh, M. de Montlosier, M. Bellart, M. de Marchangy et l'auteur de cet Essai! Et pour légitimer cet étrange amalgame il cite des phrases par lesquelles chacun de ceux qu'il attaque se déclare l'ennemi de la civilisation.
Nous ne sommes point chargé de défendre les
autres; et, bien qu'à notre avis l'accusation soit aussi peu fondée contré M. de Châteaubriant que contre nous, nous laissons à cet illustre académicien Je soin de se disculper, si cela lui convient. Quant à .ce qui nous regarde, lorsque M.Dunoyer tire de ce que nous avons dit, que l'homme arrivé à une civilisation excessive pàraft dégradé durant quelques générations la conséquence que nous voudrions que la civilisation pûtreculer, il n'est ni.exact ni juste. Voici nos paroles': <t Chaque ioisque ië genre humain arrive à- une civilisation excessive-, il parait dégradé du- rant quelques générations. Ensuite, il- sue relève de cette dégradation passagère', et se remettant', pour ainsi dire, en marche avec les nouvelles découvertes dont il s'est enrichi il parvient à
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un plus haut degré de perfectionnement » Et, après cette phrase, qui est évidemment incompatible avec l'intention que M. Dunoyer nous prête, nous ajoutons que ce n'est point la civilisation qu'il faut proscrire, et qu'on ne peut ni ne doit l'arrêter.
Au reste, ce n'est point pour rectifier un fait
clui, nous étant personnel, a peu d'intérêt pour Je public; ce n'est pas non plus pour reprocher à M. Dunoyer une assertion plus ou moins irréfléchie que nous relevons ici sa méprise c'est qu'en -effet, partisan comme lui de la civilisation, nous croyons qu'il faut que les peuples et lès écrivains qui peuvent influer sur l'opinion des peuples se mettent en garde contre quelques résultats de cette civilisation, résultats passagers,mais qui, tant ,qu'ils. subsistent, n'en sont pas moins. affligeans et dangereux. Ainsi nous ne faisons pas un crime à la civilisation de procurer à l'homme beaucoup de jouissances et de lui en rendre l'acquisition plus facile; mais, comme ces jouissances et la facilité que l'homme trouve à les obtenir attachent chacun à la position qui les lui assure, il est évident que- chacun éprouve plus de répugnance à risquer cette position, même quand le devoir l'y invite.
En conséquence,, cet état de civilisation tend
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à la stabilité, et, si l'on veut, au bon ordre plus qu'à la vertu morale. Or, le bon ordre,. chose utile, chose indispensable aux progrès et à la prospérité des sociétés, est plutôt un moyen qu'un but. Si, pour le maintenir, on sacrifie toutes les émotions généreuses, on réduit les hommes a un état peu différent de celui de certains animaux industrieux, dont les ruchers bien ordonnées et les cases artistement construites ne sauraient pourtant être le beau idéal de l'espèce humaine.
Il est donc important de contre-balancer cet
effet de la civilisation, en recueillant et en entretenant, le plus qu'il est possible, les sentimens nobles et désintéressées. Cela est important, afin de préserver la civilisation elle-même des dangers qui résultent pour elle de sa propre tendance. Le plus imminent de ces dangers est une es-
pèce de résignation fondée sur le calcul, et qui,, balançant les inconvéniens des résistances avec les inconvéniens des transactions nuit égale ment et au maintien de la liberté contre le despotisme intérieur, et à la défense de l'indépendance contre les invasions étrangères,-
M. Dunoyer invoque les étymologies à l'appui
de son opinion. Les étymologies prouvent peu. de chose, quand il est question de termes que
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l'usage a fait dévier de leur signification stricte et primitive.
C'est presque toujours par des étymologies
que les hommes qui veulent fonder des systèmes bizarres faux ou exagérés., les. introduisent ou les défendent. Ainsi les partisans, de l'intérêt qu'ils.nomment bien entendu, faisait remonter le mot d'intérêt à son accepotion la plus philosophique établissent que l'intérêt de l'homme étant d'agir toujours dans son plus grand avantage, et la durée étant un des éléniens de cet avantage, il est de son intérêt bien entendu de s'abstenir de tout ce qui lui attirerait un mal durable en échange d'une jouissance passagère, et par conséquent de ne pas froisser l'intérêt d'autrui, qui tôt ou tard exercerait contre lui de fâcheuses et inévitables représailles. Mais la masse n'interprète pas ainsi le mot d'intérêt elle lui prête une signification plus restreinte, une application plus immédiate, et il en résulte que, quand vous lui dites qu'elle doit se gouverner d'après son. intérêt, elle entend qu'elle doit lui sacrifier tous les intérêts opposés ou rivaux.
Ainsi, pour prendre un exemple encore plus
rapproché, certains écrivains qui aspirent à faire triompher l'unité :religieuse sur les ruines de la liberté de conscience et d'examen, et qui ont
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pris le titre de catholiques, en opposition avec le protestantisme et toutes les doctrines dissi-, dentes, se justifient de toute vue d'intolérance et de persécution, en remontant à l'étymologie du- mot catholique, qui au fond ne signifie qu'universel. Mais on ne lui donne pas de nos jours cette signification abstraite on n'entend point par catholicisme une doctrine universelle, mais la doctrine spéciale de l'église de Rome, qui excommunie et proscrit tout ce qui né reconnaît pas son autorité.
Aussi, les écrivains en question, catholiques
suivant l'acception première du mot, quand il leur faut échapper aux reproches que leur tendance mérite, redeviennent catholiques dans le sens ordinaire j quand il s'agit d'accabler leurs adversaires par l'anathème de l'autorité.
Les étymologistes de cette trempe ressemblent
à la chauve-souris de La Fontaine, montrant tour à tour ses pieds et ses ailes, suivant qu'il lui convient d'être souris ou oiseau.
Peu nous importe que le mot civilisation
vienne du mot civitas; ce qui est certain que son acception à changé en route. Làrcivîli1 sàtion n'est plus dans la pensée de ses "partisans comme de ses ennemis uniquement ce qui rend. les hommes plus propres-à la société, mais ce qui procure aux membres <le la société
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une plus grande somme de jouissances. Or, il faut examiner si cette somme de jouissances, devenant chaque jour plus précieuse à conserver, ne nous rend pas plus timides, moins disposés à risquer ce qui pourrait nous les faire perdre.
Nous ne prétendons point que le courage
individuel ne survive point à cet effet de la civilisation; mais le courage public, le courage national soutient cette épreuve avec moins d'avantages la raison en est simple.
Pourvu que l'ordre soit maintenu, les jouis-
sances de la civilisation subsistent pour un temps plus ou moins long, n'importe sous quels maîires; or, les. transactions, les capitulations, les concessions sont des moyens plus sûrs pour que l'ordre ne soit pas détruit, que des résistances. qui, surmontées, amènent des violences, et qui, même victorieuses, entraînent un état transi-.toire d'anarchie.
Quels sont les empires qui ont résisté au vain- queur du monde? La Russie, dont les sommités sont civilisées, mais qui a ses forces réelles dans ses tribus barbares, pépinières fécondes de ses armées, si terribles par leur aveugle et passive obéissance; l'Espagne, dont la population ignorante a contre-balancé, par une lutte désespérée, la soumission empressée des classes supérieures, où le germe de la civilisation s'était introduit.
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Quel peuple combat et meurt sous nos yeux
pour son indépendance? Les Grecs; et c'est dans la barbarie des Klephtes que la Grèce trouve une sauvegarde contre la barbarie de Turcs.
'En conclurons-nous qu'il faut retarder la civi-
lisation, l'entraver, la maudire, marcher contre elleavec du. gros canon, comme M. de Montlosier le propose? Non, certes.
La civilisation est. dans la destinée de l'espèce humainé. L'homme a été créé pour tinstruire, pour s'éclairer, et, par là même, pour s'adoucir et s'améliorer. Honte et malheur à ceux qui, par la force ou par la ruse, le détournent de la roule qui lui. est tracée Si la civilisation a des in,convéniens, ils sont momentanés, et c'est à elle qu'il faut recourir pour y porter remède, Le mal qu'une civilisation imparfaite produit quelquefois, une civilisation plus parfaite le fait disparaître. Elle nous ôte une portion de. notre énergie, et des barbares peuvent en profiter. Mais étendez la civilisation là où la barbarie. règne encore, la civilisation n'aura plus rien à craincTre; car il n'y aura plus de barbares. Elle nous inspire un attachement à nos jouissances x qui offre des chances de succès au despotisme intérieur. Mais répandez plus de lumières, le despotisme mis à nu s'écroulera faute d'appui. Un sentiment d'infériorité et de faiblesse l'entourera,.
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le pénétrera, paralysera tous ses mouvemens, et, après quelques bravades, mal calculées et mal soutenues, vous le verrez, bien qu'à son insu, s'abjurer lui-même, et s'affaisser sous le poids de ses propres craintes et de sa propre absurdité. Nous en avons la preuve. Le langage des possesseurs et des instrumens du pouvoir absolu nous semble bien insolent et bien insensé.: comparons-le à leur langage il y a deux cents ans, nous le trouverons modeste et timide. La civilisation est la lance d'Achillè, elle guérit les maux qu'elle cause. Ces maux ne sont que passagers, et là guérison est éternelle.
Mais, en attendant, il est bon de reconnaître
les faits, parce que la vérité est toujours bonne à savoir; toutes les subtilités ne lui ôtent pas sa force; est quand on ferme lès yeux à l'évidence, il s'énsuit bien qu'on ne la voit pas mais -elle existe et prend au dépourvu les aveugles.
Ainsi en favorisant la civilisation de tous nos efforts, tâchons de conserver au sein de la civilisation les idées nobles, les émotions généreuses que les jouissances tendent à étouffer. Repoussons ces systèmes étroits quin'oflrentpour but à l'espèce humaine que le bien-être physique. Ne nous renfermons pas dans cette vie si courte et si imparfaite, monotone à la fois et agitée, et qui, circonscrite dans ses bornes matérielles,
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n'a rien qui la distingue de celle des animaux. Honorons et encourageons cette puissance de sacrifice, cette faculté de dévouement, objets des moqueries de quelques esprits subalternes qui se croient justes parce qu'ils sont abjects, et piquans parce qu'ils poursuivent de plaisanteries dont l'invention ne leur appartient pas, tout ce qui s'élève au dessus de leur nature ignoble et de leurs conceptions rétrécies. De la sorte, nous servirons la civilisation elle-même; car si, tout en profitant de ses bienfaits, nous nous laissons amollir par elle, nous ne saurons pas la défendre au besoin; et sa cause sera trahie ou abandonnée par les sybarites qu'elle aura créés. r
Nous trouvons, dans le système de M. Du-
noyer, une autre inexactitude que nous regrettons de voir placée à la suite de beaucoup de vérités. Il présente d'abord une définition de la li-.berté très juste et très lumineuse. « C'est, dit-il, l'état où l'homme, se trouve quand 11 peut se servir de ses facultés sans rencontrer d'obstacles. Il est d'autant plus libre; qu'il les exerce avec, moins d'empêchement. Il en résulte que, pour disposer librement de nos facultés, il faut que nous nous en servions de manière à ne pas nuire à nos semblables. Nous avons bien dans une certaine mesure, le pouvoir de nous livret
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au crime; mais nous n'avons pas celui de nous y livrer sans diminuer proportionnellement notre liberté d'agir. Tout homme qui emploie ses facultés à faire le mal en compromet par cela même l'usage. C'est en quelque manière se tuer que d'attenter à la vie d'autrui.; c'est compromettre sa fortune que d'entreprendre sur celle des autres. Il n'est sûrement pas impossible que quelques hommes échappent aux conséquences, ou du moins à quelques-unes des conséquences d'une vie malfaisante mais les exceptions, s'il y en a de réelles, n'infirment point le principe. L'inévitable effet de l'injustice et de la violence est d'exposer l'homme injuste et violent à des haines, à des vengeances à des représailles, de lui hter la sérénité et -le repos, de l'obliger à se tenir continuellement sur ses gardes; toutes choses qui diminuent évidemment sa liberté. Il n'est au pouvoir d'aucun homme de rester libre, en se mettant en guerre avec son espèce. On peut dire même que cela n'est au pouvoir d'aucune réunion d'hommes. On a vu bien des partis, on a vu bien des pèuples chercher la liberté dans la domination. On n'en a- point vu que la domination, à travers beaucoup d'agitations, de périls et de malheurs provisoires, n'ait conduits tôt ou tard à une ruine définitive. » Rien de plus sage que ces
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réflexions rien de plus favorable à la fois à la liberté et au bon ordre que cette démonstration de la nécessité du respect pour la liberté des autres, comme condition première et seule sauvegarde assurée de la liberté pour soi. Mais M. Dunoyer joint à ces considérations si raisonnables une sorte de réprobation contre les écrivains qui représentent la liberté comme un droit inhérent à l'espèce humaine.
Un publiciste anglais, Jérémie Bentham, a le
premier donné l'exemple de nier les droits naturels, inaliénables, imprescriptibles. Il a prétendu que cette notion n'était propre qu'à nous égarer, et qu'il fallait mettre à sa place celle de l'utilité, qui lui parait plus simple et plus intelligible. Nul doute qu'en définissant convenablement le mot d'utilité, l'on ne parvienne à en tirer précisément les mêmes règles que celles qui découlent de l'idée du droit naturel et de là justice. En examinant avec attention toutes les questions qui paraissent mettre en opposition ce qui est utile et ce qui est juste, on trouve toujours que ce.qui n'est pas juste n'est jamais Titile; mais il n'en est pas moins vrai que le mot d'ztfflite', suivant l'acception vulgaire, rappelle une notion différente de celle de la justice ou du droit. Or, lorsque l'usage et la raison commune attachent à un mot une signification déterminée,
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il est dangereux de changer cette signification; on explique vainement ensuite ce qu'on a voulu dire le..mot reste, et l'explication s'oublie.
On ne peut, dit Bentham (i) raisonner avec
des fanatiques armés d'un droit naturel que chacun entend comme il lui plaît et applique comme il lui convient. Mais, de,son aveu même, le principe de l'utilité est susceptible de tout autant d'interprétations et d'applications contradictoi• res. L'utilité, dit-il (2),. a été souvent mal appliquée entendue dans un sens étroit, elle a prêté son nom à des crimes; mais on ne doit pas rejeter sur le principe les fautes qui lui sont contraires, et que lui seul peut servir ¿¡.-rectifier. Comment cette apologie s'appliquerait-elle à
Lutilité, et ne s'appliquerait-elle pas au droit naturel ?
Le principe de l'utilité a ce danger, de plus que
celui du droit, qu'il réveille dans l'esprit de l'homme l'espoir d'un profit et non le sentiment d'un devoir. Or, l'évaluation d'un profit est arbitraire c'est l'imagination qui en décide; mais ni ses erreurs ni ses caprices ne sauraient changer la notion du devoir.
Les actions ne peuvent pas être plus ou moins
(1) P.rincipes de législation ebap. xin.
(2). Ibid. ebap. v.
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justes, mais elles peuvent être plus ou moins utiles. En nuisant à' mes semblables, je viole leurs droits; c'est une vérité incontestable mais si. je ne juge de cette violation que par son utilité, je puis me tromper dans mon calcul, et .trouver de l'utilité dans cette violation. Le principe de l'utilité est par conséquent bien plus vague que celui du droit naturel.
Loin d'adopter la terminologie de Bentham,
je voudrais, le. plus possible, séparer l'idée, du droit de la notion de l'utilité. Ce n'est qu'une différence de rédaction mais elle est plus importante qu'on ne pense.
Le^droit est un principe, l'utilité; n'est qu'un
résultat le. droit est une cause, l'utilité n'est qu'un effet.. i Vouloir soumettre le, droit. à futilité, c'est
vouloir soumettre les règles éternelles de l'Arithmétique à nos. intérêts de chaque jour.
Sans doute, il est, utile pour les transaction
générales'des hommes entre -eux; qu'il existe entre les nombres des rapports, immuables; mais si l'on prétendait que ces rapports, n'existent que parce qu'il est: utile que cela- soit ainsi, on ne manquerait pas. d'occasions où l'on prouverait qu'il serait infiniment plier ces rapports on oublierait que leur; "utilité constante vient de leur immutabilité ,jèt cessant
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d'être immuables, ils cesseraient d'être utiles. Ainsi l'utilité, pour avoir été trop favorablement traitée en apparence, et transformée en cause au lieu qu'elle doit rester effet, disparaîtrait bientôt totalement elle-même.
Il en est ainsi de la morale et du droit. Vous
détruisez l'utilité, par cela seul que vous la placez au premier rang. Ce n'est que lorsque la règle est démontrée, qu'il est bonde faire res̃ sortir l'utilité qu'elle peut avoir.
Les expressions que Bentham veut interdire
rappellent des idées bien plus claires et bien plus précises que celles qu'il prétend leur substituer. Dites à un homme Vous avez le droit de n'être pas mis à mort ou dépouillé arbitrairement; vous lui donnez un bien autre sentiment de sécurité et de garantie que si vous lui dites Il n'est pas utile que vous soyez mis à mort ou dépouillé arbitrairement. -On peut démontrer qu'en effet cela n'est jamais utile. Mais en parlant du droit vous présenter une idée indépendante de tout calcul en parlant de l'utilité, vous semblez inviter à remettre la chose en question, en la soumettant à une vérification nouvelle.
Quoi de plus absurde s'écrie l'ingénieux et sa-
vant collaborateur de Bentbaro(i), que des droits
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inaliénables qui ont toujours été aliénés, des droits imprescriptibles qui ont toujours été prescrits Mais en disant que ces droits sont aliénables et imprescriptibles on dit simplement qu'ils ne doivent pas être aliénés, qu'ils, ne doivent pas être prescrits on parle de ce qui doit être non de ce qui .est.
̃' Bentham, en réduisant tout en principe d'utilité, s'est' condamné à une évaluation forcée de ce qui résulte de toutes* les actions humaines, évaluation qui contrarie les notions les plus simples et les' plus habituelles. Quand il parle de la fraude, du vol etc., il est obligé de convenir que s'il y a perte d'un côté, il y a gain dé l'autre, et alors son principe pour repousser- des actions pareilles, c'est que bien de gain n'est pas équivalent à mal de perte mais le bien et le mal étant séparés, l'homme qui commet le vol trouvera que-son gain lui importe plus que la perte d'un autre. Toute idée de justice étant mise Jh'ors de lâ question, il ne calculera plus quel gain il fait; il dira gain pour moi est plus. quTéquivalenti perte d'àutau: Il ne sera donc retenu que par là crainte d'êtrèr découvert. Tout -motif moral: est anéanti parce système. !> En repoussant le premier principe de BéntKam,
je suis loin: de méconnaître le mérite; de eetécri«
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vues profondes. Toutes les conséquences qu'il -tire de son principe sont des vérités précieuses en ellesmêmes c'est que ce principe n'est pas faux,. la terminologie seule est vicieuse. Dès que l'auteur parvient à se dégager de sa terminologie il réunit dans un ordre admirable, les notions .les plus saines sur l'économie politique, sur les précautions avec lesquelles le Gouvernement doit intervenir dans les affaires des individus/ sur la population, sur la religion, sur le commerce, sur les lois pénales, sur la proportion des châtimens avec les délits; mais il lui est arrivé, comme a beaucoup d'auteurs estimables de prendre une rédaction pour une découverte, et de tout sacrifier alors à cette rédaction. M. Dunoyer a commis la même erreur; il a suivi un mauvais exemple. Il faut conserver la notion de droits, parce qu'elle est claire qu'elle satisfait la logique sévère qu'elle répond aux sentimens Intimes, encourage les opprimés .dans une légitime jte défense et réveille ces passions généreuses dont:les -temps de calme et de bonheur peuvent se: passer :mais; qu'il, est,' bon; de retrouver au besoin dans les temps d'avilissement et de tyrannie. V •̃- •> • '•̃<̃'
M. Dunoyer est partisan du système nouveau que des écrivains ingénieux ont établi sur là différénce, des races. Ce système a sa portion de"vé.
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nié; il est curieux à examiner, et la science peut s'en enrichir, mais nous pensons qu'il faut l'écarter soigneusement de la politique.. Le» pouvoir n'est que trop disposé à représenter ses propres excès, ses excès capricieux et volontaires, comme une suite. nécessaire des lois de la nature. De l'infériorité reconnue de telle race et de la supériorité de telle autre à l'asservissement de la première la distance est trop facile à franchir; et ce: que la philosophie ne considère que comme la démonstration d'une vérité spéculative. les colons Font répété. pendant trois cents ans, pour; maintenir l'oppression la plus illégitime et la .férocité la. plus exécrable. D'ailleurs, ,ce système, nous parait, faux en ceci que, _s'il y a des races plus parfaites, toutes, les races sont susceptibles de perfectionnement. La route .peut être plus longue pour celles dont le point .de départ est le pins éloigné, mais le terme es le même. :̃.• ̃ ̃ ;̃"̃< ̃•̃.̃: ..̃̃,̃̃ Les uoirs d'Haïti sont devenus des; législateurs fort raisonnables, des guerriers assez disciplinés, des. homme d'état aussi habiles et aussi polis que. nos diplomates. Ils avaient à vaincre le double obstacle d'une organisation regardée comme inférieure. et de l'éducation de la servitude épouvantable que, nos calculs infâmes leur faisaient subir. Ils se sont mis au ni-
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veau des races les plus parfaites sous le rapport, non-seulement des arts nécessaires, mais des institutions sociales, dont nous trouvons la complication si embarrassante et la combinaison si difficile. Leur constitution vaut mieux que. la plupart des constitutions de l'Enrope. Laissons donc les physiologistes s'occuper des différences primitives que la perfectibilité dont toute l'espècè est douée surmonte tôt ou tard, et gardons-nous d'armer la politique de ce nouveau prétexte d'inégalité et d'oppression.
Rendons justice, au reste, à M. Dunoyer;
il a senti lui-même que sa digression sur l'infériorité des races qu'il nomme obscures, .n'était pas sans danger; il a cru devoir désavouer les conséquences de son principe. De ce que ces races, dit-il, ont le malheur de nous être inférieures, je ne veux pas inférer. qu'il faut les rendre encore plus misérables. Je ne prétends sûrement pas remettre en question si les Indiens sont des hommes, ni s'il faut nécessairement des bulles: du pape pour les traitèr comme tels
ij.Je n'entends excuser, je prie le lecteur de
lé croire, ni la traite et l'esdavage des Africains, ni le: massacre des indigènes de L'Amérique, ni l'état de. minorité perpétuelle auquel les Espagnols: ont réduit le peu '.d'Indiens qu'ils n'avaient pas extermines. Assurément, si quel-
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que chose pouvait rendre douteuse la supériorité de notre race, ce serait bien la conduite qu'elle a tenue envers ses parens d'Afrique et d'Amérique, et la manière dont elle a prétendu justifier, ses attentats. »
Ces réflexions partent d'un bon cœur et d'un
esprit, équitable mais il vaudrait encore mieux n'avoir pas besoin de cette explication; et, comme nous l'avons dit et comme les faits le prouvent, toutes les races étant perfectibles, il n'y a. nul avantage à faire entrer dans des considérations politiques une inégalité dont les progrès naturels à l'espèce entière tendent à relever ses différentes fractions.
Ce système n'est pas non plus nécessaire, pour
nous rassurer sur la possibilité de. notre asservissement si nous ne possédions pas de meilleures garanties, la sécurité serait. mal fondée. Si nous n'avons point le. crâne aplati des Calmouks, nos fronts ne ;s'en courbent pas moins assez facilement devant la puissance;, et si l'on peut invoquer pour témoins. de, la dignité de notre nature, ,? et de Rome, et les républiques italiennes du moyen âge, et. celles de la Suisse et.de la Hollande, et celles du nord et du sud de l'Amérique, et les monarchies plus ou moins limitées de, l'Angleterre et de la France et les magnanimes
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eflbrts que fait sous nos yeux la Grèce pour s'arracher à la domination des Turcs, » on riencontre malheureusement aussi des témoins d'une autre espèce, dix-huit cents ans d'arbitraire dont l'Angleterre ne s'est affranchie que depuis cent trente-sept ans, et la France depuis trente et aujourd'hui encore en Espagne, en Portugal, tous les genres d'oppression, de vexation et d'inquisition religieuse et politique renouvelés des temps anciens.
M. Dunoyer est sur un bien meilleurierrain
lorsque, renonçant à des systèmes qui ne sont nullement utiles aux vérités qu'il a pour but de faire triompher, il combat les philosophes du dernier siècle qui, ont méconnu ces vérités, et, dans leur haine contré les institutions vexatbires de leur patrie policée, ont vanté la liberté de l'état sauvage.
Ses réfutations des exagérations de Rousseau, y
de Raynal, de Mably sont excellentes, et il répond de la manière la plus péremptoire et la plus satisfaisante* à leurs amplifications, plus ou moins éloquentes sur l'état des tribus non policées, que l'un d'eux proclame souverainement libres parce qu'elles sont san? patrie sans lois et ne vivent que de rapines; que l'autre admire, paçce qu'elles errent dans les 'forêts j sans autre guide que le vent et le soleil sans autreprovi-
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sion qu'un arc et des flèches; que le troisième dit aussi heureuses que le permet la nature, parce qu'elles cousent leurs habits. de peaux avec des épines ou des arètes, et qu'elles ne s'appliquent qu'aux ouvrages qu'un seul peut faire et aux arts qui n'ont pas besoin du concours de plusieurs mains.
« Rousseau nous apprend, dit-il, comment nous pouvons être libres en consentant à ne rien produire, à ne rien posséder. N'ayez que des arbres pour abri, ne vous couvrez. que de peaux d'animaux, interdisez-vous toute industrie, réduisez-vous à la condition.des brutes, et vous serez libres. Libres 1 de quoi faire? de vivre plus misérables que les, bêtes mêmes? de. périr de froid ou de faim? Est-ce cela que vous réduisez la liberté humaine? Étrange manière de nons prouver la liberté, que de commencer par interdire tout perfectionnement à nos forcés; tout développement à. nos plus belles facultés! .̃ > M Les hommes ne sont pas libres en raison dé:leur puissance de sounrir, mais en raison de leur pouvoir de. se satisfaire. La liberté ne consiste pas à savoir vivre d'abstinence mais à pouvoir contenter ses besoins avec aisance et à savoir les contenter: avec modération. Elle ne consiste pas à pouvoir fuir, comme dit Rousseau,
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ni à savoir battre l'ennemi, comme dit Raynal, mais à savoir diriger ses forces de telle sorte qu'il soit possible de vivre paisiblement ensemble, de telle sorte qu'on ne soit pas réduit à fuir ou à s'entre-tuer. La liberté, finalement, ne consiste pas à se faire bête de peur de devenir un méchant homme, mais à tâcher de devenir, autant que possible, un homme industrieux, raisonnable et moral.
» Sous quelque point de vue, continne-t-il,
que. 17on considère les sauvages, il est visible qu'ils sont infiniment moins libres que l'homme cultivé. Ils le sont moins physiquement: ils ont moins de forces :corporelles, et ne sont pas capables, à beaucoup près, de tirer de' leurs forces le même parti. Us le sont moins moralement;: Ils n'ont, sous aucun rapport, aussi bien, appris à régler leurs sentimens et leurs actions. Ils le sont moins, en un mot, dans toute leur manière d'être;, ils sont exposés à une multitude de privations, de misères, d'infirmités de violences, dont l'homme civilisé sait se préserver par un usage plus étendu, plus juste et, pins raisonnable de ses facultés.. Voyez le sauvage dans les situations les. plus ordinaires de sa vie: en proie a la famine que lui font souffrir son ignorance et sa paresse; dans l'état d'immobilité stupide où le retient son inertie, au sein
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de l'ivresse brutale où l'a piongé son intempérance, environné des périls qu'il a provoqués par ses fureurs, et vous reconnaîtrez qu'à aucun autre âge de la vie sociale l'homme ne fait de ses forces un usage aussi borné, aussi stérile, aussi violent, aussi dommageable, et que, par conséquent, à aucun autre âge, il ne jouit d'aussi peu de liberté..
Voilà dés vérités utiles, clairement.et vigou-
reusement exprimées. Elles sont particulièrement convenables â une génération qu'importunent et que troublent encore les phrases sonores que le dix-huitième siècle lui a léguées, phrases que motivait et justifiait l'état de l'espèce humaine à à cette époque, mais qui n'ont jamais eu qu'un, mérite relatif, qu'elles ont perdu depuis le progrès de nos institutions et de nos idées car, il: faut le dire la philosophie du dix-huitième siècle, tant celle de: Rousseau que celle de .Voir taire • et à plus forte- raison celle de leurs jmis tateurs, était, dans plusieurs de ses parties;: et sartout dans ses notions de religion et de liberté: l'expression d'un; état maladif de la société. Sans. doute,, l'ancien régime malgré .ses inégalités et son arbitraire, valait mieux que là vie. saû• vage., et Paris avec la Bastille, était préférable aux forêts, alors incultes du Nouveau-Monde; mais tout était néanmoins absurde, offensant,
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et l'on conçoit que, dans l'irritation produite par tant d'insultes au bon sens et de blessures à la vérité nos philosophes empruntassent aux bords de l'Orénoque des exemples destinés à faire rougir les habitans des bords de la Seine.
Aujourd'hui, malgré des résistances plus ridi-
cules encore que fâcheuses, tout est changé dans l'état des choses. Le langage doit changer aussi.
Les mêmes éloges sont dus aux observations de
M. Dunoyer, sur la marche progressive des sociétés, depuis l'état sauvage. Il y a beaucoup de finesse, de justesse et même de nouveauté dans ses aperçus. Sa distinction entre la liberté des anciens et celle des modernes, et entre l'état industriel et l'état guerrier, est fort ingénieuse, bien qu'elle soit moins originale. Plusieurs écrivains, M. de Sismondi notamment et l'auteur de cet Essai, avaient, il y a quatorze ans, dit les mêmes choses à peu près dans les mêmes mots. Mais.nous sommes loin dé-faire à M. Dunoyer le moindre reproche de ne les avoir cités que pour attaquer quelques-unes de leurs opinions de détail, et d'avoir ainsi transformé ses prédécesseurs en adversaires.' Les idées sont :la propriété, commune de tout le monde, et il-n'ya plus que les auteurs de vaudévilles qui réclament contre le plagiat. Enfin
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l'un des plus grands mérites: de M. Dunoyer. c'est de s'être séparé d'une.,secte nouvelle, qui .voulait se faire une égide dé son nom. Cette secte, qui heureusement est obscure et faible, parait suscitée. par quelque génie ennemi de l'espèce humaine pour prêcher l'asservissement à l'autorité, au moment on ces, deux fléaux semblaient. céder aux progrès de la raison. Elle veut fonder un papisme industriel privé de tout ce qui donnait au papisme de Rome de la. dignité et de la grandeur, c'est-à-dire l'intervention du ciel, les promesses, les menaces, les espérances, les terreurs religieuses. Elle prend pour base la prétention de quelques hommes qui se proclament les guides de tous.
Danstoute dissidence d'opinions, dans toute.di-
.vergence d'efforts, cette secte voit l'anarchie. Elle s'effraie de ce que tous les hommes ne. pensent pas de même on, pour mieux; dire, de ce que beaucoup d'hommes se permettent de penser autrement que ne le veulent ses chefs; et pour mettre. fin à ce scandale., elle invoque un pouvoir spirituel, qui, par des moyens qu'elle a la prudence de ne pas nous révéler, encore, .ramènerait cette unité si précieuse suivant elle, comme suivant les auteurs.plus célèbres de l'Indifférence. en matière de Religion, et des Soirées de Saint-Pétersbourg. « Les idées de liberté
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n'ont aujourd'hui dit cette secte que peu de chose à faire, parce que nous entrons dans une époque où il est bien plus urgent de coordonner que de dissoudre, et où la théorie positive doit succéder aux théories critiques.?)
Entendons-nous enfin sur ces mots construire,
coordonner, édifier. Il est urgent de coordonner, sans doute; mais de coordonner quoi? les moyens par lesquels la société, garantissant à chacun de ses membres le plus de liberté possible, chaque individu, grâce à cette liberté, développera ses facultés sans obstacle, et trouvera, dans ce développement, la plus grande somme de bien-être physique et de jouissances intellectuelles qu'il est dans sa nature d'atteindre. Si, à cette définition de ce qu'il est nécessaire de coordonner, vous substituez l'idée qu'il faut coordonner les doctrines, les opinions, les efforts, vous organisez la tyrannie; et; en l'organisant, la secte dont nous parlons est bien plus inexcusable que celle de M. de La Mennais ou de M. de Maistre. Ceux-là du moins font descendre leur mission du ciel; ils se déclarent les organes, et non les auteurs de la révélation sous laquelle lis veulent courber nos tête.
Os peuvent alléguer pour motif de leurs pré-
tentions une conviction dont nul n'a le droit de contester lasincérité; leurs émulés en intolé-
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rance et en dogmatisme ne peuvent offrir en justification de lëur entreprise que leur propre confiance en eux-mêmes. Les premiers nous disent « Croyez et obéissez; car Dieu nous rordonne et nous vous l'ordonnons en son nom. » Les- seconds nous crient « Obéissez et croyez; car nous avons des lumières supérieures. » Et qui donc le prouve? qui donc vous reconnaît cens lumières?
Ce n'est pas cette foule d'esprits dont vous
déplorez si pathétiquement l'anarchie; car cette anarchie, pour l'appeler ainsi'd'après vous, démontre que votre infaillibilité est fort contestée. C'est donc de votre autorité seule que vous venez nous proposer un joug nouveau; c'est de vôtre autorité seule que vous vous arrogez le privilége de la science; c'est de votre autorité seule que vous proscrivez ce que vous nommez la, doctrine critique <est-à-dirë le libre examen.
Afin .de justifier cette proscription., vous posez
en -fait que le lilré examen est devenu inutile parce que toutes les erreurs sont détruites et que en politiqué, en morale, comme dans les science exactes, qu'à croèreiaux véritésdémontrées. Mais où Sont-elles ces vérités démontrées? et, pour le& reconnaître comme démontrées, le libre examen n'est-il pas requis?. ̃
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Vous ne voulez, dites-vous, que la domination
bienfaisante qu'exercent infailliblement les nommes éclairés sur toutes les classes de la société; mais cette domination s'exercera toujours, et n'a nul besoin, pour se maintenir, de votre pouvoir spirituel, qui, de quelque manière que vous l'organisiez, ne sera jamais qu'une inquisition privée du prestige religieux dont se décoraient les prêtres d'Égypte et les inquisiteurs de Madrid. Cette influence bienfaisante n'a rien à craindre
de ce que vous nommez anarchie morale; et de ce qui n'est en réalité que l'état naturel, utôïrable; heureux, d'une société dans 'laquelle chacun, suivant ses lumières, ses loisirs,' sa disposition d'esprit, croit ou examine, conserve ou améliore, fait, en un mot, un usage libre et indépendant de ses facultés..
Cette espèce d'anarchie est aussi nécessaire à
la vie intellectuelle que l'air à la vie physique. La vérité est surtout précieuse par l'activité qu'inspire à l'homme le besoin de la découvrir. Quand vous auriez fait triompher la théorie-positive que vous .proclamez sur les! théories critiques, et quand votre. théorie positive ne se composerait que d'un enchaînement des vérités les plus lumineuses, savez-vous quel serait .le chez-d'œuvre que vous auriez accompli? Vous auriez rendu à l'esprit humain cette habitude de
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croire sur parole qui l'a tenu durant tant de siècles dans l'apathie et l'engourdissement; vous lui auriez ôté son principe d'action et son énergie; vous auriez brisé son ressort et détruit la force dont la Providence l'a doué pour qu'il aille en avant et se perfectionne.
Vous vous croyez appelés par un privilège
spécial à fixer dès à présent la régénération du monde, et, pour employer vos propres paroles, à le transporter d'un état transitoire à un état définitif. Eh bien désabusez- vous, rien' n'est définitif sur la terre ce que nous prenons pour définitif n'est qu'une transition comme une autre, et il est bon que cela soit ainsi; car ce qui serait définitif serait stationnaire, et tout ce qui est stationnaire est funeste..
Respectez donc la liberté. d'examen que vous exercez contre, vos prédécesseurs et vos adversaires,. et qu'il est fort juste qu'on exerce <»nlre
vous; et quand vous 4xWaez- être d'ntiles colla-
borateurs dans le grand travail qui se fait 'et. qui doit se faire indéfiniment, ne devenez pas d'intolérans pédagogues et ne parodiez pas les prêtres de Thèbes et de Memphis.
Tandis que nous relisons ces lignes, nous
apprenons que quelques adeptes de la secte contre laquelle nous croyons devoir réclamer en faveur de la liberté intellectuelle, ont senti la
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force d'une de nos objections. Ils ont senti qu'il était difficile de se poser à soi-même la couronne ou la thiare sur la tête, et que pour dominer la terre, il fallait faire de manière ou d'autre intervenir le cieL On assure qu'en conséquence, ils s'essaient à une mission divine. Ce n'est plus.la logique qu'ils invoquent, c'estl'iaspiration. Nous croyons charitable de représenter aux prétendus prophètes, que toutes les religions ont coniméacé par la liberté. Elles ont toutes réclamé 1'examen libre cela devait être elles étaient faibles et luttaient contre une autorité que le libre examen pouvait seul renverser. Ce n'est qu'après avoir conquis de la sorte leur puissance qu'elles^-en ont fait une joug matériel. Avant de déterminer l'intelligence au suicide il faut l'avoir domptée. Nos nouveaux inspirés, en désespoir de cause, commettent un anachronisme. L'indépendance individuelle repousse leurs sophisme^ la raison commune contestera leur mission..
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YII1.
DE MADAME DE. STAËL,
ET
DE SES OUVRAGES.
Depuis douze ans que, madame de Staël est
morte, sa mémoire vit dans le coeur. de* tous ceux qui Font connue; sa gloire dans l'esprit de tous les amis des idées nobles et généreuses, qofelle a défendues avec tant. de. constance, an de-son, repos et de sonjbpnheur. Je me prOrpose de réunir ici quelques observations sur le caractère-et les ouvrages de cette femme illustre, persécutée, si indignement par un. pouvoir injuste, dont l'orgueil s'irritait de toutes les supériorités qui n'étaient pas des sa création. Je n'écris point une biographie je ne recueille
point d'anecdotes je laisse au hasard errer ma pensée sur des souvenirs qui resteront a jamais gravés dans l'âme de ceux qui ont eu le bonheur de connaître madame de Staël et de l'entendre.
Lesdeuxqualitesdominanteademadame.de
Staël étaient l'affection, et la pitié. Elle avé, comme tous les- génies supérieurs > une.grande passion pour la gloire;, elle. avait, comme toutes
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les âmes élevées un grand amour pour la liberté mais ces deux sentimens, impérieux et irrésistibles, quand ils n'étaient combattus par aucun autre, cédaient à l'instant, lorsque la moindre circonstance les mettait en opposition avec le bonheur de ceux qu'elle aimait, ou lorsque la vue d'un être souffrant lui rappelait qu'il y avait dans le monde quelque chose de bien plus sacré pour elle que le succès d'une cause ou le triomphe d'une opinion.
Cette disposition d'âme n'était pas propre à là
rendre heureuse au milieu des orages d'une ruévolution à laquelle la carrière politique de son père et sa situation en France l'auraient forcée* de s'intéresser, quand elle n'y eût pas été entraînée, par l'énergie de son caractère et la vivacité de ses impressions; Après chacun de ces succès éphémères qu'ont remportés tour à tour les divers partis, sans jamais savoir affermir par la justice un pouvoir obtenu par la violence, madame de Staël s'est constamment rangée parmi vaincus, lors même qu'elle étaitsépàrée d'eux avant leur défaite.
Peut-être pour entretenir des regrets una-
nimes, faudrait-il ne parler d'elle que sous le rapport des qualités privées ou du talent littéraire, et passer sous silence tout ce qui tient aux grands objets discutés sans relâche depuis quarante ans; mais
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je l'ai toujours vue tenir à honneur de manifester sur ces intérêts importans de nobles pensées^ et je ne croîs point qu'elle approuvât un silence timide. Je ne l'observerai donc pas je dirai seulement qu'il me semblé qu'on peut lui pardonner d'avoir désiré et chéri la liberté, si l'on réfléchit que les proscrits de toutes les opinions lui ont trouvé plus de zèle pour les protéger dans leur infortune, qu'ils n'en avaient rencontré en elle pour leur résister durant leur puissance. Sa demeure était leur asile, sa fortune leur ressource, son activité leur espérance. Non-seulement elle leur prodiguait des secours 'généreux, non-seulement elle leur offrait. un refuge, que son courage rendait assuré" elle leur sacrifiait même ce temps si précieux pour. elle,. dont. chaque partie lui servait- à se préparer de nouveaux moyens de gloire et de nouveaux titres à l'illustration. Que de fois on l'a vue, quand la. pusillanimité des gouvernemens voisins de la. France les rendait persécuteurs, suspendre des travaux auxquels elle 'attachait, avec ',raison,. une grande importance, pour conserver a des fugitifs la retraite où ils étaient parvenus avec effort et d'où l'on menaçait de les exiler Que d'heures; que de jours elle a consacrés à plaider.leur. cause Avec quel empressement elle renonçait aux succès d'un esprit irrésistible, pour faire, servi?
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cet esprit tout entier à défendre le malheur! Quelques-uns de ses ouvrages s'en ressentent peut-être. C'est dans l'intervalle de cette bienfaisance active et infatigable qu'elle en a composé plusieurs interrompue qu'elle était. sans cesse par ce besoin constant de secourir et de consoler; et l'on trouverait, si l'on connaissait toute sa vie, dans chacune des légères incorrections de son style la trace d'une bonne action. -Ici une triste réflexion me frappe.
Plusieurs de ceux qui lui ont dû leur retour
inespéré dans une patrie qui les avait repoussés la restitution inattendue d'une fortune dont la confiscation avait fait sa proie, la conservation même d'une vie qne menaçait le glaive des lois révolutionnaires., ont obtenu, sous un gouvernement qui avait comprimé l'anarchie, mais en tuant la liberté-, du crédit, des faveurs, de l'influence et ils sont restés spectateurs indiflerens de l'exil de leur bienfaitrice, et de-la douleur déchirante que cet exil lui causait. J'en ai .vu qui, dans leur ardeur àjustifier un despotisme qui n'avait pas besoin de leurs serviles apologies, accusaient sa victime d'avoir inspiré, par son activité, son esprit, son impétuosité généreuse dès terreurs fondées à une autorité qui s'établissait. -Oui, son activité, sans doute était infatigable, son esprit était puis-
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sant; elle était impétueuse contre tout ce qui était injuste ou tyrannique. Vous devez le savoir, car cette activité vous a secourus dans votre misère et protégés dans vos périls cet esprit puissant s'est consacré à plaider votre cause; cette impétuosité que n'arrêtaient ni les calculs de l'intérêt, ni la crainte d'attirer sur elle-même la persécution dont elle s'efforçait de vous garantir, s'est placée entre vous et ceux qui vous proscrivaient. Amis ingrats! courtisans misérables vous lui avez fait un criàie des vertus qui vous ont sauvés.
Si telle était madame de StaëF pour tous les
êtrés souffrans, que n'était-elle pas pour ceux, que l'amitié unissait à elle? Comme ils étaient sûrs que son esprit répondrait à toutes leurs pensées, que son âme devinerait la leur! Avecquelle sensibilité profonde elle partageait leurs moindres émotions! Avec quelle flexibilité pleine de: grâces, elle se pénétrait de leurs impressions les plus fugitives! Avec quelle pénétration ingénieuse elle développait leurs aperçus les plus vagues, et les faisait valoir à leurs propres yeux! Ce talent de conversation mèrvéiî– leui, unique, ce talent que touSles pouvoirs qui ont médité comme un adversaire et comme un jitgè, semblait alors ne lui avoir été donné que pour
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revêtir l'intimité d'une magie indéfinissable, et pour remplacer, dans la retraite la plus uniforme, le mouvement vif et varié de la société la plus animée et la plus brillante. Même en s'éloignant d'elle, on était encore long-temps soutenu par le charme qu'elle avait répandu sur ce qui l'entourait on croyait encore s'entretenir avec elle; on lui rapportait toutes les pensées que des objets nouveaux faisaient naître ses amis ajournaient, pour ainsi dire, une portion de leurs sentimens et de leurs idées jusqu'à l'époque où ils espéraient la retrouver.
Ce n'était pas seulement dans les situations pai-
sibles que madame de Staël était la plus, aimable des femmes et la plus attentive des amies; dans les situations difficiles elle était. encore, comme nous l'avons dit, la plus dévouée..
Si je voulais en fournir des preuves, j'en
appellerais, sans hésitation, à un homme auquel l'étendue et la flexibilité de son. esprit l'habileté de sa conduite à toutes les époques et sa participation presque constante aux plus grands évèneïnens qui ont marqué lue. premier quart ,de ce siècle, ont- fait une réputation :,européenne. Lorsque, relégué. par la proscription dans une contrée lointaine, dont la. simplicité pesait à son âme habituée aux jouissances d'une civilisation très avancée, il supportait avec peine
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l'ennui des mœurs commerciales et républicaines, madame de Staël, au sein des agitations politiques et des distractions dé la capitale, devinait cet ennui comme par une sympathie d'affection qui lui faisait éprouver pour un autre ce qu'elle n'aurait pas ressenti pour elle-même. Ce fut elle qui, par sa persistance, obtint, bien que suspecte à un gouvernement ombrageux à des néophytes en liberté, qui travestissaient leurs défiances en patriotisme, le rappel d'un citoyen dont le rang, le nota., les habitudes n'avaient rien de commun avec, les formes'sévères d'un républicanisme nouveau. Elle surmonta tous les obstacles, vainquit toutes les répugnances, brava des soupçons quTempoisonnèrent sa vie entière., et rendit à l'ami dont elle était alors la seule protectrice le séjour de la France que, par cela même, élle dut bientôt quitter. Et là ne"se borna point l'enthousiasme de son amitié active elle voulut, pour cet ami, des honneurs, des dignités, des richesses, elle voulut qu'il lui fat redevable de toute son existence.: elle réussit; et après avoir contemplé la première fête,- qui constatait la prospérité dont elle: était l'unique auteur, elle emporta dans l'exil la consolation du bien qu'elle avait fait, et le sentiment dé la reconnaissance qu'avaitméritée son dévouement.. •
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Mille exemples du même genre me se-
raient aisés à citer. Aussi ses amis comptaient snr elle comme sur une sorte de providence. Si, par quelque malheur imprévu, l'un d'entre eux eût perdu toute sa fortune, il savait où la pauvreté ne pouvait l'atteindre s'il eût été contraint à prendre la fuite il savait dans quels lieux on le remercierait de choisir un asile; s'il s'était vu plongé dans un cachot, il 'se serait attendu avec certitude que madame de Staël y pénétrerait pour le délivrer.
Parmi les affections qui ont rempli sa vie, son amour pour son père a toujours occupé la première place. Les paroles semblaient lui manquer quand elle voulait exprimer ce qu'elle éprouvait pour lui. Tous ses autres sentimens étaient môdifiés par cette pensée. Son attachement pour la France s'augmentait de. l'idée que c'était le pays qu'avait servi son père, et du besoin de voir ^opinion rendre à M. Necker la justice qui lui était due; elle eût désiré le ramener dans cette contrée où sa préSence lui paraissait devoir dissiper toutes les préventions et concilier tous les esprits. Depuis sa mort, l'espoir de faire triompher sa mémoire l'animait et l'encourageait.bien plus que toute perspective de succès personnel:: l'histoire de la vie- de M. son occupation constante; et, dans cette affreuse
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maladie qu'une nature inexorable semblait avoir compliquée pour épuiser sur elle toutes les souffrances, son regret habituel était de n'avoir pu achever le monument que son amour filial s'était flatté d'ériger.
Je viens de relire l'introduction qu'elle a placée
à la tête des manuscrits de son père. Je ne sais si je me trompe, mais ces pages me semblent plus propres à la faire apprécier la' faire chérir de ceux mêmes qui ne l'ont pas connue, que tout ce qu'elle a publié de plus éloquent, de plus entraînant sur d'a.utres sujets; son âme et son talent s'y' peignent tout entiers. La finesse de ses aperçus, l'étonnante variété de ses impressions, la chaleur de son éloquence, la. force de sa raison la vérité de son enthousiasme, son amour pour'la liberté et pour la justice, sa sensibilité passionnée, la mélancolie qui souvent la distinguait, méme dans ses productions purement littéraires, tout ici est consacré à porter la lumière sur un. seul foyer, exprimer un seul sentiment; à faire:. partager une pensée unique. C'est la' seule fois qu'felle ait traité un objet avec toutes les ressources- de son esprit, toute laiprofondeur'~de son âme et sans être distraite par quelque idée étrangère.. Cet ouvrage, pent-êtré;n?à pas encore été 'considéré sous ce point de vue trop de différences
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d'opinions s'y opposaient pendant la vie de madame de Staël. La vie est une puissance contre laquelle s'arment, tant qu'elle dure, les souvenirs; les rivalités et les intérêts; mais quand cette puissance est brisée, tout ne doit-il pas prendre un autre aspect? Et si, comme j'aime à le penser, la femme qui a mérité tant de gloire et fait tant de bien est aujourd'hui l'objet d'une sympathie universelle et d'une bienveillance unanime, j'invite ceux qui honorent le talent, respectent l'elévation admirent le génie et chérissent la bonté, à relire aujourd'hui cet hommage tracé sur le tombeau d'un père par celle que ce tombeau renferme maintenant.
Après cette notice sur M. Necker, deux ou-
vrages qui, si je ne me trompe, font le mieux connaître soit le caractère, soit les opinions de madame de Staël ce sont d'une part Corinne,, et de l'autre les Considerations sur la Révolution française. Disons donc quelques mots de ces deux productions si remarquables, dont la première a créé, pour ainsi dire une ère nouvelle dans la littérature française, et. dont l'autre a élevé aux principes de; la-liberté proclamés en 1789, avant qu'elle ne se fût souillée par des crimes qu'avaien t provoqués des résistances mal calculées, le monument le plus durable qu'on leur ait .encore érigé!
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Pour juger un ouvrage comme il doit être
jugé, certaines concessions, que j'appellerai dramatiques, sont indispensables. Il faut permettre à l'auteur de créer les caractères de ses héros comme il veut, pourvu que ces caractères ne soient pas invraisemblables. Ces caractères une fois fixés, il faut admettre les évènemens, pourvu qu'ils résultent naturellement de ces caractères. Il faut enfin considérer l'intérêt produit par la combinaison des uns et des autres. Il ne s'agit point de rechercher si les caractères ne pourraient pas être différens. Sont-ils naturels? sontils touchans? conçoit-on que telle circonstance ait dû être l'effet de la disposition de tel personnage principal? que cette. disposition existant telle action ait dû être amenée par telle circonstance ? est-on vivement ému? l'intérêt va-t-il croissant jusqu'à la fin de l'ouvrage? Plus ces questions peuvent être résolues par l'affirmative, plus l'ouvrage approche de la perfection..
Corinne est une femme extraordinaire, enthou-
siaste des arts, de -la: musique? de la peinture, surtout de la poésie 4'une imagination exaltée, d'une senstbilitéoèxcessivè mobile à la fois et passionnée;' portant en elle-même tous les moyens de bonheur, mais accessible en même temps à tous les genres: dé peine; ne se dérobant a la souffrance qu'à l'aide des distractions; ayant be-
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soin d7être applaudie, parce qu'elle a la conscience de ses forces mais ayant plus encore besoin d'être aimée menacée ainsi toujours d'une destinée fatale, n'échappant à cette destinée qu'en s'étourdissant, pour ainsi dire, par l'exercice de ses facultés, et frappée sans ressource, dès qu'un sentiment exclusif, une pensée unique s'est emparée de son âme..
Pourquoi, dira-ton choisir pour héroïne une
telle femme? Veut-on nous l'offrir pour modèle ? et quelles leçons son histoire peut-elle nous Pourquoi choisir pour héroïne une telle femme?
Farce que ce caractère s'identifiait mieux qu'un autr.e; et je dirai même s'identifiait seul avec la contrée que l'écrivain voulait peindre et c'est là l'idée, heureuse dans l'ouvrage de madame de Staël,; Elle n'a, point, ainsi que les auteurs qui, avant elle, ont prétendu réunir deux genres divers, promené froidement un étranger âû^hilieu; d'objets; nouveaux, qu'il décrivait; avec une surprise monotone ou une attention minuelle a péne'tré ,son héroïne de tous les de toutes les passions de toutes les idées que réveillée .le beau ciel,pedbej, Ja nature amie et bienfaisante qu'elleavait à; décrire- I^'Jtaliej ;est empreinte dans^ Corinne; Corinne est une production de
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la fille de ce, ciel, de ce climat, de cette nature et de là, dans cet ouvrage, ce charme particulier qu'aucun voyage ne nous présente. Toutes les impressions, toutes les descriptions sont animées et comme vivantes', parce qu'elles semblent avoir traversé l'âme de Corinne et y avoir puisé de la passion. < ̃̃ '̃ Le caractère de Corinne était :donc nécessaire
au tableau de l'Italie, tel :que madame de Staël .se proposait de le présenter; mais indépendamment de cette. considération décisive, ce 'caractère est-il improbable? Y a-t-il dans cette réunion de qualités et de défauts, de force et de faiblesse, d'activité dans l'esprit et desensibilité dans l'âme, des choses qui ne puissent exister ensemble ? Je ne le crois pas. Corinne est un être idéal, sans doute; mais c'est un être idéal comme les belles statues' grecques, etjene sacne pas que, parce que ces statues sont an-rdessus des; proportions ordinaires et qu'en elles sont combinées des beautés qui ne se trouvent: que on les ait .jamais i o.'o directe vqui se, trouva à'Ja:fin:<Jes{
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taine, j'affirme qne, dans un ouvrage d'imagination, une pareille morale est un grand défaut. Cétte' morale devient un but auquel l'auteur sacrifie, même à son insu, la probabilité des évènemens et la vérité des caractères. Il plie les uns., il fausse les autres pour les faire concourir à ce but. Ses personnages ne sont plus des individus auxquels il obéit, pour ainsi dire, après les avoir créés, parce qu'ils ont reçu de son talent une véritable existence, et qu'il n'en est pas plus le maître qu'il ne serait'le maître d'ïndividus doués d'une vie réelle; ce sont des instrumens qu'il refond, qu'il polit, qu'il lime, qu'il corrige sans cesse, et qui perdent par là du naturel,: et par conséquent de l'intérêt.
La morale d'un ouvrage d'imagination se
compose de l'impression que son ensemble laisse dans l'âme: si, lorsqu'on pose lé livre, on est plus rempli de sentimens doux,. nobles, généreux qu'ayant de l'avoir commencé, l'ouvrage est moral, et d'une haute moralité.
La morale d'un ouvrage d'imagination ressemble à l'effet de la musique ou de- la sculptures Un homme de génie me disait un jour quuL se sentait -meilleur. après avoir coritemplélbng- temps l'Apolmaison ne saurait trop lé redire, il y a, dans la contemplation du beau en tout genre, quelque
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chose qui nous détache de nous-même, en nous faisant sentir que la perfection vaut mieux que nous, et qui, par cette conviction, nous inspirant un désintéressement momentané, réveille en nous la puissance du sacrifice puissance mère de toute vertu. Il y a dans l'émotion, quelle qu'en soit la cause, quelque chose qui fait circuler notre sang plus vite, qui nous pro- cure une sorte de bien-être, qui double le sentiment de nos forces, et qui par là nous rend susceptibles d'une élévation d'un courage, d7une sympathie au-dessus de notre disposition habituelle.
Corinne n'est point représentée comme une
personne parfaite, mais comme une créature généreuse, sensible, vraie, incapable de tout calcul, entraînée par tout 'ce qui est beau, enthousiaste de tout ce qui est grand, dont toutes les pensées sont nobles, dont toutes les ïmpressions sont pures, lors même qu'elles sont inconsidérées. Son langage est toujours d'accord avec ce caractère, et son langagé fait dü bien à l'âme. Corinne est donc un ouvrage morale. Je ne -sais pourquoi cette morale qui ré-
sultant:des émotions naturelles, influe sur la ̃>, teneur générale de la vie, parait déplaire *"• beâucoup de gens. -Serait-ce précisément "parce qu'elle s'étend à tout, et'que, se confondant avec
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-notre disposition tout entière, eUe modifie nécessairement notre conduite, au lieu que les axiomes directs restent, pour ainsi dire, dans leur niche-, comme ces pagodes de l'Inde que leurs adorateurs saluent de loin, sans en approcher jamais? Serait-ce qu'on n'aimerait pas pour soi la morale qui nait de l'attendcissement et de l'enthousiasme, parce que cette morale force en quelque sorte l'action, au lieu que les maximes précises n'obligent les hommes qu'à les répéter? Et ferait-on ainsi de la morale une masse compacte et indivisible, pour qu'elle se mêlât le moins possible aux intérêts journaliers, et laissât plus de liberté dans tous les détails?
Un ouvrage d'imagination ne doit pas avoir
un but moral, mais un résultat moral. Il doit ressembler, à cet égard, à la vie humaine qui n'a pas un but, mais qui toujours a un résultat dans lequel la morale trouve nécessairement sa place. Or, si je voulais m'étendre encore sur ce point, relativement Corinne, je montrerais sans peine que son :résultat moral n'est méconnaissable que pourceux qui se plaisent à le méconnaître. Aucun ouvrage ne d'évidence cette importante leçon que plus on ?-• a de facultés brillantes, plus il faut savoir: les dompter; que lorsqu'on offre- aux vents impétueux de si vastes voiles, il ne faut pas t«-
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nir uri gouvernail faible d'une main tremblante que plus les dons de la nature sont nombreux, éclatans et diversifiés, plus il faut marcher au milieu des hommes avec défiance. et avec réserve qu'entre le génie révolté et la société sourde et sévère, la lutte n'est pas égale, et que pour les âmes profondes, les caractères fiers et sensibles, les imaginations ardentes, les esprits étendus, trois choses sont nécessaires, sous peine de voir le malheur tomber sur eux, savoir vivre seul, savoir souffrir, savoir mépriser.
Mais Corinne est enthousiaste, et V enthou-
siasme a bien des dangers. Vraiment, je ne me doutais pas que. ces dangers nous entourassent: je regarde autour de moi> et, je J'avoue, je:ne m'aperçois pas qu'en fait. d'enthousiasme, le feu soit à la maison. Où sont-ils donc ces, gens entraînés par l'enthousiasme, et qu'il est si pressant d'en préserver?- Voyons nous beaucoup d'hommes, ou même beaucoup de femmes, sa-crifier leurs intérêts à leurs sentim.eps, négliger par exaltation le soin de leur fortune, dé leur considération ou de leur repos? S'immolertrOti beaucoup par amour, par amitié, par/pitié, par justice, par. fierté?; Est-il urgent ;de mettre: un terme- à ces sacrifices A voir tant- d'écrivains courir au secours. de qu'il est menacé ? Rassurons-nous iLn'a- rien, à
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craindre. Nous sommes à l'abri de l'enthousiasme. Les jeunes gens mêmes y sont inaccessibles, admirables par leur amour pour l'étude, leur soif de connaissances, leur impartialité, leur raison, cette raison semble les sortir de l'enfance, pour les porter de plein saut dans l'âge mûr.
Le caractère de Corinne une fois établi
il fallait, pour donner à l'ouvrage le plus vif degré d'intérêt, lui opposer un caractère assez semblable au sien, pour sentir tout son charme et se mêler à ses impressions, et-néanmoins assez différent par ses penchans, ses habitudes, ses opinions, ses principes même, pour que ces différences amenassent des difficultés que ni les circonstances ni la situation ne pouvaient produire. Ce caractère ne pouvait être celui d'un Français, d'un Allemand ou d'un Italien. En France, l'opinion est tranchante dans les formes, mais elle permet beaucoup de dédommagement à ceux qui s7écartent de ses règles, pourvu qu'ils ne::disputent pas son autorité. Corinne était isolée* indépendante. Un Français amoureux de Corinne, et parvenant à lui inspirer un sentiment profond et durable, n'eût vraisemblablement travaillé qu'à la séduire. En Allemagne, les seules distinctions fortement marquées sont celles des rangs. L'opinion d'ailleurs est assez indulgente et tout ce qui sort de la
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règle commune est plutôt accueilli avec bienveillance que traité avec défaveur. Un Allemand eût donc épousé Corinne, ou, s'il eût été retenu par des considérations tirées de robscurité qui enveloppait sa naissance, son hésitatiou ne reposant que sur des. motifs de convenance extérieure, eût été d'un effet commun et dénué d'intérêt. Un Italien se fût consacré à elle; comme les moeurs de ce pays l'autorisent.
Pour faire naitre-des combats, qui eussent leur
source au fond du coeur, il fallait que l'amant de Corinne fût un Anglais, c'est-à-dire. l'habitant d'un pays où la carrière des hommes fut tracée d'avance, où leurs devoirs fussent positifs où l'opinion fût empreinte d'une sévérité mêlée de préjugés et fortifiée par l'habitude t. enfin, où tout ce qui est extraordinaire fût importun parce que tout ce qui est extraordinaire y devient nuisible. Lord Nelvil est un. mélange de timidité et de fierté, de sensibilité; et d'indécision, de goût pour les arts et d'amour pour la vie régulière, d'attachement aux opinions communes et de penchant à l'enthousiasme. C'est ;un Anglais déjà enipreint des préjugés et dés moeurs de sa nation, mais dent le coeur est encore agité par la mobilité naturelle à la jeunesse- 11 y aune époque dans la vie où le caractère se consolide et prend une forme indestructible. A cette, épo-
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que, suivant les pays, les hommes deviennent ou égoïstes et avides, ou seulement sérieux et sévères; mais toujours est-il qu'alors l'âme se ferme aux impressions nouvelles; elle cède à Faction des habitudes et à l'autorité des exemples elle se moule, pour ainsi dire, d'après le moule universel. Avant cette époque, la nature lutte contre des règles qu'elle ne connaît pas clairement et c'est durant cette lutte que l'horbme est :en proie aux égaremens de l'imagination comme aux orages du coeur.- C'est ainsi qu'Oswald se présente lorsque, pour 'la première fois, il rencontre Corinne. Sans doute, dès cette première rencontre, le destin de tous deux est décidé. Ds ne peuvent pas être heureux ensemble, ils nepourront plus être heureux séparés. Oswald parcourt l'Italie avec Corinne; il en contemple toutes les merveilles. Le langage éloquent, là voix harmonieuse, l'enthousiasme poétique de son amie prêtent îr tous les objets une splendeur surnaturelle: En sa présence,les ruines surélèvent, les souvenirs renaissent, la nature se parte d'un éclat nouveau l'Italie antique paraît Environnée de toutes ses pompes; l'Italie. moderne i»rille de toutèsa beauté. Mais, au milieu de ce délire qui bouleverse son cœur et ses sens, Osvrald serappell&sa^patrie, ses devoirs, la carrière-qul lui était tracée.ïlavi sans être convaincu, chat^
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mé sans être soumis, souvent heureux, jamais content de lui-même, il suit à pas incertains le char triomphal de l'être étonnant qui le subjugue et l'enchante. Il est enivré de l'amour qu'il inspire, il est ébloui de la gloire qu'il contemple, il est orgueilleux des succès dont il est témoin; mais il jette, malgré lui, quelquefois un regard de regret vers le pays qui lui promettait des jouissances et plus dignes et plus calmes. Il trouve dans Pair qu'il respire je ne sais quoi de léger qui ne remplit pas sa mâle poitrine Cette poésie, ces beaux-arts, ces tableaux, cette musique, lui semblent les parures de'la:vie'; mais la vie ellemême) la vie noblement occupée; il se demande où elle est, et la cherche 'Vaine-; ment autour de lui.
Indépendamment du caractère d'-Oswald> il-y
en>a d'ans Corinne, plusieurs autres qui décèlent une profonde connaissance delà nature et du coeur humaine Je n'en indiquerai 'qUe trois, Lucile, le Xe portrait de Lucile-se compose d'une foule de: traits: épars qu'il serait impossible d'extraire et de réunir sans -leur 'faire" perdre leur délicatesse- et quelque^ chose- "de leur vérité;' Jamais on: n'a Tevêtu de: couleurs plus_ fraîches, plus le charme de la jeunesse de la du? mys^.
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tère qui l'entoure et la protège, et de cette réserve craintive qui, par je. ne sais quel pressentiment des maux de la vie, parait demander grâce d'avance à une destinée qu'elle ignore encore.
Le tableau des relations contraintes de lord
Nelvil et de Lucile qu'il a épousée sont décrites avec une finesse d'observation admirable. Il n'est personne- peut-être qui: n'âit plus d'une fois. dans, la vie été dans une situation pareille, dans une situation où le mot nécessaire, toujours sur le point d'être prononcé, ne l'était jamais, où l'émotion qui aurait été-décisive, était toujours interrompue, où il y avait entre deux âmes qui avaient besoin de s'entendre une barrière invincible, un mur de glace qui les, empêchait de se rapprocher-
vre en son genre; oavoit.^px'il est observé d'après nature et décrit sans malveillance. Le comté d'Erfeuil est un.. homme dont toutes les apimôns^nt sages, toutes lesactions louables dont la conduite est généreuse sans .-être imprudente, raisonnable sans être trop circonspecte qui ne se <x>mpromet ni en servant; ses les abandonnant? qui secourt le malheur sans être ému, le souffre
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rales, ramenées toujours ~à propos dans la conversation, et qui, muni de la sorte, traverse le monde commodément, agréablement, élégamment.
On a reproché à madame de Staël quelque exa-
gération dans la teinte innocente est légère du ridicule qu'elle donne quelquefois au comte d'ErfeuiL On a prétendu qu'il n'était pas possible qu'un Français, à Rome, appelât une Italienne -belle étrangère. On avait donc oublié cè trait si connu d'un Français dînant avec beaucoup d'autres Français chez un prince d'Allémagné, et lui disant tout à coup: Monseigneur, votre Altesse ^étranger ici. Celui qui écrit ces lignes a vu de ses yeux, dans un spectacle :allé*mand, un comédien français s'avançant pour haranguer le parterre et commençant son [dis-1 eours par ces paroles: Respectables étrangers. M. de Maltigues est un autre. caractère dont on
n'a pas assëz remarqué la profondeurs parce^que madame de Staël ne l'a montré qu'en.passant.. C'est un homme très corrompu,.ne voyant dans la vie de but que le succès, .professant'cétte;opi– nion avec une sorte d'impudeur qui nait rde ta vanité, mais la pratiquant avec adressé..M. rifle Maltîgnes est le résultat d'un sjèclë où l'on 4! dit que la morale n'était qu'un calcutébie& entendu \*r et qu'il feulait surtout joùir de:kt<vie ̃̃ où l'on a.
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créé contre tous les genres d'enthousiasmes le mot puissant de niaiserie. La bravoure est sa seule vertu, parce qu'elle est utile aux méchans contre les bons, tout comme aux bons contre les méchans. Il est, fâcheux que madame de Staël n'ait pas mis le caractère de M. de Maltigues en actions elle aurait pu le développer d'une façon très piquante. On l'aurait vu peut-être réussir dans le monde par la hardièsse même de son immoralité car il y a une grande masse d'hommes qui: regardant l'immoralité professée comme une confidence qu'on leur fait, sont flattés de cette confidence, et ne sentent point qu'en se moquant ainsi avec eux des choses les plus sérieuses, c'est d'eux qu'on se moque en réalité.
Une considération m'a frappé en examinant les deux caractères du comte d'Erfeuil et de?*. de Maltigues j' c'est qu'il y a entre eux un rapport direct, bien qu'ils suivent une ligné tontonposée.- Leur premier principe n'est-il pas qu'il faut prendre le monde comme il est et les choses comme elles vont, ne s'appesantir: sur rien', ne pas vouloir réformer son siècle, n'attacher à rien une importance exagérés ? Le comte d'Erfeuil adopte la théorie, M. de Maltigues en tire les résultats; mais lès hommes comme M. :de-Maltïgues ne pourraient pas réussir, si les homme comme le comte d'Erfeuil n'existaient ;>pas.
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Le comte d'Erfeuil est la frivolité bonne et
honnête M. de Martigues, l'égoïsme spéculant sur la frivolité, et profitant de l'impunité qu'elle lui assure tant il est vrai qu'il n'ya de moral que ce qui est profond; qu'en repoussant les impressions sérieuses, on otie à la vertu toute garantie et toute base; que, sans enthousiasme, c'est-â-dire sans émotions désintéressées; il n'y a que du calcul, et. que le calcul conduit à tout. Ce caractère n'est au reste que le dévelop-
pement d'une pensée que madame de Staël avait indiqué dans son ouvrage sur la littérature.
Depuis long-temps, avait-elle dit, on appelle
caractère àéàèé celui, qui marche à son intérêt, au méprisse tous ses devoirs; xm horntne spirituel, celui qui trahit successivement avec art tous les liens qu'il a formés. On veut donner à la. vertu l'air de la duperie, et faire passer.le vice pour la grande pensée d'une.âme forte; JÏ faut s'attacher à faire sentir avec talent que l'immoralité, du coeur:est aussi la preuve des bornes de l'esprit; il: fant. parvenir, mettre en •sbuffrance Famour-propre des hommes corrompus, et donner au ridicnle une direction-nouvelle. Ces hommes, qui veulent faire recevoir, leurs vices et leurs bassesses comme des; grâces de plus, dont la prétention à l'esprit est telle qu'ils se vanteraient presque à vous-mêmes de:.vous.avoir
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trahi, s'ils n'espéraient pas que vous le saurez un jour; ces hommes, qui veulent cacher leur incapacité par leur scélératesse, se flattant que l'on ne découvrira jamais qu'un esprit si fort contre la morale universelle est si faible dans ses conceptions politiques; ces caractères si indépendans de l'opinion des hommes honnêtes, et si tremblans devant celle des hommes puissans, ces charlatans de vices, ces frondeurs des principes élevés; ces. moqueurs des âmes sensibles, c'est eux qu'il faut vouer au ridicule il faut les dépouiller comme des êtres misérables, et les abandonner à la risée des enfans (i).
Cette conception neuve, fortè dé vérité puissante d'amertume, et empreinte d'une indignation à laquelle on voit se mêler le souvenir d'expériences douloureuses, madame de Staël l'a réalisée dans-le: caractère de M. dé Maltigues, et, sous ce rapport aussi., une production du résultat le plus utile et le plus morale
Je passe maintenant dans une autre'sphère.et
Jeiecteur.sera frappé, je le pense:; de'cette variété do talent, -de' cette universalité de vues, qui transforme en écrivain politique du premier ordre ^l'observateur ingénieux jdes iaiblesses:-dé notre. nature), et Je peintre fidèle,,des souffcances-
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Dès l'instant où la mort eût frappé le père de
madame de Stàël, elle conçut le projet d'écrire l'histoire de la vie politique de cet .homme illustre. Les persécutions dont elle fut l'objet, l'éducation de ses énfans, ses voyages dans toute l'Europe, une foule de distractions enfin, les unes douloureuses, les autres brillantés, retardèrent-l'exécution du dessein qu'elle avait formé et son sujet s'agrandit à son insu devant /elle: Le propre des esprits supérieurs, c'est de ne pouvoir considérer les détails, sans qu'une foule d'idées ne se présente à eux sur l'ensemble auquel ces détails appartiennent.
Bien que madame de Staël fut très jeune lors-
que la révolution éclata, elle se trouvait mieux placée que personne pour en démêler toutes les causes, les causes générales parce qu'elle ren-i contraitsans cesse dans la raison de M. -Necker; les hommes qui alors dirigeaient, on; pourmieux dire, exprimaient l'opinion; les causes particulières, parce que ,sa société intime se composait de ces grands' seignenrs, dont plusieurs par amour du bien quelques- uns par vanité, d'autres par l'inquiétude d'une activité non employée, favorisaient les réformes et les changement qui se préparaient. Douée d'un esprit d'obsorties affections privées madame de Staël ne
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pouvait s'empêcher de remarquer ce qu'il y avait de naturel ou de factice, de généreux ou de calculé, dans le dévouement de ces classes supérieures; qui s'acquittèrent pendant quelque temps avec élégance et avec un succès payé chèrement ensuite, du rôle brillant d'organes de l'opinion populaire. Le temps, qui nécessairement refroidit les affections lorsqu'elles ne sont pas fondées sur une complète sympathie, avait achevé de donner aux jugemens de madame de Staël le mérite de l'impartialité, à l'époque oü elle entreprit de se rendre compte de ce qui s'était passé sous ses,yeux. Sans doute, si elle eût voulu peindre plus souvent et plus en détail les individus son ouvrage, en descendant à un rang moins élevé comme composition littéraire, aurait gagné peut-être en intérêt anecdotique. On ne peut s'empêcher de regretter qu'elle n'ait pas appliqué à la peinture des caractères politiques, le talent qu'elle a déployé dans le roman de Delphine. Personne n'aurait raconté avec plus de grâce et avec dés expressions plus piquantes tant d'apostasies déguisées en. principes, tant de calculs transformés en conversions et ces préjugées, repris raujourd'hui comme moyens par des hommes qui hier les combattaient comme obstacles, et ces vestalles du vice qui en conservent la tràdition comme le feu sacré, et qui, trahissant tour à
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tour le despotisme et la liberté, sont restées fidèles à la corruption, comme un bon citoyen l'est à sa patrie. Mais madame de Staël a préféré le genre de l'histoire à celui des mémoires particuliers.,
Ceux qui haïssent M. Necler pour le bien
qu'il a fait, ou pour celui qu'il a voulu faire trouveront de l'exagération dans l'admiration .constante que sa fille témoigne .difficile de voir souvent M, Neckersans concevoir beaucoup de vénération pour ses vertus privées, et une grande idée de la sagacité de ses vues, et de la finesse de ses aperçus. Il était impossible.de vivre ^vec lui sans être frappé de la pureté de son. caractère et de la bienveillance, habituelle qui se manifestait dans ses paroles et dans ses actions. Comme. homme d'état, M. Necker a eu le sort de tous ceux qui ont voulu, et qui ont été contraints de vouloir conduire une révolution destinée, par la force des choses à échapper à tous les. calculs, et. à se frayer sa route: elle même. Si.:l'on réfléchit à la' disposition des esprits à cette époque, si l'on considère les intérêts opposés des divers, partis, qui n'avaient: de commnn entré: eux qu'une égale inexpérience, et dont les opinions, rédigées en .quelques phrases tranchantes, étaient violentes comme des préjugés et inflexibles comme des principes, on
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sentira qu'aucune énergie, aucune prudence humaine, ne pouvait maîtriser de tels élémens. C'est ce que madame de Staël démontre, et elle justifie très bien son père contre ceux qui l'accusent d'avoir mis ces élémens en fermentation. Elle décrit, d'une manière juste et rapide, l'état de l'opinion en 1789. La monarchie, sinon absolue, du moins arbitraire, avait, sous Louis XIV, fatigue là nation par des guerres toujours inutiles enfin malheureuses, et l'avait aliénée sous la régence, par le spectacle de la corruption, et sous Louis XV, par celui de l'insouciance et de la faiblesse. Les grands corps de la. magistrature réclamaient des droits sans base, et fraisaient valoir des prétentions sans limites. Les membres du clergé, tout en professant, comme un devoir de forme, les maximes héréditaires d'une intolérance usée se donnaient le mérite d'afficher une incrédulité alors à la mode. La noblesse avait contre elle la pérte de sa puissance la conservation de ses privilégies, et les lumières mêmes des nobles les plus éclairés. Le tiers-état réunissait toutes les forces réelles, le nombre, la, richesse, l'industrie, et se voyait pourtant .contester l'égalité dé fait, qui était dans l'ordre existant, et l'égalité de' droits, qui est imprèscriptible. Enfin, les classes inférieures étaient plongées dans un état misérable, et elles étaient
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averties, par la portion parlante de la classe qui dominait l'opinion,- que cette misère était injuste. Qui ne voit qu'indépendamment de tout projet de réforme, un bouleversement devait avoir lieu?
Je dis ceci pour les lecteurs équitables et
non' pour. ces interprètes soudoyés de vieilles haines, qui s'élancent contre les tombeaux parce qu'ils les savent sans défense, comme ils s'élancent contre les vivans quand ils les croient garottés. Les ramener est impossible parce qu'ils ne jugent rien avec leur intelligence, mais tout avec leurintérêt. Les convaincre est un espoircbrmérique j ils n'ont pas l'organe de la conviction, qui est la conscience il feut leur laisser répéter leurs mensonges toujours démasques, toujours reproduits, comme on laisse aboyer la nuit les dogues affamés. •;•̃.̃̃ .̃. Cet essai n'étant l'analyse des ouvrages de ma? dame de Staël ni sous lé point de vue politique, ni sous le point de vue littéraire, je ne me; propose-de parcourir ici que <juelques-une& densesidées dominantes ̃ •• ̃•'̃̃̃•' « 'La révolution de France, dit-elle; £st unedes; H grandes époques de l'ordre social. Ceux qui la considèrent comme un événement accidenw tel n'ont fef/'pâssé «
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-»i la pièce, et, afin de satisfaire leurs passions,' » ils ont attribué aux hommes du moment ce » que les siècles avaient préparé. »
Cette observation est pleine de justesse. Beaucoup de gens ne voient la cause des évènemens du jour que dans les hasards de la veille. Aies entendre-, si l'on eût empêché tel mouvement partiel, rien de ce qui a eu lieu ne serait arrivé; en comblant le déficit. des finances, on eût rendu inutile -la convocation des États-Généraux; en faisant feu sur le peuple qui entourait la Bastille, on eût prévenu l'insurrection; si l'on eût repoussé le doublement du tiers, l'Assemblée Constituante n'eût pas été factieuse et si l'on eût dispersé l'Assemblée Constituante, la révolution n'eût,.pas éclaté. Spectateurs aveugles, qui ne voient pas que le déficit dans les finances n'était pas une cause, mais un effet, et que la même forme de gouvernement qui avait produit ce déficit en eût bientôt ramené un autre, parce que la dilapidation est la compagne, constante de l'arbitraire.; que ce ne fut pas une fantaisie subite dans les habitans de Paris que la. destruction de la Bastille, et que la Bastille, préservée aujourd'hui, aurait été menacée, de nouveau demain; parce que; lorsque la haine des vexations a soulevé un [peuple ce n'est pas en protégeant les vexations par J'artillerie:, mais en y xtfeÇtànt
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un terme, qu'on rétablit une paix durable; que: le doublement du tiers ne .fît que donner: des organes de plus à une. opinion qui, privée d'organes, s'en fut créé de plus redoutables; qu'en dispersant l'Assemblée Constituante, on n'eût pas anéanti le besoin de liberté. qui agitait les têtes et remplissait les cœurs; que la puissance du tiers-état aurait survécu, et que cette puissances voulait être satisfaite ou se satisfaire elle-même;: enfin, que les véritables auteurs de la révolution, ne furent pas ceux qui, étant ses instruznens, parurent ses chefs! Les véritables auteurs de la révolution furent le cardinal-de Richelieu. et ,53; tyrannie et ses commissions sanguinaires, et sa. cruauté; Mazarin et ses ruses, qui rendirent méprisable l'autorité; que son prédécesseur avait rendue odieuse; Louis XIV et son faste ruineux, et ses guerres mutiles, et ses persécutions et ses. dragonnades. Les véritables auteurs de la révolution furent le. ponvoir absolu, les ministres; despotes, les nobles insolens les favoris avides. Ceci n'est point,.une apologie des révolutions.
J'ai montré, dans plus d'un ouvrage, que.jeri'aî- mais^point.les révolutions en elles-mêmes. D'ordinaire.elles manquent leur. but .en le dépassant; elles interrompent .le progrès des idées qu'elles semblent favoriser. En- renversant, au nom de: laliberté, l'autorité qui existe, elles donnent à
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l'autorité qui la remplace des prétextes spécieux contre la liberté. Mais plus on craint les révolutions, plus il faut s'éclairer sur ce qui les amène. En partant du principe incontestable que les
causes du bouleversement de l'ancienne monarchie remontent bien plus haut que 1789, madame de Staël a dû chercher à découvrir ces .causes; et, conduite ainsi à examiner l'organisation sociale des peuples modernes, elle a été frappée d'abord de la différence fondamentale qui distinguè ces peuples de ceux de l'antiquité. Elle exprime cette différence en peu de mots mais- ces- mots sont pleins d'énergie « Le droit m public de la plupart des états européens repose. encore aujourd'hui sur le code de la Sansdoate; et c'est pour cette raison que l'on a rencontré de nos jours; tant d'obstacles à l'établissement dé la liberté. C'est pour cette raison qu'ainsi qu'on l'a observé, souvent,- la K- _berté parait à beaucoup d'esprits qui lacherchent et qui la désirent moins précieuse encore que Lors même que les progrès de la ^civilisation
eurent adouci les effets de la conquête, ses -sonvenirs restèrent; la noblesse eut même souvent la maladresse de les rappeler. Dans ses protestations, dans ses appels à ses-droits anciens à son -origine
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féodale, elle semblait dire au peuple Commentne serait-ce pas à nous à vous gouverner, puisquece sont nos aïeux qui ont dépouillé vos pères? De la sorte, l'irritation a survécu aux causes qui l'avaient produite; elle est devenue; pour ainsi dire, une tradition. Cette tradition a été la source de beaucoup de fautes. En poursuivant non-seulement les priviléges héréditaires, mais les possesseurs de ces priviléges,- les amis de la liberté ont eux-mêmes, à leur insu, été dominés par des préjugés héréditaires. Voyez les révolutions des républiques italiennes du moyen âge, elles ont eu pour but de repousser des conquérans plutôt que de donner des droits égaux à des citoyens (r).
Je suis loin d'approuver les rigueurs dirigées
contre la noblesse aprèssonabolition; marisj'ai cru devoir, par occasion expliquer la cause de ces rigueurs. C'était, en-quelque sorte,. une loi du talion exercée par le dix-huitième siècle contre le cinquième; loi que la distance etlechangement des moeurs des institutions et des habitudes, rendaient inapplicable et inique.
Le code de la conquête continue madame de
Staël, produisit le régime féodal.
(i) Rien n'est pins remarquable que la' conformité des Ibis faite? en Italie, à Florence surtout, contre les nobles avec les.
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La condition des serfs était moins dure que
celle des esclaves. Il y avait diverses manières. d'en sortir; et, depuis ce temps, différentes classes ont commencé par degrés à s'affranchir de la destinée des vaincus. C'est sur l'agrandissement graduel de ce cercle que la réflexion doit se porter-.
Ici madame de Staël donne à l'aristocratie la
préférence sur le gouvernement absolu d'un seul. Cette opinion a excité beaucoup de réclamations. Elles tiennent en partie, si j e ne me trompe, à une confusion d'époques. Dans un temps* de commerce et de lumières, l'aristocratie est certainement plus funeste que le pouvoir absolu d'un seul; mais c'est que, dans un temps de commerce et de lumières, le pouvoir absolu d'un seul ne saurait exister réellement. Pour le concevoir dans toute sa plénitude et se pénétrer de tout ce qu'il a d'odieux, il faut remonter à des siècles barbares et se transporter dans des pays qui rie soient pas commerçans. Voyez-le 'dans l'antiquité, en Perse, ou à Rome sous les empereurs voyez-le de nos jours à Alger ou à Maroc. Pourrons-nous encore long-temps ajouter à Lisbonne Certes, l'aristocratie vaut mieux. Tout en haîssant le sénat romain, je le préfère à Caligula, et sans aimer l'oligarchie vénitienne, j'aime encore moins le dey d'Alger et sesMauïes.
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Mais dès que les lumières. ont fait des progrès' et-surtout dès que le commerce existe, le despotisme d'un seul devient impossible. Ce commerce, en donnant à la propriété une qualité nouvelle, la circulation, affranchit les individus, et, en créant le crédit, il. rend };autorité dépendante.
Or, dès que le despotisme pur est impossible- le véritable fléau, c'est l'aristocratie; et cela explique comment certains peuples modernes, les Danois, par exemple, ont consenti, pour s'en délivrer, à de si Incroyables sacrifices..
La question: de savoir lequel vaut mieux du pouvoir absolu d'un seul ou de l'aristocratie est d'ailleurs parfaitement oiseuse aujourd'hui. Je défie le pouvoir. absolu.d'un. seul.dé subsister dix années dans tout pays éclairé. Bonaparte luimême n'a pu ni le conquérir complètement ni le faire durer; et je défie, l'.aristocratie de subsister un demi-siècle.. • La constitution de l'Angleterre est.l'objet constant de l'admiration de madame de Staël. Je ne méconnais assurément point. ce que nous, devons à cette constitution;: son nom seul a rendu à la liberté d'immenses services 'i là France f en croyant l'imiter, est arrivée à des institutions infiniment meilleures et à une liberté beaucoup plus réelle sinon de fait, au moins de droite
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car nous n'avons plus ces lois exceptionnelles y qui équivalaient à la suspension de l'habeas corpus. Nous avons des élections sincères, au lieu des bourgs pourris anglais. Nous sommes préservés de,, cette concentration des propriétés source de misère et germe infailhble de révolutions. Madame de Staël a peut-être méconnu nos avantages. N-'importe, il est bon de rendre:hommage à. la liberté partout où elle se trouve, et à cet hommage se mêle pour nous une réflexion satisfaisante.
Les Anglais ont dû les qualités qui leur ont
long-temps valu la considération de l'Europe, principalement à leur constitution, bien qu'elle fut beaucoup trop empreinte d'inégalité est de privilèges.. Or sans vouloir faire le moindre tort à un peuple qui a offert au inonde de grands exemples, durant à peu près cent quarante ans, ma .conviction- est que, sï une constitution libre a eu pour lui de si bons effets, .elle en aura pour nous de meilleurs; en- core. Notre climat n'est-il pas plus beau, nos rès- sources plus réelles, nos moeurs plus polies, nos affections plus douces et moins personnelles, notre esprit plus flexible et plus rapide,: notre caractère plus hospitalier? Si néanmoins la lisiècle,, une place éminente parmi les
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liberté nous rendra le rang qui nous est assigné par la nature.
Une erreur que madame de Staël a énergî-
quement. réfutée c'est celle des écrivains qui regrettent le repos et le bonheur de l'ancienne monarchie;
« En lisant les déclamations de nos jours, dit-
» elle, on croirait que ses quatorze siècles ont été » des temps tranquilles et que la nation était » alors sur des roses. On oublie les templiers,, brûlés sous Philippe-le-Bel; le triomphe des Anglais sous les Valois; la guerre de la jaequerie; les assassinats'du duc d'Orléans et du duc » de BourgogQejlescruautésperfidesdeLouisXl; o les protestons français condamnés a d'affreux n supplices sous;jFrançoisPr, tandis qu'il s'alliait lui-même aux protestans d'Allemagne; lés » horreurs de,la ligue, surpassées toutes encore » par le massacre de la Saiht-Barthélemi les H conspirations contre Henri IV, et son assassinat, œuvre effroyable des ligueurs les échafàuds » arbitraires élevés parle cardinal de Richelieu, » les dragonnades, la révocation de l'édit, de »• Nantes, l'expulsion des protestans et la guerre » .:des Céverines sous Louis XïV. »̃••; • J'ai pensé qu'il était bon de citer ce petit abrégé
de ^histoire de notre monarchie avant qu'elle fîit constitutionnelle. Il répond assez péremptoî-
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rement, ce me semble, à ceux qui prétendent que nous n'avons cessé d'être heureux que parce que nous avons voulu être libres. Il prouve aussi que les principes démagogiques ne sont pas rigoureusement nécessairespour moiiverdescrimes assez bien conditionnés.-Ce n'était point par philosophie que Philippe-le-Bel faisait brûler les templiers.- L'on n'invoquait point les droits de l'homme quand on plongeait à plusieurs reprises lesprotestans dans les flammes sous les yeux de la cour de François Ier et l'assassin de Henri IV s'appuyait de la souveraineté du pape et non de celle du peuple.
Le jugement de madame de Staël sur Louis XIV, a révolté tous ceux qui voient la majesté dans la pompe, le bon ordre dans l'étiquette, letriomphe des lettres dans un peu d'argent jeté aux poètes, et la gloire dans la pédanterie portée jusqu'au milieu des batailles, où le peuple prodiguait son sang, tandis que le roi leur donnait son nom, retenu qu'il était par sa grandeur loin de la mêlée (i).
« Le roi 'quia pensé que les propriétés de' .ses
» sujets lui appartenaient, et qui s'est permis » tous les genres d'actes arbitraires, c'est madame (i) Gémit de sa grandeur qui l'attache au rivage.
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de Staël qui parle, le- roi (ose-t-on le dire et n peut-on l'oublier) qui vint, le fouet à la main, o. interdire comme-une offense le dernier reste » de l'ombre d'un .droit, les remontrances du parlement., ne respectait que lui-même, et n'a » jamais pu concevoir ce que c'était qu'une » nation. »
On s'est indigne surtout de deux assertions.:
la première, «que le code lancé contre les re»̃ ligionnaires. pouvait tout-à-fait: se comparer aux lois de la Convention contre les émigrés. » La seconde, « que la gloire des grands » écrivains du dix-.septième. siècle.appartenait la France, et ne devait pas être concentrée » sur un seul homme, qui, au contraire, a » persécuté quelques -uns de ces écrivains, et » en a dédaigné beaucoup d'autres. »
Quant au premier point j'ai lu il est vrai,
dans un. écrit récent que-les lois contre. les religionnaires étaient rigoureuses], et que les loir contre 'les émigrés étaient.atroces; mais je.n'ai pointdécouvert pourquoi ce qui était atroce,en 1793, n?était que rigoureux' un siècle plus tôt, et je persiste à croire- que les crimes sont des crimes et les cruautés des cruautés, quelle que soit l'autorité qui s'en- rende coupable.
Pour ce qui. regarde la part qu'il faut attribuer
à l'autorité royale dans les travaux et les suc-
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cès de notre littérature, il me semble qu'on sert mieux la gloire nationale, en montrant que le talent se développa par sa propre force, dès que la fin des guerres civiles eut rendu à l'esprit français quelque sécurité et quelque repos, qu'en cherchant à présenter nos grands écrivains commedes enfans de la protection et des créatures de la' faveur. Arnaud, Pascal, Port-Royal tout entier,. Fénélon Racine, sont les preuves des bornes étroites, de l'intolérance altière, de l'inconstance- capricieuse de cette faveur si vantée; et, tout en plaignant ces génies supérieurs, les uns- persécutés, les autres affligés par un despote, nous pouvons, enquelquesorte, aujourd'hui qu'ils reposent dans la tombe, nous féliciter des injustices qu'ils ont subies. Ils nous ont épargné la douleur- de croire que l'espèce humaine dépend de l'arbitraire d'un homme, et que tant de germes féconds seraient demeurés stériles, tantde facultés éminentes inactives, tant dé voix éloquentes muettes, si le sourire de cet homme ne les eut encouragés. J'insiste sur ce sujet parce que l'admiration
pour Louis XTVn'estpas une opinion particulière, une erreur de théorie qu'on peut laisser pour ce qu'elle est, sans avoir à redouter ses conséquences pratiques. Là monarchie dV Louis XIV ëst le type d'une monarchie absolue; fous ceux qui regrettent ou désirent une
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blable entonnent, en l'honneur de Louis XIV, un hymne si parfaitement le même malgré la diversité des circonstances, qu'on le dirait stéréotypé pour être transmis .d'un régime à l'autre. Lorsqu'un nomme, qui n'a pas voulu être Washington, a commencé à s'égarer dans les routes du despotisme., tous les panégyristes de Louis XIV se sont ,groupés autour de lui et notez que ces panégyristes d'alors n'étaient autres que ceux d'à présent. Sans doute il y avait une portion de leur doctrine qu'ils passaient prudemment sous silence; mais à cette exception près/ ils tenaient le langage qu'ils tiennent encore. Ds apportaient en tribut, à l'autorité nouvelle, les souvenirs les pompes, les étiquettes y toutes .les traditions de servilité en en mot, héritage de l'autorité déchue.; heureux d'esquiver ainsi la liberté, et pardonnant au pouvoir son origine en considération de son étendue. Le gouvernement impérial n'a: été qu'une applica- tion trop fidèle du mot fameux, TÉtâb :> c'est 772o£/ ainsi, l'exemple de Louis XIV nous a fait; du mal, d'empêcher qu'il ne nous -en fasse encore 'âu-Madame de Staël termineses observations sur Louis XIV par lise remorque pleine de forceneF de vérité. « II ne.
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» des despotes par les succès momentanés quel l'extension même du pouvoir leur fait obtenir. C'est l'état dans lequel ils laissent le pays à leur mort ou à leur chute, c'est ce qui reste de » leur règne, qui révèle ce qu'ils ont été. »
C'est la, en effet le véritable point de vue sous
lequel il faut considérer ce règne de Louis XIV, dont la durée avait tellement fatigué la France, qu'au décès du monarque le premier mouvement du peuple fut de troubler ses funérailles, et la première mesure du parlement de désobéir à sa volonté. Quand. les enthousiastes de l'aristocratie s'évertuent à les. célébrer,, ils -.sont plus généreux qu'ils ne croient; car ils célèbrent l'auteur de leur.perte. Les.préférences de Louis XIV achevèrent l'ouvrage dès rigueurs de. Richelieu.La noblesse,. désarmée sousLouis XIII devint odieuse sous son succès-»: seur. Le dix-huitième siècle ne fit qu'obéir. à; l'impulsion qu'une trop longue- compression: avait- rendue-plus forte. La révolution; de. 1 789 se .fit spécialement contre les privilèges. La; royautéyqui n'était point menacée, voulut en vain. s'identifier à une cause qui n'était pas la sienne. Entraînée momentanément, dans la chute cpmmune, .ses efforts ne. servirent qu&. exemple triste et -mémorable du danger des al-
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liances imprudentes. Ce danger est passé.; la royauté relevée constituée limitée repose maintenant sur la nation;' et ceux-là seraient.de funestes royalistes, qui s'obstineraient à la replacer sur d'autres bases, et à lui donner d'autres appuis.
Bien que je n'aie voulu parler que de deux
ouvrages de madame de Staël, pour là présenter à la fois comme un de nos premiers poètes et comme un de nos publicistes les plus éclairés, je ne puis m'empêcher de dire quelques mots de ses. Dix années d'exil qui ont provoqué de si vives, et j'ajouterai de si absurdes attaques. Deux accusations ont été dirigées contre elle. On lui a reproché d'être injuste pour Napoléon,, et d'avoir oublié ce que, même exilée, elle devait à la France.
Certes, je ne méconnais ni le génie extraordi-
naire, niJyforce de volonté, ni surtout Jes talens qui a, durant quatorze années, mais j'ai la persécution longue et obstinééqu'ila fait pesé? sur madame :de Staël actes} de tyrannie les moins néanmoins les actes de ce genre sont assez nombreux. Des hommes qui font retentir le ciel et la terre lorsqu'on commet contre eux la moindre in-
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justice, ont trouvé révoltant qu'une femme dont Napoléon abîmait la vie jugeât Napoléon un peu sévèrement. Ils pensent que tout' l'univers doit prendre fait et cause parce qu'on leur refuse une pension qu'ils disent leur être due; mais ils s'indignent que la victime de l'exil le plus dur, le plus arbitraire, je dirai le plus ignoble, car rien n'est plus. ignoble que la force brutale, s'acharnant sur le génie désarmé, ne se soit pas. résignéé au despotisme qui l'arrachait aicx lieux de sa naissance et la séparait de tous les objets de sonaffection et si l'on réfléchit que le seul crime de cette femme qu'il rendait si malheureuse était une conversation animée et brillante, et que celui qui la poursuivait disposait d'une autorité sans bornes, faisait mouvoir d'un mot huit cent mille soldats, avait trente millions desujets et quarante millions de vassaux, on nie peut se défendre d'une indignation mêlée de pitié pour > un pouvoir; !'si. timide d'une paît et si. riolent de l'autre. Madame. de Staël, dit-on, inquiétait Napoléon sur son trône par l'entrainante impétuosité de ses émotions généreuses! Mais nous inquiétons tous l'autorité d'aujourd'hui par -nos réclamations légitimes et -nos plaintes fondées; à dire que nous lui accorderons la facultè^deMious exilera B^feut reconnaître àtous;' les<irbits<!qtifori revendiqué
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pour soi; il ne faut'pas se croire le seul objet
digne d'intérêt, et lorsqu'on aspire à l'honneur
de lutter contre le pouvoir du jour, il ne faut
pasjustiner les excès du pouvoir de la veille:
J'admire Bonaparte quand il couvre.de gloire
les. drapeaux de la nation qu'il gouverne. Je l'ad-
mire quand, prévoyant l'instant où la mort
brisera son bras de fer, il déposé dans le Code
civil des germes -d'institutions libérales; je l'ad-
mire quand il-défend le sol de la France; mais,
j e le déclarey sa persécution d'un des plus beaux ta-
lehs de ce siècle, son acharnement contre l'un des
caractères les plus élevés de notre époque, sont
dans son histoire une tache ineffacable. L'exil d'O-
vide a flétri la mémoire d'Auguste, et si Napoléon,
à beaucoup d'égards, est bien supérieur au trium-
vir qui prépara la perte de Rome sous le pré-
texte bannal d'étouffer l'anarchie, le versificateur.
licentieux qorïk envoya périr sous un ciel loin-
tain, n'était en rien comparable à l'écrivain qui
a consacré sa vie entière à la défense de toutes
les pensée, nobles et qui, au milieu de tant
d'exemples de dégradation et d'apostasie, est
resté fidèle aux principes de liberté et de dignité"
sans lesquels l'espèce humaine ne serait qu'une
horde de barbares on unitcoupeau descla'ves.
Quant à l'amour de madame de Staël pour
cette France dont une tyrannie si impitoyable
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la tenait séparée, il faut n'avoir pas lu même les Dix années dexil pour méconnaitre l'empire qu'avait sur son âme cet amour indestructible. Les victoires des alliés renversaient la barrière contre laquelle elle s'était si long-temps brisée, et toutefois elle déplorait amèrement ces victoires. Elles assistait de ses vœux son persécucuteur, parce qu'il protégeait le sol envahi; elle -oubliait ses longues souffrances, ses justes griefs; elle repoussait les espérances que lui .rendait la -chute d'un ennemi implacable, pour ne voir que lïntérêt, la gloire, l'indépendance de la patrie.
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;IX.. ̃ ̃" ̃ ̃
DE GODWIN, ET DE SON OUVRAGE SOR LA JUSTICE POLITIQUE..
Godwin, l'auteur de Caleb
pendant quelque temps, en Angleterre et même en France, d'une célébrité assez grande. Ses deux: romans celui que -je viens de nommer et un autre intitulé Saint-Léon ont éteins avec<mrioshé, et traduits dans toutes les langues.mier, qui est fort supérieur l'autre, peint avec beaucoup d'énergie, et sous-des couleurs très sombres, l'impossibilité de cacher un crime, etzàrresy mais à laquelle ce qu'on croit avoir dérobé à tous les regards parait soudain se^ cond connaissance1' toutefois, ont
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Godwin(i)qae son Traité surla justice politique, dont la traduction a été commencée plusieurs fois en France, et n'a jamais été publiée; comme vraisemblablement elle ne le sera point, je présume que quelques détails sur ce livre ne déplairont pas à-nos lecteur
La première édition de la Justice politique de
Godwin parut en Angleterre en 1.793 dans un moment où la révolution française, remplissant l'Europe d'étonnement et d'épouvanté, engageait tousi.es amis de l'humanité à réfléchir sur les bases des gouvernemens, pour découvrir les moyens de. prévenir ou d'extirper les abus. qui. avaient amené cette crise si violente et sous! quelques rapports si funeste.
Godwin, porté parle genre de son esprit à remonter aux abstractions les plus .subtiles pour les appliquer à-la réalité, se,propose d'approfondir toutes les questions relatives à la nature de Homme, à ses droits .<€$ à ses devoirs, et d'arriver ainsi à déterminer la loi unique et fondamentale qui .doit servir de jrègle aux institutions des peuples comme aux. relations .des politique et ,il .choisit ce titre^pour son ouvrage. r ;>
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Cet ouvrage peut être divise en trois parties;
et il aurait mieux valu, du moins comme production littéraire, que ¡'écrivain: lui même' à cette division car ayant traite souvent au hasard' les mêmes sujets dans plus d'un chapitre, il :est .tombé dans un désordre et dans des répétitions qui rendent l'Intelligence 'de son livre assez difficile, et sa lecture 'très fatigante.:
Aussi, pour en donner à nos lecteurs quel-
que idée, nous adopterons l'ordre que l'auteur a négligé,. et nous parlerons partie La métaphysique de est et commune. D ne dit rien dans plusieurs métaphysiciens dn siècle, dont ie ne veux pointrite, .mais qui, de avait beaucoup trop sens ), le; des impressions tion
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quand il les reçoit, pour le moins autant qu'elles Je modifient.
La partie morale de Godwin celle où il développe les devoirs des individus entre eux, est encore plus défectueuse. Séduit par l'idée :de la justice abstraite, il veut soumettre cette justice stricte tous les mouvemens., toutes les affections, tous les engagemens de l'homme; de là, ses paradoxes sur la pitié, la reconnaissauce et les promesses. Comme la véracité la plus scrupuleuse est un des traits distinctifs de son caractère et de ses écrits, je le crois de bonne foi; mais ces assertions dénotent une telle ignorance de l'homme en société, ignorance qui est le résultat, dit-ou d'une.yie contemplative > que, toutes bizarres qu'elles sont, elles méritent à peine; d'être réfatées. Ce n'est pas en étonnant les affections les plus douces que l'on donnera du bonheur à l'espèce humaine. Il ne faut point que l'homme sôit toujours impartial et juste il .'Eut au contraire, et c'est le plus beau privilège dé ion indépendance individuelle qu'il soit jiartiaî^ar goût;' par pitié, par entraînement. Magistrat, juge; on= son devoir, juslâce'; mais: la plus prédeuse partiëL:de sôn-eâdstence ^priyëe>suî' idqttelle-ja:sôcrétë'nê
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semblables par excellence r distincts de tous les êtres de son espèce. Quand il s'agit des autres, il lui suffit de ne jamais leur nuire et quelquefois de les servir; mais àce cercle favorisé, a ce cercle d'amour, d'émotions,.de souvenirs, appartiennent son dévouement, son occupa-don constante l..et tons les genres de partialité. La partie politique de Godwin est, donc la seule importante. Ce n'est pas que cette partie de son ouvrage soit exempte de grandes erreurs. Il est un mal nécessaire. Cette idée,, qui n'est pas de: lai, paraît, au. premier coup d'œil, une pensée forte, et. n'est,; ,au fond, qu-'une\ expression bizarre. Le premier écrivain ;qui JEemploya dut, je le a des gouvernemens qui sont, je ne dirai pas un mal si, nous. approfondissons l'idée le sens général; et absolu qu'il donne âu^ mot de gouvernement, nous le trouvercms complè- '̃̃Ju. -.̃(̃ '>:
nuisent qu'ils: se nuisent.
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si ce n'est pour les coupables, et c'est un bien qu'il leur soit un mal. Il n'est pas même, comme le prétend Godwin, un mal absolu, en même temps qu'un bien relatif. Dès que le gouvernement sort de sa sphère, il devient un mal, et un mal incalculable; mais ce n'estpoint alors comme gouvernement c'est comme usurpation qu'il est un mal. Sans doute, lorsque, pour atteindre les coupables, il vexe les Innocent lorsque, sous prétexte de prévenir les délits il -porte atteinte à la liberté; lorsque; s'arrogeant une foule de fonctions qui ne lui appartiennent pas, il s'érige en instituteur, en moraliste en jugé des opinions, en surveillant dès idées en directeur des lumières/il se rend singulièrement nuisible. Mais; nous le répétons, ce n'est pas'en sa qualité de gouvernement. IL devient alors' simplement une force qui peut êtrësàisiëpar Tmséulindividtt répartie" entre-les 'mains de tous • qu'elle' if eît serait pas plus légitimé.' -jL* Que si );on disait que le gouvernëmènf nepeut
atteindré'les coupables sans -froisser quelquefois lés:-in'nt)cèns/ nous vénïén't n'appartient-pàs au gouvernement^ mais*
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un autre sauvage, et faire tomber sur lui une vengeance peu méritée. Le gouvernement peut se tromper de même. C'est pour éviter ces méprises qu'il institue des formes. Si ces formes sont bonnes et qu'il les respecte, loin d'être un mal, il est un bien.
Godwin parle beaucoup, et avec raison, de
l'influence touj ours funeste que la pression de l'autorité a sur le bonheur et sur les qualités inorales de l'homme. Mais lorsque la pression de l'autorité se fait sentir de la sorte, c'est qu'elle a franchi ses limites et dépassé sa sphère. Aussi long-temps qu'elle s'y Tenferme, cette pression n'existe pas; El faut que l'innocent 1-iguore ;i elle n'est donc pas un mal pour lui: il faut que le coupable la craigne; elle est donc un bien pour Ce n'est point une chose indifférente que de
recaler cette rédaction. gouvernement un mal, ou se flatte d'inspireraux gouvernes une défiance salutaire; mais comme le gouvernement se fait:1oujoúrs; sentir,; tèïnfefpûinti'effet qu'on produit; '̃'̃' ̃̃̃ i Il arrive^ au contraire que Iés:g6uvememens mal, -et en leur qualité de mal nécessaire, ils représentent comme inévitable tout' celui qu'ils
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Parti d'un principe inexact, Godwin s'est égaré
dans sa marche. Le gouvernement n'étant, selon lui, qu'un mal nécessaire; il a conclu qu'il n'en fallait que le moins possible. C'est une seconde erreur. Il n'en faut point hors de sa sphère mais, r dans cette sphère, il ne saurait en exister trop. La liberté gagne tout à ce qu'il soit sévèrement circonscrit dans l'enceinte légitime mais elle ne gagne rien, elle perd au contraire, ce que; dans cette enceinte, il soit faible; il doit toujours y être tout-puissant.
Par une suite nécessaire de cette théorie fau-
tive à son.origine, Godvrin est allé jusqu'à-pré-^ tendre qu'un jour il n'existerait plus de gouvernement, et il a regardé cette époque comme, le plus beau moment -de. l'espèce humaine. Il n'a pas senti que legouvernement, renfermé dans sa, sphère y c'est-à-dire uniqoenrent, occupé â gaj rantir les individus, de leurs torts réciproques et s des:invasions de droit, lors! même qu'il n'agirait- pas; que, dès à. présent, il ne doit exister de" fait-que lorsque les individus ont besoin de sa garantie; ment. sera toujours la même;; -seulement, uYgctivité du gouvernement,. ;peut,augm_enter|jOu décroître suivant les circonstances, c'estra-dire suivant que les hommes, poussés par leurs vices,
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leurs passions ou leurs erreurs, entrent en plus ou moins grand nombre dans l'enceinte où lé gouvernement doit agir.
Autant la doctrine générale de Godwin "est
défectueuse y autant ses détails sont fertiles zen aperçus heureux,- en vérités neuves, en idées profondes. On ne trouve nulle part une aussi ingénieuse et convaincante analyse des inconvéniens de l'autorité, lorsqu'elle ne se borne pas à protéger et à garantir, mais qu'elle veut'éclairer, améliorer ou conduire. Éducation institutions, dogmes religieux; lumières, sciences, commerce industrie population, :propriété Godwin examine l'action du gouvernement, sur toutes ces choses, et démontre que le mieux Je plus sûr et le. plus juste est de maintenir la paix et de laisser faire. Aucun publiciste n'a plus clairement prouvé que dès qu'on, gène l'intérêt, sous prétexte de le diriger, on le paralyse;, que dès qu'on entrave la pensée sous prétexte *le la-réctifîer, on la fausse j et que tout autre guide que la- raison de chacun, pour l'intelligence dé chacun, dénaturé cette intelligence;; aucun 71'a ̃ réfuté d'une manière plus: satisfaisante L'hypothèse perfide et/dangeféusé, qu'il peut y avoir des erreurs utiles .aucun 'enfin n'a jmieux démasqué: ces prétentions renaissantes despartisdent, et qui ne cherchentà limiter le pouvoir que
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parce qu'ils ne le possèdent pas, prêts qu'ils sont toujours à réclamer pour eux les attributions qu'ils disputaient à leurs adversaires, et toujours affirmant que ce qu'ils disaient hier être nuisible est devenu subitement salutaire aujourd'hui.'
Le grand mérite de Godwin est d'aborder franchement toutes les questions, et de les.suivre avec la sagacité dont il est doué, sans vouloir -jamais, par timidité on. par-système, en fausser les résultats. Mais, comme il arrive souvent, ce mérite produit par un amour passionné de la vérité, amour, qui donne à Godwin une puissance étonnante d'investigation, et qui le préserve de se fatiguer d'aucune longueur, ou de s'effaroucher d'aucune conséquence, n'est pas sans inconvénients pour ceux qui le lisent.
Tantôt il néglige les ménagemens nécessaires pour faire accueillir ou mêmeexaminer sans répugnance des notions trop différentes des opinions reçues. Tantôt il ne soupçonne pas h lassitude que doit causerie trop grand développement des idées communes.. On trouve quelquefois exprimé en une seule phrase une idéequi eût demandé dix pages d'explication, et d'autres fols dix pages sont consacrées à démontrer des vérités dès long-temps admises, et qu'il eût suffi d'indiquer. La vérité du ce qué.Godi)vin croit la vérité, lui, parait d'une importance iégale dans
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toutes ses branches. Il s'ensuit que parce qtfîifiSe' les appuie d'aucune preuve, dans un endroit, les assertions semblent bizarres; et que, dans un autre, elles sont surabondamment incontestables. Un autre.défaut de.Godwin, c'est de joindre
fréquemment à la témérité des hypothèses la 'maladresse des détails; c'est ce qui lui est arrivé, surtout quand il a parlé de la perfectibilité de l'espèce humaine, de cette espérance qui n'est repoussée que par ceux, qu'elle afflige, comme les habitansdeje ne s&:s quel village déploraient l'amélioration des grandes routes ..parce qu'ils gagnaient, à ce que les voyageurs brisassent leurs voitures en le traversant.
Godwin s'est laissé emporter dans ses conjec-
tures sur cette matière, par le besoin de décrire ce qu'il ne devait; que pressentir..Il a tenté de détailler des découvertes qui ne sont pas faites ;:et frappé de plusieurs inconvéniens moraux et physiques, dont le remède nous est encore inconnu, il a voulu devancer le temps, qui pourra seul nous l'indiquer.
Lorsqu'on présente au public une opinion qui
peut sembler étrange,, il faut se garder de l'accompagner de conjectures, plus extraordinaires.' encore; .C'est bien, assez pour elle d'être neuv.e, sans qu'elle ait à lutter contre la défaveur de son entourage. Il faut, au contraire, en lui donnant
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pour alliées des propositions communes, lui faire pardonner son air éiranger; et ce n'est que lorsqu'un principe n'est plus un hôte admis avec peine et défiance, mais qu'il a obtenu le droit de cité .et conquis son domicile, qu'on peut lui permettre d'appeler à lui et d'avouer hautement la nombreuse clientelle de ses conséquences.
Il est aisé de voir, par tout ce. que je viens de
dire, que l'onvrage de Godwin est loin d'être un bon ouvrage; mais il invite le lecteur attentif à penser par lui-même, et il le dispose à juger toutes les doctrines et tontes les institutions avec impartialité et indépendance.
J'ajouterai que jamais auteur ne fut plus que
Godwin ennemi des révolutions, n'en fit une peinture plus effrayante, ne redouta plus lés maux de l'anarchie, ne, recommanda plus vivement -aux hommes d'attendre tout des efforts de la raison, ne leur répéta de plus de manières que la violence qui veut -devancer la conviction n'est qu'un fléau, et que la conviction rend la violence inutile. Godwin est un ami zélé delà liberté, mais it Test aussi de la paix.
IL est Je défenseur quelquefois exagéré de
l'égalité;; mais il est l'adversaire "non moins courageux de toute innovation tumultueuse et arôme de toute amélioration précipitée. Il pousse jusque scrupule la: tolérance pour <outes;i€S «pi-
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nions, opposés aux siennes les ménagemens pour les institutions contre lesquelles l'unanimité de l'association ne se serait pas prononcée, l'intér.ét pour les classes privilégiées où l'on eût trouvé, dit-il si on ne les avait pas blessées et proscrites plus d'un partisan des lumières et d'un ami de l'humanité.. C'est touj ours aux apôtres immodérés des révolutions qu'il s'en prend des obstacles que la liberté rencontre; c'est leur impatience, leur intolérance, leur esprit persécuter qu'il accuse. On s'aperçoit en, le lisant y que, lorsqu'il écrivait, ceux qu'il censure étaient les plus forts, et il ne prévoyait pas qu'un jour plus d'un opprimé dont il plaidait la cause serait l'émule des oppresseurs.
J'ai dit, en commençant, que probablement
l'ouvrage de Godwin ne serait jamais traduit en français. J'en avais, il y a plus de vingt ans; entrepris et même achevé la traduction, Une considération m'a fait renoncer à la publier; j'ai craint què-ce qu'il y a de chimérique dans les prédictions et. d'anti-social dans quelques-uns des principes du philosophe anglais, ne jetât de la défaveur sur les vérités dont il s'est .déclaré l'apôtre et dont il s'est montré le défenseure1oquent.
On trouve, au reste, une analyse très bien faite
de sesdoctrines sur les lois positives, l'undes objets
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sur lesquels il a répandu le plus de lumière, dans un ouvrage intitulé De V Homme et de la Société. Malheureusement cette analyse est précédée d'un système de métaphysique dont l'ensemble est abstrait' et plusieurs des propositions douteuses; mais si Ton formait un ouvrage à part des trois chapitres que l'auteur a empruntés à Godwin, on verrait combien sont sages et modérées plusieurs des idées d'un écrivain que beaucoup de gens considèrent comme un rêveur bizarre ou comme un démagogue insensé. V
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DE LA LITTÉRATURE
DANS SES RAPPORTS AVEC LA LIBERTÉ.
Ceux qui découvrent on qui établissent des vérités, n'importe en quel genre ont xmë des- tinée singuHère.^On les accuse.d'abord d'être des visionnaires ,des insensés, où des séditieux^ou leur. reproche de dire; ce qui n'avait /jamais été dit, etde menacer par là tout ce qui existe^on crie à l'innovation, au renversement, au. anéprie'-du passé. Lorsque, malgré, cette tactique j ;le&yérrités qu'ils ont proclamées triomphent, on change deulangage. ils ne. sont plus, des novateurs, pils sont des plagiaires; cent fois et ils ontusùrpéirihonneur de' la^déçouVierteiic/ écrivains
qui.se sont voués àcômbattreîlesidéesdeîîlïerte, ma ans.tièmei siècle, des chement des teUençe:
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tent leur cause roinée, ils s'appliquent ravir a nos philosophes la gloire d'être les premiers qui se soient élevés contre le despotisme, et ils réclament la -priorité pour l'époque de Louis XIV. Tous les principes de liberté, disent-ils, se trouvent dans Massillon, dans Bourdaloue, et même dans Bossuet.
Qu'ils aient tort ou raison, cette révolution
dans leur langage n'en prouve pas moins une «hoseimportante, c'est que la victoire est demeurée auxprincipes de la liberté, et que toute gloire, ancienne ou moderne, a. besoin maintenant, pour se conserver, d'être associée à ces principes. Au reste comme j'aime à reconnaître lavérité,
avant toutes choses, et comme je suis en même temps charmé qu'en faisant le dénombrement des défenseurs d'une noble cause, on rencontre parmi eux les grands talens de toutes les époques, j'adopte volontiers le nouveau système des écrivaine dont je parle, et je crois faire une chose utile en leur fournissant des raisonnemens et liés faits qui viennent à l'appui de ce nouveau système mais auxquels, vraisemblablement ils n'ont pas songé, parce qu'ils n'ont pas envisagé la question d'assez haut. L'horizon dé f esprit de parti manque toujours d'étendue; .:• ,;i J?our ^thé écrivain ait; des idées -de7 13*erté, il n'est pas
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taines formes d'organisation sociale, que chacun peut considérer commeplus ou moins favorables à la liberté. Il y a telle phrase qui prouve manifestement que tel écrivain ne peut être un ami du despotisme, quelles que soient ses idées sur les institutions positives. S'il n'a pas sur. ces objets des idées justes, c'est qu'il ne sait pas comment arriver a la liberté, mais il la désire, il en est l'ami de même, de ce qu'un homme est attaché à teHe forme de gouvernement, libre en apparence, il ne s'ensuit pas qu'il soit un ami de la- liberté. Il peut en être l'ennemi; nous en avons en durant la révolution, plusieurs exemples.
-Se prends en preuve de ce que j'affirme- ici l'histoire de la littérature romaine.On a souvent attribué au pouvoir absolu dont
Auguste s'empara la splendeur littéraire du siècle qui porté son nom, et, après avoir: établi ce fait comme démontré, on a voulu lui assigner une cause. On a prétendu que rien n'était plus favorable aux progrès et au perfectionnement de la littérature proprement 4ke f> que l'autorité sans bornes gouvernement,: a-t-on dit, répand ,Un; grand éclat sur le possesseur de Ja puissance encourage le luxé, maintient la paix intérieure étouffe l'ambition, -.réveille: la vanité, 'met
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toute Investigation politique; réduit ainsi les 'hommes avides d'illustration à la chercher dans les arts ou dans les lettres, et multiplie le nombre des aspirans. à ce genre de gloire, en enlevant tout autre intérêt à ceux que la pauvreté ne force pas à des travaux mécaniques, que leurs affections privées ne dominent pas entièrement, que l'ardeur du gain ne pousse point à des spéculations commerciales, ou que leur rang n'appelle point à quelque portion secondaire du pouvoir. De cet état de choses, a-t-on continué, résulte, pour tout te qui n'est pas le peuple, une élégance de formes, une délicatesse de goût, qui ne s'acquièrent et ne se développent que dans le calme. Il en résulte de plus,- pour là classe lettrée, en particulier, que lés succès littéraires, -qui dans les pays où la liberté règne, et dans lesquels 'les passions s'agitent ne sont que des moyens d'arriver à wn. but -plus important, deviennent eux-mêmes lé but principal, ou même le but unique des hommes instruits ces hommes cuWvënt d'autant mieux le domaine qui leur reste, qu'ils y sont renfermés plus exclusivement. Je pense, au contraire! qu'il' est aisé de prou-
ver que les dtèfe-d'œuvre-de la. littérature- TOrmaine, bien que despote, ont dû: leur existence, est leur' mérite aux-débris .de la liberté parce que les; progrès
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de la littérature, quelque séparée qu'on aime à la concevoir de toute idée politique tiennent toujours, non pas sans doute à une liberté explicite et garantie; maisà un mouvement dan&les esprits qui n'est jamais complètement- étranger aux souvenirs, à la possession, à l'espérance, au sentiment, en.un mot, delà libertés •̃->
Cesentiment et3e regret de ne pas oser Te manifester, se retrouvent dans tous les grands écrivains du siècle d'Auguste. Ils l'ont combiné malheureusèment avec la flatterie la plus vile. Un des crimes de la tyrannie, c'est de forcer le talent à se dégrader. Mais ce sentiment existait en secret eut comprimé, et il faisait la beauté" principale <ïes ouvrages mêmes que la flatterie déshonorait*
Une observation première se présente à moi;
c'est qu'à l'exception d'Horace d'Ovide et'de yirgîfè^'tous les hommes éminemment dîstinÊfùés'dans la littérature romaine sont antérieursà râfiermTssemeut du pouvoir d'Auguste et <jus, plusieursiurent les ennemis de ce tyran.
tion de César-. Ce dernier déte^ijt.l^usnrpateur. Nous avons encore quelques-unes des épigrammes qu'il composa contre; lui i et Suétone, :que:riou& devons ^.regarder, plutôt comme -un organe de·îlopinïdn; .que comme, uni hbmme jugeant 'pat
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lui-même, dit que ces épigrammes firent à César des blessures mortelles.
Salluste trahit la cause nationale mais il
s'était dégradé par de honteux plaisirs; et la corruption qui, chez beaucoup d'hommes, est le résultat de l'esclavage, en fut, chez Salluste, le principe. En donnant des conseils à la tyrannie, il lui prostitua, mais il ne lui dut pas son talent. Cicéron avait composé lé plus grand nombre
de ses chefs-d'œuvre, non-seulement avant le despotisme d'Octave, mais avant que César eût été assassiné.
César lui-même, qu'il faut détester pour ses
crimes envers sa patrie était l'un de ses orateurs les plus éloqnens, et ses Commentaires, noua le font connaitre comme un écrivain plein, d'élégance, de force et d'adresse. Par conséquent, sur huit ou dix écrivaips.qu^ composent la richesse littéraire de ce beau siècle^, cinq dès principaux appartiennent aux temps de ta liberté.
J'observerai que je n'ai parlé ni d*Ennïus^
• ni dé Lncilë; ni de Vairon.1 dont' 3 né?nous~ reste que des fragmens niJ même dé Térèhce Tnort plus d'un siècle et demi avant César, et dont le langage, le plus pur, le pins élégànt'pèut-etrë que nous trouvions dans aucun- écrivaiade^àntiquité, annonce une littérature très perfectkmHée,
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Quand on réfléchit que Térence,n'est séparé de: Plaute, dont la force comique n'excuse pas la- grossièreté., que par un intervalle de vingt-huife ans, les progrès, de cette littérature ne peuvent être contestés, et la protection éclatante de Lélins et de Scipion envers l'esclave afidcamprouve que,, pour les Romains les plus illustres, ces pro- grès n'étaient pas un objet d'indifférence.
La littérature romaine n'a donc pas eu iesoin^.
pour s'elever à un haut degré de mérite., de ce qu'on a nommé l'abri du pouvoir absolu. L'impulsion était donnée à tous les esprits, le,goûts'épurait chaque jour. Si nous trouvons desexpressions grossières dans SaUuste et dans Lttcrèce,nons n'en trouvons aucune dans Gicéron,^ ne se jette à plaisir dans l'obscénité, ;ce':qui, est une .débauche d'esprit volontaire. Or, il faut distinguer ce qui tièntrà la littérature d?unsiècle, de ce qui n'est que Eégarement passager l'amusement condamnable^ mais momentané^d'un écrivain^. florace^ sous Auguste* est :plus -indécent, encore .que. Catulle^ et je. ne pense pas qu'on puisse', conclure vde la- licence de Voltaire dans la Guerre de Genève- sca. ^peu ;de' délicatesse; de la littérature irançaise L'époque où i3; écrivait Les lettres étaientle ,goût. vatouj ours en dépurant. cette flexibâité
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dans l'esprit, cette finesse dans les mœurs, cette rapidité dans les allusions, cette propriété dans les termes, qui font la perfection de Fart, et qu'on attribue à l'absence des intérêts politiques et à là protection des despotes, le. temps,' sans le secours funeste de cette protection dégradante, .aurait'achevé de les donner aux. littérateurs romains, car déjà nous les admirons dans Cicéron. Voyons-maintenant si les maîtres de: Rome firent mieux que le temps n'auraitpu faire. • vj J'ai déjà dit que; parmi les grands, écrivains de Rome, trois seulement appartiennent :réellement au-siècle d'Auguste: je veux parler de Vir-r gile d'Horace et d'Ovide. Les deux, premiers d'abord, ennemis d'Octave, devinrent, ses profut sa victime. Je ne jn'arrêterai point à caràctéoser celui';ci; d'abord parce qu'il est très înfériéuraùxdëuxautres.y.et. ensuite ̃parce, que. je ne veux 1 qu'indiquer; -quelques ,idées mais je prouverai, je lé' crois qu'Horace 4tqae. yirgile> loin de devoir la perfection: de leur talent au despotisme, tournèrent toujours vers, la liberté des regards de;Mgrét ou de^désir, et que ces désirs et ces regrets, dont Expression leur-échappait malgré eux, constituent ce qu'il y; a de plus beau, de plus profond. et de; plus élevé-dans-léurs; ouvrages^ :f; •
̃ ̃ comme
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Brutus. Il avait été tribun militaire sous- ce dernier défenseur de la liberté romaine; et puisque, fils .d'un affranchi il avait obtenu cette dignité,. disproportionnée avec sa naissance
Quem rodant omnes îibertino pâtre natwnj
il est vraisemblable qu'il s'était distingue sous les étendards de ;la république, avant la bataille de Philippe. Il jeta son bouclier, nous dit-il, et prit la fuite à cette bataille
̃•̃ ̃ •
et de ce Bon mot d'im; vaincu dé venir poète j on s'est empressé de conclure 'qu'il s'applaudissait 'dé sa lâcheté; et qu'U avait vu succomber sans regret la cause qu'il avait servie. Mais savons-nous jus^croyait force" d7exàgérer1à honte de sa défaite vertus, les:obKgentà'câtihèr:leurs Hicés. Horace ntous ''dit ailleurs' 'quë^àr patrie;
s'- a-y-ï ̃
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Decisis ùwpemque paterni
Et loris et fanai,
dissipé sa fortune et. risqué sa vie. Pauvre, proscrit fugitif il revint a Rome et cédant avec l'univers il se courba devant Octave,. et mendia, la. protection de Mécène. Mais-, au milieu même de cette résignation, nulle part Horace, il faut lui en savoir gré, n'insulte au parti qu'il avait défendit nulle part il ne le désavoue. H natte Auguste, mais ce n'est ja-.mais comme ayant détruit la liberté j c'est comme ayant dompté les ennemis du nom romain. Il° célèbre sa victoire contre Antoine son. compétiteur de tyrannie, il se tait sur celles qu'il a remportées sur Brutus. Il fait. mieux tout ce qu'il est possible de dire d'honorable pour les der-.niers soutiens de la liberté, sous un usurpateur hypoçrite et. soupçonneux, il le place dans ses odes. Deux fois il chante la gloire et la mort de Gaton, et ces deux, passages sont au nombre: des pins sublimes de ses poésies.
Sijyà&ne publique mous-pas- sojns,^à sa vie privée nous y reconnaîtrons un. homme menacé dans sa sûreté, et qui cherche à la regagner en se rendant agréable à la puissance; trompé dans les espérances, civiques de sa jeunesse, il se réfogie dans 'les plaisirs^ 'comvae le seul étourdissement dJune liberté n'a-
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nime pas. Si nous le Iisons avec attention, nous serons frappés, tontes les fois que son sujet le ramène aux souvenirs qu'il repousse, de je ne sais quels élans involontàires. qui le portent à prononcer anathème: contre la tyrannie même devant laquelle il baisse le front. Tantôt il représente l'homme juste, inébranlable devant le maître qui le menace ailleurs, dans une ode à la Fortune, en faveur d'Auguste, il est entraîné tout coup, maigre lui, à peindre les tyrans vêtus de'pourpre, craignant que la destinée ne renverse leur colonne d'un pied injurieux, et que le peuple assemblé ne crie de toutes parts aux armes et ne brise leur empile.
Purpura metuunt tyrarad,
Injurioso ne pede proruas
Stantem columnam, neu popidus Jrequens
Ad' arma cessantes, ad arma
Conatet; imper iumquefrangat.
Je ne veux assurément pas présenter Horace
comme unûenthousiaste de la liberté; je veux ne furent ni étrangers à sori: âme ni inutiles, son talent; que peut-être son génie ne. -se âut jamais élevé si haut,:si, dans sa jeunesse^il n'eût connu1 que les idéestiques de l^obeissancej que c'est au compagnon.
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de Brutus-que le courtisan de Mécène dut-une partie de la pompe de ses expressions et de la. sublimité de ses pensées, et que l'on se fait.d'Horace une fausse idée, quand on l'imagine élevé façonne-, formé sous le despotisme,.
Virgile ne partage Horace l'honneur d'avoir été l'adversaire armé de la tyrannie, mais il- eut du moins, comme lni; celui d'être frappé par. elle# il fut;chassé des champs paternels par des. satellites d'Qctave. On rèncontre dans ses poésies., comme dans celles d'Horace des, flatteries pour le tyran;. mais on y trouve de, même des éloges pour les martyrs de la liberté. C'est Caton qu'il choisit parmi. tous les héros qui avaient existé jusqu'à son temps pour donner des lois aux justes dans .l'Elysée. Plaignons-le et ne le blâmons pas:Tïrop sévèrement de n'avoir point osé nommer Cicéron. Quel est celui d'entre nous qui, dans des temps d'orage, n'a pas tu quelquefois ce qu'il devait dire?- ISt; Virgile, en louatit, les orateurs grecs était sur que tout ce qui restait de Romains. dans i Rome penserait tout bas. au grand citoyen quil s'interdisait] de nommer. Ainsi donc, au milieu des prospérités de la-, servitude, nous voyions. Horace chercher; des; consolations dans. la philosophie épicurienne dans l'insouciance et dans les plaisirs: des sens £
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nous voyons Virgile se livrer à une mélancolie habituelle. Tous deux fuient la cour et n'aspirent qu'à la retraite. Certes, si les encouragemeùs de l'autorité, si la protection des dépositaires du pouvoir: absolu sont les biens les pins estimés par ceux qui cultivent les arts et les lettres, il est bizarre que les deux plus grands poètes du siècle d'Auguste, comblés de ses bontés, aient toujours éprouvé le besoin de se dérober à sa présence. Je ne sais si. je me trompe, mais en examinant leur conduite, je serais tenté de croire que tous ces bienfaits de la puissance, si varités par les esprits subalternes, sont, pour le véritable génie, plutôt une nécessité qu'il subit qu'une prospérité qu'il-ambitionne. Si vous retranchez .des beatur temps de. l littérature romaine yCLucrèce; Salluste, César, Cicéron Catulle/ et si vous êtes obligé de convenir qu'Horace et Virgile 'n'avaient pas: été formées par Auguste, mais s'étaient soumis à son joug après avoir essayé de fuir et de résister y que vous restefa-t-il en preuve de l'emcacité du •- Et
guste qu'apercevez vous? xmë décadence qui se: fait remarquer déJdeux> manières, par
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âmes vulgaires, et par l'irritation où ce même esclavage jeta le petit nombre d'âmes encore profondes et élevées. Dans tous les auteurs estimables qui écrivirent sous les empereurs, on trouve quelque choses de raide, d'emphatique, d'exagéré, fruit de la contrainte qu'ils éprouvaient et de la douleur d'une indignation tonjours contenue. Les hommes qui ont vécu sous la tyrannie, sans se dégrader entièrement, savent que l'existence physique elle-même y devient pénoble. L'air qu'on y respire y parait lourd; la poitrine se soulève avec effort; je ne sais quelle montagne pèse sur le coenr. Lisez Lucain, Sénèque, Perse, Juvénal:si, dans cette décadence littéraire, vous cherchez la source des beautés qui restent à ces écrivains, vous la trouverez encore dans le stoïcisme ou s'était réfugié l'amour de la liberté. Velléius Paterculus, ce misérable flatteur de Séjahy qui expia probablement sabassesse au moment où son protecteur expia ses crimes, s'anime en louant -Cicéron, et la haine des tyrans fournit dés traits: sublimes même à Suétone. Sous Trajan la patrie reparaît et l'espoir de la liberté s'éveille aussi vous voyez briller Quintilien et Tacite. Avec l'apparence de la liberté, la. littérature se relève. Cependant Tacite se ressent du despotisme qui l?a précédé c'est un auteur admirable niais.
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rement parlant, bien loin de la pureté de goût qui distingue les écrivains du siècle d7Auguste. La liberté s'éclipse de nouveau, et la littérature expire avec Pline le jeune.
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'̃ XI.
DE LA JURIDICTION DU GOUVERNEMENT
SUR L'ÉDUCATION.
L'éducation peut être considérée sous deux
points de vue. On peut la regarder en premier lieu comme un moyen de transmettre à la génération naissante les connaissances de tout genre acquises par les générations antérieures. Sous ce rapport, elle est de la compétence des gouvernemens. La conservation et l'accroissement de toute connaissance est un bien positif; le gouvernement doit nous en garantir la jouissance.
Mais on peut voir aussi dans l'éducation le
moyen de s'emparer de l'opinion des hommes, pour les façonner à l'adoption d'une certaine quantité d'idées, soit religieuses, soit morales, soit philosophiques, soit politiques. C'est surtout comme menant à ce but que les écrivains de tous les siècles lui prodiguent leurs éloges.
Nous pourrions d'abord, sans révoquer en doute
les faits qui servent. de base à cette théorie, nier que ces faits fussent applicables à nos sociétés actuelles. L'empire de l'éducation, dans la toutepuissance qu'on lui attribue, et en admettant
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cette toute-puissance comme démontrée chez les anciens, serait encore parmi nous plutôt une réminiscence qu'un fait existant. On méconnaît les temps, les nations et les époques; et l'on applique aux modernes ce qui n'était praticable qu'à une ère différente de l'esprit humain.
Parmi des peuples qui, comme ledit Condor-
cet (i), n'avaient aucune notion de la liberté personnelle', et où les hommes n'étaient que des machines dont la loi réglait les ressorts' et dirigeait les monvemens l'action de l'autorité pouvait influer efficacement sur l'éducation, parce que cette action uniforme et constante n'était combattue par rien. Mais aujourd'hui la société entière se soulèverait contre la pression de l'autorité, et l'indépendance individuelle que les hommes ont reconquise réagirait avec force sur l'éducation des enfans. La seconde éducation, celle du monde et des circonstances/déferait bien vite l'ouvrage de la première (2). De plus, il serait possible que nous prissions pour des faits historiques les romans dé quelques philosophes imbus des mêmes préjugés que les écrivains qui de nos jours, ont adopté leurs (1) Mém. sur l'Instruct. publique. '̃<"̃'
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principes et alors ce système, .au lieu d'avoir été, du .moins autrefois, une vérité pratique ne serait qu'une erreur perpétuée d'âge en âge.
Ou voyons -nous, en effet, cette puissance
merveilleuse de l'éducation? Est-ce à Athènes? Mais l'éducation publique, consacrée ,par l'autorité, y était renfermée dans les .écoles subalternes, qui se bornaient à la simple instruction; il y avait d'ailleurs liberté complète d'enseignement. Estce a Laçédémone ? L'esprit uniforme et monacal des Spartiates tenait à un ensemble d'institutions dont l'éducation ne faisait qu'une partie, ;et cet ensemble, je le pense, ne serait ni facile ni désirable à renouveler parmi nous. Est-ce en prête? Mais les Crétois étaient le peuple le plus féroce, le plus inquiet, le plus corrompu de la {Grèce. On sépare les institutions de leurs effets, et on les admire d'après ce qu'elles étaient des-.,tinées à produire, sans prendre en considération ce ^qu'elles ont produit en réalité.
On nous cite les Perses et les Égyptiens. Mais
nous les connaissons très imparfaitement. Les éçriyaias grecs pnf .choisi ijaPerseet l'Egypte pour donner une libre carrière à leurs spéculations Germaniè; ils ont mis en action chez des peuples lointains ce qu'ils auraient désiré voir établi dans leur patrie. Leurs mémoires sur les institutions
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égyptiennes. et persannes sont quelquefois démontrés faux par la seule impossibilité manifeste des faits qu'ils contiennent, et presque toujours rendus .très douteux par des contradictions in-? conciliables. Ce que nous savons d'une manière certaine, c'est que les Perses et les Égyptiens étaient gouvernés despotiquement, et que la lâcheté, la corruption, l'avilissement, suites éternelles du despotisme, étaient le partage de ces nations misérables. Nos philosophes en conviennent dans les -pages mêmes où .'ils nous. les proposent pour exemples, relativement à l'éducàtion bizarre faiblesse dë l'esprit .humain qui, n'apercevant les objets qu'en détail, se laisse tellement dominer par une -idée favorite, que les effets les plus décisifs ne l'éclairent pas sur l'impuissance dès causes dont il lui convient de proclamer le pouvoir! Les preuves historiques ressemblent, pour la plupart, à celle que M. de Montesquieu 'allègue en faveur; de :la: gymnastique. L'exercice de la lutte, dit-il, fit gagner aux Thébains la bataillé dé Léuctres. Mais sur qui gagnèrent-ils cette bataille? sûr les Lacédémoniens, qui s'exerçaient à la gymnastique depuis quatre cents ans.. •
Le système qui met l'éducation sous la main
du gouvernement repose sur deux ou trois pé-v titions de principes.
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On suppose d'abord que le gouvernement
sera tel qu'on le désire. On voit toujours en lui un allié, sans réfléchir que souvent il peut deyeuir un ennemi; on ne sent pas que les sacrifices que l'on impose aux individus peuvent ne pas tourner au profit de l'instüution que l'on croit parfaite, mais au profit d'une institution quelconque.
Cette considération est d'un poids égal pour les
partisans de toutes les opinions. Vous regardez comme le bien suprême le gouvernement absolu, l'ordre qu'il maintient, la paix que, selon vous, il procure. Mais si l'autorité s'arroge le droit de s'emparer de: -l'éducation, elle ne se- l'arrogerapas seulement dans le calme du despotisme, mais au milieu de la violence et des fureurs des actions. Alors le résultat sera tout différent de ce qne vous espérez. L'éducation soumise à l'autorité, n'inspirera plus- aux générations naissantes ees habitudes paisibles 'i ces principes d'obéissance, ce respect pour larel igion, cette soumission aux puissances visibles et invisibles que vous considérez comme la base du bonheur et repos, social. Les factions: feront servir l'éducation, devenue leur instrument, à répandre dans l'âme de la jeunesse des opinions exagérées, -des maximes farouches, le -mépris des idées religieuses qui leur paraîtront des doctrines enne-
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mies, l'amour du sang, la haine de la pitié. N'est-ce pas ce qu'aurait fait le gouvernement révolutionnaire s'il avait. duré plus long-temps? et le gouvernement révolutionnaire était pourtant un gouvernement.
Ce raisonnement n'aura pas moins. de force. si
nous l'adressons à des amis d'une liberté sage et modérée. Vous voulez, leur dirons-nous, que, dans. un gouvernement libre, l'autorité domine l'éducation, pour former les citoyens, dès l'âge. le plus. tendre, à la connaissance et au maintien de leurs droits, pour leur apprendre à braver le despotisme, à résister au pouvoirin^ juste, à défendre l'inaocence contre l'oppression. Mais le. despotisme emploiera l'éducation à courber sous le joug ses esclaves dociles, a briser dansles coeurs tout sentiment noble et courageux, à bouleverser toute notion de justice, à jeteur de l'obscnrité sur les vérités lès plus évidentes, à repousser dans les ténèbres, ou, à flétrir par le ridicule tout ce qui a rapport aux droits les plus sacrés, les plus inviolables de respèce.Humame. N?ost-ce pas ce que iraient aujourd'hui slls étaient revêtus; de quelque pouvoir, ces en=ne- mis ardèns de toute lumière, ces détracteur. de toute philosophie, ces calomniateurs de toutei idée noble, qui trouvant la .carrière, du crime^
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déjà parcourue, s'en dédommagent au moins amplement dans celle de la bassesse?
On croirait que le Directoire avait été destiné
à- nous donner de mémorables leçons sur tous les objets de cette nature. Nous l'avons vu, pendant quatre ans, voulant diriger l'éducation, tourmentant les instituteurs, les réprimandant, les déplaçant, les avilissant aux yeux de leurs élèves, les soumettant à Yinquisition de ses agens les plus subalternes et des. hommes les moins éclairées, entravant l'instruction particulière, ettroublant l'instruction publique par une action perpétuelle et puérile. Le Directoire n'était-il pas un gouvernement? Je voudrais connaître la garantie mystérieuse que l'on a reçue, ,<jue jamais 1'avenir neressemblera au passé.
Dans toutes ces hypothèses, ce que l'on. dé-
sire, que le gouvernement fasse en bien, le gouv vernement peut le faire en mal. Ainsi, les espérances peuvent être déçues, et l'autorité que l'on étènd à l'infini d'après des suppositions gratuités, peüt marcher en sens inverse du but' pour lequel on l'a créée.
L'éducation qui vient du gouvernement doit
se borner à l'instruction seule. L'autorité peut multiplier les canaux, les moyens de' Tiristractiôiij mais elle ne doit pas la diriger. Qu'elle assure aux citoyens dés moyens égaux' de; s'ins-
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truire; qu'elle procure aux professions diverses l'enseignement des connaissances positives qui en facilitent l'exercice qu'elle fraie aux individus une route libre pour arriver à toutes les vérités, de fait constatées (i)7 et pour. parvenir au point d'où leur intelligence peut s'élancer spontanément à des dëcouvertesnouvellesjqutelle rassemble, pour l'usage de tous les esprits in- vestigateurs, les monumens dè: toutes les opinions les inventions de tous les siècles, les découvertesde toutes les méthodes qu'elle organise enfin l'instruction de: manière à- ce que chacun puisse y consacrer le temps qui convient à son intérêt ou à son désir; et se: perfectionner. dans le métier, l'art ou la science auxquels ses goûts ou sa destinée l'appellent; qu'elle ne nomme point. les instituteurs, qu'elle ne leur accorde qu'un traitement qui, leur assurant le nécessaire, leur rende: pourtant désirable l'affluencë des élèves; qutelle pourvoie à leurs besoins, lorsque l'âge ou les infirmités auront mis un terme à- leur carrière active;. qu'elle ne puisse point les destituer sans des causes graves«t sans le concoures d'hommes indépendans d'elle (2)5 car les instituai) On périt enseigner .les faits1 sur paTolc, mais-jamais les
raisonnemens. CoiroomtEri
(2) Pour les détails de l'organisation dé l'instruction pu-
blique qui ne sont pas'du-^ ressort de cet' ouvrage', je" renvoie
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teurs soumis au gouvernement seront à la fois négligens, et serviles. Leur servilité leur fera pardonner leur négligence soumis à l'opinion seule, ils seraient à la fois actifs et indépendaris (i).
En dirigeant l'éducation le gouvernement
s'arroge le droit et s'impose la tâche de maintenir un corps de doctrines. Ce mot seul indique les moyens dont il est obligé de se servir. En admettant qu'il choisisse d'abord les plus doux, il est certain du moins qu'il ne permettra d'enseigner dans ses écoles que les opinions qu'il préfère (2). Il y aura donc rivalité entre l'éducation publique salariée et l'éducation particulière il y aura des opinions investies d'un privilège y mais si ce privilège ne suffit pas pour faire dominer les opinions favorisées, croyez-vous que l'au- torité, jalouse de sa nature, ne recoure pas à d'au», tres moyens? Ne voyez-vous pas, pour dernier résultat, la persécution, plus .on moins déguisée, mais, compagne constainte de toute action super- fine de l'autorité?
Les gouvernemens qui paraissent ne gêner eu
rien l'éducation particulière, favorisent néan-. moins toujours les établissemens qu'ils ont fon-! le lecteur aux Mémoires de. Condor cet, où toutes les questions, qui se rapportent à cette matière sont examinées.• (i) Smith Richesse des; Nations.
(2) Gondorcet, Premier Mémoire page 55..
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dés, en exigeant de tons les candidats aux places relatives à l'éducation publique, une sorte d'apprentissage dans ces établissemens. Ainsi; le talent qui a suivi la route indépendante, et qui, par un travail solitaire, a réuni peut-être autant de con- naissances, et. probablement plus d'originalité qu'il ne l'aurait fait dans la routine des classés, trouve sa carrière naturelle, celle où il peut se communiquer et se reproduire, fermée tout à coup devant lui (ï).
Ce n'est pas que, toutes choses égales, je ne
préfère l'éducation publique à l'éducation privée. La première fait faire. à la génération qui s'élève un noviciat de la vie humaine plus utile que toutes les leçons de pure théorie, qui ne suppléent' jamais qu'imparfaitement à la réalité et à l'expérience.
L'éducation publique est salutaire surtout dans
les pays libres..Les hommes rassemblés à quelque âge que ce soit, et surtout dans la jeunesse; con(i) Tout ce qui oblige ou engage un certain nombre d'étu-
dians à rester à un collège ou à une université, indépendamment du mérite nu de la réputation des maîtres, comme; d'une part, la nécessité de prendre certains degrés qui ne peuvent être conférés qu'en certains lieux, et, de l'autei, bourses et assistances accordées à l'indigence studieuse, ont l'effet de ralentir le zélé et de rendre moins approfondies les connaissances des maîtres, ainsi privilégiés sous une forme quelconque.
Smith, V, 1.
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tractent, par un effet naturel de leurs relations réciproques, un sentiment de justice et des, habitudes d'égalité qui les préparent à devenir des citoyens courageux et des ennemis de l'arbitraire. On a vu, sous le despotisme mêmè, des écoles dépendantes de l'autorité, reproduire, en dépit d'elle, des-germes de liberté qu'elle s'efforçait en vain d'étouffer.
Mais je pense que cet avantage peut être obtenu sans contrainte. Ce qui est bon n'a jamais besoin de privilèges, et les privilèges dénaturent toujours ce qui est bon. H importe d'ailleurs que si le système d'éducation que le gouvernement favorise est ou: parait être vicieux à quelques individus, ils puissent recourir à l'éducation particulière, ou à des instituts sans rapport avec le gouvernement. La société doit respecter les droits des individus-, et, dans ces droits, sont compris ceux des pères sur leurs enfans (i). Si son action lès blesse, une résistance s'élèvera', qui rendra l'autorité tyrannique, et qui corrompra peut-être ce. respect que nous exigeons du gouvernement pourles droits des pères. On objecte que les classes inférieures du. peuple,: réduites, parleur misère, à tirer enfans; dès que ceux-ci sont capables de les seconder dans leurs travaux, ne (i) page 44-
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les feront point instruire dans les connaissances nécessaires, l'instruction fût-elle même gratuite, si le gouvernement n'est autorisé à les y contraindre. Mais cette objection repose sur l'hypothèse 'd'une telle misère dans le peuple, qu'avec cette misère, rien ne peut exister de bon. Ce qu'il faut, c'est que cette misère n'existe pas. Dès que le peuple jouira de l'aisance qui lui est due loin de retenir ses enfans dans l'ignorance, il s'empressera de leur donner de l'instruction il y mettra de la vanité, il en sentira l'intérêt. Le penchant le plus naturel aux pères est d'élever leurs enfans au-dessus de leur état; c'est ce que nous voyons. en Angleterre ret ce que nous avons, vu en France pendant la révolution. Durant cette époque, bien qu'elle fiât agitée,. et que le peuple eût beaucoup à souffrir sous son gouvernement; cependant,. par cela seul qu'il acquit plus d'aisance, l'instruction fit des progrès étdn^nans dans. cette classe partout, l'instruction: dut peuple est en proportion de son aisance.
Nous avonsdit, au commencement de ce cha-
pitre^ que les Athéniens n'avaientsoumis ai l'inspection des magistrats queilës écolessubalternes celles de dépendance. la: plus absolue, et ce peuple éclairé: nous a transmis à ce sujet un mémorable exemple. Le démagogue Sophocle ayant proposé de. subor-
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donner à l'autorité l'enseignement des philosophes, tous ces hommes qui, malgré leurs erreurs nombreuses, doivent à jamais servir de modèle et comme amour de la vérité et comme respect pour la tolérance, se démirent de leurs fonctions. Le peuple réuni les. déclara solennellèment affranchis de toute inspection du magistrat, et condamna leur absurde adversaire à une amende de cinq tàlens(i).. ̃"
Mais, dira-t-on, s'il s'élevait un établissement-
d'éducation, reposant sur des principes contraires à la morale, disputeriez-vous. au gouvernement. le droit de réprimer cet abus? Non, sans doute, pas plus que celui .de sévir contre tout écrit et toute action qui troubleraient l'ordre public. Mais la direction est autre chose que la répres-.sion, et c'est la direction que j'interdis à l'au.torité. D'ailleurs, on oublie que,* pour qu'un établissement d'éducation se forme et subsiste,, il faut des elèves, que pour qu'il y ait des élèves, il faut que leurs parens les y placent et qu'en mettant à part, ce qui néanmoins n'est nullement raisonnable, la moralité des parens, il ne sera jamais de leur intérêt de laisser égarer le jugement ;"ëft pervertir le cour de ceux aveclesquels ils ont pour toute la durée de leurr ( i ) Diogéne-Laërce, Vie de Théophraste..
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vie les relations les plus importantes et les plus intimes. La pratique de l'injustice et de la perversité peut être utile momentanément et dans une circonstance particulière, mais la théorie ne peut jamais avoir aucun avantage. La théorie ne sera jamais professée que par des fous, que repousserait incontinent l'opinion générale, sans même que le gouvernement s'en mêlât. Il n'aurait jamais besoin de supprimer les établissemens d'éducation où l'on donnerait des leçons de vice et de crime, parce qu'il n'y aurait jamais d'éta-. blissemens semblables, et que, s'il y en avait, ils ne seraient guère dangereux, car lés, instituteurs resteraient tout seuls. Mais au défaut d'objections plausibles, on s'appuie de suppositions absurdes; et ce calcul n'est pas sans adresse s'il y a du danger: à laisser ces suppositions sans réponse, il parait y avoir, en quelque sorte, de la niaiserie à les. réfuter.
J'espère beaucoup plus, pour le perfectionne-
ment, de l'espèce humaine, des établissemens particuliers d'éducation que de l'instruction publique la mieux organisée par l'autorité.
Qui peut limiter le développement de la pas-
sion des lumières dans un pays de liberté? Vous supposez aux gouvernemens l'amour des lumières. Sans examiner ici jusqu'à quel point cette tendance est dans leur intérêt, nous vous
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demanderons seulement pourquoi vous ne supposez pas le même amour dans les individus de .la.classe cultivée, dans.les esprits éclairés, dans les âmes généreuses. Partout où l'autorité ne pèse pas sur les hommes, partout où elle ne corrompt pas la richesse en conspirant avec elle contre la justice, les lettres, l'étude, les sciences, l'agrandissement et l'exercice des facultés intellectuelles sont les jouissances favorites des classes opulentes de la société. Voyez, en Angleterre, comme elles agissent, se coalisent, s'empressent de toutes parts. Contemplez ces musées, ces savans voués uniquement à la recherche de la vérité, ces voyageurs bravant tous les dangers pour fairé avancer d'un pas les connaissances humaines..
En éducation, comme en tout, que le goù-
vernément veille et qu'ils préserve, mais qu'il n'entrave ni ne dirige;: qu'il écarte lès obstacles, qu'il aplanisse les chemins on peut s'en remettre aux individus pour 'y marcher avec succès.
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XII.
DE LA GUERRE DE TRENTE ANS,
DE LA TRAGÉDIE DE WALLSTEIN, PAR -SCHILLER, ET DU THÉATRE ALLEMAND.
La guerre de trente ans est une des époques
les plus remarquables de l'histoire moderne. Cette guerre éclata d'abord dans une ville de la Bohéme, mais elle s'étendit avec rapidité sur la plus .grande jfertie 4e l'Europe. Les opinions religieuses qui lui», servaient de principe changèrent de formé la seçte de Luther remplaça presque généralement celle de .Jean Huss, mais la mémoire du supplice atroce ,infUgé à ce dejrr- nier continua d'animer les esprits des novateurs, même après qu'ils se furent écartés de sa doct.v. Lâ^guerre de trente ans eut pour mobile, dans les peuplés, le besoin d'acquérir, la liberté religieuse leur indépendance poli!];que, ,4prês une longue et terrible lut^e, ces atteints. La paix de 1648 assura aux protestans l'exercice de leur culte, et aux petits souverains de l'Aile-
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magne la jouissance et l'accroissement de leurs droits. L'influencé de la guerre de trente ans a subsisté jusqu'à notre siècle.
Le traité de Westphalie donna à l'empire ger-
manique une constitution très compliquée; mais cette constitution, en divisant ce corps immense en une foule de petites souverainetés particulières, valut à la nation allemande, à quelques exceptions près, un siècle et demi de liberté civile et d'administration douce et modérée. De cela seul que trente millions de sujets se trouvèrent répartis sous un assez grand nombre de princes indépendans les uns des autres, et dont l'autorité, sans bornes en apparence, était limitée de fait par la petitesse <le leurs possessions, il résulta pour ces trente millions d'hommes une existence ordinairement paisible, une. assez grande sécurité, une liberté d'opinion presque complète, et la possibilité, pour la partie éclairée de cette société, de se livrer à lâ culture des lettres, au perfectionnement des arts, à la recherche de la vérité. 5- D'après cette influence de la guerre de trente
ans, il n'est pas étonnant qu'elle ait'été l'un dés objets favoris des travaux des historiens et des poètes de l'Allemagne. Ils se sont plu a retracer à la génération actuelle, sous mille formes diverses, quelle. avait été l'énergie de ses ancêtres;
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et cette génération, qui recueillait dans le calme le bénéfice de cette énergie qu'elle avait perdue, contemplait avec curiosité, dans l'histoire et sur la scène, les hommes des temps passés, dont la force, la détermination, l'activité, le courage, revêtaient, aux yeux d'une race affaiblie, -les annales germaniques de tout le charme du merveilleux.
La guerre de trente ans est encore intéressante
sous un:autre point de vue.
On a vu sans doute, depuis cette guerre, plu-
sieurs monarques entreprendre dès expéditions belliqueuses et s'illustrer par la gloire dès armés; mais l'esprit militaire proprement dit est devenu toujours plus étranger à l'esprit des peuples. L'esprit militaire: ".lie- peut exister que lorsque l'état de .là société est propre à le faire naître, c'est-à-dire lorsqu'il y a un irès grand nombre d'hommes que-le. besoin, l'inquiétude, l'absence de sécurité, l'espoir et la possibilité du succès, l'habitude de l'agitation ont jetés, assiette naturelle. Ces hommes alors aiment la guerre, pour; la guerre et ils. la cherchënl':èn "un Jieu quand ils ne la trouvent pas dans un-aùfrë. De nos jours, rétat militaire est toujours su-
bordonné à l'autorité politique.' Les gériérauxitié se font obéir par les. soldats qu'ils commandent, qu'en vertu de la mission qu'ils ontreçue'decéttë
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autorité; ils ne sont point chefs d'une troupe à eux, soldée .par eux, et prête à- les suivre sans qu'ils, aient- l'aveu d'aucun souverain. An commencement et jusqu'au milieu du dix-septième siècle, au contraire, on a vu des hommes, sans autre mission que le sentiment de leurs talens et de leur courage, tenir à leur solde des corps de troupes, réunir autour de leurs étendards particuliers des guerriers qu'ils dominaient par le seul ascendant de leur génie personnel, et tantôt se vendre. avec leur petite. armée'aux souverains qui'les achetaient, tantôt essayer, le fer en main; de devenir souverains eux-mêmes. Tel fut ce comte de.Mansfeld(a), moins, célèbre encore par quelques victoires que par l'habileté qu'il déploya sans, cesse, dans les reversa tels furent, bien qu'issus des maisons souveraines les plus illustres de l'Allemagne, Çhristian de Brunswick ^"et-même Bernard de-Wey mat (b); -tel fut enfin Wallstein, 4ue.de fjiëdïahd -(c)i '̃̃•̃
:Çe: \Valïsteki> à la vérité, ne porta -jamais les armes que pour la maison d'Autriche; mais l'armée .-qufU; commandait était à lui, réunie en son, nomy payées par ses ordres, et avec les contributions;, qu'il levait sur l'Allemagne, de' sa propre autorité (d). Il négociait, comme nn poten'camp; avec les Il voulut enfin s'assurer,
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de droit, l'indépendance dont il jouissait défait; et s'il échoua dans cette entreprise, il ne faut pas attribuer sa chute à l'insuffisance des moyens dont il disposait, mais aux fautes que lui fit commettre un mélange bizarre desuperstition et d'incertitude. L'espèce d'existence des généraux du dix-septième siècle donnait à leur caractère une:originalité dont nous ne pouvons plus avoir d'idée.
L'originalité est toujours le résultat de l'indé- pendance. A mesure. qae l'autorité se concentre, les individus s'effacent. Tontes les pierres taillées pour la construction d'une pyramide et façonnées pour la place qu'elles doivent-remplir prennent un extérieur uniforme. L'individualité disparait dans l'homme, en raison de ce qu'il cesse d'être un but, et de ce qu'il devient un moyen: cependant l'individnalité peut seule inspirer de l'intérét, surtout aux nations étrangères; car les Français, comme je le dirai tout a l'heure, s'en passent beaucoup plus facilement que les Alle- mands et les Anglais..
On conçoit donc sans peine que les poètes
de' l'Allemagne qui ont voulu transporter sur la scène des époques de leur histoire, aient choisi de préférence celles- ourles individus existaient le plus par. eux-mêmes et se livraient avec le moins de réserve à
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turel. C'est ainsi que Goëthe l'auteur de Werther, a peint, dans Gœtzde Berlichingen; la lutte de la chevalerie expirante contre l'autorité de l'empire, et Schiller a de même voulu retracer, dans Wallstein., les derniers efforts de l'esprit militaire, et cette vie indépendante et presque sauvage des camps, à laquelle les progrès de la civilisation ont fait succéder, dans les camps même, l'uniformité, l'obéissance et la discipline. Schiller a composé trois pièces sur la conspi-
ration et-sur la mort de Wallstein. La première est intitulée le Camp de TPaUstein; la seconde, les Piccolomini; la troisième, la Mort de Wallstein. L'idée de composer trois pièces qui se suivent et forment un grand ensemble est empruntée des Grecs, qui nommaient ce genre une trilogie. Eschyle nous a laissé deux ouvrages pareils, son Prométhée et ses trois tragédies sur la famille d'Agamemnon. Le .Promenée «l'Eschyle était, comme on sait, divisé en trois parties, dont chacune formâit une pièce à part. Dans la première, on voyait Prométhée bienfaiteur des hommes, leur apportant le feu du ciel et leur faisant connaître les élémens de la vie sociale.. Dans la seconde, la seule qui soit venue Jusqu'à, nous, Prométhée est puni parJes dieux jaloux des services qu'il a rendus à l'espèce humaine.
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La troisième montrait, Prométhée délivré par Hercule et réconcilié avec Jupiter.
Dans les trois tragédies qui se rapportent à la
famille des Atrides, la première a pour sujet la mort d'Agamemnon; la seconde, la punition de Clytemnestre; la dernière, l'absolution d'Oreste par l'Aréopage. On voit que, chez les Grecs, chacune des pièces qui composaient leurs trilogies avait son action particulière, qui se terminait dans la, pièce même. Schiller a voulu lier plus étroitement entre elles les trois pièces de son Wallstein. L'action ne commence qu'à la seconde et ne finit qu'à la troisième; Le Camp est une espèce de prologue sans aucune action. On y voit les mœurs dès soldats sous les tentes qu'ils habitent les uns chantent, les autres boivent, d'autres reviennent enrichis des dépouilles du paysan. Ils se racontent leurs exploits; ils parlent de leur chef, de la liberté qu'il leur accorde, des.récompenses qu'il leur prodigue. Les scènes se suivent sans que rien les enchaîne Tune à l'autre; mais cette incohérence est naturelle; c'est un tableau mouvant où il n'y. a ni passé ni avenir. Cependant le génie de Wallstein préside à ce désordre apparent tous les esprits sont pleins de lui tous célèbrent ses louangeas, s'inquiètent des bruits répandus sur le- mécontente^ ment de la cour, se jurent de ne pas abandonner
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le général qui les protège. On aperçoit tous les symptômes d'une insurrection prête à :éclater, si le ssgnal .en est donné par Wallstein. On 'démêle en même temps les motifs secrets qui, dans chaque individu, modifient son dévouement; les craintes, les soupçons, les calculs particuliers, qui viennent croiser l'impulsion universelle. On voit ce peuple armé, en proie à toutes les agitations populaires, entraîné par son enthousiasme, ébranlé par ses défiances, s'efforçant de raisonner, et n'y parvenant pas, faute d'habitude; bravant l'autorité, et mettant pourtant son honneur à obéir à son chef; insultant à la religion, et recueillant avec avidité toutes les traditions superstitieuses mais toujours fier de sa force, toujours plein de mépris. pour toute autre profession que celle des armes, ayant pour vertu le courage,' et pour but le plaisir du jour.
il serait impossible de iransporter sur notre théâtre cette singulière production du génie de l'exactitude, et je dirai même de l'érudition allemande; car il a fallu de l'érudition pour rassembler en un corps tous les traits qui distinguaient ¡les armées du dix-septième siècle, et qui ne conviennent plus à aucune armée moderne. De nos jours, dans les camps commue • dans les cités, tout est &e, régulier, soumis. La discipline à remplacé l'effervescence; s'il. y a des
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désordres partiels, ce sont des exceptions qu'on tâche de. prévenir. Dans la guerre de trente ans, au contraire, ces désordres étaient l'état permanent, et la jouissance d'une liberté grossière et licencieuse, le. dédommagement des dangers et des fatigues. La seconde pièce a pour titre les Piccolomini. Dans cette pièce commence faction mais la pièce finit sans que l'action se termine. -,Le':noeud se forme, les caractères se développent, la dernière scène du cinquième acte arrive, et la toile tombe. Ce n'est que dans la troisième pièce, dans la Mort de-Wallstein, que le poète a placé lcdénouemënt. Les deux premières ne sont donc, en réalité, qu'une exposition; et cette exposition contient plus de quatre mille vers. Les trois pièces de Schiller ne semblent pas pouvoir être représentées séparément; elles le sont cependant. en Allemagne. Lés Allemands tolèrent ainsi tantôt une pièce sans action, le Camp de Wallstein,; tantôt une action sans'dénouement, les. Piccolùmini; tantôt un dénoue- On; a essayé plusieurs fois: de transporter cers troispièçes sur la scène française; ces essaisn^ont dé WaUstein ? Hz plus exacte de-toutes a été l'objet de beaucoup de critiques..Dégagé aujourd'hui i de. cet amour-
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propre qui anime un auteur dans les premiers momens de la publication d'un ouvrage, je reconnais que plusieurs de ces critiques étaient fondées.
En me condamnant à respecter toutes les rè-
gles de notre théâtre j'avais détruit de plusieurs manières, l'effet dramatique.
Je m'étais proposé, à l'exemple de Schiller,
de peindre Wallstein à peu près tel qu'il était, ambitieux à la vérité, mais en même temps superstitieux, inquiet, incertain, jaloux du succès des étrangers dans sa patrie, lors même que leurs succès favorisaient ses propres entreprises, et marchant souvent contre son but, en se laissant ̃ entraîneur par son caractère.
Je n'avais pas même voulu supprimer son pen-
chant pour l'astrologie, bien que les lumières de notre siècle puissent faire regarder comme hasardée la tentative de revêtir. d'une teinte tragique cette superstition. Nous n'envisageons guère en France la superstition que de son côté ridicule; elle a cependant ses racines dans le cœur de l'homme, et la philosophie elle-même, lorsqu'elle s'obstine à n'en pas tenir compte est superficielle et présomptueuse. La nature n'a point fait. de l'.homme un être isolé, destiné seulement à -cultiver la terre et à la peupler, et n'ayant, avec tout ce qui n'est pas de son espèce que les rap-
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ports arides et fixes que l'utilité l'invite à établir entre eux et lui. Une grande correspondance existe entre tous les êtres moraux et physiques. Il n'y a personne, je le pense, qui, laissant errer ses regards sur un horizon sans bornes, ou se promenant'sur les rives de la mer que viennent battre les vagues, ou levant les yeux vers le firmament parsemé d'étoiles, n'ait éprouvé une sorte d'émotion qu'il lui était impossible d'analyser ou de définir. On dirait que des voix descendent du haut des cieux, s'élancent de la cime des rochers, retentissent dans les torrens ou dans les forêts agitées; sortent des profondeurs des abîmes. Il semble y avoir je ne sais quoi de prophétique dans le vol pesant du corbeau, dans les cris fa- nèbres des oiseaux de la nuit, dans les rugissemens éloignés des bêtes sauvages. Tout ce qui n'est pas civilisé, tout ce qui n'est pas soumis à la domination artificielle de l'homme répond à son coeur. Il n'y a que les choses qu'il a façonnées pour son usage qui soient muettes, parce qu'elles sont mortes; mais ces choses,mêmes, lorsque le temps anéantitleur utilité, reprennent une vie mystique; la destruction les remet, en passant sur elles, en rapport avec la nature. Les édifices modernes se taisent, mais les ruines parlent.
Tout l'univers s'adresse à l'homme dans un
langage ineffable qui se fait entendre dans 1'in-
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térieur de son àme, dans. une partie de son être, inconnue à lui-même, et qui tient à la fois des sens et de la pensée. Quoi de plus simple que d'imaginer que cet effort de la nature pour pénétrer en nous n'est pas sans une mystérieuse signification ? Pourquoi cet ébranlement intime, qui parait nous révéler ce que nous cache la vie commune ? La raison, sans doute, ne peut l'expliquer; lorsqu'elle l'analyse, il disparaît;- mais il est par là même essentiellement du domaine de la poésie. Consacré par elle, il trouve dans. tous les cœurs des cordes qui lui répondent. Le sort annoncé par les astres; les pressentimens, les songes, les présages, ces ombres de l'avenir qui planent autour de: nous, souvent non moins funèbres que les ombres du passé, sont de tous les pays, de tous les temps, de toutes les croyances. Quel est celui qui, lorsqu'un grand intérêt ranime ne prête pas, en tremblant, l'oreille à ce qu'il croit la vcixde la destinée? Chacun, dans le sanctuaire de sa pensée, s'explique cette voix comme il pent. Chacun s'en tait avec les autres, parce qu'il n'y a point de paroles pour mettre en commun ce qui jamais n'est qu'individaeL ̃
j'avais donc cru devoir conserver dans le ca-
ractère de Wallstein une superstition, qu'il partageait: avec presque tous les hommes remarquables de son siècle, (e)
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Mais, par égard pour nos règles j'avais placé
dans un récit l'exposé de la disposition supers- titieuse de mon héros au lieu de la faire ressortir sur le théâtre même, de circonstances accidentelles.
Ainsi, dans la. pièce de Schiller, Wallstein
commençant à se déshabiller sur le théâtre, pour aller prendre du -repos,' voit se casser tout à coup la chaîne à laquelle est suspendu Tordre de la Toison d'Or. Cette chaine était le premier présent que Wallstein eût reçu de l'empereur; alors archiduc, dans la guerre du Frioul lorsque, tous deux à l'entrée de la rie étaient unis par une affection que rien ne *semblait devoir troubler (f). Walstein tient en main les fragmens.de cette chaine brisée; il se retrace toute l'histoire de sa jeunesse des souvenirs mêlés de remords l'assiégent; il éprouve une crainte vague; son bonheur lui avait paru long-temps attaché à la conservation de ce premier don d'une amitié maintenant abjurée. Il en contemple tristement' les débris, il les rejette enfin loin de loi avec effort. «Je marche, s'éJ) crie-t-ilj dans une carrière opposée la force de ce talisman n'existe plus. »
Le spectateur, qui sait que le poignard est
suspendu sur la tête. du héros, reçoit" une impression très profonde de ce présage que Walls-^
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tein méconnaît, et des paroles qui lui échappent sans qu'il les comprenne. Ce genre d'effet tient à la disposition du cœur de l'homme, qui, dans toutes ses émotions de frayeur, d'attendrissement ou de pitié, est toujours raméné à ce que nous appelons la superstition, par une force mystérieuse dont il ne peut s'affranchir. Beaucoup de gens n'y voient qu'une faiblesse puérile. Je suis tenté, je l'avoue,. d'avoir du respect pour tout ce qui prend sa source dans la nature.
J'avais de plus méconnu une différenceeuen-
tielle entre notre caractère et celui de nos voisins d'outre-Rhin. Nous avons un besoin d'unité qui nous fait repousser tout ce qui, dans le caractère de nos personnages tragiques nuit l'effet unique que nous voulons produire. Nous supprimons de la vie antérieure de nos héros tout ce qui ne s'enchaîne pas nécessairement au fait principal.
Qu'est-ce que Racine nous apprend sur Phèdre?
Son amour pour Hippolyte, mais nullement soin caractère personnel indépendamment de cet amour. Qu'est-ce que Le même poète nous fait connaître d'Oreste? Son amour pour Hermïone. Les fureurs de ce prince' ne viennent que des cruautés de sa maîtresse.. On le voit à chaque instant prêt à s'adoucir, pour peu qu'Hermione lui donne quelque espérance. Ce meurtrier de sa mère pa-
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rait même avoir tout-à-fait oublié le forfait qu'il a commis. il n'est occupé que de sa passion; il parle, après son parricide, de son innocence qui lui pèse; et si, lorsqu'il a tué Pyrrhus, il est poursuivi par les Furies, c'est que Racine a trouvé, dans la tradition mythologique l'occasion d'une scène superbe, mais qui ne. tient point à son sujet, tel qu'il l'a traité.
Ceci n'est point une critique. Andromaque est
l'une des pièces les plus parfaites qui existent chez aucun peuple, et Racine ayant adopté le système francais, a dû écarter, autant qu'il le pouvait, de l'esprit du spectateur, le souvenir du meurtre de Clytemnestre. Ce souvenir était .conciliable avec un amour pareil à celui. d'Oreste pour Hermione. Un fils couvert du sarig: de sa mère, et ne songeant qu'à sa mairesse, aurait produit un effet révoltant. Racine l'a senti, et pour éviter plus sûrement cet écueil, il a' supposé qu'Oreste n'était allé en Tauride qu'afinde se délivrer par la mort de sa. passion malheureuse. •̃ Il en résulte que les Français même dans
celles de leurs tragédies qui sont fondées sur la tradition et, sur l'histoire, ne peignent qu'un fait ou une passion; les Allemands, dans des leurs, peignent une vie entière et un caractère entier.
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Quand je dis qu'ils peignent une vie entière, je ne veux pas dire qu'ils embrassent dans leurs piècés toute la vie de leurs héros; mais ils n'en omettent aucun évènement important; et la réunion de ce qui se passe sur la scène et de ce que le spectateur apprend par des récits ou par des allusions, forme un tableau complet, d'une scrupuleuse exactitude.
Il en est de même du caractère. Les Allemands
n'écartent de celui de leurs personnages rien de ce qui constituait leur individualité; ils-nous les présentent avec- leurs faiblesses, leursinconséquences, et cette mobilité ondoyante qui appartient à là nature humaine et qui forme les êtres réels. .••̃•:̃̃̃̃̃ ̃ L'isolement dans lequel le système français présente le fait qui forme le sujet, et la passion qui est le mobile de chaque tragédie, a d'incontestables avantages. En dégageant le fait que l'on à choisi de tous
les faits antérieures, on porte plus directement l'intérêt sur un objet unique; le héros est plus dans laf main du poète qui s'est anranchi du passé;: mais il y a peut -être aussi une couleur un peu moins Téelle, parce que Tart ne peut jamais snppléér entièrement à la vérité, et que lespeoqu^iligtiorfr la liberté quel?att- teur a prise, est averti, par je ne sais quel-ins-
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tinct; que ce n'est pas un personnage historique mais un héros factice une créature d'invention qu'on lui présente.
En ne peignant qu'une passion au lieu d'em-
brasser tout un caractère individuel, on obtient des effets plus constamment tragiques, parce que les caractères individuels, toujours mélangés, nuisent à l'unité de l'impression. Mais la vérité y. perd peut-être encore. On se demande ce que seraient. les héros qu'on voit, s'ils n'étaient dominés par la passion qui les agite et l'on trouve qu'il ne resterait dans leur existence que peu de réalité. D'ailleurs il y a bien moins de variété dans les: passions propres à la tragédie que dans les caractères individuels, tels que les crée la mature. Les caractères sont innombrables les passions théâtrales sonten petit nombre. Sans doute l'admirable génie de Racine, qui triomphe de toutes.1 les! entraves, met de la diversité dans cette uniformité même. La jalousie de Phèdre n'est pas celle dUerinione, et l'amour d'Hermione n'est pas celui de Roxane cependant la div.ersité me semble plutôt encore.dans la passion que dans lecaractècéde l'individu. '̃
JQ yjaibieapen de différence entre les caractères- dTÂménaïde; et d^Alizire. Celui de Polyphoûte. convient à presque tous les tyxan&mis sur notre théâtre, tandis que celui deiRichardlH,
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dans Shakespeare, ne convient qu'à Richard III. Polyphonte n'a que des traits généraux, exprimés avec art, mais qui n'en font point un être distinct, un être individuel. Il a de l'ambition, et, pour son ambition, dé la cruauté et de l'hy-
pocrisie. Richard III réunit à .des" vices qui sont
de nécessité dans son rôle, beaucoup de choses qui ne peuvent appartenir qu'à lui seul; son mécontentement contre la nature, qui, en. lui donnant une figure hideuse et difforme, semble l'avoir condamné à ne jamais inspirer d'amour, ses efforts pour vaincre un obstacle qui l'irrite, sa coquetterie avec les femmés son .étonnement de ses succès auprès d'elles, le mépris qu'il conçoit pour des êtres si faciles à séduire, l'ironie avec laquelle il manifeste ce mépris, tout le rend un être particulier. Polyphonte est un genre, Richard III un individu.
Un autre inconvénient de mon imitation de
Wcùlstein, consistait. dans lés allusions trop fré1 queutes aux évènemens de détail qui se rapportaient à la guerre de trente ans.
Tout, ce qui a trait à cette guerre dont- le
théâtre a été en Allemagne, est national pour les Allemands, et, comme tel, est connn-de tout le monde. Les noms de Wallsteïn, de T01y(g), de Bernard de Weymar (A) d'Oxenstâern dé Mansfeld réveillent dans, Ja -mémoire de
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tous les spectateurs des souvenirs qui n'existent point pour nous, La superstition persécutrice de Ferdinand II [i) a laissé de profondes traces en Bohême en Hongrie, et ses ordres barbares à ses généraux sont encore gravés en traits de sang sur les murs de Magdebourg. De là résultait pour Schiller la possibilité d'une foule d'allusions rapides que ses compatriotes comprenaient sans peine.; Il y a, en général, parmi nous, une certaine négligence de l'histoire étrangère, qui s'oppose presque entièrement à la composition des tragédies historiques, telles qu'on en voit dans les littératures voisines. Les tragédies mêmes qui ont.pour sujet des traits de nos propres annales sont exposées à beaucoup d'obscurité.
L'auteur des Templiers a dû ajouter à son ou-
vrage des notes explicatives, tandis que Schiller, dans sa Jeanne d'Arc, sujet français qu'il présentait au public allemand était sûr de rencontrer dans ses auditeurs, assez de connaissances pour le dispenser de tout commentaire. Lestra* gédies.qui ont eu le plus de succès en France sont ou purement d'invention, parce qu'alors elles n'exigent que très peu de notions prialables ou. tirées, soit de la mythologie grecque soit de l'histoire romaine, parce que l'étude de cette mythologie et de cette histoire .fait partie de notre première -éducation
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En imitant quelquefois le style familier que
permettent aux tragiques allemands leurs vers ïambiques ou non rimés j'avais enlevé à ma tragédie là pompe poétique à laquelle nos oreilles sont accoutumées. La langue de la tragédie allemande n'est point astreinte à des règles aussi délicates, aussi dédaigneuses que la nôtre. La pompe inséparable des alexandrins nécessite dans l'expression une certaine noblesse soutenue. Les auteurs allemands peuvent employer, pour le développement des caractères, une quantité de circonstances accessoires, qu'il serait impossible de mettre sur notre théâtre sans déroger à la dignité requise; et cependant ces petites circonstances répandent dans le tableau présenté de la sorte beaucoup de vie et de vérité. Dàns' le Goetz de JBerîzchùigen de Goëthe, ce guerrier, assiégé dans son château par- une armée impériale, donne ses soldats un dernier repas pour les encourager. Vers la fin de ce repas, il demande du vin àsà femme, qui, suivant les usages de ces temps, esta la fois la dame et la ménagère du château elle lui répond à demi-voix qu'il n'en reste plus qu'une seule cruche, qu'elle a réservée pour lui. Aucune tournure'poétique ne permettràitde transporter ce détail sur notre théâtre l'emphase des paroles ne ferait que gâter le naturel delà situation, et ce qui est touchant en allemand ne serait
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en français que ridicule. 11. me. semble néanmoins facile de concevoir, malgré nos habitudes contraires,, que ce trait emprunté de la vie commune est plus propre que la description la plus pathétique faire ressortir la situation du héros de la pièce, d'un vieux guerrier couvert de gloire, fier de ses droits héréditaires; et. de son opulence antique, chef naguère de vassaux nQmbreux, maintenant renfermé dans un dernier asile, et luttant avec, quelques amis intrépides et fidèles contre les horreurs de la disette et la vengeance de l'empereur- Dans le Gustave Vasa de Kotzehue, on voit Christieru, le tyran delà Suède,. tremblant dans son palais qui est entouré, par. une multitude irritée.. Il se défie de ses propres gardes, de ses créatures les. plus. dévouées,, et. force un vieux serviteur qui lui reste encore goûter le premier les mets qu'il lui, apporte. Ce trait, exprimé dans le dialogue le plus simple et sans aucune pompe tragique,, peint; selon moi* mieux, que tous les n'auraient .pu,- Je faire, la pusillanimité;, la: défiance et l'abjection du tyran demi-vaincu.; Schiller nous montre Jeanne d'Arc dénon-
cée par son: père comme, sorcière, au. milieu* même, de la fête destinée au couronnement.de Charles "VII,, qu'elle a replacé sur le trône, de la France. Elle est, forcée de fuir; elle cherche, un
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asile loin du peuple qui la menace et de la cour qui l'abandonne. Après une route longue et pénible elle arrive dans une cabane la fatigue l'accable, la soif la dévore; un paysan touché de compassion, lui présente un peu de lait. Au moment où elle le porte à ses lèvres, un enfantqui l'a regardée pendant quelques instans avec attention, lui arrache la coupe et s'écrie C'est la sorcière d'Orléans Ce tableau, qu'il serait impossible de transporter sur la scène française, fait toujours éprouver aux spectateurs un fréinissement universel, ils se sentent frappés à la fois, et de la proscription qui poursuit, jusque dans les lieux les plus reculés, la libératrice d'un grand empire, et de la disposition des esprits, -qui rend cette proscription plusinévitable et plus cruelle. De la sorte, les deux choses importantes, l'époque et la situation, se retracent à l'imagination d'un seul mot, par une circonstance purement accidentelle.,
.En restreignant le nombre des personnages ( i ), j'avais renoncé sans compensation, à un autre avantage qu'avait eu Schiller. Les personnages subalternes, qui ne tiennent point au sujet, fournissent aux Allemands un genre d'effets que nous ne connaissons poi nt sur notre théâtre.(/Dans nos tragédies, tout se passe immédiatement entre (i) Il y a quarante-huit acteurs dans le Wallstéin allemand;
il n'y en a que douze dans l'imitation francaise.
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les héros et le public. Les confîdeas sont toujours soigneusement sacrifiés. Ils sont là pour écouter, quelquefois pour répondre, et de temps eu temps pour raconter la mort du héros, qui, dans ce cas, ne peut nous en instruire lui-même; mais il n'y a rien de moral dans toute leur existence toute réflexion, tout jugement, tout dialogue entre eux leur est sévèrement interdit. Il.sérait cointraire à la subordination théâtrale qu'ils excitassent le moindre intérêt. Dans les tragédies aller mandes indépendamment des héros et de leurs confiden.s;' qui, comme on vient de le voir, ne- sont que des machines, dont la nécessité^ nous fait pardonner, l'invraisemblance il y sur un- second plan, une seconde espèce d'acteurs, spectateurs eux-mêmes, en quelque sorte, de l'action principale qui n'exerce sur eux qu'une influence très indirecte. L'impression que produit sur cette classe de personnages la situation dés personnages- principaux m'a paru. souvent ajouter à celle qu'en reçoivent les spectateurs proprement dits leur opinion est pour ainsi dire devancée et dirigée par un: public intermédiaire, plus .voisin, de ce qui se passe, çt non moins impartial qu'eux. • 'r :̃̃̃' ̃̃̃̃
•Tel devait être à peu:près; si je ne me trompe, l'effet des chœurs dans: les tragédies grecques. Ces choeurs portaient un jugement sur les senti-
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mens et les actions des rois et des héros dont ils contemplaient les crimes et les misères. Il s'établissait, par ce jugement, une correspondance morale entre la scène et le parterre, et ce dernier devait trouver quelque jouissance à voir décrites et définies, dans un langage harmonieux, les émotions qu'il éprouvait. *•
Je n'ai vu qu'une seule fois une pièce-dans
laquelle on avaittenté d'introduire les chœursr-des anciens;' c'était la Fiancée de Messine. Je m'y étais rendu avec beaucoup de préjugés contre cette imitation de l'antique. Néanmoins, ces maximes .générales, exprimées par le peuple, et qui pre;baient plus de vérité et plus de chaleur, parce qu'elles luiparaissaient suggérées par la conduite de ses chefs et par les malbeutsqui rejaillissaient sur-lui-même; cette opinion publique, personnifiée en quelque sorte^ et quiallait chercher au fond de- mon cour mes propres pensées, pour zne les présenter avee plûsr de-précision, d'élégance elde force; cette: pénétration dupoete* qui de;vinait ce que je devais sentir, et donnait un corps à; ce qui n'était en moi qu'une revenu vague et. indéterminée, me firent éprouver un genre de satisfaction dont je n'avais pas encore eu' lldée. ii'introduçtion des choeurs dans Ja tragédie n'a
point eu cependant de succès en Allemagne. Il est probable qa'on y. a renoncé cause =des
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embarras de l'exécution. Il faudrait des acteurs très exercés pour qu'un certain nombre d'entre eux, parlant et gesticulant tous en même temps, ne produisissent pas une confusion voisine du ridicule (i). Schiller, d'ailleurs, dans sa tentative, avait dénaturé le chœur des anciens; il n'avait pas osé le laisser aussi étranger à l'action qu'il Test. dans les meilleures tragédies de l'antiquité, celles de Sophocle; car je ne parle pas ici des chœurs d'Euripide, de.ce poète admirable,.sans doute, pat son talent dans la sensibilité.et dans l'ironie, mais prétentieux déclamateur, ambitienx d'effets, et qui, par.ses défauts, et même par ses beautés, ravit le premier à la: tragédie grecque la noble simplicité qui- la. distinguait. Schiller, pour se rapprocher du goût de: son siècle avait cru devoir. diviser le chœur: en deux moitiés, dont chacune était composéë-des partisans "des deux héros qui, dans sa pièce se disputent la main .d'une femme.11 avait/parce ménagement: mal de l'impartialité qui donne à ses paroles du poids et de la Le choeur ne doitjamaisjéire quei'organe 'y le représentant du peuple entier:; tout ce qu'il; idit ( i ) Schiller n'avait:pas introduit' les choeurs' chantant, mais
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doit être une espèce de retentissement sombre et imposant du sentiment général. Rien de ce qui est passionné ne peut lui convenir, et dès que l'on imagine de lui faire jouer un rôle et prendre un parti dans la pièce même, on le dénature, et son effet est manqué.
Mais si les Allemands ont rejeté l'introduction
des choeurs dans leurs tragédies, celle d'une quantité de personnages subalternes qui arrivent d'une manière naturelle; bien qu'accidentelle, snr la scène, remplace, à beaucoup d'égards, comme nous l'avons observé précédemment l'usage des chœurs. Pour nous en convaincre, ai ne faut qu'examiner ce qu'a fait Schiller dans son Guillaume Tell, et rechercher ce qu'aurait fait un poète grec traitant la même situation. Tell, échappé aux poursuites de Gessier, a gravi la cime d'un rocher qui domine sur une route par, laquelle Gessler doit .passer. Le paysan suisse: attend son ennemi, tenant en main Tare et les flèches qui, après avoir servi l'amour paternel -doivent • maintenant servir la vengeance. Il se retrace, dans un monologué, la tranquillité et l'innocence de sa vie précédente. Il s'étonne lui-même de se voir jeté tout à coup -par la tyrannie hors de l'existence obscure et paisible que le sort semblait lui avoir destinée. Il- recule devant. l'action qu'il se trouve forcé de commet-
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tre; ses màins encore pures frémissent d'avoir à se rougir, même du sang d'un coupable. tl le faut cependant, il le faut pour sauver sa vie, celle de son fils, celle de tous. les objets de son aûection. Nul doute que, dans une tragédie grecque,. le choeur n7eût alors pris la parole pour réduire en maximes les sentimens qui se pressent en foule dans rame du spectateur. Schiller, n'ayant pas cette ressource, y supplée par l'arrivée d'une noce champêtre qui passe, au son des instnimens, près des lieux où Tell est caché. Lé contraste de la gaieté de cette troupe joyeuse et de la situation de Guillaume Tell suggère à l'instant au spectateur toutesles réflexions ;<jne le -choeur aurait exprimées. Guillaume Tell est de la même classe que ces hommes qui-matchent ainsi dans l'insouciance; il est pauvre, inconnu, laborieux, innocent comme eux; comme eux, il paraissait n'avoir rien à craindre d-'ûn pôuvoir élevé si fort au-dessus de lui et: son obscurité, pourtant, 'ne lui a passervi d'asile. Le choeur des Grecs :eût développé cette vérité dans un langage sententièux. et poétique la tragédie allemande la fait ressortir avec non moins deibrce par Tâfparition<L'une troupe de personnages étrangers à l'action, et qui n'ont avec elle aucun rapport D'autres. fois ces personnages secondaires sér-
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vent à développer d'une, manière piquante et profonde les caractères principaux. Werner,. connu, même en France, par le'succès mérité de sa tragédie de Luther, et qui réunissait au plus haut degré deux qualités inconciliables en apparence, l'observation spirituelle et souvent plaisante du cœur humain, et une mélancolie .enthousiaste et rêveuse; Werner, dans son Attila présente à nos regards la cour nombreuse de Valentinien se livrant aux danses, aux concerts,. à tous les plaisirs, tandis que le JFléau~de-Dieu est aux- portes de Rome. On voit le jeune empereur et ses favoris, n'ayant d'autre soin que de repousser les nouvelles fâcheuses qui 'pourraient interrompre leurs amnsemens, prenant la vérité' pour un indice de ^malveillance la prévoyance pour un acte de sédition ce considérant comme des sujets fidèles -que: ceux qui -nient les faits dont la connaissance les importunerait et pensant faire reculér-ces faits «n n'écoutant pas -ceux -qui les rapportent:' >Cette insouciance- mise spus les yeux du spectateur le frappe beaucoup Et pour «tirer de Jffîallstem mènae ideox autres exemples, Tersly^ son confident fait signer à des généraux en -foute après. un festin, l'engagement de restera fidèles à Wailstein contre la; volonté
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Celte scène, dans laquelle Tersky pour les amener à son but, leur rappelle tous les bien-.faits qu'ils ont reçus de leur chef/bienfaits dont l'énumération seule forme un tableau piquant de l'état de cette armée de son indiscipline, de son exigence et de l'esprit d'égalité qui se combinait alors avec l'esprit militaire; cette scène, dis-je, est d'une originalité remarquable et d'une grande vérité -locale; mais elle ne pouvait être rendue qu'avec des expressions que notre style tragique repousse.
Plus loin, Buttler assemble de simples soldats
pour les engager à assassiner Wallstein et si, dans les scènes des assassins de Banco sont frappantes parieur laconisme et leur énergie celles des assassins de Wallstein ont 'un autre genre de mérite, développe les motifs qu'on leur présente «^gradue l'effet la lutte qui a lieu dans ces âmes farouches; entre l'attachement et ravidité'j l'adresse avec 'laquelle celui qui veutmens à leur intelligence grossière, et leur fait du crime .un devoir, et de la reconnaissance un crime; saisir 'lOut/cè qui peut les excuser a se sont déterminés à verser le sang de leur général le besoin qu'on aperçoit, même .dans .ces
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coeurs corrompus de se faire. illusion et: de tromper leur propre conscience en couvrant d'une apparence de justice l'attentat qu'ils vont .exécuter enfin le raisonnement qui les décide, et qui décide dans tant de situations différentes, tant d'hommes qui se croient honnêtes, à commettre des actions que leur sentiment intérieur condamne, parce qu7à leur défaut d'autres s'en rendraient les instrumens tout cela est d'un grand effet tant moral que dramatique. Mais le langage de ces assassins est vulgaire, comme leur état et leurs sentimens. Leur prêter Ses expressions relevées, c'eût été manquer à la vérité des caractères, et, dans ce cas, la noblesse du dialogue serait devenue une inconvenance.J'avais essayé dé mettre en. récit ce que Schiller a mis en action. Je m'étais appliqué surtout à faire ressortir.l'idée, principale, la considération décisive qui impose silence «à toùtes les objections: et l'emporte sur tous les scrupules. Buttler après avoirraconté ses efforts; pour convaincre ses complices, finissait par ces vers: ̃̃̃'̃
Lorsque je leur ai dit que s'offrant- à leur place,
Vautres briguaient déjà monchoix comme une grâce,
Que le prix était prés que d'autres, cette nuit,
Dé leur fidélité recueilleraient le fruit,
Leurs yeux brillaient d'espoir, d'envie et d'avarice;
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D'une sombre rougeur leurs fronts se sont couverts;
Ils répétaient tout bas d'autres se sont offerts.
Mais j'ai senti bientôt que je tomberais dans:
une invraisemblance qu'aucun détail ne rendrait excusable. Buttler cherchant à faire partager à Isolan son projet d'assassinat., ne pouvait sans absurdité s'étendre avec complaisance sur la bassesse et l'avidité de ceux qu'il avait choisis pour remplir ses vues.
L'obligation de mettre en récit ce que sur
d'autres théâtres, on pourrait mettre en action est un écueil dangereux pour les tragiques finançais. Ces récits ne sont presque jamais placés naturellement celui qui raconte n'est point appelé par sa situation ou son intérêt à raconter de la sorte. Le poète d'ailleurs se trouve entraîné invinciblement à rechercher des détails d'autant moins dramatiques, qu'ils sont plus pompeux. On a relevé mille fois l'inconvenance du superbe récit de Théramène dans Phèdre. Racine ne pouvant, comme Euripide, présenter aux spectateurs Hippolytedéchiré, couvert de sang, brisé par.sa chute, et dans les convulsions de.la'douleur et de l'agonie, a été forcé de faire raconter sa mort: et cette nécessité. Fa conduit à blesser dans le récit de cet événement terrible, et la vraisemblance et la nature, par une profusion
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de détails poétiques, sur lesquels un ami ne peut Mon respect pour nos habitudes et nos moeurs
m'avait fait commettre une erreur plus grave encore. Le caractère de Thécla, fille de Wallstein, excite en Allemagne un enthousiasme universel; et il est difficile- de lire l'ouvrage de Schiller, dans sa langue originale, sans partager cet enthousiasme mais j'avais craint qu'en France ce caractère n'obtint pas l'approbation du public. L'admiration dont il est 1?objet chez:les.Allemands tient à leur manière de considérer l'amour, et cette manière est très différente de la nôtre. Nous n'envisageons l'amour que comme une passion de la même nature que toutes lés passions humaines, c'est-à-dire ayant pour effet d'égarer notre raison, ayant pour but de-nous procurer des jouissances. Les Allemands voient dans l'amour quelque chose de religieux, de sacré, une émanation dé la divinité même, un accomplissexnent de la destinée de l'homme sur cette terre, un lien mystérieux et tout-puissant entre deux âmes qui ne peuvent exister que l'une pour l'autre. Sous le premier point de vue, l'amour est commun à l'homme et aux animaux; sous le second, il est commun à l'homme et à Dieu.
Il en résulte que beaucoup de choses qui nous
paraissent des inconvenances, parce que nous n'y
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apercevons que les suites d'une passion., semblent aux Allemands légitimes et même respectables parce qu'ils croient y reconnaitre l'action d'un sentiment céleste.
Il y a de la vérité dans ces deux manières de
voir; mais, suivant qu'on adopte l'une ou l'autre, l'amour doit occuper, dans la poésie comme dans la morale, une placé différente.
Lorsque l'amour n'est qu'une passion, comme
sur la scène française, il ne. peut -intéresser que par sa violence et son. délire. Les transports des sens, les fureurs de la- jalousie, la lutte des désirs contre les remords, voilà l'amour tragique en France. Mais lorsque l'amour, au contraire est, comme dans la poésie allemande, un rayon de la lumière divine qui vient échauffer et purifier le coeur, il a tout-à-la-fois quelque chose de plus calme et de plus fort; dès qu'il parait, on sent qu'il domine tout ce qui l'entoure. Il peut avoir à combattre les circonstances, mais non les devoirs; car il est lui-même le premier des devoirs, et il garantit l'accomplissement de tons les autres. Il ne peut conduire à des actions coupables, il ne peut descendre au -,crime, ni même à la ruse; car- il démentirait sa nature; .et cesserait d'être lui. Il ne peut céder aux obstacles, il ne.peut s'éteindre; car son essence est
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immortelle; il ne peut que retourner dans le sein de son créateur.
C'est ainsi que l'amour de Thécla est représenté
dans la pièce de Schiller. Thécla n'est point une jeune fille ordinaire, partagée entre l'inclination qu'elle ressent pour un jeune homme et sa soumission envers son père, déguisant ou contenant le sentiment qui- la domine, jusqu'à ce qu'elle ait obtenu le consentement de celui qui a le droit de disposer de sa main; effrayée des obstacles qui menacent son bonheur enfin, éprouvant elle-même et donnant au spectateur une impression d'incertitude sur le résultat de son amour et sur le parti qu'elle, prendra si elle est trompée dans ses espérances. Thécla est un être que son amour a élevé au-dessus de la nature commune, un être dont'il est devenu toute l'existence, dont il a fixé toute la destinée. Elle est calme, parce que sa résolution ne peut être e'branlée; elle est confiante, parce qu'elle ne peut être trompée sur le cœur de son amant; elle a quelque chose de solennel, parce que l'on sent qu'il y a en elle quelque chose d'irrévocable elle est franche, parce que son amour n'est pas une partie de sa vie, mais sa vie entière. Thécla, dans la ce de Schiller, est sur un plan tout différed$3e; celui où est place le reste des personnages; C'est un être, pour
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ainsi dire aérien, qui plane sur cette. fôole d'ambitieux,. de traîtres, de guerriers farouches, que .des intérêts ardens et positifs poussent les :uns contre.les autres.
̃ On sent que: cette créature lumineuse et presque surnaturelle est descendue de la sphère éthérée, et doit bientôt remonter vers sa-patrie. Sa voix si douce, à travers le bruit des'arm'es, sa forme délicate au milieu de ces hommes .tout couverts de fer, la pureté de son âme, opposée, à leurs calculs avides, son calme céleste quijcontraste avec leurs agitations, remplissent ..le spectateur d'une émotion constante et melancolique, telle que ne la fait ressentir nulle tragédie ordinaire. i :l^
aucun des personnages de femmes que nous ..voyons sur la scène française n'en peut: donner ridéevNoshéromespassionnéesiAlzire,Aménaïde, • Adélaïde du Guesclin ont quelque chose de mâle on sent qu'elles:spntde.force:à'comlîattre contre ,les.;évènemens, .contre' lès hommes, contre le ::malheur.; ,:on.. n'aperçoit aucune: disproportion -entre leur'destinée et la vigueur dont: elles sont douées. iNoshérouiës.tendres,"Monime, Bérénice, jEsth'er, îAtalide,i sont pleines de douceur et de grâces; mais ce sont des femmes faibles et timides; les; évènemens peuvént-les dompter* lié sacrifice de leurs sentimens n'est -point présenté comme
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-impossible. Bérénice se résigne à vivre sans Titus, Monime à épouser Mithridatev Atalide à voir Bajazet s'unir à -Roxane;'Esther n'aime point Assuérus. Les héroïnes de Voltaire luttent contre -les obstacles celles de Racine-leur cèdent, 'parce .que les unes et les autres sont de la même nature que tout ce>qui lesentoure. Thécla ne peut lutter nicéder;1 attend. Son sort1 est -fixé; elle ne peut en avoir un' autre, mais elle ne en le ^disputant contre intérieure. Par :làtnême les -convenances que prescrit la-morale que nous somsies habitués à voir sur la scène.
Théda n'observe aucun des déguisemens im-
̃• posés .à nos .héroïnes elle ne couvre ^d'aucun iréserve à son, ara:ant:t« Où serait,: lui ̃-• n • ̃ <m -ipar. ma bouche? » Elle ffessedépendre ses; espérances tde> l'aveu -de son ifpèreîionçrévoit'mêmecque s'iLlèïiefasei elle ne se <^oira!pas coupable: de Jui résistera Son amonr i l'occupe et. Toferiste :ap-
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prend que celui qu'elle aime a été. tué, 1 qu'elle croit, au contraire, accomplir un devoir. J'avais pensé que des spectateurs français n'auraient pu tolérer dans une jeune fille cette exaltation, cette indépendance, d'autant plus étrangère à nos idées, qu'il ne s'y mêle aucun égarement, aucun délire. Je crois encore que notre public serait choque de cet oubli de toutes les relations, de cette manière d'envisager les devoirs habituels comme secondaires; -enfin > d'une absence si complète de la soumission qu'il admire dans Iphigénie. Un tel enthousiasme ne peut servir de base à un système général, et nous n'aimons en France que ce qui peut être d'une application universelle* Le principe de l'utilité domine dans notre lit– térature comme dans notre yie. La morale, du en France, est beaucoup plus rigoureuse que celle du théâtre en Allemagne..Gela tient à.,ce que les Allemands.prennent le sentiment cette base est -la rais n Un sentiment sincère, complet, sans Jbornes, leur parait, non-seulement Cette manière. de yoir se remarquer^ dans Jeurs institutions. £t dans lejars^nœurs,. comme dans leurs productions littéraires. Nonsayons ^dës principes infiniment plus^séyères, et,, nous .ne
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nous en écartons jamais en 'théorie. Le sentiment qui méconnaît un devoir ne nous parait qu'une faute de plus. Nous pardonnerions plus facilement à l'intérêt, parce que l'intérêt met toujours dans ses transgressions plus d'habileté et plus de décence. Le sentiment brave l'opinion, et ëlle s'en irrite; l'intérêt cherche à la tromper en la ménageant, et lors même qu'elle découvre la tromperie, elle sait gré à l'intérêt de cette espèce d'hommage. J'avais donc rapproché Thécla des proportions françaises, en m'efforçant & lui conserver quelque chose du coloris allemand. J'avais tâché de transporter dans son caractère sa douceur, sa sensibilité, son amour, sa mélancolie; mais tout le reste m'avait paru trop directement opposé à nos habitudes, trop empreint de ce que les littérateurs français, qui possèdent la langue allemande, appellent le mysticisme allemand: Par cette altération, sans ôter à Thécla là teinte étrangère trop vague et trop. rêveuse pour plaire à nos classiques français, je ne lui avais pas donné la couleur régulière requise pour nos héroïnes turques grecques ou romaines mais toujours convenablement natiônalisées. Le résultat1 m'a prouvé que j'avâis eu tort.
Plus prévoyant, bu plus hardi, j'aurais évité la plupart des fautes que je viens d'indiquer dans
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révolution politique entraînerait une révolution littéraire, et qu'une. nation qui n'avait renoncé momentanément à la liberté que pour se précipiter dans tous les hasârds des conquêtes ne se contenterait plus des émotions faibles et incomplètes qui pouvaient suffire à: des spectateurs énervés par lesfrjouissances- d'une vie paisible et d'une civilisation raffinée.
Ce qui m'a trompé, c'est l'espèce d'immobilité
dont le régime impérial avait frappé- toutes les âmes, et qu'il avait gravée, pour ainsi dire, sur tous les -visages. La littérature partageait cette immobilité. Bonaparte aimait la discipline partout, dans l'administration, dans1'armée, dans les écrivains, et la soumission de ees derniers n'était ni la moins prompte Ri la moins empressée. Ce qui était dans le chef une faiblesse, funeste à la France et à lui-même je veux dire le désir d'imiter Louis XIV, comme si ce n'eût pas été descendre au- Heu de monter, était, dans les lettrés qui aspiraient. à ses faveurs une complaisance intéressée à la fois et vaniteuse; car en obéissant au nouveau Louis XIV, ils se croyaient les égaux des grands hommes qui avaient encense l'ancien. De la sorte, les règles du théâtre, comme l'étiquette de la. cour, -paraissaient partie obligée du -De plus, il: y a 'toujours eu, dès lé comniéh-
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cernent de nos troubles chez les hommes Ies plus révolutionnaires en politique, une tendance à proclamer leur attachement et leur respect pour les doctrines routinières de la littérature du dix-septième siècle .et les règles recommandées par le précepteur en titre du Parnasse français. On eût dit qu'en se montrant dans leurs ouvrages, scrupuleux .et dociles, ils voulaient expier la vivacité et l'énergie de leurs autres opinions, et prouver que leurs doctrines popu.laires n'entachaient pas la pureté de leur goût. Ils croyaient par là se réhabiliter aux yeux de ce qu'on nommait encore la bonne compagnie, cotterie prétentieuse et compassée qui .pr.éfère l'oubli des devoirs. à celui des formes. La révolution avait. dispersé l'ancienne mais Napoléon s'efforçait d'en créer une nouvelle, d'autant plus .sasceptible pour les convenances sociales -et théâtrales qu'elle éprouvait une ardeur de Tléo;phyte, et le sentiment qu'elle courait risque de broncher sonventsur le. sol inconnu oùsonmattre la plaçait.
En conséquence, tous les écrivainsde l'empire
étaient classiques.. ̃̃ Ghénier lui-même., le plus -beau talent de son .époque comme auteur dramatique rXlhénier qui, jeune et entraîné par son irépubliçanisme, même avant la
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foulé aux pieds, dans Charles IX, les barrières qui l'auraient gêné; était -devenu à la fia -de sa courte carrière, le partisan le plus zélé de toutes les entraves léguées par ;Aristote et consacrées par Boileau.
Ces barrières sont renversées maintenant. La:-
poésie a conquis. sa liberté.. Les i dimensions: de. notre théâtre seront agrandies, et les règles rqui étaient autrefois- des lois rigoureuses, d'après l.es-. quelles, la critique jugeait les auteurs, ne sont: plus que des; traditions dont; les auteurs- sont juges-
La- vjçtoire restfdoQA remportée elle ]!est-trop,
C'est en France. qiua été inventée la maxime;
qu'il valait mieux frapper fort que juste.
Il. en résulte que ;nps écriyains frappent soju-
de la vérité, de goût,
ffl 'un la multiplicité des et, mlêmerles, le%. serait, à CTtadndrîe. q»e
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çant dans cette route avec trop de fougue; nous ne vissions plus sur notre théâtre que des échàfauds, des combats, des fêtes, des apparitions et une succession de décorations éblouissantes.
Il y a dans le caractère des Allemands une' 6-
délitée une candeur, un scrupule qui retiennent toujours l'imagination dans de certaines bornes:. Leurs écrivains ont une conscience littéraire qui leur donne presque autant le besoin de l'exactitilde historique et de'la' vraisemblance morale que celui des applaudissemens du public. Ils ont dans le coeur une sensibilité naturelle et profonde.. qui se plait à la peinture des mens-vrais; ils y trouvent une telle jouissance, qu'ils s'occupent beaucoup plus de ce qu'ils éprouvent que de l'effet qu'ils produisent. ̃ En conséquence, tous leurs moyens extérieurs, quelque multipliés qu'ils paraissent, ne sont que des accessoires. Maison France, où l'oii ne perd jamais de n'agit que -pour les autresraient bien devenir le principal. ̃. ̃̃̃'̃"̃̃r
Ce Tafest assurément pas que je réclamera res-
pect puérile pour des règles surannées.1 Celle dès unités -de' temps' et de ̃ lieu Test -particulièrement abstude elle fait dé toutes nos; tragédies des pièces d'intrigue j elle force'les ;a)rispîrîrtèurs à concerter la mort du tyran dans! sori; palais inème;
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elle s'oppose à ce que Coriolan passe du Forum romain dans le camp des Volsques, où il doit pourtant se mettre à:la tête des ennemis de son ingrate' patrie. >- Les unités de temps et de lieu circonscrivent
nos tragédies dans un espace qui en rend la composition difficile, la marche précipitée, l'action fatigante et invraisemblable.
'̃̃ Elles contraignent le poète à négliger souvent, danslesévènemenset les caractères,' la vérité de la gradation: la délicatesse des nuances. Ce défaut domine dans toutes les tragédies de Voltaire on y aperçoit sans cesse des- lacunes des transitions trop :brusques; on sent que ce n'est pas ainsi qu'agit la nature; elle ne marche point d'un pas si rapide; elle ne saute pas de la sorte les intermédiaires. ̃' • II; est donc incontestable que nos écrivains doivent s'affranchir dé ce jougveau systèm^tragique; II faut seulement qu'ils se ¡ tiennent: en gardecontre lieu trop 'fréquens on trop brusques. 'Quelque spectateur à se rendre. compte de la transposition de la scène, et détournent ainsi une partie de son attention de l'intérêt principal. Après chaque décoration nouvelle, il est obligé de se remettre dans l'illusion dont on l'a fait sortir. La même
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chose arrive lorsqu'un espace de temps.trop considérable s'écoule d'un acte à l'autre. Dans ces deux. cas, le poète reparait, pour ainsi dire, en avant des personnages, et il y a une espèce de prologue ou de préface sous-entendue qui nuit à la continuité de l'impression.
Au reste ces. inconvéniens inévitables, eh Ktt-
térature comme en politique^ ne: seront; pas* de longue. dur.ée partout où. lai liberté. existe la raison ne tardé) pas., à reprendre l'empire. Lesesprits. stationnaires ont beau* crier; que les, in- novations corrompent le goût du public Je goût du public ne se corrompt pas; 3: approuvé ce-qui est dans la vérité et dans la, nature:; il. repoussece qui fansse: la.vérité ,.ce. qtiï s'écarte-jde- la natore: en l'exagérant. admirable. Cet instinct a déjà tracé à nos* exigences politiques les bornes* nécessaires, pourconcilier l'ordre et la liberté; cet instinct travailleet1 réussit à placer.; la. religion dans la, sphère qui. lui appartient, entre: favatismeç influence sur la littérature, et répiimera; lea garoÇter,.
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NOTES SUR LA GUERRE DE TRENTE ANS(i).
(a) Ernest de Mansfeld est l'un des plus.remar-
quables condottieri du dix-septième siècle. Il était fils naturel du comte de Mansfeld, officier autrichien, qui avait commandé avec distinction les armées espagnoles dans les Pays-Bas. L'empereur Rodolphe légitima rErnest de Mansfeld; qui fit lui-même ses premières campagnes sous les drapeaux de l'Autriche et contre les protestans. Mais ayant changé de religion, il se mit au service du protestantisme. Il fit la guerre en Bohême, dans le Palatinat, la Franconie y l'Alsace, la Lorraine, en Hollande, en Westphalie en Basse-Saxe', dans la Moravie, dans le Brandebourg et dans la Hongrie. Il se montra le plus zélé défenseur de Fréderic V, électeur Palatin qui fut quelque temps roi de Bohême. Il fut mis trois fois au ban de l'empire. Presque toujours battu., il reparaissait plus fort -.après ses défaites. Toujours occupé de pillage ilvécut paruvre n'employant -ce .qu'il jenlévait âtfx -peuples que pdurrecruter ides soldats. ©es la première -énoncée page 2j5j j'ax'crû âei voir -joindre «juelgues eclairci^eraens historiques; â cedent. • .1. :>
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année de la guerre de trente ans, il marcha au secours des insurgés bohémiens, et s'empara, le 21 novembre 1618, de Pilsen, l'une des plus grandes villes de ce pays mais le 10 juin 1619 il fut complètement battu par Bucquoi et Wallstein, et reperdit toute la Bohême. ,Il se jeta dans le Palatinat, échappa au duc de. Bavière, en le trompant par de fausses négociations délivra Franckental; assiégé par, les. Espagnols, et alla piller l'évêché de Spire, le Brisgauel l'Alsace; repassant ensuite le Rhin, il défit complètement le fameux Tilly.
Mais Frédéric, l'électeur Palatin, pour lequel
il combattait, ayant licencié ses troupes, Minsfeld passa, avec, sa petite armée,. au service de la Hollande, et dévasta la Westphalie au nom de cette .république. Les Hollandais ne Je conser.vèrent pas long-temps à. leur- solde, et. il.se mit en marche pour le MeçHenbourg où il appuya l'expédition du roi. de Panëmarck. Enfin vaincu par, Wallstein près de Dessau, .il se réfugia. en Transylvanie, et voulut engager -Bethlem Gabor à .le soutenir. Celui-ci effrayé, des ;victoires.de Wallstein ;se hâta de Mansfeld denses états, où il aurait attiré la guerre. Mansfelddirigea ses pas- .vers- (.Venise, après ;avoirj congédié (son armée qu'il ne pouvait plus entretenir, et 'suivi seulement de quelques officiers qui ne voulurent
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pas le quitter. Il tomba malade à Spalatro. Lorsqu'il sentit la mort approcher, il se fit revêtir de son uniforme, ceignit son épée, et s'âppuyant sur deux de ses compagnons, il expira debout; âgé de quarante-six ans, le -20 novembre 1626. (b) Bernard de"Wéymar, le plus audacieux des
généraux allemands qui' servaient sous: GustaveAdolplie ne dut qu'à lui même ses isucces et sa gloire; car,! bien qu'issu d'une maison souveraine; il .ne possédait point 'd'états; et eut souvent à combattre, le chef de sa famille, dont le caractère indécis n'osa se déclarer contre Fempereur que lorsqu'il s'y vit forcé.: Bernard de Weymary après la bataille de Lutzen; fut nommé général en chef > parles acclamations de toute l'armée suédoise à la place de Gustave.- Sa première opération fut de prendre rRatisbonhë. Son opiniâtreté fut cause de la défàité dé Nordlin>gon; mais c'est, la seule rfàute qu'on puisse lui reprocher. Il remporta sur les Autrichiens la :vie-toire. dé -Rhinsfeld, où quatre des plus'illustres généraux de l'empereur furent faits prisonniers. •A .la suite de ce :triom.phe il s'empara1 de .toute ̃i'Alsacèj^et il-avait osé concevoir le projét:dei?y maintenir et'de s'en déclarer le résistant a la fois aux armées^ françaises et aux iforcésimpériales: La'mort mit^un terme à> ses
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le Rhin, au mois.de juillet 1 63g à l'âge de trente- sixains.
(ç) AJbert-Wenceslas-Eusèbe de Waldstein,
Wallenstein ou WaUstein naquit le 1 4 septembre i583, -à Prague, d'une :famille noble, qui professait la croyance luthérienne. Son père. s'appelaitGuillaume de Wallstein, seigneurdilerrmannitz, et sa mère Marguerite-deSchmirfitzky. On l'envoya, dans -sa première jeunesse, à une école de Silésie, où les protestans des contrées voisines faisaient élever leurs enfans. H y montra -bientôt le caractère impétueux et altier qui depuis le rendit si remarquable s et sa conduite \v-régulière leiit renvoyer decette école. D conserva toute sa vie le souvenir de cette circonstance de ses premières années^et, trenteans après, étant ien:Silésie comme généralissime xle lîempereur Ferdinand, il fit chercher par des soldats son rvieuxmaitre d'écbk,.qui^parut en;tremblant de-vant lui- ÎV^allstein., après s'étre^musé quelque •tempside»sa frayeur, :1e renvoya comblé de présens.'Willsteintftit placé comme page :à; la cour :du ^margrave de ftirgovie, prince de la jmaison vd'Âùtrichev qui le/fit .voyager dans presque-toute ;l!Eardpe>vIlse distingua dans .ses voyages-par: la :&cilité avècjaquelle :il; apprenait les langues jet ?.adoptaitles mœurs des;pay&qu'iliparcouraitjton le' somomraa l'AIcibiade de soniemps. Dfit «ùr
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suite une campagne en Hongrie, et, à son retour, il épousa une veuve âgée, mais dont il considérait la fortune comme nécessaire à ses projets d'ambition. Sa femme mourut bientôt et lui- légua toutes sos richesses. Wallstein épousa en secondes) noces une fille du comte ne Harrach, favori de l'empereur Ferdinand n,et-obtintsuccessivement le grade de colonel celui de général, le, titre de, duc de Friedlatsd de prince d'empire, et enfin malgré,les réclamations de l'Allemagne rentière la souveraineté du MecMenbourg,, dont il fut dépouillé à l'époque oùde commandement désarmées, impériales lui fat enlevé, -commandées, deux fois la première, au moment où Christian iIY7 roi de-Banemarck, se -.mit à .-Ja. ¡tête..des, protesteras -.la. seconde, à l'époqueoù. Gustave-Adolphe remplaça Christian. l'Autriche se trouvait dans les embarras les plus .pressant. Lors de l'apparition de Christian IV, ..Tilly,y à ,la vérité,; avait! retnporté plusieurs victoires{pour4a .ligue catholique; il avait battu le margrave ,de JBade, ,Mansfeld et «Christian de » hostiles des de^Basser^axe.jJa marché de Christian en, Allemagne ^les .subsides envoyés l'union fprotestantepar Jacques, Ier (d'Angleterre, rendaient 4eoiouyeaut Ja situation tde Ferdinand très cri-
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tique. 11 fallait une seconde armée qu'on put envoyer contre les Danois; on n'apercevait nul moyen :de la lever. Les ministres déclaraient qu'il n'y avait pas dans le trésor de quoi soudoyer seulement vingt mille hommes. Wallstein se présenta, et offrit d'en lever cinquante mille, a Cinquante mille hommes? disait-il, se M nourrissent. eux-mêmes aux dépens des pays j) conquis, tandis que vingt mille ne sont pas assez .» forts pour- employer ce moyen de subsister. .:Les offres de Wallstein ayant été acceptées, il mit sur pied, non-seulement cinquante mille •^hommes, mais cent mille. Avec'cette armée, il s'empara du cercle de la Basse-Saxe, de la Lusace, de la Francônie, battit partout Mansfeld, Bethlem-Gabor; prince de Transylvanie les •Danois, et força enfin. Christian à quitter ,1'Allemagne et à se retirer honteusement dans ses états. ̃• '̃' "̃ ̃>̃'̃"̃̃̃:̃̃̃ "̃- ̃•̃•'̃̃- Au moment où Wallstein venait de rendre ~k rAutriche ses états héréditaires, de dompter la. -de TAllémagne et de chasser les Da•nois^- tous les princes allemands qu'il • avait irrites se réunirent au duc de Bavière; son ennemi -personnel aux jésuites qui soupçonnaient la ̃ bonne foi de sa conversion aux Espagnols > jaloiix dé ses succès et aux àgens 'secrets de la -France pour: demander sa destitution. La diète
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de Ratisbonne mit à ce prix l'élection d'un roi dès Romains, élection que Ferdinand II sollicitait pour son fils. L'empereur, qui ne se laissait entraîner qué malgré lui à cet acte d'ingratitude voulut l'adoucir par des formes amicales. Il dépêcha vers Wallstein deux de ses amis intimes, qui devaient, en l'engageant à se soumettre et à résigner son pouvoir, l'assurer de la bienveillance impériale Wallitéinles reçut magnifiquement, et ne leur laissant. pas le temps d'entamer leur .négociation « Les astres, leur dit-il m'ont annoncé déjà ce qui m'était » réservé. L'étoile de l'électeur de Bavière l'emporte sur celle de l'empereur. Je n'accuse, donc point Ferdinand, fit je ne suis fâché que pour lui de ce qu'il n'a pas la force- de me défendre. Il renvoya ensuite les deux députés avec de riches présens et se retira dans ses terres de ;Bohême; U y vécut avec une magnificence extraordinaire donnant des pensions à une foule d'officiers qui s'étaient distingués sous ses ordres, et ^en offrant même à des hommes -,célèbres* pard'autres mérite; Eh voulut, par exemple-, ̃̃ s'attacher Hugo Grotius, pour l'engager à: écrire son histoire. La retraite de -Wallstein dans ses terres na fut pas de longue durée. ̃ Gustave-Adolphe^ avait chassé Jes impé^- riaux de
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avait pénétré jusqu'au centre de l'Allemagne, et battu complètement :Tilly près de Leipsick; les électeurs,de Brandebourg et de Saxe s'étaient déclarés contre Ferdinand, avec d'autres princes^ L'électeur de Trêves était en négociation avec 4a France; celui de Bavière même, le plus -fidèle allié de l'empereur jusqu'alors prêtait foreille à des propositions équivoques. La Bohême avait: été envahie $ Prague était tombé au pouvoir des ennemis. Ferdinand, pressé de toutes parts par le roi de Suède, se résolut de recourir une seconde -£ois à Wallstein. Celui-ci témoigna d'abord la -plus grande répugnance à reprendre la direction dès-armées de l'empereur; il. allégua même un serment par lequel il avait fait voeu de ne plus servir, et dont Ferdinand lui offrit de le faire :relever par le pape. La cour. lui envoya pour vaincre sa résistance, son neveu le comte Maximilieu de Wallstein:, et son ami le prince instances dés envoyés, de l'empereur Ferdinand et ne se remit la tête «les: troupes impériales qu'en prescrivant les. conditions < suivantes .:• qu'il, aurait $Bul- le droit.de faire la paix on de continuer, la ^guerre; qu'il serait et, demeurerait toujours^cqu'après avoir/terminé :én toute
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souveraineté, l'un dès-états héréditaires de la maison d'Autriche; qu'il prononcerait seul, et sans appel et en dernier ressort toutes les confiscations; qu'il aurait seul le droit de faire grâce; que le duché de Mecklenbourg lui serait assuré par un des articles de la paix; :enfin, que toutes les nominations, tous les avancemens> toutes les récompensés, dans son armée, seraient entièrement et irrévocablementà sa disposition. Ces conditions furent acceptées, et Wallstein exigea leur accomplissement, celui surtout de la dernière, avec une hauteur qui dut humilier et ôffenser Ferdinand» Quand il recevait des ordres contraires «Encore quelque nouvelle production de l'oisiveté des ministres de sa Majesté, » répondait-il ^dites-lui qu'elle s'occupe à Vienne » de là chassie, et de la musique mes soldats u n'ont pas besoin des avis de ses courtisans. » Un gentilhomme lui ayant apporté une patente par laquelle l'empereur le nommait colonel du premier régiœentijui viendrait à vaquer, Wadlsfein assembla tous les colonels; de son armée, leur présenta cet étranger comme leur héritier présomptif; et après l'avoir exposé aux railleries de là- soldatesque, il le renvoya honteusementson nom1 fit accourir sous ses drapeaux: une mtd> titnde de ̃ Vétérans^dë tous les pays-, Jsams aceep20..
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tion de croyance; car les armées qui combattaient, dans lâ guerre de trente ans, soit pour, soit'contre la maison d'Autriche, étant composées, en grande partie de soldats levés par des partisans qui les soudoyaient avec le pillage, et se vendaient avec eux au plus offrant, il arrivait que les catholiques servaient sous les-drapeaux du protestantisme et que les protestans se trouvaientdans les a rniées impériales. Buttler, Gordon et Lesley, les trois assassins de Wallstein, étaient protestans. Le dernier général qui commanda les troupes autrichiennes dans la guerre de trente ans était un Hessois calviniste, nommé Meilander. Un ,fait assez singulier prouve la lutte de l'esprit militaire et de la croyance religieuse à cette époque. L'un des lieutenans de Wallstein, le général Holk avait dévasté la Saxe de la manière la.plus *.cruelle, et persécuté les protestans avec un. acharnement inexprimable. Étant tombé malade, et sentant sa fin: prochaine, il se. déclara protestant lui-même, et demanda un ministre de,cette religion, pour l'assister dans ses derniers mbmens-. On en chercha vainement un de tous côtés.; Holk les avait fait poursuivre avec une telle rigueur, que tous avaient pris la fuite. Le général mourant envoya ses soldats àJeur recherche, promettant six cents écus à quiconque lui en. ramènerait un. Leurs eflforts furentlong-
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temps inutiles. Enfin, l'on en: découvrit un qui s'était caché dans le creux d'un arbre, au fond d'un bois. On le conduisit vers le général, mais celui-ci venait d'expirer. • Wallstein lui-même était né protestant mais
tombé dans sa jeunesse d'un troisième-étage, il attribua son salut à l'intervention de-la vierge Marie, et se fit catholique. Toutefois il ne devint point persécuteur. Il fit bâtir àvent pour les chartreux, un collège pour les jésuites; et àGlogau une église pour les luthériens. Il se proposait d'établir en Bohême la liberté de conscience, et de rendre aux protestans exilés, qu'il aurait fait revenir, celles de Ieursterres confisquées dont l'empereur lui avait donné la propriété. Indépendamment du pillage qu'il prodiguait
ses soldats, il captivait leur dévouement par son attention rappeler devant toute l'armée leurs actions brillantes, dont il n'oubliait aucune. Il se promenait souvent au milieu d'eux, et mettant la main sur la tête ou sur l'épaule des braves qui s'étaient distingués, « C'est à celui-ciy disaitM il, que noas devons le gain de telle journée; -V lanardiesse de celui-là nous asamtes en telle occasions Aussi la victoire ne .tarda-t-elle pas à etarrêta Gustave devant Nuremberg. L'armée impériale,
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qui semblait anéantie se trouva tout à coup de cent soixante mille combattans. Ce fut ainsi que là présence d'un seul homme changea subitement deux .fois le sort de l'Europe.
Parvenu par ses succès au laite de la gloire
et du pouvoir, Wallstein conçut enfin le projet de placer sur son front la couronne de Bohême, et il entra en négpciation avec Gustave, avec Oxenstiern et avec plusieurs princes protestans.
Une négociait jamais que par des agens su-
balternes, et son penchant pour l'astrologie lui faisant souvent modifier ou ajourner ses projets, il ne donnait à ces agens que des Instructions vagues, qu'ils étaient exposés à outre-passer. On en trouve la preuve dans un ouvrage curieux, rédigé, après la mort de Wallstein; par un des hommes qu'il avait le' plus souvent employés comme émissaires. Cet ouvrage, resté manuscrit, est intitulé, Relation véritable de ce qui depuis fan i63o, époque à laquelle le duc dé Friedlandfut destitué du commandement par. sa Majesté impériale, jusqu'à Van i634, qu'il a péri, entre le comte Tersky,, le duc: de Suède, :et' le soussigné y Jamslaw- Sesjma .Rasçhîn. Ce Sésjna Raschin; l'agent habituel de obtint sa grâce, après l'assassinat
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en remettant a la cour de Vienne cette notice de toutes les négociations dont.il avait été chargé.; WaBstein proposa au roide Suède de lui confier quinze mille hommes, auxquels se joindraient ses adhérons.. 11 se faisait fort, avec cette armées de surprendre Vienne, et de chasser Ferdinand jusqu'en Italie. Wallstein fit faire cette offre au roi par le -comte de Thourn. Gustave la rejeta sous divers prétextes,: et son refus: laissa dans le coeur de Wallstein un ressentiment: qui- ne s'e£faça jamais; Lorsqu'il reçut :1a nouvelle de sa mort, «. Heureusement pour; moi et pour lui » s'écrià-t-il, il n'existe. plus; .11 ne faut pas dans empire deux têtes pareilles*:»: Gustave. ayant été tué, -Wallstein. entra -,dé;. nouveau ̃: en négociation avec Oxenstiern pour la Suède et, -avec Amim ipôuT' la Saxe..H proposa ^ses conditions qui. furent acceptées mais lorsqu'Arnim: iui'de-manda ;par q,ùetls moyens il" comptait joindre ses. forces à celles des allies j^c :C'est: aux: dit-il, àtse; réunir pourchasser l'ennemi commiin;. les Suédois. j>. Oxenstiern; écrivit à Wallstein de sa propre ,pàrcéi i savait,: ^ontàitrfly que telle.: avait :ftté Kinteution dus feu roL iWallstein lui fitu-iep<HMkg> avec Feuquières eurent
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traitèrent par un 'intermédiaire; sans pouvoir écrits, et furent aussi rompues par Wallstein. Au milieu de ces pourparlers, il attaqua un corps de de Saxons et de Suédois près de Steinan, ei le fit prisonnier avec toute son artillerie et tous ses bagages. Oxenstiera déclara plus -d'une fois qu'il n'avait jamais pu démêler lès véritables intentions de Wallstein. Sa conduite finit par inspirer aux: alliés une telle défiance, qu'ils le soupçonnèrent de se :feindre mécontent de. l'empereur, pour- les surprendre et pour livrerà Ferdinand les troupes* qu'ils lui auraient confiées. Ses vacillations, cependant, -né sont pas inexplicables. Indépendamment de ce qu'il se laissait diriger par ses astrologues, Wallstein avait: un double but. H voulait: enlever à l'empereur ie trône de Bohême; mais: il voulait aussi délivrer l'Allemagne de toute domination étrangère^ II répétait sans cesse qu'il fallait se-défaire des Suédois. « Ces intrus disait-iiï, n'ont rien à voir dans ^empire. Renvoyons-les en les payant, si nous le pouvons; et s'ils s'y: refusent rchasAlarme sur les projets de Wallstein, Ferdinand se détermina à: -lé s'exprima de des serviteurs ambitieux et avides crurent plaire à leur prince1 en massacrant leur bieniaitéur; uyji;
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Buttler, Écossais ou Irlandais, que Wallstein
avait élevé au rang de colonel de simple dragon qu'il avait été pendant trente ans Lessley, lieutenant-colonel, et Gordon,. colonel et commandant &È,gca, tous deux également, comblés des faveure de Wallstein^ complotèrent ce crime. Ce dernier invita à soupèr chez lui, dans la citadelle, Illo, Tersky. et Kinsky, les trois confidens de Wallstein, et, à la fin du repas, il les fit égorger par -trente soldats du régiment dé Buttler4 S'étant réuni ensuite a Buttler lui-même, et. à un autre Irlandais nommé Déveronx, capitaine dehallébardiers, ces trois hommes, suivis de six hallebardiers de la compagnie de Déveroux, pénétrèrent "dans lrâppartement de Wallstein, qui était déjà: couché; celui-ci, que le bmit réveilla, s'elariça:de: son:lit vers lafenêtre. Déveroux s'approchaùt.delui, luiucrià ^« Es-tu le scélérat qui m veux arracher à l'empereur sa couronne ?.'tù vas les bras,- et présentai sa^poitrine. sans. prononcer un seul% mot. Les assassins le pércèrenï de leurs hallebardes, et il tomba:mort, sans qjt'aucan gémissement lui échappât.! :?
quante ans. 11 6lt enterré à Gitscïiin,; dans un qu'il avait fondé. Sa fille unique épousa dans la suite un.coiute de Kaunitz.
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Presque tous ses biens furent confisqués; on ne laissa à sa veuve que la terre de Neuschloss en Silésie. • ̃̃ ̃ (d) On a vu, comment Wallstein nourris-
sait ses troupes. On évalue à six cent soixante millions d'écus, près de trois milliards: de notre monnaie, les contributions levées en quatre ans par ce général en' Allemagne.
'Ce) Wallstein ne: fut pas le seul. homme de
pereur Rodolphe Il son empire. Frédéric Vy .électeur palatin; qui perdit: ses états héréditaires pour avoiraccépté la couronné 'dé Bobême^ s'ëiait déterminé à cette entreprise hasardeuse, et an-dessus également de son caractère^et de ses forces, parle coDseiL.des astrologues; Tifty :croyaitank.'pr.œages-, iefclà superstition le rendit humain: une fois en: sa- vie. il sè7 préparait à reux' rnauvaisJ sort lui soumettîût; niais, le hasarda fit qu'il fut logé chez un fossoyeur qùivipleÉttgde d'ossemens-
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quels ses habitans ne pouvaient s'attendre, et ses dispositions dans la bataille qu'il livra peu de jours après et qu'il perdit, portèrent encore l'empreinte du trouble qui le dominait. Ce fut durant ses voyages et surtout à Padoue, qùe Walls.. tein commença à se livrer: à l'astrologie. U prit desleçons, danscette science, d'un Italien nommé Argali; et depuis, il eut toujours avec lui un autre Italien, Battistâ Séni qui consultait les astres sur tout. ce que Wallstein voulait entreprendre; Ce Séni s'était engagé au service de Wallstein pour vingt-cinq écus par; mois; mais Wallstein. trouva ce: salaire: au-dessous deportance de cette profession et de sapropre di-rporta deux mille ecus. On prétend que cet astrologue était vendu à la cour de Vienne, et qu'il 'contribua à entretenir Wallstein dans l'indécision, qui causa sa.> perte..€& fut par ses conseils que; Wallstein consentît lors de sa premièré-destitiitionr, à se démettre sans résistance -du comjnandèment. Séni Lutzen>, .où; Gustavesultal son
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Séni avait annoncé à Wallstein qu'eu s'emparant de la couronne de Bohême, il affrontait un danger presque inévitable. « Soit, s'écria-t-il je i) mourrai avecla gloire d'avoir été r oi de Bohême, comme .Jules-César, bien qu'assassiné, a con» servé celle d'avoir été empereur romain. » Le jour de sa mort,: et à l'heure même qui précéda cet événement, Wallstein s'était enfermé avec Séni, et causait sur l'astrologie. Séni lui prédit un grand périt pour cette journée. Wallstein, examinant les astres, prétendit que le. péril avait existé, mais était déjà passé. Peu d'instans après Séni le quitta, les assassins forcèrent sa chambre et le massacrèrent.
(J) L'empereur Ferdinand n'était encore qu'archiduc de Graetz^ lorsque Wallstein mérita son amitié en levant àses propres dépens un corps de trois cents cavaliers,' avec lequel il marcha au secours de l'archiduc, engagé, dans une guerre contre-l'état -se distingua dans la défense de Gradiska, assie'gé par les Vénitiens. Il acquit de nouveaux droits à la reconnaissance dé Ferdinand, en se'déclarant pour- lui au commencement des délivra >-Ttn-joîïrqïi?il était entoure dans<son "cabiriétrde L!mécontens; !b<ihém'tensi;'qtii voulaient leurs :privilégës5 Wals^-
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tein, se crurent environnés de troupes, et tombèrent aux genoux de l'empereur en demandant grâce. Ferdinand pour récompense, donna à Wallstein beaucoup de terres confisquées sur les rebelles. Ces services d'une part et ces faveurs de de l'autre formèrent entre Wallstein et Ferdinand une liaison très étroite, qui dura jusqu'à la destitution du premier.
Tillÿ n'est que trop connu par sa cruauté,
et par la prise et l'affreux pillage de MagdebourgJ On prétend qu'il avait été jésuite dans sa jeunesse, qu'il ne but jamais de vin et ne connut jamais de femme. H descendait d'une famille noble du pays de Liège. Il avait fait la guerre des Pays-Bas, et ensuite celle de Hongrie' sous Rodolphe II. Entré au: service de l'électeur de Bavière, il donna à l'armée bavaroise une organisation -qui lui valut de grands succès. Il fut généralissime de la ligue catholique, et lar-etraite de Wallstein,-il le remplaça dans le commandement de l'armée impériale. Il combattit, avec une fortune diverse,. mais. le plus souvent favorable, contré les généraux protestans, fut tour à tour vainqueur de Mansfeld et vaincu par lui, et enfin, ayant été-complètement défait par Gustave sur le Lech, il mourut de ses blessures à Ingolstadt-, le 16 avril. 1 632. ̃̃̃{&) Axel ,Oxenstiera chancelier de Suède
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l'ami et le confident de Gustave-Adolphe, avait été appelé par ce prince en Allemagne, la fois comme guerrier et comme négociateur. Au coin-mencement, de l'expédition suédoise, il commanda en Prusse un corps de réserve fort de dix .mille hommes. Mais Gustave le chargea bientôt de traiter en son nom avec les États protestans. Il convoqua dans ce but une assemblée de ces États elle allait s'ouvrir dans la ville d'Ulm, lorsque la mort inattendue du héros de la Suède jeta Oxenstiern dans une situation très difficile. Simple chevalier dans son pays, il ne pouvait guère se natter que les princes des plus illustres maisons de l'Europe se laissassent diriger par un homme d'un rang si inférieur à celui qu'ils occupaient. L'activité, l'adresse et la fermeté d'Oxenstiern surmontèrent tous les obstacles', et après cinq mois de travaux, de voyages:et de négociations, il obtint des électeurs de Saxe et de Brandegourg, et de tous les princes confédérés, qu'ils lui confieraient, presque sans réserve, la direction de la guerre. 'Il devint alors l'arbitre des destinées de l'Allemagne, dont il partageait les provinces entre les princes qui servaient sous les drapeaux dé-ià Suède. Chacun de ces princes demanda et obtint de lui ce qui lui convenait du territoire allemand, à rtîtrë de fief de la couronné suédoise: Oxenstiern j malgré l'intérêt qu'il avait
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à ne pas s'aliéner le coeur de ses alliés., ne put toujours déguiser son mépris peur l'avidité avec laquelle des souverains allemands sollicitaient d'un étranger quelques de'bris de leur propre patrie. « Qu'on enregistre dans nos annales, disait» il un jour, pour en conserver l'éternelle mér moire, qu'un princes de l'empire germanique ». demanda une portion du sol germanique à un » gentilhomme suédois, et qu'un gentilhomme suédois accorda cette demande à un prince de » l'empire germanique. »..
(z) Ferdinand II professait pour les prêtres la
vénération la plus profonde. « S'il m'arriyait » disait -il souvent de rencontrer eu même » tempsunange et un religieux, le religieux » aurait mon. premier hommage, et range. le »'lsecond. » Il. devait à son éducation cette manière de penser, qui, du. reste > était celle de la plupart des princes de sa maison.! Rodolphe Il était de même^sous la domination des jésuites. Ferdinand ayant perdu dès sa. douzième année, son père, l'archiduc de Styrie, avait. été mis, par. sa mère, sous, la tutèle de son onde, le duG de Bavière qui l'avait fait jélever par les jésuites y- à l'université d'Ingolstadt.; Lorsqu'il prit en main le gouvernement des; états paier- nels, il voulut aller en personne à RQme9.derrmandera
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visitant Lorette il s'engageâ par un vœu solennel envers la Vierge, à faire triompher le catholicisme au péril de son trône et'de sa vie. Deux jésuites dont les noms ont acquis dans.l'histoire des malheurs d'Allemagne une triste célébrité, Lammerman et Weingârtner, le. gouvernaient despotiquement. Sa faiblesse pour eux était si notoire, qu'elle lui fut publiquement reprochée à la diète de Ratisbonne, même par les princes catholiques. Lorsque les insurgés de Bohême, sous la conduite du comte de Thoùrn, étaient sur le point de prendre Vienne, on trouva Ferdinand avec son confesseur, aux pieds d'un crucifix,; et au milieu des succès du roi de Suède, tandis que la Bohême était envahie et l'Autriche'menacée, cet empereur ordonnait des processions pour obtenir du ciel qu'il détournât ces malheurs. Mais si la superstition le rendait ainsi pusillanime dans les revers, elle le rendait, dans lès succès, féroce et parjure.
Rodolphe II, menacé par les états de Bohême
qui levaient des troupes contre lui, avait signé la lettre de majesté, par laquelle il accordait aux utraquistes (protestans de Bohême) les mêmes droits qu'à l'église catholique. U leur avait cédé l'université de Prague il Ienr, avait permis:de se nommer un consistoire particulier, entièrement indépendant du siégV archiépiscopal de la
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ville. Toutes les églises qu'ils possédaient leut avaient été assurées. Les gentilhommes et les bourgeois avaient obtenu la faculté d'en bâtir de nouvelles. Les états avaient été autorisés à entretenir dix protecteurs ou défenseurs de la liberté, investis du droit de lever des troupes. Mathiasj successeur de Rodolphe avait connrmé la lettre de majesté. Mais après' la prise de Pragué par Tilly, Wallstèin etBùcquoi, la lettré de majesté fut remise en original aux généraux autrichiens :par lès états de Bohême, et Ferdinand, assis sur son trône, la coupa en' mortceaux avec des ciseaux, et en brûla' les firagmens. ̃ •••̃̃. •̃̃-•• ̃̃• •̃;̃ --̃̃ ̃•̃ ce prince',
qui récompensa libéralement ses meurtriers, fit dire trois mille messes pour le repos de son âme.
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DE M. FOX ET DE M. PITT.
Des passions impétueuses; un grand amour et au grand besoin de sensations fortes; une ambition ardente, mais, généreuse; un patriotisme asse? éclairé pour rie,pas exclure la philanthropie} tthe sensibilité profonde et ivraie; une .fidélité à: toute épreuye dans; l'amitié uné constance dans les affections qui l'emportait sur, les haines et sur les intérêts de parti; un mélange d'enfance et -de supériorité: rempli de charme; :un esprit fin, pénétrant > quelquefois ironique, muais que dont Japuissance ne servait qu'à combattre des doctrines funestes ou à seconder les mouvemens d'une noble indignation; une éloquence entraînante, mais souvent inquiète et précipitée, comme si d'innombrables idées assiégeaient l'orateur et le poussaient malgré lui; un instinct admirable et rapide dans tout ce qui avait trait à la liberté le goût de tout ce qu'il y a d'élégant dans les arts et de beau dans la nature; le don d'estimer l'espèce humaine et de n'éprouver la défiance que lorsque les faits l'avaient méritée telles étaient
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les qualités qui plaçaient M. Fox au rang des plus' grands et des meilleurs nommes dont l'Angleterre ait pu; s'honorer. Celles dé M.. Piit étaient différentes: sa dialec-
tique était puissante sa- doctrine pare et souvent élevée; son ambition immense, toutes ses passions s'y: étaient- concentrées'; y&curie affection, aucun entraiirementyaucungoùt pom- les arts, pour ,le; ne renL, détournaient. Lé bruit public prétend qu'U.sefpermettait de: temps à autre d^obscures. et Vulgaires j oitissances maisi il a fourra sa carrière sans ressentir une fois l'amour. crois avec raison, que^ dans sa jeunesse, il «e livrait avec ceux qu'il appelait ses amis-y auat^s^tractions que procurent ei£ Angleterre le^longùes séances après les repas j. mais lui ^:sés n'existait dans son âme entre eux et lui. Avant d'aravet aux prémières:places, il ayaxé^ xpixiàae (iksont à ;la; vérité à favoriser raccroissement;<du y-ôiê-
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que la défense du. peuple n'était pas un terrain propre au développement de ses facultés. Elles brillaient surtout quand il s'agissait de déclamer contre la, cause populaire. L'autorité était son atmosphère, comme la liberté celle de M. Fox. Cependant, je ne le nierai point, il y a beaucoup de discours de M. 'Pitt qui sont parfaitement constitutionnels. Une constitution représentative a cet avantage, quelle fait entrer les idées-des droits et des garanties dans l'esprit dé tous ceux qui,aspirent à prendre part au gouvernement, et, à force de répéter pour. leur intérêt des maximes de cette espèce, ils se persuadent enfin qu'ils y croient.,Mais la manière dont ces deux hommes célèbres considéraient la constitution anglaisé n'était point la même. M. Fox y voyait un noble espoir de perfectionnement pour toutes les classes de l'espèce humaine, M. Pitt, un moyen- de puissance régulière et de stabilité pour l'oligarchie.- .-• ••-̃•. --•:̃• ̃•
J'aicparlé de la constance de M. Fox dans ses affections > et les Anglais sontencore émus quand ils se rappellent les larmes versées parlui en plein-parlement lors de sa rupture avec Al. Burke. 4 !.ne sais sLJVL. JPîtt a jamais pleuré ̃;̃ mais assurément ce n'a: jamais «té- sur de vieilles amitiés brisées. M. Fox a eu des amis,: M'Pitt' des assorties, ou plutôt des subalternes. ̃̃̃.̃̃
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Le ministère de M."Pîtt a été, en 1789, proba-
blement une grande calamité pour l'Europe. Je ne sais quel auteur a dit que l'âme avait plus d'esprit que Fesprit tout seul. Un ministre plus cosmopolite et moins anglais quéM. Pitt aurait vu, tlans le grand mouvement imprime à la France, une époque qui pouvait devenu* heureuse 'pbùr l'humanité. M. Pitt n'y aperçut qu'une crise qui affaiblissait la nation rivalede l'Angleterre. Il vouI ut accroître le mal au lieu de seconder le bien. Il réussit àplonger la France dans un épouvantable chaos; mais la destinée est équitable Via France estsortie de ce désordre, et l'Angleterre â été quél-quetemps sur lepointd'j entrer. Je ne yeux" point ici, comme des écrivains exagérés eï trop'sbùjpdoi*Deux accuser M. Pitt d'avoir soudoyé toutes les horreurs dé la démagogie sanguinaire de 1795. II y à des crises durant lesquelles les factions n'ont pas besoin d'être séduites pour-être folles*. Les torts de M: Pitt remontent plus haut. C'ésfén 1789 et en 1790 qu'il combattit,'par tous les moyens secrets qui étaient entre ses' mains; les efforts. de M; Necker-pour apaiser la France; et je à toutes les mesures'" quiTpouvaïent rétablir le calme, au succès^ des? il rencontra
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M. Fox, on n'en peut douter aurait 'agi
bien différemment. Il eût favorisé la tendance amicale qui se développait alors entre les deux nations; il eût offert aux Français agités, tourmentes par les fléaux des saisons, par: ceux des divisions intestines et par des intrigues étrangères, une noble; et loyale alliance. Au lieu d'exciter les souverains de lïtrrope à lever l'étendard contre un peuple qui voulait respecter l'indépendance de .ses "voisins, sousla seule condition que là .sienne sérail: respectée, il eût employé ^influence du. cabinet de Saint-James à faine sentir à la première coalition qu'il ne fallait pas irriter million? d'hommes enthousiastes de la^l jb. erté; et par cette conduite il eût: vraisemblableEnent sauvé Louis XVI et les milliers précédé et quilîont suivi. v j JV; la yérité, rAngletérre «'eût pas, durant vingt monopole du comn^ecce elle Euaurait pas été l'unique puissance aussi elle n'aurait pas vu. à Stockport, a Manchester, à Smithfield, d.es mécontens; pas été menacée 1'obéissancê4ux à et à Jk justice par l'assassinat, triomphe.,
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• M. Pitt est le fondateur de, l'école poli tique; qui domine actuellement en Angleterre. I/égoîsme, le mépris des hommes et l'amour de l'argent en sont les mobiles. M. Pitt,. néanmoins,. était personnellement au-dessus des considérations intéressées; son intégrité pécuniaire était reconnue. La médiocrité seule est avide, etlé talent qu'avait M. Pitt, et qui ne distingue, aucun: de ses élèves,;le préservait des calculs sordides. Mais il y a dans les hommes qui ont soif du pouvoir une sorte d'arrogance qui fait qu'ils ne sont pas fâchés de voir leurs instrumens dirigés par des passions moins nobles. Outre qu'ils jouissent, de se sentir supérieurs à ces. instrumens, ils. s'en croient plus sûrs, parce qu'on regarde comme sa propriété, ce que l'on achète. .• Durant la longue. administration de M. Pitt, les titres se sont multipliés., les sinécures se sont accrues.. B. avait oublié au ce qu'il avait dit lors de son entrée au paiement. «Messieurs,, disait-il,, les ministres devraient ». au .moins donner au peuple la consolation de 0 voir que le souverain prend .part. à. ses souf-» » françes, et offre lui-même l'exemple bono-n râblé d'une sage, économie, dans un moment » si critique; o l'honneur dç leur encore,. '1.; s'il, est possible, dans l'opinion, de ses sujets
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» en lui faisant le mérite de retrancher ce qui » appartient à la magnificence, pour ne coriser»~ver que ce qui est nécessaire au besoin. Au lieu d'attendre les demàndes d'un peuple accablé, ils devraient accroître sa popularité par un abandon volontaire de revenus superflus. a Si les ministres n'ont pas fait leur devoir, ce n'est pas une raisoa pour que cette chambre \)De fasse pas le sien. Actifs en tout ce qui con-
» cerne l'intérêt de leurs représentais, les mem» bres de cette chambre saisiront tous les moyens
raisonnables qui se présenteront d'eux-mêmes
». et certes, nul n'est plus positif et plus flatteur
» que celui de l'économie. Leur caractère leur
» imposé le devoir de suivre ce principe jus-
qu'au pied du trône même, en conseillant
à la couronne d'abandonner une ostentation
inutile, afiu'de conserver le pouvoir néces-
» sairé; de diminuer un peu desapompe-royale,
» afin d'assurer d'autant le respect qui lui est
» dû de restreindre enfin sa grandeur exté-
rieure pour augmenter encore sa dignité per-
» sonnelle. Ce n'est pas déroger à la gran-
»;deur royale que d'écouter avec intérêt les
» plaintes du peuple.' Parleur de la tutelle de
m cette chambre serait peut-être employer une
» expression trop forte j mais avouer sa curatelle
» ne yeut offenser un roiconstitùtiôritiel. Là di-
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minution de ses dépenses superflues n'attaque pas la royauté; et loin que sa magnificencé m et sa grandeur puissent être atteintes par une sage économie, dans un temps aussi critique, » son existence semble, au contraire, prendre une force plus réelle par la réduction des dépenses. La liste civile a été accordée à Sa » Majesté par le parlement, pour tout autre motif que pour son usagé personnel. Elle a été allouée afin de soutenir le pouvoir et la dignité de- l'empire, afin de maintenir sa grandeur, » afin de payer les juges et les ministres étrangers; enfin pour entretenir la splendeur et le » respect dus au gouvernement, par l'entretien des grands-officiers de la couronne, propor» tionnellement à l'opulence du peuple. »
Ainsi parlait M. Pitt, dans sa vingt-deuxième
année, sur les bancs de l'opposition, contre lord North. Il serait curieux de rapprocher ces paroles du gouvernement -de M. Pitt, ministre: M. Fox a laissé des traces ineffaçables dans tous les, cœurs des amis de la liberté en Angleterre:; M. Pitt' a laissé une secte d'adorateurs qui célébraient encore son: machiavélisme; dans le moment où l'Angletérre en'' portait la peine. Sir S. Romillyy sir James Mackintosh,- M. Bennet, Mj.j3Pierney sont les disciples deM. Fox. Les élèvcssde Mv Pitt sont asséiz connus sans que je les nomme.
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:Deux circonstances établissent entre M. Fox et M> Pitt une ressemblance: appar.ente. Tous deux ont réclamé laréforme parlementaire; mais il vaut la peine de comparer leurs discours sur cette amélioration. Quelle chaleur, quel entraînement, quellesincéritédans l'un! Quel sang-froid, quelle élégance compassée, quelle, absence d'âme dans l'autre! L'un va jusqu'au fond, l'autre reste à la surface l'un vent des réalités, l'autre s'attache aux formes l'un vent que le peuple soit vraiment plus libre, l'autre que l'oligarchie soit mieux déguisée. Tous deux ont échoué dans leur» tentatives sincères, ou apparentes; mais il est probable que M. Fox a gémi de sa défaite, et que M.. Pitt s'en est réjoui.; L'avenir décidera lequel jugeait mieux de la situation de l'Angleterre.•̃
Un second rapport sous lequel M. Pitt et M. Fox se ressemblent. c'est qu'ils sont morts tou.s deux dans la vie; privée^ mais il y. a. entre eux cette différence, que les ministres qui ont remplacé M; Fox étaient ses adversaires::Il a pu., comme membre; de la chambre: des. communes, rendre toujours à son pays le service: important d'une. opposition constitutionnelle, et sa mér moire niest^ point responsable des fautes de ses successeurjs^ tandis que tous les, ministres qui ont eu le pouvoir depuis M. ;Pitt > :£oxmés .,à
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son école, ou d'après ses traditions, et empreints de son esprit, ont agi suivant ses maximes, et que la responsabilité de tous leurs actes retombe sur lui.
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XIV.
DE LA RÉVOLUTION ANGLAISE^
DE i64o 1688.
La révolution anglaise, dans le dix-septième
siècle, avait pour premier but rétablissement de la liberté religieuse; mais comme toutes les li- bertés se tiennent, le besoin des garanties politiques se fit bientôt sentir. Si la famille qui régnait alors en Angleterre eût assuré à la nation la jouissance de ces deux libertés, la révolution n'aurait pas eu lieu; mais le principe du droit divin, c'est-à-dire l'oubli et la violation de tous les droits du peuple, ayant été professés en théorie par Jacques Ier, et essayés en-pratique par son successeur, une révolution devint inévitable.
Qu'arriva t-il ? qu'une fois commencée, la ré-
volution ne s'arrêta point au gré de ses auteurs. Elle ne se borna pas à détruire ce dont la destruction était désirée, ni à établir ce dont l'établissement était considéré comme nécessaire elle s'étendit beaucoup plus loin, elle renversa la royauté^, que personne dans l'origine n'avait songé renverser.
Ainsi donc jusque là ce fut la royauté qui causa
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sa propre destruction, par une alliance, tantôt clandestine tantôt manifeste, avec un système d'oppression religieusè' et politique dont les Anglais voulaient être délivrés. La révolution futl'ouvrage de la royauté: imprudente et aveugle. Ceci n'excuse ni les crimes ni les excès, révo-
lutionnaires c'est l'énoncé d'un. fait et d'unie causé, et nullement une apologie. Charles 1" avait suivi une route. déplorable qui ne pouvait que le conduire à sa perte; mais sa *mort n'en fut pas moins- un grand attentat; seulement.il dépendait de:lui d'empêcher que cet attentat ne fût commis. Ses erreurs de: 1625 amenèrent l'horrible catastrophe de 1649- Poursuivons. En anéantissant la royauté, la
révolution anglaise avait, ;dépassé son premier but. Quand une révolution dépasse son but, pinion s'étonne, s'arrête et :finit. par retirer à la révolutk>n-son; appui/ Alors il; faut que la révolution en chèrcheiautre part. Or, comme tous les appuis qui ne puisent pas leur force dans l'opinion. sont bientôt attaqués par: l'opinion même! il arrive nécessairement que la cause delà révolution.ccssebientôt aussi d'être celle de la liberté et il faut alors que là révolution aitrecours À-li tyrannie, '̃> '̃̃ En effet, nous voyons que, mêmeVavant la
mort. et précisément parce que
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l'opinion ne voulait pas cette mort, tout, dans les actes du parti qui se disait populaire, devint tyrannique. A Londres,' l'armée fit violence au parlement; dans les provinces, des comités se formèrent pour surveiller, dénoncer, arrêter, détenir les cavaliers et les maUgnans. On séquestra, puis on vendit les biens; on incarcéra et quelquefois on massacra les personnes.
Ces malignans et ces cavaliers étaient, pour la
plupart, ceux qui avaient encouragé leur heureux prince à résister aux besoins et aux rué- clainations encore fondées d'un peuple alors op-^ primé. Ils l'avaient enivré de leurs flatteries, étourdi de leurs protestations, trompé par des démonstrations emphatiques d'une force qu'ils n'avaient pas. Ds-1'avâieiit entraîné à sa ruine, -et dans sa ruine ils l Geci^encore une fois est un fait; et non une
excuse. Les comités révolutionnaires qui s'étaient. partagé:;les:, provinces <L' Angleterre les: étaient des: choses lexécrabks; mais la -ée ces choses exécrables était dans: dans une obstination insensée à résister -a: eè iqùiétait juste. En résistant à ce qui était. avait, produit ce qui était «atroces
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puni de ses fautes, puni beaucoup trop sévèrement, et par des hommes beaucoup plus. coupables. A Dieu ne plaise que nous pensions ¿de contester; mais de même que Charles ̃ Ier plus prudent, eût échappé à son sort funeste f de même lés royalistes, en n'égarant pas ce roi malheureux, en ne le poussant pas au-delà des bornes de la modération, en ne l'aveuglant pas sur les intérêts de son trône et de sa vie, auraient échappé aux persécutions qui: suivirent pour eux la mort derCharies Pr.
Nous continuons, et nous allons voir la même
rétribution' s'étendre- avec la- même sévérité: sur des fautes d'un autre genre. La révolution:, étant- devenue ityranniqne faisait peser sur les Anglais- tous les maux«ontré lesquels cette révolution avait, dans son principe, été dirigée:: II était clair qu'après avoir dépassé son bût j elle allait- contre cebiit donc finir par se détruire; JLa duperie des peuplés' n'est jamais longue; .quand 'on les opprime^ on a à lisme qui lès insulte se quetqut1 autre1.- s! tani.! ̃ Un événement particulier suspenditlJeincnm vèment rétrogradé qui Get:évènement lia
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nature crée, par intervalles, des caractères devant lesquéls le reste des hommes semble comme frappé de. stupeur. Ces caractères sont. toujours empreints du génie de leur époque; ils s'emparent de toutes les passions dominantes, promettent à toutes de les satisfaire, tâchent, en les satisfaisant en effet jusqu'à un certain point, de les transformer en intérêts; effraient ces intérêts les uns par les autres, et les tiennent tous en- chaînés. Ter fut Cromwel tel fut Bonaparte. Mais ces caractères extraordinaires ne changent pas la marche des choses; ils la suspendent, et quand ils disparaissent, les choses marchent comme auparavant.
La tyrannie. révolutionnaire ,devait donc tomber à la mort de Cromwel; elle s'écroula. Ce fut tellement un effet nécessaire de tout ce qui avait eu lieu sous cette tyrannie,, :qu'il; serait impossible :d'assigner à cette chute: une cause immédiate. Toute la puissance était entre les mains des républicaines. L'armée, dirigée par un comité d'officiers républicains, était dépositaire.de toute la force. Intérieure, et aucune force étrangère; n'avait l'intention ni la faculté d'Intervenir. Dans le parlement, siégeaient encore un grand nombre desijnges paraissaient Munis contre le; prince :dont on 'avait fait mourirwleipère. Mais <on avait commisbeau-
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coup d'iniquités au nom de la république; il &1lait que la république en portât la peine. Tout l'échafaudage de stabilité, qu'on eût dit indestructible, s'évanouit comme un songe, et Charles II monta snr le trône.
Trois routes lui étaient ouvertes celle de la
violence, celle de la loyauté, celle de la ruse. Il ne voulut pas risquer son trône en entrant dans la première;. il ne put se résoudre à suivre la seconde, parce qu'il détestait la liberté; il choisit- la troisième, et son choix décida la chute de son successeur-et de sa famille.
Comme il gouverna vingt-cinq ans, on pour-
rait croire que ce choix fat du.moins conforme à son intérêt personnel; mais, si l'on entre dans les détails de son administration et de sa vie intérieure, on le verra tourmenté sans cesse par les deux partis qu'il trompait; importuné des royalistes, qui ne lui savaient aucun gré de tolérer leur audace, parce qu'il éludait leurs prétentions effrayé des complots qu'il attribuait aux républicains; se défiant des hommes sages qui se défiaient de lui; brouillé avec son frère^ qu'il fnt obligé de reléguer hors de l'Angleterre; méndiant les secours pécuniaires d'un roi despotique «roi l'encourageait comme un apprenti despote mais qui le traitait avec dédain, comme ayant vendu son pays à l'étrangér; enfin, poussé mal-
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gré ses craintes vers la contre-révolution dont il désirait l'accomplissement et redoutait les conséquences., et mourant couvert du sang d'Essex de Russel et de Sidney. Certes, une telle carrière est une triste indemnité pour le travail honteux d'une dissimulation perpétuelle, et nous peusons que Charles II n'aurait rien perdu à régner avec bonne foi. La bonne foi a sur les peuples une extrême puissance. La mort de Charles Il le mit à l'abri des résultats amers qui accompagnent la duplicité.. Son frère mérita et recueillit ce triste héritage; mais l'expérience avait instruit les Anglais. « C'est un grand maître (ici j'emprunte les expressions d'un écrivain » qui a très bien apprécié cette époque) e'est » un grand maître qu'une longue et cruelle rén volution. Lorsque les Anglais se soulevèrent » contre Charles 1er, ils voulaient la 'liberté, mais ils- rie la comprenaient pas plus que M Charles et Buckingham ne se rendraient compte a eux-mêmes de leur despotisme et des résulo tats qu'il pourrait amener. Les Anglais, en rompant leurs chaînes, ne songèrent pas qu'ils » ne pouvaient se passer de frein, et, sera.» blables aux esclaves de naissance qu'on afiran» chirait tout a coup sans les avoir préparés à » un si grand changement de condition, ils cru-
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» rent qu'être libres c'était ne plus:obéir à per» sonne, et surtout n'avoir plus de roi.
Us s'aperçurent avec le temps et à l'école du
» malheur, qu'il n'est point de joug plus pesant que celui qu'on reçoit de ses égaux; que le peuple en masse ne peut agir directement, et » qu'il lui suffit d'influer; que le résultai direct » de l'action de tous est la destruction; qu'il.faut » toujours en revenir à confier le pouvoir à un » petit nombre; que c'est encore le petit nombre » qui mène tout, lors même que le peuple enm tier vote ou délibère, et qu'au moment où il » se persuade que c'est lui qui dirige, il n'estréel» lement que l'instrument de quelques hommes. » Lorsque le peuple anglais eut senti.sa propre
» incapacité, il sentit aussi la nécessité.. de se » soumettre, et il se soumit; mais il avait acquis » de l'expérience; il avait appris à connaître la liberté; il savait qu'elle ne consistait pas à être affranchi de toute obéissance, mais à n'obéir » qu'à des lois faites pour le bonheur de tons; â ce » que l'homme ne fiât pas à la merci de l'homme; » à ce qu'il pût jouir tranquillement et en » pleine sûreté de sa fortune et de son talént; de » ses facultés locomotives,' intellectuelles et so»wciales, sous la seule condition de ne troubler » personne dans les mêmes jouissances..
» Voilà la source de. cette sorte d'instinct pu-»
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» :blic, d'une, part, contre J'esprit revolution» naire et l'ancien penchant au soulèvement, et, de l'autre part, en faveur du système des ga» ranties. • Nul homme éclairé.ne saurait, ce me semble, méconnaître les leçons de tout genre que ces trois règnes de l'histoire d'Angleterre présentent à tous les peuples.
Cette histoire dit aux princes, au nom de Charles I". Quand la raison publique demande une chose,;ne vous y refuséz.pas;. n'attendez pas qn'il soit trop: tard. Si. vous luttez par l'arbitraire et avec violence; la colère remplacera la uaison. Quand vous voudrez faire le bien, il Ne. sera plus temps vous aurez perdu l'État et. vous- Elle leur dit, au nom de Charles H Soyez
justes et soyez sincères. La duplicité est un métier- pénible y fetigant, qui ne rapporte pas ce qrail;>coûte. Les nations sont clairvoyantes; on nelenr.-dit pas, sousxe qu'on leur dit; elles rient du mensonge et entendent le silence.
Elle leur dit, au nom de Jacques Il: N'ima-
ginezpasique vous, êtes forts parce que des flatteurs extravagans vous le disent. Tant que vous n'avez pas tenu en main -le:pouvoir,' ils vous ont garanti le succès de l'usagé; que: vpuscien feriez.
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Ils ont condamné les ménagemens, inculpé les temporisations, déclamé contre -ce qu'ils nommaient pusillanimité et faiblesse. Us parlaient bien à leur aise, parce que le moment de la crise était encore loin.-Ce moment- estwenu; la violence a déployé. ses -bannières, -et: Jacques 11, monté sur le trône en i 685, eh est tombé en 1688. Il fut tout étonné, Jacques II, de voir que
pas une épée ne fut tirée pour sa défense; que Louis XIV, qui l'avait encouragé abandonna sa. cause; que, parmi ses courtisanes, ceux qui l'avaient le plus excité à la tyrannie se déclarèrent pour son expulsion..Sunderland, changeant deux fois de religion en six.mois, vendu a la France,, vendu à Jacques II,, vendu à Guillaume, est le type de ces courtisans..
L'histoire crie aux princes Prenez-y garda il
y a autour dé vous plus d'un Sunderland.
Mais cette même histoire, institutrice sévère
et impartiale dans tous les sens,. crie aussi.aux peuples Si vous dépasses le -but primitif que vous vous proposiez dans vos réclamations :légitimes, vous. serez entraînés dans une route seméé d'abhnes que vous ne prévoyez, pas. Si vous êtes Injustes, Inhumains, féroce.5, votre iniquité, votre barbarie, retomberont ,sur* vous. Si -voïtè tuez vos rois, vous aurez des tyrans, vous reculerez' devant votre ouvrage vous désespérerez
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de vous-même; vous désavouerez vos principes, parce que vous rougirez de vos actions. Après vous être souillés par des crimes, .vous vous consumerez en serviles expiations; et succombant de lassitude pour avoir voulu l'anarchie, vous vous déclarerez, par un nouveau blasphème, indignes de la. liberté.
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DES EFFETS DU RÉGIME
Qo'o» A NOMME ftiyOLBTIONK AISE
RELATIVEMENT AU SALUT ET A LA -LIBERTÉ;
DE. LA FRANCE.
Plusieurs ibis, durant notre longue et «ra-
geuse :réwlutk>n, on. professé: une doctrine qui a, dans mon opinion beaucoup d'importance et qui ne me parait ni yraie ni sans danger. Je l'avais réfutée il y a distingués la reproduisent je. veux l'examiner de Cette. doctrÎBe consiste à établir^ que les rigueur^ illégales qui ont souilléxpzelquês^époques de {nps troubles, civils 'lieu de. rlui se trouvait -la /allait que- gou- sang; que ne'cessaire pour forcer la disapUne^ati dehors,; que cette terreur passaçaises aux^arrnées ennemies; jqu'elle gagna les sonverain§ étranger^, et. nous valut,
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moitié de l'Europe, des traités honorables; que pour ne pas succomber à la violence des moyens employés .contre elle, la liberté devait recourir à des moyens plus violens encore.
Je suis loin de reprocher aux auteurs de ce
système les conséquences qu'il me parait avoir. La plus simple expérience des hommessur la manière dont les idées se combinent dans leurs têtes, nousapprend que les conséquences qui nous semblent résulter évidemment d'un principe sont souvent méconnues par ses plus zélés partisans. Une légère différence dans l'un des chaînons du système, dans le sens d'une expression, dans une idée intermédiaire, peut mener à une série de raisonnemens et à des conclusions directement opposées. Rien de plus injuste que de faire retomber sur un écrivain l'odieux ou l'absurdité de prétendues conséquences qa'il n'a pas tirées de ses principes et que nous e» tirons sans son aveu: il faut les développer, pour qu'il les compare à celles^ qu'iL en tire; mais ce n'est jamais que par une injustice coupable que ce développemenlPpeut dégénérer en accusation. Je commence donc par déclarée hautement que je ne soupçonne point l'intention des défenseurs du système -que j'ai exposé; mais ce qui n'a pas été leur but serait le résultat positif de leur système, qui me parait cent ibis plus funeste que
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les égaremens les plusdéplorables d'une multitude aveugle et furieuse. Cette multitude, on la comprime, on la replace sous le joug des lois mais le système qui régularise des excès, qui leur donne une apparence, je ne dirai pas de légalité mais d'ordre et de symétrie est d'un danger permanent et incalculable. Il tend à éblouir les plus sages, à pervertir les plus humains. L'établissement d'un régime tel que celui qui a souillé nos annales en 179S et en 1794 aurait fait'sortir du milieu de la nation la plus douce des monstres comme nous en avons vu. L'institution dé tribunaux sans règles, sans former sans défenseurs, aurait créé des juges bourreaux parmi les peuples les moins féroces. D'est un degré d'arbitraire qui suffit pour renverser les têtes corrompre lés coeurs, dénaturer touteslesaffections. Les hommes ou les corps, revêtus de pouvoirs sans bornes, deviennent ivres de ces pouvoirs. U ne faut jamais supposer que, dans aucune circonstance, une puissance illimitée puisse être admissible, et dans la réalité, une telle puissance it est? ja.mais nécessaire^ • .̃> Le régime affreux qu'on a nomme
n'a point contribué au salut de France a été sauvée malgré ce la plupart des obstacles dont on lui attribue le renversement; ceux qu'il n'a pas crées auraient
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élé surmontés d'une manière plus facile et plus durable par un gouvernement juste. Telles sont les vérités que je veux démontrer.
Cettedémonstration n'est pointsuperflue. Nous
ne manquons point d'hommes qui, aujourd'hui encore, admirent, sinon le but, au moins l'énergie de Robespierre et de Marat. Ds voudraient -que la monarchie, s'emparantd'une énergie semTblable, frappât comme eux ceux qu.'elle. soupconne. Prouvons doue à la monarchie que la terreur n'a pas servi, mais perdu le gouvernement républicain.
Lorsqu'on veut faire son apologie, on tombe
dans un abus de. mots on confond la terreur avec les. mesures. qui ont existé à côté de la terreur. On ne considère.pas que, dans les. gouvernemens les. plus tyranniques, il y a une partie légale, répressive et coercitive, qui,leur est commune avee les gouvernemens les. plus équitables,; par une raison bien simple c'est que cette partie est la base de de. tout gouvernement.
Ainsi l'ou: dit que ce fut la terreur: qui fitgmar-
cher les Français aux frontières qui rétablit la discipline dans les armées, qui frappa d'épouvante ceux qui conspiraient, qui réduisil àl'im- puissance .toutes. les factions.
Tout; cela est iànx. Les hommes qui opérèrent
toutes ces choses furent eneffet lesmêmes hommes
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qui faisaient peser la terreur sur la France; mais ce ne fut point par la terreur qu'ils les opérèrent. Il y eut, dans l'exercice de leur autorité; deux parties, la partie gouvernante, et la partie atroce. C'est' à l'une qu'il faut attribuer leurs succès, à l'autre leurs dévastations et leurs crimes.
Comme en même temps qu'ils opprimaient et
dévastaient le pays, il leur fallait, pour leur existence, gouverner, la terreur et le gouverne:nent coexistèrent, et de là la méprise qui fit prendre le gouvernement pour la terreur, et la terreur pour le gouvernement. Que si l'on dit que l'une aida l'autre, et que
l'effroi qu'inspira l'autorité, par sa partie atroce, redoubla la soumission sa partie légitime, on dit une chose évidente: et commune j mais- il n'en résulte pas que ce redoublement d'effroi fût nécessaire, et que le gouvernement n'eût pas en par la justice les moyens-suffisans pour forcer Sans doute, lorsqu'un juge condamne à la- fois
un innocent et un coupable, la terreur s'empare de tous les coupables comme de tons les innoeens mais la punition du coupable aurait rempli de ce but font ce qui: était nécessaire. Les coupables auraient également tremblé, quand le crime seul eut été frappée Lorsqu'on voit à la fois une atrocité et une justice, il faut se garder de faire
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de ces deux choses un monstrueux ensemble. Il ne faut pas sur celte confusion déplorable se bâtir un système d'indifférence sur les moyens; il ne faut pas attribuer sans discernement tous ̃ les effets à toutes les causes, et prodiguer au ha-
sard son admiration à ce qui est atroce et/a, ce qui est légal..
Séparons donc, dans l'histoire de l'époque ré-
volutionnaire ce qui appartient au gouvernement et les mesures qu'il eut droit de prendre d'avec les crimes qu'il a commis et qu'il n'avait pas le droit de commettre.
Le gouvernement (je ne le considère pas ici
sous le rapport de son. origine, mais simplement en sa qualité de gouvernement) avait le droit d'envoyer les citoyens repousser les ennemis. Ce droit appartient à tons les gouvernêmèns; ils l'ont dans les pays monarchiques et -dans les pays républicains; ils l'ont en Suisse, aussi bien qu'en Russie et comme la gravité d'un délit résulte des conséquences qu'il peut avoir le gouvernement avait encore le droit d'attachér :la peine Ja plus sévère au refus de partir pour lés armées, la désertion, à la fuite des soldats. Mais ce n'est pas là ce que firent les hommes qui: se vantaient d'organiser la terreur.; Ils- rdér cimèrent des armées obéissantes et: couragettses; ils abolirent toutes les formes de jugement-même-
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militaires; ils revêtirent leurs instrumens de pouvoirs illimités; ils remirent le sort des iudividus au caprice, et le sort de. la guerre à la frénésie. Ces horreurs ne servirent de rien à la république. Lors même que des proconsuls n'eussent pas fait périr des milliers d'innocens à l'armée du Rhin l'armée eût-elle moins bien combattu? Ne flétrissons pas nos triomphes dans leur source, et songeons qu'on ne peut attribuer nià des fureurs proconsulaires ni à des échafauds permanens les victoires d'Arcole et de Rivoli.
Le gouvernement avait le droit de scruter sé-
vèrement la conduite dé ses généraux, victorieux ou vaincus, et de faire juger sans indulgence les traîtres ou les lâches. Mais les décemvirs lui- vrèrent -des bourreaux ceux qu'ils haïssaient ou soupçonnaient; ils versèrent le sang de guerriers irréprochables. Ces meurtres n'étaient d'aucune nécessité, puisqu'il faut examiner la nécessité des meurtres.
Le gouvernement avait le droit de surveiller,
de poursuivie, de traduire devant les tribunaux: ceux qui conspiraient; mais des tribunaux. sangs formes, sans appel, assassinèrent sans jugement soixante victimes par jour. On a prétendu que ces atrocités -n'étaient pas
sans fruit, et que la xnort ne choisissant pas, tout tremblait. Oui tout. tremblait. sans doute mais
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il eût su fil que les coupables tremblassent, et le supplice de vieillards octogénaires, et d'accusés non interrogés, ne pouvait être nécessaire pour effrayer les conspirateurs.
Le gouvernement avait le droit de réprimer
ceux.des ministres de la religion qui, ne se renfermant point dans leurs fonctions spirituelles, troublaient l'État par des suggestions factieuses. Mais la terreur proscrivit assassina voulut anéantir tous les prêtres. Elle créa de nouveau une classe pour la massacrer; et., tandis que la justice. eût apaisé' la superstition et enlevé au fanatisme les prétextes dont il se couvrait la terreur, en poursuivant, en combattant par l'injustice et la cruauté cette superstition et ce fanatisme, en fit des objets sacrés aux yeux de quelques.- uns respectables aux yeux d'un grand nombre, intéressans aux yeux de tous. Je ne pousserai pas plus, loin cet examen des
effets de la terteur j'en conclus qu'elle n'a fait que du mal, et qu'elle n'a produit aucun bien. A côté d'elle a existé ce qui était indispensable à tout gouvernement, mais ce qui aurait existé sans elle, et ce qu'elle a corrompu et empoisonné en s'y mêlant.
Ce qui trompé sur ses effets c'est qu'on lui a
fait un mérite du dévouement de nos citoyens et de nos guerriers.. Tandis que des tyrans dévas-
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talent leur patrie ils persistaient à la servir et à mourir pour elle. Menacés de l'assassinat, ils n'en marchaient pas moins à la victoire.
Ce qui trompe encore, c'est qu'on admire la
terreurd'avoirrenversélesobstacles qu'elle-même avait créés; mais ce dont on l'admire, on devrait l'en accuser.
En effet, le -crime nécessite le crime. La féro-
cité du comité de salut public ayant soulevé tous les esprits tous s'égarèrent dans ce soulèvement, et la terreur fut. nécessaire pour les comprimer; mais avec la justice, le soulèvement n'eût pas existé, et l'on n'eût pas en besoin, pour prévenir de grands dangers, de recourir à d'affreux remèdes.
C'est à cet horrible abus de la force qu'il faut
attribuer encore aujourd'hui la répugnance de quelques hommes honnêtes pour tous les principes qui ne conduisent pas an repos et an silence sous Je despotisme. La frénésie de. 1,794 a fait abjurer, par des esprits faibles, les lumières de 1789.
Ce régime abominable n'a point, comme on
Fa dit, préparé le peuple à la liberté. il l'a préparé à subir un joug quelconque il a courbé les têtes, mais en dégradant les esprits, en flétrissant les ,coeurs il a servi pendant sa durée les amis de l'anarchie, et son souvenir sert main-
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tenant les amis de l'esclavage et de l'avilissement de l'espèce humaine.
Et disons ici une vérité sans craindre les in-
terprétations malveillantes. Les véritables républicains ne furent ni les fondateurs ni les instrumens de ce régime.; ils le combattirent, an moment où ils le virent s'elever. Us appelèrent à leur secours tous ceux que des motifs pressans, l'intérêt de leur fortune, de leur repos, de leur vie, auraient dû engager à-se réunir à eux. D'absurdes ressentimens, un timide égoisme, un désir r stupide d'être vengé de ses vainqueurs, même par ses assassins, empêchèrent cette réunion. Les républicains furent abandonnés, ils succombèrent, ennemis de Robespierre, et non ses complices, martyrs de l'ordre social, non ses destructeurs. La terreur commença par leur. défaite, et s'affermit sur leurs tombeaux.
P. S. Plusieurs de ces réflexions furent publiées en 1797. Je nelesàuraïspas reproduites, je n'aurais pas rappelé de tristes souvenirs si je n'avais penséqullimportaitàlaFrance, quellesquesoient désormais ses destinées, de ne pas voir confondre ce qui est digne d'admiration et ce qui n'est digne que d'horreur. Justifier le régime de 1793 peindre des forfaits et du délire comme une nécessité qui pèse sur les peuples, toutes les fois ̃qu'ils essaient d'être libres c'est nuire à une
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cause sacrée, plus que ne lui nuiraient les attaques de ses ennemis les plus déclarés. C'est ainsi qu'on frappe de réprobation, aux yeux du vulgaire, toutes les idées qu'embrassaient autrefois avec enthousiasme les âmes généreuses, et qu'adoptaient, par imitation, les âmes communes; et certes, les évènemens ont suffisamment corroboré, depuis trente années toutes mes assertions et toutes mes craintes. Lisez les séancés'de la Convention, du 3i mai au 9 thermidor le Moniteur de 1800 à 1812, vous verrez que les hommes qui avaient demandé du sang ont brigué des chaînes.
Séparez doncsoigneusement'les époques et lés
actes; flétrissez ce qui est éternellement coupable ne recourez pas à une métaphysique abstraite et subtile pour prêter à des attentats l'excuse d'une fatalité irrésistible qui n'existe pas riatez pas à vos jngemens toute autorité, à vos hommages toute valeur.
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DES CAUSES HUMAINES
QUI ONT CONCOURU
A L'ÉTABLISSEMENT DU. CHRISTIANISME.
Bien avant notre ère, le polythéisme était
parvenu à son point le plus haut de perfection relative; mais la perfection relative est passagère, comme tout ce qui tient de notre nature. Imparfait dans Eschyle, parfait dans Sophocle, le poly- théisme tîéclina au même instant, puisque Jes germes de sa. décadence s'aperçoivent dans Eulipide.. Ces .germes étaient nombreux.
Les -dieux s'étaient multipliés jusqu'à Ilnfiiii, par les personnifications et les allégories. Delà, une confusion étrange dans les doctrines, les fables et les pratiques. :• Une disproportion toujours croissante entre
lés dogmes du polythéisme et l'état des lumières s'était introduite.
Les progrès des connaissances physiques,, dé-
couvrant à l'homme les causes naturelles des évènemens qu'il considérait jadis comme miraculeux, avaient ébranlé les traditions religieuses. La lutte inévitable entre le pouvoir religieux
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et le pouvoir politique avait produit un effet fâcheux sur l'opinion des profanes.
La philosophie, après avoir marché longtemps à côté du polythéisme, s'était tournée contre lui, parce qu'il avait voulu l'opprimer. Les opinions les plus discordantes s'étaient en-^
tassées dans la partie occulte de la religion, et les dépositaires de cette partie mystérieuse, or- gueilleux comme on l'est toujours de posséder des secrets, les avaient baissé deviner au peuple. De toutes ces causes était résulté, pour la
classe éclairée, un partage inégal entre des opinions philosophiques., qui, toutes, étaient opposées au polythéisme; et pour le peuple, une incrédulité brutale, aussi folle que la plus folle superstition, puisque ainsi que la superstition, elle n'était fondée sur aucun examen.
Cependant le sentiment religieux cherchait à
se satisfaire. La raillerie, en sapant la croyance, ne détruit pas le besoin de croire elle en fait en quelque sorte un besoin honteux de lui-même, mais qui n'en est que plus irritable et plus, ardent, parce qu'en s'y livrant on le cache,, et qu'on .le satisfait ainsi incomplètement, à-larhâte.avec trouble, sauf, si l'on est découvert, à se .rgl^yer du ridicule,. en se moquant de soirinême. ;o
A cette époque. Tétât de- Pespece humaine est
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des plus étranges, et cet état étrange devient bientôt l'état le plus triste.
Le scepticisme a détruit toute conviction dans
ses racines. La morale est ébranlée, moins encore par l'effet direct de l'incrédulité; que par le souvenir des traditions religieuses qui survivent à cette incrédulité. Ces traditions, dans les temps crédules, servaient d'appui. aux idées morales: l'appui s'écroulant, ces idées s'écroulent. Il n'est pas toujours sûr que telle religion fasse du bien, pendant qu'on y croit; mais il est sûr que toute religion. fait du mal, quand on n'y croit pas.
L'univers, au moment de l'apparition du
christianisme, était dans cette position..Fatiguée de l'incrédulité dont elle s'était vantée, une portion de l'espèce humaine cherchait à remplacer la croyance perdue par l'adoption des religions étrangères; une autre y substituait les extravagances de la magie; une autre encore.essayait de se rattacher à la religion tombée.
Cette dernière tentative est la seule qui nous intéresse, parce qu'elle futla cause principale de la lutte que le christianisme eut à soutenir, et.des obstacles qu'il eut à combattre. C'est donc de cette tentative que nous devons nous occuper exclusiLorsqu'il s'agit de revenir à unecroyance dé-
:cr éditée ceux mêmes qui désirent lui rendre
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de l'autorité ou de la faveur ne sont pas. d'accord sur ce qu'il est utile et possible d'en conserver ou d'en rétablir.
En conséquence, immédiatement avant lâ
chute définitive du polythéisme, -nous voyons ses partisans se diviser, suivant leurs intérêts et leurs habitudes, entre -deux routes très différentes, bien que promettant toutes deux de les conduire au même but. Les premiers voulaient qu'on retournât au polythéisme; tel qu'il avait été professé dans les temps d'une piété .docilé; avant les doutes et les objections philosophiques. Transmis, disaient-ils de génération en génération, antérieur à toutes Jes spéculations abstraites qui n'aboutissent qu'à de: vagues conjectires, n'a-t-il pas, durantune longue suite de siècles, assuré la-pureté des mœurs, la tranquillité des états, le bonheur des peuples? Au -lieu de s'abaudonner aux tâtonnemens des prétendus sages qui se démentent et se contredisent, mue vaut-Il pas mieux qne l'homme adopte, comme règle de la vérité, les enseignemens de ses pères; et qu'il prenne pour guides ces hommes favorisés^ illustres. ancêtres de 3a !race: ̃ humaine et disci- pies des dieux, dès l'origine du monde (i):?i;> Aucun des ouvragesqui contenaient ce système
(t) Voyez le discours de Cécilias, dans Minùtius Felfx:
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d'orthodoxie dans le polythéisme né nous est parvenu, maisïlutarque ( i ) nous apprend, par un exemple, quelle était la logique.'de ses défenseurs. Les incrédules d'alors avaient puisé des objections contre la divinité des oracles, dans le style souvent barbare de Ja pythie, à peu près comme les incrédules du: dix-huitième siècle avaient. cherché des argumens contre la Bible dans .cer-.taines expressions qui paraissent étranges. Les polythéistes orthodoxes, loin de convenirque le style de la pythie fut barbare,. répondaient qu'il ne semblait tel qu'à. une génération indigne d'en sentir les beautés simples. et primitives, et que ce n'était pas le langage des dieux .qu'il. fallait changer, mais les hommes qu'il fallait: de nouveau' rendre capables d'en apprécier la subliAinsi loin de capituler avec l'incrédulité sur
les, imperfections et. la grossièreté supposée des notions précédentes, ils affirmaient que ces accusations n'étaient dictées que par la présomption de l'homme, toujours ami de la nouveauté. Ne. éourbons point la religion, disaient-ils, sous des modifications arbitraires; faisons au contraire' plier sous son joug, les esprits rebelles que l'habitude d'un. examen téméraire a. corrompus ( i ) De Pyth. orac.
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et qui prétendent: sacrifier les traditions saittlcs à leurs vaines et fausses délicatesses. -Ce'.parti. voulait qu'on brûlât les livres de :Gïcéron(i). IlTepoussait les interprétations desphilo- sopbes, il prouvait par des faits incontestables, que les. moeurs:avaient_ été d'autant plus sévères, qu'on avait adopté avec une foi. plus littérale les -fables qu'une raison présomptueuse affectait: de dédaigner; il; répétait ce qu'avaient affirmé1 lés grands hommes des siècles passés, et il avait cet avantage, qu'il présentait quelque chose de fixe tandis-que ceux qui s'écartaient de la rigueur de l'orthodoxie n'offraient rien que de. .vagué ci Ces ;efforts toutefois ne pouvaient obtenir au-
cun succès. L'homme ne reprend pas du respect pour ce qui a cessé de lui sembler respectable. Au fondcien polythéisme il n'y avait-què du calcul; A cette époque i de Isa décadence^ on désirait.- ;y croir.e, -parce >que -la- misère du :.doute faisait-rergretier les jouissances- dune foi sincère; comme à une époque antérieure, on s'était-efforce dele maintenir parce qu'on regardait comme utile que d'autres y crussent. Mais sa faiblesse étâit trop dévoilée; les :outrages-qu'il avait subis; (0 Arnob. Adv. gent. •
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trop irréparables. Lorsque les croyances sont déchues, les. souvenirs planent autour des autels qu'on veut entourer d'une majesté qui s'est éclipsée. Si l'incrédulité n'est plus une. preuve de lumières, un sujet de gloire, elle est devenue une habitude, et de même que dans ses commencemens dés. réminiscences religieuses importunent les incrédules des réminiscences incrédules importunent les hommes qui voudraient se fa'ire:.religienx:
Les défenseurs orthodoxes du polythéisme ne
pouvaient donc obtenir aucun succès. Mais un autre, parti se présentait dont les espérances paraissaient plausibles et dont les concessions à l'esprit du siècle devaient rendre la. résistance de l'opinion moins violente, en jetant sur les adversaires de la religion qu'ils défendaient l'odieux de l'obstination et de l'hostilité..
Ce partL s'efforçait d'expliquer allégorique- ment ou. métapbysiquement les fables qui choconvictions contemporaines; il. les justifiaitpar un sens mystérieux. La poésie d'une part, la philosophie de l'autre, lui fournissaient des moyens d'apologie on d'explication, et-iien n'est plus curieux que d'observer les efforts des hommes les plus ingénieux des second et troisième siècles de nôtre ère, pour combiner deux choses inconciliables, l'enthousiasme le plus
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exalté dont ils sentaient le besoin dans la reconstruction d'une croyance, et l'abstraction la plus aride, dont leur philosophie leur avait fait une nécessité non moins impérieuse. Nous ne saurions. ici donner des exemples, ils nous jetteraient hors de notre sujet; mais tous ceux qui ont lu les Ennéades de Plotin, ont dû remarquer qu'il-part de la supposition d'un premier principe dépourvu d'intelligence, de volonté, de toute qualité physique ou morale, pour arriver un système grâce auquel il s'unit parl'extase. quatre fois par jouir avec la Divinité.
Ces novateurs, polythéistes plutôt en. appa-
rence qu'en réalité, ne pouvaient donc réussir mieux que les polythéistes orthodoxes. Ds composaient une religion de. distinctions insaisissables et de notions incompatibles et cette religion n'était susceptible d'acquérir ni la faveur de la popularité comme l'ancien polythéisme dans sa force, ni l'appui du raisonnement comme les doctrines philosophiques. L'état de l'opinions devait donc rester le-même, et continuer àflotter'entre l'incrédulité .comme théorie, et la superstition comme pratique. Il fallait un culte nouveau, plus jeune et plus
fort, dont fétendard n'eût point encore été profané, et qui, remplissant les âmes d'une exaltation réelle, étouffât les doutes au lieu de les
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discuter, et triomphât des objections, en ne. leur permettant pas de naître.
Ce culte ne pouvait être que le théisme. Il y
a dans le sentiment religieux une tendance vers l'unité si l'homme n'y arrive qu'après beaucoup de révolutions successives, ç'est que les circonstances dans lesquelles, il se trouve troublent son sentiment et donnent à ses idées une direction différente. L'ignorance assigne à chaque effet.de détail une cause à part; l'égoisme divise la puissance divine pour la mettre, plus a sa portée le raisonnement fonde ses syllogismes sur lez témoignages trompeurs des apparences extérieures..
Mais l'ignorance se dissipe, l'égoïsme s'éclaire,
le raisonnement se perfectionne par l'expérience. Plus la régularité des effets est évidente,.plus l'unité de la cause, devient vraisemblable. La vue:des désordres, des, bouleversemens, des exceptions, en un mot, à la: règle générale, avaient procuré au polythéisme .sa supériorité. Il est connu maintenant que::ces exceptions..ne sont qu'apparentes le polythéisme perd donc. son principal appui.. ̃ En même temps, le besoin. du théisme se. fait
sentir à l'homme plus fortement que jamais; il est parvenu au dernier terme de. la. civilisation son âme, rassasiée fatiguée :épuiséev s'inflige
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à elle-même ses propres souffrances, plus amères que celles qui lui viennent du dehors. Que ferait-il contre ces souffrances des .dieux grossiers dont la. protection toute matérielle suffisait à ses ancêtres ignorans? Que .ferait-il du fétiche qui ne procurait au sauvage qu'une chasse ou une pèche abondante? Que feraitil de ces divinités de l'Olympe, qui, ne sévissant que contre les crimes; ne préservent leurs protégés que des maux extérieurs? Il lui faut d'autres dieux qui le'comprennent, le raniment, lui rendent une force qu'il n'a plus le sauvent de lui-même, sondent ses plus secrètes blessures, et sachent y verser d'une main secourable, les bienfaits d'une indulgente pitié. Tels sont les dieux ou plutôt tel est le dieu qu'il lui faut; car plusieurs divinités, bornée dans leurs facultés, divisées d'intérêts, imparfaites par ces bornes et cette division même ne sauraient remplir ces fonctions délicates:
-Aussi, immédi:atement avant l'établissement du christianisme l'unité était elle devenue l'idée dominante de tous les systèmes tant religieux que philosophiques. Cette,' idée avait pénétré partout; elle elle était réclamée par les érudits comme la découverte oubliée de l'antiquité la plus reculée elle était enseignée par les moralistes; elle
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se glissait jusque dans les ouvrages des écrivains, sans réflèxion propre, et se reproduisait sous la plume des simples compilateurs
Quand cette doctrine d'unité ne composait pas
la partie principale et avouée d'un système, elle était annoncée comme son résultat. Quand elle n'était pas sur le devant du tableau, on l'apercevait en perspective; ici, combinée avec la croyance populaire; là, présentée comme l'explication de cette croyance; le peuple même se créaitdesimagessènsiblésde cette notion abstraite. Partout étaient placées sur les autels domestiques des statues où se réunissaient et se confondaient les attributs de toutes les divinités (T).
Dans cet état de choses, l'esprit humain sem-
blait arrivé jusqu'à l'extrême frontière du polythéismé; on eût dit qu'un pas seulement lui restait à faire pour proclamer l'unité d'un Dieu, et pour ériger en religion pratique cette théorie sublime. Mais la même civilisation qui avait rendu la durée dû polythéisme impossible avait privél'homme de cette jeunesse de sentiment, de cette énergie intérieure. de cette puissance de conviction, de cette faculté d'enthousîame^ conditions nécessaires pour qu'une religion nouvelle s'établisse, et pour que les hésitations des philosophes, les (t) Les statues panthécs.'
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secrets compliqués et confus des prêtres, les voeux et les regrets fugitifs des âmes souffrantes, mais affaiblies et découragées, se réunissent en un corps, et composent une croyance publique, nationale et consacrée.
Le théisme était partout en principe, il n'était t
nulle part en application.
L'autorité ne pouvait le vouloir; elle ne le
connaissait guère que comme une doctrine ennemie de l'ordre établi, et ne l'apercevait sous une forme distincte que chez des philosophes qu'elle croyait dangereux.
Les, prêtres, dans leurs révelations à des ini-
tiés, tantôt défiguraient le théisme, tantôt le repoussaient. Ils lui imposaient toujours une alliance forcée avec les anciennes traditions, et quand il voulait s'y soustraire, c'était à çes traditions mystérieusement interprétées que .le sacerdoce donnait la préférence.
Beaucoup de philosophes adoptaientle théisme;
mais il était discuté sans cesse soumis chaque jour à un examen nouveau, cité devant le tribunal de chacun de ceux qui commençaient à fréquenter les écoles compris par chacun d'une manière. différente. Une portion nombreuse. de ses partisans rejetait l'influence des cérémonies, l'efficacité de la prière l'espoir des secours surnaturels, et faisait ainsi du théisme une opi-
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mon abstraite qui ne ponvail servir de base à un cuite.
Dans les rangs supérieurs des sociétés, la ten-
dance au théisme existait sans doute; mais les intérêts de la terre, pressans et continus, couvraient aisément cette voix intérieure. Chez les peuples très civilisés, les hommes- éclairés sont fort ardens pour leurs intérêts et très modérés dans leurs opinions or, les partis modérés conservent ce qui est, mais toute création est audessus de leur force.
Le peuple ne pouvait admettre comme religion
une opinion qui n'avait nul ensemble, nulle consistance; il répétait quelques formules qui impliquaient l'unité d'un Dieu, mais plutôt par imitation que par conviction. Tandis que les habitudes de l'incrédulité rendaient, pour la classe supérieure, la renaissance d'une forme religieuse presque impossible, la magie rendait, pour la multitude, cette renaissance presque superflue, parce qu'elle offrait à l'imagination des appâts plus puissans, et- à l'espérance des promesses d'une exécution plus rapprochée.
Pourrcunirrespècehumaineautourduthéisme>.
il suffisait d'un étendard; mais: nul bras n'était assez fort, et Uélendard restait à terre. Elle s'est toutefois effectuée cette révolution
mémorable. Une circonstance extraordinaire- a
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rendù tout à coup aux âmes assez d'énergie, au* intelligences assez d'autorité, ponr donner aux désirs, aux besoins, aux espérances une forme positive. Nous traitons ici- de cette circonstance sous ses rapports humains;' mais nous dirions que nous ne saurions nous plaire à combattre l'opinion qui assigne à cette révolution importante des causes surnaturelles.
Certes, alors que nous contemplons l'homme
tel qu'il est quand il a rejeté toute foi religieuse; alors que nous voyons le sentiment religieux impuissant et vague, se précipiter. tantôt dans la magie, tantôt dans l'extase et le délire; l'enthousiasme enfanter des extravagances d'autant plus incurables qu'elles partent du raisonnement pour arriver méthodiquement à la folie la raison n'offrir, pour résultat de huit siècles de travaux, d'a-bord que le néant, puis de chimériques et contràdictoires hypothèses;. l'intelligence parvenant à tout détruire et hors d'état de rien rétablir; oserons-nous dire qu'à cette époque, la. pitié célesté né soit pas venue au secours du monde'; qu'un; éclair n'ait pas sillonné Ja.'nue pour montrer la route à notre race égarée; qu'une main divine weTait pas aidée rà franchir Jaharrièré contre laquelle elle se brisait?
Tôutserait ensuite rentré dans l'ordre. L'&Omme
abandonné de nouveau a lui-même '7 aurai zre-
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commencé son travail; son esprit se serait débattu, suivant sa nature, autour de la grande découverte il Ini aurait donné des formes imparfaites il aurait rabaissé sa sublimité.. Le calcul, l'égoisme, le monopole, se la seraient disputée pour en abuser; mais l'homme en aurait conservé pourtant le souvenir ineffaçable; le pas immense aurait été fait; et, par degrés, des formes plus pures, des conceptions plus justes lui auraient permis de jouir sans mélange de finestimable bienfait.
A l'époque qui fait le sujet de nos recherches,
la religion des Hébreux était la seule dont les sectateurs eussent conservé non-seulement un attachement mécanique aux formes religieuses, mais une conviction profonde. En même temps, le dogme fondamental de cette religion était conforme au besoin universel de l'espèce humaine. Ce fut à ce flambeau que se ranima le sentiment religieux.
Mais si -Ie dogme fondamental de la religion
juive répondait à la demande de toutes les âmes, il y. avait dans cette religion des parties terribles. Nous ne nous-rangeons assurément point par-
mi les. détracteurs de la loi mosaïque; nous ne méconnaissons nullement la supériorité de sa doctrine; dans son ensemble et dans plusieurs de ses détails, sur toutes les religions contem-
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poraines; mais .sa sublimité même avait contribué à l'empreindre d'une sévérité excessive, nécessitée -par sa disproportion avec.les idées tant du peuple qui la professait que des voisins de ce peuple, voisins qui par là même étaient devenus ses ennemis.
Ajoutez à cela l'esprit du sacerdoce juif, pareil, à beaucoup d'égards, à celui de toutes les. corporations sacerdotales de l'antiquité., et-que les obstacles mêmes qu'il avait dû vaincre avaient rendu plus farouche et plus ombrageux encore. On n'a pas., ce nous semble, distingué suffi-
samment la doctrine de Moïse de l'esprit du sacerdoce, organe et défenseur de cette doctrine. C'est néanmoins dans cette distinction que, réside la solution de toutes. les difficultés qui ont paru donner tant d'avantages aux ennemis des idées religieuses et du christianisme. •
Au reste, notre objet n'est point.de juger ;ici la religion judaïque. Il nous suffit qu'au moment où le polythéisme touchait à son terme et: :où tontes les croyances étaient ébranlées^- ?làreEgioa juive, seule -encore Tivanteiet enracinée dans l'âme d'un peuple ait offert au; reste du genre humain le- tfoéismey comme pbint-de:ralliement. Sx cependant le théisme des Hébreux s'était présenté iaux nations .détachées du polythéisme sous les formes qu'il avait revêtues à !SOB?Qrjgirie,
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chez le peuple qui le professait, il est douteux qu'il eût obtenu le succès qui a fait de l'adoration d'un Dieu unique la croyance universelle de tous les peuples civilisés.
Des esprits accoutumés aux subtilités d'une
philosophie qui avait raffiné sur toutes les combinaisons des idées et sur toutes les formes de la dialectique, auraient vraisemblablement rejeté une doctrine dont la simplicité dogmatique imposait des articles de foi au lieu de présenter une série de raisonnements.
L'absence presque totale de notions sur la na-
ture de l'âme et sur son immortalité aurait blessé ces mêmes esprits, préparés par le platonisme à se livrer à dés espérances et à se lancer dans des hypothèses sur l'existence future de l'homme. Le caractère du Dieu des juifs-, représenté
comme despotique, ombrageux et jâlouxy n'aurai tpu s'accorder avec les conceptions plus douces et plus abstraites des sages de la Grèce. La muttitude des rites, des cérémonies et des pratiquas aurait fatigué des hommes dont les plus religieux pensaient que le culte intérieur et la pureté de la conduîle-étaient les hommages les plus agréables à l'Etre suprême. Enfin, la morale même du judaïsme, qui faisait de l'assentiment à de certaines propositions :la vertu principale et indispensable aurait contrasté trop fortement avec les
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principes de tolérance universellement adoptés. Mais les juifs, initiés depuis long-temps, et sur-
tout depuis leur séjour à Alexandrie, dans toutes les discussions de la philosophie, avaient fait dans cette .'carrière des pas presque égaux à ceux des philosophes païens. Ils ne s'étaient. pas montrés moins subtils qu'eux dans les recherches métaphysiques, et vers l'époque où le christianisme .parut,.le judaïsme .avait subi des. modifications. suffisantes pour que la doctrine qui sortait de sonsein.pût attirer la curiosité, fixer l'attention et.bientôt captiver le suffrage.d'un grand nombre d'hommes éclairés. Ce. fut dont appuyé d'une part sur le judaïsme, et fort en même temps de tous les travaux des siècles antérieurs, .chez'les nations plus avancées que la masse des; juifs, que le christianisme apparut au monde..
On a beaucoup dit qu'il ne fut adopté, lors de
son apparition, que par là classe la plus igno- ranteet la plus vile;, rien n'est plus faux, et rien C'était par les progrès des lumières que lé genre-humain avait été poussé du polythéisme au théisme. Le. christianisme: était la. plus pure des formes du théisme, et cependant elle n'aurait été: embrassée que par la populace, sur laquelle le progrès des lumières avait dû produire le moins d'effet!
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Il était au contraire dans la nature des choses
que des hommes de toutes les classes l'adoptassent. La religion qui alors convenait le mieux, ou plutôt qui convenait seule, était celle qui élevait l'homme au-dessus de tous les objets visibles, ne le rattachant à aucune des institutions religieuses qui étaient décréditées, à aucune des institutions politiques qui étaient oppressives; la seule religion possible était celle qui, dans un moment ou les nations n'étaient que des troupeaux d'esclaves, chez lesquels le. patriotisme ne pouvait exister, rassemblait toutes ces nations autour d'une même foi, et transformait en frères des hommes qui n'étaient plus des concitoyens. La religion chrétienne réunissait tous ces avan-
tages. En proscrivant la sensualité, L'amour des richesses, toutes les passions ignobles, en annonçant au-delà de la tombe une vie plus importante, par sa durée éternelle, que toutes les félicités de la terre, elle se conciliait tous ceux qui avaient conservé le sentiment de la dignité humaine. En proclamant une révélation immédiate, une communication directe avec la Divinité, et une succession d'inspirations obtenues par la foi -et là prière, et accompagnées de forces surnaturelles, elle plaisait ceux que la soif du mervéilleux elle nouveau platonisme avaient accoutumés à désirer un commerce habituel avec les natures
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surhumaines. En substituant des cérémonies simples, modestes, et en petit; nombre à des rites, les uns révoltans, les autres décrédités, elle satisfaisait la raison Elle présentai aux pauvres.les secours, aux opprimés la justice, aux essayes la liberté., comme un droit. Enfin, et ce ne fut pas à cette époque un de ses moindres avantages, elle s'interdisait soigneusement iourtes les recherches philosophiques et métaphysiques, recherches frappées de discrédit par les souvent, toutes les questions sur la nature et Ja substance de Dieu, toutes, les hypothèses sur les lois et les forces de la nature et sur l'action du inonde invisible toutes les discussions sur/la destinée .en opposition avec la providence. Elle ne disait .cpa'iaii fait besoin d'une pierre ponr, repqsersa: tête y il lui fallait un, -fait., un fait mjrACuleux., ;p.our.cme, délivre, du tourment du doute, il put ^respirer, reprendra des forces et recommencer, ensuite le grand travail intellectuel.. ̃̃
Aïussi-là foi en Jésus-Chiâst fi»tTelle;e^a.lH:assée
dès les premiers temps par une, multittude qui l'opulence. Hine attente que déjà, sous le.Tiegn,e.de Trajan, des; personnes .a» pied >de la croix:: Des. des
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sénateurs, des matrones de la plus noble extraction s'étaient voués à ce culte les chrétiens, comme ils le disent eux-mêmes dans leurs apologies, abondaient à la cour, dans les camps, dans le Forum.
Néanmoins, l'étendard une fois levé, la lutte
devait suivre; et dans cette lutte, le christianisme rencontrait parmi ses ennemis l'autorité, les< prêtres, une partie des.philosophes, et la populace. L'autorité n'examine jamais, elle juge sur les
apparences. Elle voyait- une société d'hommes qui ne voulaient point de culte extérieur, elle les déclarait: athées..
Dans ses rapports avec l'existence humaine,
le christianisme état diamétralement opposé l'idée que des hommes d'état, dans un siècle incrédule surtout, se forment de l'utilité de la religion. A leurs yeux, elle doit être intimement liée aux intérêts de la société. Cette. vie estle but, la religion un moyen. Les chrétiens considéraient au contraire la vie comme un moyen d'atteindre -un autre but. Leur enthousiasme pour un monde futur les détachait des soins de ce monde et de toute. occupation d'un présent passager et périssable. L'amour de la patrie, dont lés gouvernemens parlent toujours d'autant plus que la patrie existe moinsr, était menacé par leur mépris des choses terrestres. On leur. en faisait
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un crime; et l'accusation portée contre eux s'est reproduite sous la plume de leurs détracteurs mo:dernes. Mais de quelle patrie leur reprochait-on de se détacher? Était-ce une patrie que cet empire immense, assemblage inftirme de mille nations garrottées au lieu d'être réunies, et qui n'avaient de commun entre elles que le même -malheur sous le même joug?
Les moyens de l'autorité contre l'opinion sont
les mêmes dans tous les pays et dans tous les siècles ce sont les délations, les persécutions et les supplices. Les effets de ces moyens sont aussi toujours les mêmes: les opprimés obtiennent la sympathie de toutes les âmes qui ont quelque valeur. Ils donnent au sein de l'adversité, en présence de la mort;: de sublimes exemples de dévouement et de constance. Qu'importe. qu'on ait exagéré peut-être ou la fréquence des persécutisons on.le nombre des martyrs? Leur courage en f ut-il moins admirable C'est une .triste: impartialité que celle qui se place entre- les .bourreaux et les victimes. Les rigueurs de l'autorité contre le christia-
nisme accélérèrent donc, ses progrès. H-y a quelque chose de contagieux dans le spectacle: du désintéressement, de l'intrépidité et de l'espérance, au milieu d'une race abâtardie et dégénérée.
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La persécution a ceci de particulier, que lors-
qu'elle ne révolte pas, c'est qu'elle n'était pas nécessaire le peuple qui la souffre n'était pas à craindre. Quand. elle est nécessaire, elle révolte, et par là même devient inutiie.
A cette considération, applicable au christia-
nisme comme à toutes les opinions proscrites ou menacées, ajoutez .une. circonstance caractéristique de l'époque nous voulons parler des démentis que l'autorité se donnait à elle-même, parce qu'elle ne se sentait appuyée d'aucune force morale. Galère, l'un des plus féroces ennemis du christianisme, s'arrêtant tout à coup-dans sa car- rière de sang et de tyrannie, termine un écrit par lequel il accorde aux chrétiens une tolérance momentanée, en les invitant à implorer pour lui la Divinité qu'ils adorent; preuve étrange du peu de conviction des polythéistes, même les plus violens dans leurs efforts. pour relever la religion vaincue, et. de l'instinct secret qni les entraînait vers la croyance objet de leurs furems (i)..
Le sacerdoce ne pouvait pas avoir: plus de
succès contre la religion nouvelle que l'autorité. Vainement rassemblait-il ,ses. forces éparses, et (î)'Euseb. Prap. ev.'vm, 17.' Lactant, De niort." p'trsec,
chap. xxxir.. ̃?"
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formait-il des alliances monstrueuses contré l'ennemi commun vainement faisait-il' un appel à toutes les doctrines qui, n'importe à quelle époque, s'étaient glissées dàns la religion qu'il voulait défendre, doctrines que long-temps il avait repoussées. Par une méprise assez naturelle, il croyait se fortifier du nombre et de lia diversité de ses troupes, tandis que ce nombre même et la bigarrure de ses auxiliaires discordans le discréditaient encore.
Il cherchait à conserver ou à. rétablir sa do-
mination sur l'esprit du peuple, en redoublant de pratiques et de traditions auxquelles il s'efforçait de donner un air d'antiquité. Loin de réformer ce qu'il y avait d'indécent dans ses mystères, devenus à-peu.près publics, il comptait plutôt sur leur indécence comme leur méritant l'appui de la corruption du siècle. Il introduisait dans ces mystères toutes les. privations à côté de toutes les obscénités; il y introduisait les pratiques sanguinaires,, les. mutilations, les supplices. volontaires dont il faisait un devoir aux initiés.
Et en même temps, jongleurs semi- philo-
sophes, les prêtres de la religion ancienne proposaient leur doctrine plutôt qu'ils ne l'imposaient leurs rites étaient affreux, leur langage timide. Ils portaient l'hésitation jusque dans l'a-
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nathème, et levant une maio pour lancer la foudre, de l'autre ils faisaient signe qu'ils se prêteraient à des transactions; mais nulle transaction n'était possible. Ils offraient de placer le nouveau Dieu parmi les. divinités antiques. Les sectateurs du Christ s'indignant à cette pensée, qui leur semblait un outrage forcèrent au combat les adversaires qui aspiraient à. négocier.
On a de nos jours.voulu savoir gré au poly-
théisme de cette tolérance, de cette douceur, de ces intentions conciliatrices en effet désarmé qu'il était à cette époque, ou plutôt anéanti, ses apparences sont moins véhémentes, son style plus débonnaire que celui du christianisme naissant; mais c'est que le christianisme existait, tandis que le polythéisme était une ombre-vaine. Sa longanimité, ses,,complaisances toutes les qualités qu'on âdmire. en lui n'étaient que les vertus des morts. Les hommes recommençaient à lutter, parce qu'ils recommençaient à vivre, et loin de chercher dans cette lutte énergique un sujet d'accusation contre le christianisme, il fautlui rendre grâce. d'avoir ranimé la vie de l'âme et réveillé la poussière des tombeaux..
Tandis que les chrétiens marchaient entourés d'incontestables miracles, parce qu'ils étaient pleins d'une conviction inébranlable, leurs rivaux leur opposaient des prodiges factices', pué-
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rilés, révoqués en docte, copies effacées de ceux qu'ils imitaient; car ils imitaient le christianisme pour lui résister, en croyant le combattre avec ses propres armes. L'un -des malheurs et l'une des maladresses des vaincus c'est de conclure des victoires de leurs adversaires à la puissance de leurs moyens et de s'emparer de ces moyens, sans examiner si ce n'est pas au but pour lequel on les emploie qu'ils doivent leur force.
Les chrétiens avaient pour eux et le raisonne-
ment et la foi. En dirigeant le raisonnement contre leurs adversaires, ils ne craignaient point de compromettre leur propre cause. Elle avait son protecteur dans le ciel; èHe ne pouvait être compromise. Les païens essayaient aussi du raisonnement et de l'enthousiasme; mais leur enthousiasme était faible .et.forcé.; leurs raisonnemens réagissaient contre eux, et nuisaient plus encore à :ce qu'ils affirmaient qu'à ce qu'il était dans leur intention de contester.
Nous avons parlé déjà. de. cette fraction de
philosophes qui tâchaient d'étayer 1!édifice ruiné du polythéisme et nous avons indiqué la ;cause qui frappait leurs efforts d'une incurable impuissance.1 ̃ -̃:̃
Quant à la populace, elle criait Les chrétiens
auX bêtes! comme elle criera bientôt Les païens aux bûchers Elle déchirait- ou voyait avec, joie
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déchirer des hommes au nom de Jupiter, comme bientôt avec le même délice elle en verra déchirer au nom de l'Homousia ou de l'Homoousia. Elle se montrait ce qu'elle est toujours, ivre de fureur, en faveur de la force là où elle l'aperçoit, et déployant la même fureur, et passant à la même ivresse dans le sens opposé quand la force passe d'un parti à l'autre..
Clair et cohérent, simple et précis calmant
les passions terrestres que l'espèce humaine avait en satiété, la sortant de l'atmosphère de corruption où elle respirait avec angoisse et avec un dégoût profond d'elle-même se rattachant à tous les souvenirs; à là philosophie, par des doctrines qu'il conservait pures en les rendant moins subtiles à l'histoire, par les traditions d'un peuple dont il consacrait l'antique splendeur, sans les proposer pour objets d'imitation aux anciens usages, en retranchant, ce qu'ils avaient de minutieux, sde .sévère'.et d'hostile délivrant la raison des interminables difficultés de la dialectiqué parlant à l'âme le langage quelle avait t besoin. d'entendre le christianisme devait triompher d'un ramas donnerais sans accord entre eux, sans système fixe, n'ayant à leur disposition que la force Lrntale, et pressentant leur défaite au moment même oîi ils employaient des moyens atroces pout-lâ retarder.
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.Il triompha donc en effet. Un nouvel ordre de
choses commença pour l'homme et cet ordre de choses, lancé comme du haut du ciel par une main toute-puissante, après avoir régénéré les peuples corrompus adoucit et civilisa les peuples barbares.
Sans doute, ce qu'il y a d'imparfait dans la
nature del'homme, mêla, presque dès l'origine, à cette amélioration immense un alliage funeste. L'intolérance qui, sous le règne du polythéisme,
semblait une exception à ses principes fondamentaux, parut devenir pendant long,- temps l'esprit permanent du christianisme. Le sacerdoce s'arrogea une autorité pareille à celle qui avait courbé sous son joug le plus grand nombre des nations anciennes; il étendit cette autorité terrible sur des peuples qui jusqu'alors avaient échappé à son despotisme. La morale faussée :et pervertie tomba dans la dépendance d'interprétations ardues et de. préceptes arbitraires. Les facultés humaines forment frappées d'immobilité, et ne parvinrent à reconquérir, nous ne dirons pas leur liberté légitime qui, lear a toujours été disputée, mais le droit d'exister, qu'à travers une persécution qui atteignit les hommes les plus courageux 'et les plus éclairés.
Considérons néanmoins de près ces grands in-
convéniens. Ne se retrouveront-ils pas -tous dans
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le polythéisme des nations soumises aux corporations sacerdotales ?
Transportez la croyance et les prêtres de
l'Égypte à Madrid ou à Goa, vous anrez au nom d'Isis et d'Horus, des inquisiteurs qui ne le céderont en férocité ou en hypocrisie s nul de leurs collègues modernes, et vous aurez de plus des sacrifices humains des orgies licencieuses, des cérémonies révoltantes,.qui n'ont.jamais souillé le christianisme, même corrompu.
D'ailleurs, les philosophes qui ont loué la to-
lérance du polythéisme sont tombés, peut-être involontairement, dans une erreur bizarre: la tolérance qu'ils vantaient dans cette croyance ne reposait point sur le respect que la société doit aux: opinions des individus. Les peuples toléraus les uns envers' les autres comme. corps de nation n'en méconnaissaient pas moins ce principe:éternel, seule base de toute tolérance éclairée, que chacun a le droit d'adorer son dieu, de la manière qui lui semble. la. meilleure. Les citoyens étaient, au contraire, tenus de se. conformer au culte de la cité; ils n'avaient pas la liberté .d'adopter un culte étranger, bien qu'autorisé dâns.la cité pour les étraDgers.qui le pratiquaient. L'indépendance de la pensée, celle du sentiment, religieux ne gagnaient donc rien à cette tolérance du. polythéisme.
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Certes, le zèle de Chosroès, qui ne voulait traiter avec ses ennemis que s'il .rendaient hommage à ses dieux, les fureurs réciproques des tentyrites et des ombrites(i)', les guerres acharnées que se livrèrent les habitans d'Oxyrinque et de Cynopolis j jusqu'à ce que les Romains les eussent forcés à la paix (2) la haine qui divise aux Indes les adorateurs de Schiven et de Wichnou les proscriptions auxquelles furent tour à tour.en butte les bramines et les bouddhistes, démentent suffisamment les éloges prodigués en haine du christianisme aux cultes supplantés par lui.
Disons-le franchement partout où la puissance
du sacerdoce n'a pas été renfermée dans ses justes limites, il y a eu intolérance;. et si l'on considère le fond des croyances la véritable tolérance. n'a existé jusqu'ici que dans le christianisme affranchi de tout pouvoir étranger. C'est là seulement que le Dieu suprême, père de tous les hommes, tout amour, toute bon té, ne reproche point à ses créatures les efforts qu'elles font.pour le servir avec plus de zèle. Leurs erreurs ne sauraient exciter que sa pitié; tous les hommages lui sont également agréables, quand les intentions sont égaiement- pures.
(a) Plutarque.
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L'autre accusation est-elle plus fondée? Si
l'axiome qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes a conduit des fanaticraes chrétiens aux plus grands forfaits si l'on a proclamé sous ce prétexte, que la cruanté, le raffinement dans les supplices, l'oubli des liens du sang et de l'affection, le parjure. envers les partisans de tonte autre croyance, étaient les devoirs des chrétiens fidèles ouvrez le le Bkaguat-Gita, les livres Zend, vous trouverez ces désastreux préceptes inculqués d'une manière bien plus positive et bien plus fervente, et il y aura cette différence, que chez' les Perses et les Hindous, cette morale abominable se rencontre dans leurs livres sacrés mêmes, tandis que chez les chrétiens on ne l'aperçoit que chez des commentateurs misérables, falsifiant les textes de l'Évangile dans l'intérêt de leur corporation ou de leur caste.
Enfin, si une tyrannie insolente a quelque-
fois, au nom du Christ qui la désavouait, enchaîné l'essor des facultés humaines, le plus beau don de la Providence, ces facultés étaientelles plus libres chez ceux des peuples polythéistes, auxquels la moindre altération dans leur croyance, dans la figure, dans les attributs des dieux, la moindre connaissance de l'écriture,
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la moindre participation aux sciences, étaient interdites ? :̃;•
Ainsi sous quelque point de vue qu'on en-
visage le christianisme, lors mêmes qu'il était corrompu pàr-les hommes, il valait mieux encore que le polythéisme de la plupart des?nations, et délivré- de cette corruption qui lui est étrangère, ̃ ̃ il • a des avantages que ne, 'saurait avoir le polythéisme' le plus perfectionné.
On s'est trompé grossièrement sur le sens d'une
assertionqui sert de base à;un;ouvi!age'dontle de;rrnier volume n'a point encore:paru; (i). De fie: que l'auteur distinguait les formes religieuses du sentiment religieux, on a prétendu- ^ju'il professait nne indifférence égale pour toutes ces formes. Bien au contraire, ces formes sont progressives, les unes toujours meilleures que les autres, et les meilleures arrivant toujours en temps opportun.
Et ce système, ce n'est pas celui d'un écrivain
moderne, c'est celui de saint Paul, de saint Paul, qui dit, en termes exprès, que lorsque l'homme était encore enfant, il était assujetti aux premières et plus grossières instruc tions que Dieu lui eût données (2) et que (1) De la.Religion etc.
(2) Ep. aux Galat. iv, 3.
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l'état d'ignorance étant passé, Dieu a envoyé le Christ sur la terre pour abolir l'ancienne loi {i). Ainsi, suivant la doctrine des premiers chrétiens eux-mêmes, Dieu proportionne ses instructions à l'état de l'homme ses premières instructions, que saint Paul qualifie de grossières, étaient. ce qu'il fallait aux peuples enfans. Ces instructions ont du disparaître quand l'état d'enfance a cessé. Reconnaître cette progression dans la Bonté divine, «sfc-ce se 'montrer irréligieux ? Les pharisiens le disaient aux apôtres, les empereurs romains 'le 'dis7aiel;aax
( i) Ep. aux Èphf.T u., i5.
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XVII.
DE LA PERFECTIBILITÉ
DE L'ESPÈCE. H0MAI1Œ,
Parmi les dinërens systèmes qui se sont suivis/
combattus et modifiés, un seul me semble expliquer l'énigme de notre" existence' individuelle etsocialé, unseul me parait propre à donner un but à nos travaux, à mdtivèr'-nosrrecnerchès; à nous soutenir dans nos incertitudes, à' nous xelever dans celui de la perfèctibilité de l'espèce' :hùmairie/ Pour qui n'adopte pas cette opinion, l'ordre social, comme tout ce qui tient je ne dirai pas* seulement à l'homme, mais à runiversy; n'est qu'une de ces mille combinaisons fortuites^ l^une de ces mille formes plus ou moins passagères qui ^doivent perpétuellement se détruire et se remplacer, sans quJil en resuite jamais àûcôoë de ra^pérfecti^ baitçinous'garanSt seul de-là.përs|)eetive îfifëiï^ lible j dfune destruction complète; qui- ne laisse aucun souvenir de nos efforts, aucune' tràcë^e nos succès. Une calamité physique, une religion nouvelle une invasion de barbares ou quelques
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siècles d'oppressions continues pourraient enlever à notre espèce tout ce qui l'élève, tout ce qui l'ennoblit, tout ce qui la rend à la fois, et plus morale, et plus heureuse et plus éclairée. Vainement on nous parle de lumières, de liberté, de philosophie sous nos pas peuvent s'ouvrir des abîmes, au milieu de nous peuvent fondre des sauvages, de notre sein même des imposteurs peuvent s'élever, et plus facilement encoré .nos gouverneméns peuvent devenir tyranniques. S'il n'existe pas dans les idées une durée indépendante des hommes, il-faut fermer noslivres, renoncer à nos spéculations, nous affranchir d'infructueux sacrifices, et tout au plus nous borner à ces arts utiles ou agréables, qui rendront moinsinsipide, une vie sans espérance, et qui décorent momentanément un présent sans avenir.
Le perfectionnement, progressif de notre es-
pèce établit .seul des communications: assurées entre, les,.générations; Elles s'enrichissent sans se connaître, et tant est profondément gravé dans l'homme l'instinct de cette opinion consolatrice, qae chacune de ces générations fugitives: attend et trouve sa récompense [dans: l'estime des générations; lointaines qui doivent fouler un jour sa cendre insensible.
Dans ce système. les 'connaissances humaines
forment une masse éternelle, à-laquelle chaque
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individu porte son tribut particulier, certaine qu'aucune puissance ne retranchera la moindre partie de cet impérissable trésor. Ainsi, l'ami de la liberté et de la justice lègue aux siècles futurs la, plus précieuse partie de lui-même; il la met à l'abri de l'ignorance qui le méconnaît et de l'oppression qui le menace; il la dépose dans un sanctuaire dont ne peuvent jamais approcher les passions dégradantes ou féroces. Celui qui, par la iuéditation, découvre un seul principe, celui dont la main trace une seule vérité, peut laisser les peuples et les tyrans disposer de sa vie; il n'aura pas existé .vainement et si le temps efface jusqu'au nom qui désignait sa passagère existence, sa pensée restera néanmoins empreinte sur l'ensemble indestructible à la formation duquel rien ne pourra faire qu'il n'ait pas contribué. Je me propose donc de rechercher s'il existe dans l'homme une tendance à se perfectionner, quelle est la cause de cette tendanéé, quelle est sa nature, si elle a des limites ou si elle est illimitée, enfin quels obstacles retardent ou Contrarient ses effets.
Dans tous les temps des écrivains d^pi-
nions différentes se sont occupés de ces questions mais ils ne les ont considérées que d'une manière fort incomplète, et leurs travaux n'ont guère servi qu'à les obscurcir. Les uns se sont
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contentés de preuves purement [spéculatives, et les preuves de ce genre sont toujours très équivoques les autres se sont bornés à des témoignages historiques, et ces témoignages peuvent être facilement combattues par des témoignages opposés. Personne jusqu'ici n'a, que je sàche,' essayé de donner à cette idée des :développemens réguliers, de découvrir d'abord par quelle loi de sa nature l'individu était perfectible; d'expliquer ensuite comment cette loi s'appliquait à l'espèce, et de démontrer enfin 'par les faits l'application constante de cette loi.
Tel sera l'objet des pages suivantes. Je tâ-
cherai d7être clair; je serai court. Je ne dirai que ce qui me paraîtra rigoureusement indispensable. Toutes les `impressions que l'homme reçoit
lui sont transmises par les sens elles sont néanmoins de deux espèces, on, pour mieux dire, après avoir été à leur origine parfaitement homogènes, elles se divisent en deux classes dînerentes.
Lésines, qui sont les sensations proprement dites, `sont passagères, isolées, et ne laissent d'autre trace de Jeur existence que la modification physique qu'elles ont produite sur nos organes. Les autres, qui se forment: du souvenir d'une sensation ou de la combinaison de pluMeurs, sont susceptibles de liaison et de durée;
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nous les appellerons idées (i). Ces dernières se placent dans la partie, pensante de noire être, s'y conservent, s'y enchainent l'une à l'autre, se reproduisent, et se multiplient l'une par l'autre, en formant de la sorte une espèce de monde au dedans de nous, monde qu'il est possible, par la pensée, de concevoir tout-à-fait indépendant du monde extérieur.
Dans la comparaison de l'influence des sensa-
tions proprement dites, et de ce que nous nommons idées, se trouve la solution du problème de la perfectibilité humaine.
L'homme jamaisne pentdevenir le maître de ses
sensations proprement dites. 11 peut bien en écarter quelques-unes, en soigner, en appeler quelques autres; mais elles ne se conservent pas, elles fuient tout entières, elles nes'enchalnentpoint. La sensation présente ne décide rien pour la sensation à venir; celle du jour est étrangère à celle du lendemain. Elles-ne constituent point à l'homme une sorte de propriété. En quelque nombre qu'il les (t)fly a peut-être quelque inexactitude métaphysique dans
ceue distinction de sensations et d'idées. Les idées, sous un certain rapport sont aussi des sensations combinées, prolongées, conservées, rappelées séparées de Faction des objets extérieurs, dissemblables, en un mot, des sensations premières et instantanées; bwîs c'est pour erprïmercelbe -dissemblance ,̃ le-plus positivement leplus brièvement. possible, que nous appelons! les unes sensations proprement dites, et les antres idées..
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reçoive quelque avidement qu'il les multiplie, chacune d'elles venant seule, passant seule, disparaissant seule, traverse là solitude, mais sans la peupler.
1 Les idées, au contraire, se conservant dans la partie pensante de notre être, s'associant, se reproduisant, constituent à l'homme une propriété véritable. Sans doute, pour recevoir ses idées comme pour recevoir ses sensations, l'homme est dans, la dépendance des objets extérieurs; mais les idées lui restent, lorsqu'une fois elles lui sont acquises, et s'il ne peut ni les rappeler ni les multiplier à sa volonté, elles ont du moins, comme nous l'avons dit, l'avantage inappréciable de se rappeler et de se multiplier l'une par l'autre.
Si chacun se gouverne» ou, pour mieux dire,
est gouverné par ses sensations proprement dites, et que la nature ait voulu qu'elles dominassent ou même seulement balançassent l'influence 'des idées, il ne faut éspérer aucun perfectionnement. Les idées s'améliorent, les sensations ne .peuvent s'améliorer. Dans cette hypothèse, nous avons été de tout temps ce que nous sommes, nous sommes ce que nous serons toujours.
Si, au, contraire, l'homme se gouverne par les
idées, le perfectionnement est-assuré. Lors même que nos idées actuelles seraient fausses, telles por-
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tent en elles un germe de combinaisons toujours nouvelles, de rectifications plus ou moins promptes, mais infailibles, et de progression non interrompue.
Il ne faut pas prendre la question .que nous
agitions ici pour un lieu commun de morale; c'est un-fait qu'il importe d'éclaircir. Nous n'en sommes pas à répéter cet adage de tous les sièclés que l'homme doit s'affranchir de la sujétion des sens et se conduire par les lumières de la raison; nous rechercbons 'ce qu'il fait, sans nous occuper de ce qu'il doit faire.
Soit qu'il se dirige par ses sensations propre-
ment dites, ou par ce que' nous nommons idées, c'est -à-dire par le souvenir et la combinaison de ;ses sensations passées, sa conduite est conforme à sa nature il n'en changera pas il n'en peut changer; seulement, comme nous venons de le dire, si l'empire est.aux sensations, l'espèce humaine sera stationnaire;. si l'empire est-aux idées, elle sera: progressive.
Maintenant l'examen le plus superficiel suffira
pour nous convaincre que l'homme se gouverne entièrement et exclusivement par les idées, et qu'à moins qu'un choe violent et subit ne le prive de l'usage de toutes ses facultés, il sacrifie toujours la sensation présente aux souvenirs de là sensation passée ou à l'espoir de la sensation
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future c'est-à-dire à une idée. Les faits que nous rapportons dans le langage vulgaire, comme une preuve de la puissance.des sensations, sont, dans la réalité, une preuve de la puissance des:idées. Ceci n'est point une subtilité chimérique. Lorsque Léandre traversait la mer à la nage pour aller rejoindre Héro, il supportait une douleur réelle dans l'espérance d'un plaisir futur etdans le fait, il sacrifiait une sensation à une idée. Ces sacrifices se répètent à chaque Instant dans la vie de chacun de nous; et les hommes les plus égoïstes, les plus sensuels s'y soumettent aussi fréquemment, aussi constamment, pour mieux dire, que les plus désintéressés et les plus généreux.
On doit en conclure qu'il existe dans la nature humaine une disposition qui lui donne perpétuellement la force d'immoler Je présent à la¡venir et par conséquent&a. sensation à l'idée.
L'opération est la même dans l'ouvrier labo-
rieux qui s'épuise de travail pour nourrir sa famille, dans l'avare .qui supporte le froid et la faim pour conserver son or, dans l'amant qui brave la fatigue et l'intempérie des nuits pour attendrir sa :maitresse, dans l'ambitieux qui repousse le sommeil ou néglige; une blessure pour asservir sa patrie, dans le citoyen, généreux .qui veille, combat et souffre pour la y a dans tous, possibilité de sacrifice; dans tous,
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en un mot, domination sur les sensations par les idées.
L'homme ne se gouverne donc pas par les sen-
sations proprement dites; il est au contraire- en lutte perpétuelle avec elles, et les subjuguant toujours; et l'on pourrait démontrer que la vie du plus faible, du. plus voluptueux, du plus efféminé sybarite est une série non interrompue de triomphes de ce genre.
-L'homme, quoique essentiellement modifiable
par les impressions extérieures, n'est donc point dans une dépendance absolue et passive de ces impressions. il oppose sans cesse l'impression d'hier à celle d'aujourd'hui, et fait chaque joûr, pour les plus petites causes et pour lesplus faibles intérêts, une opération suffisante pour les plus beaux actes d'héroïsme et vde désintéressement. S'il en est ainsi, on ne doit plus, opposer- la. puissanèe des sensations àla puissance: des idées.; il ne faut plus parler que de la puissance comparative des idées- entre elles. Or, qui dit la puissance des idées dit lapuissance du raisonnement; car, dans tous ces sacrifices, tellement communs dans la viede chacun de nous, que nous ne nous en apercevons pas nous-mêmes, ·il ya, comparaison, et par conséquent raisonnement.
'Lorsque. le, plus sensuel des hommes s'abstient de boire avec excès d'un vin délicieux pour
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mieux posséder sa maîtresse il y a sacrifice, par conséquent comparaison. Or, pour porter cet homme à des actions nobles, généreuses, utiles, il ne faudrait que perfectionner en lui le faculté de comparer.
Nous avons, ce me semble, gagné un grand
point. Ce n'est plus la nature de l'homme qu'il faut subjuguer; ce ne sont plus ses sensations qu'il faut vaincre; c'est uniquement sa raison qu'il faut peri fectiohner. Il n'est pi us question de créer en lui une force étrangère, mais de développer et d'étendre une force qui lui est propre.
Pour nièr cette assertion, il faudrait nier la série de faits que nous avons allégués, et cela parait impossible. Ce ne sont: point lès sensations qui dirigent les actions des hommes, ce sont les idées; èlles sont toujours accompagnées dé comparaison de jugement. La nature 'de l'homme est tellement disposée au sacrifice que la sensation présente est presque infailliblement sacrifiée lorsqu'elle est en opposition avec une sensation future, c'est-à-dire avec une idée.
La puissance que Zenon quTÉpictète, que Marc-Aurèle attribuaient à l'homme sur sa propre existence, n'est autre chose que le développement de cette vérité. C'est la suprématie des-idées sur les sensations /en d'autres térmes,
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l'assertion que l'homme par le souvenir les combinaisons, l'usage, en un mot, des impressions qu'il a reçues, peut dompter, les' impressions qu'il reçoit.
Depnis que Socrate avait, pour employer
une expression consacrée, fait descendre la philosophie du ciel pour la placer sur la terr e, et l'appliquer à nos affections de chaque jour et à nos intérêts de chaque heure, les sages de l'antiquité.. avaient étudié l'homme sous tousses -points. de -vue -Ils avaient trouvé pour résultat de leurs recherches, que les idées doivent l'emporter sur les: sensations/ que .plus les premières se multiplient, se développent et se perfectionnent, plus leur empire ^èst incontesté, et ils en. avaient conclu 'pour: l'espèce hu- maine, la possibilité d'une indépendance morale, complète et illimitée.
Tous leurs efforts tendaient à consolider l'em-
pire des idées sur lès sensations' rendre l'homme maître de lui, àlûi conserver toujours cettcradépendance: morale-; source1 de dignité de repos et deliônhëur- ̃-• .< '-̃• Plusiéurscausésj rparmi desquelles -j^ range en
première jligne l'arbitrâircdés anciennes monar̃ chies, nous ont ravi cette indépendance en nous énervant et nous corrompant. Devenus libres, il faut redevenir forts .3; faut considérer. la:vo?
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lonté de l'homme comme constituant le moi, et comme toute-puissante sur la nature physique Ses organes, ses sensations, cette nature physique sont ses premiers instrumens. A l'aide de ce dernier, il dompte les objets étrangers, et de ces objets il se fait des instrumens secondaires mais auparavant, il'-faut qu'il se soit, assuré lx conquête de ses premiers moyens, et qu.'il;en possède l'empire absolu. Il doit être maitre chez lui avant de l'être au dehors.
Les passions mêmes peuvent et doivent être
les iristrnmens.de la volonté. Elles peuvent être, comme les. liqueurs fortes, des moyens à l'aide desquels lorsque nous avons besoin de telle impulsion, noos Ja donnons à nos organes, en observant toujours de ne pas la donner telle que nous- ne puissions' la diriger', comme nous observons, en recourant à des liqueurs spiritueuses pour nous ranimer, de ne pas- nous enivrer: de manière à n'être plus maîtres de nous. •>̃ Dans: la seule faculté du saccifiee .est le geraue indestructible de la perfectibilité. A mesure que l'homme l'exerce, cette faculté acquiers plus un plus provient jamais que de l'absence de quelque élément qui doit constituer la: vérité on larectifie en complétant le nombre des élémens
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saires. L'homme doit donc chaque jour acquérir un plus haut degré de rectitude.
Le perfectionnement qui s'opère de la sorte
dans l'individu se communique à l'espèce, parce que de certaines vérités, répétées d'une manière constante et universelle, sont à la longue entourées par l'habitude d'une évidence entière et rapide car une vérité évidente n'est autre chose qu'une vérité dont le signe nous est tellement familier-, qu'il nous retrace à l'instant même l'opération intellectuelle par laquelle cette vérité a obtenu notre assentiment.
Dans les vérités.morales, comme dans )es w'éri-
tés, numériques, il n'est question que de simplifier les signes. Si nous saisissons tout d'un' coup, et sans calcul, que deux et deux quatre et si nous ne saisissons pas avec la même rapidité que soixante-neuf et cent quatre-vingt-sept font deux cent cinquante-six ce n'est'pas que la première de ces propositions soit plus incôntestable que l'autre, c'est que le signe de deux répété deux fois- rappelle plus promptement Vidée qu'il désigne que la réunion^ des sigtiés de soixàntë^àeuf etde < les individus^1 et de l%abitnde des sacrifîcésque s'établit une morale commune à tous, dont lés
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principes, reçus sans discussion, ne se mettent plus en doute. Alors l'individu n'est plus obligé de recommencer une tâche remplie avant lui; il part, non du point où le placerait son inexpérience indivriduelle, mais du point où l'a porté l'expérience de l'association.
En même temps que la perfectibilité de l'homme
s'exerce intérieurement; .en le conduisant, lentement sans doute, d'une manière imperceptible, de vérités connues des vérités encore obscures, elle s'exerce extérieurement en le conduisant de même de découvertes en découvertes.
On peut, en prenant des époques de l'histoire
éloignées l'une de, autre; montrer la marche de la perfectibilité extérieure et intérieure.
Pour la perfectibilité,intérieure,, c'est-à-dire la
morale, nous ayons l'abolition de l'esclavage, qui est pour: nous une vérité; évidente, ;et qui était le contraire pour. Aristote. > Dans la lutte de la révolution française, ;les aristocrates les plus invétérés, n'ont) pas; songé: à proposer le rétablissement de l'esclavage,- :et Platon,, dans sa république idéale, i ne suppose Telleest Ja marche de l'esprit humain que les hommes -les. plus ne peuvent .en dépit d'eux, .rétrograder: au .point où en étaient
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rieurs. Quand le temps et le raisonnement ont fait complètement justice d'une institution fausse, la sottise même et l'intérêt personnel n'osent plus la réclamer.
Pour la perfectibilité extérieure, nous avons
une multitude de découvertes celles de Galilée, de Copernic, de Newton; la circulation du sang, l'électricité, et- une foule de machines qui rendent l'homme tous les jours plus maître de l'univers matériel; la poudre à canon, la boussole, l'imprimerie, la vapeur, moyens physiques pour la conquête du monde.
Cette marche de la perfectibilité peut être sus-
pendue et-même l'espèce htimaine forcée de rétrograder en apparence; mais elle -tend à se replacer au point où elle était, et elle sy replace aussitôt que la cause matérielle qui l'en avait éloignée vient à cesser.
Ainsi, les convulsions de la. révolution fran-
çaise avaient bouleversé les idées eut corrompu les hommes mais aussitôt que çes\convulsions ont été apaisées, les hommes. sont retournés aux idées de.. morale-qu'ils professaient immédiatement avant les secousses qui les avaient égarés; de manière: qu'on, peut dire que les excès de là révolution ont perverti des individus mais non substitué au système de morale qui existait un système de morale moins parfait et c'est
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ceci néanmoins qu'il faudrait prouver pour démontrer que l'espèce humaine se détériore.
Il en est de même de ce que nous avons nom-
mé la perfectibilité extérieure.
L'homme a conquis beaucoup plus de moyens
d'agir sur les objets extérieurs et de les faire céder à sa volonté qu'il n'en avait autrefois. C'est un perfectionnement pour l'espèce. Prenez cent hommes au hasard, dans tel peuple que vous voudrez de l'antiquité, et cent hommes dans les nations européennes de nos temps modernes; placez chacune de ces bandes, avec les découvertes de son époque, dans une lle déserte, hérissée de rochers et de forêts les cent hommes de l'antiquité périront, ou retourneront à l'état sanvage, faute de moyens de défrichement; les cent hommes des temps modernes se replaceront, par leurs travaux, au point d'où vous les aurez tirés, etpartiront aussitôt de là pour arriver à un degré de civilisation plus élevé. Cette différence tiendra a quelques, découvertes physiques, à l'usage par exemple, de la poudre à canon. Or, on ne peut nier que ce ne soit un véritable perfectionnement pour l'espèce humaine. Le mot de Yauban, cité contre la perfectibilité, prouve au contraire en sa faveur. Si César revenant aujourd'hui se trouvait en quinze jours au niveau des* hommes les plus habiles, existant1 actuelle-
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ment, c'est-à-dire bien au-dessus de son siècle; ne serait-ce pas une démonstration que notre espèce part d'un point plus avamcé, et par conséquent va plus loin qu'alors ?
Ceux qui ne veulent pas reconnaître cette marche progressive supposent que l'espèce humaine est condamnée à décrire perpétuellement un cercle, et, par une alternative éternelle, à repasser sans cesse de l'ignorance aux lumières et des lumières à l'ignorance, de l'état sauvage à l'état civilisé et de l'état civilisé à l'état sauvage. C'est qu'ils s'arrêtent à quelques portions de la terre, à quelques sociétés plus ou moins resserrées, à quelques individus remarquables ou dans leur siècle ou dans leur patrie: Mais pour apprécier le système de la perfectibilité, il ne faut pas le juger partiellement. Peu importe que telle peuplade, à telle époque, ait joui de plus de bonheur ou possédé plus de lumières que telle autre peuplade, à une époque suivante, s'il est démontré que la masse des hommes coexis- tant dans un temps quelconque est toujours plus heureuse que la masse des hommes coexistant dans un temps antérieur..
H ne faut pas dire les Athéniens étaient plus
libres' que nous; donc le genre humain perd en liberté. LesAthéniens étaient une petite partie des :habitans de la Grèce, la Grèce une petite partie de
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l'Europe, et le reste du monde était barbare, et J'ftnmease majorité des habitans de la Grèce ellemême était composée d'esclaves. Que l'on nous montre dans l'histoire une époque semblable à la nôtre, prise en grand. L'Europe entière est exempte du fléau de l'esclavage; les trois quarts de cette partie du globe sont affranchis de la féodalité, la moitié délivrée des privilèges de la noblesse. Sur cent vingt millions d'hommes, il n'en existe pas un seul qui, légalement, ait sur un autre le droit de vie et de mort. Dans les pays mêmes où ne règne pas encore la philosophie, la religion recommande la tolérance. Partout le despotisme couvre ses forfaits de prétextes ridicules sans doute mais qui annoncent une pudeur jusqu'à présent inconnue. L'usurpation s'excuse comme nécessaire l'erreur se justifie comme utile.
J'ai parlé dans un essai précédent, des quatre
grandes révolutions qui se font remarquer jusqu'à uos jours la destruction de la théocratie, celle dé l'esclavage, celle de la féodalité, celle de la noblesse comme privilège. Mon sujet m'y ramène, et j'ajouterai quelques développemens. Ces quatre révolutions nous offrent une suite d'améliorations graduées ce sont des échelons disposés régulièrement.
La noblesse privilégiée estplusprèsde nous que
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la féodalité, la féodalité que l'esclavage, l'esclavage que la théocratie. Si nous voùlions rendre la noblesse plus oppressive, nous en ferions la la féodalité; si nous voulions rendre la féodalité plus odieuse, nous en ferions l'esclavage; si nous voulions rendre l'esclavage plus exécrable, nous en ferions la théocratie: et, par une marche inverse, pour adoucir l'état des castes que la théocratie proscrit, nous élèverions ces castes au rang d'esclaves; pour diminuer l'avilissement des esclaves, nous leur donnerions l'imparfaite ga7rantie des serfs; pour affranchir les serfs, nous leur accorderions l'indépendance des roturiers. Chaque pas, dans ce sens, a été sans retour. N'est-il donc pas évident qu'une progression pareille est une loi de la nature, et que cha- cune de ces époques portait en elle-même les élémens des époques qui devaient la remplacer ?
La durée de la théocratie nous est inconnue;
mais il est probable que cette institution détestable a subsisté plus long-temps que l'esclavage. Nous voyons l'esclavage en force pendant plus de trois mille ans, la féodalité pendant douze cents ans, les privilégies de la noblesse sans féodalité à peine pendant deux siècles.
Il en est de la destruction des abus comme de
l'accélération de la ehute des corps à mesure
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qu'ils s'approchent de la terre, ils se précipitent plus rapidement. C'est que les abus sont d'autant plus faciles à maintenir qu'ils sont plus grossiers et plus complets car ils avilissent d'autant plus leurs victimes. L'esclavage était plus facile à maintenir que la féodalité, la féoda- lité que la noblesse. Lorsqu'on comprime toute l'existence et toutes les facultés de l'homme, il est bien autrement incapable de résistance que lorsqu'une portion seulement est comprimée. La main qui reste libre dégage l'autre de ses fers.
L'histoire nous montre l'établissement de la
religion chrétienne et l'irruption des barbares du nord, comme les causes de la destruction de l'esclavage les croisades comme celles de la destruction de la féodalité; la révolution française, comme celles de la destruction des priviléges de la noblesse.
.Mais ces destructions n'ont point été l'effet ac--
cidentel de circonstances particulières.; l'iwasion des barbares, l'établissement du christianisme n les croisades, la révolution française en ont été l'occasion, mais non la cause. L'espèce humaine était mûre. pour ces délivrances successives. La force éternelle des choses amené les révolutions à leur tour.; Celle 'que nous prenons
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prévue est une ère de l'esprit humain et l'homme ou l'événement qui nous parait 1'avoir causée n'a fait que partager plus ostensiblement l'impulsion générale imprimée à tous les êtres.
Ces quatre révolutions, la destruction de l'es-
clavage théocratique; de l'esclavage civil, de la féodalité, de la noblesse privilégiée, sont autant de pas vers le rétablissement de l'égalité naturelle. La perfectibilité de l'espèce humaine n'est autre chose, que la tendance vers l'égalité.
Cette tendance vient de ce que l'égalité seule
est conforme à la vérité, c'est-à-dire aux rapports des, choses entre elles et des hommes entre eux. L'inégalité est ce qui seul constitue l'injustice.
si nous analysons. toutes les injustices générale ou particulières, nous trouverons que toutes ont pour base, l'inégalité.. Toutes les fois que l'homme réfléchit, et qu'il parvient, parla réflexion, à cette force de sacrifice qui forme sa perfectibilité, il prend l'égalité pour point de.départ; car il acquiert la conviction qu'il ne doit pas faire aux autres ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui Et, c'est-à-dire qu'il doit traiter les autres comme ses égaux, et qu'il a le droit de ne pas souffrir des autres ce qu'ils ne voudraient pas soufirir de.lui c'est-à-dire que les autres doivent le traiter comme leur égal.
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Il en résulte que toutes les fois qu'une vérité
se découvre, et la vérité tend par sa nature à se découvrir, l'homme se rapproche de l'égalité.
S'il en est resté si long-temps éloigné, c'est
que la nécessité de suppléer aux vérités qu'il ignorait l'a poussé vers des idées plus ou moins bizarres, vers des opinions plus ou moins erronnées. Il faut une certaine masse d'opinions et d'idées pour mettre en action les forces physiques, qui ne sont que des instrumens passifs. Les idées seules sont actives elles sont- les souveraines du monde I'empire de l'univers leur a été donné. Lors donc qu'il n'existe pas dans les têtes humaines assez de vérités pour servir de levier aux forces physiques, l'homme y supplée par des conjectures et par des erreurs. Lorsque ensuite la vérité parait, les opinions erronnées qui tenaient sa place s'évanouissent, .et c'est la lutte passagère qu'elles soutiennent ( lutte toujours terminée .par leur anéantissement ) qui change les états agite les peuples, froisse les individus produit, en un mot, ce que nous appelons des révolutions.
De là découlent plusieurs conséquences im-
portantes.
i°. 'Il est incontestable que la majorité de la
race humaine, par une progression régulière et
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non interrompue (i), acquiert chaque jour en bonheur et surtout en lumière. Elle avance toujours d'un pas plus ou moins rapide. Si quelquefois pour un instant, elle semble rétrograder, c'est pour réagir immédiatement contre l'obstacle impuissant que bientôt elle surmonte. Quand cette vérité ne serait démontrée que relativement aux lumières, la perfectibilité de l'homme n'en serait pas moins prouvée; car si le bonheur est le but immédiat, et l'ame1ioration le but éloigné, les lumières sont les moyens; et plus nous acquérons de moyens d'atteindre au but, plus nous en approchons, lors même que nous ne paraissons pas en approcher.
2°. L'espèce humaine, puisqu'elle n'est pas
stationnaire, ne peut juger que d'une manière relative de ce qui n'est pas inhérent à sa nature, de ce qu'elle ne porte pas en elle, mais dont elle sè sert dans la route, comme ressource supplé(i) On peut diviser la carrière de l'espèce humaine'en trois
parties:.
Partie constatée,
Partie douteuse,
Partie inconnue.
Elle ne' revient jamais sur la partie constatée. Lorsqu'on croit
qu'elle rétrograde, c'est qu'elle s'agite dans la partie douteuse qui a une certaine latitude. A mesure qu'elle avance, la partie douteuse devient constatée, la partie inconnue devient douteuse.
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mentaire et momentanée. Ainsi, parmi les opinions et les institutions ( car les institutions à leur origine nie sont que des opinions mises en pratique ), celles que nous considérons aujourd'hui comme des abus peuvent avoir eu leur temps d'utilité de nécessité, de perfection relative. Ainsi, celles que nous regardons comme indispensables, et qui sont telles à notre égard, pourront, dans quelques siècles, être' repoussées comme des abus. N'en concluons pas. néanmoins que, parce que! la plupart des abus ont en leur temps d'utilité, il faille soigneusement conserver ceux qui existent au milieu de nous. La nature seule se charge de créer et de conserver les abus utiles. L'espèce humaine ne se défait jamais de ce dont elle a besoin. Lorsqu'un abus tombe, c'est que son utilité n'existe plus mais on ne peut pas thire de même que lorsqu'un abus ne tombe pas, c'est que son utilité existe encore; il peut y avoir d'autres causes.
L'utilité relative des institutions varie chaque
jour, parce que chaque jour nous découvre un peu plus de vérité. L'abus utile de la veille est l'abus inutile du lendemain. Or, tout abus inutile est funeste, et comme obstacle aux progrès dë. notre espèce, et comme occasion de lutte entre les individus.
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C'est presque toujours par un grand mal que
les révolutions qui tendent au bien de l'humanité s'opèrent. Plus la chose à détruire est pernicieuse, plus le mal de la révolution est cruel. Cela tient à ce que, pour qu'une institution très pernicieuse s'introduise il faut qu'à l'époque de son introduction, cette institution soit ou paraisse très nécessaire. Or, le souvenir de cette nécessité survit à cette nécessité même et ce -souvenir oppose une résistance obstinée à qui veut détruire l'institution, lors même qu'elle a cessé d'être nécessaire.
Prouver qu'un abus est la base de Tordre so-
cial qui existe, ce n'est pas le justifier. Toutes les fois qu'il y a un abus dans l'ordre social, il en parait la base, parce qu'étant hétérogène et seul de sa nature, il faut, pour qu'il se conserve, que tout se plie à loi, se groupe autour de lui, ce qui fait que tout reposé sur lui. Certes, lorsque l'esclavage était en forcé, l'asservissement de la classe qui fertilisait la terre, qui seule était chargée de tous les travaux, qui assurait à ses maîtres le loisir indispensable à l'élégance des. mœurs et à l'acquisition des lumières, paraissait bien la base de l'ordre social. Sous l'empire de la féodalité, la dépendance des serfs semblait Inséparable de la sûreté publique; De nos jours,, les priviléges de la noblesse ont été réclamés-
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comme les seules garanties de la prospérité nationale. L'esclavage néanmoins a été détruit, et l'ordre social a subsisté. La féodalité s'est écroulée, et l'ordre social n'en a pas souffert. Nous avons vu tomber les priviléges -de la noblesse et si l'ordre social a été ébranlé la faute n'en a pas été.à là destruction de ces priviléges, niais à l'oubli des principes, à l'habitude de la corruption, à la domination de la sottise, au délire qui a paru long-temps saisir tour tour tous les hommes ayant du pouvoir.
La destruction des privilèges de la noblesse
est le commencement d'une époque nouvelle c'est l'époque des conventions légales.
L'esprit humain a trop de lumières pour se
laisser gouverner plus long-temps par la force foupar la ruse, mais il n'en a pas assez pour se gouverner par la raison seule. Il lui faut quelque chose qui soit à .la fois plus raisonnable que la force, et moins abstrait que la raison. De là les besoins des-conventions légales, c'est-à-dire d'une sorte de raison commune et .convenue, le produit moyen de toutes les raisons individuelles, plus imparfaite que celle de quelques-uns, plus parfaite que celle de beaucoup d'autres, et qui compense le désavantage de soumettre des esprits éclairés à des erreursqu'ils auraient secouées par l'avantage d'élever des esprits grossiers à des
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vérités qu'ils seraient encore incapables de comprendre.
En traitant des conventions légales, il ne faut
jamais perdre de vue un premier principe, c'est que ces conventions ne sont pas des choses naturelles ou immuables, mais des choses factices, susceptibles de changement, créées. pour remplacer des vérités encore peu connues, pour subvenir à des besoins momentanés, et devant par conséquent être amendées, perfectionnées, et surtout restreintes, à mesure que ces vérités se découvrent, ou que .ces besoins se modifient.
On demandera peut-être pourquoi nous distin-
guons l'époque actuelle sous le nom d'époque des conventions légales, puisqu'il y a eu de tout temps des conventions de ce genre. C'est que cette époque est la première dans laquelle les conventions légales aient existé seules, et sans mélange. Il .y a toujours eu sans doute des conventions légales, parce que les hommes ne peuvent se passer de lois; mais ces conventions n'étaient que des choses secondaires; il y avait des préjugées, des erreurs,, des. vénérations superstitieuses qui les sanctionnaient, qui occupaient le premier rang, et qui caractérisaient ainsi les époques précédentes. Ce n'est qu7aujourd'hui qu'arrivé au point. de ne plns reconnaître de puissance occulte qui
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ait le droit de maitriser sa raison, l'homme ne veut consulter qu'elle, et ne se prête tout au plus qu'aux conventions qui résultent d'une transaction avec la raison de ses semblables.
Nous croyons avoir prouvé par le raisonne-
ment la perfectibilité de l'espèce humaine, et, par les faits, la marche de l'espèce humaine dans les divers développemens de cette faculté qui la distingue..
La nature a imprimé à l'homme une direction
que les tyrans les plus barbares, les usurpateurs les plus insolens ne peuvent contrarier.
L'espèce humaine n'a pas reculé sous la ty-
rannie insensée des empereurs romains; elle n'a pas reculé, lors même que le double fléau de la féodalité grossière et dela superstition dégradante pesaient sur l'univers asservi. Après ces mémorablés exemples, il faut désespérer du grand oeuvre de notre abrutissèment.
SiPergamadextrâ
Defendi possent, etiamhdc defensâ fuissent.
Il serait à désirer que cette conviction put se
faire jour chez les gouvernans, de quelque pays
et de quelque espèce jjue-ee puisse être; elle leur épargnerait des luttes sanglantes et d'infructueux
efforts. Nous, du moins, qui ne sommes pas
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sourds à la voix de l'expérience, et qui trouvons dans l'étude des siècles des preuves éclatantes de cette vérité décisive, ne nous laissons pas abattre par des retards accidentels. Sûrs que nous sommes de notre pensée et de la nature, peu nous importe la perversité des tyrans ou l'avilissement des esclaves un infaillible appel nous reste à la raison et au temps.
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XVIII.
DE LA DIVISION
DES PROPRIÉTÉS FONCIÈRES.
Les peuples qui, après s'être donné des ins-
titutions nouvelles, veulent consolider ces institutions, sont exposés à plus d'un danger et ont à lutter contre plus d'un obstacle. Dans le nombre de ces obstacles et de ces dangers, il faut placer, peut-être au premier rang, la conservation imprudente et souvent inaperçue d'usages, d'habitudes; et même de lois, contraires aux principes sur lesquels les nouvelles institutions doivent s'appuyer. Nous sommes aujourd'hui, je le pense, dans un embarras de cette espèce.
Le grand bienfait de la révolution francaise,
celui qui compense tous les maux que cette révolution a causés, c'esi l'introduction de la classe j intermédiaire dans l'administration des affaires de l'État.
Autrefois, sans doute, des hasards heureux,
ou des faveurs qui n'étaient pas toujours méritées, appelaient au pouvoir, de temps à autre, des
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hommes de la classe intermédiaire; mais c'était comme exception et, pour obtenir ou conserver cette exception, il fallait souvent s'en montrer indigne. Le cardinal Dubois et le prince de la Paix en sont des exemples mémorables. Les ministres sortis de la masse du peuple faisaient fréquemment hommage à l'-oligarchie, des droits de ce peuple dont ils cherchaient à s'isoler.
La révolution a changé cet état de choses. Les
hommes de la classe intermédiaire, la force de la nation, entrent de plein droit dans le maniement des intérêts nationaux; ils ne sont plus l'objet d'une condescendance insolente de la part d'une caste orgueilleuse. Il n'y a plus de privilège, plus de monopole politique.
Mais, en rétablissant l'égalité des droits, la ré-
volution, quoi qu'on en dise, n'a pas rétabli l'é- galité des fortunes l'aristocratie, dont plusieurs membres, ont subi des persécutions et des spoliations, que certes je suis bien.loin d'excuser, est pourtant restée plus riche par elle-même que-les autres classes. Je dis plus riche par elle-même, parce que lès négocians, les manufacturiers, les hommes qui font valoir.leurs capitaux industriels ou intellectuels, sont riches par leurs iraxanx} par leur activité, part letU'jperséTérance.; L'arisàtocratie.est riche saris que le travail lui soit imposé., sans quel'activité soit exigée d'elle; elle vit
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noblement, dans le sens qu'elle-même a donné à ce mot, c'est-à-dire en jouissant de ce dont elle hérite, et riche des richesses de ses pères, comme elle est ou se croit brillante encore de leur gloire.
Il en résulte que pendant long-temps, et jus-
qu'à l'époque où l'égalité des partages aura fait descendre l'aristocratie au niveau du reste de la nation, il n'y a guère qu'elle en France qui puisse remplir des fonctions qui absorbent un temps considérable, et détournent nécessairement ceux qui en sont revêtus de toutes les occupations lucratives, à moins qu'on- n'attache aux fonctions de ce genre des salaires qui indemnisent ceux qui les exercent mauvais moyen, source de surcharge pour les gouvernés qui paient, et de corruption pour les gouvernans qui sont payés.
Je ne suis point du nombre de ceux qui vou-
draient écarter les nobles sans distinction des hautes dignités de l'État je ne veux d'exclusions d'aucune espèce, et je repousse même celles qui pourraient être excusées par l'expérience. Mais d'une autre part il est évident que, si les nobles, en leur qualité de grands propriétaires, s'emparaient en majorité de la direction des destinées de la France, la France perdrait en peu d'années, peut-être' en une seule, le. fruit dé quarante ans de luttes, d'efforts héroïques, de victoires qui
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surpassent les temps, fabuleux de l'antiquité, et de revers supportés avec un courage qui n'a rien d'égal dans les siècles modernes.
Il n'en est pas de la France comme de l'Angle-
terre, où les grands propriétaires, réunis au peuple contre les empiétemens de la couronne, ont, de temps immémorial, senti la nécessité, éprouvé le besoin de la liberté. Les grands propriétaires ont toujours parmi nous cherché plutôt à partager le pouvoir qu'à le limiter; ils ont préféré les priviléges aux droits et les faveurs aux garanties. Il est donc manifeste que, dans l'intérêt' de
.notre monarchie constitutionnelle, il faut encourager le plus qu'il est possible. la dissémination des propriétés, surtout dés propriétés foncières. La propriété foncière n'est point pour le moment, comme dans les circonstances: ordinaires, la première et la plus indispensable des garanties politiques: ce genre de richesse peut aujourd'hui trouver- son avantage à bouleverser l'État: Les amis des révolutions peuvent se rencontrerdans les grands possesseurs de terres, etç'ést dans la classe moyenne que sont les ennemis des révolutions. = • Cependant; qui le croirait? nous avonsconservé dans nos .lois fondamentales les traditions-surannées d'un temps qui n'estbinaisons plus récentes d'un temps qui.:doit cesser d'être. Les substitutions, héritage de lia
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féodalité, se reproduisent sous la forme de ces majorats, création du despotisme. Les propriétés d'exception contrastent d'une manière bizarre avec le système général et régulier de nos lois, comme certains édifices gothiques, certaines rues étroites et tortueuses, déparent encore l'élégance et la symétrie de la capitale de la France.
Quel est l'homme qui, s'il réfléchit un instant,
ne sente que toutes ces choses sont directement en opposition avec les principes que la révolution a établis et que la restauration a consacrés ?
Je. laisse, de côté les raisonnemens que pourraient me fournir les saines maximes de l'économie politique en faveur de la division' des, propriétés; je ne reproduirai point ici les vérités qu'Adam Smith et. d'autres écrivains ont entourées dé tant de .lumières. Déclarer des propriétés inaliénables, c'est forcer tel homme à conserver ce qui lui, est, à charge, en empêchant tel autre d'acquérir ce qui; lui est avantageux; car celui qui reutyendre indique par là qu'il n.'a.pasles moyens Ottla.volonté.d'améliorer, et celui qui vent acheter annonce qu'il a cette volonté et ces moyens. -Mais- je n'envisage la question que sous: les rapports politiques, dans nos circonstances actuelles^ ̃. ̃̃ •̃• :•̃ .>'̃
-,r, Là classe- qui, -déchue de ses privilèges dropi-
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nibn, voudrait se créer des privilèges de ppo–priété, rêve les substitutions, les fidéi-cornmis et les majorats. La féodalité, attaquée dans sa- suprématie politique, quitta ses châteaux et ses seigneuries, il y a deux siècles et se réfugia dans la domesticité descours sous le nom de noblesse. Maintenant elle sent le terrain des cours s'ébranler sous ses pas, et voudrait se réfugier de nouveau dans ses terres, en les rendant inaliénables, sous le nom de grande propriété. Mais la grande propriété inaliénable est aussi contraire que la féodalité à:l'état présent de la civilisation. L'effet de la civilisation est d'ouvric «ne carrière plus vaste et; plus libre à la force -mgcale de l'homme, etdemobiliser/sil'on penLs'espri-i- mer Jtinsi de à l'aide ^desquels ili priété j foncière .n'est aujourd'hui qu.?na-dé ces moyens elle tend en: pour circuler -plus commodément. -Tputcerqui contrarierait cetft • tendance serait sans résultat Aussitôt qu'une eut passé' dans est tiers-étàt^vaincra 3a à-dire la rangera àson niveau-, la-rendramobiléi divisée, circulante -à Kmfiro; Tous les- .«flbrts
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des castes pour l'empêcher de prendre, ce, nouveau caractère seront impuissans elle a change de nature. En accordant ce qu'il faut accorder aux habitudes de la génération contemporaine, on peut affirmer que dans cent ans les classes non agricoles n'auront de propriétés foncières que comme jouissance de:luxe, et: la propriété foncièrej divisée et subdivisée, sera presque uniquemént dans les mains :de la classe laborieuse; La' grande [propriété; est à peu près^le dernier anneau;,de la chaîne dont chaque siècle détache etibrise l'un des anneaux/ ̃̃̃̃̃• !̃ Résister à cette.: révolution serait inutile; s'én.
affliger est insensé. Une difficulté presque insoluble a existé chez tous les peuples anciens et chez beaucoup dépeuples modernes; elle; a tantôt retardé l'établissement Jantôt troublé layouissahcé de la liberté. Cette difficulté,. c'étaîtrle petite lumière de lardtasse vouée ait travail et:; le peu d'intérêt que cette classe^ composée dépEolétairesj prenait auniaintien de l'ordre. L'antiquité n'avait trouvé' de remède à cefléau que dans ,l«sclàvage, Tongrles philosophes de là; Grèce déclaraient l'es- que la qu'elle attache lé grand nombre à' laistàbilttêkiés institutions ipar «oii-iiir
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térêt ? Les gens qui déplorent cette division sont précisément ceux qu'elle sauve, en répandant des lumières, de l'aisance et du calme dans la. portion du peuple la plus dangereuse quand elle est ignorante, pauvre et agitée.
La propriété foncière elle-même y gagne en
culture et en. valeur. Contemplez ce qui a eu lieu en France depuis la révolution compares notre agriculture et ses produits à l'agriculture et aux produits du siècle dernier mé-< ditez. enfin, sur l'effet politique et agricole de la concentration, des propriétés fonçières chez les .Anglais..
Si on laisse la propriété foncière- suivre-. paisi-
blement la direction que lui imprime là nature, si. on ne la rend pas stationnaire et indivisible, par desrèglemens absurdes, en contradiction avec les besoins du .temps, elle changera souvent de maître» elle se divisera, d'elle-même. L'égalité des. partages,; l'action des opérations commerciales l'indépendance de l'industrie, en triplant les richesses de la France, placeront ces richesses dans les mains qui lès auront méritées et qui en feront usage dans le sens de la liberté. Si,,au contraire, vous mettez obstacle à cette
révolution insensible et graduelle, vous conserverez dans le corps social des élémens de fiermentation et de désordre. Quand là richesse :est
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amie de ce qui existe, elle en est le meilleur sontien mais précisément parce qu'elle est très puissante, il faut éviter qu'elle soit ennemie de ce qui existe car alors elle serait ou destructive ou détruite.
Voyez la plupart des républiques anciennes,
cherchant partout un remède à cette domination de la propriété aristocratique qui menaçait 'la démocratie que leurs institutions consa-.craient, comme elle menace aujourd'hui notre monarchie constitutionnelle. Ces républiques recouraient à des mesures vëyàtoires, injustes eut spoliatrices; à des lois agraires,,à des partages forcés: tristes expédions, funestes à la fois et inefficaces; car tout ce qui blesse les -droits des individus ne sert qu'à rétablir, par des secousses. fâcheuses, une égalité factice qui ne-peut durer.' Durant notre révolution, on a voulu recourir à des moyens plus violens encore, dont le résultat a" été encore plus triste. L'iniquité,; après avoir frappé dans son cours des innocens, vient toujours retomber de tout son poids sur la têté. de ses auteurs..
"̃̃̃ Il faut donc renoncer aux avantages'apparent d'une rapidité. qui n'est pas compatible avec lajustice, !D y a des inconvëniens inséparables dut passage d'une position- sociale à une -autre. S'y: désigner est, le seul parti sage, et il y a injustice^
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et imprudence à se montrer envieux du temps. Mais s'il est malentendu d'ajouterâ ces inconvé-
niens quand on n'y est pas forcé, il est imprudent de déposer dans les institutions destinées à. régler l'avenir, des germes qui -ne serviraient qu'à prolonger les inégalités d'un passé dont nous devons nous efforcer d'effacer la trace.
Tolérons ce qui est, mais en préparant ce qui
doit être; et sans prétendre, d'un coup de baguette on d'un coup de hache, faire triompher l'égalité, laissons la liberté agir librement. Elle pourvoit-à tout; elle enrichit le pauvre sans dépouiller le riche; elle ne fait pas disparaître violemment les fortunes disproportionnées' j" mais en les empêchant de se perpétuer, elle leur.«rilëye. ce qu'elles ont d'oligarchique et: de dangereux. Point de substitutions, point de majorais,
point de propriétés Inaliénables, et, dans- bien peu de n'y aura pas -plus: en France xle privilégiés de fait qu'il n'y: en a. déjà maintenant de droit. \Chose singulière j ce que certains hommes voudraient empécher dans une monarchie -cons–par îa^volonté d'ttn lois promulguées dans ce:pays; de 1810a i&abj. les bourgeois et les paysans seront, dans le -cours d*tm siède, les propriétaires
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comme ils le sont sur les bords du Rhin. La noblesse, qui s'est fort irritée de ces lois lorsqu'elles furent promulguées, y a néanmoins beaucoup ga- gné. La faculté d'aliéner les terres ajoute à leur valeur vénale; car aussitôt que la terre devient libre, et que l'agriculture est dégagée de. toutes les entraves, la population et l'aisance augmentent, et l'effet de cette augmentation est la hausse des terres, et par conséquent une plus grande rlchesse pour ceux qui possèdent les propriétés les plus considérables. «Partout où il y a des acheteurs, il y a des vendeurs, dit à ce sujet un auteur prus* sien; mais les meilleurs acheteurs sont incontes- tablement ceux qui peuvent payer plus cher un objet, ceux par conséquent pour qui cet objet a le plus de valeur et rapporte davantage. Or, c'est ponrle paysan que l'agriculture est surtout productive, pour le paysan qui visite son champ le premier le matin, et qui le quitte le dernier le soir. La sueur du cultivateur est lé meilleur engrains des terres; il est de la nature de l'homme d'ai-:mer la propriété, et aussitôt que l'on permet à la .classé agricole d'acquérir, elle en trouve les ^moyens. Cette-classe alors se marie de bonne heure, parce qu'elle n'a pas d'inquiétude sur sa subsistance; elle sait que son travail est sa rir-: chesse et que ses bras sont ses- capitaux. Le ber- ceau ne tarde, pas à se placer auprès -du lit
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conjugal, et la population s'accroît dans un tel pays presque aussi vite que sur le sol encore vierge. de l'Amérique septentrionale. Ces cultir vateurs achètent arpent par arpent, d'abord fermiers, ensuite propriétaires ils supplantent 'bientôt cette race d'agriculteurs héritière et imitatrice de la féodalité et de la noblesse, et qui a un précepteur pour ses enfans, une femme de chambre pour sa femme, un cocher pour ses chevaux, un chasseur pour ses chiens, un maître valet pour ses ouvriers et une femme de charge pour ses servantes. Chez le vrai paysan, le maitre et la maitresse remplissent toutes ces fonctions en une seule et même personne.
» Il est indifférent à l'État de savoir entre quelles
mains la terre se trouve, pourvu qu'elle, soit confiée à des mains actives et laborieuses; que ces mains laborieuses aient pour ancêtres des privilégiés, est une chose de peu d'importance la propriété et la liberté, voilà ce qu'il faut. Partout où cesdeux choses existent,l'homme estactifetl'agriculture florissante, comme le prouvent les marais de la Hollande. Là où ces choses n'existent pas, l'agriculture tombe, et avec elle la population, comme le démontre l'Espagne où, les quatre cinquièmes du territoire étant entre les mains du clergé et de la noblesse, une population de trente millions a été réduite à neuf. Lâ Prusse, qui a dans
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ce moment onze millions d'habitans > doit en avoir seize dans l'an i85ô par le seul effet de sa nouvelle législation sur. l'agriculture et de la division des propriétés,
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DES ERREURS QUE L'HISTOIRE FAVORISE, SUR LES GOUVEENEMENS ABSOLUS
ET LES GOUVERNEMENS POPULAIRES (i).
Plusieurs chefs du gouvernement républicain
de la France ont commis beaucoup de fautes quelques-uns beaucoup de forfaits. Mais que de cris n'ont pas retenti contre eux dans le monde entier! de quelle réprobation n'ont-ils pas été justement frappés
Un roi de cette même contrée a banni trois
millions de ses sujets (2). Après les avoir bannis, il leur a défendu tout à coup de quitter (t) J'entends par gouvernemens populaires toutes les orga-
nisations politiques oh le peuple estadiaispar lui-même ou par. ses représentons à prendre part à, la confection, des lois:
dans cejBBS^ une monarchie constitutionnelle est un gouverne-
ment populaire. Je m'étais d'abord servi de l'expression gouvernemens libres mais comme j'indique diverses circonstances où les, gouvernemens populaires. oppriment la liberté il y aurait eu, les appeler gouvernemens .libres, un veritablexontre-sens. (2) « Le roi a résolu de faire sortir du royaume tous les
gens de la religion qui y restent. Il confisqne leursbiens x et leur donne permission de. se retirez où il leur plaira: D » les fera conduire hors du royaume. « (Mémoires de Dangeau.) •̃, v
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leur patrie. Les frontières ont été gardées (i); les fugitifs ressaisis envoyés aux galères; ceux qui échappaient dépouillés de leurs biens ceux qui se soumettaient, privés d'en disposer (2); les gentilshommes, jetés dans les cachots les roturiers, espèce plus vile, entassés sur des vaisseaux, pour aller expirer dans des contrées lointaines et insalubres (3). Les gens de la cour se sont partagé les biens des proscrits (4). L'achat dé ces biens est devenu le titre le plus sûr à la faveur du monarque. Les courtisans ont dressé des projets de déportation en masse (5), Dix mille hommes, en trois ans, ont été la proie des roues, ,des flammes et des gibets (6). Les intendansde provinces ont eux-mêmes perfectionné (1) On eut nouvelle que le marquis.du Bordage avait été
arrêté auprès de Trélon entre Sambre et Meuse. Il voulait sortir du royaume avec sa famille. Sa femme a été blessée d'<un coup de fusil. On mena le Bordage dans la citadelle de Lille; sa femme; dans celle de Cambrai, et mademoiselle de la Moussaie, sa belle-soeur dans celle de Tournai. On fait revenir les enfans à Paris où ils seront élevés dans notre religion. » (Mémoires de Dangeau.)
(2) Rhuliéres, Êclaircissemens sur l'Édit de Nantes, ÎI,
8. On sait que ces éclaircissemens furent publiés par l'ordre de M. dé Malesherbes.
(3) i&itf. n,375. k' :'̃̃•̃̃
(4) IbùLj I, 212. Lettres de madmne de Maintenon.
(5) Bîiulières, 11,279. •
(6) Ibid, J, 326.
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les tortures (i). On s'est cru doux et clément en ordonnant aux soldats de ne tirer que tard sur des réunions religieuses qui ne se défendaient pas (2). Un supplice honteux a frappé des vieillards Infirmes (3) on les a poursuivis jusque dans les convulsions de l'agonie et à l'heure solennelle de la mort (4); et le roi par l'ordre duquel ces atrocités ont été commises n'est pas un de ces rois barbares qu'on peut regarder comme une calamité extraordinaire c'est le roi que l'histoire a nommé Louis-le-Grand.
On se tromperait, certes, si l'on croyait voirdans
ce rapprochement le désir d'excuser des cruautés plus récentes. Haine et mépris aux oppresseurs, quelque dénomination qu'ils portent quelque étendard qu'ils arborent! et s'il est des degrés dans notre mépris et dans notre haine, que l'excès en soit réservé à ceux qui profanent les couleurs de liberté! Mais n'est-il pas étrange que les mêmes horreurs qui ont couvert d'un juste opprobre les chefs passagers de la plus orageuse des révolutions, soient représentées tout au plus comme des fautes excusables dans le monarque d'un vaste empire, et qu'elles (1) Rhulières, 292..
(?) Ibid.,11, 33g. 3^
(5)i»a./232.
(4) Ibid., I, 55i Il., 177..
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n'aient porté qu'uneatteinte assez légère aux hommages que l'Europe lui rendait et que, malgré nous, nous lui rendons encore?
On ne dira pas que cette différence dans les ju-
gemens soit l'effet des victoires de Louis XIV et de l'éclat guerrier de son règne. Des victoires au moins égales ont été remportées par les Français sous le comité de salut public, et l'histoire militaire de la France, à l'époque des excès les plus horribles est cent fois plus brillante que celle du temps où les armées étaient commandées par les Turenne et les Catinat.
D'où vient-elle donc, cette différence? De ce
que, jusqu'à nos jours, les historiens, même avec les meilleures intentions de fidélité et d'exactitude, n'ont pu nous donner que des idées fausses sur les gouvernemens populaires et les gouvernemens absolus.
L'histoire se compose des jugemens contem-
porains sur les individus et sur les époques.
Or, les contemporains ne se permettent guère
de juger les gouvernemens absolus que lorsqu'ils sont doux et modérés. Quand ils sont violens, on ne les juge pas, on les flatte,. et les traditions de cetle flatterie couvrent plus ou moins la vérité des faits. Voyez la réputation d'Auguste et encore plus celle de François Ier.
Comme au contraire, lorsqu'il ya eu des con-
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vulsions, des désordres et de l'anarchie dans les gouvernemens populaires, ces gouvernement ont péri, on les a jugés après leur chute et avec le souvenir des calamités dont elle avait été précédée.
Les gouvernemens absolus ( nous parlions de
ceux qui reposent sur une transmission régulière ) oppriment leurs sujets dans le calme en détail, sans éclat, sans secousses.
Les gouvernemens populaires oppriment les
citoyens par mouvemens impétueux et désordonnés au milieu des tempêtes,. et en masse, ce qui rend les calamités qui signalent ces momens d'orage plus remarquables et plus effrayantes.
Socrate est une époque chez les Athéniens. Les
innombrables victimes de Louis XI, les prêtestans brûlés à petit feu sous François Ier, le supplice de De Thou sous Richelieu, les dragonnades de Louis XIV n'en sont pas une dans l'histoire .dé France.
Pour que^ïa Saint-Barthelemy devini l'-objèt
de l'horreur européenne et de l'animadversion des historiens, il a fallu que la populace s'en mêlât. Sans les égorgemens exécutés dans les rues, l'histoire eût été bien moins sévère envers les massacres médités dans' le palais.
̃Quand les gouvernemens absolus dégénèrent
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en une; tyrannie sanguinaire, ils commandent le silence; les injustices se commettent sans que -les réclamations soient permises, le mal se fait sans brunit.
Dans les gouvernemens populaires, le mal se
fait aussi, cela n'est que trop vrai, mais publiquement;, à travers les réclamations et les résistances. Les opprimés protestent et leurs protestations, même inutiles, deviennent instructives l'histoire les enregistre.
Les gouvernemens absolus se louent; les gon-
vernemens populaires se calomnient. Les princes despotiques se succèdent sans se renverser: Celui qui est sur le trône n'a pas besoin de faire ressortir les iniquités ou les vices de celui qu'il remplace au contraire, la plupart du temps, ïl. né permet pas qu'on en parle. Mais dans les gouvernemens populaires les factions ne se succèdent qu'en se renversante et pour se justifier des renversemens qu'elles ont opérés, elles doivent présenter sous des couleurs odieuses tout ce qui a précédé leur élévation. Ainsi,dans ce dernier cas, on a la faculté de médire an moins du passé. Le gouvernement absolu nous la conteste. On ne s'est point., à l'avènement de Charles VU! exprimé sûr Louis XI avjec autant de sévérité- que snr k.eomi*é de salut
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public lors du directoire, ou sur le directoire lors du consulat.
Au milieu des convulsions et de l'anarchie, les personnages éminens sont les plus menacés. Sous les gouvernemens absolus, l'oppréssion pèse sur la classe obscure celle-ci.est muette; elle sait peine qu'elle a droit de se plaindre l'autre est est active et parlante ses cris retentissent..
Dans les gouvernemens populaires, les assem-
blées qui exercent le pouvoir sont .presque tdujours. divisées en denx partis., -et le blâme se place à côté de reloge. Les gouveraemens absolus n'ayant qu'un, chef, le blâme ne trouve ni place ni prétexte; il a y ad6 toléré concert d'éloges, et ce concert d'éloges fausse l'opinion. Dans les gouvernemens populaires, quand il
y a liberté, on jouit et l'on se tait; quand il y a tyrannie, on souffre et l'on murmure, ou, si la tyrannie est trop ombrageuse, on se tait encore. Sous un maitre absolu, on souffre et l'on remercie.
L'histoire a jusqu'à présent recueilli sans discer-
nement et sans examen les remerciemens comme les plaintes, et il en résulte que ses couleurs sombres et séVères quand il s'agit des excès commis au nom de la liberté, sont singulièrement douces quand il s'agit des fureurs du despotisme. Certes, l'estrapade, sous François I*r, les hérétiques plon-
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gés dans les flammes, et rétirés aussitôt pour y être
plongés derechef, sous les yeux du prince, à côté de sa maîtresse, l'adultère offrant jittsSÎ à la re-
ligion des victimes humaines; toutes ces choses
sont-elles moins horribles que les attentats com-
mis par d'autres monstres, à Nantes on à Lyon?
Nous nommons François I°r le père des lettres,
et qui d'entre nous oserait prononcer le nom de
Carrier?
Une génération nouvelle s'elève; elle fouille
dans les monumens de notre histoire; elle la re-
fait d'après ces monumens. Qu'elle persévère
elle rend un grand service à l'espèce humaine,
car l'histoire n'a servi long-temps qu'à la tromper
et à l'avilir.
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XX.
PENSÉES DÉTACHÉES.
En prêtant l'oreille au retentissement de toute
l'Europe, en voyant la disposition générale de tous les individus et de tous les peuples, que pourraient espérer encore ceux qui marchent dans un sens opposé aux besoins et aux voeux universels? Ils prennent pour un caprice momentané, pour une fantaisie passagère, ce qui est un&volonté fixe, une résolution inébranlable. Ils pensent que la grande habileté. est de louvoyer, d'attendre., de gagner du. temps; mais, en. toutes choses le temps est l'auxiliaire de la raison, et, sous ce rapport, il est loin de prêter son secours à ceux qui repoussent les désirs raisonnables de l'espèce humaine.
2.
Il y a des gens qui croient <ju'on, crée les vérités-parce.qu'on: les. déclare, et qui s'en prennent de l'existence .de ces vérités ceux qui leur révèlent cette existence mais ces vérités n'en exisrteraient pas moins lors même qu'on ne lesau-
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rait pas dites. Un ,matelot m'a raconté qu'il, était une fois sur un vaisseau avec un passa- ger qui avait fait souvent le même voyage. Ce passager indiqua au capitaine un rocher caché sous l'onde le capitaine ne l'écouta pas il insista le capitaine le fit jeter à la mer. Cette mesure énergique mit fin à toutes les remontrances, et rien n"était plus touchant que l'unanimité qui régnait sur le navire, lorsque tout à coup le vaisseau s'approcha dé l'écueil; le toucha,' et fut î>risé. On avait noyé le donner d'avis, mais Pécùèir était resté.
I/aotoritéqui veut, par là forèei Veniparerdè Popmion pour- la diriger, me' disait-: un homme !qui voulait îancer îa foudre. H faisait -grand bruit avec soa chariot 'd?arrain^ et graiiQ^ peur <aTr pu- beau jour, 4. ̃
Lorsque des v^rités^uinesontçncorequ'àla- portée du petit nombre sont' introduites sans mesure est avec- violence, dans, des institutions politiques qui doivent reposer sur l'assentiment général, beaucoup àTiommes
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juste, titre, cette précipitation dangereuse, sont, enclins à reporter, sur les vérités mêmes qui en sont l'objet, leur désapprobation de la forme. Cette disposition est naturelle, mais elle est déplacée et peut devenir funeste. C'est toujours par un faux calcul que l'on se consacre une mauvaise cause. Il vaut mieux partir de la vérité qui est proclamée, ffr.t-elle même intempestive; et lorsqu'elle est jetée sans préparation dans, un système pratique qui ne, devrait se.composée que de vérités reconnues \9 npn s'efforcer vainement de la faire rétrograder^ car elle ne rétrograde pas, mais l'entourer au plus vite de l'évidence qu'elle n'a pas. encore acquise* et que ne savent pas lui donner les hommes impatiens et fougueux ;qui n'arrivent à elle que par l?instract» En secondamnântà.défendre l'erreur, on; décrédite la: raison. et la modération même; ces deux .choses si. précieuses se ressentent en faveur de principes qui. ne sont pas parfaitement et rigoureusement vrais, et la portion de sophisme à, laquelle on les allie rejaillit sur elles et les affaiblit. D'ailleurs^ tous les hommes éclairés ne se mettent pas de ce côté. Il en est qui suivent les principes à travers les agitations' et nation se petit, se¿ trouve encore -partagé: Des noms ;également estimables servent
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d'égide aux deux partis extrêmes, à celui qui veut conserver l'erreur, ainsi qu'à celui qui se presse trop de faire triompher la vérité, et le désordre s'augmente et se prolonge par cela même que les hommes consciencieux sont désunis.sur les moyens de le réprimer.
Lorsque l'on considère d'une manière un peu générale la marché de l'espèce humaine on voit que dans le mouvement progressif, tout va servi, et que les abus d'aujourd'hui étaient les besoins d'hier. Ces abus ont eu'leur temps utile. Durant cette époque, ils ont été regardés comme d'incontestables principes, et dans un sens'r.elatif, ils méritaient d'être considérés comme tels. Peut-être en est-il de. même due quelques-uns des principes qui nous/paraissent incontestables; mais cette utilité des abus n'implique nullement la nécessité de les rétablir quand ils s'écroulent. Tant qu'ils sont utiles, ils^se conservent d'euxmêmes, et quand ils tombent, c'est que leur utilité a cessé.
Il. y a dans l'univers deux principes, la fqrce et la raison. Ils sont toujours en quantité: inverse l'un de l'autre. Lorsque la raison, a fait
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un pas, il faut nécessairement que la force recule, car la raison ne peut reculer. Lorsque lia force résiste, des luttes désastreuses s'élèvent. Ce n'est pas la faute de: la raison, c'est celle de la force. Il serait contre l'essence de la raison. de ne pas s'étendre, on de retourner à ce qu'elle a découvert n'être pas raisonnable; mais il n'est pas contre l'essence de la force d'être convaincue; quelque opposition qu'elle y apporte, elle finit toujours par là. On appelle d'abord les partisans-de.:la raison des séditieux, et l'on s'aperçoit enfin que ses ennemis étaient des rebelles. 'Si l'espèce humaine suit une marche,invaria-
ble; il faut s'y soumettre. La résignation seule épargnera aux hommes des luttes insensées et d'afireux malheurs: Si de plus, après avoir reconnu la nécessité d'une résignation générale., on découvre le genre de résignation particulière applicable à l'époque où l'on vit, cette découverte vaudra la première. Les sacrifices seront éclairés on évitera les résistances vaines; et les exagérations ^superflues, et les efforts erronnës-, et les directions fausses. On saura précisément ce ̃qui doit être repoussé avec force, souffert avec patience radouci avec adresse, amélioré avec zèle. Jè parle également pour ceux qui perdent
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et pour ceux qui gagnent, pour ceux qui crai-
gnent et pour ceux qui désirent,, pour ceux
qui vivaient des abus et pour ceux que les
abus dévoraient; tous ont un égal besoin d'être
instruits du sort qui les attend et des circons-
tance qui les environnent. Les lumières sont
nécessaires à tous. Vainqueurs et vaincus, il im-
porte aux uns et aux autres de reconnaître le
champ de bataille; l'ignorance du terrain les
précipiterait dans des abîmes, et ils joindraient
aux maux inévitables de la guerre les calamités
inutiles du hasard.
L'observateur superficiel croit voir d'invisibles
opinions dominées par des forces visibles, et ne
s'aperçoit pas que c'est à ces opinions qu'est due
l'existence de ces forces. L'habitude nous em-
pêche ;d'être. surpris. du miracle de l'antorité,:
nous voyons le. mouvement^ mais nous mécon,-
naissons ;le ressort.,La société ne nous parait
qu'un groesier mécanisme nous prenons Je pou-
voir pour vue cause, tandis.que ce. n'est qu'un
effet, et nous croyons qu'il est possible de/. se
servir. de l'effet contre la cause. C'est cependant
aux opinions seules que l'empire du monde a été
donné. Ce sont les opinions qui créent la force,
en d^psna&tdes sentiment ou des passionsy ou
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des enthousiasmes. Elles,se forment et s'élaborent dans le silence; elles se rencontrent et s'électrisent par le commerce des individus. Ainsi, soutenues complétées l'une par l'autre, elles se précipitent bientôt avec une: impétuosité irrésistible. Jamais une idée vraie mise en- circulation n'en, a été retirée jamais une révolution fondée sur une idée vraie n'a manqué d'en; établir-l'em-- pire, à moins que l'idée ne fut incomplète. Alors la révolution n'était qu'un symptôme, avantcoureur de la véritable' crise, et elle s'est achevée, •dès que l'idée complétée, c'est-à-dire fendue plus évidente pour la majorité des esprits, estrévenue à 1'2 charge. Ce qui trompe quelqnefois: sur lés révolutions-' que produisent les idées, ¿est qu'on prend des accessoires pour le but principal; Ainsi par exemple on croit que la révoLu,tio» d'Angleterre, en r64<>, a echone, parce: que fe^royawté a étérétablie; mais ce n'était pas l'idée d'une république qui arait causé la révolution-, c'était celle de la liberté civile et religieuses^ La république' était l'exagération de quelques Jbomrmes cette exagération n'apa se soutenir.; L'idée domrâaHte ew st souffert momentanénaent j mais cette idée dominante, celle d'une liberté eonstittrtionneHe, a répara et x triomphé.
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9.
Les Spartiates se plaignaient de leurs ilotes; les patriciens'de Rome, des ple'béiens; les seigneurs féodaux, de leurs serfs; les colons se plaignent des nègres. J'ai lu dans Y Histoire générale des Voyages, compilée par La Harpe, la phrase suivante « Les loups marins sont des animàux tellement fé- » roces, qu'ils se défendent quand on lesattaque. 40. ̃̃
L'un des symptômes les plus remarquables dans les hommes qui tâchent aujourd'hui de s'opposer à la marche de l'espèce humaine, c'est qu'ils sont eux-mêmes entrai nés par cette marche: Lénrs opinions sont empreintes des opinions qu'ils croient réfuter. En se déclarant les champions des siècles antérieuis, ils sont, malgré eux, des hommes de notre siècle. Us n'ont; en conséquence, ni la conviction qui donne la force, ni l'espoir qui -assuré le succès. Ils ont encore la violence dans l'injure, mais ils ont perdu la certitude dans l'affirmation'. Bs capitulent sans le savoir. %transigent toutes les fois qu'ils's'occupentd'unéquestion en elle-même, et qu'ils nese font pas de cette question une arme contre le parti contraire. Onvoit que s'ilsse trouvaient seuls, ils penseraient sur beaucoup d'objets comme ceux
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qu'ils combattent. La lutte leur est nécessaire, pour qu'ils restent dans le sens dans lequel ils ̃ veulent rester. Ilsabandônnentlaplupartde leurs prin- cipes, quand ils ne sont pas avertis de les défendre. Il faut que la présence de leurs adversaires leur rappelle leur propre cause, pour qu'ils lui soient fidèles. Or, une cause est perdue quand elle n'a que de semblables appuis.
Cette réflexion m'a été suggérée par la lec-
ture des Pensées (i) d'un écrivain qui a du talent, de l'obscurité et des bizarreries. Sous ce point de vue, rien n'est plus amusant que les contradictions dans lesquelles cet écrivain s'est vu entraîné, par les modifications qu'ont apportées à ses opinions, -malgré sa volonté et à son insu, les lumières qniFentourent. Quand il est homme de parti, c'est le quinzième -siècle tout pur; mais quand il perd de vue sa doctrine -obligée et d'étiquette, et l'on a toujours-des momens de distraction, on voit le dix-neuvième siècle reparaître et il reparait avec avantage, car Fauteur a le malheur d'exprimer beaucoup mieux les vérités qui lui échappent que les préjugés qu'il veut défendre. En voici un exemple:
Bonaparte, dit-il, page 208, avait des idées
-plus justes sur la constitution que sur l'admi(i) M. deBonald.
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» aistratJon,parcequ'ilprenaitlespremièresdans m son esprit, et les autres dans ses habitudes toutes militaires. »
Ceci est un éloge bien direct du despotisme
éloge tellement senti qu'il a entraîné le panégyriste à louer un homme qu'aujourd'hui certainement, il n'avait pas dessein de louer. Si Bonaparte avait des idées justes sur la constitutiony il en résulte que l'anéantissement de toute liberté, de toute discussion dans les assemblées, de tout pouvoir Intermédiaire, de toute limite à l'autorité, sont des idées justes. Il peut être fâcheux qu'un usurpateur s'en soit emparé; mais l'usurpateur étant renversé) ces idées justes doivent reprendre tout leur empire, et nous aurons le pouvoir absolu, le pouvoir unique, le despotisme, en un mot, moins l'usurpateur.
Mais, voici ce que nous lisons page €5
« Bonaparte avait été obligé d'employer une force excessive dans son administration, parce » qu'il n'y en avait aucune dans sa constituri tion. L'exemple est séduisant, mais il est » dangereux.» Que veut dire cette phrase? Pour- quoi n'y avait-il aucune force dans lia- ̃constitution de Bonaparte? C'est quih n'y avait aucune liberté car assurément ce n'était pas l'autorité du chef de l'État qui manquait de
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force. Cette autorité a eu la force de faire disparaître toutes les autres, de rendre impossible toute résistance de régner seule, sans opposition, au milieu de fobéissance et du silence universel. Si la constitution de Bonaparte n'avait pas deforce, c'est que la force d'une constitution n'est pas dans l'autorité du chef de l'État, mais dans l'équilibre dans la division et dans la balance des pouvoirs. Je défie l'écrivain de donner une autre interprétation à sa pensée. D'où vient donc qu'il dit ailleurs que Bonaparte. avait .eu des. idées justes sur la constitution? Est-ce une idée. juste que d'organiser une constitution sans aucune force? C'est que, page 20$, l'écrivain n'est qu'un homme.de parti, et que, page 65, il redevient, sans s'en douter, un homme de notre temps. Dans plusieurs endroits, le même auteur, dé-
fend vivement la noblesse héréditaire non teille que la pairie Ja consacre aujourd'hui, .mais, telle qu'elle existait sous l'ancien régime., (Page\i5.) Et même il veut page 16,, pour la symétrie apparemment qu'k <eôté des familles illustrées par les services de leurs aïeux, il y en. ai.t d'autres flétries, par les crimes de; leurs pères» Mais; tout d'un coup: il dit, page 24 « .Toute famille qui a rendu de grands services à l'État » a.rempli sa destination. Elle peut périr dans
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la société, puisqu'elle doit vivre dans l'his» toire. Beaucoup de familles, ajoute-t-il, ont » vécu trop d'une génération. »
Certes; rien de plus sévère n'a été écrit contre
la noblesse, par ceux des amis de l'égalité qui la désapprouvent en principe. Je ne parle pas de ceux qui ont voulu proscrire ou persécuter les nobles; ils ne doivent être rangés parmi les partisans d'aucun système, mais parmi les coupables ou les insensés.
Si beaucoup de familles ont vécu trop d'une
génération, comment fera l'auteur pour que l'opinion ne le sente pas aussi bien que lui? Et comment maintenir alors la noblesse contre l'opinion ?
Qui peut méconnaître dans ces phrases oppo-
sées une double tendance la volonté de l'auteur qui se consacre à la résurrection du passé, et l'influence du présent, qui 'agit sur son esprit sans qu'il s'en aperçoive, et qui a l'air de glisser, comme par une sorte d'ironie, à travers des sophismes entassés, des raisonnemens qui lés déjouent? C'est le clair de lune perçant les nuages, et nous montrant que ce qu'on veut nous faire admirer comme un château possible à reconstruire, n'est qu'un monceau de débris épars. Un exemple encore; ce sea bien assez, peut-
être trop. •'̃
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Notre écrivain s'élève, avec raison, page 79,
contre ceux qui crient«à la sédition, quand les assemblées représentatives montrent quelque énergie. Tout ce qu'il dit dans cet endroit 'est très bien pensé mais j'arrive, à la page :i47^* et j'y trouve ces paroles .'•̃ "̃" ̃'•• «On ne devrait assembler les hommes 'qu'à
» l'église ou sous les armes,. parce- que là ils ne » délibèrent point, ils écoutent et obéissent, .m Je remonte à la page 27, et j'y- lis •
« L'opposition, inévitable dans tout gouyer^
» ment représentatif, y est toujours dangereuse '» elle intimide le gouvernement quand il fau» drait l'enhardir, elle l'irrite et le pousse quand. il faudrait le retenir; et, peut-être, partout où l'opinion du gouvernement est bien connue', ceux qui ne la partagent pas et qui sont en état delà combattre, devraient s'abstenir de prendre Accordez ces trois assertions/ si' vous pouvez. plication) que j'ai déjà=;donnée: L'aùtèur^cxOTt marcher dans/le sens de:ses désirs, et il est rjk)ûssé .dans; celui; de son 1 siècle. H 1 se retourne quand il rapprocher de 'son
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Un homme d'esprit dïsait, il y à quelques an-
nées qully avait dans les sociétés deux nations ennemies que rien ne pouvait rapprocher ni réconcilier l'une avec l'autre, et que le calme n'existerait icpnfe lorsqu'une nouvelle nation aurait remplacé ces deux corps d'armée, entre lesquels nul traité n'était possible. je n'adopte point cette pensée qui serait affligeante, ni le remède qu'il propose et qiiî est impraticable; car la génération 'actuèlïe n'abdiquera pas ses droits en faveur de la génération à venir; mais je crois, avec l'orateur dont j'ai rapporté la prédiction lugubre que des doctrines et des intérêts contraires 'divisent notre génération en deux classes, et le seul moyen de prévenir une lutte funeste, me semble être de prouver à celle de ces deux classes ,qui. ne peut point ne. pas être vaincue, que touswses efforts ne changeront rien à la destinée. Elle peut s'épargner. 'beaucoup de^roankj, etrnqusçn; coup!, aoos nuke moindre; mais elle né saurait -réussir. ;Se$ chef eux-mêmes sont entraînés hors de la ligne qu'ils veulent suivre; les idées nouvelles les cernent.,
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les dominent, et il^sont forcés, comme le prophète juif, à rendre hommage à ce qu'ils' voudraient maudire. Le sort en est jeté, l'arrêt n'est plus révocable, et tout le passé, mis en bataille, ne triomphera pas du présent.
Une vérité constante me parait indubitable
aujourd'hui s'il est impossible de régir les peuples sans constitution, rien n'est plus facile que de les gouverner paisiblement d'après les principes d'une liberté constitutionnelle.
Beaucoup de causes de désordres se sont affai-
blies. Les trois principales, celles qui tenaient l'antiquité et les républiques du moyen âge dans une fermentation perpétuelle, ont cessé d'exister je veux parler Iodes difficultés à peu près insurmontables que rencontraient les nonpropriétaires pour arriver à la propriété; 2? des privilèges de la noblesse; 30 de l'influence des chefs de parti..
Grâce à l'industrie, la propriété est ouverte à tous; grâce aux lamières et aux habitudes qu'elles introduisent en attendant les ibis qu'elles appelmagistràture, et:alors c'est autre chose que la noblessé; enfin, grâce à l'instinct des peuples, perfectionné par une longue expérience aucune
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popularité dangereuse ne peut. surgir, dans les états modernes car ce. ne sont. plus lès individus qui sont populaires, ce sont les principes. Il y a aujourd'hui dans toutes les nations une
masse d'hommes qui veut jouir du. repos, goûter de la sécurité, exercer à son gré son industrie, développer paisiblement toutes ses facultés, et qui ne demande à l'autorité que d'avoir assez de force pour la préserver des troubles, et. assez de bon sens pour n'être pas elle-même une cause de trouble. Une douzaine d'idées simples -.et justes, que la discussion a. mises à la portée de chacun, tels sont, les étendards autour desquels se rallie cette classe immense. qui a. réfléchi sur ses intérêts et qui les entend.
Cette masse d'hommes est parfaitement indifférente aux individus; elle ne les suit que comme des guides pour marcher vers son but et s'ils veulent la mener. ailleurs, elle ne les suit plus; rien ne leur donne assez detpouvoir :pour imprimer à cette multitude pensante une autre direction. Ainsi, pendant la: révolution r on a mis certains .dogmes eh .avant. Sous! les jacobins, on eût dit.qu'Il n'y avait .de salut que. dans la république; et qu'il fallait tout i immoler la république ei -à la; patrie; mais la masse nationale a trèsi bien démêlé .que- ce qu'on nommait; la-république. n'était opas la. liberté, et que la; patrie
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se composait précisément de toutes les affécfions; de toutes les jouissances dont on exigeait le sacrifice au nom de l'abstraction qu'on désignait ainsi.. J'ai entendu, dans ce temps, les harangues les plus animées; j'ai vu les démonstrations les plus éaergiques; j'ai été témoin des sermens les plus solennels rien n'y faisait. La -nation se prêtait à ces choses comme à des cérémonies, pour ne pas disputer, et ensuite chacun rentrait chez1- soi sans se croire ou se sentir plus engagé qu'auparavant.
Pareil spectacle s'est offert sous Bonaparte. Les*
écrivains et les rhéteurs s'évertuaient à vanter le prestige des conquêtes, à célébrer l'éclat des victoires; mais la nation qui remportait ces victoires, :parce' qu'elle est éminemment brave; ne s'en enthousiasmait point, parce qu'elle est éminemment raisonnable; et ce qui prouve la sa- gacité de son jugement, c'est qu'elle s'est réconciliée avec sa gloire militaire depuis que les circonstances ont. fait, de cette ancienne gloire, une garantie pour son indépendance actùelle. ;An milieu des succès les pins capables de l'enivrer; elle n'attachait nul prix à ces succès; parce qu'ils n'avaient aucun Jîut, aucun avan- tage véritable. Au sein des revers, elle. attaché un grand prix au souvenir des succès passés, parce qu'il est bon que ce souvenir dure, afin
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que l'Europe n'oublie pas que-la France a montré ce qu'elle savait faire, et qu'il ne faut pas lui rendre. une volonté avec laquelle elle est toujours victorieuse et qu'elle n'avait plus quaind, elle a été vaincue.
Les gouvernemens actuels. ont donc àujour-
-^3'bui beaucoup moins de dangers à. redouter qu'autrefois. Il n'y. a plus dans les sôciétés po-.̃ Htiques de classes intéressées, comme autrefois, aux bouleversemens; il n'y a^plus que des individus vicieux, et la force publique a toujours bon marché des i
Les nations ne. peuvent plus être trompées sur ce qu'elles désirent; elles, repoussent les ennemis de l'ordre public, tout comme ceux de la .liber.té, et il est facile aux gonvernemens de donner aux nations ce qu'elles désirent, sans rien sacrifier de leur autorité nécessaire et sans abdiquer aucun avantage regrettable; car le vœu. des nations se. borne à trouver, sous .leurs gouvernemens, la paix, la sûreté personnelle, et ce qui garantitcette sûreté, l'indépendance des opinions, la discussion sans péril, l'administration de la justice, sans exceptions, sans arbitraire, sans lois de circonstance. Les gouvernements ne perdent rien à accorder tout cela.
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Il est, assea- curieux d'entt»drfe Louis XIV' sur
le H en fait ftipologte-, et non sans adresse.» .••̃?•̃••<. Qa doit demeurer d'accord, difc»il dans ses
m tant de. sûreté le bonheur et le repos des^ro- » vinces, que la parfaite réunion de toute l'au» tonte dans la personne du souveraine Le partage qu'il en fait produittoujours u de très grands malheurs $ et soit que: les par- lies qui en sont détachées se trouvent entre ks particuliers oa dans celles de quelHl ques compagnies, elles n'y peuvent jamais dans un état violent. Le le démembrement sansse désordres qni enâr-« j» compter tes révoltes .et le&guenrès l'ambition des puissaûs produit a n'est paë réprimées, maux du celàrr 4 $: aafeiblessev ? ..sont pro-. » fiter. Chacun » gens qui servent de ministres à leur avidité,
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leur donne en même temps la licence de les » imiter. Ainsi, de degré en degré la corrup«t tioni se communique partout, et devient égale >>en toutes les professions. De ;tous ces crimes divers, le peuple seul est la victime. Ce n'est qu'aux dépens des faibles et des misérables que » tant, de. geris prétendent; élever -leurs monst.trueuses fortunes au lieu d'un seul roi que »-;les peuples devraient avoir, ils -ont ..à la fois tyrans. m.,
Tout ce raisonnement est fondé sur l'hypothèse :que le despotisme doit toujours(être quelque part, et que s'il n'est -pas daus les mains d'un, seul, il tombera dans celles de plusieurs. Mais au lieu .du despotisme, .il, peut y avoir ujiei chose qu'on ,nomme ¡ la. liberté.' Alors il ne résulte point de ce qufc le chef suprême du pquvoir ai'a: qu'une^ autorité limitée :que les agens subalternes aieut-ce qui manque à l'a otbrité pour ètits jabsolue. Etw aussi', n'ont qu'une autorité Hantées et loin que l'oppression se dissémine et descende' d'échelon en échelon, tôus'sont;cbntenus let, réprimés. 'Louis ;'XïV; noûsrt;pernt"un gouvernement'libre comme si ;;îe 'despotisme y étaibpartottt *tk»1ibérté nulle'part? Cest'iont le
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'̃ 14.
Ceux qui ne veulent pas de monarchie' constitutionnelle répètent souvent que l'opinion tempère les monarchies les plus absolues. Cela n'est vrai qu-'à une époque très avancée de cesinonarchies, quand elles ont à la fois pour- appui et pour modérateurs les souvenirs,- les habitudes; les intérêts, qui, se groupant toujours, avec le temps autour de ce qui existe, pallient, à la longue et adoucissent les institutions les plus-défectueuses. Alors, à la faveur'de la paix publique et de la sécurité du -pouvoir, l'opinion naît, prend Ses forces, se glisse à' traversées dangers; se relèvve de mille échecs et s'érigé enfin en autorité. Les lumières, l'influence du commerce et desjfichesses, quelques corporations d'origine équivoque, mais fortes d'une longue antiquité, et faisant- avaloir, avec plus ou: moins de succès,1 :des prétentions plus ou moins vagues modèrent la puissance du monarque. Ce ne sont point là des limites légales, des bornes précises ce sont des barrières'quelquefois eflBcacesv ^nullement inviolables et toujours à la merci du hasard.
Ces-sauvegardes peuvent paraître suffisantes au premier coup d'oeil; Elles le- sont «ri1 -effet efficacité diminue en raison de l'obscurité ^des
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individus qui auraient besoin de leur protection. La raison en est simple. Lorsqu'il y a des garanties constitutionnelles, il suffit d'avertir la loi une plainte légale le peut. Mais lorsque la garantie est dans l'opinion, il faut que l'opinion s'éveille, et l'opinion ne s'éveille dans les temps calmes que pour les. hommes qu'elle connaît. Vers les dernières: années de la monarchie qui a précédé la révolution,, monarchie la plus douce qui ait existé sans limites constitutionnelles, un écrivain célèbre un magistrat distingué, jetés dans les prisons, étaient sûrs à peu près de recouvrer leur liberté, par. le. seul effet de l'opinion publique mais dix mille individus d'une condition peu: relevée est sans moyens d'attirer l'attention auraient passé quarante ans dans les fers, que personne ne s'en serait indigné, parce que personne ne l'aurait su. Nous n'avons appris les malhqurs^de Latude que lorsque, sorti des cachots, mais durant les trentesept années qu'il y. avait gémi, aucune réclamer tion ne s'était élevée, parce que l'ignorance universelle sur son sort avait mis obstacle à C'était cependant à la même époquç qu/écri-
vaient Voltaire ;et Rousseau y Lçif saienttoutes lies têtes, formaient le sujet de tçifs
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les entretiens; on discutait partout la légitimité de.la résistance américaine; l'injustice exercée contre M. dela Chalotais soulevaittous.les esprits; mais l'opinion ne pouvait réprimer que ce qui parvenait à sa connaissance.
Cette observation n'est point indifférente. Il y
a quelques années qu'un journal, écrit sous l'influence de la police impériale, faisait dire à un paysan qui était censé parler à d'autres paysans de la révolution française cc On se plaignait de » la Bastille, je ne vous en dirai rien; cela riegardait les gens de la cour. On ne nous y » envoyait pas. » On- aigrit ainsi la masse du peuple contre les hommes distingués qui demandent de -bonnes institutions politiques, en lui persuadant que ces hommes ne travaillent que pour eux, que c'est pour eux que les actes arbitraires sont à.craindre, et qu'ils ont seuls besoin des garanties de la liberté individuelle, parce. qù'ils s'exposent seuls aux ressentimens: de l'autorité. Rien n'est plus faux. Dans ces monarchies absolues > jchodérées par Popinion, la célébrité, qui est un danger, est en même temps unedéfense- tes individus obscurs paraissent moins exposés; mais la multiplicité des agens subalternes rendle péril égal pour eux, et la défense est nulle car^ lorsqu'ils sont frappés, victimes ignorées, il. ne leur reste aucun recours.
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Dans un gouvernement constitutionnel,l'ar-
bitraire est un accident contre lequel tous les intérêts sont eh armes toutes les institutions organisées. Dans une monarchie absolue, quelque mitigée qu'elle soit par l'opinion, l'arbitraire est un état habituel; c'est la condition nécessaire de l'institution..
Ce qui le prouve c'est que l'une des qualités qu'on vante alors le plus dans les princes, c est l'activité. Sans doute, quand l'autorité èst arbitraire, il est bon que le pouvoir suprême qui rie profite point, comme ses agens, des injustices de détail, soit toujours en mouvèment pour les réprimer. Les gouvernés n'ont que lui pour protecteur, que sa surveillance pour sauvegarde;. s'il s'endort. un instant, les subalternes redoublent de vexations et: d'iniquités..
Mais est-ce un état digne d'éloges que. celui dans lequel les instrumenssontsi. peu réglés qu'il faillé que la main-qui les-dirige soit sans cesse armée contre, eux? Plus une. constitution est -bonne, moins ce genre d'activité est nécessaire tout va. tout seùl^: parce que tout va bien.;
Geigne je viens de dire regarde les peuples mais, voici qui regarde Jes g'oùv'er.némens.<Toute .monarchie, absolue est près de sa chute, lorsque- l'opinion devient assez forte pour la tempérer.
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M. de Montesquieu se sert, dàns:un chapitre
de, l'Esprit des Lois, d'une comparaison. qui était plus exacte qu'il ne le croyait lui-même
Ut esse Phœbi dulcius lumen solet
damjam cadentis.
Il faisait allusion à la douceur de la monarchie
d'alors. L'événement n'a pas tardé à démontrer qu'en effet c'était Phœbi lumen jamjam ca-^ dentis.
Des barrières constitutionnelles peuvent être
stables, parce qu'elles sont fixes; mais l'action de l'opinion livrée à elle-même est aggressive de sa nature, et finit par détruire ce qu'elle a commencé par limiter.
Il faut donc des constitutions il en faut pour
les peuples comme garanties, il en faut pour les gôuvernemens comme moyens de durée.
Il y a des gens qui ont sur la stabilité des idées
singulières.
« Les Chinois, dit un auteur qu'on a essayé de
rendre célèbre (i), sont le peuple dont les annàles remontent le plus haut, et dont lès anciënnes habitudes se rapprochent le plus des
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» moeurs patriarchales. C'est le seul où nous trouvions le gouvernement tel qu'il était il y a » trois mille ans; c'est le seul où la marche et.le résultat des révolutions soient absolument les » mêmes.
» Sur vingt et une dynasties précipitées du
n trône, dix-neuf l'ont été ou par des princes » tributaires devenus trop puissans ou par des » sujets audacieux qui profitaient du méconten» tement public. La chute de la première dynas» tie a même cela de remarquable, que le sujet » porté au trône par le voeu- général, né se servit d'abord de son pouvoir que pour rendre la cou'» ronne au monarque légitime. Kia, sansprofiter de cette lecon, s'étant de nouveau abandonné à tous les vices, une seconde révolution M-donna encore une fois la couronne à Ching» Tang. Le monarque détrôné finit sa vie en » exil Cette révolution qui se fit en faveur de » Ching-Tang, presque malgré lui, n'avait dé» placé que le monarque sans touchera là monarchie. »
L'auteur rappelle ensuite l'élévation dela cin-
quième :dynastie, fondée par Lien-Sang, chefde brigands; de la huitième, fondée par Lien-Vu, cordonnier; de la quatorzième, commencée par Chu-Veu, chef devolenrsf et deJa viugt-unième,
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établie par Chu, Valet d'un monastère de bonzes, à l'exclusion des descendans de Gengis.
Il observe, en parlant de cette dynastie tar-
tare, que son triomphe fut marqué par tous les désordres qui accompagnent et suivent de » grandes conquêtes; que la résistance des Chi» nois avait été longue et sanglante; que la mort de plus de cent mille hommes, celle de tous » les membres de la famille impériale, tombés sous le fer de l'ennemi ou victimes volontaires » de leur désespoir, avait signalé cette terrible >j révolution mais qu'elle finit au moment même de l'arrivée du vainqueur dans la ca» pitale. »
Enfin, il prouve, parties faits nombreux, que,
dans ces évèriemens rien ne changeait si ce ri-est^ dit-il, la race régnante.
Cette observation, contratre-4-ilj suppose,
m 'par une telle identité dé faits un principe v toujours subsistant toujours indépendant dâi 'et passagère d'un tain'quèW étranger -et, au ïëtbur trop fréquent de ^àimes nationâta faisait toujours contribuer
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» soit., a.,pius de tendance au.- bien. qu'au mal; » que lorsqu'il fait le bien, c'est son régime ha» bituel, c'est son état de santé; que lorsqu'il ,». fait le mal, c'est une maladie dont il est at» teint; que, d'après cela, toutes les fois qu'on » veut l'attaquer,. ou même l'entraver, on.s'exM pose beaucoup plus à des chances, dangeM reuses qu'à des. chances favorables; que,. par conséquent, le meilleur moyen de diminuer » le danger des premières, est, puisque les vices » de, l'humanité doivent amener des révolu». tions, de. ne faire porter les changemens que » sur les personues en conservant les insti» tutions.
Cet antique attachement des Chinois au
» pouvoir qui les régit est bien constamment » inhéreut au pouvoir même, mais se trouve tout à coup reporté sur la famille qui en est » .revêtue. Quelque récente que,soit son élévartion, elle. reçoit des témoignages de. fidélité, » ,.tels que,:dans notre ;Europe, quelques. nations » en ont .donné à leurs anciennes races .royak-s. » II semble que, ce peuple soit persuadé quil ne » .doit Son bonheur qu'à la stabil7té.de.spn:gpurwvernement seul; qu'iL est avantageux pourJui fi ..h de garanti cet de.défendre .tout ce .qui le main» ,tient il le, regarde comme étant réellement :< .une propriété nationale qu'ilcpnse^ve soigneu-
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» sèment dans toute son intégrité, même au mi» lieu des mutations de ceux à qui il en donne, il en ôte, il en laisse prendre l'usufruit.
» L'honneur de cette stabilité appartient aux
» sages législateurs, aux profonds moralistes qui ont plus en vue les principes que lés individus. » Cette tranquillité, qui est le fruit des antiques
habitudes, des mêmes pratiques -journalières, » et qui distingue si particulièrement' lé peuple » chinois, est en même temps ce qui garantit son » existence politique au milieu dés révolutions » parce que c'est elle qui, même après les plus grands troubles, assure au gouvernement une » action prompte, forte universelle, exercée par » les personnes sans leur être inhérente^ ne » changeant point avec elles, et reprenant^ après v une interruption momentanée, la même marché sur les mêmes choses, avec les mêmes moyens. C'est ce qui fait qu'en Chine les révolutions » sont comme les orages: la tempête 'passée', 'on » voit quelques individus de moins; ont en; voit » d'autres occuper des places dont ils semblaient » éloignés; mais, du reste, aucun' changement » sensible!^ > ̃̃ V'- ̃ ̃ »̃̃ Pendant que les divers états de FEuropé »: semblent successivement condamnerai toutes » les vicissitudes humaines, il est curieux de voir » un peuple riche dé la fertilité de: son- sol; de la
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M beauté de son climat, de l'immensité de sa population, suivre ses plus anciennes lois M concentrer ses révolutions sur quelques indi»
jD'après ce principe, il faut soutenir le gouver-
nement sitôt qu'il existe, et, légitime ou illégitime, il ne faut pas même vouloir l'entraver. C'est à ce principe,suivant l'auteur de la Théorie des Révolutions^ que les Chinois doivent leur bonheur (on a,vu quel était ce bonheur au milieu désdétrônemens et des massacres);, car ils le doivent à la stabilité de leur gouvernement seul, propriété nationale, qu'ils conservent dans toute son intégrité, au milieu des mutations de ceux à qui ils en donnent, ils en ôtent ils en laissent prendre l'usufruit,. ̃•̃
.Si l'on ne connaissait, d'ailleurs, par le,reste du livre les opinions de l'auteur, on pourrait entrevoir ici le dogme de la souveraineté du peuple, puisque le gouvernement est une prodont le: ôte .ou Mais qu'on se, rassure; l'auteur, ne .veut point la souveraineté de peuindifife'rerit, comme oojvoit, k. fXjtpie.ieSi dynasties tombent,: ce qu'il ;gent c'est la> stabilité des institutions.
surtout, que l'esprit de
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parti domine, sont enclins à s'enivrer de certaines phrases, à s'enthousiasmer pour certaines formules pourvu qu'ils les répètent, peu leur importe le fond des choses. Deux ans d'une servitude horrible et sanglante n'empêchaient pas nos gouvèrhans de dater leurs actes de l'an quatrième de la liberté. Vingt révolutions^ vingt changemens de dynastie, et cent mille hommes égorgés tous les cent ans n'empêchent pas l'auteur de la Théorie des Révolutions de-vanter'la stabilité des institutions chinoises; Cétte stabilité n'existe pas pour les gouvernés, puisqute'ïes gouvernés sont périodiquement proscrits j chassés massacrés en g""ud nombre; au moins Tzné: fois dans chaque siècle, l'avènement de chaque usurpateur qui fonde sa dynastie. Cette stabilité n'existe pas non plus pour les gonvemans, puisque le trône est rarement le partage de la' même famille pendant plùaeurégériérations; mais' cette stabilité existe pour les institutions, et c'est < la ce qu'il admire.. Il voit, tout an plusv dans le reste quelques individus de moins. On dirai que la stabilité des institutions est le but unique, indépendamment du bonheur des hommes, et que rois et peuples, sujets: et souverains, rie sont ici bas que pour être offerts en holocauste à la stabilité des institutions. Je me suis -arrêté sur cette théorie, parce qu'il me semble utile de
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démontrer que toutes les. doctrines extrêmes se touchent. Celle de la stabilité des institutions, lorsqu'on la transforme en une abstraction métaphysique à laquelle on veut tout sacrifier, est aussi dangereuse qu'aucune autre.
De" nos jours, le peuple s'est mal trouvé de
s'être laissé conduire par ceux qui, exagérant les principes de la liberté, l'ont immolé à ces exagérations et l'ont rendu au nom de la liberté, misérablement esclave. Les souverains se ;trouveraient -également mal de se fier à ceux qui, saisis d'un respect fanatique pour la stabilité, .regardent les'malheurs des individus et des races régnantes comme un léger accident au prix duquel la stabilité n'est pas trop payée, et qui, après avoir reconnu qu'en Chine il ne s'est guère passé un siècle sans que cet, empire ait subi des guerres civiles, des'invasions, des démembrement et des tconquêtes, et après avoir avoué que ces crises: terribles exterminaient cha- que fois,des générations entières, ne* s'en écrient pas moins Honneur à la profonde sagesse qui a écarté de la Chine, toute nouveauté danger reuse ( i) Je serais curieux de savoir ce qu'aurait produit de plus fâcheux une nouveauté.
Esprit de 1'Histoire, ch..dela Chine.
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16.
Il y a des époques de l'histoire où. l'homme
parait jouir de la plénitude de ses facultés. Il les applique avec un égal succès à toutes les situations dans lesquelles il'se trouve. Les arts, les professions, les talens, ne sont pas des sphères tellement séparées, qu'il lui soit interdit de passer de l'une à l'autre. Suivant les circonstances, le même homme combat pour sa patrie, et chante ou raconte ses combats. Le guerrier reste citoyen, l'orateur oa le philosophe ne recule pas devant le danger et la gloire des armes.
C'est particulièrement ou même uniquement daus les états libres que se fait remarquer cette application rapide et variée de toutes les facultés à tous les besoins. En Grèce; nous voyons Socrate, interrompant l'étude paisible de la phisophie et l'instruction de la jeunesse nombreuse et docile qui se pressait autour de lui pour recueillir ses leçons, et marchant comme soldat à la bataille de Potidée ou défendant à la tribune les généraux accusés après le combat des Arginuses. Périclès se montrait tour à tour homme d'état, orateur. et général. L'auteur de. Pmmétkée combattait i Salamine, et celui d'OEdipe à Colonne était archonte. A.Rome, Cicéron protégeait la république contre Catilina, gou-
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vernait des provinces et composait les Tusculanes. César était à la fois l'un des Romains les plus éloquens> le plus habile des chefs militaires, le plus élégant des historiens; enfant parricide qui devait son éclat à la liberté qu'il détruisait.
Quand la liberté n'existe plus, l'espèce humaine
prend une autre face. Une sorte de division en castes s'introduit dans l'intelligence, comme dans l'organisation matérielle de l'état social. Chacun perdant de vue le but général, l'utilité publique, et se renfermant dans son intérêt, se consacre à la profession qui semble lui promettre des succès plus certains et plus faciles. L'écrivain s'abstient d'agir, le guerrier de penser, l'homme d'état d'écrire. Il en résulte une absence d'idées générales et un perfectionnement de détail sur lequel le despotisme s'extasie, et que les collaborateurs subalternes du despotisme, dans la hiérarchie de bassesse dont ils su distribuent les degrés, célèbrent àiTenvi comme une admirable découverte.
Que le paysan laboure, que le fabricant fa-
brique, que la femme file, que le prêtre psalmodie, que le soldat tire des coups de fusil; que chacun enfin fasse son métier, est la devise du pouvoir, lorsque le pouvoir veut opprimer les hommes. Ainsi, chaque faculté, restreinte
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et mutilée, est attachée à une opération mécanique, comme ces animaux condamnés pour toujours à un travail circulaire, et qu'on tient dans les ténèbres pour qu'ils ne voient pas ce qui se passe autour d'eux. En agissent ainsi, le.pouvoir absolu sait bien ce qu'il fait. Morcelé de la sorte, l'homme ne se défend plus; il, n'j a plus que des instrumens, entre lesquels aucune correspondance commune n'existe et qui suivent, passivement l'impulsion partielle que la main de l'autorité leur imprime.
Plusieurs gouvernemens avaient travaillé, et plus ou moins réussi à réduire leurs sujets à cette situation. Heureusement des génies supérieurs, parcourant l'espace comme des comètes excentriques, et violant les règles, dérangeaient de temps à autre cette symétrie égyptienne, malgré les efforts et la désapprobation des hommes d'état qui leur criaient sans cesse De quoi vous mêlezvous? ce ne sont pas vos affaires.
La révolution a éclaté; et, de quelques dé-
sastres que la témérité de l'Europe et notrepropre imprudence l'aient accompagnée, elle a eu cet important avantage que sa violence même a rompu les compartimens factices au moyen desquels on parquait les hommes poûr les gouverner. L'immense majorité_de la-nation a senti que non-seulement elle avait le droit de parvenir
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à tout, mais qu'elle possédait aussi les facultés nécessaires pour que le fait consacrât le droit. Des généraux sortis des comptoirs et des études ont fixé la victoire sous leurs étendards; dés négociateurs, ignorant les traditions d'une diplomatie surannée; ont représenté dignement la France; des ministres n'ont pas dédaigné d'être écrivains; des écrivains sont devenus -ministres à cause de leurs talens littéraires qui en indiquaient d'autres; des' hommes brillans de la gloire des armes ont pris placé au rang dès orateurs et, en dépit des prédictions sinistres, précisément parce que chacun n'a pas fait uniquement son métier, tous les métiers ont été bien faits.
FIN.
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ERRATA.
La précipitation avec laquelle j'ai, été forcé de corriger les épreuves, jointe à la faiblesse de ma vue, ont
laissé subsister plusieurs fautes d'impression.qui dé-
figurent le sens. Le lecteur est prié de,lire les indi-
cations suivantes qui les rectifient.
Page 30, ligne ao, préjuges liscs progrès
54, 17, ses vérités lisez des vérités
7G, 28, le despotisme, ajoutez ancien
82, 33, des peuples, lisez d'un peuple
86, 17, amenée, lises ramenée
103,- 9, qui 8e crée, lisez qu'il se crée
105, 33, ses ennemis, lisez ces ennemis
i3i, t, s'emparaient, lisez s'empareraient
148, 9t, légitime de défense, 6tez de
161, 20, quand vous pensez, lisez pouvez
163, 20, sophisme, lisez sophisme»
x83. ai, et de M. de Maltigaes 6tez de ̃
187, 14, caractère décidé, lisez un caractère
ig3, a8, les auteurs, Usez les acteurs-
307, 33, regardée, lisez regardé
207Y 34, un de ses actes, lisez nn des actes
309,- 19, qn'il envoya, lisez que ce dernier envoya
212, 6, nos lecteurs lisez an lecteur
216, a8, en soupçonner Jtez en
333, ig^' «oqdanme, lisez condamne
95o;' 31, et qui corrompra peut-être ce respect que nous'
exigeons dn gouvernement pour les droits des
pères. On objecte que les classes, etc., lisez
et qui corrompra les individus en les obligeant
à l'éluder. On objectera peuMtre à ce respect
que nous exigeon's du goavernement pour les
droits des pères, que les classes; etc.
373, 6, des vices, lisez à ces vices
375, at, des poètes, lisez du. poète
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Page 338, ligne to, de lcnra représenteras lisez commettant
348, 6, son admiration à ce qui est atroce et il ce qui
est légal, lisez son admiratioWà ce qui est
atroce et son mépris à. ce qui est légaL
3g3; 3, infailiHes lisez infaillibles
4 >4> 26, que ce puisse être, lisez qn'iIs puissent cire
4a9i '6> dans, ce cas, lisez dans ce sens
436. 3, offcaut aussi, lisez ainsi
44a, a8, en donnant, lisez en créant.
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TABLE
ANALYTIQUE ET ALPHABÉTIQUE
DES MATIÈRES.
A
Adrien. Aimait à se moquer des philosophes qu'il proté-
geait, 25.
Alexandrie. Influence du séjour des Juifs à Alexandrie,
sur leur religion, 5yi.
Amérique. N'a point de religion ni de clergé qui domi-
nent, 125, I26.
Amida. Idole dont les adorateurs se font écraser, en se
jetant sous les roues de son
char, toi.
Amour, chez les Allemands et chez les Français, 286.
Anaxagore, 110.
Andronicus (Livius), 2.
Angleterre, 28, 79. La domination de son clergé, 123.
Admiration de madame de
Staël pourla constitution an-
glaise, igg. Nous vaudrons
mieux que les Anglais avec
des institutions libres 200.
Antioclats, 9.
Antoine {Marc-), 14, 17'
.lpellicoa de Théos, ro.
Appâts, 43.
Aristote, 14, i5, 1 10. Son pnn-
cipe exagéré par les sectateurs de Locke, 21 5. Ne croyait pas qne l'esclavage pût être aboli,- 4°o.
Arnaud (le Grand). Persécuté par Louis XIV, 204.
Assemblée constituante, '52, ig4-
Assemblée législative, 55. Wstrologie. Beaucoup de personnages éminens du 17e siè- cle y croyaient, 514.
faitement libre chez enx,24.2 Athénodore, 10.
Atticus, i5.
dttila, tragédie de Werner, .282.
Auguste, 17, 19. Exile Ovide, 209. Que son despotisme' n'est point la cause de l'éclat dont la littérature brilla sous son règne, 227.
Aurèle (Maro-). Son système sur l'empire de l'homme sur lui-même, 5g6.
Autriche, 80.
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B
Barthélemy ( massacre de la Saint-), 201.
Bastille. Qu'il n'est_pas vrai qu'on n'y mettaitque les gens
de la cour, 4^9-
Bavière (roi de), 8 t.
Bedford (duc de), 45.
Bellart, i55.
Bénarés, ii2.
Benliuan (Jërémie). Son objection contre la notion des
droits, i44> il,5.
BerlichingenlGcetzde), tragédie de Gœlhe 260. Épisode
dans celte tragédie, 274.
Bernadotte, 85.
Bltaguat Gita. Sa morale intotolérante et cruelle, 384.
Bialystpck^âistpcxàe). Enlevé par la Russie la Prusse
son alliée en 1807, 8i.
Bible. Son Astronomie et sa Physique, 104.
Boncdd (M. de). Fluctuation dans ses pensées entre l'a-
mour du passé et des conces-
sions involontaires envers le
présent, 445. Ses contradic-
tions sur Bonaparte, 446.
Bonaparte, 29, 46, 77, 797 80,
84. Sa persccution contre
madame de Staël, 207. Clas-
sique, en sa qualité de des-
pote, 293. Contradictions de
M. de Bonald sur lui, 446.
Bossue t, 226.
Bouddlzistes, proscrits et ban-
nis de l'Inde, 585.
Bourbons, 88.
Bourdaloue, 256.
Brames, 112. Sontpersécutés
et leur dieu privé de son
culte, 585.
Brumaire (le i8)_, 77.
Brunswick (Christian de), gé-
neraldans la guerrede trente
ans 258.
Brutus, i5, 16.
Burdet (sir Francis) 45.
c
Canning, 43, 126.
Carnéade,Jb 5.
Carrier, 456.
Cassius, i4-
Castlereagh, t53.
Catholique (le), journal. Significations opposées que ses au-
teurs donnent son titre
suivant que cela leur con-
vient, i"56, 137.
Catilina, 16.
Caton (l'Ancien), 2, 5, 10.
Caton d'Utique, 10. Trouve sa consolation dans la phi-
losop hie platonicienne, i5.
Est loué deux fois par Ho-
race, 254; et pîacé dans
l'Elysée par Virgile, 256.
Catulle Ennemi deCésar, 22g.
César, 6, 16, 21. Épigrammes
de Catulle contre lui, 229.
Écrivain plein d'élégance,
230. 'Le plus éloquent des
orateurs, le plus habile des
généraux, le pins élégant
des écrivains, 470.
Charles Ier, 46. Ses prétentions.
et sa doctrine du dreitdivin, 1
causes de ses malheurs, 553.
------------------------------------------------------------------------
Charles II; roi d'Angleterre. Sa duplicité, 337. Tristes
résultats pour lui-même de sa
conduite fausse et tortueuse,
ibid.
Charte (la), 91..
Chateaubriand, 87, l53.
Chénier, classique à la fm de sa carrière, 294.
Choeurs dans les tragédies Chosroès, roi de Perse qui ne voulait traiter avec ses enne-
mis que s'ils rendaient Hom-
mage à ses dieux ,383..
Christianisme. Causes humaines de son établissement,
354. Adopté du temps de
Trajan parles classes supé- Chrysippe, 22.
Cicéron, 3, ro, i3. Préféraitla nouvelle académie à tou-
tes les autres sectes, 1 5. Élé-
gance soutenue de Cicéron,
a3i. Polythéistes orthodoxies
qui voulaient qu'on brûlât
ses livrés, 3S9. Gouverneur
de provinces, orateur, et
auteur des Tusculanes, 470.
Civilisation. Qu'elle remédie à
ses propres inconvéniens
i5g.
Claude, 21.
Comte (M.), auteur du Censeur
européen,. 129.
Condorcet, sur l'éducation,
^241,257.
Convention, où, 78.
Copernic. Fait avancer l'es-
pète humaine par sesdécou-
yerles, 4pr.
Corinne (roman de) pac ma-
dame de Staël, ,172.. Ouvrage
d'une haute morale* par son
résultat, 17.5..
Corinthe,9.
Cosaques, 80, 85.
Crassus (Publias'), 5..
Cratippe, 10.
Cretois. Éducation en Gréte,
242. Les Crétois, le peuple
le plus féroce et le- plus cor-
rompu de la Grèce,, ibid.
Crilolaûs,, 4»..
tère, 536: •
126.
D
Diodote, 10^
Diogène, 4,1 s6«
Dodone. (prêtres de), 109..
Dogmes, politiques, mis en avant durant la révolution,
454.
Druides, 112..
Dumont (M.) de Genève, colla-
borateur et traducteur de
Bènthamj dfî.
Dunoyer (M.), auteur du Cen-
seur européen, et d'autres
ouvrages, 128. Son livre sur
l'industrie et la morale dans
leurs rapports avec-la liberté,
i5o. Son opinion que les
vices, des gouvernçm'eJis.pro-
viennent. des nations, iôo.
Adopte le système. dè.Bén-
thàm, partisan de
la distraction, des raqcs, ibid.
Réfute très bien.' Rousseau
et. Màbly sur l'état aau-
vagé, i52.
------------------------------------------------------------------------
E
Éducation. Droit du gouver- l^nementsur Faits probablement faux: sur
l'édncation, 24 1. Utilité-de
l'éducation publique, 250.
Égypte (prêtres de l'ancienne), 106, 124.
Égyptiens. Leurs sacrifices hu- J mains, 119. Combien impar-
faitement connus, 242.
Eldon (lord), 45.
Ennuis, 2, 230.
Épictète, 22. La puissancequ'il veut que l'homme exerce
sur lui-même n'est autre
.chose que la suprématie des
idées sur les sensations, 396.
Êpicure, 5, 19.
Eschyle. Sa trilogie de Promê-
thée, 260. Combattant à Sa-
lamine, 46g.
\Escfavageio5^
Étrusques, 2.
Étymologies. Leurs inconvé-
niens, i55.
Et,. mère, 3.
F
Féodalité, g5. A duré près de 1200 ans, 4o5.
Fe^dinand'IL, empereur, 273. Sa vénération pour les prétrès, 519. Ses parjures envers ses peuples, 320.
F^rrand (M.), auteur de l'Esprit, de l'Histoire, et de la
Théorie des Révolutions,
46i. Admire la stabilité des
Chinois, ibid.
Fescennins (vers), 2.
Fétichisme, xi, 120.
Fox. (caractère de M), 522..
Tous les amis de la liberté. ]\
sortent de son école, 529. -j j
Francois I", faisant brûler les
hérétiques à petit feu, 201.
Fausseté de la- réputation V
qu'on lui a faite, 432. il
Frédcrric-Guillaume, roi de..
Piusse, 8 1.
G
Galère, persécuteurdés chrétiens, et lés invitant à prier
leur dieu pour lui 376.
Galilée. Ses découvertes un moyen de perfectibilité pour
l'espèce humaine, 4°
Gaule, 112.
Godwin. auteur de CalebWilliams de Saint-Léon, de FInquirer et de la' Justice
politique, 211. Exagère les
principes de Locke, 2 15. Sa
métaphysique fausse et eomr
mune ili. Sa morale défec-
tueuse, 214. Sa partie poli-H
tique seule importante, ,:115.
Qu'il a tort de dire que le^
gouvernement est un mal,
ibid. Son mérite, une grande
sagacité et un amour pas-
sionné de la vérité, 220. Est))
grand ennemi des, révolue])
tions, 222.
------------------------------------------------------------------------
Goethe, le premier poète de l'Allemagne, 26o.
Grecs, 2, 108, n5.
Grecs modernes, i3q.
Grey (lord), 43.
Guer.re de trente ans, une des, époques les plus remarqua-
bles de l'histoire moderne
255. Intéressante par l'es-
prit.militaire qui la carac-
térise, 257. Sujet de beau-
coup d'ouvrages allemands,
tant historiques que drama-
tiques, ihiâ.
H
Haiti. Le gouvernement de cette Me prouve la perfecti-
bilité de la race nègre, i49~
Hébreux. Le seul peuple qui eût conserve une conviction religieuse, lors de la chute
du polythéisme, 568.
Helvétius, distingue entre l'éducation proprement dite. et
celle du monde, 24i.
HiéropoUs, 112.
Holland (lord), 43.
Homère, son polythéisme, 108,' tiô, n8.-
Horace, 19, 229. La licence et
l'obscénité de quelques-unes
de ses poésies ne tiennent
point à la grossièreté"de son
siècle, qui était au contraire
parvenu à un haut degré de
raffinement 23 1. Amide la
liberté dans sa jeunesse, 223.
Ne se résigne qu'avec regret
à être le flatteur d'Auguste,
et cherche toujours la retraite
235. Vante les grands hom-
mes ennemis de la tprannie, il
ibid. 'I
Huss (Jean). Son supplice, a55.
l:
Ilotes. Voyez Sparte.
Inde., 112.
'Industrie. Son origine, 98. Sa progression, 99. La supério-
rité qu'elle acquiert sur la
propriété foncière, gg, 100.
Italie. Union de la superstition
et de l'incrédulité-dans cette
contrée, io3.
J
1 Jacques I", roi d'Angleterre, 33o.
Jacques II, roi d'Angleterre. [I terie, causes de sa perte, 341. Jongleurs, 112-
Juillet (le 14), 75.
Julie, 55.
Jutvus (Cassius) 24 ̃
Juvénal. Incrédulité univer-
selle attestée par ce te,
125.- Ses défauts littéraires
tiennent à son indignation
contre la corruption, effet de
l'esclavage, 238. Ses'vers
sur. Jes Ombrites et les Txn-
tyrites, 385,
------------------------------------------------------------------------
K
Klephtes, leur barbarie, i3g.
Kolzebue. Son Gustave Vasa,
276.
L
Lacédemoniens. Êducationcbez ce peuple, 242.
La Fontaine. Sa chauve-souris, 137-
La Harpe. Ce qu'il dit des loups marins, 444-
La Mennais (l'abbé de), 158. Las Cases. Ses Mémoires, 84. Latude. Ses malheurs ignorés Jusqu'à sa sortie de la Bastille, 458-
LêonX, 105.
Lélius, 7. Protecteur de TérenCC, 251.
Lépide, 17.
Littérature. Ses rapports avec la liberté, 225.
Locke, exagère le principe d'Aristote, qu'il n'y a rien
dans l'intelligence qui n'ait
été dans lès sens, 210.
Louis XI, 201.
Louis Xul. Domesticité de la noblesse commençant sous
son règne, 206..
Louis XIY, go, 97. Son
ses guerres et ses pcrsécu-l;
tions préparèrent la révolu
tion française, igS^Saréyo-
cation de l'édit de Nantes, JjJ
201. Persécute Arnaud, Pas-
cal, Fénélon, Racine, 204,
226.. Ses atrocités contre les
protestais, 429. Son ,anolo-
Louis XJTT,S6.
Louis XVia, 86. jj
Lucain. Son amour pour la li-\
berté, 258.
Lucile. Poète satyrlque Avant
le siècle d'Auguste, 25o.
Lucrèce, 3, i3. Mort avant le
règne d'Auguste, 22g. Quel-
que rudesse dans son style,
25l.
Luther, io5. Sa secte remplace
celle.de Jeaa Ruse, 255.
M-̃•
Mabr (l'abbé de). Ses absurdités sur l'état sauvage, i5a.
JUaistre (M. De), i58.
MansfieÙ, cèWove condottieri^ 253,299. -̃ ̃̃
MassiZlon, -226.-
Maxarui fJe^cardmal). Jiemé-. pris- qu inspira sa duplicité
jlîune des causes .éloignées de
'[la révolution française,' 195.
Mécène,. 18.
Miguel (don) 79.
Montesquieu. Ses preuves en
faveur de la Gymnastique,
243."Son opinion sur lesjnb-
narchies modérées ,.46*
Mfùse. Distinction
sa doctrine et celle idu^açer-,
doce juif, 369.
Mumndus, 9.
------------------------------------------------------------------------
N..
%Watties (révocation de Inédit il de), cor.
Néaraue, 10.
Necker (M.) Attachement passionné de sa ,fille pour lui,
i7o. Vertus de M. Necker et
vénération qu'il inspirait à
cetUMjnile connaissaient,
Néron,. 31, a£.
Newton. Ses découvertes sont
un pas dans la perfectibilité
de J'espèce humaine, 401.
Nü Sacrifice d'une vierge dans
ce fleuve, 1 19..
Noblesse, 96.
Nvana,. 2.
Octave (Auguste), 16;
Odyssée, 2..
Omar, io3.
Orléans (dacd'), 85.
Ovide. Exilé parAugnste,2og, 229. Très inférieur Horace
et à Virgile ,.232.
Oxenstiern chancelier de-
Suède, 272.Son influence sur
l'Allemagne, 3i^.
O^Trin^ue (habita nsd'). Leurs
guerres pour des animaux
sacrés, contre les habitans de
Cynopolis, 383.
P
jl] Parlement anglais, 46..
Paterculus(Felléàts).¥hOear de Sdjan loue Cicéroa,o38.
Paul ( saint ) dit que Dieu
proportionneses instructions
à l'état de J'horame, 386.
Pays-Bas (prince des), 65.
Perfectibilité de l'espèce hulnaine, 387. Son germe est
dans la puissance du. sacri-
fice, 5g8. Jfest autre chose
e la tendance vers l'ega-
108. Somme ,d'état, 1 orateur et général, 469*
Perte, 129. Corporations sa-, cerdotales qui, en Perse, prê-
taient leur appui au despo-
tisme, id Combien nous
connaissons. peu les Perses
romain. Son amer-
tume -et: son obscurité-, cau-
sées par là compression de la
tyrannie, s38.
PhiUppe-U-Bèl, faisant brûler.
Philosophie, i.'
Pindare, 116. ̃̃'̃̃̃̃.
329. M
Ptàton, 16. • "̃?/'
Plante,; séparé de Tdreocepar
un intervalle de38ans, 2,3 1.
Pline le Jeune ,.le-âernierécri-
vain distingue deRome, 209.
Phdarque, 1 6. Nous a transmis
les raisonnemeas des défen-N
se= orthodoxes da poly-
théisme, ;358., • ̃̃̃ •
Polythéisme 108,. 121. Ses,
------------------------------------------------------------------------
perfectionnemens, 121. Sa
chute, 122. Grossierdans Es-
chyle, parvenu au plus haut
point de perfection dans So-
phocle, déclinant déjà du
̃ temps d'Euripide, 554- Deux systèmes de ses partisans lors
de sa décadence, 557. Causes.
qui rendaient sa. chute iné-
vitable, 362.
Posidonius, io.
Prétentionsd'une nouvellesecte quis'opposeaulibreexamen, 1 57.Celtesecteplus présomptueuse que ceux qui combat-
tent cette liberté au nom des
révélations, 158. Ses adeptes
ont depuis quelque temps la
velléité de se constituer ins-
pirés, 161.
Propriété ( foncière). Ses rap-
ports avec l'industrie, 99
ioo. Nécessité de sa division,
4i6. Qu'elle est aujourd'hui
un rang secondaire, au-
dessous de la propriété in- j
dustrielle, 4^i.
Protestantisme: Cequ'il disait 1
à ses partisans, comparé à ce
que le catholicisme dit aux
siens, 106. i
Prusse, Si. Lois récentes de la
Prusse, favorisant la divirji
sion des propriétés, 425..
Pythagore, 2, i/f, i5, 27..
Pyrrhon,, 14.
Q
QuinGUen, 23s.
R
Racine, ne nous apprend de Phèdre que son amour pour
Hippolyte; d'Oreste, que
son amour pour Hennlone,
268. Inconvénient de la né-
cessité des récits, prouve par
celui de Théramène, 285.
Raynal (l'abbé). Ses déclamations sur l'état sauvage, x5a.
Religieuses (idées). De leur développement -progressif, g5. Religion. Qu'elle suit une marche régulière et progressive,
̃ ioo.
Restauration. Ge qu'elle aurait dû faire, ce, qu elle n'a pas fait, 86, 92.
Révolution française (considé- 1 1
rations sur la), par Mne de j!
Staël,. 189.
Richelieu (le cardinal de),
rune des causes'de la révolu-
tion française, ig5, 201.
Romains, i. Leur culte, étrus-
que d'abord, devint grec en-
suite, 119.
Rouiseau (J.-J.). Ses exagéra-
tions sur l'état sauvage, i52.
Sa philosophie, l'expression
d'un état maladif de la so-
ciété, i55.
Russie, 80, i58.
s ̃̃̃••
Sacerdoce grec. Sa lutte contre philosophie, Il
Salluste, déserteur de la cause
de la liberté, 200. Son style
mêlé d'expressions grossic-
rcs,35i.
------------------------------------------------------------------------
Salut public (comité de) ,55. Sauvage (état) stationnaire, 93. Saxe (roi de), 81.
Schiller, auteur de Wallstein 260. Sa Jeanned'Arc, 275.
Sa Fiancée de Messine, 278.
Son Guillaume-Tell, 280.
Schiven. Haine de'ses adorateurs contre ceux de Wich-
nou, 383.
Sciences (leur marche progressive), 97.
Scipion, 7. Protecteur de Térence, 231.
Sénèque, 22. Son stoïcisme et son courage tardif, 24.
Sévig7ié,65.
Shakespear. Différence de son Richard ni et du Poly-
phontedeMérope,27 1 Scène
des assassins de Banco, dans
Macbeth, comparée à celle
des assassins de Wallstein,
dans Schiller, 285..
Shastabade recommande l'intolérance et la violation de
tous les devoirs envers les
infidèles, 584..
a distingué avant ir! M..Dunoyer la liberté propré aux anciens, de celle qui ̃>̃̃ convient aux modernes, 1 56. Smith ÇJdam), surl'éducation, .248. • ̃̃̃ ••
Socrate, 1 10. Instruisant la jeunesse, combattant à Polidée, plaidant la cause des: accu-
auteur tragique et archonte, 469.
1 1 Sophocle démagogue, condamné nom-avoir voulu sou-
mettre les philosophes, à l'au-
torité, 252.
Spafxeld,\t.
Sparte (ilotes de), 97.
Stabilité. Singulier enthou-
siasme de quelques hommes
pour la stabilité, indépen-
damment des individus, des
dynasties des rois et des
peuples, 466.
Staël {madame de). Son carac-
tère, i65'. Sagénérositépour
les vaincus de tous' les par- 1
tis, i65. Ingratitude de plu-
sieurs de ceux qu'elle a sau-
vés, 166. Services qu'elle a
rendu ML- de Talleyrand,
168. Sa notice sur la vie de
son père, 1:71 Son romande
Corinne, 173. Morceau élo-
quent dans son ouvrage sur
la littérature, 187. Ses con-
sidérations sur la révolution
francaise, 189.. Ses dix aïs-
nées d'éril; 207.. Persécution
barbare de Bonaparte contre
elle, 208. Son amour pour
la France, 209. Préfère l'a-
ristocratie au gouvernement
d'un seul, 19S. Son admira-
tion.pour la constitution:an-
glaise, 199.
Stoïcisme.. Philosophie domi-
nante Rome, 22. Tous les
grands écrivains s'y réfu-
gientsouslesempereurs, 208.
Suétone. La.haine des tyrans
l'élève au-dessus de sa mé-
diocrité naturelle, 208.
Superstition. Combien natu-
relle à l'homme, 264..
S,rlla, 10.
T
Tables (livre des douze), 5.
Tacite. On aperçoit dans ses
beautés mêmes l'état d'irrita-
tioa dans lequel laservilude-
------------------------------------------------------------------------
avait jeté toutes lés âmes
nobles et fortes a38. A fait
un roman sur la Germanie
Templiers, tragédie française.. Pourquoi l'auteur a dû l'ac-
compagner de notes histo-
riques, 270.
Tentjrrites: Leurs guerres contre les Ombrites, 383.
Térence. Mort un siècle et demi avant César, 200.
Terreur. Nom sous lequel on désigne te régime révolu-
tionnaire, 343.
Thécla, .fille de Wallstein. Enthousiasme que ce person-
nage de la tragédie de Schil-
ler excite en Allemagne
a86.j5on caractère compare*
celui des héroïnes fran-
çaises, 289.
Théisme, 122.
Théocraeie, g/ Sa durée in-
connue, 4o5. Plus longue que
celle de l'esclavage, iffid.
Thermidor (le g%, ?6..
Thraséas, 24.
Tibère, 17,
Tilly-, général de l'empire clans
la guerre de trente ans, 272.
Sa vie, 517.
Tory s (parti des) en Angle-
terre, 44-
Trajan. La littérature renaît
un instant sous lui, 2Ô8.
Tribunat, 46, 5o, 55.
Tuhts (Mpdius-), i5.
Turcs. Leur fanatisme farou-
cheetstationnaire, io5, tog.
v
Valentirùen, personnage de'Ia tragédie d'Attila, deWerner,
282.
Varron, i5, 16/ Nous n'avons que quelques fragmens de
ses ouvrages, 23o.
Vaftban. Son mot, que si César 'revenait sur la-terre, il serait
en quinze jours an niveau
dés capitaines les plus ha-
biles; ne vu rien contre
la perfectibilité, 4o2.
-Virgile bien que flatteur du tyran, évite la coar et vit
̃dans la retraite, 220, 252.
N'ose pas nommer Gicéron,
236. Souffre de la tyrannie
en s'y" soumettant, ibid.
Voltaire. Sa philosophie dé-
note un état maladif de la
société, ti5. Sa grossièreté
dans le poème de la Gnerre
de Genève, u3i. Ne peint que
la- passion dans' Aménaîde et
dans AJzire; la tyrannie dans
Polyphonte, sans rien qui
caractérise l'individualité
071.
̃ ̃' .̃- ̃'̃ W
iPallstèin, duc de Friedland, généralissime de l'empire,
258. Son indépendance, ib.
Sa superstition, 264. Sa vie,
3ov
Une trilogie, 266. Le camp
de Wallstein, première par-
tie de cette trilogie ibid.
Les Piccolomini, Ia seconde;
la
------------------------------------------------------------------------
taLre«ians le camp de Walls-
tein, 261. Plusieurs imita-
tions ou traductions de
Wallstein, 263. La mienne,
iLid.
Washington, 2o5.
Wellington (duc de), 45, 125. Werner, auteur de la tragédie
de Luther, 282. Sa tragédie
d'Attila,. 282.
Westphalie (traité de), 256.
gène-*
rai protestant dans la gnerre
de trente ans, 258. Sa vie,
Soi.
Wichnou. Voyez Schiven.
z
Zend livres). Pernnettent la cruauté et le parjure envers
les sectateurs de toute autre
croyance, 584*
Zenon, 22, 24. Puissance qu'il
attribue à l'homme sur lui-
méme, 3g6.
YIN DE LA TABLE.