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COURS
DE LITTÉRATURE
DRAMATIQUE.
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iMrr.iuFF.iE or. vinmi pocsfi* r.i« utotyo~, 1.
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THÉATRE MODERNE.
COURS
DE LITTÉRATURE
DRAMATIQUE,
PAR
M. A. DELAFOREST
(Rédacteur de la Gazette de France.)
Sq;iT& 11'1. MÉMOIRES DRAMATIQUES de bacbaumont, AU JOUIII'IAL de COLLÉ, àti correspokdamces ET AU LTdcB de GRIIt%l ET DE LA RARPE, ET AU
COURS DE LITTÉRATURE DRAMATIQUE DE GBOFPIIOT.
JL. .'.01. À*
PARIS,
ALLARDIN, LIBRAIRE
RUE DES POITEVINS , 3.
1856.
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1825.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE. — ODËON.
— GYMNASE. — VAUDEVILLE.
i janvier-
A peine l'année nouvelle commence, i825 ne date encore que de six jours, et déjà quatre théâtres se disputent, par des nouveautés, le public qui s'étourdit et se dégoûte à la fois de tant de soi-disant plaisirs. Il est vrai que ceux qui lui ont été offerts ne sont pas de nature à le satisfaire. L'Odéon a risqué, le 1er janvier, une parade, intitulée : Apollon Il ou les Muses à Paris, vaudeville en un acte. L'Odéon est , depuis longtemps , en butte aux traits et aux sarcasmes des autres théâtres et des journaux ; il a voulu prendre sa revanche, et MM. Ferdinand Langlé et Romieu se sont chargés de faire comparaître le Grand-Opéra, la Comédie-Française , le Vaudeville et les journalistes devant le parterre du faubourg Saint-Germain, et de donner à chacun d'eux la leçon qu'il mérite. L'intention était bonne -, mais, au théâtre, elle ne peut ètre réputée pour le fait. Ce n'est pas assez d'être malin $ il faut encore montrer de l'esprit et de la finesse , et les auteurs d'Apollon II n'ont montré, dans un cadre extravagant, que de malheureuses prétentions à la malice et un mau-
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vais ton de plaisanterie. La pièce a été jouée dans le même goût, et cette pauvre satire a déjà été rejoindre la Vestale et l' Officier de fortune , pièces qui n'auraient dû jamais paraître sur aucune scène. Ce qu'il faut regretter, c'est que le Second Théâtre Français, soutenu par la munificence royale, accueille des vaudevilles. C'est dégrader cet établissement, éloigner les jeunes auteurs tragiques et comiques qui ne voudront plus désormais faire paraître leurs œuvres entre un opéra et des flon flon, et enfin c'est tromper les bienfaits du Roi qui voulait encourager les muses sérieuses et non pas ouvrir un débouché de plus aux vaudevilles qui n'ont déjà que trop d'échos. Cette confusion de tous les genres est une monstruosité contre laquelle il faut vivement réclamer dans l'intérêt de l'art, du goût et de l'exécution des réglemens. Si l'Odéon ne peut se soutenir qu'à l'aide de pareils moyens, c'est une nouvelle preuve que cet établissement est à la fois inutile et dangereux.
L'Académie royale de Musique a ressuscité un intermède joué en 1782 et qui avait eu alors un fort grand succès. L'Aviane de MM. Moline et Edelmann méritait ce succès à une époque où la musique dramatique n'avait point encore subi la révolution que lui ont fait éprouver les compositeurs modernes -, mais une seule scène à deux personnages , et même à un seul, car Thésée ne paraît qu'un instant, ne peut plus , malgré le mérite incontestable de la composition, suffire à des spectateurs blasés par les ouvrages nouveaux qui offrent une extrême variété dans les effets de théâtre et dans l'étendue du spectacle. On avait eu l'idée de reprendre cette pièce, parce que, le goût public se portant particulièrement vers les ballets, le peu de durée de l'inter-
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mède permet de donner, le même jour, un grand ouvrage chorégraphique, lequel, d'ordinaire, ne peut être joué avec un opéra en trois ou quatre actes. L'œuvre classique d'Edelmann était assez bien choisi ; mais il faut encore qu'une pièce de ce genre soit soutenue par le talent reconnu d'une actrice célèbre qui se charge à elle seule du poids de cette représentation. Madame Branchu l'aurait pu il y a quelques années. Aujourd'hui, madame Noël, malgré des moyens très remarquables , n'est pas de taille à remplir une scène de trois quarts d'heure. Ariane, par sa coupe et son exécution , ressemble tout-à-fait aux grands prix de composition musicale, pour lesquels un concours est ouvert tous les ans à l'Institut -, c'est un beau modèle à offrir aux élèves.
Le théâtre de Madame, après le succès de Coraly et de la Haine d'une Femme, pièces dans le genre gracieux , a essayé une pièce de mœurs. L'Eligible date de 1822. A cette époque, les esprits étaient singulièrement éveillés sur les élections qui avaient encore lieu au moyen du renouvellement par cinquième. Mais deux ans passés sans mouvement électoral, ont tourné les esprits d'un autre côté, ou du moins la préoccupation publique s'est plus vivement portée sur d'autres objets. La censure dramatique avait refusé PEligible en 1822 ; elle a levé son interdiction pour 1823, mais elle n'a pu rendre à la pièce ce piquant de circonstances qui fait le principal, sinon même le seul mérite des vaudevilles. Il faut ajouter à cela que cet ouvrage ne porte le cachet d'aucune opinion, et si l'on peut politiquement approuver cette réserve, il n'en est pas moins vrai qu'au théâtre le défaut de couleur est mor-
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tel. Aussi TEligible a-t-il été froidement reçu. Les auteurs sont MM. Mazères et Sauvage. Le premier est un jeune homme bien né, bien élevé, qui a eu déjà d'agréables succès avec M. Scribe, et dernièrement à l'Odéon avec M. Picard. Volontaire royal en 1815, il faisait partie de la Légion de la Seine , en 1819, lors de la dissolution de ce régiment ; et il é!ait rédacteur du Réveil, journal royaliste , qui parut en 1822. C'est lui qui a eu le malheur de blesser grièvement en duel M. Bérard, directeur du Vaudeville. M. Mazères n'avait point eu le premier tort dans cette déplorable affaire -, sa conduite et ses regrets, après ce triste succé.s, ont été dignes et touchans.
Enfin, le Vaudeville a présenté hier une pièce qirc l'on peut louer avec conscience , et que le public verra long-temps avec plaisir. Les Deux Cousins sont une imitation de r Ecole de la Médisance, de Shéridan, qui avait puisé sa première conception dans le TonzJones de Fielding et dans le Tartufe de Molière. Ce sujet, si éminemment dramatique, avait été déjà traité sur la scène française , en 1805, par feu Chéron } on avait même, quelques années auparavant, donné sur le théâtre des Variétés-Etrangères, rue Saint-Martin, une espèce de traduction de la pièce de Shéridan , par M. Famin. La nouvelle traduction de the School for Scandai, donnée il y a trois semaines, à la PorteSaint-Martin, a éveillé la verve des auteurs ; et, malgré le Tartufe de Mœurs, de Chéron, qui semblait avoir épuisé tous les suffrages, chaque théâtre aujourd'hui se dispute ce sujet. Ce n'est pourtant pas une chose nouvelle au théâtre que le spectacle d'un jeune étourdi, fort disssolu dans ses mœurs, mais qui conserve un fond
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d'honneur et de sensibilité que ses folies ne peuvent détruire ; ce n'est pas non plus une nouveauté qu'un homme, déguisant, sous l'apparence hypocrite d'une bonne conduite, toute la dépravation de son âme -, mais ce contraste , habilement présenté, touche tous les hommes, parce qu'on a naturellement la prétention d'être meilleur qu'on ne paraît l'être -, enfin, ce qui rend la pièce de Shéridan si piquante, c'est la vente aux enchères des tableaux de famille, dont se défait le mauvais sujet pour sortir d'embarras. Il y a sans doute quelque chose de fâcheux pour le sens moral dans ce dédain des ancêtres, puisque c'est vraiment la famille qui constitue la patrie. Mais dans la pièce du Vaudeville on a glissé légèrement sur ce sentiment répréhensible. Toute cette partie de l'ouvrage a été adoucie -, les reproches d'une vieille domestique et le refus obstiné du jeune homme de vendre le portrait de son oncle, qu'il regarde comme son bienfaiteur, neutralisent presque entièrement le mauvais effet de la vente. Cet effet d'ailleurs a déjà été produit à la Comédie-Française et à la Porte-Saint-Martin.
Les auteurs des Deux Cousins sont : MM. Ferdinand Laloue, rédacteur de la Quotidienne , Saint-Hilaire, l'un des rédacteurs du Corsaire, et Paul Duport, dont j'ai déjà parlé à l'occasion de Charles V, à la Comédie - Française, et à qui l'Opéra - Comique doit la petite pièce des Oies du frère PhilipP-6, musique de Dourlens.
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SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
16 janvier.
L'anniversaire de la naissance, assez incertaine encore, de Molière a été célébré hier à l'Odéon. C'est un acteur de ce théâtre, nommé Samson, qui a fait les frais de cette solennité. Il a préparé une petite pièce épisodique, en vers fort agréablement tournés, et dans laquelle on voit Molière dans son ménage. L'idée n'est pas neuve, et Samson ne l'a pas rajeunie par des détails bien nouveaux. Mais enfin on n'est pas plus sévère pour une pièce de circonstance que pour des couplets de fête. Tout est de mise dans ces occasions, et la Fête de Molière a été reçue avec l'indulgence que devait inspirer le patron qu'on célébrait, et j'ajouterai même l'auteur de cette bluette ; car cet auteur est un comédien qui jouait dans sa pièce, et ce spectacle intéresse toujours la générosité ou si l'on veut la pitié française.
Ce n'est pourtant pas ce sentiment qui a poussé le parterre à exiger que Samson parût après la représentation. Depuis long-temps, les auteurs sont dispensés de cet honneur, qui n'en était plus un depuis qu'il était partagé avec les comédiens. Ceux-ci jouissaient seuls de cet hommage qu'ils commandaient à leurs amis, et M. Casimir Delavigne ainsi que M. Lucien Arnault qui, parmi les auteurs modernes, sont, à titres différens, en possession d'exciter l'enthousiasme factice de leurs partisans , n'ont pas été forcés de paraître après le succès de leurs ouvrages. Comme rien ne commande l'admi-
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ration dans le petit acte de M. Samson, ce n'est pas non plus à ce sentiment qu'il faut attribuer l'honneur qu'on lui a fait. On ne peut pas supposer non plus que ce sont les claqueurs qui lui ont décerné ce triomphe -, ils avaient été (j'en parlerai plus bas) chassés du parterre avant la pièce. Quel est donc le véritable motif de cette singulière ovation ? Le voici.
Le public ne s'est pas trompé à l'intention du règlement de police qui défend aux acteurs de reparaître après la représentation. Les jeunes gens du parterre ont bien vu que c'était indirectement à eux que l'on défendait de demander les comédiens. Ils ont trouvé dans la pièce de M. Samson , et ils n'ont pas manqué de la saisir, l'occasion de braver le réglement sans qu'on pût les accuser de désobéissance aux lois. Ils ont demandé r auteur pour faire paraître le comédien, et les rires qui ont accompagné son apparition prouvaient bien que cet hommage était plutôt une mauvaise plaisanterie dirigée contre l'autorité qu'un hommage rendu à l'auteur. L'autorité n'aurait pas, en effet, le droit de se fâcher contre cette malice légale qui ressort du caractère français, et qui, si elle montre l'esprit d'opposition qui subsiste et qui subsistera toujours en France contre le pouvoir, quel qu'il soit, parce qu'elle est essentiellement dans les mœurs nationales, n'offrait cependant aucun caractère sérieux d'hostilité.
Mais il y a eu un peu plus de cette couleur sérieuse dans la scène qui a eu lieu à l'occasion de la pièce jouée immédiatement après la Fête de Molière. C'était Philippe et Georgette, petit drame lyrique de Marsollier et Daleyrac, vieux et usé, qu'on joue à peine encore dans, la province, et qui ne devrait plus être dans le répcr-
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toire courant d'aucun théâtre de Paris. Il s'agit, dans celte pièce, d'un déserteur caché dans la maison de sa maîtresse et que l'autorité poursuit. On doit faire une perquisition dans la maison. Jusque-là les plaisanteries hors de mode, l'intérêt épuisé de l'intrigue et surtout le jeu ridicule des acteurs, avaient excité la gaieté et les huées du parterre qui demandait qu'on baissât la toile. Alors encore on n'aurait pu attribuer la chute du rideau qu'à tous ces motifs ; mais, dans ce moment, comme la pièce allait toujours, malgré les clameurs, est survenue la scène où les gendarmes se présentent pour fouiller la maison et arrêter Philippe. Quoique les choristes, chargés de ces rôles, ne fussent pas costumés comme les soldats de la gendarmerie, le parterre s'est levé en masse et a violemment sifflé pendant toute la durée du chœur, et pour prouver que c'étaient alors uniquement les gendarmes qui étaient l'objet de ses attaques , quand ceux-ci sont entrés dans la maison pour chercher le déserteur, le parterre s'est rassis et a écouté tranquillement. Les acteurs, restés en scène, ont voulu se retirer sans achever la pièce. C'était assurément ce qu'il fallait faire, et on aurait pu croire encore que c'était la pièce et les comédiens et non l'allusion à la force publique qui avaient fait cesser la représentation. Malheureusement ni le directeur ni le régisseur n'étaient au théâtre. Ils avaient pensé que leur présence ne serait en rien nécessaire pendant le cours d'une vieille pièce comme Philippe et Georgelle. Le commissaire de police avait peut-être pensé de même, ou peut-êre aussi a-t-il cru devoir laisser aller les choses jusqu'au bout ; mais quoi qu'il en soit, comme aucun ordre légal de baisser le rideau n'était donné , et que le parterre rede-
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mandait les acteurs, on a continué la pièce. Dans la scène suivante, les gendarmes sont revenus, et alors le parterre s'est levé de nouveau et a sifflé avec un redoublement de violence. Il n'a pas été possible cette fois de se méprendre aux intentions des siffleurs. Du reste, aucun désordre n'a accompagné cette scène, et il se pourrait que les journaux n'en parlassent point, attendu que les journalistes s étaient aussi retirés naturellement après la pièce nouvelle.
Cette représentation avait encore été troublée dans l'entr'acte des Femmes savantes, à la fète de Molière, par une scène d'un autre genre, et dont je ne parle que maintenant, quoiqu'elle ait précédé celle dont il vient d'être question.
Vendredi soir, les contrôleurs aux portes de l'Odéon refusèrent l'entrée du spectacle à des individus, sous prétexte que ceux-ci n'étaient pas munis de contre-marques suffisantes. Le directeur de l'Odéon prétend que ces individus n'étaient que deux et qu'ils étaient porteurs de faux billets. Il aurait dû les faire arrêter. Hier, samedi 13, le Constitutionnel contenait une note de laquelle il résultait que les individus repoussés en assez grand nombre étaient des élèves des écoles de Droit et de Médecine ; que ce procédé était indécent, et que les élèves en étaient fort mécontens. Cet article, aigre et malveillant, a excité la mauvaise humeur des étudians contre le directeur qui a écrit au journal, pour se justifier , une lettre qui ne devait point être, et qui, en. effet, n'a point été imprimée dans le numéro d'aujourd'hui. Elle aurait été publiée trop tard en tous cas, car les étudians se sont vengés, le jour même de l'article du Constitutionnel} de la prétendue insulte qui leur
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avait été faite. Avant la pièce nouvelle, ils ont crié : A la porte les claqueurs ! et par un mouvement simultané, et à coup sûr concerté, ils ont tous mis à leurs chapeaux les contre-marques que les contrôleurs délivrent au moment où l'on entre au parterre et qui constatent que les porteurs de ces contre-marques ont payé leurs billets. Pareille chose était déjà arrivée à propos de mademoiselle Georges, il y a huit ou neuf mois. Après cette manœuvre, les étudians sont tombés à coups de poings sur une douzaine de gens mal vêtus qui ne représentaient point immédiatement de contre-marques, et les ont mis à la porte avec violence. Cette expédition terminée , ils ont appelé le directeur , mais sans beaucoup d'instances. Il n'a pas paru \ le rideau s'est levé et le calme s'est rétabli..
PREMIER THÉATRE FRANÇAIS. -ODÉON.
— VAUDEVILLE.
18 février.
La semaine dernière a été féconde en nouveautés et en infortunes dramatiques. Le Vaudeville en a fourni deux; l'Odéon et la Comédie-Française, chacun une. Il n'en est point qui mérite une attention particulière, et c'est en quelque sorte comme mémoire qu'il convient d'en parler. Deux ont été retirées immédiatement après la première représentation ; les trois autres ne sont pas destinées à une longue carrière. J'interverlis l'ordre
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des dates , indifférent aujourd'hui, pour suivre l'ordre d'importance des théâtres : à tout seigneur, tous honneurs. Je commence par la Comédie-Française.
La Correspondance , jouée le mercredi des Cendres; est, ou plutôt, était une petite soi-disant comédie, en un acte et en prose, prétentieuse et sentimentale que le talent de mademoiselle Mars et le sexe de l'auteur
( madame de Bawr ), n'ont pu sauver d'une chute méritée \ cependant, comme elle avait été courageusement conduite jusqu'à la fin par les comédiens, le nom de l'auteur avait été demandé par des amis plus zélés qu'éclairés. L'anonyme avait été proclamé, et le lendemain la Correspondance n'a plus reparu sur l'affiche. C'est, de la part de madame de Bawr, la preuve d'un bon esprit. On doit à cette dame divers ouvrages dramatiques : à l'Ambigu - Comique, le mélodrame des Chevaliers du Lion et un autre dont le nom m'échappe et qui ne réussit point dans le temps ; au Premier Théâtre-Français, les Suites d'un Bal masqué, en un acte et en prose , intrigue embrouillée , sentimens alambiqués, style marivaudé ; mais tout cela dissimulé par le jeu des acteurs et soutenu de quelques mots spirituels , a pourtant obtenu un succès qui dure encore et qui durera tant que mademoiselle Mars restera au théâtre. Madame de Bawr est la veuve âgée d'un Polonais russe, fort ami de Talma. Il périt misérablement , il y a une douzaine d'années, écrasé par une voiture à la porte de l'administration des droits-réunis où il était chef de bureau. Sous le rapport de l'esprit et de l'amabilité on ne peut accorder que des éloges à madame de Bawr.
Il serait d'autant plus inutile de rendre un compte
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détaillé du Roman à vendre, comédie en trois actes et en vers, représentée pour la première fois à l'Odéon, le jeudi 10 février , que le fond et même l'intrigue de cet ouvrage sont à peu près les mêmes que ceux de l'Imprimeur sans caractère, joué il y a quelques mois aux Variétés ; que l'auteur, M. Bayard , a retranché un rôle tout entier à la troisième représentation, et qu'enfin, dans quelques jours peut-être, elle ne fera plus partie du répertoire de l'Odéon. Ce n'est pas qu'elle manque absolument de mérite : elle est conduite avec sagesse, et le style est élégant et correct -, mais le défaut d'invention, la nullité et la froideur de l'intrigue, l'absence de caractères vrais et développés, rangent cet ouvrage dans la classe de ceux qui ne rapportent qu'un peu d'estime à leur auteur. La peinture des mœurs actuelles des libraires, qui est le point principal de cette comédie, n'appartient point à M. Bayard. Outre la pe-, tite pièce que j'ai citée plus haut, d'autres ouvrages antérieurs au sien, ont présenté les habitudes et les travers de ces industriels bibliographes dont M. Ladvocat est le type. C'est aussi ce Moncade de la librairie moderne, que M. Bayard a mis sur le théâtre -, mais le sujet, s'il n'est pas épuisé, a du moins perdu la plus grande partie de son originalité et de sa fraîcheur, et M. Bayard n'a essayé de le rajeunir qu'en réunissant les traits déjà connus qu'il a, je le répète, tournés en vers fort agréables.
Le Roman à vendre est la première pièce représentée à l'Odéon depuis l'expulsion des claqueurs, et cette mesure n'a pas nui au succès. Au contraire même, le public , prévenu à cet égard par la lettre que le directeur avait fait insérer dans les journaux, et plus immé-
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diatement encore par un prologue qui a précédé cette comédie, s'est armé d'une justice indulgente. On aurait indubitablement sifflé les choses faibles que les claqueurs, s'ils eussent été présens, n'auraient pas manqué d'applaudir à leur ordinaire, et, comme il s'en trouve un assez grand nombre, il y a lieu de croire que la pièce aurait éprouvé quelque revers. Mais le public, abandonné à lui-même, a distribué les applaudisscmens avec discernement et mesure ; murmurant avec décence sur les passages défectueux, et écoutant jusqu'à la fin un ouvrage qui, par sa nature et le talent qui s'y montrait quelquefois, était digne de l'attention. L'exemple donné par le directeur de l'Odéon aurait dû être suivi par les autres théâtres. Le moment était propice pour exiger une pareille mesure dans tous les spectacles. Il en est temps encore, et l'on peut offrir cette fois le parterre de l'Odéon comme un modèle de justice littéraire.
Le Vaudeville a donné trois pièces en sept jours. Certainement on ne peut aller plus vite ; mais on pouvait faire mieux, et au théâtre comme partout la qualité vaut mieux que la quantité. La Somnambule mariée, jouée le 10 , ne renferme qu'une assez jolie scène à la fin. Le reste de l'ouvrage est pâle et insignifiant. Mademoiselle Clara y a montré beaucoup de talent. L'auteur est M. Théaulon.
Hier, on a donné les Trois Lorrains, vaudeville imité d'un des plus jolis proverbes de M. Théodore Leclercq : le Gentilhomme et les Paysans. MM. Dartois, Francis et Gabriel, en ajustant ce proverbe pour le théâtre, lui onl ôté toute sa physionomie. Ils ont réussi pourtant -, et leur pièce pourra bien se soutenir quelque temps , quoiqu'il n'y ait plus les caractères si bien des-
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sinés par M. Leclercq, et que les couplets soient généralement ternes.
SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
REPRISE DU CHEVALIER D'INDUSTRIE, COMÉDIE EN CINQ
ACTES ET EN VERS DE M. ALEX. DUVAL.
27 février.
C'est une des premières prétentions de ceux qui courent la carrière du théâtre, et qui n'ont qu'un médiocre talent, de faire des pièces morales, des ouvrages qui doivent corriger les uns, avertir les autres, et presque toujours ces prétentions sont en raison inverse de la réalité. La comédie ne peut avoir une si haute destination. Son but est d'amuser, de faire rire décemment par la peinture des ridicules et des travers. Quand on la détourne de ce résultat, quand on présente les vices et les dangers de la société, la comédie devient sérieuse, fausse et selon moi immorale. Jamais les mœurs présentées dans de semblables ouvrages ne sont vraies, et pour ne parler ici que du Chevalier d'indugirie , quel fruit réel peut-on retirer de la moralité de la pièce et des moyens employés par l'auteur pour la justifier?
Sachez , par votre expérience ,
Fuir tous ces intrigans qui sont communs en France.
Tous ces hommes, brillans d'un éclat emprunté,
Sont partout les fléaux de la société.
Belle chute ! réflexion neuve et piquante ! Qui ne sait
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cela? et qu'a-t-on besoin de deux mille vers pour arriver à une conclusion aussi plate ? Qui n'est convaincu que les filoux, les escrocs ( et le chevalier de SaintRemi n'est pas autre chose) sont des gens qu'il faut fuir? Mais pourquoi sont-ils plus communs en France qu'autre part? A quoi les reconnaîtra-t-on ? Il faut alors, selon M. Duval, qu'ils se disent nobles, qu'ils soient décorés d'un ordre étranger, qu'ils veuillent épouser une vieille et riche veuve. Mais où sont-ils ces gens-là ? Où les voit-on ? Le chevalier de Saint-Remi peut être un portrait particulier; mais, à coup sûr, tous les hommes ne lui ressemblent pas. Aucun des traits de son caractère ne va même refléter sur d'autres, et la comédie ne doit être que la peinture de la généralité des mœurs, des ridicules, des passions. L'auteur appuie sa thèse sur des inventions tout aussi vraies. C'est une vieille folle qui ne justifie même pas par l'extravagance de son amour, la sottise qu'elle va faire en épousant un homme que personne ne connaît ; c'est un frère , riche , brusque , bon, millionnaire comme on n'en voit nulle part, excepté dans les mauvais ouvrages dramatiques -, c'est une jeune fille qui n'a lu que des romans, qui prend son oncle et son amant pour des fous et qui répond à celui-ci par des phrases de romans ; c'est enfin dans l'intrigue , l'invraisemblance la plus complète, dans le style, les idées les plus niaises, les vers les plus durs et les plus plats. Une ou deux situations achetées aux dépens du bon sens produisent quelque effet ; mais le tout est romanesque, faux et par conséquent immoral, puisque le résultat d'une pareille représentation tend à corrompre le goût, à répandre des notions exagérées , à inspirer des sentimens blâmables. M. Duval appartient à
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une époque de la société où tout était faux ; il ne peut rien produire de vrai, et ses ouvrages, marqués de cette empreinte, n'ont plus maintenant le succès qu'ils ont obtenu à leur première apparition. Un des traits distinctifs de la société actuelle, c'est le désir de la vérité, -du naturel en toutes choses, et particulièrement dans les arts. Aussi les petits tableaux du Gymnase et des Variétés l'emportent-ils sur les grandes pièces du Théâtre-Français, parce qu'on y trouve des mœurs modernes vraies et un dialogue naturel. Ce n'est que dans la comédie d'intrigue et dans l'Opéra-Comique que M. Duval a mérité la réputation dont il jouit. La Jeunesse de Henri V, le Faux Stanislas, Maison à Fendre et le Prisonnier sont des pièces fort agréables, mais ses grands ouvrages de la Fille d'honneur, du Chevalier d'industrie, etc., etc., sont frappés de ce défaut de vérité dans l'observation des mœurs et des caractères ; il paraît qu'il les transporte tous à l'Odéon, afin qu'its y soient joués plus souvent qu'ils ne le sont maintenant à la Comédie-Française où il les avait d'abord donnés. C'est encore un faux calcul. Les ouvrages de M. Duval ont besoin d'être bien joués, et mademoiselle Mars seule et Fleury, lorsqu'il était encore au théâtre, recouvraient, du charme de leurs talens, les défauts et l'ennui de toutes les conceptions de M. Duval.
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PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS.
LE CID D'ANDALOUSIE , TRAGÉDIE EN CINQ ACTES,
DE M. LEBRUN.
i mars.
(t).
Le rôle du roi a excité un continuel murmure. Les sifflets ont accueilli tout ce qu'il a voulu débiter sur la puissance royale, sur le respect que l'on doit à la royauté. Cela est juste et devait se passer ainsi. La conduite et les discours de ce prince démentent continuellement cette exigence de vénération, révoltent le bon sens et portent dans tous les cœurs, dans tous les esprits cette sensation et ce raisonnement : Qu'est - ce donc que le pouvoir qui peut se livrer à de pareils excès, qui peut exiger de telles preuves d'obéissance de ses sujets et qui se croit encore respectable? La royauté rendelle donc le crime inviolable ? Non , selon la conscience universelle -, oui, selon la pièce ; et c'est là ce qui lui donne une allure si fâcheuse; car cette conséquence qu'on est obligé de tirer du pouvoir souverain tend à compromettre le respect qu'on doit lui porter.
(i) La plus grande partie de l'article relatif à cet ouvrage n'a pu être retrouvée. Nous publions ce fragment pour constater seuIctncnt la date et l'effet de la représentation.
( Note de VEditeur. )
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Il ne faudrait pas conclure des réflexions précédentes et de celles-ci que la scène, trompant l'histoire , ne dût présenter que des princes vertueux et accomplis. Non sans doute, telle n'est point ma pensée. Mais du moins dans ce que le théâtre antérieur offre à cet égard, les mauvaises actions des rois sont excitées ou par de grands intérêts politiques ou par de grandes passions. C'est l'amour maternel qui, dans Inès de Castro, entraîne la reine au meurtre de cette jeune princesse. Dans Warwick, l'amour d'Edouard pour Elisabeth est ancien et extrême. Félix ne sacrifie Polyeucte qu'à son amour pour le pouvoir et à sa première horreur contre le christianisme, et encore, malgré ces deux mobiles puissans, sa lâcheté est - elle toujours accueillie par des huées ! Mais dans le Cid d'Andalousie, rien ne peut justifier l'avilissement, l'ignominie du roi qui, à peine arrivé dans ses états, porte le trouble dans une famille, veut séduire une fille qu'il a à peine entrevue, dont il ne sait pas le nom ; qui fait tuer le frère de cette fille par celui qu'elle va épouser -, qui la force à se jeter dans un couvent -, qui n'a même pas la générosité de sauver l'homme qui s'est dévoué pour lui -, ou, ce qui est pire, qui ne le sauve que quand il ne peut plus faire autrement. Et pourquoi tous ces crimes?.... Pour se venger des coups de bâton dont il a été menacé et qu'il méritait ! et un roi menacé du bâton ! et tout cela aujourd'hui !
La pièce d'ailleurs est tellement absurde que si elle eût été abandonnée aux acteurs ordinaires, elle n'aurait pas été achevée. Mais mademoiselle Mars et Talma l'ont sauvée, par leurs efforts, des sifflets nombreux que le bon goût a fait entendre. C'est une mauvaise pièce ,
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je le répète , écrite dans un style barbare 5 mais que le fol entêtement des comédiens, les dépenses qu'ils ont faites pour la monter, quelques situations fortes, les noms des acteurs en vogue et l'esprit de parti favorable à l'auteur, soutiendront quelque temps peut-être, malgré sa longueur et son ennui.
Du reste, Talma et mademoiselle Mars n'ont pas été ce qu'ils pouvaient être. Ils ont été sifflés pour euxmêmes et indépendamment des niaiseries qu'ils débitaient.
Michelot a été digne du rôle du roi dont il était chargé.
L'auteur a été demandé. Talma s'est présenté pour le nommer. Une espèce de tapage a eu lieu, et dans un intervalle de ce tumulte, il est parvenu à faire entendre le nom de M. Lebrun.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LA BELLE AU BOIS DORMAIT , OPÉRA-FÉERIE EN TROIS ACTES, PAROLES DE M. PLANARD, MUSIQUE DE M. CARAFFA , DIVERTISSEMENT DE lU. GARDEL.
4 mars.
Cet opéra, fort heureusement pour la religion et la morale, n'est ni moral ni religieux. A la vérité, il ne viole pas plus les lois de l'une et de l'autre que tous les ouvrages représentés à l'Académie royale de Musique , car il aurait fallu en empêcher la représentation 3 c'est
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un opéra tout simplement, comme on en a toujours fait, comme on en fera toujours ; fort innocent dans sa conception , plus innocent encore dans le style, et dont une mère pourrait prescrire la lecture à sa fille, malgré le juste anathème prononcé par Boileau contre
... Tous ces lieux commuas de morale lubrique ,
Que Lulli réchauffa des sous de sa musique.
De tous les ouvrages dramatiques, les poëmes d'opéra sont peut-être, en effet, ceux qui offrent le moins de danger pour la pureté des mœurs et qui apportent le moins de corruption dans l'esprit. D'abord, et en général, on ne les lit pas , mais leur lecture n'offrirait pas les mêmes inconvéniens que la lecture des tragédies et des comédies. Ils présentent bien, presque tous , le tableau séduisant de l'amour ; ils en exagèrent la passion ; mais ce danger, qu'on retrouve à un pareil degré dans les autres poëmes dramatiques, est neutralisé ici par la brièveté de la peinture et par l'ennui des paroles \ tandis que les comédies et les tragédies , qui roulent presque toutes aussi sur le même sujet, entraînent à la lecture une séduction bien plus grande par les développemcns de la passion et par le charme de la poésie. Les sentimens et les combats de l'amour exprimés en beaux vers laissent des traces profondes dans l'esprit et dans le cœur, et il est bien peu de gens qui pourraient citer un quatrain d'opéra. Qui a lu les poëmes de Quinault, excepté les gens de lettres ? Et, au contraire, qui n'a pas lu les ouvrages de Corneille, Racine et Voltaire ?
Mais il n'en est pas de même de la représentation ; et , assurément, de tous les genres de spectacles, celui
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qui entraîne le plus de séduction dangereuse, c'est l'opéra , non par le poëme mis en musique, car des paroles chantées sont fort innocentes encore, ou du moins peuvent l'être ; mais par les accessoires obligés, le matériel et le personnel, qui conduisent au trouble et à l'excitation des sens.
Ces observations sont si justes, elles ont été faites depuis si long-temps, elles sont tellement à la portée de tout le monde, qu'on ne peut parvenir à expliquer raisonnablement le but du Programme public, il y a quelque temps , par l'administration de l'Académie royale de Musique, pour obtenir des opéras religieux, moraux et monarchiques. Religieusement parlant, il y a peut-être une sorte d'impiété dans cet assemblage, dans cette prétention à la réunion de choses si anthipatiques entre elles. Mais, sans s'occuper plus long-temps du côté sérieux de cet incroyable programme, et en le réduisant à l'intention , qui serait louable si elle n'était ridicule , de diminuer le danger, pour la morale, des représentations de l'opéra, il n'est personne qui ne sente et ne reconnaisse que ce danger est tout entier dans la nature même de ce spectacle. Pour le détruire, il faut supprimer l'Académie royale de Musique. Choisissons donc : ou renversons un établissement fondé par Louis XIV, soutenu depuis par la munificence de nos rois, auquel la nation attache, par tradition et par vanité , une grande importance $ rendons aux arts libéraux , au commerce, à l'industrie, aux métiers, ces milliers de sujets que nous recrutons dans des écoles de musique et de danse autorisées, entretenues par la liste civile , à trop grands frais peut-être , et peut-être rendrons-nous ainsi service aux mœurs. Ou si nous re-
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connaissons que l'état des mœurs, l'époque avancée d'une civilisation exigeante, l'intérêt bien ou mal entendu des arts-, l'orgueil national et d'autres motifs encore rendent impossible la destruction de ces établissemens, subissons, tout en les regrettant, leurs effets et leurs conséquences, et n'essayons pas, contre les dangers de cette institution, qui ne sont autres que cette institution elle-même, des efforts ridicules par leur impuissance et leur inutilité.
Dans cet inextricable dilemme il n'y a qu'une issue favorable aux mœurs publiques, c'est d'empêcher les dangers de s'augmenter, et ne pas souffrir qu'on accroisse, par les développemens du genre, les graves inconvéniens inhérens au genre même. Sous ce rapport, aucun reproche ne peut être adressé au nouvel opéra. Je l'ai dit plus haut : La Belle au bois dormant est tout ce que doit être un opéra : un vieux sujet, facile à comprendre, et rajeuni par quelques situations ; une musique, qui, pour ne pas être bien neuve et bien originale , n'en est pas moins agréable -, de jolies décorations -, des costumes assez frais : des danses bien amenées dans les situations et bien dessinées. Tout cela compose un ensemble fort satisfaisant. Le poëme est écrit avec la négligence ordinaire à ces sortes d'ouvrages -, mais l'auteur, homme de talent, n'aurait pas dû cependant laisser tomber de sa plume des choses comme celles-ci :
Je vois dans la prairie
Un agneau réjoui
Se choisir une amie
Qui bondit près de lui.'
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Le succès de cet opéra a été un peu contesté. A dire vr.ai,,c est à l'auteur du Programme dont je parlais précédemment, qu'il convient de reporter quelques ricancmens et quelques sifflets qui se sont fait entendre. La Belle au bois dormant est le premier ouvrage qu'on ait donné depuis la publication de ce programme qu'on n'oubliera jamais en France, où le souvenir du ridicule est immortel. Cet opéra avait donc à essuyer le premier feu du public qui était venu pour se moquer d'un opéra qu'il supposait devoir être ou religieux, ou moral, ou monarchique. Les intentions du parterre et de l'orchestre n'étaient pas douteuses à cet égard. Un nom , fort respectable d'ailleurs, errait sur toutes les bouches, accompagnait les murmures, et très souvent les yeux des spectateurs de cette partie de la salle se sont portés vers la loge du ministre de la maison du roi.
SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
JEAMSE D'ARC , TRAGÉDIE EN CL;\Q ACTES, DE M. SOUMET. i5 mars.
Il est peu de circonstances de notre histoire moins faciles à présenter sur le théâtre que celles qui se rattachent à l'héroïne d'Orléans. C'est un sujet nu , trop populairement connu pour être facilement modifié, sans épisodes possibles, et dont la catastrophe ne peut être changée. L'amour ne peut tenir la moindre place dans ce sujet. La ferveur religieuse, l'enthousiasme du prince
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et de la patrie , la hainç du joug étranger sont les seuls mobiles du principal personnage *, et si ces sentimens sont nobles et énergiques, il faut convenir aussi qu'il est difficile de les développer dans toute leur splendeur en les concentrant sur un personnage dont la position est immobile et dont la captivité donne à tous ces sentimens une teinte uniforme de regrets et d'amertume.
Une autre difficulté existait encore pour M. Soumet : une tragédie de Jeanne il Arc a été jouée, en 1819, à la Comédie-Française -, et, quoiqu'elle fut bien peu digne d'estime, elle eut du succès, et elle est restée au théâtre. Heureusement, pour la nouvelle gloire de l'héroïne d'Orléans , aucun de ces obstacles n'a effrayé M. Soumet, et la bergère de Vaucouleurs a enfin trouvé un poète digne d'elle.
M. Soumet a jeté quelque nouveauté sur le sujet en plaçant auprès de Jeanne d'Arc un vertueux prêtre, Adhémar, qui la soutient de ses conseils, de ses exhortations, et qui la défend contre la haine d'IIermangart, chef laïque du tribunal de l'inquisition ; puis, le duc de Bourgogne , allié des Anglais, d'abord persécuteur de Jeanne, et ramené par elle à des sentimens de fidélité pour le roi de France. Il veut faire casser, par un appel au jugement de Dieu, la sentence inique qui a été prononcée , et il périt dans ce combat. Cet incident est contraire à l'histoire ; mais il forme une belle péripétie au quatrième acte , et a fourni à l'auteur une des plus belles scènes qui soient au théâtre -, je veux parler de celle où Jeanne d'Arc finit par amener le duc de Bourgogne à rougir de sa trahison contre Charles VII, et change tous les sentimens de haine et de fureur qui animent ce prince en sentimens d'horreur contre les
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Anglais et de dévouement au roi. Ces brusques changemens de caractères, peu conformes à la marche du cœur humain, sont généralement mal accueillis à la scène. Il n'en a point été ainsi hier : la force des raisonnemens, l'expression vive et passionnée, la beauté du langage ont enlevé les applaudissemens universels. Un vers de cette scène a été surtout applaudi à plusieurs reprises. Le duc de Bourgogne , non encore touché par Jeanne, soutient que la France passera sous le joug de l'Angleterre. Jeanne s'indigne à cette idée -, elle rappelle l'amour des Français pour leur roi : ils s'armeront tous pour le défendre ; ils brûleront leurs villes et leurs maisons plutôt que de subir la domination anglaise , et elle s'écrie :
L'air de la servitude est mortel aux Français.
Tout le public, sans distinction d'opinions, a applaudi, avec un égal enthousiasme , ce vers et quelques autres qui présentent le même sens , ou offrent, contre les Anglais, l'expression d'une haine vive et profonde.
La tragédie de feu d'Avrigny n'était pas sans inconvénient et sans danger lorsqu'elle fut jouée en 1819 y elle renfermait à dessein des allusions à la puissance de l'Angleterre, dont l'esprit de parti, encore actif à cette époque , sut s'emparer. La baine de la Jeanne de M. Soumet contre les Anglais , les apostrophes qu'elle adresse à leur politique, pour être vigoureuses, ne sont pas, comme dans l'autre pièce, des déclamations exagérées et hors du caractère historique des personnages.
Il faut d'ailleurs examiner la disposition de l'esprit
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public et tenir compte des temps et des circonstances. Le parterre de 1820 n'a pas entendu non plus avec :, jidcur les traits répandus contre l'Angleterre dans l'ouvrage nouveau ; mais on sent, mieux encore qu'on ne peut l'exprimer, que les applaudissemens de cette époque-ci ne ressemblent point à ceux de 1819. La Restauration était alors un événement rapproché, sur lequel l'influence de l'Angleterre était encore notoirement fraîche et active. Les royalistes , sous ce rapport, soutenaient la nation anglaise ; les libéraux , par la même raison, l'attaquaient. Aujourd'hui, les rôles ont changé: le nouveau règne a singulièrement éloigné et dénaturé les circonstances de 1814 et de 1819. Quelques factieux obscurs peuvent bien encore ne pas avoir pardonné à l'Angleterre sa participation dans le renversement du pouvoir illégitime ; mais la neutralité du gouvernement britannique dans la guerre d'Espagne et sa reconnaissance précipitée de l'indépendance de l'Amérique du sud ont, du moins dans l'apparence , modifié leurs sentimens d'inimitié ; tandis qu'au contraire , ces deux derniers événemens ont indisposé les royalistes vis-à-vis de l'Angleterre : de telle sorte qu'aujourd'hui, et par des motifs divers, cette inimitié compliquée est générale, et que son expression publique a perdu la couleur personnelle qu'elle avait il y a quelques années.
D'ailleurs et en élargissant la question, si l'on pouvait porter les esprits à séparer, comme cela devrait être en effet, la Restauration de la maison de Bourbon de l'idée de l'influence anglaise , où serait le mal ? on ne peut le dissimuler. La supériorité de l'Angleterre , quelque part qu'elle se montre, est pénible aux Fran-
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çais; toute circonstance qui la rappelle est envisagée avec défaveur. Toutes les fois donc que notre gouvernement fournira l'occasion de la combattre , ou, par un de ses actes, semblera la répudier ou la méconnaître, il obtiendra l'approbation publique.
J'ai blâmé et je blâmerai toujours, dans les représentations dramatiques , les injures grossières , les invectives brutales, les caricatures ignobles contre l'Angleterre et les Anglais. Ces parades théâtrales , contre lesquelles je me suis élevé par un sentiment de bienséance , en excitant mal à propos l'animosité populaire, dénaturent le caractère national, et corrompent surtout le goût public et les convenances de la scène; mais il n'y a aucune ressemblance entre les farces obscènes et dangereuses et les mouvemens éloquens de l'héroïne d'Orléans. Ses invectives contre les Anglais ne sont pas seulement justifiées par sa position -, elles sont, de plus, inhérentes à son caractère, au sujet de la pièce -, elles sont nobles, élevées ; elles appartiennent au genre héroïque , aux inspirations du plus pur patriotisme ; elles répondent aux sentimens nationaux, car le nom du roi de France est sans cesse dans la bouche de la victime des Anglais.
Toute cette partie du rôle de la nouvelle Jeanne a été vivement applaudie. Elle a pour beaucoup contribué au succès éclatant de l'ouvrage dont les deux premiers actes sont froids, vides d'action et d'intérêt. Mais les applaudissemens qui, d'ailleurs, ont été excités autant par la magnificence de l'expression que par les sentimens exprimés, ont été unanimes. Avec quelques coupures que M. Soumet doit opérer dans le rôle du père
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de Jeanne d'Arc,. personnage qu'il a introduit avec deux jeunes sœurs de la vierge, à l'imitation de Schiller, et qui jettent un pathétique profond sur les trois derniers actes, cet ouvrage doit jouir d'un grand succès. Les sociétaires de la Comédie Française, encore tout étourdis et tout honteux du Cid d'Andalousie, ne verront pas sans regret et sans peine le triomphe d'un théâtre rival. Ils réfléchiront, fructueusement peut être, sur le danger d'éloigner, par suite de la détestable préférence qu'ils accordent à certains auteurs, les hommes d'un vrai talent qui sont obligés de porter leurs ouvrages à l'Odéon pour les y faire jouer, et les gens de lettres seront heureux de rencontrer dans la tragédie de M. Soumet l'alliance de moyens dramatiques nouveaux et touchans avec un style toujours pur et digne de tout éloge.
Mademoiselle Georges a été, dans le rôle de Jeanne d'Arc, d'une remarquable beauté.
PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS.
JUDITH, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES, DE M. DE COM-
BEIIOUSSE.
17 avril.
La tâche de ceux qui ont à parler des théâtres est vraiment devenue difficile et pénible. Lorsque, jadis, un ouvrage dramatique était offert à la scène, il exis-
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tait comme une prévention favorable qu'il en était digne, soit sous le rapport des situations, soit sous le rapport du style. On pouvait croire, par cela seulement que cet ouvrage avait été reçu, appris et représenté, qu'on y trouverait ou la fidélité des mœurs mises en action, ou des caractères historiques bien saisis et soutenus , ou le développement de quelque intrigue intéressante, ou enfin des beautés de style qui couvriraient le défaut des combinaisons principales. Ce n'était que sur le plus ou le moins de mérite de la pièce qu'il s'agissait de prononcer. Le public aidait lui-même à fixer les critiques. L'ouvrage était sifflé et tombait s'il était mauvais. On le jugeait d'après des règles incontestées. Les spectateurs apportaient au théâtre des connaissances suffisantes pour apprécier le talent et les efforts de l'auteur ] le goût, l'esprit des convenances suppléaient au défaut de lumières, et si le talent des acteurs surprenait les suffrages, du moins existait-il une excuse dans cette surprise.
Mais une tragédie sottement faite, mal écrite et mal jouée réussit aujourd'hui. Qu'en dire? On a beau la juger, prouver, ce qui est facile, qu'elle pèche, non pas contre les règles de l'art, mais contre les règles du simple bon sens; qu'elle est destituée de vérité dans les mœurs, de beautés dans le style, d'intérêt dans l'action -, tout cela est égal : elle a réussi. Ce n'est pas le public qui l'a jugée ; il l'a laissé applaudir par une centaine de misérables claqueurs ignorans, stupides et soldés ^ cela est vrai : mais, encore une fois, la tragédie a réussi, et l'on a comme mauvaise grâce à venir cuntester un succès. On a l'air d'un esprit chagrin que rien ne peut satisfaire.
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Le public ne porte plus aucun intérêt à l'art dramatique. Une tragédie n'est plus maintenant qu'une nouveauté que l'on va voir avec les mêmes idées, dans les mêmes sentimens que les Cuisinières ou Polichinelle Vampire. Qu'elle réussisse ou qu'elle tombe, peu importe; qu'elle soit bonne ou mauvaise, cela ne fait rien. On ne tient aucun compte aux auteurs de leurs études, des traits de caractère, du travail de la poésie. Quand les choses en sont là, on peut affirmer qu'il n'y a plus de théâtre, qu'il n'y a plus d'art. C'est une distraction matérielle qu'on va chercher au spectacle, et non un plaisir de l'esprit, qui éveille, élève et satisfasse l'intelligence. Les acteurs passent avant les auteurs. Si mademoiselle Mars eût bien joué dans le Cid d'Andalousie, cette pièce, détestable en tout point, aurait réussi. La Jeanne d'Arc de M. Soumet n'est pas la meilleure tragédie de son auteur -, mais mademoiselle Georges y est belle \ on y parle de sentimens de haine contre l'Angleterre, et la pièce a été aux nues.
Judith n'ira pas aux nues, mais elle n'est pas tombée. L'analyse de cette ridicule tragédie serait chose aussi ridicule que la tragédie elle-même. L'auteur ne s'est pas écarté du sujet biblique. Holopherne ne parait pas cependant ; mais le roi Ozias, et Achior qui vient se joindre aux Hébreux, et Judith qui se dévoue pour le peuple Juif, sont en scène. Ce n'est point seulement le défaut absolu d'intérêt, l'incorrection , l'emphase ou la platitude du style, qui font, de cette tragédie, l'un des ouvrages les plus grotesques du théâtre \ ce sont les sentimens et les idées que l'auteur a prêtés à ses personnages.
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Le grand-prêtre dit à Ozias, qui vient de calmer une sédition populaire :
Comme ce peuple obéit à ta voix'
Quel est donc ton poumon ?
Je règne par les lois,
répond Ozias, comme pourrait le faire un roi constitutionnel , et il ajoute encore :
Et je ne suis puissant que par des lois puissantes,
selon la doctrine que prêche maintenant M. l'abbé de Pradt aux rois de l'Europe.
La liberté et la patrie sont sans cesse dans la bouche des uns et des autres -, Judith tient le langage de Jeanne Hachette ou de la Grecque moderne Rohollina. Encore un peu, et il serait question de la Charte et de la loi sur les élections. On n'a jamais entendu de pareilles choses, et les acteurs eux-mêmes semblaient honteux de débiter de semblables niaiseries. La liberté, et la liberté constitutionnelle encore comme on l'entend aujourd'hui, dans la bouche des Hébreux qui n'étaient conduits que par la loi divine et par le doigt de Dieu ! La patrie, dans le sens des peuples modernes, lorsque la patrie des Juifs était tout entière dans le temple! Et il ne se trouve pas un public qui fasse justice de telles sottises? Pour tout dire, cependant, et lorsque les trois ou quatre premiers mots de liberté et de patrie ont été prononcés et applaudis avec fureur par les gens du lustre qui, malgré leur bonne volonté, ne trouvaient pas autre chose à applaudir, il s'est élevé des ricanemcns et des murmures quand les mêmes mots sont revenus. Le goût
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commençait à se réveiller et à faire sentir combien ils étaient ridicules dans un pareil sujet. On assure que malheureusement la censure avait redemandé le manuscrit , et avait ôté beaucoup de vers de liberté et de patrie. Si elles les eût laissés, on peut assurer que, pour cette fois du moins, le goût l'aurait emporté sur l'hypocrisie des sentimens libéraux, et que la tragédie aurait pu tomber par l'excès de la liberté si niaisement prodiguée. M. de Comberousse et ses amis en auraient dégoûté.
Malgré tout, la pièce est allée jusqu'à la fin, et le nom de l'auteur a été proclamé par Firmin au milieu de quelques sifflets. Il est évident que la Comédie-Française a voulu opposer mademoiselle Duchesnois-Judith à mademoiselle Georges-Jeanne d'Arc. La liherté et la. patrie n'étaient point déplacées dans l'ouvrage de l'Odéon, et M. Soumet, qui peut-être a abusé de l'effet de ces mots, pouvait du moins en faire usage ; mais dans un sujet juif, assurément ils sont plaisans, et on s'en apercevra encore davantage aux représentations suivantes , car Judith aura quelques représentations. Mademoiselle Duchesnois cherchera à soutenir cet ouvrage. Ses efforts seront superflus. Il n'y a pas moins de différence à tous égards entre elle et mademoiselle Georges, qu'entre MM. de Comberousse et Soumet.
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SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
L'INDISCRET, COMÉDIE EN CINQ ACTES ET EN VERS, DE M. TIIÉAULON. — DÉBUT D'ÉRIC-BERNARD DANS LA COMÉDIE.
26 avril.
Le vicomte de Soligny, dont le père, proscrit depuis long-temps, est rentré secrètement en France et caché dans l'hôtel d'un ministre, son ami ; ce vicomte qui est amoureux et aimé de la fille de ce ministre, et qui a une sœur mariée à un baron qu'il ne connaît pas ; ce vicomte enfin, qui prétend à une place de secrétaire d'ambassade, fait si bien par ses indiscrétions réiterées qu'il est cause que la grâce de son père est refusée ; qu'il compromet la sûreté et la vie de son père ; que sa maîtresse va être mariée à un autre -, que son beau-frère conçoit des soupçons sur la vertu de sa femme et qu'un compétiteur intrigant obtient l'emploi que Soligny convoitait.
Cette courte analyse servira à faire connaître la pièce donnée hier soir à l'Odéon, bien mieux que des détails circonstanciés ; car ils sont si nombreux et si déliés , qu'en cherchant à les suivre, on obscurcirait le fond de cet ouvrage dont le succès a été contesté sans doute à cause de la complication de l'intrigue que les spectateurs ont eu peine à comprendre.
Le cinquième acte dénoue cet imbroglio, et Soligny ne reçoit d'autre punition de ses inconséquences que la
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perte du poste qu'il ambitionnait. Son père est gracié et le ministre lui donne la main de sa fille.
Voltaire et Destouches ont mis en scène TIndiscret.
La première scène de l'ouvrage de Voltaire passe depuis long-temps pour un chef-d'œuvre de gaieté et de grâce. La faiblesse du reste n'a pas permis que la pièce restât au théâtre. La comédie de Destouches n'y est pas restée davantage \ mais c'est d'elle que M. Théaulon a tiré quelques situations.
A défaut d'une gaieté difficile à soutenir pendant cinq actes avec un caractère aussi restreint que celui de l'Indiscret, l'auteur s'est jeté dans l'intérêt et dans les émotions. La position dans laquelle il a placé Soligny et son père est une combinaison assez dramatique , et un parterre moins tumultueux que celui de l'Odéon aurait pu en, être touché. Mais, dans un ouvrage compliqué , du moment que l'attention a été distraite et détournée, elle ne peut plus se fixer de nouveau et suivre la gradation d'intérêt que l'auteur veut inspirer.
Un autre écueil de ce sujet se trouve dans le caractère même de l'Indiscret. Ses étourderies doivent être nécessairement découvertes, et il semble impossible, sans presser la catastrophe, d'en développer toutes les conséquences. Le principal personnage, par la nature même de son travers, doit se perdre lui-même promptement. M. Théaulon avait évité cette difficulté avec bonheur.
C'est la sœur de Soligny qui passe pour commettre toutes les indiscrétions de son coupable frère et elle accepte avec générosité, vis-à-vis du ministre , tout le poids de ses inconséquences, afin de ne pas priver Soligny de l'appui de son haut protecteur. Certes, cette combinaison est parfaitement heureuse , mais l'auteur
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l'a exploitée maladroitement. Au lieu d'arrêter sur la baronne seule les plaisanteries et les reproches graves que méritent ses prétendues indiscrétions, l'auteur a généralisé les censures que le ministre adresse à cette baronne, et c'est par des traits usés sur l'indiscrétion du sexe qu'il l'apostrophe sans cesse. Ces plaisanteries bannales sur le bavardage et l'inconséquence des femmes ont été, avec raison , fort mal accueillies, et, par cette maladresse, M. Théaulon a détruit l'élément le plus comique du succès de son ouvrage.
Le cinquième acte présentait encore des moyens de comédie assez bien combinés. Le ministre, enfin éclairé sur le caractère de Soligny, veut l'éprouver par luimême : en lui remettant la grâce du comte, qu'il vient d'obtenir, il lui confie, sous le sceau d'un absolu secret, qu'il se retire des affaires. A peine Soligny s'est-il éloigné que le ministre reçoit des complimens de condoléance sur sa retraite ; il lui en arrive de tous côtés, et il ne peut douter que Soligny ne soit le seul auteur de cette nouvelle et dernière indiscrétion. Cette combinaison est bonne -, et, révéler toutes les inconséquences de Soligny par une action vive, occuper toute la scène de lui sans qu'il paraisse, c'était une heureuse variété de moyens. Tout cela n'a point été saisi ou pour mieux dire n'a point été écouté. Un brouhaha continuel, de mauvais quolibets, des plaisanteries de province ont accompagné tout ce cinquième acte. Le nom de l'auteur a pourtant été proclamé par Eric-Bernard qui, pour la première fois, jouait la comédie. Il remplissait le rôle du ministre et ne s'en est pas mal acquitté.
J'ai fait jusqu'ici la part de l'éloge ; celle de la critique, pour être juste , doit être plus large encore.
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J'ai déjà parlé de l'obscurité du plan et de la complication des moyens. Les inconvenances dramatiques sont nombreuses. Un valet de chambre du ministre sert d'intermédiaire à son excellence dans presque toutes les opérations ministérielles, et ce n'est pas même un valet de chambre, puisqu'il porte la livrée. C'est une princesse du sang royal qui demande, pour le rival de Soligny, la main de la fille du duc , et cette demande est faite par un petit billet fort sec et fort impérieux auquel le ministre cède avec une facilité ridiculement inconvenante.
Le beau-frère de Soligny est une espèce de sot auquel il est inconcevable que le ministre veuille confier un emploi ; et le quiproquo , à l'aide duquel ce beau-frère devient subitement jaloux de Soligny, quoiqu'il produise ensuite une scène fort comique, est par lui-même d'une invraisemblance choquante , puisqu'il faut que la baronne reste au fond du théâtre sans voir son mari qui cependant a tout le temps de la voir et de l'entendre.
Mais la partie la plus faible de l'ouvrage, c'est le style sans verve, sans couleur, sans comique et souvent même incorrect. Une situation hasardée ou fausse se relève par un vers piquant -, mais il n'y en a pas dans l'Indiscret. M. Théaulon a écrit sa pièce sans la moindre attention. Habitué au couplet du vaudeville, il a cru qu'on pouvait apporter aussi peu de soin dans la tirade que dans les refrains ; mais, dans un grand ouvrage, la facilité n'est plus que de la négligence , et la clarté inélégante n'est que de la platitude. Aujourd'hui, plus que jamais , les poëmes dramatiques doivent être bien écrits pour se soutenir au théâtre. En suivant les exemples des anciens , quelques jeunes modernes ont empreint le
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style de la tragédie et de la comédie d une couleur correcte et brillante qui ne permet plus à leurs rivaux une versification négligée.
Outre les emprunts que M. Théaulon a pu faire àDestouches, le personnage de Soligny a trop de ressemblance peut-être avec TEtourdi, de Molière, et l'Horace de r Ecole des Femmes qui tous deux vont livrer entre les mains de leurs ennemis et de leurs rivaux les secrets les plus importans. Mais ce ne sont pas ces imitations plus ou moins répréhensibles qui constituent les véritables torts de l'auteur. L'obcurité de la conception , la multiplicité des moyens, l'inconvenance de quelques-uns et l'extrême faiblesse du style neutralisent les parties louables del'Indiscret, et empêcheront peutêtre que cet ouvrage ait le succès prolongé qu'il aurait été, à tous égards, si agréable de voir obtenir i1c:' M. Théaulon et que comportait l'intérêt répandu dans toute sa pièce.
THÉATRE ROYAL DE L'OPÉRA-COMIQUE.
LE MAÇON, DRAME LYRIQUE EN TROIS ACTES, DE
MM. SCRIBE ET..... MUSIQUE DE lU. AUBER.
6 mai.
En ne jugeant cet ouvrage que d'après les règles dtt théâtre et du goût, il serait difficile d'en faire l'éloge. La confusion des genres, le mélange d'une intrigue populaire et d'une noce grivoise, avec une action horrible
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et des amours de grands seigneurs, donnent à cette pièce une physionomie étrange. Un duc de Mérinville, éperdument épris d'une jeune Grecque qui fait partie de la suite de l'ambassadeur turc, à Paris, est attiré dans un piége par la jalousie et la perfidie d'Abdallah ; enfermé avec sa maîtresse dans la grotte de l'hôtel de l'ambassadeur, qui quitte Paris le jour même, il doit y périr de faim ; mais il est délivré de ce danger par le zèle du Maçon qui a -été appelé, sans savoir ce qu'il allait faire., et chargé de sceller la pierre qui ferme l'entrée de la grotte. Voilà assurément quelque chose de bizarre et d'extravagant. Mais, à la représentation, cette bizarrerie s'adoucit \ l'extravagance disparaît et il ne reste plus, si l'on ne veut pas résister aux émotions qu'on éprouve, qu'un intérêt très vrai et très vif, et si bien disposé, grâce à l'habileté des auteurs, qu'on n'a pas le temps de s'apercevoir des invraisemblances dont fourmille cet ouvrage , lequel prouve, plus qu'aucun autre , tout le talent de M. Scribe. La musique est neuve, originale et ne peut que soutenir la réputation de M. Auber. Le Maçon doit avoir un succès prolongé. C'est une pièce dans le genre de celles de Sedaine, le Déserteur, le Comte d'A Ihert, etc., etc., mais arrangée avec un art infini et bien supérieur à celui de l'auteur de Richard-Cœur-de - Lion, sous le rapport dramatique.
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SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
LA MORT DE CÉSAR, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES, DE
M. ROYOU.
io mai..
La représentation donnée hier au bénéfice de Joanny, acteur de ce théâtre, se composait de la Mort de César y tragédie en cinq actes, qui n'est pas, par conséquent, celle de Voltaire , et des Noces de Gamache, opéra. traduit de l'allemand, musique de Mercadante.
C'était une entreprise plus que hardie d'avoir essayé de refaire un des ouvrages de Voltaire, que le jugement des gens de lettres met au rang de ses chefs-d'oeuvre. L'auteur de la tragédie nouvelle, M. Royou, membre de la commission de censure dramatique, n'a pas été arrêté par cette considération. C'est un tort assurément, et, à part toutes les circonstances qui ont influé hier sur le sort dé la pièce, les gens de goût auraient eu peine à lui pardonner cette tentative irréfléchie, et dans laquelle il ne pouvait que succomber. OEdipe, Zaïre, Mérope, et la Mort de César, sont des sujets auxquels on ne peut plus toucher, parce qu'ils ont été supérieurement traités.
Le public s'est donc rendu à cette représentation avec des préventions naturellement défavorables ; il aurait fallu que la tragédie de M. Royou , fût deux fois meilrleure que celle de Voltaire pour que les comparaisons,,
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qui naissent à chaque instant des situations semblables dans les deux ouvrages, ne tournassent pas au désavantage de la pièce nouvelle. Quoique la tragédie de M. Royou ne manque pas de quelque mérite, et que l'on y rencontre de temps à autre des vers fort beaux et même des tirades remarquables, il était impossible pourtant qu'il pût soutenir une lutte aussi disproportionnée. Il y , a succombé : il y aurait succombé en tout autre temps 5 mais voici les motifs particuliers qui donnent à la chute de son ouvrage une physionomie remarquable.
C'est le projet qu'avait conçu César de mettre la couronne royale sur sa tête qui a servi de prétexte, tout autant que de raison, aux factieux de Rome pour l'assassiner. Sans doute, l'état républicain, depuis l'expulsion des Tarquins , était devenu la forme légitime du gouvernement de Rome, et César semblait porter atteinte aux lois de son pays en rétablissant le pouvoir monarchique. Mais il est certain que ce grand homme n'aurait point formé un pareil dessein, si les mœurs publiques eussent encore été d'accord avec les institutions politiques. C'est parce qu'il avait remarqué que le gouvernement d'un seul était devenu nécessaire, et que la situation extérieure et intérieure de la république romaine appelait ce grand changement ou du moins s'y prêtait, qu'il s'était décidé à rétablir la royauté, non pas tant peut-être dans l'intérêt de son ambition et de sa gloire que pour assurer la tranquillité et la grandeur plus stable du pays. Ce qui prouve qu'en effet le temps était venu de rétablir le pouvoir monarchique , c'est la facilité avec laquelle Auguste fut empereur peu de temps après la tentative de César. Cassius et les autres sénateurs qui s'opposèrent à son projet étaient moins guidés par l'a-
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mour et le respect des anciennes lois que par l'esprit de trouble et d'anarchie qu'ils avaient besoin d'entretenir pour conserver quelque pouvoir dans l'état, et sortir de l'embarras où le désordre de leurs affaires domestiques les avait plongés. Le seul Brutus croyait encore sincèrement à la possibilité de réformer les mœurs, de contenir les factions en conservant le gouvernement républicain, dirigé dans ces sentimens par son propre caractère, les maximes de Caton et peut-être aussi par le nom qu'il portait. L'exaltation de ces sentimens l'entraîna au plus grand des forfaits, et arrêta les projets de César, lesquels, sans lui, n'auraient point éprouvé de sérieux obstacles de la part des autres conjurés sans vertus et sans crédit dans Rome.
Dans la situation incontestable et historique de ces deux personnages, il faut donc rigoureusement, lorsqu'ils seront en présence, que César pour amener Brutus à des idées positives et raisonnables cherche à lui démontrer que le temps de la république est passé $ que la corruption des mœurs et l'agrandissement du territoire ne permettent plus cette forme de gouvernement -, que le pouvoir monarchique peut seul dissiper les factions r contenir l'anarchie populaire et assurer la tranquillité de l'Etat -, que c'est moins dans son intérêt personnel, puisqu'il jouit par le fait d'une puissance illimitée, que dans l'intérêt public qu'il convient de rétablir la royauté, etc., etc. On ne peut pas concevoir César parlant autrement, et, comme la première règle du théâtre est de faire agir et discourir les personnages qu'elle représente selon leur caractère et leur position, il est évident que César ne peut, sur la scène, tenir un autre langage.
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Mais aujourd'hui l'esprit de parti est si excité et si actif que tout est interprété au théâtre avec les opinions nouvelles. Ce n'est plus du personnage historique qu'il s'agit ; les discours et les actions sont détournés de leur véritable sens. Il faut que les héros dramatiques parlent et agissent, non comme ils ont dû parler et agir au temps où l'action se passe -, mais comme il convient au parterre. Il faut que l'auteur réponde aux idées dominantes ou répandues, et le public repousse toute pensée, toute maxime, toute démarche qui contrarie ses doctrines secrètes. Il est certain que maintenant, non seulement tout ce qui a la teinte monarchique et bourbonienne est dédaigné et ridiculisé par le parterre , mais que les idées républicaines germent de nouveau dans la tête de la jeunesse. Les élèves de nos écoles, persuadés que l'intention occulte du gouvernement est de détruire peu à peu les institutions constitutionnelles, se sont jetés avec ardeur dans les rêveries de la république *, et avec toute l'effervescence funeste de leur âge, leur irréflexion et leurs passions étant depuis quelques mois singulièrement excitées par les événemens de tout genre qui se sont manifestés, ils se croient obligés, au théâtre, de repousser publiquement tout ce qui, d'un côté, peut porter atteinte directement ou indirectement aux institutions nouvelles ou à ce qu'on appelle l'esprit constitutionnel, et, de l'autre côté, tout ce qui peut être favorable à la royauté et au roi.
Rien n'a mieux prouvé ces dispositions de l'esprit public que la représentation d'hier. César s'écrie qu'il faut désormais pour gouverner,
Le pouvoir souverain
Et non plus un forum sans mesure et sans frein.
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Le parterre voit dans cette réflexion naturelle de César une attaque contre la liberté de la tribune législative, et répond par des huées et des sifflets à un sentiment que le héros tragique devait, dans sa position, nécessairement exprimer.
César propose à son conseil le rétablissement du pouvoir monarchique -, Cassius lui répond :
Plutôt que de subir un joug si détesté,
J'irais dans les déserts chercher la liberté.
Et aussitôt des acclamations unanimes et prolongées, des cris de : bis se font entendre de tous côtés.
C'est dans cet esprit que toute la pièce a été entendue, et le parterre n'a vu dans la tragédie nouvelle que l'intention de lui donner une leçon. Il n'a tenu aucun compte de la situation des personnages, de la nécessité de les faire parler convenablement, et chacun dans son caractère ; il n'a vu partout que des allusions, ou, pour mieux dire, il les a faites partout, et a accablé l'ouvrage de murmures ironiques et de quolibets injurieux.
Déjà au troisième acte, on avait demandé : la toile! Le quatrième avait commencé au milieu du tumulte, et il devenait évident que la pièce ne serait pas achevée. Un incident singulier a prolongé la tragédie jusqu'à la fin. Dans une scène entre César et Brutus, et pendant que ces deux personnages discouraient sensément sur la forme de gouvernement dont le maintien ou le changement fait le nœud de la tragédie, les huées et les ricanemens de l'esprit de parti ne permettaient plus d'entendre un mot. L'auteur est sorti de la coulisse, s'est avancé tranquillement jusqu'au trou du souffleur, lui a
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retiré le manuscrit, et s'est éloigné en faisant au parterre un signe de tête menaçant. Les acteurs se sont retirés, et la toile a été baissée ; mais, revenu de la surprise extrême que lui avait causée cette étrange démarche de l'auteur, le parterre a demandé à grands cris la continuation de la tragédie -, et, après quelques momens d'interruption, elle a été en effet continuée, mais écoutée et jugée avec la même défaveur.
M. Royou n'est pas le premier poète qui ait risqué une semblable démarche. Il y a quelques vingt ans, M. Lemercier, à la première représentation .d' [suie et Orovèze, retira également son manuscrit des mains du souffleur, et, comme il l'emporta réellement, l'ouvrage ne fut pas achevé.
La tragédie de M. Royou est une pièce faible, surtout en raison de celle de Voltaire -, mais elle n'est pas sans mérite -, il aurait au moins fallu l'écouter ; c'est ce que n'a pas voulu un parterre qui ne juge plus les ouvrages dramatiques que d'après les misérables inspirations de l'esprit de parti, et c'est aussi ce qui doit empêcher tout auteur, qui n'en sera pas favorisé, de se livrer désormais à aucune composition littéraire importante.
Au lever du rideau pour la seconde pièce, et sur la demande contestée de quelques amis de l'auteur, le directeur du théâtre est venu nommer M. Royou.
La recette du bénéficiaire a dû être à peu près nulle.
Il n'y avait presque personne excepté au parterre.
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PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS.
LA CLÉMENCE DE DAVID , TRAGÉDIE DE CIRCONSTANCE ,
EN CINQ ACTES , DE M. DRAPARNAUD.
8 juin.
C'est certainement une des idées les plus folles qui puissent passer à travers une tête mal faite, que celle de faire une tragédie de circonstance. Le poëme dramatique est soumis non seulement à des règles , mais encore à un empire de raison qui ne peut se prêter facilement et avec dignité aux allusions que doivent offrir les ouvrages faits pour une occasion déterminée. La première condition d'une pièce de théâtre , c'est que les personnages disent ce qu'ils doivent dire, et elle est impossible à observer, cette condition, dans un ouvrage où il faut, à toute force, que les personnages allégoriques rappellent sans cesse les personnages réels. De plus, une pièce de circonstance est assurément une œuvre fugitive destinée à quelques représentations quand elle est bonne, et condamnée, dans tous les cas, à un prompt et éternel oubli. Il est donc difficile d'espérer qu'un homme d'un véritable talent soumette ses inspirations à un travail de ce genre. Il s'en est trouvé un cependant ; Chénier, le républicain , le régicide Chénier, auquel, sous le rapport littéraire, on ne saurait refuser beaucoup de talent, abaissa sa plume et ses sentimens politiques jusqu'à la
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tragédie de circonstance. Il ne put refuser le secours de sa verve aux séductions de Buonaparte, empereur, à d'anciennes amitiés, et, plus certainement encore, au désir secret de faire sa paix avec un homme qui ne souffrait pas d'ennemis. Chénier fit Cyruê dans l'intention d'appeler l'opinion publique à des comparaisons flatteuses pour celui qu'un républicain devait, plus que tout autre , regarder comme un tyran. L'entreprise ne fut pas heureuse, et Cyrus, malgré la pompe dont on voulut entourer sa première représentation, tomba sous les sifflets du goût et des sentimens d'opposition au gouvernement impérial. Une autre tentative du même genre eut encore lieu; mais cette fois ce fut un poète sans réputation et à peu près sans talent, qui eut la folie de s'en charger. M. Carion-Nisas , qui, au Tribunat, avait été le premier à proposer l'élévation de Buonaparte à l'empire , eut, plus tard, le courage de faire une tragédie de circonstance. Les fastes dramatiques ont conservé la mémoire de la représentation de Pierre-leGrand, la plus bruyante, la plus tumultueuse qui peut-être ait jamais eu lieu.
Cependant ces deux entreprises avaient été déguisées ; c'est-à-dire que les tragédies dont je parle n'avaient point été données dans une circonstance solennelle et avec l'intention évidente de célébrer l'homme dont elles étaient l'objet. Cyrus et Pierre-le-Grand furent représentés comme des tragédies ordinaires ; mais le public ne se trompa pas plus que Buonaparte sur les motifs de leur chute. On siffla, comme affaire de goût, deux ouvrages politiques qui néanmoins n'étaient pas dépourvus de mérite; mais quoiqu'ils n'eussent pas été donnés comme pièces de circonstance, le pouvoir
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n'en reçut pas moins cet échec qui résulte toujours du triomphe, même le plus passager, de l'opposition au gouvernement.
C'était donc une chose tout-à-fait dangereuse , dans la situation actuelle , que de risquer la représentation d'une tragédie de circonstance. Elle eût été un chefd'œuvre que probablement encore elle serait tombée ou que du moins elle aurait été l'occasion de scandales et de troubles , à plus forte raison quand cette tragédie est l'ouvrage d'un auteur qui jouit d'une réputation ridicule, et qu'elle est elle-même plus ridicule que son auteur. J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de m'explique sur de pareils sujets. Ce n'est pas quand il s'agit d'intérêts aussi sérieux que ceux de la dignité et de la sécurité du pouvoir, qu'on doit juger purement les sentimens et abandonner à des esprits, amis sans doute, mais imprudens, la moindre participation à des événemens si graves. Le zèle emporté et malhabile est le plus dangereux secours qu'on puisse recevoir, et la manifestation d'une opinion hostile au théâtre est, par sa publicité, son éclat et les conséquences qu'elle peut avoir, une des choses qu'il faut éviter avec le plus de soin. Or, rien n'est assurément plus propre à produire cet effet qu'une tragédie de circonstance, ouvrage essentiellement ridicule et que le bon esprit éclairé doit repousser avec autant d'empressement et d'effroi que le goût,
La Clémence de David, tragédie, d'abord en cinq actes, puis réduite à trois , avait été présentée au premier Théâtre Français, par M. Draparnaud, auteur de quelques ouvrages fort maltraités par le public. Les comédiens crurent devoir refuser cette étrange pièce ;
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mais elle leur fut plus tard imposée ; l'événement a prouvé que ce n'étaient pas les comédiens qui avaient eu tort, et l'analyse de la Clémence de David justifiera sans doute leur premier refus.
Mais, pour faire comprendre cette analyse, il est indispensable que j'explique en même temps, par les noms et les choses de notre époque, les personnages et les événemens que l'imagination dévergondée de M. Draparnaud a mis sur la scène, et qu'il serait, sans cela, impossible de concevoir.
David-Charles X est roi, mais ne règne encore que sur deux tribus fidèles ( les royalistes ) , tandis que les dix autres tribus (républicains et buonapartistes) veulent s'opposer à son couronnement et élever au trône un certain Isbaal ( peut-être le roi de Rome ) , fils ou petitfils de Saül (Buonaparte).
Isbaal est vaincu, mais ne veut pas se soumettre. David lui pardonne à cause de Jesrael, sa mère, qui implore sa grâce. Isbaal persiste dans ses sentimens de haine. Un certain Thamar (qui représente les jacobins inflexibles) vient lui découvrir qu'il a attiré DavidCharles X dans un piége, et que là il pourra l'assassiner facilement. Isbaal, qui joue aussi le rôle d'un militaire de l'ancienne grande armée, repousse cette proposition ; il veut se battre avec Charles X, mais il ne veut pas assassiner David, parce que la gloire, les succès, la grandeur d'âme, etc., etc., etc., et même il tue Thamar parce qu'un traître lui fait horreur. Thamar, en mourant, déclare que c'est Isbaal qui voulait tuer le roi. Charles X pardonne encore à Isbaal ; celui-ci n'accepte rien; mais, enfin, David qui va être couronné et qui a la rage de pardonner, rend les armes à Isbaal
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( ce qui veut dire que le roi a rappelé auprès de lui tous les anciens généraux ) et de plus lui donne en mariage sa fille Nobé, ce qui est peut-être une allusion à la pensée de l'auteur qui trouverait sans doute très politique que Charles X, pour calmer toutes les inquiétudes, proposât la main de Mademoiselle au roi de Rome. Enfin, David est couronné et jure sur le livre saint de rester fidèle à la Charte constitutionnelle, c'est-à-dire ' aux lois du royaume, parce que Charles X a fait un pareil serment à son sacre. Ajoutez à cela un grandprêtre ( monseigneur l'archevêque de Reims ) qui prophétise le règne de Salomon ( monseigneur le duc d'Angoulême ) et auquel le roi fait la leçon en lui disant que le rôle des prêtres est de bénir les peuples et que tous les cultes sont libres. Revêtissez toutes ces belles conceptions du style le plus baroque, des idées les plus dangereuses, des provocations les plus vives -, mettez-y quelques tirades sur l'esprit de parti, sur l'indemnité des émigrés, sur les devoirs des rois, et vous ne pourrez pas encore vous figurer l'extravagance de la tragédie de circonstance, jouée hier sous le titre de la Clémence de David.
L'extrait que je viens d'en donner ne paraîtra peutêtre pas fort clair -, il est bien exact cependant, et l'obscurité du récit n'est peut-être pas ma faute autant que celle de M. Draparnaud. Heureusement ce chef-d'œuvre de ridicule a été représenté devant des gens qui n'y ont rien compris, et qui ont l'habitude d'admirer ce qu'ils ne comprennent pas. Ils se sont tus -, et je trouve très bien alors qu'on ait donné les bons sentimens de M. Draparnaud un jour de spectacle gratis. Mais le public ordinaire n'est rien moins que charitable, et il serait
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assurément impossible qu'il supportât la représentation d'un si pitoyable ouvrage i
PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
LE ROMAN, COMÉDIE EN CINQ ACTES ET EN VERS, DE
M. DELAVILLE.
23 juin.
Rien n'est aussi simple que l'intrigue de cette comédie , et l'analyse ne donnerait aucune idée du mérite de l'ouvrage. On va en juger.
Madame de Rosbelle, jeune noble et veuve sans fortune , est venue à Paris solliciter le succès de quelques réclamations qu'elle a formées auprès du ministère. Elle a été accueillie par une de ses anciennes amies, madame d'Orfeuil, et c'est chez celle-ci qu'elle loge. Mais madame d'Orfeuil vit elle-même chez son beau-frère , M. Dupré , l'un des plus riches banquiers de la capitale. M. Dupré a auprès de lui, outre sa belle-sœur, son fils à lui et son neveu. Tous les trois sont amoureux de madame de Rosbelle. Charles, le fils de M. Dupré, est est un jeune étourdi qui adresse à la veuve des hommages assez légers ; son père roule à ce sujet quelques idées fort équivoques ; Henri, le neveu , avocat sans fortune, a conçu un amour sincère; il est payé de retour. Ses sentimens et ceux d'Amélie de Roshelic sont connus de madame d'Orfeuil ; ils le sont aussi du baron, père d'Amélie, qu'on attend à Paris.
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Madame de Rosbelle avait fait en-province un roman. Arrivée dans la capitale, elle l'avait lu à un cer-
tain Préval, homme fort obligeant, s'entremettant volontiers de toutes les affaires de ses amis, et s'étant fait
une loi de n'avoir jamais d'autre avis que le leur. Il a trouvé charmant l'ouvrage de madame de Rosbelle-et
l'a pressée de le faire imprimer. Madame de Rosbelle a long-temps résisté ; mais, vaincuè par les instances de Préval, et se trouvant d'ailleurs fort gênée d'argent, elle
a cédé, et ce premier roman a été publié, mais sans que l'auteur ait été nommé -, madame de Rosbelle est restée parfaitement inconnue. Encouragée par ce premier succès, elle a fait un second roman dont le libraire Roliin
est enchanté, et qu'il a acheté 12,000 francs. On l'imprime dans ce moment, et c'est le complaisant Préval
qui va chercher et reporter les épreuves.
Madame de Rosbelle, en causant avec Henri, décou-
vre qu'il a une sorte d'antipathie pour les femmes auteurs. Elle tremble qu'il ne surprenne son secret. Madame d'Orfeuil vient lui faire une confidence, et lui demander un service. Elle a joué à la bourse -, elle a perdu 10,000 francs. Elle supplie Amélie de les emprunter à Dupré , de qui elle n ose réclamer ce service. Madame
de Rosbelle s'en charge quoique àvec répugnance. Elle sollicite Dupré qui lui promet la somme sur-le-champ ; mais, comme il lui fait entendre qu'il croit que cet ar-
gent est pour elle-même, et qu'il espère obtenir le prix
de cette complaisance , madame de Rosbelle, indignée
de ses soupçons et de ses espérances, refuse fièrement
ce quelle avait d'abord sollicité, et, afin de sortir madame d'Orfeuil de l'embarras où celle-ci se trouve, , Amélie se décide il réduire à 10,000 francs le prix de
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son roman, pourvu que le libraire le lui paie comptant. Rollin y consent; mais il demande instamment que madame de Rosbelle achève une lettre de cet ouvrage dont la publication est retardée par ce fait. Amélie se met à corriger la lettre -, Henri la surprend dans ce travail -, il entend le nom de Gustave et quelques mots d'amour ; la jalousie le transporte ; il se croit trahi. Il demande l'explication de ce qu'il vient de voir -, madame de Rosbelle la lui refuse, ne voulant pas avouer qu'elle s'occupe de composer des romans : Henri doute d'autant moins de son infidélité qu'il a rencontré le matin Rollin sortant de chez madame de Rosbelle, et que ce libraire, jeune et vêtu à la mode, lui a donné quelque ombrage en refusant de décliner le motif de sa visite.
Le père d'Amélie est arrivé dans cet intervalle. Il a vu ie ministre qui, non seulement a assuré le succès des réclamations de sa fille , mais encore l'a engagé à solliciter pour son propre compte une faveur qu'il peut espérer d'obtenir en raison de son nom et des services qu'il a rendus à l'état et au prince. Le ministre écrit même à ce sujet un billet fort obligeant au baron. Toute la famille Dupré croit qu'il s'agit de la pairie, et le banquier millionnaire, espérant l'héritage du titre, demande la main d'Amélie : il est refusé, et l'on apprend bientôt que c'est Henri que la jeune veuve préfère. Mais Henri semble renoncer à sa main -, il accuse d'inconstance celle qu'il aime : étonnement de tous les personnages !... L'arrivée de Rollin et de Pré val met fin à tout cet embarras. On apprend que madame de Rosbelle composait un roman dont le prix était destiné à rendre service à madame d'Orfeuil; la femme auteur par occasion, promet de ne plus écrire qu'à son mari,
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et le mariage se fait au grand contentement de tout le monde.
Il n'y a certes rien de bien saillant ni de bien neuf dans cette action ; aussi n'est-ce pas sous ce rapport qu'elle mérite des éloges, et n'est-ce point à cette intrigue qu'elle doit le succès qu'elle a obtenu. C'est à deux aperçus fort justes des mœurs actuelles de la société , qu'il faut attribuer ce triomphe. Les financiers modernes, appelés par la force des choses à prendre part aux affaires publiques, et exerçant, au moins à Paris, une grande influence, et, par leur luxe et par leurs relations , tiennent en général à l'opposition et déclament contre les priviléges , les titres , la noblesse, enfin contre tout ce qui a de l'élévation sans fortune. Ils sentent bien qu'ils peuvent gagner beaucoup d'argent, mais qu'ils ne peuvent acquérir une illustration personnelle que les mœurs, les usages, d'accord avec le bon sens, n'accordent qu'à des services publics ou à des talens éclatans. De là leur dénigrement contre les supériorités intellectuelles de la société. Cette classe n'avait point encore été présentée au théâtre sous ce point de vue. Au contraire, jusqu'ici on n'avait mis à la scène que des négocians sans travers, sans ridicule, modèles d'honneur et de bon sens, par opposition à des nobles pleins de hauteur, de sottise et de vices. Il y avait à craindre même que ce tableau ne fût pas bien reçu -, non pas que le bon sens public et la plus simple observation ne fissent voir qu'il ne suffisait point d'être commerçant pour avoir toutes les qualités et d'être noble pour être vain et ridicule -, mais depuis le Philosophe sang le Savoir, les déclamations des écrivains du dernier siècle et la révolution, il était comme établi au théâtre
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que la noblesse noblement soutenue était une chose illusoire , et que les bienfaits du négoce devaient avoir le pas sur tout autre genre d'illustration. L'auteur de la pièce nouvelle a entrepris de combattre ce préjugé soidisant philosophique , et il en a fort bien indiqué le ridicule. Le banquier Dupré s'indigne de l'arrogance des nobles, et il donne la preuve que tous les défauts qu'il leur reproche se trouvent en lui. Le baron, au contraire, est présenté sous les traits les plus heureux. Il n'est point entiché de l'illustration de sa famille ; il tient à son nom, parce qu'il y a long-temps que ce nom est honorable, et qu'il le porte honorablement. Dans une scène fort bien faite entre le noble et le banquier, ils s'expliquent franchement. C'est le combat de l'ancien régime, devenu raisonnable, avec le nouveau , fier de ses richesses et de sa position actuelle. La situation était épineuse ; l'auteur s'en est tiré à merveille, et n'a poussé les choses que jusqu'où elles pouvaient aller sur la scène. Dupré s'étonne que les faveurs et les distinctions soient accordées à tous les genres de services et ne le soient pas aux gens riches qui couvrent les emprunts des états, qui jouent un si grand rôle dans les relations des puis' sauces, etc., etc. Le baron lui fait observer que quand les banquiers prêtent de l'argent au pays, ils peuvent à la vérité lui rendre service; mais que, comme ils le prêtent à d'assez gros intérêts , ils en sont récompensés par les bénéfices qu'ils en retirent, et qu'il est juste alors que la considération, les distinctions et les autres faveurs sociales s'attachent aux professions, aux carrières, aux services qui demandent des lumières, du dévouement, et qui ne procurent point la fortune. Toute cette scène est excellente ; on Il 'a-y,Ù point encore mis sur
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le théâtre moderne la fatuité de la richesse, le ridicule de l'aristocratie financière ; il y est maintenant. Turcaret est grossier, et ne ressemble plus aux financiers du dix-neuvième siècle. Dupré est le modèle de ceux-ci; il fallait du talent et du courage même pour le présenter. On peut regretter que, dans la comédie nouvelle, ce ridicule ne tienne pas assez, ne soit point assez lié au fond de l'ouvrage -, il est plutôt esquissé qu'approfondi ; ce n'est guère que dans les détails qu'il se montre ; mais il n'importe, ce croquis est parfait à tous égards, et c'est dans ces occasions, malheureusement trop rares, que le théâtre est vraiment utile, car il est le seul moyen de combattre et de renverser un préjugé si dangereux.
L'autre aperçu , comique, fort bien observé et plus amplement développé, est celui qui se rapporte au ton de M. Dupré avec son fils , à leurs relations domestiques. Dans l'ancienne comédie, y compris le théâtre de Molière , les pères , il faut en convenir , jouent un rôle étrange. Ils sont tous ridicules, entêtés , avares -, i4s s'opposent constamment au bonheur de leurs enfans qu'ils tiennent dans une gène affreuse. Ces tableaux n'ont certainement pas été sans influence sur la conduite des parens avant et depuis la révolution. Le changement des mœurs a été considérable sous ce rapport. Loin de tenir leurs cnfans dans un éloignement en quelque sorte craintif, de£ n'exiger d'eux qu'une tendresse respectueuse, jusqu à la froideur, comme il en était autrefois, on s'est jeté dans un excès contraire. Le tutoiement a remplacé les formes du respect dans les relations habituelles: une familiarité complète s'est établie
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des fils aux pères ; on est Vami de son enfant, et cet oubli des déférences filiales n'est pas moins dangereux peut-être que l'excessive sévérité des anciennes familles. C'est ce tableau des nouvelles mœurs domestiques que l'auteur a voulu présenter aussi. Le fils de M. Dupré est en camaraderie avec son père, mais pourtant sans sortir jamais des bornes du respect. C'est un tableau assez agréable, dont le spectateur devine les inconvéniens plutôt qu'on ne les lui fait voir. Les exemples de ces caractères ne sont pas rares •, et, pour n'en citer que deux, dans des positions sociales fort différentes, c'est ainsi que vivent entre eux, M. le duc de F et son fils, MM. Carle et Horace Vernet.
Le Roman est une pièce qui ne conclut pas , dont on ne voit pas le but et qui n'en a pas, du moins dans son action et dans son denoûment. C'est dans les détails et dans l'esquisse de quelques caractères qu'il faut chercher les intentions de l'auteur. Le plan et l'intrigue sont faibles ; l 'exécution est faible aussi, surtout au quatrième acte •, les entrées des personnages sont mal ou ne sont pas du tout justifiées -, l'auteur aurait pu faire quelque chose de ce Préval, dont le caractère complaisant et facile est plaisamment expliqué au premier acte et qui devient tout-à-fait nul dans les autres. Mais, encore une fois, il suffirait des deux aperçus que j'ai détaillés plus haut et qui sont en même temps vrais et comiques, pour assigner à la comédie nouvelle un rang fort distingué parmi les productions modernes ; et, ce qui ajoute encore à son mérite, c'est un style spirituel, élégant, clair, généralement correct et ferme, un dialogue naturel et piquant. La pièce, fort mal jouée par les co-
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médiens, a obtenu un succès non contesté, quoiqu'il fût évident qu'il n'y avait aucune bienveillance dans l'auditoire. L'auteur a été demandé, et Armand est venu livrer au public le nom de M. Delà ville.
M. Delaville, que j'ai l'honneur de voir quelquefois dans le monde, est un homme jeune encore et fort honorable. Il est maître des requêtes, et fut appelé de Bordeaux, sa patrie, par le feu duc de Richelieu, qui le fit secrétaire de la présidence du conseil, à la recommandation, je crois, de M. Lainé. M. Delaville est auteur d'une tragédie d' Artaxerce, qui n'a point été représentée à Paris ; d'une autre tragédie, Charles VI, dont la censure avait défendu la représentation ; de la comédie du Folliculaire, jouée avec succès il y a quelques années au premier Théâtre Français et d'une comédie des Elections, dont la représentation a été aussi défendue, en raison du sujet de l'ouvrage qui pouvait être alors l'occasion de quelques troubles.
SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
LES NOUVEAUX ADELPllES, COMÉDIE EN CINQ ACTES ET
EN VERS , DE M. tESGUILLON.
28 juin.
C'est un éternel sujet de controverse que l'éducation des enfans. Il est vrai aussi que rien n'est plus important pour la famille, pour la société, pour l'état, que la direction du cœur et de l'esprit de la jeunesse. L'é-
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ducation privée rend les mœurs plus douces, res'serre les liens de la filialité, donne de l'élégance aux manières, de la politesse aux discours. L'esprit de famille se perpétue volontiers dans ce système.
L'éducation publique, par l'inflexible égalité d'un régime uniforme, façonne davantage à la soumission ; la règle immuable et indistinctement appliquée à tous, force au devoir et à la subordination. Les mœurs deviennent plus rudes -, mais aussi les esprits plus énergiques , les cœurs plus hardis. L'émulation, sans cesse excitée, développe davantage l'intelligence et fortifie les sentimens. L'instruction y est plus forte, la règle, plus favorable au caractère et à la santé 5 et si, ce qu'il faut espérer du temps et des chefs de l'université , les principes religieux viennent enfin à dominer davantage l'enseignement dans les écoles publiques, ce système d'éducation prévaudra sans doute et détruira les préventions scrupuleuses et assez fondées encore d'un grand nombre de familles.
Mais enfin, dans le système de l'éducation privée, quelle marche suivra-t-on ? Adoptera-t-on une sévérité constante qui dompte le caractère des enfans et qui leur inspire, sinon le respect, du moins la crainte et par suite l habitude d'une obéissance complète? ou bien 1 se jetant de l'autre côté, les abandonnera-t-on à leur naturel, à leurs penchans ? Gagnera-t-on leur confiance et leur amitié par la douceur, par la raison , sans jamais violenter leurs désirs et leurs inclinations ? C'est toujours sous ce point de vue général que les philosophes , les moralistes, les poètes ont posé la question : question oiseuse par sa généralité et par son absolutisme. Il ne faut pas être trop sévère; il ne faut pas
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être trop doux , et avant tout il ne faut pas se faire un système sur un sujet pareil. Quelques principes généraux , 'modifiés ou augmentés selon les inclinations bonnes ou mauvaises , et surtout le bon exemple, sont les seules règles qu'il faille reconnaître et appliquer dans l'éducation domestique, appuyée-avant tout sur la connaissance, la crainte et l'amour de Dieu. Mais jamais ceux qui ont traité publiquement cette question,
à l'exception de Plutarqúe, ne sont restés dans ce juste milieu. Les poètes comiques ont toujours présenté ce sujet dans un contraste parfait, et, bien entendu, ils ont constamment donné la préférence au système de douceur, et, si je puis le dire, de laisser-aller dans l'éducation. Ils sentaient bien que les juges du parterre, auditeurs intéressés, ne souffriraient pas tranquillement qu'on prêchat aux parens une doctrine si contraire à leurs plaisirs. Aussi, depuis Térence, qui, à ce qu 'on croit, imita, comme tous les comiques latins, ■ sous le titre des Adelphes, un ouvrage du Grec Ménandre, jusqu'à la comédie représentée hier, tous les auteurs ontils suivi la même donnée. Molière, dans l'Ecole des Maris, est le premier qui l ait établie sur notre théâtre ; mais son esprit judicieux s'était arrêté à l'éducation des filles; il avait senti que l'éducation des garçons était trop importante dans l'état pour en faire l'objet d'une controverse dramatique. Cependant, il a assez généralisé ses réflexions et ses maximes pour qu'elles autorisassent ses successeurs à les appliquer à notre sexe. Mais cette pièce même, et F Ecole des Femmes, qui roule à peu près sur le même sujet, viennent à l appui de ce que je disais plus haut sur la dangereuse inutilité de la
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question ainsi établie. Sganarclle et Arnolphe sont deux fous qui tyrannisent sans raison, l'un sa pupille, l'autre sa maîtresse. Ce n'est pas de la sévérité, pourrait-on dire à Molière, c'est de la sottise en démence -, vous avez bien fait, comme poète dramatique, de présenter des caractères aussi tranchans : mais ceux qui veulent conclure de vos deux chefs - d'œuvre qu'il faut laisser toute liberté à la jeunesse sont d'autres fous tout aussi dangereux que les vôtres, et telle est pourtant la conclusion la plus généralement tirée du dilemme posé par Molière. Pour ne pas être un père barbare ou ridicule, on est un père faible et corrupteur. Dans le vrai, l'éducation publique ou privée se ressentira toujours de la situation de la société et du caractère individuel des parens et des enfans : molle et frivole, dans les temps relâchés et dans les habitudes domestiques trop faciles ; désordonnée, dans un état abandonné à toutes les doctrines et au milieu de familles livrées aux désordres de tout genre. Mais au théâtre, c'est la règle : un jeune homme qui a été élevé sévèrement ^ se révolte en secret contre la tyrannie de ses parens et fait milles sottises; tandis que son camarade, qu'on a laissé agir comme il a voulu, est un modèle de sagesse, de bon cœur, de bonne conduite. Le parterre ne manque jamais d'applaudir à ce tableau. Cela se conçoit, et le parterre a raison : c'est la leçon que tous les jeunes gens qui le composent font à leurs parens. Cela les flatte et sert leurs penchans.
En Angleterre, Fielding, dans Tom Jones, Shéridan, dans l'Ecole du Scandale, ont suivi cette donnée. Après Molière, en France, nous avons eu une foule de
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pièces sur le même sujet : l'Ecole des Pères, de Piron 5 l'Ecole des Pères, de Pieyre; la Petite Ecole des Pères, de M. Etienne; et, avant ceux-ci, r Enfant prodigue, de Voltaire, etc., etc. C'est encore sur ce plan si usé que M. Lesguillon a bâti le drame le plus plat, le plus mal conçu et le plus mal exécuté qu'on puisse imaginer. Valmont a fait élever son fils par un vieil intendant qui lui sert de précepteur, et qui n'est qu'un vil coquin se prêtant aux amours de son élève pour une jeune Amélie que son père veut épouser. Ce Valmont ne parle jamais à son fils et à sa fille que pour les gronder et les rudoyer. Il se moque de leur tendresse $ il ne veut que de leur respect. Le frère de Valmont, au contraire , a élevé son fils Eugène avec une extrême indulgence et en a fait un garçon accompli. Par suite de cette première combinaison, le jeune Armand enlève la prétendue de son père, et c'est Eugène qui en est soupçonné. Tout s'éclaircit bientôt. Valmont renonce à la main d'Amélie en faveur de son fils, et il reçoit de son frère une leçon d'indulgence et de bonté.
Ce mauvais drame, renforcé de quelques personnages qui tiennent à peine à l'action, tels que la fille de Valmont, qui doit se marier avec son cousin Eugène -, la gouvernante de cette jeune fille, digne pendant de M. Prudhomme le précepteur, et qui apprend à cette petite personne, comme modèle d'éducation, ce que c'est que l'amour, et comment il faut s'y prendre pour le pratiquer -, enfin , un domestique, comme on n'en voit plus au théâtre ni dans le monde, qui conseille et qui exécute l'enlèvement -, ce mauvais drame, dis-je, est écrit d'un style aussi barbare, aussi impropre que sa
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morale est sotte. C est un amas incorret de lieux con muns ; il ferait presque regretter les Deux Précepteur de Fabre-d'Eglantine, qui reposent sur les mêmes idé. que les Nouveaux Adelphes.
Cependant cette pièce informe, non seulement n point été siftlée, mais elle a obtenu du succès, et résultat, qui pourrait causer quelque surprise, méri une explication.
Les écoles de Droit et de Médecine se sont emparé du théâtre de l'Odéon. Elles y règnent despotiquemer Les auteurs et les pièces que les étudians prennent so leur protection sont assurés du triomphe -, mais malhe au poète ou à l'ouvrage qui ne partage pas les sent mens ou qui ne contient pas les doctrines professées p ces messieurs ! il suffit, pour en être convaincu, voir le sort de l Indiscret et celui des Nouveaux Adi phes. Mais l'Indiscret est de M. Théaulon, et la piè nouvelle est sortie de la cervelle de M. Lesguilloi ancien élève d'une de ces écoles, auteur d'une brochu qui lui a fait encourrir, il y a quelque temps, une co damnation correctionnelle dont il a été amnistié. Il di vait donc être l'objet des préférences des étudians, et l'ont, en effet, soutenu avec un zèle héroïque et av toute l'ardeur de l'esprit de parti. Les Nouveaux Ad. phes, avec tout autre père, n'auraient pas été au troisièr acte. Cet ouvrage fut refusé par la censure, dit-on , y a un an environ ■, mais à l'avènement du roi, l'inte diction fut levée -, autre motif de protection de la ps des écoles. M. Lesguiilon avait fait précéder sa piè d'un prologue adressé à MM. les étudians (parodie la dédicace que leur a adressée M. Théaulon en n
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bliant TIndiscret), et dans lequel il louait Molière et les jeunes gens. Le père de la comédie peut se passer d'un pareil hommage, et on devine facilement le caractère de ces éloges à la jeunesse. L'affiche du théâtre de l'Odéon, placardée le matin, annonçait ce prologue -, mais la commission de censure ne l'a pas permis, se fondant, dans son refus, sur ce que le manuscrit de ce prologue ne lui avait pas été remis dans le délai légal. Une bonne partie des affiches a été changée dans la journée -, mais le bruit de la suppression s'est répandu parmi les jeunes gens. L'auteur a fait circuler , dans le parterre, quelques minutes avant la représentation , un petit billet annonçant le refus de la censure et accompagné de suppositions fâcheuses. Aussi, au lever du rideau , le parterre a-t-il demandé le prologue. Le directeur, qui a pris la malheureuse habitude de se présenter toutes les fois que ce turbulent public l'appelle à sa barre, est venu s'excuser sur le défaut de formalités, et on s'est calmé après cet acte de déférence.
Le nom de Voltaire, prononcé dans un vers à l'occasion du quai qui s'appelle ainsi, a été applaudi à plusieurs reprises et avec transport. ,
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THÉÂTRE ROYAL DE L'OPÉRA-COMIQUE.
LA FAUSSE CROISADE , OPÉRA-COMIQUE EN DEUX ACTES.
13 juillet.
Il y a dix ans environ que cet ouvrage fut reçu à Feydeau. Il était alors en trois actes et avait été composé par deux auteurs : MM. d'Epagny et Saint-Aime. Ces messieurs, comme tous les autres auteurs de pièces admises à cette époque, furent obligés de le relire au nouveau comité qui fut institué lorsque le théâtre fut soumis à une direction. Le comité exigea que la pièce fût réduite en deux actes. M. d'Epagny se refusa absolument à cette conversion ; et, malgré les instances de son collaborateur et du compositeur qui avait déjà écrit sa partition, il abandonna tout-à fait l'entreprise et déclara que, succès ou chute, il n'était plus pour rien dans la Fausse Croisade. Il alla même jusqu'à retirer les scènes, les morceaux et enfin les mots qu'il avait mis dans l'ouvrage. On n'a jamais poussé plus loin l'envie de n'être pas joué.
C'était sans doute un pressentiment. La réduction en deux actes a-t-elle influé sur le sort de la pièce, et celle-ci, plus dévelopée et plus longue, aurait-elle été meilleure, et aurait-elle eu un résultat plus favorable ? Il est permis d'en douter. Elle est tombée hier au milieu des sifflets et plus encore de l'ennui. Un mari jaloux , qui feint de s'éloigner et qui revient en cachette pour
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s'assurer de la fidélité de sa femme, c'est une donnée bien gothique au théâtre, et qu'on ne peut plus faire passer maintenant qu'à l'aide de détails neufs et piquans. Mais les auteurs, ou, pour mieux dire, l'auteur s'est bien gardé d'orner ce fond usé par de l'esprit et du comique. Il n'y en a pas l'apparence, et sur ce point son innocence est complète. Il n'est coupable que du plus innocent ouvrage qu'on ait depuis long-temps présenté sur la scène. L'obstination prolongée de ses amis a obtenu qu'on levàt le rideau et qu'on vînt proclamer le nom des vainqueurs tombés. Il n'a point voulu livrer le sien à leur empressement maladroit ; mais le musicien, digne complice du poète, a été plus audacieux. Le public a appris que c'était à M. Lemierre qu'il devait une partie de l'agréable soirée qu'il venait de passer. Cette chute plâtrée n'empêchera certainement pas M. Lemierre de penser et de dire qu'il a obtenu un véritable succès et que sa partition est un chef-d'œuvre. Il est difficile de pousser plus loin la conviction du talent qu'il se suppose et de la laisser voir avec une bonne foi plus complète. On ne peut lui opposer, dans ce genre, que M. Baour-Lormian, le poète, et M. Flatters, le sculpteur ; mais du moins quelques beaux ouvrages de ceux-ci viennent-ils justifier ou atténuer l'importance de leurs prétentions.
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ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
DON SANCHE, OU LE CHATEAU DE L'AMOUR , Oi'MRA EN UN ACTE, PAROLES DE M. TIIÉAULON, MUSIQUE DE M. LISTZ.
18 octobre.
Ce n'est certainement point un ouvrage religieux que l'opéra qui a été joué hier pour la première fois sous le titre de Don Sanche, ou le Château de V Amour ,4mour; ce n'est pas davantage un ouvrage monarchique, et s'il est favorable à la morale, c'est à cette morale lubrique que, sous Louis XIV,
Lulli réchauffait des sons de sa musique.
Je ne pense pas à faire un reproche au poëme nouveau de ne point remplir les conditions qui ont été si malheureusement imposées, il y a quelque temps, aux programmes destinés à être joués à l'Académie royale de Musique. Un opéra dont le but et les détails auraient pour texte la religion, la royauté ou la pureté des mœurs serait à la fois un ouvrage ridicule et odieux -, ridicule, parce que ce n'est pas dans un tel lieu qu'il est possible de parler de choses aussi sacrées, et que les moyens seraient contraires au but; odieux, parce qu'il porterait à soupçonner, dans l'âme de l'auteur et des spectateurs qui se rendraient à l'Opéra comme à un sermon , une corruption profonde . une hypocrisie dia-
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bolique. Ce moyen de concilier des plaisirs trop dange": reux peut-être avec les scrupules de la piété, aurait quelque chose de monstrueux, et ce serait fournir de redoutables argumens aux incrédules, aux libertins, aux philosophes et aux protestans contre les catholiques et leur église qu'ils accusent sans cesse de favoriser et de répandre les doctrines d'une morale relâchée. Quoi qu'on fasse et quoi qu'on dise, un air chanté par madame Grassari n'offrira jamais rien de moral, et il serait difficile de trouver des inspirations religieuses dans les pirouettes et les entrechats de mademoiselle Noblet. On peut plaindre ceux qui sont obligés d'assister à ces représentations malgré l'ennui ou la répugnance qu'elles' leur causent -, on peut plaindre encore ceux qui vont y chercher des excitations voluptueuses, et ceux même qui croient n'y trouver qu'une distraction innocente -, mais il ne faut pas essayer de soutenir qu'un opéra représenté peut rendre meilleurs ceux qui y assistent \ c'est beaucoup s'il ne les rend pas pires.
Encore une fois , Don Sanche n'a point été taillé sur ce patron ridicule. Le sujet est tiré d'un des chants de l'Arioste que Florian avait déjà arrangé en nouvelle. Le héros qui porte ce nom est épris de l'orgueilleuse Elzire, laquelle ne veut point avouer l'amour qu elle ressent pour le noble chevalier. Un enchanteur, ami de Don Sanche, fait arriver Elzire devant un château où l'on n'admet que des couples d amans. Amadis et Tristan, ces célèbres victimes d'un sentiment passionné, seraient impitoyablement refusés, s'ils n'étaient accompagnés de la belle Oriane et de la tendre Iseult. Aussi, malgré un violent orage, suscité par l'enchanteur Alidor, la fière Elzire ne peut trouver d'asile dans le Château de
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VAmour, parce qu'elle ne veut pas y entrer sous la conduite de Don Sanche. Elle aime mieux être mouillée que d'avouer qu'elle aime. C'est le seul aperçu moral de l'ouvrage \ mais enfin , pour soumettre l'entêtement de cette belle inhumaine, on imagine de lui amener Don Sanche , grièvement blessé en soutenant l'honneur de sa beauté. Il faut donner des secours à ce héros de la fidélité ; on ne peut en trouver qu'au Château de l Amour, et on ne peut y entrer qu'en avouant que l'on aime. Cette fois, le sentiment inquiet l'emporte sur le scrupule orgueilleux, et Elzire déclare hautement son amour pour Don Sanche que cet aveu guérit aussitôt de la feinte blessure qu'il a reçue.
Ce petit acte est tout à-fait dans le genre classique de l'Opéra. Tous les lieux communs de la morale amoureuse y sont déduits et présentés sous les apparences de l'honneur et du respect chevaleresques. La Calprenède et Quinault n'auraient pas mieux trouvé. Le poëme, du reste , est assez bien coupé pour la musique, et il offre même plus de mouvement et d'effets qu'il n'en faut pour un acte. Mais toute sa partie matérielle, costumes et décors, a été traitée par l'administration avec une mesquinerie blâmable. Le Château de VAmour ressemblait à une mauvaise auberge, et le changement de décoration final n'a pas même été exécuté. L'auteur de ce poëme est M. Théaulon, dont le talent s'est exercé sur presque tous les théâtres de Paris , mais qui n'avait encore rien donné à l'Académie royale de Musique.
Au surplus, tout l'intérêt de l'ouvrage et de sa représentation se portait sur le compositeur. On savait d'avance que c'était le jeune Listz, âgé de moins de quinze ans , et dont le talent sur le piano a produit une grande
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sensation dans les concerts oit il s'est fait entendre depuis deux aps. Mozart, à l'âge de neuf ans, fit un opéra remarquable. Celui de Listz ne semble pas mériter le même éloge. Il n'y a rien de saillant, ni même de bien neuf dans les motifs de ses airs et de ses duos. Toutefois c'est un enfant rare et d'un génie précoce que celui qui, à quinze ans , peut écrire la partition d'un opéra dont il a surveillé lui-même toutes les répétitions, lors même que cette partition a été soigneusement revue par lioyeldieu.
La musique n'a eu, à vrai dire, qu'un succès d'indulgence; mais l'indulgence ne pouvait être mieux placée. Demandé avec instances, après la représentation , Listz a paru, présenté au public par Prévost et madame Grassari qui avaient joué dans l'opéra les rôles de l'enchanteur Alidor et d'Elzire. Adolphe Nourrit représentait Don Sanche, et mademoiselle Jawureck , un page du Château de l'Amour.
SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
v i" novembre.
Le succès d'Il Barbière, de Rossini, à l'Odéon , et Je succès plus éclatant encore et surtout plus incroyable, du Freïschutz ( Robin des Bois) , de Weber, a décidé des destinées de ce théâtre *, il est voué à la musique étrangère ; c'est par elle qu'il prospère ; la tragédie et la comédie ne sont plus que des accessoires \ l'opéra devient sonvgenre dominant ou. plus exactement, l'élé-
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—ment exclusif de sa prospérité. Il peut rendre encore quelques services comme Second Théâtre Français, en ce sens qu'il soutient et qu'il excite l'activité des comédiens de la rue de Richelieu -, mais, sous le rapport littéraire , l'existence de l'Odéon est plutôt un mal qu'un bien. Il tend à augmenter le nombre des gens de / théâtre qui ne sont déjà que trop nombreux, et il offre aux jeunes gens qui sortent des colléges, et qui se croient appelés à être des Racine ou des Molière, une trop facile occasion d'exercer leur fureur poétique. Il aide aussi à les détourner des professions, plus solides et plus utiles , auxquelles ils étaient destinés par leurs familles. Il faudrait, plus que jamais, s'opposer à ce débordement de prétentions littéraires qui sont le fléau de la littérature et le germe de désordres afûigeans. Les bons auteurs sont rares, et ce n'est assurément pas parce qu'ils manquent de moyens de se produire. Les méchans poètes sont nombreux, et c'est vouloir en augmenter le nombre que de multiplier les théâtres.
On n'a point assez pensé, en rétablissant ce spectacle , à sa proximité des deux écoles de Droit et de Médecine. Les étudians en ont fait le lieu de leurs rendez-vous. Le bon marché des places et les abonnemens à vil prix qu'on leur a consentis, leur en a rendu l'accès si facile qu'ils s'y portent habituellement, et qu'ils ont fini par le dominer : rien ne s'y passe que sous leur bon plaisir ^ ils décident du sort des ouvrages selon leur affection pour les auteurs , et surtout selon les sentimens politiques de ceux-ci, et ils décident avec toute la turbulence de la jeunesse indisciplinée et du mauvais goût provincial.
Une partie dé ces inconvéniens disparait quand il
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s'agit d'un opéra, et particulièrement d'un opéra de Rossini. Les opinions trouveraient difficilement quelque chose à reprendre dans un ouvrage presque toujours insipide et sans couleur, et la réputation du compositeur commande à peu près le succès. C'est ce qui est arrivé hier : la Dame du Lac est une imitation ou plutôt une traduction de la Donna del Lago, opéra en deux actes, de l'Orphée de Pesaro, dont les paroles ont été arrangées par MM. d'Epagny et Auguste Rousseau, et la musique par M. Lemierre. Des deux premiers, l'un a déjà donné à l'Odéon une comédie en cinq actes et en vers ( Luxe et Indigence) qui ne manque pas de mérite. Le second est un rédacteur du Drapeau blanc. Il a fait quelques vaudevilles en société d'autres gens d'esprit, et notamment le Juif, à la Porte-Saint-Martin. L'arrangeur musical est neveu du tragique dont il porte le nom.
La Donna del Lago a été primitivement tirée d'un des poëmes en vers de Walter Scott : cet opéra eut beaucoup de succès à Venise. Le théâtre Italien de Paris en prit plusieurs morceaux pour les ajouter à d'autres ouvrages de Rossini. Cette transposition nuisit à la représentation de la Donna del Lago , lorsqu'elle eut lieu à l'Académie royale de Musique, il y a un an environ, au bénéfice d'un acteur et pour les débuts de madame Schiasetti qui joua le rôle de Malcolm. L'ouvrage ne fut donné qu'un petit nombre de fois , et les souvenirs qu'il avait laissés à la masse du public n'ont pas pu affaiblir l'effet qu'on en attendait à l'Odéon. C'était, pour la plupart des spectateurs, un ouvrage entièrement neuf.
Il est superflu de dire que c'est la musique qui a décidé le succès complet qu'a obtenu cet ouvrage, dénué
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d'un vif intérêt, mais qui, toutefois, est bien arrangé et bien coupé pour la scène, et qu'on peut regarder comme un chef-d'œuvrp auprès de Robin des Bois. La partition est neuve, originale , pittoresque. Les choeurs sont supérieurement traités; les duos sont d'une expression excellente, et le quatuor qui commence le magnifique finale du second acte a enlevé l'unanimité des applaudissemens. L'exécution a été faible en général. Il faut plusieurs représentations pour qu'elle soit ce qu'elle doit être, ferme et complètement expressive. Madame Montano, dans le rôle de Malcolm et Lecomte dans celui du roi ont cependant mérité de justes éloges.
GYMNASE DRAMATIQUE.
EMMELINE , OU LES SOUVENIRS D'ENFANCE , C01UÉDIE-VAUDEVILLE EN UN ACTE , DE M. SCRIBE. — DÉBUT DE MADAME CARMOUCUE (jEXNY VERTPRÉ).
J 3 novembre.
Emmeline Dervière et son cousin Charles ont été élevés ensemble, jusqu'à luge de dix ou douze ans, par leur vieille tante Judith qui ne connaissait d'autre guide d'éducation que la lecture des romans. Ils ont l'un et l'autre parfaitement profité de cette excellente méthode. Emmeline surtout est restée convaincue de la force des premiers sentimens, de la sympathie, de l'union des cœurs. Quand ces enfans se sont séparés, ils se sont juré un amour éternel, et ils se sont donné réciproquement un anneau qui ne doit jamais les quitter. Ils
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doivent, tous les soirs, à la même heure, regarder la lune, afin, par cette contemplation simultanée, de rapprocher leurs âmes et leurs souvenirs.
Emmeline est restée fidèle à toutes ses promesses ; elle a refusé tous les partis qui lui ont été présentés par son père, homme faible et d'une tendresse aveugle pour sa fille. La jeune et ardente imagination d Emmeline lui offre sans cesse les traits de son cousin -, elle le voit beau, spirituel, constant, et lorsque son père lui propose sérieusement cette fois d'épouser, le fils de M. de. Rinville, riche propriétaire auquel il a d'importantes obligations, Emmeline obtient encore de M. Dervière de refuser ce prétendant ; le bonhomme cède et écrit, pour se dégager, en faisant connaître les motifs de l'éloignement de sa fille.
Avant que la lettre soit partie, le jeune Rinville, inconnu à tout le monde, quoiqu'il loge à quatre lieues du château de Dervière , arrive, soustrait la lettre qui lui était adressée et se décide à se présenter sous le nom du cousin Charles, qui s'est éloigné depuis dix ans. Emmeline le reconnaît pour tel, et, trompée par ses sensations , elle éprouve réellement un sentiment qui n'avait été que fantastique jusqu'alors. Elle renouvelle à Rinville tous les sermens qu'elle avait faits à Charles. Rinville soutient assez bien son rôle pendant quelque temps ; cependant, il ne peut pas représenter, comme gage de sa fidélité , l'anneau qui a jadis été donné par Emmeline à son cousin. Elle conçoit des soupçons sur sa constance ; et, lorsqu'elle apprend, par une lettre de change qu'un juif vient présenter et que M. Dervière acquitte, que Charles a fait des dettes, elle ne doute plus de sa mauvaise conduite, et, guidée par son rcs-
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sentiment et sa mauvaise tête, elle veut sur-le-champ épouser M. de Rinville.
Mais le véritable Charles arrive -, il a fait mille sottises pendant son éloignement, et la plus forte de toutes, il s'est marié à une couturière anglaise qu'il a trouvée à Besançon et dont il s'est amouraché. Il ne sait comment obtenir le pardon de son oncle ; seulement, car c'est tout au plus s'il pense à sa petite cousine, il voudrait implorer ce pardon sans être connu et savoir co qu'on pense de lui. C'est pour y parvenir que, sur la proposition de Rinville, il prend le nom de celui-ci, qui a eu l'adresse de se faire donner l'anneau d'Emmeline, que Charles avait conservé. Emmeline, envoyant, sous le nom de Rinville , l'objet de sa passion romanesque , le trouve ce qu'il est : sot, niais et ridicule, et quand le véritable Rinville se représente avec l'anneau, Emmeline ne tient plus à cette prétendue preuve d'amour et de fidélité ; elle laisse éclater tous ses sentimens. Elle découvre bientôt, mais sans le regretter, qu'elle a été la dupe de cette sympathie chimérique dont les romans l'avaient bercée ; elle épouse Rinville , au grand contentement de son père qui pardonne à Charles.
La longueur de cette analyse pourrait faire croire qu'il s'agit d'une pièce en trois actes. Ce n'est toutefois que l'extrait d'un vaudeville dont la représentation dure tout au plus une heure. C'est qu'à présent, il faut toute cette complication d'intrigues pour soutenir un petit acte mêlé de couplets. M. Scribe, l'auteur de la pièce nouvelle, met toujours tant de choses dans ses ouvrages, qu'il a habitué le public à cette facture de vaudevilles , et qu'un sujet simple , brodé de jolis détails , n'est plus suffisant.
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Il faut maintenant la matière de trois actes pour remplir un petit cadre, et cela est tellement vrai que le sujet des Souvenirs Sù Enfance a déjà été traité, dans cette dimension , il y a douze ans environ. Félicie ou la Fille romanesque , opéra comique, de M. Dupaty, joué au Théâtre-Feydeau , avec un succès qui se soutient encore aujourd'hui, repose absolument sur la même donnée dramatique. Il n'y a de nouveau dans les détails , que l'invention du petit cousin. Mais c'est qu'alors encore, les auteurs se croyaient obligés d'expliquer les caractères , de motiver les situations -, en un mot, ils respectaient le public, mieux composé et plus difficile que celui d'aujourd'hui et cherchaient à lui plaire sans choquer trop ouvertement le bon sens et la vraisemblance.
Cet ouvrage a été composé pour les débuts de madame Carmouche (mademoiselle Jenny Vertpré), qui a quitté le théâtre des Variétés. Elle a fort bien joué le rôle d'Emmeline, et elle a paru une seconde fois dans le rôle de Nicette, de la Chercheuse d'Esprit, pièce de Favart, représentée en 1741, et qui, par l'obscénité des détails dont elle est remplie, et le succès qu'elle obtint à cette époque , atteste la publique corruption de mœurs qui régnait alors, grâce à la propagation de toutes les doctrines et de tous les sophismes philosophiques.
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PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS.
LliOMDAS, TRAGÉDIE EN CU\Q ACTES, DE M. PtCHALDT.
27 novembre.
Les sujets tirés de l'histoire ancienne et le genre admiratif semblaient exclus de la scène tragique. Les faits de l'histoire moderne, nationaux et étrangers, étaient, depuis quelques années, choisis de préférence par nos jeunes poètes, et l'accueil qu'on avait fait aux ouvrages de ce genre aurait pu faire croire qu'une tragédie grecque, sans conspiration et sans amour, serait froidement reçue. Il en a été tout autrement hier soir, et Léonidas a obtenu un succès complet. Il était assuré , selon moi, et positivement, parce que ce sujet, tout rebattu qu'il est, devait paraître neuf à des spectateurs habitués maintenant à des situations et à des personnages d'une autre époque. On réussit presque toujours au théâtre par opposition : c'est-à-dire que lorsqu'un certain nombre de pièces d une même couleur a été joué , l'ouvrage qui vient ensuite ne peut manquer de réussir s'il est dans un genre différent.
Les allusions les plus nature!les aux affaires récentes de la Grèce se présentaient en foule dans un sujet pareil et ne pouvaient manquer d'être accueillies avec la faveur et l'intérêt qu'inspire en ce moment le triste sort de ce beau pays; toutes ces causes réunies n'ont pas été sans puissance sur le résultat heureux de la représentation de Léonidas.
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Mais on doit avouer aussi que ce n'est pas à elles seules qu'il faut l'attribuer \ il y a de la hardiesse à avoir traité cet important événement auquel aucun incident historique ne vient se joindre, et il y a beaucoup de mérite à avoir réussi. On n'aperçoit d'abord qu'un combat dans le sublime dévouement des trois cents Spartiates \ et, comme l'issue de ce combat ne peut être un moment incertaine, l'auteur est privé de toutes les. ressources des émotions combattues et mème de tout moyen raisonnable de péripétie. Aussi son ouvrage manque-t-il de cette partie nécessaire du poëme dramatique. Il est privé de nœud et d'intrigue, car le sujet n'en comporte pas. On peut dire qu'il est également destitué d'exposition -, car la fable est trop connue pour qu'on puisse en risquer un nouveau détail, et le héros, Léonidas, n'a d'histoire que celle de sa mort. Il n'y a donc, à vrai dire, qu'un dénoûment ; c'est peu de chose pour cinq actes ; mais plus le sujet était hérissé de difficultés, plus , je le répète, il faut louer M. Pichaldt de son heureuse témérité et du succès qui l'a couronnée.
Il a inventé un épisode qui se partage malheureusement en deux parties bien distinctes, mais dont la principale offre un touchant intérêt. Alcée et Agis, fils de Démaratte et d'Archidamie , nouveaux Castor et Pollux, sont au nombre des trois cents. Malgré leur jeune âge, ils forment le projet de s'offrir à Xercès, comme victimes expiatoires du meurtre de ses ambassadeurs et avec l'espérance que leur sacrifice, en apaisant le courroux des dieux de Lacédémone , satisfera les sentimens de vengeance de Xercès -, sur le point d'être im-
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molés, ils parviennent à regagner le camp de Léonidas. Celui-ci, après avoir défendu vaillamment le défilé des Thermopyles, s'aperçoit que, par la trahison d'un transfuge et la mauvaise contenance des Thébains, les hauteurs sont livrées aux Perses et que les Spartiates n'ont plus qu'à mourir. Tendrement attaché aux deux jeunes frères, il veut au moins sauver Agis d'un trépas assuré et le faire jouir de la couronne de Sparte, à laquelle sa naissance l'appelle. Il charge donc Agis d'une mission pour Lacédémone ; mais le jeune guerrier, instruit en chemin et par sa mère de l'intention secrète de Léonidas, revient précipitamment sur ses pas et obtient de son général la faveur de partager ses dangers et ceux d'Alcée. Le tableau de la tendresse mutuelle de ces deux frères, leur jeunesse, leur candeur, leur brillant courage ont, tour à tour, attendri et exalté. Toute cette partie de l'épisode est supérieurement traitée et c'est elle qui a décidé le succès.
L'autre partie, au contraire, aurait pu le compromettre : Démaratte, le père d'Agis et d'Alcée, a jadis essayé de renverser les institutions de Lycurgue -, il a été banni et s'est réfugié en Asie. Il accompagne Xercès dans son expédition contre les Grecs, tout en restant, au fond du cœur, attaché à la cause de son pays. C'est Démaratte qui, sans les connaître, fait échapper ses enfans du camp des Perses -, il fait passer à Léonidas un avis important; il partage peu la sévérité des mœurs lacédémoniennes ; il voudrait que ses fils échappassent aux dangers du combat -, mais, libre du joug de Xercès, il y marche et périt pourtant avec eux. Si ce caractère n'est pas entièrement faux, il est, au moins,
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fort équivoque, et cette incertitude est mortelle au théâtre où les traits des personnages doivent être fortement dessinés.
On ne saurait faire le même reproche au rôle d'Archidamie. C'est une Spartiate rude et fière comme Plutarque dépeint les femmes de Lacédémone. Elle veut que ses fils meurent pour la patrie ; elle les encourage et les pousse au combat. Tous ses sentimens sont altiers, tous ses discours sont acerbes et exaltés : elle est enfin ce que devrait être son époux Démaratte, et, celui-ci, malheureusement, joue le rôle que sa femme devrait jouer.
L'intervention de Xercès, qui n'est en scène qu'au premier et au cinquième actes, n'est guère plus heureuse. Il y a une multitude de députations et d'ambassades , et c'est même à l'aide de ce seul moyen banal et superflu, que l'auteur a comblé, dans chaque acte , le vide qui se fait encore trop sentir. Enfin, il serait impossible de définir le lieu de la scène pendant le cinquième acte -, le style est, en général, néologique et tout-à-fait de l'école moderne; les idées de gloire, de patrie et de liberté répandues à profusion sont presque toutes des déclamations et des lieux communs de rhétorique; mais, toutefois, on remarque de la chaleur et de la verve dans un grand nombre de pensées et d'expressions, des tirades fort bien écrites et quelques élans de sentimens nobles et vrais.
Talma ne jouera pas long-temps un ouvrage dans lequel , quoiqu'il représente le personnage principal, son rôle est effacé par les accessoires. C'est Agis seul qui agite et remue; Léonidas est immobile et froid. Les honneurs de la soirée ont été beaucoup plus pour
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Firrnin que pour Talma , et le second rang ne convient pas à notre premier acteur tragique.
GYMNASE DRAMATIQUE.
LES TROIS SULTANES , COMÉDIE VAUDEVILLE EN UX ACTE ,
ARRANGÉE D'APRÈS LA PIÈCE DE FAVART.
3 décembre.
Lorqu'en 1776, Favart donna à la Comédie-Italienne la fadaise, en trois actes et en vers, qu'il avait appelée Soliman II, ou les Sultanes, on se récria sur l'inconséquence d'un sujet et sur l'invraisemblance d'une révolution dans les mœurs ottomanes consommée dans les vingt-quatre heures. Nous sommes plus hardis ou moins difficiles aujourd'hui. C'est dans le cadre étroit d'un petit acte, enjolivé de fions, fions, qu'on chante à la barbe du grand-seigneur, représenté sur un petit théâtre et dans les petites proportions qu'il comporte, qu'on nous montre et que nous acceptons un événement si important, qu'il pourrait faire le sujet d'un grand et sérieux ouvrage. C'est l'époque des réductions, il faut les subir au théâtre comme à la bourse. Il n'y a plus de public pour juger et goûter les choses même dans les arts. Comme on fait des tableaux de genre qui peuvent être appréciés par la foule, on fait des petites pièces qui ne dépassent pas l'étendue des connaissances et du goût des spectateurs. Tout tend à se rapetisser et il. se dénaturer. La littérature n'est plus un art, c'est
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une marchandise dont l'exploitation et le succès sont entre les mains des comédiens. Ce ne sont pas les ouvrages qui doivent être bons, ce sont les acteurs qui doivent plaire ; et, comme au Gymnase , mademoiselle Jenny Vertpré est en possession de la vogue, les auteurs arrangent pour elle tous les rôles, vieux ou nouveaux , qui peuvent convenir à son talent. Ainsi, on ne voit plus , dans les Trois Sultanes, le ridicule du sujet, plus ridicule encore dans les proportions qu'on vient de lui donner \ on ne fait attention qu'à l'actrice qui joue Roxelane et qui est fort piquante en disant des folies et en dansant un pas de châle. C'est là le trait caractéristique des mœurs modernes. Tout est bon, pourvu qu'on s'amuse.
SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
CAMILLE, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES , DE M. N. LEMERCIER.
4 décembre.
M. Lemercier ne manque pas de cet instinct dramatique qui sait apercevoir le trait distinctif d'un personnage héroïque, ou le côté théâtral d'une action historique. Les combinaisons de la scène lui sont familières , et il possède à un degré assez remarquable l'art de disposer des situations intéressantes. Mais ce qui gâte entièrement les heureuses parties de son talent, c'est le défaut absolu de goût, de tact et de mesure. Il exagère, non seulement les sentimens de ses person-
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nages, ce qui affaiblit l'effet qu'ils doivent produire, mais il exagère davantage encore l'expression de ces sentimens ; et, comme son style est toujours incorrect, dur, trivial, ridicule enfin, il perd au théâtre tout, l'avantage et tout le fruit de ses études et de ses combinaisons. Telle est l'histoire de la vie littéraire et des * ouvrages de M. Lemercier. Cet auteur et les poëmes dramatiques qu'il a mis sur la scène sont la preuve incontestable que, sans le style, il n'est point de succès. Les amis de M. Lemercier assurent que , s'il le voulait, il écrirait autrement, et que sa versification barbare n'est que le résultat d'un système qu'il s'est fait sur la ; poésie au théâtre. Cette excuse n'est admissible à aucun égard, et l'incorrection et la trivialité ne peuvent jamais être justifiées.
Quoi qu'il en soit, on ne peut s'empêcher de regretter l'abus du système ou le malheur de la constitution physique de l'auteur. Le sujet de la tragédie nouvelle était héroïque et instructif. Mais il est impossible que cette tragédie se soutienne -, peut-être même ne sera-t-clle pas jouée une seconde fois, tant M. Lemercier, dans cette occasion , semble avoir pris à tâche de rendre insupportable , par la bizarrerie de l'expression, ce que sa fable offrait de noble et d'intéressant. Il serait à peu * près superflu d'ajouter que l'auteur a entouré Camille • d'un certain Pontius qui, selon Plutarque, se hasarda. à traverser le camp des Gaulois, la ville de Rome, oc- cupée par eux, et à gravir le rocher du Capitole pour obtenir la sanction du sénat à l'élection de Camille. \
M. Lemercier a supposé que Pontius était l'époux d'une Sivilie enlevée par Brennus et reprise par son mari. Pontius, en revenant du Capitole, est surpris par les
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Gaulois. On ne peut donc savoir, dans Ardée, où la scène se passe, si le sénat a approuvé la dictature conférée à Camille qui ne veut agir qu'après cette approbation. Sivilie se dévoue ; et, en allant se remettre entre les mains de Brennus, elle délivre Pontius. Camille, alors, dictateur légal, rompt le traité d'argent que les Romains, enfermés dans le Capitole, avaient fait avec Brennus -, il combat et chasse les Gaulois.
Les trois premiers actes ont été entendus dans un silence complet. Une allusion à la souscription ouverte pour la veuve et les enfans du général Foy ( lorsque Pontius, en se rendant à Rome , confie le soin de sa famille à la générosité de Camille et des Romains ), a été fort applaudie et a, seule, interrompu ce glacial silence ; car, voilà où la tragédie a été réduite par les écrivains philosophes, révolutionnaires et libéraux qui font servir l'art et le théâtre à l'agitation des passions politiques , afin d'en arracher quelques succès honteux. Dans un sujet romain, une allusion à, la souscription pour les ènfans du général Foy! et le libéralisme se plaindra de l'esprit de parti royaliste ! Que deviennent ainsi l'art, le théâtre et le bon sens ? Le nom de M. Lemercier, bien connu d'avance, avait jusque-là protégé sa pièce contre les légers murmures que faisaient éclater à chaque moment les vers ridicules dont elle est remplie. Mais les deux derniers actes n'ont été joués qu'au milieu des huées et des rires qu'excitaient les expressions les plus bizarres, et, pour tout dire, la tournure étrange de Bernard ( le directeur ) qui remplissait le rôle de Brennus. Il ressemblait parfaitement au chef des bouchers conduisant le bœuf gras pendant les fêtes
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du carnaval, et sa diction ne démentait pas la vérité de la ressemblance.
REVUE DES THÉATRES.
i5 décembre.
On a donné :
A l'Académie royale de Musique, le 7 de ce mois, la reprise d',4rmide ;
A l'Opéra Italien, le lendemain 8, la première représentation de Semiramide, de Rossini, pour la rentrée de madame Mainvielle-Fodor;
Et à Feydeau, le samedi 10, la première représentation de la Dame Blanche , opéra en trois actes , paroles de M. Scribe, musique de Boyeldieu.
Armide n'a pas eu un succès aussi complet que l'ont annoncé les petits journaux. L'acte de la Haine , qu'on a eu la sottise de conserver à cette reprise, a jeté un grand froid sur le reste de l'ouvrage. L'allégorie n'est plus dans les habitudes théâtrales modernes. Aussi, malgré la beauté des chœurs, des décorations, des costumes et des danses , malgré même l'exécution satisfaisante des chanteurs et des musiciens, le chef-d'œuvre de Gluck n'a que médiocrement réussi, et l'on a pu justement rappeler à cette occasion l'ancienne épigramme du picciniste La Harpe :
Et tout cela n'empêche pas
Que votre Armidc ne m'ennuie.
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La Semiramide a eu à peu près le même sort. Mais, ici, c'est plutôt la faute de l'exécution que du compositeur. Il n'est que trop vrai : madame Mainvielle n'est plus ce qu'elle était. Sa voix a perdu beaucoup de son étendue et de son expression. Le rôle de Semiramide est au-dessus de ses forces. Elle s'est jugée elle-même à ce qu'il paraît, et la reine dei Babylone ne nous offiira plus le spectacle affaibli de ses remords. La pièce a disparu de l'affiche.
La Dame Blanche, au contraire, y figurera pendant long-temps. Le poëme est habilement conduit; quoiqu'on n'y trouve pas la profusion habituelle de mots plus ou moins heureux, que M. Scribe place dans ses ouvrages, cependant on reconnaît son talent à plusieurs situations fort bien imaginées et à quelques traits qui sembleraient plus spirituels s'ils étaient mieux dits par les acteurs. Mais ceux-ci, c'est-à-dire Ponchard et madame Rigault, se contentent de chanter supérieurement; d'ailleurs, ils jouent aussi mal qu'ils chantent bien. Tout l'honneur du succès appartient à Boyeldieu, qui, sans exagération d'estime pour son talent ou d'amitié pour sa personne , s'est surpassé dans cette partition. Le chant de la tribu d'Avenel, coupé par les souvenirs de Georges Brown , est un chef-d'œuvre de musique dramatique.. Le motif de ce chant est, à la vérité, emprunté d'une ballade écossaise -, mais il fallait tout le génie du compositeur parisien, pour en tirer une si belle mélodie et un effet si touchant. Boyeldieu aurait dû, peutêtre , avouer la dette. On lui reprochera cet emprunt à coup sûr, et l'envie ne manquera pas d'envenimer cette circonstance -, mais il peut répondre comme Molière qui avait pris sans façon des traits entiers et des vers fort
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comiques de Rotrou et de Cyrano de Bergerac : « Je prends mon bien où je le trouve. »
Il est assez singulier, au surplus, que tous les théâtres royaux soient dans ce moment occupés par des sujets féminins : Armide, Semiramide, la Dame blanche -, et à l'Odéon , la Dame du Lac. Il n'y a que Léonidas qui balance ce succès de jupons -, mais la Comédie-Française va se mettre au courant, et la Princesse des Ursins, qu'on donnera cette semaine, complétera le triomphe des dames dramatiques.
PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
LA PRINCESSE DES URSINS, COMÉDIE EN CINQ ACTES
ET EN PROSE DE M. ALEX. DU VAL.
27 décembre.
Ce n'est un fait ignoré de personne, que la princesse des Ursins, au moment où elle croyait jouir encore de l'empire absolu qu'elle exerçait sur l'esprit de Philippe V, fut disgraciée et exilée de la cour d'Espagne, par une intrigue de l'abbé, depuis cardinal, Albéroni, qu'elle avait chargé de négocier le mariage du roi avec Elisabeth Farnèse, infante de Parme. Madame des Ursins fut envoyée au-devant de la reine, sous prétexte de recevoir cette princesse, mais, dans le fait, afin de l'éloigner de Philippe, qui n'aurait jamais eu le courage de se séparer d'elle. Il se prêta pourtant à la tromper. Madame des Ursins , ne soupçonnant au-
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cune perfidie et entretenue dans ses illusions par les apparentes amitiés du roi, donna dans le piège. Elle se rendit au-devant de la reine croyant toujours, d'après la correspondance de Philippe , qu'elle jouissait de la même faveur. Elle ne fut détrompée que quand elle voulut se présenter devant Elisabeth. « Qu'on fasse retirer cette folle ! » s'écria la princesse à laquelle Albéroni avait fait la leçon. Madame des Ursins n'eut pas le temps de se reconnaître \ elle fut entraînée sur-le-champ dans une chaise de poste, et conduite, en vertu d'une lettre d'exil, sur les terres de France.
Cet événement fait le sujet de la pièce nouvelle : mais la disgrâce et le malheur de madame des Ursins n'étaient pas véritablement ce que l'auteur se proposait de peindre. Il a laissé dans l'ombre toute l'intrigue de cour. Il est peu question dans son ouvrage des moyens^ qui ont été employés pour perdre la femme que la faveur du roi d'Espagne semblait devoir maintenir toujours dans le rang où lui-même l'avait élevée. Ce que l'auteur voulait montrer, c'était l'effet du crédit et de la disgrâce sur l'esprit et la conduite des courtisans. Il n'est point de moraliste et de poète qui n'ait exercé sa satire sur la bassesse et l'ingratitude de ces flatteurs du pouvoir, et ce n'est pas la première fois même qu'ils ont été traduits sur la scène. Cette donnée principale de la pièce n'est au fond qu'un lieu commun de philosophie , et la sincérité des courtisans n'est pas plus neuve au théâtre maintenant que la fidélité des femmes. Depuis le chapitre de Labruyère sur la cour (pour ne parler que des modernes) et les deux vers de Racine :
Détestables flatteurs! présent le plus funeste
Que puisse faire aux rois la colère céleste,
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il n'est point d'auteur qui ne se soit cru obligé de lâcher un trait sur les hypocrites de cour -, et, en dernier lieu , M. Picard dans Fanglas et une Journée d'Henri Ir, et M. Etienne dans les Deux Gendres, ont montré à combien de noirceurs pouvait se porter l'ambition des courtisans.
Néanmoins il est juste de dire que c'est la première fois qu'un ouvrage dramatique a été complétement consacré à représenter toutes les turpitudes de la courtisanerie. M. Duval n'a été occupé que de ce soin. Il a renoncé à tout ce qu'il pouvait y avoir d'intéressant dans le développement de l'intrigue ourdie contre la princesse des Ursins ; il n'a conservé de cet événement que la catastrophe, placée au cinquième acte, et il s'en est même assez habilement servi pour donner un dernier coup de pinceau au caractère des courtisans. Pendant que madame des Ursins est en proie à l'émotion violente que lui a causée la réception de la reine, l'huissier de sa majesté fait l'appel des grands de la cour qui sont admis au baise-main. Tous les flatteurs précédens de la princesse tremblent que leur ancienne amitié pour la favorite ne les fasse exclure de la nouvelle cour, et le tableau des anxiétés qu'ils éprouvent est tout à la fois vrai et dramatique.
Les quatre premiers actes, à peu près, ne sont donc employés qu'à montrer les courtisans caressant madame des Ursins, rampant autour du pouvoir qu'ils lui supposent, et cherchant à s'éloigner d'elle dès qu'ils commencent à soupçonner sa disgrâce. Ceux que l'auteur a groupés autour de la favorite, sont, le duc de Popoli, qui cherche à devenir son neveu dans l'espoir d'obtenir un gouvernement $ la marquise de Mêlas,
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tendre et sentimentale, affectant pour la princesse un extrême et vaporeux attachement -, la comtesse de Pacida , chargée de recueillir tous les propos de la cour et ne pouvant souffrir que qui que ce soit ne fasse point devant elle l'éloge de son adorable princesse ; le chevalier de Girasol, espèce de poète qui fait des vers de circonstance, et enfin, dom Salvador, créature d'AIbéroni, qui doit toute sa fortune à Madame des Ursins et qui n'emploie la confiance qu'elle a mise en lui que pour la trahir. Dans l'intention de l'auteur, ce Salvador devait être un moine, et en effet, les mœurs espagnoles, surtout à cette époque, semblaient exiger qu'un personnage de ce caractère figurât dans l'ouvrage. Aussi l'auteur, en faisant imprimer, il y a quelques années, sa pièce, dont la représentation n'avait pas été permise sous Louis XVIII, avait-il conservé à ce rôle toute sa physionomie monacale. L'interdiction a été levée à l'avènement de Charles X. Toutefois le public ne s'est pas prêté aux intentions de l'auteur avec autant de vivacité qu'on aurait pu le craindre et qu'il l'attendait lui-même peut-être de l'excitation de ses amis. Le rôle de Salvador n'a pas produit. toute l'impression sur laquelle l'auteur et les comédiens paraissaient avoir compté.
Du reste, on peut croire que la Princesse des Ursins n'aura pas une grande vogue. L'absence de tout intérêt et de toute situation, dans les premiers actes, est d'un insupportable ennui, et la représentation est d'une longueur inusitée. Le défaut d'action, la position, toujours la même, des courtisans et la tristesse qu'inspire leur conduite, le style barbare dans lequel la pièce est écrite et qui est destitué même de traits spirituels et pi-
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quans, tout enfin semble présager que les comédiens ne trouveront pas, dans le succès prolongé de cet ouvrage , un dédommagement suffisant des études et des dépenses auxquelles ils se sont livrés.
1826.
THÉATRE DE MADAME.
LE CONFIDENT D'UNE FEMME , COMÉDIE-VAUDEVILLE EN
UN ACTE, DE MM. SCRIBE ET MÉLESVILLE.
6 janvier.
Ce n'est pas dans le vieux répertoire que MM. Scribe et Mélesville ont été chercher le sujet du Confident d'une Femme ; c'est dans une pièce qui n'a point été représentée, qui n'a même point été encore imprimée. Cette anecdote mérite d'être conservée. L'hiver dernier,
M. Théodore Leclercq lut chez moi un proverbe intitulé : Le Conseiller d'une Femme ou Quand Dieu donne le mal, il donne aussi le remède. En voici l'analyse succincte. Madame de Grémy, veuve, jeune, jolie et raisonnable, ne veut jamais choquer les convenances ; mais, coquette comme toutes les femmes, elle ne veut cependant jamais dire et faire que ce qui convient à son âge, à sa figure , à sa position. Pour n'être point trompée sur les prétentions qu'elle peut avoir, sur les démarches , même importantes, qu'elle a à faire, elle consulte sans cesse son miroir. Elle répète devant sa
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glace tout ce qu'elle aura à dire dans le monde. Si cela a bon air, elle le diraK, elle le fera ; sinon elle s'en abstiendra, et, comme elle se consulte de bonne foi, elle prend toujours la meilleure résolution. Personne ne sait son secret, et on est toujours étonné de la sagesse de ses décisions. Il est impossible de trouver un moyen plus neuf et plus piquant de mettre à découvert le cœur et la coquetterie des femmes. C'est une sorte de confession mondaine que madame de Grémy fait à chaque instant. Elle est mise à une forte épreuve. On veut marier sa fille. Sa vanité se révolte à l'idée de devenir belle-mère, et grand'mère surtout. Elle allègue tantôt un prétexte, tantôt un autre , pour éloigner ce mariage. Mais enfin sa tendresse maternelle l'emporte, ou plutôt elle compose avec la coquetterie. Elle va chercher les conseils de son confident. Elle se persuade qu'une femme de trente-quatre ans, avec sa figure et sa tournure , qui se résigne à devenir grand'mère, sera dans le monde une personne fort remarquable ; ' que cela la mettra à part des autres femmes, et qu'elle aura tout-à-fait bonne grâce à prendre ce parti.
Voilà certes une idée fort originale et un moyen tout nouveau ; ce proverbe eut le plus grand succès. M. Mélesville , qui était au nombre des auditeurs, en parla à M. Scribe, et les deux amis, sans consulter M. Leclercq, arrangèrent ce proverbe pour le théâtre. Je viens de donner l'analyse de leur soi-disant ouvrage en faisant celle du Conseiller d'une Femme. La situation et le moyen principal sont les mêmes ; quelques détails différons et l'intervention d'un nouveau personnage ne changent rien au fond des choses, et c'est bien le proverbe de M. Leclercq que MM. Scribe et Mélesville ont
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donné sous leurs noms. Ils ont, le jour même de la représentation, inséré dans les journaux de théâtres un avis qui tendait à les excuser un peu de cet emprunt hardi. Mais il est remarquable que cette violation de la propriété, en matière littéraire, se passe au moment où une commission est rassemblée pour s'occuper du moyen de conserver aux héritiers des auteurs les droits de leurs ancêtres sur les ouvrages qui sont restés au théâtre !
SECOND THÉATRE FRANÇAIS,
HONNEUR ET PRÉJUGÉ , DRAME EN CINQ ACTES ET EN.
VERS , DE M. DRAPARNAUD.
10 janvier.
C'est un terrible auteur que M. Draparnaud ! il s'imagine qu'au théâtre les bonnes opinions et les beaux sentimens doivent être comptés pour quelque chose, Ce n'est pas la forme qu'il veut qu'on juge, c'est 1( fond, et il prétend qu'on doit lui savoir gré de sei bonnes intentions. Il a bien ses raisons pour pensci ainsi ; mais, malheureusement pour lui, c'est le con. traire qui est vrai. A la scène , comme au palais, c'es presque toujours l'accessoire qui emporte le principal Le théâtre est nécessairement un lieu de plaisir } le pu blic s'y rend pour s'amuser : il faut lui plaire. Les bonne choses, tristes et ennuyeuses, il les repousse; et le mauvaises, spirituellement et gaiement présentées , i
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les accueille. La forme sauve le fond, et c'est ce qui fait trop souvent du théâtre une école si dangereuse.
Les méchans auteurs gâtent tout ce qu'ils touchent ; ils faussent l'esprit public, ils dénaturent la langue 5 en un mot, ils corrompent deux fois, et M. Draparnaud est un des plus coupables.
Semblable aux petites gens qui croient n'en jamais faire assez pour ceux qu'ils reçoivent chez eux, qui les accablent d'attentions fatigantes et qui les assomment de prévenances insipides, M. Draparnaud met dans ses ouvrages trois fois plus de choses qu'il n'en faudrait pour les rendre meilleurs. Il les y place sans discernement et sans mesure, et chaque acte, en sa pièce, est une pièce entière. L'esprit est abasourdi et hébété, il faut le dire, de la rapidité des événemens sans intérêt, des situations sans motif qui se succèdent dans les drames de cet infatigable auteur. Encore tout meurtri de la chute de Maxime ou Rome sauvée, il imagina, pour célébrer le sacre de Charles X, une tragédie de la Clémence de David dans laquelle il trouva moyen de faire prêter au roi un serment à la Charte constitutionnelle , d'annoncer le pardon que sa majesté accordait aux factieux et de rappeler l'audience d'amnistie du général Excelmans. Tout cela sans doute était fait dans d'excellentes idées; mais l'enfer, dit l'Evangile, est pavé de bonnes intentions, et je ne sais quel supplice est réservé à M. Draparnaud, pour la torture à laquelle son royalisme a soumis les gens de goût et les véritables amis du roi.
C'est encore avec les meilleures intentions du monde qu'il a fait le nouveau drame , en cinq actes et en vers (car il ne procède jamais autrement), qu'il a intitulé :
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Honneur et Préjugé et qu'on a donné hier soir à l'Odéon. M. Draparnaud trouve que le duel est un acte de barbarie, que le véritable honneur repousse et dont un odieux préjugé entretient seul encore l'usage parmi nous. Cela est juste, et cette idée, développée et attachée à une intrigue intéressante par un homme de talent, pourrait produire d'heureux effets. Mais notre auteur ne s'en tient pas là, et, une fois en train d'attaquer les préjugés, il joint encore une autre thèse à sa première conception; abondant dans les mœurs nouvelles, et mu d'ailleurs par un sentiment d'exacte équité, il veut prouver que les fautes, les crimes, le déshonneur des parens ne rejaillissent pas sur leurs enfans ou que du moins c'est un fâcheux préjugé répandu dans la société que celui qui rend le fils responsable des erreurs de son père. Voilà une double tâche à remplir. Il suffirait d'une seule pour exercer et satisfaire le génie -, mais la complication des moyens affaiblit et arrête le développement des passions et des caractères, et M. Draparnaud a gâté la qualité par la quantité. Un sujet heureux a péri entre ses mains. Il a rendu ridicule ce qui pouvait être intéressant.
Adhémar de Granval, capitaine aux gardes françaises , a obtenu son grade et la croix de Saint-Louis
Ç sur les champs de batailles. Il aime Héloïse de Blinville, fille d'un lieutenant-général, et il en est aimé; mais cette jeune personne est également aimée de SaintPrix , camarade et ami d'Adhémar ; il doit même l'épouser. Saint-Prix découvre les sentimens d'Adhémar, sa jalousie s'enflamme; il l'insulte et le provoque en duel; Adhémar refuse ; M. de Blinville, vieux militaire entiché du point d'honneur, veut le forcer à se
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battre avec son ami ; Adhémar persiste ; son refus se répand parmi les officiers, qui le somment d'abandonner l'uniforme. Adhémar, alors, malgré sa mère et sa maîtresse, va se battre, essuie le feu de son adversaire, refuse de tirer sur lui, et, par cette conduite généreuse, recouvre l'estime de ses camarades. M. de Blinville, même, change tout à coup de sentimens : au lieu de Saint-Prix, c'est Adhémar qu'il veut pour son gendre. Le préjugé militaire a déjà failli perdre ce jeune homme, c'est maintenant le préjugé des convenances. Madame de Granval découvre à son fils qu'il doit le jour à un père qui est mort sur l'échafaud, parce qu'il appartenait à la secte des protestans et qu'il a bravé les lois portées sur les sectaires. Adhémar en fait l'aveu à M. de Blinville qui refuse d'abord de lui donner la main d'Héloïse -, mais, après le combat, un des prisonniers, qui a connu madame de Granval en Hollande, pendant son exil, répand le secret de la naissance d'Adhémar. Celui-ci veut s'exiler de nouveau, et, au moment où il va partir avec ses amis qui ont juré de ne pas l'abandonner, le maréchal de Saxe vient annoncer que le roi, pour récompenser les services d'Adhémar, le crée maréchal de camp, comte, etc., etc.
Ce n'était pas peut-être une légère difficulté de rendre ce sujet intelligible par l'analyse. J'ai passé sous silence une quantité de petites circonstances et d'accessoires qui viennent sans cesse à la traverse de l'action principale et qui font de cet ouvrage une espèce d'énigme. Les événemens se passent si rapidement, les incidens sont tellement multipliés que l'intérêt n'a pas le temps de poindre et qu'il est impossible de se reconnaître au milieu de ce fracas de situations brusques et
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de sentences exagérées et ridicules qui l'encombrent. Il en résulte pour l'esprit une sorte d'étourdissement qui suspend toutes les facultés du raisonnement. C'est sans doute à la faveur de cette ivresse que la pièce a été jouée jusqu'à la fin , non sans murmure, mais sans accident grave. L'auteur a été demandé ; des ris et des huées ont accompagné la proclamation de son nom. Son ouvrage est une véritable folie sérieuse qui pourrait bien cependant avoir quelque succès, excepté auprès des gens de bon sens et de bon goût.
SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
RIENZZI, TRIBUN DE ROME , TRAGÉDIE EN CINQ ACTES ,
DE M. DROUINEAU.
3J janvier.
Cette tragédie a obtenu hier le plus grand succès, et, ce qui vaut mieux encore, elle a mérité, en partie, les applaudissemens qui lui ont été prodigués.
Rienzzo, que l'auteur a appelé Rienzzi, sans doute à cause de l'euphonie, était, au quatorzième siècle, de sanglante mémoire, le plus érudit et le plus célèbre Rhéteur de l'Italie. A la faveur de son éloquence, il parvint à la dignité de tribun, renouvelée des annales de l'ancienne Rome, qui donnait le commandement suprême, et il gouverna, en effet, cette capitale en l'absence du souverain pontife, retiré à Avignon pendant les querelles du schisme. Les vengeances qu'il exerça
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sur les premières familles romaines , quoique justifiées par les crimes et les fureurs de celles-ci, éveillèrent des haines terribles. RienÍzo fut obligé de quitter le pouvoir et de se réfugier à Avignon. Mais bientôt les désordres sanglâns, causés à Rome par les prétentions des grandes familles, firent rappeler Rienzzo. Il avait perdu le peu de qualités qui l'avaient fait briller de quelque éclat pendant la première partie de son gouvernement ; il ne se montra plus que proscripteur, sanguinaire et lâche. Le peuple de Rome,. qui avait été favorable à Rienzzo, l'abandonna bientôt, et, excité par les chefs d'anciennes familles, il assiégea le tribun dans son palais et l'assassina.
L'auteur de la tragédie nouvelle n'a conservé dans son ouvrage que la partie historique relative aux événemens généraux. Les habitudes séditieuses et sanguinaires du peuple et des grands sont fidèlement exposées. C'est le poignard qui fait raison de tout. Mais il a donné à Rienzzi une autre physionomie que celle de l'histoire : il l'a représenté brave, généreux, n'ayant d'autre projet que de rétablir la liberté dans Rome, à l'aide des souvenirs de son ancienne splendeur, et n'étant cruel que par nécessité.
Ce démenti historique était indispensable pour la scène. M. Drouineau a cherché à intéresser le spectateur au sort de Rienzzi, ce qui était impossible en le montrant tel qu'il fut. Il a choisi pour sujet la seconde époque de la domination du tribun. Il semble qu'il ait eu principalement en vue la représentation des mouvemens populaires, et, en effet, au troisième et au cinquième actes, il y a , sous ce rapport, des effets absolument neufs au théâtre.
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Ricnzzi harangue le peuple et cherche à l'émouvoir contre la famille des Colonne, ses ennemis particuliers, dont le chef est rentré dans Rome, déguisé en pélerin et cherchant à exciter quelque rumeur dont il puisse profiter pour assassiner le tribun. Le discours de Rienzzi est parfaitement bien dans la situation, et, chose remarquable, il présente les mêmes idées, les mêmes formes et presque les mêmes expressions que celui que Robespierre prononça le jour de sa chute.
Au cinquième acte, le peuple, entraîné par d'autres mouvemens, poursuit Rienzzi jusque dans son palais; les degrés du Capitole v ont être franchis. Le tribun se montre et avance avec calme au milieu des conjurés que son sang-froid et sa grandeur d'âme forcent à reculer à mesure qu'il marche vers eux. Son éloquence les touche encore *, mais bientôt Colonne survient et poignarde son malheureux rival. Toute cette scène a produit une vive impression.
Tous les autres personnages sont mal inventés et constituent même la partie faible de l'ouvrage. C'est, d'un côté, le jeune Montréal dont le père a péri par les ordres de Rienzzi, et qui, caché sous le nom d'Uberti, cherche l'occasion de la vengeance. Il aime Julia , fille du tribun, et il en est aimé. C'est, de l'autre, cette Julia que les habitudes de la scène française ont obligé l'auteur de faire paraître, et qui, ne servant point à l'action , la retarde et la refroidit.
Montréal est assassiné par Colonne aux projets duquel il s'opposait, et Julia se retire dans un cloître.
Mais toutes ces défectuosités qui tiennent en partie aux -exigences de notre théâtre, lequel ne supporte guère de
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tragédie sans amour, et par conséquent sans femmes ; ces défectuosités, dis-je, ne nuisent point essentiellement à l'ouvrage dont le mérite incontestable réside dans le caractère bien tracé et bien soutenu de Rienzzi, dans l'éclat de quelques situations neuves, et dans le style clair, élégant et souvent brillant.
L'auteur est un jeune homme, et cet ouvrage est son début. Il donne de belles espérances. Demandé et nommé au milieu d'unanimes applaudissemens, M. Drouineau a, comme M. Casimir Delavigne, aux Vêpres siciliennes, été amené sur la scène avec une couronne sur la tête. La couronne est de trop sans doute -, mais les applaudissemens étaient bien mérités.
SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
L INTRIGUE ET L'AMOUR , DRAME EN CINQ ACTES ET EN VERS , IMITÉ DE SOUILLER , PAR M. GUSTAVE DE WAILLY.
:• . - 22 février.
C'est une chose digne de remarque que la ressemblance du théâtre actuel avec le théâtre qui précéda 1790, ou qui suivit l'époque la plus sanglante de la révolution. Nos tragédies, aujourd'hui comme alors, roulent sur des conspirations contre le pouvoir en faveur d'une vague liberté. La vraie comédie n'existait pas plus qu'elle n'existe maintenant, et les traductions du théâtre étranger, répandu pour la première fois, avaient
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fait naître, ce que nous voyons de nouveau , par le retour de la même circonstance : des drames , ou autrement des tragédies bourgeoises, dans lesquels tous les sentimens sont faux et exagérés, toutes les émotions excitées, toutes les conséquences dangereuses. L'Intrigue et l' Amour est, comme je le disais plus haut, ce que les dramaturges Diderot, Darnaud, Mercier, Sedaine, etc., etc., appelaient une tragédie bourgeoise. C'est la représentation d'une action prise dans les mœurs privées -, le tableau des passions exaltées qui conduisent" au suicide et au meurtre -, et ces peintures ont une bien autre portée que les tragédies proprement dites, en ce qu'elles tiennent à un ordre de circonstances et de sentimens qui nous est entièrement applicable.
Je me trouve dispensé de donner aujourd'hui l'analyse de Y Intrigue et TAmour, drame en cinq actes et en vers; car cette pièce n'est autre chose, action et personnages, que le drame de la Fille du Musicien, en trois actes et en prose, représentée le 10 décembre dernier au théâtre de la Porte-Saint-Marlin , et dont il a été rendu compte : tous les deux copiés ou imités de la pièce allemande de Schiller. Seulement M. de Wailly a conservé dans son ouvrage lady Milfort, la maîtresse du prince, qui veut épouser le major Waltcr-, et le dénoûment de la pièce de l'Odéon s'opère par le suicide du major et de Louise au moyen du poison, tandis que, dans le drame du boulevart, le personnage de lady Milfort a été retranché et que Louise seule périt par l'asphyxie.
Où donc les poètes vont-ils de nouveau conduire la société , et qu'est-ce que l'avenir renferme ? Quoi ! c'est -au milieu du relâchement des liens de famille, qui se
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signale de toutes parts, que l'on offre aux spectateurs le tableau de l'abus tyrannique de la puissance paternelle portée au dernier degré et conduisant au suicide ; le tableau d'un père avouant à son fils le crime qu'il a commis pour arriver au pouvoir, usant de son autorité pour forcer ce fils à contracter un honteux mariage qui doit lui conserver la faveur du prince , et avilissant enfin le caractère paternel jusque-là qu'il fait usage des moyens les plus infâmes pour assurer la réussite de ses projets ! Et ce qui complète ce tableau, c'est le fils insultant son père, le menaçant d'aller révéler à la cour et à la ville le crime qu'il a commis, et, au moment d'expirer, lui reprochant la mort de sa maîtresse et la sienne.
Rien ne saurait être plus funeste que de présenter à l'esprit ardent de la jeunesse, la passion de l'amour et de la jalousie s'exaltant jusqu'au degré du meurtre et du suicide. Ce désordre des passions ne produit pas le même effet dans la tragédie où la situation héroïque des personnages, la différence des intérêts et des sentis mens neutralisent les impressions, et ne portent par conséquent aucun spectateur à la tentation de l'imitalion. Bajazct, Zaïre, Tancrède et toutes les autres victimes de l'amour en cothurne sont trop éloignées, par leur position et leurs discours, de nos sentimens et de nos usages pour exercer généralement une fâcheuse inlluence. Il n'en est point ainsi de la peinture de cette passion prise dans les mœurs privées. On doit en dire autant du suicide placé dans les classes inférieures.
Ug,atura.it pu croire que depuis le Père de Famille de rôtre théâtre ne reverrait plus ces scènes tl'*it-
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mour exalté par les obstacles, et bravant les rigueurs paternelles et les lois de la société. Mais encore une fois, il semble que, de toutes façons, nous recommencions les cinquante années précédentes, et que nous renchérissions encore sur nos devanciers. En effet, le drame du sophiste était dangereux en ce qu'il offrait le spectacle de l'exaltation de l'amour dans un ordre de chose trop rapproché de nous, et l'exemple d'une mésalliance séduisante dans un état de société qui ne l'admettait pas. Mais, du moins, Diderot avait conservé au Père de Famille tout le caractère sacré de la paternité. Il avait rejeté dans le rôle d'un oncle la hauteur, la sévérité rigoureuse, les moyens odieux employés pour détourner Saint-Alban d'un mariage disproportionné. Nous faisons mieux aujourd'hui. La Fille du Musicien et F Intrigue et V Amour montrent l'autorité paternelle avilie et méprisable, et tandis que les tribunes publiques vont incessamment retentir de discussions sur les liens de famille, le théâtre anticipe et tranche la question dans le sens le plus funeste à l'état social ! C'est vainement qu'on chercherait l'art au milieu de ces compositions désordonnées. Il y aurait même une sorte de ridicule à parler de l'art en présence de pareils ouvrages. L'art, c'est la forme, c'est l'expression de l'ordre \ l'ordre, dans l'art littéraire et dramatique , c'est le combat des passions contre les devoirs y et le triomphe des devoirs sur les passions. Eh bien ! ici, c'est tout le contraire 5 ce sont les passions qui l'emportent ; ce sont les insensés qui triomphent ; c'est le désordre animé, exalté, électrique que l'auteur communique aux spectateurs -, et tout le théâtre moderne
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va dans cette voie ! Que contiennent donc les tètes qui composent de telles pièces ? Que feront donc un jour les mains qui y applaudissent ?
REVUE DES TIIÉATRES.
Voici, depuis six semaines environ, la nomenclature
des pièces jouées tant au Gymnase qu'au Vaudeville.
VAUDEVILLE.
5 janvier
Les Dames à la Mode, en un acte, de MM. Gersain, Gabriel, Brazier et Vulpian. Ce dernier n'a pas été nommé. C'est une parodie et une critique des ouvrages donnés depuis quelque temps sur les différons théâtres et dont les héros étaient des femmes. Armide, la Dame blanche, la Dame du, Lac, Semiramide et la Fille du Musicien paraissent successivement sous la figure de femmes à la mode, enfermées, comme maniaques, chez un médecin de la nouvelle Athènes. Elles veulent s'enfuir -, Léonidas les retient aidé de ses trois cents Spartiates. Il n'y a ni fond ni intrigue dans cette bluette destinée à exalter le talent et le succès de Doyeldieu , dans la Dame Hanche, aux dépens de Hossini, dont la Semiramide n'a pas été goûtée autant qit'elle dirait
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l'être. Les vaudevillistes ont bien fait tout ce qu'ils ont pu pour exciter entre ces deux hommes de génie une jalousie et des querelles qui heureusement n'ont pas eu lieu. Ces messieurs ont apparemment le goût trop étroit et les oreilles trop longues pour apprécier le mérite de deux compositeurs amis plutôt que rivaux. L'exclusion dans les arts est une sottise, et il faudrait rire du dilettante qui ne rendrait pas justice à l'auteur de la Dame blanche et de l'amateur qui ne sentirait pas la grandeur de Semiramide.
i,'t janvier.
La Salle des Pas perdus, en un acte, de MM. Francis, Courcy et Ferdinand Langlé. Les auteurs s'étaient imaginé que ce faible ouvrage était un tableau piquant des mœurs du palais, et qu'il offrait la peinture fidèle des habitudes et des caractères des plaideurs et des avoués. On ne peut pas se tromper plus complétement. Ils ont opposé à un avoué, escroc jusqu'à l'infamie , un de ces misérables écrivains qui salissent le bas des piliers de la grande salle du palais. Celui-ci est un modèle de talent et de probité ; et il n'est personne qui ne sache que, dans la réalité, ces soi-disant héros de l'honneur feraient, avec leurs plumes, toutes les mauvaises actions du monde, pour le prix d'une course de fiacre. Des Normands, avec leur vieux caractère processif, étaient destinés à jeter de la gaieté dans l'ouvrage. Ils n'ont paru que ce qu'ils étaient : de pitoyables caricatures. "h
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2 février.
Midi ou le Pouvoir dune Femme est une pièce du genre que les vaudevillistes appellent gracieux : une jeune personne que son caractère dissipé et absolu avait empêché d'épouser un de ses cousins , s'est mariée avec lui, cependant, parce qu'on la croyait absolument changée. Son mari toutefois, craignant qu'elle ne soit pas suffisamment corrigée, a voulu la mettre à l'épreuve, et lui a abandonné pendant un mois le gouvernement du ménage -, mais, pour se mettre à couvert des suites de la dissipation qu'il redoute, il a obtenu de l'oncle de sa femme l'engagement par celui-ci de payer toutes les folies qu'elle pourrait faire. Ils croient l'un et l'autre que cette convention est ignorée de la jeune femme ; mais elle l'a découverte et se conduit en conséquence. Lorsque le jour arrive où elle doit se démettre du pouvoir, et quand son oncle et son mari, trompés par les apparences, sont persuadés qu'elle a commis cent extravagances , elle leur fournit les preuves de la régularité de sa conduite et de la sagesse de son administration. Elle a payé les dettes de son mari, placé ses capitaux , gagné un procès, fait bâtir une maison , et donné, en passant, une leçon de fidélité à l'époux d'une de ses amies, lequel est bien le plus sot et le plus ridicule financier que l'on ait vu au théâtre de mémoire d'homme. Les auteurs sont MM. Saint-Hilaire, P. Duport et Monnet.
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4 février.
Paméla ou la Fille dit Portier, de MM. Rougemont et Gabriel. Ce dernier a été seul nommé. M. Rougemont est un homme de beaucoup d'esprit, qui, depuis longtemps , ne donne plus rien au théâtre, et n'a pas voulu se faire connaître. La pièce est spirituelle et tirée d'un recueil d'observations sur les mœurs publiées hebdomadairement par M. de Rougemont, sous le titre du Rôdeur, il y a déjà quelques années. Pamèla est une élève du conservatoire qui se destine au théâtre. L'influence que cette éducation dramatique exerce sur les idées et les moeurs de la Fille du Portier et de ses parens a été bien aperçue et bien indiquée. Pamèla s'imagine qu'elle a fait la conquête d'un homme riche, et cet homme qui croit, de son côté, qu'il a tourné la tête à la fille d'un fournisseur opulent, est tout platement un escamoteur. La pièce a obtenu autant de succès qu'elle en méritait.
20 février.
Mais le Vaudeville est immédiatement retombé dans, ses habitudes de mauvais ouvrages et de chutes plâtrées en donnant F Appartement garni, de MM. Melesville et Carmouche, dont les noms n'ont pas été proclames , et ( 25 février) Joseph II ou V Inconnu au Cabaret, de MM. Duvert, Lafontainc et Leroy, qui auraient tout aussi bien fait de garder l'anonyme. Ces deux ouvrages ne valent pas même la plus simple analyse.
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THÉATRE DE MADAME.
Non seulement les pièces du Gymnase sont toujours supérieures à celles des autres petits théâtres, mais encore les ouvrages qui sont faibles ont-ils une couleur originale qui ne permet pas de les juger avec la même indifférence que les autres canevas. Le Testament de Polichinelle, qu'on a joué le 17 février et auquel ont travaillé MM. Scribe et Moreau, quoique M. Lafortelle s'en soit déclaré le seul coupable , n'est certainement pas un bon ouvrage 3 mais du moins l'idée en était neuve et. n avait pas été traînée sur d'autres succès. C'est une double mystification exécutée par un farceur de société, très connu jadis à Paris sous le nom de Musson et que les auteurs ont appelé Husson. Si la pièce eût été jouée en carnaval, elle aurait eu plus de succès.
Mais ce sont de véritables comédies et de très jolies comédies même que les Manteaux ( 20 février), en deux actes de MM. Scribe, Dupin et Varner ; et la BelleMère ( 1er mars), en un acte, de MM. Scribe et Bayard., Il faut aussi que je rappelle, au même titre, la Demoiselle à marier, de MM. Scribe et Mélesville , jouée le 18 janvier et qui est sans contredit le plus joli ouvrage qu'on ait, depuis long-temps, donné sur aucun théâtre. On trouve dans chacune de ces pièces beaucoup d'esprit et souvent des tableaux de mœurs variés ou vrais.
Enfin, pour terminer cette revue d'ouvrages dont je ne rends pas un compte plus détaillé, parce que les uns,
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quoiqu'agréables , n'ont aucune importance \ parce que les autres sont au-dessous de tout détail, il convient de faire mention , sous ce dernier rapport, d une soidisant comédie en un acte et en prose, jouée, le 27 février , au théâtre de l'Odéon, sous le titre de Boisrosé, ouvrage posthume de Mercier , revu par M. Mélesville. Elle a donné lieu à un fait sans exemple , je crois. Le public l'a écoutée, d'un bout à l'autre, sans aucune marque d'approbation ou d'improbation. Le rideau a été levé pendant trois quarts d'heure et s'est baissé après que les acteurs ont eu parlé, sans qu'il en ait été autre chose. On aurait juré d'une répétition à laquelle personne n'assistait.
PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
REPRÉSENTATION AU BÉNÉFICE DE DEVIGNY. PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE LA DÉMENCE DE CHARLES VI, ET L1 DAME BLANCHE, AVEC DES DIVERTISSEMENS DE L'OPÉRA
7 mars.
C'est une époque bien funeste pour la France que Ij règne de Charles VI, et les orateurs modernes devraicn bien, ou se déshabituer de parler des quatorze siècle de bonheur de la monarchie, ou retrancher de cett phrase banale , la période de 1380 à 1422. L'ambitioi deg oncles du roi, la cruauté de sa femme Isabelle d Bavière , l'assassinat du duc d'Orléans, du duc de Boni gogne, du connétable de Clisson , deux surintendans d
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finances pendus, le schisme de la papauté, la bataille d'Azincourt perdue, la folie de Charles VI, et enfin le royaume livré à l'Angleterre, sont les calamités qui composent seules la durée de ce règne dont les conséquences se sont fait sentir encore dans les règnes suivans. A tout prendre , il faut encore mieux, pour les rois et pour les peuples, avoir à mourir dans le dix-neuvième siècle que d'avoir vécu dans le quatorzième.
Le sujet de la mort de Charles VI était épineux à traiter. Il était difficile de concilier l'état de folie du * roi avec la dignité royale à laquelle , sur notre théâtre ,
il est dangereux de laisser porter atteinte. M. Delaville s'en est heureusement tiré. Les actes de démence du roi n'ont rien de ridicule, et toute la noblesse du caractère reparaît dans les momens de lucidité. Le rôle du Dauphin est aussi fort habilement jeté. Sa tendresse et son respect pour son père rehaussent celui-ci et éloignent toute idée d'indignité pour la majesté du trône. Elle est encore rehaussée par la feinte déférence que Henri V témoigne pour le malheureux roi et par le dévouement de Clisson. M. Delaville a donné à Henri un caractère de douceur et d'équité que peut être l'histoire ne confirme pas, et que l'auteur lui-même a cherché à justifier en l'appuyant sur des intentions politiques. Ce rôle est tracé d'une façon incertaine -, mais l'auteur évidemment ne voulait entourer Charles VI que de caractères nobles et généreux. Toute la partie odieuse du drame est absorbée par Isabeau ou Isabelle de Bavière dont les fureurs ont besoin, pour être crues et supportées, d'être rapportées par les récits authentiques des contemporains.
Ce qu'on ne saurait trop louer dans cet ouvrage, c'est
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la vérité des sentimens , le naturel de l'expression qui n'ôte rien à l'élégance et à la correction. Chaque personnage dit avec une noble simplicité ce qu'il doit dire dans sa position. Le fait historique est représenté avec beaucoup d'art. Les gradations et les nuances de la folie du roi sont parfaitement observées. Il était impossible de faire paraître Charles VI dès le commencement de l'ouvrage ; l'auteur n'aurait pu, pendant cinq actes, le soutenir dans la même situation. Les deux premiers actes sont employés à poser tous les personnages, à débrouiller les événemens antérieurs et à préparer les esprits au spectacle étrange d'un roi en démence. Ces préparatifs sont et devaient nécessairement être un peu froids, surtout pour des spectateurs habitués par les petits théâtres à des expositions écourtées et à des traits et des effets continuels. Mais du moment où le roi paraît , la pitié est excitée vivement, et M. Delaville a supérieurement manié ce ressort puissant de la tragédie. C'est d'abord l'émotion que Charles ressent de la présence et de la justification de son fils. Les efforts et les larmes de la tendresse paternelle finissent par troubler ses sens -, il se retire afin de dérober au dauphin le spectacle de ses maux. Tout cela est d'une admirable nature.
Au quatrième acte, sa tête est plus saine, sa raison plus ferme. Il désavoue devant le roi d'Angleterre tout ce qu'on a arraché à sa faiblesse. Il veut réconcilier Isabelle et le dauphin. Mais les fureurs de cette marâtre excitent les siennes. Les besoins auxquels il était en proie se représentent à son esprit. Il se rappelle le dénûment dans lequel Isabelle l'avait laissé. Il croit voir ses enfans tourmentés par la faim.
Ils demandent du pain... du pain... je n'en ai pas.
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Et bientôt les horreurs de la guerre civile se retracent à son imagination.
Du sang, toujours du sang... demandez à la reine.
Au cinquième acte , Charles est épuisé par ce dernier accès. Il est tombé dans une sorte de stupidité dont Isabelle veut profiter pour lui faire confirmer la sentence rendue par le parlement qui bannit le dauphin dii royaume et remet la régence entre les mains du roi d'Angleterre. Par ses mensonges et ses carresses, elle obtient la signature de l'infortuné monarque. Mais à peine a-t-il signé, que le dauphin paraît, instruit de la tentative de sa mère. La vue du dauphin ranime Charles VI ; il arrache à Isabelle l'arrêt qu'il avait souscrit. Il reproche à Henri les complots qu'il a tramés pour s'emparer de la couronne, et ne veut point qu'un étranger commande à la France.
Du trône des Clovis, dont vous êtes jaloux,
Le dernier des Français est plus digne que vous.
Il accable Isabelle de malédictions et tombe anéanti sous ce dernier effort. On l'emporte, la reine le suit et revient, armée de la sentence qu'elle a reprise, annoncer la mort de Charles. Elle veut faire arrêter le dauphin. Henri, proclamé roi, s'y oppose et le laisse libre. Charles VII s'éloigne avec Clisson en annonçant qu'il va conquérir le royaume, soutenu par
Dieu, son droit, cette épée et l'amour des Français.
Le succès de cet ouvrage a été complet, et il faut ajouter ici, à la louange de l'acteur chargé du rôle de
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Charles VI, que jamais Talma n'a été plus vrai et plus pathétique. Il a causé de nobles et profondes émotions. Ses accens, ses gestes, sa pantomime ont été constamment admirables.
SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
MARGUERITE D'ANJOU , OPÉRA EN TROIS ACTES, MUSIQUE DE MA YER BEER, ARRANGÉ, POUR LES PAROLES, PAR M. SAUVAGE; POUR LA MUSIQUE, PAR lU. CRÉMONT.
12 mars.
Il n'y a que des éloges à donner à cet ouvrage. Le sujet ne manque pas d'intérêt ; les sentimens de fidélité à la royauté malheureuse sont suffisamment bien exprimés ; la musique est belle et la mise en scène d'un grand effet. Aussi le succès n'a pas été douteux. Messieurs de l'Odéoi} ont bien voulu supporter, en faveur des beaux airs de Mayer Beer et des décorations pittoresques de Cicéri, le spectacle d'un guerrier qui expose ses jours pour sauver ceux de sa souveraine et du prince son fils.
C'est, en vérité , une stupidité que d'appeler Second Théâtre Français , un établissement qui ne peut vivre qu'en jouant des opéras étrangers, ou du moins de compositeurs étrangers, dont les partitions, qu'il faut accueillir sans doute , seraient mieux et Plus convenablement exécutées à notre grand Opéra.
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Celui-ci sortirait de la routine et de l'inertie où, chaque jour, il s'enfonce davantage, et l'Odéon, privé de ce ridicule moyen de succès, serait forcé de servir au but de sa fondation. On verrait alors, plus clairement encore, ce que c'est qu'un Second Théâtre Français placé au milieu d'une population ardente et ignorante, quoi qu'on en dise, en proie à toutes les passions de la jeunesse et à toutes les opinions désordonnées, que l'inexpérience, le faux goût et les doctrines des livres impies et des journaux factieux poussent sans cesse vers une opposition violente. Le gouvernement de fer de Buonaparte n'a pas pu supporter l'Odéon. C'est un théâtre contre nature, en tant que Théâtre Français. Encore un peu, et tout poète qui se respectera ne voudra livrer aucun ouvrage important à la sotte partialité d'un parterre composé de tapageurs, soi-disant littéraires, qui, arrivant de leurs provinces, comme autant de Desmasures, croient avoir suffisamment jugé un ouvrage quand cet ouvrage leur a fourni l'occasion de lancer quelques quolibets aussi plats que grossiers.
THÉATRE ROYAL ITALIEN.
ZELM[RA , OPERA SERIA, EN DEUX ACTES, DE ROSSINI. i5 mars.
Dieu merci ! c'est une tâche facile que celle de rendre compte d'un opéra italien, et cette tâche devient plus facile encore lorsque cet opéra est de Rossini. Le public
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tout spécial de la salle Favart déserterait le Théâtre Italien, si ce théâtre lui offrait autre chose que ce qu'il y cherche : une délicieuse mélodie. Quant au succès, encore une fois, il est en grande partie dans le nom de Bossini -, je veux dire , pour éviter l'apparence d'un jugement épigrammatique, que ce nom emporte avec lui l'idée et l'assurance d'un grand talent, d'une belle musique et par conséquent d'un triomphe certain.
Zehnira est la traduction rétrécie en deux actes , excessivement longs, d'une des tragédies de Debelloy, l'auteur du Siége de Calais, de Gaston et Bayard, etc. C'est au fond, la victoire de la légitimité et de la tendresse filiale contre l'usurpation et la perfidie d'un déloyal sujet. L'exagération et les coups de théâtre ne manquent pas dans la pièce originale, qui est un des plus mauvais ouvrages du poète français; et le poète italien a été trop heureux de les trouver pour qu'il ait cherché à les rendre raisonnables.
Malgré quelques longueurs et quelques défectuosités dans l'exécution, inséparables d'une première épreuve, l'apparition de Zelmira a obtenu hier un succès qui, selon moi, n'aurait pas dû être refusé à la Semiramide, lorsque madame Pasta a eu repris ce dernier rôle. Mais il n'y aura pas cette fois de Dame blanche qui s'opposera à ce que justice soit rendue à Rossini, et, sous les traits de la fille de Polydore, la Diva a été divine, ou , comme le disent ses admirateurs, elle a été tout simplement sublime.
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THÉATRE ROYAL DE L'OPÉRA-COMIQUE.
LA VIEILLE, OPÉRA COMIQUE , LN UN ACTE, DE
MM. SCRIBE ET GERMAIN DELAVIGNE , MUSIQUE
DE M. FÉTIS.
i5 mars.
M. Scribe semble avoir fait une convention avec le public. « Je vous amuserai, a-t-il dit -, mais vous ne « me demanderez ni pourquoi, ni comment. Vous êtes « fou de spectacle -, il vous faut sans cesse des nouveau-
« tés; je me charge de l'entreprise de vos plaisirs ; vous « ferez ma fortune -, ne faites pas attention à ce que je « dis -, ne sifflez jamais le commencement de mes pièces;
« ne prenez pas garde aux invraisemblances que je dé« guiserai avec esprit \ laissez-vous faire enfin , je vous « promets que je vous amuserai et que lorsque vous « sortirez du théâtre, vous ne regretterez ni votre temps, « ni votre argent. »
Peut-on concevoir qu'un jeune homme fin, spirituel, qui connaît la vie et le monde, puisse passer plusieurs mois dans l'intimité d'une femme de dix-huit ans, déguisée en vieille de soixante-dix ans, sans s'apercevoir, sans se ' douter du déguisement de cette Hébé décrépite ? Conçoit-
. on davantage qu'une jeune veuve de dix-huit ans puisse soutenir pendant quelque temps le personnage d'une douairière édentée, et que ses yeux, ses mains, sa voix, l'amour qu'elle éprouve pour l'homme avec lequel elle passe toutes ses journées, ne la trahissent pas à chaque
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instant? Conçoit-on encore que , dans l'espace de quelques heures, un officier français, prisonnier en Russie, soit exilé en Sibérie -, que, pour le soustraire à l'exil, une septuagenaire consente à l'épouser, parce que, de cette façon, il deviendra Russe-Polonais, comme si la naturalisation avait lieu à si bon marché, à condition cependant que le contrat sera rempli de nullités qui permettront un prompt divorce, selon, dit M. Scribe, la coutume polonaise, qui est alors bien plus commode encore pour les auteurs que pour les gens mal mariés? Peut-on imaginer qu'un domestique fasse , de son chef, rectifier les nullités mises à dessein, pendant que le mariage civil et religieux se contracte, et enfin qu'un homme et une femme qui semblent, par toutes les impossibilités naturelles, ne devoir jamais être unis, se trouvent en deux ou trois heures mariés et dans la même chambre à coucher ?
La raison , le sens commun repousse toutes ces folies. Il ne parait pas possible que le public le plus sot tolère de pareilles extravagances : il n'en est rien pourtant. M. Scribe ne donne pas le temps d'y penser. Tant que la pièce dure, on rit et on s'amuse. Les jeux de mots, les plaisanteries bonnes ou mauvaises, les quolibets, toute la mousqueterie de l'esprit tire en même temps, et, au milieu de ces tours de passe-passe, l'ouvrage arrive à la fin et a réussi. La Vieille est réellement une pièce fort spirituelle et fort amusante. Le public et M. Scribe sont gens de bonne foi -, leur marché tient toujours.
Il faut pourtant encore rendre une autre justice à ce spirituel auteur. Jusqu'ici, son théâtre est pur; ses ouvrages, malgré quelques plaisanteries hasardées, ne blessent jamais ni la morale, ni les convenances. Il
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reste dans une assez juste mesure, et les oreilles ne sont point choquées de ces grossières équivoques dont presque tous les autres auteurs salissent leurs petites pièces. Ce n'est pas que, dans ses ouvrages, M. Scribe ne mette beaucoup plus d'intentions politiques et d'esprit d'opposition que ses confrères ; mais il tourne la difficulté avec art ; il sait bien faire entendre ce qu'il veut dire, et il fait habilement passer celte nuance d'hostilité qui plaît au public sans que toutefois il y ait danger à la tolérer.
La musique de M. Fétis est suffisamment bonne.
SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
RACINE, OU LA TROISIÈME REPRÉSENTATION DES PLAIDEURS , COMÉDIE EN UN ACTE ET EN PROSE DE M. CHARLES MAIGNEN.
18 mars.
Dans un de mes derniers articles, je parlais du faux goût, du mauvais esprit et de la turbulence du parterre de l'Odéon. La représentation du 16 mars en a fourni une preuve plus complète que jamais. Le spectacle a commencé par la tragédie de Cléoptîfre.àe M. Soumet, pièce dont je n'ai point déguisé les défauts, lorsqu'elle parut il y a un an, mais que quelques situations fortes et de grandes beautés de style ont conservée au théâtre et dans l'estime des gens de goût. L'effet théâtral de cet ouvrage a perdu beaucoup sans doute depuis que les co-
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médiens qui avaient établi les principaux rôles ont quitté l'Odéon. Il n'y a plus d'acteurs pour jouer la tragédie au Second soi-disant Théâtre Français. L'administration des Beaux-Arts a fait passer au premier théâtre Joanny et David -, mademoiselle Georges n'a point été réengagée. Si'cette mesure a pour but secret d'enlever à l'Odéon le moyen de jouer la tragédie et de détruire ainsi peu à peu ce théâtre, quoique cette marche soit peu loyale et peu digne , je ne la blâmerais point amèrement, tant il me semble nécessaire qu'il n'y ait point de spectacle français à l'Odéon. Mais en même temps que l'administration agit ainsi, elle nomme un nouveau directeur et prend des mesures qui semblent indiquer le désir de prolonger l'existence de cet établissement. Je ne m'étonne pas de cette nouvelle inconséquence ; mais elle a son danger ; c'est de faire croire qu'il y a toujours un Second Théâtre Français, et, sur cette apparence, de maintenir et d'augmenter même tous les inconvéniens d'un spectacle de cette nature dans son emplacement actuel. Quoi qu'il en soit, et, malgré la manière ridicule dont Cléopâtre était jouée dernièrement, je le répète, cette tragédie, après quinze ou vingt représentations, ne devait être l'objet d'aucune attaque de la part d'un parterre décent. Que les mauvais comédiens qui jouaient eussent été l'occasion de quelques sifflets mérités, il n'y avait rien à dire ; mais c'est à la pièce qu'on s'en est pris, parce que M. Soumet n'a pas l'honneur d'être dans les bonnes grâces des ta pageurs de la rue Saint-Jacques. Pendant toute la durée de l'ouvrage, les quolibets, les plaisanteries les plus grossières se sont fait entendre, et, dans l'intervalle du quatrième au cinquième acte, un des gens de goût du parquet a monté sur la banquette, et, dans une alloca-
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tion insolente adressée à ses camarades du parterre, il a exprimé le désir et l'espoir que Cléopâtre ne fût pas rejouée. Cet ordre de messieurs de l'Odéon sera sans doute fidèlement exécuté par le directeur. Peut-on pousser le scandale plus loin ?
Racine, ou la Troisième Représentation des Plaideurs, est un ouvrage au moins insignifiant. Il n'y a ni intrigue, ni, a vrai dire, d'action. Les Plaideurs, sifflés à la première représentation à Paris, furent applaudis à la cour, et Louis XIV vengea Racine de la cabale des procureurs et des procéduriers. C'est cette réparation , annoncée par les comédiens arrivant de Versailles, qui fait le fond de la pièce. Les détails se composent de deux vieux plaideurs originaux , de Chicaneau et de la comtesse de Pimbêche, et de deux domestiques de Racine qui, dans une petite scène, disputent entre eux de la tragédie et de la comédie. Ils donnent la préférence à la première, parce que la seconde est trop simple et ne leur offre que des personnages qu'ils rencontrent partout; et, si l'on veut voir ce que sont aujourd'hui le théâtre et l'opinion publique, on pourra en juger par le trait suivant qui montrera la passion du parterre , et l'ignorance ou la perfidie de l'auteur. C'est ce trait double et distinctif de l'époque littéraire et politique qui m'engage à conserver dans ces mémoires le souvenir d'une si faible pièce.
Le valet Petit-Jean soutient la prédilection qu'il accorde à la tragédie sur la comédie, et ajoute à peu près ce qui suit (je cite de mémoire) : « Tiens, ce « M. Tartufe que j'ai été voir, ce n'est rien du tout. « Un homme qui regarde de côté , qui fait l'hypocrite, « qui a une robe courte..... Enfin, dans ce moment-ci,
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« il en passe peut-être dix comme cela sur le Pont« Neuf. » L'allusion était trop claire pour n'être pas saisie, dans un moment où l'esprit public n'est préoccupé que des déclamations que lancent de tous côtés et en tous sens les ennemis de toute idée religieuse, qui . semblent attaquer les faux dévots pour porter des coups plus sûrs à la religion. Aussi ce passage a-t-il été accueilli par des bravos réitérés et des trépignemens.
Mais comment l'auteur a-t-il commis un si grossier anachronisme pour sacrifier à la malignité publique et obtenir des applaudissemens qui, dans ce moment, et surtout à l'Odéon, sont largement prodigués à tous les traits de ce genre? Les Plaideurs furent joués en 1668; il est donc impossible qu'à la troisième représentation de cet ouvrage les valets de Racine aient pu discourir du Tartufe qui ne fut joué qu'en 1669.
Voilà l'état des choses, et le théâtre qui pourrait être un instrumeut sinon utile, du moins inoffensif, deviendra, pour la société et pour le gouvernement, un des plus grands embarras et peut-être un des plus grands dangers.
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SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
LA BELLE-MÈRE, COMÉDIE EN CINQ ACTES ET EN VERS,
DE M. SAMSON.
2 1 avril.
Belle-mère a deux significations dans la langue française : une belle-mère est la femme qui a épousé le mari de notre propre mère ; c'est aussi celle dont nous avons épousé la fille. Le mot vulgaire, dans la première définition, est marâtre, et il emporte avec lui une idée défavorable à la personne de qui l'on parle -, il ne se prend qu'en mauvaise part. Le caractère de la marâtre provient du sentiment le plus naturel ; celui de la préférence exclusive qu'on accorde à ses propres enfans sur ceux d'autrui, et, dans la rigueur, les enfans d'un premier lit sont, en effet, complétement étrangers à la seconde épouse. Si, à la jalousie de l'amour maternel, vient se joindre le sentiment, non moins naturel, du bien-être de ses propres enfans, on conçoit facilement l'antipathie de la belle-mère ( marâtre) et toutes les conséquences de cette antipathie. Des auteurs ont déjà essayé de mettre au théâtre la peinture de ce caractère 5 et, chose remarquable, ce sont les auteurs tragiques qui ont le plus souvent traité ce sujet. C'est qu'en effet l'amour, la jalousie et l'intérêt maternels sont des passions qui ne peuvent guère avoir que des résultats funestes. Corneille, dans Nicomède, et Lamothe, dans
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Inès de Castro, ont supérieurement montré les effets de ces sentimens , qu'on ne saurait blâmer tant ils sont naturels au cœur de la femme, mais dont les conséquences sociales sont si dangereuses. Molière l'a également montré dans le Malade imaginaire ; mais on ne voit, dans le rôle de Bélinde, qu'un côté du caractère de la marâtre \ comme elle n'a point d'enfans à elle, c'est la cupidité seule qui la fait agir.
L'autre espèce de belle-mère n'offre point des dangers aussi grands, et, sous ce rapport, elle appartient davantage au poète comique. La domination qu'une mère a long-temps exercée sur son enfant, a comme besoin de se prolonger encore lors même que cet enfant est sorti de sa tutelle. Elle veut continuer l'habitude du commandement dont elle jouissait, et, aux yeux des vieillards, rien ne peut remplacer l'expérience qu'ils ont acquise. Le ménage d'un gendre ou d'une bellefille est l'affaire des grands-parens. Ils ne croient pas qu'il puisse prospérer sans leurs conseils et leur surveillance. Sans doute il y a du vrai dans cette prétention ; mais si cette surveillance dégénère en despotisme, si les avis ne sont que du radotage, si les leçons ne sont que des tracasseries, la présence et l'impatronisation de la belle-mère dans le ménage des enfans ne sont plus qu'un malheur. Plus même elle aura de tendresse et plus ses inquiétudes mal conçues et mal exprimées produiront de choses fâcheuses. La vérité de ces aperçus est généralement reconnue, et c'est un caractère de ce genre que Mo, Samson a présenté hier au public de l'Odéon.
Sa fable est fort simple et trop simple peut-être. Madame Dorfeuil, après avoir marié sa fille Elise au
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jeune Léon Darcy, vient passer quelque temps avec ses enfans. Elle est témoin de leur bonheur, de leur amour, de leur confiance réciproque, et elle en est charmée. Mais, habituée à gouverner despotiquement une fille soumise et un mari imbécile qu'elle a perdu, elle trouve, dan& son humeur acariâtre, que le ménage de sa fille, qui va fort bien selon les nouveaux époux, ne va pas à sa fantaisie. Les armoires sont ouvertes, les valets sont paresseux , le mari ne devrait pas avoir la clef du secrétaire ; c'est ceci, c'est cela, c'est tout enfin *, et, à peine arrivée, et tout en accablant sa fille et son gendre de caresses sincères, elle met le désordre dans toute la maison avec les meilleures intentions du monde. Elle va jusqu'à vouloir faire renvoyer un vieil oncle de son gendre, sous prétexte que sa présence est à la fois une gêne et une charge pour ses enfans. Mais l'oncle Duchemin n'est pas de ces hommes qui se laissent effrayer par le bruit. Veuf d'une femme grondeuse et violente , il avait tellement contracté l'habitude de ses emportemens journaliers, qu'il s'endormait au tapage quotidien de sa douce moitié ; il trouve même que ce tapage lui manque maintenant. Bon homme et impassible, il ne se mêle de rien et ne demande autre chose que la tranquillité. Jusque-là, les tracasseries de madame Dorfeuil ne sont que des ridicules ; elles prennent bientôt un caractère plus sérieux. Elise a pour amie intime madame de Méricourt, qui vient dans la maison et vit avec les deux époux dans une parfaite intimité. Madame Dorfeuil conçoit des soupçons sur la fidélité de son gendre. Elle fait partager à Elise ses soupçons qui, à ses yeux, deviennent des certitudes lorsque, témoin secret, elle voit madame de Méricourt donner à
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Léon un portrait qu'elle croit être celui de cette dame, Le feu est dans la maison et les jeunes gens sont brouillés quand Léon, qui veut, à tout prix, faire cesser ce désordre , amène sa femme à une explication qui rétablit le calme dans l'esprit d'Elise. Ce portrait n'est autre que celui de Léon , peint par madame de Méricourt et destiné à Elise pour le jour de sa fête. Il faut bien reconnaître que tous ces embarras proviennent de la bellemère. Il serait fort à désirer qu'elle s'en allât ; mais qui se chargera de le lui faire entendre ? L'oncle Duchemin se présente, et, sans s'émouvoir autrement, il insinue à madame Dorfeuil le parti qu'elle devrait prendre. Elle s'y refuse , bien entendu -, et, comme il serait im-, possible de la mettre à la porte, un ami commun conçoit le projet de la marier avec Duchemin, qui doit bientôt s'éloigner pour suivre un procès important auquel son incurie ordinaire l'empêche de donner aucun soin. Ce projet extravagant, et que le public, avec raison , a eu beaucoup de peine à adopter, réussit cependant. M. Duchemin n'est pas effrayé de reprendre une femme qui, ainsi que sa défunte, le débarrassera de tout le tracas des affaires, et madame Dorfeuil accepte sans répu-, gnance un homme qu'elle pourra légitimement tourmenter. Les jeunes époux, sans sortir des bornes du respect, voient ainsi s'éloigner, sans regret, la cause, sans cesse renaissante, d'un trouble perpétuel dans leur maison.
La grande difficulté de ce sujet se trouve dans la nuance qu'il faut observer entre le ridicule dangereux de madame Dorfeuil et l'espèce d'horreur qu'inspire un pareil caractère. Il faut toujours le laisser dans le ridicule , afin de ne point offrir aux enfans l'occasion de
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manquer, à l'égard d'une mère, de ce respect et de cette soumission qui sont la base de la société. L'auteur avait bien senti la délicatesse de cette situation -, et, quoiqu'il en soit un peu sorti par la jalousie que madame Dorfeuil inspire à sa fille ( moyen odieux et par conséquent hors du ridicule ) , il avait répandu dans toute la pièce des mots et des témoignages de bonté favorables au caractère de la belle-mère. Mais l'actrice chargée de ce rôle ( madame Millen ) l'a pris à contre-sens et a failli compromettre le succès. Elle n'y a mis aucune touche de douceur et de bonté. Elle a exagéré tou-s les traits et a fini par faire de madame Dorfeuil une véritable mégère aussi insupportable au théâtre qu'elle le serait dans le monde. Heureusement pour l'auteur, dont l'actrice trompait ainsi toutes les intentions, quelques situations comiques et des traits du même genre répandus avec profusion, surtout dans le rôle de l'oncle Duchemin, ont adouci la sévérité du parterre qui aurait été juste , puisque l'actrice ne lui avait rendu sensible que la partie défectueuse de son rôle. Malgré la protestation de quelques sifflets , le nom de l'auteur a été proclamé au milieu de bravos légitimes.
M. Samson est un ancien acteur de l'Odéon, passé depuis quinze jours au Premier Théâtre Français dans l'emploi des valets. On s'accorde généralement à vanter la régularité de sa conduite et la douceur de ses mœurs. Il a donné, il y a un an, à l'Odéon, à l'occasion de l'anniversaire de la naissance de Molière, une petite pièce en un acte et en vers dans laquelle on avait remarqué un style facile et naturel. Il a fait des- progrès sous ce rapport, et la 'Belle-Mère est écrite fort agréablement. Le dialogue est vif et piquant, les idées claires,
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les traits de mœurs bien jetés. Si j'ai trouvé l'intrigue de cet ouvrage trop simple, c'est par rapport aux pièces actuellement en vogue, et qui semblent avoir accoutumé le public à des drames compliqués. M. Samson opérerait-il ce retour favorable dans la littérature moderne ? Je le souhaite sans l'espérer. Mais ce premier début est heureux, et M. Samson va augmenter la liste des comédiens-auteurs qui, sans compter Molière, qu'il faut mettre à part de tout, est déjà bien nombreuse : Poisson, Montfleury, Baron, Lanoue, du Belloy, Monvel, Duval, Collot-d'Herbois , Picard, etc., etc.
THÉATRE DU VAUDEVILLE.
LE ROMAN PAR LETTRES, OU LE CHAPITRE DIX-HUITIÈME,
VAUDEVILLE EN UN ACTE.
Avril.
Le thème du Roman par Lettres remonte à Marivaux ; mais il a été retravaillé, dans ces derniers temps, par M. Scribe, que sa prodigieuse activité dramatique oblige de citer à tout instant. Cet inépuisable auteur a refait, sous les titres de la Maîtresse au Logis, de F Héritière, de la Quarantaine, etc., etc., la pièce ou les pièces que Marivaux avait mises sous le premier nom de la Surprise de l'Amour, et qu'il a reproduites dans le Legs, le Jeu de lAmour et du Hasard, etc., etc. C'est toujours une femme tendre qui ne veut point avouer qu'elle aime et qui en convient quand il faut finir la pièce. C'est là aussi
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l'aventure de madame Derval, jeune veuve, qui a juré . de ne point se. remarier, et qui épouse pourtant Alphonse , frère de madame Senneterre, qu'elle prenait pour un imbécile, et qui se montre un garçon d'esprit en écrivant sous le nom de sir Charles , les lettres, pleines de délicatesse et d'amour, destinées à embellir un roman que mesdames Derval et Senneterre ont entrepris en commun et par correspondance. Lorsque madame Derval apprend que c'est Alphonse qui est l'auteur des lettres charmantes qu'elle attribuait à son amie, elle s'aperçoit que l'impression qu'elle éprouvait en les lisant est une chose fort sérieuse. Elle ne veut point y céder. Elle redemande sa correspondance, et prétend arrêter le roman au chapitre dix-septième. Il n'aurait point de conclusion de cette façon. Mais M. Dubreuil, cousin de madame Derval , amateur ridicule de littérature, et qui croit bonnement que le roman en question est une œuvre purement littéraire, oblige sa cousine, par suite d'un quiproquo fort peu naturel, dans lequel Alphonse passe pour un libraire, à consentir au dénoûment forcé de tous les romans, c'est-à-dire à un mariage entre le héros et l'héroïne. Comme il prétendait à la main de madame Derval, il finit par s'apercevoir qu'il a été dupé, et qu'il a fait lui-même les affaires de son rival. Il en prend son parti de bonne grâce.
Ce petit ouvrage, qui appartient au genre faux, a les vices et les avantages de ce genre. Avec une intrigue romanesque et invraisemblable, ne peignant ni mœurs ni caractères vrais , il offre cependant un côté piquant et des détails spirituels -, il a eu beaucoup de succès. Les spectateurs du Vaudeville ne sont pas habitués à un ragoût aussi délicat. Comme les Israélites dans le désert,
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ils ont reçu cette manne céleste avec enthousiasme et reconnaissance. Elle ne justifie pas complétement l'admiration bruyante qu'ils ont témoignée ; mais elle méritait une bonne part des applaudissemens légitimes qu'elle a reçus. Les auteurs ont été demandés et nommés avec empressement. On a proclamé M. F. de Courcy, auteur de quelques petites pièces qui ne ressemblent point au Roman par Lettres *, plus, M. Gustave, autrement M. Vulpian, avocat, dont les ouvrages précédens n'annonçaient pas davantage celui qu'on venait d'applaudir. Mais enfin on a su qu'il y avait un troisième collaborateur dont le nom, qui n'a point été livré au public, a expliqué aux connaisseurs le secret de ce joli succès; c'est M. de Rougemont, qui a donné sur différens théâtres des ouvrages dont le succès n'a jamais sur-
pris personne.
THÉÂTRE DE MADAME.
REPRÉSENTATION EXTRAORDINAIRE AU BÉNÉFICE DE
GONTniER.
14 mai.
Ce qu'il y a de plus extraordinaire dans cette représentation , c'est l'affluence extrême qui s'est portée à un spectacle dont la composition devait éloigner bien du monde. Lorsqu'elle a été annoncée dans les journaux , elle n'a eu d'abord aucun succès. Mais quand on a su que Madame devait y assister, et que le Gymnase a eu
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mis en mouvement ses prôneurs ordinaires , la vogue s'en est mêlée. On ne pouvait plus obtenir, dans les deux derniers jours, les loges dont personne n'avait voulu précédemment, et que le théâtre offrait même avec la remise du tiers en sus.
La bonne ou la mauvaise recette, dans ces occasions, est indifférente à l'acteur au profit duquel la représentation est donnée. Le bénéfice est une des conditions de son engagement, et lui est garanti à un taux fixé r d'avance. Il est donc désintéressé dans le produit. Les chances ne sont plus que pour le théâtre. S'il y a un excédant de la somme garantie, l'entreprise bénéficie. Il semblerait donc, dans ce sens , que le théâtre dût soigner une représentation dans le produit de laquelle il est presque de compte à demi. C'est ici que se présente une difficulté. Si l'on donne beaucoup de pièces nouvelles ( principal attrait de curiosité pour le public), la représentation sera fructueuse à coup sûr, mais c'est, à proprement parler, manger son blé en herbe. Ces pièces nouvelles jouées une à une comme à l'ordinaire rapporteraient davantage, par chaque première représentation , que réunies en une seule. Le coup de partie, dans ces occasions, consiste donc à attirer beaucoup de monde avec un mauvais spectacle d'après la doctrine d'Harpagon qui veut qu'on lui fasse faire bonne chère avec peu d'argent. L'habileté du Gymnase n'est pas restée au-dessous de la difficulté : le charlatanisme de l'affiche, encombrée de premières représentations.....
de reprises de vieilles pièces; les entr actes remplis, soidisant , par des solos que devaient exécuter les meilleurs artistes de la capitale ; les annonces réitérées dans
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les journaux j l'activité des amis, et enfin la présence de Madame, qui ne sait apparemment point résister aux instances intéressées des personnes qui l'entourent, tout a été mis en usage pour attirer à une détestable soirée les désœuvrés de bon ton qui, au surplus, ne regrettent jamais leur argent quand on leur a donné l'occasion de faire de la toilette, et de venir se montrer dans une réunion nombreuse.
Le spectacle a commencé par Partie et Revanche, pièce épuisée ,, qui n'a pas le sens commun, mais qui est égayée par le jeu plein de verve de l'acteur BernardLéon. A la fin de cette pièce, Mazurier est venu , avec les coryphées de la Porte-Saint-Martin, danser un pas anglais qu'on lui a vu exécuter, pendant un an, dans un petit ouvrage de son théâtre et qui assurément n'avait, pour aucun spectateur, le mérite de la nouveauté. Après Mazurier, s'est présentée mademoiselle Gonlhier, fille du bénéficiaire, jeune et belle personne qui avait sans doute l'intention de jouer un morceau de piano composé par M. Adam, avec accompagnement de hautbois, par A M. Vinit, mais dont la bonne volonté a été arrêtée par un tremblement considérable qui ne lui a permis autre chose que de croquer toutes les notes et de manquer tous les passages.
A ce premier service, a succédé la seule nouveauté de la soirée, Clara Wendel, vaudeville en un acte de MM. Brazier et Dumersan. Les auteurs avaient compté sur les lazzis de Legrand, acteur spirituel de ce théâtre, dont la poltronnerie est excitée par la terreur que répand , dans les environs de Pontarlier, sur les frontières de la Suisse , le nom de la terrible Clara Wendel, dont
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les journaux ont fait connaître les hauts faits dans le brigandage et l'assassinat. Vain espoir ! le jeu de Legrand a échoué. Les spectateurs n'ont pas voulu se prêter à l'illusion d'une directrice de théâtre qui a le malheur de s'appeler comme la nouvelle héroïne de la Suisse, et qui, prise pour la véritable Clara Wendel, jette l'épouvante dans une maison où on lui a donné l'hospitalité. La pièce n'a été jouée qu'à moitié. La toile est tombée par respect pour Madame apparemment, dont les oreilles et la vue auraient pu être effrayées du combat qui se préparait au parterre entre les amis des auteurs et quelques gens de goût qui avaient déjà plusieurs fois vigoureusement sifflé.
Madame Montano, artiste du théâtre de l'Odéon, était chargée de combler le nouvel entr 'acte. Elle a voulu chanter un air qu'elle chante tous les jours dans Marguerite <£Anjou. Fort déroutée par la petite scène sur laquelle elle se trouvait, plus déroutée encore par les mauvais accompagnemens d'un orchestre habitué aux ritournelles de quelques flon, flon, et qui trouvait le couplet de madame Montano trop long, cette cantatrice , qui ne manque pourtant pas de talent, a été au niveau de la soirée : fausse et froide.
Un nouveau plaisir attendait les spectateurs. C'était Haine aux Femmes, vieux petit vaudeville musqué, de MM. Bouilly et Pain, joué il y a une vingtaine d'années et composé dans le système du temps, avec un dialogue prétentieux et niais et des couplets sans traits. Le public, heureusement revenu, grâce aux jolies pièces de M. Scribe, des ennuyeuses fadeurs de ses devanciers, a presque ri au nez des acteurs qui débitaient des bêtises surannées; et une débutante à ce
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théâtre, madame Richard-Mutce , a failli se ressentir de la gaieté moqueuse qu'inspirait un jardinier chantant un couplet dans lequel on avait remarqué ce joli passage :
Et la tendresse
Que fait naître tant douce ivresse,
Ce qui est tout-à-fait de style dans sa bouche.
Un jeune homme, nommé Marcé, est venu dans l'entr'acte exécuter un solo de basse , qui a eu d'autant plus de succès qu'on ne demandait qu'à s'amuser.
Enfin, la quatrième et dernière pièce, la Famille Normande, a clos cette interminable représentation. C'est un des plus faibles ouvrages de M. Scribe, sans fond et à peu près sans gaieté. Ce qui en a fait le succès jadis, c'est que Gonthier, qui joue ordinairement à ce théâtre les jeunes officiers et les amoureux, paraît dans cette pièce en marchand de pommes et patoise soidisant le normand. Ce déguisement touche les spectateurs qui savent presque bon gré à un premier et brillant acteur de consentir à cette métamorphose. Les comédiens se sont battu les flancs pour faire rire. Ils n'y ont guère réussi, sauf Bernard-Léon , dont la charge, dans le rôle d'un maître d'école, est parfois plaisante.
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PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS
LE PORTRAIT D'UN AMI, COMÉDIE EN UN ACTE ET EN
PROSE.
16 mai.
Madame de Méricourt, veuve, riche et coquette , est' oourtisée à la fois par le colonel Fronval, le jeune SaintLéger et le médecin Rin ville. Elle protège beaucoup. une demoiselle de Luceval, qui fait des portraits ei* miniature, afin de soutenir sa famille. Pour procurer de l'ouvrage à sa protégée , madame de Méricourt a demandé à ses adorateurs le portrait de chacun d 'euxpeint par mademoiselle de Luceval. Comme ils ignorent le motif de cette charitable coquetterie , ils s'imaginent qu'ils ont réussi à plaire à la veuve. Mais un quatrième portrait qu'elle reçoit en présence de deux des rivaux excite leur jalousie. Ils se procurent, en séduisant la femme de chambre de madame de Méricourt, la boîte dans laquelle est enchâssé le dernier portrait, persuadés que c'est au moins celui des trois, et convenant que les deux autres céderont la place au rival préféré. Quelle est leur surprise! ce portrait est celui d'un inconnu. C'est encore un courtisan que l'on ne voit pas et que madame de Méricourt a engagé à se faire peindre au profit de mademoiselle de Luceval. Les trois rivaux désappointés sont encore bien plus étourdis lorsque madame de Méricourt propose sa main à celui
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d'entre eux qui voudra s'engager à l'épouser avant d'avoir ouvert une lettre qu'elle vient de recevoir et qui annonce l'issue, bonne ou mauvaise, d'un procès d'où dépend toute sa fortune, et que l'on vient de juger. Rinville et Saint-Léger hésitent; Franval accepte et signe son engagement..... Le procès est perdu : madame de Méricourt est ruinée. Franval n'en veut pas moins tenir sa promesse; mais la généreuse veuve déchire l'écrit qu'il lui a remis et cède tous ses droits à sa sœur Sophie qui aime le colonel et dont celui-ci est réellement amoureux malgré ses assiduités auprès de madame de Méricourt, pour laquelle même , au commencement de la pièce, il avait manqué d'avoir un duel avec Saint-Léger.
Il ne se peut rien de plus prétentieusement insipide et de plus insignifiant, que ce petit ouvrage qui a été sifflé dans les deux derniers tiers de sa première apparition et que les comédiens n'auraient même jamais joué s'il n'eût été de M. Descloseaux, rédacteur d'un petit journal intitulé : la Nouveauté, lequel aurait pu leur faire payer cher le refus de mettre au jour un si joli petit chef-d'œuvre. Cet auteur avait déjà donné , à l'Odéon, ï Officier defortune, dont la représentation n'avait pas été achevée. Il a gardé l'anonyme pour le Portrait d'un Ami; il aurait bien dû garder l'ouvrage dans son porte..
feuille.
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GYMNASE DRAMATIQUE.
PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE SIMPLE HISTOIRE , CO1\IÉDlE-VAUDEVILLE EN UN ACTE, DE MM. SCRIBE ET F. DE COURCY, POUR LE DÉBUT DE MADEMOISELLE LÉONTINE FAY.
27 mai.
Cette comédie , tirée du roman anglais qui porte h même nom, est un des plus jolis ouvrages que l'on ait donné au Théâtre de Madame ; c'est en effet une histoire fort simple que celle d'une jeune personne riche et étourdie , douée des plus heureuses qualités, et, ayant quelques défauts inséparables de l'inconséquence de son âge, qui aime son tuteur et qui ne laisse pas voir le sentiment qu'elle éprouve, parce que ce tuteur est engagé dans l'ordre de Malte. Quelques imprudences font croire au contraire à lord Elmouth que miss Milner aime Lord Frédéric qui la demande en mariage, et cet excellent tuteur sacrifie, à ce qu'il croit, le bonheur de sa pupille l'amour que lui-même rossent pour elle. Au moment de la cérémonie et lorsque lord Elmouth accorde à miss MAlner la bénédiction que celle-ci, suffoquée par la douleur, réclame -de lui à titre de sa fille, un heureux hasard fait découvrir leur secret réciproque, et lord Frédéric, qui vient d'être accablé des bienfaits4e son rival, renonce à tous ses droits et abandonne la main de miss Milner en faveur d 'Elamth , que la cour de Rome vient de dégager de ses voeux. Tous les per-.
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sonnagcs sont heureux, et surtout un certain Sandfort ancien précepteur d'Elmouth , qui aime son élèv( comme son propre enfant et dont le caractère caustiqu( et grondeur jette quelque variété sur la teinte un pet sentimentale de ceux qui l'entourent.
Il y a dans cet ouvrage un mélange continuel de sen sibilité vraie et de gaieté douce et naturelle qui lu donne un charme inexprimable -, la situation , les senti mens, le ton du dialogue, l'esprit des couplets et, c que je dis bien rarement, le jeu des acteurs, ont pro curé à cette jolie comédie un succès qui honore les co médiens et qui ne peut que s'augmenter encore par le représentations multipliées qu'elle doit obtenir.
SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
HÉRITAGE ET MARIAGE , COMÉDIE EN TROIS ACTES E
EN PROSE.
30 mai.
M. Deaubonne, vieux, savant et riche, a vu s'élev( sous ses yeux mademoiselle Pauline Frémin, qui o( cupe avec sa mère un appartement dans la maison d M. Deaubonne. Celui-ci conçoit l'idée d'épouser cetl jeune personne qui, malgré l'extrême différence d'âge consent à cette union, touchée comme elle l'est de 1 douceur et de la bonté habituelle de M. Deaubonnt
Elle n'aime personne et se promet bien de faire le bon heur d'un homme qui, pendant dix-huit ans, l a ren
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due elle-même fort heureuse par ses leçons et ses conseils. Cet hymen est approuvé non seulement de madame Frémin, mais encore de M. Dubourg , vieil ami de M. Deaubonne, et d'Eugène Beaumont, jeune artiste protégé par Deaubonne, qui a été son tuteur. Eugène a long-temps donné des leçons de dessin à Pauline 5 ils ne se sont jamais vus qu'avec une sorte d'indifférence. La sécurité de tout le monde est telle qu'Eugène a été choisi par madame Frémin pour être un des témoins du mariage. Il a accepté cette fonction avec empressement, comme un témoignage de confiance ; et, charmé du bonheur de son tuteur, il a même fait des couplets pour la noce. Les cadeaux sont arrivés ; on va signer le contrat.
Mais arrive inopinément M. Blaveau , entreposeur de tabac à Bayonne , neveu de Deaubonne -, il est accompagné de sa femme. Instruits par leur oncle de son prochain mariage, et quoiqu'ils n'aient pas été invités à y assister, ils viennent, en apparence pour l'en féliciter, et au fait, pour tâcher de rompre un hymen qui doit leur faire perdre l'héritage de M. Deaubonne. La présence d'Eugène leur inspire une idée diabolique. Au moyen de confidences adroites, ils insinuent à ce jeune homme qu'il est aimé de Pauline, et à Pauline qu'Eugène l'adore. Ils font tomber dans le même piége M. Dubourg, qui a la prétention d'être fin et observateur et devine toujours les choses qu'on lui confie. Les deux jeunes gens , qui ne pensaient à rien , deviennent rêveurs et commencent à éprouver, en effet, l'un pour l'autre , un sentiment qui n'aurait peut-ètre jamais existé sans les excitations de M. et madame Blaveais.
Toutefois. et par délicatesse, Eugène le repousse i
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Pauline se le reproche. Cependant leur contenan( embarrassée, leur air préoccupé, a frappé M. Deai bonne, et Dubourg, poussé et échauffé par le nevei craignant d'ailleurs, pour son vieil ami, les suites d'l mariage forcé , lui découvre la soi-disant passion de future et de son pupille. Eugène , qui se croit trahi p: Blaveau, auquel il avait défendu de parler de cette pr< tendue découverte, le provoque en duel et veut pari pour l'Italie , après avoir eu un entretien avec son ti teur. Les apprêts du mariage sont suspendus -, madan Frémin est au désespoir, Pauline pleure , Blaveau et femme croient avoir réussi ; mais M. Deaubonne, apr avoir long-temps réfléchi, reconnaît qu'il serait impr dent à lui d'épouser une aussi jeune personne 3 il si aussi que ce sont les confidences hypocrites de SI neveu et de sa nièce qui ont troublé le bonheur qu'il promettait -, il voit enfin que si Pauline et Eugène s'aimaient pas et ne se seraient peut-être jamais aimé ils s'aiment pourtant maintenant, et il se résout alors faire jastice à tout le monde. Il unit les deux jeun gens, auxquels il donne la moitié de sa fortune, grand déplaisir de Blaveau et de sa femme qui se voi( ainsi privés d'une partie de l'héritage qu'ils convoitaici et qui emportent la crainte de perdre le reste par projet que manifeste leur oncle d'épouser madai Frémin.
Il n'y a aucune moralité directe à tirer de cet o vrage et ce n'est point un mal *, la comédie ne doit ê que la représentation de la société animée par des térêts, égayée par des travers et des ridicules, et préfère une comédie amusante qui ne prouve rien une pièce qui a la prétention de prouver quelque choi
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c'est-à-dire quelque chose de mauvais, comme il arrive presque toujours en pareil cas. Héritage el Mariage est un ouvrage gai, spirituel, et dont le succès a été complet. A la vérité, le premier acte, sans action, est celui qui présente le plus de traits heureux et piquans ; il y en a moins dans le second, moins dans le troisième, et le dénoûment est froid. Il aurait fallu l'amener par quelque moyen neuf et imprévu, tandis qu'il ressort trop uniment du nœud de l'intrigue. Des explications sur la duplicité de M. et madame Blaveau ne sont point un dénoûment; c'est une fin, ce qui est fort différent au théâtre. Mais ce dont il faut tenir compte , c'est que les personnages, le dialogue, et les détails, toujours naturels , sont observés et pris dans la vérité des mœurs modernes. C'est une pièce d'aujourd'hui, si on peut le dire, dans laquelle il n'entre que le degré de romanesque indispensable à tout ouvrage dramatique. C'est un mérite auquel on ne saurait accorder trop d'éloges à cette époque surtout, où, à peu d'exceptions près, le théâtre n'offre que la charge ou l'observation fausse de la société actuelle.
Les auteurs, dont les noms ont été proclamés au milieu d'applaudissemens unanimes, sont MM. Picard et Mazères.
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ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
LES FILETS DE VULCAIN , BALLET-PANTOMIME EN QUATRE ACTES , DE M. BLACHE , MUSIQUE DE M. SCHNEITZUOEFFER , DÉCORATIONS DE M. CICÉRI.
3o mai.
La critique littéraire, qui s'applique à tout ce qui est du domaine des arts, s'est toujours légèrement attachée à la chorégraphie ou à l'art mimique. Cet objet ne mérite en effet d'importance que celle qu'on met aux plaisirs d'un grand peuple oisif et corrompu. Il aurait dû, au moins sous ce rapport, attirer l'investigation et l'intérêt de ceux qu'on appelle journalistes, chargés d'enregistrer et d'exciter les goûts et les caprices des gens du monde. Mais nos grands et nos petits journaux sont trop occupés du trois pour cent et des jésuites, pour remplir les longues et mesquines colonnes de leurs feuilles quotidiennes des choses qui devraient seules y figurer. Un quolibet sur la conversion des rentes ou une ordure sur les envahissemens de la fameuse société leur paraît bien préférable à quelques recherches, à quelques discussions sur les arts auxquelles cependant ils devraient exclusivement se livrer.
Si les journaux , soi-disant littéraires, faisaient leur métier avec conscience et savoir, le ballet-pantomime des Filets de Vulcain, représenté le 29 mai à l'Académie royale de Musique, leur aurait fourni une
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belle occasion de bons articles sur l'art mimique et le parti qu'on peut en tirer pour nos plasirs. L'analyse n'en sera pas longue. Vulcain, auquel les arrêts du destin donnent Vénus pour épouse, devient, avant ses noces, fort jaloux de Mars, que la belle Cypris a remarqué parmi ses prétendons. Il a bien ses raisons -, car en effet sa prétendue passe deux actes à danser. et à coqueter avec le dieu de la guerre, déguisé en berger, pendant que Vulcain est occupé à montrer à Minerve toutes les beautés de sa forge. Instruit par la jalousie d'Apollon des dangers qu'il court, le dieu de Lemnos croit surprendre les deux amans à l'aide d'un filet mystérieux qu'il a préparé. C'est lui qui est pris pour dupe : il arrive trop tard. Vénus, prévenue par l'Amour, s'est retirée dans un temple, et le forgeron jaloux n'attrape dans ses rêts que Mars et Minerve qui allaient combattre les Titans. C'est à proprement parler le fait de Sganarelle ou le Cocu imaginaire : Vulcain, comme Sganarelle, convaincu de la sagesse de sa fiancée, épouse la fille du seigneur Alcantor, Vénus-Dorimène.
S'il est au monde quelque chose d'épuisé, c'est la mythologie, et ce qui est le plus épuisé dans la mythologie, c'est l'aventure de Vulcain. C'est bien à un tableau de ce genre que doit s'appliquer l'expression de rococo dont se servent les peintres pour exprimer ce qui est d'un goût faux et suranné. La pantomime n'a pas suivi, à l'Opéra, le mouvement imprimé à tous les théâtres par les mœurs modernes. L'Académie royale de Musique se traîne à cet égard sur les routes de la tradition, et elle n'abandonnera tout-à-fait cette voie ridicule que lorsque le grand-prêtre de ses plaisirs dansans ( M. Gardel ) et la troupe servile de ses imitateurs au-
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ront épuisé le Dictionnaire de Chompré et les Métamorphoses d'Ovide. Quelques essais dans une route nouvelle et plus vraie ont été tentés -, mais, comme ils n'étaient pas sortis du génie de l'éternel maître des ballets de l'Opéra, ils n'ont été ni servis dans leur succès par l'administration ni encouragés par l'exemple.
On confond, à dessein, le ballet et la pantomime, qui sont cependant deux choses fort distinctes. Le ballet n'est qu'une succession de danses et de pas liés par un sujet léger et formant des tableaux animés et gracieux. La pantomime est la représentation, à l'aide de gestes, d'une action grande, comique, intéressante : je citerai, comme modèles de ballets dans des genres différens, la Dansomanie, le Carnaval de Fenise, Cendrïllon. Dans ces gracieux ouvrages, le chorégraphe n'a pas même eu besoin d'appeler à son secours les oripeaux de la mythologie, et, dans ce genre, la palme appartient à M. Gardel qui règle les pas de danse et dessine des ballets avec une supériorité incontestable. Mais il faut autre chose pour la pantomime; et, pour montrer les modèles qu'il faut suivre , je citerai le Retour d'Ulysse, Clari et les Noces de Gamache. Le noble, le pathétique et le bouffon peuvent être exprimés par l'art mimique. Ces trois ouvrages en sont la preuve. Les règles du théâtre y sont observées. L'action est une, suivie, développée. L'intérêt est gradué. Le spectacle, les fêtes, les jeux, les danses y sont naturellement amenés; et, sauf les inconvéniens inhérens au genre chorégraphique, il n'y a rien à reprendre dans le programme de ces ouvrages. Mais, au contraire, il n'est aucune des fables de la mythologie qui n'ajoute par ses détails ou son but aux excitations des représentations
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de l'Opéra; et, par exemple, dans les Filets de Fulcain , serait-il possible d'expliquer, avec décence, l'action qui se passe, pendant deux heures, sous les yeux des spectateurs ? Etait-ce-là ce qu'il fallait attendre de la sévérité des principes proclamés dans le programme à jamais célèbre, où l'administration de l'Opéra exigeait que désormais les ouvrages représentés à l'Académie royal de Musique fussent religieux, monarchiques et moraux ?
Belle conclusion et digne de l'exorde.
Mars et r énlts ne peuvent être ni religieux, ni monarchiques , sans doute ; et n'est-il pas merveilleux qu'un des premiers résultats de ce programme soit un des ouvrages les plus licencieux, sans contredit, qui ait été donné depuis le second acte de Paris ( les bains de Vénus) !
Que l'Académie royale de Musique donne donc des pantomimes comme Nina, le Déserteur, etc., etc. , et qu'elle renonce à jamais aux vieilleries mythologiques qui n'offrent aucun intérêt, qui laissent l'art mimique dans son enfance, qui augmentent les dangers du genre et qui ne sont plus du goût moderne. Cette nouvelle voie serait profitable à chacun. Tout est mal dans le faux; tout est bien dans le vrai.
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THÉATRE ROYAL DE L'OPÉRA-COMIQUE.
LE TIMIDE, OU LE NOUVEAU SÉDUCTEUR , COMÉDIE EN
UN ACTE, MÊLÉE D'ARIETTES.
3imai.
Un jeune homme bien né, bien élevé, riche, spirituel, doué des plus heureuses qualités, ayant conservé jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans la vertu la plus intacte, mais chez lequel une timidité excessive neutralise les effets de tous ces dons de la nature, est devenu amoureux d'une jeune personne riche et belle, parce que dans un concert il avait remarqué en elle une timidité semblable à la sienne. Valmont avait voulu demander
Amélie en mariage. Mais, timide dans toutes ses dé... marches, il avait manqué l'occasion favorable : Amélie et sa sœur, madame d'Hérancy, étaient parties pour leur terre, lorsque Valmont s'était présenté une seconde fois chez elles, résolu à risquer sa demande.
Valmont sachant que cette terre est près d'un château habité par son oncle, part aussi pour se rendre chez celui-ci. Sa chaise de poste se brise dans le domaine de madame d'Hérancy. On lui offre l'hospitalité -, il accepte tout en tremblant, parce qu'il craint qu'on ne soupçonne ses sentimens et que cette aventure, quoiqu'elle ne provienne que du hasard, ne lui donne l'air d'un intrigant.
Ce pauvre garçon a un cousin, Saint-Ernest, colonel
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d'un régiment en garnison dans les environs et qui fait la cour à madame d'Hérancy. Ce Saint-Ernest est un aussi mauvais sujet que Valmont est pur et réservé. Le vicomte de Sauvré, tuteur de ces dames, sait, par ouïdire, qu'un des neveux du général Valmont a la plus mauvaise réputation du monde, et il en parle ainsi devant Saint-Ernest qui, craignant que cette réputation ne lui nuise auprès de madame d'Hérancy, rejette tous ces mauvais bruits sur le compte de son timide cousin , Valmont ; de sorte que quand celui-ci se présente , il est accueilli par les plus fâcheuses préventions. SaintErnest , qui connaît son amour pour Amélie , lui a conseillé de mettre la femme de chambre dans ses intérêts -, mais la démarche qu'il fait auprès de cette fille , interprétée dans le sens de son caractère supposé, est prise pour une profonde corruption. Il veut prier madame d'Hérancy d'être favorable à l'amour qu'il éprouve pour Amélie. Madame d'Hérancy prend les instances maladroites qu'il lui adresse, pour son propre compte, et se fàche d'une pareille séduction. Enfin , le vicomte de Sauvré, qui aime aussi cette dame, et qui avait prié Valmont de l'aider dans une déclaration qu'il prétendait lui faire, regarde cette soi-disant séduction comme une perfidie. Valmont se donne au diable pour leur faire comprendre qu'il est amoureux d'Amélie et non de sa sœur. Le vicomte croit que c'est une nouvelle ruse, et, pour la déjouer, il exige que le terrible séducteur fasse sur-le-champ et en présence de tout le monde une déclaration à cette jeune personne. Le timide Valmont se trouve dans la plus étrange perplexité : avouer son amour en public lorsqu'il ne l'oserait pas même en tête à tête ! il essaie cependant : mais les paroles lui man-
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quent ; il se déconcerte et ne fait que balbutier des mots insignifians. Le vicomte irrité assure et jure que, bon' gré mal gré, il faut que Valmont épouse Amélie. « Hélas! c'est tout ce que je veux, » s'écrie notre timide amant, trop heureux enfin d'obtenir ce qu'il désire et de sortir de tout ce trouble par une exclamation rapidement pro^ ' noncée. Saint-Ernest revient et l'explication qu'il donne, en débrouillant ce mystère de mauvaise réputation, lui procure la main de madame d'Hérancy.
Ce n'est point à l'Opéra-Comique qu'il est possible d'établir un caractère. La nécessité de la musique s'oppose au développement que la comédie exige. Aussi cè petit acte, d'ailleurs spirituel, surtout dans sa première partie , a-t-il paru froid. Néanmoins le succès n'a pas été un instant douteux. Il ne doit pas obtenir ce qu'oit appelle la vogue, mais il complétera agréablement 1# spectacle. ?
Le collaborateur de M. Scribe , dans cette occasion f est M. Xavier, connu dans le monde littéraire sous 14il nom de Saintine et dont le nom véritable est Bonifacel
C'est, à tous égards , un homme distingué dont la modestie égale le talent (i).
M. Auber a mis le Timide en musique. Sa réputai tion ne s'en accroîtra pas. A l'exception d'un trio qui sert d'introduction : Des plaisirs de la campagne, et dtt quintette : Quel est cet illustre inconnu, tout le reste est bien faible. Le duo : D'abord en voyant tant de charme
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> (0 M. Saintine a écrit depuis le Mutilé, i vol. in-So, et tout récemment une Maîtresse de Louis XIII, 2 vol. in-8°. On sait le succès qu'ont obtenu ces deux ouvrages.
( Note de l'Editeur. )
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pourra avoir quelque succès dans les salons, quoique, comme tous les autres morceaux, il soit travaillé, maniéré et d'une assez grande difficulté pour le chanteur.
PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS.
PAULINE , OU BRUSQUE ET BONNE , C031ÉDIE EN TROIS
ACTES ET EN PROSE.
) 1 juin.
Des événemens peu considérables sont souvent la cause de changement importans dans l'humeur et dans le caractère , surtout lorsque ces événemens surviennent à l'époque du développement des passions. L'influence qu'ils exercent est bien plus sensible encore sur la femme que sur l'homme ; parce que chez celle-ci tous les sentimens tendent à l'exaltation et que , quelque voie qui soit ouverte à sa sensibilité, elle s'y précipite avec ardeur. L'amour est l'histoire de la vie de toutes les femmes ; c'est particulièrement l'histoire de Pauline Dorfeuille qui, élevée avec le jeune Dorancy, a conçu pour lui l'affection la plus vive. Cette affection était partagée -, mais le sentiment de Dorancy , moins tendre que celui de Pauline, a cédé aux volontés d'un père qui voulait le faire entrer dans une famille noble comme la sienne. Dorancy , léger, séduit par les illusions du nom et de la fortune , a violé les engagemens qu'il avait avec Pauline et fait un mariage dont l'issue a été mal-
heureuse. Pauline trompée, à seize ans, dans ses espé-
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rances les plus chères, a éprouvé une de ces émotions violentes qui influent sur le reste de la vie. Avec le besoin d'un sentiment ardent, son amour pour Dorancy s'est changé en haine ; ce qui est encore chez les femmes une autre manière d'aimer. La haine comme l'amour préoccupe sans cesse : c'est une idée fixe -, c'est-à-dire une passion, c'est-à-dire une folie. Une inclination contrariée exerce chez une femme une terrible influence. Pauline a juré de ne pas se marier ; elle a refusé tous les partis qui se sont présentés, et elle est arrivée à l'âge de trentequatre ans, au milieu du combat des désirs et de la vertu, ne sachant sur qui rejeter toute la sensibilité d'un cœur qui avait besoin d'aimer. Son caractère et son humeur se sont ressentis de cette répercussion d'amour. Toujours bonne, parce qu'elle est naturellement tendre , elle est cependant devenue brusque , emportée, violente, et un mot de la pièce peint assez bien cette situation : « Elle s'emporte, elle se fâche, mais les yeux ne sont pas méchans. »
L'observation générale de ce caractère et des effets d'un sentiment comprimé est vraie. Peut-être les développemens qu'il exigeait eussent été mieux présentés dans un roman que dans une comédie ? ce sont les nuances qu'il convient et qu'il est surtout difficile d'exprimer dans une peinture de ce genre. C'était un caractère neuf à présenter et intéressant à la fois , car il est vrai et naturel. Il demandait d'autant plus d'art de celui qui s'offrait pour le peindre, que le public d'aujourd'hui est hors d'état à peu près de comprendre et même de supporter la représentation fidèle d'un caractère et les développemens qu'un pareil ouvrage nécessite. On veut des événcmens, des émotions, de l'esprit ton-
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jours, et de la rapidité surtout. Il faut aller vite. Le public semble dire à un auteur qui veut expliquer un caractère, préparer une situation , justifier des événemens : « C'est bon , c'est bon ; nous savons tout cela *, nous le devinons ou nous le devinerons; amusez-nous. » L'auteur pourrait répondre : « Donnez-moi donc le temps de vous amuser. » Pour toute réplique, il obtien* drait des sifflets, et comme ce n'est pas cela qu'il veut obtenir, il cherche, par des détails, à séduire et à tromper ses juges.
Est-ce la connaissance de l'impossibilité de développer un caractère et de le peindre dans toutes ses nuances devant le public de nos jours, ou le défaut de capacité qui a agi sur l'auteur de la pièce nouvelle ? Je l'ignore i mais il est resté, dans l'exécution , bien au-dessous de la conception. Au lieu de s'attacher au seul caractère de Pauline et de le faire ressortir de tous côtés par des accessoires et des incidens neufs et piquans, par des mots naturels et spirituels, par des situations touchantes , car le sujet le comportait, il s'est jeté dans une intrigue obscure et rebattue. C'est sur des cultivateurs incendiés et honnêtes, comme ils le sont toujours au théâtre, que se répand la sensibilité de Pauline. C'est sur son neveu Eugène qu'elle exerce sa brusquerie et sa bonté. Dorancy, veuf et ruiné, voit encore compléter sa ruine par la vente d'un vieux château voisin du domaine habité par Pauline. Le bon Vincent, fermier de Dorancy , par une exaltation de générosité qui, parmi la gent paysanne, ne se voit encore que sur la scène, se rend acquéreur du château, afin de le conserver à son maître. Eugène, touché de cet. héroïsme,
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veut venir au secours du vertueux Vincent chez lequel l'a conduit un hasard de chasse. Il emprunte 20,000 fr., (lui ne sont pas suffisans. Pauline est instruite des de'ics de son neveu, sans en connaître la cause. Elle le gronde d'abord et lui pardonne ensuite quand elle apprend le motif de l'emprunt. Elle veut même aller voir Vincent. Elle y trouve Dorancy et sa fille qui aime Eugène et qui en est aimée. Pauline, qui a défendu qu'on lui parlât jamais de cette famille , croit qu'elle a été attirée dans un piège , s'emporte et ne veut plus entendre à rien. Elle maltraite Dorancy. Elle consent bien cependant à unir Sophie à Eugène. Mais Dorancy, dont les sentimens pour Pauline se sont réveillés, et qui sait bien que la haine qu'elle lui témoigne n'est qu'un déguisement de l'amour qu'elle éprouve toujours pour lui, par un sentiment qu'on ne peut expliquer ou qui est mal expliqué, Dorancy enfin met son mariage avec Pauline pour condition de celui d'Eugène avec Sophie. Vous ferez deux malheureux, lui dit Pauline. J'en ferai quatre, madame , lui répond Dorancy avec une brutalité inconcevable, et que le public a justement repoussée. Néanmoins, quand il apprend que Pauline, dans l'intention de lui conserver sa fortune, a fait acheter le château sous le nom de Sophie, Dorancy se rend et consent, d'autant plus volontiers au mariage des jeunes gens, que Pauline lui fait espérer qu'elle ne tardera pas à l'épouser.
Cette intrigue romanesque et sérieuse est égayée par un M. Guillaume, adjoint, maître d'école, etc., etc. de la commune où demeure Pauline. C'est une espèce llc Figaro qui sert les projets d'Eugène , mais de Figaro
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maladroit. Ce qu'il invente et ce qu'il fait est toujours le contraire de ce qu'il faudrait faire et dire. C'est une donnée assez plaisante ; mais on a poussé ce rôle jusqu'à la charge, et il a perdu de son comique. Il n'en reste plus qu'une caricature qui grimace.
En opposition avec la sensibilité brusque et vraie de Pauline, on a placé madame Dervieux, sa sœur, veuve de trois maris, egoïste et froide. Cette opposition était nécessaire, mais elle est trop crue. Le rôle n'est pas assez attaché à l'action et n'y tient pas une place suffisante. Il a été joué supérieurement par madame Desmousseaux, actrice dont on n'aperçoit pas assez le talent, parce qu'elle joue toujours des rôles qu'on appelle sacrifiés, qu'elle ne cherche point des effets aux dépens du bon sens et que ses gestes et son accent ne sont jamais que ceux de la vérité.
Les pièces nouvelles ne tombent plus -, c'est une chose convenue. Pauline a été un peu sifflée, ce qui n'a pas empêché l'auteur d'être demandé et nommé; c'est M. Dumersan, auquel le théâtre des Variétés doit, entre autres ouvrages, les Cuisinières. Pour tout dire, M. Dumersan vaut mieux que les pièces qu'il a données jusqu'ici. Il a de l'esprit et de l'observation. Il faut lui savoir gré d'avoir aperçu le caractère de Pauline et regretter qu'il ne l'ait pas mieux traité.
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THÉATRE DU VAUDEVILLE.
PLACE A DONNER, VAUDEVILLE EN CINQ ACTES. ai juin.
Mademoiselle Emma, actrice de je ne sais quel théâtre ( car les auteurs ne l'ont pas dit ) , est la maîtresse ou la prétendue (car les auteurs ne l'ont pas expliqué) du jeune Adolphe, qui appartient à on ne sait quelle famille (car il n'en est pas question dans la pièce), et qu'elle a l'air de vouloir épouser ( car il n'est pas bien sûr qu'elle le prenne pour époux). Il faut qu'Adolphe ait une place pour obtenir la main d'une comédienne •, ce qui est bien dans les mœurs actuelles, on doit en convenir ! ..,
Le comte de Rhomsberg qui, à ce qu'il paraît, est un diplomate étranger, a besoin d'un secrétaire auquel il doit donner 5,000 fr. d'appointemens. Cet emploi conviendrait bien à Adolphe. Mais comment approcher le comte? On ne peut parvenir jusqu'à lui sans passer par un intendant-mélomane qui fait tout ce qu'il veut de son maître, et qu'on ne peut avoir qu'en le séduisant par des cadeaux. Le comte a une fille qui a beaucoup d'empire sur son esprit et à laquelle il ne refuse rien ; mais comment déterminer cette jeune personne à remettre une pétition à son père? Heureusement, on peut la trouver à la salle de danse de Beaupré , chez qui elle prend des leçons. Le comte a encore une femme y celle-ci
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a toutes les prétentions du monde ; elle veut être auteur et bienfaisante. Au fond, elle est sotte et dure. Elle se fait imprimer, et elle est dame de charité. A ce double titre, elle a quelque penchant pour les gens d'esprit, et beaucoup de haine et d'éloignement pour les gens de théâtre. Enfin le comte est un grand amateur d'opéra, et c'est dans sa loge et au foyer de l'Académie royale de Musique qu'il traite les affaires importantes dont il est chargé et qu'il reçoit les nombreuses pétitions que lui adressent les solliciteurs. De quelles affaires s'occupe-til? Quels sont les emplois qu'il a à donner?... C'est encore ce que les auteurs n'ont pas pris la peine de dire. Mais il est impossible de trouver une réunion plus complète de bêtes et de ridicules que celle qui compose la maison du comte de Rhomsberg.
Emma, instruite de ces particularités, et décidée à obtenir pour son amant. la Place à Donner, emploie toutes les ruses que son imagination lui fournit afin de faire parvenir au comte la pétition d'Adolphe. Telle est l'exposition de l'ouvrage mis en action dans le premier acte.
Deuxième acte. Emma va trouver l'intendant, avec lequel elle chante un duo italien, mais qui ne veut pas prendre sa pétition qu'il sait par cœur, dit-il, quoiqu'il ne l'ait pas vue.
Troisième acte. Emma va chez Beaupré, déguisée en homme -, et, sous le nom du prévôt du maître de danse, elle donne une leçon à la fille du comte. Mais lorsqu'elle' veut lui remettre la pétition, sous prétexte de lui apprendre comment on sollicite une grâce, la jeune personne refuse et se sauve, effrayée par l'apparition des élèves de Beaupré dont elle ne veut pas être vue.
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Quatrième acte. Emma se rend à la campagne de la comtesse de Rhomsberg. Elle se dit malheureuse et mariée avec un homme d'esprit et de talent qui, s'il obtenait la place vacante chez le comte, pourrait être fort utile à la comtesse dans la composition de ses ouvrages. Elle-même a beaucoup d'imagination, et elle fournit sur-le-champ deux ou trois sujets de romans qui ne sont autres que Phèdre et Mahomet. La comtesse est enchantée et promet la place. Mais Emma se trahit, et avoue par mégarde qu'elle joue la comédie (ce qui, dans sa situation, n'est pas d'une bonne comédienne ) , et la comtesse, outrée de la surprise, irritée d'avoir pu admettre une actrice auprès d'elle, la chasse avec mépris.
Cinquième acte. Il n'y a plus d'espoir que dans le comte lui-même , et on ne peut le trouver qu'au foyer de l'Opéra. C'est donc là que la dernière scène se passe. Pour aborder le seigneur étranger qui est habillé comme un ancien bourgeois de la rue Saint-Denis, et dont la femme , pour le dire en passant, ne peut pas ètre dame de charité à Paris, être au courant de tous les usages de bienfaisance, faire des romans français et avoir un mari si sot et si ignorant des manières parisiennes ; pour l'aborder, donc, Emma se déguise en bouquetière -, et, pendant que le comte est en train de lire sur une banquette du foyer, les pétitions (lui lui sont adressées, ce qui est tout-à-fait vraisemblable et spirituel, elle lui fait quelques agaceries, lui vend tous ses bouquets et les enveloppe dans les pétitions qu'elle trouve sous sa main. Le comte envoie galamment ces fleurs aux dames de sa connaissance qui sont à l'Opéra ; et, par un hasard aussi vraisemblable, aussi naturel, aussi spirituel
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que les autres incidens de la pièce, les enveloppes de ces fleurs tombent èz-mains des solliciteurs qui, furieux, reviennent accabler le comte de reproches. Il ne sait que répondre. La bouquetière lui conseille de dire que la place est donnée à M. Adolphe ; et, quand on découvre que cette bouquetière est la comédienne Emma , le comte confirme la nomination.
C'est le succès du Bénéficiaire, l'une des plus jolies pièces modernes qui, sans doute, a tenté les auteurs de Place à Donner. Peut-être, encore, ont-ils remarqué que le théâtre cherche à secouer le joug des unités classiques , et se sont-ils crus obligés d'aider à ce mouvement de révolution dramatique? De pareils ouvrages l'arrêteraient au lieu de le favoriser. Si, en s'affranchissant de toutes règles, les modernes ne font pas mieux que leurs devanciers , ils dégoûteront d'avance le public d'un système qui offre quelques avantages et à l'aide duquel on pourrait obtenir quelques effets neufs qui raviveraient un peu le théâtre épuisé et abandonné par la monotonie et le retour des mêmes moyens. Mais c'est au talent seul qu'il appartient d'entrer le premier dans cette voie et de donner la mesure de ses ressources. Les médiocres auteurs gâtent tout en touchant à tout sans goût et sans réserve. Le premier essai qui ait eu lieu en ce genre remonte à quelques années. Julien, ou PingiCinq ans d'Entracte, vaudeville en deux actes, était un sujet bien choisi, rempli d'intérêt et qui comportait naturellement l'affranchissement de l'unité de temps et de lieu, alors même qu'il se renfermait dans l'unité d'intérêt , la seule règle qu'il faille constamment respecter. La pièce eut un grand succès; elle le méritait à tous égards. Depuis on a donné aux Variétés le Bénéficiaire
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et le Chiffonnier, ouvrages dans lesquels l'unité de lieu n'a également pas été observée. Le Vaudeville vient encore de s'essayer dans ce genre, et les troupes légères de la littérature finiront ainsi par entraîner les auteurs du premier ordre qui travaillent pour les deux théâtres français. Déjà même le théàtre de la rue de Richelieu a reçu un ouvrage qui devait être joué au mois d'octobre, et dans lequel les premiers actes se passent en Touraine et les derniers dans la Picardie. C'est Louis XI, à Péronne, de M. Mely-Jeannin, qui a tiré ce drame de Quentin-Durward, roman de Walter Scott. J'en ai entendu la lecture. Il y a des scènes bien faites , le caractère du roi est assez bien conservé \ des personnages originaux animent l'action un peu froide, et si Talma, qui, dit-on, est fort content du rôle de Louis XI, donne à ce rôle le cachet qu'il imprime souvent à des créations neuves (telles que le Richard III de Jane Shore), le drame de M. Mély-Jeannin peut avoir un succès qui ne serait pas sans importance sur la scène française. Je le souhaite, et par amitié pour l'auteur, homme d'un talent et d'un commerce agréables , et par la persuasion où je suis qu'il est indispensable de franchir ce pas pour rajeunir notre théâtre. Si ce nouvel essai ne réussit pas suffisamment, nous retomberons dans les langueurs dt la vieille tragédie et de la comédie surannée que personne ne comprend plus, et que les mœurs moderne: repoussent avec un dégoût éclatant. C'est qu'en effet lé société actuelle, dont la révolution a été complétée pa la Charte, cherche à se former de nouvelles habitude en harmonie avec son nouvel état politique \ le lhéàtrl occupe un tel rang en France, qu'il est presque une in stitution ; l'ancienne littérature, façonnée sur l'état d,
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choses alors existant, ne répond plus aux préoccupations , aux besoins, aux caprices, si l'on veut, à la satiété des goûts modernes, et les vœux se portent vers une révolution théâtrale, complément de la révolution politique, et qui est plus près qu'on ne pense peut-être de s'opérer. Mais si les novateurs littéraires .emploient pour renverser l'ancien édifice dramatique des armes aussi dangereuses que celles dont les auteurs de Place à Donner viennent de faire usage, ils éloigneront, pour long-temps encore, l'époque de la rénovation indispensable de notre code poétique. Ils effaroucheront les gens de goût, comme jadis, dans les événemens politiques les fureurs révolutionnaires ont éloigné les gens de bien de toute réforme intérieure. On ne trouve dans la pièce nouvelle qu'une seule intention comique : c'est celle de la dame de charité. C'est un portrait dont une main habile aurait dû s'emparer, et qu'on vient de gâter en le présentant rude et grossier. Les auteurs, quoique demandés, ont gardé l'anonyme : ce sont MM. Gersain , Vulpian et Lassagne.
SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
VAUBAN A CHARLEROY, DRAME EN TROIS ACTES ET EN
VERS.
:J 1 juin.
Pendant que l'on donnait au Vaudeville une pièce dans laquelle on avait violé, à dessein, les règles ordinaires du théâtre dans un sujet qui pouvait se passer de
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cette violation, on représentait à l'Odéon un ouvrage où, pour se soumettre aux exigences de la routine dramatique , on renfermait dans le même lieu et on courbait sous le joug du cadran solaire des personnages et une action qui avaient besoin de toute la latitude de la scène anglaise et espagnole.
Si MM. Vial et Saint-Cyr, auteurs de ce drame, eussent fait durer l'action un mois au moins, qu'ils eussent placé la scène tantôt à Versailles, tantôt au camp, tantôt dans la ville assiégée, ils auraient pu, en développant. les caractères et les situations de leurs personnages, ne faire encore qu'une pièce médiocre ; mais du moins, et le sujet le permettant, ils auraient pu aussi faire naître quelque intérêt, produire quelques effets -, tandis que, sujets timides et serviles des réglemens dramatiques, ils ont rassemblé dans un même cadre, et dans la durée de quelques heures, des événemens et des caractères qui sont tellement étranglés que le spectateur n'a ni le temps de s'intéresser à personne ni le temps même de comprendre tout ce que disent devant lui les acteurs qui vont, viennent et débitent les choses les plus communes. C'est un ouvrage terriblement classique que Vauban à Charleroy, et qui, à l'Odéon , a fait compensation avec la pièce romantique du Vaudeville. ,
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PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
LE SPÉCULATEUR, COMÉDIE EN CINQ ACTES ET EN VERS.
25 juin.
Les événemens politiques survenus depuis douze ans dans les deux mondes ont amené, pour divers Etats, la nécessité de recourir à des emprunts. La bourse de Paris, particulièrement, a été le centre des négociations financières. Les deux emprunts de 1817 et 1822, la liquidation des dettes du gouvernement impérial, la création des reconnaissances de liquidation, les emprunts de Naples et d'Espagne, et enfin la conversion des rentes S pour cent ont porté les esprits vers ce genre de spéculation. Quelques exemples de fortunes colossales, de gains prodigieux acquis avec une facilité et une rapidité déplorables ont été plus puissans que les revers nombreux éprouvés par les spéculateurs ; et il est bien peu de gens que la cupidité n'ait entraînés à risquer, dans les variations des effets publics, tout ou partie de la fortune médiocre qu'ils possédaient précédemment , et dont ils auraient continué à jouir paisiblement si les besoins du luxe, qui se sont manifestés dans toutes les classes de la société, ne fussent venus exciter chez eux le désir d'avoir rapidement le moyen de fournir à ces besoins.
Ce ne sont pas seulement les hommes habitués à des spéculations pareilles qui s'y sont livrés avec le plus
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d'ardeur dans ces derniers temps. Si la fureur du jeu sur les nombreuses valeurs émises sur la place de Paris s'était concentrée parmi les gens qu'on appelle capitalistes, les banquiers, les agens de change et quelques usuriers , encore passe ; c'est leur métier de trafiquer de l'argent. Mais la multiplicité des emprunts qui ne peuvent être remplis que lorsque les rentes sont placées entre les mains des particuliers, et l'accroissement rapide des bénéfices réalisés sur ces rentes dans les premiers momens de leur émission , a amené presque tout le monde dans l'antre de l'agiotage, et a tenté toutes les cupidités, sans distinction de rang, de sexe et d'âge. Il serait facile de citer vingt notaires ou avoués qui ont abandonné leur carrière presque à l'époque où on la commençait jadis, et se sont retirés avec une fortune qu'ils n'avaient point acquise à dresser des contrats ou à soutenir des procès. La galerie- Véro-Dodat, rue du Bouloy, a été élevée par deux charcutiers qui se sont livrés à cette magnifique construction après avoir risqué dans les fonds publics les économies qu'ils avaient faites dans leur profession. La rue Godot-Mauroy, commencée par un marchand de bois et un boucher, a la même origine. Les bâtimens construits sur l'emplacement de l'ancien ministère des finances par une compagnie d'agens de change, attestent, par les bénéfices que ces messieurs ont faits dans l'exercice de leurs charges, la multiplicité des échanges de valeurs et le nombre considérable des particuliers qui ont participé à ces échanges. La fièvre de l'agiotage se calmera -, elle est déjà plus calme ; mais il restera toujours, du mouvement imprimé par elle à l'état social, des gains énormes obtenus de toutes façons pendant les dernières innées et de l'aisance que ces diverses causes
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ont répandue partout, un besoin de bien-être ou de luxe pour toutes les classes, lequel donne à la société actuelle une activité et une industrie sans exemple jusqu'alors. Les considérations que feraient naître ce dernier aperçu me conduiraient trop loin de la pièce nouvelle, et d'ailleurs il en est d'autres encore qui se rattachent plus directement à cet objet et qu'il est bon de rappeler.
La bourse et ceux qui l'alimentent journellement ont leurs mœurs, leurs habitudes, leurs réglemens particuliers. C'est un monde à part qu'il faut connaître avant de s'y livrer. Les nouvelles les plus absurdes et les plus contradictoires y sont débitées selon le besoin des spéculateurs. On y fait arriver de Pétersbourg, Vienne et Londres des dépêches apportées par des courriers qui sortent le plus souvent de la Chaussée-d'Antin. Il faut savoir distinguer le vrai et le faux de ces menées qui ont la plus grande influence sur la valeur des effets publics et jadis le plus hardi des habitués de la bourse, Regnier, fit venir un courrier annonçant la nouvelle prématurée d'une victoire de Boonaparte qui procura à la rente une hausse momentanée à l'aide de laquelle le spéculateur réalisa un bénéfice considérable. Mais ce mouvement qui l'enrichit causa la ruine de beaucoup de gens. Qu'importe! son succès fit plus d'envieux et d'imitateurs que les revers de ses dupes ne convertirent de malheureux engagés dans ces funestes spéculations.
Si les marchés qui se. concluent à la bourse reposaient sur des transactions solides, c'est-à-dire sur les échanges et les transferts réels de valeurs possédées au moment du contrat par les parties, ces mutations de propriétés
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numéraires n'entraîneraient avec elles que des bénéfice ou des pertes médiocres, et la fortune du vendeur « de l'acquéreur n'en serait point compromise. Mais ce n sont point les marchés de ce genre qui constituent le opérations journalières de la bourse et ce qu'on appel! proprement l'agiotage. On vend fictivement une cei taine quantité de rentes, qu'on ne possède pas, à u taux quelconque et pour une époque déterminée.. l'échéance de ce terme, la rente vaut, selon la situa tion politique des divers gouvernemens, un prix pli ou moins élevé que celui auquel elle a été vendue. C'e la différence qui existe entre ces deux prix que le ver <teur ou l'acheteur est seulement obligé de payer, l'on sent que la fluctuation du cours des effets pubti< peut élever cette différence à des sommes énormçs c raison de la quantité de rentes trafiquées. Le mécanisir de ces opérations est tellement connu de tout le monc à présent, qu'il est peut-être superflu de le rappele Cependant le compte à rendre de la pièce nouvelle ex geait que ces divers points fussent d'abord établis, je suis même obligé d'en continuer encore le détail.
Ces sortes de marchés ne sont donc qu'un jeu ouve entre deux personnes qui parient, l'une que la ren ne dépassera pas tel prix , l'autre que sa valeur aug montera, et vice versa. Mais qui peut obliger celui qui perdu à payer celui qui gagne? Des affaires de ce gem ne reposent que sur des engagemens verbaux ; les seu titres des parties sont des notes prises sur des carnets et, comme la législation ne reconnaît point ces mai chés, il est facile au joueur malheureux de refuser ( payer les pertes qu'il a essuyées sans que son adversaii puisse juridiquement le faire condamner au paiemen
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Les tribunaux ne considèrent ces spéculations que comme des paris, et, à ce titre, ils repoussent toute instance formée par le gagnant. Cependant, malgré ce moyen si commode de se libérer par une simple dénégation pour des gens dont les habitudes laissent supposer une grande facilité de conscience , que les revers qu'ils éprouvent doit rendre encore plus large, il est certain qu'il y a très peu d'exemples de refus de paiement des différences parmi ceux qu'à la bourse on appelle coulissiers.
Le crime a ses devoirs et sa fidélité.
Ces messieurs sentent bien que s'ils refusaient de reconnaître ces sortes de dettes, ils ne trouveraient plus personne qui voulût jouer avec eux. Les joueurs malheureux, et qui ne peuvent pas payer, se sauvent; mais ils ne nient pas qu'ils doivent, et par-là ils conservent un crédit dont ils font un nouvel usage quand ils peuvent reparaître à la Bourse. L'intérêt, autant que l'honneur, commande donc l'observation de cet usage auquel , je le répète, tous les joueurs se soumettent. On n'est point déshonoré à la Bourse pour avoir fait une faillite -, mais on le serait pour refuser d'acquitter le montant des différences. C'est la règle , ce sont les mœurs du pays , et je ne connais que deux infractions remarquables à cette loi de l'honneur. Un nommé L...., coulissier opulent et mal famé, nia, il y a quinze ans environ, une perte considérable qu'il avait faite dans un marché avec Regnier dont je parlais plus haut. Celui-ci infligea, en pleine Bourse, un châtiment honteux à L.... auquel, déplus, l'entrée de la coulisse fut longtemps interdite par un commun accord.
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L'autre exemple du même genre a donné lieu à un procès célèbre entre Perdonnet, l'agent de change, et le comte de F ; car, comme je l'ai déjà remarqué, il n'est point de classe de la société que la cupidité n'ait amenée à la Bourse dans ces derniers temps. Un arrêt de la Cour royale rejeta la prétention de l'agent de change ; mais il entacha en même temps l'homme du monde. Toute la Bourse, qui, bien entendu, avait pris parti pour Perdonnet , fut épouvantée de cet arrêt dont la conséquence était une autorisation nouvelle et éclatante donnée à ceux qui auraient été tentés de refuser le paiement des différences.
Ainsi donc l'auteur du Spéculateur, ou ïEcole de la Jeunesse ( second titre ambitieux et vicieux à la fois, car l'âge mûr et la vieillesse ont été également atteints de la fureur des spéculations), l'auteur, dis-je, avait à représenter le danger de l'agiotage auquel se livrent ceux qui pourraient jouir tranquillement d'une fortune acquise par le travail, l'économie et l'ordre -, plus, les mœurs des agioteurs -, et enfin, l'obligation d'honneur où sont les spéculateurs de remplir les engagemens qu'ils ont contractés, quelles que soient pour eux les conséquences de cette conduite loyale.
L'auteur, M. Ribouté , trouvait en lui-même tous les moyens de tracer ce tableau. Spéculateur hardi et habile, il a perdu et refait plusieurs fois , dans les mouvemens de la bourse, une fortune assez considérable dont il a su conserver enfin une bonne partie. Joueur honnête, on ne l'a jamais vu balancer à satisfaire les dettes que les chances de la rente lui avaient fait contracter. Ce n'est pas assez, sans doute, d'avoir vu et éprouvé les évenemens et les émotions que l'on veut
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peindre ; il faut plus que cela pour faire une bonne comédie. Voici, d'après les données établies plus haut, comment M. Ribouté a conçu et conduit la sienne.
La famille Duvernet se compose d'un père, ancien commerçant au Marais, ayant fait quelques bonnes petites affaires $ honnête, mais faible et d'un esprit borné -, de sa femme, bonne et raisonnable 5 d'une fille, Henriette, âgée de seize ans , jeune personne naïve et sans physionomie; d'un fils puîné, Jules, garçon de vingt ans, épris de la peinture, loyal, généreux, plein de sensibilité et d'honneur, ne rêvant que beaux-arts en dépit des remontrances de son père qui ne veut point d'artiste dans sa famille -, et, enfin, d'un fils aîné, Alexis , d'une imagination vive, aimant le luxe et les. plaisirs, qui s'est jeté à corps perdu dans les spéculations de la bourse ; qui, par les gains énormes qu'il y a faits, a entraîné toute la fortune de son père, charmé et ébloui des succès prodigieux de son fils. Je ne parle pas d'un vieux portier, rôle accessoire, qu'on déplace d'abord et que M. Duvernet replace ensuite quand il voit le chagrin qu'éprouve ce bonhomme à quitter la loge qu'il a habitée quarante ans. La présence et les regrets de ce vétéran du cordon ne sont là que pour faire ressortir le bon cœur de M. Duvernet et lui faire faire un retour sur lui-même par l'exemple de Bernard , heureux dans son état et ne voulant point le quitter. Je .parlerai plus tard de Dupré , domestique d'Alexis.
Deux autres personnages font encore partie de la famille Duvernet : ce sont, Edouard et Jenny Mesnard, enfans d'un fabricant de Lyon, immensément riche, ami intime de Duvernet et qui, jadis, lui prêta 700,000 fr. que celui-ci lui doit encore. Les jeunes gens ont été a
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peu près élevés par les soins de madame Duvernet et ils habitent avec elle. Des projets de mariage ont été faits et doivent resserrer l'union des deux familles.
Alexis doit épouser Jenny, et le contrat sera même signé dans la journée; Edouard épousera, plus tard, Henriette, qu'il aime et dont il est aimé. Mais le même sentiment d'amour n'existe point entre Alexis et Jenny. Alexis, livré à toutes les dissipations du monde, a une maîtresse ( Emélie ) qu'il aime comme on aime une femme dont on paie les faveurs. Mais il consent à s( marier avec Jenny dont la fortune le tente beaucoup. Jenny, au contraire, ne se prête à ce mariage qu'ave( répugnance. Elle aime Jules en secret, et celui-ci, ave< la même retenue , la paie de retour.
Alexis, qui a tourné la tête de son père par les béné. fices qu'il a déjà obtenus et par les brillantes spécula tions dont il l'entretient sans cesse , a déterminé sa fa mille à quitter son antique demeure du Marais et à veni occuper, dans le quartier des affaires, un magnifiqu hôtel qu'il a fait acheter et meubler pour son père. C'e< dans cet hôtel que commence et se passe l'action. L( deux premiers actes et demi sont employés à l'exposi tion des faits qui précèdent, et c'est une faute capital de la part de l'auteur. Le spéculateur Alexis y paraît mais non pas avec son caractère , agissant et s'occupai de ventes et d'achats, incessamment préoccupé de sp< culations de tout genre ; il y semble même étrangei Toute la scène est absorbée par des affaires de famille l'amour, le mariage des jeunes gens et la rivalité Cê: chée de Jules. Un seul incident se présente. Le d( mestique Dupré , qui trouve son profit dans l'intrigi d'Emélie et d'Alexis, veut essayer de rompre l'hyme
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de celui-ci. Il lui fait renvoyer, par un valet complice, un écrin dont Alexis avait fait cadeau à sa maîtresse.
Ce valet a grand soin, par les conseils de Dupré, de remettre cet écrin entre les mains du père ; mais M. Duvernet, dans ses préventions habituelles contre Jules <f- le soupçonne de ce déréglement de conduite et lui eib fait de violens reproches. Alexis veut justifier son frère et faire l'aveu de sa faute; mais Jules, qui voit sur-lechamp les conséquences que cet aveu peut avoir pour Alexis, se jette au-devant de la révélation et se charge généreusement des torts qu'il n'a point eus.
L'intérêt et l'action commencent enfin à poindre et à se développer au troisième acte. M. Mesnard est arrivé ; on présume qu'il vient pour assister au mariage de sa fille avec Alexis. Il s'étonne du luxe nouveau et exagéré de la famille Duvernet; il en témoigne quelque inquiétude, et, dans une scène bien faite et qui a été bien jouée, lorsqu'il apprend dans quelles affaires Alexis s'est lancé, il fait le tableau de tous les dangers auxquels l'honnête homme s'expose en se livrant à de pareilles spéculations qu'il distingue avec soin des travaux du commerce et de l'industrie. Mais, enfin, on veut savoir le motif de son arrivée inopinée. Quel revers affreux ! Mesnard, naguère si riche, est maintenant ruiné. Un incendie a consumé sa manufacture j il a perdu ainsi 1,500,000 fr. ; ses nombreux ouvriers sont sans ouvrage. Il vient à Paris solliciter les bienfaits du roi -, il n'a plus d'autres ressources que les 700,000 francs qu'il a déposés entre les mains de Duvernet, de l'amitié duquel il espère de grandes consolations. Il est bientôt détrompé. Son argent est prêt, à la vérité, et on va le lui rendre, capital et intérêt. Mais le père et le fil».
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surtout, qui comptaient l'un et l'autre s'allier à un( famille opulente, ne parlent plus avec autant d'empressement du mariage projeté, et laissent voir pour le dé. sastre de Mesnard une froideur dont la fierté de celui-c se révolte. C'est particulièrement Alexis qu'il soupçonn d'ingratitude pour lui et de dédain pour Jenny , et dan ce moment le soupçon est fondé. Mesnard, irrité, Y eu rendre outrage pour outrage -, il exige de sa fille qu'a moment de la signature du contrat elle réponde : non et la jeune personne promet d'obéir facilement à u ordre qui favorise son inclination pour Jules.
Mais les choses ont bien changé. Alexis, entrain dans une spéculation considérable, aurait besoin d'un baisse sur les fonds publics. Aucun événement cxt( rieur, signalé par les journaux, ne vient servir s( projets. Il se décide alors à faire paraître à la Bours Dupré, son domestique, arrivant en courrier d'Angle terre et rapportant une nouvelle alarmante. Il compi opérer ainsi un mouvement dont il profitera. Vaines poir ! cette manœuvre est déjouée à l'instant même pî un avis officiel que fait publier le ministère et qui dt ment complétement les bruits de guerre apportés par faux courrier. La hausse se manifeste subitement produit, contre Duvernet, une différence de trois mi: lions qu'il faut acquitter presque sur-le-champ. Le dt sespoir s'empare du père et du fils. Alexis veut un m( ment faire tête à l'orage. Dédaigneux tout à l'heure <3 l'alliance de Mesnard, il veut maintenant la conclui tout de suite. Les 700,000 fr. resteront ainsi entre s< mains ; il pourra faire face aux premiers paiemem Duvernet s'y oppose , il ne veut pas compléter la ruin de son ancien ami. Toute la famille se rassemble POl]
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signer le contrat de mariage d'Alexis et de Jenny. Mesnard demande de nouveau le consentement de toutes les parties. Duvernet, retenu par son fils, hésite et paraît refuser plutôt qu'accorder son approbation. Mesnard n'attribue cette hésitation qu'au mépris qu'on fait de lui depuis qu'il a perdu sa fortune. Alexis, au contraire , presse la conclusion de cette affaire, et Mesnard, toujours trompé par l'apparence , lui sait gré de cet empressement -, mais toutefois il n'en persiste pas moins dans son projet de vengeance -, et, sur un signe qu'il fait à sa fille, Jenny déclare qu'elle ne veut point épouser Alexis.
La catastrophe de Duvernet touche à son comble, car, d'après ce refus, il faut rendre sur-le-champ à Mesnard les 700,000 fr. qu'il réclame hautement. La faillite est imminente. Alexis propose à son père de ne point payer les différences qu'ils ont perdues à la Bourse. Duvernet rejette cette proposition avec horreur. Il aime mieux rester dans la misère et satisfaire à tous ses engagemens. Alexis forme le projet de se tuer pour ne point survivre à sa ruine et végéter dans la médio-, crité. Jules et Henriette le détournent de ce dessein en lui faisant voir la nécessité de vivre et de travailler pour soutenir leurs parens. Pendant tout cet embarras, le notaire Duval a vu les principaux créanciers -, ils accordent à Duvernet le temps nécessaire pour liquider ses affaires, vendre convenablement ses terres et ses contrats. Tout pourra s'arranger, si Mesnard consent aussi à nepoint exiger le remboursement immédiat de sa créance. Il est tellement irrité de l'ingratitude de ses anciens amis, qu'il ne veut entendre à rien ; cependant, vaincu par les larmes de son fils et de sa fille, il cède enfin.
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Henriette épouse Edouard, l'avocat, préoccupé pendai tout le cours de la pièce d'un procès criminel de la di fense duquel il est chargé et qu'il gagne au cinquièn acte. Jenny épouse Jules qui, de son côté , et, malgi les défenses de son père, avait exposé au Salon un ti bleau qui produit une telle sensation sur le jury, qu'c lui accorde le grand prix et la décoration de la Légioi d'Honneur. Alexis, seul, quoiqu'il ait obtenu le pard( de son père, reste sans position et sans avenir.
L'ardeur que Jules, le peintre, et Edouard, l'avocal montrent pour leurs professions est poussée à un t degré d'exagération qu'on en a fait presque des carie; tures. Cette exaltation n'est pas dans les mœurs. L'av4 cat assure que quand il veut défendre un malheureux il a toujours sous les yeux le portrait de Malesherbe C'est un fort beau sentiment \ mais c'est à peu près ui niaiserie. On n'a pas besoin d'un buste pour se charg, de la défense d'un innocent, et, pour quiconque conna les habitudes de la société moderne , on peut parier qi le portrait de Malesherbes ne se trouve chez aucun de ni jeunes avocats. Ce passage, au surplus, a été fort applaud et il faut féliciter l'auteur d'avoir, quoiqu'aux dépens de vérité dramatique, attiré les applaudissemens sur le no de l'illustre et malheureux défenseur de Louis XVI.
La teinte niaise et exagérée du peintre ne le cè( point à celle de l'avocat. Jules ne voit d'honneur et ( gloire que dans les beaux-arts -, et, quand il obtient prix et la croix d'honneur, il se fait fort de réparer et ( payer les fautes et les dettes de son père. Tout cela e d'un galimathias ridicule.
Le domestique Dupré fait de l'esprit comme les vale de l'ancienne comédie ; il cite César et Boileau.
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Si les auteurs savaient combien le manque de vérité dans le dialogue et dans les détails offense les gens de goût, ils s'appliqueraient à ne faire dire à leurs personnages que ce que ceux-ci doivent dire dans leur profession et dans l'ordre de leurs idées.
En résumé, les caractères de la pièce nouvelle pèchent par la vérité et surtout par le défaut de développemens. L'intrigue est usée et romanesque ; les détails sont faux, et il n'y a pas l'apparence de gaieté. Mais l'ensemble ne manque pourtant pas de quelque agrément et d'un intérêt assez vif pour qu'on désire arriver au dénoûment. Le but de l'ouvrage est d'une morale saine et douce. Le style est généralement clair *, il est dénué d'élégance, quelquefois même de correction, et l'impropriété des expressions est souvent remarquable, ce qui provient sans doute du défaut d'études littéraires de l'auteur et du peu d'habitude qu'il a d'écrire pour le théâtre ; mais sa manière est facile et le dialogue est assez bien coupé.
THÉATRE ROYAL DE L'OPÉRA-COMIQUE.
LE DUEL , OU UNE LOI DE FRÉDÉRI(; , DRAME LYRIQUE EN TROIS ACTES, DE MM. PÉLISSIER ET DESSESSARTS , MUSIQUE DE M. RIFFAULT.
4 juillet.
C'est vainement que les-auteurs essaient d'intéresser les spectateurs français par le tableau des suites fâcheuses
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qui peuvent résulter d'un duel. Le duelliste, en France, ne court aucun danger, n'est passible d'aucune peine : nous en sommes tellement convaincus que nous ne comprenons pas qu'un homme soit poursuivi pour un fait de ce genre, et par une conséquence immédiate de cette conviction de l'esprit, le cœur ne peut pas être touché d'un malheur qui ne semble pas pouvoir exister. Le poète a beau transporter la scène dans un pays étranger et supposer qu'une loi rigoureuse du roi de Prusse prononce la peine de mort contre tout duelliste *, comme il n'y a aucune analogie entre cette situation légale et les habitudes françaises, nous ne sommes point émus des dangers au milieu desquels se trouve le capitaine Ludovic pour avoir tué le capitaine Lansberg qui l'a insulté. Ce n'est pas assez de placer le héros d'un drame dans une position critique, il faut encore que nous adoptions cette position, qu'elle réponde à nos idées , à nos mœurs, à nos sentimens , et, encore une fois , nous ne comprenons pas le malheur qu'entraîne légalement un duel. Lors même que, malgré cette donnée antipathique à nos habitudes, le poète aurait imaginé des épisodes touchans, des incidens neufs, des situations attachantes, la plupart de ces ressorts dramatiques manqueraient leur effet, et nous laisseraient froids, parce qu'ils se rattacheraient toujours à une action principale que nous ne concevons pas, à plus forte raison, lorsque les accessoires de cette action sont communs et romanesques.
On pourrait parier que cette pièce est sortie des cartons de Y l',4mbigu- Comique ou plutôt encore de la Gaieté. Elle a toutes les allures d'un mélodrame, et jusqu'au niais qui est le rôle fondamental de tous les chefs-d œu-
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vre du boulevart. S'il était bon , encore !... Mais il ne l'est pas, et nous avons mieux que cela, en intérêt et en bêtises , dans le répertoire des Caigniez et des Pixéricourt.
La musique seule mérite quelque attention, parce qu'elle est le début d'un élève de M. Berton. Elle donne beaucoup d'espérances. Les situations ont été bien saisies par le compositeur. Il n'y a pas de contre-sens, ce qui est le point essentiel dans la musique dramatique. La couleur et le mouvement sont bien ajustés aux paroles , et il y a quelques parties, dans les chœurs surtout , qui sont supérieurement traitées. On pourrait bien lui reprocher du vague, de la monotonie et quelques réminiscences -, mais, en somme, c'est une musique remarquable pour un coup d'essai, et il est à souhaiter que M Riffault soutienne ce brillant début, et puisse appliquer ses talens à un meilleur poëme.
THÉÂTRE DU VAUDEVILLE.
1 J juillet.
On a donné à ce théâtre, le S de ce mois, une parodie du ballet des Filets de Vulcain, sous le titre de la Pêche de Vulcain, à propos de Mars et Vénus. Le genre de la parodie n'est plus guère dans les habitudes modernes \ je ne sais trop s'il est possible de parodier un ballet, et, en définitive, la pièce nouvelle est moins une parodie de la pantomime de l'Opéra, qu'une revue
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satirique de tous les ouvrages joués récemment sur les divers théâtres.
Les auteurs, MM. Rochefort et Lassagne , ont supposé que Jupiter a envoyé Vulcain sur la terre pour chercher Apollon qui n'est plus dans l'Olympe. Vulcain se rend dans un lieu qui paraît être le rendez-vous général de tous les fleuves, et il jette successivement ses filets dans le Danube, d'où il ramène le major Ferdinand de t'Amour et l'intrigue. On ne veut point reconnaître Apollon sous le costume romantique d'un héros allemand. Un coup de filet dans la Seine fait voir l'Ordamant du Siége de Paris qui débite des sottises et des inversions. Un autre coup de filet amène le Monstre de la Porte-Saint-Martin que , malgré toutes ses répugnances, Vulcain se décide à présenter à Jupiter comme l'Apollon du jour.
Afin de rappeler un peu le sujet du ballet parodié, on a mis le Pactole faisant la cour à la Tamise, mariée au fleuve jaune 5 et de plus Vulcain , époux de Vénusla-Seine, qui cherche sa moitié, laquelle s'amuse à coqueter avec un fleuve jeune et belliqueux. Ce représentant du dieu de la guerre est Y Eiirotag, sous le nom duquel les auteurs ont célébré les malheurs des Grecs modernes. Il faut que la cause de ces infortunés soit bien belle et bien forte pour résister depuis si long-temps aux sottises et aux déclamations de tout genre dont elle est l'objet. La pitié hypocrite que témoignent pour eux les ennemis du gouvernement, les souscriptions et les adresses, ridicules pour la plupart, qui ont été proclamées en leur faveur, et enfin, sur nos théâtres , les hommages niais qui leur sont adressés n'ont point éteint
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les vœux sincères que font pour les Grecs les cœurs véritablement touchés de leurs infortunes. La partie politique de la guerre d'extermination qui se livre dans l'Archipel, peut bien n'être pas favorable à la Grèce. On conçoit facilement que la prévoyance des cabinets s'inquiète des conséquences de l'indépendance du Péloponèse. Mais le gros des peuples n'entre pas, et ne peut pas entrer dans les combinaisons éloignées et craintives de la diplomatie, et il est certain que les vœux individuels de l'Europe se portent du côté des Grecs. C'est qu'en effet il y a quelque chose de touchant et d'héroïque dans la situation d'un peuple qui combat pour tout ce qu'il y a de cher au cœur des hommes : la religion et la liberté. La partie charitable de ce funeste drame l'emporte sur tout autre sentiment. C'est la pitié qui domine et qui doit dominer à la vue de tant de braves gens qui se battent, non pour la gloire ou l'agrandissement de leur pays, mais pour défendre leur Dieu , leurs femmes et leurs enfans. Encore une fois, toutes les nuances politiques tombent devant cette position qui surpasse même celle de l'Espagne envahie par Buonaparte. Partout on aime les braves, mais en France, surtout, on s enflamme pour le courage et le malheur, et la bravoure des Grecs militans n'est pas moins f grande et moins éclatante que leurs infortunes. Aussi dans quelque iieu que se rencontre l'éloge des Hellènes, des applaudissemens unanimes le saluent. Il serait superflu de dire avec quels transports on a accueilli le trait de ce couplet adressé aux défenseurs de Missolonghi :
Soyez héros pour défendre vos droits !
Soyez martyrs pour défendre la croix
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Cet incident n'a pas peu contribué à faire réussir cette*petite pièce qu'on ne peut comprendre qu'en connais-".-sant toutes les nouveautés, tous les bruits, tous les pro-*V pos de la capitale et auquel un étranger, un provinciale ou seulement un habitant de Passy ne comprendrai!*' pas le moindre mot. C'est un fouillis de pointes qu'il est-.*,, difficile de débrouiller, et que le public aurait bien pi| éclaircir à coups de sifflets sans la scène grecque qui relevé le courage des amis et provoqué l'indulgence de$f spectateurs jugeant. Il n'est pas de mauvais petit ou",;' vrage aujourd'hui qui ne contienne une scène ou ui$s couplet en faveur des Grecs. C'est un passe-port pour Ici ' succès, comme il y a quelques années les louanges su^£ les Français et les lauriers. Il faut que les auteurs fpourtant, se dépêchent d'exploiter cette nouvelle bran.¡'.} che d'industrie dramatique. Encore un peu, et elle tombera avec la gloire et la victoire, Buonaparte, Walter Scott, Byron, Châteaubriand et toutes les célébrités) enfin, qui ne font que paraître et disparaître devant un public qui dévore et oublie , avec une affreuse rapidité' les grands hommes et le5 événemens, les infortunes et les plaisirs, et qui demande tous les jours une excitation nouvelle qui le détourne de celle qu'il avait éprouvée la. veille. La maladie de Talma, sa mort, et les circonstances qui, probablement, accompagneront ses obsèques, emporteront , pour quelques jours, les préoccupations de l'esprit public, absorbé en ce moment pat les jésuites et les Grecs. Quant à ceux-ci, le gouver-» nement qui, depuis quelque temps, permet de les célébrer sur nos théâtres, ce qu'il avait défendu jusqu'ici; le gouvernement, dis-je, s'il a réellement l'intention de ne pas être favorable aux Hellènes, [a pris un bon
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parti en accordant aux auteurs la liberté de les chanter publiquement. C'est un moyen excellent de faire naître, pour leur cause, une satiété que les restrictions précédentes avaient retardée. Rien ne dure en France, ou ne se soutient quelque temps que par l'opposition. Quand le gouvernement aura l'air de protéger les Grecs, on n'en voudra plus. Il ne faudrait pas juger cette réflexion comme une plaisanterie trop exagérée, car il est certain, en effet, que l'esprit d'opposition s'est tellement répandu , et a pris un tel degré d'irritation que la chaleur provoquée par les mesures et les proclamations des comités grecs tomberait ou changerait de nature, si le ministère, venant à modifier la conduite qu'il a suivie à leur égard, prenait une attitude favorable aux Hellènes ; et, je le répète, cette observation sur l'esprit public actuel n'est ni un paradoxe ni un trait exagéré.
THÉÂTRE DU VAUDEVILLE.
1.1: MARÉCHAL DE VÏROFLAY , TABLEAU VILLAGEOIS
EN IN ACTE.
22 juillet.
Il a paru, il y a quelques années, dans un petit journal de spectacles, un article fort piquant intitulé : CORRL:'SPO-%D,'.-%CE LITTÉRAIRE -, sujet de vaudeville. Je l'ai conservé alors, parce qu'il offrait réellement le système de composition de quelques auteurs de vaudevilles et
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je le reproduis ici, parce qu'il aidera à comprendre la drôle de pièce qu'on a donnée avant-hier au théâtre de la rue de Chartres, sous la dénomination de Tableau villageois. Voici la lettre :
« Mon bon ami, je te conjure de quitter la campa« gne et d'arriver en toute hâte à Paris. La saison des « recettes va commencer, et j'ai trouvé un sujet d( « vaudeville admirable; oui, cher collaborateur, admi« rable ! c'est le mot. La réussite est certaine ! Attente tion... Voici mon sujet :
« L'ouverture sera charmante \ elle se composera di « finale du Barbier de Séville, de : J'ai du bon tabac « de la Cavatine de Tancrède, et de : Bon voyage « cher Dumolet. Le tout sera terminé par l'air : A boire « à boire ! Conçois-tu quel effet ça fera ? Au lever dt « rideau, tableau champêtre ! Le théâtre représent' « une place de village -, à droite, un pavillon j à gauche « un autre pavillon. Les toits de ces deux bâtimens se. « ront en petites briques bien rouges -, devant le pre « mier sera une table en bois de chêne, et devant l « second, une charmille : j'ai remarqué que les char. « milles ne nuisent jamais \ au contraire, les aman « peuvent être forcés de se cacher. Quelques branche « de vigne orneront le pavillon de droite; et, pour qui « notre pièce ne soit pas monotone , nous planterons « près du pavillon de gauche, du lierre et du chèvre « feuille. J'ai du crédit au comité, et j'obtiendrai facile « ment une décoration nouvelle.
« Le tableau champêtre sera égayé par un tambourin « si tu veux y ajouter deux galoubets, je ne m'y oppos' « pas. Après cette charmante exposition, je crois (III i
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« est utile de placer la scène d'amour. J'ai déjà fait les « derniers vers du duo •, je te les envoie :
Sois sans détour !
Paie en ce jour
A mon amour
Un doux retour !
« Fais le commencement.... Si mademoiselle Clara
« et Armand chantent juste à la première représenta« tion, j'espère que notre scène paraîtra agréable et « bien filée. Ah ! j'ai oublié de te dire que la toile du « fond présente des vues de paysages très variés ; une « rivière serpente dans la plaine ; sur le bord est un « peuplier; près de lui, un grand clocher.... Le peu« plier doit être presque aussi haut que le clocher.
« Tu vois que l'action marche ! Le duo des amans est « interrompu.... Je crois qu'il nous faut une paysanne « champenoise : elle chantera deux couplets •, le pre« mier finira par piou , piou, piou , et le second par « kroff, kroff , kroff! C'est d'un effet sûr. Le rôle de la « mère peut être fort. Elle aura un caractère enjoué, « une robe de gaze et un chapeau à l'Elodie.... Les « couplets de gloire seront chantés par le vieux mili« taire.... Il dira qu'il a combattu les ennemis de son « pays, et que devant lui ces ennemis ont toujours fuis. « 1', est peut-être de trop dans ce dernier mot -, mais il « ne faut pas nous gêner -, le parterre applaudira d'a« vance et par conséquent n'entendra pas.
« Nous voici arrivés au dénoûment. Veux-tu du senti-
« ment ou de la gaieté ? Moi, qui ai fait une étude pro« fonde du cœur humain depuis que je vais au café des « Variétés, je crois que le sentiment est plus convenable.
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« D'ailleurs, notre sujet l'exige. Vois-tu d'ici le tableau ? « Toute la famille et les villageois pleureront en chantant « le carillon de Dunk-erque -, les amans seront à genoux, « les parens s'attendriront, et le notaire sera assis de« vant la table de bois de chêne -, ça sera drôle, et on « signera le contrat de mariage. Cette situation me pa« rait neuve et son succès immanquable. »
Cette excellente plaisanterie, échappée à la plume de M. Mazères, n est point une charge. Il est très vrai qu'il y a des pièces qui n'ont coûté d'autre effort d'imagination que l'arrangement de quelques accessoires et le choix de quelques airs. Le Fermier d'Arcueil, la Ferme et le Château, Nicolas Remi, l' Aveugle de Montmorency, «'offrent pas d'invention et d'action pins compliquées que celles qui sont détaillées dans la Correspondance littéraire que je viens de rapporter, et on pourrait parier que le Maréchal de Firoflay a été pris dans le Sujet de vaudeville. Ce maréchal, qui, bien entendu, est un maréchal ferrant, est presque centenaire. Il a des enfans de soixante-dix ans, des petitsenfans de cinquante et des arrières-petits enfans d'une vingtaine d'années. Il a des vertus et un tablier de cuir -, il chante la gloire et le bon vin. C'est un être adorable ; un héros de gaieté et de sensibilité. Le théâtre représente la place du village, l'ouverture se termine et la pièce commence sur l'air du trio d'Amhroise ou Voilà ma Journée. A droite, l'atelier et la forge du maréchal -, à gauche, un pavillon ; le seul changement qu'on se soit permis, c'est de mettre des lilas à la porte des maisons, au lieu de lierre et de chèvre-feuille. Cette , innovation n'a heureusement pas nui au succès de la pièce. A la fin le maréchal partage son bien entre ses
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en fans qui pleurent sur l'air de : C'est la fêle de la jeune Ro,relle $ « et le notaire (ceci est à la lettre),' assis devant la table de bois de chêne, » dresse le contrat de mariage des deux amans. Dans ces sortes d'ouvrages, et c'est ce que l'auteur de la Correspondance littéraire a oublié, la scène se passe ordinairement le jour de la fête du personnage principal. Cela donne lieu à des bouquets , à des cris de joie et à des attendrissemens qui sont aussi d'un effet sûr. On y a pensé dans le IJlaréchal de Pîrojlay, et on a même ajouté, pour le repas de la famille, une tourte de Sèvres, ce qui a paru un peu hardi.
Après avoir ainsi donné l'idée et l'analyse de l'intrigue, je dois dire que, malgré toutes ces situations hasardées, la pièce a été jusqu-à la fin et que le nom des auteurs a été demandé. L'un d'eux est M. F. de
Courcy, qui a pourtant donné de fort jolis ouvrages sur différens théâtres. Lui seul a été nommé \ mais son complice a gardé l'anonyme. On l'aurait deviné rien qu'à la décoration. C'est M. Sewrin qui, à l'aide de pièces taillées sur le même patron, a persuadé au public , depuis trente ans, et s'est persuadé à lui-même qu'il était auteur et homme d'esprit. Il n'y a rien de si innocent au monde, je ne dis pas que M. Sewrin , mais que le public.
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PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
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L',IGIOTAGr, , COMÊDIE EN CINQ ACTES ET EN PROSE ,
DE MM. PICARD ET EMPIS.
26 juillet.
Les observations que j'ai faites dernièrement sur l'état actuel de la société, à l'occasion du Spéculateur > pourraient être offertes de nouveau à propos de r Agiotage. Les deux auteurs ont eu le même but : celui de peindre et de flétrir le détestable sentiment qui s'est emparé de toutes les classes et qui est né de diverses circonstances.
Le rétablissement de la paix, la confiance qu'inspirait la restauration ont poussé l'activité nationale vers des entreprises de toute nature. Le succès des premières spéculations est devenu un attrait irrésistible pour tous. L'aisance, la satisfaction des jouissances sociales que ce succès avait répandues dans les classes peu habituées à les goûter, a excité et a porté à un haut degré le désir de les posséder : chacun a couru après, la fortune, au lieu de l'attendre. Il fallait briller ; pour briller, il fallait de l'argent. Celui qu'on avait gagné jusqu'ici au moyen d'un labeur assidu, d une économie raisonnée, était acquis trop péniblement et surtout trop lentement. Pour jouir sur-le-champ, il fallait gagner beaucoup et vite. Un seul moyen se présente alors, c'est le jeu. Toutes les spéculations se trafiquent à la bourse, et c'est
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alors la bourse qui est devenue le théâtre de toutes les cupidités. La loterie et les maisons de jeu ne suffisent pas à ces passions. Les chances favorables de la loterie sont à peu près nulles pour les joueurs , celles de la roulette et du trente-un sont à peu près égales. On peut, à la vérité, jouer incognito à la loterie ; mais, qui est-ce qui fréquente les académies? La honte retient beaucoup de gens : d'ailleurs, dans ces deux cas , il faut jouer argent sur table, et les bénéfices sont en proportion des risques. Si vous perdez, vous êtes ruiné -, si vous gagnez, les gains peuvent être minces et tardifs. A la bourse, au contraire, le jeu sur les effets publics se fait à crédit ; les joueurs sont inconnus -, les intéressés ne paraissent pas. Le succès procure un gain immense \ le revers ne vous appauvrit qu'autant que vous consentez à le supporter. Les joueurs malheureux ne paient pas, ils se sauvent s'ils sont des fripons ; presque tous vont à Bruxelles, à Londres ou à New-York : celui auquel il reste un peu de ce qu'on est convenu d'appeler honneur, le met à se tuer.
A vrai dire, ces mœurs sont plutôt celles de la capitale que celles de toute la France. La fureur du jeu de la bourse a bien atteint quelques propriétaires des provinces, mais en général, pourtant, le désir de briller, le besoin de toutes les jouissances, s'il s'est répandu dans toutes les classes, s'est surtout manifesté à Paris par les moyens faciles que la bourse offrait de le satisfaire. Il serait curieux de rechercher jusqu'à quel point le gouvernement a été l'auteur ou le complice de ce désordre moral. Les événemens et les conséquences de la restauration ont-ils été les causes uniques de ce mouvement dans les mœurs publiques ? Le gouverne-
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ment a-t-il fait quelque chose pour l'arrêter ou le restreindre? ou, au contraire, a-t-il pris des mesures telles que ce mouvement a été précipité et augmenté ? Pour n'être injuste envers qui que ce soit, il faudrait répondre peut-être que tout y a contribué : les événemens comme les hommes -, mais alors il resterait toujours aux hommes le tort grave de n'avoir rien fait pour détourner les résultats d'une odieuse et presque générale corruption.
Cette situation, au surplus, n'est pas nouvelle. Sous la régence , pendant la minorité de Louis XV , les esprits , long-temps retenus par le gouvernement de Louis XIV, se précipitèrent avec une incroyable ardeur vers les nouveautés de tout genre; des entreprises eurent lieu , encouragées par l'exemple du régent qui s'y livrait avec abandon. Le système deLaw, les succès prodigieux qu'obtinrent ceux qui s'y adonnèrent les premiers, répandit, ou pour mieux dire, développa, dans tous les cœurs, ces sentimens de cupidité et de jouissances dont nous sommes encore les témoins aujourd'hui. La manie du luxe était partout ; le jeu était la passion dominante, et la rue Quincampoix , où se négociaient alors les effets publics et les billets de la fameuse compagnie, n'était pas moins fréquentée que le ruisseau de la bourse maintenant. Il existe une comédie de Dancourt, intitulée les Agioteurs, représentée à cette époque et à laquelle il ne faudrait faire que quelques légers changemens pour qu'elle devînt une comédie de nos jours. Plus tard, et sous le Directoire, qui était la révolution organisée, les mêmes symptômes se signalèrent. Le jeu des effots publics s'empara de toutes les classes. Les fortunes rapides, les banquc-
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routes réitérées, le besoin du luxe, tout rappelait la période précédente. Les auteurs comiques s'exercèrent encore. La Manie de briller, et Duhautcours, deux ouvrages de M. Picard, attestent qu'alors comme aujourd'hui de grands événemens politiques entraînent toujours avec eux de notables révolutions dans les fortunes et dans les mœurs publiques. Nous sommes maintenant dans la crise sociale, conséquence de la restauration qui assurément a été une révolution dans. l'état comme le Directoire, comme le gouvernement du régent -, c'est-à-dire un changement dans les principes, les doctrines et les habitudes du pays.
Il était impossible qu'une pareille situation échappât à nos auteurs comiques. Dancourt 1 avait signalée au commencement du dix-huitième siècle -, M. Picard, à la fin du même siècle, et le voilà derechef qui prend encore ses pinceaux lorsqu'une crise nouvelle, née de nouveaux événemens , vient frapper son esprit observateur. C'est ainsi que la comédie est comme l'histoire des mœurs 5 c'est une médaille qui constate un fait et qu'il faut conserver et consulter au besoin.
La pièce qu'on a jouée hier à la Comédie-Française n'est pas le seul ouvrage qui ait été composé sur le même sujet. Il y a dix-huit mois environ M. Casimir Bonjour, auteur des Deux Couaines et du Mari à bonnes Fortunes, fit une comédie en cinq actes et en vers, intitulée VArgent. Il la lut dans plusieurs maisons. On lui fit d'assez graves observations. Le désir d'en profiter et de corriger son ouvrage, le porta à en différer la lecture aux comédiens. Il avait représenté la manie moderne de l'agiotage et les effets des spéculations, mais il avait concentré toute l'action dans des pcrson-
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nages de la bourse, dont les opérations financières sont le métier habituel. Il est tout simple alors qu'elles s'y livrent 5 il ne résulte aucun contraste de leur cupidité et des moyens qu'ils emploient pour la satisfaire. C'était principalement sur ce point que portait la critique des amis de M. Bonjour, mais sa soumission à leurs conseils lui a été funeste. Pendant qu'il s'occupait de corriger son ouvrage, M. Empis, jeune littérateur connu par le drame de Bothwel et par l'opéra du Duc de rendôme, qu'il a fait avec M. Mennechet \ M. Empis, dis-je, vint lire une comédie de l'Agiotage au comité du Théâtre Français. La pièce ne fut reçue qu'à correction, ce qui équivaut, d'après les habitudes du théâtre, à un refus honnête -, mais M. Picard qui fait partie de ce comité, avait senti les développemens qu'on pouvait donner à cet ouvrage. M. Empis lui proposa d'y travailler; M. Picard accepta, et les changemens qu'il y fit ayant été approuvés à une seconde lecture, la pièce fut reçue et mise en répétition pour être jouée après le Spéculateur, pièce de M. Riboutté , sur le même sujet, et qui avait été reçue bien antérieurement.
M. Picard avait assisté à des lectures de la comédie de M. Bonjour, et celui-ci, dans une lettre aigrement honnête qu'il a fait insérer hier dans les journaux , semble accuser M. Picard d'avoir profité de la connaissance qu'il avait de son ouvrage pour refaire celui de M. Empis. Le reproche est assez grave : M. Picard s'en justifiera sans doute, ou, plus tard, le public sera à portée de juger ce débat, soit par la représentation, soit par l'impression de la comédie de M. Bonjour (i).
(1) Voir plus loin l'article sur la pi,\;,dc l'Argent.
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Les critiques qu'on avait faites à ce dernier ont dû être également adressées à M. Riboutté. Son spéculateur manque de comique et le sujet est trop rétréci. L'homme qui se livre à ses occupations habituelles ne fait qu'une chose naturelle, et il est tout simple que le fils d'un négociant fasse des opérations de bourse. Turcaret n'est pas ridicule parce qu'il fait des affaires. Il devient plaisant et comique quand il est amoureux et galant, parce qu'il y a contraste entre son caractère et ses prétentions. Ainsi, quand on veut représenter les inconvéniens et les dangers de l'agiotage, ce n'est pas seulement parmi les agioteurs qu'il faut chercher les modèles, ceux-ci font leur métier 5 ils réussissent ou succombent; ce sont les chances de leur profession. Aussi la moralité qu'il serait possible de tirer du drame de M. Riboutté ne serait applicable qu'aux agioteurs proprement dits. La leçon qu'on leur fait, c'est d'être prudens dans leurs opérations, loyaux dans leurs transactions sous peine de ruine et de déshonneur. Il y a bien par-ci par-là, quelques conseils adressés aux gens qui se livrent mal à propos aux affaires de la bourse ; mais ce n'est pas là absolument la conséquence du tableau de M. Riboutté -, car, encore une fois, il n'y a rien d'extraordinaire ni de comique à ce que la famille Duvernet spécule sur les effets publics.
La peinture des mœurs modernes , le comique et la moralité sont bien plus vrais, bien plus saillans, bien plus applicables dans la pièce nouvelle. Aucun des personnages n'est porté par sa condition, son état, sa fortune, à jouer de quelque façon que ce soit. L'un est M. Dormeuil, avoué retiré avec de l'aisance -, l'autre est son fils Saint-Clair, avocat déjà distingué au barreau
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de Paris ; celui-ci est le marquis Fugaccio, Italien, soi-disant grand seigneur, qui a épouse une prima donna de l'Opéra-Buffa, par amour pour sos talons et ses SO.OOO fr. d'appointemens. Celui-là , enfin , est le jeune Germeau, époux et père, fermier de la commune de Saint-Brice, auquel le commerce légal des grains procure des bénéfices légitimes et suffisans. Dans un ordre de société régulier, aucun d'eux ne songerai1 il augmenter sa fortune par d'autres moyens que ceux de sa profession ; mais le goût du luxe, la cupidité l'exemple, ne leur permettent pas d'attendre que le temps et l'économie viennent accroître le bien-être dont ils jouissent déjà par une honnête industrie. Il n'est pas jusqu'aux subalternes qui ne s'en mêlent ! Mademoiselle Justine , femme de chambre de madame Saint-Clair, joue à la loterie -, M. Joseph , domestique de Saint-Clair, risque ses épargnes à la bourse; et M. Laurent, vieux clerc au service de l'avocat, va tenter la fortune au 50 et -50.
C'est déjà une heureuse conception que d'avoil montré toutes les classes excitées par l'appât d'un gail1 rapide qu'elles recherchent afin de sortir de leur état. Ce désordre social existe -, il est dangereux -, car autanl il est naturel et dans les desseins de la Providence que les individus et les familles cherchent à s'élever par le5 moyens que ne défendent ni les lois civiles, ni celles de la plus simple probité, autant il est subversif de toute société que cet accroissement de fortune et d'éléNation soit subit et indépendant du travail et de l'économie.
Il fallait appliquer cette conception générale aux merurs modernes. Ce n'est pas tout que de faire fortune.
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on veut encore que le public n'en connaisse pas la source honteuse. Il faut faire croire, en satisfaisant à ses passions, que la richesse que vous,acquérez est due à vos talens et non point à un hasard répudié -, aussi Saint-Clair ne met jamais les pieds à la Bourse -, il continue de plaider. Ses spéculations sont occultes. Il sent bien qu'il perdrait quelque chose de sa considération si l'on savait que lé luxe qui s'est subitement répandu dans sa maison provient d'autre part que des ressources du barreau. Le succès l'a perdu; enflammé par quelques gains rapides et considérables, il est engagé dans une opération de bourse à la baisse qui doit lui procurer un gain immense; joueur heureux et hardi, il a obtenu la confiance d'il #igtior Fugoccio, qui trouve que le talent de sa femme ne lui rapporte pas encore assez et qui suit les opérations de Saint-Clair.
Mais qui donc a entraîné Saint-Clair hors de sa sphère et de ses sentimens naturels? Ce n'est pas seulement l'exemple de ce qui se passe autour de lui ; ce sont encore les conseils d'un nommé Durosay, dont le véritable nom est Duhautcours, agent d'affaires jadis en faillite, fripon éhonté qui cherche sans cesse, aux dépens de quelques dupes, à refaire une fortune que le désordre et les escroqueries lui ont fait gagner et perdre plusieurs fois. C'est un joli garçon, ayant de bonnes manières, un jargon séduisant, admis dans les meilleures maisons. Il a monté la tête de Saint-Clair, et c'est lui qui joue à la bourse pour le compte de l'avocat.
Anciens camarades de Germeau, ils lui ont persuadé d'abandonner son état de fermier et de chercher comme eux une fortune plus prompte et plus considérable que celle qu'il attend de la culture de ses terres. Le malheu-
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reux a donné dans le piège ; sans le dire à sa femme, il vend ses propriétés et n'en attend le prix que pour le remettre entre les mains de Saint-Clair.
Le caractère le mieux conçu, le plus vrai et le plus difficile de l'ouvrage est celui de M. Dormeuil, père de Saint-Clair -, hypocrite de bonnes mœurs, s'occupant en apparence d'œuvres de charité, parlant sans cesse des sacrifices qu'il a faits pour l'éducation de son fils, égoïste dissimulé et rapportant à son intérêt personnel et à son profit particulier, les vertus qu'il semble pratiquer et la considération dont Saint-Clair jouit dans le public, tandis qu'il blâme hautement les désordres de la société et la cupidité des spéculateurs , il se livre luimême en secret, et pour satisfaire son avarice, aux opérations de la bourse. Il a mis sa confiance dans l'agent de change Forlis, homme moral au même titre que M. Dormeuil, et chez lequel celui-ci a placé un petit filleul nommé Gauthier, qui sert d'agent occulte à son parrain. C'est par l'entremise de cet enfant qui, dit avec attendrissement le vertueux Dormeuil, ressemble beaucoup à sa mère, que le vieil avoué communique avec son banquier. A la suite d'une nouvelle importante qu'on lui a confiée, M. Dormeuil, qui jouait à la baisse, a changé son jeu -, c'est vers la hausse que se porte sa dernière spéculation.
Deux seuls personnages ont conservé, au milieu de tout ce désordre si vrai, des sentimens droits et raisonnables. L'un est la jeune madame Saint-Clair -, négligée par son mari, elle n'en conserve pas moins pour lui la plus tendre affection. L'autre est M. Marcel, fabricant de Lyon, oncle d'Amélie, et à qui elle a fait part de ses chagrins. Il arrive sur-le-champ à Paris. Les
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plaintes de sa nièce l'ont inquiété •, il avait quelques opérations à terminer dans la capitale, et il s est chargé en, même temps , pour un négociant de ses amis , de poursuivre et de faire arrêter un certain Duhautcours qui a friponne ce négociant et contre lequel on a obtenu une prise de corps.
D'après tout ce qu'il entend dire, M. Marcel ne doute pas que Saint-Clair, oubliant les devoirs de son état, et ce qu'il doit à sa femme, ne joue à la bourse. Pour en acquérir la certitude, il feint lui-même, devant SaintClair, de se livrer à des opérations de ce genre. SaintClair n'hésite pas alors à se découvrir, et Marcel l'accable de reproches. Il ne parle rien moins que de le faire séparer d'avec Amélie. M. Dormeuil fait aussi à son fils une leçon hypocrite. Cette scène est une des plus belles de l'ouvrage. Saint-Clair ne veut rien entendre ; il rompt hautement avec ses parens et adresse à sa femme des remontrances fort aigres sur les plaintes qu'elle a fait entendre. Celle-ci, loin de tenir tête à son mari, écoute ses duretés avec soumission. Elle ne veut pas se séparer de lui -, elle partage toutes les chances de sa fortune et ne sollicite que sa tendresse. La douceur d'Amélie touche Saint-Clair. Elle opère en lui ce que que n'avaient pu les reproches de sa famille. Il s'inquiète lui-même de la position où il s'est placé. Il ne jouera plus, et il veut rompre même dès aujourd'hui une opération ruineuse.... Il veut aller contremander les ordres qu'il a donnés de jouer pour lui à la baisse....
Il est trop tard ; l'heure est passée ; l'opération a eu lieu -, Saint-Clair a perdu et doit combler une différence d'un million.
Pendant que son oncle et sa femme se réjouissent
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d'un retour qu'ils croient sincère et se disposent à prendre part à une fête, Saint-Clair, obligé de faire bonne contenance devant tous ses convives, se livre au plus affreux désespoir. Il est ruiné ; il a ruiné -galfemme et ceux de ses amis qui lui avaient confié leurs fonds. Durosay lui propose divers moyens de sortir:d'embarras ; une obligation antidatée ; la fuite -, il lui propose même de prendre le portefeuille que Germeau lui apporte et qui renferme toute la fortune de celui-ci, qui vient de toucher le prix de ses propriétés. L'honneur subsiste encore au fond du cœur de Saint-Clair. Il repousse avec mépris de si odieuses propositions. Il remet à Germeau son portefeuille et l'engage à se méfier de Durosay ; pour lui, il ne peut payer ce qu'il doit ; il ne veut pas fuir -, il va se tuer. Il laisse auprès du lit de sa femme une lettre dans laquelle il lui apprend son malheur et le fatal parti qu'il va prendre. Marcel et Amélie l'arrêtent, raniment son courage, lui montrent quelque ressource. Mais.... ô bonheur! M. Dormeuil, qui ignore le désastre de son fils, est dans l'ivresse. Sa fortune est quadruplée. Il vient de gagner un million. Dans sa joie, il est sur le point de se trahir et de découvrir la source de ce bénéfice. Mais il se reprend ; il parle d'héritage , de corsaires, de terrains vendus.... Le fait est que le mouvement de hausse à la bourse a fait gagner au père ce que le fils a perdu. On le presse de payer et de sauver l'honneur de Saint-Clair. Il y répugne fort ; mais , nouveau désastre % Forlis , agent de change de Dormeuil , jouait contre ses cliens , et il est en fuite , emportant ainsi tout le bénéfice du vieil avoué. « Infernal jeu de la bourse ! s'écric-t-il, où ceux qui perdent sont ruinés et déshonorés, où ceux qui gagnent ne sont pas
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même sûrs de leurs gains. » Excellente leçon et qui complète le tableau ! Dormeuil répugne davantage encore à payer les dettes de son fils et à faire cette fois de véritables sacrifices. Marcel lui fait sentir que le soin de sa propre considération exige qu'il étouffe cette affaire, et le désir de conserver sa bonne réputation le fait consentir à prendre des engagemens que l'amour paternel n'aurait point obtenus de lui. « Ayez donc des enfans ! » dit-il dans son chagrin avaricieux. Durosay, qui n'est autre que le Duhautcours recherché par Marcel, est arrêté et conduit à Sainte-Pélagie au moment où , grimpé sur l'impériale d'une diligence , il cherchait encore à quitter la France.
Cet ouvrage doit ajouter à la réputation de M. Picard. Ce n'est pas qu'il soit sans défauts. Il n'est point d'abord d'ouvrages parfaits pour les contemporains , et celui-ci d'ailleurs n'est pas exempt de taches assez sensibles. Il ressemble trop, dans le fond et dans la forme, au Duhautcours que M. Picard a donné, il y a vingt ans , au Théâtre-Louvois. Les deux premiers actes et demi sont froids, dénués d'action -, ils auraient dû au moins présenter une plus grande quantité de traits spirituels et saillans qui auraient empêché d'en apercevoir la faiblesse. L'action est très sévère, et il est à regretter que quelque épisode ou quelque incident comique ne soit pas venu égayer le commencement ou tempérer l'intérêt triste de la fin de l'ouvrage. M. Picard avait sans doute compté sur le rôle du marquis Fugaccio. Il s'est à moitié trompé. Ce rôle a paru plutôt une charge qu'un portrait égayé. Ce n'est pas qu'il manque d'originaux. Les artistes n'ont pas été les derniers à s'occuper de spéculations. M. L....., célèbre violon, a compromis, il y a
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deux ans, dans le jeu des effets publics, toute la fortune que son talent et la vogue de sa femme lui avaient fait gagner. Les intérêts et les prétentions de la prima donna défendus par son mari sont assez drôles et ne manquent pas non plus de quelque vérité particulière -, car c'est le rôle auquel se sont résignés les époux français de deux célèbres cantatrices italiennes. Mais enfin le personnage épisodique de Fugaccio n'a eu qu'un demi-succès. La scène où Germeau remet toute sa fortune à Saint-Clair et où celui-ci la refuse et la rend par un sentiment d'honneur se trouve déjà dans le vaudeville de Vingt-cinq pour Cent \ mais c'est à coup sûr une rencontre et non pas un plagiat. On peut encore reprocher à M. Picard d'avoir fait usage d'un de ces personnages qu'il a le malheur d'affectionner et de placer dans presque toutes ses pièces. Espèce de montreur de marionnettes, expliquant le sujet et faisant la leçon au public, Laurent, commis de Saint-Clair, est la répétition de tous les rôles analogues que M. Picard ne manque jamais d'introduire dans ses ouvrages et qui y sont d'autant plus déplacés qu'ils sont faux et froids-
Mais par combien de beautés de tous genres , ces défauts ne sont-ils pas effacés ou au moins affaiblis? Ses caractères sont neufs et vrais. L'action est bien prise dans les mœurs modernes -, le ridicule, les incollvéniens et les dangers des spéculations dans les diverses classes de la société, ceux qui résultent du goût, du luxe , de la manie de briller et de la cupidité, sont saisis et représentés avec une heureuse fidélité. Les différentes scènes entre Marcel et Dormeuil, Marcel et Saint-Clair, Saint-Clair et sa femme, Durosay et Saint-Clair sont supérieurement tracées, et il y a up art infini à avoir
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fait mouvoir tant de personnages au milieu d'une action claire et simple. Je n'ai point parlé d'un rôle épisodique qui tient peu de place et qui est destiné à faire ressortir une des nuances du caractère de Saint - Clair.
C'est celui d'un M. Fréville, honnête homme compromis dans la faillite d'un spéculateur et dont Saint-Clair défend les intérêts. Il n'est lié à l'action que comme contraste et pour montrer le client, abandonnant l'avocat qui parle et agit en sens contraire. Cet aperçu n'était point inutile. Il prouve de plus que M. Picard, n'a oublié aucune des faces son sujet.
La froideur des deux premiers actes n'est pas entièrement la faute de l'auteur. Elle existe moins dans la pièce que dans les habitudes des spectateurs corrompus par les petits spectacles. Là, on donne, toutes les semaines , des pièces spirituelles et amusantes -, mais qui n'ont pas le sens commun. Elles renferment une action qui pourrait suffire à cinq actes ; aucun caractère n'est posé, ni développé ; tout est croqué et précipité. Et maintenant tout ce qui n'est pas extravagant paraît froid $ toute exposition semble longue ; tout développement est insipide. Il ne faut plus que des événemens fous justifiés par des quolibets.
J'ai entendu aussi reprocher à l- Agiotage l'absence de tout amour. On ne fait plus l'amour maintenant dans le monde comme on le faisait jadis. L'amour et l'agiot jureraient ensemble. Le sujet ne le comporte pas, et le cœur, pour parler le langage des gens sensibles qui font ce reproche à M. Picard, le cœur se dédommage de la sévérité du sujet et du sérieux de l'action, par la tendresse raisonnable, sincère et vraie de la femme pour son mari. Ce sentiment, doux et attachant, est dans les
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moeurs. Le sentiment et les consolations d'une épouse vertueuse me semblent bien autrement intéressans que les fadeurs de deux jeunes amans , comme on n'en voit nulle part, et dont les amours seraient servis sans doute par une soubrette adroite ou un valet intelligent. Ces traditions suranées de la vieille et mauvaise comédie sont heureusement et tous les jours décriées par les gens de goût. Il faut traiter un sujet tel qu'il se présente. M. Picard n'a reculé devant aucune des difficultés que lui offrait le sien. Félicitons-le d'avoir secoué le joug de l'amour et de l'hymen dramatiques que l'action qu'il avait choisie, les mœurs qu'il voulait peindre n'exigeaient pas et qu'il a eu le bon esprit de n'y pas faire entrer de vive force.
Il n'a été question jusqu'ici que de M. Picard. Il a pourtant un collaborateur auquel il est juste d'accorder une part dans les éloges : quelle peut-elle être? je l'ignore. C'est peut-être même un malheur pour M. Empis que d'avoir travaillé avec M. Picard. Il ne retirera pas du succès de l'Agiotage tout le prix qu'il mérite. Le talent qu'il a pu montrer dans cet ouvrage, et que ceux qu'il a donnés jusqu'ici ne faisaient pas complétement espérer, se trouvera absorbé par la réputation de M. Picard.
La pièce a été fort bien jouée -, elle le sera mieux encore et son mérite sera mieux senti, si, comme il faut l'espérer, le succès qu'elle a obtenu hier se soutient à la faveur de représentations multipliées.
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SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
27 juillet.
L'un des plus beaux ouvrages de Mozart, k Nozze di Figaro, vient de paraître, ou, pour mieux dire, de reparaître sur notre théâtre. On avait déjà entendu, il y a vingt ans, la partition italienne à l'Opéra-Buffa, rue de Louvois. Cette même partition a été reproduite samedi dernier (22 juillet) à l'Odéon, mais avec des paroles françaises. La pièce de Beaumarchais a été suivie assez exactement dans tout ce qui tient à l'intrigue, et l'arrangeur musical, M. Castil-Blaze, a répété et conservé , avec un soin dont il faut lui tenir compte, le dialogue de l'auteur français dans la partie chantée. Les traits isolément religieux et politiques de la pièce originale ont été retranchés. Il n'est resté que l'action dramatique et les quolibets accrochés aux sublimes inspirations de Mozart. On aurait pu croire que le parterre de l'Odéon aurait saisi la plupart des allusions que la pièce présente encore aux malveillances de l'esprit de parti, et qu'au moins la présence de Bazile exciterait les risées et les applaudissemens. de cette jeunesse si enflammée en ce moment contre tout ce qui a l'apparence ecclésiastique. Il n'en a rien été. L'apparition de l'organiste en soutane n'a produit aucun effet 5 et, chose assez singulière, les mots hasardés du dialogue, les mots naturels et vrais, ont été presque mal accueillis : 49n n'a senti ni ce que l'ouvrage offre de piquant et de.
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spirituel dans ses détails ni ce que la musique offre d'ad mirable. Il est vrai qu'elle n'est point écrite dans le sys tème en vogue. Mozart s'est contenté d'être express et harmonieux. Ses airs ne finissent point par des trail brillans de gosier qui provoquent des bravos plus ap plicables au chanteur qu'au compositeur. L'ouvrage été froidement accueilli, paroles et musique, par un génération qui l'entendait peut-être pour la premièr fois, et qui n'en a pas compris le mérite. Cela ne fa honneur ni à son intelligence ni à son goût. Le poëm et la partition sont de ces œuvres qu'il faut savoir p! cœur pour peu qu'on soit sensible aux productions d l'esprit et du génie et qu'on s'occupe du théâtre. Il pa raît que l'admirable jeunesse du quartier latin ne rem plit que la dernière condition. Ce n'est point assez poi mériter les éloges dont elle se montre si jalouse.
THÉATRE DE MADAME.
On avait annoncé , comme une chose extraordinair4 le talent de M. Alexandre, jeune physionomane frac çais, qui avait obtenu beaucoup de succès en Angleten où il a long-temps résidé. Ce grimacier de premièi classe a paru hier sur le théâtre de Madame dans un pièce à travertissemens, tirée du répertoire anglais < arrangée pour notre scène, sous le titre des Ruses n Nicolas. C'est un valet au service d'un vieux alderman
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podagre, époux d'une femme édentée et père d'une jeune fille courtisée par un officier. Ces cinq personnages sont représentés par le seul M. Alexandre qui change , avec une merveilleuse rapidité, de costumes, d'habitudes et même de voix , grâce à la disposition ventriloque dont il est doué. Ce spectacle serait assez amusant autre part que sur un théâtre, et le talent des mimes serait plus divertissant s'il n'était pas appliqué à une action dans laquelle le spectateur français ne peut jamais se défendre de rechercher et d'exiger quelque raison et quelque esprit. L'espèce d'intermède, joué par M. Alexandre , est absolument dépourvu de l'un et de l'autre. C'est une suite de scènes sans liaison et de mots sans sel. Ce grimacier, en jouant une pièce, semblait afficher quelque prétention au talent d'acteur, et il s'est fait ainsi plus de tort que de bien , car on voulait le juger aussi comme comédien. Ce n'est qu'un farceur distingué et qui m'a paru même inférieur au physionomane Leclerc, sous le rapport de la mobilité des traits et de l'élégance des manières. Tout en rendant justice au talent de basse espèce que M. Alexandre a montré , tout en riant même de quelques effets assez drôles et assez bien rendus, le public a trouvé cette parade longue et froide. Le Gymnase n'a point accoutumé ses habitués à ce genre de spectacle , peu convenable, à la vérité j sur une scène que beaucoup de gens d'esprit et de goût ont embellie de leurs productions. M. Alexandre s'est trompé de route. Il aurait dû s'arrêter à la Porte-SaintMartin ou dans les jardins de Tivoli. C'est là qu'il finira, à coup sûr.
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SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
] 1 août.
J'ai à solder avec l'Odéon un arriéré qui ne sera long ni difficile à acquitter. Depuis le 27 juillet, < théâtre a joué : le 29, l'Actrice ou les Deux Po\ traits, soi-disant comédie en un acte, et en vers ass facilement tournés, de MM. Ader et Fontan, nor ignorés s'il en fut dans la littérature, et que ce hor d'œuvre ne tirera pas de l'oubli où les avaient plong quelques petits vaudevilles que leurs auteurs ont sa doute fait de complicité avec quelques autres homm de lettres d'un talent aussi illustre. Un peintre fait, la fois, le portrait d'une actrice dont il est amoureux celui d'une Anglaise dont il ne sait pas le nom. L'a trice est courtisée par un seigneur britannique, qui flatte de réussir auprès d'elle, et qui espère obtei le portrait que le peintre voudrait bien obtenir aus Après s'être amusée de la galanterie du lord et des i quiétudes jalouses de son amant, l'actrice remet à s sigisbé britannique le portrait... de sa femme, que jalousie conjugale avait attirée à Paris, et qui se r3 commode avec son époux, tandis que le peintre a l'in, fable bonheur d'unir sa destinée à celle d'une actri qui a autant de vertu que de talent.
Ni caractère, ni intrigue , ni bon sens, voilà ce qu' remarque dans cette petite pièce qui, à une versifie tion malheureusement facile, joint un mérite bien ra
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dans les ouvrages insipides, celui de ne durer qu'un quart d'heure 5
Le 4 août, le Millionnaire, comédie en trois actes et en prose. Ce millionnaire est un monsieur qui revient de l'Amérique avec des caisses énormes. Ses deux frères, qui le supposent immensément riche, lui font mille tendresses. Il profite du crédit provisoire que lui donne son apparente fortune, pour unir sa nièce à un bon jeune homme qu'elle aime. Quand les ballots sont ouverts et qu'on sait qu'ils ne contiennent que des objets d'histoire naturelle, le soi-disant millionnaire s'aperçoit bien vite que la tendresse de ses frères n'était qu'hypocrisie. Il en est consolé par l'amour d'une jeune femme qu'il aimait autrefois, et qui, devenue riche et veuve d'un vieil époux, lui a conservé son cœur et lui donne sa main.
Cette méchante copie retournée de lhabitant de la Guadeloupe a été, à la fin seulement, presque autant sifflée qu'applaudie. Elle s'était soutenue jusque-là par un moyen assez neuf et assez piquant. Il était impossible de savoir positivement si le revenant du NouveauMonde était vraiment riche ou non. Cette suspension de la curiosité, assez bien ménagée jusqu'au dénoûment, a traîné la pièce, et on a pu apprendre qu'on la devait aux efforts réunis de MM. Martin Saint-luge , Loignon et Marie -, ce qui n'a rien appris au public, qui pouvait dire comme Chicaneau : « Il faut qu'on m'ait ensorcelé ! »
Si j'en connais pas un, je veux être étranglé !
Le 7 août, un pasticcio musical intitulé : Le Neveu de Monseigneur, dont en conscience il serait impos-
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sible de faire l'analyse, bien superflue d'ailleurs. Cet imbroglio, tout-à-fait italien, a été arrangé par MM. Bayard, Romieu et Sauvage, sur des airs de Rossini et de Paccini, choisis par M. Guénée.
Enfin, pour épuiser cette triste litanie, le même théâtre a joué, avant-hier 9 août, une vieille tragédie en trois actes, de M. Lemercier , imprimée depuis seize ans. C'est le trait historique de Marie, femme de Baudoin , qui ne sut pas résister à l'émotion de joie que lui causa son élévation à la dignité d'impératrice. La pièce, sauf la gradation du genre, est bonne à ranger avec le Neveu de Monseigneur, le Millionnaire et l'Actrice. Elle a été sifflée.
THÉÂTRE ROYAL DE L'OPÉRA-COMIQUE,
MARIE, DRAME LYRIQUE EN TROIS ACTES, PAROLES
DE M. PLANARD , MUSIQUE DE M. HÉROLD.
14 août.
Un jeune homme est sur le point d'épouser sa cousine, qu'il aime d'amitié, tandis que, presque malgré lui, il aime d'amour une jeune fille ( Marie), auprès de laquelle il a été élevé et qui lui rend tous les sentimens qu'il éprouve pour elle, quoiqu'ils ne s'en soient jamais entretenus. Ils s'avouent enfin, et au moment de la noce, l'amour qu'ils ont l'un pour l'autre. Non seulement il est trop tard pour qu'ils puissent songer à s'épouser ; mais l'obstacle de la naissance et de la fortune n'est pas moins
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grand que celui de l'hymen que va contracter Adolphe avec Emélie, qui d'ailleurs ne l'aime aussi que d'amitié et d'habitude. Adolphe est un grand seigneur fort riche -, Marie est pauvre et passe pour la petite-fille d'un concierge du château. Cependant Marie et Adolphe finis. sent par être unis, et Emélie épouse Henry, frèred'Adolphe !... Comment cela? c'est qu'on découvre que Marie est la fille d'un premier lit de la baronne, mère d'Emélie, et qu'elle avait fait passer pour morte cette enfant dont son second mari n'avait pas voulu dans sa maison; c'est qu'enfin, M. Henry aime mademoiselle Emélie, à laquelle il n'est pas indifférent.
Tout cela est bien romanesque et bien invraisemblable , et c'est ce qui, au théâtre, s'appelle du dramatique et de l'intérêt. La pièce est bien faite et bien conduite. Elle a réussi complétement et sans aucune opposition. La musique remarquable de M. Hérold n'a pas peu contribué au succès qui, avant-hier, a couronné ce nouvel ouvrage de M. Planard.
PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
LE DUEL, OU DIX ANS DE TROP, COMÉDIE EN UN ACTE
ET EN PROSE.
3o août.
La baronne Hortense, riche et veuve, est sur le pointd'épouser son cousin Gustave de Forlis. Elle l'aime beaucoup et croit en être aimée de mème. Une seule
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chose l'inquiète cependant, c'est la différence de lei âges. La baronne a trente ans 5 Gustave n'en a que vin La future, selon ses soupçons, aurait donc dix ans trop. Elle a fait cette réflexion surtout depuis que nièce Delphine est venue chez elle avec son père, général Maurice, beau-frère de la baronne. Hortens cru remarquer que Gustave était fort préoccupé de 1 phine qui, de son côté, semblait y faire quelque att tion. Hortense pense avec raison que lorsqu'elle a quarante ans, Gustave n'en aura que trente. Elle s fraie des conséquences d'une pareille disproportion. ! voudrait être sûre, au moins , que Gustave n'a d'a chement que pour elle. Le général, auquel elle co ses inquiétudes, veut renouveler une épreuve infa ble selon lui et dans ses idées de bravoure : il n'y a l'amour qui puisse faire oublier un rendez-vous d't neur. Il tient, à dessein , devant Gustave, d'assez n vais propos sur le compte de la baronne. Gustave aime réellement Delphine, mais dont la passion combattue par les liens de toute sorte qui l'attache Hortense, se croit obligé de repousser les discours sultans du général. Un rendez-vous est donné. ] Delphine, à moitié instruite par Hortense , trou, moyen de retenir Gustave auprès d'elle en le mei sur la voie d'une déclaration d'amour, que celui-( manque pas de lui faire, et eh lui laissant elle-Ir entrevoir les sentimens qu'elle éprouve pour lui. ] un- aussi doux entretien , l'heure du Duel est oui Gustave, revenu à lui, se venge d'avoir manqué rendez-vous avec le général, en se battant avei M. de Senneville qu'il regarde comme son rival ai de Delphine. La baronne, éclairée sur le présent c
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l'avenir, renonce, en faveur de sa nièce, à la main de Gustave, et laisse entrevoir que, plus raisonnable, c'est en épousant le général qu'elle quittera l'état de veuve dont elle paraît assez fatiguée.
Afin de joindre l'exemple au précepte, Fauteur a montré, dans le triste et bruyant ménage de deux domestiques de la baronne, les fâcheuses conséquences des disproportions de l'âge dans le lien conjugal. M. Séraphin a épousé une femme plus vieille que lui, et qui lui rend la vie la plus dure du monde jusqu'à ce qu'il se soit décidé à sortir de son caractère pacifique et à montrer à sa criarde moitié que du côté de la barbe est la toute-puissance. Le tableau de ces époux mal appareillés sert à confirmer la baronne dans ses appréhensions et à jeter quelque diversion prétentieusement comique à travers ce petit ouvrage dont l'intention morale est assez bonne, mais dont l'exécution est froide et pincée.
Le succès a été en harmonie : frais et sec. L'auteur demandé et nommé est M. Léon Halevy dont le nom retentissait, il n'y a pas long-temps encore, dans les concours universitaires. C'est son premier ouvrage au théâtre. On a de lui une traduction d'une partie des odes d'Horace, publiée en 1822. Il est, dit-on, de la religion juive.
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SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
L'ÉCOLE DES VEUVES , DRAME EN TROIS ACTES ET
VERS.
3o août.
C'est une chose assez bizarre que, tandis qu'au P mier Théâtre Français, on montrait les incertitude les craintes d'une femme sur les conséquences d'un Y riage disproportionné sous le rapport de l'âge , l'Odi offrait le tableau des conséquences d'un tel mariage. telle sorte que le Duel est comme le .préambule de TEi des Veuves, le premier acte de cette dernière pièce. C ainsi, en réunissant les deux ouvrages, que le thé! anglais ou espagnol aurait traité ce sujet.
Mais la veuve du Duel a le bon esprit de s'arrêter bord du. précipice -, elle ne contracte pas un mari dont elle redoute les suites. Madame Del val, au c traire, veuve d'un marchand riche et estimé , mère deux enfans, n'a pas craint d'épouser un homme bei coup plus jeune qu'elle, et qui, alors qu'il était com dans son magasin, était sage et laborieux. Entraîné des passions nouvelles et par les conseils d'un pei cieux ami, Belval ruine la maison de sa femme, celle-ci se voit condamnée pour le reste de ses joui l'abandon , à la douleur et à la misère. Mais Belval plutôt égaré que corrompu. Grâce au frère de sa fem et a un jeune avocat, amant de la fille de mada
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de Belval, on démasque le fripon Saint-Phar qui perdait Belval par ses leçons et son exemple, et ce mari dérangé, revenu enfin à de meilleurs sentimens, promet de ne vivre désormais que pour sa femme et sa maison.
Ce tableau sévère méritait d'être traité par un auteur expérimenté. Ce n'est pas que le danger qu'il attaque soit général. Il n'est ni dans les usages ni dans les mœurs qu'une femme âgée épouse un jeune homme. Ce cas est rare parmi nous, et lorsqu'il se présente, le ridicule et le dégoût, en quelque sorte, qui s'attachent à une vieille femme cédant à des désirs mal déguisés, rendent ces sortes d'unions fort peu communes. Mais enfin ce tableau pouvait être présenté sur la scène pour l'instruction de quelques-uns si ce n'est du plus grand nombre,, et c'est encore là un de ces services que le théâtre peut rendre. La pièce, écrite en vers, quoique faibles, ne peut que faire honneur à son auteur. C'est un bon sentiment, une idée morale qui l'a guidé. Avec plus d'expérience , il aurait pu faire, sur ce sujet, un ouvrage remarquable. La conversion de Belval détruit une partie de l'effet qu'il a voulu produire. On ne se convertit pas, excepté dans les mauvaises pièces, et le tort des auteurs jeunes est de ne pas oser aller jusqu'au bout de leur sujet. Pour que la leçon fût profitable, il fallait que le tableau des désordres et des malheurs de madame Belval fût complet. Telle qu'elle est toutefois, la pièce ne peut que produire un bon effet. Elle a eu plus qu'un succès de première représentatidn. L'auteur est M. Gustave Pillet, fils, employé dans les bureaux de l'université. Le père est depuis long-temps rédacteur d'articlps de spectacles dans le Journal de Paris et de nombreuses
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notices dans la Biographie universelle de MM. Michai Il est aussi l'auteur, puisque l'occasion de parler de se présente, de la fameuse chanson à boire : Ver donc, mes amis, versez! qui, dans son temps, eut succès si populaire.
SECOND THÉATRE FRANÇAIS ET V AUDEVILI
3o septembre.
Depuis le 29 août jusqu'à ce jour, je n'ai eu à si que la représentation de trois pièces nouvelles. C'est 1 sorte de miracle que ces vacances dramatiques. Il vrai que cette époque est la morte-saison, des spectac et que le Vaudeville, si actif ordinairement, s'é rendu à Dieppe. Encore des trois ouvrages qui ont représentés, un seul mérite-t-il de fixer l'attention veux parler des Biographes, comédie en un acte , a des changemens, qui a été jouée au Second Thés Français le 21 de ce mois.
Le scandale et le trouble que les Biographies in ont répandus dans la société sont trop récens et trop c nus pour qu'il soit nécessaire de présenter, sur ce su aucune réflexion générale. Ces honteuses publicati sont assurément les derniers efforts de la licence d presse. Sa liberté légale en est d'autant plus affern Les partisans de l'ordre peuvent donc, à toute rigu( se féliciter qu'un si grand bien soit sorti d'un si gr mal. La conduite du gouvernement, dans cette o( sion, a été un sujet de satisfaction pour ses vérita'
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amis et de dépit pour l'opposition malveillante. En ne se servant pas de ce désordre momentané de la presse pour prendre des mesures, qu'on l'accusait de désirer en secret, le gouvernement s'est acquis de nouveaux droits à l estime des gens de bien, et il a convenablement repoussé les calomnies en renvoyant les calomniateurs devant les tribunaux. Mais on peut regretter que la loi n'ait pas permis aux tribunaux de frapper de condamnations plus importantes les misérables auteurs de ces odieux petits livres, ou du moins leurs coupables éditeurs. La faiblesse des peines qui ont été prononcées a affaibli, dans l esprit du public, l'horreur et le danger de ces libelles. Heureusement le théâtre est venu au secours de la justice impuissante. Il a donné à l'infamie des biographes anonymes une publicité désirable. Le théâtre des Variétés a montré le danger des biographies -, et, dans une pièce fort bien arrangée, MM. Brazier, Gabriel et Dumersan ont fait voir les conséquences de la calomnie pour le repos des familles. A l'Odéon, ce sont les biographes eux-mêmes qui ont été mis en scène; de sorte que le sujet a été envisagé sous toutes ses faces : le danger moral, la turpitude individuelle.
Pacot, garçon tailleur, et Guignard, dont on ne dit pas la profession, se sont mis tous les deux aux gages du libraire Briard, qui leur fait faire, dans des greniers, les biographies qu'il vend ensuite sous le manteau. Il se sert aussi de ces publications, et notamment de celle qui est dirigée contre les avocats, afin de ruiner son rival Eugène dans l'esprit de M. Dupont, dont la fille est recherchée par ce jeune stagiaire. Eugène et un nommé Beauval, son ami, homme de lettres, qui a eu le malheur d'être loué dans une biographie , se mettent à la
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recherche des biographes, les découvrent dans leur tandis, leur donnent des coups de bâton , et leur font signer, ainsi qu'au libraire Briard , toutes les rétractations qu'ils exigent de ces misérables.
La pièce est mal faite, les traits sont crus et acerbes plutôt que spirituels, quoiqu'il y ait généralement de l'esprit dans l'ouvrage. Les auteurs ont écouté plutôt leur indignation que les règles de l'art et du théâtre -, mais s'ils n'ont pas produit tout-à-fait un bon ouvrage, ils ont du moins fait une bonne action. Il a eu d'abord peu de succès, parce que le fond est très sérieux, et que la forme n'était pas très gaie. Il s'est relevé depuis, et restera au courant du répertoire tout le temps que des pièces de ce genre peuvent y rester. Les auteurs qui s'étaient d'abord cachés sous le nom de M. Bambou, par allusion aux coups de cannes distribués aux biographes , ont depuis fait disparaître de l'affiche cette pseudonymie inutile. Ils ont gardé l'anonyme •, et c'est un tort selon moi. Il ne faut de près ni de loin, imiter la lâcheté des gens qu'ils ont attaqué. Leur pièce ressemble ainsi plutôt à un pamphlet qu'à une comédie. Ils sont connus, au surplus : ce sont MM. Ferdinand Langlé et 'Cavé, l'un rédacteur du petit journal la Nouveauté, l'autre du Globe.
L'Odéon avait donné huit jours avant, c'est-à-dire le tu, un grand opéra intitulé : Ivanhoë, tiré du roman de Walter Scott, et arrangé avec des airs de différens ouvrages de Rossini, par M. Paccini. C'est tout ce qu'il est possible de dire de ce pasticcio qui n'offre l'occasion d'aucune réflexion littéraire ou artistique.
Le Vaudeville a fait enfin sa rentrée le 25, dans sa
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vieille salie restaurée, mais avec ses vieux acteurs et ses vieilles pièces. Afin de montrer qu'il n'y avait rien de changé au personnel et aux traditions du théâtre , toute la troupe a paru dans une espèce de prologue de MM. Désaugiers, Rousseau et Lassagne, où on a introduit, comme preuve de la fidélité à la routine, le personnage d'Arlequin représentant le régisseur du théâtre. Un arlequin, bon Dieu ! il ne serait plus de mise aux ombres chinoises, et on le sifflerait au spectacle ie M. Comte. Enfin le prologue a passé tant bien que mal. On a bien reconnu, à quelques couplets, que M. Désaugiers avait mis la main à l'œuvre, et le prince de la chanson ne craint encore aucun rival. Mais que font son talen t et ses heureuses qualités pour la direction d'un théâtre ! Il lui manque les défauts qui sont nécessaires pour mener une pareille entreprise. Il manque au Vaudeville des auteurs comme il en manquera sans doute au Théâtre des Nouveautés. Ce sont les auteurs qui font le public et les acteurs, et la supériorité de M. Scribe, en même temps qu'elle assure la prospérité viagère du Gymnase, écrase les dispositions ou même le talent de ses petits confrères. Le Gymnase est le seul théâtre de vaudeville-comédie qui puisse avoir du succès tant que les inspirations de M. Scribe seront, ce qu'elles sont encore, spirituelles, piquantes et dramatiquement arrangées. Après lui, et peut-être même de son vivant, il viendra un autre auteur qui prendra une route nouvelle , .et qui, à son tour, portera la vogue au théâtre auquel il s'attachera. Désaugiers, en paraissant, avait culbuté ses devanciers les Pain, les Bouilly, les Prevost-d'Iray et toutes les fadaises de l'ancien Vaudeville; M. Scribe a renversé Ic, répertoire de Désaugiers ; il
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tombera quand le temps de sa chute sera venu. Au surplus, ce n'est pas la pièce nouvelle que le Vaudeville a donnée le 27, sous le titre de la Feuve de Quinze ans, qui peut porter ombrage au dominateur actuel. Il ne se peut rien de plus pâle , de plus insignifiant, de plus insipide que cette petite et prétentieuse rapsodie dont l'idée première était pourtant assez drôlette; mais la nullité de l'intrigue et la platitude des détails a étouffé ce que la conception pouvait offrir de piquant \ et, malgré les efforts des claqueurs et la très jolie figure de mademoiselle Colon , la pièce est tombée, parce qu'elle était trop mauvaise. Un seul de ses auteurs a été nommé •, c'est M. Theaulon ; l'autre coupable est M. Capelle qui a gardé l'anonyme , et qui, en effet, n'a pas autant de droits littéraires que son collaborateur a la bienveillance du public.
THÉÂTRE DE MADAME.
LA COUTUIIE ALLEMANDE, COMÉDIE-VAUDEVILLE EN UN
ACTE.
IÍ octobre.
Dans l'état actuel des mœurs, la puissance paternelle et celle des supérieurs scolastiques est à peu près nulle. Depuis qu'une sensibilité niaise et fausse a substitué à l'emploi d'une juste sévérité vis-à-vis de l'enfance, l'empire ridicule du raisonnement, de l'épanchemen< et de la confiance: depuis que l'on veut être
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aimé plutôt que respecté de son fils (comme si le respect excluait l'amour ) ! on ne peut dominer l'enfance que par une sorte d'illusion de position et de supériorité qu'il faut prolonger le plus long-temps possible , sous peine de transformer subitement le relâchement des liens de famille en une irrévérence coupable. Rien n'est plus propre à favoriser ce brusque et dangereux passage que la pièce donnée hier soir au théâtre de Madame , on peut en juger par l'analyse suivante :
A Manheim, à l'époque des vacances, un écolier commande en maître dans la maison de ses parens; il en est le roi absolu pendant vingt-quatre heures \ tout le monde est obligé de lui obéir ; ses décisions sont sans appel. C'est en vertu de cette coutume allemande, vraie ou supposée , que le jeune Adolphe redressant les. bêtises, les fautes, les torts, les injustices de sa famille, empêche son oncle Wolmar d'être la dupe d 'un fermier fripon qui veut obtenir une réduction dans le prix de son bail -, qu'il fait revenir dans la maison sa vieille nourrice qu'on en avait brutalement chassée ; qu 'il condamne une espèce de professeur maître d éludes à faire un devoir dont l'ignorance de celui-ci ne peut venir à bout *, qu'il raccommode ensemble son oncle et un ami Durback qui s'étaient sottement brouillés, et enfin qu'il envoie chercher un notaire pour marier sa cousine dont l'hymen, avec le jeune homme qu elle aime, avait été brusquement rompu par l'entêtement ridicule des
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parens.
Les auteurs (-car ils sont deux, MM. Rougemont et Mazères, quoique ce dernier se soit seul fait nommer ), les auteurs, dis-je, auront cru, sans doute, ne présenter que le tableau léger d'une plaisante espiéglerie..
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Ils se sont profondément trompés. Bien n'est plus s rieux que leur ouvrage. Il est impossible d'en tirer m autre conséquence que celle-ci : les parens sont d imbéciles; les enfans seuls sont raisonnables. Est-, bien là la leçon qu'il convient de faire aux uns et ai autres, surtout à cette époque où l'irrévérence, sinon désaffection des enfans, est excitée et poussée 30-Q4 de toutes bornes ?
Adolphe, aux défauts naturels de son âge, joi encore le tort plus grave d'être un détestable écoti4 Il n'a aucun succès dans ses classes; il ne rapport après la distribution des prix, aucun témoignage la satisfaction de ses maîtres : témoignage, dit-il ay une insouciante raillerie, avec un dégagement moquei que l'on n'obtient que lorsque les parées font des < deaox aux supérieurs ; mais qu'importent son incc duite et son inaptitude! il est spirituel, malin , il a 1 cœur, et on peut se moquer de tout avec d'aussi bel qualités.
Le maître d'études Rudemann est une espèce d nimal, bête comme une oie, gourmand comme 1 chatte, ignorant au point de ne pouvoir faire la p simple version.
L'oncle Wolmar et l'ami Durback sont deux stupi obstinés qui se disputent et se brouillent pour invitations à diner, et qui, pour lin aussi puissant Il tif, rompent l'union projetée de leurs enfant et veol recommencer un procès immense et ruineux.
Ce tableau n'est-il pas subversif de tout respect, toute confiance des enfans envers leurs pnrcns? Les r miers, dam leur intelligence malicieuse et restrera concluent tou*pmrs du particulier au général. Quelle i
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pression peut résulter pour eux du tableau qu'on a mis sous leurs yeux ? Disposés, par leur instinct, à blâmer, si ce n'e3t à maudire le joug de l'autorité paternelle, ne verront-ils pas dans cet ouvrage la justification de leurs mauvaises et secrètes pensées? l'autorisation de les laisser éclater ? N'y verront-ils pas la preuve de ce qu'ils se disent tous les jours à eux-mêmes : que les parens sont... (car il faut bien trancher le mot), que les parens sont des ganaches.
Il ne faut point aller chercher d'excuses à cet égard dans l'exemple de l'ancien théâtre rempli de Gérontes, d'Argantes, d'Harpagons, d'Orgons crédules et stupides, dupés par des valets corrompus ou des fils désobéissans. D'abord tous les gens de lettres, tous les moralistes se sont réunis pour reconnaître et blâmer les inconvéniens de ces peintures, et il est remarquable que, depuis long-temps, la scène française a abandonné cette routine fausse et dangereuse, tradition des Grecs et des Latins (peuples à esclaves et à courtisanes), pour montrer sous un aspect plus équitable et plus vrai les leçons et les liens de famille de la société moderne.
Mais, ici, ce n'est même pas un jeune homme de vingtcinq ans, en opposition d'intérêts et de sentimens avec son père et pouvant discuter le sort de sa vie ; c'est un bambin , mauvais sujet et aimable, qui rétablit, dans la maison paternelle, l'ordre et la tranquillité, troublés par l'injustice, l'entêtement et la bêtise de son oncle.
Dans les vieilles comédies l'imbécilité des pères n'est presque toujours qu'un moyen : le fond de la pièce et la vivacité de l'intrigue détournent l'attention, et souvent aussi des réflexions contradictoires rétabliss<HU
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l'équilibre en faveur des par en s. Ici, c'est nonseulemen la sottise, l'obstination , l'iniquité de M. de Wolmar mais encore la droiture , la raison et le bon sens d'A. dolphe qui sont le fondement de l'ouvrage. Il n'a pa: d'autre développement, il n'a pas d'autre but que 1; supériorité de l'enfance sur rAge mûr. Quelques éloge donnés à la douceur, à la bonté habituelle de M. dl Wolmar ne suffisent pas pour réhabiliter l'autorité et 1: dignité du chef de famille. C'est l'inexpérience et 1; puissance des pères travesties et sacrifiées à la prétendui sagesse de l'enfance.
Ces réflexions sont si vraies, le but caché de la pièc< est si grave, que le sort de la première representatioi de la Coutume allemande s'en est ressenti. Quoiqu l'ouvrage soit spirituellement écrit, le sérieux a gagné le spectateurs. L'instinct du public a senti les conséquence d'un pareil tableau, et il n'a pas eu le succès auquel littérairement, il pouvait prétendre. C'est qu'en effet sous des apparences légères et frivoles, le résultat es tout-à-fait dangereux pour la société.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
PREMIÈRE REPRÉSENTATION DU SIÈGE DE CORINTHE,
OPÉRA EN TROIS ACTES.
1 o octobre.
Depuis quelques années les pièces des auteurs fran çais avaient servi aux compositeurs étrangers qui
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plus satisfaits des situations dramatiques de notre théâtre que de celles que leur fournissaient leurs propres auteurs, avaient chargé leurs faiseurs de libretti d'arranger nos poëmes les plus fameux pour la scène italienne. Rossini, Garcia, Fioraventi, Mayer-Beer, Winter, Weber ont usé de ce moyen et s'en sont bien trouvés, surtout lorsque leurs compositions ont été exécutées à Paris. J'ai déjà remarqué qu'outre le prodigieux talent de Rossini, ce moyen dont il a fait particulièrement usage, n'a pas peu contribué sans doute à faciliter chez nous le succès de ses chefs-d'œuvre ; et il faudrait, pour compléter les preuves de la justesse de cette observation, ajouter cette remarque : que ceux de ses ouvrages qui ont été moins bien accueillis ou qui ont eu le plus de peine à s'établir dans notre admiration , sont positivement ceux dont les poëmes n'étaient pas d'origine française, Elisabetta, iv OM, etc., etc. -, c'est qu'en effet, quel que soit notre goût pour la musique italienne, les canevas purement ultramontains, sur lesquels elle s'exerçait jadis, étaient tellement stupides ou ridicules que le plaisir de la mélodie en était distrait, ébranlé et quelquefois même dégoûté. Mais le Barbier de Séville, Tancrède, Cendrillon, les Comédiens ambulant, le Calife de Bagdad, etc. etc., tout mutilés qu'ils aient été pour la commodité des inspirations au compositeur, en nous offrant des situations déjà connues de nous et des intrigues faciles à suivre, révoltaient moins notre raison et notre goût. Le plaisir était ainsi à peu près complet, et c'est ce qu'il faut en France, où nous tenons peu compte d'un certain nombre d'agrémens dans un ouvrage si nous n'y trouvons pas réunis tous ceux que cet ouvrage comporte.
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L'Académie royale de Musique vient d'emprunter cette méthode aux. Italiens. L'exemple de l'Odéon l'a entrainée, et c'est presque un poëme italien que nous avons vu représenter hier au théâtre de la rue Lepcllctier. L'Opéra voulait avoir un ouvrage français de Rossini. Divers poëmes lui avaient été présentés et n'avaient point été accueillis par le compositeur. Il a préféré travailler de nouveau sur un sujet qu'il avait déjà traite en Italie, et il a été convenu que Maomello, retouché par un poète français, serait refait aussi en partie pour la musique. Le nom et le génie de Rossini ont déterminé M. Soumet à se charger de ce travail \ mais il a été obligé de conserver une partie du poème italien, surtout dans la marche de l'action et dans les caractères.
II parait que, originairement, c'est la tragédie de M. Baour Lormian (Mahomet II ) qui a servi de texte au soi-disant poète italien, lequel a livré sa mutilation à Rossini; mais encore une fois, telle quelle, il a bien fallu en faire usage -, de sorte que le premier acte et demi ne sont l'ouvrage de M. Soumet que dans le récitatif. On reconnaît facilement dans cette partie du poème la manière italienne. Au lieu de conserver à Mahomet le caractère et la couleur d'un conquérant, assez féroce même jusque dans sa tendresse, on l'a fait platement ou niaisement amoureux d'une Pamyra, iille de Cléomènes , jeune Grecque qu'il a aimée à Athènes sous le nom d'Almanzor et à une époque où il parcourait la Grèce sous ce déguisement. On aurait pu, pour sauver la sotte inconvenance d'un Mahomet doucereux , lui supposer un fils amoureux et amant de Pamyra -, mais le système musical italien n'admet, pour la scène, de personnages que ceux dont la voix est
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nécessaire 311 complément de l'harmonie. Il se soucie peu même de conserver par la gravité des tons et des intonations, le caractère conventionnel des personnages et le rapport qui, pour nous , semble devoir exister entre leurs chants et leur situation. C'est ainsi que dans 11ancredi, le rôle du vieux Argyre est confié à un ténore ; dans Mahomet , le musicien n'avait besoin que d'un ténore, et comme il le trouvait dang un certain Néoclès, jeune Grec épris de Pamyra, les convenances dramatiques ont dù être sacrifices aux exigences musicales.
Mais, heureusement pour l'auteur français, il a pu s'abandonner à lui-même dans la dernière moitié du poëme, et il a eu un succès inoui dans les fastes de t'Opéra. On a applaudi à diverses reprises plusieurs passages d'une beauté de poésie lyrique remarquable. Il faut aussi rendre justice au compositeur qui a su approprier les accens les plus justes à cette déclamation élevée. Toute la cinquième scène du troisième acte, où Cléomèncs accable de reproches sa fille Pamyra qui revient du camp des Musulmans, est admirable, paroles et musique, et a produit le plus grand effet. La bénédiction des drapeaux grecs, la prière qui suit cette cérémonie, l'incendie et le sac de Corinlhe qui terminent la pièce, pendant que d'un autre coté Pamyra se poignarde, ont enlevé tous les suffrages. Ces effets sont neufs à l'Opéra 5 et une autre nouveauté, qui n'a pas moins agréablement surpris les spectateurs, c'est d'entendre chanter. Tous les airs de Cléomènes (Nourrit père,) Néoclès (À. Nourrit), Pamyra (mademoiselle Cinti), et Mahomet (Dérivis), sont d'uae belle ex-
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pression et bien détachés, sans ritournelles prolongées; des morceaux d'ensemble et le récitatif, ont prouvé que l'ancien système de l'opéra français était aussi peu fondé dans ses motifs qu'il était monotone et assommant dans ses résultats. Les acteurs ont fort bien secondé les auteurs, et on a pu juger que les voix des deux Nourrit avaient, lorsqu'elles étaient bien employées , presque autant de douceur et d'expression que celles des chanteurs de la salle Favart.
Les décorations sont d'un beau style, et l'aspect de l'incendie est d'un grand effet. Les costumes sont d'une vérité et d'une richesse parfaites. Les divertissemens sont mal amenés et ont été dessinés plus mal encore par M. Gardel. Il ne se peut rien de plus usé et de plus pauvre. L'âge a éteint toute imagination chez ce vétéran des chorégraphes. Il est dans le temps de ses homélies, sauf la comparaison, et sa retraite serait une chose désirable *, mais on ne touche pas facilement à un danseur émérite. On met bien sans façon, un conseiller d'état ou un lieutenant-général hors de l'activité pour raison d'âge ou d'affaiblissement de facultés ; mais un maître de ballets ! et à l'Académie royale de Musique ! peste ! c'est une puissance, et il faudrait y regarder à cent fois avant de faire entendre à ce Nestor de l'escarpin , à ce patriarche des entrechats que, depuis dix ans au moins, il n'est plus bon à rien. Les danses mal réglées ont été mal exécutées, et les airs mêmes en sont mauvais ; c'est la partie reprochable de' la musique ; elle est faible dans cet endroit, et on aurait pu trouver l'occasion d'une musique locale dans un pas de caractère qu'il eût fallu placer dans le divertissement du deuxième acte, Janis-
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saires, Africains, etc., etc., quelque chose de prononcé, qui rappelât les localités, comme dans les Mystères (Phis, le pas des Momies ; dans Sémirami, et Iphigénie en Tauride, le pas des Scythes; dans le ballet de Paul et Virginie, le pas des nègres-, mais le compositeur n'y a pas songé, et le maitre des ballets ne l'a pas demandé dans la crainte peut-être de succomber sous le poids.
Les auteurs ont été appelés à grands cris. On a annoncé que les auteurs des paroles désiraient garder l'anonyme. C'est une pitié que d'appeler auteur M. Balocchi, poète suivant la troupe italienne, bon arrangeur de lihretti, mais qui ne peut prétendre à un autre titre pour avoir parodié dans cette occasion quelques airs de l'opéra original : mais M. Soumet se verra toutefois privé de la moitié des bénéfices, puisque Rossini a exigé que son faiseur entrât en partage du produit des droits d'auteur. Le public a pendant long-temps exigé que Rossini comparût en personne pour recevoir les applaudissemens qu'il avait si grandement mérités. Il avait quitté le théâtre.
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TlIÉA TRE DE MADAME.
PREMIÈRE REPRESENTATION DU MARIAGE DE RAISON, COMÉDIE-VAUDEVILLE EN DEUX ACTES, DE MIU. SCRIBE ET VARNER.
Il octobre.
Tout le public savait, avant le lever du rideau , que le Mariage de Raison était de M. Scribe. La célébrité, et l'on peut dire même la popularité de cet ingénieux auteur est complète maintenant, et ses nombreux amis proclament toujours long-temps d'avance l'agrément et le succès des ouvrages qu'il compose, bien sûrs de n'être pas démentis par l'événement. On pourrait rappeler à son occasion et sans arrière-pensée épigrammatique, ce trait si connu :
On récite déjà les vers qu'il fait encore.
Mais quand bien même le nom de l'auteur du Mariage de Raison n'eût point été prématurément révélé , il aurait été impossible de ne point reconnaître, dans cet ouvrage, la touche spirituelle et exercée de M. Scribe. On ne peut manier avec plus de talent et de bonheur un sujet d'une apparence pâle et commune, en tirer plus d'effets piquans et neufs, et en même temps une meilleure leçon dont il a trouvé la première idée dans le joli roman de Caroline de Lichljield , mais qu'il a supérieurement moralisée et dramatisée, pour parler comme les Anglais.
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Edouard, lieutenant à dix-huit ans et fils d'un général fort riche , aime Suzette , jeune orpheline, élevée par feu madame de Brémont, mère d'Edouard. Suzette , qui servait de femme de chambre à sa bienfaitrice, est restée, après la mort de celle-ci, dans la maison du général. Suzette aime Edouard avec la même passion. Celui-ci a presque autant envie de la séduire -que de l'épouser $ mais quand il voit que son père, qui a découvert celte inclination, veut l'éloigner de Suzette, Edouard s'emporte et jure de n'avoir qu'elle pour épouse ou de se tuer si M. de Brémont s'oppose à cet hymen. Le général, qui a passé par l'épreuve des grandes passions de ce genre, n'est point intimidé des menaces de son fils. Pour couper court à tout danger, il détermine Suzette à contracter un mariage déraison. En effet, il la fiance sur-le-champ à un ancien soldat de son régiment qui, depuis deux ans , aime Suzatte sans avoir osé le lui dire ; Bertrand est brave et bon, mais plus âgé que Suzette, d'une écorce assez rude et ayant une jambe de bois dont la présence, d'ailleurs, est glorieuse pour lui : il a été estropié de cette façon en sauvant les jours d'Edouard menacés par un duelliste. Ce service est resté ignoré d'Edouard et de son père. Le premier acte se termine par les fiançailles, et l'on peut se figurer la position des personnages. Edouard se désespère en voyant que Suzette est perdue pour lui, quoiqu'il se promette bien de ne pas laisser consommer le mariage. Suzette est encore plus affligée que son amant, puisqu'au chagrin d'être séparée de lui se joint encore le regret d'épouser un homme qu'elle n'aime pac. Bertrand, seul, qui ne se doute de rien , est joyeux du consentement de Suzette, tout en pensant bien que ce
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n'est pas par amour qu'elle s'est décidée à lui donner sa main. Mais il sait qu'elle est vertueuse, et il lui sait gré d'avoir choisi un homme sûr comme lui, plutôt que d'avoir écouté les propos de tous les jeunes gens qui lui font la cour, et d'avoir cédé aux sentimens de coquetterie et de vanité naturels et ordinaires chez les filles de son âge.
C'est ici qu'il faut s'arrêter un moment pour bien juger de l'effet de l'ouvrage et du talent de l'auteur. Dans la morale du théâtre, un père est ridicule quand il contrarie les passions de son fils, et qu'il s'oppose à son bonheur. Il finit toujours par céder. De plus, rien ne choque davantage les idées reçues et les habitudes du théâtre qu'un mariage contracté non seulement sans amour réciproque, mais surtout lorsque la mariée éprouve un tendre sentiment pour un autre que son futur. Cette première donnée est fréquente et commune sur notre scène. Des sentimens contrariés ont toujours une issue malheureuse. Il faut, de nécessité, que les jeunes gens s'aiment et se marient malgré les obstacles et les parens , et en dépit de toutes les conséquences de ces unions d'amour dont le spectateur ne sait jamais le résultat bien triste souvent dans la réalité. C'est dans cette dernière situation que se trouve toute la pièce développée dans le second acte $ car, avant la fin de l'ouvrage, et par une suite de moyens naturels, gracieux et touchans, Suzette reconnaît qu'elle est trop heureuse d'avoir fait un mariage déraison -, elle aime Bertrand, et la pièce est conduite avec tant d'art qu'on partage la vive amitié qu'elle ressent pour cet excellent homme. On est convaincu que ce sont les convenances et les qualités personnelles qui font le bonheur de l'hy-
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men, et non ces velléités passagères d'un amour irréfléchi et disproportionné. La noble fermeté du père est parfaitement justifiée. On voit l'autorité paternelle sous le plus heureux aspect, et de pareils ouvrages répandent dans le public des idées saines et favorables à l'ordre social. La seconde partie de la leçon n'est pas moins bonne. Elle se trouve dans la bouche de M. de Brémont qui fait sentir à Suzette tous les dangers d'un mariage inconvenant, puisque la fortune et l'éducation ne viennent pas effacer la différence des rangs. « Une pareille « union, lui dit-il, est impossible... Il est des conve« nances qu'il faut respecter, et la société se venge elle« même, par le dédain, de ceux qui osent les braver. » Le succès n'a pas été un instant douteux. Le premier acte a paru un peu vide, un peu froid, un peu long, et M. Scribe ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Il a porté, dans cette occasion, la peine de ses fautes passées. Jusqu'ici il a brusqué, dans ses ouvrages, toutes les situations, il a croqué tous les caractères, et il a accoutumé le public à cette manière rapide et heurtée. Il avait besoin aujourd'hui de beaucoup de temps pour asseoir et dessiner les positions et les personnages, afin de ne point choquer le spectateur par le renversement trop brusque des habitudes théâtrales, et il a paru languissant. Il est à désirer toutefois qu'il s'en tienne à cette dernière méthode. L'art et sa réputation auprès des gens de goût y gagneront. Le Mariage de Raison est une des plus jolies comédies de la scène française.
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PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS.
L'ARGENT , OU LES MOEURS DU SIÈCLE , COMÉDIE EN Ct\Q
ACTES ET EN VERS, DE M. BONJOUR.
13 octobre.
L'entreprise que M. Casimir Bonjour vient de tenter était presque au-dessus des forces humaines. En effet, j il ne s'agissait pas seulement de peindre la manie des spéculations , les fureurs de l'agiotage ou les embarras j des liquidations financières à la fin du mois, toutes \ choses qui ressortissent à la cupidité naturelle à l'homme et qui appartiennent à la comédie par les circonstances qui permettent de représenter cette passion sous les trails modernes. En intitulant son ouvrage f Argent, M. C.Bon- j jour s'engageait dans la peinture de la cupidité absolue, passion, vice, ridicule éternels , immuables, universels. Les sujets généraux de comédies et le talent qu'il faut pour les traiter sont si rares que, parmi nous, Molière j est le seul qui ait eu le bonheur d'en trouver un dans le j Mitanthrope et le génie suffisant pour ne manquer aucun des traits qui surabondent dans un sujet de ce genre. Certes, la passion de l'argent n'appartient pas plus à un temps qu'à un autre, à cette classe ci qu'à celle-là •, il n'est pas de philosophe, de moraliste de quelque époque, de quelque nature que ce soit, qui n'ait parlé de l'amour de l'or, qui n'ait montré Pavaricc ou la cupiditédans tous ses replis , dans toute sa laideur.
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dans tous ses dangers. La peinture ne l a pas oublié, et le génie de Girodet, en peignant une scène de lu conflagration de l'univers, a montré que la cupidité était un sentiment aussi instinctif et aussi vif au cœur de l'homme que celui de sa propre conservation. Personne, en effet, ne nie et ne conteste la puissance de l'argent, et le désir extrême des hommes, ou du moins de presque tous les hommes d'en posséder, d'en posséder encore. C'est une chose tellement avouée, tellement reconnue , tellement certaine, qu'il est non seulement inu!i!c, mais encore qu'il est niais et ridicule d'en parler. Le mouvement des sociétés n'est à proprement parler qu'un combat d'argent. L'argent est au fond de toutes choses, et tout le monde est si parfaitement d'accord sur ce point, que les termes manquent même pour exprimer la généralité vague d'un pareil thème.
Mais il est bon d'ailleurs de s'expliquer et de ne pas faire l'humanité plus honteuse encore qu'elle ne l'est. Pourquoi le désir de l'argent est-il général parmi les hommes en société ? C'est que l'argent est un indispensable besoin, et que nul ne saurait s'en passer. Il est juste, il est raisonnable de souhaiter d'en avoir. On peut même avouer hautement le désir d'en posséder beaucoup. Le mal n'est pas dans le sentiment qui porte les hommes à gagner de l'argent et à le conserver le plus qu'ils peuvent -, il est dans la manière de l'acquérir ou dans l'usage qu'on en fait, et cette manière et cet usage ne peuvent pas même être considérés et jugés d'une façon absolue. Ils sont relatifs aux positions sociales. Un banquier gagne avec facilité 500,000 fr. par an et en dépense heureusement 300,000 sans en être plus coupable et sans avoir employé des moyens plus bU-
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mables que le malheureux ouvrier qui remue la truelle et le marteau pour 5 fr. par jour. N'est-il pas de la plus simple prévoyance de mettre ce qu'on appelle de Vargent de côté pour ses vieux jours? Il faut donc avoir de bonne heure le désir d'en gagner. Pauvreté n'est pas vice, mais elle n'est pas vertu , a dit la sagesse des nations. J'en appelle à l'auteur lui-même. M. C. Bonjour n'a pas composé son ouvrage pour le seul plaisir ou pour la gloire de faire une comédie. Il a songé assurément au produit qu'il en retirerait. Il a pensé d'avance, et, comptant sur le succès, aux moyens d'augmenter les recettes et à l'emploi qu'il ferait de son argent. Est-ce là une idée blâmable? Sont-ce là des pensées coupables ou cupides ? Le désir ou plutôt le besoin d'argent est donc une chose naturelle, juste et raisonnable. On ne saurait blâmer ce sentiment général et indispensable qui est fort distinct de la cupidité. En l'attaquant, on blesse le droit sens et la vérité -, ou si l'auteur comique prétend qu'il n'a voulu peindre que l'avarice, la soif insatiable de l'or, il tombe dans la vulgarité, et, dès lors même, il ne doit plus intituler son tableau Forgent. Il y avait donc comme une impuissance forcée de traiter ce sujet ou de justifier le titre de l'ouvrage. Cette impuissance ne tenait pas seulement au talent de l'auteur -, elle se trouvait encore dans le faux, dans le vague du sujet -, elle se trouvait même, sous un. j autre rapport, dans les dispositions intimes des spectateurs qui savaient, tout aussi bien au moins que l'auteur, ce qu'il avait à leur dire sur une pareille matière.
A ces difficultés fondamentales, inhérentes à l'entreprise , se joignaient quelques circonstances particulières qui en repdaient encore le succès plus douteux. L'ob-
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servation de la cupidité humaine est une chose trop banale sans doute. Il est pourtant possible de la rajeunir en saisissant avec vérité les traits sous lesquels elle se manifeste dans la société actuelle et en développant, sur ce sujet, une intrigue attachante avec des moyens neufs, et des pensées rendues piquantes par la forme. Mais malheureusement pour M. Casimir Bonjour , les conditions dont je viens de parler ont été remplies soit dans le Spéculateur, soit dans F Agiotage, soit enfin dans les vaudevilles de Vingt-cinq pour Cent et de la Fin du moiç. En admettant donc que la manie de briller, le goût du luxe, l'entraînement dans des dépenses et des entreprises folles, en d'autres termes, que l'amour de l'argent ou la cupidité aient été plus prononcés à notre époque que dans tout. autre temps, les ouvrages que je viens de citer , et qui tendent tous à montrer l'agitation de la société et le danger des fortunes rapidement élevées par les spéculations de tout genre , ces ouvrages, dis-je, ont, et au - delà, suffi pour satisfaire aux exigences de la comédie et pour combler la curiosité du public. M. Casimir Bonjour arrivait donc avec cet "énorme désavantage. d'avoir été devancé dans la carrière \ non pas que sa comédie ait été composée postérieurement aux ouvrages de ses heureux rivaux. Il parait même certain que si le Spéculateur est d'une date antérieure à l'Argent, VArgent, dont M. C. Bonjour avait fait, depuis près de deux ans, quelques lectures dans le monde, a été conçu et exécuté bien avant l'Agiotage. Cela soit dit sans porter atteinte à la probité littéraire de M. Picard qui d'ailleurs a reçu le sujet et l'ébauche de cette comédie , refusée par le comité, des mains de M. Empis , et qui, du reste,
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demeure entièrement absous de tout reproche par la supériorité et la beauté de ce dernier ouvrage (1).
Mais, tout en regrettant, dans l'intérêt de M. C. Bonjour, que le sujet qu'il avait voulu traiter ait été défloré par ses devanciers, l'apparition tardive de la pièce n'est pas la seule cause du malheur qu'elle a éprouvé hier.
Eût-elle été représentée six mois avant les ouvrages de ses rivaux, il aurait été, je crois, impossible qu'elle obtînt un autre sort que celui qu'elle vient de subir. On aurait toujours été frappé non seulement de la prétention exagérée, fausse et commune de la conception,
(J) L'anecdote suivante ne laisse, d'ailleurs, plus de place à au,cune supposition sur ce sujet. Elle est authentique, et a été racontée par un des personnages qui y a pris part. — 5L C. Bonjour vint un matin chez M. C , de l'Académie française, le prier d'entendre sa comédie de VArgent, et de lui donner quelques conseils sur cet ouvrage. Avec sa bonne grâce accoutumée, M. C accéda snr-le champ à cette prière, et même il proposa à M. Bonjour l'adjonction de Picard et d'Andrieux à ce bénévole comité de lecture. L'auteur de l'Argent accepta cette proposition avec reconnaissance, assuré de trouver auprès de tels hommes les observations les plus judicieuses et les plus désintéressées. Le jour pris, la lecture a lieu, et ne produit qu'un triste effet sur l'auditoire. Les réflexions et les conseils ne sont pas épargnés à M. Bonjour, et enfin , dans sa fécondité et son élan ordinaires, Picard, en blâmant une des scènes qu'il venait d'entendre, en improvise une autre, en quelque façon, et propose à M. Bonjoul" de la substituer à celle-là. L'auteur de l'Argent refuse et défend sa propre scène rtvecténacité. Picard insiste, et est encore repoussé : — « Vous 1Pt1 voulez donc pas de cette seine ? dit-il à M. C. Bonjour. — Non. — Absolument ? — Absolument. — Eh bien ! je la garde pour moi, dit Picard, et feu ferai bon usage. » L'événement justifia le double prosu'F.tic de Picard ~ et est-ce là de la mauvaise foi et du plagiat ?
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mais encore de la nullité des moyens et des pensées dont il a fait usage. Il règne dans toute sa pièce une telle stérilité d'idées neuves , une telle sécheresse d'expressions, et en même temps une telle abondance de lieux communs, vulgairement exprimés, que l'ennui ne pouvait manquer de saisir le spectateur. L'auteur, avec une singulière confiance, fait usage des maximes et des traits qu'on trouve dans tous les recueils, dans tous les ouvrages de morale, dans tous les romans de toutes les langues, depuis le Pub/ius Syrus jusqu'à Horace, depuis la Civilité puérile et honnête jusqu'aux caractères de Labruyère, depuis les naïvetés de DucrayDuménil, jusqu'à Gilblas et Tom Jones. J'ai déjà eu l'occasion de le dire pour les Deux Cousines èt le 1Jfari à bonnes Fortunes, M. C. Bonjour ne met sur la scène que le roman du monde. On dirait qu'il ne connaît pas la société au milieu de laquelle il vit et qu'il semble n'avoir jamais aperçue que de travers, semblable à ces artistes auxquels la nature a refusé la faculté d'attraper la ressemblance de leurs modèles ou de composer des couleurs vraies et durables. Il ne manque pourtant pas de ce talent propre à disposer un grand ouvrage, à aligner des vers, à couper un dialogue qui a l'apparence du naturel, et à aiguiser quelques traits qui semblent piquans et comiques. Ces traits sont des piéges tendus au spectateur. On se laisse prendre à une pensée qui a l'air d'être ingénieuse , mais qui n'est là que pour couvrir une situation fausse ou une observation de caractère sans vérité. Débités avec vivacité par un acteur habile, ces traits, qu'on applaudit à mesure qu'ils passent, font avancer la pièce sans que le public ait pu remarquer l'artifice de l'auteur.
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M. Dalincourt, banquier opulent et rompu aux affaires, destine sa fille Jenny à un courtier sans titre qui lui promet de lui procurer la préférence d'un emprunt étranger, et il ne sait même pas que ce misérable Cholait est déshonoré par plusieurs faillites, par des spéculations honteuses, et qu'enfin , au moment de l'action , il est ruiné et poursuivi par des créanciers !
Lancé dans le grand monde et devant conserver le ton et les manières du monde, comment M. Dalincourt peut-il, avec une brutalité sans excuse, refuser la main de sa fille à M. de Blainville, gentilhomme pauvre qui la lui demande pour son fils Jules, commis chez M. Dalincourt? et comment l'auteur, qui veut rendre ce refus comique par un trait de caractère financier, fait-il dire à ce banquier, qu'il représente comme un homme bien élevé : — « J'ai marié ma fille à la dernière bourse ? »
Assurément M. Bonjour n'a jamais vu de près MM. Lafitte, C. Perrier, Lapanouze, Malet, Jauge , Ternaux, etc., etc., sur lesquels on pourrait croire qu'il a dû modeler son Dalincourt; le ton, les manières, le langage de ces aristocrates de la banque et de l'industrie ne ressemblent en rien à cela.
Où l'auteur a-t-il vu qu'un spéculateur pût faire paraître un journal dans le courant de la journée afin de répandre à la bourse une nouvelle favorable à ses calculs? Y a - t - il à Paris des journaux qui se publient à une pareille heure ? M. Bonjour sait bien que cela ne se peut pas ; mais il sacrifie la vérité de détails au désir de faire un trait sur la manœuvre de l'agiotage.
Connaît-il également beaucoup de poètes modernes qui vendent leurs plumes aussi bassement que M. Tour-
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nefort et qui fassent des épithalames pour un jour de noces? Un épithalame , bon Dieu ! il y a cinquante ans qu'on ne sait plus ce que c'est !
L'auteur est-il encore si peu instruit des formes de la procédure qu'il croie qu'on puisse dans le même jour faire protester une traite et obtenir du tribunal de commerce un jugement qui entraîne la contrainte par corps, exécutoire au même instant, et qu'un jeune homme sans nom et sans fortune connus, comme Jules de Blainville, puisse servir de caution ?
Puisque M. C. Bonjour voulait montrer la fureur de l'argent jusque dans un domestique qui met à la loterie et qui veut assister au tirage, n'aurait-il pas dû s'informer de l'heure à laquelle ce tirage a lieu, et qui n'est pas celle où s'ouvre la bourse ?
Où a-t-il jamais vu des ambassadeurs parler et agir comme M. de Neubourg? Enfin, comment a-t-il pu exposer sur la scène avec si peu de façon et de ménagement , des personnages de la classe supérieure qui découvrent, les uns devant les autres, et avec une rudesse d'expressions dont rien n'approche, la turpitude de leurs sentimens , la violence et la bassesse de leur. cupidité ? Madame Dalincourt, qui pousse sa belle-fille Jenny à prendre le parti de la retraite, pour augmenter les avantages de son propre fils, et cela, sans utilité pour cet enfant, puisque ses perfides conseils sont donnés au moment où elle vient d'apprendre la ruine complète de son mari ; c'est de la dureté de cœur sotte et en pure perte; madame Dalincourt, encore, qui, pendant que son époux est en prison, ne songe qu'à ses propres intérêts et à sauver sa dot compromise par un maudit contrat de mariage mal rédigé? M. de Blain-
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ville , qui reconnaît d'abord qu'il s'humilie en sollicitant , quand il est pauvre, l'alliance de son fils avec mademoiselle Dalinconrt ; qui, ensuite , lorsqu'il vient d'hériter d'une grande fortune et qu'il a appris la ruine de M. Dalincourt ne veut plus que son fils songe à cette union qu'il regarde comme une honteuse mésalliance, et, enfin, qui revient solliciter ce mariage lorsqu'il sait que M. Dalincourt est sorti de Sainte-Pélagie et qu'il conserve délinitivement son opulence ?
Il est incroyable et fâcheux que l'auteur, à travers toutes ces créatures d'agiot, n'ait pas eu la pensée de placer un seul être possédant ou cherchant un peu de fortune et sachant en faire un bon et sage emploi. On ne voit, dans cet ouvrage, que des gens brutalement cupides. Si le monde était ainsi, il ne serait pas possible de vivre en société. Heureusement les hommes, ceux mêmes qui aiment le plus l'argent, mettent un peu plus de façons pour s'en procurer, que n'a l'air de le croire M. C. Bonjour. Son tableau est effrayant sans être instructif. La société qu'il a peinte est un vrai coupe-gorge. Personne n'y prend la peine de dissimuler ga fureur, ou de masquer, sous quelques dehors d'honnêteté, la violence de sa cupidité. C'est peut-être le seul ouvrage ayant titre de comédie où il ne se trouve pas un seul caractère faisant opposition avec les autres. Les hommes et les femmes y sont coulés dans le même moule, comme des lingots. Ce n'est, à vrai dire, qu'un libelle en cinq actes contre les mines d'or et d'argent. Les seuls personnages qui reposent un peu la vue, dans cette noire composition, sont les deux jeunes gens, Jules et Jenny. Mais l'auteur n'a pas même voulu laisser croire qu'ils pussent conserver, dans un âge plus
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avancé, quelques sentimens de générosité et de désintéressement -, car M. Dalincourt, qui termine la pièce en les unissant, s'écrie, en voyant leur candide bonheur :
Ce spectacle me plaît; il est touchant et doux.
Mais hélas! dans dix ans vaudront-ils mieux que nous ?
Il serait superflu de s'étendre davantage sur cette comédie, et je ne me sens pas le courage de louer, comme il conviendrait, une partie du premier acte et une scène bien posée et bien dialoguée au quatrième acte ; tout le reste est affligeant pour le talent et la réputation de l'auteur. Selon toute probabilité , sa comédie ne paraîtra pas long-temps sur l'affiche.
Il n'est pas inutile de prendre note ici d'une innovation théâtrale qui signalera, dans les fastes de la scène > le passage de cette dernière comédie de M. Bonjour. Les confidens de la tragédie, plus, les valets spirituels et les soubrettes ingénieuses sont définitivement expulsés du théâtre moderne. Il fallait en chasser aussi un des moyens matériels les plus ridicules depuis que les usages de la vie intérieure ont changé : je veux parler de ces coups de sonnette expéditifs qui font veuir les gens de service sur la scène. Au lieu des antiques sonnettes à la main , qui ont figuré jusqu'ici, dans toutes, les pièces, sur des bureaux à tapis vert, on a vu , dans F Argent, une sonnette à cordon, ainsi que cela est pratiqué , au-dessus des cheminées, dans tous les appartemens -, et M. Dalinconrt l'a tirée pour appeler à lui un de ses gens. Ceci restera comme un progrès de mise en scène.
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THÉÂTRE ROYAL DE L'OPÉRA-COMIQUE.
LES CRÉOLES , DRAME LYRIQUE EN TROIS ACTES., PA-
ROLES DE M. DELACOUR, MUSIQUE DE M. BERTON.
15 octobre.
L'union de Valcour et de Laure, créoles de Madagascar, a été long-temps retardée par la mort de la mèr( de celle-ci, qui a péri à la suite des troubles suscités pai l'esclave Pyracmond, lequel voulait chasser les blanc! de la colonie et obtenir la main de Laure. Au momen où les deux amans vont marcher à l'autel, on apprent que Pyracmond est descendu des montagnes à la tct< des Arabes ; il ravage et incendie toutes les habitations Guidé par son amour, il arrive sur le domaine de Laur< et se dispose à l'enlever ; mais Valcour, revenu du chef lieu de la colonie, et secondé par ses amis, protège 1« fuite de sa maitresse. Il tombe au pouvoir de Pyrac mond, qui poursuit Laure jusqu'à un bâtiment français armé en corsaire, qui s'est réfugié dans ces parages, e que commande le capitaine Gulistan. Celui-ci ne veu point consentir à abandonner Laure. Il essaie de ré veiller quelques sentimens d'honneur dans l'âme de Py racmond qui, en effet, touché des larmes de sa victime rend la liberté à Valcour. Les deux amans s'embarquen sur-le-champ, à bord du corsaire, et retournent ci
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France, tandis que Pyracmond, se repentant presque de sa générosité, reste sur le rivage en proie à l'abattement et au désespoir.
Il y a dans cet ouvrage quelque chose de plus mauvais que le poëme, c'est la musique. Elle pouvait procurer un grand succès à la pièce qui, quoique dénuée d'intérêt, était remplie de situations musicales. Mais le génie de M. Berton s'est peu à peu affaibli : il ne fait plus que ressasser et répéter ses anciennes inspirations. La partition des Créoles justifie le mot plaisant que D chanteur de l'Opéra, disait à l'occasion du deuxième acte de l'opéra de Pliaramond, de la musique duquel M. Berton était chargé. Comme on montait cet ouvrage avec précipitation, quelqu'un témoignait la crainte que M. Berton n'eût pas le temps de faire sa tâche. « Rassurez-vous, dit D il y a vingt ans que sa musique est prête. » A l'exception des couplets à boire, chantés et fort bien chantés, même par Tilly, qui remplit le rôle du matelot Dolban, ami de Valcour, et qui sont empreints de verve et d'originalité , le reste de la partition des Créoles est sans charme et sans couleur. La pièce finit par un chœur de : Fiaie le roi ! qu'on n'a point entendu, parce que les sifflets qui avaient déjà éclaté pendant le cours de l'ouvrage sont devenus si bruyans à la fin, que ce n'est pas sans peine que les noms des auteurs ont été proclamés.
Le théâtre comptait sur un grand succès. Le moyen, en effet, de n'y pas croire, pour le Directeur qui est du bon temps de M. Berton et de M. Gavaudan qui jouait le rôle de Pyracmond ! Ils avaient du talent autrefois, et pour leurs contemporains ils doivent en avoir toujours. Mais M. Berton n'est plus l'auteur de Montano
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Aline, et M. Gavaudan chante à peu près aussi bien que mademoiselle Minette du Vaudeville ! Les amis des uns et des autres étaient tellement assurés d'un triomphe, qu'une souscription avait été ouverte et remplie dès la veille pour un souper, une sérénade et une ovation. Ces cérémonies sont redevenues à la mode depuis qu'elles ont eu si légitimement lieu à l'occasion de la Dame blanche ; on les a renouvelées pour le Siège de Corinthe. On les avait préparées pour les Créoles qui ne devaient pas obtenir un moindre succès. 0 vanitas vanitatum ! Il aura fallu que le directeur, le compositeur, le premier acteur et les souscripteurs relisent la fable de l'Ours et les Chasseurs.
PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS.
ROSEMONDE, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES, DE M. i.-.IILE
BONNEC.YIOSE.
29 octobre.
La tradition anglaise rapporte sur le sort de la belle Rosemonde les choses les plus touchantes et les plus tragiques. C'était, dit-on, pour la soustraire aux regards et aux effets de la jalousie d 'Eléonore d'Aqui- taine, que Henri II avait fait bâtir, près d'Oxford, les souterrains et le labyrinthe de Woodstock que Walter Scott a choisi pour le théâtre de son dernier roman , le Cavalier. Toutes les précautions du royal amant ne purent dérober Rosemonde à la fureur de son épouse,
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et les troubles intérieurs de l'Angleterre à cette époque ( douzième siècle) durent en partie leur naissance, assure-t-on , à la sanglante jalousie d'Eléonore.
Il était dans la destinée de cette princesse dissolue d'être abandonnée par ses époux. Remariée à Henri H. six semaines après son divorce avec Louis-le-Jeune, elle fut délaissée par celui-ci dont elle exigeait une tendresse et des soins qu'elle n'aurait pas dû attendre de la différence d'âge qui existait entre eux ; et c'est pour venger le dédain de ses attraits surannés qu'elle tua Rosemonde, plutôt peut-être que par un excès d'amour pour Henri. Walter Scott a aussi traité cette situation de vieille femme outragée, de jeune époux infidèle et de maîtresse cachée -, mais il l'a mise , dans le Château de Kenilworih, sous le nom de la reine Elisabeth , du comte de Leycester, qu'elle allait épouser, et d'Amy Robsart dont celui-ci avait fait sa femme. On a arrangé ( MM. Scribe et G. Delavigne ) un opéra comique sur cette dernière invention, c'est toujours le même fond sous d'autres noms -, et ce fond est loin d'être nouveau , car c'est celui de la fable de Médée et Jason, qu'on a présenté aussi en drame à l'Odéon, avec le titre de l Ecole des Veuves 3 c'est-à-dire des vieilles femmes qui aiment ou qui épousent des hommes plus jeunes qu'elles, et la moralité de tous les ouvrages qu'on a faits et qu'on fera sans doute encore sur le même sujet, retournés de cent façons , est ce vieux refrain d'un opéra comique :
Il faut des époux assortis
Pans les liens du mariage ;
Violas ft-i»L)ies , jeunes maris,
Feront toujours mauvais ménage.
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Après ce préambule, il est facile de faire l'analyse de la tragédie de Rosemonde, et pour y parvenir, il ne serait même pas nécessaire d'avoir assisté à la représentation.
L'auteur, en développant sa fable, n'a ajouté aux personnages indispensables que le père de Rosemonde, le vieux Clifford, guerrier vénérable et ami du roi qui ignore, bien entendu, l'intrigue de sa fille avec Henri qu'elle ne connaît elle-même que sous le nom d'Eydan. Les événemens de la pièce la conduisent à apprendre le vrai nom et le rang de son amant qu'elle veut fuir, encouragée par les conseils de son père qui la menace de sa malédiction si elle persiste dans ses sentimens pour l'époux d'Eléonore. Celle-ci, dans une entrevue qu'elle a par surprise avec Rosemonde, se laisse d'abord toucher par l'innocence et la candeur de sa rivale ; mais bientôt elle a lieu de soupçonner que l'éloignement promis par Rosemonde n'est qu'une trahison, et elle la cherche dans tous les bosquets de Woodstock pour s'en délivrer. Henri, de son côté, est à la recherche de sa maîtresse. Il craint qu'elle ne lui soit enlevée par Clifford. 11 rencontre ce vieillard dans le parc, et sans le reconnaître, trompé par l'obscurité de la nuit, il le tue pendant qu'Eléonore, qui entend Henri appeler Rosemonde , n'est plus maîtresse de sa rage, et poignarde la fille de Clifford. Cette catastrophe sanglante est de la pure invention de l'auteur. Elle a été fort applaudie. La scène qui suit ce coup double, entre la reine et le roi, où ils se font mutuellement confidence du meurtre qu'ils viennent de commettre, a produit de l'effet, et les derniers soupirs de Clifford, qui vient expirer aux
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pieds de Rosemonde étendue sur un banc, ont décidé le succès de l'ouvrage.
Que peut-on dire de cette pièce? Rien, sinon que c'est une tragédie, c'est-à-dire une œuvre de théâtre préparée dans les formes convenues , et qui ne prouve ni le talent, ni l'esprit, ni le génie de son auteur -, car on peut être réellement un sot et faire une tragédie qui réussisse. Mille exemples viennent l'attester. Il n'y a pas de siècle depuis le commencement de notre littérature , qui n'ait vu trente jeunes gens armés d'une tragédie dont on faisait grand bruit à son apparition, et qui ne soient ensuite retombés dans une obscurité égale à leur médiocrité. Je ne veux pas par-là tirer l'horoscope de M. Emile Bonnechose -, mais il serait plus imprudent encore de lui prédire un autre avenir sur le succès de Rosemonde. La pièce n'est pas absolument mal conduite, quoiqu'on y remarque beaucoup d'inexpérience \ elle offre un. intérêt assez doux, et elle est écrite avec clarté et d'un style qui, quoique dépourvu d'éclat, de force et même de couleur, ne manque pas d'une certaine élégance. L'auteur a été porté par son sujet :
Des peines de l'amour la touchante peinture
Est, pour aller au coeur, la route la plus sure.
Il y a long-temps qu'on ne donne plus au théâtre que des tragédies, dites politiques ou admiratives. L'amour et la jalousie ont trouvé des spectateurs neufs, et cette disposition n'a pas été inutile à M. Bonnechose.
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SPECTACLES GRATIS.
PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
j
UNE AVENTURE DE CHARLES V, OU LA ROSIÈRE PAR
ORDONNANCE , COMÉDIE EN UN ACTE ET EN VERS.
6 novembre.
Charles V qui, tous les ans, le jour de sa fête, visite un village des environs de Paris, arrive incognito, dans un hameau où il est attendu, mais où personne ne le connaît. Il est accompagné de son trésorier, et tous les deux se donnent pour des troubadours. On se trouve là dans un grand embarras pour choisir la rosière qui doit être couronnée par le roi. Ce n'est pas que les filles manquent -, mais leur sagesse n'est rien moins que sûre. Une ordonnance de sa majesté a fixé à vingt ans l'âge qu'il faut avoir pour obtenir la rose. La vertu a trop long-temps à attendre pour rester inébranlable jusque-là. Le roi seul, bien entendu, peut changer les conditions de son ordonnance. Celle des jeunes filles qui mériterait le mieux le prix de la vertu est Rose, la filleule de M. Bertandin, notaire, bailli et cuisinier de l'endroit qui, après avoir interrogé les deux prétendus troubadours, a renvoyé le trésorier comme suspect, et a gardé le roi dont la physionomie lui convient. C'est à peu de chose près la situation du second ac:c de Jo-
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conde. Mais Rose n'a que dix-huit ans, et ne peut légalement être rosière. Aux bienfaits que le soi-disant Trouvère répand dans le village, elle devine le roi ; et , sous prétexte de lui faire mettre son nom, selon l'usage, sur le grand livre des voyageurs, elle lui fait signer une ordonnance qui change l'âge des prétendantes au prix de vertu , et qui, pour cette fois, l'adjuge & office à la filleule du bailli. Grande surprise de toutes les autres filles que Bertaudin, pour être sûr de leur vertu, au moins pendant la journée , avait renfermées dans une serre, laquelle a été envahie par des pages honnêtes de. la suite du roi. Charles reconnu est célébré par tous les paysans et surtout par une vieille Marguerite qui, lors des troubles civils, avait envoyé son fiis Charlot dans l'armée du roi. Sa majesté qui l'apprend au commencement de la pièce, accorde le congé de ce jeune homme, et le fait revenir sur-le-champ auprès de sa mère.
Ce petit acte, écrit en vers assez faciles, est l'ouvrage de M. Lafitte , l'un des derniers acteurs de la ComédieFrançaise. Toutes les bonnes intentions de sa pièce ont été reçues avec faveur. Le vaudeville qui la termine, et pendant lequel tous les comédiens ont paru sur le théâtre, a été vivement applaudi ; on a fait répéter le couplet chanté par mademoiselle Mars qui a joué, sans s'in(Iuiéler du qu'en dira-t-on, le rôle d'une jeune fille de dix-huit ans. Assurément elle n'en paraissait pas quarante-huit.
Par le plus singulier choix du monde, on avait donné, pour amuser les spectateurs gratis, la tragédie de Gaston et Bayard, vieille et ennuyeuse, tandis que, selon la règle, il aurait fallu jouer Rosemonde, qui est le dernier ouvrage nouveau, et qui a eu du succès. Mais
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puisqu'on sortait de l'usage , au moins aurait-il fallu composer un spectacle un peu plus amusant ou varié.
L'Ecole de Rome était la pièce de circonstance le jour de la Saint-Charles au théâtre de l'Odéon. C'est du quintuple effort de MM. Rochefort, Lassagne, Fulpian pour les paroles, Panser on et Rolle pour la musique, qu'est sorti cet ouvrage le plus faible peut-être de tous ceux qui ont été représentés ce jour-là. Sifflé à la première représentation, il l'a été davantage à celle du lendemain dimanche par des spectateurs payans qui ont été charmés de l'occasion qu'on leur présentait de manifester leurs sentimens malveillans.
La même chose est arrivée au Vaudeville pour le Bourgeois d'Essonne que l'on doit à MM. Rochefort, Lassagne et Rousseau. Les spectateurs gratis n'avaient pas voulu laisser répéter les couplets en l'honneur du roi $ le public du lendemain a presque empêché la pièce d'être achevée.
Au Gymnase, la Fée du Voisinage, de MM. Théaulon, Courcy et Rousseau, a été reçue froidement le premier jour, mais sans murmure. A la seconde représentation , non seulement elle a été sifflée, mais la toile a été baissée avant la fin de l'ouvrage.
Sera-ce la dernière fois que le nom du roi sera exposé à de pareils outrages? Les pièces de circonstances , pour la fête du roi, ne peuvent pas être bonnes. Elles le seraient, qu'il y aurait encore du ridicule à les jouer deux fois et même une seule. C'est un usage né de la révolution , continué sous l'empire et qui
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ne devrait point se prolonger sous la Restauration. A la rigueur, on peut concevoir des pièces de circonstances dans des cas donnés : la paix, le couronnement, le baptême, le mariage d'un prince. Mais la fête du roi n'est point un événement fortuit, inaccoutumé. C'est le retour périodique de la même circonstance, et par conséquent ce n'est plus une circonstance. Il est impossible que les auteurs, et ce sont presque toujours les mêmes, fassent tous les ans à cette occasion des ouvrages qui aient le sens commun.
Quand donc les amis des Bourbons seront-ils débarrassés de ce triste spectacle ?
THÉATRE DU VAUDEVILLE.
LE SIÉGE DE L'OPÉRA, OU LES DILLETTANTI EN DÉROUTE, OEUVRE LYRIQUE EN CINQ PARTIES, A L'OCCASION DU SIÉGE DE CORINTIIF, , PAR MM. THÉAULON, ANNE ET BONNELIER.
7 novembre.
Le baron de Rémival et ses amis, ardens amateurs des compositions ultramontaines, ont juré d'assister à la première représentation du Siége de Corinthe, quoiqu'ils n'aient pu obtenir de billets d'avance. La foule énorme qui obstrue les avenues de l'Opéra, les fait recourir à divers moyens pour pénétrer dans la salle qu'ils finissent par assiéger et dont ils sont repoussés.
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Le seul baron de Rémival arrive dans une loge qu'il a reçue d'une main inconnue. Tout en proie au plaisir qu'il se promet, il entend pourtant dans une loge à côté de la sienne, la voix de sa femme qui semble dire les choses les plus tendres à M. Prosper, jeune homme que le baron a fait élever, et auquel il a donné une éducation musicale qui a fort mal tourné pour son propre goût, car M. Prosper n'aime que la musique française. Le baron, partagé entre la jalousie et le désir d'entendre le nouvel ouvrage de son héros, n'est pas plutôt sorti de la loge qu'il unit M. Prosper à sa filleule Hortense, afin d'éloigner ce jeune homme de madame do Rémival. C'est tout ce que souhaitaient ces trois personnages qui n'ont envoyé une loge au baron que pour jouer cette scène, et le dégoûter d'un certain Bolafi, dilettante gastronome, auquel, le baron avait promis la main de sa filleule, rien qu'à cause de son enthousiasme pour la musique italienne.
Il y a, comme on peut bien le présumer, une foule d'autres personnages épisodiques dont il est inutile de parler, tant ils tiennent peu au fond du sujet. Ce sujet amenait naturellement des allusions en faveur des Grecs; elles ont été fort modérément applaudies.
Cet ouvrage, dans son intention, est une longue personnalité contre Rossini. C'est une pièce bizarre dans sa coupe, semblable à celle du Bénéficiaire. Le dilettantisme , la folie des partisans de Rossini, le goût de la musique italienne y sont attaqués avec une vivacité aigre-douce que le jeu de l'acteur Lepeintre a su rendre quelquefois plaisante. Ce n'est point une parodie \ c'est vraiment, comme le porte le titre, un. ouvrage à I'OCCÎK
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sion du Siège de Corinthe, et cet ouvrage n'est qu'une critique quelquefois amère de l'Opéra-Buffa et de la vogue qu'ont obtenues depuis plusieurs années les partitions étrangères. Le ridicule qu'on a voulu essayer de jeter sur Rossini, ne retombera guère que sur les auteurs de cette froide plaisanterie qui a obtenu un succès non contesté, grâce surtout à la décoration du quatrième acte qui représente deux loges grillées à l'Opéra, à travers lesquelles on voit quelques scènes du Siége de Corinthe. Cette décoration et la situation du dilettante jaloux sont d'un effet piquant. Mais en somme la réputation et le talent de Rossini ne peuvent souffrir des atteintes et des traits exagérés de MM. Théaulon, Théodore Anne et Gondelier. Il faut convenir, en effet, qu'il a un peu plus de génie que l'un de ces messieurs, imprimeur en taille douce, passage du Caire , à Paris.
PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
LE JEUNE MARI, COMÉDIE EN TROIS ACTES ET EN P4()SFW ,
DE M. DEMAZÈRES.
25 novembre.
L' Ecole des Vieillards , de M. Casimir Delavigne , avait montré les inconvétoiens et même les dangers de l'union d'un homme âgé et d'une jeune femme. Le Jeune Mari est la contre-partie de 1'Ecole des Vieillards. Le sujet de cet ouvrage est le même que celui
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de l'Ecole des Veuves , drame en trois actes et en ver! qui a été joué dernièrement à l'Odéon. Le but mor des deux pièces est absolument semblable. Il consiste faire voir toutes les tribulations d'un mariage dispr< portionné, sous le rapport de l'âge. C'est une nouvel paraphrase du refrain de l'opéra comique : Il faut d Epoux assortis. Mais les moyens employés par les dei auteurs sont fort différens. L'un, dans son drame, s', attaché à montrer les dangers de ces unions désasso ties; l'autre, le ridicule d'un hymen dépareillé. Le pi mier a pris ce que le sujet offrait de sentimental -, second, plus fidèle aux grands principes de l'art, traité la partie comique. Ils arrivent au même résuli par des routes diverses.
L'auteur de T Ecole des Veuves semble avoir reci devant le comique de la situation. Il paraît avoir cra de scandaliser les spectateurs par le tableau de l'amou de la jalousie et des exigences-d'une femme plus âg que son mari. Aussi n'a-t-il pas montré madame Beauval sous les traits d'une tout-à-fait vieille femn
Il l'a fait voir entre deux âges, tendre encore et po vant presque l'être sans trop de ridicule -, souffrant, sa se plaindre, les déportemens du mari qu'elle a fait faute de choisir, et intéressant par son malheur et sa i signation. Les larmes ont répondu à l'appel que M. Gi tave Pillet avait fait à la sensibilité des spectateurs, son ouvrage, exécuté à la manière de Lachaussée paru attendrissant et instructif.
Le nouvel auteur n'est pas moins moraliste , mais l'est tout autrement. Il n'y a pas la plus petite occasion s attendrir dans sa comédie. Une femme âgée et am(
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reuse lui a semblé ridicule, et il l'a montrée telle au public avec une franchise parfaite.
Madame Duperrier, créole dé cinquante à cinquantecinq an#, plus ou moins, veuve d'un vieux président, vient de se marier au jeune Oscar de Beaufort, âgé de vingt-cinq ans, militaire renvoyé de son régiment pour cause de conduite dissipée. Oscar n'avait rien que des dettes, et il a épousé cette douairière afin d'avoir cent mille livres de rentes. Il ne jouit pas cependant de la fortune , attendu que sa prudente épouse a établi une non communauté de biens qui semble laisser Oscar dans la dépendance absolue de sa femme. Elle a payé ses dettes, sauf une seule qu'il n'a pas osé lui avouer à raison du créancier.... ou plutôt de la créancière ; car la lettre de change qui reste encore à acquitter a été souscrite, dans le temps, au profit d'une danseuse de l'Opéra, laquelle , faute de paiement, a fait ses diligences et est sur le point de faire mettre son ancien amant à SaintePélagie. Oscar épie une occasion favorable pour obtenir encore ce dernier sacrifice de la tendresse intéressée de sa femme. En attendant, il loge dans un bel hôtel ; il mange à une bonne table; il est bien vêtu, bien chauffé et il a une pension. Madame de Beaufort l'emmène dans sa voiture lorsqu'elle va rendre des visites ; mais il reste à la porte avec les chevaux et attend patiemment le retour de sa vieille Hébé. Il a bien un cabriolet; mais il ne peut s'en servir sans la permission de la dame qui, jalouse à l'excès, ne lui laisse voir aucun de ses amis et parler à aucune femme. Il fait les commissions et est à la sonnette de madame comme un domestique. Il s'arrange de cette position à cause des avantages qu'elle lui procure. Il n'en sent même plus le ridicule et l'o-
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dieux, tant la frivolité de son esprit, le vide de son cœur et la dissipation de sa jeunesse ont étouffé chez lui les sentimens de l'honneur et de la dignité.
La jalousie de madame de Beaufort trouve à s'exercer dans sa propre maison. Elle y loge Clara , sa nièce , dont elle prend soin , et madame Delby, sa cousine, jeune veuve d'un préfet et qui vient chercher à Paris un autre mari, c'est-à-dire une autre préfecture -, car elle tient à exercer l'autorité administrative. On conçoit que madame de Beaufort redoute les comparaisons journalières que son Oscar peut faire entre la beauté passée de sa femme et la jeunesse et la fraîcheur de ses parentes. Aussi a-t-elle résolu de marier Clara avec
M. Duperrier , son ex-beau frère, receveur général, riche et vieux, et d'éloigner madame Delby le plus promptement possible. Un procès encore en litige entre les trois parens amène une transaction dont le résultat est le mariage arrêté de M. Duperrier et de Clara : mariage qui fera la contre-partie de celui de madame de Beaufort et d'Oscar.
Mais madame Delby a l'intention de contrarier ce projet , parce qu'elle veut servir l'amour et les desseins de Surville, lieutenant-colonel, ancien camarade d'Oscar, épris et aimé de Clara dont la main lui avait été promise par la mère de celle-ci. Un incident vient à leur secours. Oscar qui, malgré ses cajoleries et ses éclats , n'a pu accrocher de sa cupide moitié de quoi payer le montant de la prise de corps qui le menace , est arrêté et conduit à Sainte-Pélagie. La tendre Beaufort s'alarme et toute sa passion se rallume. Elle a recours à l'amitié et à l'expérience de Surville pour l'aider à retirer son Oscar de prison. Surville profite habilement des en-
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(revues qu'il a avec elle pour la déterminer à lui donner Clara et à faire épouser madame Delby à M. Duperrier. L'âge et les intérêts se trouvent mieux assortis, et madame de Beaufort se débarrassera ainsi et sur-le-champ de deux jolies personnes dont elle redoute la présence. Ce projet se réalise, et la vieille femme, pour jouir seule et tranquille de son jeune mari, l'entraîne dans un château situé loin de Paris, où Oscar se promet de faire du bien aux paysans et surtout aux paysannes.
C'est dans les détails que se trouvent les traits caractéristiques du ridicule et de la situation ; car il n'y a que deux scènes où la position de cette vieille folle soit mise dans tout son jour. C'est celle d'abord où Oscar cherche à obtenir de son Herminie l'argent nécessaire pour payer la lettre de change -, et ensuite , celle où , revenu de Sainte-Pélagie, un peu ivre du vin de Champagne que lui ont fait boire ses compagnons de captivité pour célébrer sa bien-venue, Oscar ressent quelques vélléités de révolte contre la tendresse tyrannique de sa femme, et, instruit par un avocat, commensal de Sainte-Pélagie, parle un peu haut des droits du mari, consacrés par l'article 1358 du Code civil.
Il y a sans doute quelque chose d'ignoble dans le tableau d'un homme qui a soumis, vendu même sa jeunesse et sa liberté aux caprices libertins d'une vieille femme, qui fait, en quelque sorte, les honneurs de l'abjection où il se trouve, et dans le tableau des humiliations de tout genre que le force de subir l'avilissement où il est tombé. On éprouve bien aussi une espèce de répugnance à voir une femme sacrifier tous les sentimens de décence et de pudeur indispensables à son âge et à son sexe, et s'unir à un jeune homme dans l in-
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tention non déguisée de se procurer des plaisirs auxquels elle ne devrait plus songer. Il y en a bien quelques-unes de ce genre, et :
Il en est plus de trois que je pourrais citer.
Il existe même encore des jeunes gens assez vils poui trafiquer de leur jeunesse. On pourrait les nommer al besoin. Mais il faut convenir pourtant que ces union; dégoûtantes sont moins communes de nos jours qu'elle! ne l'étaient, à ce qu'il paraît, du temps de madame Patin. Sous la Régence, sous Louis XV, quelques pièces et le Chevalier à la mode , entre autres, font foi qui les jeunes gens aimables et dépravés prélevaient sur d, vieilles coquettes de quoi satisfaire à leur goût de lux et de débauche -, qu'ils mettaient leurs faveurs à l'en chère, et qu'il y avait des femmes, excusées par l'exempl et l'usage, qui ne rougissaient pas 'd'acheter des caresse qui prolongeaient encore pour elles les illusions de l'a mour et de la jeunesse. Les mémoires du temps or même conservé les sobriquets honteux que l'on ava donnés à ces messieurs, et ces titres paraissent juste ment acquis à leur libertinage spéculatif. Mais aujoui d'hui ce ne sont plus là les mœurs générales, ce sont 1( exceptions de la société. Du reste, elles ne sont pas sai danger, et si la pièce nouvelle peut arrêter quelques unes de ces unions si sales, l'auteur aura bien méril des amis de la morale publique. Son ouvrage compl( tera , avec l'Ecole des Vieillards qui parait l'avoir il spiré, et l'Ecole des Veuves, de M. Pillet, la leçc qu'il n'est pas inutile de donner, par le théâtre, au gens âgés qui sortent des soins qui doivent seuls occi per leur vieillesse, aux jeunes gens qui seraient tent
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de se déshonorer comme Oscar, et aux femmes de tout âge que la coquetterie et le libertinage entrainent à de pareilles folies.
L'ouvrage de M. Mazères est neuf, hardi, vrai, pris dans les mœurs modernes. C'est de la comédie où un sujet fort sérieux et qui touche à la tranquillité de la société , dans ses habitudes morales, est traité avec une gaieté franche et vive. La pièce est amusante d'un bout à l'autre. Le public a eu le bon esprit de ne pas s'effaroucher de la crudité du tableau, de ne pas se cabrer contre des situations neuves et hardies. Il a bien fait.
La mesure a été conservée par l'auteur avec un soin extrême. Il s'est toujours arrêté là où les bienséances auraient pu être choquées ; et les spectateurs ont pu rire en toute sûreté de conscience et de goût.
Tout le monde a fait son devoir. Les acteurs ont bien joué, gaiement et naturellement. Michelot, un peu troublé au début de l'ouvrage, a manqué une partie des effets qu'il produira dans les représentations suivantes ; mais tous les éloges, sans restriction, doivent être réservés pour madame Desmousseaux qui a joué, avec une rare perfection, le rôle de la vieille femme. La pièce a obtenu le succès le plus complet et le mieux mérité.
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SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
REPRÉSENTATION EXTRAORDINAIRE AU BÉNÉFICE DE LA
FAMILLE WÉBER.
26 novembre.
Wéber était un des compositeurs modernes les plus célèbres de l'Allemagne. Il est mort à Londres, il y a peu de temps. Il a laissé une veuve et des enfans dans une situation de fortune peu brillante. Les secours de l'administration, les bienfaits du public ne sauraient donc être mieux placés que sur la famille malheureuse d'un homme de génie. Wéber méritait cette qualification. Les qualités de son talent pouvaient être mieux appréciées par ses compatriotes que par nous, du moins en ce qui touche ses compositions dramatiques où, quoi qu'en disent les partisans exclusifs d'une mélodie absolue , la suavité des chants ne peut être complètement goûtée qu'à l'aide de paroles ; où l'expression ne peut être bien sentie que par le même moyen. Or, la traduction affaiblit où dénature le sens et l'effet des situations, et, par un entraînement inévitable, la vérité de l'expression musicale ne peut plus être suffisamment jugée. Ce que les amateurs français ont pu distinguer surtout dans les compositions de W éber; c'est leur originalité. Il n'est jamais commun ; il est quelquefois bizarre et bruyant \ mais il est plus souvent encore pittoresque et hardi. Ses motifs sont neufs -, il ne se traîne dans au-
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<une routine. Ce qui a établi sa réputation en France, c'est le fameux Robin des Bois : aussi dans la représentation qu'on a donnée, le 25 de ce mois, à l'Odéon, au bénéfice de la famille Wéber, ce singulier ouvrage tenait-il la première place. Pour piquer davantage encore la curiosité du public, insatiable d'entendre cette partition pour la cent soixante-septième fois, madame Schutz, de l'Opéra-Buffa, jouait, ou plutôt chantait, le rôle d'Anna. Elle s'en est fort bien acquittée.
La nouveauté de la soirée était encore un ouvrage de Wéber ; car on peut appeler nouveau l'opéra des Bohémiens, quoiqu'il ait déjà paru au même théâtre sous le titre de Preciosa. Il n'avait eu alors aucun succès ; le poëme était d'une extrême platitude -, la musique ne fut pas goûtée. W éber, dit-on, fut fort sensible à cet échec : Preciosa était son ouvrage de prédilection. Cette préférence d'un auteur n'est pas toujours une bonne recommandation de son ouvrage. Notre Corneille avait quelque tendresse pour Pcrtharite. On a donc cherché à réhabiliter Preciosa sur la foi de Wéber. La seconde épreuve n'a pas été plus heureuse. Les Bohémiens n'ont pas eu de succès , et Augustina a échoué comme Preciosa. Il faut convenir aussi que le poëme rajeuni ne vaut guère mieux que l'ancien.
Cet ouvrage est d'une parfaite nullité. Il s'était soutenu à la première représentation. Il a été assez vivement sifflé à la seconde , malgré la musique où il n'y a d'agréable, pour tout dire, que les choeurs , une romance , des couplets et un trio ; le reste est sans expression , du moins relativement aux paroles de la traduction.
Le bénélice de la famille Wéber s'était élevé à
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9,000 francs ; celui que le directeur de l'Odéon peut attendre de la suite des représentations des Bohémiens ne sera sans doute pas aussi considérable.
PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
MARCEL, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES, PAR Il. DE ROU-
GEMONT.
29 novembre.
La révolte du peuple de Paris, sous le déplorable règne du roi Jean, et le dénoûment de cette révolte sont des faits bien connus. Voici comment la concision chronologique du président Hénault les rapporte : — « 13il7 « et 1538.- Le roi de Navarre (Charles-le-Mauvais) con« eut le projet de se faire roi de France. Il arma contre « le dauphin qui gouvernait, en qualité de régent, pen« dant la détention de son père. Les paysans se sou« levèrent contre la noblesse. Les Parisiens, ayant « Etienne Marcel (prévôt des marchands) à leur tête , « se révoltèrent contre le dauphin. Marcel massacra Rote bert de Clermont et Jean de Conflans en présence et « dans la chambre même du dauphin, et donna à ce « prince son chaperon pour sauve-garde. Le dauphin se « retira de Paris. Le roi de Navarre y commit toutes sortes « d'excès, et en fut chassé à son tour. Marcel, dans la « crainte d'être puni de tous ses crimes par le régent, « y mit le comble en voulant livrer la ville aux Anglais ; « mais, comme il s'avançait vers la porte Saint-Antoine,
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« le premier août, vers minuit, Jean Maillard , fidèle « et courageux citoyen , assomma ce traître d'un coup « de hache. Sa mort fit cesser la rebellion, le dauphin « rentra dans Paris le 4. »
Tous ces événemens se retrouvent assez bien dans la tragédie nouvelle, et l'abrégé historique que je viens de citer offre l'analyse fidèle du drame nouveau. Le roi de Navarre ne paraît pas ; il est représenté par un envoyé qui traite avec Marcel. Il faut ajouter aux personnages déjà nommés ceux d'Olivier, fils de Maillard, attaché au parti du dauphin , et de Marie, fille de Marcel , qui doivent être unis et qui ne le sont pas parce que Olivier est tué en voulant sauver les jours de Marcel. Ces deux jeunes gens, leur amour et leur catastrophe ne sont pas de l'invention de M. de Rougemont. On les trouve dans Maillard ou Paris sauvé, tragédie en prose de Sedainc, sur le même sujet et à l'occasion de laquelle Voltaire écrivait : « C'est l'ahomi. nation de la désolation dans le temple de Melpomène. » M. de Rougemont a pris aussi dans le même ouvrage deux scènes qu'il a placées dans le quatrième acte de sa tragédie -, l'une, celle où le prévôt des marchands, pour détourner les soupçons de Maillard, qui le surveille et le trouve entouré de conjurés, lui montre Olivier dont la présence semble garantir l'innocence de leur réunion ; l'autre, celle où Marie , afin d'arrêter les projets de son père, offre de se remettre entre les mains des amis du régent, comme ôtage et comme gage de la fidélité de Marcel.
M. de Rougemont s'est également servi de la belle scène de la Jeanne d'Arc de M. Soumet, où la Pucelle,
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à force de raisonnemens et d'instances, change les sentimens du duc de Bourgogne et les tourne tous en faveur du roi. De même, Maillard, en raisonnant et en pressant les conjures, en l'absence de Marcel, les ramène à des opinions favorables au dauphin, et les félicite de ce retour par le mot de Jeanne au duc de Bourgogne : Ah! VOltS êtes Français ! Du reste , la longueur de cette scène, encombrée de noms et de détails historiques, a fait un mauvais effet. Elle est spécialement destinée à faire ressortir les droits et les bienfaits de la légitimité. On a sifflé dans cet endroit, et l'aigreur d'un ou deux sifflets indiquait plutôt la malveillance politique que le goût des siffleurs offensé par la dimension et la prolixité de cette scène. C'est le seul passage d'ailleurs qui ait excité quelque trouble dans la représentation dont le résultat, en définitive, a été favorable à l'auteur ; son nom a été demandé et proclamé sans mélange de murmures improbateurs.
Mais ce qui appartient entièrement à M. de Rougemont , ce qui donne à son ouvrage une physionomie neuve et particulière , ce qui rendait scabreux et délicat l'effet de la représentation, ce sont la couleur et les sentimens du rôle de Marcel. C'est un révolutionnaire complet. Il excite les passions populaires de toutes les façons, avec toutes les formes. Il méprise les rois, il combat leur pouvoir ; il parle de leur tyrannie, de leurs impôts ; il traite la légitimité de billevesée 3 il insulte à la noblesse ; il veut la liberté pour le peuple ; encore un peu, il réclamerait la liberté illimitée des cultes et de la presse. On croirait, en l'écoutant, entendro déclamer des articles du Constitutionnel. L'auteur n'a point hésité
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à cet égard, et il a bienfait. Il fallait présenter hardiment un conspirateur populaire avec toutes les doctrines de la révolution. Il ne l'a pas manqué; et, comme Marcel, en même temps qu'il tonne contre les abus de pouvoir et qu'il fait valoir les droits du peuple, ne songe évidemment qu'à satisfaire sa haine contre toute supériorité, sa cupidité et son ambition, le danger de ses discours est sans cesse neutralisé par sa conduite , et son hypocrisie révolutionnaire ne produit qu'une bonne impression.
Littérairement parlant, la pièce est faible, sans intérêt autre que celui qui se rattache aux applications. Elle est spirituelle, hardie et habilement disposée ; mais je ne crois pas que, sans événement extérieur, elle puisse avoir un long succès : elle est trop mal jouée. Le ' rôle du dauphin cependant, qui se borne au troisième acte, est assez bien débité, par un jeune acteur nommé Delaistre. Il a failli toutefois compromettre la pièce par son costume -, son chaperon noir, terminé par une écharpe de même couleur, ont donné, à sa brusque entrée sur la scène, toute la tournure de l'apparition du Monstre.
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THEATRE ROYAL DE L'OPÉRA-COMIQUE.
FIORELLA , OU LA COURTISANE AMOUREUSE , DRAME LYRIQUE EN TROIS ACTES , PAROLES DE M. SCRIBE , MUSIQUE DE M. AUDEn.
i" décembre.
Camille, jeune et jolie paysanne des environs de Naples, avait donné son cœur au capitaine Rodolphe. Français que la guerre avait amené en Italie. Mais Rodolphe , après avoir été presque mortellement blessé dans un combat, était resté prisonnier pendant plusieurs années. Camille et son père , vieux et infirme, avaient été pillés et ruinés ; ils expiraient de misère, lorsque le duc de Farnèse se présenta pour leur offrir des secours qui devaient être le prix de la vertu de Camille. Celleci , noble et vertueuse, les avait refusés, et le duc alors lui avait proposé sa main. Camille croyant à la mort de Rodolphe accepta cet hymen -, mais à peine fut-il contracté que le duc de Farnèse lui déclara que son union avait été simulée et qu'elle n'était pas réellement sa femme. Camille est restée pourtant dans cette position illégitime , et le duc de Farnèse, en mourant peu de temps après, lui a légué tous ses biens. Elle est revenue à Rome sous le nom de Fiorella : ses talens, sa beauté , ses richesses lui ont donné une grande célébrité. Tous les jeunes seigneurs lui font la cour, et parmi eux se distingue le comte de Sorrente , le plus jaloux des Napolitains.
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C'est ici que l'action commence. Rodolphe, qui s'est sauvé des prisons de Naples, arrive à Rome dans un dénûment absolu. Il a été à portée jadis de rendre service au comte de Sorrente. Il vient réclamer auprès de lui les moyens de repasser en France ; et, comme le comte est toujours chez Fiorella, c'est dans la maison de cette courtisane que Rodolphe vient chercher son ami. Les deux amans se reconnaissent ; Rodolphe, furieux de la dégradation de son ancienne maîtresse, qu'il aime toujours , et qui ignore que les mœurs de Camille sont toujours restées pures, accable Fiorella de reproches publics et s'éloigne sur-le-champ de Rome. Le comte de Sorrente , jaloux et inquiet, le suit, et ils arrivent tous deux à l'hospice de San-Lorenzo. On leur donne l'hospitalité , assurée à tous les voyageurs par les fondateurs de la maison. Le comte, à cause de sa qualité, obtient la faveur d'une chambre à part. Il s'y retire après que Rodolphe, toujours indigné de l'inconduite où il suppose que sa maîtresse est tombée, lui a promis de ne plus revoir Fiorella. Celle-ci arrive aussi à l'hospice déguisée en pélerine. Comme toute la maison est occupée , elle est forcée de rester dans le parloir où se trouve également Rodolphe. Il est, malgré lui, obligé d'entendre la justification de Camille. Il l'aime toujours, il lui pardonne ; mais ses principes sur l'honneur ne lui permettent pas de songer à épouser une femme dont la réputation n'est pas intacte. Il persiste à s'éloigner d'elle. Le comte de Sorrente qui découvre Fiorella sous les vêtemens d'une pélerine , reproche à Rodolphe d'avoir manqué à la promesse qu'il lui avait faite de ne plus revoir Fiorella. Ils vont se battre. Rodolphe désarme le comte. Fiorella veut se retirer du
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monde et donne tous ses biens à Sorrente en exigeant de lui qu'il fasse enfin ce qu'elle lui demande depuis long-temps, c'est d'épouser une jeune et belle personne à laquelle ses parens veulent l'unir. Rodolphe , tourmenté par son amour, revient proposer à Fiorella de l'accompagner dans l'exil où il se propose de vivre. Ils changeront de noms tous les deux. Les choses en sont là lorsqu'un lazarone, qu'on a vu quelquefois dans le courant de la pièce, remet des papiers dont il est resté dépositaire et qui constatent que, malgré la perfide intention du duc de Farnèse, son mariage avec Camille a été légitime. Celle-ci est donc bien duchesse de Farnèse et rien ne s'oppose plus à ce qu elle épouse Rodolphe.
Cet ouvrage dont le sujet est piquant, qui est assez brillant de détails dans les deux premiers actes, mais dont l'intrigue est compliquée et obscure et dont la musique est faible > a été sifflé à la première représentation , quoiqu'il soit, ou peut - être parce qu'il est de M. Scribe. On dirait que le public se fatigue des succès réitérés de cet auteur, comme ce paysan d'Athènes qui votait l'ostracisme d'Aristide parce qu'il s'ennuyait de l'entendre appeler le Juste. Le poëme de Fiorella est plus piquant que celui de la Dame Blanche -, mais la musique lui est inférieure à tous égards, et le troisième acte est détestable.
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SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
THOMAS MORUS, OU LE DIVORCE DE HENRI VIII, m\-
GEDIE EN CINQ ACTES , DE M. DRAPARNAUD.
io décembre.
Les deux titres de cet ouvrage sont inexacts. Il semblerait , d'après le second, que le Barbe-bleue britannique n'a divorcé qu'une fois. Cependant, non content de la rupture de son premier hymen avec Catherine d'Arragon, veuve fiancée de son frère Arthur, il a aussi rompu les liens de son quatrième mariage ; et les nœuds qu'il avait contractés avec Anne de Clèves, qu'il appelait sa grosse cavale flamande, ne furent pas plus respectés que ceux de la tante de Charles-Quint.
A la vérité, le divorce d'Henri VIII avec celle-ci, est bien autrement célèbre, puisque c'est à cette occasion et sur les difficultés que le Pape faisait de le prononcer, que le Néron anglais abandonna l'église catholique et qu'il se déclara le chef suprême de l'église anglicane. Ce goût de supériorité dans les matières de foi coûta plus tard la vie au chancelier Thomas More. Resté fidèle à la religion de ses pères, il refusa de prêter le serment de suprématie* que le roi exigeait de tous ses sujets alors qu'il refusait lui-même de reconnaître l'infaillibilité et les décisions du saint-siége.
Quoi qu'il en soit, c'est du divorce de Catherine d'Arragon qu'il s'agit dans la pièce nouvelle, et c'est ce qui
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fait l'inexactitude du premier titre de l'ouvrage , puisqu'il n'y a eu aucune connexité historique entre cet événement et la mort de Thomas Morus. Celui de tous les conseillers d'Henri VIII qui eut le plus de part au divorce tyrannique du roi, fut le célèbre cardinal Wolsey, dont le caractère a été si merveilleusement peint par Shakespeare dans la tragédie d'Henri VIII. L'auteur moderne a bien senti qu'il ne pouvait faire paraître un personnage ecclésiastique sur la scène, comme l'avaient fait et le poète Anglais et, sur notre théâtre, Chénier, qui, en 1791, avait mis l'archevêque de Cantorbery Crammer en opposition avec Henri VIII et Anne de Boulen.
Le nouvel auteur n'a pas cru qu'à l'imitation de Shakespeare, il pouvait concentrer toute l'action de sa pièce dans le seul fait du divorce. Il l'a compliquée de la mort de Thomas Morus, qu'il présente comme favorable aux droits de Catherine d'Arragon et les soutenant de toute l'influence qu'il exerce sur les magistrats et sur l'esprit public, en sa qualité de chancelier. Il a lié ainsi deux événemens bien distincts et séparés même par un intervalle de plusieurs années. Cette combinaison l'obligeait alors à parler du refus de Thomas More de reconnaître la suprématie religieuse du roi et de soutenir ses doctrines en faveur de la supériorité romaine dans les matières de foi ; mais il a bien senti encore que la délicatesse de cette partie du sujet ne lui permettait pas de le traiter convenablement. Dans la tragédie de M. Draparnaud, c'est pour ces deux faits, mais ce n'est pas exclusivement pour ce refus que Thomas Morus périt sur un échafaud. Il est condamné par le roi, parce qu'il soutient la légitimité du mariage
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de Catherine, et que son exemple entraîne la résistance des magistrats, une révolte du peuple et une conspiration des Espagnols attachés à la reine. La partie religieuse du rôle du chancelier n'est qu'un aperçu sans déclamation et sans controverse de part et d'autre.
C'est pour surcroît de ressorts et d'intérêt que l'auteur a imaginé cette conspiration ourdie en faveur de la reine et du chancelier par l'Espagnol Arriégo, gouverneur de la tour, espèce de fanatique qui se croit inspiré par le ciel, et qui veut assassiner le roi qu'il regarde comme hérétique. Arriégo est secondé dans ce projet par l'ambassadeur castillan Lirias, auquel Thomas More unit sa fille Marguerite pendant le cours de la pièce. Arriégo est arrêté dans son dessein par le chancelier qui, en s'opposant au crime, est soupçonné d'y avoir pris part et de l'avoir provoqué. Arriégo et Lirias périssent tous deux, et Morus est enfin conduit à l'échafaud par les ordres du roi, que les conseils ambitieux et sanguinaires du duc de Norfolk entraînent à toutes ces exécutions.
On aurait pu croire que les sentences et les maximes répandues dans l'ouvrage sur la fermeté et le courage des magistrats qui doivent résister aux princes et faire exécuter les lois en dépit des menaces et des tentatives du pouvoir, auraient produit quelque effet sur le parterre de l'Odéon, par allusion aux événemens passés et dénaturés. Depuis les arrêts de la cour royale de Paris sur le Constitutionnel, le Courrier et les Mémoires de M. de Montlosier, l'opposition est presque parvenue à persuader à l'opinion publique que la cour royale était elle-même en opposition avec le gouvernement et que ses arrêts n'étaient rendus que sous l'influence d'un
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sentiment d'hostilité politique : ce qui ne serait pas faire l'éloge de la justice et de l'impartialité de la cour royale. Quelques-unes des maximes de cette tragédie portent à croire même que M. Draparnaud les avait lancées dans cette intention et dans l'espoir d'attraper, par ce moyen, les applaudissemens que le parterre de l'Odéon ne manque jamais d'accorder aux morceaux de placage de ce genre. On a applaudi, comme allusion politique, cette sentence :
La gloire d'un ministre est dans sa pauvreté.
A qui cela s'appliquait-il dans la pensée du parterre i) Sully n'y aurait rien compris de son temps, lui qui était excessivement riche en sortant des emplois publics où il était entré dans un mince équipage, et qui avoue, dans ses Mémoires, que pendant les guerres civiles il a pillé lui-même le plus qu'il pouvait et particulièrement au siége de Cahors. Il n'en a pas moins, pour la postérité, la réputation d'un ministre intègre. C'est que l'économie qui amène la fortune n'est point la dilapidation des deniers publics, et qu'un ministre peut être ou devenir riche sans cesser d'être honnête homme et glorieux , c'est-à-dire célèbre et honoré.
S'il fallait examiner toutes les maximes répandues dans la tragédie de M. Draparnaud , on n'en trouverait peut-être pas une seule qui présentât plus de justesse -, mais on n'en finirait pas. Tout son ouvrage est en sentences. Il y en a, sans mentir, pour trois tragédies, et l'on assure qu'il en a retranché plus de deux cents ; du reste, cet ouvrage est composé à la manière ordinaire de l'auteur. C'est une exagération, une folie continuelle dans les caractères et dans l'expression. Il n'y a pas un
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personnage qui ait le sens commun et qui sache ce qu'il dit. Le spectateur qui veut suivre le développement d'une tragédie de M. Draparnaud, comprendre ce qu'il entend et s'expliquer ce qu'il voit, est dans la situation d'une alouette qui s'acharne à regarder dans le miroir à facettes que le chasseur offre à son attention. Elle s'étourdit et tombe pâmée des illusions qu'on lui a présentées.
Thomas Morus n'a pas été assez sifflé pour que M. Draparnaud ne puisse croire qu'il a obtenu un brillant et honorable succès.
THÉÂTRE DU VAUDEVILLE.
ÇESARIKE, OU LA COURTISANE AMOUREUSE, COMÉDIE-
VAUDEVILLE EN DEUX ACTES.
29 décembre.
L'honneur est comme une île escarpée et sans bords :
On n'y peut plus rentrer dès qu'on en est dehors.
Cette maxime, d'une sévérité si rigoureuse qu'elle en est injuste et fausse, pourrait servir d'épigraphe à la Courtisane Amoureuse qui n'a de commun avec le conte de La Fontaine que le titre et l'idée principale.
Une jeune fille § maintenant nommée Césarine de Saint-Ernest, a été jadis débauchée par un de ces vieux libertins qui a excité en elle les goûts du luxe et de la vanité. Elle a suivi, sans y réfléchir, le chemin de la
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corruption. Après s'être enrichie et avoir épuisé tous les genres de plaisirs, elle éprouve quelque retour à des sentimens vertueux , à une conduite régulière. Ce qui a fait naître en elle ces nouveaux penchans, c'est la rencontre qu'elle a faite à Bordeaux d'un jeune officier d'artillerie, Adrien Dumesnil. Il se trouvait dans un bal donné par la ville et où elle avait été menée par l'homme dont elle était alors la maîtresse. Adrien avait remarqué sa beauté et surtout l'embarras qu'elle éprouvait dans un monde où l'on soupçonnait, sans le dire tout haut, la profession de Césarine. Personne ne l'avait fait danser hors Adrien qui, plus innocent qu'il n'appartient d'ordinaire à un officier, ne s'était pas douté de la qualité de celle dont il venait de toucher le cœur et dont il avait aussi conservé le plus tendre souvenir.
Un de ses cousins, colonel à demi-solde, vivant à Paris au milieu de la plus grande dissipation, et voulant se moquer de ce qu'il appelle les principes d'Adrien, lui écrit que, sachant son goût pour le mariage, il lui a trouvé une jeune personne, belle, riche, pupille de l'un de ses amis, et que s'il consent à cette union, il peut se rendre à Paris sur-le-champ pour épouser la future dont il lui envoie le portrait.
Cette proposition n'a d'autre but que de mystifier et de déniaiser Adrien. Cette prétendue future est Césarine, répandue dans la société de mauvais sujets, et courtisée dans le moment par l'agent de change Corbel, qui jusqu'ici a vainement aspiré à ses faveurs. Le colonel Constantin , Corbel et deux autres étourdis veulent jouer cette comédie à Adrien. Césarine, ennuyée et insouciante, se prête au complot et consent, après quel-
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ques refus pourtant, à passer pour la pupille de Corbel. Celui-ci fera l'adjoint du maire de la commune où il a une maison de campagne ; Morand, ancien sous-préfet, fera le notaire, etc., etc. ; les autres rôles sont distribués.
Adrien a accepté la proposition, parce- qu'il a reconnu , dans la miniature que Constantin lui a envoyée, les traits de la jeune personne avec laquelle il a dansé à Bordeaux. La présentation des futurs a lieu à Paris. Mais que devient Césarine en reconnaissant dans Adrien, auquel elle n'a cessé de penser, le seul homme pour qui elle ait jamais senti un véritable et honnête attachement !... elle veut fuir. Les étourdis la retiennent et l'entraînent à la campagne de Corbel, où une fête est préparée par ce faux tuteur, à l'occasion du mariage de sa soi-disant pupille. Césarine veut profiter du trouble de cette fête pour s'éloigner et n'avoir pas à rougir aux yeux d'Adrien lorsque ses amis lui feront l'aveu du tour qu'ils lui ont joué. Elle sent bien qu'elle ne peut devenir réellement l'épouse de celui qu'elle aime. Tous les sentimens de la vertu se réveillent dans son cœur.
Elle a horreur des désordres de sa vie passée. Elle écrit à Adrien, se fait connaître à lui, lui peint tous ses remords, abandonne sa fortune à une jeune fille que, par ses bienfaits elle a déjà arrachée aux séductions de Corbel, et va se jeter dans un couvent pour expier les torts de sa conduite passée.
Il serait impossible, dans une sèche analyse, de donner l'idée de tous les détails spirituels, gracieux , vrais et touchans qui forment les nuances du caractère de
Césarine et des humiliations de tout genre qu'elle subit à mesure que sa condition est connue des personnages
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honnêtes de la pièce. C'était une chose hardie et sca" breuse que de mettre sur la scène une femme entretenue , que l'on donne pour telle. Mais cette tentative est dramatique et sérieusement morale. Les auteurs n'ont point cherché à déguiser les vices passés et la position de leur héroïne, ils ont tout dit et tout fait entendre sans jamais blesser les convenances -, ils n'ont point essayé, comme dans l'ancienne Fanchon la Fielleuse , de parer leur courtisane d'un vernis séduisant. Non : ils ont exposé les malheurs de l'inconduite et les remords que le scandale fait naître lorsque les décevantes illusions du désordre sont éteintes. Ce qui faisait de Fanchon la pièce la plus immorale du théâtre, puisqu'il s'agit ici de morale, c'est que, malgré sa profession , elle finissait, et sans expiation sociale, par entrer dans la société à l'abri d'un hymen honorable.
La Courtisane amoureuse est la pièce la plus hasardée et la plus originale qu'on ait donnée au théâtre depuis long-temps. C'est en même temps la plus morale peut-être, en dépit d'une partie du public qui a murmuré lorsque la résolution de Césarine de se faire Sœur de Charité a été annoncée, comme s'il était possible que l'ouvrage eût une autre conclusion ! Mais toutes les routines, toutes les habitudes de ce public si hébété par les pièces sottes et fausses dont on repaît son insatiable curiosité, ont été déroutées par le dénoûment neuf et la moralité vraie de Césarine. Comme dans Fanchon, ou la Fiorella de M. Scribe, les niais et les cœurs sensibles , qui composent la majorité des spectateurs, auraient voulu sans doute que la Courtisane, après avoir reçu une leçon, redevînt une femme honorable et honorée à la faveur d'un bon mariage. C'est là ce qui au-
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rait été à la fois bête et immoral. Les auteurs n'ont heureusement pas pris cette route. Ils ont montré dans cet aperçu, et dans les humiliations dont Césarine est abreuvée, plus de talent et de connaissance du cœur humain qu'on aurait pu leur en supposer. Le succès qu'ils ont obtenu, malgré quelques sifflets misérables, doit réjouir tous les amis de la vérité théâtrale.
Leurs noms ont été proclamés. Ce sont MM. Ferdinand Langlé et Paulin ( Duport), rédacteurs du petit journal la Nouveauté. Ils ont un collaborateur qui n'a pas voulu se faire connaître, M. Cavé, rédacteur du journal le Globe.
PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS.
LE TASSE , DRAME HISTORIQUE. EN CINQ ACTES ET EN
PROSE, DE M. ALEX. DUVAL.
a7 décembre.
Combien y a-t-il de gens persuadés que le Tasse est mort d'amour, est mort fou, est mort de misère et dans un hôpital ? C'est tout le monde à peu près. La tradition sur ce point, comme dans beaucoup d'autres choses, est plus accréditée que la vérité.
Pour celle-ci, il est certain que Torquato Tasso, présenté et lié à la cour de Ferrare, en 156o, à l'âge de vingt-un ans, devint amoureux d'Eléonore, plus âgée que lui de neuf ans environ, et qu'il acquit l'estime particulière de Lucrèce, toutes deux soeurs du duc AI-
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phonse. Il se fixa, en 1372, auprès du prince en qualité de gentilhomme et de professeur de géométrie et d'astronomie. Il fut alors l'amant de Lucrèce, devenue duchesse d'Urbin ; et quelques années après (1576), celui de la belle comtesse de Scandiano dont Alphonse était également épris. Ainsi on voit d'abord que cette Eléonore, pour laquelle on prétend que le Tasse devint fou, ne l'avait pas tellement enflammé qu'il n'ait porté ailleurs ses vœux et ses succès amoureux. Malgré les vers passionnés qu'il lui adressa souvent, il paraît qu'Eléonore ne partageait que faiblement ses sentimens : pieuse et craintive, elle vivait dans la solitude.
Tasso, nerveux et irritable, était profondément blessé des persécutions de quelques gens de lettres, et des dédains que lui témoignaient, en sa double qualité de gentilhomme et de savant, quelques courtisans jaloux de son talent et de la faveur dont il avait joui auprès du prince. Ils abusaient de son ignorance des puérils usages de l'étiquette pour l'irriter par leurs sarcasmes. Il donna publiquement un soufflet à un courtisan et mit l'épée à la main contre quatre de ces misérables qui voulaient noblement venger par un assassinat l'injure que l'un d'eux avait reçue. La bravoure de Torquato fut consacrée par ce refrain devenu populaire en Italie :
Con la penna et con la spada Nessun -vai quanto Torquato.
C'est vers cette époque (1S76), après avoir passé quelque temps sur les bords du Pô avec Eléonore , que Tasso poignarda son domestique qu'il soupçonnait de livrer ses écrits à ses ennemis, et que, en proie à des rêveries mystiques, il tomba dans de violentes aber-
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rations d'esprit. Il quitta encore Ferrare et Eléonore, et se consola de cet éloignement auprès des belles de Turin. Il revint, en 1879, auprès du duc qui épousait alors, en secondes noces, l'héritière de Mantoue, et qui voulait rester dépositaire des manuscrits de Torquato. L'ancienne rivalité du prince avec le Tasse, quelques nouveaux témoignages de démence de celui-ci, la crainte fort naturelle assurément que le poète ne publiât les relations qu'il avait eues avec les princesses de Ferrare et ne déshonorât leur frère ; toutes ces circonstances réunies expliquent, mais ne justifient pas pour la postérité, la longue captivité dans laquelle Alphonse plongea à cette époque l'homme de génie dont il avait été le protecteur et l'ami.
Une nouvelle preuve des sentimens tranquilles que le Tasse et Eléonore avaient l'un pour l'autre, c'est que celle-ci ne fit que des démarches insignifiantes auprès de son frère pour obtenir la délivrance de Tasso ; et que, lorsqu'elle mourut en 1081, le soi-disant fou d'amour, qui composait alors dans l'hôpital, où il était prisonnier, des ouvrages érotiques, philosophiques et ascétiques , ne fit entendre, sur ce trépas, aucun regret poétique.
Sur les instances du conseil de Bergame, sa patrie, le Tasse sortit enfin de l'hospice Sainte-Anne en lo86. Il en sortit comme il y était entré : à la fois fou et sublime , raisonnable et vaporeux. Il corrigeait la Jérusalem , et il avait des visions et des entretiens avec le démon socratique. Après quelques autres malheurs, sa tête se calma tout-à-fait. Il s'était retiré à Naples, en io88, pour rétablir sa santé et surveiller la suite d'un procès qu'il avait intenté au prince d'Avelino, dé-
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tenteur des biens confisqués sur le père de Torquato pendant les guerres civiles. Tout alors lui fut prospérité jusqu'à sa mort. Appelé à Rome par le cardinal Cintio, neveu du pape Clément VIII, il y alla et fut reçu avec éclat. Il retourna à Naples, et le gain de son procès lui assura, avec une fortune suffisante, l'indépendance qu'il avait toujours paru rechercher.
On croit aussi vulgairement que le Tasse ignora que les honneurs du Capitole lui avaient été décernés, et qu'il n'en profita pas du tout. Cela est aussi vrai que le reste. Si le Tasse ne jouit pas matériellement du triomphe , il goûta long-temps la joie de l'avoir obtenu. On lui avait accordé ces honneurs un an environ avant sa mort. Il en aurait joui dès lors même si, pour donner plus d'éclat à cette cérémonie , le cardinal Cintio n'en avait remis la célébration au printemps suivant. Tasso revint à Rome au mois de novembre. Les cardinaux et tous les gens de marque allèrent au-devant de lui. Il n'est sorte d'honneurs qu'on ne lui ait rendus. Il fut logé au palais Cintio. Le pape lui fit ce compliment : Qu'il allait autant honorer la couronne, que la couronne avait honoré ses devanciers.
A la fin de l'hiver, Tasso, sentant qu'il s'affaiblissait, demanda lui-même à être transporté au couvent de Saint-Onufre qui n'était pas du tout un hôpital. Il écrivit à ce sujet à un de ses amis : « Je me suis fait con« duire au monastère Saint-Onufre, non seulement parce « que , d'après l'avis des médecins, l'air y est plus pur, « mais encore pour préluder de ce lieu élevé et dans la « conversation de ces saints religieux à mes entretiens <( dans le ciel. » Ce n'est pas là le langage d'un fou. Il mourut au mois d'avril lî>9o, au milieu des plus tendres
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soins du cardinal Cintio, et entouré de tout ce que Rome renfermait de considérable. Le jour de sa mort, il fit la réponse la plus convenable à la bénédiction que le saint Père lui envoya.
Ainsi le Tasse n'est pas mort d'amour, puisqu'il fit bon nombre d'infidélités à sa prétendue passion, laquelle d'ailleurs mourut quatorze ans avant lui. Il n'est mort ni fou, ni misérable ; et, au contraire, il passa les sept dernières années de sa vie à composer de grands ouvrages au milieu de l'aisance et de la gloire.
M. Duval aurait donc mieux fait de ne pas intituler son ouvrage drame historique, car la vérité de l'histoire y est pleinement bravée, et il pouvait se dispenser de faire parade d'une érudition fausse et mensongère. On n'aurait pas pu lui reprocher d'avoir adopté la
croyance commune sur le lasse : cest le droit des auteurs ; mais il n'avait pas le droit d'appeler historique un tissu d'événemens erronés et falsifiés. Il aurait été préférable d'assurer qu'il avait suivi la tradition vulgaire comme l'avaient précédemment suivie Goldoni et Goethe, qui ont l'un et l'autre imaginé des drames sur les infortunes de l'Homère chrétien ; lord Byron, qui a publié de magnifiques stances sur le chantre des croisés (the lament of Tasso) ^ et enfin M. Delrieu, qui a donné, il y a quelques années, à l'Académie royale de Musique, un opéra en trois actes de la, Mort du' Tasse, musique de Garcia.
En dépit de la vérité historique , le drame qu'on a joué hier présente le Tasse à la fois amant aimé d'Eléonore, en butte aux sarcasmes des courtisans, renfermé dans le château de Ferrare, misérable et mourant fou ,
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sans pouvoir jouir des honneurs que Rome destinait à son génie.
L'auteur a supposé qu'Alphonse a promis la main de sa sœur au duc de Mantoue, dont les envoyés sont attendus. La nouvelle de cet hymen précipite l'aveu de l'amour de Torquato et d'Eléonore.
Le prince de Belmonte qui, on ne sait pourquoi, s'est fait l'ennemi enragé du Tasse , car celui-ci ne prétend à aucune dignité, et le prince n'est pas amoureux d'Eléonore, ce prince enfin, qui remplace ici le tyran des boulevarts, profite d'une absence d'Alphonse, pour insulter si amèrement Torquato, que celui-ci met l'épée à la main. Cette action, dans la résidence du duc, est considérée comme une offense à la dignité souveraine et à la discipline militaire, par le gouverneur Pazzini, espèce de sot important comme les niais de mélodrame, et qui, pour ce fait, envoie le Tasse en prison.
La violence de cette punition et la perte de sa maîtresse jettent le Tasse dans un abattement qui trouble sa raison. Eléonore vient le visiter. Entraînée par son amour, elle lui promet de fuir avec lui et de l'épouser. Alphonse, instruit par la perfidie de Belmonte, de l'amour et de la visite d'Eléonore, veut empêcher les suites de cette démarche. Il feint d'ignorer les sentimens de sa sœur et du poète. Il met Tasso en liberté, et lui annonce qu'il faut qu'il se rende à Rome sur-le-champ pour y recevoir les honneurs du triomphe que le pape lui décerne. i Alphonse , ensuite, menace sa sœur de persécuter le Tasse, si elle ne renonce à lui, et si elle n'écrit aussitôt à son amant une lettre qu'il lui dicte pour lui enlever
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tout espoir. Eléonore obéit. Tasso devient alors tout-àfait fou. Préoccupé du mariage qu'il devait contracter avec Eléonore, c'est sur ce point que se concentre le désordre de son esprit. Il donne les preuves de son aliénation devant toute la cour, et c'est lorsque les envoyés de Rome arrivent et lui remettent la couronne poétique qu'il expire. Sa mort termine le drame de M. Duval.
Outre le personnage grotesque du gouverneur, on a encore mêlé dans toute cette action le rôle épisodique d'une petite Fiorella dont la mère a été sauvée jadis par le courage et la charité du Tasse. Amenée à Ferrare par Eléonore, elle ne veut pas quitter son bienfaiteur. Le bavardage et la naïveté de cette enfant sont destinés à jeter quelque diversion gaie sur cette lugubre comédie. Cet épisode a donné lieu à un incident dont les amis de M. Duval n'ont pas manqué de profiter. Alphonse s'étonne que la mère de Fiorella ne se soit pas adressée à lui pour obtenir des secours : « Elle s'est adressée à vos ministres, » répond le Tasse. On a trouvé dans ce passage une allusion à l'affaire Chauvet, et des applaudissemens ironiques et nombreux se sont fait entendre.
Ce qui ressort de ce nouvel ouvrage de M. Duval, le plus mauvais sans contredit de tous ceux qu'il a mis au jour, c'est Io le malheur irrémédiable de la différence des rangs qui s'oppose à ce qu'un poète tel que le Tasse épouse la sœur de son souverain ; 2° la perfidie et la bassesse des courtisans orgueilleux de leur naissance, jaloux du génie du Tasse, et abusant de l'une pour humilier l'autre -, 5o l'amertume et l'emportement du Tasse contre les obstacles opposés à son. bonheur -, obstacles qui naissent de la diversité des positions sociales.
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Ce n'est jamais sans quelque danger pour la société qu'on expose de pareils tableaux sur la scène. Le Tasse offert comme un paria poétique ne peut produire qu'une fàcheuse influence sur l'esprit public. Ce que les hommes ont le plus de peine à comprendre , c'est la nécessité de l'inégalité des conditions comme moyen d'ordre divin et civil. Il faut donc pour la leur faire supporter avec constance écarter soigneusement tout ce qui peut exciter trop activement en eux des sentimens de révolte et d'orgueil contre cette nécessité sociale de notre nature.
L'auteur, attaché à cet aperçu par l'obligation du sujet qu'il avait choisi, ne s'est pourtant pas trop écarté des limites posées sur ce point à la liberté du théâtre. Le duc de Ferrare n'est pas orgueilleux et dur. Son opposition à l'amour et au mariage de sa sœur provient plutôt de son amilié pour elle et de sa politique que du sentiment exclusif de sa naissance. C'est le prince de Belmonte qui est chargé de tout l'odieux de la vanité nobliaire, et il est si désintéressé dans l'action et si vil en même temps, que l'auteur a dépassé le but qu'il voulait atteindre. Ce que ce personnage inspire le plus, c'est le dégoût et l'ennui. La perfidie et les sarcasmes des courtisans étaient dans l'essence de la pièce. L'auteur se complaît, à ce qu'il parait, dans ces sortes de sujets. On aurait pu croire que la Princesse des Ursins avait épuisé toute la bile de M. Duval contre les supériorités sociales. Il a trouvé de nouvelles aigreurs dans cette occasion , contre les automates dorés qu'il a livrés aux brutalités orgueilleuses du parterre.
Afin de rester dans les règles des unités dramatiques, l'auteur du Tasse a accumulé dans l'espace légal du code
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classique des événemens de trente ans -, et son ouvrage rassemble tout ce qu'il est possible d'anachronismes, de faussetés historiques, de caractères tronqués, développés en sentimens alambiqués, en niaiseries, en platitudes et exprimés en style d'une incorrection remarquable. Mais le ridicule de cette pièce n'est pas de nature à frapper le gros du public, imbu d'ailleurs de la tradition mensongère répandue sur le Tasse. Dédaigné par les gens de goût, il ne serait pas impossible que cet ouvrage obtînt plus de représentations qu'il n'en mérite. Il n'ira pas loin toutefois, car il est long, sans effet, ennuyeux et mal joué. A tout prendre, on doit préférer les mélodrames du boulcvart.
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1827.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
ASTOLPHE ET JOCONDE, OU LES COUREURS D'AVENTURE ,
BALLET-PANTOMIME EN DEUX ACTES, PAR M. AUMKR, MUSIQUE DE M. IIÉROLD , DÉCORS DE CICÉRI, COSTUMES DE M. H. LECOMTE.
3o janvier.
Les noms des héros de ce ballet et de ceux qui ont contribué à le mettre sur la scène sont plus longs à transcrire que le compte à rendre de l'ouvrage. Ce compte se borne en effet à ceci : c'est l'opéra-comique de Joconde mis en pantomime.
En bonne police dramatique, je ne sais jusqu'à quel point il devrait être permis à un chorégraphe de traduire ainsi sur une autre scène l'ouvrage d'un auteur vivant et en continuité de succès. N'est-il pas certain que l'effet des représentations de l'opéra de Joconde s'affaiblirait en ce moment de celui qu'a produit et que peut produire le ballet ? Il y a donc dommage pour le poète , le compositeur et le théâtre Feydeau. Jamais la république des lettres n'a mieux mérité le nom de république de loups que lui donnait Beaumarchais ! Voilà , en huit jours, deux pièces de M. Etienne qui, à peine déguisées sous d autres titres, servent à faire de la réputation
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et du bénéfice à ceux qui recherchent sans doute encore plutôt l'un que l'autre. Ce n'est, du reste , que par l'argent qu'on peut en tirer qu'un vaudeville et un ballet appartiennent au domaine littéraire. Quant à la célébrité que de pareils ouvrages rapportent à leurs auteurs, elle n'est pas grande à coup sûr. Celle de M. Aumer, du moins, ne doit pas beaucoup s'accroître du succès apparent que vient d'obtenir son soi-disant ballet. Il a pris, à ce qu'il semble, son parti sur les reproches que cette sorte de plagiats pourrait lui attirer de la part des gens de goût consciencieux. M. Aumer est coutumier du fait. En 1822, il a déjà, avec la même facilité, traduit l'opéra d'Aline en jetés-battus. C'est une espèce de M. Sans-Gêne chorégraphique -, mais il n'est pas sans façon dans ses arrangemens mimiques. Que d'affaires il lui faut, bon Dieu ! pour exprimer la moindre chose ! Si un de ses personnages vient en aborder un autre, M. Aumer lui fait faire trois sauts et quatre petits pas pour s'approcher gentiment de celui auprès duquel il pourrait convenablement se rendre en marchant comme tout le monde. Si une belle dame veut faire comprendre à un beau monsieur, qui lui fait une tendre déclaration, que les convenances exigent qu'il reste d'elle à une distance respectueuse et qu'il ne franchisse pas de certaines bornes, ce n'est point au moyen d'un geste noble et expressif qu'elle lui expliquera cette pensée si simple ; M. Aumer trouverait cela trop vulgaire. Il aime bien mieux faire sortir de la coulisse une soubrette avec deux ou trois petits enfans qui répandent des bouquets de roses autour de la dame; ce qui veut dire, pour le cavalier qui doit être fort spirituel, puisqu'il comprend cela, qu'il ne doit pas aller plus loin. Tous les ouvrages de
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M. Aumer sont remplis de petites inventions semblables, de galantes mièvretés qui manquent de bon sens et de naturel, et qui, comme le disait Corbinelli, donnent des attaques aux gens de goût et leur font mal dans le gras des jambes.
M. Aumer appelle cela de l'imagination. Hélas ! oui, c'est de l'imagination -, mais c'est de la mauvaise, hors de propos et sans mesure. Il dénature le genre des ballets et le genre de talent des danseurs de l'Opéra. Tout ce qu'il leur fait faire manque de noblesse et de grâce par la bizarrerie et la multiplicité des idées et des gestes. Il pousse à l'effet sans s'apercevoir qu'il le manque en l'exagérant. Mademoiselle Noblet et madame Anatole , qui se distinguent par une gracieuse dignité, par une expression vraie et simple, avaient l'air, hier, conseillées par les inspirations de M. Aumer, de deux filles de bas étage, sottes et folles. Leurs airs, leurs mouvcmens, leur démarche qui sont ordinairement de si bon goût étaient dénaturés. Tout cela sentait furieusement les grâces de mauvaise compagnie , et ce n est, à coup sûr, qu'à M. Aumer qu'il faut s'en prendre. Il est venu à l'Académie royale de Musique en passant par la province , l'étranger et les théâtres des boulevarts dont ses ouvrages rappellent constamment les habitudes et les effets.
Le premier acte , encombré de détails ridicules , a été froid et ennuyeux : le second , avec un très joli et très original divertissement de Bohémiens , le jeu et la danse de madame Montessu , a obtenu plus de succès.
C'est du luxe pour l'affiche d'avoir mêlé le nom de » Cicéri aux décors du nouveau ballet. La première décoration est celle de Cendrillon , la seconde est tirée de tous
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les ouvrages connus. Il n'y a pas une branche d'arbre qui semble avoir été faite exprès pour cette occasion. Quant aux costumes de M. H. Lecomte , ils sont de la dernière simplicité. Tout ce qu'on peut y remarquer c'est l'alongement des robes de ces dames ; mais cela ne doit pas provenir du fait du dessinateur. Il faut plutôt attribuer celte innovation de modestie à l'auteur du programme sur les ouvrages religieux , moraux et monarchiques. Dans l'impossibilité de donner une direction salutaire aux auteurs d'opéras et de ballets, on aura fait descendre une des conditions du programme , et l'on se sera borné à exiger un peu plus de morale dans les jupes. C'est toujours cela de gagné.
THÉÂTRE ROYAL DE L'OPÉRA-COMIQUE.
L'ARTISAN , OPÉRA COMIQUE EN UN ACTE.
3i janvier.
Je me plaignais hier de la propension répréhensible des auteurs modernes à faire des pièces nouvelles , non seulement avec les plus anciennes, comme M. Aumer, par exemple, qui avait déjà mis F Epreuve Villageoise en ballet, mais encore avec les ouvrages des auteurs vivans, et au courant du répertoire, toujours comme le même M. Aumer , qui a arrangé, pour les danseurs de l'Opéra, les Pages du duc de rendôme, Aline et Joconde.
Ce reproche de plagiat ne peut pas être adressé à
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l'auteur ou aux auteurs de î ,4riisaii. Il faut être juste: leur pièce ne ressemble à rien ; elle est mauvaise, cela est vrai, et ennuyeuse , ce qui est pis, mais du moins elle leur appartient en toute propriété. Assurément on n'a jamais vu nulle part un garçon charpentier, né d'illustres parens, qui pousse l'amour du compas et le fanatisme de la varlope jusqu'à répudier sa famille, que le hasard lui fait découvrir, et 13,000 fr. de rentes que lui laisse son père, lequel l'avait oublié , jusque - là dans le port d'Antibes. Cela est sottement héroïque, car rien ne devait empêcher M. Justin de Murville d'accepter la succession paternelle, de dire à mademoiselle Louise, sa sœur de lait, qu'il l'aime, d'épouser ladite demoiselle et de rester même au besoin constructeur de bâtimens , puisque telle est sa marotte. On peut fort bien être baron, avoir de l'aisance par héritage et en même temps se marier à une fille honnête, dont on est aimé, et être patron d'un chantier. L'auteur ou les auteurs en ont jugé autrement. Ce n'est qu'après avoir montré une niaise indifférence pour tous les bonheurs qui lui surviennent, que Justin est comme obligé d'accepter la prospérité. Le public a imité la conduite de ce héros de l'équerre. Il a écouté la pièce avec patience, et il s'est retiré quand elle a été finie et qu'il n'avait plus que cela à faire.
Avant la représentation, on disait que cette pièce était l'ouvrage de M. Léon Halévy, dont le nom a été souvent proclamé dans les concours scolastiques, qui a traduit assez heureusement une partie des œuvres d'Horace , qui a donné une petite pièce aux Français, intitulée le Duel, et qui est attaché à la rédaction du petit journal l'Opinioti. Il n'a pourtant pas été question de
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lui dans l'annonce du nom des auteurs de l ,4riisan. On a proclamé seulement celui de M. de Saint-Georges, qui a déjà fait jouer quelques ouvrages, tant au Vaudeville qu'à l'Odéon.
Maisle compositeur est bien certainement M. Halévy aîné, frère du poète. Il a, comme son frère, remporté des palmes dans les concours et obtenu ou partagé le grand prix de composition musicale. L'Artisan était son début au théâtre. C'est un triste échantillon de ses futures inspirations. Sa musique est lourde et sans agré. ment. On l'a applaudie comme un chef-d'œuvre.
Il ne faut pas s'étonner, au reste, de ce succès. MM. Halévy tiennent de toutes les façons à la jeunesse de Paris-, celle qui fréquente les théâtres et qui pourrait, si elle le voulait bien, faire réussir même une pièce de M. Gosse. Le succès de M. Halévy était une affaire d'écoles, dont le résultat ne pouvait être douteux. Le poète sort presque du collége d'Henri IV et le compositeur de l'Ecole-Royale.... Je me trompe, du Conservatoire de Musique. Cette nuance est la même que celle qui subsiste entre les académiciens : M. Jouy est membre de l'Institut -, M. Campenon est de l'Académie-Française.
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THÉATRE DU VAUDEVILLE.
ODÉINA OU LA CANADIENNE, VAUDEVILLE EN UN AÇTE.
2 février.
Encore une pièce faite arec une autre ! C'est Champfort , cette fois, qu'on a pillé. La Canadienne d'hier soir est la Jeune Indienne de 1764 i on n'en a retranché que la couleur philosophique, passe-port obligé de tous les ouvrages du dix-huitième siècle et qui n'a plus guère de valeur au théâtre maintenant. Du reste, le fond et la forme, tout est semblable. Les auteurs avaient voulu faire dominer la partie dramatique et larmoyante qui ne devrait pas être le genre du vaudeville ; mais mademoiselle Clara, chargée du rôle d'Odéina , n'a pu réussir à toucher des spectateurs ennuyés. On avait compté sans doute sur l'effet qu'elle devait produire en reparaissant, vers la fin de la pièce , sous un costume canadien -, c'était compter sans son hôte. Mademoiselle Clara est une personne fort agréable -, mais elle n'a plus cet éclat de jeunesse indispensable pour produire l'impression qu'on attendait de sa demi-nudité.
Odéina est une espèce d'Ourika blanchie. Au moment de la vogue de l'héroïne de madame de Duras, cette pièce avait élé présentée au Vaudeville, et reçue parce qu'on n'y refuse rien. M. Berard avait eu le bon esprit de ne pas la vouloir jouer. On l a exhumée des cartons pour l'enterrer toute vive.
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Les auteurs de cet ouvrage sont : MM. Duvert et
L ; le premier a seul été nommé.
SECOND THEATRE FRANÇAIS.
EMMELIINE OU LA FAMILLE SUISSE , 01tÉRA EN TROIS
ACTES , MUSIQUE DE WEIGEL.
7 février.
Par suite d'un service qu'il a rendu au comte de Wasltein, Richard, sa femme et sa fille Emmeline ont quitté la Suisse pour aller vivre auprès du généreux seigneur. Ils sont fort heureux dans son château, excepté Emmeline pourtant qui regrette le pays et surtout Jacques Fribourg, son amant. La force et le charme des souvenirs d'Emmeline sont tels que sa raison en est parfois affectée et que rien ne peut surmonter la mélancolie qu'elle éprouve. C'est une espèce de Nina , ou plutôt cet opéra est la paraphrase de cette ancienne romance si connue : Pauvre Jacques', quand pétais près de toi, composée , dit-on, à l'occasion de la situation toute semblable d'une jeune fille de la Suisse que Madame Elizabeth avait auprès d'elle. Jacques Fribourg revient trouver Emmeline qui recouvre aussitôt sa raison et sa gaieté. Les amans sont unis , bien entendu, et tout le monde est content, même le public qui a fort applaudi cet ouvrage. Il jouit en Allemagne d'une grande réputation. Malgré la faiblesse de l'exécution des chanteurs de l'Odéon, on a pu juger
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que la célébrité de la musique de Weigel était méritée. C'est un M. Charles qui a arrangé le poëme; c'est M. Crémont, chef de l'orchestre du théâtre qui a mis la partition en scène.
PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
LOUIS XI, DRAME EN CINQ ACTES ET EN PROSE, PAR
M. MÉLY-JEANNIN.
16 février.
Les auteurs sont pour le théâtre ce que les amans sont pour leurs maîtresses. Les rigueurs de celles-ci n'en dégoûtent pas plus les uns que les injustices du public ne refroidissent les autres. M. Mély-Jeannin qui aurait pu garder une haine immortelle de l'accueil fait à sa tragédie d'Oreste et qui, sans doute, s'était bien promis de renoncer à paraître devant les juges passionnés qui l'avaient si brutalement et si injustement accueilli, ne leur a pas gardé une trop longue rancune. Il s'est présenté de nouveau hier soir, non pas armé d'une tragédie , non pas devant le turbulent parterre de l'Odéon, mais avec un drame et devant le public plus accommodant de la rue de Richelieu. Protégé par le nom de sir Walter Scott et soutenu par la célébrité du roman de Quentin Durward, M. Mély-Jeannin a parcouru sans encombre la carrière qu'il devait fournir. Les sentimens particuliers que je porte à sa personne m'ont fait voir ce succès avec plaisir. J'aime le bonheur des au-
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très, surtout des gens que j'estime i et, ici, c'est vraiment un bonheur que la réussite, car le drame de M. Mély-Jeannin n'est point un bon ouvrage.
Il a pris trop et trop peu dans le roman de Walter Scott : trop, pour la part de gloire qui peut lui revenir dans ce succès 5 trop peu, pour ce succès même. C'est un des ouvrages les plus piquans du romancier écossais que Quentin Durward, et le drame que M. Jeannin en a extrait n'a pas conservé le cachet de l'original. Je me trompe ; on en retrouvé la couleur dans le décousu du sujet, dans le peu de liaison des scènes, dans le vide de l'action, dans l'absence d'un nœud intéressant. Qu'estce qui constitue le fond de cet ouvrage? est-ce l'amour d'Isabelle de Croyc pour Quentin Durward? Il est l'occasion de l'intrigue même. Est-ce le danger que court le roi quand il est entre les mains du duc de Bourgogne ? Mais il ne prend la résolution de se rendre à Péronne que sur la fin du troisième acte, et ce n'est qu'à la fia du quatrième que le danger paraît, danger qui ne peut même inquiéter le spectateur instruit par l'histoire et par la qualification de la pièce que l'action ne peut se dénouer par la mort sanglante de Louis XI ?
Ce qui fait le charme du roman et ce qui a conduit le drame jusqu à la fin, c'est une succession continuelle de scènes et de conversations excessivement originales et piquantes chez le romancier et qu'on retrouve, quoique décolorées , chez le dramaturge. Le personnage du roi absorbe tout dans le, drame. Il n'y a, je le répète, ni action bien nette, bien engagée, bien intéressante; ni intrigue attachante, ni mots bien spirituels, ni caractères développés ; mais il y a Louis XI, toujours Louis XI, personnage peu attachant , qui n'a pas même dans la
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pièce un intérêt bien déterminé, assez saillant pour attirer vivement l'attention sur ce qu'il va faire et qui toutefois , comme il ne ressemble à aucun des rois qu'on a vus jusqu'ici sur la scène, excite la surprise , éveille la curiosité et protège ainsi tout le drame qu'il remplit sans l'animer, qu'il domine sans le rendre intéressant.
Il existe sur Louis XI un drame historique fort peu connu, surtout de la génération actuelle singulièrement ignorante des choses littéraires. Ce drame est un ouvrage en un volume in-12, qui n'a jamais été, qui n'a même pas été fait pour être représenté. L'auteur est Mercier, aussi célèbre par son antipathie pour Racine et Newton que par son Tableau de Paris. Il n'aimait rien de ce qui était beau. Il ne se plaisait que dans ses propres ouvrages. Son Louis XI n'est pas le moins original de ceux qu'il a composés; et la mort du roi, entre autres scènes remarquables de ce drame, est un morceau tout-à-fait piquant. Le drame est fait à la manière anglaise ; c'est presque toute la vie de Louis XI que l'on voit entouré de ses familiers habituels, et, entre autres, le fameux grand-prévôt Tristan. Ses habitudes dévotieuses et cruelles y sont retracées avec vigueur et originalité. Walter Scott a-t-il connu l'ouvrage de Mercier? Cela ne serait pas impossible. On pourrait le croire au rôle important qu'il fait jouere>au grand-prévôt dans son roman. M. Mély-Jeannin n'a pas fait usage de ce personnage, il a donné à Louis XI un autre compère. C'est Martigny, courtisan subalterne et flatteur, qu'il a placé auprès du roi. Il a bien senti qu'il n'était pas encore possible de montrer jusque-là la vérité sur le théâtre. Aussi la partie tyrannique et san-
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guinaire du caractère de Louis a- t-clle été à peine esquissée dans le drame de M. Mély-Jeannin. Il a voulu le faire voir politique et superstitieux, et l'on n'aperçoit l'habitude des châtimens extrêmes qu'avait Louis XI, que dans un coin de son drame. On le voit d'abord crédule avec l'astrologue Galéotti qui, trompé par une ruse de Martigny, conseille au roi de se rendre en Angleterre, tandis que Louis XI veut aller à Péronne, et ne s'apercevant pas de l'erreur dans laquelle est tombé l'astrologue qui se reprend aussitôt qu'il se doute de la bévue qu'il a commise et du tour que lui a joué Martigny, lequel lui avait malicieusement fait entendre que c'était à Edouard et non au duc de Bourgogne que le roi voulait rendre visite. Galéotti, pour se venger de Martigny, feint de lire dans les constellations que le roi sera trahi par quelqu'un auquel il a confié le secret de son voyage, et Louis XI, sans ba- * lancer, envoie en prison son ami Martigny, le seul auquel il ait fait part de ce mystère. Plus tard , et lorsque le roi, enfermé dans la tour d'Herbert, par l'ordre
du duc de Bourgogne, s'aperçoit enfin de la fausseté des prédictions de l'astrologue, il veut se venger et charge Galéotti d'une lettre pour le grand-prévôt, laquelle contient l'ordre de mettre à mort le porteur de la dépêche royale. Galéotti, qui se doute du contenu du message, fait entendre au roi qu'il a lu dans les astres que sa mort ne devait précéder que de quelques jours celle de sa majesté. Les terreurs superstitieuses de Louis XI reprennent le dessus, et il se hâte de pardonner
à Galéotti. Ce double épisode qui appartient à M. MélyJeannin presque tout entier, est spirituel et montre
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une partie du caractère faible et sanguinaire de Louis XI. Il ne pouvait peut-être pas le découvrir plus complétement. L'époque n'est pas encore arrivée où l'on pourra, sans aucun danger, se rapprocher davantage sur la scène des vérités historiques $ mais c'est pourtant déjà sous ce rapport que le drame de M. MélyJeannin mérite attention. Il ouvre une carrière nouvelle que des gens d'un talent supérieur pourront désormais parcourir avec plus de sécurité et qui donnera au théâtre une allure entièrement différente de celle qu'il a eue jusqu'ici.
L'unité de temps et celle de lieu n'ont jamais été plus ouvertement bravées. Les trois premiers actes se passent au château du Plessis-les-Tours, et les deux derniers à Péronne en Picardie, séparés de quatre-vingts lieues au moins. C'est tout au plus s'il y a dans le drame de M. Mély-Jeannin l'unité d'intérêt et d'action *, de sorte que son ouvrage est tout-à-fait taillé sur le patron du théâtre étranger. Etait-ce un partisan aussi prononcé du genre classique qui devait, le premier, donner un tel exemple ? Quoi qu'il en soit, cet exemple est donné 5 l'essai n'a pas été malheureux comme celui que M. Lemercier avait tenté il y a quelques vingt années dans Scarmentado et Christophe Colomb. Nous en verrons plus tard les conséquences.
Un autre aperçu du nouveau drame et qui, sans doute, ne sera pas non plus sans conséquence, c'est le personnage d'un roi en robe de chambre, si on peut le dire -, jusqu'à présent on n'avait vu les monarques sur la scène qu'entourés de la pompe royale, occupés de grands intérêts ou d'intérêts d'amour, exprimant des
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senlimcns héroïques ou élevés, et parlant un langage soutenu. Louis XI est le contraire de tout cela. Loin de dissimuler ses faiblesses, loin de se revêtir des pensées et des magnificences de la royauté, il se montre simple, parlant à découvert, homme enfin, avec les vêtemens et les sentimens , les paroles et les terreurs de l'humanité. Il ne fait point une action basse ; son langage et ses manières n'ont rien d'ignoble -, il est comme il a été et mieux même encore qu'il n'a été ; mais enfin ce n'est plus le roi de théâtre, c'est le roi de l'histoire et d'une époque assez rapprochée de nous, puisque l'action date de la fin du quinzième siècle.
' Ce n'est pas que M. Mély-Jeannin soit le premier qui ait tenté de déshabiller les rois dramatiques et de les présenter sous un jour plus vrai. Il y a quelques années, M. Lemercier, dans l'imitation de Jane-Shore , avait mis Richard III dans une situation à peu près semblable, et M. Delavilie, l'année dernière, nous avait offert l'infortuné Charles VI dans un état qui faisait sentir aux rois leur condition humaine; mais ces deux rôles avaient été joués par Talina, dont la célébrité et le talent étaient une garantie de succès et qui, d'ailleurs, avait déployé dans ces occasions une originalité et une profondeur de combinaisons théâtrales vraiment b admirables. On pouvait croire que le souvenir des s succès qu'il avait obtenus dans ces deux rôles nuirait à de nouveaux essais du même genre et arrêterait les imitateurs. On savait qu'il comptait produire d'autres ef- « fets encore dans le rôle de Louis XI. Toutes ces circonstances n'ont heureusement pas nui au drame de M. Mély-Jeannin. Michelot s'est habilement tiré du personnage de Louis XI : sans doute, il laisse beaucoup
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à désirer. Les moyens dramatiques manquent quelquefois. On sent que s'il avait eu plus d'effets à produire, il serait resté au-dessous de son rôle, et de long-temps il ne faut espérer de rencontrer une voix aussi puissante que celle de Talma. Mais enfin, cet essai de Michelot n'est pas sans succès. Il pourra atteindre plus haut, et les ouvrages que le drame de M. Jeannin pourra faire éclore trouveront un interprète, sinon complet quant à présent, du moins suffisant et offrant quelques espérances.
Cet ouvrage aurait pu offrir, par ce qu'il présente de nouveau, quelques inconvéniens graves. Je veux parler de la dégradation de la majesté royale qu'il est toujours important de ménager aux yeux de la multitude. M. Mély-Jeannin est resté, à cet égard, dans une nuance excellente. Le roi ne descend pas de façon à compromettre son rang élevé, et les faiblesses qu'il témoigne n'ont rien d'avilissant pour son caractère sacré, parce que rien ne le fait ressortir et que, dans deux ou trois occasions, il relève parfaitement la dignité de la couronne. M. Mély-Jeannin a fort bien concilié les exigences de l'histoire et les nécessités non moins impérieuses des mœurs monarchiques contemporaines.
Mais il fallait bien s'attendre à ce que, dans l'état d'agitation et d'aigreur où se trouve aujourd'hui l'opinion publique, les moindres allusions seraient avidement saisies, et c'est ce qui est arrivé deux fois.
A la fin du deuxième acte, Louis XI, après avoir tenu conseil et donné audience à l'ambassadeur du duc de Bourgogne, veut se livrer au plaisir de la chasse, qu'il aimait passionnément, et dit à ses courtisans : « Allons . messieurs, à cheval ! et (en se découvrant la
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tête) puisse saint Hubert nous accorder une chasse heureuse! » Des ricanemens et d'extrêmes applaudissemens sur une phrase aussi simple ont fait voir que le public malveillant la tournait contre Charles X, auquel il semblait reprocher ainsi le goût prononcé et prolongé que sa majesté témoigne pour la chasse. Il y a long-temps que les factieux de mauvais goût ont répandu sur le Roi le sobriquet de Robin-des-Bois.
L'autre allusion tient à un jeu de scène de l'acteur chargé du rôle du Glorieux, fou du duc de Bourgogne. Au quatrième acte, ce fou, en faisant l'énumération bouffonne des gens de toute sorte qui, plus que lui, mériteraient sa marotte et ses grelots, passe ainsi en revue ceux qu'il veut désigner : « Celui qui ne sait pas gouverner sa maison et qui prétend régenter le monde; ceux qui ne croient à rien , si ce n'est à de vieux parchemins. » Là s'arrêtait l'énumération. Mais le comédien Monrose a ajouté : « et ceux qui... » Il a croisé alors ses bras sur sa poitrine et a pris une figure de componction. Les pensées de congréganistes et de jésuites sont arrivées aussitôt à tout le monde, et surtout aux claqueurs qui sans doute avaient le mot, et plusieurs salves d'applaudissemens ont répondu à la pantomime du comédien.
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THÉÂTRE DE MADAME.
23 février.
Il y a. une grande différence entre les habitudes du Gymnase et celles du Vaudeville. Celui-ci ne donne que de mauvaises pièces, que l'on siffle le premier jour et que l'administration continue à faire représenter comme si de rien n'était, en dépit de ses propres intérêts et des plaisirs du public -, et lorsque, par hasard, un bon ouvrage, un ouvrage à succès sort des cartons, la direction ou l'administration, par le plus bizarre caprice , le retire du répertoire et le condamne à l'oubli. On ne joue plus les Deux Cousins, et on a supprimé la Courtisane amoureuse.
Le théâtre Bonne - Nouvelle, au contraire, donne presque toujours des pièces charmantes qui, pendant un mois, deux mois et plus, attirent la foule, et qu'on entretient au répertoire le reste de l'année. Mais si par malheur l'indulgence du comité de lecture, ou d'autres circonstances particulières, forcent la direction à jouer un ouvrage faible, et qui, enfin , soit mal accueilli du vrai public, à l'instant il est retiré, et on ne le voit plus reparaître sur l'affiche.
Tel a été le sort des deux dernières nouveautés du théâtre de Madame. La Famille du Faubourg, qui était la pièce de résistance de la représentation donnée au bénéfice des pauvres, le iô février, a été maltraitée par les spectateurs. L'ouvrage . quoiqu'un peu lois;,' et
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délayé, était piquant et présentait une moralité assez heureuse : tous les malheurs du Ministre de Wakefield transportés au milieu d'une famille de jardiniers du faubourg Saint-Antoine,, la résignation du père, sa confiance dans les bontés et les décrets de la Providence , offraient un tableau assez touchant. Il y avait en outre, pour la partie opposante du public, un personnage de faux bienfaisant qui aurait pu attirer quelque laveur sur la pièce. On lui avait donné, à dessein, une petite couleur jésuitique \ ce qui est, à présent, un moyen de succès depuis que la gloire et les Grecs sont épuisés. Mais la couleur apparemment n'était pas assez prononcée. L'intelligence des spectateurs a été en défaut, ou leur bonne volonté n'a pas répondu à l'intention des auteurs. Il est vrai que rien ne portait dans le costume ou dans les paroles à sentir trop directement cette intention. Quoi qu'il en soit, la Famille du Faubourg et son philanthrope déguisé n'ont point eu de succès. Le public n'a pas même voulu savoir comment cette pauvre famille sortait victorieuse de toutes les épreuves qu'elle avait subies. La toile a été baissée au milieu de l'ouvrage qui n'a pas été rejoué. Les auteurs, MM. Scribe et Yarnci en ont été pour leurs frais d'esprit et de malice.
Hier, le résultat du Myope a été semblable. C'est une froide folie que le jeudi-gras n'a pas pu même protéger.' La toute-puissance du carnaval a échoué devant une parade sans gaieté. On n'a pas demandé les auteurs. La pièce ne doit plus être jouée.
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THÉATRE DU VAUDEVILLE.
LE COURRIER DES TIlÉATRES, OU LA REVUE A FRANC
ÉTRIER, FOLIE-VAUDEVILLE EN CINQ RELAIS.
a5 février.
M. Paris (le public) ne veut pas bouger du coin de son feu. Le Courrier des Théâtres (la critique) le presse d'aller voir les nouveautés dramatiques. M. Paris y consent à condition que lorsque les pièces qu'on doit représenter devant lui l'ennuieront, il mettra son bonnet de coton et qu'on le conduira autre part. Le marché ainsi conclu, le Courrier des Théâtres l'emporte sur la croupe de son cheval. C'est là le premier relai.
Le deuxième relai des voyageurs est au théâtre des Variétés, contre lequel, à l'occasion de Clara Wendel, sont lancées force épigrammes, plutôt brutales que spirituelles. La fausse brigand n'amuse pas beaucoup M. Paris qui soutient qu'en fait de voleurs de théâtre, le vrai seul est aimable. Il reprend la poste et se rend au premier Théâtre Français.
A ce troisième relai on lui fait voir le Tasse représenté par un enfant dont la taille exiguë est une épigramme contre celle de Firmin, qui joue le rôle de Torquato, rue de Richelieu. Le mauvais ton de !a princesse de Ferrare et de la comtesse Maria, les bêtises du
Tasse, que M. Paris appelle demi-Tasse, provoquent le public allégorique à mettre précipitamment son bon-
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net de coton et à chercher quelque autre chose qui l'amuse.
Son quatrième relai le conduit à l'Opéra. JMonde, en pantomime, lui fait regretter Joconde chantant, et il se sauve le plus vite qu'il peut de l'ennui qu'il commence à éprouver.
Enfin , le guide de M. Paris le mène , pour cinquième et dernier relai, à l'Ambigu-Comique. Là, Cartouche et sa bande amusent tellement M. Paris, qu'il se décide à fixer son séjour à ce spectacle, pendant tout l'hiver, quoique pendant la représentation on lui ait volé, pour justifier la moralité de la pièce en vogue, son mouchoir et sa montre.
Le genre des revues est bien épuisé. Le cadre dans lequel celle-ci a été présentée est assez neuf et assez piquant. Mais la pièce, qui aurait pu avoir du succès, a manqué une partie de l'effet qu'elle devait produire. La mise en scène la plus négligée, des costumes qui manquaient aux acteurs, etc., etc., attestent la détestable administration du théâtre. Faute de costume, Astolphe n'a pas paru dans l'acte de l'opéra ; un pas de trois et une allemande annoncés n'ont pas été dansés, etc., etc. Le public aurait sifflé, s'il y avait eu du public \ mais les amis qui remplissaient les trois quarts de la salle ont bien voulu ne s'apercevoir de rien : seulement la pièce a été froide, et, en termes de coulisses, elle est coulée. Les auteurs demandés et nommés sont MM. ThéauIon, Théodore Anne et Gondellier.
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THÉATRE DES NOUVEAUTÉS.
4 mars.
Il faut, en parlant pour la première fois de ce théâtre, commencer par remercier et féliciter l'administration des soins extrêmes qu'elle a pris dans la construction de la salle. Le goût, l'élégance et la commodité relèvent de l'architecte et des entrepreneurs qui méritent beaucoup d'éloges ; mais la solidité, la sécurité contre l'incendie , la largeur et la multiplicité des issues appartiennent aux prévoyances administratives ; et, dans cette occasion, le public n'a pas été méconnaissant des garanties de toutes sortes qui ont été exigées dans son intérêt.
Les journaux ont donné une description si exacte et si minutieuse des apparences extérieure et intérieure de la salle qu'il serait assurément superflu d'entrer, à cet égard , dans des développemens qui ne seraient que des redites.
Je ne me suis pas pressé de rendre compte de l'ouverture de ce théâtre, qui a eu lieu le jeudi 1er de ce mois et des ouvrages qui ont été représentés ce jour-là (Quinze et Vingt Ans, et le Coureur de Veuves), parce qu'il aurait été impossible d'exprimer sur ce sujet un jugement qui eût quelque solidité. Il aurait été sottement rigoureux de prononcer sur des pièces et des acteurs que l'on voyait pour la première fois an milieu de l'agitation , du trouble et (les craintes qu'éprouvaient
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spectateurs et comédiens, chacun relativement. Il fatfait, d'ailleurs, recueillir les voix et consulter, non pas ce qu'on appelle l'opinion publique , en d'autres termes celle des journaux , mais l'opinion ou les dispositions de cette partie de la société qui a une assez grande influence sur la prospérité des théâtres. On peut raisonner aujourd'hui avec un peu plus de certitude là-dessus et présenter quelques réflexions qui se trouvent appuyées sur des observations et une expérience de plusieurs jours.
La conduite de M. Bérard, au Vaudeville, quoiqu'elle fût celle qu'il devait tenir alors, les criailleries des journaux , l'arrêt de la cour royale et l'issue définitive de toute cette affaire, dénaturée et envenimée, ont j«té sur la création du théâtre des Nouveautés et du privilége accordé à M. Bérard, une fâcheuse défaveur. Il faut ajouter à ces motifs généraux d'opinion publique malveillante, les intérêts inquiets et compromis peutêtre non seulement de théâtres rivaux (le Gymnase, le Vaudeville et les Variétés), mais encore des théâtres qui sembleraient n'avoir rien à craindre de la nouvelle concurrence et qui pourtant ont employé tous les moyens pour nuire à l'établissement du théâtre de la Bourse (Feydeau et les Français) ; et, enfin, pour compléter le tableau des difficultés qui entourent la naissance de ce spectacle, la faveur que l'on savait que M. Bérard était disposé à accorder à deux ou trois auteurs qui lui sont tout dévoués, ont ameuté contre son entreprise la foule des petits auteurs, jaloux et blessés de cette préférence, vraie ou prétendue, lesquels sèment de tous les côtés des bruits et des réflexions peu favorables au théâtre des Nouveautés -, et, attachés
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presque tous aux journaux de spectacles, ne laissent pas, par leurs quolibets et leurs calomnies, d'être des adversaires redoutables quand il s'agit de succès dramatiques.
Tel est, en abrégé, le tableau des obstacles très réels contre lesquels M. Bérard a à lutter et dont on peut craindre qu'il ne triomphe pas de sitôt.
Aujourd'hui même, il faut l'avouer, les dispositions du public ne lui sont rien moins qu'avantageuses. On parle à peine de l'agrément de la salle, de la beauté dès décorations et des costumes , du talent véritable de quelques acteurs -, mais on s'appesantit avec une complaisance et une inquiétude exagerées sur le danger de la fraîcheur de la salle pour la santé, sur le défaut de lumières, sur la nullité de quelques sujets, sur la portée des ouvrages, etc., etc. ; toutes choses enfin qui ne sont au fond que des prétextes, mais qui, répandues avec assurance et habileté, causent de mauvaises impressions et nuisent au succès futur. On pourrait croire même qu'elles ont déjà quelque influence -, car, hier samedi, il n'y avait pas autant de monde au théâtre des Nouveautés qu'il aurait pu et dû y en avoir.
Du reste, sans nier le danger et le résultat probable de ces manœuvres, il faudra qu'elles échouent contre la persévérance et surtout contre de bons et jolis ouvrages bien joués ajoutons sur-le-champ, si M. Bérard peut en avoir. Toute la question est là. Un théâtre ne peut prospérer que de cette façon. Le Gymnase est le plus mal situé de tous les spectacles -, la salle est sottement bâtie, incommode dans ses abords et ses dégagemens, mal disposée pour les spectateurs ; le prix des places y est élevé 1 et, malgré tout cela, c'est depuis cinq
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ans le théâtre le plus et le mieux fréquenté de Paris, parce qu'il a un ou deux auteurs qui lui portent des pièces charmantes et que ses acteurs sont excellens. Le Vaudeville, au contraire, est le mieux situé du monde pour attirer le public -, l'intérieur de la salle ne manque ni de propreté maintenant, ni de commodité; le prix des places est modéré , sa troupe est généralement bonne, et, néanmoins, c'est un théâtre abandonné, parce qu'on n'y donne que de ridicules ouvrages et que sa gestion est confiée à l'administration la plus antipathique à toute prospérité théâtrale.
Ainsi donc, quoique la salle des Nouveautés soit supérieurement située, et, sans contredit, la plus jolie de toutes les petites salles de spectacles de la capitale; quoique quelques-uns des premiers sujets de la troupe annoncent du talent et donnent beaucoup d'espérances, on peut dire que cette entreprise n'aura point de succès, et qu'elle tombera même dans un temps plus ou moins rapproché, si des pièces neuves et piquantes ne viennent lui donner le moyen d'attirer chaque jour le vrai public payant. Y a-t-il des auteurs ou un auteur seulement qui puisse lutter contre le talent réel ou la vogue prolongée de M. Scribe? Je ne le crois pas; je n'en connais point du moins. La troupe de M. Bérard pourra-t-elle rivaliser long-temps avec l'Opéra Comique? Je ne le crois pas non plus, et, en ce moment, j'avoue que je doute fort que le théâtre des Nouveautés devienne, à moins de circonstances singulièrement heureuses, une bonne entreprise. C'est une affaire qui sera jugée dans deux ans au plus tard.
Les ouvrages joués depuis quatre jours aux Nouveautés ne sont pas d'un bon augure pour l'avenir. Le
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Coureur de veuves, op&a-comique, que l'on appelle, pour déguiser l'extension du genre pièce en trois actes, est une pièce faible, dont la musique, de JUangiui, est charmante, et qui, en somme, a réussi, grâce à une actrice dont la physionomie animée, le jeu intelligent, la voix fraîche et légère (madame Albert, qui avait débuté naguère à l'Odéon ) , et grâce enfin à M. Amédée, jeune premier qui donne de l'espoir. Les Forge-r rons, sont un vaudeville, qualifié aussi de : pièce endeux actes, qui n'est pas merveilleusement bon. Le premier vaudeville, Quinze et Vingt Ai\s^ était um ouvrage ebscur. La Chambre j«w«e,Tju'on a donnée hier, a été sifflée ; il y a en ainsi deux chutes, et on ne peut compter deux succès. Attendons et espérons i mais -je crains bien qu'il ne faille dire incessamment comme le sonnet :
On désespère
Alors qu'on espère toujours (1).
(i) Le théâtre des Nouveautés n'ayant, malheureusement, que trop bien justifié toutes ces prévisions, nous ayons cru devoir retrancher de ce vccuçil la plus grande partie des articles relatifs aux pièces jouées à ce théâtre, fermé depuis long-temps comme théâtre de vaudeville, et que l'Opéra-Comique occupe
d'hui.
( Dfote de l'Editeur. )
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THÉÂTRE DU VAUDEVILLE.
LE HUSSARD DE FELSHEIM, COMÉDIE VAUDEVILLE EN
TROIS ACTES.
8 mars.
L'ouverture du théâtre des Nouveautés, en excitant les inquiétudes et les animosités des autres spectacles, a donné un nouvel élan à leur activité. Le Gymnase a lancé le surlendemain aux jambes du public une petite Chatte qui devait l'attirer par ses minauderies plus que par son esprit et sa gaieté ; les Variétés attendaient ce moment pour faire passer les Rues et les Passages avec un luxe inaccoutumé à ce théâtre de costumes et de décorations ; l'Opéra-Comique a retardé jusqu'ici la représentation du Loup-Garou de M. Scribe qu'il donne ce soir au bénéfice des indigens qui mouraient de froid il y a six semaines ; et, enfin, le Vaudeville a chargé hier à son tour sur le théâtre des Nouveautés avec son Hussard de Felsheim escorté d'habits neufs et de décorations fraîches. Ces moyens, employés pour détourner l'attention du public de l'établissement nouveau, sont de bonne guerre. C'étaient les seuls qu'il fallait employer. Ils tournent au profit des plaisirs du public, et la loyauté peut les avouer.
Ce Hussard de Felsheim est textuellement tiré de l'ouvrage de M. Pigault-Lebrun, intitulé : le Baron de Felsheim. Ce qui appartient aux auteurs de la pièce ne
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fait pas grand honneur à leur esprit inventif. Il serait impossible de dire positivement de quoi il s'agit dans cette pièce. Il n'y a pas de mobile -, il n'y a pas de noeud ; on peut même ajouter qu'il n'y a pas de dénoûment.
Ce n'est pas l'intérêt qui est excité, car il n'y en a pas, c'est seulement l'attention qui est éveillée et qui ne peut se fixer sur quoi que ce soit pendant les trois actes ; mais, du reste, l'action, ou pour mieux dire le mouvement de l'ouvrage, est assez bien disposé, et il y a quelques scènes assez piquantes. L'ouvrage est amusant et c'est assurément un chef-d'œuvre en comparaison des rapsodies ordinaires du Vaudeville. Le succès a été complet.
Les auteurs demandés sont MM. Dupeuty, Villesneuve et Saint-Hilaire. Les deux premiers ont été seuls nommés. On a remarqué quelques airs nouveaux et surtout un finale au deuxième acte qui sont fort agréables. On ne ferait pas mieux à l'Opéra-Comique, et le directeur de ce dernier théâtre ferait bien aussi de réclamer contre l'extension du genre du Vaudeville comme il a réclamé contre le Coureur de Veuves des
Nouveautés, dont il a obtenu la suspension. Mais il n'en fera rien, parce qu'il ne craint pas la concurrence du Vaudeville comme il redoute celle du théâtre de la Bourse 5 en bonne justice administrative, il faudrait défendre aussi le Hussard de Felsheim, que M. FrédéricAdam , déjà connu par beaucoup de petits airs, a embelli d une fort jolie musique.
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THÉÂTRE ROYAL DE L'OPERA-COMIQUE.
LE IOUP-GiltOU , OPÉRA-COMIQUE EN UN ACTE. — RE-
PRÉSENTATION AU BÉNÉFICE DES ÏXDIGEXS.
i i mars.
Le directeur de Feydeau est assurément un homme habile en fait de théâtre et de bienfaisance. Il met à merveille en pratique ce refrain d'une des pièces de son répertoire.
Qu'il est doux de faire du bien!
Surtout quand il n'en coûte rien.
Obligé de donner au profit des pauvres, qu'on appelle maintenant des indigens, une représentation qui leur soit avantageuse et dont l'éclat cependant ne nuise point aux recettes du théâtre, en usant ses ressources , le directeur a trouvé le moyen de concilier l'orgueil de la charité et les besoins de son établissement -, et, comme c'est le public en définitive qui fait les frais de toutes les hypocrisies, ce sont les spectateurs qui ont été les dupes de la charlatanerie du rusé directeur. Son affiche était superbe. Un débutant, une pièce nouvelle qu'on savait être de M. Scribe , un duo de harpes, un solo de hautbois, un trio chanté par le chanteur en possession de la vogue -, il y en avait pour tous les goûts. Entrez, messieurs! entrez , mesdames! et de la bienfaisance par-dessus le marché. Le moyen de résister ?
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Aussi la salle était-elle pleine, et a-t-on fait 3,000 fr. de recette. Voilà pour les pauvres, et c'est ce qu'il y a de mieux. Quant aux spectateurs, c'est autre chose $ ils n'ont jamais, à coup sûr, assisté à une représentation plus ennuyeuse, plus cruelle que celle-là.
Le débutant est un provincial, nommé Larlique, qui chante comme on chante en province et comme on chantait à Paris il y a trente-six ans, alors que Chenard était en possession de déchirer le cœur du public en passant par ses oreilles. Comme on se fait à tout, on s'était habitué à trouver, ou, plutôt à dire que Chenard avait une belle voix, et quand j'ai commencé à fréquenter le théâtre, il y a dix-huit ou vingt ans, sa réputation était si bien établie, qu'on aurait lapidé quiconque aurait osé contester sur ce sujet. Il est vrai qu'à la même époque , les mêmes gens étaient encore en admiration devant un autre chanteur de l'Opéra de la même force et de la même école que Chenard. C'était Lainez qu'on appelait alors la colonne de l'Opéra. Les deux faisaient la paire. Celui-ci criait comme un sourd avec une voix de tête ressemblant au cri du canard, l'autre beuglait tous les airs de la même façon. Il avait une de ces grosses voix qu'il faut avoir pour plaire dans un cabaret quand on y chante : Aussitôt que la lumière. A vrai dire, ils possédaient tous deux de magnifiques poumons dont ils faisaient un usage affreux pour les oreilles tant soit peu sensibles aux douceurs de la mélodie. Il fallait être trois fois Parisien, c'est-à-dire enfoncé jusqu'aux yeux dans les plaisirs de la routine, pour supporter de pareilles brailleries dénuées de tout art, de toute méthode, de tout charme. M. Lartique possède une partie de ces précieuses qualités. Quand il se sera fait entendre au
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directeur, celui-ci aura dû se croire vingt-cinq ans de moins -, son bon temps était revenu -, il aura engagé le débutant d'enthousiasme et par un souvenir de jeunesse *, c'est ainsi qu'il a fait revenir Gavaudan au théâtre.
Afin de ménager le répertoire nouveau, de fournir au débutant le moyen de prouver sa ressemblance avec Chenard, et enfin de retrouver les plaisirs de son enfance , le directeur a fait jouer la Fausse Magie, un des plus vieux opéras de Grétry, et dans lequel on ne trouve qu'un duo d'une excellente facture, d'une expression parfaite.
J'intervertis l'ordre de la représentation et ne parlerai qu'à la fin de la pièce nouvelle. Je continue l'énumération des plaisirs promis et de leur triste résultat.
Le Concert à la Cour, pièce usée du répertoire de M. Scribe, devait être ravivé par des concertans et des chanteurs extraordinaires. Le solo de hautbois a été exécuté par M. Brod, musicien attaché à l'orchestre de Fcydeau, et qui n'a pas pu jouer une seule des variations de la Fantaisie, qu'il avait choisie, sans un couac. et quelques fausses notes. M. et madame Pollet, mère et fils, sont ensuite venus barbouiller sur leurs harpes les airs de la Dame Blanche, défigurés par une exécution confuse et, comme il arrive toujours quand il s'agit de harpes , par la rupture de plusieurs cordes. Enfin, le trio des Artistes par occasion, qui devait terminer celte enivrante soirée, est un morceau de situation remarquable, mais qui ne peut servir à faire briller la voix d'aucun de ceux qui l'exécutent ; de sorte que ceux qui croyaient avoir le plaisir d'entendre
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les sons purs et graves de Chollet et de Levasseur ont dû remettre ce plaisir-là à une autre fois.
Il était bien évident, pour les gens qui ont le secret des pratiques du théâtre, que le directeur comptait peu sur le Loup-Garou. S'il avait fondé le moindre espoir sur le succès de cette pièce, il ne l'aurait pas donnée, pour la première fois, un jour de représentation à bénéfice où les spectateurs payans, plus nombreux qu'à l'ordinaire , tuent les pièces nouvelles qu'ils écoutent en ne se donnant pas la peine de les applaudir. Ils ont fait mieux cette fois : ils ont sifflé , et c'était justice pour tout le monde.
La scène se passe au quinzième siècle, probablement, et à l'époque où la superstition des sorciers et des loupsgarous était en pleine vigueur parmi la gent paysanne. C'est un moyen de comique bien usé et bien abandonné il devient encore plus ridicule et plus nul quand il est appliqué à des personnages d'un ordre un peu plus relevé.
Un jeune comte, Albéric, exilé par le duc de Bourgogne , est obligé de se cacher dans les bois ; il sauve la vie à la belle Alice, pupille de Raimbaud, intendant du château d'Albéric, laquelle est sur le point d'épouser Bertrand, fauconnier des échevins de Yezelay. Alice aime pourtant son sauveur, mais elle s'éloigne de lui et refuse même de devenir sa femme, parce que, sur les propos superstitieux de Bertrand, elle prend Albéric pour un loup-garou, homme pendant le jour, bête depuis neuf heures du soir, et à la poursuite duquel se metten t tous les arquebusiers du village.
Albéric, désolé du refus d'Alice, et obligé, pour oh,tenir sa grâce du duc de Bourgogne, de se marier dans
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les ving-quatre heures, offre sa main à Catherine, autre pupille de Raimbaud et d'extraction noble. Celle-ci, qui aurait mieux aimé épouser Bertrand parce qu'il est riche, accepte pourtant Albéric, qui n'est encore connu jusque-là que sous le nom d'Hubert. Mais, lorsque Catherine apprend à son tour que le soi-disant Hubert est un loup-garou, elle renonce à lui et fait échange avec la jalouse Alice de l'anneau de fiancée que chacune d'elles avait reçu de son futur. Pendant que les arquebusiers sont à la chasse du loup - garou, Albéric a un tête-à-tête avec Alice, toujours persuadée du sort que l'on a jeté sur son amant ; mais, comme Zémire, dans la Belle et la Bête, elle se décide, malgré tout, à l'épouser pour le rendre complètement à sa forme humaine. Tout s'éclaircit. Elle devient la femme du comte Albéric et Catherine se marie avec Bertrand.
Tout cela, est bizarre, peu piquant, peu spirituel. Des quolibets pendant une heure sur une équivoque d'homme changé en loup , c'est trois quarts d'beui-e de trop. Le public l'a jugé ainsi et a sifflé la dernière partie de cette pièce qui, à coup sùr, est un cadeau du Gymnase à l'Opéra-Comique. Elle avait été faite pour le théâtre de Madame, et le directeur s'en sera d-ébarrassé en faveur de son confrère de Feydeau. Les petits présens entretiennent l'amitié, et la bonne intelligence de ces messieurs est connue. Cet opéra, avec la prétention d'être bouffon , avait besoin d'une musique vive et gaie, et la partition n'a pas complètement répondu à cette nécessité. C'est le premier ouvrage d'une jeune personne fort intéressante, fille de M. BertiB, l'un des propriétaires du Journal des Débats. Les auteurs du malencontreux poëme sont MM. Scribe et Mazèrcs,
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qui, comme on le dit dans le Charlatanisme, l'une de leurs plus jolies pièces au Gymnase, « sont deux gens d'esprit qui prendront bientôt leur revanche. »
THÉATRE DU VAUDEVILLE,
REPRÉSENTATION AU BÉNÉFICE DE MADEMOISELLE MI-
NETTE.
18 avril.
Je suis assurément dispensé de longs préliminaires sur la nature des représentations à bénéfice. Dans les occasions de ce genre qui se sont déjà présentées, j'ai fait remarquer le combat qui s'élevait toujours entre l'intérêt et la vanité des bénéficiaires. Les comédiens feignent de croire à la reconnaissance du public pour les plaisirs qu'ils lui ont procurés. C'est un moyen de se relever à leurs propres yeux et aux yeux de quelques sots toujours dupes de cet étalage. À en croire les comédiens , il leur suffirait de la simple annonce du bénéfice qu'ils ont obtenu pour que le public reconnaissant et empressé accourût à leurs pieds apporter le tribut de son hommage. Mais cette illusion ou cette forfanterie ne tient pas cependant contre la crainte d'un mécompte, et chaque acteur a grand soin de composer son bénéfice de façon à ce que la curiosité du public soit assez excitée powr que son empressement à s'amuser fasse croire à sa reconnaissance.
Personne n'est à blâmer dans tout cela. Le comédien
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a l'air d'attacher un grand prix à l'estime du public, de laquelle au fond il se soucie fort peu. Le public, de son côté, tout en ayant l'air d'estimer le comédien, ne se rend qu'à l'appât du plaisir qui lui est offert, et de cette façon chacun n'est dupe que comme il lui convient de l'être.
Madame la baronne de M , ou mademoiselle Minette, est actuellement la plus ancienne actrice du Vaudeville. Privée de voix et douée de fort peu d'agrémens personnels, elle a pourtant conservé des allures assez juvéniles pour continuer de jouer, après trente ans d'exercice, les rôles de petites filles et de petits garçons dans lesquels elle a toujours eu un succès assez décidé. Elle le doit principalement à un mélange d'innocence et de hardiesse, de simplicité commune et graveleuse et de naturel équivoque qui amuse les hommes d'un certain âge, et qui fait sourire les femmes qui ne se dégoûtent plus de rien. Du reste elle ne rapporte pas ses manières de théâtre dans ses relations habituelles.
Elle ne manque ni d'esprit ni de talens, ni même de cette sorte de bonnes façons assez rare chez les gens des petits théâtres.
Dans le cadre fort étroit qu'elle avait à remplir pour composer la représentation donnée à son bénéfice, puisque les acteurs des spectacles secondaires pouvaient seuls, d'après l'usage, y concourir, mademoiselle Minette a eu l'esprit de placer tout ce qui était de nature à attirer la population qui n'a plus d'autre plaisir que le spectacle. Le Hussard de Felsheim, pièce nouvelle du théâtre, est encore en possession d'amener ceux qui ne l'ont pas vue ; la Chatte métamorphosée en femme est
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l'ouvrage le plus nouveau du Gymnase. Le hautbois de Vogt est toujours sûr de ne point résonner dans le silence; et, enfin, on annonçait deux curiosités : l'une, la Ménagerie de Minette, folie qui ne devait être jouée que cette seule fois, et l'Amou'1' et la Peur, vaudeville qui pouvait bien ne pas être joué davantage. La première avait été intitulée Bêtise. Elle a parfaitement justifié son titre. C'est la réunion de quelques scènes, sans but et sans intrigue, destinée seulement à faire paraître les acteurs du théâtre des Variétés dans leurs rôles les plus accrédités et à faire ressortir les anciennes bêtises de F Ours et le Pacha. Cette parade a été froidement accueillie par des spectateurs qu'on s'était engagé à faire rire et qui eux-mêmes s'attendaient à s'amuser. Comme il arrive toujours dans ces occasions, c'est le contraire qui a eu lieu.
L'Amour et la Peur annonçait plus de prétention ; le sort de cette comédie-vaudeville a été pire. On ne l'a pas laissé achever : ce qui n'empêchera probablement pas le théâtre de la redonner souvent et longtemps 3 car quoique M. Rousseau ait été dénoncé comme le seul coupable de ce vaudeville , il n'est que trop vrai, bêlas ! qu'il a eu pour complice Désaugiers ! quantum mutaius ! Les intérêts du directeur l'emporteront sur ceux de l'homme d'esprit, et les recettes consoleront la vanité.
Il ne se peut rien de plus maussade que cette pièce, dans laquelle même les couplets n'ont pas l'air d'être sortis des mains de Désaugiers. Quand on a le malheur d'avoir la pierre, quand on a le malheur, non moins grand peut-être, avec le caractère de Désaugiers, d'ètre
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directeur du Vaudeville, il faudrait renoncer à faire des pièces.
Puisque je suis en train de tout dire, je ne dois pas oublier de faire mention de M. Arnal , acteur du théâtre des Variétés , qui a débuté ce jour-là au Vaudeville par le rôle d'Inigo.
SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
FRANÇOISE DE RIMINI , TRAGÉDIE EN CINQ ACTES*.
PAR M. CONSTANT BÉRIER.
iG mars.
Les haines prolongées des Guelfes et des Gibelins ont été fécondes en événemens tragiques ; un des épisodes les plus célèbres de leurs sanglantes querelles dans le treizième siècle a fourni au Danle le morceau le plus tendre et le plus délicat de la poésie italienne. L'amour de Françoise et de Paul, leur fin déplorable et le récit que le Dante a placé dans la bouche de Françoise au cinquième chant de son Enfer, sont dans toutes les mémoires. Les deux amans qui, je crois, n'étaient pas si innoccns que leurs historiens ont voulu le persuader, tués d'un même coup par un époux jaloux et furieux , ont été immortalisés par le poète. Ce n'a jamais été une chose rare, à aucune époque, que des liaisons semblables à celle de Françoise et de Paul 3 mais dans au-
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cunc langue on ne trouve rien d'aussi touchant que cette pensée exprimée dans le dernier vers du récit :
Quel giorno più non vi leggemmo avante.
Ce jour-là, nous ne lûmes pas davantage.
Il est assez singulier que, jusqu'ici, cet événement n'ait pas été traité par un de nos tragiques $ du moins je ne connais aucun ouvrage français sur ce sujet. Est-ce la Gabrielle de Vergy, de Debelloy, qui a arrêté les poètes du dernier siècle ? Avant eux, on se serait bien gardé de mettre sur la scène un épisode qui n'aurait pas été tiré de l'histoire ancienne , et les successeurs immédiats de Corneille et de Racine avaient été élevés dans un trop grand respect de la tradition pour essayer de sortir de la réserve d'imitation qui leur avait été imposée par l'usage , plus encore que par l'exemple de ces hommes de génie. Mais depuis que Voltaire avait transporté sur le théâtre des sujets de l'histoire moderne et que la foule des imitateurs s'était précipitée sur ses pas, on aurait pu attendre de l'un d'eux quelque tragédie bien noire sur la catastrophe de Françoise de Rimini. Debelloy , qui avait fini par se vouer à l'exploitation exclusive des épisodes de l'histoire de France, aura, dans son système de terreur et de nationalité , préféré la fin tragique de Gabrielle à celle de l'épouse de Malatesta ; il trouvait d'ailleurs les esprits instruits de la mort violente de son héroïne et prévenus favorablement par le succès qu'avaient obtenues les Anecdotes de la Cotit- de Philippe-Auguste où il avait puisé sa fable. L'analogie des sujets aura ensuite retenu ses successeurs. Les deux femmes sont, en effet, dans une situation absolument
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semblable. Toutes deux ont été unies, malgré elles, à des hommes qu'elles n'aimaient pas parce qu'elles en aimaient d'autres. Elles offrent les mêmes combats du devoir contre l'amour, et toutes deux enfin périssent misérablement avec leurs amans par la main de leurs époux. Seulement il se présente, sous le rapport des convenances, une différence essentielle. Aucun lien social n'attachait Gabrielle à Raoul. La femme de Vergy et le sire de Coucy ne voyaient pas s'élever entre eux l'insurmontable barrière des nœuds de famille. Mais Paul était le beau-frère de Françoise, et l'observation des convenances était telle dans l'ancien système dramatique qu'il y avait tout à craindre en présentant une pareille situation à la susceptibilité des spectateurs qui ne voulaient pas même , selon les mémoires du théâtre, qu'un amant de tragédie osât toucher la main de sa princesse. Debelloy devait donc se livrer préférablement et à tous égards au sujet français. Il paraît même qu'il ignorait l'aventure de Françoise de Rimini -, du moins il n'en parle pas dans la longue préface qu'il a mise en tête de sa Gabrielle. La similitude des événemens aurait dû l'engager à en dire quelque chose. Mais soit qu'en effet il n'ait pas su les malheurs de la Gabrielle italienne, soit qu'il ait craint, en touchant ce passage , d'éveiller les imitations de ses rivaux, il s'est tû absolument. Il rappelle seulement les obligations qu'il a eues aux soi-disant Mémoires de mademoiselle de Lussan et à ces deux vers si connus du poëme de ,M. de la Vallièrc :
Il voit le cœur, il en jouit,
Il voit la lettre, il en frémit.
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L'héroïne de Ravenne était donc restée jusqu'ici sans interprète sur le Théâtre Français ; mais elle avait été plus heureuse dans son pays, -et en 1813 son amour et sa mort avaient attendri les spectateurs de Milan. C'est de la tragédie de M. Silvio Pellico, représentée à cette époque et comprise dans la collection des théâtres étrangers , publiée en 1822 par Ladvocat, que M. Constant Bérier a tiré celle qu'il a fait applaudir hier soir à l'Odéon. Il n'a pas craint de conserver à l'épouse de Malatesta, son nom patronimique. M. Trognon, traducteur de l'ouvrage italien, s'était montré plus scrupuleux sur les délicatesses parisiennes. Après s'être vanté de la littéralité de sa traduction, après avoir déclaré que sa conscience l'avait porté à se faire plutôt Italien que Français, et qu'il était persuadé que , substituer aux intentions d'un auteur, quelles qu'elles soient les caprices de -son propre goût, c'est exercer sur lui l'arbitraire de la censure -, après même avoir conservé à la tragédie le titre original de Françoise de Ri mini, M. Trognon , dans le cours de la pièce, a imposé à l'héroïne le nom, plus noble selon lui, de Francesca. « On en sentira ai« sément la raison, dit-il dans une note; Françoise n'est « pas , en notre langue , un nom à la hauteur de la di« gnité tragique. » C'est de la puérilité d'un goût pédant, c'est de la délicatesse de collége qui croit se montrer d'autant plus pure qu'elle sera difficile. L'euphonie de Françoise n'a rien de blessant pour les oreilles vraiment délicates. Francesca est plutôt polonais qu'italien , et M. Bérier a fort bien fait de ne pas se rendre au scrupule ridicule de M. Trognon, dont le nom, à toute rigueur, pourrait bien n'être pas assez noble pour figurer dans une tragédie, et qui, dans cette occasion ,
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A'a montré qu'une délicatesse de province. Il ne sait donc pas que les noms des gens appartenant aux classes supérieures sont comme les vêtemens qui ne sont élé... gans et distingués que quand ils sont bien portés. Une fruitière appellera sa fille Paméla ou Aglaé -, ce qui sera horriblement commun et ridicule. Mademoiselle d'Os" mond s'appellera Jeanne, ce qui paraîtra fort noble. Au compte de M. Trognon, Voltaire aurait donc été obligé d'appeler lY/arianna, l'épouse du tyran de la Judée en la traduisant sur la scène française? C'était aussi une victime de la jalouse fureur de son mari, et Voltaire, dont le goût ne peut être suspecté, n'a pas craint de lui conserver son nom historique quoique vulgaire. La pruderie scolastique, le mauvais ou , pour mieux dire, le faux goût de collége se montrent tout entier dans l'étrange observation de M. Trognon, et cet exemple sert mieux qu'aucun raisonnement à montrer l'insuffisance et le ridicule d'une instruction purement pédantesque dans les matières de délicatesse et de goût.
lU. Constant Bérier a bien et mal fait de ne pas suivre complètement l'auteur italien. La fable de celui-ci est trop nue. L'action et l'intrigue ne sont ni assez vives ni assez compliquées. Leur nullité se fait sentir malgré l'intérêt du sujet, la chaleur et la variété des situations et l'horreur de la catastrophe. Mais, pour remédier à ce défaut, M. Bérier est tombé dans l'excès contraire ; il a lié à son action une sœur de Françoise, qui aime Pao'o. L'amour qu elle éprouve lui fait découvrir l'intelligence secrète des deux amans. Elle la découvre à son père dont elle possède les affections exclusives. Le pivot de cette situation est une lettre de Paolo qui, sur la proposition que son frère lui a faite d'épouser unu-
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- fille de Pollcnta, sans la lui nommer, s'est imaginé qu'il s'agissait de Françoise qu'il aime réellement et non de Valentine qu'il a feint d'aimer jadis. Sa lettre est ambiguë , et lorsqu'il est obligé de s'expliquer, tout se révèle successivement. L'équivoque dure trop long-temps et joue un trop grand rôle. Pollenta, qui se regarde comme outragé doublement, réveille les fureurs des Gibelins contre les Guelfes, et périt dans le combat qu'il a suscité en maudissant Françoise. Malatesta, éclairé enfin sur les réels sentimens de sa femme et de son frère, et ne pouvant croire à leur innocence, les tue tous les deux dans une chapelle où ils s'étaient réfugiés. Comme il a été peu question des querelles des factions, ou que, du moins, ce ne sont pas elles qui sont le nœud principal de l'action, la colère politique du père, la sédition du troisième acte, le combat et l'incendie qui en sont la suite, embrouillent l'intrigue sans ajouter à l'intérêt de la situation. Il fallait ou renoncer à ces moyens ou les expliquer. Il existe sur tout cela , pour le spectateur, une obscurité qui a manqué d'être fatale à l'auteur. Le succès a été certain cependant, quoique contesté. Il est dû non seulement au mérite qui se fait remarquer dans plusieurs parties de l'ouvrage, mais encore même à la nature du sujet, qui touche tous les cœurs et toutes les intelligences. Il y a long-temps que je le dis. C'est dans des sujets de ce genre et non dans les actions politiques que les auteurs trouveront dorénavant les premiers élémens du succès. La route des passions amoureuses est une voie trop fréquentée par tout le monde pour être abandonnée. Il n'est personne qui ne comprenne ces sentimens, et qui ne s'y laisse aller sans arrière-pensée. Il ne s'agit dans Françoise de
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Rimini, que de l'éternelle préoccupation de l'homme et de la femme , l'amour et la jalousie. On ne rencontre là que de la pitié ; l'opposition ne saurait s'y montrer.
PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS.
JULIEN DANS LES GAULES, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES ,
PAR M. DE JOUY.
18 mars.
Sauf la trivialité de la comparaison, ce nouvel ouvrage de M. de Jouy est comme un peloton de fil embrouillé : on ne sait par quel bout le prendre. Le sujet est si nul et si froid, les moyens sont si compliqués qu'on ne sait par où commencer pour en rendre compte. A peine même si l'on pourrait dire de quoi il s'agit. Au fond, c'est Julien, d'abord chrétien, et qui mérita ensuite le surnom d'apostat, que veulent faire périr 10 un certain Léonas, consul, ancien assassin de Gallus, frère aîné de Julien, envoyé dans ce dessein par l'empereur Constance effrayé de la réputation et des projets soi-disant ambitieux de Julien -, 20 Clodomaire, fils d'un roi des Francs, prisonnier et ôtage de Julien, chrétien fanatique, et qui veut punir l'apostasie de son vainqueur autant que recouvrer sa liberté; 5° Bellovèse, prince gaulois que deux motifs "animent aussi contre Julien : l'indépendance de la Gaule conquise par l'apostat, et le refus que celui-ci a fait à Bellovèse de la main de Théora,
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jeune esclave grecque, dont ils sont tous deux épris, mais qui n'aime que Julien. Cette triple conjuration, ce sextuple intérêt sont servis par Cébale, obscur scélérat, préfet du palais de Julien. La scène se passe à Paris, sur la hauteur de Montmartre, rue de La Harpe et à l'ancien Châtelet -, c'est-à-dire dans Lutèce, sur le mont de Mars, au palais des Thermes et à la tour de César, car c'est ainsi que s'appelaient jadis ces lieux qui portent aujourd'hui les noms vulgaires que j'ai cités d'abord.
Cébale et Léonas veulent se servir de Théora pour arriver auprès de Julien qui a avec elle de fréquens et secrets entretiens. La jeune esclave révèle le complot à son maître et amant. Julien, sans rime ni raison, va se placer au milieu des conjurés, et leur offre sa vie, afin d'arrêter l'effusion du sang. Le fanatique Clodomaire ne demande pas mieux que de profiter de l'occasion 5 mais le généreux Gaulois Bellovèse, touché de la magnanimité de Julien, tombe à ses pieds, abjure tout sentiment de haine ; et, réunissant ses troupes à celles de son héros, ils vont combattre ensemble et défaire les Francs et les soldats de Léonas. Celui-ci et Clodomaire sont tués dans la mêlée ; on apprend la mort de Constance qui venait avec une armée, appuyer les projets de son ambassadeur Léonas. Julien est proclamé César et empereur. Mais lorsqu'il se croit tranquille et libre, et qu'il est occupé de pérorer les Gaulois et les Romains sur le futur bonheur qu'il leur promet, il est frappé, dans son amour, par un coup terrible. Cébale, qui n'a pas voulu être un scélérat inactif et inutile, a empoisonné Théora pour se consoler d'avoir manqué Julien.
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Elle vient expirer sur la scène en prédisant à Julien ses destinées impériales et le genre de sa mort, dans ces deux vers qui ont assez mal à propos excité quelques rumeurs :
Le prince qui vécut ainsi que Marc-Aurèle,
Est digne de mourir comme Epaminondas.
En effet, on prétend qu'une prophétie avait annoncé à Julien qu'il périrait par le fer, et il fut tué dans un combat contre les Perses par un coup de javeline qui lui traversa le foie.
Rien n'est moins intéressant que le prince que M. de Jouy a choisi pour le héros de sa tragédie. Les derniers païens et les sophistes du dix-huitième siècle avaient fait à Julien une assez belle réputation. Ils avaient été guidés dans le jugement qu'ils portèrent sur ce prince par leur haine contre le christianisme et par quelques belles qualités qui distinguaient cet apostat. Mais s'il fut courageux et modéré, instruit et juste dans une partie
de sa carrière, on ne peut oublier non plus le cynisme qu'il afficha, et les persécutions que sa philosophie ne l'empêcha pas d'exercer sur les chrétiens dont il avait abandonné la foi. Il montra quelques vertus peu familières aux païens, quoiqu'on en ait eu des exemples précédens au siècle des Antonins. Mais ces vertus inconnues
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au temps barbare, Julien les dut sans doute aux principes du christianisme dans lesquels il avait été élevé. Aucun historien, aucun moraliste n'a pu porter un jugement définitif et assuré sur le caractère de Julien, dans lequel on ne rencontre aucun trait assez ferme pour cssiner sa physionomie d'une manière touchante; et
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certes ce n'est point un héros aussi versatile, ou si l'on veut, aussi sage et aussi posé qui peut inspirer quelque émotion au théâtre.
M. de Jouy, imbu de tous les principes de la philosophie niaise et ignorante du dernier siècle, s'est persuadé que l'on entendrait avec plaisir sur la scène les maximes et les lieux communs d'un prince philosophe. Il s'est lourdement trompé dans cette première combinaison. Le temps est venu d'exiger d'autres points de vue que ceux sous lesquels il avait envisagé et composé son ouvrage. Les moyens de succès sur lesquels il avait compté n'existent plus, et il n'a pas fallu dix ans pour que toutes les allusions que sa tragédie renfermait lorsqu'il la présenta devinssent sans valeur. S'il était possible de la lire ou de l'écouter aujourd'hui avec les préoccupations qui agitaient l'esprit public il y a quelques années, on reconnaîtrait, dans cet ouvrage , les intentions de répondre à ces préoccupations : intentions qui auraient été saisies et qui auraient assuré le succès de cette tragédie dont la chute aujourd'hui est une révélation de l'état réel de l'opinion publique. Julien était une tragédie de circonstances ; les circonstances sont passées, et la tragédie demeure sans valeur, destituée comme elle l'est de tout autre mérite. Les vers, en assez grand nombre, contre les barbares du nord, qui venaient désoler les Gaules, étaient autant d'allusions contre l'invasion des alliés -, on y aurait trouvé même quelques traits contre la Sainte-Alliance. Avec la bonne volonté qui régnait alors , une partie des tirades et des mots de Julien aurait été appliquée au souvenir de Luonaparte.
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Tous ces peuples de proie attirés sur nos bords,
étaient pour les Russes et les Prussiens.
Aux yeux de l'univers le malheur est un crime,
Et la victoire seule est toujours légitime,
allait à tous les événemens de l'époque.
Le Gaulois Bellovèse qui veut chasser du trône ceux que les armées étrangères y ont amenés, et qui s'écrie :
Qui! moi, j'immolerais un homme sans combat!
Ce forfait est d'un traître et non pas d'un soldat,
qui assure que, malgré le joug qui pèse sur les Gaulois, ce peuple antique et fier,
Peut ressaisir la gloire avec la liberté,
et qui, en exprimant les vœux de ce peuple, dit à Julien :
Et c'est sa liberté qu'il demande à ta gloire ;
ce Bellovèse, dis-je, aurait passé alors pour un brave de la grande armée, et pour un partisan des idées libérales.
On aurait pris aussi pour des vérités sévères et courageuses que l'esprit de parti irréligieux aurait accueillies avec transport, des lieux communs comme ceux-ci :
Mais je laisse à chacun son espoir, sa croyance,
Et le zèle, à mes yeux, n'est pas l'intolérance.
Notre religion ne connaît point d'esclaves,
Le fanatisme affreux n'armera point mon bras ;
Non , j'honore les dieux, et ne les venge pas.
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Enfin on aurait violemment applaudi comme constitutionnelle cette invocation de Julien :
Que ne puis-je, en ce jour, cher à l'humanité,
Sur les degrés du trône asseoir la liberté !
Ces temps sont loin encore !
Mais toutes ces belles choses ont passé sans être aperçues devant un public qui semblait chercher en ce moment dans une tragédie autre chose que de l'esprit de parti. C'est tout au plus si on a applaudi une allusion aux Grecs, car M. de Jouy n'avait pas pu oublier les Grecs comme moyen de succès, et l'Hellène Théora n'était pas là pour rien. Mais elle a eu beau s'écrier :
Je suis Hellène, et je sens que mon âme
Au seul nom de la Grèce et s'élève et s'enflamme.
Quelques claqueurs ont seuls répondu à cet appel. Les Grecs, la gloire, la liberté, Buonaparte, etc., etc., tous ces incidcns de l'opposition libérale sont passés de mode. Il n'y a que M. de Jouy qui en soit resté là , parce que les vieilles gens prennent toujours leurs souvenirs pour des espérances. En ce moment, et pendant quelque temps encore, il n'y a que les jésuites qui puissent faire de l'effet au théâtre comme moyen accidentel. Malheureusement pour la tragédie de lU. de Jouy, il n'a pas pensé à en mettre dans Julien. Ils n'y auraient pas été plus déplacés que ce qu'on y trouve. Mais enfin, privé de tous les moyens de circonstances, l'ouvrage de M. de Jouy a été entendu et jugé comme une vraie tragédie, et alors il est tombé tout à plat au milieu de
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l'ennui et de l'engourdissement. Il ne pourra pas se plaindre de la cabale ; il a été écouté jusqu'au bout avec une longanimité qu'un reste d'esprit de parti peut seul expliquer. On a sifflé beaucoup à la fin. C'est ainsi, du reste, qu'il serait convenable de juger tous les ouvrages dramatiques, afin de prononcer en connaissance de cause. On peut seulement assurer qu'à l'Odéon un pareil ouvrage attribué à un auteur royaliste aurait été écrasé dès le troisième acte. Le nom de l'auteur de Julien dans les Gaules a été demandé et proclamé, malgré une très vive opposition, par Lafon, qui avait joué ce rôle aussi bien qu'il a été composé. Il n'y avait presque personne à cette représentation, et c'est, je le répète, un symptôme d'opinion publique très remarquable qu'une pièce de M. de Jouy qui cause aussi peu d'empressement et qui est jugée et sifflée,. Il n'était accoutumé ni à L'un ni à l'autre.
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PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
REPRÉSENTATION AU BÉNÉFICE D'ARMAND. PREMIÈRE
REPRÉSENTATION DE LAMBERT SYIUNEL, OU LE MANNEQUIN POLITIQUE , COMÉDIE HISTORIQUE EN CINQ ACTES ET EN PROSE , DE MM. PICARD ET EMPIS ; LE DEUXIÈME ACTE DU MARIAGE DE FIGARO ET tE MAITRE DE CHAPELLE , OPÉRA-COMIQUE.
25 mars.
Le bénéficiaire offre le rare exemple d'une jeunesse prolongée au-délà de toute mesure. A l'âge de cinquante-trois ou cinquante-quatre ans, Armand est encore au théâtre le plus jeune des amoureux -, sa figure, sa taille et ses formes élégantes, sa voix juvénile, quoique toujours affectée d'un léger embarras, tout en lui présente, sur la scène, la plus complète illusion ; on peut lui croire vingt-cinq ans , et, dans FIntrigue et l'Amour, il y a un an, il n'en paraissait que dix-huit. Ce privilége, dont mademoiselle Mars ne jouit pas à beaucoup près au même degré, a permis à Armand de conserver l'emploi des jeunes premiers qu'il jouera long-temps encore, quoiqu'il ait annoncé l'intention de quitter le théâtre. Il peut y être utile comme modèle de bonnes manières et d'excellent ton. Il tranche beaucoup, sous ce rapport, avec les amoureux des autres théâtres qui ont pris l'allure et les habitudes de langage sans façon et de mauvaise compagnie que pro-
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mènent de tous côtés les jeunes gens du jour. Armand, élevé à l'école de Fleury, a conservé les grâces et le ton d'une société qui n'est plus la nôtre. Aussi lui at-on fait peu de rôles de jeunes mauvais sujets modernes , quoiqu'il joue avec esprit et gaieté les marquis et les étourdis de l'ancien théâtre. Il n'a pas su prendre les manières de la jeunesse actuelle, militaire, dégagée et railleuse que Gonthier et Lafont ont su imiter au Gymnase et au Vaudeville, ou peutêtre qu'ils ont imposées à nos jeunes gens qui bien souvent ne vont chercher au théâtre que des grâces et des quolibets. Elleviou, il y a quinze ans, avait supérieurement saisi la transition entre les manières de l'ancien régime et celles du nouveau siècle. Il n'a laissé ni modèle, ni élève. Armand est resté un peu trop marquis. Gonthier et Lafont sentent la mauvaise compagnie. Qu'ils soient imitateurs ou créateurs de ce genre, qu'ils aient entraîné les jeunes gens ou qu'ils les aient copiés, toujours est-il que ce sans - gêne moqueur et rude qui règne maintenant parmi la jeunesse, ne lui donne nulle grâce dans les manières et nul esprit dans la conversation. Le théâtre et les femmes exercent à cet égard une grande influence, parce que ce sont les plaisirs que les jeunes gens recherchent le plus. Or, le théâtre n'est en ce moment et sous ce rapport qu'une mauvaise école pour eux, et les femmes qui, chaque jour, vivent moins en commerce spirituel avec les hommes, ne peuvent plus les former, comme elles le faisaient autrefois , à des manières polies et affectueuses. Les mœurs, au fond, n'y ont rien gagné et la société, dans ses relations domestiques, y a assurément perdu.
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Quelque bonne envie que j'aie de pousser cette digression plus loin et d'examiner le changement survenu dans les habitudes des jeunes gens des différentes classes, il faut que je m'arrête. L'occasion se représentera sans doute de suivre ce sujet. Aujourd'hui, le compte que j'ai à rendre de la solennité dramatique qui a eu lieu samedi dernier, ft4 mars , absorbera assoz de soins et de temps.
Le premier ouvrage qui faisait partie de cette représentation , était une pièce nouvelle dont l'intrigue est singulièrement compliquée, et qui exige, pour être bien expliquée et comprise , quelques détails historiques et préliminaires.
La haine des Lancastres et des Yorcks, de la rose rouge et de la rose blanche, fut encore très vive , au quinzième siècle, sous Henri VII, qui semblait pourtant , par sa naissance et son mariage avec Elizabelh , devoir éteindre toutes les querelles des deux maisons. Elles restèrent actives et violentes, parce que Henri, malgré ses promesses, favorisait en toute occasion les partisans de sa maison au préjudice de ceux d'Yorck et qu'il tarda long-temps à faire couronner Elizabeth.
Sous ces prétextes, vrais ou faux, les amis de la rose blanche , soutenus par la duchesse de Bourgogne, suscitèrent à Henri les embarras les plus sérieux. Deux fois, ils prétendirent soulever l'Angleterre en présentant au peuple des descendans supposés des Plantagenet dont ils opposaient les droits à ceux de Henri.
En M87, Lambert Symnel, fils d'un boulanger d'Oxford, dirigé par le moine Richard Simon, fut jeté en avant sous le nom du comte de Warwick, que le roi tenait pourtant bien réellement enfermé dans la tour de
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Londres -, et, en 1492, un nommé Perkin , fils de Waërbeck , juif rénégat flamand , se montra aussi comme légitime héritier d'Edouard IV. Ces tentatives auraient été complétement insensées si elles n'eussent été soutenues par l'animosité de la puissance de quelques grands du royaume et par l'esprit de révolte qui susbsistait encore parmi le peuple en général favorable à la maison d'Yorck.
Henri triompha de ses ennemis dans ces deux occasions ; mais il fallut cependant en venir aux mains. La ruse de Lambert Symnel fut la plus facilement déjouée. A la bataille de Stoke, le comte de Lincoln, Thomas Brougthon, seuls Anglais de distinction qui eussent pris part à cette affaire, et Martin Swart, qui commandait les troupes allemandes soudoyées par la duchesse de Bourgogne, furent tués -, le moine Simon fut enfermé dans un couvent, et Lambert Symnel, envoyé dans les cuisines du roi, où il parvint au titre de fauconnier. Cinq mois après, et pour ôter tout prétexte aux mécontens, le roi lit couronner Elizabeth.
Le peuple se mèla davantage à la tentative de Perkin , parce que, dans la suite, elle se lia à des levées de subsides ordonnées par le roi. Lord Stanley, grand chambellan qui avait jadis aidé à l'usurpation de Richard III, qui avait ensuite puissamment contribué à le renvoyer et à élever Henri sur le trône, Stanley, devenu mécontent de ce prince, s'était compromis dans cette dernière échauffourée. Il paraît qu'il s'était engagé à soutenir Perkin, sans pourtant rompre ouvertement avec la cour. Il fut victime de la duplicité de sa conduite et périt de la main du bourreau.
C'est sur la tentative de Lambert Symnel, que feu
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M. Lémontey publia une nouvelle intitulée : les Courtisans, insérée dans son recueil : Raison, Folie. Il se servit de la donnée historique pour montrer avec plus de hardiesse que de bonne foi, plus de cynisme que de goût, la bassesse des grands seigneurs qui, voyant le pouvoir menacé, courent se prosterner devant l'idole du jour, et sont dupes de leur lâche empressement pour la faveur.
M. Picard a suivi aussi cette trace banale. Une des intentions de son ouvrage est de faire voir la cupidité et la soif de la puissance qui règnent dans le cœur des courtisans. M. Duval s'était pourtant déjà chargé de développer ce lieu commun dans la Princesse des Ursins. M. Picard, comme son rival, a placé son courtisan politique au milieu d'une révolution, en essayant de conserver le pouvoir quel que soit le parti qui triomphe.
Il a pris dans l'épisode historique de Lambert Symnel, qui ne paraît pas sur la scène, les personnages de Brougthon et de Martin Swart, et dans le second épisode de Perkin , le personnage de lord Stanley, qu'il a fait gouverneur du comté et de la place de Derby où se passe l'action. Le moine Richard ne paraît pas plus que le prince postiche. C'est la duchesse de Norfolk qui est chargée de soutenir publiquement les droits du boulanger d'Oxford. Elle sait bien que ce n'est qu'un faussaire , et c'est à bon escient et pour menacer le roi qu'elle se sert de ce prétendu comte de Warwick.
Ce qui ne se trouve ni dans l'histoire anglaise, ni dans la Princesse des Ursins, c'est la physionomie spéciale que M. Picard a imprimée à lord Stanley et aux troubles qui se manifestent à Derby, lorsque la nou-
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velle de l'apparition du prétendant sur la frontière d'Irlande, vient y réveiller les querelles et les opinions des partisans de Lancastre et d'Yorck. La ville se partage en roses rouges et en roses blanches. Cela a dû être ainsi sans doute -, mais , dans cette partie de la pièce, c'est avec ses souvenirs les plus récens que M. Picard a créé des personnages et des situations.
Sir Nervil et sir Tyrrel sont tous deux alderman de Derby : le premier partisan prononcé du roi légitime Henri ; le second , sectaire de la maison d'Yorck ; sous le règne de Henri, qui a dominé toutes les opinions, les alderman ont vécu en bonnê intelligence ; malgré la différence de leurs sentimens politiques, ils sont même sur le point d'unir leurs enfans, Olivier et Fanny ; mais aussitôt qu'une révolution se prépare, chacun d'eux reprend la chaleur active de son premier parti et ils se séparent brusquement.
Lord Stanley, qui ne veut pas se brouiller avec la cour, si Henri doit triompher, mais qui veut aussi conserver ses emplois, si le prétendant réussit, flatte tour à tour l'opinion dominante. Il est effrayé des premiers succès de Lambert Symnel, qu'il ne sait point être un imposteur -, il a envoyé au-devant de lui son sénéchal Sommerville, sot et lâche, qui croit avoir reconnu le véritable Plantagenet ; Stanley fait alors ouvrir les portes de Derby à la duchesse de Norfolk, qui s'y établit avec un détachement de troupes allemandes -, mais en même temps, Stanley écrit au chancelier pour lui demander les ordres du roi. La sédition faisant des progrès, Stanley flatte le peuple qui s'est prononcé pour Yorck. Il nomme colonel et baron le major Brougthon qu'il avait jadis persécuté } il fait donner une gratification il
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Martin Swart par le banquier italien Burlani, qui soutient les prétentions de la rose blanche. Stanley arbore lui-même ce signe de parti. Il fait mettre en prison Nervil, et élève au rang d'alderman , un nommé Tony, tanneur et révolutionnaire ardent qui échauffe la populace et est soutenu par elle. Mais, d'un autre côté, Stanley fait réunir ses troupes et se ménage le moyen de retourner auprès du roi. Enfin, quand il apprend que le comte de Warwick n'est qu'un imposteur, et que l'armée de Henri est proche de Derby, Stanley s'esquive de la ville au commencement d'une fête qu'il a donnée aux factieux, et revient bientôt combattre et chasser ceux qu'il protégeait tout à l'heure et qu'il appelle maintenant des révoltés. Stanley est le personnage de la fable qui crie selon les gens : Vive le roi ! vive la ligue! ou, pour mieux dire, la pensée de l'auteur, c'est le politique de nos derniers troubles qui dit avec la chanson de l8US :
De crainte d'anicroche,
Je n'ai jamais d'avis;
J'ai toujours dans nia poche
L'aigle et la fleur de lys.
Malgré ses services récens, Henri exile lord Stanley. M. Picard, selon sa coutume de multiplier et de compliquer les intentions principales de ses ouvrages, ne s'est pas contenté de cet aperçu philosophique sur la bassesse et l'intrigue des courtisans, il a voulu, de plus, faire voir l'effet des révolutions politiques dans les diverses classes de la société et leur danger du moment que le peuple est appelé à y prendre part. On a dit, il y a long-temps, que c'était la populace qui se chargeait
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'iie tirer les dernières conséquences des doctrines révolutionnaires et qu'elle savait châtier l'imprudence de ceux qui l'appelaient à leurs secours. C'est une vérité d'expérience consacrée par toutes les révolutions et en dernier lieu par la nôtre. M. Picard l'a mise en action.
Lord Stanley, pour comprimer les partisans de Henri VII, a excité la masse populaire conduite par le tanneur Tony, que Stanley se flatte de pouvoir toujours dominer et diriger. Mais la politique corrompue du courtisan est suspectée par l'instinct révolutionnaire de l'homme du peuple. Tony n'a pas plutôt goûté du pouvoir que lui donne la 'place d'alderman que Stanley lui a confiée, qu'il devient tyrannique et violent. Il regarde son honnête collègue Tyrrel comme un yorckiste modéré $ à ce titre, il l'envoie en prison rejoindre le lancastérien Nervil, lequel, d'après l'arrestation et l'arrivée de son antagoniste, croit que le parti du roi a triomphé et qu'il va être mis en liberté : il n'apprend par-là que le triomphe des prolétaires. Tony accuse ensuite la duchesse de Norfolk ; il excite le peuple contre elle, et elle n'échappe à la mort dont elle est menacée, qu'en se jetant dans la prison, qui rassemble alors, comme exemples de réactions révolutionnaires, les partisans de toutes les opinions. Tony poursuit Stanley comme traître, et lui-même, enfin, pour échapper aux troupes de Henri VII, qui rentrent dans Derby, commandées par Stanley, se précipite du haut d'une maison où il s'était réfugié.
M. Picard a mis en opposition à tous ces factieux un sir Edouard Staffort qui, d'abord, annonce la prétention de rester neutre au milieu de tous les partis ; mais qui, ensuite , sentant la nécessité du pouvoir légi-
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time, offre ses services au roi, rallie autour de lui les bourgeois honnêtes de Derby, et, aidé par eux, contient et chasse les révolutionnaires.
En résumé, l'ouvrage de M. Picard peut conduire au mépris des intrigans de toute espèce, qui, en dépit de leurs sermens , servent tous les pouvoirs, quels qu'ils soient -, il montre l'effet des révolutions sur les affections et les intérêts domestiques et enfin le danger d'exciter les passions populaires.
Cette triple leçon est bonne et salutaire 5 mais malheureusement elle sera moins efficace encore que les enseignemens du même genre que l'on pouvait tirer de l'avant-dernière tragédie jouée aux Françias, et dont les intentions et la portée étaient toutes semblables. On peut dire que Lambert Symnel est la tragédie de Marcel. L'analogie entre les moyens et le but des deux ouvrages est frappante. Nervil et Tyrrel représentent l'Echevin et le Prévôt des marchands ; leurs enfans, Fanny et Olivier, sont l'Olivier et la Marie de Marcel et de Maillard, s'aimant et devant se marier ; le caractère du duc de Craon indique celui de lord Stanley; enfin,
la conclusion est semblable : la mort des conspirateurs et le triomphe de l'autorité légitime. Toutes les doctrines révolutionnaires que M: de Rougemont a mises dans la bouche de Marcel se retrouvent dans les discours et les actions de Tony.
Ce nouvel ouvrage de M. Picard, qui avait encore pour collaborateur M. Empis, devait avoir un meilleur sort que celui qu'il a éprouvé. Il n'est pas sans défauts, sans doute, et l'on peut facilement les signaler. Il faut mettre au premier rang le manque absolu d'intérêt sur j un personnage ou sur une action unique. Le spectateur
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ne sait où il doit porter son attention qu'une foule d'acteurs et d'événemens vient à chaque instant distraire et éparpiller. La versatilité de Stanley et l'ambition mesquine et déçue de la duchesse n'inspirent guère que le mépris, sans curiosité de leur avenir; et, à vrai dire, du moment que le public est instruit, et il l'est au troisième acte , de l'imposture de Lambert Symnel, il lui serait impossible de prendre part et intérêt au reste de l'action. Il aurait fallu que les combinaisons de l'ouvrage n'amenassent cette révélation que comme moyen de péripétie ou de dénoûment au quatrième ou au cinquième actes. L'amour d'Olivier et de Fanny tient trop peu de place dans la pièce , pour que la rupture de leurs parens fasse rejaillir sur eux quelque sentiment d'intérêt. Il ne reste donc ni nœud , ni action. Ce n'est plus qu'un tableau politique, insuffisant, sous le rapport dramatique, pour captiver l'attention et la faveur du spectateur; mais c'est pourtant, à cet égard, qu'il méritait, ce semble, un autre accueil que celui qu'il a reçu. Ce n'était pas une médiocre entreprise que celle de rassembler dans un même cadre tant d'événemens et de caractères d'où jaillissent fréquemment des scènes neuves et bien dialoguécs, des mots spirituels, des leçons salutaires. A l'exception du premier acte, qui est une assez longue introduction d'une intrigue extraordinairement compliquée, on trouve dans chaque partie de la pièce une ou deux belles scènes. Au second acte, l'entretien de Stanley et de la duchesse où ils cherchent réciproquement à se tromper, et l'irruption de Tony escorté de la populace. Au troisième, une autre scène encore entre la duchesse et le gouverneur, dans laquelle Stanley, éveillé par quelques propos, arrache à la dissimu-
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lation de la duchesse l'aveu de la parade politique de Lambert Symnel ; au quatrième acte, la fuite de Stanley et le souper des factieux -, au cinquième acte, enfin , la description du combat qui se livre dans les rues de Derby -, récit fait, à l'imitation de la scène de Rébecca dans le roman d'Ivanhoé, par une vieille domestique de Nervil, à la duchesse et à Fanny qui sont dans la prison, au pied d'une tourelle sur laquelle Brigitte a monté.
Un des torts principaux de cet ouvrage, qui offre plutôt du mouvement que de l'action, qui est plutôt sérieux et spirituel que comique et amusant, est celui qu'on peut reprocher à presque toutes les compositions modernes. Les auteurs ne veulent pas se borner à retracer les événemens de l'histoire en se renfermant, sinon pour les accessoires, du moins pour les idées et pour les mœurs, dans la vérité historique. Ils se croient obligés de plier les événemens, les personnages, leurs caractères et leurs discours aux circonstances et aux préoccupations modernes. Ils s'efforcent d'ôter à leur action toute la physionomie du temps où ils l'ont prise pour la rendre, le plus qu'ils peuvent, applicable aux idées du jour -, bien éloignés en cela de Shakespeare et de WalterScott, qu'ils ont la prétention d'imiter , et qui, l'un et l'autre, se sont pourtant bien gardés de défigurer ainsi dans leurs compositions estimées, les personnages et les idées des temps anciens. Un exemple récent aurait dû éclairer MM. Picard et Empis. Le succès de Louis Xl, de M. Mé!v-Jeanin, tient non seulement à l'originalité et au piquant du sujet, mais encore au soin que l'auteur a pris de n'ajouter à son ouvrage rien que ce qui était du temps de l'action , eu événemcns et en discours. Le pu-
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blic, plus raisonnable que ne le croient les auteurs, n'exige autre chose que quand on le met sur une voie différente -, alors il exige trop pour que les auteurs, qui ne peuvent se passer de l'approbation de l'autorité, puissent le satisfaire, et il punit ceux qui ont alléché sa malignité par des rapprochemens et des allusions, de n'avoir fait que l'exciter sans la combler. M. Picapd a porté la peine de cette faute.
L'épisode de Lambert Symnel était cependant assez piquant par lui-même pour être traité et présenté en conscience, c'est-à-dire sans recherche d'allusions aux circonstances modernes. M. Picard aurait pu se contenter des contrastes et des effets naturels du sujet ainsi que des salutaires leçons qui en jaillissaient de toutes parts sans chercher à les rendre plus sensibles et à appeler l'attention des spectateurs sur des points que le théâtre ne peut discuter complétement, et dont l'esprit de parti, qu'on ne peut jamais satisfaire, s'empare pour les tourner ensuite contre l'auteur.
En voulant profiter de ce que la situation des choses, sous Henri VII, offrait de ressemblance avec les premiers événemens de la restauration, M. Picard n'a-t-il pas cru , par exemple , donner quelque chose de plus piquant au caractère de Stanley en essayant de traduire ce courtisan politique sous les traits de l'homme d'état qui, en France, après avoir aidé le Directoire de ses lumières, a abandonné le parti républicain pour servir l'usurpation impériale, qu'il a abandonnée ensuite pour faciliter la restauration : le tout, s'il faut en croire les brochures des partis, afin de conserver toujours le pouvoir sous quelque gouvernement que ce soit? Le rapprochement est ici d'autant plus clair que lord Stanley
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était grand-chambellan de Henri (ou l'a fait grand-écuyer dans la pièce ), et qu'enfin M. Picard lui applique le sobriquet donné par les pamphlets modernes à l'homme d'état dont je parlais plus haut, celui de grand-maître des cérémonies de la révolution.
N'est-ce point aussi de l'allusion et de la personnalité de 1827 que ce Burlani (Rotschild), capitaliste étranger, qu'on représente comme le banquier du parti de la la rose blanche et que la duchesse de Norfolk crée baron ?
Enfin la plupart des propos, des discours, des maximes , des conseils que débitent les personnages de la comédie de M. Picard ne sont pas ceux de 1487, mais bien ceux de la France en 1789, en 18HS et en 1827. La politique de Staffort, ses appels aux honnêtes gens, comme si tous les partis ne prétendaient pas à ce titre qui alors, et dans ce cas, ne signifie plus rien, etc., etc., tout cela est de la politique des cafés de nos jours , de la diplomatie philantropique de journaux, du style de pamphlets. Encore une fois, si l'auteur, après avoir éveillé et excité, par des allusions de ce genre, la malignité de l'attention des spectateurs, pouvait aller jusqu'au bout, cela serait fort bien pour lui, et le parterre ne manquerait pas de le soutenir. Mais lorsque l'ouvrage ne peut pas être conduit et achevé dans les intentions et les arrières-pensées de l'esprit de parti, il vaut mieux ne pas les provoquer, car alors , le spectateur déçu se venge sur l'auteur du mécompte de sa malice trompée.
En ajoutant à cette observation le tort habituel de M. Picard d'ajouter aux actions et aux discours de ses personnages, les explications les plus prolixes, comme
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s'il avait affaire à une assemblée de sols incapables de comprendre ce qu'ils voient et ce qu'ils entendent, on trouvera la cause du peu de succès qu'a obtenu un ouvrage dans lequel on remarque beaucoup de choses dignes de l'estime que méritent la personne et le talent de M. Picard.
D'autres causes secondaires ont encore influé sans doute sur ce revers. La nature de la représentation doit être mise au premier rang. Je ne me souviens pas qu'une pièce nouvelle, donnée le jour du bénéfice d'un acteur, ait jamais eu de succès dans la soirée ou dans la suite de ses représentations. Il serait facile , au contraire, de citer plusieurs ouvrages distingués que les solennités de ce genre ont écrasé à leur naissance 5 entre autres, une des meilleures pièces de M. Ancelot, la meilleure même à mon avis, Ebroïn qui, si la première représentation n'en eût pas été donnée au bénéfice de Baptiste, aurait eu, je crois, un autre sort. Mais dans ces occasions, le public paré qui y assiste se gourme et conserve une dignité , c'est-à-dire une froideur qui gagne les comédiens, et qui réagit ensuite sur les spectateurs. Lambert Symnel sera une nouvelle preuve de la justesse de cette remarque. Il y a tout à gagner pour un auteur à subir toutes les chances des émotions qu'apporte au théâtre un public ardent et même tumultueux, comme celui des représentations ordinaires.
Il ne faut pas oublier, enfin, dans les motifs de l'accueil qui a été fait à Lambert Symnel, le rôle confié à mademoiselle Mars , celui de la duchesse de Norfolk. Il n'est pas brillant, sans doute \ il n'est pas le premier de l'ouvrage \ mais il a été joué si disgracieusement, avec
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tant de mollesse et de froideur, qu'il a jeté de la glace sur toute la pièce. C'est une nouvelle preuve que mademoiselle Mars, n'est plus en état, comme elle l'était encore il y a quelques années, de soutenir un ouvrage faible et de faire réussir une pièce mauvaise, telle que la Fille d'Honneur ou Valérie. Elle ne peut plus porter un ouvrage; il faut que l'ouvrage la porte. A quoi donc sert, à l'auteur comme au théâtre, une première actrice ? A rien, si ce n'est à éteindre les autres rôles des ouvrages où elle joue, et par conséquent à nuire à l'art littéraire et à ruiner ses camarades par la hauteur et l'énormité de ses prétentions. Le despotisme n'est bon à quoi que ce soit. Si mademoiselle Mars n'eût pas joué dans Lamhert Symnel, la pièce n'eût point été meilleure sans doute, mais elle aurait paru- moins mauvaise ; elle serait restée quelque temps au répertoire, car Michelot y joue il merveille, et elle se serait peut-être réhabilitée. Mais mademoiselle Mars, qui s'en prend aux ouvrages du talent et des succès qu'elle n'a plus, ne la jouera guère.
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ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE MOÏSE, ORATORIO EN
QUATRE PARTIES.
28 mars.
C'est la première fois que j'ai à rendre compte d'un oratorio. J'avais l'intention de faire un préambule explicatif sur le genre et la nature de cette œuvre musicale. Le rédacteur d'un journal du soir, qui a rapidement parlé de cet ouvrage, a fait précéder l'analyse qu'il a fournie à ce sujet de quelques détails que je me suis décidé à copier textuellement. Je n'aurais dit ni aussi bien ni aussi juste à coup sûr. L'auteur de l'article, auquel je fais cet emprunt, est l'homme de France qui sait le. mieux les choses musicales, et qui en parle, sinon avec le plus de calme et d'impartialité, du moins avec le plus d'esprit et en toute connaissance de cause (1).
<f Voratorio, pris dans son acception la plus rigoureuse, est un petit poëme lyrique dont le sujet est une action choisie dans l'Histoire Sainte, et qui est destiné a être exécuté à l'église par des chanteurs représentant divers personnages. Ce poëme est ordinairement écrit en latin; il diffère sensiblement du drame sacré, qui peut reposer sur un sujet de même nature, mais qui doit
(t) M. de Sevelinges, rédacteur de la Gazette de France, mort
ça 183/.
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être joué sur un théâtre. On attribue l'invention de l'oratorio à saint Philippe de Néri, qui fonda la congrégation de l'oratoire vers le milieu du seizième siècle. Ce saint prêtre, voulant diriger vers la religion la passion que les habitans de Rome montraient pour les représentations théâtrales, imagina de faire composer par de très bons poètes ces sortes d'intermèdes sacrés, de les faire mettre en musique par les virtuoses les plus fameux et d'en confier l'exécution à des chanteurs exceliens ; son projet réussit complétement. La foule accourut à ses concerts religieux, et ce genre de drames prit le nom d'oratorio de l'église de l'Oratoire où ils étaient exécutés. Parmi les plus belles compositions de cette espèce que les diverses écoles aient produites, les connaisseurs distinguent le Messie, de Hœndel 3 la Passion, de Jomelli; le Sacrifice d'A hralw m, de Cimarosa, et la Création , d'Haydn. »
Ce dernier ouvrage a été exécuté en France il y a plus de vingt ans, et alors que le célèbre chanteur Garat jouissait encore d'une grande partie des moyens qui lui permettaient de donner à tout ce qu'il chantait une expression dont on ne peut avoir l'idée quand on ne l'a pas entendu soi-même. Je n'ai jamais entendu l'exécution complète d'aucun autre oratorio, et ceux que l'on cite plus haut n'ont été exécutés que pai*parties, tant au Conservatoire que dans les concerts spirituels, et dernièrement à l'école si remarquable de M. Choron.
Deux soi-disant oratorios avaient été représentés cependant depuis la Création d'Haydn à l'Opéra. L'un , Saiil; l'autre la prise de Jéricho -, mais tous deux n'étaient que des pastiches, ou réunion d'airs de maîtres célèbres arrangés sur des paroles françaises; le premier
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eut beaucoup de succès. Il ne serait pas juste d'oublier dans cette nomenclature, d'ailleurs si bornée, un ouvrage que le rédacteur de l'article dont j'ai cité quelques lignes, n'aurait pas dû si complétement passer sous silence. Je veux parler de Nepthali, oratorio en trois actes, paroles de feu Aignan, musique de M. Blangini, qui fut joué ensuite comme opéra et dont le succès assez positif était dû en totalité à la partition.
Quoi qu'il en soit, et depuis Nephtali, aucun oratorio n'avait été représenté. Jean-Jacques, avant d'avoir entendu Gluck, prétendait que ni la musique ni les oreilles françaises n'étaient faites pour des ouvrages de ce genre. L,'auteur RAlceste avait déjà fait revenir le philosophe génevois de son brutal jugement. Saül, Jéricho, malgré leur nature mélangée, et Nephtali lui auraient plus positivement encore donné un démenti direct, et enfin Moïse n'aurait plus laissé de doute sur la question.
Jusqu'ici les ouvrages que je viens d'indiquer avaient été joués pour la première fois dans la semaine sainte. On avait encore voulu conserver quelque chose de l'origine de l'oratorio. Aujourd'hui que les traditions de toute nature sont effacées ou s'effacent, tout en con... servant le titre ancien à l'ouvrage nouveau, on. s'est écarté de l'usage, et Moïse a paru avant le mercredi saint. Est-ce par une sorte de concession au passé qu'on l'a fait jouer dans le carême? Tout cela est fort indiffé-» rent au fond, à coup sûr. L'Opéra, quels que soient la nature et le jour des représentations qu'il donne, ne sanctifiera jamais ni lui, ni ceux qui le fréquentent. Pour mon compte, je déteste si parfaitement l'hypo-
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crisie des comédiens et des gens de théâtre, en d'autres termes, le cabotinage, que je me dispenserais plutô.t d'aller entendre le chef-d'œuvre de Rossini que de m'y rendre à quelque époque que ce fût, si je pouvais croire que l'on pensât que j'y vais comme à une œuvre convenable -, je prends l'Opéra comme il est, pour mon plaisir ou pour mon devoir, en repoussant loin de moi, et avec horreur môme, la pensée que telle ou telle chose le rend meilleur ou plus nuisible. Je laisse ces distinctions diaboliques à ceux qui font de l'Opéra le moyen de leur fortune et de leur salut, et qui ont inventé des opéras moraux et religieux, apparemment pour l'usage de ceux qui n'ont ni foi ni piété.
L'oratorio de Moïse, comme toutes les représentations de l'Académie royale de Musique, est donc simplement un opéra en quatre parties tiré de la Bible, comme Esther, comme Athalie, comme Joseph et les Machabcs, et qui pourrait l'être du Nouveau-Testament comme Polyeucte. Les chefs-d'œuvre de Racine et de Corneille ont, quoi qu'on en dise, autorisé tout ce que l'on a fait et tout ce que l'on pourra faire encore dans ce genre. La question n'est plus là depuis long-temps. Il s'agissait seulement, pour Moïse, de ne point laisser blesser, par le ridicule de l'exécution , la grandeur et l'importance du sujet. A cet égard, il n'y a rien à reprocher à l'Académie royale de Musique -, la rapidité avec laquelle l'ouvrage a ét<$ monté n'a point nui à la splendeur des effets. On a pu s'étonner seulement de la mesquinerie du tableau qui représente les Hébreux dans la terre promise après le passage de la mer Rouge. C'est le résultat de la maladresse ordinaire du machiniste, M. Gromaire. Il devait y avoir, dans ce moment, un grand effet de lumière
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qui aurait éclairé et détaché en même temps la multitude israélite rassemblée au-delà de la mer. On s'est si bien arrangé que la lumière a été obscurcie par le mouvement de comparses et de gens de peine qui ne devaient point se trouver là.
Le poëme est suffisant. M. de Jouy a fait de nouvelles paroles, M. Balochi a arrangé quelques airs de l'ancienne partition -, tout cela ne manque ni de goût ni d'entente de la scène, et c'est tout ce qu'il fallait, car le poëme , les décorations, la danse et les costumes n'étaient en quelque sorte que les accessoires de cette représentation. La grande affaire pour tout le monde était la musique et son exécution. Le Mose de Rossini, en deux actes, était connu depuis long-temps \ mais il n'avait pas obtenu cette faveur unanime dont jouissent les autres ouvrages de ce maître. Cela vient-il de ce que la partition de cet opéra avait été exécutée pour la première fois dans une représentation à bénéfice? Je suis tenté de le croire, et les observations que j'ai faites à cet égard, en parlant de Lambert Symnel, sont applicables à Mose. Mais la réparation a été complète avanthier. Les airs nouveaux, que Rossini a composés, sont dignes de figurer à côté des anciens. Jamais peut-être ce beau génie ne s'est élevé plus haut. L'enthousiasme a été au comble. Il était bien justifié. Rossini a été demandé à grands cris. Il a paru, et cette ovation, si sotte quand elle est appliquée à de minces sujets, était ici un véritable honneur, car elle était bien méritée.
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SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
LE GÉNÉREUX PAR VANITÉ , COMÉDIE EN CINQ ACTES ET
EN PROSE ; DE M. PICARD.
28 mars.
Le titre est à lui seul l'analyse de la pièce. M. Beaumartel n'est bienfaisant et serviable que par ostentation , et l'auteur a placé en regard un M. Dulis, espèce d'homme gris sous le nom de Clermont, qui cache tout le bien qu'il peut faire, presque avec autant de morgue que son voisin en met à proclamer sa propre générosité.
Les caractères de ces deux hommes qui, chacun dans son genre, dégoûteraient d'être charitable, ne se développent guère que par des discours. Une seule action, sèche et sans intérêt, sert à les montrer, et elle remplit toute la pièce.
La justice militaire est à la recherche d'un déserteur qui a fui de son régiment pour venir retrouver sa mère et la faire vivre en travaillant pour elle. Le motif ne peut excuser la faute. Un intrigant, nommé Blandas, qui exploite à son profit la charité vaniteuse de Beaumartel, persuade à celui-ci qu'en cachant et en sauvant Armand , le déserteur, il fera une belle action qui sera sue de tout le monde. Blandas donne ce conseil pour sortir de l'embarras où le jette un ancien créancier qui est venu lui demander de l'argent, et il le fait passer pour le déserteur aux yeux de Beaumarlel qui, pour aider sa
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fuite , consent encore à lui accorder 900 fr., montant de la dette de Blandas.
Beaumartel s'est, en effet, enflammé pour ce leurre de belle action, et pendant qu'il se donne toutes les peines du monde, d'un côté, pour dérober le prétendu réfractaire aux regards des gens de sa maison, de l'autre, il a soin de faire courir le bruit de son dévouement en faveur de ce malheureux. Mais, tandis que l'intrigant et sa dupe s'agitent beaucoup à ce sujet, le vrai généreux, Clermont, a réellement sauvé le déserteur en le conduisant lui-même, dès la veille, dans une de ses manufactures. Il reconnaît ensuite dans le faux Armand un nommé Giraud, graveur, assez mauvais sujet, auquel il a fait jadis quelques avances pour un ouvrage que celui-ci n'a pas achevé. Tel est le seul point de l'intrigue, à laquelle il est impossible de prendre le moindre intérêt. Lorsque Blandas voit que sa fourberie est découverte , il s'éloigne de la maison et d'autant plus volontiers qu'on apprend que des fripons, auxquels Beaumartel a confié des fonds considérables par une feinte générosité, ont levé le pied et compromis ainsi une partie de sa fortune.
Le surplus de la pièce est un bavardage explicatif des deux caractères principaux qui n'ont ni vérité ni couleur, débité par un amas de personnages oiseux comme le médecin Paumier, madame Duverdier, sœur de Beaumartel, Yictorine, fille de celui-ci, laquelle finit, je crois, par épouser Clermont, au lieu de Blandas, que son père voulait lui donner par un faux héroïsme d'amitié -, plus, des filleuls, des amis, des protégés de Beaumartel, etc., etc.
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C'est un ouvrage fait avec les pièces et les morceaux des autres ouvrages de M. Picard. La moralité en est triste et les détails sont loin d'être gais. Aussi le public, après avoir silencieusement écouté les deux premiers actes de cette homélie, a-t-il commencé à murmurer et à siffler au troisième. Les murmures et les sifflets ne se sont arrêtés que lorsqu'un acteur est venu déclarer que l'auteur, dont le nom avait été demandé par quelques amis, désirait garder l'anonyme.
Cette pièce ne peut avoir ni succès, ni suite. C'est le plus faible ouvrage de M. Picard.
THÉÂTRE ROYAL DE L'OPÉRA-COMIQUE.
PREMIÈRE REPRÉSENTATION D'ETIIELWINA OU L EXILÉ , DRAME HÉROÏQUE EN TROIS ACTES , PAROLES DE M. PAUL DE KOCK ET D'UN ANONYME , MUSIQUE DE M. BATTON.
i" avril.
Je ne sais ce que veut dire un drame héroïque. Estce parce qu'on voit figurer dans la pièce un roi, une reine, des princes et des princesses? Il y aurait alors beaucoup d'ouvrages qui mériteraient ce titre et auxquels on ne l'a pas donné pourtant. Il vaut mieux croire que les auteurs ont été chercher cette qualification dans l'impossibilité d'en trouver une autre qui convînt parfaitement au sujet qu'ils avaient traité. Les étrangers y
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font moins de façons : ils appellent pièce de théâtre, tout ouvrage qui n'a pas une couleur assez déterminée pour être intitulé tragédie, comédie ou drame.
Quoi qu'il en soit, ce drame héroïque, donné à l'Opéra-Comique, est une copie mal faite de toutes les reines malheureuses, innocentes et persécutées qui trainent sur les boulevarts depuis vingt ans. Il y a un traître, mais il y manque un niais. C'est le compositeur qui a réellement joué ce rôle en mettant en musique un poëme aussi stupide. Il a eu tout seul le mérite du succès, et il a empêché l'ouvrage de subir le sort honteux qu'il méritait. M. Batton est un musicien, jeune encore, élève de l'Ecole-Royale où il a obtenu le grand prix de composition musicale qui l'a envoyé à Rome. Il a déjà donné , si je ne me trompe, un opéra comique en trois actes , qui s'appelait la Fenêtre de Madrid. Sa manière sent assez l'école et point assez l'inspiration. Il y a du talent et plus de métier même qu'on ne pouvait l'attendre de son inexpérience dans la partition qu'il a eu le malheur d'attacher à l'ouvrage le plus nul qu'on ait jolie au théâtre, de mémoire.d'homme , et qui ne pourra s'y soutenir. M. Paul de Kock a déjà fait le Philosophe en voyage et le Muletier. Il est de plus rauteur d'un roman : Le Barbier de Paris. Tout cela, quoique d'une assez grande faiblesse, vaut mieux que l 'Exilé. L'autre auteur , anonyme , est, dit-on, une dame, et le poëme est reçu depuis douze ans. Il fallait le laisser encore douze ans dans les cartons ; on aurait peut-être fini par l'y oublier.
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THÉÂTRE DE MADAME.
LES ÉLÈVES DU CONSERVATOIRE , COMÉDIE-VAUDEVILLE
EN UN ACTE , DE MM. SCRIBE ET SAINTINE,
18. avril.
Mademoiselle Zoé, petite-fille de madame Lefebvre, ex-ouvreuse de loges à l'Opéra ; mademoiselle Louise et mademoiselle Clarice, filles d'un portier qui a sept cnfans, habitent toutes les trois sur le même palier et sont élèves du Conservatoire -, la première, de la classe de danse; la deuxième, de la classe de musique; la troisième, de la classe de déclamation. Elles sont intimement liées et vivent à peu près toujours ensemble dans la chambre de madame Lefebvre, où la scène se passe.
Zoé, jolie et promettant un sujet distingué dans la chorégraphie, est vivement courtisée par M. Petitpas, répétiteur de danse à l'Ecole-Royale , maître de ballets et membre du conseil d'administration de l'Opéra , qui, pour conserver ses places et ses principes, pense à épouser celte petite fille dont les attraits et les talens ne peuvent manquer d'assurer un sort brillant à celui qui sera son mari.
M. Petitpas est inquiet de sa position, depuis qu'à l'Opéra on se montre sévère sur les mœurs. Sa répétition de danse aux Menus - Plaisirs pourrait lui nuire. Pinyt-cinq ou trente petites filles, plus jolies les unes que les autres ! C'est un poste bien dangereux et bien
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glissant pour un célibataire ! Il paraît, du reste , qu'il ne s'en gène pas -, car, outre Zoé, à qui il fait la cour, il promène son écolière Rosalie en tilbury, et il a signé à Clarice une promesse de mariage afin sans doute de vaincre les premiers scrupules de celle-ci qui, du reste , sait que cette promesse n'a point de valeur. Elle l'a appris d'un clerc de notaire qui la suit et qui lui a proposé de lui en faire tant qu'elle voudrait.
Zoé, de son côté , est éprise de Charles, jeune violon du Conservatoire, dont elle croit avoir reçu la veille une déclaration d'amour. Mais le billet qui cause l'erreur de Zoé et qui ne porte ni nom ni adresse, était destiné à Louise , depuis long-temps aimée de Charles, et qu'elle voudrait bien épouser si son père, le portier, ne s'y opposait pas. Ce brave homme, qui sait bien ce qu'il a fait en destinant sa fille au théâtre , et qui compte sur elle pour le soutenir, lui et ses autres enfans, ne veut pas que Louise se marie à moins de 20,000fr. de rentes. C'est modeste pour la fille d'un portier !
Zoé , qui ne veut point de M. Petitpas et qui ne peut pas avoir Charles, est encore poursuivie par un banquier anglais, M. Sterling, auquel Clarice fait des agaceries le plus qu'elle peut et qu'elle aurait même cherché à enlever à Zoé , si tamant d'une amie n était pas une chose sacrée. Ce M. Sterling, qui envoie à Zoé des cachemires et des diamans, voyant qu'il ne peut pas réussir, lui propose un engagement de 2o,000 fr. pour le théâtre de Drurylane.
Lorsque Zoé sait que c'est Louise que Charles aime et qu'il n'a pas voulu la tromper, elle profite de sa position vis-à-vis de M. Petitpas, pour assurer le sort de ses camarades. Elle promet à son professeur de l'épou-
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ser, s'il fait obtenir à Charles une place de 6,000 fr. à l'Opéra, comme violon, et s'il lui procure à elle un engagement qui compense la perte qu'elle fera en renonçant à celui qu'on lui propose pour Londres. M. Petitpas réussit à obtenir l'un et l'autre. Mais lorsqu'il est en • train de répéter avec Zoé la scène du ballet de Clary, où celle-ci fait des reproches au séducteur qui l 'a trompée, Zoé montre à M. Petitpas la promesse de mariage qu'il a faite à Clarice. Elle lui fait observer qu'à l Opéra, maintenant, où il y a des lois pour protéger tinnocence, il se pourrait qu'on trouvât fort mal qu'un galant professeur se fît adorer de ses écolières, et qu'il y a des gens qui pour y avoir été trop aimables ont perdu leurs places. M. Petitpas se décide ; il épouse Clarice -, Louise épouse Charles, et Zoé se prépare à débuter à l'Opéra.
On avait déjà essayé, au Vaudeville, dans une assez jolie petite pièce, Paméla ou la Fille du Portier, de montrer les mœurs de cette classe d'artistes apprenties qui attendent de leurs talens ou de leur beauté la fortune à laquelle tout le monde prétend, mais que tout le monde ne voudrait pas obtenir par le même moyen. Les femmes de théâtre, et particulièrement les danseuses, ne sont autre chose que des filles (dans l'acception populaire de ce mot) pour lesquelles les planches sont une place publique ou un carrefour. Elles y sont en évidence mieux que partout ailleurs. La célébrité même, que le succès de talent peut procurer à quelquesunes , n'est qu'un moyen de mettre leurs faveurs à plus haut prix, car il se trouve toujours des gens assez sots pour payer fort cher les complaisances d'une danseuse, même laide, pourvu que ce soit la première danseuse.
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Assurément mademoiselle *** n'est pas la plus jolie fille de l'Opéra ; mais c'est un premier sujet, et, à ce titre, il ne faut rien moins que la qualité et la fortune d'un pair de France pour prétendre a ses bonnes grâces. Ce n'est pas la beauté de mademoiselle B... qui lui a valu naguère les 40,000 francs de rentes avec lesquels elle tâche de finir doucement sa carrière ; mais, outre les agrémens extérieurs dont elle était pourvue, elle avait encore une extrême réputation de talent que le prince Eugène, le maréchal Duroc, et le prince Pignatelli ont payée successivement et beaucoup plus cher que la personne n'aurait valu sans la célébrité de la danseuse. On considère comme un peu moins filles les chanteuses et les comédiennes, non pas qu'au fond les choses ne soient semblables et ne se passent de même ; mais les arts qu'elles exercent étant moins futiles, il rejaillit sur elles un peu moins de mépris que sur les chorégraphes. Dans la hiérarchie de déconsidération que l'estime publique établit entre les gens de théâtre, il faut placer d'abord les danseurs, puis les chanteurs, et enfin les comediens. Il y a une sorte de justice exacte . dans cette répartition du mépris. L'estime se fonde sur l'intelligence et les mœurs de ceux qui s'exposent au jugement public. Or, il n'y a rien de plus bête et de plus déréglé qu'un comédien, si ce n'est un chanteur qui ne le cède en sottise et en inconduite qu'à un danseur. Tout cela est encore plus vrai des femmes que des hommes, parce que les premières ne font jamais rien à demi. Pour tout dire même, ce sont les comédiennes qui nuisent aux comédiens C'est aux femmes que les gens de théàtre doivent surtout la déconsidération dont ils sont frappés en masse et qui manque d'équité pour quelques uns.
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Le grand malheur pour plusieurs Comédiens, c'est d'être les camarades de comédiennes. Mais qui donc a poussé ces pauvres créatures dans la carrière qu'elles ne peuvent plus quitter quand une fois elles y sont jetées ? Ce n'est pas d'elles-mêmes que, dès l'âge de dix à douze ans, elles entrent dans les classes de l'Ecole-Royale. Ce sont leurs parens qui les y conduisent et qui dès lors spéculent sur la beauté et les talens futurs de leurs enfans. Dans la presque impossibilité de définir comme il faut la nature morale et la tournure physique d'une mère de comédienne, on a dit plaisamment et justement que « c'était quelque chose enveloppé dans un châle. » La définition du père n'est pas encore connue. Mais ces misérables, qui appartiennent presque tous aux dernières classes de la société, voient dans les honteux succès de leurs filles, le moyen pour eux de passer leurs jours dans un repos et dans une aisance assurés; et cependant, il faut le dire, peut-être à la louange des gens de théâtre, c'est surtout parmi eux qu'on remarque le dévouement de la filialité, et il est peut-être sans exemple qu'une comédienne, une femme de théâtre, n'ait pas pour sa mère des soins et une tendresse que ne diminuent pas les services de tout genre, et que je n'ose qualifier, qu'elle en reçoit dans le cours de sa carrière. Mais, encore une fois, c'est une chose digne de remarque que l'affection des gens de théâtre pour leurs mères.
Ces observations n'avaient sans doute pas échappé aux auteurs des Elèves du Conservatoire; mais ils ont été obligés de reculer devant l'impossibilité de présenter de pareils détails sur la scène. C'était déjà bien assez de ceux qui montrent, dans la légèreté actuelle des
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élèves, la dissipation et le libertinage futurs des premiers sujets. Le tableau de la turpitude des parens aurait été trop ignoble. MM. Scribe et Saintine l'ont essayé cependant, mais avec une grande réserve, et ils ont bien fait, pour eux-mêmes, car les spectateurs du Gym- nase, qui n'ont que médiocrement goûte les gravelures de jeunes filles, auraient infailliblement repoussé les allusions aux spéculations du vice. Ils se sont contentés de les indiquer, ainsi que la tendresse filiale des comédiennes, par le rôle de madame Lefebvre, grand'mère de Zoé. Elle tient peu de place'dans l'intrigue de la pièce -, mais, pour les gens exerces, on voit tout ce qu'elle est, et tout ce qu'elle sera pour sa petite-fille.
L Quelque vernis de pureté de mœurs qu'on ait essayé de jeter sur la conduite et les propos des élèves du Conservatoire, quoique la pièce finisse par deux mariages, mesdemoiselles Louise, Zoéjct Clarice surtout n'en paraissent pas moins ce qu'elles sont réellement : de petites personnes fort avancées à tous égards et dont les habitudes ne sont rien moins que décentes. Le professeur attaché à cette maison, qui a déjà séduit deux de ses écolières ( Rosalie et Clarice ), et qui ne veut épouser la troisième que pour conserver ses places ( historique, en remontant plus haut que le professeur), ce professeur, dis-je, donne une étrange idée de la surveillancé qu'on exerce à l'Ecole royale de Musique et de Déclamation. Le public qui, naturellement, conclut toujours du particulier au général, doit tirer de ce tableau la conséquence que tous les élèves et tous les maîtres , directeurs , professeurs, se conduisent de même, et que le Conservatoire, entretenu par la munificence royale, est tout simplement une maison autorisée de
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corruption pour les uns et de débauche pour les autres : il se pourrait bien, en effet, qu'il y eùt quelque chose comme cela.
SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
LA FOLLE DE CLARIS , OPÉRA EIV DEtX ACTES , PAROLES DE M. SAUVAGE, MUSIQUE DE M. COXRADIN KREUTZER.
22 avril.
La partition de cet ouvrage a eu , en un acte, un grand succès dans l'Allemagne. Le rôle de la folle avait été composé pour madame Schutz. Cette cantatrice fort remarquable étant engagée à l'Odéon, n'a pourtant qu'un répertoire très borné en raison de sa prononciation germanique qui l'empêche de se faire convenablement entendre dans le dialogue français. L'opéra nouveau sauvait cette difficulté. Ce n'est pour elle qu'un long et fatigant monologue composé d'airs et de récitatifs, et dans lequel elle n'a absolument qu'à chanter. Il devient alors presque indifférent d'entendre ou non les paroles françaises que la cantatrice est censée prononcer. Je me trompe ; il vaut bien mieux ne les pas entendre, à en juger par celles que vous font subir les autres personnages, interprètes, malheureusement trop clairs , du poëme le plus nul qu on ait jamais représenté , sans en excepter Robin-des-Bois.
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THÉÂTRE DES NOUVEAUTÉS.
PARIS ET LONDRES, PIÈCE EN DEUX ACTES ET EN QUATRE
PARTIES.
2a avril.
Dans Fiorella, qu'on donne toujours à Feydeau, et dans la Courtisane Amoureuse , qu'on n'aurait pas dû cesser de donner au Vaudeville, on voit des femmes dont l'ancienne conduite scandaleuse est un obstacle à l'union qu'elles pourraient, sans cela, contracter avec des hommes pour lesquels elles éprouvent des sentimens honnêtes. Paris et Londres offre la même situation , seulement, au lieu d'une femme entretenue, c'est d'une comédienne qu'il s'agit. Clarisse Valry, danseuse à l'Académie royale de Musique, est la Césarine, la Fiorella des deux autres pièces. Non seulement elle refuse la main d'un jeune Ecossais qu'elle aime beaucoup et qui ne la connaît que sous le nom de madame de Valry, mais elle l'entraîne en Angleterre et le décide à épouser la fille d'un seigneur à laquelle il est promis depuis long-temps.
La première partie de cette pièce se passe dans un appartement du Marais, que Clarisse habite sous le nom de madame de Valry ; la seconde, sur le théâtre de l'Opéra , au milieu des zéphirs et des bayadères du lieu : c'est Paris et le premier acte.
La troisième partie se passe sur le paquebot de Calais
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à Douvres, et la quatrième dans un salon anglais : c'est Londres et le second acte.
L'intrigue, peu claire et que les auteurs ne se sont pas assez donné la peine d'expliquer, se dénoue par un moyen emprunté à la Dame blanche. Pour réveiller dans le cœur de celui qui ne veut pas la quitter, le sentiment de l'amour de la patrie, madame de Valry lui fait entendre et lui fait voir les airs, les costumes et les sites nationaux.
Tout a été sacrifié ici aux effets de costumes et de décorations. On ne pouvait du reste mieux réussir r ta décoration qui représente les coulisses de l'Opéra est de l'effet le plus piquant. Le plaisir de la surprise est complet lorsque le rideau du fond se lève et laisse voir l'intérieur du théâtre de l'Opéra et tout le public rassemblé. On avait déjà essayé cet effet au Vaudeville dans les Chaperons et dernierèment dans le Siège de Corintlie ; mais ces imitations étaient bien éloignées de celles de Paris et Londres.
La pièce a eu un succès complet. C'est la première fois que la malveillance n'a pas pu se signaler au théâtre des Nouveautés. L'ouvrage, quoique donné sous le nom de l'acteur Joly, est, dit-on, l'œuvre de MM. Armand Dartois et Brisset, peut-être aussi de M. Bérard.
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THÉÂTRE DE MADAME.
REPRÉSENTATION AU BÉNÉFICE DE MADEMOISELLE LÉON-
TINE FAY.
3 mai.
Cette représentation est venue justifier ce que je disais dernièrement à l'occasion des bénéfices des acteurs.
Le public accourt à ces solennités ou s'en éloigne, non pas selon le mérite du bénéficiaire, mais selon la composition du spectacle. Mademoiselle Léontine Fay, trop confiante sans doute dans les bontés du public, a eu l'imprudence de composer une soirée sans attrait 5 et l'absence des spectateurs a dû lui prouver que tout comédien qui, dans ces occasions, ne compte que sur lui-même, compte sans son hôte. M. Blaise, du Vaudeville , Tony et Riquet à la Houpe, du théâtre des Variétés, sont des ouvrages épuisés, auxquels on peut s'ennuyer à meilleur marché qu'au Gymnase. La seule nouveauté de cette représentation était un vaudeville dont il était facile de prévoir le mérite et le sort. Les directeurs du théâtre de Madame sont trophabiles pour abandonner et déflorer, par une représentation anticipée , un ouvrage sur le succès duquel ils fonderaient quelques espérances. On savait aussi que la Femme mariée n'était point de M. Scribe \ et, après avoir vu cette triste petite pièce, personne ne s'est même soucié de sayoir quels en étaient les fauteurs.
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C'est un ouvrage parfaitement insignifiant à tous égards et qui ne sera joué tout au plus que deux ou trois fois ; car le théâtre de Madame a l'excellente habitude de respecter le public et ses arrêts loyalement prononcés.
THÉATRE DES NOUVEAUTÉS.
M. JOVIAL, OU L'HUISSIER CHANSONNIER, COMÉDIE-VAUDEVILLE EN DEUX ACTES, DE MM. TIIÉAULON ET ADOLPHE CHOQUART.
6 mai.
Un ancien acteur du Vaudeville, Philippe, dont la réputation est assez populaire, a fait sa première apparition au théâtre des Nouveautés, par le rôle de M. Jovial. On l'a retrouvé avec ses défauts et ses qualités : le ton commun et une verve de gaieté assez communicative $ c'est bien à lui qu'il faut attribuer le succès prononcé de cet ouvrage, qu'on doit à l'association de M. Théaulon et de M. Adolphe Choquart, qui paraît, je crois, pour la première fois sur l'horizon dramatique.
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THÉÂTRE DE MADAME.
L'ARBITRE , COMÉDIE-VAUDEVILLE EN DEUX ACTES, DE
MM. THÉAULON ET PAULIN DUPORT.
8 mai.
C'est la comédie de l'Avocat retournée et réduite en deux actes sans l'intérêt et le style de cet ouvrage si distingué. M. Roger a été pillé aujourd'hui par le Gymnase comme M. Etienne l'a été il y a quelques jours par le Vaudeville. J'ai toujours peine à concevoir comment la délicatesse, ou seulement l'amour-propre des jeunes auteurs, ne les empêche pas de piller aussi ouvertement leurs contemporains.
Du reste, il y a dans cet ouvrage un détail théâtral qui ne doit pas être passé sous silence. Le baron Desormes est un vieil officier de ceux que, il y a dix ans, on appelait voltigeurs de larmée de Condé. Il dit luimême au commencement de l'ouvrage qu'il faisait partie de cette armée, et, pour compléter l'illusion du rôle , l'acteur qui en était chargé a pris une coiffure et, , l'on pourrait presque dire, une figure qui le fait ressembler à Louis XVIII, au moins autant que Talma ressemblait à Buonaparte dans la tragédie de Sylla. Il n'y a d'ailleurs, ni de la part des auteurs, ni de celle du comédien, aucune intention de moquerie ou d'irrévérence. Le caractère du baron Desormes est noble, ses propos ont de la dignité i il est souvent question de sa
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bravoure, de sa loyauté, en un mot, il n'offrait rien de ridicule. Ce rôle est fort bien joué d'ailleurs par l'acteur Ferville, le meilleur des comédiens actuels peutêtre. -
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SECOND THEATRE FRANÇAIS.
Mai.
On a donné le 30 avril la première représentation de 1'Oncle Philibert, comédie-vaudeville en un acte et en prose, de MM. Bayard et Gustave de Wailly. C'est encore un proverbe de M. Théodore Leclercq, qui a procuré aux auteurs le succès qu'ils Qnt obtenu. Ils n'ont pas fait connaître l'origine de leur ouvrage ; aucun journal ne l'a révélée -, mais il n'en est pas moins vrai que c'est l' Edmond, de F Esprit de Désordre, que MM. Bayard et Wailly, ont transformé en Philibert. Depuis que M. Picard a mis au théâtre, sous ce nom, un mauvais sujet du second ordre, un jeune dissipé , bon enfant, ayant une tête folle et un bon cœur, ce caractère est devenu comme un type que la littérature inférieure n'a pas encore cessé d'exploiter. On a présenté le mariage, la vieillesse de Philibert; le voilà maintenant oncle et précepteur des enfans de son frère. Il faudra bientôt dire de cette famille ce qu'on a déjà dit de celle des Atrides :
Race de Philibert qui ne finit jamais.
Lorsque M. Leclercq ne fait pas de proverbes poli-
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tiques, il fait de la bonne, de l'excellente comédie. L'Esprit de Désordre, qui n'a pas eu dans le monde tout le succès qu'il aurait dû avoir, est un des ouvrages remarquables de cet auteur original. M. Picard, ses devanciers et ses imitateurs, ont toujours donné à leurs mauvais sujets une couleur d'amabilité, de vicieux agréables qui n'est pas sans danger pour les jeunes spectateurs. Il semblerait, d'après leurs ouvrages, que les inconvéniens de ces caractères sont peu de chose -, ils n'en ont montré que la partie heureuse -, rien n'est pourtant plus sérieux, plus dangereux pour l'homme lui-même et pour la société, que le défaut de principes et d'instruction, que l'habitude du désœuvrement et de la dissipation -, ce désordre de l'esprit, cette absence de devoirs sociaux, cette légèreté de conduite, prolongée dans la vieillesse ou dans l'âge mûr, dégrade l'homme et est nuisible à la société. Les gens comme Philibert, après avoir été inutiles et mauvais sujets pour leur compte, deviennent le fléau de leurs familles à la charge desquelles ils retombent tou- ' jours et où ils répandent leurs conseils et leurs pernicieuses habitudes. Il est vraiment nécessaire de prémunir la société et la jeunesse contre de tels exemples et de montrer à celle-ci surtout qu'on n'a, d'estime et de t position dans le monde que par la régularité de sa conduite , l'application à ses devoirs, la soumission à ses parens. Tel est le fond de la leçon présentée dans l'Esprit de Désordre et qu'on retrouve dans l'Oncle Philibert. Seulement, M. Leclercq, qui ne travaille pas pour le théâtre et qui se contente d'être comique et vrai, a conduit son mauvais sujet jusqu'au bout. Il lui a fait faire un mariage assorti et qui complète son caractère
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et sa carrière. Edmond épouse une femme du monde, dissipée et sans fortune. Il est facile de voir ce que deviendra l'union de ces deux Philibert, mâle et femelle. MM. Bayard et Wailly ont craint que le public, qui es toujours dans le faux, ne se fâchât de voir son mauvais sujet privilégié, persister dans l'impénitence finale. Ils lui ont donc fait faire une espèce d'amende honorable. Après avoir essayé avec les meilleures intentions du monde de détourner son neveu et sa nièce de leurs devoirs, l'oncle Philibert finit pourtant par reconnaître que les études, le goût des plaisirs honnêtes, le choix d'un état et la confiance dans la tendresse et la direction des parens peuvent conduire la jeunesse au bonheur, plutôt que l'ignorance et la dissipation. La morale du théâtre est satisfaite et les spectateurs peuvent se retirer édifiés. MM. Bayard et Wailly n'ont pris que l'idée principale, et le caractère d'Edmond au proverbe de M. Leclercq. L'intrigue, la distribution des scènes , et la plus grande partie des détails ne sont plus les mêmes et appartiennent à ces messieurs. Leur ouvrage est agréable à la représentation et a obtenu beaucoup de succès.
C'est positivement le contraire qu'il faut dire d'une petite pièce jouée au même théâtre quelques jours après (le 16 mai), sous le titre du Mariage par Procuration. Quoiqu'elle fût facilement écrite en vers, elle était obscure et ennuyeuse, et elle a été sifflée à l'unanimité. L'auteur, qui a gardé l'anonyme, est M. Théodore Pain \ il passe pour un assez bon grammairien et a publié quelques ouvrages de philologie.
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GYMNASE DRAMATIQUE.
i'ERKINS WAKBEC, COMÉDIE HISTORIQUE EN DEUX ACTES,
MÊLÉE DE COUPLETS.
16 mai.
Le sujet de cet ouvrage est le même que celui de la comédie de M. Picard, représentée dernièrement au Théâtre-Français, intitulée Lambert Symnel, et d'un Vaudeville qu'on annonce rue de Chartres, sous le titre du Prince malgré lui. Il s'agit d'un jeune homme que des intrigans veulent faire passer pour le duc d'Yorck, compétiteur d'Henri VII au trône d'Angleterre.
Perkins Warbec fut, en 1492, ce que Lambert Symnel avait été cinq ans auparavant : un mannequin politique présenté, pour relever le courage abattu des partisans de la maison d'Yorck, à l'aide de sa ressemblance extraordinaire avec le fils d'Edouard III.
Quoique le fond de ce sujet soit tout politique, il n'est pas du tout question de politique dans la pièce. L'intrigue est presque toute concentrée dans l'intérieur de la famille Warbec, qui tient un magasin de draps à Tournay, où se passe le premier acte. D'un côté, la naïveté et la fatuité du jeune Perkins, lorsqu'il se croit prince, au second acte, qui se passe à Bruges , et, de l'autre , les illusions de sa mère, ancienne nourrice du duc d'Yorck, composent tous les détails de l'ou-
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vrage qui a été taillé sur le jeu de l'acteur Legrand, chargé de représenter le jeune commis-marchand.
Des deux courtisans qui conduisent cette parade poétique , l'un est le comte de Glissfort, sot et ridicule, comme il est reconnu, au théâtre, que sont tous les diplomates -, l'autre est une femme, lady Alton, dame d'honneur die Marguerite, bonne et spirituelle , et qui, sentant toute l'inutilité de cette momerie , retient le zèle -du comte de Glissfort et par la manière leste dont elle traite cette affaire, empêche la pièce de prendre aucune couleur sérieuse.
La double intrigue du comte de Glissfort, qui semble servir les intérêts de la rose blanche, et qui s'est arrangé secrètement avec la rose rouge ainsi qu'un marchand de Londres, M. Thompson, qui n'est là qu'épisodiquement, est un raccourci des ruses de Stanley et de Sommerville dans le Symnel de M. Picard.
La pièce finit par l'annonce d'un traité de paix entre Yorck et Lancastre. Perkins, que ses parens sont venus chercher dans le palais de la princesse, qui ne parait pas , redevient commis marchand comme ci-devant, et épouse une petite fille de la boutique de son père, lequel est présenté comme le seul personnage raisonnable de la pièce -, sa politique est celle des intérêts de son commerce. On n'a pas trop insisté sur ce point 5 la mesure s'y trouve.
Cet ouvrage n'a pas eu plus de succès que celui de M. Picard. Est-ce la faute du sujet? Le public d'aujourd'hui ne veut-il pas que l'on représente même un prince postiche comme manquant de courage? Pour ce public, n'y a-t-il que des bourgeois valeureux et des rois lâches? Le dénoûment se passe d'une manière comique
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par la poltronnerie de Perkins qui, se croyant prince, dédaigne ses parens, et se décide, tout en rechignant néanmoins, à aller se mettre à la tête de ses troupes. Mais au moment où il va partir, le canon se fait entendre 5 ce bruit inusité aux oreilles de Perkins ébranle sa résolution ; la nature pâtit, et quand il entend un second coup de canon, il prend son parti, et tombe dans les bras de son véritable père. Les auteurs avaient placé là, dans un couplet fort bien tourné ; une louange sur le courage naturel aux princes qui, si elle n'est pas toujours bien méritée, était indispensable. « S'il était prince, il ne tremblerait pas, » dit le père Warbec qui veut absolument ravoir son fils. C'est le couplet de la situation ; il n'y a pas d'autre chose à dire. Au milieu des sifflets et du tumulte de la première représentation, on ne l'avait pas entendu. Mais à la seconde représentation, on a vivement sifflé ce passage qui pourtant, encore une fois, est le seul moyen de dénoùment possible , comique et qui ressort bien du caractère de Perkins. Nos commismarchands n'en ont pas voulu -, et probablement les auteurs, MM. Théaulon, Brazier et Carmouche, seront obligés d'y renoncer. Ils feront un autre dénoûment, ou ils supprimeront au moins le couplet. La pièce y perdra de toute façon -, mais la susceptibilité sotte et la vanité insolente des siffleurs auront été ménagées. Essayez donc de faire des pièces raisonnables ou amusantes avec de pareils juges !
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THÉÂTRE ROYAL ITALIEN.
27 mai.
La Pasloretta feudataria, en deux actes, musique de Vaccaï, a été représentée le 21 avril pour le début de mademoiselle Ferlolli. C'est une imitation de la Bergère châtelaine, de MM. Planard et Auber. La musique n'a eu aucun succès $ la débutante a médiocrement réussi.
Les vrais amateurs de chant ont décerné hier soir au ' début de madame Pisaroni les honneurs les plus brtiyans et les mieux mérités. Je n'ai pas le courage de parler du physique de madame Pisaroni. Les conseils et les critiques sont parfaitement inutiles à cet égard, et d'ailleurs ce n'est pas de beauté qu'il s'agit. Tant mieux, lorsque, comme madame Pasta, on réunit au plus beau talent la tête la plus belle ; mais il est assez rare de trouver des voix pures et expressives pour qu'on ne se montre pas difficile sur le reste. D'ailleurs, nous nous étions bien accoutumés, il y a vingt ans, à madame Strina-Sacchi \ nous finirons par nous faire à madame Pisaroni. De quelles préventions ne doit pas triompher une telle voix ! C'est un contr'alto parfait, un instrument dont on n'avait point encore l'idée à Paris. Madame Pisaroni a obtenu un succès inoui dans le rôle d'Arsace de la Semiramide. Ce rôle, dit-on, a été écrit pour elle. If faut le croire, tant il est bien disposé pour sa voix, et c'est un grand avantage pour les chanteurs que d'exécuter la musique faite exprès
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pour eux. Les Italiens ont encore ce bon esprit. Toutes les fois qu'ils remarquent une belle voix d'homme ou de femme, ils composent des opéras à leur intention, dans leurs moyens, et les y font débuter. De cette manière , ceux-ci n'ont aucune comparaison , aucune tradition à redouter. Rien ne les gêne, ils sont eux-mêmes, et le public les juge sans souvenirs. Mais chez nous , il faut qu'un débutant apparaisse avec tout le répertoire de son prédécesseur et souvent même de son rival. On ne rencontre pourtant pas plus de voix semblables que de tailles égales, et que dirait-on d'un acteur de quatre pieds qui endosserait la défroque d'un comédien de six pieds? La comparaison est juste, et il est absurde au premier chef d'exiger qu'une voix exécute parfaitement les chants qui ont été composés pour une autre voix. La musique n'est pas une selle à tous chevaux, et quand on voudra avoir de bons chanteurs, il faudra leur faire des airs qu'ils puissent bien chanter.
En intervertissant l'ordre de dates, il suffit de faire mention d'une partition, jouée à l'Opéra Italien, sous le titre de Thebaldo e Jsolina. La musique d'el signor Morlacchi n'a eu aucun succès auprès d'un public qui ne veut entendre que du Rossini chanté par madame Pisaroni. Il n'est pas dégoûté.
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PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
LES TROIS QUARTIERS, COMÉDIE EN TROIS ACTES ET
EN PROSE, DE MM. PICARD ET MAZÈRES.
i" juin.
Sous une forme piquante et des détails mordans, cette pièce présente un grand sens et une heureuse moralité. Le fond et la forme ne sont pas absolument neufs. La gradation de la cupidité et de l'ambition, par suite de changemens de fortune, se trouve dans presque tous les ouvrages de M. Picard , notamment dans les Marionnettes; et la Grande Fille offre une distribution scénique assez semblable à celle des Trois Quartiers.
Mais ce qui rend celte pièce-ci tout-à-fait saillante , c'est la nouveauté des détails et la hardiesse avec laquelle les auteurs sont entrés dans les mœurs modernes. Ils n'ont cherché à éviter aucun écueil. La position de chacune des classes marchande, financière et noble est ouvertement établie , leurs prétentions et leurs ridicules sont nettement présentés. L'une n'a pas été sacrifiée à l'autre. La balance a été tenue avec égalité et justice $ et ce qui est fort remarquable, il n'y a dans cet ouvrage ni déclamation, ni amertume en faveur de personne, contre qui que ce soit. On n'y voit ni souvenirs, ni regrets , ni mauvaise humeur, ni espérances. C'est le côté comique de chaque situation sociale qui a été saisie sans que jamais l'attention malveillante du spectateur ait été
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excitée par un mot dur et exagéré. Si M. Picard eût été abandonne à lui même, il n'en aurait peut-être pas été tout-à-fait .ainsi. L'aigreur répandue dans ses mauvais romans et dans quelques traits de ses derniers ouvrages peut le faire croire. L'âge de M. Picard, les habitudes de sa vie et plus encore les temps qu'il a traversés et qui ont exercé leur influence sur lui comme sur tous les hommes de son époque, font naître naturellement cette idée. L'occasion était belle pour ressasser les opinions et les déclamations de 1791 ; et, sans être taxé de médisance, on peut penser que l'auteur du Passé, le Présent et r Avenir et de la Prise de Toulon ne s'en serait pas gêné. Mais son collaborateur, M. Mazères, est un homme jeune, un homme de ce temps-ci, des Bourbons et de la Charte qui, par le bénéfice de son âge, n'est compromis ni d'intérêts ni de doctrines avec les temps passés, et qui peut, sans amertume et sans sacrifice , rire de tout co qui est ridicule et en parler en conscience. Il respecte sincèrement ce qui, de son temps, est respectable et se moque gaiement de ce qui est moquable, sans y mêler ni aigreur ni arrière-pensée.
Les soi-disant philosophes et les auteurs dramatiques de l'ancien régime ont attaqué et détruit la noblesse comme toute espèce de supériorité * en rêvant niaisement une égalité sociale impossible. C'est encore là qu'ils sont. Ils se sont arrêtés à ce point, et je n'en veux pour preuve que les romans de M. Picard et les ouvrages de son contemporain, M. Duval. M. Casimir Delavigne s'est essayé sur le même thème dans le Paria. Mais toutes ces prétentions philosophiques ne peuvent plus avoir le même succès. Les jeunes auteurs qui ne se sont pas corrompus, depuis la Restauration, par de
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mauvaises doctrines voltairiennes ou par de mauvaises liaisons, font justice de ces sottises déclamatoires et antisociales. Ils repoussent, parce qu'ils sont uniquement do leur temps, les prétentions fondées sur des vanités, quelle que soit l'origine de celles-ci 3 mais ils les repoussent à titre de ridicules et tout en reconnaissant qu'une société comme la nôtre doit renfermer et maintenir des supériorités de naissance et de fortune. De pareils sentimens n'ont rien d'offensant, de blâmable ni de dangereux. Les Turcaret et les Comte de Tvffière seront toujours moquables. On peut rire d'eux comme Lesage et Destouches en ont ri dans leur temps. La société n'en est pas troublée : mais elle le serait encore aujourd'hui si les jeunes auteurs, partageant les niaises prévention's de leurs devanciers immédiats, n'allaient attaquer les vanités de la noblesse et de la richesse que pour rendre odieux ceux qui possèdent l'une ou l'autre et répandre les idées d'égalité absolue, de révolte des classes inférieures contre les classes supérieures. On ne trouve rien de cela dans la pièce nouvelle.
Ce n'est pourtant pas la première fois que le tableau de mœurs qu'elle présente a été offert sur la scène moderne. M. Casimir Bonjour l'a essayé dans VEducation ou les Deux Cousine,; mais il n'était resté, ni dans l'équité , ni dans le comique. Le comte de Rosambert et sa sœur donnaient une idée à la fois fausse et dangereuse des préjugés et des vices de la classe noble, tandis que la classe marchande , avec un léger vernis d'ambition ridicule, était cependant offerte sous les traits exagérés et exclusifs de la vertu et de la loyauté.
M. Delaville, dans le Roman, a peint avec plus de justesse et de mesure la situation actuelle des deux aris-
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tocraties financière et nobiliaire ; mais la vérité pourrait cependant lui reprocher d'avoir ménagé les ridicules de celle-ci. Le défaut principal des deux ouvrages que je viens de citer, d'ailleurs, est d'avoir tourné les esprits vers le côté sérieux des questions qu'ils agitaient.
Rien n'est traité sérieusement dans les Trois Quartiers, et tout est poussé au comique; une seule scène , au troisième acte, met à vif et aux prises les intérêts et les préjugés des deux classes. Cette scène se trouve tout entière dans le Roman et, comme dans le Roman, c'est la morgue sèche et offensante de la finance qui est battue par l'honneur de la noblesse. En résumé, ce n'est pas plus l'industrie que la banque et la nobilité qui sont attaquées ou soutenues dans cet ouvrage. Ce sont les ridicules et les préjugés qui résultent de ces trois situations dans la société moderne, et qui, en quelque sorte, leur sont propres , que l'on a fait ressortir avec esprit et gaieté ; et la vérité se trouve au fond du tableau. Chaque classe tend à s'élever ou à se fortifier ; elles s'exagèrent toutes réciproquement leur importance; voilà l'ouvrage; mais les auteurs n'ont montré aucune préférence et n'ont éveillé aucune animosité. La rue Saint-Denis, la Chaussée-d'Antin, le faubourg SaintGermain n'auront point à crier à la partialité.
Il fallait bien s'attendre cependant à ce que le tableau des vanités nobles produirait plus d'effet que celui des deux autres et provoquerait des applaudissemens tant soit peu hostiles. Cela est arrivé aussi ; mais les applaudissemens que le troisième acte a obtenus, n'ont eu rien de scandaleux ni d'éclatant. Ils ont tenu surtout à cette disposition naturelle du public qui se réjouit toujours de voir
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immoler devant lui toute espèce de supériorité et particulièrement celle qui ne repose que sur des prétentions. Le cœur de l'homme est ainsi fait et tout le monde a été, est et sera toujours bourgeois et public contre la noblesse -, mais , encore une fois, ce n'est pas la faute des auteurs qui, je le répète, n'ont laissé apercevoir et n'ont excité aucune aigreur, aucune malveillance soit d'une classe contre une autre, soit du public contre chaque classe isolément. Leur ouvrage est fait de bonne foi. Les cœurs et les esprits hostiles l'ont bien senti : ils n'ont pu y découvrir aucune arrière-pensée -, ils ont été déroutés par la sincérité des intentions.
Sous le rapport théâtral, cet ouvrage n'est pas irréprochable. La situation de Desrosiers est toujours la même, et chacun des mariages qu'il veut contracter est rompu par le même moyen. La monotonie et le retour des combinaisons semblables ne sont ni recouverts, ni déguisés par l'intérêt que le spectateur peut prendre à l'un des personnages. Celle langueur ou ce défaut d'action était, à la vérité, inséparable du sujet même qui ne permettait pas de rassembler l'attention sur un point unique -, et, pour tout dire, la pièce manque de nœud : ce sont trois pièces , chacune avec un dénoûment distinct quoique semblable et qui ne sont unies entre elles que par le personnage de Desrosiers *, cette défectuosité, inhérente à la nature de la composition, est déguisée avec beaucoup d'art, et les auteurs n'ont pas laissé au critique de la représentation le temps de reconnaître ce défaut. Ils l'ont ébloui par une quantité de traits brillans, rapides, neufs et vifs et par la hardiesse des détails.
Mais le but de cet ouvrage est louable ; le sens de sa leçon est le rapprochement des trois classes. La moralité
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qui termine la pièce en indique bien toute la pensée : <f Ne sommes-nous pas tous de la même famille ? » Ce principe, pour être suranné et banal, n'en est pas moins salutaire. La vérité, à cet égard, et surtout à cette époque, c'esfque c'est l'éducation qui fait la véritable égalité 5 elle nivelle et rapproche tous les rangs : il n'y a pas de mésalliance entre les gens bien élevés et élevés de même. Cet aperçu a été fort bien mis en évidence par la liaison des trois jeunes personnes et par les mariages qui finissent la pièce.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE SICILIEN OU L'AMOUR PEINTRE , BALLET EN UN ACTE , DE M. ANATOLE PETIT, MUSIQUE DE lUM. SCllNEITZIIOEFFER ET SOR.
12 juin.
Qui ne connaît l'intermède que Molière a composé sous ce titre et dans lequel Louis XIV a dansé? On ose à peine, après ces deux noms, écrire celui de M. Anatole Petit, qui a traduit en pantomime l'intrigue et les traits spirituels du Sicilien. Le ballet qu'il a arrangé, n'est ni meilleur ni plus mauvais que tous les ouvrages de ce genre. C'est toujours Albert, Paul, Ferdinand \ mesdames Noblet, Montessu et autres, faisant des gestes et dansant des pas. Qu'on les fasse remuer sous un nom quelconque, ils ne font toujours que remuer -, et en vérité l'administration de l'Opéra pourrait
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s'épargner des frais et de la peine. Tous les trois mois elle devrait changer le titre d'un ballet et donner toujours ce ballet avec un autre intitulé et de nouveaux costumes. Tout le monde y gagnerait et les habitués ne s'en apercevraient pas plus que M. Geoffrin qui, après avoir lu vingt fois le premier volume de Télémaque, que sa femme lui donnait toujours comme étant le second , le troisième, etc., etc., disait naïvement: « C'est un bon ouvrage, mais je trouve que l'auteur se répète un peu. » C'est tout au plus ce que pourraient dire les amateurs de la rue Lepelletier ; car en conscience quelle grande différence y a-t-il entre un ballet et un ballet, si ce n'est le titre et les habits des danseurs ?
THÉATRE DES NOUVEAUTÉS.
14 juin.
Ce théâtre, dès son ouverture, avait été l'objet d'attaques de tout les genres; on pouvait craindre que les cris et les propos de la malveillance extérieure, parfaitement secondés par les sifflets qui se faisaient entendre à chaque représentation , ne finissent par compromettre son existence. Le Coureur de Veuves avait seul trouvé grâce. Le charme de la voix et du jeu de madame Albert , une musique légère et gracieuse avaient conjuré les sifflets \ mais une pièce faible et une bonne actrice ne suffisaient pas pour assurer les destinées du théâtre, d'autant plus que l'ouvrage et la comédienne ont été obligés de s'arrêter par suite d'indisposition. L'acteur
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Philippe et M. Jovial sont venus conjurer encore les mauvais destins et les fâcheuses impressions. L'acteur était assez goûté du public -, la pièce , quoique assez faible, était amusante -, mais il n'y avait pourtant ni dans l'un, ni dans l'autre, de quoi attirer la foule; les ouvrages qu'on a donnés depuis ne valent pas mieux que ceux qu'on avait joués précédemment, et néanmoins depuis un mois, le théâtre des Nouveautés a pris une allure de succès et a joui d'une vogue qu'il faut renoncer à expliquer tout en le félicitant de l'avoir obtenue. Un jeune acteur, sorti du théâtre de la Gaieté , pourra lui être d'un grand secours. Bouffé, à l'âge de dixneuf ans, a beaucoup de talent. C'est un comique fort amusant, et il a déjà donné, aux divers rôles qui lui ont été confiés , une physionomie originale. Quand il aura tout-à-fait perdu quelques fâcheuses habitudes de charges qu'il a rapportées des boulevarts, Bouffé pourra devenir un excellent comédien ; et d'ailleurs, s'il ne s'en défait pas, il fera comme tous les comédiens qui réussissent auprès du public, ses défauts deviendront des qualités,
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ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE. ltIACDETH, TRAGÉDIE LYRIQUE EN TROIS ACTES, POEME DE M. MUSIQUE DE M. CHELARD , DIVERTISSEMENT DE M. GARDEL, DÉCORS DE CICÉRI.
30 juin.
L'auteur de cet opéra, en réduisant la tragédie de Ducis, aurait pu en tirer un meilleur parti. Le système dans lequel il l'a composé, en même temps qu'il exige de la sévérité dans les formes, demande de la variété dans les effets afin de rendre supportable la longue représentation d'une action sérieuse. Il ne se rencontre pas toujours des sujets simples et heureux comme Ipliigénie en Aulide, OEdipe à Colonne et la Vestale. Ce sera toujours là le grand écueil de la tragédie lyrique en France. La monotonie et l'ennui naissent forcément d'un sujet sévère traité sans contrastes à moins d'un intérêt unique et puissant comme dans les deux derniers ouvrages que je viens de citer. Il est donc à regretter que l'auteur de l'opéra ait écarté de son poëme les personnages de Malcolm et du vieux Seward, dont Shakespeare avait fait un heureux usage et qui auraient pu jeter quelque variété musicale dans cette sombre composition.
Le premier acte faisait bien augurer du compositeur, M. Chelard, musicien de l'orchestre de l'Opéra, qui a remporté le grand prix de composition musicale, qui a
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fait le voyage de Rome, mais qui avait eu, à son retour, la mauvaise idée de refaire la musique de Maison à Vendre, joli opéra-comique de Daleyrac, fort bien approprié à la légèreté du poëme. La Casa da Fendere, que M. Chelard fit jouer à l'Opéra-Buffa , n'eut et ne méritait aucun succès. En entendant, dans le premier acte de Macbeth, l'ouverture, le premier chœur des soldats, toute la scène des trois sorcières et le finale militaire , on pouvait concevoir les plus heureuses espérances. C'était un mécompte. Il a été impossible de retrouver, dans les deux derniers actes, rien qui rappelât les inspirations précédentes. Tout est d'une affreuse médiocrité. Les danses de M. Gardel méritent une mention semblable.
Le poëme, comme je l'ai dit plus haut, manque d'invention ou de tact dans la disposition du sujet. L'auteur a voulu garder l'anonyme -, son nom, à peu près oublié aujourd'hui, est bien célèbre cependant. Cet auteur est M. Rouget de Lisle, qui a salué l'aurore de notre révolution par l'hymne à jamais déplorable de la marche des Marseillais : Allons, enfans de la patrie l Il vit maintenant obscur, malheureux et repentant, dit-on.
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THÉÂTRE DES NOUVEAUTÉS.
LES PROVERBES AU CHATEAU, OU LES DEUX GENRES ,
PASTICHE EN DEUX TABLEAUX.
12 juillet.
Quelques personnes réunies dans le château de madame de Sivrac et ne sachant comment passer le temps, se proposent de jouer des proverbes. Les uns, amateurs des modernes, jouent une pièce tirée du théâtre publié, il y a environ deux ans, par M. Mérimée, sous le nom pseudonyme de Clara Gazul, actrice espagnole -, les autres, passionnés de la vieille comédie, représentent une espèce de parade dans laquelle on a accumulé toutes les bêtises du répertoire primitif: père imbécile, valet fripon et sortant des galères, soubrette spirituelle, contrat simulé, signature surprise, etc., etc. ; et pour que la pièce finisse comme finissent toutes les pièces anciennes , le faux contrat qu'on a soi-disant fait signer à M. Gauthier-Orgon, est une véritable promesse de mariage avec dédit entre sa fille et un jeune homme auquel il ne voulait pas la donner. M. Gauthier se résigne par honneur pour ses doctrines dramatiques et les principes de la vieille comédie.
Il y aurait un volume de réflexions littéraires à faire à l'occasion de ce petit ouvrage qui dit plus de chotcs qu'il n'est gros. L'idée et l'exécution en sont fort spirituelles. Dans ce moment où l'on court le classique comme
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un Mevre qu 'on veut forcer, cette pièce est une attaque . trcls vive -, il faut ajouter qu'elle est faite de mauvaise foi, car il y a déjà long-temps que le comique qu'on a montré hier, aux Nouveautés > est abandonné par les auteurs. Si Molière en a fait usage, dans les Fourberies de Scapin entre autres -, si Regnard, Lesage, etc., etc., s'en sont servis, c'est qu'alors la comédie des anciens était le seul point d'imitation, la seule route que l'on voulût suivre. Mais cependant lorsque les auteurs ont renoncé, depuis nombre d'années, à ces moyens dramatiques, les acteurs n'en ont pas fait autant, et comme ils savent leur ancien répertoire, il faut, bon gré mal gré, subir encore à la Comédie-Française les Labranche, les Crispin et autres valets dits de grande livrée. La pièce nouvelle peut-elle produire cet effet, que l'on renonce à montrer sur la scène toutes les immoralités que renferment ces ouvrages? Elle aurait alors rendu un grand service ; car les noms imposans de leurs auteurs ne doivent pas empêcher de convenir que ces tableaux des anciennes comédies, où un valet galérien et une soubrette de mauvais lieu réunissent leurs talens pour ridiculiser et berner un père ou un tuteur devant ses enfans ou ses pupilles et lui extorquer son argent et son consentement à un mariage , ne soient dangereux pour les mœurs et le respect des familles, en même temps qu'ils n'offrent qu'un comique outré et de convention. Ce n'est pas qu'il soit à souhaiter davantage que la décence , les belles manières et la sensibilité de Destouches et de La Chaussée , moyens dramatiques aussi faux et plus ennuyeux que les autres, dominent sur notre scène. il fallait, sans doute, que le temps fit subir à notre théàtre ces diverses modifications. Elles ont eu
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lieu, c'est à merveille pour le passé 5 mais tâchons d'en éviter le retour pour le présent et pour l'avenir; et, dans tous les cas, amusons-nous de ce que ces vieilleries dramatiques offrent de ridicule quand elles sont encore l'objet de l'admiration de quelques routiniers. Les chefs-d'œuvre de Molière seront toujours des chefsd'œuvre. Turcaret et Gilblas, quoiqu'on n'y trouve pas un seul honnête homme, méritent d'éternels hommages ; le Joueur, le Distrait, les Me'nechmes, le Légataire universel, les Folies amoureuses ne sont point à dédaigner; mais on peut bien, avec Boileau, se récrier contre le sac de Scapin -, on peut bien aussi trouver encore une fois que les Labranche, les Crispin et les Frontin sont des misérables qui ne sont pas toujours amusans, et qui donnent de scandaleuses leçons. Tout cet aperçu moral et littéraire de la pièce nouvelle est digne de grands et sincères éloges. La parade de Dorante et Frontin, ou le Valet plus spirituel que son maître, est un petit chef-d'œuvre d'esprit et de bonne plaisanterie. On ne l'a pas complètement compris à la première représentation. Le gros du public, tout étonné d'entendre une moquerie contre les choses qu'on lui a donné l'habitude d'admirer, n'a pas saisi tout le sel de cette épigramme dramatique. Un couplet à la louange de Corneille et de Molière n'a pas dissipé tous les scrupules de la tradition littéraire ; et la suprise, la crainte de rire mal à propos, a neutralisé le rire que cette spirituelle bluette aurait du inspirer.
Cela a été bien pis lorsqu'on a eu sous les yeux le tableau de l'Amour africain. Un Arabe, enfant du désert , véritable Bédouin, qui n'a jamais compris jusquelà qu'on payât une femme plus cher qu'un cheval, et
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qui, loriSÉp'H se sent épris d'une esclave, veut tuer son ami qui a acheté cette esclave avant lui ; cet ami, emporté de son côté par la chaleur du sang et du climat, et qui, après avoir tué le Bédouin , veut frapper aussi la misérable esclave auteur de ce débat; ces scènes vraies, rapides , sans préparations, dialoguées naturellement , sans emphase, sans déclamation , écrites dans le style et avec la couleur des localités, ont épouvanté cette fois le public qui n'avait pas lu le théâtre de Clara Gazul et qui n'a jamais rien vu de semblable. Le moyen de tolérer une chose originale et de se laisser entraîner à une émotion nouvelle ! La rue Saint-Denis et tous ceux qui devraient l'habiter se sont révoltés contre cette tentative. Quelques sifflets se sont fait entendre et ont nui à l'impression que ce tableau aurait infailliblement fini par causer; car, il faut l'avouer, les quatre scènes de F Amour africain, de M. Mérimée, sont parfaitement belles, et les acteurs du théâtre des Nouveautés ont mieux joué ce drame, si éloigné de leurs habitudes, qu'on ne pouvait s'y attendre. L'un deux, surtout, Armand, a débité à perfection le rôle du Bédouin Zéïn. Madame Albert, l'esclave Mojanah, a joué les couplets qu'elle a suffisamment bien chantés, avec une expression mimique que pourraient lui envier mesdemoiselles Bigottini et Noblet. Malgré tout, le public, dérouté de ses émotions et de ses attentes ordinaires, n'a pas voulu se prêter à la nouveauté de deux pièces en une si étrange, et qui ne lui offraient qu'un plaisir d'esprit. Les journaux vont être sans doute de ce premier avis du public, et ce joli ouvrage n'aura peut-être pas tout le succès qu'il mérite. Il devrait être défendu et soutenu
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par les gens de goût -, mais les gens de goût sont timides; ils attendent du temps le triomphe de leurs opinions, et, d'ailleurs, beaucoup d'entre eux ou n'osent pas se prononcer hautement, ou partagent les préventions de la routine. Ils auront été cependant obligés de prendre, mais sans plus de profit pour eux que pour les sots, leur part de la leçon qui termine VAmour africain et qu'un des personnages a débitée bravement au public : « C'est « ainsi quefinit l Amour africain, comédie, ou, si vous « voulez, tragédie, comme on dit maintenant. Vous .c( allez vous écrier que voilà deux cavaliers bien peu « galans. J'en conviens, et notre auteur a eu tort de ne c( pas donner à son Bédouin des- sentimens plus espa« gnols. A cela, il ose répondre, en prétendant que les « Bédouins ne sont pas dans l'usage d'aller apprendre « leur monde à Madrid, et que leur amour se ressent « de la chaleur du Sahara. »
THÉATRE ANGLAIS.
7 septembre.
C'était, à plusieurs titres, un événement assez intéressant que l'ouverture du théâtre anglais; les souvenirs des troubles qui eurent lieu en 1822 à la Porte-SaintMartin, dans une occasion semblable, les sentimens du public actuel, le choix de la salle, le jeu des acteurs dont la réputation, du moins pour quelques-uns, avait traversé la France ; tout cela jetait dans l'esprit des Pa-
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risiens un mouvement qu'ils recherchent toujours avec empressement. Aussi la foule des oisifs et des curieux n'a pas manqué de se porter hier à l'Odéon.
En 1822, l'opposition française était anti-britannique ; mais, depuis cette époque, les libéraux ayant trouvé dans la conduite et les discours apparens de M. Canning une sorte d'appui à leur parti et à leurs projets, se sont mis à aimer et à louer l'Angleterre et les Anglais avec autant d'emportement qu'ils avaient apporté jadis de chaleur dans leur dénigrement. La médaille de M. Dupin à la mémoire de ce ministre anglais restera comme un monument des sentimens anti-nationaux où peut entraîner la fureur de l'esprit de parti. Mais en ne prenant de cet aperçu que ce qui a rapport à ce qui nous occupe en ce moment, il y avait lieu de croire que dans cette situation les libéraux ne provoqueraient pas les tapageurs et les niais de leur parti à renouveler les scènes de 1822.
On aurait été bien plus certain encore de la tranquillité de cette représentation si elle avait eu lieu, comme cela devait être d'abord, à la salle Favart. Le local moins vaste, les habitudes du quartier, le prix élevé du parterre auraient totalement éloigné les turbulens.
Tout a été à merveille cependant. Une société aussi nombreuse que brillante, plus anglaise que française toutefois, garnissait tous les coins de la vaste salle de l'Odéon. Des murmures flatteurs et généraux ont souvent accueilli les comédiens anglais dont quelques-uns, je l'ai déjà dit, avaient été précédés en France par leur réputation. Il est à regretter que l'ouverture n'ait pas eu lieu par une tragédie consacrée dans la littérature britannique. Mais les tragédiens ne sont pas encore
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tous arrivés. Force a bien été de commencer par la comédie.
Avant le lever du rideau, l'orchestre a joué l air de Vive Henri IV, mêlé et arrangé avec le God save the ,kitig , et cette galanterie a touché l'assemblée qui a fait entendre aussitôt d'unanimes applaudissemcns.
M. Abbott, acteur et régisseur, est venu ensuite débiter deux complimens, le premier en français, le second en anglais. Ils étaient humbles, adroits et élégans. Ils ont eu l'un et l'autre beaucoup de succès.
Enfin, le spectacle a commencé par une comédie en cinq actes et en prose, de Shéridan, intitulée the Rivais ( les Rivaux ).
Cette pièce a été entendue avec calme, quelquefois avec plaisir, toujours avec intérêt. Les acteurs ont montré du talent. Il faut placer à leur tête Liston qui représentait M. Acres. La figure est laide, mais spirituelle et expressive. Il a fort bien rendu d'abord les manières et la gaieté d'un gentilhomme campagnard anglais, prétendant à la grâce et au ton de la capitale dont les héros recherchaient alors les habitudes fran-
çaises. Il a été fort comique dans la scène du troisième acte où il écrit, sous la dictée de sir Lucius O'Trigger, le cartel qu'il veut envoyer à l'enseigne Beverley. Il écoute supérieurement son interlocuteur, et le jeu de sa physionomie est toujours vrai et excellent. Enfin il a été tout-à-fait plaisant au cinquième acte, lorsque le moment du duel arrivé, et sur le terrain , il éprouve toutes les aflgoisses de la poltronnerie. Liston est un comédien consommé et qui semble bien mériter toute la réputation dont il jouit en Angleterre. Il a eu hier soir un succès complet. Il ne doit jouer que trois fois, et
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encore est-ce à grand'peine et à force de sollicitations de ses amis et de hauts personnages qu'il a consenti à jouer à Paris. Il n'y était venu que pour son plaisir. Il avait même , dit-on , refusé à Londres un engagement de 30,000 fr. Cet aristocrate du brodequin s'est pourtant fait payer comme un comédien pauvre, mais, à la vérité , ce n'est point un pauvre comédien.
Celui qu'on pourrait placer après Liston, est un M. Power, qui était chargé du rôle de l'Irlandais O'Trigger. C'est un jeune homme bien fait, d une fort bonne tournure et de manières fort agréables. Son débit est spirituel et fin.
M. Abhotl, qui, dit-on , joue très bien la tragédie , a, dans la comédie , une excellente tenue, un ton décent, une déclamation un peu froide , peut-être, mais sensée et noble.
Les autres, M. Chippendale, qui jouait le rôle du "ieuxAbsolute ; M. Masson ,qui représentait Faulkland, sont assez convenablement placés dans les divers emplois dont ils étaient chargés. Il est inutile de parler de MM. Lathan, Brindal, Gray et Burnet, qui n'ont paru que dans des rôles secondaires et sans doute appropriés à leurs moyens.
Quant aux femmes, l'une d'elles , miss Smithson , a remporté tout le succès de la soirée. Elle est jeune, jolie, gracieuse ; son ton et ses gestes sont pleins de naturel. Elle jouait le rôle de Lydia.
Sa mère , mistriss Smithson, a la voix faible et sans mordant : la tenue est assez bonne. Le costume de mistriss Malaprop, qu'elle représentait, est une charge comme celle de nos vieilles comtesses de théâtre.
Miss Russell, chargée du rôle de Julia Melleville, est
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une grande personne à grand nez et sans grâce, mais dont le maintien est décent. Elle a excité par sa figure et sa tournure quelques ricanemens qui n'ont pas eu. de suite.
Miss Brindal ( la soubrette Lucy ) est laide et ne possède que des grâces anglaises, c'est-à-dire dégingandées et assez hardies. Elle était étrangement coiffée. Il n'y a rien à dire du peu de talent qu'elle a montré.
La seconde pièce, intitulée Fortune' s Frolic ( le Caprice de la Fortune) , est une farce, comédie burlesque en deux actes, de M. Ablingham , qui aurait bien pu en prendre la première idée dans les Marionnettes de M. Picard , car, depuis long-temps, les auteurs anglais ne font pas autre chose que de copier les nôtres qu'ils accommodent au goût national. Nous en verrons plusieurs exemples.
Cette pièce , d'un comique bas et grossier, ne vaut quelque chose que par le jeu de l'acteur chargé du rôle de Robin Roughead. C'est un M. Bennett, très petit homme, qui a un feu, une vivacité de gestes et de débit et un naturel vraiment plaisans. Les autres rôles et acteurs ne valent pas la peine d'une mention.
En définitive, ce début de la troupe anglaise a été heureux et brillant. Nos comédiens pourront tirer quelque profit de la manière des comédiens britanniques ; ceux-ci auront aussi à prendre quelque chose des nôtres et surtout du matériel de notre scène. Les spectateurs ont paru satisfaits. Un ou deux sifflets honteux ont été entendus et réprimés immédiatement par le bon goût, le plaisir et la justice de tout l'auditoire.
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PREMIER THEATRE FRANÇAIS.
EMILIA , DRAME EN CINQ ACTES ET EN PROSE
2 septembre.
C'est une pièce que M. Soumet a été comme condamné à faire pour mademoiselle Mars qui voulait, à quelque prix que ce fût, jouer un rôle de folle. C'était donc bien plutôt d'elle que de la pièce qu'il fallait s'oc. cuper. Aussi l'auteur, abandonnant son génie poétique, s'est-il jeté dans la prose et dans les effets exagérés du drame. M. Soumet a essayé de mettre sa réputation à l'abri de celle de Walter Scott, et il a choisi le roman du Château de Kenilworlh, comme se prêtant le plus, par le rang des personnages, aux habitudes du prenller Théâtre Français. Le calcul aurait été bon si ce roman n'eût pas déjà servi à deux pièces de théâtre. Le Château de Kenilworth a été mis en scène il y a deux ou trois ans à la Porte-Saint-Martin, et ensuite à Feydeau, sous le nom de Leycester, par M. Scribe -, et l'ouvrage du Théâtre Français, pour venir plus tard, n'en est pas meilleur et ne doit pas avoir un plus grand succès. C'est donc toujours le mariage secret de Leycester, du favori d Elizabeth, qui est le nœud de l'action. Ici seulement Amy Robsart, que l'on a appelée Emilia, devient folle et meurt, et l'on ne voit pas figurer Raleigh, que M. Scribe avait rendu si aimable et si spirituel, à Feydeau. Ce sont les seuls différences matérielles qui
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existent entre le drame lyrique de lU. Scribe et le drame en prose de M. Soumet -, dans celui-ci, c'est un personnage du roman, un misérable subalterne nommé Varney qui se déclare l'époux d'Emiiia, afin de sauver son maître Leycester de la fureur jalouse d'Elizabeth. Il aime Emilia, et se flatte de la posséder par ruse ou par force. Il veut lui faire prendre un breuvage soporifique afin de l'enlever plus facilement de Kenilworth. C'est cette tentative qu'Emilia prend pour celle d'un empoisonnement et qui lui fait perdre la raison.
Une représentation de trois heures, la scène trop souvent occupée par des personnages subalternes, rroo absence totale de contrastes dans les caractères et dans le dialogue où l'on chercherait vainement un mot spirituel, et enfin l'épuisement du snjet et le défaut de situations nouvelles auraient infailliblement compromis le sort de ce mauvais ouvrage si les spectateurs, prévenus d'avance, n'eussent voulu voir mademoiselle Mars encolle, Il fallait donc attendre jusqu'à la fin, car ce n'est qu'au cinquième acte qu'Emilia a perdu la tête. Force a bien été de patienter. Mademoiselle Leverd, qui jouait Elizabeth, et Perrier, qui s'est montré fort habile comédien dans le rôle ignoble de Varney, ont poussé la pièce jusqu'à ses quatre cinquièmes et ont laissé le reste du fardeau à mademoiselle Mars.
Pendant les premiers actes, en effet, elle n'avait produit qu'une médiocre impression. Malgré ma répugnance à m'occuper des comédiens, il faut bien en parler cette fois, puisque déjà la pièce est jugée ce qu'elle est, c'est-à-dire détestable et qu'il n'y a plus en question que la comédienne. Elie ne tardera pas à suivre le sort de l'ouvrage dont le succès reposait sur elle ; non
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qu'on puisse dire à son égard ce qu'on est obligé d'avouer à 1 égard de la pièce 5 il s'en faut de tout que mademoiselle Mars soit détestable dans Emilia ; je veux dire seulement qu'il faudra bientôt rabattre de l'admiration qu'on lui a témoignée et que l'actrice, comme la pièce, sera incessamment oubliée.
La critique littéraire actuelle manque, dans ses organes naturels, de sincérité ou de politesse. Elle est guindée, hypocrite et fausse dans les grands journaux ; elle est ignorante, injurieuse et brutale dans les petites feuilles. Rien sans doute ne doit dispenser des formes et de l'urbanité ; mais il ne faut pas être poli aux dépens de la vérité, et c'est ce qui arrive trop souvent aux journalistes qui, d'ailleurs, vivant pêle-mêle avec les auteurs et les comédiens, n'osent leur faire entendre ce que la probité littéraire exigerait cependant de la conscience et des lumières de ceux qui sont chargés de les juger et d'entretenir d'eux le public. Sans parler ici du danger pour les mœurs et les manières, de la fréquentation habituelle des comédiens, on peut assurer que l'homme qui vivra beaucoup avec eux perdra infailliblement la netteté de son jugement, la pureté de son goût, la sincérité de sa conscience. Il est défendu aux juges, et les magistrats intègres se défendent à eux, mêmes, de recevoir les visites et les prévenances des plaideurs; et l'on pourrait ajouter la moindre foi aux arrêts ou aux opinions de gens qui hantent sans cesse ceux qu'ils ont consenti à juger ! Cela ne se peut, et le èritique renonce lui-même au droit de dire la vérité sur le talent d'un comédien avec lequel il a eu le malheur ou la faiblesse d'entrer en camaraderie. Du petit au grande telle est pourtant la position de tous les jour-
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nalistès de nos jours vis-à-vis des gens de théâtre. Le goût et la probité s'en révoltent ; mais, au surplus, qu'importe à la société, à son bonheur ou à sa sécurité, l'iniquité ou la partialité des jugemens sur les comédiens ! C'est une affaire si peu importante, si peu sérieuse au fond qu'elle ne mérite que l'indifférence de ceux qui n'y sont pas intéressés, et c'est au fond, pour cela que le public se montre si peu soucieux de la vérité sur les comédiens. Il semble s'en occuper avec intérêt ; il paraît mettre à ce qui les touche une vivacité et une sensibilité extrêmes -, il fait de son côté la comédie de l'enthousiasme -, en définitive, cela lui est compiétement égal, et il faut convenir qu'il a parfaitement raison.
Cette digression ne m'a point trop éloigné de mon sujet. Elle n'était pas inutile pour expliquer la réputation de mademoiselle Mars, la cause secrète des hommages enthousiastes et feints qu'on adresse à son talent et la cause aussi des illusions dans lesquelles on l'entretient et qui lui ont fait prendre depuis quelque temps une direction si opposée à celle qu'elle devrait suivre. Quant à moi, qui ne suis obligé d'être poli que pour moimême , et qui n'ai point à craindre que ma sincérité me brouille avec des amis, je dis tout haut et partout ce que je vais dire sur mademoiselle Mars.
Douée par la nature de la voix la plus pure et la plus flexible, de traits régulièrement beaux , mobiles et expressifs, d'une taille agréable pour la scène, d'une intelligence parfaite et de beaucoup de charmes dans le regard, mademoiselle Mars a été, pendant dix à douze ans, inimitable, on peut le dire, dans les rôles de jeunes personnes. Les Agne*, de Molière, le Philo-
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sophe sans le savoir, les Dehors trompeurs, la Pupille, Fanchette de la Belle fermière, Betty de la Jeunesse de Henri F, et une foule d'autres pièces , dans lesquelles les auteurs modernes avaient le bon esprit de placer des rôles analogues pour mademoiselle Mars , ont dû , à la perfection du jeu de cette actrice, une grande part du succès qu'elles ont obtenu. Plus tard , sans renoncer complétement à quelques-uns de ces rôles qui flattaient sa coquetterie de femme, mademoiselle Mars a représenté quelques personnages qui s'accommodaient fort bien des avantages extérieurs qu'elle possédait et qui étendaient son domaine dramatique. Ainsi, elle a joué et elle joue encore supérieurement les Fausses Confidences, le Legs, la Gageure imprévue , Edouard en Ecosse, et enfin Falérie et l'Ecole des Fieïllards. Ce répertoire est assez borné , il faut en convenir, et c'est là pourtant , selon moi, les seuls rôles dans lesquels elle soit encore ce qu'elle était autrefois dans quelques rôles, inimitable. On pourrait y ajouter le Misantrope et le Tartufe \ mais elle n'est supérieure, ni dans Célimène, ni dans Elmire, et mademoiselle Leverd, pour ces deux rôles, peut rivaliser avec elle et même avec avantage, quant au premier, qui exige une tenue scénique et une ampleur de talent, dont mademoiselle Mars n'est pas suffisamment pourvue.
Cette part d'éloge est assez belle, ce semble, et les enthousiastes de cette comédienne doivent s'en conten ter -, s'ils voulaient être raisonnables, ils souscriraient aussi à la part de la critique.
La voix fraîche et modulée de mademoiselle Mars manque d'éclat et de force. Elle n'est mordante que dans les mots. Cet organe perd la plus grande partie de
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son charme quand il doit s'élever et produire quelques effets profonds , ou s'étendre dans une tirade ou même dans une phrase un peu développée. C'est ce qui arriverait à la flûte de Tulou , si elle avait à faire entendre, sous les doigts de cet admirable artiste, un solo de trombone. La taille de mademoiselle Mars manque de grâce et de dignité \ ses bras sont également disgracieux ; aussi s'abstient-elle de mouvement, de gestes, et supplée-t-elle à cette absence par une pantomime que la mobilité de ses traits sait rendre fort expressive, mais qui toutefois est insuffisante dans beaucoup d'occasions. Sa figure, qui, dans quelques rôles, peut encore faire une heureuse illusion, est pourtant privée maintenant de ces signes, de cette fleur de jeunesse que tous les artifices de la toilette ne peuvent remplacer ; et, par un effet naturel du temps, les années, au contraire, ont placé dans les coins du visage et du cou de mademoiselle Mars, les témoignages les moins équivoques de la décroissance de la beauté. Enfin l'embonpoint qu'elle a pris depuis quelques années, semble lui défendre d'aspirer plus long-temps à une éternelle illusion d'enfance.
C'est dans cette position, et non satisfaite du partage brillant qu'elle a reçu de la nature, des avantages de voix et de figure qu'elle a conservés, du répertoire qu'elle tient et qu'elle pourrait augmenter, que mademoiselle Mars, dédaignant ou négligeant les moyens infaillibles qui lui restent encore de dominer au théâtre, s'est jetée depuis quelques années dans une carrière absolument opposée à son talent, à son physique , à ses forces, à son âge ( elle est née le même jour que madame la Dauphinc). Comme on a toujours des prétentions en raison inverse de celles qu'on devrait
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avoir, mademoiselle Mars, marquée par sa figure et son embonpoint, veut persister à jouer les petites filles et les innocentes. Elle y est déplacée, et l'on pourrait presque dire ridicule. Mais, comme il se trouve près d'elle des enthousiastes et des sots, ce qui est à peu près synonyme; comme la critique des journaux lui est acquise à divers titres, personne n'a pu lui faire entendre et prouver au public combien cette prétention était fâcheuse et mal fondée. Les comédiens ont remplacé les rois dans l'ignorance de la vérité. Elle a joué , ' il y a peut-être deux ou trois ans, l'Agnès de l Ecole des Maris, et elle y a été non pas mauvaise, parce que les détails de ce rôle se prêtent encore au charme de sa voix , mais ridicule, parce que l'illusion, première condition du plaisir au théâtre, était complètement choquée. Elle a également joué , il y a peu de temps , Victorine du Philosophe sans le savoir, rôle dans lequel elle était autrefois irréprochable \ et, par la force des choses, elle l'a défiguré. Ce rôle charmant, qui n'avait point de modèle et qui n'a point eu de copie au théâtre, exige impérieusement de l'actrice qui le joue toutes les apparences d'une extrême jeunesse. Si quelque chose vient faire soupçonner la candeur et la naïveté de Victorine , ce rôle perd tout son effet. La comédienne est ici obligée de paraître n'avoir que quinze ou seize ans, et celle qui, comme mademoiselle Mars maintenant, a de l'air d'une mère de famille , ne peut aborder ce rôle sous peine d'en détruire tout le charme. Aussi, lorsqu'au cinquième acte entre autres, elle accourt pleine d'effroi sur le sort du jeune Yanderk et s'écrie : « Il est mort, qui, mort? » mademoiselle Mars, sans rouge, et avec la rotondité de sa taille actuelle, ressemblait
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plutôt à la tendre madame de Beaufort redemandant son Oscar qu'à la pauvre petite Victorine trahissant par ses cris le secret d'un amour qu'elle ignore elle-même. Voilà ce qu'il fallait faire entendre à mademoiselle Mars, et voilà ce que personne ne dit ni à elle ni au public, quoique tous les gens de goût s'accordent sur ce point, et le disent quand l'occasion s'en présente. Mais, comme les niais habitués de l'orchestre , les claqueurs du parterre , les journalistes sots ou polis, applaudissent ou se taisent, et que les pièces éprouvées dans lesquelles mademoiselle Mars joue encore de pareils rôles restent au répertoire, on perpétue ainsi pour elle des illusions décevantes, de jeunes actrices ne peuvent débuter dans cet emploi, et les vrais amateurs du théâtre souffrent sans pouvoir faire entendre et triompher leurs plaintes.
Mais ce n'est pas assez encore, et mademoiselle Mars qui sent peut-être elle-même que, malgré toute sa bonne volonté et les oh ! et les ah ! de ses admirateurs imberbes, ignorans ou intéressés, elle ne pourra pas être éternellement jeune, mademoiselle Mars, au lieu de chercher des rôles d'une sensibilité douce et tranquille comme Valérie, ou d'u'n effet piquant et marqué comme Hortense de F Ecole des Vieillards, là où l'âge n'est point assez nettement indiqué, où la position sociale permet facilement au spectateur de se laisser faire, et là, alors, où la figure et la taille de la comédienne peuvent produire des illusions tout-à-fait heureuses , mademoiselle Mars, dis-je, semble avoir renoncé à des rôles de cette espèce qui seuls pourtant peuvent la soutenir encore long-temps au théâtre et prolonger les plaisirs du public. Sa voix pure et flexible manque de force et d'élan -, son visage, sa taille et ses
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gestes manquent de jeunesse et de dignité, et alors, depuis deux ans , mademoiselle Mars n'a cessé de demander aux auteurs et de jouer des rôles où ces deux conditions étaient indispensables. Elle a voulu du drame et du grand drame. La chute ou le peu de succès de tous les ouvrages de ce genre où elle a joué n'ont point arrêté les illusions de sa vanité. Les intérêts même de la société du Théâtre Français, compromis par ces revers, n'ont point été assez forts pour l'emporter sur la fâcheuse influence que mademoiselle Mars exerce. Le goût, l'art, et la prospérité du théâtre ont été dédaignés et comptés pour rien par une actrice qui veut, en dépit de tout, paraître toujours jeune et produire des effets auxquels la nature de son talent se refuse. Le Cid d'Andalousie, t Intrigue et TAmour , la Princesse des Ursins, Lambert Symnel, le Tasse , ont successivement péri depuis deux ans entre les mains de mademoiselle Mars. Le plus favorisé de ces ouvrages n'a pas pu avoir quinze représentations, parce qu'il fallait dans les uns ou dans les autres produire des illusions de jeunesse ou d'intérêt auxquelles mademoiselle Mars ne peut pas atteindre. Le sort de ces ouvrages est un fait sans réplique. Les courtisans de mademoiselle Mars, qui ne peuvent nier l'évidence de ces résultats, disent, pour en atténuer l'effet, que ces ouvrages étaient détestables. Cela d'abord n'est pas vrai de tous -, le Cid d'Andalousie, l'Intrigue et l Amour, entre autres, ne manquaient ni de talent ni d'effets dramatiques -, mais en admettant comme vraie cette injure à des gens d'esprit, pour sauver la vanité de la comédienne, il faudrait y répondre comme Valère à Maître-Jacques, dans 1 Avare: « La belle merveille de faire bonne chère avec beaucoup
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« d'argent ! C'est une chose la plus aisée du monde, et « il n'y a si pauvre d'esprit qui n'en fit autant. Mais « pour agir en habile homme, il faut parler de faire « bonne chère avec peu d'argent. » Cette maxime doit être celle des comédiens. Le beau mérite, en effet, pour des acteurs de faire réussir de bonnes pièces ! Celles-ci réussissent et se poussent d'elles-mêmes. Il faudrait de trop méchans comédiens pour les mal jouer et empêcher leur succès. Les bons ouvrages sont rares , et quand il s'en présente un tous les ans 00 tous les deux ans, c'est un accident heureux. Les, théâtres, par la force des choses, ne virent que de pièces médiocres, auxquelles les comédiens procurent, par leurs talens, un succès qu'elles ne méritent pas par elles-mêmes. Les exemples fourmillent à ce sujet ; et, sans parler d'e l'ancien et détestable répertoire auquel les Lekain, Larive, Saint-Prix, Molé, Fleury, Dugazon, mesdames Clairon , Vestris, Duménil, Raucourt, Contat , Lange, Devienne, etc., etc. ont procuré une réputation , si mal acquise au fond qu'on ne peut lire aujourd'hui la plupart des soi-disant tragédies et comédies de cette époque; sans parler, dis-je, du temps passé, 'Talma , et mademoiselle Mars elle-même dans son véritable emploi, ont attiré la cour, la ville et les provinces à des ouvrages réellement au-dessous du médiocre. Cest le talent original de Talma qui a maintenu trop long-temps au théâtre Tippo-S(jé*h et Béguins. La Fille d Honneur et les Suites d'un Bal masqué auraientils eu le succès qu'ils ont obtenu sans le charme singulier que mademoiselle Mars sait répandre sur des rôles qui conviennent à sa nature? Elle ne peut pas espérer de rencontrer toujours des Hortense et des Va-
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lêrie -, mais, plus consciencieuse ou mieux conseillée , elle devrait ne chercher que des rôles du genre de ceuxci et de ceux qu'elle joue si parfaitement dans les Fausses Confidences, la Gageure imprévue, Edouard en Ecosse ^ mais, ainsi que je le disais plus haut, comme on a constamment des prétentions en raison inverse, mademoiselle Mars a quitté cette voie, et c'est lorsque l'âge et l'affaiblissement de ses moyens, naturellement bornés, se font vivement sentir qu'elle veut jouer des petites filles et des grands drames. De Cid J: Andalousie en Lambert Symnel, de Princesse des Ursins en Tasse, elle est tombée en Emilia, en folie.
Non seulement mademoiselle Mars, dans ce dernier ouvrage, manque à l'effet général du rôle par le défaut d'illusion physique, mais elle y manque encore par l'absence des moyens propres à produire toutes les émotions qu'on attend d'un drame en cinq actes et sur un pareil sujet. Un acteur n'a d'âge que celui ¡qu'il paraît au théâtre. Mademoiselle Mars, dans Emilia, n'est pas vieille, parce qu'elle a, de fait, l'âge de son acte de naissance, mais parce qu'elle ne parait pas avoir vingt ans, et qu'il faut en paraître moins pour faire passer dans l'âme des spectateurs, par les yeux , tout l'intérêt des situations. Le débit du rôle d'Emilia, dans la bouche de mademoiselle Mars, ne produit pas d'autre effet que celui qui résulterait d'une lecture supérieurement faite. Il faut plus que cela au théâtre. Il faut jouer, et mademoiselle Mars ne joue pas ce rôle, parce qu'il faudrait, dans les conditions qu'il impose, des développemens de gestes, de voix et de nuances que mademoiselle Mars ne peut pas lui donner. Elle dit à merveille quelques mots qui n'exigent ni force ni pénétration éloi-
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gnée ; mais, malgré la flexibilité de sa voix, comme elle est obligée de ménager toutes ses ressources pour le cinquième acte, elle est monotone dans les premiers actes, et ses inflexions sont presque toujours les mêmes. Elle est fort bien dans le commencement de sa folie ; la fotigue de son visage sans rouge est presque justifiée par l'état d'aliénation, et elle dit supérieurement : « C'est « lui, c'est lui -, » passage dans lequel elle imite Talma jouant le rôle de Charles VI. Mais le reste de cet acte est à peu près sans effet, parce que les moyens de mademoiselle Mars ne lui permettent pas de varier les caractères et les impressions de l'insanité. Talma, dans Charles VI, était successivement imbécile , faible, tendre, royal, furieux, accablé et toujours noble. Toutes les nuances de la folie étaient senties et se communiquaient au spectateur. Mademoiselle Mars, dès la moitié du cinquième acte , est toujours la même, tendre, mais monotone \ elle pousse un cri qui ne produit point d'effet, même aux premières loges, parce que la force et l'expression manquent, et elle est obligée de mourir tout doucement et sans angoisses, parce qu'elle ne saurait rendre , d'une manière suffisamment dramatique, l'énergie des dernières convulsions. Elle l'a du moins vainement essayé dans F Intrigue et T Amour.
Voilà toute la vérité sur l'ouvrage et sur l'actrice. Cette vérité finira par dominer. L'ennui que cause le drame, le peu d'effet que produit la comédienne auront le résultat qu'ils doivent avoir malgré tous les moyens qui seront employés pour soutenir l'un et l'autre. Emilia ne doit pas avoir vingt représentations. La couronne et les vers qui ont été jetés le second jour à mademoiselle Mars n'y feront rien. C'est le tribut de quelque jeune
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imberbe, échappé du collège ou du salon, qui, dans l'impossibilité de juger par lui-même, est le reflet des admirations sottes, ou sert, sans le savoir, d'agent à d'autres admirations intéressées. Encore une fois, les couronnes, les vers, les oh ! les ah ! les billets donnés o^fput ce qu'on fera, ne rendra pas l'ouvrage meilleur, l'actrice plus jeune et plus forte. J'ajouterai que je le désire autant que je l'espère. C'est peut-être la dernière épreuve qu'il faille à mademoiselle Mars. Des rôles dans de bonnes comédies, s'il s'en rencontre, ou dans de mauvais ouvrages, comme on peut s'y attendre, mais dans la nature du talent et de la beauté conservée de mademoiselle Mars la rendront ce qu'elle a été, ce qu'elle serait si elle le voulait, et ce qu'elle peut être long-temps encore : la première actrice de l'Europe.
SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
6 septembre.
L'infatigable Odéon a donné quatre ouvrages importans en moins de quinze jours.
Le 22 août, on a représenté les Deux Figaro , ancienne comédie en quatre actes du comédien Martelli, réduite en trois actes par MM. Tirpenne et Lèborne, et mise en musique par M. Caraffa. Les deux arrangeurs dramatiques me sont parfaitement inconnus. Ils portent cependant des noms qu'on ne peut oublier dès qu'on les a entendus une fois. Ces messieurs ont abimé le spirituel et amusant ouvrage de Martelli. Comment n'ont-ils pas
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senti que cet imbroglio compliqué ne pouvait être convenablement disposé pour la musique à laquelle il ne faut que des situations et qui, par conséquent, ne peut s'arranger d'une comédie vivement intriguée et remplie de traits ? M. Caraffa, qui n'a à peu près qu'un talent d'imitation , n'a pas fait preuve dans cet ouvrage-w 4Ie goût et de discernement. Lorsque, comme lui, on a l'habitude de se servir des traits, des motifs , des mouvemens de toutes les partitions, on devrait mieux choisir. Il a donné cette musique comme sienne, et l'Odéon a pu la faire exécuter sans manquer aux conditions de son privilége, parce qu'elle a déjà été entendue dans divers théâtres. Cela soit dit sans jeu de mots, quoiqu'on puisse bien affirmer, en effet, que la musique de M. Caraffa soit toujours connue d'avance. L'ouverture, le chœur d'introduction et un quatuor sort d'un assez bon effet. Le reste est sans couleur et saus charme. Ce sont des notes à la toise, et particulièrement le finale du second acte, bruyant, sans motif et dont les proportions exagérées ne répondent pas à la situation qui n'exigeait pas un morceau aussi emphatique et aussi travaillé. L'exécution a été mauvaise.
Le lendemain 25, on a donné une toute petite tragédie en un acte, il faut ajouter maintenant, et en vers, d'un tout petit auteur nommé M. Lacroix, qui a été obligé de garder l'anonyme, attendu que le parterre qui avait déjà sifflé les deux derniers tiers de l'ouvrage , n'aurait pas manqué d'accueillir le nom du coupable comme il avait accueilli la pièce, et c'a toujours été cela de sauvé. Il me semble, du reste, qu'on l'a traité bien rigoureusement. L'idée principale était assez grande, quoiqu'elle soit devenue commune à force d'avoir été
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exploitée. On voulait montrer la Providence intervenant £ti faveur de l'opprimé contre l'oppresseur, et le désastre de Pompéia attaché à la punition d'un grand coupable. Il y avait quelque chose dans cette conception; mais il faut avouer aussi que l'exécution n'y répondait pas suffisamment. Du reste.,. la plus grande faute de l'auteur n'est pas, d'avoir. fait cet ouvrage. Ce qui donne une moins bonne idée de ses facultés, c'est d'avoir cru qu'une tragédie quelconque pouvait être jouée à l'Odéon. Il n'y a plus là qu'un acteur, Beauvalet, et une actrice -ma-* demoiselle Charton, qui, à toute rigueur, et- lorsque les ouvrages les portent, peuvent ne pas rendre ridicule ce qu'ils ont à débiter. Ils ont joué Françoise de Rimini, en dernier lieu, d'une manière satisfaisante 5 mais mademoiselle Charton ne jouait pas dans la Prison dePompéi, et Beauvalet, dérouté dès le commencement de la pièce, n'a produit que de mauvais effets. L'ouvrage n'a eu qu'une_reprçsentaliono ^
- Le 28, l'Odéon a réparé les deux échecs qu'il venait d'éprouver. La Première Affaire, comédie en" trois actes et en prose, de M. Merville,.ne mérite que des éloges, et a- obtenu un succès-complet et mérité. JL.auteur a attaqué là manie du duel, ce reste de la barbarie, malheureusement trop empreint encore dans les mœurs françaises. Il a flétri surtout ces spadassins de profession , ces^miséçables qui, prenant leur adresse pour de la bravoure et leurs affreux succès, pour des justifications, s'en vont toujours essayer le courage de ceux chez lesquels ils espèrent n'en pas trouver. Le duelliste de la pièce nouvelle reçoit, d'un jeune officier de marine , doux, poli, bien élevé et réellement brave, une leçon d'escrime et de valeur qui, si elle ne le met pas
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pour jamais hors d'état de recommencer à tâter ses adversaires, lui donne du moins à réfléchir long-temps sur ses détestables habitudes. La situation principale respire un intérêt vif et soutenu. C'est plutôt un drame qu'une comédie, quoiqu'il y ait assez de gaieté dans les détails du rôle d'un aubergiste, honnête homme et poltron, et que le personnage du futur beau-père du jeune marin ait une couleur franche et naturelle qui le rattache au genre de la bonne comédie.
Le 7 septembre, enfin, l'Odéon a invité les amateurs., de la bonne musique à venir jouir d'un des chefsd'œuvre de Rossini et leur a montré Tancrède, sous les traits de madame Schutz. Cette cantatrice allemande avait, dit-on, imposé au directeur pour condition du nouvel engagement qu'elle contractait avec le théâtre, l'obligation de monter cet opéra. Elle voulait s'essayer dans un rôle où madame Pasta était si belle et si brillante. Le succès a couronné cette difficile tentative.
Madame Schutz ne peut point un instant faire oublier la Diva ; mais sa voix puissante, sa taille élevée, sa pantomime expressive lui ont conquis tous les suffrages du dilettantisme de la rue Saint-Jacques. Le drame a été bien disposé pour la scène et pour la cantatrice , qui ne peut soutenir long-temps un dialogue français , par M. Edouard Danglemont ; la partition de Rossini a été suffisamment bien conservée et arrangée par M. Lemierre de Couvrey.
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THÉÂTRE DU VAUDEVILLE.
12 septembre.
L'exposition des produits de l'industrie a engagé MM. Emile (Rougemont), Saint-Georges et Simonnin à lancer au Vaudeville, le il septembre, une pièce eu deux tableaux, sous le titre de 17üO et 1827, ou les Deux Paris, précédée d'un prologue. Le premier tableau présente l'état et les occupations du commerce et de la noblesse au milieu du siècle dernier -, le second, ce qu'ils sont aujourd'hui. C'est un croquis du résultat de la révolution. Les enfans des marchands et des financiers de t7aO sont nobles en 1827 -, les neveux des nobles de 17i50 sont maintenant, non pas marchands, mais manufacturiers. Les uns sont montés, les autres sont descendus, ou, pour mieux dire, selon l'esprit de la pièce , tout le monde s'est éclairé, et l'égalité des rangs et des professions s'est établie eu raison de l'utilité sociale. En offrant le spectacle de l'espèce d'humiliation où étaient les petits marchands autrefois, il aurait fallu montrer l'état qu'ils occupent aujourd'hui dans le monde, où leur condition est à peu près la même qu'il y a soixante-dix ans. En 1827, comme en 17i50, M. le duc d Uzès, le marquis d'Ilerbouville ou M. Casimir Perrier ne donneraient pas leurs filles en mariage à de petits épiciers, quincailliers ou ferblantiers, et, à cet égard, les choses resteront éternellement semblables. Il y a donc de la sottise ou de la mauvaise foi de la part
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des auteurs à n'avoir montré le commerce de 1827 que sous des formes élevées de manufacturiers et de fabricans logés dans des hôtels, tandis qu'on avait montré le commerce de 1730 sous de misérables aspects. A s'en rapporter à cet ouvrage, il faudrait jurer qu'il n'y a plus à Paris ni bonnetiers, ni fruitiers, ni chapeliers, ou que tous les fournisseurs de nos besoins journaliers sont des gens fort bien élevés et logés dans de magnifiques hôtels. Nos cordonniers et nos quincailliers sont toujours des quincailliers et des cordonniers. Selon les auteurs, il faudrait croire encore qu'avant la révolution il n'existait pas de manufactures en France, et que le commerce intérieur et extérieur n'occunait ni les intérêts privés, ni l'attention de l'autorité. Qu'était-ce donc que les établissemens et les ordonnances de Sully, de Colbert, de Turgot? Est-ce que les Gobelins, Sèvres, Annonay, Jouy, Guingamp, Chollet, Réveillon , etc. , datent d'hier ? Le temps , la restauration , la paix, la liberté ont donné à toutes les branches des arts et de l'industrie un prodigieux développement 5 qui le nie, et qu'est-ce que cela prouve ? Ce serait sans doute une bêtise, en louant la taille et la force d'un homme de quarante ans, de lui reprocher d'avoir été en nourrice. Il est bien d'être de son siècle 5 mais il est encore mieux d'être, de son pays , et c'est un singulier esprit national que celui qui ne loue le présent qu'en calomniant le passé. Lorsqu'on n'est pas du temps de la découverte de l'imprimerie, de la boussole, de la gravitation et des aérostats , on ne doit point se trop vanter.
Le premier tableau, qui est le plus piquant, n'a pas davantage le mérite de l'équité ou de la connaissance des temps. En 1730, il n'y avait plus de traitans. Ce
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n'est que sous Louis XI V et dans les premières années de la Régence que ce titre injurieux était donné aux capitalistes de toutes sortes. Plus tard, on les appelait financiers. En prenant, selon l'intention de la pièce, l'époque de t 700 pour l'ancien régime, ce n'était pas, comme le prétendent les auteurs, des ignorans, des avares, des Turcarets et des laquais, que MM. Baujon , la Popelinière , Helvétius, Necker, etc., etc. Les hôpitaux que deux d'entre eux ont fondés attestent encore leurs sentimens généreux , et M. Simonnin aurait le plus grand tort d'accuser d'ignorance et de sottise l'auteur du dangereux livre de VEsprit. Quoi qu'il en soit, la pièce etréussi devant un parterre qui en sait encore moins sur toutes ces choses , que ceux qui se sont chargés de l'instruire, et qui, d'ailleurs, est toujours disposé à bien accueillir ce qui flatte sa vanité aux dépens de ses pères et même de la vérité.
REVUE DES THÉÂTRES.
12 septembre.
Les huit premiers mois de l'année théâtrale ont été productifs. Ils ne sont pas encore achevés, et déjà, sur huit théâtres, on a représenté quatre-vingt-seize pièces nouvelles : c'est à peu près un ouvrage tous les deux jours, et si l'on y ajoute les répétitions, les reprises d'anciennes pièces et les débuts d'acteurs, on doit être singulièrement surpris de la prodigieuse activité des en-
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trepriscs ou pour mieux dire des entrepreneurs dramatiques. L'industrie théâtrale ne le cède en rien à l'industrie manufacturière, et nos auteurs de pièces peuvent être, sans injure, comparés aux machines employées dans les fabriques. Ils produisent des ouvrages comme les autres tissent des draps et des calicots, et c'aurait été une chose juste que de réserver une douzaine de loges à nos industriels dramatiques dans l'exposition des produits au Louvre.
Depuis quelque temps, quinze pièces nouvelles se sont disputé ce public qui fait des succès et des réputations, qui s'éloigne ou qui siffle le plus souvent sans motif, mais dont il faut suivre ou respecter momentanément les décisions absolues. Le tiers de ces ouvrages a été honoré de son suffrage. La faveur la pu faire autant que le mérite. Quelques-uns, néanmoins, ne sont pas dépourvus de talent. Le Paysan perverti, de M. Théaulon, pièce en trois journées, et divisée en , 10 une comédie, l'Hériiage -, 2° un vaudeville , le Bal, et 5o un mélodrame, le Vol, est fortement conçue , spirituellement exécutée et parfaitement jouée par les acteurs du Gymnase, où elle a été représentée le 24 juillet.
Le même sujet a été traité au théâtre des Nouveautés, par MM. Dartois (Armand), Arrago et Desvergers, dans la pièce intitulée : Départ, Séjour et Retour, comédieroman en trois époques, représentée pour la première fois le 28 juillet.
La Laitière de Montfermeil, vaudeville en cinq journées, joué le 27 août sur le théâtre de la rue de Chartres , offre encore le tableau d'une jeune paysanne que
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sa bonne conduite et ses vertus mènent au bonheur, et qui finit par épouser l'homme qu'elle aimait lorsqu'elle était pauvre.
Cet ouvrage, complètement imité d'un roman de M. Paul de Kock, qui porte le même titre, a réussi sans opposition , ce qui ne prouverait rien, surtout au Vaudeville où les plus détestables ouvrages ont toujours du succès'à la première représentation. Mais celui que la Laitière de Montfermeil a obtenu est plus légitime. Il faut l'attribuer à l'intérêt assez doux qui sort naturellement du sujet; à un premier et à un troisième actes bien faits; enfin au jeu et à la très jolie figure de mademoiselle Jenny Colon, qui pourrait devenir une actrice de petit théâtre assez remarquable, si les progrès qu'elle a faits depuis quelque temps se soutenaient.
ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
"A SOMNAMBULE, OU L'ARRIVÉE D'UN NOUVEAU SEIGNEUR, BALLET PANTOMIME EN TROIS ACTES, DE MM. *** ET AUMER, MUSIQUE DE M. HÉROLD, DÉCORS DE CICÉRI.
20 sepembrc.
Le somnambulisme de Thérèse, jeune villageoise, la conduit, pendant la nuit, dans la chambre d'une auberge où se trouve le colonel Saint-Rambert, son seigneur. Elle y est surprise. Cette aventure fait naître des
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soupçons sur sa vertu et amène la rupture du mariage qu'elle allait contracter avec Edmond. Une seconde scène de somnambulisme prouve son innocence et détermine son hym'en.
La veuve Gertrude, jeune et riche aubergiste, essaie de profiter de la brouille des deux amans pour épouser Edmond. C'est elle qui est entrée sciemment et très éveillée, chez le colonel et qui a laissé sur le canapé un fichu qui, comme dans la Somnambule du Vaudeville , explique l'intrigue et amène le dknoûment.
Tbut cela, dans les détails,, est diablement leste ; et, contre l'ordinaire des programmes de ballets qui sont toujours, comme cela doit être en effet, beaucoup plus innocens que les ballets eux-mêmes, le scénario de celui-ci est loin d'être résetvé. Il est assez spirituellement écrit, dans quelques passages, pour prouver qu'il. ne sort pas de la main des chorégraphes officiels de l'Opéra, et il est vrai que M. Aumer n'a de propriété sur, la. Somnambule qu'en ce qui touche le matériel, c'est-àdire les jambes des danseurs. Le sQjet, la tête et les bras des acteurs appartiennent à M. Scribe, qui 'pourtantn'a pas voulu se faire nommer.
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PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
BLANCHE D 'AQUITAINE, OU LE DERNIER DES CARLOX%rlN-
GIENS, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES.
3o octobre.
Il y a dans cette tragédie deux sujets assez distincts -et liés toutefois avec assez d'art pour qu'il soit impossible de les séparer. Blanche d'Aquitaine, épouse négligée de Louis V, aime en secret Hugues Capet. La froideur, la nullité de son époux, et les grandes qualités de Hugues, portent Blanche à former des vœux contre l'un en faveur de l'autre *, comment ces vœux peuventils se réaliser? Ce n'est que par la mort de Louis. Blanche, impatiente, se fatigue de l'attendre. Elle voudrait la précipiter, et l'exemple qu'elle a sous les yeux la pousse vers le crime : le feu roi Lothaire, père de Louis, est mort empoisonné. Qui a commis ce meurtre? Le hasard l'a révélé à Blanche : c'est Emine, femme de Lothaire, mère de Louis, qui, se trouvant dans la même position que Blanche, et comme celle-ci, ambitieuse du pouvoir, a fait périr son époux. Les remords déchirent Emine, et lorsqu'elle soupçonne que Blanche médite un forfait semblable au sien, l'intérêt de son fils l'emporte sur la honte; afin d'effrayer Blanche sur les suites d'un pareil crime, elle lui avoue celui qu'elle a commis, lui en montre I horreur et les conséquences, et en effet Blanche revient à d'autres et meilleurs sen-
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timens. Mais lorsque Louis, plutôt humilié que jaloux de l'amour de Blanche pour Hugues, exige de sa femme qu'elle obtienne l'absolution ecclésiastique et la menace, si on la lui refuse, du sort de Brunehaut, Blanche redevient furieuse, et, au moment où elle reçoit la communion au même autel et en même. temps que Louis, elle mêle au vin sacré un poison qu'elle tenait renfermé dans une bague. Elle espère n'être pas soupçonnée et ne fait la confidence de son affreux sacrilége qu'à Hugues qui, quoique ce forfait doive le conduire au trône, repousse Blanche avec horreur. Emine, conduite par ses craintes et ses souvenirs, devine facilement l'auteur de ce meurtre ; pour avoir le droit d'accuser Blanche, elle s'accuse elle-même auprès de son fils, et c'est au milieu de toutes ces horribles révélations > que Louis expire en s'écriant : Que tu souffris , mon père !
Il y avait bien assurément dans ce seul sujet de quoi bâtir une tragédie. Elle y est, en effet, sous le premier titre de : Blanche d'Aquitaine •, mais elle en porte un second : le Dernier des Carlowingiens, qu'il fallait justifier. Dans l'ordre naturel de la succession, Louis Y mourant sans enfant mâle, le trône appartient à Charles de Lorraine, son oncle paternel, frère du feu roi Lothaire, descendans tous les deux de Louis d'Outremer, et par conséquent de Charlemagne. Cependant ce n'est pas Charles qui obtint la couronne. Ce fut Hugues Capet, duc des Français, qui commença la troisième race. L'auteur a mis en présence Charles et Hugues , c'est-àdire le droit et le fait, et les a montrés se disputant le trône futur : l'un en vertu de ses titres naturels, l'autre par sa valeur, sa puissance féodale et les vœux du
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peuple. Leurs contentions remplissent une bonne partie de la pièce. Elle sont liées au sujet principal par l'amour de Blanche pour Hugues qui ne le partage pas et par les dénonciations réitérées de Charles contre le duc des Français qu'il représente au roi comme épris de Blanche et aspirant à se saisir de vive force du trône -, tandis que, de son côté, Hugues, qui a vaincu Charles de Lorraine, lorsque celui-ci s'était réfugié chez l'empereur d'Allemagne, et était venu avec les troupes impériales combattre son neveu , Hugues, dis-je, accable Charles de ses mépris et déclare que jamais il ne le reconnaîtra pour son roi. C'est ce côté de la pièce qui, dans les circonstances actuelles, fait naître des réflexions et des impressions profondes et prévoyantes , et donne à cet ouvrage une portée, une importance et une gravité singulièrement remarquables.
De tontes les doctrines qu'il est, avec les idées religieuses , le plus nécessaire d'enfoncer et de conserver dans l'esprit des peuples, la première sans contredit et la plus importante , c'est celle du droit, de l'ordre dans la succession des trônes héréditaires, en d'autres termes, et selon le langage moderne, c'est le dogme de la légitimité ; à la pureté, à la force, à la conservation de ce principe sont attachés le repos et le bonheur des peuples. La légitimité, c'est le droit, centre et action de tout ce qui est justice, force morale de toutes les nations. Le peuple est obligé, par sa conscience naturelle, d'avoir foi dans la légitimité et dans tout ce qui en découle : propriété, hérédité , autorité; il faut donc préserver ce principe de toute atteinte.
Dans notre monarchie ancienne ou nouvelle, la personne du prince est le gouvernement légitime -, l'héré-
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dité du trône, par ordre do primogéniture , à l'exclusion des femmes, est la légitimité. C'est là notre antique loi, laquelle, avec les Valois et les Bourbons, a empêché la France de passer sous un sceptre étranger. Elle a été renouvelée par la Charte. Le principe de la légitimité fait partie de notre loi fondamentale. L'Angleterre, qui, avant nous et autant que nous, a senti le danger des changemens de dynastie pour les intérêts moraux et matériels des peuples (ou au moins du peuple anglais), a établi d'une manière despotique le dogme de la légitimité. On est parvenu, dans ce pays, par la loi, par le silence et surtout par l'accord de tous les esprits sages et influens, à faire considérer ce principe politique comme une affaire de foi 5 et le fanatisme, si on peut le dire, est poussé si loin à cet égard que, selon les publicistes anglais et les historiens les plus modernes, on ne peut pas même regarder comme une usurpation l'avénement au trône de Guillaume III, et de Marie, gendre et fille de Jacques.
Cet exemple ne doit pas être perdu pour nous : sans parler des usurpations éphémères d'Eudes et de Raoul, en 888 et 924, ni de celle du vieux cardinal de Bourbon pendant la Ligue -, sans parler davantage des interrègnes bien courts, quoique bien célèbres, de Charles Martel et de Napoléon, notre histoire ne présente que deux grandes usurpations qui se soient prolongées, celle de Pépin, et celle de Hugues Capet, que le temps a fini par légitimer. Aussi le principe de la légitimité du trône est-il assez enfoncé dans le droit sens et dans les moeurs des Frau-
çais. Ebranlé récemment par la révolution et par rétablissement passager de l'empire, il est plus essentiel que jamaisderaffermir ce principe , et n'est-ce point alors une
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chose bien remarquable, aujourd'hui, que la représentation d'une tragédie qui offre le tableau de l'extinction d'une race au préjudice de l'héritier légitime du trône, et celui de l'élévation d'une dynastie nouvelle en présence des droits directs et incontestables ?
Au milieu des contentions qui s'élèvent entre Charles de Lorraine et Hugues Capet, on voit clairement les idées qui ne peuvent manquer de naître dans l'esprit des spectateurs et des lecteurs de cet ouvrage.
L'origine des Bourbons, dont on vante et dont on défend la légitimité, est donc iHégitime?
Une nouvelle dynastie peut donc s'élever en présence d'un droit vivant, et le temps pourra la légitimer et la justifier comme il l'a fait à l'égard de la troisième race ?
Qu'est-ce donc alors que la légitimité ?
Telles sont les questions inhérentes au double sujet de cette tragédie, et dont le résultat ne peut tendre qu'à éveiller des idées fâcheuses ou à affaiblir par leur solution le sentiment du droit national et du respect traditionnel dont il faut entourer le dogme de l'hérédité du trône.
En vain , dirait-on que le meurtre antérieur de Lothaire, les remords d'Emine sa veuve, l'ambition et l'amour de Blanche d'Aquitaine pour Hugues Capet et l'empoisonnement du roi qui en est la suite, tiennent une large place dans cet ouvrage , ce qui est vrai. Mais ce.qui ne l'est pas moins, c'est que ce meurtre, ces remords , cet amour et cette catastrophe sont intimement liés à la question de légitimité et n'aboutissent, en dernière analyse, qu'à justifier l'usurpation.
Il est vrai aussi que l'on n'a point montré Hugues
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Capet prétendant arriver au souverain pouvoir par la violence ; qu'il reste passif au milieu de tous les vœux qui le portent au trône ; qu'il parle même en faveur de la fidélité au roi, et qu'enfin, au commencement du cinquième acte, il refuse la couronne qui lui est offerte par le peuple.
Mais c'est justement dans ces aperçus imaginaires ou historiques que se trouve un danger de plus. Il en résulte qu'il peut y avoir quelque chose de salutaire dans l'usurpation, et que, par conséquent, la légitimité, sa nécessité pour le bonheur des sociétés, et le respect qu'on lui doit peuvent être des illusions. L'usurpateur peut avoir des qualités qui le rendent préférable à l'héritier légitime. Celui-ci n'est peut-être pas digne de la couronne. Il faut donc apprécier les circonstances de l'usurpation, les vertus de l'usurpateur, les vices de l'héritier direct ? Ainsi vous admettez qu'il peut exister des circonstances où la justice n'est plus la justice. Ainsi vous ébranlez la confiance qu'on doit avoir dans le droit qui, alors même que quelques événemens fortuits pourraient momentanément prouver en faveur du fait, n'en doit pas moins rester imprescriptible. Absolument parlant , un mauvais prince légitime, c'est-à-dire représentant le droit, la juste possession, est, même dans les abus de son pouvoir, moins dangereux pour la morale publique, la conscience et le repos des peuples, que l'usurpateur à grandes qualités. Tous les deux finissent par quitter le trône 5 le mal que le premier a pu faire , le bonheur que le second a pu répandre cessent avec eux et n'ont été que passagers. Ce qui dure toujours, c'c,sl l'idée du droit qui a été respecté ou violé \ ce sont
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les conséquences qu'un tel événement exerce sur les doctrines et le droit sens des nations.
Pour justifier le résultat de cette tragédie, dira-t-on, comme on a cherché faiblement à le faire entendre dans le cours de la pièce, que Charles de Lorraine était un prince étranger, et que, par conséquent, son exclusion de la couronne de France est un exemple favorable à notre droit public et aux intérêts nationaux qui ne souffrent que des Français sur le trône? D'abord il n'est point dit expressément, dans l'ouvrage, que Charles fût un étranger ; cela serait impossible à dire; on lui reproche seulement d'être transfuge, c'est-à-dire d'avoir été et résidé chez l'étranger et d'en être revenu avec des soldats ennemis. Hugues fait bien résonner ce vers :
Français, je n'obéis qu'à des princes français;
mais ce n'est là qu'une sottise du style moderne, car Charles était Français et légitime, puisqu'il était fils de Louis, dit d'Outremer, frère du roi Lothaire, et par conséquent oncle et successeur ascendant de Louis V : position semblable, vis-à-vis de Louis XVII, à celle de Louis XVIII et de Charles X qui, tous les deux, pour avoir été et résidé chez l'étranger, n'en sont pas moins Français et légitimes héritiers de la couronne de France à tous les titres. On voit les applications et les conséquences de pareils aperçus. de
Toutes les discussions relatives aux prétentions de Charles et de Hugues, du droit et du fait, sont donc absolument fâcheuses -, elles s'élèvent à peu près dans chaque acte sous un prétexte ou sous un autre. Dans une de ces disputes contentieuses , Hugues, qui fait un tableau assez brillant et vrai de la tyrannie des grands
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vassaux, à cette époque, termine sa tirade par le souhait que la royauté soumette ces'tyrans isolés, et dit :
Et qu'un roi, libre enfin, nous rende une patrie.
Ce vers a été applaudi à trois reprises.
Au commencement du cinquième acte, les vassaux de Hugues Capet et le peuple de Paris rassemblés, délibèrent sur l'élection au trône qu'ils regardent comme vacant, attendu que Louis V doit bientôt mourir et que Charles est indigne de la couronne. On propose de proclamer Hugues. Un serf repousse toutes ces propositions. Il s'écrie :
Quel inutile soin ! n'êtes-vous pas tous rois !
C'est de la pure souveraineté du peuple, non pas du dixième siècle où, assurément le peuple n'y songeait guère, mais des temps les plus modernes.
La pièce, disaient les amis de l'auteur, devait finir par ces vers coupés en dialogue entre Hugues et Charles. Au moment où le roi allait expirer, Charles s'écriait :
Je suis roi !
HUGUES.
Le destin peut trahir ta superbe espérance.
CHARLES.
J'en appelle à mes droits.
HUGUES.
J'en appelle à la France.
-Ce qui concluait bien la partie historique de l'ouvrage
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et en même temps mettait tout à découvert le combat du droit et de la force, et le triomphe de l'usurpation sur la légitimité, puisqu'il n'est personne qui ne sache que Hugues Capet fut roi. On a changé l'avant-dernier hémistiche, et Charles dit maintenant : J'en appelle aux GERMAINS ; ce qui ne change rien au fond des choses, et autorise l'auteur à se plaindre avec raison de la censure dramatique qui lui a fait dire à peu près une sottise.
Cet ouvrage est long, et la complication de l'intrigue le rend ennuyeux. Il est médiocrement joué, excepté par Firmin qui remplit le rôle de Louis V, et les acteurs s'en fatigueront. Blanche <TAquitaine n'aura tout au plus qu'une douzaine de représentations peu suivies, je crois, malgré les efforts des journaux libéraux qui, favorables aux pensées de la pièce et à la personne de l'auteur, serviront son succès par tous les moyens ordinaires.
L'auteur du Dernier des Carlowingiens , dont le nom a été demandé et proclamé sans opposition, est M. Bis, déjà connu au théâtre par la tragédie à'Attila , représentée , il y a quelques années, à l'Odéon. On dit qu'ancien officier du génie et décoré , il était employé dans les contributions indirectes à Lille en 1817, et que, rédacteur alors du journal de cette ville, intitulé F Echo du Nord, il publia quelques articles irritans qui amenèrent des querelles et des rixes entre les officiers de la garnison et les habitans. On ajoute que M. de Jumilhac, gouverneur de la division, regarda la plume et la présence de M. Bis à Lille comme trop dangereuses , et qu'il vint en poste à Paris demander à la fois le déplacement de M. Bis et le départ d'un des régimens
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compromis. M. de Barante , alors directeur général des contributions indirectes, rappela sur-le-champ à Paris M. Bis. Il resta attaché aux bureaux de l'administration centrale. J ignore et n'ai point à m'enquérir si ces détails sont réels et sincères. Comme auteur dramatique, M. Bis ne manque ni d'idées ni de talent. Il y en a dans sa nouvelle tragédie, laquelle, dit-on encore, n aurait point obtenu l'autorisation d'être représentée sans l active intervention de M. de Martignac, qui a fait lever la prohibition qui avait été d'abord prononcée (I).
SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
L HOMME DU MONDE , COMÉDIE EN CINQ ACTES ET EN
PROSE, DE MM. ANCELOT ET SAINTINE.
J 5 novembre.
Pourquoi M. Ancelot ne fait-il plus de tragédies ? Quelque peu de succès qu'ait obtenu Fiesque et Doria , son dernier hommage au Théâtre-Français et sa première infidélité classique, il n'y avait rien là qui dût le décourager : l'honneur avait été sauvé. Douze ou quinze représentations de suite à l'Odéon, une reprise sans
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(1) Est-il nécessaire d'appeler l'esprit intelligent du lecteur sur les rapprochemens qui sortent ici de tous côtés entre les préoccupations et les efforts du libéralisme en 18"18 et les résultats de 1830 ?
( Note de VEditeur. )
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encombre, au premier Théâtre - Français, pouvaient légitimement faire croire à M. Ancelot que cette tragédie valait Louis IX et Ebroï/t , et l'engager à poursuivre une carrière dans laquelle il avait jusqu'ici occupé un honorable rang. L'invention et l'originalité manquent dans les ouvrages de cet auteur -, l'école et la routine dominent dans ses productions tragiques. Moins poète que M. Soumet, moins dramatique que M. Guiraud, moins coloriste que M. C. Delavigne, M. Ancelot, les yeux trop constamment attachés peut-être sur Racine, a montré dans ses ouvrages une ordonnance plus sage et une versification plus soutenue que celles de ses rivaux. Malgré tout le mérite de la tragédie d'Ahsalon , M. Ancelot est, selon moi, supérieur à Campistron. Tous les deux ont arrêté l'élan de leurs propres inspirations peut-être par une imitation, une adoration racinienne, poussée jusqu à la servilité. Mais il était glorieux encore de s'égarer sur de pareilles traces, surtout quand on le faisait avec tant de bonheur. On serait mal fondé à reprocher à Racine cette sévérité de raison, cette pureté de goût qui l'ont entraîné à mettre dans ses admirables ouvrages si peu de ce mouvement dont le théâtre, maintenant surtout, ne saurait se passer. Ce n'est pas la régularité des plans, la sagesse de l'exécution, la conséquence des caractères qui constituent le génie de Racine et le placent à la tète peutêtre ,de nos grands hommes; ce qui le distingue, ce qui le met hors ligne, ce qui atteste la supériorité de son génie, c'est l'esprit qui règne dans chacune de ses productions , c'est la peinture des passions, le développement des caractères et enfin cette incroyable flexibilité de style que, dans tous les genres, dans tous les
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tons, on ne trouve qu'en lui à un si puissant degré. Racine dit tout ce qu'il veut dire et comme il faut le dire. Il possède la connaissance du cœur humain aussi bien que tous les moralistes, et il faut étudier Racine, non pas seulement comme le poète le plus habile, mais encore comme on étudierait Labruyère. Agrippine et Joad, Phèdre et Mithridate , Hermione et Roxane , présentent les traits les plus vrais du cœur humain , quoique Achille, Attalide , Xipharès , Bajazet, Hippolyte manquent de cette originalité et de cette vérité soutenues , qui seules commandent l'admiration de tous les siècles et qu'on rencontre dans le Cid, Nicomède et Polyeucte. Quant aux autres parties du talent de Racine, il a cessé d'être lui, par l'imitation grecque qu'il a malheureusement nationalisée en France et qu'il a perpétuée par l'ascendant de son génie et de son nom. Dans les arts, il faut être soi, sous peinç de n'être rien. Fatigués aujourd'hui d'un système dramatique qui ne tirait pas pour nous, comme pour les Grecs, son origine des doctrines et des mœurs nationales 5 ayant épuisé les sujets du paganisme auxquels celte imitation nous obligeait presque de nous asservir, nous allons maintenaut nous jeter à corps perdu dans une autre imitation : celle du temps de la barbarie ou de l'enfance de l'art. On veut nous obliger à admirer tout et à imiter servilement le théâtre anglais primitif. On blâme la routine grecque, et l'on a raison, je crois -, mais l'on veut nous jeter dans l'ornière britannique, et c'est une autre folie. On ne-veut pas que les auteurs imitent Sophocle et on leur recommande d'imiter Shakspeare. Imitation pour imitation , je préférerais celle du premier à celle du second. Il y a dans l'un quelque chose qui répond à la
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situation d'une société telle que la nôtre et les extravagances de l'autre (dans ce qu'il y a d'extravagant) répugnent à l'état actuel des lumières et aux mœurs de notre civilisation. Quiconque aura la sottise d'imiter, c'est-à-dire de traduire Shakspeare, Caldéron otl Schiller , tombera devant des spectateurs français, ou du moins n'obtiendra pas le succès qu'il espère. Les raisons en seraient ici trop longues à développer 5 mais, pour en revenir à M. Ancelot, il a tâté lui-même d'une partie de cette vérité en cherchant à transporter sur notre scène le Fiesque de Schiller, qu'il a gâté par parenthèse. Malgré la versification très brillante dans quelques parties, cette tragédie n'est point restée dans l'estime publique comme Louis IX et Ehroïn, parce que M. Ancelot était sorti lui-même de la manière qui lui est propre. Il développe et revêt habilement les idées générales, mais quand il est aux prises avec un sujet rapide, et qui a besoin de pensées neuves et de mots originaux pour devenir intéressant, les expressions lui manquent et dans l'impossibilité d'être luimême , c'est-à-dire un des premiers imitateurs de la manière de Racine par le développement lent d'une action ou d'un personnage nobles, il ne produit qu'un effet bâtard, et on ne sait de quoi lui tenir compte.
M. Ancelot, qui avait fait jadis des vaudevilles, puis un opéra comique (Corisandre), puis un acte d'opéra ( Pharamond), et qui semblait enfin s'être arrêté à la tragédie, paraît avoir pris le parti de toucher à tout et de parcourir les coins et les recoins du domaine littéraire. Après avoir essayé le genre de l'épître, celui peutêtre qui convient le plus à son habileté pour la versification , M. Ancelot, à la suite du voyage qu'il a fait en
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Russie, lors de l'ambassade de M. le duc de Raguse, a publié un récit de ce voyage, en prose et en vers, sous le titre de Six mois en Russie. C'est un ouvrage superficiel et dans lequel on ne trouve rien de bien neuf ou de bien intéressant sur les lois, les mœurs, le climat et seulement les usages du pays. Des éloges assez singuliers de Buonaparte et quelques attaques contre des choses et des personnes que M. Ancelot aurait dû respecter, ont seulement frappé ceux qui ont lu cet ouvrage.
Dans la nomenclature des productions de M. Ancelot, j'ai oublié de citer Marie de Brahant, tragédie incomplète qu'il a publiée sous le titre de Poëme -, il a couru ensuite sur les traces des romanciers, son roman de F Homme du Monde à la main, et le voilà aujourd'hui sur le terrain de la comédie. Il finira par se faire appliquer ce mot plaisant et vrai de feu Dussault sur M. Arnault père, qui a aussi embouché toutes les trompettes de la littérature :■ « Il cherche toujours son talent. »
M. Ancelot n'a pas encore bien réfléchi cette fois au sujet qu'il voulait traiter. Il est possible, dans un roman en plusieurs volumes, de peindre f homme dit monde comme on l'entend dans le langage satirique : aimable, libertin , corrompu, ambitieux , courtisan , brave, flatteur, sachant prendre tous les tons et tous les masques : Lovelace, Valmont, Richelieu. Il ne faut pour cela que du talent; je m'explique : le cadre permet les développemens, les preuves multipliées des divers caractères , des mobiles et toujours spirituelles et séduisantes physionomies de ce qu'on est convenu d'appeler f homme du monde. A la vérité , M. Ancelot n'y avait pas réussi dans son roman. Substituant le récit à l'action , la nar-
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ration an dialogue, co qui est plus facile, assurément, au lieu de faire agir et parler son héros, M. Ancelot s'est toujours contenté de dire qu'il était spirituel et séduisant , sans le prouver par des discours ou des traits qui eussent au moins montré l'esprit et le talent de l'auteur. Dans la comédie on n'a pas la même latitude de développemens ; il aurait fallu , là, plus encore que dans le roman , montrer l'homme du monde sous l'aspect le plus brillant. Le spectateur n'a vu qu'un séducteur odieux, corrompant, violant, puisqu'il faut le dire, à l'aide d'un orage improvisé, une jeune fille qui meurt du chagrin et des conséquences de la séduction, tandis que le coquin qui l'a abusée, est démasqué et forcé de demander, en quelque sorte, pardon à un fils qu'il a eu d'une femme mariée, et qui a voulu, sans connaître sa qualité, se battre, comme un nouvel OEdipe, avec le père qui avait déshonoré sa maîtresse; car ce jeune homme était amoureux de la fille violée. Dans quel monde voit-on généralement des mœurs pareilles ? C'est, dit-on, M. de F ou M. de M que l'auteur a voulu peindre. En admettant qu'il soit arrivé de semblables choses à l'un de ces messieurs, peut-on, pour de semblables horreurs, conclure du particulier au général ? On avait répugné jusqu'ici à mettre Valmont sur le théâtre, et le duc de Richelieu n'y avait passé qu'à l'aide du mouvement révolutionnaire. Nous sommes moins timorés maintenant -, Calisle, Eugénie, la Mère coupable et le Lovelace français ne doivent plus essuyer de reproches. Un père scélérat, un fils adultérin et une fille violée, qu'on revoit après son malheur, donnent quittance à toutes les indignités dramatiques passées et futures. Mais ce qui a donné à cet ouvrage une
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physionomie complétement étrange, c'est F Homme du monde, sous les traits de l'acteur Bocage, le moins gracieux, le moins distingué de tous nos comédiens. Il ressemblait à une caricature : c'était Pasquin avec les airsde f Homme à bonnes fortunes \ c'était Odry avec les habits de M. de Guiche.
PREMIER THÉA TRE FRANÇAIS.
LE MARIAGE D'ARGENT, COMÉDIE EN CINQ ACTES ET EN
PROSE , DE M. SCRIBE.
4 décembre.
Le sujet de cet ouvrage sort bien des mœurs modernes -, la moralité en est large et saine -, mais l'action principale est sérieuse et sèche. Il n'y a rien que de vrai dans ce tableau, et c'est peut-être même sa vérité qui le rend trop sévère et qui a nui au succès qu'il devait obtenir à tant d'égards. L'intérêt n'y est pas porté assez loin, parce que l'auteur voulait, dans une comédie, éviter ce qu'on appelle le drame , et si le comique y est répandu, il y manque pourtant ce qu'on est convénu d'appeler de la gaieté. A Dieu ne plaise que j'en fasse un reproche à M. Scribe ! Le public actuel prétend qu'il veut avant tout de la vérité dans les ouvrages, et il veut aussi, à ce qu'il dit, la peinture des mœurs modernes. Or, dans les mœurs modernes, je suis convaincu qu'on ne peut trouver de la gaieté, à la manière de Regnard, de Dancourt et de quelques ouvrages de Molière. Cette
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gaieté ne peut être et n'a été répandue par les deux premiers, surtout, qu'au moyen de personnages de convention , valets, paysans, grotesques, dans la bouche desquels ils ont placé des quolibets, des bouffonneries, des plaisanteries qui excitent le rire. Mais peut-on faire usage maintenant des Mascarille, des Crispin, des Scapin, des Lucas, etc., etc. ? Assurément non. La gaieté • proprement dite ne peut donc plus trouver de place dans la peinture des mœurs modernes ; on ne la rencontre pas même dans les grands ouvrages de Molière, et il n'y a rien de gai dans le Misanthrope et dans le Tartufe. Si le Festin de Pierre est gai, c'est grâce à Sganarelle. Bélise, Vadius et Trissottin sont plutôt des charges que des portraits vrais, et c'est pour cela qu'ils sont plutôt gais que comiques. Non seulement les grandes livrées sont bannies des ouvrages actuels, mais on ne peut plus même y introduire des servantes, à la manière de Nicolle et de Martine, parce que les domestiques familières ne sont plus, depuis long-temps, dans les mœurs. Il faut donc renoncer à la gaieté dans les grands tableaux et s'en tenir au comique qu'il n'est déjà pas si facile de rencontrer et de peindre. M. Scribe l'a trouvé et ne l'a pas manqué. Son Dorbeval est comique ; c'est la fatuité de la richesse, c'est le ridicule des écus, c'est le Turcaret de nos jours. Tout le rôle de ce personnage est rempli de détails et de mots vrais, plaisans, comiques. Il ne peut pas être gai à la manière de Turcaret , parce que leurs manières ne sont pas et ne peuvent pas être les mêmes. Ce sont des gens riches, enrichis par des spéculations, mais chacun selon son siècle. Turcaret sort des derniers rangs de la gabelle et il conserve toute sa grossièreté primitive. Dorbeval, au con-
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traire, avait une famille et a été élevé au collége. Il ne peut être ni grossier, ni brutal, ni bouffon 5 il ne peut être que comique et il l'est, par le contraste de sa fortune et de ses sentimens, par le rétrécissement de ses idées, par l'avantage qu'il tire de sa position, par l'habitude de tout rapporter à l'opulence qu'il a acquise.
Cependant il faut l'avouer, avec regret, la pièce de M. Scribe n'a pas eu tout le succès qu'elle devait avoir. C'est moins à lui qu'au public qu'il faut s'en prendre. Je viens d'en faire voir une raison. Il en existe encore quelques autres qui, du reste, sont moins la faute de l'auteur que celle du sujet qu'il a choisi, qu'il a bien fait de choisir, et dont la partie saine et éclairée des spectateurs doit lui savoir gré, malgré les revers de la première représentation.
M. Scribe a déjà traité en petit le sujet qu'il a développé hier en cinq grands actes. Il a donné, le 14 avril 1825, au Gymnase, en communauté avec M. Varner, une pièce intitulée : la Charge à payer, où l'on trouve le premier aperçu du Mariage d'argent. Cet ouvrage eut alors peu de succès, et il semble que ce soit la destinée du sujet. Il s'agissait alors d'un jeune notaire qui, pour payer sa charge, cherchait, non pas une femme, mais une dot, pour faire honneur aux engagemens qu'il avait contractés en devenant notaire, et qui se trouvait ainsi réduit à consulter plutôt le besoin où il se trouvait, que les sentimens de son cœur. Il y avait quelque chose de faux dans cet aperçu , et je crois qu'il me sera permis de rappeler ici ce que j'ai dit alors sur la Charge à payer.
« On aperçoit, dans ce petit ouvrage, la prétention « d'un tableau de mœurs. Il est bien vrai que ce qu'on
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« a représenté se passe dans le monde, et il est indubi« table que les avoués, les notaires et les agens de « change n'acquittent les offices qu'ils ont achetés, « qu'à l'aide des dots que leur apportent les femmes « qu'ils épousent. Mais y a-t-il quelque chose de mor « quable et de répréhensible là-dedans ? Non seulement « cette conduite n'offre rien de blâmable, mais il est « impossible même que les classes sur lesquelles on a « voulu jeter du ridicule agissent autrement. L'homme « qui aurait en propre une fortune de 5 ou 400,000 fr. « ne se ferait certainement ni avoué ni notaire $ il choi« sirait une profession moins longue et moins pénible. « Ceux qui se livrent à ces carrières sont donc néces« sairement destitués d'aisance lorsqu'ils y débutent. Ce « n'est donc alors qu'au moyen de mariages opulens « qu'ils peuvent s'établir, ou lorsqu'ils sont établis, « acquitter le prix de leur charge..... Si les auteurs de « l'ouvrage nouveau eussent montré un jeune notaire « obligé de faire un mariage complétement dispropor« tionné pour remplir les engagemens qu'il a pris en « achetant son office ; s'ils l'eussent représenté violen« tant un sentiment d'amour et sacrifiant les désirs se« crets de son cœur pour soutenir avec honneur l'état « auquel il s'est voué, cela a urait été îtiî tableau af« fligeant, peut-être, mais vrai ; car il se peut qu'un « honnête homme ait été dans cette position, etc., etc. t'est là ce que M. Scribe a fait cette fois, et il est vrai qu'il y a quelque chose d'affligeant et de triste dans la situation de Poligny, sensible et délicat qui, animé par l'amour des richesses, maladie de l'époque, se fait agent de change pour devenir riche, et est obligé ensuite de sacrifier tous les senti mens de son cœur pour rester
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riche. Dans son nouvel ouvrage, M. Scribe ne blâme plus, et ne cherche pas à jeter du ridicule sur ceux qui convoitent d'opulentes dots pour acquitter le prix de leurs charges; cela était faux et dangereux; mais il montre les inconvéniens, les dangers, les malheurs auxquels on s'expose en ne cherchant que la richesse : leçon vraie, élevée, morale au premier degré, et qu'il a présentée avec autant d'esprit que de talent.
Mais, dans un pareil sujet, et ce qui en faisait le principal écueil, c'est le combat continuel que se livrent l'amour et la cupidité. Ce combat n'existe pourtant pas réellement dans la pièce; avec son tact ordinaire, M. Scribe a bien senti qu'il rendrait son principal personnage odieux, s'il le montrait préférant l'opulence à l'amour. Poligny n'hésite réellement entre la richesse et madame de Brienne qu'avant d'avoir vu celle-ci. Dès qu'il a eu une entrevue avec elle, il renonce au projet de devenir agent de change. Il y revient encore, à la vérité, mais par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ; ce sont des incidens, conséquences de sa première résolution , qui successivement l'enchaînent et l'entraînent malgré lui. C'est parce qu'il a été faible d'abord qu'il devient malheureux ensuite. La jalousie qu'il éprouve bien naturellement et la faillite dont il est menacé le précipitent malgré lui dans un mariage d'argent qu'il aurait voulu rompre , qu'il a eu la faiblesse d'accepter, parce qu'il est dévoré par le goût du luxe et par la vanité, et dont il ne peut plus se dégager. C'est dans cette succession d'incidens qui montrent le talent de l'auteur, que M. Scribe a voulu placer l'excuse de Poligny, et a espéré le faire passer auprès du spectateur et déguiser le combat de l'amour contre
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la cupidité triomphante. Cette lutte et ce résultat sont, à ce qu'il paraît, trop inhérens au sujet. Le public a voulu voir, non ce que l'auteur lui présentait, mais ce que M. Scribe avait voulu lui cacher. Vainement, cette arrière situation avait été dérobée avec un talent peu commun ; vainement, ce sujet était entouré des accessoires, des détails les plus brillans et les plus spirituels, le spectateur hypocrite, malveillant et ignorant, s'est acharné à vouloir que les choses se passassent, non pas scion la vérité, mais selon ses fausses idées. Elevé par de mauvaises comédies, le public exige des caractères généreux, beaux, nobles, faisant des sacrifices, et de plus, des dénoûmens heureux où les gens qui s'aiment finissent par s'épouser. M. Scribe, qui n'ignore pas la part très large qu'il faut faire à la sottise et à l'amour du faux au théâtre, avait jeté à dessein sans doute, son jeune Olivier, candide, désintéressé, loyalement amoureux, au milieu de cette intrigue de la cupidité -, et, en le rendant intéressant, en lui faisant épouser madame de Brienne, en mettant dans la bouche de ce personnage de grandes phrases sur les beaux-arts et sur le désintéressement des artistes, M. Scribe avait espéré qu'il sacrifiait suffisamment à la niaiserie dramatique, aux conventions du théâtre ; il croyait détourner par-là la fausse sensibilité des spectateurs ; c'était pour parler le langage de^la plus grande partie d'entre eux, un os qu'il leur donnait à ronger pour les amuser et déployer pendant ce temps tous les ressorts et toutes les vérités de sa conception; M. Scribe n'a réussi qu'à moitié. On a bien applaudi l'amour passionné du gentil Olivier, ses déclamations sur l'enthousiasme de la peinture et le désintéressement des artistes, choses convenues, usées et
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fausses s'il en fut jamais, car nos peintres, qui sont comme tout le monde de leur siècle, aiment l'argent et le recherchent tout autant que les agens de change, les notaires, les avoués et ils ont raison -, je n'ai jamais ouï parler, en effet, du désintéressement de MM. Gérard et Horace Vernet $ mais, malgré tout le ta ta du rôle d'Olivier, toute la grâce, tout le charme de madame de Brienne, tout le comique de Dorbeval, toute la sensibilité vraie et le malheur intéressant de madame Dorbeval qui montre, pour les femmes, l'influence des mariages d'argent, ce qui complète le tableau; enfin, malgré la profusion d'esprit et de traits de tout genre répandus sur toutes les parties de l'ouvrage, le succès de cette comédie a été contesté, et peu s'en est fallu même qu'un ouvrage aussi distingué, et que le nom de son auteur devait protéger, n'ait été tout-à-fait compromis par les sifflets d'un public qui n'en avait compris ni la portée ni le mérite. C'est ici l'occasion d'examiner ce que c'est que le public moderne qui juge les ouvrages dramatiques, et l'influence que les mœurs actuelles exercent sur le théâtre.
Voltaire restreignait, de son temps, à deux mille le nombre des personnes en état de juger une pièce de théâtre. Il y en a peut-être plus aujourd'hui, et pourtant, sans paradoxe, il y en a moins. Les gens de lettres véritablement dits et les gens du monde que Voltaire admettait au droit de prononcer sur l'œuvre dramatique d'un auteur, sont maintenant plus rares \ mais, en récompense, le nombre des jugeurs est immense. Le public, à présent, c'est tout le monde, et si cette révolution dans les conditions a été favorable à quelques égards, elle a été funeste pour les arts et par-
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ticulièrement pour l'art dramatique. En effet, il ne s'agit plus maintenant de plaire à la société en quelque sorte spéciale qui jadis fréquentait presque exclusivement le théâtre, et imposait ses arrêts aux autres classes. Aujourd'hui il faut amuser tout le monde à la fois , parce que tout le monde va au spectacle et que tout le monde se croit appelé à prononcer sur le mérite et la vérité des conceptions dramatiques. Les intelligences pourtant ne sont pas semblables; les qualités indispensables pour discerner le vrai du faux, le naturel de l'affectation, le plaisant du bouffon, ne sont pas le partage de la foule, et c'est cependant la foule qui nous juge, la foule, que la diffusion des lumières et une instruction incomplète ont en quelque sorte hébétée, mais qui se croit habile et éclairée, parce que les petits spectacles et les petits journaux lui donnent tous les jours à bon marché l'esprit et les connaissances qui sont propres aux uns et aux autres. Ces bonnes gens, qu'ontils vu, qu'ont-ils pu voir ? Ils ne savent que les idées générales, que le gros des choses 5 ils n'ont point observé , et ne peuvent pas connaître le mouvement de la société -, ils le reçoivent tard, et alors que ce mouvement est en quelque sorte épuisé et vient expirer au milieu d'eux. Sur un public ainsi composé, quelle œuvre peut faire de l'effet? Un mélodrame, c'est-à-dire des événemens extraordinaires et frappans ; une bêtise de Brunet ou d'Odry, c'est-à-dire quelque chose de vulgaire ou de grossier; un ouvrage de M. Bouilly, de M. Duval ou de M. Casimir Bonjour, c'est-à-dire quelque chose de romanesque, de faux, de clinquant qui ne sorte pas de la banalité, et qui rentre dans l'ordre des choses convenues , reçues et à la portée du grand nombre. Ce
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n'est pas sans dessein que j'ai suivi cette progression dans les divers genres de spectacles qui occupent aujourd'hui tout le monde -, car il y a dans la partie riche et soi-disant éclairée de la société, autant de peuple qui admire les niaiseries du Premier Théâtre Français, et qui se laissent prendre aux oripeaux du Mari à tonnes Fortunes et du Chevalier d'industrie, que, dans les classes inférieures, il y a de gens ravis d'une sottise du théâtre des Variétés ou des infortunes de Calas. La société, qui maintenant a de beaux habits, des voitures et de riches appartemens, renferme autant de nullité , d'intelligence bornée, de vues étroites et d'ignorance que toute autre, parce que cette société , fruit des circonstances , est sortie précipitamment des derniers rangs, et n'a pas pu y puiser cette connaissance du monde, cet esprit d'observation , ce tact dont il faut être pourvu pour goûter et apprécier le tableau des mœurs qu'on lui présente, et dont elle ne peut apercevoir le mérite et la vérité, parce qu'elle ne l'a jamais vu : autant vaudrait appeler un aveugle à juger de la ressemblance d'un portrait et de l'emploi des couleurs.
Le sujet choisi par M. Scribe est bien saisi dans les mœurs actuelles, rempli de détails également vrais et spirituels sur les habitudes modernes 3 il l'a pris dans la classe financière, c'est-à-dire dans les gens à argent, parce que c'est là que se trouve aujourd'hui, au moins à Paris, le trait distinctif de la société ; il dit aux avoués, aux notaires, aux agens de change , aux banquiers, à tous ceux qui se mêlent d'affaires et de spéculations : « Vous voulez faire des fortunes rapides, vous voulez jouir sur-le-champ de tous les plaisirs de l'opulence et du luxe -, vous cherchez la richesse et ses éblouissemens
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à quelque prix que ce soit -, je ne dis pas que vous avez tort et que je vous blâme -, mais vous êtes ainsi, je vous peins tels que vous êtes, et je vous montre seulement les conséquences réelles, probables , possibles de cette préférence que vous accordez à la richesse, de cette soif de l'or, de cette manie de briller qui vous domine, qui vous dévore, que vous mettez avant tout et qui vous procure tout, tout enfin... excepté le bonheur. »
Assurément voilà un aperçu vrai des mœurs du temps, une leçon aussi juste que morale, et si cette leçon est présentée sous les formes de la raison et de l'esprit, elle doit réussir... Point du tout, car ce sujet est neuf, cet aperçu n'est point encore répandu dans les idées générales -, il est le fruit de l'observation des esprits éclairés, délicats qri suivent et jugent les mouvemens de la société; sa vérité n'est pas encore parvenue à la foule, et c'est cette foule qui va juger un pareil ouvrage ! Aussi n'y a-t-elle rien compris ou à peu près. La situation de Poligny lui a paru odieuse ; ses incertitudes, dures et sans grâces -, on aime tant au théâtre les caractères fidèles et généreux ! on les applaudit tant ! ne fût-ce que par hypocrisie, et parce que chaque spectateur, en criant bravo, espère se persuader et persuader à son voisin qu'il est lui-mème rempli de sentimens aussi nobles que ceux du personnage auquel il applaudit !
On aurait pu croire pourtant que ce caractère n'aurait point éprouvé une telle résistance de la part d'un public qui semblait avoir été préparé à ces fluctuations de volontés, à ce combat de l'ambition et de l'amour, non seulement par le Leycester ftEmilia qui se trouve dans la même situation, mais encore par le Leycester de la tragédie de Marie Stuart, Ce dernier rôle, joué
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par Talma, eut, dans le temps, quelque peine à passer. Je me souviens même que Talma, qui connaissait toute la niaise susceptibilité du public, n'eut pas le courage de l'affronter, et qu'il exigea de l'auteur un changement important. M. Lebrun, qui avait copié la tragédie de Schiller, faisait arrêter Mortimer par l'ordre de Leycester qui trahissait ainsi ses amis, sa parole et Marie Stuart qu'il aimait, au profit de son ambition. Cet incident est un trait admirable dans la tragédie allemande, et complète le caractère de l'homme qui sacrifie à l'intérêt de son crédit et de ses richesses, les sentimens généreux qu'il éprouve. Talma obtint qu'au lieu d'ordonner l'arrestation de Mortimer, l'auteur ferait sauver ce complice de ses projets : conduite inconséquente au caractère -, mais Talma, fautif aux yeux du bon sens, eut raison quant au résultat. Aux murmures que le personnage de Leycester excita plusieurs fois, il fut facile de juger que des sifflets nombreux auraient accueilli ce développement vrai et même indispensable du caractère.
Mais si le public veut rester dans cette niaiserie, dans cette routine, dans cette hypocrisie , qu'il n'exige pas au moins de la vérité et de la nouveauté au théâtre ; qu'il se gorge des dessus de portes de MM. Duval, Bouilly, Jouy et tutti quanti. La gaieté, comme on l'entendait jadis, n'est plus possible dans la comédie moderne; le comique des valets et des grotesques est passé. Tous les bons ouvrages de nos jours , ceux auxquels on peut donner le nom de comédie, c'est-à-dire de représentation fidèle de la société qu'ils ont voulu peindre, ne renferment pas, à beaucoup près, autant de traits comiques que le Mariage d'Argent, et tous ont un côté
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très sérieux qui les domine, parce que les mœurs modernes sont sérieuses. Les Deux Gendres, le Roman , l'Ecole des Vieillards sont des ouvrages de premier ordre qui ne présentent pas un tableau plus exact de la société que le Mariage d? ,4ryent. Ils sont supérieurs à celui-ci, parce qu'ils sont écrits en vers, et il faut ajouter en bons vers, et que cette difficulté vaincue est assurément un mérite de plus; mais aucun de ces ouvrages n'est comique, c'est-à-dire gai ou plaisant, et n'est surtout aussi rempli d'esprit et de vérité que le Mariage d'Argent.
Le Spéculateur de M. Riboutté, f Agiotage de M. Picard et, je n'ose dire, l'Argent de M. Casimir Bonjour ont été destinés à peindre le trait distinctif de cette époque. Il faut ajouter à cette nomenclature le nouvel ouvrage de M. Scribe qui a su donner à sa conception une tournure plus fraîche et des formes plus juvéniles. Quoiqu'il manque de l'esprit, de l'éclat, des traits à lAgiotage, je crois cependant cette dernière pièce supérieure à celle de M. Scribe, quant à la largeur des. intentions et à l'effet de sa leçon. Le tableau de M. Picard est pris dans un ordre plus élevé, dans une situation plus générale -, sa moralité est plus applicable, et touche davantage à toutes les intelligences.
Outre les causes que je viens d'expliquer de l'échec incroyable que M. Scribe a éprouvé, il en est encore quelques-unes qui, pour être secondaires, n'en ont pas moins été puissantes dans cette triste soirée. Dans l'impossibilitéi où est la comédie maintenant d'être tout à-fait comique ou tout-à-fait attendrissante, il avait cru que: l'esprit pouvait être la transition, le terme moyen du, genre nouvean que le public a l'air de chercher et que;
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les auteurs n'ont point encore trouvé. M. Scribe a peutêtre abusé de ce moyen et de ses ressources. Il y a unetelle quantité de traits et de mots spirituels et touchans que l'on en est ébloui, et que, si on peut le dire, les uns nuisent aux autres. Au milieu de ces éclairs continuels , l'esprit se distrait de l'action. Quand M. Scribe ne se sert plus du dialogue que pour l'intelligence de l'intrigue, tout semble languir, et la pièce gagnera à perdre quelque chose de son brillant.
Après avoir fait au public le procès qu'il mérite, peut-être est-il juste de reconnaître que les caractères incertains, irrésolus ou que du moins l'indécision dans les caractères et dans les situations ne peuvent être placés que dans des personnages secondaires ou dans des positions comiques. Il est pourtant vrai que l'homme est ainsi fait et qu'il n'y a rien de ridicule dans les incertitudes qu'il éprouve, dans les sentimens contraires qui le partagent sur toute résolution sérieuse qu'il a à prendre. Mais enfin , il paraît que le public n'en est pas encore là ; l'ouvrage de M. Scribe l'a malheureusement prouvé. Espérons que cette expérience ne sera pas toutà-fait perdue 5 que peu à peu les spectateurs s'accoutumeront à supporter la vérité choisie au théâtre et que l'art dramatique y gagnera.
D'un autre côté, les nombreux succès de M. Scribe et sa renommée ont ameuté contre lui toute la basse littérature , tous les envieux , tous ces gens qui ne voient jamais sans chagrin un homme de talent croître et s'élever. Les auteurs habitués de la Comédie-Française pardonnaient à peu près à M. Scribe de faire de la comédie au Gymnase ; son début au Théâtre Français leur a paru un empiétement condamnable ; un orgueil
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irréfléchi. Ils ont senti que quand on montrerait des tableaux vrais et spirituels sur une scène qu'ils ont encombrée et qu'ils veulent encombrer long-temps encore de niaiseries ou de caricatures fades, leur règne serait passé. Ils avaient pâli au Jeune Mari, de M. Mazères; ils ont frémi à l'apparition d'une pièce en cinq actes de M. Scribe. Le public lui-même, qui quelquefois a gâté cet ingénieux auteur au Gymnase , semblait disposé à croire que sa tentative était orgueilleuse et téméraire. Chacun enfin semblait lui avoir taillé son morceau, l'avoir confiné dans le vaudeville ou l'opéra comique, et lui avoir dit : Tu n'iras pas plus loin.
Il résultait de toutes ces dispositions, une malveillance qui ne cherchait qu'à s'exercer et qui s'en prenait à tout. Un acteur qui se trompait, faisait murmurer; un mot hasardé amenait des sifflets \ une situation qui n'était pas assez tôt comprise, causait des huées. On n'aurait pas traité aussi lestement un jeune auteur non éprouvé, et tout ce qui semblait devoir être favorable à M. Scribe, son talent connu et jusqu'ici la faveur publique, tout a tourné contre lui. Cette représentation sera un éternel sujet d'étonnement pour tous ceux qui y ont assisté et qui ont peine encore à se rendre compte de la rigueur avec laquelle un pareil ouvrage a été traité : pour mon compte, j'en suis affligé comme d'une chose qui toucherait mes amis ou moi-même -, et cependant je n'ai aucune liaison et même aucun rapport avec M. Scribe 5 c'est tout au plus si nous nous connaissons de vue. Mais la sévérité niaise et inique blesse la droiture du sens et du goût, et si M. Scribe m'est personnel Jement indifférent, la vérité et l'art me trouvent tou* jours disposé et même ardent à les défendre.
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SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
Û
L'IMPORTANT, COMÉDIE EN TROIS ACTES ET EN VERS,
DE M. ANCELOT.
4 décembre.
Comme M. Ancelot a cru sans doute qu'il avait peint r Homme du Monde, il y a trois semaines, il doit être persuadé qu'il vient de produire une seconde comédie de caractère et qu'il a fait llmportant. Il doit croire aussi qu'il a fait un bon ouvrage, car sa pièce a élé applaudie ; tandis que M. Scribe, qui a assez de talent et d'esprit pour être modeste et dont on a sifflé le Mariage d'argent, peut penser, lui, qu'il s'est trompé et qu'il a fait un mauvais ouvrage ! Ce sont peut-être les mêmes gens qui n'ont pas voulu et qui n'ont pas pu entendre et comprendre, rue de Richelieu, une des plus jolies comédies modernes, qui ont accueilli avec des bravos et des rires les trois actes que l'on débitait devant eux à l'Odéon ! En y pensant bien, cela est juste et conséquent. Le Mariage d'argent est un ouvrage de mœurs neuf, original, encombré d'esprit, rempli d'observations vraies \ tout le monde n'était pas en état de le goûter et peu de gens étaient disposés à l'applaudir. Il y a dans le cœur de l'homme un odieux sentiment de jalousie et de révolte contre les efforts et le succès de la supériorité. Les sots jouissent de l'humiliation qu'éprouve le talent, comme ces mauvais pédans enchan-*
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tés d'user de leur position pour infliger une rigoureuse punition à un écolier qui n'a souvent, à leur égard , que le tort d'avoir raison et d'avoir bien fait 5 mais un ouvrage plat et commun est à la portée de tout le monde, et la médiocrité n'effarouche personne. On ne siffle jamais les imitations au théâtre, cela est naturel. Pourquoi n'applaudirait-on pas encore ce qu'on a déjà applaudi ? De plus, il est rare qu'une pièce en vers ne soit pas bien reçue. Le vers, pourvu qu'il soit passablement tourné, fait passer les sottises, donne quelque relief aux pensées communes, et ce qui est plus remarquable encore, le vers impose au vulgaire ; on le respecte. Il produit, sur la foule niaise, l'effet que cause sur les gens communs et timides, l'homme qu'ils croient riche, qui est bien mis et qui parle haut. Tels sont les motifs secrets, mais réels du sort qu'ont éprouvé, à vingt-quatre heures de distance, deux ouvrages si différens à tous égards. Il est vrai que le temps et l'estime des vrais juges viendront tout remettre à sa place. Mais il y a pourtant dans ces effets immédiats de la sottise injuste et puissante, dans cet usage et dans cet abus d'un pouvoir ridicule, quelque chose de triste et d'irritant. Voici, au surplus et pièce en main, la raison de mon opinion sur le nouvel ouvrage de M. Ancelot.
Un M. de Senarmont, quoiqu'il soit hors d'état de rendre aucun service, a la manie de faire croire qu'il connaît tous les hommes puissans, qu'il a du crédit, qu'il exerce de l'influence sur les journaux, etc., etc. Il traverse Châlons-sur-Saône pour se rendre en Suisse. Il s'arrête chez une de ses connaissances, M. Dupré, dont le neveu vient d'être nommé inspecteur des do-
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maines. On attribue cette faveur à Senarmont qui aurait employé, pour l'obtenir, le crédit du duc de Sereville dont il est, assure-t-il, l'ami intime. Il est bientôt entouré de tous les niais du pays, directeur des contribua tions, directeur des postes, chef du bureau de la sous-' préfecture, etc., etc., qui viennent solliciter son appui et lui faire mille avances. Senarmont continue à jouer son rôle ; il insiste surtout sur l'intimité dans laquelle il vit avec le duc de Sereville qu'il n'a pourtant jamais vu. Or, ce dernier personnage, espèce de M. Guillaume et d'Homme gris, est justement dans la maison do Du-, pré sous le nom de Granville ; il se délasse des gran-. deurs sous ce modeste incognito. Il veut mystifier Senarmont et ses imbéciles solliciteurs. Par suite d'un faux avis inséré dans le journal du département, il fait arrêter Senarmont qui, de plus, a un duel avec un jeune médecin, qui le croit, parce que Senarmont s'en est vanté, l'auteur d'un article satirique publié dans un petit journal de Paris contre un ouvrage du docteur. Quand le duc a jugé que la mystification était assez longue , il se découvre et la pièce finit.
Comme on peut dire du fond de la pièce : où n'a-ton pas vu cela ? on peut également dire du dialogue : où n'a-t.,.on pas entendu cela ? M. de Senarmont n'est pas un important, dans la plus simple définition du mot, exagérant le crédit qu'il possède et les services qu'il rend. Il ne rend aucun service et ne possède aucun crédit. C'est un homme sot et vil, qui dit force bêtises, accepte les témoignages de reconnaissance pour de bonnes actions qu'il n'a pas faites et rompt, sous les plus stupides espérances d'un chimérique avancement, l'hymen ar-
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rêté du jeune Dupré et de sa cousine à laquelle il promet un époux qui sera au moins baron -, mais dans quel intérêt, dans quel but, dans quelle intention fait-il tout cela? Il n'a pas de projet, pas de dessein , c'est en pure perte qu'il fait et dit mille sottises et qu'il se déshonore. Est-ce pour la pure satisfaction de son caractère? est-ce parce qu'il est naturellement important, qu'il agit et parle comme il fait? et suffit-il, pour la vérité, l'agrément et l'art de la comédie, que la nature d'un homme soit celle d'un important ou que l'auteur le qualifie tel pour qu'il soit ou qu'il paraisse ainsi? Non, et c'est se tromper dans le fond et dans la forme que d'apercevoir et de peindre un caractère de cette façon. Qu'importe qu'un homme soit de lui-même important, s'il n'a pas ce qui établit, ce qui justifie, ce qui explique ce ridicule? Pour que Senarmont fût réellement et comiquement important, qu'il fit vraiment l'important, il aurait au moins fallu lui donner quelque véritable importance , une importance quelconque, celle de la qualité, du mérite ou du crédit qu'il se serait exagéré, et qui aurait mis alors le ridicule ou les travers de son caractère en relief et en action. Senarmont a l'envie d être important, mais il ne rest pas. C'est un sot qui ment et fait des dupes, voilà tout.
Le style de cet ouvrage est toujours correct et paré de cette élégance sans naturel qui distingue la versification de M. Ancelot ; mais il n'a ni la fraîcheur, ni la vivacité qu'exige le dialogue de la comédie. Un seul vers, dont la pensée n'est pas bien neuve, mais dont le tour est assez piquant, mérite d'être conservé. Le duc de Sereville veut détourner une femme du désir de faire
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imprimer quelques vers qu'elle a faits, et au nombre des raisons polies qu'il lui donne, il ajoute :
Les femmes ont assez de chagrins sans la gloire.
Malgré l'ellipse de pensée et d'expressions ou peut-être même à cause de cette ellipse, ce trait est agréable et bien tourné.
Puisque je suis en train de parler de l'Odéon, il faut bien que je fasse mentîon de la Sœur, ou les Deux Riches, autre comédie en cinq actes et envers, jouée pour la première et dernière fois le 13 novembre. L'auteur, qui n'a point été nommé, est M. Merville. A la vérité, il est également l'auteur des Quatre Ages et de 1 Officier de Fortune \ mais on lui doit aussi la Famille Glinet et la Première Affaire. Compensation. Système Azaïs.
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1828.
PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS.
REPRÉSENTATION EXTRAORDINAIRE AU BÉNÉFICE DE BAPTISTE AINE. -JA%E SUORE , TRAGÉDIE ANGLAISE DE ROWE. CHACUN DE SON CÔTÉ, COMÉDIE EN TROIS ACTES ET EN PROSE ( PREMIÈRE REPRÉSENTATION ). LA CENERENTOLLA , OPÉRA EN DEUX ACTES DE ROSSINI. — MADEMOISELLE SONTAG.
26 janvier.
Avec une pareille affiche, Baptiste aîné pouvait se dispenser de mettre en tête de son programme que cette représentation extraordinaire lui était accordée après trente-sept ans de service. C'est dans de semblables occasions que le temps ne fait rien à l'affaire. Soixante ans d'exercice théâtral et un mauvais spectacle n'auraient pas attiré vingt personnes à la Comédie-Française hier soir \ mais, du reste, si l'on pouvait admettre les prétendus égards et la soi-disant gratitude que le public doit à un acteur, Baptiste aîné y aurait quelques droits. Sa conduite publique et privée n'a jamais mérité que des éloges (1).
Dans l'usage, c'est toujours la musique et la danse qui terminent les solennités théâtrales. Hier, il n'y avait
(1) Mort en 1835.
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pas de danse. L'Académie royale n'avait envoyé aucun détachement de ses troupes légères, et c'est la musique de l'Opéra-Italien qui, au lieu de finir, a commencé la soirée. Cette transposition n'était pas sans inconvénient pour l'auteur de la pièce nouvelle : ChaCU1t de son côté, qui ne pouvait ainsi être représentée qu'à dix ou onze heures du soir, devant des spectateurs fatigués d'une séance de quatre heures, et par conséquent plus difficiles à amuser après cet épuisement d'attention et de position. La soirée n'avait pu être autrement distribuée. Mademoiselle Sontag, remplissant le rôle de Cenerentolla, et que tous les salons de Paris s'arrachent en ce moment, était invitée à un concert auquel elle ne voulait pas manquer. Elle n'eût pu s'y rendre si elle eût chanté après la pièce nouvelle -, force était bien alors de la faire chanter avant et de bonne heure. Se passer d'elle était impossible! Mademoiselle Sontag a la vogue dans ce moment, et il manquerait quelque chose à un spectacle extraordinaire dont elle ne ferait pas partie. Il a fallu céder à de si hautes considérations, et, contre l'usage encore, la toile s'est levée à six heures et demie.
Après le deuxième acte de Cendrillon, où mademoiselle Sontag trouve, dans les couplets de la fin, le moyen de faire briller la fraicheur et la légèreté remarquable de sa voix; après la longue tragédie de Jane Shore, dans laquelle mademoiselle Smilhson a déployé, comme toujours , la puissance du plus bel instinct tragique qui, depuis madame Pasta et Talma, ait paru sur le théâtre, les comédiens français ont eu leur tour et l'ouvrage nouveau a commencé.
Il y a deux conclusions à tirer de cct ouvrage. L'au-
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teur en a mis une dans la bouche de madame de Vallière qui dit à son mari : « Après avoir donnéau monde le scandale d'une rupture, donnons-lui V exemple d'une réconciliation sincère et durable. » L'autre échappe à la sotte et méchante naïveté de madame Bargeot qui s'écrie, en voyant la réunion des deux époux : « Ah çà, monsieur Bargeot, à quoi sert de se séparert si on doit se remettre ensemble, autant valait ne pas se séparer. » Elle a raison, non seulement par l'effet de son exclamation si comique, mais encore parce que le scandale d'une rupture entre époux est plus affligeant et plus dangereux pour la société que l'exemple d'une réconciliation n'est fructueux et salutaire. Si le public veut tirer cette conséquence de la pièce nouvelle et agir d'après la maxime de. madame Bargeot, les mœurs apparentes y gagneront quelque chose.
Le sujet de Chacun de son côté n'est pas nouveau. Parmi les ouvrages qui sont restés au répertoire ou dans les recueils dramatiques, on trouve d'abord Misantropie et Repentir, drame d'origine allemande où la situation principale est bien plus sérieuse. C'est la femme qui a eu des torts et d'un genre bien grave. Le pardon est aussi le dénoûment. Dans l'Entrevue, de Vigée, petite pièce marivaudée, en vers bien tournés, on voit aussi deux époux séparés qui se raiment et se réunissent quand ils se sont vus et expliqués. La leçon et la réconciliation d' ,.4 dolphe et Clara, opéra comique plein d'esprit et de gaieté, sont d'ailleurs aussi légères que les circonstances qui ont amené la séparation momentanée de ces deux époux-enfans. Mais la pièce où il serait le plus possible de croire que l'auteur de Chacun de son côté a puisé, est une comédie-proverbe de Boissy,
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intitulée les Epoux réunis. Elle n'a jamais été représentée sur un théâtre public, et fut jouée seulement devant la société du feu duc d'Orléans, en 1778, dans les petits appartemens de Monceaux et imprimée à la même époque. On voit là, comme dans la pièce nouvelle, deux époux qui vivent depuis long-temps chacun de son côte. L'amant de -la femme est en scène comme le comte
Alexis de Balcoff, et le mari, après s'être battu pour l'honneur de celle qui porte son nom, devient bon mari, pour avoir été preux chevalier. Ce qui rend précieux le proverbe de Boissy, c'est la vérité des mœurs et du dialogue. C'est une médaille de ce temps-là. Le jargon du jour, les sentimens de l époque sur le mariage et les devoirs des époux, tout y est d'une fidélité parfaite, et les mémoires de madame de Stainville ne sont presque qu'une amplification décolorée de ce petit chef-d'œuvre de Boissy qui n'en a fait guère.
Il y a même de l'intérêt dans son ouvrage. On ne le retrouve pas dans Chacun de son côté, et la raison en est sensible. Boissy a donné à sa comtesse de Ferville des torts réels et de nature à ce que les esprits les plus frivoles soient forcés d'y porter attention. Les désordres d'une femme entrainent des conséquences bien autrement sérieuses que les infidélités d'un mari. Chez nous, même, les infidélités d'un époux peuvent rendre une femme fort malheureuse en affligeant son coeur 5 mais le monde, habitué à les juger légèrement, n'y porte pas un intérêt bien vif. Au contraire, l'infidélité de la femme peut porter une telle atteinte à l'honneur et aux intérêts de son époux et de sa famille que le désir de savoir si elle peut être pardonnée excite au moins la curiosité. Dans Chacun de son côté, madame de Val-
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iière n'a aucune faute grave à se reprocher -, l'isolement où elle est l'a rendue dissipée et inconséquente •, mais aucun intérêt ne se porte sur elle ; et, du moment où l'on voit qu'elle aime toujours son mari et que celui-ci revient à elle, comme elle n'a mis, de son côté, à leur réunion, aucun empêchement qui pourrait tenir le mari en suspens, il n'y a aucune suspension d'intérêt, ou, pour mieux dire, il n'y a aucun intérêt. Ce qui éveille l'attention dans les Epoux réunis et dans Misantropie et Repentir, c'est la situation de la femme coupable. L'amour du mari l'emportera-t-il sur le chagrin et le mépris occasionés par sa femme ? Voilà le nœud des deux pièces, et malgré l'immoralité, ou peut être à cause de l'immoralité de cette situation et des souvenirs qu'elle rappelle, l'intérêt est excité. Toute la société est en quelque sorte intéressée à la solution de la question que les auteurs ont élevée devant elle. En intervertissant les rôles et en rendant le mari coupable et la femme innocente, l'auteur de Chacun de son côté a perdu le mobile d'une pièce de ce genre. Il aurait pu donner une autre physionomie à son ouvrage et jeter sur la baronne de Vallière un intérêt qui manque totalement à ce personnage. Il fallait montrer plus hardiment et plus profondément les dangers et le malheur de la position d'une femme séparée de son mari. Il fallait la compromettre par une inconséquence éclatante dont elle ne pût sortir, faute de l'appui conjugal, et il en serait résulté une double et fructueuse leçon pour les femmes, en même temps que la pièce y aurait gagné en développemens et en intérêt dramatique. Elles auraient vu par-là les conséquences d'une inconséquence, même non criminelle, et elles auraient ou la preuve que . quels que soient les torts d'un mari,
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mieux vaut encore pour elles rester sous le toit marital et sous la protection d'une position patente et honorable, que de chercher à venger une vanité blessée ou un amour outragé par une liberté dont la jouissance même est un danger. Tel a bien été, sans doute, le but de l'auteur. Mais il ne l'a indiqué que par des paroles, par des réflexions et des regrets de madame de Vallière. Au théâtre, surtout, il faut des actions. La pièce ainsi dépourvue d'intérêt et d'incidens, n'a pas même de nœud. Il est devenu évident pour tout le monde que la réunion serait le dénoûment, car aucun obstacle réel ne se présentait contre cette réunion. La mauvaise humeur et le dépit de l'oncle ne sont pas un obstacle, et du moment qu'à la fin du second acte , M. et madame de Vallière se sont fait voir mutuellement leurs sentimens, comme rien ne s'oppose dès lors à ce qu'ils vivent ensemble de nouveau et à ce qu'ils entrent même dans le salon, où leur présence ne causerait qu'un étonnement momentané et point du tout scandaleux, la pièce était finie pour le public. Aussi le troisième acte a-t-il été à peine écouté. Cela était injuste. Les deux premiers actes sont fort spirituels et méritaient qu'on accordât quelque indulgence au dernier. On y rencontre, à la vérité, des scènes inutiles ou parasites -, le dialogue en est faible -, enfin il était minuit et demi et les auditeurs avaient déjà subi six heures et demie de spectacle. La fatigue rendait plus sévère. C'est avec beaucoup de peine que Baptiste aîné a pu faire entendre que l'auteur de Chacun de son côté était M. Mazères, auquel le Théâtre-Français doit déjà le tableau amusant des Trois Quartiers et la comédie fort distinguée du Jeune Mqri.
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PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS.
LA MORT DE TIBÈRE, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES, DE
M. L. ARNAULT.
3 février.
Tibère, retiré depuis long-temps à Caprée, vient à Rome pour démentir par sa présence le bruit de sa mort ou de sa caducité que font courir ses ennemis et surtout Caïus Caligula qui prétend à lui succéder, et Galba qui le souhaite aussi, mais qui cache ses prétentions et ses destinées sous le feint amour des lois républicaines. Tibère , plein d'un féroce mépris pour le sénat, pour le peuple, pour Caïus, pour Galba qui le mérite au même titre de lâcheté et de corruption, n'a de confiance que dans Macron, son premier ministre résidant habituellement à Rome pour faire exécuter les ordres sanguinaires de son empereur. C'est bien le cas de dire : tel maître, tel valet. L'un ne vaut pas mieux que l'autre, et Macron , tout en obéissant servilement à Tibère, ne cherche qu'à assurer son pouvoir sous le règne du successeur de César en trompant tour à tour Galba, dont il semble partager les sentimens républicains, et Caïus dont il fialle les espérances et qu'il veut unir à sa fille Ennia que Caïus, pour sauver ses jours, feint d'aimer. Macron, tout puissant et chef de la garde prétorienne, peut porter la victoire au parti qu'il adoptera franchement. 11 a placé auprès de Tibère un ancien
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affranchi grec, Chariclès, devenu médecin habile, se mêlant de lire dans les astres, et tout dévoué à Macron. Il tient celui-ci au courant de l'état de la santé de Tibère, et Macron règle ses desseins et ses démarches sur les avis qu'il reçoit à ce sujet.
Le retour de Tibère a lieu au milieu des acclamations du peuple et du sénat. L'empereur, qui se sent chaque jour affaiblir, veut nommer son successeur avant de mourir. Enfermé avec Macron, et après avoir assuré des legs considérables au peuple, à l'armée, aux prétoriens ; après avoir surtout désigné le nombre des victimes qui doivent être immolées sur sa tombe et qu'il a soin de choisir parmi ceux de ses ennemis qu'il n'a pas encore eu le temps de faire périr, Tibère se décide à laisser l'empire à Caïus Caligula. Ce qui le détermine à ce choix, c'est qu'il a deviné toute la férocité de ce fils de Germanicus, et qu'il espère que le règne de Caïus fera regretter le sien. Il ne s'est pas trompé comme on sait, et Caligula le fait bien pressentir au spectateur. Dans une scène avec Macron, il a fait voir par quelle profonde dissimulation il avait éloigné la haine et la colère de Tibère.
Témoin muet du meurtre de ma mère,
En ne la pleurant pas, je séduisis Tibère.
L'empereur, qui se méfie de son médecin Cbariclès, veut aussi le faire périr. Il a bien ordonné secrètement à Macron la mort du fils et des parens de ce savant docteur ; mais cette soif de sang qui dévore cet odieux souverain veut s'assouvir encore dans le trépas de celui qui lui donne des soins. Pour y parvenir par la ruse, il exige que Chariclès lui révèle l'instant de sa mort. Le
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médecin qui se doute du piége en détourne les effets en lui annonçant que, selon les astres, la vie de l'empereur est en quelque sorte attachée à la sienne, et que son trépas ne doit précéder que de peu de momens celui de Tibère. Le crédule tyran, effrayé de celte prédiction, comble alors Chariclès de prévenances et de faveurs. Cette scène à effet se trouve tout entière dans le Louis XI de M. Mély-Jeannin,; comme la tragédie de M. L. Arnault est, de façon et de réception, antérieure au drame de feu M. Jeannin, ce n'est point de ce côté qu'il y a rien à lui reprocher. Mais il existe un Louis XI de M. Casimir Delavigne, antérieur, à son tour, à l'ouvrage de M. L. Arnault, et dans lequel cette ingénieuse et dramatique combinaison a été placée. C'est lu, disent les amis de M. C. Delavigne, que M. L. Arnault l'a prise ; et il y a déjà long-temps qu'ils font retentir l'orchestre et le foyer du Théâtre Français de cette accusation de plagiat. Quoi qu'il en soit, par le fait maintenant, pour le gros du public, et la tragédie de M. Delavigne n'étant pas destinée à voir le jour de sitôt, l'invention de cette scène remarquable restera à M. L. Arnault. Revenons à lui.
La fatigue du voyage, de la réception et de ses derniers travaux a accablé Tibère. Il s'affaiblit et tombe, en présence de Macron et de Chariclès seulement, dans un évanouissement tel, qu'on le croit mort. Avant d'arriver à cet état d'anéantissement, il a changé son testament et disposé de la couronne en faveur d'un autre que Caïus. Mais Macron, seul dépositaire de ce secret, ne le divulgue pas, et protégeant Caligula qui doit épouser sa fille Ennia , Macron , au milieu de la nuit,
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rassemble le peuple, le sénat, les prétoriens et fait proclamer Caïus. La servilité des uns et des autres se courbe devant la dernière volonté de Tibère mort, contre la mémoire duquel s'élèvent alors mille accusations. Son nom est maudit, voué aux enfers , sa statue est renversée... Tout à coup apparaît Tibère au milieu de ce délire de la lâcheté qui se croit libre. Revenu de son évanouissement, et déjà presque tout couvert des linges funéraires, il accourt au bruit qu'il entend dans son palais. Il n'a pas de peine à deviner la scène qui vient de se passer. Il fait descendre Caïus du trône, et le fait jeter en prison d'où il ne doit sortir que pour rceevoir la mort. Plus furieux et plus sanguinaire que jamais , Tibère veut signaler son espèce de résurrection par de nouvelles et nombreuses proscriptions. Macron , qui veut y mettre un terme, parce qu'il les redoute CJDfin pour lui-même, engage Chariclès qui seul maintenant approche de Tibère, à délivrer le monde de cet exécrable tyran. Chariclès hésite; mais il se décide quand Macron lui met sous les yeux la liste des meurtres ordonnés par Tibère et sur laquelle sont inscrits en tête, le fils, les parens et les amis de Chariclès. Il empoisonne l'empereur et s'empoisonne lui-même avant pour se punir de cette action et pour justifier sa prédiction. Caïus monte sur le trône, et le premier acte de son règne est d'ordonner la mise en jugement de Macron dont il répudie les services et dont il éloigne la fille.
A peu de chose près, cet ouvrage est conforme aux récits de Tacite et de Suétone. Ennia n'était point la fille de Macron -, elle était sa femme , et elle servit les projets ambitieux de Caligula dont elle était la maîtresse
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avec l'assentiment de son mari. Tibère ne revint pas à Rome et ne fut pas empoisonné par Chariclès qui paraît être un personnage de pure invention $ mais il fut, par l'ordre de Macron, étouffé entre des matelats. Sur tout le reste, événemens et personnages, l'histoire a été assez fidèlement suivie.
L'idée principale de l'auteur a été de montrer la lâcheté de ceux qui entourent le pouvoir souverain ; en d'autres-termes, la bassesse des courtisans. C'est du moins l'impression première qui résulte de cet ouvrage ; mais en même temps, la stupide servilité des sénateurs romains, au commencement des empereurs, et la férocité de Tibère et de tous ceux qui sont groupés autour de lui arrêtent et neutralisent tout rapprochement entre ce tableau et celui de la courtisanerie des mœurs modernes. A prendre le tableau sous ce dernier point de vue, l'idée n'en est pas neuve, et l'impression qu'il peut produire est un peu épuisée. Mais les portraits que l'auteur a tracés sont pittoresques et d'un effet dramatique assez remarquable. Tout ce que l'auteur aurait pu craindre auprès du public, c'est la monotonie de cet effet. Rien ne repose la vue dans cette épouvantable peinture de l'ignominie humaine. La cour de Tibère est une espèce de bagne où l'on checherait vainement autre chose que des scélerats couverts de pourpre. Il n'était pas facile de les présenter et de rendre leur présence supportable pendant cinq actes où ils doivent se montrer successivement de plus en plus odieux. Ici l'auteur a été servi par les défauts accoutumés de son talent. Naturellement porté à l'enflure des idées et du style, par l'accumulation des situations et des événemens dont il
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encombre ses ouvrages, M. Lucien Arnault a été, cette fois, par la force du sujet et l'horreur historique des caractères, obligé d'éteindre l'exagération naturelle de ses pensées et de sa versification , et, si on peut le dire, de la couper en cinq parties. En la délayant ainsi, non seulement il en neutralisait les inconvéniens, mais cette prédisposition vicieuse de son esprit, cette pente fâcheuse de la nature de son talent, lui tournait à profit. S'il eût pu, comme dans ses ouvrages précédens, Régulus et Pierre de Portugal, étaler tout d'un coup et sur tous les caractères , l'hyperbole des maximes et l'exagération des sentimens, ses personnages eussent été sur-le-champ trop odieux pour le devenir davantage. Ils le sont tellement, selon l'histoire, qu'il faut plutôt adoucir que charger leur image. Les charger était même et heureusement impossible; pour pouvoir les conduire jusqu'à la fin, M. L. Arnault était obligé de les retenir, ou , pour mieux dire, c'étaient eux qui retenaient M. L. Arnault. Leur atrocité était tellement exagérée qu'elle forçait l'auteur à graduer son exagération naturelle. C'est un sujet de bonheur pour l'allure instinctive du talent de M. L. Arnault. Le style de l'auteur semble s'être perfectionné. Quoiqu'il soit encore beaucoup trop sentencieux , sa manière s'est améliorée. Il ne faut pas en trop espérer cependant. La tendance à sermonner, à répandre avec profusion des maximes telles quelles, selon la méthode de Voltaire, est ici moins insipide et moins sensible , peut-être parce que l'auteur n'était pas abandonné à lui-même. Il a puisé beaucoup dans les historiens romains, et il a bien fait. Le style naturel, concis et austère de Tacite a soutenu
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M. L. Àrn^ult dans cette occasion , comme précédemment la médiocrité de M. de Jouy avait pu produire quelque chose de passable dans la tragédie de Sylla, à l'aide des pensées énergiques et profondes, du style nerveux et éclatant de Montesquieu.
Du reste, il est assez bizarre de retrouver le pendant de l'intrigue féroce et de l'aperçu philosophique de cette tragédie dans deux comédies , l'une ancienne et bouffonne , l'autre sérieuse et récente. Le sujet de Tibère est absolument le même que celui du Légataire universel de Regnard. L'empereur est dans la même situation que Géronte ; Caïus , que Léandre ; Macron, que Crispin , et l'apparition de Tibère, après son testament, est toutà-fait la même que celle de Géronte que l'on a cru mort ab intestat. Quant à l'avilissement des sénateurs ou à la bassesse des courtisans, on la voit pleinement dans la fluctuation des gentilshommes de la Princesse des Ursins, dont le crédit ou la mort politique éteint ou ranime le zèle et la servilité de ses flatteurs. Si l'on pouvait , par la similitude dans le sujet des deux ouvrages, présager l'analogie de leur sort, il faudrait s'inquiéter * de l'avenir de Tibère. Une des causes du peu de succès de la Princesse des Ursins vient sans doute de ce que la situation n'était pas assez variée ou modifiée par les accessoires. Ce défaut est encore plus saillant dans Tibère, qui est dépourvu de contraste, de tout incident et même d'un personnage analogue à celui du froid, mais honnête Destouches $ car on ne peut considérer comme tel ce Galba, dont le nom, horriblement populaire, dément d'avance les maximes et les sentimens d'apparence généreuse, et que Tibère flétrit lui-même par ces deux vers bien faits qu'il adresse à Macron lorsque ce-
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lui-ci, pour détourner l'empereur du projet de laisser le trône à Galba, lui dit : « Il est républicain.
De la cour éloigné,
Je l'étais dans l'exil ; je revins j'ai règne. »
On ne peut pas davantage considérer comme honnêtesni ce Chariclès, dont le rôle n'a d'importance active qu'à la fin, qui trahit Tibère pour Macron, et qui se tue après avoir empoisonné son maître ; ni les deux consuls qu'on n'aperçoit qu'un moment -, ni enfin cette petite Ennia , personnage tellement accidentel et inaperçu que l'auteur ferait bien d'en débarrasser son ouvrage.
Du reste encore, les mots d'indépendance, de liberté républicaine, etc. , etc. , répandus avec quelque profusion , surtout dans les deux premiers actes , ne sortent pas du cadre historique; ils appartiennent au sujet. Ils n'ont été, hier, l'objet d'aucun applaudissement de l'esprit de parti ; et, à l'examen, ils ne sauraient être imputés à faute à l'auteur, dans les intentions apparentes duquel il ne se trouve cette fois aucune marque d'hostilité politique. Ici, d'ailleurs, l'emploi de ces expressions n'est qu'occasionel. Ce n'est point de république et de liberté factieuse qu'il est question dans cette pièce. L'auteur l'a assurément composée et écrite sans souvenirs et sans espérances. Il ne s'agit pas au fond de renverser le pouvoir établi. Ce qui domine tout l'ouvrage, c'est la férocité de Tibère , la profonde scélératesse de Macron et de Caligula , l'adulation odieuse et lâche des courtisans ; c'est l'histoire enfin dont l'auteur s'est servi sans qu'il paraisse avoir cherché à en dénaturer ou à en forcer le sens pour y chercher des applications modernes. C'est aussi vers ces idées que porte l'impression drama-
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tique qui, si elle ne peut être salutaire > est au moins indifférente.
Toutefois une application a eu lieu. Tibère, de retour, s'occupe des affaires de l'état et dicte ses ordres à Macron. On se plaint du proconsul de Sicile : « Eh bien ! s écrie Tibère :
De cet obscur Verrès que le sénat s'empare,
Et donne à ses pareils une leçon trop rare. »
Des bravos excessifs et réitérés ont accueilli ce dernier vers. On ne pouvait se tromper à leur nature. Les claqueurs du parterre, payans et payés, répondaient ainsi aux excitations quotidiennes des grands et des petits journaux qui veulent que M. de Villèle soit mis en accusation et pendu. M. de Villèle, un Verrès !... Cela serait trop risible, si ce n'était trop odieux.
SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
AMY ROBSART , DRAME EN CINQ ACTES ET EN PROSE.
14 février.
Le sujet de cet ouvrage, importé de l'Angleterre, a été présenté sur tous les théâtres de Paris. On a déjà vu le Château de Kenilworth, à la Porte-Saint-Martin ; Leycester, à Feydeau -, Emilia, aux Français, et voilà Amy Rohsart à l'Odéon. C'est toujours le roman de Walter Scott, et l'imagination du nouvel auteur français a fait moins de frais encore pour arranger le Château
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de Kenilwor/h en drame que les précédens imitateurs. La pièce d'hier est le roman découpé en cinq actes , ce qui dispense assurément d'en donner l'analyse 3 et, comme Walter Scott est le poète moderne qui, dans ses productions, dialogue le plus et le mieux , il n'a guère fallu d'autre effort à l'auteur français que celui de copier et d'écrire un des plus gros manuscrits dont on ait jamais risqué la représentation au théâtre. Il a tenu les spectateurs quatre heures au moins dans l'attente d'un dénoûment que tout le monde savait d'avance, puisque c'est celui du roman. Amy Robsart périt dans la chaussetrappe inventée par Walter Scott. Mais ce qui donnait quelque intérêt à la représentation de cet énorme drame, c'était sa nature même. Le sujet, les personnages , les caractères , le dialogue surtout composent ce qu'on appelle une œuvre romantique. Les auteurs qui ont déjà arrangé le Château de Kenilworth pour la scène n'en avaient pris que la partie dramatique. Us avaient fait usage des combinaisons intéressantes; mais ils avaient ramené les personnages aux sentimens, aux manières , au ton de tous nos drames. Il y a eu plus de hardiesse hier -, l'auteur d' Amy Robsart a conservé à chaque caractère la couleur que Walter Scott leur avait donnée, et même, autant qu'il lui a été possible, le langage du temps. Les sentimens, les comparaisons, les mots comiques sont empruntés de l'époque à laquelle l'action se passe ; et, sous ce rapport, le nouvel ouvrage mérite d'être remarqué. L'étrangeté du style et des manières a effarouché des spectateurs habitués à la dignité du dialogue. Des huées et des sifflets ont accueilli la plus grande partie des mots inusités jusqu'ici ; et, pour tout dire, ce n'est pas le spectateur qu'il faut seul accuser dans cette occa-
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slon -, sa susceptibilité était quelquefois justifiée. Sans doute, il faut donner aux personnages d'un drame les idées et les sentimens de leur siècle, et les faire dialoguer naturellement -, mais rien n'est plus près du naturel que le niais, et c'est celui-ci qui, dans beaucoup de passages , l 'a emporté hier soir sur la simplicité de l'expression. Toutefois, l'effort qui a été tenté ne sera ni perdu ni inutile. Il familiarise les spectateurs avec le naturel, avec la vérité des temps \ et un ouvrage meilleur qu' ,I my Rohsart, mais écrit dans le même système, aura moins de difficulté à triompher plus tard des préventions et de la routine du public.
L'auteur de ce drame, dont le nom n'a pu être entendu à cause du bruit horrible des sifflets et des bravos, est M. Victor Hugo, homme de beaucoup de talent et d'esprit assurément, qui s'est mis à la tête de la croisade romantique, et qui la prêche mieux de préceptes que d'exemples. Amy Robsart représentée ne vaut pas le Cromwell imprimé, et celui-ci pourtant, à tout prendre, ne vaut rien ; ce qui n'empêche pas toutefois qu'une partie des idées de M. V. Hugo sur l'art dramatique ne soit saine, juste, et ne finisse, je crois, par devenir une croyance littéraire générale d'ici à quelques années. Il faut en suivre le mouvement lié fort étroitement à i'état de la société et des mœurs publiques.
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ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LA MUETTE DE PORTICI , OPÉRA EN CINQ ACTES DE MM. SCRIBE ET GERMAIN DELAVIGNE , MUSIQUE DE M. AUBER, DÉCORS DE CICÉRI.
1er mars.
Cet ouvrage a obtenu un succès considérable et incontesté. Il le mérite à tous égards par l'habileté des effets dramatiques du poëme, par le charme de la musique , enfin par le pittoresque, l'élégance, la beauté des décors et des costumes napolitains.
En dépit du trop célèbre programme, cet ouvrage n'est pas du tout un opéra monarchique. Les mouvemens du peuple napolitain, ses imprécations contre le pouvoir, ses sermens de renverser la tyrannie -, tous ces sentimens enfin, exprimés par une pantomime et une musique très excitantes, forment un tableau qu'il n'est pas sans danger de mettre sous les yeux -, et il était évident que les bravos excessifs du parterre aux finales des deuxième et troisième actes n'étaient pas exclusivement accordés à l'effet dramatique du poëme et de la musique, et que plus d'un sentiment anti-monarchique répondait aux imprécations théâtrales. A tous égards , il est regrettable que cet ouvrage ait été joué dans un moment où l'on a osé imprimer que les doctrines populaires étaient maintenant descendues des cabinets de lecture dans les échoppes, et la représentation d'hier soir a dû frapper plus d'un
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esprit. Elle a dû surtout réveiller pour quelques-uns de douloureuxsouvenirs. Tous les Napolitains, habillés selon le costume national, étaient affublés de bonnets de laine, dont quelques-uns étaient de couleur rouge, et, tette partie du vêtement, jointe à l'absence presque totale de manches de chemises et de culottes , jetaient swr toute cette portion de l'ouvrage un reflet de 1792, qui n'aura pas dû échapper aux imprudens, témoins de ce spectacle, et dont les excès oratoires font craindre quelquefois de dangereux résultats.
PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS.
LA PRINCESSE AURÉLIE, DRAME EN CINQ ACTES ET EN
VERS, DE M. CASIMIR DELA VIGNE.
7 mars.
Le prince de Salerne, en mourant, a laissé le trône à sa fille Aurétie, encore mineure, sous la tutelle despotique de trois ministres. Elle ne peut régner par ellemême, etsnrtout se marier sans le consentement exprès des: trois régens. Aurélie aime en secret le comte Alphonse d'Avella qu'elle voudrait bien élever jusqu'à elle. De quelque mystère qu'elle enveloppe ses sentimeas, le comte qui l'adore croit les avoir pénétrés; Mais, toutes les fois qu'Aurélie a lieu de soupçonner qu'elle est devinée, elle donne à Alphonse quelque témoignage public d'indifférence ou de rigueur, et replonge ainsi son amant anonyme dans toutes ses incerti-
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tudes, en môme temps qu'elle éloigne par là les soupçons de sa cour et les intrigues que ne manqueraient pas de susciter les régens pour perdre un favori. Ceux-ci, en effet, ne songent pas du tout à résigner, avant l'époque légale , le pouvoir dont ils jouissent ; ils songent bien moins encore à marier la Princesse qui sortirait ainsi de leur tutelle -, leur consentement unanime est cependant indispensable pour l'union qu'elle médite. Elle ne peut devenir libre que du plein gré de tous les trois ; elle imagine de faire croire à chacun d'eux séparément que c'est sur lui qu'elle a jeté les yeux pour en faire son époux. Elle se sert, dans ce projet, d'un certain Polycastros, médecin de la cour, goailleur important et fat, sincère et frondeur en apparence , mais dans la réalité le plus servile des courtisans. Aurélie , par des demi-confidences , trompe Polycastros qui ne manque pas d'ébruiter les projets de la princesse. Elle se conduit enfin avec assez de finesse pour tromper les régens eux-mêmes ; et, lorsque , pleins d'espoir, ceux-ci lui remettent, en présence de toute la cour, la renonciation à leurs droits de tutelle et ont prononcé le serment d'obéir, soit à elle , soit à l'époux qu'elle aura choisi, Aurélie proclame le comte Alphonse d'Avella qu un instant auparavant elle avait fait jeter en prison. Dans cette analyse complète , quoique rapide, je n'ai pas parlé d'une certaine comtesse Béatrix, dame d'honneur d'Aurélie, qui tient moins de place dans l'action que mademoiselle Mante , chargée de ce rôle , n'en tient sur la scène. Cette Béatrix , par d'anciennes prétentions sur le cœur d'Alphonse et par ses nouveaux projets d'hymen avec un des ministres, sert seulement à exciter un instant la jalousie dissimulée de la prin-
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cesse et à jeter quelque discussion féminine au milieu de ces conflits de politique, de ruses et d'amours ridicules.
Il faut le dire , avec tout le regret qu'inspire le mécompte d'un homme de talent, cette pièce est tombée et sa chute est bien méritée. M. Delavigne a abusé, dans cette occasion, du bénéfice dont il jouit de faire passer beaucoup de pauvretés à la faveur d'une brillante versification. Il a cru pouvoir déguiser la nullité et l'insipidité d'une intrigue commune et connue, par les artifices ordinaires de son style -, il a espéré que le crédit mérité dont il jouit, ou plutôt dont il jouissait avant ses dernières Messeniennes et le Paria, et l'engoûment de ses amis, couvriraient ce que le sujet de son drame offrait de faible et de languissant : il s'est trompé ; pour mieux dire, il a été trompé par des éloges anticipés , et pour ne rien taire , par les illusions de l'esprit de parti.
Au lieu de se borner à faire une comédie, il a pensé à faire une satire dramatique. Dédaignant tout ce que la situation principale d'Aurélie offrait de développemens de caractères et de détails d'intrigues, M. Delavigne, préoccupé, comme les gens du parti qui, malgré lui peut-être , veulent à toute force en faire le poète du libéralisme, M. Delavigne, dis-je, de l'aveu de tous ses amis, a compté, pour le succès de sa pièce, sur les trois ministres qu'il mettait en scène et qui devaient livrer les trois principaux hommes du dernier ministère à toutes les allusions moqueuses d'un parterre excité tous les jours par les diatribes des feuilles publiques. C'est sous ce jour que son ouvrage avait couru dans le public *, les comédiens n'en parlaient que dans ce sens ;
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toute l'opposition libérale était sous les armes pour répoudre aux intentions de l'auteur, et, en effet, c'est sous ces auspices que la pièce a commencé et dans cet esprit que les applaudissemens ont été largement distribués dès l'origine. Mais il a fallu bientôt rabattre de ces espérances et de cet engoûmcnt, et M. Delavigne ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Je ne le blâmerai point d'avoir jugé violente, ridicule et déplorable l'administration de MM. de Villèle, Corbière et Peyronnet, et d'avoir essayé, par les moyens qui lui sont propres, d'augmenter l'animadversiun , factice ou réelle, répandue contre eux. C'est son opinion ; il faut la respecter alors même qu'on ne la partage en aucune, façon. C'est la liberté qu'il faut accorder à tous quand on la veut pour soi. Mais quels que soient les torts, les fautes, les crimes, que MM. de Villèle, Corbière et Pevronnet aient commis pendant une administration dp six ans , il faut pourtant remarquer que cette administra.tion n'a pas manqué d'éclat et de prospérité, et qu'enfin quelques reproches qu'on puisse adresser à ces messieurs, aucun d'eux ne méritait celui de bêle et de stupide. Mais l'esprit de parti, mortel pour le véritable esprit, ne calcule pas la mesure dans laquelle il faut rester. M. C. Delavigne a pris au pied de la lettre toutes les injures dont ces messieurs étaient l'objet, et il a mis sur la scène, avec l'espoir de les avoir fait ressemblans, trois Gérontes, trois Cassandres, trois baillifs renforcés de la vieille comédie, disant force bêtises et agissant plus bêtement encore. lU. de Villèle, un niais ! M. de Corbière, un sot! et M. de Peyronnet, un lâcher Si jamais l'opposition vient au pouvoir, nous verrons quels hommes elle présentera à la place de ceux-ci. Le
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bon sens du public n'a pu aller jusque-là $ la bonn«î volonté de l'opposition hostile a même été obligée d'y renoncer avant le troisième acte. La pièce, dans se! autres aperçus, étant absolument dépourvue d'intérêt et d'esprit, l'ennui a saisi tout le monde; les détails brillans de la versification n'ont plus paru que ce qu'ils sont, en effet, dans une comédie : du remplissage d'écolier, et malgré toute l'estime que l'on doit au taletit de M. C. Delavigne, malgré les préventions favorableS et le parti pris d'avance d'enlever le succès de cette pièce , le résultat a été fâcheux, et tes chut! nombreux qui s'étaient fait entendre dès le troisième acte ont dégénéré en justes sifflets au quatrième acte et surtout au rirrqnième. Le nom de l'auteur a été difficilement proclamé, '
SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS.
LE CHATEAU DE WOODSTOCK , COMÉDIE EN TROIS ACTES
ET EN PROSE , DE M. ALEXANDRE DU VAL.
12 mars.
Il me semblé qu'en annonçant qu'une pièce est dè M. Alexandre Duval on est dispensé de donner l'anartalvse de cette pièce. C'est un ouvrage connu d'avance. Il y a milla à parier contre un qu'on trouverà dans uta drame de cet auteur un homme, quelle que soit sa coti*dilton , roi, noble oti bourgeois, déguisé sous un farii nom, parte que sa vie ou son intérêt I'e:iige ; qilë cet
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homme se cachera dans un cabinet, si la scène se passe dans un salon ; derrière les arbres si le théâtre représente un jardin, et qu'il y aura entre lui et les autres personnages force aparté et équivoques. De plus, il y a cette fois tout à parier contre rien que la pièce en question est mal, platement et incorrectement écrite, quoique l'auteur, comme on est venu le publier hier soir, soit membre de l'Académie française, et qu'enfin on n'y trouvera que peu ou point d'esprit. Telle est l'analyse que l'on peut faire six mois d'avance d'un ouvrage que doit composer M. Duval. C'est son système dramatique, et, comme M. Beaufil" il ne sort pas de là. Il a déjà produit par approximation cinquante-deux pièces, ou, en d'autres termes, soixante-quatre actes sur le même sujet. En y ajoutant ceux d'hier soir, cela fait de bon compte soixante-sept actes de rois déguisés, $ aparté et d'équivoques insipides. Aussi il n'y a aucun scrupule à se faire. Le jour de la première représentation d'un ouvrage de M. Duval, on peut aller passer toute une journée à la campagne et dire hardiment qu'on a vu cet ouvrage. Pour moi, je n'y aurais fait aucune façon. Si j'eusse eu pour hier une invitation à dîner, je m'y serais rendu sans hésiter 5 j'aurais fait un whist après le diner, je serais rentré bien tranquillement me coucher, j'aurais dormi comme si j'eusse assisté à la réprésentation , et j'aurais, ce matin, parlé de la pièce de M. Duval avec autant de confiance et aussi pertinemment que j'en discours maintenant, sans honte et sans regret. J'aurais même annoncé hardiment que l'ouvrage avait eu du succès, et cela sans crainte de me tromper, par une raison bien simple : puisque les soixante-quatre actes précédens ont réussi, les trois derniers doivent réussir égale-
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ment. Cela est évident. Il faudrait que le public fût étrangement changé ou de bien mauvaise humeur pour siffler une pièce qu'il applaudit depuis vingt-cinq ans *, car, en toutes lettres, c'est toujours la même pièce que donne M. Duval. Il ne varie guère que sur les noms ; c'est toujours le même sujet 5 mais qui s'appelle quelquefois les Héritiers, ou les Projets de Mariage, ou le Menuisier de Livonie, ou Slanisla, en Pologne, ou la Jeunesse dè Henri V, ou Edouard en Ecosse , etc., etc. On dirait cependant qu?il y a quelque intention de varier, et un partisan fanatique de M. Duval me faisait observer hier avec beaucoup de sens et de finesse, l'extrême habileté de son auteur et combien son imagination était féconde et variée. Dans Edouard, c'est un roi d'Angleterre qui se cache en Ecosse, et dans le Château de Woodslock, c'est un roi d'Ecosse qui se cache en Angleterre. Je n'avais pas remarqué cette profondeur de combinaisons nouvelles qui nous promet une autre série de plaisirs diversifiés de la même manière , et j'ai bien remercié cet ami dont la perspicacité m'a frappé.
Au surplus on assure que c'est par dépit que M. Duval a fait le Château de Woodstock. Tout le monde sait que c'est dans ce lieu que Walter Scott a placé la scène d'un de ses derniers romans : le Cavalier, et combien, dans cet ouvrage il a jeté d'intérêt et de gaieté sur son héros, Charles II. M. Duval a prétendu que sir Walter l'avait pillé'; que, comme lui, M. Duval avait depuis longtemps le monopole des rois déguisés , c'était, de la part du baronnet d'Edimbourg, un fort mauvais procédé que d'avoir employé le même moyen -, et', afin de ne pas laisser périmer son privilége dramatique dè monarques pseudonymes, et pour qu'il ne fut pas dit qu'un autre
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que M. Duval eût le génie de traiter un sujet si neuf »Ot la permission de chasser sur ses terres, M. Daval a in" venté de nouveau, d'après le roman de Scott, trois actes de prince incognito qu'il a appelés, cette fois, le Château de Woodstock.
Il y a bien eu hier soir dans la salle de l'Odéon, quelques esprits mal faits , qui, en sifflant un peu , ont ou l'air de faire croire qu'ils connaissaient déjà cet ouvrage et qu'ils l'avaient vu autre part -, mais la grande masse des spectateurs vulgaires et bénévoles est restée fidèle à ses doctrines. Elle a loyalement applaudi une pièce qu'elle savait par cœur, et elle s'est fait nommer l'auteur, comme si elle ne l'eût pas d'avance reconnu à la façon. Tout, enfin, s'est passé dans les formes accoutumées , et voilà tout ce qu'il y a d'observations à présenter sur cette belle soirée.
PREMIER THÉATRE FRANÇAIS. tSarrit.
La reprise du Mariags de JFtgaro (sans retranchement annonçait l'affiche) avait attiré hier soir, au premier Théâ' tre Français, une affluence considérable. Ceux des spectateurs, et c'était le plus grand nombre, qui avaient compté sur un plaisir de scandale, ont été en partie désappointés. L'ouvrage de Beaumarchais est resté dans tous les souvenirs comme un monument de la révolution» Il exçrça, à la vérûé, une grande influence sur les esprits ei é.véuemeus en 1784. Il était alors hardi, té»élrwe
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provocateur. La cour était encore puissante, la Bastille était debout, la censure s'exerçait sur tous les ¡écrits, .et, un ouvrage dramatique qui attaquait corps à corps les institutions qui régissaient alors la société, ne pouvait manquer d'obtenir un grand succès auprès d'une foule avide de nouveautés, et d'agir vivement sur les opinions. Mais tout ce que Beaumarchais attaquait est tombe -, tous les vœux qu'il avait exprimés sur le théâtre, au nom de la philosophie de son époque, ont été réalisés -, la Bastille a été prise, un roi a été tué, tout le monde peut écrire ce qui lui passe par la tête pour éclairer le monde $ c'est le hasard qui a créé et qui gouverne l'univers; un souverain et un perruquier «ont les mêmes hommes, etc. , etc. Voilà actuellement les préjugés ou les idées générales, les doctrines convenues de la société moderne, L'ouvrage de Beaumarchais a ; plus que tout autre, contribué à les répandre; mais maintenant que cet effet a été produit, il n'est plus à re-, douter. Lçs maximes et les quolibets dont sa pièce est remplie, sur ces divers points, sont depuis long-temps des lieux communs dont l'impression est émoussée. Toutes les allusions politiques ont donc produit peu d'effet, malgré la provocation des petits journaux du matin. La longueur de la pièce et la froideur des vieux comédiens ont rendu cette représentation généralement ennuyeuse. Mademoiselle Mars, en Suzanue vive et frétillante -, mademoiselle Demerson, sa contemporaine, en page espiègle et tendre, lorsque toutes deux déjà glacées par l'âge, peuvent à peine se remuer, ont été ridicules et n'ont pas peu contribué avec Armand, qui jouait Almaviva, à éteindre l'effet de cette soirée. Le monologue seul a été vivement applaudi, et il est juste
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encore de restituer la plus grande partie des bravos à l'acteur Monrose qui l'a supérieurement débité.
PREMIER THÉATRE FRANÇAIS.
ELIZABETU DE FRANCE, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES,
DE M. SOUMET.
29 avril.
Dans ce sujet, trop connu pour qu'il soit besoin d'en fournir l'analyse, et qui, depuis cent cinquante ans , a excité la veine des plus beaux esprits de l'Angleterre, de l'Espagne et de l'Italie, c'est à Schiller que M. Soumet s'est exclusivement attaché. Sa tragédie, sous le rapport de l'invention et des idées principales, est une imitation fidèle ou plutôt en raccourci de l'admirable Carlos germanique. Un seul caractère cependant appartient à M. Soumet. C'est celui du pieux et solitaire Alvarès qui n'est qu'indiqué dans le poëme de Schiller sous le nom du prieur d'un couvent voisin de Madrid. M. Soumet s'est servi de ce personnage pour faire un premier acte en exposition, qu'on ne trouve point dans le modèle , et les deux dernières scènes du troisième acte qui renferm-ent de grandes beautés de style.
Dans l'impossibilité prétendue de conserver pour notre théâtre la multiplicité des personnages, des incidens et surtout de se livrer à tous les développemens de situations et de caractères , comme l'a fait Schiller, M. Soumet a retranché de son ouvrage le rôle du marquis de
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Posa, si original, si important. Il a rejeté sur celui de Carlos toute la partie politique du personnage de Posa. Ici, c'est le prince qui médite et qui poursuit la liberté civile et religieuse des Flamands, et qui, au quatrième acte, vient défendre leurs droits devant son père et au milieu de toute la cour. Cette combinaison a fait tomber
M. Soumet dans la plus étrange des inconséquences et des inconvenances. Au troisième acte, Elizabeth a obtenu de Philippe que Carlos allât gouverner les Flamands et leur porter des paroles de paix ; il n'y a donc plus aucune nécessité que l'infant, comme un autre Las Cazes, vienne plaider publiquement leur cause. Mais l'inconséquence est presque effacée par l'inconvenance. Nul n'aurait osé tenir à Philippe un langage aussi dépourvu de toute mesure. Et c'est le fils timide de cet Assuérus espagnol, devant ! lequel on ne paraissait qu'avec frayeur et à genoux qui, devant tous les grands du royaume, réclame avec cette hauteur, quoi?... la liberté de la pensée et la liberté de la presse ! Les bienséances, la vérité, les mœurs nationales sont violées dans ce sacrifice de M. Soumet au fracas de la scène.
Dans Schiller, le marquis de Posa parle bien au roi dans le même sens -, mais le roi l'y a contraint en quelque sorte ; le marquis a répété vingt fois que ses opinions à cet égard ne sont pas celles de son époque ; qu'il ne saurait être compris, et qu'il devance deux siècles ; ce n'est enfin que tête à tête et dans son cabinet que Philippe consent à écouter de pareilles leçons. Il faut pourtant, à cette occasion, rendre justice au public. Malgré la préoccupation des esprits en ce moment, et le fol enivrement que le journalisme a répandu sur la plus vitale de nos libertés, sur celle que rien ne peut
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plus nous ehlevor, à ce qu'il semble, les vers de doft Carlos sur la liberté de la presse n'ont pas été applaudis! Ils auraient du être sifflés; la liberté de la presse réclamée à cctteélJoque, publiquement, devant Philippe 11 ! c'est assurément une des choses les plus étranges qui se puissent entendre. Mais enfin, ce passage a été reçu »vec une froideur sur laquelle l'auteur ne comptait pas sans doute, et qui a été toute voisine des murmures. Ce silence indique du moins que le public se rapproche de la véritable Noie dramatique : plus de vérité et mohrs d'effets faux. Il est vrai aussi que dans la réponse du roi, et lorsque Philippe s'écrie que l'Etat, c'est lui ; mot attribué à Louis XIV et tout-à-fait convenable dans la bouche du roi d'Espagne, quelques murmures ont éclaté. Nos jeunes libéraux du parterre ont cru devoir protester châtre cet axiome sans faire attention à celui qui te prononçait. Ce témoignage de mauvais goût balance un peu la preuve de bon esprit qu'ils avaient précédemment donnée. N'importe 5 ce premier effet est toujours fort remarquable. Il y a quelque progrès dans le goût public. Il faut encore remarquer qu'Etizabeth, à la fin de la pièce, ne s'est pas posée, pour mourir, dans mt fauteuil. Elle est tombée sur le parquet. C'est encore une innovation dramatique qu'on doit aux représenta., tions anglaises, et qui portera ses fruits. Il y a quelque temps, il aurait fallu à Elizabeth, comme à Orosmane, un canapé pour mourir plus gracieusement. Mais que dire de mademoiselle Duchesnois jouant le rôle d'Elizabeth ! Vieille et laide à faire peur, il faut qu'elle passé pour la maîtresse de Carlos, représenté par Firmin jeune, et qui a fort bien joué. Elle était plus ridicule que mademoiselle Mars en Suzamrc ou mademoiselle DemcrëOfl
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en Chérubin. Pauvres auteurs! faites donc des tragédies pour des théâtres de. sociétaires !
SECOND THÉATRE FRANÇAIS.
FERKt\S WARBEC , DRAME niSTORIQLC EX C!XQ ACTES
ET EX VERS , DE M. FO.NTA-%'.
7 mai.
Les usurpateurs malgré eux ne sont pas communs, et 1 homme qui veut s'emparer d une couronne, en dépit des droite du légitime souverain, sait ordinairement bien ce qu'il fait. L'histoire d'Angleterre offre cependant l'exemple de deux pauvres diables qui, bon gré mal gré" ont été obligés, pendant les troubles des Yorck et des Lancastre, d'endosser la casaque royale, et de favoriser, par cette supercherie, l'ambition de quelques grands seigneurs qui, à l'aide des désordres et de l'ignorance du. temps, les firent successivement passer pour les successeurs d'Edouard IV, lesquels, bien certainement , avaient péri dans la tour de Londres. Les épisodes de Lambert Symnel et de Perkins Warbec attestent à la fois l'audace des grands vassaux et la crédulité du vulgaire au quinzième siècle. Le premier de ces rois postiches finit tranquillement ses jours dans la livrée de Henri VII -, le second, qui avait plus d'énergie et de profondeur diws ses desseins que le fils du boulanger d'Oxford, périt aussi d'une maniùre plus noble , puisqu'il est convenu qu*, pour de certains caractères et
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dans de certaines circonstances, l'échafaud n'a rien de déshonorant. Ce sujet a été à la mode l'année dernière. On a vu d'abord un Lambert Symnel, de M. Picard, à la Comédie-Française. Quand je dis, on a vu, je me trompe -, on ne voyait pas, au contraire, ce grotesque personnage, et l'absence de cet innocent usurpateur, dans une pièce à laquelle il donnait son nom , jointe à la médiocrité des comédiens qui jouèrent dans cet ouvrage , fut une des causes principales du peu de succès qu'obtint ce tableau original et vrai. Le Gymnase et le Vaudeville donnèrent aussi dans le courant de l'année dernière, chacun un Perkins fVàrbec. Les auteurs avaient cherché le comique de leurs ouvrages là où il était vraiment, dans le contraste des habitudes antérieures de Perkins, fils d'un marchand de draps flamand , sortant du comptoir de son père pour devenir un prétendant à la couronne d'Angleterre -, offrant ainsi le mélange de la simplicité et de l'ambition, d'un fol enivrement de pouvoir et de la gaucherie de sa première éducation. Mais la jeunesse de la rue Saint-Denis ne voulut pas souffrir un pareil tableau. L'industrie est la féodalité de notre époque ; c'était une atteinte à sa dignité , un véritable sacrilége que de présenter un commis-marchand de dix-neuf ans qui se trouvait dépaysé au milieu d'une cour, et que le bruit du canon ne réjouissait pas. Les héros de la rue aux Fers se soulevèrent contre une supposition de ce genre ; le quatrième arrondissement frémit tout entier et regarda comme une injure personnelle un ouvrage dans lequel on présentait un jeune mercier comme inhabile peut-être à occuper un trône. Dans les idées de notre époque, en effet, il suffit de savoir mesurer du quinze-seize et de mé-
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priser les rois, d'admirer M. Petou et de jeter des pierres aux gendarmes pour être en état de gouverner un empire. Quand on sait faire un étalage, allumer un lampion et établir des barricades, on a du génie, des lumières et du courage : on est capable de tout.... même de siffler une pièce spirituelle et amusante comme l'était celle du Gymnase. Mais aussi on applaudit celle que l'Odéon a donnée hier sur le même sujet, et dans laquelle on voit un jeune garçon qui, de pâtre, devient subitement roi, reçoit des ambassadeurs, fait des traités, harangue les troupes, commande des armées , préside des conseils et ne se souvient non plus de sa première, condition que s'il avait trôné toute sa vie. Il faut qu'un auteur soit bien dépourvu d'esprit pour traiter de la sorte un pareil sujet ! Comment n'a-t-il pas senti qu'en faisant tout de suite et toujours un héros complet de son Perkins Warbec, il se privait de toute l'originalité du personnage principal, et qu'il ne faisait plus qu'une pièce commune là où il se trouvait presque tout fait un ouvrage piquant ? Que Perkins ait du génie et de la valeur naturelle, c'est bien; un caractère énergique, concedo; mais que, dans aucune circonstance de la carrière où le hasard l'a jeté, on n'aperçoive plus le ton, les idées, les mœurs de l'homme grossier et ignorant, qui, vingt-quatre heures avant d'être roi, était un gardeur de vaches et devait en avoir les habitudes et le langage, il y a dans cette affectation de dignité, infidélité historique et bêtise dramatique. L'ouvrage, ainsi privé de contrastes naturels dans fe caractère principal, n'est plus qu'un recueil d'événemens romanesques privés d'intérêt par leur rapidité. Il fallait sans doute d'autres forces que celles de M. Fontan pour sup-
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porter pendant cinq actes le poids qu'aurait imposé à un' homme d'esprit l'ouvrage que ce sujet comporte. Dans l'impossibilité d'apercevoir l'originalité de Perkins ou de le développer convenablement, M. Fontan est resté dans les lieux communs du drame qu'il a récrépis en vers tournés tant bien que mal. Il serait difficile de ■citer quelque chose de spirituel ou de piquant, de profond ou de naturel dans tout le cours de ce long ouvrage qu'un fàcheux incident a rendu plus long encore. L'acteur Beauvalet, chargé du rôle de Perkins, s'est trouvé incommodé au moment de la représentation. On a commencé fort tard, et dans l'cntr'acte du premier au second acte, il a éprouvé un évanouissement de plus d une demi-heure. Il ne faut pas croire que cet incident ait nui au succès de la pièce qui, d'ailleurs, a réussi -, au contraire, il l'a favorisé. On agit plus facilement sur un parterre excité , à quelque titre que ce soit, que sur un public immobile. L'indisposition, vraie ou feinte, de Beauvalet a protégé l'ouvrage. Là où on aurait sifflé, et les occasions n'ont pas manqué , on se taisait par délicatesse pour la situation annoncée de l'acteur, et les applaudissemens légitimes redoublaient même afin de le rassurer complètement. Cette émotion et cette dÎlsposition d'un public agité ont ordinairement des résultats si favorablement certains qu'un ancien acteur de la Comédic-Française, Damas, s'est servi quelquefois de ce moyen pour faire aller un ouvrage nouveau jusqu'à la fin. Quand il s'apercevait que le public prenait mal quelques situations hasardées, il s'avançait et déclarait qu'il était fort incommodé, qu'il n'avait joué que par respect pour- l'auditoire, et qu'il espérait de la bienveillance des spectateurs que la faiblesse de ses moyens
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ne nuirait point à l'auteur. Il a, dit-on, sauvé ainsi plusieurs ouvrages d'une première chute. Je ne prétends pas que l'indisposition de Beau valet ait eu le même motif; mais il est certain qu'elle a eu le même résultat, et que, dans tout le cours de la pièce, il eût été impossible de remarquer dans ses traits ou dans sa voix la moindre altération. Il a supérieurement joué. Les progrès.qu il a faits depuis quelque temps sont très sensibles; sa voix s'est assouplie ; ses gestes se sont modérés ; il est enfin le seul acteur sur lequel on puisse fonder quelques espérances.
THÉÂTRE ROYAL DE L'OPÉRA-COMIQUE.
REPRISE DE GUILLAUME TELL, DRAME LYRIQUE EX
TROIS ACTES, DE SÉDAL\E ET DE GRÉTUY.
25 niai.
Ce n'est pas ma faute si je reviens aujourd'hui sur un sujet que j'ai déjà traité hier, et si je continue à faire remarquer la singulière coïncidence de quelques événemens de 1791 et du moment où nous nous trouvons.
A cette époque antérieure, l'opinion publique était sans cesse excitée contre l'autorité, par la licence des journaux, par les discours et les actes de l'assemblée constituante et par les représentations théâtrales. Je ne pense pas qu'alors les feuilles publiques répandissent des principes plus contraires à tout ordre social, que n'en répandent les journaux de 1828 -, la chambre des députés
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retentit chaque jour des doctrines les plus étranges, pour ne pas dire davantage, et la résolution qui a été prise hier, à l'occasion de la huitième pétition du chef de bataillon Simon-Lorrièrc, montre assez comment la majorité factice de cette chambre entend traiter désormais la prérogative royale et les actes du gouvernement; enfin, j'ai dû faire observer déjà l'allure qu'on a laissé prendre récemment aux représentations dramatiques , moyen si puissant d'exciter et d'égarer les esprits , et voilà qu'aujourd'hui j'ai justement à parler d'un ouvrage ressuscité de 1791, car c'est à cette époque qu'eut lieu la première apparition de Guillaume Tell. Tout concourait alors à affaiblir dans l'opinion publique le respect et la confiance que la société doit avoir pour ceux qui sont chargés de veiller à sa conservation. Il n'est pas moins évident qu'aujourd'hui l'on tend à ruiner le pouvoir royal et l'autorité de l'administration, en échauffant sans cesse les esprits sur les droits d'une liberté non définie, et en attaquant les actes du gouvernement rendus dans l'exercice légitime de ses attributions ; et, pour compléter la similitude de ce rapprochement, les théâtres recommencent à parler de la loi de 1791, c'est-à-dire de la charte comme les factieux l'entendent aujourd'hui, et le tableau du peuple se révoltant , à quelque titre que ce soit, est présenté de nouveau dans presque tous les spectacles.
Comment le théâtre royal de l'Opéra-Comique va-t-il s'ingérer de ressusciter une aussi détestable pièce que Guillaume Tell, que la musique même de Grétry n'avait pu sauver de l'oubli ? Quoi donc a pu l'engager dans cette fausse démarche? c'est évidemment pour faire aussi de l'opposition , pour se mettre au courant et au
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niveau de la préoccupation générale. Quoique le sujet et l'action de cette sotte pièce ne soient pas applicables aux circonstances actuelles, on y voit toujours un pouvoir quelconque renversé par les efforts du peuple, et ce tableau répond, sous ce rapport, aux idées que l'on cherche à entretenir et à exciter. Le théâtre Feydeau aurait pu , à cet égard, se contenter de Masaniello. Rien, excepté ce que je viens de dire, ne pouvait engager à reprendre Guillaume Tell. On reproche à ce théâtre, et avec raison, la monotonie d'un répertoire encombré de pièces usées, et il répond à ce reproche par la résurrection d'une vieillerie ridicule et politiquement inopportune. On lui reproche encore, et encore avec plus de raison , de ne point encourager suffisamment les jeunes compositeurs, et c'est pour repousser ce reproche qu'il exhume l'œuvre d'un vieillard. Je le répète, c'est que ce théâtre avait besoin de se mettre à la hauteur des circonstances, et que l'opéra de Sédaine est une pièce de circonstance de 1791. Quoique les allusions et les mots choquans aient été retranchés, cet ouvrage se ressent toujours de l'époque à laquelle et pour laquelle il fut composé. La censure dramatique précédente avait défendu la reprise de Guillaume Tell. Il est tout-à-fait regrettable qu'on en ait autorisé la représentation, tant à Feydeau qu'à la Gaieté. Cette pièce sera toujours une bêtise dangereuse. Voulons-nous recommencer l'assemblée nationale, les pièces nationales et les théâtres nationaux ? On sent de tous côtés renaître les inspirations de cette époque. A quel épisode en arrêtcra-t-on les conséquences ?
La pièce est niaise et surtout remplie de niaiseries
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comme Sédaine savait si bien les faire. Si l'on est privé désormais de ces deux jolis vers :
Que béni soit votre hymen ,
Et que le ciel dise : Amen.
on en a encore beaucoup de la force de ceux-ci :
A cinquante pas précis,
Il faut abattre une pomme
Sur la tête de ton fils.
Mais c'était pour la musique que l'enthousiasme avait été recommandé aux claqueurs et aux amis. M. Berton, qui semble prendre tous les jours à tâche d'oublier qu'il est l'auteur de Montano et d'Aline, s'était chargé d'arranger j la partition surannée de Grétry, comme M. Pélissier le poème de Sédaine. M. Berton s'est mis, on ne sait pourquoi, à la tête des détracteurs de Rossini. Il ne veut pas que le compositeur de Semiramide et d'il Barhiere soit un homme de génie ; il se fàche de la prédilection que le public montre depuis dix ans pour Otello et la Gazza, et il s'imagine qu'en célébrant, outre mesure, le génie et les ouvrages de Grétry, il éclipsera ou affaiblira l'admiration que l'on porte à l'auteur de Moïse et de Cenerentolla. Quelle pitié ! mais enfin tel est le dada de M. Berton qui pardonne même difficilement à Boyeldieu la Dame blanche et la vogue de cet ouvrage enchanteur, tandis que la musique de son Pyracmond qu'il appelait, avec une modestie ironique , sa petite Dame blanche, n'a eu aucun succès. M. Berton s'est donc imaginé qu'il fallait porter un grand
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coup avec l'ouvrage exhumé de Grétry, auquel il a ajouté l'ouverture d'Eliska et le duo des deux soldats d'/IucassÙt et Nicalette, du même auteur. On a donc fait applaudir avec fracas toute cette partition, qui ne sent pas le serpolet, comme le disait la nièce de Grétry, mais qui offre de grandes beautés, surtout dans le duo que je viens de citer et daus le magnifique finale du second acte. On l'a d'autant plus applaudi par opposition à la musique italienne, que l'on sait que Rossini s'occupe, en ce moment, d'un Guillaume Tell pour le Grand-Opéra. Tel est le secret du succès, par trop pyramidal, que l'on vient de procurer à Grétry dont on a demandé le buste à la fin de la pièce. Les acteurs, qui étaient censés ne pas s'attendre à cette demande d'ovation, ont reparu bientôt, groupés avec beaucoup d'art et de lauriers, autour de l image de ce grand homme qui sera toujours digne d'admiration, malgré leurs mauvaises voix, leur cabotinage et l'enthousiasme de M. Berton.
SECOND THÉÂTRE FRANÇAIS. umlÉo ET JULIETTE , TRAGÉDIE EN CINQ ACTES , nfl1ÉE
DE SIIAKSPEARE, PAR lU. FRÉDÉRIC SOlJLlÉ.
1 1 juin.
Le sujet de cet ouvrage est trop connu pour qu 'il soit nécessaire d'en donner l'analyse. C'est un ouvrage purement littéraire qui ne touche aux mœurs publiques
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que dans un sens devenu banal à force d'avoir été exploité : celui des malheurs publics et privés qui résultent des dissensions civiles. Le théâtre offre peu de sujet aussi touchant, et il aurait fallu être bien malhabile pour ne pas intéresser le spectateur à une fable si parfaitement pathétique, surtout en s'appuyant sur Shakspeare. Ce n'est pas, toutefois, que l'auteur ait copié l'Eschyle anglais ; il ne l'a même pas imité dans toute l'étendue de ce mot. La contexture et le développement de sa pièce ne ressemblent en rien au Roméo britannique. La Juliette de M. Soulié est mariée à son amant avant le lever du rideau ; on ne voit plus ainsi dans ce personnage la naïveté, la fraîcheur, le charme du rôle anglais, et tous les détails que M. Soulié a repris ensuite perdent un peu de leur vérité et , je le répète, de leur charme par la qualité anticipée de Juliette. Il a fait de Thybald le fils de Capulet $ le comte Pâris est devenu un Alvar espagnol qui prétend à la main de l'héroïne; le rôle de la nourrice a été transformé en celui d'une confidente un peu trop classique ; la mère de Juliette a disparu aussi, et, de tous les Montaigus de Shakspeare, Roméo est le seul qui ait été conservé ; le gentil Mercutio n'a pas trouvé de place dans l'ordonnance du poëme de M. Soulié , et cela est, à tous égards , regrettable ; car ce rôle, en jetant quelque diversité sur les sombres couleurs de ce drame, aurait encore eu l'avantage, comme dans Shakspeare, de développer le fond du sujet en montrant le funeste effet des discordes publiques sur ceux-là même qui n'en sont ni les auteurs ni les principaux intéressés. Le changement le plus important que M. Soulié ait fait il la pièce de Shakspeare a rapport au personnage du frère Laurence. Ne voulant pas, ou plutôt sans doute ne pou-
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vant pas conserver à ce personnage la qualité ecclésiastique de l'original, il a fait du frère Laurence un Thalermy, moitié religieux, moitié magistrat civil, qui, jadis délivré des prisons de l'Afrique par Roméo , et ayant depuis, comme médecin, rendu de grands services à Vérone dans un moment de peste, s'est acquis la vénération publique et la confiance du prince. Par amitié pour Roméo, et par devoir comme magistrat, ce Thalermy veut calmer les désordres qui se renouvellent sans cesse entre les Capulets et les Montaigus, en réunissant les deux maisons par le mariage de son ami et de Juliette. La nouvelle couleur donnée à ce rôle produit une belle scène au cinquième acte. Devant le corps de Juliette que Capulet croit morte, Thalermy essaie de vaincre enfin la haine de celui-ci pour Roméo, et il lui promet en quelque sorte la résurrection de sa fille s'il consent à les unir. Après de longs combats, la férocité de l'homme de parti cède à la tendresse paternelle, et Capulet, suivi de Thalermy, se précipite dans l'intérieur des souterrains sépulcraux pour arracher Roméo à la vengeance d'Alvar qui le cherche. C'est alors que Roméo, qui ignore la feinte mort de Juliette et les incidens subséquens , parce que Thalermy l'avait retenu prisonnier pour que de nouveaux combats n'eussent pas lieu -, c'est alors , dis-je, que Roméo, arrivant au lieu du rendez-vous que Juliette lui a donné , l'aperçoit dans son cercueil. Le reste de la catastrophe est comme dans Shakspeare. Je n'ai fait jusqu'ici aucune mention de la tragédie que Ducis a donnée sur le même sujet, et qui ressemble bien moins encore à la pièce anglaise que celle de M. Soulié. L'ouvrage de Ducis repose presque entièrement sur la haine et le personnage du vieux
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Montaigu. Sa férocité, le faux, le romanesque des événemens , l'enflure des idées , etc., etc. ont laissé cet ouvrage bien loin de beaucoup d'autres du même auteur, et sa reprise au premier Théâtre-Français, il y a quelques mois, n'a obtenu aucun succès. Cet échec posthume est dû autant au peu d'intérêt de la pièce qu'à l'extrême faiblesse des tragédiens de la rue de Richelieu. Le contraire est arrivé hier soir à l'Odéon. Les infortunes des deux amans mieux ménagées et les deux rôles de Thalermy et de Roméo, fort bien joués par Beauvalet et Lockroy, des détails neufs et des effets assez bien amenés à la fin de chaque acte , enfin l'émotion terrible du cinquième acte ont procuré à la tragédie de M. Soulié un succès fort honorable qui doit grandir et se fortifier encore quand son ouvrage aura été mieux entendu. Je m'explique : le parterre habituel de l'Odéon , les élèves des deux écoles, qui a pris au sérieux le classique et le romantique, s'est enrôlé sous les bannières du premier sans trop savoir pourquoi ni comment. L'apparition soi-disant d'une tragédie de Shakspeare a paru d'avance un attentat auquel il fallait s'opposer, et les dispositions préliminaires de ce parterre imberbe n'étaient rien moins que favorables à l'auteur et à la pièce. Aussi les quatre premiers actes ont-ils été entendus avec une rigueur moqueuse qui cherchait à se prendre à tout ; ce qui aurait dû être applaudi n'était pas écouté, ou l'était avec une prévention fâcheuse qui nuisait à l'effet de la scène et au jeu des acteurs. Les défectuosités du plan et du style étaient au contraire saisies avec une joie avide d'immoler cette victime aux mânes du classique. Il n'a rien moins fallu que les émotions du cinquième acte pour ramener toutes ces préventions enfantines à
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des scnlimcns plus équitables. Ce n'est pas sur cet ouvrage qu'ils auraient dû lancer les foudres de leur humeur déraisonnable. La tragédie de M. Soulié est fort classique, dans ce sens que les unités dramatiques y sont parfaitement respectées : de plus, le rôle de la confidente , la générosité du rival de Roméo, l'exposition en récit et toute la marche de la pièce enfin sont du bon temps de Campistron et de Marmontel. C'est dans le style très poétique, dans les détails des caractères , dans les nuances de moeurs que l'on peut au contraire remarquer de l'originalité et l'intention de s'éloigner de la routine des sentimens convenus de nos tragiques du second ordre. Tout cela, encore une fois, a été perdu à la première représentation par ce public mal agité, et ressortira aux représentations subséquentes. On a pu voir aussi, dans cette occasion, l'effet des représentations anglaises sur les habitudes de nos comédiens. Sans imitation servile des acteurs britanniques, Lockroy-Roméo a pourtant profité de ce que le jeu de Kemble et de Macready offrait d'applicable à notre scène. Son débit, ses gestes , sa douleur, ses larmes surtout et sa mort ont montré ce que notre théâtre pouvait gagner à des imitations plus vraies de la nature. Le triomphe de ce jeune acteur, qui n'est au théàtre que depuis quelques mois , a été complet. Puisse-t-il se soutenir !... Beauvalet a été de plus en plus remarquable -, mademoiselle Anaïs a été faible de moyens dans le rôle de Juliette ;
Le reste ne vaut pas l'houneur d'être nommé.
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THÉATRE DE MADAME.
LA MANIE DES PLACES , OU LA FOLIE DU SIÈCLE , FARCE-
VAUDEVILLE EN UN ACTE , DE MM. SCRIBE ET BAYARD.
20 juin.
Je ne sais plus où s'arrêteront les attaques du théâtre contre le pouvoir en général et les incroyables indulgences du ministère, pour tout ce qui porte à l'affaiblissement et à la dépréciation de l'autorité. On a pu voir, depuis deux mois, la direction que le théâtre a prise à ce sujet, et le danger qui résulte de ces tableaux où le pouvoir est en jeu et incessamment représenté' comme tyrannique ou ridicule. La pièce d'hier soir passe toutes les bornes, et ce n'est pas sans inquiétude que l'on songe aux ouvrages qu'elle fera naître et qu'elle autorise d'avance. C'est une espèce de figarotterie où, à l'aide d'un M. de Blerzac, auquel la tête a tourné et qui se donne lui-même les plus hauts emplois depuis qu'il n'a pas été nommé député aux dernières élections, on verse à pleines mains l'épigramme et le mépris sur ceux qui prétendent à des emplois, sur ces emplois eux-mêmes et sur ceux d'où ils découlent. L'ouvrage n'est ni spirituel ni gai; il est au contraire commun et triste -, mais son impression sur l'opinion publique n'en est pas moins fâcheuse, en ce qu'elle accoutume les esprits, déjà trop enclins à cette disposition , à tourner en dérision tout ce qui garantit, tout
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ce qui veille au repos d'une société comme la nôtre. Loin de favoriser cette légèreté moqueuse, dont les conséquences sont toujours si funestes, il faudrait s'efforcer de la réprimer et de la contenir. L'autorité, ainsi ruinée chaque jour, ne trouverait plus de force morale au moment du besoin -, et qui peut répondre que le besoin ne se montrera pas ! On s'imagine, en tolérant de pareilles choses, que ces concessions montrent la confiance , la font naître, et qu'elles sont sans effet dangereux ! Elles ne produisent que le désordre dans l'esprit public, l'insolence croissante d'une part, et le témoignage de la faiblesse de l'autre.
THÉÂTRE DE MADAME.
AVANT, PENDANT ET APRÈS, COMÉDIE-VAUDEVILLE EN
TROIS ACTES , DE MM. SCRIBE ET ROUGEMONT.
2f) juin.
Voici, selon le Gymnase, comment les choses allaient en France avant la révolution.
Le duc de Surgy, qui passe sa vie à l'œH-de-bœuf et qu'on ne voit pas dans la pièce, est un grand seigneur ruiné par son procureur Goberville, non moins que par ses désordres et ses profusions. Il a trois enfans : le marquis de Surgy, jeune libertin, criblé de dettes et de vices ; le chevalier de Surgy, philosophe , qui veut la réforme des abus, et une jeune fille , qui ne
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paraît pas plus que son père. Au milieu de cette famille, a été élevée, comme demoiselle de compagnie , Julie Raymond, pleine de jeunesse, de talens et de vertus. Le Duc, au moyen de sa naissance et de son crédit, obtient mille grâces pour les siens et notamment un régiment pour son fils aîné, le Marquis, qui n'a jamais servi. Quant au cadet, le Chevalier, comme il n'a droit à aucune portion de l'héritage de son père , celui-ci décide qu'il entrera dans l'ordre de Malte, et la fille prononcera des vœux dans un couvent. De plus, grâce aux soins du procureur Goberville, le marquis doit épouser la fille d'un financier qui donne deux millions de dot pour avoir l'honneur d'entrer dans la famille de Surgy, et cette dot servira à payer les dettes et à réparer les châteaux de ladite famille. Ces ordres, signifiés de Versailles avec toute la hauteur d'une paternité tyrannique , éprouvent de la résistance de la part du chevalier de Surgy. Il réclame tant pour lui que pour sa sœur qu'on veut sacrifier. Il déclame contre le droit d'aînesse, les substitutions, les vœux religieux, etc., etc. On jurerait d'un page de l'abbé Raynal, de Diderot ou d'un discours de M. de La Fayette, avec lequel le chevalier a, par la suite , d'autres points de ressemblance. Ce jeune philosophe, ce libéral anticipé, aime mieux se faire industriel ( il a deviné le mot quarante ans d'avance ) et épouser mademoiselle Julie Raymond qu'il adore et qui le lui rend bien. Par malheur, la duchesse, sa mère, s'est aperçue de cet amour. Elle a l'infamie de ne pas vouloir que son fils fasse un aussi beau mariage, et, pour détruire sur-le-champ toute espérance, elle fait épouser secrètement à Julie le jeune Gérard, fils d'un de ses fermiers. Ce coup hardi accable le clic-
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valier qui se décide alors à partir pour l'Amérique et à aller soutenir les efforts de l'Indépendance. Le marquis en est aussi passablement dérouté. Son frère, à titre de philosophe libéral, est plein de vertus, et ne songeait qu'à épouser Julie-, lui, comme grand seigneur, est nécessairement un débauché qui voulait corrompre cette jeune personne. Afin d'y parvenir plus à son aise, et pour compléter le véridique tableau des mœurs et des personnages de cette époque, le marquis avait fait déjà enlever, et incorporer, malgré lui, le frère de Julie dans le régiment de Châteauroux. Il s'est servi pour surprendre le jeune Raymond du crédit d'un vicomte de la Morlière , ami de la famille, corrompu au premier chef, ne concevant pas une autre forme de société et d'autres institutions que celles au milieu desquelles il a été élevé. C'est un aristocrate léger et de bonne foi, la frivolité, la nullité, le libertinage mêmes , qui ne vit que de dettes et avec des filles. Quand le marquis apprend le mariage de Julie, il complote avec le vicomte de l'enlever le soir même et de la garder quelque temps dans une de ses petites maisons. Le chevalier découvre ce projet , délivre Julie et son époux , laisse là sa famille et s'embarque pour Boston. Le vicomte de la Morlière s'embarque aussi avec l'expédition de Lapérouse.
Tout ce premier acte, sauf les détails, est copié d'un vaudeville remarquable : Julien, ou Vingt-Cinq ans d' entr' acte, joué il y a quelques années sur le théâtre de la rue de Chartres, et d'un autre vaudeville intitulé : 1730 et 1827, joué l'année dernière au même théâtre. Ce qui distingue le plagiat du Gymnase, c'est la vivacité et l'aigreur des traits -, c'est la couleur d'amertume
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moderne, donnée à ce tableau, et qui ne peut qu^exciter de nouveau tous les esprits sur les vices, vrais ou prétendus des classes supérieures de la société, tant ancienne que moderne.
Ce n'est pas qu'il n'y ait quelque vérité dans ce tableau. Ceux qui y figurent ont en quelque sorte pris soin de le justifier par leurs révélations posthumes. Mais la réforme nécessaire des mœurs, si bien commencée par Louis XVI, la réforme non moins nécessaire d'abus surannés, que ce loyal prince avait également entreprise, n'avaient pas besoin , pour être justifiées et opérées, de la déplorable révolution que les soi-disant réformateurs ont amenée. C'est en présentant tous les nobles en masse comme corrompus et abusifs, sans exception, que l'on a peu à peu égaré les esprits et conduit les classes inférieures a la spoliation de la propriété , cette base indispensable des sociétés. C'est là, et de cette façon, que se trouvent la perfidie et le danger de tableaux de ce genre. Ils généralisent les abus et les individus, et font tomber les simples, les ignorans et les intéressés dans des déceptions nuisibles à la paix publique. Et ces abus, d'ailleurs, dont ils font si grand bruit, prenons-en un qui a été l'objet de mille déclamations philosophiques, qui est encore maintenant à l'ordre du jour : les vœux monastiques ; et produisons à ce sujet un témoignage que les déclamateurs libéraux ne récuseront peut-être pas :
« Mélanie, ou la Religieuse, est une déclamation « boursouflée tout-à-fait dans l'esprit du temps, bâtir « sur des calomnies il la mode et des faussetés absurdes. * Quand La Harpe écrivait cette pièce, un père 11 aurait Ii certainement pas eu le pouvoir de forcer sa fille à être
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« religieuse ; jamais l'atilorite n'y eût donné les mains. « Celte pièce, jouée au moment de la révolution, n'a « dû son succès qu'au travers d'esprit du moment. Au« jourdhui que la passion est tomhée, elle ferait pitié... « Il est donc faux qu'on employât la violence, mais « seulement on employait les séductions -, on enjôlait e( peut-être ces religieuses à la manière des recrues. Le « fait est qu'elles avaient à passer, avant de conclure, « par les religieuses , la supérieure, le directeur, l'é« véque, l'officier civil, et enfin les spectateurs. Le « moyen que tout cela se fût entendu pour concourir « à un crime. »
Voilà, j'espère, un terrible antagoniste de l'abus des vœux religieux. Il est croyable -, c'est un contemporain de cet abus -, il est toujours plus croyable que les auteurs de la pièce nouvelle; et quel est cet antagoniste? c'est sans doute quelque jésuite, quelque congréganiste, ou au moins un partisan du ministère Villèle?... c'est Napoléon Buonaparte ( Mémorial de Sainte-Hélène, juillet 1816 , tome 8, pag. 146 et 147.)
On peut affirmer que des témoignages aussi imposans s'élèveraient contre les autres abus de l'ancien régime, objet de tant de déclamations. C'est une sottise, si ce n'est une perfidie , de l'attaquer aujourd'hui. Il n'est point d'état social ni d'institutions qui n'aient ses abus. La conscription en offre mille ; l'égalité du partage, dans les successions, produit la décimation des fortunes, des propriétés et des droits politiques. Tout ce qui reste à dire des anciens abus, c'est qu'ils ne sont plus et qu'ils ne peuvent revenir. Ils ne sont plus dans nos mœurs. Nous en avons d'autres, et la licence de la presse est un horrible abus de son indispensable liberté.
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Dans l'entr'acte nous avons été préparés par les airs que l'orchestre fait entendre, aux scènes qui vont se passer : Veillons au salut de r empire; ; 4h l ça ira , ça ira , les aristocrates à la lanterne ; Chantons la Cari7tagiiole , etc., etc. Nous sommes dans la boutique d'un perruquier , au faubourg Antoine, et ce perruquier est le citoyen Gérard, l'ancien fermier de la duchesse de Surgy, qui a épousé Julie Raymond, laquelle était aimée du chevalier, et dont le frère avait été violemment envoyé dans le régiment de Châteauroux. Gérard, ruiné aussi par la révolution, est venu s'établir à Paris. Patriote au fond du cœur, mais trop honnête homme pour aider les terroristes de l'époque, il passe pourtant dans son quartier pour un chaud partisan des mesures révolutionnaires. Il se fait plus méchant qu'il n'est, afin d'acquérir quelque influence, afin de sauver quelques braves gens et d'adoucir les collègues féroces de sa section. Pour ne pas se rendre suspect, il va divorcer, malgré les résistances de Julie à laquelle il a de la peine à persuader que c'est le seul moyen de les sauver tous les deux et qu'ils se remarieront quand l'orage sera passé.
M. de La Fayette , je veux dire le chevalier de Surgy, après avoir assuré l'indépendance américaine, est revenu en France servir la nation et même le roi. Il est allé de là , comme général, à l'armée du Nord, repousser les étrangers. Dénoncé et mandé à la convention , il a bien senti qu'il y laisserait sa tête, et, pour la sauver, il s'est caché chez Gérard qui, par un motif de prudence et de jalousie , a laissé ignorer à sa femme la présence de son ancien adorateur.
Le marquis de Surgy a émigré, laissant en France sa femme et son enfant. Instruit qu'ils sont dangereusement
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malades, il brave tous les dangers, écrit à son ancien procureur Goberville de lui tenir de l'argent tout prêt, et veut pénétrer dans la capitale. Reconnu à la barrière de Paris, le marquis de Surgy ne parvient à se dérober à la fureur populaire qu'en se jetant dans une boutique qu'il trouve ouverte au détour d'une rue ; c'est celle de Gérard qui le cache aussi et qui profite de son grade et de son crédit dans la garde nationale pour détourner la visite domiciliaire que les hommes et les femmes du quartier voulaient faire chez lui.
Celui qui a dénoncé le marquis de Surgy est ce même procureur Goberville qui, sous le nom du citoyen Sénèque, est devenu un ardent révolutionnaire, spoliateur des hôtels, acquéreur de domaines nationaux. Il veut s'approprier l'hôtel de Surgy et surtout une somme d'argent qu'il sait y être déposée. Il engage Gérard à l'aider dans ce projet ; Gérard s'y prête et devance même Goberville à l'hôtel, afin de soustraire à sa cupidité une partie de la fortune de ses anciens bienfaiteurs.
Les deux frères Surgy, un moment réunis, apprennent, par le journal du soir, qu'ils sont condamnés à mort. Il faut fuir. C'est Gérard qui les sauve encore en se servant de l'imbécile ignorance du citoyen Caracalla, excordonnier, devenu officier municipal, qui ne sait ni lire ni écrire, et qui fait sortir de Paris les deux proscrits au moment où ils vont être découverts par Goberville.
Tout cet acte est d'un assez bon effet. Le seul inconvénient de ce tableau, c'est de remettre en mémoire et de familiariser le public avec les airs de sinistre souvenir dont j'ai rappelé le timbre. Mais pendant cet acte, quelques murmures se sont fait entendre. Ils provenaient du mécontentement éprouvé par ceux qui sont tellement
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épris de la révolution qu'ils ne veulent pas qu'on y tottche, même pour montrer ses horreurs et ses stupidité. Où en sommes-nous, bon Dieu ! sÍ des sifflets accueillent de pareilles choses? Mais aussi pourquoi autoriser la représentation d'événemens politiques si rapprochés de nous? On a bien accepté le premier acte, parce qu'it vouait au mépris et à la haine les nobles de l'ancien régime ; mais quand il s'est agi de montrer la férocité et l'imbécilité de ceux qui les avaient remplacés, on n'a plus voulu applaudir. De quelque façon qu'on s'y prenne, c'est toujours très bien de poursuivre et de tuer les nobles. Voilà ce que signifient les murmures. Il y avait peut-être dans la salle cent jeunes gens dont les pères ont été membres des clubs, des assemblées ou de la Convention. Il est naturel qu'ils se soient révoltés contre les conclusions du second acte, comme les enfans des nobles et des émigrés auraient pu se soulever contre le libelle diffamatoire du premier acte. Est-ce là ce qu'il faut permettre au théâtre ? Est-ce là de la comédie ?
Ce mouvement favorable aux idées révolutionnaires s'est fait sentir encore d'une manière plus prononcée dans l'entr'acte du second au troisième acte. Pour indi-
(Iller le temps écoulé et la marche des événemens, l'orchestre a joué, bien à la sourdine, l'air de vive Henri Ir; quelques bravos ont voulu se faire entendre. Ils ont été sur-le-champ réprimés et étouffés par des chut! nombreux. Ces symptômes d'une nature si grave sont dignes d'une sérieuse attention.
Il sera plus difficile de faire sentir, par l'analyse, la perfidie et le danger du troisième acte qui se passe après la révolution ; c'est-à-dire de nos jours et après les dernières élections. Le chevalier de Surgy est devenu, sous
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l'empire, lieutenant-général et comte. Gérard étant mort, M. de Surgy a épousé sa veuve, cette .Julie Raymond, dont le frère, enrôlé jadis par force, est devenu maréchal de France. Le marquis de Surgy, devenu duc: et chambellan, est mort à Wagram, et son fils est maintenant pair de France. Son mariage est projeté avec la fille de son oncle le comte de Surgy qui s'est fort enrichi par des spéculations commerciales. L'ancien cordonnier, officier municipal, Caracalla, est portier de l'hôtel Surgy.
Tous ces détails sont racontés par le comte au vicomte de la Morlière, ce roué de l'ancien régime, qu'on avait vu au premier acte, qu'on avait perdu de vue au second et qu'on retrouve au troisième. Embarqué pour l'expédition de Lapérouse, il s'est sauvé du désastre de cette expédition ; et, resté dans une île sauvage pendant quarante ans, il revient enfin en France. L'équipage du bâtiment anglais, qui l'a ramené au Havre, ne savait pas un mot de français \ à peine débarqué, le vicomte s'est jeté dans une chaise de poste et est accouru à Paris où il se trouve comme un autre Epiménide. Il ne sait rien de ce qui s'est passé en France pendant son absence, et l'on conçoit l'étonnement successif qu'il éprouve à toutes les nouvelles que le comte de Surgy lui apprend. C'est le représentant de ce qu'on appelait naguère les voltigeurs de l'armée de Condé ; c'est lui qui prolonge, par son entêtement pour les anciennes idées et les anciennes institutions, ces nobles si haïssables qu'on nous a montrés au premier acte.
Mais le mariage d'Alfred de Surgy avec sa cousine éprouve des obstacles. Un jeune avocat, nommé Dorneval, rempli de vertus et de talens , comme le sont tous
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les avocats aujourd'hui, a plaidé avec succès différentes affaires pour le comte de Surgy. Introduit dans l'intérieur de cette famille, Dorneval s'est épris et s'est fait aimer de la fille du comte. Quand il apprend l'union i)roje!ée, il provoque en duel le jeune Alfred qui accepte le cartel, malgré les remontrances du vicomte de la Morlièrc dont les gothiques préjugés ne conçoivent pas qu'un pair de France puisse se battre avec un avocat. Mais le" comte de Surgy, avec ses idées libérales, veut arranger l'affaire d'une autre façon. Il n'est pas éloigné d'unir sa fille avec l'avocat Dorneval quoique celui-ci soit sans fortune. Un incident vient à la fois arranger et brouiller les affaires. Dorneval n'avait pas osé demander la main de mademoiselle de Surgy, parce qu'elle est riche et qu'il se croyait pauvre -, mais son oncle, millionnaire , avare, et qui cependant l'a élevé, ravi de son amour et de l'éclat d'une alliance avec la famille
Surgy, lui donne 500,000 francs pour contracter ce mariage, et lui assure toute sa fortune après sa mort. Dorncval se présente alors avec plus de hardiesse , et ses espérances prennent une meilleure couleur, lorsqu'on apprend que son oncle, le baron de Goberville, est ce même Goberville, ancien procureur de la famille Surgy. Ce misérable, après avoir ruiné ses cliens sous l'ancien régime, s'est fait, comme on l'a vu, jacobin pendant la révolution (on lui a donné le costume de Robespierre ), et depuis la restauration, pour se faire des appuis, il s'est affilié à la congrégation, s'est fait jésuite de robe courte et était membre de la dernière chambre des Députés. Il espère bien que ses bons amis le feront renommer à la nouvelle chambre; et, comme il sait que le comt.c de Surgy prétend aussi à la dépu-
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talion dans l'espoir de favoriser le mariage de son neveu, Goberville offre au comte les voix de ses amis. Celui-ci le repousse avec une fière indignation et le traite comme le Constitutionnel et le Courrier traitent tous les jours ceux qu'ils font passer pour jésuites et congré.ganistes, parce qu'ils sont tout simplement partisans de la Charte monarchique. Enfin les élections ont lieu. Le comte de Surgy est nommé par deux collèges, et le baron de Goberville n'est pas élu. Il lui a manqué une voix, et c'est celle de son neveu qui, sachant bien que son oncle est jésuite, a préféré faire taire le cri de la nature et de la reconnaissance, afin de sauver la patrie en assurant l'élection du comte de Surgy auquel il a donné son vote. Celui-ci, touché de cette conduite patriotique , lui accorde sa filie pour le dédommager de l'cxhérédation de Goberville , et il" termine la pièce en disant que, puisque désormais la France est heureuse et tranquille, il faut qu'elle se répète ces mots : Union et oubli, ajoute-t-il en montrant le jacobin-jésuite Goberville.
Quelque difficile qu'il soit, je le répète , de donner par l'analyse, l'idée de l'effet de ce troisième acte , on doit sentir pourtant le danger d'une pareille représentation. Tout cet acte est, comme on l'a vu , de la politique moderne , et est-ce par le théâtre qu'il faut laisser agiter dépareillés questions? Toutes celles que les dernières élections et la nouvelle chambre ont soulevées, celles que les journaux agitent chaque matin, sont tranchées dans la pièce d'hier soir. Tout l'ancien régime n'était qu'un abus; la révolution n'a eu aucun tort; les émigrés sont toujours les mêmes : les royalistes sont des jacobins blancs 5 les jésuites et les membres de congté-
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gations sont des révolutionnaires; les élections antérieures n'étaient que le fruit de la fraude et de la corruption, etc., etc. Mais c'est surtout des détails que sortent toutes ces conclusions, et les personnalités de toute nature viennent indiquer à chaque instant la direction quo cette pièce donne à l'opinion publique. Dans l'impossibilité de les rappeler toutes, je citerai du moins celles qui ont été accueillies avec le plus de faveur. M. Syriès de Marinhac a laissé échapper à la tribune un solécisme, véritable lapsus linguœ, que les journaux , grands et petits, ont relevé avec une violence toute dirigée contre l'opinion connue de cet orateur. L'ancien cordonnier-orateur Caracalla y fait une allusion si directe que les claqueurs libéraux du parterre l'ont fait répéter. Le même personnage, dont le fils a été envoyé. par le comte de Surgy à l'école d'enseignement mutuel, craint que cet enfant ne devienne trop savant, et il redoute les reproches que lui adresse à cet égard son confrère, le concierge d'une vieille marquise qui veut que, comme jadis, les en fans soient aussi ignorans que leurs pères. Le libéral comte de Surgy lève les épaules aux craintes que lui manifeste son portier, et dit : « En vérité, si ce diable de Caracalla savait lire, je croirais, qu'il lit la.... ou la.... » Et comme, dans ce moment, le comte tient des journaux à la main, il est évident, malgré ses réticences, qu'il dit la Gazette de France et la Quotidienne. C'est ainsi qu'on l'a entendu dans toute la salle; les mots ont circulé, et des applaudissemens ont accueilli cette attaque envers deux feuilles publiques qui, quelle que soit la forme de leurs opinions, n'en de"raient pas moins être à l'abri de pareilles atteintes.
J'ai choisi ces personnalités entre autres pour donner,
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je le répète, une idée de la couleur de la pièce et de la direction qu'elle fait prendre à l'opinion publique. Il faudrait tout citer ou être témoin d'une représentation de cet ouvrage pour concevoir, par sensation, le chemin qu'elle peut faire faire aux passions du jour.
Après la Manie des places, vaudeville qu'on a donné il y a quelque temps au même théâtre, je demandais où l'on s'arrêterait. Nous avons fait un pas énorme en ce genre depuis la semaine dernière. Deux théâtres ( le Vaudeville et les Nouveautés) préparent des pièces de même nature; et, comme l'influence des représentations dramatiques est bien plus vive et bien plus profonde que celle de la presse , le danger de pareils ouvrages est incalculable. C'est absolument le théâtre de 1791 et 1792, des pièces dites nationales, et celle-ci me rappelle un ouvrage de M. Picard, honnête homme assurément, mais qui marchait avec les idées de son temps , ce que l'esprit révolutionnaire d'aujourd'hui exige également, comme s'il fallait de toute nécessité marcher avec les idées de son temps, lorsque ces idées sont sottes ou funestes. Après avoir fait, en 1791, les deux premiers actes des Fisitandines , M. Picard fit le troisième acte ; il fit ensuite le Passé, le Présent et r Avenir, qui est le pendant du vaudeville d'hier, et enfin, il fut entraîné à faire le Siège de Toulon. Telle est la marche des choses et des idées !
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ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE.
LE COMTE ORY , OPERA EN DEUX ACTES, DE MM. SCRIBE
ET POIRSO',%-DELESTRE , MUSIQUE DE ROSSINI.
at aoùt.
Quoiclue les auteurs des paroles aient gardé l'anonyme sur le poëme imprimé, et qu'ils ne se soient pas fait nommer hier soir après la représentation, tout le monde savait et personne n'ignore que cet opéra est un vaudeville de MM. Scribe et Poirson- Dclestre , joué, il y a quelque douze ans , avec beaucoup de succès, et qu'ils ont arrangé de nouveau pour l'Académie royale de Musique. D'après la vieille ballade, le comte Ory, chevalier redouté, qui, après la chasse ,
N'aime rien que la gaîté,
Que la bombance,
Les combats et la beauté,
est un vrai personnage d'opéra. C'est une espèce de' Joconde dont les aventures érotico - bachiques devaient être traduites sur le théâtre, non pour l'édification , mais pour l'amusement de ceux dont il faut renouveler sans cesse les plaisirs. Ce Lovelace du bon vieux temps se déguise, selon l'esprit de son siècle, en ermite pour acquérir de l'influence sur les jeunes filles qu'il attire dans sa retraite, puis en pèlerine pour arriver jusqu'à la comtesse de Formouticrs qui échappe aux pièges de de cet autre Bol)ert-le-Dial)ie , par les soins intéressés
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du jeune Isolier, son amant, et lui-même page dú comte Ory. Tout cela aurait pu devenir plus que leste. Mais, avec son tact ordinaire, soutenu de celui de son collaborateur, M. Scribe est resté dans la mesure , et les détails de son opéra ne dépassent pas les bornes de la plaisanterie permise au théâtre.
Mais c'est le genre même de cet opéra qui dépasse les limites accoutumées de l'Académie royale de Musi(lue et qui a dérouté toutes les idées des gothiques ou jeunes habitués du coin du roi et du coin de la reine. La tradition et la routine sont encore bien puissantes à l'Opéra. Il y a beaucoup de gens que le Devin du Fillaye , Panurge et les Prétendus ravissent toujours ; il y en a beaucop d'autres qui en sont moins ravis, mais qui y sont déjà habitués et qui prennent pour du bon goût la sotte répugnance qu'ils éprouvent pour tout ce qui est nouveau. Les uns et les autres ont bien voulu accepter la niaise polissonnerie du Rossignol : une bergère coquette et un bailli sot et trompé. Cela ne s'éloignait pas trop du petit chef-d'œuvre de Jean-Jacques ; ils ont accepté encore Aspasie et Périclès ; c'était bien plat, et il y avait des costumes grecs. Rien dans tout cela n'effarouchait la médiocrité et la routine. Mais un ouvrage en deux actes coupés à l'italienne, sur une intrigue qui n'est pas commune , avec des costumes originaux ; un dialogue qui n'est pas aussi bête que celui de la Caravane, et un déuoûment et des détails qui ne ressemblent pas à tout ce qu'on a déjà vu ; tout ceci t'st effrayant pour la routine, et il y a au moins lieu à protester. Enfin , l'Opéra-Comique et M. Scribe à l'Opéra sont encore bien autrement effrayans. M. Scribe, qui, d'après les arrêts de MM. Duval, Jouy et de leurs
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cotteries , est condamné à p'avoir d esprit et de talent qu'au Gymnase ! M. Scribe qui, dans le genre sérieux, a déjà osé innover à l'Académie royale de Musique, avec la Muette de Portici, ose encore tenter une révolution dans le genre comique ! cela choque les usages i on n'y comprend plus rien.
Mais si la nature du poëme fait naître ces résistances, c'est bien pis quand on en vient à la musique. Nos amateurs-jurés permettent bien à Rossini d'avoir un génie italien \ mais ils sont encore incertains sur le génie français qu'ils doivent lui accorder. Sppntini, Sacchini et Gluck ont éprouvé les mêmes obstacles ; et il a failli que la Vestale > OEdipe et Alceste fussent consacrés par le temps pour soumettre tous les rebelles. Les mémoires nous l'apprennent pour les deux derniers -, j'en ai été le témoin pour Spontini. Jamais un homme de génie n'essaie d'ouvrir une route nouvelle sans soulever contre lui toutes les routines et toutes les animosités sottes et intéressées. Rossini, faisant de l'opéra comique français, cause une sorte de scandale -, il importe sur notre scène les méthodes italiennes, les cavatines avec accompagnement de chœurs, les airs propres à faire briller les voix selon leurs qualités. Les dilettanti français acceptent bien ces moyens à l'Opéra-Italiein ; mais, lorsqu'ils apparaissent à l'Académie royale de Musique, ils les repoussent, parce qu'ils n'y sont pas habitués. Nous sommes toujours en défiance contre les plaisirs qu'on veut nous procurer. Il semble que nous craignions d'être pris pour dupes et que nous ne consentions à nous amuser qu'à bonnes enseignes. Celles de Rossini sont pourtant déjà éprouvées ; mais c'est seulement dans le genre sérieux. J..ps partitions du Siège de Corinthe et de Maisè étaient
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même déjà connues -, et, comme il était convenu qu'elles étaient belles, le public de la rue Lepelletier a consenti P se laisser charmer : il n'en était pas de même pour lt Comte Ory. Il n'est pas encore généralément convenu que Rossini peut faire de la très jolie musique sur les paroles d'un opéra français; de sorte que, malgré toutes, les chances de succès, malgré la brillante épreuve de la répétition, les délicieuses inspirations de Rossini ont été froidement accueillies hier soir par des gens qui ne savent, ne peuvent ou ne veulent pas s'amuser d'un plaisir nouveau et qu'ils n'ont pas encore éprouvé. Tel a été, dans l'origine, le sort d'il Barhiere, de MoaB et de la Semiramide, pour Rossini. Tel aussi, pour M. Scribe , a été le sort du Coiffeur et le Perruquier, de la Demoiselle à marier et du Mariage d'Argent. Mais, n'importe; que les préventions augmentent ou cessent pour le Comte Ory, l'ouvrage a été joué et produira son effet, c'est-à-dire qu'il a renouvelé le genre comique à l'Académie royale de Musique, comme la Muette de Portici a renouvelé le genre sérieux. On finira sans doute par rendre justice au Comte Ory $ on reconnaîtra , dans le premier acte, l'originalité de l'introduction , le style et l'air de Levasseur, le charme des couplets du jeune page finissant en duo avec le Comte, Ory, l'agrément des cavatines de mademoiselle Cinti et Adolphe Nourrit, et on admirera davantage l'admirable finale, lequel provient, du reste, comme presque toutle premier acte, du Piaggio à Reims, opéra italien de circonstance que Rossini avait composé à l'occasion du sacre du Roi. Tout le second acte, plus animé d'action, plus rempli de verve musicale, obtiendra plus de succès, encore , il faut l'espérer.
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THÉATRE DES NOUVEAUTÉS.
LA MAISON DU REMPART , COMÉDIE EN TROIS ACTES y
MÊLÉE DE COUPLETS, DE M'H. MÉLESV1LLE ET **,.,.
3o décembre.
t
Quoique l'intrigue de cette pièce paraisse assez com.. pliquée, elle est cependant fort simple. L'action se passe au temps de la Fronde et vers la fin des troubles civils. Un bon bourgeois, nommé Mathieu , qui n'a d'autre opinion que celle de vouloir conserver son repos et son argent, paraît avoir pris pour devise la maxime que La Fontaine mit en honneur cinquante ans plus tard :
Le sage dit, selon les gens ;
Vive le roi ! vive la ligue,
et qu on a renouvelée de notre temps dans cette chanson dont le refrain est resté populaire :
De crainte d'anicroche,
Je n'ai jamais d'avis ;
J'ai toujours dans ma poche
L'aigle et la fleur de lys.
Malgré la prudence de ses doctrines et de ses actions, M. Mathieu est compromis et pillé tour à tour par les Mazarins et par les Frondeurs dont il se croit obligé, par peur, d'être successivement l'allié, soit que l'un ou l'autre parti triomphe. La reine rentre enlin à Paris
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avec le dauphin Louis XIV-, M. Mathieu, quia failli êtrev \ pendu par le peuple pour avoir, dans sa maison du rempart, donné asile à un partisan de Mazarin, est porté en triomphe par ce même peuple, et presqu'au même moment quand on sait qu'il a servi l'évasion de
la duchesse de Longueville. Pendant que le cortége royal défile sur le rempart, la toile tombe aux cris de vive la reine ! vive le dauphin ! et après cette sentence
de M. Mathieu, qu'il faut ne se mêler que de ses affaires , et qu'il n'est qu'un pas du triomphe à la potence.
C'est assez là, en effet, la moralité qu'on peut tirer
de cet ouvrage qui rappelle tantôt la Famille Glinet, tantôt le Bourgmestre de Saardam. Quoique je ne sois
pas d'avis que l'indifférence en matière politique soit une louable doctrine, il faut convenir pourtant qu'elle peut porter quelques esprits vers des idées d'ordre et de paix,
et cet aperçu est salutaire. Il en est encore un autre qu'on peut tirer de la pièce : c'est que le peuple, pour
les intérêts duquel les factieux ont toujours l'air de s'agiter, n'est que le prête-nom de quelques ambitieux qui
en font bon marché, dès qu'ils n'ont plus besoin de provoquer ses fureurs. Dans une scène assez bien faite , on voit les principaux chefs de la Fronde et le marquis de Joigny, partisan de Mazarin , traiter de la paix et la conclure au moyen de faveurs et de richesses qu'ils se concèdent mutuellement ; mais des intérêts du peuple , pas un mot. Le président de Belièvre est le seul qui élève la voix à cet égard, et il n'est guère écouté. Si l'on peut tirer quelque leçon fructueuse du théâtre, cette scène doit prouver aux classes inférieures qu'elles ne doivent jamais prendre part à des événemens dont elles
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sont, en définitive, toujours dupes et victimes. La guerre de la Fronde m'a sans cesse paru avoir été traitée trop légèrement par les historiens. On faisait alors autant de chansons et d 'épi(rrammes que l'on tirait de coups de fusil, c est vrai -, mais il ne faut pas oublier pourtant que, dans le parlement et dans les écrits publics, on agitait les questions du vote libre de l'impôt, de la liberté individuelle et même de la liberté de la pensée. Le temps n'était pas encore venu de tirer toutes les conséquences de ces grandes questions. Louis XIV les étouffa sous sa grandeur; Louis XV les laissa agiter de nouveau , et nous en avons vu les derniers résultats. Telle est la marche des choses -, mais, ainsi considérée, la guerre de la Fronde ne parait plus si gaie ; c'est le prologue du grand drame politique qui se joua cent trente ans plus tard. M. de Saint-Aulaire est le seul, parmi nos contemporains, qui ait envisagé cette époque sous ce point de vue véritable, et l'ouvrage qu'il a fait paraître à ce sujet n'a pas eu tout le succès qu'il devait avoir.
THÉÂTRE ROYAL ITALIEN.
CLAIU , OPÉRA SEMI-SERU. EN TttOIS ACTES , MUSIQUE
DE M. IIAEÉVY.
3o décembre.
Le sujet de cet opéra est depuis long-temps épuisé il l'Académie royale de Musique par le ballet-pantomime qui porte ce nom, et dont l'ouvrage lyrique n'est que la
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répétition , scène par scène. Seulement, on chante ici ce qu'on danse là-bas. Il ne devait donc y avoir de nou", veau dans la représentation d'hier que la témériié de l'entreprise musicale $ faire retentir les murs de la salle Favart d'autres accords que de ceux de Rossini, ce n'était pas un effort peu audacieux. Non seulement ce grand musicien mérite tous les éloges que l'on peut accorder à son étonnant génie, et être le plus redoutable adversaire auquel on puisse s'attaquer ; mais encore le public est tellement sous le joug du charme qu'il inspire que, par goût, par fanatisme et par habitude, il repoussera pendant long-temps encore, avec injustice même, tous ceux qui voudront essayer de lui plaire.
Le public semblait avoir pris d'avance le parti de rester froid à des choses qui auraient dû le remuer davantage. Le premier acte est long sans doute, et les deux autres ne renferment pas des morceaux aussi nombreux et aussi distingués que celui qui les précède. Mais, en somme, l'ouvrage est remarquable et donne, du talent de M. Halévy, une idée meilleure que celle qu'on en avait pu prendre lorsqu'il avait débuté, il y a bientôt deux ans, à Feydeau, par TArtisan, opéra-comique en un acte. Il y a, dans ce nouvel ouvrage, le signe de progrès très sensibles. On ne doit pas désespérer maintenant \ au contraire, il faut espérer. La musique de M. Halévy est. encore un peu lourde et compassée ; en l'écoutant, on sent plutôt l'école que l'inspiration ; sa manière, quant à l'orchestre, rappelle beaucoup celle de Méhu! ; mais ce dont je le loue complétement et sincèrement, c'est de n'avoir cherché aucune imitation rossinienne.
C'est là ce qui tente les jeunes compositeurs ; ils espèrent réussir par les mêmes moyens que le grand Ros-
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sini. On ne peut faire un calcul plus sot et plus maladroit. Il faudrait avoir son 'génie en même temps qu'on emploie sa manière. Le glaneur possède bien dans l'épi qu'il a ramassé un grain de même nature que celui du propriétaire du champ -, mais celui-ci a une immense récolte, parce qu'il avait un vaste terrain , et le glaneur ne conserve qu'une gerbe. M. Halévy a semé de luimême. Si sa moisson n'a pas été abondante, elle le deviendra à mesure qu'il cultivera, par ses propres moyens, le terroir qu'il possède, et qui paraît d'une nature généreuse et féconde. Le sort de la première représentation d'un ouvrage, d'ailleurs, n'est qu'un jugement provisoire. Qui pourrait décider souverainement du mérite et du charme d'une partition à sa première audition ? Il faut entendre dix fois au moins une même musique pour en juger en toute connaissance de cause, et si l'opéra de M. Halévy peut subir ces épreuves réitérées, il en sortira peut-être vainqueur.
L'introduction est variée et pittoresque ; liée par des petits airs et des chœurs, elle est d une bonne facture et d'un bon effet. La cavatine du duc est aussi d'un bon style ; le duo du duc et dc Clari, quoique beaucoup trop, long, renferme également des beautés distinguées, surtout dans l'agitato; et, avant ce duo, le grand air de Clari est d'un ordre remarquable. Le début de la seconde partie du premier acte n'a pas obtenu tout le succès qu'il méritait. Le valet de chambre San-Germano s'occupe de la comédie qu'on doit donner à Clari, et fait répéter son orchestre et ses acteurs. Ce morceau est original et piquant. Zuchelli le chantera et le jouera mieux encore qu'il ne l'a fait hier. Le finale de ce premier acte mérite aussi des éloges. Le second et le troisième acte sont
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plus faibles, je le répète, quoiqu'on doive y remarquer encore, dans l'un, la scène où Clari s'évade et le trio qui suit cette évasion et qui prépare le finale -, dans l'autre, un chœur d'introduction et toute la scène du père et de la fille.
L'auteur et le théâtre devaient croire que leur succès serait appuyé par le talent de madame Malibran ou au moins par l'enthousiasme de ses admirateurs. Ils avaient besoin de ce secours pour balancer et la prévention rossinienne, et les faiblesses du nouvel ouvrage, et la médiocrité de quelques exécutans, notamment de mademoiselle Marinoni qui remplissait le rôle de la soubrette. Mais cet espoir a été déçu. Madame Malibran a mal chanté et mal joué le rôle de Clari. Il était pourtant bien disposé pour elle. Elle a une revanche énorme à prendre. Ses amis mêmes étaient consternés hier. Je l'étais moins qu'eux, quoique partisan de son beau talent. Mais je crains depuis long-temps que ce qu'on appelle âme et passion chez madame Malibran ne soient tout simplement de l'assurance et du métier, et que la véritable inspiration lui manque. L'orgueil et l'adulation ont gâté de plus belles espérances, et madame Malibran doit se défendre de ses séductions qui l'entourent et l'enivrent. L'épreuve d'hier a été fâcheuse. Madame Malibran s'en laissera-t-elle accabler ou luttera-t-elle contre un échec avec toutes les ressources que lui présentent ses moyens personnels et la faveur publique dont elle est environnée? Je souhaite pour l'auteur, pour le théâtre et pour elle-même qu'elle prenne ce dernier parti. Si elle le veut bien, elle peut procurer à Clari un succès plus complet et plus durable que ne semble le pronostiquer la représentation d'hier soir qui, sans avoir
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été fatale, n'a cependant pas répondu aux espérances des uns et des autres.
J'avais appris hier matin, aux Affaires étrangères, que Garcia le chanteur, père de madame Malibran, était mort dans les états de l'Amérique du sud où depuis deux ans il avait été donner des représentations. On prétendait, là, que la nouvelle venait d'en parvenir au ministère. Il n'en a rien transpiré le soir au théàtreydu moins, madame Malibran l'ignorait complètement.
THÉÂTRE DU VAUDEVILLE.
I.ES BÊTISES DE L'ANNÉE , REVUE EX UN ACTE , DE
MM. nnAZIER, CARllOtJCIIE ET DE COURCY.
3o décembre.
Que de choses il faut savoir pour comprendre une pièce comme celle qu'on a donnée .hier soir au Vaudeville! Il faut n'avoir pas quitté Paris vingt-quatre heures d'abord, et un habitant de Marseille, de Bordeaux, de Strasbourg, de Passy même qui aurait assisté hier à cette représentation , pourrait croire que ce n'est pas en France qu'il a vécu depuis un an par l'impossibilité où il se serait trouvé d'entendre et de goûter les quolibets débités sur tous les sujets qu'on lui a fait passer en revue. Les auteurs de cette bêtise n'ont pas manqué de dire d'abord cette hêtise éternelle, qu'il faut du nouveau au public qui en demande sans cesse; et, au lieu de prêcher d'exemple, ils ont eux-mêmes choisi la plus
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vieille des formes de satire dramatique. La première pièce de ce genre a paru eu l'an vi de la république ; et, comme nous sommes dans l'année correspondante XXXVII de celte bienheureuse époque, voilà tout juste trente-six ans que MM. de Chazet et Armand Gouffé ont inventé le moyen que MM. Brazier, Carmouche et de Courcy ont réinventé hier soir à leur tour.
Ils n'ont pas été plus inventifs dans les détails. En passant en revue tout ce qui a cherché à plaire au public, pendant le cours de 1828, et avoir drapé les pièces nouvellos de tous les théàtres, les inventions de toute espèce, le papier-linge , le diamant-charbon, etc., etc., lesquelles pièces et inventions personnifiées viennent successivement demander quelque célébrité à un confiseur qui doit les mettre en bonbons, les auteurs ont décerné la palme de la gloire et du talent à mademoiselle Taglioni, la merveilleuse danseuse de l'Opéra -, et, pour la célébrer dignement, ils ont fait paraître mademoiselle Nadèje en nymphe de l'Académie royale de Musique, et lui ont adressé ce compliment aussi délicat que neuf : c'est Terpsycore ou Taglioni. Bare et sublime effort de l'imagination ! Voilà pour ma part une cinquantaine de fois que j'entends dire : c'est Gardel ou Terpsycore ; c'est Chevigny ou Therpsycore; c'est Bigottini ou Therpsycore, etc., etc.; et, pour compléter la nouveauté de cette louange d'oripeau mythologique, ils ont fait danser à ladite demoiselle Nadèje qui, du reste, est une assez belle personne, un pas de châle ! Un pas de châle, bon Dieu! on voit bien que c'est M. Beaupré, le plus vieux des anciens zéphirs de l'Opéra qui a passé par-là. Le pas de châle était du bon temps de M. Beaupré qui nous en a régalé hier comme d'une nouveauté.
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Le journalisme et les commentaires libéraux ont si bien travaillé, pendant le cours de l'année qui finit, que c'est une chose convenue maintenant que tout assassin, faussaire ou empoisonneur est nécessairement un homme religieux, si ce n'est un ecclésiastique. Aussi voit-on, dans cette revue, le célèbre M. Desrues, joué en ce moment au théâtre de la Gaieté, paraître avec le langage parodié du bon M. Tartufe; et, dans un couplet de facture , Méphistophelès, le diable du Faust de la PorteSaint-Martin , dit que quand il entend certaines gens s'écrier : c'est impossible ! il ne peut s'empêcher de leur * rire au nez. C'est la traduction du non possumus des évêques qui ne devaient pas s'attendre à être rangés dans les Bêtises de Vannée, et à être ainsi livrés aux quolibets du théâtre.
Pour que rien ne manque au tableau, on voit aussi les Mémoires qui ont été publiés cette année, et M. Vidocq, sous les traits du petit Lepeintre, venir débiter ses gentillesses , escorté d'un forçat en costume officiel •, et puis il est aussi question de la Charte que le diable conseille de mettre en bonbons pour que toute la France en demande •, et puis encore il est question des éteignoirs du flambeau de la vérité, lequel doit embraser ceux qui veulent l'éteindre, etc., etc. C'est un salmigondis d'inconvenances , de niaiseries libérales, de grossièretés politiques ; le tout assez dangereux d'ailleurs, parce que cela monte le ton du goût et de l'esprit publics à un degré que la tranquillité générale et la sûreté des mœurs ne peuvent supporter.
FIN DU DEUXIÈME VOLUME.
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TABLE DES MATIÈRES.
A.
Apollon II, vaudeville. 1 Ariane, opéra. a Appla udissemens bien distribués par suite de l'expulsion des claqueurs. 13 Angleterre et Anglais. 25 Avrigny ( M. d'), auteur. id. Acteurs et actrices (leur influence sur le sort des ouvrages). 3o Auber ( M. ), compositeur. 37 Adelphes (les nouveaux ), comédie. 57 Art dramatique moderne. 80 Allusions au théâtre. 83 Art (ce qu'il devient avec l'esprit de parti). id. Armide (reprise d') , opéra. 84 Armide, idem. J03 Appartement garni (1'), vaudeville. J06 Acteurs — Auteurs. 126 Adam (M. Adolphe), compositeur. J 30 Auber (M. ), compositeur. 146 Agiotage. 159 Aveugle de Montmorency (1'). 180 Agiotage (1'), comédie. 182 Agioteurs (les), comédie de Dancourt. 18 '4 Argent (1'), comédie. 185 Amour sur le théâtre ancien et moderne. 195 Alexandre, farceur physionomane. 198 Actrice (P), ou les deux Portraits, comédie. 200 Ader (M.), auteur. id. Arlequin - Arlequinade. 210 Argent ( 1' ), comédie. 226 Aventure de Charles V (une), corn.
de circonstance. 212 Anne (M. Théodore), auteur. 245 Allusions politiques. 265 Idem. 277 Astolphe et Joconde, ballet pantomime. 280 Aumer (M. ),chorégraphe. id. Anatole ( madame), danseuse. 282 Artisan (1'), opéra-comique. 2831
Allusions politiques. 294 Anne (M. Théodore), auteur. 299 A)bert.( madame) , actrice. 304 Amédée, acteur du théâtre des Nouveautés. id.
Amour et la Peur (1'), vaudeville. 3.4 Arnal, acteur du Vaudeville. 3i5 Allumions politiques. 324 et suiv. Armand, de la Comédie Française; son bénéfice. 328
Allusions politiques aux circonstances et aux hommes. 388 et suiv.
Aignan (M. ), de l'Académie franç. 345 Arbitre (I'), vaudeville. 363 Avocat ( 1'), comédie. id. Allusions par ressemblances physiques. id.
Auber ( M. ), compositeur. 370 Auteurs; leurs idées et leur manière dramatique , selon les temps. 373
Amour africain (1'), pièce de théâtre. 384 Albert (madame ), actrice. 385 Anglais (théâtre et comédiens). 386 Arrago (M.), auteur. 410 Aumer (M.), chorégraphe. 411 Attila, tragédie. 421 Ancelct (M.), auteur. 422 Arnault (M.) père. — Mot de Dussault. 426 Agiotage (1'), comédie. 439 Argent ( 1'), comédie. id. Ancelot (M. ), auteur.
Arnault (M. L.), auteur. a53 Amy Robsart, drame. 161 Auber ( M.), compositeur. 464 Aurélie ( la Princesse), drame. 465 Allusions politiques. 467 et suiv. Armand, de Id Comédie Française. 473 Allusions politiques. 475 et suiv. Aucassin et Nicolette ( duo des soldats ) , de Grétry. 485 Anaïs (mademoiselle), de l'Odéon. 489 Avant, Pendant et Après, comédievaudeville. 491 Abus anciens et modernes. 494 et suiv.
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Airs révolutionnaires. 495 et SUIT. Aspasie et Périclès, opéra. 5o5 Alceste, opéra. 5o6 Artisan ( l' ), opéra comique. 511 Armand Gouffé, auteur. 515
B.
Branchu ( madame), de l'Opéra. 3 Bérard (M.), direct, du Vaudeville. 4 Ba\yr (madame de), auteur. 11 Bal masqué (les suites d'un), coméd. id. Bayard (lU.), auteur. 12 Belle au bois dormant ( la), opéra. 19 Banquiers, banque et nobles. 53 Baour-Lormian (M.), de l'Académie-Française. 65 Barbiere (il) de Rossini. 69 Bernard, direct, et act. de l'Odéon. 83 Boyeldieu. 84 Idem. 103
Brazier (M.), auteur. id. Belle-Mère ( la ), -vaudeville. 107 Bayard ( M.), auteur. id. Boisrosé, comédie-posthume. io& Bénéfice de Devigny (représ. au). id. Belloy (de), auteur. 1 Belle-Mère (la), comédie. I21 Belles-mères (différentes acceptions et caractères divers au théâtre). id.
Berry (S. A. R. Madame, duchesse de). i3o Bernard-Léon, act. du Gymnase. id. Brazier (M.), auteur. id. Bouilly (M.), auteur. 131 Blache (M.), chorégraphe, î^o Ballets et pantomimes; leurs différences. 14 2 Brusque et Bonne , comédie. 1 7 Bénéficiaire (le), vaudeville. 155 Bourse (effets du jeu de la). 159 Bourse (usages et mœurs de la). 161 Bonjour (M. Casimir), auteur. ' 186 Rayard (M.), auteur. 20a Baudouin, tragédie. id. Biographes (les), comédie. 208 Biographies (les petites), vaudev. 209 Brazier (M.), auteur. id. Balocchi ()I.), arrangeur italien. 221 Bonjour (M. Casimir), auteur. 226 Berton (M.), compositeur. 236 Botincenos(-. (M.), auteur. 238 Bourgeois d'Essonne (!e), pièce de circonstances. 24 4 Bohémiens (les), opéra de "Wéber. 255 Byron (lord). 275 Blangini (M.), compositeur. 3,,4 Brod (M.), hautbois. 309
Bertin - Devaux ( mademoiselle ), compositeur. 3u Bérier ( M. Constant) , auteur. 315 Belloy (de), auteur. 316 Bénéfice (représentations il).
Baptiste aîné, de la Comédie-Fran-
çaise.—Son bénéfice. id.
Blangini (M.), compositeur. 315 Balochi (M.), arrangeur italien. 3'17 Batton (M.), compositeur. 35[ Barbier de Paris (le), roinan. id. Bi iss(.-t (M.), auteur. 360 Bérard (M.), auteur. id. Biaise (M.), vaudeville. 361 Buonaparte. 363 Boyard (M.), auteur. 36J Brazier (M.), auteur. 36g Bergère châtelaine (la), opéra-comique. 370 Bonjour (M. Casimir). 374 BaUets-pantomimes.—Toujours les mêmes. 377
Bouffé, acteur. — Son début aux
Nouveautés. 3;8 Beauvaliet, acteur. 405 Blanche d'Aquitaine, tragédie. 4'3 Bourbons (les), rois légitimes. 4'7 Bis ( M. Hippolyte), auteur. 421 Bocage, acteur. 4 u3 Baptiste aîné, de la Comédie-Fran-
çaise.— Sa retraite. 447 Boissy, auteur. 44& Beanvallet, acteur. 4Mo Berton (M.), compositeur. 484 Beauvaliet, acteur. foS Bayard (M.) , auteur. 49° Rarl)ierc (il), opéra italien. 507 Bourgmestre de Saardam (le). 509 Bêtises de l'année (les), revue-vaudeville. 514 Brazier (M.), auteur. id. Beaupré (M.), ancien danseur de l'Opéra. 515
c.
Coraly, 'V3nàe,.ille. 3 Censure dramatique. id. Circonstances électorales. id. Cousins (les deux), vaudeville. 4 Chéron ( M.), auteur. id. Claqueurs. 7 Correspondance (la), comédie. 11 Chevaliers du Lion (les), mélodrame, id. Clara (mademoiselle), du Vaudev. i »i Chevalier d'industrie (le), comédie. J 4 Comédie. — Ses conditions. — Ses effets. jcf.
Cid d'Andalousie (le), tr; gédie. 17
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Caraffa (M.), compositeur. 19 Cid d'Andalousie (le); tragédie, 28 Comédiens favorables- aux auteurs
de Fopposition. id. Comberousse ( M. de), auteur. id. Cèfiar (la mort dè), tragéd. "nouvelle. 39 Idem, de Voltaire. id. Clémence de David -(là}, tragéflie. 45 Circonstance (pièces et tragédie de) id. Ckénier, auteur. id. Carion-Nisas (M.), auteur. 46 Cyrus, tragédie. id. Commerce et no'blesse.. 53 Château de l'Amour (le), opéra. 66 Carmouche ("madame), actrice. 75 Chercheuse d'esprit (!a), vaudeville, id. Comédiens ( leur influence sur les ouvrages). 80 Carmouche (madame),1 actrice. 81 Camille, tragédie. id. Courtisans. 87 Censure dramatique (interdictions
1. et permissions). 89 Confident-dtune femtne {le),.comédie-vaudeville. - - go Conseiller d'une femme (le), prov. id. Cléaience^le David (la), tragédie. 93 Charles X. id' Courcy (M, Frédéric de),'auteur. 104 Carmouche (M.), auteur. '106 Charles VI (la Démence de), tragéd. 108 Crémont (M.), compositeur el arrangeur. 112 Comédiens-auteurs. 126 Clara VVendel, vaudeville. 130 Courcy (M. Frédéric de), auteur.. 135 Cicéri. 140 Carnaval de Venise (le^, ballet. 142 Cendrillon, ballet... - . id. Cuisinières (les), vaudeville. 147 Correspondance littéraire. — Sujet de ,vaudevi,lle. 177 Courcy ( M. Frédéric de), auteur. 1& Castil-Blaze (M.), compositeur et arrangeur. 197 Cavé (Mg, auteur. 210 Capelle (M.), auteur.. 212 Coûta me allemande (la),'vaudeville, id. J Corinthe (le Siège de), opéra. - 216 Cinti (mademoiselle), à l'Opéra. 219 Créoles (les), drame lyrique.. 236. Charles V (wtïe Aventure de), comé-
die de circonstance.
Circonstances (pièces de). 244 Courcy (M. Frédéric de), auteur. id. Céearine, ou la Courtisane amoureuse, vaudeville. 267 Courtisane amoureuse (la). id. Ça\é (M.), auteur. " 271
Courtisans. 278 Cicéri. ^ 280 Conservatoire eL Ecole royale de
Musique. 285
Campenon (M.), de l'Académie fi-an-
çaise. id.
Champfort. 286 Clara (mademoiselle), du Vaudev. id. Crémont (M. ), chef d'orchestre et arrangeur. 287 Courrier des théâtres (le), vaudev. 208 Clara Wendel, vaudeville. id. Cartouche, mélodrame. 299 Courreurde Veuves (le), pièce lyriq. 3oo Chenard, de l'Opéra-Comique. 3o8 Circonstance (tragédie de). 324 Courtisans. 332 Cimarosa, compositeur. "344 Création (la), oratorio, id. Choron (Ecole de musique rcligiéuse de M.). id.
Conservatoire (les élèves du), vaud. 35qi Comédiens et Comédiennes; leurs mœurs, leurs habitudes, leur position sociale. 354 et suiv.
Choquart (M.), auteur. 36A Carmouche (M.), auteur. 369 Commis-marchands (public de). id. Chanteurs italiens et français..371 Cicéri. ' 380
Chelard (M.), compositeur. id. Casa da Vendere, opéra italiens - 381 Clara Gazul ( théâtre de). 332 Classique et romantique. id.. et suiv.. Critique littéraire moderne (de la). 393 Caraffa (M.), compositeur. 403 Gharton (mademoiselle)', actrice. 405 Colon (mademoiselle Jetiny), ac-
trice du V,-tudeville. 411
Carlowingiens (le dernier des), tragédie. 413 Classique et romantique.. et suiv. Corisande.- id. Cal dé ron. id. Caliste, tragédie. 4^7 " Comique et gaieté, au théâtre. —
Leur différence. :4a8 et suiv.
Chacun de son côté, comédie. 447 Cenerentolla, opéra italien. id. Classique et romantique. 462 Cromwell, pièce de M. V. Hugo.. 463 Cicéri. 464 Corbière (M. le comte de\ 468 Château de Woodstock(le), camcd. 469 Comédiens ( indispositions suppo-
sées des). 480 Classique et romantique. '48& Comédiens français ( influence des acteurs anglais sur le jeu des). 4%
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Congrégation (la). 5oo Comte Ory (le), opéra. 504 Caravane (la), opéra. 5o5 Clari, opéra italien. 510 Carmouche (M.), auteur. 514 Courcy (M. Frédéric de), auteur. id. Chazet (M. de), auteur.' 5i 5
D.
Deux Cousins (les), vaudeville. 5 Duport (lU. Paul), auteur. id. Dourlens (M.), compositeur. id. Daleyrac, compositeur. « Dartois (M.), auteur. 13
Duval (M. Alex.), auteur. 14 Duchesnois (mademoisellc). 32 Draj arnaud (M.), auteur. 45 Delaville (M.), auteur. 5o Dépagny (M.), auteur. 64 Dame du Lac (la), opéra. 71 Donna del Lago (la), opéra italien, id. Dépagny (M.), auteur. id, Dupaty (M.), auteur. 75 Dame blanche (la), opéra comique. 84 Duval (M. Alex.), auteur. 86 Draparnaud (M.), auteur. 92 Duel (le) préjugé. — Homicide. 94 Drouineau (M.), auteur. 96 Delà vigne ( M. Casimir). 99 Drame et tragédie bourgeoise. 100 Diderot. id. Darnaud-Bncular. id. Dames à la mode (les), vaudeville. io3 Dame blanche (la). id. Dame du Lac (la). id. Duport (M. Paul), auteur. 105 Duvert (M.), auteur. 106 Dupin (M.), auteur. 107 Demoiselle à marier (la), vaudev. id. Delaville (M.), auteur. 108 Delavigne (M. Germain), auteur. 115 Dumersan (M.), auteur. 130 Descloseanx (M.), auteur. 134 Dansomanie (la), ballet. 142 Dumersan (M.), auteur. 151 Duel (le), drame lyrique. 171 Dessessarts (M.), auteur. id. Dancourt, auteur. 184 Duhautcours , comédie. 185 Duel (le), ou Dix ans de trop , com. ao3 Dumersan (M.), auteur. 209 Désaugiers. 211 Dérivis. 219 Delacour (M ), auteur. 236 Décoration nouvelle et pittoresque. 2ti 7 Desmousseaux (madame), actrice. a53 Draparnaud (M.), auteur. 263 Duport (M. Paulin), auteur. 271
Duval (M. Alex.), auteur. 271 Delrieu (M.), auteur. 275 Duvert (M.), auteur. 287 Dupeuty (lU.), auteur. 3o6 Désaugiers. 314 Dartois (M. Armand). auteur. 36o Duport ^M. Paulin:, auteur. 363 Duval (M. Alex.), auteur. 3,3 Delavigne (M. Casimir), auteur. id. Deux Cousines (les), ou l'Education. 374 Destouches. id. Delaville (M.), auteur. id. Dorante et Fronlin, ou le Valet plus spirituel que son maître, pièce en deux actes. 384
Dupin (M.), avocat, fait frapper une médaille en l'honneur d'un ministre anglais. 387 Danglemont (M.), auteur. 406 Deux Paris (les) , ou 1750 et IS2" vaudeville. 407
Départ, séjour et retour, comédieroman. 410 Dartois (M. Armand), auteur. id. Desvergers (M.), auteur. id. Drame. — Ses progrès. — Son influence. 427 et suiv.
Deux Gendres (k's). 43q Dela, igne (M. Casimir). 164 Delavigne (M. Germain), auteur. 64 Delavigne (M. Casimir). 465 Duval (M. Alex.), auteur. 46g Demerson ( mademoiselle ), de la Comédie-Française. 473 Duchesnois ( mademoiselle), idem. 476 Damas, de la Comédie-Française. 480 Devin du Village (le), opéra. 5o5 Dupaty (M.), auteur. 515
E.
Edelmann, compositeur. 2 Eligible (P), vaudeville. 3 Elections (circonstances d'). id. Ecole de la médisance (11), coméd. 4 Esprit d'opposition. 7 Ecoles de droit et de médecine. 9 Esprit public ( Angleterre et Anglais). 25
Eric-Bernard, acteur, son début dans la comédie. 33
Ecoles (les élèves des) ; leur opinion hostile contre le gouvernement monarchique. 42
Enfans et parens (leurs relations sociales). 55 Elections (les), comédie défendue. 57 Education publique et privée. id. Ecole des Maris (P). 59
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Ecole des Femmes (1'). 59 Ecole du Scandale (1'), de Shéridan. 60 Ecole des Pères ft'), de Piron. 61 Ecole des Pères (V), de Pieyre. id. Ecole des Pères (la petite), de M. Etienne. id. Enfant prodigue (1'), de Voltaire. id. Ecoles de droit et de médecine (les élèves des ) ; leur empire et leur conduite au théâtre. 62 Idem. * 70 Emmeline., vaudeville. ' 72 Esprit de parti ; politique. 83 Ecclésiastiques au théâtre. WW 89 Emprunt ou plagiat littéraire. 90 Excelmans (le général). 93 Elèves des écoles à l'Odéon. 113 Emprunts; leurs effets sur les mœurs publiques. 159 Empis (M.), auteur. 182 Ecole des neuves (1'), comédie. 206 Enfans, pères et supérieurs. 212 Ecole des Veuves (l'), comédie. 239 Ecole de Rome (1 ), pièce de circonstance. 244 Eco'e des Vieillards (1'). 247 et suiv. Ecole des Veuves (1'). id. Ecole royale de musique et conservatoire. a85
Emmeline, ou la Famille suisse, opéra. 287 Empis (M.), auteur. 329 Ebroïn, tragédie jouée à une représentation à bénéfice. 341
Ethelwina , ou l'Exilé, drame lyrique. 35o
Ecole royale de musique et de déclamation. 357 Emilia, drame. 391 Emile ( M. ), auteur pseudonyme. 4°7 Eugénie, drame. 427 Ecole des Vieillards (1'), comédie. 439 Entrevue (!'), comédie. 449 Epoux réunis (les) , comédie-prov. 450 Esprit de parti au théâtre. 467 et suiv. Elizabeth de France, tragédie. 4,4 E'iska (ouverture d'), de Grétry. 485 Esprit public. 497 Elections attaquées au théâtre. 502 Evêques (les) traduits au théâtre. 5i6
F.
Famin (M.), auteur. 4 Fielding, auteur anglais. id. Francis (M.), auteur. 13 Faux Stanislas (le), comédie. 16 Folliculaire (le), comédie. 57 Fausse croisade (la), opéra comique. 64
Flatters (M.), sculpteur. 65 Félicie , opéra comique. ?5 Firmin, de la Comédie-Française. 80 Favart.
Foy ( la veuve et les enfans du général). 83 Femmes (sujets de pièces). 86 Fille du Musicien (la), drame. 100 Idem. 'o3 Francis (M.), auteur. 104 Fille du Portier (la), ou Paméla , va udevi1le. 106
Fétis (M.), compositeur. ^ 115 Famille normande (la), vaudeville. i3a
Fay (mademoiselle Léontine) ; son début au Gymnase. 135 Filets de Vulcain (les), ballet. 140 Fermier d'Arcueil (le), vaudeville. 180 Ferme et le Château (la), vaudev. id. Fontan (M.), auteur. ^ ^ 200 Fée du voisinage ( la), pièce de circonstance. 244 Fiorella , opéra comique. 260 Famille du Faubourg (la), vaudev. 296 Fausse magie (la), opéra comique. 309 Françoise deRimini, tragédie. 3t5 Fenêtre de Madrid (la), opéra com. 351 Folle de Glaris (la), opéra. ^ 358 Femme mariée (la), vaude-ville. 36i Ferville, acteur du Gymnase. ^ 364 Fer lotti (madame), cantatrice ital. 37° Figaro (les deux), comédie. 4°3 Fiesque et Doria, tragédie. 422 et suiv. Famille Gliuet (la), comédie. 446 Figaro (le mariage de). 47a Firmin, de la Comédie-Française. 476 Fontan (M.), auteur. 477 Famille Glinet (la), comédie. 509 Fronde (guerre de la). 510
9 G.
Genres dramatiques.—Leur confusion à l'Odéon. 2 Gendarmes (opposition aux). 8 Georges (mademoiselle), troubles à propos de cette actrice. 10 Gabriel (M.) , aut.ur. 13 Gardel (M.) , chorégraphe. 19 Georges ( mademoiselle). 28 Gamache ('es noces de), opéra. 39 Grassari (madame), de l'Opéra. 69 Grecs anciens et modernes. 76 Gersain (M.), auteur. io3 Gabriel (M.), auteur. id. Idem. 106 Gonthier, acteur (bénéfice de). 128 Gymnase. — Bénéfice des acteurs. id.
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Gonthier (mademoiselle) , arliste musicienne. 130
Gardel (M.), chorégraphe. 141 et 142 Gersain ( M. ), auteur. 157 Grecs (cause des). — Opinion publique. 174 Guénée ( M.), compositeur. 202 Gabriel (M.), auteur. au() Gardel (M. ), chorégraphe. 220 Gavaudan, de l'Opéra-Comique. 33; Gratis (spectacles ). 242 Gondelier (M.), auteur.
Gœthe. 275 Goldoni. id.
Garcia, compositeur et chanteur. id. Gymnase (le théâtre du). 296 Gondelier ( M. ) , auteur. 299 Gahrielle de Vergy, tragédie. 316 Gonthier, du Gymnase. 3291 Généreux par vanité (le), comédie. 348 Gymnase (le) $ pièces sifflées, pièces retirées. 362 Gardel, chorégraphe. 38o Guillaume Tell, drame lyrique. 481 Grétry. id. Gluck. S06
Garcia,chanteur itahen.—Sa mort. 514
H.
Haine d'une femme (la), vaudeville, 3 Henri V (la Jeunesse de), comédie. 16 Honneur et Préjugé, drame. 93 Héritière ( l' ), vaudeville. 126 Haine aux Femmes, vaudeville. 131 Héritage et Mariage, comédie. 136 Hérold, compositeur. 202 Halévy (M. Léon), auteur. 205 Hérold, compositeur. 280 Halévy (M. Léon), auteur. 284 Halévy (M), compositeur. 2 S5 Hussard de Felsheim (le), vaudev. 3.5 Hœndel, compositeur. 314 Haydn, compositeur. id. Héro1d, csmpositeur. 411 Hérédité monarchique. 415 Homme du Monde (1'), comédie et roman. 4u2 et stti%,. Hugo (M. Victor). 463 Halévy (M.), compositeur. 510
I.
Imprimeur sans caractère (1'), vaudeville. 11
Inès de Castro , tragédie. 18 Indiscret (1'), comédie nouvelle. 33
Idem, de Voltaire. 34 Idem, de Destouches. id.
Intrigue et l'Amour (l'), drame. 99 Imitation étrangère, au théâtre. 100 Innovations théâtrales. 157 Italiens et Français (chanteurs). 371 Imitations grecques et étrangères.
424 et suiv.
Incertitude. — Indécision , irrésolution dans les personnages du théâtre. 437 et suivImportant (1' ), comédie. 443
J.
Jeunesse de Henri V (la), comédie. 16 Jeanne d'Arc, tragédie. 23 Judith, tragédie. 28 Jawureck (mademoiselle), de l'Op. 69 Jenny Vertpré (mademoiselle) ; son début au Gymnase, ;5 Idem. 81
Joseph II, vaudeville. 106 Journaux; leur indifférence sur l'art. ? 140
Julien, ou Vingt cinq ans d'Entr'acte, vaudeville. 155 Jeune mari (le), comédie. 2^7 Joconde et Astolphe, ballet-pant. 280 JOllY ( M. de ), de l'Institut. 2ti5 Jeune Indienne (la), de Champfot't. 286 Joconde et Astolphe, ballet. 299 Julien dans les Gaules, tragédie. 3a» Jouy (M. de). id. Jéricho (la Prise de) , oratorio. 344 Jomelli, compositeur. irl. JOIIY (M. de). 347 Jovial (M. ), on l'Huissier chansonnier, vaudeville. 36 2 Journalistes et journaux. 3t)3 Jane Shore , tragédie anglaise. 447 Jouy (M. de). 459 Julien , ou Vingt-cinq ans d'Etitr'acte, vaudeville. 493 Jésuites. 5(10 Journaux au.théâtre. 5oa
K.
Kreutzer (M. Conradm), composil. 358
L.
Langlé ( M. Ferdinand ), auteur. 1 Laloue (M. Ferdinand), auteur. 5 Ladvocat (M.), libraire. _ 12 Lorrains (les trois), vatideville. 13 Leclercq (M. Théodore), auteur des
Proverbes. id.
Lebrun (M.), de l'Académie franç. '7 Liberté et patrie au théâtre. 3i
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Lemercier (M.)» de l'Académie française, retire sa pièce pendant la représentation. 44 Lemie- re ( M. ), compositeur. 65 Listz (M.), compositeur et pianiste. 66 Luxe et Indigence, comédie. 71 Lemierre (M.) , compos. et arrang. id. Lecomte, chanteur. 72 Léonidas, tragédie. 76 Lemercier (M. N.), de l'Académie française. 81
Leclercq (M. Théodore), auteur des
Proverbes. 90 Langlé (M. Ferdinand), auteur. 104 La Fontaine ( M. ), auteur.j 106 Leroy ( M.), auteur. id. La Fortelle (M.), auteur. 107 Legrand , acteur du Gymnase. 130 Louis XI, drame romantique. 156 Lassague ( M. ), auteur. 157 l'lem. 1,4 Loiguon ( SI. ), auteur. 201 Lemercier (SI.), de l'Académie., 202 Lassagne (M.), auteur. 211 Leycester, opéra comique. 239 Lafittc ( M. ), acteur et auteur. 243 Lassagne (M., ) , auteur. 244 Langlé (M. Ferdinand), auteur. 271 Lecomte (M. II.), dessinateur de costumes. 280 Louis XI, drame. 288 Loup-Garou ( le), opéra comique. 3°7 Lartique , de l'Opéra-Comique. 3o8 Lambert Symnel, comédie histor. 3a8 Lafont, acteur du Vaudeville. 329 Léontine Fay ( mademoiselle ) ; représentation à son bénéfice. 361 Louis XVIII. 363
Leclercq ( M. Théodore). 36'1 Liston, comédien anglais. 388 Leverd ( mademoiselle ), de la Comédie-Française. 392 Leborne (M.), auteur. 4o3 Lacroix ( M. ) , auteur. 4°4 Lemierre (SI.), compositeur. 406 Laitière de Slontfermril (la), vaud. 4i ^ Légitimité monarchique. ■ 415 Lovelace français, ou la Jeunesse de Richelieu, drame. 427 Liberté de la presse. 475 et 4,6 Licence de la presse en 1791 et en
1828. 4RI Lokrov. acteur. 488 Louis XVI. 4oi
M.
klnses à Paris (les) , vaudçville.. 1 Mo!iue , auteur d'opéra. 2
Slazères ( M. ), auteur. 4 Molière ( Anniversaire de la nais. sance de). 6 Marsotlier, auteur. 7 Mars ( mademoiselle). 1 [ Maisou à vendre, opéra comique. 16 Mars (mademoiselle). 19 Michelot. id.
Maçon (le), opéra comique. 37 Mercadente, compositeur italien. 39 Monarchie et république (gouvernement). 40 Slœurs publiques (pères et enfans). 55 Mozart, enfant et compositeur. 69 Motitano (madame), cantatrice. 72 Mainvielle-Fodor (madame), cantatrice italienne. 85 Mélesville ( M.), auteur. go Maxime, ou Rome sauvée, tragéd. 93 Mercier, dramaturge. 100 Mœurs publiques. 101 et suiv. Midi, ou le Pouvoir d'une femme, vaudeville. 105 Monnet ( M. ), auteur. id. Mélesville ( M. ), auteur. 106 Moreau (SI.), auteur. 107 Musson, mystificateur. id. Manteaux ( les), vaudeville. id. SIélesville (M.), auteur. id. Lient. 108 Mercier, dramaturge. id. Marguerite d'Anjou, opéra. 112 Mayer-Beer (SI. ), compositeur. id. Maignen ( M. ), auteur. 117 Mari vaux ; son th< àtre. 126 Maitresse au logis (la ), vaudeville, id. Mazurier, danseur de la Porte-Str.-
Martin. i3o
Montano (madame), cantatrice. 131 Mai -cé (M.), artiste-basse. 132 Mazères (M.), auteur. 139 Mély Jeaunin (M.), auteur. 156 Slœurs nouvelles; politiques et littéraires. id.
Slœurs publiques. — Leur changement par l'agiotage. i59,
Mazères ( M. ) , auteur d'un sujet de vaudeville. 180
Moeurs publiques (entreprises, jeu, spéculations). 182 Manie de briller (la) , comédie. i85 Mennechet (SI. ), auteur. 186" Mozart. ^ '97 Millionnaire (le), comédie. 201 Slartin-Saint-Ange (M.), auteur. id. Marie (SI.), auteur. id. Marie, opéra comique. a 202 Slaringes disproportionnés par l'age.
202 et 206.
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Mazères ( M. ), auteur. 213 Mariage de Raison (le), comédie-
'Vaudeville. 222 Mars ( mademoiselle). 243 Mariages disproportionnés par l'âge. 247 Mazères (M. ), auteur. id. Michelot, acteur. 253 Marcel, tragédie. 256 Maillard, ou Paris sauvé, tragédie en prose.
Morus (Thomas), tragédie. 263 Mort du Tasse ( la ) , opéra. 275 Montessu (madame), danseuse. 282 Mély-Jeannio ( M. ) , auteur. 288 Monrose, de la Comédie Française. 295 Myope (le), vaudeville. 297 Mazères ( M. ), auteur. 31 1 Minette (mademoiselle), actrice du
Vaudeville. 312 Marcel, tragédie. 336 Mars (mademoiselle). 342 Michelot, de la Comédie-Française, id. Moïse, opéra. 343 Messie ( le), oratorio. 344 Mariage par procuration (le), com. 366 Moriacchi (M.), compositeur italien. 371 Mazères (M.), auteur. 372 Mœurs publiques; noblesse, bourgeois, industriels, banquiers.
372 et suiv. Macbeth, opéra. 380 Marseillaise ()a/, hymne. 381 Maison à vendre. id. Mérimée (M.), auteur. 382 Mars (mademoiselle); son talent;
ses succès; ses prétentions ; son influence. 394 Martelli ^ auteur et comédien. 4°3 Mer viHe (M.), auteur. 4o5 l,50 et 1827, ou les deux Paris, vaudeville. 407 Marchands, nobles et financiers. id. Mœurs publiques, idem. id. Martignac (M. de).
Ma rie de Brabant, tragéd.et poëme. 4^6 Mère coupable la), drame. 437 Mariage d'Argent (le), comédie. fos Mœurs modernes. 428 et suiv. Mariage d'Argent (le), comédie. 442 Merville (M.), auteur. 446 Mariages. — Séparation et rapprochement. 449 Misantropie et repentir, drame. id. Mazères (M.), acteur. 52 Mély-Jeannin (M.), auteur. 55 Muette de Portici (la) , opéra. 164 Ministère-Villèle. 468 Mariage de Figaro (le). A/2 Mars ( mademoiselle ). 4/3,
Merson (mademoiselle de), de la
Comédie-Française. 73 Mon rose, de la Comédie Française. 74 Manie des places (la), farce-vaudev. 49° 1750 et )8'17, vaudeville. £93 Métanie,ou la Religieuse, drame. 49t Marseillaise (la). 497 Musique (révolution de la). 505 et suiv. Moïse, opéra. 507 Muette de Portici (1a), opéra. id. Maison du Rempart (la), com.-vaud. 5o8 Mélesville (M.), auteur. id. Malibran (madame). 513
N.
Noël (madame), de l'Opéra.. 3 Nourrit (Adolphe). 69 Nicolas Remi, vaudeville. 180 Nozze di Figaro ( le), opéra italien arrangé en français. 197 Neveu de Monseigneur (le), opéra. 201 Nourrit père. 219 Nourrit ( Adolphe ). id. Nobtet (mademoiselle), danseuse. 282 Nouveautés (ouvertures du théâtre des). 3oo Nephtali, oratorio. 345 Napoléon. 495
0.
Odéon, sa dégradation. 2 Oies du frère Philippe ( les), opéra comique. 5 Ovations théâtrales. 6 et suiv. Opposition dans le caractère français. 1 Opéras religieux, moraux et monarchiques. 19
Opinion publique (les Bourbons et l'Angleterre). 26
Opéras religieux, moraux et monarchique. 66 Odéon, son genre , sa situation. 69 Ovation théâtrale. 99 Odéon, son genre, son danger comme théâtre. 1 n
Odéon , son existence. — Retraite des acteurs tragiques. 117
Opinion publique. — Politique; re-
1igion. 119
Opinion publique. — La cluse des
Grecs. 174
Opéras italiens.—Autrefoiset maintenant. 217
Ovations théâtrales. — La Dame blanche. — Le Siége de Corinthe. — Les Créoles. 238 Odéina,ou la Canadienne, vaude". 286
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Ourika, roman de madame de
Duras. 286 -Oreste, tragédie. 288 Oratorios , leur origine, leur genre. 343 Oncle Philibert (1') , comédie. 364 Opinion publique. —Nobles, banquiers, industriels. 372 Officier de fortune (1'), comédie. 446 Opinion publique. 473 Idem. 493 et suiv. Ory (le Comte), opéra. 504 Opéra ( mouvement et changement des genres). 5o5 Œdipe, opéra. 5o6 Opinion publique. 5i6
P.
-Police (réglement de) qui défend aux acteurs de reparaître après le • spectacle. 7 Philippe et Georgette, opéra com. id. Prisonnier (le), opéra comique. 16 Planard (M.), auteur. J9 Programme d'opéras religieux, moraux et monarchiques. 21 Pierre-le-Grand, tragédie. 46 Pères et enfans (leurs relations sociales). 55 Pichaldt (M.), auteur. 76 Pouchard , de l'Opéi-a Comique 85 Princesse des Ursins (la), comédie. 86 Plagiat ou emprunt littéraire. 90 Préjugés. ^ 94 Passions au théâtre. 101
Paternité (atteintes à la). 101 etsuiv. Père de famille (le), drame. 102 Paméla, ou la Fille du portier,
■vaudeville. 106 Pasta (madame). 114 Plaideurs (les), de Racine. 119 Pain (M.), auteur. 131 Portrait d'un ami (le). 133 Picard, auteur. 139 Pantomimes et ballets (leurs différences). 142 Pauline, ou Brusque et bonne, com. 147 Plaçe à donner, vaudeville. 152 Pélissier (M.), auteur. 171 Pêche de Vulcain (la), parodie-vau-
devillc. 173 Picard (M.), auteur. IS2 Planard (M.), auteur. 202 Pillet(M. Gustave), auteur. 207 Pillet ( M. Fabien ), père du précédent. ^ id.
Pères, enfans et supérieurs. 212 Panseron (M.), compositeur. 244 Préciosa, opéra de Wéber. 255
Plagiats dramatiques. 280 Pollet (madame) et son fils, harpist. 3og Picard, auteur. 328 Passion (la), oratorio. 344 Poèmes dramatiques hébreux et chrétiens. 3 £6 Picard, auteur. 348 Philosophe en voyage (le), op. com. 351 Paris et Londres, pièce de théâtre. 359 Pain (M. Théodore), auteur et grammairien. 366
Perkins Warbec, vaudeville. 367 Pastorella feudataria (la), opéra itaI. 370 Pisaroni (madame). id. Pasta (rnadRme). id. Picard, auteur. 372 Passé, Présent et Avenir, comédie. 373 Prise de Toulon (la), opéra com. id. Petit (M. Anatole), comp. de ballets. 377 Proverbes au Château (les), pastiche de MM. Rochefort et Paulin Duport. 38a Perrier, de la Comédie-Française. 392 Prison de Pompéi (la), tragédie en un acte. 404 Première affaire (la), comédie. 405 Pasta (madame). 406 Paris (les deux), ou 1750 et 1827, vaudeville. 407
Paysan perverti (le) , pièce en trois journées. 410 Pharamond, opéra. 425 Public moderne au théâtre. 433 et s. Peintres au 1ge biècle. id.
Public moderue (le). l142 et suiv. Peyronnet ( M. le comte de). 468 Presse (liberté de la). 475 et 476 Perkins Warbec, drame historiq. 477 Public moderne au théâtre. 478 Pélissier (M.), auteur. 484 Pyracmond , drame lyrique. id. Picard, auteur. 5o3 Passé, le Présent et l'Avenir (le), comédie. id.
Poirson-Delestre (M.), auteur. 504 Panurge, opéra. 5o5 Prétendus (les), idem. id. Politique au théâtre (la). 509
Q.
Quarantaine (la), vaudeville. 126 Quinze et Vingt Ans, com.-vaud. 3oo Quatre Ages (les), comédie. 446
R.
Romieu (M.), auteur. ^ 1 Roman à rendre, comédie. lU
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Ttoyauté (de la) au théâtre» 17 etsuiv. Royou (lU.), auteur. 39 Royauté et république. 40 République ancienne et moderne. id. Roman (le), comédie. 5o Robin des Bois, opéra. 69 Rossini. id.
Rousseau (M.) , auteur. 71 Rigault(madame), de l'Opéra-Com. 85 Rienzzi, tragédie. 96 Robespierre. 98 Révolution au théâtre. 99 et suiv. Rossini. io3 Rougemont (M.), auteur. 106 Rossini. 11 3 Racine, ou la 3" représentation des
Plaideurs. 117 Roman par lettres (le), vaudeville. 126 Rougemont (M. de) , auteur. 128 Représentations à bénéfice. 128 et suiv. Richard-Mutée (madame) ; sou débutau Gymnase. 132 Règles dramatiques. 155 Romantisme; son invasion au théâtre. id.
1\évotution théâtrale et politique. 157 Ribouté (M.) , auteur. 164 Riffault (M.), compositeur. 171 Rochefort (Si.), auteur. 174 Régence (agiotage sous la). 184 Ruses de Nicolas (les), parade angl. Ig8 Romieu (M.), auteur. 202 Rousseau (M,), auteur. 211 Rougerçont (M.) , auteur. 213 Rossini. 218 et suiv. Rosemonde, tragédie. a38 Rochefort (M.), auteur. 244 Rolle (M.), compositeur. id. Rousseau (M.), auteur. id. Rossini (attaques contre). 21 6 Robin des Bois, opéra. a55 Rongemont (M. de), auteur. 256 Révolutionnaires au théâtre. 258 Rois et royauté au théâtre. 292 Rues et les Passages (les), vaudev. 3o5 Rousseau (M.), auteur. 314 Rotschild(M.); allusions. 340 Représentations à bénéfice. 341 Rousseau (J.-J.). 345 Rossini. 346 Riquet à la Iloupe, vaudeville. 361 Roger (M.), de l'Académie franç. 363 Ressemblances au théâtre. id.
Roman (le), comédie. 374 Rouget de Lisle (M.), auteur de la
Marseillaise. 381
Romantique et classique. 382 et suiv. Rossini. 4o6 Rougemont (M. de), auteur. 407
Révolution politique par le théâtre. et suive Racine. 4'13 Russie (six mois en), roman. 426 Roman (le), comédie. Â39 Riches (les deux), ou la Sœur, coin. 446 Rapprochemeus. — Ressemblances d'ouvrages. 459
Révolution politique par le théâtre. 464 et suiv.
Idem. 472 t de m. 481 et suiv. Rossini. 484 Roméo et Juliette, tragédie de
M. Soulié. 485 Idem, de Ducis. 487 Romantique et classique. 488 Révolution politique par le théâtre. 49° Rougemont (M.), auteur. 491 Révolution politique par le théâtre. 493 et sui v.
Réforme des lois et des mœurs. 4!)1 Religieux ( vœux ). id. Rossini. 504 Résolution musicale. 505 et suiv. Rossini. — Ses imitateurs. 5 1 1 et suiv.
S.
Second Théâtre-Français ; sa dégradation. 2
Sauvage (M.), auteur. 4 School for scandai (the). id. Shéridan. id. Saint-Hilaire (M.), auteur. 5 Samson (M.), auteur et acteur. 6 Suites d'un Bal masqué ( les). Il Somnambule mariée (la), vaudev. 13 Soumet (M.), auteur. a3 Scribe (M.). 37 Saint-Aime (M.), auteur., 64 Sanche (don), opéra. t6 Sultanes (les trois), vaudeville. 80 Souscription pour lesenfans du général Foy. 83 Semiramide , opéra italien. 8j Scribe (M.), id. Idem. 90 Schiller, auteur allemand. 99 Sedaine. 100 Suicide, au théâtre. 101 Semiramide , opéra italien. io3 Salle des Pas-Perdus (la), vaudev. 104 Saint-Hilaire (M.), auteur. 105 Scribe (M.), auteur. 107 Silence singulier à une première représentation. 108 Sauvage (M.), auteur. 112
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Scribe (M.) ; sa manière ; son théâtre. 115 Samson (M.), auteur et acteur. 121 Scribe (M.), imitateur de Marivaux. 126 Idem. 132 Simple histoire, vaudeville. 135 Scribe (M.). id. Schneitzhoeffer (M.), compositeur. 140 Scribe (M.). 146 Saintine(M.), auteur; son véritable nom. id. Sentimens contrariés (effets des). 147 Saint-Cyr(M.Reveroni de), auteur. 158 Spéculateur (le), comédie. 159 Sewrin (M.), auteur. 181 Sauvage (M.), auteur. 202 Scribe (M.) et les vaudevillistes. 211 Siége de Corinthe (le), opéra. 216 Soumet (M.). aiSetsniv. Scribe (M.). 222 Sonnettes au théàtre (innovation scénique). a35 Siége de l'Opéra (le), vaudeville. 245 Sedaine. 257 Scribe (M.). 262 Idem. 297 Saint-Hilaire (M.), auteur. 3o6 Scribe (M.). 311 Silvio Pellico. 318 Sacrifice d'Abraham (le), oratorio. 344 Saül, oratorio. id. Scribe (M.). 35a Saintine (M.), auteur. id. Sauvage (M.), auteur. 358 Schiitz (madame) , cantatrice. id. Sylla, tragédie. 363 Sicilien (le), ballet. 377 Schneitzhoeffer (M.), compositeur, id. Sor (M.) , idem. id. Smithson (miss) ; son début. 38g Soumet (M.), de l'Académie franc. 3g Schutz (madame), cantatrice. ~^4°6 Saint-Georges (M.), auteur. 407 Simonnin (M.), auteur. id. Somnambule (la), ballct-pantom. 4 1 1 Scribe (M.), auteur. Â12 Saintine. (M ), auteur. 4'22 Shakspeare. 4a4 Schiller. id. Scribe (M.) ; les auteurs et le public
à son égard. et suiv. Spéculateur (le), comédie. 439 Sœur (la), ou les Deux riches , comédie. 446 Son ta g ( mademoiselle ). 447 Smithson (miss). 448 Scribe (M.). 464 Soumet (M.), de l'Académie franç. 4?4 Schiller. id.
Sedaine. 481 Sou1ié (M. Frédéric), auteur; 485 Scribe (M.). 490 Idem. 491 Syriès de Marinhac (M.). 5oa Siége de Toulon (le); pièce révolut. 5o3 Scribe (M.). 5o4 Sacchini. 5o6 Spontini. id. Siége de Corinthe (le), opéra. 5°7 Semiramide, opéra italien. id. Saint-Aulaire (M. de), historien. 5io
T.
Tom-Jones; roman. 4 Tartufe. id. Tartufe de mœurs (le), comédie. id. Troubles au théâtre. 8 et suiv. Théaulou (M.),auteur. 13 Talma. 19 Tragédie (la) autrefois et à présent, 29 Théaulon (M.), auteur. 33 Troubles au théâtre. 43 Théaulon (M.), auteur. 66 Talma. 79 Trois Sultanes(les), coméd. et vaad. 80 Théâtre (le) en 1790 et en 1826. 99 Tragédie et drame; leurs effets, leurs différences. 10 1
Testament de Polichinelle (le), vaudeville. 107 Talma. m Tartufe (le). 120 Timide (le), opéra comique. 144 Talma. i5fr Talma (sa mort). 176 Théaulon Pl.), auteur. 2:2 Théâtre (ancien). ai5 Tilly, de l'Opéra-Comique.
Théaulon (M.), auteur. 244Idem. 245 Thomas Morus, tragédie. 26J Tasse (le), drame historique. 371 Idem. 299 Théaulon (M.), auteur. 299 Trognon (M.), traducteur. 3,8. Talleyrand (M. de) ; allusion. 340 Tony, vaudeville. 361 Théaulon (M.), auteur. 36» Idem. 3 6t Talma. id. Théaulon (M.), auteur. 369 Thçbaldo e Isolina, opéra italien. 371 Trois Quartiers (les), comédie. 372 Talma. 402 Tirpenne (M.), auteur. 403 Tragédie en un acte. 404 Tancrède, opéra français. 406
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Théaulon (M.), auteur. 410 Tibère, tragédie de M. L. Arnault. 453 Théâtre (licence du) en 1791 et en
1828. 481 Taglioni (mademoiselle). 515
u.
Ursins (la Princesse des), comédie. 86 Unités ^règles des) ; leur -violation.
155 et suiv. Idem. 292 Usurpation et légitimité. 415 et suiv. Ursins (la Princesse des), comédie. 459
v. w.
Vaudeville à l'Odéon. 2 Warwick, tragédie. 18 Weber, compositeur. 69 Vaudevilles modernes. 74 Vêpres siciliennes (les), tragédie. 99 Wailly (M. Gustave de), auteur. id. Vulpian (M.), auteur. io3 Varner (M.), auteur. 107 Vigny (de), acteur de la Comédie-
Française. 108 Vieille (la), opéra comique. II5 Vulpian (M.), auteur. 128 Vinit (M.), artiste hautbois. 130 Vulpian (M.), auteur. 157 Vauban à Charleroy, drame. id.
Vial (M.), auteur. 158 Viroflay (le maréchal de), vaudet. 177 Vaudeville (sujet de). id. Vendôme (le Duc de), opéra. 186 Vaudeville (le) ; sa situation. 211 Veuve de quinze ans (la), vaudev. 2t a Varner (M.), auteur. 222 Vieilles femmes amoureuses. 239
Vulpian (M.), auteur. 244 VVéber, compositeur. a54 Voltaire.
Weigel, compositeur. 287 Vaudeville (le théâtre du). 296 Varner (M.), auteur. 297 Villeneuve (M.), auteur. 3o6 Voltigeurs de l'armée de Condé. 363 Wailly (M. Gustave de), auteur. 364 Vnccai (M.), compositeur italien. 370 Vigée, auteur. 449 Villèle (M. de). foi Ilem. 468 Woodstock (le Château de), coméd. 469 Vœux religieux. 494 Vive Henri IV ! 498 Visitandines ( troisième acte des), opéra révolutionnaire. 5o3 Vestale (la), opéra. 5o6 Viaggio à Reims (le), opéra italien. 507 Vidocq (mémoires de). 516
z-
Zelmira, opéra italien. 113
FIN DE LA TABU*JHw$gUXlÈM£ TOLUME.