PHILOSOPHIE
P 0 'L 11-1 1 Q L E DE BÉRÂNGER
PAUL BO1TEAU
PARIS
K I! I! 0 T l.N L IBli A 1 1! E K I) 1 T K II I', W Il U K FUS TA I N K -M U I. I K I! l\ si
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DE LA LIBRAIRIE
41 rue Fontaine-Molière, 41
DERNIÈRES CHANSONS
pe r. j.
DE BËRANGER
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PHILOSOPHIE ET POLITIQUE DE BERANGER
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PHILOSOPHIE
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POLITIQUE DE BÉRANGER
PAR
PAUL BOITEAU
Auteur de la brochure Erreurs des Critiques (le îiêrunyer.
Pallie et Liberté
PARIS
PERROTIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR 41, BUE FONTAINE-MOLIÈRE, *t
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t
L'aulenr et l'éditeur se réservent le droit de traduction.
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INTRODUCTION
Patrie et Liberté.
J'ai essayé, dans un écrit récent', de dire la vérité sur l'étrange polémique que la mort de Béranger a fait naitre j'ai expliqué comment de petits ressentiments romantiques ont été le premier ferment de tant de fausses colères comment depuis dix années, sous le poids des événements et devant la nécessité de sacrifier, par notre faute, ou la liberté ou l'ordre, nous nous sommes dupés les uns les autres comment nous avons été faibles et ensuite injustes pour dissimuler notre honte; et comment, à la grande joie des ennemis de la p'ensée, nous sommes arrivés à cette ridicule et affligeante ignominie de rejeter tous nos torts, toutes nos faiblesses, sur un seul homme, et de proscrire enfin, comme un fauteur de désordre à la fois et de servitude celui qui, en réalité, représentait avec tant d'éclat et d'une manière si digne du génie français la liberté et l'ordre unis ensemble.
Rien n'est plus périlleux pour un peuple que l'habitude de l'injustice; aussi ce n'était pas seulement un devoir de piété 1 Erreurs des critiques de Béranger,; in-3?, chez tous les libraires (juillet 1858).
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'que j'avais à remplir envers une chère mémoire, c'était un ,effort que je voulais faire pour rappeler l'esprit public au respect de soi-même et au souvenir des temps où il était digne d'estime. Encouragé par de nombreux et d'excellents suffrages, j'essaye maintenant, d'accomplir toute la lâche que je m'étais imposée.. Il ne suffit pas eu effet d'avoir convaincu tel ou tel écrivain honorable d'une erreur et tel ou tel autre d'une triste connivence avec des gens méprisables, il faut encore, pour l'honneur de la raison humaine, dégager la belle doctrine de Béranger du milieu de ces querelles marécageuses. Comme Molière au dix-septième siècle, et, au dix-huitième, Voltaire, liéranger a été parmi nous l'un des grands instituteurs de l'humanité ignorante et intolérante. On a feint de méconnaître les vertus de sa philosophie et les ressorts de sa politique; mais cette politique et cette philosophie ne sont pas de celles que la mode amène et bannit.: c'est le bon sens même d'un nouveau Socrale qui se sert tour Ù tour de la langue d'Anacréon et do la langue de Pindare. C'est encore la hardiesse, la franchise, la simplicité d'un plébéien né aux environs de la grande année 1780 et resté jusqu'au dernier jonr le cœur plein de l'enivrement, de la confiance, de l'espoir, qui saisit alors le cœur de la France. Si nous voulons un guide pour continuer notre mar.elle, il partir du point où nous a surpris et arrêtés l'orage, n'en 'cherchons pas un autre c'est Déranger qu'il faut suivre. Nul n'ignore que tontes nos dernières mésaventures et nos constantes inquiétudes viennent de l'esprit de jalousie qui s'est ezrzparé des uns et de l'esprit de crainte qui a énervé les autres; nul ne prévoit quand viendra le jour, non pas de la réconciliation passagère, mais de l'uniou inévitable et indissoluble. Et «'est dans cet égarement, dans cette terreur, dans cette ̃; .anxiété, que nous courons aux remèdes des empiriques C'est dans cet impérieux besoin de clarté que nous jetons le boisseau sur la lumière Il ne dépend pourtant que de nous seuls ,[ de réâler enfin le débat qui nous a croûté déjà tant de larmes faut de sang inutile et de réunir en un mêmes faisceau les
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deux bannières, aujourd'hui divisées, de la liberté et de l'égalité
des citoyens.
J# disais dans les Erreurs des critiques et je
répète
cc Ceux qui ont le bonheur d'être instruits ont besoin de li-
berté, comme les autres ont besoin d'égalité. La liberté et l'é-
galité sont au même titre un pain nécessaire. Béranger le savait
et le disait. Pourquoi perpétuer un duel insensé? Lorsqu'il veut
instruire le peuple à la clémence, pourquoi déclarer qu'il n'a
plus le droit d'être écouté, qu'il n'est plus un grand poêle ni
Il grand citoyen ni un honnête homme? Sa voit seule a un
pouvoir magique, et vous l'étouffez! » Non, elle ne se taira pas;
il faut qu'elle parle et qu'on l'écoute.
Est-ce en effet une ingénieuse idée de salut public que cette
espèce de succès qu'on n'a pas craint de faire au dernier ou-
vrage de M. Proudhon, philosophe et économiste dont assuré-
ment je suis loin de nier la science, quoique incomplète, le
talent, quoique inégal, la sincérité, quoique vaniteuse, l'hon-
nêteté même, quoique trop rude, mais qui, avec des pen-
sées sans doute généreuses, va tout droit à l'anéantissement
de ce qu'il y a d'élevé dans la nature humaine, et qui d'ail-
leurs se trompe dangereusement dans la moitié des points de
sa thèse extraordinaire. Voilà bien la marque de l'abaisse-
ment du sens commun: on jette sans scrupule un blâme frivole
sur les œuvres du poêle de la raison mesurée, et l'on accorde
sans scrupule un sourire plus frivole encore aux bizarreries
périllcuses d'un écrivain qui a osé sortir avec fracas des limites
de la raison! Les mêmes gens pensent ainsi que M. Veuillot, par
exemple, n'est pas sans quelque motif lorsqu'il s'attaque à la
mémoire de Béranger, et ils pensent, avec la même tranquillité
d'âme, que le dernier ouvrage de M. Proudhon est de presque
toutes parts admirable. 0 multitude des beaux esprits de salon,
c'est donc à vous aussi que s'adresse le vers d'Horace:
Nos numéros sumus et l'ruges consumera n;ili!
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Et tout va de même dans l'ordre intellectuel. Je ne sais vrai-
ment s'il y a un millier de personnes en France qui tiennent
encore à honneur de réfléchir avant de parler et qui examinait
les opinions des autres avant de s'en donner une. Que veut-on que le peuple admette comme juste et vrai quand soi-même ou
n'a point de règle de jugement et à peine une règle de conduite
Quelle créance veut-on qu'il ait dans nos déclarations, si souvent changeantes? Un exemple entre mille. Tel journal qui,
en 1848, défendait depuis trente ans le gouvernement représentatif, la liberté de la presse et la philosophie, couvre aujour-
d'hui d'injures et taxe d'incapacité quiconque est resté fidèle
aux idées qu'il encensait tous les jours. Sont-ce de nouveaux
rédacteurs qui se chargent de cette nouvelle catéchisation du public? Pas le moins du monde. Celui-là même qui a dit blanc
dit noir sans vergogne. Il faudrait pourtant avoir quelque pu-
deur et songer à la déplorable influencc que ces changements
vue peuvent produire sur la morale politique, d'une nation.
S'ils se sont trompés autrefois, qn'ils se taisent, qu'ils se re-
pentent, qu'ils se frappent la poitrine dans le silence de la vie
privée; s'ils avaient raison, qu'ils se taisent encore et du'ils
rougissent, car ils ont tort, et ils le savent.
De droite et de gauche, dans ce désordre, arrivent, toutes
fières des propositions de haute politique. L'un affirme, que la 1 France n'a pas hesoin de liberté, l'autre pense plus simplẽ ment qu'elle n'en veut pas un troisième abstracteur de quintessence prouve avec aisance que la liberté est morale le 5
'̃̃̃ mai 1789. Le commun des hommes d'État se dit rassasié, d'éloquence et ne voit plus dans le régime parlementaire qu'un
produit étranger qui doit être consigné désormais dans les
bureaux de la douane.
Il n'est pas jusqu'aux fameux principes de 1789, dont.le
nom décore si brillamment le frontispice de la constitution
actuelle de la France, qu'il ne soit extrêmement difficile de
définir. Qu'est-ce en effet que ces principes? Puisque la con-
stitution les reconnait, les confirme, les garantit comme la base
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du droit public des Français, quelqu'un qui dirait bien nette-
ment en quoi ils consistent rendrait service à tout le monde.
La première idée qui vienne à l'esprit, c'est de lire le préambule
et les principaux articles de la constitution de 1791. Il semble
en effet que, puisque c'est là le premier grand acte constitutif
de la nouvelle société française, on y doit trouver ce que
l'Assemblée constituante regardait comme les principes im-
muables de la Révolution. On y voit alors qu'il n'y a plus de
noblesse en France ni aucun titre féodal, que la loi ne re-
connaît pas les vœux religieux, que nul ne peut être arrêté
ct détenu que selon les formes déterminées par la constitu-
tion, que la liberté de ln presse, la liberté des cultes et la
liberté de réunion, ne saturaient être en aucun cas atteintes
par des lois ultérieures, que les citoyens disent ou choisis-
sent les ministres du cultes et les juges. L'on y voit bien
d'autres choses encore qui ont été supprimées dans toutes les constitutions postérieures à celle de l'an 111 et qui n'ont point
nominativement reparu dans la constitution de 1852. Quels
sont donc les principes de 1789?
La réponse est facile s'il suffit d'indiquer les principes dont
aucun pouvoir ne saurait refuser l'exercice aux citoyens: elle
est impossible si l'on en désire davantage. Dans une des der-
nières séances du Sénat, il propos du projet, de loi voté par
le Corps législatif pour lc rétablissement de l'ancien article 259
du Code pèrial, le rapporteur de la commission a dit, d'un
ton qui n'admet pas de réplique, que, clès le 4 août 1789,
l'Assemblée constituante n'était plus dans les voies de la sa-
besse et du droit, et que la constitution de 1791 n'est pas du tout le dépôt des principes de 1789; qu'il faut faire un choix,
en un mot, parmi les actes législatifs de l'Assemblée consti-
tuante et qu'il faut le faire très-limité. Cette assertion n'est pas
pour rendre plus aisée la définition dont il s'agit. Nous voilà
enfermés entre le 5 mai et le 4 août 1789. Or, entre ces
deux dates, aucun des principes de la constitution de 179J
n'a 'été encore reconnu par un acte législatif.
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On peut donc dire que les principes de 789 ne sont pas
définis nettement. Quelle cause d'incertitude pour les uns ou
d'indifférence pour les autres dans l'exercice de leurs droits
et dans l'accomplissement de leurs devoirs
Si les points les plus importants de la législation supérieure
ne sont pas encore fixés; si, après tant d'efforts, on n'est pas
encore arrive à déterminer les limites au delà desquelles l'au-
torité se heurte forcément contre des principes immobiles;' si
les grandes questions de la liberté et de l'égalité peuvent ton-
jours être un sujet de dissertation, qu'y a-t-il d'étonnant ü ce
que l'on se soit laissé dégoûter de la politique? Qu'y a-t-il de
plus naturel que de voir les opinions les plus diverses se dé
battre entre elles dans l'obscurité et, d'entendre déclarer les
plus odieuses affirmations dans le silence universel?
Mais, si tout s'explique, rien ne s'excuse. Nous sommes tous
coupables, et plus que nons ne croyons l'être. Quand nous arra-
cherons-nous au joug du fatalisme qui, depuis soixante-dix ans,
opprime notre histoirc? Jusqu'ici nous avons si peu lutté pour
nous en affranchir, que nous l'avons introduit et adoré dans nos
livres. « Les événements seuls sont quelque chose, dit-on, sont
seuls coupables, responsables seuls. La Révolution poursuit ce-
pendant son invincible cours, et tout est à merveille. »
II est temps que ces phrases soient retranchées de notre
langage. C'est nous qui pétrissions les événements, c'est nous qui
faisons l'histoire c'est nous qui voulons jouir de vingt gouver-
nements en soixante années et qui, sans embarras, passerions de
la licence à la servitude, et. de la servitude à la licence. C'est
nous enfin qui, jusqu'à cette heure, avons chassi, des lois la
vraie liberté, qui avons troublé et ruiné les constitutions.
A en croire les déclamateurs, l'esprit français a besoin de ces
agitations, de ce tapage, de cette ironique manière de brave
les destins, et, par conséquent, nous ne sommes pas au bout
de nos plaisirs. Si, en 1795, l'évoque de Paris vient déposer sa
crosse, sa mitre et ses lettres de prêtrise sur le bureait du pré-
sident de la Convention, en 1824 M. de Bonald, dans la Cham-
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bre des députés, demandera que l'on renvoie devant son juge
naturel, c'est-à-dire que l'on décapite quiconque a porté la
main sur l'autel; si, en 1851, le peuple de Paris jette dans la
rivière les croix et les bannières de l'archevêché, en 1858
M. Veuillot trouvera des badauds qui le prendront pour un pro-
phète. Quel heureux agencement de contradictions! C'est, je
crois, la spirale que décrit l'humanité en quête d'une civili-
sation meilleure. N'y a-t-il pas moyen de sortir de la spirale
et de marcher son droit chemin?
Il y en a un sans aucun doute, c'est de vouloir voir clair dans:
ce que nous appelons la démocratie, la Révolution, l'autorité, la
liberté, l'égalité, la philosophie, l'esprit religieux, l'Eglise ca-
tholique, et nous y verrons clair dès aujourd'hui si nous faisons
passer toutes les théories et tous les systèmes sous la critique
de l'ancien bon sens français. Un grand politique, le Suédois
Axel Oxensticrna, écrivait un jour a son fils « An nescis, n2i
fili, qnantilla prudentia regitur orbis? Ne sais-tu pas, mon fils,
combien il faut peu de chose pour gouverner le monde? » Ce
peu de chose, c'est du bon sens. On a indiqué, en désespoir de
cause, mille rcmèdes extraordinaires pour nous guérir de nos.
maladies politiques et religieuses revenons sans plus d'enquê-
tes il la simple raison; pratiquons enfin la philosophie et la politique du sens commun.
Au siècle dernier, avant la Révolution, la France a eu Vol-
taire, qui a réglé en grande partie les comptes de l'ancien'
monde. Nous avons Béranger pour nous expliquer la Révolu-
tion et nous tirer de ses ornières.
Ce serait un enfantillage que de dire que Béranger, qui a été'
un grand poëte et un citoyen sage, est aussi le plus instruit
de nos philosophes et le plus habile de nos politiques, qu'il ai
eu toute science infuse et même la divination de l'avenir; mais
il est certain qu'aucun poëte, qu'aucun philosophe, qu'aucun
politique, n'a disposé d'une telle influence, et que ses œuvres,
contiennent de quoi rectifier notre jugement, clarifier nos idées,.
affermir notre raison, réveiller nos espérances et réchauffer
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nos cœurs. Sa doctrine a été indignement défigurée mais peut-
être n'est-il pas impossible de la rétablir et de la résumer en
quelques pages. Je voudrais y réussir, et, comme la première
vertu de son âme était la tolérance, j'aurai soin de ne mettre
dans ce catéchisme d'autre passion que l'amour des hommes et
de la vérité. L'histoire est là pour servir de commentaire à ce
résumé nouveau des œuvres de Béranger. Je l'emploierai au besoin, et j'ai la conviction que ce travail n'aura pas été inutile. C'est comme un cours de raison française à l'usage de ceux
qui n'ont pas intérêt à abêtir leur raison.
Socrate a eu Platon et Xénophon pour historiens de sa vie et commentateurs de ses discours. Béranger, heureusement,
se passe d'interprètes, il a lui-même pris la parole devant la
postérité.
Ses chansons, sa trop rapide biographie et le recueil si inté-
ressant de ses lettres, voilà les textes où l'on viendra prendre
longtemps des leçons de sagesse pratique. Jusqu'à ce qu'elles
soient publiées, il n'est pas convenable que l'on se serve de ses
lettres; mais Ma Biographie et les Chansons permettent bien
d'attendre. Le peuple, d'ailleurs, ne connaît guère que les chan-
sons. Nous rouvrirons ces petits volumes, si étrangement tra-
vesiis, si opiniâtrement calomniés, et nous verrons ce que Béranger a réellement pensé des principaux problèmes de la
politique et de la philosophie contemporaine.
On fait des montagnes de tout. « Quoi vous voulez parler de
ces choses sérieuses à des gens qui sont si aises de n'avoir plus
à s'en occuper? Vous ne craindrez peut-être pas de nier la sin-
cérité ou la longévité du mouvement religieux qui semble s'être
emparé des âmes? Vous oserez dire que la liberté de penser, de
parler et d'écrire, est imprescriptible, qu'on peut en suspendre un temps l'exercice public, mais qu'on ne saurait la détruire,
et qu'il n'y a pas de système gouvernemental à bâtir solide-
ment suù sa ruine. » Je l'oserai sans doute, et ne croirai pas
avoir eu besoin de beaucoup d'audace. En quel moment de
l'histoire vivons-nous pour qu'on rencontre à chaque pas de
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ces avertisseurs si faciles à émouvoir? Est-ce que nous ne som-
mes plus aujourd'hui les hommes que nous étions il y a dix ans,
doués des mêmes forces, investis des mêmes droits? Qui avoue
qu'il sent son héritage amoindri? Qui provoque à porter les mains sur sa raison ? On doit le respect aux lois établies on
se doit aussi respect à soi-même Déranger vous l'aurait dit.
Encore des montagnes « Quoi! vous croyez qu'il est facile de
traiter ces matières, et vous pensez avoir la force de distinguer
ce qui est vrai de ce dui est faux! Mais les plns grands génies
se sont consumés sur ces études La seule théologie, que vous
supprimeriez d'un trait de crayon, a absorbé des millions d'in-
telligences dans les presbytères, dans les cloîtres, dans les con-
ciles Et, quant la politique, ne vous rappelez-vous pas ces
discussions admirables (et interminables), qui, pour les phts
petits détails, tenaient huit jours la tribune occupée et reten-
tissaient de là dans tous les journaux de l'Europe? Supposé
sans péril, l'inventaire que vous allez dresser vous accablera vite. » Mais je n'ai pas dit que je voulais composer une Somme
politique et philosophique; je n'aspire qu'à mener à sa dernière
page un petit abrégé des leçons du maltre.
Ne parlons d'ailleurs ni de difficulté ni de péril. Le sens com-
mun dit que tout homme est juge dans cette cause, et qu'il est
inutile d'introduire toujours des mystères dans ce qui doit être
le domaine nécessaire de tous les esprits. Ce sont les compli-
rations théoriques, les arguties de l'exégèse et de misérables
querelles de mots qui ont corrompu les idées simples et les
notions certaines. Les hommes n'ont pas besoin d'avoir lu la
Critique de la raison pure de Kant pour connaître la philo-
sophie naturelle et vivre honnêtement; ils n'ont pas davantage
besoin d'avoir commenté Grotius ou Puff endort, ou même Mon-
tesquieu, pour comprendre ce que l'avenir réserve aux cités et
ce qu'il attend des citoyens. Une page de Platon, du De offidis,
de l'Évangile ou de la Profession de foi du Vicaire savoyard,
contiennent toute la science du devoir; une chanson de Béran-
ger est une école de patriotisme.
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Le sens commun dit encore qu'il n'y a plus de péril, qu'il ne
peut plus y en avoir, grâce à nos pères, dans toute entreprise
qui a pour but d'éclairer les hommes, de les désarmer, de les
unir. Autrefois les rois pouvaient châtier quiconque se mêlait
de parler aux citoyens de l'avenir de la patrie. Nous avons conquis, nous ne perdrons pas le droit d'écrire sur la poli-
tique. L'Etat est la chose de chacun de nous.
Il y a plus: dans les temps où la société, toute frémissante
encore des périls qu'elle a pn courir, implose pour se raffermir-
et se reconnaître la protection d'une autorité vigoureuse, pres-
que aussitôt sortent de l'obscurité et de l'oubli des théoriciens
qui, sur les nécessités d'un jour, veulent relever sans excep-
lion, comme des digues invincibles, toutes les institutions, toutes. les croyances, les abus et les préjugés même du passé. Les
uns ne parlent que par effroi; mais d'autres parlent par cal-
cul. Les chefs de gouvernement, enveloppés alors d'un nuage
de courtisans, de solliciteurs, d'esprits effares, d'esprits mali-
cieux, n'entendent pas toujours arriver jusqu'à eux les vœux
authentiques de leurs concitoyens. Trop de gens ont intérêt à
s'agiter autour d'eux pour leur prouver l'avilissement de l'es-
pèce humaine! Trop d'intrigues se nouent pour abuser du mé
pris des hommes qu'ils conçoivent si aisément!
N'est-il pas du devoir de ceux qui ne se sentent ni vils ni mé-
prisahles de faire ce qu'ils peuvent que la pensée de la
nation soit mieux connue; et, si la nation ne pense plus, pour
qu'elle ose encore penser?
La Franche, qui a vu tant de gouvernements passer, est restée
la France; c'est elle qu'il faut avoir en vue quand nous son-
geons à l'avenir; c'est elle qu'il faut recommander à Dieu dans
nos fortes prières; c'est la mère patrie qu'il faut souhaiter fé-
conde et saine; c'est le sol sacré qui porte nos héritages et le
herceau de nos enfants qu'il faut saluer de nos cris d'amour et
d'espérance. Ce sol ne périra point; cette patrie ne nous chas-
sera pas de son sein dans l'exil; elle est toute à nous soyons
tout à elle.
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La nation est aujourd'hui lassée et se repose. Quelle injure
et quelle erreur que de croire que parce qu'elle a eu besoin
d'un peu de repos elle pourrait bien se reposer pour toujours
et trouver doux son repos, sans avoir mené jusqu'au bout ses
conquêtes généreuses, sans avoir trouvé le secret si longtemps
cherche d'apaiser toutes les haines, de satisfaire tous les be-
soins légitimes, d'unir enfin la liberté et l'ordre!
Le silence de l'opinion publique ne signifie pas que l'opinion
publique n'a plus d'idéal. Sa lassitude récente signifie seu-
lement que les esprits ont été fatigués de tant de riclicules ou
d'odieuses querelles, et qu'il leur répugne de discuter plus long-
temps dans le désordre des idées.
Que le grand courant de l'opinion publique soit rétabli que
les idées sc réorganisent enfin. Voilà bientôt soixante ans passés à écrire sur des chiffons de papier des constitutions,- faire, et
il défaire des machines politiques, à louer et il blâmer 1789, il
exalter et à mépriser l'Église catholique, apostolique et ro-
maine il est temps de songer sérieusement, au milieu du dix-
neuvième siècle,.en face de tant de merveilles des sciences,
après de si longues peines, u ce clue nous devons faire pour as-
snrer au monde et il la patrie nn avenir tranquille, sans égor-
bements nouveaux, sans déportations, sans exils, et pour
mettre le nom de Dieu à l'abri de nos disputes.
Dieu et liberté, » disait Voltaire en imposant les mains sur
le front du petit-fils de Frankhn. Béranger ajoute un mot il cette
devise Dieu, patrie, et liberté!
A la fin de la malheureuse année 1815, quand l'Empire pé-
rissait sous les fautes fatales de l'Empereur et so.us les coups
même de ceux qui, emportés par l'impatience du joug, ou-
bliaient le péril pressant de la patrie, Napoléon s'indigna (et il
avait raison à cette heure) de ce qu'on lui parlait si tardive-
ment, et en face de l'ennemi, des institutions de liberté. MM. Lainé, Maine de Biran, Raynouard, Gallois et Flaugergues, dignes d'estime pour leur fatigue du despotisme, devaient par-
ler ou plus tût, en 1804, avant l'Empire; en 1811, après la nais-
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sance du roi de Rome; ou plus tard, après la victoire et la
paix. Ne nous attirons pas le même blâme. C'est quand les
plus sincères amis de l'Empire affirment que tout est bien, que
la France a le droit d'être fiére de sors rail devant les nations
de l'Europe, que la dynastie nouvelle est à jamais assise sur le
trône de Napoléon Ier, c'est alors évidemment que les gens de
cœur doivent élever la voix, et, avec toutes ces prospérités si
vantées, demander une prospérité de plus. L'ennemi n'est pas
nos portes on ne nous accuses a pas de ne pas aimer la
France, parce que nous voulons qu'elle n'envie il aucun peuple
les bienfaits délicieux de la liberté.
En 1815 c'était uue faute; aujourd'hui c'est un devoir de
parler tout haut.
Qu'est-ce à dire? Que Béranger a entendu isolément l'idée de
Dieu, l'idée de patrie et l'idée de liberté mieux que personne?
Il les a entendues, du moins, aussi bien que personne dans leur
ensemble et dans leurs liaisons nécessaires. Sa philosophie est
loin d'être impie, parce qu'elle est enjouée; son patriotisme n'est pas irréfléchi, parce qu'il est ardent et son amour de la liberté
n'est pas incompréhensible, quoiqu'il ne veuille pas de liberté à
l'intérieur du pays sans grandeur, sans élévation, et pour le seul
plaisir des gens instruits. Il croit en un Dieu qui n'est pas l'en-
nemi de l'homme, il chérit sans honte une patrie, qui depuis
longtemps et pour longtemps guide l'humanité; il attend une li-
berté qui soit le plus sûr instrument du progrès universel, et
qui remue les idées au profit de tous les hommes.
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PHILOSOPHIE
ET
POLITIQUEDE BÉRANGER
DE L'IDÉE DE DIEU
S'il est une profession de foi simple, digne, et entièrement honorable, c'est assurément celle-ci Il est un Dieu devant lui je m'incline,
Pauvre et content sans lui demander rien.
Que de bonnes et de belles choses dans ces' deux vers
Ha reconnaissance d'un Dieu, le respect du nom de Dieu, le sentiment de la force de l'homme, qui doit se suffire dans cette vie, et qui, même privé des biens matériels, doit mettre sa joie et son orgueil à calmer son âme.
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Écrivons-les partout, et en lettres d'or, ces vers
pacifiques ils nous relèvent de notre bassesse qué-
mandeuse, ils nous purgent de cette envie qui ronge les plus élevés comme les plus humbles d'entre nous; ils nous rendent le généreux appétit d'uri
avenir infini, ils nous arrachent à la grossière indiffé-
rence dans laquelle le spectacle de tant de perfi-
dies nous a jetés et où finirait par nous enfoncer
le fardeau de tant de révolutions presque inutiles
à la vertu.
Sans doute il est un Dieu. Nous en coûte-t-il donc
-tant de confesser que notre conscience nous affirme
son existence? Et Voltaire manquait-il donc de har-
diesse d'esprit, lui qui a écrit une page si éloquente
sur la nécessité d'un Dieu rémunérateur et vengeur,
lui qui a fait ce vers plein de sens
Si Dieu n'existait pas, il faudrait rinvenler!
Il est un Dieu. Avouons-le, quoi qu'il en coûte.
On dit que, si nous ne croyons guère, nous ne
nions pas bien énergiquement, comme ont fait les
philosophes du siècle dernier, et que notre philor« sophie, que notre manière de raisonner, que notre manière de douter est essentiellement transitoire.
Où allons-nous? Est-ce la réunion de tous les cultes
dans le giron d'une Église véritablement catholique
que présage cette indifférence, et que facilité en apparence l'unité d'idées et d'intérêts créée partout
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au nom du commerce et des sciences? L'Églisè ellè-
même le croit-elle?
Un soir d'été, l'année dernière, j'étais entré dans
l'église de Saint-Sulpice il y avait dans la chaire de la
nef un prêtre qui disait des prières répétées en choeur
par une vingtaine de petites filles. La psalmodie
arrivée à son terme, le prêtre, d'un ton de voix très-
doux, prononça ces paroles « Nous allons prier
maintenant pour la conversion de l'Angleterre. »
Je ne puis dire à quel point je me trouvai surpris
ce prêtre et ces petites filles, en plein dix-neuvième
siècle, à Paris, élevant vers Dieu un vœu si visible-
ment inutile! Par quel ordre et dans quelle espérance
réelle? Voilà les rêves de l'Église catholique! Ah!
ce n'est pas cela qu'il faut demander à Dieu, et ce
n'est pas cela non plus qu'il accordera. Demandons-
lui, par une prière unanime, qu'il réduise au néant
ceux qui spéculent sur la terreur de son nom et que
la cause de rébellion manque aux vigoureux esprits
que le mépris de ces gens entraîne dans le scepticisme,
dans le panthéisme et jusque dans l'athéisme.
Nous sommes un siècle sans foi, disent la plupart
de nos philosophes, de nos poëtes et de nos prêtres;
mais si, en effet, notre foi dans les religions particu-
lières a péri, à aucune époque les hommes ne fu-
rent plus près d'honorer Dieu d'un respect réfléchi
et volontaire. Nous allons, même dans le culte, des ténèbres à la lumière et de la servitude à la liberté.
Les mauvais catholiques ont nui au respect dû à
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Dieu mais ce n'est pas une raison pour qu'on arrache de sa pensée le témoignage opiniâtre qu'elle rend en faveur d'un Dieu infiniment supérieur à l'homme. L'Église a paru souvent travailler à l'asservissement des âmes; mais ce n'est pas s'affranchir que de détruire en soi le désir de l'immortalité. A qui les cherche, les raisonnements subtils ne manquent point pour embrouiller des questions qui sont si claires sous la lumière naturelle de la conscience. Étrange hardiesse que de se roidir pour n'être rien quand on sent qu'on est quelque chose! Élévation d'esprit bien peu enviable que de s'attacher corps à corps à la matière et d'enfermer toute la philosophie dans la cornue où le chimiste constate que rien ne se crée et que rien ne se perd aujourd'hui dans notre coin de la nature! A vingt ans, cette fougue d'indépendance est permise encore et peut n'être que l'enivrement du cerveau au moment où les pensées viriles s'y produisent; mais pourquoi, un peu plus tard, se croire matérialiste, positiviste et athée? On ne l'est pas, on dit qu'on l'est pour attirer l'attention, pour paraître bien fort, bien avancé au delà des autres, et ce n'est plus que misère et infériorité d'esprit.
Mais un Dieu brille à travers nos ténèbres.
N'attendons pas, Dieu, que ton nom puissant,
Qu'on jette en l'air comme iin nom de passant,
Soit lettre à lettre effacé de notre âme
1 Le Sasicide.
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Croire un Dieu, c'est croire l'âme et l'immortalité
de l'âme. Béranger n'a jamais senti de défaillance
dans sa croyance en Dieu et à l'âme, « doux rayon'
de l'astre éternel.
Citerons-nous la Prisonnière, chanson du nouveau
recueil qui ne le cède en rien à aucune de ses aî-
nées et qui dit qu'à la mort
L'âme s'envole en liberté;
Et où se trouve cette conclusion
De nouveaux fers Dieu la préserve
Et j'ajoute à mon oraison
Faites, mon Dieu, qu'elle conserve
Le souvenir de sa prison
M. Proudhon peut en rire; mais c'est, comme la
Prisonnière, une admirable et bien utile chansons
que celle de la Bonne l'ieille. Le poëte parle le lan-
gage ému et sincère du cœur humain de tous les
hommes, lorsqu'il dit à celle qu'il aime
Levez les yeux vers ce monde invisible
Où pour toujours nous nous réunissons.
Oui, nous croyons tous, quand nous ne subissons
pas la contrainte d'un sot orgueil, que nous vivrons
au delà de la mort, et nous espérons bien revivre
avec ceux que nous avons aimés. C'est la foi
.universelle, partout où l'intelligence de l'homme
1 1816, Mon Ame.
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fonctionne librement. Elle n'est pas scientifique-
ment assurée,
Car la science, aveugle majesté,
Ne croit à rien, qu'au laen qu'elle devine;
Mais qu'importe? La science nous explique-t-elle
notre présence en ce monde?
« Connaissons donc notre portée, disait Pascal;
nous sommes quelque chose et nous ne sommes pas
tout. » J'achève la pensée avec J. ,1. Rousseau, qui est un si grand maître, et un maître si éloquent
« Comment peut-on être sceptique par système et de
bonne foi? je ne saurais le comprendre. Ces philoso-
phes, ou n'existent pas, ou sont les plus malheu-
reux des hommes. Le doute sur les choses qu'il
nous importe de connaître est un état trop vio-
lent pour l'esprit humain il n'y résiste pas long-
temps il se décide malgré lui de manière ou
d'autre, et il aime mieux se tromper que de ne rien
croire. »
Aussi n'y a-t-il pas d'athées véritables. Les plus
bruyants sont des fanfarons qui, devant le danger,
ont peut-être plus peur que les autres et le danger,
c'est l'heure de la mort quand la vie a été mauvaise.
Ils répondent Jules César était athée, et il y a quel-
que chance de ne pas se tromper avec un si grand
esprit. Si César ne croyait pas en Dieu, il-ne faut pas
1 Profession de foi chc vicaire saooyard.
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s'étonner qu'il ait fait si bon marché de la liberté
de sa patrie. Mais où a-t-on vu qu'il fût athée? Une
phrase prononcée à trente-cinq ans, dans un dis-
cours politique, ne suffit pas pour qu'on ose parler
de .l'inébranlable athéisme de César. Soit il a nié un jour, au Sénat, l'immortalité de l'ume: mais
qui a connu lc secret de ses rêveries, de ses prome-
nades silencieuses, de ses nuits solitaires? Ce vain-
queur, ce dominateur du monde, après tout, n'est
qu'un homme, et, la où il pense autrement que l'hu-
manité tout entière, il est dans l'erreur ne comptez
|>;is devant Dieu sur son exemple.
J'ai parlé de ses' nuits solitaires. On brave Dieu
dans une église à côté d'un sacristain coiffé de gras
et à l'ceil éteint; mais où le fuir,
Quand la nuit étend son voile
Et qu'au ruisseau transparent
Vient se mirer une étoile?
Tu te tais, créature d'un jour; tu contemples, tu
admires la voûte silencieuse des cieux décrivant sa
courbe autour de toi. Qui a créé ces mondes? Et
loi-mêmequ'ils étonnent, qui t'a fait naître, créa-. ture rebelle?
Trop longtemps l'homme °- à la taille du globe
De ses dieux borna la hauteur.
l.es Voyages.,
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Creusez lé ciel que rien ne nous dérobe
L'oeuvre sans fin du Créateur.
Le mouvement part de sa main féconde;
Suivez-le, mais les yeux ouverts,
Et révélez à notre petit monde
Le Dieu de l'immense univers.
Sous le prétexte que le Cœli enarrant gloriam Dei
est un texte biblique, doit-on nier que les cieux ra-
content la gloire de Dieu?
Levez les yeux, ô sceptiques vers ces champs de
l'infini dont le télescope d'Herschell a jaugé les ef-
froyables espaces et où il a vu se mouvoir, environ-
nés de leurs mondes, des millions de soleils derrière
lesquels des millions de soleils circulent encore.
Écoutez le silence animé de nos belles nuits d'au-
tomne voyez, lisez dans cette nature et dans vo-
tre pensée, et ne craignez pas de dire' Je sens
que j'ai une âme, et je sais qu'il est un Dieu.
Une éclipse totale de soleil épouvante la foule et
attriste jusqu'aux philosophes Voulez-vous donc
qu'il y ait dans notre âme une éclipse absolue et
perpétuelle de la Divinité nécessaire? Nous pouvons
l'oublier, tant que nous ne faisons que douter vo-
lontairement de son existence; mais, si nous appre-
nions sûrement qu'il n'y a point de Dieu, quelle
autre tristesse "et quelle inconsolable épouvante!
Ces expressions et ces images plaisaient à Béran-
ger sa pensée aimait à chercher Dieu, là où sa
V. Arago, Ast. populaire, t. III, p." 583.
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gloire éclate, dans le silence de l'infini. Le Bon Dieu. même, cette chanson enjouée- et si joliment maligne, est une oeuvre qui se ressent des méditations et des rêveries à la belle étoile de sa jeunesse, comme Notre Globe, Y Ascension et tant de couplets du recueil posthume attestent la constante admiration du poëte pour la sublimité des vérités astronomiques. L'astronomie est, par excellence, la science civilisatrice. A lire le Coscrcos de Humboldt, on se sent, non pas écrasé par la majesté du Dieu créateur et régulateur, mais élevé et soutenu, pour ainsi dire, jusqu'à lui. Quelle volupté pour notre intelligence, à laquelle on donne souvent de si étroits horizons, et, dans le plus enivrant de cette volupté, quelle sérénité profonde, quel beau calme! L'esprit plane, d'un vol tranquille, au-dessus de nos infirmités. Le bruit de nos querelles ne saurait monter si haut. Ou bien, si le souvenir nous en reste, nous nous écrions avec moins de mépris que de joie
Quoi notre gloire impérissable,
Nous la bàtissons là-dessus
Mais qu'importe ce peu de sable
Où s'entassent nos vœux déçus ?
Qu'importe en quelle étroite bière
Nos os tomberont de sommeil ?
Aux mains de Dieu, grain de poussière,
L'homme pèse plus qu'un soleil.
Espère, enfin, mon âme, espère;
Du doute brise le réseau.
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Non, ce globe n'est pas ton père
Le nid n'a pas cr.é l'oiseau.
J'en juge à l'effort de ton aile,
Qui s'en va les cieux dépassant.
Pour l'engendrer, noble immortelle,
ll n'est duc Dieu d'assez puissant
Voilà l'impie! Ainsi parle, de la première à la
dernière page de son oeuvre, le poële que de mal-
heureux blasphémateurs ont accusé d'avoir dépravé
son époque. C'est leur langage qui nous dégoûte des
idées religieuses c'est leur seul triomphe, qui fe-
rait vaciller, qui pourrait, éteindre chez nous la
crovance en un Dieu juste1.
Les évoques ignoreront-ils toujours que des confesseurs de la foi
de l'espèce de M. Veuillot font rnille fois plus de mal il l'Eglise que les
plus ingénieux railleurs de l'école voltairienne? Ignoreront-ils toujours
que la compilation qui a été faite il y a deux ans, l'Univers jugé par
lui-même, offre aux adversaires du catholicisme des armes bien supé-
rieures celles qu'on irait chercher dans Bayle ou dans les philosophes
de l'école allemande moderne? Ce recueil d'extraits dti journa, de
M. Veuillot, en trahissant sa bassesse, sa lâcheté, son ingratitude, son
inconsistance, son hypocrisie, sa perfidie, jette une sinistre lumière
sur l'état de décrépitude où semblcraient se trouver réduites les idées
catholiques. Le temps des Cltrysostome et des Bossuet est-il passé sans
retour? Home n'a-t-elle plus qu'un paillasse pour attirer la foule aux
portes de Saint-Pierre? Si de tellcs questions restent longtemps san;
réponse, si les véritables prédicateurs, si les docteurs, si les fidiles
serviteurs de l'Église, souffrent que cet homme et ses acolytes parlent
toujours, et si haut, en leur nom, nul ne peut dire en quel discrédit
(L'Iin'.tif tomberait une foi spéciale qui a besoin d'ètre prèchée avec tant
<!e douceur par des gens de tant dc-verlii. four ce qui regarde les écri-
vains dont les noms ou les pensées sont tout bout de champ l'objet
des insultes de l'Univers qu'ils sachent bien que (-'est une duperie
que d'entrer en querelle avec ce dernier apôtre. Dès qu'on répond,
“) l'on tombe dans le piège. Je voudrais pour réduire à la rage
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Soyons plus chrétiens que ces hommes sans foi,
et reconnaissons sans hésiter que, sinon l'une des
religions issues du christianisme, du moins le chris-
tianisme peut lui-même avoir à remplir encore de
longues destinées. Il dépend d'eux, et non de nous,
que tous les germes de sa doctrine fleurissent sur
la terre. Il dépend d'eux que les peuples rappren-
nent l'Evangile, non pour y examiner la question
inutile des dogmes, mais pour admirer et prati-
quer la morale féconde de Jésus de Nazareth. Cha-
teaubriand, l'auteur du Génie du Christianisme, a
donné pour titre au chapitre Lv de son Essai sur
les Révolutions, cette question Quelle sera la reli-
gion Qui REMPLACERA LE Christianisme? Il faut dire qu'au-
cune religion ne le remplacera sans doute, et qu'il
lui appartient, si les ennemis de la raison le veu-
lent bien permettre, de mener jusqu'à son terme
l'éducation de la raison humaine, si jeune encore
et si fréquemment chancelante.
Béranger\ Napoléon°, Mirabeau11, Voltaire', Jean-
les gens de Y Univers, voir s'organiser contre eux la confédération du-
silence. On laisserait se délecter dans leur lecture, le soir, devant le
l'eu épiscopal, les bons chanoines des évcbés ultramontains; on les
laisserait rire d'un rire inonensif, et au bout de trois mois ce serait
fini. M. Veuillot, sans emploi, retournerait aux petits vers légers de
sa jeunesse, qu'il cultive encore de temps en temps.
1 Voir toutes ses chansons.
Lire le Mémorial rle Sainlc-IIélèiie.
5 l'eailleter le recueil de ses oeuvres.
i En d'.vers endroits de sa correspondance et ailleurs par exemple
dans l'article Curé du Dictionnaire philosophique.
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Jacques Rousseau et Montesquieu, lorsqu'ils fixent
leurs regards sur l'avenir prochain de l'humanité,
ne songent pas à préparer la fortune d'un nouveau
culte; ils savent que l'on ne prémédite pas des
religions, et ils pensent que la morale du Christ
est assez belle, si on ne la voile, pour séduire bien
des siècles, assez forte pour leur suffire. Montesquieu
même, que je cite ici le dernier, y trouve un pivot,
qu'il cherche ailleurs en vain,'pour assurer le mou-
vement des sociétés de tous les temps. Il fait son
procès à Bayle, pour n'avoir pas distingué « les or-
dres pour l'établissement du christianisme d'avec
le christianisme même, et pour avoir osé avancer
que de véritables chrétiens ne formeraient pas un État qui pût subsister. » Vivement il répond « Pour-
quoi non? ce seraient des citoyens infiniment éclairés sur leurs devoirs, et qui auraient un très-grand
zèle pour les remplir; ils sentiraient très-bien les
droits de la défense naturelle plus ils croiraient devoir la religion, plus ils penseraient devoir à
la patrie. Les principes du christianisme, bien gra-
vés dans le cœur, seraient infiniment plus forts que ce faux honneur des monarchies, ces vertus hu-
maines des républiques, et cette crainte servile des
États despotiques. »
Cesont d'inintelligents amis de Béranger, ceux qui
consentiraient à retrancher de son œuvre un certain
ombre'des chansons qu'aujourd'hui l'on pourrait
juger trop fortes; ce sont des amisencoremoinssages
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ceux qui ne veulent voir dansla hardiesse dé ses chan-
sons qu'un jeu charmant de l'esprit douteur et rail-
leur. Sans doute, Béranger n'a jamais marchandé la
satire aux soi-disant interprètes de la volonté divine
qui veulent faire de la vie d'autrui une expiation, qui
tourmentent la conscience, qui environnent la mort
d'affres terribles, qui dénaturent les sentiments les
plus naturels, qui introduisent dans la pratique de
la pensée l'habitude de la crainte et du mensonge,
qui font enfin d'une certaine orthodoxie une sorte
d'idole à laquelle ils sacrifient les corps et les âmes
des hommes; mais la guerre qu'il intentesansrelâche
et sans pitié à l'hypocrisie et à l'intolérance, c'est
le plus bel hommage qu'un honnête homme puisse
1 Quel est par excellence le mot chrétiens ? c'est le mot charit'. Est-
ce lui qui a le plus souvent été prononcé dans l'histoire de l'Eglise?
est-ce lui encore qui sort le premier de la bouche des orateurs de l'É-
glise ? Tant s'en faut le mot qui a l'ait le plus de bruit et qui passe'
partout le premier, c'est toujours le mot orthodoxie.
L'orthodoxie' Oubliez, nous dit-on, les querelles du passé, la con-
damnation de Galilée, les auto-da-fé de l'inquisition; oubliez ces bar-
baries des siècles barbares la doctrine s'épure elle est perfectible
elle a reconnu le mouvement des planètes, elle sait que Josué n'a point
arrêté le soleil, elle admet que les sept jours de la Genèse ne sont pas
sept journées comme les notre. Étudiez la marche de cette vénérable
doctrine chaque jour, elle devient plus douce pour la raison.
Oit est la preuve de cet adoucissement de la doctrine catholique? où
voyez-vous qu'elle se simplifie ? Au moment où les dogmes paraissent
finir, un dogme nouveau vient d'être montré à la terre la Vierge,
mère immaculée, devient fille immaculée de sa mère. La croyance
de saint Pierre et de saint Paul, de Grégoire Vil ou de Sixte-Quint n'a
pas suffi au catholicisme moderne, et la raison universelle est chargée
d'un nouveau fardeau de foi.
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rendre à Dieu, quand il est doué d'un esprit com-
parahle au sien.
Déiste convaincu et décidé a ne jamais rougir de
sa conviction', Béranger a été pénétré toute sa vie
et il a imprégné toute son œuvre de ce vrai et pur
scntiment religieux qui contient à la fois le respect
du Dieu inconnu et l'amour de la vie et des hom-
mes. On a pu voir, dans son recueil posthume,
comment cette piété élevée et généreuse a coloré et
animé ses derniers vers; mais dès les premiers jours
de sa vie poétique, dans ses compositions même
les plus légères, n'avait il pas déjà marqué le sens
et montré la portée de ses chants? Les Gueux datent de 1812. Dès lors Déranger s'écrie
Oui, le bonheur est facile
Au sein de la pauvreté
J'en atteste l'Évangile,
J'en atteste ma gniole.
Quand on lui fait un crime de sa chanson du
Bon Dieu, il écrit en marge une noie
« Béranger, dit-il, en faisant la chanson du Bon
« Avec un fonds inébranlable de cette foi que nous appelons déisme,
foi si fortement gravée dans mon cœur, qu'unie à tous mes sentiments
elle irait jusqu'à la supposition, si ma raison le voulait permettre, je
suis, etje mourrai, j'espère, ce qu'on appelle en philosophie un spiri-
tualiste. II me semble même que ce sentiment profond se fait jour à
travers mes folles chansons. »
{Ma biographie, édit. in-52, p. 515.)
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dieu, n'eut pas l'idée de commettre une impiété,
il s'en faut'. Il prit celte fois Dieu comme nos re-
ligions l'on fait dans la tête du peuple, et non
comme lui-même l'avait conçu. C'est cette idole
grossière qui lui servait de cadre pour des cou-
plets dont la morale, après tout, est plus en rapport
avec l'Évangile que celle de nos jésuites intolé-
rants. »
Qu'on n'objecte pas que l'ironie ne doit, ni de
près ni de loin, toucher t ce qui fait le fonds, même
le fonds grossier, de quelque croyance, et que la su-
perstition est respectable en ses erreurs. Nous savons
trop ce que les grossièretés des cultes coûtent de tra-
vail et ce qu'elles peuvent coûter de sang à qui veut
les détruire.
Et) d'un autre côté, que nul ne dise que Béranger
ne prétendait pas être un commentateur de la morale
chrétienne et que nous le faisons ici trop évangéli-
que. Dire que sa philosophie est pieuse, ce n'est pas
dire qu'elle est crédule.
Dans il[ci. Biographie il dit expressément « L'É-
vangile, malgré ma croyance arrêtée, a toujours été
pour moi une lecture philosophique et la plus conso-
lante de toutes. » Ses dernières conversations abou-
tissaient presque toutes à parler de la morale de Jé-
sus. « Nous nous approchons du monde évangélique,
1 Notes nouvelles, n° XCi.
2 Page 513, édit. in-52.
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disait-il; voici venir la vie de l'Évangile. Laissez
faire, la démocratie y arrivera. Mais, pour qu'elle y
arriveleplus vite possible et le plus sûrement, il faut
bien prendre garde à ne pas nous laisser ramener
en arrière d'un seul pas. » Examiné de ce point de
vue, le dernier volume des chansons couronne bien J'oeuvre du poëte. Jeune, il a chanté la vie joyeuse;' dans l'âge mûr, au moment où sa force était entière,
il a entrepris d'être un Voltaire nouveau et d'affran-
chir tous les esprits du joug de l'hypocrisie et de la
terreur; au fond de sa retraite, il chante la fin des querelles sur la terre et dans l'espace infini il
chante le pardon de Satau même.
La loi d'amour est satisfaite
Le ciel s'agrandit gloire il Dieu!
C'est toujours la même foi dans le même Dieu, et
le même amour de l'harmonie universelle. Et ces
derniers vers, qui sont si doux, ne viennent pas avec
moins de puissance que les premiers frapper au
cœur l'aveugle intolérance. Béranger demande Dieu
• et l'Évangile sans outrages à la raison, sans périls pour la liberté, sans entraves pour la civilisation.
Aux plus impatients, à ces jeunes philosophes, à
ces ardents poëtes qui jugent que l'amertume du
doute n'est pas sans quelque volupté sauvage, qui
trouvent prosaïque le témoignage d'une conscience
commune à tous les hommes et qui se croient des
lord Byron si l'ouragan du désespoir traverse leur
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âme, à ceux-là, s'ils se sentent tentés de rire d'un
Béranger si chaud partisan de l'Évangile, et pas
plus avancé que Jean-Jacques, je rappellerai les vers
d'un poëLe qui n'était pas moins qu'eux blessé du
scepticisme, ni moins qu'eux désespéré, ni moins
qu'eux ennemi des choses triviales. C'est ce pauvres
et à jamais regrettable Musset, qui laisse de si chau-
des élégies et qui, un jour, dans l'Espoir en Tlieu, a
dicté ces strophes qu'emporte jusqu'au fond du ciel
un si noble mouvement lyrique. Il s'adresse à Dieu,
au Dieu caché, au Dieu dont il a douté, et lui dit
Pourquoi laisser notre misère
Rêver et deviner un Dieu?
Le doute a désolé la terre;
Nous en voyons trop ou trop peu.
Si ta chétive créature
Est indigne de t'approcher,
Il fallait laisser la nature
T'envelopper et te cacher.
Il te resterait ta puissance,
Et nous en sentirions les coups
Mais le repos et l'ignorance
Auraient rendu nos maux plus doux.
Vlais, si nos angoisses mortelles
Jusqu'à toi peuvent parvenir,
Si dans les plaines éternelles
Parfois tu nous entends gémir,
Brise cette voûte'profonde
Qui couvre la création;
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Soulève les voiles du monde
Et montre-toi Dieu juste et bon
Tu n'apercevras sur la/terre
Qu'un ardent amour da la foi,
Et l'humanité tout entière
Se prosternera devant toi.
Les larmes qui Font épuiséj
Et qui ruissellent de ses yeux,
Homme une légère rosée
f< S'évanouiront clans les cieux,
Ce cri déchirant part d'une âme de looëte. Évitons-
nous la douleur de le proférer en fermant notre cœur
au doute. Tôt ou tard nous nous repentirions, soit en
silence, soit dans une confession publique, d'avoir
nié ce qui est clair comme le jour.
On ne saurait trop attacher d'importance à établir
qu'il n'y a pas, si ce n'est par exception, d'alhées
sans hésitations et sans faiblesses; que l'athéisme,
quand il est à la mode, est un engin de démoralisa-
qui détruit la vertu et la fortune d'un peuple; .et qu'aucun grand esprit n'a jamais douté de Dieu. Béranger fait de l'affirmation de son existence l'A
B C de la science humaine et la première hase de
toute philosophie et de toute politique.
Quand un homme doué de talent se rencontre qui
nie Dieu dans un livre, sachez que cet homme,
comme Bayle, que Montesquieu critiquait tout ;a
l'heure, ne dit pas juste ce qu'il pense et que c'est
des religions et des ministres des religions, et non n:;s
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de Dieu, qu'il est l'adversaire. 11 sait bien, lui aussi,
qu'il a une âme intelligente pour mener son corps,
et qu'il est un Dieu qui mène l'univers.
Bien certainement M. Proudhon croit en Dieu; et,
s'il reproche si amèrement son déisme à Béranger,
c'est une affaire de tactique. -Comment n'aurait-il
pas vu que Béranger a continué l'oeuvre de Voltaire
avec une sagacité supérieure et un succès incom-
parable ? Le déiste Déranger, comme le déiste Vol-
taire, a porté des coups terribles à la superstition
(ne nous lassons pas de les nommer parleurs noms),
au fanatisme, il l'hypocrisie, à l'intolérance. Un
athée n'a pas espércr une si heureuse victoire.
Pour les hommes de l'crreur, il faut leui par-
ler clairement de la vérité.
Sans contredit, la conscience ne relève pas de la
politique, et on ne voit pas qu'il faille arguer de
l'intérêt des sociétés en faveur de l'existence de
Dieu et du déisme spiritualiste. Cependant, si cette
preuve était admissible, il serait sans peine démon-
tré que la croyance à la vie future et au Dieu rému-
nérateur et vengeur sauve seule le pacte social de
ses périls, et seule maintient la civilisation générale
dans le chemin de la perfection inutile d'en venir
aux prosopopées quand il s'agit de lieux communs
d'une telle évidence. Un athée déterminé n'est un
honnête homme que parce que son bon plaisir est
de l'être. Mettons qu'il en a plus de mérite et que sa
vertu est plus à lui que la nôtre n'est à nous; mais
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quel avenir, on l'a dit depuis longtemps, ne mena-
cerait pas une société de gens incrédules par sys-
tème? Le jeu des passions humaines détruirait en un
instant l'équilibre le plus artistement ménagé des
doctrines philosophiques. Les voulez-vous si bien
nés qu'ils restent vertueux dans leurs rapports ré-
ciproques ? à tout le moins ils auront peu de goût
̃̃ pour la liberté et ne reculeront pas d'épouvante devant les flatteries naissantes du despotisme.
Les doctrines spiritualistes n'offrent pas le même danger que tout ce qu'on appellera matérialisme, athéisme ou panthéisme. La chanson du Panthéisme
a mille fois raison quand elle dit ironiquement à un
ancien prophète saint-simonien
Propliète, ces gens déraisonnent;
Ils prédiront, dans leurs regrets,
Qu'au sol où les tyrans moissonnent
Ton culte fournira l'engrais.
Plus d'un républicain le pense,
Aveugle qui préfère encor
Au panthéisme à large panse
Le mysticisme aux ailes d'or.
Le mysticisme veut dire ici le spiritualisme, qui
laisse à l'homme le droit d'appel à Dieu, et non pas
le mysticisme des gens énervés qui ne vivent que
dans l'extase et le miracle.
En somme, les étiquettes des philosophies et des
religions ne signifient rien cet honnête homme qui
se croit panthéiste n'est qu'un déiste ami des grands
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C rêves poétiques celui-là qui, sans charité, compte sur sa belle part de paradis et s'est fié toute sa vie
dans ses dévotions minutieuses au saint rosaire et à
tel autel privilégié de l'Immaculée Conception, n'est
réellement qu'un épais matérialiste.
Ce sont les œuvres, non la croyance, que Dieu juge.
Les œuvres sont à l'homme; sa croyance ne vient pas
de loi, et c'est encore là ce qu'il faut chanter et ce
qu'il faudrait prêcher, dans l'intérêt même des so-
ciétés humaines et pour l'honneur de la philosophie
et de la religion. J. J. Rousseau allait plus loin et
disait admirablement « Vous objectez que, si Dieu
eût voulu obliger les hommes à le connaître, il eût
mis son existence en évidence à tous les yeux. C'est à
ceux qui font de la foi en Dieu un dogme nécessaire
au salut de répondre à cette objection, et ils y répon-
dent par la révélation. Quant à moi qui crois en Dieu
sans croire cette foi nécessaire, je ne vois pas pour-
quoi Dieu se serait obligé de nous la donner. Je pense
que chacun sera jugé non sur ce qu'il a cru, mais
sur ce qu'il a fait, et je ne crois point qu'un système
de doctrine soit nécessaire aux œuvres, parce que
la conscience en tient lieu. »
N'étouffons jamais en nous la voix de cette con-
science qui nous parle si souvent de Dieu, qui nous
atteste notre immortalité, qui, suivant les temps et
les lieux, nous indique à tous notre devoir, c'est-à-
1 Lettre à M"" de 15 janvier 1769.
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dire notre rôle naturel dans les évolutions du monde
humain, et nous sommes sûrs de n'avoir à craindre
aucun châtiment dans l'éternité. Ceux qui nient
Dieu, quand on les somme d'indiquer les racines de
la morale, les montrent dans la conscience 1. Cette
conscience qui suffit sans Dieu, avec Dieu suffit en-
core.
La théodicée de Béranger n'est donc pas compli-
quée.
• Il y a un Dieu devant lequel doit s'incliner quiconque sent que Dieu existe; et chez tout homme
ce Dieu, même en restant caché, parle par la voix
de la conscience. Voilà toute la philosophie; voilà où
asseoir toute la morale.
Une ombre de Dieu hrille en nous;
Je le sens, et pourtant j'ignore
Ce qu'à scs yeux nous sommes tous
Sur ce vieux sol qui nous dévore'.
Même en cherchant bien, même après trois mille
ans de systèmes accumulés, nul n'en sait davantage.
Les études de philosophie détaillée sont certaine-
ment très-intéressantes pour les gens de loisir, mais
elles ne sont pas nécessaires à l'humanité. Elles sont
même nuisibles à la plupart de ceux qui s'y livrent, La théorie de l'Immanence, de M. Proudhon, n'est pas autre chose
que la divinisation de la conscience universelle. Il ne supprime pas
Dieu, il le recule et, comme l'homme toujours cherche Dieu, sa peine
en grandit.
2 Mon Ombre.
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sans laisser raturer ensuite au sens commun leurs
dissertations les plus ingénieuses.
Et, (pour continuer. avec une autre chanson),
Et combien de docteurs modernes,
En ballons d'un vaste appareil,
Vont sans cesse, armés de lanternes,
A la recherche du soleil
C'est l'histoire de toutes les écoles de philosophie
allemande, depuis Leibnitz.
Ainsi, faisons fort peu de métaphysique de fan-
taisie, faisons-en le moins possible non pas qu'il
faille cesser d'interroger la nature autour de nous
et au-dessus de nous; mais parce qu'il faut revenir
sans cesse à nous-mêmes, et ne pas laisser oisif l'ex-
cellent juge qui habite chez chacun de nous et qui
s'appelle la conscience ou la raison.
De la lumière toujours de la lumière La jouis-
sance suprême est de voir clair le comble de l'art,
c'est de ne jamais émettre une pensée qui n'ait pas de
sens, c'est de ne jamais écrire un mot qu'il faille
lire deux fois pour le comprendre. Peu à peu nous
arriverons tous à cette grande joie que. la clarté des
pensées doit répandre parmi les hommes. L'esprit
humain se mouvra enfin dans son entière liberté.
Voyant ou croyant le catholicisme orthodoxe en
décadence, ceux qui pensent qu'il sera remplacé par
une foi faite de toutes pièces disent « Le temps
est propre pour une rénovation de la théologie. »
1 Jean Reynaud, Ciel et l'erre.
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Erreur profonde! Nous avons toujours marché en
avant de l'idolâtrie aveugle au paganisme anthro-
pomorphique, du paganisme de la Grèce et de Rome
au christianisme émancipateur des pauvres et conso-
lateur des affligés; nous ne pouvons pas maintenant
•- reculer de la philosophie dans une théologie nouvelle. Notre philosophie même doit chaque jour se
débarrasser des systèmes inutiles. C'est il la fran-
çaise qu'il faut penser peu et bien, comme a fait
Rousseau dans comme a fait partout Voltaire.
L'économie politique peut être profonde et extrêmement habile chez les écrivains spéciaux; elle ne se fait lire et ne se fait comprendre à tout le monde
quechezM.Thiers.Demêmelaphilossphien'estguère
abordable aux braves gens que dans Voltaire; et la
morale, que dans l'Évangile.
A. vingt ans, on écrit partout le mot philosophie
philosophie de l'histoire, philosophie des lettres,
philosophie des sciences; à trente ans on s'en moque avec Pascal, parce qu'on sait que le sens commun
est l'unique lumière qui ne vacille jamais, et qu'il
n'a pas besoin de passer par le doute méthodique de
Descartes pour arriver à une croyance. Il est certain
que nous sommes encombrés de thèses, de théories
et de systèmes.
• Gràce aux doctrines éclectiques
En France, on doit s'entendre au mieux
i L'Olympe ressuscité.
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A redorer les basiliques,
A rebadigeonner les dieuz.
Ce siècle-ci, avec sa prétendue impartialité qui
n'est chez tant de gens que de 1 indifférence, a battu
tous les buissons de l'histoire et de la philosophie.
Quelle nourriture l'esprit humain y a-t-il trouvée?
Dites quelle viande creuse. C'est un signe de grande
intelligence, dans une telle cohue, d'aller au plus
pressé, de choisir une lumière, la plus en vue, la plus
nette, et de la planter au beau milieu de cette foule
qui marche à l'aventure? En d'autres temps les sys-
tèmes, les théories et les thèses philosophiques sont
d'excellents exercices à pratiquer maintenant rien
n'est aussi nécessaire que la régularisation des idées
communes et la simplification de la philosophie gé-
nérale.
Ne craignons pas d'être courts, pourvu que nous
soyons vrais. C'est ainsi que la doctrine de Béran-
• ger, non-seulement suffit à l'humanité, mais l'emporte sur toute autre, dans la confusion présente
des doctrines.
Contre les gens qui se disent athées et ceux qui
réellement ne vivent que dans l'adoration de la
matière, contre ces corrupteurs volontaires ou in-
volontaires de la morale privée et de la morale
publique, Béranger tient hardiment levé le drapeau
de Dieu. Mais c'est aussi l'enseigne de la tolérance,
et c'est toujours l'enseigne de la raison il repousse
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donc, avec la même force, quiconque veut lier les
hommes au nom de Dieu, quiconque les effraye et
les tourmente.
Au temps où il écrivait ses chansons les plus har-
dies, il y avait péril pressant pour la civilisation
moderne. L'hypocrisie et l'intolérance avaient ré-
pandu l'obscurité et la terreur sur ce vaillant et
lumineux pays de France. Béranger seul, et ce fut
assez, descendit dans l'arène et combattit sans re-
lâche. Il se rappelait le mot de Voltaire « J'ai vu
qu'il n'y avait rien à gagner à être modéré, et que
c'est une duperie il faut faire la guerre et mou- rir. M
Béranger fit la guerre et triompha.
Aujourd'hui le danger n'existe plus, quoique les
apparences du danger puissent se reproduire et se
soient peut-être reproduites. Le moindre citoyen
maintenant, et les plus zélés défenseurs du principe
d'autorité n'ignorent pas que, si l'athéisme ruine à
la longue la liberté, le pouvoir est ruiné aussi.dés
que la nation ne compte plus sur son exacte et ri-
goureuse impartialité en face des différentes maniè-
res de croire en Dieu et d'honorer Dieu 2.
1 Lettre du 20 avril 1761.
C'est pour cela qu'on voit l'Empereur se féliciter a Sainle-Ilélène
d'avoir été un chef d'empire notoirement incrédule.
« Nul doute, dit-il (Hém., I, p. 669), que ce ne fût un bienfait pour
les peuples et autrement, comment aurais-je pu exercer une véritable
tolérance? comment aurais-je pu favoriser avec égalité des sectes aussi
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On n'à donc plus de craintes réelles, et, quand les circonstances amènent des mouvements de réaction ou de restauration plus vifs qu'on ne s'y attendait, ceux même qui en veulent le plus profiter, comme ceux qui en souffrent le plus, tout le monde sait à quoi s'en tenir sur leur énergie réelle et sur leur sincérité.
La cause de la tolérance et de la raison douce est probablement gagnée à jamais en France. Bérangel, du moins, est mort avec cette pensée. S'il n'avait cru que l'antique orthodoxie, si opiniâtre, si ignorante, si cruelle au besoin, n'était pas, à quelque filament près, déracinée du sein de la civilisation, il n'aurait pas mis dans ses chansons dernières une expression si clémente d'oubli pour les querelles sanglantes d'autrefois, et d'espoir, pour la pacification des religions et des cultes.
Sa magnifique chanson de l'Apôtre est son dernier cri de guerre.
contraires, si j'avais été dominé par une seule? » Quand Napoléon s'exprime ainsi, il sait que ses paroles sont recueillies, et il devine le retentissement qu'elles peuvent avo'.r un jour en Europe. il a pesé tous ses mots, et ce n'est pas en souverain héréditaire qu'il pense il parle comme doit parler un philosophe qui n'examine plus que la marche des sociétés humaines et ne désire plus que leur perfectionnement. S'il a agi en 1801 d'une manière et parlé d'une autre eu 1816, c'est qu'il visait, dès l'année 1S01, au pouvoir absolu, et que l'ancienne orthodoxie rétablie doublait dans sa main ses chances de succès. Déchargé du faix de l'ambition personnelle, Napoléon tient le langage de Voltaire, de Béranger, et, s'il plaît à Dieu, le langage de toutes les dernières générations du dix-neuvième siècle.
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Paul, où vas-tu? Je vais. braver nos maîtres,
Fardeau des peuples gémissants.
Tremble! ils te livreront aux prêtres
En échange d'un peu d'encens.
Non, non; je vais braver nos maîtres,
Fardeau des peuples gémissants.
Son vers est presque attendri lorsque, arrivé au
terme de sa course, il dépose son bâton de voyage et
lui dit
Pour quelque proscrit, tribun, pape, ou roi,
Je veux te laisser au bord de ma tombe.
Un ange même, dans la Dernière Fée, prédit les
temps nouveaux à un prêtre tout étonné de voir
un messager de Dieu pleurer sur le tombeau d'une
fée.
Hors le grand Dieu, tu le vois, tout succombe.
Crains pour le temple où la foi t'a bercé;
A tes autels si déjà l'homme insulte,
Prêtre, à la fée accorde quelques pleurs,
Et viens m'aider à suspendre ces fleurs
Sur l'humble fosse où descend tout un culte.
Respect et gloire à Dieu, mépris de ceux qui
usurpent son nom pour le mal des hommes, tout
Béranger est dans ces deux fragments des chansons
posthumes. Sa mort, cette mort douloureuse, dont
on a tant parlé sans la connaître, ne les a point
démentis et ne pouvait les démentir'.
1 Tiéditeur, d'ailleurs si consciencieux de la Correspondance de La-
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Il est mort déiste, parlant quelquefois de Dieu et de l'avenir, quand sa raison s'éclaircissait/avec des paroles' étranges et d'une voix inspirée. Plût mennais, publiée ces jours-ci, a eu le tort, dans ses NoTEs ET SOUVENips, de comparer la mort et les funérailles de Lamennais à la mort et aux funérailles de Béranger. Ce n'est pas sans quelque aigreur qu'il oppose l'admirable énergie de volonté dont l'un a fait preuve jusqu'à son dernier souffle à l'espèce de réconciliation avec l'Église orthodoxe que l'on suppose avoir été désirée par l'autre. 11 oublie que peu importe comment Béranger devait mourir et que sa vie tout entière attestait assez fermement sa pensée constante tandis qu'il importait beaucoup que l'on ne vit point l'auteur de l'Essai sur ï 'indifférence revenir à ses premiers sentiments. 11 oublie surtout que la mort de Béranger n'a pas été en contradiction avec sa vie, et que c'est un faux bruit qui a fait croire un instant le contraire. Pendant les trois dernières semaines, la maladie avait, d'ailleurs, enveloppé d'un nuage l'intelligence si lumineuse du poëte. » Un autre «'crivain, dont les amis de la liberté et de la raison estiment les écrits et louent le caractère, a commis une erreur bien plus grave il s'est emporté dernièrement, dans un article de journal, jusqu'à l'outrage, et il n'a-pas craint, en parlant de Béranger et en l'accusant d'une mort pénitente, de parler de cadavre à traîner aux égouts. Je pense qu'il s'en repent.
Mais, puisque de ce côte même partent de pareilles insultes, il faut une fois de plus dire quelle a été cette conversion ou ce repentir qu'on attaque.
Puisque j'ai eu l'honneur d'écrire, à la suite de MA Biographie, l'Appendice qui la termine, je puis me citer moi-même et j'affirme que ce que je dis est rigoureusement vrai.
Il y a dans l'Appendice ce passage
« La soeur de Béranger., religieuse cloîtrée, ne le voyait qu'une fois l'année (et dans son couvent) depuis son entrée en religion. Elle vint le voir, autorisée par l'archevêque et accompagnée d'une autre religieuse. La porte lui fut ouverte; elle embrassa son frère, reçut ses embrassements silencieux se retira et ne put ( ou ne voulut pas ) revenir mais elle témoigna sa reconnaissance aux amis de Béranger et envoya chaque jour chercher des nouvelles. M. Jousselin, l'ancien curé de Passy, devenu curé de Sainte-Elisabeth, avait retrouvé Etranger dans
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à Dieu que nous mourrions tous de la sorte, après
avoir ainsi vécu, dans le giron de la sagesse, de la
raison, de la tolérance, il égale distance de l'hypo-
sa paroisse. Ils avaient parle encore de leurs pauvres. Lorsque la ma-
ladie de Déranger sembla toucher à son terme, M. le curé lui vint ren-
dre visite. Leacrs conversations firrent rares, très-courtes el pe2a im-
portantes*. Il y en a une, la dernière, qu'on a racontée de manières
bien dil'f rentes. Au moment oit 111. l'abbé Jousselin, pour se retirer,
tendait lamain à Béranger, Déranger lui dit d'une voix nette « Votre
« caractère vous donne le droit de me bénir. Moi aussi, je vous b.'nis.
« Priez pour moi et pour tous les malheureux ma vie a été celle d'un
« honnêle homme. Je ne me rappelle rien dont j'aie à rougir devant
« Dieu. »
Dans mabrochuresur les Errcins des criti'iues de Déranger, j'ai dû,
en parlant des fttnéraillcs et de la manière dont on en parla, revenir,
avec quelques nouveaux détails, sur le texte de l'Appendice.
Les journaux religieux, disais-je, sauf une ou deuxéchapp'es
gardèrent le silence. laait-ce l'effet ilcs magnifiques funérailles et la
marque de la honle? Il s'agissait d'une petite expérience qu'on voulait
faire et qui n'a pas réussi. On pensait à répandre le bruit de la con-
version de Etranger. Le poète n'y eût pas gagne le pardon de ses ad-
versaires et il pouvait y perdre les sympathies philosophiques de ceux
qui, sur cette terre de misères, cherchent la vérité courageusement, à
leurs risqttes et périls. Voltaire n'avait-il pas été soumis exactement
au même travail?
« Nous avons confessé Ber.mgcr, dirent-ils; nous l'avons absous a
Sain te-ÉlU-abetl 1. Béranger a renié sa vie. Que la terre lui soit
Peut-être y a-t-il des personnes qui ont cru que Béranger s'était réel-
lement confessé. « Béranger a reçu son pardon, » dit 111. Proudhon
dans son dernier livre. Je ne crois pas que le pardon ait été donne
en tout cas, la confession n'a pas eu lieu.
« Voici l'exacte et entière vérité sur ce point important. Mademoi-
selle Béranger, religieuse cloitrée, devait naturellement désirer que son
frère fit une fin chrétienne. Le G juillet, M. Perrotin reçut une lettre
Dans une hiographie de Béran;er faite pour un journal à deux sous, on a trouvé
étrange que j'insistasse si particulièrement sur ce point. Je trouve encore bien plus
étrange cette remarque. La vérité, en un cas semblable, doit-elle jamais être
amoindrie? Je ne suis rien, mais mon témoignage est quelque chose.
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crisie destructive et du doute destructeur de la
morale humaine, pleins de respect pour le nom de
Dieu, sachant bien pourquoi nous croyons en lui,
fort polie et très-digne par laquelle il était hri' au nom de mademoi-
selle Béranger et de la communauté, de p éparer une entrevue entre
l'abbé Jousselin.et le malade, lettre signée Alrcrie-Sopltie, supé-
rieure. M. Perrotin ne pouvait avoir la pensée d'introduire chez son
ami un prêtre qu'il n'avait pas demandé voir.
D'un autre côté, l'un des amis de Béranger, M. Thomas, payeur
central du ministère des finances et catholique sincère, ayant entendu
Déranger parler de Dieu (ce qu'il faisait souvent, avec émot'on mais
en des termes philosophiques), crut devoir aller trouver M. Jousse-
lin, curé de la paroisse et ancien curé de Passy. C'est ainsi que M. le
curé de Sainte-Elisabeth vint voir Déranger. Il a ('té dit dans V Appen-
dice qui suit MA Biographie que ses visites furent rares, très-courtes, et inutiles à raconter. Le peu de paroles intéressantes qui furent pro-
noncées y ont été fidèlement transcrites.
c Mademoiselle Béranger, autorisée par l'archevêque, vint voir son
frère. Il ne fut pas question entre eux de religion
« Vers le temps on M. Jousselin fut nommé chevalier de la L/gion
d'honneur, le bruit courut qu'il allait publier une brochure sur les
On a dit que mademoiselle, lîérangrr avait espéré une conversion et qu'elle eut
la douleur de se voir froidement accueillie par son frère, que M. AnLier l'empêcha
de parler, qu'elle se relira mécontente. Voici la lettre qu'elle a écrite à )!. entier,
te 1 juillet ISjT, et dont elle a permis qu'on l'il usage
« Monsieur,
» C'est une consolation pour mui, au milieu de ma profonde douleur, de savoir
que mon bien-ainié f'n're a trouve un ami comme vous, qui lui a donné jusqu'à la
fin les témoignages du plus sincère dévouement. Je sais les soins pénibles que lui
a prodigues aussi madame Anticr, et je n'ai point d'expressions pour vous en
témoigner à l'un et à l'autre ma vive reconnaissance. Gue ne puis-je être à même
de vous en donner des preuves efficaces!
Recevez, monsieur, et vcuillez faire agréer à madame Antier l'expression de
mes sentiments respeclueusement dévoués et de la gratitude qui toujours vivra au
fond de mon cœur.
Votre très-humble servante,
x Soi'IUE JJ
Ainsi se démentent deux assertions différentes: 1° Déranger n'a pas demande a
se confesser; 2° les amis de Déranger n'ont pas eu besoin de s'interposer entre lui
et mademoiselle sa sœur.
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et nous faisant l'honneur de tirer de notre intelli-
gence, comme de notre âme, l'hommage que nous
lui rendons, sans regret pour la vie que nous avons
aimée, sans crainte pour l'heure inconnue qui va
suivre l'heure de la mort.
s Aucun sujet d'étude n'est plus grave; il s'agit là du terrible pair ou non de Pascal qui menace les
âmes hésitantes. Dieu, la mort, l'éternité, ces mots
retentiront peut-être fulgurants d'épouvanté sur
notre lit de vieillesse et de maladie. Nous devons
tous mourir en effet; notre chair à tous, ta chair,
ô mon lecteur! sera flétrie et décomposée quelque
jour.
Choisissons cependant.
S'il est une religion clairement révélée aux hom-
derniers moments de Béranger. De.; amis du poëte qui savaient
combien peu ces derniers moments avaient fourni de matière à un écrit religieux, se préparèrent à rendre publique une déclaration qui
contiendrait le résumé authentique de tou'. ce qui s'était pas é dans la
chambre du mourant; mais le bruit qui avait pris cours étant tombé
bientôt et la brochure n'ayant pas paru, la déclaration devint inutile.
« Lorsqu'il parut impossible de soutenir le bruit de la conversion de
Béranger, l'Univers, soi-disant religieux, chef de meute, et tous les
petits journaux des diverses provinces reprirent le chœur interrompu
de leurs injures, et ils le reprirent avec un élan, un ensemble, un air
de sécurité, qui ne pouvaient manquer de déterminer les retardataires
dire leur mot. de « ce coquin de Béranger.
Et je réimprime-, une fois encore, la note qui, dans la brochure, se
rapportait à ce passage
v « Pourquoi M. E. de la B' voulant imprimer une Vie de Béranger à dix centimes et ayant une gravure à mettre quelque part pour
illustrer son texte, a-t-il choisi un dessin repr'sentant, en apparence,
la confession de Béranaer ? »
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mes par le Dieu de l'infini, si ce Dieu veut les pu-
nir, comme d'un crime, de ce qu'ils vivent; si la
vie est un péché dont il faut nécessairement se ra-
cheter, si une foi spéciale est le seul moyen de salut
qui nous soit accordé, faisons violence à la nature,
rejetons de notre âme la liberté de penser, cour-
bons la tête sous la foi, chargeons les sciences de
chaînes, rougissons de honte à la moindre idée
d'indépendance ou de plaisir, et adorons en silence
la volonté des rois qui nous sont donnés par la Pro-
vidence divine. Si la raison résiste, si notre coeur se
révolte, s'il veut, coûte que coûte, aimer un Dieu
paternel, si l'Evangile nous parle un autre langage
que l'Église, abandonnons-nous au sentiment de la
dignité humaine, croyons à notre rôle, redressons
le télescope en face des nébuleuses les plus lointai-
nes, osons penser, osons louer la joie, et pratiquons
enfin la liberté.
Tout cela sans injure pour aucune religion d'au-
trefois, et sans ingratitude particulière pour la reli-
gion catholique qui a en de si beaux jours, qui, nous
le savons bien, est un chef-d'œuvre de politique et
de théologie pour les savants et qui a donné, qui
donne encore à tant d'ignorants des consolations et
des espérances appropriées à leur pauvre génie.
Il v a de Béranger un vers autrefois célèbre
Qu'on puisse aller même n la messe,
Ainsi le veut la liberté.
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Cet homme si sage, si juste, si véritablement ami
des hommes, n'a jamais songé à faire violence à qui
que ce fût. Il respectait la superstition elle-même, là
où elle était sincère. Sans pitié pour les spéculateurs
.qui font de la foi d'autrui métier et marchandise, il
eût au besoin confirmé dans leurs erreurs les âmes simples qui n'ont jamais connu que ces erreurs et
chezlesquelles on ne sauraitlesdétruire sans y semer du même coup le désespoir. C'estle fanatisme, et non
la faiblesse d'esprit, qui est un crime. Les pêcheurs de France ou d'Italie invoquaient autrefois Neptune dans les naufrages avec la même ardeur, au moment
du péril, ils invoquent aujourd'hui la Vierge. Est-ce cette habitude, d'ailleursindestructible, qui arrêtera ;̃̃• la civilisation moderne? D'où qu'elle vienne, laissons :aux humbles, qui ne doutent pas par eux-mêmes,
leur croyance consolatrice, n'allons lesprotéger con-
• tre leur foi que si elle commence à leur nuire. Assurément l'homme qui a besoin de croire a éga-
lement besoin de purifier sans cesseleculte qu'il rend
Dieu et d'y mettre chaque jour une plus grande
» part de sa raison. Mieux il comprendra ce qu'il fait, meilleur devient son hommage. Assurément aussi le
temps purifie les religions et y donne un rôle tou-
jours plus actif l'intelligence. Mais, si nous songeons
au peu de siècles écoulés depuis que l'histoire écrit
la vie.des nations, si nous jetonsles yeux surla variété
etlenomhre des peuples qui attendentune civilisation égile à la nôtre, si chez nous-mêmes et jusqu'en nos
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villes les plus brillantes, nous étudions la manière
de penser de la plupart des hommes, nous devons, à
moins de n'aimer que les rêves, reconnaître que le
temps où les religions seront tout à fait inutiles est
bien loin d'être arrivé. Bien plus, il n'arrivera proba-
blement jamais car il est à peu près certain que l'in-
égalité des intelligences subsistera jusqu'au dernier
jour de l'humanité. Le goitreux des Alpes pensera
toujours d'une autre façon que Newton ou que Cor-
neille. Ce n'est pas u nous qu'il appartient de corriger
jusqu'à l'oeuvre de Dieu. Ceux qui conseillent sé-
rieusement l'athéisme ou, du moins, la destruction
-violente de tout sentiment religieux ne voient-ils
pas dans quel abîme seraient jetés les esprits fai-
bles ? Ils paraîtraient peut-être, sous une pression
puissante, les athées les plus hardis, comme ils sont
les crovants les plus crédules; mais quelle triste vie
et quelle mort triste on leur inflige?
Non, non, nous n'avons pas le droit de créer de
telles misères.
Qu'on puisse aller môme à la messe,
Ainsi lc veut la liberté.
Il faut conclure néanmoins, et comment conclure?
Béranger croit énergiquement en un Dieu créa-
teur, en un Dieu juste et bon. Il sait que l'athéisme
est plutôt une maladie de l'intelligence qu'une phi-
losophie il pense encore qu'il n'y a point d'athées
véritables et que ceux qui nient Dieu n'en' veti-
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lent qu'aux religions corruptrices de la raison.
En même temps qu'il croit en Dieu, Béranger croit
à l'immatérialité de l'âme et à la vie future. Il y croit,
parce qu'il y croit et aussi parce qu'il veut y croire.
La grande majorité des hommes ne partage-t elle
pas instinctivement la même croyance? Non-seule-
mentcette doctrine est fortifiante et consolante; mais
plus qu'aucune autre elle favorise dans le sein des
sociétéshumainesledéveloppement des vertus privées
et des vertus publiques. Aucune autre n'est un auxi-
liaire plus puissant des idées de dignité individuelle
et dé liberté.
Mais, si quelqu'un, de bonne foi, doute de Dieu et
doute de son âme, si quelqu'un n'a pas soif d'éter-
nité, Béranger ne croit pas que ce tort de l'intelli-
gence d'un homme lui puisse être imputé à crime par
Dieu ce sont les oeuvres que Dieu juge, et non pas
la croyance.
Croyons en Dieu et n'enfreignons pas les ordres
de la conscience. Si nous ne croyons pas, vivons hon-
nêtement, et cela peut suffire encore.
Ce qu'il faut avant toute chose cette jeune et
craintive humanité qui d'hier à peine est émancipée,
qui ne pense encore avec calme que dans la raison
de quelques-uns de ses représentants les mieux
doués par Dieu, c'est une croyance toute simple, la
plus claire, la plus douce possible. L'histoire raconte
comment les religions et les philosophies diverses
se sont succédé déjà les unes aux autres sur la
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terre et comment le christianisme, il y a près de deux
mille ans, a recueilli l'héritage des générations anté-
rieures. Elle montre que toutes les fois qu'une reli-
gion devient une entrave à la civilisation d'un peu-
ple, ce peuple coupe le câble qui retient son activité
attachée à des principes désormais frappés d'inertie.
Il est donc absolument nécessaire que les religions
modernes se dégagent, pour subsister, de ce qui pèse
inutilement en elles, et qu'autour de la croyance
plus ou moins chargée de dogmes, que les siècles se
transmettent, il y ait chaque jour un préjugé de
moins, une pensée de plus. Il est nécessaire surtout
que les hommes ne soient pas écartés du besoin de
croire par le besoin, plus pressant quelquefois, de se
défier de ceux qui disent qu'il faut croire et comment
il faut croire. la meilleure religion est celle, par con-
séquent, qui place le moins d'hommes entre Dieu et
l'homme, le moins de mystères, le. moins de dogmes
entre la vérité éternelle et l'intelligence humaine.
La pacification définitive des idées, l'organisation
de la grande politique de l'avenir, ne cessera d'être.
une chimère que lorsque nous aurons chassé de chez
nous, sans retour possible, tout ce qui encourage
et entretient l'hypocrisie, le fanatisme, l'intolé-
ra n ce.
Mais la question n'est pas si aisée à résoudre. Com-
ment se fait-il, en effet, que lorsqu'une religion
chancelle depuis longtemps dans les cœurs, il y ait
toujours pour la redresser, et coûte que coûte, des
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personnes qui, en réalité, ne croient pas à son
avenir?'
Cela vient de l'excessive paresse qui empêche le
plus souvent les hommes d'agir, et de leur crainte
incurable de l'inconnu. Ils se cramponnent à ce qui
-est, comme à un arbre, jusqu'à ce que la dernière
'branche casse. De cette manière, les choses durent
toujours mille ans de plus qu'elles n'auraient duré,
et, entre la première décadence d'une grande idée
générale et le triomphe définitif d'une autre idée, il
y a place pour le sacrifice de vingt ou trente géné-
rations, qui vivent d'incertitude sans qu'il y ait de
leur faute, et que l'histoire blâme plus tard de leur
ignorance ou de leur indifférence. Comment les cho-
ses pourraient-elles s'arranger mieux et marcher plus
vite? le jeu désintérêts est si compliqué! tant de con-
ventions passent comme un héritage sacré des pères
-aux enfants! il y a de si habiles spéculateurs pour de-
mander qu'on ménage partout les transitions et qui
prouvent, à des sociétés convaincues d'avance, qu'on
aie connaît rien de plus agréable, en somme, que la
'Stabilité de toutes les institutions! La religion d'un
pays étant au premier chef une institution néces-
saire, et par mille canaux en découlant et y aboutis-
sant les lois et les mœurs, il a été jugé facilement
.qu'y toucher est un crime. L'histoire ne révèle-t-elle
-;pas la gravité de tout effort fait jusqu'ici pour
modifier le culte rendu à Dieu? Mahomet a une
vision; et la moitié du monde est ensanglantée
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par la conquête; Luther demande qu'on réforme
l'Église, et tout le seizième siècle devient en Europe
un champ de bataille plein de douleurs et plein de larmes!
Les sages d'aujourd'hui, et Béranger à leur tête,
s'opposent à ce que la violence ensanglante désor-
mais les, conquêtes de la sagesse. Si les humbles,
et il y aura toujours des humbles d'esprit, ne veu-
lent pas, ne peuvent pas être élevés jusqu'à la lu-
mière philosophique, nous n'irons point de force
dévaster leur intelligence déjà stérile, et, dès le
moment que quelques-uns de nous restent en ar-
rière, nous comprendrons qu'une religion n'est pas
inutile.
Concluons maintenant d'une manière décisive,.
car la philosophie pratique, comme politique sé-
rieuse, ne se passe pas de conclusions.
On ne détruit que ce qu'on remplace. Or, y a-
t-il quelqu'un qui puisse, en supposant qu'il le doive,
déraciner aujourd'hui même tout le catholicisme et
tout le christianisme? A-t-il à planter un meilleur
ombrage pour le rafraîchissement des âmes? A-t-il
à promettre, dès demain, de meilleurs fruits?
Non, n'est-ce pas? C'est donc, sinon à l'une des
religions issues du christianisme, du moins à la
doctrine chrétienne, qu'il faut borner nos désirs
d'améliorations religieuses. La morale de l'Évangile
n'est pas pour être rejetée ainsi d'un monde qui
ne l'a pas encore su pratiquer sincèrement!
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Au seizième siècle, la France, quand le moment
était propice pour se réformer est restée catholique.
En 1801, au moment où la majorité des fondateurs
de la nouvelle société et la plus grande partie de la
nation ne pratiquaient plus2 et ne réclamaient pas
la religion romaine, le premier Consul, avec le désir,
de concentrer dans ses mains toutes les forces de
gouvernement et en vue d'asseoir solidement son
autorité, signa le Concordat qu'on blâmait autour
de lui, et défit l'œuvre de l'Assemblée constituante.
C'était en ces deux occasions qu'on pouvait tenter
d'introduire d'un seul coup en France une manière
d'honorer Dieu qui coûtât le moins possible à la raison et qui ne fut jamais un obstacle à la li-
berté. Aujourd'hui, il n'y a que des vœux à for-
mer.
Béranger, qui a si vivement raillé et maudit les
vices et les mauvaises passions d'une partie du
clergé catholique, qui a prédit pour un temps pro-
chain la chute de Home, n'a cessé de louer et de
chanter l'Évayile.
y Qu'est-ce que cet Évangile qui ne périt pas, quand
même Rome et les prêtres de nome périraient?
Quelle est cette doctrine qu'un déiste comme Rous-
seau ou comme Béranger recommande au respect
des hommes? C'est la doctrine et le code moral de
V. le Mémorial, t. II, p. 11-2 de redit. Bourdin.
V. Thibaudeau, Mémoires sur le Consulat, p. 157 et ehnp. xvn de
l'Histoire dy. Consulat et de l'Empire, du même auteur.
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ceux qui veulent unir désormais le culte de Dieu et
la liberté de penser
Encore une fois il faut conclure; et l'on ne dé-
truit que ce qu'on remplace.
Est-ce le gallicanisme qui suffira pour cette tâche ?
Sont-ce les quatre articles de la déclaration du clergé
de 1682 qui vengeront la raison et la liberté de tant
d'outrages? D'ailleurs, le gallicanisme est mort de
faiblesse il n'y a plus, et au fait il ne peut plus y
avoir que le catholicisme de Rome.
Est-ce le rationalisme pur qui, dès aujourd'hui,
peut être la foi de la foule ignorante? Cette seule
question indigne bien des gens; au nom de l'es-
prit gaulois, ils se récrient contre l'apparence même
d'un doute'. Ils pensent que c'est un blasphème de
1 A la page 67 du Traité de l'Orthodoxie moderne, de Ils. Coquerel,
je trouve cette définition de l'orthodoxie des protestants modernes
« Une opinion moyenne, qui se place à une aussi grande distance
du pur calvinisme que du pur rationalisme, qui chérit l'Évangile beau-
coup plus que la théologie, qui préfère le sermon sur la montagne et
les discours après la première sainte Cène à toutes les confessions de
foi, qui incline très-fortement vers une simplicité évangélique dans
les doctrines et vers la prédominance d'un christianisme pratique, qui
n'a point peur du progrés, qui admire beaucoup l'invincibie fidélité de
nos pè. es et n'entend rien à leur dogmatisme une opinion point sa-
vante, point querelleuse, point mystique, très-peu amie du prosé-
lytisme agressif et très-ennemie de toute intolérance mélange de
bon sens et de foi chrétienne, d'instinct et de réflexion. »
l « Que les adversaires secrets ou déclarés de la domination de
l'Église romaine en ce pays ne s'attachent point servilement, dans la
poursuite de cette grande guerre, a l'imitation d'une lactique qui l'é-
ternise et que l'expérience a condamnée. Qu'ils se persuadent bien
qu'ils n'auront pas plus d'esprit que Voltaire, ni plus d'honnêteté rùu-
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dire que les hommes instruits et les hommes sans
instruction peuvent avoir une foi un peu diffé-
rente; ils en appellent au peuple de l'insulte qu'on
lui fait; ils déclarent que, si la religion n'est qu'un frein, il faut détruire jusqu'au nom de Dieu; ils perdent le sens, en un mot, et ne voient pas que
ce n'est pas seulement du présent qu'il s'agit, mais
de tout l'avenir.
La France, dit-on, a depuis longtemps sauté au
delà de la réforme de Luther et de Calvin. Aussi ce
n'est pas le luthéranisme ou le calvinisme du sei-
zième siècle qu'il est bon de lui recommander; ce
n'est pas même un protestantisme quelconque. Ce
qu'on peut désirer, chercher, préparer, c'est, dans
l'état actuel des esprits et dans cette inégale répar-
tition des lumières, une religion raisonnable qui
permette que chacun soit son confesseur et, selon ses forces, s'explique sa doctrine. L'esprit français
donnera de la vie à ce qui n'est qu'un rêve. Ne crai-
gnons pas qu'il se laisse mortifier par les sévérités
d'une morale trop rigide, et, d'autre part, désirons qu'il se rappelle plus souvent le Dieu de l'hvangile
au milieu de ses plaisirs.
Béranger le lui rappelle sans cesse. Voilà ce qu'au-
rageuse que l'Assemblée constituante, ni plus d'audace que la Convention, ni plus d'invention et de fécondité en matière de culte que
Laréveillère-Lépaulx. Qu'ils soient enfin convaincus que la théophilan-
thropie spéculative est un aliment trop léger pour la multitude, et que
la théophilanthropie pratique est le brand chemin des concordals. .{Prévost Paradol, De l'impiété systématique).
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raient dû ne pas oublier quelques-uns de ceux qui,.
avec les mêmes idées et les mêmes désirs que lui,
chargent sa mémoire de tant de fautes imaginai-
res. Quand on loue Chaning, il faut savoir admirer
Béranger
Les uns l'accusent d'impiété, et nul n'a maintenu
plus vigoureusement l'idée de Dieu dans les esprits.
Les autres lui reprochent la tolérance pratique et
la douceur de ses chansons dernières, et nul, de-
puis Voltaire, n'a plus fait pour dégager le culte
naturel et l'idée de Dieu de tous les voiles dont vingt
siècles l'ont entourée.
Sans doute, il fut modéré dans ses actes et dans
ses derniers vers; mais il eut, au besoin, l'énergie
de la modération, et il montra, si l'on peut dire, en
philosophie, le fanatisme de la tolérance 2. Vertu
précieuse et rare!
La plupart des journaux protestants l'ont bien compris; et, quand;
Béranger mort était traîné sur la claie par un si grand nombre d'écri--
vains catholiques, il fut respectueusement salué par d'autres chrétiens..
,1 Pour clore ce premier chapitre, il y a une lettre de Béranger,.
écrite en 1840 il Lamennais, qui montre bien ce qu'il y avait de mo-
déré et d'humble dans la philosophie de ce continuateur si hardi de
Voltaire et de quelle manière croyait en Dieu ce penseur, qui avait
besoin de si peu raisonner pour être si raisonnable. Cette lettre a été
publiée récemment par lI. A. Blaize, neveu de Lamennais, à la fin de-
l'Essai biographique qu'il a consacré à la mémoire de son oncle.
18 décembre 1840.
« Cher ami, je viens de lire, de lire avec toute l'attention dont je.
suis capable, vos trois admirables volumes. J'ai été constamment dans.
une extase que vous n'attendiez pas sans doute d'un antimétaphysicien.
Ayant peu lu d'ouvrages de ce genre, j'hésite il vous dire que je ne:
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DE LA VRAIE MORALE
V Du même coup qu'il affirme Dieu et reconnaît sa voix dans la conscience, Béranger affirme la mo-
rale naturelle. En voici la loi Fais tout ce que ta
conscience te dit de faire ne fais rien de ce qu'ellé
crois pas qu'on ait chez nous rien produit de pareil ni rien d'égal. Au
moins suis-je bien persuadé qu'il n'y a pas dans notre philosophie de livre écrit aussi merveilleusement. Pardonnez à l'artiste de s'être autant arrêté sur la forme. Non, mon ami, on n'a jamais mieux écrit en français, et peut-être conviènt-il de dire qu'on nfa jamais aussi bien écrit. A chaque page, à chaque phrase, lorsque vous descendez de Dieu
jusqu'à nous, à travers tous les rayons de la science, je me représen-
tais Rousseau ou Buffon traitant pareille matière, et il m'a- toujours
semblé, que leur plume ne serait pas arrivée à cette souplesse, à cette
lucidité, à ce facile enchaînement logique, à cette grâce donnée au plus
profond savoir, à cette poésie communiquée aux plus hautes pensées
philosophiques et métaphysiques. Cet ouvrage, fruit du plus vaste sys-
tème, a dû mûrir bien longtemps dans votre cervelle avant d'arriver à
pareille éclosion. Ce n'est pas là une œuvre faite page à page. Quelle merveilleuse coordination! Comme on pressent déjà tout ce qui va
suivre!
« Je vous parlerai peu du fond, si ce n'est pour vous mettre en garde contre mes éloges. Croiriez-vous, cher ami, que ma tête de chanson-
N nier, sans doute aussi mon cœur, m'avaient fait des pensées qui ont le plus'grand rapport avec les vôtres? Mon spiritualisme, malgré mon
x ignorance, s'était formulé presque entièrement ainsi pour moi, au bruit de mes joyeux refrains et de mes airs de pont-neuf, qui ne res-
semblent guère, je pense, à la musique de Palestrine. Néanmoins il
faut que je vous avoue qu'un point bien important établit une différence entre nous deux. Je me suis toujours élevé vers Dieu autant que mes ailes fangeuses me l'ont permis, mais toujours les yeux fermés,
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te défend. Tu te sens libre, raisonnable, joyeux?
garde ta joie, ta raison et ta liberté. Cherche à vivre
heureux, et sache que le bonheur d'un homme dé-
pend du bonheur de ceux qui sont autour de lui. C'est la loi de Trajan, de Socrate, et la nôtre.
De ce culte éternel la nature est l'apôtre.
Le bon sens la reçoit, et les remords vengeurs
Nés de la conscience en sont les défenseurs;
Leur redoutable voix. partout se fait entendre.
Voltaire.
Ainsi pensait Rousseau, lorsqu'il déclarait que
l'homme est naturellement bon. Son erreur consiste
me contentant de dire « Oli oh » comme la bonne femme de Féne-
lon. Croiriez-vous que je frémis presque lorsque je vois qu'on analyse
la substance créatrice? Je tremble quand je vois disséquer Dieu, si
respectueux que soit l'opérateur. C'est que, moi, je crois comme les
petits enfants, ce .qui semble ne m'aller guère. J'en ai connu un qui
avait un Jésus de cire; sa bonne, en touchant à la statuette, la brisa.
L'enfant se mit à pleurer en disant « Je n'ai plus de bon Dieu, je vais
« mourir! Bien que je sache que mon Dieu ne finira pas én poussière
sous les veux d'un puissant génie, toujonrs est-il que je suis tenté de
crier au génie « Croyez et fermez les yeux Pourtant, je le recon-
nais, il fallait que les vôtres pussent voir pour ouvrir ceux de tant
d'aveugles. Soyez béni pour avoir rempli une tâche apostolique si digne
d'opérer des miracles!
Malheureusement vous écrivez chez une nation qui ne sait plus
lire, peut-être parce qu'on a le soin de ne lui en pas laisser le temps.
Malgré toute votre renommée, je crains que cet ouvrage n'obtienne
pas d'abord l'attention générale qui lui est duc. Peut-être en Allema-
gne fera-t-il plus de sensation et cette sensation réagira-t-elle sur nous
autres, gens fort distraits, qui avons pour habitude de laisser passer
les chefs-d'œuvre sans y jeter les yeux et les grands hommes sans
prendre la peine de les saluer. 0 mon ami puissiez-vous jouir de toute
la gloire que vous méritez! Vous n'en seriez pas plus vain, mais vous
en seriez plus heureux, car ce serait la preuve qu'on vous a compris,
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a dire que toute société gâte cette vertu naturelle.
La vérité est que l'homme a en soi les germes de la
vertu, mais que ces germes ne se développent pas
tout entiers dans l'isolement, et que la civilisation. peu à peu les fera fleurir tous. Si cela n'était pas
vrai, pour quel rôle serions-nous créés? Si nous
n'avions un but commun et une tâche commune,
pourquoi la race aurait-elle pullulé et couvert la
terre, planté les champs, fondé les villes'?
Pullulons encore, multiplions-nous sans crainte::
le restreint moral de Malthus est bien évidemment un crime de lèse-nature, qui n'a pu être imaginé
que dans l'oisiveté des cités de commerce, là où
l'avenir de l'humanité se borne pour tant de gens
à la prospérité d'une famille, et où la petite bour-
geoisie, sans y penser, rêve des majorats. La morale
universelle veut que les hommes ne doutent pas de
l'avenir de la grande famille humaine.
Et cette morale, encore une fois, est écrite dans
la conscience 1. A mesure que les siècles, ces saisons
qu'on a profité de vos sublimes enseignements, et qu'à votre voix
inspirée ont disparu toutes ces doctrines absurdes et funestes qui jet-
tent les peuples hors de la voie où Dieu a placé leur salut. »
Aux philosophes qui veulent que Dieu se démontre et que les vérités.
de la conscience prennent une figure géométrique, Béranger parle de
sa croyance irréfléchie. Mais n'oublions pas que le même homme, au. moment où il l'a fallu, et toujours au nom de la raison, a écrit les.
vigoureuses chansons des Papes et ouvert toutes grandes, de par Margot,,
les portes du paradis de saint Pierre.
1 Nous avons remarqué que les philosophes les plus contraires au dé-
sir d'immortalité reconnaissent cette morale écrite dans la conscience
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de la vie progressive de l'humanité, se succèdent, la
conscience nous découvre des parties cachées de la
morale et nous parle de nos nouveaux devoirs. Elle
n'a pas besoin de nous parler de nos droits..Nous
n'avons pas de droits, pas plus, comme on l'a dit
si finement, que les deux lignes qui se rencontrent
n'ont le droit de former un angle; mais de l'accom-
plissement des devoirs mutuels découle pour les
individus quelque chose qui ressemble à la jouis-
sance d'un droit. Dire que nous avons le droit de
vivre, le droit d'écrire, le droit de travailler, c'est
une manière de parler. On n'a pas à en douter,
dès qu'on voit que tout homme doit respecter le
travail des autres hommes, leur pensée et leur
vie.
C'est pour établir la morale, encore plus que pour
fonder la notion de Dieu, qu'il est bon aujourd'hui
de se réduire à peu de mots et qu'il faut éviter les
théories et les disputes. Si la philosophie est deve-
« L'homme, dit Proudhon, est cloué d'une faculté positive, la conscience,
qui le porte incessamment at la justice. La justice, c'est. le sentiment
du droit et du devoir qui se passe de sanction morale. Pascal, d'un
bien autre point de vue, disait également « La vraie éloquence se
moque de l'éloquence, la vraie morale se moque de la morale; c'est-
à-dire que la morale du jugement se moque de la morale de l'esprit,
qui est sans règles. Il
Cette vraie morale, expliquée aux esprits simples d'une manière plus
ou moins complète et plus ou moins bonne par les diverses religions,
ne relève d'aucune religion. Elle est même indépendante, avons-nous
dit avec J. J. Itousseau, de la croyance en Dieu. Et cela va comme de
cire. Ce ,qu'il y a de plus nécessaire dans la vie humaine, c'est l'action,
et non pas tant la pensée.
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nue bien embrouillée, on n'a pas moins assombri
la science du devoir. Notre manie de penser d'une
manière distinguée, toute neuve, d'avoir un système
à nous, de monter en chaire dès vingt ans, d'ou-
vrir une école, a donné une valeur qui sera bientôt
.reconnue aux moralistes familiers.
Voltaire dit
Le malheur est partout, mais le bonheur aussi.
Il n'en faut pas davantage pour rendre du cœur à l'homme qui se désespère en voyant que l'optimisme reçoit continuellement de cruels démentis.
Un curé de campagne lit à ses paroissiens le ser-
mon sur la montagne (il faudrait qu'il le lût tout
entier) en voilà vraiment bien assez, si le curé
est estimé dans le village, pour que les âpres paysans
se laissent séduire aux charmes de la charité. Un
fait aussi incontestable, c'est que certaines chansons
de Béranger, bien chantées, font encore plus d'effet
qu'un sermon et que la lecture des poèmes philo-
sophiques de Voltaire. Je ne me crois pas autrement
construit que les autres, et certainement elles m'ont
ému plus d'une fois jusqu'au fond du coeur.
Mais il n'est pas nécessaire d'appuyer là-dessus
quelque envie que nous ayons aujourd'hui de nous
croire à l'abri de toute émotion, comme d'une
chose déshonorante, nous savons, par de nombreu-
ses expériences, quel est le pouvoir de ces chan-
sons lorsqu'on les chante au théâtre, et que les
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petites passions se taisent devant la passions. Ni la
Bruyère, ni la Rochefoucauld, ni Vauvenargues, ni
un Nicole n'ont poussé leurs maximes si avant dans
le vif de la conscience publique: il n'est donc pas
inexplicable que l'on veuille traiter ici Béranger
comme un moraliste. Les amateurs de jolies remar-
ques ne manqueront pas de dire qu'il serait bon
de déposer dans une même arche sainte une grande
partie des petites comédies vertueuses du Gymnase
et beaucoup d'opéras-comiques; ils recommande-
ront alors comme tout à fait -moral le pont-neuf
On ne saurait trop embellir
Le court espace de la vie.
Ces plaisanteries feront vite leur temps, mais les
œuvres de Béranger ne passeront pas si vite, et ceux
qui, sachant pourquoi on l'attaque, comptent sur
la solidité de sa gloire, ceux-là n'éprouvent aucune
peine à parler de lui comme d'un sage dont les
vers contiennent maintes leçons mémorables. Saint
Jérôme ne craignait pas de louer la sagesse et la
• « gravité » d'Horace.
Voici les vers, qui résument en morale la doctrine
de Béranger
Aimer, aimer, c'est être utile à soi;
Se faire aimer, c'est être utile aux autres.
Il est difficile d'exprimer d'une manière plus courte
une pensée plus significative. On voit tout de suite
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que ce poëte n'est pas un frivole rimeur d'élégies et
qu'il ne met pas toute sa gloire à trouver d'heureux
refrains pour ses chansons. Comment se fait-il qu'un
démolisseur de renommées (toujours M. Proudhon)
vienne se méprendre à de pareils vers et reproche
sa muse efféminée à un écrivain qui, par ce seul
distique, proscrit l'égoïsme, même raffiné, de l'amour
et élève les grâces du caractère il la dignité d'une vertu civique? C'est plutôt cette proscription de l'a-
mour tendre et chevaleresque que plusieurs peuvent
juger dure; mais, dès qu'on raisonne en philosophe, n'est-il pas tout à fait remarquable que Béranger ait opiacé dans les plus doux plaisirs de cœur le devoir le plus nécessaire? Une telle manière de comprendre la
vie et le rôle de l'individu prédispose Béranger à
• préférer moralement, à un amour dont il connaît les voluptés dangereuses, cette tranquille et féconde
amitié qui n'a que des plaisirs utiles à nous offrir. Voilà pourquoi Béranger a été toute sa vie un ami
incomparable, et pourquoi il y a eu si peu de place
dans cette vie pour le roman de l'amour 1.
..Le chantre des joies faciles de la Rome antique,
Horace n'a-t-il pas également mis l'amitié au-dessus
de l'amour et pratiqué cette morale avec une joie
sans mélange? Quand il rencontre, dans son voyage à
Une fois cependant, et assez tard, il fut blessé de la flèche invincible. Sa discrétion, sa délicatesse de sentiment fut toujours si grande,
que ses plus intimes amis soupçonnèrent seuls le tourment contre le-
quel il avait à lutter, et dont il ne triompha qu'avec peine.
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Brindes et Varius, et Plotius et Virgile, avec quel
sincère élan de l'âme il s'écrie
0 qui complexus et gaudia quanta fuerunt!
Nil ego contulerim jucundo sanus amico.
« Non, il n'y a rien pour l'homme de sens au-dessus
d'un aimable ami. » Ou bien
Les longs romans qui font pitié
Ne vaudront jamais quelques pages
Du doux roman de l'arnitié 2.
A citer toutes les pièces de Béranger dans les-
quelles il a loué l'amitié, ou chanté ses amis, ou
prouvé combien il les aimait, l'énumération serait
longue. Il y en a vingt dans l'ancien recueil il y en
a tout autant dans les Cette ten-
dresse, qui se marquai t par des actionsplus encore que
par des couplets, prend dans ma Biographie une cou-
leur plus sentimentale que dans les chansons de la jeu-
nesse. Béranger, oubliant son rôle et sa renommée,
va jusqu'à recueillir des vers dont le plus grand mé-
rite est de dater de loin et de lui rappeler ses plus
chers souvenirs. Non-seulement il donnait toutes ses
pensées, tout son crédit et tout son temps à ses amis
il leur eût donné jusqu'à sa gloire. Ne soyons pas sé-
vères pour ces quelques chansonnettes qui ne don-
nent pas le coup d'aile lyrique, mais qui gardent un
si charmant parfum d'amitié.
1 Serm. I, n' 5, v. 43.
Les Romans,
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De la Couronne retrouvée je détache un fleuron au
passage. Le poëte illustre, le vieil ami est seul, à
Fontainebleau, devant ses souvenirs de jeunesse. Il se raconte les joies passées, et une larme mouille ses yeux.
Et ces convives si fidèles
Au joyeux chant qui rend l'aï plus doux,
Que plus tard j'ai pris sous mes ailes,
Pensent-ils même à moi, qui pense à tous?
Oiseaux charmants, au souvenir volage,
Tous sont épars, chacun dans son enc'os:
Nous n'avons plus le même ombrage,
Plus les mêmes échos.
Quand on songe que c'est Béranger qui se plaint
ainsi, si délicatement, si tendrement, lui qui n'a besoin de personne, lui qui s'est toujours voué au bonheur d'autrui, on comprend que sa maxime sur l'amour et l'amitié n'est pas une maxime de théâtre, bonne à débiter, mais qui ne se pratique pas. Jamais homme n'a su mieux aimer que lui. C'est au peu d'amis qui lui restent à ne pas souffrir plus longtemps que d'infâmes calomniateurs blessent une mémoire qui doitleur être chére il ne suffit pas de gémir ensilence et d'attendre que les temps soient meilleurs.
« Quelle douce chose que des amis écrit Béran-
ger dans Ma Biographie l. Et n'est-ce pas un conseilexquis que celui qu'il donne de ne vous laisser point 1 Page 501.
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« séparer de vos amis d'enfance qui n'ont pu parvenir comme vous, et à qui sans doute vous devez une partie de votre première séve2 » Il ajoute « Déjà homme d'expérience, je me suis cramponné à tous mes vieux amis. »
Ami, ne laissons pas le monde
Nous emporter à tous ses vents;
Plus qu'une misère profonde
J'ai craint les honneurs décevants.
Rimenr, j'ai craint de faire ombrage
Aux talents d'un ordre élevé;
J'ai craint jusqu'au renom de sage
Dont Lisette m'a préservé.
Moi, sage! oh! non; c'est la paresse
Qui m'a fait ces goûts si bornés.
Non, j'aurais craint que ma sagesse
N'effrayât de pauvres damnés.
Quand souffrent, au cercle où nous sommes,
Peuple et roi, riche et travailleur,
Crois- moi, le plus sage des hommes
N'en saurait être le meilleur.
Lebrun, mon exemple t'enseigne
A faire au monde juste part.
A l'Institut qu'un autre régne
J'ai bâti ma ruche à l'écart,
Là, si peu que le miel abonde,
Je puis craindre encor les fourmis;
Mais là, moins je me donne au monde,
Plus j'appartiens à mes amis.
1 Page 342.
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On raconte que souvent, après les séances de l'Académie, Ducis et Bernardin de Saint-Pierre dinaient en famille. Ducis lisait ses vers, qui faisaient le charme de ces petites fètes; ils aimaient à entendre réciter à Paul et à Virginie les fables de Lafontaine, surtout celle des Deux Pigeons et celle de Philomèle et Procné. Ducis interrompait par des cris d'admiration en quittant son ami, il disait C'est nous, c'est nous, croyez-moi, qui sommes les riches du siècle. Les riches et les heureux D'autres voulaient être tribuns, conseillers d'Etat, sénateurs! L'amour n'a pu être pour Déranger, même en théorie, qu'une amitié échangée entre les deux 1 « Lamennais m'a souvent parlé de Béranger, dit M, Forgues Béranger, quelquefois, de Lamennais. De ces conversations, j'ai gardé une conviction très-arretée c'est que la plus sincère et la plus chaude amitié, des deux, n'était point celle du chansonnier. »
Lamennais n'a point fait lui-même cette remarque il eût même reconnu que, dans cette belle amitié philosophique, c'est l'ancien abbé, et non le chansonnier, qui a trouvé le plus d'avantages. Béranger s'enthousiasmait sans auxiliaire; Lamennais ne se calmait pas toujours aisément. Mais admettons que M. Forgues ait le droit de faire la part de chacun d'eux dans le commerce amical qu'ils ont entretenu jusqu'au dernier moment il n'y aurait rien que de très-simple à ce que l'un fût un ami plus chaud que l'autre. Ne faut-il pas toujours que la balance penche d'un côté? Béranger n'attaclie-t-il pas plus de mérite à être aimé qu'à aimer? Un mot encore ceux que Béranger a toujours chéris le plus, ce sont ses compagnons de jeunesse, de joie et de misère. Les illustres amis dui sont venus plus tard échangèrent avec lui moins leur cœur que leurs pensées et leur gloire. Il est doux d'apprendre, en somme, d'un témoin autorisé que Lamennais avec sa pensée donnait son âme.
ConnEsroNDANCE DE Lamennais. Noies et Souvenirs, p. cvm.
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sexes. L'amour est autre chose, avouons-le; mais il
ne l'avilissait pas sans doute en disant
D'une amante faire une amie,
Mes amis, ce n'est pas vieillir.
Ni en écrivant, à la fin de sa vie « J'ai toujours
regardé la'femme, non comme une épouse ou comme
une maîtresse, ce qui n'est trop souvent qu'en faire
une esclave ou un tyran, et je n'ai jamais vu en elle qu'une amie que Dieu nous a donnée. »
Certes, c'est une noble chose que la passion, et il
nous vient de Dieu, cet amour lyrique,
Amour, fléau du monde, exécrable folie!
Elle descend du ciel, cette étincelle d'une électri-
cité superbe qui frappe au sein les plus vaillants, les
plus sages, les plus cruels, comme elle a charmé ou
désespéré les Sapho et les la Vallière; elle est admi-
rable encore, en ses jeux enfantins, la respectueuse
religion de la faiblesse et de la beauté dont les che-
valiers du moyen âge, au prix de leur sang, défen- e daient partout l'honneur. C'est l'amour qui a jeté
dans le monde les plus beaux cris poétiques; c'est
l'amour qui a révélé à l'âme ce qu'il y a de plus dé-
licieux dans la joie, ce qu'il y a de plus fier dans le
courage, dans l'espérance de plus ardent, de plus
gracieux dans le souvenir; mais peut-être est-il utile
qu'une voix s'élève, et, non plus au nom de l'esprit
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d'humiliation et de pénitence, mais au nom de ces devoirs si nombreux que les siècles en marchant nous imposent, parle aux voluptueux des caresses menaçantes de la Sirène. Béranger l'a peinte, dans un merveilleux paysage, à l'heure où tout s'endort/Le vent, le travail, la gaieté,
l'heure où seulement, dans le silence et dans les dernières lumières du soir,
Du sein de l'onde un mot surnage,
Mot que la nuit fera redire au jour
Amour! amour!
La sirène, c'est l'amour même, appelle les jeunes gens qui ont leur vie courageuse à vivre
La vie, enfant, la douce vie
N'est parmi nous, qui sàvons l'attiser,
Qu'un long baiser.
Le malheureux l'écoute, hésite et disparaît sous les flots. C'est en vertu d'un système à la fois philosophique et politique que Béranger, pour combattre les amours énervantes, a loué l'amour rapide et, plus tard, l'amour-amitié.
Quand nous voulons nous faire chacun notre élégie du Lac, nous sommes perdus pour longtemps et courons risque d'être perdus pour toujours au con- traire l'amour, tel que l'entend Béranger, laisse l'homme à la patrie, à la raison, à l'avenir. Il sait
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bien qu'il y a un temps pour la rêverie nonchalante, et que nous n'avons pas été créés pour prononcer toujours ou pratiquer des sentences; mais la vie est courte, le temps nous presse;
Chaque baiser qu'on se donne
Peut être un dernier baiser.
Au galop ne nous attardons pas, si nous tenons à vivre en hommes, aux enivrements de la passion, Notre vie ainsi lancée
Ira cent fois dans un jour
De l'amour la pensée,
De la pensée à l'amour.
Point de faiblesse (et c'est ici le correctif qui ne manque pas de fierté)
Jamais la tendre volupté
N'approche d'une âme flétrie,
Doux enfant de la liberté,
Le plaisir veut une patrie!
Ainsi parle au jeune Grec qui n'avait plus de patrie l'Ombre d'Âmcréon.
C'est mettre de la raison en toute chose, et jusqu'en ce qu'il y a de plus ennemi de la raison. Béranger n'est pas loin, en réalité, de croire lâche un cœur qui ne veut s'emplir que d'amour, et il considère comme des cris de folie, en un siècle chargé de fatigues et de peines, ces voluptueuses et dédaigneuses déclamations que tant de poëtes, et, à leur imitation,
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tant d'hommes lancent à la face des champs, des bois, des prés, des eaux, comme si la nature éternelle n'était 'qu'un théâtre dressé pour leurs plaisirs d'une heure. Lisez la parabole de la Rivière Qui parle ainsi? c'est l'âme folle
D'un poëte qui dans ce lieu
Oublie aux pieds de son idole
Ceux qui travaillent devant Dieu.
Béranger ne nous corrigera pas tous il y en aura toujours quelques-uns parmi nous pour aimer la solitude, pour mener leurs amours au plus profond des bois, pour supprimer en rêve ce qui entoure cette retraite, pour prier Dieu d'éteindre toutes les lumières et d'assoupir tous les bruits. Mais qu'ils se relèvent, qu'ils se réveillent de cette langueur, qu'ils songent à leur tâche voilà ce qu'il demande. Si la passion, l'ancienne passion chevaleresque, si l'amour romanesque et dramatique était une part nécessaire de la vie, si chacun devait aimer à la façon des héros de nos livres, Béranger aurait tort de nier le grand caractère de ces crises; mais combien y a-t-il d'hommes capables d'une belle passion? même enivrante, même énervante, combien y en a-t-il qui connaissent la folie de l'amour? La plupart n'en veulent qu'au plaisir c'est ce plaisir que Béranger veut rapide.
Il a donc aimé et chanté des Lisettes. Hélas! où sontelles, ces pauvres filles qui avaient un bon cœur et
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que le souci de la toilette ne gâtait pas? Les Dames aux Camellias ne valent pas même Frétillon. Où sontelles, ces joyeuses et légères enfants qui n'avaient ni morgue, ni jalousie, ni remords, toutes si fraîches alors et si naïves 1?
1 J'ose, parce que je les ai sentis en les écrivant, placer ici en note quelques vers qui sont un dernier souvenir adressé à la Fille du peuple, aimée et chantée par Béranger.
LE DOIS DE R0MA1NVILLE
Ou a bâti des maisonnettes
Sur le coteau découronné;
Dans leur tombeau les Pomponnettes
En lèvent un front indigné.
Tout passe, tout s'en va. Voyageur solitaire,
Sais-tu combien d'amours ont iionoré la terre
Que sans aucun respect foule ton pied poudreux?
J'ai vu sur ce coteau des chënes bien nombreux,
Des châtaigniers bielfverts, des églantiers bien tendres'
Ces murs indifférents s'élèvent sur leurs cendres;
Le charretier qui passe écrase un souvenir
0 chansons vous deviez bien tristement finir!
Ce monde a disparu la dédaigneuse histoire
N'enregistre jamais que des noms de victoire;
Elle ne dira pas, sous les lilas en fleurs,
Comment la volupté faisait verser des pleurs;
Comment du vieux Paris la riante jeunesse,
A chaque beau dimanche, oubliait dans l'ivresse,
Cueillant la violette aux deux bords des chemins,
L'effort long et cruel des travaux plébéiens.
Elle ne dira pas, mon bois de Romainville,
Que de couples d'amants rentrèrent dans la ville
Couronnés de muguet, une branche à la main,
Branche qu'ils ont ravie à quelque beau jasmin,
Fredonnant les refrains de l'orchestre champêtre,
Écoutant dans la nuit frissonner le grand hêtre,
Et, poètes aussi sans trop savoir comment,
Savourant dans leur âme un poëine charmant.
Parce que ce n'étaient ni marquis ni marquises,
Ces unions du coeur sont-elles moins exquises ?
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Les Lisettes de Béranger resteront dans l'histoire de l'amour littéraire comme de plus pures figures que les Marguerite Gauthier et leurs rivales du demimonde. Et le genre d'amours qu'il a chantés vaudra toujours le genre de mariages, honnêtes, dit-on, que notre société s'est habituée à regarder comme si naturels un vieillard épousant une jeune fille qui veut être riche ou célèbre (la pauvre femme!), des jeunes gens même s'unissant sans s'être jamais vus, parce que leurs parents savent que les fortunes se conviennent. Ce,n'est pas la peine d'insister: cependant il y a peut-être, parmi ceux qui blâment Béranger, un grand nombre de ces époux ou de ces pères de famille si peu délicats en matière d'hyménée. Béranger, le spiritualiste, a dit, dans sa chanson du corps et de l'âme, que l'âme ne doit pas absolument mépriser son premier vêtement, la guenille de Chrysale
Guenille, si l'on veut, ma guenille m'est chère.
Le corps, dans cette chanson, dit son fait, et trèsjoliment, à l'âme vieillie et repentante c'est un Regarde, voyageur, cet horizon si pur:
Leurs yeux en ont longtemps bu le salubre azur.
Ils sont morts. Leurs enfants, refoulés aux barrières,
Boivent d'un mauvais vin les coupes meurtrières
Où reste-t-il encore, en nos pays étroits,
Et des ménétriers et des bals sous les bois?
On a bàli des maisonnettes
Sur le coteau découronné;
Dans leur tombeau les l'omponnettes
En lèvent un front indigné.
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avis à ceux qui, dans leur dernier jour, sont moins
îrancs, moins raisonnables que Béranger.
m Enfin nous surprend la vieillesse,
Tous deux las, tous deux abattus.
De mon déclin naît ta sagesse;
L'impuissance abonde en vertus
Là-lnaut ne t'en fais pas un titre
Cette sagesse a ressemblé
Aux fleurs d'hier que sur la vitre
Fait éclore un soleil gelé.
Ne calomniez donc pas, par dépit, la gaieté, l'en-
jouement, l'amour du plaisir qui anime la jeu-
nesse. Les jeunes gens vieilliront aussi.
Béranger composait ses chansons les plus légères,
les plus lestes (et quelques-unes sont des œuvres d'art irréprochables), à une époque où, après avoir
fait bon marché de ses premiers rêves littéraires,
il se résignait à n'avoir pas de renommée. 11 y a
un moment dans la vie où l'homme se sent de la
force et devine son rôle. Avant la journée d'Arcole,
le général Bonaparte ne se croyait pas supérieur
aux autres généraux de la République de même, avant 1815, et l'explosion de douleur, de patrio-
tisme, d'espérance aussi qui se fit dans son cœur,
1 Hélas! mes vertus me désolent;
Mais l'âge, qui les fait fleurir,
M'ôte la force de courir
Après mes défauts qui s'envolent.
(Les Défauts.)
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Béranger ne savait pas qu'il devait être autre chose qu'un faiseur de chansons épicuriennes. A mesure que sa pensée s'est élevée, il a abandonné ce qu'il y avait dans ses premières œuvres de trop vivement lancé à l'encontredu funeste esprit de mortification; mais il a toujours maintenu cette vérité souriante, que
Le plaisir fait croire au bonheur..
C'est l'écho du grand vers de Yoltaire
Mortels, vos plaisirs reconnaissez un Dieu,
et l'écho de la belle apostrophe du vieux poëte ro,main Lucrèce à Vénus, « Aima par eus rerum1 » Sachons admirer la même morale supérieure et ces mêmes grandes vues d'ensemble, quelques nuances qu'elles revêtent dans une ode, dans une épître ou dans une chanson. Les philosophes donnent à la pensée un extérieur austère et veulent que toutes les lois aient de la majesté mais Béranger, sans les contredire, les raille à bon droit.
Tout l'amas de leurs œuvres vaines,
Dont quelques fous vantent l'attrait,
Calmera toujours moins de peines
Qu'une chanson de cabaret
Amour, réparateur du monde
(Prière d'2m épicurien.)
Quand il parle de l'Évangile, et quand on voit dans toute son œuvre
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A diverses reprises, Béranger a expliqué ses chan-
sons les plus anciennes, qui sont les plus libres,
et a tenu, non à les désavouer, mais à dire quelle
fut la part des circonstances et de l'époque dans
ces premiers essais de son talent.
Sa note XIII des Notes inédites dit « Toutes les
chansons du temps de l'Empire ont une uniformité
insupportable, à l'exception de celles de Désaugiers
et d'un ou deux autres de ses collègues. La chan- son graveleuse devait renaître alors elle appartient
aux temps de despotisme. »'
Plus tard, il vit le parti qu'il y avait à tirer de
la chanson et comprit que la gaieté même devait
avoir son utilité mais alors il n'y avait pas d'idéal,
si ce n'est pour les chants de guerre.
Dans Ma Biographie' Béranger est revenu sur ses
explications. Ce qu'il dit est bon à répéter.
« Il est une observation que je dois faire les
chansons mises à l'index ont été faites sous l'Em-
pire. Or il est remarquable que c'est habituellement
à des époques de despotisme qu'on voit naître de
l'indication d'une sorte de religion sans cesse épurée et toujours évangé-
lique, il faut se rappeler que Béranger, pas plus que Voltaire, n'indique
pour cela une manière d'honorer Dieu qui coûte à l'homme un seul des
plaisirs que lui recommande la nature. Il n'y a pas craindre chez
nous, et il le savait bien, qu'un culte de formes trop rigoureuses soit
jamais le bienvenu. C'est la morale, doucement charitable, et les
franchises et la dignité laissée à la conscience de chacun, que Voltaire
et que Béranger louent dans la doctrine générale du protestantisme.
i Pages 584, 385..
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pareilles productions. L'esprit a un tel besoin de liberté, que, lorsqu'il en est privé, il franchit les barrières les moins bien défendues, au risque de pousser trop loin cet élan d'indépendance. »
Mais, ces remarques faites, et une fois allégué que notre ancienne littérature était bien plus hardie; qu'il avait cru pouvoir l'imiter; qu'en tout cas nul ne lui aurait cherché querelle s'il n'eût, en élevant le ton de la chanson, attiré l'attention sur elle, Béranger ne se repent pas outre mesure. Il est trop bien entré dans son esprit, il fait trop bien partie de sa conscience, que « le plaisir révèle des cieux intelligents!»
Si, en 1814, il fait chanter à Roger Bontemps Je me fie,
Mon père, à ta bonté;
De ma philosophie
Pardonne la gaieté;
Que ma saison dernière
Soit encore un printemps.
En 1845, il écrit à M. Antier
Cher ami, loin que je me gronde
D'avoir tant chanté le plaisir,
Quand je finirai pour. ce monde,
Je n'y laisserai qu'un désir
C'est qu'à la saison printanière
D'heureux enfants, au teint vermeil,
Viennent, où dormira ma bière,
Sur les fleurs danser au soleil..
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Et il tombe,
De son art même fatigué,
Et l'on grave en or sur sa tombe
DÉS MORTELS CI GiT LE PLUS GAI.
Cette gaieté, ne l'aimons-nous plus? « elle n'offense pas la tristesse; » elle se hâte pourtant de consoler, de ranimer quelques âmes.
Car sur ce monde il pleureur
Sitôt qu'on n'ose plus en rire.
Quand arrive le jour des Morts, ce n'est pas d'une voix impie, c'est avec un accent mêlé encore d'enjouement et de mélancolie qu'il pense à nos pères, Ils ont ri de leurs misères;
Des nôtres rions aussi,
et qu'il pense à notre postérité,
Puissé-je, il ma dernière heure,
Voir nos fils plus gais que nous
Chose singulière, quoique connue déjà par tant d'exemples semblables Béranger, « le plus gai des mortels, » a commencé par être -profondément mélancolique, et ce n'est que par une violence de sa raison, vers trente ans, qu'il a chassé de son sein la tristesse 1.
« « La lutte fut en moi aussi douloureuse que longue, et il me semblait par instant que j'allais devenir fou. Enfin, la raison l'emporta
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On a essayé de comparer les vers que cette tristesse vaincue, mais souvent rebelle, lui inspirait avec ceux de nos grands élégiaques. La comparaison n'est guère possible. Le sentiment poétique de Béranger n'appartient à nul autre qu'à lui nul autre, en prenant la parole, ne parle comme lui au nom de tous; nul ne se dépouille si bien de sa personnalité. En poésie même il ne peut être égoïste c'est pourquoi il n'emploie pas, comme Hugo, ou Lamartine, ou Musset, la langue ni les mouvements du lyrisme individuel, et pourquoi, dans ses chants les plus hardis, il garde son caractère de poëte philosophe. Ni sa tristesse ni sa gaieté ne cessent de regarder en face le fanal de la raison. Cela soit dit sans rabaisser personne. Si j'avais à choisir une des chansons de Béranger pour montrer par un seul exemple comment il entendait le don d'aimer et le devoir d'être aimé, pour peindre cette charité véritablement suave qui est sœur du plaisir et, comme lui, fille de Dieu, pour donner un excellent modèle de poésie chantée, de bientôt mon âme devint plus scroinc, les accès de mélancolie disparurent; je vis les hommes tels clu'ils sont, et l'indulgence commença à pénétrer dans toutes mes pensées. Depuis lors, ma gaieté, d'inégale et bruyante, devint calme, soutenue, et ne m'abandonna plus que quelquefois dans le monde, mais toujours pour venir m'attendre dans ma retraite ou auprès de mes amis. (Ma Biographie, p. 536.) Béranger parle, non loin de là, .d'un fardeau qu'il supporta « sans compensation, mais sans murmure. » il le supporta pendant près de quarante années, montrant qu'aucune des charges de la vie ne lui aurait pesé, et que cet épicurien était plus digne d'être père que tant de sévères moralistes.
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chanson persuasive, une leçon de tolérance et de
douce gaieté, oudetristesse charmante, je prendrais
les Denx Sœurs de Charité. Malheur à ceux qui n'ont
pas vu que, parmi les œuvres écrites des hommes, il
n'y en a guère où se soit cristallisé avec plus d'éclat
et avec déplus vifs reflets ce qu'il y a dans l'âme des
hommes de fraternité naturelle, et de foi en la jus-
tice et en l'indulgence de Dieu Ce seul chef-d'œuvre
vaut la gloire. Aussi la postérité aura peine à com-
prendre que, vers le temps où Béranger mourut,
une partie de ses anciens admirateurs aient hésité
dans leur admiration et que quelques-uns aient
semblé s'en repentir.
Dans ses dernières chansons, Béranger, qui a tou-
jours voulu vivre aux champs, avec les fleurs et les
oiseaux, s'en donne à cœur joie et gazouille même
de tous petits airs de pinson et de fauvette. C'était
son humble vocation;
Une fée a, dès ma jeunesse,
Conduit mes rêves dans les bois,
disait-il en vers et en prose Et, une autre fois,
à Rose
Rapprochons-nous de la nature,
Pour nous aimer plus tendrement.
Il a maudit 2 la chasse et.les chasseurs qui troublent
V. llcc Biographie, p. 294, etc.
Le Chasseur, le Merle.
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et ensanglantent la paix des bois. Il a vécu le plus
qu'il a pu hors de Paris, à Maisons-Laffitte, à Champrosay, à Fontainebleau, à Tours, à Fontenay-sousBois, à Passy il n'est revenu à Paris que parce que ses vieux amis lui manquaient trop; à Paris même,
il a toujours caché sa retraite entre des jardins;
mais ce goût si connu n'a pu le sauver d'un reproche de je ne sais plus quel critique; on lui a prouvé,
je crois, qu'il n'avait jamais rien compris au charme de la vie rustique, et tout net on l'a traité de Parisien qui fait ses farces aux barrières. Ce critique s'est mépris.
Béranger n'avait garde de voir dans les villes le
seul théâtre de l'activité humaine et, comme tous les poètes, il aimait l'herbe l'ombre et le murmure des eaux. Seulement sa poésie n'a pas été aussi descriptive que certaines personnes peuvent le désirer.
-Nous ne prendrons pas sur nous de l'en blâmer, croyant avec d'autres que la poésie qui décrit est inférieure à la poésie qui pense.
Un trait suffit pour donner toute une peinture:
quand Béranger montre la chaumine de l'exilé
Au détour d'une eau qui chemine
A flots purs sous de frais lilas;
quand, à la veille d'entrer en prison, il vient saluer
les arbres jaunis et les
Soleils si doux au déclin de l'automne;
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ou lorsque, sentant que, malgré l'âge, sa jeunesse n'est pas éteinte, il chante
Tout me sourit les fleurs brillent plus belles,
Les jours plus purs, les cieux plus étoilés.
Dans l'air plus doux j'entends battr des ailes:
Tous les amours ne sont pas envolés.
Béranger n'est point un lakiste; mais, chantre populaire, son rôle encore lui eût défendu les trop longues images. Puisque l'on veut qu'il ait sans cesse étudié ce rôle pour le bien jouer, on peut voir que t'amour de la campagne, des travaux et des vertus rustiques était sur son programme. Il était surtout dans son cœur.
C'est à ce signe que se reconnaissent les véritables gens de bien, ceux qui, sachant que nous ne sommes pas nés uniquement pour chercher le bonheur matériel, et que, si nous n'étions nés que pour cette recherche, le plus grand nombre de nous ne pourrait pas, avant bien des siècles, compter sur cette satisfaction de ses appétits; qui, sachant cela, se retirent sans peine du milieu du tumulte et des combats des villes, laissant les titres, les emplois, les bénéfices, les richesses de tout genre à la plèbe des solliciteurs et des quêteurs de fausse félicité.
Quoi! chez nous cet homme rêveur
Des rois regrette la faveur!
Plus sage, moi, je sais comme on s'en passe.
Dites cela à ces petits messieurs qu'on rencontre
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dans les antichambres des ministères, qui ont de petites places, de petits rubans, de petites croix, et qui en désirent d'autres. Dites cela à ces autres personnes qui cernent tous les jours la place de la Bourse et qui, elles aussi, ont l'œil méditatif, mais fixé sur quelles idées
Devant ce rêve du jeune âge,
Adieu nos rêves d'avenir!
Dites cela, non pas, si l'on veut, à ces ouvriers si imprévoyants, et lorsqu'ils ont femmes et enfants, si cruellement légers, qui boivent en un jour au ca.baret le salaire d'une semaine, mais à ces paysans que la dureté de leurs travaux endurcit dans le goût de l'argent, et qui, à la suite d'une crise monétaire et financière, dont leur avidité et leur ignorance ne veulent pas voir la fin, ne se retirent plus aujourd'hui des marchés de nos villes sans avoir pillé la bourse des riches et des pauvres. Ou encore, à ces bâtisseurs de maisons qui interprètent si rigoureusement à leur profit ce que disent les économistes de la baisse de l'or et de l'enchérissement irréparable des denrées; qui affirment que leurs propriétés urbaines, biens immobiles, biens protégés s'il en fut contre toute dépréciation, ne sont que des marchandises qui suivent un cours, et qui, forts de leur droit positif, achèvent, en tant de quartiers, d'élever le prix du nécessaire au delà de sa valeur.
Béranger n'a pas voulu être riche, parce que la ri-
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chesse, sans l'injurier, peut nuire au caractère de ceux par qui elle se laisse atteindre. On comprend que les gens riches l'en blâment et peut-être même lui reprochent ce dédain comme une sottise, de même que nos demandeurs de places ne s'expliquent point son aversion raisonnée, et en ce siècleci très-patriotique, pour tous les emplois et jusque pour les sinécures. Que ceux-là s'étonnent, mais que les jeunes gens dont la vie ne fait que commencer, et qui veulent être quelque chose dans l'histoire de leur patrie, méditent avec soin le conseil de Béranger « Lancé au milieu de la société la plus opulente, mon indigence n'y fut pas un embarras pour moi, car il ne me coûtait pas de dire Je suis pauvre. Ce mot, que trop de gens hésitent à proférer, tient presque lieu de fortune, parce qu'il vous permet toutes les économies et qu'il vous concilie l'intérêt des femmes et par conséquent des salons, qu'à cet égard on a calomniés. Ne faites pas de votre pauvreté une gêne pour les autres; sachez en rire à propos, et l'on y compatira sans blesser votre orgueil. » Rien n'est plus vrai. Rien n'est plus juste aussi que les vers
C'est à l'ombre de l'indigence
Que j'ai trouvé la liberté.
Sans doute il y a du ridicule, et il y en aura toujours à louer l'indigence; mais qui est-ce qui paye les frais de ce ridicule?
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Jean-Jacques Rousseau, avec plus de calcul, avec plus de faste et moins de sens, puisqu'il prêche la solitude absolue, a résolu aussi, et tout à coup', d'être pauvre. Déranger ne faisait que suivre son humeur et n'outrait rien.
Sans faire l'Heraclite et se désespérer toujours, on peut répéter une fois de plus ce que les moralistes de tous les temps ont déjà répété si souvent et ce que peu de monde met en pratique, c'est que Ni l'or ni la grandeur ne nous rendent heureux,
et qu'il y a même péril à devenir un homme riche ou un personnage.
« Vois ce fleuve, » dit Béranger en montrant la Loire
Plus il monte, plus il est trouble.
Prêchant de l'exemple autant que du discours, il ne prétend pas pour cela que nul ne doit s'élever à C'est quand il quitta la caisse de M. de Francueil, et au milieu d'une forte fièvre (Voyez les Confessions, partie Il, livre vin.): « Durant ma convalescence, je me confirmai de sang-froid dans les résolulions que j'avais prises dans mon délire. Je renfonçai pour jamais à tout projet d'avancement et de fortune. Déterminé à passer dans l'indépendance et la pauvreté le peu de temps qui me restait à vivre, j'appliquai toutes les forces de mon âme à briser les fers de l'opinion, et à faire avec courage tout ce qui me paraissait bien, sans m'embarrasser aucunement du jugement des hommes. Les obstacles que j'eus à vaincre et les efforts que je fis pour en triompher sont incroyables. »
Mieux vaut la manière de Béranger il rend la vertu moins effrayant et moins difficile à pratiquer.
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un poste, et il sait qu'il faut sur un navire d'autres gens que les passagers. Quand quelqu'un veut servir son pays, et non ses intérêts, son ambition est toujours noble, même si elle se trompe de route.
N'ont-ils pas droit à quelque estime.
Ceux qui, las d'un si long effort,
Près de s'engloutir dans l'abîme,
Du doigt vous indiquaient le port?
Non-seulement Béranger ne croit pas les pauvres et les humbles à plaindre; il croit plutôt qu'ils ont à veiller sur le désir de railler et de médire qui pourrait leur paraître une consolation. C'est ceux qui ont le bonheur en mains, le bonheur moral, c'est eux qui jouissent, s'ils le veulent, de la plus douce sécurité Qu'ils ne s'appliquent donc pas à compter les fautes de quiconque s'est risqué dans les hasards de la richesse ou de la puissance.
« Eh qui de nous n'a failli'? S'il en est qui passent pour n'avoir pas fait de chute, c'est qu'ils sont tombés quand personne ne les regardait. »
Ainsi parle, pense et agit le bon Samaritain. Libre à ceux qui se sentent ou se disent plus chrétiens 1 Un joli conte oriental parle d'un sultan qui allait mourir d'ennui. Les imans interrogés disent qu'il se guérira lorsqu'il portera la chemise d'un homme parfaitement heureux. Il fallut un temps énorme pour trouver cet homme-là enfin on le découvre, on le mène au palais, on le déshabille il n'avait pas de chemise.
2 Ma Biographie, p. 416.
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d'employer le catéchisme poissard quand ils s'occupent de leurs contemporains!
Justement, parce qu'il y a peu de grands esprits qui aient voulu vivre de la vie commune, n'avoir point de chevaux, ni de parc, ni de château, ni un bel habit à feuillages d'or ou à palmes vertes, le peuple a voué une vive et inaltérable estime au chansonnier dont la gloire littéraire ne lui est pas inconnue, et dont il connaît surtout, par la légende et les récits répandus, l'inépuisable et. vraiment fraternelle charité. Elle fut surtout agissante, cette charité réelle, dans les dernières années du poète, alors que la Muse l'avait définitivement quitté, et qu'il restait presque seul, avec peu d'amis survivants, pour soutenir l'âge aggravé et la tristesse de quelques illusions trop hâtivement conçues et déçues trop vite. Ceux qui regardent comme un divertissement salutaire et presque intéressé la peine qu'il prenait de guérir les maux, de consoler les douleurs, de rasséréner les consciences, seraient peu soucieux d'en faire autant. L'ennui les surprendrait dans ce divertissement dont ils parlent avec légèreté; ils n'iraient pas, chaque journée, jusqu'à la fin, solliciter ici et là pour des personnes à peine connues, revenir deux fois pour suivre une promesse de secours jusqu'à son exécution, monter chez l'affligé lui-même, serrer sa main et l'enorgueillir autant que le relever de sa tristesse ou de sa misère. Il ne cherchait pas le sceau du génie sur un front, mais il voulait voir
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sur la figure le sourire d'une pensée saine. On était son frère et son ami, sa clientèle la plus chère, dès qu'on était honnête, et, quoique honnête, malheu reux. Il assistait surtout les pauvres femmes, les veuves chargées d'enfants, et les épouses ou les mères qui vivent dans le deuil comme si elles n'avaient ni maris ni enfants. Mais quoi bon reprendre ici des louanges qu'il ne demandait pas, qu'il méritait plus que personne, et dont le souvenir pèse si lourdement aux gens de mauvais cœur qui ne veulent pas les mériter?
Sauvez-vous par la charité,
est-il écrit dans la gracieuse homélie dont nous parlions tout à l'heure. Il l'a dit, et il a fait mieux que le dire, il a fortifié sa parole par sa vie. Je conseille à plus d'un riche, aux oisifs qui s'ennuient, et aussi aux personnes qui pleurent, de mettre en action la morale du Chapelet dit Bonhomme. S'il reste quelque fraternité dans nos cœurs, elle nous vient de ses chansons qu'on savait soutenues par son caractère, et elle nous sera conservée par ses chansons. Assurément aussi Béranger est pour quelque chose, on n'ose pas dire qu'il est pour presque tout, dans cet échange d'idées pacifiques et dans ce désir d'alliance des peuples, qui empêche l'œuvre de la Révolution française de périr en Europe et qui, plus fortement, plus sûrement qu'une campagne de nos soldats, l'enracine partout dans le sol.
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D'autres ont remué les mêmes idées; mais c'est lui qui les a semées dans la foule.
Étonnez-vous maintenant de ce qu'autour de ce patriarche soient venues de tous les coins de l'horizon se réunir les grandes intelligences de ce siècle! Ce pèlerinage doit prouver aux plus incrédules que Réranger leur semblait autre chose qu'un écrivain. La force, l'éclat, la grâce de sa raison était comme un phare auquel on marchait. Quelle fortune pour le petit imprimeur de Péronne, quel avenir inaperçu pour le chansonnier de 1805 À force d'être interrogé par ceux qui passent pour des oracles, Béranger, a-t-on dit, s'habitua trop à donner des conseils et se crut l'homme prudent par excellence et en toutes choses. C'est qu'il l'était. Pourquoi eût-il ignoré sa sagesse ?
Venu de si, bas, sans autre maître ni conseiller que sa propre volonté, il avait atteint aussi haut que les maîtres de la littérature et de la politique; il les voyait et les jugeait, il avait souvent à les plaindre, souvent à les aider dans leur marche. N'était-ce pas M un suffisant sujet d'orgueil?
Si on n'avait peur de paraître y chercher la matière de louanges littéraires qui, en effet, ne doivent pas partir de là, on montrerait la route difficile que Béranger a suivie pour arriver, de ce qu'il était, même..à trente ans, à ce qu'il devint au moment où fut publié son quatrième recueil. Pas un artiste, pas un poëte, n'a su tirer si grand profit de son fonds il
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a sans cesse cultivé le sien, il l'a sans cesse agrandi
et orné. A un âge où l'esprit fléchit, son esprit n'a-
vait jamais été si vigoureux au moment où l'imagi-
nation, comme un arbre battu par les vents, se des-
sèche, la sienne se couvrait de fleurs. Voilà donc
une vie à citer, un type unique de volonté, de travail,
de succès à indiquer, une éclosion entière à racon-
ter aux écrivains et aux artistes qui se découragent
de bonne heure, ou de bonne heure s'endorment
dans leur premier rayon de gloire.
Béranger avait tous les prétextes du monde pour
cesser d'être un sage et s'enivrer de son triomphe
il a préféré, quoi qu'on dise, la joie vivace de
la modestie à cette joie passagère, et dans sa
manière d'agir, comme dans sa manière de pen-
ser, il n'a pas voulu sortir des bornes de la modé-
ration.
Au risque de paraître bien arriéré, et comme si
nous ignorions les progrès qu'a accomplis la critique,
essayons de reprendre la comparaison qu'on a faite
souventdeBéranger et d'Horace. Mais, dèsle premier
mot, nos bohémiens vont pousser des exclamations
Eh messieurs, il ne s'agit pas de littérature, et je ne
me suis pas niaisement chargé d'examiner en quoi
Béranger est un écrivain de premier ordre. Ne nous
occupons que des principes qui donnent une si grande
force à ses écrits. N'en déplaise alors aux critiques
des écoles minutieuses, Horace et Béranger se res-
semblent fort ce sont leurs pensées politiques et les
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siècles où ils vécurent qui ne se ressemblent pas.
'Ils ont été l'un et l'autre les poëtes de la raison mesurée. Horace a chanté la modération et le plaisir en
un temps où les dieux, la liberté et les mœurs succombaient où les premiers chrétiens n'avaient pas encore commencé à faire trembler le monde dans un coin de la Judée; où, si haut que pût monter la ^pensée, elle n'apercevait à l'horizon rien de nos destinées futures. Béranger chante le plaisir et la modération sur le seuil de l'avenir. L'un ne s'adresse qu'aux gens de loisir sa médiocrité est dorée et son patriotisme se confond avec le culte de la fortune des Césars; l'autre est le poëte de tous les citoyens il a vanté la pauvreté nue, et il ne désespère pas de la liberté qui n'est pas décrépite, mais toute jeune. Horace a une merveilleuse raison et du goût; Béranger a une merveilleuse raison et du cœur. Horace n'est qu'un artiste et un philosophe; Béranger est avec cela un politique 1.
1 Un érudit, M. Waickenaer (t. II, p. 494 de l'édition in-18 de son ou-
vrage sur la vie et les œuvres i a esquisse le tableau de la philosophie d'Horace. Si l'on se horne y rechercher ce qui touche à l'olobe et à ]a pratique de la modération et du plaisir, on pourrait croire qu'il s'agit d'un travail fait sur la vie et les œuvres de Béranger. Voici un court extrait de cette analvse
« Les poésies d'Horace, classées d'après les sentiments qu'elles expri-
ment et les vérité qu'elles font ressortir, se groupent de manière à produire un enseignement philosophique et littéraire aussi complet que varié il éclaire la raison, charme l'esprit, enchante l'imagination.
« Dans ses odes, Horace s'est surtout attaché à inculquer aux hommes
la, piété envers les dieux, et il insiste sur la nécessité de leur rendre le
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Ce que Voltaire dit à Horace, il l'eût dit, en l'am-
plifiant sans doute, à Béranger
Avec toi l'on apprend à souffris l'indigence,
A jouir sagement d'une honnête opulence,
A vivre avec soi-même, à servir ses amis,
A se moquer un peu cle ses sots ennemis,
A sortir d'une vie, ou triste ou fortunée,
En rendant grâce aux dieux, de nous ravoir donnée.
N'est-ce pas là tout ce que nous avons vu qu'était la
culte qui leur est (IÙ L'àme est immortelle-, et personne ne peut
éviter la mort: Il y a un Dieu qui dispose des destinées humaines. La
fortune n'est que l'instrumcnt de la divinité Il. Il faut qu'on espère en
elle, qu'on implore sn miséricor.le avec un cœur innocent et pur; qu'on
soit reconnaissant des bienfai;s qu'eHe nous accorde3; qu'on se sou-
mette sans murmure à sa volonté suprême G. Le méchant seul renie la
divinité 7.
On ne peut révérer les dieux et se soumettre à leur volonté qu'au-
tant qu'on sait mettre un frein à ses passions et à ses désirs s. C'est là
une vérité sur laquelle Horace revient sans cesse. Il montre que la
tranquillité de l'Mnue nc s'obtient que par un empire absolu- sur soi-
même 9. Voilà les vraies richesses 1°; elles sont à la portée de tous
chacun peut les acquérir1-. Désirez la médiocrité de la fortune 15; dé-
daignez les grandeurs et la puissance l'éclat et te bruit anéantissent les
vraies jouissances l'apparence tue la réalité Modérez-vous toujours
et en toutes choses, dans la joie comme dans la douleur 15. Quels que
soient les succès et les revers, soyez inébranlables 10. Sacliez résister à
la mollesse, aux passions, même à l'amour '7. Réfugiez-vous dans le
sein de la nature '8.
« Mais, cette vie passagère, les dieux ne l'ont accordée que pour en
jouir, et Ilorace en enseigne les moyens en homme qui les a pratiqués.
Rien ne semble manquer aux instructions d'Horace.
Carm. I, 35; Il, 17; Jl1, 23. 2 Ibid., 11, 20, III, 50. Ibid., 11, 14. Ibid.,
1, 21, 34; Carmen neculare. Carm. Jl1, 18, 23, 13. G Ibid, I, 25. 7 Epodes, 9.
8 Carm. 1,18; II, 2: III, 2.1. » Ibid., Il, 10. Ibid., III, 10. "Ibid., II, 6.–
15 Ibid I 29, 51. -«Ibid., Il, 18; 111,16. Ibid, 1,20; Il, 15; IV, 2. 15 Ibid.,
Il, 9. Ibid., II, 3, 10. 17 Ibid., 1, 8, 27, 16; III, 27. -'» Ibid., l, 11, 1'8.
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philosophie de Béranger? Et ne lui étai t-il pas permis de s'adresser les vers que Boileau s'adresse dans sa neuvième épître l
Sais-tu pourquoi mes vers sont lus dans les provinces,
Sont recherches du peuple et reçus chez les princes?
Ce n'est pas que.
Mais c'est qu'en eux le (lu mensonge vainqueur,
Partout se montre ans yeux et va saisir le cœur.
Que le bien el le mai y sont. prisés au juste,
Que jamais un faquin n'y tient un rang auguste;
Et que mon cœur, toujours conduisant mon esprit,
Ne dit rien au lecteur qu'a soi-même il n'ait dit.
Ma pensée au grand jour parlout s'offre et s'expose,
Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose.
Résumons cette philosophie et cette morale du sens commun et de la nature. Il est un Dieu. Que l'on y croie ou que l'on n'y croie pas, il faut écouter la conscience, qui est la voix de Dieu. Et que dit-elle à l'homme? Qu'il est libre, qu'il est responsable de sa vie et qu'il y a une maxime pour le guider ?Cha- RITE, PLAISIR ET MODÉRATION.
Les objections savantes n'ont. rien à faire ici. Sans doute le monde est mêlé de bien et de mal. J'y vois le mal et n'aime que le bien,
De tout petits villages élèvent des statues au paysan, né chez eux, ,qui est devenu colonel ou général de brigade. Paris n'en élèvera-t-il point, comme à Molière, à trois de ses enfants les plus sages? Ils ont ̃ gagné tous.les trois de grandes batailles c'est Boileau, qu'il ne faut pas oublier parmi les apôtres de la raison, et qui a eu tout le courage qu'on pouvait avoir au dix-septième siècle; c'est Voltaire et Béranger.
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La charge de l'homme est probablement de dé-
'truire ici-bas le mai physique et le mal moral. S'il
n'avait une tâche dans la grande activité des mon-
des, que signifierait son existence? Béranger a prévu
les temps où le mal sera partout vaincu, où le Satan
de la légende sera réconcilié dans la paix univer-
selle.
Et d'un seul coup de son aile
Près du Christ il est remonté.
Croyons donc au progrès indéfini, et chargeons-
nous, non-seulement d'espérer, mais d'agir avec
joie, avec orgueil, en liberté.
111
DE LA POLITIQUE SOCIALE
S'il est urgent, dans le désarroi des doctrines phi-
losophiques, de recommander celle de Béranger, qui
serre de plus près qu'une autre la nature, et qui de-
mande si peu d'étude pour animer les hommes au
bien, il est peut-être plus indispensable encore de
jeter, avec lui, un regard rapide et confiant sur la
confusion des pensées et des intérêts qui depuis
longtemps, et depuis dix années surtout, s'est de
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proche en proche étendue sur les principes et sur les mœurs. De même qu'il y a une philosophie suffisante dans ses œuvres, il y a aussi en elles une politique qui se peut appliquer également aux mouvements intérieurs de nos sociétés modernes et aux j relations que les peuples ont entre eux.
On l'a peint, sur la fin de sa vie, comme un rêveur désillusionné de ses anciens songes et presque honteux de l'échec des louanges qu'il avait accordées avec tant de libéralité au peuple, à la jeunesse, à la civilisation. Ne nous y trompons pas. Il s'est dit lui-même
Las du combat, des folles théories,
Las de nombrer les taches du soleil';
n il trouvait que,
Pétri de sang et de fange,
Ce globe sent trop mauvais,
et qu'il est bon de le quitter mais il y a loin d'une boutade passagère au découragement dont on veut 'parler. Il savait bien que, si la plupart de nos biens "sont des chimères, ce sont des chimères aussi que 'la plus grande partie de nos maux, et que ce n'est 'pas en France, et au dix-neuvième siècle, que la Maison peut longtemps s'obscurcir.
̃ Le vrai, c'est que, voyant le principe de la sou,l Mes Fleurs
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veraineté du peuple presque partout sanctionné par
les hommes et par les événements, il avait peur de
l'enivrement dans lequel sa royauté pouvait jeter le
peuple, et qu'il regrettait de n'avoir plus de voix
pour lui chanter la nécessité de la clémence.
Que les hommes d'État ne fassent pas fi des con-
seils que ses chansons auraient donnés! Qu'ils ne
rient pas de l'influence qu'ont eue et qu'auraient
conservée des vers si courts! C'est à eux d'admettre
que, si Béranger est un philosophe dans le sens po-
pulaire du mot, et un philosophe bien autrement
puissant que les professeurs de philosophie, il est
de même un homme d'État aussi habile et certai-
nement plus fort que tous les médiocres génies qui,
d'ordinaire, passent des journaux ou du barreau
dans les ministères. Sa science est dans sa raison
sa force est dans sa franchise
Arracheurs de dents politiques,
Nos hommes cl'I;tvt, vicuY hàblours,
Prétendent guérir les coliques
Qu'ils provoquent chez les trembleurs
Béranger n'entendait pas ainsi le jeu redoutable
du gouvernement, et c'est dans le seul intérêt d'au-
trui qu'il s'est mêlé de penser aux affaires de la
France. En vertu de l'axiome que la science de Dieu et
du devoir, qui intéresse tout le monde, est de toute
nécessité accessible à tous, il a pensé que les ressorts
1 Le Septuagénaire.
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du gouvernement ne sont jamais si vigoureux que lorsqu'ils agissent devant les yeux et sous la surveillance de tous ceux pour qui ils marchent. Qu'on ne lui parle pas de secrets d'État, d'arcanum imperii, de politique transcendante. Avec ces mystères, qui ne sont plus des mystères, le désordre de jadis se perpétue; l'harmonie de l'avenir, au contraire, exige que chacun, pour faire œuvre utile à tous, sache nettement quel est son devoir et. comment il joue un rôle, non pas égal peut-être en éclat, mais égal en valeur à n'importe quel rôle. « L'homme, disait Pascal, est visiblement fait pour penser; c'est toute sa dignité et tout son mérite, et tout son devoir est 'de penser comme il faut. Or à quoi pense le monde? A danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague, il se bâtir, à se faire roi, sans penser à ce que. c'est qu'être roi et qu'être homme. »
Chef d'empire ou manœuvre de village, le rang n'y fait rien, mais il faut que l'homme se rende compte du rang qu'il occupe et qu'il voie en quoi la société a besoin de lui. Ayons donc désormais de la politique toute simple; c'est la meilleure. Ne craignons jamais d'expliquer aux derniers citoyens les périls ou les splendeurs de la patrie. Faisant cela, dès qu'un nuage cache une idée, nous pourrons dissiper le nuage.
Or il y a bien des nuages au-dessus des idées qu'il importe le plus que chacun comprenne et que l'on
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règle en commun. C'est en répétant chaque jour que nous ne périrons pas pour cela, que nous ne sommes pas en décadence; que, si nous étions en décadence, nous pourrions nous relever; que ni l'ordre ni la liberté ne sont perdus; que la cause du progrès ne peut jamais être sérieusement en danger; c'est en affirmant qu'il n'y a entre les citoyens qu'un malentendu que peu à peu les difficultés se dénoueront et que se dissipera la terreurquidomine presque tous les esprits. En un cas comme celui-ci, la science la plus féconde, c'est d'espérer à toute outrance. De sincères amis de la liberté, désolés de sa perte, creusent jusqu'au fond l'histoire contemporaine. Ils arrivent jusqu'à faire bon marché de l'oeuvre de 1789 et rentrent dans l'ancien régime pour y chercher ce qui nous manque'.
Le dépit est pour quelque chose dans l'injustice commise de cette façon vis-à-vis de la Révolution française. L'Assemblée constituante nous avait légué 1 M. de Tocquevillc (l'Ancien régime et la Révolution), dit :\< Un peuple si mal prépare à agir par lui-même ne pouvait entreprendre de tout réformer à la fois sans tout. détruire. Un prince absolu eût été un novateur moins dangereux. Pour moi, quand je considère que cette même révolution qui a détruit tant d'institutions, d'idées, d'habitudes contraires à la liberté en a d'autre part aboli tant d'autres dont celle-ci peut à peine se passer, j'incline à croire que, accomplie par un despote, elle nous eût peut-être laissés moins impropres à devenir un jour.une nation libre, que faite au nom de la souveraineté du peuple et par lui. » C'est abonder dans le sens de ceux qui croient que Napoléon a fait une œuvre utile à la liberté même, et, quoique par un détour, arriver •près de l'opinion de Béranger,.
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la liberté aussi bien que le reste; nous nous sommes mis dans la nécessité de la sacrifier momentanément. Sachons la mériter et la reconquérir, sans médire de nos pères, qui l'aimaient autant que nous. Il ne faut pas, quand nos enfants liront notre histoire, qu'ils se moquent de nous et qu'ils nous accusent d'une trop grande facilité à concevoir de la peur, et, sous le joug de la peur, à ne plus croire, ni dans l'avenir, ni dans le passé, aux conquêtes pacifiques de la liberté. La Révolution française, dans ses premiers actes, a mérité qu'on l'admire sans relâche. Et ce n'est la faute ni d'un Mirabeau, ni d'un la Fayette, ni d'un Barnave, si cette belle nation, si confiante, si généreuse au jour de la fédération, comme en 1850, le lendemain de la victoire de Paris, si ce peuple de frères a perdu en apparence son espoir et sa générosité; s'il y a mille partis et mille écoles, pires que des partis, pour nous diviser jusqu'à la haine. Ne disons pas non plus, pour grossir le mal, que ces écoles et ces partis ont mis la France en état de guerre sociale permanente, et qu'on n'a plus de repos que sous un régime de compression.
À qui s'en prennent la plupart de ces désespérés? Pas à eux-mêmes, qui, ayant eu en main le pouvoir, ne s'en sont pas servis assez virilement, qui n'ont pas su intéresser les classes laborieuses à leur politique, qui ont négligé les grandes ressources de l'art de gouverner, l'enthousiasme, le patriotisme par
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exemple, et n'ont pas vu que, lorsqu'ils se disaient « Enrichissons-nous en paix,» c'étaitprovoquerdans tous les rangs de la nation le désir d'avoirpart aumême bien-être. Ils n'accusent que l'imprudence des amis du peuple, c'est-à-dire qu'ils en veulent à ceux qui ont réclamé pour lui le droit de suffrage, qui se sont proposés garants de son aptitude à l'exercer, qui ont vanté son désintéressement, son patriotisme, son enthousiasme, son amour pour l'instruction, son attachement au travail libre; et, pleins de mépris pour des écrivains ou des philosophes qui ne sont plus pour eux que des politiques de carrefour, ils s'enfoncent dans l'on ne sait quelle définitive horreur du peuple, de la multitude, des masses,
Qu'un apôtre infatigable traverse les ruines récentes et marche encore en avant, ils l'arrêtent mais Béranger leur répond
Paul, où v as-tu? Je vais prêcher aux hommes
Paix, justice et fraternité.
Pour en jouir, reste où nous sommes,
Entre l'étude et la beauté.
Non, non; je vais prêcher aux hommes
Paix, justice et fraternité.
N'allons pas si loin chercher des interprétations pour l'histoire de nos mésaventures. Si le peuple n'a point fait preuve de beauté morale, en ces dernières années, c'est qu'on avait desséché la source d'où
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coulent les grandes vertus, c'est qu'à la faveur de la paix et dans les douceurs d'une liberté qui n'a pas encore de grands attraits pour la foule, nous avons uniquement donné l'essor aux appétits matériels. Lorsque la monarchie constitutionnelle est tombée et que le peuple a envahi la carrière d'où se retiraient si précipitamment ceux qui se désolent aujourd'hui, quelles luttes y a-t-il trouvées en honneur, quelles couronnes promises à l'activité, à l'intelligence, au génie? Nous courions tous à la fortune, .nous voulions des dignités, nous prétendions tour à -tour à la puissance. Le peuple, maître de l'arène, a imité nos jeux sans noblesse et nos triomphes sans orgueil.
Sont-ce des esclaves émancipés par erreur, ces plébéiens qui depuis soixante ans sur toutes nos frontières, avaient versé leur sang pour la patrie, qui pendant vingt ans firent trembler les rois d'Europe, qui, en 1814, eussent chassé les rois de l'Europe au delà des Alpes et du Hhin, qui, depuis, pour faire épanouir notre industrie et nos arts, ont accompli dans le travail commun la tâche la plus ingrate ? Si légitime que soit la douleur de ceux qui croient la liberté perdue, cette douleur ne devrait pas, en répondant oui, se charger d'un blasphème que Dieu peut punir.
Les insensés!
Ils admirent donc, ils aiment cet antagonisme des anciens temps l'aristocratie de ceux qui cultivent
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leur intelligence et l'armée des travailleurs qui remuent la terre avec leurs bras Sparte libre et les ilotes? Sparte qui adore le beau, les ilotes à qui le sentiment même du beau est interdit? Mais le nombre l'emporte un jour; les ilotes prennent Lacédémone que deviennent la beauté et la liberté ?
D'autres, moins susceptibles, moins délicats, désespérant de la liberté pour jamais, et n'osant pas croire que.l'invasion de la foule au milieu de nos exercices politiques n'est pas la suite naturelle de sa participation à nos travaux, se consolent à demi en continuant l'œuvre de prospérité matérielle et en disant qu'il faut ne plus penser à des débats pleins d'âcreté, qu'il faut jouir de la paix violente, .quand on n'a pas la paix sereine, et que la liberté n'est pas le plus court chemin pour arriver au but de la devise imposée, dit-on, aux temps modernes donner le plus de bien-être au plus grand nombre d'hommes possible.
Dès 1824, Béranger a écrit pour eux la chanson des Esclaves gaulois.
La liberté conspire encore
Avec des restes de vertu
Elle nous dit Voici l'aurore
Peuple, toujours dormiras-tu?
Deité qu'on vante,
Recrute ailleurs des martyrs et des fous,
L'or te corrompt, la gloire t'épouvante.
Enivr ons-nous
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Rions des dieux, sifflons les sages,
Flattons nos maîtres absolus,
Donnons-leur nos fils pour otages
On vit de honte, on n'en meurt plus.
Le plaisir nous venge
Sur nous du sort il fait glisser les coups.
Traînons gaiement nos chaînes dans la fange,
Enivrons-nous!
Les insensés!
Béranger n'est ni avec ceux qui, prenant prétexte des erreurs du peuple, repoussent dorénavant le Peuple de la cité politique, ni avec ceux qui, admettant que la liberté a dû périr, puisque le peuple Fa tuée, ne veulent plus désormais d'illusions vaines et ne se passionnent que pour les plaisirs et les richesses.
Ce n'était pas' devant un public préparé aux jugements sévères qu'il fallait peindre à son gré, et en vertu de souvenirs particuliers, comme on l'a fait au lendemain de sa mort, un Béranger de cabinet ce n'était pas à ses anciens amis, aux républicains mécontents, aux libéraux affligés, à toute une bourgeoisie tremblante, qu'il fallait offrir des anecdotes destructives, sous la forme qu'elles ont prise, de l'amour et de l'intelligence de la liberté. Il était certain qu'on les interpréterait avec une sollicitude dont il fallait se défier, et qu'en voyant le Béranger qui nous était donné alors on voudrait reconnaître 1 Ceci a été dit déjà dans les Erreurs des critiques de Béranger,, p. 38.
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en lui l'homme que les événements ont convaincu d'un si grand zèle pour les dictatures. Eh quoi! Béranger a pu dire tout net que « la liberté est le luxe des gens heureux »
La libère, rebelle antique et sainte
Il a dit « que le suffrage universel, c'est le pouvoir national opposé aux libertés bourgeoises. » Parole de division; de dissension, que son cœur et sa raison repoussaient, qu'il n'a pas prononcée ainsi a laquelle il a dû aussitôt, dansle train du discours donner un contre-poids et que l'on traduit mal, que l'on défigure en l'affichant dans un écrit.
C'est par ces dissertations sur les besoins du peuple, sur les intérêts de la bourgeoisie, sur la nécessité de l'égalité et l'utilité secondaire de la liberté, que l'on pervertit la morale politique d'un peuple et que l'on perpétue les discordes Quelqu'un peut penser que les ouvriers des villes et que les cultivateurs des champs éprouvent une grande joie à voir priver du « luxe » de la pensée libre ces ouvriers d'un autre métier utile, et ces cultivateurs d'un autre champ fécond qui s'appellent les poètes, les historiens, les publicistes, les philosophes mais il lui est défendu de faire croire, contre toute vérité que le philosophe Béranger pensait ainsi.
Non, la Révolution n'était pas pour lui le nivellement des classes sous le protectorat d'un chef d'État
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tout-puissant. Mais il pensait que, lorsque le tiers état a fait 1789, c'était pour le tiers état tout entier qu'il travaillait, depuis le plus riche banquier jusqu'au plus déshérité de nous. Il a réclamé au nom des malheureux qui, ne vivant que de travail, n'ont pas de travail assuré, qui rarement peuvent mettre de côté de quoi soutenir leur vieillesse, qui, après la mort, n'ont pas de tombe sur laquelle puisse venir pleurer longtemps leur famille. L'honneur des sociétés modernes n'est-il pas engagé à ce que tous les citoyens qui sont utiles à la société soient protégés par elle jusque dans la tombe? Mais il ne faisait appel à aucune autre passion qu'à l'amour des hommes, et il ne prêchait que la concorde. Sa vie privée a été le plus bel exemple de ce que doit et de ce que peut faire la charité du simple citoyen. Sa pensée travaillait pour toute l'humanité; de sa personne il travaillait pour quiconque avait le bonheur de l'approcher.
Nous commettons une faute irrémissible et irréparable, si nous exigeons de la bourgeoisie qu'elle repousse cet homme unique et qu'elle le condamne comme un agitateur qui n'appartient qu'à la foule. Il n'y a plus ni bourgeoisie ni peuple; il y a une nation dont tous les citoyens peuvent arriver à la fortune et aux dignités. Ne nous séparons pas.
Le premier point, le point capital à établir, la vérité la plus urgente à faire entrer dans toutes les têtes, c'est que les mots bourgeoisie et peuple
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n'ont aucune espèce de signification, et qu'il n'y
a pas plus de classes distinctes qu'il n'y a d'ordres
distincts en France. Il n'y a dans la nation que la
nation, et le plus beau cri que nous puissions
pousser dans les jours de fête, c'est Vive la na-
tion Les trois ordres d'avant 1789 se sont fondus
le 17 juin 1789, dans le tiers état, c'est-à-dire dans
le troisième ordre qui était la France entière, sauf
le clergé et la noblesse. A partir du 17 juin 1789,
jour où la majorité des députés aux états généraux,
sur la proposition de Sieyès, se déclarèrent consti-
tués en assemblée nationale, il n'y a plus eu de clergé
et de noblesse placés au-dessus des autres ci-
toyens.
Il n'y en aura plus, quoi qu'on fasse. Ce qu'on
appelait le prestige et la vieille hiérarchie étant
anéanti sans résurrection possible, tout essai d'une
reconstruction de noblesse est d'avance condamné et, de même, tout effort du clergé pour se mettre au-
dessus de la loi commune lui coûterait plus le len- demain qu'il ne lui aurait valu la veille.
Par habitude, on dit encore quelquefois :l'aristo-
cratie, eton prête cette aristocratie imaginaire une
élégance de langage, une délicatesse de sentiment
tout excellente. L'autre jour les journaux donnaient
la liste des personnes qui louent à la saison les loges
des Italiens et accompagnaient leurs noms d'épi-
thètes fort gracieuses. Je ne sais s'il y avait dans
ce qu'on est convenu d'appeler la fine fleur de la
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société cinq ou six noms fameux sous l'ancien régime. A part quelques étrangers, ces personnages sont des plébéiens comme vous et moi, qui sans doute bénissent, comme vous et moi, la Révolution
française.
C'est une affaire réglée il n'y a donc plus, même
pour les journaux de modes, d'aristocratie ancienne
Chez nous autres Parisiens (Ma Biographie, p. 563), tout prestige
nobiliaire et royal est à jamais détruit. » II y a une lettre de Béranaer qui se joue avec une malice charmante de ceux qui déplorent cette destruction du prestige. Comme s'il y avait réellement des hommes à sang d'azur! comme si un roi était un demi-dieu accordé à la terre par le Dieu des mondes! Que ceux qui ne voient de moyens de régler les peuples que dans leur croyance en la supériorité d'un certain nombre d'hommes et en la majesté de quelques autres ne conçoivent pas de vaines espérances. Il leur faut absolument, en face de la postérité,
changer de système.
Le grand Pascal, dès avant Louis XIV, riait sévèrement de ces ad-
mirateurs du prestige. « La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d'officiers et de toutes les choses qui plient la machine vers le respect et la terreur, fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ces accompagnements, imprime dans
leurs sujets le respect et la terreur, parce qu'on ne sépare pas dans la pensée leur personne d'avec leur suite, qu'on y voit d'ordinaire jointe. Et le monde, qui ne sait pas que cet effet a son origine dans cette coutume, croit qu'il vient d'une force naturelle et de là viennent ces mots Le caractère de la divinité est empreint sur son visage. »
Il continue
« La puissance des rois est fondée sur la raison et sur la folie du
peuple, et bien plus sur leur folie. » Voilà qui était parler en homme.
Aujourd'hui, les petits garçons qui vont à l'école en pensent tout autant; Et nunc erud imini, ô courtisans des rois! et faites des phrases sur le prestige!
Peut-être c'est ici le lieu d'examiner en quelques mots une question
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Resteraient donc en présence la bourgeoisie et le
peuple. Mais où finit la bourgeoisie? où commence
qui occupe encore de temps en temps les journalistes et, quoiqu'un pa-
reil sujet n'eût pas paru à Béranger digne d'iine fort grande attention,
peut-être qu'il est utile d'en parler comme certainement il en parlait.
Les politiques sont presque tous d'accord pour regarder la noblesse
comme une institution essentielle à la monarclrie. Quelques-uns
seulement, ce sont les plus raffinés, veulent qu'il y ait aussi un corps
de noblesse dans les Iltats démocratiques, et que ce corps, dont l'exi-
stence est la négation du principe d'élite, soit le dépositaire du prin-
cipe de liberté.
Évidemment les chercheurs de perfectionnements, qui désirent que
l'on ne néglige rien pour la reconstruction du pouvoir et la glorifica-
tion de l'autorité du prince, ne proposent pas aujourd'hui, comme
appropriée au système du gouvernement qui nous régit, cette noblesse
de pure imagination qui n'existe encore que dans les nuages de la
théorie, ce patriciat idéal qui serait un Aréopage sans priviléges et sans
morgue; et, lorsqu'ils parlent de la nécessité où l'on est, après la no-
bltsse féodale et celle de 1808, d'établir une troisième noblesse chez
nous, c'est la noblesse héréditaire et a majorais qu'ils désignent, la no-
blesse d'essence monarchique.
Mais il faudrait que le pouvoir se crût menacé soit dans le présent,
soit dans l'avenir, pour chercher un aplmi ailleurs que dans le grand
principe de la souveraineté du peuple et dans la délégationquela na-
tion fait au prince de cette souveraineté. Il n'a pas de craintes, il n'en
montre pas. Pourquoi lui en prêter?
Sans avoir besoin de s'appuyer sur une noblesse héréditaire, le
gouvernement impérial peut désirer que cette noblesse l'entoure, lui
fasse cortége, et que les personnages titrés contribuent à l'éclat de la
représentation que l'on croit nécessaire en France. Et pourquoi néces-
saire ? La légèreté du caractère national est-elle donc si grande et si
incurable, qu'il faille dans le souverain de la roideur et dans sa cour
une pompe sans cesse accrue? La France s'est passée de la représen-
Iation sous lamonarchiede Juillet, e[ce n'estpas le défautdé représen-
tation qui a fait tomber Louis-Philippe. Le Napoléon que le peuple,
sans l'avoir vu, se rappelle, c'est le petit homme à redingote grise,
ou le général d'Italie et d'Égypte à frac sombre, ce n'est pas l'empe-
reur du champ de mai à robe de satin et à manteau de velours rouge. Le
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le peuple? Quels privilèges les séparent? Quel homme du peuple ne peut devenir bourgeois? Quel âènie seul agit sur l'esprit les titres ont entièrement perdu leur effet. Donnez à choisir à n'importe quelle nation Frédéric le Grand, en habit bleu use, avec son vieux chapeau de feutre, une canne de dix sous à là main, ou quelque petit prince d'Anhalt-Coethen en frac garni d'un crachat de diamant.s, suivi méthodiquement, à chaque pas, du premier chambellan, du second chambellan, du troisième chambellan et de six gardes-chasse à chapeau galonu'1 d'argent elle choisira sûrement Frédéric.
En quoi con istait la représentation sous la première République ? qu'est-ce qui émouvait les citoyens et leur mettait sous les yeux la patrie, le dangerdela patrie, la nécessité de vaincre, le bonheur d'être libres, l'espérance de la paix future du monde? c'était l'écharpe d'un conventionnel en mis-ion, qui n'avait pas un laquais derrière lui. Cependant Napoléon 1", en 1808, a créé une noblesse. D'abord ce n'est pas une raison pour qu'on en crée une. Ensuite Napoléon I" a fait des fautes que l'ivresse du pouvoir ou l'empressement des courtisans l'a entrainé faire et qui lui ont nui.
Si je ne me trompe, on ne regarde pas généralement le décret impérial du 1" mars 1808 comme l'acte le plus heureusement inspiré de l'Empire.
Sans doute l'oeuvre de 1808 continuait et complétait l'oeuvre commencée en 1806 par la création de quelques principautés et de vingtdeux duchés réservés sur le pays conquis mais de ce qu'une chose a des suites, il n'enfautpas conclure qu'elle est bonne, et il n'ya point de g 'nie dans toute obstination.
L'opinion publique était inclifférente elle même hostile; seule, une partie de l'armée, qui allait recueillir les principales faveurs de son chef, affirmait naturellement que la création d'une noblesse militaire était le plus nécessaire et le plus brillant de ses actes.
L'Empire n'avait été fondé (le Sénat l'a dit en le fondant) que pour défendre la liberté et maintenir l'égalité. L'Empereur a oublié en i 806 et en 1808 l'origine et le caractère de son pouvoir. Il s'est trompé, et, plus tard, il a dû se repentir. Au retour de l'ile d'Elbe, quel cri partait des villes^et des villages? Napoléon ne l'a pas oublié à SainteHélène. (Montholon, I, 228.)
Mais a t au moins été récompensé de cet acte impopulaire
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bourgeois a le droit de se croire supérieur à un homme du peuple?
par la reconnaissance et le dévouement des plébéiens qu'il a faits nobles? Lisez l'histoire elle dit que l'Empereur, dans sa chute, ne trouva autour de lui que ceux des généraux français qu'il avait le plus maltraités, les anciens amis de Moreau, des républicains, Macdonald, Carnot, Lcconrbe; ella dit que, si l'Empire avait pu être sauvé, il ne l'aurait été que par le courage des paysans de la Champagne et par le patriotisme des fédérées de Paris.
L'Empereur, comme l liistoire, a tenu lui-même ce langage. Il a regretté cette création d'une noblesse inutile au pouvoir et onéreuse à la nation.
Mais l'effet de son erreur n'a pas disparu encore du courant des idées publiques. L'esprit de dignité, le goût du costume, l'amour des décorations, subsistent et arrèlcnt l'épanouissement du véritable génie démocratique.
Je sais bien que l'humanité n'est peut-être pas encore assez éclairée pour qu'elle marche d'elle-même vers le bien, et qu'il lui faut des guides mais faut-il que les nations, après avoir subila force sous la figure du régime féodal, voient, au dix-neuvième siècle, que l'état des armes conduit plus promptemeut et plus sûrement qu'un autre aux croix d'honneur et aux titres, qu'elles s'habituent par là à aimer les images guerriéres et la guerre elle-même?
Assurément ce n'est pas seulement un parti politique, c'est toute la France qui, parmi les maréchaux et les généraux de l'Empire, aime le plus, de mémoire, ceux qui se sont toujours rappelées qu'ils avaient été lessoldats de la République. LesLannes, les Ncy.les Gouvion SaintCyr, les Macdonald, tes Lecourbe, les Brune, les Jourdan et le brave Le''éwre sont préférés aux autres dans la légende napoléonienne, parce qu'ils ont gardé leur franc parler, leur pensée libre, et parce qu'ils ont paru dédaigner ou qu'ils ont refusé les distinctions éclatantes. On admire et on aime le soldat de la patrie, le défenseur du sol, l'émissaire armé de la Révolution on admire seulement le soldat qui suit son chef sans penser il la patrie.
La France, soldat de Dieu, » n'a pas besoin qu'on l'excite pour lui faire goûter le métier des armes. Allez à Versailles. Sur le front du monument il y a cette légende écrite par un roi pacifique A toutes les gloires cde la France. Cherchez donc les glorieuses figures de l'histoire
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Autrefois le tiers état se subdivisait en bourgeoisie.et en peuple, et la bourgeoisie avait bien quelde France de 1 792 à 1804. Voici la liste des personnages civils que vous rencontrerez
IIÉI'UTÉS DE LA CONVENTION.
B. Barère de Vieuzac.
J. B. Belley.
J. Delaunay.
Camille Desmoulins.
P. F. N. Fabre d'Églantine. J. Péthion de Villeneuve.
P. F. J. Robert.
MEMBRES DU DIRECTOIRE.
L. N. M. Carnot.
L. M. Laréveillère-Lépaulx. C. L. F. H. Letourneur.
l'EUSONNAGES DIVERS.
La famille Auguste.
M. F. X. BicJiat.
Charlotte Corday.
J.Darcet.
L. J. !IL Daubenton.
Daure.
Estève.
La famille Miot.
l'oussielgue.
Madame Roland.
J. A. Viala.
Louis Philippe, dit M. llontalivet (Liste civile, in-8, 1851), se réservait de continuer son œuvre au point de vue civil; en attendant il n'y a rien de plus à Versailles. Et certes la famille Auguste, M. Estéve et la famille Miot ne sont pas les héros que l'on y vient voir. Tout le reste du palais est plein de héros militaires.
N'y a-t-il point là une inégalité dangereuse pour l'éducation de l'esprit public et pour le développement des idées d'organisation future, et faut-il accroître cette inégalité?
Sous Henri IV, Biron demande à son père pourquoi, à la retraite de Caudebec, il n'a pas voulu qu'on détruise le duc de Parme la guerre était terminée du coup.
« Oui, mon fils, la guerre était terminée, et il ne nous restait plus qu'à nous en aller planter des choux à Biron. »
Et Brantôme, qui raconte l'histoire et qui la trouve gentille, la com mente ainsi « Voilà que c'est que d'un cœur généreux qui a une fois sucé du lait de la dame Bellone jamais il ne s'en saoule. » ̃ Le langage de Biron et de Brantôme ne convient plus à nos idées, el nous croyons qu'il y a des arts égaux à l'art du soldat. Déjà Quesnay,
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ques avantages pour elle; mais aujourd'hui cette subdivision n'a pas lieu d'être.
Un grand mot a été lâché, le mot prolétaires. Nous devrions ne plus nous en servir il signifie quelque chose comme machines à faire des enfants c'est un mot injurieux et qui n'est point fait pour une nation qui jouit en principe de toute l'égalité désirable. Aux prolétaires, on opposerait les propriétaires; mais l'erreur est trop visible. Le plus grand nombre de ceux qu'on regarde comme des bourgeois n'ont point de propriétés, et le plus grand nombre de prolétaires, à la campagne, possèdent du bien.
Est-ce riches, est-ce pauvres qu'il faut dire? Mais il y aura toujours des citoyens plus riches que d'autres, et aucune ligne de démarcation ne sera jamais établie entre les diverses fortunes. Que désirent d'ailleurs les pauvres? Devenir riches. Que désirent ceux qui ne sont pas propriétaires? Posséder un bien. Les uns ont ce que les autres veulent avoir; tout le monde est donc d'accord, et ce n'est donc pas d'adans les entresols de madame de Pompadour, disait, il y a un siècle « Lés militaires font un grand mystère de leur art mais pourquoi les jeunes princes ont-ils tous de grands succès? C'est qu'ils ont de l'activité et de l'audace. Pourquoi les souverains qui commandent leurs troupes font-ils de grandes choses ? C'est qu'ils sont maîtres de hasarder. » t
Il ne faut plus qu'on croie à l'excellence suprême et exclusive de cet art; il ne faut plus que cet art conduise directement, parce qu'il est l'art de la force, aux dignités nobiliaires. Si le sol est menacé, une couronne d'herbe, décernée par la patrie, vaut un marquisat. En 1796, l'armée d'Italie ne demandait que des sabres d'honneur.
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près le plus ou le moins de richesses des hommes que l'on doit les diviser en deux classes.
Tout est mobile en fait de fortune. Le fils du pauvre sera riche, le fils du riche sera pauvre. Ce n'est pas comme quand le (ils du noble était noble, et le fils du roturier, roturier.
J'entrevois une autre apparence de distinction il y a ceux qui travaillent de leurs mains et ceux qui ne travaillent pas de leurs mains. Mais, si ce n'est un assez petit nombre d'oisifs qui pourraient passer leurtemps à faire du bien, tout le monde travaille, et très-certainement le travail le plus pénible n'est pas toujours celui des mains. Presque tout le monde est donc travailleur et ouvrier.
Pourquoi mettre si souvent dans les discours les expressions la bourgeoisie parasite on telle autre du même genre? Est-ce à cause des quelques oisifs qui ne font oeuvre de leurs dix doigts, ni de leur tête? Mais il y a bien des oisifs parmi les gens qui n'ont rien ceux qui mendient sans nécessité, ceux qui volent, ceux qui sont employés et ne travaillent que le moins possible.
La différence du travail, pas plus que la différence de la fortune, ne constitue une séparation des citoyens en deux catégories. En définitive, il n'y a en France que des hommes plus ou moins intelligents, créés tels par Dieu, et plus ou moins capables de tirer parti de leur travail. Les mieux doués doivent prêter secours aux autres.
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Il est bien difficile de placer dans la bourgeoisie ceux qui sont le plus intelligents, et de réléguer dans le peuple ceux qui le sont moins. Ne nous classons, si nous voulons absolument nous classer, qu'en hommes instruits et en hommes ignorants.
Les hommes instruits sont ceux dont l'esprit naturel est très-vif, ou dont l'éducation a pu être soignée; les hommes ignorants sont ceux qui manquent d'esprit naturel ou d'éducation. La société n'a rien à se reprocher pour ce qui regarde la nature des intelligences; elle a tout à faire pour assurer à chacun une éducation suffisante.
Nous voilà enfin qui touchons à une définition juste La bourgeoisie est la partie éclairée du peuple le peuple est cette grande masse de la population d'un pays qui, par le fait de la nature ou par le hasard des conditions humaines, ne jouit pas du bienfait ou du bonheur de l'instruction.
Ni nos lois ni nos mœurs ne séparent irréparablement les uns des autres.
Du milieu des paysans et des ouvriers surgissent chaque jour des écrivains, des artistes, des savants, qui, non-seulement font honneur à la nation tout entière, mais que la nation honore et qu'elle place au premier rang des citoyens, sans que personne réclame. C'est Béranger, le petit-fils d'un tailleur de bas étage c'est M. Thiers, le fils d'un ouvrier du port de Marseille.
Ils manquent de raison et sont tout au dépit, ceux
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qui, pour nous peindre les douceurs de cette union des classes, remontent au delà de '1789, et voient le bonheur commun dans l'apparent respect qui, sans se révolter jamais jusqu'au renversement du trône, entourait la vieille monarchie. Nousn'ironspas, pour leur répondre, récrire, même en une page, l'histoire réelle du temps des priviléges, et nous savons bien qu'il faut résolument dater de 1789 notre vie nouvelle. Mais quoi Sommes-nous en effet mieux d'accord aujourd'hui qu'en 1788 ? Cela est vrai, nous le sommes moins. Il faut donc vite apprendre à l'être et ne pas prolonger au delà des trois quarts d'un siècle l'évolution qui doit enfin nous transporter, après vingt terribles secousses, de l'ancienne société féodale dans la jeune société démocratique.
Outre que l'union est un merveilleux multipli.cateur de la force1, du talent et de la vertu, ne finirons-nous pas par croire que les hommes ne sont pas faits pour se déchaîner sans cesse les uns contre les autres, et que la concorde nous servira plus que la guerre pour régler le sort présent et l'avenir des conditions humaines? Quelle folie ridicule, si elle n'était odieuse, que de se cantonner par bandes dans une opinion armée de colère et de ne voir 1 En 1815, Barbahégre et cinquante soldats, qui sont résolusàpérir pour défendre l'honneur de la France, s'enferment dans Huningue et narguent l'effort de vingt-cinq mille hommes. En 1794, les six cent mille habitants de Paris, anéantis par l'effroi, se laissent emprisonner et traînera l'échafauil, un jour l'un, un jour l'autre, par trois ou quatre cents seclionnaires.
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dans ses adversaires que des méchants ou des imbéciles Ce tort n'est pas neuf, si l'on veut; mais doitil être éternel? Sommes-nous voués, misérables ver- misseaux, à gratter seulement l'écorce minérale de la terre et à ne nous point consoler un jour en nous aimant? Depuis que les sages recommandent la paix publique et que leurs discours languissent devant nos querelles, il y a, je le sais, une sorte de niaiserie à parler doucement de cette paix et de ses fruits certains. Pourquoi ne se formerait-il pas un nouveau parti, destiné à vaincre les autres, celui de la sagesse énergique? Que Béranger soit notre chef en cette dernière campagne! À droite et à gauche, exterminons les vices et les erreurs qui empêchent les hommes de se bien connaître! Soyons amis de l'ordre harmonieux, comme il l'était de la raison, jusqu'à la fureur! D'autres ont osé se faire gloire de leurs théories extravagantes, et ils ont réussi un instant; ils crient: Vive la servitude! ils crient Vive la licence Osons à notre tour proclamer la doctrine que tout le monde a abandonnée comme trop simple, celle de la paix libre, celle de l'accord consenti et naturel! Nous sommes nombreux, et dans tous les rangs, bien plus nombreux en bas qu'en haut peut-être, pour former cette armée de philosophes et de politiques du bon sens qui, sans aucune autre science que la ferme volonté de ne plus nous quereller, ferons la loi1.
1 Si en politique théorique (ou oisive) les extrêmes sont souvent
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Quoi donc le désir unique, la préoccupation constante de la majorité d'entre nous serait le renversement des lois, l'anéantissement des sciences, la mise en poussière de la civilisation À qui veuton faire croire, si en effet il y a dans nos villes des esprits ulcérés, qu'aucun baume ne peut les guérir et que toute la défense de la société consiste dans -la balle, sans cesse perfectionnée, qui est au fond des cartouches de munition? Non, la grande majorité de nous n'est pas coupable de cette affreuse espérance. N'avons-nous pas nos femmes, nos enfants, et, si chétifs qu'ils soient, nos petits ménages ou notre morceau de terre? Presque tous, ne savons-nous pas que les guerres civiles ne profitent jamais qu'à ceux qui les compriment, et qu'une Jacquerie, fût-elle organisée de manière à bouleverser dans le sang toutes les fortunes de la France, le partage du superflu des riches, qui suivrait sa victoire, n'augmenterait que de quelques centimes le gain quotidien des pauvres et ne l'augmenterait que pour quelques jours?
Jamais, comme qu'on s'y prenne, on ne trouvera, vrais, dans la politique pratique les termes moyens ont seuls de la vigueur. C'est à force de transactions que nous réglerons le monde. Quiconque tient une plume.étant supposé instruit et éclairé, l'écrivain qui désormais louerait un vice ou une erreur nuisible aux hommes ne serait pas un honnête homme. Mais
Noire Littérature est folle.
n l'entend, d'excès assouvie,
En vers, en prose, s'essouffler
A décourager de la vie
Ceux qu'elle en devrait consoler.
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pour avoir raison de ceux qui persisteraient dans leur envieuse ignorance, une meilleure arme que la liberté de parler et d'écrire. Quand cette liberté est suspendue, la défiance des rares écrits qui paraissent se répand dans la foule et, de peur de tomber dans un piège, elle s'abstient de lire. Qu'au contraire le débat soit ouvert sans entrave, il suffit que l'autorité maintienne l'ordre dans les rues; l'ordre s'établira bientôt dans les intelligences.
Si, en 1848, les journées néfastes du 17 mars,
du 16 avril, du 15 mai et du 24 juin, n'avaient pas été possibles, tout le débordement des écrits et des n discours eût déposé chez nous, à la longue, un limon fertile.
Il faut donc, de toute nécessité, à un peuple intel-
ligent, l'ordre dans la rue et la liberté dans les livres. La liberté et l'ordre Point d'équilibre stable, si l'un ou l'autre manque. On peut avoir une halte, un temps d'arrêt; on n'a pas la fortifiante sécurité de l'âme. Que l'autorité qui ne veut pas l'appui de la liberté, par accident, tombe en défaillance, les mauvaises passions regimbent comme au premier jour et s'emportent. Et, d'autre part, que la liberté cesse d'être maintenue par le pouvoir qui a été choisi par elle, en un clin d'œil la licence s'empare des lieux publics et y prépare les logis du despotisme.
On sent si bien cela dans les temps où l'ordre et la
liberté ne se garantissent plus mutuellement, qu'on
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profite, comme d'une trêve inespérée et qui peut être courte, de la paix rétablie d'une manière quelconque,
et qu'on se hâte au travail, au gain, à l'entassement
des écus, sans souci des délassements de l'art et des
lettres, et quelquefois sans pudeur. Vous qui travaillez, rassurez-vous. La société n'a aucun danger à
courir, quoiqu'elle ait à se modifier encore. Dès que
vous le voudrez, il n'y aura rien de précaire dans vos entreprises, dans vos études, dans votre repos. Ne vous hâtez pas tant de jouir voici ce qu'en 1840 l déclarait l'un des promoteurs du mouvement qui vous a si fort effrayés et qui, malgré vous, si ce n'est -avec vous, s'accomplira. Les paroles de Lamennais sont aussi rassurantes que fermes, et il parle là, comme Béranger, son ami, au nom de presque tous les sincères partisans du progrès social.
« Si j'appelle de toute mon âme les améliorations
réclamées par les classes souffrantes, et qu'elles ont droit d'attendre de la société dont elles sont le plus ferme appui, ma conviction intime, fondée sur de
longues réflexions, est que ces améliorations d'économie sociale si désirables, si indispensables, ne sauraient s'effectuer que par des voies exclusives de. toute violence, de toute perturhation anarchique, de tout désordre réel, par un ensemble de mesures pro-
gressives dont le bienfait doit s'étendre à tous les
membres de la commune famille. L'avenir auquel
Le 26 décembre, dans une déclaration faite à l'audience du tribu-
nal qui allait le juger.
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nous aspirons tous ne sera point une négation une destruction -fondamentale de ce qui l'a précédé, mais un développement des germes de bien que le présent renferme en son sein et qu'y étouffent les passions mauvaises. »
C'est Lamennais encore qui a dit, s'adressant au
peuple :•
« Garde-toi, peuple, d'incarner tes sublimes espé-
rances dans la houe que tu foules aux pieds. Durant ce court passage, tu n'es entouré que d'ombres vainés les réalités te sont invisibles, l'œil de chair ne peut les saisir; mais Dieu, qui en a donné l'invincible désir l'homme, en a mis aussi dans son cœur l'infaillible pressentiment. Lève les yeux ici est le travail, la tache à remplir; ailleurs est le repos, la vraie joie, la récompense certaine du devoir accompli jusqu'au bout 1. »
Rassurez-vous, ô vous qui tremblez, et laissez se
dissiper les vains fantômes! la défense de la propriété ne sera jamais qu'une affaire de police.
Le spectre de la Marianne n'effraye point ceux qui
ont une bonne conscience et une volonté ferme. Quelle est cette fédération souterraine qui doit chaque lendemain faire crouler le sol sous nos pas? De bonne foi, pensez-vous qu'un fort grand nombre d'hommes aient juré une haine réfléchie, implacable et efficace à la société? Il est impossible qu'ils soient 1 Livre clzc peuple, ch. xvi.
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nombreux et impossible qu'ils voient clair dans leur
propre pensée. Je méprise cet épouvantail; si on
veut qu'il m'arrête quand je cherche la liberté. S'ils sont une armée, soyons une armée aussi, au jour de la rencontre, et, sûrs de défendre ce qu'il y a de nobledans la nature humaine, ayons tout le courage que. cette défense réclame. Mais ce n'est qu'une poignée d'hommes qui ont fait un vilain rêve et à qui nous .̃ n'avons qu'il parler des belles choses de la terre pour qu'ils les sentent comme nous et les aiment avec nous.
Croupissant dans une terreur ridicule, nous avons
l'air de coupables qui tremblent devantle châtiment.
Disons-nous Et pourquoi serai-je châtié par d'autres hommes, moi qui, fils de mes œuvres, n'ai jamais désiré que le triomphe rapide de toutes les idées
généreuses de 1789? Si la Marianne existe, si, pour 'le malheur de la patrie et de l'humanité, elle est ce qu'on dit qu'elle est, et si un jour quelque sectaire,
le fer à la main, me demande compte de ma vie, le fer à la main, ou la main désarmée, il faut répon,dre:
« J'aime autant que toi l'égalité, j'aime plus que
toi la liberté je suis un meilleur citoyen que toi. » Mais non, nous n'avons point cette angoisse de4 y vant nous, et, s'il y a une ba taille, nous la gagnerons. Les Girondins ne se sont perdus que pour avoir été
faibles; Robespierre n'a péri que pour avoir manqué de résolution; Napoléon n'est tombé du trône que
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parce.qu'il n'a pas osé se maintenir; la monarchie constitutionnelle n'a succombé que parce qu'elle ne s'est point défendue'.
Il en coûte à un homme qui aime de tout son cœur sa patrie et la liberté de blâmer ceux qui, aimant comme lui la liberté et la patrie, compromettent la cause commune par leurs paroles, par leurs projets ou par leurs acles. Et cependant, si, voulant affranchir l'Italie, Manin veut ceci et Mazzini cela, Manin, qui voit qu'un grand nombre d'hommes modérés l'approuvent, a bien le droit de blâmer Mazzini, qui les effarouche ou les épouvante.
Et nous qui désirons que ceux qui ont besoin de la liberté en jouissent, de même qu'il faut que tout le monde jouisse de l'égalité, nous avons le droit de déplorer la terrible erreur de ces chefs de sectes, ou publiques ou secrètes, qui veulent, sous prétexte 1 En tous temps j'ai trop compté sur le peuple pour approuver les sociétés secrètes, véritables conspirations permanentes qui compromettent inutilement beaucoup d'existences, créent une foule de petites ambitions rivales et subordonnent des intérêts de principe aux passions particulières; elles ne tardent pas a enfanter les déliances, source de défections, de trahisons même, et finissent, quand on y appelle les classes ouvrières, par les corrompre au lieu de les éclairer. A tout ce que j'avance ici je pourrais apporter des preuves. J'ai su tout ce que ces sociétés ont fait, ou j'en ai su du moins assez pour affirmer qu'elles ne peuvent convenir qu'à des peuples opprimés par l'étranger.
La Ilévolution de 1830 a prouvé que, dans un pays où les mœurs, sous quelque régime que ce soit, assurent toujours une certaine somme de liberté, on n'a besoin ni de sociétés secrètes ni de conspirations pour qu'à son jour le peuple montre sa volonté.
(Ma Biographie, p. 451.)
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d'égalité, reconstituer l'inégalité au prufit du prolétariat, et qui, sans calculer la portée d'une menace
semblable, projettent d'abolir quelque jour la pro-
priété individuelle.
Cette liquidation de la société dont on ose par-
ler en des termes qui ont un air scientifique est chose matériellement et moralement impossible. Les petites cotes de 5 francs se laisseraient encore moins liquider que les grandes cotes, et celui qui n'a que sa marmite tiendra toujours à manger sa soupe à
son heure avec ses enfants, et non dans un réfectoire de caserne.
Mais ce n'est pas de l'abolition impraticable de la
propriété qu'on doit sérieusement s'occuper; il faut prouver au peuple qu'il n'a rien à gagner dans les
entreprises dont on lui montre que la bourgeoisie
supporte toute la charge, et que, lorsque les gens sans
instruction approuvent qu'on opprime la pensée des
gens instruits, c'est comme s'ils allaient, pour rendre plusfécondeuneplante, couper toutes ses fleurs etles jeter en guise de fumier sur la racine. Ce ne sont que les fleurs qui donnent les fruits.
On calomnie la bourgeoisie elle a fait 1789 et
1830. Ce n'est pas elle qui a des préjugés contre le
peuple; c'est le peuple qui en a contre elle. La bour-
geoisie ne veut pas que le peuple soit condamné à
l'ignorance, etlepeuplesouffrirait quelabourgeoisie
fût privée du droit de penser et de parler. La bourgeoisie ne veut pas que le peuple reste cloué sur sa
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misère, et le peuple n'aime pas que la bourgeoisie
soit riche. La bourgeoisie sait que si le peuple se sé-
pare d'elle, c'en est fait de la fortune et de la force
de la nation, et le peuple oublie que, s'il n'y avait
pas de bourgeoisie pour le guider dans le travail et
faire circuler les fruits de ce travail, toute la na- tion retomberait dans la silencieuse infortune du
moyen âge. La bourgeoisie, qui a l'habitude de pen-
ser, a perdu ce qu'elle a de plus cher lorsqu'elle perd
la liberté le peuple qui, « ne pensant pas, ne compte
pas » (ce sont les expressions de M. Proudhon), ne
gagne rien à son irruption dans les affaires politi-
ques. La bourgeoisie admet que tout homme, dès
qu'il en est capable, peut prétendre à sa part de
gouvernement, elle peuplecroitqueleprincipedela
souveraineté du peuple, c'est-à-dire de l'universalité
des citoyens, c'est le principe de la prépondérance
de ceux qui travaillent avec leurs bras.
Jusqu'au courage, on refuse les vertus naturelles
à la bourgeoisie. Napoléon a dit que de toutes les ar-
mées qu'il a commandées, la plus digne de la gloire
fut celle qui, en 17% et 1797, a conquis l'Italie, et il
a remarqué qu'on y comptait fort peu de paysans et
d'ouvriers, et qu'elle s'était recrutée presque tout entière parmi les volontaires de la petite bourgeoi-
sie méridionale.
La bourgeoisie ne se passionne guère que pour les
hommes de génie; le peuple, sous Louis XIV, pro-
clamait un Peaufort roi des halles.
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Béranger lui-même, avouons-le, en voulant le consoler, a enorgueilli le peuple outre mesure; mais, qu'on l'avoue aussi, il n'a jamais raillé que les travers, et il n'a point méconnu les services ni les vertus de la bourgeoisie.
Comment l'aurait-il fait, puisque l'homme de la bourgeoisie, c'est l'homme dont on a cultivé l'intelligence?
L'un de ses derniers conseils au peuple inclément 'veut qu'il s'instruise.
Sachez que l'homme de bien,
Seul, en vaut deux s'il lit bien,
En vaut trois, s'il sait bien écrire.
Le savoir, c'est la liberté
L'ignorance, c'est l'esclavaâe
Dans une autre chanson, Y Avis, il recommande à chacun de bien s'examiner avant de vouloir s'élever au-dessus de sa sphère.
Le travail n'a pas qu'un mobile
Un noble but peut l'animer.
Sois, dis-je, un citoyen utile
Tu me répondis Je veux rimer.
Et il s'efforce de prouver que presque toujours le bonheur nous attendait au lieu même de notre naissance, pendant que, sans consulter nos. forces, nous prétendions faire un métier ou jouer un rôle qui ne nous convenait pas.
La Leçon de lecture.
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L'imbécile Marat n'a qu'un mot à la bouche les hommes d'État! Le peuple apprend par cœur et répète cet anathème. Qu'arrive-t-il? Il assiège la Convention jusqu'à ce qu'elle lui livre Vergniaud, Guadet, Brissot, et, quelques mois après, le ministère des affaires étrangères est confié à un maître d'école de village qui sait à peine signer son nom, et qui, lorsqu'à la fin on le congédie, demande au moins qu'on le conserve en qualité de garçon de bureau. Nous nous découvrons sans peine lorsqu'on nous demande de saluer cette mémorable époque; mais il ne nous est pas interdit de croire que la France eût été sauvée, quand même le peuple n'aurait pas de si près manié le gouvernement.
S'il est la source de la force, il ne l'est pas de la pensée autant vaudrait louer sans réserve la pureté et la sûreté de son goût dans l'appréciation des beaux-arts.
Il a de vigoureux instincts; il n'est pas capable, sans guide, de la vraie sagesse. Il n'a donc pas d'opinion en politique.
Charles Nodier1 a quelque part fait causer l'un des prisonniers du temps du Consulat et l'agent chargé de l'arrêter. Ce dialogue n'est pas seulement spirituellement mis en scène, il est vrai. L'agent croit que le jeune homme est un émigré, et il le plaint; mais son captif lui dit que c'est comme 1 Souvenirs de la Révolution, t. Il, p. 21 de la dernière édition.
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suspect de jacobinisme qu'on l'arrête. « Les jacobins! s'écria-t-il, à qui en parlez-vous? Un jacobin! je le porte dans mon cœur. Je l'ai été, jacobin, et des durs, mon cher enfant. Je ne sais pas si vous m'en croirez Henriot m'aimait comme un frère, et ce pauvre fIébert! il n'a jamais passé près de moi sans me serrer la main. Quelle âme qu'Hébert! quelle âme! Sa femme était un peu bigote; mais lui, c'était un charme de l'entendre. Un Brutus! un Marius un Scévola Il aurait tué son père. Et comment se fait-il qu'avec tant de prédilection pour toutes les opinions extrêmes au milieu desquelles l'usurpateur de nos libertés s'est placé, vous serviez d'instrument à ses proscriptions? Hélas! répondit-il, quand on est père de famille, on veut de l'avancement. »
Une anecdote encore.
En 1815, l'acte additionnel avait été envoyé dans toutes les communes par le ministre de l'intérieur, et le maire d'une commune rurale lui répondit « Nous avons reçu la constitution que vous .nous avez adressée, et nous recevrons de même toutes celles qu'il vous plaira de nous adresser par la suite. »
Comment veut-on qu'il en soit autrement? Les hommes qui manquent de lumières, qui ne connaissent pas l'histoire, qui n'ont ni l'habitude ni 1 Mémoires de N. Dupin, t. 1, p. 17.
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le temps de comparer entre eux les hommes et les choses, ne sauraient entrer dans le sens de la plupart des grands actes législatifs d'un pays. Pourvu qu'on n'ait pas l'air de faire fi de leur jugement, ils approuvent presque toutes les modifications que les lois générales peuvent subir sous le coup des événements. Ils ont accepté et sanctionné successivement toutes les constitutions et tous les changements de gouvernement. Ce n'est pas inconstance, car le peuple des villes et des campagnes, la multitude enfin, si elle ne saisit pas les nuances de la politiques, n'a jamais changé et ne chantera jamais d'opinion sur le fond des idées qui, depuis soixantedix ans, s'appellent les principes de 1789.
Mais il faut avoir le courage de dire au maçon qui a vu les clubs de 1848 et qui s'y est cru homme d'Etat qu'une grande instruction est aussi nécessaire que le bon sens il l'homme qui veut s'occuper des affaires de son pays, et qu'il faut ce métier un apprentissage dont peu d'esprits sont capables; delui dire que, lui maçon, rirait sans doute si un ministre gâchait gauchement du plâtre, et qu'il n'y aurait pourtant pas grand mal -Il cela, tandis que le désordre dans les matières de gouvernement est long et difficile il réparer; de lui dire encore (mais ceci est surtouf l'affaire des historiens qui aimentlaFrance etles hommes), de lui prouver que l'apparition du peuple sur la place publique, depuis 1789, n'a fait jamais autant de bien qu'elle a causé de mal, toutes les fois
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qu'il n'était pas appelé par la bourgeoisie pour combattre avec elle. Il comprendra sùrement s'il ne comprend pas, vive encore la raison' Vous enten- 1 Parmi les pages les plus tristes de l'ancien Moniteur, j'ai noté le numéro du 1" décembre 1792, qui contient un article de Pétion. Cet article n'est pas d'un grand style mais la pensée qui l'a dicté est excellente. En ce moment, après les inconcevables succès de l'audacieuse Commune, le parti girondin se sentait déjà perdu, et malbeureusement avec lui devait pour longtemps se perdre en France le désir de sauver avec l'égalité la liberté, et de défendre la révolution à l'intérieur et à l'extérieur, sans compromettre sa cause devant la postérité. Pétion, évidemment poussé par ses amis à prendre la plume et à faire un dernier effort, essaye de faire comprendre aux basses classes de la nation qu'elles ne doivent pas se croire tout de suite capables de gouverner. Bonnes paroles, si elles ne venaient pas si tard. C'est avant que le peuple se soit saisi du pouvoir qu'il faut lui dire que le gouvernement de la société ne peut être confié au premier venu. Pétion disait « Il faut l'avouer, la liberté a été mûrie en serre chaude. Il est impossible d'avoir dissipé eu un si court espace les erreurs de tant de siècles il est impossible d'avoir amené tout à coup des hommes qui 'languissaient dans la fange des préjugés et dans l'avilissement à un tel i tat de lumière et à la hauteur de nos destinées actuelles.
« Avant notre immortelle révolution, quelques hommes instruits, quelques philosophes, méditaient sur la seience des gouvernements, sur les principes de la liberté, sur les grands objets d'économie politique mais la masse de la nation était inerte, livrée à des travaux pénibles qui ne lui laissaient pas le moment de s'instruire, et restait courbée sous le joug de la superstition et de l'erreur.
« Cette masse est aujourd'hui en activité, et ouvre les yeux à la lumisère elle veut le bien, et cherche à s'éclairer. Mais qu'arrive-t-il ? Elle prend ses premières idées pour des connaissances, ses premiers aperçus pour des résultats de l'expérience la présomption est d'autant plus grande qu'elle sait moins. Plus les sujets sur lesquels elle s'essaye sont importants, plus ses fautes sont graves et ses écarts funestes.
« L'homme qui a le moins cultivé sa raison se met à haranguer, parle avec assurance sur les matières les plus difficiles, les entrevoit à peine, les envisage sous de faux rapports. Ceux qui l'entendent n'étant ordinairement pasplus instruits que lui, l'applaudissent, recueillent l'er-
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dez dire quelquefois Le peuple prétend qu'on l'a dupé en 1848, et, à l'occasion, il ne souffrirait pas qu'on le dupe. Absurdité pure. Est-ce la colère du peuple ou la faiblesse de la bourgeoisie qui a fait 1848?
Si la bourgeoisie le voulait bien, aucune révolution, ni d'en haut ni d'en bas, ne pourrait venir troubler la vie intellectuelle et matérielle de la France elle seule empêche ou laisse faire les coups d'Laat. Quelquefois elle les demande; d'autres fois elle se résigne à les subir. Le peuple applaudit toujours, parce que les révolutions l'amusent en guise de spectacle, et parce qu'il aime, comme un enfant, à se moquer des lois.
A Dieu ne plaise que j'entre ici dans l'examen d'une thèse qui n'a été que trop bruyante et dont nous n'avons que trop durement expié les imprudentes applications!
Comme les rois, le peuple a ses -valets,
qui lui cassent l'encensoir sur le nez et qui volontiers parlent de ses vertus en mettant à chaque mot une majuscule. Béranger a chanté le peuple pour lui donner du cœur; il ne l'a pas loué fadement'et bêreur avec avidité, la propagent et insensiblement l'opinion publique se corrompt et prend une fausse direction. Cette opinion égarée vient ensuite presser de son poids toutes les autorités et les en traîne dar.s son cours. »
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tement. C'est sa gaieté qu'il aimait et qu'il voulait armer contre la peine.
Il faut qu'enfin l'esprit venge
L'honnête homme qui n'a rien.
C'est son patriotisme désintéressé qu'il admirait, et à bon droit; car le Vieux Vagabond, qui achève de vivre sur les orties et la folle avoine du fossé, a aimé cette terre sur laquelle il n'a pu bâtir sa maison. Le pauvre a-t-il une patrie?
Que me font vos vins et vos blés,
Votre gloire et votre industrie,
Et vos orateurs assemblés?
Dans vos murs ouverts à ses armes
Lorsque l'étranger s'engraissait,
Comme un sot j'ai versé des larmes.
Ces larmes doivent être comptées pour quelque choses; elles rachètent bien des folies. Mais cherchons ce que les sectes ont fait de supérieur à l'œuvre de Béranger, pour adoucir le sort de ceux qui travacillent. Ce ne sont pas les systèmes particuliers de MM. Pierre Leroux, Louis Blanc, Proudhon ou Cabet, que l'on a à examiner ils n'ont pas été mis en pratique. Mais nous avons aujourd'hui sous les yeux le triomphe d'une foule de philosophes qui autrefois, à un point de vue particulier, parlaient de re- nouveler la face du monde.
Un peu après 1850, les saint-simoniens ont affiché dans la ville une religion toute nouvelle. Où est-
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elle, cette religion pétrie de matière? Où sont ces
dogmes entés sur les axiomes de l'économie politique
qui voulaient détruire également la foi et la liberté?
Et les pr édica teurs de cette religion, sur quelle croix
ont-ils voulu mourir pour frapper l'imagination des
peuples? Ils ont créé l'empire des compagnies finan-
cières, ils possèdent les voies ferrées de la France,
ils semblent régir le monde et du moins l'éblouis-
sent mais cette fièvre d'affaires, qu'ils ont allumée
en France, cette circulation impétueuse des capitaux
qu'ils sont si fiers d'avoir créée, cette absorption de
tous les efforts individuels en un même courant in-
vincible, qu'ils nous prouvent que le nombre des vic-
times qui la maudissent ne l'emporte pas sur le
nombre de ceux dont elle fait la joie! Admettons
que nous avons tous gagné à la loterie qu'ils ont ou-
verte eh c'est notre gloutonnerie qu'on a satis-
faite ils n'ont rien fait pour notre â'me!
J'aime mieux de modestes inventions, comme celle
de l'Orphéon, et je crois qu'un beau chœur chanté
d'accord vaut mieux pour la paix qu'une coalition. de banquiers.
Les cœurs sont bien près de s'entendre
Quand les voix ont fraternisé.
Or quelle est la part du cœur humain dans une
distribution de dividendes?
Quand Béranger (dans la préface de ses Dernières
Chansons) reproche aux républicains eux-mêmes de
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ne pas songer assez à l'organisation de la démocratie, quand il dit du mouvement d'idées qui a suivi l'avénement au trône de Louis-Philippe « .l'ai vu .surgir et se développer des idées philosophiques, et sociales qui, un jour, dégagées d'erreurs inévitables, serviront à l'amélioration de ce pauvre monde, dont la prétendue civilisation n'est guère encore que de la barbarie, » il n'entend pas que cette organir sation delà démocratie et l'amélioration de ce monde consistent dans le seul développement des entrepri,ses industrielles ou financières de nos cités. D'abord il eût dit comme Jean-Jacques « Vous êtes plaisants, vous autres philosophes, quand vous regardez les habitants des villes comme les seuls hommes auxquels vos devoirs vous lient. » Ensuite il rappellerait que son vers
Plus près des cieux qu'ils rapprochent le monde
relève vers l'idéal le visage que l'on cherche à tenir baissé vers la terre, et que, lorsqu'il a dit, avant que retombât la pierre de sa tombe,
L'égalité fera sa gerbe
1 Ma Biographie, comme le volume de vers, s'achève sur une semblable prophétie. « Le triomphe de l'égalité se préparé en Europe, et la gloire de ma chère patrie sera d'avoir réclamé la première, au prix des plus grands sacrifices, le gouvernement de la démocratie, organisé par les lois qui sont le besoin de tous. » Il faut y voir le même sens. L'élan le plus vigoureux de sa commisération pour les pauvres qui
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cette image reflète les couleurs d'un avenir où le
vœu du poëte a entrevu, non pas un festin où chacun
mange à part égale, mais une confédération frater-
nelle qui ne connaît plus l'injustice et qui dis-
pense, autant que possible, à tous les peuples et à'
tous les hommes le trésor commun de la vérité et de
la vertu.
Tel philosophe s'obstine à ne voir dans la Révolu-
tion française qu'une question économique. Si on le
presse d'expliquer les nobles élans de l'âme qui ont
mille fois, de 1784 à 1800, illustré le théâtre sur le-
quel agissaient nos pères, il se retire dans son mépris
de la superstition et emploie des mots matériels. Si
on le somme d'admirer le désintéressement, le cou-
rage l'enthousiasme l'héroïsme civique de ces
grandes générations, il croirait presque qu'elles ont
été dupes d'un préjugé. Béranger, qui ne s'est guère
occupé d'économie, n'a, suivant lui, rien compris à
la Révolution, et il a contribué à en fausser la signi-
l1cation dans l'opinion publique.
Mais bien mieux que ces sophistes et quoi qu'ils
disent, Déranger a interprété le sentiment de cette
histoire. On l'en a loué longtemps; laissons-le s'en
f,;liciter. « II m'a été facile, a-t-il dit, de voir quel-
ne peuvent pas encore vivre en travaillant a laissa sa marque dans les
Veiulancjes du recueil posthume.
Le cri y est trop vif; mais quel poëte ne tend pas quelquefois trop
l arc et n'envoie pas trop loin sa flèche? Ce cri, d'ailleurs, est moins à
l'adresse de ceux qui souffrent qu'à l'adresse de ceux qui pourraient
les-laisser souffrir.
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quefois plus juste et plus loin que des esprits qui m'étaient supérieurs, mais qu'agitaient des désirs ou des passions que je n'avais pas. » Le temps était venu d'élever le niveau des mœurs publiques, de les châ'tier sans colère, de les pousser vers la simplicité. Il voulut être/dès qu'il s'en vit la force et le crédit, le flagellateur des vices, l'inspirateur des nobles pensées. « Ce rôle d'Aristophane, qui m'avait paru si beau à l'âge de vingt ans, sans le génie, mais aussi, du moins il me semble, sans l'acrimonie du poëte athénien, je le jouai, non au théâtre, où il n'est peut-être plus possible, mais dans tous les rangs de la société française. »
Enfin, né voisin d'une classe
Où pullulent les malheureux,
J'aidais à remplir leur besace;
J'allais jusqu'à glaner pour eux.
Perdus dans vingt sentiers contraires,
Ils se guidaient à mon flambeau,
Ces infortunés sont mes frères,
Je dois partager leur tombeau.
Il a joué ce rôle dans tous les rangs, mais il n'a voulu jamais quitter ceux parmi lesquels il a commencé de vivre, à qui il savait que ses chansons étaient le plus utiles et pour qui, en somme, il est le plus urgent que travaillent les hommes d'un grand cœur.
Il les poussait au bonheur, et non à la révolte l.
j J'étonnerai peut-être un grand nombre de propriétaires qui raffo-
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Pur de haine et d'hypocrisie,
Itêvant le bien, cherchant le beau,
il s'obstine à nous préserver de cet égoïsme des gens heureux qui les rend trop sévères pour l'ignorance et pour les vices que l'ignorance fait germer dans la misère.
En 1853, dans la préface excellente de son qua-
trième recueil, il avait dit déjà
« Par suite d'habitudes enracinées, nous jugeons
encore le peuple avec prévention. Il ne se présente à nous que comme une tourbe grossière, incapable d'expressions élevées, généreuses, tendres. Toutefois, chez nous il y a pis, même en matière de jugements littéraires, surtout au théâtre. S'il reste de la poésie au monde, c'est, je n'en doute pas, dans ses rangs qu'il faut l'aller chercher. Qu'on essaye donc d'en faire pour lui; mais, pour y parvenir, il faut étudier le peuple. Quand, par hasard, nous travaillons pour nous en faire applaudir, nous le traitons comme font lent toujours d'Horace et, décidément, n'aiment plus Béranger, en leur indiquant, à la lin de la seconde satire du deuxième livre, une théorie de la propriété qui est aussi hardie que la morale des Bohémiens et des Contrebandiers. La nature, dit Horace, ne donne à personne la terre en toute propriété elle la prête seulement à qui travailfe de bon eunir
Kam proprias telluris herum natura, neque illum,
Kec me, nec quemquam statuit. Nos expellit ille;
ilium aut nequilies, aut val'ri inscitia juris,
l'oslremo expellet certe vivacior hœres.
Nunc ager linbreni sub nomine, nuper Ofelli
Diclus, erit nulli proprius sed cedet in usum
Nunc mihi, nunc alii. Quo circa vivite fortes,
i'ortiaque adversis opponite pectora rébus.
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ces rois qui, dans leurs jours de munificence, lui jettent des cervelas à la tête et le noient dans du vin frelaté. Voyez nos peintres représentent-ils des hommes du peuple, même dans des compositions historiques, ils semblent se complaire à les faire hideux. Ce peuple ne pourrait-il pas dire à ceux qui le représentent ainsi « Est-ce ma faute, si je suis mi« sérablement déguenillé? si mes traits sont flétris « parle besoin, quelquefois même parle vice? Mais dans ces traits hâves et fatigués a brillé l'en« thousiasme du courage et de la liberté; mais sous « ces haillons coule un sang que je prodigue à la voix « de la patrie. C'est quand mon âme s'exalte qu'il « faut me peindre. Alors je suis beau. » Et le peuple aurait raison de parler ainsi. »
Dans Ma Biographie, à propos du temps qu'il a vécu en prison, il va jusqu'à prendre la défense des malheureux que les vices de l'ignorance et de la misère ont perdus. « Le plus grand tourment des maisons de détention, dit-il, et quelquefois il est affreux, c'est le spectacle d'irremédiables infortunes' imprudemment encourues, et des natures dégradées qu'on y rencontre. Qui le croirait pourtant? Ce n'est pas là qu'un misanthrope trouverait le plus d'arguments contre cette pauvre espèce hurnaine. En revanche, le philosophe en rencontrerait de terribles contre les lois qui nous régissent, quoique moins imparfaites pourtant que celles qui ont pesé sur nos pères. »
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il y a de mauvaises natures, observe l'égoïste, et
contre elles nous avons besoin de ces lois. Mais
ces mauvaises natures se rencontrent dans tous les
rangs de la société, et ce n'est pas manquer de
respect aux lois que de demander qu'on mette un
peu plus de mansuétude, chaque jour, dans le
châtiment de bien des délits qui ne ressemblent pas
à des crimes. Cet adoucissement, nous ne l'ignorons
pas, est l'oeuvre du temps et a toujours suivi l'a-
mélioration des mœurs. Devançons, s'il se peut,
les mœurs elles-mêmes pour voir si ce n'est pas les
stimuler au bien, et persuadons-nous que le progrès
véritable dans les sociétés ne se constate en défini-
tive que dans les tableaux de la statistique crimi-
nelle.
Toute la France, pressentant cette vérité, vient
d'applaudir au discours solennel du procureur gé-
néral de la cour de Paris, lorsqu'il a recommandé
aux juges le respect des accusés et la douceur.
Que le Vieux Vagabond ne dise plus:
Comme un insecte fait pour nuire,
Hommes, que ne m'écrasiez-vous?
Ah plutôt vous deviez m'instruire
A travailler an bien de tous.
Mis à l'abri du vent contraire,
Le ver fût devenu fourmi,
Je vous aurais chéris en frère.
Et, pour ne parler que du plus grand des châ-
timents que l'homme inflige à l'homme, adversaire
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de la peine de mort Béranger la juge non-seulement injuste, mais inutile, et il pense comme Victor Hugo à l'Assemblée constituante 2 « Le dix-huitième siècle a aboli la torture, le dix-neuvième siècle abolira la peine de mort. »
Un jour tout sera bien, voilà notrc espérance;
Tout est bien aujourd'hui, voilà l'illusion;
a dit Voltaire, qu'il fait si bon citer souvent à côté de Béranger. L'homme sage sait bien que tout ira de mieux en mieux avec les années, mais il ne veut pas qu'on. s'endorme dans la paresse de l'espoir et ',qu'on réserve toujours à l'avenir ce que le présent doit faire.
Il est bien que les philosophes et les poètes devancent même leur siècle. Leurs conseils, leurs réclamations pour des réformes qui ne peuvent être parfois que lentes, ne sont pas pour cela en in- surrection contre les lois et les mœurs de leur temps; mais ils doivent marquer la route à suivre et n'être jamais satisfaits.
Béranger accomplissait le devoir d'un homme de génie en demandant que le progrès, en toutes choses, soit mieux marqué, et le soit plus vite. Les gens à courte vue déplorent cette manie de mécontentement mais il faut de ces grands mécon1 Voir Ma Biograpleie, p. 265.
2 Séance du 15 septembre 1848.
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tents pour que le monde ne s'arrête pas dès que
quelques personnes se trouvent heureuses.
Le chantre de l'amour philosophique n'a point
oublié la femme dans ce qu'on peut, si l'on y tient,
appeler ses utopies.
Le peuple est malheureux, mais ne l'est-il pas
souvent par sa faute? Autant la misère des honnêtes
gens est criante, autant la pauvreté du paresseux,
de l'ivrogne, de l'orgueilleux, est coupable. Un
homme, en France, trouve presque toujours
s'occuper. Ah! si l'on parlait des femmes, de ces
pauvres filles déshéritées, de ces veuves lamen-
tables qui, chargées d'enfanls, et travaillant jour
et nuit, n'ont pas même de bois pour leur foyer
ni d'huile pour leur lampe, nous comprendrions
les plaintes et les murmures. Celles-là n'ont point
la virilité pour se consoler elles ne vont pas sur
la place publique s'occuper et parler des affaires
du pays. Leur vie est triste jusqu'à la mort, parce
que l'homme manque à la protection qu'il doit à
leur faiblesse.
Béranger, et nous aussi, n'est-ce pas, nous deman-
dons pour la femme quelque chose de plus que ce
qu'elle a. Un mari brutal la dédaigne, la gâte, l'ap-
pauvrit, la bat* peut-être. Dieu la vengera, mais
nous déjà vengeons-la des périls et de la corruption
où sa vertu est jetée. Faisons-lui, à côté de nos mé-
.caniques, des métiers nouveaux, cherchons-lui le salaire qu'il lui faut pour acheter des langes à ses
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enfants. Cette grâce, cette fleur de la vie de l'homme, a droit, sinon à notre amour, au moins à notre pitié.
Amour, dans ma mytlioloâie
Dieu sourit à la volupté.
1 Je vous prophétise une autre ére
La femme engendrera la loi.
Qu'elle soit reine où l'homme est roi,
Qu'en son époux Eve retrouve un frère.
Cela ne veut pas dire que la femme sera un jour tribun du peuple; mais du foyer domestique elle élèvera sa voix jusqu'à nos assemblées, et nous modifierons nos lois pour lui faire un sort plus doux dans notre vie commune. La chevalerie est morte; la politesse, grâce au tabac, va mourir. Cherchons quelque chose qui console, sans l'affoler, notre compagne.
Qu'elle soit reine où l'homme est roi
Puisse l'histoire de la mère Jary, cette élégie plaintive, décider ceux qu'émeut le sort des pauvres femmes à tirer parti le plus promptement possible, en leur faveur, des recherches et des études de l'économie industrielle et de la science de l'assistance! La penséedeBéranger allait de la tristesse des mères à l'éducation des enfants, qui a fait partout de grands pas depuis 1815, mais qui en a tant à faire encore. Envisageant ici le devoir de l'État dans l'intérêt même
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de l'Etat, et ne se bornant pas à juger les écoles primaires, il déclare que nous n'intéressons pas d'assez bonne heure les jeunes âmes de nos fils au mouvement, aux joies, aux charges de la vie civique. C'est maintenant surtout, lorsque tout homme est citoyen actif et a le droit de suffrage, que sa manière de voir paraît moins extraordinaire. « Inculquer, dit-il, à l'enfance l'amour des formes et des principes établis dans la société qui l'attend, c'est donner la valeur d'une durée de plusieurs siècles aux institutions sorties plus ou moins nouvellement des principes qui ont exigé ces formes; c'est faire naître une précoce expérience chez les enfants qu'un nouveau régime politique a vus naître, et les habituer nonseulement à la pratique mais encore à l'étude curieuse des lois qui restent à perfectionner. Nos grands établissements d'instruction font-ils autre chose que quelques savants et beaucoup d'écoliers? des hommes, en sort-il un grand nombre? des citoyens, il n'en est pas question. »
Encore un rêve ou un badinage Non, ce n'est pas là un rêve. Nos sociétéssont toutes jeunes elles s'étonnent de tout: elles ignorent encore ce qu'elles ont à faire pour assurer leur avenir. Puisque le premier venu est admis à faire acte de souveraineté, essayons de le préparer cet acte, inculquons-lui l'amour de la loi. Que l'électeur, que l'éligible non-1 Il n'y a pas un milliard de minutes écoulées depuis la naissance du Christ.
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seulement sache lire, mais qu'il comprenne sa dignité et se serve bien de sa puissance.
La bourgeoisie ignore elle-même sa force. Elle ne voit pas qu'étant le bataillon sacré, recruté sans cesse dansles rangs du peuple, qui en dirige le mouvement civilisateur, elle n'a qu'à marcher toujours en avant pour n'être jamais dépassée. Ne point craindre d'aborder les questions qui se posent en philosophie, en religion, en politique, en économie sociale; ne douter jamais de la vigueur de la pensée; ne pas croire que la lumière de la raison puisse allumer jamais un incendie; ne point se faire de la noble idée d'ordre un prétexte pour le repos et la jouissance, ce qui est se ravaler jusqu'au-dessous du matérialisme des doctrines les plus grossières; né pas professer deux morales, l'une. pour les gens instruits, l'autre pour les ignorants; ne désespérer en aucun cas, si elle l'a perdue, de la liberté ne rien négliger pour la conserver, quand elle l'a reconquise, voilà son devoir. Mais elle n'y pense pas.
Pendant que le peuple se repaît de chimères malfaisantes et oublie la France, la bourgeoisie oublie la France et saccage sa propre fortune. Elle immole, une une, les renommées de la patrie. Au lieu de maintenir en l'air les grands noms comme des étoiles qui luisent pour tout le monde, elle éteint leur gloire, et la'nuit se fait sur nos têtes. Sans doute ces hommes illustres n'ont été que des hommes et ils prêtent le flanc à la satire; mais qu'allons-nous de-
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venir, si nous ne voulons plus souffrir d'hommes célèbres? si nous exilons l'enthousiasme? si nous ne voulons plus de la grandeur?
Les Gaulois chantaient « Nous soutenons le ciel de nos lances. Cet orgueil vaut mieux que notre modeslie.
Mais les heureux empires n'ont pas d'histoire! Ilicn n'est moins vrai ces empires-la dorment bien, mais ils dorment sans rêves et nous ne sommes pas nés pour être heureux de cette manière, mais pour le bonheur de l'âme notre rôle est de chercher et de marcher il est d'agir.
Est-ce agir que de faire ou de laisser faire des révolutions inutiles, des émeutes, du tapage; se rassasier de querelles, s'enivrer de mouvement sans puissance?
Mais soit, nous supprimons les grands hommes. Comptez ceux qu'une génération produit il n'y eil a guère. C'est par eux pourtant que nous pensons, que nous jugeons, que nous vivons. N'importe On les supprime alors nous retomberons dans la barbarie. Qu'est-ce qu'un vieux soldat? un vieux négociant? Retiré du tumulte fortifiant de la vie active, il est à peine l'ombre d'un homme, tandis que le savant, l'écrivain, le politique qui travaille malgré l'âge, ne s'affaisse pas avant de mourir. Nous en avons de beaux exemples lord Brougham, pour n'en citer qu'un, le plus actif organisateur de la science sociale en Angleterre. Eh bien, l'humanité sans grands
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hommes tombe dans la décrépitude ou dans l'enfance. Ils étaient notre cerveau; nous n'avons plus qu'un estomac.
La civilisation romaine, au temps d'Auguste, était pompeuse. Mais l'enthousiasme s'échappe des âmes sous les Césars; l'Empire croule, Rome est livrée au pillage. Cherchez dans les ruines, au cinquième siècle, le flambeau de cette civilisation brillante. Il a fallu plus de mille ans pour le rallumer, et aujourd'hui encore dix pieds d'ordures et de débris cachent le sol glorieux du Forum.
Ainsi nous péririons,.malgré la fierté de notre industrie et de nos sciences, si nous laissons chasser de notre pensée l'idée de Dieu, l'idée de la patrie, l'idée de liberté, et si nous ne songeons, les uns qu'à réclamer, les autres qu'à défendre notre part de richesse. La réalité nous divise, l'idéal nous réunit. Nous sommes épuisés par les petites passions mais les grands sentiments peuvent nous rendre la vigueur. Laissez dire qui ne croit pas en Dieu, qui se moque de la liberté, qui ne rêve pour l'humanité que les formes d'une société en commandite ou d'une compagnie d'assurances c'est l'imagination qui est la flamme subtile de la raison. Elle allume en nous Cet espoir qui toujours finit
Et recommence;
elle nous réveillera elle nous sauvera
Alfred de Musset, A mon' frère.
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Béranger a douté de la puissance des vers, c'est-àdire de l'imagination poétique, «jusqu'à ce que l'ordre dans l'égalité' règne enfin mais il n'a consenti n rien rabattre de sa foi dans le spiritualisme appliqué à l'énergie des actions humaines.
Au sentiment accordez quelque place
dit-il à la science. D'un ton plus haut, il s'écrie
Il manque un homme en qui le momle ait foi.
Et on ose écrire qu'il n'a fait que flatter les mauvaises passions de la multitude! Il a jusqu'au bout combattu le doute.
Il nie le prestige des titres et des dignités, il se rit de la hiérarchie factice; mais la foi qu'il retire de la fausse grandeur, il la reporte tout entière sur la beauté morale. Il méprise les costumes, il admire les caractères. Il n'est point affligé de ce que la France n'a pas écrit un-poëme épique comme Vllinde, mais il est fier de ce qu'elle a fait, à la fin du siècle dernier, l'épopée immortelle du genre humain. Il exige qu'il y ait de l'art dans la plus petite œuvre de l'écrivain mais il ne veut pas de l'art pour l'art, de l'art sans mission.
Prise de n'importe quel côté, sa vie ou sa doctrine ne varie pas. Il chante Dieu et combat l'hypocrisie Préface des Ch. dtrn., p. 7.
Le Sauant.
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religieuse; il chante à la fois le plaisir et la modération il introduit la raison dans la politique sociale, pais il n'en bannit pas les nobles mouvements de l'âme. Il prend en un mot les hommes comme ils sont, avec tous leurs désirs légitimes, avec leurs instincts divers; et de l'étude de ces instincts et de ces désirs il dégage une loi conciliatrice des devoirs et des intérêts de l'humanité. Que de plus sages que lui viennent lui jeter la pierre Que ceux qui ont la clef de l'avenir fassent des plaisanteries sur sa doctrine Mais, en attendant le succès des recettes qu'on nous vante, ayons la simplicité de croire toujours que le respect des belles choses et l'admiration des hommes illustres ne peuvent nuire ni aux individus ni aux peuples. La science nous donnera, dit-on, le bien-être du corps; mais dans ce corps si bien nourri il faut une âme saine.
Guérissons-nous d'abord de la plus terrible des maladies, qui est l'effroi. Le doute disparaîtra tout aussitôt. Nous aimerons encore Dieu, la liberté, la patrie et l'humanité. Guérissons-nous aussi de la légèreté avec laquelle nous troublons ou laissons troubler l'ordre public. Mais, à la rigueur, c'est aux gouvernements qu'il appartient de veiller sur la rue. Béranger méprisait également des émeutes qui troubleut la paix publique sans profit pour personne, et une sotte liberté qui n'a pas conscience de son énergie et qui se consume en débats ridi-
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eûtes. L'enseignement des vingt-deux années qui vont de '1850 à 1852 ne doit pas être perdu. Nous avons besoin, avant toute chose, non pas de diviniser, mais de respecter le pouvoir; et, quand l'Empire, soit-l'ancien, soit le nouveau, ne nous apprendrait qu'à gouverner hardiment, sans crainte des résistances de parti, il aurait fait sa tâche. Napoléon, disait Armand Carrel, nous a enseigné à respecter la loi. » Armand Carrcl, par cette seule parole, prouvait qu'il avait le sens politique. Est-ce que la monarchie constitutionnelle, en i848, ne devait pas vainere l'insurrection? Est-ce que l'Assemblée législative, en 1851, ne devait pas se réserver la force de narguer un coup d'Étal? Le premier devoir d'un gouvernement, c'est qu'il sache se maintenir. Intéressons la liberté même à sa force! Et la bourgeoisie et le peuple doivent demander que la grande Révolution française marche sans encombre ni recul, et que les petites révolutions d'aventure soient interdites.
Il n'y a pas de bonheur public sans la liberté, mais
il n'y en a pas non plus sans l'ordre.
Paix aux châteaux et aux chaumières! du travail
à tous 1, de la lumière, de la raison, de la fierté pour tous La cité est désormais ouverte n'en fermons les portes sur personne. Et que ceux d'entre nous 1 « Souvenez-vous toujours qu'il vaut mieux assister les lmuvres en les faisant travailler que de les assister pour rien. » (Maiktehon, Lett. hist. et édif., t. II,.p. 58.)
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qui s'estiment contents de leur lot ne veuillent mal de mort ni à ceux qui ne sont pas aussi bien partagés- par la nature ou par la fortune, ni à ceux qui soutiennent le courage de ces déshérités; Béranger leur peut dire, aujourd'hui encore
Ne soyez pas ingrats pour nos musettes;
Songez aux maux que nous arloucissons
Pour s'en tenir au lot que vous lui faites,
Le pauvre peuple a besoin de chansons.
IV
DE LA PATRIE ET DE LA LIBERTÉ
Béranger, dans la philosophie, dans la morale, dans la politique sociale, proscrit les systèmes et les sectes, et proclame les vertus de la raison individuelle. Il se fie au sens commun, à condition que le sens commun examine et se décide sans entrave. On est bien surpris, après cela, quand on le voit traiter comme un adversaire de la liberté.
Je ne crois pas soutenir un paradoxe en affirmant et en essayant de montrer qu'il a parfaitement entendu ce que c'est que la liberté, qu'il a beaucoup ¡fait pour que la France en pût jouir, et qu'il ne l'a nullement sacrifiée en s'attachant à maintenir toute ̃l'œuvre de la Révolution française. La liberté nous ^deviendra de plus en plus précieuse; mais, jusqu'ici,
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nous n'avons guère eu le temps d'être libres, et aux
nécessités du combat que la France régénérée a eu
à soutenir contre les rois, nous avons joint trop
souvent les désordres et les déchirements intestins.
Les deux courants d'idées de liberté et d'idées d'éga-
lité, sortis de la source commune, n'ont pu s'épan-
cher d'une vitesse égale et d'un même flot. L'égalité
n'a plus d'obstacle à vaincre depuis que le suffrage
est universel mais de ce que tous nos efforts doivent
tendre maintenant à élever au même niveau le prin-
cipe de liberté, il ne s'ensuit pas que notre vie pen-
dant soixante-dix ans n'ait été qu'un tumulte à
couvrir du mépris de l'histoire.
Nous nous sommes plusieurs fois trompés, nous
avons failli à nos devoirs de peuple intelligent;
mais enfin, sans nous jeter dans le fatalisme, nous
avons presque toujours eu une excuse de nos er-
reurs à donner à la postérité.
Le rôle de la France n'est pas celui du premier
peuple venu. Tel qui n'a été que patriote jusqu'à
présent peut l'avoir aussi bien compris et mieux
compris qu'un partisan exclusif de la liberté.
Béranger est le patriote par excellence. A treize
ans le bruit du canon qui fête la reprise de Toulon le
renverse fou de joie sur les remparts de Péronne. A
vingt ans, ce même canon qui tonne pour annoncer
que l'Italie, à Marengo, vient d'être reconquise sur
l'Autriche suspend, puis ranime la gaieté des chan-
sons qu'il chante avec ses amis dans son Grenier.
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• En 1814, le canon encore (et cette fois c'est le canon ennemi, retentissant contre nos barrières) éveille en lui dans le faiseur de couplets légers le grand poëte qui s'ignorait. Il pense alors à Jeanne d'Arc, et il commence à consoler la na tion, jusqu'à ce .qu'il devienne son inspirateur le plus puissant. Il est mort dans toute la ferveur, disons mieux, dans la sérénité de son patriotisme, et il nous a laissé cette recommandation, qui mérite qu'on s'y ar rête « Lorsqu'une nation a pris l'initiative d'un principe, et surtout du principe démocratique, et qu'elle est -dans la situation géographique où nous sommes placés, dût-elle espérer qu'elle obtiendra la sympathie des hommes éclairés chez tous ses voisins, elle a pour ennemis patents ou secrets les autres gouvernements, et particulièrement ceux qui sont dominés par une aristocratie puissante. Pour de pareils ennemis tous les moyens sont bons.
« Malheur alors il cette nation si elle voit s'éteindre l'amour qui lui est dû, et qui est sa plus grande force! Il faut que ses fils se serrent autour de son drapeau, dans l'intérêt même du principe qu'elle a mission de faire triompher au profit des autres peuples. C'est quand ceux-ci auront conquis les mêmes droits qu'elle qu'on devra faire taire toutes les rivalités d'amour-propre et les antipathies que le sang nous a transmises. Quoi Français, nous n'entretiendrions pas en nous, dans l'intérêt d'une pensée généreuse qui nous a déjà coûté tant de sang, un
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patriotisme que les Anglais poussent jusqu'à l'inso-
lence et la cruauté pour des profits à faire sur le thé,
l'indigo et le coton
« Tâchons que l'amour du pays soit toujours notre
première vertu, et je le recommande surtout à nos
littérateurs, qui mieux que d'autres peuvent prêcher
cette vertu-là. »
Béranger n'en dit pas même assez, et le patrio-
tisme, chez nous, peut aller jusqu'à se prétendre un
système de philosophie humanitaire. Les peuples ont
toujours eu un peuple pour les conduire, comme les
hommes, dans chaque État, doivent être soumis a
une autorité. L'autorité, dans un État, a toujours à
lutter contre le sentiment qui fait que l'homme est
mécontent d'obéir; de même les peuples, qui recon-
naissent tous la supériorité du génie de la France,
sont toujours disposés à nous regarder d'un œil ja-
loux. Mais ils comptent sur nous. Joseph de Maistre
a dit « On ne peut rien faire de grand et de bon
en Europe sans la France. » C'est qu'en effet, depuis
que l'empire de Rome a péri, la France lui a suc-
cédé dans la direction de la civilisation universelle.
Notre Révolution de 1789 a légitimé et fortifié cette
influence civilisatrice. L'idéal définitif des peuples,
ce n'est point la liberté, et l'inégalitéde l'Angleterre,
c'est la liberté française, que nous n'avons pas con-
ciliée encore, mais que nous saurons bien concilier
avec l'égalité. Les nations qui souffrent ne nous en
veulent pas si, à diverses reprises, nous n'avons pas
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été leur portersecours; elles savent quenotre cœur est tout à elles; et, dans les contradictions par lesquelles nous avons passé, elles aperçoivent un travail pénible qui doit infailliblement aboutir au salut commun. Le monde ne sera organisé que par nous, et le centre de la vie terrestre est établi pour jamais à Paris. M. Thiers, dans son Histoire du Consulat ci dc a a cru entrevoir dans l'avenir la prépondérance de la Russie, et il écarte avec effroi ce présage. Ce présage ne nous effraye point. L'officine des nations n'a plus de torrents à verser du Nord au Midi sur une civilisation et sur des climats inconnus. Toute la terre a été parcourue et décrite. Quelques-uns jettent un regard inquiet de l'autre côté de l'Océan et redoutent les républiques américaines. Cette terreur est vaine encore. Nous avons seuls le dépôt des traditions de la civilisation antique avec le génie de la civilisation future. Seuls nous avons su nous dévouer sans calcul, et c'est pourquoi nous ne serons jamais effacés de la carte c'est pourquoi, tant qu'il y aura une mappemonde, tous les méridiens partiront de notre premier méridien. Notre patriotisme n'est donc pas outrecuidant et ridicule. Quand nous voulons que notre patrie soit grande et forte, nous sauvons l'avenir des peuples de tous les bouleversements d'autrefois, des invasions, des décadences, de l'ignorance, du désespoir. Soyons patriotes sans rougir de l'être.
Au plus fort de la tourmente qui, en 1795 et en
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1794, s'est abattue sur la France, c'était un spectacle sublime que celui de nos théâtres, à l'heure où s'y chantait, comme sur la frontière, l'héroïque Marseillaise.. Voyez, à la dernière strophe, un Re- présentant du Peuple se lever dans une loge, agiter son chapeau aux plumes tricolores; et toute la salle, les yeux fixés sur lui, qui attend un signal genoux 1 » crie-[-il; et tous les citoyens agenouillés chantent en chœur
Amour sacré de la patrie!
Que pouvaient les armées des rois contre les armées d'une nation si fiére des périls qu'elle courait pour une grande cause? Et quelle source d'énergie ne coulera pas encore de nos cœurs, si quelque nouveau danger public réveille les échos de cette chanson triomphante
Ce n'est pas seulement l'histoire extérieure de la France qu'il faut considérer au point de vue du patriotisme, c'est son histoire intérieure. Alors les haines de parti se taisent, et même dans nos plus sombres malheurs nous voyons briller une lumière. Un patriote sait que la nation n'eût pas péri, ,en 1799, quand même le général Bonaparte ne fût pas revenu d'Egypte. Il sait qu'en 1814 il était inutile, pour la sauver, de rappeler les Bourbons, et qu'elle devait, si le joug de Napoléon lui pesait, se dispenser de le faire briser par les rois ennemis. Qu'est-ce 1 En 1815, Welling^i s'étonnait du petit nombre des patriotes, qu'il
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que Napoléon pour ceux qui ne pensent pas tout d'abord et uniquement à la France? Les uns ne voient en lui qu'un chef de dynastie qui hérite, par la grâce de Dieu, de toutes les vertus de la Révolution française; les autres le répudient comme un usurpateur étranger. Mais les patriotes, tout en l'accusant, l'admirent, et, dans les temps où la liberté règne, ils font plus que l'admirer, ils l'aiment.
Les passions politiques donnent de la fatigue; elles fléchissent quelquefois; là ôù elles n'aboutissent pas à l'apostasie, elles mènent au chagrin. Le patriotisme ne se lasse point et ne se renie point. Béranger, républicain de cœur et d'esprit, savait bien que la République que nous avons eue en France de 1792 à 1799 n'était pas une république véritable. Les dangers du pays, la fermentation des .opinions et les mauvaises passions perdirent tout de suite la liberté. Nous n'eûmes que des alternatives d'anarchie et de dictature. La patrie fut SaLIvée, mais pour longtemps la forme républicaine fut y avait alors en France. Les plus braves étaient morts; les fautes de l'Empereur avaient réduit les autres au silence et à l'inertie. Alors Laïs put chanter à l'opéra les vers abjects et stupides que nous savons {Vaulabelle, I, 3'l9). Et les femmes! Ah! relisons les lanabes de Barbier, et félicitons-nous de n'avoir pas vu ces temps-la
Quand Béranger, maudissant l'exil de David, écrit le refrain plaintif Fût-il privé de tous les biens,
Eût-il à trembler sous un maître,
Heureux qui meurt parmi les siens
Aux bords sacrés qui l'ont vu naître
il ne fait pas que protester contre le supplice de l'exil; il s'indigne contre ceux qui n'aiment pas leur patrie.
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condamnée à n'être comprise ni par la plupart de ceux qui la désirent, ni par ceux qui la repoussent. L'essai de 1848, à cause des imprudences commises et du manque d'énergie ou de franchise dans le gouvernement, n'a pas mieux réussi. Nous ne connaissons pas encore la République. Ce peut être le mieux ordonné des gouvernements, et c'est le plus honorable dont un peuple puisse jouir; mais il ne se passe ni de l'amour de l'ordre dans tous les rangs de la nation, ni de l'esprit de fraternité, ni de la fermeté des caractères. Dieu sait quand nous serons dignes de le connaître.
Le 18 brumaire est une violation des lois; mais Béranger n'est pas le seul patriote qui l'ait jugé nécessaire. Après le 18 fructidor et le 50 prairial, un dernier coup d'l;tat civil avait été préparé par tous ceux qui comprenaient que la France avait absolument besoin d'un gouvernement neuf, honnête et vigoureux. Si la République avait eu d'autres hommes pour remplir ses Conseils et former son Directoire, elle n'aurait pas eu à craindre ces conspirations d'un ordre supérieur qui ne sauvent les États qu'en manquant de respect aux constitutions. Mais, sinon aux frontières, que la nation n'eût alors laissé franchir à personne, du moins à l'intérieur, le péril était si pressant, qu'une violation des lois, quoique immorale, pouvait seule nous sauver de la démoralisation'. Cette journée fameuse 1 Voir Ma Biographie-; p. 296.
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ne coûta pas une goutte de sang, et, sous la direction du jeune héros, les destins de la patrie se re1 levèrent de leur abaissement. La liberté n'avait pas non plus péri tout entière; même à ceux qui sentaient qu'elle allait disparaître, il restait l'espoir de la revoir après la conquête achevée de l'ordre et de la paix.
Le Consulat reste, en dépit de nos regrets, la plus lumineuse partie de notre histoire. Au risque de dire une énormité, je crois qu'alors nous commencions à vivre, à agir, à obéir en républicains. Béranger applaudit il l'établissement du Consulat, il versa des larmes quand l'Empire apparut. Des gens qui n'ont jamais pleuré feignent de ne rien entendre à cette manière de sentir. Elle est pourtant bien naturelle, et nous pouvons nous dispenser de lui donner un commentaire. L'âme 'vigoureuse du premier Consul, après avoir triomphé de tous les obstacles, était venue échouer contre les insinuations de la vanité humaine et les conseils de son entourage. Il avait été républicain convaincu, «oui, disait-il', républicain et patriote, » jusqu'à Aboukir; et, même en 1804, quand il préparait l'expédition de Boulogne, c'était une République qu'il avait l'intention d'établir en Angleterre. Les ennemis de la Révolution se réjouirent, pendant que les patriotes s'al'tligeaient de la résolution 1 Mémorial, I, 415.
2 O'Mearu, p. 707.
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que prit le premier Consul de monter sur un trône héréditaire'. Ce n'était pas leurs applaudissements qu'il avait recherchés, et il était assez généreux pour comprendre la grande douleur des âmes libres.
Je maintiens, le Mémorial la main, que Napoléon, Empereur et Roi, était resté républicain au fond du cœur. « Si j'eusse été en Amérique, volontiers j'eusse été un Washington couronnée. » Vainqueur à Moscou, et les rois tous écrasés, il dit qu'il aurait abdiqué. « Sylla, gorgé de crimes, l'a bien osé. Quel motif eût pu m'arrêter, moi qui n'aurais eu que des bénédictions il recueillir ? Mais demander de moi, avant le temps, ce qui n'était pas de saison était d'une bêtise vulgaire; moi, l'annoncer, le promettre, eût été pris pour du verbiage, du charlatanisme. Ce n'était pas mon genre. Je le répète, il me fallait vaincre Moscou. »
Jugeons-le comme s'il eût vaincu, comme si, la Révolution bien assise en Europe et l'habitude de respecter les lois bien établie, il eût rejeté avec mépris son sceptre. Il n'en paraît que plus grand 1 « J'aime bien mieux Bonaparte roi que simple conquérant. Cette farce impériale n'ajoute rien du tout il sa puissance, et tue sans retour ce qu'on appelle proprement la Révolution française, c'est-à-dire l'esprit révolutionnaire, puisque le plus puissant souverain de l'Europe aura autant d'intérêt à étouffer cet esprit qu'il en avait à le soutenir et à l'exalter lorsqu'il en avait besoin. » (Joseph de Maistre, Lettres.) T. I, p. 214.
3 Josepli Bonaparte, à plusieurs reprises, a affirmé que telle était réellement le désir secret de l'Empereur.
« Il s'est toujours cru en dictature jusqu'à la paix générale l'Angleterre, et non lui, l'a retardée, voilà toute la question. Napoléon
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et la liberté ne lui en veut plus. C'est ainsi que Béranger l'a compris. Les patriotes aiment croire qu'en effet sa volonté intime avait su résister aux t séductions de la dictature et à la sottise des flatteurs. Toute son action politique se développe bien d'un point de vue pareil.
Esprit trop clairvoyant pour bien augurer du désordre d'une émeute, le lieutenant Bonaparte, caché derrière un grand vase de marbre, vit avec tristesse passer les hordes qui allaient assiéger aux Tuileries le débonnaire Louis XVI. Mais en 1795, quand toutes les factions, sauf la plus hardie, manquent d'initiative, il comprend, sans l'aimer, que Bohespierre représente l'autorité et l'unité d'action Au 15 vendémiaire, c'est par conviction plus que par ambition qu'il défend la Convention nationale contre les partis réacteurs qui se cachent sous le drapeau clela liberté électorale. Quand le duc d'Enghien a été mis mort', le premier Consul jette ce cri « On verra de quoi nous sommes capables. » Nous, était trop éclairé pour être l'ennemi de la liberté au siécle où il vivait. » (Note communiquée pour l'édition du livre Erreurs de Bourrienne.) Je suis ficlié de n'avoir pas porté dans votre âme la conviction qui est-dans la mienne. Je suis convaincu que Napoléon voulait laisser une monarchie constituée sur les bases de la représentation nationale, celle de l'égalité et delà liberté. (Lettre à l'hibazcdeaze, 19 mai 1829.) « Votre père avait coutume de me dire Quand arrivera le temps où la justice seule régnera? Quand finira ma dictature? n (Lettre au duc de Reichstadt. 15 février 1852.)
̃ l J)"Meam, p. 682.
2 Thiers, Consulat, t. IV, p. 608.
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c'est la Révolution, la Convention, l'énergie de la France-. On ne doit pas laisser de côté cette parole révélatrice des secrets sentiments de Bonaparte. Il ne faisait pas le roi quand il la laissait échapper. L'un des codicilles de son testament est empreint de la même passion .vigoureuse c'est l'article qui lègue 10,000 fr. au sous-officier Cantillon.
Tout bien étudié, Napoléon n'a pas usé du despotisme par plaisir: il a eu son dessein. Seulement les conseillers courageux lui ont manqué. On ne luia pas rappelé son devoir quand il l'oubliait, et c'est là ce sur quoi il faut gémir
Une partie des conventionnels de 1795, épuisés sans doute, s'endormirent au Sénat. Ils sont coupables de toutes les fautes qu'ils laissèrent commettre. C'est en voyant leur affaissement, que Napoléon ne tint plus compte des hommes. Ils avaient appèlé Louis XYP un tyran, lorsqu'ils firent tomber sa tête, et ils n'osèrent pas broncher sous l'Empereur. Ils avaient dressé l'échafaud pour la vieille noblesse, et ils voulurent être barons et comtes. Plus tard quelques-uns abandonnèrent l'Empereur pour être faits marquis par Louis XV-I1I. Quelle peur quand Mallet fi « « Les éloges donnés a Napoléon pour avoir mis un terme auxmenées révolutionnaires et soutenu les trônes chancelants sont en contradiction directe avec ceux qu'il s'est donnés lui-même ou qu'il a reçus de ses partisans, comme étant le vrai messie des principes de la Révolulion, dont le nom ne fait qu'un avec le sien et qui sera signalé sous ce point de vue par la postérité. » (Walt. Scott, Histoire de Naptfléon, VI, 386.)
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sa tentative! Ils allaient avoir affaireà la libertéqu'ils trahissaient, ou plutôt dont ils n'avaient jamais tenu compte. Lorsque, vers la fin, l'Empereur parut, force d'entreprises, mettre én péril l'Empire et leurs positions, n'y eut-il pas des pourparlers pour se débarrasser de lui?
Quelques-uns de ces régicides, qui se firent si souples sous la main du maître, se sont tardivement indignés de leur servilité et ont signalé son génie asiatique au dédain de l'Europe. Ce n'était pas aux sénateurs qu'il appartenait de tenir ce langage. Quand Béranger dit de Napoléon « Paoli l'avait bien deviné c'était, sous beaucoup de rapports, un héros de Plutarque aussi restera-t-il, je l'espère, le dernier et peut-être le plus grand des hommes de l'ancien monde qu'il aimait à refaire, » il exprime un jugement exquis sur cet acteur incomparable de la plus hardie des épopées. « Cette vieille Europe m'ennuie, » a murmuré quelquefois le conquérant. Ou encore « J'aurais mieux fait de ne pas quitter l'rgypte. L'Arabie attend un homme; avec mes Français en réserve et les Arabes comme auxiliaires, j'aurais été le maître de l'Orient. Les Indes seraient à moi. Les Français ne m'ont pas compris. »
Sans prétendre pousser au delà de ce qu'ils signifient ces caprices du génie d'aventure, nous pouvons y voir le signe d'une nature qui, pour nos âges, gardait une trop grande part de ce qui autrefois faisait le demi-dieu des fables. Napoléon, une fois
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victorieux de l'ennemi et des lois, une fois adulé et adoré dans sa cour, ne put se contraindre au travail d'un chef de peuple moderne. Il fut enivré par les fumées de l'héroïsme antique; il ne vit plus qu'un monde dramatique à émouvoir il voulut nourrir incessamment la nation d'une gloire nouvelle, et il entra en Espagne, il créa des ducs, il passa le Niémen. Le sentiment épique le perdit.
Bonaparte, premier consul, jugeait moins poétiquement et plus civiquement les affaires de la patrie et du monde.
Personne n'a été plus sévère que l'Empereur pour les défauts de l'Empire. Il n'a point nié qu'en 1804 le premier consul, montant au trône, dut écarter d'anciens serviteurs de la République qui valaient au tan ou plus que bien des généraux dont la fortune s'accrut avec la sienne. On s'est indigné naguère du ton léger avec lequel les Mémoires du duc de Raguse parlaient d'un grand nombre de personnages. Napoléon les a bien plus maltraités, sous le rapport de la probité (mais il avoue qu'il ne pouvait guère sévir, 1 V. le Mémorial (I, 555), les Souvenirs de Montholon, la Correspondance.
« Ne me parlez pas des généraux qui aiment l'argent; je n'en finirais pas si je vous disais tout le sang qu'ils ont coût:1 à la France. » [Moulh., II, 404.)
« J'aurais pu faire fusiller tous mes généraux en chef; il n'y en a pas un qui ne l'ait mérité; c'est leur pillage qui m'a fait perdre l'Espagne, à l'exception toutefois de Suchet, ,dont la conduite fut exemplaire. (MonUi., Il,106.)
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une fois Empereur ') et sous le rapport du talent'. Il reconnaît que les généraux de la République étaient supérieurs à ceux de l'Empire 3. Sous l'Empire rnême;il dit que les meilleurs n'ont pas pu toujours parvenir, et que Drouot, par exemple, l'emportait sur presque tous les maréchaux Il ne ménage pas son mépris pour le plus marquant des traîtres qui ont fait cause commune avec les ennemis de l'Empire, pour ce Murat, que la France avait élevé d'une écurie jusqu'à un trône, et qui ne pouvait pas dire, comme Bernadette, qu'il n'en voulait du'à l'Empereur. Napoléon ne fait pas de la popularité plus de cas qu'elle ne vaut. Il a d'admirables paroles pour regretter l'argent perdu en fêtes inutiles G. Et quant à la faute capitale de son règne, à celle qui a pu faire croire qu'il manquait à sa mission, nul ne la déplore avec plus d'énergie « Je n'hésite pas à prononcer que mon assassinat à Schœnbrunn eût été moins funeste pour la France que ne l'a été mon union avec l'Autriche. »
On n'a pas le cœur d'éplucher sa vie et la facilité avec laquelle les courtisans lui firent croire que la 1 Mémorial, 1, 574..
2 Un jour Berthier, « véritable oison que j'avais fait une espèce (l'aigle. » (Mémorial, 1, 417.) Victor, un autre jour (6lleara,p. 657). 5 Mémorial, I, 555.
n Ibid., I, 747.
5 Ibid., I, 247.
G JM., II, 59.
Ibid., Il, 103.
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Révolution ne datait que de son règne, quand on levoit tout prêt à s'accuser ainsi de ses erreurs.
Il y a cependant un acte qu'il est difficile d'approuver et même de comprendre c'est quand il livre Venise à l'Autriche au traité de Campo-Formio. Mais la chute de l'Empire a puni assez cruellement Napoléon. Avec quelle amertume il put voir que les grandes vertus civiques avaient été amorties sous son règne, et qu'il laissait la France amoindrie sur la frontière et appauvrie de sang généreux et de patriotisme Il avait voulu être l'unique penseur de la nation il tombe; et, comme dans ces appareils électriques qui distribuent l'heure à des cadrans postiches, dès que le moteur ne marche plus, de toutes parts les aiguilles s'arrêtent. Cette leçon ne peut être perdue, et, quand Napoléon s'accuse, c'est pour que ses aveux servent quelque chose.
Béranger n'est jamais tombé dans cette adoration servile qui sacrifie à la mémoire, à l'ombre d'un seul homme, le courage, le génie, le sang de nos pères et qui encense, sans s'occuper de la patrie, cette gloire faite de notre gloire. L'ancien Recueil est plein de traits qui s'attaquent au despotisme et, à la monarchie impériale. Les Dernières Chansons, pour n'extraire qu'un distique, disent que Dieu l'a fait mou4 rir sur le rocher de Sainte-Hélène,
1 « C'est Bonaparte, disait-on à Sieyès, qui a le premier salué la France du nom de grande nation. Soit, répondit-il; mais nous l'avions faite nation à l'Assemblée constituante.
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Pour le punir d'atl.arder dans sa route
L'humanité qu'éblouit s:m drapeau
C'en est assez dire. Mais il comprenait la parole lancée par le captif sur ceux dont il prévoyait les critiques: « Ils mordront sur le granit, » et ce n'était pas seulement sur la folie ou sur l'ignorance des peuples qu'il voyait sa renommée assise. L'admiration des siècles est enchaînée au pied de cette renommée universelle; et, dans l'impuissance où nous sommes de la diminuer, nous devons être assez sages pour vouloir la bien comprendre et la faire comprendre. La légende a fait un Napoléon idéal c'est ce Napoléon qu'il a chanté, pour honorer le sacrifices de la France pour la consoler de ses défaités lorsqu'elle était humiliée, et non pour le stérile plaisir de mettre les rois révolutionnaires au-dessus des rois de l'ancienne monarchie.
Je plains ceux qui n'arrivent définitivement pas à s'expliquer ce genre d'opinion politique. Ils voient les choses dans un bien menu détail
Voici commuent Béranger a exprimé ce qu'il pensait des événements de 1814
« Mon admiration enthousiaste et constante pour le génie de l'Empereur ne m'aveugla jamais sur le despotisme toujours croissant de l'Empire. En 1814, je ne vis dans la chute du colosse que les malheurs Il y a loin de ces vers au système qui regarde la liberté politique comme un obstacle pour le progrès de la civilisation.
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d'une patrie que la République m'avait appris à
adorer. Au retour des Bourbons, qui m'étaient indif-
férents,~leur faiblesse me parut devoir rendre facile
la renaissance des libertés nationales. On nous as-
surait qu'ils feraient alliance avec elles; malgré la
Charte, j'y croyais peu; mais on pouvait leur impo-
ser ces libertés. Quant au peuple, dont je ne me suis
jamais séparé, après le dénoûment fatal de si lon-
gues guerres, son opinion ne me parut pas d'abord
décidément contraire aux maîtres qu'on venait
d'exhumer pour lui. »
On lui proposait de faire des chansons payées pour
les Bourbons. « Qu'ils nous donnent, répondait-il,
la liberté en échange de la gloire, et je les chanterai
pour rien. » En 1815, c'est autre chose. « Dans les
Cent-Jours, a-t-il dit, l'enthousiasme populaire ne
m'abusa point; je vis que Napoléon ne pouvait gou-
verner constitutionnellement. »
Mais la cause de l'indépendance nationale était
en ,péril; et, après Waterloo, Louis XVlll n'était
plus le restaurateur de la liberté. Napoléon Ù Sainte-
Hélène, pour quiconque aimait à la fois la patrie et
la liberté, devenait l'image de la France mise en
croix
1 S'il est vrai qu'il ne soit revenu, comme il l'a dit', que pour empê-
cher l'élévation au trône du duc d'Orléans, l'ambition personnelle
cette action. Du reste, Napoléon n'a point caché que son retour
de l'ile d'Elbe contraignait Louis XVIII' en juillet 815, à refaire l'an-
"Mémorial, 1,279.
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L'erreur qu'on prétend voir aujourd'hui dans l'unon- de ceux qu'on appelait alors les libéraux et du parti purement bonapartiste se reproduirait demain dans un cas semblable, parce que cette erreur est une vérité de sentiment et une nécessité politique. Béranger ne refuse pas d'encourir la responsabilité de ses chansons et de ses actes. « Le parti légitimiste, dit-il, qui m'a toujours jugé, comme auteur, avec une extrême bienveillance, m'a accusé d'avoir contribué plus que tout autre écrivain au renversement de la* dynastie que nous avait imposée l'étranger. Cette accusation, je l'accepte comme un honneur pour moi et comme une gloire pour la chanson. Pour la lui obtenir, on ne sait pas tous les obstacles que j'eus à vaincre. Combien de fois n'ai-je pas été obligé de lutter contre les chefs du parti libéral, gens qui eussent voulu me faire accepter leur tutelle pour m'astreindre à leurs combinaisons timides » Béranger n'était pas sans doute un libéral, à la façon des Anglais, avec des préjugés go.thiques il ne comprend pas non plus la liberté. sans limites de 1V1. de Girardin; il ne s'explique pas aisément cien régime. Aussi, après Waterloo, voyant que la patrie était dans un grand danger, et que la Chambre des députés était jouée par le gouvernement provisoire, il ne devait pas se retirer de la lutte. Là peut-être est le moment où il a le moins bien soutenu sa renommée. Le regret l'a bientôt pris à Sainte-Hélène. Ah! quel malheur que je n'aie pu gagner l'Amérique' De l'autre hémisphère même, j'eusse protégé la France contre les réacteurs'. »
Mém., 1, 435.
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qu'on puisse introduire « dans un pays d'égalité le
système anglais monarchique représentatif, qui, selon lui, « ne peut se passer de l'appui d'une castes
privilégiée; » mais il croit que ce sont les hommes,
plus que les principes, qui ont manqué à ce gouver-
nement, tel qu'on l'a entendu jusqu'ici' il n'a pas
fait une opposition systématique à la Restauration,
tant qu'elle paraissait représenter la liberté rétablie
en France2; après les journées de Juillet, il se re- i garde comme satisfait, si on se sert de la Charte
nouvelle pour marcher en avant', et il loue même,
dans Ma Biographie1, le ministère de Casimir Pé-
rier.
Sa Correspondance, qui va paraître, dira s'il n'aima
point et ne comprit pas la liberté politique et s'il ne
crut pas à sa nécessité comme à sa fécondité.
Le conquérant des sceptres de la terre
Pour successeur choisit la liberté.
Napoléon, nous l'avons dit, y croyait également.
Au temps même de l'Empire, si, dans ses mau-
vais moments, il surveillait avec une jalousie sin-
gulière le langage de ses timides journaux, s'il
écrivait cette note « Toutes les fois qu'il parvien-
1 Notes inédites, n° lxxvh.
2 Voir le Bon Français et les Notes inédites, n'xxxiv.
5 Une fois qu'on a reconquis le principe gouvernemental pour lequel
on a combattu, il est naturel que l'intelligence éprouve le besoin d'en
faire l'application au profit du plus grand nombre. » (Préface de 1855.)
4 P. 598, note.
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d)'a une nouvelle défavorable au gouvernement, elle ne doit- point être publiée, jusqu'à ce qu'on soit tellement sûr de la vérité, qu'on ne doive plus la dire, parce qu'elle est connue de tout le monde, » il faisait part, une autre fois, à Fontanes, d'une réflexion qui l'occupait « Fontaries, savez-vous ce que j'admire le plus dans le monde? C'est Fimpuisv sance de la force pour orga niser quelque chose. Il n'y a que deux puissances dans le monde le sabre et l'esprit. A la longue, le sabre est toujours battu par l'esprit.
11 louait les anciens de ce que leurs hommes d'État étaient des philosophes ou des écrivains1, et il recommandait la monarchie tempérée aux générations à venir 2.
Et à Sainte-Hélène, il a poussé une plainte qui égale en vigueur toutes les déclamations qu'on peut faire en faveur de la liberté de la presse. « Les Turcs.ont raison mieux vaut être couché que debout, mieux vaut être mort que couché, quand on est condamné par la fortune à toujours comprimer ."• sa pensée.3. »
Béranger désirait, sans la craindre, la liberté ? illimitée de la presse; et l'on se rappelle ces vers La liberté, nourrice du gi'nie,
Voit les beaux-arts pleurer sur son cercueil.
1 Mémorial, I, 402.
Jlénz., 1,245; II, 415. »
3 Month., Il. 196.
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Qui va d'un joug subir l'ignominie
A de son vers d'avance éteint l'orgueil.
Réponds, Co: neille, oserais-tu revivre?
Et toi, Molière, admirable penseur ?
Épris tour à tour de liberté et de gloire (et non
de gloriole), Béranger a cherché en vain, toute sa
vie, la liberté glorieuse et la gloire libre. De 1792
à 1815, nous avons été des héros, mais non des
sages. De 1815 à 1850, nous n'étions que des vain-
cus. De 1850 il 1848, nous avons été libres, mais
sans énergie, sans grandeur, également insoucieux
de toucher au problème de l'organisation intérieure
de notre société et au problème de l'organisation
extérieure des nations. En 1848, un éclair d'en-
thousiasme traversa les bclles âmes. Nous allions
entrer enfin dans la plénitude de notre fortune
française,. IIélas! le peuple a parodié sur-le-champ
les insurrections de 1795 et de 1794.
Ce ne peut être que par ironie que M. Proudhon
appelle « chevaleresque » la République de 1848. Si
elle avait été chevaleresque, si elle avait moins
parlé et plus agi si, au lieu d'ébranler les peuples
et de ne les point soutenir, elle avait résolument
tenté d'imposer à l'Europe, pour le bien de l'Europe,
le traité de Westphalie du dix-neuvième siècle, nous
n'aurions pas eu à nous ronger un cœur où le sang
affluait alors en abondance, et ce noble sang français, ivre de vie et d'audace, n'aurait pas tourné,
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faute d'issue, en apostème. Oui, nous avons souffert pendant quatre ans des maux misérables; nous nous sommes querellés, nous nous sommes battus v entre nous, quand nous devions, d'un effort unanime, pousser les destinées du monde sur le grand chemin de l'avenir. Les traités de 1815, dont nous rougissons, nous nuisent moins à nous qu'ils n'arrêtent la civilisation européenne. J'en atteste l'un des prophètes de l'école catholique et monarchique, M. de Bonald' « Non, ce n'est pas à la France qu'il importe d'aller jusqu'au Rhin; les habitants de l'ancienne France n'en seront ni plus ni moins heureux; son gouvernement n'en sera ni plus ni moins stable et fort; c'est pour l'Europe que cette mesure politique est nécessaire, parce qu'alors, et seulement alors, la France sera utile à tous les États, et ne sera dangereuse pour aucun. La France serait au repos comme une arme détendue, et toute l'Europe y serait avec elle et par elle. » Mais ces traités, le manifeste de Lamartine les a déchirés! Oui, par métaphore. S'ils n'existent plus, notre frontière orientale est couverte la trouée de Béfort ne nous inquiète pas; les fortifications d'Huningue sont reconstruites. C'est ce qu'il faut voir. Le temps des conquêtes dangereuses pour la liberté et des guerres inutiles ne reviendra pas. On le dit, et nous voulons le croire. Mais la carte d'Europe, sans sortir de notre ancienne terre, est-elle peinte de 1 Réflexions sur Vintérêt général de l'Europe (1815).
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couleurs et divisée en circonscriptions immuables? Pas un Italien ne consent à le penser. Et la péroraison du Prince de Machiavel condamne à une édition nouvelle, dont la date eûtpu être fixée en 1848, tous nos atlas et toutes nos géographies. Cette péroraison protège la mémoire du politique florentin. La voici « Que l'Italie, après une si longue attente, voie enfin paraître son libérateur Je ne puis trouver de termes pour exprimer avec quel amour, avec quelle soif de vengeance, avec quelle fidélité inébranlable, avec quelle vénération et quelles larmes de joie, il serait reçu dans toutes les provinces qui ont tant souffert de ces inondations d'étrangers! Y a-t-il quelqu'un dont la domination des barbares ne fasse bondir le cœur? » Vive l'Italie! et salut à cette monarchie piémontaise qui lui réserve un chef au jour du combat!
A l'autre bout de l'Europe une guerre qui a montré ce qu'on peut attendre de la patience et. du courage de nos soldats n'a pas à jamais réglé le sort du futur empire grec et de la Turquie décrépite. La Pologne s'opiniâtre, dans un tombeau fermé depuis cent ans, à ne point mourir. Je ne parle ni de l'Inde ensanglantée, ni de la Chine, dont le sol fermente et s'ouvre. Quel est le peuple moteur des peuples? Vers quel peuple les peuples affligés lèvent-ils les mains? Quelle est la nation qui, orgueilleuse de ses peines, a pris pour devise Gesta Dei per Francos? C'est à nous, et à nous seuls, d'organiser un jour,
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demain peut-être, l'Europe et le monde entier. Napoléon, sur sa route, s'est arrêté et égaré; mais il était parti en 1796, en 1800, en 1805, pour la guerre définitive, et, si l'admiration des peuples lui a voulu demeurer fidèle, c'est que les peuples ne savent pas pourquoi il n'a point suivi jusqu'au bout son chemin. Ils partagent l'illusion vivace et l'espoir de Béranger. Plus que nous encore, ils gémissent de nos diseordes. Aucun d'eux, nulle part, n'a peur pour la liberté, et aucun d'eux, si la France le voulait, n'aurait peur de nos armées. Depuis 1789, le drapeau tricolore s'appelle partout l'arc-en-ciel de la liberté. Patrie et Liberté! Sous cette seule enseigne, nous dictons des lois à l'histoire reconnaissante. Et c'est pour avoir chanté en vers dignes d'elles la liberté et la patrie que Béranger est immortel.
Poète, philosophe, citoyen, il n'y a encore eu personne, dans l'histoire des lettres, pour mériter sa triple gloire. Et quel honnête homme a-t-il été Quelle charité modeste! quelle gaieté vigilante! quel désintéressement, jusqu'au bout soutenu, n'a pas recommandé, autant que son génie, son souvenir Il ferait beau voir que l'inclémence des temps rendît la France oublieuse et ingrate! la postérité, qui saura être libre, en rougirait pour nous.
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;wnis. ̃-̃ me simox isaçok ht comi1., ni'K n'iciu-'uinii; 1.