B/BL/OT~ÉQUE ORIGINALE
BÉRANGER
ET SON TEMPS
PAR
tULES .lANtN
Fro7!M avec por!mf< à /'MU~/b~ ~~<!< TOME SECOND.
PARIS
CHEZ ~A~ P/~CMOURDt. ~L'UR A LA LIBRAIRIE RICHELIEU
RUE RICHELIEU. 78
MDCCCLXVI
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BÉRANGER
ET SON
TEMPS
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TIRAGE A PETIT NOMBRE
~exemptairessurpeaudevetin. fr. 20 » papier de Chine to 20 » » chamois. 6 Chacun de ces exemplaires contient trois épreuves différentes de l'eau-forte, et est numérote.
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ET SON TEMPS
TROISIÈME PARTIE.
Trois ans après la révolution de juillet, ce brave homme, éprouvé par tant d'épreuves, n'était pas encore éligible, il n'était, pas même électeur. Or, ce Béranger, qui n'est pas éligible, et qui n'est pas même électeur, deviendra, sans le vouloir, un des plus irréfutables arguments de ceux qui déjà criaient « Réforme! réforme! x En ce moment, qui l'eût dit? Béranger avait accompli tout son rêve « Un morceau de pain pour ses vieux jours. » Un morceau de pain, vous l'entendez? Le voilà content désormais. Voilà sa fortune, et voilà le reposcdont il est l'artisan il n'en. demande pas davantage tant pis si l'on. n i
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s'obstine à le placer au rang des esprits chagrins ou désappointés.
C~/u; qui désire assez! telle était la définition du sagé aux temps anciens. Béranger était un sage de cette école, exactement. Quand il eut presque assez, il cessa de rien désirer pour lui-même. Le voilà désormais riche; il reste affable, heureux, de bonne humeur; il est au-dessus, de cinq cents brasses, des duchés et des royaumes; retranché dans sa pauvreté, il est inviolable. Où donc trouvera-t-il le bonheur, s'il ne le trouve pas en soimême ? A quoi bon les vastes espérances et les ambitieuses visées, puisqu'il'sait se renfermer dans. te plus petit espace (i) ? Enfin, de quoi s'agit- en ce bas monde ? f Il s'agit de savoir non pas si l'on est riche, mais si l'on est content il s'agit de mener une vie exempte de peines, et de la remplir de sentiments agréables. Arrivons, mes amis, non pas seulement au bien (1) Spatio tr~t
~pM! t(M~« ftKCK.
(HORACE.)
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agréable, mais au bien honnête, au bien sérieux; vivons honorablement, de façon à ce que le lecteur s'en souvienne trèsbien Un vieux poëte, appelé Lamotté, a dit ces choses-là
Heureux, grands dieux, si de votre bonté
J'obtiens le bien que je désire,
Un cœur pur, un sens droit, une ferme santé, Du vin, des amis et ma lyre.
Béranger a dit tout cela dans sa Biographie et dans ses lettres familières. En homme exempt de soucis volontaires, en homme enfin libre, et tout à fait libre, il promettait de ne rien publier, et de se rappeler cette parole de Montaigne « L'écrivaillerie est le symptôme d'un esprit débordé. » Mais il ne jurait pas que, dans les courtes années qu'il avait encore à vivre, « il ne toucherait pas une plume. a Au. contraire, il s'était expressément réservé le droit d'écrire, non pour ajouter à son humble fortune/mais pour obéir aux suprêmes inspirations; et, que sait-on? peut-être aussi pour être utile. « Dans la
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retraite où je vais me confiner, les souvenirs se pressent en foule. je jouirai du plaisir de rectifier bien des erreurs et bien des calomnies qu'enfante une bouche envenimée. » 0 le brave homme il ne savait pas de façon meilleure et plus naturelle d'être utile à ses semblables, que de les garder de la calomnie il ne la redoutait pas pour lui-même, il la redoutait pour chacun et pour tous.
Ainsi, du fond de saretraite, secourait à l'aide, au secours de tant d'honnêtes gens méconnus, insultés, diffamés. Dans cette défense et dans cette protection d'autrui, il n'exceptait que lui-même. Attaqué par les plumes les plus violentes et parfois les plus considérables, en proie à des injures insensées, naguère encore, aux moments les plus dangereux de notre histoire, insulté, que disons nous? damné par les cuistres, il écoute à peine, en passant, ces accusations de l'autre monde, et dans tout son livre, et dans ses lettres les plus intimes, dans cette éloquente et sereine plaidoirie en l'honneur des exilés et dés
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proscrits de tous les temps, vous ne trouverez pas une allusion, une seule, aux déclamations de ses détracteurs. Attaqué, lui vivant/non pas par la sagesse et la modération des sages et des vrais philosophes, gens cruels sans le savoir et surtout sans.le vouloir, mais par les diffamateurs de profession, attaqué de façon féroce et presque surnaturelle, et défendu soudain contre ces injures qui seraient la honte et le déshonneur de notre temps, si les biographies de mendicité et les biographes de profession n'étaient pas inventés, par des milliers de voix justement indignées, rien ne put letirer de son calme, « et tout cria pour lui, hors lui même. »
Toutefois, dans son abnégation même et dans sa modestie, il a de justes moments d'orgueil, et l'on voit que, s'il faisait bon marché de son génie et de ses chefsd'œuvre, il était fier de son caractère (t). (') « J'espère bien, monsieur, que vous n'avez pas répété à M" Colet tout le mal que je.vous ai dit des poètes, race si ridicule et si prétentieuse, et qui croit nous faire grâce en n'aspirant qu'au sacerdoce
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« H faut se méfier, disait un ancien, des hommes qui-ont trois coudées du .côté droit, qui n'ont que deux coudées du côté gauche; il me faut, à moi, un homme égal des deux côtés, a Béranger était tout: à fait cet homme, égal à lui-même aussi simple et grand de ce côté-ci que de ce côté-ià; marchant droit et d'un pas sûr, dans les sentiers bien frayés. Tel on le voyait, tel il était; et ce n'est pas lui qui eût salué Diogène, caché sous le manteau d'Aristippe. !l abhorrait toute espèce de déguisement. Certes, sa popularité lui était bien chère elle était son unique récompense elle lui tenait lieu, et au delà, de tous les biens qu'il avait méprisés; mais sa popularité même, it Peut sacrifiée, et même avec joie, aussitôt que, pour la conserver, universel quand un misérable comme Chatterton se laisse mourir parce qu'il n'a pas gagné assez à se vendre, ou quand un pauvre niais comme Malfilatre, qui n'a rien laissé de bon, croit indigne de sa grandeur de gagner sa vie par un travail utile à ses semMaNes.
<( ~4 M. Jules Carrouge, 31 juillet [8;6. »
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n'eût été forcé d'accepter des opinions qui n'étaient pas les siennes. En vain lui eussiez-vous démontré que c'était, à cette heure, en ce moment et sans conteste, .t'opinion pubiiquë il eût re)evé la tête et vous eût répondu fièrement que de temps à autre il arrive des heures funestes où l'opinion publique est la plus lâche, la plus triste et la plus misérable des opinions (t). Donc la justice et son bon cœur, ces bons et .fidèles compagnons qui ne l'ont jamais abandonné, lui disaient clairement qu'il vivrait dans tous les esprits par son caractère autant que par son génie. Et c'est pourquoi il se vante (à bon droit) « d'être un observateur assez attentif, assez exact, assez pénétrant. » Il serait plaisant, ditil encore, « que la postérité m'appelât te judicieux, le grave Béranger ))
(t) « Je vous avoue que j'ai une telle horreur de l'assassinat, que je gémirais de tout mon'cceur s'il était prouvé que ceiui-ci est le crime d'hommes qui peuvent se parer 'de l'opinion républicaine. Je n'ai jamais admiré Brutus et Cassius, mus par un intérêt de caste. n
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La postérité, car pour Béranger la postéritécommence, ajoutera, sans conteste à ces louanges d'attention sur soi-même, de gravité, d'exactitude et de pénétration, toutes les louanges qui doivent être chères à l'honnête homme. Déjà même elle raconte à quel point ce grand poëtë était bon, sincère, ingénu, bienveillant, maître absolu de ses passions, réservé, modeste et charifable! Ami lidète, ennemi généreux, confident discret, dédaignant l'injure et la déclamation, méprisant l'argent comme on méprise un maître injuste, un valet fourbe et menteur; ajoutez tant de grâce et de bel esprit, un si charmant rire, une âme affable et haute, un si profond respect pour les bienséances extérieures, une exquise habileté à cacher sa vie, un esprit insinuant, paisible, enchanteur, un bon plaisant, dont la plaisanterie était même à l'épreuve d'un sérieux examen! Enfin quel poëte enferma jamais plus d'étoquence en plus petit espace, et de meilleurs sentiments en moins de paroles ? En ses moments d'enthousiasme et de prophétie, il était l'exac-
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titude même- et ne laissait rien au hasard. L'illusion féconde habite dans mon sein
s'écriait André Chénier. Quant aux moralistes sérieux, qui ont poussé l'injustice jusqu'à l'accuser d'être l'énnemi de la famille et du toit domestique, ils n'avaient pas lu, nous en sommes sûr, cette aimable et charmante lettre à son digne ami, M. Édouard Charton.:
Vous voilà donc marié. C'est une situation que j'ai évitée par suite de la position où j'ai toujours vécu n'ayant ni présent ni avenir de fortune quelconque. Vous êtes plus heureux; et quoi que vous ayez la bonté dé me dire, vous n'avez plus besoin des avis de mon expérience. Votre cœur est là, et vous savez, il y a longtemps, quels sont les devoirs de t'honnéte homme. Vous avez désormais de grands engagements à remplir, mais vous en serez bien récompensé par la stabilité qu'ils vont donner à votre vie et à vos pensées. Quand on a le bonheur des autres pour but, on cesse de flotter au hasard. C'est un lest qui maintient notre ballon dans la région la plus calme. On prétend
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qu'elle est la moins poétique; moquez-vous de ceux qui mettent la poésie à toute sauce, et qui laissent la morale et le bonheur pendus au croc. Vous voilà dans le vrai soyez heureux en faisant des heureux; vous méritez un pareil sort tous vos amis 's'en féliciteront, et les vieux garçons comme moi, en voyant votre bonheur, regretteront de n'avoir pas su prendre la même route.
Qui donc a jamais mieux parlé du mariage et de l'intime attrait du foyer domestique ? Écoutez cependant, parlant de. Béranger, deux hommes d'une vie austère, deux sages qui n'ont jamais été jeunes, respectés l'un et l'autre~ à tant de titres différents par tant de jeunes esprits qui entouraient leur chaire éloquente. A coup sûr, voilà deux grands esprits qui ne sont pas suspects, de fanatisme. Écoutons d'abord M. Guizot
Au même moment, un homme du peuple, né poëte, célébrait, charmait, échauffait et propageait par ses chansons'tes, instincts, les passions popu)aires, contre tout ce qui rappelait
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l'ancien régime, surtout contre les prétentions de la domination ecclésiastique. Béranger n'était au fond du cœur ni un révolutionnaire ni un impie il était plus honnête et plus sensé que ses chansons. Mais démocrate par conviction comme par goût, et jeté par l'esprit démocratique dans la licence et l'imprévoyance, il attaquait péte-méle tout ce qui déplaisait au peuple, ne s'inquiétant point de la portée de ses coups,. prenant le succès de. ses chansons pour une victoire de la France, aimant bien mieux la révolution ou l'empire que la liberté, et ou-bliant, avec une légèreté vulgaire, que la foi et le respect ne sont nulle part plus indispensables qu'au sein des sociétés démocratiques et libres. Il s'en est, je crois, aperçu un peu tard, quand il s'est trouvé, de sa personne, en face des pas-~ sions fomentées par ses chansons et de ses rêves devenus des réalités. Il s'est empressé alors, avec une prudence qui ne lui a,jamais fait défaut, de sortir de l'arène politique et presque du monde, non pas changé dans ses sentiments, mais un peu triste et inquiet des conséquences de la guerre à laquelle il avait pris tant de part. il était, sous la Restauration', plein de confiance comme d'ardeur, modestement enivré de sa popularité, et, quoiqu'il s'exagérât son importance
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et son intelligence politique, plus sérieusement influent qu'il n'était jamais arrivé à un chansonnier.
.M. Saint-Marc Girardin, de son côté: Le nom de Béranger se trouve mêlé à l'histoire de M. de Làmennais et de M. de Chateaubriand. Béranger s'était fait, pour ainsi dire, l'infirmier des grands orgueils brisés de notre temps, le consolateur des grandes popularités détruites. Cela montre que Béranger, outre sa bonté naturelle, n'avait pas cette féroce préoccupation de sa propre popuiarité qui fait qu'on ne songe qu'à soi. H cultivait et soignait beaucoup cette popularité, mais il avait une défiance ou une connaissance modeste de luimême qui le disposait à croire qu'il ne méritait. pas toute la gloire qn'il avait obtenue. Céla ne le rendait ni jaloux ni ombrageux. Ce qu'il croyait que la faveur publique lui avait donné de trop en gloire, il s'en acquittait par ses soins affectueux envers des gloires plus grandes et plus malheureuses que lui.
Comme écrivain, Béranger tient sa place à côté des écrivains tes plus solides, les
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plus clairs et les plus énergiques de la langue française. Une dit jamais quece qu'il veut dire il le dit avec force, énergie, et souvent avec beaucoup de grâce. Il a rencontré parfois de grandes métaphores, qu'il accepte avec joie mais, le plus souvent, il redoute les hauteurs poétiques, et se tient dans un milieu calme et splendide, .où chacun peut le suivre et l'écouter. Ami sérieux de la langue vulgaire et populaire, il rejette avec joie les vieilles paroles de nos anciens poëtes, qui, pour lui, n'ont pas de sens, et les mots nouveaux que la nouvelle poésie a mis à la mode illusion, r~ne, fantaisie, mélancolie, harmonie et méditation poétique. Encore moins a-t-il adopté ce qu'il appelait sans façon, à la barbe de M. Victor Hugo, la langue morte de Ronsard. !l avait peur de ces expressions ambitieuses qui 'mettent la poésie à la surface, et sans trop s'inquiéter du reste. Au contraire, il mettait la poésie en dessous. (c'est lui-même, Béranger, qui parle ainsi); par respect pour la limpidité de notre langue; et, pour bien prouver ce qu'il
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veut dire, il invoque un sien ami, le bon La Fontaine, son maître « en ces petites compositions que saisit l'instinct du vulgaire, lors même que les détails les plus heureux lui échappent. » Et, quand il dit le vulgaire, il est loin de Po~' '~ro~num vulgus! (ainsi commence un des chants les plus magnifiques de l'antiquité latine); au contraire, Béranger s'écrie « A moi le vulgaire à moi le peuple à moi la foule » Et. « le peuple est mon roi! » H n'est pas très-sensible, on le voit bien, dans son livre en prose, autant que dans ses poëmes, aux recherches exquises de l'esprit, aux délicatesses infinies du bon goût. Il n'a jamais'été précieux, il avait en horreur les précieuses, et ce n'est pas lui, non, certes, qui eût jamais frappé à la porte de l'hôtel de Rambouillet.
Qui croirait que ma première velléité d'opposition au gouvernement consulaire fut contre l'emprunt fait à Rome et à la Grèce des noms donnés d'abord aux nouvelles fonctions, et plus tard aux établissements d'instruction publique? CoMuh, !n~nj, pr<<h, prytanées, lycées, tous
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ces mots me semblaient jurer avec le nouveau monde qu'avait enfanté 89, qui nous avait tégué bien. assez de mots de pareille origine. C'était de l'enfantillage de ma part, sans doute, mais j'ai toujours détesté cette routinière .imitation des anciens. Chez nous, voyez Hérault de Séchelles ne pouvant se mettre à travailler à notre constitution, s'il ne parvient à se procurer, avant toute chose, les lois de Minos. Du mélange que nous avons fait de l'ancien et du moderne, du paganisme et du christianisme, est née une civilisation de pièces et de morceaux, habit d'Arlequin qui heureusement, commence à tomber en loques. Ma colère, à ce sujet, faisait rire alors, et fera rire peut-être encore aujourd'hui. Cela ne m'a, pas empêché, malgré mon amour pour les Grecs, de prendre.à guignon les grands hommes de Plutarque et Plutarque lui-méme, ce.Gr.ec qui n'ose apprécier ni la grandeur politique de Démosthéne, ni le génie d'Aristophane. Étudions l'antiquité, respectons la tradition, mais ne leur empruntons que ce dont nous ne pouvons nous passer. C'est ainsi que l'imitation l'afflige et le blesse en revanche, il écoute avec respect les grandes voix qui lui parlent un noble
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langage et qui lui montrent à nu le cœur humain. « Ainsi faisait Shakspeare » est un mot qu'il a dit très-souvent, et voilà comment notre humble poëte se met à sa place véritable, entre les deux poëtes du grand drame et du petit drame, à savoir, entre Shakspeare et La Fontaine. Le premier lui enseignait de quelle voix on parle à la foule, et comment on s'en fait suivre, « en lui montrant à nu le cœur humain; » le second, « comment on dispose en un cadre étroit une tecon vive et rapide à l'usage des plus simples esprits. » En fait de poésie, il adoptait la ligne droite il allait à son but par le plus court chemin, tout simplement. Il sé méfiait des sentiers de traverse il admirait les ~th'M d'automne et les C/M~ du crépuscule, mais sans les imiter jamais. Certes, il n'eût pas écrit tes beaux vers que voici
Entends ces mille voix d'amour accentuées Qui passent dans le vent, qui tombent des nu"es, Qui montent vaguement en bruits silencieux. Ces grandes extases, pour cet esprit droit
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qui ne savait pas mentir, étaient empreintes de trop de magie et de recherche. Il les trouvait belles véritablement, mais d'une beauté qui s'éloignait trop de la vérité vulgaire et des émotions de ta foule. A quoi servent ces délicatesses infinies, et quel plaisir y" peut trouver ce peuple dont nous sortons ?'Telle était la question que Béranger adressait à ces fameuses poésies « Tout ce qui appartient, disait-il, aux lettres et aux arts est sorti des classes in.férieures, à peu d'exceptions près mais ils ressemblent tous à des parvenus, désireux de faire oublier leur origine. » Ainsi, les plus grands poëtes de notre âge, M. de Lamartine, M. Victor Hugo, M. Alfred de Musset, le brillant, le glorieux, le fantaisiste amant de l'idéale beauté, n'étaient guère, pour Béranger, que des aristocrates en poésie il leur pardonnait volontiers leur élégance, à condition que lui-même il resterait un. rustique; il leur abandonnait les châteaux, pourvu qu'on lui laissât les chaumières « Amis, régnez dans.les salons; moi, je teste dans la boutique; em-
t). 2
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bellissez de vos fantaisies les maisons brillantes, laissez-mci le sourire et le contentement de la cabane. »
De- ces trois hommes, l'élégance même et l'honneur de la poésie au XIxe siècle, il s'était fait l'ami fidèle et l'enthousiaste. sincère; mais pas un de ces hommes n'a jamais eu ta moindre autorité, même secondaire, sur cet esprit tout d'une pièce; il rendait justice à ces merveilles de notre tangue
Q )ac. l'année à peine a fini sa carrière. Il- n'eût guère voulu les avoir faites. Il était un admirateur trèsintë!)igent, il eût été.un copiste inndète. Il admirait Elvire, i) la trouvait poétique et charmante au milieu de son nuage; il, ne I'*ëût pas changée contre Lisette infidèle et contre M" Grégoire elle-même. Il comprenait que l'on se prosternât aux pieds de la marquise d'Amaëgui; mais à ces dentelles, à cevelours, au corset de satin qui craque,
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au. plumet des marquises, il préférait les haillons, de Jeanne la Rousse
Dieu! veille sur Jeanne la Rousse
On a. saisi le braconnier
Si.donc il.a a résisté ouvertement à ces fameux chercheurs d'aventures dans le pays des songes, it a plus d'une fois suivi le maitre à sa, portée et l'exemple qui lui plaisait. Il lisait bien les poëtes de sa famille, il tes étudiait avec un grand zèle. Quand par hasard ij copie, il copie avec un. bonheur bien rare, et sa copie est excellente. Ainsi (,vous l'avez déjà vu) des vous et.des tu de Voltaire il a fait fa chanson.de Lisetie, et la France entière a salué la Lisette de Voltaire et la Lisette de Béranger. !t a retrouvé plus d'une fois, parmi nos vieilles chansons, un exemple, un modèle, un écho, un thème, un drame, et de J'idée ou du drame qui l'avait particulièrement frappé, il tirait soudain un chefd'œuvre original. On vous en peut offrir ici-même un exemple inédit et. qui se rap-
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porte au premier chef-d'œuvre de Beranger, à cette chanson éternellement vivante, éternellement nouvelle, de la pauvreté,dans ce bas monde. Eh! dirait-on que sa chanson des Gueux, calme et bienveillante, une grâce, un sourire, un pardon, Béranger l'a trouvée au milieu des anciennes fièvres, des anciennes menaces, au milieu du vieux Paris, sous les pas des rois absolus, dans les plaintes et dans les échos du vieux Pont-Neuf? Pourtant, ainsi retrouvée et remaniée avec le zèle et l'empressement d'un antiquaire, cette chanson des Gueux est sienne, et si bien sienne que, si chacun se souvient des vous et des tu de Voltaire à propos de Lisette; il n'ya pas un critique. et pas un philosophe qui ait retrouvé, avant nous, l'origine des Gueux de Béranger. A ce propos, )es publicistes et les politiques ont fait pis que cela ils accusaient le poëte (à propos de. la chanson des Gueux) d'être un socialiste et d'avoir proclamé, même avant M. Proudhon, que la propriété c'Mf vol. « Et voi)à, disait Béranger, comme on nous-juge! » Au bout
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du compte, ceux qui l'accusaient ou qui le louaient d'avoir publié l'évangile des voleurs et des bohémiens du grand chemin auraient été singulièrement désappointés si le poëte eût daigné leur répondre que sa chanson nouvelle était une ancienne chanson qui se chantait sous le grand roi. La voici donc, cette ancienne chanson écrite à l'ombre du bbn'plaisir; le lecteur verra, par cet exemple; à quel point notre heureux poëte rendait l'accent et la forme à tout ce qu'il daignait emprunter
Si le roy sçavoit la vie
Que font les gueux, (bis.)
11 vendroit chaste aux et villes, Vtte)eroy!(i')
Pour s'en aller avec eux.
'yivent)es gueux!
Quand ils content leur misère, On tes plaint fort.
Ils vivent tous sans rien faire, Jusqu'à la mort,
Tous libres et paresseux.
Vivent les gueuk
Quand ils sontàtadébauche~ Aucabaret,
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Usboiventâdroite,agauche, Blanc et clairet.
Et la grivoise avec eux.
Vivent les gueux
Touche-t-on à la finance,
S'en meuvent-ils?
Ils viventsans dépendance Dubiend'autrui.
L'impôt n'est pas fait pour eux Vivent tes gueux
Pontchartrain qui sait la vie Que font les gueux,
A tout moment il s'écrie:
Qu'ils sont heureux!
Je m'en vais vivre comme eux. Vivent les gueux!
Voilà la chanson des Gueux, la voilà toute crue et toute semblable au récit de la misère prise sur le fait, avec cette différence que les gueux de M. de Pontchartrain sont des filous de, grande ville au contràire, les gueux de Béranger sont naïvement et véritablement les plus gais, les plus heureux et les plus honnêtes déshérités d'ici-bas.
Les gueux de Béranger sont des poëtes,
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et c'est en vain que les romanciers ou lès philosophes voudraient en faire autant de bohèmes pour nous servir de l'argot moderne. Les pastureaux de Béranger ne menacent personne, ils ne maudissent personne ils ont l'espérance, ils ont la charité, ils ont le courage; ils se battraient pour la patrie, ils se battraient pour la liberté Enfants du hasard, enfants de l'amour, amis de la fantaisie, ils n'ont jamais touché à la torche, au poignard, aux dutits des gueux de M. de Pontchartrain leurs mains sont tavées; leurs haillons mêmes ont une tournure élégante; ils savent rire, ils savent ptaire; un tas de poëtes, de'peintres, décrivains, de grisettes, de sculpteurs, ces gueux charmants de Béranger. un ramassis de pendards, de biographes et de pendus/tes gueuxde .Louis XIV et de M. de Pontchartrain.
Béranger est lè maître et le roi de cette troupe errante ;'it t'aime, il en est aimé: il commande, on obéit. Il est lui-même un de ces gueux de la philosophie heureuse et
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de la vie à bon marché (t.), économe et prudente, entrevue au fond de toutes les utopies. Lui aussi, dans sa pauvreté glorieuse et clémente, il obéit au divin précepte « Aimez-vous les uns les autres » Il a parlé souvent dans ses chansons. de l'Esprit.qui se venge. Eh bien, ne craignez rien, Béranger a l'esprit, il n'a pas la vengeance.
H n'a pas un mouvement de haine ou .d'envie, et pour toute vengeance il invoque les pauvres de l'Évangile, qui n'a jamais dit: Soyez dévots,. mais qui dit si bien SoyM doux. Béranger était doux,.il il était humble, il était pauvre, et le meilleur de tous les pauvres, celui qui donne à son voisin plus pauvre que lui. Il aimait les gueux de son espèce;. il les recherchait pour les consoler, pour parler avec eux leur langage et pour leur enseigner l'es(t) Au maréchal ~ou/< « Vous devriez bien dire à vos secrétaires de ne pas écrire sur du papier si épais que vos lettres coûtent dix sous de port n Vous verrez qu'il me faudra avoir un cabriolet, et puis Fouette, cocher. à l'hôpital! »
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pérance. En même temps, les riches qui venaient à lui et qui. lui tendaient une main bienveillante, il ne les repoussait pas;; au contraire, il leur tendait sa main libre et -généreuse. Il s'est reconnu hautement,, et jusqu'à la fin de ses jours, l'obligé d'un prince de la famille de l'Empereur il s'est reconnu (amitié mêlée de respects) l'intime ami de ce roi des banquiers, M. Jacques Laffitte Il avouait fièrement son amitié, sa complicité, son. alliance avec plusieurs des. très-grands et des très-riches de ce bas monde, et il s'en glorifiait.
Il est écrit dans le Z.~ « Le pauvre et le r:che se sont rencontrés; le Seigneur les a faits l'un et l'autre ') II rencontrait le riche, et le riche étonné se disait Ce pauvre est plus riche que moi! Ceux donc qui nous montrent, aujourd'hui Béranger .entouré de misères et de misérables, entouré de haillons .et de mendicité, de toute espèce, ceux-là nous montrent un Béranger dé leur composition: Il aimait la vie honorable et correcte, il la cultivait avec
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un soin pieux; il recherchait les, beaux esprits, les belles paroles, les amitiés lettrées, les jeunes femmes bien vêtues il se vantait loyalement de plus d'une illustre amitié. « Et ce n'est pas un art à dédaigner que de savoir aborder un des maîtres de la terre, » disait l'ami de Mécène en célébrant /'Aommeym~ ~~M~ à ses proprés vertus. Ce tenax propositi, presque intraduisible, il n'a jamais convenu à personne mieux qu'au chansonnier populaire. A toutes ces causes, Béranger est resté, chez nous, l'exemple austère et charmant de cette obstination vertueuse contre laquelle rien ne saurait prévaloir. Assis sur les ruines du monde, il les eût contemplées sans pâlir, sans penser qu'il était un héros.
Toutefois cet homme impassible, qui, pour son propre compte, eût défié le matheur, aussitôt qu'il rencontrait une misère, une honte, un malheur de la patrie, il se sentait pénétré de la plus profonde et de la plus vive douleur. Il eût dit volontiers avec M. Cousin lui-méme « Nous n'avons
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pas été vaincus à Waterloo o Mais s'il fallait prononcer ce nom funèbre,'tVate~oo, il ne le prononçait pas Ainsi 'l'orateur chrétien, lorsqu'il entreprend, en présence de Louis XIV, l'oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre, et qu'il esquisse à grands traits « cet homme qui s'est rencontré, d'une profondeur d'esprit incroyable » il évite de prononcer lé nom de Cromwell.
Béranger, nous l'avons déjà dit, avait en lui-même tous les genres de courage. Pendant très-longtemps, le seul aspect d'une arme à feu lui causait un véritable malaise, une sensation pénible. Il baissait ce feu, ce bruit, cette balle et les meurtres à distance il ne pouvait s'habituer à cette poudre, à ces matières fulminantes, à ce plomb qui frappe et qui tue au milieu d'un éclair. Même cette baïonnette au bout du fusil était pour ce brave homme un attirail insupportable. Il frissonnait sitôt que, par hasard, il entendait un coup de feu. Hélas un jour de deuil, d'émeute et d'épouvante, comme il traversait un carrefour barricadé,
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il entendit les balles siffler à ses oreilles. ou/pour mieux dire, il n'entendit pas les balles, il ne vit que ces meurtres abominables, ce sang français versé des deux côtes, la patrie en deuil et la viHe au désespoir; si.bien que, dans sa peine, il ne songea plus à l'odeur de la poudre, au sifflement des balles. « Ah! les maiheureux disait-il, il faut que je leur parle ils me verront, ils m'écouteront » Pariant ainsi, il se jetait dans la méiée. On eut grand'peine à l'emporter du champ de bataille; et, depuis ce jour, il fut à jamais corrigé de la seule peur qu'il eût éprouvée en toute sa vie.
Quand plus d'un brave aujourd'hui tremble, Moi, poltron, je ne trembfe pas.
Voitâ pourtant, lui disait-on, comme 'était Charles XII après sa première bataille il fut si charmée du bruit des balles, qu'il s'écria « « Voilà ma musique » Pour en finir avec le mot i'm<o/! ap.pliqué aux-chansons de Béranger.Ja cri-
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tique aura soin de faire remarquer plus tard, à l'heure de l'admiration sans conteste et de la justice incontestable, que de tous les poëtes français de notre .époque; c'est justement .Béranger qui a rencontré te moins d'imitateurs. Quand donc il disait qu'il ne .voulait pas attendre que l'ingrate jeunesse (ingrate était dit en riant) s'écriât, parlant à sa personne « Arrière, bonhomme » il était pris:d'une inquiétude et d'un doute, qui ne devàient pas l'atteindre. Béranger marchait seul dans les chemins que le peuple lui avait ouverts. Ce qu'il avait si bien dit de. son ami Manuel, on pourrait le lui dire à lui-même.:
Bras, tête et coeur, tout était peuple en lui & Ayez soin, disait un ancien, de respecter.le peuple en toutes tes choses que. le peuple enseigne. » Or, mieux que le peuple, nul ne peut enseigner aux poètes ta langue que les poëtes doivent parler. C'est parce qu'il a parlé ta langue universelle de la passion. de'.Ia patrie et de t'hon-
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neur, qu'il est devenu réellement et sans effort le plus français des .poètes français. I) n'a jamais lu qu'en français Pindare, Horace, Ovide, Anacréon, Tibulle et Catulle. « Et pourrais-tu me nommer, disait Socrate à son disciple, un seul maitre, sinon.le peuple, qui m'ait enseigné les arts de la parole? » n 1
Il est donc resté jusqu'à la fin dans sa voie et, soit que le courage ou le talent aient manqué à la race idiote et servile des imitateurs, soit qu'ils aient été retenus par. le respect dont le poëte était entouré, et par l'unanime adoption de ce peuple qui ne voulait chanter que les chansons de Bé-' ranger, les plagiaires se sont abstenus. Ils ont ,détivré de leur copie et de leur parodie insolentes ces grâces, ces bonheurs, ces gaietés charmantes, ces ravissements amoureux, ces visions splendides à travers la pluie et les brouillards de notre siècle. A cette heure encore la chanson de Béranger est « semblable à un astre et brille seute, a pour parler comme parlait lord. Byron de. l'Empereur. Que disons-nous?
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Si quelques chansonniers, plus tard, ont essayé de nouvelles chansons, ils ne chantaient pas comme a chanté Béranger ils chantaient, sur un mode hargneux, des colères insupportables; leur chanson était pleine de furie et de menaces, auxquelles ils ne sont même pas restés fidèles. Aussi bien, répétées pendant vingt-quatre heures par des voix furieuses, par des voix ingrates, ces chansons des misères, des menaces et des vengeances ont été emportées par l'oubli, par la peur, par le mépris. Oter sa chanson à Béranger, il serait plus facile d'arracher à Hercule sa massue, à Vénus sa ceinture, ou son flambeau au dieu du jour. ) i
!l faut dire, en même temps, que si le poëte a échappé à l'imitation, à la copie, au plagiat, ses plus illustres contemporains et les poëtes qui sont venus après lui se sont vus exposés à de si habiles et si complètes imitations, ils ont créé à leur suite une si nombreuse compagnie de.rimeurs à leur marque, qu'ils doivent s'estimer heureux d'ayoir tiré .leur œuvre et leur nom
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sains et saufs de cette avalanche. A-t-on fait, de nos jours, des pages, des livrés; des discours, des brochures à la Chateaubriand Qui donc nous dira le nombre des Méditations poétiques, plus nombreuses que les feuilles de l'arbre emportées au souffle harmonieux du vent d'automne? A lui seul, lord Byron a laissé tout un peuple abâtardi' de poëtes désespérés. Essayez de compter les imitateurs flamboyants de M. Victor Hugo, et les copistes usés et blasés de M. Alfred de Musset! Seuls, peut-être, deux écrivains de nos jours, par l'élégante simplicité de leur parole, par leur façon d'aller droit au fait, par leur dédain naturel pour l~omement frivole, par ia netteté même de leur pensée, et pour avoir toujours bien su ce qu'ils voulaient dire, et pour n'avoir jamais dit que cela ont échappé à la lèpre abominable des contrefacteurs, ces deux écrivains heureux, on peut le dire, le lecteur les a déjà nommés nous parlons de Béranger et de M. Thiers.
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Une autre amitié, disons mieux une autre conquête inattendue, et cette fois très-sérieuse, elle devait finir au tombeau, c'est l'amitié qui s'établit entre M. de Lamennais et Béranger. Partis de si loin, et marchant à un but si opposé, comment il se fit que ces esprits se rencontrèrent, que l'indifférence en matière de religion se jeta dans les bras du Dieu des bonnes gens, et que le prophète et le chansonnier, le Sinai et la guinguette, le buisson ardent et le bouchon de cabaret devinrent deux commensaux, deuxfrères, voilàde.ces miracles qui ne peuvent guère être expliqués que par la rencontre unique des meilleures qualités du cœur humain la sincérité, la bonne foi, la conscience intègre, une absence complète de.'vanité, d'ambition, d'orgueil. Ces deux hommes si différents,
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celui-là de celui-ci, à peine ils se sont rencontrés, ils s'aiment.'Quand il vit venir à lui sous son toit, au coin de son feu, ce vieux combattant tout mutilé des batailles chrétiennes; quand il comprit que cette grande âme était abimée en d'ineffables douleurs, que cette conscience était en plein doute, et.que lui seul, Béranger, l'amoureux de Lisette et le poëte de l'empereur exilé, it était désormais le repos, le conseil, le refuge et là consolation de ce grand homme qui avait refusé la pourpre, et.que le bon Dieu avait créé tout exprès pour nommer.des pontifes, il ressentit au fond de soi-même une extrême inquiétude mêlée d'une joie immense.
Oui! et, s'il adopta M. de Lamennais, soyez bien sûr qu'il fut poussé à cette adoption par une voix intime qui, lui disait Ce grand homme à ton foyer est un soldat vaincu, un philosophe abandonné, un prêtre interdit, un condamné comme toi. Regarde, il est triste, il est sombre, il est pauvre, il est malade, il ne se fie à personne après avoir commandé à l'âme, à la
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conscience, à l'esprit des plus tiers disciples qui aient jamais suivi un apôtre, à Lacordaire, à Montalembert, il n'a pas conservé 'un disciple, et cependant il vient à toi les mains tendues, et, te voyant sans ambition, content de si peu, entouré par tant de jeunesse, honoré par tout un peuple, il n'est pas jaloux de toi; il fait plus, il t'aime. et te choisit,-il te préfère; il se montre à tes yeux tel qu'il est, sans te cacher une tristesse, une colère, un repentir.
Ainsi parlait la voix intérieure à Bérânger. Le chansonnier accepta de bon cœur ce prêtre et cet ami qui lui venaient de si loin. Il fut désormais le confident de M. de Lamennais; il prêta une oreille attentive à ces plaintes cachées, il devina ces angoisses muettes. Cette âme était blessée, il pansa sa plaie elle avait besoin d'amitié, il l'entoura d'une caresse active, diligente, ingénieuse, avec tant de grâce et d'attention P)us Lamennais était triste et morose, et ptus Béranger redoublait de bonne humeur. disons mieux, de cha-
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rité. « C'est-un enfant, disait-il, dont les ingrats et les fous se font une arme, et qu'ils-abandonneront après l'avoir. usée! » Quand ses conseils n'étaient pas écoutés de ce farouche ami, Béranger soudain lui chantait une autre antienne. Même, au besoin, il eût diverti son hôte des galanteries de Lisette; il en eût fait son élève en philosophie. Il faudrait, pour bien comprendre à quel point cette alliance entre ces deux extrémités de l'âme humaine est une alliance inexplicable et charmante, lire avec soin la-terrible correspondance de M. de Lamennais, publiée naguère par M. For~ gues avec tout le zèle 'et tout le respect d'une amitié filiale. Il excelle en ces résurrections M.-Forgues on peut se fier à ses admirations, à ses respects, à sa justice. Les lettres de Lamennais, comparées aux lettres-de Béranger, publiées à la même heure, .laissent dans les âmes une impression aimable et douloureuse à la fois. Ici tant d'austérité pour les autres et tant de cruauté pour soi-même là tant de bienveillance'et de bonté qui se répand comme
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la rosée au mois d'avril! Lamennais s'en va d'un pas sérieux à cette fosse ouverte à tous les pauvres qui ne laissent pas de quoi s'acheter un tombeau de six années, pendant que Béranger, riant de tout le monde et de lui-même, marche sans regret et sans peur au tombeau que lui-même il a fait bâtir pour son ami Manuel, et dans lequel il s'était réservé, sans mot dire, une humble place. Ah! chez M. de Lamennais tant d'efforts, de douleurs, de regrets, de colères qui ne sont mortes qu'avec lui, pendant que Béranger pardonne à tout le monde et s'occupe en même temps de tout le monde. « Ami, lui disait-il un jour, le voyant plus triste et plus malheureux qu'à l'ordinaire, il faut se raidir contre la calomnie il y en a pour tout le monde; il y en a pour moi, qui vous parle, et, ne vous effrayez pas si .demain ou après-demain vous lisez quelque part Un vol avec effraction a eu lieu dans telle rue on a rejoint le voleur c'est un vieux chansonnier, .un vieux repris de justice (il a été deux fois en prison). On a fait une descente
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dans le logement. que ce gueux-là occupe à Passy,et l'on a saisi un grand nombre d'objets précieux dont il n'a pu justifier la possession! » Et de rire!
Une autre fois, il plaint son cher Lamennais « d'habiter une mansarde dominée'par un grenier sur lequel s'est abattue une ribambelle de matous! Et moi qui suis logé près d'un cimetière, allez-vous me porter envie! Il est pour ainsi dire à l'affût du sourire et de la consolation de ce grand esprit qu'il adopte. Osez donc aller en Bretagne sans passer par ta Touraihe, et vous verrez si je brûle Paris pour aller en Picardie Et plus loin « Mon ami, puissiez-vous jouir de toute la gloire que vous méritez » 0 spectacle ingénu de ces deux pauvretés glorieuses qui se consolent et s'encouragent l'une l'autre Ils ont, celui-ci et celui-là, une façon toute différente de porter la pauvreté M. de Lamennais la supporte en. gentilhomme hautain et dédaigneux, qui ne comprend pas que pareille hôtesse ait osé entrer. dans sa maison; au contraire, Béranger
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traite la pauvreté comme une amie elle l'a bercé enfant (t), elle l'a suivi jeune homme, elle était sa muse et sa bonne conseillère, et maintenant qu'il est vieux, de quel droit irait-il se fâcher contre sa vieille camarade? « Accordez-moi un peu plus qu'il ne m'en faut, disait Horace à Mécène « à peu près ce qu'il me faut, » disait Béranger au Dieu des bonnes gens. Horace demandait, pour être à son aise, d'avoir toujours à l'avance une année de son revenu, plus une bonne provision de livres; Béranger se contentait tout simplement de nouer les deux bouts de l'année; en fait de livres, il en avait toujours assez; M. de Lamennais avait vendu les siens, de très-bonne heure. Au reste, ils étaient l'un et l'autre de ces esprits qui se suffisent à eux-mêmes et qui vivent, comme on dit, de leur propre fonds. Autant la pauvreté de M. Lamennais était patiente et superbe, autant la pauvreté dé Béranger était ac(t) « Rapportez-moi mon mouchoir blanc et neuf, à broderies Manches. ))
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tive, ingénieuse et turbulente. Il voulait que si l'on avait l'honneur d'être pauvre, on en tirât bon parti.
Lui-même il m'a raconté qu'un jour M. de Lamennais étant sollicité par un sien parent, très-bon homme et digne d'intérêt, .Lamennais hésitait à lui envoyer un billet de cinq cents francs. « Que feriez-vous à ma place disait-i) à Béranger. A votre place, si j'avais les cinq cents francs, je les enverrais par la poste, et tout de suite. Eh bien, dit l'autre, vous affranchirez la lettre, à vos frais.– Soit, reprit Béranger. )) En effet, l'argent fut envoyé; ce fut Béranger lui-même qui porta la lettre à la poste, et l'affranchit de son argent. Dans sa Biographie, où Béranger parle si peu de lui-même et si bien des autres, c'est à peine s'il a nommé l'un des hommes pour qui sa bonté, sa bienfaisance et sa volonté ont accompli une stite de belles actions. Ceci même est, peut-être, le chefd'œuvre de Béranger.
Donc, il y avait à Paris, en f 826, plongé dans une misère indigne d'une nation qui
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se respecte, accablé sous.le silence et sous l'oubli, un homme, un poète (au hasard, je cherche un mot pour rendre ma pensée), qui, dans un moment de génie et d'inspiration, un moment unique, un. éclair, avait trouvé la plus grande et la plus terrible invocation qui ait jamais été faite à l'étoile, à la terre aux puissances d'en haut, aux épouvantes d'en bas. Cet homme, au milieu des tempêtes civiles, avait trouvé sans le,chercher le cri qui sauve et qui tue, un appel énergique aux plus nobles et aux plus s misérables passions. Cet homme avait fait la Marseillaise, et par sa Marseillaise il avait sauvé les frontières, il avait rempli la ville d'échafauds et de funérailles il avait fait, sans en savoir le nombre/une foule de héros, de victimes et de martyrs. Que de batailles, que de victoires, mais que de meurtres et de sang répandu au refrain de cette chanson Elle avait donné le signal de tant d'émeutes, elle avait appelé les peuples à tant de révolutions elle parlait plus haut que le. tambour ou le tocsin des incendies; et comment donc l'auteur de
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ces couplets, qui s'en vont les pieds nus et l'arme au bras, traversant tes fleuves, les montagnes, les cités, renversant les empires et les royaumes, aurait-il jamais pu songer, quand il était jeune et que son poëme allait dans toutes les mémoires, et de bouche en bouche, de périls en périls, qu'un jour viendrait où lui-même étant devenu vieux, pauvre et malade, il n'y aurait personne au milieu de cette France ingrate envers la gloire pour accorder à l'auteur de Marseillaise un regard, un souvenir, une pitié ? Et si profondément Rouget de l'Isle était tombé dans ces abîmes de la misère et de l'abandon, qu'il finit par être enfermé dans la prison pour dettes, au milieu de tant de jeunes gens sans prévoyance, mais non pas sans cceur, qui se regardaient, étonnés du grand nom que le geôlier venait de jeter aux échos de. Sainte-Pélagie. Ils se demandaient si c'était vraiment possible ? et plus d'un enfant prodigue regretta, ce jour-là, d'avoir si mal employé son crédit et sa fortune. Un seul homme, un seul dans tout ce misérabfe
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Paris, infidèle à toutes ses gloires, se rencontra pour venir en aide à Rouget de l'Isle,- et cet hommé était justement ce pauvre petit chansonnier, sans argent et sans crédit, qui naguère s'estimait un homme heureux quand les almanachs daignaient imprimer quelqu'une de ses chansons.
Naturellement, Rouget de l'Isle était très-fier; il vivait (si cela peut s'appeler vivre), il vivait de misère à la campagne (à Choisy-le-Roi), et il se làissa mener, sans mot dire, en prison. Hélas! le.pauvre homme, il y fût resté cinq années pour acquitter une dette de cinq cents francs, si Béranger n'eût pas compris et deviné toute cette misère. «Où êtes-vous? écrivait Béranger à Rouget de l'isie on n'a pas voulu me le dire hier, quand j'ai demandé de vos nouvelles, et c'est pourquoi je vous écris à Sainte-Pélagie. » Alors le voilà qui l'interroge avec tout le zèle et toute l'ardeur la plus dévouée, tl veut savoir la dette, les frais de la dette et le' nom du créancier. « Envoyez-moi, dit il, votre autorisation
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pour que j'aille vous voir, et né rougissez pas d'être détenu pour dettes. C'est à la nation tout entière à rougir des malheurs qui n'ont cessé d'accabler l'auteur de la Marseillaise: Je l'ai dit bien souvent, mais je parte à des sourds. Peut-être qu'à la fin ils rougiront d'être sourds. Puis, dans un adorable ~o~cr~um, il ajoute « Point d'enfantillage, répondez-moi sur-le-champ. .Ce point d'enfantillage, voulait dire « A nous deux! Je payerai la dette si je puis la payer; et la dette, en effet~ fut payée au bout de deux jours, et ce fut un beau moment pour Béranger lorsqu'il ouvrit les portes de la prison à ce poëte, sauvé par lui. 0 vanité des chants de guerre et du bruit dont rien ne reste Et quand il eut délivré son camarade, il avisa au moyen de le faire vivre. Il en parla à M. Laffitte, en demandant si l'on ne pouvait pas ouvrir une souscription pour cet illustre vieillard ? M. Laffitte répondit Je le veux bien. M. Viennet, ce brave homme et ce vrai poète, un ami de M. Laffitte, applaudit au projet, qui plaisait à son âme vaillante. Un
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brave écrivain, un bon journaliste, autrefois soldat, .M. Châtelain, rédacteur du Courrier français, proposa une souscription. Peine inutile; et cependant Rouget de l'Isle, recueilli chez un ami et ne voulant pas abuser de l'hospitalité qui lui était offerte, avait résolu d'en finir avec la vie « Un coup de pistolet! je n'ai pas de quoi en faire les frais! la rivière, c'est ignoble! et puis je crois fermement qu'un homme de cœur ne doit.pas se tuer! »
C'était bien dit cela; mais il ajoute « La fatigue, la faim, le désespoir, sont des armes bien puissantes! Je ne me tuerai pas, mais j'irai à travers champs/tout droit devant moi, jusqu'à ce que là mort s'ensuive. Adieu, Béranger, disait-il encore; vous témoignerez, quand je ne serai'plus, de mon courage et de ma constance. à supporter des misères insupportables. Adieu; mon ami,' ma tète se trouble, mon cœur se serre efmes yeux. se mouillent; c'est un adieu éternel. M Qui le sauva cette fois encore ? ce fut encore Béranger. Avec l'instinct d'une, infatigable pitié, il retrouva.
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cet homme égaré dans les champs, il ramena ce désespéré sous le toit de l'ami qui le cherchait, il lui rendit un peu de courage, un peu d'espérance. « Ah! disait-il, vous ne mourrez pas sur les grands chemins! Attendez, espérez un homme comme vous ne .peut pas être un suicide. En même temps il se met en quête de protections et d'amitiés pour lui il lui cherche un aide, un appui qui le fasse vivre au jour le jour. Il arrive enfin à ceci « Je vous félicite bien d'avoir une bonne redingote d'hiver, voilà du bonheur, » Un autre jour, le plus grand sculpteur de notre âge, un véritable Athénien, David, fils de PhHopœmen et petitfils de Phidias, taille en plein marbre un médaitton représentant Rouget de l'Isle, et, Pœuvre accomplie, il la met en loterie à vingt francs le billet. La belle et généreuse action L'honorable et grande aumône honorable à la fois pour celui qui la fait et pour celui qui l'accepte.
Et c'est pour le coup, écrivait Béranger à son ami, que nous allons compléter notre garde-
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robe. Hé)as! je me rappelle le temps où je n'avais qu'un pantalon je le veillais avec un soin tout paterne), et l'ingrat! il me jouait les tours tes plus perfides. Heureusement que je possède' un talent qui vous manque à coup sûr. Je fais une reprise et je raccommode un bouton aussi bien qu'un tailleur. Voilà ce que c'est que d'être du métier. Quant à vous, mon gentilhomme, qui n'avez pas été élevé aussi bien que moi, il vous faut du neuf. Laissez-moi faire, et vous en aurez avant peu de.la tête aux pieds. Toutefois il était temps que la révolution de 1830 arrivât pour sauver l'auteur de /<! Marseillaise. Le roi, qui la savait par cœur, le roi de Juillet, fils de la révolution française, tendit sa main libérale à Rouget de l'Isle. Le poëte eut une pension, il fut chevalier de la Légion d'honneur. Il retrouva pour l'aider de ses conseils et pour le guider dans sa nouvelle fortune son ancien ami Béranger.
Plus tard, par les fatals retours d'icibas, le jour vint où, M. Laffitte, à son tour, payant de sa ruine une popularité passagère, il fallut ouvrir une souscription pour
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lui conserver sa maison, cette maison qui fut le berceau d'une monarchie, et qui va disparaître au milieu-de la ville nouvelle. On voit alors Rouget de l'Isle accourir et porter cinquante francs à la souscription de Jacques Laffitte. On les retrouve à chaque instant ces cruautés, ces châtiments de la fortune; et telle est l'humaine infirmité, qu'ils nous étonnent toujours.
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Dieu merci, ce ne sont pas les seuls exemples de la reconnaissance et du dévouement des poëtes de ce temps-ci. Les lettres françaises ont donné de nos jours un grand spectacle, qui sera plus tard un vif sujet d'admiration pour nos neveux. Tant d'écrivains, d'historiens, de philosophes qui pendant vingt années ont occupé dans tes assemblées délibérantes, dans les conseils du roi, dans le journal, une si grande place, après l'avoir si dignement occupée, ont appris à leurs neveux comme on en sort dignement. Aussitôt qu'ils eurent compris que c'en était fait de leur fortune et de leur grandeur, et qu'ils étaient vaincus par des événements plus forts que leur courage et supérieurs à leur prévoyance, ces bons et courageux citoyens, corrigés par la fortune, honorés n.
vni
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pour leur propre courage, aimés pour leur constance et parfaitement oublieux de leurs grandeurs passagères, sont revenus, fiers et contents, à l'exercice assidu des belleslettres, la gloire de leurs jeunes années, la force et l'inspiration de leur âge mûr, l'honneur, l'espérance et la consolation de leur âge de seigneurie, âge heureux, clément, glorifié, qui n'est plus l'âge mûr, qui n'est pas encore la vieii)esse.
« 0 muses! mères'clëmentes et consolatrices s'écrie en son latin virgilien un ancien poëte; 6 chères compagnes de'ma vie hélas qui me rendra le temps que j'ai
passé loin de vous'' Il Cet homme avait touché aux grandes affaires de son siècle, il .était grand par la renommée et par la vertu; disgracié par un maître ingrat, il revenait paisiblement et sans se plaindre aux muses* clémentes de toute sa vie. Il s'appelait M. te chancelier de t'Hôpita). Ainsi nous avons eu, .et nous avons encore aujourd'hui, le consolant spectacle de tant d'écrivains excellents que la politique avait envahis, et qui, détaisséspar elle,
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sont revenus avec une ardeur incroyable au travail, à l'ambition, au bonheur des 'lettrés. Les uns et les autres, ces braves gens qui' ont dépensé inutilement de si rares mérites, tant de courage et d'éloquence, ils sont'revenus, l'historien à ses histoires, le poëte à son poëme interrompu, le philosophe aux livres-de Platori, les uns et les autres à toutes ces grandes études qui consolent de toutes les peines et qui vous font entrer si doucement dans l'austère et contente majesté de la vieillesse. «-Elle vous,montre souvent ce que vous ne sauriez voir, mais elle vous montre aussi bien des choses qu'il faut voir avant de mourir. » Ceci est un conseil du Traité de la vieillesse, et c'est surtout dans la profession des lettres qu'il y a toujours des choses à voir, à aimer, comprendre avant de mourir. Il n'est pas bon que l'homme soit seul; ceci est écrit pour tous les hommes, mais surtout pour les poètes..Us ont besoin, jusqu'à leur dernier jour, d'encouragements, de conseils, de bons exemples eux-mêmes, pendant qu'on les ~encourage et qu'on les
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protège, ils nous éctairent, ils nous guident, ils nous consolent..
L'isolement de ses dernières années a' fait un grand mal à Béranger. Seul avec lui-même, il a vieilli très-vite il n'a pas su mettre entre ses derniers jours et le maître jour de la mort cet heureux intervalle de loisirs studieux, de repos occupé, de paisible travail « qui donnent appétit de vieillir, M comme dit Montaigne. Soit qu'il ait été trop frappé des grands bruits que les révolutions amènent avec elles, et qui se font entendre encore à l'heure où,eues ont passé; soit qu'il ait été tassé trop vite et trop tôt de plus de gloire qu'il n'en avait rêvé, et que tout lui parût presque inutile, arrivé qu'il était au sommet de cette popularité sans rivale, il fut .tout de suite un vieillard. Ilsefigura_qu'à cinquante ans un homme était mort. A cinquante ans, il était inquiet, cherchant de toutes parts un asile et ne le trouvant nulle part. Il ne savait pas toute sa force il s'est mené trop tôt de son génie; il s'est retiré de l'arène au moment où il avait beaucoup à faire en-
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core. Aussi bien, pour la première fois de sa vie, il a manqué de prudence en disant «Jeme retire. »
Hélas! pourquoi donc partir si vite et nous quitter avant que la retraite ait sonné ? Qui te presse, ami Es-tu bien sûr d'avoir dit ton dernier mot, et te crois-tu donc assez fort pour supporter sans peine et sans peur la solitude abominable? Mais quoi ta solitude, après tant de faveurs de la foule, qui t'appelait son père et son dieu un si complet abandon remplaçant tant de fêtes, ce sont là de grands dangers! Croismoi, ne t'en va pas encore, et prends garde au repentir, dans~ces chemins si nouveaux pour toi. Resté où l'on l'écoute, où l'on t'aime, où l'on te glorifie où chacun dit, en te voyant passer « Le voilà c'est lui, le voilà » En vain ces grands 'poëtes font les fiers et s'imaginent qu'ils se passeront de la foule et de ses hommages ils s'en passent et ils en meurent !t les comptent pour rien tant qu'ils en jouissent, et sitôt qu'ils en sont privés, ils les pleurent. « Si tu veux vivre honoré, va-t'en vieillir à La-
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cédémone. » Ainsi parlait un ancien. Nous parleronscomme lui, nousautresles hommes sans gloire, et qui pourtant mourrions d'épouvante et de douleur si nous .pensions quitter la ville avant de mourir. C'esttrèsvrai, pour ta vieillesse et pour ton repos, qui que tu sois,. poète enivré de louanges, pour ta gloire et pour ton intime contentement, pour tes amis et pour tes protégés, pour tes pauvres et pour tes parasites euxmêmes, il faut vieillir et mourir à Paris, ta ville natale et ta ville adoptive. Voilà pour toi là vraie Lacédémone; les enfants se lèvent quand tu passes, les jeunes gens s'inclinent, les vieillards saluent, l'écho même redit tes chansons, est rempli de ton esprit d'autrefois
Béranger fut donc mal conseillé lorsqu'il prit subitement congé de ce monde, où chacun lui faisait place. Il s'était figuré qu'il avait une famille, un foyer domestique il n'avait pour le suivre que deux vieilles femmes. L'une, il est vrai, était son amie, une amie intelligente et dévouée 1 Elle avait été belle et charmante. A la voir
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dans le beau portrait que. publie en ce moment M. Perrotin, l'ami et l'éditeur de Béranger, il est facile de voir que l'amour, la santé, l'amitié, le dévouement, avaient fait de ce beau visage un fidèle miroir. Mais quoi, si l'amie était douce et bienveillante, la vieille tante, une autre que la tante de Péronne, était une femme acariâtre et mal élevée. Elle remplissait la maison de criailleries et de disputes; après l'avoir longtemps supportée, il fallut la placer à SaintePérine où elle mourut au. bout de six semaines, emportant une humble part de cette humble fortune. Ah! la méchante femme! et songer que ce-malheureux Béranger traînait après soi cette mégère ingrate, odieuse et sotte. Une Xantippe! Il avait bien quelque part un fils assez mal venu, triste sujet, qui ne lui causa que des peines, en dépit des meilleurs et des plus sages conseils. Autant de motifs pour cacher sa vie. Cependant il ne s'exila pas tout de suite, il vint à Passy, le doux village, il se logea sur la lisière du bois de Boulogne; et, comme il aimait la promenade, il allait.
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au gré de son caprice, et dans ces bois mal tenus il rencontrait souvent M. de Lamartine. En ce temps-là, M. de Lamartine était une étoile, un météore. il allait; au bruit de la louange unanime, adoré comme un dieu, honoré comme un roi. Il montait le plus beau cheval, et pour compagnons de sa promenade heureuse,-il avait tant de poëmes, tant de songes et de beaux chiens qui le remerciaient d'un regard attendri, comme s'ils eussent été de jeunes hommes! Eh bien, M. de Lamartine, au milieu de sa gloire et courant après l'humble chansonnier qui va, d'un pied léger, sur les lisières de la forêt, eut quelque peine à faire cette conquête. Il tant cependant ce fut Jocelyn qui servit de trait d'union entre la chanson et les Méditations poétiques. M. de Lamartine a très-bien raconté ces douces rencontres, dont le souvenir le ramène à ses plus beaux jours. Moi-même, la dernière fois que je rencontrai le poëte enivré de ses propres splendeurs, c'était peu de jours avant la révolution suprême! Au chant des oiseaux
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arrivait l'automne il y avait dans l'air mille bruits pacifiques l'air était doux, clémente était la saison. Seulement dans le lointain se faisait entendre un sanglot inarticulé. C'étaient les Girondins qui se lamentaient au sommet des tribunes, au pied des échafauds
Béranger a laissé dans Passy les meilleurs souvenirs il avait écrit une chanson en son honneur
Paris, adieu, je sors de tes murailles,
J'ai dans Passy trouvé g!te et repos.
Il avait adopté pour sa promenade (il était grand marcheur) plusieurs avenues autour de sa demeure, et chacun, respectant sa solitude, le voyait de loin qui marchait en rêvant, la tête inclinée et d'un pas calme. Le pauvre l'aimait parce que son instinct, qui ne le trompe guère, lui disait: Voilà ton sincère et généreux ami (i)! (t) A peine arrivé à Passy, il écrivait à l'honorable M. Possoz, le maire de Passy, une lettre où respire en toute sa force la bienfaisance ta plus généreuse « Depuis que je suis à Passy, dont je ne suis
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Chaque année, en décembre, au temps mauvais,, il se rendait chez le maire en ça- chette, et, la porte étant bien close, il lui disait à voix basse « Il faut donner à vos pauvres cinquante francs par mois, sans me nommer je vous en tiendrai compte. » encore qu'un habitant forain, je n'ai pas eu l'occasion de prendre part aux charges communales de la nature de celles qui vous forcent à appeler la danse au secours de la charité; c'est donc un devoir pour moi de répondre autant que je puis à ces justes invitations.
Ainsi, monsieur, comptez sur ma participation à ces bonnes œuvres. Mon seul regret sera que la modicité de mon revenu ne me permette pas d'y concourir plus généreusement.
nPassy,4juiUeti8;4." o
« Mon cher et bon maire, agréez ma cotisation de cette année (18~); mais si vous avez besoin de moi, dites un mot; il me reste un peu d'argent. On ferait un volume avec toutes ces lettres. a La charité de Béranger, nous disait M. Villemain, était toute semblable à la justice; et plus d'une fois, quand j'avais l'honneur d'être le ministre du roi à l'instruction publique, je me suis trouvé fort heureux qu'il m'ait rappelé des infortunes auxquelles le gouvernement du roi devait nécessairement songer. ))
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Et cela durait tout l'hiver. Or ces cinquante francs par mois, c'était son argent mignon et, comme il disait, « sa caisse d'épargne. » Il aimait à donner, c'était sa joie, et rendre un bon office était son luxe. Entrez, la porte est ouverte, il appartient à quiconque a besoin d'une aumône ou d'un bon conseil. Tant de lettres qu'il écrivait à ses amis tout-pbissants (jamais pour lui, pas même pour sa tante!) vous montrent un homme heureux s'il essuie une larme. H va, il vient, 'il se multiplie; il s'adresse aux amis, aux indifférents, voire aux gens qu'il ne connaît pas et qu'il n'a jamais vus. !l demande avec force, avec constance, avec bonheur, et parfois allègre et gai, avec un sourire ineffable.
Dans ce même Passy, qui plus tard s'est embelli de toutes les grâces et de toutes les splendeurs d'un jardin tracé par les fées où sont particulièrement les deux'génies les plus harmonieux de ce bas monde, Lamartine et Rossini, le premier dans une maison d'emprunt, le second dans un hôtel construit en l'honneur de son génie, il y
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avait, tout voisin de Béranger et se promenant dans les allées latérales, un homme admirable et que Béranger n'a pas connu. Cet homme austère, ingénieux, savant comme un bénédictin, l'anachorète de l'histoire, indulgent à tout le monde, inflexible à lui seul, pleurant sa femme, un ange, et son fils, son collaborateur, mort à vingtcinq ans sous le poids de la pauvreté et du travail. s'appelait Amans-Alexis Monteil. Il accomplissait en silence, à jeun souvent et sous un toit sans feu, un des plus grands livres que l'histoire ait jamais inspirés Histoire des Français des divers états. Pauvre et brave Monteil que de labeurs, que de souffrances, quelle misère et. quelle abnégation Comme il eût été consolé, cependant, s'il eût rencontré en ses sentiers ce poëte enfant du peuple, qui toute sa vie avait célébré les labeurs, les passions, les doutes, les croyances, les haines et les amours de ces travailleurs des divers états dont lui, Monteil, il s'était fait l'historien
Mais cette chère consolation ne fut pas
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donnée à M. Monte! 'Il passa, sans le savoir, à côté de l'espérance, il n'obtint pas ce qu'il eût obtenu sans doute du poëte, son frère et son contemporain, la plus grande récompense qu'il eût reçue en toute sa vie, un couplet dans quelque chanson populaire. Et toujours seul, toujours livré à ses propres forces, acharné à son œuvre, il éleva lentement son monument, plus durable que l'airain. Enfin, quand il fut à bout de sa peine, et quand il se sentit vaincu du temps, à soixante et dix ans qu'il avait, il porta son isolement, sa vieillesse et ses chagrins non loin de Fontai-~ nebleau, dans un petit village appelé Cély. C'est dans le cimetière de Cély que quelques amis de M. Montèil, en se cotisant, ont amassé de quoi poser une pierre sur sa tombe et si l'épitaphe inscrite sur ce monument funèbre, ami passant, vous parah trop laconique et trop obscure,, faut bien que vous sachiez pourquoi donc si peu de louanges .après sa mort, à cet homme qui fut si peu loué de son vivant. C'est que l'argent nous a manqué pour
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inscrire sur cette pierre abandonnée aux vents d'hiver les regrets de notre esprit et iedeuiidenotrecœur.
Sur l'entrefaite arriva, dans son bruit terrible, une autre révolution, la révolution de t8/).8. Certes, prenant Lamartine et le grand Arago, la révolution de 1848 eût fait du chansonnier un de ses chefs, si Béranger eût daigné y consentir, et ce fut vraiment alors, pour la seconde fois, que l'on comprit à quel point cet homme était sincère lorsqu'il refusait obstinément les emplois, l'autorité, les honneurs. La révolution nouvelle eut grand'peine à obtenir de son dévouement à la chose publique qu'il acceptât une place à l'Assemblée législative, et même il eut en ce moment une de ces paroles qui ne sont qu'à lui « Êtes-vous bien sûrs, dit-il aux gens qui l'entouraient, qu'un traitement soit attaché au mandat que vous me proposez ? » Alors un de ces malheureux qui ne voient que le gain « Si vous serez payé s'écria-t-it, mais certainement, vous aurez vingt-cinq francs par jour! Bon cela, dit Bëranger,
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ça me convient. Je pourrai donner ma démission. »
Cependant il fit encore ses efforts pour n'être pas nommé. Il était si vieux! disaitil aux électeurs; il avait si grand besoin de repos il serait si déplacé dans une assem.lée où l'on se montre, où l'on parle. Il eut beau dire, il fut porté à L'Assemblée législative par l'acclamation universelle. Mais quoi d'étonnant ? il était pour ainsi dire, -à. lui tout seul le suffrage universel. Dans cette assemblée où te cherchaient tous les regards, au milieu de tant de têtes énergiques, passionnées, intelligentes, Béranger, calme et silencieux, sinon triste et muet, contemplait cette histoire improvisée et qui devait durer si peu. En même temps, il regrettait ses loisirs; il était au bout de ses sacrifices; il redemandait sa liberté, priant son ami le peuple de l'exonérer de ce mandat. L'Assemblée apprit avec douleur cette démission qui la privait d'une de ses gloires, et, d'une' voix unanime, elle refusa de l'accepter. Béranger courba la tête, mais, peu de jours après, il revenait à la
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charge, et d'un ton plus ferme il redemandait sa liberté perdue et tant regrettée « Voici, disait-il, la première fois que )e demande quelque chose à mon pays; que ses dignes représentants ne repoussent donc pas la prière que je leur adresse, en réitérant ma démission, et qu'ils veuillent bien pardonner aux faiblesses d'un vieillard, qui ne peut se dissimuler de quel honneur il se prive en se séparant d'eux. » Il fut impossible de résister plus longtemps aux supplications de cet ami de la vie à l'ombre et du silence. H fut libre enfin, mais la France était sûre qu'il resterait attentif à la chose publique, et que, hors de l'Assemblée, il n'oublierait pas le mandat de ces deux cent quatre mille quatre cent soixante et onze électeurs qui voulaient sauver la patrie au désespoir. Nous aurions dû parler, avant d'arriver à ce moment suprême, de ses derniers efforts et de ses dernières espérances nous aurions dû raconter sa vie errante, et ce besoin de calme et de repos qui le poursuivait sans cesse et toujours. Il avait quitté
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Passy, qu'il trouvait trop près de Paris, de ce Paris « où je trouverais du moins, avec un peu de peine, ces douces relations de l'amitié qui consolent de tant de choses, » écrivait Lamennais à Béranger, et ils s'étaient transportés, lui, M"~ Judith, les deux chats et l'éternelle tante, à Fontainebleau, attiré qu'il était par la vaste forêt et surtout par la solitude. A peine installé si loin de ses amis, et quand il eut posé ses meubles vermoulus dans sa maison et parcouru vingt fois son petit jardin, il découvrit que l'eau était crue et rude à son estomac délabré. Il trouva bientôt (c'était surtout l'opinion de M"~ Judith) que le vent était froid, que l'hiver sévissait cruellement, que son enchantement de forêt diminuait avec ses forces. !l croyait en même temps que cet implacable ennui, qu'il ne voulait pas s'avouer à lui-même, lui venait encore du. voisinage de Paris. Paris l'attirait à son insu; les bruits de Paris bourdonnaient autour de sa tête lassée. Il cherchait en vain la rime au coin des bois, cette rime qu'il trouvait si facilement dans la. foule. 'i..
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Hélas! il était seul, sans inspirations, sans espérances. Paris pouvait le sauver, mais, retenu par une fausse honte, il s'en.va de Fontainebleau dans la Touraine on lui avait tant parlé du jardin de la France; tiède en hiver, frais en été; on lui avait tant promis des fleurs, des fruits et son rêve. la vie à bon marché! Donc, encore une fois le voiià qui traîne à travers les chemins son mobilier déchiqueté sur une charrette, et qui s'en va, avec M"~ Judith, la tante et ses deux chats, cherchant un nouvel asile. Il eut grand'peine à le trouver. Telle maison était, trop grande et telle autre était trop petite, tantôt le jardin l'attirait, mais la maison n'était pas logeable. Ah que de peines et d'inquiétudes Mais, enfin, il rencontra, faite à souhait pour son repos, une maison déjà célèbre appelée la Grenadière (1). Voici, comme il en parle agréablement
Nous aurons un jardin de facile entretien le (t) Ici encore la bise et le froid mettent le poète à la torture, et voici comme il s'en explique avec son
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closier du propriétaire pour voisin, avec sa petite famille et sa vache; une allée de tilleuls pour mes promenades; un clos de vignes de deux arpents, qui'ne fait pas partie de la location, mais qui embellit l'habitation; un parterre et quelques jolis arbres, un potager et quelques fruits tout cela, comme vous le voyez, est bien séduisant. Ajoutez que le fameux médecin de Tours (M. Bretonneau), homme aussi connu à Paris qu'ici, passe trois ou quatre fois par jour devant la maison pour- aller à la'sienne, et, de plus, apprenez qu'il y a à deux pas un restaurateur en renom pour les matelottes. Heureuse Grenadière! elle aura la durée et le renom de Tibur ou de la vallée de Montmorency dans les Confessions de Jeanamie, Mme Thirau « Je vous dirai qu'il gèle et neige assez joliment en Touraine; la Loire a même envie de se prendre au pied de notre château. Vous ne sauriez croire combien je deviens sensible en toute chose, au physique et au moral. Il était temps de faire retraite devant le monde, avant qu'il s'aperçût de cette dégringolade rapide. Comme les enfants, il rit de tous ceux qui tombent. Mon estomac est délabré, grâce l'air vif des bords de la Loire, et aussi à l'eau de ce fleuve, dont j'ai' ait abus.
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Jacques. On la verra éternellement dans les œuvres de M. de Balzac et dans les lettres de Béranger, cette humble habitation située sur la rive droite de la Loire, en aval et à un mille environ du pont de Tours. En ce bel endroit, la rivière, large comme un lac, est parsemée d'îles verdoyantes et bordée par une roche sur laquelle sont assises plusieurs maisons de campagne en pierre blanche, entourées de clos de vignes et de jardins où les plus beaux fruits du monde mûrissent à l'exposition du midi. « Patiemment terrassés par plusieurs générations, les creux du rocher réfléchissent les rayons du soleil et permettent de cultiver en pleine terre, à la faveur d'une température factice, les productions des plus chauds climats. Dans une des moins profondes anfractuosités qui découpent cette colline s'élève la flèche aiguë de Saint-Cyr, petit village duquel dépendent toutes ces maisons éparses. Puis, un peu plus loin, la Choisille se jette dans la Loire par une grasse vallée qui interrompt ce long çoteau. La Grenadière, sise à mi-côte
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du rocher, à une centaine de pas de l'église, est un' de ces vieux logis âgés de deux ou trois cents ans qui se rencontrent en Touraine dans chaque jolie situation. » Et quand il fut bien installé, au milieu de tous ces ravissements des premiers jours, comme un ami prévoyant (M. Laffitte) lui écrivait pour le supplier de ne pas s'obstiner dans cette solitude où il devait s'ennuyer plus encore qu'à Fontainebleau, Béranger écrivait à cet ami que la nécessité le voulait ainsi, et qu'il ne songeait plus qu'à mourir.
N'allez pas trop admirer ce que vous ne manquerez pas d'appeler mon désintéressement: vous savez que je suis las du. monde. Chaque jour je m'en éloigne davantage. Il en est de lui comme du théâtre dès qu'on en a perdu l'habitude, on ne peut plus y remettre les pieds. La retraite est.le but de mes désirs. Je veux terminer mes jours loin du bruit et d'une société qui finirait peut-être par me rendre misanthrope. Je tiens à conserver ma foi dans l'humanité. Quant aux privations matérieHes, songez. ue c'est pour m'en imposer le moins possible:
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que je prends le parti de m'éloigner de Paris. Je veux sauver mon sucre et mon café du naufrage et puis, quand je serai loin du monde, j'aurai le temps de travailler. Qui sait si ce n'est pas )à ce qu'il me reste à faire encore? Vous voyez donc que le parti que je veux prendre sera moins une dégringolade qu'un arrangement de position. Je me retourne dans mon lit, voilà tout!
En même temps il envoyait à son ami la description de la Grenadière par M. de Balzac même c'est une chose étrange que ce poëte, le plus positif de tous les hommes, s'abrite ainsi sous le caprice et la narration du romancier le plus habile à montrer en beau toutes les choses qui lui paraissent belles. Eût-it été fier et content, M. de Balzac, s'il eût appris que Béranger lui-même était tombé dans ses piéges poétiques Au premier abord, pour notre chansonnier et pour ses compagnes, rien n'était plus aimable et plus charmant que cette Gr~M~ere. !i est sûr d'y vivre; it s'estime un homme heureux s'il y,meurt. Le voità déjà bien clos, bien casé; ta huche et le
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bûcher sont pleins; les pigeons multiplient, le jardin promet; Béranger sème et plante: ilestjardinier.
Ses arrière-neveux lui devront ces ombrages. Vain espoir « Tu peux changer de ciel, tu ne changeras pas ton esprit et ton âme. » Ainsi parle Horace à Béranger son frère, à deux mille années de distance Au bout d'une année à peine, la Grenadt~ avait perdu tout son charme aux yeux du solitaire. Il avait trop chaud en été, M'~ Judith trouvait que l'hiver était trop froid.
« Je dis souvent que les environs de Paris sont cent fois plus beaux que les bords de la Loire. Ici, personne n'en veut,convenir. Rien n'est pourtant plus vrai. La Touraine a fait sa réputation à une époque où nos autres provinces étaient moins bien cultivées, et lorsque la cour, tixée longtemps de ce côté, y avait attiré l'argent féodal, qui a créé bon nombre de charmantes habitations. Depuis lors, la culture améliorée partout, l'argent entassé surtout
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à Paris, et la royauté s'y fixant à demeure, ont dépasse les merveilles de la Touraine, qui n'ont pu d'ai))eurs que dépérir témoin Chambord, témoin le Plessis et mille autres habitations semblables. Cela n'empêche pas la Grenadière' d'être pour. moi une douce et précieuse retraite, en dépit du printemps qui,tarde bien à y venir donner son coup de pinceau. Puisse la vôtre être aussi paisible! »
Vous le voyez, en ce moment it résiste encore à l'attrait tout parisien qui le pousse il est fidèle à la Grenadière, il n'en veut pas sortir, mais bientôt, Dieu soit toué, voici que notre homme, en son bon sens, a trouvé une excuse irrésistible aux nouveaux changements qui vont venir. Il n'y a rien de plus charmant que Grenadière, à coup sûr, mais l'économie et le bon ordre exigent que le poëte, à l'instant même, abandonne sa chère et douce solitude. 0 malheur! il a écorné l'équilibre de ~o~ budget domestique! Il a trop écouté sa passion de verger et de jardin encore une année, il est ruiné, et fouette cocher, à l'hôpital! Ecoutez-)e racontant sa peine à une char-
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mante femme, Mme Lemaire, qui l'écoute en souriant.
« Bon Dieu ma chère, qu'il y a d'insensés, nous deux compris! Croiriez-vous que je me suis mis à la gêne par suite de mon horticulture, non pas pour les plantations, mais entrainé par toutes les dépenses d'une habitation complète. Ce n'est pas en meubles, en cuisine, que je me ruine, mais en une foule de petits frais dont il est presque impossible de se rendre compte. Aussi, moi, qui tranche dans le vif, je résous déjà, pour éviter ce coulage, de me mettre, à la fin de mon bail, dans un petit logement en ville une pièce pour Judith, une pour moi, une autre pour les repas, avec de quoi loger une bonne. J'irai me promener dans le jardin des autres. J'ai déjà organisé mon chauffage une chaufferette sous mes pieds, une couverture sur mon dos; et, certes, j'aurai moins froid que cet hiver dans ma mansarde; où j'ai eu constamment du feu. Voilà mon château jen Espagne et le vôtre, quel est-il ? » Et comme il dit, il fait, là, tout de suite, inexorable à lui-même. Adieu la Grenadière adieu aux belles fleurs du prochain
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avril''adieu à l'arbre à peine planté! « Me voilà réduit à la portion congrue » Et sans verser une larme, sans pousser un soupir, il abandonne son humble château pour un petit logement qu'il trouve à Tours, dans une rue àpeuprè? déserte. On pourrait être mieux, mais il s'y trouverait bien « si la maisonnette avait une chambre assez chaude pour Judith. » Et puis, ilssontbien seuls; encore est-il heureux d'avoir à sa portée K un brave garçon » qui en cas d'accident comme je dis toujours, pourra aller chercher te pompier, la garde, ou le médecin. » Cependant, non loin de sa maisonnette (rue Chanoineau), il y avait une espèce de palais entre une cour et un jardin, que M. Baour-Lormian, un des plus tristes portes qui aient attristé la poésie, occupait au prix de deux mille francs de loyer!
C'est ce même Baour-Lormian que Béranger avait recommandé pour un emprunt d'argent à M. Laffitte; ce même BaourLormian qui, parlant de l'usurpateur, se plaignait que ce monstre l'eût flétri d'une
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pension de six mille livres. 0 rencontres hasards drames étranges Le grand poëte attend impatiemment qu'il ait soixante ans, pour aller à l'hôpjtal. Le faiseur de vers flétri de toutes sortes de pensions ne se doute pas que l'on puisse honorablement habiter un grenier de la rue Chanoineau Celui-ci a tendu la main toute sa vie, une impuissante main, faite pour ces aumônes que les gens sans mérite et sans talent arrachent aux ministres sans prévoyance; celui-là, austère à lui-même orgueilleux du plus noble orgueil, plein de respect pour son génie et de dignité pour sa personne, se croirait déshonoré s'il ne vivait 'pas du peu qu'il a gagné, avec tant de gloire et tant d'honneur.
a Vous pensez bien que je ne me désole pas de cette déconfiture, écrit-il à son ami Bernard, moi et ma vieille amie nous allons vivre sur le pied de dix-huit cents francs, ce qui me permettra de servir encore treize cents francs de pension que je me suis imposé.
« Vôus voyez que je suis en mesure de vivre. J'ai une telle habitude de ces petites tempêtes
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que je n'en fais que rire. Quand il m'arrive, dans mes promenades, d'essuyer de fortes ondées, quelquefois d'abord je m'en fâche, parce que'ma course est interrompue, puis, pensant au bel âge où si gaillardement j'éprouvais de semblables lessives sans avoir de vêtements à changer, je me fais mouiller avec plaisir, comme si le rajeunissais à la pluie. I! en est de même quand un nuage de pauvreté vient encore à crever sur moi je me,revois au temps où je n'aurais souvent pas diné sans le crédit que voulait bien me faire un petit traiteur de la rue des Prouvaires. Ce sont là mes retours de jeunesse et je puis m'en vanter, car je me trouve le même courage pour braver les averses; senlement alors j'avais assez d'imprévoyance pour n'en pas moins régaler mes amis dans l'occasion. »
Cependant, à peine il eut quitté la Grenadière et sitôt que la nouvelle en,courut à Paris, les amis du poëte s'inquiétèrent, et quelques-uns poussèrent les hauts cris: Le premier de tous, M. de Chateaubriand, à l'heure où lui-même il abandonne, et pour n'y plus revenir, sa maison de la rue
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d'Enfer, Chateaubriand, ruiné, s'arrête au milieu du chemin par lequel il déménage, pour offrir de sa bourse à Béranger l'argent que peut coûter l'entretien du jardin de la Grenadière. Ah je voudrais aller plus vite,. et vous tirer de ces récits douloureux mais le moyen de passer sous silence une lettre amicale de M. de Chateaubriand qui lui fera pardonner toutes ses lettres d'amour?
Chateaubriand à Béranger.
« Toujours avec mon malheureux rhumatisme à la main droite, jusqu'à ce qu'il plaise au soleil de m'en débarrasser, je suis ob)igé de me servir de la main du fidèle Pilorge. « Monsieur, il me semble que nous veillons l'un sur l'autre. J'ai eu peur de votre pauvreté, voilà que vous avez peur de la mienne; mais la vôtre est toute ronde, d'une marche uniforme et d'un bon caractère ta mienne est quinteuse, elle a quelquefois l'air de dégringoler par mon escalier et de me laisser avec des écus puis elle rentre soudain par la fenêtre; j'aimerais bien
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mieux un lit assuré dans quelque grenier d'un hôpital. Pourtant, monsieur, je vous remercie de grand cœur; soyez tranquille cette fois; la banqueroute (la banqueroute du libraire Ladvocat) me cause bien quelque embarras, mais elle ne m'atteint pas encore réeitemenl. Vous êtes bien heureux, vous êtes sûr de vivre dans cette vie et après cette, vie ce que vous chantonnez maintenant au coin du feu est quejque immortalité dont vous faites fi parce que vous êtes rassasié moi j'achève mes tristes ~mot'fM. Ils seront complets vers la fin de l'année, et si je reste encore quelques jours sur cette terre, je compte les passer assis et les bras croisés à regarderle ciel. La politique, vous savez que depuis longtemps je n'y crois plus,; peuples et rois, tout s'en va liberté et tyrannie ne sont à craindre ou à espérer pour personne. Une chose seulement me fait rire, c'est qu'il y a des hommes d'esprit qui prennent tout ce qui se passe au sérieux ils ne s'aperçoivent pas qu'ifs assistent à la mort d'une vieille société, et qu'euxmêmes ne sont plus que des malades incurables dans un hospice.
« Je suis allé plusieurs fois chercher l'abbé de Lamennais. Je t'ai rencontré par hasard, càr les trois quarts du jour il ferme sa porte ou il se retire chez des amis aux environs de Paris. »
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La lettre de M. de Lamennais est empreinte du même chagrin, avec plus .de grâce et d'abandon.
« Votre philosophie à vous, mon cher ami, vaut mieux que la mienne c'est de la philosophie pratique, la plus rare de toutes et la plusdifficile. H semble que; puisque vous êtes satisfait de votre position, j'en devrais être sa= tisfait aussi et pourtant non. Je regrette votre Grenadiére; je né saurais m'habituer à ne plus vous voir dans votre beau jardin au milieu de vos fleurs, la serpette à la main, comme le vieillard du poëte. Votre repos me reposait dans ma bruyante mansarde, je jouissais du calme qui vous entourait, je respirais l'air pur et frais et doux de vos coteaux. Comment voulez-vous que je renonce sans tristesse à tout cela. » Et chacun de le plaindre, et Béranger de répondre à chacun « Ce n'est rien! calmez-vous je suis plus riche encore (et cela est vrai) que M. de Chateaubriand ou M. de Lamennais. Les cinq ou six cents francs que j'ai dépensés mal à propos, je les regagnerai bien vite Au fait, je voudrais bien que
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M. de Chateaubriand se trouvât bien dans la nouvelle demeure qu'il s'est choisie. Je voudrais qu'elle lui fît oublier les fleurs, les arbres, les oiseaux qu'il va quitter. Diteslui, d'après mon exemple, qu'ils seront ingrats aussi. Il n'en sera pas de même des amis, et j'espère qu'il me place au nombre des plus reconnaissants. »
Mais quoi! Béranger, faute d'un toit (le toit dont nul n'a le droit de _vous chasser) qui fût à lui, devait mener jusqu'à la fin de ses jours une vie errante. Il avait beau faire et se tromper lui-même. il regrettait, sans en convenir, « un peu de ce bruit qui ne déplaît pas aux vieillards. » II était (dit-il) semblable à cette vieille dame, condamnée à garder le lit, et qui disait à ses amis « Parlez, parlez, pour me prouver que je suis vivante! » A la fin donc il comprit que Paris le rappelait, et il ne résista pas davantage. Quoi d'étrange ?
Voilà donc le poëte vagabond rendu, après tant d'hésitations, à sa vie, à ses amitiés de
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tous tes jours/Ce voyage aux pays lointains l'avait dégoûté de la solitude et des silences trop profonds. Comme il était de bonne foi avec lui-même (il l'était avec tout le monde), il convint qu'il avait perdu sa peine à se bâtir des châteaux en Espagne. A cette heure, il cherchait un château d'un tout autre genre. une chambre à Sainte-Perrine. ou tout au moins « l'épicurisme de la maison garnie et de la table d'hôte! » Il s'en voulait des arbres qu'il avait plantés, des pigeons qu'il avait nourris, des fruits de ses espaliers, des fleurs de son jardin, même « de la pelle à braise qui lui servait de bêche, et du marteau dont le manche lui servait de plantoir! » Pour peu qu'il rencontre aux portes de Paris « un verre, une assiette, une carafe, une fontaine ~thr~, et, le dirai-je? un cabinet de lecture, » il est content, il n'enveut,pas davantage; il hait le ménage et les soucis
de la maison il faut qu'il aille et qu'il vienne au gré de sa fantaisie, au gré de sa bonté naturelle il veut encore appartenir à quiconque a besoin de son temps, de son n' 6
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argent, de son crédit, d'un bon exemple ou d'un bon conseil « La meilleure vie est la plus commune, » a dit Lucien dans un de ses dialogues où il se moque à sa façon de la philosophie et des philosophes. Bérahger eût été bien content de cette explication de Lucien.
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Pendant que nous parlons si librement et si volontiers de ce brave homme, il arrive, aujourd'hui même, que sa douce et chère mémoire se complète par la lecture des meilleures lettres, les plus sincères, les plus originales et les plus neuves qui aient été publiées de nos jours. Grâce à ces lettres, tes chansons de Béranger n'ont plus besoin de commentaires, sa biographie est complète et peut se passer de .toute autre explication. C'est donc pour nous, et non pas pour lui, que nous inscrivons, dans ces pages éphémères, ces précieux fragments d'un livre qui va paraître et qui ne doit pas mourir
/toût <8~ Que)*spectac)e! Ce vieux Sébastian), paralysé aux-trois quarts depuis plus de douze ans, que la mort épouvantable de sa fille va précipiter si douloureusement dans le tombeau. S'il fût mort il y a quelques mois,
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ce vieillard aurait pu bénir sa destinée Vieillissez donc »
;9 janvier <8~8.– « Mon cher Génin, voici Raphaël, lisez-le le plus promptement possible, et le renvoyez bien proprement enveloppé à M"~ Colet, rué de Sèvres, 2!, vis-à-vis la grande fabrique d'académiciens nommée baye-aux-Bois. »
2 mars 1848. c( J'ai eu peur de la République pour la République, en la voyant naître aussitôt, à.f'improviste; mais fesrépùb)icains sont à l'abri de tout reproche. Lamartine a été admirable et )a France ne reconnaîtra jamais assez le service qu'il lui a rendu au mépris de ses jours.
a Je suis resté à cette révolution ce que j'ai été il y a dix-huit ans. H y a quelque adresse à moi à ne pas me fourrer où mon nom eût pu être prononcé. Au reste, il y a toujours trop d'hommes pour remplir une fonction que mon caractère me ferait remplir fort mal.
« Mon ami Jean Reyhaud, je n'ai.jamais su que chanter, je n'ai jamais su que causer, je n'ai jamais su disserter, ainsi je vous donne ma démission de votre commission des hautes études. »
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Passy, 2c) mars )8~8. « Monsieur le président du club de l'Union, vous ne voudriez pas qu'un pauvre vieux rimeur allât jouer un rôle inutile et ridicule au miliep d'une assemblée qui a besoin de jeunesse et de science, d'énergie et de talent. Rappelez-vous Newton, que les Anglais voulurent avoir dans leur. Parlement. Tout grand homme qu'était celui-là, dans toute sa vie parlementaire il ne dit-que cette seule phrase « Fermez la fenêtre, M. l'orateur va s'enrhumer! » Moi, vraisemblablement; je ne dirais que ceHe-ci Ouvrez la porte, je f~ux m'en aller! »
28 avril ;8~8. K J'ai vu hier mon pauvre vieux Chateaubriand qui va finir sous le poids d'un catarrhe. Au reste, sa mort sera la mort d'une ombre, et le spectacle est douloureux de voir comment s'évanouit cette belle et grande intelligence. Auprès du pauvre vieillard veille une autre ruine, la belle et célèbre M' Récamier. Elle a soixante et onze ans frappée de cécité, elle gémitde ne pouvoir être utile à son malade. ;)
Peu d'années avant ta mort de M. de Chateaubriand, Béranger, par un pressentiment étrange, avait rendu visite à la tombe du poëte, son ami.
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~M.~L~tnennaf~.
«Dans la tournée que je viens de faire et que j'ai attongéepour éviter Paris, dont j'ai si grande peur, j'ai passé à Saint-Malo. Comme je ne voulais pas m'y faire connaître, c'est à tâtons que j~y ai cherché la maison où vous êtes né, et je l'ai fait si maladroitement que je ne l'ai pas trouvée, dansles quelques heures que j'ai eues pour visiter votre rocher natal. La marée m'a aussi empêché d'approcher autant que je l'aurais désiré du tombeau de Chateaubriand. En l'apercevant si petit, je me disais qu'il vaut mieux tendre la main quand on veut nous donner des dragées que de prendre dans le cornet. Notre modestie nous empêche de fourrer les doigts assez avant. Quel pauvre petit tombeau notre ami s'est fait là! H aura mieux que cela un jour. a
2 octobre ;8~8. « Mon ami Tré'at, accordez-moi, pour une pauvre aveugle de soixante-quatorze ans, un lit à la Salpêtrière. Les socialistes ont voulu me porter à la présidence, la plaisanterie était bonne, j'ai pris la fuite et je cours encore! –Je suis bien vieux, mais que de sottises j'ai encore à voir!
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La seule qua)ité que je me connaisse est de n'avoir jamais envié, quand j'étais inconnu et pauvre, la fortune et les succès d'autrui. Chateaubriand me disait souvent « Je me suis toujours ennuyé. Toujours je lui répondais « C'est que vous ne vous êtes pas occupé des autres. » Sa femme, esprit fort singulier, s'écriait « Vous avez bien raison vous avez bien raison! »
t septembre )8~c). a Ah mon pauvre ami, quel beau livre que l'Évangile C'est le plus magnifique poëme qu'il soit possible à l'homme de lire. Aussi est-il le plus simple de tous tes poëmes. Lisez-le souvent, ce livre-là a été fait pour vous. H vous fera pardonner même à ceux qui depuis dix-huit cents ans en on fait un si détestable usage. »
« Ma chère enfant, tu vivras assez longtemps pour voir s'éteindre ma réputation. Pourquoi se faire toutes ces illusions ? Pauvres petits soleils de trois sous, nous brillons de quelques grains de poudre, l'instant d'après l'enveloppe est foulée aux pieds des passants « Parlez-moi de ceux qui se font un privilége de leur réputation pour arriver à tout. On les appelle des vaniteux non, ils ne sont que
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conséquents. C'est d'un sot d'avoir fait du bruit sans l'aimer; d'avoir marché dans le chemin des honneurs pour les repousser de s'être vendu au public sans en tirer une fortune. Mieux valait rester obscur et paisible dans son coin. Voilà près de vingt ans que je me dis cela. Aussi l'envie de rire me prend quand on me félicite du bonheur accordé à ma vieillesse. Ce que j'ai de bonheur, je ne le dois qu'à mon caractère et à ma santé, qui, malgré quelques atteintes, n'est pas aussi mauvaise que celle de beaucoup de gens de mon âge. « Hélas! ma verve estcomplétement tarie. C'était mon dernier plaisir, et j'espérais qu'il me serait fidèle jusqu'au dernier jour. Et mon pays si tristement ballotté par tant de petits hommes et de petites passions! n'est-ce pas là une grande douleur? Malgré tout, je conserve encore assez de résignation pour me .trouver un fonds de gaieté pour les autres. M Mt!t )8~[.–J'ai vu Lamartine, i) y a deux jours il a un rhumatisme c'est son mal habituel. Oh non, il en a un plus habituel et plus grand encore, c'est le besoin qu'il s'est fait d'un travail incessant, auquel je ne conçois pas que le pauvre homme suffise à son âge; car il a soixante ans (M. de Lamartine est né
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à Châlon le 21 octobre 1790), quoi qu'il dise. Qu'il vaut mieux avoir toujours vécu de peu, comme j'ai été réduit à le faire, que de tomber de si haut sur la chaise de paille de l'écrivain public, où cependant il produit encore de bien belles choses, même des choses plus naturelles peut-être que celles qui ont fondé sa gloire! « Ce que j'admire en lui aujourd'hui, c'est le courage; il en faut moins, selon moi, pour ré-' sister à la foute~aveugte et furieuse que pour faire le métier qu'il fait.
M Lamartine. Sa gêne est pour beaucoup dans ses souffrances. [) y a bien à le plaindre quand on voit l'abîme où il me semble s'enfoncer chaque jour davantage. Ma)gré sa gêne, bien plus pénible que les nôtres, je l'ai vu donner encore deux cents francs pour de pauvres orphelins dont il a pris la charge, et cela sans y mettre la moindre vanité car c'est bien par hasard que j'ai été le témoin de cet acte de bienfaisance, au moment où il partait-de vendre des objets qui lui sont chers pour suffire aux dépenses d'annonces pour son journal, qui ne me paraît pas aller aussi bien qu'il l'espérait. « Vous me parlez du Civilisateur, qui ne doit plus compter dans les espérances de Lamartine. L'Histoire de la Constituante sera, je crois,
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pour lui, d'un bénéfice plus certain. Mais ce ne sera qu'un radeau et non un port..Je suis toujours préoccupé de ce naufrage, qui m'afflige tant, et ne conçois pas que quelqu'un ne vienne pas tendre la main ài'homme qui se noie. H y y a bien de l'ingratitude dans notre pauvre espèce. Enfin! N
Parfois, quand il revient à la Muse, à son art, aux belles oeuvres qu'il a toujours aimées, il en parle à merveille, il en parle en maître
« Un plan bien conçu, c'est un grand chêne où viennent se nicher d'eux-mêmes tous les oiseaux de la contrée c'est-à-dire où les épisodes trouvent naturellement leur place. Les épisodes exigent aussi des compositions, et Virgite me parait à cet égard le plus heureux modèle. Pardonnez-moi de vous citer Homère et Virgile, à moi qui ne sais ni grec ni latin. « Le naturel est le chemin de f'idéat mais c'est l'art qui doit y passer, c'est-à-dire l'intelligence conduite par le goût.
« Savoir choisir, voilà le goût. Le beau dans l'art ne vient peut-être que du choix dans le vrai. v
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~M"
« Ce ne sont pas les bons vers que l'Académie couronne, mais les beaux vers, bien ronflants, bien travaillés, et dont la lecture peut produire de l'effet sur un auditoire amoureux des tirades ampoulées. Or vos vers ne sont pas de ceux-là. Vous visez à dire quelque chose, à Je dire le mieux possible et même le plus simplement du monde. Vous aurez donc toujours peu de chance à l'Institut. Au reste, l'Académie n'a pas trop de tort. Elle est dans la condition d'agir ainsi. Ce qu'ette devrait faire, ce serait de renoncer à ces malheureux prix il vaudrait mieux couronner, chaque année, le meilleur volume-de poésie publié, quel que fût le genre, hors pourtant les publications en patois, si grand qu'en fût le mérite, car l'Académie est fondée pour le maintien et l'extension de la langue française. C'est une des grandes idées de Richelieu. »
Toute cette dernière partie appartient au deuil, à la tristesse, aux regrets du temps présent, à la peur de l'avenir K Vous savez que les farouches de l'exil ont
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condamné à mort Hugo, Louis Blanc et même Ledru-Rollin la condamnation a, dit-on, été publiée. »
La mort de M. de Lamennais le frappa comme un coup de foudre il n'y pouvait pas croire! !l était malade, il sortit de son lit pour rendre à ce mort illustre et qu'il avait tant aimé les suprêmes devoirs. « Au milieu d'une lutte assez courte entreles hommes de police et !es jeunes gens qui avaient cru au droit d'exprimer des sentiments honorables, je. n'ai cessé d'être protégé et j'ai pu arriver à la fosse commune où a voulu être déposé l'auteur de l'Indifférence m maft'crt de re.ligion et de l'Esquisse d'une philosophie. « S'il n'est pas mort en chrétien, c'est qu'il ne l'a pas voulu car, bien qu'on ait dit, l'on a obéi à toutes ses volontés, la lucidité de son esprit ne l'a pas abandonné, et personne n'eOt pensé à lui désobéir. Jamais homme ne s'est vu mieux mourir jusqu'au dernier moment et ne s'en est montré plus satisfait, au dire des amis dévoués qui l'ont veillé jusqu'au dernier soupir. Quel Breton Sa nièce, qui est sa légataire universelle, femme très-dévote, n'a rien pu gagner surlui. »
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L'agonie et la mort de M"s ËmiHe Manin, que le grand peintre et le très-honnête homme Ary Scheffer (Ary Scheffer, difficile aux choix de ses modèles, a fait le portrait de Béranger) a portée précieusement dans le tombeau de sa propre mère, où luimême, et sitôt, il devait descendre après Manin., le père d'Emilie, fut une des grandes douleurs de notre poëte. H resta frappé d'épouvante au lit de mort de cette enfant de l'exil qui demandait la mort à grands cris, par pitié même pour son père 1 .4 M. Br~o/MMU.
« Cher ami, je vous écris le coeur navre. J'ai vu la pauvre malade dans un des accès qui se succèdent depuis cinquante jours. Quelle horrible souffrance Quelle qu'en soit la violence, la malheureuse fille conserve toute sa raison. H faut entendre les pardons qu'elle demande à cet excellent Manin, qui reste là muet, anéanti. Ce que je ne puis comprendre, c'est qu'en ses tortures e)!e demande, quoi? un accès d'épilepsie pour la soulager de son autre martyre qu'elle nomme magnétisme. Elle fait la description et t la distinction des deux maladies qu'elle s'obs-
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tine à ne pas confondre, sans toutefois nommer la dernière, dont le nom seul lui cause de l'effroi, et qu'elle prétend ne lui être venue que depuis quatre ans. Elle vous a entendu parler du sang, et veut qu'on ne lui dise plus que ce mot. C'est-)e sang, dit-elle. Elle la dépeint comme un réseau de cordes qui la serre dans tous les membres et la force, par de douloureuses contractions, à des mouvements involontaires qu'elle ne peut dominer. Elle montrait ses pauvres doigts recroquevillés, qu'il lui était impossible de ramener à la position naturelle. Que devait être tout son corps ? H me semblait voir une déviation de l'épine dorsale pendant qu'elle me parlait. »
A raconter les misères dont il est touché jusqu'au fond de l'âme, il arrive en ces moments funestes que le chansonnier devient un prosateur admirable, et que pas un philosophe n'écrirait mieux que lui! Quant à ses derniers sourires, ils sont rares il faut tes chercher dans quelques lettres pleines. de charme, adressées à son ami Perrotin, à sa femme, à sa fille, à toute cette maison qui est la sienne, où sont
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contenus dans un ordre excellent, et conservés avec un respect tout filial, les pauvres meubles qu'il a laissés. Il sourit aussi à une charmante enfant, M"" Béga, dont il aimait la grâce et la jeunesse.
« Tu t'ennuies, pauvre fille! J'en souffre pour toi, je t'assure mais, puisque tu te mets à travailler, l'ennui ne durera pas. Le travail, sous toutes les formes, est l'unique remède au mal que tu éprouves.
« Tu me trouves bon sache que, si je mérite cet éloge, je le dois à ce que de bonne heure aussi j'ai pris note de mes fautes pour m'en corriger d'abord, puis pour juger mes semblables avec indulgence. Continue donc à user de ce procédé que ton bon coeur t'a révélé, et tu croîtras en bonté comme en science. Il écrit aussi à M" Victor Hugo, à sa fille, au grand poëte, à ses deux fils, des lettres d'amitié et d'un accent tout paternel
« Mon amie, il faut veiller sur ce coeur malade 1 faut modérer son ardeur, cela dût-il nous priver de quelque chef-d'œuvre. Il en a
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fait assez pour sa gloire et celle de la France. Lamartine a été près de six semaines au lit, déchiré par d'affreuses douleurs rhumatismales. Le ciel nous en veut-il à ce point 'de s'en prendre à nos deux plus grands poëtes ? Mes prières ne montent donc pas jusqu'à lui Hélas! il y a longtemps que je m'en doute, pour beaucoup d'autres choses.
« Je vous dirai ce que vous savez sans doute déjà, c'est que l'auteur des deux beaux bustes de Hugo, David (David d'Angers) nous est rendu. !) était temps qu'il revît son atelier; il serait mort de consomption. Sculpteurs et peintres. ne sont pas aussi heureux que !e poëte, qui porte partout son cabinet de travail. Vous en savez quelque chose, et je voudrais .bien en savoir autant que vous. »
Un autre jour, il rencontre, errante au hasard de sa jeunesse et de sa beauté, une petite-fille du prince de Canino, son ancien protecteur, et le voi)à entourant la jeune dame et le bel esprit des soins les plus aimables et les plus empressés. Les lettres à Mme de Sotms respirent l'affection la plus sincère et la plusvive; elles abondent en bons conseils, en sérieux avertisse-
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ments; on voit que le poëte est heureux de payer sa dette à la petite-fille de son protecteur.
<~ Chère fougueuse, petit cheval emporté, et sans frein je jette au feu mes feuillets, je n'écrirai pas la Femme qui s'ennuie mon roman s'appellera la Femme qui s'agite. Tudieu comme vous y allez! La journée a donc quarante-huit heures pour vous ? Quel est ce feu qui vous dévore! Vous vous userez, chère enfant, prenez-y garde vous êtes trop répandue; vos amis vous mettront en terre si vous n'en sacrifiez pas la moitié. H y plus de gens à Paris qui vous écrivent et auxquels vous écrivez en un mois que je n'en reçois dans toute l'année, et cependant un de mes propriétaires m'adonné congé sous le prétexte que j'usais ses escaliers, tant il vient du monde chez moi. Jugez! 1 « Pourquoi, puisque vous traduisez des tragédies italiennes en vers français et que votre Myrrha a si bien réussi, ne vous attaquez-vous pas à Camma ? On dit que c'est fort beau. Vous avez dû voir fauteur, M. MontaneHi, chez Lamennais. H a beaucoup de talent. Voulezvous que je vous envoie la brochure de Camma, si on ne la trouve pas à Aix? Vous savez qu'il Il. 7
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a traduit M~e en italien, et que c'est meilleur, au dire des connaisseurs, que dans l'original je le crois sans peine.
« Moquez-vous de moi, chère belle, tant que vous voudrez, vous n'empêcherez que je ne sois noble comme le roi, et vous ne m'entèverez~ pas tous les droits que je possède à signer de Béranger. Je n'attache aucune importance à la particule qui précède mon nom, mais enfin elle m'appartient réettement.
« Restez toujours indépendante l'habit nefait pas le moine; vous n'avez aucune autre responsabilité que celle de vos actes laissez le monde, les journaux, les amis et les ennemis vous désigner comme ils.e voudront; vous ne pouvez pas vous amuser à écrire une lettre imprimée tous les matins pour prier les contemporains de cesser de vous qualifier, afin de plaire à-quelques personnes de mauvaise volonté qui.ne veulent pas comprendre que vous n'êtes pour rien dans cet excès de zèle. Quant à moi, qu'on m'appelle Béranger ou de-Béranger, M. le chevalier de Béranger. même, que m'importe Je rougirais, pour flatter quelquesuns de mes amis, de déclarer que ce de ne m'appartient pas, mais aussi je ne me suis jamais amusé à m'en vanter. Sur ce, chère fée,
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que cette grave question ne vous agite plus vous êtes la princesse Esprit, la reine Beauté, la comtesse Enjouement, et vous n'avez pas de plus fervent admirateur et courtisan que votre vieil ami.
KLemarquisDEBÉRANGER.
« Ca sonne bien, n'est-ce pas?
K Aimez-vous mieux
« BÉRANGER,
a Ouvrier en rimes.
« C'est crâne, n'est-ce pas ? Choisi:'sez. » Cher sourire Hélas t il riait si bien dans
ses beaux jours il était si content de la vie! il était si fier de ne lui avoir .demandé que les biens qu'elle peut contenir! Le jour où son tncogn;fo (dans la Closerie des Lilas) fut trahi par l'enthousiasme et l'admiration de ces jeunes .filles qui se jetaient, pleurantes et riantes, dans les bras de leur père Béranger, fut un de ses beaux jours Il s'en souvenait avec joie, avec orgueil! « Mon fils, disait-il à un docteur en herbe, et en fleur, je ne; suis pas fâché de mon eséapade à votre Closerie.
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« Nouveau venu dans le quartier latin, séparé par plus d'un demi-siècle d'âge des habitués de la Closerie des Lila;, j'étais loin de penser, je vous l'assure, monsieur, que là m'attendait un de ces rayons de bonheur qui descendent si rarement sur une tête chauve. Je n'en garderai qu'un souvenir plus reconnaissant pendant le peu de jours qui me sont encore réserves. Ditesle bien, je vous prie, à tous ceux qui ont procuré ce moment de fête au vieux chansonnier contemporain de leurs grands-pères; et moi, monsieur, à ceux de mes amis qui n'ont pas été témoins de ma vive émotion, je montrerai votre très-jolie chanson. Elle leur expliquera d'une manière bien flatteuse pour moi quels sentiments ma présence a éveillés au coeur d'une jeunesse à qui je n'osais demander que la permission de ressaisir l'image d'un passé si loin Je moi aujourd'hui, qu'il commence à s'effacer de ma mémoire affaiblie. a
Nous .finirons (bien à regret) par ces deux morceaux d'une prose accorte et )uvéni)e, de l'accent même de JeanJacques, avec plus de bonhomie et de naturel
a J'aurais été vous voir hier, ma chère ma-
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dame, mais Minette m'a fait des siennes elle a disparu depuis jeudi et n'est pas encore rentrée. Judith est au désespoir et moi je n'ai pu dormir cette nuit. Si elle reparaît demain, je serai chez vous avant midi; dans le cas contraire, pardonnez-moi mais j'aime cette bête si elle devait ne plus revenir, nous ne nous en consolerions pas elle fait partie de ma famille. n Je rouvre ma lettre pour vous dire que Minette est de retour au logis. Pauvre bête il paraît que c'est un caprice pour certain matou du voisinage qui l'a retenue si longtemps. » Vous rappelez-vous cette fontaine Aréthuse dont tes poëtes anciens ont parlé avec tant de piété filiale et-vous rappelez-vous comme ils en ont parlé? « Une belle et claire source qui roule de petits flots argentés parmi les cailloux du rivage, avec un murmure agréable et charmant. » Pour nous, Béranger est la fontaine Aréthuse Il en a le calme et la douceur, le murmure et la clarté. Il allait ainsi doucement, paisiblement à sa dernière heure, entre l'obligeance et la pauvreté
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Parfois même, au milieu des tristesses. qui ont assombri ses derniers jours, le poëte .avait des retours sur lui-même, et d'une voix débile, intelligente et claire~ il chantait. il chantait justement ses derniers jours
Paris m'a crié Reviens vite!
Sachons si ta voix a faibli.
Cesse au loin de vivre en ermite Reviens chanter, ou crains l'oubli.
J'ai répondu: Dans ta mémoire,
Paris, laisse mon nom périr.
En vain ton soleil fait mûrir
Grandeur, plaisir, richesse et gloire, Ici,)'échomedittoutbas:
Ne t'en va pas. (Bis.)
Arbres et flots, oiseaux et roses,
Oui, je vous crois, adieu, Paris.
Je m'amuse aux plus simples choses Quand je pense à Dieu, je souris.
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Que me faut-il? Un peu d'ombrage,
Quelques pauvrés pour me bénir,
Et, pour le long somme à venir,
Le cimetière du village.
Aussi.t'echo redit tout bas:
Ne t'en va pas. (Bis.)
Un autre ami lui demandait, les mains jointes, ce qu'il pouvait faire en ces solitudes, s'il n'était pas fatigué d'y vivre et s'il ne reviendrait pas bientôt les rejoindre; et pour s'abstenir de répondre, il répond à cet ami par une aimable chanson
Avec Dieu bien souvent je cause; ttm'écoute, et, dans sa bonté,
Me répond toujours quelque chose Qui toujours me rend la gahé.
Plus d'amour dans l'hiver de l'âge, Mon coeur en vains soupirs se fond; C'est le poisson qui toujours nage Sous les glaces d'un lac profond. Pour, tes chants sérieux ou lestes, Crains l'oubli, m'a-t-on répète Travaille et prépare à tes restes Un parfum d'immortalité.
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Mais je n'ai plus goût à l'éloge,
P)us de goût pour rien chansonner;
S'i)faitencormarcher!'hor!oge,
Le Temps ne la fait plus sonner.
Ce qui l'avait surtout ramené à son point de départ, c'était le besoin de revoir une famille qu'il s'était faite. !) avait trouvé pour l'aimer, pour le défendre, et pour l'entourer lui et ses œuvres de tous les respects mérités, un très-habile libraire et très-honnête homme, appelé M. Perrotin. C'est à M. Perrotin que nous devons ces belles et nombreuses éditions des chansons de Béranger, et ce beau livre, embelli par toutes'les-ressources du dessin, de la gravure et de tous les arts. C'est à Perrotin son libraire, et mieux que son fils, que Béranger aura dû le calme et le repos de ses derniers jours. Ils avaient souffert pour la même cause ils avaient les mêmes pensées, une grande communauté d'opinions, et tout de suite il y eut entre eux une alliance heureuse, une bienveillance infinie une émulation sincère à celui qui rendrait à l'autre, avec plus de grâce et de bonté, les
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plus intelligents et les plus grands services. Il y eut entre eux deux la tendresse du père pour le fils,. le dévouement du fils pour de père. Le temps, l'habitude et le succès n'avaient fait que resserrer entre le poëte et son libraire les liens d'une amitié si ferme, et Béranger, qui n'acceptait aucun joug, pas même le joug de l'amitié, avait fini par s'abandonner entièrement à la tendresse; à la prévoyance de l'homme excellent qui devait lui fermer les yeux, et qu'il nommait déjà tout bas son légataire universel. Désormais donc il savait quels braves gens il devait trouver à son lit de mort, les mains pieuses qui devaient lui fermer les yeux. Il ne disait pas, comme avait dit M. de Chateaubriand dans un barbarisme ingrat Je baille ma vie! Il disait volontiers Je suis prêt, mon tour arrive, il faut partir. Ce refrain de son discours, ce P. S. de ses lettres intimes, avait été le refrain de ses chansons. En même temps, il comptait tous les amis qui étaient partis avant lui il en savait le nombre, il redisait leurs noms, il en contemplait lesimages, qui étaient le seul
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ornement de son humble logis. Il revenait de toutes ses forces à ses beaux jours d'espérance et d'inspiration. Comme il était encore un grand marcheur, et que'Ia promenade était son plus vif plaisir, chaque matin, après sa toilette et son déjeuner bien modeste, si la nuit avait été bonne et si l'heure était clémente, il reprenait le cours de sa promenade; il marchait d'un bon pas, et toujours il savait où il voulait aller. Donc ses amis, et même les gens qui n'étaient pas ses familiers, mais qu'il honorait de ses bontés, le voyaient arriver inévitablement, s'ils avaient une peine, un deuil, une naissance, une joie à lui conter. Étiez-vous malade, il arrivait, et vous réconfortait par sa présence et par ses discours. Il avait toujours à vous donner un bon conseil il savait parfois mieux que voùs vos propres affaires il s'occupait surtout de la pauvreté des gens de lettres, et de la prodigalité de celui-ci, de l'imprévoyance de celuilà. Il partageait volontiers' et vivement les espérances et les inquiétudes de ceux qu'il aimait, encourageant, consolant; puis, tout
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d'un coup, il vous quittait pour aller à quelque affliction qu'il avait apprise hier ou ce matin et celui-là qui t'eût vu, cet inconnu cheminant vers la Bastille pour gagner le Jardin des Plantes, longeant les boulevards pour gagner tes bords du canal Saint-Martin, ou, quand le ciel était mouillé, s'abritant sous les galeries du Palais-Royal, 1, aurait eu peine à deviner, en ce simple bonhomme, un des hommes les plus considérables, les plus aimés, les plus honorés, les plus heureux de cette nation, un de ces grands esprits tels qu'il en faut aux grands Etats, un homme dont ta voix était acceptée, et qui d'un mot pouvait vous glori'fier ou vous abattre.
Cet inconnu dans la foute, il pouvait frapper aux portes les plus hautes, et ces portes se seraient ouvertes. Il était le roi de l'opinion publique et l'ami des honnêtes gens. Ceux qui le. connaissaient s'arrêtaient souvent pour le saluer de l'âme et du cceur; et s'il rencontrait une foule, aussitôt la foule, émue et pénétrée, arrêtait sur cet ami du peuple un doux regard d'admira-
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tion, et de respect. Ainsi, tant qu'il a pu marcher dans la rue ou dans la campagne, il s'en allait rêvant,"et parfois arrangeant et composant encore dans sa tête féconde et laborieuse un de ces petits drames qu'H disposait avec tant de génie et tant de goût. Mais, .disait-il un soir, ce sont des chansons que je me raconte à moimême, car je n'ai pas le courage de les écrire. Il écrivit cependant ses adieux à cette patrie qui lui avait témoigné tant de confiance, à ce Paris, !a grande cité dans laquelle il était revenu pour y mourir
France, je meurs; je meurs, tout me l'annonce Mère adorée, adieu. Que ton saint nom Soit le dernier que ma'bouche prononce. Demi couche je me vois dans la tombe. Ah! viens en aide à tous ceux que j'aimajs. Tu )e dois, France, à la pauvre cotombe Qui dans ton champ ne butina jamais. Pour qu'à tes fils arrive ma prière,
Lorsque déjà j'entends la voix de Dieu, De mon tombeau j'ai soutenu la pierre Mon bras se lasse; elle retombe. Adieu
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Au mois de septembre t8~6, il perdit sa fidèle compagne M"~ Judith Frère fut prise du mal qui l'emporta. Il entoura sa vieille amie de tous les soins imaginables; il ne quitta pas sa chère malade un seul instant; il la servit la nuit et le jour, pendant dix mois, et, quand elle s'éteignit en le bénissant, il se trouva si faible et si fatigué, que ce fut tout au plus s'it put se traîner jusqu'à t'égtise. On le ramena chez lui très-malade. « Hélas! disait-il à M. Antier, son plus vieux et son plus fidèle ami (ils habitaient dans la même maison de la rue de Vendôme), tu as Msn fait de me ramener, je n'ai pas la force d'aller plus loin. Mon heure est venue avant six mois je serai mort. » Il disait cela d'une voix très-calme, et, comme il vit que ses amis l'écoutaient avec terreur, il cessa de le dire, afin de ne pas affliger ses amis. Véritablement sa maladie était mortelle il se mourait de la maladie de Balzac et de Frédéric Soulié. il était atteint d'une hypertrophie au foie et au cœur. Il le savait, et, par une immense ironie, il interrogeait les
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médecins de l'air le plus naïf. « Ils savent bien ce que j'ai, disait-il à M. Antier, qui ne le quittait pas, mais je le sais aussi bien qu'eux. » Puis, comme il les voyait trèsattentifs à son mal « Allons, disait-il, guérissez-moi si vous pouvez, je le veux bien. et pourtant la belle machine à réparer, un vieux bonhomme de soixantedix-sept ans, qui n'est plus bon à rien en ce monde! Et surtout, mes amis (c'était son vœu), empêchez-moi de souffrir. » Tant ses douleurs étaient vives et supérieures même à sa patience
Il n'avait jamais été ce qu'on appelle un homme bien portant;, son enfance avait été malingre, et, dès sa première jeunesse, il était sujet à de violentes migraines. Son âge mûr fut signalé par de graves maladies; il s'était tiré d'affaire à force de tempérance et d'attention sur lui-même car ce grand inspiré du vin de Champagne et du vin de Chambertin n'en buvait guère. « Sauver mon sucre et mon café, » disaitil il n'eût jamais dit « Sauver mon vin de Bourgogne où mon vin de Bordeaux. »
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!l était la modération même; sa grande orgie se composait surtout d'abondance. Il ne croyait pas à la médecine, et cependant il eut pour ses médecins les plus grands médecins du monde Antoine Dubois, qu'il appelait son ami; M. Chomel; le docteur Bretonneau; et, dans sa dernière et cruelle maladie, avec le docteur Charles Bernard, qu'il appelait son fils, le célèbre docteur Trousseau, une volonté ferme, une intelligence élevée, un noble esprit, fait pour comprendre les soins, le zèle et les respects mérités par certains hommes d'une espèce à part, dont la vie est une gloire nationale et la mort une calamité publique. Il mourut comme il avait fait toute chose; avec courage et simplement. !) souriait, il se plaignait, il se taisait. Il avait la fièvre, il dormait peu, il dormait mal. Bientôt ses nuits devinrent un long supplice il ne se calmait un peu que sur le midi alors on le voyait revivre. Il se faisait descendre, au soleil de mai, dans le petit jardin de la maison là, ses amis venaient le voir; il les recevait à merveille
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il aimait à les entendre, il s'efforçait de leur parler; puis, quand le soleil et ses amis étaient partis, il fallait le remonter péniblement à son quatrième étage, et ce quatrième étage à franchir était une de ses tortures. Il y avait déjà plus de dix ans (on ne le sut qu'à ses derniers jours) qu'un escalier à monter était, pour ce brave homme au cœur malade, une tâche horrible, et cette nécessité de sa pauvreté, et de tant de misères dont il était l'espérance et la consolation, qui le forçait à gravir des hauteurs mortelles, nous force une dernière fois à nous arrêter sur la vertueuse obstination de ce noble et courageux vieillard, qui veut vivre uniquement du peu qu'il a gagné par son génie, et qui n'a pas songé un seul jour à rien accepter de personne, après avoir donné lui-même à tant de malheurs tout ce qu'il pouvait retrancher à son pain de chaque jour. C'était là tout son orgueil vivre à son compte; et, content de sa pauvreté, il disait, comme Jean-Jacques Rousseau à lord Marécha) « Sachez, mon cher ami, que je n'ai'pas besoin de ce qui
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me manque. » Pour conserver cette austère indépendance, Béranger avait été de trèsbonne heure le ménager le plus attentif et le plus sévère pour lui-même. I) s'était adonné à toutes les économies, même impossibles il rêvait au phalanstère; il avait essayé de la maison de santé, de la pension bourgeoise il s'en faut de très-peu, qu'il n'ait voulu tâter de l'hôpital. Nous lui disions un jour « Savez-vous que nous avons vu, tout à l'heure, un poëte de vos amis dans un hospice admirable ![ habite une chambre au soleil, au milieu d'un jardin, une chambre historique et mortuaire, où sont morts déjà plusieurs écrivains et plusieurs artistes M. Soulié, conservateur à la bibliothèque de l'Arsenal, et M. Urhan, l'alto de l'Opéra, qui, au .milieu de cet orchestre enchanté, n'avait jamais regardé une danseuse. Bon répondit Béranger, donnez-moi l'adresse de ce bel h6pita), ça peut servir. » Et il écrivit « MemM;o Les .frères hospitaliers de la rue Plumet. » Béranger était, un .matin, chez M.'le maréchal Sébastiani, qu'il aimait en sou-
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venir de ses beaux jours. Le maréchal était très-riche et très-vieux. Sur sa table on pouvait voir un portefeuille tout rempli de 'fortune « Mon ami, mon poëte, dit-il à Béranger (c'est le maréchal lui-même qui a raconté cette histoire), peu d'hommes ici-bas m'ont autant charmé et consolé que vous. Là, voyons, que je m'acquitte une fois pour toutes. Vous êtes pauvre, et nous sommes seuls j'ai tant de rentes en majorats, tant de rentes en pensions, tant de manoirs, de fermes, d'h6te)s, et puis, dans ce portefeuille, des bons du 7'rMor~ des canaux, des billets,de banque, mille va)eurs. Prenez, je vous prie, un de ces papiers que voilà. Mon portefeuille en serat-il moins garni? Vous, cependant, vous aurez un peu d'aisance, et j'en serai tout ° heureux. !) .allait continuer sur ce ton mais Béranger « Monsieur le maréchal, lui dit'-il en se levant, il est écrit « Ne <t nous laissez pas succomber à ia tenta« tion. » Il est écrit aussi x Délivrez<.< nous du mal, » reprit [e maréchal. Mais le poëte était bien loin, et oncques le ma-
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réchat ne te revit, qu'au jour de sa peine etdesondeuil(!).
I) a cependant des gens, des hommes dévots, qui ont parlé de l'avarice et des pensions de Béranger! Ces tristes violences indignaient les amis du poëte, mais lui-même il ne s'en inquiétait guère. Il était de l'avis de son bon frère La Fontaine
Anacréon et les gens de sa sorte,
Comme Waller, Saint-Évremond et moi, Ne se feront jamais mettre à la porte;
Qui n'admettrait Anacréon chez soi ?
Qui bannirait Waller et La Fontaine?
Et Béranger, pour compléter la chanson, ajoutait ces deux vers
Qui bannirait Waller et La Fontaine?
Qui n'admettrait un Béranger chez soi ?
Cependant Béranger se mourait; il avait beau cacher sa mort comme il avait caché (t) M Je vous ferai dix mille livres de rentes, disait un ministre à Béranger. Je le veux bien, mais où diable les prendrez-vous? » répondit-il.
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sa vie, il y eut un jour où cette terrible nouvelle devint un événement public, et soudain la ville entière entra en grand souci de la santé de son poëte. On vit accourir, de toutes'.parts, autour de la maison funèbre, une foule attentive, émue et toute en deuil. On s'interrogeait du regard; chaque matin il fallait donner le bulletin de cette~chère et précieuse santé. A son lit de mort étaient accourus les disciples de ses belles années, les amis anciens ou nouveaux de sa vieillesse M. Villemain, M. Mignet, M. Henri Martin, M. Lebrun son ami, son camarade, et enfin M. l'abbé Jousselin, l'ancien curé de Passy et maintenant curé de Sainte-Élisabeth, dont Béranger était devenu le paroissien pour la seconde fois. Il les encourageait, il les consolait, il leur disait adieu. Surtout, dans .ces'visites suprêmes, qu'il recevaif volontiers, aussitôt qu'il pouvait entendre bu qu'il pouvait parler, car souvent il revenait d'un accablement passager à une grande liberté d'esprit, il fut touché des visites assidues et de L'accent de M. Thiers; il l'a-
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vait connu jeune homme, et tout de suite il t'avait adopté dans cette illustre maison de M. Jacques Laffitte, où Béranger était un oracle! Il aimait l'esprit de M. Thiers, il aimait son discours, il admirait cette ingénieuse repartie et ce talent prime-sautier avec lesquels son propre talent avait une certaine analogie. Aussi bien, l'un et l'autre ils étaient des libéraux d'ancienne daté ils avaient eu les mêmes amitiés, ils avaient partagé les mêmes rancunes, ils avaient assisté aux mêmes funérailles, ils avaient aimé, de la même passion, les saines libertés de la parole, ils avaient adopté le même héros, l'Empereur, qui reste à la fois l'Empereur de M. Thiers et l'Empereur *r de Béranger ils lui reprochaient les mêmes fautes, et, dévoués à sa gloire, ils le châtiaient de la même sentence, au nom même de la liberté.
Et lorsque l'un et l'autre, à ce lit de mort, Béranger et M. Thiers, se rencontraient dans une fortune et dans une œuvre si différentes, ces deux hommes 'ne pouvaient guère ne pas s'embrasser étroite-
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ment au moment des adieux suprêmes, comme deux'frères qui se,reconnaissent à certains signes de la même famille. Au de.meurant, l'histoire a toujours aimé et favorisé ces dernières entrevues des grands poëtes et des grands artistes. Elle se plaît à ces adieux solennels; elle est contente des paroles suprêmes que se disent l'un à l'autre deux grands esprits qui ne doivent plus se revoir elle prend sa part de leur douleur, elle en tire des leçons, des conseils, des espérances. « Eh bien, disait Béranger- à M. Thiers, vous voilà délivré de la politique, et vous appartenez tout entier à ce beau livre, l'Histoire du Consulat .et de l'Empire, où j'ai rencontré tant de mes propres sentiments! »
En même temps il tendait la main à M. Thiers, qui la prenait dans ses deux mains, pleines de pitié et de respect! Ils se sont vus plusieurs fois l'un et l'autre, et le dernier jour, quand il fallut se séparer, quand Béranger prit congé de M. Lebrun, de M. Mignet, de M. Villemain, de
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M. Cousin et de M. Thiers, ses yeux se remplirent de larmes
« Adieu, mes amis, disait-il, adieu-! Vivez et vous aurez même ici-bas un monde meilleur; c'est la volonté de Dieu que les hommes cessent de tant souffrir. /~y Mf obligé. »
Puis, après un moment de réflexion « Obligé est le mot, dit-il à ses amis, attentifs aux dernières émotions de ce grand cœur. Jusqu'à la fin, il fut entouré de ses amis, MM. Antier, Chevalier, Thomas, Borie, et de son ami, disons mieux, de son fils Perrotin, qui se disputaient l'honneur de veiller sur les nuits dernières du poëte agonisant. Du2)au2C)juin,partes-ptusfortes chaleurs de. cette cruelle année, il se débattit contre ce mal implacable. Au premier juillet, le.soleil s'étant calmé, il eut
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quelque relâche.. On crut qu'il allait expirer le [~, le jour anniversaire de la prise de la Bastille. Il expira deux jours plus tard, le 16 juillet [8~7, à quatre heures trente-cinq minutes du soir. A peine mort, cette noble tête intelligente prit soudain, disait un témoin oculaire, un caractère de la plus grande beauté
Et le lendemain, à travers cette ville en deuil, son cercueil, escorté par une armée entière, fut porté en grande pompe au tombeau de Manuel. S'il eût fallu pour ce tombeau une .inscription empruntée à quelque grand poëte, on l'eût trouvée toute faite dans les chansons de Béranger On parlera de sa gloire
Dans le peuple bien longtemps.
FIN DU SECOND VOLUME.
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Paris, impr.JouAUST, rue Saint-Honoré, ;}