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LE
CARDINAL DE RETZ
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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR.
L'Europe et les Bourbons sous Louis XIV.
— Ouvrage couronné par l'Académie française ( prix Thiers), 2e édition. 1 volume in 12 3 fr. 50.
L'homme au masque de fer. — Ouvrage couronné par l'Académie française (prix d'histoire), 4e édition, 1 vol. in 12 3 fr. 50.
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LE
CARDINAL DE RETZ
SON GENIE ET SES ÉCRITS
PAR
MARIUS TOPIN
Ouvrage qui a obtenu le prix d'éloquence de l'Académie française.
TROISIÈME EDITION
PARIS
LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
DIDIER ET Ce LIBRAIRES-ÉDITEURS
35, QUAI DES AUGUSTINS 35,
1872
Tous droits réservés.
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Voilà huit ans que, pour la première fois, j'ai présenté au public cette étude sur le cardinal de Retz, parée de la précieuse distinction que l'Académie française venait de lui accorder. La bienveillance, avec laquelle ce petit livre a été accueilli, rend aujourd'hui nécessaire une troisième édition. Cette bienveillance est assurément le résultat de la haute recommandation de ce corps illustre. Mais elle est due aussi à l'intérêt persistant qu'inspire tout ce qui touche à ce grand, à cet immortel con-
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6 AVANT-PROPOS.
spirateur que son goût si vif pour l'opposition
rend nécessairement populaire dans notre
France frondeuse, dont les aventures romanesques seraient attrayantes, même si elles
n'étaient qu'oeuvre d'imagination, et qui, après avoir agité son siècle par ses intrigues, pénétrera, grâce au récit qu'il en a fait, jusqu'à la postérité la plus reculée. Ce maître en l'art de conspirer, ce peintre vigoureux et animé « qui rend séditieux par contagion », cet écrivain de génie qui, dans la retraite, a le don des grandes vues, lui qui, dans l'action, n'avait guère suivi que les voies étroites et tortueuses, ce précurseur et cet émule de Saint-Simon, intéressera toujours dans le pays du beau langage, de l'esprit et de l'opposition.
Ce n'est pas qu'on puisse découvrir la moindre ressemblance entre les agitations de
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AVANT-PROPOS. 7
son époque, et celles qui troublent la nôtre. Alors au moins tout ce qui mérite le respect, tout ce qui sert de base indispensable à la société était laissé hors du débat. Aujourd'hui hélas ! le cardinal de Retz répudierait tous ceux qui conspirent et ne se reconnaîtrait en aucun d'eux. Ses tristes successeurs diffèrent de lui moins encore parce qu'ils frappent ce qu'il a constamment respecté, que parce qu'ils sont assurément incapables de laisser après eux un immortel tableau de leurs passions et de leurs actes, et, comme Retz, d'intéresser le lecteur à leurs fautes en les racontant.
MARIUS TOPIN. Paris, 4 août 1871.
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CARDINAL DE RETZ
ÉTUDE
SUR SON GÉNIE ET SES ÉCRITS
" L'envie de parler du nous, et de faire " voir nos défauts du côté que nous vou« lons bien les montrer, fait une grande « partie de notre sincérité. "
(LA ROCHEFOUCAULD. — Maxime 383.)
Le nom du cardinal de Retz éveille dans l'esprit des idées bien diverses. D'un côté apparaissent les conspirations et les duels qui remplissent sa jeunesse, ses intrigues souterraines, ses combats au grand jour, ses amours, sa prison, ses romanesques tentatives d'éva-
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sion, les innombrables dangers qu'il a courus, son départ de Nantes, ses courses dans l'étranger et sa retraite éclatante, et il ressemble en quelque sorte à un héros d'imagination. De l'autre, on se rappelle l'influence qu'il a un moment exercée sur les hommes et les choses de son temps, le rôle important qu'il a joué dans une des époques les plus agitées de nos annales et par lequel il appartient à l'histoire. Enfin on se garde d'oublier le récit de cette vie, qui tient en même temps de l'histoire par la réalité des personnages et la tragique gravité des événements, et du roman par l'audace des projets et la singularité des aventures. Mais, en considérant ici les principaux actes de l'homme, les vrais ressorts de sa conduite, son inquiète vanité, l'incohérence de ses desseins, tantôt la violence, tantôt le ridicule des moyens, l'entière inutilité de tant de bruit et de mouvement ; là, l'incontestable talent de l'auteur, le rare intérêt des récits,
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l'infinie variété des tableaux, une profonde connaissance du coeur humain et l'entraînante vivacité du langage, on ne peut s'étonner que, devant la postérité, le titre principal de Retz soit celui de grand écrivain. Cette célébrité, but avoué de toute sa vie, qu'il a ambitionnée dès son plus jeune âge, et qu'il a poursuivie pendant de longues années, il l'a surtout trouvée en racontant cette vie même, et, après avoir assez vécu pour voir anéantir ses espérances, sa popularité, et son éphémère réputation de frondeur, il a élevé, d'un seul coup, un magnifique monument qui le place parmi les plus admirables narrateurs de notre langue.
Mais cette gloire posthume, dont il ne lui a pas été donné de jouir lui-même, il ne l'a point obtenue sans une juste et dure compensation. Jouant le premier rôle dans son récit, il occupe la scène presque constamment, et, quand il la quitte, on l'aperçoit, on l'entend encore dans
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les coulisses souffler le rôle des acteurs. Or, s'il excelle à nous montrer la pièce, il ne parvient pas à l'ennoblir. Il nous la montre telle qu'elle est, hélas ! et cette exactitude, cette vérité d'observation, en nous faisant admirer l'écrivain, nous font condamner l'homme. L'un y perd ce que l'autre y gagne, et, si nous sommes tout d'abord entraînés par le charme de son récit, un moment de réflexion suffit pour nous ramener au blâme de sa conduite. Ce n'est pas qu'il ne tienne à se justifier. S'il est impitoyable pour les fautes d'autrui, s'il se plaît à nous montrer les mobiles secrets et peu louables de chacun des acteurs de la Fronde, il sait, avec la même habileté, trouver à la plupart de ses actes une heureuse et toujours nouvelle explication. Il s'avoue quelquefois coupable, mais pour avoir le droit de s'excuser le plus souvent, et sa sincérité apparente est d'autant plus dangereuse, qu'elle dissimule plus adroitement l'intention de nous abuser.
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C'est là que se trouve un des plus puissants attraits de ses Mémoires. Ces efforts de tous les instants, que fait l'auteur pour se dérober à notre juste sévérité, surprennent d'abord le lecteur, mais, à une seconde lecture, ne peuvent pas lui échapper. Alors commence pour lui l'étude la plus intéressante. Il se donne le plaisir difficile, mais délicat, de poursuivre l'habile frondeur à travers les dédales les plus inextricables de l'intrigue. Il se rend compte de chacun des pas faits en avant, faits en arrière ; il se réjouit de découvrir ce qu'un talent inouï lui avait d'abord dissimulé; une réflexion, un mot, un silence même sont pour lui, dans cette poursuite piquante, des indices révélateurs; il saisit le coupable dans les arrangements étudiés d'une phrase ; de simple lecteur il devient juge sévère, sèvère mais ravi, car il ne peut s'empêcher d'admirer encore celui qui a voulu
le tromper. Les séductions de l'art le plus
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fin, réunies au charme incomparable de l'histoire, tel est, en effet, le secret du succès des Mémoires du cardinal de Retz.
C'est ce que je vais essayer de montrer, en suivant le cardinal de. Retz lui-même dans son récit, en signalant ses aveux, et en me contentant de distinguer dans les témoignages ceux qu'il donnera, de ceux, bien moins suspects, qu'il laissera échapper. Faudra-t-il indiquer les sympathies de celui que nous avons à étudier, ses goûts, son caractère, une oeuvre de sa jeunesse, quelque étrangère à luimême qu'elle paraisse tout d'abord, nous les exposera. Faudra-t-il examiner sa vie tout entière, il va nous la retracer dans ses Mémoires, ce qui est déjà intéressant, et de plus tâcher de la justifier, ce qui doublera l'intérêt. Mais ne cherchons pas Retz ailleurs. Ce serait courir risque de mal le connaître et quitter le plus aimable des conteurs. Il s'étalera avec complaisance devant nous, nous dira lui-même,
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et, le plus souvent, malgré lui, ce qu'il est. Il est vrai qu'il ne soulèvera spontanément qu'une seule partie du voile qui le couvre, mais ce voile est d'une si admirable transparence, qu'à travers ses tissus, quelque habilement qu'ils soient formés, nous apercevrons sans trop de peine celui qui s'y cache.
Et comment pourrait-il ne pas en être ainsi? Lorsque, après une longue suite d'agitations et d'intrigues, le redoutable adversaire de Mazarin, vaincu plutôt que changé par les événements, alla, moins par lassitude que par nécessité, se retirer à Commercy, pouvait-il oublier ce passé qui, à ses yeux, faisait toute sa gloire, et, tel que nous le connaissons, ne devait-il pas s'y replonger tout entier par la pensée, et redemander à son imagination complaisante le retour de scènes perdues à jamais pour lui ? Que de fois n'a-t-il pas dû, dans ces longues heures d'isolement et de repos succédant tout à coup au mouvement et au bruit,
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évoquer de séduisants souvenirs, se transporter à Paris dans l'émeute, au parlement, au milieu du feu et du tumulte, et, rajeunissant de dix années, se retrouver encore le coadjuteur des barricades ! L'imagination offre souvent ces suprêmes et chères consolations. Et si Retz se plaisait dans le souvenir de ce passé, comment n'aurait-il pas trouvé le plus grand charme à le raconter? Exposer ses manoeuvres et ses intrigues, n'était-ce pas pour lui les continuer? N'était-ce pas pour lui recommencer ses harangues au carrefour, ses sermons dans l'église, ses luttes, ses attaques et ses dangers ? Retz, en écrivant ses Mémoires, obéit bien moins à une intention froidement calculée qu'à un entraînement irrésistible. Pendant les quelques années qui avaient suivi sa retraite, il était mort ; il est ressuscité dans son oeuvre et s'y est mis tout entier. C'est ce qui constitue sa véritable origi-
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nalité. Elle n'est point telle cependant que, par certains côtés, il ne se rapproche pas des plus célèbres auteurs de Mémoires, mais toujours en demeurant lui-même. Il saura, comme Saint-Simon, observer et analyser le coeur de l'homme, et il nous le fera connaître dans ses moindres replis, mais ce sera surtout en considérant le sien. Il saura, comme La Rochefoucauld et les autres frondeurs, trouver, en passant, des excuses à ses fautes, mais nous le verrons prendre un tel plaisir à nous entraîner à sa suite dans le développement de ses intrigues, que nous nous demanderons s'il n'aime pas mieux encore les reproduire et les expliquer que les justifier. Il saura toucher à tous les événements qu'il aura traversés et nous donner à propos de la Fronde d'intéressants et de profonds aperçus politiques, mais subsidiairement, en quelque sorte. Nous verrons passer dans son immense galerie bien des hommes avec leurs ridicules
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et leurs faiblesses, leurs ambitieux projets, leurs tristes mobiles et leurs fins singulières, mais nous verrons surtout un homme.
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PREMIERE PARTIE L'HOMME
I
Après avoir écrit une Vie de César, que nous connaissons seulement par les courtes paroles que Retz lui consacre dans ses Mémoires, et qui dut fortifier son ambition naissante dans le commerce de ce grand ambitieux, dont il ne craignit pas de se rapprocher en quelques rencontres (1), Gondi s'oc(1)
s'oc(1) jour que M. de Morangis le blâmait sur ses énormes dépenses, « J'ai bien supputé », répondit de Retz, « César à mon âge devait six fois plus que moi. »
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cupa d'un personnage qui avait enflammé son imagination par ses brillantes qualités, le retentissement qu'avait eu son nom depuis moins d'un siècle, le but extraordinaire qu'il s'était donné, la manière audacieuse dont il l'avait poursuivi, et sa mort étrange au milieu même de son triomphe, qui se changea ainsi en un irréparable désastre.
Déjà, trois ans auparavant (1), l'Italien Mascardi avait raconté la vie du comte JeanLouis de Fiesque et la conjuration formée par lui, en 1547, contre les Doria et le gouvernement de Gênes. Le jeune Retz (2) s'est-il contenté de traduire le récit de Mascardi, ou bien l'a-t-il paraphrasé et développé à sa guise ? C'est ce qui n'a pas encore été déterminé d'une manière complète et ce qu'il n'est pas sans intérêt de connaître pour mesurer la por(1)
por(1) 1629. « La Congiura del conte Gio-Luigi de « Fieschi, descritta da Agostino Mascardi. »
(2) Il était âgé de dix-huit ans, en 1632
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SON GÉNIE ET SES ÉCRITS 21
tée de l'écrit du futur coadjuteur. Dans le premier cas, en effet, il n'y aurait de significatif que le choix du sujet. Dans le second, les changements apportés à l'oeuvre première, ici une réflexion ajoutée, là un discours retranché, ailleurs un jugement réformé ou un fait présenté sous un jour nouveau, indiqueraient, par les pensées de l'écrivain, les tendances de l'homme.
Retz a choisi évidemment Mascardi pour guide : c'est, dans les deux récits, le même plan général et bien souvent chez l'auteur français une traduction littérale de l'auteur italien. Mais quelle complète transformation des personnages, et avec quelle précoce et audacieuse habileté le jeune Gondi a pu, d'une histoire impartiale dans laquelle est sainement appréciée une entreprise qu'on ne saurait louer, faire tout à la fois l'apologie éclatante d'un conspirateur, un savant traité des conjurations, et une attaque indirecte contre le
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puissant ministre qui gouvernait alors la France !
Tandis que Mascardi montre la république de Gênes parvenue à une complète prospérité qu'allait sérieusement compromettre une conjuration odieuse (1) , Retz dépeint la noblesse dominant avec orgueil, le peuple obéissant avec rage et la Providence permettant un événement dont la mauvaise réussite allait par malheur « confirmer les uns dans le comman« dement, les autres dans la servitude ». Puis, au lieu de suivre l'historien de bonne foi qui expose longuement la manière dont André Doria sut délivrer sa patrie de l'influence dominatrice de François Ier, et la placer dans une position glorieusement indépendante, l'écrivain passionné se contente d'attribuer à la nouveauté de ce spectacle (2) la joie et les
(1) « Questa fù l'horribile congiura del conte Luigi de Fieschi. » (Page 2.)
(2) Mascardi avait dit, page 11 : « Ricevuto con segni
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SON GÉNIE ET SES ÉCRITS 23
acclamations avec lesquelles fut accueilli le restaurateur de la liberté de son pays, et, par un procédé habile en ce qu'il empêche le lecteur de s'attacher à une situation heureuse, bientôt ébranlée, il se hâte de mettre en scène le personnage principal de son récit, celui qui l'intéresse par dessus tout, le comte de Fiesque.
Les portraits que tracent de lui Mascardi et Retz sont presque une continuelle antithèse. Quand l'un (1), tenant le langage de l'histoire,
« di allegrezza incredibile da Genovezi Obligata la
« citta di Genova per tanti c si segnalati beneficii al « Doria. » (Page 3.)
(1) « Gio-Luigi de Fieschi, giovane di grand' animo e di « pensieri turbulenti, stava all'hora farneticando, corne « potesse migliorare di riputazione e di grado. Non con« tento non dimeno della conditione honoratissima rice« vuta in heredità da maggiori, si lasciava rapire dall' « impeto dell'età e dall'ambizione (male ordinario de'no« bili) a speranze pericolose. Fin da giovanetto dicde ma« nifesti segni d'una immatura ferocia ; da i quali ritrae« vano gli huomini sani, che egli cresceva al disturbo « della tranquillità della patria. A cosi perniciosi stimoli « della natura s'aggiunge una pessima educazione, peste
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24 LE CARDINAL DE RETZ
dépeint l'inquiète turbulence et la précoce perversité de ce remuant seigneur, qui avait de bonne heure formé de chimériques projets en se nourrissant de la lecture de Machiavel et de la vie de Catilina (1), Gondi se plaît à décrire l'ambition légitime, les intrépides aspirations de cet esprit « qui lui paraît être un des plus beaux et des plus élevés qui soient « au monde », sa générosité inépuisable, sa bravoure et son amour passionné pour la gloire. Au charme qu'il éprouve à faire cette description, on reconnaît que l'écrivain se mire en quelque sorte dans une image avec laquelle il se trouve bien des. points de ressemblance.
« insanabile dell'età giovanile, perchè quantunque gli « fusse dato per maestro nelle buon'arti Paolo Pansa, « huomo dottissimo, e di costumi honorati, coloro perô « che più domesticamente tratavan cou lui erano scele« rati. » (Page 16.)
(1) « Si diede Gio-Luigi, per consiglio de suoi amici, « a legger diligentemente la vita di Nerone, la congiura « di Catilina, e l'operetta del Principe da Nicolo Machia« vello. » (Page 17.)
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Il traduit assez fidèlement Mascardi quand celui-ci, imitant Tite-Live, fait prononcer aux amis de Fiesque divers discours pour combattre ou pour soutenir le projet de conspiration. Mais avec combien plus d'ardeur et plus de force le futur frondeur fait parler ceux qui conseillent la révolte et, lorsqu'il rencontre, dans les discours écrits par Mascardi, quelque audacieux argument que son timide devancier indique à peine, avec quel empressement il s'en empare et avec quelle complaisance il le développe (1) !
(1) Après que Mascardi a fait dire à Verrina répondant à son adversaire : « Vous qualifiez cette conjuration de « crime, » il ajoute : « Ma che di io sceleratezza? Questo « vocabolo è vostro, o Vincenzo, e voi l'avete appreso « nella scuola del vulgo, che non fa la dottrina del prin« cipato. Con questi nomi si chiamano le attioni delle « persone private, non l'impresse de'grandi. » (Page 43.)
Retz traduit ainsi ce passage : « Cependant ces fau" tômes d'infamie, que l'opinion publique a formés pour « épouvanter les âmes du vulgaire, ne causent jamais de « honte à ceux qui les portent pour des actions écla« tantes, quand le succès en est heureux. Les scrupules
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Les partisans du complot, ayant pour complice l'ambition de Fiesque, l'emportent sans peine. On voit alors, chez Mascardi, ce caractère dissimulé se révéler tout entier; on assiste à ces honteuses scènes dans lesquelles le conjuré trompe par des témoignages d'affection et de dévouement les Doria qui l'aiment et le protégent, et les empêche de s'apercevoir de tous les préparatifs de la révolte. Gondi glisse rapidement sur ces détails et il ne parle de cette dissimulation que pour l'excuser.
Le moment où doit éclater le complot arrive enfin.Fiesque invite à un festin la plus grande partie de la jeunesse de Gênes, et, après avoir fermé les portes de son palais, il annonce ses
« et la grandeur ont été de tout temps incompatibles, et « ces faibles préceptes d'une prudence ordinaire sont plus « propres à débiter à l'école du peuple qu'à celle des « grands seigneurs. Le crime d'usurper une couronne est « si illustre qu'il peut passer pour une vertu. Chaque con« dition des hommes a sa réputation particulière ; on doit « estimer les petits par la modération, et les grands par « l'ambition et le courage. »
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projets « avec une fierté noble et assurée », dit Retz (1), qui ajoute que cette remuante noblesse fut entraînée à la suite de l'oratenr par l'affection qu'elle lui portait et par les hautes espérances qu'elle nourrissait, quand Mascardi dit avec l'histoire (2) que les invités du comte, placés dans l'alternative de lui obéir ou d'être assassinés par des soldats apostés, obéirent à la crainte et non à l'enthousiasme.
Mascardi montre alors, dans une scène touchante, la femme de Fiesque se jetant à ses pieds et le suppliant, au nom de ses enfants, de ne pas entrer dans une révolte où il perdra ses biens, sa vie et son honneur. Retz, omet(1)
omet(1) (page 71) avait dit : « Gio-Luigi tutto can« giato nel volto (non so se per l'honore del vicino par« ricidio, o per la rabbia contro di Giann etino), appog« giato ad una tavola, percotendola con la mano, cosi « parlo ......... »
(2) Voir Sismondi. — Mascardi, page 77: « A cosi spa« ventose parole, attoniti gli ascoltanti e atterriti dal ve« dersi cinti da tutti i lati da gente minac c iosa e armata, « stettero per un poco senza parlare »
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28 LE CARDINAL DE RETZ
tant le récit de cette entrevue, dangereux pour son héros, se précipite dans la description des différents projets d'attaque. Il les expose à la suite les uns des autres, les apprécie, indique le plus souvent avec justesse, toujours avec une lucidité parfaite, les défauts et les avantages de chacune des combinaisons, démontre par où celle-ci a échoué et celle-là aurait pu réussir plus complétement encore sans telle ou telle faute commise. Ici les rôles sont étrangement intervertis : c'est le vieil historien plein d'expérience qui garde un silence prudent sur ces discussions épineuses, et c'est l'écrivain de vingt ans qui entre sans hésiter dans l'examen de questions ardues, sème son récit de réflexions rarement prétentieuses, quelquefois d'une haute portée, et, après avoir discuté avec netteté, ne craint pas de se prononcer avec résolution.
Mais les faits ont leur éloquence, et, quoique Retz raconte sans aucune observation la
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mort du comte de Fiesque (1) qui, au moment même où le fils adoptif de Doria est assassiné, où Doria lui-même va prendre la fuite, où les conjurés sont victorieux, se transportant sur une galère, tombe dans la mer et est retenu au fond de l'eau par la pesanteur de ses armes, sans que ses cris puissent être entendus au milieu du tumulte, cette fin, qui détruit la conspiration d'une manière si providentielle et si inattendue, n'en a pas moins sa signification. Gondi ne se contente pas de montrer dans ce récit ce qu'il est capable de faire ; en même temps qu'il fait voir combien les coups qu'il pourrait porter seraient sûrs, il indique contre qui il serait bien aise de les diriger, et ce premier ouvrage, fécond en ingénieuses allusions, révèle tout aussi bien ses antipathies que son caractère.
(1) « Cosi la Providenza », s'écrie éloquemment Mascardi après le récit de la mort de Fiesque, « non errante « di Dio si prende giuco della stolta prudenza de gl'in« felici mortali, etc., etc. » (Page 83.)
2
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30 LE CARDINAL DE RETZ
Comment en effet ne pas reconnaître Ri chelieu, tel qu'il apparaissait à la plupart de ses contemporains, dans le portrait, si contraire d'ailleurs à celui de Mascardi (1), que Retz trace de Jeannetin Doria, représenté par lui comme un ambitieux, gouvernant en réalité la ville de Gênes sous le nom d'André Doria ; jaloux de son autorité ; « voulant at« tirer à lui seul toute la réputation et toutes « les forces de la république » ; gardant une extrême défiance envers tous les hommes de quelque mérite et capables de s'élever, ayant hâte de les réduire à néant ; « pratiquant cette « maxime qui enseigne que la rudesse et la « fierté sont les plus sûrs moyens de régner et « qu'il est inutile de ménager par la douceur
(1) « Teneva (André Doria) in sua compagnia Gianne« tino, figliulo di Tomasi Doria, suo cugino, giovane spi« ritoso et di conosciuta virtu : il quale adoprato in « molte fattioni sotto la condotta di Andrea, haveva me« ritato col suo valore d'esser adottato per figliulo da « lui ....... » (Page 12.)
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SON GÉNIE ET SES ÉCRITS 31
« ceux que l'on peut retenir dans le devoir par « la crainte et par l'intérêt, et parvenu à une « élévation extraordinaire qui donne à tous les « États, ajoute-t-il, l'exemple de ne souffrir « jamais dans leur corps un personnage si « éminent, que son autorité puisse faire naître « le dessein de l'abattre et le prétexte de l'en" treprendre? » Comment ne pas saisir l'intention qu'a eue l'écrivain en faisant si longuement ressortir l'aveuglement des Doria, « qui, dit-il, prétendent pouvoir démêler les « replis du coeur humain, présomption qu'ont « tous les grands génies, et ne voient pas la « conjuration ourdie contre eux? » Et ces longues réflexions sur le soin qu'a la Providence de confondre souvent la prudence humaine, n'eût-il pas été plus naturel de les exposer après avoir raconté le coup qui frappa si soudainement Fiesque au moment de son succès, au lieu de les appliquer à Doria, dont la conduite ne les justifie nullement, et de leur
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donner ainsi tout le caractère d'un sévère avertissement adressé aux puissances du jour ?
Mais Retz ne tenait à être ni philosophe ni historien dans son livre. Il voulait faire du bruit, et ce premier but fut atteint, car Richelieu s'écria, après cette lecture: « Voilà un « dangereux esprit. » Il voulait aussi s'inspirer et, pour ainsi dire, se façonner dans la société d'un factieux, sur les traces duquel il se sentait déjà capable de marcher. Il réussit encore, et cette étude fut pour lui le plus brillant et le plus utile apprentissage. Plus heureux que son héros., qu'il n'imita que dans ses commencements, une longue vie allait s'ouvrir devant lui, tellement remplie d'événements que nous ne saurions nous arrêter plus longtemps sur son seuil, ni tarder davantage de l'étudier dans l'admirable récit que lui seul pouvait nous en faire.
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SON GÉNIE ET SES ÉCRITS 33
II
Se placer devant le public et lui dire : Je vais vous raconter ma vie ; tout dans mon récit se rapportera plus ou moins directement à moi, est en général un acte d'une personnalité si complète, qu'il est rare de s'engager dans cette orgueilleuse entreprise sans développer les motifs qui paraissent la justifier. L'amourpropre a sa pudeur.
Retz ne manque pas à cet usage, et si, en exposant ces motifs, il est moins prolixe qu'on ne l'est d'ordinaire en pareille circonstance, il n'est guère plus sincère, et il attribue à un ordre de madame de Caumartin un acte auquel il ne se résigne, dit-il, qu'avec
répugnance. Dès ce premier mot, il ne tient
2.
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pas la promesse qu'il va solennellement faire « de nous instruire nûment et sans détour des « plus petites particularités » (1).
« Le jour de ma naissance, dit-il ensuite, « on prit un esturgeon monstrueux dans une « petite rivière qui passe sur la terre de « Montmirail-en-Brie, où ma mère accoucha « de moi. » Et il ajoute : « Les libelles qui ont « depuis été faits contre moi en ont parlé « comme d'un présage de l'agitation dont ils « ont voulu me faire l'auteur. »
Ce trait me semble trop caractéristique pour que je l'omette, malgré son apparente puérilité. N'est-ce pas, en effet, avec intention et, dans tous les cas, avec plaisir, que Retz mentionne ce fait ? Il est vrai qu'il dit ensuite qu'il ne se croit pas un homme à augure; il n'en est pas moins enchanté du rapprochement que cette coïncidence a amené. On
(1) Mémoires du cardinal de Retz, page 15 de l'édition Michaud et Poujoulat.
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SON GÉNIE ET SES ÉCRITS 35
n'affirmerait même pas qu'il ne soit point de l'avis des libellistes, surtout quand on se rappelle la persuasion dans laquelle il s'est toujours trouvé qu'il était né conspirateur et homme d'action. Si, en réalité, ce sont ses ennemis qui ont signalé ce rapprochement, c'étaient des ennemis complaisants, car assurément ils ne pouvaient pas lui plaire davantage. Le premier trait du caractère de Gondi est, en effet, la manie d'être un homme d'action, un conspirateur, un chef de parti. Je dis la manie, car, dans le principe, ce n'était que cela ; plus tard il intriguera pour le plaisir d'intriguer. Maintenant son imagination seule est séduite par les brillantes perspectives qu'offre à certains esprits une conjuration. Aussi l'avons-nous vu se rendant compte des ressorts des anciens complots, sachant par où tel a réussi, tel a échoué, et fixant de bonne heure son attention sur le comte de Fiesque, qui devient son héros.
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36 LE CARDINAL DE RETZ
Ses vives sympathies ne sont altérées ni par l'âge, ni par les déceptions qu'il a éprouvées, et, pour le vieillard de Commercy comme pour le jeune abbé de Paris, rien n'égale la jouissance que procure la pensée d'être redoutable. Avec quelle satisfaction intérieure il cite chacun des mots de Richelieu qui lui laisseraient croire qu'il a pu un moment se faire craindre du premier ministre ! Avec quelle complaisance il raconte que ce dernier a dit de lui : « Voilà un dangereux esprit » ; et, plus tard : « C'est un téméraire. » Il appelle ces mots des éloges, et aucune des circonstances qui s'y l'attachent ne lui a échappé : l'époque où ils ont été prononcés, le nom de ceux qui les ont entendus et de ceux qui les lui ont répétés, la manière dont ils ont été dits, tout y est, tout s'est gravé profondément dans son esprit. Rien ne se fixe mieux dans la mémoire que ce qui nous flatte.
Ce n'est pas tout. Non-seulement il décèle
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SON GÉNIE ET SES ÉCRITS 37
ses goûts malgré lui, mais il ne tarde pas à les
exposer ouvertement. Il se demande « s'il y
« a une action plus grande au monde que la
« conduite d'un parti », et il ne craint pas
d'affirmer qu'il « faut plus de grandes qualités
« pour former un bon chef de parti que pour
« être un bon empereur de l'univers ». Cette
respectueuse admiration pour ce rôle, il la
trahit à chaque mot. Avant d'entrer dans une
conspiration, il fait remarquer « qu'il embrasse
« le crime qui lui paraît consacré par de grands
« exemples, justifié et honoré par les grands
« périls », et, lorsqu'il veut apprécier une
folle entreprise formée contre Richelieu, et
que l'évidence le force à la qualifier de folie, il
ne peut s'empêcher de s'écrier : « L'ancienne
« Rome l'aurait enviée ! » Plus tard, dans la
belle scène qui précède sa rupture avec la
cour, et où son admirable talent nous fera
presque croire à la lutte qu'il dit s'être livrée
dans son esprit au moment d'ordonner les
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barricades, il se peindra « sacrifiant les idées « les plus douces et les plus brillantes que les « conjurations passées lui présentent en foule, « rejetant ces pensées, quoique, à dire vrai, « il s'y soit nourri dès son enfance » ; et enfin « permettant à ses sens de se laisser cha« touiller par le titre de chef de parti, « qu'il a toujours honoré dans les Vies de « Plutarque. »
Ces termes pompeux ne sont pas, comme on pourrait le croire, destinés à aveugler le lecteur; ils expriment la réelle opinion de Gondi, et l'on trouve une preuve de sa sincérité dans les traits qn'il laisse échapper en peignant La Rochefoucauld et Turenne. Du premier il dit, non sans dédain: « Il n'a jamais été « un bon homme de parti, quoique toute sa « vie il y ait été engagé » ; et, du second, avec la même fierté : « On l'a cru moins capable d'être à la tête d'un parti que d'une armée, et je le crois aussi. » Enfin une der-
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nière citation donne, ce me semble, plus encore la mesure du respect qu'a Retz pour un chef de parti. Après qu'il a parlé de ce titre et des qualités qu'il exige, il ajoute: « M. le « Prince (le grand Condé) n'étudiait pas avec « assez d'application les principes d'une science « dans laquelle l'amiral de Coligny disait que « l'on ne pouvait jamais être docteur. »
Avec ces dispositions d'esprit et une telle inclination de caractère, Retz ne pouvait et ne devait se complaire qne dans la faction. Une remarquable tendance à la contradiction et à la lutte, tel est, en effet, le second trait du caractère que nous avons à étudier.
Condamné par sa naissance tardive à la carrière des cadets, Retz fait tous ses efforts pour se dérober à la profession ecclésiastique. Mais ni ses duels ni ses galanteries ne peuvent ébranler la volonté paternelle. Il continue à résister, et il ne se soumettra à sa profession que lorsque, la santé de Richelieu s'affaiblissant,
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l'archevêché de Paris s'offrira en perspective à son ambition.
Dès son plus jeune âge il entre en lutte avec la cour. Quand Richelieu lui fait témoigner un obligeant étonnement de ne l'avoir pas vu encore, Retz feint une maladie, va à la campagne et s'éloigne. Lorsque vient le moment de prendre en Sorbonne le bonnet de docteur, il dédie ses thèses à des saints pour n'être point obligé de les dédier aux grands de la terre (1). Sachant que Richelieu a recommandé à la Sorbonne l'abbé de La MotteHoudancourt, afin qu'il obtienne dans les examens la première place, Retz refuse de céder le rang qui lui appartient, et fait si bien, soit par ses actes, soit par ses discours, qu'il l'emporte même sur le protégé du puissant ministre. Ce n'est pas qu'on puisse blâmer cette fière indépendance. Ici ce sont moins les faits en eux-mêmes, qui sont significatifs, que
(1) Tallemant des Réaux, tome VII, chapitre CCXX.
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l'intérêt que leur attache Retz dans sa vieillesse. Agir ainsi était tout naturel chez un jeune homme, mais le raconter avec complaisance, voilà le trait de caractère.
Il ne suffit bientôt plus au remuant Gondi de combattre et de vaincre Richelieu en Sorbonne et même auprès de madame de La Meilleraye, et l'on est d'autant plus disposé à avoir confiance dans la véracité du galant abbé, qu'il attribue précisément à une aussi illustre et aussi dangereuse rivalité sa persistance dans la poursuite d'une femme peu spirituelle, et qu'en cela on reconnaît Retz.
Il entre dans la conspiration ourdie pour assassiner Richelieu sur les marches de l'autel au baptême de Mademoiselle. Nous dit-il ce qui l'a déterminé à en faire partie et à y jouer le principal rôle? cherche-t-il à s'en justifier? Nullement. Il se contente de faire connaître le scrupule qui lui est venu d'assassiner un prêtre, un
cardinal (notez la gradation), et d'ajouter que,
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sur ce simple mot de La Rochepot « Mais que feriez-vous à la guerre ? » il a eu honte de sa réflexion. Ici non plus nous n'avons pas à apprécier sa conduite ; nous nous occupons seulement de ses Mémoires, le révélant malgré lui tel qu'il a été, et l'absence de toute explication, qu'il semble ainsi juger oiseuse et inutile, est un trait de caractère.
N'en trouverait-on pas un plus saillant encore dans le savant intérêt qu'il attache au récit de la conspiration du comte de Soissons? Elle forme, dans les Mémoires de Gondi, un tout complet, serré, intéressant. Elle n'est liée ni à ce qui précède, ni à ce qui suit. Retz ne la raconte pas pour éclairer tel ou tel point de sa vie ; il la raconte pour elle-même au point de vue de l'art du conspirateur. Puis, quand il a décrit tous les ressorts de la machine, ses puissants rouages, la manière dont lui surtout les a mis en mouvement, l'habileté du constructeur, l'adresse des ouvriers, d'un mot il signale l'évé-
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nement qui l'a réduite à néant : la mort étrange du comte de Soissons. Et puis c'est tout. Vous voulez en connaître les suites, les conséquences : à quoi bon ? La conspiration a manqué. Tout est fini : l'intérêt n'était que là.
Cependant un grand changement s'opère tout à coup dans la conduite de Retz. Il vit retiré, il se livre à l'étude, et « il transforme son logis en académie » ; il ne fait pas le dévôt, « parce « qu'il ne peut pas s'assurer qu'il pourra durer " à le contrefaire, mais il estime les dévôts « et, à leur égard, c'est un des plus grands " points de la piété ». Il limite le cercle de ses galanteries et les restreint à madame de Pommereux. Il ne laisse plus aucun doute sur le choix de sa profession. Il assiste aux conférences de saint Vincent de Paul, qu'il trompe au point de se faire dire par lui : « Vous n'avez pas as" sez de piété, mais vous n'êtes point éloigné « du royaume de Dieu » ; et, lorsqu'il raconte que, sur l'indication de Louis XIII mourant,
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Anne d'Autriche l'a nommé coadjuteur, il attribue uniquement cette recommandation à deux anciennes aventures de sa jeunesse qui, ayant fixé l'attention du roi, ne sont pas sorties de son esprit.
Mensonge que tout cela, et il le sait bien luimême ! C'est en vain que, pour nous donner confiance en sa bonne fortune et par un singulier raffinement d'amour-propre, il s'écrie: « Quel rapport de ces deux bagatelles à l'ar" chevêché de Paris ! et voilà comment la plu" part des choses se font ! (1) » Non, il n'a pas été choisi par Louis XIII pour deux aventures insignifiantes, mais parce que, depuis longtemps, ayant vu la santé de Richelieu s'affaiblir et comprenant la grande importance donnée alors aux gens de l'Église dans l'État, il s'est précipité dans cette profession dont il ne voulait pas d'abord. Il a été nommé coadjuteur
(1) Page 37 des Mémoires de Retz.
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parce que, depuis que cette pensée a percé dans son esprit, tous ses actes, tous ses gestes ont tendu à la faire réussir ; parce qu'au lieu de commencer à prêcher dans les petits couvents, comme le lui conseillaient ses timides amis qui ne le connaissaient pas, il a, du premier coup, débuté avec éclat aux Carmélites devant toute la cour ; parce qu'il a pu faire retentir au loin le succès obtenu dans ses discussions avec le protestant Mestrezat ; parce qu'ayant su mettre à profit l'influence qu'avait une sainte femme, sa parente, sur les pauvres de Paris, il a pénétré avec elle, non chez les mendiants, car il avoue qu'ils ne pouvaient en rien lui être utiles, mais chez « les demice pauvres, qui peuvent bien plus » , et il a répandu parmi eux, pour se populariser, une somme énorme empruntée à un de ses amis ; il a été nommé coadjuteur parce que, ses ennemis désirant l'éloigner de Paris et le faire appeler au siége d'Agde, il fut assez adroit pour
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détourner le coup, en représentant au roi que ce son âge et son inexpérience avaient besoin « d'avis et de conseils qui ne se rencontrent ce jamais que fort imparfaitement dans la pro« vince » ; il a été nommé coadjuteur non fatalement, comme il l'insinue, et parce qu'il était appelé à de grandes choses, mais parce qu'il l'a voulu, et qu'avec les facultés merveilleuses dont il était doué, il a pu neutraliser l'effet des antipathies de Richelieu et de la jalousie de son oncle, vaincre l'incertitude de Louis XIII et faire commettre à la cour, par sa nomination, une faute qu'elle regrettera bientôt amèrement, et dont le puissant Louis XIV lui-même aura de la peine à réparer les conséquences.
Il avait hâte en effet d'arriver au premier rang. Jusqu'ici, malgré tous ses efforts, il n'a figuré qu'à la seconde ligne. C'est en vain qu'il cherchait à se glisser plus avant ; c'est en vain qu'il animait ses complices, et que, ne se contentant pas de son rôle modeste, il tâchait d'em-
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piéter sur celui de ses supérieurs. Il n'était pas parvenu à attirer sur lui seul l'attention. Jusqu'ici, en un mot, pour lui emprunter celle figure qu'il affectionne (et ce n'est pas le trait le moins piquant de son langage), il n'a été que dans le parterre, à jouer et à badiner avec les violons : il va monter sur le théâtre et le remplir tout entier de sa remuante personne.
III
Et d'abord quelle est la pièce? Est-ce un drame ? est-ce une comédie ? Est-elle sérieuse ? est-elle burlesque? Si, pour nous former une opinion, nous avons recours à celle des juges compétents, les éclaircissements ne nous manqueront pas, car aucune époque de notre histoire, sauf le grand règne qui va suivre, n'a
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48 LE CARDINAL DE RETZ
été plus profondément étudiée. Mais quelle variété dans les jugements et quelle foule d'opinions diverses ! La Fronde est dans nos annales une véritable cause qui a eu ses avocats comme ses accusateurs.
D'un côté, je vois une extrême indulgence pour une lutte dont les conséquences ont été nulles ; de l'autre, une excessive sévérité pour une entreprise qui s'est d'abord étayée sur un principe équitable. Les uns, ne considérant, à propos de la Fronde, que le despotisme qui l'a précédée et le despotisme plus grand encore qui l'a suivie, en font comme une dernière halte du peuple marchant vers la liberté et une espèce de tentative avortée de la Révolution française. Les autres, ne tenant compte que de l'ambition et des intrigues des chefs, de l'égoïsme de leurs projets et des intérêts particuliers qui les agitaient, n'y voient qu'un dernier effort de la féodalité expirante. Les premiers, négligeant tout à fait ce dont ceux-ci se préoc-
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cupent trop, se refusent à y voir le ridicule et l'insuffisance des moyens, l'inutilité du sang versé, la singulière disproportion des résultats et des efforts, l'alliance avec l'étranger, l'influence désastreuse exercée par les femmes, la multiplicité des cabales et la suspension de l'élan national contre l'Espagnol, qui, commencé à Rocroy, fut sitôt interrompu après Lens. Les seconds, ne considérant que les résultats, et entraînés par leur légitime indignation, oublient l'importance des réformes demandées dans le principe, les dangers courus, pour les obtenir, par Molé et quelques membres du parlement, l'arrêt d'union, la prise de la Bastille et la déclaration du 24 octobre 1648, germe informe de charte et qui, réunissant quelques garanties civiles et politiques, donnait au prisonnier le droit d'être entendu avant trois jours, subordonnait la levée des impôts à l'approbation des assemblées, et, laissant au parlement la faculté de se réunir sans y être
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autorisé, lui confiait le contrôle des finances de l'État.
Si je ne craignais de m'être pendant trop longtemps déjà séparé du cardinal de Retz, je me permettrais de faire dans la Fronde une distinction qui me paraît importante, en ce qu'elle me semble amener une juste distribution des éloges et des blâmes.
D'un côté, on pourrait placer le peuple, non pas la populace que soulevait tour à tour l'or de tel ou tel parti, mais le peuple qui paie, le peuple épuisé par les longues guerres précédentes et par l'augmentation des impôts, leur conséquence inévitable, le peuple qui, irrité du désordre apporté dans les finances et du long despotisme de Richelieu, voyait avec répugnance un prêtre remplacer un prêtre au pouvoir, et, dans ce prêtre, retrouvait un étranger dont l'influence sur la reine rappelait celle du maréchal d'Ancre, dont les manières, les habitudes, le langage n'étaient pas français, et qui,
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capable de continuer l'oeuvre de son prédécesseur à l'extérieur, était bien au dessous de sa tâche pour l'organisation intérieure. Or le peuple, qui n'était pas comme aujourd'hui initié aux secrets de la politique de son pays, n'avait pas pu apprécier les grandes choses faites trop au dessus de lui par l'habile ministre pour qu'il pût les voir. Laissé entièrement en dehors du gouvernement et réduit au rôle de payeur d'impôts, loin d'admirer les avantages de la supériorité acquise sur la maison d'Autriche et d'Espagne, et, dans la suite, les traités de Westphalie et des Pyrénées, et les magnifiques espérances que devait plus tard ouvrir à la France le mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse, il n'était sensible qu'aux résultats si onéreux pour lui, et, en les subissant, il se plaignait: on ne saurait l'en blâmer.
D'un autre côté, on placerait Anne d'Autriche, que la mort de Louis XIII et l'extrême
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jeunesse de Louis XIV appelaient pour longtemps au pouvoir, après un isolement et presque un exil de vingt années, et qui puisa dans son amour maternel l'admirable inspiration et la force d'immoler ses anciennes affections aux véritables intérêts de son fils, de se séparer de ses amis de la veille et de choisir, pour premier ministre, Mazarin qu'elle n'aimait pas encore, Mazarin le continuateur de la politique acharnée de son maître contre la maison d'Espagne, et, en considérant les grandes choses que la puissance de l'une, unie au génie de l'autre, vont obtenir au dehors, en considérant les immenses obstacles qu'ils vont rencontrer au dedans et qui ne les arrêteront pas, on est en quelque sorte tenté d'oublier leurs fautes ; les défauts mêmes de Mazarin, ces artifices continuels, cette ruse italienne, le peu de solidité de ses promesses, la duplicité de sa conduite, se transforment presque en qualités, tant on se réjouit qu'il les possède, au moment où ils vont
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lui être indispensables pour le plus grand bien de la France.
Mais quand, entre le peuple et la cour, on trouve une classe qui, mécontente de n'être pas au pouvoir, se sert, pour nuire à la cour, du peuple, l'irrite en paraissant prendre sa défense, exagère ses griefs contre la monarchie et le met en mouvement pour s'élever ; quand on songe que cette aristocratie, placée de manière à comprendre les grandes choses qui se font au dehors, les méconnaît à dessein pour ne paraître sensible qu'à des maux qui ne la louchent nullement ; quand on la voit, sous le prétexte du bien public, s'agiter et faire la guerre civile pour obtenir, celui-ci un gouverment, celui-là une dignité, l'un un titre, l'autre une alliance, qui une ville, qui de l'argent, alors on conçoit le mépris universel, alors on s'explique les chansons et les épigrammes dont la Fronde a été bafouée ; on comprend alors le ridicule et l'odieux qui sont à jamais
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attachés à cette époque, et qui atteignent surtout l'aristocratie, et on ne peut s'empêcher d'admirer l'équitable et souveraine sagesse qui a placé dans le sein même de cette aristocratie son juge le plus sévère et le plus rigoureux. Lorsqu'on lit, en effet, les Maximes, ce code de l'égoïsme et de la vanité, lorsqu'on pénètre avec La Rochefoucauld dans les moindres replis du coeur humain, et qu'on voit à des actes si grands en apparence de si petites et si mesquines causes, effrayé par l'amertume de ces observations, on se demande quels étaient donc ces contemporains et ces grands seigneurs qui ont posé pour un tel portrait ; et si, devant tant de petitesse, on est parfois tenté de douter, le peintre cruel vous trace tout à coup un trait si vrai, si éclatant et tellement pris au vif, que vous vous reprenez à croire, et alors vous vous écriez : Oh ! la triste noblesse au milieu de laquelle a vécu un si pénétrant et si impitoyable génie !
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Mais il faut revenir au cardinal de Retz, que nous n'aurions peut-être pas dû quitter.
Parvenu au récit des événements qui ont suivi sa nomination à la coadjutorerie, Gondi, avec tout son génie, s'est trouvé sans doute dans un embarras extrême. Malgré sa grande jeunesse et les folies par lesquelles il s'est signalé, la régente et Mazarin, qui en avaient reçu l'ordre de Louis XIII, il est vrai, mais qui auraient pu ne pas le suivre, comme ils l'avaient fait pour bien d'autres, ont assuré à Gondi la succession de son oncle, dont l'incapacité et la conduite font immédiatement du neveu le véritable archevêque de Paris. Le voilà lié par la reconnaissance à la cour. Cinq ans après il ordonne, lors de l'enlèvement de Blancménil et de Broussel, de dresser les premières barricades. Entre ces deux faits nous ne remarquons cependant rien, de la part de la cour à son égard, qui le justifie de s'être déclaré contre elle, si ce n'est un refroidissement de plus en
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plus grand, conséquence de la position prise par le coadjuteur auprès du peuple, et qui d'ailleurs n'était pas de nature à excuser une aussi grande révolte.
Comment donc va-t-il passer dans son récit de l'un à l'autre fait? En traversant ce pas difficile, ne se trahira-t-il pas malgré lui ?
Gondi commence par expliquer longuement la formation de la cabale des Importants. Ce n'est certes pas afin de ne rien omettre des événements qui ont rempli la régence, car son but n'est pas d'écrire de l'histoire, mais des mémoires. Ce n'est pas non plus qu'il trouve dans cette exposition une satisfaction personnelle, puisqu'il n'était pas entré dans cette cabale, mais c'est précisément afin d'avoir le droit de nous dire qu'il n'en faisait point partie, retenu par la reconnaissance qui le liait à la cour. C'est afin de pouvoir répondre à Montrésor, qui, à ce mot de reconnaissance, lui objectait qu'elle était inutile, « puisque la reine
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« ne donnait rien à force de ne rien refuser », ces paroles qu'on est étonné de voir si merveilleusement fixées dans la mémoire de Retz : " Vous me permettrez d'oublier tout ce qui « pourrait diminuer ma reconnaissance et de " ne me ressouvenir que de ce qui la doit « augmenter. »
Ce premier sacrifice à la reconnaissance, qui sera le dernier, solennellement exposé, Retz se jette aussitôt avec le lecteur dans une suite d'anecdotes toutes personnelles. Dans chacune, on le voit entrer en opposition avec la cour pour diverses questions d'étiquette, avoir constamment le bon droit de son côté et finir toujours par l'emporter. Il habitue ainsi à ses luttes le lecteur, qui est tout disposé à s'éloigner instinctivement de la cour. Puis, sans tarder davantage, l'habile narrateur, passant des détails à l'ensemble, commence ce majestueux exposé : " Il y a plus de douze cents ans que « la France a des rois, etc. », dans lequel il
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trace la rapide histoire du pouvoir royal, et qu'il termine si heureusement par le parallèle de Richelieu et de Mazarin. Ces portraits, quoique contenant tous les deux des traits fort justes, sont naturellement placés l'un à côté de l'autre pour se faire ressortir mutuellement ; puis, quand il a développé cette idée, que Mazarin, " qu'on avait érigé et qui s'était érigé en Ri" chelieu, n'en a eu que l'impudence de l'imita« tion (1) », il décrit avec une exactitude et une justesse parfaites les débuts de la Fronde ; il nous fait toucher du doigt toutes les misères de l'époque ; il met au service de sa narration l'esprit le plus fin et le plus adroit ; non pas qu'il paraisse vouloir éblouir le lecteur, ici il s'en garde bien : il a trop beau jeu, il est dans le vrai. Aussi se complaît-il dans cette description ; il s'y insinue en quelque sorte dans la confiance du lectenr, dont il aura besoin tout à l'heure. Il se cache derrière les griefs légitimes
(1) Page 53 des Mémoires de Retz.
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du peuple, et s'en sert pour frapper à coups sûrs le ministre envié dont il s'est rendu l'adversaire ..... Et voilà que nous avons déjà parcouru une grande partie de la route et que nous sommes bien loin de la nomination à la coadjutorerie.
Survient la victoire de Lens. Retz expose que, ses amis lui ayant inspiré la crainte de voir la cour profiter de ce grand succès pour achever d'asseoir sa puissance, il s'est rendu auprès de Mazarin pour vérifier l'exactitude de cette crainte, et qu'il a vu chez ce dernier une telle douceur, un tel désir de conciliation, qu'il en a été dupe. Cet aveu est un des traits les plus habilement trouvés de sa justification. Il a été dupe; on l'a trompé; on ne lui a pas donné le mot du coup d'État qu'on prépare. Il vient surveiller, scruter la cour, et on ne l'a pas mis dans le secret de l'arrestation de Broussel. Quelle hypocrite dissimulation d'un côté, et quelle naïve confiance de l'autre ! Comme cet aveu de son
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manque de pénétration lui donne un air d'innocence ingénue !
Mais l'heure des barricades approche : le voici parvenu au pas dangereux. Comment va-til le franchir ?
Le peuple se soulève après l'arrestation de Blancménil et de Broussel. Aussitôt Gondi, qui connaît ses devoirs, se transporte à la cour, et, comme il n'ignore pas quelle est la puissance irrésistible du ridicule, il le jette à pleines mains sur tous les personnages qu'il met en scène. Il montre d'abord Mazarin lui donnant avec un extrême embarras et « dans un singulier gali« matias » des explications sur l'arrestation de Broussel. Le coadjuteur s'offre alors à Anne d'Autriche pour aller apaiser le peuple, mais, ce comme auprès des princes, dit-il, il est aussi « dangereux et presque aussi criminel de pouce voir le bien que de vouloir le mal » , la reine s'emporte avec violence et s'écrie : « Il y a de ce la révolte à s'imaginer que l'on se puisse ré-
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" volter. » Cependant, avertie par un regard de son adroit ministre, elle devient tout à coup maîtresse de sa passion et accable de prévenances Retz, qui feint d'en être la dupe. « Aussi, dit-il " dans son récit avec un art exquis et une vi" vacité qui n'appartient qu'à lui, tout ce qui " était alors dans le cabinet jouait la comédie. « Je faisais l'innocent, et je ne l'étais pas, au " moins en ce fait. Le cardinal faisait l'assuré, " et il ne l'était pas si fort qu'il le paraissait. Il « y eut quelques moments où la reine contrefit " la douce, et elle ne fut jamais plus aigre, " M. de Longueville témoignait de la tristesse, " et il était dans une joie sensible, parce que " c'était l'homme du monde qui aimait le mieux " les commencements de toutes affaires. M. le " duc d'Orléans faisait l'empressé et le pas« sionné on parlant à la reine, et je ne l'ai jamais " vu siffler avec plus d'indolence qu'il siffla une « demi-heure, en entretenant Guerchi dans la « petite chambre grise. Le maréchal de Villeroy
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" faisait le gai pour faire sa cour au ministre, « et il m'avouait en particulier, les larmes aux " yeux, que l'État était sur le bord d'un préci" pice. Beautru et Nogent bouffonnaient et re« présentaient, pour plaire à la reine, la " nourrice du vieux Broussel (remarquez qu'il " avait quatre-vingts ans), qui animait le peuple « à la sédition, quoiqu'ils connussent très-bien " l'un et l'autre que la tragédie ne serait peut" être pas fort éloignée de la farce. »
Cela dit, et après qu'il a fait sourire son lecteur aux dépens de la cour, l'habile écrivain, qui sait trouver le chemin du coeur aussi bien que celui de l'esprit, cherche, par un heureux contraste, à émouvoir.
Le lieutenant civil entre dans le cabinet, pâle, bouleversé, terrifié par les scènes de la rue, auxquelles il vient d'assister. Gondi se montre entouré aussitôt des sollicitations de tous, pressé par Mazarin et la reine, tendrement prié par Monsieur, qui lui serre les mains, en lui disant:
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" Rendez le repos à l'État ! » entraîné par les seigneurs et ce amoureusement porté » sur les bras des gardes du corps, qui s'écrient: " Il n'y a que vous qui puissiez remédier au mal! »
Il sort alors avec son rochet et son camail, donne des bénédictions à droite, à gauche, tire le maréchal de La Meilleraye des mains du peuple, est tout à coup renversé par un coup de pierre, et, comme un inconnu le vise avec son mousqueton, Retz, feignant de le connaître , l'apostrophe de ces mots: ce Ah ! malheureux, si ton père te voyait ! » et le mousqueton se baisse.
Loin de s'arrêter avec complaisance sur ce trait d'admirable présence d'esprit qui lui a sauvé la vie, il l'indique à peine, sachant bien que, raconté avec concision, il frappera davantage encore le lecteur ; puis, continuant son habile récit, il se montre parcourant les rues, traversant les barricades, séparant les combattants, flattant, caressant la populace, enfin apaisant
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le tumulte, et quand, accompagné du maréchal de La Meilleraye, qui rend témoignage des bons services rendus par le coadjuteur, il retourne auprès de la reine, celle-ci lui dit ces seuls mots ironiques : " Allez vous reposer, monsieur, vous avez bien travaillé ! »
Nous le voyons alors rentrer chez lui sans avoir dit en route un mot qui puisse aigrir le peuple, et se faire saigner à cause de la blessure qu'il a reçue. Loin d'obéir, dès ce moment, aux suggestions de sa colère et de son dépit, Gondi résiste. Montrésor, son ami, se présente, et cherchant à l'entraîner, lui fait observer que son héros, Jean de Fiesque, n'imiterait pas sa mansuétude. Gondi résiste. Laigues arrive à son tour. Il vient d'assister au souper de la reine, et il y a entendu Beautru, Larivière et Nogent, se permettre, à la plus grande joie d'Anne d'Autriche, les plus amères plaisanteries sur la, prétendue blessure de Retz et sur le double rôle qu'il a joué dans la journée. Gondi, quoique ému, résiste
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encore. Vient Argenteuil. ce Vous êtes perdu, " lui crie-t-il du plus loin qu'il le voit ; le maré" chal de La Meilleraye m'envoie vous le dire, " La cour fera demain un grand exemple sur « vous. On parle de vous exiler à Quimper" Corentin. » Aussitôt le choeur des tentateurs, reprenant à l'unisson les mêmes arguments, entoure Retz. Montrésor, Laigues, Argenteuil, le serrent et l'enlacent. Gondi résiste et demande à demeurer seul, et ce n'est qu'après de longues et sérieuses réflexions, ce n'est qu'après une lutte terrible, que, ce minuit sonnant », il rappelle ses conseillers et leur dit : « On veut perdre le public, et c'est à moi de le " défendre de l'oppression. Je serai demain, " avant midi, maître de Paris! »
On ne saurait trop admirer les merveilleuses combinaisons de ce long récit, cette gradation ascendante qui nous conduit peu à peu au point qu'on désire, cette mise en scène qui éblouit et surprend, cette lutte à la Corneille entre ces deux
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sentiments contraires qui paraissent se disputer le coeur de Retz, et l'immense talent avec lequel il a ainsi amené aux barricades, tout naturellement et sans secousses, le lecteur captivé.
Mais c'est en vain qu'avec un art incomparable Retz explique sa conduite. Il n'en est pas moins incontestable que, dès sa nomination, il avait pris vis-à-vis de la cour une position telle qu'il devait lui faire ombrage; qu'il avait répandu des aumônes non secrètement et aux véritables nécessiteux, mais au grand jour et afin de se rendre populaire ; il n'en est pas moins incontestable que si Mazarin, ne tardant pas à déplorer la faute commise, avait cherché de bonne heure à amoindrir le pouvoir si malencontreusement donné à Gondi, ce dernier avait tout fait pour se défendre, et, allant bien au delà de sa défense, n'avait négligé aucune occasion de prendre l'offensive. Il n'est donc pas étonnant qu'Anne d'Autriche, dont le sang impétueux se soulevait de fureur à la pensée de céder devant le peuple,
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SON GÉNIE ET SES ÉCRITS 67
conseil que lui donnait Retz , et voyant ce dernier intérieurement enchanté de ce qui était à ses yeux un échec à l'autorité de Mazarin, son rival, l'ait cru l'auteur des troubles en l'en voyant si satisfait, et qu'elle ait fait tomber sur lui sa colère de souveraine outragée. Son instinct ne la trompait pas : elle avait raison de croire à la satisfaction intérieure de Gondi, et d'ailleurs ce dernier n'avait qu'un moyen de prouver à Anne d'Autriche qu'elle s'était trompée à son égard lorsqu'elle l'avait accusé d'avoir contribué à l'émeute, c'était de ne pas faire dresser le lendemain les barricades.
Mais qu'est-il besoin du témoignage des contemporains pour nous représenter Retz tel qu'il a été? Ce récit lui-même, quelque habilement qu'il soit fait, laisse encore échapper quelques révélations involontaires.
Gondi a dénoncé sinon le rôle qu'il devait jouer bientôt, du moins l'intention de s'y préparer de bonne heure en s'emparant de l'imagi-
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nation du peuple de Paris pour acquérir sur lui une grande influence.
" Le secret de ceux qui entrent dans les " emplois, dit-il en effet aussitôt après sa nomi« nation, est de saisir d'abord l'imagination des " hommes par une action que quelques circon" stances particulières leur rendent singulière, " Je fis une retraite à Saint-Lazare. »
Plus tard, soit lorsque les Importants l'invitent à se réunir à eux contre la cour, soit lorsque, aux débuts de la Fronde, « la chaleur de Paris " et l'ignorance du médecin (Mazarin) lui font « penser que la fièvre sera difficilement pré" venue », il parle si longuement de la reconnaissance qui le lie à la cour, il développe avec une telle insistance cette même pensée, pourtant si naturelle, qu'on est presque tenté de croire que la renonciation qui lui est imposée par les circonstances est le plus grand sacrifice qu'il puisse faire.
Quand on le voit ensuite, ce pour s'attirer,
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" ou plutôt se conserver l'amitié des peuples, « dépensant, depuis le 28 mars jusqu'au 25 " août, 36,000 écus en aumônes et en libéra— " lités », et expliquant cet acte par la certitude dans laquelle il est que " son innocence et sa " droiture le brouilleront dans la suite avec la " cour presque autant que pourrait le faire le « contraire », on ne peut que douter de sa sincérité et remarquer que le fait des libéralités est étrangement placé après la solennelle déclaration d'abstention ; que cet acte justifie tout à la fois les artifices de Mazarin, les soupçons, la colère d'Anne d'Autriche, et décèle clairement chez Retz l'intention de ne pas demeurer longtemps encore du côté de la cour et de ne pas tarder à prendre en quelque sorte un dédommagement de sa trop longue et trop lourde fidélité.
Quelque propension qu'il ait pour la lutte, Gondi a eu certains scrupules à la commencer. Aussi quel embarras il a éprouvé à raconter ce
début! quels efforts admirables mais pénibles il
4.
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a déployés pour traverser ce pas difficile ! Mais lorsqu'il l'a franchi, lorsque, l'attaque étant commencée, il se trouve dans sa voie, celle de la cabale, alors il redevient lui-même. Ce n'est plus avec Anne d'Autriche qu'il lutte, mais bien avec Mazarin, adversaire digne de lui. Dès ce moment il marche le front haut et la plume alerte !
C'en est fait, il a décidé dans son esprit la formation des barricades : comme il est aussitôt prêt à la lutte ! Que la rapidité de ses décisions prouve combien ses projets sont depuis longtemps mûris et combinés ! Il appelle Miron, colonel du quartier, place les bourgeois les plus considérables dans les lieux où il a appris qu'on se dispose à mettre des gens de guerre, ordonne d'espionner les officiers des gardes, aposte l'Espinai pour se saisir de la barrière des Sergents, fait garder la porte de Nesle, s'endort pour quelques heures, comme les plus illustres généraux à la veille d'une grande bataille, envoie
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dès son réveil quelques nouvelles instructions, reçoit le rapport des espions apostés ; puis, quand, les gardes suisses s'approchant, l'heure fatale arrive, il donne en deux paroles ses derniers ordres, qui sont exécutés en deux moments. Son récit court, vole, impétueux et entraînant; l'écrivain fait passer dans son style toute la vigueur qui l'anime de nouveau ; il n'a plus à ménager les bienséances : le Rubicon est habilement traversé; les champs de l'intrigue lui sont maintenant ouverts. Avec quelle fébrile activité il s'y précipite ! comment ne pas reconnaître, en le lisant, qu'il s'y trouve dans son élément et qu'il n'est réellement lui-même que là ! et qu'était-il besoin tout à l'heure de chercher et de saisir la réalité de ses desseins dans les détours de son langage, quand un instant après il allait les révéler de la manière la plus éclatante par les enivrantes satisfactions qu'il éprouve à les exposer !
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IV
Il n'entre pas dans notre plan de suivre Retz dans le développement de chacune de ses intrigues. Ce serait d'ailleurs singulièrement étendre le cadre de cette étude, et nous condamner sûrement à un défaut presque certain en pareille matière, l'obscurité. Seul Gondi pouvait l'éviter. Celui-là seul qui avait eu une pareille vie pouvait la redire.
Toutefois, et quelque hâte que j'aie d'étudier et d'admirer l'écrivain, je voudrais avant de détourner mon attention de l'homme, non pas répéter froidement et sans utilité ce qui a été raconté par lui avec tant de feu et ce que chacun a lu, mais montrer, par quelques épisodes de cette vie si remplie, en quoi le rôle du coadju-
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teur a été tel que l'annonçait la conduite du jeune abbé. Ici d'ailleurs Gondi est plus saisissable qu'il ne l'a été auparavant ; si naguère il se dérobait à ses lecteurs avec un art infini, se servant de tout pour dissimuler sa véritable route et faisant de chacun son complice involontaire pour se défigurer, maintenant sa marche est plus découverte ; ce n'est plus dans l'obscurité qu'il se trouve, c'est au grand jour qu'il agit.
Quelquefois encore cependant, oubliant les aveux passés, oubliant qu'il s'est longuement laissé examiner, il se couvre tout à coup d'un masque, c'est ainsi que, lorsque, après avoir fait dresser les barricades, il a, clans une longue conversation avec Condé, compris que celui-ci lui fera défaut, et qu'il est alors contraint d'avoir recours à Conti, que sa soeur dirige, il dit : " J'allai le jour même et par un pur hasard, " chez madame de Longueville (1). » Mais ces
(1) Page 83 des Mémoires de Retz.
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grossiers subterfuges ne sauraient tromper le lecteur, auquel il a déjà donné le temps de le connaître dans de longues et fréquentes confidences.
Ces accès de réelle sincérité, nous les remarquons surtout chaque fois que Gondi est directement aux prises avec Mazarin. C'est qu'ici toute considération, même le désir si naturel de se justifier, cède devant l'amour-propre du combattant. Retz vaincu, exilé et racontant sa lutte avec Mazarin, avouerait un crime s'il l'avait commis plutôt que de paraître avoir été en reste avec le premier ministre. Au surplus, nuls adversaires ne sont plus complétement dignes l'un de l'autre. Aussi rusé pour comprendre les artifices de la cour que Mazarin l'est pour les concevoir, Gondi excelle surtout à déjouer les projets de son adversaire, Mazarin à attaquer. Quand le coadjuteur porte des coups, c'est presque toujours en face et directement ; Mazarin, qui souvent combat seul, pour lui-
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même, et quelquefois séparé de la cour, au moins en apparence, est obligé de tendre des piéges, et sa politique est nécessairement plus artificieuse que celle de Gondi, qui sait toujours s'appuyer sur les frondeurs. Ils ne sont ni l'un ni l'autre éloquents; mais l'un, doué d'une admirable présence d'esprit et parlant avec adresse une langue étrangère à l'autre, dont l'esprit acéré est souvent ainsi compromis par ses paroles, l'emporte toujours dans la discussion sur son adversaire, qui est alors contraint de prendre sa revanche dans de secrètes et souterraines manoeuvres. L'un a un courage à l'épreuve, une générosité inépuisable, une situation mieux dessinée, une grande popularité ; l'autre, d'un courage moins audacieux, peu prodigue, étranger et détesté, finit pourtant par l'emporter, parce que, de plus que son mobile et aventureux rival, il possède un sens droit, parce qu'aussi peu scrupuleux que Gondi sur le choix des moyens, il sait bien mieux que lui en tirer tout
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le parti possible, parce qu'il voit beaucoup plus loin, et qu'au lieu de se laisser détourner de sa route, comme le fait souvent Retz, par les conseils de son amour-propre et des considérations d'intérêt personnel, il poursuit avec une volonté inébranlable un but déterminé dès le principe, et que, l'ayant toujours en vue, il se sert de tout pour l'atteindre.
Nulle part le spectacle de la lutte des deux adversaires n'offre plus d'intérêt que dans les Mémoires de Retz ; nulle part il n'est présenté avec plus de détails, plus de soins, et n'excite davantage la curiosité. Dès le début, le premier ministre et le coadjuteur commencent à s'observer et à s'épier. Ils ne s'attaquent pas encore, mais ils se surveillent. Le premier croit voir dans l'autre un aspirant perpétuel et dangereux au ministériat, et apparaît au second comme un rival envié pour la puissance et un adversaire naturel pour la lutte qu'il a hâte de commencer. Aussi tous les deux emploient-ils les premières
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années de la régence à se fortifier, l'un dans le coeur de la reine, où il sait bien que réside sa principale force ; l'autre dans l'amour du clergé et du peuple, sur lesquels il s'appuiera toujours. Tous les deux réussissent, l'un en secret, mais l'autre si ouvertement que l'attention de Mazarin est éveillée et qu'il commence l'attaque du côté même où son ennemi achève de se fortifier. Il cherche à brouiller le coadjuteur avec le clergé de la province. Retz se baisse et se contente de parer le coup. Mazarin, voyant alors Gondi, pour se donner de l'importance, se faire auprès de lui l'interprète empressé des mécontents, répand habilement que le coadjuteur est en réalité dévoué à la cour, même au détriment du peuple, et qu'il est assez intimement lié avec elle pour lui rapporter les actes de ses prétendus amis. Retz ne se contente pas d'éviter le coup ; il riposte, en ayant soin de ne porter à Mazarin les plaintes générales que lorsqu'il est entouré de membres nombreux du parlement, qui
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peuvent ainsi témoigner de son réel amour du bien public.
Plus tard le premier ministre, attaquant plus directement Gondi, lui fait offrir, de la part de la reine, la somme de 40,000 écus pour le payement de ses dettes, espérant affaiblir la popularité de son adversaire. Celui-ci refuse très-ostensiblement, tournant ainsi cette offre dangereuse au profit de sa réputation de désintéressement. Au moment où le maréchal d'Estrées est sur le point d'obtenir le gouvernement de Paris, Mazarin l'engage à paraître renoncer au but qu'il poursuit, pour le montrer à l'ambitieux Gondi. Cette fois il réussit mieux. L'orgueilleux coadjuteur se laisse éblouir par la perspective de croiser sur ses armes la crosse du prélat et le bâton du gouverneur, et il entre en négociations. Mazarin les rompt sous un prétexte futile, fait nommer le maréchal et se réjouit d'avoir atteint l'incorruptible Retz. Gondi , furieux d'avoir été joué, mais entraîné par le
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sentiment de l'art à reconnaître, dans ses Mémoires, la beauté du coup qui vient de lui être porté, trouve bientôt une occasion de se dédommager.
La reine conduit tout à coup le roi hors de Paris, et, l'emmenant à Saint-Germain, elle donne l'ordre de la suivre au coadjuteur, qu'elle ne veut pas laisser derrière elle. Gondi, éprouvant encore un certain scrupule, et voulant d'ailleurs " que le premier pas, au moins public, " de désobéissance vienne du parlement qui jus" tifiera celle des particuliers », obéit à la reine, mais en ayant soin de se faire arrêter au moment de son départ par la populace qu'il a apostée.
Franchissons prudemment l'époque qui suit, et pendant laquelle il fut l'âme de la Fronde, pour n'avoir pas à peindre cette incroyable activité avec laquelle il savait être partout pour tout animer de sa présence, excitant le peuple, rassurant la bourgeoisie effrayée du siége de Paris et réchauffant le parlement timide ; cette
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adresse et cette dextérité qui lui permettaient de gouverner les pauvres par des aumônes, les grands par de séduisantes perspectives, les plaisants par des couplets, les femmes par des sermons, la populace par des harangues et tous par son merveilleux ascendant ; cette profonde connaissance du coeur humain à l'aide de laquelle il savait ménager tous les amours-propres, tenir compte de tous les travers, se servir des vertus et des vices et, les combinant habilement, les tourner à son profit, faire des femmes ses espions, tirer parti des cheveux blonds et du langage des halles du duc de Beaufort, employer au service de ses cabales un prince du sang, et, vivant à la fois au milieu des généraux, des membres du Parlement et du peuple, dominer celui-ci, se dérober dans le palais à la haute influence de Mesmes et de Molé, et, dans les camps, armer un régiment, porter un poignard en guise de bréviaire et discuter les plans de bataille sans se couvrir de ridicule.
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Ce spectacle, on ne peut le voir et le comprendre que dans les Mémoires de Retz; on ne peut apprécier que là les ressources inépuisables de ce génie si merveilleusement doué. N'ayons donc pas la témérité de reproduire des scènes qu'une seule plume a pu décrire, et continuons à mettre en présence l'un de l'autre les deux grands habiles de l'époque, Gondi et Mazarin, en nous transportant au moment où la cour étant retournée à Paris, Condé n'estimant pas suffisante la reconnaissance qu'elle lui témoigne, mais retenu encore dans ses devoirs par un certain respect pour le rang qu'il occupe, flotte indécis entre la reine et les frondeurs. Mazarin, pour le séparer d'eux, fait tirer sur le carrosse du prince et il accuse de ce complot Gondi, Beaufort et Broussel. Condé se laisse persuader, et toute la noblesse prend le parti du vainqueur de Rocroy. Gondi, qui, dans ses Mémoires, aurait le droit de reprocher à son adversaire cet odieux procédé, se contente de dire que ce fut là une
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des meilleures inspirations de Mazarin, et qu'elle mit ses affaires " dans un prodigieux décréditement ».
Cependant il ne perd pas courage ; son activité croît devant le danger. Il commence par ranimer le zèle des curés de Paris, à l'aide desquels il tient le peuple. L'un d'eux lui écrit : « Vous remontez, " monseigneur, vous remontez ; avant qu'il soit " huit jours, vous serez plus fort que vos enne" mis.» Puis, quand tous ses préparatifs sont terminés, il annonce qu'il veut lui-même répondre dans le parlement à l'étrange accusation dont il est l'objet. Mazarin ordonne alors à l'oncle de Gondi, enseveli dans un de ses bénéfices depuis que son neveu est coadjuteur, de venir immédiatement occuper au parlement la place qui y est réservée à l'archevêque de Paris, afin que Gondi ne puisse pas y pénétrer. Celui-ci, averti par un de ses nombreux espions, accourt aussitôt auprès de son oncle; il le conjure de ne point se rendre au palais et de lui laisser ainsi la possibilité de
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se défendre. Le vieil archevêque, faible et jaloux de son neveu, se refuse à prendre une détermination qui servirait mal ses antipathies et le compromettrait auprès de la reine, et les supplications du coadjuteur viennent échouer devant l'inébranlable obstination du vieillard. Gondi n'abandonne pas la partie. Il voit et gagne le médecin de son oncle. Ici commence la comédie: seul Retz peut nous y faire assiter.
« Le médecin, dit-il (1), vint me trouver un « quart d'heure après avec de bonnes nou« velles. Il me dit qu'aussitôt que j'étais sorti " de la chambre de M. de Paris, il y était entré, " qu'il l'avait beaucoup loué de la fermeté avec « laquelle il avait su résister à son neveu qui le " voulait enterrer tout vif ; qu'il l'avait exhorté « ensuite de se lever en diligence pour aller au « palais ; qu'aussitôt qu'il fut hors du lit, il lui « avait demandé d'un ton effaré comme il se
(1) Page 178 des Mémoires de Retz.
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" portait; que M. de Paris lui avait répondu « qu'il se portait fort bien ; qu'il lui avait dit : " Cela ne se peut, vous avez trop mauvais vi" sage ; qu'il lui avait tâté le pouls, qu'il l'avait " assuré qu'il avait la fièvre et d'autant plus " à craindre qu'elle paraissait moins ; que M. de « Paris l'avait cru, qu'il s'était remis au lit, et " que tous les rois et toutes les reines ne l'en " feraient sortir de quinze jours.»
Cette scène, que Molière n'aurait pas refusée dans son Malade imaginaire, est significative, et elle n'aurait point été citée ici, si elle ne démontrait que dans les Mémoires de Retz comme dans la Fronde dont ils sont une fidèle image, les plus bizarres aventures accompagnent souvent les événements les plus sérieux, et qu'une partie au moins de cette époque, sinon la Fronde entière comme l'aurait voulu un de ses principaux acteurs (1), devrait être chantée en vers burlesques.
(1) Condé.
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Le coadjuteur se rend donc au parlement, mais auparavant il dépeint avec complaisance la gravité de la situation dans laquelle il se trouvait alors, afin d'augmenter l'importance de sa prochaine victoire. Son adversaire triomphe ; la plus grande partie du parlement s'est déjà prononcée contre Retz, et les princes, entourés de plus de mille gentilshommes, assistent avec toute la cour à la séance où il va être mis en accusation. Il se présente, non pas suivi, comme il le sera désormais, d'une nombreuse escorte, mais seulement accompagné de deux de ses parents. Comme toujours, il porte le rochet et le camail, et, tenant son bonnet à la main, il adresse à tous ceux qu'il rencontre un salut qui ne lui est pas rendu : c'est à ses yeux un dernier indice du danger qu'il court. Cependant sa hardiesse même ne laisse pas que de produire une certaine impression, et, « entendant un petit " bruit sourd pareil à celui qu'on remarque « quelquefois à des sermons à la fin d'une pé5.
pé5.
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« riode qui a plu, il en augure bien ». Le president de Mesmes prend la parole, et, en ordonnant le commencement des informations, il compare cette affaire à la conjuration d'Amboise. Après que des témoins achetés par le cardinal ont été entendus, Retz se lève, et, se servant très-adroitement du malencontreux rapprochement de Mesmes, il termine un très-habile discours par ces mots qui achèvent de lui donner l'avantage : « Est-il possible, messieurs, qu'un « petit-fils d'Henri le Grand, qu'un sénateur de « l'âge et de la probité de M. de Broussel, qu'un « coadjuteur de Paris soient seulement soup« çonnés d'une sédition où l'on n'a vu qu'un « écervelé à la tête de quinze misérables de la « lie du peuple ? Je suis persuadé qu'il vous " serait honteux de me voir m'étendre sur ce " sujet. Voilà, messieurs, ce que je pense de la « moderne conjuration d'Amboise (1). »
(1) Ce trait caractérise l'éloquence de Retz, qui est presque toujours de l'adresse et un merveilleux esprit
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Mais le coadjuteur ne se contente pas de cette victoire remportée dans le parlement; il veut qu'elle lui serve à gagner encore davantage le peuple. Afin d'obtenir ce résultat, il choisit pour sujet d'un sermon prêché dans une des églises les plus fréquentées de Paris la charité chrétienne, et se garde bien d'y toucher en rien à l'accusation dont il vient d'être l'objet, ce Toutes « les bonnes femmes pleurèrent, dit Gondi, en " faisant réflexion sur l'injustice de la persécu" tion que l'on faisait à un archevêque qui n'a" vait que de la tendresse pour ses propres " ennemis. »
Un plus long développement de la lutte de Gondi et de Mazarin me forcerait à sortir du cadre de cette étude. Je ne dirai donc pas l'arrestad'à-propos
l'arrestad'à-propos à mettre à profit les fautes de l'adversaire. Il indique d'ailleurs lui-même quelles sont ses théories en éloquence, quand il dit que « le talent d'insi« nuer est plus d'usage que celui de persuader, « parce « que l'on peut insinuer à tout le monde et que l'on « ne persuade presque jamais personne ».
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tion des princes, leur mise en liberté, deux faits contraires qui furent tous les deux le résultat de la politique de Retz ; l'admirable présence d'esprit avec laquelle il sut, déjouant les projets de son adversaire, répondre à une nouvelle accusation, portée contre lui devant le parlement, par une phrase (1) si bien construite et qui avait une telle odeur de parfaite latinité, qu'il put, en la mettant sur le compte de Cicéron, aveugler ses accusateurs ; le départ de Mazarin de la cour et l'habileté qu'il eut de la diriger encore du fond de son exil, laissant à son plus grand avantage le parti de Condé et celui de Retz s'affaiblir mutuellement par des rixes journalières, des pamphlets et des épigrammes, et des attaques à main armée ; l'adresse que déploya Gondi pour faire confirmer à Rome sa nomination au cardinalat arrachée à la reine dans un moment où
(1) In difficillimis reipublicoe temporibus, urbem non deserui ; in prosperis, nihil de publico delibavi ; in desperatis, nihil timui.
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elle avait besoin de lui contre Condé, et cela lorsque Mazarin cherchait déjà à susciter près du pape des obstacles à cette promotion ; l'immense influence exercée par Retz sur le faible duc d'Orléans qu'il maniait et menait à sa guise, tout en paraissant obéir lui-même à la volonté de l'ombrageux Gaston ; la rapidité avec laquelle le premier ministre vint se placer à la tête de la cour sortie de Paris et poursuivant Condé dans la Guienne ; le triomphe de la royauté, la position menaçante conservée par le coadjuteur après ce triomphe, son arrestation, les rigueurs de sa prison, son évasion de Nantes admirablement combinée et qui aurait causé de funestes embarras à la cour, si Retz ne s'était pas démis l'épaule dans sa fuite ; et enfin les courses dans l'étranger du remuant prélat dont les intrépides regards et les artificieuses manoeuvres poursuivent sans cesse son vainqueur, qu'il hait au point de sacrifier à cette haine son repos, sa fortune, ses affections, et, afin de ne
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pas donner à son adversaire le spectacle de son humiliation, d'attendre la mort de Mazarin pour se soumettre à Louis XIV.
Tel est le grand tableau qui se déroule dans les Mémoires du cardinal de Retz. Telle est la lutte dans la description de laquelle Gondi excelle. Il est pourtant d'autres parties de sa vie qu'il se complaît davantage encore à exposer. Ce sont celles où il se fait voir au milieu du feu, du tumulte, du danger et de la populace. Ce n'est plus alors seulement son amour-propre qui est en jeu, c'est son être fout entier qui se ranime, et cette entraînante impétuosité qu'il a montrée dans l'action, il sait la conserver dans le récit (1).
Ayant appris que Condé, revenu de la Guienne et irrité des cabales que Retz forme contre lui, veut le faire enlever, il s'enferme dans les tours de Notre-Dame et s'y barricade. Avec
(1) Eodem animo scripsit quo bellavit.
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quelle animation et quelle complaisance il nous parle des dangers courus et nous expose dans leurs moindres détails les précautions prises et les préparatifs de défense, et à l'intérêt qu'il y attache dans sa description, comment ne pas reconnaître à quel point l'exilé de Commercy se réjouit encore au souvenir de cette lutte périlleuse !
Ailleurs, nous le voyons se préparer à une rencontre dans le parlement avec Condé qui doit l'y attaquer, et on trouve dans cette narration saisissante la même vigueur de ton et les mêmes satisfactions. Il se hâte dans son récit à en perdre haleine et à fatiguer le lecteur qui a peine à le suivre ; il presse ses gens, ses valets, ses soldats pour être plus tôt là où l'attend le danger, par conséquent la gloire. Il arrive enfin avec une nombreuse escorte que soutiendra la populace, postée par lui dans les tribunes. Condé et ceux de son parti se présentent à leur tour et achèvent de remplir l'enceinte. Le temple de
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la justice est devenu un camp ; ses vestibules sont encombrés, ses portes obstruées ; des mots et des signes de ralliement sont transmis ; on en viendrait aux mains sans l'intervention de l'intrépide Molé, et Retz, s'étant rendu dans une salle voisine, est sur le point d'être assassiné (1) par La Rochefoucauld et Coligny.
Le lendemain, le coadjuteur, présidant la grande procession des cordeliers, se croise dans la rue avec Condé et ce même parti qui a failli l'égorger la veille ; l'escorte s'arrête ; Condé descend de son carrosse, s'agenouille devant le prélat, et celui ci lui donne gravement sa bénédiction.
O la singulière époque et qu'elle serait bur(1)
bur(1) n'est pas le seul qui donne avec précision tous les détails de cette tentative. Joly, qui d'ordinaire lui est peu favorable, relate ce fait, ainsi que madame de Motteville, toujours exacte quand, Anne d'Autriche sa maîtresse n'étant pas en jeu, son affection ne l'aveugle point. Seul, La Rochefoucauld nie ce fait dans ses Mémoires, mais il avait plus d'intérêt encore à le nier que Retz à l'inventer. Il le fait d'ailleurs dans des termes qui mettent en doute sa véracité, bien plus que celle de Gondi.
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lesque si la guerre civile pouvait jamais avoir ce caractère ! O le singulier prélat et quel dégoût il inspirerait souvent par ses actes, s'il n'avait pas l'art d'exciter tant d'intérêt par ses récits !
Toutefois, et malgré le prestige d'un immense talent, on détourne involontairement la tête ; après avoir vu ce prélat passant de la dissipation à l'autel, de la borne du carrefour à la chaire sacrée, grotesquement porté en triomphe par les femmes de la halle, et tachant de sang et de boue ses habits pontificaux sous lesquels il cache des armes, on éprouve le besoin de fixer sa pensée sur d'autres souvenirs. Malgré soi on s'avance alors de deux siècles, et, se transportant à une époque rapprochée, l'on aperçoit un archevêque de Paris, comme Retz , venir comme Retz sur les barricades, au milieu du feu et de l'émeute, mais, lui, touché des malheurs de la guerre civile qu'il n'a pas allumée, aller simplement et sans bruit au danger,
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et pour le bien de tous offrir sa vie en holocauste !
V.
Par un singulier et remarquable privilége, qui en fait une oeuvre unique et incomparable, les Mémoires du cardinal de Retz sont, dans le long débat auquel la Fronde a donné lieu, à la fois cités et invoqués en témoignage par les accusateurs et par les avocats de cette grande cause. Les uns comme les autres puisent dans le même livre leurs arguments et leurs preuves, et, chose merveilleuse, les uns comme les autres n'en ont pas de meilleurs.
Tandis, en effet, que les premiers y trouvent à chaque pas la trace de fausses démarches, d'actes inavouables, de mobiles honteux, de scènes grotesques, et qu'ils emportent de cette lecture de tristes et pénibles impressions d'où sortira un jugement sévère, les seconds, ravis
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d'y découvrir de profonds aperçus politiques, de hautes et judicieuses vues, des conseils sages et modérés de reforme et une expérience précoce et inattendue, ne cherchent pas ailleurs les causes de leur indulgente opinion pour la Fronde, car c'est en voyant son principal acteur développer avec une telle netteté des théories qu'on ne retrouve exposées de nouveau que dans le siècle des philosophes, qu'ils se sont décidés à considérer cette tentative comme une espèce d'avantcoureur de la Révolution française. Peu de livres ont eu une pareille fortune ; peu d'écrivains ont pu avec un aussi grand bonheur reproduire à la fois dans leur oeuvre le majestueux ensemble et les infimes détails, les graves commencements et les fins burlesques, les grands et les petits côtés de leur époque.
Ces grands côtés, Retz a su les voir et les comprendre. S'il en a peu tenu compte dans la pratique, ils lui ont apparu dans sa retraite brillants et lumineux, et cet inimitable maître, ca-
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pable d'apprécier et de deviner les révolutions tout aussi bien qu'il comprend les cabales et les émeutes, et plus heureux dans ses paroles que dans ses actes, se montre à nous dans son oeuvre aussi judicieux historien, aussi profond philosophe, qu'il a été dans l'action aventureux frondeur et factieux remuant.
Cet important problème de la forme du gouvernement des peuples, Retz ne tarde pas à l'exposer. Dès le début de son livre, il indique ses opinions à cet égard. Son idéal en politique est ce juste et sage milieu entre un pouvoir trop absolu et une liberté illimitée, entre les excès du despotisme et les dérèglements de la licence, but si vainement poursuivi dans tous les temps et qui apparaît comme un bien plus doux à désirer que facile à obtenir, dans cette France fougueuse et mobile, où l'on se précipite tour à tour dans les extrémités les plus opposées, où les réactions sont aussi violentes qu'ont été exagérés les actes contraires, où le despotisme
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fait amèrement regretter la liberté, et où la liberté est si souvent l'anarchie qu'on y regretterait la servitude, si la servitude pouvait jamais être regrettée.
Afin d'obtenir ce " sage milieu » , Retz prouve l'intérêt qu'ont les souverains à apporter eux-mêmes ce qu'il appelle un tempérament à leur pouvoir, " Les bons et sages princes, » dit-il avec grand bonheur d'expression, " ont " considéré ce tempérament comme un assai" sonnement de leur pouvoir très-utile pour le " faire goûter aux sujets, et ce n'est que par " les malhabiles et les malintentionnés qu'il a " été regardé comme un obstacle à leur dérè" glement et à leur caprice. »
" Les rois, » dit-il ailleurs, " qui ont connu « leurs véritables intérêts, ont rendu les parle" ments dépositaires de leurs ordonnances pour " se décharger d'une partie de l'envie et de la " haine que l'exécution des plus saintes et " même des plus nécessaires produit quelque-
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" fois. Ils n'ont pas cru s'abaisser en s'y liant " eux-mêmes, semblables à Dieu qui obéit tou« jours à ce qu'il commande une fois (1). Les " monarchies les plus établies et les monarques « les plus autorisés ne se soutiennent que par « l'assemblage des armes et des lois. Il n'y a " que Dieu qui puisse subsister par lui seul, " Les lois désarmées tombent dans le mépris ; « les armes qui né sont pas modérées par les " lois tombent bientôt dans l'anarchie. »
Après avoir cité, à l'appui de sa thèse, l'exemple de saint Louis, de Charles V, de Louis XII et d'Henri IV, qui tous, dit-il, ont placé leur puissance " au-dessous des lois », il montre Richelieu " formant dans la plus légitime des " monarchies la plus scandaleuse et la plus dan" gereuse tyrannie qui ait jamais asservi un « État ». Il ne méconnaît certes pas les grandes choses faites par le puissant ministre ; il dé(1) Sénèque avait dit de la Divinité : semel jussit, semper pare.
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clare que Richelieu a conçu et exécuté deux desseins ce qui lui paraissent presque aussi vastes " que ceux des César et des Alexandre », celui de faire cesser les guerres de religion et celui d'abattre la formidable maison d'Autriche ; mais il ne lui pardonne point son despotisme, et il fait remarquer non sans raison que, « si le des« tin lui avait donné un successeur de son mé" rite, la qualité de premier ministre aurait " rappelé en France celle si odieuse des maires " du palais ou des comtes de Paris ».
On ne saurait s'étonner de rencontrer ces sentiments chez une des victimes de ce despotisme. On doit même féliciter Gondi d'avoir été équitable et clairvoyant au point de ne s'être pas laissé influencer par la répulsion qu'inspirait aux contemporains de Richelieu l'odieux des moyens employés, et d'avoir su reconnaître, tout en réprouvant la voie choisie pour l'atteindre, la grandeur du but poursuivi. Ce n'est pas en effet ce qui arrive d'habitude. Le des-
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potisme, quand il est nécessaire pour asseoir un pouvoir peu respecté et pour obtenir de grands résultats (et le despotisme de Richelieu a cette double justification), n'est d'ordinaire sainement appréciée qu'à une certaine distance. Ceux qui le voient de trop près le subissent et, ne le jugeant que par les coups rigoureux qu'il porte, l'ont en aversion. La postérité, qui embrasse l'ensemble de l'oeuvre, qui n'a pas à souffrir des moyens employés pour la faire réussir, est presque toujours tentée d'oublier ces moyens passagers, quand ils ne sont pas trop iniques, pour ne tenir compte que des résultats durables et en faire la gloire de celui qui les a obtenus.
Aussi Retz doit-il être loué d'avoir compris Richelieu, tout en le condamnant, et excusé d'avoir entièrement méconnu Mazarin, si toutefois il l'a méconnu, car, Mazarin étant son adversaire, Gondi avait intérêt à le présenter dans son livre sous un jour défavorable.
Mais qu'à l'égard de son rival heureux la sa-
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gacité ordinaire de Retz ait été réellement mise en défaut par sa haine ou à dessein méconnue par sa rancune, elle reparaît clairvoyante et complète, quand il s'agit d'exposer les débuts de la Fronde. Lui seul sait les justifier ; lui seul sait exprimer les véritables griefs du parlement et du peuple, lui seul sait nous développer les craintes légitimes que devaient nécessairement faire naître l'absence de tout contrôle et de tout contre-poids dans l'État, supportée jusque-là en silence par les victimes de Richelieu, à qui la mort du redoutable ministre redonnait pour longtemps la parole ; la nomination d'un étranger, son influence de jour en jour plus saisissable, quoique très-habilement dissimulée; une volonté unique, et dont on ne soupçonnait pas encore les grands desseins, se substituant à la volonté de la reine ; le même envahissement de tous les pouvoirs non par la force et l'arbitraire comme sous Richelieu, mais par la séduction et par la ruse, moyens plus antipathiques, quoique
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moins iniques, parce qu'ils accusent la faiblesse de celui qui les emploie.
Et d'ailleurs, comme le fait observer avec raison Gondi, le mal qui allait éclater avait depuis longtemps montré ses symptômes. « Le renverse" ment des anciennes lois, l'anéantissement de « ce milieu qu'elles ont posé entre les peuples « et les rois, l'établisement de l'autorité pu« rement et absolument despotique sont, dit " Retz, les motifs qui ont jeté tout d'abord la « France dans les convulsions dans lesquelles " nos pères l'ont vue. Le cardinal de Richelieu « la vint traiter comme un empirique avec des « remèdes violents qui lui firent paraître de la « force, mais une force d'agitation qui en épuisa " le corps et les parties. Le cardinal Mazarin, « comme un médecin très-inexpérimenté, ne " connut point son abattement. Il ne le soutint « point par les secrets chimiques de son prédé" cesseur ; il continua de l'affaiblir par des sai" gnées ; elle tomba en léthargie et il fut assez
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« mal.habile pour prendre ce faux repos pour « une véritable santé. Les provinces aban" données à la rapine des surintendants demeu« raient abattues et assoupies sous la pesanteur " de leurs maux, que les secousses qu'elles " s'étaient données de temps en temps sous le « cardinal de Richelieu n'avaient fait qu'aug" menter et qu'aigrir. Les parlements, qui " avaient tout fraîchement gémi sous sa tyran" nie, étaient comme insensibles aux mesures " présentes par la mémoire encore trop vive et " trop récente des passées. Les grands, qui « pour la plupart avaient été chassés du royaume, « s'endormaient paresseusement dans leurs lits, " qu'ils avaient été ravis de retrouver. Si cette " indolence générale eût été ménagée, l'assou« pissement eût peut-être duré plus longtemps, " Mais, comme le médecin ne le prenait que « pour un doux sommeil, il n'y fit aucun re" mède. Le mal s'aigrit; la tête s'éveilla, " Paris se sentit, il poussa des soupirs, l'on n'en
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« fit point de cas : il tomba en frénésie. » Puis, quand il a expliqué avec quelle rapidité les esprits passent d'un complet découragement qui leur fait croire que le mal présent ne finira jamais, à l'extrémité toute contraire, et qu'alors, loin de considérer les révolutions comme impossibles, ils les jugent naturelles et faciles, Retz indique quel fut ce moment de changement soudain pendant la régence, " Le parlement gronda « sur l'édit dû tarif, et aussitôt qu'il eut seu" lement remué, tout le monde s'éveilla. L'on « chercha en s'éveillant comme à tâtons les lois : « on ne les trouva plus, on s'effara, on cria, on « se les demanda, et dans cette agitation les " questions que leurs explications firent naître, " d'obscures qu'elles étaient et vénérables « par leur obscurité, devinrent problématiques " et, à l'égard de la moitié du monde, odieuses, " Le peuple entra dans le sanctuaire; il leva le " voile qui doit toujours couvrir tout ce que l'on " peut dire, tout ce que l'on peut croire du
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" droit des peuples et de celui des rois qui ne " s'accordent jamais si bien ensemble que dans " le silence. »
Que cette exposition, admirable de netteté et de force, soit chez Retz un effet de l'art amené par le désir de se justifier, et que les hautes et profondes vues qu'il laisse apercevoir dans son récit ne lui aient apparu que dans sa retraite, il n'en est pas moins incontestable que l'élément constitutionnel de la Fronde se dégage clairement dans ses Mémoires, et que, si nous voyons ensuite avec tristesse le but principal oublié, mille chemins de traverse se former vers des intérêts privés et aller aboutir à un échec général et ridicule, la voie première est tout d'abord dessinée par lui belle, droite et grande, et on la suit en croyant marcher vers une heureuse réforme.
Mais le moment n'était pas encore venu d'atteindre ce grand but. Il aurait fallu d'autres acteurs, des besoins plus pressants de change6.
change6.
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ment, une entente plus complète entre les partis, un intérêt général plus distinct, et il entrait d'ailleurs dans l'admirable économie de notre histoire, de faire, auparavant, aboutir l'anarchie des temps de la Fronde à un pouvoir absolu qui, par la force fatale des choses, abusera de sa puissance, et, d'excès en excès, de faute en faute, en viendra au point de produire une tendance universelle vers la liberté, qui seule pourra engendrer une révolution irrésistible et féconde.
Sans avoir deviné ce qu'il était alors impossible de prévoir, il est certain que Retz a eu une perception confuse, sinon des grandes choses qui devaient être réalisées dans le siècle suivant, au moins des ressorts qui devaient les mettre en mouvement.
« Je sais, » dit-il dans une de ses conversations soit avec Condé, soit avec le duc de Bouillon, véritables morceaux d'éloquence qu'il prétend reproduire dans toute leur exactitude,
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ayant eu le soin de les noter immédiatement, mais qui sont trop étudiés pour n'être pas le résultat d'un long travail fait à Commercy, et qui n'en sont d'ailleurs pas moins significatifs, quelle que soit leur origine ; « je sais que vous " comptez les peuples pour rien parce que la « cour est armée ; mais permettez-moi de vous " dire qu'on les doit compter pour beaucoup " toutes les fois qu'ils se comptent eux-mêmes " pour tout. Ils en sont là. Ils commencent eux" mêmes à compter vos armées pour rien ; le « malheur est que leur force est dans leur ima" gination, et l'on peut dire avec vérité que, à " la différence de toutes les autres sortes de " puissances, ils peuvent, quand ils sont arri" vés à un certain point, tout ce qu'ils croient " pouvoir. »
Et plus loin : " Les grandes affaires consistent " encore plus dans l'imagination que les petites, " Celle des peuples fait quelquefois toute seule " la guerre civile. »
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" Les actions extraordinaires » , dit-il ailleurs, " ressemblent au coup de foudre : le tonnerre " ne fait jamais de violents éclats, ni des effets " dangereux, que quand les exhalaisons dont il " se forme se sont longtemps combattues. Il en " est ainsi des révolutions dans les grandes " affaires : si elles n'ont pas été méditées long" temps, leur effet est presque nul. »
Ne croit-on pas, en lisant ces fortes maximes, qu'elles sont extraites d'une histoire de la révolution française, et, pour retrouver une pareille opinion ainsi exprimée sur le peuple, ne faut-il pas franchir tout le règne de Louis XIV, pendant lequel on est étonné de la voir exprimée, et, s'avançant d'un siècle, arriver jusqu'au tiers-état de l'abbé Sieyès ?
Retz n'est-il pas encore ici prophète, et, dans sa prudente sagacité, ne prévoit-il pas déjà ce qui devait plus tard être réalisé sur une si grande échelle, quand, après avoir parlé des rentes de l'hôtel de ville " qui sont, dit-il, le patrimoine de
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" tous ceux qui ont peu de bien », il ajoute : « ce qui, bien entendu et bien ménagé, pour" rait être très-avantageux au service du roi, " parce que ce serait un moyen sûr, et d'autant « plus efficace qu'il serait imperceptible, d'atta« cher à sa personne un nombre infini de fa" milles médiocres, qui sont toujours les plus " redoutables dans les révolutions? »
Qu'est donc Retz ? Quel est ce singulier génie, qui sait à si peu d'intervalle être grand et petit, profond et léger, et qui, nous donnant dans son oeuvre une fidèle image de l'inégalité de sa conduite, y fait succéder les plus hautes vues aux récits les plus grotesques et les plus dévergondés? Comment pouvoir réunir en un seul portrait des traits si divers, et, devant une telle mobilité, comment ne pas hésiter à peindre un personnage qui se dérobe à nous sous tant de formes et nous déconcerte par tant de qualités et de vices contraires ?
D'un côté, nous vovons ce courage audacieux
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et chevaleresque qui cent fois lui fait exposer sa vie et qui le porte à déchirer les sauf-conduits que lui envoie la reine en l'appelant à elle, afin de se rendre seul et sans défense dans une Cour où il se sait détesté; cette générosité inépuisable avec laquelle il vient au secours de Charles II, réfugié en France, et d'Henriette d'Angleterre, qui ne se lève pas faute de feu dans le pays de sa mère ; cette grandeur d'âme, grâce à laquelle il s'oppose de toutes ses forces à la vente publique de la bibliothèque de Mazarin, et défend les jours d'un officier envoyé par ses ennemis pour l'assassiner et que la populace menace de sa colère ; cette admirable présence d'esprit qui, au moment de son évasion du château de Nantes, lui permet de crier à la sentinelle préparant déjà son arme contre lui : " Je te ferai pendre si tu tires ! » et, lui inspirant ainsi l'idée que cette évasion est autorisée par le maréchal de La Meilleraye de venu son complice, sauve la vie de Gondi du plus grand danger qu'elle ait jamais connu ;
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cette force tellement surhumaine qu'elle arrache un cri d'admiration à Guy Joly lui même, et avec laquelle Retz, s'étant un moment après son évasion démis l'épaule, se déchire lui-même la chair pour ne pas succomber à l'évanouissement dont le menacent ses intolérables souffrances et qui le rejetterait entre les mains de ses ennemis ; cette familiarité qui le faisait descendre jusqu'aux plus petits et que rendait plus frappante la noblesse de ses rapports avec les plus grands; cette inaltérable fidélité envers ses amis dont il se préoccupa autant que de lui-même, au moment de sa soumission ; cette éloquence insinuante et persuasive qui, avec sa merveilleuse vivacité d'impressions, lui assurait un incontestable avantage dans les luttes du parlement ; ce haut sentiment de patriotisme qui lui fit constamment refuser, dans ses courses à travers l'étranger, les offres des ennemis de la France, et qui le poussa à soutenir jusque dans le conclave et en présence des ambassadeurs
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français qui gardaient le silence, l'honneur de son pays outragé (1); enfin cette hauteur de vues, cette profondeur dans les jugements, cette rapide justesse dans le coup d'oeil qui lui permet de lier sûrement les effets aux causes et de pénétrer presque au fond des destinées d'un grand peuple.
Mais, d'un autre côté, apparaissent dans toute leur triste réalité cet orgueil indomptable par lequel Gondi, exagérant l'importance des grandes facultés dont il se sait doué, les croit aptes à toute chose, traite d'égal à égal avec toutes les puissances, et se met sans hésiter, à la hauteur de Cromwell (2) ; cet étrange cynisme, car ici
(1) Au conclave où fut élu Alexandre VII, le duc de Ferentina, ambassadeur d'Espagne, donna à son souverain le titre de fils ainé de l'Église. Retz s'opposa avec la plus grande énergie à ce que cette qualification, réservée aux rois de France, fût maintenue à un autre prince, et il finit par l'emporter.
(2) « Mazarin, » dit Retz (p. 234 de ses Mémoires), " parla à Monsieur dans la petite chambre grise de la " reine, du parlement, de M. de Beaufort et de moi,
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ce n'est plus de la sincérité, qui le fait s'étendre complaisamment sur tous ses succès de galanterie, raconter comment il s'est consolé des infidélités de mademoiselle de Chevreuse avec sa suivante, et donner, sur les conséquences de ses honteuses débauches, des détails d'une crudité révoltante ; cette singulière morale,au moyen de laquelle la prétendue grandeur du but poursuivi justifie à ses yeux les crimes même commis pour l'atteindre ; cet amour de la cabale et de la faction qui l'a retenu au milieu de la lutte, quand mille portes lui ont été ouvertes pour en quitter avec honneur le théâtre où avait pu l'appeler sa rancune, mais d'où devait l'éloigner aussitôt le caractère sacré dont il était revêtu ; et, enfin, cette ambition démesurée qui, dès ses plus jeunes années, a enflammé son imagination, et, quoi qu'il en dise, a dévoré toute son existence ; qui, une fois le chapeau de cardinal arraché à la
« comme de la chambre basse de Londres, de Fairfax et " de Cromwell. »
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reine, après une longue suite de ruses et d'intrigues, lui a fait porter ses vues sur le ministère, et, afin de l'obtenir, l'a déterminé, à sa honte éternelle, à prolonger pour son seul intérêt personnel une lutte sanglante, et pour cela à affaiblir l'un par l'autre Mazarin et Condé, à soutenir le parti le plus faible et qui allait céder contre le plus fort dont il retardait ainsi la victoire, à armer contre le roi Gaston lui-même son protecteur naturel, et à rompre, par des dissensions sans cesse renaissantes, les paix récemment conclues; tactique habile mais désastreuse pour la France, en ce qu'elle a détourné de la poursuite d'un grand but, et à empêché le succès de justes demandes, lactique qui a été d'ailleurs celle de presque tous les grands de l'époque, mais qui chez eux était moins dangereuse, parce que leurs moyens d'action étaient moins étendus que ceux de l'archevêque de Paris, et qui présente Gondi à la postérité comme le mauvais génie de la Fronde ! Tel Retz se montre à nous dans ses
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Mémoires. Seule, là poursuite du ministériat n'y est pas clairement indiquée ; mais le silence même que garde le prudent Retz à cet égard est révélateur, car il laisse entre bien des actes et bien des démarches une lacune si visible, que le lecteur la comble involontairement. Pourquoi Gondi contribue-t-il successivement à l'emprisonnement et à la mise en liberté de Condé? Pourquoi se lie-t-il avec la cour contre le parti des princes, quand celui-ci est redoutable ? Pourquoi répond-il à Bertet, qui lui expose l'embarras de Mazarin : « Donnez-moi le roi de « mon côté deux jours, et vous verrez si je « serai embarrassé ? » Pourquoi enfin, pensant, mais trop tard, qu'avant d'obtenir de la reine le ministère, il faut d'abord plaire à la femme, et ayant appris qu'Anne d'Autriche a dit de lui: " Non, il n'est pas laid ; il a les dents fort belles, " et un homme n'est jamais laid avec cela », s'est-il rendu pendant plusieurs jours chez elle, et sous des prétextes futiles, y laissant à dessein
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tomber la conversation, paraissant préoccupé, s'emportant tout à coup avec violence contre Mazarin, faisant succéder à ces habiles accès de jalousie une distraction aussi calculée, et tenant les yeux fixés avec une admiration et une persistance flatteuses sur les mains de la reine, qui sont fort belles ?
Mais si, dans les Mémoires du cardinal de Retz, on assiste à l'artificieuse exposition d'une conduite coupable, on voit ensuite survenir par une équitable compensation les conséquences de cette conduite, et ce spectacle triste mais saisissant offre un enseignement d'autant plus persuasif, qu'il n'est pas indiqué et qu'il ressort avec force des actes mêmes.
Avec quelle amertume, en effet, Gondi, qui avait tenu dans ses mains puissantes les fils qui agitèrent un moment tout Paris, arrivé au récit de son arrestation et de son emprisonnement à Vincennes, a dû écrire ces mots : " Le marquis " de Chateaurenaud, qui se donna bien du
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" mouvement ce jour-là pour émouvoir le « peuple, n'y trouva pas jour. Rien ne branla " dans la ville (1) ! »
Nous trouvons ensuite Gondi, après son évasion de Nantes,à charge à ses amis ; obligé de demander à ses parents une hospitalité qui leur paraît dangereuse, et qu'ils ne tardent pas à refuser ; parcourant l'Espagne, exposé aux plus grands périls au milieu d'une révolte, traversant la mer, y sauvant avec peine sa vie de deux naufrages ; abordant enfin en Italie, s'y trouvant en butte aux tracasseries des représentants de la France et en présence d'un pape faible (2), et qui craint de se compromettre auprès de Louis XIV en soutenant son ennemi ; contraint de quitter Rome, puis l'Italie, réduit à vivre des dons qui lui sont secrètement envoyés de la France ; exposé à l'ingratitude de ses domestiques, dont
(1 ) Page 418 des Mémoires de Retz. (2) Alexandre VII.
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l'un (1), le poursuivant partout de sa haine, note, en les commentant, tous les actes de son maître pour en dresser la plus odieuse et la plus terrible accusation. Puis, parvenu à cette partie de sa vie qu'il avait cependant bien le temps encore de raconter, Retz interrompt tout à coup et sans motif apparent sa narration comme s'il avait reculé devant le récit des cinq années qui précédèrent sa soumission, et pendant lesquelles, errant à travers la Hollande, l'Angleterre et les Pays-Bas, courant de ville en ville, ne s'arrêtant ni dans une résidence ni dans une demeure déterminées, habitant les auberges et les mansardes, ne recherchant qu'une société indigne de lui et de son rang, il se laissa envahir par de lâches découragements, et, cédant à de dégradantes défaillances, oublia les merveilleuses facultés qui lui avaient été données en partage.
(2) Guy Joly.
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Quel spectacle pénible, mais instructif! Comme cet admirable livre, aussi complet que les oeuvres antiques, nous montre les châtiments après les fautes et les plus déréglés desseins suivis des plus rudes mécomptes !
Cependant Gondi n'a point été transformé par les épreuves qu'il a subies et les événements qu'il a traversés ; dans sa retraite, il est encore lui-même, et la vaine gloire est toujours ce qui le séduit le plus. Seule, sa prodigalité, qui d'ailleurs lui est maintenant inutile, a disparu pour faire place à l'honorable austérité qui lui permet de payer ses dettes. Mais sa passion principale couve encore sous le feu mal éteint qui a brûlé sa vie tout entière, et, quand il la remue en l'exposant, elle le domine et l'entraîne tout comme par le passé.
Aussi Retz, fidèle jusqu'à la fin à son vain système de fatalisme et attribuant son revers, comme nous l'avons vu attribuer son élévation, à un futile accident, s'écrie-t-il que « sans la
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120 LE CARDINAL DE RETZ
" chute de cheval qu'il fit en sortant de Nantes, " son évasion se serait tournée à le rendre " maître de la capitale du royaume ». Dernière illusion qu'il se fait à lui-même, et qui laisse une suprême et chère consolation à l'orgueil de ce superbe vaincu !
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DEUXIEME PAIRTE L'ÉCRIVAIN
I
Si nos pensées sont essentiellement nousmêmes, il y a aussi beaucoup de nous-mêmes dans la manière de les exprimer, dans cet ordre et cet arrangement avec lesquels nous les classons, dans ce mouvement que nous savons leur imprimer et dans cette vie que nous parvenons à leur communiquer. Puisque, en effet, nos pensées sont notre essence même, puisque nous leur donnons un corps par le langage, il est impossible que ce corps ne garde pas notre empreinte et que, dans sa forme, dans ses traits,
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dans ses allures, il ne porte pas les traces de son origine. Le style est l'homme.
Cette corrélation naturelle entre l'esprit et la parole se montre surtout dans la forme que prennent les idées et le tour qu'on leur donne. Le caractère de l'homme, le genre de sujet qu'il traite, la situation du personnage qu'il fait parler ou de celui qu'il revêt lui-même, l'impression plus ou moins vive qu'il reçoit des faits racontés, s'exercent comme autant d'influences sur ce que j'appellerai cette malléabilité du style, qui le rend susceptible d'être façonné à la ressemblance de l'écrivain.
Or toutes ces influences se réunissent pour faire du style de Retz, le style le plus transparent, le plus personnel, et, en quelque sorte, le plus imprégné des idées et des sentiments de l'auteur. C'est lui-même qui est en scène ; ce sont des actes d'un intérêt très-vif, même pour ceux qui y sont étrangers, qu'il raconte, et il les évoque de nouveau avec cette ardente imagination qui,
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après avoir égaré la conduite de l'homme en le poussant par des voies périlleuses à la poursuite d'un but chimérique, illumine le style de l'écrivain, lui donne le souffle et la vie, et fait revivre Retz, tel qu'il a été, dans son oeuvre immortelle. Tout ce qu'il a fait, il le revoit, et aussitôt il le reproduit avec une telle vivacité de langage, que non-seulement le lecteur voit à son tour, mais encore ne peut pas ne point voir. Les récits brillent éclatants et lumineux, et le style a si complétement conservé la chaleur et la force de l'écrivain, que le lecteur en reçoit malgré lui le contact entraînant : il s'anime, il prend feu ; le bruit de l'émeute l'agite, l'odeur de la poudre lui monte à la tête; il devient presque séditieux par contagion ( 1 ).
L'imagination est à ce point la qualité principale du style de Gondi, que, si elle cesse de le conduire, lorsque lui même n'est plus en scène
(1) Brossette a dit, des Mémoires du cardinal : « Ils me rendent séditieux. »
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et qu'il nous expose quelques tableaux où il ne figure pas, son langage s'obscurcit tout à coup ; la nuit se fait dans l'oeuvre ; on ne voit, on n'entend plus; tout est froid et lourd, on cherche à tâtons le sens des mots et on ne le trouve pas ; l'intérêt manque avec la vie : on est presque tenté d'abandonner sa lecture. Mais heureusement ces sombres et obscurs passages sont courts et rares dans la voie que nous fait suivre Gondi, et il ne tarde pas à.reparaître lui-même. La lumière nous arrive alors comme par enchantement ; la vie reprend, tout redevient brillant et splendide, et nous ne conservons, de ces obscurités momentanées, qu'un souvenir confus qui nous rend plus agréable encore la clarté présente. Retz obéit à l'imagination, cette maîtresse impérieuse qui l'entraîne. Lorsqu'elle lui rappelle un tableau, il a hâte de le reproduire comme s'il craignait de le voir disparaître, et sa plume impétueuse se précipite sans s'arrêter à la suite de sa pensée qui court et vole. Dans ces mo-
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ments, il se sert de tout pour rendre cette entraînante pensée, trouvant l'expression saus beaucoup la chercher, la créant même quand elle lui manque.
Veut-il indiquer en deux mots la rapidité avec laquelle Mazarin sut asseoir sa puissance, il dira que « le premier ministre fit si bien qu'il se « trouva sur la tête de tout le monde dans le « temps que tout le monde croyait encore « l'avoir à ses côtés ».
Veut-il peindre en deux traits le caractère du duc de Brissac ou la fatalité attachée au duc de La Meilleraye, il dira de celui-ci : « le maréchal tout pétri de contre-temps; » de l'autre: « c'était « un homme de cire plus susceptible qu'aucun « que j'aie jamais connu des premières impres« sions. » Puis il nous montrera le parlement incidentant sur la manière de le juger, Laigues qui était l'homme du monde qui s'incapriciait le plus facilement, la plupart des frondeurs sensibles à des pointilles de gloire et la cour touchée à la
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prunelle de l'oeil par la révocation des intendants.
On le voit, sa préoccupation constante est moins de parler avec une correction irréprochable qu'avec une clarté éblouissante. Il sacrifie quelquefois à cette qualité les premiers principes même de la langue, et, à ses yeux, bien écrire est avant tout exprimer exactement sa pensée et la rendre aussi éclatante au lecteur qu'elle l'est pour lui-même.
Nous l'avons vu mettre beaucoup d'art dans certaines parties de sa composition, surtout quand il s'agissait de justifier une faute. Mais, dans le récit, il ignore tout ce qui trahit l'apprêt et la recherche. A ces artifices du langage, à ces nuances fines et délicates, à ces tours ingénieux et souvent forcés qui plaisent comme le spectacle de toute difficulté vaincue, Retz préfère le naturel, ce charme suprême qui enchante le lecteur et lui fait lire sans effort ce qui paraît avoir été écrit sans peine. Les images lui sont familières comme elles doivent l'être à un peintre
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d'un tel génie, mais il les exclut quand elles ne sont qu'ornement ; il ne les emploie que pour mieux fixer sa pensée et pour l'enfoncer en quelque sorte dans l'esprit de ceux qui le lisent. « Le roi, dit-il, revint de Normandie, tout cou" vert de lauriers ; la senteur en entêta un peu « trop le cardinal et il parut à tout le monde à « son retour beaucoup plus fier qu'il n'avait paru « avant son départ. »
Et ailleurs : « Mazarin se faisait un grand « mérite de ce qu'il avait fait évanouir avec un « peu de poudre d'alchimie cette nuée de pré" tentions. Vous verrez par la suite qu'il eût " fait sagement d'y mêler un peu d'or. »
Ce désir d'être compris ne le conduit point à être prolixe, et il ne sacrifie jamais à ce besoin de clarté le mouvement et la rapidité du style. Il ne cherche pas à expliquer sa pensée pour la faire bien connaître, il la rend par un trait vif, saisissant, concis, mais sans jamais revenir sur ce qu'il a déjà dit. Son imagination l'entraîne, il
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ne saurait s'arrêter. « Je ne fus jamais persuadé, « s'écrie-t-il, que Mazarin se pût résoudre, je « ne dis pas à me donner le chapeau, mais « même à le laisser tomber sur ma tête. » — « Il n'était pas, ajoute-t-il, de la dignité de la " reine d'élever au ministériat un homme encore " tout chaud et tout fumant de la faction. »
Et qu'on ne croie pas que dans cette rapide composition, des tours communs et anciens soient seuls employés par l'écrivain qui se hâte. Bien souvent, du choc de tant de pensées se heurtant les unes aux autres, naissent des expressions neuves, originales et d'une heureuse hardiesse. Mais elles ne se présentent sous sa plume, et c'est là ce qui prouve encore le peu d'apprêt de sa composition, que malgré lui, pour ainsi dire; elles ne sont point, comme il arrive d'ordinaire, le résultat d'une longue et laborieuse combinaison à laquelle assiste le lecteur qui les voit ainsi venir de fort loin, mais elles sortent toutes trouvées de l'esprit de l'écrivain de génie,
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et elles nous apparaissent telles qu'elles se sont produites, dans leur beauté native et quelquefois un peu inculte. Après qu'il a dit que le président Molé est tout d'une pièce, il ajoute : " Le pré« sident de Mesmes, qui était pour le moins « aussi bien intentionné pour la cour que lui, " mais qui avait plus de vue et plus de jointure, « lui répondit, etc.. » Ailleurs, parlant du duc d'Orléans, « Monsieur, dit-il, faisait en toutes « choses comme font la plupart des hommes « quand il se baignent : ils ferment les yeux en « se jetant dans l'eau. Caumartin, qui connais" sait son humeur, me conseilla de les lui tenir « toujours ouverts par des peurs modérées, " mais successives, et entre lesquelles je ne " laissasse guère d'intervalle ». Il est évident que Gondi ne s'est pas servi, à l'égard de Molé, de cette expression « homme tout d'une pièce », ni, à l'égard de Gaston, de cette figure du baigneur fermant les yeux en se jetant dans l'eau, tout exprès pour avoir le
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droit de dire ensuite de Mesmes qu'il a plus de jointure, et de caractériser si admirablement l'état de méfiance perpétuelle dans lequel il maintenait le duc d'Orléans. Mais il a su, en étendant le sens d'une expression commune et en développant une image usée, fixer sa pensée de la manière la plus saisissante et la plus originale. C'est là le propre du génie de pouvoir s'approprier ce qui depuis longtemps est à la portée de tous, de l'employer d'une manière inattendue et nouvelle, et de le faire sien en lui donnant sa forte et vigoureuse empreinte. Retz n'est pas toujours aussi heureux dans son improvisation, et, si le plus souvent il a le pouvoir de saisir en courant les traits les plus propres à peindre sa pensée, quelquefois des images prétentieuses viennent tout à coup choquer le lecteur et se mêler disgracieusement à d'innombrables beautés de langage. Écrivain de premier jet, il n'est point revenu sur ses pas pour corriger ces défauts; il nous a laissé son
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oeuvre telle qu'il l'avait d'abord conçue et écrite. Nous ne saurions nous en plaindre beaucoup, car ces imperfections elles-mêmes, ces répétitions d'un même mot dans la même période, ces tournures quelquefois embarrassées, ces phrases restées incomplètes, attestent que nous avons en réalité une oeuvre première, une oeuvre de génie et non de travail. Elles ressemblent à ces taches précieuses que certains amateurs considèrent comme une preuve infaillible de l'authenticité d'un tableau et en quelque sorte comme une seconde signature du peintre, et, si elles empêchent de classer les Mémoires de Retz parmi les monuments les plus parfaits de notre langue, elles nous permettent du moins d'apprécier la force d'invention de ce puissant créateur et d'admirer cette vigueur naturelle qui aurait peut-être été énervée par une révision trop approfondie et trop minutieuse. Heureux du reste les auteurs dont les écrits n'ont de défauts que ceux qu'une seconde et attentive lecture leur aurait permis d'éviter !
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C'est ce qui distingue si complétement Gondi d'un de ses adversaires dans l'action, devenu plus tard son rival comme écrivain. Il va, entre les deux principaux auteurs des Mémoires de la Fronde, la même différence qu'entre leurs caractères, et, si je ne craignais de revenir sur cette liaison qui existe et doit nécessairement exister entre le style et l'homme, je dirais que nuls plus que La Rochefoucauld et Retz ne peuvent en donner un éclatant exemple.
Timide (1),froid, élégant et délicat,La Rochefoucauld a écrit des Mémoires d'un style froid comme lui-même, plein de grâce et d'élégance, correct jusqu'au raffinement, mais sans effort apparent et relevé aux yeux du grand seigneur qui ne voudrait pas paraître homme du métier par une négligence affectée et qui lui semble du meil(1)
meil(1) nous apprend, dans ses Mémoires, que La Rochefoucauld refusa constamment de prendre place à l'Académie française, parce qu'il craignait de parler en public.
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leur ton. Il n'a jamais été homme de parti : son caractère irrésolu et incertain l'en a détourné. Il n'a porté volontiers dans les luttes de la Fronde que cet admirable esprit d'observation d'où il tirera plus tard ses sévères et immortelles maximes, mais instinctivement il a toujours eu de la répugnance pour les cabales de son époque, au milieu desquelles il n'a d'ailleurs joué le plus souvent qu'un rôle secondaire. Aussi son oeuvre est-elle un pâle et aride exposé que, seules, les exquises élégances de la forme peuvent faire supporter. On y suit l'auteur sans s'intéresser à lui, car on l'y voit vain, sec et égoïste, mais on est retenu malgré soi par la savante régularité du langage, par les ornements dont la pensée est embellie et par le grand air que respirent ces aristocratiques confidences.
Les impressions qu'on ressent à la lecture de Retz sont exactement contraires. Impétueux et bouillant, il attache à lui, dès le début, le lecteur qui s'intéresse même à ses fautes et qui est
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obligé de vaincre de trop favorables dispositions pour pouvoir sainement juger celui qui le ravit. Né, avant tout, homme de faction, il s'est toujours complu dans la lutte, même lorqu'il l'a racontée. Aussi son oeuvre est elle un tableau vivant qui nous transporte dans les lieux qu'il décrit et qui nous fait toucher du doigt tous les personnages qu'il met en scène. Chez lui, tout est génie: seuls, le soin et l'étude ont manqué. Les défauts de la forme sont quelquefois choquants, mais ils ne sauraient faire oublier cette force de la pensée et cette attachante vivacité que rendent au contraire plus saillantes tantôt la rudesse, tantôt le laisser-aller du langage.
Le style de Retz n'a une certaine analogie et comme un air de famille qu'avec celui de Voltaire. C'est la même clarté brillante, la même facilité gracieuse; c'est cette heureuse simplicité plus naïve chez Retz, plus correcte chez l'écrivain du XVIIIe siècle ; c'est la même fluidité dans les expressions, le même procédé rapide et courant;
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c'est surtout la même variété dans les tons et leur parfaite convenance avec le sujet. Car c'est là un des plus grands mérites du style de Gondi, que je ne saurais oublier.
Aussi complexe, aussi varié que le génie de l'auteur lui-même , le style de Retz revêt toutes les formes et se prête aux transformations les plus inattendues. Noble et presque majestueux quand l'écrivain, apercevant tout à coup, comme par une échappée lumineuse, les destinées d'un grand peuple, s'élève aux plus hautes considérations ; léger et badin lorsqu'il peint d'un trait ou avec une anecdote les personnages qu'il met en scène ; vif et rapide quand Gondi raconte, grave et profond quand il pénètre et juge l'intention des hommes, gracieusement familier dans les détails d'une confidence, son style passe tour à tour et avec une étonnante facilité d'un genre à l'autre, et l'auteur habile parvient le plus souvent à éviter dans son langage, s'il est familier, une bassesse vulgaire, s'il
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est élevé, une trop pompeuse magnificence. Et pourtant, chose merveilleuse, malgré ces infinies variétés de ton, son style est un et n'a en réalité qu'un caractère , c'est la force. Retz est bien de son temps ; il fait partie, et il en est digne, de cette admirable et robuste génération du commencement du XVIIe siècle, à laquelle appartiennent Descartes, Corneille, Molière, Pascal, Bossuet, qui presque toute a grandi sous les yeux de Richelieu, s'est en partie développée pendant la Fronde, et a puisé dans l'esprit du temps cette libre allure, cette fierté dans la pensée, cette hardiesse dans le langage, ces rudes et primitives qualités, auxquelles, vingt ans plus tard, seront ajoutées la suprême distinction, l'exquise politesse et l'élégante régularité que Louis XIV mettra surtout en honneur. Or Retz, retiré à Commercy et éloigné de la cour, a échappé à cette influence heureuse sans nul doute, mais peut-être aussi énervante; son génie un peu inculte n'en a pas reçu cette dernière per-
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fection qui a élevé si haut tant d'illustres contemporains, mais il n'en a que plus aisément conservé ce qui caractérisait cette glorieuse époque: la mâle vigueur.
II.
« Il y a autant de différence » , dit Retz « entre un récit que l'on fait sur des mémoires, « quoique bons, et une narration de faits que " l'on a vus soi-même, qu'il y en a entre un " portrait auquel on ne travaille que sur des « ouï-dire et une copie que l'on tire sur les " originaux. »
Retz a encore ici raison, et les mémoires l'emporteraient incontestablement sur l'histoire, si le seul mérite d'un récit était la vie et la force, et si l'on ne se préoccupait dans ses lectures que de son agrément. Mais, aux yeux de ceux qui
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veulent s'instruire et qui recherchent avant tout la vérité, d'immenses et de particuliers avantages sont assurés à l'historien. Pouvant confronter l'un à l'autre les divers témoins des événements, il compare leurs dépositions et se rend compte des influences auxquelles ils ont obéi ; embrassant d'une manière plus complète un grand fait, il en détermine plus sûrement la signification, parce qu'il sait quelles en ont été les conséquences ; vivant à une grande distance des personnages dont il retrace la vie, il voit bien mieux que s'il les avait coudoyés la place réelle qu'ils occupent dans leur époque; exposant et jugeant tout d'ailleurs alors que les passions sont amorties, les grands intérêts réglés et les intérêts privés oubliés, il peut dans les événements établir avec certitude la part de l'homme et celle de la fortune, éclairer un fait par ceux qui le suivent comme par ceux qui le précèdent, et faire servir le passé à l'instruction de l'avenir. En revanche, l'écrivain qui se met lui-même
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en scène, soit qu'il ne nous parle que de ses émotions, qui intéressent souvent bien plus que des actes, soit qu'il raconte le rôle joué par lui dans l'histoire, exerce toujours une espèce de séduction et comme un attrait particulier sur le lecteur. Dans le premier cas,en effet, tout en ne voulant peindre que lui-même, il est presque constamment le peintre de l'homme, qui ne change jamais. En racontant ses doutes, ses scrupules, ses anxiétés, il ramène ceux qui le lisent sur eux-mêmes, par ce retour si naturel et toujours si intéressant pour quiconque a vécu en se rendant compte de ses sensations. C'est là le charme suprême de Rousseau et surtout de l'auteur des Essais, charme d'autant plus irrésistible chez Montaigne, qu'il ne l'a pas recherché, et que, dans ses oeuvres où il se met toujours, tout est nature, rien ne paraît art.
Dans le second cas, et lorsque l'auteur nous fait assister à tous les grands événements dont il a été témoin, outre ces précieux aveux que, in-
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volontairement, il pourra laisser échapper sur sa personne et qui seront fidèlement recueillis, nous aimons encore en lui cette parfaite connaissance des temps qu'il a traversés, d'une langue qu'il a parlée, de moeurs qui ont été les siennes, cette odeur du passé qui, se dégageant de son livre, nous transporte dans ce passé et nous rend un moment les contemporains de l'auteur. Nous lui envions surtout d'avoir vu, d'avoir fréquenté, d'avoir entretenu ces grands personnages, éternels objets de notre curieuse admiration, et qu'il semble que nous devons chercher à bien connaître auprès de ceux qui ont eu la fortune de vivre dans leur intime société.
Or les Mémoires de Retz offrent tous ces attraits, et, quelque importance qu'il s'y soit donnée, quelque soin qu'il ait mis à disposer les faits dans le seul intérêt de sa vanité, il a su aussi faire briller d'une vive lumière les personnages qu'il a rencontrés sur sa router, s'incliner devant les grandes figures, signaler les vices et
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les travers, et les couvrir de ridicule ; il a su enfin peindre soit les moeurs de son temps, soit l'homme lui-même, par quelques-uns de ces traits vifs et précis qui appellent l'attention et se fixent dans l'esprit par leur énergique brièveté.
Pour apprécier sainement le mérite de maximes enchâssées dans le récit, il suffit de les retirer de la place qu'elles occupent. Appliquées, en effet, aux cas pour lesquels l'écrivain les a conçues, elles ne sauraient manquer de leur aller fort juste, puisqu'elles sont faites à leur mesure. Mais, détachées de ce cadre qui les motive et les relève, elles apparaissent avec leur valeur substantielle et peuvent seulement alors être soumises à un examen sérieux.
Les maximes du cardinal de Retz résistent presque toutes à cette épreuve décisive, et, si elles avaient été séparées des mémoires dans lesquels elles se trouvent, et publiées isolément comme celles de La Rochefoucauld, la gloire de pénétrant moraliste se serait ajoutée, pour Retz
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à celle de grand narrateur. Mais, toutes parfaites qu'elles sont, elles s'adaptent si complétement au récit, dont elles n'interrompent presque jamais la marche, et elles se confondent si bien avec lui, qu'on les lit avec admiration sans cependant trop s'y arrêter, tant on est entraîné par le mouvement de l'écrivain. Et pourtant comme elles ont une beauté qui leur est propre et qui les suit partout, et, quand on veut céder au plaisir d'en donner des preuves, quel embarras on éprouve à choisir au milieu de tant d'égales vérités !
" L'irrésolution n'a jamais plus d'incertitude " que dans la conclusion, » dit Retz à propos du comte de Soissons. — « Ce qui est fort " extraordinaire, » fait-il observer plus loin, " ne paraît possible à ceux qui ne sont capables " que de l'ordinaire qu'après qu'il est arrivé ». Et, complétant ailleurs cette première pensée : " Ce qui a le plus distingué les hommes, » s'écrie-t-il, " est que ceux qui ont fait de grandes
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" actions ont vu devant les autres le point de " leur possibilité ».
Quelquefois il est légèrement paradoxal, comme lorsqu'il assure que « rien ne persuade " tant les gens qui ont peu de sens que ce qu'ils " n'entendent pas ». D'autres fois, ses paroles sont dans une étrange contradiction avec ses actes, comme lorsqu'il dit ce qu'il est d'un plus " grand homme de savoir avouer une faute que " de savoir ne la pas faire ». Mais le plus souvent ses maximes ont trait à ce qui a été la constante préoccupation de sa vie, à la conduite d'un parti. Soit que, se souvenant des fautes commises, il avoue ce qu'il n'y a rien de si malhabile « que de se faire croire capable des choses dont " les exemples sont à craindre » ; soit que, se rappelant les inconvénients et les embarras de la cabale, il déclare ce que dans les partis on a plus " de peine à vivre avec ceux qui en sont qu'à " agir contre ceux qui y sont opposés », ou bien que " le pouvoir dans les peuples est fâcheux en
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" ce point qu'il vous rend responsable même de " ce qu'ils font malgré vous » ; c'est presque toujours à la sédition qu'elles se rapportent, et, réunies avec soin, elles formeraient un code qui, dicté par une expérience chèrement acquise, ne manquerait ni de justesse, ni surtout d'utilité.
Il en est tellement ainsi que quelques-unes de ces sentences seraient presque des contre-sens si l'on ne se rappelait à quel point de vue la plupart ont été écrites, ce En fait de calomnie, dit-il, " tout ce qui ne nuit pas sert à celui qui est " attaqué. » Dans un sens absolu, cette pensée n'est point exacte et se trouve en opposition avec le mot éternellement vrai de Beaumarchais. Mais, si l'on se place au milieu des luttes et de l'intrigue, si l'on songe combien est précaire la position d'un factieux qui a échoué dans une de ses artificieuses manoeuvres et quel immense avantage est alors assuré à son adversaire que fortifie ce succès indirect, on partagera l'avis du cardinal, qui, ici et presque partout d'ailleurs,
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est d'autant plus vrai qu'il ne fait que se souvenir, et, comme La Rochefoucauld, érige en maxime ce qu'il a vu pratiquer autour de lui, ou par lui-même.
Si les sentences de l'ingénieux Gondi ont la justesse qui est la condition fondamentale de ces sortes de pensées, on y trouve aussi la clarté qui les fait entrer immédiatement dans l'esprit, et la concision qui les y retient. Le trait est vif et bref ; quoique lié à ce qui précède, il fait saillie sur ce qui l'entoure et se détache en quelque sorte du papier pour attirer plus promptement l'attention et se graver profondément dans la mémoire.
Les portraits que trace Retz ont le même mérite ; ils tranchent sur l'oeuvre entière, comme dans certains grands tableaux ces figures que fait ressortir ce qui les entoure et qu'a traitées le peintre avec un soin particulier : ils ont autant de relief que de couleur. Gondi évoque tour à tour Anne d'Autriche , Condé ,
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Beaufort, Mathieu Molé, Turenne, Conti, La Rochefoucauld, madame de Longueville, madame et mademoiselle de Chevreuse, madame de Montbazon, et nous voyons passer devant nous tous ces personnages qui désormais nous sont si bien connus que leur nom prononcé nous représentera aussitôt un être vivant.
L'écrivain a abusé, a-t-on remarqué avec raison, des oppositions et des contrastes ; l'antithèse lui est familière et il y a bien un peu d'enluminure dans ces éclatantes images. Eh! qu'importent les procédés? Il a pleinement réussi ; ses figures vivent, parlent, marchent et sont merveilleusement animées ; que faut-il de plus ? Peut-on être sévère pour les moyens en présence d'un pareil résultat, et faut-il, devant un admirable tableau, analyser toutes les couleurs tirées de la palette du peintre?
Aussi ressemblants que pleins de vie, les portraits de Retz sont pour la plupart tracés avec exactitude, même quand un ennemi pose devant
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lui. Il a trouvé pour caractériser Condé, La Rochefoucauld, Turenne et Beaufort, des traits que ceux qui sont venus après lui ont été contraints de reproduire, et il a eu d'ailleurs le mérite et la bonne fortune de montrer, dans la suite de ses Mémoires, les actes de ceux qu'il avait peints presque toujours conformes aux tendances qu'il leur avait d'abord assignées. Par là frappent encore davantage les saisissantes figures que l'habile observateur avait placées au début de son livre.
C'est ainsi qu'après avoir fait de Mathieu Molé un magnifique portrait et s'être écrié : « Si ce « n'était pas une espèce de blasphème de dire " qu'il y a quelqu'un dans notre siècle plus in« trépide que le grand Gustave et M. le prince, " je dirais que ça été Molé ; » il fait voir le premier président traversant l'émeute pour se rendre au Palais-Royal ; s'y trouvant exposé aux menaces du peuple irrité, conservant toujours et dans ses paroles et sur son visage la dignité du
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magistrat ; marchant à petits pas et sans trouble comme si sa vie ne courait pas les plus grands dangers; répondant à un bourgeois qui appuie un mousqueton sur sa poitrine : " Quand vous " m'aurez tué, il ne me faudra que six pieds de « terre, » et le désarmant par cette tranquillité sublime ; déployant la même énergie à soutenir auprès de la reine les griefs légitimes du peuple qu'à défendre sur la place publique et dans le parlement les véritables intérêts du roi ; empêchant par sa seule influence les frondeurs d'en venir aux mains dans le palais; ouvrant les portes de sa maison à une populace furieuse, devant laquelle il se présente seul et sans armes et qu'il chasse par sa parole éloquente ; maintenant les prérogatives de son rang jusqu'auprès des princes du sang, et sachant aussi bien résister aux séductions de la cour qu'aux intrigues de la noblesse; enfin sacrifiant ses intérêts privés, dans un temps où seuls ils servaient de mobiles, chérissant et respectant le pouvoir royal dans un
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temps où il a été humilié même par ceux qui approchaient le plus du trône, et préférant à toutes choses le bien de l'État et la prospérité de son pays. Grande et respectable figure sur laquelle on aime à reposer la vue, dont on retrouve quelques traits disséminés dans tous les écrits de l'époque, mais qu'on ne voit nulle part aussi ressemblante, aussi animée,aussi noble que dans les Mémoires du cardinal de Retz! Bel hommage rendu à un grave personnage qui ne s'est préoccupé que de l'intérêt public, par un turbulent factieux qu'a constamment guidé sa vanité, mais que cette éloquente admiration pour des vertus qni n'ont pas été les siennes grandit et purifie, car c'est presque les posséder que les comprendre et les louer de la sorte !
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III
Mais, quand on écrit l'histoire de la Fronde, on a beaucoup plus encore à jeter du ridicule et à exercer sa verve qu'à prodiguer des éloges et à faire preuve d'admiration, surtout quand l'écrivain, ayant vécu auprès de ceux qu'il met en scène, a pu pénétrer jusqu'au fond de leur coeur et a su, avec la liberté vive et étendue que permettent des mémoires, initier le lecteur aux moindres secrets et aux plus particulières confidences.
Retz a admirablement rempli la tâche réservée à l'historien des frondeurs. Cette profonde connaissance du coeur humain, qui lui a été si utile dans ses intrigues, qui explique si bien l'extraordinaire importance du rôle joué par lui,
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qu'il a montrée même dans les moments les plus critiques, et grâce à laquelle il a pu être en réalité l'âme de la Fronde en faisant son complice l'amour-propre d'autrui, Gondi l'a conservée dans la peinture de ses habiles manoeuvres, et il a mis autant de génie à exposer dans son livre le caractère de ses contemporains, qu'à le pénétrer dans la lutte et à le diriger dans l'action.
Pour lui, comme pour La Rochefoucauld, le coeur de l'homme n'a pas de secret. Ces deux pénétrants esprits ont su, aussi bien l'un que l'autre, démêler les véritables mobiles de bien des actes : mais l'un l'a fait en observateur et, pour ainsi dire, sans autre intention que de constater plus tard le résultat de ses études ; l'autre a approfondi l'homme afin de le dominer et n'a analysé les travers et les défauts d'autrui que pour atteindre plus aisément le but poursuivi par son ambition. Cette différence dans le point de départ explique et rend naturelle la différence qui existe aussi dans les résultats. Tandis que le
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premier, ne voyant dans la triste nudité de ceux qui posent devant lui qu'un argument de plus à l'appui de son système, l'a exagéré, et l'a poussé jusqu'à une sévérité désespérante, l'autre, qui employait ces travers et qui parvenait toujours à les tourner à son profit, a mis à les raconter moins de passion, tout en les peignant avec vigueur. En un mot, l'un, en ne donnant que la substance de ses observations, a quelquefois epouvanté son lecteur dans l'esprit duquel entre souvent un doute qui affaiblit l'effet des plus exactes maximes. L'autre a toujours su ménager et la vérité, et aussi la vraisemblance qui est l'apparence de la vérité, en montrant les vices et les ridicules en action et en les faisant, pour pour ainsi dire, passer pleins de vie et dans toute leur réalité sous les yeux de ceux qui le lisent. Est-il possible, en effet, de mieux nous rendre compte d'un travers et peut-on avoir le moindre doute relativement à son existence, quand, avec Retz, on assiste à une des délibérations des
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frondeurs? Après qu'une opinion entièrement contraire à la sienne a été avancée, on voit l'habile coadjuteur faisant adroitement entrer dans l'esprit des membres les plus influents du conseil un projet dont il désire l'adoption, leur laissant discrètement le mérite de l'avoir inventé pour les y intéresser davantage et les en rendre en quelque sorte les patrons, le discutant et l'appréciant comme s'il n'en était pas l'auteur, et finissant par l'emporter parce qu'il a su établir sur l'orgueil de ceux qui l'entourent le succès de son entreprise.
Est-il possible de ne pas croire à la fidélité de ses peintures, quand il nous retrace une de ses entrevues avec le pape Alexandre VII, qui, craignant de se compromettre soit avec Louis XIV. s'il soutenait trop ouvertement un ennemi de Mazarin, soit avec le conclave, s'il abandonnait un cardinal, prenait tour à tour le parti du roi et celui de Retz, selon qu'il se trouvait avec les ambassadeurs français, ou avec les princes de
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l'Église? " J'allai le voir, » dit Gondi dans une page qui est un chef-d'oeuvre, « et je le suppliai de « prendre un parti : le Pape battit beaucoup de " pays pour me tirer, ou plutôt pour se tirer « lui-même de la décision que je lui demandais. « Je demeurai fixe et ferme. Il courut, il s'égaya, « ce qui est toujours facile aux supérieurs. Il " me répéta plusieurs fois que le roi était un « grand monarque. Il me dit. d'autres fois que " Dieu était encore plus puissant que lui. Tan" tôt il exagérait les obligations que les ecclé« siastiques avaient à conserver les libertés et « les immunités de l'Église; tantôt il s'étendait « sur la nécessité de ménager, dans la conjonc« ture présente, l'esprit des rois. Il me recom" manda la patience chrétienne ; il me recom" manda la vigueur épiscopale. Il blâma le « cérémonial, auquel l'on était trop attaché à " la cour de Rome ; il en loua l'observation « comme étant nécessaire pour le maintien de " sa dignité. Le sens littéral de tout son dis-
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" cours était que, quoi que je pusse faire, je " ne pourrais rien faire qu'il ne pût dire m'a« voir défendu. »
Mais Retz a déployé toutes les ressources de son puissant génie, quand il s'est agi de présenter dans ses Mémoires ce prince dissimulé, irrésolu, plein d'esprit, dépourvu d'honnêteté comme de courage; s'humiliant devant ses ennemis, infidèle à ses amis qu'il abandonne au moment du danger et laisse périr sur l'échafaud ; entrant dans toutes les conspirations, parce qu'il ne peut pas résister à ceux qui l'entraînent, et en sortant toujours à sa honte, parce qu'il n'a pas la force de s'y maintenir; placé par sa naissance à deux pas du trône et ne réussissant ni à le défendre, ni à l'ébranler ; recevant de sa fille des leçons de courage et de tous des leçons de dignité, et, après qu'il a été délivré de la servitude dans laquelle le tenait Richelieu, restant sous la domination de ses favoris, car des caracteres comme le sien ne manquent jamais de
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maître. Or, parmi ces favoris qui le dominent, nul ne pouvait mieux le faire connaître que Gondi, qui, pendant cinq longues années, l'a entièrement dirigé et gouverné, tout en ménageant son orgueil ombrageux. Gaston d'Orléans apparaît, dans les Mémoires du coadjuteur, comme le type éternellement vrai de l'homme faible, car c'est sur lui que Retz a étudié, sous toutes ses faces et dans toutes les circonstances, la faiblesse. C'est tantôt en la tournant à son profit, tantôt en en subissant lui-même les préjudices, qu'il l'a analysée et approfondie, et c'est ainsi que l'étude de ce défaut tient autant de place dans ses Mémoires que l'étude de l'orgueil dans l'oeuvre de La Rochefoucauld. On dirait que ces deux impitoyables observateurs se sont assigné à chacun une tâche, et que, parmi les nombreuses défectuosités de la nature humaine, ils ont voulu choisir, se sentant capables de les flageller, les deux vices les plus désespérants, parce qu'on ne peut s'en corriger, l'orgueil qui
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empêche le sage gouvernement de soi-même, la faiblesse qui fait tomber sous la dangereuse domination d'autrui.
" Les gens irrésolus, dit Retz, prennent « toujours avec facilité et même avec joie toutes « les ouvertures qui les mènent à deux chemins " et qui par conséquent ne les pressent point " d'opter. » Aussi avec quelle habileté Gondi applique-t-il à Gaston cette maxime « qui or" donne de faire à ceux qui sont faibles toutes " sortes d'abîmes parce que c'est le vrai moyen " de les obliger à se jeter dans le premier che« min qu'on leur ouvre ». — « Monsieur,fait-il « observer quelque part,pensait tout et ne voulait " rien, et, quand par hasard il voulait quelque " chose, il fallait le pousser en même temps, ou « plutôt le précipiter pour le lui faire exécuter.» « — « Il y avait dans sa faiblesse, dit-il ail" leurs, bien des étages. Il y avait très-loin de « la velléité à la volonté, de la volonté à la ré
« solution, de la résolution au choix des moyens,
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" du choix des moyens à l'application. Mais, ce « qui était le plus extraordinaire, il arrivait, " même assez souvent, qu'il demeurait tout « court au milieu de l'application. » Et il achève de le peindre par un trait bref et énergique, lorsque, passant en revue les conséquences qu'aurait pu avoir l'arrestation du coadjuteur, projetée par Condé, il dit : « Rien n'était mieux « imaginé : Monsieur, qui eût été atterré du " coup, y eût donné des éloges. »
Mais que l'on connaîtrait peu Gaston, si on ne lisait pas les admirables scènes où se dévoile à nu ce caractère et dans lesquelles Retz, rivalisant non plus avec le Molière du Malade imaginaire, mais avec l'auteur du Tartuffe et du Misanthrope, a mis en scène un personnage aussi vrai, aussi profondément étudié, aussi vivant que le sont Alceste et Tartuffe !
Retz apprend tout à coup que la reine, ne pouvant plus se prêter à la situation où on l'a réduite, doit pendant la nuit même faire une
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seconde fois sortir de Paris le roi. Il court aussitôt avec mademoiselle de Chevreuse chez Gaston.
Le premier mot de celui-ci est : " Que fauter il faire ?» — « Il n'y a qu'un parti, répond " Gondi, c'est de s'emparer des portes de " Paris. » — « Le moyen à l'heure qu'il est ! » reprend Monsieur.
C'est alors que Retz donne le spectacle le plus saisissant de ce singulier caractère et note toutes les observations, tantôt fines, tantôt pro fondes, que ce spectacle lui suggère, car chez lui, quelle que soit la gravité des circonstances, l'observateur ne disparaît jamais. Il remarque que les hommes en cet état parlent presque toujours par monosyllabes. Il montre mademoiselle de Chevreuse et la duchesse d'Orléans " faisant des merveilles et se surpassant » pour l'aider à obtenir du duc une détermination et à lui faire abandonner ces demi-moyens qui compromettent sans conduire à des résultats. Ce-
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pendant le temps presse, la nuit s'avance: dans une heure il sera peut-être trop tard. « Mon" sieur hésite toujours et il siffle comme il le " fait chaque fois qu'il ne sait plus que dire. » Madame, honteuse de tant de faiblesse, prend alors la plume et écrit l'ordre nécessaire au coadjuteur. Mais Monsieur l'arrache de ses mains et le déchire, et, comme il a entendu la princesse ordonner à Gondi de passer outre, et qu'il voit celui-ci se précipiter vers la porte pour obéir: " Au moins, je vous en prie, lui crie-t-il, " sachez que je ne veux pas me brouiller avec « le parlement ! »
Ailleurs, et montrant ce caractère sous une nouvelle face tout aussi vraie et tout aussi ressemblante, Retz amène le lecteur chez Gaston au moment où celui-ci vient de recevoir une lettre du roi qui lui annonce son intention de rentrer à Paris sans publier d'amnistie. « Je le « trouvai, dit Gondi, dans le cabinet de Madame " qui le catéchisait, ou plutôt qui l'exhortait,
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" car il était dans un emportement inconceva"
inconceva" et l'on eût dit, de la manière dont il parlait,
« qu'il était à cheval armé de toutes pièces et
« prêt à couvrir de sang et de carnage les cam«
cam« de Saint Denis et de Grenelle. Madame
« était épouvantée, et je vous avoue que, quoi«
quoi« je connusse assez Monsieur pour ne me
« pas donner avec précipitation des idées si
" cruelles de son discours, je ne laissais pas de
« croire qu'il était, en effet, plus ému qu'à
« son ordinaire
« Je ferai demain la guerre, dit Monsieur d'un
" ton guerrier ; je la ferai et plus facilement que
" jamais. Demandez-le à M. le cardinal de Retz.
« Il croyait que j'allais lui disputer cette thèse,
" Je m'aperçus qu'il le voulait pour pouvoir
" dire après qu'il aurait fait des merveilles si on
« ne l'avait retenu. Je ne lui en donnai pas lieu,
« car je lui répondis froidement et sans m'é«
m'é« : Sans doute, Monsieur. — Le
« peuple n'est-il pas toujours à moi? reprit
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« Monsieur. — Oui, lui repartis-je. — M. le " Prince ne reviendra-t-il pas si je le mande? " ajouta-t-il. — Je le crois, Monsieur. — " L'armée d'Espagne ne s'avancera t-elle pas si « je le veux ? continua-t-il. — Toutes les appa« ces y sont, lui répliquai-je. »
« On attend après cela ou une grande résolu" tion, ou du moins une grande délibération; « rien moins, je ne saurais mieux expliquer " l'issue de cette conférence qu'en rappelant « ce qu'on a vu à la Comédie italienne. La com" paraison est très-irrespectueuse, et je ne « prendrais pas la liberté de la faire si elle était " de mon invention. Ce fut Madame elle-même à « qui elle vint dans l'esprit aussitôt que Monsieur " fut sorti du cabinet, et elle la fit moitié en " riant, moitié en pleurant. Il me semble, dit« elle, que je vois Trivelin qui dit à Scaramou« che : Que je t'aurais dit de belles choses si tu « n'avais pas eu assez d'esprit pour ne me pas " contredire! »
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Cependant le roi s'installe au Louvre, et le premier acte de son gouvernement est d'exiler à Limours Gaston d'Orléans. Nous voyons alors celui-ci, qui aurait certainement pu, en prenant une détermination énergique, éviter cet exil, appeler tour à tour tous ses conseillers pour avoir le prétexte de délibérer et se complaire à réfuter leurs arguments et à demeurer dans l'inaction; tantôt feignant une agitation et une colère menaçantes, tantôt retombant dans sa torpeur habituelle ; s'imaginant que toutes les mousquetades que l'on tire pour fêter le retour du roi, sont celles du régiment des gardes qui marche pour l'investir ; envoyant à la découverte tous ceux qui l'entourent et ne croyant pas en leur véracité quand ils lui rapportent que tout est paisible , mettant à chaque instant la tête à la fenêtre pour mieux entendre si le tambour ne bat pas, et, après avoir fait compromettre la plupart des frondeurs en les engageant à une résistance dont il disait devoir prendre la direc-
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tion, s'enfuyant à Limours dès le lendemain. Quel admirable développement de ce caractère, et comme Gaston est tristement conforme à luimême depuis qu'il apparaît en scène jusqu'à ce qu'il en sorte ! Avec quelle vigueur Retz a su venger tous ceux qui l'ont précédé dans l'intimité de ce prince, en le plaçant tel qu'il a été dans son livre immortel et en le condamnant ainsi aux moqueries méprisantes de la postérité! Ces coups impitoyables ne corrigent, il est vrai, personne, et Juvénal pas plus que Molière n'ont diminué le nombre des travers et des vices qu'ils ont poursuivis. Mais est-ce à dire pour cela que leur oeuvre ait été complétement inutile ? Ridiculiser le vice, n'est-ce pas honorer la vertu ? Et, pour revenir à Retz , les magnifiques éloges qu'il décerne à Molé seraient-ils aussi saisissants, si le blâme infligé à presque tous les autres acteurs de la Fronde ne faisait pas ressortir et ne rendait pas plus brillante la conduite de cet homme ferme et juste? En un mot, Molé
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serait-il suffisamment récompensé de son désintéressement et de son courage, si, se contentant de le louer, l'historien de la Fronde n'avait pas attaqué la corruption et la faiblesse de ceux qui l'entouraient ?
Cette fidélité dans la peinture du coeur humain et cette rigueur dans les jugements ajoutent à la ressemblance qu'a Retz avec cet écrivain si original et si sévère qui, mécontent de son peu d'importance sous Louis XIV, auprès duquel l'effaçaient des courtisans qui ne le valaient pas, s'est dédommagé de ses froissements par ses récits, a vengé les blessures de son orgueil par ses mordantes appréciations, et, portant la lumière dans les recoins les plus retirés et les plus sombres de cette cour si brillante à la surface, en a montré les pompeux ridicules et les misères cachées.
Les Mémoires de Saint-Simon et ceux de Retz ont été, pour l'un et pour l'autre, comme le refuge dans lequel ils se sont retirés, se séparant
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d'un monde où ils ne pouvaient plus se plaire. Aussi, seuls avec leur oeuvre, y sont-ils tout entiers. C'est dans les deux livres la même vivacité de langage, la même force entraînante, et souvent la même crudité dans l'expression. C'est, chez les deux peintres, une admirable vérité dans les portraits, et une effrayante profondeur dans l'étude de l'homme, avec un peu plus de verve chez l'historien de la Fronde, et un peu plus de fiel chez l'acerbe grand Seigneur de la cour de Louis XIV. Les monuments qu'ils ont laissés, si semblables déjà par leur origine, ont eu le même sort jusqu'à la fin : ils n'ont paru au jour que devant une génération assez éloignée des temps qu'ils ont décrits pour être étrangère aux passions qu'ils ont remuées.
Mais l'un, plus spectateur qu'acteur, peintre sans pareil de tableaux incomparables par la couleur comme par le relief, a presque complétement disparu devant les personnages qu'il a représentés; l'autre, se tenant toujours en scène,
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a attiré principalement sur lui une attention qui lui a été souvent funeste. En retour, il y a bien plus de force dans son récit, bien plus de vie dans son style, bien plus de rapidité dans sa marche, et, si son livre est la condamnation de sa conduite, il renferme en même temps sa plus éclatante défense, et l'on est presque tenté de lui pardonner ses actes, puisqu'il les a racontés lui même.
FIN.
1170. — IMPRIMERIE BRIEZ, C. PAILLART ET RETAUX.