ZENDEL
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MARGUERITE DE SURVILLE
SA VIE, SES OEUVRES, SES DESCENDANTS
DEVANT LA CRITIQUE MODERNE
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Imprimerie ROURE fils, à Privas.
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A
VICTOR DE LA PRADE
MEMBRE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE
HOMMAGE D'AMITIÉ CHRÉTIENNE
F., V.
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PRÉFACE
1
Ce livre cherche à faire justice et d'un oubli immérité attaché à un grand poéte, et d'une critique partiale ou frivole, souvent indigne de sa mission.
Ce poète, c'est Marguerite de Surville ; celte critique, c'est la critique d'expédient, qui est accidentellement le fait de la fantaisie littéraire et qui est habituellement celui du rationalisme moderne.
Cette critique, profondément dépravatrice, bien plus assurement qu'elle ne croit l'être et même qu'elle ne voudrait l'être, est, dans les choses littéraires de notre temps, le corrélatif ou plutôt la conséquence de ce qui constitue, dans les choses sociales, la vie d'expédient, l'égoïsme de notre bourgeoisie.
Formalisme sans coeur, faconde ou ergoterie sans principes, celte critique a encensé tout ce qui était inférieur comme elle. Autour des vraies grandeurs, elle a tenté de faire le vide et la nuit.
Qu'y avait-il donc là qu'elle repoussât de parti pris ou d'un aveugle instinct ? Il y avait ce qui lui manquait ; il y avait l'âme.
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L'âme, dans ses principes supérieurs et dans sa vie sublime qui fait le vrai penseur, le philosophe croyant, le poète digne de ce nom, elle l'a repoussée, comme ont lieu les répulsions bonnes ou mauvaises et comme l'eau prend son niveau.
Aussi sa voix a été rarement celle de l'équité, et la plupart de ses jugements ne doit point rester sans appel.
Quelle que soit la logique de l'erreur, ç'a été un phénomène étrange que, grâce à une conspiration tacite ou déclarée, tant de lettrés qui semblent avoir voué leur vie à la dégradation de l'art aient eu, depuis un siècle, un nom vanté, aient eu, pour ainsi dire, l'auréole, lorsque des écrivains de génie devaient, dans les visées de la critique que nous accusons, avoir pour eux la région des ombres. -
L'injustice était trop manifeste, même pour un monde de peu de vérité : et l'on allait s'étonner enfin de trouver, d'une part, des clartés si habilement voilées, et de l'antre, un éclat imposteur qui n'est, au fond, qu'obscurité.
Intervertir ainsi les rôles ; formuler hardiment des affirmations controuvées ou des négations sans fondement que la postérité vient démentir, — pour la critique de l'égoïsme rationaliste ou sceptique, ce sont de petites iniquités qu'elle a aimé à renouveler souvent.
Elle qui, pendant le siècle dernier, a donné l'empire de l'opinion au persiffiage, au sarcasme impie et qui, dans notre temps, a créé les tristes célébrités d'une littérature souillée ; elle qui a décerné des lauriers à la vulgarité corruptrice et à d'écoeurantes médiocrités ; elle qui a contribué puissamment au succès des baladins, des.
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folliculaires, aux réputations du scandale et aux fiévreuses renommées de l'abaissement intellectuel, alors qu'elle oubliait les oeuvres des plus nobles penseurs, les Ventura, les Buchez, les d'Eckstein, les Wiseman, les Moehler, les Ozanam, les Lacordaire, les Gabriel, les Pradié, les Darras, les La Morvonnais, les Laprade, les Paul Reynier, pour ne parler que des contemporains et pour ne citer que quelques-uns d'entre eux ; elle qui a tout sacrifié au mot d'ordre de ses tacticiens et à l'assouvissement de leurs coteries, et qui a trouvé des auxiliaires naïfs et souvent des instigateurs ou des complices dans les rangs divers de la littérature doctrinaire ; elle . qui a eu pour domaine tous les degrés de l'esprit dissolvant, et qui d'échelon en échelon, depuis plus d'un honnête orgueil » jusqu'à l'effronterie du mensonge et à la perversion de l'ignominie, a été ouvrière de ruines et préparatrice de catastrophes, elle pouvait, à ses loisirs et comme le plus innocent de ses jeux, dénier à Marguerite de Surville, à une ensevelie depuis trois cents ans, ses oeuvres, son existence et son nom.
Voilà l'un des spectacles que nous allons avoir dans ces pages. Ce tableau sera peu riant ; il aura son contraste.
Devant ce scepticisme de décadence, se montreront à nous la suavité et la fraîcheur d'une époque littéraire à son aurore ; un talent poétique dans l'élan du génie et dans l'inattendu de sa gracieuse apparition ; la rare perfection de l'art, surgissant de ces vallées, de ces montagnes, où parfois on serait tenté de se dire que ce que l'on doit y connaître désormais, ce sont les lâches affaissements d'une société sans caractère et l'avidité du mercantilisme et les entraînements ineptes de la démagogie.
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Nous ne pourrons que nous arrêter à peine devant le côté lumineux du tableau que nous entreverrons. Il n'y aura point de place, dans ces pages, pour nos souvenirs des lieux aimés où s'est écoulée la vie de Marguerite et pour les plus chères émotions de l'âme. Quand il faut combattre, on ne saurait être à l'enthousiasme et à l'admiration.
Si, dans notre appréciation de ce qui a été courtisé le plus bruyamment parmi les renommées de la critique contemporaine, on trouve quelque chose de sévère ou plutôt d'indigné, c'est que nous sommes sûr que cette critique a été délétère, non-seulement sous le rapport intellectuel, mais aussi au point de vue social ; c'est que nous sommes convaincu que cette critique, par la déviation de facultés quelquefois peu vulgaires, compte au nombre des premiers agents qui font pencher les États vers leur ruine ; c'est que nons écrivons à la veille des convulsions de l'Europe, devant le sombre avenir de l'Occident.
il
Il ne faut point penser que la question abordée dans ce livre soit de celles que puissent trancher pertinemment de simples êrudits en linguistique ou de frivoles dissertateurs sur les choses de l'art, ne sachant rien des indications locales et ne connaissant guère plus les principes de ce que l'on peut appeler la philosophie esthétique et littéraire.
Pour résoudre convenablement ce problème, il faut sans doute avoir pu juger de la littérature de l'époque
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dont il s'agit et connaître les habitudes d'esprit d'un siècle déjà loin de nous; mais il faut aussi n'être pas étranger aux documents et aux archives du pays dont ou parle ; et il ne faut point supposer une parité d'aptitudes, qui n'existe pas, dans les écrivains d'une même époque, c'est-à-dire qu'il faut comprendre les droits du génie et en tenir compte, ce que ni la critique de philologie pure ni la critique d'expédient n'ont point su faire jusqu'ici.
Sur ce sujet, nous récusons donc absolument la compétence de ceux mêmes qui ont étudié nos anciens auteurs, s'ils croient que tout est dit par un examen philologique, et s'ils n'ont pas à présenter le résultat d'une investigation approfondie de tous les éléments du problème.
Nous pourrious récuser aussi, non assurément au point de vue de la connaissance défectueuse de ce qui constitue le détail des choses esthétiques, mais par l'ignorance où ils se sont trouvés des documents les plus décisifs, tel et tel de nos littérateurs qui, aux yeux d'un grand nombre, comptent parmi les maîtres de la critique moderne et dont les suppositions hasardées, sur le sujet qui nous occupe, ont suffi pour influencer à peu près toute une génération.
Indépendamment de leur ignorance des pièces authentiques relatives à la question que traite ce livre, nous pourrions donner d'autres graves raisons, touchant à la philosophie littéraire et à la compétence même en matière de haute poésie, qui appuieraient notre récusation.
Un de ces littérateurs marquants (1), malgré la délicatesse de ses aperçus, la variété de ses couuaissauces,
(1) Villemain.
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la facilité de son élocution, et, si l'on veut, le charme de son style, a payé, dans la plupart de ses écrits, un large tribut à l'illusion ; il n'a pas toujours élevé sa critique au-dessus des étroitesses doctrinaires ou de vues pleines de superficialité ; il a émis, avec la précipitation que donne le succès; bien des opinions aventurées, fondées sur l'apparence et nullement sur la réalité.
L'autre (1), exactement au niveau des caractères vils de notre temps, a érigé la basse jalousie en juge au tribunal littéraire. Abusant d'une souplesse extrême et d'une rare sagacité, après avoir doté notre siècle, de vers médiocrement animés du souffle inspirateur, il a montré, dans le plus grand nombre de ses appréciations enfiellèes, une inclination, presque irrésistible, à ne rechercher, à ne voir que les mobiles suggérés par l'égoïsme humain, principalement lorsqu'il s'agissait d'auteurs de notre époque ou d'ouvrages publiés récemment.
Toutefois, sans récuser ici des autorités très-suspectes pour nous, nous avons cru préférable de montrer combien dans ce débat, leurs hypothèses ont été futiles et contraires à des faits certains.
Nous regrettons de n'avoir point traité le sujet qui fait la matière de ce livre, dans nos entretiens avec Lamartine, et de ne pas voir cette controverse jugée par lui, dans les ouvrages qu'il a laissés.
Nous aurions aimé d'avoir sur ce point sa pensée explicite, à lui dont le génie eût tant de rapports avec celui de Marguerite de Surville et à la mémoire de qui il nous est doux d'adresser ce souvenir ; à lui qui fut un vrai poète et l'un des plus ëminents de tous les âges,
(1) Sainte-Beuve
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mais qui fut aussi un critique puissant, supérieur à de chétives passions, et qui fut le premier parmi les critiques littéraires qu'ait produit ce pays en notre temps.
III
Les documents historiques ne valent qu'autant que la pensée les interprète ; et, semblables aux fragments d'un vase brisé, ils n'ont leur signification vraie qu'autant que l'on retrouve-les rapports qu'ils ont dans un ensemble.
Lorsque, en novembre dernier, nous avons commencé de donner à la Société des Sciences naturelles et historiques de l'Ardéche. le travail que nous publions ici, la plus importante (1) des pièces nombreuses sur lesquelles nous nous appuyons avait été signalée au public déjà depuis trois ans (2), sans que l'étude de ce sujet eût avancé d'unpâs.
D'après les deux hommes de lettres qui avaient attiré l'attention sur cette nouvelle pièce du procès, ce document venait plutôt à l'appui de l'hypothèse négative ; ou mieux peut-être, pour l'un d'eux au moins, il n'y avait aucune conclusion à en tirer.
Une décision de ce genre a été loin d'être pour nous le dernier mot de cette exhumation inattendue. Il nous a paru qu'avec ce document, corroboré de certains autres, et à l'aide des traditions et des archives privées ou publiques de notre pays, il était possible de reconstruire historiquement la vie d'un poète que l'esprit sceptique, dans sa légèreté d'appréciations, se piaisait à nommer un personnage légendaire.
Le contrat de mariage de Bérenger de Surville. (2) Depuis 1869, par MM. H. d'Audigier et A. Mazon.
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Nous avons cru qu'avec des recherches, on pouvait établir la concordance des quatre sortes de témoignages qui concourent, à cet égard, en faveur d'une solution affirmative, et qui sont : les actes notariés ou tous autres manuscrits des archives locales ; les traditions du pays ; les fragments de mémoires que le poète avait laissés, et les indications qui ressortent des oeuvres pa ■ rues sous son nom.
Et nous avons écrit ce livre, le seul qui ait montré cette concordance et qui ait ainsi traité le sujet dans son intégralité.
IV
Dans la première partie de cet ouvrage, nous disons ce que l'on peut affirmer, d'une part, et ce que, de l'autre, on peut présumer légitimement sur la vie de Marguerite Clotilde de Surville, sur ses oeuvres et sur les altérations qu'elles ont subies.
Dans le cours de cet examen biographique, nous nous appuyons sur des actes positifs qui font descendre cette question de la région imaginaire où la critique l'eût agitée sans terme, et qui la ramènent enfin dans le domaine de la réalité.
Dans la seconde partie, nous étudions, à l'aide de documents non moins certains, les traditions locales relatives à Marguerite de Surville et l'histoire de sa postérité, jusqu'au dernier membre de sa famille qui ait porté son nom.
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Nous montrons là, sous son véritable aspect, Étienne de Surville, ce littérateur étonnamment surfait par nos cri tiques en renom.
Dans la troisième partie, nous pesons une à une les objections que la critique a soulevées, depuis le commencement de ce siècle jusqu'à ce jour, contre l'existence de notre auteur et l'authenticité de ses poésies. Nous n'éludons aucune de celles de ces objections qui ont un caractère tant soit peu sérieux ; et si nous ne répondons pas à quelqu'une d'entre elles dans cette partie, c'est qu'elle a sa réponse dans quelque autre page de ce livre.
Dans la quatrième partie, nous développons les preuves d'authenticité que ces poésies ont en elles-mêmes ; et, au lieu de montrer ces preuves disséminées, ainsi que l'on a cherché à le faire jusqu'ici, nous les présentons comme liées en faisceau, dans une seule argumentation.
Nous donnons enfin une vue générale des qualités du poète et de son oeuvre.
Peut-être nous est-il permis de dire, même sans présomption, que ce livre est le premier où la question qu'il tente d'élucider ait été traitée avec ordre et méthode, et où l'on ait passé, dans cet examen, du connu à l'inconnu, de ce qui était incontestable, en dehors de toute déduction, à ce que telle déduction peut établir.
Quelque mérite qu'aient divers ouvrages parus depuis peu de temps sur ce sujet, leurs auteurs ne se sont pas proposé, semble-t-il, de suivre celte marche ; ils n'ont pas eu d'ailleurs les documents authentiques qui ont èté à notre disposition et qui auraient pu leur permettre de procéder ainsi d'une manière sûre et décisive.
Nous avons ainsi dans ces pages —nous le pensons
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du moins — envisagé peut-être à peu près complètement l'ensemble de notre sujet. "
Dans ces recherches, nous nous sommes assuré que la solution affirmative du problème soumis à notre étude est la seule qui résulte rationnellement d'un semblable examen.
Et ce que nous avons eu, après cela, à faire voir clairement dans ce livre où nous résumons nos motifs de conviction, c'est, avec les preuves d'authenticité d'une oeuvre longtemps méconnue, l'absence de valeur d'une critique qui a eu ses prestiges, qui a vu presque ses jours de triomphe, mais dont le règne peu bienfaisant pourrait, après la crise qui se prépare, être bien proche de sa fin.
Peut-être, après trop d'aveuglements, 'trop d'efforts misérablement destructeurs, sera-ce bientôt l'heure des solennelles réparations.
EUGÈNE VILLEDIEU. ,
Château de Beizéme, 3 juin 1873
NOTA. — Sauf *Ie- modifications partielle!*, ee livre est l'etude que nous avons donnée à la Société des Sciences naturelles et fus toriques de l'Ardèche, dans les séances du 7 novembre et du 6 décembre 1872, du 9 jaiuiev, du 6 mars et du 3 avril 1878,
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du moins — envisagé peut-être à peu près complètemen l'ensemble de notre sujet.
Dans ces recherches, nous nous sommes assuré qu la solution affirmative du problème soumis à notre étui est la seule qui résulte rationnellement d'un semblât examen.
Et ce que nous avons eu, après cela, à faire vo clairement dans ce livre où nous résumons nos motifs d conviction, c'est, avec les preuves d'authenticité d'un oeuvre longtemps méconnue, l'absence de valeur d'un critique qui a eu ses prestiges, qui a vu presque ses jour de triomphe, mais dont le règne peu bienfaisant pourrait après la crise qui se prépare, être bien proche de sa fin
Peut-être, après trop d'aveuglements, trop d'effort misérablement destructeurs, sera-ce bientôt l'heure de solennelles réparations.
EUGÈNE VILLEDIEU.
Château de Beizenne, 3 juin 1871.
Nota — Sauf de modifications partielles ce livre et l'étude qu nous avons donnée à la société des Sciences naturelles et historique
de l'Ardeche, dans les seances du 7 novembre et du 6 decembre 1875. du 9 janvier, du du 3 avril 1873.
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CARTE VESSEAUX AU XVe SIECLE
EUGENE VILLEDIEU.
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MARGUERITE DE SURVILLE
SA VIE SES OEUVRES, SES DESCENDANTS DEVANT LA CRITIQUE MODERNE
PREMIÈRE PARTIE
MARGUERITE DE SURVILLE D'APRÈS DES DOCUMENTS AUTHENTIQUES ; SES POÉSIES ET SES MÉMOIRES ; ALTÉRATIONS QUE SES OEUVRES ONT SUBIES.
Monnaie notarum, d'Antoine de Brion, notaire royal; à Privas, pour l'année 1427-1419 .—Terrier du prieuré de Vesseaux, de 1472-1474.^
— Compoix de 1393 et Compoix de 1656 de la communauté de Gras. — Compoix de 1605 et Compoix de, 1659 delà comfflunaptô de Vesseaux
— Anciens Registres de la paroisse de Gras et la paroisse de Vesseaux. . — Documents tirés dés archives de Gras et autres archives de l'Ardèche. —Lettres d'Etienne deSurvlile, deVanderbourg, de Brazais. de de, Chabanolle, de Mme de Potier à Mme Pauline de Surville. — Poésies de Marguerite-Eléonore-Clotilde de Vallon-Chalys, depuis Madame de Surville. Paris, an XI. MDCCCIII. — Laya. Moniteur des 5 et 7 thermidor, an XI. — La Décade philosophique. An XI. — Raynouard. Journal des savants 1824 : — Poésies médités de Marguerite Eléonore. Clotilde de Vallon et Chalys, depuis Madame de Surville Paris MDCCCXXVII. — Villemain ; Cours d'histoire de la littérature au moyen âge. 1830. — Daunou. Notice sur Vanderboury. Moniteur du 28 Octobre 1839,v — Sainte-Beuve. Poètes et romanciers modernes. Revue des Deux-Mondes, 1841. Tableau fustérique et critique de la poésie française au XVIe siècle. Paris, 1813. — Antonin Mace. Les poésies de Clolitde de Surville. Grenoble. 1870. — Jules Levallois. Le Correspondant, du 70 août 1872. — Eugène Villedieu. Marguerite de Surville, les documents nouveaux et là critiqué. Journal de l'Aardèche, novembre et décembre 1872, janvier, février et mars 1873, — Henry Vasçhalde. Clotilde de Surville et ses poésies. Paris, MDCCCLXXIII. — Gaston Paris. Revue critique d'histoire et de littérature, du 1er mars 1873. —. Anatole Loquin. Les poésies de Clotilde de Sur vil le. Bordeaux et Orléans, 1873.
I
Quels sont les faits qui prouvent l'exisle ice de Marguerite de Surville et l'authencité de ses poésies
L'existence de Marguerite de Sur ville et l'authenticité de ses poésies ont été et sont encore un problème pour un
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assez grand nombre d'esprits abusés par une critique tout autre, dans ses tendances et dans son esprit, que celle qui sera la critique littéraire d'une époque de rénovation.
Quel qu'ait été, quel que soit, à cet égard, le préjugé défavorable de plusieurs, nous osons dire que, chez ceux qui ont suffisamment étudié la question, ni la négation ni même le doute ne nous semblent possibles à ce sujet.
Lorsqu'un de nos littérateurs, Charles de Vanderbourg, publia à Paris, en 1803, un volume de poésies recueillies par Étienne de Surville (1) et attribuées, tant par celui qui avait affirmé les avoir trouvées dans les papiers de sa famille que par celui qui les éditait, à Marguerite-Éléonore-Clotilde de Surville, la critique littéraire eut devant elle un recueil dont l'homogénéité intellectuelle et l'unité d'inspiration interdisaient absolument, sauf pour quelques retouches partielles, d'en faire la création de plus d'un auteur, quel qu'il fut. La critique n'eut donc, à l'égard de ce recueil, que l'un de ces quatre partis à prendre :
Ou constater qu'il était l'oeuvre, peut-être plus ou moins modifiée, du poète du XVe siècle, auquel l'éditeur l'attribuait
Ou démontrer qu'il y avait eu supercherie, et qu'Etienne de Surville devait être, en dépit de ses assertions formelles, regardé comme le créateur de ces poésies ;
Ou prouver que ce cas de fraude littéraire, assurément des plus rares et des plus étranges, devait être considéré comme le fait de Charles de Vanderbourg, quelle qu'eût été, à ce sujet, la gravité, apparente au moins, de ses affirmations tout opposées ;
Ou rendre manifeste que Marguerite-Clotilde de Surville n'avait pas pu, au XVe siècle, composer les poésies de ce recueil, en évitant d'ailleurs de se prononcer sur le poète qui en était l'auteur.
(1) Voir, sur Etienne de Surville, à la seconde partie, XX et suiv.
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Etait-il possible d'établir, par quelque document irrécusablé, qu'une femme avait existé au XVe siècle, dans les conditions de temps, de lieu et de relations sociales, que le recueil de poésies récemment publié déclarait avoir été les diverses conditions historiques de la vie de Marguerite-Clotilde de Surville ; et que l'existence de cette femme se rattachait aux renseignements d'une famille autant qu'aux données d'une tradition locale ?
La double supposition que le recueil dont il s'agissait eût été l'oeuvre d'Étienne de Surville ou de Charles de Vanderbourg, devait-elle tomber devant la preuve péremptoire que ces écrivains n'avaient pu en être les auteurs, devant l'attestation de leur loyauté, dans le cas en question, et devant le témoignage des productions littéraires que l'on connaissait d'eux ?
Enfin, à l'appui de faits matériels pouvait-on joindre un ensemble de preuves morales dérivant de l'examen de ces poésies, considérées en elles-mêmes ; et pouvait-on donner une réponse décisive aux objections, générales ou particulières, soulevées par la critique contre l'authenticité de cette oeuvre magistrale ?
Si ces diverses hypothèses se réalisaient, alors, — malgré l'absence regrettable des manuscrits originaux ou d'autres en ayant à peu près la valeur, que l'on déclarait avoir été brûlés à Viviers, en 1793, par les vandales de la Révolution, — il n'était plus possible de contester sérieusement que ces poésies ne fussent dues à l'auteur auquel l'attribuaient celui qui les avait tirées de leur tombeau et celui qui les présentait au public.
Or, il est aisé de montrer que ces hypothèses sont autant de réalités.
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II
Registre de Mr Antoine de Brion. Contrat de mariage de Marguerite Chalis et de Bérenger de Surville. Confirmation des principales données traditionnelles. Le vrai nom de Clotilde de Surville.
Il est certain aujourd'hui qu'une femme a existé, au XVe siècle, dans les conditions de temps, de lieu et de rapports sociaux, quant aux points principaux de la donnée traditionnelle, attribuées à Clotilde de Surville, par le recueil publié sous son nom.
Le Monnaie notanmi ou Registre (1) ; pour l'année 1427- 1428, d'Antoine de Brion, « notaire royal, » à Privas, registre récemment découvert par feu M. Henry d'Audigier, est venu le prouver complètement.
D'après ce Registre, Bérenger ou Bèrangort de Surville, le premier que nous connaissions, d'une manière positive, parmi les membres de cette famille du Languedoc (2), était « du diocèse de Nîmes. »
(1) Manuscrit petit in-4°, sur yelin, en latin, du xve siècle, assez bien conserve, ayant fait partie des papiers de la famille de Barrés du MOlard, an château du Bijou, près de Ghemérae (Ardeche). Comme Tannée, à celte époque, le registre va de Pâques 1427 à Pâques 1428.
(2) Dans une notice relative aux Surville du Vivarais, notice très-défectueuse et contenant de graves confusions ma;s qui n'en témoigne pas moins de sérieuses recherches et qui fait partie d'un ouvrage inédit et inachevé intitulé : Notices généalogiques, M. Henri Deydier suppose, avec vraisemblance, après M. J -L. de La Boissière, que Bérenger descendait de Simon de Surville, « vivant en 1304, marié avec Agnès « de La Blacheyre à qui son frère, Pons de La Blacheyre, fit, cette « année, la reconnaissance d'une terre sise à Saint-Privat, sons Aubenas.»
Avec le même généalogiste qui s'est occupé* lui aussi, d'investigations historiques sur le Vivarais, M. Deydier présume que Bérenger était fils de Guillaume de Surville, qui, • le 20 juin I4H, reçut une investiture « du prieur de Vesseaux, Bernard Escouflier » ; et il suppose aussi que ce Guillaume de Surville « devait être ce Surville mentionne dans le « nombre des sept chevaliers français qui combattirent en 1402, — en
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Le 4 janvier 1428, il épousa à Privas Marguerite Chalis, fille de messire Pierre Chalis, licencié ès-lois, mort antérieurement à cette union. 1
Marguerite Chalis était une riche héritière qui, d'après son contrat de mariage, avait des propriétés à Privas, à Vesseaux, à Rochemaure et à Sceautres, dans les gorges abruptes et sur le plateau basaltique du Koyron, — localités appartenant toutes à la partie centrale de l'ancien Vivarais, qui forme aujourd'hui le département de l'Ardèche.
Florence Chalis, veuve de Pont de Morier, de Privas, avait institué comme son héritière sa nièce Marguerite, dans son testament fait, le 11 septembre 1427, devant Me Antoine de Brion, dans la maison de Marguerite, « in hospicio Margarites, » où la tante demeurait (1).
Marguerite était alors déjà veuve de Raymond de Bo co de Barrés, ainsi que le témoigne l'extrait d'une procuration Fonnée le 12 septembre 1427 (2), pour Jean Pascalis d'Anbenas.
Guienne, prés de la tour de Montendre, dans les environs de Blaye — contre sept anglais, ayant à lent tête Arnaud Guithem de Barba- « zan. » (Hénault. Abrégé de l'Histoire de France.)
Si cette hypothèse était exacte, comme l'on peut le croire, elle justifierait complètement ce que Marguerite de surville dit à Bérenger, de la bravoure de son père :
' t Pour toy, nè d'ong hdroz si-digne de ta race,
« Que, de son sang, mon siècle a veu payer « L'heur de luy retracer le triomphe d'Horace « Qui fist Albainz soubz les aigles ployer... > (Héroïde à Bérenger).
Marguerite aurait rappelé dans ces vers, avec une entière justesse d pensée, la lutte des Horaces et des Curiaces, au souvenir de ce combat de chevaliers où les Anglais avaient été vaincus. Et il y aurait là, en faveur de l'authenticité de ces poésies, un témoignage de plus, à ajouter à un grand nombre d'autres.
(1) Voir aux Documents justificatifs, III, le testament de Florence Chalis.
(2) Voir aux Documents justificatifs, IV, l'extrait de cette procuration.
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Marguerite était sans doute restée veuve très-peu de temps après cette première union.
Le Registre de Me Antoine de Brion contient en entier le contrat de mariage de Bérenger de Surville et de Marguerite Chalis (1). Cet acte commence ainsi :
Matrimonium nobilis Berengoni de Supervillâ, Nées mausensis diocesis, ex utui, et honeste (sic) mulieris « Margariles fille (sic) vene abilis viri domtni Pétri
Chalissi, quondam Privacii, partium (tel partants) « ex altérâ. »
Ce contrat fut reçu à Privas, « in hospicio dicte (sic) Margariles. »
L'oncle de Bérenger de Surville, qui fut sans doute le négociateur de ce mariage, « noble et religieux homme, mes- « sire Antoine Jourdan, prieur de Vesseaux, » donna au futur, « propter nupcias », « centum mulones auri, ». — cent moutons d'or.
Selon une des clauses du contrat, Bérenger de Surville dut venir demeurer soit à Privas soit à Vesseaux. Aussitôt après la conclusion du mariage, il devra, dit l'acte, venir « suprà bonis et heredidate dicte (sic) sponse (sic), et « ibidem, cum ipsa sponsa futura et ejus familia, vide- « licet in presenti loco Privacii vel Vessaucii, domici-
« lium personale continue facere. » ,
La famille Chalis habitant depuis longtemps Vesseaux, et Marguerite y ayant, avec des propriétés assez considérables, un parent, Jean Chalis, (3) qui devait un jour avoir pour héritier le fils de Marguerite, on s'explique ainsi cette condition imposée à Bérenger.
D'après l'acte notarié, Marguerite était major viginti annis, minor vero viginti . quinque. » En 1428, elle avait ainsi environ 22 ans. Elle était donc née vers 1406.
(I) Voir aux Documents justificatifs, II, le contrat de mariage de Bérenger de Surville et de Marguerite Chalis.
(1) Voir aux Documents justificatifs,
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Remarquons-le maintenant : ce contrat de mariage n'infirme, en aucune manière, dans ce qu'elles ont il essentiel, les indications primitives relatives à Marguerite et à Bérenger, telles que ces indications résultent du recueil de poésies attribuées à Marguerite et des premières pages écrites à son sujet, telles qu'elles résultent aussi, en partie du moins, des traditions de Vesseaux où Marguerite est morte, après y avoir passé le plus grand nombre des années de sa vie ; au contraire il les confirme.
De ce contrat, il résulte, conformément au récit primitif :
1° Que Bèrenger de Surville épousa une damoiselle Chalis ;
2 Que Bérenger et son épouse eurent des propriétés à Vesseaux, dans l'ancien Vivarez ; qu'ils y habitèrent, et que le fait que ces propriétés venaient de Marguerite peut avoir contribué, moins pourtant que le long séjour qu'elle y fit, à donner lieu à ces dénominations qui se sont conservées à Vesseaux jusqu'à nos jours : le bois de madame de de Surville, la vigne de la dame, etc.
3° Que le dit Surville se nommait bien Bérenger et son épouse, Marguerite, comme l'indiquait le premier récit ;
4° Que Bérenger de Surville et Marguerite se sont mariés à l'époque qu'assignent la tradition et les poésies de Marguerite, à l'époque de la dernière guerre des Anglais et un peu avant le siège d'Orléans,
5° Qu'enfin Marguerite est née vers 1406, exactement à la date donnée par un document qualifié de pure légende et d'assertions sans fondement.
Voilà des coïncidences singulières entre l'indication notariale et un récit que la critique a englobé, sans discernement, avec les poésies de Marguerite dans la même appellation d'oeuvre de « fraude » et de « supercherie. »
On ne saurait être étonné d'ailleurs que les goûts poéti¬
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ques de Marguerite lui aient Bonne l'idée fantaisiste d'ajouter ou même de substituer, dans ses oeuvres littéraires, à son prénom, qui n'est pourtant pas pesté, inconu, celui de Clotilde et celui d'Éléonore. Elle a pu adopter ces noms, dans ses poésies et peut-être aussi dans ses relations d'amitié, en témoignage de son admiration pour la pieuse reine qui avait contribué à fonder la nationalité française et d'Éléonore de Guyenne si souvent chantée par les troubadours, ou en souvenir de toute autre noble figure, qu'il se soit agi là d'un personnage historique ou non. Avant comme après Marguerite, et même dans nos jours si « positifs », bien des poètes, bien des littérateurs ont eu des fantaisie? du genre de celle qui a été, à cet égard, le caprice poétique de Marguerite.
L'explication est donc ici très naturelle. Nous voyons cependant, dans l'adoption de ces noms d'emprunt par Marguerite, un indice de la tendance au romanesque qu'ont pu dénoter chez elle plus d'un trait de ces poésies et plus d'une page de ses souvenirs.
Il est également facile de s'expliquer comment ce nom de Clotilde, choisi par le poète, consacré par ses chant ? et reproduit dans ses mémoires, ait prévalu sur celui de Marguerite, soit auprès de ceux, qui, peu de temps après sa mort et dans l'intimité de la famille, ont eu connaissance de ses poésies soit auprès de ceux qui, plus tard, auraient peut-être apporté quelque modifications aux récits autobiographiques qu'elle avait laissés, dans le cas ou ce ne serait poinit elle qui eût mêlé, dans l'histoire de sa vie, certaines inventions imaginaires à la réalité.
XII
L'histoire et la légende. Pulchérie de Fay-Collan, mère de Marguerite dé Sur ville. Les Chalis et les Surville n'ont jamais été seigneurs de Vallon.
Après des concordances si frappantes entre les principa¬
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les dosées primitives et un écrit notarié retrouvé depuis peu d'une manière inattendue, certaines erreurs secondaires et tenant assurément de la légende, diverses inexactitudes que renfermaient les premiers documents concernant la vie de Marguerite ne sauraient infirmer en rien pi la certitude de son existence ni les preuves d'authenticité de ses oeuvres.
D'ailleurs, parmi ces indications, il en est qui semblent tout-à-fait controuvées, qui le sont peut-être, et sur lesquelles néanmoins il serait encore prématuré de porter un jugement définitif.
De ce nombre sont le récit qui se rapportait à la mère de Marguerite, dans les mémoires qu'avait laissés notre auteur, et ce que rappellent ses poésies (1) des prétentions qu'un Aymar de Poitiers aurait eues à sa main.
La mère de Marguerite aurait été une femme d'un esprit très-distingué, Pulchérie de Fay-Colan (2). Aucun document n'est encore venu ni appuyer ni ébranler cette indication.
(I) Poésies de Marguerite de Suriille Rondels VII et XI.
(2) ; La famille de Colan existait, au XVI* siècle, en Vi va rais, dans les Hautes Routières.
Les archives de Gras font connaître aussi l'existence d'une famille de Coulans, de st Montain qui s'allia à Gras, au XVII* siècle, avec I* de Serres.
Il existe encore des Decolans dans cette même localité.
Selon Étienne de Surville, Jacques-Henri de Fay ou de Faï, père de Pulchérie, fut « surnomme Collan, d'après son père Jacques de Fay à a qui le roi Jean .donna lui-même'ce nom, pour avoir remporté le oh:\- « teau de Collan, l'épée a la main, peu de jours après la bataille de « Poitiers. » (a)
Ce fait fût-il arrivé à un membre de la famill de Fay, il n'est point en contradiction avec l'existence, en Vivarais, de quelque branche de cette famille, appelée depuis lors de Collan, de Colan ou de Coulons.
(a) Etienne de Surville. Notices sur les vies et les écrits des femmes-poètes. Pulchérie de Fay-Collan.
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Nous savons seulement que la famille de Fay était déjà, et même bien avant cette époque, une de pleu considérables du Vivarais, d'où elle se répandit d'abord dans le Velay et ensuite dans plusieurs autres provinces de France ! La maison seigneuriale de Fay, Lavoulte, Chapdeuil et Vertoison était, dans cette région du Midi, la branche la plus importante d'une famille d'où étaient sortis également les barons de Vézenobres, seigneurs de Peyraud et de Joanas, en Vivarais.
Si la mère de Marguerite a appartenu à une branché de cette illustre famille, on ne saurait être surpris qu'avant de ! se marier avec Pierre Chalis, elle ait passé quelques années de sa jeunesse (de 1385 à 1391), comme l'affirmaient les mémoires de Marguerite, à la cour de Gaston dé Foix, au château d'Orthez, ou Froissard séjourna alors quelque temps, où elle aurait recontré avec lui des esprits d'élite, et où elle aurait puisé les connaissances littéraires qu'elle aurait transmises à sa fille.
Quant â la maison de Poitiers, elle était, depuis le XIIIe siècle, alliée à la famille de Fay, dont une branche lui avait apporté la propriété de terres nombreuses en Vivarais. Cette alliance avait eu lieu en 1239, par le mariage de Philippa, fille de Guillaume de Fay, appelé Jourdain (1), avec Aymar de Poitiers ; comte de Valentinois et de Diois.
Il n'y aurait donc assurément rien d'étrange à ce qu'un membre de cette famille, un Aymar de Poitiers eût, vers 1424, connu la famille Chalis et désiré la main de Marguerite.
Parmi les premières données sur l'exactitude desquelles on ne saurait encore entièrement se prononcer, est aussi
(I) Du nom du fleuve de la Palestine. C'est ce Guillaume de Fay nomme Jourdain, qui avait en 1179 fondé la chartreuse de Bonnefoy, sur le plus bâtit plateau du Vivarais.
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l'appellation de « Vallon-Chalys, » donnée à Marguerite dans les premières pages écrites sur sa vie. -
Marguerite, dans ses relations d'intimité avec plusieurs jeunes filles lettrées de la noblesse, aurait-elle modifié ainsi son nom, tomme elle avait substitué le plus souvent à son prénom celui de Clotilde ? Aurait-elle adopté ce changement parlant mieux à son imagination et tiré peut-être d'une propriété de sa famille, telle qu'aurait pu être un vallon Chalis (1), dans une des localités de la contrée qu'elle habitait ?
Ou bien, son arrière-petite-fille par alliance, cette jeune femme qui avait, peut-être la première, songé à publier les poésies de Marguerite, Jeanne de Vallon (2), en retouchant les manuscrits laissés par l'aïeule de son époux, aurait-elle présumé, par quelque hypothèse juste ou hasardée, que cette femme de génie avait eu un lien de parenté avec sa propre famille, à supposer même que la famille de Jeanne de Vallon ait jamais eu, ce que nous ne pensons pas, la sei(I)
sei(I) le vallon de chalés, situé à 15 kilomètres de Privas, sur le Koyron, à peu de distance des limites actuelles de la paroisse de Sceau très, où il est certain que Marguerite eût des propriétés, et qui pour ait alors être compris dans cette paroisse ?
Nous avons nous-même une propriété appelée la terre de Chalès, sur le Koyron, dans la commune de Berzème, et dans le voisinage des limites qu'a aujourd'hui la paroisse de Sceautres s'etendant alors plus loin qu'elle ne le fait aujourd'hui.
(2) Jeanne de Vallon, épouse de lacques de Surville, eut pour beaupère Jean de Surville, seigneur de Malaval et conseigneur de Gras en Vivarais. an XVIIe siècle.
Elle aimait passionnément la littérature, auquel son beau-père n'était pas étranger. Admiratrice des oeuvres de son aïeule par alliance, elle désirait pouvoir élever le vrai monument dû à la mémoire de Marguerite, en publiant ses poésies. Elle mourut jeune eneore ; et te projet qu'elle avait formé, à Gros, avec Jean de Surviiie mit plus d'un siècle à se réaliser.
Voir sur Jean de Surville, Jacques de Surville et Jeanne de Vallon, la seconde partir,Xll, XIII, XIV et XV.
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gneurie du château de Vallon ? Jeanne de Vallon, deux siècles après une époque pendant laquelle la seigneurie de Vallon avait passé à diverses maisons du Vivarez -ou du Gevaudan, pouvait-elle facilement se méprendre à ce sujet ?
Quoi qu'il en soit de ces conjectures que nous nous bornons â indiquer avec toutes réserves, toujours est-il qu'il n'y avait dans le Vivarais, au temps de Marguerite de. Surville, aucune famille de VaUow, que ce furent les La Gorce. les d'Apchier et les Astards, qui eurent successivement à cette époque, ta seigneurie du c1UUeaude¥allon(l);*qu'ainsi
(1) Gèraud de la Garce, chevalier, seigneur de la Garce, de Mirabel et de Groppières, acquit la seigneurie de Vallon (alors Valon), par son mariage avec Mingone Vilalle, dame de Valon, vers la fin du XIVe siècle. Ils eurent peur dis Helliot de' ta Garce, seigneur de la Gorce, de Mirabel et de Valon, qui mourut sans enfants.
Anne de la Gorce, leur fille, épousa, le 8 mai 1408, Reraud, seigneur d'Apchier (a), de Ceray, de Vabres (b), de Vazeilles (c), de Chély (d), d'Arzens (e) et de Montaleyrac, qui testa le 20 février 1452.
Beraud d'Apchier et Anne de la Gorce eurent pour fils Claude, baron d'Apchier, seigneur de la Gorce, de Valon, de Salavas et de Mirabel, qui testa le 11 novembre 1471.
Claude d'Apchier eut pour héritier son frère Jean d'Apchier, seigneur d'Ariens, qui avait époisé Anne de Ventadour, le 1er novembre 1451, et qui testa le 8 juin 1476.
Jean d'Apchier et Anne eurent pour dis Jean, baron d'Apchier, seigneur de la Gorce, de Valon, de Salavas et de Mirabel, qui vendit en 1484, à Charles des Astards, les seigneuries de Valon et de Mirabel.
Il testa le 9 janvier 1515 et il laissa, de Marie de Castelnau de Bre-tenoux, son épouse, François-Martin, baron d'Apchier, seigneur de la Gorce et de Salavas, né le 11 novembre 1509 et mort en 1575.
Cette énumération basée sur des documents non suspects et l'acte de mariage de Bérenger de Surville prouvent l'inexactitude de l'assertion émise, sans indications de sources, par M. J.-L. de la Boissière, reproduite de même par M. Henri Deydior dans ses notices généalogiques et d'après laquelle < les Chalis, de Vesseaux, se fondirent dans les « La Heaume, seigneurs de Vallon, qui ajoutèrent le nom de Chalis à « leur seigneurie. »
(а) Aujourd'hui Apcher, commune de PruniCres (Lozère).
(б) Haute-Loire.
(c) Haute-Loire-(d)
Haute-Loire-(d) St-Chély (Lozère).
(e) Aujourd'hui Arzenc (Lozère).
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ce n'est, pas même en se prévalant d'un lien de parenté qui eùt pu exister entre elle et l'une de ces familles, que Marguérit » aurait pris le nom de Vallon-Chalys ; et que c'est très probablement en donnant un autre sens à cette appellation qu'elle l'aurait adoptée, en supposant, comme nous le présumons, que ses mémoires n'aient pas en toute la rigueur historique. 1
Ce qu'il y a de plus vraisemblable, d'ailleurs, c'est de supposer que ce nom de « Vallon-Chalys » est une de ces appellations romanesques qu'Étienne de Surville imagina, comme nous le verrons, dans sa notice prétendue biographique, qui le fut dans un certain nombre de ses affirmations, mais qui fut loin de l'être toujours exactement.
Ce qui nous parait à peu près certain, c'est qu'Étienne de
Les documents authentiques assurent, au contraire, que les Chalis se sont tondus dans les Surville et non dans les La Beaume, et qu'à cette époque les seigneurs de Vallon n'étaient ni les La Beaume ni les La Beaume-Chalis. Et le contrat de mariage de Marguerite, qui montre l'unique héritière des Chalis, de Vesseaux s'unissant à un représentant de la famille de Surville, établit; en même 1 temps, que le 1 père de cette héritière habitait Privas et non point Vallon, et que sa famille s'appelait Cbalis et non pas de Vallon-Chalis. Il n'indique nullement que celte héritière fut alliée aux La Beaunie ; et il atteste qu'elle n'avait snr Vullon aucun droit de seigneurié ni mênfe de con-seigneurie.
M. Henry Vaschalde, apportant, lui aussi, son contingent de recherches à la thèse que nous soutenons, vient de son cêté, dans sa brochure sur Clotilde de Surville et ses poésies, de fournir un document de plus, sur la question' particulière dollt il s'agit dans cette page. Nous lisons aux pièces justificatives de cette brochure :
Extrait d'une liste des papiers, terriers, rouleaux et autres purchemins qu'avait en son pouvoir le sieur Vincent, féodiste a Aubenas, en 1740 :
Un terrier en raveur de noble Helliot de Lagorce, seigneur de « Vallon, pour Vallon et son mandement, reçu Me Rochette, notaire. « En 1433.
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Surville qui avait passé sa jeunesse dans les camps, en France, en Corse ou en Amérique, et qui joignait à une extrême vanité nobiliaire une connaissance très-superficielle des documents relatifs à sa propre famille, a pris inconsidérément ou voulu prendre celle de Jeanne de Vallon, — qui avait de, propriétés importantes à Gras, comme l'indiquent les archives locales (1), — pour une famille gui mirait eu la seigneurie de Vallon, et que, sur, cette supposition erronée, il a échafaudé tout un ensemble de fictions.
IV
Moyen de retrouver l'existence historique de Marguerite de Surville.
Sources d'informations à ce sujet.
Quelle qu'ait été l'erreur ou plutôt la fantaisie littéraire qui ait produit cette appellation de Vallon-Chalys, dont l'absence de fondement historique avait, au sujet de notre poète, contribué puissamment à déconcerter la critique sérieuse (nous ne parlons ni de celle de M. Sainte-Beuve ni de celle de M. Villemain), on peut, après ce que nous venons d'indiquer, discerner la part de vérité et la part d'imagination qu'il y a eues dans ce nom, supposé à demi.
On peut aussi s'expliquer comment la fiction a été mêlée à la réalité dans les premières pages écrites sur Marguerite de Surville, que l'inexactitude provienne le son fait ou non, en se rappelant que c'est à une époque où l'on était épris du romanesque en littérature, que Marguerite a écrit ses mémoires ou qu'ils ont eu un remaniement ultérieur, pour former le travail manuscrit — probablement de Jeanne de Vallon — dont s'est servi Etienne de Surville.
Que cette oeuvre ait eu sa rédaction première altérée ou non, après les amplifications qu'Étienne de Surville lui a
(1) Voir seconde partie, XIV.
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ajoutées indubitablement, elle ne doit être acceptée que dans ses points essentiels qui constituent les lignes principales de l'histoire de Marguerite.
Avec ces données, qui doivent être réduites à celles que l'on a pu contrôler judicieusement et qui, dans de telles limites, sont des attestations sûres, se rapportant ou à des faits indubitables, comme ceux qu'est venu établir le registre de M" Antoine de Brion, ou à d'autres ayant avec ceux-là un lien dont la probabilité est presque une certitude, nous pouvons retrouver l'existence historique de notre auteur
Nous devons, pour cela, d'ailleurs, n'accepter que les indications qui sont confirmées, d'une manière directe ou indirecte, soit par des documents précis tels que le contrat de mariage de Marguerite, soit par les traditions constantes de Yesseaux, traditions que nous résumons plus loin.
D'après ces sources d'information, voici les faits qui sont ou très-vraisemblables ou certains, dans la vie de notre poète.
V
Enfance et jeunesse de Marguerite. Premières poésies. Marguerite épouse Raymond de Bosco de Barrés. Son mariage avec Bérenger de Surville. Mort de Béreuger au siège d'Orléans. Naissance de Jean de Surville.
Marguerite Chalis était née vers 1406, à Privas ou à Vesseaux.
Peut-être serait-il plus exact de penser que Vesseaux fut pour elle la terre natale, ou du moins qu'elle y passa une grande partie de ses premiers ans.
Les nombreuses propriétés que la famille Chalis y possédait, la prédilection que Marguerite eut si longtemps pour ce séjour, les indications qu'elle en donne dans ses poésies, tout cela contribue à nous le faire supposer, quoique la pro¬
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fession d'homme de loi qu'eût sort père dût le retenir le plus souvent dans une localité plus considérable, telle qué l'était Privas.
Les poètes aiment à' parler des sites qui ont vu leur berceau. Comment Marguerite n'aurait-elle pas, dans ses poésies ou dans ses mémoires, dit, d'une manière ou de l'autre, quelques mots de Privas, si elle y fût née ?
Les poètes se plaisent à mentionner les rivières ou les torrents près desquels s'est écoulée leur enfance ; ce sont, pour eux, des amis auxquels s'attachent leur pensée et leur coeur. Or, nous ne voyons citer par Marguerite que l'Ardèche, rivière qui coule à 3 ou 4 kilométrés de Vesseaux ; et la pièce de vers (1) ou notre auteur nomme cette rivière, est évidemment une de celles qui datent de sa jeunesse.
Il est vrai que Marguerite fut, dans ses poésies, très-sobre de ce qui, en localisant son oeuvre sans nécessité, l'eût fait descendre de la haute région de l'art, entendu selon l'idéal qu'elle s'en était fait. C'est là — tout l'Indiqué — ûn parti pris chez elle ; elle s'est écartée rarement, et" l'on dirait presque à regret, de cette manière tracée par ce qui fut, pour elle, un concept esthétique.
Toutefois, elle sut apporter à cette règle de justes exceptions ; mais nous ne voyons pas qu'elle en ait fait en faveur de Privas qui, d'après ces conjectures, si elles sont fondées, ne serait pas son pays natal.
A onze ans, Marguerite traduisit en vers, dit-on, une ode de Pétrarque. Christine de Pisan, depuis longtemps en France et alors sur la fin de sa vie, aurait connu cet essai poétique, au dire des mémoires de notre auteur rapportés par Étienne de Sur ville ; et elle aurait présagé à cette enfant une illustre destinée littéraire
Marguerite rappelle ce trait succinctement, dans une de
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Rondel II.
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ses oeuvres les plus remarquables qu'il n'est point permis de supposer apocryphes (1) :
Des Vierges neuf, toy la dixiesme soeur ;
« Toy qu'eust Sapho choysi pour successeur, « Comme, en l'essay de ma muse enfantine, i M'osa le sieii prosner flere Christine. (2) >
Le témoignage qui ressort de ces poésies concorde donc sur ce point comme sur beaucoup d'autres, avec l'indication qu'a donnée Etienne de Surville, d'après les mémoires de Marguerite.
A quatorze ans, grâce principalement aux leçons d'un ami de son père, lerudit Jacques du Sault, d'une ancienne famille du Vivarais (3), elle possédait, mieux que la plupart de nos bacheliers, lés auteurs classiques latins, surtout Ho-
(1) Voir, à la quatrième partie de cette etude, les preuves d'authenticité des poésies de notre auteur.
(2) Poésies de Marguerite de Surville. Epistre à Marguerite d'Ecosse.
Ces poésies ayant à nos yeux tous les caractères d'authenticité, comme
nous le montrons plus loin dans la critique spéciale et complète que nous en faisons, tel ou tel fragment de ces oeuvres peut fort bien, pour certains aits de détail, être logiquement employé comme moyen probant. Il n'y a à aucun cercle vicieux ; la vérité historique et l'authenticité littéraire ne teuvent que s'appuyer mutuellement.
Il est vrai qu'il y a là cependant une sorte d'anticipation sur la cou-lotion du lecteur qui, si elle doit se former, comme nous ie pensons, par l'ensemble de preuves que nous présentons dans ces pages, ne peut être fermée suffisamment que lorsqu'il aura pris une entière connaissance de notre travail. Mais c'est une anticipation obligée par le rian même de cette étude, où nous avons cru devoir traiter la question biographique, résolue ici parties documents nouveaux, avant la question de l'authenticité des oeuvres littéraires de Marguerite de Surville.
(3) On retrouve souvent plus tard la famille du Sault dans les environs de Viviers, à Bourg-Saint-Andéol et à Saint-Montan,
Jehan du Sault, notaire à Saint-Monlan, reçut, le 3 janvier 1622, une obligation résultant d'un prêt de 600 livres tournois fait par Anthoine Vacher, de Berzème, aux consuls et à la communauté de Gras.
Les archives départementales de l'Ardèche mentionnent Louïs-François du Sault. conseigneur de Saint-Montan, condamné comme faux noble, le 23 février 1698, par Nicolas de Lamoignon, intendant de justice en Languedoc.
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race, Virgile et Ovide ; et, par enx, elle avait acquis des notions précises sur la littérature grecque.
A cet âge, vers 1420, elle composa quelques-uns de ses rondeaux.
A quinze ou seize ans, en 1421 ou 1422, elle écrivit cette Epistre à sa daulce amye Rocea, où elle donne l'explication fort simple de ce qui devait être un problème insoluble pour la critique savante de notre temps.
Sans cette épitre, elle montre combien elle fut préoccupée de bonne heure d'approcher de la perfection de l'art ; comment elle cherchait à échapper au mauvais goût de son siècle ; quelles précautions, quels moyens réfléchis elle voulait prendre pour ne point tomber dans les défauts littéraires qu'elle remarquait parmi les versificateurs alors en renom Nous voyons, dans cette épitre si instructive en ce qui concerne les vues esthétiques de notre poète, combien dès sa jeunesse elle s'était imposé pour devoir de respecter certaines règles que ses contemporains, guidés par leur caprice d'amateurs, n'observaient qu'assez irrégulièrement et lorsque cela allait à leur fantaisie.
Ce que Marguerite savait déjà, à cet âge, nous le voyons : C'est que du beau paresse est l'ennemye ; (1.) c'est que la négligence" et la seule confiance d'un auteur eu son talent, quel qu'il soit, ne sauraient jamais produire un chef d'oeuvre.
En cette même année, elle composa ses deux Chants d'amour, au Printemps (2) et en l'Hyver. (3)
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Epistre à Rocca.
(2) Ung chant d'amour doiht paindre aux sens moins que parler à
« l'ame. Cettuy du printemps fiz ung matin, huictiesme jour de mars
1421.
Mémoires de Marguerite de Surville, liv. 3 et 7; des Chants d'amour - 1o.
(3) « Soit l'hyvar aahofson (occasion) non subjet de telz cliantz ; es- « pandez-y vostre ame engtière. Ainsy fis-je au dernier jour de l'an « 1421. »
Id. Id.
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L'année d'après, en 1482, elle écrivait ses deux Chants d'amour, en l'Esté (1) et en Altomne. (2)
L'inspiration plus légère qui apparaît dans ces divers morceaux justifie pleinement les indications de date que contenaient, à leur égard, les mémoires de notre auteur. Marguerite fit, vers cette époque, à l'âge de 18 ou 20 ans, un voyage au Puy-en-Velay, en passant par les sites des plus pittoresques que le touriste voit se dérouler au pied du Mézenc et du Gerbier de Jonc, à La Champ-Raphaël, à Ste-Eulalie, au Béage, à la Chartreuse de Bonnefoy.
Dans ce voyage, qui parla vivement à son imagination et contribua à former son talent descriptif, elle fut, parait-il, accompagnée par deux de ses amies, Tullie de Royans et Rocca, dont nous allons parler.
C'est dans cette excursion que notre poète composa, au Puy, son rondeau « à la plus belle. » (3)
(1) « Ce n'est pas tant l'esté qu'ay voulu paindre que l'estat de mon coeur, le vingtiesme de juillet, vers deux heures, soubz le roschier, 1422.
Id. Id.
Remarquons ici que ces simples lignes, transmises par Etienne de Surville, ont un tout autre caractère que la prose de ce littérateur du XVIIIe siècle.
« Lors estoyent descoulourez les foillages ; donc Altomne jà s'en» fuyoit. Esht mon coeur ce temps grisastre, le quinziesme de novem- « bre de cet an 1422. »
Id. Id.
(3) < Il est dit que, dans une tête où toutes les deux (Marguerite et » Rocca) se trouvaient, au Puy-en-Velay, comme on dansait sous une » voûte de verts feuillages couvrant un terrain spacieux, il en tomba lout-à-coup un bouquet en couronne tissu des plus rares et des plus odorantes fleurs ; sur le ruban, on lut ces mots: « A La plus belle. » s CIotildB ainsi mit fin aux débats subséquents.»
Fragment d'un discours de Jeanne de Vallon.
Ce fragment, dans lequel a été transmis le rondeau dont nous venons de parler, est rapporté par Étienne de Survîlle.
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A vingt ans, en 1426, elle écrivit son Dialogue entre Apollan et Clotilde, dialogue où elle expose sa poétique et qui est un de ses chefs-d'oeuvre.
Pour s'expliquer la maturité littéraire de ce morceau et de presque tous ceux qui sont contenus dans ses poésies authentiques, il faut se rappeler qu'elle a revu plusieurs fois, jusqu'à la fin de sa vie, les pièces qui datent de sa jeunesse, ainsi qu'elle a soin de nous le dire elle-même en maint endroit de ses oeuvres.
Vers 1427, elle composa ses Trois plaids d'or, sur une donnée qui, trois siècles plus tard, devait être reproduite dans les Trois maniérés de Voltaire.
Ce fut sans doute un peu avant cette date, — sans que nous puissions dire l'année précise, — que Marguerite Chalis épousa Raymond de Bosco de Barrés. (1)
Rien ne nous montre que cette union, contractée peut-être par des convenances de"famille; ait saisi l'âme du poète aussi fortement qu'allait le faire son mariage avec Bérenger de Surville.
Et d'ailleurs, pour une sensibilité et une imagination telles que l'étaient celles de Marguerite, le fait de son premier mariage ne saurait donner le moindre démenti à la réalité de ses sentiments si profonds à l'égard de Bérenger, sentiments qui débordent dans plusieurs de ses poésies.
C'est à cette époque de sa vie que Marguerite commença à connaître, à Privas ou à Vesseaux, Bérenger de Surville, pour lequel elle conçut aussitôt une ardente affection et qu'elle épousa l'année d'après (3)
(1) La famille de Barrés avait, antérieurement à cette époque, la sei-gneurie du. château de Barri, situe près de celui de Pampelonne et l'an des châteaux-forts de cette partie du Vivarais.
(2) Quelques critiques, qui ont pris parti contre l'authenticité des poésies de notre auteur, n'ont pas manqué de relever les différences de dates qu'il y a entre les indications données par ta préface de Vander-bourg, d'après Etienne de Surville, et celles qui résultent du registre
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Bérenger de Surville, après avoir passé d'abord à Privas (1) et ensuite à Vesseaux les quatre ou cinq mois qui suivirent son mariage, partit de Vessaux au printemps (2) de 1428, pour se joindre à l'armée de la France, dans la lutte suprême ou notre patrie était engagée alors contre les Anglais.
Il fut armé chevalier par Charles VII ; et, dès que Mard'Antoine
Mard'Antoine Brion ; et ils ont cru voir là un argument en faveur de leur thèse négative.
C'était donner à un renseignement d'une importance secondaire une portée tout autre que celle qu'il a.
Comme nous l'avons dit ailleurs, ces différences de dates se résument en ce que, selon Vanderbourg, Marguerite Chalis se serait mariée avec Bérenger de Surville en 1421, tandis qu'elle ne l'épousa qu'en
1428.
Ces différences, si réelles qu'elles soient, se résolvent en une concordance significative : c'est que la date principale, fixant toutes les aur très, donnée par le premier éditeur de ces oeuvres, d'après Etienne de Surville, et celle que l'on trouve corelativement dans le registre d'Antoine de Brion se rapportent l'une et l'autre non seulement à une même époque, — ce qui serait déjà un accord étrange, — mais de plus à une année tant soit peu antérieure à ce qui fut alors un événement capital dans nos annales historiques, la levée du siège d'Orléans par Jeanne d'Arc.
La difference de ces dates sur un point insignifiant indiqué que les deux temoignages d'où elles proviennent ont été inconnus l'un à l'autre ; et leur accord sur un point important montre que, si l'un de ces témoignages — le registre de M= de Brion — est entièrement digne de foi, l'autre, qui a guide Étienne de Surville, n'est pas aussi imaginaire qu'on le supposait et mérite d'être accepté, avec réserve sans doute, mais avec plus de justice qu'une certaine critique ne l'a fait.
(1) Bérenger de Surville était encore à Privas le 26 janvier 1428, où, d'après le Manuale notarum d'Antoine de Brion, il se trouvait au mariage de Pierre de Brion avec Antonie Corbier, nièce de noble Raymond Vieux.
(2) « Icy, lez ung ormeit cerclé par aubespine, ^
» Que doulx printemps jà coronoit de fleurs,
Me dict adieu.
Poésies de Marguerite de Surville. Héroïde à son espoulx Bérenger
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guerite en apprit la nouvelle, elle écrivit , les beaux vers de cette « Ballade à son espoulx, lors fut admis des propres « mains du roy en tordre et corps de la Chevalerie »
Quoy ! mon espoulx, à payne hors de l'enfance,
« Vient des guerriers la palme recevoir ;
Et son aurore obtient la récompense ;
« Qui ne s'atteinct qu'à l'estoyle du soir !
» Pourquoy n'auroit ? icel prix percevoir
- i Veulent baults faites, non triste sapience.
> Que de succès sur toy veyray pleuveoir, - - -
Si (car mon coeur ne peut me decevoir)
M'est ton amour garant de ta vaillance !
Bérenger assista au siège d'Orléans, commencé au mois d'octobre1428.
Marguerite, vers la fin de cette année, mit au monde un fils appelé Jehan. Et ce fut dans les premiers mois de 1429, qu'elle composa, à Vesseaux où elle était restée depuis le départ de Bérenger, son Hèroïde à son espoulx et les Verselets à mon premier-né.
Dans le printemps de 1429, Bérenger périt victime de sa bravoure, près d'Orléans, avant la levée du siège de cette ville qui eut lieu le 8 mai 1429 (1).
Marguerite passa dès lors la plus grande partie de ses jours dans ce vallon de Vesseaux où elle avait d'assez
(1) Bérenger de Surville et Marguerite ont vu ainsi leur union durer environ quinze mois.
Ce laps de temps suffit pour justifier pleinement ce qui se rapporte à cette union, dans les parties non interpolées des poésies de notre auteur.
Dans sa préface des oeuvres de Clotilde (page liij), Vanderbourg dit que le poète a passé sept années avec Bérenger. Vanderbourg, en cela, a été induit en erreur par les indications d'Étienne de Surville, dont la « vie de Clotilde » a été, comme nous le dirons, défectueuse en bien des points de détail, sans que l'on puisse en conclure quoi que ce soit contré la réalité de l'existence de Marguerite et contre l'authenticité des poésies qui lui sont attribuées.
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grands domaines. Elle trouva un adoucissement à sa douleur, dans l'éducation de son fils, dans les consolations de l'amitié, dans son admiration de la belle nature du Midi et dans ses occupations littéraires.
VI
Marguerite à Vesseaux. Les amies de Marguerite. Présomptions à ce sujet. Loyson d'Effiat, Rose de Beaupuy, Tullie de Royans, Rocca, Juliette.
Déjà, avant son mariage, elle avait, parmi ses relations, des amies distinguées dont ses mémoires ont parlé et dont ses poésies ont fait passer les noms à la postérité.
Elle avait noué ces rapports d'amitié, depuis l'âge de quatorze ou quinze ans, c'est-à-dire environ depuis l'année 1430, — dans laquelle Philippe de Bourgogne avait reconnu, parle traité de Troyés, Henri V d'Angleterre, roi de France, et dans laquelle le dauphin Charles avait engagé la lutte contre les Anglais et les Bourguignons coalisés, — jusqu'à l'année 1428. Et c'est là une autre concordance à noter entre la biographie de Marguerite, telle qu'elle résulte de ses poésies et de ses mémoires, et les événements de son époque.
Ces amies, qu'elle avait sans doute connues à Privas, à Rochemaure, à Villeneuve-de-Berg, à Aubenas ou dans les environs, et qui avaient comme elle le goût de la littérature, avaient probablement été amenées dans le Vivarais par l'invasion anglaise et par les sanglantes audaces du parti Bourguignon, — le parti révolutionnaire dé ce temps, — dont personne n'a plus énergiquement stigmatisé l'odieux triomphe, que ne l'a fait notre poète dans son Héroïde à Bérenger.
Parmi ces jeunes fugitives qui, devant les dévastations dé la guerre civile et de la guerre étrangère, étaient probable- ■
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mont venues demander l'hospitalité soit à la famille dé Marguerite soità quelque famille voisine, étaient , paraît-il deux jeunes personnes du nord de la France ; Loyson d'Éfflat et Rose de Beaupuy. Elles étaient nées à Paris, d'après lés mémoires de Marguerite, et elles en avaient apporté la connaissance des délicatesses, du langage que commençait à acquérir, d'une manière plus marquée qu'auparavant et avec une supériorité relativé, la langue romane du nord, tendant à devenir le français moderne. Quelque temps après Rose de Beaupuy se serait faite religieuse au couvent des Bénédictines de la Villedieu, situé à trois lieues de Vesseaux ; elle serait même, dit-on, devenue abbesse de ce monastère qui était alors dans toute sa prospérité ; et Loyson d'Effiat se serait mariée avec le vicomte de Loire (1), avant que Marguerite n'épousât Bérenger de Surville. , Au nombre de ses amies auraient été aussi deux jeunes poètes, Tullie de Royans et surtout une italienne nommée Rocca, l'une et l'autre douées d'un vrai talent littéraire et ayant exercé, semble-t-il, une grande influence sur le développement des facultés poétiques de Marguerite, qui avait eu, en outre, pour son éducation, — nous l'avons dit, — les conseils de Jacques du Sault. Tullie aurait quitté le
(1) La famille de Loire, qui tire son nom de la source de la Loire dans le domaine de Loire, sons le' Gerbier-de-Jonc, à environ 1400 mettes d'attitude, sur le plus haut plateau du Vivarais, a existé jusqu'à notre époque. Elle demeurait jusqu'au commencement de ce siècle dans les hautes Boutières.
« lie Loire, clieyalier de Saint-Louis, » et « de Loire, officier d'infanterie » assistèrent à l'assemblée des trois ordres du Vivarais, tenue à Annonay, le 27 octobre 1788. Et de Loire, avocat en parlement, fut un des députés que les communautés de Saint-Martin-de-Valamas et de Borée, près du Mézenc, envoyèrent à l'Assemblée générale des trois ordres du Vivarais, qui eut lien à Privas, les 17, 18 et 19 décembre 1788.
Aujourd'hui cette famille est représentée par M. Dupré de Loire, de Valence. Elle possède encore le domaine de Loire.
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Vivarez bientôt après le mariage de Bérenger ; elle serait morte à Constantinople, d'après les mémoires de notre auteur. Rocca, disent les poésies de Marguerite, resta plus longtemps près de son amie, à Vesseaux. Puis elle repartit pour L'Italie où, paraît-il, elle ne tarda pas à mourir à Venise.
Mais ici l'on nous demandera : Le nom de ces amies de Marguerite rte Surville n'est-il pas une fiction? Leur existence est-elle certaine ? Est-elle probable seulement?' Notre réponse, la voici. On ne peint pas absolument affirmer comme chose certaine l'exactitude du nom de ces amies du poète. Mais, bien que nous ne retrouvions pas ailleurs le nom de famille dé ces jeunes personnes, nous ne pouvons pourtant rien inférer de cela contre leur réalité.
Toutefois ce qu'il est pérmis de présumer, c'est que ces amies de Marguerite ont appartenu ; comme elle-même, ou à la petite noblesse ou à la bourgeoisie de ce temps, et que l'importance sociale de leur famille a pu être exagérée soit par notre auteur soit par Étienne de Surville L'obscurité : de ces noms inconnus confirme cette conjecture.
Mais, de ce qu'il a pu, à cet égard, y avoir hyperbole de la part du poète, on n'en saurait légitimement conclure que
ces prétendues amies n'ont eu qu'une existence de fiction.
Graziella, de Lamartine, chez laquelle on a d'abord supposé quelqu'un jouant un rôle plus poétique, s'est trouvée être une jeune fille occupée à faire des cigarettes ; mais elle n'est pas un être imaginaire.
! A cet égard, et lorsqu'il s'agit de porter des jugements de ce genre, la prudence historique ne consiste point à tout accepter à la légère ; mais elle ne consiste pas davantage à
tout rejeter, sans discernement. En sachant faire la juste part de l'imagination du poète, dont les exagérations mêmes ! reposent toujours sur quelque réalité, on est à peu près certain de rester d'angle vrai. En adoptant, au contraire, ou la négation exclusive ou l'affirmation absolue, le plus souvent
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on admet plus qu'il n'y a lieu d'admettre ou l'on nie plus qu'il ne convient. On s'expose alors à recevoir des démentis comme ceux que des documents fortuitement - produits viennent d'infliger aux esprits afflrmatifs sans critique et aux sceptiques quand même, au sujet de Marguerite de Surville.
Quoi qu'il en ait été d'ailleurs de la position sociale, élevée, moyenne ou inférieure, de ces amies de notre poète, leur existence est pleinement attestée, pour la, critique intelligente, par l'influence indubitable qu'elles ont eue sur le talent d'un auteur de génie, comme le fut celui aux travaux duquel nous consacrons ces pages.
Ce ne fut, on peut-l'assurer, ni une amitié vulgaire ni moins encore une amitié imaginaire, celle qui eut le pouvoir d'inspirer des chefs-d'oeuvre, celle dont Marguerite, dans son isolement, se rappelait ainsi le souvenir :
Dez lors, par les destins sans cesse poursuyvie,
Nay flotte de soulcys qu'en pasmes et douleurs.
Belle Rocca ! longtemps partageaz nos malheurs ;
< Se ne les reparoiz, blandissoiz tant de pertes.
Et, bien fussent tousiours rres blessures apertes,
D'ung balme si divin sçavoiz les arrouser
Q'encor pust, grâce à toy, mon sort se jalouser.
« Enfin nous deslayssaz en la flour de ton aage;
Tenvolaz loing de nous au ceteste manage,
« Tandiz qu'en ces bas fleutx ta Clolitde aux aboys,
De ses plaintes (assoit les ecboz et les boys. > (1)
Il y a encore, près de Vesseaux, un bois de chênes ou plutôt une lande sanvage, plaquée de rochers jurassiques, et montrant çà et là des buis et quelques arbres tapissés de lichen C'est un lieu écarté, à près d'une lieue du village, et caché entre des bois de châtaigniers. Ce monticule, incliné vers deux ravins, a l'âpre sévérité du paysage et la mélancolie du souvenir. Pour le paysan dé ces hameaux, c'est encore le bois de madame de Surville. (2) Que de fois. sans
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Fragments d'Episres I. (2) Ce bois appartient depuis longtemps à la famille Villédieu. Voir, . au sujet de ce bois, la seconde partie, I
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cloute Marguerite y porta ses rêveries, accompagnée de ses amies, de sa chère Rocca ! Et que de fois aussi elle y porta ses tristesses et ses deuils
Lorsque Rocca eût quitté le vallon du Vivarez où elle avait passé plusieurs années, Marguerite n'eut alors auprès d'elle, d'après ses mémoires, que deux autres amies qui, elles aussi, seraient restées quelque temps à Vesseaux : Sophie de Lyonne, appartenant, disaient les souvenirs du poète, à une famille de Champagne, et Juliette (1), petite bergère venue d'Arcens, village perdu dans un de ces ravins qui se précipitent du Mézenc et du Gerbier-de-Jonc et sillonnent les hautes Boutières de leurs abruptes profondeurs.
Marguerite, toujours d'après les mêmes renseignements, avait été frappée des heureuses dispositions de Juliette, qu'elle avait peut-être rencontrée dans une excursion an milieu de ces montagnes. Elle l'avait fait élever ; elle l'avait mise au rang de ses amies. Sophie et Juliette, ayant toutes les deux des aptitudes littéraires, prirent le voile peu d'années après, comme l'avait fait déjà Rose de Beaupuy, au couvent de la Villedieu. Là, elles consacrèrent leur talent à chanter les louanges de Dieu et à composer de hymnes dont quelques fragments, dit-on, existent encore.
Si nous avons rappelé ces détails, transmis par Etienne de Surville, d'après les mémoires de son aïeule ; si nous avons mentionné ces noms qui, pour Marguerite, furent des noms inscrits au livre d'or de l'amitié, c'est que de pareils faits, comme des indices nous le montrent, « n'ont assuré(I)
assuré(I) une confirmation de nos conjectures sur l'exagération qu'il a pu y avoir dans l'importance sociale donnée, en apparence, à la famille de ces amies de Marguerite. Plusieurs d'entre elles ont pu recevoir, soit de cette réunion d'amies, soit de notre poète, dans ses mémoires, un semblant de titre nobiliaire, comme c'est au moins le cas de Juliette, appelée dans ces mémoires Juliette de Vivares.
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ment-pas été étrangers à l'inspiration de sa poésie, et que l'amitié fat pour elle ce qu'elle est pour les nobles coeurs ; elle fut l'excitation de son génie, son encouragement), sa consolation.
C'est aussi parce que de tels récits, où quelques-uns n'ont vu qu'une fantaisie romanesque qui protesterait même contre l'authenticité des poésies attribuées à Marguerite, sont, loin de nous paraître empreints de ce caractère de fiction, A une époque où l'on ignorait, où l'on avait oublié--du-moins les violentes agitations et les convulsions sociales, on a pu trouver tout-à-fait étrange une semblable réunion d'amies venues de régions éloignées et se rencontrant, juste à point pour échanger leurs causeries, dans un bourg reculé ou dans un village obscur du Vivarais. . Après les jours d'épreuves que nous venons de traverser : après ces jours si douloureux et qui pourtant n'ont été - ni aussi durs ni aussi prolongés surtout que ceux qui se succédèrent alors, plusieurs années durant, dans notre France désolée ; après que nous avons pu voir ; nous aussi, les départs de famille, les séjours, les voyages, les rencontres inattendues que de tels jours amènent, les événements que supposent les rapports d'amitié de Marguerite au milieu des déchirements de notre patrie, tous ces faits, nous devons l'avouer, n'ont rien qui puisse nous paraître étonnant. Ils prennent même, à nos yeux, un air dé vraisemblance qui nous les fait complètement accepter, comme les péripéties singulièrement naturelles d'un temps de désorganisation sociale.
A ce motif, presque historique, qui nous incline à croire à la réalité de ces faits, s'en ajoute un autre bien plus décisif : c'est que l'amitié feinte par l'imagination n'a point l'accent que nous entendons dans les oeuvres de Marguerite de Surville.
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VII.
Rapports littéraires de Marguerite de Surville avec Charles d'Orléans et avec Marguerite d'Écosse. Les deux écossaises. L'inscription de la couronne de laurier. Une bizarrerie du « destin. »
Quelque épisodes ultérieurs de l'histoire de Marguerite pourraient être plus justement soupçonnées de présenter, à certains égards, un aspect légendaire. Nous les mentionnons cependant, parce que nous y voyons plus d'un trait en harmonie soit avec les moeurs de cette époque soit avec les tendances et le .génie de. notre poète, et surtout parce que le plupart de ces faits concordent pleinement avec les indications qui résultent de quelques-unes de ses poésies indubitablement authentiques, ce qui est pour nous presque une preuve de leur réalité.
Charles d'Orléans le vaincu d'Azincourt, si longtemps prisonnier, était, revenu, en 1440, de sa captivité de vingt-cinq ans. Et, peu de temps après, Marguerite d'Écosse avait épousé le Dauphin, depuis Louis XI.
Parmi les jeunes personnes attachées à cette princesse, étaient deux Écossaises qui l'avaient suivie en France et qui s'appelaient Céphyse et Camille de Richement, au dire des mémoires de Marguerite de Surville. Elles avaient une vive admiration pour le talent poétique de Charles d'Orléans ; elles étaient même un peu comme les élèves de ce maître qui, dès sa jeunesse, avait montré de remarquables aptitudes littéraires qu'il avait développées dans son exil. Marguerite de Surville connaissait déjà, paraît-il, depuis quelques années, plusieurs poésies que Charles d'Orléans avait composées durant sa captivité et qui, ayant franchi le détroit, avaient pu être goûtées, en France, par quelques esprits cultivés. Dans une de ses pièces de vers les plus étonnantes, elle disait, par la bouche d'Apollon, à Charles d'Oréans, en 1426, c'est-à-dire à vingt ans :
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S'en tes lyens les filz de ton pinceau
Tiegnent des lys qu'espandoiz au berceau,
Que la musette élégante et flourye
« Consoleroit ton ingrate patrie,
Dont, se ne peulx abregier les revers,
« Pourrais du moins tes charmer par tes vers (1)
Et, de lui aussi, elle faisait dire au dieu mythologique de l'harmonie :
Mais ce qui plus enrischit mon domaine, ,
« C'est ce héroz, victime d'Azincourt,
Qu'ez fers gesmit et que nul ne secourt (2)
Les poésies que Marguerite de Surville connaissait alors de Charles d'Orléans, étaient quelqnes-unes de ces oeuvres d'un art, si délicat, sur lesquelles, grâce à l'égoïste méfiance que Charles VII et Louis XI témoignèrent, l'un après l'autre, pour Charles d'Orléans, et grâce à l'indigne complicité de la littérature officielle de ces deux règnes contre ce suspect au maître et aux valets, se firent un silence d'abord, puis une obscurité et un oubli assurément bien plus étranges que le long ensevelissement des poésies de Marguerite, — obscurité et oubli qui ne cessèrent que par les investigations de l'abbé Sallier, plus de trois siècles après l'époque où étaient nés ces chefs-d'oeuvre de l'illustre captif,
Marguerite envoya alors, vers 1446, — sans doute â son amie la vicomtesse de Loire, Loyson d'Effiat, qui fréquentait Paris et la cour, — une pièce de vers que nous n'avons plus, à l'adresse de cet auteur d'une originalité si franche et si vraie, dont le talent allait au sien. Charles d'Orléans y vit le génie du poète, comme la jeune Dauphine qui, elle aussi, aimait les lettres, avait pu, quelque temps avant, juger de ce talent ignoré, par un « rondel » plein d'esprit composé au sujet d'Alain Chartier et que la vicomtesse de Loire avait présenté à Marguerite d'Écosse.
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Apollon et Clotilde. (3) Id. W.
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Charles d'Orléans pria la vicomtesse de Loire de porter ses remerciements à Marguerite de Surville, et de l'engager à quitter son vallon inconnu, au moins ponr quelque temps. Marguerite d'Écosse joignit ses affectueuses recommandations à celles du prince poète yetses deux jeunes Écossaises, désireuses d'entrer en relations avec un auteur d'un si rare talent, furent envoyées en même temps par la Dauphine auprès de Marguerite, pour l'emmener ou pour rester quelque temps avec elle et se former à son école.
Les trois voyageuses donnèrent rendez-vous, à Lyon, à Marguerite de Surville. De là, elles vinrent ensemble à Vesseaux ; puis elles parcoururent plusieurs des sites pittoresques du Vivarez.
Quelles que lurent les instances de ces amies, Marguerite ne se décida point à échanger sa solitude pour une vie plus brillante à la cour. Elle remercia la dauphine, dans une remarquable poésie que nous avons encore et que l'une des deux Écossaises, s'en retournant avec la vicomtesse de Loire, alla remettre à la princesse. Ce n'est pas, lui disait Marguerite de Surville dans ces vers qui débordent du sentiment le plus ému, ce n'est pas une âme qui a tant souffert des séparations les plus cruelles, qui pourrait se plaire jamais dans un milieu de joie bruyante et d'agitation.
Mais entendons-la elle-même dans ces vers qui comptent parmi les plus beaux de notre langue, et qui suffiraient presque pour immortaliser ce vallon de Vesseaux ou le poète les composait :
« Rayne, ah ! pardonne ; enfle du soubvenir D'ung court printemps que ne peut revenir,
Dans ung climast où me suibvroit l'Envie, Piroy traisnant ma languissante vie ! Des noirs dragons, son chief pasle (1) entourans, l'affronteroy les souffles dévorans !
(1) La tête pâle de l'Envie.
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« Et sur ces Hours qu'au desclin de mon aage
« Pour adouleir l'horreur d'un tel veulvage,
« Cueillist pour moy vostre royale main, Je la verroye espandre son venain.
« Non, non ; périsseang penser qui m'alarme !
« Donnez, princesse, à mon sort ugne larme ;
Il me suffit, heureuse en mon malheur,
« Que partagiez le failx de ma douleur.
i Rien plus me duict que de la voir s'estondre,
Et mes playzirs sont de n'en plus attendre (1)
En revenant auprès de Marguerite, la jeune messagère lui apporta, de la part de la dauphine « une couronne de laurier artificiel, surmontée de douze marguerites à boutons d'or et à feuilles d'argent, entrelacées deux à deux, avec cette devise : « Marguerite d'Écosse à Marguerite d'Héticon (2). »
Cet envoi et cette devise, tout-à-fait dans le goût littéraire de l'époque, sont une nouvelle affirmation du prénom exact de notre poète, bien que l'on ait aimé à signaler là l'identité des noms de la princesse qui envoyait ce présent et du poète qui le recevait.
Remarquons-le ici : c'est Étienne de Surville lui-même qui raconte ce fait ; il le donne, dit-il, d'après les mémoires de son aïeule. " ,
Or, selon les assertions savantes des Sainte-Beuve et des Villemain, Étienne de Surville a simplement inventé cela, comme tout le roman de sa façon qu'il a bien voulu léguer « sans se déceler » et qu'il a appelé l'histoire et les poésies de Clotilde.
Singulière bizarrerie d'un faussaire qui, pour glorifier son héros, ne trouve rien de mieux que de lui faire décerner une couronne, sous un tout autre nom que celui par lequel il
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Epistre à Marguerite d'Ecosse.
(2) Étienne de Surville.
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cherche à l'immortaliser ; sons un nom entièrement secondaire auquel, tout le long de son récit, en prose comme en vers, il n'accorde pas la moindre attention !
Et singulière fantaisie du « hasard », de venir, quatre cents ans après ces faits « imaginaires », dire brutalement que ce nom, insignifiant pour le « faussaire », fut ni plus ni moins le véritable nom de cette épouse de Bêrenger, que l'auteur d'une pareille « supercherie » n'avait pas craint d'ériger en vrai poète, si plaisamment pour nos célébrités !
Ici, évidemment, il y a quelqu'un qui trompe ou qui se trompe :
Ou c'est Etienne de Surville, le maladroit « inventeur » de cette histoire et le poète sublime, en même temps, s'il faut en croire les maîtres illustres ;
Ou c'est le « hasard », capricieux qui, en montrant au « faussaire » sa sottise, ose pourtant venir lui donner raison ;
Ou c'est la critique « éclairée », enfin.
Mais la savante critique ne se trompe pas, et elle ne trompe pas davantage. C'est, du moins, ce qu'assurent les encenseurs de nos lettrés.
Les deux jeunes Écossaises, dont l'une avait apporté au poète un présent princier qui contribue à jeter dans ce récit un jour révélateur, passèrent, jusqu'à l'époque de leur mariage, — toujours d'après les indications de Marguerite, — quelque temps auprès d'elle, dans l'étude des choses littéraires et dans le culte de la poésie.
VIII
les mémoires de Marguerite de Sarville. Preuves de l'existence. qu'ont eue ces mémoires.
Ce fut sans doute à peu près dans ce temps que Marguerite commença à écrire ses mémoires.
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La critique légère a pu trouver tout simple de reléguer, d'un trait de plume, ces productions au rang des contes imaginaires. Ou ne saurait cependant douter, avec raison, de leur réalité sous telle ou telle forme, plus ou moins digne de foi mais authentique, devant l'ensemble des indications que ces mémoires ont données et qui sont confirmées, soit par des témoignages certains qu'Étienne de Surville ignorait (1), soit par des traditions locales, qu'il ne soupçonnait probablement pas.
Voilà, en effet, sur le même point, — (existence de Marguerite Chalis épouse de Bérenger de Surville et ayant habité Vesseaux, — voilà, dans l'affirmation du même fait, le concours de deux témoins qui ne peuvent être suspects de connivence et qui ont été inconnus l'un à l'autre : l'acte de Me Antoine de Brion et ces mémoires prétendus fictifs.
Le concours de ces deux témoins est aussi exact qu'inattendu. On ne saurait récuser l'un des deux, l'acte d'Antoine de Brion
Comment récuserait-on l'autre légitimement ? Comment n'admettrait-on pas au moins la réalité de la partie de ces mémoires qui concorde inopinément avec un témoignage des mieux établis ? Mais avouer que ces mémoires ont existé en partie, c'est avouer qu'ils ont existé.
A moins donc que la critique d'expédient, qui ne recule au besoin devant aucune négation, pas même devant celles
(1) Etienne de Surville ignorait le contrat de mariage de son aïeule, donné par le registre de M® Antoine de Brion; et il ignorait, à ce sujet, tout renseignement ayant pu émaner directement de cette source.
Cest là un fait qu'on ne saurait mettre en doute, pour peu que l'on ait réfléchi aux différences qu'il y a entre les indications d'Étienne de Surville et celles d'Antoine de Brion.
Si Etienne de surville eût connu ce document notarial, il n'aurait pas donné constamment à Marguerite le nom de Clotilde, et il n'aurait pas écrit sur elle une notice biographique aussi hasardée.
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que démentent des faits indubitables, ne veuille expliquer par le hasard de pareilles coïncidences, elle doit reconnaître que l'un de ses procédés habituels, qui consiste à tout repousser de parti pris, est ici contredit formellement par d'irécusables attestations.
Voilà, en outre, des fragments d'anciennes poésies françaises, qui ont été mis au jour par ces mémoires, tels que les vers attribués k Marie de France, à Barbe de Verrue, à Justine de Lévis, à Louis lie Puytendre, pour ne parler que de ceux-là ; voilà ces poésies qui, pour tout esprit non prévenu systématiquement, ne sont certes ni une supercherie faite à quelque époque que ce soit, ni moins encore un pastiche littéraire composé au XVIIIe siècle, et dont quelques unes, celles de Barbe de Verrue, portent l'empreinte du génie, c'est-à-dire un tout autre cachet que celui des vers sans originalité d'Étienne de Surville ou celui des fantaisies d'envieillissement essayées par nos lettrés modernes, par les Sainte-Beuve ou les de Ségur.
Voilà, de plus, des vers de Justine de Lévis et d'autres de Pétrarque qui leur répondent, cités sommairement dans ces mémoires, et dont on a pu constater la réalité, autant que la reproduction maladroite qu'en a donnée Étienne de Surville (1), celui-là même qui a fait connaître l'existence de ces récits autobiographiques
(1) D'après une indication de ces mémoires, résumée par Etienne de Surville, Justine de Lévis-Peiotti aurait adressé à Pétrarque un sonnet commençant par ce vers :
« lo vorrei pur drizzar queste mie piume » ;
Et Pétrarque y aurait répondu par un autre sonnet dont le premier vers était :
« La gola el sonno e l'oziose piume. » « Non seulement, observe Vanderbourg à ce sujet, le sonnet de Pétrarque, dont le premier vers vient d'être cité, se trouve dans le recueil de ses poésies, mais le sonnet de Justine s'y trouve aussi tout entier (tome 2, page 184, de la petite édition, Londres 1784)... Tomasini, qui l'a publié le premier, le tenoit de Torquato Perotti, évêque d'Amérino, qui éloït de la même famille que Justine.
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Voilà encore ce fragment relatif aux poésies d'Abélard, fragment qui, bien que peut-être sous forme de lettre, a cer-
« Tomasini raconte que Justine de Lévis cloit restée longtemps inconnue, même dans sa patrie. Ce fut, dit-il, le pape Clérpent VIII qui, ayant eu connaissance de quelques-unes de ses poésies, chargea son camerlingue Antoniani de prendre des renseignements sur sa famille et sur ses ouvrages. Antoniani s'adressa lui-même à im autre officier du Pape, Odoard Santarellus, natif de Sasso-Ferrato...
« Torquato Perotti lui apprit (à Tomasini) et lui prouva, par des documents authentiques, que la famille de Lévis-Pérot, établie à SassoFerrato, avait été reconnne (comme le dit M, de Surville.) par les Lévis de France; il lui apprit que le père de Justine portoit le nom d'André (M. de Surville l'ignorait, puis qu'il l'indique par un N); que cet André s'était distingué par ses talents militaires sous le pape Innocent VI ;... enfin il lui envoya le sonnet adressé par Justine à Pétrarque.
« Voilà donc, ajoute Vanderbourg, encore une femme assez distinguée par ses lalents poétiques pour avoir reçu des éloges de Pétrarque, et qui tomba dans un lel oubli que, trois siècles après elle, on ignorait sa famille et pour ainsi dire jusqu'à son nom...
« Bien plus, Justine de Lévis était bisaïeule de Clotilde ; et M. de Surville, en nous parlant d'elle d'après ses mémoires (ceux de Marguerite), ne cherche pas à s'appuyer d'autres témoignages ; il ne cherche ni le sonnet de Petrarqne ni celui de Justine... Il fait une faute dans chacun des vers qu'il cite, en écrivant dans le premier c sonna pour e'l sonno, et en omettant la particule pur dans le dernier; il laisse en blanc le prénom du père de Justine, tandis que la moindre recherche pou voit lui faire corriger ces fautes et lui fournir des éclaircissements que ses mémoires ne lui donnoient pas. Il fallait donc qu'il se crût bien fort de l'autorité de ses seuls mémoires, qu'il fût bien sûr de son fait. L'homme qui invente et qui veut tromper n'a pas cette sécurité de conscience ; il ne néglige aucun des appuis que le hasard lui peut fournir.
« Odoard Santarellus n'avoit pu découvrir à Sasso-Ferrato la moindre trace de l'existence et des ouvrages de Justine de Lévis.. Torquato Perotti lui-même n'avoit rien pu apprendre à Tomasini sur l'histoire de cette femme poëte; tout cela s'explique par le récit de M. de Surville (extrait des mémoires de son aïeule). Justine de Lévis mariée à Louis de Puytendre, transplantée France et n'écrivant plus qu'en français, devint étrangère à l'Italie; et lorsque le pape s'occupa d'elle, on ne put retrouver qu'un petit nombre de ses écrits dans une langue
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tainemant fait partie des mémoires de Marguerite et qui est si conforme à sa manière, à sa tournure d'esprit (1).
Comment ces poésies, comment ces pages qui ne nous sont connues que par des extraits des souvenirs de notre auteur et qui ont un caractère très-marqué d'authenticité, ne
qu'elle avoit abandonnée de si bonne heure. Ainsi ce qui faisoit i'éton-nement de Tomasini devient simple et naturel, par les détails que nous a transmis M. de Surville qui n'avoit aucune connaissance de l'ouvrage de Tomasini...»
Vanderbourg. Préface des poésies de Clotilde de Surville.
(1) Il s'agit d'un débat qui aurait eu lieu devant.Gaston de Foix an château d'Orthez, entre Froissart et Pulchèrie de Fay-Colan devenue plus tard la mère de Marguerite ; et ce débat aurait eu pour sujet les poésies attribuées à Abélard.
Ce fragment, qu'Étienne de Surville avait peut-être un peu retouché mais auquel il n'avait pu enlever son antique et délicate saveur, fut publié par lui, pour la première fois, dans le Journal de Lausanne. Voici comment s'exprime Marguerite, dans ce gracieux morceau :
« Tant et si bien ma mère devisoit qu'au bon Froissart ja souffloit la parole ; et toutefois desmordre il ne vouloit de son premier advis ; faute de raisons, maints termes grommetoit insignificatifs, mais de tant drole et gesné maintien qu'entre temps monseigneur (le comte de Foix) son beau chief branloit d'impatience, tandisque la comtesse se pasmoit de rire. Sur ce apparust céans un vieil chevalier breton, lequel encore s'exercitoit en armes, comme il sacrifloit aux muses. A payne se fust-il ci quis du litige, qu'on le vist soubstirant d'une pochette de cuir certain papier lisse ne plus ne moins que de la soye ; et, le baillant à lire au docte flamand, lui dit froid à glacer: Tenez, iugez sur pièces l Or, sur un coin dudit papier qu'il ne laschait, la sienne main demouroit apposée.
Lors, aux cieulx sembloit transporte l'incredule Froissart, dont les yeux par degrés s'emplirent de plours ; tantost trespignoit comme de jalousie ; tantost se recrioit de surprinse, d'aise et d'admiration. — Certes, fit-il enfin, rien ne scaurois dire de tant délicates chansons, sinon que c'est l'Amour, le Diable ou moy qui les ont faictes.
— Pas ung des trois, reprist tousiours froidement le vieil trouvère ; c'est Abelard ; et retirant son papier, fist à tous regardans considérer cinq lignes d'escriplure et le seing d'Heloyse, qui tesmoignoit lçsdites stances estre l'oeuvre du sien espoulx. »
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le partageraient-elles pas avec les documents d'où elles ont été tirées ? Et si elles ne sont pas un jeu romanesque, comment les fragments de mémoires qui nous les ont fait connaître seraient-ils une pure légende ou plutôt une supercherie ?
IX
Ces mémoires n'ont probablement pas été exempts de fictions. Manière
dont Étienne de Surville composa sa notice mr clotiide. Défectuosités de ce document.
Nous disons ainsi et nous prouvons que ces mémoires n'ont pas été fictifs ; nous ne disons pas qu'ils aient été exempts de fictions. Pour nous, nous croyons peu à l'exactitude intégrale des renseignements qu'ils ont donnés ; et nous présumons que c'est peut-être autant dans la rédaction première de ces souvenirs que dans les additions ou les interprétations fantaisistes qu'ils ont pu recevoir, qu'il faut chercher l'orgine des récits romanesques qui en sont résultés.
A leur égard, il y a lieu de penser, d'abord qu'ils ont existé plus ou moins importants mais authentiques, ensuite qu'ils ont pu n'être pas toujours historiques. On peut même supposer que, si la critique sérieuse a fait presque constamment fausse route au sujet des poésies dont il s'agit, ce n'est pas entièrement sa faute ; au moins en ce qui concerne les détails biographiques qui pouvaient appuyer ou combattre l'authenticité de ces oeuvres. Indépendamment d'elle, ce n'est pas non plus peut-être exclusivement le tort d'Étienne de Surville, quoiqu'il soit loin d'être irréprochable à cet égard. La critique, qui mérite ce nom, a été mise plus d'une fois sur une voie trompeuse par des indications secondaires mais non sans importance, qui provenaient de ces mémoires. Et si Étienne de Surville a largement concouru à amener ce fâcheux résultat, Marguerite, elle aussi, peut y avoir contribué.
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Étienne de Surville dit que les mémoires de son aïeule étaient divisés en huit livres dont cinq seulement existaient, et même par fragments, lorsqu'il les aurait découverts. Rien ne prouve l'exactitude de ce renseignement, d'ailleurs d'assez peu de conséquence ; mais rien n'autorise non plus à le rejeter.
Ces fragments de mémoires, qu'il aurait retrouvés et qui plus tard, auraient été brûlés à Viviers, avec l'ancien volume des poésies de notre auteur (1), faisaient-ils partie des manuscrits originaux du XV° siècle, ou n'en étaient-ils qu'une copie qui aurait pu contenir déjà des amplifications ajoutées au texte primitif? C'est un point sur lequel on ne saurait guère avoir de doutes.
Il est, pour nous, à peu près certain que les manuscrits qu'Étienne de Surville découvrit en 1782, et qui renfermaient les fragments des mémoires de Marguerite avec ses poésies, n'étaient qu'une copie que Jeanne de Vallon avait faite de l'autographe de notre auteur. Quelques paroles, que nous citons plus loin, de Jeanne de Vallon elle-même tendent à le faire supposer.
C'est ce que présumait un sérieux érudit, Schweighaeuser, qui n'en était pas où en sont généralement nos uni-
(1) Ou bien ces fragments auraient-ils.été mis, avec les poésies de Marguerite., dans cette malle conteuant des manuscrits, qui,—d'après le dire d'Etienne de Surville à M. de Brazais et à Mme de Potier, à Lausanne, — aurait été confiée par lui à un M. du Morard, pour être remise à M. Pradel, maître de postes à Donzère, et qui n'a pas été retrouvée ? Nous ne le pensons point ; car, dans cc cas, Etienne de Surville eût été explicite dans l'affirmation de ce fait.
Il est bien plus probable que cette malle, qu'Etienne de Surville aurait adressée ainsi à M. Pradel, lorsque émigré il rentra en France pour la première fois en 1795, ne contenait d'autres manuscrits que des amplifications faites par lui-même sur quelques fragments laissés par Marguerite, ét dans le genre de plusieurs de ceux qu'il allait publier en 1797 et 1798 dans le Journal littéraire de Lausanne, ou confier à Mme de Polier.
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versitaires et tous nos critiques de fantaisie, et qui admettait pleinement l'authenticité du fond de ces poésies (1)
Cette opinion a aussi pour elle le témoignage d'un ami d'Étienne de Surville, M. de Brazais (2), qui contribua, à Lausanne, à retoucher les oeuvres de notre poète.
Ce qu'Etienne de Surville a connu, ce qu'il a eu à sa disposition, de 1782 à 1791, c'est donc très-probablement le résultat d'une transcription, nous pourrions dire presque d'une seconde mise en oeuvre, où l'on avait certainement opéré des modifications, où l'on avait peut-être comblé des lacunes d'une façon hasardée, reproduit ou interprète certains mots d'une manière fautive, et où avaient pu se glisser ainsi plus d'une erreur et plus d'une fiction.
A cela, Étiénne de Surville vint ajouter son oeuvre d'imagination dont il se mit à publier des fragments, en 1797, dans le Journal de Lausanne (3), et dont il laissa plusieurs autres à madame de Polier et peut-être aussi à M. de
(1) « Il n'est pas vraisemblable que ce travail (d'Étienne de Surville) se soit tait sur l'autographe même, » écrivait Schweighaeuser à Vander bourg, en 1803.
(2) Dans un passage d'an Discours sur la Langue et la poésie françaises, oeuvre inédite de M. de Brazais, que cite M. Antonin Macé, dans son ouvrage sur les poésies de Clotilde de Surville, on lit ceci :
« Surville, héritier et propriétaire des manuscrits de son aïeule, c'est-à-dire de ceux de Jeanne de Pallon, sa grand'tante, méditoit, en conservant toutes les grâces du style antique, d'achever l'apurement des mots inintelligibles ou trop barbares et de mettre au jour les ouvrages de Clotilde avec l'ordre et le choix dont il étoit capable. »
C'était là non-seulement le conseil que M. de Biazais donnait à Etienne de Surville, mais même l'entreprise littéraire, assurément bien mal inspirée, à laquelle il s'était mis déjà avec lui, comme il l'avoue dans sa lettre à Mme Pauline de Surville, en date du 3 mars 1802.
(3) Cette publication était déjà connue de Vanderhourg avant qu'il n'eût reçu de Mme Pauline de Surville les poésies de Marguerite, auxquelles il allait trouver un éditeur :
« Nous avons su, écrivait-il de Paris, que M. de Surville, étant en
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Brazais (1), d'où ils arrivèrent plus tard à MM. Charles Nodier et de Roujoux.
Avec le peu qui restait des mémoires de son aïeule, ou plutôt même avec le peu qu'il se rappelait en avoir lu à Viviers dans la copie faite par Jeanne de Vallon et qu'il n'avait pl us avec lui pendant l'émigration, il composa, sur Marguerite, une notice biographique dans des. conditions très-arbitraires et en y accentuant le côté romanesque. Il résuma, dans un esprit de fantaisie, en ne craignant pas d'y mêler la légende, la petite partie conservée des souvenirs de son aïeule ; et, avec quelques morceaux détachés, avec quelques lignes à peine, écrites peut-être par Jeanne de Vallon, il reconstitua presque à sa guise ce qu'il présumaitaYoir été le sujet des trois livres qui manquaient à ces mémoires.
C'est le résultat de ce travail qui ne pouvait que renfermer bien des erreurs, c'est une notice biographique ainsi composée, c'est-à-dire, à plusieurs égards, ainsi imaginée par Etienne de Surville, que Vanderbourg trouva dans un des trois cahiers, écrits de la main d'Etienne, qui furent envoyés, en 1802, à Vanderbourg par la veuve de l'émigré.
X
La critique n'est nullement autorisée à nier l'authenticité des mémoires de Marguerite de Surville.
On voit ainsi comment il y a eu inexactitude, sous plus d'un rapport, ainsi que les découvertes récentes l'ont prouvé,
Suisse, avait publié, dans le Journal de Lausanne, différents extraits des mémoires de Clotilde..
(Lettre de Vanderbourg à Mme Pauline de Surville, du 2 mars 1802.)
Ces prétendus extraits étaient surtout l'oeurre d'Etienne de Surville.
(1) « Ainsi que Mme de Polier, je possède quelques cahiers écrits de la main de Surville, » écrivait M. de Brazais à Mme Pauline de Sur-ville, le 3 mars 1802.
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dans les indications données par celui qui nous a fait connaître l'existence de l'autobiographie de Marguerite.
Mais ce fait, si indubitable qu'il soit, n'autorise nullement la critique à nier, nous ne disons pas la véracité entière, mais l'authenticité de ce document primitif, et à englober indistinctement dans la même condamnation tous les renseignements qui en sont provenus.
Si, en effet, on n'admet point la réalité qu'ont eue ces mémoires, ces deux choses restent inexpliquées : l'origine des anciens fragments poétiques qui nous ont été transmis par ces souvenirs, et la concordance qui existe entre le récit que ce document a donné de plusieurs des particularités de la vie de Marguerite et les témoignages certains produits depuis peu de temps.
Que la critique ne dise point que cette concordance indéniable s'explique convenablement sans les mémoires de notre auteur, et que, pour s'en rendre compte, il suffit d'admettre, dans la famille de Surville, l'existence de papiers généalogiques dont Étienne aurait pris connaissance, avant qu'ils n'eûssent été bridés à Viviers.
Cette raison n'est pas fondée ; car si Étienne de Surville avait eu, pour se renseigner au sujet de l'épouse de Bérenger, des titres de famille indubitablement exacts, au lieu d'avoir eu seulement des fragments de mémoires plus ou moins véridiques et aussi plus ou moins altérés, d'une part il n'aurait pas fait commencer, dès 1786, dans les localités où l'on pouvait retrouver les vestiges des Surville de Vesseaux, des recherches qui restèrent sans résultats, en ce qui concerne Marguerite ; et, d'autre part, il eût été le plus sot des éditeurs ou le plus inepte des « inventeurs », en donnant, comme il l'a fait dans sa notice sur Clotilde, des indications très-fautives n'ayant aucun rapport avec les poésies qu'il voulait publier de son aïeule ou qu'il avait fabriquées de toutes pièces, selon nos académiciens.
C'est donc là, croyons-nous, un point éclairci désormais ;
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et si nous avons tenu à le mettre en lumière, c'est qu'il est en étroite relation avec le point principal de notre sujet.
Étienne de Surville a assuré qu'il avait trouvé, en même temps, des poésies et des fragments de mémoires de son aïeule. Dans cette déclaration, qui chez lui a toujours été très-explicite, il y a deux affirmations liées entre elles par un rapport de connexité et qu'il faut prendre ainsi, que l'on se prononce, à leur égard, affirmativement ou négativement.
Si ces fragments de mémoires sont un ro nan d'Étienne de Surville, ces poésies le sont aussi ; s'ils ont eu un caractère authentique, — et nous venons de donner, ce nous semble, de sérieux motifs de le penser, — les poésies de Marguerite ont le même degré d'authenticité.
XI
Marguerite de Surville poète en langue d'oil dans le Vivarais au XVe siècle. Marguerite poète aussi en provençal-languedocien.
Marguerite de Surville, bien qu'écrivant dans une partie du Languedoc qui avait été rattachée quelque temps à la Provence, composa en langue d'oïl ses mémoires ainsi que les poésies qui lui ont fait un nom.
Ce ne fut même point une chose étrange que cet auteur de la bourgeoisie ou de la petite noblesse, parlât et écrivit dans la langue romane du nord, au xv 8 siècle et en plein Vivarais.
Si quelque chose, chez elle, a tenu du « prodige », ce n'est assurément pas qu'elle ait su le français que certains critiques trouvent si étonnant sous sa plume : c'est bien plutôt qu'elle ait eu le génie que révèlent ses oeuvres, ce génie dont nos littérateurs font bon marché, eux qui en approchent d'assez loin ; ce génie qu'ils attribuent, sans plus de façons et par une vraie profanation de l'art, à Étienne de Surville, auteur d'une indigence manifeste, on même à quelque
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« féodiste » obscur, dont il faudra sa contenter d'ignorer à jamais le nom.
Depuis que la guerre des Anglais du temps de Charles V et de Duguesclin eût mêlé les populations du midi à celles du nord de la France et qu'elle les eût confondues dans une même aversion pour l'étranger ; depuis que les incursions des insulaires, accumulant les ruines dans les vallées et sur les montagnes du Vivarais, y eurent excité puissamment ou plutôt y eurent créé, pour ainsi dire, le patriotisme français ; depuis les jours où les méfaits des Bourguignons, traîtres à la patrie, avaient contribué à dévaster une grande partie de la France, et avaient soulevé en Vivarais une indignation telle que l'épithète de « bourguignon » y amenait des procès en diffamation (l ), depuis lors, non-seulement la langue romane du nord n'était plus une énigme pour beaucoup d'habitants du Vivarais, mais elle y devenait chaque jour, de plus en plus, la langue des classes élevées qui voyaient en elle la langue de la patrie. Les personnes ayant reçu une instruction littéraire, et sachant du latin plus que l'on n'en sait généralement aujourd'hui, savaient aussi le français, à Privas ou à Viviers comme à Paris.
Il y a des témoignages irrécusables de documents en français, écrits spécialement à l'adresse des « gens du Vivarez » de cette époque et destinés ainsi à être compris, sans interprête, au moins par un certain nombre des habitants de ces contrées.
Tels sont non-seulement les édits royaux qui s'adressaient à ce pays, mais aussi les actes des bailliages de Ville-neuve-de-Berg, de Boucieu et d'Annonay, conservés dans les Archivespubliquesde l'Ardèche(2).Cesjugements,ces arrêts, ces édits, qu'il était d'une haute importance pour les habitants du Vivarais de lire dans la langue même où ils étaient promulgués, paraissaient en français, du temps de Marguerite de Surville, à côté des actes notariés rédigés encore en latin, mais qui allaient y être reçus en français vingt ans
(1) Voir le Manuale natarum d'Antoine de Brion.
(2) Voir aux Documents justificatifs, V.
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à peine après le temps où Marguerite révisait ses poésies pour la dernière fois.
Dans cette région du midi, il en était alors du français comme du latin. Ni le latin ni le français n'y étaient la langue propre de la localité, quoique l'un y fût la langue de l'Église et l'autre celle de l'État.
Bien que le latin n'y fut nullement l'idiome vulgaire, plus d'un auteur cependant y écrivait dans cette langue, des ouvrages en prose ou en vers (1). Et ce que certains critiques ont affirmé de la complète invraisemblance qu'il y a à admettre des écrits en français composés dans le Vivarais de ce temps, s'applique exactement à tout ouvrage en latin que l'on se permet d'attribuer, preuves en main, à tel auteur de cette époque et de ce pays.
Dans l'un comme dans l'autre cas. ces allégations des plus légères, sans autres fondement qu'une indigente théorie, trouvent leur réfutation dans les faits.
De ce que le provençal mêlé de languedocien était alors, comme il l'a été jusqu'à nos jours, l'idiome communément parlé dans ce pays, on ne peut donc sérieusement en conclure, que, si Marguerite de Sur ville a composé des poésies à Vesseaux, elle n'a pu les écrire que dans le patois de la localité.
On pourrait dire, avec presque autant de raison que lorsque l'idiome provençal-languedocien était uniquement parlé dans ces campagnes, — il y a un siècle à peine, il y a à peine cinquante ans, — ni dans l'Ardèche, ni dans le Gard on ne connaissait le français.
Marguerite de Surville, outre ses oeuvres en français, composa aussi en provençal-languedocien quelques-unes de ces chansons telles que, dans ces mêmes vallées, nos aïeux aimaient tant à en composer, et où l'on respirait souvent un parfum de vraie poésie (2).
(1) C'est en latin qu'écrivaient des auteurs de cette région, tels que Sadolet.
(2) Etienne de Surville n'a cité que ces deux vers des poésies languedociennes de son aïeule :
« S'apres ma mort boulégavon moi cendré,
« Y troubarion de béhigos de Ro »
Cs deux vers sont peut-être plus poétiques que tous ceux que nous connaissons d'Etienne de Surville.
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XII
Jean de Surville, fils de Bérenger et de Marguerite. Attestation, recem ment exhumée, de l'existence de Jean de Surville. Le terrier du prieuré de Vesseaux de 1472-1474. Héloysa de Fargier, épouse de Jean de Surville. Le site des Fargiers à Vesseaux. Indication résultant des poésies de Marguerite.
Vers l'époque de la vie de Marguerite où nous sommes arrivés, son fils Jean (I), âgé d'environ dix-huit ans, revenait de faire ses premières armes.
C'est sur lui, enfant ai berceau, qu'elle avait autrefois composé ces verselets, admiration et émotion des mères qui, mieux inspirées que nos « savants », n'ont pas admis et n'admettront jamais que ce chant de l'amour maternel soit l'oeuvre de la fraude littéraire et que ce cri du coeur ait été simplement une fiction.
Jean de Surville, dont nous parlons ici, n'est d'ailleurs pas plus une « fable » que ne l'est Marguerite de Surville.
L'existence de Jean de Surville, fils de Bérenger, n'est pas attestée seulement par les poésies de Marguerite et par les données provenant de ses mémoires qu'Etienne de Surville nous a transmises ; elle est prouvée aussi par des témoignages que le scepticisme de nos fins critiques aura quelque peine à récuser ou même à pouvoir mettre en doute.
1) Jehan. Poésies de Marguerite de Surville. Episfre à Marguerite
d'Ecosse.
Il est possible que ce nom de Jehan ait été donné au fils de Bérenger et de Marguerite, pour rappeler le nom d'un oncle paternel de Marguerite, Jehan Chalis, inobitant de Vesseaux et ayant des domaines à Saint-Laurent-sous-Koyron, aux quartiers de la Mothe et du More, qui alors faisaient partie de la paroisse de Saint-Laurent.
C'est sans preuve et inexactement que M. J .-L. de Laboissière, cité par M. Henri Deydier, dans ses notices généalogiques, dit que le fils de Beranger de Surville s'appelait Louis.
Il est vrai que ni M. Deydier ni M. de La Boissière ne croient devoir tenir compte des indications, quelles qu'elles soient, qui résultent des poésies de Marguerite, qu'ils attribuent à Vanderbourg. Mais cette erreur, aujourd'hui manifeste, ne donne pas plus de poids à leur assertion gratuite, au sujet du fils de Bérenger, au contraire.
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Le Terrier du -prieuré de Vesseaux, de 1472-1474(1), qui date du temps même de Marguerite et qu'a retrouvé M. Henry Vaschalde, son possesseur actuel, fournit des renseignements qui concordent, d'une manière frappante, avec ceux que donnaient des récits appelés « légendaires » par nos académiciens.
Ce Terrier décrit, avec la précision cadastrale, trente-trois immeubles — ni plus ni moins, — maisons, jardins, granges, vignes et bois, appartenant en 1472 à « NOBLE « JEAN DE SURVILLE, DE VESSEAUX, FILS ET HÉRITIER DE « NOBLE BÉRANGER DE SURVILLE, et héritier ou succédant « à l'héritage et biens de Jean Chalis et d'Alaysse sa « femme, en 1469 (2). »
Ce Terrier, nullement suspect de rêve poétique, point vague du tout pas plus qu'imaginaire, atteste que les immeubles dont il s'agit étaient situés : au Bourget de Vesseaux (3), au Bourg de Vesseaux (4) à la Chaberterie (5). au mas de las Saribas, (6), au bois delà Blockette (7), à Champlong ou Peyron (8), sur la place de Vesseaux (9),
(1) Ce terrier reçu , par M' François Robert, notaire t royal >. et intitulé : Reconnaissances en faveur du prieuré de Vesseaux, fait partie d'un manuscrit traduit du latin ou transcrit sur une traduction antérieure, vers le commencement du XVIIe siècle, par Vincent, féodiste à Aubenas.
On voit, par l'époque de la transcription ou de la traduction de ce document authentique, que même dans sa forme dernière, il est de beaucoup antérieur aux débats qu'a soulevés la question de Clotilde de Surville, et qne l'exactitude de son témoignage ne peut être nullement mise en suspicion.
(2) Terrier du prieuré de Vesieaux, 1098. Bourget de Vesseaux.
(3) Terrier, etc., 1095.
(4) Id., 1096, 1098.
(3) Id., 1104, nos, 1121. Aujourd'hui le quartier des Chaberts. deux ou trois cents mètres, au nord, du Fort de Vesseaux.
(6) Id., 1105.
(7) M., 1108.
(8) Id., 1109.
(9) Id, 1115.
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au Fort de Vesseaux (1), à la rivière de Vesseaux soub le mas de la Chaberterie (2), au mas de Mapiac (3), à Pramaillés, près le chemin royal de St-Laurent à Les-crinet (4), à Fortonot ou Freyssenedet, en la paroisse de Freyssenet (5), et au mas d'Arbres supérieur en la paroisse de St-Etienne-de-Boulogne (6).
Ainsi, de même qu'il est prouvé, par le Registre de Mr Antoine de Brion, que Marguerite Chalis a été l'épouse de Bérenger de Surville, il est attesté cadastralement, par le Terrier,du prieuré de Vesseanx, que Jean de Surville a été le fils de Bérengeret qu'il l'a été à l'époque même qu'ont indiquée les poésies et les mémoires de notre auteur, ce personnage sans réalité pour nos illustres écrivains.
Tout cela ne fait pas la partie belle à la critique savante et surtout tranchante, et à nos lettrés en renom.
Jean de Surville, fils de Bérenger, n'est donc pas un mythe ; et Marguerite a pu en parler dans ses poésies et dans ses mémoires, sans que l'on soit fondé à voir là un roman d'Etienne de Surville ou de n'importe quel faussaire inconnu.
C'est de ce fils que, plus tard, en des temps bien autres que ses jours heureux d'autrefois, elle disait, assombrie par ses deuils :
« Avoye ung jeune filz ; ains en terre estrangière « là serf, emmyeu les camps, de gloire mensongière.
(1) Id., 1117, 1118, 1123.
(2). Ici., 1122.
(3) Id., 1124, 1123.
(4) Ici., 1110, 1111, 1112, 1113.
Pramaillé, sur le Koyron, dans la paroisse de St-Étienne-de-Boulogne et à environ 7 kilomètres de Vesseaux.
(5) Id, 1127. Freyssenet, sur le Koyron, à environ 12 kilomètres de Vesseaux.
(6). Id., 1139, 1150.
Plusieurs de ces pièces du Terrier du prieuré de Vesseanx sont données textuellement par M. Henry Vaschalde, dans la brochure qu'il a puhliéesoos ce titre: Clo/ildp de Surrilte et sec poésies. (Paris. Librairie Hachelin- Deflorenne )
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De mère sans appoy desdegnant les regars,
« Quierroit la mort, en tour nos paslys estendars ;
« Ne la trouva ; le vy ; moy-mesme d'hymenée Soubdain luy fiz ourdir la trasme fortunée.
« Plus que moy n a joui ; n'eurent oncques humains « Telle que receut lors compaigne de mes mains (1). »
C'est de lui qu'elle parlait ainsi, en écrivant à Marguerite d'Ecosse :
« Que dis-ie ? ung seul en soulcy m'est encor ,
« Mon tendre filz, ma gloire, mon thresor,
« Pourtraict vivant d'ung trop malheureux père,
« Dont ay-ie, moy, par ung noeud tout prospère,
« Lié le sort à fille des Fargis (2).
« Puysse des lieux du sang des siens rougis « Brief torner sain emprez ceste qu'il ayme !
« Et cil que m'est ib plus cher que luy-ciesme,
« Le fruict premier de leurs pudiques feulx, Telz que me sont, ung jour, estre pour euix (3)
Quant à la famille à laquelle s'allia Jean de Surville, nous inclinons à penser, à regarder comme probable qu'il épousa, vers 1447, Héloysa Goyon Fargier ou Fargis.
On lit : Héloysa de Vergy, dans les poésies de Marguerite, imprimées d'après le manuscrit d'Étienne de Surville. Mais ce nom de Vergy nous paraît tout à fait inexact ; ou, pour parler avec plus de précision, la leçon de Vergy, adoptée à Gras, probablement, par Jeanne de Vallon, ou peut-être à Viviers par Etienne de Surville, deux ou trois siècles après la composition du manuscrit original des poésies et des mémoires de notre auteur, nous semble avoir été absolument fausse. Elle ne répond à aucun nom connu de ces
Le moulin de Meilhassole, la terre des anches dit moulin du Crouset, la terre et bois de la font de l'Agrifoul, cités par M. H. Vaschalde dans sa brochure (nos 2169, 2170, 2172 et 2303 du manuscrit des Reconnoissances en faveur du prieuré de Vasseaux, et situés dans la commun ; de St-Julien-du-Serre, n'étaient pas des propriétés de la famille de Surville.
(I) Poésies de Marguerite de Surville. Fragments d'Epis très.
(2) Vergys, dans le volume des poésies imprimées.
(.T; Poésies de Marguerite deSarville. fipistre à Marguerite d'Ecosse.
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contrées ; elle dépayse tout-à-fait le lecteur, quelle transporte ainsi dans une famille d'ailleurs très connue, dans une des grandes maisons de la Bourgogne de ce temps.
Nous dirons plus. Que ce mot ait figuré ou non dans le texte primitif des mémoires et des poésies de Marguerite de Surville, il est un de ces traits, assez rares, que la critique sérieuse pourrait, selon nous, reprocher a ces premières données biographiques et qui semblent presque destinés, de dessein prémédité, à jeter le lecteur dans le monde des fictions. Le nom de Clotilde, pris certainement par Marguerite, et celui de Floridor, qu'elle donne à Bérenger, pourraient être considérés, à certains égards, comme quelques-uns de ces traits, entre plusieurs autres.
Ces indications de fantaisie pourraient ainsi, à la rigueur, venir du caprice du poète ; mais ce qui nous semble bien plus probable, comme nous le dirons plus loin (1), c'est que ce fut principalement Jeanne de Vallon qui prodigua ainsi les faits romanesques dans la vie de Clotilde, en transcrivant, ainsi qu'elle le le fit, ou peut-être même en mettant en oeuvre, dans une certaine mesure, quelques parties des mémoires de Marguerite.
Nous avons donc tout lieu de présumer que c'est de cette source qu'est pro venue la légende de Vergy, aussi bien que celle de Pulchérie et de « son époux, le comte de Vallon. »
Devant ce mot de Vergy, il faut donc chercher, dans des rapports d'analogie, de consonnance et surtout de physionomie locale, ce qu'il peut être en réalité.
Le nom de Fargier, Fargies ou Fargis (nom de famille qui a donné son appellation au lieu appelé maintenant les Fargiers, situé à quatre cents mètres au midi du Fort de Vesseauoe), est, selon nous, bien plus vraisemblable. C'était celui d'une famille assez importante de la localité. Les restes du petit castel du XIVe siècle qu'elle possédait en
(1) Voir à la seconde partie. XII.
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ce lieu, nommé alors la Motte, existent encore ; ils ont un cachet un peu plus nobiliaire que les débris de la principale maison des Surville, au village du Fort de Vesseaux.
Pour nous, qui connaissons de longue date les lieux où a vécu et où est morte Marguerite de Surville, un des indices qui corroborent puissamment cette supposition, à défaut de preuve absolument certaine, c'est que « le moulinet », la prairie et « le gros canal », qui existent encore ainsi qu'ils existaient de son temps, et que le poète nous montre comme étant une des promenades habituelles d'Héloysa et de ses enfants, étaient à cette époque (1), comme ils l'ont été longtemps après, une propriété de la famille de Fargier, et ont appartenu ensuite aux familles qui, après celle-là, ont habité ce petit castel.
Si la famille Fargier ou Fargis qui occupait ce lieu à la fin du XV siècle n'était point celle à laquelle s'allia le fils de Bérenger, il faudrait supposer qu'au milieu de ce siècle, le castel de la Motte, plus tard des Fargiers, appartenait à
(1) « 1472 jusqu'en 1474.
« Reconnaissances en faveur du prieuré de Vesseaux,
« Art. 1er. — L'an 1472, 14 septembre, Jean Fargier dit Chélat de la Motte reconoit à messire Bernard Strophi, prieur de Vesseaux, son mas de La Motte, chas lux, terres, pre et riberages aud nias, qui furent jadis de Pierre Finet et, avant le nommé messe (messire), jadis investis à Pierre Fargier par messire Antoine Jourdan, dans lequel pré est un moulin bladier ; confronte avec le chemin public d'Aubenas à Vessaux et avec la rivière de Liouppou et avec le ruisseau de la Rouss0 ou de la Morenède. »
On voit dans ce document dont le texte original était du temps même de Marguerite de SUrville, une confirmation du contrat de mariage donné par le registre d'Antoine de Brion eu ce qui concerne le prieur Antoine Jourdan.
Remarquons ici que les deux autres vieux compoix qui nous restent de la communauté de Vesseaux commencent, comme le fait ce terrier de 1472, par la Motte ou les Fargiers, bien que ce ne fût pas un point extrême de la paroisse et bien que le point central fut le Fort de Vesseaux.
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Marguerite de Surville et lui venait ou de sa propre famille, Ou du chef de Bérenger (1), supposition que des documents positifs, tel que celui que nous citons au bas de la page qui précède ne permettent pas d'adopter.
(1) La famille de Bérenger de Surville, quoique du diocèse de Nîmes, avait déjà, bien avant qu'il ne se fût allié à la famille Chalis, des propriétés à St-Privat, à Vesseaux et aux environs, comme le prouvent plusieurs documents.
La note 2 que nous avons donnée plus haut, à la page 4 de ce livre, a indiqué deux témoignages de ce fait. La presence à Vesseaux, en 1428, d'un oncle de Bérenger, comme prieur du lieu, tendrait aussi à le prouver.
Il n'y a donc pas eu quelque chose d'entièrement romanesque, il y a eu au moins un font réellement historique dans ce passage d'Étienne de Surville, écrivant d'après les mémoires de son aïeule, mémoires que l'on a affirmé n'être qu'une pure fiction :
« Gentili Bellini, à qui nous devons le premier portrait de madame de Surville, d'après un original de la main de Rocca.., sous prétexte de voir Avignon, vînt la visiter en France... Il lui consacra trois chefs-d'oeuvre : le portrait de la fille des Tynds, qu'il essaya d'après la simple relation que lui fit Clotilde et qu'il réussit à rendre si, ressemblant que celle-ci s'évanouit en le voyant; celui de la dame d'Alasic de Cha-lys, mère adoptive de feu Bérenger, qu'il peignit de la même manière et avec un succès encore plus étonnant; il passait pour tiès-superieur à celui de Clotilde elle-même, soit pour la ressemblance, soit pour le coloris. Tous trois furent ses premiers essais dans la peinture à l'huile, inventée depuis très-peu d'années par le fameux faatave Van-Eyk. o (a) La dame Alazic de Chalys, dont parle Étienne dans ces lignes, est, à n'en pas douter, Alaysse Chalis, épouse de Jean Chalis, que nous venons de mentionner (page 47) d'après le Terrier du prieuré de Vesseaux : son nom, dans le récit donné par Etienne de Sur ville, n'a subi qu'une très-lègère modification, dans un sens romanesque.Que l'épouse de Jean Chalis ait été la a mère adoptive de Berenger » ou qu'elle lui ait simplement porté de l'intérêt et ait contribué à amener son mariage avec sa nièce Marguerite, il y a toujours, dans le détail que nous relevons au milieu de ce passage, à la fois une concordance avec un document des plus authentiques et une attestation nouvelle des relations que les Surville avaient eues à Yesseaux, avant le mariage de Bérenger.
(a) Etienne de Surville. Notices sur la vie et les écrits des femmes-pales Tullie et Hocca.
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Cependant un texte des poésies de notre. auteur, texte ayant tous les caractères de l'authenticité et de l'exactitude topographique, montre on ne peut plus clairement que le « moulinet » du XVIe siècle, que l'on voit encore et auquel aboutissait le « gros canal » existant aussi, appartenaient sans doute à la famille d'Héloysa (1).
Ce passage est celui où Marguerite montre, dans un tableau des plus touchants, ses petits-enfants venant lui prodiguer leurs consolations, après la mort d'Héloysa :
« Viegnenttes garçonnets (scaiz l'aisne qu'est en guerre ;
« Fasse le ciel qu'en soit brief de retour !
« Viegnent ; et, d'ung baysser que m'eust charmé n'a guère,
« Rouge poignard m'enfoncent tour à tour, Antoyne, trop jeunet pour sçavoîr qu'est sa perte,
« Tout m'embrassant, maintes fois me soubrist ;
Diriez, au vif esclat de sa figure aperle,
« D'amanglier ung scion qui flourist.
» De ses doigts enfantins veult essuyer mes larmes;
« Et sus me faict : « QU'AZ donc tant à plorer?
' * Viendra doulce maman, viendra ; n'ayons d'alarmes,
« Si le bon Dieu ne cessons d'implorer :
« Me l'az toy-mesme dict ; ne t'en soubvient peut-estre. » Sy, quand faict clair, d'en hault mon iardinct,
« Vay-ie aval esgardant tousiours par la fenestre « Se ne la voy devers le moulinet,
Là que tant m'a conduict avec Rose el Nanthide ;
« Mais ne paroist... » lors tombe sur mon syn, « Tout attendry... » (2).
Le tableau descriptif que le poète fait ici dans trois vers, avec une sobriété d'expression qui n'a d'égale que leur justesse, est d'une vérité saisissante pour qui connaît le site qui est y peint.
(1) Voyez aussi à la seconde partie, IV, en note, la légende de Vesseaux, relative à Bérenger et à Marguerite et ce qui y est dit du castel des Fargiers.
(2) Poésies de Marguerite de Surville. Elégie sur la mort d'Héloysa.
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L'enfant regarde de la maison qui, d'an côté, a près d'elle une terrasse et qui touche, de l'autre, à l'antique construction du lieu, appelée te Fort.
Il regarde, en aval, en suivant des yeux le cours du torrent. Il regarde non pas le moulinet que l'on n'aperçoit pas de là, mais vers la prairie qui l'a voisine et que l'on entrevoit, (1) vers le gros canal qui conduit l'eau au petit moulin et dont le poète parle bientôt après. -
Puisque Héloysa avait donc « tant conduit » ses enfants à ce moulinet et à cette prairie qui appartenaient en partie à la famille de Fargier, c'est qu'elle était probablement membre de cette famille.
Nous pouvons donc penser, jusqu'à preuve du contraire, que Jean de Surville eut pour épouse Héloysa Fargier ou de Fargier (2). Cette hypothèse nous paraît seule concorder, d'une part, avec quelques données de la tradition locale, et de l'autre avec les indications topographiques consignées dans les poésies de notre auteur.
XIII
Vesseaux au XVe siècle. Les deux maisons principales des Cbalis et des Surville, à Vesseaux.
Le « bourg » ou plutôt le village de Vesseaux, théâtre de ces événements, est situé dans le Bas-Vivarais, au fond d'une assez étroite vallée dont les eaux, après s'être mêlées à celles du Luol, se jettent, à une lieue de là, dans l'Ardêche.
(1) Voir la carte, que nous donnons dans ce livre, de Vesseaux au XV siècle.
(2) La particule dont Marguerite, dans ses poésies et dans ses mémoires, a fait suivre le nom d'Héloysa, pouvait être mise avec quelque raison ou quelque prétexte. Il en a été, à cet égard, de la famille Fargier (Fargies ou Fargis), comme de la famille Chalis et comme de bien d'autres familles du Vivarais, dont le nom s'est écrit quelquefois avec la particule et plus souvent sans elle, ainsi que le fait justement observer un écrivain spécial sur ce sujet, M. Henri Deydier, dans ses notices gènèalogigues.
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Au levant, la vallée est fermée par une chaîne de calcaire jurassique, dont les proéminences sinueuses ressemblent à de puissants contre-forts soutenant un massif blanchâtre et rocheux. Des vignes couvrent une partie des flancs de ces montagnes dont les cimes nues formaient de vastes chênaies antérieurement au XVe siècle.
Du côté du couchant, des bois de châtaigniers s'étendent sur des pentes moins élevées et moins inclinées. Vers le nord, on aperçoit le pic de Gourdon et les montagnes qui rattachent le Koyron au Mézene.
Au midi, une perspective riante fuit vers la vallée de l'Ardèche ; et, de ce côté, Aubenas se dessine en silhouette sur sa hauteur.
Le village de Vesseaux domine de vingt mètres environ la rive orientale du Liopoux, torrent qui serpente dans la vallée et qui coule encaissé entre des roches de lias et des terrasses plantées de vignes, de figuiers et de mûriers.
Une construction antique, aujourd'hui presque entièrement ruinée, forteresse annexée à un ancien monastère de Bénédictins, occupait alors le versant de la colline sur laquelle le village est assis et descendait jusqu'au bord du torrent De nos jours, son emplacement forme à peu près celui d'un couvent moderne.
A l'est de cette forteresse, qui a laissé son nom au village, encore appelé le Fort, était l'église, monument de l'époque de transition, qui montre son portail roman, ses arcatures ogivales du XIIIe siècle et ses remaniements subis à une époque moins éloignées de nous.
A quelques cents mètres en aval, sur le bord occidental du Liopoux, est le moulinet du XIVe siècle, en face du site des Fargiers.
L'aspect de ces lieux a du subir très-peu de modifications depuis quatre siècles.
Là famille de Surville avait deux maisons, entre autres, dans le « bourg » de Vesseaux, —en outre de celle qui
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appartenait à Jean Chalis, oncle de Marguerite, mort sans enfant, en 1469, et dont Jean de Surville fut l'héritier.
La première, qui est restée jusqu'au XVIIIe siècle la maison principale des Surville de Vesseaux, était située au nord de l'église (1). L'autre était au midi du « bourg » (2) et adossée contre le mur du fort ; elle était placée à coté et au-dessus du portail supérieur du fort, masqué aujourd'hui
(1) L'ancien compoix, de 1605, de la communauté de Vesseaux désigne ainsi cette maison :
« 3905. Vesseaux.
« Item, une maison, curtilage, grange, jardin et colombier au lieu de Vesseaux ; confron du levant le chemin alant (sic) de Vesseaux aux Chaberts, du couchant et bise la terre du fils Jehan La Teulo et maison de Jehan Croto, chemin entre deux, du marin le chemin public; contenant une eymine du premier (degré) Estime 1 » 1 d ob. (a) »
Le compoix de Vesseaux de 1658 décrit ainsi cet immeuble, sous ces deux numéros ;
« Hoirs de noble Louys de Surville.
« Premièrement, sa maison d'habitation, grange et curtilage tout joignant ; confron du levant le chemin publicq (sic) allant des Chaberts à l'esglise, du couchant maison d'Antoine Barusse, Simon FouIhon et Louis Constant, de bize jardin dud sr de Surville, chemin entre deux, du marin la rue publicque dud lieu ; contenant deux boysseaux et demy, sçavoir deux boysseaux du premier et demy boysseau du second. Mont, cinq deniers pitte, cy v d. p.
« Item, ung jardin et vergier appelle le Colombier, confron du levant le chemin allant des Chaberts à Tesglise, du couchant et bize tere de Ysabeau La Teulle, du marin curlithaige dud sieur de Sur-villle, chemin entre deux; contenant une quarte deux boysseaux » sçavoir trois boysseaux du premier et trois boysseaux du second. Mont, unze deniers pitte. Cy, xid. p.
(â) Voici l'indication de celte maison, d'abord dans le terrier du prieuré de Vesseaux, de 1472 :
« 1123. Fort de Vesseaux.
« Plus une maison supérieure dans le Fort de vesseaux, près te portai supérieur et dessus le portai. B. et L. (bize et levant) le mur
(a) sol, denier, obole.
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par les constructions méridionales du couvent (1).Elle avait une terrasse, dont on distingue encore l'emplacement ; de là le regard pouvait suivre le cours du Liopoux, et l'on apercevait la prairie et le vieux petit moulin qui sont sur le bord du torrent.
La première de ces deux maisons principales était, selon la tradition du pays, l'habitation de Marguerite (2). Notre poète demeurait ainsi à quelques pas de l'église, dans le « bourg » encore appelé le Fort de Vesseaux, mais non dans les bâtiments de l'ancienne forteresse du moyen-âge (3),
dud fort et avec la maison subtérieure d'Antoine Fangier et avec le chazal de Jean Fargier, du vent, et avec autre maison dud. Fargiere degrés au milieu. Cense demy poulas.
Et en voici, plus tard, le relevé dans l'ancien compoix de 1605:
Claude de Prêtas de Survile.
• 3904. Premietoment une maison et grange au (a) fort de Vesseaux, confron du levant la maison d'Estienne Uhaussadcnt, du couchant la maison de Pierre Dumas, de bize la muraille du fort, du marin la maison de la cure, le tout ctn (contenant) demi boissel. Estime ob. pite.
(1) Le portail inférieur, qui existe encore, était plus au nord et plus bas, vers le lit du torrent.
(2) Dans la seconde partie, I, en parlant des traditions locales, nous disons ce qui reste de cette maison.
(3) C'est par erreur que M. Henri Deydier, dans ses notices généato gigues, dit que « la famille de Surville, très-anciennement établie à Vesseaux » « habitait dans le fort du lieu, » (c'est-à dire dans le château même), s gui avait appartenu à la maison de Chalis, »
Ni les Chalis, — comme on le voit par le registre d'Antoine de Drion, — ni les surville, — comme le prouvent les documents ultérieurs, tels que le Terrier du prieuré de Vesseaux et les autres vieux compoix qri nous restent, — n'ont ou la seigneurie de Vesseaux.
A Vesseaux, c'était le prieur qui donnait aux détenteurs de ce genre de propriété féodale une investiture accompagnée du droit de prélève-(a)
prélève-(a) l'on avait écrit sur le compoix prés du, que l'on a raturé et remplacé par an. La situation des lieux explique parfaitement cette hésitation du rédacteur.
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située à quelques pas, au sud-ouest, de ce qui fut, durant trois cents ans, la principale maison des Surville
Quant à l'autre maison que signalent successivement les archives de la localité, nous avons- lieu de penser qu'au temps de notre auteur elle fut la demeure de son fils et de sa famille, au moins pendant la vie d'Héloysa.
XIV
Mort d'Héloysa et de Jean de Surville. Dernières années de Marguerite.
Elle meurt à Vesseaux et y est ensevelie.
Héloysa, admirable coeur, chanté si éloquemment par Marguerite, mourut à Vesseaux, vers 1468. A ce coup qui venait frapper la veuve déjà si éprouvée, son affliction fut extrême et s'exhala en vers des plus émus. L'imagination ne simule point une affliction qui, pour s'exprimer, a de tels accents :
ment d'une cense au profit du prieuré. Et la haute seigneurie appartenait aux barons de Boulogne, d'abord les comtes de Valentinois, et plus ard les Hautefort de Lestrange, dont relevaient les prieurs de Vesseaux.
La famille Chalis était ancienne à Vesseaux, comme le prouvent plusieurs documents, notamment le Terrier en faveur de noble Drugonet de Montgros, reçu par M" Jacques Estevenin, notaire à Aubenas, en 1386, terrier possédé par M. Henry Vaschalde et qui contient la reconnaissance d'un pré et d'un devès acquis, le 16 janvier 1383, par Jean chalis, de vesseaux, à Saint-Laurens-sous Coyron ; mais les Chalis ne furent jamais que des propriétaires soumis aux charges d'une redevance par droit d'investiture.
Quant aux Surville qui leur ont succédé, et qui n'étaient eux aussi que des propriétaires de ce genre bien qu'avec la qualité de la petite noblesse,— qualité qui emportait seulement Yexemption dOrla taille et de la cense pour nn très-petit nombre de leurs domaines, — il en a été de la branche de Vesseaux, comme des autres branches de cette famille : les unes et les autres n'ont jamais en la seigneurie des diverses localités où elles habitaient,
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O chere Héloysa ! quand t'eusse donné l'estre,
Tant n'aurols-iê beni moment qui t'a veu naistre.
Creus que tout me rendoyz, parents, espoux, amys ; A mes pins cliers secrets, seulette, ie l'adrcys.
Plus que n'eust faiet mien gars, senty qu'aymoy ta fille ; Et dez lors que s'accreust ta riante famille,
Au desduict que prenoye emprez tes enfançons,
Des ans cuiday possible escorter les glaçons.
Me restent quazy tons ; ains les voy sanz lyesse.
N'est plus tendre Goyon qu'enst charmé ma vieillesse t N'est plust leur dy soubvent. Ensemble de plorer ; Et moy, d'ung prompt trespas la grâce d'implorer !
Ainsy, tout ce qu'aymay deslayssant en arrière,
Vay me traisnant, orb'ue, au bout de ma carrière.
Aux blaffardes lueurs de lugubres flambeaulx,
Plus n'ose interroger que la nuict des tombe aulx (1).
Que de regrets, que de sanglots dans ce coeur de Marguerite! Elle fût une de ces âmes qui ont trop de sensibilité, trop d'ardente affection et point assez d'abandon à Dieu, pour trouver une suavité divine au fond de l'amertume des deuils. Elle eut une de ces existences que les épreuves de la vie saturent de douleur.
Jean de Surville tarda quelques années à peine à suivre Héloysa au tombeau ; il mourut à Vesseaux vers 1475 : nouvel accablement pour le poète. C'est après que Marguerite eut perdu son fils et sa belle-fille que la tradition constante de Vesseaux lui attribue d'assez grands travaux de restauration qu'elle aurait fait exécuter à l'église de ce bourg.
Jean de Surville et Héloysa laissaient six fils : Firmin, l'aîné, qui, en 1468, d'après une des poésies de Marguerite, avait déjà embrassé la profession des armes ; Hugonin (2), Guillaume ou Guy, Loys, Biaise et Antoine. Ils laissaient aussi
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Fragments d'épistres. »
(2) Par abréviation, Gonin.
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trois filles : Camille, appelée ainsi en souvenir de la jeune Écossaise qui avait été une amie d'Héloysa ; Rose et Nantilde (1).
Marguerite ne vit pas seulement auprès d'elle cette génération : elle eut aussi la joie de voir ses arrières-petits-enfants; Louis-Bérenger, Claude, un autre « garçonnet » du nom de Jean et une petite-fille appelée, comme elle, Marguerite (2).
Ce furent eux qui lui inspirèrent les vers qu'elle leur adressait à 75 ans. Ces vers sont trop remarquables pour que nous ne les donnions point ici ; ils sont trop expressifs, trop marqués d'un puissant cachet d'authenticité, pour ne pas faire impression à ce titre, excepté sur la frivole fantaisie et sur le sens émoussé de la critique de métier :
« Vous, petiotz innocens, doulcettes créatures,
« Du filz d'Héloyza touschantes genitures ; Petitz-filz d'icelluy qu'ay porté dans mon sein,
« Soleil puysse à vos yeux, ne peindre que serein !
« Qu'aurait Hèloysa de joye à vous cognestre « Et que doulx m'eust semblé se vous eusse veu crestre
Dans les bras adorez de l'ange gracieulx
« Que, pour nos maulx lényr, croy que firent les cieulx i Mais que dis-ie? escartons ung penser trop funeste :
« De mes iours orageulx vous doy peu qui me reste ;
« Timides enfançons, ne vous rebute pas <t Le soubrix. de Clotitde aux portes du trespaz.
Ne tarderez venir où chemeine première,
« Ainz pour vous suyve, au loing, un raiz de la lurniere « Dont luict sur vos matins le fugitif esclat,
« Se veuz duysent mes ieulx, imitez jenne aiglat.
« N'est que prime seyzon pour l'imaginative ; « Vieillesse d'ameudez seule à prérogative. « Ce n'est tout de creei ; aineoîs faut-il polir. « Se voyons, s'esdurant, la cire au feu mollir,
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Elégie sur la mort d'Héloysa. 2) Voir à la seconde partie, VI.
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Encoys, seul froid penser, espurant vos rimailles,
* Les fordst N'a posé le fraîct de ses entrailles
* Que lescbe, Calysto, du chief insques aux pieds Ses oursins, de tout point, naissant disgraciez.
« Ne sçay si faict est vray ; le dict en soye utile.
« Point d'ouvrage parfaict n'esclot du plus babile.
< Cuydez qu'en parle à fond; quand loysir m'est donné,
« Reprends de mon ieune aage ung fruict abandonné;
« Le revoy, le polys ; s'est gentil, le caresse ; « Ainz voy-ie qu'est manqué, la flamme le redresse.
« Grâce au tems qu'ay vescu, se peult que les povrets De cil que tout destruit n'apprehendent les traiets ;
» Tel que fiz sans effort, ne corrige sans payne ;
? Ainz quand simples et doulx coulèrent de ma vayne, N'eusse dict qu'en faudroit, septénaire, bannir « Vocables dont jeunette aymoye à les garnir.
» Ainsy veult le tyran qui des langues dispose.
« L'ay brave moullefois : n'est de soir que n'oppose « A ses caprices vains, comme sacrez rempars,
« Verbes que vay puyzant au siècle des Cezars :
» Ce fayzant, que deubst Rome au langage d'Altique « Au romain le debvrions, comme a faiçt l'italique ;
« Et d'où vient n'oseroye, indigente, glesner
« Ou Dante, là longtemps, bien oza meyssonner ?.. » (1)
Le secret de la perfection des poésies de Marguerite est, pour qui sait lire, à moitié dans ces vers. (2)
C'avait été sans doute une série d'étonnantes oeuvres poétiques qu'elle avait créée dans sa longue carrière. Depuis les Chants d'amour qu'elle écrivait adolescente ou plutôt déjà sans doute épouse de Bérenger (3), jusqu'aux accents
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Fragments d'Épistres, III.
(2) Voir sur l'oeuvre poétique de Marguerite, la quatrième partiet II, III et IV.
(3) En 1427 et 1428, et non en 1421 et 1422, comme nous l'avons dit plus haut, en ne tenant pas suffisamment compte des indications contenues dans ces chants et de la date erronée donnée par Étienne de Surville, pour l'année du mariage de Marguerite et de Bérenger. Les dates 1421 et 1422 nous paraissent seules fautives ; elles ont du avoir été ajoutées par Jeanne de Vallon ou par Etienne de Survile aux pages des fragments de mémoires de notre auteur.
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de deuil où elle répandait toute son âme sur la tombe d'Hèloysa ; depuis les jours où elle chantait son époux bien-aimé et son « enfantelet » jusqu'à ceux où d'autres « enfançons » savaient encore émouvoir son coeur et son élan, que d'hymnes profonds de joie ou de tristesse, que de pages splendides son génie avait prodigués! Qu'est-ce donc qui, avec ce génie, explique une aussi riche floraison littéraire? La page que nous venons de reproduire.
Ces vers peuvent révéler aussi toute l'originalité du talent de Marguerite.
Elle écrivait là assurément dans un style des plus châtiés, au grand étonnement de nos lettrés; mais c'était dans un style qui lui fut entièrement particulier et dont on ne voit point d'autre exemple, au moins avec cedegré de perfection, dans le cours de nos annales littéraires.
Ce langage poétique est très-correct, pour ce temps-là et même pour tout antre. Seulement cette précision est le fait même de son génie, car cette langue si nette, et si ferme a un caractère sui generis ; c'est un français, d'un tour puissamment original, où les latinismes abondent, à un point où l'on ne les retrouve plus dans notre pays, chez aucun autre poète et à aucune autre époque, aux XVIIeme et XVIIIeme siècles moins que jamais.
D'après les mémoires de Marguerite, Camille qui resta seule avec elle fut la consolation de ses vieux ans ; elle mourut en 1795 à 45 ans et avant son aïeule.
Marguerite, en perdant Camille, éprouva encore une affliction des plus profondes. Malgré son grand âge et ses chagrins, elle eut, cette même année 1495, assez d'élan poétique et de patriotisme pour adresser, à 89 ans, une ode (1) à Charles VIII, après la bataille de Fornoue.
(1) Cette ode, qni nous reste, renferme des interpolations.
D'après certains critiques, il est inconcevable que Marguerite de Surville ait pu composer à 89 ans une excellente pièce de vers. On peut
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Elle s'en alla à la fin d'un siècle dont elle avait suivi, avec tant d'âme, les péripéties, les mouvements d'idées, les exaltations politiques et littéraires, les joies, les douleurs, les agitations. Elle mourut vers 1496, à Vesseaux, où un monument rappellera, un jour, le souvenir de son génie et de son grand coeur. Elle fut ensevelie là dans le cimetière où reposaient déjà les restes de ses aïeux, de son fils, d'Héloysa et de Camille qu' elle avait tant pleures.
XV
Modifications qu'ont subies les poésies de Marguerite de Surville. Corrections dues à Jean de Surville (du XVIIe- siècle) et à Jeanne de Vallon. Altérations qu'Etienne de Surville et Brazais ont apportées à ces poésies.
Voilà les indications certaines et celles que l'on peut accepter sur la vie de Marguerite de Surville : celles qu'attestent des documents authentiques et celles, en même temps, où les fragments de mémoires de notre auteur, après les modifications qu'ils ont reçues ou indépendamment même de tonte retouche secondaire (1), sont restés en dehors des caprices de l'imagination.
Que l'on ait ajouté on non à ces mémoires des amplifications partielles, avant que ce qui restait d'eux ait été connu
cependant mentionner plusieurs cas, complètement historiques, d'ene semblable vigueur intellectuelle dans un âge avancé. Pour n'en citer qu'un seul, M. Guizot, à prés de 87 ans, écrit encore non-seulement quelques pages mais des volumes, marques de toute la fermeté de son talent.
(t) Nous l'avons dit plus haut : on peut présumer que ces mémoires n'ont pas été, dans leur rédaction première, un document d'une parfaite exactitude historique, qu'ils ont sacrifié â l'esprit du temps et ne se sont pas fait faute de quelques récits imaginaires ; et l'on peut être certain d'ailleurs qu'ils ont été plus tard, en partie, modifiés. S'il en a été ainsi, on doit moins regretter que ces mémoires aient été perdus.
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d'Étienne de Sur ville, dont ces fragments ont guidé le récit, leurs principales données sont exactes ; elles concordent avec des témoignages irrécusables venus à leur appui et avec les données de la tradition locale, que nous-allons rappeler sommairement.
Quant aux changements qu'ont subis les poésies de Marguerite, les uns sont l'oeuvre collective de Jean de Surville, (sixème descendant de Marguerite) et de sa belle-fille, Jeanne de Vallon ; les autres doivent être attribués à Étienne de Surville qui fut aidé en cela, un moment du moins, à Lausanne, par son ami M. de Brazais.
Pour les premières modifications, le procédé fut bien simple, s'il ne fut pas heureusement inspiré. Il a été avoué aussi simplement :
« Il (Jean de Surville), — dit celle qui se préoccupait avec lui de la publication de ces poésies, dans un des fragments qui restent d'elle et qu'avait recueillis Étienne de Surville, « n'a pu tenir, ainsi que moi, contre l'usage de certaines « locutions que la distance des temps rendoit insignificati- « ves. Par son conseil et sous ses yeux, je les ai remplacées, « avec autant d'exactitude que de circonspection, par sino- « nymes choisis dans les oeuvres mêmes de Clotilde ou par « termes créés moins que renouvelés depuis (1). »
D'après ces paroles, qui sont celles dont nous avons parlé déjà, comme pouvant faire présumer qu'Etienne de Surville a connu, non l'autographe des poésies de Marguerite, mais une copie où Jeanne de Vallon aurait fait ces substitutions de mots ; d'après ce passage, disons-nous, on doit supposer que les premières corrections du recueil poétique de notre auteur, si inopportunes qu'elles aient été, ont été faites
(I) Jeanne de Vallon. Préface des poésies de Clpfilde.
Voir, sur les modifications opérées par Jeanne de Vallon dans l'ensemble des oeuvres de Marguerite, à la seconde partie, XIII.
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cependant avec une certaine réserve et avec des égards pour le talent du poète.
Les modifications nouvelles qu'Étienne de Survilla a apportées ensuite à ces oeuvres ont été plus profondes.
Il n'y a pas fait consister ses corrections seulement en quelques changements de mots, comme en avaient hasardé Jean de Surville et Jeanne de Vallon. Il a fait porter ses remaniements çà et là sur des phrases entières, et il a même ajouté probablement quelques séries de vers. Il regardait sans doute ces additions comme indispensables pour compléter la pensée de l'auteur et pour perfectionner son oeuvre, alors qu'il n'arrivait ainsi qu'à dénaturer l'une et à amoindrir l'autre.
Ces fâcheuses innovations d'Étienne de Surville, visibles pour tout esprit exercé, ont été attestées par M. de Brazais, ami de l'interpolateur et complice lui-même de quelques-unes de ces altérations.
« En me communiquant tous les ouvrages de Clotilde de
« Vallon.(1), écrivait M. de Brazais, il (Étienne de Surville) « m'avoit fait part de son plan pour l'édition ; il m'avait « engagé à l'aider et à corriger certains morceaux ; sans
« son inflexible amour pour les mots les plus vieux et les « plus inintelligibles, je m'en serois fait un plaisir ; car le « génie sensible, délicat et sublime de Clotilde perd autant à « la barbarie des vieux mots insignifiants que Surville lui
« a prêtés dans son enthousiasme pour la langue romane, « que par une élégance trop moderne qu'il lui a quelque- « fois donnée (2). »
't) Nous avons dit plus haut comment le vallon de Challs (ou peut-être de Chalès), avait été transformé en une seigneurie de Vallon, soil dans la première copie, que Jeanne de Vallon avait faite de ces oeuvres, soit dans celle que fit plus tard Étienne de Surville.
(3) lettre de M. de Brazais à madame Pauline de Surville, au Pradel. Du 3 mars 180i. (Collection de lettres autographes, concernant là
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:Et ailleurs.dans son DiscOwstnirla langueet\la littè' rature françaises (1), le même de Brazais écrivait en partant des oeuvres de Marguerite et du travail de correction qu'Étienne de Surville leur avait fait subir. « Il me, les communiqua, et j'ai été tèmoin et complice, « un moment, de ce travail qu'un goût exquis eût dû « guider. Eh! qu'importe que Jeanne. de Vallonet, Sur-ville aient oser toucher à quelques phrases, si te public, « leur rendant grâces, eût gagné en plaisir ! C'est tout à fait avec les mêmes, vues, littéraires que celles d'Etienne de Surville et de Brazais, sur la correction des chefs-d'oeuvre vieillis, que, : presque vers la même épouque, Lequeux et Déforis avaient cru sérieusement améliorer, les oeuvres inédites de Bossuet, en y mêlant leurs interpolations, qui ont fait foi pendant près d'un siècle. Mais quoi qu'il en ait été de ces corrections ou de, ces extensions qu'ont subies, d'une part, les poésies de Marguerite, et de l'autre, ses mémoires depuis lors perdus, ces retouches ou ces amplifications romanesques, n'ayant porté. que sur des fragments de l'oeuvre du poète et ne concernant que des points de détail de sa vie, ne peuvent affaiblir en aucune manière, pour tout esprit judicieux, la certitude qui résulte, sur l'existence de Marguerite de Surville et sur l'authenticité de ses oeuvres, de tout un ensemble de preuves intrinsèques et extrinsèques, de l'ordre moral et de l'ordre matériel.
publication des poésies de Glotilde de Surville et appartenant à la famille de Watre). Celle collection, d'un grand intérêt bibliographique,
et composée de trente lettres parfaitement authentiques,publiée, pour la première fois, par M. Macé, dans son ouvrage sur les poésies de Clotilde de Surville.
l'ouvrage de M. Macé, incomplet sans doute comme un travail qui n'a pas pu se baser sur les principaux documents historiques, est un livre de (ton sens et de saine appréciation littéraire ; et, par le temps qui court, pouvoir dire cela dmh livre de critique, ce n'est pas en faire un petit éloge.
(1) Ouvrage inédit, appartenant à M. le vicomte de Roquefeuil; et fragment cité par m. Macé, dans son livre : Les poésies de Clotllde de Surville.
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SECONDE PARTIE
TRADITIONS LOCALES SUR MARGUERITE DE SURVILLE. SES DESCENDANTS.
Les propriétés de Marguerite de Surrille, d'après la tradition de Ves-seaux. La maison de « madame de Surville » ; la vigne de la Dame ; le bois de Surville. Concordance entre la tradition locale et les vieux compoix de Vesseaux.
Voyons maintenant comment les données qui proviennent d'écrits authentiques, au sujet de Marguerite de Surville, sont appuyées par des traditions locales et se rattachent à l'histoire d'une ancienne famille du Vivarais.
Il existe à Vesseaux, au village appelé le Fort, à vingt mètres environ au nord de l'église, dans la direction du portail roman, une maison comprise entre trois rues étroites et des terrasses cultivées qui descendent au bord du Liopoux. Cette maison, qui forme aujourd'hui quatre ou cinq habitations distinctes, a subi, surtout depuis cent ans, de profondes modifications. On y distingue encore cependant quelques parties qui datent de plusieurs siècles : une porte donnant entrée dans la cour ; une salle à solives, et une
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petite porte latérale à nervures, qui n'occupe plus sa place primitive mais qui n'en est pas moins un élégant souvenir du XVe siècle, avec un écusson aux armoiries des Surville, de Vesseaux (1).
D'après la tradition du village, telle que la transmettent les anciens du lieu, c'était la maison de madame de Surville (2).
A quatre pas de là, vers le nord, de l'autre côté d'une des petites rues qui servent de limite à la maison, étaient — toujours selon le récit des vieillards et ainsi qu'il disent dans leur langage — la grange de madame de Surville et, un peu plus au nord, son jardin avec un colombier qui n'existe plus (3).
L'emplacement qu'occupaient la maison, la grange et le jardin confronte, du levant, avec la rue qui va du village du Fort à celui des Chaberts, ancien chemin de Vesseaux à Privas, et du couchant avec des terrasses étagées sur le flanc rapide de la colline et plantées principalement de vignes et de mûriers. Cet emplacement peut avoir ,une superficie d'environ trois quarts d'hectare.
Entre la principale rue que nous venons d'indiquer et la route nationale d'Aubenas à Privas, on montre la place qu'occupait le pré de Surville, (4) nommé plus tard aussi
(1) Ces armoiries étaient : d'azur à trois roses d'argent posées deux et une. Aux armoiries des Surville de Gras, indiquées par d'Hozier, il y avait de plus un chef d'hermine.
(2) Cf première partie, XIII, note t, pour constater la concordance qu'il y a entre les indications des vieux compoix de Vesseaux et celles de la tradition locale, au sujet de cette maison.
(3) Cf. id., id., le relevé du compoix de 1658, relatif h ce jardin et à ce colombier.
(4) Pour juger de l'accord qu'il y a entre les vieux compoix et la tradition, au sujet de eet immeuble, voici les indications cadastrales.
I. — Terrier du prieuré de Vesseaux-de 1472-1474 (traduction du texte original, faite au commencement du XVIIIe siècle) :
« 1121. Chaberterie.
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le pré de Màthan et le pré Thomas et transformé, depuis un siècle, en champ un de mûriers.
Ce pré, dont la partie septentrionale avait formé autrefois ce que la tradition nomme le pré Raspan, s'étendait, disent les anciens, du couchant au levant, entre le chemin du Fort
t plus nu pré jadis faisant quatre pièces dont Tune feul de ladite J an net te de Seveyrac, deux de Pierre Finel et l'autre de Gamond Durand et d'iceux, acquise-par noble Bérangon, son père, audit mas de la Chaberterie dessous le chemin ; couchant, la rue de Ves-seaux à la Chaberterie ; B., (bize) par le long pré dndit Rt (reconnaisant) sus R. ; L. et V., (levant et vent du midi) prè de Guilhaume Chabert. »
II. — Compoix de 1605 :
« 3907. Prat de Raspan.
« Item, ung pre appelé prat del Respan, confron du lavent et marin le pre de Anthe Chabert, du couchant le chemin d'Albenas, de bize le pre de Anthe Doize ; Ctn (contenant) deux esmynes (a) sept cuards (b) du second. Estimé ij s. ij d. ob. (c). »
« 3915. Item, ung pre aux Chaberts, confron du levent et bize la terra de Anthe Chabert, du couchant le chemin, du marin la terre de Charles La Teoule ; Ctn sept esmynes sept boysseaux, scavoir sept boysseaux du premier et le reste du second. Estimé vi s. nj d? »
III, — Compoïx de 1688 :
« Item, ung pré, chanabier (d) et rouvède (e) app lou prat del Respan ; confron du levant terre de Vincent Mazade et Claude Chaussa-denc, du couchant le chemin allant des Chaberts à l'esglise, de bize pré de Louys Borne, du marin terre du sieur prieur de Vesseaux ; contenau trois cestlers (f) une quarte du premier, deux cestiers une quarte du second, une quarte du tiers; Mont, six sols six deniers. Cy vj s. vj d. n
(1) Leyminc (du grec, hemy, demi) ou esmyne était la moine de la quarte ou deux boisseaux ; elle représentait environ un décalitre.
(6) Quarts de boisseau.
(c) 2 sols 2 deniers obole.
(d) Terre plantée de chanvre.
(e) Bois de chênes ; du mot rouvé chêne, dans l'idiome local.
(f) Le cestier représentait environ quatre doubles décalitres ; il contenait quatre quartes, huit eymines, et seize boisseaux, le boisseau étant le quart de la quarte.
Les superficies, on le voit, étaient alors évaluées cadastralement par la •luantlté de grains que l'on devait y ensemencer-
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aux Chaberts et un tas de pierres appelé le Clapas, , provenant des défrichements voisins ; et, du nord au midi, il allait sur une longueur d'environ deux centimètres, depuis le quartier des Chaberts jusques près du village du Fort. Cette prairie ; de médiocre qualité sans doute, était au milieu d'une toute petite plaine élevée de vingt mètres au dessus du lit du torrent, et elle ne s'arrosait que de l'eau des pluies.
. On désigne de plus, comme ayant appartenu à madame de Surville, les grandes vignes, situées aux quartiers du Peyrou ou dé Champ-long, des Faysses, de Bromofon et de Chaloux, (1) au nord-est du village du Fort, quartiers
(1) Voici Jes concordances cadastrales avec la tradition : - , . I. — Terrier du prieuré de Vesseaux de 1472-1474 :
« 1109. Champlong ou Peyrou.
* Fias une terre A Cltamplong~ni Peyrou,- couchant chemin public de Vesseaux à Aubenas, bize le viol qui va au Grâ, vont terre de Gonet Sabatier, qui teust de Jean- Durand, levant terre de Guillaume Chabert, qui feust d'Eustache Privat. Cense, sept fran (franchesche) from et une obolle.
II —Compoix de 1605 :
« 3909. Peyrou.
« Item, une terre au Peyrou, ciron du levent la terre de Anthe Chabert, du couchant le chemin, du marin la terre de Jehan de Luba, de bize la terre de Claude Juvenet, viol ontre deux ; Cln (contenant) trois esmynes, sçavoir deux du second et une du tiers. Estimé t s. x d. ob, « 3910. Faysses.
« Item une terre à las Faysses, cfron du lavent la terre de Guilhme Vincens, du couchant la terre de Jehan Pascal, de marin le ruisseau, de bize le chemin ; etn sept esmynes quatre cuards, sçavoir trois esmynes du premier et le reste du second. Estimé VI s. IX d. « 3912. Chalou.
« Item, une terre appefee lou Cholou, efron du lèvent la lerre de Jacques Cbambon, du couchant le chemin, de marin la terre de Barthélemy Gautier, de bize la terre de Catherine Bouyé ; ctn deux esmynes du tiers. Estimé IX d.
« 3910. Bromefon.
4 Item, une lerre A Bromefon, cfron du lèvent la terre de Jehan La
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existant encore sous ces noms ; et une autre propriété au quartier de L'Estrade, (1) au sud-ouest et non loin des
Fargiers.
Croto, du couchant, marin et bize le ruisseau ; ctn deux esmynes six
cuards du tiers. Estimé 1 s.
III. — Compoix de 1658. « Item, une terre et vigne app Bromofon, confront du levant vigne d'Anthoine Sabattier, du couchant Vincent Pascal et Simond Foulhon » de bize terre de François Dumas et le ruysseau de las Faysses, du marin terre de Nicoullas Joua et led. Vincent Pascal ; contenan trois cestiers deux quartes ùn£' boysTéaiL sçàvoir'deUx cestiers' deux quartes du second et ung hoysseau du tiers et ung cestier du quart. Mont. trois sols obolle pitte. Cy III s. ob. p.
« Item, une terre et noujarède. (a) appelée Bromofon; confron du levant terre de Clacide Chanchadenc du couchant terre de Pierre Nougier, de bize le ruysseau de Bromofon, du marin terre dud. Nougier, ruysseau entre deux; contenan un cestier deux boysseaux, sçavoir ung boysseau et une quarte du tiers, trois quartes du, quart, ung boysseau du cing et ung boysseay du sixe. Mont. setp deniers oholle pitte.
« Item une terre et noujarede appelée lou, Peyrou, confron du levant terre et vigne de Vincent Mazade, du couchant le chemin allant de la Maison blanche aux Fargiers, de bizé terre de Mathieu Saulnier, chemin entre deux, du marin terre de Antboine Chauchadenc ; contenan ung cestier ung boysseau et demy, sçavoir ung boisseaux et •lemy du second et ung cestier du tiers.Mont. un .sol ''deux- deniers.
« Item une vigne appelée las Faysses, confron du levânt vigne de François Dumas ot Pot Pascal, du couchant vigne de Chartes Chan-chadene et les hoirs de Juliette Doulce, de bize le chemin qui va de la Maison blanche au Planet du marin le ruysseau de las Faysses ; contenan deux cestiers trois quartes. sçavoir ung costier trois quartes du tiers et ung cestier du quart. Mont, deux sols trois deniers.
(I) Concordance cadastrale.
Compoix de 1658 :
« Item une terre et noujarède appelée VEstrade ; confron du levant vigne d'Anth'oine Fârgier,' du couchant le chemin allant des ' Faryiws en Aulbenas, de bize terre de Jacques Guigon ; du marin terra des hoirs de François Doux ; contenan ung cestier deux quartes deux boysseaux, seavôir ung cestier une quarte'du tiers, une' quarté et deux boisseaux du quart. Mont, cinq deniers pitte/Cy V d.' p/ » }/,f;î (a) Lieu planté de noyers ; du mot rouge, noyer, dans l'idiôme local.
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. En face de « la maison de madame de Surville, » ou plutôt un peu plus au sud, à une exposition très-chaude, sur le penchant des plus inclinés de la colline qui s'élève de l'autre côté du Liopoux, entre le torent, le hameau du Clap et celui des Reyniers perchés tout deux au haut de la colline, on désigne aussi une propriété, formant encore aujourd'hui . des terrasses plantées de vigiles et de figuiers, qui appartenait à la famille de Surville et que l'on appelait « la vigne de la dame. » (1)
On montré enfin le bois de Surville ou le bois de madame de Surville (2), bois de chênes que nous avons mentionné déjà (3).
« Ce bois est petit, nous disait, il y a peu de temps une
(1) Concordance cadastrale :
Compoix de 1658 :
« Item un; jardin et vergier appelé la vignasse; confron du levant la rivière du Lioupou, du couchant et bize vergier de Guilhaume Sabattier, du marin te chemin allant du Clap k l'esglise; contenan ung boysseau et demy du second. Mont, deux deniers pitte. Cy ij d.
La vigne de la dame appartient aujourd'hui 1 quatre proprêtaires ; l'un d'eux est M. Guérin, du hameau du Clap.
(2) Concordances cadastrales :
I. — Terrier du prieuré de Vesseaux de 1472-1474 :
« 1108. Plus un bois, près le cois de St-Fierre dudit prieuré, appelé la Blockette ; V. led. bois de St-Fierre, ruisseau entra deux ; B., bois de Michel Albert ou de Dragenet son fils ; C., bois de Jean du Clap. Cense deux franc avoine. »
II. — Compoix de I6S8 :
« Item ung debvez, bois chastanier et rouvède appelé las borudas et le bois de Surville ; confron du levant le chemin allant du cbauehadene à l'esglise, du ceucbant le ruisseau de Peligousse, de bize bois et terre de Anthoine Bouier et Pierre Faure, du marin bois de François Debuez ; contenan vingt-sept cestiers deux quartes, sçavoir neuf cestiere deux quartes du quart, dix-sept cestiers du cinqc et ung cestier du sixe. Mont, neuf sols ung denier. Cy IX s. Id,
(3) Première partie. VI.
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une femme (1) âgée de près de 90 ans ; mais il était bien grand du temps de madame de Surville. Il occupait alors, dit-on, la moitié de l'espace qui s'étend entre le Bosc et Séveyrac ; et, dans un autre sens, il allait du chemin bu Chauchadene au ruisseau de Pelligouse (2).
Il est probable que, par une confusion bien facile, en donnant à ce bois les anciennes limites qu'elle lui assigne, la tradition l'identifie avec les bois de châtaigniers et autres terres considérables appelées les Baratiers, Mondon, les Blanckeyres et la vigne de Séveyrac (3), que la famille de Surville possédait depuis très-longtemps dans cette partie de la paroisse de Vesseaux.
(1) Anne Vital. Dans une de mes Lettres du Languedoc intitulée Marguerite de Surville, et écrite de Vesseaux Le 23 octobre 1872, j'ai dit en quels termes précis cette vénérable veuve a confirmé, devant mon honorable ami M. l'abbé Deleuze, curé de Vesseaux et moi, les souvenirs que la tradition du village a conservés au sujet de « madame de Surville. »
(2) Voir la carte da Vesseaux au xve siècle.
(3) I — Compoix de 1603 :
« 3916. Baratiers,
« Item une terre aux Baratiers cfron du lèvent, la terre de Guaûme Olivyè, du couchant et marin le pre de Pol Sabatié, de bize le pre de Marguerite Olivye ; Ctn une esmyne six cuards du tiers. Estime vm d.
« 3917. LaBlaeheyres.
« Item une terra et chazal à la Blacheyre, appelé lou claux de Mondon, Cfron du lèvent la terre de vidau del Bas, du couchant et marin le chemin, de bize la terre de Nubenieyro ; Ctn deux esmynes et cinq cuards. Estimé 1 s.
« 3913 Blacheyres
« Item une terre et bos aux Blacheyres ; Cfron du levent la terre de Gastobla, du couchant le chemin, de bize le bos de Pierre Chauliac, du marin la terre de Guaûme Olivyé ; Ctn deux s au m ados (a) et une esmyne six cuards du tiers. Estimé v s. v d. ob. »
II.— Compoix de 1658 :
« Item ung bois chastanet appelé lous Barratiers, confron du levant
(a) La soumée ou salmiée saumado, dans l'idiôme local, représentait dix quartea ou environ dix doubles décalitres. C'était la charge de grains d'une me de somme, saumo dans le langage du pays.
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II
Autres propriétés de la famille de Surville au XVe siècle.
Ces données de la tradition de Vesseaux : font connaître le plus grand nombre des propriétés qui ont appartenu, dans cette localité, à la famille de Surville.
Si l'on ajoute aux immeubles que nous avons déjà mentionnés une pelouse (1) plantée de châtaigniers, située sur le
bois de Charles Gauthier, du couchant bois, de Anthoine, Sabattier et ledit Gauthier, de bize bois d'E tienne Cbabanon, du mariri bois dud Sabattier ; contenan deux quartes trois boysseaux, sçavoir deux quartes ung boysseau du tiers et deux boysseaux du qaurt. Mont. sept deniers
deniers Cy VII d. ob.
« Item ung chazal et bois chastanet appelé Mondon ; confron du levant et marin terre el chastanet de Anthoiné Saballie/du * couchant le chemin allant du Chauchadenc à TeSglîse, de bize b >is de Charles Gauthier, contenan deux quartes ung boysseau duquaîl.'Mont! trois deniers pitte demye. Cy nj d. p. 1/2
« Item ung bois chastanet appelé las Blackeyras, confron du levant bois de Blaise Compte et hoirs de Thoumas Amblant, Pierre Sevénier, Jacques Dauruolles et bois de Pierre Dubois, du couchant le chemin allant du Gkouchadenc à l'esglise, de bize bois de Pierre Dubois,' terre de Estienne Saulnier et Anlhoine Doizé,du marin, 1 bois de Charles Gauthier ; contenan six ces tiers une quarte, sçavoir trois quartes du liers cinq cestiers deux quartes du quart." Mont.J trois 7sols trois de<
de< une grange, vigne et rouvède, appelée la 0 iHrjne de Sevetjrac ; confron du levant pré de Louys Bôuyer, du couchant le chemain allant du Chauchadene à l'eglise, de bize vigne et pré de David Dubois; contenan quatre cestiers du trois, ung cestier une quarte du quart. Mont. quatre sols sept deniers obolle. Cy mj s. vi] d. ob.
(1) Cette pelouse est désignée ainsi dans le Terrier du prieuré de Vesseaux de 1472-1474 :
« 1123. Rivière de Vesseaux on ChaOerterie. i Plus un pré où avait jadis chazal qui relit d'Armand Delclus, jadis acquis de Pierre Finet, a la rivière de Vessaux, soub le mas de la Chaberterie ; Levant, la rivière ; Vent, le chemin qui va de Chaberterie à la fontaine ; Bize, pré de François Doux ; Levant madeyrial dud. et avec le madeyrial de Jean Gautier, aussi du Levant. »
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promontoire que forme, au couchant des Chaberts, un détour du torrent et limitée au- sud par le sentier ou plutôt l'escalier qui conduit à cette fontaine toujours, abondante (1) que Marguerite rappelait peut-être dans une de ses poésies (2) ; si l'on y ajoute une terre voisine de cette pelouse au mas des Sarribes, (3) deux autres au mas de Mapiac, aujourd'hui les Mapias, (4) une autre au Bosc, une autre au Fez, deux ou trois bois de châtaigniers près du torrent de Péligouse, (5)
Ce pré, à en juger par sa position, devait être surtout ce que l'on appelle dans- l'idiàme du pays, on devès ou mouttas, gazon à herbe courte et peu épaisse. C'est ce que disent les deux autres compoix, dans leur mention de cet immeuble.
Compoix de 1605 :
« Item ung pre et debvois aux Chaberts, appelé La Vaysse, Cfron du levent le pre de Jehan La Croto, du couchant la riviere Lioupou, du marin le chemin allant à la fontaine, de bize te pre de Jehan Pascal ; Ctn deux esmynes sept cuards moitié second moitié tiers. Estime 1 s.
Compoix de 1658 :
« Item ung mouttas et Chastanier appelé la Vaysse, confron du levant mouttas de Claude Chauchadenc, du couchant la rivière de Lioupou, de bize mouttas de Claude Guérin, du marin le chemin qui va des Chaberts à la fontaine ; contenan ung cestier ung boysseau, sçavoir ung cestier du tiers et ung boysseau du quart. Mont, ung sol six de niers. Cy j s. vj d. »
(1) Cette fontaine, unique dans ces lieux secs, au moins comme pareil Volume d'eau, est à cent cinquante mètres des Chaberts. Elle jaillit des bancs du lias, au niveau du cours du Llopoux cl sur le bord oriental du torrent.
(2) Poésies de Marguerite de Surville. Rondel X.
(3) Terrier du prieuré de Vesseaux de 1472-1474 :
«1105 Plus une terre au mas de las Saribas; 13., prè de François Doux ; V., terre de Jean Gauthier ; Levant, de Jean Fargier ; V., pré et terre de Guillaume Chabert. Cense, une fran. from.
(4) Id. :
« IL2i. Plu3 un jirdïn acquis des biens d'Estienno Durand dit Vigne, au mas de Mapiac ; confronte de toutes parts vignes, chasaux et jardins d'Antoine Doisse, de Mapiac.
1125. Mapiac.
(3) Compoix de 1603 et de 1658.
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sur les collines qui s'élèvent dans la direction du château de Boulogne, deux immeubles dans le vallon de St-Etienne de Boulogne, (1) quatre pièces de terres à Pramaillé près des limites occidentales de Koyron (2) et une grange près de Freyssenet en Koyron, (3) on a alors une vue d'ensemble du patrimoine des Chalis-Surville, de Vesseaux.
D'ailleurs, comme plusieurs indices le prouvent, ce patrimoine remonte, dans la presque totalité de ses parties, au temps des Chalis ou de Bérenger ; et les diverses propriétés que signale le récit traditionnel de Vesseaux, complètement justifié par les documents cadastraux du XVe siècle et du XVIIe siècle, ont en réalité appartenu à Marguerite, à « madame de Surville », comme le disent les vieillards.
Il est vrai cependant qu'un petit nombre de ces propriétés ne figure point dans les reconaisstmees en faveur du prieuré de Vesseaux de 1472-1474. Mais c'est probablement parce que ce terrier ne mentionne, parmi les propriétés de la famille de Surville, comme de toutes les autres familles, que les immeubles soumis à la cense, à l'exclusion de ceux qui était réputés nobles.
III
Qu'elle était la « dame de Surville » de la tradition de Vesseaux.
Si l'on demande aux anciens du lieu quelle était cette « dame de Surville » dont ils énumèrent les maisons, les
(I) Terrier etc., 1139, 1140.
(2) Terrier etc., 1110, 1111, 1112,1113,
(3) Terrier etc., 1137.
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jardins, les vignes, les bois, ils répondent que c'est « la dame qui fit faire de grandes réparations à l'église. »
Ces réparations faites vers l'abside de l'église de Vesseaux et se distinguant des premières constructions, du commencement du XIIIe siècle indépendamment d'ailleurs des modifications, toutes modernes et bien mal inspirées, de la chapelle de la Vierge), datent réellement dn XVe. siècle. Elles attestent, à leur manière, que cette dame de Surville », qui fait le sujet des récits du vallon, vécut à cette époque et fut quelqu'un d'une plus grande fortune que les membres de cette famille qui demeurèrent à Vesseaux. à une date plus rapprochée de nous.
Or, tout cela s'applique à Marguerite, telle que l'acte notarié de Me Antoine de Brion nous la fait connaître, avec ses domaines non seulement à Vesseaux mais à Privas, à Rochemaure et à Sceautres, domaines qui ne restèrent pas tous à ses descendants de Vesseaux.
Nous connaissons, du reste, exactement l'histoire des Surville de Vesseaux, telle que nous allons la rapporter ; et nous ne voyons pas qu'il y ait eu, dans cette famille, une « dame », autre que Marguerite, qui ait joué un rôle assez important dans le pays, pour y laisser un aussi profond souvenir.
Il s'agit, en effet, dans la tradition qui nous occupe, de quelqu'un de « très-ancien »; et lorsqu'on demande aux vieillards qui l'appellent ce passé, si « madame de Surville » habitait le village un peu avant l'époque de la Révolution, ils ne manquent pas de répondre, sans pouvoir assigner de date précise, qu'elle vivait dans un temps bien plus éloigné.
Ce n'est pourtant pas expressément à titre de poète, que Marguerite de Surville a laissé ce long souvenir dans la localité ; ou du moins son souvenir, ayant ce caractère pour quelques-uns, n'a rien de général sous ce rapport, dans la mémoire populaire.
Et il ne pouvait en être autrement. Pour pouvoir con¬
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quérir, comme poète, une durable renommée, dans un pays où l'idiome communément parlé était, encore quatre cents après,-le provençal-languedocien, Marguerite aurait dù exercer son talent poétique surtout dans cet idiome. Or, elle ne l'exerça ainsi qu'accidentellement et peu fréquemment. Quant à ses poésies françaises, elles ne sortirent point, pendant sa vie, de l'intimité de la famille ou de celle de l'amitié, si ce n'est par de rares échappées à l'adresse de Marguerite d'Écosse, d'Alain Chartier ou de Charles d'Orléans. Elles ne pouvaient donc pas, non plus ; être très-connues de la bourgeoisie ou de la noblesse qui, dans ce pays, savait alors le français ; elles ne pouvaient point l'être à une époque où l'on était loin d'avoir les moyens que l'on a aujourd'hui pour une communication large et prompte des choses de l'ordre intellectuel. .
IV
Autres témoignages de la tradition de Vesseaux, relativement à< madame de Surville et à son fils. — La légende de Vesseaux au sujet de Bérenger et de Marguerite.
Nous devons citer ici un fait qui se rapporte à la tradition locale que nous examinons.
Lorsqu'en 1825, on découvrit à Vesseaux un sarcophage, en grès, d'un seul bloc et dont le couvercle de pierre, recouvert d'inscriptions que l'on ne transcrivit point, fut brisé en le découvrant ; lorsqu'on l'exhuma du lien qu'il occupait à l'extérieur de l'église du village, devant une petite porte aujourd'hui murée et qui ouvrait alors de la branche méridionale du transept sur la partie de la place publique ayant appartenu à l'ancien cimetière et devenu depuis lors la cour du couvent, l'opinion publique vit dans cette pierre sépul¬
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crale d'un remarquable travail (1), le tombeau du fils de madame de Surville (2).
(1) Ce sarcophage mesurait environ 1m82 cent, de longueur ; il avait au-dessus de lui environ 50 centimètres de terre. -
La place des épaules, des jambes et des mains était creusée dans la pierre de grès. Le couvercle fut brisé en plusieurs pièces, avant l'exhumation du "sarcophage, par les ouvriers qui firent cette exécution, en croyant découvrir la un trésor.
Le sonneur de l'église de Vesseaux, François Pellier, un des ouvriers qui trouvèrent ce tombeau et en brisèrent le couvercle, nous attestait récemment encore l'exactitude de ces renseignements. Le curé de Vesseaux était alors l'abbé Mazade. Son successeur, notre excellent et vénérable ami l'abbé Tailhand, si préoccupé de tout ce qui se rattachait à Marguerite de Surville et à sa mémoire, regrettait vivement que, par la négligence de son prédécesseur et de la municipalité de Vesseaux, on n'eût pas eu le soin de recueillir les morceaux du couvercle brisé et de conserver l'inscription qu'il portait.
Le sarcophage resta quelque temps sur la place du Fort ; il devint ensuite abreuvoir dans la cour du couvent ; et, lorsqu'en 1829 arriva le grand hiver », Peau que contenait ce « bachat », comme l'on di dans le pays, gela et fit éclater ce tombeau.
(2) Cette supposition se rattache à la légende de Vesseaux, au sujet de Bérenger et de Marguerite, et s'explique par cette légende.
Comme dans toute légende populaire, il y a, dans celle-ci, un mélange de vrai et de faux.
Nous la donnons telle quelle, pour ceux qui peuvent aimer ce genre de récits :
« Bérenger de Surville était un seigneur qui possédait le château de St-Montan et celui de St-Thomè (a).
« Lorsqu'en se mariant, il vint se fixer à Vesseaux, il habita d'abord le petit château des Fargiers ; il vit ensuite qu'il était là trop à l'écart et il vint demeurer près de l'église.
« Bérenger était brave. On se battait alors vers Oriéaus ; il y alla, et il y fut tué au mois d'avril. La paix se fit la même année, au mois d'octobre.
« Il ne laissait qu'un fils ce fils habita Vesseaux avec sa mère. Puis il se maria ; il épousa une demoiselle du Coyron, du château de Berzème. Il mourut bientôt après sa femme, en. laissant sept enfants. « Alors madame de Surville ut faire de grandes réparations à l'église, (a) Localités — qu'on le remarque bien — voisines de Gras et des Hermes-sènes.
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Y avait-il quelque chose de fondé dans ce bruit populaire? Nous l'ignorons, car le sarcophage, après être resté quelque temps sur la place du couvent, a été brisé, lui aussi, en 1829.
Mais, que la supposition qui fut, à cet égard, celle de la localité, ait été juste ou non, elle y atteste une préoccupation lointaine qu'explique seul le souvenir de Marguerite de Surville.
V
Deux témoins ici : la tradition et la carte de Vesseaux. Trait de lumière de la 9 critique, » Vagues souvenirs dans lebas-Vivarais.
Telles sont les données traditionnelles, que ceux qui, comme nous, ont eu à Vesseaux, depuis longtemps, des rapports de famille, savent y avoir été transmises jusqu'à nos jours, de génération à génération :
Ces données ne suffiraient point peut-être, à elles seules, pour établir indubitablement la réalité de l'existence de notre poète dans ce vallon de l'ancien Vivarais.
Et, pour que le peuple conservât le souvenir de son lils, elle lit mettre son coeur près dn grand portail (au nord) et son corps devant la petite porte (au midi), de manière qu'en entrant dans l'église, on passât près du coeur de son fils et qu'en sortant on passât sur sa tombe.
« Madame de Surville, femme charitable et aimant les bonnes oeuvres, mourut à Vesseaux, dans une grande vieillesse.
Nous prions la critique de ne pas nous faire dire, a ce sujet, autre chose que ce que nous disons.
Nous donnons ce récit pour ce qu'il est : une légende, où une certaine confusion s'est inévitablement mêlée à des renseignements exacts. Si nous avions, à cet égard, â nous étonner de quelque chose, ce serait de ce que la réalité historique n'eût pas été déflgurée là plus qu'elle ne l'a été.
Nous faisons ainsi une distinction marquée entre la légende, plus ou moins vague, reproduite dans cette note, et la tradition locale, ayant tous les taraclères de certitude, que nous donnons plus haut.
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Mais elles acquièrent, comme témoignage, une véritable valeur, lorsqu'on les rapproche, ainsi qu'on doit le faire, de cette affirmation émise par la première biographie de Marguerite, — affirmation justifiée désormais par un document authentique, — à savoir, que Marguerite Chalis, épouse de Bêrenger de Surville, eût des propriétés à Vesseaux ; lorsqu'on les confère, de plus, avec cette autre allégation donnée, d'une manière connexe à la précédente, par la même biographie : que c'est l'épouse de Bêrenger, de Surville qui est l'auteur des poésies dont il s'agit, allégation ayant à son appui les descriptions de lieu que renfermé le texte de ces oeuvres.
Indépendamment, en effet, des indications qui résultent de la tradition de Yesseaux, il en est une qui ressort topographiquement des poésies attribuées à Marguerite : c'est celle qui résulte des vers de cet auteur, où se trouve décrit le site du moulin de la Motte ou des Fargiers (I).
Nous ne doutons pas plus que nos lettrés, qu'en bien des lieux sur terre on ne voit prairie, canal et moulin. Mais nous trouvons étrange que l'Elégie sur la mort d'Héloysa, ce chef-d'oeuvre passablement supérieur aux pages de nos fins critiques, ait désigné, par leurs appellations mêmes, le « moulinet » datant de cinq ou six siècles et le « gros canal » nommé ainsi par opposition à deux ou trois autres, beaucoup plus petits (2), qui conduisent l'eau à des moulins situés au nord du principal village, et près desquels il n'y a jamais eu de prairie. Les dénégations de nos littérateurs ne nous rendent pas compte de ce fait.
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Elégie sur la mort d'Héloysa. Cf. Première partie. XIIe.
(2) Le « gros canal », dont il est question ici, a généralement, sur les cent quarante mètres de son parcours au bord de la prairie des Fargiers, une largeur d'environ 1m30, 1m50, ou 2m
Chacun des trois petits canaux situés au nord du village du Fort,, à 400 on 1000 mètres, n'a que 40 ou 50 centimètres de largeur.
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Nous ne leur reconnaissons pas même le droit de dire, en ajoutant une Invention historique à un sophisme littéraire, que « c'est Étienne de Surville qui a imaginé cela. »
La vie d'Étienne de Surville, que nous connaissons un peu mieux qu'eux, ne nous permet d'en croire absolument rien. Nous savons qu'en 1782, sa parenté, portant son nom, n'avait plus, depuis bientôt cinquante ans, la moindre parcelle de terrain à Vesseaux ; et les quelques notes qu'il abaissées, nous disent qu'il ne connaissait pas plus la topographie exacte du vallon de Vesseaux qu'il ne savait le nom précis de « Marguerite-Eléonore-Clotilde de Vallon-Chalys. »
Nous pensons aussi que si nos lettrés ne s'en étaient pas tenus, de parti pris, à des déclamations frivoles qu'ils élucubraient à Paris, avec la plus parfaite ignorance des documents du pays dont ils parlaient; s'ils avaient étudié tant soit peu les traditions et les archives locales, ils auraient acquis moins de renom sans doute qu'en lançant leurs idées sceptiques ou d'une chaire de Sorbonne ou dans quelques triomphantes Revues ; mais ils auraient moins flagellé la vérité, en s'érigeant, sans connaissance de cause, en superbes critiques et en historiens tranchants.
Voilà comment les traditions du lieu où Marguerite de Surville a passé sa vie, d'après une biographie que l'on suppose n'être qu'une « légende », viennent en appuyer le récit, en même temps qu'elles se montrent en concordance entière avec un acte notarié, retrouvé depuis peu.
Nous ne dirons rien de quelques autres traditions qui, encore au commencement de ce siècle, en divers lieux du bas-Vivarais, s'étaient transmises jusqu'alors dans certaines familles et y avaient conservé des chants — un peu du genre de quelques-uns de ceux de Marguerite — attribués ici à un poète du vieux temps, sans aucune désignation, là à une femme d'ailleurs inconnue. Quelques-uns môme disent
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que, parmi les chants ainsi répétés en tel ou tel endroit, étaient une ou deux poésies de notre auteur (1).
Ces vagues échos, qui manquent de précision et surtout d'origine certaine, ne sauraient servir de témoignage. Cependant, — nous ne le contestons point, — il a pu y avoir, dans ces rumeurs aujourd'hui effacées, une lointaine réminiscence de notre grand poète, le dernier souvenir d'une renommée qui disparaissait dans l'ombre du passé.
VI
Les descendants de Marguerite. Les trois branches de la famille de Surville. Les Surville de Vesseaux. Firmin de Snrville, petit-fils de Marguerite. Gonin et Guilhaume de Surville. Louis-Bèrenger de Surville. François de Surville. lean de Surville. Les Surville de la Ville-dieu.
Passons aux preuves généalogiques de l'existence, dans le Vivarais et notamment à Vesseaux, d'une famille descendant de Marguerite de Surville dont nous avons le contrat de mariage.
Cette famille se divisa en trois branches que fondèrent, à la fin du XVe siècle et dans le courant du XVIe un des petits-fils de Marguerite et deux de ses arrières-petits-fils. L'une de ces branches fut celle de Vesseaux ; l'autre, celle de Gras et la troisième, celle de La Villedieu.
Trois des fils de Jean et d'Héloysa demeurèrent à Vesseaux : Firmin, l'aîné, chef de la branche des Surville qui posséda les principaux domaines que Bérenger et Margue-
(1) C'est un ce ces souvenirs qu'ont rappelé deux lettres adressées, en 1863 et 1861, à M. de Watrépar M. Eugène Viliard, qui avait publie précédemment son livre intitulé : Clotilde de Vallon-Chatlis, cet ouvrage — nous tenons à le dire ici — est remarquable sous bien des rapports et fait honneur au talent littéraire de notre digne et citer compatriote. Toutefois, M. Viliard le déclaie lui-même, il n'a voulu écrire là qu'un roman.
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rite avaient eus dans cette partie du Vivarais ; Hugonin et Guy ou Guillaume.
Gonin (Hugonin ou Hugues) et Guillaume testèrent le 24 mat 1500 (1). Plus tard, le 20 avril 1515, Gonin acheta de Fulcrand Maurel, seigneur de Faugerolles, « 60 sols de rente avec leur directe à Vesseaux. »
Biaise, un autre fils de Jean et d'Héloysa, devint prieur d'Aps.
Firmin eut trois fils : Louis-Bérenger, Claude de la Mothe et de la More et Jean qui passa, le 23 juin 1509 (2), un compromis avec Antoine Bosse, seigneur de Sarjas, et dont l'un des fils fut héritier de Louis-Bérenger tandis que l'autre le devint de Claude de la Mothe.
Il eut aussi notamment une fille appelée Marguerite, en souvenir de sa grande aïeule qu'elle avait pu connaître dans son enfance.
Louis-Bérenger de Surville, l'aîné d'entre eux, reçut en 1514, du roi Louis XII, une « pension constituée sur les deniers du Vivarais. » Il eut pour héritier, vers 1533, son neveu François.
François de Surville eut trois fils notamment : Jean, Gabriel-Antoine sr d'Angely ou d'Angelin et Claude sr de Prelles.
Jean de Surville, l'aîné des trois, avait des rentes foncières dans le territoire d'Ucel et de St-Privat, vers la fin du XVIe siècle.
Gabriel-Antoine d'Angelin de Surville fut, à La Villedieu, le chef d'une autre branche de cette famille. Jacques d'Audigier, notaire royal à St-Germain, reçut pour lui di-
(1) Allègre nore. — Chacun d'eux est appelé, dans son testament, habitator loci et parrochioe Vessaacii. M. H. Vaschal de possède ces deux testaments originaux.
(2) Jacques Rochette.
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vers actes d'achat, mentionnés dans un registre spécial (1).
Ce fut peut-être Gabriel-Antoine, que Pierre Marcha, l'auteur des Commentaire dusoldat du Vivarais, désigna par ce sieur de Surville, qu'il montrait d'abord au siège de
(1) Ce registre est aux archives de départementales l'Ardèche (années 1597, 1898, 1600 à 1604)
Voici quelques indications sur celte branche, moins importante que les autres, sur les Surville de la Villedieu :
Gabriel-Antoine eut pour fils Guillaume-Hélie Angely (a) de Surville, enseigne au régiment de Montréal, en 1620, dans la guerre de religion qHi déchira 1» Vivarais à cette époque. 11 épousa sa cousine Marie-Ar-genson, des Salles près St-Maurice-Terlin ; il testa et mourut à Àubenas, le 31 décembre 1651. (Archives de Claude Chatubon, notaire à Aubenas.)
Guillaume-Hélie eut pour héritier son fils Jean-Baptiste d'Angelin de Surville, qui épousa â. Aubenas, le .19 janvier 1677, Jeanne Martine de Gordon, fille de Claude de Gordon de Boulogne, sr de Chàteauneuf, et de Gabrielle de Ginestous de la Tourrelte. (H. Deydier, iVbftces généalogique. Archives de Puecb,notaire.)
« En 1695, Jean-Baptiste de Surville était lieutenant de l'une des sept compagnies bourgeoises qui formèrent un régiment dont le commandement fut donné à Henri de Merle delaGorce, » (Id. id.)
Guillaume-Hélie eut un autre fils, Gabriel, qui devint prieur de St-Laurent-sotts-Koyron, assista comme témoin au mariage de Gabrielle de Gordon avec Louis Dusserre de la Rochelle, à Aubenas (Ancien registre d) Aubenas) et fut parrain à un baptême, à Gras, le 9 mai 1671. (Ancien registre de Gras.) ,
Quel était ce « Louis d'Angelvin de Surville, de la Villedieu », condamné comme faux noble, le 26 mars 1693, par Nicolas de Lamoignon (msc du Vivarais, à la Bibliothèque nationale, à Paris)? Etait-ce un ûls de Guillaume-Hélie, un de ses neveux ou l'un de ses cousins ?
(a) I! y a la plus grande irrégularité dans la manière dont ce nom est donné par les documents de l'epoque. Nous y lisons successivement : Angehj, Angelin, d Angelin, AmjeAvin, d'Angelvin.
Ceci peut donner à nos lecteurs une idée des variantes assez nombreuses qu'avait parfois le môme nom, dans ces localités,
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Vais, dirigé par le duo de Montmorency (1), et dont il mentionnait ensuite la mort dans un combat, près de Rochecolombe, contre les huguenots de la Gorce. (2).
VII
Claude de Surrille de Prelles. Corn poix de Vesseaux de 1605. Les deux Louis de Surville. Claude de Surrille. Çompoixde Vesseaux de 16S8. Jcan-neptiste de Surville. Marianne de Surville et son époux Louis de Malban. Etienne Thomas. Confirmation partielle de la première biographie de Marguerite par l'histoire des Surville de Vesseaux,
CLAJDE DE SURVILLE sieur de Prelles et le troisième des fils de François, habita à Vesseaux, comme son frère aîné Jean.
A cette époque les documents abondent sur la famille de Surville.
C'est alors, au commencement du XVIIe siècle, que fut dressé l'ancien Compoix de la communauté de Vesseaux (3).
Sous le chef de : Claude de Prelos, sieur de Surville,
(1) « Le sieur de Lanas (Gaspard de Balazuc) fut aussi blessé d'une mousquetade à la tète; el ic sieur de surville, d'une au bras, le tout sans danger. »
Commentaires du soldat du Vivarais, Liv. 1er, page 40. Edit 1811.
(2) « Environ ce temps-là (en 1621), le sieur de Surville fut tué d'une mousquetade, en suivant avec le sieur de Lanas la garnison de la Gorce qui était venue courra du côté de Rochecolombe. Il fui fort regretté pour être vieux et vaillant capitaine.
Id. page 82.
(3) Msc sur velin, formant un volume grand in-quarto, de 500 frs.
Ce compoix, établi en 1808, indique au premier feuillet, par une note un peu moins ancienne, que « M. de Surville y avoit fait opposition, lors de la faction dud cadastre, pour certain fonds qu'il pretendoit noble. »
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ce document indique vingt-deux immeubles — maisons, jardins, prés, vignes, terres, bois, davés et essards, — appartenant à cette famille.
Ces immeubles étaient situés : au Fort de Vesseaux (1), à Vesseaux (2), aux Chabert (3), à las Roules (4), au Peyrrn (5), à las Faysses (6), au Chalou (7), au Bos del Fez (8), à Violofollo (9), aux Baratiers (10), â la Bla-cheyre (11), au Base (12), à Bromofon (13), à Baumelle (14), au Coulet de la Bouysse (15), aux Combes (16), au Cros de Séveyrac (17) et à Marconnave (18).
Par le relevé de ces propriétés, on voit que la famille de Surville, de Vesseaux, tenait toujours son rang dans la petite noblesse.
Claude de Surville sr de Prelles épousa sa cousine Ysabeau de Surville, dont il eut un fils, Louis, et une fille, Françoise, qui s'allia, le 13 octobre 1600, à Jacques de Burine de Tournais (19).
Louis DE SURVILLE, fils de Claude et son héritier, épousa Marie Argenson, des Salles près St-Maurice d'Ardèche,
(1) Compoix etc. 3901. — (S) Id. 3905. — (3) Id. 3906, 3915. — (4) Id. 3903.—(S) Id. 3909.—(6) Id. 3910.—(7) Id. 3914.—(8) Id. 3913.—(9) Id. 3914. —(10) Id. 3916.—(Il) Id. 3917, 3918.—(14) Id. 3919.—(13) Id. 3940.—(14) Id. 3941.—(15) Id. 3944.—(16) Id. 3944. — (17) Id. 3945.—(18) Id. 3933.
Mareonnave est un village de la commune de st-Julien-du-Serre, à 9 kilomètres de Vesseaux.
(19) Mariage de noble Jacques de Tournais, fils et hérytier de noble Gillibert de Burine dict de Tournais et de damlle Suzanne de Sanhard, et damlle françoyse de Surville, filhe à noble Claude de Prelles et damlle Isabeau de Surville, du lieu de Vesseaux, du 13 octobre 1600, receu Manson notere. »
Desnombrement des papiers et docaments — soubz le nom de Burine de Tournais. Msc. de 1636.
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dont il eut deux fils, Louis et Jean-Pierre, et deux filles, Jeanne et Marie.
Louis SE SURVILLE, fils ainé de Louis et de Marie Argenson, épousa d'abord Anthoinette de Malhan, sr de Lachamp manoir situé sur la montagne qui domine le Fort de Vesseaux. Il épousa, en secondes noces, Anne d'Ucel, fille de César d'Ucel, seigneur de Craux, dont le château du XVIe siècle existe encore sur les hauteurs voisines de Genestelle.
De son premier mariage, Louis de Surville eût un fils nommé Claude ; de son second mariage, naquirent deux fils, Louis (1) et Gratien (2), et trois fillfes, Marie (3), Catherine (4) et Anthoinette (5).
(I) Voici quelques extraits de l'ancien registre de la parolssede Fesseaux, relatifs à divers membres de la famille de Surville :
« 1635 et le 7 d'apvril a este baptisé M. Louys de Surville fils de monsieur Louys de Surville et de damoyseile Anne du Sel (d'Ucel). Le parin a este Monsieur Louys de Malhan et la merrine Jeanne de Surville
« par moy Liotaud, Vicaire. » (2) « Le second de mars de l'année mil six cent quarante-cinq a este baptizé Gratian de Surville, fils de M. Louys de Surville et de Dalle Anne Craux mariés, naquit le 16 janvier de laditle année. Son parin M. Louys de Surville et la marrine damlle Anthoinette de Surville. »
(3) « 1635 et le quinse du mois de Xbre a este baptisée noble Marie de Surville âgée de (en blanc) année, Bile de monsieur noble Louys de Surville et de damoyselle Anne du Sel (d'Ucel) de la maison de Craux. Le parin a este monsieur Claude de Surrilie et la marine damoyselle de Surville.
« par moy, Liotaud vie. »
(4) « 1637 et le Xme de Jn (juin) a esté baptisee Damoyseile Catharine de Surville, Bile de Monsieur Louys de Surville et damoyselle Anne de Craux. Le parrin a este Jean-Pierre de Survllle, sa merrine damoyselle de Surville
« par moy Liotaud vie. »
(5) « Mil six cens quarante et le vingliesme jour du mois de may a este baptisée Anthonette de Surville, fille de monsieur noble Louys de Surville et de dadomoyselle Anne du Sel. Le parin a este Monsieur Guilhaume de Surville, la merrine damlle Marie de Surville
« par moy Liotaud vie. »
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Louis de Sur ville mourut à Vesseaux le 23 juillet 1646, et il y « fut enseveli dans le lieu de sépulture de ses pères» (1) Son fils Louis devint prieur de St-Laurent-en-Koyron, après son cousin d'Angelvin de Surville, de La Villedieu.
CLAUDE DE SURVILLE fut alors le principal représentant dé sa famille à Vesseaux.
Le Compoix de la paroisse de Vesseaux de 1658 (2), établi à cette époque, énumère vingt immeubles appartenant aux « hoirs de noble Louys de Surville » et soumis à la taille dont « le présagé » c'est-à-dire la base contributive, est pour ces divers articles, « somme tout, deux livres trois sols deux deniers pitte trois quarts. » ;
(1) Ancien registre de Vesseaux.
(2) Msc. formant en énorme volume in-folio de 16-940 pages sur « papier razin » et sous ce titre ; Compoix et cadastre de la parre (parroisse) de Vesseaux.
Le msc. commence ainsi : « Au nom de Dieu soit font faict. Amen. « C'est le compoix et cadastre de la parroisse de Vesseaux, faict par nous Jacques Malhet et David Fargier prudbommes et arpenteurs du mandement et baronnie de Bouloigne... »
Il donne ainsi les mesures de comparaison que l'on y a adoptées pour les diverses qualités d'immeubles :
a Tables des degrés el quallités du terroir de la parroisse et tailliabi-lité de Vesseaux, qui out été réglées et observées au présagé des terres et propriétés contenues au présent livre de compoix... estant les degrés ez nombre de huict :
« Premièrement, la cesterée (l'espace ou se répand un cestier de semence) du premier degré compozée de six cent vingt cinq cannes carrées, mesure de Montpellier, — le cestier de quatre carierons (ou quartes), le carterong de quatre boysseaux, — a esté cotizé et présagé trois sols, cy Hj s. La cesteree du second degré, deux sols, cy ij s.
« La cesterée du troisiesme degré, un g sol, cy j s.
« La cesteréa du quatriesme degré, six deniers, cy vi d. « La cesterée du cinquiesme degré, trois deniers, cy uj d. « La cesterée du sixiesme degré, ung denier, cy j d.
La cesterée du septiesme degré, obolle, cy ob. « La cestorée du huictiesme et dernier degré, pitte, cy p.
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Ces immeubles sont d'ailleurs, en général, les mêmes que ceux qu'avait indiqués le compoix précédent. »
Claude devint juge de la baronnie de Boulogne, dont le château si imposant, en partie démantelé après l'exécution, au Pont St-Esprit, de Claude de Hautefort de Lestrange complice de la révolte de Gaston d'Orléans, élevait le reste de ses constructions hardies dans un lieu sauvage, sur un affluent du Luol, à deux lieues de Vesseaux.
Claude de Surville avait épousé, le 1er septembre 1658, Blanche d'Auriple, d'Aubenas ; il en eut un fils, Jean-Baptiste, né en 1662, et deux filles : Marianne, née en 1660, et Marguerite, née en 1663 (1).
Nous voyons Claude de Surville assister comme témoin à un mariage (2), et comme parrain à trois baptêmes (3).
JEAN-BAPTISTE DE SURVILLE, son fils, ne se maria pas. Nous le voyons comme témoin à deux mariages, (3), notamment à celui de Claude-Louis de Malhan dont plus tard sa soeur Marianne devait épouser le neveu Louis.
(1) Id. Ancien registre de Vesseaux.
(2) id. — Voici l'extrait du registre, qui concerne ce mariage ; on y verra un spécimen du style de ces documents :
« L'an mil six cens huitante et le dixiesme iour du mois d'octobre, dans l'esglise de céans, mariage a esté célébré entre M. Jean Champagnet, fils de Guilhaume et Dlle Marie Dumas, practicien du lieu de St-Andéol de Bourlenc, et M,,e Suzanne Denès, du lieu du Fort, parroisse de Vesseaux, fille de feu Claude Denès notaire royal et Mlle Elisabeth Lateulle, du consentement de M. Pierre Dupuy prieur de St-Andeol, ayant obtenu la dispense des trois bannizations de M. le grand vicaire et ni seuchant aucun empeschement canonique ; présents Claude de Surville, juge de la baronnie de Balongne, du lieu du fort et parroisse de Vesseaux, M. Jean-Baptiste de Surville, son fils Etienne Faure, paysan, du lieu de For ton parroisse de Freyssenet ; interpellés de signer, Jean Champagnet, les susdits M. de Surville père et fils et le susdit Etienne Faure ont déclaré scavoir le faire, et les autres ont déclaré ne scavoir
« par moy curé soussigné Signé : De Surville (sans signature)
Signé : Champanhet.
(3) Ancien registre de Vesseaux.
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Jean-Baptiste de Surville mourut à Vesseaux, le 17 mars 1712.
Marguerite, l'une de ses deux soeurs, était morte, sans s'être mariée non plus, le 28 juin 1693.
MARIANNE, son autre soeur, restée seule héritière des biens de Claude de Survillé, épousa, le 27 septembre 1712, Louis de Malhan, fils de François de Malhan, sr de Lachamp.
Elle mourut à Vesseaux, sans laisser d'enfants, le 15 mai 1735. Son mari, héritier de sa fortune, se remaria bientôt après avec Blanche d'Auriple, qui, devenue veuve le 3 février 1750 (1), alla se fixer à Aubenas et vendit ses propriétés de Vesseaux.
Un cousin de Jean-Baptiste de Surville, Étienne Thomas, du Feschet, déjà héritier de quelques-uns des immeubles de la famille de Surville, acquit la plupart des autres, peu de temps après le décès de Louis de Malhan. C'est pour cela que certaines de ces propriétés — ancienne prairie ou vignes, — portent encore dans la localité le nom de Thomas et le nom de Surville.
A la mort d'Étienne Thomas, le 19 août 1781 (2), ces propriétés passèrent en partie, par succession, à la famille Villedieu.
Les renseignements que nous venons de donner sur cette branche de la famille de Surville et qui nous ont été fournis par l'ancien registre de Vesseaux (3), par celui d'Aubenas, par des archives notariales ou par des papiers de famille, sont loin d'être indifférents en ce qui concerne le sujet principal de ce livre.
Ils présentent une concordance non seulement avec l'acte
(1) Ancien registre de la paroisse de Vesseaux.
(2) Id.
(3) Ce registre contient quinze indications relatives ans Surville, de Vesseaux.
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notarié de Me Antoine de Brion, mais aussi avec la première biographie de Marguerite de Surviile.
Ils montrent que cette biographie, dont la critique s'est contentée de sourire, «ut, dans une de ses principales affirmations — l'existence, depuis le XVe siècle, d'une famille de Surville, à Vesseaux, — un fondement plus sérieux que l'on ne supposait. Ils confirment cette biographie, à leur manière ; et, à ce point de vue, ils ont leur importance historique.
VIII
les Surville de Gras. Ils descendent de Beranger et de Marguerite.
Claude de Surville de la Mothe. Les deux Antoine de Surville.
Arrivons à l'autre branche de la famille de Surville, à la branche de Gros, de Malaval et des Hermossènes.
Et d'abord qu'est ce qui prouve que cette branche se rattache aux Surville de Vesseaux et qu'elle descend ainsi de Marguerite ?
Ce qui le prouve péremptoirement, c'est le fait que des poésies, produites par desmembres de cette famille de Gras, aient été attribuées par eux à l'une de leurs aïeules, alors inconnue, à Marguerite femme de Bèrenger de Surville et marte à Pesseaux ; et c'est la constatation ultérieure de l'existence de Bérenger et de Marguerite, dans les conditions historiques ainsi affirmées, par le registre d'Antoine de Brion, de 1428, et par le Terrier du prieuré de Pesseaux, de 1472.
Une allégation paraissant d'abord aussi problématique et jugée comme imaginaire, puis confirmée d'une manière aussi positive par des documents inattendus, perte avec elle un caractère de certitude, quant à la filiation qu'elle constate.
Firmin de Surville, de Vesseaux, petit-fils de Bérenger et de Marguerite, fut (1) père de CLAUDE DE SURVILLE, sei-
(1) V. supr. Seconde partie, VI.
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gneur de te Mothe, conseigueur de Gras et de St-Montan, qui testa le 30 septembre 1535 (1).
Comment se fit-il que Claude de Surville de la Mothe se trouva, quelques années après la mort de Marguerite, seigneur d'une localité du Vivarais, dans laquelle ni Bérenger ni son épouse n'avaient eu aucun domaine que nous sachions ? Nous ne pouvons, à ce sujet, que formuler des conjectures. Voici celles qui nous paraissent vraisemblables.
Il y a, sur le bord de l'Auzon, affluent de l'Ardèche, environ
environ dix. kilomètres de Vesseaux, un petit Village appelé la Mothe ou la Motte, qui faisait partie, au XVe siècle, de la paroisse de St-Laurent-sous-Koyron. Et, à un quart de lieue de là, entre l'Auzon et St-Laurent, il y a un vieux hameau appelé la More ou le More.
Soit que la famille Chalis, qui avait des propriétés dans les territoires de St-Laurent, pût justifier d'un titre de seigneurie sur la Mothe et la More, soit que celui des petits-fils de Marguerite qui devint possesseur des domaines qu'avait sa famille dans cette localité, eut acquis ce titre sur le bord de l'Auzon, toujours est-il que Claude de Surville devenait au commencement du XVIe siècle, seigneur de te Mothe, et semble-t-il aussi de la More, alors que son frère Louis-Bérenger héritait du domaine paternel de Vesseaux.
Claude de la Mothe acquit ensuite, par mariage ou par achat, — sans que nous puissions le préciser, — la seigneurie des Hermessènes, avec la conseigneurie de Gras et de St-Montan, situés dans cette partie du Vivarais (2). C'est
(1) Jugement de noblesse de François de Surville, du 3 mai 1669.
(Archives départementales de i'Ardècbe.)
Voir, aux Documents justificatifs, VI, cette pièce important, pour l'histoire des Surville.
(2) Les Hermessènes ne sont qu'à 12 kilomètres environ de la Mothe ; Gras en est éloigné de près de 20 kilomètres.
Il est remarquable que la légende de Vesseaux, relative à Bérenger de Surville (Cf. supr. IV.) lui attribue une seigneurie non mentionnée par Etienne de Surville, la seigneurie de Saint-Montan dont quelques-uns de ses descendants furent positivement conseigneurs.
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avec ces qualités que nous le voyons figurer de 1526 à 1535.
II testa le 30 septembre 1535 (1), et, dans ce testament, institua pour son héritier Antoine, son neveu, fils de son frère Jean. » ,
ANTOINE DE SURVILLE, conseigneur de Gras et de Saint-Montan (3) acheta le 10 mai 1539, de Joachim de Comps (3), le domaine de Malaval, que ses descendants conservèrent jusqu'à l'époque de la Révolution.
Cette acquisition qui allait flatter, pendant plus de deux siècles, la vanité nobiliaire des Surville, en faisant d'eux les « seigneurs de Malaval », devait aussi leur susciter
(1) Jugement de noblesse de François de Surville, du 3 mai 1669. (Archives départementales de l'Ardèche). .
Mémoire pour les consuls de Gras contre Madame de Malaval. Esc. de 1688. (Archives de Gras.)
Ce mémoire s'exprime ainsi :
« Environ 1830, noble Claude Mothe (de la Mothe), seigneur de Gras, bailba la seigneurie dudit lieu et des Hermessènes à noble Anthoine de Surville, bisayeul de la dame de Malaval, partie adverse. »
On pourrait croire, d'après ce texte, qu'il est question de la seigneurie principale de Gras. Mais ce qui prouve qu'il ne s'agit ici que de la conseigneurie de celle localité, la seule que les Surville aient eue, c'est que Jean de Surville, arrière-petit-neveu de Claude, est également appelé dans ce mémoire seigneur de Gras, bien qu'il soit absolument certain qu'il n'en fût que conseigneur. Il faut donc lire ici, comme s'exprimait Jean de Surville : t seigneur en partie de Gras.
Dans ce jugement de noblesse de François de Surville, Claude de la Mothe est appelé conseigneur de Gras.
(3) Jugement de noblesse de François de Surville. Ce document nomme Antoine, tantôt seigneur et tantôt conseigneur de Gras. Le Mémoire pour les consuls de Gras l'appelle « seigneur de Gras. » Nous venons de dire, dans la note précédente, comment on doit entendre cette qualification.
(3) « 1839. Ledit noble Anthoine Joachim de Comps vandit son domaine de Malaval à noble Anthoine de Surville, seigneur de Gras. » (Mémoire pour les consuls de Gras. — Voir aussi Arrest de la Cour des comptes, agdes, et finances de Montpellier contre noble François. de Surville. Du 6 may 1671. Msc. parchemin.
(Archives de Gras.)
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bien des difficultés. Elle portait, en effet, sur un immeuble qui était non pas noble, mais roturier et soumis à la taille.
Joachim de Comps avait bien, il est vrai, « vandu à An- « thoine de Surville son domaine de Malaval, franc noble, « exempt de talhes et d'impozitions, » (1) ; et cela, « avec la « promesse de luy estre de toute évition et garantie » (2). Mais, depuis cent ans déjà, la communauté de Gras avait eu, au sujet de cet immeuble, des démêlés avec les sieurs de Comps ; et gain de cause, sinon sommes dues,était resté aux consuls de Gras.
La propriété de Malaval qu'Antoine de Surville achetait 526 livres et qui consistait « en la grand Madière, la Trape et Challantier, grand et petit » (3) avait payé la taille jusqu'en 1422.
En 1444, un procès avait eu lieu entre Philippe de Comps, possesseur de ce domaine et les procureurs ou consuls de Gras affirmant « la ruralité de ce fonds » et réclamant des arrérages de tailles de 22 ans. L'affaire avait été remise à la décision de deux arbitres : M. de Vogué, choisi par le sieur de Comps, et le sieur de St-Remèze, appelé par la communauté de Gras. Les arbitres avaient déclaré le fonds roturier et décidé qu'il contribuerait à toutes les impositions qui se feraient dans le mandement (4).
« En 1447, faute de payement des talhes deubz par le sieur de Comps » (5), une saisie de « huict cestiers de froment lui appartenant » (6), avait été faite, à l'instance des consuls de Gras.
(I) Mémoire pour les commis de Gras. V. infr. X, la description cadastrale de ces propriétés.
(2) Mémoire, etc.
(3) Mémoire, etc.
(4) Mémoire, etc.
(5) Mémoire, etc. (6) Mémoire, etc.
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En 1455, un nouveau procès avait amené une nouvelle condamnation de Philippe de Comps.
En 1498, Louis de Comps, fils de Philippe, s'était fiait drainer, par pression et par ruse, une quittance des consuls, pour les tailles de cet immeuble restées dues depuis 1455(1).
Depuis 1498, aucune imposition n'avait été payée, malgré les réclamations toujours éludées de la communauté de Gras.
C'est dans ces conditions que le domaine de Malaval arrivait, en 1539, à Antoine de Surville.
Antoine dénombra au roi en 1539, le 13 octobre 1541 (2) et le 3 mars 1543 (3).
En 1543, après la mort de Joachim de Comps, Anne, sa fille unique et son gendre « noble Jean de Beaumont, » « se pourveurent contre la vante qui avoit esté faite par led. feu Joachim au sr de Surville (4). » Antoine compta à ces nouveaux réclamanst un surplus de 434 livres « pour la plus value desdits tenemens de Malaval, la Madière, Challantier et la « Trape (5) » ; et les dits mariés s'engagèrent de
(1) Mémoire pour les consuls de Gras
(2) Arrest de la Cour des comptes, aydes et finances de Montpellier contre Françoys de Surville, Voir aussi le Jugement de noblesse de François de Surville.
(3) Sur le premier feuillet, aux trois quarts déchiré, du compoix de Gras de 1393, on lit cette note marginale, écrite quelques années après la rédaction du compoix
« Le dimanche vingt sixiesme d'apvril mil six cent quinze, noble Jehan de Surville seigneur en partie de Gras a exibé à Claude Delauzun et à Sebastien Helly consuls de Gras le desnombrement faict au Roy par feu noble Anthoine de Surville son ayeul, eu l'année mil cinq cent quarante deux et le troisiesme de mars, signé par extrait Pasqualiu Ruffi ; et, suivant icelluy desnombrement, la maison et es table dessus escriptz, présagé quinze sols quatre deniers, sont deselarés nobles avec le moulin... Lesdits consuls — ont confirmé. »
(4) Mémoire pour les consuls de Gras. — Arrestt etc.
(5) Arrest de la Cour des comptes de Montpellier con/rè François de Surville,
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plus-fort à le luy faire fouir noblement et luy estre de, toute evition en cas de recherche. (1)
Antoine fit d'autres acquisitions d'immeubles dans le mandement de Gras, le 14 mars 1549 et le 4 janvier 1555 (2). Le 13 janvier 1555, il épousa Mathurine Bègue (Mathine Bege) (3), dont il eut entre autres un fils nommé aussi Antoine. Il testa, en juin 1558 (4)
ANTOINE DE SURVILLE, son dis aîné, épousa le 19 mars - 1586, Catherine de Labeau-Berard (5), fille de noble LabéauBerard et de Jeanne de La Font (6). Il en eût notamment deux fils, dont l'ainé fut Jean de Surville et dont l'autre fut tué en Languedoc, dans la guerre contre les huguenots sous Louis XIII.
Antoine testa le 26 janvier 1596 (7), et, dans ce testament, institua son fils Jean pour son héritier.
IX
Paysage du Midi, pas ; la Dend'Arés ; les bords de la Nègue et de l'ibie.
Décrivons ici, en quelques mots, le paysage au milieu duquels est écoulée, pendant des générations, l'existence de la famille qui nous occupe en ce moment.
Gras est un petit bourg caché dans le massif montagneux
(1) Mémoire pour les consuls des Gras — Arrest, etc.
(3) Jugement de noblesse de Franois de Surville :
Autre contrat d'acatoine, dans lequel, il
rend la qualité de noble et de monseigneur de Gras et de Saint-Monin,
Saint-Monin, 4 janvier 1555, raçon et expedie par Delmotte nore
(3) Jugement de nobl
(4) Jugement de nobh
(5) Jugement de noblesse, etc.
(6) D'Hozier. Armoriai général de la France. Begistre 1er, 2e. partie.
(7) Jugement de noblesse, etc.
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qui, eu face de Donzère et de Bourg-St-Andéol, sépare le bassin du Rhône de celui de l'Ardèche. " Ce bourg ou, pour mieux dire, ce village est perché sur un rocher calcaire faisant à son sommet une étroite plateforme à près de 400 mètres d'altitude. La Nègue, torrent sinueux et parfois desséché, coule au fond d'un, abîme creusé au levant et au midi et ayant pour parois, sur l'autre bord, des rochers encore plus élevés et plus abruptes,
Des montagnes, d'une pente rapide, s'étagent au-dessus du bourg jusqu'à la Dend'Arès, ce mont de la solitude qui, du haut de ses 1100 mètres, domine un horizon désolé.
La chaîne, dont la Dend'Arès est la plus haute ,cime, court de là au nord-est jusqu'au mont Juliau qui se dresse au-dessus de l'Escoutay. Elle laisse au levant, un dédale de ravins et de précipices au milieu duquel Gras montre ses ruines, son clocher, son antique cimetière de Saint-Blaise et ses vieilles maisons. Elle laisse, au couchant, les escarpements bien plus sauvages qui, vers Malaval et les Hermessènes, s'en vont jusqu'à l'Ibie, une des rivières de l'ancienne Helvie qui rappellent le mieux les cours d'eau solitaires de la Grèce, dans les lieux déserts qu'elle traverse, vers les défilés de Baravon, avant de se terminer près du Pont-d'Arc.
La physionomie de ce petit bourg a dû très-peu changer depuis des siècles. Le paysage, des plus tourmentés, y a les teintes jaunes et blanches d'un sol néocomien.
Gras est resté jusqu'à présent, un pays de foi et de moeurs antiques ; et sous se rapport, de beaucoup le plus important pour un peuple, cette contrée, si caractérisée à tous égards, est une des meilleures de France et surtout du Midi.
Les principales cultures du lieu sont les céréales, la vigne, l'amandier et le mûrier. Les sommets, jadis couverts de forêts, ont encore quelques restes de leurs grands bois de genevriers, de chênes rouvres et de chênes-verts.
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C'est dans cet horizon, à la fois lumineux et séyére, et vraiment méridional, que les Surville avaient leurs domaines.
X
Lecampoix de Gras de 1593 ou 1598. Les domaines des Surville, de Gras. Malaval et les Hermessènes.
Le Compoix de la communauté de Gras (1) établi en 1593 ou 1598, à l'époque où nous sommes arrivé, indique les nombreux immeubles que les Surville possédaient dans « le mandement » de ce bourg.
C'étaient d'abord les « debvois tenus pour nobles et non tailhables » (2), bien que par erreur, et qui étaient au nombre de quatre, savoir :
Le « tenement » de Malaval; celui de Challantyé ou Challantier ; celui de la Trape et de la Bru de Ravel, et celui du Chastelas, tous les quatre limitrophes.
La propriété de Malaval (3) ou Mallaval et les autres qu
(I) Un très-fort manuscrit in-folio sur yélin, d'une exécution des plus remarquables, un vrai chef-d'oeuvre ou genre qui mérite que l'on veille h sa conservation plus que l'on ne l'a fait jusqu'ici. Le feuille' indiquant l'année où fut dressé ce compoix a été déchiré ; mais nous en trouvons la date dans ces mots de l'Arrest de la cour des comptes de Montpellier contre François de Surville : « Veu autre extrait du compoix fait aud lieu de Gras en l'année mil cinq cens quatre ving ts treize. Malgré cela, nous présumons que ce compoix est plutôt de 1598.
(1) Voir, supr. VIII et infr, XIV, les contestations séculaires élevées sur la ruralité de Malaval, entre les propriétaires successifs de ce « tenement » et la communauté de Gras.
(3) Mola vallis, mauvaise vallée. Ce devait être, en effet, au XVe siècle, un des lieux à la fois les plus sauvage3 et les plus dangereux pour les voyageurs du chemin royal qui passait là à cette époque.
Cetto propriété, appelée Malaval ou Mallavai dans les actes publics et dans le langage de la localité, était nommée aussi, par corruption Manaval, comme l'écrit d'Hozier (Armorial général de la France, Registre 1er, 2e partie). Le Jugement de noblesse de François de Sur¬
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l'a voisinaient consistaient en paturages et en bois de chênes. Elles étaient sur les pentes des gorgés profondes qui sillonnent l'horizon désert s'étendant au pied de la Dend
ville porte, par erreur, Maraval. Les Survilte signalent : sieurs ou seigneurs de Malaval.
Le tellement de Malaval était supposé noble, à l'époque où fut dressé le compoix de Gros de 1593 ou 1598.
Voici ce qui le concerne dans ce compoix : — 72.
« Premièrement dudict sieur de Surville, pour son tenement de debvois, grange au dedans, appelé Mallaval et la grand Madieire, leque se confronte du levant avec le debvois des Cbambdns, de Goigno, du couchant le debvois du sieur de Vallon, appelé Varrau et Challantye, de bize avec le boys de Cbantayre et, la propriété cominunalle, du vent marin le chemin royal (a) et vallat ; contenant le tout trente six saulmees... Aprecyè six livres sept soûls. Cy vj 1. vij s.
— 73.
« Item pour le clos soubz Challantye ; confron du levant avec le procedent tenement de Mallaval, vallat entre deux, du couchant et ' marin le chemin royal,' de bize avec le debvois du sieur de Vallon ; conten troys saulmées... Aprecyé seize sonls. Cy xvj s.
« — 74.
Item pour autre tenement de debvois acquis du sieur de
(déchiré.)
« — 75.
« Item... (déchiré.)
Voici, pour ces quatre « tenements », dont les limites des deux derniers nous seraient inconnus par suite des détériorations du vieux compoix, un « extrait du cadastre et compoix terrier. du lieu de Gras de l'année 1656 », extrait fait par les consuls de Gras en 1693 :
« Noble Jean de Surville.
« Premièrement un tenement à Malaval, où y a grange et devois, appelle la Madiere et le clos de Challantier et autres petits,coings de terre proche lad grange, le tout confrontant du levant devois des hoirs mre Jean Deschambons, du couchant le chemin royal et le vallat
(a) Ce chemin avait été créé au XIV.e siècle, pour relier Villeneave-de-Berg, ville royale el chef-lieu de bailliage, à Villeneuve-lès-Avignon et Beaucaire, par le Pont-Saint Esprit.
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Arès et du côté du nord. Ces bois ont été presque entièrement, dévastés depuis un demi-siècle ; il ne reste plus là qu'une morne solitude.
de Gardon, de bize le devois de Serrau et le devois de la communauté appelle Chantayre et autre devois du sr Deschambons pre (prêre), du marin le devois de lad comunaute appelle la Madiere et le chemin royal ; contient-le tout huitante huit salmees, sçavoir deux boisseaux première valleur, trois cestiers deux boisseaux de la seconde, dix salmées de la. troisième, dix salmées moyen d'icelle, quatorze salmées de la quatrième, vingt salmées moyen d'icelle, dix boit salmées de la cinquième, quinze salmées trois cestiers moyen d'icelle. Estimé six livres quatorze sols six déniers. Cy vj 1, XIIIj s. vi d.
Item autre tenemerit, illec près, appellè la Trape, la Bru de Ravel, Chastellas, Donneze et Serresusclat (Serusclat ou Saresclet), confrontant du levant devois. et terre, des bo. m" Jean Deschambons, appela le Chadenas, ayant este du corps de lad piece de terre labourive et chainier d'Antoine Terasse ; du couchant devois des Salelles appelle bois sauvage et pieces de Combebelle et autres pièces desd habitants des Salelles "appelle terre de las bonites; de bize le vallat de Gardon et le chemin royal ; du marin devois des ho. Jean Desobambons appelle Baravon, le ruisseau de Fontbelle entre deux ; contenant deux cens dix salipées, distrait les rochers et terres infertilles, sçavoir cinq salmées troizième valeur, vingt cinq salmées moyen d'icélle, vingt cinq salmées de la quatrième, vingt cinq salmées moyen d'icelle, quarante quatre salmées de la cinquième, quarante quatre salmées moyen d'icelle, soixante deux salmées de la sixième ou moyen d'icelle. Estimé huit livres seize sols onze deniers. Cy vuj 1. XVI s. XI d. »
Après avoir inscrit, dans le compoix de Gras de 1593, les terres présumées « nobles » de Malaval et autres lieux, les rédacteurs de ce cadastre des propriétés taillables ont mis cet « Avertissement. »
« NOTA. Que les pièces de debvois prescriptes (estant des sieurs de Surville, de Beautmont et de Vallon) comme, après ey dernier, ces dix articles (sçavoir, dudit sieur de Surville quatre articles, dudit sieur de Beaumont quatre articles, dudit sieur de Vallon deux articles) ne sont este mys ni enregistres au présent Livre que pour conserver la fondeur et lymittes du terroir et mandement du présent lieu, combien qu'ils soient tenus pour nobles et non tailhables..
D'après la note marginale que nous avons empruntée an compoix de Bras de 1893 (supr. yui, page 9(1) il faut ajouter à ces quatre propriétés alors réputées nobles de la famille de Surville, la t maison a
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La grange de Malaval, dont des parties anciennes sont intactes, n'est qu'une ferme des plus rustiques.: Elle est située sur un flanc de montagne d'une grande déclivité ; environ à cent mètres au-dessus d'un ruisseau, le Gardon, affluent de l'Ibie dans laquelle il va se jeter à une lieue de là, au village des Satelles. Cette grange est à peu près à neuf kilomètres de Gras, et à dix kilomètres de St-Maurice d'Ibie.
Une autre vaste propriété des Surville, en dehors du « mandement » de Gras, bien qu'assez voisiné de, ce bourg, c'étaient les Hermessènes (1), pacages et chênaies à deux lieues au nord de Malaval. Les Hermessènes sont aussi dans un de ces ravins dont les eaux roulent vers l'Ibie. Elles sont environ à huit kilomètres de Gras et à six kilomètres de St-Maurice-d'Ibie.
Puis venaient, soit à Gras soit dans des localités rapprochées de là, les autres propriétés talllables de Jean de Surville : deux maisons et « chazals », outre sa maison, principale, et cinquante-deux autres immeubles " dans le voisinage, à « Lacham », à « Tueix », aux Raynouards », au « Pont de Naval », à « l'hermitage de St-Vincent », au « Prat », à « la Calade », à « la Rouveyrolle », aux « hubacs de St-Blaise », à « Boucharie » (2).
situés à Gras, « Vestable i proche de la maison, et le s moulin » sur la Nègue, à trois kilomètres au levant du village.
(1). Le Jugement de noblesse de François de Surville porte les Armassènes ; d'Hozier (Armorial général de la France) dit les Hermestènes.
Le nom des Hermessènes (d'Hermès, Mercure) est un de ceux que les Phocéens de Massalia avaient importés dans l'Helvie, qui forma depuis une partie du Vivarais. Les Phocéens avaient établi, tout près de là, des emporiums ou comptoirs commerciaux, à l'embouchure de l'Ardèche (aujourd'hui le Pont-St-Esprit) et a Mêlas. Le nom de la haute montagne la DentTArès (dendrôn Afès, lieu planté d'arbres, consacré à Arès ou à Mars), qui s'éléve au-dessus de Gras et de Malaval nous paraît aussi d'origine grêcque.
(2) Vieux compoix de Gras.
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Ces diverses Kropriétés ; consistaient en jardins, prairies, vignes, terres labourables, granges, « devois » et « hermures.
Jean de Surville. Renseignements historiques sur sa vie.
Son caractère.
Jean de Surville, fils d'Antoine et son successeur dans la seigneurie de Malaval et des Hermessènes, épousa le 26 mars 1613, Blandiné de Boni (1), fille de Pierre de Boni, sr de Larnac et Trothas, et de Cathèriné de Porcelet.
Le 4 juin 1614, il fit hommage de toutes les propriétés nobles qu'il possédait et spécialement de Malaval, au baron" de Balazuc, seigneur, de Gras (2). Le 8 novembre 1619, il fit « semblable hommage ». ou plutôt hommage d'arrière-fief « au seigneur Jéan de l'Hostel, évesque die Viviers » (3), qui avait suzeraineté sur la plupart des seigneuries du basVivarais.
Le 6 décembre 1621, Jean de Surville seigneur des Ernessènes et de Malaval », fit à la communauté de Gras, en la personne des consuls, un prêt de 640 livres en « pistolles d'Espaigne » et.« bonne monoyei » (4)
Il se conduisit, noblement alors, dans la guerre civile qui désolait le Vivarais. Il déploya de l'énergie contré la révolte
(I) D'Hozier, Armoria! général de la France, Registre 1", 3' partie ; d'après les documents authentiques produits en 1687, par Jean-Joseph de Surville, petit-fils de Jean de Surville. On lit : de Bony,dansle Jugement de noblesse de Français de Surville, de 1669.
(2) Arrest de la cour des comptes de Montpellier contre François de Surville. — Mémoire pour les consuls de Gras, etc.
(3) Arrest, etc., — Mémoire, etc.
(4) Obligation pour noble Jean de Surville, reçue Me Duserre, nore à Gras. (Archives de Gras.)
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protestante dont l'esprit était, à beaucoup d'égards, l'ésprit révolutionnaires de ce temps.
« Jean de Surville, dit d'Hozier, en considération des ser- « vices qu'il avoit rendus au roi et des pertes qu'il avoit « souffertes dans ses biens par les incursions des rebelles de « la Garce (1), et de ce qu'il avoit eu un frère tué en défen- « dant le lieu de Monts (2) dans le bas Languedoc, obtint « par brevet du 12 mai 1629 la confiscation dès biens qui « étoient échus à Sa Majesté par la rébellion de Pierre Ozil, « habitant dudit lieu.de laGorce. (3)
À cette époque, nous voyons mentionner dans les vieux documents de Gras un cousin de Jean de Surville, Olivier de Surville (4), dont l'ancien registre de la paroisse de Gras (5) constate le mariage (6) en 1618 et le décès en 1622 (7).
(1) La G or ce n'est qu'à trois lieues, & l'ouest, de Malaval. , , (2) Aujourd'hui Mons, chef-lieu de commune, situé à 9 kilomètres
(3) Armoriai général de la France. Registre 1er, 2e partie. (4) Le vieux compoix n'indique, comme propriété d'Olivier de Surville, que deux immeubles situés dans, le bourg de Gras : une maison, à la Bastion, et un chazal, près de la grand tour.
Olivier de Surville figure dans une délibération du « conseil général 1 de Gras, prise le 27 décembre 1621; (Archives de Gras).
(5) Trois manuscrits — un cahier in-4° et deux cahiers in-12 — dont la rédaction, comme celle du registre paroissial de Vesseaux, laisse à désirer, bans ce registre, il y a une lacune principale, pour nous trèsregrettable, de 26 ans, de 1642 è 1668 .
(6) « L'an 1618 et lé 18 novembre, Oilivier de Surville fils à Loys a Espouse Aliqs (Alix) de Vallon (a), fille à Estienne, du ,mas de Gonio, en face ste mere l'esglise, presans Vincent Du bois, Pol Roman, Jehan Chauvin et Jehan Delàuzun et moi
« (signé) Roman, Ptre. »
(7) Nous trouvons dans ce registre, pendant la première moitié du XIIIe siècle, la mention du décès (sans autre indication) de plusieurs membres de la famille de Surville, frères, cousins ou Sis de lean : -
Bertrand de Surville. — 14 février 1612.
« Jehan de Surville. — 29 décembre 1620. » « Catarine de Surville.— 11 décembre 1622. »
« Tsabeau de Surville. — 29 juillet 1636 »
(a) On peut lire aussi de Vaîos, vu le griffonnage el la mauvaise orthographe du manuscrit. Mais si à cette époque, il y a une famille Valos ou Valoz à Gras, il n'y a point de famille de Valos.
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Les difficultés que la communauté de Gras avaient eues maintefois avec les précédents possesseurs de Malaval, au sujet de « la taillabilité de ce tenement », n'étaient qu'assoupies et se réveillèrent. Bien que, grâce sans doute à des influences venant de la famille intéressée, le vieux compoix de Gras eût déclaré « nobles et non tailhables » les domaines de Malaval, il parait, d'après un document de l'époque. (1) que Jean de Surville dut payer et paya ; effectivement les impositions de ces domaines jusqu'en 1631.
Ne pouvant ainsi faire échapper à la taille roturière. « .Malaval, la Madière, la Trape et Challantier, grand et petit », il visa alors à acheter de la communauté de Gras l'immunité territoriale pour un tenement voisin, appelé Saresclet ou Serusclat, afin qu'il pût le jouir noblement. » (2)
Il fit des propositions dans ce sens au Conseil de la communauté de Gras qui en délibéra ; et, le 27 juillet 1631, lut « passée une transaction entre les consuls dud lieu et led « de Survillé, par laquelle il est accordé que, moyennant la « somme de cent cinquante livres qu'il bailla à lad commu- « nauté, led tenement est déclaré exempt de toutes « tailles et impositions. » (3)
Jean de Surville et Blandine de Boni son épouse firent, le 20 septembre 1643, un testament dans lequel ils s'instituaient héritiers l'un de l'autre et établissaient pour légataires leurs fils Jacques et François (4). Ce testament des deux époux indiquerait qu'à cette époque Jacques, leur fils ainé, n'était pas encore marié.
Après la mort de Blandine et le mariage de Jacques, ainsi que tendent à le prouver les documents du compoix de Gras de 1656, Jean fit une première donation en faveur de ce fils auquel il devait survivre et dont nous avons à parler maintenant.
(1) Arrest de la cour des comptes, aydes et finances de Monpellier contre François de Survillé. '
(3) Arrest, etc.
(3) Arrest, etc. — Sfesnoire pour les consuls de Gras, etc.
(4) Jugement de noblesse de Français de Surville, de 1669.
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Jacques de Surville et Jeanne de Vallon.
Jacques de Surville avait épousé, vers ; 1646 (1), Jeanne de Vallon, fille du « sieur de Vallon » qui avait, lut aussi, d'après le compoix de Gras de 1593 ou 1598, des domaines « non tailhables » d'une assez grande étendue, devès et bois de chênes,« herbaiges et glandaiges, » dans le voisinage de Malaval (2).
Ce « sieur de Vallon » résidait-il dans lé mandement de Gras ? On pourrait le croire, en voyant que ses propriétés de Fraysse, Varrau, Challantyé et Challantysson sont, comme celles de Jean de Surville, comprises dans la partie du compoix consacrée aux « sieurs et communauté de Gras », et non dans la partie, mise vers la fin du terrier, concernant « les estrangiers forains », seigneurs, évêque
(1) La lacune, d'environ 26 ans, qai existe à cette époque dans le registre de la paroisse de Gras, empêche de donner la date présise.
(2) Voici des extraits de ce compoix de Graz, relatifs an sieur de vallon : « Du sieur de Vallon. Premièrement pour un debveis consistant en berbaiges et glandaiges, appelé Fraysse ; confronte du levant avec un debvois de la propriété cnmmunalle appelé les Deffaudiéres. etc. ; contenant cinquante deux saulmees, sçavoir dix boyss. de la segonde, vingt boyss. de la troisiesme, quinze boyss. de la quatriesme, dix sept boyss. de la cinqniesme. Aprecyé neuf livres dix sept soûls. Cy. IX1. xvtj s.
« Item pour autre tenement de debvois et des pres, appelle Varrau, Susuble, Challantye et Challantysson, qu'il ha acquis, pour ont dit, par archange du sieur de Surville ; confront du levant avec l'bubac des Deffaudieres et le boys de Chantayzon, de la propriété communalle, etc.; du vent marin, le vallat de Mallaval, chemin royal et ledit sieur de Surville et le clos du Pallyasson ; contenant buictante liuict saulmees, savoir quinze boyss. de la segonde, trente boyss. de la troisiesme, trente boyss de la quatriesme, treize boyss de la cinquiesme. Aprecyé quinze livres treize souls. Cy XV I. XIII s.
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et chapitre de Viviers, bourgeois on paysans, qui avaient des immeubles dans ce mandement.
On pourrait supposer-alors que d'autres propriétés de la famille de Vallon et notamment sa maison d'habitation, auraient été insorites dans les feuillets perdus du compoix de cette localité.
Nous regardons toutefois comme bien plus probable que la famille de Vallon était seulement plus ou moins voisine de Gras ; nous pensons qu'elle était celle du « sieur de Vallon » dont il s'agit dans Les Commentaires du Soldat du Vivarais, en l'année 1628 (1).
Quoi qu'il en soit à cet égard, la famille de Vallon né fut point une famille inconnue à Gras, au XVIIme siècle. Bien plus, un témoignage précis, s'il en fut, un témoignage cadastral, celui du vieux compoix de Gras, affirme que la famille de Vallon était en relations étroites avec la famille de Surville ; il assure que « le sieur de Vallon avait pour « ont dit, acquis par exchange du sieur de Surville » les propriétés de Verrou, Challantyé et Challantysson. Il indique aussi que ces immeubles du « sieur de Vallon «avaient pour limites des domaines du « sieur de Surville. »
Devant ces faits certains, que deviennent les allégations de la critique déclarant que Jeanne de Vallon est une fable et que, dans le Vivarais, à Gras comme ailleurs, la famille de Vallon n'a jamais existé ?
Si, peut-être par la perte de quelques cahiers d'un registre paroissial, il nous est impossible de montrer l'attestation écrite du mariage de Jeanne de Vallon, ne voyons-nous pas sa famille figurer sur les terriers de
(1) Liv. III, page 164, édit. de 1811.
S'il en était ainsi, cette famille avait possédé l'ancien château de Vallon aux éloquentes ruines, déjà détruit a cette époque, comme celui de Salavas, sur l'autre bord de l'Ardèche, par le vandalisme huguenot, dans la campagne que le duc de Rohan, chef du parti protestant dans le Midi, avait faite en Vivarais en 1628.
Nous avons déjà dit (première partie, III, en note) quels avaient été tes seigneurs de ce château fort au XIVe et au XVe siècles Les la Goree acquirent de nouveau cette seigneurie en 1558, du vivant d'Antoine de la Gorce.
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Gras à cettei époque ? Ne trouvons-nous.pas, mentionné» dans un ancien compoix avec tous ses immeubles, Jacques de Surville, celui-là même dont on l'a dite épouse et ne le voyons-nous pas indiqué comme étant le fils de Jean de Surville, ainsi que les premiers documents l'ont assuré ?
Tout porte donc à penser que l'indication de ces documents a été, sur ce fait, parfaitement exacte. On ne saurait admettre d'ailleurs qu'en assurant, sans. preuves, que Jeanne de Vallon fut la belle-fille de quelqu'un qui avait laissé un nom aussi connu, dans ces localités que celui de Jean de Surville, les premiers biographes de Marguerite fussent allés ainsi au-devant d'un démenti tropfacile à donner. Les documents qui nous ont dit ce qu'était Jeanne de Vallon sont les mêmes qui ont affirmé que la famille de Vallon étai t connue à Gras dans la première moitié du XVIVe siècle. Ils ont été bien renseignés sur ce dernier point : pourquoi seraient-ils en défaut sur le premier ? Us ne nous ont point trompés sur ceci : nous pouvons les croire sur cela. Ce n'est que sur la critique au sens émoussé et systématiquement négative qu'un raisonnement aussi naturel ne pourra rien.
XIII
Jeanne de Vallon transcrit et corrige les poésies de Marguerite ; elle m altère peut-être aussi les mémoires. Le compoix de Gras de 1636. Les propriétés de Jacques de Surrille.
Jeanne de Vallon, en épousant Jacques de Surville, trouva dans sa nouvelle famille un milieu intellectuel qui fut, à certains égards au moins, selon ses goûts et qui ne fut pas trop indigne peut-être des qualités élevées de son intelligence et de son coeur.
Jean de Surville avait probablement remarqué déjà, dans ses anciens papiers, les manuscrits des poésies et des fragments de mémoires de son aïeule, soit qu'ils lui eussent été
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signalér par quelqu'un de ses ascendants, sott qu'il les eut lui-même tirés de l'oubli qu'ils avaient pu partager avec d'autres vieux de documents.
Alors même qu'il les eût trouvés dans ses archives, cette découverte n'aurait rien que d'assez conforme aux vraisemblances : Pour qui connaît son amour des lettres et n'ignore pas l'investigation minutieuse qu'il fit de ses titres de famille, il n'y a rien qui sente le roman, d'Étienne de Surville ou de tout autre, dans cette attention donnée par Jean de Surville aux oeuvres de Marguérite et dans l'occupation d'érudit a laquelle il se livra au sujet de ces poésies. Tout cela, au contraire, est fort naturel et a même en sa faveur les probabilités historiques.
Jeanne de Vallon éprise de la grande littérature, était bien l'âme qui pouvait le mieux encourager et seconder Jean de Surville dans ce travail de révision et de modification partielle des manuscrits laissés par un grand poète. Elle s'appliqua avec ardeur à cette oeuvre ; elle y mit une généreuse passion qui se traduit dans une page, empreinte d'enthousiasme et de tristesse, seul écrit qui reste de Ce coeur admirablement dévoué. Mais elle ne put s'occuper que peu de temps à transcrire et à corriger avec son beaupère, ainsi que nous l'avons dit déjà (I), ces autographes du XVe siècle que Claude de la Mothe ou Antoine de Surville avait apportés à Gras depuis plus de cent ans, et qui disparurent sans doute alors, soit qu'ils fussent déjà détériorés profondément, soit plutôt que Jean de Surville et Jeanne de Vallon n'àient pas-tenu à les conserver, après les améliorations qu'ils présumaient leur avoir apportées.
La vie de Jeanne de Vallon fut certainement très Courte, comme la première biographie de Marguerite l'avait assuré. Son union avec Jacques de Surville, qui n'avait eu lieu
(1) Cf. première partie, XV.
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qu'après 1643, était déjà brisée en 1656 par la mort des deux jeunes époux. Cette noble et pieuse femme, atteinte d'un cancer au sein, s'éteignit â la fleur de l'âge, sans avoir en le temps d'achever l'oeuvre qu'elle désirait accomplir. La brièveté de cette existence, coïncidant avec une lacune de plus d'un quart de siècle dans un registre paroissial, nous explique comment il se fait que nous ne voyons point son nom mentionné dans l'ancien registre de Gras.
Il n'est donc pas sérieux de prétendre, comme l'ont fait plusieurs lettrés â bout d'expédients, que, dans un si petit nombre d'années et si jeune encore, l'éponse de Jacques de Sur ville ait pu composer des poésies dont chaque page atteste chez l'auteur une entière maturité de talent et la plus grande expérience des choses littéraires.
Il est d'ailleurs frivole de supposer que ce soit elle qui, de connivence avec Jean de Surville, ait été coupable de ce mensonge littéraire, si longuement prémédité et accompli après tant d'efforts (1), qui, d'après la plupart de nos savants critiques, aurait fini par produire la fiction que l'on a bien voulu intituler : la vie et les poésies de Clotilde. A l'appui de cette allégation que Jeanne de Vallon serait venue â bout d'une pareille supercherie et aurait enseveli sa gloire d'éminent auteur, d'une manière si profonde qu'il n'en devait jamais rien transpirer, on ne pourrait donner qu'un semblant d'explication de l'ordre moral : c'est que Jeanne, vivant à une époque où le sentiment de la famille était plus fort qu'il ne l'est maintenant, aurait poussé l'amour de la, famille (et, même de ce qui n'était point la sienne) jusqu'à sacrifier absolument sa légitime renommée à celle d'une inconnue, d'une aïeule de son époux antérieure à elle de deux siècles.
(1) Voir à la quatrième partie, V, tout ce qu'il eût fallu d'obstiné labeur pour mener à fin l'oeuvre que suppose une pareille fiction.
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Outre que ce serait vraiment le, seul cas, où même à cette époque, on aurait vu l'amour de la famille porté à cet étrange degré, une explication semblable que quelques-uns peuvent être tentés de donner ne serait qu'une contradiction de plus ajoutée à bien d'autres. Il resterait, après cela, à s'expliquer comment cette complète abnégation se serait alliée à la préméditation et à la mise en oeuvre d'un flagrant mensonge et comment : un sentiment aussi moral que l'est l'attachement à la famille n'aurait produit qu'un héroïsme au service d'une rare duplicité. Une supposition comme celle-là serait assurément indigne d'une époque où il y avait encore des moeurs antiques ; mais elle serait tout-à-fait à la hauteur d'un temps de confusion des idées morales, comme celui où nous vivons.
Quant aux difficultés de l'ordre intellectuel que présente l'hypothèse de Jeanne de Vallon auteur des poésies de Clotilde, elles sont plus insolubles encore, comme nous le montrons plus loin (1).
Il est donc impossible d'admettre de semblables conjectures. Mais ce que l'on peut présumer justement, c'est que, avec le goût qu'avait pour, le romanesque le siècle qui venait d'applaudir à des oeuvres littéraires telles que l'Astrêe, Jeanne de Vallon ne s'est pas contentée de corriger les poésies de Marguerite : elle a peut-être aussi un peu modifié les fragments de mémoires de cet auteur et a pu y mêler quelques-uns de ces détails, en grande partie où entièrement fictifs, sur Pulchérie, Aliénor ou la fille des Tynds, le comte de Vallon, Héloysa de Vergy, dont le récit a été transmis par Étienne de Surville et qui, s'ils ne sont pas de son invention, semblent avoir été dus à l'imagination de l'épouse de Jacques de Surville. Certains passages d'Étienne peuvent le faire supposer (2), en même temps qu'ils con-
(1) Voir à la troisième partie, VI.
(2) Voici un passage d'Étienne de Surville à l'appui de ce que nous observons ici :
« ... Si aucune femme ne contes toit la supériorité de talents à Clo¬
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firment chez nous l'opinion que ce qu'il atrouvé, à Viviers, des fragments de mémoires comme des poésies de son aïeule, c'est une copie altérée, faite par Jeanne de Vallon. . Nous croyons donc devoir dire ici de Jeanne ce que nous dirons d'Étienne de Surville. Qu'elle ait retouché, arrangé plus ou moins les vers de Marguerite, c'est certain ; qu'elle ait modifié des pages autobiographiques de cet auteur et qu'elle l'ait fait d'une manière romanesque à plusieurs égards, c'est très-possible ; mais qu'elle ait créé « la fiction » de la vie et des oeuvres de Clotilde, c'est tout-à-fait inadmissible ; le . prétendre serait adresser, à sa mémoire une insulte que rien ne justifie et que nous ne craindrions pas d'appeler presque une dérision du, bon sens. Dans tous les cas, que ce soit elle ou tout autre qui ait composé la première biographie ! de Marguerite, d'après des renseignements incomplets et aussi sur quelques données inventées à plaisir, il est pour nous indubitable que l'auteur de ces récits en partie défectueux est le même que celui
tilde, nulle ne contestait à Rocca celle de la beauté. Quant aux trois autres (Loyson d'Effiat, Rose de Beaupuy, Tullie de Royan), Guy de Royan croyoit encore désigner très-parfaitement leur figure et leur caractère en donnant à d'Effiat le nom consacré de Thalie, à Beaupuy celui d'Euptarosine et à sa soeur celui d'Aglaé. Jeanne Se Vallon prétend tenir de sa mire, qui l'avait ouï raconter au 1 petit-tils de Tullie, le chevalier de Villefort, que ce même Guy de Royan interrogeoit ainsi cette soeur bien-aimée : « — Mais comment vous accordiez-vous dans vos
« suffrages ? A quel chef-d'oeuvre donniez-vous universellement le prix? —Clotilde, lui répondit-elle,au plus poétique; Rose, au pliig sage ; Loyson, au plus enjoue ; mol, je le donnois au plus tendre ;
Rocca, toujours au plus parfait. — Et comment le reconnoissiez-vous,
« ce plus parfait, répliqua le jeune homme ? — En ce que toutes cinq « nous en jugions de même avant la fin du jour. » Mais elle s'obstina constamment à ne pas lui répondre sur, celui des ouvrages de Clotilde qu'elle-même préféroit. Rocca, que Bellin (Gentili Bellini) interrogeoit à Venise sur le même objet, lui répondit en ces termes : « Prenez e voyez. »
Etienne de Surville. Notices sur les vies et les écrits des femmes poètes. Tullie et Rocca.
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qui a primitivement modifié ces poésies. Un seul et même plan a été suivi dans les principales altérations faites à ces vers, dans les premières pièces apocryphes ajoutées à leur recueil et dans les premières indications biographiques, dont les unes ont été exactes mais dont les autres ont été controuvées.
Jeanne de Vallon destinait à la publication des oeuvres de Marguerite une préface qui, plus d'un siècle après, fut transcrite par Étienne de Surville (1) et malheureusement modifiée aussi par ce littérateur, un peu de l'école de Jean-Jacques Rousseau. Mais, quelque interpolée qu'elle soit, cette préface, examinée dans ses parties originales que l'on peut reconnaître, indique par son accent de sincérité que l'auteur de ces lignes fut, comme écrivain, tel qu'on l'a d'abord présenté et qu'il fut loin de jouer le rôle d'audacieux faussaire et d'inventeur de ce qu'il aurait appelé les poésies de Clotilde, comme quelques-uns de nos littérateurs n'ont pas craint de l'avancer sans aucun fondement.
D'ailleurs ce fragment, dans ce qui lui reste d'authentique, révèle par son style une plume aussi différente de celle de Marguerite que de celle d'Étienne de Surville ou de tel. autre écrivain de la fin du XVIIIe siècle. Il porte avec lui, pour qui sait lire en dehors des fiévreuses suspicions de la critique, le caractère de l'époque même à laquelle on l'a attribué.
Le compoix de l'a communauté de Gras de 1656 (2) énumère,— à côté des immeubles inscrits sons le nom de Jean
(1) Cette préface fut copiée dans celui des trois cahiers manuscrits d'après lequel Vandsrbourg publia, eu 1803, les poésies de notre auteur.
(3) Un msc. in-folio, d'une exécution moins belle que le précédent compoix ; d'ailleurs en très-mauvais état et réclamant une soigneuse et prompte mise en ordre. Ce cadastre commence ainsi :
Loué soit le sainct nom de Dieu, 1656.
« Nouveau compoix de Gras faict par nous Jean Daudè de la parre (parroisse) de Jonas, Jean Allègre de la parre de valgorge... >
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de Surville, — sept propriétés qu'il avait fait passer sur la tête de Jacques son fils, ou dont quelques-unes peut-être étaient venues à celui-ci du chef de son épouse ! Ces propriétés de Jacques de" Surville consistaient en « une maison servant d'estable et de remise », dans le bourg de Gras, et en diverses terres ou devès, à Fonfreyde, à l'Hubac du cimetière, au Cros de CJienivesse, à Cengassy et à Plamonta, « proche la porte et le chemin « de Goigno » (1)
La demeure de la famille de Surville, de Jean et de ses fils était d'ailleurs, à cette époque, sur la petite place du bourg (2). C'est une vieille maison à deux étages et dont la façade est percée de deux étroites croisées (3).
Jeanne de Vallon mourut avant son époux, comme le fait supposer la donation ratifiée aussitôt après la mort de celui-ci, par Jean de Surville à François son second fils. Elle s'en alla, emportant le regret de n'avoir point pu éditer les oeuvres de Marguerite.
Jacques mourut bientôt après sans laisser d'enfants, le 15 mai 1656 (4). Son père ratifia, le 18 août de cette même année, une donation à François (5).
Jean de Surville fut à la fois homme d'étude et homme
(1) Compoix de Gras de 1636. — 830, 831, 852, 853, 834, 855, 856,
(2) Vieux compoix de Gras :
« Jehan de Surville. Premièrement pour sa maison d'habitation, a la place ; confrondu levant avec la maison de Claude Du Marché ; du couchant la maison de Pons Richard et aultre maison dudit du Marché par luy acquise de Jehan Richard ; de la bize la place et ledit Richard ; du mario la maison d'Estienne de Leyniec sous laquelle ledit du Marché tient chevet de la grande crotte (voûte). Apprecyé cinq sols huiet deniers,
(3) C'est la maison que la famille Chenivesse a occupée depuis assez longtemps et possède encore.
(4) Jugement de noblesse de François de Surville, de 1669.
(5) Id.
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d'action ; il s'accupa de littérature dans la dernière moitié de sa vie. C'eut été un remarquable caractère, si, comme le révèlent certains de ses actes, il n'eut point eu quelque tendance à l'intrigue, alors comme aujourd'hui le grand moyen dès apparents succès.
Il mourut à Gras, le 21 avril 1661, (1) laissant pour successeur François de Surville.
XIV
François de Surville. Affaires domestiques de la famille de Surville.
Il y a un côté difficile dans toute existence, eût-elle un - aspect florissant. C'est quelquefois une question de fortuné, qui crée des embarras domestiques. Cela avait eu lieu pour Jean de Surville, dont les qualités éminentes avaient pourtant beaucoup - contribué à donner un certain éclat à sa maison.
Dès qu'il fut mort, les biens qu'il laissait furent saisis, par ordre des « officiers ordinaires » de justice « du Bourg-St-Andéol » ; la vente en fut ordonnée sur les instances de quelques créanciers. François de Surville se prévalut des droits qu'un fidéicommis lui donnait sur ces propriétés. Malgré cela, à la requête d'un notaire de Bourg-St-Andéol, « curateur » de cette liquidation, Hector de Monthénard, sénéchal de Beaucaire et de Nîmes, enjoignit aux « séquestres establis au régime et gouvernement des biens du sieur de Surville » de « prandre et percevoir les fruitz et autres chozes saizies » (2). Mais bientôt, à la suite d'une requête de François de Surville, du 1er septembre 1661 (3), le séné-
(1) Jugement de noblesse de François de Surville, de 1669.
(2) Exploit de Michel Dongeau, « sergent (huissier) ordinaire du Bourg-St-Andéol », du 23 août 1661. Copie pour Claude Helly, un des séquestres. Archives deGras.
(3) Exploit de Jean Martin, « sergent ordinaire de Gras », du 4 septembre 1661. Copie pour Claude Helly et Jacques Guilhon séquestres.
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chal revint sur cet ordre ; et François vit échapper ainsi ses biens patrimoniaux à un désastre qui eut pu rendre indéfiniment inconnus l'oeuvre de Marguerite de Surville et les manuscrits de Jeanne de Vallon.
FRANÇOIS DE SURVILLE, resté le principal représentant de cette famille, était déjà officier en 1644 (1)
Le 2 septembe 1663, il épousa Charlotte de Solignac, fille de François de Solignac, sieur de la Grandcourt et de Charlotte Guérin (2), union qui lui permit de rétablir avec honneur les affaires de sa famille.
Charlotte de Solignac était sans doute proche parente de Jean de Fay, seigneur de Solignac, marié le 30 septembre 1625 à Lionette de Chomel, et aussi de Jean-Annet de Fay, seigneur de Solignac et de Dol, marié le 5 juin 1669 à Lucrèce de la Condamina.
François de Surville fut maintenu dans sa noblesse par ordonnance, du 3 juillet 1669, de Claude Bazin seigneur de Bezons, commissaire départi pour la vérification des titres nobiliaires dans le Languedoc. Le jugement de noblesse de François de Surville le signale comme » résidant au lieu « de Gras, dans le diocese de Viviers. » (3)
Les contestations au sujet de Malaval entre la communauté de Gras et la famille de Surville reparurent à cette époque et prirent même des proportions judiciaires plus grandes qu'elles n'en avaient eu jusqu'alors.
Les impositions des domaines de Malaval n'ayant pas été payées depuis 1631, malgré la transaction passée cette année-là qui n'avait reconnu de « non taillable » que le tenement de Saresclet », le Conseil et les consuls de Gras.
(1) Certificat du sr baron d'Allés partant que led sieur de Surville Sieur de Mur a val etoil officier dans son regiment et qu'il lui donnoit congé pour aller vaquer a ses affaires, du second mai 1644. »
Jugement de noblesse de François de Surville.
(2) D'Hozier. Armorial général de la France. Registre 1er, 2e partie. (3) Archives départementales de l'Ardèche.
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par délibération du 20 septembre 1670, « cotisèrent à la taille » François de Surville « pour tout son tenement de Malaval. (1)
Aussitôt François en appelle à la Cour des Comptes, aydes et finances de Montpellier. Le 12 février 1671, les consuls de Gras demandent, par requête, le paiement des tailles de Malaval, depuis 20 ans. Le 17 mars, François se pourvoit en garantie contre d'Arlempdes de Mirabel et dame Jeanne de Beaumont (2) son épouse, héritiers de Jean de Beaumont et d'Anne de Comps, qui s'étaient, en 1543, portés garants, dans la vente de Malaval.
Le 6 mai 1671, est prononcé le jugement de la Cour de Montpellier qui, « sans avoir égard à la transaction du 27 « juillet 1631 », « déclaré deffinitivement roturiers tant « lesdits tenemens de Malaval, la Madière, la Trape et Chal- « lantié grand et petit que le tenement de Saresclet ; » « ordonné que, pour raison desdits tenemens, led de Sur- « ville contribuera à toutes tailles et impositions tant ordi- « naires qu'extraordinaires qui se fairont aud lieu de Gras, « comme tous les autres habitants et contribuables dud « lieu ; (3) » condamne les consuls de Gras à restituer au Sr de Surville les 150 livres reçues de son père, à la suite de la transaction de 1631 et « met hors de procès » la demande des consuls relativement aux arrérages de taille de 29 ans, ainsi que la demande en garantie requise par le sr de Surville contre le sr d'Arlempdes de Mirabel (4).
L'ancien registre de la paroisse de Gras montre François
(1) Mémoire pour les consuls de Gras, etc.
(2) Arrest de la cour des comptes, ondes et finances contre François de Surville.
(3) Id.
(4) Id.
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de Surville comme présent, au bourg do Gras, à un certain nombre de baptêmes (1).
François de Surville mourut à Gras, le 4 septembre 1685 (2).
Il laissait, de Charlotte de Solignac, deux fils : Jean-Joseph et Louis, un des membres de la noblesse française qui alla combattre vaillamment l'invasion ottomane sous les murs de Vienne, avec Jean Sobieski. Louis de Surville mourut à Bude, dans cette glorieuse campagne, bientôt après son père, en 1686 (3).
(1) Extrait de l'ancien registre de la paroisse de Gras. ,
Baptêmes célébrés en présence de « noble François de Surville, sieur
de Malaval :
« Le 12e juin 1668 ; — le 22e octobre 1668 ; le 24e janvier 1669 ; — le 4e may 1669 ; — le 15e septembre 1669 ; — le 15e octobre 1670.
« Le Xme advril (1668) », baptême où « la marine » fut « noble Charlotte de Soulhinac dame de Malaval.
« Le 9e may 1671 », baptême dont « le parin tut noble Gabriel Dangevin (d'Angelvin) de Surville, prieur de Saint-Laurens », et qui eut lieu en présence de « noble François Dangevin de Survillé. » « Signé : Gabriel de Surville, prieur.
« Signé : François de Surville »
Autres baptêmes célébrés en présence de « Monsieur de Malaval », ou de noble François de Surville, sieur de Malaval : »
Le 7e juillet 1671 ; — le 25e juillet 1671 ; — le 20e nouvambre 1671 ; — le 18 janvier 1678 ; — le 7e nouvambre 1679.
« Le 16e febvrier 1670 », baptême dont « noble Charlotte de Souliniac, dame de Malaval » fut marine ».
( Le 9e nouvambre 1671 », mariage célébré en présence de « noble François de Surville, sieur de Malaval.
(2) Extrait de l'ancien registre de la paroisse de Gras :
Noble François de Surville, seigr de Malaval, a ete enterré dans la chapelle de St-Blaise le 5 septembre 1685 par moy
(Signé) « Joffre, prêtre, »
(3) Id..
Le premier jour du mois de novembre 1686, on a eu nouvelle de la mort de noble Louis de Surville de Malaval, ensuite d'unejblessure qu'il avoitreceu au eboe qui fut donne devant la ville dé Bude où son corps a ete enseveli et ses obseques faites dans ma paroisse.
« (Signé) Nicol, curé, »
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François laissait aussi deux filles, dont l'une épousa Jean-Baptiste Mercoyrol, sr de Saint-Pont, capitaine au régiment de Chambonas. Elle en eut un fils, Charles, qui devint chanoine précenteur de la cathédrale de Viviers, et dont le bénéfice de précentorerie était attaché au prieuré de Saint-Pont: )
Après la mort de son époux, Charlotte de Solignac raviva en 1668, les vieux démêlés des Surville avec la communauté de Gras. Un nouveau procès était imminent ; cela finit par une transaction, où diverses questions en litige furent réglées pécuniairement, mais qui n'en laissa pas moins roturiers tous les domaines de Malaval. Ces domaines restèrent donc chargés de la taille jusqu'au jour prochain où une bonne fortune, comme en donnait parfois le régime du « bon plaisir, » allait enfin les en exempter.
XV
Jean-Joseph de Surville. Le livre des chargements de Gras. Les impositions des Surville.
« JEAN-JOSEPH DE SURVILLE, écuyer, seigneur de Mana- « val (Malaval) et des Hermestènes (Hermessènes), capitaine « aide-major au régiment d'Artois et demeurant dans la « ville du Bourg-St-Andéol, » dit d'Hozier (1) épousa, vers 1695, Louise de Reynaud.
« Il eut, ajoute d'Hozier, une soeur nommée Louise de « Surville laquelle fut reçue à St Cyr, le 17 janvier 1687, « sur les titres de noblesse qui furent produits alors pour sa « réception. » (2)
(1) D'Hozier. Armorial général de la France. Registre 1er, 2e partie.
(2) Id. Id,
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Louise de Surville vint demeurer ensuite à Bourg-St-Andéol.
C'est à cette époque que l'édit d'août 1603, par lequel Louis XIV annonçait un affranchissement de tailles de cent mille livres aux habitants de la province de Languedoc, aboutit à une faveur faite à quelques prévilégiés, au détriment du grand nombre.
Jean-Joseph de Surville fut de ceux que vinrent atteindre cette munificence d'injuste privilége.
Par ordonnance de 1696 de Nicolas de Lamoignon, intendant de justice en Languedoc et avec le consentement du syndic-général de la province, les tènements de Malawi, la Madière, Challantier, la Trape, la Bru de Ravel, le Chastellas, Donnèze et Serresusclat, plus une vigne tout près de Gras, à Bouckarie, immeubles dont l'allivrement (1) cadastral était de quinze livres quatorze sols six deniers pitte et demie et dont l'imposition de tailles avait été en 1693, de cent seize livres cinq sols, à raison de sept livres dix sols par chaque livre de « présagé» ou d'allivrement, furent déclarés « à toujours francs, quittes et immunes de « tailles et autres impositions royalles et municipalles, or- « dinaires et extraordinaires (2). »
Jean-Joseph de Surville et Louise de Reynaud son épouse virent réunie autour d'eux, vers le commencement du XVIIIme siècle, une jeune et nombreuse famille, de six fils et quatre filles.
(1) C'était la base contributive, appelée alors aussi « présagé. »
(2) Ordonnance d'affranchissement pour M. de Halaval. — Voir aux Documents justificatifs, VII.
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Les fils étaient : Jean-Paul (1), Pierre-Joseph (3), Louis-François (3), Paul-Joseph, Louis (4) et Jacques. Les filles
(1) « Le vingt-neuvième jour du mois de janvier mil six cens quatre vingt dix huit. Est nè et a etè batisé le lendemain Jean Paul Dis naturel et légitime de noble Jean Joseph de Surville seig' de Malaval et dame Louise de Reynaud mariez de notre dame de Gras diocèse de Viviers, son parrain nommé a été Messre Paul de Clermont piètre, docteur en ste théologie, prieur de Boniène (Bolline), vicaire et official général de Monseigr l'Evesque et comte de St Paul Trois-Châteaux ; et n'ayanl peu led. sr de Clermont se rendre aud. lieu de Gras à cause de la rigueur du tems pour porter l'entant sur les fonds du batéme, il a été substitué eh sa place sr Pierre Delauzun note dud. Gras ; sa marraine a été demlle Marguerite Lachaux de la paroisse d'Aps, susd. diocèse de Viviers. Pn Mssre François Joffre prieur de St André de Mitrois, chapelain dud, lieu de Gras et Messre Esprit Boisson prêtre et vicaire dud. lieu, soussignés avec lesd., sieurs de Malaval et Delauzun, lad. ilem',u Làchaux marraine iliterée, .de ce enqpis.
« (Signe) L'abbé de Clermont. Malaval. Delauzun. Boisson, ptre.
Joffre ptre chapelain, a (Ancien registre de Gras.)
(2) « Le troizième jour du mois d'avril mil six cens quatre vingt dix neuf, est né, et a été solemnellement batize le cinquième dud. mois Pierre Joseph dis naturel et légitime de noble Jean Joseph de Surville seigneur de Malaval et dame Louise de Reynaud mariez de la paroisse notre dame de Gras dioceze de Viviers ; son parrain a été noble Pierre Eymeric d'Entremont de la ville de Boulène, dioceze de St Pol Trois-Châteaux en Dauphine ; sa marraine demlle Louise de Surville de Malaval, habitante de la ville du Bourg St Andéol. Pnts Messre Esprit Boysson, ptre vicaire de Gras et messre Français Joffre prêtre chapelain dud. lieu soussignés avec ledj parrain, marraine et Sr de Malaval pere, de ce enquis.
« (Signés) D'antremon. Malaval. Malaval. Joffre, ptre. Boysson, ptre.
(Ancien registre de Gras.) (3) « Le vingtième jour du mois de may mil sept cens est ne et a été solemnellement balize le vingt-deuxième dud. mois Louis François fils naturel et légitime de noble Jean Joseph de Surville seigr de Malaval et dame Louise de Reynaud mariez de la présenté paroisse de notre dame de Gras dioceze de Viviers. Son parrain nomme a été noble François de Gresigny, du lieu de Gresigny près la ville de Avalon aud duché de Bourgogne, maior du régiment d'Artois, lequel sr de Gresigny etant actuellement en quartier dans la ville de Maubuge en Flandre, sr Pierre Delauzun nre royal dud. Gras a été substitue en sa place en lad. qualité de parrain ; sa marraine demlle Louise de Surville de Malaval dud lieu de Gras, laquelle n'ayant pas l'âge compétent pour être admise en lad qualité, demlle Marie de Fabre de la ville du St Esprit diocezed'Uzes habitante aud. lieu de Gras a été substituée en sa place. Ponts, Messre Esprit Boysson vicaire et François Joffre chapelain dud. lieu soussignés avec lesd Srs de Malaval, Delauzun cl Fabre, la dem-"* de Malaval illiterée, de ce enquis.
(Signés) « Malaval. Delauzun. Fabre. Joffre, ptre Boysson, pm. » (Ancien registre de Gras) (4) « Ce dix huitiesme octobre mil sept cens onze a esté baptisé noble
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se nommaient : Louise-Térèse (1), Ursule (2), Marie-Made-laine et Blandine.
Pierre-Joseph et Jacques furent millitaires et officiers de St-Louis,
Les archives de Gras donnent dans un Livre, des chargements pour les habitants de Gras, la suite des tailles de la famille de Surville depuis 1668 ; l'état des impositions
Louis de Surville naiz depuis hier, fils naturel et légitime de noble Jean Joseph de Su; ville seigneur de M alla val et de dame Louise deRey-naud maries du lieu de Gras. Son parrain a esté noble François de Surville sr de Fonsbelle (a) son frère et damoyselle Ursule de Surville sa soeur ; signés ceux qui ont sceu ; par M. Joffre chapelain, ainsi le certifie.
« (Signé) Nicol, curé, » (Ancien registre de Gras) (1) « Le dix neuvieme jour du mois d'aoust mil six cens quatre vingt seize est née et a été solemnellemeut balisée le lendemain demelle Louise Terèse fille naturelle et légitime de noble Jean Joseph de Surville seigneur de Malaval et de dame Louise de Raynaud mariés de la prte paroisse notre dame de Gras.- Son parrain a été noble Joseph. François de Gabriac baron de St Paulet, sa marraine dame Charlote de Solignac de Malaval. Puts Messres Raymond Desserra et François Joffre vicaire et chapelain dud Gras soussignés avec lesd parrains et led seigr de Malaval, ensemble nobles Pierre Gueyiard et Jean d'Azemard du diocèse d'Uzès.
(Signés) St-Paulet. Malaval. Charlotte de Solignac. Joffre ptre.
Desserre, ptre Delauzun. Colombier d'Azemard.
(3) « Le premier jour du mois d'aoust mil sept cens un est née et a été solemnellement baptizée le quatrième dud mois Ursule fille naturelle et légitime de noble Jean Joseph de Surville, écuyer, seigr de Malaval et des Hermessènes et dame Louise de Reyuaud mariez de la paroisse de notre dame de Gras dioceze de Viviers. Son parrain a eta noble Jean Baptiste de St Ferreol habitant du lieu du pont de Barez dioceze de Die, sa marraine demlle Françoise Nicol habitante dud lieu de Gras. Pn Mssre Esprit Boysson pretre et vicaire dud Gras et François Delauzun pretre originaire du meme lieu soussignés avec lesd sri de St Férreol, Malayal et Nicol a la réquisition qui ' leur eu a êlê faite.
(Signés) Jean Baptiste de Saint Ferreol. Malaval. Françoise Nicol.
Boysson, ptre. Delauzun, ptre. Nicol, curé.
Nous reproduisons intégralement ces extraits, parce qu'ils indiquent plusieurs des relations de famille que les Surville avaient à cette époque.
(a) » ombelle, ravin entre Malaval et Baravon.
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de noble François de Surville, après (après, lui) Jean Jo- « seph de Surville », état conduit par notes marginales jusqu'en 1790.
Le présagé » cadastral des tailles de la famille de Surville était, dans les premières années du XVIIe siècle, « dex sols, » plus, pour Malaval et le Chastelas, XV liv. « III den. » Les domaines de Malaval ayant été, en 1696, déclarés « francs et quittes de toutes impositions », les tailles indiquées sur le Livre des chargements de Gras devaient se référer à des parties de ces domaines que les Surville avaient acquises depuis lors (1).
Far suite d'acquisitions diverses, l'allivrement cadastral des impositions de Malaval était, en 1743, de 22 livres 15 sols obole pitte (2).
À cette époque, vers le commencement du XVIIe siècle, au dire des anciens, bien que le fait nous paraisse très-douteux, les Surville eurent quelque temps pour demeure la belle maison du XVe siècle située tout près de" l'antique château, maintenant en ruines. Les Surville étaient toutefois bien loin de rivaliser avec la famille seigneuriale de tiras qui, avant ce temps-là, avait été la maison de Balazuc et ensuite la famille de la Fare, avant qu'elle ne devint celle des de Serre, et dont le château-fort occupait un très-
(1) « Le 15 may 1734, le sr de Surville se charge de IV 1. ij s vi d ob. pour ce qu'il a acquis du devons de Serroti de M. de Vallon.
« Tout XIX I. XVIII s. IX d. » , (Livres des changements.)
(2) « Le 15 may 1743, se charge de IY I. II s. I. d. cb. p. à la descharge de Jean Eldin, p. ce que ledit Eldin avait acquis du devuis de Serou.
« Ledit jour 15 may, deschargé, par Jean Eldin, de II. v s. x d. pour un devois et terres à Donnéze.
« Reste XXII. s. ob. p. »
(livre des chargements.)
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vaste espace sur le rocher calcaire qui domine la Nègué, coulant à deux cents mètres au-dessous.
XVI
L'histoire et les « savants » procédés de la critique.
Si nous . voulions suivre les procédés d'une, étrange critique aux yeux de qui les indications antérieures semblent parfois ne compter pour rien et qui referait volontiers le passé à sa guise, à peu près comme Hégél créait, les mondes à priori, nous nous dirions ici en retrouvant, dans les documents de l'époque, quelques noms de la maison de Surville
« Il est certain que les poésies publiées sous le nom de Clotilde, sont d'un genre qui rappelle souvent les formes littéraires du XVIIe et du XVIIIe siècle ; on y trouve la phrase développée, le contour net, les tons harmonieux du style de ce temps. Comme après tout, ces poésies paraissent venir d'une femme et d'une femme qui a dù appartenir la famille de Surville, supposons que c'est une de celles que mentionne alors l'histoire de cette maison : Louise, l'exélève de St-Cyr, Marie-Madelaine ou Blandine. Choisissons l'une ou l'autre de ces figures ; érigeons-la en correctrice d'un travail primitif datant peut-être bien du siècle auquel on l'a attribué ; et présentons-la ainsi à nos lecteurs, en sachant découvrir quelque argument, spécieux au moins à certains égards, qui tâche de faire une réalité de l'oeuvre de notre imagination. »
Nous pourrions même être plus radical en critique: le genre est admis et réussit parfaitement. Alors nous nous dirions :
« Un fond poétique du XVe siècle, sur lequel des modifications auraient eu lieu, n'a jamais existé dans le cas par¬
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ticulier dont il s'agit. La pensée, te style ; ici tout est moderne ; tout y a le cachet du siècle dernier. Sainte-Beuve et Villemain, adoptant cette idée, ont fait de ces vers* le travail frauduleux d'Ètienne de Surville ; et des lettres, même en bon nombre, n'ont point trouvé cela mauvais. D'autres en ont fait l'oeuvre de Vanderbourg ; d'autres, celle un féodiste sans nom. Pourquoi n'en ferions-nous pas l'oeuvre immortelle de Louise ou de Magdelaine de Surville ? Essayons; il n'y a qu'à oser. D'autres ont bruyamment accrédité leurs vagues hypothèses : nos raisons vaudront bien les leurs. »
Nous ne le ferons pourtant point ; nous comprenons tout autrement les droits et les devoirs de la critique. Nous ne nous permettons pas de faire table rase d'indications anciennes, de plus d'une sorte et de plus d'une origine, et de témoignages nombreux nullement dénués de fondement.
Quatre auteurs ont déclaré avoir fait subir dés remaniements à une oeuvre première due, selon eux, à Marguerite-Clotilde de Surville : ce sont Jean de Surville, Jeanne de Vallon, Étienne de Surville et Brazais. Nons ne tenons pas à inventer un autre correcteur de ce genre, pour avoir le mérite de l'ajouter à tous ceux-là ou de le leur substituer à notre fantaisie, en allant le chercher à Gras ou à Valvignères, à la fin du : XVIIe siècle ou dans la première moitié du siècle suivant.
Quant à faire de cet personnage de notre création littéraire , l'auteur d'un chef-d'oeuvre, modifié sans doute, mais comparable à ceux des plus grands poètes, nous l'essaierons encore moins ; nous croirions que ce, serait pousser la sagacité pleine de finesse, presque jusqu'aux limites de l'ineptie. De quel droit décerner le génie, selon notre caprice et sans une preuve de quelque valeur ? Est-ce donc 1e premier venu, parce qu'il aura fait de pauvres vers, qu'il aura déchiffré de vieux grimoires ou qu'il saura, même à fond, si l'on veut, le français du XVe siècle, qui viendra, indigent
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versificateur ou érudit en linguistique et grammaire, insufffler l'âme et la vie dans une des plus rares oeuvres que mentionne l'histoire des lettres, anciennes et modernes ? Ou bien encore, parce que tel ou tel, — homme ou femme, il importe peu, aura été de la famille de Surville dans le temps où l'on peut supposer que des modifications furent apportées au travail de Marguerite, est-ce une raison qui permette de dire ou simplement d'insinuer, en le signalant : « L'auteur de génie qui a créé ces oeuvres, il n'a pas dit son nom, il l'a enseveli ; on ne l'a jamais soupçonné, mais le voilà ! »
XVII
Les Surville à Valvignères,' Jean-Paul de Surville. Jacques de Surville.
Il se fixe à Viviers. Ses enfants ; Jean-Stanislas, precenteur de l'Église de Viviers. Sentiments religieux de cette famille.
A cette époque, c'est-à-dire dans une des années voisines de 1720, les Sur ville, de Gras, tout en conservant la plupart des propriétés qu'ils avaient dans cette localité allèrent, pour des motifs que nous ignorons, résider non loin de là, à Valvignères.
Valvignères est situé environ à dix kilomètres au nord-est de Gras, dans lu même groupe de montagnes. Il est au milieu d'une étroite vallée fermée à l'orient et à l'occident par deux chaînes de calcaire crétacé qui vont, vers le midi, se rattacher à la Dend'Arès.
C'est un vieux petit bourg ayant une enceinte intérieure où se trouve l'église et que l'on appelle le Fort ; autour est une seconde enceinte ayant jadis deux portes et cinq tours.
La maison des Surville occupait la petite tour du sud-est ; elle n'a qu'un étage ; elle a pour porche un arceau de cam¬
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pagne ; un escalier rustique conduit à une terrasse sur laquelle s'ouvrent quatre pièces qui durent être bien modestes, avant d'être devenues des greniers. De là, la vue s'étend sur le vallon et sur des cimes déboisées ; on a devant soi des ravins, pleins d'ombre ou d'éblouissante lumière, au fond desquels les eaux de ces montagnes coulent vers l'Escoutay, entre des pentes sauvages où çà et là, sur le buis et le thym, croissent des micocouliers, des chênes-verts et des arbres Se Judée.
Ce fut là la demeure de la famille d'Étienne de Sur-ville.
Valvignères, éloigné de deux lieues, à peine, d'Aps et des ruines d'Alba Helviorum, eut à l'époque gallo-romaine ses nombreuses villas assises auprès des bois, des prairies et des vignes. Aujourd'hui prairies et bois ont disparu ; les vignes, qui ont valu son nom à ce lieu, ont seules maintenues, jusqu'au fléau de ces derniers temps, leur vieille renommée remontant à la migration des Phocéens ou du moins à la période latine ; des fermes tranquilles et des champs de blé présentent leurs cultures au milieu du paysage d'un aspect, en général, aussi aride que celui de Gras et de Vesseaux. Comme Gras, d'ailleurs, Valvignères est, depuis des siècles, un généreux pays de foi et de simplicité de moeurs.
Les Surville avaient dans ce territoire trois domaines, situés aux quartiers des Flogères, du Pradas et de Combeserre.
Les anciens registres de la paroisse nous montrent là, pendant plusieurs années, la famille de Jean-Joseph de Surville. Il y vit quelques-uns de ses enfants le précéder dans la tombe (1) ; et lui-même y mourut, le 8 avril 1746. (2)
(L) « Le 20 may 1743, a été ensevelie dans l'église dam1* Dlandine Survile decedee le 19 dud. à 2 h. du soir munie des sacremens, prasens Claude Surel et André Terrasse.
Signe : Lafarge, cure. »
Ancien registre de la paroisse de Valvignères.
(2) « Le 9e avril a ete enseveli dans l'eglise de Valves noble Jean Jo¬
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JEAN-PAUL, DE SURVILLE, fils aîné de Jean-Joseph, lui succéda dans la seigneurie de Malaval et des Hermessènes. Il résida, semble-t-il, le plus souvent à Gras, tandis que Jacques son frère continuait à demeurer à Valvignères.
Il mourut à Gras, le 23 février 1764. (1)
JACQUES DE SURVILLE, son frère, fit après lui seigneur de Malawi. Il avait été capitaine au régiment de Berry et avait épousé Suzanne de Rey, (2) du diocèse de Castres ; il en eut trois fils et quatre filles. Ses fils firent Joseph Étienne, Charles ( 3 ) qui vécut peu de temps
seph de Survile de Malaval âgé de 87 ans decedé le 8 à 3 li. du m. ayant receu les sacremens et les secours de l'Église, pus sr Esprit De. lauzun et sr Esprit Fabri curé de Gras.
Id.
(1) « L'an de grâce mille sept cens soixante quatre et le vingt troisième jour de février est decedé messire Jean Paul de Surville de Mala-val conseigneur de Gras et seigneur des Ermecenes, âgé d'environ soixante sept ans ; le vingt quatrième dud mois il a ete enseveli dans l'eglise de St Blaise apres avoir receu les sacrements da penitence d'eucharistie et d'extreme onction ; ont été présents à son convoi Claude Breton et Estienne Helly illiterés.
« Signé : Fabry, curé. »
Ancien registre de Gras.
(2) Nous ignorons pourquoi l'épouse de Jacques de Surville est appe lee de Reynaud, dans le contrat de mariage d'Étienne de Surville. Le registre de Valvignères, d'accord en cela avec le témoignage des membres survivants de sa famille, l'ont nommée de Reg.
(3) « L'an mil sept cens cinquante neuf et le premier avril Charles de Surville de Malaval a ete baptisé troisième jour de sa naissance fils légitimé a noble Jacques de Sur ville de Malaval chevalier de St-Louis et a dame Susanne de Rei, de la paroisse et lieu de Valvignières ; parain mesire Charles Mercoyrol de St.Pons chanoine precenteur de l'Eglise cathedralle de Viviers, maraine demoiselle Louise Therese de Malaval signes,
Signé : de St Pons, chmeprieur Signé : Surville. Signé : Louize
Theres de Nalaval.
Ancien registre de Valvignères.
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et Jean-Stanislas ; ses filles se nommèrent Marie-Jeanne,(1) Suzanne (2) morte toute enfant, Louise et Angélique.
Après avoir habité d'abord Valvignères avec sa famille qui avait aussi quelques propriétés tout près de là, dans la commune d'Aps, il vint résider à Viviers, vers 1766 (3).
Le Livre des délibérations du Conseil politique de Vi viers nous montre Jacques de Surville nommé, dans cette ville, « conseiller politique de la première échelle », le 23 juin 1767. Nous le retrouvons membre de ce Conseil en 1782 et en 1786.
(1) « L'an mil sept cens cinquante huit et le huitième janvier demoiselle Marie Jeanne de Surville de Malaval a été haptizee troisième jour de sa naissance, fille légitimé a noble Jacques de Surville de Malaval chevalier de St Louis et de dame Suzanne de Ray habitans pour le présent au lieu et paroisse de Valvignieres ; parain noble Pierre Joseph de Malaval chevalier de st Louis, maraine demoiselle Magdelaine de Malaval oncle et tante de la baptisee ; presens sr Jean François Helly nore de Gras et Jean Durand précepteur de la jeunesse signés avec
a Signé : Helly. » Signé : Dnpte curé. »
Ancien registre de Valvlgnères.
(2) « L'an mil sept cents soixante et le vingt quatriesme jour du mois dejfiin demoiselle Suzanne de Surville de Malaval a esté bïptisee le second jour de sa naissance bile légitimé a noble Jacques de Surville ancien capitaine d'infanterie au régiment de Berry et chevalier de Por dre royal et militaire de St Louis et dame Suzanne de Rey, du lieu et paroisse de Valvigneres ; parrain noble Pierre Joseph de Surville de Malaval son oncle chevalier de l'ordre royal et militaire de St Louis et dame Suzanne de Marignac, a l'absence de lad dame demlle Louise Vignal ayant tenu la main; presenls me Jean François Helly nre signé, Farjon illiteré. »
Signé : Surville. Signé : Malaval. Signé : Helly.
Id.
(3) C'est alors que vivait Jean-François-Marie de Surville, officier de marine, né en 1717 au Port-Louis, près Lorient et devenu gouverneur de Pondichéry. Il fit plus tard un voyage de découvertes dans l'Océan pacifique, mourut dans ce voyage en 1771 et fut enseveli à Lima.
Aucun lien connu de parenté n'existait entre la famille de cet officier breton et les Sur ville du Vivarais, dont nous esquissons l'histoire. On doit en dire autant des Surville qui ont habité le Dauphinô et le Péri-gord, et aussi, — comme nous l'affirmait M. du Charnève neveu des
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On voit encore à Viviers, dans la rue de la Roubine, la maison de Surville. (1) Cette maison, du XVIIIme siècle, ayant une vaste pièce au rez-de-chaussée et quelques autres au premier étage qui donnent sur la rue ou sur une petite cour intérieure, annonce une des belles maisons de la petite noblesse de ce temps. C'est là qu'Étienne de Sur ville retrouva les oeuvres de Marguerite ; et c'est là aussi que sa mère passa, seule et presque dans le dénûment, les plus sombres jours de la Révolution.
La famille de Surville avait de plus, aux environs de Viviers, tout près de l'Escoutay, une petite propriété d'agrément, avec un pavillon, appelée le Colombier.
Jacques de Surville, chevalier de St-Louis, mourut à Viviers, vers 1787 (2).
Voici ce que devinrent ceux de ses enfants qui lui survécurent.
Marie-Jeanne, l'ainée de ses filles, ne se maria pas. Elle resta, comme-suspecte, quinze mois en prison sous la Terreur, au séminaire de Viviers. Elle vécut ensuite à BoùrgSt-Andéol et y mourut dans une extrême vieillesse, en 1840. Elle y était connue sous le nom de Mademoiselle de Malawi.
Louise épousa M. du Charnève, gentilhomme qui demeurait au Charnève, dans la commune de St-Montant, près de Bourg-St-Andéol, et qui fut, lui aussi, incarcéré pendant quinze mois à Viviers, en 1793 et 1794. Elle mourut au Charnève en 1821. Elle laissa deux fils, l'un et l'autre sans postérité, et dont le dernier vit encore.
derniers Surville du Vivarais, — de lu famille qui porte ce nom et qui réside dans le Gard.
(1) Cette maison appartient maintenant à M. Lebrat.
(S) Sa mort dut arriver avant l'Assemblée générale des trois ordres du Vivarais, de 1788, réunion de toute la noblesse du pays et dans laquelle son nom ne paraît pas.
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Angélique de Fontbelle, la troisième des filles, emprisonnée quinze jours seulement pendant la Révolution, épousa ensuite M. Rey, à Avignon, où elle mourut en 1810 (1).
Jean-Stanislas, le plus jeune des fils, nommé dans sa famille l'abbé de Surville, reçut les ordres mineurs et devint, très-jeune encore et peut-être aussitôt après son cousin Charles Mercoyrol, précenteur de la cathédrale de Viviers (2). Sa nomination à cette charge, avant l'âge où l'on y arrivait ordinairement, ayant siulevé, parait-il, une vive opposition de la part de plusieurs membres du Chapitre, l'affaire fut portée en cour civile et en tribunal eccclésiastique ; le jeune précenteur fut maintenu dans son titre, avec lequel il figura à l'Assemblée des trois ordres du Vivarais, en décembre 1788.
En voyant un membre de la famille de Surville revêtu de cette petite dignité ecclésiastique, il est peut-être juste de rappeler que les sentiments religieux furent héréditaires dans cette maison, soit dans la branche de Vesseaux, soit dans celle de Gras, soit dans celle de La Villedieu.
De tout temps, depuis Bérenger et Marguerite et sans doute aussi depuis leurs ancêtres, l'attachement à la foi catholique et la pratique de son culte y furent comptés au premier rang des biens qui font le patrimoine et l'honneur d'une famille.
Toutefois le sentiment chrétien que l'on observe chezeux y eut le caractère qu'il eut généralement dans le Vivarais, pendant ces quatre siècles : la foi y fut un peu formaliste ; elle y manqua d'ardeur et d'élan.
Stanislas de Surville émigra en 1792, et devint capitaine dans l'armée de Condé ; mais, plus prudent que son frère
(1) Une de ses filles fut Mme de Bernardi.
(2) On montre encore à Viviers la maison du précenteur de Surville, vis-à-vis la principale porte de l'enceinte du cbâteau.
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Étienne, il ne se lança point, comme lui, dans les plus périlleuses aventures. Il ne rentra en France qu'en 1800 ; et, se trouvant alors sans fortune, après la confiscation et la vente révolutionnaires des principales propriétés de sa famille, il demeura quelques années chez son beau-frère, M. du Charnève.
Après avoir été, sous la Restauration, trois ans à peine, commandant à Toulon du fort Lamalgue où il laissa les souvenirs de l'honneur et du devoir noblement rempli, il passa à Carpentras, dans la vie privée, le reste de ses jours. Il était chevalier de St-Louis. Il ne se maria pas ; il mourut aux eaux de Gréoux, le 27 août 1837.
Dernier survivant d'une famille qui ne fut point sans gloire, il s'en alla emportant un renom de droiture, après avoir, dans sa modeste existence, subi avec une noble égalité d'âme l'inconstance de la fortune, le contre-coup des délires populaires et l'ingratitude des rois. (1)
Son frère Étienne eut cependant une bien plus orageuse vie.
XVIII
Étienne de surville. Son éducation, ses goûts intellectuels. Il fait la guerre de l'indépendance d'Amérique. Il retrouve à Viviers les oeuvres déjà modifiées de Marguerite de Surville.
JEAN-JOSEPH-ETIENNE DE SURVILLE naquit en 1755 (2). Il fit ses études à Viviers sous un précepteur, l'abbé Gent. Il eut dans son enfance le spectacle des sites accentués du
(1) En 1815, Stanislas de Surville se présenta à Louis XVIII, avec la lettre par laquelle ce prince avait autrefois charge son frère de la mission insurrectionnelle dans le Midi, où il avait trouvé la mort. Il n'en obtint que quelques mots et que l'accueil le plus indifférent. Deux ans après, grâce à quelque prolecteur influent, il bit pourtant nommé commandant du fort La nalgue ; mais bientôt il lut forcé de quitter ce poste, avec le minimum de retraite.
Ces témoignages de royale gratitude envers une famille qui avait tout sacride pour défendre la cause monarchique, le neveu d'Etienne et de Stanislas, M. du Charnève nous les redisait récemment, encore sous l'impression du plus pénible souvenir.
(2) Nous avons cherché vainement son acte de naissance dans plusieurs localités du Vivarais. Nous pouvons supposer que Jacques de
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Vivarais, — Valvignères, Viviers, Gras, Malaval, les Hermessènes, — qui, dès sa première jeunesse, parlèrent à son imagination.
Il montra de tonne heure les qualités et les défauts d'une nature ardente. A l'impétuosité méridionale, à l'esprit d'aventure et à la spirituelle légèreté des gentilshommes de l'époque il alliait déjà la fermeté du caractère, le désir de servir de nobles causes et la soif d'illustrer son nom.
Il offre en lui dès lors un des types de la noblesse de ce temps. A seize ans, il a embrassé la profession des armes ; à dix-huit ans, il est épris de la littérature sentimentale de Jean-Jacques Rousseau. Ses pensées religieuses peuven alors être un peu voisines du déisme vanté par des lettrés en renom. Il se passionne pour la franc-maçonnerie qui allait, jusqu'en 1792, être un des plus dangereux engouements de notre frivole noblesse. Mais toutefois la séduction de ces idées fallacieuses ne l'entraîne point jusqu'à l'abandon des croyances catholiques, comme elle le fait pour beaucoup de ses contemporains, pour bien des membres d'une aristocratie qui faisait descendre à notre pays le chemin de la décadence et opérait gaiement l'oeuvre de la corruption nationale.
A cette époque, Étienne de Surville aime la liberté politique d'une manière qui semble assez éloignée des tendances de l'ancien régime ; et ces sentiments durent chez lui jusqu'à ce que la tourmente révolutionnaire en ait fait un des plus fougueux partisans de ce qui avait constitué la vieille monarchie.
Avec un mélange de pensées généreuses et d'idées d'ambition précocement éveillées dans son âme, il fait d'abord
Surville n'ayant quitté la carrière militaire que quelques années après son mariage, Élienne est né peut-être, ainsi que son frèro Jean-Stanislas, dans quelque ville Lors du Vivarais. Jacques de Surville était déjà, en 1788, venu demeurer à Valvignères dans la maison de sa famille.
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la campagne de Corse ; puis, à vingt-deux ans, il part à la suite de l'amiral Rochambeau, pour la guerre de l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique. Après quatre ans d'absence, il revient en France en 1781 ; il retrouve à Viviers son père, sa mère, son frère et ses soeurs.
C'est alors, en 1782, qu'il se mitun jour, avec un féodiste, , à compulser les anciens papiers de sa famille, dont plusieurs étaient restés à Gras pendant deux siècles avant qu'ils n'eussent été apportés à Viviers, En faisant ces recherches, il trouva parmi ces papiers un manuscrit dans lequel il lut, avec le féodiste, quelques vers qui frappèrent son attention. C'étaient les stances à Rosalyre, des poésies de Marguerite, et un de ses rondeaux au sujet d'Alain Chartier. Ce manuscrit ainsi retrouvé était très-probablement, nous l'avons dit, la copie de ces poésies faite par Jeanne de Vallon avec l'aide et les conseils de son beau-père.
Étonné de la beauté de ces vers, Etienne les transcrivit avec quelques autres ; et il lut certains de ces fragments à son frère qui, plus tard, a attesté maintes fois ce fait. Cette découverte l'engagea aussitôt à étudier notre vieux français sur lequel les Sallier, les Borel, les Sainte-Palaye, les La Combe et d'autres sagaces érudits avaient déjà, dans le courant du siècle, publié de remarquables travaux.
Il copia alors, en entier, le recueil qu'il avait trouvé. Un témoin très digne de foi, ami d'Étienne de Surville et officier, comme lui, au même régiment, M. de Fournas (1), retiré aux environs de Quimper après la Révolution, a affirmé depuis lors qu'à l'époque dont nous parlons ici, étant venu passer quelques jours à Viviers, il avait vu dans les mains de son ami ce manuscrit, d'une écriture menue et peu lisible, qu'Étienne copiait. En y jetant un rapide coup
(I) Cet officier était sans doute proche parent de M. de Fournas, alors vicaire-genéral à Viviers; et il avait dd venir dans cette ville pour y voir à la fois son parent et son ami de Surville.
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d'oeil, il avait pris cela pour du languedocien. Cette méprise ne détruit point le témoignage de M. de Fournas, comme quelques légers sceptiques se sont plu à le dire ; elle prouve seulement que le jeune officier avait mis de l'inattention à examiner ce manuscrit et qu'en ouvrant ce cahier où il ne put déchiffrer ^que quelques mots, il était probablement tombé sur des vers, tels que ces poésies en contiennent, où des termes languedociens sont mêlés à d'autres, directement empruntés par l'auteur à la langue latine.
Étienne, triomphant de sa découverte, donna, la même année ou l'année suivante, copie de l'une des pièces de ce recueil, l'Hèroïde à Bérenger, à un autre de ses amis, le comte de Gibon de Kérisoët, qui, devenu plus tard lieutenant-général, communiqua cette copie à Charles de Vanderbourg, en l'assurant qu'il la possédait depuis cette époque (I).
XIX
Étienne de Surville epouse Mlle Pauline d'Arlempdes de Mirabel. Il devient marquis et membre du Conseil de Viviers. Il fait faire des recherches au sujet des Surville de Vesseaux.
Étienne était alors capitaine au régiment de Picardie et Colonel-général (premier régiment d'infanterie de ligne. Infatué depuis longtemps de pensées nobiliaires, alors même qu'il servait la cause de la démocratie américaine, il ne pouvait se contenter de la perspective de n'avoir un jour que la petite seigneurie de Malaval et des Hermessèties. Dès la fin de 1785, il fit valoir la noblesse de sa famille, ses campagnes de Corse et d'Amérique, où il avait fait preuve de bravoure, et l'alliance qu'il avait en vue à ce moment.
(1) Vanderbourg. Notes dus poésies de Clotilde de Surville. Edition de 1834, page 10.
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Bientôt marquis sans doute, et déjà capitaine, il pouvait songer à un riche mariage qui ne tarda point.
Le 28 février 1786, il épousa Mlle Pauline d'Arlempdes de Mirabel, fille d'Augustin d'Arlempdes, comte de Mirabel, (1) et d'Antoinette de Geys de Montgaillard (2). Cette uni-
(1) M. de Mirabel, qui resta dans ses terres pendant la Révolution, a laissé un souvenir de bonhomie et d'aimable simplicité sans fausses prétentions aristocratiques.
(2) « L'an mille sept cent quatre vingt six et le vingt huitième jour du mois de février, mre Jean Joseph Etienne de Surville haut et puissant seigneur capne au régi ment Colonel général de l'infanterie françoise et étrangère, fils légitimé à haut et puissant seigr mre Jacques de Surville chevalier de l'ordre royal et militaire de St Louis et à dame Suzanne de Reynaud (sic), de la ville et cité de Viviers d'une part, et demlle Marie Pauline d'Arlempdes de Mirabel, aussi fille légitime de haut et puissant seigr mre Antoine Régis Augustin d'Arlempdes seigneur et comte de Mirabel et à dame Antoinette Iphigenie de Geyz de Montgaillard comtesse de Mirabel, hante à son château du Pradet parr de Mirabel d'autre part, ont reçu par moy curé soussigné, après avoir reçu leur mutuel consentement, la bénédiction nuptiale après une publication faite à la messe du prone dud Mirabel aie meme qu'à la messe du prone de l'église de st Jean de la ville de Viviers; ayant annoncé dans lad publication la dispense de deux autres publications à faire accordée par M. de Fournas vicaire général du diocese en datte du 24 dud mois et sans qui (sic) nous ait apparu aucun empêchement canonique ny civille (sic), ainsi qu'il conste du certifficat contenant congé donné par M. de Glo de Besse curé de la cathédrale de Viviers en datte du jour d'hier, toutes les autres formalités de droit requises dûment observées en presence dud seigr comte de Mirabel, de mre Jacques Alphonse de Bazalgette seigr du Charnève du Bourg St-Andéol, de Me Jean François Helty nore graduel (sic) du lieu de Gras et M. Jacques d'Elhosto (Delhoste) nore de la psse de st Jean le Center
« Signes avec lesd mariés »
Signé : Mirabel Signé : Surville
Signé : de geys de Myrabel Signé : Mirabel
Signé : Du Charnève Signé : Delhosfe Signé : Faure, curé.
Ancien registre de la paroisse de Mirabel.
Cet acte de l'état civil est écrit en entier de la main d'Étienne de Surville qui avait craint sans doute que le cure de Mirabel n'y indiquâtpas suffisamment les titres de noblesse. Étienne a su les y accentuer, et presque jusqu'au ridicule. 11 se qualifie de haut et puissant seigneur, comme s'il se fut agi des Vogué, des Balazuc, des La Tour Maubourg, de l'un des barons des États du Vivarais.
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que héritière d'une importante famille duVivarais, apporta en dot à son mari la propriété du Pradel qu'Olivier de Serres avait illustrée et que les Mirabel avaient reçue en héritage de la famille du savant agriculteur. Madame Pauline de Surville était une femme d'un esprit des plus distingués, que des juges très-compétents à cet égard, tels que MM. J.-L. de La Boissière et de Vanderbourg ont justement apprécié d'après ses conversations ou d'après ses lettres. Elle vécut peu de temps avec son mari qui fut d'abord le plus souvent dans les garnisons et qui ensuite fut éloigné d'elle, comme émigré, les huit dernières années de sa vie. Elle n'en eut qu'une fille qui mourut tout enfant en 1791, peu de temps après le départ de son père pour l'émigration (1).
Dès qu'il fut marié, Étienne obtint, moyennant finance, le titre qu'il avait sollicité, et qu'il porta seul de sa parenté, avec son frère qui lui servécut. Ce qu'il y eut même de singulier, c'est qu'il fut marquis sans marquisat connu des derniers membres de sa famille (2).
La même année, Étienne entra dans le Conseil municipal de Viviers. Le 24 juin 1786, Jacques de Surville, depuis longtemps « conseiller politique » de cette ville et alors avancé en âge, résigna ses fonctions et son fils Étienne fut appelé à le remplacer (3).
(1) L'an mille sept cent quatre vingt onze et le vingt septembre est morte demlle de Surville fille légitimé à Mr.
Ancien registre de la paroisse de Mirabel.
(2) C'est ce que nous disait M. du Charneve, neveu d'Etienne de Surville.
(3) Extrait du Livre des délibérations du Conseil politique de Viviers :
« Du samedy vingt quatrième juin mil sept cens quatre vingt six. Le Conseil politique assemble dans la salle de l'Hôtel de ville par devant il. de Surville premier conseiller, en l'absence par maladie, de MM. lea consuls maires en la forme ordinaire, M. le juge absent quoique invité ;
« M. de Surville, faisant les fonctions de premier consul maire, dit que le Conseil politique est assemblé pour procéder au renouvellement
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C'est à cette époque qu'Étienne fit faire, au sujet de Clotilde et de ses premiers descendants, des recherches à Vesseaux où nous avions des membres de notre famille alliés aux Surville dont la descendance directe et le nom s'étaient éteints là depuis un demi siècle.
Ces recherches ne fournirent que les indications données par les Recounoissances pour te prieuré de Vesseaux au XVe siècle, les renseignements qui provenaient des papiers de la famille Thomas et les échos de la tradition locale sur l'épouse de Bérenger. On n'apprit rien, bien entendu, relativement au nom de Clotilde qui n'avait été qu'une invention du poète ; et ces investigations furent loin de faire connaître, sur ce qui concernait Marguerite, rien d'aussi précis que ce que le registre d'Antoine de Brion devait révéler, de nos jours. Etienne de Surville dut ainsi s'en tenir, à cet égard, à ce que pouvaient lui en dire les poésies déjà modifiées de Marguerite et quelques fragments de ses mémoires remaniés, dans le même sens semi-romanesque, par l'auteur, quel qu'il fut, qui avait retouché les poésies et qui avait imprimé sur ces deux oeuvres le même cachet de demie fiction.
Rien ne montre d'ailleurs qu'Étienne soit venu faire lui-même, à Vesseaux, des recherches à ce sujet.
Dans les années qui s'écoulèrent de 1781 à 1790, il venait parfois, de loin en loin, faire quelques parties de chasse à Gras, à St-Remèze et dans les gorges de Baravon dont les propriétaires, les Eldin, étaient de ses amis. Les anciens de
des conseillers politiques qui ont formé l'administration depuis leur nomination conformément à l'art. 13 de l'arrêt du Conseil du 27 octobre 1771 dont il requiert qu'il soit fait lecture. En conséquence, lecture faite du susdit arrêt par le secrétaire greffier, l'assemblée procédant au renouvellement des conseillers politiques de la première échelle a nomme et nomme M. le marquis de Surville au lieu et place de M" Jacques de Surville son père... M. le marquis de Surville étant absent a renvoyé sa prestation de serment a son arrivée. »
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ces lieux racontaient encore, il y a peu d'années, qu'au temps de leur enfance on le voyait passer quelquefois, bel homme à la physionomie énergique, à l'air extrêmement décidé, simple de goûts, vanité nobiliaire à part, brusque de caractère. Aux yeux de des habitants des campagnes, prévenus contre les hommes de son rang et qui d'ailleurs ne faisaient que l'entrevoir, il semblait partager entièrement — ce qu'il ne faisait point — la vie d'oisiveté d'une grande partie de la noblesse de cette époque.
Il lui avait fallu de l'argent pour son expédition d'Amérique ; il lui en avait fallu, au-delà de ses ressources et il lui en fallait encore pour sa vie de voyages et de garnison. Les Eldin lui en prêtaient assez libéralement. Quelques années après, pour contribuer au paiement de ces dettes, Étienne céda aux Eldin le moulin « seigneurial » que sa famille avait possédé longtemps près de Gras, sur le bord de la Nègue.
C'est en ce temps qu'Etienne, étant en garnison à Schlestadt, eut à Strasbourg une altercation des plus vives, surtout de sa part, et qui montre autant ses habitudes d'esprit que son caractère, avec des officiers anglais et principalement avec un capitaine de vaisseau appelé Middleton. Il s'agissait pour Étienne, dans nette fougueuse sortie, de la supériorité du courage français et de la lâcheté britannique. La dispute amena un duel qui eut lieu à la frontière. L'Anglais y fut blessé et Étienne en fut quitte pour un coup de sabre reçu à la joue gauche, le tout au profit de l'orgueil national
XX
Etienne de Surville versificateur. Ses opuscules en vers. Différence profonde entre son talent « poétique » et celui de Marguerite de Surville.
Malgré ses goûts d'homme d'action et bien qu'il y eut en lui, semblait-il, surtout du gentilhomme avant qu'il n'y eut
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du partisan, Étienne de Surville n'en avait pas moins déjà, à cette époque, une véritable ardeur littéraire.
Depuis ses premières années il avait aimé la littérature ; il l'avait cultivée même dans le cours des plus tourmentés de sa vie militaire. Aussi peut-on dire qu'il n'avait pu satisfaire ce goût que dans des conditions défectueuses à beaucoup d'égards, au milieu de l'agitation des camps où il consuma sa jeunesse.
Dès l'âge de 14 ou 15 ans, la poésie surtout l'avait séduit; et nous le voyons, de 20 à 30 ans, écrire et faire aussitôt paraître quelques pages en vers d'excessivement peu de valeur.
Avec une exubérance, jusques-là sans mérite, qui contribua à le faire appeler, plus tard, une « tête sulfureuse» par son ami Brazais, un vrai poète, quoiqu'en disent de petits Aristarques ; avec cette passion de versifier et de faire imprimer ses tirades, avant que son talent, quel qu'il pût être, fut parvenu à sa maturité, il chanta successivement l'Amérique délivrée (1), les voyages et la mort de Cook (2),la punition des Barharesques (3), les Fastes de la Maçonnerie (4). Il publia des stances aux Mânes du grand Rousseau, dans un petit volume paru en 1786, sous le titre d'OEuvres lyriques d'un chevalier français. Il avait alors 31 ans.
Tout cela était d'une indigente inspiration. Son talent poétique s'annonçait là comme très-médiocre ; ou plutôt cela ne montrait que le goût d'un versificateur qui se croyait poète et dont une des grandes ambitions était de l'être.
(1) In-8° de 18 pages. 1781.
(2) In-8» de 26 pages. 1782.
(3), In-8° de 26 pages. 1782.
(4) In-80 de 21 pages. 1785
Voir des extrait de ces pauvres opuscules dans l'ouvrage de M. Macé sur les poésies de clotllde de Surville. M. Macé est le premier qui ait reconnu, de nos jours, l'oeuvre d'Etienne de Surville dans les OEuvres lyriques d'un chevalier français.
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Il est vrai que, vers la fin de sa vie, en 1796, il composa une pièce mieux réussie intitulée : L'Ombre de Clotilde aux femmes poètes (1), et qu'il écrivit à la même époque un autre opuscule, en vers aussi, d'une valeur, semble-t-il, à peu près égale, et resté à l'état de manuscrit, sous ce titre : Marguerite-Clotilde-Élèonore de Vallon et Chalys à sa Majesté Catherine II, impératrice de toutes les Russies. (2). Il est vrai qu'on lui doit de plus, en partie au moins, certains fragments des oeuvres apocryphes de Marguerite, où l'on découvre en même temps, dans des morceaux tels que le quatrième chant du poème de la nature et de l'univers, l'oeuvre d'une plume bien plus habite que la sienne, le cachet du talent de Brazais ou de tel autre écrivain de noire siècle.
Toujours est-il que, dans toutes les productions en vers, qui sont indubitablement de lui, même dans les meilleures, il y a une indigence de fond, un manque d'originalité et de précision dans la forme, un élan mal réglé, une exaltation portant souvent à faux et sans sérénité, qui sont très éloignés des hautes qualités de l'art, surtout de l'expérience consommée et du génie puissant qui se manifestent dans les poésies de Marguerite.
En le jugeant ainsi dans un esprit exempt de passion, voulons-nous dire qu'il ait été sans talent ? Nous ne le disons point.
Ce ne fut pas un écrivain entièrement dépourvu d'aptitudes littéraires, celui, qui composa L'Ombre de Clotilde aux femmes poètes et des vers comme ceux qu'il interpola
(1) Cette pièce a été publiée, dans le volume faussement intitulé Poésies inédites de Clotilde, par Charles Nodier et de Roujoux qui l'avaient trouvée dans en des cahiers qu'Etienne de Surville avait laisses à Mme de Potier.
(2) Ce manuscrit, de 24 pages, appartient à la famille de Bernardi, le Carpentras, qui l'a reçue de Stanislas de Surville.
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dans beaucoup de poésies de son aïeule ; celui qui traça, avec des aperçus ingénieux sinon toujours exacts, l'esquisse de la littérature romane du Nord, dont les premiers essais avaient contribué à frayer la voie au génie exceptionnel de Marguerite.
Dans L'Ombre de Clotilde, Etienne de Surville montre un talent égal à celui de bien des lettrés de son temps, à celui de poètes d'un ordre très-secondaire, tels que Sainte-Beuve et d'autres qui, dans notre siècle, ont obtenu quelque célébrité.
Ce qui d'ailleurs apparaît clairement dans ces vers, c'est que, loin d'avoir inventé « la fiction de Clotilde » et de tout ce qu'il nous a transmis an sujet des femmes poètes antérieures à elle, Etienne y parle non-seulement en esprit convaincu de la réalité de leur existence mais même comme quelqu'un qui est sous le charme de leur poésie.
Qu'Etienne de Surville eût écrit à la fois et L'Ombre de Clotilde et les oeuvres parues sous le nom de son aïeule, ce serait là un double prodige littéraire, comme l'histoire n'en a pas mentionné un seul. Il y aurait d'abord ceci de surprenant, que le versificateur vulgaire de L'Ombre de Clotilde eût été à la même époque ou plutôt eût commencé par être le poète hors ligne que les oeuvres de Clotilde révèlent. On pourrait ensuite se demander, non sans étonnement, — quelque idée que l'on ait des jongleries littéraires, — comment Etienne, ayant inventé ces mystifications, a su néanmoins les chanter, dans l'Ombre de Clotilde, en langage du XVIIIe siècle, avec la plus chaleureuse animation, avec l'élan le moins joué et avec la plus fervente conviction. Nous laissons ces prodiges ou simplement ces explications difficiles à nos critiques en renom.
Pour nous, tout en nous élevant contre une fantaisie de gens d'esprit trop voisine de la dérision littéraire, nous ne reconnaissons pas moins à Étienne de Surville un talent d'une certaine valeur, quoique d'une ampleur modeste, il
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est vrai. Nous pensons même que les littérateurs qui l'ont ridiculement surfait, pour le besoin d'une mauvaise canse, ne lui ont pas rendu justice dans la mesure des éloges restreints mais sincères qu'il méritait.
Nous dirons tout à l'heure ce qu'il fut comme écrivain en prose. Citons ici l'un de ses meilleurs morceaux en vers ; il est extrait de l'Ombre de Clolilde aux femmes poètes :
O mes charmans appuis ! que vos arrêts suprêmes,
Chez un peuple souvent amoureux des extrêmes, « Préservent les écrits ravis à mon cercueil
« Et d'un trop vif éclat et d'un trop froid accueil ! « Surtout épargnez-leur, ornements de la France, « Les décrets qu'au hasard sème l'indifference !
• Montrez aux vains échos de ces décrets confus . i Ce que je pouvois être et non ce qne je fus ;
Oui, ce que j'eusse été si ma lyre superbe « Eût frappé seulement l'oreille de Malherbe ;
« Si, même, ce grand roi, protecteur des Marots,
« Ce roi, vivifiant, du coup d'oeil des heros,
« Les beaux arts, engourdis dans ces antiques sources « Qu'épargna le fléau vomi par les deux Ourses (1),
<1 François, un peu moins tard eut régné sur nos lis ; « Que dis-je ? si, du fond des antres des Chalys,
« Sous un règne affranchi de discordes civiles, i Le sort m'eût transporté dans la reine des villes. >
On le voit, cette page, comme toutes les autres de ce morceau, a l'accent de la plus ferme conviction en ce qui concerne l'authenticité des poésies attribuées à Marguerite.
Ces vers ne sortent d'ailleurs en rien des idées et des sentiments littéraires du XVIIIe siècle ; ils portent, en même temps, plusieurs traces de goût faux ou douteux ; ils ont une affectation et une endure qu'on ne trouve jamais dans les poésies de notre auteur.
(1) « Les Goths et les Vandales » (note del'auteur). Nous voyons là, dans ces deux vers , un exemple du mauvais emploi des images et de l'obscurité que l'on trouve fréquemment chez Étienne de Surville.
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Voulons-nous, d'un coup d'oeil, juger du contraste qu'offre cette manière avec celle de Marguerite ? Lisons ces quelques vers, du même rhytme, d'un fragment descriptif où il ne faut chercher du reste ni le tableau d'un site du Vivarais ni celui d'aucun autre de France. OEuvre d'imagination, comme en créent les poètes, cette page n'a visé qu'à mettre en lumière les destructions que le temps amène :
« Dans la cour et parmy cent portiques desers,
« Des ormes non plantez s'elevent dans les airs ;
« Au centre, où creust jadis une source perenne,
« L'urne d'où faillissent, trytons voire et syrenne « Soustinrent enlacez; ainsy, d'humain sçavoir,
« Mollement respirer brunze on ne cuyda voir.
« Ah ! se respire encor, n'est-ce au moins sans fracture. « Maint arbuste aux trytons siert de Yerte ceincture;
« Et la nympbe, sans ctaief, loing du stérile ayguier,
« Ores n'embrasse plus qu'ung sauvage figuier.
« Du cylindre essesche de l'inutile amphore « faillissent tendres lects de jeune sycomore « Dont le tronc destructeur doibt, rival des ormeaulx, i Sur tant bel oeuvre, ung iour, espandre ses rameaulx. « En place des frestins qu'emplirent la piscine,
« N'est d'berbaiges maulvaiz que n'y pregne racine, « Ny rept les terreulx, ne talpes ne lezars Qu'y cessent d'oultragier ce prodige des ars. « Veulx à tout penestrer dans l'edifice interne, Plus n'inspira tremeur soeil de l'atre caverne « Où Cyclops Ulyssins dévora palpitans.
« ley, monstres de nuict, eternels habitons, i Tapis en nids obscurs, n'errent qu'en les tenebres ; « En hault, de la noctuLe et des hiboulx funebres « A grand payne oyez-vous les cris sourds et plainctifs ;
« Plus bas, à petit bruit, feroces et craineufs,
« Rats, mustelles, tayxons, sanguineuses fouynes « Querrent proye à travers comblemens et ruynes ; a Vilz hosles vont creusant leurs fetides terriers « Soubz porges qu'aabitoient invincibles guerriers (1) »
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Fragments d'Epistres, II. Avons-nous besoin de faire remarquer que ce morceau n'est point du même genre q ue le tableau descriptif du moulin delà Motte ou des Far-
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Entre une poésie d'un pareil souffle, comme les faiseurs de pastiches n'en font point, et les vers que nous reproduisons d'Étienne de Surville, il y a un abîme. Ceux-là ont peu de nerf et excessivement peu de précision ; ils passent brusquement de la mollesse au ton exagéré ; ils ont la plupart des défauts et quelques-unes des qualités aussi des vers français du XVIIIe siècle. Celle-ci, au contraire, est puissante presque sans effort ; l'inspiration y jaillit soudain ; et dans ses vers également martelés, on entend résonner les accords vibrants de l'énergie latine. Il y a pourtant plus de raideur et moins de développement harmonieux que dans les principaux poètes latins de la grande époque ; et il ne pouvait qu'en être ainsi, puisque l'auteur créait là, en grande parité, sa langue poétique, en combinant avec des latinismes, heureusement choisis et employés, l'idiôme de la France du Nord et certaines formes particulières à notre idiôme du Midi.
A ceux qui ne sentent point des différences aussi essentielles, comme modes de poésie, il n'y a pas d'argument à donner : il n'en est aucun qui pùt leur montrer ce qui distingue une oeuvré magistrale d'une amplification vulgaire, ce qui sépare le coup-d'oeil du génie du tâtonnement des médiocrités.
glers, que nous avons cité déjà(a), quoique ces deux fragments portent, à n'en point douter, le cachet vraiment original du même auteur ? Dans la première de ces pages, le poète peint; dans la seconde, il imagine; dans toutes les deux, il excelle.
Ce serait bien peu comprendre les moyens qu'emploie la poésie, autant que l'oeuvre générale d'un poète, de chercher ici la description d'un lieu historique et de ne pas voir là un tableau, disons plutôt une photographie de la plus exacte réalite. Malheureusement, chez beaucoup de critiques qui traitent du sujet de ce livre, quelles que soient leurs qualités d'ailleurs, le sens poétique fait complètement défaut ; et ce n'est pas précisément dans ces conditions que l'on peut disserter avec justesse sur ce qui est l'oeuvre d'un grand poète,
(a) Premiers partie, XII, page 53.
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Ainsi, quoique Étienne de Surville ait eu, comme versificateur, certaines qualités qu'il faut reconnaître, les graves défauts qui apparaissent dans toutes ses compositions de ce genre, même dans celles qui datent des dernières, années de sa vie, permettent de ne le mettre, sous ce rapport, qu'à un rang inférieur parmi les littérateurs modernes.
La beau esthétique brille de temps à autre, dans ses oeuvres soi-disant poétiques ; mais il n'y est, ni d'une manière sûre ni . avec une inspiration soutenue. Cet auteur n'est d'ailleurs point de ceux chez qui l'élévation de la pensée fait passer les imperfections de la forme. Il n'a point la haute conception de l'idée, le souffle puissant, le burin du style qui caractérisent un écrivain d'un vigoureux talent et lui font produire des créations durables. Il a pu faire quelques beaux vers ; il ne pouvait faire une grande oeuvre. Ses essais ont très-souvent un langage peu net, une exagération factice, un manque d'abondance dans les idées, un défaut de justesse dans les images, un accent emphatique et déclamateur qui font un saisissant contraste avec la poésie si simple, si précise, si mouvementée, si délicate et si vraie comme oeuvre d'art, qui caractérise les oeuvres de Marguerite (1).
Un jour, aussi bien, on verra un incroyable contre-sens littéraire et presque une dérision du bon sens, dans des affirmations comme celles de Sainte-Beuve, —de ce maître, pour les trois quarts de nos lettrés, — qui, avec une finesse étrangement en défaut, a osé attribuer à quelqu'un qui n'eut, comme versificateur, ni maturité de pensée ni fini d'expression, des poésies où éclatent à chaque page l'esprit le plus ferme, le goût le plus sûr, le moulé le plus net, la forme en un mot, qui, tout compte tenu des obstacles ve-
(1) Voir à la t/untrièitie partie, II, III et IV, l'examen des qualités poétiques de cet auteur et les marques de supériorité littéraire de ses oeuvres.
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nant de son époque ; allait être la plus rapprochée de la haute perfection de l'art. Et l'on verra aussi la superficialité d'un siècle qui a complètement accepté un semblable verdict rendu sans connaissance suffisante dés éléments d'information historique et littérairé ; qui a proclamé cet arrêt à peu près irréformable, alors que plusieurs oeuvres d'Étienne de Surville, ignorées il y a trente ans, sont venues s'ajouter à ce que l'on connaissait déjà de lui, pour prouver surabondamment son impuissance à créer un chef-d'oeuvre.
En attendant ce jour d'un peu plus de clairvoyance littéraire et d'un peu plus de justice aussi, professeurs, journalistes, écrivains illustres ou obscurs (1), ceux qui alimentent les feuilles quotidiennes ou les fières Revues, tous s'inclinent devant l'arrêt rendu. Magister dixit : Sainte-Beuve a dit là le dernier mot.
XXI
Étienne de Surville prosateur. Un de ses opuscules retrouvé récemment. Quels rapports il y eut, en résumé, entre son genre littéraire et celui de Marguerite de Surville.
Étienne de Surville eut un talent moins inférieur comme écrivain en prose. Bien que sous cette forme son style soit loin l'être irréprochable, il a cependant d'assez grands mérites que nous nous garderons de méconnaître.
On peut en juger par ces fragments tirés d'un deses opuscules que nous venons de découvrir (2) et qui est comme un
(1) Voir à la troisième partie, II, etc.
(2) Manuscrit de 21 feuillets in-4°; quelques feuillets manquent. Il appartient à Mme de Choras (a).
Ce manuscrit, où le nom d'Etienne ne figure pas, porte avec lui deux caractères qui le classent indubitablement parmi ses opuscules : d'est complètement dans sa manière, et lui sent peut tenir le langage que l'auteur de ces pages y tient.
(a) M. de Choras, ami et compatriote de M. M. du Charnfeve, avait connu J. Stanislas de Surville ; c'est par suite de ces relations que sa, famille possède ce manuscrit.
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exposé sommaire de l'histoire de Clotilde telle qu'Étienne la connaissait, c'est-à-dire, selon des données à demi exactes, à demi romanesques, ainsi que nous l'avons remarqué maintes fois. D'ailleurs, conformément à ce que nous avons dit (1) du double travail qui avait probablement été fait au XVIIe siècle sur les poésies et les mémoires de notre auteur, ce passage ne laisse pas que de jeter un certain jour sur la question qui nous occupe.
Le génie voyoit-il alors les médiocrités envieuses liguées contre lui, ou bien le talent supérieur était-il un obstacle à la célébrité des ouvrages ? Ne soupçonnerai ton pas avec raison l'un et l'autre par l'excessive sobriété de louanges que manifestaient tant de contemporain (d'ailleurs si prodigues d'encens) à l'égard de Christine de Pis n, leu maître à plus d'un titre ; en second lieu, par l'obscurite profonde-où les manuscrits ebarmans du père de Louis douze ont resté si longtemps enfouis? Sous ce double rapport, Clotilde, il faut en convenir, méritait un destin bien plus sévère encore que cette Christine élevee à la cour des rois et que le prince littérateur auquel Despréaux, s'il avait pu le connoître,eût fait partager infailliblement, au moins, cet éloge exclusif qu'on lit dans l'Art poétique, éloge à qui doit aujourd'hui Villon plus qu'à ses propres vers :
« Villon sut le premier, dans ces siècles grossiers,
« Débrouiller l'art confus de nos vieux ro nanciers.
« Et qui s'étonnera, voyant le grand-oncle de François premier, protecteur des beaux-arts et père auguste des Lettres, languir quatre cents ans dans le plus impardonnable oubli, que la même fatalité, presqu'à la même époque, se soit appesantie sur le fruit des loisirs d'une provinciale ignorée, étrangère aux intrigues, ennemie de la médiocrité, supérieure à son barbare (2) siècle, et du caractère le plus propre à décourager les prôneurs ? Essuyons de la faire connaître et surtout gardons-no us d'altérer, en les imitant, la modestie inséparable de ses pinceaux.
(1) Cf. Seconde partie. XIII.
(2) Avec cette idée, entièrement fausse, qu'Etiénne de Surville se faisait du quinzième siècle, d'une époque qui vit tant de nobles luttes intellectuelles et un si grand essor donné partout aux choses de l'esprit, est il possible de concevoir comment, doué du degré d'intelligence que supposent les poésies dont nos critiques le déclarent l'auteur, il aurait eu cependant la naïveté d'attribuer ces chefs-d'oeuvre à un personnage choisi par lui précisément à une pareille époque ? Cela impliquerait contradiction.
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« Clotilde-Eléonore de Vallon (1) (depuis madame de Surville) naquit dans les bois voisins autrefois de Vallon, château délicieux sur la rive gauche de l'Ardèche, dans le bas Vivarez et au commencement du quinzième siècle, de Louis-Alphonse-Ferdinand du Pont de Vallon-La-baume (2) et de la belle Pulchérie de Fay-Collan. Il est bien étonnant qu'ayant à se peindre dans le cours d'une si longue vie, elle dédaigne de fixer l'époque de sa naissance qui ne fut pas vraisemblablement an térieure à l'année 1403. Mais s'il est vrai qu'elle écrivit dcjà lors de son mariage dont le contrat en forme qui nous reste est de 1421 (3), on conviendra, je pense, qu'elle ne pouvoit guère avoir moins de quinze ans. Ainsi Clotilde, née d'après nos justes présomptions l'an 1405 ou 1406, a précédé de quatre-vingt-dix ans le poète Marot nè, si je ng me trompe, en 1495. Marot, qui pu la voir mourir, a vu naître le lyrique Malherbe, le purificateur du langage françois, né en 1556. Malherbe fut témoin des premiers succès de Corneille et devança d'un siècle entier M. de Fontenelle, lequel naquit en 1556 et qui mourut, comme Clotilde, la centième année de sa vie, en 1756. Et voilà, sans contredit, les cinq époques les plus remarquables des révolutions en matière de littérature, depuis l'enfance d'un idiôme aujourd'hui le plus répandu sur la face de l'univers.
« Il nous en coûte beauconp de ne pas laisser raconter à cette femme extraordinaire les événements d'une vie privée dont le moindre détail n'est point à rejeter. Mais le parfum de fleurs qu'elle répand à pleines mains et qui semblent colore incessamment sous sa plume poétique n'est pas toujours également agréable et pur : les coupures indispensables qu'exige roi t, même en les traduisant, la rédaction de ses mémoires nous ont tellement effrayé que nous nons bornerons à n'en présenter que les morceaux les plus faciles à rendre dans un langage plus épuré que le sien.
(1) On peut remarquer ici l'absence du nom de Marguerite; nous ne le trouvons pas dans ce manuscrit. Cette omission justifie ce que nous avons dit, première partie, VII, page 33.
(2) Cette fausse indication, que donne ici Etienne de Surville, d'une alliance entre les seigneurs de Vallon et les La Baume vient, croyons-nous, d'une confusion de dates assez grossière et se rattache sans doute à ce fait que, en 1584, Jean de la Gorce, petit-fils d'Antoine seigneur de Vallon, épousa Marie de la Baume (a).
(3) Contrat dont nous ignorons les termes, mais évidemment fabriqué au VXIIe siècle par ceux qui ont modifie, dans le même sens à demi romanesque, les poésies et les fragments de mémoires de Marguerite.
(a) Le château de La Baume, dont aujourd'hui il reste à peine quelques vestiges, était sur une des pentes du Koyron, entre Mirabel et la rivière de Claduégm.
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« Voici le débat de cet ouvrage. Y reconnoîtra-t-on le style pesant et diffus d'une eenteuaire aux bords de son cercueil? (1)
« Revenez, souvenirs des plus belles années de ma vie ! Jeltez une
lumière douce et consolatrice sur la carrière agitée que mes yeux affor « blis vont essayer de parcourir ! Que mes tableaux s'embellissent du jour « gracieux par qui fut éclairée mon aurore ! Puissent mes défaillantes « mains soutenir des crayons que, depuis si longtemps, elle avoit aban-donnés
aban-donnés Du moins pourroi-je me flatter, en quittant ce séjour de pri- « vations, de soucis et de larmes, qu'une partie de moi-même échappera peut-être à l'arrêt de ma destruction ! Peut être, après mille révolu- « tions de soleil, de fortunés descendants viendront, mes chansons à la i main, jetter ces roses sur tna.tombc (2) el «donner quelques pleurs à la « chaîne d'infortunes qui m'y conduit à pas si lents !
« Clotilde a vécu cent ans. Sous ses yeux tour à tour les généra- « tions, à l'égal des feuilles desséchées, ont tombé, disparu pour ne plus revenir ! Que d'empires détruits, de trônes ébranlés, de règnes écroulés ! « et que d'amis, que de parents, que de compagnes l'ont délaissée! Dieu ! quelle immense alternative de jouissances et de regrets ! Mais hélas !
« un siécle, un jour, une minute est-il de différence à l'instant du
« réveil qui précédé la mort ?
« N'attendez donc, ô vous qui lirez ces pages, ni méthode ni correc- « tion d'une plume accoutumée, des mon enfance, à errer au gréde mes différentes sensations. J'écris pour moi, peut-être au tant et plus que pour « les autres ; et qui sait mêmes ! je trouverai des lecteurs ? C'est à regret, i bien moins en historien qu'en poète (3), c'est à regretque j'emprunte « un langage plus humble que celui des vers ; mais Ovide étoit jeune
(1) Ce qui suit avait, selon toute probabilité, subi un premier remaniement au XVIIe siècle ; Etienne de Surville, à son tour, n'a pas manque, comme il le dit plus loin, de rajeunir un style qui résultait déjà d'un rajeunissement antérieur de celui des mémoires de notre poète. Grâce à ces rajeunissements successifs, nous avons donc ici le grand écart, en fait de « reproduction » d'un texte original ; et, dans ce morceau, l'on ne peut voir qu'une page d'Étienne écrite sur un fond d'idees et de phrases mêmes de Marguerite modifiees profondément. Admirons y toujours une belle esquisse de la vie agilee de notre poète.
(4) Si la phrase d'Étienne n'est, comme nous le présumons, que la traduction en style tout moderne d'une pensee de Marguerite, n'y avait-il pas là le pressentiment du génie ?
(3) Ceci vient tout à-fait à l'appui de ce que nous supposions avant de connaître ce manuscrit et de la conjecture que nous avons émise plusieurs fois dans ce livre : que les mémoires de Maiguerite furent peut-être loin d'avoir une valeur historique et qu'ils renfermèrent des récits, des embellissements au moins, qui pouvaient n'être qu'une oeuvre d'imagination,
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encor lorsqu'il essaya de se peindre aux yeux de la postérité dans cette « Elégie (1) qu'en vain je tenterois de prendre pour modèle ; et moi, quelqu'aisée que soit ma tache, heureuse-si j'ai le temps delà rem-Voilà
rem-Voilà style que nous n'étions pas habitué à voir sous la plume d'Étienne de Surville. Il y a dans cette page, une richesse de développement dont nous ne lui connaissions point le secret : il faut que le fond sur lequel il a écrit ce fragment remarquable, l'ait aidé puissamment Dans tous les cas," il y a là plusieurs des qualités d'un prosateur. La suite vaut moins. Étienne coutinue :
« Même variété ou plutôt même inégalité règne dans tout le reste, ainsi que dans les trois paragraphes que nous nous sommes permis de rajeunir un peu. C'est une liberté que nopsprendrous toutes les fois qu'il sera plus à propos de la laisser raconter, décrire ou philosopher elle-même. »
Rappelant, dans un prolixe récit, les jeunes années de Clotilde, Étienne ajoute ces détails qui méritent d'être reproduits :
« Les écrits de sa première jeunesse se bornent ; donc à l'Epitre à Rocca, qui semble, autant qu'on en peut juger par ce que le temps a respecté, l'essai d'un code poétique ; aux trois façons d'aimer, espèce de canevas trop ressemblant aux trois manières d'un célèbre écrivain, pour ne pas nous laisser soupçonner que Clotilde n'a peut-être été que trop connue ; à son petit Dialogue sur l'Amour ; à ses couplets ou triolets sur une absence ; à quelques rondeaux faciles à reconnoître ; peut-être enfin à quelques fragments de ce poème (la Lygdamiriade) auquel nous revenons si souvent et qui suppose, après tout, un travail de plusieurs années,
(1) L'exemple que Clotilde indique ici nous donne un motif très-plausible et tout-à-fait dans les goûts de son temps qui aimait àse modeler sur la lillerature latine,comme étant le motif qui aurait déterminé notre poète à écrire ses mémoires.
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Ces réflexions nous paraissent complètement justes ; et, de plus, elles nous semblent empreintes d'un vrai caractère de sincérité. Etienne ajoute :
« La perte de sa mère lui procura la connoissance de son époux. C'étoit l'usage alors, et cet usage existe encore dans la plupart de nos campagnes, que la noblesse se rendit certains devoirs sacrés, soit en «'offrant des services réciproques dans les besoins pressans, soit en se communiquant des consolations toujours précieuses de la partie l'amitié. Le seigneur de Challis (1) quoiqa'éloigné de prés d'une journée de marche des terres du seigneur de Vallon, ne crut pas pouvoir se dispenser de le complimenter sur la mort d'une femme adorée. Mais dans l'impossibilité où son âge et celui de la dame de Challis les met-toient l'un et l'autre de faire ce voyage dans le coeur de l'hyver, ils chargèrent le jeune Bérenger de Surville leur fils adoptif (2) d'aller témoigner leurs regrets à ce chevalier respectable. Il avoit fait ses premières armes sous ce guerrier renommé. Fils unique du généreux Reymond tué, comme l'apprennent les chroniques du temps, dans ce combat fameux par sa singularité entre sept anglais et sept français (3) d'où sortirent triomphans Barbazan, Châteauneuf et L'Escale, ce damoysel orphelin avoil trouvé de nouveaux parens, et des parens plus fortunés, dans le seigneur et la dame de Challis (4), qui tenant, disoient-ils, une partie de leurs biens des faveurs et de la libéralité de Philippe-Étienne de Surville fils de Lancelot et se trouvant sans enfans dans un âge très-avancé, ne crurent pouvoir faire un plus digne usage de leur fortune qu'en la transmettant à l'unique descendant de leur illustre bienfaiteur.
(1) « Le seigneur de Challis » babitait à Vesseaux, « un peu au-dessous et à gauche de ces monts isolés et volcanisés », (a) nous dit le manuscrit, « dans un azile consacré de tout temps aux vertus simples et modestes. »
(2) Nouvelle attestation des relations anciennes que les Surville avaient à Vesseaux. Cf. première partie, XII, note, page 52.
(3) Cf. première partie, II, note page 4. Le nom de Guillaume de Surville, que nous y avons mentionne, est peut-être plus selon la vérité historique que celui de Raymond, indiqué ici.
(4) On voit là comment la vanité nobiliaire du temps de Louis XIV — si ce ne fut la vanité d'auteur, qui est de tous les temps, — avait gravement métamorphosé Jean Chalis et Alaysse sa fenpme, du Terrier du prieuré de Vesseaux. Helas ! le « grand siècle » était faux à demi, à peu près à tous les points de vue sociaux.
(a) Le Koyron - du celt. Keyro, terres volcaniques.
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Etienne affirme, dans quelques lignes de ce document, que les fragments de mémoires conservés de son aïeule n'allaient guère au delà des années de sa jeunesse :
« Tels sont, dit-il, les détails, les seuls détails intéressai» que nous offrent les premières années de Ctotilde. Ici finissent les fragments les mieux conservés des mémoires historiques dont nous avons hérité. On a lieu surtout de regretter le tableau circonstancié de son mariage et tout ce qu'il devoit y avoir de relatif à la mort de son père, à la naissance de son fils et principalement à la fin désastreuse de son mari. Quelques passages de ses vers nous éclairent un peu sur ces deux der. niers objets. Mais ce qui doit étonner, c'est que cette belle Rocca, dont elle parait si particulièrement l'amie, ne joue aucun rôle quelconque ailleurs que dans les poésies que Clotilde lui adresse. Un sonnet italien où Clotilde la nomme, en lui témoignant le désir impuissant d'aller visiter avec elle le tombeau de Virgile où croît un laurier immortel, prouve assez invinciblement que cette fille charmante étoit elle-même italienne ; et son nom, s'il n'est pas supposé, donne un nouveau degré d'évidence à cette présomption. »
Dans tous ces passages, on le voit, Etienne loin d'avoir l'accent d'un faussaire, y a bien plutôt celui d'une naïve et crédule sincérité. Après avoir parlé de ces mémoires, il donne en ces termes, d'une manière aussi judicieuse qu'exacte, les causes de la rare perfection des poésies de son aïeule :
« On ne voit pas que Clotilde ait rien fait les trente dernières années de sa vie, si ce n'est ses mémoires qu'elle a datés de l'âge de cent ans mais dont les matériaux avoient certainement élé classés de beaucoup meilleure heure (1) et le superbe chant royal sur la bataille de Fournoue en 1495. Qui ne voit clairement qu'isolee à Vaisseaux, vivant dans une retraite absolue après l'établissement de son petit-fils, retraite que la perle de sa belle-fille qu'elle chérissoit rendit plus rigoureuse, qui ne voit, dis-je, qu'elle dut consacrer presque entièrement ses loisirs à perfectionner des ouvrages marqués au coin de l'imagination brillante de sa jeunesse ? Non seulement elle laisse très-fréquemment entrevoir cette vérité dans ses vers et dans sa prose ; elle l'annonce même très-expressément à la fin de ses mémoires...
(1) De plus, sa belle épitre à ses arrières-petits-enfants (Fragments d'Epistres, III), que nous avons citée dans cet ouvrage (première partie, XIV.)
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En voilà assez pour que nos lecteurs puissent juger de la prose d'Étienne de Surville, pour qu'ils puissent en connaître les qualités et les défauts.
D'ailleurs, quelque mérite scondaire qu'Etienne ait apporté dans ce genre, sans que les qualités que l'on y remarque parfois y aient été jamais soutenues, autre chose est d'avoir eu, à cet égard, une légère facilité de romancier, autre chose est d'avoir pu être l'auteur de pages de la plus éminente poésie, telles que celles qui ont été publiées sous le nom de Marguerite.
Mais pourtant n'y eut-il pas au moins quelques rapports entre la manière d'Étienne de Surville et celle de son aïeule, et que peut-on en dire
Ce que l'on peut dire de vrai, ou même simplement de sérieux, — fut-on maître en critique — ; ce que l'on peut dire qui ne soit pas de la sophistique littéraire, sur la manière si différente de ces deux auteurs, sa résume en ceci :
L'étude que fit Etienne de Surville des poésies de Marguerite contribua à développer ses aptitudes personnelles, mais assurément sans les faire sortir des conditions du talent propre d'Étienne, qui eut pu devenir peut-être un bon prosateur, au génie près, et qui n'eut jamais fait qu'un pauvre poète. Cette étude concourut ainsi à lui faire composer ce qu'il a écrit de moins défectueux ; mais elle n'amena jamais aucune ressemblance, ni moins encore aucune parité, entre son talent inférieur et le talent très-supérieur de Marguerite.
Elle ne fit point que ses facultés bien ordinaires aient pu produire des chefs-d'oeuvre dont il fut et dont, avec sa franchise, il se dit incapable, mais dont néanmoins il pouvait, paraît-il, s'adjuger l'honneur si aisément.
Et lorsque, naïf provincial, ignorant les roueries du métier, il s'obstina à attribuer ces pages étincelantes de génie à une femme du XVme siècle, il le fit par un scrupule bien mala¬
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droit, puisqu'on ne craignant pas d'en faire son oeuvre avec une délicate improbité, il eût aussitôt été cru sur parole par les illustres de la critique, distributeurs des renommées et régenteurs de l'opinion.
XXII
Etienne de Surville au commencement de la Révolution. Dernier étal de la fortune immobilière des Surville en 1790.
A l'approche de la grande crise politique et sociale de la fin du XVIIIme siècle, alors qu'un irrésistible élan emportait en Vivarais, comme ailleurs, clergé, noblesse et tiers-État vers une transformation inconnue, une assemblée des trois ordres du Vivarais, se réunit à Privas, aux Recollets, les 17, 18 et 19 décembre 1788. Étienne de Surville y assista ; et nous le voyons désigné, dans le procès-verbal de cette assemblée, avec le titre de capitaine de cavalerie (1).
Cette assemblée, une de celles qui préparèrent en province la convocation des États généraux, fut animée d'un noble esprit de patriotisme ; des réclamations sagement réformatrices y furent votées à l'unanimité.
Lorsque les États généraux s'ouvrirent, le mouvement national trouva un partisan de quelques généreuses innovations, dans Étienne de Surville imbu, dès sa jeunesse, de certaines idées libérales qu'il avait portées dans la guerre d'Amérique. Mais, d'une part, la violence révolutionnaire qui tarda peu à éclater, cette furie de destruction qui allait s'annoncer par des crimes et qui devait se porter aux derniers excès ; d'autre part, le vieil esprit royaliste et l'atta-
(1) Sous ignorons si c'est là une erreur qui se serait glissée dans un imprime composé d'ailleurs sans beaucoup de soin, ou si Étienne était passe alors du régiment de colonel-général dans un régiment de cavalerie.
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chement à l'ancien état de la noblesse, qui étaient profonds dans l'âme d'Étienne, le jetèrent bientôt, avec toute l'impétuosité de sa bouillante nature, dans le camp le plus accentué de la réaction monarchique.
En suivant alors la vie de garnison, il emportait constamment avec lui la copie qu'il avait faite à Viviers des poésies de son aïeule. En 1790, il était à Paris, et il communiquait ces poésies à M. Du Petit Thouars qui a formellement déclaré les avoir vues alors, telles qu'elles furent publiées en 1803 (1).
A ce moment, les archives de Gras donnent le chiffre exact des revenus nobles que les Surville avaient alors dans cette localité ; et nous y trouvons, avant cette indication, le témoignage de quelques acquisitions dernières faites par cette famille, du vivant d'Étienne de Surville (2).
Les revenus nobles que cette famille prélevait à Gras en 1789 étaient de 83 livres, 8 sols, 6 deniers.
(1) Biographie universelle, Tome XLIV ; article Surville.
(2) Extrait du Livre des chargements pour les habitanls de Gras : « Le 30 avril 1783 (M. de Surville) se charge d'une livre dix neuf sole
un denier ob le pite, à la déchargé de Jean Auzas pr un tenement de devoiz, terre et glandage ou il y a une grange appelé Cbantayre, compulsée au tenement de messire André de Chambons prêtre, a f° 27, art. 214, plus le déchargé aussi de dix sept sols six deniers pour cinq solmees un boysseau et demy de contenance d'un devois appelé Fon. cellier ou le Serret, compoise sur la cotte de mre Jean de Chambons à f° 140 v°, article l'1090 et luy a restitué la taille de trois années. »
Dans le « Rolle de taille de la communauté de Gras la présente annee mil sept cens quatre vingt six, nous lisons ceci :
Allivrement on base contributive
« M. de Surville, seigneur de Malaval et des Hermessenes conseiImposition
conseiImposition taille
gneur de Gras
310 1. 5 s. 6 d. »
Archives de Gras.
L'imposition de tailles était fixée à raison de douze livres quinze sols par livre indiquée dans l'allivrement, à raison de douze sols neuf deniers par sol et de un sol obole et pile par denier.
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L'Assemblée nationale ayant décrété et le roi ayant ordonné, par sa proclamation du 25 avril 1790, que ces revenus, censes ou rentes seigneuriales, seraient imposés dans chaque commune, d'une manière égale aux immeubles figurant dans le compoix terrier, de telle sorte que cent livres de rentes de cette nature eussent à payer le même impôt qu'un fonds de terre d'un pareil produit net, l'allivrement ou base contributive des rentes seigneuriales que les Surville percevaient à Gras fut fixé à 17 sols, 6 deniers ; et l'impôt à prélever sur ces rentes fut de 11 livres 3 sols 1 denier obole(l).
(1) Extrait de l' Etat des biens privilégiés ou revenus nobles de la communauté du lieu de Gras, en 1790 :
« M. le marquis de Surville cossegr du lieu de Gras perçoit anuellement audlieu la somme de 83 1 8s 6 d consistant en censes et rentes seigneuriales suiv la déclaration qui en a été faitte par sr Desserre, comme-chargé dud s. marquis de Surville en datte du 16may dernier, sur laquelle somme de 83 l. 8 s. 6 d. a été distrait 13 l. 8 s. 6 d. sçavoirn neuf livres onze sols 6 d. pr son droit de vingtième et 3 1. 17 pr le droit de recepti desd censes, sur quoi reste de revenu fixe aud sr marquis celle de 70 l. laquelle somme forme le capital de 1400 l. laquelle en exécution de l'art. 4 de la proclamation du Roi cy dessus daltée et énoncée l'alivremen! que doit su porter led revenu de lad somme de 1400 l. que led M. de Survole perçoit de lad comte en considérant comme un fond d'heritage et d'un pareil produit a été fixé à 17 sols 6 d. d'alivrement lequel est pr chaque sot douze sols 9 d. et pr chaque denier un sol ob. et pite ; se monte la contribution que cet alivrement au roi t suporte s'il eut été compris dans les rolies ordinaires de 1789 a 111.3 s. 1 d. obole de laquelle contribution moitié doit former la cote supletive. Cy 11 1. 3 s. 1 d. ob. »
Archives de Gras. Les censes et rentes seigneuriales du marquis de Gras étaient, a la même époque, de 1200 livres ; et ce que l'Évêque ou le chapitre de Viviers percevaient alors « dans la paroisse et mandement de Gras », pour dîmes ou rentes seigneuriales, montait à 3350 livres.
Etat des biens privilégiés, etc.
Le Livre des chargements de Gras constate le même surplus d'impôt, qui n'eut pas lieu d'être prélevé ;
« Le 21 septembre 1790, chargé led sieur de Surville, en exécution de la proclamation du roi du 25 avril dernier, de 17 sols six deniers
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Avec ces données, comme la base contributive ou « allivrement » était, à Gras, à cette époque, de une livre cinq sols par cent livres de produit net, les 24 livres 15 sols 5 deniers d'allivrement des biens roturiers des Surville d'alors nous indiquent que le revenu foncier de ces domaines était d'environ 1988 livres.
Si l'on ajoute A cette somme le revenu des terres de Malaval et des autres immeubles affranchis et nobles, depuis l'année 1698, propriétés imposées en 1693 sur une base contributive de 15 livres 14 sols 6 deniers, ce qui supposait un produit net de 1258 livres ; si l'on y ajoute, en outre, les 79 livres de revenu net de leurs renies seigneuriales, on constate que le produit net des propriétés immobilières des Surville était à Gras, en 1790, d'environ 3423 livres.
D'ailleurs leurs domaines de Valvignères, qu'ils vendirent, paraît-il, vers ce temps-là, ajoutés à leurs immeubles de Viviers, pouvaient représenter alors, d'après des évaluations locales, un revenu d'environ 1500 à 1600 livres. C'était donc à cinq ou six mille livres que s'élevait le revenu de leurs propriétés immobilières.
Tout en tenant compte de la puissance de l'argent à cette époque, on voit par ces chiffres que les Surville, quoique seigneurs de Malaval, n'avaient qu'une assez modeste situation de fortune.
provenant du délivrement des censes et rentes seigneuriales que led sr de Surville perçoit aud lieu.
« Tout 25 1. 13 s. 11 pte.
2 4
Bientôt après, ces taxai ions nouvelles étant devenues sans effet par le décret d'abolition de tous les revenus nobles et piivilegiés, nous lisons, à la suite de ce que nous venons de transcrire et toujours en marge du Livre des chargements :
« Les dtes censes abolies par un décret de l'Assemblée nationale et partant ôté les 17 sols 6 deniers.
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XXIII
Étienne de Surville énpigre. Vente de ses domaines de Malaval, comme biens nationaux. Incendie révoluiionnaire, à Viviers, des papiers de la famille de Surville. Un témoin du temps de la Révolution.
Le mouvement poltique était encore, à beaucoup d'égards sinon à tous, dans sa période justement réformatrice, qu'Étienne de Surville, fasciné par l'entrainement du royalisme le plus étroitement exclusif, laissait son épouse au Pradel, sa mère son frère et deux de ses soeurs à Viviers, et allait, des premiers, en 1791, faire partie des bataillons qui s'organisaient à Coblentz. Plusieurs de ses amis, notamment son compatriote Louis du Sault, de St-Montan, tardèrent peu à l'y rejoindre.
Il était bien loin de prévoir les événements qui se préparaient. Comme à peu près toute la noblesse de l'émigration, il présumait que l'éloignement de ceux qui s'en allaient ainsi à l'étranger avec une extrême imprudence combattre leur patrie serait d'une très-courte durée. Il laissa donc à Viviers, avec tous ses papiers de famille, l'ancien manuscrit des oeuvres de son aïeule, et il n'emporta à ce sujet que les feuillets où il avait transcrit les poésies de Marguerite. Il tint à les avoir, sans doute dans le but de poursuivre, à ses moments de loisir, le travail littéraire qu'il avait entrepris sur cet auteur et sur certains autres poètes qui l'avaient précédé ; il les emporta peut-être aussi pour continuer les essais d'amplifications qu'il avait pu commencer dès cette époque, avec les fragments qui restaient des mémoires déjà remaniés de Marguerite. Il ne songea nullement à mettre en sûreté, d'une manière plus particulière en les confiant à des archives notariales, les manuscrits de ces poésies et de ces fragments de mémoires qui étaient dans la maison de sa famille. Le fait de cet abandon, par
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Étienne, de ses papiers domestiques et littéraires a été affirmé plusieurs fois par son frère Stanislas, depuis l'époque de la Révolution. "
Deux années s'écoulent, pendant lesquelles son frère émigré, lui aussi. Ce sont alors les scènes lugubres qui vont se dérouler. Les propriétés qu'Étienne de Surville possède à Malaval sont confisquées comme biens d'émigré, et vendues aux enchères (1), à Aubenas, au mois de mars 1794, par le Directoire du district du Coiron.
Deux soeurs d'Étienne sont emprisonnées par ordre du comité démagogique de Viviers. La maison de Surville est en partie dévalisée par les agents de ce comité. La mère des deux émigrés, laissée seule et non incarcérée à cause de son âge, doit livrer ses papiers de famille où se trouvent mêlés les manuscrits des oeuvres de Marguerite. Et, devant les
(1) Le 9 ventôse an II, mise aux enchères, au chef-lieu du district du Coyron, des a biens ayant appartenu à l'émigré Surville, de la commune de Viviers », qui « dépendent de son domaine appelle Malleval dans la commune de Gras » ; première criée sans qu'il y ait eu d'enchères.
Le 24 ventôse an II, seconde criée et adjudication de ces biens divisés en cinq lots :
Le 1er lot t adjugé au citoyen Alexandre Alzas, de la commune de la Gorce, pour le prix et somme de 16425 livres ; «
Le 2e lot, au citoyen Fesquier, de la Gorce, pour le prix de 25720 livres ;
Le 3e lot, au citoyen François Mazeltier, de la Gorce, pour le prix de 54100 livres ;
Le 4e lot, au citoyen François Ollier, de la Gorce, pour le prix de 47425 livres.
Le 5e loi, au citoyen Henry Claron, de la Gorce, pour le prix de 510 livres.
Ventes de éiens nationaux. Archives départementales de l'Ardéche.
Le chiffre total du prix de la vente de Malaval fut ainsi de 144180 livres.
Les immeubles de Viviers furent confisqués aussi, mais il y eut délai pour la vente. Après la Terreur, ils furent restitués è MMlles Marie-Jeanne et Angélique de Surville, comme étant leur propriété personnelle.
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meneurs du mouvement révolutionnaire, ces restes éloquents du temps passé flamboient sur une place publique, dans un de ces incendies sinistres qui sont au nombre des oeuvres que sait produire l'esprit forcené de la Révolution.
On a mis en doute, on a nié que ces manuscrits aient pu disparaître de cette manière, une de celles qui honorent peu le genre humain. A l'appui de cette négation, on peut dire que les collections notariales et même les insinuations ecclésiastiques furent alors respectées à Viviers. Elles le furent en effet ; mais des titres, des emblèmes, des papiers féodaux n'en devinrent pas moins, dans cette ville, la proie des flammes. Des témoins oculaires ont affirmé et peuvent encore attester ce fait.
Que des papiers appartenant à des familles suspectes aient été compris dans cette exécution révolutionnaire, parmi les restes de ta féodalité, qui furent voués là à la destruction, c'est ce qui logiquement est très-vraisemblable,aux yeux de ceux qui n'oublient point les délires de ces tristes jours, et c'est ce qui a eu lieu en réalité.
Si d'ailleurs une famille de Viviers devait s'y attendre alors à d'aussi coupables excès, c'était la famille de Surville. Ses ferventes sympathies royalistes y étaient très-connues. Elle comptait parmi ses membres deux émigrés, tous deux d'un certain rang et dont l'un jouissait de quelque renom. Elle venait de voir plusieurs de ses propriétés saisies et devenues biens nationaux. Tout cela avait ému l'opinion d'une ville des plus agitées par le souffle révolutionnaire.
Que les choses se soient passées ainsi à Viviers en ce qui concerne les Surville, c'est ce que l'on ne peut sérieusement mettre en doute, lorsqu'on connaît les attestations réitérées, de vive voix et par écrit, qu'en a données le frère d'Etienne, Stanislas de Surville (1), homme d'une bonne foi au-dessus
(1) Voici ce qu'Etienne de Surville disait de ce frère, en écrivant du Puy à sa femme, la veille de sa mort :
« Veille, si tu le peux, sur le bonheur de ce frère que je laisse avec
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de tout soupçon, qui devait avoir entendu de l'une de ses soeurs, Angélique de Surville, témoin oculaire et survivante, le récit des faits dont nous parlons et qui devait savoir exactement ce qu'étaient devenus les papiers de sa famille.
« Vous dites, lui écrivait Charles de Vanderbourg, le 9 « juin 1803 (1), qu'il étoit inutile d'insister autant sur cette « preuve de l'authenticité des poésies de Clotilde », (l'impuissance d'Étienne de Surville à composer ces oeuvres), « parce que le témoignage de monsieur votre frère et l'in- « cendie connu de tous vos papiers étaient des preuves suf- « fisantes. » Ces paroles précises devraient suffire à lever tous les doutes. Pour ceux qui ne se complaisent pas dans de systématiques dénégations, il est impossible d'admettre qu'à une époque aussi rapprochée des événements, Stanislas de Surville — n'eut-il pas eu son profond amour de la vérité — eût parlé, comme d'un fait publiquement connu, de quelque chose qui n'aurait existé que dans les ressources de « supercherie » d'Étienne de Surville.
Mais nous n'avons pas, à ce sujet, à nous en tenir à son seul témoignage ; il y en a eu, il en existe d'autres. Pour ne citer que l'attestation d'un témoin qui vit encore, un vieillard de 90 ans, Joseph Chaussi (2), neveu des Baratier de
tant de regrets. Il est sans contredit l'être le plus vertueux, le plus noble et le plus solidement pensant que je commisse au monde : tonte l'armée, tous les honnêtes gens, ceux-là même qui ne l'ont vu qu'un instant t'en rendront un pareil témoignage ; et puis, qui le connoit mieux que toi ? »
Ces paroles, quoique venant de la bouche d'un frère, montrent la valeur qu'a eue l'atiestalion de Stanislas de Surville, dans tout ce qu'il a affirme relativement à noire sujet. Comme nous l'avons dit plus haut (seconde partie, XVII), il eut constamment la réputation de la plus grande loyauté, et tous ceux qui ont connu ce noble coeur ont porté sur lui le jugement que portait Étienne de Surville.
(1) L'autographe de cette lettre, donnée par M. Macé dans son livre sur les poésies de Clotilde de Surville, est dans les archives de la famille de Watré.
(1) Louis-Joseph Chaussi est né en 1781. Son père, le capitaine Chaussi, commandait une compagnie de gardes nationales républicaines
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St-Alban et qui a connu la famille de Surville, nous faisait récemment à Viviers, dans la maison même de cette famille, un récit tout-à-fait conforme, d'ailleurs plein d'énergie d'expression et d'une grande netteté de souvenir. Son récit s'est résumé ainsi :
« En 1793, la plupart des meubles(1) de la maison Surville furent saisis par ordre de la municipalité ; et, cette même année, lorsqu'on apprit à Viviers la prise de Toulon, (2) on brûla sur la place du séminaire les titres et les papiers de la noblesse, ceux des Surville, des Baratier de St-Alban et de bien d'autres. »
Ainsi, quoique les minutes notariales n'aient eu alors à subir, à Viviers, aucune atteinte ; quoique les insinuations ecclésiastiques, préservées par leur caractère d'archives publiques et plus encore peut-être par la complicité de l'évêque Savine et de son entourage avec le mouvement révolutionnaire, aient échappé à la destruction, on doit cependant tenir pour certain que la plus grande partie des papiers de la famille de Surville fut incendiée révolutionnairement à Viviers en 1793 ; et l'on peut regarder comme très-probable que les anciens manuscrits des oeuvres de Marguerite y furent mêlés et disparurent dans cet incendie.
envoyée en 1791, par le Directoire do départe ment, contre le rassemblement royaliste de Jalès ; il fut ensuite nommé chef de surveillance au séminaire de Viviers, devenu prison de suspects. Il fut un de ces patriotes de modération et d'honnêteté, comme il y en eut dans ce pays ; il contribua à sauver le pins grand nombre des détenus. Son fils, âme loyale aussi, ne renie point les idées de son pére ; son témoignage, au sujet des Surville et de ce qu'ils eurent à subir, a ainsi toute garantie d'exactitude.
(1) Il est certain que, par la complaisance de quelques-uns des agents de la commune, la famille de Surville put soustraire une partie de son mobilier. « Quand on vint saisir le mobilier, nous disait Joseph Chaussi, comme on avait ordre de laisser quelque chose à madame de Surville, sa ûlle M» 1 de Fontbeile (Angélique de Surville) faisait prendre aux agents les meubles qui n'étaient pas les meilleurs. »
(9) Elle eut lieu le 19 décembre 1793,
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XXIV
Etienne de Surville à Liége. Il rentre en France une première fois.
Sa première arrestation Son séjour à Lausanne.
Pendant qu'une des soeurs et le beau-frère d'Étienne de Surville passaient les jours de la Terreur dans la prison d'où ils ne devaient sortir qu'à la chûte de Robespierre, l'émigré, après la dissolution de l'armée de Coblentz, s'était retiré d'abord à Liège et ensuite à deux lieues de cette ville.
C'est là qu'avec les cahiers où il avait transcrit les poésies de son aïeule, il fit en 1793 le beau manuscrit d'après lequel ces poésies furent imprimées dix ans après.
En 1794, il se trouvait à Dusseldorf où Charles de Vanderbourg, officier de marine émigré depuis l'année précédente, eut, sans le connaître personnellement, communication par un ami commun, — ainsi qu'il l'affirme dans sa première lettre à Mme Pauline de Surville (1), — du volume manuscrit dans lequel il copia la romance de Rosalyre, l'Héroïde à Bêrenger, le Chant royal à Charles VIII, la traduction de l'Ode de Sapho et une courte notice sur l'auteur de ces poésies.
En 1795, Étienne de Surville rentra en France une première fois. Ce voyage clandestin eut-il comme le second, pour but principal, la préparation d'un soulèvement dans le Midi en faveur de la royauté proscrite? Nous n'avons pas de documents qui nous permettent de l'affirmer absolument. Mais quand on se dit que c'était à l'époque où recommençaient les mouvements du parti de l'ancien régime; quand on songe à ce qu'était Étienne de Surville, homme de
(I) Lettre de Vanderbaurg à Mme Pauline de Surville, du 2 décembre 1801.
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coup de main, caractère entreprenant à l'excès et à ce qu'étaient aussi deux de ceux qui agissaient, dit-on, de concert avec lui ; quand on pense à son exaspération d'émigré, à ses légitimes indignations après les forfaits du Jacobinisme et à l'agitation royaliste qui, comprimée quelque temps après la dispersion du camp de Jalès, se réveillait sourdement en Vivarais, on est porté alors à regarder comme une chose extrêmement probable que ce qui fit surtout qu'Étienne de Surville brava le péril auquel sa rentrée en France l'exposait, ce fut peut-être une mission secrète ou du moins une résolution, très-arrêtée chez lui, de tout oser en vue d'une future restauration.
Il revint donc furtivement dans le Vivarais. Sa mère venait de succomber, après tant de douleurs que lui avaient apportées ces deux années. L'émigré revit à la dérobée quelques membres de sa famille et quelques amis sûrs ; il passa trois jours au Charnève, caché dans un grenier (1) ; et de là, accompagné de son domestique, il parcourut la partie méridionale du département de l'Ardèche, pendant que deux ou trois autres avec qui il s'était concerté, assure-t-on, et dont l'un était Dominique Allier, infatigable partisan, lui aussi, allaient sonder le terrain de leur côté. Mais bientôt, dénoncé sans doute, il fut pris dans les environs de Mayres et conduit à Aube-nas, chef-lieu du district.
Le lendemain de son incarcération, il échappait à la surveillance du geôlier et il s'évadait de la prison (2). C'était un samedi, jour de marché ; la foule encombrait les rues et les chemins. Grâce à ces circonstances, Étienne put s'en-
(1) M. du Charnève, alors en bas âge, nous racontait que l'on mettait tout le soin possible à ce qu'il se fut pas aperçu des enfants, pendant le temps qu'il resta alors au Charnève.
(2) C'est encore la prison de la ville ; elle est sous le château ; la porte d'entrée donne sur une des principales places où se lient le marché.
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fuir (1), rendre vaines tontes les recherches et regagner à la hâte la frontière.
C'est, parait-il, dans ce premier voyage et un peu avant cette aventure, qui dut le faire renoncer, momentanément aumoins, à ses projets de conspiration, qu'il fit remettre chez M. Pradel, maître de postes de Donzère (3), une malle contenant des papiers échappés aux perquisitions de Viviers et qui, nous l'avons dit, ne renfermaient probablement que quelques amplifications, ou récits semi-romanesques, composées par Étienne en 1791,sur les données très-aventurées de Jeanne de Vallon, dans le genre des pages que nous venons de retrouver et de celles qu'il allait écrire dans les trois dernières années de sa vie.
En 1796, au retour de cette campagne assez malheureuse et qui pouvait l'être beaucoup plus pour lui, il se fixe à Lausanne où peu de temps après son frère, qui a donné ces renseignements à plusieurs, vient passer quelques jours avec lui. Stanislas, en effet, bien qu'émigré aussi, était depuis trois ou quatre ans loin d'Étienne.
A Lausanne, cette année-là ou la suivante, il s'occupe à écrire, — d'après des indications tirées au XVIIe siècle, d'une manière peut-être assez inexacte, des fragments de mémoires de Marguerite, — les notices qu'il a consacrées aux femmes poètes en langue romane du Nord et antérieures à son aïeule. -
(1) L'auteur de ce livre a pu s'assurer de l'exactitude de ces faits, sa famille ayant habite Anbenas où elle a encore des propriétés, et deux branches de sa famille demeurant, depuis deux siècles, tout près de là à Vesseaux, ce qui lui a permis de bien connaître les traditions de cette localité.
(2) Donzère était, sur la ligne de Lyon à Marseille, la station la plus rapprochée de Viviers et du Cbarnève, pour envois par roulage ou messageries.
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C'est là aussi que, sur quelques fragments des poésies de Marguerite, il commence ou se remet à exécuter un travail assez différent de celui qu'il avait fait pour le volume précédemment transcrit aux environs de Liège, volume qui contenait assurément un grand nombre d'altérations, mais des altérations qui dataient surtout du siècle précédent, sauf pour ce qui concerne un ou deux morceaux (1) de ce recueil qui peuvent être justement attribués à un contemporain d'Etienne de Surville.
XXV
Les trois genres de travaux d'Etienne de Surville sur les oeuvres et la vie de Marguerite. Témoignage de ce littérateur au sujet de ces oeuvres. Ses interpolations confirmant l'authenticité primitive des poésies qu'il a modifiées.
Il y eut, en effet, deux périodes assez distinctes dans les travaux d'Etienne de Surville an sujet des poésies de Marguerite. Dans la première, il copia ; dans la seconde, il inventa.
Il s'était borné d'abord à transcrire ces poésies, telles qu'il les avait trouvées, c'est-à-dire telles qu'elles avaient été modifiées partiellement mais savamment au XVIIe siècle ; il s'était contenté alors d'y apporter quelques retouches de détail ; et le volume copié par lui près de Liège en 1793, n'avait guère été que la mise en ordre, avec quelques nouvelles altérations et additions peu nombreuses, de ces premiers remaniements faits avec beaucoup de tact et d'habileté.
Ensuite il ne s'en tint pas là. Avec des tirades de facture moderne ajoutées à quelques parties anciennes, ou avec des parties originales modifiées, il composa, seul d'abord, en 1791 et 1793, et plus tard avec un ou deux auxiliaires, des
(1) Notamment la pièce intitulée Ballade à mon époux, qui est d'une composition tout-à-fait recente.
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morceaux en prose ou en vers, que l'on doit appeler apocryphes soit qu'on les examine non dans leur complète intégralité mais fragmentairement, soit qu'on les prenne même dans l'ensemble sous lequel ils ont paru. Ces morceaux sont ceux qui allaient former le volume publié en 1836 avec le titre, des plus inexacts, de Poésies inédites de Clotilde. C'est ainsi qu'ont été écrits notamment le Chas tel d'amour, quelques rondeaux ou ballades de ce volume et le quatrième chant du poème de la Nature et de l'Univers.
Dans cette seconde période, Etienne de Surville composa également, d'une manière en partie fictive, une ou deux notices sur Clotilde qu'il écrivit d'après une composition à demi romanesque faite au XVIIe siècle sur les fragments de mémoires de son aïeule, et qu'il exagéra parfois peut-être aussi d'après ses propres imaginations.
Ce furent ainsi trois oeuvres différentes qui, au sujet de Marguerite de Surville, constituèrent le travail d'Étienne. L'une de ces oeuvres fut celle qui fit subir aux poésies de Clotilde le moins de modifications, bien qu'elle ne les lui ait pas épargnées ; elle a donné le volume des poésies le plus authentiques de notre auteur. L'autre fut controuvée, mais seulement dans un certain nombre de ses parties ; elle a produit les notices biographiques sur notre poète. L'autre enfin fut apocryphe presque à tous égards, mais non absolument à tous; il en est résulté les ouvrages prétendus inédits de Clotilde.
Cette manière d'envisager l'oeuvre successive d'Étienne est la seule qui soit conforme à la réalité des faits, comme le prouvent les meilleurs témoignages corroborés par les plus sûres inductions.
On peut se demander quelles furent les pensées et les circonstances qui amenèrent Etienne de Sur ville de sa première façon de procéder, à cet égard, qui n'était fausse qu'en partie, à la seconde qui était complètement aventurée.
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Les pensées et les sentiments qui le conduisirent là peu à peu, ce furent indubitablement un engouement très-passionné pour les oeuvres qu'il venait de découvrir et la supposition, mal fondée mais tout-à-fait dans les vues de son époque, qu'en modifiant ces oeuvres, en les amplifiant, en en grossissant le recueil, il leur donnerait plus d'importance qu'elles n'en avaient reçues du génie qui les avait dictées et de la main habile qui les avait retouchées déjà.
Pour Étienne, qui aimait avec ardeur la poésie, bien qu'il fût un médiocre poète et qu'il eût fait un bien meilleur critique, évidemment l'exhumation de ces pages où se montrait un si juste sentiment de l'art, lui avait donné une sorte de vertige qui s'accrut avec les années et qui lui suggéra l'idée de donner à ces oeuvres le plus de retentissement, par une certaine exploitation, bien mal inspirée mais sincère, où la petite vanité de l'homme de lettres pouvait chercher sa satisfaction mais où la cupidité n'entrait certainement pour rien.
Voilà ce qui, dès 1791, habitua Étienne de Surville à user de procédés littéraires qui, s'il se fût agi d'un caractère autre que le sien, auraient pu encourir le soupçon d'être une fraude systématique et déloyale ou la recherche d'un misérable gain.
Les faits qui l'engagèrent ensuite à persister dans cette fâcheuse voie et qui, en même temps, lui donnèrent l'occasion matérielle de tirer ce parti de son sujet, ce furent les relations qu'il eut avec le Journal littéraire de Lausanne.
Ce recueil mensuel était la propriété de Mme de Polier, esprit vulgaire mais femme intrigante, qui sut à peine écrire mais qui s'entendait mieux dans le tripotage d'un journal. Mme de Polier, qui venait de se rencontrer avec Étienne de Surville, ne put que l'encourager dans une entreprise où elle apercevait pour son recueil le profit que pouvait lui apporter une nouveauté saisissante ; et, dès 1797 jusqu'en octobre
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1798, ce journal publia des morceaux de Clotilde singulièrement amplifiés par Ètienne, avec les notices qu'il avait écrites sur les femmes poètes du moyen-âge.
D'ailleurs, remanier, altérer ainsi les fragments qui restaient des oeuvres d'un auteur ne semblait nullement à cette époque, pas plus qu'au siècle précédent, une chose opposée aux convenances littéraires.
Mme de Polier était alors en relations intellectuelles avec un poète gentilhomme dont nous avons déjà parlé, M. de Brazais, émigré lui aussi et qui avait été l'ami d'André Chénier. Surville et Brazais se lièrent ; ils se mirent à la même oeuvre ; et cette réunion d'amis de Lausanne trouva tout naturel, — comme le disait plus tard Mme de Polier, dans une lettre à Mme Pauline de Surville (1), — de « rèdiger les mémoires » de notre auteur (2) et de « mettre en ordre », de cette façon, des parties détachées de ses poésies.
Étienne de Surville eut sans doute le tort, en se laissant aller à ces influences, de continuer un travail apocryphe où il eut Brazais pour complice ; mais il le fit, ainsi que son ami, sans croire manquer à la loyauté ni faillir en rien aux devoirs de l'honneur auquel il tenait tant. Il crut pouvoir être amplificateur ; il n'eut jamais accepté d'être faussaire. Ce qu'il faut voir en lui, ce n'est assurément pas un éditeur intègre dans le sens actuel du mot, mais c'est moins encore un écrivain qui se fût permis de pratiquer le mensonge littéraire audacieux.
C'est à cause de cette étrange collaboration qu'Étienne de Sur ville avait établie entre son aïeule et lui, que, s'il faut ajouter foi à un dire de M. Lavialle de Masmorel, ancien
(1) Lettre de Paris, du 18 pluviôse (an X).
(2) Nous venons de donner (seconde partie, XXI), dans l'extrait d'un opuscule d'Étienne de Surville, un spécimen de cette manière de rêdi. ger les mémoires d'un auteur d'autrefois.
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député de la Corrèze(1), il se serait attribué, peut-être une fois ou deux, la composition de ces oeuvres, devant M. Lavialle père, alors émigré.
Que cela eût eu lieu dans une conversation de camarades peu intimes, c'est-à-dire devant tout autre que l'amitié profonde ou le public, nous n'y trouverions rien de surprenant ; nous ne verrions là qu'une de ces manières avec lesquelles un peu de jactance méridionale, se trouvant en face de certains amis peut-être fatigants ou crédules ou les deux à la fois, se donne ainsi de l'importance ou se tire d'affaire en abusant de leur crédulité. Mais une parole de ce genre, une parole en l'air, comme l'on dit, n'atténuerait- en rien la portée des graves déclarations tout opposées qu'Etienne de Surville a faites constamment comme écrivain et dans les plus sérieuses circonstances. Et c'est uniquement dans des déclarations de ce genre que git l'autorité de son témoignage.
D'ailleurs le fait qu'Étienne ait modifié à sa manière certaines parties des oeuvres de Marguerite, ne détruit point l'attestation de cet écrivain ayant toujours déclaré publiquement et dans les moments les plus solennels, — comme il le faisait à sa femme, la veille de sa mort, — que l'auteur principal des poésies qui nous occupent dans ce livre, l'auteur qui en a fait ce qu'elles sont, un monument du génie, c'est son aïeule et non point lui.
Il a corrigé sans doute, il a amplifié; il a mêlé quelque chose de sa petite inspiration à l'oeuvre éminente d'un grand poète ; mais tout cela porte son caractère médiocre, celui de l'interpolateur, tandis que l'oeuvre prise dans son fond a elle aussi son caractère, celui d'une originalité puissante qui ne redoute point de rivaux et que des interpolations ne ruinent point. D'altérations semblables il ne s'ensuit pas que,
(1) Lettre à M. Sainte-Beuve ; avril 1813. — Sainte-Beuve. Tableau de la poésie française au seizième siècle. Note in fine.
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ni dans la pensée d'Étienne ni en fait, l'oeuvre modifiée, considérée dans ses parties premières et dans le souffle qui l'anime encore, n'ait pas été pleinement authentique ; il n'en résulte point non plus que l'attestation d'Étienne doive être rejetée dans ce qu'elle a eu d'entièrement exact, et qu'il soit permis à des gens d'esprit de le rendre capable — et coupable — de ce qu'il n'a ni écrit ni pu écrire. -
Ainsi son témoignage reste ; il n'est même pas ébranlé ; et les altérations qu'il a fait subir à une oeuvre si différente de tout ce qu'il savait produire, loin d'affaiblir l'authenticité de cette oeuvre, la supposent au contraire et l'appuient.
XXVI
Noblesse de caractère d'Étienne de Surville. Allégations d'un maitre de la sophistique littéraire.
Dans tout cela donc, en tenant compte de la manière de voir de cette époque sur la légitimité de certaines altérations littéraires, l'honneur d'Étienne de Surville demeure intact ; et les modifications avec lesquelles il crut grandir l'oeuvre et la renommée de son aïeule ne font pas plus tache dans sa vie de loyauté qu'elles n'infirment son témoignage.
Ici, nous devons même insister sur la noblesse de son caractère, puisqu'on l'a de nos jours insidieusement méconnue. Nous avons le droit de relever sévèrement des allégations outrageantes pour sa mémoire, que quelques lettrés, d'une morale sans gêne, n'ont pas craint d'insinuer ou d'affirmer.
Si Étienne de Surville fut versificateur d'un talent secondaire, il fut, ce qui vaut mieux, un homme d'honneur.
Qu'il quitte sa patrie ou qu'il y rentre ; qu'il donne sa jeunesse à l'indépendance américaine ou qu'il sacrifie position et fortune, joies de la famille et liens de l'amitié à ses convictions et à son juste mépris d'un jacobinisme malfai¬
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teur ; qu'il soit dans le vrai en détestant les crimes révolutionnaires ou qu'il se trompe en s'éloignant d'une patrie qu'il n'eut pas dù quitter, si tôt au moins ; qu'il occupe ses veilles d'exil à des ouvrages littéraires et même à des amplifications conformes aux moeurs esthétiques de son temps, ou qu'il affronte la mort avec un courage exempt de faiblesse et de forfanterie; qu'il soit, plus d'une fois, repréhensible devant la vérité politique, en subissant des entraînements malheureux, en associant de nobles idées à de regrettables illusions ; qu'il montre dans sa vie un mélange de vues fausses et d'aspirations magnanimes, d'étroit esprit de parti et de grandeur, il est toujours un noble caractère, et c'est un mérite assez rare en nos jours spectateurs des plus tristes avilissements.
Devant une figure qui, au milieu de temps difficiles, sut garder la dignité de l'honneur, nous ne permettons pas â des lettrés de décadence, prêts à devenir courtisans de César, de prétendre qu'un coeur tel que le sien ait, en se jouant, menti à son époque, menti à la dernière postérité, et qu'une affirmation aussi solennelle que celle qu'il fit au moment d'aller paraître au jugement de Dieu ne fut, dans ce coeur d'honnête homme, qu'une suprême dérision du vrai. .
« Que ce serait mal connaître le coeur humain et même « celui d'un poète, aécrit Sainte-Beuve à son sujet, d'argu- « menter de ce qu'à l'heure de sa mort, écrivant à sa femme, « il lui recommandait encore ces poésies comme de son aïeule « et sans se déceler ! Il n'aimait donc pas la gloire ? Il l'ai- « mait passionnément mais sous cette forme, comme un père « aime son enfant et s'y confond. » (1)
Les sentiments prêtés ainsi à cet homme de coeur, par quelqu'un qui révélait déjà le cas qu'il pouvait faire de la vérité, sont aussi contraires à la vertu et même simplement
(1) Sainte-Beuve. Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1841 — Poètes et romanciers modernes. Clotilde de Surville.
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à la nature qu'ils sont insultants pour l'honneur. Autant il est naturel qu'un père se dévoue pour ses enfants, autant il l'est peu qu'un arrière petit-fils sacrifie sa gloire et le fruit de son génie pour un de ses problématiques aïeux qui, s'il a vécu, est mort depuis trois siècles.
La comparaison que fait ici Sainte-Beuve est absolument fausse. Sans doute « un père aime son enfant » ; mais, pour cela, il ne commmencé point par le désavouer. Et Étienne de Sur ville qui devait aimer, à ce titre, ce qui était son oeuvre, d'après l'assertion de Sainte-Beuve, devait aussi être heureux d'avouer cette oeuvre qui allait faire sa renommée. Il devait, lui l'auteur, au dire de ce maître en sophistique littéraire, se montrer ici tel qu'il était et non jouer un rôle d'une fourberie des plus insignes (1) qui ne pouvait lui réserver que le stigmate du faussaire, infligé à sa mémoire par des amis de son « génie » pareils au sagace critique dont nous avons à rappeler une des pauvres inventions.
Ils n'ont donc jamais compris, ceux-là, ni la grandeur du caractère ni l'amour de la vérité ? C'est possible. Et, devant le spectacle des dernières années de l'écrivain que nous réfutons, devant un avilissement comme celui où il est descendu en suivant la pente de l'égoïsme humain, on peut dire de ces corrupteurs intellectuels, dont le talent fut la souplesse jointe à la versatilité, qu'il ne leur était comme plus permis de comprendre la noblesse de l'âme ; on peut dire d'eux qu'ils n'avaient point le droit de juger des sentiments d'un honnête homme et de supposer en lui une facilité de moeurs qui est digne des seuls baladins de l'art.
XXVII
Etienne de Surville rentre en France une seconde fois. Il est pris et condamné à mort Sa lettre à Mme Pauline de Surville:
Étienne de Surville rentra de nouveau en France secrètement dans le courant de l'été de 1798. Il était chargé par le
(1) Voir à la quatrième partie, V, ce que suppose le rôle de faussaire inventant, de toutes pièces, les oeuvres attribuées à Marguerite de Surville.
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comte de Provence, depuis Louis XVIII, de préparer, comme « lieutenant commissaire général du roi », une insurrection royaliste dans les Cevennes et dans les départements du Midi.
En appréciant ici la conduite d'Étienne au point de vue de la froide raison, on pourrait porter un jugement sévère sur une témérité qui, à ce moment là, n'était qu'un coupable fanatisme politique. Le Vivarais et le Velay, où il arrivait avec le parti-pris du conspirateur, étaient dans un état de sourde agitation qu'avaient fomenté les crimes révolution" naires et qu'entretenaient, dans un autre sens, les méfaits de la chouannerie qui désolait cette contrée, en s'y portant aux derniers excès (1).
De part et d'autre, une irritation extrême se traduisait en violences mal contenues qui éclataient souvent. Tandis qu'un Monchauffé, ce type du cynisme révolutionnaire joint à l'insolence soldatesque, chargé de faire respect r la loi dans cette région, donnait libre cours à ses déportements qui n'étaient qu'un criminel défi jeté à la foi et à la moralité publique, des misérables, couverts du masque royaliste, couraient les campagnes par bandes armées et, de leur côté, répandaient l'effroi.
Au point de vue donc des circonstances particulières à ce pays, comme au point de vue général de la justice politique, l'ambition princière qui fomentait ces agitations, en se tenant loin du danger, était simplement une iniquité ; elle était de cette louche politique qu'il faut impitoyablement flétrir ; et la tentative d'Étienne, ce soldat loyal d'un machiavélisme sans coeur, eût été elle aussi sans excuse, si, dans l'appréciation de ces faits, l'historien ne devait pas tenir compte des sollicitations imprudentes, des entraînements
(1) De là vient que, dans plusieurs localités de ce pays, l'éplthète de chouan a été. depuis lors jusqu'à nos jours, parmi les paysans, un terme de sanglante injure.
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trompeurs mais généreux, de l'étourderie de l'esprit sectaire, de l'obsession des idées de parti, des exaltations à contresens du possible, des fausses espérances et des vains engouements. Tout cela atténue sans doute, à plusieurs égards, dans un coeur tel qu'Étienne de Surville, le fait toujours grave d'une tentative d'insurrection contre l'état, déplorable sans doute mais légal néanmoins, de son pays.
L'émigré, en descendant vers le Midi, s'arrêta quelques jours à Lyon. Il y trouva un de ses compatriotes, M. Champanhet (1), auquel il montra ses cahiers des oeuvres de Clotilde et qui en copia quelques morceaux. On voit, par ce trait, que, chez Etienne, la littérateur l'emportait encore sur le partisan. Il alla ensuite au Puy-en-Velay ; comme dans son premier voyage, il avait avec lui un de ses anciens compagnons d'armes, devenu son fidèle serviteur. Il passa au Puy quelques jours dans la famille Chabanolle, comme l'atteste la lettre qu'écrivait quatre ans après, en 1802, à Mme Pauline de Surville, Mme de Chabanolle encore sous l'émotion de ces souvenirs.
Du Puy, il se dirigea du côté de Vorey et de Craponne. Il fut pris non loin de là, à Gervais, village de la commune de Tiranges. Il fut ramené au Puy et mis au secret. Alors quelques-uns de ses amis firent des démarches auprès de deux personnes qui se trouvaient au Puy et dont les dépositions de complaisance auraient pu, dit-on, amener son élargissement ; l'un de ceux que l'on sollicitait était l'abbé Gent, qui avait été le précepteur d'Étienne. Soit pour un motif soit pour un autre, ils refusèrent de venir témoigner : il semble qu'un officieux mensonge était indigne de sauver cet homme d'honneur. Bientôt au mois d'octobre 1798, le prisonnier fut jugé par une commission militaire. Conformément à une loi, non encore abolie, de l'époque révolutionnaire, Etienne fut condamné à mort.
(1) Un de ses neveux a été député de l'Ardècbe, sons le gouvernement de Juillet.
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La veille de son exécution, il écrivit à sa femme Pauline une lettre (1) où s'expriment tous ses sentiments généreux et qui compte assurément, quoi qu'en ait dit une critique sans âme, parmi les témoignages d'authenticité des poésies de Marguerite de Surville. Pour les esprits portés au doute sur ce sujet, un document aussi sérieux vient s'ajouter utilement aux preuves qui se tirent d'ailleurs, quelque suffisantes qu'elles puissent être.
Je ne peux te dire maintenant, — disait Étiennne à sa femme dans cette lettre, — où j'ai laissé quelques manuscrit (de ma propre main) relatifs aux oeuvres immortelles de Clotilde, que je voulais donner au public ; ils te seront remis quelque jour par des mains ainies h qui je les ai spécialement recommandés. Je te prie d'en communiquer quelque chose à des gens de lettres capables de les apprécier et d'en (aire d'après cela l'usage que te dictera ta sagesse Fais en sorte au moins que ces fruits de mes recherches (2) ne soient pas totalement perdus pour la postérité, surtout pour l'honneur de ma famille dont mon frère reste l'unique et dernier soutien, «
En allant finir courageusement sa vie, dans la force de l'âge, Étienne de Surville laissait au Puy, dans la famille de Chabanolle, ses principaux manuscrits qui ne l'avaient point quitté dans ses voyages et qui contenaient les poésies de Marguerite ainsi que les amplifications qu'il avait faites sur quelques fragments de ces oeuvres.
(1) Voir cette lettre aux Documents justificatifs, VIII.
(2) On a ergoté sur cela, comme sur toute chose au monde, sur toute chose sérieuse, principalement. Étienne eût-il pourtant voulu peser avec la dernière exactitude les termes de sa Lettre, que l'on ne voit pas comment il eût pu mieux s'y prendre pour dire ce qu'étaient ces poésies : des pages, en partie modifiées, des oeuvres immortelles de Clotilde (qui les avait donc composées dans leur forme première). Et l'on ne voit pas non plus comment il eut pu exprimer plus nettementqueces poésies n'etaient pas de sa création, mais que leur recueil était seulement, comme il le dit, le fruit de ses recherches. L'affirmation que ces poésies sont, au fond, l'oeuvre de Clotilde, est produite là d'une manière formelle, vraiment éloquente dans sa simplicité.
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Ces manuscrits formaient trois cahiers qui furent envoyés à Mme PauIine de Surville par Mme de Chabanolle, en avril 1802 et adressés, en juillet de la même année, à Charles de Vanderbourg par Mme Pauline de Surville (1).
Il laissait, de plus, à Mme de Polier deux autres petits cahiers écrits de sa main ; quelques feuillets aussi, parait-il, à M. de Brazais ; l'opuscule que nous avons retrouvé et dont nous avons donné quelques pages dans ce livre et peut-être quelques autres du même genre ; enfin une pièce de vers manuscrite, qui était entre les mains de son frère (2).
XXVIII
Derniers moments d'Etienne de Surville.
Quelle que fut sa stoïque bravoure ou son insouciance même en face du péril, l'émigré dut sentir, dans sa prison, perler sur son front la sueur d'agonie. Ce ne fut qu'un moment peut-être, mais un moment de suprême combat.
Le souvenir de ceux qu'il aimait ; celui de sa famille éteinte bientôt ; l'injustice de ses adversaires; l'ingratitude de ceux qu'il avait servis ; la calomnie ou l'indifférence s'attachant à son nom ; son sacrifice pouvant n'être qu'une tache pour son honneur ; un nouvel ensevelissement ou l'irre-
(1) Vanderbourg écrivait de Paris à Mme Pauline de Surville, le 22 juillet 1802 :
« Je m'empresse de vous annoncer, Madame, la réception du paquet que vous m'avez fait l'honnenr de m'adresser. Il n'est entre mes mains que depuis hier, mais il étoit arrivé à Paris la veille. J'y ai trouvé les trois volumes manuscrits dont vous me parlez et dont le plus complet m'étoit déjà connu.
(2) C'était la pièce de vers qui a pour, titre : Marguerite-Clotilde Eléonore. de Vallon et Chalys poète français du XVe slècte, à S M. Catherine II, impératrice de toutes les Itussies, 1796.
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médiable destruction attendant peut-être les oeuvres de son aïeule ; l'inanité de ses veilles, de ses labeurs ; la vie méritant sans doute un regret à peine, mais la mort dans quelques instants, la mort vue avec les appréhensions sévères de l'homme et du chrétien, quel assaut d'anxiétés funèbres ! Mais aussitôt la sérénité l'emportant sur les perspectives sombre et l'avenir, comme le passé, généreusement abandonné à Dieu.
Si Etienne de Surville eut ces pensées, nous ne pouvons à notre tour nous défendre d'un sentiment triste, en songeant que quelques-unes d'elles allaient être, pendant trois quarts de siècle, le mot de son destin.
Chargé d'une célébrité de faussaire qu'il eut repoussée avec mépris, il ne devait, de longtemps du moins, pas même obtenir la simple équité des littérateurs de son pays. Il allait perdre là jusqu'à son honneur, en ce qui touche à la probité vulgaire (1). Il ne devait pas obtenir davantage la justice de son étroit parti pour lequel son dévouement l'immolait et qui, après l'avoir entraîné à une catastrophe qui ne fut point sans héroïsme, saurait l'en récompenser par l'oubli.
La mort d'Étienne de Surville eut cette fermeté sans ostentation que peuvent seules donner, à un tel moment, la foi religieuse et la paix de la conscience
(1) Personne n'eut davantage la passion de l'honneur qu'Etienne de Surville gui écrivait, la veille de son exécution : « Ne laisse point ignorer à mes jeunes petits neveux que ma fin a répondu parfaitement à ma vie, c'est-à-dire que je me sais endormi du long somme entre les bras de l'honneur et de fa vertu. » (il)
Eh bien 1 soixante-et-quinze ans après sa mort, des écrits qui jouissent d'un certain renom, des livres qui courent l'Europe, ceux de MM. Barbier, Quèrard et Brunet, font encore de lui un valeur de diligences, condamné à mort à ce titre, en 17931 C'est ponsser, à ce sujet, l'ignorance un peu loin.
(a) Lettre à Mme Pauline de Surville (du 17 octobre 1798).
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Le 18 octobre 1798 (27 vendémiaire an VII), il arrive sur la place du Breuil où il va être passé par les armes.
« Monsieur, dit-il à l'officier qui commandait le détachement, je crois inutile de vous demander un prêtre fidèle : ce serait, d'ailleurs, l'exposer à de grands malheurs ; « veuillez donc, s'il vous plait, m'envoyer le curé constitu- « tionnel. » Le pasteur arrive. — « Je vous plains, monsieur,
« lui dit le marquis de Surville, d'avoir donné ce funeste « exemple de prévarication ; je sais néanmoins que, dans « le cas où je me trouve, je puis me servir de vous. « Daignez m'administrer. » Le curé, fondant en larmes, remplit son pénible ministère. M. de Surville reçut ses consolations avec une piété et une douceur vraiment angéliques. Un soldat s'avance pour lui bander les yeux.
« Comment ! dit-il, depuis mon enfance je sers le Ciel et « mon roi, et vous ne me supposez pas assez de courage pour « voir venir le plomb mortel ! Frappez. » Il est à l'instant obéi (1). »
Telle fût la fin d'Étienne de Surville (2).
Cette mort est plus grande que celle de bien des grands hommes de Plutarque, Ce n'est pas la mort d'un faussaire. Son témoignage peut braver le sourire de Sainte-Beuve et de Villemain.
(1) Andéol Vincent. Histoire des guerres du Vivarais pendant la Révolution.
(2) Mme Pauline de Surville conserva fidèlement la mémoire de ce vaillant ccenr. Elle est morte en 1843, à Villeneuve de-Berg, oit elle partageait ses loisirs entre la prière, la lecture et le soulagement des pauvres qni la regardaient comme leur mère. » (a)
Un de ses cousins du côté paternel, M. de Watré, a hérité des biens qu'elle laissait et notamment du château de Pradel. M. de Watré, esprit très-judicieux, se préoccupait vivement des poésies de Marguerite de Surville, comme l'attestent les lettres qu'il a écrites, a ce sujet, à M. Eugène Villard, en 1863, 1664 et 1865. Il est mort depuis peu de temps.
(a) L'abbé Mollier. Rechercha historiques sur Villeneuve-de-Berg
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TROISIÈME PARTIE
OBJECTIONS DE LA CRITIQUE CONTRE L'AUTHENTICITÉ DES POÉSIES DE MARGUERITE DE SURVILLE (1).
I
Une tendance du scepticisme littéraire.
L'esprit sceptique n'aime pas à sortir de lui-même ; il est peu disposé à admirer ce qui n'est point de lui. Il n'admet qu'à regret ce qu'il est obligé d'appeler une grande oeuvre, une oeuvre qui n'est point la sienne. Et lorsqu'il est forcé d'admirer cette oeuvre, il évite, s'il le peut, d'accepter un nom à qui il doive en reporter l'honneur.
Si des circonstances particulières viennent servir cette inclination, qui est une des tendances marquées du scepticisme littéraire," en même temps qu'elle est une des maladies morales du coeur humain, il s'empare de ces motifs ou de ces prétextes, si peu fondés qu'ils soient; et ce n'est pas sans peine que des autorités décisives parviennent à l'en faire dessaisir.
(4) Nous avons déjà dit plusieurs fois comment il faut entendre cette authenticité. Il s'agit ici de celle d'un texte primitif qui nous est arrivé, après avoir subi des altérations.
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Choie qui parait d'abord illogique et qui en réalité ne l'est point, ce scepticisme suppose avoir beaucoup fait dans le sens de ses tendances lorsque, devant une oeuvre de génie, il a pu faire dire d'elle : « C'est beau, mais c'est l'oeuvre d'un auteur sans nom. »
Pourtant, quelqu'un en a conçu l'idée et l'a jetée dans un moule puissant. Si cette création n'est point de celui à qui l'attribue une tradition vague ou précise, elle sera d'un autre, voilà tout.
Oui, mais elle sera d'un inconnu ; et c'est justement ce que le scepticisme littéraire aime mieux.
Pour lui, il n'est point indifférent que l'on puisse ou non assigner à une grande oeuvre son véritable auteur ; et, à son point de vue, il a raison. Une création esthétique, qui n'a pas cette empreinte indélébile que lui donne le nom connu de son auteur, est, devant l'humanité telle qu'elle est, un oeuvre qui a perdu la moitié de son prestige. C'est une forme sans traits distincts ; c'est quelque chose qui flotte presque dans le vaporeux du rêve ; c'est une fiction ; c'est presque une ombre.
On a pu, depuis soixante-et-dix ans, se convaincre de la justesse de cette observation, en voyant quel a été, durant cette époque, le sort des poésies dé Marguerite de Sur-ville.
Si ces oeuvres n'avaient pas rencontré aussitôt le concert dubitatif et négatif qu'elles ont soulevé en paraissant, et qu'elles ont vu se continuer depuis lors, par cela seul qu'il y avait un doute possible relativement à leur origine ; si elles n'avaient pas eu constamment devant elle le mauvais génie du scepticisme imposant silence à l'admiration, elles auraient obtenu et conservé un profond retentissement littéraire.
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N'avaient-elles pas le trait qui burine, la juste conception de la pensée, l'enthousiasme de l'idée, le fini de l'exécution ? Ce qui, pour une oeuvre d'art, constitue la beauté dans l'ordre, ne l'avaient-elles pas, comme n'importe quel ouvrage de nos plus célèbres auteurs ne l'a eu davantage depuis trois siècles et comme bien peu l'ont eu autant ? N'avaient-elles pas, en un mot, ce qui enlève l'admiration vraie ?
Elles l'avaient assurément Et cependant ouvrez nos livres de critique littéraire ; ouvrez les manuels qui se disputent à l'envi le soin d'enseigner nos générations, et cherchez ce que l'on y dit des poésies de Marguerite-Clotilde de Sur ville.
Quelques-uns de nos critiques en disent un mot avec condescendance, puisqu'il ne s'agit là selon eux, que d'une aimable fiction. Quant au plus grand nombre d'entre eux, il n'en dit rien ; et c'est même encore, semble-t-il, une grâce que ceux-ci font à cette oeuvre de génie.
Pour nos auteurs de manuels, s'inspirant de nos accadémiciens, ces poésies n'existent pas. Elles ne sont dignes d'être citées ni au XVe ni au XIXe siècle. Et pourquoi ? Parce que la critique d'expédietit, celle que l'on est convenu d'appeler la savante critique, en a fait l'oeuvre d'un inconnu.
Si cette critique avait, de dessein prémédité, voulu tuer l'admiration pour ces nobles pages, elle aurait réussi au-delà de ses espérances, par le procédé qu'elle a su mettre en jeu. 1
Ah ! l'on croirait que ce procédé de négation n'est pas une exécution sommaire, même pour des chefs-d'oeuvre, s'il est généralement employé !
Ils savaient le contraire, les Zoïles et les Aristarques qui ont fait jadis tant d'efforts pour reléguer dans l'anonyme, c'est-à-dire dans l'ombre, des oeuvres du talent le plus rare
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et pour arracher à un poète tel qu'Homère la paternité de ces rhapsodies dont l'harmonie suave a fait et fera l'admiration des siècles.
Ils ne l'ignoraient point, quelques-uns de ces détracteurs modernes qui se sont inscrits en faux contre le génie d'Ossian, contre toute réalité de son oeuvre, quelque modifiée qu'elle ait été, et qui, sans faire aucune distinction, ont presque enveloppé ses nobles chants de plus de brumes que n'en eut jamais la terre de Fingal.
Ils le savaient aussi, ceux qui, — dans des pensées autres, il est vrai, et pour combattre un ordre d'idées bien supérieur, — désireux d'annihiler ou d'amoindrir l'importance des écrits les plus sublimes, ont été si ardents à contester aux auteurs inspirés des livres bibliques, la composition de ces pages, c'est-à-dire l'origine certaine, le fondement historique de ces écrits, ce qui a contribué à leur renommée, ce qui a assuré leur authenticité.
Ils savaient cela et comment? Ils le savaient, ni plus ni moins, par cet instinct de l'égoïsme étroit, s'appelât-il scientifique même, qui, si on l'examine de près et si l'on compare les choses moindres aux plus grandes, a au fond le même caractère que l'instinct désordonné d'un athéisme qui se croit savant parce qu'il est aveugle et qui, devant la Création splendide, tient à ce que l'on dise : « C'est magnifique, sans doute ; mais d'où cela vient-il ? nous l'ignorons. »
Voilà des faits peut-être trop certains, et des réflexions peut-être aussi trop justifiées par ces faits. Mais ici cependant que l'on ne se méprenne point sur notre pensée.
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y
La loi des affinités dans la critique, au sujet des poésies de Marguerite
— de Surville.
En donnant cette raison philosophique qui nous parait seule expliquer certains courants de négations abusives considérés dans leur ensemble, nous ne voulons point dire que tous ceux qui ont suivi ces courants d'idées aient eu conscience du mouvement qui les emportait et aient eu l'égoïsme pour mobile de leurs négations.
Nous savons parfaitement que la vraie critique a le droit d'un doute légitime sans lequel elle n'existe pas ; et nous savons aussi que la plupart de ceux qui ont exagéré ce droit, l'ont fait non par calcul mais par la difficulté qu'a l'esprit humain à éviter, en quoi que ce soit, l'excès ou le défaut. (1)
Nous ne méconnaissons donc point cela, mais nous n'ignorons pas non plus qu'il y a des affinités de l'ordre intellectuel comme il y en a de l'ordre physique, et que, parmi ces affinités, il en est qui sont voisines du scepticisme ; et nous savons que les esprits d'ailleurs les plus honnêtes obéissent souvent, à leur insu, à la tendance qui est habituellement la leur ou qui s'en rapproche à plusieurs égards.
Cette loi des affinités, qui rend compte ici de plus d'un doute exagéré, de plus d'une fâcheuse négation, est chose incontestable dans le domaine des idées aussi bien que dans le monde matériel. La critique ne saurait donc lui échapper dans bien des cas, et l'examen de la question qui nous occupe prouve qu'elle ne lui a point échappé.
(1) Ceux de nos contemporains que nous avons à réfuter dans ce livre et spécialement dans cette- troisième partie, peuvent voir ainsi que ce que nous combattons en eux, même dans nos réponses parfois des plus fermes et dans nos attaques des moins dissimulées, ce sont seulement leurs tendances intellectuelles, l'esprit et la portée de leur crili-que
Nous aurions préféré de beaucoup que ce débat put être impersonnel ; mais il ne saurait l'être que de la manière que nous venons de dire, et en en faisant une question de principes esthétiques et non de personnalités, où toutefois des réfutations et des appréciations per sonnelles se trouvent melées inévitablement.
MARGUERITE DE SURVILLE 185
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De cette manière seule peut s'expliquer ce fait : que tous les écrivains doctrinaires et la plupart des littérateurs fantaisistes qui se sont préoccupés du sujet que nous examinons, malgré le désaccord qu'il y a eu entre eux dès qu'il s'est agi d'affirmer, et malgré l'indigence des preuves alléguées par eux tous, ont nié unanimement l'authenticité du fond des poésies de Marguerite de Surville. Aux yeux d'un observateur impartial, la raison première d'un pareil accord dans la discordance, c'est l'influence que ces écrivains ont reçue des tendances qui prévalaient dans leur milieu.
Parmi ces critiques, les uns ont attribué, plus ou moins explicitement, à Vanderbourg la création des poésies de notre auteur. C'est ce qu'ont fait de Ségur, de La Boissière, Daunou (1), Valentin Parisot (2), Bouillet (3), Tissot (4), Bachelier et Dezobry (5) et Génin (6).
D'autres ont déclaré, d'une manière plus ou moins catégorique, qu'Étienne de Surville était l'auteur de ces oeuvres. Tel a été le cas de MM. Villemain (7), Sainte-Beuve (8), Barbier (9), Quérard (10), J. Ch. Brunet (11), Ludovic La-lanne (12) et Gaston Paris (13).
(1) Éloge de Vanderbourg. Mémoires de l'Académie des Inscriptions ; Tome , XIV, 1re partie ; et Moniteur, du 28 octobre 1839. (2) Biographie universelle. Supplément. Tome LXXXV.
(3) Dictionnaire universel d'histoire et de littérature. 1re à 19e édition. Dans la 20e, postérieure à 1864, M. Bouillet est d'un autre avis.
(4) Leçons et modèles de littérature française. Tome II.
(5) Dictionnaire général de biographie et d'histoire.
(6) Récréations philologiques, tome II.
(7) Cours d'histoire de la littérature au moyen-âge,
(8) Tableau historique et critique de la poésie française et dn théâtre' français au seizième siècle.
(9) Dictionnaire des anonymes et des pseudonymes.
(10) La France littéraire.
(it) Manuel du libraire et de l'amateur de livres.
(12) Dictionnaire historique de la France.
(13) Revue critique d'histoire et de littérature. N°du 1er mars 1873.
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D'autres ont paru indécis entre Étienne de Surville et Vanderbourg. De ce nombre ont été Auger(I) et de Féletz (2).
D'autres ont fait de ces poésies la composition d'un féodiste de la fin du XVIIIe siècle ; d'autres en ont fait l'oeuvre de quelque Surville inconnu.
D'autres enfin se sont renfermés, à cet égard, dans un silence prudent peut-être, mais significatif. Tels sont MM. Nisard (3), Géruzez (4), Charpentier (5), Demogeot (6), Crèpet (7), Campeaux (8) et Beaufils (9).
Ces auteurs, la plupart universitaires, ont eu ainsi des vues très-opposées sur l'origine de ces poésies. Mais, quelles qu'aient été leurs divergences à cet égard, il n'a pas moins existé entre eux un concert négatif, d'autant plus étonnant que les arguments qu'ils apportaient à l'appui de leurs thèses ou de leurs fantaisies étaient moins concluants.
Ce que nous pourrons voir dans leurs appréciations à ce sujet, c'est un indice très-marqué des tendances sceptiques ou formalistes qui étaient celles du milieu intellectuel que ces littérateurs fréquentaient. Ces tendances ont presque toujours leur action, même sur les meilleurs esprits ; et elles l'emportent maintes fois sur l'amour de la justice et sur cette honnêteté intellectuelle qu'ont eue certainement en partage le plus grand nombre de, écrivains que nous citons.
Examinons les vues critiques émises par ces auteurs sur la question qui fait ici notre étude.
(1) Mélanges littéraires, tome II.
(2) Cours de littérature, tome II.
(3) Histoire de la littérature française.
(4) Assais de littérature française, tome Ier. Moyen-Age et Renaissance.
(5) Cahiers d'histoire littéraire. Littérature française.
(6) Histoire de la littérature française.
(7) Les poètes français.
(8) Villon. Étude.
(9) Chartes d'Orléans. Id.
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III
La polémique de 1803. Le Moniteur, le Mercure de France, les articles de Laya et de Michaud. Les objections du Journal de Paris de la Décade philosophique et du Journal des Débats. Louis Philippe de Ségur. Les petits moyens des faiseurs de pastiches.
Les poésies de Clotilde de Surville venaient à peine de paraître en 1803, que déjà quelques organes du journalisme français, le Moniteur Universel, le Mereure de France, le Télégraphe littéraire, étaient entrés en lice en faveur de cette oeuvre et avaient publié sur elle de remarquables appréciations.
Laya dans le Moniteur, Michaud dans le Mercure de France et l'auteur anonyme d'un article du Télégraphe littéraire (1) se distinguèrent surtout par la rectitude du jugement qu'ils portèrent sur cette oeuvre. Dans les deux articles que Laya, devenu depuis lors membre de l'Académie française, consacra à ces poésies (2), ce judicieux écrivain nous paraît avoir exprimé la vraie manière de voir à ce sujet. La conviction qui résultait chez lui de l'étude attentive de ce recueil, c'est que ces poésies, écrites au XVe siècle, avaient été partiellement et savamment modifiées an XVIIe par Jeanne de Vallon.
Cette conviction est la nôtre ; nous devons ajouter seulement que sur ces premières modifications se sont superposés quelques changements faits dans les dernières années du XVIIIe siècle par Étienne de Surville et un ou deux de ses amis, et qu'aux morceaux ainsi plus ou moins altérés on a ajouté certains autres d'une composition tonte moderne.
(I) T. 1er , n° du 28 prairial an XI.
12) Moniteur. N»' du S et du 7 thermidor an xi (24 et 26 juillet 1803).
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Dans cette même étude, écrite avec autant, de talent que de sagesse, Laya formulait, en termes très-exacts, son opinion sur ces poésies, en disant que les oeuvres publiées sous le nom de Clotilde sont un excellent tableau original retouché par des mains habiles (1). Ces paroles nous semblent résumer, à cet égard, la vérité historique et littéraire ; et notre livre n'a pour but que d'en montrer toute la justesse.
A ces travaux s'en joignirent d'autres publiés, sur le même sujet, par des journaux moins importants, le Citoyen François, la Clef du Cabinet, le Courrier des spectacles, le Bulletin de la littérature.
C'était ainsi une suite d'affirmations éloquentes qui commençait en faveur de ces poésies dès l'apparition de ces oeuvres, affirmations émises successivement par Vanderbourg, l'éditeur si consciencieux de ce recueil, Laya, Michaud, Sainte-Croix, Charles Nodier et de Roujoux, — ceux-ci, avec une critique des plus défectueuses, — et récemment enfin par M. Macé, doyen de la Faculté des lettres de Grenoble. Cette seule énumération suffit pour montrer que la thèse de l'authenticité du fond des poésies de notre auteur allait être défendue par des écrivains non dépourvus d'autorité dans notre littérature contemporaine.
Mais, en même temps, le criticisme sceptique commençait aussi d'élever sa voix contre ces poésies. Les articles publiés en 1803 par le Moniteur et par le Mercure avaient même ,été devancés par cette critique négative à laquelle ils tenaient à répondre.
Le concert cacophonique de dénégations qui s'est obstinément attaché à ces poésies venait d'être ouvert, immédiatement après la publication de ces oeuvres, par trois ou quatre écrivains, représentants du scepticisme ou de la fantaisie littéraire.
Les uns personnifiaient entièrement la littérature corro-
(1) Moniteur. N°! du 5 et du 7 thermidor an XI (24 et 26 juillet 1803,.)
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sive issue du philosophisme et de la fausse démocratie, et allant avec les tristes moeurs que tendaient à faire prévaloir dans notre pays les corruptions du matérialisme et l'esprit déréglé de la Révolution.
Cette littérature athée, ayant le verbiage pour science et l'insulte au passé pour raison, cette littérature, expression d'une bourgeoisie impie et sensuelle, avait alors à son service, entre autres journaux influents, le Journal de Paris et la Décade philosophique.
Elle s'exprima sur notre sujet, comme le dit justement Vanderbourg (1), avec a toute l'impertinence de la littérature révolutionnaire, » dans le Journal de Paris, par la plume d'un membre du Tribunat, Carrion-Nizas, publiant son factum sous le pseudonyme A'Indagator.
Carrion-Nizas objecta que le nouveau recueil était « un ouvrage de marqueterie » fait avec « des vers pillés de tous les côtés. » Il était difficile d'exprimer d'une manière plus fausse ce qu'est cette oeuvre en elle-même et l'impression générale qui s'en dégage pour la presque totalité des lecteurs. Si le critique jacobin se fut borné â dire que, malgré l'homogénéité intellectuelle que l'on aperçoit aisément au fond de cette oeuvre, il y avait eu dans certains fragments et dans certains détails la participation, non moins facile à reconnaître, de deux ou trois autres écrivains, il fût resté dans les limites du vrai. Mais il avait besoin d'en sortir pour qu'à défaut du talent qui lui manquait, il fit un peu d'éclat avec la risible exagération qui lui faisait appeler ces puissantes pages un travail de marqueterie.
Carrion-Nizas vit aussi une preuve irréfutable de la non-authenticité de cette oeuvre, dans l'emploi des diminutifs que l'on y constate et qui, d'après son dire, n'avait pas lieu au XVe siècle.
(1) Lettre de Vanderbourg à Mme Pauline de Surville, du 16 juillet 1803.
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Ici, son érudition était au niveau du tact littéraire qui lui avait montré là un ouvrage fait de pièces et de morceaux. Avec un peu plus de savoir et un peu moins de jactance révolutionnaire, il n'eut pas ignoré que les diminutifs se trouvent dans tous nos auteurs de la langue romane du Nord, dans Froissart comme dans Charles d'Orléans (1) ; qu'ils ne figurent pas moins, par conséquent, dans le Dictionnaire de la langue romane de Sainte-Palace (2), dans le supplément de ce dictionnaire par Lacombe(3), dans le Trésor de recherches et antiquitez gauloises et françoises, de Borel (4), et qu'ils étaient encore bien plus fréquents dans la langue romane du Midi, dont les réminiscences ont inspiré souvent Marguerite de Surville.
Les deux arguments de Carrion-Nizas firent, semble-t-il, quelque bruit sur le moment. Depuis lors cependant ils ont été reconnus si pauvres, même par les auteurs les plus friands de preuves négatives, qu'ils n'ont plus reparu dans le débat, sauf dans une ou deux critiques sans portée.
Avec plus de modération dans le langage, avec un esprit plus judicieux mais dans le même ordre d'idées, la Décade philosophique engagea le feu, de son côté, par trois articles, dont l'auteur parait être Ginguené (5) et que ce journal publia alors aussi (6) sur les poésies de Clotilde de Surville.
(1) Ces diminutifs arrivaient même quelquefois d'une manière très-rapprochée dans le discours, comme dans cette chanson du XVe siècle citée par Katherine d'Amboise, dans ses Dévotes Épiétres :
« à l'ombre d'ung buissonnet,
« L'aurée d'une saullaye au matinet.
(2) Dictionnaire de la langue romane ou du Dieux langage français (par de La Curne de Sainte-Palaye) 1708. Passlm.
(3) Passim.
(4) In-4°, 1655. Passim,
(5) Cette supposition faite par M. Mace nous paraît fondée.
(6) La Décade philosophique. An XI, 3e et 4e trimestres.
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La Décade présentait surtout comme" arguments, «antre l'authenticité de cette oeuvre, deux observations grammaticales. C'étaient les inversions fréquentes et les suppressions réitérées du pronom personnel, que ce journal donnait comme des témoignages de la facture moderne de ces poésies. Et cependant nos poètes du XVe siècle ne se sont pas fait faute d'inversions. Charles d'Orléans, Villon ! Henri Baude, Jehan Molinet, pour n'en citer que quelques-uns entre tous, ont employé cette forme de langage non d'une manière accidentelle mais habituellement.
L'auteur — probablement Henri Baude — des Regrets et complaintes sur Charles VII, qui sont indubitablement du XVe siècle (1), a pratiqué constamment l'inversion :
« Ung jour, allant m'esbanoyer aux champs,
« Pour escouter Ces oysillons las Chants... (2)
« Traicteuse mort, pour quoy si tost prins l'as ?... (3)
« Et que pourra le peuple de venir,
« Qui tant se voit
Pressé de charges, et en espoir vivoit
Qu'alegement donner on lu ; devoit... (4)
Jehan Molinet, autre écrivain du xvm" siècle, usait également de l'inversion, quand il disait :
« J'ay ung roy de Sicile
« Vu devenir berger,... (5)
Quant à la suppression du pronom personnel, elle était aussi employée très-souvent. On la trouve dans Froissart :
(1) D'après M. Vallet de Viriville, ces vers ont été écritsen 1462. Nouvelles recherches sur Henri naude, poète et prosateur du XVme siècle par M. Vallet de Viriville, 1SS3.—Quicherat. les vers de maître Henri Baude.
(2) Regrets et complaintes de la mort du roy Charles vu.
(3) Id.
(4) Id-
(5) I. Molinet. Recollection des merveilles advenues de nostre temps.
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« Violettes en tours saisons
« Et roses blanches et vermeilles « Voi volontiers, car c'est raisons,
« Et chambres pleines de candeilles,
Jus et danses et longues veilles. (1)
On la rencontre dans les poésies de Charles d'Orléans :
En regardant vers le païs de France,
« Ung jour m'avint, à Dovre sur la mer,
Qu'il me souvint de la doulce plaisance « Que souloye ou dit païs trouver.
Si commençay de cueur à souspirer ;
Combien certes que grant bien me faisoit
De veoir France que mon cueur amer doit.
Alors chargeay en la net d'Espérance
Tous mes sonhaitz, en les priant d'aler
Oultre la mer, sans faire démourance, « Et à France de me recommander. (S)
En outre des suppressions du pronom personnel, on peut constater, dans ce morceau, plusieurs exemples d'inversion.
On trouve fréquemment cette suppression du pronom personnel dans Villon :
« Autant puis l'ung que l'autre dire ; « car d'Evesques ou lanterniers,
«Je n'y congnois rien à redire. (3)
Sur deux verbes qui dans ces trois vers, ont pour sujet un pronom personnel, le premier supprime ce pronom et le second l'exprime. Cela montre à peu près ce qui se faisait alors souvent
Ces vers ont de plus les formes de l'inversion, autant que ceux que nous avons déjà cités.
(1) Froissart. poésies.
(2) Poésies de Charles d'Orléans. Edit. Champollion-Figeac. Ballade
LXXXIX.
Que l'on veuille bien aussi remarquer si ces vers de Froissart et de Charles d'Oriéans ne renferment pas l'alternance des rimes.
(3) OEuvres de Villon. Edit. Coustelier, 1723. Le grand testament de F. Villon,
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On constate aussi la suppression du pronom personnel dans l'auteur des Regrets et complaintes sur Charles VII, autre contemporain de Marguerite de Surville :
« Pourquoy, imiz, avec moi lermoiez... (1)
La court aussi trop jeune delaissay
« Pour le presint peu de bien y attens ; Mais je voy bien clerement et entrais Que ceste année des aultres mal contens —
Y a assez. (2)
Une observation moins aventurée, spécieuse même, était celle qui, dans ce travail critique de la Décade, comparait les Trois Plaids d'or et les stances de Rosalyre du recueil de notre auteur avec les Trois manières et les Tu et les Vous de Voltaire, signalait des rapprochements indubitables entre ces morceaux, et prétendait que les vers attribués à Clotilde n'étaient qu'une imitation de ceux de Voltaire.
Cet argument, employé plus tard avec tant de chaleur par Sainte-Beuve (3). n'était donc pas neuf sous sa plume. Le critique de la Revue des Deux Mondes l'avait pris dans la Décale ; mais il s'était gardé de dire où il avait puisé un moyen de contestation qui faisait la moitié des frais de son article magistral : il avait préféré jouer au critique supérieur qui trouve ses arguments dans son génie. Ce n'est pas lui pourtant qui avait omis de lire le travail de la Décade philosophique ; ce n'est pas lui, dont le talent fut avant tout celui du fureteur, bâclant ses recherches pour la circonstance, qui se fut lancé dans cette controverse sans avoir
(1) Regrets et complaintes de la mort du rog Charles VII.
(2) Id.
Voir plus loin, troisième partie, XVIII, dans des pages que nous citons, s'il est rare de constater l'inversion et la suppression du pronom personnel dans la prose du XVme siècle.
(3) Sainte-Beuve. Poètes et romanciers modernes. Revue des Deux-Mondes, 1841.
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pris connaissance du débat engagé sur la question depuis longtemps.
Quant à l'objection en elle-même, la réponse est facile : elle a été déjà faite par Vanderbourg (1) et par M. Macé(2). Sans doute, il y a surtout entre les Plaids d'or et les Trois manières des rapports évidents, non seulement dans le fond du sujet mais aussi dans la disposition des pièces et même dans le choix du rhythme employé. Mais ces rapports certains n'infirment en rien l'authenticité des poésies de Marguerite de Surville. Ils concluent, si l'on veut, à l'interprétation que ces deux auteurs auraient faite, chacun selon le genre de son talent, d'un travail primitif qui les aurait guidés l'un et l'autre. Ils concluent, avec presque autant de vraisemblance, à ce que dit Etienne de Surville, « que Clotilde n'a peut-être été que trop connue » (3), c'est-à-dire à l'imitation que Voltaire dans son pauvre factum aurait faite du poème de notre auteur, de l'oeuvre « d'un vieux sage », comme il le dit lui-même (4).
Ces rapports témoignent de cela, comme l'originalité puissante d'un tableau de maître témoigne contre une sorte de pastiche de ce tableau qui en a été faite longtemps après, où, comme dans l'oeuvre de Voltaire, la spontanéité du génie a disparu et où il ne reste que de la facilité, du savoir-faire et de la vulgarité moderne.
Un journal qui était l'organe du scepticisme délicat, soidisant et présumé conservateur, n'avait au même moment, sur ce sujet, ni une autre manière de voir ni un autre ton que l'une des deux feuilles révolutionnaires dont nous venons de parler.
(1) Poésies de Clotilde de Surville. Edit, de IIDCCCUI. Préface, I.XXI, LXXII.
(2) Les poésies de Clotilde de Surville.
(3) Manuscrit d'Etienne de Surville, appartenant à Mme de Chauras. V. supr., seconde partie, XXI.
(4) V. à ce sujet, infr. vm.
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Le Journal des Débats, dans un article à sensation (1) signé Indignator et qui est peut-être l'oeuvre de Geoffroy, dictait là pour cinquante ans la leçon à nos lettrés aux tendances doctrinaires, chez nous bien plus vieilles que le nom. L'article intitulé : C'est un pastiche, parlait déjà par son titre même. L'auteur était tranchant, fort dédaigneux, — comme M. Génin et comme M. Gaston Paris. Pour lui, les mérites intrinsèques de cette oeuvre n'existaient pas (2). Il commençait par faire l'histoire, depuis lors rabattue, de toutes les suppositions littéraires. Après l'énumération de quelques pasticheurs, venait le tour de M. de Surville. Pour l'auteur de l'article, « M. de Surville » était, à n'en pas douter, le coupable de cette supercherie.
La plupart des objections que soulevait la Décade et qui allaient plus tard défrayer la critique de Villemain et de Sainte-Beuve, les protendues preuves que l'on devait tirer de l'alternance des rimes, de la perfection de l'oeuvre, etc., se produisent déjà, d'un air triomphant, dans ces deux feuilletons. L'auteur ne voit là que tournures modernes, imitation de nos poètes classiques, de Voltaire, de Malherbe, et, le croirait-on ? même de La Fontaine. L'érudition de l'écrivain s'étale avec fracas ; elle est de travers, mais elle abonde.
(1) Journal dos Débats politiques et littéraires, Nosdu 12 et du 13 juillet 1803.
(2) Devant cela, il y a lieu d'être étonné de cette phrase que contient une lettre écrite par Vanderbourg à Mme Pauline de Surville, le 9 août 1803 :
« Le Journal des Débats n'est pas le seul qui nous ait vengés des « impertinences du Journal de Paris et des lourds raisonnements qui « parurent quelques jours après dans la Décade, t
Vanderbourg aurait-il été mal renseigné sur cet article des Débats qu'il n'aurait pas lu ? Cette explication nous paraît seule acceptable; dans ce cas, il aurait été trompé grossièrement. Le texte de sa lettre d'ailleurs, comme nous l'avons vérifié sur l'originabest tel quel'a publié M. Macé.
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Nous retrouverons plus loin ces objections que la critique négative a soigneusement conservées et souvent rappelées, et nous dirons le cas qu'il faut en faire. Observons ici seulement qu'il était facile de constater des « tournures modernes » dans on recueil interpolé où l'on trouve, de plus, des fragments de composition récente. Mais il fallait, chez le critique des Débats, Ou que l'impression faite sur lui par ces parties modernes eût été bien prédominante ou que son parti pris d'avoir affaire à un pastiche fût bien grand, pour qu'il n'y aperçût pas autre chose, malgré ce qui y révèle un temps plus ancien et malgré ce que la sincérité du génie y a de saisissant.
En même temps que le criticisme sceptique entrait en lice contre l'authenticité de poésies attribuées à Clotilde de Surville, un homme d'esprit et de talent, un ancien ambassadeur, un conseiller d'Etat qui ne dédaignait pas les jeux de la littérature fantaisiste, Louis-Philippe de Ségur, insinuait (1), avec une grâce parfaite et avec beaucoup de savoir-vivre, que ces poésies pouvaient bien être simplement l'oeuvre de Vanderbourg, l'écrivain qui les publiait. Et pour donner à ses lecteurs une idée de la facilité avec laquelle on peut inventer de vieux chefs-d'oeuvre, « il habillait à l'antique, » ainsi que le dit Vanderbourg (2), quelques vers du cardinal de Bernis.
Sainte-Beuve, profondément frappé, semble-t-il, de tout ce qui est supercherie littéraire, devait reproduire, quarante ans après, cette petite comédie, lorsque, n'ayant pas davantage une idée nouvelle en cela que dans ses ingénieuses réflexions sur les tu et les vous de Voltaire (3), il allait recourir, avec moins de simple fantaisie d'amateur, au re-
(1) La Bibliothèque française, 1803
(2) Lettre à Mme Pauline de Surville, du 16 juillet 1803.
(3) V. infr. VIII.
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vêtement à l'antique et, dans le même but que son devancier, essayer du procédé d'envieillissement sur quelques vers à lui. -
Malheureusement, chez le conseiller d'Etat comme plus tard chez le critique de métier, quelque délicate qu'eût été l'exécution de ce procédé, le résultat fut d'une pauvreté extrême, comparé à n'importe quel fragment des poésies dont on niait l'authenticité ; et cet essai, comme celui qui fut tenté plus tard, ne prouva qu'une chose : c'est qu'il ne suffit pas d'être homme d'esprit, de pouvoir même écrire en vers un passable factum, pour créer un seul petit chef-d'oeuvre que l'on puisse sérieusement comparer à la moindre des poésies de Clotilde.
IV
Les objections de la grande critique. L'apophthegme de Raynouard.
Jusques là cependant, c'étaient des écrivains de peu de célébrité qui s'étaient prononcés contre l'origine assignée à ces poésies. Quelques années après, la grande critique allait, à son tour, se charger de ce rôle.
Montrons dans quelles allégations vaines s'est complue, à ce sujet, cette critique aux apparences magistrales qui, depuis soixante ans, a émis ses paradoxes nombreux avec tant d'assurance et les a présentés comme d'irréfragables vérités.
Il eut été peut-être bon, — pour eux comme pour les simples lettrés, — que ces maîtres en littérature, disposés à nier résolument, fussent parvenus' à s'entendre dans les assertions qu'ils émettaient d'une manière si fâcheuse pour les poésies de Clolilde de Sur ville. Dans leur accord à cet égard, il y aurait eu au moins une présomption favorable à la cause ingrate qu'ils défendaient.
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AU lieu de cela, qu'ont-ils opposé aux preuves éloquentes et de genres divers qui appuient l'authenticité de ces poésies? Ils ont opposé péniblement des affirmations contradictoires, des assertions qui se détruisent l'une par l'autre.
Parmi ces critiques, des mieux posés dans l'opinion par. des recherches historiques ou littéraires marquées d'un sens judicieux qu'ils auraient bien dû apporter dans l'étude de cette question, voici d'abord Raynouard. Il est venu dire solennellement :
« Il n'est plus possible aujourd'hui de donner ces poésies comme authentiques. » (1)
C'était là une parole considérable, par le ton décisif avec lequel on la proférait et par le journal où elle se produisait. En entendant cela, un bon nombre purent supposer que la cause était jugée irrévocablement.
Raynouard ajoutait :
« Les littérateurs français ne regardent les ouvrages de « Clotilde de Surville que comme un jeu d'esprit, une habile « imitation du langage ancien, dont la perfection même a « servi à découvrir la fraude. » (2)
Ce furent les seuls mots de l'oracle. Ce laconisme fit sensation. C'était assez ; on n'en demanda pas davantage. En deux mots le critique avait répandu la lumière sur un sujet complexe et controversé. Nulle autre explication ne sortit de la bouche du maître. Quelques-uns osèrent penser que c'était assez leste et insuffisant; mais nos lettrés, pour la plupart, se déclarèrent satisfaits.
Avouons que parfois l'opinion, chez nous, se contente de peu, et que l'esprit qui, en critique, est réfractaire au simple bon sens, est de composition facile dès qu'une célébrité a parlé.
(1) Raynouard. Journal des savants. Juillet 1824. Les poètes français depuis le douzième siècle.
(2) Raynouard. Journal des savants. Id.
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Admirons aussi comment tous les littérateurs français se trouvaient enfermés avec aisance par M. Raynouard dans le cercle des vues qui étaient celles d'un cénacle doctrinaire.
Plusieurs en dehors d'eux — et Vanderbourg tout le premier, cet esprit si délicat, si judicieux, — purent être surpris de se voir englobés là si prestement, à moins qu'on ne leur fit pas l'honneur de les compter parmi « les littérateurs français. »
Nous voyons dans ce fait un des procédés alors à l'usage de la « grande » critique.
« Ces poésies sont un jeu d'esprit », affirmait l'écrivain du Journal des savants ; d'esprit, oui, comme en a le génie, comme — excepté Chateaubriand, Lamennais, Lamartine ou Victor Hugo — n'en avaient pas les littérateurs français, contemporains de M. Raynouard, y compris M. Raynouard lui-même.
Ces poésies sont « une imitation ; » une imitation de qui ? Biles sont « une fraude; » une fraude faite par qui ? M. Raynouard ne se prononça pas ; il voulut avoir le mérite de la réserve, c'est-à-dire d'une solution qui éludait toute la difficulté du problème. Et puisqu'il ne tenait pas à aller plus loin dans son dire, on put se contenter de lui répondre qu'il ne se fait guère, par fraude ou non, de semblables copies dont on est si en peine de signaler l'original.
Y
Les explications de Villemain,
Après M. Raynouard, ce fut le tour de M. Villemain. Celui-ci parlait en Sorbonne ; il disait à un auditoire nombreux ;
« Nous avons eu, commeles Anglais (en ont eu par Chat¬
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« terton), une contrefaçon élégante, une spirituelle mysti- « fication, sur la poésie de notre XVe siècle. Nous ayons
« eu, quelque temps, Clotilde de Surville. » ,(1).
Remarquons d'abord que, pour quiconque n'ignorait point
— et Villemain ne pouvait pas l'ignorer — quel avait été le caractère d'Etienne de Surville, l'exbumateur des poésies de Clotilde, il y avait peu d'équité à assimiler, devant un public qui allait créer un courant d'opinion, le fait de cet homme loyal au cas de Chatterton.
Autre était le témoignage d'Etienne de Surville, ce coeur généreux, s'il en fut ; autre était celui d'un petit aventurier, ambitieux précoce, présomptueux infatué d'orgueil, qui, après avoir imaginé du Rowley par un chétif artifice, assurait à qui voulait l'entendre que c'était lui, Chatterton, qui allait « rétablir le peuple anglais dans ses droits. »
L'exemple était ainsi bien peu concluant ; il n'était même point convenable à citer. Mais Villemain ne devait pas se faire scrupule de revendiquer ce cas probant et de le faire valoir, faute d'autres.
D'ailleurs, Villemain s'arrêtait peu au témoignage qui résultait, pour ces poésies, des déclarations formelles d'un caractère tel qu'Etienne de Surville. Était-ce trop du vrai domaine esthétique ? Était-ce trop du domaine de l'âme ?
« Il parait, disait-il à son auditoire choisi, que le marquis « de Surville, passionné pour la poésie, avait d'abord été poète moderne, vu qu'il était né dans le XVIIIe siècle. Ses essais se perdirent dans la foule. M. de Surville alors « tâcha de vieillir sa muse. » (2).
Cela s'appelle jouer élégamment avec l'honnêteté d'un noble coeur.
Villemain avait là sa manière à lui de supposer la fraude, d'expliquer les supercheries littéraires. C'est une manière
(1) Villemain. Tableau de la littérature au moyen-âge, tome n. (2) Id. Id.
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adoucie d'expression mais qui, pour cela, ne fait pas plus d'honneur à celui qui en est l'objet, au faussaire avide de renommée, qui vieillit sa muse ou la rajeunit au flair de son ambitieuse vanité.
Mais cependant, en vieillissant sa muse, M. de Surville se dérobait : il se cachait obstinément. Et récuser ainsi le mérite transcendant de ses propres oeuvres, le renier jusqu'à sa mort et même en face d'elle, c'est, il faut l'avouer, une bien étrange façon de courir après la renommée. Ce n'a pas été la manière de M. Villemain.
Le disert professeur de Sorbonne continuait ainsi, avec un genre plein d'agrément, ses délicates explications à ce sujet :
« M. de Surville était un fidèle serviteur de la cause « royale. Il s'est plu, je crois, dans la solitude et l'exil, à « cacher ses douleurs sous ce vieux langage. » (I).
Ici, il y avait au moins quelque chose d'honorable dans le motif présumé. Il était pourtant difficile de condenser plus d'erreurs en moins de mots.
Pour émettre l'assertion qui était ici celle de Villemain, il fallait supposer d'abord qu'Étienne de Surville avait été à même de composer ces poésies et qu'il les avait réellement composées. Nous avons dit déjà (2) quelle est, à nos yeux, la valeur d'une semblable allégation. Rappelons seulement, pour résumer notre pensée à cet égard, que contre cette supposition s'élèvent :
1° Les poésies que nous connaissons d'Étienne de Surville, poésies que nous avons appréciées ;
2° Certaines de ses oeuvres en prose, comme celle que nous avons retrouvée et que nous avons fait connaître (3) ;
3° Le témoignage de M" Pauline de Sur ville, femme d'un
(1) Villemain, Tableau de la littérature au moyen-âge, tome II.
(2) V. supr., seconde partie, XX et XXI.
(3) Id. XXI.
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prit élevé et qui était convaincue (1) que son mari avait pu écrire ces chefs-d'oeuvre. Cette opinion était ssi celle des autres membres de la famille et des hommes lettres, tels que M. J. L. de La Boissière, qui avaient rticulièrement connu Étienne de Surville ; 4° Les déclarations d'Étienne de Surville lui-même, afmant l'authenticité du fonjareo » sap pes immortelles de otilde » ;
5° Enfin, ainsi que nous le prouverons bientôt (2), le télignage de ces poésies considérées en elles-mêmes et qui, ns leurs parties anciennes, non interpolées ni remaniées, vêlent un auteur vivant dans un tout autre milieu que lui du XVIIIeme siècle.
Pour avancer ce que Villemain insinuait, il fallait supser ensuite qu'Étienne de Surville avait composé ces ésies pendant ses années d'émigration, c'est-à-dire après 91.
Dr, nous l'avons dit (3),—sans parler du souvenir peu écis qu'avait à cet égard le frère d'Étienne, Stanislas de rville, — M. de Gibon de Kérisoët avait reçu d'Étienne en 12 ou 1783, une de ces poésies telle qu'elle parut vingt après. Et M. Du Petit Thouars, dont nous avons cité ssi le témoignage, a affirmé, dans l'article qu'il a donné la Biographie universelle, « qu'il vit M. de Surville à ris en 1790, qu'il eut alors communication du manuscrit vant donc les jours de « solitude et d'exil »), « et qu'il trouva dès lors complet et tel qu'il a été imprimé en » (4)
Ce fait a pu être certifié par des relations de famille. Mme Pauline
Surville et la mère de l'auteur de ce livre étaient parentes au sepne
sepne par les d'Arlempdes de Mirabel.
9 V. infr. quatrième partie, IU, v,'.vl, vn et VUI.
I) V. supr. seconde partie, XVIII.
Biographie universelle. Tome XIIV; article Surville.
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Que sont les dires de Villemain devant ces témoignage précis ?
Villemain est très-souvent un de nos fins critiques et tou jours un des plus séduisants. Mais voilà pourtant des vue littéraires singulièrement hasardées, pour ne pas les qualifier autrement. Des appréciations superficielles à ce point sont malheureusement point rares dans l'oeuvre de nos lit térateurs en renom ; et l'on n'a peut-être pas assez remarqué combien, sous ces affirmations ou ces réserves revêtus de certains agréments de style, il y a souvent, dans de sem blables critiques, de la légèreté et de l'inexactitude.
VI
Critique des poésies de Clotilde de Surville par Villemain.
Villemain était-il plus heureux dans la critique général qu'il faisait des poésies de notre auteur, que lorsqu'il attribuait cette oeuvre à Étienne de Surville ? Nous ne le pensons pas.
« Ces poésies, dit-il, sont d'une personne plus savant « que son temps. Elle (Clotilde) cite des livres qu'on n'avait « pas Elle parle des satellites de Saturne qui n'étaient pu « encore découverts. » (1).
De tels reproches seraient fondés si l'on pouvait les appliquer aux parties anciennes de ces poésies, à celles qui sou considérées comme étant, au fond, l'oeuvre de Marguerite Mais ils n'ont aucune valeur en s'adressant, comme ils 1 font là, aux fragments supposés qui remplissent le reçus publié en 1826 sous le titre de Poésies inédites de Clotili de Surville.
Nous avons dit (2) l'origine apocryphe des pièces qui com
(1) Villemain. Tableau de la littérature au moyen-âge. Tome II. (2) V. supr. seconde partie, XXV.
Nous n'avons pourtant pas prétendu deviner là quel fut-le principe auxiliaire d'Etienne pour ces divers morceaux, l'auteur inconnu qui avait fait preuve d'un talent supérieur à celui de l'émigré.
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posent ce volume et qui datent de la fin du XVIIIe siècle. Parmi ces pièces figure le quatrièrtiè chàrtt du poème de là Nàtur"e et de l'Univers, où l'on cite Lucrèce et où il est question des satellites de Saturne. Pour être convaincu de la composition moderne de pages de ce genre, écrites peut-être sur quelques fragments d'une oeuvre primitive disparue, il n'est nullement besoin d'examiner les vues trop savantes qui s'y trouvent : il suffit de voir le style dans lequel ces pages sont écrites. Et pour ne pas confondre, un seul instant, de pareils morceaux avec ceux qui sont dus à notre auteur, il n'y a qu'à comparer attentivement les uns avec les autres.
Ces productions apocryphes écartées de la discussion, comme elles doivent l'être dés oeuvres de Marguerite, on peut dire avec exactitude que ses connaissances furent surtout littéraires ; que lorsque, dans ses vers, elle fût amenée à parler des réalités du monde physique, elle ne le fit qu'avec les moyens ordinaires de la poésie, avec les ressources d'une imagination qui, loin d'être scientifique, fut quelquefois même des plus bizarres, comme le montrent les réflexions que lui inspirait la vue de «Phoebé », dans l'Elégie sur la mort d'Héloysa et son invocation, d'un enthousiasme si ardent mais si étrange, à cette « courrière des nuits sombres (I). 0 n peut ainsi affirmer, preuves en main, que le savoir de Marguerite ne fut nullement au dessus de son époque, mais qu'il fût celui d'un auteur de génie très-conséquent avec lui-même, appliquant avec suite les idées qu'il avait sur l'art ; réalisant d'une manière plus rigoureuse, plus complète, ce que d'autres n'effectuaient qu'à demi, et ayant le mérite de discerner — mieux qu'on ne le faisait au XVIIIme siècle — les qualités et les défauts des littérateurs de son temps et des deux siècles qui l'avaient précédé. Et ce tact si judicieux, qui a tenu à de rares facultés poéti-
(1) V. infr., troisième partie, XI, ce morceau que nous y reproduisons.
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ques, ne révèle qu'une chose, non l'existence fictive du poète mais la supériorité de son talent.
Villemain dit encore : « Clotilde est fidèle à l'entrelace, ment rigoureux des rimes » (1) ; et il ajoute que cette disposition des rimes était alors chose inconnue.
C'était inconnu, non de tous, puisque déjà deux siècles avant Marguerite, Thibaut de Champagne (2) contemporain de saint Louis, avait parfaitement su s'en servir. Que l'on en juge par ces vers :
L'autre nuiz, en mon dormant,
« Fut en grant doutance
« D'un jeu parti en chantant,
Et en grant balance ;
Quant amours me vint devant,
« Ki me dist: que va querrant T
« Trop as corage movant :
Ce te vient d'enfance. (3)
L'alternance des rimes, si bien respectée dans ce morceau et dans maint autre du même trouvère, ne le fut pas moins, également au XIIIme siècle, par Rutebeuf (4) dans les pièces où ce poète s'abandonna le plus à son enthousiasme. Une de ses poésies les plus remarquables, par l'élan poétique et déjà même par la forme, contient bien des vers comme les suivants :
« Laisse clers et prelaz esteir (1),
« Et te pren garde au roi de France
(1) Villemain. Tableau de la littérature au moyen-dge.
(2) Thibaut IV, comte de Champagne et roi de Navarre, époux de Marguerite de Bourbon, mort en 1233.
(3) Thibaut de Champagne. Chansons. Édit. 1712. Paris.
(4) Rutebeuf composa la plupart de ses poésies de 1235 à 1285. Elles ont été publiées, avec un soin judicieux, pour la première fols
à notre époque, par M. Achille Jubinal.
(5) Rester, ne pas aller à la croisade.
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« Qui, por paradix conquesteir, « Vuet mètre le cors en balance
Et ses enfanz à Dieu prèsteir. (1)
Et ailleurs, dans une des complaintes où le poète cherche à réveiller l'ardeur pour la croisade :
« Souspirant por l'umain lingnage
Et penssis au cruel domage « Qui de jor en jor l avient,
« Vous veuil descouvrir mon corage (2) « Que ne sai autre laborage :
« Du plus parfont du cuer rae vient. (3)
L'entrelacement des rimes masculines et féminines était aussi connu et le plus souvent pratiqué par Charles d'Orléans. Où trouver, dans Marguerite de Surville, la juste disposition des rimes mieux que dans ces vers :
« Le temps a laissié son manteau « De vent, de froidure et de pluie,
« Et s'est vestu de broderie,
« De soleil riant, cler et beau. (4)
(1) Prêter. Allusion à ce que Louis IX venait d'emmener ses enfants avec lui, dans sa dernière croisade.
OEuvres complètes de Rutebeuf. Tome 1er. La desputizons du croisié et du descroizié.
M. Paulin Paris dit, au sujet de cette poésie : « On était en 1268. Louis IX venait de céder aux cris de détresse venus d'outre-mer. Il » avait, pour la seconde fois, attaché sur son manteau la croix fatale. « Ce fut le moment choisi par le poète pour faire déclamer et réciter « dans les châteaux et les carrefours de chaque ville, la desputizons du croisié et du descroizié, une des premières pièces les mieux com- « posées et les plus agréablement écrites. Elle forme trente octaves en « vers et dix-sept octosyllabiques, dont les rimes sont alternativement « masculines et féminines. » (Histoire de la France litéraire. Tome XX.)
(2) L'élan de mon coeur.
(3) OEuvres complètes de Rutebeuf. Tome 1er. La complainte de Constantinoble.
(4) Poésies de Charles d'Orléans. Edit. Champollion-Figeac. Rondel XIV.
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On a déjà vu cette règle observée dans les vers que nous avons cités plus haut (1) de Froissart et dé Charles d'Orléans.
Le respect de cette règle n'apparaît pas moins dans cette ballade de Villon, ainsi que dans beaucoup d'autres morceaux du même poète :
« Dictes moy cù ne en quel pays « Est Flora la belle Romaine, « Archipiada, ne Thaïs « Qui fut sa cousine germaine ? « Echo, parlant quand bruyt an maine « Dessus rivière ou sus estan, Qui bèaulté eut trop pins qu'humaine ? Mais où sont les neiges d'antan ? (2)
La royne, blanche comme ung lys, Qui chantoit à voix de sereine, (3) Berthe au grand pied, Bietris, Allys, « Harembourges qui tint le Mayne, « Et Jehanne, la bonne Lorraine « Que Angloys bruslèrent à Rouen,
« Où sont ilz, Vierge souveraine ? Mais où sont les neiges d'antan ? (4)
Il est vrai que, dans tons ces auteurs, l'entrelacement des rimes masculines et féminines n'a pas lieu d'une manière rigoureuse et constante ; mais tous ont senti la supériorité qu'il y avait, au point de vue esthétique, dans cette exacte disposition des rimes ; la négligence, alors générale et contre laquelle Marguerite s'est élevée avec tant d'énergie, explique seule comment il s'est fait que nos poètes d'alors ne se soient pas soumis à cette règle d'une manière absolue. -
(1) V. supr., troisième partie, in (2) De l'an dernier.
(3) Sirène.
(4) OEuvres de Villon. Ballade des dames du temps jadis. Edit-. Coustelier.
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Mais de suivre très-souvent cette règle à la suivre toujours ; il n'y avait qu'on pas qui devait être logiquement franchi et qui le fut bientôt, non seulement par Marguerite mais aussi par Jehan Molinet et par Henri de Croie, deux de ses contemporains.
Quant à notre auteur, il ne s'est pas contenté de pratiquer cette règle dont il trouvait tant d'exemples dans les poètes français qui l'avaient précédé : il l'a formulée en vers des moins suspects, dans sa poétique dont nous parlerons (1).
Marguerite de Sur ville, dit Villemain, « évite avec scrupule les hiatus de voyelles. » (2)
C'est vrai ; mais pour quiconque étudie attentivement son oeuvre, cela ne peut avoir rien d'étonnant. Quelqu'un et peut-être même plusieurs à la fois n'ont-ils pas commencé à éviter ces hiatus, d'une manière scrupuleuse et complète ? Pourquoi donc Marguerite ne l'aurait-elle pas fait ? En lisant les oeuvres qu'on lui attribue, ne sent-on pas, comme l'a dit Sainte-Beuve, que « l'on a affaire à un poète réfléchi ? » (3). Et n'a-t-elle pas pu arriver à une grande précision à cet égard, dans les quatre-vingts ans et plus de sa vie littéraire ?
Villemain objecte encore : « La justesse, l'ordre, la liaison des idées manquaient alors » (4)
Voilà qui est bien hasardé, ou plutôt qui est bien paradoxal. « L'ordre » et « la liaison des idées » manquaient sans doute chez de pauvres rimeurs et dans des écrivains sans portée ; mais ils n'étaient pas absents des poésies de Charles d'Orléans, de Villon et de Martial de Paris, pas plus qu'aux deux siècles précédents ils n'avaient fait défaut
(I) V. infir., quatrième partie, v.
(1) Viltemara. Tableau de la littérature au moyen-âge. Tome II.
(3) Sainte-Beuve. Revues des Deux-Mondes. 1811.
(4) Villemain. Tableau de la littérature au moyen-dgè,. Tome n.
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chez quelques-uns de nos poètes, tels que Thibaut de Champagne, Rutebeuf et Froissart. « L'ordre » et la liaison d'idées » ne manquaient pas non plus chez ces prosateurs du XVe siècle qui s'appelaient Enguerrand de Monstrelet (1), Georges Chastellain (2), Philippe de Comines, tous contemporains de Marguerite de Sur ville. Il se trouvaient aussi, non loin de nous, dans ces grandes créations littéraires que l'Italie produisit abondamment, à cette époque de la Renaissance. Et si alors ces qualités manquèrent chez quelques littérateurs de métier, comme elles ont manqué chez plusieurs d'entre eux dans tous les temps, ce n'est point un motif pour supposer qu'un auteur plus sérieux ou mieux doué qu'eux n'ait pas pu avoir, dans la France de cette époque, des qualités sans lesquelles on ne fut jamais ni littérateur ni poète.
Dût-on être le seul à apporter complètement, dans certains genres littéraires, les principales conditions de l'art qu'on n'y mettait le plus souvent qu'à demi, est-ce une raison de prétendre que personne ne pouvait les apporter dans leur ensemble ? Fallut-il oser quelque innovation, de quel droit vient-on dire qu'alors nul ne pouvait innover ?
C'est bien mal connaître les ressources du français d'alors, de prétendre que le talent dût en français tâtonner ou bégayer à cette époque. La langue avec laquelle un vrai poète, tel que Rutebeuf, avait pu, au XIIIe siècle, chanter éloquemment et correctement, cette langue était un instrument qui, deux siècles plus tard, pouvait et devait donner un chef-d'oeuvre.
Villemain insiste et dit : « Cette netteté de l'esprit ne se « faisait pas sentir dans les idées, hormis en Italie où la
(I) la Chronique d'Enguerrand de Monstrelet, édit. Douet d'Areq.
6 volumes.
(2) V. OEuvres de Georges Chastellain, édit. Kervyn de Lettenhove.
7 volumes.
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« langue avait été subitement perfectionnée par trois « hommes de génie. » (1).
Il y aurait encore ici beaucoup à dire sur des vues aussi superficielles ; et pour réfuter la première des assertions que ces lignes renferment, on n'aurait qu'à prendre l'un ou l'autre des auteurs que nous venons de citer.
Remarquons seulement quelle domination certaines idées reçues exercent même sur les meilleurs esprits. On admet sans difficulté qu'en Italie la langue a pu être subitement perfectionnée par trois hommes de génie ; et l'on n'a garde de reconnaître qu'en France un grand auteur, après soixante ans de travaux, ait pu améliorer le style de son époque, avec une langue ayant déjà tous ses éléments essentiels, comme nous le prouverons, et cela un siècle et demi après Dante, un siècle après Pétrarque, deux hommes à l'influence desquels il était peu probable que, même en France, le génie poétique put échapper !
Si, comme cela est pour nous certain, le talent, au degré où il se révèle dans les poésies attribuées à Marguerite de «Surville, a pu créer au XVe siècle des oeuvres marquées d'éminentes qualités et même d'une « netteté d'esprit » peu ordinaire, le motif donné dans la dernière objection n'est point soutenable. C'est simplement la négation des droits du génie, c'est-à-dire la négation des droits de l'âme. Et c'est là pourtant le motif qu'avant et après Villemain, nos lettrés ont allégué le plus complaisamment. Pour eux, la raison décisive de confiner à jamais ces poésies dans la région de la « fraude, » c'est « leur perfection même. » (2).
Mais ne pourrait-on pas en dire autant des oeuvres de Dante, et même des oeuvres de la plupart de ceux qui ont eu au plus haut degré le génie littéraire? Y a-t-il un seul poète italien antérieur à Dante qui ait eu sa perfection de forme et son talent? Nos lettrés n'en citeraient aucun.
(1) Villemain. Tableau de la litérature au moyen-âge. Tome II. (2) Raynouard, Villemain, etc.
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Si, par un concours de circonstances qui eut pu se produire, les poésies de Dante fussent restées ensevelies cinq siècles et n'eussent été exhumées que de nos jours, Raynouard, Villemain et Sainte-Beuve auraient eu ainsi le droit de dire :
« C'est apocryphe, car c'est trop parfait. Nous connaissons la poésie italienne ; elle n'avait pas cette perfection au commencement du XIVe siècle. La littérature d'alors n'avait pas cet ordre, cette liaison des idées, cette harmonie, ce fini d'exécution. Cette raison-là nous suffit : nous nions l'authenticité de cette oeuvre. »
Ce raisonnement eut-il été juste ? Nullement. Celui que font nos littérateurs au sujet de Marguerite de Surville est tout à fait le même : il n'est ni plus fondé ni plus concluant.
VII
L'hypothèse savante de Daunou.
Villemain avait donné son explication ; celle de Daunou fut différente. Ici, ce n'est plus Etienne de Surville qui a composé ce pastiche, c'est Vanderbourg.
« Il me parait impossible, écrivait Daunou, que les poé- « sies de Clotilde soient du XVe siècle, et j'ai peine à croire « qu'Étienne de Surville ait été capable de les composer au « XVIIIe. Vanderbourg doit y avoir eu la principale part en « 1803. » (1).
A côté d'une erreur, il y a là peut-être quelque chose de judicieux. Étienne de Surville paraissait sans doute à Daunou, et à fort juste titre, incapable d'avoir composé cette oeuvre : mais le XVIIIe siècle pouvait aussi lui sembler incapable de l'avoir produite. Daunou connaissait son XVIIIe siècle ; et, si peu poète qu'il fut, il pouvait apercevoir le contraste
(1) Daunou. Lettre à Sainte-Beuve..
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qu'offre cette poésie, mise en face de celles qu'a données te siècle de Voltaire.
Quoi qu'il en soit de cette pensée que nous ne voudrions pas prêter gratuitement à Daunou, toujours est-il que le. critique emploie là une forme de langage quelque peu évasive. On sent qu'il ne voudrait pas se compromettre. Il se compromet assez pourtant; et depuis la publication des lettres de Vanderbourg à M" Pauline de Surville, on peut juger combien était n défaut la sagacité de nos lettrés qui, ainsi que Daunou, attribuaient ces poésies à Vanderbourg.
Il faut rendre cette justice à Sainte-Beuve ; il ne s'est point mépris, comme Daunou, sur les aptitudes poétiques de Vanderbourg. Il « ne peut rien lui attribuer du fond général ni de la trame » des poésies de Clotilde.
Combien, dit-il, l'oeuvre principale de Vanderbourg, « sa « traduction des Odes d'Horace répond peu à l'idée du ta- « lent poétique que, tout plein de Clotilde encore, j'y épiais! « Ce ne sont que vers prosaïques, abstraits, sans richesse « et sans curiosité de forme A peine quelques-uns de bons
et coulants. Mais ce mieux, ce passable poétique est rare, « et j'ai pu à peine glaner ces deux ou trois strophes. Ainsi, « jusqu'à nouvel ordre, et à moins que des vers originaux « de Vanderbourg ne viennent démentir ceux de ses tra- « ductions, c'est bien lui qui, à titre de versificateur, est
parfaitement incapable et innocent de Clotilde. » (1).
Et Sainte-Beuve ici ne se trompait pas. Aucune pièce de Vanderbourg n'est venu montrer qu'il put composer de tels chefs-d'oeuvres ; et sa correspondance relative aux poésies de Clotilde a prouvé en outre surabondamment combien il fut éloigné des pensées de supercherie » que nos graves critiques lui ont attribuées pendant soixante ans. Ses lettres à Mme Pauline de Surville (2) ont fait voir aux plus méfiants
(1) Sainte-neuve. Revue des Deux-Mondes, 1841. Poètes et romanciers modernes. Clotilde de Surville.
(2) Nous avons vérifie sur l'original l'exactitude de la reproduction que M. Macé a donnés de cette correspondance.
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quelle loyauté il avait apporté dans la fonction d'éditeur littéraire qui fut la sienne à ce sujet.
Cette publication a donc tranché définitivement la question en ce qui concerne Vanderbourg : elle a donné raison à Sainte-Beuve contre Daunou, dont les quelques objections qu'il oppose à l'authenticité des poésies de Clotilde ne sont d'ailleurs pas autres que celles que nous avons déjà vu formuler par Villemain.
VIII
Les ressources d'imagination de Sainte-Beuve. Encore le procédé d'envieillissement. Marguerite de Surville et Voltaire.
Mais Sainte-Beuve est lui-même aussi superficiel que Daunou et que Villemain, en attribuant, comme il le fait, ces poésies à Étienne de Surville.
Et sait-on une des grandes preuves que Sainte-Beuve a pu donner de son affirmation (1) ? C'est qu'Étienne de Surville était » chouan » et « monarchique, » et qu'il avait été précédé dans son siècle par Gueullette et Constelier (2), par Voltaire, Berquin et Colardeau. Mais vraiment tout cela n'a pu suffire à Etienne de Surville pour lui faire produire ce qu'il ne pouvait aucunement donner (3).
Toutes les comparaisons que l'érudition bâclée de Sainte-Beuve entasse (4) entre l'Héroïde à Bérenger et l'Héroide
(1) Sainte-Beuve. Poètes et romanciers modernes. Revue des Deux-Mondes, 1841.
(2) Constelier a édité, dans la première moitié du XVIIIe siècle, quelques-uns de nos poetes du XVe, notamment Villon et Martial de Paris.
(3) V. supr., seconde partie, XX, et suiv., ce que nous avons dit d'Etienne de Surville.
(4) Sainte-Beuve. Poètes et romanciers modernes ; et Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au seizième siècle, page 487.
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de Colardeau (1), entre les Chants d'amour et les Saisons de Saint-Lambert, entre les Tu et les Vous de Voltaire et les Stances du chastel d'amour, entre les trois manières de Voltaire et les plaids d'or, entre les Stances de Berquin (2) et les Verselets de Marguerite ; le pastiche d'en-
(1) L'Héroïde d'Armide à Renaud, de Colardeau, se distingue surtout par la mollesse du style et ia faiblesse du vers. C'est, on le voit, un modèle bien choisi pour expliquer comment un pasticheur, imitant ce factum, a écrit des pages aux vers d'airain comme l'Héroide à Bérenger, dans ses parties non remaniées. Des comparaisons de ce genre ont pu être faites par un < grand > critique, se plaisant ici à jongler avec le goût et le bon sens : elles n'en sont pas moins indignes du dernier des critiques qui aurait cru simplement être ridicule en mettant en parallèle le genre de Clolilde de Sur ville avec célui de Colardeau.
Bien que l'auteur de l'Épttre d'Héloise à Abailard ait eu parfois sa verve, bien que ce versificateur facile ait même, par échappées, été poète, il n'y a que Sainte-Beuve qui, usant des licences de sa célébrité, ait pu faire, sans rire, un rapprochement aussi heureux, devant ses lecteurs prêts à le croire sur parole.
(2) Veut-on voir quels sont les vers qu'un maître en critique a osé soupçonner d'avoir pu servir de modèle aux vers de Clotilde ?
En voici quelques-uns de la romaice de Berquin — Plaintes d'une mère auprès du berceau de son fils. — que Sainte-Beuve a mise en parallèle avec les Verselets du Recueil de Marguerite :
« Dors, mon enfant, clos ta paupière : « Tes cris me déchirent le coeur ;
« Dors, mon enfant : ta pauvre mère « A bien assez de sa douleur.
« Oui, le voilà c'est son image « Que tu retraces à mes yeux.
« Ta bouche aura son doux langage ;
« Ton front, son air vif et joyeux.
« Ne prends point son humeur volage,
« Mais garde ses traits gracieux.
Tu ne peux concevoir encore
Ce qui m'arrache ces sanglots ;
« Que le chagrin qui me dévore
« N'attaque jamais ton repos !
« Se plaindre de ce qu'on adore,
« C'est le plus grand de tous les maux (a).
(a) OEuvres de Berquin- Edit. Didier.
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vieillissement de style qu'il donne avec sa Natalie, pour faire bien juger du « procédé » qui peut être à l'usage des habiles escamoteurs littéraires, tous ces artifices sont nuls comme moyens probants ; ils sont même du plus misérable effet. Pas un seul de ces traits ne porte ; rien de tout cela ne conclut à prouver le moins du monde que ces poésies, prises dans ce qui les constitue fondamentalement, aient eu pour auteur un écrivain, quel qu'il soit, du XVIIIe siècle.
Sainte-Beuve, avons-nous dit, compare, après la Décade philosophique, deux poésies de Marguerite avec deux facturas de Voltaire. Dans ces deux morceaux de notre auteur, il ne voit qu' « une imitation ; » et l'une de ces deux pièces, celle au sujet de laquelle nous allons nous étendre, « accuse « même, dit-il, la surcharge ingénieuse. » (1).
La pensée émise ici par Sainte-Beuve est trop indigne pour que nous ne montrions pas ce qu'elle vaut.
Ce n'est pas une des moindres injustices d'une critique pauvre de sens moral, de n'avoir pas craint d'établir un parallèle entre les trois plaids d'or du recueil attribué à Marguerite et tes trois manières de Voltaire et d'avoir rais
Tout est de cette force. Ce sont ces lignes, fades comme de pauvres vers du XVIIIe siècle, qui, — d'après Sainte-Beuve, évitant toutefois de les donner à ses lecteurs, — pourraient bien avoir inspiré les Verselets attribués à Clourde. Ces Verselets ne nous sont pas arrivés avec toute leur grâce première ; mais en les prenant tels que nous les avons, avec les retouches modernes qu'ils ont subies, quel contraste encore ne fonl-ils pas avec ces Berqulnades d'une si réjouissante platiludel Des banalités sans amour, un bavardage à demi ridicule qu'une femme déclame au souvenir de son séducteur, voilà ce que la t savante » critique s'est piu à comparer au ebant le plus poétique qu'aient proféré les lèvres d'une chaste épouse et d'une mère.
La platitude eut pourtant du succès, à l'époque même ou un pasticheur aurait, parait-il, inventé Clotilde. Étonnant pasticheur ! Comment s'y est-il pris, pour être toujours si au-dessus des modèle que lui attribue le flair de Sainte-Beuve ?
(1) Sainte-Beuve. Tableau historique et critique de la poésie et du théâtre français au seizième siècle, page 487, en note
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une oeuvre de l'art le plus délicat au-dessous d'une farce d'histrion, que se disputent l'immoralité, un prosaïsme complet et cette effronterie égrillarde, pour nous bien rapprochée de la sottise, et qu'on a pourtant appelée « de l'esprit. »(1).
(1) Voici deux couplets de cette poésie de mirliton. Ils sont pris entre d'autres que nous ne transcririons pas, pour ne point souiller notre plume :
TÉONE.
« Vous connaissez tous Agathon ;
« Il est plus charmant que Nirée ;
« À peine d'un naissant, coton Sa ronde joue était parée ;
« Sa voix est tendre s'il a le ton « Comme les yeux de Cythérée. « Vous savez de quel vermillon « Sa blancheur vive et coloree ; '
« La chevelure d'Apollon
« N'est pas si longue et si dorée « Je le pris pour mon compagnon,
« Aussitôt que je fus nubile; « Ce n'est pas sa beauté fragile « Dont mon emur fut-le plus épris :
« S'il a les grâces de Paris,
« Mon amant a le bras d'Achille.
« Ma bonne tante, en glapissant,
« Et la poitrine déchirée, « S'en retourne au port du Pirée « Raconter au premier passait « Que sa Tèone est égarée ; « Que de Lydie un armateur,
Un vieux pirate, un revendeur « De la féminine denrée
« S'en est allé livrer ma fleur « Au commandant de la contrée (a).
(a) OEuvres de Voltaire- Oontes de Cuillavme Vadé. Les trois manières.
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Les trois manières, un de ces contes licencieux que l'auteur ne publiait pas sous son nom et qu'il donnait sous celui de Guillaume Vadé, sont une polissonnerie littéraire, de l'inspiration qui a dicté à la même plume la Pucelle et tant d'autres bouffonneries sans pudeur. Dans ces pages libertines comme ailleurs, Voltaire a jugé à propos d'entremêler le plus possible la licence des moeurs et l'impiété.
La scène se passe dans la Grèce antique ; on y voit figurer pourtant un sérail et le reste, comme dans la Grèce turque du temps de Voltaire. Après des strophes faites pour égayer les friands de récits graveleux, arrivent des vers où il est question de larmes et qui font partir d'un éclat de rire. La couleur locale manque entièrement à cette grisaille ; la vérité historique, la vraisemblance même y sont sacrifiées de main de maître ; et c'est chose passablement étrange de voir mettre là sans façon une institution du moyen-âge à l'usage des compatriotes de Sophocle.
OEuvre plate, oeuvre infime, ces vers n'ont pas le moindre reflet de l'idéal pur sans lequel la poésie n'est point. C'est le chant de l'obscénité vulgaire qu'on y entend dans l'ombre où passent de lubriques lueurs.
Il faut flétrir les jours où de pareils corrupteurs publics ont eu des légions d'encenseurs, où l'on a nommé oeuvres d'art ces mesquines et démoralisantes oeuvres d'un baladin d'une gaîté sinistre dont le rire et celui de tant d'autres allaient ouvrir des flots de sang.
Et c'est pourtant devant ces pages, que des lettrés de notre temps ont accusé l'oeuvre de Marguerite de n'avoir été qu'un pastiche de cette élucubration ! C'est devant cette pas quinade impure, que des critiques sont venus dire : Voilà l'oeuvre du maître ; le reste est d'un plagiaire obscur.
Le reste ? qu'est-il donc ? C'est un récit d'une verve entraînante, où tout s'anime, où tout palpite d'une ardente vie ; où l'on voit prise sur le vif une cour d'amour du XV° siècle ; où tout a l'accent de la jeunesse exubérante et
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d'une fascinante poésie ; où il s'agit d'amour et où cependant la parole est chaste comme le sentiment qui l'inspire ; où la passion même a ce noble accent du moyen-âge qu'un versificateur du XVIIIE siècle, — en les prenant tous, depuis Voltaire jusqu'à Étienne de Surville, — était impuissant à retrouver.
C'est un poème riche de vers comme ceux-ci :
« An trosne où plaisamment por s'unit à l'albastre « Eu demi-rond parfait, sont en face trois rangs « De sediles (1) dispos en tour d'amphitheàstre;
Au plus bas sont vieillars ; puis les pieux et les grans ;
« Et se presse au dernier la jeunesse folastre.
« Pour n'esmeut discoureur la rayne d'un regart,
Comme en Pair devant elle une perse texture (2)
« Nuaiges figurait : tel chef d'oeuvre de Part « Ainsy leur desroboit ces tu y de la nature, Juges estoient rangez et d'une et d'autre part.
« Seyoient ici mamans en toges violettes,
« Severes, sans pitié, plaignantes du vieux teins;
« Grognoient ; ainz par meschief (3) tousjours grognoient seu(lettes.
seu(lettes.
Vis-à-vis, soubz couleur des roses du printems,
« Goytement soubrioient gentilles bactielettes. (4)
Ce sont des pages où l'auteur sait employer un tour aussi poétique, aussi saisissant qu'il le fait dans ces vers, pour annoncer qu'un de ses personnages, Colamor, va se servir du pentamètre ou vers de dix syllabes :
t Le front chargé d'ennuy, s'avança vers le trosne. « Là, contant sans destour, ces métrés employa « Par qui doulce Elégie autrefois (5) larmoya,
(1) Sièges, du lat. sedilia.
(2) Un tissu de couleur glauque.
(3) Par malheur
(4) Poésies de Marguerite de Surville, les trois plaids d"or.
(5) Dans la poésie latine, sous la plume d'Ovide.
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« Et qu'en France despuis, sur les rives du ffhosne, « A Puytendre A polio pour Justine (i) octroya (2)
L'apologie que fait Voltaire de l'amour libertin, ses vei faciles ou bouffons sont bien pâles de vant la poésie puis santé du recueil de Marguerite. A ce contraste, ils se mon trent ce qu'il sont : des vers indigents du souffle poétique pleins de l'esprit d'impiété et de débauche, 1 autant qui pauvres de grandeur et de vie.
Les quelques ressemblances qu'a le conte de Voltaire avet la poésie de Marguerite, ces ressemblances qui existent, à coté de différences aussi nombreuses qu'essentielles, tien nent, nous l'avons dit, à ce que Voltaire a pris son sujet dans les vers de Clotilde qu'il a pu connaître, ou dans un poème antérieur à elle dont les deux auteurs se sont servis, chacun à leur époque, avec autant d'inégalité dans le talent que de dissemblance dans l'inspiration.
Aussi Vanderbourg, dont la pensée à cet égard a été la nôtre, a-t-il pu dire avec son tact habituel : « Il se peut que « Clotilde elle-même ait emprunté le plan de son ouvrage « de quelque fabliau plus ancien, que Voltaire peut avoir « connu. » (3)
(1) Louis de Puytendre et Justine de Levis, son épouse, poètes du xive siècle, dont les oeuvres auraient contribue k développer le genie littéraire de Marguerite de Surville.
(2) Poésies de Marguerite de Surville. les trois plaids (for.
Veut-on voir la différence qu'il y a entre ce talent poetique et celui
de Voltaire ? Que l'on compare ces vers avec les suivants qui, dans l'oeuvre de Voltaire, expriment la même pensée et qui sont d'ailleurs du nombre des vers passables — et honnêtes — de son oeuvre : « Apamis raconta ses malheureux amours En mètres qain'étaient ni trop longs ni trop courts. « Dix syllabes par yers mollement arrangées « Se suivaient avec art et semblaient négligées.
« Le rhythme en est facile ; il est mélodieux ;
« L'bexamêtre est plus beau mais parfois ennuyeux, (a)
(3) Vanderbourg poésies de Clotilde de Surville. Édit MDCCCIII. Préface, page LXXII, en note.
(a) OEuvres de Voltaire. Les trois manières.
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Et il a pu ajouter avec raison : « Les Plaidoieries d'a- « mour sont tout-à-fait dans le genre de nos anciens trou-
« vères, et nous croyons au contraire qu'on n'en trouve
« aucun modèle dans l'antiquité. La reine Zulinde (de « Plaids d'or), toute remanesque qu'elle paraîtra, nous sem- « ble bien mieux faite que l'archonte Eudamas (des trois « manières de Voltaire) pour présider un tribunal de ce « genre. » (1)
Des différences aussi profondes et plus frappantes, malgré quelque similitude aussi dans l'idée qui a donné naissance à ces pages, séparent les Tu et les Vents de Voltaire des stances du chastel d'amour de Marguerite.
« Ici, — dit pourtant Sainte-Beuve, d'un air de triomphe « bien mal justifié, — la réminiscence est manifeste et le « contre-calque flagrant. » (2)
Ici, faut-il dire plutôt, chez Voltaire, c'est de la prose en vers et c'est un badinage grossier et libertin ; chez l'auteur des stances de Rosalyre, c'est l'accent d'une exquise poésie et toute la délicatesse dans le sentiment. Voilà comment il y a eu contre-calque, d'après Sainte-Beuve, et divergence extrême, selon nous.
Cette divergence, Vanderbourg l'a exprimée avant nous, tien qu'en termes trop indulgents pour les vers de Voltaire, quand il a écrit :
« L'idée première de ces couplets est évidemment la même « que celles des Vous et des Tu ; mais l'épitre de Voltaire « respire (disons le mot) le libertinage le plus spirituel, et les stances de Clotide, l'amour le plus naïf ; c'est bien, en « effet, le caractère de leurs siècles, du moins si l'on s'en « rapporte aux romanciers qui en ont écrit les moeurs.» (3)
(1) Id. Id.
(2) Sainte-Beuve. Tableau historique et critique de la poésie au seizième siècle, p. 486, en note.
(1) Vanderbourg. Poésies de Clotilde de Surville, p. 200, en note.
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Aussi de la comparaison attentive de ces divers morceaux, si l'on porte son regard plus haut que ne l'ont fait des sophistes littéraires, ce que l'on doit conclure, c'est ceci :
Marguerite de Surville, dans son oeuvre vraiment originale, a été éprise de l'amour de l'idéal et d'un noble sentiment de l'art : ses poésies méritent d'obtenir dans notre littérature la place d'honneur que l'injustice seule leur a ravie. Voltaire, dans ses pages, originales aussi à leur manière, mais sans aucune élévation esthétique et morale, ne s'est inspiré que de l'abjection : son oeuvre mérite le mépris.
Et, par une dérision des choses humaines ou plutôt par une déplorable aberration, c'est l'oeuvre de Voltaire qui a eu, qui a encore la renommée, et c'est l'oeuvre de Marguerite qui a l'oubli !
Pour nous, nous élevons une protestation indignée contre ce monstrueux verdict du passé. Nous en appelons à tous ceux chez qui le sens du beau n'est pas atteint par des corruptions intellectuelles et par des mièvreries de décadence ; à tous ceux qui, n'ayant pas une thèse de fantaisie à défendre, ne se contentent point des procédés de la prestidigitation littéraire. Ceux-là verront et sauront dire qu'il y a une démarcation tranchée entre les vers de Berquin ou les vers de Voltaire et les poésies resplendissantes de Marguerite.
Ceux-là aussi, nous n'en doutons point, trouveront que la pièce que Sainte-Beuve s'est plu à envieillir diffère des oeuvres de Clotilde autant qu'une versification indigente d'idées, sans maturité et sans caractère, diffère d'une poésie où chaque mot, pour ainsi dire, porte avec lui la fermeté du burin et l'arôme vraiment exquis de l'art.
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IX
Les affirmations de Sainte-Beuve confrontées avec les poésies de Marguerite,
Sainte-Beuve, avons-nous dit, a cru pouvoir attribuer les poésies de Clotilde à Étienne de Surville. C'est ce qu'il déclare formellement en maintes pages (1) ; dans d'autres cependant il aimerait assez à se réserver quelque échappatoire, mais sa pensée à ce sujet ne va pas au-delà d'un auteur de la fin du XVIIIe siècle.
« Si, dit-il, Clotilde de Surville, au jugement des philolo- « gues connaisseurs, n'est évidemment pas un poète du « quinzième siècle, ce ne peut être qu'un poète de la fin du « dix-huitième, qui a paru au commencement du nâ- « tre. » (2)
Prenons acte de ces paroles contre quelques lettrés qui, ajoutant leurs contradictions à beaucoup d'autres, veulent bien supposer que ce recueil de poésies n'est pas de la fin du XVIIIE siècle mais est plutôt du XVIIE
Observons en même temps que la seule remarque judicieuse à faire à ce sujet, — la distinction du caractère ancien d'un certain nombre de ces poésies d'avec des pièces récentes ou rajeunies complètement, — a tout-à-fait échappé à Sainte-Beuve, comme elle avait échappé à Villemain et à quelques autres de nos célébrités.
« Ce qui fait vivre Clotilde, ajoute Sainte-Beuye, ce qui « la fait survivre à l'intérêt mystérieux de son apparition, « ce sont quelques vers touchants et passionnés, ces cou- « plets surtout de la mère à l'enfant. Le reste doit sa grâce à celte manière vieillie, à une pure surprise. Tel vers, « telle pensée qu'on eut remarquée à peine en style ordi- « naire, frappe et sourit sous le léger déguisement... Mais « ce genre d'intérêt n'a que le premier instant et s'use « bientôt. » (3)
(1) Sainte-Beuve. Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au seizième siècle ; pages 486, 489. (2) Id. Id. page 476.
(3) Id. Id. page 490.
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Ces réflexions sont des plus légères, comme à peu près tout ce que Sainte-Beuve a écrit sur cette question (1). La réponse à ces paroles sans exactitude est dans l'oeuvre même qui est jugée ainsi.
Voici deux pages de cette poésie qui ne devrait sa grâce qu'à une « manière vieillie », à quelques vieux tours de langage ; nous prenons ces pages entre bien d'autres. Peut-on supposer sérieusement, en lisant ces vers, que c'est « une pure surprise » qui les fait goûter, et que l'expression poétique, le sentiment profond, le mouvement de la pensée, la forme simple et puissante du vers, l'idée qui y brille, l'accent de sincérité qui y éclate ne soient vraiment pour rien dans l'admiration qu'ils inspirent ? La sophistique seule peut le soutenir.
Que l'on examine ce morceau, sans avoir sur les yeux le bandeau d'une « savante » critiqué :
« Comme parloye, erraient dans la prairie
« Blancs agnelets broustant l'herbe flourie ;
« De rame en rame oysillons voletaient
« Et da printems le retour se contoient,
» En si doulx airs que n'auroit peu s'eslire « Cil qu'eust Linus accordé sur sa lyre.
« Plus loing sembtoit appendue au roschier « La chefvre folle ; et bergers d'approschier, Promps à garder de Palme nourricière (2) Des arbres nains la seyve printanière « Et boutons frais trop presses de s'ouvrir, c Mes yeulx riants qu'ont ven nos champs flourir « Plus qu'une fois, ceste-là s'estonnèrent
< Qu'en çà des moûts (3) nuld'icenlx qu'entonnèrent « Le chant de may, pour mode! n'eussent pria
« Ce grand tabel (4) dont voyons tous le prix.
« Pourquoy me dy : Clotiide qu'ez ieunette, — Se n'est méfaict quant fusse orgueillouzette De si beaulx dons que Phoebus et l'Amour T'ont faict te font et feront tour à tour, —
(1) V. aux Documents justificatifs, IX.
(2) « De l'auguste (aima) (a) nourricière» de Jupiter. Cette réminiscence mythologique est bien de la Renaissance.
(3) En deçà des Alpes, en France.
(4) « Le tableau » de la nalure.
(a) Ce mot est employé ici en manière de plaisanterie.
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a D'où \ient seroit (t) quant fuyroia le collège
De plats rimeurs que de labeur s'allégé
« Pour lost fènir ; qui, d'ung et d'aultre las (2) « Infortuné, tant se guermeute, helas !
• Pour desrober ce que n'auroit sceu feindre (3) ; ■ Puis d'ung peu d'art de ses pillages teindre (4)
N'ha le souley : tellement qu'à les oyr
Chascun se dit : Ailleurs cuydai-ie voir
Touz ces propos », et mande leurs sornettes « Faire ez chauffoir usage de brouqueties (5) ? « Car, en effect, que choysir, sur ma foy,
« Dans ces recueils de si ehetif aloy t ~- « Sont-ce rondels faicls à la vieille poste « Du beau Froissart ? Contre luy nul ne toste Ne tostera, m'est adviz, de longtems ;
« Grâces, esprit et fraischeur du printems « L'ont accueilli jusqu'à sa derraine heure ; « Le vieulx rondel habite sa demeure « A n'en sortir. Oh! que gentil seroit A mes regars cil que nous le rendroit,
« Ce bel amy, ma Bocca, quant l'y pense !
Que dans nos cueurs bien auroit sa compense, « Se ramenoit emprez de ses brebis
« Tendre pastour que n'ha laissié d'abiz Ou de mantel, comme autrefois Elie,
« Aux vains amans de sa muse jolie !
Car dez qu'oït (6) leur insipide voix, a Rompist sa lyre, et l'Amour son carquois, « Se me disiez, grans autheurs de cest aage, Quel droit avez à taut bel herytage ?
Seroit-ce droit que lousiours lozangier Ceulx qu'en flatteurs ainsy voulez cbangier ? « Debvez scavoir, à vos despens peut estre, Que moins on est, quant plus on veult parestre. « M'est en pitié le superbe embryon « Qui faict son prince et sy n'est qu'un pion ;
(1) Quel tort aurais-tu, (forme méridionale).
(2) « Las » coté, — mot languedocien
(3) Produire par son imagination.
(4) Ici une de ces inversions très-gracieuses chez l'auteur et qu'un pasticheur n'eut jamais ni réussies ni même essayées.
(5) « Allumettes » — mot languedocien.
6) « Dès que sa muse entendit. »
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« Seroy d'adviz que, vendaut ses eschasses,
« Il n'affligeast de tant sottes grimaces « L'ueil du proschain ; y gagneroit, ma foy « Ne m'en soubviens qu'au moment où le voy.
« Trop composez, povres bastards du Pinde.
« Fort de tarots n'est cestuy qui se guindé, t Pour y monter, aux frestes arbrisseaux « Bordans le pied des deux sacrez costeaux.
« Trop composez : qui rampe en ces campagnes
Nombre d'hyvers, au faiste des montagnes « N'aille compter saltera d'un eslan.
Stupide oyson, qui iongles du milan,
« Falloit, d'orgueil estouffant les amorces» « En cris fallotz ne point user tes forces.
« Rien qu'une fois du cygne harmonieux « N'oyons le chant tendre et mélodieux ;
Et chasque nuit, en l'onde croupissante,
Croasse en vain la rayne (1) assoupissante,
« Chouette ez vieulx. murs, corbeaulx dans les desers « Sy faictes vous, Aristarques disers.
« Chascun vous prosneret moy n'en peux que dire ; Car tant y a que ne scauroy vous lire ». (2)
Voilà un singulier pastiche, où court le trait d'Aristophane, où sifflent les lanières de Juvénal. Nous ignorons si cela s'appelle envieillir ; nous savons seulement que c'est du génie, et que les Sainte-Beuve passés ne sont jamais arrivés là Nous savons plutôt, en lisant ces vers, que rien dans notre littérature n'a été moins joué ; que rien n'est parti du plus profond de l'âme que ce mépris vengeur des droits du génie contre les vaines célébrités. Ce ne sont pas les pauvretés littéraires de son siècle seul que cet auteur flagelle ainsi ; ce sont aussi celles d'autres temps, même celles du nôtre, que ce poète stigmatise du fond de son cercueil. Trop composez ! Il avait raison. Qui sait si, vivant de nos jours, le poète n'eut point dit cela à Sainte-Beuve, à la plupart de ceux qui ont relégué ses nobles chants au
(1) La grenouille, — mot languedocien, du latin rana.
(2) Poésies de Marguerite de Surville. Epistre à Rocca.
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nombre des caprices d'un envieillisseur ? Ce poète a vu déjâ s'user contre lui les mille traits de la critique. Ces traits auraient-ils été des représailles ? Il a si peu épargné la critique qui triomphait dans son époque ! Il a raillé si impitoyablement la faconde verbeuse d'une littérature facile et les lauriers des A ristarques diserts !
Des morceaux comme celui que nous venons de transcrire — et ils ne sont point rares dans les oeuvres de Marguerite— ont d'autres qualités que ce qui n'excite qu'un intérêt de « surprise » et ne « frappe » que par « le déguisement »(1). Ils font une tout autre figure que les pastiches de Sainte-Beuve, et ils défieront à jamais l'injustice frivole d'une critique qui a pris le maniére pour le beau et l'artificiel pour le sublime.
X
Caractère de la critique d'expèdieut ; résultai» auxquels elle aboutit.
Disons-le hautement : la critique que nous venons de voir, celle qui se présente même avec cet appareil d'ostentation, avec cet étalage d'une érudition si éloignée de la science, cette critique est étrangement mesquine : elle n'a pas l'intuition divinatrice qu'a l'âme seule et que seule l'âme sait manifester.
Après Sainte-Beuve, il n'y a rien à chercher en fait de ressources d'expédient qui, le plus souvent, manquent le vrai qu'elles sont indignes d'atteindre.
Mais Sainte-Beuve était-il certain de ne pas s'abuser, en indiquant là un pastiche qu'il aimait à défendre, parce que cela mettait son habileté en relief, en lui donnant ample sujet pour son travail de marqueterie, et plus encore parce que cela allait intimément à son goût prononcé pour le fac-
(1) Sainte-Beuve Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au seizième siècle.
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tice ? Il peut nous être permis d'en douter. Nous lisons, nous, entre les lignes, que l'oeuvre dont il s'agit ici le faisait réfléchir, plus que bien des oeuvres renommées de ses comtemporains. Cette oeuvre n'était-elle qu'un jeu ? Était-ce un baladin littéraire qui l'avait composée ?
« On est tout étonné, dit-il, de trouver « dans cet auteur « un maître. Dans ces poésies, ajoute-t-il, « il y a l'art, la « forme véritable... Le style possède sa façon propre, son « nerf, l'image fréquente, heureuse, presque continue. De « nombreux passages exposent une poétique concise et sa- « vante. » (1).
Si l'écrivain qui faisait là des réflexions secondaires très-justes, avant d'ajouter une contradiction à bien d'autres et d'affirmer, deux ans après, que tout le mérite de ces poésies tient à « quelques vers touchants et passionnés, » et, pour « le reste, » « à une pure surprise » (2) : si Sainte-Beuve avait été dans la disposition d'esprit et de coeur qui permet de juger, sans illusion, des lois essentielles de « l'art, » il aurait compris que cet art, porté au degré où il se révèle dans une telle oeuvre, ne pouvait y être le résultat du caprice d'un lettré désireux de faire « réussir, » c'est-à-dire de faire accepter louchement à la postérité, comme une oeuvre sincère, une fantaisie d'envieillissement.
Sainte-Beuve, qui a distingué au fond du coeur humain toutes les nuances de l'égoïsme, n'y a pas vu ce qui fait le rayonnement de l'âme. Il n'y a pas mieux discerné les principes premiers qu'aucun artifice no remplace et par lesquels seuls l'art à sa vraie splendeur.
C'est parce que des critiques, d'un talent incontestable d'ailleurs, ont plus ou moins méconnu les lois de l'expression du beau, qu'ils en sont venus à émettre des assertions sans fondement sur les oeuvres dont il s'agit ici.
(1) Sainte-Beuve. Revue des Deux-Mondes, 1841. Poètes et romanciers moderns. Clotitde de Surville.
(2) Id. Tableau historique et critique, etc.
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Et c'est aussi pour cela même, et dans des vues plus générales que la seule défense des poésies de Marguerite de Surville, que nous tenons à faire voir, par l'exemple de cette question particulière, l'inanité qu'a eue souvent, dans ses moyens et dans ses résultats, ce que nous sommes obligé d'appeler, malgré sa renommée, non une critique de principes mais une critique d'expédient.
Avec les procédés de cette critique, on arrive aux résultats les plus inadmissibles, comme aurait été, d'après nos habites, la vie littéraire d'Étienne de Surville.
Si le talent d'Étienne de Sur ville eut été capable d'atteindre ce degré d'expression du beau, en simulant le vrai, en faisant un » pasfiche, » c'est-à-dire en se rendant coupable d'une imposture littéraire (1), à quel degré ne se fût-il pas élevé en restant lui-même, en remplissant cette condition reconnue par tous les vrais penseurs, comme la première pour produire un chef-d'oeuvre ?
Or, en restant lui-même, ainsi qu'il l'a fait dans les vers où il a chanté l'Ombre de Clotilde et dans d'autres encore inférieurs que l'on sait être positivement son oeuvre, il a été loin d'approcher de la haute perfection du genre, que les poésies de Clotilde sont si près d'atteindre.
Et, comme il ne pouvait être plus homme de génie dans une oeuvre feinte que dans son oeuvre sincère, il ne saurait avoir produit les poésies de Clotilde, ce chef-d'oeuvre que lui attribue la critique d'expédient.
XI
Comment cette critique arrive à montrer qu'Étienne de Surville fut
doublement poète de génie et à ta fois versificateur vulgaire.
D'ailleurs, il ne faut pas oublier qu'au recueil des poésies de Clotilde, l'écrivain qui l'a transcrit et modifié le dernier,
(1) Ce que d'ailleurs on ne saurait admettre. V. a ce sujet, qua. trième partie, VIII et IX.
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Etienne de Surville, a joint certains fragments qu'il donne comme n'étant pas de son aïeule, et dont quelques-uns sont étroitement solidaires de la bonne ou de la mauvaise fortune réservée à l'oeuvre de Marguerite.
Telles sont, après quelques vers de Marie de France, des stances du commencement du XIVe siècle, et d'une forme remarquablement belle. Etienne de Sur ville, reproduisant en cela, dit-il, les indications données par les mémoires de Marguerite, a attribué ces stances à Barbe de Verrue, femme poète des bords du Gardon (1), un des auteurs dont les oeuvres auraient servi de guide à Marguerite.
Pour que nos lecteurs puissent juger du talent et du genre de ce poète, voici quelques-uns de ses vers (2) :
« Voit sien yver venir li saiges
Comme als fins biau jor belle nuit ;
« Scet que sont roses por toz eaiges,
« Si por toz eaizes sont ennuy.
« De ma primevère tempesls (3)
Ne me remembre sanz plésir ;
« Ainz qui dança moult à la teste « Au soir n'ba regret de gésir.
« Dant que vy cheoir foilles d'altomne,
« Belle tretoz m'ont proclamé ;
« Tretoz adez me disent bonne :
« Ne scay le nom qu'ay plus amé.
« Heur ne despant de gentillesse ;
« Contre le tens n'ay derancueur.
« L'er m'ha changié : n'est de vieillesse « Por de qui n'ha changié li cueur.
(1) « Barbe de Verrue naquit aux bords du Gardon, sur la montagne « fertile de Brienne, où fut jadis une très-grande ville qu'elle dit avoir été fondée par le premier des Brennus. » (a).
(2) Etienne de Surville, ou déjà quelque autre avant lui avait fait, on n'en saurait douter, quelques corrections fâcheuses à cette pièce, notamment dans l'emploi de rarticle, modifié deux ou trois fois d'une manière contraire à la langue d'alors.
(3) « De ma saison printanière, s
(a) Etienne de Surville, Notice sur les et les écrits des femmes poètes. Barbe de Verrue.
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« Bien soye ung tantet jà vieillotte,
« Me duit la cort des joveneels ; « Ainz n'ay regret que gent fillotte « M'emble, au sien tor, josnes ancels (i).
« Me duit voir doulces pastourettes « Maynant lor bergierot gentilz, « Cueillir aveline et flourettes « Emmyeu fustayes et cortilz(2).
« Me duit voir, soubz vertes tonnelles,
« Couple adfyant les feux du jor ;
« Me duit oyr chant des vilanelles « Appeler au combat d'amor.
Ces vers sont une page de notre ancienne poésie, écrite par un auteur qui fut doué d'une vraie supériorité esthétique : elle est entièrement du genre léger et gracieux des trouvères et des troubadours (3) Le portrait de Barbe de Verrue tracé par elle-même, que contient aussi ce recueil, porte les mêmes caractères.
Comme témoignage d'un talent tout différent et non moins vigoureux, faisons suivre ces stances de quelques vers tirés de l'Élégie sur la mort d'Hèloysa :
« M'advient aussy, du soir dez l'ombre espand ses voyles, De pour mener au long du gros canal ;
La se mire, entre amaz de loingtaines estoyles,
« Front argentin du nocturne fanal.
« Guy, Nantilde et Loys (car, sans Rose, Camille
« N'est au logis) s'entrequierrent comment « Ne serv:roient clous d'or dont veyons mille et mille « Rien qu'a parer l'azur du firmament.
(1) « M'enlève, à son tour, jeunes servants. »
(2) « Au milieu des futaies et des jardins. » Cortilz, du lat. hortus.
(3) Il y a donc, selon nous, certainement du vrai dans ce qu'Etienne de Surville a dit de cet auteur :
« Poète le plus distingue, sans comparaison, de tout l'antique Par- « nasse (français), et le talent le plus original, dit Clotilde, qui jamais peut-être ait existe parmi nous. » (a).
(a) Etienne de Surville. Notices les vies et les faits des femmes portes. Barbe dt Verrue
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< N'ay semblant d'escouter ; et le confesse, esmeue,
Ung tel propoz, en effect, me confond; i Scay trop bien que n'afftert a ma desbile veue
D'aller sondant abysme si parfond.
« Se par toy n'ont d'esclat, ueil (1) du monda où nous sommes,
« De tant au loing lancent feux si vermeils
« Qu'a mondes trop distans pour estre veus des hommes
« Croy, fous a part, que servent de soleil.
« Prez d'euix qu'est de Phoebé l'orbite pasle et morne ?
Veulx ceste-là rouler exprès pour nous ;
« Encor pourquoy cettuy dont oeuvres n'ont de bornes « De la peupler ne seroit-il jaloux (2) ?
« Possible qu'y reignez, masnes sacrez des iustes,
» En ce poste qu'a nos yeulx s'offre en plain ;
« Tandys qu'en ses roschiers, ors glacez, ore (3) adustes,
De reprouvez est l'opposite emplain (4).
« Là, veyant s'agiter tout ce qu'icy respire,
« L'hambie Vertu, quitte envers le cercueil,
« Arriéré soy, rampant soubz son tardif empire
Tient la Fureur, l'injustice et l'Orgueil.
« Onc rien de gracieux ne fuit regars celestes « Qu'arrive aux siens en ce mortel sejour ;
« Quand Vice, en l'aultre bord, n'oyt que récits funestes
« Trahir les voeux que fit quittant le jour :
« Ne scait, elle (5), de nous que ça qui la console;
« Luy (6), rien que ça qu'aygnt son desespoir ;
< D'icelle ceinetlo front doulce et viveaureole;
« D'icel, encoys, crespe sanglant et noir...
« Non, plus ne te veyray, courriere des nuicts sombres,
« Sans t'adresser mes pitoyables chants,
« Sans cuyder que vers moy tant d'affectives ombres (7) « Tendent leurs mains d'en hault tes heureux champs ». (8)
(1) Soleil.
(2) Rien ne dépasse, en tout cela, les pensees souvent émises à ce sujet au XVe siècle.
(3) « Ors, » « ore, » — tantôt.
(4) Des suppositions de ce genre sont-elles assez éloignées de celles de la « science ? »
(5) « La vertu. »
(6) « Le vice. »
(7) Ces rêveries étranges et cet enthousiasme montrent assez qu'il y eut dans Marguerite de Surville autre chose qu'une femme savante, qu'il y eut en elle une âme de poète.
Dans cette page, il y a probablement une émmiscence du fertur adastra des poetes latins, rappelé même, en termes analogues (duc ad astra, transmisit astris) mais par métaphore, dans certaines hymnes de l'Eglise,
(8) Poésies de Marguerite de Surville. Elégie sur la mort d'Héloysa.
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Nous pourrions donner ici, comme exemple d'une autre manière du même auteur, de celle qui caractérisa surtout sa jenesse, les stances de Rosalyre :
« Corydon, qu'az faiet de la foy « Qu'au mien ton cueur avait iurée ?
« Laz! n'est donc soubvenir en toy « Soubz une togette empourprée ? Qu'az faict de tes premiers sermens.
« Qu'az faict de ta flamme première, « Se vois, estrange à mes tormens, Les plours qu'inondent ma paulpière ? etc (1)
Mais cela ne suffit-il point ?
Appelons ici tous les envieillisseurs ; demandons-leur quelque chose comme ces vers de Barbe de Verrue, comme cette page d'Élégie, comme ces stances de Rosalyre. Qu'ils nous donnent cela : nous serons convaincus de ce que peut faire, au point de vue de l'art, le talent du pasticheur qui, jusqu'à cette preuve, n'est pour nous qu'une pauvre comédie. Sainte-Beuve et de Ségur en ont exhibe des échantillons ; c'étaient des échantillons pour rire, car c'était l'impuissance même. Ces littérateurs ont offert des spécimens du genre où, comme a dit le plus sagace des deux, il n'y avait que la première couche. Qu'ils y passent bien la dernière ; qu'ils y mettent le temps qu'il faudra et même le génie, s'ils l'ont en partage et si le génie descend à pareil jeu. Qu'ils envieillissent, à leur gré, leurs vers ou ceux des autres, et qu'ils créent ainsi un seul petit chef d'oeuvre comme ceux qui viennent de passer sous nos yeux, et non de mièvreuses plaisanteries qui n'attrapperont que l'érudition béotienne ou la lourde fantaisie, sûrement incapables « d'aller à Corinthe ». (2)
Maintenant, devant le premier des morceaux que nous venons de citer, dira-t-on — quelque Sainte-Beuve nou-
(1) Id. Stances tirées, dit Étienne de Surville, du roman héroïque et pastoral intitulé le Chastel d'amour.
(2) Horace. Odes.
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veau — que c'est Étienne de Surville qui a découvert un autre écrivain à même « d'inventer » du Barbe de Verrue, à côté de cet autre ayant pu donner du Clotilde ? Mais comment a-t-il fait pour trouver ces deux pasticheurs transcendants, lorsque nos académiciens, entrant en recherches et se mettant eux-mêmes de la partie, n'ont pas encore pu nous en montrer un seul ?
Dira-t-on que c'est lui, Étienne de Surville, lui, ce littérateur sans pareil, qui a été ce double envieillisseur, envieillisseur avec du Barbe de Verrue, envieillisseur avec du Clotilde, car les genres diffèrent passablement ? Mais comment a-t-il fait pour être ainsi, en deux styles si différents et si beaux, poète de génie, lorsque dans sa manière à lui il n'a guère été qu'un aligneur de vers ?
C'est à la critique savante à nous l'apprendre. Mais, nous le craignons bien, en continuant comme elle a commencé, elle n'arrivera qu'à une chose : à écarteler, devant le public stupéfait, ce malheureux Étienne de Surville, en faisant de lui un personnage de tragi-comédie.
XII
Les nouvelles idées de la critique. Impossibilité littéraire & ce que la plus grande partie des poésies de Clotilde ait été composée par Jeanne de Vallon ou par quelqu'antro écrivain du dix-septième ou
du dix-huitième siècle. Encore au parallèle entre l'oeuvre poétique
de Marguerite et les vers d'ÉL non uj oiirville.
Si ce n'est pas Étienne do Surville qui a pu créer le fond de cette oeuvre, ne serait-ce pas avant lui, au XVIIe siècle ou au XVIIIe, quelque membre de sa famille ou quelqu'un de ses alliés ? C'est ce que la « critique » aux abois se demande ; c'est plutôt ce qu'elle est déjà bien près d'affirmer.
Aussi bien en voici, après Sainte-Beuve, qui arrivent et qui, tout en étant à maints égards de son école, jugent néanmoins que la position défendue par le maître n'est vrai¬
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ment plus tenable. Ils changent donc de terrain et nous disent :
« Non, l'auteur de ces poésies ne peut être Étienne de Surville ; mais, à n'en pas douter, c'est quelqu'un de sa parenté, du commencement du xvm" siècle ou du milieu du XVIIe Ce pourrait être un Surville inconnu, un homme plutôt qu'une femme ; ce pourrait être aussi Jeanne de Vallon. »
Nous avons fait connaître (1) les membres de la famille de Surville qui se sont succédés, pendant quatre siècles, dans les diverses branches de cette maison ; nous n'en avons trouvé qu'un seul, Jeanne de Vallon, dont les aptitudes littéraires permissent qu'on le soupçonnât, tant soit peu sérieusement, d'avoir été l'auteur de ces oeuvres.
Remarquons maintenant que l'école sceptique qui suspecte Jeanne de Vallon d'avoir commis cette supercherie, est celle-là même qui jusqu'à présent avait déclaré que l'épouse prétendue de Jacques de Surville n'était évidemment qu'un mythe, un personnage de roman, une ingénieuse fiction d'Étienne de Surville ou de Vanderbourg. C'est déjà quelque chose que nos lettrés veuillent bien admettre désormais l'existence historique de celle qu'ils ont suspectée n'être qu'une fable ; mais, comme il arrive souvent, lorsqu'on se pose obstinément hors du vrai, après avoir trop nié sur le compte de Jeanne Vallon, on vient maintenant trop affirmer.
La nouvelle allégation de la critique n'a, en effet, rien qui la justifie.
Nous ne rappellerons pas ce que nous avons dit (2) de l'impossibilité où s'est trouvée cette jeune femme de composer, dans une vie très-courte, des poésies en assez grand nombre et d'un art consommé. Nous n'insisterons ici que
(1) V. supr., seconde partie, VI à XVIII.
(2) V. supr., seconde partie, XIII.
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sur une impossibilité d'un autre genre, l'impossibilité littéraire, qui s'applique non seulement À Jeanne de Vallon mais aussi à n'importe quel Sur ville, homme ou femme, du XVIIe siècle ou du XVIIIe, que l'on aurait la fantaisie de poser en auteur de ce qu'il y a de fondamental dans cette oeuvre.
Cette impossibilité nous parait manifeste.
Ce n'est pas sous Louis XIV ou sous Louis XV qu'on eût exprimé avec cet accent une poétique comme celle de l'Épitre à Rocca, ni au temps de Boileau ou de J.-B. Rousseau qu'on eut écrit le Dialogue entre Apollon et Clotilde. Ce n'est pas à l'époque où, en littérature, on parlait d'amour comme en parlent tous les tragiques d'alors, tous les romanciers, tous les auteurs de contes et de bucoliques, comme en parlent Racan, Segrais, Corneille, Racine, La Fontaine, M™ Deshoulières, Mme de Villedieu, Mme de Lafayette, Mlle de Scudéry, La Fare, Chaulieu, Lesage, Voltaire, que l'on aurait écrit les Plaids d'or, ces pages qui tiennent si bien, sur l'amour, le langage que tenait le XVe siècle ; et ce n'est pas alors non plus qu'on aurait composé des fragments inséparables de ceux de Marguerite, tels que les stances de Barbe de Verrue, si caractérisées par toutes les nuances du sentiment qui s'y révèle.
On n'aurait pas émis sur nos, poètes du XIIIe du XIVe et du XVe siècle, des vues aussi justes et aussi convaincues que celles que renferment l'Épit. ■ : à floccaetle Dialogue entre Apollon et Clotilde ; on n > i ; .1 irait pas exprimées, à la fois avec cette simplicité et cette chaleur d'âme, à l'époque où non seulement Boileau mais toute notre littérature après lui faisait à Villon l'honneur d'avoir su
le premier, dans ces siècles grossiers,
« Débrouiller l'art confus de nos vieux romanciers ; » (1)
à l'époque aussi où La Harpe consacrait, dans son Cours
(1) Boileau. L'art poétique,
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de littérature, six pages sans valeur à notre ancienne poésie et où les autres écrivains ne lui en donnaient ni plus ni mieux.
Ce n'est n'est pas en ces jours de beaucoup de formalisme littéraire où l'on admirait, parmi nous, les Grecs, les Latins, les Italiens, les Espagnols, les Anglais, tout excepté un poète français du moyen-âge, qu'un auteur, étrangement inspiré, aurait écrit ces vers brûlants du Dialogue entre Apollon et Clotilde, où éclatent l'admiration pour nos vieux trouvères et la ferveur poétique de la Renaissance, autant que la pensée ardente et sereine d'un génie inconnu.
C'est ce qu'on ne peut que reconnaître, en examinant les faits en dehors de tout parti pris, sans suivre d'autre guide que le sentiment de l'art.
Il n'y a qu'à lire attentivement quelques-uns des vers dont nous parlons, pour y trouver le témoignage de cette impossibilité littéraire.
Lorsqu'on a devant soi un monument datant de plusieurs siècles mais entremêlé de constructions récentes et dont bien des parties ont été recouvertes d'un badigeon, on peut n'être frappé que de l'aspect entièrement moderne que présentent ces parties, nouvelles ou rajeunies, et l'on peut déclarer que ce caractère est celui de tout le monument.
Mais si l'on ne se contente pas d'un coup d'oeil superficiel ; si l'on examine l'édifice en entier, on y aperçoit des fragments marqués d'une autre empreinte. On y voit le gothique flamboyant surgir, avec ses sublimés hardiesses et ses détails capricieux, derrière la monotonie des décors architecturaux de nos deux derniers siècles.
Il y a là un dualisme flagrant que l'on prend sur le fait. Quelle parole s'échappera de l'observateur qui le constate, si ce n'est celle-ci : « Tout cela n'est pas de la même époque ; ce gothique flamboyant, dont fut épris le premier âge de la Renaissance, ne peut dater des deux siècles venus après, où l'ogive fut bannie impitoyablement. »
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Ainsi en est-il, dans le recueil attribué à Clotilde, de plusieurs parties comparées, à quelques autres et aux poésies du nos deux derniers siècles.
Qu'on lise ces vers, des plus significatifs, du Dialogue entre Apollon et Clotilde ; qu'on les mette en regard du Chant royal à Charles VIII ou du Quatrième chant du poème de la Nature et de l'Univers ou des vers authentiques d'Étienne de Surville ; qu'on écoute avec impartialité l'accent qui s'élève de ces diverses oeuvres ; qu'on compare et qu'on juge.
CLOTILDE.
« Ung voile obscur me cache a tous les yeulx ;
N'ay veu qu'hier s'envoler mon aurore ; Et toutes fois suis-je prouvaine encore « Pour n'avoir peur d'interroger les dieulx.
APOLLON.
« C'est line n'az craint de desvaneer tes mais 1res; a Qu'ez langes mesme instruite en l'art des métrés, « Au mauvaiz sens n'az point sacrifié,
« Ainz a moy seul ton loz az confié, Qui scait ainsy se roydir contre orage « Voit ebasque iour viriler son courage.
« Du premier bond az franchy ces torrens
Qu'ung long amaz de siècles ignorans
« Tente, au mespris de ma loy souveraine, De meslanger aux ondes d'Hippocrene.
« Bien az congneu que n'eusse oncques permys
Telle alliance entre telz ennemys ;
« Que ne restoit, partant, d'aultre ressource Qu'aller puysant mes bienfaicts à leur source « En euz le front ; bien t'en ay compensé ;
« Qu'eusses voulu que ne t'ay dispensé ?
CLOTILDE.
« La gloire.
APOLLON.
« Eh quoy ! ne seroit-ce la gloire « Que de laysser de soy riche mémoire ?
« Pour y venir, sy ne fault achepter Loz des rimeurs que ne deigne compter
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« Entre mes filz ; de ceulx-là bien te garde « De courtiser l'exercite (1) bastarde.
Pour deux ou trois qu'ay parfois inspirez, « Sont plus de mille en ung laz expirez,
« Comme Python, soubz mes flesches divines ; « Et se n'as toit que les premiers devines,
« Les nommeroye.
CLOTILDE. ,
« Oh! ne vous empeschez. Bien que prevoy qui part eust a vos grâces, « Vouldroy scavoir de qui suibvre les traces, « Pour ne faillir en semptiers si cachez.
APOLLON.
« Le veulx? Adonc par cettuy ie commence Qui fust ensemble ornement de la France « Et son flagel : c'est le roy d'Albion,
« Richart, qu'on dit prince au cueur de lyon. « Bouche d'abeille, a non moins digne tiltre, « Dust s'appeler. Comme il se dit d'un phyltre « Qui faict courir en vaynes feux d'amour, Telz, quand lisez le royal troubadour,
« Sentez que flue ez son ardente plume
A flotz brulans le feu qui le consume.
Ne luy manqua que de naistre François « Pour au Parnasse estre aussy l'ung des roys. « Ne dy quel fust, aïnz quel pouvoit il estre : « Sans pour cela que ne baysse le sceptre Devant Lorris (2), ce chantre si playzant, « Mais non tousiours égal et bien dizant ; « Sy qu'ez vallons que le Permesse arrose De cy, de là, vents esfueillent sa Rose (3) ; « Ainz y lairront de fueilles bien assez « Pour que ses chantz, des Muses caressez, « Passent legiers à la seyzon future,
Moult espurez et francs de flestrissure.
« Vouldroy placer de Meung (4) au mesmô rang ; « Mesme» chaleurs ne luy battaient au flanc ; « Prouva que fault d'esprit double partage
• Pour mettre a Ûn d'aultruy tel soit l'ouvrage.
(1) L'armée — du lat. erercitus.
(2) Guillaume de Lorris.
(3) Le roman de la Rose, de Lorris.
(4) Jehan de Meung, continuateur du roman de la Rose.
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« Y succomba. Tel coup puisse ferir « Qui ne craindra mesme dangier courir.
« De leurs eclioz croy que me puis bien taire "" « Et desvanciers ; telz ceulx qui d'Angleterre t < Ont faict le Rou, 1e Brut (I) et qu'en romant Miz d'Alexandre ont jusqu'au testament.
« Ainsy feray de neuf qu'en l'ost immense « Des viélors (2), discerna ma clemence ; Ainsy d'Agnès (2) aux tant doulces chansons ; « De Barbe (4) encor, cygne entre mille oysons ; « De Courlenay (5), tour à tour vive et tendre ; « Comme, a leur temps, de Justine etPuytendre (6);
(1) Le roman de Rou et le roman de Brut.
(2) Ménestrels joueurs de vieille.
(3) Agnès de Bragelongne.
(4) Barbe de Verrue.
(5) Blanche de Courtenay.
(e) Mettons encore ici en regard de cette poésie, si sobre et si vraie, la versification déclamatoire dn XVIIIe siècle. Écoutons Etienne de Surville parlant des mêmes personnages dans l'ombre de Clotilde :
« Doux nom de Bragelongne ! 6 nom certain de plaire « A tout mortel aimant qne l'oeil du monde (a) éclaire ;
« Reste cher, mot sacré des coeurs vraiment épris,
« A Bellone, à Phoebus et surtout à Cypris.
« Qu'à tous ceux dont la bouche au hasard te prononce « Par des flots de plaisir la Volupté t'annonce ! « Que dis-je t à quel penchant me laissai je emporter ? « Toi, faite pour séduire ei non pour transporter,
« Viens sur les pas d'Agnès, immortelle Doète,
« Ceindre, avec moins d'éclat, les lauriers du poète f
« Jeune Sainte des Prez, languissante bergère,
« Myrtis du vieux français et fauvette légère,
« Moins habile à chanter qu'à soupirer l'Amour ;
« Toi qu'en fuyant Calais fit expirer Seymour,
« Ton styte aimable et doux entraîne sans magie.
« Mais gui pourroit du tien contester Vénergie, « O Barbe de Verrue, astre éclatant du Gard, « Qui, semblable à Méduse, atterrois d'un regard ;
« Vierge, ainsi que Pallas, et sans aïeux comme elle ! (b)
(a) Image qu'Étienne de Surville a probablement empruntée à l'Élégie sur la mort d'Héloysa.
(6) Y a-t-il un abîme assez grand entre cette manière de parler de Barbe de Verrue et les Stances que nous avons citées, qobtienne de Surville a attribuées à cette poétesse du Gard ? Nos critiques diront ils, devadt ce rapprochement, que tfesl Etienne qui a inventé les poésies (le Barbe de Verrue, aussi bien que celles de Clofilde ?
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« Non de Thibault (1) ; sa muse, par accez,
« (Si muse âvoit, au Pinde pend procez),
« Sans s'esmouvoîr, en gentilles paroi les Va s'esgayant; Grâces ne sont si folles.
« Aux sons harmonieux du chant de Philomèle « S'unit, dans les concerts, la harpe d'Àrion;
« Telle que le héros vainqueur de Gêryon,
« Et d'un triple ennemi dédaignant la menace, a Un jour te vit plongeant dans l'égoût du Parnasse 9 Le farouche Mauclerc, Brunei et d'Augecourt : (a) a Mais tu Os grâce aux traits du gentil Lignecourt, Pardonnable étourdi, dont la flamme éternelle Expia d'un moment l'audace criminelle...
« Féconde, originale en prestiges divers,
« Les roses t'enchainoient sous le ciel des hivers ;
« Et, pour comble d'éloge, en ces âgés profanés, t D'Agnès aux sombres bords tu consolas les mânes,
« Et ta muse à Lévis prépara les sentiers.
« Cependant, accueilli par neuf siècles entiers,
€ Le démon du faux gout plânoit sur nos corttrées.
« Il trompa vos efforts, Gréquy, Rose, d'Estrées, Que Verrue expirante arma de son carquois ;
« Lorsqu'élevée au son des Belgiques hautbois (b),
« Sur le trône des lis Vint une autre Marie (c)
« Par d'aveugles bienfaits flatter la barbarie,
« Quand son royal savoir devoit l'anéantir {d).
« Mais, si d'un tel écueil n'osa se garantir u L'ingénue Elisa (e) qui, sous le nom d'Aurore,
« Alla régner aux bords que le Céphyse irrore,
« Il disparut pour toi, modeste Parthenay, k Pour toi qiCelle adora, sensible COurthenay I (f)
(1) Thibaut de Champagne.
(a) Pierre Mauclerc, Brunel de Tours, Perrin d'Augecourt et Lignecourt, quatre trouvères qui, d'après les notes d'Etienne de surville recueillies sur les fragments de mémoires de Marguerite, auraient défié à Soissons Barbe de Verrue, daus un combat poétique, et dont elle aurait couvert de ridicule les trois premiers.
(6) Etienne de Surville, on le voit, n'est pas heureux en imitant une tournure latine que Marguerite avait employée avec tant de grâce ou d'énergie dans Sulmonique pastour, Bourguignonne tourbes, etc
(c) Marie de Brabant, reine de France.
(a) Tous ces vers sont un nouvel exemple du manque de clarté qu'a souvent la versification d'Etienne de Surville.
(e) Elisa deTullins.
(f) claire do Parthenay et Blanche de ( ourthonay, qui auraient brillamment cultivé la poésie en Touratne, au xrvc siècle, d'après tes mémoires de Marguerite.
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« Puis, se l'amour ne veull galans plus chauds, « Que faict, dy moy, de ses ardens fesceaulx 1 Te parleray d'aultre prince condigne « Du Champaignois ? Non; en si haulte ligne « Ne puis ranger cil qu'a, porté le nom « Phoebus (l); argent sy vault-il mieulx que plom. Thibault chantoit ; flusta Gaston a payne. « Or, s'eust glaçons pour brayzier dans la vayne, « Ne peux nier qu'onc mortel soubz les cieulx « Mieulx ne soustint renom plus gracieux, « Des Ris badins, sur sa bouche rosée,
« On eust dit voir la troupe reposée ;
« De ses beaulx yeux partoint si tendres rays « Que n'eust l'Amour de si doulables traiets ; « Sembloit, par teinct, rose qui vient d'esclore, « Par droit corsage un g des amans de Flore; Rendoit le mien (2) son parler noble et doulx ; « Tel fust enfin que treuves ton espoulx (3) ; « Et par sa foy, sa bonté, sa faconde, Estoit l'esclat, l'heur et l'amour du monde, a Dirai-ie atout (4), pour la gloire de l'art,
« Qu'il fust l'ami du volage Froissart, -
« Tendres (leurs des vallons où l'Indre se promène,
« Vous qui, loin d'imiter l'amante d'Hyppomêne, ci Aux frivoles trésors épandus sur vos pas « Preferiez à l'envi les solides appas « D%une gloire à grand prix et sans brigue obtenue.
« De vos communs accords la beauté soutenue « Dut prétendre aux lauriers, de la Parque vainquers, « Que, seule, eut mérite l'union de vos coeurs ! »
Quel est le critique, s'il n'est pas entièrement dépourvu du sentiment d'une poésie dont il se fait juge, qui ne verra là toule ta dislance qui sépare l éloquente précision des vers de Marguerite, de l'emphase verbeuse du littérateur du xviii 6 siècle 1
(1) Gaston de Foix.
(2) « Ressemblait au mien »
(3) Marguerite a pu, dans le temps de son union avec Bérenger, mettre ce trait à une pièce de poésie commencée peut-être avant.
Ce portrait de Gaston de Foix et l'appréciation de son faible talent, ainsi que le jugement porte ici sur Thibaut de Champagne, sont fort remarquables; ils sont conformes à la vérité historique. On n'y trouve aucun de ces tons forcés, aucune de ces couleurs romanesques qu'emploie constamment Étienne de Surville, comme on peut le voir dans les vers que nous venons de citer de lui.
(4) « atout — encore.
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D'icel Froissart, de tant de loz avide,
« En faux esclairs bien plus régal d'ovide
t Qu'en bel avoir 1 (t) Non que veuil desprimer
< Ung qui sur tant doibt très bault s'extimer ;
Membres espars du poète (2) d'Horace
« Pour ses escripts encor demandent grâce.
Du vieulx rondel gentil conservateur,
i Soubz l'humble amant celant le grave autbeur,
iriez tousiours qu'est tel qne veultparestre;
« Meurt avec luy ce rondel qu'a veu naistre. » (3)
La critique savante et rarement poète trouvera,- nous n'en doutons point, la citation bien longue. Nos lecteurs impartiaux ne s'en plaindront pas ; pour eux comme pour nous, citer en cela, c'est bien près de prouver.
À aucune époque de notre histoire, pas même au temps de «Gueullette» et de « Coustelier », il ne s'est rien écrit d'aussi nettement caractérisé sur nos anciens poètes. On voit que l'auteur les avait fréquentés un peu plus qu'on ne le lit au XVIIe siècle et autrement aussi que ne les étudièrent, au XVIIIe en philologues et en critiques, les La Combe et les Sainte-Palaye. On voit même que, pour juger ses devanciers, cet auteur avait le coup-d'oeil du génie.
(1) Cette comparaison judicieuse indique un auteur qui connaissait aussi bien le génie littéraire d'Ovide que celui de Froissart et qui avait dû les prendre, quelque temps, l'un et l'autre pour maîtres. V. intr. cinquième partie, III, nos réflexions à ce sujet.
(2) « Disjecti membre poetae ». Horace.
(3) Poésies de Marguerite de Surviile. Dialogue entre Apollon et Clotilde.
Ce tableau, aussi sobre que complet, des qualités et des défauts de Froissart est d'une parfaite exactitude ; il ne peut venir que d'un auteur écrivant sous la vive impression de la très-grande renommée de Froissart, l'ayant beaucoup étudie et étant doué de tout le talent nécessaire pour le bien juger. Ces conditions réunies ne peuvent s'appliquer qu'à un grand poète du quinzième siècle. Le dernier trait si délicat de ce tableau porte de plus, à nos yeux, l'empreinte d'un poète ayant, comme l'avait fait Marguerite, exercé son art sur le rondeau extrêmement en vogue a la fln du Moyen-Age, et conservant de la gratitude pour l'auteur qui avait des premiers vulgarisé ce genre de poésie.
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La critique a beau jeu en choisissant, comme elle aime à le faire, dans le recueil des poésies de Clotitde, des fragments tout-à-fait remaniés, tels que le chant royal à Charles VIII, ou des tirades encore plus complètement modernes. Pour ramener la question sur son terrain, il faut citer d'autres vers que ceux où se sont complues les retouches de Jeanne de Vallon ou d'Étienne de Surville et de ses amis : tels sont ceux que l'on vient de lire.
Ni les idées ni les sentiments que ce morceau révèle, ni la forme poétique qui les exprime ne peuvent être sérieusement attribués au XVIIIe siècle et moins encore, s'il se peut, au XVIIe, à l'époque où vivait Jeanne de Vallon déjà soupçonnée par quelques-uns d'être l'auteur de ces oeuvres. La pensée qui se montre d'un bout à l'autre de ce fragment et la comparaison de ces vers avec ceux d'Étienne de Surville ne peuvent laisser aucun doute à cet égard.
XIII
Le radicalisme critique. M. Géum et M. Gaston Paris.
Ce n'est pourtant pas le grand nombre de nos récents critiques qui, dans ses jugements sur Clotilde, a osé ainsi s'aventurer au delà des dernières années du XVIIIe. La plupart n'ont eu garde de franchir les limites fixées par Sainte-Beuve. Pour eux, jusqu'à ces derniers temps, c'était encore entre Vanderbourg et Étienne de Surville que la « science » devait choisir choisir le coupable de ces poésies. La publication des lettres de Vanderbourg est venue déranger un peu tout cela.
Peut-être serait-on tenté de croire que ces objections les plus modernes contre l'authenticité du fond des poésies de Marguerite renferment quelque doctrineet quelque sérieuse réfutation. Supposer qu'il en est ainsi, ce serait s'abuser entièrement. :
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Non seulement ces objections n'ont rien de péremptoire, mais elles n'ont même rien de nouveau, rien qui diffère, en quoi que ce soit, de ce que l'on avait insinué ou affirmé, il y a quarante ou soixante-et-dix ans. C'était bien peu la peine de parler après les premiers sceptiques, pour se borner à répéter leurs conjectures.
Le dernier mot de l'aberration « critique » a été dit, à ce sujet, il y a peu d'années par M. Génin, un savant lui aussi :
« M. de Vanderbourg, dit-il, avait inventé M. de Sur- « ville fusillé au Puy-en-Velay en 1797. » (1)
C'est là du critïeisme radical : il pourra bientôt aller de pair avec le philosophisme radical pour qui le prêtre a inventé Dieu.
Ainsi voilà cet imposteur Vanderbourg, homme d'esprit "peut-être mais fripon littéraire, osé s'il en fut, qui ne s'est pas contenté, paraît-il, de fabriquer Clotilde, ses poésies et ses mémoires et Jeanne de Vallon et tous les personnages de ce roman en prose et en vers. Qu'il eut déjà tant inventé, c'est ce que nos critiques savaient bien. Mais ce que nos critiques ignoraient, c'est qu'il a inventé jusqu'à Étienne de Surville ; et celui-là précisément dont ils ont fait le grand mystificateur n'est plus que le deus ex machinâ d'une plaisante histoire. Qui a découvert cela ? M. Génin, un critique, de ceux qui ne sont point dupes.
Une découverte aussi stupéfiante, dite avec non moins de prétentions scientifiques que la plupart des assertions que nous avons à réfuter, révèlera-t-elle à nos lecteurs la valeur d'une certaine « critique, » qui n'a jamais manqué ni d'étalage ni d'aplomb ?
M. Génin est d'ailleurs plein de pitié pour les poésies de Clotilde et pour leur inventeur.
« On ne regarde plus, dit-il, les poésies de Clotilde ;
(i) F. Génin. Mcrfalions philologiques. Tome il
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« ou, si Von s'en souvient, c'est pour s'étonner qu'une « imposture aussi manifeste ait jamais pu tromper per- « sonne...
« Je comprends les imposteurs qui forgèrent, dans la « nuit du moyen-âge, les fausses décrétâtes et la chronl- « que de Turpin. Les unes furent la base sur laquelle s'é- « tàblirent et demeurèrent assis le système ultramontain « et le pouvoir temporel du pape ; l'autre fonda les pèlé- « rinages à St-Jacques de Compostelle, qui, durant des « siècles, produisirent au suzerain de ce petit pays tant « d'argent et une influence proportionnée à ses revenus.... « A la bonne heure! Voilà des résultats, et cela vaut la « peine de mentir. » (1)
Quelle débauche d'esprit et d'ignorance dans ces dix lignes de M. Qénin, dont le livre est cependant prisé des amateurs ! Ce n'est pas nous que nous y arrêterons. Il est vrai de dire qu'aussitôt après, le bon sens, si ce n'est la science, reprend ses droits, lorsque l'auteur ajoute :
« Mais se mettre l'esprit à la gêne, suer sang et eau pour « fabriquer des poésies de Clotilde, en vérité, cela fait « pitié. Eh bien, quoi ! Vous avez, pendant vingt-quatre « ou quarante-huit heures, surpris l'admiration de gens « qui n'y entendaient rien. Vous êtes bien avancé et je « vous en fais compliment !... » (2)
Ce persifflage ne nous déplaît pas, et nous serions ici de l'avis de M. Génin, si nous acceptions comme lui là donnée qu'il a été fier de recevoir des illustres de la critique.
Les lauriers de M. Génin auraient-ils empêché M. Gaston Paris de dormir ? On pourrait se le demander, en lisant l'article qu'il a donné dans la Revue critique d'histoire et de littérature (3). Seulement, après la publication des let-
(1) F. Genin. Récréations philotoqiques. Tome II. (I) Ed., id.
(2) N° du 1er mars 1873.
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très de Vanderbourg à Mme Pauline de Surville, il n'était vraiment plus possible, avec la meilleure volonté du monde, de charger la mémoire de celui- ci d'une aussi comique imposture. Il fallait donc se rejeter sur Etienne de Surviile. C'est ce qu'a fait M. Gaston Paris.
M.Gaston Paris avoue à M. Macé qu'il trouve en lui un inconcevable aveuglement, une perversion de jugement (1) bien étrange, puisqu'il n'a pas vu, clair comme le jour, que les lettres de Vanderbourg qu'il publiait concluent précisément contre l'authenticité des poésies de Clotilde.
Qui s'en était douté avant M. Gaston Paris ? Qui avait pris la lettre d'Étienne de Surville â sa femme, pour une déclaration d'imposture ? Qui donc, en voyant Vanderbourg avouer dans ses lettres, avec un parfait accent de loyauté, la conviction qu'il avait de l'authenticité du fond de ces poésies, malgré le témoignage de remaniements qu'il avait sous les yeux, d'altérations qu'il ne dissimulait point, qui avait songé à voir en lui un baladin niant ce qu'il semblait affirmer ? Mais cela, M. Gaston Paris l'a vu ; il le dit nettement dans un de ces articles à la vapeur, dernier genre de la critique parisienne, genre qu'adopteront les savants de l'âge futur rêvé par Sainte-Beuve.
« Il n'y a pas, dans toutes ces oeuvres, ajoute leste- « ment M. Gaston Paris, une ligne qui remonte, de quel- « que façon que ce soit, plus haut que la fin du XVIIIe « siècle ; et le tout a été fait, sans contestation possible, « de 1785 environ à 1796, par le marquis É tienne de Sur- « ville. » (2)
Ces propos cavaliers ont-ils besoin de la moindre preuve? Ils s'en passent fort bien, et ils n'en sont que plus près de la « science. » Quelques lignes où le dédain serait superbe, si elles n'étaient pas un tissu d'erreurs ; des paradoxes, « sans
(1) Gaston Paris- Revue critique d'histoire et tic littérature,
(2) ld. id
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contestation possible, » démentis seulement par tons les faits, c'est là ce qui s'étale fièrement dans une Revue de Paris de 1873. '
Ainsi, pour nos radicaux de la critique, l'impossibilité littéraire qui résulte de l'impuissance d'Étienne de Surville à composer un chef-d'oeuvre, impuissance écrite dans toutes les pages signées de lui, ne saurait les arrêter un instant. Les impossibilités de l'ordre moral les arrêteront encore moins. Les attestations d'Étienne de Sur ville, de son frère, de son épouse, de ses amis, des hommes de lettres qui l'ont connu, de La Boissière, de Brazais, de bien d'autres, tout cela ne doit compter pour rien. De ces témoignages, on n'en a que faire ; on a son savoir d'école : il suffit ; on a ses clichés, on a ses formules : quel est le témoin ignorant, quels sont les faits qui oseront leur donner le démenti ?
Mais le témoignage du sens commun ? On ne le reçoit pas. Mais les énormités d'une « abnégation » immorale autant qu'inouïe ? On les accepte et on s'en sert. Tant pis, après tout, pour le sens commun, s'il veut en savoir plus que la « critique » et s'il ne règle pas ses lumières sur les vues des esprits éclairés !
Il est vrai qu'avec ces lumières, on pourra bâcler son travail, confondre les dates (1), compliquer ce qui était simple, obscurcir ce qui était clair ; mais on aura été imprimé dans sa Revue, et même on aura eu, par le temps qui court, son quart-d'heure d'autorité littéraire.
Voilà ce que le formalisme intellectuel et notre éducation, vrai lit de Procuste, savent faire de nobles esprits.
Ce n'est pas ainsi, loin de là, qu'ont procédé nos vrais érudits ; ce ne sont pas des assertions gratuites qui ont
(1) Voici, par exemple, une méprise, —un lapsus, si l'on veut—qui vient bien mal à point au milieu d'une pbrase tranchante de M. Gaston Paris : d'après lui, c'est en 1817 qu'aurait été publié le recueil de MM. de Roujoux et Nodier, qui a malheureusement paru en 1896.
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constitué le savoir des Quicherat, des Paulin Paris, des Douet d'Arcq, des Leroux de Lincy, des Champollion-Figeac, des d'Arbois de Jubainville, des Léon Gautier, entre bien d'autres. Aussi, près de la critique imprudente, notre pays peut montrer encore la critique sans jactance et sans témérité.
Il y a une extrême inexactitude dans l'allégation de M Gaston Paris assurant que les lettres récemment publiées d'Étienne de Surville, de Vanderbourg et de Brazais ne concluent qu'à « rejeter sur le marquis (de Surville) « seul, la responsabilité de l'oeuvre entière » (des poésies de Clotilde) (1).
Plusieurs de ces lettres montrent, il est vrai, que Vanderbourg a eu en main des amplifications d'Étienne de Sur-ville mêlée » à des oeuvres bien antérieures qui n'avaient été modifiées que partiellement ; et elles révèlent aussi quelques hésitations très-naturelles (2) qu'a eues cet éditeur, en constatant ce fâcheux mélange. Mais elles indiquent également (3) que ce critique judicieux n'a pas poussé à cet égard ses suspicions plus loin qu'elles ne devaient aller. Elles attestent qu'il a fait ce que tout critique devrait faire, mais ce dont semblent entièrement incapables ceux à qui manque le sens poétique : il a distingué là l'oeuvre ancienne et l'oeuvre moderne, juxtaposées ou entremêlées mais tout-à-fait distinctes dans ce recueil de poésies.
La nécessité d'une distinction de ce genre, que commandait l'examen attentif de ce recueil, est devenue une loi pour la critique impartiale, par les déclarations très-explicites de M. de Brazais contenues précisément dans cette collection de lettres dont M. Gaston Paris cherche à se prévaloir pour sa thèse négative. Et si des littérateurs
(1) Gaston Paris Revue critique d'histoire et de littérature.
(2) Vanderbourg. Lettres a M Pauline de Surville, du 21 août
1802 et du 21 octobre 1805.
(3) Id. Lettres à Mme Pauline de Survilte, dit 2 décembre 1802, du 16 juillet 1803 et du 21 octobre 1805,
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influencés déjà n'en ont pas tenu compte, il y a là une nouvelle preuve de la légèreté avec laquelle ils ont parcouru des documents qui concluent uniquement contre eux.
Quant à l'argument que l'on voudrait tirer contre la bonne foi d'Étienne de Surville, de ce qu'il avait joint ses propres amplifications ou celles de quelques-uns de ses amis aux poésies de son aïeule, dans les trois volumes de son recueil, nous répondrons que cet argument n'en est pas un, puisque la critique ignore, comme nous, dans quels termes et de quelle manière Etienne eut définitivement présenté au public ces productions diverses.
En esquissant la vie de l'émigré, nous avons dit (1) par quel motif il avait ainsi associé ces différentes oeuvres. Nous n'avons pas, non plus, manqué de dire que si, à cet égard, on ne saurait l'accuser justement de mauvaise foi, on peut lui reprocher du moins une très-grande légèreté qu'il a prouvée et dans ses amplifications romanesques sur quelques sers de Clotilde, et dans ses vies, plus romanesques encore, des femmes poètes; mais une légèreté semblable fut un des graves défauts de son temps.
XIV
Jusqu'où allait le talent d'un (éodiste.
Quoi que pussent en dire les adeptes d'un criticisme des plus aventurés, c'était tout aussi risqué de nos jours d'attribuer les poésies de Clotilde au marquis de Surville que d'en faire une supercherie de Vanderbourg. Certains critiques l'ont compris ; et, pour sauver l'hypothèse négative, ils ont écarté résolument l'explication par Étienne de Surville.
(I) V. supr., seconde partie, xxv.
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Mais si ce n'est ni lui ni Vanderbourg qui ait été l'audacieux faussaire, qui serait ce personnage singulier ? Nos critiques croient l'avoir deviné : « Ce no peut-être qu'un féodiste. »
Un féodiste ? Mais qui sait ? N'y aurait-il pas quelque Homère, parmi les scribes de tabellions ? On n'en a pas trouvé encore; mais on va peut-être en découvrir quelqu'un.
Ge serait aussi simple que si un féodiste s'était avisé de jouer dans Clotilde, avec un plein succès, le rôle d'un auteur de génie.
Un féodiste, qu'était-il ? Il était expert en vieux manuscrits. Qu'il s'en accomodât ou non, son honnête métier prêtait peu à la poésie. Sa préoccupation de chaque jour, c'étaient des généalogies, des compoix terriers, des titres de censes féodales, des actes, notariés ou non, où la poésie ne figurait-pas. Parmi les paperasses qui 1 ni venaient par milliers sous la main, quand s'en trouvait-il une qui eut; nous ne disons certes pas le talent des oeuvres de Clotilde mais le tour poétique le plus banal ?
Et c'est un de ces déchiffreurs de papiers, qui, par ce qu'il a su lire du gothique, aurait créé des pages comme l'histoire en compte peu ! Il était étonant, celui-là ; il ne ressemblait point à tous les éplucheurs de grimoire, connus jusqu'à présent.
Il est risible d'entendre dire qu'un féodiste a produit ces chefs-d'oeuvre. Il n'est pas plus fondé de penser qu'un féodiste ait donné, dans ces pages, la forme ancienne à un travail moderne, supposition émise par M. Anatole Loquin.
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Dans un mémoire lu à l'Académie de Bordeaux (1) en réponse à celui de M. Macé, mémoire qui, nous aimons à le dire, a plus d'une qualité non vulgaire, M. Loquin n'est pas favorable à la thèse que nous défendons. Son étude a les tendances hypercritiques et la pensée fiévreuse de bien des chercheurs de notre temps. Il n'a pas d'ailleurs des documents qui lui permettent d'introduire rien de nouveau dans le débat. Il est peu équitable à notre égard, en nous reprochant (2) de « croire à pripri » à l'origine authentique de ces poésies ; et ce reproche, il nous l'a fait avant même d'avoir pu lire ce que nous regardons comme des preuves péremptoires de l'authenticité du fond de ces oeuvres.
Mais malgré ces défauts, qu'une exposition impartiale nous oblige de signaler, l'étude qu'il a donnée porte l'empreinte d'une sérieuse préoccupation de son sujet. Si M. Loquin ne voit pas à cet égard toute la vérité, il l'appelle sincèrement. Il demande la précision des faits ; il ne regarde comme indifférent rien de ce qui peut éclairer sa pensée, concourir à former son jugement. C'est assez pour que nous ne le confondions pas avec ceux qui trouvent tout naturel qu'une question de ce genre soit tranchée cavalièrement et sans recherches.
La principale hyphothèse de M. Loquin est celle-ci :
Les poésies de Clotilde peuvent être l'oeuvre d'Étienne de Surville aidé d'un féodiste. Le féodiste, exercé au vieux langage, a collaboré avec Etienne de Surville, de 1782 à 1788, et a moulé dans un style archaïque les pages modernes du marquis. De celte collaboration sont sortis les morceaux étonnants de ce recueil. Puis, le féodiste disparait ; le charme se rompt. Etienne de Surville, s'imaginant de plus belle écrire des chefs-d'oeuvre, ne compose désormais, sans le féodiste, que de médiocres facturns ; et, après les poésies de Clotilde, on n'a plus de lui que des vers comme ceux qu'offrent ses autres productions littéraires. (3).
(1) Anatole Loquin Les poésies de Clotilde de Surville. 1873. (2) Id. Id. pages 210, 211.
(3) Tri. Id. pages 156, 157. :
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C'est là tout un petit roman ; il est ingénieux, mais il a un défaut : il ne rend pas compte d'un chef-d'oeuvre et c'est l'origine d'un chef d'oeuvre qu'il s'agit d'expliquer.
Supposer que des poésies marquées du sceau le moins douteux du génie aient été ainsi le produit hybride de deux auteurs, apportant l'un la pensée créatrice et l'autre la forme précise du vers, c'est se méprendre sur ce qui fait le talent d'un poète. Ce talent est un et ne scinde pas ; il ne crée pas, indépendamment l'une dS Vautre, la pensée constitutive d'un vers et l'expression poétique de cette pensée. Chez le poète, ces deux opérations sont distinctes mais elle ne sauraient être séparées. C'est par le même éclair, c'est dans la même intuition du beau que la pensée poétique est créée et qu'elle est coulée dans ce qui est soudain son moule esthetique ou le sera après quelques modifications accessoires plutôt qu'essentielles. Cette pensée est, en réalité, à peu près aussi intimement unie à sa forme verbale, que l'àme l'est au corps dans l'être humain.
En dehors de cola, il peut y avoir du faire artistique et littéraire, mais il n'y a rien qui ressemble au génie. Si les choses s'étaient passées là comme le suppose le critique auquel nous répondons, il n'en serait résulté qu'un pastiche, tel que les essais d'envieillissement présentés par de Ségur et Saint-Beuve et tel que plusieurs des fragments apocryphes de ce recueil, ceux-là même que M. Loquin distingue avec raison des morceaux qui révèlent un talent supérieur.
Pour les écrivains qui ont avancé des hypothèses comme les deux dernières dont nous venons de parler, il semble que la composition d'un chef-d'oeuvre en littérature, ne consiste que dans un agencement de mots ; que, pour produire cet agencement d'une manière exacte, il suffit d'être érudit, paléographe, chercheur de rimes et d'expressions nouvelles ou vieillies, et que, cet agencement opéré, le chef-d'oeuvre est fait.
Il y a une chose seulement que ces écrivains oublient ou
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â laquelle ils font à peine attention, et c'est la chose capitale. L'inspiration créatrice d'une grande oeuvre, le mens divinior qui l'anime et sans lequel, pour elle, tout agencement de mots n'eût été rien, ce n'est, semble-t-il, qu'un petit dètairpour ces critiques ; tout a plus, dirait-on, est-ce à leurs yeux une chose secondaire dont le premier venu, un peu dégrossi, a pu et pourra se passer le caprice.
C'est méconnaître entièrement les véritables conditions de l'art.
XV
Autres fantaisies de la critique. Aperçus légers d'un bibliophile.
Disons un mot, seulement pour mémoire, de quelques autres objections d'une portée plus faible encore que celles que nous venons de faire passer sous les yeux du lecteur, étonné peut-être de voir notre époque si riche en futiles inventions de l'esprit négateur.
Contre l'authenticité du fond de cette oeuvre, l'ergoterie littéraire a fait arme de tout. Le pour et le contre ont été bons ; la thèse et l'antithèse ont servi et n'ont mené à aucune synthèse.
Les uns ont interdit à Clotilde de s'exprimer en languedocien, sous peine d'être déclarée faussaire. Lorsqu'ils ont trouvé çà et là, dans ses vers, un mot, une tournure du pays que le poète habitait, ils ont crié à la supercherie. Nous pourrions citer maintes preuves d'un reproche pareil On eut pu voir là précisément un témoignage de couleur locale ; mais la « critique », ne va pas au plus simple : elle choisit d'instinct le plus compliqué. On eut pu se dire que cet auteur avait autant le droit d'employer des mots languedociens que Charles d'Orléans en avait de se servir d'expressions italiennes, poco, quella, ecco, etc, — ; mais c'eut été trop de bienveillance ou simplement trop d'équité.
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Les autres ont défendu à Clotilde. de savoir le français : on l'ignorait entièrement, disent-ils, dans le Vivarais du XVme siècle. Pour ceux-là donc, Marguerite a trop parlé languedocien ; pour ceux-ci, point assez.
Nous avons déjà répondu (1) à l'objection de ceux qui voudraient que Clotilde n'eut composé que des poésies patoises, pour qu'il leur fut possible de croire à son génie ou même à sa réalité. Ils pourront remarquer aux documents justificatifs de ce livre, la lettre dans laquelle, en 1465, au milieu de la vie du poète, Louis XI s'adressait en français, d'une manière spéciale aux gens des Etats du Vivarais. Si à cette époque les membres des Etats de cette province avaient besoin de savoir le français pour être au niveau de leurs fonctions, ceux qui, dans le pays, avaient pour occupation exclusive l'étude des lettres, devaient sans doute l'ignorer encore moins
Et puis, lorsque du vivant d'un auteur on a été tenu, dans un contrée de notre ancienne France, à rédiger en français les dépositions et les actes de l'autorité civile, (2) comme on y était obligé en Vivarais par l'ordonnance de Charles VIII, de 1490, il n'est pas sérieux de prétendre que cet auteur, fût-il ignare, n'a pu y savoir le français.
D'autres critiques, non moins avisés, ont jugé tout-à-fait inadmissible que Clotilde ait pu faire alterner, dans quelques-unes de ses poésies, le vers de douze syllabes avec celui de dix. Cette alternance de l'hexamètre et du pentamètre avait été pourtant le rhythme élégiaque de l'antiquité classique, d'Ovide surtout, que Clotilde connaissait probablement mieux que ses modernes détracteurs. Mais que, la première, elle ait eu l'idée, d'essayer ce rhythme dans notre langue, c'est ce que nos critiques ne sauraient accepter. Pourquoi ? Ils ne nous l'ont pas dit.
(1) V. supr., première partie. XI.
(3) Nous ne parlons pas des actes notariés.
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Il est vrai que c'est un autre, si ce n'est elle, qui aura, le premier, introduit ce rhythme parmi nous. Mais ce n'est pas la même chose ; celui-là, parait-il, en avait le droit, aux yeux de nos critiques ; elle rie l'avait pas.
Il est de plus insoutenable, pour quelques-uns de nos lettrés, qu'elle se soit permis de tirer certains mots du latin, peut-être de son autorité ; qu'elle ait su employer ainsi des épithètes ou des substantifs qui pourraient être de sa pure invention ; qu'elle se soit servi couramment de diminutifs qu'en y regardant bien, on trouverait dans le provençal-languedocien de son pays, mais que l'on ne rencontre guère ou même pas du tout à cette époque chez les écrivains de la France du Nord.
Il est vrai encore que ces diminutifs et peut-être aussi ces néologismes sont employés par elle avec une grâce parfaite, indiquant l'auteur qui crée et non le pasticheur, et que Marguerite a réalisé là, à sa manière, ce que Fénelon demandait, deux siècles après, avec son sens judicieux, lorsque, trouvant que le dix-septième siècle avait « retranché » de notre langue plus de mots qu'il n'y en avait « introduit», il disait: « Je voudrois n'en perdre aucun et « en acquérir de nouveaux ; Je voudrois autoriser tout « terme qui nous manque et qui a un son doux sans danger « d'équivoque » (1). Mais nos lettrés, épris soudain d'un rigorisme qu'ils pratiquent peu, n'entendent point ici de voir ainsi s'émanciper lé génie. S'il ose dépasser les limites que lui a fixées la critique négative, elle qui sait si bien en franchir plusieurs, un peu plus importantes même, cela suffit : il est suspect, accusé, condamné ; il est « apocryphe », voilà tout.
Quelles raisons faut-il opposera ces jugements sans raison ?
(I) Fenelon. Lettre sur les occupations de l'Académie française.
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Et le royalisme de certains vers de l'Héroïde à Bèrenger et du Citant royal à Charles VIII ? Qu'en dirons-nous, si ce n'est que des interpolations telles que celles-là et d'autres, faites au premier texte par une main moderne, ne peuvent rien prouver contre lui. Il serait aussi concluant d'objecter, comme on l'a fait, contre cette oeuvre, les tirades du quatrième chant du poème de la Nature et de l'Univers.
Ce récent badigeon enlevé, ces fragments modernes écartés, l'esprit politique qui se révèle dans ces oeuvres n'a rien de l'exagération avec laquelle il allait se montrer dans notre littérature, soit à l'époque de Jeanne de Vallon, soit au temps d'Étienne de Surville. C'est bien le patriotisme et l'esprit chevaleresque dé la fin du moyen-âge qui respirent dans la partie authentique de ces poésies. En cela comme en d'autres choses, on a pu interpoler de telles oeuvres, on ne pouvait ni simuler ni effacer leur caractère.
Lorsqu'à de semblables propos, nos lettrés sceptiques parlent d'un ton vainqueur, c'est à peu près comme lorsqu'ils cherchent quelque pauvre querelle au sujet de prairie et de moulin ; ou c'est comme lorsqu'ils s'égayent avec une inscription de l'église de Vesseaux qui sans doute a peu à voir dans la question, mais qui, la touchant ou ne la touchant pas (1), leur donne un triomphe d'autant plus facile qu'ils connaissent moins l'une et l'autre et qu'il est plus simple pour eux de tout confondre, comme ils confondent ici Bérenger de Sur ville avec son fils.
A cette critique par trop légère appartient un article publié par M. Tamisey de Larroque dans la Revue des questions historiques, habituellement mieux renseignée et dont, en général, nous faisons grand cas.
(1) V. aux Documents justificatifs, M.
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M. Tamisey de Larroque a voulu traiter là, parait-il, de l'authenticité des poésies de Clotilde de Surville(1) ; il a parlé à peine de l'oeuvre qu'il prétendait juger, mais il a du moins réussi â montrer un genre de critique ni nouveau ni rare, la critique dans les infiniments petits. "
M.Tamisey de Larroque ne s'est pas mis en frais d'invention; il n'a pas trouvé d'arguments nouveaux ; il n'a pas d'objections à lui, mais il fait siennes volontiers toutes celles des autres. Que dans le scrutin de ce long débat, tel de nos écrivains ait voté pour Etienne de Surville ou pour Vanderbourg ou pour n'importe qui, peu importe à M. de Larroque ; a-t-il voté contre Clotilde ? cela suffit : c'est « un défenseur de la bonne cause » (2), bonne, on le voit, de bien des façons : celui-là peut passer illustre, s'il ne l'est pas depuis longtemps.
Le travail de M. Tamisey de Larroque est tout-à-fait dans la manière qui eut les faveurs de Sainte-Beuve et qui a, semble-t-il, des séductions pour la jeune critique.
C'est une manière des plus aisées ; elle a ses libertés, ses licences même. On sait pertinemment ce que, sur ceci et cela, ont dit, en leur temps, le maître et les disciples ; on fouille les articles parus plus que les arguments ; on résout une question d'authenticité et de philosophie littéraire avec les ressources d'un bibliophile ; on trouve « des mieux réussis » les vers envieillis par Sainte-Beuve, et on ne voit nul inconvénient à le dire, en étant prêt, sans doute, au premier jour, à les comparer, à les préférer même à l'Epitre à Rocca ou à tout autre « pastiche » signé Clotilde. On se demande, en outre, si les citations faites par tel auteur sont bien selon le dernier procédé, si son style n'est pas un peu négligé, médiocre peut-être. On ne perd pas de de vue entièrement les droits de la vérité historique ; mais
(1) Revue des questions historiques, 28me livraison, 1er octobre 1873.
(2) Id.
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ces droits sont au second plan ; et tous les expédients de l'artiste, tout, même ses citations irréprochables, ne lui empêchent pas de rester fort loin de la réalité.
XVI
Les objections tirées du Registre d'Antoine de Bidon. Leur caractère et celui de quelques autres du domaine historique.
Venons en aux objections qui résultent des contradictions que l'on peut constater entre certains faits de détail de la première biographie de Marguerite ou quelques parties des oeuvres parues sous son nom, et les actes notariés, retrouvés depuis peu de temps, qui la concernent dans le registre de M" Antoine de Brion.
Ces objections ont été soulevées par M. Mazon, dans son étude sur notre sujet. (1)
M. Mazon remarque la différence qu'il y a entre les dates 1420, 1421, 1422, données par la première biographie de Clotilde, pour quelques-unes de ses poésies, telles que les Rondels, les Chants d'amour, les Verselets, l'Héroïde à Bèrenger, et les dates 1427, 1428, 1429, que fournissent, pour cette époque de la vie du poète, les renseignements exhumés depuis peu et qui doivent seuls être adoptés désormais.
Il observe aussi qu'il y a çà et là, dans les diverses pièces qui composent le recueil des oeuvres de Clotilde, quelques mots qui dénotent une concordance entre ces poésies et les premières dates indiquées.
Ces objections sont fondées. Comment s'expliquent les difficultés qu'elles signalent ? Elles s'expliquent par le remaniement qu'ont subi ces oeuvres et que les différences du style suffiraient à prouver.
(1) Marguerite Chalis et la légende de Clotilde de Surville ; petit in-12. Paris 1873.
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Nous l'avons déjà dit (1), ces poésies ont été, — à Gras, vers le milieu du XVIIe siècle, — l'objet d'un premier travail de modification, attesté par un de ceux qui l'ont accompli. A cette même époque, les correcteurs de ces poésies, qui avaient en main des fragments de mémoires du poète, fragments où la vérité avait pu être mêlée à la fiction, ont retouché ces mémoires comme les poésies, en les modifiant dans un sens à demi romanesque. —
Les amplificateurs de ces mémoires sont, disons-nous, les mêmes que ceux qui ont apporté les premières altérations à l'oeuvre versifiée du poète : la concordance que leur récit en partie fictif, transmis par Etienne de Surville, offre avec des vens qui n'ont point le caracêre général de l'oeuvre, le montre pleinement. Ces interpolateurs ont tenu à faire accorder les poésies modifiées par eux avec des indications à demi inexactes et des dates légèrement erronées, fournies probablement par desdocuments défectueux qu'ils avaient.
Tel a été, d'après les inductions qui ressortant de l'examen de ces poésies, le travail qui au XVIIe siècle s'est superposé, d'une manière évidente pour nods, à l'oeuvre originale dont la rédaction dernière remontait à la fin du XVe siècle.
Delà provient le silence des premiers récits sur la viduité de l'auteur : ce silence résultait probablement de l'ignorance qu'avaient de ce fait les Surville de cette époque. De là viennent aussi les différences de sept années qu'il y a entre ces premiers renseignements biographiqnes, auxquels Étienne de Surville n'a pu guère ajouter, et les données des actes authentiques découverts récemment.
Ces différences de dates ne prouvent rien contre l'authenticité du fond de l'oeuvre dont il s'agit ; elles ne révèlent que des retouches secondaires effectuées par les premiers interpolateurs de ces poésies que d'autres allaient modifier, à leur, tour, plus d'un siècle après.
(S) V. supr., seconde partie, xur.
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MARGUERITE DE SURVILLE 261
C'est là ce qu'on est obligé d'admettre, ce dont tous les faits constitutifs du problème que nous examinons concourent à prouver l'exactitude, comme nous le montrons plus loin. (1)
C'est là aussi ce qui explique, d'une manière qui coupe court à toute contestation, comment le mot de globe se trouve; ainsi que l'objecte M. Mazon, dans l'Elégie sur la mort d'Héloysa ; comment ce mot a pu y être substitué, par les correcteurs du xvn'siècle ou par les derniers interpolateurs, à l'expression de monde déjà employée dans ce morceau ou à tout autre synonime qui était peut-être dans le texte primitif.
Nous disons : peut-être ; car il n'y aurait certes rien d'étonnant que, dans le cours et surtout vers la fin du XVe siècle, un auteur admit les antipodes auxquels d'autres avaient cru bien avant lui.
C'est aussi par une modification ultérieure, tout-à-fait vraisemblable pour un lecteur attentif à la forme du vers, que s'explique le titre de dauphin, donné dans l'Héroïde à Bérenger à celui qui était alors le roi Charles VII, en 1428 ou 1429, date à laquelle fut composée la première rédaction de cette pièce de vers, où les altérations sont visibles et où elles abondent,
M. Mazon ne s'en tient pas à ce que nous venons de relever ; il formule aussi des objections historiques; mais elles n'ont pas plus de portée que ses objections littéraires. Il a beau nous dire que « l'histoire se joint ici au Manuale no- « taram, pour convaincre la légende d'erreur, » et que « les chroniques du temps nous apprennent que le Langue-
(1) V. infr., quatrième, partie, XII.
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« doc n'envoya personne au secours de Charles VII ». (1) Qui cite-t-il à l'appui de cette allégation dont l'exactitude, au point de vue général, — fût-elle constatée,— ne prouverait rien contre les exceptions ? Il cite Jean de Serres qui écrivait à la fin du XVIe siècle, 165 ans après les faits dont il s'agit,
M. Mazon n'est pas heureux nonplus dans ses indications d'histoire locale, Ainsi, il assure qu' « il n'y a jamais eu en « Vivarais de famille noble de Vallon » (2) ; et la preuve qu'il donne de cela, c'est une citation d'un travail publié par nous (3).
Il est fâcheux seulement que M. Mazon ait lu trop précipitamment ce qu'il veut bien citer. Il n'y a eu, avons-nous dit, en Vivarais, au temps de Marguerite, aucune tamille de Vallon. Mais s'il n'y en a pas en au XVe siècle, il y en a eu au XVII°. Dans le même travail, et quelques lignes plus loin, nous avons signalé, comme nous l'avons fait plus au long dans ce livre, la famille de Vallon voisine, à cette époque, de la famille de Surville, et. cela d'après l'indication d'archives locales.
XVII
Le français synthétique et le français analytique.
Un autre écrivain, M. Jules Baissac, a formulé lui aussi ses objections.
Il a pris, dans le volume des poésies de Clotilde, des morceaux qui datent évidemment du XVIIe ou du XVIIIe siè-
(1) Marguerite Chaïis, etc. page 41.
(2) Id. page 35.
(3) Marguerite de Surville, les documents nouveaux et la critique. Journal de l'Ardhelie, n° du 1er décembre 1872.
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cle (1). Il y a remarqué, avec raison; parfois de « l'affectation » et de « la recherche » et principalement un cachet moderne. S'il n'avait vu là que le résultat des additions faites ultérieurement à une oeuvre ancienne, Il serait resté dans le vrai. Mais il généralise des caractères très-particuliers, il les applique à l'ensemble de l'oeuvre, et il dépasse ainsi de beaucoup les conclusions négatives que l'on peut légitimement tirer d'altérations tout-à-fait fragmentaires.
L'objection capitale qu'a soulevée M. Baissac contre l'authenticité du fond de ces poésies est tout entière, en réalité, dans l'argumentation suivante :
Les langues des peuples de l'Occident ont eu à se dégager peu à peu des formes elliptiques, pour arriver aux formes analytiques où la phrase a une périodicité marquée ; elles ont dû passer, des formes qui expriment la sensation, telles que les formes du grec et du latin, à celles qui traduisent de préférence l'ordre logique des idées, comme le font la plupart de nos langues modernes. Et pour le français, cette transition des idiomes dont il est le dérivé aux formes analytiques et périodiques n'a été achevée qu'au XVIIe siècle.
Or, les poésies attribuées à Clotilde de Surville ont déjà pleinement les formes périodiques et analytiques.
Donc, ces poésies datent tout au plus du XVIIe siècle.
M. Baissac a formulé là ce qu'on pourrait appeler la grande objection. Si elle avait le moindre fondement, s'il était prouvé que, depuis la première moitié du XVe siècle, le français a passé des formes d'une langue synthétique à celles d'une langue analytique, il y aurait dans ce fait quelque chose de décisif contre l'authenticité du fond même de ces poésies.
. Mais sur quoi repose cette objection? Sur une vue illusoire, sur rien de réel.
(I) Lettre de M. Jules Baissac sur les poésies de Clotilde de Surville, — dans le volume de M. Mazon, pages 93 et suiv.
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Et d'abord , remarquons -le , la majeure de cet argument est insoutenable dans la première des deux parties qui la composent. On ne saurait admettre que la langue d'Aristote et de Polybe, de Démosthènes et de saint Jean Chrysostôme ait été pauvre de formes analytiques ; que la langue de Cicéron et de Tite-Live n'ait pas eu dans la phrase la pérodicité, même au plus haut degré ; que la langue d'Homère et de Théocrite ou celle d'Horace et d'Ovide aient manqué de « flexibilité ».
On ne peut pas supposer un instant que ces génies enchanteurs qu'a produits l'antiquité grecque et romaine, de Platon à saint Grégoire de Nazianze, de Virgile à saint Augustin, n'aient eu à leur service qu'un langage synthétique, sans analyse, sans « souplesse », sans « formes remarquablement pleines », sans « ces allures vives et dégagées » et « ces mouvements larges » qui selon M. J. Baissac, seraient l'heureux et surprenant privilège des « langues déformées du latin » .
La seconde partie de ce qui forme la majeure de cet argument n'est pas plus vraie.
Il est complètement feux do dire que le français ne soit arrivé qu'au XVIIe siècle, aux formes analytiques et périodiques, comme M. J. Baissac l'affirme hardiment.
« Il faut descendre, dit-il Jusqu'au dix-septième siècle « pour trouver les premiers exemples de cette grave « forme périodique dont les airs solennels étaient du reste « si bien dans le ton général de l'époque, exemples qui « fourmillent dans le recueil, de Vanderbourg. » (1)
Si cette forme périodique tenait, même tant soit peu, au ton général d'une époque, elle aurait disparu du français, aujourd'hui que nous sommet loin d'avoir ces airs-là ; or, notre langue a toujours cette même forme périodique.
(I) Marguerite Chalis, etc page III.
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Si, par ces « airs solennels », M. Baissac entend une manière de s'exprimer un peu plus emphatique, nous remarquerons que les fragments, tels que le Quatrième Chant du poème de la Nature et de l'Univers ou le Chant royal à Charles VIII, qui ont cette manière dans le recueil des poésies attribuées à notre auteur, sont précisément les fragments ajoutés au XVIIe ou au XVIIIe siècle ou complètement modifiés à cette époque. Mais tant d'autres morceaux, l'Epitre à Rocca, les Rondels, les Plaids d'or, le Dialogue entre Apollon et Clotilde, les Stances de Rosalyre, n'ont pas le moins du monde ces « airs solennels ».
XVIII
Comment on écrivait en vers français au xv« siècle.
Voyons donc comment on écrivait en français à diverses époques du XVe siècle, alors que, d'après certains critiques, on était encore en France aux formes synthétiques Au langage, dont les poésies de Marguerite de Sur ville se sont malheureusement écartées, et bien avant- que l'on en fût arrivé aux formes analytiques qui, d'après les mêmes hommes de lettres, n'existaient pas dans notre langue du quinziènie siècle.
Voici d'abord des vers, choisis parmi ceux dont l'authenticité est hors de doute.
On écrivait en 1417 :
« Au dur de Bourbon. (1) « Puisqu'ainsi est que vous alez en France,
« Dùc de Bourbon, mon compaignon très-chier,
Où Dieu vous doint, selon la désirance « Que tous avons, bien povoir besongnier (2),
(1) Jean, d'abord comte de Clermont, puis duc do Bourbon, né en 1380, fait prisonnier par les Anglais avec Charles d'Orléans en 1415, à Azincourt ; mort eu captivité en 1433. Depuis 1415, il ne revint passer que quelques jours en France, en 1417. C'est à l'occasion de ce voyage que Charles d'Orléans lui écrivit cette ballade.
(2) Agir.
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Mon fait vous veuil descouvrir et changier « Du tout en tout, en sens et en folie.
« Trouver ne puis nul meilleur messagier :
Il ne fault jà que plus je vous en dyo.
« Premièrement, se c'est vostre plaisance, Recommandez-moy, sans point l'oublier, _ « A madame (1) ; aiez en souvenance « Et lui dites, je vous prie et roquier, Les maulx que j'ay quant me fault esloingnier, Haugré mon veuil, sa doulce compaignie ; Vous savez bien que c'est de tel mestier ; Il ne fault jà que plus je vous en dye.
C'est ainsi que Charles d'Orléans, captif à Windsor, faisait ses recommandations à son ami et son compagnon de captivité Jean de Bourbon, rentrant en France pour quelques jours.
(1) Bonne d'Armagnac, que Charles d'Orléans avait épousée en 1410 et à qui s'adressèrent les vers de la première époque du poète.
(2) Poésies de Charles d'Orléans. Edit. Champollion-Figeac. Ballade LVIII.
(8) Lorsque, à cette date de 1417, on écrivait en français d'aussi beaux vers et lorsque ces vers, bien que venaut d'un prisonnier de l'Angleterre, pouvaient être répandus en France, avec d'autres du même auteur, par celui à qui ils étaient envoyés, La critique n'a pas' le droit de dire que Marguerite, alors âgée de onze ans, n'a point pu se former dès son enfance â la bonne poésie française,comme la «légende » l'avait assuré. Elle n'a pas non plus le droit d'avancer que Marguerite n'a point pu corînaîtto alors les poésies de Charles d'Orléans et que l'Epitre à Rocca et le Dialogue où elle en parle avec tant d'âme ne sauraient être que des oeuvres apocryphes. Il est aussi singulier qu'instructif de voir que ce dont les faits, dans leur brutalité, rendent la probabilité bien plus grande, ce sont les dires de la « légende i plutôt que ceux de la « critique ».
Il n'y a de plus rien d'étonnant à ce que ces jeunes filles du nord de la France, Rose de Beaupuy et Loyson d'Effiat, qui pouvaient avoir fui Paris un an après, en 1418, comme le fit Christine de Pisan, après les saturnales du parti Bourguignon, aient connu et apprécié, elles aussi, peut-être même ayant Marguerite, plusieurs morceaux de poésie de Charles d'Orléans, qui — il le déclare lui-même (a) — versifiait dès sa première jeunesse. La « légende » a dit qu'elles en connaissaient : il n'y a là rien de tant soit peu invraisemblable. V. nos au 1res réflexions à ce sujet, première partie vi et vu»
(") Poésies Ballade. LXXXV
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N'y a-t-il pas dans cette ballade les formes grammaticales qui constituent aujourd'hui notre langue ? N'y a-t-il pas même la douceur et le charme d'une harmonieuse poésie ? Serait-ce pourtant du style « synthétique » ? On ne s'en douterait pas.
On écrivait en 1429 :
« Donc, dessus tous les preux passés,
Ceste (1) doibt porter la couronne ;
« Car ses faits jà montrent assez
« Que plus prouesse Dieu luy donne Qu'à tous ceulx de qui on raisonne ;
« Et n'a pas encore tout parfait. (2)
Christine de Pisan, d'une voix sur le point de s'éteindre, chantait ainsi Jehanne la Pucelle, en juillet 1429, l'année même où Marguerite pleurait Béranger.
Y a-t-il là d'autres tournures, d'autres inversions, d'autres procédés de langage que dans la partie la moins modiflée des poésies de Clotilde ?
On écrivait vers 1430 :
« On (3) temps passé, quant nature me fist « En ce monde venir, elle me mist
Premièrement tout en la gouvernance
« De (4) une dame que on appelait enfance,
« En luy faisaiit estroit commandement « De moy nourrir et garder tendrement,
« Sans point souffrir soing au mérencolie « Aucunement me tenir compaignie ;
Dont elle fist loyaument son devoir : « Remercier l'en doy, pour dire voir (3)
(1) Jeanne d'Arc.
(2) procès de Jeanne d'Arc. Documents recueillis par M. Quicherat. Tome v.
(3) On se prononçait au dans plusieurs mots, tels que celui-ci, pouvre (pauvre) etc.
(4) L'élision avait généralement lieu comme aujourd'hui, bien que souvent, dans le langage écrit, elle ne fût pas exprimée par la suppres" sion de l'e muet.
(5) Poésies de Charles d'Orléans. Edit. Champollion-Figeac, I.
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Il y a là complètement nos formes actuelles, sauf quelques exceptions qui tiennent à la poésie ou à l'élément le plus secondaire du langage. La langue avec laquelle on pouvait alors, c'est à-dire au temps de la jeunesse de Marguerite de Surville, composer de semblables poésies, était dèjà pleinement fixée dans tout ce gui la constitue sous le rapport grammatical, l'essentiel dans un idiôme, et même, à beaucoup d'égards, sous le rapport de la grâce et de l'euphonie. On écrivait en 1456 :
« Item je laisse, en beau pur don,
Mes grands et ma hucque de soye « A mon amy Jacques Cardon,
« Le gland aussi d'une saulsoye, « Et tous les jours une grasse oye,
« Ou ung chapon de haulte gresse,
Dix muys de vin blanc, comme croye, « Et deux procès, que trop n'engresse.
Finalement en escrivant,
« Ce soir seullet (I) estant en bonne,
« Dictant ces laitz et descripvant,
« Je ouyz la cloche de Sorbonne « Qui tousiours à neuf heures sonne « Le salut que l'Ange prédit :
« Sy suspendy et mis cy borne, « pour pryer comme le cueur dit. » (2)
On écrivait vers 1461 :
« Quand je considère ces testes « Entassées en ces charniers,
« Tous furent maistres des requestes Ou tous de la Chambre aux deniers,
« Ou tous lurent porte paniers ;
« Autant puis l'ung que l'autre dire, « Car d'Evesques ou lanterniers,
« Je n'y congnois rien à redire (3)
(1) Voilà un exemple, entre mille, qui montre la valeur des objections de a savants i critiques ayant sffirmé que l'emploi des diminutif, était inconnu au XVe siecle. Ces diminutifs se rencontrent au XVe siècle, comme au XIVe comme au XIIIe où Rutebeuf, entre autres, les a employés maintes fois ; ainsi nous trouvons, dans ses oeuvres, des mots tels que : maisonette, etc.
(2) François Villon. OEuvres. Edit. Coustelier. Le petit testament de F. Villon.
(3) Id. Id. Le grand testament de F. Villon.
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On écrivait aussi vers 1461 :
Que cuidez-vous qu'on verra « Avant que passe l'année ?
« Mainte chose demenée
Etrangement ça et la.
Ven que des cy et des ça » Court merveilleuse brouée,
« Que cuidez-vous qu'ou verra « Avant que passe l'année ? « Viengne qu'advenir pourra ;
Chascun a sa destinée, 1 « Soit que desplaise ou agrée ;
Quant nouveau monde viendra,
Que cuidez-vous qu'on verra 1 (I)
Nous le demandons encore ici : n'est-ce pas du français ayant tout ce qui le constitue aujourd'hui ? Y a-t-il une différence entre cette syntaxe et la nôtre ? Essayez sur ces vers du procédé que plusieurs de nos lettrés ont recommandé pour les vers de Clotilde : modifiez tant soit peu certains mots, leur orthographe seule le plus souvent ou quelques légères inversions, vous avez du français moderne. Aujourd'hui nous ne parlerions guère autrement avec notre langue analytique qui alors, nous a-t-on dit, n'existait pas.
Il est d'ailleurs une observation qu'il ne faut pas omettre au sujet des fragments que nous venons de citer. Les vers de Christine de Pisan ont été écrits cinquante ansavant les modifications définitives que Marguerite de Surville a pu faire subir à ses poésies. Ceux que nous avons donnés de Charles d'Orléans sont antérieurs d'autant à cette révision dernière ; et ce poète, né en 1391, était d'ailleurs le devancier de Marguerite d'un bon nombre d'années. Les vers de Villon, (comme ceux du comte de Clermont) ont précédé de vingt ou vingt-cinq ans les améliorations que Marguerite
(1) Rondeau attribué au comte de Clermont et Inséré par M. Champollion-Figeac dans son édition des oeuvres de Charles d'Orléans. Ces vers font alusion à la ligue du bien public.
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a pu apporter à ses oeuvres vers la fin de sa vie, et tout, dans l'existence capricieuse ou déréglée de Villon, annonce qu'il fut loin de donner à ses poésies le même soin que Marguerite parait, comme elle l'assure, avoir donné aux siennes pour les rapprocher de l'idéal qu'elle poursuivait.
Nesont-ce pas des raisons très-fondées qui expliquent comment il a pu se faire que nous trouvions dans presque toutes les poésies de Marguerite de Surville (1) cette netteté de relief qu'offrent seulement certaines poésies de Villon, et cela par le manque de soin qu'il mit à perfectionner ses oeuvres et non par l'insuffisance de la langue dont il se servait, que plus d'une fois il a fait parler éloquemment ?
Disons plutôt de Marguerite que, avec un talent au moins égal à celui de Villon et dans des conditions intellectuelles bien meilleure que celles où il vécut ; avec une étude plus profonde que la sienne des poètes latins aux périodes si harmonieuses, avec un travail littéraire continué pendant près de quatre-vingts ans et en ayant enfin limé son oeuvre un quart de siècle après les juvéniles boutades du poète de la Bohême de Paris, il était impossible qu'elle n'eut pas, dans son français et dans son vers, des qualités supérieures à celles que Villon eut dans les siens.
Et disons à ceux de nos. lettrés que nous réfutons dans ce livre : Vous voyez des différences très-réelles entre la poésie de Marguerite et celle de ses contemporains ; vous en cherchez la cause. Ne la cherchez pas dans la langue qui, au fond, est la même ; cherchez-là dans le travail et le génie : la cause de cette différence n'est que là. (2)
(I) Nous disons : presque toutes ; car on ne trouve pas ce même degré de perfection de forme dans les rondels de Marguerite qui, écrits dans sa jeunesse, n'ont pas été retouchés par elle et qu'il était, en effet, impossible de modifier sans leur ôter tout leur caractère primitif.
(S) V. infr., XXI. les réflexions que nous suggère la comparaison des poésies de ctotilde avec celles de Charles d'Orléans et celles de Villon.
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On écrivait vers 1485 :
« J'ay ung roy de Sicile (1)
« Vu devenir berger,
« Et sa femme gentille
De ce propre metier
« Portant la pannetière, « La houlette et chapeau,
« Logeant sur la bruyère « Auprez de son troupeau.
Et encore :
« J'ay vu grant multitude
De livres imprimez,
« Pour tirer en estude « Povres mal argentez.
« Par ces nouvelles modes « Aura maint escolier « Décrets, Bibles et codes « Sins grant argent bailler.
On le voit, toutes ces pièces de vers, dont les auteurs furent contemporains de Marguerite de Surville, ont le style analytique de notre temps. Elles ont pleinement aussi, entre autres caractères qui ont étonné la critique, l'entrelacement des rimes masculines et féminines (3)
Cet entrelacement des rimes — nous l'avons déjà vu — se rencontrait même bien antérieurement au XVe siècle ; et le style « analytique » dont il est surtout question ici, le style ayant de la grâce et de l'harmonie, avait fait, lui aussi, avant cette époque, son apparition dans notre langue.
Sur ces deux faits, très-importants dans la question qui nous occupe, on peut produire, avec des textes authentiques, comme nous en avons donné, des autorités scientifiques irrécusables.
Legrand d'Aussy, l'érudit investigateur de notre poésie du moyen-âge et qui eut, sur ce sujet, une autre compé-
(1) Le roi René d'Anjou.
(3) Jehan Molinet. Recollection des merveilles advenues de nostre temps.
(3) Elle était observée aussi le plus souvent par la plupart des poètes secondaires du XVe siècle ; Garencières, Cadier. Gilles, des Ourmes, etc.
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tence que Sainte-Beuve et Villemain, n'eut pas été de leur avis sur cette objection souvent émise relativement à une règle de versification ; et il n'eut pas d'avantage été de l'avis de M. J. Baissac, sur le style sans harmonie que l'on a dit être inévitablement celui du français avant le XVIIe siècle.
Rencontrant devant lui un de ces sophismes qui devaient défrayer la critique négative à propos des poésies de Clotilde, Legrand d'Aussy y répond en ces termes, au sujet du Brichemer de Rutebeuf (1) :
« J'ai dit ailleurs (Fabliaux, discours préliminaire, 2me « édition, page 108), en parlant du mélange, régulier des « rimes masculines et féminines, que nos modernes « avaient tort d'en attribuer l'usage aux poètes dn XVIe « siècle, et de regarder ces écrivains comme les premiers « qui en eussent donné l'exemple et fait une règle ; j'ai « dit, et je l'ai prouvé par des citations, que, plus de trois « siècles auparavant, nos vieux riméurs le connaissaient « et qu'ils l'employaient même souvent, quoiqu'il ne fut « point encore établi en loi. » (2)
Le même savant explorateur de notre ancienne poésie ajoute, en parlant de cette pièce de vers de Rutebeuf :
« On (y) trouvera un badinage assez léger pour son « temps, de l'harmonie Sans la versification, de la finesse « et de la gaieté dans la raillerie, et même un mérite « qu'on ne s'attend pas à y trouver, celui de la grâce et « du bon ton. Elle peut donner une idée des poésies, fugi- « tives d'alors. (3) »
Nous sommes assez loin de cette pensée et de cette phrase « agglutinées » que certains critiques ont cru inhérentes à
(1) Nul écrivain n'a prononcé, non plus pendant trois siècles, lo nom de ce poète. Fauchet est le premier qui en ait parlé, dans son ouvrage sur l'Origine de la langue et poésie françaises, publié en 1581.
(2) Legrand d'Aussy. Notices des manuscrits, t. v.
(3) Id. id.
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notre langue avant 1600. La pièce dont il s'agit est d'environ 1360.
Legrand d'Aussy s'abusait-il dans le jugement qu'il portait ? En aucune manière. Elle mérite cette appréciation, l'Epitre ou l'on trouve des stances comme celle-ci :
« Ha Brichemer ! biaus très douz sire,
« Paié m'avez courtoisement,
« Quar vostre bourse n'en empire :
Ce voit chaseuns apertement.
« Mès une chose vous veuil dire
Qui n'est pas de grand constement :
« Ma promesse faites escrire ;
« Si soit en vostre testament. »
Il protestait même dans ce temps si lointain, il s'inscrivait en faux contre des théories qui jugent de ce que peut une langue, abstraction faite du génie qui s'en sert, le
poète qui savait déjà mouler ces énergique quatrains :
»
i France, qne de franchisse est dite par droit non,
A perdu de franchisse le les et le renon ;
s 11 n!i a mais nul franc, ne prélas, ne baron,
N'en cité, ne à ville, ne en religion.
Convoitise, qui fait mainz avocas mentir, .
• Et le droit bestorner, et le tort consentir,
• Les tient en sa prison, ne les lait repentir,
« Devant qu'elle lor face le feu d'enfer sentir. (I)
Lorsqu'on composait en français de tels vers au XIIIe siècle, on pouvait au XVe en écrire comme ceux du Dialogue entre Apollon et Clotilde et de l'Elégie sur la mort d'Héloysa, si l'on avait le génie pour ce faire.
Tout cela montre assez que « l'agglutination » du style, observée souvent avec raison chez nos anciens auteurs, n'était pas alors impuissance de la langue, mais était inexpérience de l'art chez ceux qui écrivaient.
(1) Rutebeuf, De la vie don monde.
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Ces objections sont de peu de durée. Nous pouvons remarquer déjà que l'alternance des rimes, qui fut pour plusieurs de nos lettrés une des preuves décisives de la « composition moderne » des poésies de Clotilde, n'en est plus une maintenant, même pour les adversaires de l'authenticité de ces poésies. C'est un moyen usé. MM. Mazon et J. Baissac, qui ont repris timidement quelques armes déjà passablement rouillées, n'ont pas osé ramasser celle-là dans l'arsenal de la « critique »
Il y a donc à la fin quelque chose de gagné contre ces preuves « convaincantes » qui, parait-il, ne le sont que pour un temps, et dont il n'est plus question quelques années après.
Il en sera de l'argument du style « analytique » comme il en a été de celui de l'entrelacement des rimes ; tout fait supposer même qu'il tombera sans avoir rallié à lui un si grand nombre de nos célébrités.
Nous pourrions multiplier les citations qui montrent ce qu'était en poésie notre langue au temps de Marguerite ; mais celles-là peuvent suffire, et nos lecteurs se sont peut-être aperçus déjà que la distinction du synthétique et de l'analytique, entre le français d'alors et celui d'aujourd'hui, serait une mystification autrement grande que celle des poésies de Clotilde. Nous laissons à d'autres à chercher, s'ils veulent, le français synthétique en l'an mille ou dans les Chansons de Geste ; nous nous bornons à constater ici que l'on n'en voit pas trace dans les vers du XVe siècle.
XIX
Comment on écrivait en prose française au xvc siècle.
Est-il besoin d'appeler maintenant les auteurs en prose de cette époque,pour venir déposer dans ce débat ? Depuis les
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moins connus (1) jusqu'aux plus illustres, ils se lèveraient tous pour protester contre la thèse que nous combattons. Leur témoignage à tous serait celui qu'apporte Henri Baude, dont ces quelques lignes de son Eloge de Charles VII,
(1) Voici, par exemple, une page écrite en 1429 et tirée du Registre de Michel de Berry, notaire de Charles d'Orléans à Beaugency :
« Le jeudy quinziesme jour de juing l'an mil quatre cent vingt « neuf, après Pasques ensuyvant, fut le siège des Françoys mis devant « Baugency par monseigneur le duc d'Alançon, monseigneur de Van- « dosme, monseigneur le bastart d'Orléans, monseigneur de Richemont connestable de France, Jehanne la Pucelle, et par plusieurs autres
« grands seigneurs, barons chevaliers, escuiers, cappitaines de gens
« d'armes et de trait, jusques au nombre, comme on extimet, à dix « huitvmille hommes. Esquelle's places estoïenl les Anglais, c'est assi- « voir, Pierre Beaucbamp, cappitaine ïllec pour le sire de Tallebot, six « chevaliers d'Angleterre et de trois à quatre cents hommes combatens, « Anglois. Lesquelles places furent rendues en l'obeyssance du roy de « France nostre sire, le samedy ensuyvant, dix septiesme dudit moys « de juin mil quatre cent vingt neuf, Et se mesmes jour furent « la ville et chas tel de Meung désemparez des Anglois qui estoient de « six à sept cens combattens ; et les jours précédées, la Forte-Hubert. »
Me Michel de Berry n'a pas cherché à mettre de l'éloquence dans son Registre ; mais il y a, dans ces lignes, à côté de quelques différences orthographiques ou autres insignifiantes, tout ce qui fait notre langage actuel.
Voici une autre pagequi se rapporteà Marguerite d'Ecosse,dont le souvenir est associé, à plus d'un égard, à celui de Marguerite de Surville.Dans ces lignes de Jehan Chartier, écrites veis 1437, te chronicqueur officiel de Charles VII, religieux de St-Denis et frère du fameux Alain, décrit Ventrée de madame la Daulphine fille du roy d'Escosse, en la ville de Tours :
« Ou dit an mil quatre cent trente six, le dymmanche vingt qua- « triesme jour de juing, jour et feste de monseigneur sainct Jehan Baptiste, madame Marguerite, fille du roy d'Escosse, entra a belle et « noble compaignie dedens la ville de Tours, comme, daulphino, et fut « receue moult honnourablement de ceulx de ladite ville. Et estoit ladite « dame montée sur une bacquenée moult richement habillée. Après et « desriére es toit madame de la Roche, l'aisnée, sur une autre hacquenêe, « et pareillement plusieurs autres dames et damoiselles d'Escosse ; après « elles y avait deux autres chariots tout plains d'autres damoiselles ; et
(a) Chronique de Charles FI/, par Jeap Quartier. èd Vallct de Viriville,
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écrit en 1485, peuvent donner une juste idée du stylé que la prose française offrait déjà au XVe siècle :
« Les gens et officiers de sa maison estoient gens debon- « naires, saiges, humbles et diligens, et connaissoit leurs « meurs et condicions. Gens prodigues n'aymoit-il point, « pompeux, venteurs, (1) menteurs ne rapporteurs. Quant « aucuns de ses serviteurs, officiers ou autres, estoient « actains d'aucun cas et ilz lui demandoient pardon, le « donnoit voulentiers mais jamais ne les vouloit plus voir « entour sa personne...
« Il ne prenoit serviteur en son service qu'il ne le con- « gneust, ou qu'il ne feust bien informé de lui. (3) Grant au- « mosnier (3) estoit, et avoit tousjours, où qu'il allast, cous-
« quant ladite dame fut à l'entrée de ladite ville, mes seigneurs de Maillé « et de Gamaches, qui estoient venus au devant d'elle à pie/ prindrent « la hacquenée de ladite dame par le frein, l'un d'un costé et l'au- « tre d'autre, et en ce point alla jusques au ebasteau où elle fut des- « sendue à pié.
« Et adonc la print monseigneur de Vendosme d'un costé et ung autre conte d'Escosse d'autre, et la menèrent en la salle du chasteau « où estoit la royno de France (a), la royne de Cecile (b), Madame « Ragonde fille du roi, madame de Vendosme et plussieurs autres sei- « gneurs, dames et damoiselles. Et allèrent la royne de Cecille, ma- « dame Ragonde, au-devant d'elle jusques au bout de la salle et la prindrent l'une d'un costé et l'autre d'autre et la menèrent devers « la royne, qui tenoit son estat contre le grant banc paré. » (c)
Nous trouvons dans ces lignes exactement les mêmes formes grammaticales que dans notre langue actuelle ; et s'il y a là un style sans chaleur et toutes les redîtes d'une phrase négligée, cela vient du manque d'âme de l'écrivain : ce n'est pas la faute du français de son temps.
Nous pourrions citer, parmi les écrivains marquants de l'époque, Monstrelet, Georges Chastellain, Comines.etc. ; les limites seules où nous avons à nous borner nous en empêchent.
(1) On peut remarquer ces sortes de néologismes ; ils sont de ceux que la « critique » ne pardonne guère à Clotilde.
(2) (3) Le lecteur peut voir ici ce qu'il faut penser de l'objection faite par plusieurs critiques affirmant (d) que, dans le français du xve siècle, on ne trouvait pas d'inversions fréquentes et de suppressions réitérées du pronom personnel,
(a) Marie d'Anjou-
(6) Yolande d'Aragon.
(c) Jean Chartier. Chronique de Charles VII Edit. Vallet de Virivillo, chap. 122
(d) V. supr., III.
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277
« tuners et cordoanniers qui, par l'ordonnance de son au- « mosniers, bailloient vestemens et chaussures à tous po- « vres. Il faisoit donner argent à povres filles à marier, « réparer les églises et hopitaulx, et et y donner calixces, « custodes et adornemens. Qui juroit la nom de Dieu estoit « pugny Bon catholique estoit, et aymoit Dieu et l'Eglise. « Les quatre vertus cardinales estoient en lui, car il estoit « ferme, constant et non variable. Il aymoit et faisoit exer- « cer justice. Il estoit tempéré et modéré en tous ses affaires « avec prudence. Ce qui estoit délibéré en son conseil estoit « exécuté sans aucune dissimulacion ou variacion... » (1)
L'opuscule tout entier est de ce style.
La construction grammaticale, le développement de la proposition, la disposition de la phrase principale et celle de la phrase incidente sont là exactement les mêmes que dans des pages écrites de nos jours. A quoi peut-on seulement soupçonner là un style plus « synthétique » que le nôtre ? Serait-ce la suppression fréquente de l'article et du pronom personnel qui y ferait cette « synthèse, » cette « agglutination » que M. J. Baissac croit avoir remarquées dans le français d'avant le dix-septième siècle ? Seraient-ce quelques inversions, telles que la poésie et la prose en ont encore parmi nous, où le verbe est mis souvent avant le sujet, qui créeraient entre le style d'alors et celui d'aujourd'hui cette profonde divergence que l'on a indiquée par l'absence des formes analytiques ?
Tout cela n'est pas sérieux. Formuler une semblable objection, c'est être dupe de quelques accidents de langage qui
(1) Henri Baude. Eloge de Charles VII. Editions Vallet de Virivilla et Quicherat.
Ces pages sont un pmêgyrique, oeuvre d'un ancien fonctionnaire de Charles VII à qui il avait dû sa fortune politique. Les qualités que l'auteur signale en ce prince n'empêchent point l'histoire d'être complètement fixée sur l'égoisme formaliste de Charles VII et de sa cour, égoisme qui alla plus d'une fois jusqu'à la plus odieuse ingratitude.
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n'affectent en rien le fond d'un idiome, comme le fait la distinction tranchée entre des formes analytiques et des formes synthétiques ; c'est prendre pour « synthèse » une raideur apparente qui, mieux prononcée par nous, a autant de qualités euphoniques que notre langage d'à présent.
Ce qui ressort, au contraire, de la lecture d'une page du XVe siècle, comme celle que nous venons de reproduire, c'est que le français était alors pleinement formé : il était essentiellement ce qu'il est. Non seulement les rapports principaux qui fixent une langue, mais la plupart des nuances mêmes qui lui donnent toute sa physionomie sont, dans le français de cette époque, ce qu'ils sont maintenant. La souplesse manque souvent sans doute au langage écrit de ce temps ; mais ce langage a souvent aussi la grâce sans recherche, et il l'a plus ou moins selon le talent qui l'emploie. L'abondance et la précision peuvent être alors dans le style, si l'auteur est doué du sens esthétique, s'il est disert et abondant et s'il sait unir l'effort au génie. Le manque de prestesse en fait de style-est dans les espritset non dans l'idiôme qu'ils parlent l'indigence littéraire très-fréquente et qui tient surtout à l'inexpérience des choses de l'art, résulte dès lors non de la langue mais des défauts de celui qui s'en sert.
Ainsi, il est inexact de dire, comme le fait M. Jules Baissac, que le français n'est arrivé aux formes analytiques qu'au dix-septième siècle. La majeure du syllogisme qui renferme la thèse négative de cet écrivain est fausse dans les deux propositions qui la constituent : cette thèse ne peut donc être admise.
XX
Ce qui ressort de ces dernières objections ; de quelle opinion historique elles dérivent.
Voilà la solidité des arguments avec lesquels la « critique » cherche à prouver que les poésies de Clotilde n'ont pu,
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dans leurs parties primordiales, être composées au XVe siècle. Lorsqu'on, presse ces arguments, il n'en reste rien ; le préjugé seul explique comment ils se sont produits avec une persistance égale à leur légèreté.
La vérité est qu'un poète d'un talent supérieur pouvait en 1460, pour le français, ce que Dante avait pu en 1300, pour l'italien. Pour cela, que lui fallait-il ? Une langue formée, la connaissance de la poésie latine autant que de la littérature française du Nord, le travail prolongé qui donne l'expérience de l'art et enfin le génie. Ces quatre conditions étaient nécessaires et elles suffisaient pour quel'on pût créer littérairement une grande oeuvre ; et tout concourt à démontrer qu'aucune d'elles ne fit défaut à l'auteur des poésies que nous examinons.
Le français était pleinement constitué depuis le commencement du XVe siècle. Les oeuvres de nos poètes qui se sont succédés à partir de cette époque, les écrits de nos prosateurs, les documents politiques de ce temps sont autant de témoins qui déposent que notre langue était déjà ou allait être sûre d'elle-même et qu'elle pouvait produire des oeuvres durables, si elle rencontrait le talent qui sut tirer d'elle tout le parti qu'on pouvait en tirer.
En mettant donc à cultiver cette langue le travail d'une longue vie, comme l'auteur du recueil qui nous occupe déclare l'avoir fait ; en s'inspirant, dans son labeur, de la littérature latine, des poètes français antérieurs ou contemporains et plus encore de l'élan de son âme, triple inspiration dont cette oeuvre porte l'empreinte, on pouvait, même au XVe siècle, pratiquer l'alternance régulière des rimes et éviter les hiatus ; on pouvait donner à sa période le développement et la mesure ; on pouvait connaître le rôle de l'épi— thète en poésie, ce rôle que Charles d'Orléans et Villon comprirent assez bien et que tel critique (I) ne s'explique point,
(I) M. J. Baissac. toc. citat.
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dans les oeuvres de notre auteur, ou ne s'explique qu'en les datant du XVIIe siècle : comme si, même avant 1600, on pouvait être poète et ignorer l'Importance et l'emploi des adjectifs.
Cela répond suffisamment à la pensée que nous venons de voir formuler dans la dernière objection et que plusieurs esprits de notre temps inclinent à admettre, supposant volontiers et sans examen qu'il y a une différence essentielle, ou du moins capitale, entre le français du XV° siècle et celui d'à présent
Les seules différences qu'une observation sérieuse constate entre notre langue d'alors et celle d'aujourd'hui, sont relatives à des détails tout-à-fait secondaires, devant l'élément principal qui est grammaticalement le même auoe deux époques. Ces différences consistent en quelques expression diverses, en certaines nuances de style, telles que de légères inversions, plus ou moins fréquentes, des suppressions plus ou moins réitérées de l'article et du pronom personnel ; elles consistent, avant tout et plus que tout, en plusieurs mots d'alors qui nous étonnent et qui ne nous étonneraient point, si nous ne nous arrêtions point à leur orthographe première et si nous avions pris l'habitude de les prononcer mieux. (1)
Cette opinion, trop fréquente encore et qui facilite singulièrement les prétentions de la critique négative dans ce débat, provient de plusieurs causes qu'il serait long d'ap(!)
d'ap(!) qui varie pour bien des mois dans le même auteur de ce temps-là, s'était déjà modulée dans le nord de la France, du commencement au milieu du XVe siècle. Vers 1460, plusieurs expressions y ont déjà pris l'orthographe moderne ; ainsi l'on y écrit ladite, lui, celui, après, autre fut, aucun, etc. d'une manière fréquente sinon constante. Dans le midi de la France, au contraire, l'orthographe ancienne n'avait pas changé plus de cent ans après, dans la seconde moitié du XVIe siècle et même, en certains endroits, dans les premières années du XVIIe ; et l'on y, écrivait, comme Montaigne, ladicte, luf, celai, aprez, aultre, fust, aulcim, etc.
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profondir. Elle vient souvent de ce que l'on identifie la littérature dont un siècle fut capable, avec l'oeuvre de tel ou tel écrivain qui ont pu être bien inférieurs à d'autres que le hasard des circonstances a laissés ignorés plus ou moins longtemps. C'est ainsi que, pendant les trois siècles durant lesquels les poésies de Charles d'Orléans sont restées inconnues, on se trompait grossièrement en croyant que vers 1430 il n'y avait pas eu, en France, de poète supérieur à Alain Chartier.
Cette opinion vient surtout d'une erreur courante, répandue chez nous depuis longtemps ; elle vient de ce que l'on se fait du XVe siècle l'idée d'un siècle à demi barbare (1). Cette étrange idée date de l'époque infatuée d'elle-même dans laquelle, selon l'expression de Boileau et de ses contemporains, les siècles antérieurs au XVIe et le xve notamment n'avaient été que des siècles grossiers (2).
Or, le siècle que l'on jugeait et que l'on juge ainsi, c'est celui qui a produit, dans l'architecture, les merveilles du gothique flamboyant et les premières oeuvres si délicates et si pures de la Renaissance, en France, en Italie et dans toute l'Europe occidentale ; c'est celui qui a compté parmi ses gloires Jeanne d'Arc et Christophe Colomb, ces personnifications si généreuses du patriotisme et du génie ; c'est celui qui a découvert l'imprimerie et l'Amérique, celui qui a enfanté les nobles oeuvres théologiques, philosophiques ou artistiques de Gerson, de St Laurent Justinien, de Cusa, de Sylvius Piccolomini (Pie II), de Savonarole, de Marsile Ficin, de Pic de la Mirandole, de Charles d'Orléans, de Monstrelet, de Thomas Bazin, et l'Imitation de Jésus-Christ, ce livre comme sans rival, ce chef-d'oeuvre, même au seul point de vue littéraire.
Voilà le siècle dans lequel, au dire de nos lettrés, il était
(1) Cf. seconde partie, XXI.
(2) Boileau, L'art poétique. 1.
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impossible qu'un poète d'un mérite supérieur et pouvant s'inspirer non seulement de l'antiquité grecque et latine mais aussi de Dante et de Pétrarque, donnât dans une langue déjà formée autre chose que des pages atones ou grossières, sans vigueur et sans harmonie.
Cette impossibilité pouvait être admise il y a deux siècles ; elle ne saurait l'être aujourd'hui, où l'on commence à juger avec plus d'intelligence et plus de justice les hommes et les choses du passé.
XXI
Les poésies de Marguerite de Surville comparées à celles de Charles d'Orléans et à celles de Villon.
Quelques-uns de nos littérateurs qui nient l'authenticité de l'oeuvre attribuée à Marguerite de Surville ont cité, à l'appui de leur thèse, des vers de Charles d'Orléans et ont noté une ou deux différences entre les poésies de cet auteur et celles du nôtre ; mais ils n'en ont jamais fait une comparaison même succincte. Cette comparaison doit être faite ici, dans les limites pourtant bien restreintes où nous avons à nous renfermer. On verra si elle est favorable aux suppositions de nos adversaires.
Le talent des deux auteurs a été aussi différent que leur poésie. Ce qui distingue Charles d'Orléans, c'est une gracieuse rêverie, une mélancolie qui n'a rien de sombre, une aménité qui ne se dément point. Dans ce poète, la facilité n'est point vulgaire, mais l'élan n'atteint pas le sublime.
En lisant ses vers, on sent que l'auteur a évité l'effort, et que, bien doué à beaucoup d'égards, il n'a pas poussé l'ambition littéraire jusqu'à s'astreindre à une sévère révision de ses oeuvres. Aussi sa poésie, d'une valeur très-inégale et où
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les parties faibles ne manquent pas, accuse-t-elle souvent la négligence d'un talent ennemi du labeur.
Ce qui caractérise Clotilde — ou l'auteur, comme on voudra l'appeler, des poésies publiées sous son nom, — c'est la pensée à la fois puissante et gracieuse, ayant au plus haut degré le sens de l'art ; c'est le génie, d'inspiration latine, à la muse vibrante qui dit ses joies ou ses douleurs en de fermes accents. Dans sa parole, jamais rien qui témoigne d'une vague sentimentalité ; rien n'y a le vaporeux de rêve, la ligne indécise, le contour flottant ; l'amour et l'enthousiasme y palpitent ; la pensée y frémit sous un vers d'airain.
Chez cet auteur cependant, point d'emphase , rien qui ait la jactance et l'enflure de bien des poètes du Midi ; rien où perce, non plus, le faire prétentieux du littérateur de métier ; rien qui sente le rhéteur plein de lui-même et vide d'amour. C'est un de ces rares écrivains dont la poésie part du coeur et dont l'éloquence est le cri d'une âme.
On voit aussi qu'à cette intelligence fut unie une grande énergie de volonté, et ses oeuvres portent l'empreinte d'une malléation autrement vigoureuse que les poésies de Charles d'Orléans
Il y a en elle plus de gaieté et plus de larmes que dans le captif de Windsor ; il y a plus d'élévation dans l'idée, plus d'ardeur dans le sentiment, plus de vivacité dans le trait, plus de force dans l'expression. Ses tendances intellectuelles, comme ses aptitudes poétiques, la rapprochent bien plus d'Ovide ou de Lamartine que de Charles d'Orléans dont le talent néanmoins, envisagé sons plusieurs de ses aspects, put avoir sa sympathique admiration.
De ces deux poètes, enfin, on peut dire que les vers de l'un coulent tranquilles comme les fleuves du Nord, et que les vers de l'autre rappellent le cours puissant et majestueux du Rhône et l'impétuosité des torrents du Midi.
Telles sont les différences esthétiques résultant, chez l'un et
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chez l'autre, de leurs aptitudes et de la manière dont chacun d'eux a cultivé les siennes.
Mais, à côté de cela, il y a les ressemblances ; elles se résument en ce que les deux auteurs ont eu, au fond, la même langue, ont écrit dans le même français.
Le français des poésies dont s'occupe ce livre a incontestablement des qualités moins sujettes â faiblir. Mais celui do Charles d'Orléans est quelquefois plus dégagé et, disons le mot, plus moderne.
Prenons les rondeaux des deux auteurs ; dans ce genre de poésie, la supériorité, au point de vue de la langue, est généralement du côté de Charles d'Orléans.
. Y a-t-il rien de plus français, comme formes grammaticales, comme mouvement de style et tour de langage, que ce rondeau-ci :
« Vous y fiez-vous
En mondain espoir ? S'il scet decevoir,
« Demandez à tous.
« Son atrait est doulx « Pour gens mieulx avoir :
Vous y fiez-vous
« En mondain espoir ?
« De joye ou courroux,
« Soing ou nonchaloir,
« Veult (1) à son vouloir « Tenir les deux bonx :
« Vous y flez-vous ? (2)
(1) Que l'où juge ici encore si l'on se faisait faute au XVe siècle de supprimer le pronom personnel, suppression que plusieurs Ce nos lettrés ont reprochée si hardiment aux poésies de Clotilde. Mais ce serait beaucoup demander à certains « critiques » qu'ils connussent un siècle dont ils se font juges sans étude et qu'ils exécutent sans façon.
(2) Poésies de Charles d'Orléans. Edit. Champolhon-Figeac. Ronde IXXXII.
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A-t-on jamais décrit dans notre langue, avec plus de désinvolture et dans un rhythme plus chantant, les vicissitudes de la fortune, que ne l'a fait le poète dans le rondeau suivant ? Comme il y emploie élégamment le vers de huit syllabes, et comme il connaît déjà les délicatesses de notre langage !
« De quoy vous sert cela, Forlune ? « Vos propos sont puis longs, pais cours.
« Une fois estes en decours ; « L'autre, pleine comme la lune.
« On ne vous trouve jamais une ;
« Nouvelletez sont en vos cours. « De quoy vous sert cela, Fortune ? « Voz propos sont puis longs, puis cours.
« C'est vostre manière commune ;
Car quant je vous requiers secours, « Vous fuyez : après vous je cours,
« Et pitié n'est en vous aucune.
« De quoy vous sert cela, Fortune ? (1)
Nous sommes un peu loin, dans ces vers, de cette « pensée agglutinée », de cette « raideur d'expression » que tel de nos critiques (2) a aperçue dans toute notre littérature antérieure au XVIIe siècle. Il y a là certainement un langage plus facile et plus pur que celui de plusieurs des poésies attribuées à Marguerite de Surville.
Voici, en effet, mis en parallèle, un de ses rondeaux sur Alain Chartier, « touschant l'escript (3) dont ay dit à la rayne (4) qu'estoit l'autheur trois fois heureux. »
(il Poésies de Charles d'Orléans, Rondel ccxiv.
(2) M. I. Baissac. foc. citat.
(3) Paraphrase médiocre, parait-il, faite par Alain Chartier de l'ouvrage qu'Alain de Lille (ou de l'isie), surnommé le Docteur universel, théologien du xil* siècle, a écrit Sur les six ailes des chérubins ; Alain de Lille, esprit élevé, qu'Etienne de Surville, dans ses notes, a traité avec, la frivolité et l'injustice de son siècle.
(1) La dauphine Marguerite d'Ecosse. Cette qualification de reine, manière de parler purement poétique employée ici et dam l'Epistre à Marguerite d'Ecosse dont il s'agit, est, contrairement au dire de cer-
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Les esles qu'ha cil docteur qu'on renomme Faict (1) galamment pour chérubins couvrir,
« Plus n'estonner doibvent Paris ne Romme,
« Puisqu'eusf secret de la porte rouvrir
Du beau vergier (2) où se mangea la pomme.
Or, d'ung propos ne puis tel maistre occir (3),
< Trois fois heureux disant qu'esloit nostre homme ;
« Pour quoy me veult les plumes raccourcir
Des estes.
Et bien fera. Mais (pour loz conquerir,
« Quant, à huiz clos, d'escriplz son monde assomme,) s Tiens pour certain qu'a moins de faire nng somme,
< Cent fois heureux, cil qui n'en veult morir,
« Du bon Crestois se povoit recourir
« Aux estes. » (4)
Combien, sous le rapport de la clarté et de la construction française de la phrase, les rondeaux que nous avons cités de Charles d'Orléans l'emportent sur celui-là et sur quelques autres du même auteur ! (5)
La chanson, dans Charles d'Orléans, est aussi gracieuse que le rondeau.. Voyez comme il peint, dans un langage imitatif, les petites industries de la ville :
tains critiques, un des nombreux indices favorables à l'authenticité du fond des poésies de Clotilde, et en particulier (Tune partie de cette Epitre Un pasticheur, désireux d'éviter le pins possible d'être pris en délit d'inexactitude et mettant pour cela les soins minutieux nécessaires à une contrefaçon, n'aurait pas ainsi omis négligemment de donner à Marguerite d'Écosse son véritable titre. Ce pasticheur, savant et avisé comme certes il aurait eu besoin de l'être pour imprimer à son travail de supercherie un semblable degre de vraisemblance, n'aurait pas ignore que Marguerite d'Écosse était seulement dauphine et ne l'aurait pas appelee autrement.
(1) « Les ailes que ce docteur qu'on renomme a faites pour.
(2) Le paradis terrestre. Il y a probablement dans ce trait, comme l'observe Vanderbourg, une allusion à quelque ouvrage d'Alain Chartier sur ce sujet.
(3) « Or, je ne puis tuer un tel maitre d'un propos, en disant que. »
(4) Poésies de Marguerite de Surville. Bondels.
(3) V. les deux rondeaux que nous reproduisons, infr., quatrième partie, m.
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« Petit mercier ! petit panier ! « Pourtant se je n'ay marchandise « Qui soit du tout à vostre guise,
« Ne blasmez pour ce mon mestier.
« Je gangne denier à denier ; « C'est loing du trésor de Venise, « Petit mercier ! petit panier ! Pourtant se je n'ay marchandise ?
« Et tandis qu'il est jour ouvrier, Le temps perds quant à vous devise ;
« Je voys parfaire mon emprise « Et parmy les rues (I) crier « Petit mercier ! petit panier ! (2)
Charles d'Orléans a employé aussi avec bonheur le vers de dix syllabes ; on peut en juger par ce huitain :
« Loyal espoir, trop je vous voy dormir;
« Resveillez-vous, et joyeuse pensée,
« Et envoyez un plaisant souvenir,
« Devers mon cueur, de la plus belle née « Dont aujourd'uy coure la renommée.
« Vous ferez bien d'un peu le resjoïr ;
« Tristesse s'est avecques luy logée ; s Ne lui veuilliez à son besoing faillir. » <3)
Dans un autre rhythme, sa ballade n'a généralement pas moins de caractère ; telle est celle-ci, où il dit ses regrets sur la mort de Bonne d'Armagnac, son épouse :
« Quant souvenir me ramentoit « La graut beaute dont estoit plaine « Celle que mon cueur appeloit « Sa seule dame souveraine, De tous biens la vraye (4) fontaine, « Qui est morte nouvellement,
« Je dy en pleurant tendrement :
« Ce monde n'est que chose vaine, (5) »
(1) « Rues », disyllabique.
(2) Poésies de Charles d'Orléans, chanson xcu.
(3) Id. Ballade XXIV.
(4) « Vraye , disyllabique.
(3) Poésies de Charles d'Orléans. Ballade LXII.
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Nous comprenons qu'une poésie où il y a tant de naturel et tant de qualités esthétiques ait dérangé chez Villemain l'idée qu'après tant d'autres il s'était faite de ce temps et de ce qu'un poète pouvait alors, avec la langue d'un siècle barbare. « Il n'est pas d'étude, — dit-il au sujet de Charles « d'Orléans, — où l'on puisse mieux découvrir ce que l'i- « diôme français, manié par un homme de génie, offrait « déjà de créations heureuses. (1) » Cet idiôme offrait donc déjà, d'après Villemain, autre chose que la « raideur » ou le « manque de mesure », inhérents, a-t-on dit, à la littérature du XVe siècle. « Il y a dans Charles d'Orléans, ajou- « te Villemain, un bon goût d'aristocratie chevaleresque « et cette élégance de tour et cette fine plaisanterie sur « soi-même qui semblent n'appartenir qu'aux époques « très-cultivées », (2) et qui pourtant, le fait le prouve, appartenaient aussi à cette époque.
Si, en restant à ce point de vue, Villemain avait repris l'examen de plusieurs des poésies de Clotilde (3) ; s'il les avait interrogées sous l'impression vraie que l'oeuvre du prince poète lui avait donnée de ce temps, nous ne serions pas surpris que son tact lui eut fait alors modifier un premier jugement trop précipité.
Par les vers que nous venons de reproduire, on peut voir le mérite littéraire des poésies de Charles d'Orléans, L'alternance des rimes y est presque constamment gardée ; elle n'y est point à titre exceptionnel, comme on l'a dit : les infractions à cette règle y sont, au contraire, l'exception.
(1) Villemain. Tableau de la littérature au moyen-âge.
(2) Id. Id.
(3) D'antant plus, — et il est même peut-être juste de le faire observer, — que la critique négative de Villemain n'avait spécialement porté que sur des parties ou modernes ou complètement remaniées des poésies de Clotilde, bien qu'il eut englobé tout le recueil dans une même condamnation.
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La césure y est aussi bien respectée que dans les vers de Clotilde ; seuls, les hiatus s'y rencontrent bien plus fréquemment.
Avec ces qualités dans son oeuvre, Charles d'Orléans est loin cependant d'avoir écrit des pages d'une valeur que l'on puisse comparer à celle de l'Epitre à Rocca ou du Dialogue entre Apollon et Clotilde, compositions où l'auteur a montré la supériorité de son génie. Charles d'Orléans tombe même dans certains défauts qui allaient, bientôt après lui ou même de son temps, disparaître de la poésie française ; ainsi il personnifie très-souvent, dans ses vers, des êtres moraux ou des abstractions de l'esprit, défaut que Clotilde a reproché vivement et avec raison à ses contemporains. (1)
Il n'a pas non plus, nous l'avons dit, cette précision soutenue et cette égalité de style que l'on trouve dans la plupart des poésies attibuées à Marguerite. Et cette défectuosité, celle-là même qui peut impressionner le plus, ne tient certainement pas à l'impossibilité qu'aurait eu le poète de mieux faire avec la langue de son époque, puisqu'il a fait mieux avec cette langue. Cette imperfection tient à ce qu'il n'a pas donné le même soin à toutes ses oeuvres, et surtout n'a pas fait subir à ses vers, dont plusieurs même datent de sa jeunesse, l'intelligente révision que Marguerite a apportée aux siens. Ce que nous avions d'ailleurs à montrer ici, ce n'est pas le langage poétique qui fut assez souvent celui de Charles d'Orléans ; c'est celui qui pouvait toujours être le sien, puisqu'il l'a été bien des fois, non d'une manière accidentelle mais de celle qui était le plus conforme aux aptitudes vraies de ce noble esprit.
En s'en tenant ainsi aux meilleures productions de ce poète ; en rapprochant ces vers du plus grand nombre de
(1) V. le passage de son Dialogue, que nous reproduisons, quatrième partie, III.
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ceux du recueil de Clotilde et en voyant dans ces parties de l'oeuvre des deux auteurs un langage également pur, également simple et gracieux, on peut en conclure (1) que, à coté de différences profondes, ce qu'ils ont eu de commun, c'est ce que Villemain a constaté chez l'un d'eux, lorsqu'il a dit do Charles d'Orléans qu'on lui doit « le premier ou- « vrage où l'imagination soit correcte et naïve, où le style « offre une élégance prématurée. » (2) Et, en parlant ainsi, Villemain affaiblissait, sans y penser, l'argument principal présenté par lui contre les poésies de Clotilde. Si, en effet, les vers de Charles d'Orléans ont été d'une élégance prématurée, ceux de Marguerite ont pu l'être, ce que la critique a nié souvent, même par quelques-unes de ses voix qui semblaient les plus autorisées.
Une partie du rapprochement que nous venons de faire peut s'appliquer à la comparaison de l'oeuvre littéraire et du style de notre auteur avec ceux de François Villon. Villon, lui aussi poète de race, mais dont le talent ne ressembla pas plus à celui de Clotilde qu'à celui-de Charles d'Orléans, maniait certes déjà avec art, au milieu du XVe siècle, ce français d'alors que nos lettrés n'ont jugé apte qu'aux lourdeurs d'une langue grossière. Sa poésie est plus mouvementée que celle de Charles d'Orléans, mais elle n'est pas toujours aussi dégagée, et sa phrase prête davantage au reproche « d'agglutination » fait par certains critiques à la langue de cette époque. Ses chants, pleins de la verve gauloise et trop souvent aussi libertine qui apparaît maintes fois dans notre littérature, du XIIIe au XIXe siècle, sont surtout ceux de la plaisante satire.
(1) Dans cette partie, nous ne faisons que répondre aux vues erronées de la critique, contre l'auhenticité du fond des poésies de Marguerite de Surviile ; nous résenous, pour la partie suivante, la preuve générale de cette authenticité.
(2) Vitlemain. Tableau de la littérature au moyen-dye.
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Mais pourtant cet enfant de Paris qui, dix années, avait vécu parmi les vagabondset les truands, a parfois autant que Marguerite de tristes retours sur les amertumes de la vie. Il a tant connu la misère, tant même par sa faute ! Comment son rire n'aurait-il pas été quelquefois près des pleurs ? Ecoutez-le :
« Je plaings le temps de ma jeunesse Auquel j'ay, plus qu'autre, gallé (1), Jusque à l'entrée (2) de vieillesse,
« Car son partement m'a celé.
« Allé s'en est et je demeure
« Pauvre de sens est et de sçavoir,
« Triste, failly, plus noir que meure (3) ; « Je n'ay cens, rente ne avoir ;
« Des miens le moindre (je dy voir) »
« De me désabvouer s'avance,
« Oublians naturel devoir,
« Par faulte d'ung peu de chevance. (4)
« He Dieu ! se j'eusse estudié « Au temps de ma jeunesse folle,
« Et à bonnes meurs dédié,
« J'eusse maison et couche molle,
« Mais quoy ? Je fuyoye (5) l'escole, « Comme faict le mauvays enfant, « En escrivaut ceste paroi le,
« A peu que le cueur ne me fend. » (6)
Mais si Villon, dans des vers comme ceux-là et comme ceux de plusieurs de ses ballades, sait exprimer, lui aussi, un sentiment voisin de notre mélancolie moderne, il n'a point l'inspiration virgilienne où Clotilde a excellé et qui anime, par exemple, ces strophes de son Chant en l'esté :
(1) « Pris du bon temps. »
(2) «Entrée», trisyllabique.
(3) avait le son de Vu, dans ce mot et dans demeure.
(4) Héritage, fortune.
(5) « Fuyoye », trisyllabique. t
(6) François Villon. OEuvres. Le grand testament de F. Villon.
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« Entour de moy n'est rien qui ne sommeille,
« Et cy pourtant tout dore l'oeil du iour ;
« Jà Thestylis emplist quinte corbeille « Pour mestiviers qu'en ce brûlant seioui N'a destance la courrière vermeille. (I)
« Près leurs outilz reposent estendus ;
« Les fiert en vain le droit ardent solage (2).
De cy, de là, sur ces monts espandus, « Sont bergerost, soubz roses du bel aage,
« Dorinans seulets eramy troupeaulx tondus.
N'estoit ainsy, foyer de la nature, (3)
Que, sont deux, mois, caressoiz l'univers, Lorsque vainqueur de glaciale Arcture,
« Au fond du Nord enchaisnant les hyvers, Nos champs tout nuds rendoiz a flouriture.
« Lors ton esclat evigiloit nos sens ;
« Ores nos sens accable ta lumière ;
« Seches bosquets que rendis flourissans ;
« Et ton ardeur accusent languissans — Cueurs qu'avivaz de ta clarté première.
« Contre tes rays quierrent de vains abrys Hostes de l'air, de la terre et de l'onde ;
« Hors de son nid ne sort mesme l'hyronde ; Brouste couchiée au loing de ses cabrys « Cytise amer la bique vagabonde.
Ny frétiller voy-le muets poissons « A fleur d'estang, ne sautillantes raynes « S'esbanoyer en aygres unissons ;
« Ny s'exhaler les talpes soubterraines,
« Ny verds lezars fuir qu'entre vcrds buyssons. (4)
Envisagée dans son ensemble et dans la plupart de ses détails, la poésie de Villon n'a assurément ni cette netteté ni
(1) L'aurore.
(3) L'éclat du soleil.
(3) Soleil.
(4) Poésies de Marguerite de Surville. Chant d'amour en l'esté.
Nous citons cette page, telle qu'elle a paru dans le premier recueil
des poésies de Clotilde, et avec les quelques modifications légères qu'elle avait subies probablement.
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cette harmonie. Mais on ne doit point oublier que tout ce que nous avons de lui ne date malheureusement que de ses jeunes années. S'il eut, vingt ans après, revu et martelé ses huitains ; s'il eut alors su chanter autre chose que les folies de la jeunesse, et s'il eut coulé le jet de sa pensée dans le moule plus pur que les années et l'expérience de l'art pouvaient lui faire conquérir, quel rival redoutable en perfection relative de l'époque l'oeuvre de Clotilde aurait eu en lui !
Pour ce qui est de Charles d'Orléans, l'examen de ses poésies, comparées avec celles dont s'occupe ce livre, est peut-être encore plus significatif. Lorsqu'on a profondément étudié son oeuvre; lorsqu'on s'est demandé ce qu'auraient été sa langue et sa poésie, avec un tempérament esthétique plus ferme, avec un talent un peu supérieur au sien, avec plus d'attention à respecter toujours certaines règles qu'il a observées le plus souvent, avec une épuration plus sévère que celle qu'il avait faite de ses vers, enfin avec la facilité de revoir, en 1480 ou 1490, des pages composées quarante ou cinquante ans plus tôt ; lorsqu'on s'est adressé cette question, comme nous nous la sommes posée, on ne peut se faire, croyons-nous, qu'une réponse :
Cette langue et cette poésie auraient été celles que nous trouvons dans une partie des poésies de Clotilde, dans la partie ancienne dégagée des altérations qu'elle a subie. (1)
(1) Un autre témoignage, entre plusieurs, vient appuyer cette affirmation .
Coustelier et Lauriére, dans leur édition des oeuvres de Villon (a), ont donne, vers la tin du volume (b), avant la judicieuse lettre à^M. de., (par le P. du Cerceau qui, on le voit, n'avait pas pu connaître les poésies de Charles d'Orléans), deux ballades, du genre malheureusement trop libre de l'epoque, ballades qui, disent-ils, « sont ti3rées d'un manuscrit du commencement du XVIe siècle b, c'est-a-dire d'un temps très-rapproche de celui où Marguerite de Surville avait pu donner à ses oeuvres leur forme dernière.
Du commencement à la fin, ces deux pièces de vers ont non seulement l'alternance régulière des rimes mais aussi le développement de la période et le moulé du style, que nos critiques n'ont pas encore pu admettre dans des poésies antbentiqi.es de Clotilde. (a) Paris, MDCCXXIII.
Seconde partie, pages 63 et 65.
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XXII
Ce nue vaut l'argument négatif tiré de la perfection des poésies attribuées à Marguerite de Surville.
On voit maintenant la valeur de l'opinion qui trouve un argument décisif contre les poésies de notre auteur, dans le degré de perfection que ces oeuvres ont atteint On peut apprécier la portée de ce jugement, après les fragments que nous avons cités du siècle même où a vécu Marguerite. Ces fragments ont un mérite littéraire quelquefois supérieur, d'autres fois égal et, dans les autres cas, de très-peu inférieur â celui que les oeuvres de Clotilde ont eu probablement, avant les améliorations qu'elles ont subies.
Cette opinion d'où est-elle venue ? Nous l'avons déjà dit, en partie au moins. Nous avons signalé (1) certaines vues historiques et littéraires sous l'impression desquelles on s'est inscrit en faux contre la possibilité de la perfection relative de ces poésies au XV° siècle ; et l'erreur de ces vues suffirait seule pour infirmer la conséquence qu'on en a déduite, par rapport à notre sujet.
Mais il est une autre considération que nos critiques auraient dû faire et dont L'omission a contribué à rendre plausible leur manière de voir. Cette considération est celle de la supériorité que, du XIIIe au XVIIe siècle, nos plus éminents poètes de chaque époque ont eue, au point de vue de la langue, sur Les prosateurs de leur temps. Il y a là comme une loi constante, qu'explique la prédominance du sens esthétique chez le poète, dans des siècles où, pour s'exprimer, l'art littéraire choisissait de préférence la forme versifiée.
La supériorité que nous remarquons est attestée par des documents certains. Elle est indubitable au XIIIe siècle. On
(I) V. supr., troisième partie, xx.
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connaît le style de Joinville, l'illustre biographe de ce temps ; on sait qu'à côté de qualités éminentes de naïveté et de naturel, son style n'a point cependant cette phrase alerte et bien moulée, la seule qui soit entièrement frappée au coin de l'art. De ce fait tel de nos lettrés ne manquerait pas de conclure qu'à cette époque la phrase dégagée était impossible en français.
Des documents prouvent pourtant que, même alors, elle n'était pas impossible. Avant Joinville, en effet, voici Rutebeuf, un vrai poste où le sentiment de l'art a rendu maintes fois nette et précise, cette phrase embarrassée chez tous les auteurs qu'il eut pour contemporains.
Voyez donc, elles ne manquent pas de sveltesse, — ni même de l'alternance des rimes, — des strophes comme celle-ci :
« En nomd ou haut Roi glorieux.
« Qui de sa fille fist sa Meire (1),
« Qui, par son sanc esprécieux,
« Nos osta de la mort ameire,
Sui de moi croizier curieux
« Por venir à la joye (2) cleue ;
« Car qui à s'ame est oblieux,
« Hien est raisons qu'il ie eompeire. (3) »
Au XIVe siècle, on constate le même fait chez tous nos écrivains, à l'exception du seul Froisssart, parce qu'il se préoccupa de mettre la forme artistique dans sa prose peut-être plus que dans ses vers.
Au XV° siècle, il en est de même : la comparaison que l'on peut établir entre des vers comme ceux que nous avons reproduits de Charles d'Orléans ou de Villon et des mor-
(1) Que l'on remplace par e, et qui alors se prononçait de même ; et l'on a là non seulement à peu près les mots mais l'euphonie rhythmique de notre temps.
(2) « Joye », disyllabique.
(3) Rutebeuf. La decsputizons don croisié et don descroizié.
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ceaux en prose de n'importe quel auteur d'alors, en est une preuve convaincante.
Au XVIe siècle, la même observation peut être faite encore. Contentons-nous d'en donner un exemple. Un critique que nous venons de rencontrer dans ce débat, M. J. Baissac a remarqué que, dans la seconde moitié du XVIe siècle, le style d'Arayot, quelques qualités qu'il ait d'ailleurs, ne présente point une forme pleinement dégagée. Cette réflexion est juste ; mais veut-on voir comment un poète, entre plusieurs autres, écrivait en français dans le même temps? Qu'on lise ces vers qui datent environ de 1576 :
« O pasteurs trop ingrats bientôt j'espère voir « Que vous reconnoilrez quel es toit mon devoir ;
« Car vous ne prendrez plus, comme vous soûliez faire, De vostre grain semé la moisson usuraire. Vos terres produiront, au temps de vos moissons, t Au lieu d'un jaune épi, des épineux buissons.
« Les ruisseaux n'espandront leurs eaux sur vos prairies ; « Au plus fort de l'Iiyver vos eaux seront taries ;
« Vous verrez devant vous vostre bestail mourir,
« Sans scayoir de quel mal ny comment le guérir.
« Jamais vous ne verrez la vigne tortueuse « Plier dessoubs le faix de sa charge vineuse (l) ; « Et alors que vos champs plus labourés seront,
« Plus ingrats envers vous VOS champs se montreront. » (2)
Ces vers ont-ils assez de désinvolture ? La forme y est-elle a*sez « dégagée » ? Avec quelques très-légers change-
(1) Par les mots que nous soulignons dans ce fragment, on peut apprécier l'exactitude de L'opinion emise par des critiques tels que M. J. Baissac, nous disant que la fréquence des adjectifs « et la richesse des épithetes » datent, dans noire poesie, du XVIIe siècle, (a)
(2) Pierre de Drach. Dialogue.
En lisant ces vers, on est stupéfait de voir affirmer, comme on l'a lait, que c'est seulement au xvne siècle que le français est arrivé aux formes développées » (b) de l'analyse et de la pbrase périodique.
Nous pourrions citer des yers de Ronsard ou de J. du Bellay, antérieurs à ceux-là et aussi nettement burinés.
(а) Marguerite Chalis, pages 113, 115
(б) M. ?
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ments, ne croirait-on pas lire plutôt du Barthélémy et du Méry ?
Eh bien ! c'est en vertu de cette loi de notre développement littéraire, que Marguerite de Surville a pu, au XVe siècle, approcher dans son oeuvre d'une perfection de langage dont sont restés loin la plupart desécrivains de son temps.
C'est aussi en vertu de cette loi que des poètes mentionnés par Clotilde et éconduits savamment par la critique, — Marie de France, Barbe de Verrue, Justine de Lév,is, Louis de Puytendre, — ont pu, comme l'avait fait en son temps tel ou tel auteur fort authentique, être bien supérieurs par leur langage à un grand nombre de leurs contemporains, même à tous ceux que l'on connaît d'une manière indubitable. Et même, en voyant à quel degré Rutebeuf avait élevé déjà notre langue poétique en 1260, nous ne serions surpris que d'une chose : c'est qu'après lui cette langue n'eut pas été plus en avant que ne le montrent les versificateurs connus qui lui ont succédé (1) ; c'est qu'entre lui et Eustache Deschamps il y eut eu presque cette lacune d'un siècle d'une poésie si peu en progrès.
Pour nous donc, ces considérations suffisent, et peut-être aussi suffiront-elles à maint de nos lecteurs : Marguerite poète et poète de génie,— si elle le fut, comme tout concourt à l'établir, — a pu atteindre le degré de perfection littéraire qu'on lui dénie. Mais cependant cela n'allait pas seul. Pour arriver là, il fallait être nourri et de nos grands trouvères et de Virgile et d'Ovide et de Dante ; il fallait l'effort, il fallait le souffle, il fallait l'âme.
Marguerite l'a pu ; elle a pu créer sa langue poétique et l'on prouvera qu'elle l'a fait. Mais il est téméraire de s'élever ainsi plus haut que ce que les idées reçues admettront. Marguerite a dépassé ce niveau. Elle ne l'a pas fait impunément : pour châtiment, ou lui a jeté l'oubli.
(1) Froissart, en effet, écrivain si distingué d'ailleurs et chroniqueur hors ligne, n'a pas été vraiment poète, quoiqu'il ait écrit beaucoup de vers.
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XXIII
Quel rôle devait prendre la critique.
La critique avait ici une tâche â remplir. Elle se trouvait en face d'un recueil (1 ) homogène dans son fond, et d'un ensemble d'oeuvres (2) mêlées dans des circonstances aussi étranges que diverses.
Étienne de Surville avait réuni, dans ces oeuvres, l'ancien et le moderne. Charles Nodier et de Roujoux, en éditant sur les manuscrits d'Étienne, de prétendues poésies de Clotilde, avaient manqué complètement de critique ; avec une légèreté inconcevable, ils avaient publié, comme datant du temps de Charles vn, des pages d'une composition récente, où il n'y avait à apporter que les plus légers changements de mots et d'orthographe, pour apercevoir là des vers écrits dans le siècle dernier.
Vanderbourg lui-même, généralement si judicicieux et toujours si honnête dans la publication qu'il avait donnée à ce sujet, s'était abusé cependant, en acceptant,, dans son recueil, des morceaux considérablement modifiés ou tout-à-fait modernes. Il avait eu le tort de ne pas mettre davantage le lecteur en garde contre les altérations qu'avaient subies d'autres pièces qu'il publiait, et de ne pas signaler avec plus de précision ces parties interpolées ou remaniées.
La critique avait là à éclaircir deux points qui sont encore obscurs. Elle avait à découvrir d'une manière certaine quel était le poète, d'un talent supérieur à celui d'Étienne de Surville, qui, peut-être au XVIIe siècle, avait apporté des retouches profondes aux Verselets, aux Chants .
(1) Les premières poésies de Clotilde.
(2) Les deux recueils de poésies réunis.
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d'amour et au Chant royal ; qui avait ajouté à l'Hèroïde à Bêrenger, à l'Epitre à Marguerite d'Ecosse et à quelques autres fragments de cette oeuvre. Elle avait à s'enquérir de l'auteur moderne qui avait écrit, en vers non vulgaires, probablement sur quelques morceaux anciens, et le neuvième chant de la Phelyppèïde et le quatrième chant du poème de la Nature et de l'Univers et la ballade à mon époux du premier recueil et les ballades et rondeaux parus dans le volume des poésies inédites de Clotitde ; elle devait chercher à connaître ce littérateur (1), très-différent à la fois d'Étienne de Surville et du poète qui a composé l'Epitre à Rocca et le Dialogue entre Apollon et Clotilde.
La critique pouvait même être peu indulgente pour le compilateur de ces oeuvres. Elle pouvait qualifier vertement ses étranges récits « biographiques », l'échafaudage à moitié vrai, à moitié légendaire, élevé dans ses vies de femmes poêles, si pourtant elle ne croyait pas devoir attribuer, comme il nous parait plus sûr de le faire, l'origine de ces fictions à un écrivain antérieur à Étienne de Surville. Elle pouvait voir certaines tendances au rôle de semi-mystificateur dans ces morceaux prétendus historiques où Etienne n'avait montré que le talent d'un vulgaire romancier de son siècle.
Il y avait ainsi à faire, à cet égard, oeuvre d'impartialité. Il y avait, de plus, à ramener la question à ses termes exacts et ce recueil de poésies à ses proportions vraies. Dans tout cela, il y avait à chercher, à contrôler, à vérifier.
C'était donc un champ vaste pour une critique douée à la fois du sens poétique et de l'esprit philosophique, sachant
(I) Cet écrivain n'est peint Brazais dont la poésie a un autre caractère et qui a apporté dans ce recueil non des pièces entières mais seulement des modifications partielles. Aucun de ces morceaux d'ailleurs ne peut être d'Étienne de Surville ; il n'y a là de lui que des retouches de détail et que le maladroit envieillissement de ces pages modernes.
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unir à ses doutes légitimés l'interprétation intelligente et la pénétration d'une oeuvré d'art. Par ses travaux ainsi dirigés, elle pouvait servir en même temps les lettres et ces poésies, en indiquant ce qu'il fallait admettre et ce qu'il fallait rejeter.
Mais, pour plusieurs, était-ce suffisant de pouvoir donner cours, dans une anssi large mesure, à leur tendance aux négations Ce qu'il fallait à leur « sagacité », à leur amour des controverses sans fin, n'était-ce pas plutôt faire table rase, recourir au procédé radical avec lequel on éternise les débats sociaux ou littéraires ?
Nos lecteurs ont jugé ce procédé. Il peut convenir à la précipitation du jugement, au caprice, à la fantaisie. Il n'est ni celui de la juste critique ni celui de la haute raison.
XXTV
Qui l'a dit ? Ce sont les savants de Paris.
Dans le fond, le poritique de la science ; à droite, un bois sacré, m choeur s'avance ; on entend un concert.
LE CHOEUR
Clotilde de Surville, quel mythe ! non, cette femme n'a point existé, ni Bérenger non pins.
UNE VOIX.
Ni Étienne de Surville, non plus : c'est Vanderbourg qoi l'a invente.
LE CHOEUR.
Bérenger, Clotilde, Jean leur prétendu fils, Jeanne de Vallon, être fictifs, personnages étranges. La science n'en a pas été dupe; elle sait à qui on les doit.
PLUSIEURS VOIX.
Oui ; à Étienne de Surville.
PLUSIEURS voix.
Non ! mais à Vanderbourg.
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QUELQUES VOIX.
Non ! pas plus à Vanderbourg qu'à Etienne ! A Jeanne de Vallon.
AUTRES VOIX.
Non ! pas plus à Jeanne de Vallon qu'à ceux-là, mais à un féodiste,
QUELQUES VOIX.
Ni aux uns ni aux autres, mais à un Surville inconnu.
ENSEMBLE.
On ne s'entend plus ici. C'est égal. Au nom de la science, nous le déclarons : on a inventé Clotilde.
LE CHOEUR.
Tout ici vient à l'appui de la science. Aucun document n'a parlé de cette femme et de son fantastique époux ; rien ne prouve leur réalité.
PLUSIEURS voix
Nul écrit sérieux n'a nommé tous ces êtres mythiques, soit les Vallon soit les Chalis.
QUELQUES VOIX.
Nulle tradition ne se rapporte à eux.
LE CHOEUR.
La science dissipe l'erreur et fait Justiee du mensonge. Sur les fables et les légendes la critique verse sa lumière ; elle parait et les ombres s'en vont
à ces mots, éclatent de chaleureux bravos. Les spectateurs, les Prudhomme de province s'écrient, dans l'ivresse de l'admiration : Vivent la critique et la science ! Vivent les savants de Paris !
Le choeur s'est éloigné. Il revient.
une voix.
Toujours quelque chose d'inattendu. Il y a eu des Chalis, parait-il. et même des Vallon, dans le pays que l'on dit être celui dé Clotilde.
PLUSIEURS voix.
Est-ce possible ?
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UNE AUTRE VOIX.
C'est avéré.
QUELQUES VOIX.
Clotilde même a existé, dit-on ; pourtant, nous ne l'admettons guère. Mais, qu'elle ait ou non existé dans la nuit du moyen-âge, les muses ont ignoré son nom ; elle est étrangère a nos gloires nationales.
LE CHOEUR.
La science est gardienne du dépôt des gloires de la patrie. Elle veille sur elles. Elle les a comptées exactement dans le présent et dans le passé.
QUELQUES VOIX.
A ce compta on n'ajoute rien.
PLUSIEURS voix.
Clotilde a existé, c'est certain : nous ne pouvons plus le nier. Elle a même écrit, semble-t -il, des poésies languedociennes.
QUELQUES VOIX ?
Oui ; mais des vers français, jamais.
AUTRES VOIX.
Dans le Vivarais de Clotilde, personne ne connut le français ; ailleurs, dans ce temps, on le parlait à peine.
UNE VOIX.
Clotilde pourtant sut l'écrire, dit-on.
PLUSIEURS voix.
Qui donc sut écrire en français dans un siècle barbare ? UNE voix.
Clotilde aurait-elle suppléé par son génie à l'inexpérience de son temps ?
QUELQUES VOIX.
Le génie, nous pouvons le lui contester.
AUTRES VOIX.
Non, il n'y a pas du génie dans Clotilde ; il n'y a qu'une imposture.
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QUELQUES VOIX.
Il n'y a qu'on raccroc littéraire.
PLUSIEURS voix.
Il n'y a qu'un embarras pour la science et pour les lettres.
ENSEMBLE.
Et puis quel est le génie qui supplée à la notoire incapacité d'un siècle ?
DEUX voix.
Laissons les préjugés frivoles contre cette femme si discutée. Elle a su prouver son génie, et il y a des documents qui la nomment.
UNE voix.
Et des traditions qui en parlent aussi.
LE CHOEUR.
Illusion ou mensonge. La cause est jugée par la science. Sainte-Beuve a parlé : on ne dément pas Sainte-Beuve.
Les applaudissements redoublent, accompagnant le choeur qui s'éloigne. Alors, dans le fond de la galerie, s'établit le dialogue suivant :
— Qui sait si Clotilde ne fut point poète ?
— Poète ! Elle ? Jamais.
— Croyez-vous que ce soit certain ?
— Vous n'avez donc pas entendu ? C'est certain ; c'est prouvé. On la dit.
— Qui l'a dit y
— Ce sont les savants de Paris.
— Connaissent-ils bien les renseignements du pays dont ils parlent ?
— Ils connaissent tout.
— C'est différent. Mais comment alors se fait-ilque d'autres ailleurs parlent autrement qu'eux ?
— D'autres ? Des ignorants, vous voulez dire. Ils feraient beaucoup mieux de se taire. Oser contredire la science ! On en sait plus qu'eux à Paris.
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XXV
Conclusion de cette troisième partie.
Dans l'examen que nous venons de faire, nous avons pu prendre sur le vif les moeurs de la critique contemporaine, de celle que nous sommes obligé d'appeler la critique d'expédient.
Nous avons vu les ressources d'esprits ingénieux délicatement employées à se raidir contre les données du bon sens ; parfois même nous avons rencontré tel jugement, tel procédé intellectuel assez éloignés de la hauteur des vues et voisins de l'ergoterie byzantine. -
Nous avons constaté qu'aucune des objections que l'on a fait surgir n'a tant soit peu de solidités que même celles qu'ont élevées deux de nos célèbres académiciens sont si peu fondées qu'on serait tenté de se dire que l'un a eu son article à faire et que l'autre a eu à faire sa leçon.
Ce qui ressort de cette étude, c'est que, dans ce sujet comme en d'autres, la critique dont nous parlons a laissé la réalité pour courir après des chimères, et que des allégations aussi futiles que les siennes devraient être décréditées désormais.
Lorsque l'on a pu soutenir les opinions les plus contradictoires et qu'on s'est abusé au point d'attribuer magistralement les poésies de Clotilde à Étienne de Surville et à Vanderbourg, quand il est avéré que ni l'un ni l'autre n'en a été ni pu être l'auteur ; lorsqu'on est arrivé à découvrir qu'un littérateur n'a su composer que des pauvretés comme écrivain sincère et que des chefs-d'oeuvre comme pasticheur ; lorsque de pareilles méprises, — pour ne pas dire de semblables ènormités, — ont été le fait non d'un jeu d'esprit mais de la réflexion, non de la fantaisie mais de la « science », non des inconnus et des subalternes mais des illustres
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et des maîtres, on a dès lors grandement compromis l'autorité d'une critique prouvant ainsi sa frivolité.
Pour nous, quand nous voyons des écrivains amenés, malgré leur talent, à de tels résultats, et cela non d'une manière accidentelle mais par leurs tendances principales et par leurs procédés favoris ces tendances, ces procédés sont jugés, et tout nous porte à croire que la cause défendue ainsi est mauvaise.
La critique d'expédient a eu des qualités secondaires, même en bon nombre ; mais des plus importantes lui ont fait défaut. Elle a eu souvent les habiletés de l'artifice littéraire et souvent aussi les séductions de l'art. Mais cela ne suffisait point : il fallait quelque chose de mieux. Ce qui lui a manqué, c'est l'élément supérieur; c'est ce qui, plus que tout, élève la pensée et vivifie l'âme.
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QUATRIÈME PARTIE
PREUVES DE L'AUTHENTICITÉ DES POÉSIES DE MARGUERITE DE SURVILLE
I
Argumentation générale qui prouve l'authenticité du fond de ces poésies. Hypothèse sur laquelle cette argumentation repose. Trois faits principaux dont cette hypothèse doit rendre compte
Les arguments que l'on a opposés à l'authenticité de l'oeuvre qui nous occupe ne sont pas concluants, ainsi que nous pensons l'avoir montré. Les preuves qui militent en faveur de cette authenticité nous paraissent, au contraire, des plus certaines.
Les témoignages extérieurs ont établi (1) la réalité historique de Marguerite de Surville. Comment établirons-nous maintenant, en l'absence des manuscrits originaux, qu'un lien non moins réel unit la personnalité de Marguerite aux poésies dont on l'a déclarée l'auteur ? Ce lien, nous l'établirons en prouvant qu'il ne peut pas être sérieusement nié.
(1) V. supi., première et seconde parties.
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Pour démontrer l'authenticité de ces oeuvres, il ne faut pas se contenter de quelques arguments partiels. Avec ce procédé, celui qu'on a suivi jusqu'ici, on ne fixe rien avec certitude, comme on l'a vu par une expérience de soixanteet-dix ans L'esprit du lecteur qu'on veut convaincre ne sait, d'une manière précise, à quoi il doit se tenir principalement : il n'a pas la maîtresse pièce de ce qui peut former sa conviction.
Dira-t-il que le terrain sur lequel on le pose, tantôt ici et tantôt là, soit également ferme ? Il pourrait peut-être dire plutôt qu'ici ou là ce sol est également mouvant.
Et alors même que ce lecteur sans préjugé soit près de s'arrêter à une certitude affirmative, il peut sentir chanceler sa conviction, devant des objections de détail neutralisant le témoignage des faits de détail dans lesquels consistaient les preuves qu'on lui avait données.
Tous les faits que l'on présente à l'appui de l'authenticité de ces oeuvres sont insuffisants, s'ils ne font point partie d'une argumentation rigoureuse et complète. Ils ont leur valeur comme réponseaux objections et comme présomptions favorables, mais ils n'en ont aucune au-delà.
Pour résoudre une question de ce genre, il faut émettre une hypothèse qui puisse rendre compte de tous les faits constitutifs du problème et qui soit ainsi vérifiée par ces faits.
Or, la seule hypothèse qui rende raison de tous les faits qu'il s'agit d'expliquer, à l'occasion de l'oevre poétique attribuée à Marguerite-Clotilde de Surville, c'est celle de l'authenticité d'un certain nombre de ces poésies et de leur modification ultérieure.
Donc, cette hypothèse est la vraie.
Telle est l'argumentation générale qui résout péremptoirement la question, et telle est celle que nous allons établir.
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Et d'abord précisons les faits dont une hypothèse doit ici rendre compte pour mériter d'être déclarée vraie.
Les faits principaux, résumant tous les autres, que l'on constate dans cette oeuvre controversée, telle qu'elle se présente à nous, sont les suivants :
Ces poésies contiennent des parties modernes, distinguées par leurs caractères propres ;
Elles renferment des parties plus anciennes et sut generis, ayant des caractères historiques, moraux et esthétiques révélant telle époque ;
Ces parties plus anciennes, prises dans ce qui les constitue fondamentalement, sont une oeuvre de génie et dès lors une oeuvre sincère.
Reprenons cet examen et voyons si ces faits sont réellement ceux qu'une juste hypothèse doit expliquer.
Il
Premier fait : ces poésies contiennent des parties modernes.
Il y a dans ces poésies des parties qui n'ont aucun caractère d'ancienneté. Ceux qui seraient tentés d'en douter, ce ne sont pas au moins nos critiques qui proclament si haut que tout est moderne dans ces oeuvres.
Prenons d'abord le Chant royal à Charles VIII. On ne peut qu'assigner une date récente à ces vers que nous donnons tels qu'on les a écrits, avant qu'ils n'aient subi un travestissement puéril :
« Qui fait enfler ton cours, fleuve bruyant du Rhôqe ? Pourquoi roulent si flers tes flots tumultueux ? « Que la nymphe de Seine, au port majestueux,
« De ses bras argentins aille entourant le Irène,
« Tu lui fais envier tes bonds impétueux.
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< Les flenveS) tes égaux, coulent en assurance
Parmi des champs fleuris, des plaines et des bois ;
• Toi qu'un gouffre profond absorbe à ta naissance, Mille obstacles divers combattent ta puissance :
i Tu triomphes de tous. Te], vengeur de ses droits, i Charles brave l'Europe et fait dire à la France : « Rien n'est tel qu'un héros sous la pourpre des rois. »
Il y a là exclusivement les tournures du langage français de notre époque ; il y a là, d'un bout à l'autre, des nuances d'expression qui, pour n'être pas plus analytiques que celles d'autrefois, n'en sont pas moins tout-à-fait modernes.
Elles datent aussi du xvm° siècle, des tirades comme celles-ci, interpolées dans l'Héroïde à Bércmger, et que nous reproduisons telles qu'elles ont été composées :
« Je te le dis, ami, déjà j'entrevois l'heure Où, triomphant de si noirs attentats, Charles de ses ayeux va purger la demeure
« Et délivrer ses coupables États.
L'Éternel, d'un regard, brise enfin mille obstacles ;
Des cieux ouverts il veille sur nos lys.
Eût-il au monde entier refusé des miracles,
« Il en devrait au trône de Clovis ;
Puisse l'auguste paix du sien ici deseendre !
« Ah ! s'il rompait ton funeste sommeil,
« En te voyant marcher sur des amas de cendre,
« Peuple égaré quel sera ton réveil ? « Il n'entend rien, se plaît h s'abreuver de larmes,
« Attise en lui tous les feux dévorants, « Ne vaudrait-il pas mieux la paix que tant d'alarmes, Et roi si preux que cent lâches tyrans ?
Là, encore, le tour de la phrase et ! l'un des expressions caractéristiques, telles que l'Eternel, tauguste paix, etc., décèlent, au premier coup d'oeil, un versificateur du dernier siècle. Étienne de Surville n'a eu, après cela, qu'à passer sur ces vers un badigeon aussi insignifiant que « la pre¬
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mière couche » avec laquelle Sainte-Beuve nous a donné, dans sa Natalie, un petit modèle d'envieillissement. (1)
Certes, si Villemain, à qui ces vers étaient justement suspects, se fût bo né à affirmer la composition récente de semblables morceaux, sa critique eut été irréprochable, et ce n'est pas nous qui aurions hésité à le reconnaître.
Elle n'est pas moins moderne, la pièce que l'on a intitulée Ballade à mon époux et qui commence ainsi :
« AUX premiers jours du printemps de mon Age, Me pavanois sans crainte et sans désir ;
Roses et lys naissaient sur mon visage ; Tous d'admirer et nul de les cueillir...
Phrase, sentiments et situation ne révèlent là guère autre chose qu'une composition du XVIIIe siècle.
Le quatrième chant du poème de la Nature et de l'Univers est écrit aussi en entier dans notre style contemporain. On ne peut pas hésiter un instant devant des vers tels que ceux-ci :
Sur ce trône, Orient de la clarté première,
Qu'inonde, avant le temps, une mer de lumière,
« L'Éternel, è nos yeux dévoilé par la foi,
« Planoit avec sa gloire et reposoit en soi ;
« Quand, fidèle au décret de sa toute puissance,
• Il dit, et du néant soudain tout prit naissance ;
« L'espace, où surnagoient tant de germes divers, s Sentit au sein des nuits éclore l'univers. •
(1) Le chant royal à Charles VIII, l'Héroide à Bérenger, ajoutons-y les Verselets non moins modernisés, voilà cependant les morceaux de ce recueil que de graves critiques se sont plu à mettre en paraltèle et en contraste avec des pièces de Charles d'Orleins ou d'Alain Cbartler, ponrse con vaincre sérieusement de la non authenticité Besoeu-vresde ClotUde\ SI. Vaultier, (a) cité élogieusement par Sainte-Beuve et qui n'a pas apporte, plus que d'autres, une idée nouvelle dans le débat, propose, pour résoudre la question, de comparer l'Héroide à Bérenger, plus qu'à moitié moderne, au livre des Quatre Dames d'Alain Chsrtier t Voilà comment des esprits des moins légers, parmi les négateurs qui ont traité cette question, l'ont approfondie jusqu'ici. C'est à peine à y croire.
(a) F. Vaultier. D*lapo:sie lynque en France. Mémoires de l'Académie de Caen, année 1840
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Le neuvième chant de la Phélyppéïde est également une oeuvre récente, bien qu'elle paraisse, en maints endroits, avoir été le remaniement d'un travail antérieur.
Les rondeaux et les autres pièces, une au plus exceptée, qui forment avec ces deux derniers fragments, le recueil des poésies prétendues inédites de Clotilde, ne sont aussi que des fragments du siècle dernier, sans que l'on puisse sérieusement se méprendre à leur égard,
III
Deuxième fait : ces poésies renferment des morceaux antérieurs au dix-septième siècle et qui sont une oeuvre sui generis
Examinons, pour juger de ce fait, deux ou trois pièces, entre autres, dans ces oeuvres. Lisons d'abord ce rondel sur Alain Chartier, « touchant les Nuits attiques (1) qu'a traduict,livre, dit-on, au gré de tout le monde : »
Le monde est sot qu'admire ung sot ouvrage,
« Tel soit l'auteur (2) : à redire me duit i Ce qu'en ay dit, et n'êst-ce grand courage ;
Qui soit qui non (3) tel fatras a traduit, Est-il de nef a l'abry du naufrage ?
Bien n'ay-je veu jour que par ung perluys,
«Fidèle au vray, ne vend le mien suffrage « A ses despens, et me targue des bruits
« Du monde.
« Ils n'ont qu'un teins ; mais les oeuvres produits Par la raison survivent è leur aage. « Donc, sur mon chief dust esclater l'orage, « De maistre Alain tiens le receuil des Nuits « Pour le plus sec que fut oncques d'ennuys. « Au monde. » (4)
(1) les nuits Attiques d'Aulu-Gelle.
(2) Quel qu'en soit l'auteur.
(3) Qui que ce Boit ou ne soit pas qui...
(4) Poésies de Marguerite de Surville, mndels.
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Ce rondeau ne témoigne d'aucun effort ; il n'a point l'apprêt, plus ou moins déguisé, inhérent à une contrefaçon littéraire. Les formes de langage y rappellent une époque antérieure au XVIIe siècle, celle de Charles d'Orléans, celle qui plus qu'aucune autre-avait vu fleurir le rondel. Sur un tel sujet, on n'eut pas écrit ainsi, sans fard et sans recherche, au temps de Malherbe ou au temps de Voltaire ; oh ne trouve là, sous aucun rapport, le genre de ces différentes époques.
Cette pièce de vers a, de plus, l'accent d'une parfaite sincérité; elle est tout-à-fait dans le rôle d'un auteur de talent, contemporain d'Alain Chartier et trouvant que la renommée dont jouissait alors cet écrivain était par trop exagérée.
Lisons cet autre rondel à maîstre Alain, de sienne « flour de belle rhétorique (1) où laysse oïr (2) que n'ay « mie air de cour. >
■ L'air de la cour, vous le dirai-ie, enteste,
Chier maistre Alain ; c'est ung dogme receu
Despuys le jour que vous cuidez poèste
En cheveux gris et qu'on s'est apperceu
« Qui d'Helicon proieltiez la conquesle.
< Ainz, comme offriez vos oeuvres pour requeste
Au blond Phoebus, devinez voir ung peu
Ce qu'y trouva, quant en eust faict l'enqueale ? « De l'air.
S'en esbayoit ; A bien rire estoit preste
Toute sa cour, quant moult fort entendeu
Phesycien, lors présent à la feste,
Dict : N'en gabez (3) ; ung iour de lune indeu,
Par fâcheux cas, il s'endormit nud-teste « A l'air. (4) »
(1) La fleur de belle rhétorique, d'Alain Chartier.
(2) L'auteur de ce rondeau a pu voir cela dans telle page où Alain Chartier a voulu peut-être s'exprimer d'une manière moins personnelle.
(3) « Ne vous en moquez pas. »
(4) Poésies de Marguerite de Surville. Rondels,
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Il n'y a rien de remarquable dans ces vers au point de vue la pensée ; mais quelle vérité dans le tableau ! quel naturel et quelle justesse dans les traits ! N'y a-t-il pas là tous les caractères indicateurs d'une époque, signalés dans le rondeau précédent ?
Prenons enfin ces pages, d'un genre tout différent, tirées du Dialogue entre Apollon et Clotilde, oeuvre que la critique négative n'aborde guère et non sans motif :
CLOTILDE.
< Quoy I seraient là tous ceulx que dois-ie eslire ?
« Plus n'en est-il qu'a conduicts vostre main ? « Et ne parlez, le croy, de maisire Alain « Qu'est tant testé ?
APOLLON.
« C'est que n'en peux que dire.
CLOTILDE .
« Avez tout dit ? m'esbahyssez vrayment.
« Cuydoye Alain estre tout, rien les autres ; Chascun luy dit, et le croit tellement « Qu'adiouste ez fin des siennes (1) patenostres :
Loz au facteur (2) qui m'a gratiffié « De l'esperit qu'au monde a desnié.
« Me doubtoy fort que sa visière trouble,
« Emprez qu'a faiet livres ne scay combien, « Se l'y veyoit, veyoit moultes foys double, Tant n'escripra qui veult escripre bien.
« Guerrier vaillant, ainz gallant ridicule,
> Quant pour jupette eust quitté ses bouzeaulx (3),
« Pour trop baster, (4) l'infatigable Hercule Rompoit, dit-on, quenouilles et fuseaulx.
(1) La critique, qui a tout contesté, s'est inscrit contra l'emploi de ce pronom, comme usité plus tard seulement.
Déjà, pourtant au XIIIe siècle, Rutebeuf écrivait : « Manja la moitié d'un sien pain. » (a)
(2) « Louange au Créateur.
(3) Hauts-de-chausse.
(4) Voilà une inversion, de celles que l'on n'eut pas faites sans gaucherie au XVIIe ou au XVIIe siècle.
(a) Rutebeuf. La vie de Sainte Marie lEgypcienne.
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Moult est sçavant (i) ; le croy ; ne m'en chault guère
« Quant oy ses vers, se ne m'en duit te son.
Puys, qu'est besoing, pour faire une chanson,
« De s'abreuver a la cruche d'Homère ?
« Que dis-ie ? hélas 1 que n'a-t-il ce penser ? (2)
« Moitié que sçait onblieroit tout à l'heure ;
« Car que luy siert poussière ensemencer,
« Au fond du sac si le bon grain demeure ?
APOLLON.
« Voilà le mot. Ainçois ne puis celer « Que nul d'iceulx que deigne demesler, Faulte à puyser en ces te source pure,
« N'ira luctant contre la nuit obscure « Qu'autant fauldra pour n'estre aneanty ;
« Non que plus d'ung ne fust très bien nanly « De bons appoys, pour aux siècles postères « Laysser renom ; mais, sans guides sevères,
« Qui ne trebuche en perfides semptiers « Ou chasque flour cele nouveaulx dangiers ? « Se rebutoient. A ma voix infidèles, « Tornoient le dos a d'anticques modèles ; « Et, desperant d'actaindre aux beaux escriptz,
« Tous ont finé par n'en sentir le prix.
« De là sont nés tant d'estres amphebies, « De cerveaulx creux infécondes lobies.
« Stérile champ, de ronces bigarré :
« Vices, vertus, tout s'en est emparé.
« Là sont escloz ces abstrus personnages Qu'ez froids rommaus vont emplissant les pages, « Geans, sorciers, gloutons, ogres, lutins ;
« Tels sont les motz qu'on oppose aux Destins, « A la Gorgone, aux Parques, aux Furies.
« Cent povres noms d'insipides fayeries « Chassent les dieulx de l'Olympe escroulè ; Voire desia s'ect maint aage escoulé « Despuys qu'ay veu la stupide ignorance, « Par mille affronls, bannir Muses de France « Qui toutes foys (n'en veulx dire autre mal) « Oncques des miens na fust pays natal.
(1) « (Alain) est fort savant. »
(I) Vers interpolé, comme quelques fautres et diverses expressions de ce morceau.
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CLOTILDE.
Qu'est-ce qu'entends ? Donc n'estoy si fallotte « Quand proscrivy ces atours maigrelets,
« Et qu'au despriz de la tourbe ostrogot te Des revenans, démons et farfadets, Dressay mon vol aux monts de Thessalie, « Bords de Lesbos et plaines d'Italie.
« Là, vous congneuz, Homère, Anacreon,
« Cygne en Tibur, doulx amant de Corinne t « Là, m'enseigna les secrets de Cyprinne
« Ceste Sapho qui brusla pour Phaon.
« Dez ce moment, m'escriay dans fyvresse :
« Suis toute à vous, dieulx charmans de la Grèce t « O du génie invincibles appuys,
« Bandeaulx heureux de l'Amour et des Nuys, « Chars de Vénus, de Phoebe, de l'Aurore, Aisles du tems et des tyrans des airs,
« Trident sacré qui soulèves les mers,
« Rien plus que vous mon délire n'implore ! » APOLLON.
« Ten peux servir, ainz n'en fault abuser ; « En tout propos n'est permys d'en user.
« Garde surtout d'y mesler ces faux charmes « Qui des rimeurs enlaydissent les carmes.
« Trop ne te fie à d'estranges secours ;
« Ne quiers d'autruy matière a tes discours.
« Pour guide auraz, telle soit ta painrture,
« Deux livres seurs, ton.coeur et la nature.
CLOTILDE.
« Or donc plus bas que la fange avez mys « Ces beaux enfants, des mètres tant amys « Que deviendrez, Franc-vouloir, Male-bouche, « Crainte qui suit, Bel-accueil qui soutient, « Honte qui dort, Playsant-parler qui touche,
« Espoir qui fault et Dangier qui retient ? (I) « Rien ne valez ; trop juste est qu'on L'avoue.
i Jaçoit (2) pourtant vous rayait maint gabeur (3)
(1) Enumération d'êtres allégoriques qui foisonnaient dans la poésie française du XIVe siècle (depuis le Roman de la Rose) et de la première moitié du XVe siècle et qui figurent même dans Charles d'Orléans, comme nous l'avons remarqué. V. supr., troisième partie, XXI.
(2) « Si ».
(3) « Railleur. »
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Dont à bon droit nostre Gaule se loue,
Que resterait de son triste labeur ?
■ s Et TOUS, povrets, que pour trouver on sue,
« Se, par meschief, nous estions convertis,
Bannis des vers, que feriez dans la rue ?
APOLLON.
Ilz rentreraient aux lieulx d'où sont sortis. (1)
Ceux qui nous lisent peuvent juger si cette poésie est l'oeuvre d'un envieillisseur, si la verve et l'entrain, l'enthousiasme et la sincérité sont là, oui ou non, au niveau du génie. Ils peuvent voir si l'élan qui apparaît dans ses vers, qui appelle avec tant d'ardeur l'inspiration grecque et latine, qui l'appelle presque avec délire, comme le firent les plus passionnés de la première phase de la Renaissance, est le cri d'une àme ou la fantaisie d'un pasticheur. Ils peuvent voir si le sentiment qui y respire et qui s'élève contre une fausse renommée du XVe siècle et de ce siècle seul (2) est une Action trouvée à froid du temps de Boileau ou du temps de Berquin.
Ils peuvent voir surtout, — et c'est sur cela principalement que nous appelons ici leur attention, — si la forme littéraire est celle de Malherbe, de Racan, de Voiture, de Chapelain, pour ne pas parler de poètes plus récents, avec le genre desquels comparer celui-là ferait sourire.
Il n'y a rien du style poétique de nos deux derniers siècles dans des vers comme celui-ci, dont la grâce et la simplicité décèlent autre chose que le caprice d'un imitateur : « Cuydoye Alain estre tout, rien les autres. »
Il n'y a rien qui fasse penser à l'esthétique de ces deux siècles, dans des vers comme les suivants, dont le naturel
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Dialogue entre Apollon et Clotilde.
(2) Déjà dans la première moitié du XVIe siècle, alors que Villon était hautement apprécié par Clément Marot, la renommée d'Alain Charlier avait disparu. André Ducbesne ne s'occupa d'Alain qu'en lourd érudit, an XVIIe siècle.
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garantit également la sincérité et où l'on entend parler un auteur qui a conscience de son talent :
< Qu'est-ce qu'entends ? Donc n'estoy si fallotte,
« Quant proserivy ces atours maigrelets,
« Et qu'au despria de la tourbe ostrogotte « Des revenans, démons et farfadets,
Dressay mon vol aux monts de Thessalie. »
Il n'y a rien qui sente tant soit peu un milieu poétique rapproché de nous, dans ces vers qui révèlent une époque :
« Or donc, plus bas que la fange avez mys
Ces beaux enfants, des mètres tant amys t
Que deviendrez. Franc-vouloir, Male-bouche,
« Crainte qui suit, Bel accueil qui soutient
Honte qui dort, Playsant-parler qui touebe,
Espoir qui fault et Dangier qui retient ?
Devant cet art, ainsi à la fois enjoué et sévère, impitoyable pour les mièvreries, nous sommes loin des réminiscences de l'Astrée, ainsi que des sensibleries romanesques qui séduisaient l'époque de mademoiselle de Scudéry et celle d'Étienne de Surville.
Il n'y a rien non plus du XVIIe ou du xvm" siècle, sauf quelques retouches de détail, dans le morceau qui fait suite à celui que nous citions tout-à-l'heure et dont ces quelques vers sont si bien la réponse de la routine à la protestation du génie :
Cy faysons-nous comme faysoient nos pères ;
Et ne sçais-tu que nos rimes prospères
« En cour des roys treuvent ioyeux accueil ?
C'est veritè : le disons sans orgueil. (1)
Quant tout Paris myre nostre doctrine,
« S'enganne-il (2) ? Non, sy ne fait-il moins
• Pour les beaux sons qu'enflent nostre poictrine.
De nous ebangier prens inutiles sains ;
(1) Comme des vers tels que celui-ci eussent été remarqués, s'ils se fussent trouvés chez La Fontaine ou chez tel autre de nos écrivains illustres)
(2) « Se trompe-t-il ? »
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Se d'Apollo telle fust le vaillance,
En resteroit icy-bas soubvenance.
« N'aillas cuyder qu'après tant de soleils
Perdions la trace où marchoient nos pareils.
Sommes trop vieulx pour tenter nous refondre ;
« Donc est trop tard pour suyvre ta leçon. »
« A ces propos que me convient respondre ?
APOLLON.
i One n'est trop tard pour suyvre la raison. (1) >
L'examen, sans parti pris, de ces pages considérées non seulement sous le rapport de la pensée qui les anime et sur laquelle nous reviendrons, mais aussi au point de vue de l'expression littéraire, cet examen indique là indubitablement une poésie antérieure au XVIIe siècle ; il l'indique, par l'impossibilité de trouver depuis lors un genre tel que celui-là.
Nous avons beau chercher dans nos écrivains, de la dernière moitié du XVIe siècle à la fin du XVIIIe ; nous compulsons en vain Du Bar tas, Desportes, Bertaud, Mathurin Régnier, Théophile, Maynard, Malleville, Saint-Amand, Bré-beuf, Segrais, Fontenelle, La Fare, Chaulieu, La Monnoye, Voltaire, Desmahis, Saint-Lambert, Dorât, Laharpe, Roucher, de Bernis, même Berquin et Colardeau ; nous parcourons en vain les Idylles, Épitres ou Élégies des femmes auteurs de cette époque, Mme de Villedieu, Mme Deshoulières, Mme de La Suze, Mlle Serment ; nous interrogeons en vain ce que l'on connaît d'Étienne de Surville et des littérateurs de son pays, depuis les plus mauvais du XVIIe siècle, comme François Valeton, jusqu'aux meilleurs du VXIIIe comme Pierre Espic, nous ne découvrons chez eux tous, — chez tous, affirmons-nous, — pas une page qui rappelle ce genre esthétique, envisagé non dans un point de détail qui peut être une interpolation, mais
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Dialogue entre Apollon et Clotilde.
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dans son ensemble, comme doit le faire quiconque n'est pas ; un des savants myopes du monde lettré. Nous pouvons croire même que si cette page analogue existait, nos sceptiques l'auraient montrée depuis soixante-et-dix ans de débats, et ne se seraient pas contentés de donner plaisamment, pour terme de comparaison, de fades romances de Berquin ou de bien médiocres vers d'Étienne de Surville.
Le fait incontestable que notre histoire littéraire n'offre pas un seul écrivain dont la physionomie littéraire soit exactement celle de l'auteur de « l'Epitre à Rocca » et du « Dialogue entre Apollon, et Clotilde », n'est rien autre que celui des faits caractéristiques que nous avons indiqué comme étant connexe au second et que nous avons exprimé ainsi : ces poésies antérieures au XVIIe siècle sont une oeuvre sui generis.
Nous venons d'entendre la déposition des poésies que, d'habitude, on n'appelle pas en témoignage ici. Nous ne leur avons pas encore demandé quel est l'auteur qu'elles proclament ; nous leur avons demandé seulement quels sont les auteurs qu'elles excluent.
Par l'accent qui s'élève de ce qu'elles ont de plus profond, elles ont répondu qu'elles renient tout écrivain de nos deux derniers siècles et qu'elles mettent au défi de signaler alors un poète semblable au leur. Elles ont répondu qu'elles renient notamment, et avant bien d'autres, Étienne de Surville. Et, aussi bien, mettez ces oeuvres en face de ce littérateur ; appliquez ce personnage à ces vers : le rapprochement fait sourire. Il y a transformation fantastique; c'est l'ombre devenue lumière, la brume changée en azur.
Assurément, quoiqu'en aient dit des lettrés perspicaces, MM. Sainte-Beuve et Gaston Paris, cesvers des plus significatifs, cette supériorité littéraire, ces aperçus pleins du sentiment de l'art, tout cela n'a plus de sens, plus de raison d'être, tout cela détonne horriblement, jeté sans pi¬
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tié, sans merci par la critique, par la critique savante qui plus est, dans le milieu pauvre de clarté qui fut celui d'Étienne de Surville.
Que pour faire mentir ces pages, la « critique » apporte ici, si elle y tient, une petite chicane de quelques mots ; qu'elle interdise ces mots et surtout cette expérience des choses de l'art à un. auteur qui ne sera pas de l'époque même qu'il lui conviendra d'assigner ; qu'elle pose ces interdictions, de son autorité qui sait pertinemment ce qu'a pu ou n'a pas pu le génie : cela laissera heureusement intact le caractère ancien, indélébile et puissamment original de cette oeuvre.
Ce sont des vers d'airain : les dents de la critique s'y useront.
IV
Caractères historiques et moraux de ces poésies antérieures au dix-septième siècle.
Mais les poésies que nous avons signalées dans ce recueil nous montrent en elles autre chose qu'un caractère général antérieur au XVIIe siècle et dénotant une oeuvre sui generis. Nous y voyons, marqués nettement, des traits historiques, moraux et esthétiques qui indiquent, d'une manière plus précise, telle époque de notre histoire comme ayant été l'époque où ces morceaux ont primitivement été écrits.
Ces caractères historiques et moraux, que nous remarquons d'abord, se trouvent dans l'Epitre à Rocca, dans le Dialogue entre Apollon et Clotilde, dans quelques Rondels, dans l'Epitre à Marguerite d'Ecosse et dans certains fragments d'Epitres. Parmi ces traits significatifs, on doit citer ce qui, dans ces oeuvres, regarde nos poètes dn moyen¬
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âge, du XIIIe an XVe siècles, et ce qni s'y rapporte à Alain Chartier.
Que nos lecteurs veuillent bien relire le fragment de l'Epitre à Rocca et les trois fragments dn Dialogue entre Apollon et Clotilde que nous avons déjà donnés (1) : ils y verront, à chaque vers, quelle connaissance l'auteur de ces morceaux a eue de ceux de nos anciens poètes dont la réputation n'avait pas été seulement locale ou circonscrite dans le nord de la France (2), comment il a su apprécier les uns, stigmatiser les autres et saisir les défauts de tous.
Mais cela pourtant n'a-t-il pas été peut-être le fait d'un écrivain de nos deux derniers siècles ?
Non; car, sur ce sujet, ces deux siècles, nous devrions plutôt dire ces deux siècles et demi, en y comprenant la seconde moitié du XVIe ont une physionomie accentuée et une tradition littéraire constante, que rien de positif n'est encore venu démentir. Au XVIe siècle, immédiatement après Clément Marot, judicieux appréciateur du talent de Villon, l'étude et le goût de notre ancienne poésie sont universellement délaissés. Au XVIIe siècle, dont Boileau interprète exactement la pensée à cet égard, cette poésie est universellement dédaignée ; elle n'a pour familiers que quelques antiquaires, qui n'y voient que l'exploration de siècles bar-
(1) V. supr., troisième partie IX et XII et quatrième partie, III.
(2) Da nombre de nos vieux poètes dont la renommée fut moins étendue avaient été Rutebeuf, Guillaume de Machau et Eustache Descbarops, entre bien d'autres, ainsi que plusieurs faits l'ont établi.
L'absence de leur noms, parmi ceux que citent ses poésies, n'a pas manqué de servir d'argument négatif à la sagacité d3 Sainte-Beuve. Cet argument n'a aucune valeur scientifique, comme bien d'autres du même académicien ; il ne montre que la misérable argutie, la seule chose, nous l'avons vu, que l'on ait savamment opposée à cet auteur. Qu'il ait nommé des poètes inconnus à la critique (Parbe de Verrue, Justine de Lévis, etc), la critique de s'écrier : Pouvait-il parler de els auteurs ? Qu'il ait omis de mentionner certains autres, la critique de dire : t Pouvait-il omettre d'en parler ? » Combien les partis pris sont quelquefois peu faciles à contenter !
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bares dont ils ont à rajeunir l'expression, pour qu'ils puissent en présenter quelque chose à leurs contemporains.
Au XVIII" siècle, quelques-uns aussi s'occupent en érudits, de cette poésie ; d'autres l'étudient en littérateurs ; mais lorsqu'ils l'apprécient, c'est d'abord avec le style et la manière, faciles à reconnaître, de ce temps ; c'est ensuite et surtout du point de vue à moitié faux qui fut celui de leur siècle ; c'est avec un jugement éloigné de la vraie mesure, soit pour la louange soit pour le blâme. Nous avons signalé (1) toute la différence qu'il y a entre la manière avec laquelle l'auteur du Dialogue a parlé de nos vieux trouvères et celle avec laquelle en parlait Étienne de Surville ; or, Étienne de Surville, en cela, n'a pas seulement été lui-même ; il a exprimé les vues, les admirations exagérées de son temps.
Nous pouvons donc tenir pour certain que l'appréciation de nos anciens poètes, dans les termes et le degré de justesse avec lesquels l'ont donnée l'Epitre à Rocca et le Dialogue entre Apollon et Clolilde, est caractéristique autant que peut l'être un fait littéraire. Elle révèle une époque où ces auteurs étaient exclusivement les auteurs français et, à ce titre, étudiés d'une manière spéciale ; elle assigne ainsi pour date à ces deux morceaux le XVe siècle ou tout au plus les premières années du XVIe
Pour ce qui, dans ces poésies, regarde Alain Chartier, nos lecteurs ont pu juger les deux rondeaux qui se rapportent à ce littérateur et que nous avons reproduits. (2) En voici un autre du même auteur sur le même sujet : « Rondet à maistre Alain, « du sien escript où dict le feu d'enfer luire et pour ce non esclayrer » (3)
(1) V. supr., troisième partie, XII.
(2) V, supr., quatrième partie, M.
(3) Un pasticheur du XVIIIe siecle n'aurait assurément pas eu l'idée d'écrire un pareil rondeau ; il n'aurait pas attribué à Alain Chartier un ouvrage qui ne figure pas dans ses oeuvres imprimées et connues, et dont le sujet même — tuire sans éclairer — est si bien cependant dans le sens des arguties doctorales de cette époque.
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« Le feu d'enfer, sans notoire hablerie,
Contez bien long comme luit, maistre Alain,
« Sans esclayrer : point n'est sorcellerie.
« Dante congneut, quaz'en ung tour de main,
« Tous les secreis (ficelle dyablerie.
Sur ce grant faict, plus on ne contrarie Ne vous ne luy. Se treuvoit le proschain Comme en ses vers, dans vostre parlerie, « Du feu
Au demeurant, bien est la resverie « En cour : beau livre one ne fit tant de train, Quant va vous voir Apollo, le parie t Vous baysera (t) : de quoy moult serez vain, Mais quant l'oyra, grant peur ay que s'escrye ; « Au feu (2)
Ce rondeau, dont le style, les inversions, les tournures de langage n'ont rien de moderne, respire dans tout son contexte, dans sa pensée et dans sa forme, la même absence d'imitation, la même sincérité littéraire que les deux autres donnés précédemment.
Mais c'est surtout dans l'Epitre à Marguerite d'Ecosse que notre auteur exprime, sous un léger voile d'ironie, son jugement si vrai et ai spirituellement satirique du talent et de l'oeuvre générale d'Alain Chartier. Ce morceau doit être cité, en partie au moins :
« Au docte Alain, cygne de vostre cour,
« Hommage faiz de mon loinglain sejour.
« Que sur ses pas longtems nayssent flourettes, Plus qu'en nos prez ne croissent violettes,
« Fueilles ez bois, blonds espics dans nos champs.
Puysse ma rayne enfin gouster les chants « D'ung tel Orphée envieux de luy plaire, « A si doulx loz qu'il borne son solaire ;
(1) Allusion au baiser qu'Alain Chartier, endormi dans la galerie du Louvre, reçut comme étant un des premiers poàles de son temps, de la jeune et enthousiaste Marguerite d'Ecosse.
(2) Poésies de Marguerite deSurville. Rondels.
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« Grain que l'y soit : mon Alain trop vanté « Ne songe mye à la postérité,
« Monstre aux cent yeulx qui des plus beaulx ouvrage» « Au froid Lethe jettera maintes pages.
« Pour ce que, loing d'en lescher trop les vers, « Lestes autheurs auront fuit à l'envers. (1)
« Ne dy pour lu y ; que miens carmes subissent « Ung tel affront, ne m'en plainz ; qu'ils périssent, « Et qu'a jamais ignore tout esprit,
« En l'univers, que Clotilde aye escript.
« Ainz ne vouldray que le poupart des Muses, « Qui, sans user de complots ny de ruses,
« An premier rang ores pouvoit briller,
« Soit, sans chaleur, content de scintiller.
« Luy de qui d'or on diroit les parolles,
« Ne sçait-il donc qu'en ses blugueltes folles « Quelque tyzon qu'on voye s'esbouffer,
* S'astainct sans luire et meurt sans esrhauffer T « Du grant Alain telle seroit la chance,
« S'orgueillouzet d'une seche abondance, De style pur n'est plus embesoigné ;
« Car que luy fault que fFestre mieux soigné P (2) C'est quazy tout en cest aage barbare, « Non d'escrivains mais de génie avare, (3)
« Où, de la rime esclaves morfondus,
« Tant d'estourneaulx riment., et rien de plus.
« Nuh ne s'enquiert que dira sa ballade,
Sont plat rondel, sa borlesque enfilade « De mesmes sons : sotz en fans qu'avec eulx « A fort bon droit pifferont nos nepveux,
« Si d'eulx alors, d'hazart, est quelque trace.
« Donc, ne seroit plus choyeux mille fois « A vostre amy, s'il souloit faire ung choix Des beaulx discours qui de son chief descoulent « Sans nul effort, ainz trop nombreux s'esboulent « D'entassement ? ainsy troublent des flots « Précipitez le crystal des ruysseaux ;
« Ou tel ung mur haussé iusqu'au tonnerre « Croule et devient ung vain poids à la terre.
(1) Cette idée, que nous avons deja vu revenir plusieurs fois sous la plume de notre poète, est des plus significatives ; elle jurerait étrangement avec le personnage d'Etienne de Surville érige en auteur de ces oeuvres.
(2) et (3) Ceci explique exactement l'infériorité de la plupart des auteurs du XVe siècle et la distance qu'il a pu y avoir entre ces écrivains et un poète ayant plus de génie et apportant bien plus de soin à ses oeuvres, qu'Us n'en mettaient aux leurs.
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Mieulx ne ferait que de perdre le fruit
D'un gros labeur, à conter comme lui Le feu d'enfer, à composer des esles
i Aux chérubins, que peut ruyder tant belles
Sans aller voir, et tant d'aultres propos
Que l'advenir, oyant leurs premiers mots,
Ne croyra, seur, humain tenté d'escripre ?
« Et citeroy, se le pouvoy sans rire.
Ainz que t'en prends, Clotilde, à censurer Ung qui desia s'ose aux roys mesurer ?
« T'y bien affiert, en effet, de semondre
Cil qui d'ung mot soubdain peut te confondre,
« Et cèdre altier te mander, vil rozel, Prendre i'ayguille et torner le fuzel !
Là m'en tenir, ie croy, feray plus sage ; Car bien appriz que n'est oncques d'usage,
Par bons advis et touchantes raisons, De corriger ceulx-là qu'applaudissons.
Or donc sa muse, en chascun lieu du monde, Treuve secret de paroistre fécondé 1
« Qu'aprez mille ans en soit comme auiourd'hny ;
« Qu'on le festoye ; et si ce n'est pour luy, Qu'un sien subject fasse tout son mérite ;
N'en peut manquer : il chanta Marguerite ; Trois fois heureux, dust critique aboyer,
« Qui se promet ung si digne loyer. » (1)
L'ironie, l'indignation à demi contenue, l'éloquente réclamation du génie se sont-elles jamais exprimées avec plus de naturel, plus de grâce, plus de sérénité fervente dans une généreuse passion ? La préoccupation littéraire qui apparait, avec un esprit si mordant, dans ce morceau et dans les trois autres consacrés au même sujet, témoigne qu'ils ont été composés sous l'inspiration des faits dont ils parlent. Le garant de la sincérité de ces vers, c'est qu'on y sent une âme.
Il faut renoncer à jamais à retrouver dans un ouvrage littéraire la personne morale de l'écrivain et'ce qui l'a cons-
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Epistre à Marguerite d'Escosse.
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tituée d'une manière inséparable de son époque, si l'on peut seulement douter, en lisant ces pages, de l'individualité historique du poète qui les a composées. Rien de ce qu'ont écrit les grands auteurs de l'antiquité ou des siècles modernes, aucune de leurs oeuvres ayant un caractère incontesté ne porte plus que ne le font ces vers l'indice de son temps.
Il y a là, en outre, quelque chose qui semble montrer que le poète, tout en écrivant devant des faits dont il était le comtemporain, ne les a vus cependant qu'à distance. Certains traits du tableau paraissent indiquer, en effet, que le poète s'est peut-être fait ou peut-être aussi a voulu se faire, pour le besoin de sa satire, une idée tant soit peu exagérée de l'espèce de domination littéraire qu'exerçait alors Alain Chartier. Mais ces traits un peu excessifs, si même on peut les appeler ainsi, apparaissent à peine ; et, en général, ceux qui sont suggérés là à l'auteur par la sagacité de sa pensée, sont l'expression de la réalité.
La vérité de situation, historique et psychologique, n'eut pas été rendue avec ces nuances inimitables, par quelqu'un cherchant à l'exprimer longtemps après. On n'eut pas peint, après trois siècles, avec cette fidélité de pinceau et cette précision de détail, une toile si exubérante de vie.
Il y a donc indubitablement, dans ces pages sur Alain Chartier, encore un fait révélateur d'une époque. Ceux pour qui l'accent de l'âme n'est qu'un jeu peuvent seuls en douter. (1)
(1) Nous ne donnons pas comme un caractère historique, appuyant d'une manière certaine l'authenticité de ces poésies, ce qui y est dit éloqnemment de l'invasion anglaise et des ravages du parti Bourguignon dont les bandes parcouruient en 1428 le Bas Vivarais (a). Nous ne le donnons pas pour deux raisons : d'abord, parce que la pièce de vers où es s scènes sont décrites a subi bien des remaniements et dp
(a) V. l'Histoire de Languedoc de D. Vaisselte et de D. de Vic.
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y
Caractères esthétiques de cespoéBies.
Les caractères esthétiques qui, dans ces poésies nettement spécifiées, sont le témoignage d'une époque, se rapportent à certains sentiments relatifs à l'art exprimés dans ces pages et à certaines formes de langage qui les expriment.
Le sentiment qui, plus que tout autre peut-être, atteste que ces oeuvres ne sont pas des deux derniers siècles, c'est
graves interpolations ; ensuite, parce que l'Imagination d'un poète aura pu lui dicter ces vers, deux ou trois siècles plus tard.
Et cependant il y a, semble-t-il, plus que de l'imagination, il y a, on peut le croire, un sentiment vrai, dans des vers tels que ceux-ci, qui donnent au moins à réfléchir :
« Bedford de tes pareils va quierrant alliance ;
Plus qu'ung sëduicts ont desmenty leur nom. « De vergongne estouffés qu'à deffaut de la fouldre,
« Périssent tous soubz le faix des remords !
« François qui veult ayder la France à se dissoudre
« N'a-t-il, responds, mérité mille morts ?
« Ainsy permet le ciel telles mes adventures
Et laysse ourdir si noires factions,
« Pour que soyent, humains, vos diverses natures En ung plain jour mises par actions.
Et plus loin :
« Errent par tout pays désastreuses phalanges,
« Quierrant butin, sans arroy ne sans chiefs ;
« Plus n'ont de seurete borgs, villages ne granges,
« Et chascun jour s'oyent nouveaulx meschiefs.
« Hé Dieu t quant fin auront nos cures lamentables ?
« Ne reviendra tems où, seures de brouts, Brebiettes, au sortir de leurs chauldes estables,
« D'aultre ennemy ne creignoient que nos loups ? « Ah ! ne sont loups rapalx qu'aux Bourguignonnes tourbes
Comparager on puysse des hormaiz « Champs en brugues reduicts et prez flouris en bourbes « Leurs brigandatz marqueront à jamaiz. » (a)
(a) Poésies de Marguerite de Surville, Héiroide à Bérenger.
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l'enthousiasme qui y éclate pour la littérature grecque et romaine. Cet enthousiasme qui se manifeste là, surtout dans un morceau que nous avons cité (1) du Dialogue entre Apollon et Clotilde, est celui-là même quel'on constate au commencement de la Renaissance ; il n'est point celui de l'époque de Ronsard, et il diffère encore plus de la froide imitation de l'antiquité que l'on trouve dans la poésie française des deux siècles suivants. Ce sentiment qui apparait là avec tant d'ardeur est donc un caractère qui, à peu d'années près, contribue à fixer, d'une manière précise, la date de la composition de cette oeuvre.
Mais cependant chez cet auteur qui se distingue en cela de bien d'autres, cette admiration de la littérature ancienne n'est pas due, on le voit, au seul entraînement de son siècle : elle vient de ses tendances intimes, de ce qui a fait le fond de son génie, résumé en ces mots : écouter attentivement et traduire avec art son âme et la nature. Le poète l'a dit lui-même :
Trop ne te fie à d'estranges secours ;
« Ne quiers d'autruy matière à tes discours.
Pour guide auraz, telle soit sa paincture,
■ Deux livres seurs (3), ton cueur et la nature. (3)
Et d'ailleurs ce qu'il recommande ainsi, il l'a fait. S'il avait vécu au temps de Boileau ou au temps de Voltaire, il aurait plus ou moins suivi le courant de l'époque, il aurait été plus préoccupé d'imiter dans sa poésie certaines formes de convention Dans cette sollicitude si marquée de vouloir que ses vers se modèlent avant tout sur la nature, bien que cela doive être le fond de tonte grande poésie, et dans le soin que le poète a pris de réaliser ce désir dans son oeuvre, il y a donc encore un trait qui, parmi les diverses époques
(I) V. supr., quatrième partie, III.
(1) « Sûrs ».
(3) Poésies de Marguerite de Surville. Dialogue entre Apollon et Clotilde.
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de notre histoire littéraire, indique spécialement une des phases de la Renaissance.
Un autre caractère du même genre apparaît dans la poétique si remarquable qu'a formulée YEpitre à Rocca : c'est la manière à la fois chaleureuse et ingénue avec laquelle l'auteur insiste sur certaines règles qu'il a rigoureusement observées, telles que l'alternance des rimes, le respect de la césure, le soin d'éviter les hiatus et les repos de l'hémistyche sur une syllabe muette. Mais écoutons encore ici le poète, moins pour apprécier les idées exprimées dans ces vers, que pour y saisir une nuance d'expression extrêmement significative :
« Tu scais, Rocca, quels sevères liens « M'ont asservie en nos doulx entretiens ;
« Ton goust, mien guide en ceste folle escrime, M'a faict au sens sacrifier la rime ;
« Et toutes foys ne se contente pas « D'ung vers desnu de ce frivole appas, Mes me la rime à chutes si diverses
« Combien me faict essuyer de traverses,
« Quand veulx, aprez deux carmes pucellins (4),
« Sans nul effort coupler deux masculins,
« Et bien garder qu'ensemble ne cheminent « Genres pareils que sons divers terminent, Pour n'aillent pairs (2), sans rime appariés,
« Par doulx impairs (3) se ne sont variés « Ne peux souffrir, quand Liz ces pentamètres, Que mainz soulcys n'embesongnent nos maistres,
« Telz que briser, ez fin du second pie (i),
« Mon vers sans ce clospinant, estropié ;
« D'eslire molz de chute masle et plaine « Partout où veulx, comme icy, prendre balai ne ; « Carter enfin verbes (5) sourds et muets « Par qui discours sont flasques et fluets,
(1) Deux vers à rimes féminines.
(2) et (3). L'auteur entend sans doute par vers pairs les vers à rimes masculines et par impairs les vers à rimes féminines qui ont une syl labe de plus.
(4) A la fin de la 4e syllabe.
(5) « Mots. »
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« A moins pourtant qu'e sombre les fenisse Et qu'à voyelle en mourant ne s'unisse... Ne peux souffrir.. Mais quant aurois le faict,
, 4 Se tout vouioye, ainsy que toy, parfaict 1 (1)
Ce n'est pas dans nos deux derniers siècles, alors que les règles indiquées ci-dessus et fixées déjà depuis longtemps avaient été suivies dans tant de pièces de vers, d'une manière irréprochable, qu'un pasticheur aurait préconisé ces règles avec la sincérité gracieuse et l'ardente conviction qui respirent dans cette page et qui indiquent, d'une manière non douteuse, que l'auteur sent qu'il innove, en parlant ainsi. (2)
La forme de langage qui, après les sentiments exprimés dans ces poésies particulièrement distinctes, témoigne que ces oeuvres, dans ce qu'elles ont d'essentiel, ne datent pas de nos deux derniers siècles ni de la seconde moitié du XVIe, (3), c'est, à côté de plusieurs inversions à peu près inusitées à ces diverses époques et qui figurent là avec tout le naturel que l'on peut demander à une oeuvre littéraire,
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Epistre.à Rocca.
(2) Au sentiment de l'enthousiasme pour la Renaissance, qui est caractéristique dans cette oeuvre, on peut ajouter, comme presque aussi révélateur d'une époque, celui de l'amour, tel qu'il est exprimé dans plusieurs de ces poésies. De tous le» vrais poètes, il n'en est peut-être qu'un seul qui ait eu, que nous sachions, cette même manière de parler de l'amour, manière ayant un aspect particulier de simplicité et de délicatesse. Et ce poète n'est ni du xvi" siècle, ni du xvne, ni moins encore du XVIIIe ; il est du XVe siècle : c'est Charles d'Orléans.
(3) En s'en tenant an style seul et au style jugé uniquement d'après une analogie extérieure, souvent trompeuse en littérature, on pourrait à la rigueur assigner à ces poésies une date voisine de 1530 ou 1540, epoque où, parmi nous, Melin de St-Gelays et Clément Marot régnaient sur le Parnasse licencieux.
Mais, en adoptant une date semblable pour la composition de ces oeuvres, on se heurterait aux plus graves contradictions du genre historique et de l'ordre moral et notamment à celle-ci : que l'oeuvre littéraire la moins sincère de cette époque aurait été en même temps la plus honnête, la plus sérieuse, la plus digne et la plus parfaite au point de vue de l'art.
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l'emploi également aisé et non factice des latinismes, que l'on trouve dans ces poésies.
Nous l'avons déjà dit (1), les tournures et les locutions latines y abondent ; elles y coulent du premier jet ; elles y arrivent avec une grâce parfaite, avec la hardiesse du génie, avec une souplesse, une animation vraie qui ne se ressentent en rien de l'apprêt d'une imitation, comme en donnent les faiseurs de pastiches.
Nous trouvons là des tournures latines, telles que celles-ci :
« Qui soit qui non tel fatraz a traduict.»
plus m'est soucyeitx
« Qu'encor ne soit...
Nous y voyons bien des locutions comme les suivantes : « lict ocieulx », « animaux lucifuges », « Sulmonique pastour », réminiscences des locutions de même genre qu'ont les auteurs latins, telles que : Berecynthius héros, Erechtheas arces (2). Que certaines de ces expressions aient été ou non des néologismes sous la plume de notre poète, elles sont toutes d'origine et d'imitation latines, et elles attestent, en même temps, l'originalité poétique du talent qui a su s'en servir avec tant de naturel.
Nous y trouvons, en outre, beaucoup d'autres mots tout-à-fait latins, quelques-uns même bien capables de défriser la critique vétilleuse. De ce nombre sont les termes suivants : sagette, exercite, soûlas, involver, intorses, tre-meur, etc.
Ces adjectifs ou ces substantifs, fussent-ils de l'invention du poète, ne viennent pas moins là à leur place, avec une parfaite désinvolture et une précision de langage qu'un esprit béotien pourrait seul railler.
Ces formes latines, quelles qu'elles soient, n'auraient pas été employées d'une manière si simple et si heureuse, à une
(1) V. supr., première parfie, XIV. (2) Ovide. Métamorphoses.
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époque de notre histoire où il n'y aurait pas eu dans les esprits l'habitude du latin et dans l'air, pour ainsi dire, l'enthousiasme qui inspire au génie ce qu'il peut adopter. Sans parler de temps plus rapprochés de nous, au milieu du XVIe siècle, Ronsard a montré, malgré tout son talent, qu'il est facile d'échouer, en faisant de pareils emprunts d'une manière plus ou moins artificielle. Autre chose, en effet, est de faire arriver de telles locutions, d'une façon un peu fantaisiste ou prétentieuse, dans un morceau en prose ou en vers : autre chose est de s'en servir, comme l'a fait notre auteur, non seulement d'une manière fréquente mais encore sans affectation et sans effort.
L'emploi, si naturel et si vrai, des formes latines chez cet auteur montre donc en lui un contemporain de la première période de la Renaissance, de cette époque où la langue latine était familière aux esprits cultivés et qui employa les latinismes plus fréquemment et mieux qu'aucune autre époque de notre histoire. (1)
(1) Nous pouvons ajouter accessoirement, et sans que cela soit nécessaire à notre argumentation, que ces poésies portent aussi, jusqu'à im certain point (a), te cachet du lieu où elles déclarent avoir été
écrites.
Elles semblent attester, d'abord, que celui qui les a composées a vécu loin de la cour : ainsi l'obstination du poète à protester contre la renommée surfaite d'Alain Chartier, le favori de la littérature officielle d'alors, tend à rnontier que l'auteur qui proteste avec celte persistance, n'est point habitue au spectacle des nombreuses injustices de ce genre qui fourmillent dans un grand centre politique et littéraire et n'y tonnent presque plus.
Ces poésies font présumer aussi que l'auteur a vécu dans le Midi de la France ; et même, par quelques expressions particulières, elles peuvent faire supposer que le poete a appartenu à cette partie de la France méridionale qui fut le pays de Viviers, d'Uzès ou de Nîmes.
bien des locutions de ce pays se retrouvent, en effet, dans cette oeuvre ; telles sont celles-ci ;
« D'où vient serait, quant foyrois le collège. »
« Sus me faict, (alors me dit) Devinez voir, etc.
Nous y trouvons aussi beaucoup de mots, comme les suivants, qui sont du Midi de la France : Calendre, mustelte, bmyues, bestiole, piois, blaguettes, marne, orguelllouzet, desnu, carter, s'esbouffer, d'un las, etc.
(a) Dos caractères esthétiques do ce genre ne sabraient avoir à cet égard, dans un cas comme celui-ci, qu'une valeur relative.
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VI
Troisième (ait : ces poésies sont une oeuvre de génie.
Voici enfin le principal des faits que l'on constate dans ces oeuvres : elles sont une oeuvre de génie, et, par conséquent, une oeuvre sincère,
Ces poésies sont une oeuvre de génie. Ce fait profondément significatif et qui aurait dû donner à réfléchir même à la critique légère, a été reconnu, implicitement au moins, par tous les écrivains distingués qui ont appuyé ou combattu l'authenticité de ces poésies. Il est attesté, aussi bien, par les diverses parties et par l'ensemble de ces oeuvres.
Si l'on voulait montrer tout ce qui, dans ces pages, est animé du souffle inspirateur qui constitue le talent littéraire dans une de ses puissantes expressions, il faudrait les citer presque entièrement.
L'auteur y a abordé bien des genres divers dont quelques-uns, tels que celui des Plaids d'or et celui du Dialogue entre Apollon et Clotilde, seraient peut-être assez difficiles à classer dans les catégories, un peu de convention, faites par les rhétoriques anciennes et modernes ; mais si ce fait peu important tendait à prouver quelque chose, ce serait que l'auteur de ces poésies n'a pas appartenu à l'époque où les législateurs du Parnasse » régentaient souverainement parmi nous le monde littéraire.
L'Epitre à Rocca est un modèle du genre, où, dans un rhythme bien choisi et avec un esprit pétillant de verve, le poète a su allier l'élévation de la pensée à l'enjouement le plus gracieux.
Le Dialogue entre Apollon et Clotilde témoigne, pour ainsi dire à chaque vers, que cette poésie est un chef-d'oeuvre, par son mouvement, son naturel, sa précision et son
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indépendance dans la règle, mais non dans la règle des classificateurs.
Les triolets et les stances, du genre pastoral, sont des morceaux achevés. Plusieurs des rondeaux attestent aussi un talent d'élite. Ainsi que quelques autres fragments, ils montrent la supériorité de l'auteur dans la poésie légère.
Les Plaids d'or sont exubérants de grâce, de souplesse et de vie.
Les Chants d'amour ont des modulations dignes de Théocrite, des accords faisant songer à ceux qui ont immortalisé les doux poètes siciliens.
L'Epitre à Marguerite d'Ecosse, malgré ses interpolations, offre des parties très-remarquables où l'auteur est consommé dans la satire.
Les Verselets, où il reste encore des notes émouvantes, ne devaient, être que plus touchants, alors qu'ils étaient moins modernes.
L'Hèroïde à Bèrenger, inspirée par les Hèroides d'Ovide, a des vers saisissants de lyrisme et fait regretter qu'elle ait subi des remaniements fâcheux.
L'Elégie sur la mort d'Héloysa, modelée sur les Tristes du même poète, retentit de profondes douleurs et les chante supérieurement.
Ces oeuvres excellent aussi dans un genre mêlé à plusieurs autres, dans le genre descriptif. Elles renferment des tableaux où quelques traits ont suffi au poète pour montrer la richesse de son imagination, bien différente de la fougue de douteux aloi, et où un peu de la vie de la nature semble avoir passé dans l'oeuvre de l'art humain.
Noble enthousiasme de la pensée, justesse des images, force et sobriété de l'expression, éloquence ferme et mouvementée, animation soutenue et sans enflure, ardeur qui brille dans la limpidité, vivacité qui n'a rien de l'excès romantique mais qui est encore plus éloignée de la monotonie classique, manière simple de présenter son sujet et
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d'en dérouler l'enchaînement : voilà ce que l'on trouve dans ces pages. Mais tout cela, qu'est-ce ? C'est le génie.
Et d'ailleurs, en apparaissant ainsi, ces poésies, dans ce quelles ont de fondamental, se révèlent comme une oeuvre sincère, et montrent, une fois de plus, que la sincérité et le génie ne se séparent point. Et cet accent de sincérité qui éclate dans les parties essentielles de ces pages est tel qu'il a impressionné même les plus résolus contradicteurs de l'authenticité de cette oeuvre.
VII
La première hypothèse sur l'origine de ces poésies. La critique a perdu son temps à la réfuter.
Tels sont les faits autour desquels se groupe tout ce qui ressort de ces oeuvres : parties modernes ; parties non récentes, avec leur puissante originalité et leurs caractères distincts ; empreinte du génie dans la partie la plus ancienne de ces pages.
Voilà les faits dont une hypothèse, présentée comme moyen de résoudre le problème, doit rigoureusement donner raison.
Cela établi, demandons-nous quelles sont les hypothèses que l'on a émises, qu'il a été possible de formuler sur l'origine de ces poésies.
On a pu supposer :
Ou que l'ensemble de ces poésies, telles qu'elles ont paru en 1803 et en 1826, est du XVe siècle et provient, sans remaniements, de l'auteur à qui l'on a attribué ces oeuvres ;
Ou que cet ensemble est tout entier du XVIIe ou du XVIIIe siècle ou de ces deux siècles successivement, d'un ou de plusieurs auteurs, connus ou inconnus, désignés ou non ;
Ou que, dans cet ensemble, il y a des poésies du XV esiè¬
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cle, de Marguerite-Clotilde de Surville, poésies plus ou moins retouchées depuis lors, au XVIIe ou au XVIIIe siècle ou à ces deux époques, et auxquelles on a mêlé des fragments modernes.
Ainsi trois hypothèses, qui renferment et résument toutes les autres.
La première de ces hypothèses rend compte des marques d'ancienneté qu'il y a dans ces oeuvres ; mais elle est contredite ou vertement par tout ce que l'on y trouve de moderne. Cette hypothèse n'est donc pas admissible ; on ne saurait s'y arrêter.
Il n'est pas d'ailleurs de critique judicieux qui l'ait soutenue jusqu'à présent (1). Aucun des écrivains qui, depuis soixante-et-dix ans, ont admis l'authenticité de ces oeuvres, n'a défendu cette hypothèse (2). C'est pourtant celle que, depuis lors, la critique négative s'est plu constamment à réfuter, quand il était aussi superflu que facile de le faire. Cela dit, en deux mots, quel ordre, quelle clarté cette critique a apporté dans la discussion.
Il ne saurait en être ainsi désormais. Il est plus qu'inutile d'entretenir la confusion, pour prolonger indéfiniment un
(1) Les éditeurs littéraires du recueil paru en 1826, de Roujoux et Charles Nodier, pourraient seuls être accusés de l'avoir admise, au moins implicitement, par le fait de leur malencontreuse publication. Mais encore reconnaissent-ils, notamment dans leur préfacé, page XI, que plusieurs parties de ces oeuvres peuvent être attribuées à Jeanne de Vallon ou à Étienne de Surville. Toutefois leurs faibles réserves, perdues dans ce volume, ne pouvaient empêcher que la publication d'un tel ouvrage ne contribuat beaucoup à accroitre la confusion des idées sur ce sujet. C'est sous cette impression fâcheuse que Villemain a parlé, comme il l'a fait, des poésies de Clotilde.
(2) Vanderbourg, le premier, a reconnu (a) que les poésies de Clotilde ont dû être modifiées par Jeanne de Vallon et par Etienne de Surville, et qu'on ne doit acceptercesoeuvresqn' i en admettant qu'elles ont été soigneusement retouchées » (b).
(1) Poésies de Clotilde de Surville. Préface, p. LXXXII, étc. (b) Lettre à Mme Pauline de Surville, du 31 octobre 1805.
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débat qui n'a que trop duré. Il faut que ce soit chose entendue : aucun des défenseurs sérieux de l'authenticité du fond de ces oeuvres n'a prétendu ou ne prétend que tout est ancien dans le recueil de ces poésies. Tous, au contraire, ont affirmé et affirment qu'il y a là du moderne et beaucoup. Il n'ont pas accepté l'alternative que la fantaisie ou l'inclination hypercritique leur ont posée en ces termes exclusifs : tout prendre ou tout laisser. Ils n'ont ni tout laissé ni tout pris ; et en cela ils ont suivi à la fois l'indication de la science et celle du bon sens.
VIII
La deuxième hypothèse. Elle explique seulement un des faits dont il faut rendre compte. Le plus étrange rêve littéraire. Celte hypothèse aboulit à des résultats impossibles ou monstrueux.
La deuxième hypothèse est celle de la critique négative. Cette hypothèse explique ce qu'il y a de moderne dans ces pages. Quant aux autres faits que nous avons signalés, elle n'en rend pas compte.
Comment explique-t-elle ces morceaux ayant un tout autre caractère que celui de la poésie de nos deux derniers siècles ? D'aucune manière ; d'aucune manière sérieuse, entendons-nous ; car ce n'est absolument rien dire qu'une énormité, — nous l'avons vu assez, — de donner pour auteur de ces vers Vanderbourg ou Étienne de Surville.
Comment explique-t-elle cette poésie sui generis, si différente de celle de nos écrivains connus ? D'aucune manière.
Comment explique-t-elle cet enthousiasme si particulier et d'une apparence si sincère, que l'on n'a vu qu'à la Renaissance ? D'aucune manière.
Comment explique-t-elle ces formes de langage qui témoignent de cette époque ? D'aucune manière.
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Et ce jugement sur Alain Chartier, cette ironie mordante et multiforme, ce verdict d'un poète inconnu qui va chercher son justiciable jusques sous l'encensement des cours et dans tout l'orgueil de la renommée ? Comment l'explique-t-elle ? Par une étonnante illusion, qui ose transformer en pastiche le cri le plus éloquent du coeur humain.
Et le fait souverain qui apparaît dans ces pages, cette voix qui en sort et les nomme un monument du génie, comment l'explique-t-elle ?
Ici c'est presque honteux à dire : elle explique l'oeuvre du génie par le mensonge.
Mais depuis quand le génie a-t-il pour inspiration l'imposture ? Depuis quand va-t-il puiser là sa force et sa grandeur ? On ne l'ajamais vu ; jamais l'histoire ne l'a constaté. C'est même une impossibilité, aux yeux de quiconque s'est demandé, autrement qu'avec un esprit superficiel, en quoi consiste le génie littéraire.
Celui-là sait que ce que l'on appelle ainsi est l'intuition du beau dans une âme qui ne le sépare point du vrai tel qu'elle le comprend ; dans une âme qui peut se tromper sur ce qu'elle admire, qui s'abuse même souvent, mais qui le fait en croyant suivre un autre guide que le mensonge.
Par là d'ailleurs nous ne voulons point dire que le génie ne se pose jamais d'une manière partielle et volontaire sur certain milieu de Action. Il s'y pose même fréquemment, dans le but de tirer de ces fictions un parti pour le beau tel qu'il l'entend et tel qu'il cherche à le reproduire.
Mais autre chose est se poser accidentellement sur un milieu Actif, autre chose est y faire porter à la fois et son oeuvre intégrale et son individualité morale et littéraire, sans aucun profit pour le beau et au seul détriment de la vérité.
Or, ce serait là ce qu'aurait fait l'auteur de ces poésies, dans l'hypothèse de la critique négative.
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Cet auteur, quel qu'il fût, ce serait dit :
« Je vais consacrer mes efforts, mes veillés, mon talent, à jouer dans tous mes écrits, — dans tous, sans exception d'un seul (1), — le rôle d'un écrivain du XVe siècle.
« Je ne veux pas que l'imposture qui sera là mon fait soit partielle et momentanée ; je veux qu'elle soit complète et que, s'il est possible, elle dure indéfiniment. Je veux que plus tard il ne transpire rien de ce qui me constitue littérairement et personnellement, moi qui vis dans une toute autre époque que celle dont je me dirai le comtemporain.
« Je veux m'ensevelir, comme au fond d'un tombeau éternellement scellé, dans cette imposture qui saisira, qui gardera à jamais, jusqu'à la fin des âges, tout ce que je suis, tout ce que j'ai été, tout ce que je serai. Je veux que ce tombeau, où je descendrai vivant, soit celui de mon intelligence, de mon coeur, de mon histoire, de mes relations sociales.
« Pour creuser cette tombe, il me faudra bien des années : je les y mettrai. Pour cela, je me servirai de la poésie et des mémoires, du genre léger et du genre sérieux ; je ferai appel à l'amité, au sentiment de l'art, au patriotisme, à l'amour conjugal, à l'amour maternel : tout cela, je saurait l'employer au succès du mensonge littéraire auquel je tiens à vouer ma vie.
« Je vais choisir un être imaginaire : j'en ferai une femme de génie ; et je ne pourrai pas me contenter de l'appeler ainsi : il faudra que je prouve par mes vers qu'elle l'a réellement été. Si mes oeuvres conquièrent l'admiration, elle reviendra tout entiere à cet être fictif. Pour tout mon labeur, je n'aurai ni la gloire, ni la moindre renommée, ni le remerciment des miens, ni la gratitude de mon pays, ni la reconnaissance des hommes, ni la réconpense de Dieu
(1) Le caractère sai generis de ces poésies ne se retrouve, en effet, nulle autre part.
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qu'en cela je ne cherche point à servir ; je n'aurai qu'une satisfaction : j'aurai atteint mon but, c'est-à-dire suivi mon caprice.
« Je pourrais imiter là une oeuvre du XVe siècle, et, le pastiche fait, me l'attribuer comme à son auteur. Si ces vers méritent qu'on s'occupe d'eux, on les admirerait ainsi autant ou à peu près que s'ils prétendent venir d'un inconnu. Mon rôle serait simplifié, et la destinée de mon ouvrage ne risquerait pas d'être compromise par le soupçon de supercherie qu'il éveillera très-probablement. Mais ce serait là purement du domaine de la vérité : je veux rester dans celui du mensonge.
« Je vais m'y mettre donc. L'histoire, le coeur humain, les vertus, les vices, les passions, les guerres étrangères, les guerres civiles et même les querelles entre lettrés, je vais m'emparer de tout cela pour ce que je tiens à réaliser. Je vais m'en servir, non pas pour écrire un roman, une épopée, un drame, où l'oeuvre est fictive mais où l'écrivain reste ; je vais m'en servir pour composer un ensemble d'oeuvres où l'individualité de l'auteur aura disparu, où l'existence réelle du poète se sera complètement évanouie.
« Les connaissances diverses et l'habileté que je n'ai certes pas encore au point où il les faut pour exécuter une oeuvre de ce genre, je vais désormais les acquérir par un labeur qui ne doit oublier ni la poésie ni l'histoire ni la philosophie littéraire ; dès que je les aurai acquises, je les consacrerai entièrement au leurre sans exemple, " et même — c'est assez triste à se dire — sans fruit d'aucune sorte pour moi, qui doit rester à jamais mon secret. »
On croit rêver devant ce rêve. Il y a là quelque chose plus que fantastique, quelque chose qui touche à l'hallucination, au cauchemar. On se demande stupéfait si c'est bien de la région humaine. Et pourtant, dans l'hypothèse de la « critique », ce réve n'a point été imaginaire : il est devenu une réalité.
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Voilà, en effet, ce qu'a dû se dire l'auteur de cette oeuvre, quel qu'il soit, homme ou femme, du XVIe du XVIIe ou du XVIIIe siècle, s'il n'est pas celui qui s'en déclare l'auteur, s'il n'est pas Marguerite-Clotilde de Sur ville. Et non seulement voilà ce qu'il s'est dit, dans l'hypothèse de nos critiques, mais voilà exactement ce qu'il a fait.
Et il n'a pas mis peu de temps à cela ; bien des années de sa jeunesse et de son âge plus avancé ont dû être employées à cette oeuvre : on n'en saurait douter, en voyant ce qu'elle suppose non seulement d'aptitudes littéraires mais de maturité de réflexion. L'oeuvre de la fraude aura dû ainsi être longue. Quelle persistance elle suppose! Quelle obstination inqualifiable à satisfaire un caprice, à poursuivre un but peu moral ! Comme M. Génin a eu raison de dire que, vraiment, c'est à faire pitié !
Mais ce n'est pas tout. Après avoir entendu le monologue indubitable de celui qui a osé ce mensonge littéraire, il faut se dire encore :
Celui qui a médité ce froid calcul, à peu près digne de Méphistophélès, pour assouvir un caprice sans nom, mystère inouï du coeur humain, celui-là a été suave dans sa pensée et sublime dans son élan. Il a égalé le poète des Méditations et des Harmonies ; il a admirablement exprimé les élans les plus généreux et les sentiments les plus beaux. Il a eu de magiques accords où, comme un chant lointain, résonnent les joies pures, les chastes amours, les deuils inconsolés, les enthousiasmes frémissants. Il a palpité, il a pleuré dans l'effusion de l'amitié fervente ; il a eu l'inimitable accent et de la mère et de l'épouse. Il a redit l'hymne intérieur des saintes émotions de l'âme. Pour chanter le bonheur simple et vrai, il a trouvé des mélodies qui ont le charme de celles du printemps ; et sous sa touche féérique, le coeur, la poésie ont vibré comme un merveilleux clavier. Le faussaire s'est changé en Orphée, et la muse divine a comblé l'histrion de ses bienfaits !
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Ainsi, pouf justifier les vues de la « critique », c'est trop, peu que l'auteur de ces oeuvres ait eu un dessein et une obstination aussi contraires à la mission de l'art qu'à toutes les vraisemblances historiques et sociales, mais qui cependant pourraient se concevoir comme une forme exceptionnelle de l'imposture et du caprice humain. C'est déjà certes prodigieux ; mais ce n'est point assez. Il faut de plus ce prodige suprême :
C'est que cet auteur, trompant toujours, a toujours paru vrai ; c'est que son accent, toujours fictif, a toujours semblé un accent sincère ; c'est que son enthousiasme, toujours un jeu, â toujours été le plus ému ; c'est que ce mensonge d'un pasticheur est sur le pied de parfaite égalité avec une oeuvre d'inspiration loyale ; c'est qu'ici, en un mot, la fraude, dans son expression et dans son résultat, a été adéquate à a vérité !
Mais cela n'a qu'un nom : c'est monstrueux.
Et c'est un écrivain de génie qui, dans la logique de cette aberration, aurait fait réussir ce mensonge, digne du dernier des baladins ? Mais c'est la plus sanglante injure que l'on ait encore infligée au génie. Heureusement, c'est la plus téméraire et c'est la moins justifiée.
Nous venons de le constater, cette pothèse est formellement en contradiction avec trois des enseignements principaux qui sortent de ces oeuvres. Elle est contredite, de plus, par toutes les traditions locales. Elle laisse enfin dans toute sa force le problème moral qui domine ici tous les autres et qui comprend les faits suivants, dont il faut rendre compte, quand on veut faire autre chose que de la critique de négation quand même ou de misérable fantaisie :
1° Le miracle psychologique d'un auteur de génie ayant absolument sacrifié sa juste renommée, pour la reporter sur un être fictif ou sur une aïeule morte depuis des siècles ;
2° Le fait, également sans exemple historique, d'un au¬
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teur de génie dont l'oeuvre tout entière ait été, dans des genres divers, une fraude des plus systématiques, une complète mystification ;
3° Le fait, plus prodigieux encore, que cet auteur ait donné l'accent d'une parfaite sincérité à toute son oeuvre, quoique, dans la supposition que l'on veut faire, cette oeuvre soit, d'un bout à l'autre, une supercherie.
Pour être défendue, cette hypothèse demande rigoureusement que l'on confonde, dans la même origine, des productions aux caractères esthétiques les plus divers, non de cette diversité afférente à tel genre littéraire, mais de celle qui résulte de l'époque et du talent d'un auteur. Pour être soutenue, elle a besoin que l'on juge d'une éminente composition poétique, en dehors du sens vrai de la poésie, et que l'on ne compte pour rien ni le sens moral en littérature ni le bon sens en observation des faits du coeur humain.
Cette hypothèse, que l'on ne peut défendre qu'en démentant des faits certains et qu'en sacrifiant des vérités supérieures qui ont toujours été et seront toujours proclamées par la philosophie littéraire et par les nobles créations de l'art, cette hypothèse est ainsi jugée.
Elle est posée en dehors des conditions vraies et des moyens de solution du problême. On ne peut l'accepter sérieusement.
IX
La troisième hypothèse. Elle rend compte de tous les faits qu'il faut expliquer ; elle est verifiée par cela même.
Ainsi, pour rendre compte de ce dont il faut ici donner raison, il ne reste que l'hypothèse de l'authenticité d'un certain nombre de ces poésies et de leur modification ultérieure, hypothèse que nous avons formulée ainsi : Dans le recueil. des oeuvres publiées sous le nom de Marguerite-
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Clotilde de Surville, il y a des poésies de cet auteur du XVe siècle, plus ou moins interpolées ou modifiées et auxquelles on a mêlé des fragments modernes.
Cette hypothèse concorde avec le témoignage rendu par plusieurs des poésies de ce recueil : que leur caractère est celui d'un auteur ayant appartenu, semble-t-il, à la France méridionale et certainement antérieur au XVIIe siècle. Elle est en harmonie avec l'attestation constante de ces oeuvres, se donnant, avec l'accent de la sincérité et du génie, comme étant de Marguerite-Clotilde, épouse de Bérenger de Surville.
Elle montre comment il se fait que ces pages supposent, à la fois, chez celui qui les a composées, l'enthousiasme de la jeunesse et l'expérience littéraire qui ne vient, même aux esprits d'élite, qu'après de mûres réflexions sur les principes de l'art et du beau, — deux conditions qui, réunies, ne s'appliquent à aucun de ceux qui ont, à ce sujet, attiré les soupçons de la critique, ni à Etienne de Surville ni à Jeanne de Vallon, mais qui se rapportent au contraire, avec une entière justesse, à la vie de Marguerite de Surviile. Sa première biographie et les poésies que nous interrogeons disent, en effet, qu'elle a écrit la plupart de ces oeuvres dans sa jeunesse ou dans le milieu de sa vie, et qu'elle les a retouchées, jusques dans sa vieillesse la plus avancée, en leur imprimant ainsi, à toutes à peu près, un même degré de perfection.
Cette hypothèse explique les faits principaux qui ressor-tent de ces poésies ; et seule, elle les explique tous. Seule, elle concilie les indications anciennes avec les attestations modernes qui apparaissent dans ces oeuvres. Elle est seule d'accord avec les caractères esthétiques et historiques que renferment ces pages. Elle seule enfin n'est pas une gageure violente, audacieuse, tentée contre les conditions de sincérité sans lesquelles un chef-d'oeuvre n'a jamais été composé dans son jet primitif; une gageure essayée même contre
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l'histoire du coeur humain, telle que tous les siècles nous l'ont léguée et telle que chacun de nous continue à la dicter et à l'écrire.
A la différence des deux autres hypothèses qui ne rendent compte que de quelques-uns des faits importants dans ce sujet, celle-ci rend compte de tous les faits qui constituent les données du problème.
Cette hypothèse en est donc la solution scientifique ; ce qui la vérifie, ce sont tous les faits à expliquer ici et qu'elle explique parfaitement.
Poétique contenue dans ces pages et remarquable surtout par la manière dont elle est présentée ; enthousiasme pour l'antiquité grecque et latine, comme on ne le trouve, à ce degré, que dans la première phase de la Renaissance et comme il n'existe plus à ce point, cent ans après ; latinismes employés avec facilité et délicatesse; moeurs et pensées qui furent tout-à-fait les pensées et les moeurs de ces jours ; accent de loyauté qui s'élève de ces poésies et qui est le démenti le plus éloquent donné aux théoriciens de la fourberie littéraire, accent si profond qu'il n'est pas de lettré, sceptique ou non à l'égard de cette oeuvre, qui ne le trouve saisissant; concomitance, seule conforme â la raison, du génie et de l'honnêteté, union d'un noble esprit qui crée un chef-d'oeuvre et de la sincérité sans laquelle on n'a jamais rien fait de grand : tout cela est expliqué par cette hypothèse.
Formes modernes, évidentes ici et là, dans ces poésies ; cachet de nos deux derniers siècles qui y apparaît trop souvent; tantôt exagération d'archaïsme et tantôt absence d'ancienneté dans le style ; fictions romanesques et modification de divers fragments conformément à ces données fictives ; changement de quelques dates, peut-être même de quelques noms, pour ramener l'oeuvre du poète au ton des replâtrages exécutés par la fantaisie nobiliaire du XVIIe ou du XVIIIe siècle ; addition à ces poésies, ainsi corrigées, de
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morceaux d'une composition récente destinés à grossir le recueil : tout cela encore trouve son explication, naturellement et sans effort, dans cette hypothèse et dans elle seule. Et c'est cela même qui la justifie ; c'est ce qui doit faire dire à tout esprit judicieux et sincère : Ce n'est plus là seulement une hypothèse ; c'est la réalité.
X
Que pourront les finesses de la critiqué contre ces arguments et contre ces poésies ?
Ainsi, en même temps que des documents certains prouvent l'existence historique de Marguerite de Sur ville (1) et que sa biographie se rattache indubitablement à l'histoire d'une famille du Vivarais ainsi qu'aux données d'une tradition locale (3), l'examen des poésies publiées sous son nom prouve qu'un lien réel unit la personnalité de cette femme à la plupart des pages qui lui ont été attribuées ; ces poésies démontrent que c'est elle et elle seule, altérations à part, qui a composé l'oeuvre littéraire que nous examinons, qui a créé ce monument de l'art, un des plus remarquables que le sentiment du beau ait élevé dans n'importe quel temps et quel pays.
Ne nous étonnons donc pas que cette poésie indique non seulement une époque mais une âme ; qu'elle atteste une vie, la vie même de Marguerite. Tout ce qui dans ces pages a échappé aux interpolateurs répond, d'une manière saisissant,e à l'existence de l'épouse de Bérenger, telle que nous la connaissons. Les chants joyeux disent la félicité de sa jeunesse ; les notes tristes disent ses années de deuil et d'isolement (3).
(1) V. supr., première partie.
(2) V. supr., seconde partie.
(1) V. nos réflexions à ce sujet, inf., cinquième partie, III.
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Tout roman, toute fiction a un cachet reconnaissable ; et ce cachet, on l'aperçoit dans telle partie secondaire de ces poésies, mais on ne le trouve point dans le fond de cette oeuvre.
Aucune des parties anciennes de ces poésies ne montre qu'elle ait été le résultat d'une imitation, d'une supercherie. La parole y exprime, en termes si simples et si bien sentis, les mille nuances qui peuvent être successivement les diverses situations d'une âme, qu'il a fallu être sous leur impression pour les dire ainsi sans apprêt. Autant il a été aisé de revêtir d'un pauvre envieillissement des morceaux comme le quatrième chant du poème de la Nature et de V Univers, comme certaines ballades ou certains rondeaux ; autant il était difficile, impossible même de composer l'Épître à Rocca ou l'Épitre à Marguerite d'Écosse, si l'on n'eût pas été l'auteur sincère de ces pages qui défient la contrefaçon littéraire.
Quel faussaire eut jamais fait accorder à ce point, au plus intime des sentiments qu'une parole candide révèle, la pensée avec son accent extérieur et les chants du poète avec sa vie ? Si cela s'était vu, ce serait le cas de redire, comme on l'a dit sur un plus grave sujet et sur celui-ci, que l'inventeur serait bien plus étonnant que le héros.
Quel est l'artiste baladin qui eût donné à un personnage de fiction cette physionomie si passionnée et si limpide, si mouvementée et si vraie, d'un auteur n'ayant que l'ambition de l'art, qu'indignent le renom d'un Alain Chartier, le triomphe des graves intrigues et le spectacle des indigentes célébrités ? Quel est celui qui eût plaisanté tout simplement avec son imagination, dans ces vers où l'on sent protester une âme ?
Pauvre Marguerite ! Tu t'es brisée contre le piédestal de ce parvenu littéraire, célébré, renté, patenté. Devant se vains succès tu as jeté ta protestation. L'orgueil courtisanesque l'a étouffée : elle s'est perdue sans écho. Le parvenu
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a continué d'avoir pour lui la renommée ; il l'a encore auprès de nos lettrés. Toi, tu n'es pas même une ombre pour eux. Et ceux qui te nient, quand tu leur arraches un cri d'admiration, ils ont des chaires d'éloquence et des Revues à eux. Poète sans nom, d'où vas-tu leur répondre?
Réponds-leur du fond de ta poussière. De là, tu parles encore plus haut qu'eux.
Certes, il y eut pourtant un caractère dans l'auteur qui
écrivait ces vers :
« Rayne, du vray sans feinte aucune esprise,
« Qui iustement tout eueur changeant desprise,
» D'byer sournois, adez fol et ioyeux,
Moult eshonté pour muer à vos yeulx.. (1)
Ce caractère, aussi frappant dans ces pages que l'était le sentiment du beau, aurait dù suffire pour saisir l'attention d'un siècle qui parle d'indépendance et d'équité. Mais quand on laissait prendre ou qu'on donnait plutôt le sceptre de l'art aux intrigants succès, on pouvait bien laisser les vraies grandeurs d'âme à l'oubli.
D'autres n'ont pas oublié ; ils ont nié. Pour expliquer un chef-d'oeuvre de l'art, ils n'ont pas hésité entre le coeur éloquent qui dit vrai et l'habile artifice qui ment. Au bon sens ils ont préféré des chimères ; les finesses ont primé l'âme.
Ces finesses et ces chimères nuiront-elles beaucoup à la renommée définitive de notre grand poète ? Nous ne le pensons pas. Homère a médiocrement souffert des Zoïles et des Aristarques. Dante et Sheakspeare s'en sont fort bien tirés, quel qu'ait été le nombre des lettrés ameutés contre leur génie. Clotilde, leur égale par le talent sinon par l'étendue de son oeuvre, ne vivra pas moins qu'eux, malgré ses adversaires passés et futurs.
(1) Poésies de Marguerite de Surville. Epistre à Marguerite d'Escosse.
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XI
Ce que réclament les poésies de Marguerite de Surville.
Il appartient à notre temps de faire que ces poésies obtiennent la place qu'elles doivent-avoir dans nos annales littéraires et soient rendues, le plus possible, à leur intégrité.
Pour cela, il faut faire le contraire de ce qu'a fait Étienne de Surville ; il a augmenté ce recueil (1) ; il faut le diminuer. Le bagage compromettant est de trop. On doit prétendre sauver le navire et non pas toute la cargaison ; il faut jeter à l'eau résolument ce qui est un embarras et un danger.
Si les vues que nous avons exprimées sont exactes, l'Epitre à Rocca, la plupart de Rondels parus en 1803 et le Dialogue entre Apollon et Clotilde, morceaux demeurés presque intacts et n'ayant reçu que des additions peu nombreuses, n'offriront pas de difficultés sérieuses pour l'édition nouvelle qu'il convient de donner de ces poésies.
L'Epitre à Marguerite d'Ecosse, l'Elégie sur la mort d'Héloysa, les Plaids d'or et deux ou trois autres fragments, qui ont subi des altérations plus graves, pourront cependant être reproduits, sans trop d'obstacles, dans un état au moins bien rapproché de leur forme première.
La restauration du texte primitif sera beaucoup plus difficile pour l'Héroïde à Bérenger et les chants d'amour ; et
(1) Et, en cela, nous l'avons dit, il n'a lait que suivre l'habitude générale de son temps.
« Cette fureur de grossir indiscrètement les volumes sous prétexte de les enrichir, écrivait un contemporain d'Etienne de Surville, est « commune à presque tous les éditeurs ; et cependant point de moyen < plus sûr de nuire au goût et à la gloire des auteurs. On croit leur « donner de la parure et de l'embonpoint.. On ne leur donne qu'une « enflure hydropique qui les défigure (a)
(a) Habatier (de Castres) - Les trois siècles de la littérature française, t. II. Edit. 1778.
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les difficultés seront encore peut-être plus grandes pour les Verselets et le chant royal à Charles VIII, si l'on peut même espérer de dégager ces pièces de vers des profondes modifications qu'elles ont subies. Enfin, tous les morceaux modernes devront être exclus du recueil, ainsi que ceux pour lesquels un travail à peu près satisfaisant de restauration n'aura pu avoir lieu.
Que faudra-t-il donc faire ? Supprimer les parties ajoutées malencontreusement ou qu'il sera impossible de ramener à un état très-voisin de leur état primitif ; et, sur les autres, gratter le badigeon qu'y ont passé les deux derniers siècles.
Ce volume devra être précédé d'une introduction où, avec le môme talent, s'il se peut, que celui qu'a mis Vanderbourg à la préface du premier recueil et avec plus de lumières que n'en a eu ce judicieux éditeur, on discernera, dans la vie du poète, la réalité historique de la légende. On devra y examiner aussi, en dehors de tout préjugé favorable ou non, ce qu'il faut penser des femmes poètes antérieures à Marguerite de Surville, depuis le XIIe siècle. On aura à faire, à cet égard, la part de la fiction et celle de la vérité, telle qu'on pourra la connaître probablement.
Cette édition, qui tentera sans doute le zèle d'un éditeur dévoué, comme les recueils précédents en ont eus dans MM. Henrichs et Nepveu, devra présenter non seulement une complète révision des morceaux admissibles du premier recueil, mais aussi une mise en ordre plus vraie des parties qu'elle contiendra.
Grâce à ce travail, notre littérature ne verra plus proscrire une oeuvre sincère et de l'art le plus délicat, par le motif insuffisant que des modifications l'ont altérée et qu'on y a mêlé des fragments modernes. Ce que l'on réalisera ainsi, c'est ce qui fut la pensée d'excellents critiques : Laya, Mi-
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chaud et Schweighaeuser (1), le savant éditeur d'Hérodote, de Polybe et d'Appien.
C'est le désir qu'un de nos écrivains, M. Jules Levallois, a exprimé dans une éloquente étude où il a traité vaillamment ce sujet, avec les seules ressources, quelquefois bien puissantes, qui viennent de l'intuition de l'âme et où il a comme pressenti les documents qu'on allait produire.
« Peut-être, dit-il dans ces brillantes pages, la philolo- « gie contemporaine, en étudiant, en approfondissant le « texte de Clotilde, parviendra-t-elle à enlever les touches « parasites ajoutées par Sur ville et à faire reparaître dans « leurs naïves beautés les formes de l'antique langage. » (3)
Ce que M. J. Levallois souhaite comme une chose peut-être . possible, nous le demandons comme une chose réalisable. Maintenant que l'on peut être fixé sur l'existence historique du poète et sur l'authenticité de son oeuvre, on pourra aussi, nous en avons l'espoir, tenter cette amélioration littéraire, sans crainte de s'égarer dans l'illusion.
(1) Doyen de la Faculté des lettres de Strasbourg, sous la Restauration.
(2) Jules Levallois. Une résurrection littéraire. Clottldc de SurVille et ses éditeurs. Le Correspo dant, du 10 août 1872,
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CINQUIÈME PARTIE
APERÇU GÉNÉRAL SUR LA VIE ET L'OEUVRE LITTÉRAIRE DE
MARGUERITE DE SURVILLE.
I
Marguerite et son oeuvre poétique.
Maintenant parcourons d'un coup d'oeil la vie et l'oeuvre de Marguerite de Surville.
Dans un vallon escarpé et aride du midi de la France, dans un site écarté où passent cependant les désolations de la patrie et l'enthousiasme du beau, une enfant à qui l'on a dit quelques- mots du langage rhythmique s'est sentie captivée par ce qu'il a de saisissant. Elle aime l'harmonie des vers et les enchantements d'une parole cadencée. Elle a déjà l'intuition du poète, la sorte de divination d'une pensée qu'attire l'idéal.
Les jours de cette époque sont des jours de grande misère et d'effrayantes luttes. Un peuple s'agite convulsif sous un vent de tempête qui soulève et renouvelle la France. C'est dans cet horizon orageux que l'enfant a été touchée de l'éclair du génie, comme le fut le grand proscrit Florentin sous un ciel aussi sombre et dans les déchirements de sa patrie.
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Comme lui, cette enfant nommée Marguerite a frémi d'un enthousiasme étrange pour ces puissants charmeurs qu'eurent les âges renommés de la Grèce et de Rome. Avec lui, elle eut dit, en rencontrant l'ombre d'un de ces poètes :
« O ! se tu quel Virgilio, e quella fonte
« Che spande di parlar si largo hume 1 (I)
Elle qui, après avoir exploré longtemps le champ de la poésie latine, devait bien pouvoir dire :
« El d'où vient n'ozeroye, indigente, glesner Où Dante ià longtems bien oza meyssonner ? (2)
Elle a pour initiateurs à la vie littéraire, son père, homme de loi du Vivarais, sa mère aussi, semblerait-il, quel qu'ait, été son nom, et un ami de sa famille, Jean du Sault, érudit de Viviers ou de Saint-Montan. Et, pour courir dans la voie qui l'appelle, elle a l'élan de sa pensée et l'ardeur de son âme.
Etonnant esprit, elle écrit à seize ans une poétique nouvelle qui la guidera invariablement dans sa longue carrière ; et à quatre-vingt neuf ans, elle chante encore un chant plein de patriotiques accents. Elle s'élève à une hauteur que ne savent atteindre ni Charles d'Orléans ni Marot ni Ronsard. Non seulement son oeuvre surpasse celle de ses contemporains, mais, comme puissance de pensée et comme précision de forme, elle va de pair avec celle des plus éminents poètes qui ont illustré l'humanité. Homère, Virgile, Dante, Lamartine, n'ont pas eu plus qu'elle le sentiment du beau ; aucun d'eux n'a eu davantage le jet brûlant de la pensée et la parole où cette pensée se moule comme un vibrant airain.
Avec son sens exquis de l'art, elle sait échapper aux excès qui, plus tard, apparaîtront successivement dans la
(1) Dante Alighieri. Divina Commenta,
(2) Marguerite de Surville. Fragments d'Epistres.
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littérature française, du XVIe siècle au XIXe : elle évite un romantisme trop affranchi de justes règles et un classicisme trop indigent de vie.
Sous la triple influence du français, alors déjà formé, du latin et de l'idiome roman de son pays, elle crée un genre de poésie, on peut presque dire un genre de langage qui est vraiment le sien et que l'on ne retrouve pas, marqué des mêmes caractères, dans les trois siècles qui s'écoulent après elle. Là, dans d'inimitables pages, de celles que le temps n'efface point, elle montre de l'éloquence sans emphase, un langage simple sans vulgarité, un esprit innovateur et point téméraire, une âme fascinée du beau et d'un goût littéraire qui n'est jamais aventuré.
Et ce n'est pas seulement de l'éloquence et de la poésie qu'il y a dans cette âme ; il y a la vigueur de la pensée et le goût des fortes investigations du domaine intellectuel. On peut le dire en restant loin de tout point de vue légendaire, elle apparait, grandiose figure, à la fin de ce grand moyen-âge qui a montré, dans le sexe de cet auteur, des esprits admirablement passionnés et pour la science et pour l'art ; qui a eu, entre bien d'autres, une illustre Héloïse, « dis; « tinguée par la poésie, l'éloquence et la philosophie « (1) ; une Roswita, du monastère de Gandersheim, philosophe et poète, lisant Aristote dans sa langue et composant, avec des chants historiques, des drames religieux qui témoignent de vraies aptitudes esthétiques (2). Marguerite n'aborde pas les régions de la science ; elle s'occupe des choses littéraires ; mais elle n'en est pas moins du nombre des intelligences qui, dans ces siècles de vaillants efforts, ont porté un ferme coup d'oeil sur une partie de ce qui constitue l'ensemble des connaissances humaines.
(4) Pierre le Vénérable Lettre à Héloise. Palrol. latin, t. CLXXXIX, Petius Cluniac. lib. IV. Epis t. 21.
(2) V, l'édit. Magnin. 1845.
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Dans le vallon calme de Vesseaux où s'écoule sa vie, elle n'a pas les entraînements intellectuels qu'elle aurait eus dans un vaste milieu. Mais, par le fait de ce hasard qui n'est autre que la providentielle sagesse, elle y trouve, au moins quelque temps, les exhortations de l'amitié ; et quand l'amitié lui échappe, il lui reste l'amour de l'art et l'énergie de sa volonté.
Ah ! sans doute, il lui manque quelque chose alors, quelque chose même supérieur à tout. Son oeuvre, il est vrai, fait un noble contraste avec cette littérature qui allait, pendant un siècle et plus, se traîner dans les lubricités du récit graveleux ; elle se distingue, par son honnêteté, de cette poésie qui, au XVIe siècle surtout, ferait consister l'art à rajeunir ce que la muse latine eut jamais de plus libertin. Mais il ne manque pas moins à son talent la ferveur de l'esprit d'amour saint qui doit faire la poésie sublime d'un nouveau monde social. Son enthousiasme n'est qu'à demi chrétien, sans être cependant ni au rationalisme ni aux matérialistes abjections. Mais, bien que les circonstances n'excusent jamais entièrement l'indigence plus ou moins grande de ce qui doit vivifier l'âme, quel est le poète qui ait eu souverainement cet esprit de vie, dans ce XVe siècle, à l'excès sous le charme de la Grèce et de l'antique Rome ?
Aussi, malgré tout ce qu'il y a de distingué dans ses pages, Marguerite ne sait point réagir dans le sens de l'art intimement croyant qu'elle eut pu exprimer avec sa rare puissance de sentiment. Et, en même temps, il y a néanmoins assez de sincérité dans sa pensée et assez de noblesse dans son oeuvre, pour que l'on puisse voir en elle, à plus d'un égard, un lointain avant-coureur de la poésie qui sera celle d'une époque de rénovation.
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II
Caractère moral de Marguerite. Pourquoi, durant sa vie, elle n'a pas eu la célébrité.
Mais n'y a-t-il pas lieu de s'étonner que cette oeuvre soit demeurée si longtemps inconnue ? N'est-ce pas une chose étrange que des pages marquées du sceau du génie soient restées perdues trois cents ans ? Marguerite n'avait-elle donc pas ce qui est nécessaire pour arriver à la renommée ? N'avait-elle pas de l'âme et de l'art, un peu plus même qu'il n'en faut à des milliers d'auteurs pour sortir un moment de l'obscurité ?
Oui, tout cela, elle l'avait, et elle aurait eu bientôt la célébrité, si elle avait voulu l'acquérir au prix de la dignité du caractère, qu'elle tint à garder, et avec l'esprit d'intrigue dont elle ne voulut pas.
Qu'elle eut été un auteur comme d'autres ; qu'elle eut appelé â son aide les moyens habituels du « succès » ; que les petites habiletés qui réussissent ne lui eussent point paru à dédaigner ; que les basses complaisances lui eussent souri ; que l'obséquiosité, rampant vers son but et se servant également de la vérité et du mensonge, ne lui eût point semblé trop indigne ; qu'elle eût fait du scandale comme Villon ou de la courtisanerie, comme Alain Chartier, alors elle aurait eu un nom que la critique ne lui contesterait point, qu'elle serait même probablement bruyante à proclamer.
Il n'en fut pas ainsi. On a dit que le style, c'est l'homme, et l'on a eu raison ; aussi n'a-t-on qu'à lire les poésies de Marguerite pour voir ce qu'elle fut. Si sa destinée d'auteur n'allait être point ordinaire, sa trempe de caractère ne le fut point : ni ce caractère ni ces oeuvres ne furent frappés d'une empreinte vulgaire.
Ce que manifestent ses pages les moins modifiées, telles que l'Epitre à Rocca, le Dialogue entre Apollon et Clo¬
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tilde et l'Epitre à Marguerite d'Ecosse, c'est que nul ne fut plus éloigné qu'elle du désir de se faire un nom par l'intrigue et de donner à ses poésies une autre valeur que celle que leur mérite pouvait leur donner. Sous ce rapport qui ne nous laisse point indifférent ; il n'y a pas eu, dans le monde des lettres, de figure plus philosophique, au sens élevé du mot, et son abnégation littéraire contraste même éloquemment avec les procédés habiles de plusieurs de ceux qui ont été si peu justes envers elle, dans notre temps et dans le sien.
N'aima-t-elle donc pas la gloire ? Elle l'aima, elle le dit elle-même :
— « Qu'eusses voulu que ne t'ay dispensé 1
— « La gloire. (1) »
Mais, si elle eut cette ambition, elle l'eut comme l'ont les nobles coeurs, avec un but autre qu'un but d'égoïsme, et avec le respect du vrai, d'une âme qui refuse d'édifier sa vaine grandeur sur ce qui, dans une gloire éphémère, est un orgueilleux avilissement.
Ce que ces morceaux ne révèlent pas moins, c'est qu'elle aima le juste autant que le vrai, et que son esprit, loin de pencher vers d'utiles complaisances, semble avoir incliné plutôt vers une noble rigidité. De là ces pages fermes comme un burin, où la médiocrité vaniteuse de bien des lettrés de son temps et du maître qu'on encensait, a été et restera stigmatisée.
Voilà donc un poète perdu au fond de sa province. Sa solitude, pénible à tant d'égards, il l'aime, il la supporte dignement au moins ; son coeur veut garder ses regrets loin d'un monde tumultueux. Deux fois pourtant, dans de longues années, il envoie dans le milieu même où se créent les
Poésies de Marguerite de Surville. Dialogue entre Apollon et
Si l'auteur qui parle ainsi a connu l'ambition de la gloire, ce n'est donc pas lui qui, pour immortaliser son nom, l'aurait enseveli é jamais, selon l'hypothèse de nos savants critiques.
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renommées, des pages qui révèlent son génie. Il y envoie notamment une Épitre adressée (1) à une noble protectrice des lettres, à Marguerite d'Écosse. Mais dans cette Épitre le poète s'inspire d'une trop spirituelle équité ; et sa verve puissamment satirique n'y sait point épargner, pas plus que dans quelques rondels, celui qui alors est « le poupart des muses », le fameux Alain, individualité absorbante, comme bien des vanités littéraires, avant et après lui ; Alain qui, pour sa gloriole lucrative (2) de rhéteur et de faiseur de vers, sait si bien se servir de tous ses moyens d'influence, des ressources de son talent vulgaire et même de ses petites vertus.
Marguerite d'Écosse, fut-elle, malgré son jeune âge, au dessus des intrigues qui s'agitent autour d'elle, est là pour peu de temps. Elle disparue (3), qu'auront les lettrés courtisans pour ces quelques feuillets que l'imprimerie ne peut même point encore protéger peut-être contre un entier oubli ? Ils auront — disons-le sans forcer le trait en aucune manière, sans poser Marguerite en victime plus que bien d'autres, — ils auront cette injustice courante que le formalisme de tous les temps a toujours avalée comme de l'eau, cette injustice ordinaire et misérable qu'a toujours eue l'habileté satisfaite, l'habileté politique ou littéraire, pour les caractères les plus dignes, pour le talent qui n'intrigue pas.
Ils feront ce que l'on peut faire, ce que l'on fait même de nos jours, en dépit de la presse aux cent voix : autour de ces éloquentes pages, ils feront la conspiration du silence, pour montrer comment on se débarrasse du génie importun et pour apprendre à cette provinciale à respecter les gloires menteuses qui ont su se faire une royauté.
(1) Vers 1444.
(2) V. aux documents justificatifs, II, la note relative à une partie des émoluments d'Alain Chartier.
(3) Marguerite d'Ecosse mourut très-jeune encore, en 1445.
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Qu'est-ce donc que celte justice-des contemporains d'un grand coeur, qui le vouent froidement à l'oubli ? C'est celle de la mesquine humanité, indigente d'amour et pauvre d'àme. Que leur importe à eux que cette femme ait du génie ? C'est un génie sans piédestal, c'est-à-dire sans là situation en vue," éclatante, extérieure, juste ou usurpée, honorable ou non, qui fait admirer le talent vrai, à moins que celui qui l'a eu ne soit dans la tombe. Ce piédestal, cette infatuation permanente, jamais lassée, de la sottise humaine, le poète refusa de se le faire avec des moyens vils. Et en cela nous l'admirons.
III
Comment Marguerite a trouvé dans l'obscurité de sa vie la condition première du perfectionnement de son oeuvre. Physionomie littéraire de Marguerite. Influences qui ont développé son talent.
Marguerite reste donc inconnue dans sa vallée ; elle n'a pour écho que la pensée de quelques coeurs amis qui bientôt s'en iront. Les séparations et les deuils font le vide autour d'elle. Après Bérenger et son fils, après ses amies et Héloysa peu à peu disparues, des enfants sont la société presque habituelle de cet esprit fait pour un brillant théâtre littéraire et que d'égoïstes petitesses ont jeté à l'ensevelissement.
Il semble que ce ne peut être que la disparition de ce génie et de son oeuvre. Mais la providence est là, elle la suprême réparatrice des ruines que fait l'orgueil humain ; elle saura tirer un bien de ce mal, une grandeur plus vraie de cet oubli.
Marguerite fait dans sa solitude ce que les dissipations bruyantes ne font point. Elle revoit ce qu'ont créé ses labeurs ; elle le rapproche davantage du type de la perfection esthétique qu'elle a eu toujours devant elle. Et ce travail de perfectionnement n'est pas sans difficulté, même pour
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la pensée puissante qui a dicté ces chants. Le temps a marché ; un demi-siècle s'est écoulé depuis que Marguerite composait les poésies de sa jeunesse. Plusieurs mots ont vieilli ; quelques tournures de langage se sont déjà un peu modifiées. Qui mieux que le poète sait ce que son oeuvre réclame pour ne point trop sentir la vétusté ? Qui peut exprimer mieux que lui les changements qu'il doit apporter à ses vers d'autrefois ? Ecoutez-le :
« Point d'ouvrage parfait n'esclot du plus habile :
« Cuidez qu'en parie à fond ; quant loisir m'est donne,
« Reprends de mon jeune aage un fruict abandonné.
« Le revoy, le polys ; s'est gentil, le caresse ; (1)
Ainz voi-ie qu'est manqué, la flamme le redresse.
« Grâce au tems qu'ay vescu, se peut que les povrets
« De cil qui tout destruit n'apprehendent les traits.
« Tel que fls sans effort ne corrige sans payne.
« Ainz quant, simples et doulx, coulèrent de ma vayne,
« N'eusse dit qu'en fauldroit, septénaire, bannir
« Vocables dont, jeunette, aymoye à les garnir.
« Ainsy veuit le tyran qui des langues dispose :
« L'ay bravé moultesfois. » (2)
Et c'est en le bravant, avec son goût, avec son âme, que Marguerite marque définitivement, même sur la plupart de ses premières oeuvres, ce cachet littéraire de la dernière partie du XVe siècle, ce caractère qu'elle peut certes imprimer aussi bien que ne le font, à cette époque, des littérateurs tels que Jean Molinet, versificateurs sans poésie, n'ayant pas, dans leurs vers, plus d'archaïsmes non factices qu'il n'y en a dans les siens.
Alors, ceux qui jadis avaient accueilli sa muse avec peu d'équité, ont disparu depuis longtemps d'une scène qu'ils avaient occupée sans grandeur(3). L'imprimerie va donner ses merveilles, et Marguerite pourrait y trouver le moyen
(1) Là est l'explication de cette forme burinée, de cette netteté de relief qu'on a élé surpris de trouver dans ces poésies.
(2) Poésies de Marguerite de Surville. Fragments d'Epistres. (3) Alain Chartier était mort en 1468.
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de, sortir de l'oubli où l'ont condamnée ses rivaux d'autrefois. Mais ce n'est pas elle qui, sur le déclin de sa vie, poursuivra, des satisfactions d'amour-propre qu'elle n'a connues que dans l'intimité, pendant ses premiers ans.
A cette époque où le talent littéraire de Marguerite est dans sa pleine maturité, esquissons-le en quelques traits, dans cet aperçu d'une vie que la pensée de l'art domine.
Marguerite alors a depuis longtemps une physionomie esthétique caractérisée, et telle qu'il n'en est pas de plus distincte dans les lettres anciennes et dans les quatre siècles de la littérature française écoulés depuis le chantre de l'Epitre à Rocca.
A qui cet auteur ressemble-t-il ? Il ne ressemble qu'à lui-même. Il a cependant des affinités avec des maîtres de l'antiquité classique, et nous pourrions citer certaines pages de l'auteur latin des Fastes et des Elégies, avec lesquelles tels vers de Marguerite ont une lointaine similitude, d'ailleurs sans aucun essai d'imitation. Ce que Marguerite a de commun avec ce poète,c'est la facilité harmonieuse et surtout un même accent dans la douleur, où respire encore toute la grâce d'un naturel des mieux doués.
D'ailleurs, comme nous l'avons dit, il y a dans l'oeuvre de Marguerite deux phases qui correspondent aux influences qui ont agi sur son talent.
Dans l'inspiration de ses premières années, — sans revenir ici sur ce que nous avons remarqué (1) des amitiés qui, à nos yeux, sont loin d'avoir été étrangères à son développement intellectuel, — l'auteur dont sa poésie se ressent le plus, c'est Froissart, de qui elle a su faire une appréciation si vraie (2) ; et avec lui, c'est cette trouveresse, d'un vérita-
(1) V. supr., première partie, VI. (2) V. supr., troisième partie, IX et XII.
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ble élan poétique, Barbe de Verrue, qui nous est connue surtout par des morceaux qu'a transmis Marguerite (1), mais dont le genre toutefois diffère, à maints égards, de celui de l'épouse de Bérenger.
Admettrait-on même,comme on l'a dit, d'après elle probablement (2), qu'elle a pu trouver des modèles plus ou moins éloquents et une excitation pour son génie, dans les vers de femmes poètes antérieures à son époque et se rattachant par leur inspiration à la célèbre Héloise du XIIeme siècle, quelle invraisemblance y aurait-il ? Si ces chants sont perdus, des témoignages mêmes du temps n'affirment-ils pas que les vers d'Héloise, « passionnée pour le beau dans tous les arts » (3), que « sa poésie, sa renommée s'étaient répandues dans toute la France » (4), comme les poésies et le renom d'Abailard ; que ses chants avaient un écho dans des milliers de coeurs, et que, peut-être pour la première fois dans l'idiome français, ils disaient le lyrisme d'une entraînante poésie? Comment des chants si populaires n'auraient-ils pas laissé un souvenir ? Comment n'auraient-ils même pas créé, dans ces enthonsiames qu'ils électrisaient, une tradition poétique dont on pût connaître les vestiges, trois siècles après ?
Dans la seconde phase de la vie de Marguerite, l'influence dont son oeuvre se ressent le plus n'est pas celle de nos anciens trouvères : c'est celle de Virgile et plus encore peut-être celle d'Ovide, vers le genre duquel, nous l'avons dit, ses tendances l'inclinent. Cette action de la poésie latine explique principalement comment Marguerite est parvenue à donner à son style le degré de perfection qu'il possède,
(1) V. sopr., troisième partir, XI
Legrand d'Aossy a donné, de son côte, on remarquable fabliau de cette trouveresse. («)
(2) D'après ses mémoires, a dit Etienne de Surville.
(3) Pierre le Vénérable. Op.. loc. cit
(4) Petr. Abael. Apol. — Petr. Clomac. Epist.
(a) Legrand d'Aussy Fabliaux de 12 et 13e siècles.
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et comment elle est arrivée à cette précision de forme qu'elle a imprimée à toutes ses oeuvres, même à la plupart de celles de sa jeunesse (ses rondels exceptés), par des retouches que peut faire seul un auteur d'un rare talent.
Et ces différences que nous observons ont été d'ailleurs très-naturelles. La jeunesse, exubérante du poète est allée, sous le rapport de l'art, du côté où l'emportait l'élan de sa pensée : elle a pris la note de ces chants joyeux où excellait Froissart ; Froissart dont la renommée avait été alors portée à loin, à la différence du renom tout local de plusieurs de nos poètes du moyen-âge ; Froissart que Marguerite pouvait saluer connue on maître et qui venait d'achever sa vie lorsque la sienne commençait.
Ensuite, après de saignantes épreuves, sa muse quitte le premier vêtement sons lequel elle s'est montrée, et elle en prend un plus sévère.
Ses chants alors n'ont pins de sourire ; et le poète, avec le goût littéraire qui l'a toujours caractérisé, revient avec une pensée plus grave à ces modèles de la poésie latine qui avaient contribué autrefois à former son génie et à donner l'harmonie à ses accents.
D'ailleurs, après le milieu de sa vie, elle reprend, naturellement aussi, le vers alexandrin qui va mieux désormais à sa pensée.
Dans sa jeunesse et dans son âge mûr, elle a de préférence employé soit le vers de dix syllabes dont elle trouvait un modèle dans les tercets de Dante, soit le rhythme élégiaque, hexamètre et pentamètre alternés, dont Ovide et Properce (1) lui offraient l'exemple, et qui exprime mieux le mouve¬ ment de la passion. C'est ainsi qu'elle choisit, comme tout vrai poète, avec spontanéité et réflexion, la forme avec la quelle elle peut le moins défectueusement traduire son im¬ pression du beau.
(I) Froperce Élégies.
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Il y a ainsi une démarcation tranchée dans l'oeuvre poétide Marguerite ; il y a la même délimitation que dans sa vie, bien que, dans des situations qui différent, se révèle l'accent de la même âme. -
De seize à vingt-quatre ans, son génie produit ces gerbes étincelantes qui sont les Chants d'amour, les Plaids dor, les stances de Bosalyre, l'Epitre à Bocca, le Dialogue entre Apollon et Clotilde.
Puis, ces reflets s'éteignent. Bonheurs, mirages, illusions, tout cela disparait ; la mort s'est dressée devant le poète et a tout assombri. L'isolement s'ajoute aux deuils. Marguerite est dans son vallon paternel ; elle y trouve le souvenir de ses aïeux et de ses joies premières : mais c'est la dévorante solitude pour sa pensée et pour son coeur. La solitude, l'abandon, les découragements, les regrets, pour elle c'est l'oppression de l'âme et c'est un voile pour ses chants.
IV
Le martyre du génie. Les consolations de la foi. Fin de la vie de Marguerite. La justice de revenir.
Marguerite sait désormais ce qu'ily a d'amer dans la coupe de l'existence humaine, quand l'amour surnaturel, plus fort que l'épreuve, ne fait pas monter du sein de l'atfliction une austère et suave louange à Dieu. Elle connaît les désolations intérieures que la parole n'exprime point ; sa sensibilité profonde épuise le tourment d'une grande intelligence hors de son milieu. Comme l'exilé de Tomi, elle peut chanter ses Tristes. Elle cherche, elle regarde autour d'elle : pas une âme où palpite l'amour de l'art qui est toujours sa fascination.
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Que venez-vous, ô voix de mystère, lui parler la langue du poète et lui dicter des chants ? Ces chants, à qui les dira-t-elle ? à quoi serviront-ils ? Son oeuvre et sa pensée, sa pensée riante autrefois, son oeuvre dont elle ne doutait point, et dont le but devient incertain pour elle, lui appore tent maintenant l'agonie de l'âme et l'indicible accablement.
Où sont ces jours où les rêves brillants, l'exaltation et la jeunesse faisaient une fête de son printemps ; où son horizon était lumière, suavité, splendeur ? Les joies se sont changées en martyre. Ceux qu'elle aimait, ceux qui la comprenaient se sont enfuis ; seul, son enthousiasme lui reste, mais il n'est plus qu'un feu qui consume.
Ah ! le poète rachète maintenant de vains enivrements d'autrefois. Dans son coeur, comme dans celui de la réfugiée du Paraclet, dont elle n'a point partagé les fautes mais dont elle a eu les illusions, sans s'élever ensuite autant qu'elle vers l'héroïque grandeur de l'âme, l'amour mondain est devenu l'amour qui souffre et qui expie.
Bile est entrée dans la voix douloureuse, dans cette voie que de grands poètes out mouillée de leurs larmes et que nous devions voir suivre, par d'illustres contemporains. Mais, devant les blessures de son coeur, elle apprend enfin quel en est le divin baume. Elle monte pins haut que la région des idées de l'art ; par delà, elle découvre les pensées qui peuvent lui donner, avec un peu de la véritable paix, l'explication de son martyre. Les choses religieuses exercent sur elle une attraction plus grande qu'elles ne l'ont fait autrefois ; et au dessus de beaucoup d'afflictions, c'est l'éminent bienfait que lui a apporté l'injustice des hommes, en la condamnant à l'oubli.
Marguerite a toujours eu pourtant la foi et l'espérance du chrétien ; mais la distraction des vanités frivoles l'a
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éloignée, longtemps de la magnanimité de l'amour d'en haut. Elle est plus touchée maintenant ; par la pensée des sublimes réalités du monde invisible. Qu'est-ce qui la préoccupe et console ses tristesses d'exi) ? Les traditions de sa vallée nous le disent.
Marguerite se fait un honneur de restaurer l'église dé son village ; elle veut que ce temple saint soit moins indigné de la piété d'un peuple croyant. Et, dans ce sanctuaire qu'ont . respecté l'injure du temps et celles des dévastations humaines, près d'un antique, autel de Marie, transformé bien longtemps après dans le goût médiocre du commencement de notre siècle, elle ira répandre ses prières et ses pleurs. Elle transmettra à ses petits-enfants l'attachement à la vérité catholique que ses aïeux ont.professée ; et, grâce pour beaucoup à la sollicitude du poète, sa famille saura garder le dépôt de la foi de Dieu.
Le soir est venu pour cette vie qui résume l'histoire de plus d'un grand coeur. D'un des derniers, sommets de son existence, Marguerite peut revoir son passé. Là, se déroulent tour à tour les enthousiasmes de l'âme ; ses lassitudes, ses espoirs, ses brisements. Là, retentit l'Hymne, vite achevé, de la félicité humaine, que continue, bientôt un chant de deuil.
Là, devant le regard du poète surgissent, visions,fascinatrices, les reflets de pourpre et d'or de son aurore suivi de l'éclat fatiguant du midi et des teintes décolorées du soir . Là, en évoquant ses, souvenirs lointains, Marguerite voit passer ses joies et ses larmes, les épreuves et les élans son coeur qui a tant appelé et tant souffert.
Après l'agitation de ses longs jours, elle enfin, elle aussi peut dire : « Je m'endormirai dans celui qui est la paix et, en « lui je trouverait repos. » Puis, elle passe au suprême som¬
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meil, confiante on Dieu, attendant de lai un avenir ; meilleur.
Son oeuvre reste ensevelle ; son souvenir s'écoule peu à peu, comme l'eau du torrent de sa vallée. Son âme a trouvé sans doute sa récompense ailleurs ; mais son nom attend ici, pendant des siècles, l'équité de l'histoire sa cendre a l'oubli et un obscur tombeau.
Oh ! nous avons presque des larmes devant ta mémoire, noble poète, Nous trouverions sévère à l'excès ta destinée, si une destinée pleine d'obstacles n'avait pas ici été celle de tout ce qui fut grand.
Tu as eu, ô poète, l'exaltation vers l'idéal et la passion du beau. Nous nous agenouillons, nous aussi, devant cet idéal qui n'est pas une abstraction vaine, qui est le Christ, la divine splendeur. Comme toi, nous baiserions la trace de ce beau ineffable, vivante et suprême harmonie, dont ta poésie là plus plus magique ne, fut qu'un faible écho. Avec toi, nous nous inclinons devant la fermeté, du caractère, cet honneur dont les avilissements peuvent sourire, Cette force calme à peine connue des teints de lâcheté. Tu as eu sans orgueil cette dignité de l'honneur ; tu as méprisé les faveurs de l'intrigue, les bassesses de l'obséquiosité. Tu as refusé ton nom à cette, foule qui, en choses politiques et littéraires; a fait dans chaque siècle l'innombrable légion des valets. Et cela fut ton crime devant les habiles de ton époque ; cela a fait ton, insuccès devant la futilité de l'opinion des temps écoulés après toi On a nié ton génie, ta vie même. Les corrupteurs des nations, les massacreurs de peuples ont leur gloire ; la tienne, cette gloire sereine et pure, tu ne l'as pas encore devant les hommes; tu ne l'as pas même devant ton pays Mais tu auras pour toi la justice de l'équitable avenir ; les âges futurs répareront cette ingratitude du passé,
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On jour ; qui n'est pas loin, ton nom sortira de l'oubli. On redira tes malheurs, ton génie. On saluera en toi un coeur généreux, un brillant poète, un esprit éminemement doué du sentiment de l'art, une âme qui fut un caractère et qui eut l'amour du bien et dubeau (1)
FIN.
(1) Nous qui avons passn bien desjoursde nntre enfariee> et, ; dn;UQ-tre jeunesse dans ce vallon de Vesseaux où Marguerite de Surville vécu ; qui avions alors près de nous les traditions qu'elle a laissées et les si tés qu'elle a contemplés;' qui comptons parmi les alliés'dono- 1 tre famille celte femme dont on peuipien dire qu'elle fut; N comme ila; personnification de Part dans l'ancien Vivarais,. quelque droit d'écrire ce livre, peut-être même quelque devoir d'y réparer un injuste oubli . Nous devions rtenir au » moins a témoigner de notre conviction sincère, en faveur d'une, tnémoire qui doit rester un grand souvenir dans les annales littéraires de notre patrie.
Mais les quelques titres que nous avons eus pour écrire ce livret, malgré notre insuffisance à traiter ce sujet comme, % jraécite. de tTêtfç, ne seront-ils pas des motifs de suspicion aux yeus de la critique ? Qu'elle se rassure pourtant, qu'elle tâche d'écarter ses préventions ; nous ne pensons pas avoir ; dans ces pages, été accessible à de petites influences, et nous croyons n'avoir apporté qu'un taiblq ici, celui ; que réclame de nous la vérité. . fl. _ • . -, , > f\
S'il én est qu« s'étonnent de ne'pas nous vqir encenser dans ce livre quel ques-ufieé de nos célébrités, à ceux-là nous répondrons ; Nous nous inclinons devant la sublimité de la pensée et plus encore devant la noblesse, du caractère, devant la générosité de sainteté de ta y>. Voilà les grandeurs qui ont noire, hommage ; voilà les] gloires que ' nous proclamons ! Oh ! sans .douté, ' sachons admirer# mais toujours dans le vrai.
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[texte manquant]
LES CHALIS A VESSEAUX ; A PRIVAS ET AUX ENVIRONS.
Déjà, au XIVe siècle, la famille Chalis (1) habitait Vesseaux et avait aussi des propriétés à St-Laurent-en-Koyron, une des paroisses, Hipir trophes (2).
C'est ce que prouve le document qui suit, donné par un terrier dont M. H. Vaschalde possède un fragment qui lut traduit de l'original latift oit transcrit scrune traduction antérieure, en 1774, pur Bernard féodiste àAubenas :
Terrier en faveur de noble Dragonet de Montgros (a) pour Saint-Laurenarèoubs-Coyron, la Villedieu, Voguez et autres: lieux,, reçu, par Jacques Eslevenin, notaire, en 1386. » (Extrait.) 285 Saint Laurens.
(1) Nom sans doute ancien dans ce pays et d'une étymologie peut-être, celtique, pouvant venir de efaiif,/"oréf, et is, ou plutôt' ez,pr%s -de et Signifier ainsi : voisin de la forêt.
(2)- Vesseaux et Saint-Laurent, distants l'un de l'autre d'à peine 4 kilotaètreg à vold'oieeau/sOnt séparés*par une cliaîne,d'»m. blanc-grisâtre, de rochiers jurassiques oxfordiens, chaîne que sillonnent plusieurs ravins sauvages, notamment l profonde excavation du torrent de Louyre.
' (3) Dragonet'de Mon (gros notait que conseigneur de St-Laurent ; il y avait néanmoins des censes nombreuses, notamment aux quartiers de Petret de la Motte et du More. Alors comme au XVe siècle, le seigneur-principal de St-Laurent, c'était le « haut et puissant seigneur de Motîllattr,. » ctaâtélàin d'Aubena^ éto/-J - *' 'i = 1 *9 - ■>» y^'-
On voit Dragonet de Montgros intervenir ; comme témoin, à la convention passée le 21 septembre, 1377, au monastère de La Villedieu, devant Guidon de Montlaur et da Sabran et dressée par Mes Jacques Estevenin et Rierre Pesant, notaires^ pour la construction d'un' fort à La Villedieu.
Dragonet de Montgros était aussi seigneur, entre autres lieux, de
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« L'an 1383,16e janvier, Jean Chalis, de Vessaux, reconnoit un pré « et devez par lui acq. aujourd'hui de Guilhme Chevalier, de St- « Laurens, gge de Jean Dufez, assis au mandement de St-Laurens ; « conf" le pré dud. Jean 0halls, le bois dud. Guilb» 0 Chavalier « et pré de Pierre Laurens.
« Cense, une obolle. (1). »
Jean Chalis, mentionné dans ce terrier, était probablement le père de Pierre Chalis, homme de loi à Privas et de Florence Chalis, et ainsi le grand-père de Marguerite. Dans ce cas, sa femme, qui lui aurait sans doute survécu, serai! venue demeurer à Privas; auprès de son fils ou, de sa fille ; elle y serait morte et elle aurait été ensevelie dans le cimetière Saint-Thomas de cette ville, comme l'indique le testament de Florence Chalis, contenu dans le registre d'A. de firion (2). Ce Jean Chalis pouvait être aussi le père ou le' &ràrid:père de son homonyme qUefâit connaître le Terrier du prieuré de Vesseaux.
Tartation en Coyro, Tartaliants in Cogroto, donjon féodal dont il reste quelques rares vestiges à 5 kilométrés environ au S., E. de Berzème. Le château de Tartalion, véritable nid d'aigle, sqp une aiguille basaltique, au bord méridional du Koyron, dominait un abîme de deux cents mètres.
Quant à St-Laurent, dans le territoire duquel Marguerite de Surville et ses ancêtres avaient eu des propriétés, St-Laurent, alors chef-lieu d'un mandement et l'un des châteaux-forts les mieux défendus au moyen-âge par de puissantes constructions et par une position très-hardie sur un des points les plus abruptes du bord méridional du Koyron, il devint au temps de Louis Xt une phcede guerre sous l'autorité directe du pouvoir royal, bien qu'encore sous la suzeraineté nominale des Montlaur.
An XVIe siècle et au commencement du XVIIe, St-Laurent avait nom de « ville », comme l'indiquent des.témoignages tels-que celui-ci ;*>
« Le vingt syziesme de mars de l'année mile six cents ung, a este « baptizée Gabrielle Rolland, filhe à Dominique dict capitaine Rolland ; « son parrin a este monseigneur le marquis de Montlo et sa merrine t Gabrielle de La Baume, damoyselle et filhe de monsieur de La Baume, » paroisse de Mirabel, et moi Jacquier, vicaire de la ville de St-Lau- « rent-en-Coyrot.
St-Laurent déchut de son importance au XVIIe siècle. Il est maintenant un pauvre village ; son vaste château, qui avait bravé les bandes anglaises et les invasions calvinistes, n'est plus qu'une ruine écroulée sur des basaltes gigantesques. ^ » i \ 1,. - . '
(1) H. Vaschalde. Glotilde.de Surville et ses poésies.
(2) V. ce testament, infr , aux Documents, IV.
(a) Ancien regiBtre de St-Laurent-on-Coyron. 1 r
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Pierre Chalis dut devenir licencié ès lois, dans les dernières années du xivrsiècle.i .Avignon où il y,avait alors,(les.écoles renpmmèee dn droit civil et de droit canon. Il est assez vraisemblable aussi qu'il se forma à la pratique de sa profession à Villeneuve-de-Berg qui, alors cour royale et chef-lieu du bailliage du bas Vivarais avait unC importance marquêeau point de vue juridiqneet possédait des jurisconsultes renommés dans le pays. ' "• i-î! -a «'.'in . e - A Avignon et A Villeneuve-de-Berg,' Pjenre Cnalis put nouer et.con-server,des relajions avec JacqnesPastei^Mathiçq, jletyais, Pierre, Mou-lin, S. de la Noue, Jean du Sault, Marc de Serres, Jean Nicolay, ses compatriotes et ses contemporains, adonnés à l'étude des lois ou des
La demeure de Pierre Chalis, ainsi que celle d'Antoine de Brion, pouvait être dans la partie du vieux Privas que la destruction de 1629 a épargnée, c'ést-à-dire dans la partie comprise entre le collège (ancien couvent des PP. Recollels, la grand'rue et la placede la République ; bien des maisons anciennes y sont encore (2)
Les Chalis avaient une position de fortune des plus aisées. Plusieurs renseignement certains le prouvent : l'alliance que deux membres de cette famille' contractèrent à cette époque avec des familles nobles, FloreWêChàtis épousant' Pons; de Morier, et Marguerite,' Béreiîger de Surville ; Pènumèration des legs faits par Florence Chalis (3) ; la qualité des témbibs' préSe'ntk' aueônfrat dé*mariage do Marguerite et 'de Bé-renger, comme amis de la famille Chalis (4) ; l'indication des propriétés qu'avait Marguerite en' diverses localités du Vivarals (8) V Pierre Clialis
(1) V. infr, aux Documents, XII.
(2) Dans une de ces vieilles ruelles, dans la rue du Couvent, n°7, il y à même une maison du XIVe siècle que quelques-uns dans le public signalent comme rayant été très-anciennement la maison d'un notaire Nous ne voulons point dire par là qu'il faille y voir la demeure d'un de? nqtaifes .qui figurent au Monnaie ûq 1428 ; nous n'émettons pas si lestement des assertions semblables.
Mais, quoiqu'il en soit; il 1 serait on ne peut plus convenable que la municipalité de Privas donnât à une des rues de la ville, le nom du grand auteur qui doit en être une des gloires, le nom de Marguerite de Surville.
(3) V. infr., le testament de Florence Chalis, aux Documents, III.
(4) V, infr., le contrat de mariage de Marguerite Chalis et de Bérenger de Surville, aux Documents, II.
(5) V. id.
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avait donc en probablement, dans son. patrlmoine,des biens asseï cou-sidérabtes qu'il avait augmentés par sa profession de jurisconsulte ;
Rapprochons maintenant l'indication notariale de 1383, reproduite plus haut, de celle qui suit, consignée dans leTerrier du prieuré de Vesseaux de 1471-1474, et que nqus.avons déja> donnée, en partie seulement, dans le cours de ce livre (1) :
1095. Bourget de Vesseaux.
Noble Jean de Surville, de Vesseaux, fils et héritier de noble Bé- « renger de Surville, et hèritier ou succédant à l'héritage et biens dé Jean Chalis et d'Analyse sa femme, en 1469, reconnoit, (au prieur « de Vesseaux) « suivant reconnoissance dud Chalis, sa maison au « bourget de Vesseaux ; confronte la maison des hoirs de Michel du
« Portal, une oyne entre deux, et avec la maison sive estable de Rt,
et avec le soutoul des boirs de Michel du Portal, et des deux parts « avec, la rue publicque et avec la maison dud. Rt qui feut de Da- « masse, femme de Jean, de St-Laurens, acquise d'Antoine Bousche. « dit Tavernol.
Cense, un chapon, un caron fromt et 6 den,
Nous, voyons dans ces documents une confirmation de, ce que nous avons fait observer : que les Chalis étaient de la classe des propriétaires, astreints à payer une cense qut était levée à Vesseaux. par le prieur et à St-Laurent par le seigneur pu tel conseigneur du lieu ; mais ils étaient aussi, remarquons-le, de ce grand nombre qui échappaient, à beaucoup d'égards, aux exigences féodales par leur fortune mobilière et par l'exerciced'une profession libérée.
Les Chalis, — et les Surville après eux, pas davantage, — ne furent donc pas châtelains de Vesseaux ; ils n'y eurent ni la seigneurie ni la possession du fort. Leur modeste demeure survecut longtemps à ce fort de Vesseaux, qui avait déjà eu à souffrir, au XIVe siècle de sion des Anglais et des grandes compagnies, mais qui existait encore en grande partie an XVIe siècle. Il fut alors attaqué pan les protestants pendant la première guerre de religion ; les habitants de -Vesseaux envoyèrent chercher du secours auprès de M. de Saint-Thomas, qui commandait pour le roi la place dé St-Laureut-en-Coyrou., Le .fort resta aux catholiques, et ne fut entièrement détruit qu'à l'époque des dernières guerres civiles sous Louis XIII.
(1) V. supr., première partie XII.
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II
MATRIMONIUM NOBILIS BERENGERI DE SUPERVILLA.
Nemausensis diocesis ex unâ,
ET HONESTE MULIERIS MARGARITE.
Filie venerabilis viri domini Pétri Chalissi quondam Privacii,
partibus ex aller à (1)
« la nomme Domini. Amen.
« Anne Domini millesimo quadringentesimo vicesimo septime et die quartâ mensis januari... Cùm ad Dei laudem tractaretur de matrimonio par verba de future inter nobilem Berengerium de Super villa, Nemausensais diocesis, et quosdam ejus parentes, présentes, normine dicti nobitis ex un à, et honestam mulierem Margaritam, flliam venerabilis viri domini Petri Chalissi quondam licenciati in legibus, Privacii, par-tibus ex alterâ ; tandem verojurato futuro matrimonio predicto Inter partes. quia dolis... igitur personaliler constituta in presentia nostrûm Ludovici Riffardi et Antboniii de Brione notariorum, dicta Margarita, sponsa firtura, non errans sed sponle, cum voluntaté et consensu dictorum auorum atnicorura, se constituit in dotèm, unâ cum dicta ejus sponso futuro, videlicet omnia et singula bon a sua, mobilia, immobilia, jura, actiones, et quas habet et possidet de presenti duntaxat, ubicumque sint, exceptis tamen bis que ipsa bahet in Jocis de Ruppemaurâ et de Seutro seu eorùm territorio, unâ cum eorum juribus et pertinentils de quibus Ipsa sp.onsa posait lacera ad, suas volun-tates, facjins et constituens dicta sponsa futura dicturaejus yirum in dote sua predicta verum dominum et procuratorem, ilà quod, copulato dicto futuro matrimonio, in anthea agere possit et deinde totum facere.
« Et fait actum inter partes retentumque per diclam sponsam futuram, quod dictus, nobilis, sponsus luturus, incontinenti copulato dicto
(I) Extrait du Manuale notarum d'Antoine de Brion.
Le texte de ce document et celui du suivant, qui nous avaient été communiqués par feu M. Henry "d'Audigier, ont été reproduits en entier pour la première fois par M. Mazon, dans son ouvrage sur Marguerite Chalis.
Ce contrat de mariage fut fait, comme on le voit, sous le regime dotal que la France méridionale tenait du droit romain exclusivement suivi dans cette partie de la France.
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futuro matrimomo, veniat super bonis et hereditate dicte sponse, et ibidem, eum ipsâ sponsâ futur à et ejus familiâ, videlicet in presenti loco Privacii vel Vessaucii, domiciliurn personale continué facere debeat et larem foyere bona et hereditatem dicte sponse regere, gubernare, cultivare, bëhe, probe teneatur et non deteriorare, ipsasque bona et hereditatem recipere debeat cum inventant confectione, et eas, in casu restitutionis adveniente, restituere.
« Item plus fuit actum quod, si contingeret quandocum que alterum ex ipsis futuris corijugibus rpori seu deeedere sine liberis legitimis ex presenti futuro matrimonlo procreatis, uno vel pluribus, supervivens ipsorum habeat et lucretur super bonis premorientis modo predicto, videlicet centum scuta auri boni et fini, boneque legis et cugni domini nostri Francie régis ; quequidem centum scuta dictus premoriens, modo pretactoi gratis et sponte dicto superviventi eorumdem, in casa predicto advenieflte, presenti ftalrimonïq dédit sive donavit donatione purâ que fit inter vivos et propter nupcias. Et specialiter dicta sponsa hoc pactum fécit, asserens majorent vigrnti annis uét ' mînorèm viginti quinqué, renunciando per expressum super hoc minoris etatis beneficio! Et que centum scuta soin debeant per heredes et successores dicti sic premorientis dicto superviventi vel suis, in pace pér solutiones annualés decem scutorum auri, unà cum dampnis.
« Item plus fuit actum retentumque per dictum sponsum luturum. quod dicta sponsa futura recognoscere tencatur dicto nobili Berengério omnia ea que ipse de sno proprio implicabit in bonis et hereditate dicte sponse future, videlicet pro evidenti commodo et utilitate ipsorum bonorum et hereditatis, et non aliter, et ea restitnere Sn ^'èàsu restitutionis adveniente.
« Item plus fuit actum quod dictus nobilis Beréngerius emére debeat dicte sponse jocalia usque ad valorem viginti quinque mutonum auri, de quibus jocalibés ipsa Margàrita sponsa fùtura facére pôssit a'd suas omnimodas voluntaites, tàm in vitâ quam in morte !
« Item fuit actum quoddictus sponsus futurus etiam emere debeat dicte ejus sponse future testés nup'ciafes bonas et compétentes juxtà conditionem personarum ipsorum futurorum conjugum
« Pretereà, personaliter constitutus in presentia nostrûm notariorum, nobilis et religiosus vir dominus Anthonius Jordani, prior Vessauci, avunculusque dicti sponsi, affectans ut presens matrimonium suum deducat effectum, igitur, non errans sed sponte, favore et contemplationne hujus futuri matrimoni, dédit, donatione purà que fit inter vivos et propler nupcias, dicto nobili Berengiero présenti, videlicet centum mutones auri boni et fini, cugni domini nostri Francie régis ; quos centum mutones auri dictus dominus prior dicto nobili
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Berengiero, ejus nepoti presenti, solvere promisit subjuramento, obligatione fit renunciatione infrà scriptis in pace, ad ejusdem nobelis Berengerii vel suorum primiun requisitionem unâ cum dampnis.
« Et ità prédicta fore vera promitentes, indé ipse partes contrabentes, boni fide suâ et sub obligatione et yppotheca omnium bonorum suorum ipsa omnia tenere et nunquam contrà facere.., et quod non fecerunt et juraverunt pro quibus actendentes, dicte partes contraRentes et earum quetibet oblîgâveruut se et bona sua, .sigillé regio VI-variehsi et Valentinensî, nec non et sigillo Privacii et totnis alterins lerre comitatus Valentinensis et Diensis citra Rodanum et ultrà, et sigilio domini Vivariensis episcopi et ipsorum cujuslibet. renuncian-
« De quibus quelibet pars dictorum futurorum conjugum , peciit, videticet dictus sponsus futurus per me Ludovicum Riffardi, et. dicta sponsa per me Anthonium de Brione, notarios publicos, instrumentum, quando posait fieri, ad consilium cujuslibet sapieutis.
' ;< Aclum Privacii in bospicio dicte Margarite, testibus presentibus : « Nobili et venerabile vire domino GUILLELMO DE ROGULIS, in utroque jure baccalario ; nobilibus GUILLELMO FLOCCART, GUILLELMO DE MONTEGROSSO, aliàs de Gradu, RAYMONDo VETERIS, EBRARDO DE CHEYLUSSO (1),PETRO DE BENEFICIO ; religiosis viris et dominis IMBERTO MOTS, PRIORE DE PIANO, EGIDIO CHARRERIE, CURATO PRIVACII, GUILLELMO DE MORERIO, GONETO ALLARDI, ANTHOMO VALLATI et p. uribus aliis, et me LUDOVICO BIFFARDI notario, qui in premissis interfui cum te magistro ANTHONIO. « RIFFARDI. »
Traduction de ce document :
MARIAGE DE NOBLE BÉRENGER DE SURVILLE.
du diocèse de Nîmes, d'une part,
ET D'HONORABLE DAME MARGUERITE.
fille de vénérable messire Pierre Chalis, autrefois de Privas, d'autre part.
« Au nom du Seigneur. Ainsi soit-il
« L'an du Seigneur mil quatre cent vingt sept (2) et le quatrième jour du mois de janvier ; comme, au sujet d'un mariage à conclure, pour la gloire de Dieu, il y a eu échange de négociations verbales entre noble Bérenger de Surville, du diocèse de Nimes et quelques-uns
(1) Vel « de Cheylario. »
(2) 1428, style actuel.
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de ses parents, ici (1) présents (2) au nom dudit noble, d'une part, et honorable dame Marguerite, fille de vénérable messire Pierre Chalis, autrefois licencié en lois, à Privas, d'autre part ; que le dit mariage a même été convenu par serment entre les parties et qu'il convient de régler les conventions relatives à la dot, s'est présentée personnelle ment par devant nous, Louis Riflard et Antoine de Brioa notaires, Ladite Marguerite, la future épouse qui, non induite en erreur mais agissant de son plan gré, avec la volonté et le consentement de ses amis, s'est constitué en dot, avec l'acceptation du dit futur époux, savoir tous et chacun de ses biens, meubles, immeubles, droits, choses, actions, quelle a et possède à présent, où qu'ils soient, excepté pourtant ceux qu'elle a soit aux lieux de Rochemaure et de Sceantres soit dans leur territoire, avec leurs droits et appartenances, desquels biens die, èpouse, veut pouvoir disposer à sa volonté ; ladite future épouse faisant et constituant son dit futur époux vrai maître et administrateur de sa dot, de sorte qu'après la consommation dudit mariage, il poisse aviser à ce qu'il 7 aura à faire et puis l'exécuter entièrement.
« Et a a été convenu entre les parties et réserve par la dite future épouse que ledit noble, le futur époux, aussitôt après la consommation dudit mariage, viendra dans les biens et patrimoine de ladite épouse, et que là, c'est-à-dire an présent lien de Privas ou à Vessôânx, il devra, avec la future épouse et » famille, avoir continuellement son domicile personnel et garder ses pénales, et qu'il serai Jeno de régir, gouverner cultiver bien et honnêtement les biens et patrimoine de la dite épouse (3) et de ne pas les détériorer, et qu'il devra reçevoir ces
(1) Les mots imprimés en italique, dans te traduction du ce document et des deux suivants, ont été ajoutés au texte pour compléter te
sens.
(2) Parmi les « parents » de Bérenger de Surville, « présents » à ce contrat, étaient peut-être Imbert Motte et Guillaume de Montgros ou de Gras, qui y figurent comme témoins et de qui les. Surville ont pu hériter. Cria expliquerait l'origine de quelques-unes des propriétés qu'a eues plus tard cette famille.
Guillaume de Nonigros était sans doute de la familie de Dragonet de Montgros.
(3) Nous avons dit (a) quelles étaient les propriétés que Marguerite possédait à Vesseaux. Celles qu'elle avait à Privas étaient aussi probablement importantes, puisqu'elle y avait bérité non seulement « des
(a) V. sup. seconde partie, I et II.
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bèaa et patrimoine après inventaire (l), et, le cas de restitution sir-venant, les restituer.
Item, il a de pli» été stipulé que, si, un Jour quelconque, il arrivait que l'un des futurs mourût on décédât sans enfants légitimes (A), un ou plusieurs, issus du présent mariage, tesurrivant aurait et profiterait, sur les biens du défunt, de la manière ainsi fixée d'avance : savoir cent écus d'or (2) bon et fin, de cours légal et an coin de notre aire le roi
biens de son nère mais aussi, par sa tante, d'une partie au moins de ceux qu'y avaient eus Jacques La Balme et Pons de Morier, « de Privas y (a), les deux époux de Florence Chalis.
Nous ne connaissons d'ailleurs, d'une manière précise, comme ayant appartenu à Marguerite à Privas, qu'un jardin situé « près des murs » (b), à la Colieyre, sur la pente qui descend au Charalon, de la plate-forme située devant la prison.
" (1) Ces précautions méticuleuses, alors universellement en usage dans les pays de droit écrit, venaient ici des habitudes des hommes de loi et non des suspicions personnelles, de la future épouse. L'esprit méfiant à l'excés était entre depuis longtemps dans les moeurs juridiques du midi de la France, avec la pratique du drcit romain qu'on a appelé la raison écrite et qu'on eut, croyons-nous, mteux appelé : la raison et la méfiance écrites. De là, ces infatigables redites ou ces singuliers pléonasmes (A) introduits dans la rédaction des contrats, ces superfluités de termes analogues on synonimes, ce luxe de précautions minutieuses provoquant et alimentant la chicane qu'on se proposait ainsi d'écarter.
(I) L'eau d'or à la couronne, qui avait cours eu France dans la première moitié du XVe siècle, valait 22 sols 6 deniers tenrnois.
Son évaluation en monnaie de notre époque ne saurait être fixée d'une manière qui sait à l'abri de contestation II y a des divergences considérables dans l'appréciation des valeurs monétaires de te période qui s'étend de Cbariemagne 4 François lCT. Si l'on adopte les calculs donnés par Leber, dans son très-remarquable Essai sur Vappréeialwn de la fortune privée au moyen-âge, et bises sur de judicieuses observations (c), un sot tournois en 1433-1427, d'après 1e taux du mare actuel compare à celui d'alors, valait 7 sols ; et, compare an pouvoir actuel de l'argent, il valait 2 francs 20 centimes (d).
L'écu d'or à la couronne, équivalant à 22 sols 6 deniers, représentait donc, d'après celle appréciation, 49 francs 30 centimes ; et les cent écus d'or fixés dans ce contrat représentaient 4930 francs
(a) V. infr, aux Documents, III
(6) V- Infr., aux Documents, IV
(e) Sur cette base, le prix d'un mouton, qui était alors le 17 sols, équivalait à 36 francs d'aujourd'hui.
(d) Leber. Essai etc. pages 70 et 78.
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de France ; lesquels cens écus ledit défont aura donnés de ladite manière, gratis et de plein gré, audit survivant dans le cas préfixé, par donation pure faite entre Tifs et ea vue do mariage. Et ladite épouse a spécialement fait ce pacte, en déclarant qu'elle a plus de vingt ans et moins de vîng-ctnq, et qu'elle renonce expressément 1 ce bénéfice de minorité (1). Et ces cent écus devront être acquittés par les héritiers et successeurs dudit défunt audit survivant ou aux «ois, sans contestation, par paiaments annuels de dix écus d'or, avec les intérêts.
item, il a de plus été stipulé et réservé par le dit époux (2), que h dite future épouse sera tenue de reconnaître audit notée Bérenger tout ce qu'il aura lui-même apporté de son propre avoir dans les biens et patrimoine de la future épouse, c'est-à-dire pour le- profit évident et l'utilité de leurs biens et nen autrement, et qu'elle sera tenue de les restituer, le cas de restitution arrivant.
Item, il a de plus été stipulé que ledit noble L'érenger devra acheter à ladite épouse des bijoux pour une valeur da vingt-cinq moutons d'or (3), desquels bijoux elle, Marguerite, future épouse, pourra disposer entièrement selon sa volonté, tant dorant sa vie que pour le temps après sa mort.
(1) Une renonciation de ce genre, purement de convenances, comme on dirait aujourd'hui, laissait entières Jes . dispositions de la loi romaine qui, dans le cas de préjudice résultent d'un contrat fait ainsi avant Fâge de 23 ans, époque de la majorité parfaite sekm le droit romain, admettait la resolation du contrat.
(2) Les réserves étaient ainsi réciproques, bien que généralement plus favorables à la future épouse. La position de sa famille dans le pays, le souvenir laissé par son père et la profession qu'il avait exercée, tes relations sociales de Marguerite, attestées par plusieurs des noms qui paraissent à ce contrat, peut-être aussi certains égards qui s'adressaient à ses qualités personnelles, tout cela a pu contribuer à lui faire, dans celle circonstance, une situation un peu plus avantageuse qu'à Bérenger.
(3) Les montons d'or (deniers d'or à l'agnel, florins à l'aignel,— l'Agneau de Dieu était figuré sur ces pièces de monnaie) ont eu cours en France et dans tonte l'Europe occidentale depuis le règne de Si Louis jusqu'à la fin de celui de Charles VII. Ils pesaient trois deniers cinq grains trébuchants, et valaient 12 sois 6 deniers tournois.
En admettent, avec le savant Leber (a). que le sol tournois d'alors équivalait à 7 sols d'après le taux du marc relue), et représentait 2 francs 20 centimes de notre monnaie, le mouton d'or, ou 12 sols 6 deniers, valant 4 livres 7 sols 6 deniers, taux du marc actuel, représentait 27 francs 50 centimes ; et les 25 moutons d'or indiqués ici pour la valeur des bijoux de Marguerite, devaient valoir environ 687 francs 50 centimes- On peut supposer, avec certains érodits, que b
(a) Leber, Essai, etc.
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« Item, il a été stipule que ledit futur époux devra aussi acheter à sa dite future épouse des vêtements de noces bons et en rapport avec la condition personnelle des futurs coojoinks (I).
« En aube, a personnellement comparu, par devant nous notaires, noble et refigieux homme messire Antoine Jourdan prieur de Vesscaax, onde dadd époux; lequel, tenant à ce que le présent mariage soit conclu, a donc,' sans être induit en erreur mais de son plein gré, et faveur et en vue de ce futur mariage, donné audit noble Béren-ger ici présent, par donation pure, faite entre vifs et pour cause de
sol tournois équivalait à 10 et même à 12 sols au plus, d'âpres le taux da marc actuel, en tenant compte ainsi des variations de la monnaie tournais d'un lieu à un autre et (Tune année à faulre. Mais, même avec celle évaluation extrême, il n'y a pas Heu à foire ici de l'hyperbole, comme deja on en a fait, avec les chiffres donnés dans ce contrat.
M. Mazon, qui a apporté si peu le sentiment de la poésie dans son jugement de l'oeuvre de Clotilde, a fait en poète le calcul de ces chiffres, lorsque, devant cette clause de l'acte de mariage de Bérenger, il s'est aventuré jusqu'à écrire, an sujet de ces joyaux de Marguerite ;
« Dans tous les CAS, OU peut dire qu'ils ne te cédaient point, pour la « valeur, aux plus riches corbeilles de noces des nobles héritières « d'aujourd'hui. » (a)
Les appréciations universellement admises sont loin d'autoriser un langage exagéré à ce point .
Les chiffres fournis par ce contrat prouvent deux choses, indiquées d'ailleurs par beaucoup d'autres anciens documents : c'est que Ton mettait alors, bien plus qu'aujourd'hui, de la modération dans les dépenses de luxe, pour aveir à donner davantage aux choses plus sérieuses (b) ; c'est aussi qae la fortune mobilière n'était pas très-considérable à celte époque, et même fort longtemps après, dans - les classes moyennes, petite noblesse et bourgeoisie du Vivrarais, dans les familles qui, en dehors du peut nombre composant la haute noblesse, avaient de l'importance dans ce pays, comme en avait la famille Ghalis.
(1) Il est probable que des stipulations de ce genre étaient dictées d'une manière générale aux notaires Vivarois de ce temps, par la pensée d'obvier à une avarice assez fréquente alors.
( Marguerite Chalis, etc., page 85, en note.
(b) En comparant ce chiffre de 687 fr. 50 à la valeur de 1460 ou 1300 francs légué? h des oeuvres religieuses ou de bienfaisance par Florence Chai te (V Documental. III. on voit que les legs pieux de la taule forent deux fois et demi plus considérables que la corbeille de noces de la nièce, son héritière
Aujourd'hui, ce serait la proportion inverse, et même tout au plus.
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mariage, à savoir, cent montons d'or bon et fin (1), au coin de noire sire le roi de France ; lesquels ont montons d'or ledit messire prieur a promis sous serment, avec obligation et renonciation dites ci-après, de payer sans contestation audit noble Bérenger son neveu ici présent à la première réquisition dodit noble Bérenger on des siens, avec les intérêts.
• Les dites parties contractantes promettent d'exécuter fidèlement ce qui est dit ci dessus ; elles s'obligent dehoone feu, et en engageant par hypothèque tons leurs biens, à tenir tout ce qu'elles ont promis et a ne rien taira contre ; et pour ce que les dites parties contractantes ne feront pas, après l'avoir juré, toutes et chacune d'elles s'obligent elles et leurs biens sous le sceau royal du Vivarais et du Valentinois, sous te sceau de Privas et de toute l'autre partie du territoire du comte de Valentinois et de Diois, en deça et an delà du Rhône ; sous le sceau de monseigneur l'évèque de Viviers et de chacune d'elles, en renonçant à toute action...
« De quoi chacun desdits futurs époux a demandé qu'on prenne acte quand on pourra le faire, au jugement de chacun des notaires, à savoir te dit futur époux par moi Louis Riflard, et la dite épouse par moi Antoine de Brion, notaire publie.
« Fait à Privas dins la maison de ladite Marguerite, en présence des témoins ci-après :
(1) D'après l'évaluation que nous venons d'indiquer, ces cent moutons d'or représentaient 2750 francs d'aujourd'hui.
Et, pour 13 dire ici, l'évaluation qui vient d'être donnée de la monnaie tournois de cette époque nous permet de juger de ce que rapportait alors, comme émoluments, à Alain Chartier l'office de poète attitré de la cour du Dauphin et de celle de Chartes VII.
Aux comptes royaux, de 1411 à 1423, on lit fol. 48. v° :
« Maistre Alain Charlier, pour hostellaige et chevaux du mois de novembre (1522), 12 livres ô sous. » (a)
C'était une somme de 341 fr. à 772 francs d'aujourd'hui, (b) pour un mois des dépensas d'hôtel et de chevaux d'Alain Chartier ; soit pour l'année, une dépense de 6492 francs à 9264 francs de nos jours, pour ce seul objet.
Ainsi alors, comme avant et après, c'était un métier lucratif que celui de poète de cour. On pouvait, avec cela, se passer du génie; on pouvait même le traiter de haut, ainsi qu'on te fit sans pins de façons an sujet de Marguerite de Surville.
(a) Chambre aux deniers du Dauphin, puis roi Charles VII-KK sa. extraits des comptes royaux, reproduits par M. Vallet de Viriville, dans son édition de la Chromée de Jean Ck miter.
(h) Selon que Ton adopte, dans les limites généralement admises, que le sol tournois d'alors équivalait ou lo sols, d'après le taux du marc actuel.
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« Noble et vénérable messire GUILLAUME DE ROCLES, bachelier dans run et raulre droit ; nobles GUILLAUME FLOCCART, GUILLAUME DE MONTGROS ou de Gras, RAYMOND VIEUX, HEBRARD de CHEYLUS (I), PIERRE DE BÉNÉFICE ; religieux hommes et messires IMBERT. MOTTE, prieur d'Upie, GILLES CHARRIÈRE, curé de Privas, GuilLAUME DE MORIER, GOSET ALLARD, ANTOINE VALLAT, et plusieurs antres ; et en présence de moi, Louis Riffard, notaire, qui sais intervenu dans Pacte «-dessus avec toi maitre Antoine. »
Riffard
Bien ne témoigne mieux de la considération dont la famille Chalis jouissait dans la localité que la présence de quelques-unes des plus marquantes notabilités du pays au mariage de cette jeune femme, n'ayant que des amis de sa famille et point de parents présents à ce contrat.
Guillaume Floccari était gouverneur et châtelain de Privas, pour le duc de Poitiers, comte de Valentinois et de Diois,dont cet acte atteste la haute puissance seigneuriale sur toute cette partie du Vivarais.
Quelques autres témoins de ce contrat comptaient parmi la bonne noblesse de la localité.
III
TESTAMENTUM FLORENCIE CHALISSE Belicte poncii de Morerio, Privacii (2).
« In nomme Donnai, aoeett.
« Anno incarnationis ejusdem Domini Me cccce IIe vIIe et die XIe mensis septembris, ego Florencia Chalisse, relie ta Poncii de Morerio Privacii quondam, sans mente licet sim corpore debilis, aciendens des Domini fore brèves et quod nil est morte certins, et volens ob ideo testata decedere, igitor testamentam et voluntatem et dispositionem facio ut sequitur.
« In priais, facto per me slgno sancte cruels f dicendo : « In no-mine Patris, etc. », animam meam et corpus meum reddo altissimo Creatori.
(1) Ou « du Cheylard. »
(2) Extrait du manuale notarum d'A. de Brion.
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« Deinde, dura dicta anima mea fuerit separata à dicto corpori meo, eidem corpori meo cepulturam beligo in symenterio beati Thome, Privach, in tumulo in quo mater mea et Jacobus La Balma maritus meus pre... quondam et liberi sui et mei sunt sepulli, et volo, dictâ die quâ dictum corpus meum tradetur sépulture, convocari in dictâ ecclesia Privacii triginta prisbiteri qui missas.. ; quibus et eorum cuilibet offerri volo quindecim denarios Turonenses, semel tantùm, et clericis quod est moris.
« Item, volo quod, per novem dies sequentes post mortem meam seu sepulturam, convocentur omnes presbiteri Privacii super meà sepulturâ, cum eornm snpellicis induli, et ibidem lacera' unura ^cantare mortuorum ; quibus et eorum cuiibet, videlicet illis qui intererunt cum dictis eorum supelliciïs, offerri velo, quâlibet die dictarum novern dierum, sex denarios Turonenses, semel tan tu m , et clericis quod est moris.
« Ilem, volo quod, die mei triscesimi, convocentur in dictâ ecele-siâ alios Irigenta presbiteros qui missas.. ; quibus provideri volo in prandio honorificè,et, sumptoprandio,eis eleorum cuilibet offerri volo alios quindecim denarios Turonenses, semellantùm, et clericis quod est moris.
« Item, volo dari xxi pauperïbus, in pane coeto, decem sestaria bladi sebginis, semel tantùm, et decem carias salis, îemel tantùm.
« Item, volo quod oblatio mea pan, vini et luminis bat In dictâ eclesiâ Privacii per unum annum et unam diem immediatè sequentes post mortem meam, videlicet, qualibet die, duos denarios Turonenses in pane, unam pintam vini puri et unum lumen cere, semel tantùm.
« Item, lego domino curato Privacii, qui nunc est vel qui luerit, duos solidos cum dimidio Turonenses, semel tantùm ;
« Item, ejus vicario, duos solidos cum dimidio, semel tantùm.
« Item, lego luminaribus Beate Marie Privacii unum potumolei, semel tantùm.
« item, lego hospitali Recluse et malapderie Privacii, eorum cuilibet,-sex denarios Turonenses, semel tantùm.
Ilem, lego questis animarum Purgatorii, operis beati Tbome pau-perum inducendorum, et relicte ceree Beate Marie ac cereii pascalis que fiunt in dicto loco Privacii, eorum cuilibet, sex denarios Turonenses, semel tantùm.
t Item lego confraterie dominorum presbiterornm Privaeii, ultrà meam visitationem, duos pitalphos stagni quos penès me habeo, semel tantum.
Item lego conventui. fratrura Minorum Albenacii, pro ducentis
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missis in eodem conventu celebrandis pro sainte.., videlicet y libras Turonenses, semel tantum, monete currentis, solvendas intrà duos annos post mortem meam ;
« Item, pari modo, conventu i fratrumPraedicatorum dicti loci, pro alins ducentis misais modo predicto celebrandis, alias v libras Turonenses, semel tantùm, solvendas ut suprà.
« Item, lego conventui fratrum Augustinorum beati Micbaelis de Voutâ, pro aliis ducentis missis modo prediqto celebrandis, alias v libras Turonenses, semel tantùBï, solvendas ut suprà.
« Item, lego dominis presbiteris habitantibus dictum locum Privacii, pro centum missis celebrandis in dicta ecclesiâ Privacii pro salute.., videlicet duas libras Turonenses, semel. tantùm, solvendas intrà unum annum post mortem meam.
« Item, lego malapderie Privacii, ultra perme legata, videlicet unam meam culcitrara meliorem, unum pulvinar, unum lintbearium, duos bodices.
« Item, lego noucupato Beylle, de prato Malhesio, aliam meam culcitram modici valoris, duos bodices et duo linthearia, semel tantùm.
« Item,lego Poncio La Balma, fllio Poneti quondam, quamdam vineam scitam in monte Romano confrontstam cum itinere quo itur de Privacio ad Sanctum Projectum et cum yineâ Mondoni Giraudi fabri et cum suis aliis confrontibus, unà cum suis ingressibus.
« Item, lego Gaterine uxori Stepbani de Solerio, consanguinee mee germane, xv solidos Turonenses, semel tantùm, sibi solvendos infrà unum annum post mortem meam.
« Item, lego Johanni Pascaîis, aliàs de Albenacio, mercatori, pro ser-viciis per ipsam ejus uxorem michi factis et pro his in quibus sibi teneri possem, videlicet vineam meam scitani « à la Colieyra, n confron-tatam à pede cum orto dicti Johannis,et cum terrâ magistri Johannis Falconis et terrâ Guillelmi Ginelti, et cum vinea Johannis de Ponte... et cum orto nobilis Helidis, relicte Pétri Fabri, et cum orto meo, et cum suis aliis confrontibus, unâ cum suis ingressibus.
« Item, plus lego eidem Johanni fructus pendentes de presenti in vineis meis, semel tantùm : volo tamen quod dictus Johannes, neque soi, nibil petere possit a dictâ herede meâ infràscriptâ, nec ipsa heres mea à dicto Johanne neque suis de his in quibus ego dicto Johanni teneri possem, se si ipse Johannes mibi teneri posset, qualitercumque usque in diem presentem.
« Et quia heredis institutio caput est et fundamentum totius testament! ultimi..igitur ihlotis aliis bonisjmeis, mobilibus, juribus, re-
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bus, presenlibus et futuris, heredem michi instituo universalera, ore meo proprio profferendo et nominando, videlicet dileclam et carissimam Margarltam, ûliam dcmini Pétri Gbatissi in legibus licenciât!, quondam fratrie mei, neptem meam et suas, per quam solvi velo légala mes et débita.
« Exequlores hujus mei ultimi testamenti facio dominiim curatum Privacii qui nune est, et dommum Johànnem de Colaneio (1) aliàs Ar donis, presbiterum et beati Thome, quibus de potestatem.
Hoc est testamentum meum ultimum et voluntas mea ullima,dis positio..., quod et qu&m valere volo..., jure testamenti, jure codicil-lorum, jure donationum causé mortis et omni eo meliori modo. Et si repperitur me unquàm fecisse aliud seu alia testameuta, codicibum, donationem causa mortis ot precedenter me fecisse, reyoco et hoc meo ultimo testamento in suo robore perman suro, et rogo vos, testes, et te notarium.
( Actum Privaeii, in bospitio dicte Margarite, in quMam camerâ in qui egrotabat, testibus presentibas ;
« Domino EGIDIO CHARRERIE, curato dicli loci ; Guillelho de MoRERIO
MoRERIO JOHANNE DE MORERIO ; JOHANNE DE CORBERUS ; GUILLELMO
Charrerie, aliàs Vasulet ; Petro Alberti, aliàs Sardi ; Goneto LamBERTI,
LamBERTI, ANTHONIO TRAVERSA, t
Traduction de ce document :
Testament de FLORENCE CHALIS, veuve de Pons de Morier, de Privas.
Au nom du Seigneur, ainsi soit-il
« L'an de l'Incarnation du Seigneur MCCCCXXVII et le XIe jour du mois de septembre, je, Florence Chalis, veuve de Pons de Morier autrefois de Privas, saine d'esprit quoique faible de corps, sachant que les jours du Seigneur seront courts et que rien n'est plus certain que la mort, et à cause de cela ne voulant pas mourir sans avoir testé, fais donc ce testament, expression de ma volonté et dispositions dernières, comme il suit :
(1) Vel de Coluncio.
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« D'abord, ayant lait le signe de la croix, f disant : i Au nom du Pèro, etc. », je rends mon ftmô et mon corps au Très-Haut Créateur (!)• « Ensuite, lorsque mon âme aura été séparée de mon corps, je choisis pour lieu de sépulture de ce même corps, le cimetière du bienheureux Thomas, de Privas (2), et le tombeau dans lequel ma mère et Jacques La Balme mon premier mari et ses enfants et les miens ont été ensevelis ; et je veux que, lo jour où mon dit corps Bera livré à la sépulture, on convoque dans ladite église de Privas trente prêtres qui diront des messes ; auxquels -et à chacun desquels je veux qu'il soit offert quinze deniers tournois (3), une fois seulement, et aux clercs ce qui est d'usagé.
« Item, je veux que, pendant les neuf jours qui suivront ma mort ou mon ensevelissement, on convoque sur le lieu de ma sépulture tous les prêtres de Privas, qui là, avec leur surplis, chanteront les prières des morts; auxquels prêtres ot à chacun desquels, c'est-à-dire à ceux qui auront été présents avec leur surplis, je veux qu'il soit offert, chacun desdits neuf jours, six deniers tournois f4), une fois seulement, et aux clercs ce qui est d'usage.
« Item, je veux que, le trentième jour après ma mort (3), on convoque dans ladite église trente autres prêtres qui diront des messes ; auxquels je veux qu'il soit offert un repas servi avec honneur, et après . le repas, à eux et à chacun d'eux, autres quinze deniers tournois, une fois seulement, et aux clercs ce qui est d'usage. _
t Item, je veux qu'il soit donné à xxi pauvres, en pain cuit, dix setiers (6) de seigle, une fois seulement, et dix quartes de sel, une fois seulement.
« Item, je veux que mon offrande de pain, de vin et de luminaire
(4} On peut remarquer, comme l'a fait M. Eugène Villard, dans une lettre relative à ces actes notariés (a), combien l'esprit religieux de nos pères aime à se témoigner dans le préambule de ces documents.
(2) L'église paroissiale de Privas est sous le vocable de St-Thomas.
(3) D'après l'évaluation déjà donnée (b) de la monnaie d'alors, ces quinze deniers tournois valaient 2 fr. 73 cent, d'aujourd'hui.
(4) Ces six deniers tournois valaient 1 fr. 10 centimes.
(5) On voit que l'usage d'offices pour les morts, pendant les neuf jours qui suivent le décès, le trentième jour après et au bout de l'an, existait à cette époque.
(6) Le setier contenait environ quatre doubles décalitres, et la quarte, un double décalitre.
(a) Dons l'ouvrage de M. Mazon, Marguerite Chalis, etc.
(b) Documents, II
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soit faite flans ladite église de Privas pendant un an et un jour suivant immédiatement ma mort, savoir, chaque jour, deux deniers tournois (1), une pinte de vin pur et un cierge, une fois seulement.
Item, je lègue à monsieur le curé de Privas, à celui d'à présent ou à celui qui le sera, deux sols et demi tournois (2), une fois seulement;
« Itern, à son vicaire, deux sols et demi, une fois seulement.
• Item, je lègue aux luminaires de la bienheureuse Vierge Marie de Privas, on pot d'huile, une fois seulement.
Item, je lègue à l'hôpital de la Recluse et à la Maladrerie do Privas six deniers tournois à chacun d'eux, une fois seulement.
Item, je lègue aux quêtes pour les âmes du Purgatoire, h l'oeuvre Saint-Thomas pour habiller les pauvres, à celles du cierge qu'on laisse près de la bienheureuse Vierge Marie et du cierge pascal, à chacune de ces oeuvres qui existent audit lieu de Privas, six deniers tournois, une fois seulement.
Item, je lègue à la confrérie (3) des prêtres de Privas, outre mon offrande, deux vases d'ètain pour le vin, qui sont chez moi, une fois seulement.
Item, je lègue au couvent des Frères Mineurs d'Aubenas (4), pour deux cents messes à célébrer dans le même couvent pour le salut de mon âme, v livres tournois (5), une fois seulement, en monnaie courante, à payer dans deux ans après ma mort.
« Item, de la même manière, au couvent des Frères Prêcheurs (6) du même lieu, pour autres deux cents messes h célébrer de la manière susdite, autres v livres tournois, une fois seulement, à payer comme ci-dessus.
« Item, je lègue au couvent des Frères Augustins, de St-Michel de La
(1) Environ 36 centimes.
(2) Environ 8 francs 50 centimes.
(3) Cet acte montre qu'il y avait alors en Vivarais des associations de membres du clergé dans le genre de celles qui ont existe dans plusieurs diocèses.
(4) Florence Chalis n'oublie pas les ordres religieux de la ville voisine de Vesseaux, son pays natal. Les Frères Mineurs (Cordeliers) elles Frères Prêcheurs (Dominicains) d'Aubenas avaient déjà à cette époque, dans le pays, une réputation de zèle qu'ils ont conservée longtemps.
Le com ent des Cordeliers clalt, à Aubenas, là oft est l'hôpital actuel. Comme les deux antres dont parle ce testament, ce couvent n'a disparu qu'à l'epoque de la Revolution.
(5) Environ 220 francs.
(6) Le couvent des Dominicains d'Aubenas est deiemile couvent actuel des religieuses du Saint-Sacrement ; il est à l'extrémité nord-est de la ville, près de la place de l'Air et te.
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Voulte (I), pour autres deux cin's messes a célébrer de la manière susdite, autres v livres tournois, une fois seulement, h payer comme ci-dessus.
i Item, je lègue à raessires les prêtres habitant ledit lieu de Privas, pour cent messes à célébrer dans ladite église de Privas pour le salut de mon Ame, savoir, deux livres tournois (3), une fois seulement, à payer dans un an après ma mort.
« Item, je lègue à la Maladrerie de Privas, outre les legs que j'ai fails, mon meilleur matelas, un oreiller, un drap de lit, deux paillasses.
« Item, je lègue au nommé Beylle, du pré du Mail (3), mon autre matelas de peu de valeur, deux paillasses et deux draps de lit.
Item, je lègue à Pons La Balme, fils de feu Ponhet (4) une vigne située au mont Romain (S),ayant pour limites la route par où l'on vade Privas à Saint-Priest, la vigne de Mondon Giraud, maréchal, et ses autres confronts, avec ses droits de passage.
Item, je lègue à Catherine, femme d'Etienne de Soler, ma cousine germaine, xv sols tournois (6), une fois seulement, qui doivent lui être payés dans un an après ma mcrt.
Item, je lègue à Jean Pascal, autrement dit Jean d'Aubenas, marchand, pour les services que sa femme m'a rendus et pour ce dont je puis lui être redevable, savoir, ma vigne siluee à la Coheyre (7), ayant pourlimiles,dupiedle jardin dudit Jean,' la terre de mattreJean Falcon, la terre de Guillaume Ginet, la vigne de Jean du Pont..., la vigne de
(1) Le couvent des Augustms de La Voulte, qui a eu longtemps aussi de l'importance dans ce pays, était situe, au xvs siècle, au mont St-Michel, à 2 kilom. environ au nord de La Voulte. Lors des incursions calvinistes duxvi 1 siècle, les religieux durent quitter leur ancien monastère et se fixèrent dans La Voulte, près du château.
(3) Environ 88 francs.
(3)-Le pré du Mail occupait, à côté de l'ancien Privas, l'emplacement du Champ-de-Mars actuel.
(4) Ce Pons Ponhet (surnommé La Balme) serait-il celui qui devint, dix ans après, lieutenant général du bailliage de Villeneuve de lierg, et qui est désigné, dans la procuration d'Hilaire La Seli e (a), comme étant en 1428 « magistrat à Villeneuve de Berg? »
(8) Le mont Romain, ou mont Rome (mount Roume) est environ à 1 kitom. au midi du montToulon, dont le fort qui dominait Privas fut détruit lors du siège de cette ville par Louis XIII.
(6) Environ 33 francs d'aujourd'hui.
(7) Le quartier de la Colieyre est sur la pente très-rapide, versant septentrional du mont Toulon, qui va de l'ancien couvent des Recollets, le collège actuel, au ruisseau de Charalon.
(a) V. Documents, XII.
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noble Hélide, veuve de Pierre Fabre, mon jardin ét ses antres limites, avec ses droits de passage.
« Item, de plus, je lègue au même Jean les fruits pendant à présent dans mes vignes, une fois seulement. Jevenx cependant que ledit Jean ni les siens ne puissent rien demander à mon héritière nommée cidessous ni que mon héritière ne puisse demander audit Jean ou aux siens rien de ce dont je puis être redevable audit Jean ou de ce que ledit Jean peut me devoir de quelque manière que ce soit jusqu'à ce jour.
t Et comme l'institution d'un héritier est l'elêment capital et fondamental de tout testament dernier.., en conséquence, pour tons mes autres biens, meubles, droits et choses, présents et futurs, j'institue pour mon héritière universelle, en la désignant et la nommant de ma propre bouche, ma bien-aimée et très-chère Marguerite, fille de feu mon frère, messire Pierre Cbalis licencié ès lois, ma nièce et les siens, par laquelle je veux que mes legs et dettes soient acquittés.
« Je fais exécuteurs de mon dernier testament monsieur le curé de Privas, celui d'à présent, et msssire Jean deColans(l), autrement dit d'Ardon, également prêtre de Saint-Thomas, auxquels je donne pouvoir.
« Ceci est mon testament dernier, expression de mes dernières volontés et dispositions, lequel je veux être valable dn droit du testament, dn droit dn codicille, dn droit des donations pour cause de mort, et cela absolument de la meilleure manière. Et si l'on découvre que j'aie jamais fait précédemment un autre ou d'autres testaments, codicille, donations à cause de mort, je les réroque, je veux que ceci, mon dernier testament, reste dans toute sa force,et je vous requiers, vous, témoins, et toi, notaire, d'en prendre acte.
« Fait à Privas, dans la maison de ladite Marguerite, dans une chambre où elle (Florence Chalis) était malade, en presence des témoins ci-après :
« Messire GILLES CHARRIÈRE, curé dudit lieu ; GUILLAUME DE MORIER ; JEAN DE MORIER ; JEAN DE CORBIÈRES ; GUILLAUME CHAR-RIÈRE ou Vasulot ; PIERRE ALBERT OU Sarde ; GONET LAMBERT et ANTOINE TRAVERS.
Ce.document révèle assez, par les legs pieux qu'il contient (2), combien la foi catholique était profonde dans la famille de Marguerite de Surville.
(1) Ou « de Colunce. »
(2) La valeur totale des legs faits pour ces diverses oeuvres est au moins de 1,400 francs de notre monnaie.
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Les dispositions que renfermait le testament de Florence Chalis ont été probablement en partie reproduites par Marguerite, dans le sien qu'il serait curieux de retrouver un jour.
IV
PRO JOANNE PASCALIS, ALIAS DE ALBENASSIO, LEGATI EXPEDITIO (1).
« Anno Domini MCCCCXXVII et die xu mensis novembris, cum dudum lionesta mulier Florentin Chalisse, relicta Poncii de Morerio quondam Privacii, suum ultimum condiderit testamentum cum instrumenta per me subscriptum notarium in nolam recepto, sub anno quo suprà et die undecimâ mensis seplembris, in quoquidem testamento inter cetera continetur ipsam Florentiam donâsse et legàsse provido viro lobanni Pascalis, aliàs ' de Albenassio, mercatori dicti loci Privacii, quamdam suam ipsius Florentin vineam scitam juxlà muros dicti loci Privacii, loco dicto en la Celiegra, conirontatam a pede cum orto dicti Johannis Pascalis et cum terrâ magistri Johannis Falconis, et cum terra Guillelmi Gineli aliàs Videbo, et cum vinei nobilis Johannis de Ponte, et, ab, oriente, cum orto ipsius Fiorentioe Chalisse et cum suis ahis conlrontibus ; ultimamque heredem universalem in eodem testamento instituisse (2) bonestam mulierem Margaritam Chalisse, ejus neptem, relictam nobilis Raymundi de Bosco quondam Barresii, etc. »
Voici la traduction de ce document :
(1) Extrait du Manuale notarum d'Antoine de Brion.
Ce document, dont nous n'avons eu connaissance qu'indirectement et longtemps après les deux autres, nous avait d'abord été signalé, par erreur, comme une procuration du 12 septembre 1427, dans laquelle Marguerite Chalis était designée comme veuve de Raymond de Bosco ou du Bois de Barrés ; de là l'inexactitude, à quelques égards, de l'indication que nous avons donnée à ce sujet, première partie, Il. Nous reproduisons ici cette pièce d'après la publication qu'en a faite M. A. Mazon (a).
(2) Ici, sur le registre, on avait écrit nob, commencement du mot nobilem, et on l'avait ensuite rature.
(a) Marguerite Chalia, etc.
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EXPÉDITION DE LEGS POUR JEAN PASCAL, DIT JEAN D'AUBENAS.
« L'an du Seigneur MCCCCXXVII et le XIIe Jour du mois de novembre, comme honorable dame Florence Chalis, veuve de Pons de Morier autrefois de Privas, a fait son dernier testament dans un acte reçu en note par moi notaire soussigné, l'an que dessus et le onzième jour du mois de septembre, et que ce testament contient entre autres choses :
« Que ladite Florence a donné et légué à homme prévoyant Jean Pascal, autremeut dit d'Aubenas, marchand audit heu de Privas, une vigne à elle Florence Chalis, situee tout près des murs dudit lieu de Privas, au lieu appelé en la Colieyra, ayant pour limites du pied le jardin dudit Jean Pascal, la terre de maître Jean Falcon, la terre de Guillaume Ginet, autrement dit Videào et la vigne de noble Jean du Pont, et, à l'orient, son jardin é elle Florence Chalis et ses autres limites ; et que, dans ce même testament, elle a institue pour sa dernière héritière universelle nonorable dame Marguerite Chalis, sa nièce, veuve de noble Raymond du Bois (ou du Bosc, de Bosco) autrefois du (ou de) Barrés (l), etc. »
V
LETTRE DE LOUIS XI.
AUX GENS DES ESTAZ DU VIVAR0IS,
Du 18 mai 1465 (2).
De par le Roy,
« Chers et bien ametz, vous savez assez que, à l'assemblée des trois Estaz de nostre pals de Languedoc tenue en la ville du Pui en l'année
(1) Le Barrés, encore appelé de ce nom, est une partie de l'ancien Vivarais,située sur les pentes nord-est du Koyron, autourde l'antique château-fort de Barri (a), maintenant ruine sur son pic basaltique de 650 à 700 mètres d'altitude, et qui appartint autrefois à la maison seigneuriale de Barrés.
(2) Ms. original sur par chemin, aux archives départementales de l'Ardêche.
(a) Un des neuf anciens châteaux qui crénelaient au XIVe siècle les bords du Koyron : St-Laurent, Mirabel, La Baume, Montbrun, Tartathon, Alier. Barri, Ro chesauve et Cheylus, sans compter les châteaux-forts du Teil et de lloche-raaure situés sur les flancs de ce massif montagneux.
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dernière passée (1), après que vous et les autres gens desdiz Estaz eustes faittes toutes vos doléances et remonstrances, fut conclud du consentement desdiz Estaz, en pleine assembles, que l'aide que faisions (2) lors requérir pour fournir aux affaires de nous et de nostre royaume serait mis sus et levé selon les extimes qui auraient esté advisées et seraient frittes du nombre des habilans de nostre dit pais, selon léurs faeultez, en la forme qui fut lors advisèe et conclule, afin que égalité y feusl gardée.
« En ensuivant laquelle conclusion, rimpost et assiette dudit aide a esté faite et les commissions envoyées par tout nostre païs de Languedoc ; et tenions fermement qu'il n'y aurait point de faulte que les deniers d'icellui aide ne venissent (3) en compte aux. termes sur ce ordonnez, reu que ladicte conclusion avoit esté faitte en pleine assemblée, comme dit est, et que à teelle Assemblée, en faveur de vous et des autres dudit païs que vous dolusles (1) du fait de l'équivalent, en feismes oster et abatre (5) certains membres qui montent par an XIIIj m. 1. (6).
Mais ce non obstant, aucuns de vous ont fait difficulté et diffèrent de paier leurs quotes et porcions, comme l'ont dit, disant que estes plus chargez que n'aviez esté par avant, et avez esté et estes cause de donner exemple à autres de ainsi le faire, dont nous donnons merveille et n'en sommes pas contens, pour ce que se nostre dit aide ne venait en compte ceste dite année, pourrait estre cause de la rumpture de nos faiz (7) et mesmement de nostre armée que présentement nous fault entretenir pour résister aux dampnables entreprinses de ceulx qui, contre leur serment et honneur, se sont eslevez contre nous (8), comme il est tout notoire.
(1) « Les états de Languedoc se rassemblèrent au Puy le 5e d'avril t après Pâques (1464). Les commissaires du roi furent le seigneur de « Clermont, lieutenant du gouverneur de la province, Guillaume de « Varie, Etienne Petit, Herve de Dauves, clerc des comptes, et Nicolas a du Breuit, secréiaire du roi L'assemblee approuva le changement des « tailles et de l'équivalent en certains droits. » (a)
(2) On peut voir ici, et en d'autres endroits de cette lettre, que la suppression du pronom personnel avait lieu souvent, même en prose, dans le français du XVe siècle.
(3) « Vinssent. »
(4) Vous vous plaignites. »
(5) « Rabattre. »
(6) « 14 mille livres. »
(7) « La désorganisalion de nos affaires. »
(8) Dans la ligue dite du bien public.
(f.) D. Vaissette et D. de Vie. Histoire générale de Languedoc, livre XXIV, 47
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Et pour ce que ne pavons bonnement dissimuler ceste matière et qu'il nous est urgent nécessité de recouvrer les deniers dudit aide, nous vous mandons et commandons, sur la foy et loyaulté que nous devez et sur tant que nous doubliez desplaire (1), que ledit aide vous mettez sus et faittes (2) lever audit pals de Viverois, en la manière qu'il a esté advise et conclud, sans plus y faire reifuz ne mettre la chose en delay et tellement que ne soiez cause de la rumplure de nos diz affaires et que nous ayons cause de estre contens de vous. Et pour ce que vous plaignez de inégalités et charges excessives et doubtez que la chose soit tirée à conséquence en vostre préjudice, nous avons délibéré de envoler en nostre ville de Montpellier aucuns de nos-tre grand conseil au xve jourdejuing prouchain venant, auxquels jour et lieu mandons assembler les Estaz dud pals (S, pour leur dire el remonstrer bien à plain noz affaires et comment, grâces à Dieu, nosd falz et affaires prospèrent en bien ; et auront charge expresse de par nous de oyr vosd doléances et de vous y donner provision el mettre la chose en si bon ordre et égalité pour le temps à corril', que vous et autres qui faittes plainte en devez (4) estre bien contens.
Si vouliez (5) envoier aucuns d'entre vous, en petit nombre, aud lieu de Montpellier au jour dessus dit, qui. aient povoir de oyr, conclure et accorder ce qui sera de par nous dit, remontré et requis à ladite assemblée. Mais comment qu'il soit, faites cependant paier led aida présentement en toute diligence à Jehan Fournier, par nous commis à la receple generale de notre dit pals de Languedoc, et qu'il n'y ait point de faulle.
« Donné à Montluçon, le XVIIIe jour de may.
Signé : « LOTS. »
Signé : « E. PICART. »
Cette pièce, importante à maints égards, suffirait seule pour montrer qu'à celle époque, c'est-à-dire au milieu de la vie de notre poète,
(1) « Que vous craigniez de nous déplaire.
(2) « Que vous mettiez... et fassiez. »
(3) « Les États s'assemblèrent à Montpellier aux mois de juin et de « juillet (1465) et accordèrent une aide de cent vingt mille livres, Élie, evêque de Viviers, présida à cette assemblée et eut deux cent livres sur les épices. » (a)
(4) « Deviez. »
(5) « Ainsi veuillez. »
(a) D. Veissette en D. de Vie Histoire generale de Languedoc, liv. XXXV, 50
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la langue française était parfaitement formée et que cette langue déjà précise et correcte, dans laquelle le pouvoir royal s'adressait ainsi aux États du Vivarais et que « les gens de ces Etats » devaient conprendre, pouvait être parlée et écrite par un auteur de ce pays, où dominait cependant le provençal-languedocien.
VI
JUGEMENT DE NOBLESSE DE FRANÇOIS DE SURVILLE. du 3 juillet 1669. (1)
« CLAUDE BAZIN, seigneur de Bezons, conseiller du Boy en tous ses conseils, intendant de justice, police et finances en la province de Languedoc, commissaire et deputté par sa Majesté pour procédera la ve-riffication des titres de noblesse et recherche des usurpateurs d'icelle en Languedoc.
« Entre le procureur du Roy en la commission et dilligence de M. Alexandre Belleguise chargé par Sa Majesté de la poursuite et vériffi* cation des titres de noblesse et recherche des usurpateurs d'icelle en Languedoc, demandeur, en exécution de la déclaration du VIIIe janvier 1664 et du XX 11 décembre 1667, d'une part ;
« Et NOBLE FRANÇOIS DE SURVILLE sieur de Maraval résidant au lieu de Gras dans le diocèse de Viviers, assigne tant pour luy que pour feux nobles Jean et Jacques de Surville, ses pere et frere, def-fendeur, d'autre :
Ven ladite déclaration et arrest du co iseil ; les exploits d'assignations données au deffendeur en remise des litres en vertu desquels il a pris la qualhté de noble, le xx juillet 1068 ; la procuration par luy faite à M* Siviragol son procureur, pour se présenter aux dites assi-gnalions et soutenir les titres bons et valables ; Genealogie et armes dudit deffendeur ; Ratiffication contenant déclaration et donation faite par noble Jean de Surville sieur de Gras, en faveur de noble François de Surville son fils, receue par du Barre no", le 18 août 1656, insinue aux registres du bailliage de Vivarais et siege de Villeneuve de Berg ce premier décembre audict an ; le contrat de mariage de noble Jean de Surville sieur d'Armassenes, fils a feu noble Antoine de Sur-
(1) Jugements de vérification de noblesse. Archives départementales de l'Ardèche
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Tille et damlle Catherine de Labeau Bérard, avec damlle Blandine de Bony reçeu par Bernardin notaire, en date du XXVI mars 1613 ; Testament desd noble Jean de Surville sieur de Gras, seigneur des Armassènes et damUe lilandine de Bon;, dans lequel ils font legalz a nobles François et Jacques de Surville leurs fils et s'instituent herytiers l'un de l'autre, en datte du xx septembre 1643, reçeu par du Parre no»« ; le contrat de mariage de noble Antoine de Surville sieur des Armassênes, fils de feu noble Antoine de Surville et damlle Mathine Bege, avee damlle Catherine de Labeau Berard, receu par Martin nore en date du IXX mars 1886, insinué aux registres de la cour Roïalle de Villeneuve de Berg le 4 juin aud an ; Testament de noble Antoine de Surville du lieu de Gras, dans lequel il institue son herytier Jean de Surville son fils, reçeu par du Parre nore en date du xxvi janvier 1396 ; Contrat d'achapt fait par damlle Mathine Bege, femme de noble Antoine de Surville conseigneur des lieux de Gras et Saint Montan, de certaines pièces terre y mentionnée, du XIII janvier 1550, receu par Delamotte nore ; Testament de noble Antoine de Surville seigneur de Gras, dans lequel il institue son herytier noble Antoine de Surville son fils aisné, en datte du mois de juin 1358, receu par Pochon notaire, tiré de son original par Jobannis nore ; Desnombrement faict au roy par devant le seneschal de Nismes par noble Antoine de Surville des fiefs nobles qu'il possedoit en lad seneclianssée en l'année 1839 ; autre desnombrement faict devant ledict senal en l'annee 1541 ; contredit dudiet Belle-quise ; Testament de noble Claude de la Motte conseigneur de Gras et Saint Montant, dans lequel il institue pour son herytier noble Antoine de Surville son neveu, reçeu par Alzas notaire en datte du dernier septembre 1833 ; Contrat n'achapt faict par noble Antoine Surville conseigneur de Gras le XIII mars 1319, receu et expédié par Chenis notaire ; autre contrat d'achapt passé par ledit Antoine de Surville, dans lequel il prend la quallité de noble et de conseigneur de Gras et Saint Montant, du 4 janvier 1333, receu et expedié par De la Motte nore; Certificat du sieur baron d'Allés portant que led sieur du Surville sieur de Maravel etoit officier dans son régiment et qu'il lui donnait congé pour aller vaquer a ses affaires, du second mai 1641 ; Extrait mortuaire de noble Jean de Surviile seigneur du lieu de Gras, du XXI avril 1061 ; autre mortuaire de noble Jacques de Surville sieur de Malaval, du 15 may 1636 ; et tout ce qui par lesd parties a este dit et produit ; Conclusion du procureur du Roy ; Ouy le rapport du sieur de Bernard commissaire et député : tout considéré ;
Nous Intendant susdit, par jugement souverain et en dernier ressort, de l'advis des officiers par nons pris au désir de l'ordonnance avons
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déclaré ledit François dé Sarville sieur de Maraval noble et issu de noble race et lignée, ordonné que tant luy que sa postérité nays et a naistre de légitime mariage jouiront des privilèges de noblesse tant et sy longuement qu'ils vivront noblement et ne feront acte de dérogeance a noblesse ; auquel effect il sera mis et inscrit, par nom, surnom, armes et lieu .de sa demeure, dans le catalogue de véritable noblesse de la prorince de Languedoc ; et en conséquence de ce l'avons deschargé des assignaons a luy données pour feux nobles Jean et Jacques de Surville ses père et frère, faisant défense and Belleguise, ses procureurs et commis, de, pour a raison de ce, luy donner aucun trouble, a peine de tous despens, domages et int. i Fait à Montpellier le troisiesme juillet 1569.
Signé ; BAZIN.
Signe : BERNARD, rap.
VII
ORDONNANCE D'AFFRANCHISSEMENT
pour les biens de M. de Malaval, — Jean-Joseph de Surville. (I) 1696.
« EXTRAIT DU CADASTRE ET COMPOIX TERRIER DU LIEU DE GRAS DE L'ANNÉE 1656.
« NOBLE JEAN DE SURVILLE. Fol.4
» Premièrement un tenement à Malaval ou y a grange et davois... » V. cet extrait reproduit déjà, seconde partie, X, note (3).
Plus une vigne aux appartenances du Gras terroir appelle Bou-ebarie, confrontant du levant le chemin qui va dud Gras à l'auelie de Chazamont, du couchant terre de Mathieu Breton et d'Antoine Gascher, de bize le susd chemin et terre des hoirs Jacques Chabert et Jacques Chaussy, du marin la vigne du seigneur et le ruisseau du Claux, chemin entre deux ; presage trois sois un denier pitte et demye.
demye.
« Somme tout le passage cy dessus en trois articles, quinze livres quatorze sols six deniers pille et demyo. Cy.xvl. xims. vid. p. p. 1/2
(I) Ms in 4° sur velin. Archives de Gras.
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« Nous consulz du lieu de Gras certiffions que l'extrait du presaigé cy dessus quy fait l'entière cotte (1) de noble Jean-Joseph de Surville sieur de Malaval est conforme, h l'original quy est dans les ar-t chives ou coffre de la comte dud Gras, et que led sr de Malaval a esté coltizé dans le rolle des tailles imposées aud Gras l'année mil six cens quatre vingt treize, pour les biens compris aud extrait, la somtne de cent seize livres cinq sols, a raison de sept livres dix sols pour chaque livre dud presaigc, a ce compris quatre deniers péur livre du droit de collete Impozé lad annee, comme resuite par le préambule et tarif de lad imposition. En foy de quoy avons fait signer ces pnter a Mr. Pierre Delauzun nore royal que nousd consulz avons requis de ce faire pour nous ne sachans escrire, et par le greffier de la corn'». Fait double aud lieu de Gras le sixième jour du mois de février mil six cens quatre vingt seize.
« Signé : Kelly greffier.
J'ai signé à la réquisition des consulz led jour.
Signé : Delauzdn nore
NOUS SYNDIC GENERAL DE LA PROVINCE DE LANGUEDOC soussigné, en conseqes du pouvoir a nous donné par délibération de nosseigrs des Estats généraux de ladite province du dix neufme janer 1694 et en exécution de la déclaration du Roy du XIe may aud an, consantons que les biens mentionnés au compoix cy dessus demeurent, des a presant et a toujours, francs, quittes et immunes des tailles et antres impositions ordinaires et extraordinaires, royalles et municipales, et que les pocesseurs d'iceux jouissent de toutes les franchises et immunités a eux accordées par l'edit de Sa Majesté du mois d'aoust 1693 ; et en conséquence du mesme pouvoir a nous donné, nous promet. tons, au nom de lad Province, a noble Jean Joseph de Surville de Malaval capme au regimt d'Ardoise (sic) ses héritiers et ayant cause, que
(I) Trois autres immeubles de la famille de Surville à Gras, la maison », « l'estable » et le «moulin » étaient nobles et n'avaient donc pas besoin d'affranchissement. Les auires propriétés que Jean de Sur-ville et Jacques son fils avaienteues dans la localité et que nous avons fait connaître (a), avaient été aliénées par François de Surville, pour le paiement des dettes laissées par son père.
(a) V. supr-, seconde partie, X et XIII.
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lad province leur sera de toute esviction et garentie pour la somme de treize cent soixante unze livres seize sols, qid a este payée pour la finance dud affranchissement de celle de cent trente sept ,livres pour les S s. pour livre et de celle de... pour les frais de l'expédition de la quittance du trésor royal qui a este deslivrée aud sr de Surville de Malaval par M. le trésorier de la bourse du pays, (1) avec les Edits, declaraon, arrests du Conseil et extrait de la deliberaon des Estats ; Consentons que les biens du général de lad province soient affectés et ypotéqués pour raison de lad garentie.
« Fait à... (en blanc)
Signé : JOUBERT
« NICOLAS DE LAMOIGNON (2) chevalier, conseiller D'Estat, Intendant en la province de Languedoc :
Veu l'Edit du Boy du mois d'aoust 1693 qui accorde aux babi-tans de la province de Languedoc l'affranchissement de leurs tailles jusques à concurrence de la somme de cent mil livres et les déclarations de sa Majeste des 33 novembre 1693 et XIe may 1694, l'extrait du compoix cy dessus des biens que M. Jean Joseph de Surville de Malaval capre au rêgim' d'Ardoise (sic) possédé dans le taillable de la communauté de Gras diocese de Viviers, le consentent dn syndic général de la province, mis au bas dud extrait, la délibération des Estats de la province, la quittce du trésor royal de la somme de treize cens soixante unze livras seize sels et celle du s' Sartre pour les deux sols pour livre ;
« Nous ordonnons que les biens esnoncès aud compoix demeureront des a presant etatoujours francs, quilles et immunes des tailles et autres impoons royalles et municipales, ordinaires et extraordres que les processeurs d'iceux jouiront en outre de tous les autres avantages a eux accordés par les Edits et declaraons du Roy ; Enjoignons au greffier de la communauté (de Gras) de faire mention dud affranchis -
(1) On voit ici ce que coûtaient ces affranchissements et sur qui retombaient les frais de ces faveurs royales faites à quelques privilégiés.
(3) Nicolas de Lamoignon-Baville, comte de Launy-Coursoi, le fameux Baville, (ainsi appelé dans la province), Intendant du Languedoc pendant 33 ans, et connu par ses impitoyables rigueurs contre les calvinistes des Cevennes.
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sem> sur le compoix a la marge de chacun des arlicles aflranchis, sans frais, h la première réquisition qui lui en sera faite, a payne de repondre en son propre et privé nom. « Fait à (Montpellier)
Signé : DELMIOIGNON Par Monseigneur
Signé : LE TELLIER.
VIII
LETTRE D'ÉTIENNE DE SURVILLE A SA FEMME la veille du jour de sa mort. (1)
Du cachot du secret, prisons du Puy en Velay, ce je ne sai (sic) trop quel quantième d'octobre, 1798, veille de ma mort. '
« Peut-être ne ma restera-t-il point assez de jour (2), ma chère amie, pour te tracer ici mes derniers adieux. Je te quitte pour jamais et je te quitte à la fleur de mon âge : j'aurais voulu pouvoir honorer ma vie par des actions dignes de mes ayeux et de la cause auguste que j'ai trop en vain soutenue : honore, du moins, par tes regrets la mémoire de celui que tu devais mieux connaître et qui te consacre ses derniers instans. Va chercher dans les bras d'un époux plus heureux, (mais non pas plus digne de ta tendresse,) un bonheur que la fatalité de ma destinée t'a ravi presque incessamment dans les miens.
(1) Lettre autographe de quatre pages double feuillet bleuâtre in-4°» appartenant à M. Leoncede Walre. L'ecriture, aussi nette et aussi ferme que celle du manuscrit de Mme de Chauras, n'indique aucune défaillance de la main qui écrivait à ce moment suprême.
Le sang-froid dont cette lettre témoigne dénote une rare fermeté de caractère chez Etienne de Surville : il venait d'être juge et condamné à mort, le matin ou la veille du jour où il écrivait avec tant de calme.
Cette reproduction de sa lettre a été exactement collalionnée sur l'original.
(2) Le condamné venait d'apprendre à l'approche de la nuit, qu'il allait être exécuté le lendemain matin.
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« Fais part à mes chères soeurs de l'erenement que je t'annonce ; essaie de les consoler par la manière noble et vraiment française dont je vais payer mon dernier Iribut. l'ose espérer que ce baptême de sang lavera les tâcbes (sic) par trop multipliées dont je me suis souillé durant près de quarante ans de ma vie (1) ; crois pourtant que j'a quelques droits à la miséricorde de mon Créateur Jamais je ne fus méchant ; je ne peux me reprocher que des omissions plus ou moins coupables ; et l'oubli trop fréquent de mes devoirs n'a pu corrompre ni les principes do ma morale ni ceux-la même de ma foi. Ne laisse point ignorer à mes jeunes petits neveux que ma ûn a répondu parfaitement à ma vie ; c'esl-à-dire que je me suis endormi du long somme entre les bras de l'honneur et de la vertu.
« Je ne peux te dire maintenant où j'ai laissé quelques manuscrits (de ma propre main) relatifs aux oeuvres immortelles de Clolilde, que je voulais donner au public ; ils te seront remis, quelque jour, par des mains amies à qui je les ai spécialement recommandés. Je le prie d'en communiquer quelque chose à des gens de Lettres capables de les apprécier, et d'en faire, d'après cela, l'usage que le dictera ta sagesse. Fais en sorte, au moins, que ces fruits de mes recherches ne soient pas tolalement perdus pour la postérité ; surtout pour l'honneur de ma famille, dont mon frère reste l'unique et dernier soutien.
« Veille, si tu le peux, enfin, sur le bonheur de ce frère que je laisse avec tant de regret et qui dut (six) faire la consolation des jours qui me restaient à vivre. Si j'avais un conseil à te donner, ce serait de l'épouser, quoique vous soyez, a peu de chose près, du même âge. Il est, sans contredit, l'être le plus vertueux, le plus nobla et le plus solidement pensant que je connaisse au monde : toute l'armée, tous les honnêtes gens, ceux-la même qui ne l'ont vu qu'un Instant, t'en rendront un pareil témoignage; et puis, qui le connaît mieux que toi ? Tu trouveras en lui tout ce qui me manquait à moi-même, et tu sais s'il réunit le peu de bannes qualités que l'on estimait en moi. Du reste, ce conseil est une consolation que je me donne et qui ne peut, en aucune manière, ni te gêner ni l'offenser.
(1) Etienne de Surville, on le voit, n'entend point par ce chiffre celui des années de sa vie mais celui de ses années écoulées depuis l'époque où il avait atteint l'âge déraison.
Lorsqu'il mourut, il devait cire âge de 45 ans, 1753 étant plus probablement la date de l'année de sa naissance que 1755 donne approximativement plus haut (a), aprcs d'autres écrivains.
Cette supposition nous parait ; appuyee par la date de 1769 de la campagne de Corse à laquelle Etienne de Surville avait pris part ; il n'avait pu alors avoir moins de seize ans.
(a) Seconde partie, xvui.
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n Fais lui mes derniers adieux et dis lui, surtout, qu'il était l'un des objets principaux qui m'attachaient encore a la vie. Dis à ma soeur (madame de Charnève) qu'elle recueille le peu d'effets qui m'ont appartenu dans les divers endroits où ils se trouvent, et qu'elle les réunisse avec soin, pour les remettre à mon frère en temps et lieux. Si, d'après mes sollicitations, elle m'avait fait quelques envois, soit à Lyon, soit ailleurs (comme de mon portrait, etc., etc.), qu'elle les redemande aux personnes à qui elle les avait adressés, et on les lui fera repasser fidèlement. Je voudrais que ce portrait (1), spécialement, ne le quittât jamais qu'à la mort, ma chère amie ; et je meurs avec cet agréable espoir.
i II me reste à te recommander de faire honneur à quelques dettes que j'ai contractées, même dans cet affreux séjour ; et c'est par là que je commence. M. Lassaigne, lieutenant de la gendarmerie au Puy, m'a témoigné de la bienveillance et m'a prête dix écus (trente livres) en argent sonnant ; hâte-toi de les lui rendre. J'ignore le nom des personnes charitables qui m'ont nourri pendant deux mois (2) ; mais la respectable soeur de la charité qui nous (3) a porte nos vivres te les fera connaître aisement. Le concierge do la prison nVa fait aussi quelques petites avances que je te prie d'acquitter. Tu sais où j'ai passé quelques mois de l'année 1796 ; en retirant les livres que j'y ai laissés, fais également honneur aux dettes indispensables que j'y ai contractées. Mais borne-toi à recommander à mon frère les objets suivans.
« J'avais un domestique que j'ai laissé forcément en Amérique, d'où je ne sache pas qu'il soit revenu. J'en ai demande plusieurs fois des nouvelles à son pore, nommé Basset, maréchal-ferrant d'un faubourg de Caen en Normandie ; toujours en vam. Il revenait à cet enfant environ six louis de ses gages, cotte mal taillée, plutôt moins que plus.
(1) M. de Watré possède au Pradel ce portrait ou un autre, représentant É tienne de Sur ville âgé de 28 ou 30 ans, en costume d'officier du corps des volontaires français de la guerre d'Amérique. Ce portrait a été fait vers 1782. M. du Charnève en a un autre d'Étianne de Surville. La franchise et la loyauté respirent djns les traits du prétendu imposteur littéraire ; mais cette physionomie indique aussi, avec le courage et la fougno méridionale, la legôreté d'esprit (non de caractère), de
médiocres aptitudes esthétiques et l'absence de piofondeur et d'originalité intellectuelles.
(2) En réalité, Étienne de-Surville était dans les prisons du Puy seulement depuis le 3 septembre 1798.
(3) V. aux Documents, IX, quels étaient ceux qui avaient été arrêtes incarcérés avec Étienne.
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Beaujolais (1) et moi nous laissâmes un billet de trois louis (sur une eréance active de Beaujolais) au nomme Simon, métayer d'Argen-teau, pays de Liege ; il y a toute apparence que M. de Stapleton de Nantes, créancier de Beaujolais, n'a point acquitte ce billet.
« L'honnête Chavary, hôte de mon frère à Ata, en Hamaut, me lit faire des chemises ainsi qu'à Beaujolais et nous fournit quelques objets de nécessité première ; je n'ai point été à portée de solder son compte, auquel on doit ajouter foi sans restriction.
« Il doit exister à Meysse, prés Rochemaure, un jeune homme nommé Roury (2), frère d'un autre Boury, soldat au régiment, que je vis périr sous mes yeux en Amérique. Le cadet étant à Marseille à mon retour, d'outre mer, je ne pus alors lui payer cinq lotus appartenant à son frère défunt ; cet objet doit être acquitté tres-sévèrement.
Quant à ce qui regarde les affaires de feu mon ami Bragelongne (3), je te proteste que je n'ai rien touche de ce que tu sais, ni M. Bosil de Sugny non plus : je mets le tout sur la conscience de les correspondans d'Amiens ; mais il serait bien temps de remplir les engagemens sacrés que nous impose la mémoire de celui que j'ai tant aime (4).
« Enfin, recueillis (sic) tout ce que ta mémoire ou d'autres renseignemens peuvent te procurer de connaissances sur les petites créances que je pourrais avoir contractées sciemment ou sans le savoir, et songe que je ne meurs en paix que dans l'assurance que j'ai de Ion attention (5).
« Adieu donc, chère âme de ma vie ; je ne verse point de larmes en te quittant; mais crois que mon âme est cruellement oppressée (6).
(1) Beaujolais, le Adèle domestique d'Etienne, ne l'avait pas quitté dans ses années d'émigration.
(9) Le nom de Jacques Roury (représenté aujourd'hui par ses héritiers) figure dans le registre cadastral de h commune de Sleysse.
(3) C'est par erreur que, dans l'ouvrage de M. Macé, est écrit Brage-longue.
(4) Ce Bragelongne, inconnu, d'ailleurs dans les lettres, aurait-il été un collaborateur d'Éticnne de Surville* dans ses amplifications littéraires ? Aurait-il appartenu à la famille du géomètre Bern. de Bragelongne ?
(5) On voit éclater là, dans tout son jour, la délicatesse de conscience de celui que nos lettres n'ont pas craint de soupçonne 1' d'irn-posture à ses derniers moments. Après avoir lu avec attention ces re-commandations si pressantes d'Etienne, on ne saurait garder aucun doute légitime sur sa noblesse d'âme et sa sincérité.
(6) Quel contraste la physionomie morale qui ressort de ces simples lignes fait avec le personnage de fantaisie créé par la savante Critique tenant absolument à faire d'Étienne un baladin littéraire !
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Prie toujours pour ton époux ! Songe à celui qui t'aimera jusqu'à sa dernière heure ! Reçois mes derniers embrasse mens ; que ton père, ta mère, mes soeurs et Charnève, ainsi que leurs enfants, les partagent ! Crois que je vécus pour t'aimer uniquement ! au nom de la vertu, donne toujours des pleurs à ma mémoire ! adieu !
« SUBVILLE. »
« P. S. Pardon ; dans la situation gênée où je suis, j'oublie quelque chose, et ce n'est pas étonnant, informe-toi si le sieur Linotte fils, rue des Carmes à. Liege, chez lequel j'ai resté, n'a pas quelque chose à réclamer de moi... Finale ment, lâche de ne laisser même aucun doute en arrière... mais Bragelongne ! ah ! souviens-t-en !
Je voudrais être plus gai dans ma derniere epître ; mais le moyen ! Cependant, crois que ma belle humeur ne m'a point abandonné dans cette maudite cage ; j'y ai conservé tout ce que j'eus jamais de présence d'esprit et de tranquillité. Je ne puis entrer dans aucun détail sur ce qui concerne ce dernier jour de ma vie : mais la voix publique t'apprendra que mon sang-froid et mon courage ont répondu parfaitement aux pieu ves que j'en ai donné de touf temps. Je me suis montre digne d'avoir combattu sous les drapeaux de l'honneur pendant ma trop courte carrière ; et je laisse au moins un bel exemple à suivre aux compagnons de mon infortune et de ma captivité.
« Demain matin, j'irai porter mon corps et ma tête où je n'eusse pas dû les laisser; mais ainsi l'ordonne la Providence! ainsi le veut celui qui peut tout. Un champ de bataille m'aurait beaucoup mieux convenu, je l'avoue ; mais qui peut obtenir tout ce qu'il désirerait?... Le défaut de jour me coupe le sifflet ou plutôt m'arrête la plume. Ce griffonage ne vaut pas les beaux essais de ma main ; il faut pourtant t'en contenter, ma belle amie ! demain je ne saurais en faire autant. Adieu ! Que pourrais-je te dire encore ? »
Étienne de Survitle se révèle là tout entier. On y voit sa fermeté d'âme, son amour de l'honneur, sa soumission à la Providence, sa probité, sa préoccupation des oeuvres de Clotilde, et même ses défauts intellectuels à côté de ses qualités de coeur.
La noble femme à laquelle il adressait ce testament suprême ne se remaria pas. Elle resta seule avec son père; et après qu'elle eut perdu celui-ci, mort à 70 ans, le 2o novembre 1817, elle continua à demeurer au Pradel ou à Yilleneuve-de-Derg, occupée de pensées chrétiennes, adonnée aux lectures serieuseset suivant avec intérêt les choses littéraires. ,
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La publication des poésies de Clotilde larda peu, on le sait, à la met tre en relations épistolaires avec Vanderbourg. Un échange de le! 1res s'établit aussi, à la même occasion, entre elle et Mm« de Validerbourg ; mais on y toucha bientôt aux questions religieuses et un grave dissentiment se révéla. Mme de Surville était fervente catholique, d'une foi aussi vive qu'eclairée ; Mme de Vanderbourg, bien que « chanoinesse » autrefois (1), était voltairienne. Cela mil fin à leur correspondance.
Mme Pauline de Surville n'admit jamais, nous l'ayons dit, que son mari fut l'auteur des poésies qu'il lui recommandait si fortement dans sa dernière lettre : ses Convoi salions en ont fait foi. Cette opinion était également celle des hommes les plus distingués de son pays, quelques-uns même de ses relations. Certains d'ordre eux avaient connu personnellement Etienne de Surville et avaient pu juger de sa valeur intellectuelle un peu mieux que n'ont pu le faire MM. Sainte-Beuve et Gaston Paris.
Parmi ces hommes de mérite, littérateurs, jurisconsultes, magistrats, nous devons citer J.-L. de La Boissière (2), Louis Vacher (3) et Louis-Ant. de Barruel (4). Aucun d'eux n'a partagé la méprisé prétentieuse de la grande critique ; aucun d'eux n'a attribue les poésies de Clotilde à Étienne de Surville (5).
(1) L'ecrivassière Mme de Polier était aussi, de son côté, « chanoi- « nesse prussienne. »
(2) (1749-1834). De Villeneuve-de-Berg ; avocat-général au parlement de Grenoble, conseiller à la cour de Nîmes, éditeur des Commentaires du soldat du Vivarate.
(3) (1750-1316). De Vesseaux ; conseiller à la sénéchaussée de Villeneuve-dç-J3erg, députe à l'Assemblée législative, président du tribunal de Privas.
(4)(1773-1855). De Villeneuve-de-Berg ; longtemps maire de cette ville.
(5) Parmi plusieurs témoignages oraux ou écrits, nous devons citer, dans les limites étroites où nous avons à nous renfermer, quelques lignes d'une lettre que nous écrivait, à ce sujet, un de nos plus dignes compatriotes, M. A. de Barruei, petit-neveu de l'auteur des Helviennes. Représentant d'une des familles vivanoises qui, depuis longtemps, ont eu l'amour des choses intellectuelles, M. A. de Barruei a, lui aussi, consacré quelques pages convaincues à noire grand poète («).
Voici un fragment de sa lettre :
« Mon cher monsieur, je vous sais d'autant plus de gré de faire ap- « pel à mes souvenirs de famille sur Clotilde de Survitle, que je me <l suis toujours fort intéressé à ses poésies... Je peux vous parier du « jugement que portait, sur le marquis de Surville, mon père son con- « temporain et son ami. Il m'a toujours dit que le marquis n'était point « l'auteur de ces poésies. M. de Surville lui en a lu souvent des extraits;
(a) L'Écho de l'Ardèche ; nos des 5, 6 et 22 août 1871
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Et que l'on ne présume pas que ce fut un sentiment de jalousie à l'égard d'un de leurs compatriotes et de leurs contemporains qui leur dictât cette appréciation. Ces hommes étaient trop au-dessus d'uue mesquine passion si familière à notre temps, pour s'inspirer là d'un sentiment vil dans le jugement qu'ils portaient.
Quant au billet qu'Etienne de Surville aurait, après cette dernière lettre, écrit à M"* de Polier qui prétendit en donner une copie à Mme Pauline de Surville, lorsqu'elle lui demanda pour ïa première fols d'éditer, avec de Brazais, les oeuvres de Clotilde (l), nous ne savons guère ce qu'il faut en penser.
Ce billet où le condamné aurait adressé ses adieux à de Polier, en lui annonçant que de Surville lui « fera part des extraits de Clotilde, » et qui contiendrait ainsi une nouvelle attestation d'Etienne en faveur de l'authenticité de ces poésies, est-il lui-même bien authentique ?
« depuis qu'il les avait découverts dans ses archives, il ne parlait « et ne s'occupait, pour ainsi dire, que de ces poésies. Avant cela, « m'a dit souvent mon pere, il fatiguait ses amis de la lecture des siennes (a) qui étaient des plus ennuyeuses ; mais après, il ne s'est « plus occupé que de celles de son ayeule.
« J'ai connu, pendant trente ans au moins, la veuve du marquis de « Sur ville qui a habité pendant dix ans notre maison (à Villeneuve-de- « Berg). Ma soeur aînee et moi lui parlions fréquemment des poésies « de Clotilde dont nous étions très-enthousiastes; elle nous a toujours « certifie l'authenticité de ces poésies. J'ai vu bien des fois le frère du « marquis de Surville» qu'on appelait l'abbé de Surville, parce qu'il « avait eu un canonicat dans sa jeunesse. Il venait souvent au Pradel. Eh bien ! M. de Surville a toujours dit que son frère n'était pas l'aua teur de ces poésies, mais qu'il en avait trouvé le manuscrit.
« Inutile, après cela, de vous dire que je crois toujours à l'authen- « licite de ces poésies ; mais je suis convaincu qu'elles ont été retou- « chées plusieurs fois...
« Agréez, etc.
A. DE BARRUEL. »
Ce langage est celui des anciennes familles du Vivarais, dans lesquelles se conservait le goût des choses de l'esprit et dont 41. de Bar-ruel est l'interprète dans les lignes que l'on vient de lire.
(1) Lettre de Mme le Polier à Mme Pauline de Surville, du 9 mars 1802.
(a) Que l'on veuille remarquer ce nouveau témoignage. Etienne de Surville distinguait donc bien, devant ses amis, ses poésies de celles de Clotilde ; et ceux-ci distinguaient sans peine les unes des autres, ce que la « critique » est loin d'avoir fait
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Une ou deux des dix lignes qu'il renferme nous inspireraient, malgré sa sobrlèté, quelques doutes a cel égard ; et ce qui pourrait davantage encore mettre ici en légitime suspicion, c'est ta pensée de cupidité avec laquelle on cherchait à s'autoriser de ces lignes et qui apparaît visiblement au fond du désir de publier ces oeuvres exprimé par Mme de Potier ; o'est aussi ce qu'a de louche la demande de Brazais, appuyant celle de son amie. L'un et l'autre, en cela, agissaient un peu en compères.
Il en coûtait peu d'ailleurs à M. de Brazais, non seulement de corriger ou d'Interpoler ces poésies, mais aussi d'arranger à sa guise certains détails à leur sujet. Autant son témoignage a toutes 1rs conditions voulues d'admissibilité, lorsqu'il avoue que, de concert avec Etienne, il a apporté aux poésies de Clotilde des altérations que l'on peut constater; autant il les a pen, lorsque, entraîné par l'imagination ou sollicité peut-être par l'intérêt, il exagère et a recours à d'équivoques petits moyens, Irop selon les habitudes de son temps. La prétendue lettre, par exemple, qu'il cite de Voltaire é Desmabis est évidemment, à nos yeux, de sa pure invention ; il n'y a pas à disserter sur des documents pareils.
Il est heurenx, pour ces poésies, qu'elles n'aient pas en pour éditeurs de Brazais et Mme de Polier.
IX
LA CONDAMNATION D'ETIENNE DE SURVILLE
ET L'ÉRUDITION DE SAINTE-BEUVE.
Sainte-Beuve a souvent dit, nous l'avons vu (1) que l'auteur des poésies de Clotilde n'était autre qu'Etienne de Surville ; et il a contribué plus que tout autre à répandre cette idée des plus erronées.
Croit-on qu'en faisant ainsi d'Etienne de Surville un imposteur littéraire, Sainte-Beuve ait eu, sur son compte, les renseignements les plu simples, que ses compatriotes avaient et que ne devaient pas igriorer ceux qui se chargeaient de parler de lui et de le travestir devaut le public ? Combien se serait s'abuser !
Écoutez Sainte-Beuve :
« Rentré en France, vers octobre 1798. avec une mission de « Louis XVIII, il (Etienne de Surville) lut arrête, les uns disent à La « Flèche, d'autres à Montpellier (tant l'incertitude est grande) • — oui,
(1) V. supr., troisième partie, VIII et IX.
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chez les critiques, — mais, d'après ce qui parait plus positif (SainteBeuve ne peut rien affirmer à ce sujet) « dans le département de la
« Haute-Loire, et on le traduisit devant une commission militaire au « Puy. Il tenta d'abord de déguiser son nom ; puis, se voyant re<
re< il s'avoua hautement commissaire du roi et il marcha à la mort la tête haute. L'arrêt du tribunal (ironie sanglante !) portait « ait considérant ; Condamné pour Vols de diligence. » (I)
Voilà donc Sainte-Beuve qui n'est pas sûr du lieu où Étienne avait été condamné et qui pourtant fait savoir à ses lecteurs que ce malheureux fut condamné pour vols de diligence. C'est de cette manière que souvent nos lettres forment l'opinion.
La vérité, à cet égard comme à bien d'autres, est loin des dires savants de Sainte-Beuve. Étienne de Surville fut condamné comme émigré ayant enfreint une loi de l'époque révolutionnaire.
Voici les faits, tels qu'ils se sont passes.
Le lc«- septembre 4798 (15 fructidor an vi), Étienne de Surville, parti du Puy-en-Velay, depuis trois jours et déguisé sous le nom de Jacques-Armand Tallard, était arrêté avec trois autres partisans de la cause monarchique, dans la Haute-Loire, à Gervais, dans la commune de Tiranges et le canton de Saint-Pal-en- Chalancon (maintenant le canton de Bas) (3). Dénoncés, ils avaient été pris dans un souterrain de la maison de Jeanne-Marie Théolière.
Les trois compagnons d Étienne de Surville étaient : Jean-Baptiste Robert, qui était pour lui comme un fidèle serviteur ; Dominique Allier, du Ponl-St-Esprit, qui avait déjà partagé, trois ans avant, le premier voyage clandestin de l'émigré et qui avait pris le nom de Jean-Pierre Bourtalier ; et Charbonnel de Jussac, du Velay, croyons-nous.
Le 2 septembre, procès-verbal de leur arrestation était fait par la gendarmerie de Craponne.
Le 3 septembre, ils étaient écroués dans une prison du chef-lieu de la Haute-Loire. Le registre d'écrou de la maison d'arrêt du Puy de an VI, folio 71, le constate en ces termes :
(1) Sainte-Beuve. Tableau historique et critique de la poésie française, etc., p. 397
(2) Extrait du registre des délibérations du directoire exécutif du canton de Sainl-Pal-en-C'ualancon (Haute-Loire), signé : Martin, maire. « Séance du 15 fructidor an VI.
« Le commissaire du directoire exécutif a dit qu'en conséquence de
« l'arrestation faite ce jourd'hui, au tien de Gervais, commune de Ti-
« ranges, etc »
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« Ce jourd'hui 17 fructidor (3 septembre 1798), nous, Dominique « Délaigue, brigadier de gendarmerie à la résidence de craponne, et le « citoyen Meunier, lieutenant, commandant le détachement de la « sixième demie brigade en station à Craponne, en vertu de notre « procès-verbal du jour d'hier, avons ecroué sur le présent registre les « nommés lacques-Armand Tallard, Jean-Baptiste Robert, Jean-Pierre Bourtaher, Joseph Charbonnel et Jeanne-Marie Tbéolière, que nous
« avons mis sur la garde et surveillance du citoyen Giraud, gardien de la maison d'arrêt, et sous sa responsabilité, et nous sommes si-
« gnés avec ledit gardien. »
Le 7 octobre (16 vendémiaire an VII), un arrêté du Directoire du département de la Haute-Loire « invite le général commandant la 1re sub- « division de la i9e division militaire, de provoquer â l'égard de l'ex-t marquis de Sur ville, dit J.-Arra. Tallard, l'exécution de la loi du 19- « fructidor, an V. » (1)
On voit que c'est l'inique coup d'État du 18 fractidor et la recrudescence de tyrannie révolutionnaire qui s'ensuivit qui ont coûté la vie à Etienne de Surville, comme à bien d'autres ; et l'on voit aussi que le Directoire départemental de la Haute-Loire fut plus impatient que l'autorité militaire d'amener ce triste événement.
Étienne est aussitôt traduit, comme prévenu d'émigration, devant une commission militaire, tandis que ses amis, non émigrés, sont réservés pour la justice du jury. C'est ce que fait connaître un autre arrêté du Directoire du département de la Haute-Loire, du 24 vendémiaire an VII (13 octobre 1798), dans lequel on lit ceci ;
« Considérant que des quatre individus arrêtés le 16 fructidor der- « nier, au lien de Gervais, commune de Tiranges, canton de Saint-Pal, dans un souterrain de la maison appartenant à Marie Théolière, le « marquis de Surville, l'un deux, vient d'être traduit, comme pré- « venu d'émigration, devant une commission militaire, les trois au- « très, Allier, se disant Jean-Pierre Bourtalier, Charbonnel do Jussac « et Robert, sont envoyés devant le directeur du jury de l'arrondisse- « ment d'Yssingeaux. » (2)
Ce n'est donc pas comme vol ar de diligence, ainsi que l'a dit Sainte-Beuve avec certains autres, qu'Ëtienne de Surville fut traduit devant la justice militaire.
Parmi les pièces saisies et indiquées dans l'arrêté ci-dessus du 24 vendémiaire an vu,était une délégation du « marquis de Surville, colonel
(1) Arrêtés du Directoire du département, de l'an vi.
(2) Arrêtés du Directoire du département, de l'an vu.
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légionnaire au service de S. M. Très-Chrétienne, en faveur de M. Do- « ininique Allier, comme chef agréé par le roi i, délégation datée du 1er juillet de l'an de grâce 1798.
Le jugement d'Etienne et sa condamnation à mort par la commission militaire ne se firent pas attendre; ils eurent lieu le 18 octobre 1798. C'est ce que déclare le registre d'écrôu. En marge de l'acte d'écran déjà cité ; on lit ceci :
« Je déclare avoir décroué les mêmes trois individus êcroués ci-con-
« tre, le quatrième ayant été jugé et condamné le 27 vendémiaire (18 « octobre 1708). » (1)
Quatorze habitants de Viviers avaient été appelés en témoignage, dans ce jugement, par la commission militaire.
Etienne de Surville fut probablement exécuté le lendemain du jour où il avait été condamne, c'est-à-dire le 19 octobre 1798. -
Il fut passé par les armes, non sur la place du Breuii du Buy comme nous l'avons dit (î) d'après un renseignement inexact, mais contre le mur de l'église des Jacobins de cette ville.
D'après Joseph Chaussi (3) qui, dans son enfance, avait vu plusieurs fois le marquis de Surville (4) ; dont un oncle paternel, alors militaire, avait assisté comme témoin au duel d'Étienne avec Middleton, et pour qui l'émigré n'avait jamais été guère qu' « un étourdi » (6), la triste fin de ses imprudences lui avait été présagée dès 1791.
(1) Nous devons les extraits de registres cités dans ce Document ix, à une bienveillante communication de M. Aug. Chassaing, juge au tribunal civil du Puy et secrétaire de la société académique de cette ville, nous les ayant donnés d'après une note de M. Albert de Brives. Ils confirment de la manière la plus positive les informations que nous avions déjà. (a)
(2) Supr., seconde partie, XXXVIII.
(3) Nous avons déjà dit (seconde partie, XXIII) quelle fermeté de penses, quelle vivacité de sentiment et quelle précision de souvenir avaient les récits de ce généreux et syinpatriique vieillard.de 91 ans.
(4) La maison qui était alors, comme elle l'est encore, celle de Joseph Chaussi était contigue à la maison des Surville ; et l'on entrait même de l'une dans l'autre.
(3) A l'appui de celte qualification qu'il donne à Etienne de Surville, J. Chaussi raconte quelques singularités qui indiquent le caractère étrange, â certains égards, de l'émigré Ainsi J. Cbaussi l'aurait vu, dit-il, plusieurs fas.se promenant à Viviers, pendant les grands froids de l'hiver, la tête nue, le col decouvert, en habits d'été, vêtu de blanc ou de nankin, et affectant de braver, dans ce costume, à la fois les usages reçus et la rigueur du temps.
On pourrait citer d Étienne de Surville plusieurs autres traits de ce genre. Tout cela contraste on ne peut plus avec le personnage que lui a fait la critique, d'auteur des poésies de Clotilde.
(a) v. Supr., seconde partie, XXVII.
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A cette époque, alors qu'Etienne se disposait à partir pour faire, disait-il, avec l'armée des princes une victorieuse campagne contre la Révolution, un ami de sa famille, homme des plus importants de Viviers, M. de Beaulieu insistait auprès de lui pour le détourner de ce projet dont il parlait inconsidérément. H. de Beaulieu lui disait qu'il ne connaissait pas la force du mouvement révolutionnaire ; qu'il n'était point sage de s'y prendre ainsi pour lutter contre ce courant ; que ce qu'il comptait faire ne pouvait être qu'une vaine témérité dont il serait victime.
A cela Étienne répondait qu'il avait donné sa parole au comte d'Arlois et qu'avant tout il devait la tenir.
Étienne de. Sur ville se montre bien là avec sa légèreté d'esprit, avec sa fougue aventureuse et avec sa passion de l'honneur.
Ajoutous ici, pour compléter ce que nous avons à dire d'Étienne de Surville, que les manuscrits qu'il aurait confiés à un M. du lèorard (a-t-on dit, en reproduisant d'une manière défectueuse peut-être l'affirmation d'Étienne), afin qu'il les déposât chez M. Pradel, maître de poste à Donxère, ont pu être remis à M. du Motard. Les dn Molard de Barrés, souvent appelés simplement du Molard (1), sont une famille connue du Vivarais, où il y avait aussi les Châteauneuf du Molard : quelqu'un d'eux aurait pu être en relation avec Étienne, et se rencontrer avec lui au Charnève, lorsqu'il y vint en 1795.
Les du Morard sont inconnus dans le Vivarais.
(I) L'arrête des trois ordres du Vivarais, de 1788, mentionne e du Molard, chevalier de St-Louis, i au Pouzin.
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X
TABLEAU GÉNÉALOGIQUE DE LA FAMILLE DE SURVILLE (DU VIVARAIS) dans sa branche de Gras.
(Ci-contre.)
Notes du tableau :
(1) Etienne de Surville dit : Reymond de Surville (ms. de Mme de Chauras).
Les deux premières indications ne sont pas absolument certaines.
Le signe (2) affecte une dite approximativement présumée.
(2) M. H. de Surville, colonel d'artillerie en retraite, de la famille des Surville du Gard, présume (a), peut-être même avec quelque vraisemblance, que, parmi ces enfants d'Antoine de Surville (qui figurent dans le testament de leur père, du 12 juin 1858, reçu par M® Bochoni, notaire à Avignon), trois d'entre eux, François, Jean et un autre des fils se seraient faits protestants, auraient passé dans les Cevennes, se seraient fixes aux environs du Vigan, et compteraient parmi les ancêtres de sa famille revenue au catholicisme, le siée e dernier. Il suppose aussi que quelques-uns des fils du second Antoine de Surville auraient également embrassé le protestantisme.
« Je prétends, nous dit-il, que plusieurs des enfants des deux Aut toine de Surville qui ont ele seigneurs de Gras, se sont faits proies- « tants et soutenus s'établir dans le Gard qui était un foyer de « calvinisme. C'est sur ce fait que j'appelle vos investigations. J'ai » pour preuve de ce que j'avance : 1® l'apparition du nom de Surville « dans les communes de Breau et de M obères, en même temps que « les Surville du Vivarais se divisaient ; 2° la similitude des noms de « prédilection donnés aux enfants mâles dans les deux familles; 3e « le voisinage des deux pays, dont l'un avait adopté les idees nou- « velles et dont le séjour permettait, par conséquent, une pratique a plus facile de la religion reformea, dans un temps où il y eut tant « d'alternatives dans le libre exercice du culte protestant. » (b)
Il y a, dans tout cela, effectivement, certaines présomptions favorables à ce que suppose M. H. de Surville; mais néanmoins la preuve de ce double fait, qui aurait son importance dans l'histoire des Surville du Vivarais, reste encore à établir.
A défaut de la parente directe avec les deux Antoine de Sur ville, supposée par notre honorable correspondant, n'y aurait-il pas quelque probabilité que les premiers membres de cette famille du Gard, mentionnes au XVIIe siecle (1638 et 1616), François, Jean, Jacques, Pierre, Henri, Jacques et Pascal (c), étaient rattaches, par un lien de parenté, aux ancêtres de Bérenger de Surville ?
(a) Lettre de M. H. de Surville à l'auteur, du 30 mai 1874.
(b) Lettre du même,
(c) Lettre du même
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TABLEAU GÉNÉALOGIQUE
DE LA FAMILLE DE SURVILLE (du Vivarais ) dans sa branche de Gras
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XI
LES INSCRIPTIONS DE L'ÉGLISE DE VESSEAUX.
Ces inscriptions, dont nous n'avons pas parlé dans U cours do notre ouvrage, à proposées traditions de Vesseaux relatives à Marguerite de Surville, parce que rien ne nous prouvait alors suffisamment qu'elles se rapportassent à notre sujet, ont probablement plus d'importance que nous ne le pensions. C'est depuis peu que nous avons pu remarquer et lire en partie les deux plus significatives de ces inscriptions, qu'un badigeon recouvrait â demi.
Les inscriptions de l'eglise de Vesseaux sont au nombre de quatre, et peut-être de cinq : l'enlèvement complet du badigeon passe sur cette façade de l'église montrerait si deux de ces inscriptions sont distinctes ou n'en font qu'une seule. (I)
La plus apparente est au milieu des autres ; elle est sur une pierre taillée de 37 centimètres de hauteur sur 47 centimètres de largeur, enchassée dans la façade de l'église de Vesseaux, à 1m 65 cent. au-dessus du portail roman, ayant cinq autres voûtes concentriques superposées et en salles.
Elle est ainsi conçue ;
IN DNI PECTYS tous IACVIT BENE TECTYS NOS VTINA LV CAS PARADISI AD GAVDIA DVCAS
A côté est représenté, sur un bas-relief (3),le Sauveur assis au milieu des quatre animaux, symboles des quatre Evangèlistes.
En faveur de l'hypothèse que celte inscription se rapporterait au fits de Bérenger et de Marguerite, à Jean de Surville, dont le coeur, dit la tradition locale (3), aurait été mis près de ce portail, on peut allé-gueur les mots IOH S (Johannes ou Lm. (de) s.) et BENE TECTVS _ (bien couvert), et l'image, qui en résulterait, du coeur de Jean (de Surville) reposant, après cette vie, sur le coeur de Jésus.
(1) Si le Vesseaux est mise, un jour, au nombre des monuments historiques, comme elle mérite de lêtre, il y aura à enlever ce fâcheux badigeon,, cause principale de l'inexactitude avec laquelle ces inscriptions ont été reproduites jusqu'ici.
(2) Ce bas-relief est évidemment une pièce rapportée, postérieurement à la construction de l'édifice.
(3) v. supr., seconde partie, IV
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On peut expliquer la présence de St Luc (LVCÀS), dans l'inscription,' ou par le besoin de rimer avec DVCAS, ou plutôt par la pensée qui a tenu à étendre sur tout cela un demi-voile et qui y a pleinement réussi. On peut interprêter la présence des symboles qui accompagnent l'inscription, en disant que celui à qui cette inscription est due a voulu mettre là Jean de^Surville en société des Evan-gelistes; et l'on peut ajouter même qu'une hypothèse de ce genre explique, au moins de quelque manière un peu plausible, comment il se fait qu'une semblable inscription se trouve sur le seuil d'une église qui n'est dédiée ni à saint Jean ni à saint Luc. (I)
Contre cette supposition milite le sens apparent du texte.
Sur une autre pierre, un peu plus petite, encastrée dans le même mur, à 40 centimètres et un peu au dessous à droite de la précédente,_ on lit ceci :
HECCE LYPI DENTES PARVUM PUERV COMEDENTES
Rien n'indique séiieusement qu'il faille voir là une allusion à Bêren-ger de Surville, qui serait désigné comme victime du loup dévorant (l'Anglais). Ce loup peut plutôt signifler poétiquement un cruel destin ; et, dans le cas donné, cela pourrait se rapporter à Jean de Sur ville.
Jusqu'ici tout est énigmatique. Mais les deux autres inscriptions que nous avons relevées jettent un rayon de lumière sur cette obscurité.
Sur le filet de pierre en saillie qui sert de socle au bas-relief repré ¬ sentant le Sauveur, socle qui a subi une fracture, on lit :
PI (fracture) CHALISE MAVIDVEcrusuai CURA (9)
Que l'on peut lire ainsi :
REPRÉSENTÉ (PICTUM) PAR LES SOINS DE MARGUERITE.
CHALIS, VEUVE... DE SUR (VILLE).
Les lignes qui accompagnent le bas-relief pouvant donc, d'après l'inscription du socle, être attribuées 3 l'épouse de Béranger, il y a là un
(1) L'eglise de Vesseaux est sous le vocable de Saint Pierre-ès-liens. (9) Le sens de la partie de cette inscription qui contient les lettres C P M.. I pourrait être : Clari Patris Morlus Surville Johannis. MA pourrait appartenir à un adjectif ou à un adverbe.
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nouveau témoignage des sentiments chrétiens de Marguerite de Surville.
Enûn, à gauche du bas-relief, une inscription occupant trois pierres-taillées (1) laisse lire ceci :
FILIV (M) .
BERANGE....
IN D° FINXIT (2) CLTI
Il y a là ainsi une confirmation des dires'si précis de la tradition de Vesseaux et de l'histoire de Clotilde.
XII
LES COMPATRIOTES ET LES COLLÈGUES EN JURISPRUDENCE DE PIERRE CHALIS.
Voici une pièce qui indique quels étaient, à l'époque de Marguerite de Surville, dans la partie du Vivarais qu'elle habitait, les principaux. jurisconsultes (licenciati in legibas vel jarisperitï) et quelques membres du clergé, parmi lesquels plusieurs furent certainement en relation avec le père de notre poète.
C'est une procuration d'Hilaire La Selve, (3) contemporain de Pierre Chalis et, comme lui, habitant de Privas.
(1) La seconde inscription que nous venons de donner est, de son côte, graveo sur deux pierres et indique qu'elle a été écrite après la construction de la façade.
(2) Finxit, a représente.
(3) La famille La Selve, à laquelle appartenait la mère de l'autour de ce livre, existe encore dans deux de' ses branches subdivisionnaires, dont l'une demeure à Vesseaux ; elle s'allia, au xvlie siecle, avec les familles Chambaud, La Garde, etc. M. H. de La Garde prépare sur celte famille une elud3 qui offrira certainement de l'intérêt, grâce au tajent et aux recherches de l'auteur.
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« PROCURATIO VLARII LA CELVA, PRIVACIR. (I)
« Anno Domini M° CCCCe XXVIIe et die vicesimâ mensis februari (2) parsonaliter constitutus in presentiâ rnei no tan i Ylarius La Selva, (3) Privacii, gratis et sine dolo, citrà lamen uliorurn prooucatorum per ip-sum aliàs constitutorum revocationem, suos fecit de novo et constitait.. procuratores générales et spéciales., et in omnibus suis causis. videlicet :
« Nobilem et venerabilem viruni dominum Guillelmum de Roculis (4), in utroque jure baccalarium ; discrètes que viros magistros Thomam Savini,Stephanan Chabassi, Johannem Falconis, Gabrielem de Ulmo, Anthontum Bajuli, Jaeobum Fabri, Gonetum Allardi ; Johannem Marche, Vincentium Verdeni clericos ; Petrum Valantini, Vincentium de Ranco, Privacii ;
( Venerabiles que viros dominos Maltfheum Gervasii, Jacobum Pastelli, licenciatos in legibus ; magistros Johannem et Pontium Ponhcti fratres, Anlhonium Astarcii, Andream Mainhat, Guillelmum Gressoni, Marcum de Servis, Petrum Pauleti, Bartkomeum Marche, notarios regios Villenove de Berco ;
«Dominos Symeonem de Nuce, Petrum Molini, Johannem Granerii, jurisperitos; Petrum de Tilio, Dragonetum La Rocka, Petrum Can'ts, Vincentium Raynaudi, Johannem de Ponte, Stephanum de Fonte, Guillelmum Duzilti, Vincentium Juliani, notarios Vivarienses ;
« Venerabiles que et circumspectos viros dominum Johannem de Ter-râribeâ, Johannem et Symeonem de Tribus Eminis, Victorem Binoni. Anthonium de Furno, Matlheum Bruni, Dominicum Deyroui, licenciatos in legibus ; Johannem Deyroni, Jacobum Chanealis, Bernardum Vitalis, baccalarios in legibus, advoca tos Nemausenses ;
« Necnon Johannem et Anthonïum La Celva, filios dicti consti-tuentis ;
« Absentes vel présentes..., ità quôd sit melior conditio sed per unum ipsorum.
Dans et concédons dictus constituons dintis suis procuratoribus et eorum cuilibet, in solidum, potestatem, judieo sive extra, vendendi et
(1) Extrait du Manuale notarum d'Antoine de Brion. Texte communiqué par feu M Henry d'Audigier
(2) L'année finissant alors à Pâques qui tombait cette annee-là le 27 mars, cette date repond au 20 février 1423.
(3) Les noms imprimes ici en italique sont ceux des compatriotes de Pierre Chalis, qui habitaient alors le Vivarais et qui sont désignés dans ce document
(4) On voit ici en première ligne celui qui figure le premier aussi parmi les amis de la famille Chslis, au contrat de mariage de Marguerite et deBerenger. Si H Maire La Selve eut fait cette procuration quelques années avant, on y aurait sans doute mentionne Pierre Chalis, décédé antérieurement à 1428.
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compendi, plenè agandi libellum, libelios et alla, ut in formâ, alium que seu alios procuratorem seu procura tores loco sui substituendi, et specialiter et expresse dictis magistro Thome Savini, Johanni et Anthomo La Celva fitiis ipsius constituentis, acordandi, transigendi,com-mutandi, conveniendi, renunciandi, donandi, recipiendi et quittai»)!, quittanciam et quittances dandi et consedendi, et demùm generaliter cetera faciendi, que in premissis erunt necessaria et que ipsemet cons-tituens facere posset, si in premîssis. « Relevans...; et promisit se babere ratum totum et quldquit actum..., indèque se constituit fidejussorem, cum omni renunciationi... De quibus... (petit instrumentum).
« Aclum Privacii, in hospîcio dicti constituentis, testibus presentibus Stephano Silvostri, sabbaterio, Stephano Charreriti, aliàs Final, Coyroeterio, dicti loci Privacii. »
Voici la traduction de ce document :
c Procuration d'Hilaire La Svlve, de Privas.
« L'an du Seigneur mil quatre cent vingt-sept et le vingtième jour du mois de février, Pilaire La Selvp, se présentant en personne devant moi notaire, et révoquant,bien que sans reproche et sans dot, les procureurs fondés qu'il avait précédemment établis, a investi de sa procuration générale et particulière et pour toutes les causes qui peuvent le concerner :
« Noble et vénérable messire Guillaume de Rocles, bachelier en l'un et l'autre droit ; et homn es prudents et discrets, maîtres Thomas Savin, Étienne Chabasse, Jean Falcon, Gabriel de Lhowne, Antoine Ba-joul, Jacques Fabre, Gonei Allard; Jean Marcha, Vincent Verdier, clercs ; Pierre Valantin, Vincent de Ranc, de Privas;
4 Et vénérables messires Matthieu Gervais, Jacques Pastellicenciés êslois (t); majtros Jean et Pons Ponhet, frères; Antoine Astard, André Mainhar, Guillaume Gresson, Marc de Serres, Pierre Poulet, Bartkélemi Marcha, notaires royaux à Villeneuve-de-Berg ;
Messire Siméon de la Noue, Pierre Moulin, Jean Granier, jurisconsultes ; Pierre du Teil, Bragonet La Roche, Pierre Canis, Vincent Raynaud, Jean du Pont, Étienne de la Font, Guillaume Buzil, Fin-cent Juhen, notaires à Viviers ;
4 Et hommes vénérables et circonspects, messire Jean de Terreribe, Jean et Siméon de Tresey mines, Victor Binon, Antoine du Four, Mat-
(1) Quelques-uns de ces noms ont eu de l'importance parmi ceux des jurisconsultes du Vivarais au XVe siècle.
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thieu Brun, Dominique Deyron, licenciés ès-lois ; Jean Deyron, Jacques Chanéal, Bernard Vitalis, bacheliers ès lois, avocats à Nîmes;
« Et aussi Jean et Antoine La Seine, fils dudit disposant ; - < Absents ou présenta.., de telle sorte que la procuration soit exercée dans les meilleures conditions, mais par un seul d'entre eux ;
« Ledit disposant donnant et concédant à ses dits procureurs fondés et à chacun d'eux: l'entier pouvoir de, par jugement ou non, vendre et compenser, rédiger pleinement un libellé, des libellés et autres écrits de procédure en forme, de substituer en leur lieu un autre ou d'autres procureurs fondés ; et spécialement et expressément aux dits maître Thomas Savin, Jean et Antoine La Selve fils du disposant, d'accorder, de transiger, de changer, de convenir, de renoncer, de donner, de re-çevoir et de quittancer, de donner et consentir une quittance et plusieurs, et enfin de faire généralement le surplus qui est nécessaire dans le cas donné, et que le disposant lui-même pourrait faire, s'il agissait dans ce cas.
« Relevant ses procureurs fondés de toute cause de désaveu, il a promis de tenir pour ratifié le tout et chaque chose de ce qui aura été fait ; et en conséquence, il s'est constitué fidejusseur, avec toute renonciation...
« De quoi (il a demandé qu'il fut dressé acte).
« Fait à Privas, dans la maison dudil disposant, en présence des témoins ci-après ; Étienne Sylvestre, cordonnier ; Étienne Charrière, au trement dit Final, du Coyron, demeurant au dit lieu de Privas. » (1)
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TABLE
F
âges.
DÉDICACE .
V
PRÉFACE
VII
PREMIÈRE PARTIE.
MARGUERITE DE SURVILLE, D'APRÈS DES DOCUMENTS AUTHENTIQUES. SES POÉSIES ET SES MÉMOIRES. ALTÉRATIONS QUE SES OEUVRES ONT SUBIES.
I. Quels sont les faits qui prouvent l'existence de Marguerite de Surville et l'authenticité de ses poésies........
I
II. Registre de Me Antoine de Brion. Contrat de mariage de Marguerite Chalis et de Bérenger de Surville. Confirmation des principales données traditionnelles. Le vrai nom de Clotilde de Surville
4
III. L'histoire et la légende. Pulchérie de Fay-Collanf mère de Marguerite de Surville. Les Chalis et les Surville n'ont jamais été seigneurs de Vallon
8
IV. Moyen de retrouver l'existence historique de Marguerite de Surville. Sources d'informations à ce sujet
14
V. Enfance et jeunesse de Marguerite. Premières poésies. Marguerite épouse Raymond du Bois (de Bosco), du Barrés. Son mariage avec Bérenger de Surville. Mort de Bérenger au siège d'Orléans. Naissance de Jean de Surville
15
VI. Marguerite à Vesseaux. Les amies de Marguerite. Présomptions à ce sujet. Loyson d'Effiat ; Rose de Beaupuy ; Tullie de Royan ; Rocca ; Juliette
23
VII. Rapports littéraires de Marguerite de Surville avec Charles d'Orléans et avec Marguerite d'Ecosse. Les deux écossai- . ses. L'inscription de la couronne de laurier. Une bizarrerie du « destin »
29
VIII. Les mémoires de Marguerite de Surville, preuves de l'existence qu'ils ont eue
33
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IX. Ces mémoires n'ont probablement pas été exempts de fictions Manière dont Etienne de Surville composa sa notice sur Clotilde. Défectuosités de ce document.
38
X. La critique n'est nullement autorisé à nier l'authenticité des mémoires de-Marguerite de Surville
41
XI. Marguerite de Surville poète en langue d'oïl dans le Vivarais au XVe siècle. Marguerite poète aussi en provençallanguedocien
43
XII. Jean de Surville, fils de Bérenger et de Marguerite. Attestation, récemment exhumée, de l'existence de Jem de Surville. Le Terrier du prieuré de Vesseatuc de 1472-1474. Héloysa de Fargier, épouse de Jean de Surville Le site des Furgiers à Vesseaux. Indication résultant des poésies de Marguerite.
46
XIII. Vesseaux au XVe siècle. Les deux maisons principales des Chalis et des Surville, à Vesseaux
54
XIV. Mort d'Héloysa et de Jean de Surville. Dernières années de Marguerite. Elle meurt à Vesseaux et y est ensevelie. .
53
XV. Modifications qu'ont subies les poésies de Marguerite de Surville. Corrections dues à Jean de Surville (du XVIIe s ècie) et à Jeanne de Vallon. Altérations qu'Etienne de-Surville et Brazais ont apportées à ces poésies
63
SECONDE PARTIE.
TRADITIONS LOCALES SUR MARGUERITE DE SURVILLE . SES DESCENDAN
NTS.
1. Les propriétés de Marguerite de Surville, d'après la tradition de Vesseaux. La maison de « madame de Surville » ; la vigne de la Dame ; le bois de Surville. Concordance entre la tradition locale et les vieux compoix de Vesseaux
67
II Autres propriétés de la famille de Surville an XVe siècle.
74
III. Quelle était la « dame de Surville » de la tradition de Vesseaux
76
IV. Autres témoignages de la tradition de Vesseaux, relativement à « madame de Surville » et à son fils. La légende de Vesseaux au sujet de Bérenger et de Margueiite
78
V. Deux témoins ici : la tradition et la carte de Vesseaux. Trait de lumière de la « critique ». Vagues souvenirs dans le BasVivarais
80
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VI. Les descendants de Marguerite. Les trois branches de la famille de Surville, du Vivarais. Les Surville de Vesseaux. Firmin de Surville, petit-fils de Marguerite. François de Surville. Jean de Surville. Les Surville de La Villedieu
83
VII. Claude de Surville de Prelles. Compoix de Vesseaux de 1605. Les deux Louis de Surville. Claude de Surville. Compoix de Vesseaux de 1658. Jean-Baptiste de Surville. Marianne de Surville et son époux Louis de Malhan. Etienne Thomas. Confirmation partielle de la première biographie de Marguerite par l'histoire des Surville de Vesseaux
66
VIII. Les Surville de Gras. Ils descendent de Bérenger et de Marguerite. Claude de Surville de la Mothe. Les deux Antoine de Surville
92
IX. Paysage du Midi. Gras ; la Dend'Arès ; les bords de la Nègue et de l'Ibie
97
X. Le compoix de Gras de 1593 ou 1598. Les domaines des Surville, de Gras. Malaval et les Hermessènes
99
XI. Jean de Surville. Renseignements histor ques sur sa vie. Son caractère
103
XII. Jacques de Surville et Jeanne de Vallon
106
XIII. Jeanne de Vallon transcrit et corrige les poésies de Marguerite ; elle en altère peut-être aussi les mémoires. Le compoix de Gras de 1650. Les propriétés de Jacques de Surville.
108
XIV. François de Surville. Affaires domestiques de la famille de Surville
115
XV. Jean-Joseph de Surville. Le livrfi des chargemens de Gras. Les impositions des Surville
119
XVL. L'histoire et les « savants » procédés de la critique .
124
XVII. Les Surville à Valvignères- Jean-Paul de Sunille. Jacques de Surville. Il se fixe à Viviers. Ses enfants ; Jean-Stanslas, précenteur de l'Eglise de Viviers. Sentiments religieux de cette famille
126
XVILL. Étienne de Surville. Son éducation, ses goûts intellectuels Il fait la gnerre de l'indépendance d'Amérique II retrouve à Viviers les oeuvres deja modifiées de Marguerite de Sur-
132
XIX. Étienne de Surville épouse Mlle Pauline d'Arlempdes de Mirabel. Il devient marquis et membre du conseil de Viviers. Il fait faire des recherches au sujet des Surville de Vesseaux..
135
XX. Étienne de Surville versificateur. Ses opuscules en
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vers. Différence profonde entre son talent « poétique » et celui de marguerite de Surville
139
XXI. Etienne de Surville prosateur. Un de ses opuscules (sommaire de l'histoire de Clotilde) retrouvé récemment. Quels rapports il y eut, en résumé, entre son genre littéraire et celui de Marguerite de Surville
147
XXII. Etienne de Surville au commencement de la Révolution. Dernier état de la fortune immobilière des Surville en 1790
III
XXIII. Etienne de Surville émigré. Vente de ses domaines de Malaval comme biens nationaux. Incendie révolutionnaire, à Viviers, des papiers de la famille de Surville. Un témoin du temps de la Révolution
159
XXIV. Etienne de Surville à Liège. Il rentre en France une première fois. Sa première arrestation. Son séjour à Lausanne
164
XXV. Les trois genres de travaux. d'Etienne de Surville sur les oeuvres et la vie de Marguerite. Témoignage de ce littérateur au sujet de ces oeuvres. Ses interpolations confirment l'authenticité primitive des poésies qu'il a modifiées . . . .
167
XXVI. Noblesse de caractère d'Etienne de Surville. Allégations d'un maître de la sophistique littéraire
172
XXVII. Etienne de Surville rentre en France une seconde fois. Il est pris et condamné à mort. Sa lettre à Mme Pauline de Surville
174
XXVIII. Derniers moments d'Etienne de Surville ....
178
TROISIÈME PARTIE.
OBJECTIONS DE LA CRITIQUE CONTRE L'AUTHENTICITÉ DES POÉSIES DE MARGUERITE DE SURVILLE.
I. Une tendance du scepticisme littéraire
181
II. La loi des affinités dans la critique, au sujet des poésies de Marguerite de Surville. .
183
III. La polémique de 1803. Le Moniteur, le Mercure de France, les articles de Laya et de Michaud. Les objections du Journal de Paris, de la Décade philosophique et du Journal des Débats. Louis-Philippe de Ségur. Les petits moyens des faiseurs de pastiches
188
------------------------------------------------------------------------
IV. Les objections de la grande critique. L'apophthegme de Raynouard
193
V. Les explications de Villemain
200
VI. Critique des poésies de Clotilde deSnrvilie par Villemain.
204
VII. L'hypothèse savante de Daunou
212
VIII.- Les ressources d'Imagination de Sainte-Beuve. Encore le procédé d'envieillissement. Marguerite de Surville et Voltaire.
215
IX. Les affirmations de Sainte-Beuve confrontées avec les poésies de Marguerite
223
X. Caractère de la critique d'expédient ; résultats auxquels elle aboutit
227
XI. Comment cette critique arrive à montrer qu'Etienne de Surville fut doublement poète de génie et à la fois versificateur vulgaire.
XII. Les nouvelles idées de la critique. Impossibilité littéraire à ce que la plus grande partie des poésies de Clotilde ait été composée par Jeanne de Vallon ou par quelqu'autre écrivain du dix-septième ou du dix-huitième siècle. Encore un parallèle entre l'oeuvre poétique de Marguerite et les vers d'Etienne de Surville
231
XIII. Le radicalisme critique. M. Génin et M. Gaston Paris.
244
XIV. Jusqu'où allait le talent d'un féodiste
250
XV. Autres fantaisies de la critique. Aperçus légers d'un bibliophile
254
XVI. Les objections tirées du Registre d'Antoine de Brion. Leur caractère et celui de quelques autres du domaine histori-
259
XVII. Le français synthétique et le français analytique . .
262
XVIII, Comment on écrivait en vers français au XVr sîè-
265
XIX. Comment on écrivait en prose française au XVe siè-
274
XX. Ce qui ressort de ces dernières objections ; de quelle opinion historique elles dérivent
278
XXI. Les poésies de Marguerite de Surville comparées à celles de Charles d'Orléans et à celles de Villon
282
XIII. Ce que vaut l'argument négatif tiré de la perfection des poésies attribuées à Marguerite de Surville
234
XXIII. Quel rôle devait prendre la critique
298
XXIV. Qui l'a dit ? Ce sont les savants de Paris
300
XXV. Conclusion de cette troisième partie
304
------------------------------------------------------------------------
QUATRIÈME PARTIE.
PREUVES DE L'AUTHENTICITÉ DES POÉSIES DE MARGUERITE DE SURI
VILLE,
I. Argumentation générale qui prouve l'authenticité du fond de ces poésies. Hypothèse sur laquelle cette argumentation repose. Trois faits principaux dont cette hypothèse doit rendre compte
306
II. Premier fait ; ces poésies contiennent des parties moder-
308
ÏU. Deuxième fait : ces poésies renferment des morceaux antérieurs au dix septième siècle et qui sont une oeuvre sui generis
311
IV. Caractères historiques et moraux de ces poésies antérieures au dix-septième siècle
320
V. Caractères esthétiques de ces poésies
327
VI. Troisième fait : ces poésies sont une oeuvre de génie.
333
VII. La première hypothèse sur l'origine de ces poésies. La critique a perdu son temps à la réfuter
335
VIII. La deuxième hypothèse. Elle explique seulement un des faits dont il faut rendre compte. Le plus étrange rêve littéraire. Cette hypothèse aboutit à des résultats impossibles ou monstrueux
337
IX. La troisième hypohèse. Elle rend compte de tous les faits qu'il faut expliquer ; elle est vérifiée par cela même. . .
343
X. Que pourront les finesses de la critique contre ces arguments et contre ces poésies ? .
346
XI. Ce que réclament les poésies de Marguerite de Surville.
343
CINQUIÈME PARTIE.
APERÇU GÉNÉRAL SUR LA VIE ET L'OEUVRE LITTÉRAIRE DE MARGUERITE DE SURVILLE.
I. Marguerite et son oeuvre poétique. .......
352
II. Caractère moral de Marguerite. Pourquoi, durant sa vie, elle n'a pas eu la celebrile
356
III. Comment Marguerite a trouve dans l'obscurité de sa vie la condition première du perfectionnement de son oeuvre. Phy¬
------------------------------------------------------------------------
sionomie littéraire de Marguerite. Influences qui ont développé son talent
359
IV. Le martyre du génie. Les consolations de la foi. Fin de la vie de Marguerite. La justice de l'avenir.
361
DOCUMENTS JUSTIFICATIFS.
I. LES CHALIS ET LES SURVILLE A VESSEAUX, A PRIVAS ET AUX
ENVIRONS
369
IL MATRIMOKIUM KOBILIS ÏIERENGERII DE SUPERVILLA . .
373
Traduction de ce document
375
III. TESTAMENT FLORENCIE CHALISSE
381
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384
IV. PRO JOANNE PASCAUS LEGATI EXPEDITIO
389
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389
V. LETTRE DE LOUIS XI AUX GENS DES ESTAZ nu VIVAROIS.
390
VI. JUGEMENT DE NOBLESSE DE FRANÇOIS DE SURVILLE . .
393
VII. ORDONNANCE D'AFFRANCHISSEMENT pour les biens de M. de Malaval, Jean-Joseph de Surville
395
VIII. LETTRE D'ETIENNE DE SURVILLE A SA FEMME, la veille du jour de sa mort
393
IX. LA CONDAMNATION D'ETIENNE DE SURVILLE ET L'ÉRUDITION DE SAINTE-BEUVE
405
x. TABLEAU GÉNÉALOGIQUE DE LA FAMILLE DE SUR VILLE (du Virarais) dans sa branche de Gras
410
XI. LES INSCRIPTIONS DE L'ÉGLISE DE VESSEAUX ....
XII. LES COMPATRIOTES ET LES COLLÈGUES EN JURISPRUDENCE DE PIERRE CHALIS. Procuratio Hilarit ta Celva . . .
415
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417
FIN DE LA TABLE.
Privas. — Imprimerie Roure
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ERRATA
Pages.
8, ligne 16 et note (2), au lieu de : procuration, lue.s : expédition de legs.
14, ligne 7, au lieu de : pour une famille qui aurait eu la seigneurie de Vallon, lisez : pour une famille qui aurait eu, au temps de Marguerite, la seigneurie de Vallon.
14, JSpte, au lieu de : seconde partie, xiv lisez: seconde partie, xu. 17. ligne 12 et page 40, ligne 22, au lieu de: Jacques du Sault, Usez : Jean du Sault.
29, ligne 16, au lieu de : après,lisez : avant.
30, ligne 24, au lieu de ; 1446, lisez : 1444.
47, note (1), au lieu de : XVIIe siècle, lisez : XVIIIe siècle.
49, ligne 21, au lieu de 1447, fiscs : 1444.
87, ligne 4, au lieu de : la prairie et le vieux petit moulin qui sûn sur le bord du torrent, lisez : la prairie près du vieux petit moulin, sur le bord du torrent.
60, ligne 32, au lieu de : d'ameudez, lisez : d'amender.
61, note (2), au lieu de : ir, ni et rv, lisez : m, iv, v et vi.
62, ligne 26, au lieu de : 1795. lisez : 1495.
63, ligne 4, au lieu de : 1496, lisez 1498.
69, notule (a), lisez : hemi, demi et kemina, demi-mesure.
93, note (1), au lieu de : 3 mai, lisez ; 3 juillet.
94, note (3), au lieu de : noble Antoine Joachim de Comps, lisez : noble
noble de Comps.
97, lignes 5 et 6, supprimer : Le 13 janvier 1555; et note (3).
110, note (1), au Heu de : v, lisez : vni.
111, note (1), au lieu de yl, lisez : XII.
115, ligne 21, aie lieu de : de Monthénard, fiscs : de Monteynard. 119, ligne 8, au lieu de : 1668, lisez : 1688.
123, ligne 15, au lieu de : XVIIe siècle, lisez : XVIII siècle.
127, ligne 17, au lieu de : maintenues, lisez : maintenu.
146, note (1), au lieu de : II, III et IV, lisez : III, IV, V et VI.
147, note (2) et notule (à), au lieu de : de Choras, fi^es : de Chauras
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— 425 —.
149, Ligne 16, au lieu de : Lequel naquit en 1686 et qui -mourut, lises :
lequel naquit en 1686 et mourut.
188, ligne 3, au lieu de: M livres 18 sols, lisez : 24 livres 16 sols. 184, Ligne 17, au lieu de : authenticité, lisez : autorité.
214, Ugne 17, et note (2j, au lieu de : Constelier, lisez : Coustelier. 271, note (3), au lieu de : Gilles, des Ourmes, lisez Gilles des Ourmes,
276, ligne 6, au lieu de : pompeux, lisez : pompeurs.
277, note (1), au lieu de : éditions Vallet de Viriville et Quieherat,
lises : édit. Vallet de Viriville.
312, ligne 21, au lieu de : Qui d'Helicon, lisez : Que d'Helicon.
361, ligne 46, au lieu de : des Elégies, lisez 407, note (1/, au lieu de ; l'an vi lises : l'ai
Privas. — Typographie Roure.