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HISTOIRE
DES
LITTÉRATURES
ÉTRANGÈRES
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HISTOIRE
LITTÉRATURES
ÉTRANGÈRES
LITTÉRATURES ANGLAISE — SLAVE
DEPUIS LEURS ORIGINES JUSQU'EN 1850 PAR
EUGÈNE HALLBERG
Professeur à la Faculté des Lettres de Toulouse
PARIS.
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
27-31 PASSAGE CHOISEUL 27-31
M DCCC LXXX
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PREFACE
LE plan de cet ouvrage a été suffisamment indiqué par nous dans la préface et l'introduction de notre premier volume : nous ne pouvons qu'y renvoyer le lecteur.
lecteur. seconde partie était déjà sous presse lorsque nous avons pu nous procurer l'admirable encyclopédie de la littérature anglaise d'Allibone (A Critical Dictionary of English literature. Philadelphia, 1877), que doivent consulter tous ceux qui veulent connaître plus à fond cette riche littérature. On se fera une idée de ce colossal travail quand nous aurons dit qu'il contient plus de quarante-six mille notices, souvent détaillées, toujours précises et scrupuleusement exactes, sur tous les auteurs anglais et anglo-américains connus, depuis l'origine de la langue jusqu'à nos jours. Nous avons pris soin de vérifier, d'après cet ouvrage, tous les faits, tous les noms et les dates principales du nôtre : ce contrôle nous a amené à faire quelques modifications ou cora
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II PREFACE.
rections à notre travail primitif; nous les avons utilisées pour le tableau chronologique qui termine ce volume, et qui pourra servir à compléter ou à rectifier certaines parties de notre histoire de la littérature anglaise.
Août 1879.
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HISTOIRE
DES LITTÉRATURES
ÉTRANGÈRES
TROISIEME PARTIE
LITTÉRATURE ANGLAISE
CHAPITRE PREMIER.
LES ORIGINES ET LE MOYEN AGE
JUSQU'EN 1399.
§ Ier. —La langue; les origines de la littérature; l'élément saxon en lutte avec le normand.
LA littérature anglaise est peut-être la plus riche des littératures modernes : elle nous offre surtout un nombre considérable de poètes et une variété prodigieuse dans tous les genres de poésie. On a tellement répété que les Anglais
sont un peuple positif et prosaïque, que nous ne croyons pas inutile de faire remarquer ce fait dès le déII. 1
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LITTERATURES ETRANGERES.
but. Outre le caractère profond et impressionnable du peuple anglais, on doit attribuer encore la cause de cette richesse à la constitution même de sa langue, qui a conservé, malgré les invasions successives et les changements politiques, sa force et sa vertu originelles. On sait en effet que l'anglais n'est guère autre chose que, l'anglo-saxon, dialecte germanique qui s'est conservé en Angleterre, à travers les siècles, sans subir de trop nombreuses ni de très fortes modifications : dans la langue actuelle des Anglais, les trois cinquièmes environ des mots sont d'origine anglo-saxonne; le reste est d'origine normande, c'est-à-dire française. L'ancien idiome celtique, le latin et le danois n'ont laissé que fort peu de traces.
Il en est de même du peuple : l'élément germanique, anglo-saxon, a persisté avec une rare énergie, et le caractère national s'est maintenu intact depuis les plus anciens conquérants de la Bretagne, sauf quelques exceptions que l'on doit signaler. Vaincus et soumis à leur tour par les Danois, puis par les Normands, les Anglo-Saxons, quoique dépossédés du gouvernement de l'île et des grandes propriétés, ont imposé aux envahisseurs leur langue et leurs coutumes; et le caractère normand se fondit tellement avec le caractère saxon, que l'on eut bientôt de la peine à distinguer la race primitive de la race nouvelle. C'est le cas de dire, comme faisait Horace en parlant des Grecs, que le conquérant a été conquis par ceux qu'il avait vaincus. Les habitants primitifs de la Bretagne, les Celtes ou Gaëls, n'ont guère plus influé sur la langue que sur la population de l'Angleterre. On retrouve des vestiges de leur idiome et de leur type dans le pays de Galles, dans les montagnes de l'Ecosse et dans quelques parties de l'Irlande. Au point de vue littéraire, on ne peut guère admettre l'authenticité des vieilles chansons populaires données par quelques éditeurs comme étant traduites de la langue primitive. C'est dans le pays de Galles que l'idiome celtique s'était conservé le plus longtemps après la conquête anglo-
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LITTERATURE ANGLAISE.
saxonne : l'introduction du christianisme lui porta les derniers coups ; quelques bardes essayèrent bien de recueillir et de propager les vieilles légendes, mais leurs noms appartiennent plutôt à la mythologie qu'à l'histoire : tels sont ceux de TALIESIN, des deux MERLIN, du fameux roi ARTHUR, que la tradition place vers la fin du Ve siècle. Il en est de même des druides et des bardes de l'Irlande et de l'Ecosse : on ne peut guère que signaler l'existence problématique du barde OÏSIN OU OSSIAN, fils de Fingal, qui aurait vécu au IIIe siècle de notre ère. On verra plus loin comment les prétendus chants populaires de ces contrées furent recueillis et publiés au XVIIIe siècle par Macpherson 1. Les Romains n'exercèrent qu'une influence très restreinte sur la langue et sur la population de la GrandeBretagne. Les quelques vestiges de civilisation latine qui avaient subsisté après la conquête des Romains furent facilement détruits par les premières incursions des Anglo-Saxons, à partir de 448. Ce qui reste aujourd'hui de latin dans la langue anglaise y fut introduit, en réalité, par les missionnaires chrétiens. Le christianisme pénétra d'abord en Ecosse et en Irlande, avec saint Patrice et saint Colomban, puis en Angleterre, avec Théodore de Tarse, archevêque de Cantorbéry (669) : la naissance des sciences et des lettres date de cette époque; les couvents et les érudits provoquèrent une première culture intellectuelle, très restreinte, et un premier mouvement littéraire, où ne figurent que des écrivains latins.
Mais la civilisation et la littérature latine n'eurent jamais grand succès auprès des Anglo-Saxons : leur plus grand roi, ALFRED, même avec des savants tels que BÈDE et ALCUIN, fit de vaines tentatives pour implanter la culture romaine dans son royaume. Il fut mieux inspiré en traduisant quelques ouvrages en langue vulgaire pour l'usage du peuple. On peut dire pourtant en somme que son règne (841-901) prépara
1. Voy. plus loin, chap, VI, § I, section 2,
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4 LITTÉRATURES ÉTRANGÈRES.
les esprits à recevoir une éducation littéraire, et fortifia l'élément anglo-saxon contre les incursions danoises et normandes du XIe siècle.
Nous venons de nommer les Danois : il serait aussi injuste de nier absolument l'influence que leur conquête momentanée a pu exercer sur la langue anglaise, qu'inutile de rechercher dans quelle mesure elle a eu lieu. Les Danois s'étaient fixés d'abord au nord de la Tamise; ils continuèrent leurs conquêtes sous Canut le Grand, en 1016 : leur langue, relativement moderne, s'établit surtout dans le Northumberland, dans la Mercie et dans l'Estanglie; et, bien que Canut (mort en 1036) eût publié ses lois en saxon, le danois, devenu pendant quelque temps la langue de la cour, laissa quelques traces dans toutes ces contrées. Ce ne fut qu'à l'avènement d'Edouard le Confesseur (1042) que l'anglo-saxon reprit ses droits, qui lui furent presque aussitôt disputés par le normand 1.
Les Anglo-Saxons, nous l'avons déjà dit, avaient un sentiment poétique vrai et profond : ils étaient, comme les Danois, leurs proches parents, prédestinés à la culture littéraire, et, comme eux, produisirent dans les temps les plus reculés des oeuvres d'imagination spontanée, des chants populaires dont il ne nous reste plus que des monuments informes ou douteux : le christianisme et l'invasion normande firent disparaître la plupart de ces oeuvres primitives. Dans ce qui reste 2, la forme est étrange et sauvage, mais il y a une force extraordinaire dans les images et dans les pensées.
Avec leurs qualités et leurs défauts, qui découlent
1. Le poème de Beowulf est un des monuments les plus remarquables de l'ancienne poésie danoise : il est contemporain de l'invasion de la Grande-Bretagne par les Angles et les Saxons; les personnages en sont Danois. Mais sa rédaction actuelle est postérieure au XIIe siècle.
2. Le recueil le plus intéressant et le plus complet de ces chants a été publié récemment par M. Grein.
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LITTERATURE ANGLAISE. 5
également d'une certaine impétuosité de caractère tempérée par un fond sérieux et une grande habitude de la réflexion, les Anglo-Saxons développèrent rapidement* leur littérature primitive, à une époque où le reste de l'Europe était encore barbare ou enchaîné dans les liens de la civilisation romaine. Leur plus ancien auteur connu, l'historien GILDAS, remonte au VIe siècle. Dès le VIIe, on rencontre un vrai poète, le bénédictin CEDMON (mort en 680), dont la paraphrase de l'histoire biblique offre des analogies avec le Paradis perdu de Milton et a peut-être inspiré quelques passages de ce chef-d'oeuvre. Nous avons déjà nommé plus haut le roi ALFRED : il est regrettable que ses oeuvres ne nous soient point parvenues, sauf ses Proverbes et quelques fragments ; sa traduction d'Ésope nous offrirait à coup sûr un sujet d'études fort intéressant.
Parmi les autres oeuvres en dialecte anglo-saxon se trouvent surtout des traductions ou des paraphrases des livres saints : race profondément religieuse, les Anglo-Saxons cultivaient de préférence la poésie sacrée. Outre le poème de Cedmon, nous avons de cette période une traduction en prose de quelques livres de la Bible et des quatre Évangiles, un poème de Judith, un Hymne de funérailles et enfin une paraphrase des Psaumes, faite par un inconnu au XIe siècle. Ses vers sont plus réguliers que ceux de Cedmon, mais il n'a pas autant d'inspiration. Le dernier poète anglosaxon est LAVAMON, qui, vers 1180, traduisit le roman de Brut ; nous avons un fragment de cette oeuvre, qui montre que la langue avait déjà subi alors de sérieuses modifications.
La langue normande ou française avait commencé à s'introduire en Angleterre dès le règne d'Edouard le Confesseur, dont la mère était issue de Normandie, et qui lui-même avait longtemps habité ce pays : le grand nombre de Normands qu'il attira en Angleterre, et qu'il y établit, dut faciliter singulièrement la conquête qui eut lieu vers la fin du siècle (1066). Le pre-
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LITTERATURES ETRANGERES.
mier soin de Guillaume le Conquérant fut d'imposer sa langue à son nouveau royaume1 : les lois furent rédigées en français, et la féodalité franco-normande affecta de ne point parler l'ancienne langue du pays, qu'elle laissait, comme chose méprisable, aux pauvres gens des basses classes. Les poètes venus de France, envahisseurs et conquérants à leur manière, tâchèrent de naturaliser leur langue dans la Grande Bretagne : Robert WACE 2. dans le poème de Rou, raconta en français la bataille de Hastings. Ce poète (1112-1184), qui passa la plus grande partie de sa vie à Caen, n'était guère qu'un chroniqueur, et il aurait fallu des oeuvres plus vivantes que la sienne pour faire prendre racine au normand dans le peuple anglais. Ces oeuvres ne se produisirent pas : le XIIe et le XIIIe siècle ne virent naître, dans la langue nouvelle, que de froides chroniques rimées, des romans de chevalerie sans aucune valeur poétique et des poésies imitées de celles des trouvères. A la cour de Henri II abondaient ces trouvères anglo-normands, comme Geoffroy GAIMAR OU BENOIT DE SAINTE-MAURE; mais tout ce qu'ils écrivaient était sec, vide et frivole, par conséquent peu en harmonie avec le génie du peuple anglais et peu capable de lui faire oublier sa langue. Pendant que les ménestrels en vogue à la cour et chez la noblesse imitaient les poètes provençaux et chantaient la chevalerie ou les croisades, la mythologie ou l'histoire ancienne 3, et que le latin faisait, dans l'élite de la nation, une redoutable concurrence au français, la langue ancienne se conservait à peu près intacte dans
1. Voyez, pour toute cette période, l'Histoire de la conquête à'Angleterre, par Aug. Thierry : on trouvera, dans ce livre éminemment classique, autant de renseignements littéraires qu'historiques.
2. Wace est l'abréviation de Wistace, c'est-à-dire Eustache.
5. Walter Scott a cherché à faire revivre quelques-unes de ces poésies, qui sont encore manuscrites pour la plupart.
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LITTERATURE ANGLAISE. 7
le peuple 1, et finissait par prévaloir sur sa rivale, par l'attirer et la fondre avec elle-même : de cette fusion naissait l'anglais moderne, dont les premiers monuments apparaissent vers la fin du XIIe siècle. Dès lors une séparation assez nette se fait entre la poésie du nord et celle du midi : la première conserve les traditions et la langue du pays; la seconde, cherche à répandre le goût français. Mais la lutte ne dura pas longtemps ; le midi fut bientôt conquis par le nord.
§II.— Premiers poètes et prosateurs
en langue vulgaire.
Nous laissons de côté les auteurs de cette période qui ont écrit en latin, tels que HUNTINGDON, qui rédigea une Chronique d'Angleterre (en 1184), ou GALFRID DE WINESALF, qui dohna (en 1190) une Histoire de la Croisade de Richard Coeur de Lion, à laquelle il avait pris part, et, quelque temps après, une Poétique latine. Ce qui nous intéresse, avant tout à cette époque, c'est le développement de la langue vulgaire, de l'anglais moderne. On regarde quelquefois le moine ROBERT DE GLOCESTER comme le plus ancien poète connu de l'Angleterre : il a mis en vers la chronique de Geoffroy de Monmouth2, dans les dernières années du XIIIe siècle; mais, malgré l'introduction, dans sa langue, de mots et de formes normandes, on ne peut guère le considérer encore que comme un poète anglosaxon.
Le prêtre LANGLAND (d'autres écrivent Langelande ou Longlands) est déjà plus moderne : il écrivit, vers 1350 ou 1360, un poème, imité du Roman de la Rose,
1. La persistance de l'élément saxon se reconnaît surtout dans les ballades relatives à Robin Hood, le hardi chasseur révolté contre la société normande.
2. Arthur GEOFFROY de Monmouth (mort en 1154) avait écrit en latin un certain nombre de poèmes et une histoire généralement fabuleuse, de la Grande-Bretagne.
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8 LITTÉRATURES ÉTRANGÈRES.
et intitulé les Visions de Pierce Plowman, où il fait avec une grande vigueur d'imagination la satire du clergé et en particulier de la vie monastique. Sa langue est rude et surannée, et ne peut en aucune façon se comparer à celle de Chaucer, qui fut pourtant son contemporain.
Geoffroy CHAUCER (1328-1400), que l'on appelle communément le père de la poésie anglaise, fleurit à la cour d'Edouard III et de Richard II, dans la seconde moitié du XIVe siècle. Il avait un génie remarquable, qu'il cultiva par l'instruction et par les voyages. Non content d'imiter les auteurs italiens, et surtout Dante, Pétrarque, Boccace, qui lui apprirent à adoucir sa langue, il sut aussi observer par lui-même le monde dans lequel il vivait. Ses Contes de Canterbury, imités du Décamèron de Boccace, se distinguent par la naïveté du récit et la facilité de la versification; les portraits de ses personnages y sont parfaitement dessinés. Le fond même de ses récits est tiré tantôt des fabliaux ou des romans de chevalerie, tantôt de la vie réelle, parfois aussi de l'imagination seule du poète. Deux de ces contes sont en prose : dans tous la langue est remarquable, malgré quelque obscurité. Quant à la morale, elle y est assez relâchée, ce qui ne doit pas nous étonner chez un imitateur des troubadours et de Boccace.
Chaucer a écrit d'autres poèmes, comme Troîlus et Cressida, oeuvre de poésie descriptive, dont Shakspeare a emprunté quelques traits seulement pour la pièce de ce nom. En prose, il a laissé des traités de philosophie méditative, tels que le Testament de l'amour et l'Astrolabe (1392).
En somme, on a eu raison de dire que Chancer a été le plus grand poète anglais du moyen âge. « Aucun autre pays, si ce n'est l'Italie, n'a produit un écrivain égal à lui pour la variété de l'invention, la finesse de l'observation, le bonheur de l'expression. Il faut mettre un vaste intervalle entre lui et tout autre poète anglais de cette époque. » (Hallam.)
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LITTERATURE ANGLAISE.
A côté, mais bien au-dessous de lui, figure John GOWER (1320-1402), qui, sans être comme lui un poète formé par la nature, contribua aussi à dégrossir la langue et à exciter le goût des vers : on trouve chez lui une certaine grâce, mais gâtée presque toujours par une érudition fausse et indigeste. Ses Ballades et son Histoire de Rosiphèle ont quelque délicatesse ; mais ses poésies morales, et surtout sa célèbre Confession d'un amant (1393) ont tous les défauts de son époque : il est difficile de peindre la lutte de la raison et des sens d'une façon plus aride et plus scolastique qu'il ne le fait dans ce poème. Sa langue.est plus obscure et sa versification moins élégante que celles de Chaucer; on reconnaît l'homme qui écrivait en latin et en français au moins aussi volontiers qu'en anglais1.
La prose, ébauchée déjà par Chaucer, se développait avec John MANDEVILLE (ou Maundeville), l'un des plus hardis voyageurs de ce temps (1300-1372) : ses relations, rédigées en 1356, sont en réalité le premier livre anglais en prose. L'auteur est aussi naïf et aussi ignorant que Villehardouin, qui a voyagé un siècle et demi avant lui ; mais son style est clair, et sa langue déjà moderne.
Un autre prosateur, John WICLIFFE, semble être dès cette époque le précurseur des réformateurs de l'Église anglicane. Il était professeur de théologie à Oxford, et écrivit, en latin et en anglais, à partir de 1377, contre le pouvoir du pape et les abus de l'Église catholique. Il travailla encore plus à l'émancipation des esprits et à la formation de la langue en donnant (en 1383) une traduction de la Bible, qui, pourtant, n'était pas la première version en langue vulgaire des livres saints ; mais c'est la première qui soit vraiment moderne. Nous devons donc saluer
1. Ses poèmes latins et français sont perdus. — Shakspeare à fait figurer Gower comme acteur étranger à l'action dans son drame de Piriclés ; c'est que Gower avait écrit une histoire romanesque de ce personnage.
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LITTERATURES ETRANGERES.
dans Wicliffe non pas seulement, comme faisaient les Anglais du XVIe siècle, l'Étoile du matin de la Réforme, maïs surtout un des véritables fondateurs de la langue anglaise.
Il serait injuste de ne pas mentionner, à la fin de ce paragraphe, un poète écossais de grande valeur, qui, sans contribuer à l'oeuvre commune de la formation de la langue anglaise, a eu le mérite de doter son pays et son dialecte d'un poème aussi remarquable par le style et la versification que par le sentiment et l'éloquence : c'est John BARBOUR, archidiacre à :Aberdeen (1926-1396), qui composa vers 1371 son Histoire de Robert Bruce, chronique versifiée qui a souvent les allures et les beautés d'un poème épique.
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LITTERATURE ANGLAISE.
CHAPITRE II.
ÉPOQUE DE PRÉPARATION, AVANT LE SIÈCLE D'ELISABETH (1399-1558).
§ Ier. — Poésie.
La poésie écossaise, par laquelle s'est terminé le chapitre précédent, nous fournira le commencement de celui-ci. Il semble eu effet que le XVe siècle ait été une époque de prospérité littéraire pour l'Ecosse bien plus que pour l'Angleterre : dans cette dernière contrée, la poésie semble tâtonner et se préparer pour la magnifique éclosion du siècle suivant ; en Ecosse, elle est à son apogée.
A l'exemple de Barbour, André WYNTOWN, prieur d'un couvent près de Lochleven, écrit vers 1410 ou 1420 une chronique rimée, moins poétique que celle de son devancier, Où il célèbre surtout les faits principaux de l'histoire d'Ecosse: le titre du poème était Chronique universelle, et l'auteur avait la prétention de raconter l'histoire du monde connu; mais l'Ecosse lui fournit ses meilleurs passages. Il clôt à peu près l'ère des chroniques versifiées.
HARRY L'AVEUGLE OU Henry le Ménestrel a déjà le goût plus délicat et sait choisir dans l'histoire de son pays une série de faits enchaînés entre eux par un lien commun, offrant tout l'intérêt d'une action épique. Son poème des Aventures de sir William Wallace (vers 1460) renferme des beautés vraiment poétiques et est animé d'un souffle patriotique qui justifie la popularité dont il a toujours joui en Ecosse. Un auteur du siècle dernier, nommé Hamilton, le traduisit en vers modernes et lui procura ainsi un nouveau succès.
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12 LITTÉRATURES ETRANGERES.
Le mouvement poétique de l'Ecosse pendant cette période se personnifie surtout dans le roi JACQUES Ier (assassiné en 1437), qui, ayant passé une grande partie de sa jeunesse en Angleterre, où il était captif, forma en quelque manière son goût à l'école des Anglais, et surtout de Chaucer. Le seul poème qu'on puisse lui attribuer d'une façon certaine est le Livre du roi, où il chante la passion qu'une jeune Anglaise, nièce de Chaucer, dit-on, lui inspira pendant sa captivité. Il l'épousa et l'emmena dans la suite en Ecosse. Une fois remonté sur le trône de ses pères, Jacques Ier aurait charmé ses loisirs en composant divers poèmes, où il décrivait de préférence des scènes de la vie champêtre. Mais on n'a sur ce sujet que des traditions assez vagues..
A l'exemple de ce roi, de nombreux poètes surgirent en Ecosse et chantèrent habituellement l'amour et la vie rustique. William DUNBAR, prêtre et poète, vécut à la cour de Jacques IV, en l'honneur duquel il écrivit un poème allégorique, en 1503, à l'occasion de son mariage avec la princesse Marguerite d'Angleterre. Ses autres poésies ont le même caractère et furent composées jusque vers l'année 1530. L'évêque Gavin DOUGLAS, son contemporain et son émule, écrivit en outre une traduction rythmique de l'Enéide. Tous ces poètes semblent plus ou moins se rattacher à l'école du Roman de la Rose. David LYNDSAY leur est supérieur pour les idées, niais il écrit mal : il brilla entre 1524 et 1567, année probable de sa mort. Remarquable surtout comme poète satirique, il fit jouer en 1539, devant Jacques V et sa cour, une pièce intitulée les Trois Etats, et dirigée principalement contre le clergé. Ses poésies, imprimées l'année suivante, sont un des premiers monuments de la presse écossaise et hâtèrent peut-être les progrès de la Réforme en Ecosse.
La poésie anglaise semble un instant vouloir reculer plutôt que faire des progrès, avec OCCLÈVE et LYDGATE, dans le premier tiers du XVe siècle. On a jus-
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LITTERATURE ANGLAISE. 13
tement oublié le titre même des ouvrages d'Occlève, et, si l'on mentionne ceux de Lydgate, on n'est guère tenté de les lire. Tous deux sont des disciples de Gower, mais inférieurs à leur modèle, lourds et pédants, quoique mignards. John LYDGATE, moine de Bury, a cependant un avantage sur son contemporain : sa versification est facile, ses descriptions sont précises, mais trop minutieuses, et il a contribué à rendre la poésie familière aux masses. Prolixe à l'excès, il manque presque toujours de goût et abuse des histoires fabuleuses de l'antiquité ; il étale un luxe prodigieux d'ornements dans ses poèmes descriptifs, intitulés l'Histoire de Thèbes, le Siège de Troie, la Chute des princes, qui ne sont à proprement parler que des traductions ou des paraphrases verbeuses de romans étrangers. Lydgate (mort dans le troisième quart du siècle, entre 1450 et 1480) avait voyagé en France et en Italie ; il jouit d'une grande réputation de son vivant et attira même un bon nombre de jeunes gens distingués à l'école de poésie qu'il établit dans son monastère.
Le XVe siècle a si peu de valeur poétique, qu'on est obligé de citer des noms presque inconnus et des oeuvres illisibles, comme John NORTON et son poème de l'Alchimie (1477). On est pressé d'arriver au siècle suivant, qui, dans sa première moitié, sans être une époque bien brillante, offre pourtant quelques poètes dignes de ce nom. John SKELTON (mort en 1529) est le plus ancien poète lauréat, c'est-à-dire pensionné par le roi : il attaqua les abus du clergé dans des satires violentes, dirigées principalement contre le cardinal Wolsey. Son Négrornant (1804) est presque un drame politique. Après lui viennent WYATT et SURREY, qui vécurent à la cour de Henri VIII. Thomas WYATT (1503-1544), élevé comme-son émulé à l'école des Italiens et surtout de Pétrarque, se distingua dans l'ode et le sonnet ; il laissa des ballades assez réussies et fut le premier auteur anglais qui écrivit de bonnes satires. Ses ceuvres ne furent publiées qu'en 1557, avec celles de Surrey; mais elles
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14 LITTERATURES ETRANGERES.
étaient connues déjà auparavant. Henri Howard, comte de SURREY (1516-1547), favori, puis victime de Henri VIII, qui le fit décapiter, a plus de naturel que Wyatt, et contribua, plus encore que lui, à polir la versification anglaise. Il inventa le vers blanc, et assouplit la langue poétique en traduisant les premiers livres de l'Enéide. On a de lui des poésies sacrées et légères, également remarquables par la douceur et l'élégance de la diction et par la vérité du sentiment. On l'a parfois appelé le Pétrarque anglais, et il mérite cette dénomination par la vivacité et la profondeur de ses. peintures de l'amour : les sonnets où elles se trouvent le plus ont été, selon toute vraisemblance, composés pour sa femme et non pour quelque Laure imaginaire. Dans ses poésies sacrées, il est inspiré par l'amour mystique et la profonde mélancolie des peuples du Nord : son émotion se communique au lecteur. C'était, on le voit, un véritable poète, chez qui les qualités de style des Italiens s'unissaient heureusement au génie sérieux et chevaleresque des Saxons.
Une autre victime de Henri VIII, George Boléyn, vicomte de STAFFORD, exécuté avec sa soeur en 1536, a laissé quelques pièces du même genre et non moins gracieuses que celles de Surrey. Le terrible HENRI VIII, il faut le dire, encourageait la poésie quand il laissait de côté pour un instant les controverses théologiques, et il s'essaya lui-même avec succès dans le sonnet imité de Pétrarque.
§ II. — Prose.
Le caractère distinctif de cette période, c'est le large et brillant développement de la' prose. C'est au mouvement religieux qui précéda et prépara la Réforme que revient l'honneur d'avoir surtout contribué à cette efflorescence. William TYNDALE donne en 1521 sa traduction du Nouveau Testament, suivie en 1530 de celle de l'Ancien Testament : toutes deux devinrent aussitôt populaires; Peu après, une nouvelle traduc-
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LITTERATURE ANGLAISE. 15
tion de la Bible est donnée par COVERDALE (1535). La Réforme s'introduit grâce à ces travaux au moins autant que par la volonté du roi ; elle prend un corps et s'établit définitivement avec le Prayer-Book, ou Recueil de prières à l'usage de la nouvelle Église anglicane, édité en 1549 par le vaillant CRANMER. (14891599) et quelques autres champions du protestantisme, morts comme lui sous la reine Marie, martyrs de leur cause. LATIMER est un de ceux-là (1470-1554); ses Sermons sont considérés comme de remarquables monuments de l'éloquence des premiers réformateurs. HALES et CHILLINGWORTH, argumentateurs subtils plutôt qu'orateurs véhéments, se font un nom par leur érudition et méritent notre respect par le soin qu'ils eurent de prôner la tolérance dans la première Église anglicane. Les Psaumes, souvent traduits à cette époque, le sont avec succès par STERNHOLD en 1549 et par Thomas NORTON en 1553 ; ces deux traductions sont en vers, et nous ne les mentionnons ici que pour mieux montrer la force du mouvement religieux qui soutenait la Réforme.
La politique, avant la religion, avait frayé les voies à la prose ; mais elle :fut négligée presque aussitôt, par suite des préoccupations nouvelles que vit naître le XVIe siècle. Au XVe avait paru un ouvrage excellent en ce genre, où l'on trouve à peine quelques formes et quelques mots vieillis, et qu'on dirait écrit à une époque bien plus récente : c'est le livre de John FORTESCUE (mort en 1465) sur la Différence entre la monarchie absolue et la monarchie limitée. L'auteur, chancelier d'Angleterre sous Henri VI, après avoir écrit divers traités de politique en latin, avait fini par s'adresser au vrai public pour lui montrer les avantages du gouvernement constitutionnel de son pays sur le gouvernement absolu de la France. On peut lui reprocher d'avoir exagéré certains faits, d'avoir trop chargé le tableau du despotisme des rois de France et trop accordé à ce qu'il appelle le courage des Anglais ; mais il a eu le mérite d'établir l'un des pre-
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15 LITTÉRATURES ÉTRANGÈRES.
miers, et longtemps avant Locke, les vraies bases de la liberté des citoyens et de l'indépendance des communes.
L'illustre et malheureux MORUS. qui s'appelait en réalité Thomas MORE (1480-1535), a écrit en latin son Utopia, ce roman politique plein de maximes hardies et de fictions intéressantes, qui parut en 1516 et obtint aussitôt un succès d'enthousiasme sur tout le continent. Comme prosateur anglais, il a laissé des Lettres et des Histoires d'Edouard V et. de Richard III. La première surtout, publiée en 1509, est un des plus anciens ouvrages écrits en bon anglais : le style y est pur, clair, choisi, exempt de trivialité comme de pédantisme. On regrette d'autant plus que son chef-d'oeuvre ait été écrit par lui dans la langue des savants et non dans celle du peuple 1.
L'histoire commençait, on le voit, à s'essayer dans l'idiome vulgaire : le juge Edouard HALL (mort en 1547) donnait une Histoire de la guerre des Deux Roses ; d'autres, moins connus, suivirent la même voie. A côté d'eux s'engageaient les érudits et les traducteurs : William CAXTON, l'infatigable imprimeur, qui rédigeait en très bon style les anciennes légendes et les lois de la chevalerie (entre 1471 et 1491) ; BERNERS, qui traduisait Froissart (1523) ; etc.
La rhétorique elle-même se met de la partie et trouve d'élégants interprètes, tels que Thomas WILSON (mort en 1581), professeur à Cambridge, qui donna en 1553 un remarquable Traité de Rhétorique, et Roger ASDHAM (1515-1568), précepteur de la reine Elisabeth, un des principaux savants de l'université de Cambridge, et, de plus, un des premiers écrivains en prose anglaise qu'on puisse citer et lire aujourd'hui : son meilleur ouvrage, le Toxophilus (1544), qui est, en apparence, un dialogue sur l'Archerie, s'occupe, en réalité, de tout ce qui concerne l'éducation, pour
I. Imprimée d'abord à Louvain, l'Utopia fut traduite en anglais, peu de temps après, par Burnet.
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LITTERATURE ANGLAISE. 17
laquelle il indique de très bonnes méthodes, comme, par exemple, l'intelligente combinaison de la récréation et de l'étude ; dans son Maître d'école, il recommande l'étude des langues vivantes et donne les meilleures directions pour cette importante question. Il fut poète aussi ; seulement ses Èpitres et ses autres poésies ne valent pas ses ouvrages en prose. Mais, on le voit, sa part est déjà fort belle, et nous ne saurions mieux terminer ce chapitre qu'avec un tel nom, qui résume plus que tous les autres la tendance de cette époque et les espérances qu'elle pouvait faire concevoir.
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18 LITTÉRATURES ÉTRANGÈRES,
CHAPITRE III.
LE PREMIER AGE D'OR DE LA LITTERATURE ANGLAISE, OU LE SIÈCLE D'ELISABETH
(I558-I649).
On remarquera, d'après les dates inscrites en tête de ce chapitre, que nous faisons durer le siècle d'Elisabeth jusqu'à la mort de son deuxième successeur, c'est-à-dire quarante-six ans au delà de son règne. C'est que l'influence exercée par cette reine et par son entourage s'est fait sentir, comme il est naturel, longtemps encore après sa mort, et que les grands écrivains qui ont illustré son règne ont continué de produire des oeuvres remarquables ou du moins laissé des disciples estimables encore, qui ont écrit sous Jacques Ier et Charles Ier. C'est seulement à la suite des troubles religieux et politiques survenus sous ce dernier roi et de l'introduction de l'élément puritain dans les moeurs et le gouvernement du pays que la littérature changea un instant de direction, ou plutôt fut méprisée et bannie de la société, jusqu'au jour où la Restauration la remit en honneur, mais en lui donnant un nouveau caractère.
§ Ier. — La poésie.
Le premier poète de cette période, en date comme pour le mérite, est Edmond SPENSER (15 53-1599). Né d'une humble famille, il fit de sérieuses études à Cambridge et se fit remarquer de bonne heure par son talent poétique, qui lui valut la protection de Philippe Sydney, du comte de Leicester et de la reine Elisabeth elle-même. Nommé secrétaire de lord
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Grey, lieutenant d'Irlande, il passa, dans cette île la seconde moitié de sa vie et se consacra presque exclusivement au culte des lettres. Ses premiers essais furent des sonnets, des élégies, des pastorales, notamment son Calendrier des Bergers, qui lui fut sans doute inspiré par l'Arcadie de Sydney : il contribua largement, avec ce dernier, à répandre en Angleterre le goût de la poésie pastorale, et, il faut bien le dire aussi, cet euphuisme ou ce ton de pédanterie et d'affectation si fort à la mode sous le règne d'Elisabeth. Le Calendrier des Bergers (1579), est un, recueil de douze églogues, toutes également froides et fausses, où l'on trouve pourtant déjà des traces dit remarquable talent que Spenser devait déployer quelques années plus tard dans son chef-d'oeuvre.
Celui-ci, intitulé la Reine des Fées (Faery-Queen), est une épopée lyrique, un poème allégorique imité de l'Arioste, où l'auteur a enchâssé, de nombreuses légendes de l'Irlande et de l'Ecosse : composé d'abord de douze livres, il s'est trouvé réduit à six par suite d'un accident arrivé au poème pendant sa traversée d'Irlande en Angleterre. Chacun de ces livres est divisé en douze chants, composés de stances de neuf vers, élégantes et harmonieuses, que l'on appelle encore aujourd'hui les stances spensériennes. Le poète y chante les aventures de personnages allégoriques, réprésentant des vertus ou des qualités, entourés d'un cortège d'abstractions également personnifiées ; mais le tout est varié et relevé par une prodigieuse imagination et par l'extraordinaire beauté de la forme. Spenser est le vrai poète du moyen âge et de la chevalerie : il en accepte, il en aime toutes les fictions, même les plus invraisemblables; il les fait accepter et aimer à ses lecteurs à force de conviction et à force d'art. Aussi les critiques modernes n'ont-ils pas craint de le comparer, sous de certains rapports, à Homère, dont il a les redondances et la naïveté, mais souvent aussi la grandeur sereine, et toujours la foi inébranlable en ses propres créations.
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On a encore de lui des Hymnes à l'amour et à la beauté, qui sont des oeuvres brillantes et presque de petites épopées; un Epithalame sur son propre mariage (1594), morceau remarquable à tous égards, par l'imagination, le lyrisme, la noblesse et la pureté du style, et que l'on peut mettre au-dessus de tout autre chant nuptial, ancien ou moderne; enfin, un traité en prose Sur l'état de l'Irlande. La fin de sa vie fut aussi malheureuse que le reste avait été brillant et fortuné ; chassé de sa propriété en Irlande par une révolte, il se réfugia en Angleterre et y mourut la même année, pauvre et découragé, presque oublié sur le théâtre même de sa gloire. Ses restes, du moins, obtinrent un éclatant hommage et furent inhumés dans l'abbaye de Westminster;
Philip SIDNEY, ou mieux SYDNEY (1554-1586), est généralement nommé à côté de Spencer, auquel il a peut-être inspiré son Calendrier des Bergers. Il est, lui aussi, l'un des poètes saillants du XVIe siècle en Angleterre ; noble et grand seigneur, admiré et fêté à la cour d'Elisabeth pour son esprit et sa grâce, comme pour sanaissance et ses qualités physiques, il unit la culture élégante de la Renaissance à la vigueur et à la fougue du moyen âge. II mourut, jeune encore, dans les Pays-Bas, des suites d'une blessure reçue à la bataille de Zutphen, et donna ce jour-là un exemple de courage et d'humanité qui devrait immortaliser son nom, si ses écrits ne l'avaient déjà fait. Épuisé par la perte de son sang et torturé par une soif atroce, il voit venir à lui un de ses serviteurs, qui a pu se procurer un peu d'eau pour ranimer son maître; il a déjà porté le vase à ses lèvres, lorsqu'il entend à côté de lui les gémissements d'un soldat, mortellement blessé aussi, et que la vue de ces quelques gouttes d'eau, destinées à un autre, fait souffrir encore davantage. Sydney repousse le breuvage et le fait donner à son malheureux compagnon, en disant : " Sa nécessité est plus grande que la mienne. » On est heureux de voir un aussi beau caractère
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doué d'un beau talent. Les preuves de ce talent se rencontrent surtout avec éclat dans ses poésies amoureuses, chansons et sonnets, composées en 1581, en l'honneur d'une grande dame, sous le titre d'Astrophel et Stella 1 ; malgré le mauvais goût du temps, l'abus des jeux de mots, par exemple, il y a là de la
vraie poésie, un. sentiment profond, des beautés de premier ordre. Mais la gloire de Sydney, de son vivant, reposa principalement sur son grand ouvrage en prose mêlée de vers, l'Arcadie, appelée communément l'Arcadie de la comtesse de Pembroke, du nom de sa soeur, à qui il l'avait dédiée. C'est une sorte d'épopée pastorale, oeuvre de mode si l'on veut, et qui ressemble assez à la Diane de Monlemayor ou à l'Astrée de d'Urfé ; le sentiment y est souvent faux et outré, l'imagination déréglée et tourmentée, le style précieux et affecté ; mais il y a toujours une intention morale très louable, et souvent des passages poétiques et gracieux. Il ne faut pas oublier que Shakspeare lui-même a sacrifié au mauvais goût du temps, et l'on peut dire, avec un critique éminent, que « tous ces poètes ont beau gâter à plaisir leurs plus belles idées: sous le fard perce la fraîcheur native. » (Taine.) Cette fraîcheur d'imagination se retrouve encore, à un
plus haut degré, dans un autre de ses ouvrages en prose, intitulé Défense de la Poésie (1583), où il déploie autant de qualités sérieuses que de richesse de style, pour faire l'éloge de la grande-poésie et ridiculiser le pédantisme du moyen âge.
Avec Spenser et Sydney, nous devrions nommer ici Shakspeare, que ses sonnets et ses petits poèmes rangent parmi les meilleurs poètes de son temps ; nous apprécierons ces oeuvres un peu plus loin, avant de parler de ses drames. De même pour plusieurs autres poètes qui se sont fait un nom plus remarquable encore dans d'autres genres, comme
1. Ces poésies ne parurent qu'après la mort de l'auteur en 1591; mais elles étaient connues auparavant.
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Raleigh, Lylly, etc., que nous retrouverons plus loin. Nous nous contenterons de citer ici les noms de Sackville, comte de DORSET 1, de George GASCOYNE et de Thomas LODGE, qui ont, eux aussi, cultivé le sonnet et la poésie lyrique avec succès, et dont les anthologies recueillent encore aujourd'hui de très belles pièces. Gascoyne s'est également essayé dans la satire, et Lodge dans le drame.
Tout le monde presque s'exerçait dans le sonnet, même les plus graves juristes, comme, Thomas WATSON (1560-1596), dont les poésies ne manquent pas de valeur, ou les historiens, comme Samuel DANIEL (1950-2619). Il est vrai que ce dernier, mérité une mention spéciale, comme poète lauréat, successeur de Spenser dans cette dignité assez maigrement rétribuée. Il avait commencé par vivre sous le patronage des grands seigneurs, pour lesquels il écrivit des masques, sortes d'opéras vraiment féeriques où jouait souvent l'élite même de la cour. La plupart de ses autres productions poétiques furent aussi des oeuvres de circonstance; ce n'est que vers la fin de sa vie qu'il s'essaya dans l'histoire, pour laquelle il semblait avoir une aptitude toute spéciale 2. Ses Sonnets et ses petits poèmes le rendirent populaire dans les dernières années du XVIe siècle ; parmi les meilleurs de ces poèmes figure sa Complainte de Rosamonde.' Ses Guerres Civiles d'York et de Lancastre, en huit chants (1004), sont prosaïques et sèches, mais bien écrites et en vers harmonieux, comme tout ce qu'il a produit : de là sans doute son succès du moment.
Michel DRAYTON (1563-1631) a trop écrit, et ses grands poèmes ne suffiraient pas à le tirer de l'oubli,
1. Un autre Dorset a été renommé comme poète sous le règne de Charles II. (Voy. plus loin, p. 89.)
2. Son Histoire d'Augleterre depuis la conquête jusqu'au règne d'Edouard III, parue en 1615, est d'un style pur, pleine de bon sens, et offre des narrations remarquables ; mais elle s'appuie sur des autorités médiocres.
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s'ils ne renfermaient, au milieu de leurs insipides longueurs et de leurs développements fades et communs, des passages vraiment heureux, des beautés éminemment poétiques. Outre ses odes, ses poésies pastorales, ses Épîtres héroïques de l'Angleterre, il a laissé un long poème en trente chants, intitulé Polyalbion et consacré à la glorification de l'Angleterre. L'exécution en est aussi: originale que la conception : Drayton imite Spenser et sait.admirablement, comme
son modèle, personnifier les rivières ; les collines, tous les objets dont il parle. Dans un autre poème, purement héroïque, les Guerres des Barons. (1598), il chante les événements qui se sont passés depuis la fin du règne d'Edouard II jusqu'à l'exécution de Mortimer sous Edouard III. Il a toutes les allures d'un chroniqueur et suit l'histoire pas à pas ; mais on trouve cependant de beaux passages dans cette oeuvre, et Milton n'a pas dédaigné de s'en inspirer quelquefois. Le commencement du XVIIe siècle vit fleurir un poète qui, dans la dernière moitié de sa vie, compromit
compromit son puritanisme étroit la gloire littéraire qu'il avait acquise dans son jeune âge : c'est George WITHER (1588-1667), dont les meilleures poésies (odes, satires, églogues, sonnets) parurent entre 1613 et 1635. Son imagination enjouée, la pureté de son goût, la délicatesse naturelle de sentiment qui distinguent, par exemple, ses poésies d'amour intitulées la Maîtresse de Philarète (1622), ou ses premières odes, notamment ses Vers sur sa Muse, auraient dû lui faire assigner un rang des plus honorables parmi les poètes de cette époque; mais il écrivit trop de mauvais vers dans l'intérêt de sa faction ; il devint impopulaire, et ce n'est que récemment qu'on a recommencé à lui rendre justice. Joseph HALL (1574.-1656), évêque de Norwich, avait écrit dans sa jeunesse (1598) trois livres de satires en vers, assez mordantes, mais un peu obscures pour nous. Cette obscurité tient surtout à leur
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recherche ; le style serait, sans cela, d'une précision classique, et la versification ne manque pas d'énergie. On a pu dire qu'il était le premier en date des satiriques anglais, parce qu'il a fait oublier son prédécesseur Gascoyne, dont l'invective est moins directe et le style moins pur. Dans la suite, Hall publia un poème satirique en vers latins, Mundus aller et idem, où il passe en revue les défauts des diverses nations de l'Europe. On a aussi de lui quelques ouvrages de théologie, moins estimés que ses satires.
A partir du règne de Jacques Ier, et principalement sous celui de Charles Ier, la vogue est à la poésie amoureuse, sentimentale et un peu mignarde, dont les représentants les plus célèbres sont Herrick, Carew, Suckling et quelques autres. Robert HERRICK (1591-1666) a été l'un des meilleurs poètes en ce genre, malgré le pédantisme et le mauvais goût dont il n'est pas plus exempt que ses contemporains. Ses oeuvres parurent en 1648 seulement, sous le titre de Hespèrides, ou poésies humaines et divines; ses poésies divines sont la profession de foi d'un ecclésiastique consciencieux (Herrick était curé de campagne, anglican) ; ses poésies humaines leur sont antérieures et aussi supérieures : on y trouve du sentiment, de la délicatesse, de l'humour; mais elles sont parfois un peu licencieuses.
Thomas CAREW (1589-1639), écuyer de Charles Ier, a laissé des poésies amoureuses fort soignées quand elles sont courtes, mais souvent fades et généralement légères (Persuasions to love, to enjoy) ; elles ne forment qu'un petit volume, qui parut seulement après sa mort. Chez lui, comme chez ses émules, le joli remplace le beau, et l'esprit étouffe le coeur.
John SUCKLING (1613-1641), zélé partisan, lui aussi, de Charles Ier, a un style et une versification aussi peu réguliers que sa conduite, et le fond de ses poésies est très peu moral ; mais il dépasse tous ses rivaux en ce genre par l'imagination, la gaieté, l'originalité. Ses Chansons et son Epithalame sont des
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chefs-d'oeuvre; ses Ballades et ses Elégies offrent parfois de véritables beautés. On peut lui comparer Richard LOVELACE (1618-1658), royaliste autant que licencieux, qui se fit un nom comme auteur dramatique, mais surtout comme poète lyrique, par son recueil de petites pièces intitulé A Lucasta (Lux casta) et adressé à la dame de ses pensées, lady Sacheverell.
William DRUMMOND (1585-1649), maniéré encoreet affecté, ne manque pourtant pas, à l'occasion, de délicatesse et de sensibilité. Retiré dans une agréable propriété de son pays natal, près d'Edimbourg, il se consacra presque entièrement à la poésie ; son caractère aimable, quoique mélancolique, lui valut de nombreux amis ; il fut lié avec la plupart des poètes de son temps, et l'on raconte que Ben Jonson fit à pied le voyage d'Ecosse pour aller le voir. Il a laissé des sonnets d'amour, des madrigaux, des élégies, des épigrammes, des poésies sacrées, des odes à Jacques Ier et à Charles Ier. Ses élégies se distinguent par le sentiment comme par l'harmonie; ses sonnets, dans le genre italien, sont polis, élégants, d'une langue pure, et le style y fait moins souvent défaut que dans ses autres poésies. Il est un de ceux qui ont perfectionné le distique, notamment dans une pièce adressée a Jacques Ier, en 1617. Apprécié de son vivant, il jouit encore aujourd'hui de l'estime des connaisseurs.
Abraham COWLEY (1618-1667) a été, au contraire, surfait de son vivant. Bien qu'il appartienne par la fin de sa carrière à la période suivante, il rentre mieux dans celle-ci pour les qualités et les défauts de sa poésie, et, d'ailleurs, son principal recueil de vers, intitulé la Maîtresse, .parut en 1647 : ce sont des petits poèmes amoureux, dans le genre italien, qu'on appelle improprement le genre métaphysique, à cause de la recherche des pensées subtiles qui le caractérise. Célèbre par ses vers dès l'âge de dix ans, Cowley avait écrit dans sa jeunesse un poème latin, la Davi-. déide, qui annonçait déjà un talent réel. Mais, dans la suite, il semble s'appliquer à détruire par la fausse
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érudition et le mauvais goût tout ce qu'il y avait en lui de poésie native. On ne lit plus guère de lui que quelques odes ou des élégies, comme la célèbre complainte qu'il écrivit peu de temps avant sa mort. Samuel Johnson lui accorde trop d'éloges ; (dans ses Vies des poètes anglais); un critique français de nos jours a été plus vrai en disant « qu'il n'a été poète que par la cervelle ; il avait trop lu, trop étudié pour être poète; mais, en revanche, c'est un écrivain, le premier en date de l'école classique ». (Taine.) Le style est en effet sa qualité dominante ; il est déjà classique par sa correction et sa régularité, et c'est là ce qui explique le succès de ses nombreux ouvrages en vers et en prose, de ses élégies, de ses odes pindariques et anacréontiques, de son long poème descriptif sur les Plantes, et de ses Essais, dont la prose est limpide et exempte d'affectation : celui surtout qu'il écrivit sur la mort de Cronrwell est un modèle du genre, sauf vers la fin, où il tombe dans l'invective grossière. Citons encore, parmi les poètes royalistes, mais à un autre titre que les précédents, John TAYLOR (15801654), le célèbre et populaire chansonnier de la cause royale sous Charles Ier, surnommé le water-poel ou poète aquatique, c'est-à-dire poète des marins. Tous Jes genres de poésie lyrique, pastorale, descriptive et philosophique ont leurs représentants plus ou moins brillants durant cette période, et l'on est souvent embarrassé pour faire un choix. L'ode et l'élégie sont cultivées avec succès à la : fin du XVIe siècle par Edouard DYER, vanté par ses contemporains pour son extrême douceur et sa pompeuse imagination, et surtout par le jésuite Robert SOUTHWELL (1560-1591) qui fut pendu comme conspirateur ou plutôt comme prêtre, à la suite de la persécution contre les catholiques. Ses poésies religieuses et morales, surtout les plus courtes, nous touchent par leur gracieuse mélancolie.
Dans la poésie descriptive et pastorale, nous avons à signaler un chef-d'oeuvre, le poème de Cooper's Hill,
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publié en 1643, et qui eut un long et légitime succès. L'auteur, John DENHAM (1615-1668), Irlandais de naissance, fut secrétaire de Charles Ier et écrivit dans le goût français. Ses tragédies, ses élégies et ses autres poèmes ne valent pas la peine d'être mentionnés. Quant à son Coopères Bill, le plan en est original et l'exécution presque toujours remarquable; Pope l'appelle un « poème majestueux » ; le style y est vigoureux, clair, uni et relativement moderne ; l'élégance de la diction, le bon arrangement, la suite et la noblesse des images, les préoccupations morales qui s'y montrent assez souvent, et surtout l'ampleur classique et oratoire des vers en font presque un chefd'oeuvre. On peut lui reprocher pourtant l'abus de la sentimentalité, des digressions morales et philosophiques, et de certaines descriptions par trop sèches.
L'Écossais Alexandre HUME (1560-1609) se distingua aussi dans la poésie descriptive; il fut dépassé dans ce genre par William BROWNE (1590-1945), poète harmonieux et souvent pathétique, mais qui, dans les célèbres églogues qu'il intitula Pastorales de l'Angleterre (1613), tombe souvent dans les défauts du genre italien, et, en particulier, de Marino. Quand il ne recherche pas les concetti, il est simple et vraiment poète, « peu nerveux, peu rapide, mais plein d'imagination, de grâce et de moelleux, et souvent remarquable dans ses descriptions. Milton l'a connu et peut-être imité ». (Hallam.)
Les deux FLETCHER s'inspirèrent de Spenser et unirent la poésie pastorale à la poésie philosophique; ils avaient plus d'imagination que de goût. L'aîné de ces frères, Gilles FLETCHER, réussit surtout dans la poésie religieuse ; son Triomphe du Christ (1610) a peu d'unité, un style fort mêlé, mais de la vigueur et quelques beaux détails. Le second, Phinéas FLETCHER (mort en 1042), écrivit, après la mort d'Elisabeth, un poème bizarre, allégorique et anatomique, l'Ile de pourpre, qu'il ne publia que longtemps après, en 1633 ; cette oeuvre, terminée par l'étude de
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l'âme et de ses facultés, est ennuyeuse et fade, mais le style en est soigné et généralement poétique.
La poésie philosophique proprement dite jeta un vif éclat avec Davies, Quarles, bonne, Herbert et Brooke. John DAVIES (I570-1616) donna en 1599 un poème intitulé Nosce te ipsum, qu'on appelle quelquefois Poème sur l'immortalité de l'âme. Les pensées y sont énergiques, vivement condensées et bien présentées; la versification en est régulière et facile, et le style bref et clair, exempt de raideur et de pédantisme : c'est une oeuvre de mérite, bien qu'elle plaise à la raison plus qu'au coeur et à l'imagination. Francis QHARLES (1592-1644.), après avoir été longtemps méconnu et oublié, a vu refleurir sa gloire depuis un siècle; ses Emblèmes et son Enchiridion sont des recueils de pensées morales et religieuses, souvent exprimées dans des vers énergiques et naturels; le XVIIe siècle méprisait leur style un peu trivial et archaïque, et il a fallu le retour aux anciens qui a signalé l'aurore du nôtre pour remettre en honneur cette mâle et sérieuse poésie. John DONNE (15731631), doyen de Saint-Paul, théologien autant que poète, appartient, d'une part, à l'école des poètes mignards et affectés, dont Carew est le type, et, de l'autre, à celle des poètes métaphysiciens. dont nous avons parlé à propos de Cowley. Il gâta son talent par le mauvais goût et l'abus de l'érudition. Tour à tour licencieux et sévère, mondain et religieux, il recherche les cconcetti, ce qui le rend habituellement obscur, et il ne rachète pas ce défaut par sa versification, qui est trop souvent dure et rocailleuse. Cela n'empêche pas les Anglais de l'appeler leur Horace, pour ses satires, qui furent, il est vrai, refaites par Pope, mais qui valent mieux que son Pseudo-martyr, poème théologique qu'il écrivit en 1610 pour Jacques Ier. George HERBERT (1593-1632), ecclésiastique vertueux et convaincu, poète moral et religieux dans ses poésies sacrées intitulées le Temple, pourrait être classé aussi, comme Donne, parmi les poètes métaphysiciens et
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légèrement affectés du règne de Jacques Ier ; mais le sentiment est plus profond chez lui que chez beaucoup de ses émules. Enfin, lord BROOKE, dans la première moitié du XVIIe siècle, s'acquit une certaine réputation par des poèmes philosophiques et scientifiques, généralement très obscurs, et où il y a plus de sens que d'imagination. La période suivante verra encore se multiplier ces essais poétiques, où la poésie fait trop souvent place à la réflexion.
Pour terminer cette énumération des principaux poètes du siècle d'Elisabeth, il reste encore à citer quelques traducteurs : un certain CAREW (différent de celui qui a été nommé plus haut), qui, en 1594, donna la première traduction de la Jérusalem délivrée, littérale mais prosaïque; John HARRINGTON, auteur de sonnets peu remarquables et médiocre interprète de l'Arioste (1591) ; et Edouard FAIRFAIX (mort vers 11532), qui a écrit des églogues élégantes et une nouvelle traduction de la Jérusalem délivrée, meilleure que celle de Carew, bien qu'elle manque parfois, d'exactitude.
Deux femmes poètes s'illustrèrent durant cette période par des oeuvres fort admirées alors, mais oubliées, aujourd'hui : Jeanne de WESTON (née en 1586), auteur de poésies latines et d'un poème anglais de Parthenicon; et lady NEWCASTLE (morte en 1673), dame d'honneur de la reine Henriette, auteur de discours, de drames et de poésies diverses. L'Ecosse, depuis l'avènement de Jacques VI au trône d'Angleterre sous le nom de Jacques Ier, faisait désormais partie du Royaume-Uni, et sa littérature se confond aussi avec la littérature anglaise, sauf le cachet particulier que l'on peut remarquer encore chez quelques-uns de ses écrivains, même de nos jours. A la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe, il y a encore des poètes purement écossais, comme Alexandre SCOT (vers 1562), surnommé l'Anacréon de l'Ecosse, Richard MAITLAND et Alexandre MONTGOMERY. Le roi JACQUES VI lui-même, âgé à peine de dix-huit ans, avait publié une sorte d'Art poétique
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(1584), suivi, en 1591, d'un volume de ses poésies, qui sont en général assez médiocres1.
§ II. — Le Théâtre.
SECTION Ire. — Les prédécesseurs de Shakspeare, — L'Angleterre avait eu au moyen âge, comme les autres nations chrétiennes de l'Europe, son théâtre populaire, avec les mystères ou miracles. Ces pièces, où les rôles principaux étaient joués par Dieu et les saints, se trouvent déjà au commencement du XIIe siècle, mais écrites en latin, comme le Jeu de sainte Catherine, représenté à Dunstable en 1119. Dans les siècles suivants, les villes et les corporations donnèrent à l'envi des spectacles aussi édifiants que peu littéraires. Sous Henri VI, on se mit à représenter des moralités ou pièces morales, dont les personnages étaient des abstractions, comme la Justice, la Clémence, la Vérité, la Sagesse, le Vice, la Folie, etc.; c'est pendant le règne de Henri VIII qu'elles acquirent leur plus grande popularité. A dater de cette époque, il se trouva des auteurs qui eurent l'idée de substituer quelques personnages fabuleux ou historiques aux abstractions qui occupaient la scène, et des actions vraies ou légendaires aux développements moraux qui avaient jusque-là défrayé l'imagination des spectateurs. Le drame moderne naissait ainsi peu à peu, et les circonstances politiques du XVIe siècle l'élevèrent presque en un clin d'oeil à la hauteur qu'il atteignit avec Shakspeare. Après les guerres civiles et les persécutions religieuses qui ensanglantèrent la fin du XVe et la première moitié du XVIe siècle, la paix fut rétablie sous le règne d'Elisabeth, et l'un de ses permiers effets fut le développement du bien-être et
1. Nous omettons à dessein un des auteurs les plus renommés de l'Ecosse à cette époque, George BUCHANAN (1506-1582), qui écrivit toujours en latin. Son Histoire d'Ecosse et ses Psaumes (en vers) sont d'une latinité presque égale, paraît-il, à celle des écrivains du siècle d'Auguste.
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même du luxe dans les classes moyennes et jusque chez le peuple; une ou deux générations purent goûter à loisir ces jouissances nouvelles. La Réforme n'avait pas encore eu le temps d'épurer et d'échauffer les âmes ; Elisabeth, avec son goût pour la pompe et l'autorité, la rendit acceptable à tous ses sujets, même aux catholiques jusqu'à un certain point, de façon que l'Angleterre trouva le calme au moment même où elle renouvelait sa religion.
Le despotisme de la reine était limité par les anciennes franchises des comtés et des communes ; on n'en vit que le côté brillant, et l'impulsion la plus vive put être donnée ainsi aux esprits. « La pensée réclamait sa part dans les plaisirs : le mouvement de l'esprit public n'appelait encore l'Angleterre qu'aux fêtes, et la poésie dramatique naquit toute grande avec Shakspeare. » (Guizot.)
Le grand poète avait eu des prédécesseurs, dont les noms ont été, dans les derniers temps, mis en lumière par d'éminents critiques. Un des plus anciens, après Skelton1, est ce John HEYWOOD (mort en 1656) dont les Intermèdes ou Interludes, imités sans doute des pièces françaises analogues, eurent une grande vogue dès 1521 et surtout sous Henri VIII. Ces compositions dramatiques tenaient le milieu entre l'ancienne moralité et le drame moderne, et se distinguaient par leur esprit incisif, leur verve grossière, leur franche gaieté : elles avaient soin de railler de préférence le clergé catholique, et furent ainsi encouragées comme d'utiles auxiliaires de la Réforme. Nous avons déjà vu précédemment que l'Ecossais Lyndsay avait fait jouer une pièce de ce genre, dans l'année 15392.
De ces premiers essais, dont le caractère est essentiellement populaire, se dégage presque aussitôt la comédie, qui s'en rapproche le plus ; le drame ne vient qu'ensuite. C'est ainsi qu'un régent de J'école de West1.
West1. ci-dessus, p. 15.
2. Voir plus haut, p. 12.
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minster, Nicolas UDALL, écrivit vers 1550 sa comédie de Ralph Royster Doyster, la première pièce de théâtre un peu régulière, imitée de Plaute et de Térence, et où il peint la vie d'un petit-maître de Londres. Puis vient une comédie plus populaire encore, l'Aiguille de la mère Gurton (1566), dont l'auteur, John STILL, fut plus tard évêque de Bath: le comique y est bas, mais naturel, et les caractères y sont vivement tracés.
L'idée d'imiter le théâtre des anciens, tout en conservant le fond populaire des représentations nationales, fit surgir à la même époque des tragédies soidisant régulières, dont la première en date est l'oeuvre d'un comte de Dorset, de Thomas Sackvilie ou lord BUCKHURST, et intitulée Ferrex et Porrex 1. C'est la mise en scène d'un épisode de l'histoire fabuleuse de la Grande-Bretagne; l'auteur s'est appliqué surtout à renfermer l'action dans les cinq actes réglementaires et à y introduire des choeurs à la façon des Grecs ; il a employé les vers blancs, et son style est en général médiocre, quoique vraiment énergique par endroits. Cette tragédie fut représentée en grande pompe devant Elisabeth et sa cour. (1561), mais ne paraît pas avoir eu un succès bien durable. Lord Buckhurst (1535-1608) avait commencé auparavant (en 1559) un grand ouvrage en prose, le Miroir des magistrats, recueil de récits sur l'histoire d'Angleterre, qui devait former une suite de monologues dramatiques réunis en un interlude, et dont il n'écrivit que le prologue et un seul récit. Il y a beaucoup d'imagination dans ce prologue ou induction, morceau allégorique qui peut soutenir la comparaison avec les meilleurs passages de Spenser ; mais sa tristesse le rend monotone, malgré sa brièveté. Aussi at-on pu dire de cet ouvrage que c'était « un paysage que n'éclairait jamais le soleil ». D'autres poètes se
1. On l'appelle souvent aussi Gorboduê, du nom de son personnage principal.
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sont essayés à compléter le Miroir des magistrats ; mais les parties qu'ils ont traitées sont bien faibles, comparées à l'oeuvre de Buckhurst.
Ce n'était pas avec la tragédie artificielle de cet écrivain trop érudit que devait se fonder le théâtre anglais 1. D'autres poètes, ses contemporains, avec moins d'art et de science, mais avec plus de force et d'invention, créèrent de toutes pièces et d'instinct le drame moderne. Parmi ces nombreux prédécesseurs de Shakspeare, dont qnelques-uns furent ses émules et presque tous ses contemporains, les plus marquants sont : Gaspard HEYWOOD, qui, de 1580 à 1630, composa plus de deux cents pièces, la plupart en. collaboration avec d'autres poètes, et dont il est difficile de s'expliquer aujourd'hui la popularité ; Greene, Peele, Lylly, Lodge, Nash et Marlowe, qui méritent chacun d'arrêter un instant notre attention.
Robert GREEHE (1560-1592), l'un des plus remarquables prédécesseurs de Shakspeare, dont il était le compatriote, avait été acteur comme lui, mais ne sut pas, comme son illustre émule, se ranger après ses premiers écarts de jeunesse : il mena une vie crapuleuse et vagabonde, et mourut, à la fleur de l'âge, de ses excès autant que de misère. Ce fut, dans le drame, un vrai poète populaire, par la force de l'imagination et la vivacité du dialogue et de l'action. Il écrivit, entre autres, un drame de Henri VI, dont Shakspeare emprunta quelques passages : c'est à cette cause que l'on attribue l'inimitié de Greene pour le grand poète, qu'il attaqua dans un célèbre pamphlet 2. Il a été aussi l'un des
1. Il faut mentionner cependant quelques autres essais de tragédie classique ou exotique qui réussirent à ce moment : par exemple, Damon et Pytbias (1566), du professeur Richard EDWARDS ; Jocasle, imitée d'Euripide ; Tancrède et Ghisnonda, tragédie tirée d'une Nouvelle italienne (1568) ; les Supposés, comédie imitée de l'Arioste, etc. Toutes ces pièces furent jouées avec succès devant la reine.
2. Ce pamphlet est précieux pour l'histoire de Shakspeare;
II. 5
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représentants de la poésie pastorale au XVIe siècle, avec ses romans de Dorastuset Fannia, pu Shakspeare a puisé l'intrigue et certains épisodes de soir Conte d'hiver, et de Philomèle, où l'on trouve une pureté morale et une délicatesse qu'on est bien loin d'attendre chez cet auteur; mais ses oeuvres sont déparées par l'affectation, l'euphuisme alors à la mode, surtout dans les romans. On a encore de Greene une petite. Nouvelle, naturelle et touchante. Jamais trop tard, où il raconte sa propre histoire. Quant à ses poésies lyriques, elles sont spirituelles, mais trop souvent obscènes, et ses Satires ont en général un caractère bas et grossier.
George, PEELE( mort en 1587) écrivit des drames bibliques et nationaux, et un poème patriotique intitulé l'Honneur de la Jarretière. Ses meilleures pièces de théâtre, David et Bethsabée et Contes de vieilles femmes, font déjà pressentir Shakspeare; uos Edouard Ier est un grossier tissu d'absurdités, où l'auteur viole ouvertement la vérité historique et défigure à plaisir la vertueuse Éléonore de Castille pour satisfaire les rancunes populaires des Anglais contre l'Espagne. Peele a de l'imagination et le sens poétique plutôt que dramatique ; son style est facile mais négligé, sa versification généralement défectueuse, et son talent, en somme, bien inférieur à celui de Marlowe.
John LYLLY (1553-1590), dont le nom s'écrit aussi Lily, Lyly, et même Lylie, est moins connu aujourd'hui par ses drames que par son roman d'Euphuès, qui donna son nom à l'euphuisme, c'est-à-dire au style fleuri et surchargé d'ornements, à la conversation maniérée qui fut en vogue a la cour d'Elisabeth et même dans la bourgeoisie. On ne peut pas dire que ce langage était faux ; il a été, à ce moment-là, l'expression vraie de la société anglaise : « on jette fleur
il nous donne divers renseignements sur l'auteur de Hamlet? et notamment la date de a première composition de ce drame.
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sur fleur, clinquant sur clinquant; tout ce qui brille leur agrée; ils dorent et brodent et empanachent leur langage comme leurs habits. » (Taine.) l'Euphuès parut en 1580 et fut accueilli par une admiration universelle : il ne créait pas un genre, il le résumait à la perfection. Ce qui contribua encore à le rendre populaire et à répandre ainsi davantage le ton à la mode, c'est que ce roman était éminemment patriotique et faisait l'apologie de l'Angleterre. Comme auteur de théâtre, Lylly, dont l'activité va surtout de 15 65 à 1570, a créé la prose dramatique ; sa meilleure pièce est sa comédie d'Alexandre, Campaspe et Diogène; maïs c'est encore une production assez grossière si on la compare aux chefs-d'oeuvre qui devaient se produire quelques années plus tard.
Le médecin Thomas LODGE (1556-1624), renommé pour ses épigrammes et ses narrations comiques, et pour son roman pastoral de Rosalinde, dont Shakspeare s'inspira dans sa comédie de Comme il vous plaira, a réalisé un progrès au théâtre, en n'usant pas des situations horribles autant que ses prédécesseurs ; mais il imite trop le drame espagnol et s'écarte souvent de la vérité historique. Thomas NASH (1564-1601), spirituel et incisif dans ses Satires, où il s'attaque surtout au clergé, pamphlétaire vigoureux, à l'occasion, n'est qu'un auteur dramatique médiocre ; mais ses pièces réussirent quelque temps, malgré leur mauvais goût, ou peut-être à cause de ce défaut.
Enfin vient Christophe MARLOWE (1562-1592), le seul prédécesseur de Shakspeare qui soit digne d'un pareil successeur. Malgré une éducation assez soignée, paraît-il, puisqu'il termina ses études à Cambridge, il se fit acteur, et cette circonstance tourna vers le théâtre son talent poétique, qui se trouvait aussi à l'aise dans les genres légers que dans le drame : témoin son imitation (inachevée, du reste, et assez licencieuse) du poème d'Héro et Léandre, attribué à Musée, et aussi sa célèbre chanson : " Viens vivre avec moi, et sois mon amour », à laquelle Raleigh, dit-on, répondit
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par une poésie non moins gracieuse. Dans sa courte carrière, il ne produisit que huit drames ; mais ils suffisent à. le mettre bien au-dessus de ses contemporains. Il a le génie tragique par excellence, tandis! que Greene réussissait plutôt dans la comédie : on lui reproche même d'être par trop sombre, et d'abontir souvent au monstrueux. Il y a pourtant aussi chez lui, comme dans Shakspeare et Ben Jonson, la. note tendre :et touchante, les peintures de l'amour ingénu et idéal : à côté de son Juif impitoyable, Barrabas, il y a, dans le Juif de Malte, le personnage de sa fille, la douce et aimante Abigaïl, et ce contraste a probablement inspiré à Shakspeare celui de son Shylock et de sa Jessica (dans le Marchand de Venise). Son premier drame, Tamerlan (ou Tamburlain),fut joné en 1587 : Marlowe eut le mérite d'y rompre avec le préjugé qui obligeait jusque-là les poètes dramatiques à écrire en vers rimés ; c'est lui qui mit en vogue les vers blancs : il est juste, cependant, de rappeler que l'auteur de Ferrex et Porrex l'avait précédé dans cette voie. Ses meilleures oeuvres, après celle-là, furent le Juif de Malte, la Vie et la Mort du docteur Faust, la Saint-Barthèlemy, Edouard II. On voit, par ce dernier titre, que Marlowe, avant Shakspeare, mettait sur la scène des sujets tirés de l'histoire nationale. Son Faust, qui est probablement de 1588, renferme des beautés de premier ordre : on y admire surtout l'énergique peinture du caractère de son héros, et un monologue vraiment pathétique, où le docteur regrette d'avoir donné son âme au démon. L'auteur se peint 'évidemment dans son personnage, et, sous les plaintes éloquentes de Faust, on sent le sombre et amer désespoir de Marlowe, condamné par sa vie passée à une courte et misérable existence, et déchu de l'idéal qu'il avait peutêtre rêvé jadis.
SECTION II.— Shakspeare. — William SHAKESPEARE ou mieux SHAKSPEARE (1504-161(5) est pour ainsi dire la personnification du génie dramatique dans
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les temps modernes. Depuis l'époque où Voltaire, après l'avoir introduit en France, le traitait de sauvage ivre, on s'est habitué chez nous a le lire, à le comprendre, à l'admirer, et, le romantisme aidant, on a poussé l'enthousiasme jusqu'à l'exagération. Ces dernières années ont vu paraître des travaux sérieux où l'historien n'a qu'à puiser les renseignements les plus précis et les plus détaillés sur la vie et l'oeuvre du grand poète. Il descendait d'une famille de bourgeoisie, dont l'origine semble avoir été guerrière, si l'on s'en rapporte au sens du mot composé Shakespeare (brandir la lance). Son père était boucher et probablement aussi marchand de laines dans la petite ville de Stratfordsur-l'Avon, où il se fit sans jdoute une assez belle position, puisqu'il y devint bailli et alderman, et qu'il épousa la fille d'un petit gentilhomme campagnard. De cette union naquirent dix ou onze enfants, dont notre poète était le troisième ou le quatrième, bien qu'il fût l'aîné des garçons. William reçut d'abord une bonne éducation, et certaines anecdotes rapportées par Aubrey nous le montrent au milieu de fêtes et de réjouissances qui ont dû laisser un vif souvenir dans son imagination, celles notamment qui furent données par Leicester en 1576; à l'occasion du passage d'Elisabeth à Kenilworth. Mais Shakspeare n'avait pas quatorze ans que son père se ruinait et retirait son fils de l'école pour l'employer à son commerce. Nous ne savons rien de précis sur les années qui suivirent, sauf que la jeunesse de William ne fut pas d'abord très régulière, et qu'on le maria à dix-huit ans et demi, avec une fille beaucoup plus âgée que lui, qu'il avait compromise 1. Il aimait aussi à braconner, et fut sévèrement puni pour un fait de ce genre. Après avoir été clerc de procureur ou maître d'école, le jeune et trop léger père de famille abandonnait à Stratford sa femme et ses enfants, et son propre père, qui était en prison
1. Elle s'appelait Hanna Hatway et paraît avoir été d'une condition inférieure à la sienne.
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pour dettes, et allait tenter la fortune à Londres comme simple figurant ou apprenti acteur.
Plusieurs de ses compatriotes étaient acteurs dans la troupe de Black-Friars, où il s'engagea, notamment Greene et Burbadge : il est probable que ce fut Greene qui appela Shakspeare à Londres, et que William se rendit à cet appel dans l'espoir de devenir un jour auteur dramatique; il fallait, pour cela, commencer par être acteur. Dans la suite, un de ses frères s'engagea dans la même troupe que lui. Ce n'est pas que la condition des acteurs fût bien brillante à cette époque : leur vie était souvent misérable ; le public les méprisait et les maltraitait à l'occasion, et l'autorité se montrait souvent fort dure envers eus. Aussi peut-on admettre que Shakspeare fut plus tenté par la gloire à venir que par les ressources du présent.
A-t-il été bon acteur? C'est une question fort controversée parmi les biographes de Shakspeare, et que nul témoignage précis ne permet de résoudre d'une façon bien nette. Malgré l'affirmation d'Aubrey et de Chettle, ses contemporains, qui ne font que donner leur témoignage, on est obligé de se borner à des conjectures. Shakspeare donne, par la bouche de Hamlet, d'excellents conseils aux acteurs ; mais on sait combien la théorie et la pratique, en pareille matière, se rencontrent rarement chez les mêmes hommes. Ce qui est certain, c'est que notre poète n'a pas laissé la réputation d'un grand acteur, et qu'il jouait rarement dans ses propres pièces 1.
D'acteur, il devient bien vite actionnaire, et enfin co-propriétaire de son théâtre et directeur d'une troupe
I. Dans Hamlet, il se borne à jouer le rôle du spectre, qui, du reste, d'après Goethe (Wilhelm Meister), est difficile à bien rendre. On sait qu'il joua encore le rôle d'Adam, de Comme il vous plaira. Il se chargeait plus volontiers de rôles dans les drames de ses contemporains, comme lorsqu'il joua dans Chacun son caractère, de Ben-Jonson, à l'inauguration du théâtre du Globe.
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florissante, au point qu'il commence à faire bâtir pour elle, en 1595, un second théâtre, qui fut surnommé le Globe, à cause de sa façade décorée d'un Hercule porte-globe : l'ouverture solennelle de ce théâtre eut lieu en 1598, et dès lors la troupe de Shakspeare joua au Globe en été et à Black-Friars en hiver.
Il est certain que Shakspeare fut employé de bonne heure à retoucher des pièces ou des compositions dramatiques, qui étaient à cette époque la propriété des acteurs : il recevait une légère rétribution pour ce travail qu'on pourrait appeler un travail de manoeuvre. Ce ne fut que vers 1593. qu'il se mit à travailler pour son propre compte, ou du moins qu'il fit jouer sous son nom les oeuvres qu'il avait pu ébaucher précédemment. Mais déjà auparavant il s'était fait, par son talent de poète, une réputation incontestable : il semblait, dès 1992, devoir éclipser tous ses rivaux en dramaturgie, et se trouvait entouré de la plus grande et de la plus générale considération. II se liait dès lors, et pour toute la vie, avec Ben-Jonson, Beaumont, Fletcher et Walter Raleigh, avec lesquels il fondait le club poétique de la Sirène. Il publiait en 1593 son poème d'Adonis, puis celui de Lucrèce, dédiés tous deux au comte Southampton, l'ami du malheureux Essex ; et ce généreux protecteur donnait, dit-on, au poète, jusqu'à mille livres sterling en une fois. Peu de temps après, la gloire poétique de Shakspeare est telle qu'on lui dérobe ses Sonnets et qu'on les imprime sans son aveu sous le titre de le Pèlerin passionné (1599).
Shakspeare continuait à résider à Londres, mais rien ne prouve qu'il ne fut pas en excellents termes avec sa famille, restée à Stratford : son père avait recouvré la liberté et même l'aisance, grâce sans doute à l'intervention de son fils ; celui-ci le pousse, en 1596, à solliciter l'autorisation de faire revivre le blason de ses pères, et obtient cette permission trois ans après. Il est probable qu'à cette époque le poète aimable, distingué, illustre et un peu gentilhomme, eût été admis à la cour, si sa profession de comédien ne s'y
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fût opposée. Quelles furent les relations de Shakspeare avec la reine Elisabeth? On ne peut rien affirmer de certain à cet égard, sauf que la reine aimait le génie du poète, qu'elle l'encouragea, qu'elle assista plusieurs fois à des représentations de ses pièces, et qu'elle en fit jouer quelques-unes à sa cour. On ajoute qu'elle goûtait particulièrement le rôle de Falstaff dans Henri IV, et qu'elle engagea, le poète à continuer ce rôle dans les Joyeuses Commères de Windsor ; on prétend encore, mais sans preuves suffisantes, qu'elle lui commanda son drame de Henri VIII, comme une sorte de drame officiel. Toutes les autres anecdotes sur les rapports entre Elisabeth et Shakspeare sont du domaine de la fable.
A la mort de la reine (1603), le poète fut chargé de composer une pièce de vers en son honneur, et Jacques Ier sembla vouloir dépasser Elisabeth en libéralités et en estime vis-à-vis de Shakspeare. II commença par accorder de nouveaux privilèges :à sa troupe, et par lui écrire à lui-même une lettre flatteuse, en le nommant directeur du théâtre désormais royal de Black-Friars ; puis il fit jouer plus fréquemment, à sa cour les chefs d'oeuvre du grand poète.
Celui-ci semble avoir renoncé dès lors à la profession d'acteur. Il figura probablement pour la dernière fois en cette qualité dans le Séjan, de Ben-Jonson, en 1603. Mais il s'occupait d'autant plus à écrire et à refaire ses drames, et, d'autre part, il ne négligeait pas le soin de ses intérêts matériels : ses économies étaient déjà considérables, et il les augmentait sans cesse par sa bonne gestion ; en 1602 il avait acheté à Stratford une maison et 107 arpents de terre, qui lui avaient coûté environ 380 liv. st. (près de dix mille francs). Des documents découverts tout récemment permettent de supposer qu'il avait, dans ses derniers jours, un revenu annuel de mille liv. st. ou vingt-cinq mille francs, en ne donnant à l'argent d'alors que sa valeur actuelle. D'autres vont jusqu'à dire qu'il avait 40,000 fr. de rente. Tout en passant la plus grande partie de
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son temps sur ses domaines, dans sa famille, à Stratford, il était resté en relations d'affaires avec son théâtre, sur lequel il avait conservé des droits de propriété qu'il vendit avant sa mort pour 1,400 livres (35,000 francs).
Grâce à ses économies et à ses heureuses spéculations, Shakspeare put mener dans ses dix dernières années une vie de grand seigneur, qui contraste heureusement avec la misérable existence de sa jeunesse : la tradition vent qu'il ait dépensé ainsi presque tous ses revenus en recevant l'élite de la société de son pays. — Il maria sa fille aînée, Suzanne, en 1607, avec un médecin très bien posé, nommé Hall ; sa seconde fille, Judith, épousa un propriétaire en 1616. Son fils unique, Hamnet, était mort à l'âge de douze ans, en 1596 1.
Nous , ne savons rien sur la dernière maladie de Shakspeare : il mourut le 23 avril 1616, le jour même du 52e aniversaire de sa naissance 2. Il avait fait son testament quelques semaines auparavant: la signature dénote déjà une grande faiblesse. Cette pièce, fort curieuse à divers titres, a été mal interprétée par quelques biographes qui ont voulu y trouver une preuve des sentiments de froideur de Shakspeare à l'égard de sa femme : les dispositions qui la concernent n'ont rien que de très naturel, si l'on a soin de les expliquer par les coutumes locales et la loi anglaise d'alors.
Shakspeare fût inhumé dans l'église de Stratford 3.
I. Son père était mort en 1601.
2.. On a souvent répété que Shakspeare et Cervantes étaient morts le même jour : il n'en est rien. L'Angleterre n'avait pas encore adopté le calendrier grégorien, de sorte que le 23 avril des Espagnols correspondait au 13 avril des Anglais. En réalité, d'après notre calendrier actuel, Shakspeare serait mort le 3 mai.
3. Sa femme lui survécut sept ans et fut ensevelie à côté de lui, ainsi que sa fille aînée, morte en 1649 (chacune dans une tombe séparée, aux deux côtés du poète). Sa descendance directe s'éteignit en 1670.
II. 6
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On prétend que le poète avait fait lui-même son épitaphe. Son gendre, le docteur Hall, lui fit élever en 1623 un monument surmonté d'un buste colorié, l'année même où paraissait l'édition complète de ses oeuvres. D'après le portrait authentique qui se trouve en tête de cette édition, Shakspeare avait une physionomie franche et ouverte, l'oeil fier et hardi en même temps que doux, un profil aristocratique, une expression à la fois mélancolique et railleuse : c'était un bel homme, dans toute l'acception du terme, et tout, dans sa personne, révélait l'homme distingué, dont les manières s'étaient formées dans le milieu élégant où il passa la plus grande partie de sa vie.
Son caractère a pu être, à une certaine époque, fougueux et passionné ; mais, une fois les premiers orages de la jeunesse passés, il se montra ce qu'il était au fond, calme et rangé, positif même, comme le prouvent ses économies. Son âme était douce et aimante 1, impressionnable à l'excès, et c'est cette sensibilité qu'il a déversée sur ses héros, dont elle fait le charme principal. Sa mélancolie, qu'il n'est pas permis de révoquer en doute, est attribuée par quelques-uns à la douleur qu'il ressentit de se voir condamné à l'humiliante condition d'acteur ; il est plus naturel de la mettre sur le compte de cette sensibilité que nous venons d'indiquer, et de la grande puissance d'observation dont le poète était doué. Les grands observateurs de la nature humaine sont généralement tristes, comme l'était notre Molière. On compare volontiers Shakspeare à quelques-uns des personnages qu'il a créés : voici ce que dit Jacques, dans Comme il vous plaira, l'une des pièces de prédilection de notre poète, et où il a bien pu vouloir peindre son âme :
« Je suis mélancolique, il est vrai, et j'aime mieux cela que de rire. Je n'ai pas la mélancolie d'un écolier, qui vient d'une
1. Ben Jonson l'appelait " son doux cygne des bords de l'Avon ".
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émulation puérile ; ni la mélancolie d'un musicien, qui est celle d'un fantasque; ni celle d'un courtisan, qui est la vanité; ni celle d'un soldat, qui est l'ambition ; ni celle d'un homme de robe, qui est politique; ni celle d'une petite-maîtresse, qui est frivole; ni celle d'un amoureux, qui est un composé de toutes les autres : mais j'ai une mélancolie à moi ; et je puis dire que la contemplation de tous mes voyages, dans laquelle m'enveloppe ma fréquente rêverie, est une tristesse vraiment originale. Oui, j'ai acquis mon expérience! "
Et le résuitat de cette expérience, c'est que Jacques fuit la société des hommes, qu'il adressé de mauvais compliments à tous ceux qu'il rencontre, et qu'il moralise volontiers. Il s'attendrit sur la malheureuse condition des bêtes. Il finit par rompre entièrement avec le monde et par se faire ermite.
Sans doute Shakspeare n'a pas ressemblé de tous points à ce personnage ; mais il l'a évidemment créé d'après un type auquel il ressemblait ou aurait voulu ressembler. De même pour beaucoup d'autres de ses personnages, dont on peut retrouver chez lui les traits principaux, et dans un ordre d'idées tout différent, comme Henri IV et Falstaff, par exemple. Ce dernier, avec sa joviale ironie, représente Shakspeare dans ses moments de belle humeur ou dans ce qu'il avait, au fond, de gaieté avec toute sa tristesse.
Nous ne savons rien de positif sur sa manière de travailler : il est presque certain, cependant, qu'il avait une imagination prompte et une grande facilité de composition; il écrivait au courant de la plume, diton, et ne raturait jamais. Nous verrons pourtant qu'il a considérablement retouché ou même refait entièrement quelques-uns de ses drames, et il est probable qu'il, consacra ses dernières années à ce travail de révision, interrompu par une mort prématurée. On a eu tort de dire qu'il ne songeait pas à la postérité : il a pu, à l'origine, n'avoir en vue que le succès du moment; mais il y a dans ses chefs-d'oeuvre une diction soignée, une versification pure et harmonieuse, qui supposent
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évidemment chez l'auteur la pensée qu'il ne sera pas seulement écouté, mais encore lu et relu.
En dehors de ses pièces de théâtre, il a laissé des poésies, justement admirées encore aujourd'hui, et qui sont l'oeuvre de sa jeunesse : son Adonis, sa Lucrèce et ses Sonnets. Son poème de Vénus et Adonis, qui est probablement sa plus ancienne publication, est une oeuvre qui déborde de lyrisme et de sensualité : la légèreté du fond s'explique par la fougue juvénile et passionnée de l'auteur, et aussi pat le goût et les habitudes du temps. La langue y est déjà pure, riche et harmonieuse. Le poème de Lucrèce est plus chaste, mais on y trouve davantage cette affectation, cet, euphuisme qui était alors à la mode chez les gens de cour et même dans la bourgeoisie. On y remarque déjà une profonde connaissance du coeur humain.
Quant aux Sonnets, nous savons qu'ils avaient été dérobés à l'auteur et publiés sans son aveu. Il n'en donna lui-même une édition qu'en 1690. On fait diverses suppositions à leur sujet : la plus vraisemblable est qu'il ne faut pas y chercher, comme on le faisait trop volontiers jusqu'à ces derniers temps, l'histoire intime du coeur et de la jeunesse de Shakspeare. Les maîtresses que chante le poète' nous font l'effet de ressembler à celles d'Horace et de tant d'autres poètes, et de n'être que des images de fantaisie; des créations de sa muse, auxquelles il se plaît à rendre hommage dans ses vers. S'il a eu, au fond, quelques attachements réels, il est difficile de les démêler aujourd'hui. Un illustre critique a même été jusqu'à dire que c'est l'ami du poète, lord Southampton, qui, selon le goût du temps, aurait été souvent représenté par lui sous les traits d'une maîtresse adorée. Quoi qu'il en soit, les sonnets de Shakspeare peuvent compter encore parmi les meilleures productions de ce genre en Angleterre, et ils ne doivent l'oubli relatif ou on les laisse qu'à l'éclat dont brillent les autres oeuvres du poète.
La popularité de Shakspeare, comme poète dramatique, fut, nous l'avons vu, immense de son vivant,
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comme le crédit dont il jouissait auprès des poètes et des grands; mais elle diminua rapidement après sa mort et finit même, dans le courant du XVIIe siècle, par s'évanouir entièrement. Il y eut d'abord le mouvement religieux et politique qui se développa sous Charles Ier, et qui détourna le public des oeuvres profanes : les puritains et la révolution firent oublier Shakspeare, et condamnèrent le théâtre en général, comme une invention de Belzébuth. La Restauration rouvrit les théâtres, mais le goût français domina pendant un siècle, et l'on ne voulut plus voir dans Shakspeare qu'un génie mal dégrossi, fort inférieur à ceux que suscitait alors en Angleterre l'imitation de Racine et de Crébillon. Ceux qui daignaient encore lire Shakspeare le goûtaient peu et ne le comprenaient souvent pas : Dryden, par exemple, déclarait que sa langue était « hors d'usage», et avait, de concert avec Davenant, la lumineuse idée de refaire quelquesunes de ses pièces. Ce ne fut qu'en 1725 que Pope donnait le signal d'une réaction, timide encore, en faveur du grand poète. Quarante ans après, Samuel Johnson était un peu plus hardi. Mais on n'osait encore lire ces drames que dans les éditions expurgées par les faux classiques du XVIIIe siècle, et on ne les jouait que rarement. L'acteur Garrick eut, le premier, le mérite de remettre en honneur le véritable texte de Shakspeare, et, depuis lors, l'admiration pour ses oeuvres et pour sa personne n'a fait que grandir en Angleterre, au point de devenir une véritable idolâtrie 1. Garrick avait eu l'idée, en 17159, d'organiser un jubilé en l'honneur de Shakspeare : ces sortes de fêtes nationales ont été célébrées, à diverses reprises, avec un éclat extraordinaire. Les autres pays de l'Europe et le Nouveau-Monde lui-même n'ont pas voulu rester en arrière, de sorte que la gloire de Shakspeare est aujourd'hui l'une des
1. Walter Scott a été l'un des plus fervents admirateurs du poète : on peut dire même qu'il a été, en Angleterre, l'un de ses meilleurs disciples au point de vue des peintures de moeurs.
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plus universellement acceptées. Le romantisme français et allemand a encore exagéré cette tendance, en proclamant Shakspeare son prophète et même son Dieu ; mais, si Tieck et Victor Hugo lui ont dû quelques-unes de leurs meilleures inspirations, on ne peut disconvenir que la plupart des romantiques lui ont fait le plus grand tort par leurs maladroites imitations, et auraient compromis sa gloire si elle avait encore été contestée. Chez nous, par exemple, on l'a sottement opposé à Racine, comme si deux génies aussi différents pouvaient être comparés entre eux. Aujourd'hui que les querellés du romantisme sont du domaine de l'histoire ancienne, on admire plus que jamais Shakspeare, sans cesser de rendre justice à Corneille et à Racine. La différence entre ces poètes n'est, du reste, pas si grande qu'on pourrait croire; elle lient surtout à la différence des temps et des personnages qu'ils ont peints : l'un a représenté avec une rare énergie les moeurs et les caractères du moyen âge, dans lequel ses contemporains avaient encore un pied pour ainsi dire; les autres ont mis sur la scène avec une grande puissance d'analyse et une exquise délicatesse la société si policée du XVIIe siècle; mais, sous les costumes et l'extérieur si divers de ces deux catégories de personnages, on retrouve également, chez l'un de ces poètes et chez les autres, la vive et forte peinture de l'homme en lui-même, la passion dans ses traits les plus généraux, la nature dans ce qu'elle a de plus universellement vrai. On a fait, depuis un demi-siècle, de nombreux et intéressants travaux sur la chronologie des pièces de Shakspeare. Voici la liste la plus autorisée, telle que l'a dressée le savant Malone, et comprenant toutes les productions dramatiques de notre poète par ordre de dates, de 1591 à 1614. 1 :
1. Nous n'avons adopté dans cette liste que les dates les moins contestées ; nous croyons inutile de faire entrer le lecteur dans le détail de toutes les controverses relatives à cette chronologie.
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I. Peines d'amour perdues.— 2. Les trois parties de Henri VI (1591). — 3. Les Deux Gentilshommes de Vérone. — 4. Conte d'hiver. — 5. Le Songe d'une nuit d'été. — 6. Roméo et Juliette (1595). — 7. La Comédie des méprises. — 8. Hamlet (1596). — 9. Le roi Jean (1596). —: 10. Le roi Richard II (1597). — II. Le roi Richard III (1597)- — 12. Henri IV, 1re partie (1997). — 13. Le Marchand de Venise (1598). — 14. Tout est bien qui finit bien. —- 15. Henri IV, 2e partie (1598).— 16. Henri V (1599). — 17. Beaucoup de bruit pour rien. — 18. Comme il vous plaira. — 19. Les Joyeuses Commères de Windsor (1601). — 20. Henri VIII (1601). — 21. Troïlus et Cressida. — 22. Mesure pour mesure. — 23. Cymbeline. — 24. Le roi Lear (1605). — 25. Macbeth (1606). — 26. La Mégère domptée. — 27. Jules César (1087). — 28. Antoine et Cléopàtre. — 29. Coriolan. — 30. Timon d'Athènes. — 31. Othello (1611). — 32. La Tempête (1611). — 33-La Douzième Nuit, ou Ce que vous voudrez.
Nous n'avons mentionné ici ni Périclès, ni Titus Andronicus, ni quelques autres pièces que l'on attribue parfois sans preuve suffisante à Shakspeare. Certains critiques ont déclaré apocryphes plusieurs des pièces que nous donnons comme authentiques ; d'autres ont exagéré dans le sens opposé, et admis trop légèrement des oeuvres douteuses. La difficulté vient de ce que treize pièces seulement furent imprimées du vivant de l'auteur ; les autres n'ont été publiées qu'en 1623 ; mais on peut s'en rapporter, semble-t-il, à cette édition, donnée, quelques années après la mort de Shakspeare, par son gendre..
On aurait tort de diviser les pièces de notre poète en comédies et tragédies : ces mots n'ont pas, quand il s'agit du théâtre anglais au XVe et au XVIe siècle, le sens que nous leur donnons aujourd'hui. Par comédies, Shakspeare. entendait désigner les compositions dramatiques dont le sujet était tiré du monde imaginaire; les tragédies étaient empruntées au monde
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réel, à l'histoire plus ou moins modifiée, même légendaire et fabuleuse.
Dans ces tragédies, il faut distinguer, en outre la tragédie proprement dite et le drame historique. C'est par ces drames ou histoires que Shakspeare a débuté, comme, la plupart de ses contemporains ; il à terminé par des tragédies, plus voisines du genre classique et sérieux adopté par notre théâtre au XVIIe siècle ; et c'est entre ces deux périodes de sa carrière que se place celle des comédies ou oeuvres de pure imagination. II est certain que sa vie extérieure a dû influer en quelque façon sur la chronologie de ses pièces, et qu'après s'être essayé dans les compositions les plus faciles, les drames historiques, le poète, dans toute la force de l'imagination et tout l'éclat de sa gloire naissante, s'est abandonné plus volontiers à Ia; comédie romanesque et fantastique, et qu'enfin, avec l'âge et des dispositions plus sérieuses, il s'est tourné de préférence vers la tragédie.
Comme il nous est impossible de passer en revue les trente-trois pièces de Shakspeare, nous nous bornerons à donner quelques renseignements généraux et des appréciations sommaires sur celles qui sont les plus connues et qui passent pour ses chefs-d'oeuvre. Nous adoptons pour cette revue l'ordre des matières, qui est le plus facile à suivre 1.
Drames historiques. — Ils sont tous tirés de l'histoire d'Angleterre et embrassent une période d'environ deux siècles et demi, depuis le règne de Jean Sans Terre jusqu'à celui de Henri VIII, le père même d'Elisabeth. On voit que le poète ne craignait pas de mettre l'histoire nationale sur le théâtre; il ne faisait, dit reste, que suivre en cela l'exemple de ses prédécesseurs et se conformer au goût de ses contemporains. Ce qui le caractérise surtout dans ces compositions, c'est son
1. Pour ceux qui veulent étudier le développement du génie de Shakspeare, il vaut mieux lire ses pièces dans l'ordre chronologique de leur composition, indiqué ci-dessus.
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admirable intelligence de l'histoire et la vérité parfaite avec laquelle il peint ses personnages. Il s'inspirait généralement des chroniques de Holinshed et de Froissart, et aussi des pièces déjà écrites sur les mêmes sujets par Marlowe et quelques autres. Mais son génie donne une vie nouvelle à ces chroniques, une forme supérieure à ces histoires de ses devanciers, et ses drames historiques sont souvent à la hauteur de ses plus belles tragédies.
Le roi Jean, par sa date, se place à une époque où Shakspeare avait déjà écrit quelques chefs-d'oeuvre : ce drame nous transporte en plein XIIIe siècle et nous retrace l'histoire des premières luttes entre l'Angleterre et la France. Philippe-Auguste envoie à Jean Sans Terre un ambassadeur chargé de réclamer la couronne au nom du jeune Arthur. Jean répond par une déclaration de guerre et débarque aussitôt en France, où les hostilités s'engagent devant Angers. L'âme de la coalition est la célèbre Constance, mère du prince Arthur. Tout à coup le roi de France abandonna ses protégés et fait la paix avec Jean, dont la nièce, Blanche, épouse le dauphin Louis. Cette alliance est presque aussitôt rompue, à la grande joie de Constance, par l'intervention du légat du pape : la bataille s'engage, les Français sont vaincus, et Arthur est fait prisonnier. Le roi Jean retourne en Angleterre, laissant sa mère Eléonore comme gouvernante des provinces de France; il confie la garde du jeune prince son neveu à l'un de ses plus fidèles serviteurs, Hubert, qu'il charge à mots couverts de le faire périr. Hubert se résigne à exécuter cet ordre et se dispose à crever les yeux au jeune prince; mais il se laisse toucher par les prières de cet enfant et consent à l'épargner. Cependant le dauphin Louis débarque en Angleterre, et, sur le bruit qu'Arthur a été assassiné, beaucoup de seigneurs anglais viennent se joindre à lui. Le roi Jean regretté le meurtre de son neveu, mais, au moment où il apprend qu'Arthur est vivant, celui-ci meurt en voulant s'échapper de sa prison. Jean lui-même meurt
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empoisonné, et les seigneurs révoltés se rallient autour de son fils Henri, que le départ du dauphin laisse seul maître de l'Angleterre 1.
Nous avons déjà dit que Shakspeare devine admirablement l'histoire ; si l'on ne trouve pas toujours chez lui l'exactitude matérielle des faits, on a du moins la vérité morale, que le poète atteint par sa profonde connaissance des ressorts cachés qui font mouvoir les événements et les personnages. Nul ne peint mieux que lui l'ambition des princes et leurs soudains revirements. Il condense les faits, il les rapproche et les rassemble dans un même cadre, et fait mieux voit ainsi le lien qui les unit. De là des scènes intéressantes à divers points de vue, tantôt d'une profonde observation, tantôt d'un pathétique achevé. Quelquesunes sont grossières et presque choquantes à force de vérité. Parfois aussi le poète abuse de l'érudition, de la recherche et du style fleuri. Mais que de beautés de premier ordre rachètent ces défauts ! On ne lira jamais sans émotion la scène entre Hubert et son jeune prisonnier, ou celle de la mort du roi Jean. Les caractères de ce roi, moitié chevaleresque, moitié astucieux ; de la reine Constance, type de la veuve et de la mère dévouée; du Bâtard de Faulconbridge, ce mélange de scepticisme et de dévouement, d'honneur et d'infamie; ceux du jeune Arthur, et même de Philippe-Auguste et de son fils, suffiraient à ranger ce drame au nombre des chefs d'oeuvre de la scène anglaise.
Mais on le néglige assez volontiers, parce que l'on ne peut pas tout lire dans Shakspeare, et que l'on a entendu admirer davantage Henri IV et Richard III, qui, en effet, lui sont supérieurs 2.
I. On remarquera que le poète ne fait pas la moindre allusion à la Grande-Charte : il ne s'astreint pas à suivre absolument l'histoire, et ce fait si important ne lui paraissait évidemment pas devoir rentrer dans son plan,
2. Il y a des scènes admirables aussi dans Richard II, dans Henri V et même dans Henri VI. dont l'authenticité a
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Nous nous bornerons à signaler dans les deux drames qui portent le nom de Henri IV le caractère généreux et chevaleresque de Hotspur, où l'on a cru découvrir certains traits du caractère de Shakspeare lui-même. Hotspur, c'est le gentilhomme primesautier, fidèle à l'honneur et à l'amitié, qui ne connaît aucun frein ni pour le devoir ni pour la passion, opiniâtre, indépendant, ami de la vérité, comique parfois à force de sincérité et d'emportement juvénile, héroïque à l'occasion et éloquent sans le vouloir, et d'autres fois plein de bons sens et de raison.
On a comparé aussi Shakspeare à Falstaff, le personnage comique du drame, mauvais sujet presque toujours aimable et dont l'humour est devenu, proverbial. Ivrogne accompli, il érige l'ivrognerie en vertu ; suffisant et fier de son esprit, il exploite et dédaigne ses semblables, mais ne parvient pas à se faire haïr ni mépriser malgré tous ses vices et toutes ses turpitudes. Il faut avouer que si Shakspeare a voulu se peindre sous les traits de Falstaff, au moins tel qu'il était dans sa première jeunesse, le portrait n'est guère flatté, malgré la sympathie du rire qu'il nous impose.
Nous serions plus tentés de voir, non pas un portrait, mais quelque ressemblance du poète, dans le caractère de Henri V : nous rencontrons le prince, héritier futur du trône, dès la fin de Richard II, où il joue le rôle d'un parfait mauvais sujet, mais qui a un fond réel de vertu et d'honnêteté ; il prélude à sa conversion en méprisant ses complices, puis, semblable à Titus, il comprend tout d'un coup, en arrivant au pouvoir, quelle tâche va lui être imposée. Devenu roi, il est le modèle de toutes les vertus, et nous le voyons, dans la pièce qui porte son nom 1, pratiquer la justice
été souvent contestée. On reconnaît la main du poète dans ce dernier drame, qu'il s'est peut-être borné à retoucher sur une pièce Antérieure de Greene ou d'un autre.
I. Shakspeare avait conçu à la fois le plan de ses drames de Richard II, Henri IV et Henri V, qu'il composa successivement, dans l'ordre même que l'histoire lui présentait.
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et l'humanité, reconnaître toutes les lois divines et humaines, prier Dieu sur le champ de bataille et le remercier après sa victoire, et se reprocher presque le crime de son père, la mort de Richard II, dont il demande pardon au Ciel pour en avoir recuelli le profit. Rarement un caractère historique a été présenté sur la scène avec des contrastes plus frappants et plus sympathiques, et cela suffît, indépendamment des autres mérites de Henri IV, à nous expliquer l'ancienne et durable popularité de ce drame.
Richard III n'est guère moins populaire :le nom et la figure de ce tyran remplissent tout le drame, pendant les quatorze ans que le fait durer le poète (de 1471 à 1485). Tout le monde, en France, connaît au moins l'épisode des enfants d'Edouard, que Casimir Delavigne a transporté sur notre scène. Nous voudrions, par quelques extraits, faire connaître aussi la physionomie du roi que Shakspeare a fait revivre avec une si farouche énergie. Encore simple prince du sang royal, au début de la pièce, du vivant de son frère Edouard IV et des héritiers légitimes du trône, Gloster (ou Glocester) se dévoile à nous dans un monologue célèbre, qui manque d'art, peut-être, mais qui a le mérite de nous mettre en quelques mots au courant de la situation :
« Moi, dit Richard, qui ne suis pas formé pour les jeux folâtres ni pour faire les yeux doux à un miroir amoureux ; moi qui suis rudement taillé, et qui n'ai pas la majesté de l'amour pour me pavaner devant une nymphe aux coquettes allures ; moi en qui est tronquée toute noble proportion ; moi que la nature décevante a frustré de ses attraits; moi qu'elle a envoyé avant le temps dans le monde des vivants, difforme, inachevé, tout au plus à moitié fini, tellement estropié et contrefait que les chiens aboient quand je m'arrête près d'eux : eh bien ! moi, dans cette molle et languissante époque de paix, je n'ai d'autre plaisir, pour passer les heures, que d'épier mon ombre au soleil et de décrire ma propre difformité. Aussi, puisque je ne puis être l'amant qui charmera ces temps beaux parleurs,
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je suis déterminé à être un scélérat et à être le trouble-fête de ces jours frivoles 1. "
L'hypocrisie de Richard égale sa scélératesse : il fait emprisonner son frère Clarence, et gémit avec lui sur cette captivité dont il est l'auteur. Il fait la cour à lady Anne, dont il finit par toucher le coeur ; mais c'est de lui-même qu'il est amoureux, et non de la princesse, et, tout fier de son succès, il s'écrie dans un de ces monologues où l'auteur se plaît à le peindre :
" A-t-on jamais courtisé une femme de cette façon ? A-t-on. jamais séduit une femme de cette façon? Comment! moi qui ai tué son mari et son père, la prendre ainsi au plus fort de son horreur, quand elle a la malédiction à la bouche et les pleurs dans les yeux, et près d'elle le sanglant motif de sa haine; avoir contre moi Dieu, sa conscience et ce funèbre obstacle ; pour moi, comme soutiens de ma cause, rien que le diable et d'hypocrites regards : et néanmoins l'obtenir ! Je gagerais mon duché contre le denier d'un mendiant que je me suis mépris, jusqu'ici sur ma personne. J'ai eu beau en douter : sur ma vie ! elle a découvert que je suis un homme merveilleusement agréable. Je veux faire la dépense d'un miroir et entretenir une vingtaine ou deux de tailleurs pour étudier les modes qui pareront mon corps. Puisque je me suis insinué dans mes propres faveurs, je ferai quelques petits frais pour m'y maintenir. En attendant que j'achète un miroir, resplendis, beau soleil, que je puisse voir mon ombre en marchant! "
Tour à tour allier et insolent, doux et humble, il sait se donner des airs d'honnête homme et même de victime :
« Plût à Dieu que mon coeur fût de roche comme celui d'Edouard, ou le coeur d'Edouard tendre et compatissant
I. Traduction de Fr.- V. Hugo. C'est à cet excellent interprète que nous empruntons la plupart de nos citations.
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comme le mien ! Je suis trop enfant; trop naïf pour ce monde ! »
Il repousse énergiquement toute idée d'ambition :
" Si j'étais roi, dites-vous? J'aimerais mieux être portefaix! Loin de mon coeur une telle pensée! "
Quand Edouard IV meurt, empoisonné par son frère, et qu'il réconcilie entre eux tous ses parents et ses amis, Richard fait naturellement plus de protestations que tous les autres :
« C'est pour moi la mort que d'avoir une inimitié; je hais cela, et je désire l'affection de tous les gens de bien. Je ne connais pas un Anglais vivant à qui j'en veuille plus, au fond de l'âme, qu'à l'enfant qui vient de naître: je rends grâces à Dieu de mon humilité, "
Le roi mort, l'ambitieux Gloster a déjà, un pied sur les marches du trône : avant de dépouiller ses neveux, il éloigne d'eux leurs défenseurs naturels, il fait emprisonner leurs oncles maternels, et trompe le jeune roi par les plus mielleuses paroles :
« Doux prince, la vertu immaculée de votre âge n'a pas encore plongé dans la perfidie du monde. Vous ne pouvez distinguer d'un homme que ses dehors ; et, Dieu le sait, ils s'accordent rarement, pour ne pas dire jamais, avec le coeur. Les oncles que vous voudriez ici étaient des hommes dangereux : Votre Grâce ne faisait attention qu'à leurs paroles sucrées et ne voyait pas le poison de leurs coeurs. Dieu vous garde d'eux et d'aussi faux amis! »
Plus il approche du but de sa convoitise, plus il mêle l'ironie à l'hypocrisie : on voit en lui un artiste tout joyeux du talent avec lequel il a joué son rôlé, et l'affectation de l'imprudence est désormais une de ses ruses. Après l'exécution des parents de la reine, il ne
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dissimule plus sa joie, mais ceux qui l'entourent n'en comprennent pas le motif : « Sa Grâce paraît joyeuse et bien disposée ce matin », dit Hastings, qui va tout à l'heure tomber sous ses coups.
« Il faut que mïlord ait en tête une idée qui lui plaît pour nous avoir dît bonjour d'un air si animé. Je crois qu'il n'y à jamais eu dans toute la chrétienté un homme qui puisse moins que lui cacher ses affections ou ses haines. Par sa figure, vous connaîtrez tout de suite son coeur. Il n'en veut assurément à personne ici ; car, si cela était, il l'aurait montré dans ses regards, »
Il trompe ainsi les grands et le peuple : il se fait nommer Protecteur malgré lui ; il refuse ensuite la couronne, et finit par l'accepter comme une charge, en homme esclave du devoir.
Mais la mesure de ses crimes est comblée : il a fait périr les enfants d'Edouard et tous ceux de leurs partisans qu'il a pu atteindre. Le comte de Richmond, qui sera Henri VII, a levé une armée contre lui et va triompher à Bosworth. Richard tombe avec une certaine grandeur qui nous permet, sinon de nous intéresser à lui, du moins d'assister sans trop de dégoût à ses derniers instants. De funestes visions l'ont inquiété un instant : il retrouve bientôt son audace et rassure ses soldats dans un langage qui doit leur plaire :
" Que le bégayement de nos songes n'effraye pas nos âmes ! La conscience n'est qu'un mot à l'usage des lâches, inventé tout d'abord pour tenir les forts en respect. Ayons nos bras vigoureux pour conscience et nos épées pour loi. En marche ! Sinon pour le ciel, emboîtons le pas pour l'enfer ! ».
Après la défaite, il pousse un cri de rage et de désespoir: « Un cheval.! un cheval! mon royaume pour un cheval ! » et tombe, frappé par Richmond,
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qui, sur le cadavre de son ennemi, proclame la fin de la guerre des Deux Roses1.
On regrette de ne pouvoir s'arrêter davantage sur des oeuvres de cette force, ni sur d'autres moins connues, et dont le mérite, quoique différent, est presque égal. Nous ne dirons rien de Henri VIII, sauf que le poète a semblé vouloir inaugurer dans ce drame une manière toute nouvelle : il rejette décidément tout ce qui pourrait sembler vulgaire et grossier, et se propose d'élever sa pièce à la hauteur majestueuse de l'histoire; il s'applique d'autant plus à creuser les caractères et à toucher les spectateurs par la profondeur du pathétique. On doit admirer aussi la délicatesse avec laquelle Shakspeare a su mettre sur la scène des événements et des personnages presque contemporains, sans choquer les idées ou les préjugés de son époque, mais aussi sans leur faire de lâches et pénibles concessions. Ce qui semble dominer ses appréciaiions, c'est un sentiment religieux, pur et désintéressé, vraiment chrétien, et dégagé de tout esprit de secte ou de parti 2. Nous ne savons si Elisabeth a vraiment commandé ce drame au poète ; mais le poète a traité son sujet tout autrement que la reine ne l'eût probablement désiré si elle avait pu le lui dicter. L'impartialité de l'auteur vient en aide à son génie et n'est pas un des moindres sujets de notre admiration.
Comédies. — Comme type de ce genre de pièces, où Shakspeare a produit tant d'oeuvres, admirables, telles que la Tempête, le Songe d'une nuit d'été, les Deux Gentilshommes de Vérone, les Joyeuses Commères de Windsor, etc., nous nous bornerons à donner ici la rapide analyse de celle qui passe généralement pour son chef d'oeuvre, le Marchand de Venise.
I. Le portrait de Richard III avait été tracé par Th. Morus dans son histoire de ce prince, dont la chronigue de Hall ne paraît avoir été que la copie pour cette partie de son récit.
2. Quelques auteurs ont prétendu, sans preuves suffisantes, que Shakspeare était ou avait été catholique.
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Elle est peut-être en date une des premières oeuvres du poète; elle remonte à coup sûr aux années de sa jeunesse 1. La matière lui en fut fournie par le Gesta romanorum, recueil, écrit en latin, d'anecdotes du moyen âge, et par un livre de nouvelles italiennes, Il Pecorone, du Florentin Ser Giovanni, imprimé pour la première fois en 15582. L'auteur a su faire rentrer dans une admirable unité les trois actions qui composent en réalité l'intrigue de cette comédie. Il y a d'abord, en effet, l'histoire d'Antonio et de Bassanio avec le juif Shylock : c'est le drame de l'amitié; Antonio répond d'une dette de son ami, au prix même de sa vie, devant un implacable ennemi. Puis vient l'histoire de Portia et de Bassanio, ou l'idylle de l'amour, qui se rattache étroitement à la première, puisqu'elle donne lieu au prêt d'argent qui cause l'infortune d'Antonio. Il y a enfin les amours de Lorenzo et de Jessîca, qui servent à mieux mettre en lumière la dureté de Shylock, père de Jessica. Tomes les scènes sont admirablement agencées entre elles ; on ne voit rien de pénible ni d'artificiel dans leur succession; tout, dans cette comédie, est naturel, gracieux et primesautier.
C'est, de plus, une des pièces les plus complètes de Shakspeare par l'intérêt qu'il a su attacher à tous ses
personnages sans exception. Nulle part ailleurs, peutêtre, le poète n'a creusé aussi profondément tous ses caractères.
D'abord se présente le mélancolique et aimable Antonio, le type de l'honnête homme et de l'ami dévoué.
dévoué. d'élite, et par suite mal à l'aise dans le
I. Nous avons donné plus haut la date de 1595 comme n'étant guère contestée. Certains critiques font pourtant remonter le Marchand de Venise jusqu'à 1594.
2. On trouve dans le recueil de Percy (Reliques of ancient english poetry) une ballade sur l'histoire du Juif et du marchand de Venise, qui offre de grandes ressemblances avec la comédie de Shakspeare. Il est très probable que cette ballade est postérieure à l'oeuvre de notre poète.
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monde pour tout, sauf pour l'amitié : c'était peut-être là la disposition d'âme de Shakspeare lui-même à l'époque où il composait sa comédie. L'éloge d'Antonio est dans toutes les bouches : même ruiné, ce marchand insolvable 1 est encore estimé de tous, et les plus indifférents s'intéressent à son malheur. Mais aussi comme il sait délicatement annoncer la catastrophe à ses amis et réclamer leur assistance!
" Cher Bassanio, écrit-il, tous mes vaisseaux ont péri ; mes créanciers deviennent intraitables; l'état de mes affaires est au plus bas ; le billet que j'ai fait au Juif (Shylock) n'a pu être payé à l'échéance, et, comme je ne puis me libérer sans cesser de vivrez toutes dettes entre vous et moi sont éteintes, pourvu que je vous voie avant de mourir. Quoi qu'îl en soit, suivez à cet égard votre propre inspiration : si votre amitié ne vous dît pas de venir, que ce ne soit pas ma lettre qui vous y engage. »
Or, c'est pour prêter de l'argent à Bassanio, amoureux de Portia, qu'Antonio s'est engagé vis-à-vis du Juif. Loin de le reprocher à son ami, devenu maintenant l'heureux époux de celle qu'il aimait, il le console et lui fait les adieux les plus touchants :
«Donnez-moi votre main, Bassanio; recevez mes adieux. Ne vous affligez pas de me voir réduit pour vous à cette extrémité : la fortune se montre pour moi plus indulgente qu'elle n'a coutume de le faire. Recommandez ma mémoire à votre épouse : dites-lui combien je vous aimais ; dites comment vous m'avez vu mourir, et, quand vous aurez terminé ce récit, demandez-lui s'il n'est pas vrai que Bassanio avait un ami. Ne vous reprochez pas la mort de cet ami : lui, il ne regrette pas d'acquitter votre dette, "
Non moins équitable que généreux, il reconnaît que son contrat avec Shylock, tout barbare qu'il est,
1. C'est de lui que la pièce tire son nom de Marchand de Venise.
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doit être exécuté, pour ne pas faire tort aux lois et au crédit de Venise. En présence de son bourreau, il fait preuve de patience et d'une noble fermeté. Puis, quand le juge a sauvé cette victime du dévouement et condamné le Juif, Antonio se montre plein de désintéressement et de charité envers son ennemi, qu'il ne veut pas laisser spolier à son profit.
Le rôle de Bassanio est moins touchant que celui d'Antonio, mais il ne manque pourtant pas de beauté. Dans ce couple d'amis, c'est lui qui est le plus aimé; dans cette société de dévouement, c'est lui qui reçoit; mais il est digne de dévouement et d'amitié. Au début, il contraste par sa gaieté avec la mélancolie d'Antonio; mais il oublie sa gaieté et son bonheur quand il apprend le malheur de son ami. Il veut se dévouer pour lui à son tour et le racheter au prix de son sang; mais la dureté du Juif lui refuse cette consolation
Portia, sa femme, est une des plus heureuses créations de Shakspeare : c'est un exquis mélange de grâce féminine et de juvénile enjouement avec une maturité parfaite de raison et une virile énergie. Une fois mariée, elle offre le type accompli de la femme anglaise, telle que Shakspeare aime à la peindre, pleine d'abnégation et de touchante soumission à son époux.
" Seigneur Bassanio, lui dit-elle, vous me voyez ici devant vous telle que je suis : pour moi, je m'en contenterais volontiers, et mes voeux ne vont pas beaucoup au delà ; mais pour vous je voudrais valoir soixante fois ce que je vaux, être mille fois plus belle, dix mille fois plus riche ; pour avoir plus de prix à vos yeux, je voudrais posséder en vertus, en beauté, en fortune, en amis, un trésor inépuisable. Toutefois la totalité de ce que je vaux est quelque chose encore : c'est, en somme, une jeune fille simple, naïve, inexpérimentée; heureuse d'être assez jeune encore pour être à même d'apprendre, et plus heureuse encore en ceci que son esprit docile se soumet humblement à votre direction, reconnaissant en vous son seigneur, son souverain, son roi. Moimême, et ce qui m'appartient, tout est maintenant à vous. »
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Son affection et son dévouement s'étendent aux amis de son époux : quand elle apprend le malheur d'Antonio, elle engage aussitôt Bassanio à tout sacrifier pour sauver son ami; elle fait même, sans hésitation, le sacrifice de se séparer à l'instant de lui ; et c'est elle qui, par un ingénieux artifice, parvient à sauver la situation. Elle se tire de son rôle d'avocat avec autant de raison que d'enjouement, et l'on pardonne volontiers au poète les quelques invraisemblances des dernières scènes pour s'adonner uniquement au plaisir d'admirer dans tout son jour un aussi brillant caractère.
Shylock offre le contraste le plus réussi avec tous les autres personnages de la pièce. C'est un caractère complet et minutieusement étudié. Le poète a eu soin de ne pas le rendre absolument odieux : si le Juif n'a jamais droit à notre sympathie, il nous force quelquefois à lui donner raison. Il y a d'abord chez lui la haine de race contre les chrétiens, tempérée seulement par l'avarice. Quand il accepte de Bassanio son billet sur Antonio, Shylock lui adresse quelques paroles d'une concision sèche et mordante, qui peignent déjà son caractère :
« Je veux bien acheter avec vous autres, chrétiens, vendre avec vous, causer avec vous, me promener avec vous, et ainsi de suite , mais je ne veux pas manger avec vous, boire avec vous ni prier avec vous.
Il se ravise pourtant : il accepte à dîner, et c'est par Saine de ceux qni l'invitent, « pour manger aux dépens du chrétien prodigue. » De même, quand on lui enlève son domestique Lancelot, il se réjouit en pensant que c'est « un gros mangeur et un mauvais travailleur », qui aidera Antonio à se ruiner. On voit que Shakspeare tempère d'avance l'odieux par le comique, et permet ainsi au spectateur de respirer de temps à autre au milieu des émouvantes péripéties de la pièce.
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Shylock est animé contre Antonio d'une haine implacable, d'abord parce que ce marchand est chrétien et l'a souvent insulté, puis parce que ce chrétien est ennemi de l'usure et lui a déjà quelquefois enlevé ses victimes. Il a sa religion à lui, ses scrupules et même des motifs de ressentiment presque légitime contre Antonio. Il est éloquent et sardonique dans ses invectives :
« Seigneur Antonio, souvent au Rialto vous vous êtes moqué de mes opérations financières et de mon usure ; je n'ai fait qu'en lever les épaules, et j'ai tout supporté patiemment, car souffrir est le partage de notre nation. Vous me traitiez de mécréant, de chien enragé, et vous crachiez sur mon manteau de Juif; et cela parce que je fais usage de ce qui m'appartient. Or, il paraît que maintenant vous avez besoin de moi ; vous venez à moi, et vous me dites : Shylock, nous voudrions de l'argent. Voilà ce que vous me dîtes, vous qui me crachez sur la barbe et qui me chassez à coups de pied comme un chien, étranger : vous me demandez de l'argent. Que doisje répondre? dois-je vous dire : Est-ce qu'un chien a de l'argent? est-ce possible qu'un chien puisse prêter trois mille ducats? Ou bien dois-je m'incliner profondément, et, d'un ton servile, d'une voix basse et humble, dois-je vous dire : Mon Veauseigneur, mercredi dernier vous m'ayez craché au visage; tel autre jour, vous m'avez chasse à coups de pied ; tel autre, vous m'avez appelé chien : en retour de tant de courtoisie, je vais vous prêter mon argent. »
Antonio répond :
« Il est probable que tu me verras encore te donner ces noms-là, te cracher au visage et te chasser à coups de pied. Si tu veux prêter cet argent, ce n'est pas à des amis que tu le prêteras, mais à un ennemi ; et s'il manque à son engagement, tu en auras meilleure grâce à déployer contre lui toutes les rigueurs de la loi. »
Cette dureté envers le Juif est la seule ombre au portrait d'Antonio : sans parler, comme l'ont fait
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certains, critiques, de revendication en faveur d'une race proscrite, on peut dire que Shakspeare a voulu justifier dans une certaine mesure la haine du Juif et son acharnement féroce contre son débiteur. Cela est si vrai, que, dans une autre scène, Shylock fait entendre des récriminations vraiment justes et éloquentes contre les chrétiens :
" II a ri de mes pertes, il s'est moqué de mes gains, a insulté ma nation, contrarié mes opérations, refroidi mes amis, échauffé mes ennemis : et pourquoi? Parce que je suis Juif. Un Juif n'a-t-il pas des yeux? un Juif n'a-t-il pas des mains, un corps, des sens, des affections, des passions? N'est-il pas nourri des mêmes aliments, blessé par les mêmes instruments, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes moyens, refroidi par le même hiver, réchauffé par le même été qu'un chrétien? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas? Si vous nous lésez, ne nous vengeons-nous pas? La perversité que vous m'enseignez, je la mettrai à exécution, et, si je le puis, je surpasserai mes maîtres ! »
Il s'applique en effet à cette vengeance, et il y estpassé maître : au début, en faisant souscrire le billet, il a trompé Antonio par une apparente bonhomie, qui fait dire plaisamment au jeune homme : « Ce Juif se fera chrétien.» Une fois le billet échu, Shylock fait éclater l'odieuse joie que lui causent les malheurs d'Antonio ; son acharnement ne connaît plus de bornes; il est impitoyable, et, parmi ses injures à Antonio prisonnier, il lui reproche surtout d'avoir prêté de l'argent gratis. Devant le doge, devant tous ceux qui le supplient, il reste inflexible : il éprouve une joie farouche quand arrive le moment de l'exécution; il lui échappe même une exclamation dont la naïveté fait rire, malgré le caractère tragique de la scène, lorsque Portia, déguisée en avocat, commence par lui donner raison: « Nous avons un Daniel pour juge!» s'écrie plusieurs fois le Juif ravi, avec son habitude de citer à tout propos des noms et des histoires bibli-
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ques. Quand il est condamné, il paraît se résigner assez vite ; mais on comprend sans peine qu'il est frappé au coeur : il se sent mal et demande à se retirer. Comme père, il n'est pas moins odieux ni moins comique. Le poète a voulu justifier la fuite de sa fille Jessica, qui se fait enlever par. Lorenzo. Ce qui afflige Shylock dans cet événement, c'est la perte des bijoux et des ducats que sa fille lui a dérobés, et sa situation comme ses plaintes ressemblent beaucoup à celles de l'Harpagon de Molière. Il aime si peu son enfant, qu'il se console de sa perte en apprenant la banqueroute d'Antonio. Aussi est-on disposé à excuser Jessica, qui, dès le début, ne témoigne que de l'aversion pour son père. Malgré son impartialité relative envers les Juifs, il semble que le poète ait voulu refuser à cette race proscrite même les douceurs de la paternité.
Nous regrettons de ne pouvoir nous arrêter un instant sur les autres personnages, Gratiano, Lorenzo, Lancelot, qui ont chacun leur originalité, ni citer quelques-unes des scènes où le poète s'élève aux plus hautes conceptions philosophiques et morales : c'est par de telles scènes que le Marchand de Venise est surtout une comédie dans le sens que nous attachons à ce mot. Les nombreuses beautés que l'on découvre en lisant et en relisant ce chef-d'oeuvre doivent nous rendre indulgents pour ses quelques défauts, comme l'invraisemblance et la banalité du dénoûment, et l'abus de la mythologie et de l'euphnisme, dont l'auteur n'a pas toujours su s'affranchir ; ou plutôt on oublie ces imperfections pour se laisser aller tout entier au charme particulier et continu que nous cause cette lecture1.
1. Le Marchand de Venise est écrit tantôt en prose, tantôt envers, comme, du reste, beaucoup de pièces de Shakspeare. Ici les scènes comiques sont généralement en prose, et les scènes d'amour ou dramatiques, en vers, qui appartiennent déjà, malgré la date assez ancienne de la pièce, à la meilleure manière du poète.
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Tragédies. — Les compositions auxquelles nous donnons ce nom se rapprochent, si l'on veut, des drames historiques, en ce qu'elles ont presque toujours un fond emprunté à l'histoire. Ce qui fait leur différence, c'est que les unes laissent un libre champ à l'imagination, tandis que, dans les autres, le poète est toujours plus ou moins asservi à la vérité historique. Cette distinction s'applique même aux tragédies de Coriolan, de Jules César, d'Antoine et Clèopâtre, où Shakspeare s'est largement dégagé des entraves historiques qui pouvaient le gêner. Ajoutons à cela que les tragédies rapportent en général des événements anciens ou étrangers à l'Angleterre, et nous aurons ainsi établi une ligne de démarcation suffisante entre ces pièces et les drames tirés de l'histoire nationale1.
Sauf Roméo et Juliette et Hamlet, les tragédies de Shakspeare sont postérieures à 1600, et appartiennent par conséquent à la dernière période, de son activité littéraire. Mais ces deux premiers-nés de sa musé tragique révèlent déjà toutes les grandes qualités que l'on admirera plus tard dans le roi Lear, dans Macbeth, dans Jules César et dans Othello, Nous devons même ajouter que Roméo et Juliette témoigne de plus de jeunesse dans l'imagination, de plus de fraîcheur dans le sentiment de l'amour, que tous les drames suivants.
L'histoire de ces deux jeunes gens, séparés par des haines de famille, rapprochés, par une sainte passion, et réunis, après de cruelles épreuves, dans un même tombeau, a été fournie au pot te par une Nouvelle italienne, la Giuletta, publiée à Venise en 1535, six ans après la mort de son auteur, Luigi da Porto. La
1. Quelques critiques admettent une quatrième classe de compositions dramatiques chez Shakspeare : les féeries, comme le Songe d'une nuit d'été, la Tempête, etc. Nous croyons avoir suffisamment expliqué plus haut pourquoi nous les rangeons parmi les comédies, c'est-à-dire les oeuvres de pure imagination, où l'histoire n'a rien à voir.
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même Nouvelle fut reprise en 1559 par un moine italien, Matteo Bandello, et en 1558 par un Français, Pierre Boisleau, qui refit en partie le roman primitif et en changea le dénoûment. C'est ce dernier récit qui fut introduit en Angleterre, dès 1523, par Arthur Broke, et traduit littéralement en 1567 par William Paynter. Cette même histoire avait fourni déjà la matière d'une pièce espagnole de Lope de Vega, les Castelvins et les Montèses, qui se termine de la manière la plus heureuse et en même temps la plus comique, et qui est en réalité la parodie du roman dont Shakspeare a fait le drame. Ajoutons encore que Dante a nommé dans son Purgatoire (chant VI) les Montecchi et les Capelletti comme deux familles irréconciliables; mais le poète anglais n'avait pas lu l'auteur de la Divine Comédie.
Le vrai sujet de la tragédie de Shakspeare, c'est le triomphe de l'amour sur la haine. Cette opposition entre la passion des jeunes gens et les inimitiés des familles explique le caractère de mélancolie répandu sur toute l'oeuvre, et dont Roméo est l'expression la plus frappante. Un célèbre critique, W. Schlegel, apprécie en termes presque lyriques cette tragédie de l'amour, comme il l'appelle :
« Ce que l'on trouve d'enivrant dans le souffle d'un printemps méridional, ce qu'il y a de mélancolique dans le chant du rossignol et de voluptueux dans l'épanouissement de la première rose : tout cela respire dans le poème de Roméo et Juliette. »
Cette oeuvre n'est pas moins admirable par la rapidité avec laquelle se succèdent les événements et les impressions, et par l'harmonie générale qui résulte des contrastes. La moralité y est irréprochable, quoi qu'aient pu dire certains critiques, comme Samuel Johnson : elle se trouve dans la réconciliation finale des deux familles.
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Le style en est excellent; les vers, gracieux et brillants, sont souvent ornés de rimes, comme pour rendre hommage aux habitudes italiennes 1. On y trouve, il est vrai, des concetti, des jeux de mots et d'esprit; mais ce n'est pas seulement ici un sacrifice que l'auteur faisait à l'euphuisme : on peut y voir un dessein arrêté, l'intention qu'il avait d'imiter les poètes italiens, de donner de la couleur locale à sa tragédie, en empruntant le style brillant des sonnets ; il devient, du reste, plus sobre et même sévère à mesure qu'approche le terrible dénoûment. Ne peut-on pas dire aussi que ce sont là les défauts de l'âge puéril, et que les deux amants sont encore des enfants? ou bien encore que la passion la plus vraie s'exprime toujours avec quelque recherche? Mais, sous l'afféterie même du style, on retrouve toujours le sentiment, la passion, et c'est ce qui distingue Shakspeare des auteurs froids qui ont écrit de même, sans avoir rien senti.
Hamlet paraît être de la même époque que Roméo et Juliette : quelques critiques ont même cherché à prouver que cette tragédie avait été le coup d'essai de Shakspeare en 1584, et qu'elle fut refaite par l'auteur en 1594 ou 1596 et retouchée encore pouf l'impression en 16042. Le sujet en est pris dans un récit du chroniqueur français Belleforest, qui, vers le milieu du XVIe siècle, racontait, avec force détails et longueurs, « comment le prince Amleth vengea le meurtre de son père Horwendille sur son oncle Fengon. " Cette chronique, empruntée à une ancienne histoire du Danemark, de Saxo Grammaticus, fut presque aussitôt traduite en anglais, et c'est dans cette traduction, ou du moins dans des fragments de cette
1. Cette remarque, comme quelques autres qui suivent, est empruntée à la brillante étude de Guizot intitulée Shakspeare et son temps..
2. Un des principaux arguments que l'on invoque pour l'ancienneté de cette tragédie est le nom de Hamnet (ou Hamlet) donné par Shakspeare à son fils, né en 1584.
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traduction publiés avant elle, que Shakspeare a pris le sujet de son drame.
La principale différence entre la légende et la tragédie consiste dans la manière dont chacune raconte l'assassinat du père de Hamlet. En admettant que le meurtre de ce prince par son frère n'est connu de personne, Shakspeare amène l'admirable fiction du spectre et la scène où Hamlet donne ses conseils aux comédiens. Ou comprend que, dans ces conditions , la scène des acteurs ne doive pas être considérée comme un hors-d'oeuvre : il importe beaucoup au jeune prince que l'action inventée par lui soit bien représentée, puisque l'effet produit par elle doit lui donner la preuve de la culpabilité de son oncle.
Une autre différence, capitale aussi, entre la chronique et le drame, c'est que, dans l'une, Hamlet n'attend qu'une occasion pour tuer son oncle, tandis quedans l'autre, il trouve cette occasion et ne veut pas en profiter, parce que le roi est en prière et que son meurtrier l'enverrait au ciel : Hamlet, qui a beaucoup médité sur la vie à venir, veut se donner une vengeance complète et envoyer le tyran tout droit en enfer, c'est-à-dire le tuer à un moment où il ne soit pas occupé à se réconcilier avec Dieu.
Shakspeare a aussi ajouté à la légende les personnages de Polonius, d'Ophélia et de Laërtes : il a surtout donné une grande importante à ce dernier rôle, auquel il rattache tout le dénoûment.
On lui a reproché le caractère sanglant de ce dénoûment ; mais il faut songer à l'époque où se passe la scène, époque où régnait encore la loi du talion. Quant au rôle de Fortinbras, on ne peut lui reprocher d'être épisodique : il y a là une conception vraiment dramatique, une conclusion tout à-fait naturelle de cette sombre tragédie, qui consiste à nous montrer un prince étranger conduisant le deuil de toute la famille royale du Danemark.
Le caractère de Hamlet a été supérieurement analysé
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par les plus grands critiques, notamment par Goethe, dans son roman de Wilhelm Meister. D'après le poète allemand, le jeune prince, avant la mort de son père et les autres malheurs qui le frappent, avait une nature délicate et excellente, disposée à la vertu et à la sagesse; mais il tombe dans une condition misérable, lui qui était élevé pour le trône, et il devient aussitôt mélancolique et dégoûté de la vie. Le mariage de sa mère ajoute encore à cette tristesse. Dès lors, sa mélancolie le rend passif et inerte, jusqu'au moment où l'apparition de son père lui prescrit un terrible devoir. Ce devoir est trop pénible pour une âme naturellement faible comme celle de Hamlet : il hésite longtemps à le remplir, et ce sont précisément ces hésitations qui font l'intérêt de son caractère.
Nous nous bornerons à cette simple et rapide appréciation : Hamlet est à Coup sûr le drame de Shakspeare qui a été interprété le plus diversement, et, comme le caractère du jeune prince fait pour ainsi dire le fond même de toute la tragédie, c'est sur lui que porte toute la diversité des interprétations. Les critiques postérieurs à Goethe ont peut-être exagéré en disant que Shakspeare avait fait son propre portrait en traçant celui de Hamlet : ce qui est vrai, c'est qu'il y a là un caractère moderne, rêveur, sentimental, presque romantique, auquel le poète a souvent prêté ses propres sentiments, et surtout ses idées philosophiques et même littéraires.
Parmi les autres tragédies de Shakspeare, toutes fort connues en France, ne serait-ce que par les imitations de Ducis à la fin du siècle dernier, nous ne citerons ici, en terminant, que Macbeth et Othello.
On considère souvent Macbeth comme le chefd'oeuvre de Shakspeare : c'est au moins une de ses plus fortes études psychologiques. Le poète nous y montre admirablement comment le crime s'introduit dans une âme pure jusque-là, et quels ravages il peut y exercer 1.
I. Nous renvoyons le lecteur, pour cette pièce comme pour
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L'histoire de ce personnage écossais à moitié fabuleux, qui remonte au XIe siècle, avait été racontée par Holinshed, d'après la chronique d'Hector Boëce, et chantée, avant Shakspeare, par les vieilles ballades de l'Ecosse 1. On aurait tort de compter cette pièce au nombre des drames historiques de Shakspeare ; l'intérêt de cette tragédie ne tient nullement au récit des événements, qui, d'ailleurs, n'ont rien d'historique, mais à la terreur qui en est le ressort principal. Autant vaudrait donner le nom de drames historiques au roi Lear et à Hamlet, qui sont, eux aussi, des tragédies dans toute la force du terme.
Othello, qui, d'après Malone, est de 1611, remonterait, d'après beaucoup d'autres critiques, à une date bien plus ancienne (1604 ou même 1602) 2. Le titre complet de cette tragédie, tel que le donne Shakspeare lui-même, est : Othello ou le More de Venise. Le sujet en est pris dans un recueil de contes de Giraldi Cinthio, intitulé Hecatommithi, dont une Nouvelle, relative à Othello, donne les principaux détails du drame. Shakspeare n'a fait que prendre pour ainsi dire au récit italien la charpente extérieure de sa pièce : c'est lui qui a créé les caractères et leur a même donné leurs noms.
Othello est, avec Roméo et Juliette, la seule tragédie où Shakspeare ait peint uniquement les souffrances de l'amour ; mais Othello laisse une impression terrible, tandis que Roméo et Juliette ne cause qu'une douce
les autres, à l'analyse si fine et si complète qu'en a donnée M. Mézières dans son volume intitulé Shakspeare.
1. Pour les scènes où paraissent les sorcières, Shakspeare s'est probablement servi d'un livre de Reginald Scot, sur la sorcellerie, paru en 1584.
2. Il est à peu près incontestable que la première représentation d'Othello a eu lieu devant le roi Jacques Ier le 1er novembre 1604; mais ce drame n'a été imprimé qu'après la mort du poète, en 1622 d'abord, puis en 1623 dans l'édition complète de ses oeuvres.
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tristesse : cela tient à ce que, dans le premier de ces drames, l'auteur ne montre pas, comme dans le second, l'amour rendu malheureux par la faute des circonstances, mais par sa propre faute et par la méchanceté humaine. Les types créés par le poète dans cette tragédie sont dans toutes les mémoires : Othello ou l'aveuglement de la jalousie, Iago ou l'habileté dans la scélératesse, Desdémone ou l'innocence dans ce qu'elle a de plus pur et de plus ignorant du mal. Contentons-nous de faire remarquer que la Zaïre de Voltaire, qui est une imitation d'Othello, reste bien au-dessous de son modèle : l'Orosmane français n'est qu'un Othello affaibli, gratuitement odieux et inexcusable, car il n'aime pas avec la farouche énergie du More, et il n'est point poussé au crime par un Iago 1.
D'après tout ce qui précède, on pourra, nous l'espérons, se faire une idée générale des oeuvres et du génie de Shakspeare. Une courte esquisse de sa vie nous a permis de constater que le grand poète n'avait reçu qu'une éducation peu complète; qu'il n'avait guère voyagé, et que ses études avaient été fort ordinaires ; mais, par la rapide analyse de ses chefs-d'oeuvre, nous avons pu voir qu'il a deviné ce qu'il n'a pas appris, et que, grâce au don divin du génie, il a toujours deviné juste 2.
Obligé trop souvent de sacrifier au jargon des grands seigneurs ou au langage trivial de la foule, il se retrempe à chaque instant aux sources pures de l'imagination et de l'idéal, et va souvent aussi s'inspirer des vieilles ballades populaires, contemporaines de la naissance même de la poésie, et sources poétiques par excellence.
Aussi Shakspeare est-il arrivé d'un bond aux limites de la perfection dramatique : s'il avait, des modèles,
1. Villemain, Littérature française au XVIIIe siècle, 9e leçon.
2. La remarque est de Villemain, qui dit avec son exquise finesse : « Le goût est suppléé chez lui par un instinct délicat qui lui fait deviner ce qu'il ignore. »
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il les a éclipsés au point de les faire oublier; s'il n'a pas connu de règles, il en a inventé pour son usage et est devenu pour ses successeurs une règle toujours ■vivante. On a dit qu'il violait trop souvent la loi de l'unité dramatique : nous ne saurions souscrire à ce jugement, car, malgré tous ses changements de scènes et ses licences chronologiques, on ne peut méconnaître la parfaite unité d'action qui préside à ses drames.
Accordons. à ses critiques que son art est. très différent de celui des classiques français; mais gardonsnous de dire qu'il n'a pas connu les lois suprêmes de l'art ! Son art, à lui, c'est de prendre la vie humaine dans son ensemble et dans ses détails, et de la transporter sur la scène avec une puissance d'imagination et une fidélité de peinture que l'on ne trouve chez aucun autre poète. Chez lui, tout concourt à l'effet dramatique, même la gaieté, même la trivialité; et l'on peut expliquer et justifier ainsi la place importante qu'il donne, dans la plupart de ses drames, aux scènes populaires, aux personnages subalternes ou comiques. C'est qu'il s'agissait, pour le poète, de représenter la vie humaine tout entière; c'est que Shakspeare s'identifie avec ses personnages, et qu'il a vécu, agi, parlé avec eux.
Mais ne croyons pas non plus pour cela que ces tableaux, si complets, soient superficiels, et qu'à force de vouloir nous montrer les hommes, Shakspeare ait négligé de peindre l'homme ; il l'étudie à fond, il fouille son coeur, il nous introduit dans son âme, dont nous voyons jouer devant nous les ressorts les plus cachés. C'est là surtout qu'est le mérite de la conception dramatique de notre poète : il a observé les grandes passions, il les a peintes avec une force de vérité qui n'exclut jamais la délicatesse des nuances. Si les moeurs de ses personnages nous paraissent peu modérées et leurs caractères souvent forcés, c'est qu'il a pour ainsi dire concentré dans le coeur de ses héros toute l'énergie vitale dont ils étaient capables : chaque : mot fait deviner.une pensée, une passion, une action ; Hamlet,
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Richard III, Macbeth et tant d'autres sont chacun le type accompli d'un caractère, qui se développe dans la vie du drame, sous nos yeux, avec une vérité qu'il n'atteindrait pas dans la vie réelle. Chaque passion se revêt d'une enveloppe vivante, qui lui ôte tout ce qu'elle a d'abstrait, pour ne plus laisser à notre esprit que l'image d'un être agissant, un Roméo, une Cléopâtre, un Othello. L'effrayante énergie qu'il donne à ses criminels vient de ce qu'il a, par l'imagination, pénétré au fond de leur coeur; et s'il les représente avec plus de noirceur qu'ils n'en ont eu en réalité, c'est qu'il a refait leur vie et leurs sentiments en les soumettant à l'inflexible logique de leurs passions.
Quant aux personnages que lui fournissait l'histoire, il a su, aussi bien que les autres, les élever à la hauteur des caractères tragiques : tout en respectant en général les données historiques, il a voulu nous montrer, dans l'âme de ses héros, les causes mêmes des événements et des grandes catastrophes ; l'étude psychologique est pour lui la lumière de l'histoire, et, à ce point de vue, nous pouvons dire, sans crainte de paraître exagérer, que Shakspeare est le plus philosophe des poètes dramatiques. Aussi ses drames historiques ne sont-ils pas seulement des monuments élevés à la gloire de son pays, comme jadis ceux des grands tragiques grecs : ce sont des leçons de morale et d'histoire à l'usage de tous les peuples et de tous les temps.
Ses comédies sont toutes également remarquables par la préoccupation morale qui n'abandonne jamais Shakspeare. Elles ne se distinguent guère de ses drames sous ce rapport : partout le poète s'y montre moraliste aussi piquant que profond; il connaît la vie humaine; il nous donne les meilleures règles de conduite en même temps que les plus fines observations sur les moeurs et le caractère de l'homme. Il ne se permet jamais la moindre atteinte aux lois sacrées et éternelles de la famille, de la société, de la religion. La femme est l'objet de son respect, et le
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poète semble s'être appliqué, sauf de rares exceptions, à ne nous montrer que des types de femme gracieux et purs, dont la beauté est toujours entourée de l'auréole de la vertu.
Le style de Shakspeare, malgré les défauts dont nous avons eu occasion de parler déjà, ne mérite pas les critiques qui lui sont parfois adressées. Nous aurions tort de le juger avec notre goût français : nous pourrions souvent le trouver forcé lors même qu'il est naturel. En lisant Shakspeare, on doit se mettre, comme il le faisait lui-même, à la place des personnages qu'il fait parler, et dont le langage se ressent nécessairement de leurs passions. D'ailleurs, une imagination telle que la sienne demandait une langue riche, exubérante comme elle ; et quand on songe à ce qu'était la langue anglaise au XVIe siècle, on ne peut qu'admirer davantage l'homme de génie qui a su se créer une langue digne de lui 1.
SECTION III. — Contemporains et successeurs de Shakspeare. — Il serait injuste, après avoir admiré comme il convient le plus grand poète dramatique de l'Angleterre, de ne pas arrêter un instant notre attention sur les poètes secondaires qui, de son vivant ou après lui, ont fait des tentatives parfois heureuses pour illustrer la scène nationale. De ce nombre sont, pour ne citer que les principaux, Marston, Chapman, Dekkar, Webster, Ben Jonson, Beaumont et Fletcher, et surtout Massinger. John MARSTON (1599-1633), célèbre aussi comme
1. Pour ceux qui voudraient lire des appréciations plus détaillées sur Shakspeare, nous les renvoyons, outre les études déjà citées de Guizot et de M. Mézières, au second volume de l'Histoire de la littérature anglaise de M. Taine. Bien que nous n'ayons pas toujours adopté les vues de ce brillant critique, nous ne pouvons nous empêcher de témoigner ici notre admiration pour les pages hardies et neuves qu'il a consacrées au grand poète.
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poète satirique, et par ses querelles avec Ben Jonson, avait un talent réel pour la comédie, qui dégénère pourtant trop souvent chez lui en satire et se ressent trop de l'amère indignation du poète contre les vices du temps (le Mécontent, le Parasite, Ce que vous voudrez). Marston, mort très jeune, n'a pas eu le temps de développer son talent dramatique ; il a laissé pourtant une tragédie estimable, Antonio et Mellida.
George CHAPMAN (1557-1634-), plus connu par ses odes imitées des anciens et par sa traduction d'Homère et d'Hésiode en vers anglais, semble, dans ses compositions dramatiques, avoir pris Marlowe pour modèle, et se distingue surtout par le naturel de son style. Il manque de passion dans ses tragédies, qui ont une couleur trop philosophique; ses comédies sont spirituelles et humoristiques (Tous sont fous, les Larmes de la veuve, etc.).
Thomas DEKKAR OU DEKKER (mort en 1640) est un auteur fécond, humoristique, et qui sait émouvoir à l'occasion; comme Marston, il eut une célèbre querelle poétique avec Ben Jonson. Outre ses drames et ses comédies, il a écrit un certain nombre de morceaux satiriques, en prose, où il raille avec finesse les ridicules de ses contemporains.
John WEBSTER, dont les succès ne datent que de 1598, est de beaucoup supérieur aux précédents. Simple tailleur à Londres, il parvint à charmer toute une génération par ses drames, dont le plan est défectueux comme chez la plupart de ses contemporains, et dont les caractères sont souvent grossiers et sauvages, mais où l'ontrouve en grand nombre des scènes passionnées et fortement rendues. Ses pièces les plus connues sont la Duchesse de Malfi, le Diable blanc, Victoria Accorambona 1, Appius et Virginie.
On peut lui reprocher, plus encore qu'à ses contemporains, de rechercher l'horrible et souvent même
I. Le dramaturge allemand Tieck, au commencement de ce siècle, a imité ce drame en en conservant le titr.
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l'extravagant ; maïs du moins ses personnages ont, dans l'audace et dans le crime, une énergie qui ne laissé pas d'inspirer une certaine admiration : telle est, par exemple, sa Victoria Accorambona. Dans la Duchesse de Malfi, où l'auteur a entassé les situations sombres et affreuses, il y a des scènes d'une tristesse touchante et grandiose, comme celle de la mort de la duchesse. En somme, Webster est un génie dramatique inculte, mais vigoureux, à qui ont manqué le goût naturel et l'éducation.
Ni l'un ni l'autre ne firent défaut à BEN JONSON, dont le vrai nom est Benjamin JONSON (1574-1937) ; mais il n'eut pas autant d'inspiration que quelques-uns de ses contemporains. Il fut d'abord soldat, puis comédien, se lia d'une étroite amitié avec Shakspeare, et, après quelques essais malheureux, finit par obtenir un légitime succès avec sa comédie de Chacun son caractère (Every man in his humour) sa 1599. C'est dans la comédie qu'il excella surtout (le Réveil de Cinthia, 1600, où il attaque le luxe et la vanité de la cour ; le Poètastre, contre les vieux poètes dramatiques; Volpone; l'Alchimiste; la Femme silencieuse, etc.); mais sa première oeuvre en ce genre, Chacun son caractère, est encore la meilleure : c'est peut-être la plus ancienne comédie domestique de quelque valeur qui ait été jouée en Europe. On y trouve une grande Variété de caractères, une rare simplicité d'intrigue et des incidents moins entachés d'extravagance que partout ailleurs. Dans ses autres comédies, il est plus souvent vulgaire et grossier. Il a composé bon nombre d'intermèdes et de masques ou pièces lyriques et allégoriques, fort à la mode de son temps, mais qui ne nous offrent aucun intérêt. Dans le drame, il se sépare de Shakspeare et se met à la tête d'une nouvelle école, plus spécialement historique, dont les pièces ont déjà quelque ressemblance avec la tragédie classique, telle qu'on la cultivera vers la fin du siècle. On peut dire, sans être injuste, que Ben Jonson n'avait pas le génie tragique; même dans la Chute de Séjan (1603) et dans
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Cataline ou Catilina (1611), où il a essayé d'employer le choeur, on ne trouve que peu de situations intéressantes et pathétiques, malgré leur caractère sombre et triste : il y excelle davantage dans la peinture de l'amour, qu'il présente en général avec une rare délicatesse. Il avait, du reste, un talent lyrique très réel et a écrit d'excellentes poésies légères, qui se trouvent;en partie intercalées dans ses.masques et ses interludes, en partie publiées à part, sous forme de pièces très courtes. Il avait beaucoup appris des anciens; mais il n'atteint pas toujours leur grâce, même dans sa. pastorale du Triste Berger, qui passe pour son chef-d'oeuvre en ce genre. On a encore de lui des épigrammes, des épîtres imitées d'Horace, et même une grammaire anglaise, fort estimable pour l'époque. Ces nombreuses productions, et le talent réel que dénotent la plupart d'entre elles, permettent de souscrire, au moins dans une certaine mesure, à l'éloge un peu emphatique gravé en guise d'épitaphe sur sa tombe.: O rare Ben Jonson !
On a l'habitude de toujours citer ensemble les noms de BEAUMONT et de FLETCHER, qui, en effet, ont donné à l'Angleterre un des premiers exemples d'une association littéraire et d'une collaboration vraiment fraternelle.
John FLETCHER (1576-4625) était l'aîné, et pourtant c'est lui dont l'imagination, plus active et plus riche, était chargée de fournir à la communauté les sujets, les intrigues, les caractères ; le plus jeune des deux, Francis BEACMONT (1585-1615), qui ne, vécut pas trente ans, était doué d'une rare maturité d'esprit, et c'est lui qui retouchait et coordonnait les détails, revoyait le style et donnait le dernier coup de main à l'ensemble. On comprend que, dans une carrière aussi courte, les deux amis n'aient pas eu beaucoup de temps à perdre pour pouvoir produire ensemble cinquantedeux drames et comédies ; aussi travaillaient-ils sans relâche; même dans leurs promenades et leurs excursions. C'est ainsi qu'il leur arriva, dans une auberge,
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une aventure analogue à celle dont MIle de Scudéri faillit être victime plus tard, à propos d'un roi qu'ils voulaient tuer, roi de théâtre, bien entendu, et que l'on prit pour le roi régnant, Jacques Ier.
Beaumont et Fletcher se rattachent à l'école de Ben Jonson par le soin qu'ils prennent de choisir leurs sujets dans l'histoire; ils se rapprochent de Shakspearepar la profondeur de l'observation, le caractère tragique de leurs situations, la moralité de leurs dénoûments et le ton de bonne société de leurs dialogues. Mais ils imitent encore trop les drames espagnols; la composition de leurs pièces est généralement défectueuse, les caractères mal tracés, et le style peu soigné, ce qui s'explique de reste par la rapidité avec laquelle ils écrivaient. Malgré les beautés réelles mêlées à tous ces défauts, leurs tragédies, encore populaires un siècle après leur mort, ne sont plus jouées ni même lues depuis lors : cela tient à ce que leur langue est obscure et vieillie. On cite, parmi les meilleures, the False One (ou l'Imposteur), le Frère sanglant, la Tragédie de la jeune fille, Boadicée, etc.
Leurs comédies sont souvent grossières, et ne méritent même pas d'être mentionnées. Fletcher a laissé anssi un drame pastoral, dont il fut seul l'auteur, et intitulé la Bergère fidèle : cette pièce, imitée du Pastor fido de Guarini, n'eut pas de succès d'abord, mais réussit après la mort de l'auteur, au point que Milton s'en inspira pour son Cornus. « On y trouve un mélange de tendresse, de pureté, d'indécence et d'absurdité qui caractérise parfaitement Fletcher. »(Hallam.)
Bien au-dessus de tous les poètes précédents brilla et brille encore Philippe MASSINGER (1584-1639), digne héritier de la gloire de Beaumont et Fletcher, et, jusqu'à un certain point, de celle de Shakspeare. Imitateur, lui aussi, des autos espagnols, il tombe parfois dans l'invraisemblance ou dans la caricature ; mais il a plus de verve et de force dramatique que ses contemporains. Il avait commencé par aider d'autres poètes dans leurs travaux pour le théâtre ;
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ce n'est guère qu'en 1020 qu'il commença à écrire pour son propre compte. Ses pièces, au nombre de trente-huit, n'ont jamais été toutes imprimées, et leur succès fut arrêté de bonne heure par l'invasion de l'esprit puritain, au point que Massinger, qui passa toute sa vie dans la gêne, mourut pauvre et délaissé. Ses tragédies, dont les plus célèbres sont la Vierge martyre et le Duc de Milan, sont généralement impossibles à représenter, soit à cause de l'invraisemblance des sujets, soit à cause de la crudité de certains épisodes. Dans son Duc de Milan, il peint la passion portée chez l'homme jusqu'au paroxysme; dans sa Vierge martyre, où il semble s'être inspiré de Caldéron, il montre la piété poussée chez la femme jusqu'au sacrifice, et l'on dirait que sa religion se ressent du fanatisme espagnol de son modèle. Dans la comédie, il est surtout satirique; il a tracé, avant Molière, dans son Tuteur, le caractère de l'hypocrite, mais non encore enveloppé, comme Tartufe, dans le manteau de la religion. Sa meilleure pièce, intitulée Nouvelle Manière de payer de vieilles dettes, figure encore aujourd'hui au répertoire des théâtres anglais. Pour en finir avec cette période si fertile en poètes dramatiques, nous citerons encore, mais bien au-dessous des précédents : John FORD (1586-1640), qui affectionne plus qu'un autre l'horrible et l'invraisemblable, mais dont quelques tragédies sont parsemées de beautés de premier ordre, comme son Perkin Warbeck et son Frère et Soeur; puis, Thomas MIDDLETON, dont les tragédies et les comédies furent jouées entre 1602 et 1630 ; enfin, James SHIRLEY (1594-1666), qui fut d'abord maître d'école à SaintAlbans, écrivit pour le théâtre, entra au service de la reine Henriette, reprit son école sous le Protectorat, et mourut oublié sous Charles II. Ses trente-neuf pièces témoignent d'une grande connaissance de la scène, d'une certaine imagination et d'intentions fort morales. Ses comédies valent mieux que ses tragédies : de ce nombre est le Joueur (the Gamester). Il a laissé aussi
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une tragi-comédie estimée, le Gentilhomme de Venise. Nommons encore, si l'on veut, George WILKINS, auteur d'un Mariage forcé; Thomas MAY, auteur d'une Cléopâtre ; DAVENANT , qui écrivit avant et après la guerre civile, et dont les drames comme les poésies lyriques n'ont pas une grande valeur : nous aurons ainsi, non pas épuisé, mais du moins suffisamment effleuré la liste des nombreux auteurs dramatiques dont les oeuvres ont défrayé la fin du XVIe et la première moitié du XVIIe siècle1.
§ III. — La Prose.
La prose, bien que représentée durant cette période par quelques grands noms, n'est pas à la hauteur de la poésie ni surtout du théâtre, soit pour le nombre, soit pour la valeur des écrivains. Elle a encore quelque peine à se dégager de la poésie, avec laquelle ses traditions et ses tendances la confondent encore trop souvent. Ce n'est qu'avec les philosophes qu'elle commence à prendre une allure un peu plus indépendante; et encore ces philosophes, quand ils s'appellent Bacon et Taylor, ressemblent-ils beaucoup à des poètes.
L'histoire n'existe pas, pour ainsi dire : elle se borne à la relation de chroniques plus ou moins fabuleuses, avec HOLINSHED (mort en 1580), dont l'ouvrage fournit à Shakspeare le sujet de la plupart de ses drames historiques. Avec d'autres, elle ressemble encore trop à un exercice de rhétorique : tel est le caractère des écrits de Richard HOOKER (15531600), un des pères de l'Église anglicane, dont la Police ecclésiastique (1594), véritable monument d'érudition profane et sacrée, renferme quelques idées libérales en matière politique à côté de longues et
1. Parmi ceux que nous omettons, se trouve Francis QUARLES, dont nous avons parlé plus haut à propos de la poésie philosophique. (Voir p. 28.)
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inutiles digressions, écrites du moins dans un style pur et clair ; —de William CAMDEN (1551-1623), qui publia en 1586 un ouvrage latin, bientôt après traduit en anglais, et intitulé Britannia, vaste compilation, intéressante parfois et toujours consciencieuse, sur l'histoire et les origines de la Grande-Bretagne et de l'Irlande; — de Walter RALEIGH (1552-1618), cet aventureux capitaine, ce brillant courtisan, poète à la fois et historien 4, qui fut décapité sous Jacques Ier pour un complot dont il était probablement innocent. Pendant sa captivité de quatorze ans à la Tour de Londres, il écrivit divers traités de politique et une grande Histoire du monde, parue en 1614, et remarquable surtout dans les parties consacrées à la Grèce et à Rome. D'autres ouvrages de lui, comme ses Lettres, ne parurent qu'après sa mort. Tous ses écrits en prose se distinguent par des pensées philosophiques, des réflexions brèves et serrées, un style simple et concis. Comme poète, il était surtout remarquable dans la chanson et semble à tort oublié aujourd'hui : ses admirateurs disaient, de son temps, qu'il avait dans la chanson et l'ode amoureuse a une veine haute, fière et passionnée ». Ajoutons que Raleigh, comme la plupart de ses contemporains, eut le tort de ternir de brillantes vertus par des moeurs beaucoup trop libres.
Nous ne pouvons que mentionner les noms de quelques autres historiens, tels que Robert COTTON, qui était surtout un érudit et a rassemblé de précieuses collections de documents; — MELVIL (15501606), le conseiller privé de Marie Stuart, qui a laissé des Mémoires sur cette reine; — BURLEIGH (1560-1598), ministre et confident d'Elisabeth, et dont on a des Discours et des Dépêches ;— John SPEED, auteur d'ouvrages souvent bien écrits sur l'histoire et
I. On a vu plus haut que Raleigh, ami de Shakspeare, de Ben Jonson, de Beaumont et de Fletcher, avait fondé avec eux le club poétique de la Sirène.
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la géographie de l'Angleterre; — James HOWELL (1596-1668), dont les Lettres historiques (1645) sont encore estimées, mais dont les autres ouvrages appartiennent à la période suivante. (Voir au chap. IV, p. 112.)
La philosophie, qui commence alors à employer la langue vulgaire, jette le plus vif éclat avec des écrivains tels que Bacon, Burton, Selden, Hobbes, Taylor et Browne.
François BACON, chancelier d'Angleterre, baron de Vérulam et vicomte de Saint-Alban (1561-1626), est un des grands noms de la littérature en même temps que de la philosophie : outre son vaste ouvrage sur la Restauration des sciences (Instauratio magna), qui fut écrit en latin et dont fait partie sa Rénovation de la méthode (Novum Organum), publiée seulement en 1620, on a de lui de nombreux ouvrages, écrits en anglais, sur l'histoire, la politique, le droit, l'enseignement. Sa vie s'est écoulée en grande partie au XVIe siècle, cette époque agitée par les événements les plus graves, où les hommes d'Etat avaient tant d'occasions de recevoir les leçons de l'expérience. Bacon avait commencé par consigner ses réflexions dans des Essais moraux, économiques et politiques, qui ont été négligés à tort pour ses écrits scientifiques. C'est un ouvrage court, mais varié, où il applique la méthode expérimentale aux faits de l'histoire, de la morale et de la politique, et où il se montre avant tout homme de sens pratique, essentiellement positif, comme nous disons aujourd'hui. La préface est de 1597 : l'auteur n'avait alors que trente-six ans ; mais la plupart des Essais ont été revus par lui dans la suite, ce qui explique la parfaite maturité de ses jugements. On a, en outre, de Bacon une Histoire de Henri VII, qui manque d'impartialité, un traité sur le Progrès et Avancement de la science (1605), son roman de la Nouvelle-Atlantide, etc. Dans ceux de ses ouvrages qui sont écrits en anglais, le style se distingue par sa couleur poétique, " sa concentration et sa splen-
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deur » (Taine), et a moins vieilli que n'a fait chez nous celui de Montaigne, son contemporain ; aussi Addison et d'autres critiques l'admiraient encore au siècle dernier.
Les idées de Bacon intéressent surtout le philosophe et l'économiste : nous nous bornerons à dire ici qu'elles se font toujours remarquer par la précision, la netteté, et aussi par la prudence et la modération. En politique, Bacon est assez volontiers partisan du pouvoir absolu, tempéré par la vertu du prince et » surtout par son intérêt ; il adopte à peu près les principes de Machiavel, ce qui ne doit pas nous étonner si nous songeons à l'époque tourmentée où il a vécu. Dans quelques chapitres sur la politique extérieure, sur la vraie grandeur des royaumes, etc., on reconnaît déjà un des précurseurs de Montesquieu. En morale, il est rigoriste et prononce d'avance sa propre condamnation , lorsqu'il juge sévèrement les concussionnaires : on sait qu'il fut, malheureusement avec raison, poursuivi et condamné comme prévaricateur à la fin de sa carrière, et l'on regrette d'avoir à montrer ainsi un beau génie en opposition, dans sa conduite, avec ses nobles principes.
Robert BURTON (1576-1640) est bien plus poète encore que Bacon dans son vaste et bizarre ouvrage intitulé Anatomie de la mélancolie, qui parut en 1621, et qu'il signa du pseudonyme de Democritus Junior. Burton était un savant et un penseur, qui mena une existence studieuse et solitaire au collège du Christ, à Oxford ; superstitieux à l'occasion, il passe pour avoir annoncé l'heure de sa mort et s'être tué pour ne pas mentir; mélancolique et tourmenté par une humeur noire que rien ne pouvait distraire, il résolut d'analyser son mal et d'écrire, pour se soulager, le résultat de ses observations. Mais, en réalité, son Anatomie n'est qu'une oeuvre d'érudition quintessenciée, amusante par endroits, et qui peut encore intéresser aujourd'hui, grâce aux étranges histoires que l'auteur avait compilées dans la bibliothèque Bodléiènne d'Ox-
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ford ; les réflexions ingénieuses abondent dans ce curieux ouvrage, qui eut un immense succès à l'origine, au point que l'éditeur réalisa une fortune. Le style en est bizarre, mais piquant : Samuel Johnson l'admirait outre mesure ; en réalité, la prose de Burton est bien loin encore d'avoir les qualités vraiment classiques que l'on admire chez les écrivains de l'âge suivant.
John SELDEN (1594-1654), légiste éminent et promoteur des idées libérales et modérées dans le Long Parlement, sous Charles Ier, n'a plus évidemment aujourd'hui la popularité dont il jouissait de son temps : ses. Propos de table sont pourtant une oeuvre pleine de bon sens et de finesse.
Thomas HOEBES (1588-1679), non moins célèbre comme philosophe matérialiste que comme théoricien du pouvoir absolu, commença en 1628 à publier une série de traités pour engager le peuple anglais à ne pas diminuer l'autorité royale. Le plus connu d'entre eux, le Léviathan, ou du pouvoir ecclésiastique et civil (1651), est une longue démonstration en faveur de la monarchie, considérée comme la seule forme de gouvernement capable de donner de la sécurité aux peuples, et en faveur aussi de l'Église établie, qu'il regarde comme le complément et l'auxiliaire indispensable du pouvoir civil. Ses Éléments de philosophie ne parurent qu'en 1658. On a encore de lui un Traité du citoyen, écrit en latin, et une traduction assez estimée de Thucydide.
On ne doit pas s'étonner de nous voir classer Jérémie TAYLOR (1603-1667) parmi les philosophes plutôt qu'au nombre des théologiens. Cet aumônier de Charles Ier, dont les Sermons sont encore admirés aujourd'hui, a été plus connu de son temps pour un certain nombre de traités, moitié philosophiques, moitié religieux, qu'il écrivit pour défendre non seulement l'Église établie et la foi chrétienne, mais aussi les idées de tolérance, que tout le monde ne partageait pas à cette époque. Ses meilleurs ouvrages en ce
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genre sont sa Liberté de prophétiser et ses Exercices pour une bonne mort. Dans ses traités comme dans ses sermons, on trouve une imagination de poète analogue presque à celle de Shakspeare,
" C'est, dit M. Taine, l'auteur qui représente le mieux l'alliance de la Renaissance et de la Réforme dans ce qu'elle a de louable : il est royaliste et anglican convaincu, prédicateur plein de feu et d'imagination. Il n'y a chez lui ni goût, ni méthode, mais un fouillis de métaphores et d'images, de descriptions qui, toutes, sont d'une saisissante vérité. Ses Sermons sont pleins de la plus riche poésie, qui, chez lui, coule de source, grâce à sa profonde conviction. »
Thomas BROWNE (1605-1682) appartient encore à cette période, mais il est presque le dernier, par ordre de dates, dans la génération qui produisit Shakspeare et Taylor. Il a écrit, dans une prose énergique, peu élégante et parfois même barbare, mais qui a son charme, divers traités de philosophie morale, dont les plus connus sont sa Religion d'un Médecin (1635), ses Erreurs vulgaires (1646), son Hydriotaphia ou discours sur les urnes sépulcrales. Toutes ces oeuvres sont originales, mais souvent paradoxales et surtout monotones par leur mélancolie : sa Religion eut un grand succès, et est encore vantée par les critiques.
« Nul penseur ne témoigne mieux de la flottante et inventive curiosité du siècle. Nul écrivain n'a mieux manifesté la splendide et sombre imagination du Nord. Il est surtout poète quand il parle de la mort et de la vanité des choses humaines 1. Le trait principal de son caractère, c'est la curiosité insatiable, accumulant les questions et les conjectures avec l'aide d'une prodigieuse érudition : par ses idées et ses doutes, il
1. Principalement dans l'Hydriotaphia, où il part de la découverte de quelques urnes funéraires pour s'étendre sur le néant de la gloire et des entreprises de l'homme.
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appartient à la Renaissance ; son imagination est d'un homme du Nord, et son érudition du moyen âge 1. »
Ajoutons que Browne, dont le caractère était égoïste et peu aimable en somme, paraît avoir flotté constamment entre le catholicisme et la Réforme.
Un auteur à peu près oublié aujourd'hui, François GODWIN (1561-138), nous paraît devoir être vengé de cet injuste dédain : il est un des précurseurs de Swift, avec son roman intitulé Voyage de Gonzalez à la lune, où il émet, au milieu de fictions parfois bizarres, un certain nombre d'idées justes, ingénieuses ou profondes. Godwin, qui fut, vers la fin de sa vie, évêque de Hereford, a probablement éprit son roman vers 1600, à l'époque où il était professeur à Oxford ; mais cet ouvrage ne fut publié qu'après la mort de l'auteur, en 1638. L'idée lui en avait été donnée sans doute par la lecture de la Vraie Histoire, de Lucien, de l'Utopie, de Morus, et de la NouvelleAtlantide, de Bacon; il a servi de modèle, dans la suite, à des fictions analogues de Cyrano de Bergerac en France, et de Swift et de Defoë en Angleterre. Le plus grand tort de son Homme dans la lune (comme on l'appelle vulgairement) est d'être écrit dans un style un peu lourd et d'avoir trop de passages longs et ennuyeux. Le même Godwin, qui était fort érudit, écrivit aussi une Histoire des èvêques d'Angleterre, assez estimée de son temps.
Pour compléter l'énumération des principaux prosateurs de cette période, nommons encore deux romanciers ou nouvellistes : Arthur BROOKE, qui, le premier, introduisit en Angleterre, vers 1622, l'histoire de Roméo et Juliette, d'après la nouvelle italienne de Bandello, remaniée en français par Pierre Boisteau ; et Reginald SCOT, auteur d'un livre intitulé la Sorcellerie dévoilée, paru en 1584 , et où Shakspeare a probablement trouvé le sujet de Macbeth. Cet
1. Taine, Histoire de la littérature anglaise.
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ouvrage, rempli de citations grecques, atteste chez son auteur une certaine érudition; mais, outre sa science, Scot avait aussi du jugement, et il se fit beaucoup d'ennemis en voulant prouver par son livre que le diable ne pouvait pas changer le cours de la nature. Il aurait donc quelques droits à être rangé parmi les philosophes 3.
I. Nous avons omis à dessein John BAECLAT (1582-1621)) qui n'a écrit qu'en latin : ses poésies satiriques et surtout son roman politique de l' Argents (1621) lui ont acquis une réputation durable; l'Argenis, surtout, publié en latin à Paris, fut bientôt traduit dans plusieurs langues.
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CHAPITRE. IV
LA RÉPUBLIQUE ET LA RESTAURATION (1649-1688).
Cette période peut passer pour une époque de transition : elle nous offre quelques grands noms, ceux de Milton et de Dryden, de Bu'nyan, de Locke; mais, en généra, la littérature anglaise, durant ces quarante années, semble vouloir renoncer à la vigueur d'imagination et à l'heureuse originalité de l'âge précédent, pour arriver à la correction un peu sèche et à la régularité artificielle qui la distingueront pendant une partie du XVIIIe siècle. Quelques-uns dus génies qui ont illustré cette période semblent plutôt continuer la tradition du siècle d'Elisabeth que se rattacher à l'école française de la Restauration : celle-ci domine surtout dans l'ensemble et paraît vouloir s'imposer par le nombre bien plus que par le mérite de ses représentants.
§ Ier. — La Poésie.
Avant d'étudier la vie et les oeuvres de Milton et de Dryden, en qui se personnifient le mieux les deux tendances opposées de cette époque, il nous paraît nécessaire d'énumérer d'abord les poètes les plus connus qui ont suivi l'un ou l'autre courant, et qu'il est difficile de grouper autour d'un nom unique ou d'un système bien défini.
Samuel BUTLER (1612-1680) a eu le mérite peu estimable de se faire le champion Je la Restauration et de bafouer les puritains après leur défaite. C'est en 1663
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qu'il commença la publication de son poème héroïcomique de Hudibras, dont la troisième partie ne parut qu'en 1678. Cette oeuvre qui, malgré son caractère grossier et la pauvreté de son comique, obtint un succès éclatant et assez durable en somme, contribua pour sa bonne part à discréditer le fanatisme des indépendants ; mais la Restauration ne récompensa même pas le poète pour le service qu'il lui rendait, et Butler mourut dans une telle pauvreté, qu'un de ses amis dut payer les frais de ses funérailles. Le poème de Hudibras a depuis longtemps perdu son intérêt, qui était tout d'actualité, et, comme il n'a ni l'esprit ni le style qui conviennent à la poésie légère, on ne le lit plus guère que par curiosité historique. Butler a écrit aussi d'autres poésies, non moins grossièrement satiriques, et qui sont tombées dans un oubli encore plus complet.
Le genre burlesque a été cultivé, sans beaucoup plus de succès, par un autre poète de ce temps, Charles COTTON (1660-1687), dont le Virgile travesti manque absolument de sel. Il en est de même d'André MARWELL (1620-1678), ami de Milton et zélé défenseur de la cause populaire, dont les satires sont grossières et insipides, mais qui a mis assez de goût et de sentiment dans ses poésies lyriques, et une certaine éloquence dans ses discours politiques. Roger LESTRANGE (1616-1704), journaliste et pamphlétaire, est tout aussi indécent et trivial dans ses Fables d'Esope, satire dont l'ingénieuse conception et la raillerie souvent assez vive assurèrent pendant quelque temps la popularité.
C'est surtout à la cour de Charles II, après la Restauration, que se rencontrent des poètes, bien doués d'ailleurs, mais dont l'esprit, mal réglé, se laisse aller aux plaisanteries les plus déplacées et ambitionne les succès du plus mauvais aloi. De ce nombre sont les poètes grands seigneurs, plus connus aujourd'hui par leurs mauvaises moeurs que par leurs écrits ; Buckingham, Waller, Dorset, Rochester, Roscommon.
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Le plus en vogue et celui dont le talent était le plus réel fut George Vilîiers, duc de BUCKINGHAM (1227-1688), favori de Charles'II et adversaire poétique de Dryden, qu'il persifla dans son excellente comédie de la Répétition (the Rehearsal, 1671) : Cette parodie eut le mérite de faire renoncer au genre absurde du drame héroïque, fort en vogue à cette époque. Dans ses poésies légères, Buckingham s'applique à chanter tous les sujets, surtout l'amour, sans y rien mettre de lui-même, sauf les obscénités, qui sont fréquentes, et le style, qui est parfois excellent.
Edmond WALLER (1605-1887) est peut-être le type le plus achevé de ces poètes de la monarchie des Stuarts, qui, « vides d'idées, corrects et un peu pédagogues, passent leur temps à faire de jolies conversations en vers, ou encore à traduire les poèmes d'autrui, à rimer des Arts poétiques et autres poèmes didactiques » (Taine). Ce grand seigneur au caractère assez versatile, qui fut membre du Long Parlement et courtisa tour à tour Charles Ier, Cromwell et Charles II, était neveu de Philip Sydney, qu'il imita sans succès dans quelques-uns de ses poèmes. Ses poésies lyriques, dont la plupart sont des sonnets amour reux adressés à Sacharissa (la comtesse de Sunderland), pèchent toujours par l'affectation et la froideur, ce qui ne les empêcha pas d'être fort estimés de ses contemporains. Vers la fin de sa vie, Waller chanta des sujets religieux, soit dans ses odes, soit dans ses poèmes didactiques de l'Amour divin et de la Poésie divine; mais il y est aussi fade et aussi maniéré que dans les oeuvres de sa jeunesse. Son mérite presque unique consiste dans la correction et l'élégance, qui ne l'abandonnent jamais.
Charles Sackville, comte de DORSET (1637-1707), dont les moeurs étaient aussi détestables que celles de ses amis, a été un protecteur généreux des lettres et un poète élégant et gracieux, dont les vers furent, aussi à la mode pendant la Restauration. On ne peut lire ses satires qu'avec dégoût ; ses épigrammes sont
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assez bonnes, et l'on cite encore de lui une Ballade nautique restée populaire.
Le comte de ROCHESTER (1848-1880) est également immoral et sceptique, et pourtant correct, élégant et froid : il aurait excellé dans la satire, s'il avait pu contenir ses habitudes ordurières. Mais on trouve dans ses oeuvres quelques poésies légères, chansons ou épigrammes qui feraient honneur à un poète de premier ordre. Ses Lettres familières ont de Paisance et sont écrites dans une prose déjà classique.
Vient enfin l'Irlandais Wentworih, comte de RosCOMMON (1333-1684.), que nous ne devrions peut-être pas mettre en si mauvaise compagnie, s'il ne s'y était mis lui-même. Il est supérieur à ses amis par les moeurs et le caractère, et même par le goût et le talent. Ses poésies, publiées avec celles de Rochester, sont élégantes et bien écrites, et, si l'on n'y trouve guère la vérité du sentiment ou la vigueur de la pensée, on n'y relève pas du moins de passages choquants, et l'harmonie comme la correction ne leur font jamais défaut. Roscommon a aussi écrit un Art poétique, où il se montre digne d'Horace, et c'est lui qui, avec Dryden, élabora le plan d'une Académie anglaise.
Nous voici déjà presque en pleine école classique : avant d'arriver à Dryden, qui personnifie cette évolution de la littérature anglaise, nous pouvons nommer encore un poète qui semble ressentir plus que d'autres la nouvelle tendance : c'est John POMFRET (1707-1703), auteur d'épîtres estimables et d'un poème didactique populaire jadis, qui ne se lit plus depuis longtemps, et qu'il intitula le Choix. Plus qu'un autre il prouve par son exemple combien le public d'alors, chez nos voisins d'outre-Manche, se faisait une fausse idée de la poésie, et combien les meilleurs esprits devenaient, à ce point de vue, les complices du public.
DRYDEN. — John DRYDEN (1631-1700), né d'une famille distinguée du comté de Northampton, avait
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eu le bonheur de recevoir une éducation particulièrement soignée, d'abord dans la maison paternelle, puis à l'école de Westminster et enfin à l'université de Cambridge. Peu après la restauration de Charles II, il s'établit à Londres comme poète et dramaturge de profession, et y devint poète lauréat en 1688, à la mort de Davenant. Le reste de sa vie fut studieux et rangé, comme l'avait été sa jeunesse, et il n'est que juste de le mettre au-dessus des autres écrivains de la Restauration, pour son goût du travail et la régularité de ses moeurs. Il avait, disent ses amis, un caractère aimable et enjoué, peut-être un peu vaniteux, et c'est ainsi qu'il eut la faiblesse, pour plaire à ses contemporains, de composer quelques écrits licencieux qui jurent avec la pureté de sa conduite privée. Des juges plus sévères l'accusent de s'être montré versatile et d'avoir flatté tour à tour Cromwell, Charles II et Jacques II. Ce qui lui valut peut-être le plus d'ennemis sur la fin de sa carrière, c'est qu'il embrassa la religion catholique et fit l'apologie de sa foi nouvelle, apologie à laquelle Prier répondit dans une parodie fort spirituelle.
Ses manières paraissent avoir été nobles et aisées, grâce à ses fréquents rapports avec les grands et la cour ; mais il n'eut pas la même aménité vis-à-vis de ses confrères, avec lesquels il engagea souvent des querelles littéraires, philosophiques et même théologiques ; il se fit accuser, par exemple, de nourrir des sentiments de haine et de jalousie contre deux mauvais poètes, oubliés depuis longtemps, Shadwell et Settle : il eut le tort de leur donner une certaine importance par le nombre et la violence de ses attaques.
Comme poète lyrique, Dryden vaut mieux que la plupart de ses contemporains : on admire encore aujourd'hui cette Ode sur la fête de sainte Cécile où il chante en vers si harmonieux la puissance de la musique et le charme de l'harmonie. Mais d'autres odes, où il s'attache trop aux événements Contemporains, nous laissent bien indifférents. C'était, du reste,
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le tort habituel de Dryden de demander à l'actualité une inspiration qui n'était que rarement soutenue par une profonde conviction. Le système poétique adopté par lui, d'ailleurs, et qu'il avait emprunté aux écrivains français du siècle de Louis XIV, contribuait encore à rogner les ailes à son imagination, et l'enfermait dans le cercle étroit des compositions morales et philosophiques. C'est ainsi qu'il a voulu réfuter le déisme dans son poème métaphysique intitulé la Religion d'un laïque, en opposition à la Religion du médecin, dont il a été parlé plus haut2.
En fait de poésie morale, ses narrations comiques et ses satires sont encore ce qu'il a fait de mieux : les premières, qu'il a intitulées Fables, sont des contes souvent empruntés aux littératures étrangères, et qui ne manquent pourtant pas, à l'occasion,d'une certaine originalité. Les autres ont parfois de la verve, mais on regrette d'y trouver aussi des sentiments peu généreux et des vengeances trop personnelles. II avait préludé à ce genre de compositions en traduisant les satires de Perse et de Juvénal 2. Ajoutons que, si Dryden a été mordant et agressif dans la satire, il a été, lui aussi, vivement attaqué, et même quelquefois sans avoir le dernier mot, comme il arriva pour la comédie parodique de Buckingham, the Rehearsal 3. . C'est comme poète dramatique que Dryden acquit le plus de réputation ; il brilla au théâtre, de son vivant, plus qu'aucun de ses rivaux, et ceux-ci ne purent porter atteinte à sa gloire en cherchant à démontrer, ce qui était vrai, que Dryden imitait et copiait à l'excès Shakspeare et les tragiques français. Ses oeuvres dramatiques, en réalité, sont aussi médiocres que nombreuses : il avait le sens critique, mais peu d'imagination, et ne put jamais adopter,
1. Voir ci-dessus, p. 84.
2. Il a donné aussi une traduction en vers de Virgile et de quelques parties d'autres écrivains anciens.
3. Voir plus haut, p 89.
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pour ses drames, une ligne de conduite nette et définie. Il avait donné, dès 1962, le signal d'une prétendue réforme dramatique, qui consistait à modifier la poésie de l'âge précédent, en essayant de l'adapter aux idées et aux moeurs de son époque. C'est ainsi qu'il se permettait de refaire avec Davenant quelques drames de Shakspeare, dont il trouvait l'idiome hors d'usage autant que les conceptions bizarres ; ou bien il s'emparait, des inventions mêmes de Shakspeare, et les gâtait pour les accommoder à la scène de la Restauration : telles sont sa pièce intitulée Tout pour l'amour, ou le monde bien perdu, et quelques autres, où il supprime la passion et remplace le style énergique de son devancier par un langage élégant et fleuri. De là un théâtre plein de disparates (l'Amour lyrannique, Montè\nma, l'Empereur indien), ou les personnages sont gros'siers, tout en copiant les héros, des tragédies françaises, et où le style, soigné, peigné, rimé à la française, jure avec le fond, qui est presque toujours romantique. Dryden, qui ne savait trop quelle direction prendre au milieu de tant de modèles qu'il imitait tout en les décriant, avait commencé par le drame, continué par la tragédie classique, et il finit par tomber dans les peintures licencieuses à la mode sous Charles II, comme dans ses comédies d'Amphitryon et du Moine espagnol, où il est maladroitement immoral. Il fit même un opéra soi-disant patriotique, Albion et Albanias, fort médiocre, et qui n'eut que peu de succès au théâtre royal, sur lequel il fut représenté en 1691.
Il faut le dire pourtant : malgré tous ses défauts, Dryden est supérieur, comme poète dramatique, à ses contemporains ; sa composition est généralement sage et régulière, et l'on trouve chez lui, assez souvent,, des sentiments nobles et virils, des caractères bien tracés ou des mots vrais et heureux. Il avait même, jusqu'à un certain point, l'intelligence du théâtre, en ce sens qu'il voyait fort bien les défauts de ses devanciers ; mais il ne comprenait pas toujours autant leurs
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beautés. Dans ses Discours sur la poésie dramatique et ses longues Préfaces ou Dédicaces qu'il mettait en tête de ses drames, il porte des jugements fort justes par endroits sur les règles du théâtre et sur les auteurs français en particulier ; on regrette seulement qu'il se soit montré si sévère pour Corneille et Racine, comme, du reste, pour Shakspeare. Le grand mérite de ses Discours et de ses autres Essais en prose, c'est d'être écrits dans un style aisé, vigoureux, vraiment moderne, dont Dryden est peut-être, en date, le premier modèle pour son pays.
En résumé, les principaux mérites de cet écrivain sont d'avoir représenté avec le plus d'éclat la poésie artificielle introduite de France sous la Restauration, d'avoir poussé à l'étude des littératures anciennes ou étrangères, et même des vieux poètes anglais, qu'il a, il est vrai, le tort de dénaturer en voulant les rendre modernes. Rappelons aussi qu'il eut, avec Roscommon, l'idée de fonder une Académie anglaise sur le modèle de l'Académie italienne de la Crusca 1.
MILTON. — Bien que ce poète, le plus illustre de toute la période qui nous occupe, offre de grands points de ressemblance avec l'époque précédente, nous l'avons réservé pour la fin de ce paragraphe, parce que sa gloire la plus vraie et la plus durable n'a commencé pour lui qu'après sa mort : à ce point de vue, il appartient déjà presque au XVIIIe siècle.
John MILTON (1608-1874) était né, à Londres, d'une famille aussi honorable et aisée, mais plus obscure que celle de Dryden. Il reçut également une éducation fort soignée et fit ses études à Cambridge. On prétend qu'il songeait d'abord à la carrière ecclésiastique, mais qu'il y renonça pour conserver son indépendance en matière de foi. Ses études terminées, il partagea son temps entre la solitude et les voyages ; il parcourut
I. Voir plus haut, p. 90. Cette Académie ne put se constituer. — Pour la Crusca, voir notre Histoire des littératures au Midi (3e vol.).
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la France et l'Italie, et l'admiration profonde qu'il éprouva pour ce dernier pays vint compléter heureusement son éducation, en allumant dans son âme l'enthousiasme littéraire et artistique que les hommes d'élite ressentent toujours à la vue de cette patrie des arts et de la poésie. On ajoute que, durant ce.voyage d'Italie, il eut occasion de voir jouer un drame d'Andreini, intitulé la Chute du premier homme, et qui lui aurait donné l'idée du chef-d'oeuvre qu'il devait composer longtemps après. Il vécut ensuite quelques temps retiré à la campagne, où il semblait se recueillir, au sortir de tant de merveilles, et où il écrivit ses premiers poèmes, tous inspirés par le souvenir de l'Italie.
On ne sait pas au juste à quelle époque il commença à prendre part aux discussions religieuses et politiques qui le passionnèrent si longtemps et lui valurent à la fois tant de gloire et tant d'infortune. Il avait eu, dès sa première jeunesse, un goût très prononce pour ces sortes de batailles, qui convenaient bien à sa nature ardente et impétueuse : elles compromirent bientôt sa fortune, au point qu'il lui fallut élever, dans un quartier pauvre de Londres, une école où il instruisait spécialement les jeunes gens qui se destinaient aux lettres ou à l'Église. C'est à cette époque que remontent ses premières attaques contre l'épiscopat et le pouvoir royal.
En 1640, il se maria, mais sa femme, soit par incompatibilité d'humeur, soit, comme on l'a dit aussi , à cause des opinions révolutionnaires du poète, lé quitta peu après, puis vint le retrouver, lorsqu'il avait déjà écrit à son occasion un traité sur le divorce : trois filles naquirent de cette union assez accidentée; puis Milton devint veuf, se remaria et redevint veuf un an après. Comme la plupart des écrivains passionnés et convaincus de son espèce, il ne paraît guère avoir cherché, à cette époque, le bonheur et le calme dans son intérieur ; les troubles civils l'attiraient plus que le foyer domestique.
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Lorsque la royauté est renversée, Milton, qui, par ses pamphlets, a contribué à sa chute, est nommé secrétaire latin de la République, comme étant à la fois un des plus sincères champions du nouveau régime et le meilleur latiniste de la Grande-Bretagne : dans cette situation, il devient le conseiller, l'ami et enfin le premier secrétaire de Cromwell. Dans l'un et l'autre de ces postes, il eut une influence considérable : il rédigeait les proclamations politiques, les déclarations de guerre, et recevait les ambassadeurs étrangers ; on rapporte même qu'il les faisait parfois attendre à sa porte, quand il avait à terminer un de ces manifestes qui l'occupaient une grande partie de son temps. Ces manifestes, destinés à défendre la République et à répondre aux attaques de Saumaise, contribuèrent, avec ses autres travaux et ses incessantes lectures, à affaiblir peu à peu sa vue ; il finit même par la perdre entièrement, mais continua cependant, quoique aveugle, à remplir ses fonctions. Ses ennemis eux-mêmes furent obligés d'avouer qu'il les remplissait avec autant de loyauté que de dévouement, et jamais aucun soupçon n'a porté atteinte à la grandeur et à l'intégrité de son caractère ; mais nous sommes forcés de reconnaître qu'il poussa trop loin l'ardeur du prosélytisme, et qu'il eut tort de se laisser égarer par l'ardeur de sa foi au point de ne pas respecter un ennemi vaincu et de déverser l'outrage sur Charles Ier après sa mort. Ce fanatisme inhumain dépare ses réponses à Saumaise, et même sa belle Défense du peuple anglais, où il explique et justifie la politique de Cromwell et la sienne.
Aussi, quand la Restauration arriva, Milton fut-il un de ceux qu'elle dut rechercher et punir, tout d'abord ; il ne prit guère la peine de se cacher et continua même à combattre pour la cause de la liberté par des pamphlets qu'il rédigeait dans sa solitude, à la campagne. Il ne revint à Londres que lorsque Charles II eut proclamé une amnistie complète en faveur de ses ennemis. On raconte que, déjà aupara-
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vant, il avait été épargné par la vengeance du roi, grâce à la généreuse intervention du poète Davenant, qu'il avait eu occasion de protéger sous la République; peut-être aussi le nouveau pouvoir avait-il dédaigné un ennemi déjà vieux, aveugle et sans écho. Toujours est-il que Milton paraît n'avoir été inquiété à aucun moment, depuis la Restauration jusqu'à sa mort.
Il put consacrer alors tous les loisirs d'une existence modeste, calme et fière, à la composition du poème dont il avait déjà conçu le plan depuis des années, mais que le tumulte de la politique ne lui avait pas laissé le temps d'exécuter. Sa pauvreté légendaire a été fort exagérée : malgré son mariage en troisièmes noces, sur ses derniers jours, avec une femme moins aisée que lui, et les difficultés que lui suscitèrent ses filles, il ne paraît pas avoir connu à proprement parler la misère, puisqu'il laissa en mourant une petite fortune d'environ quinze cents livres (37,500 francs) 1. C'est encore à la pure légende qu'il faut renvoyer l'histoire si touchante et si poétique de ses filles, écrivant la nuit, sous sa dictée, les vers qu'il composait, ou lisant à haute voix devant lui les poètes grecs ou les prophètes hébreux dans le texte. Ces filles idéales ne paraissent avoir jamais existé que dans l'imagination des artistes : les vraies filles de Milton le négligèrent au point qu'il dut se remarier pour avoir une société et une consolation dans sa retraite; ce fut, d'ailleurs, une toute jeune femme qu'il épousa.
Avant d'examiner les principaux ouvrages et surtout la grande épopée de Milton, il convient d'indiquer en deux mots les traits principaux de son caractère et de son génie, tels que la nature et les circonstances les avaient faits. Ces traits saillants étaient l'amour de la science, la passion de la liberté, le goût
l. Ce qui est vrai, c'est que son Paradis perdu, malgré son succès relatif (1,500 exemplaires vendus en trois ans), ne lui rapporta presque rien.
II. 13
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des arts et le lyrisme. Grâce à son instruction première et au travail opiniâtre de toute sa vie, il avait appris tout ce que pouvait connaître l'homme le plus savant de son époque : sa vaste érudition s'étendait non seulement à la philosophie, aux sciences physiques, à la théologie et aux langues classiques ou étrangères, mais encore au syriaque et à l'hébreu. L'éducation vraiment libérale qu'il avait reçue et son voyage en Italie avaient, en outre, développé en lui le sentiment artistique, qui combattait heureusement le fanatisme étroit du puritain : on a pu dire ainsi, avec raison, que son génie, comme son oeuvre, était en grande partie le fruit d'une féconde alliance de la Renaissance avec la Réformel1. Enfin, comme poète, il est avant tout lyrique, c'est-à-dire porté à chanter ses sentiments intimes, sa foi religieuse et politique. Il regardait la poésie comme un devoir, comme un sacerdoce, et, en traitant un sujet en apparence épique, il ne fit que célébrer pour ainsi dire la grande lutte qui se livrait en lui-même et autour de lui entre deux principes irréconciliables.
Ce lyrisme se trouve déjà dans ses premiers poèmes : après s'être essayé quelque temps dans des poésies latines, il débute par des vers, profanes en apparence, et dans le goût des poètes à la mode sous Charles Ier, mais où il est déjà bien supérieur à ses contemporains : l'Allegro et le Penseroso, encore appréciés aujourd'hui, décrivent avec autant de vérité que de bonheur d'expression deux situations contraires de l'âme ; ces poèmes ne sont didactiques que dans la forme. Le Lycidas (1037), écrit à l'occasion de la mort de son jeune ami Edouard King, est presque de la poésie sacrée : l'auteur s'y élève avec une énergie toute lyrique contre l'impiété du siècle. Puis vient le Cornus, sorte de masque ou de comédie-féerie, qui n'a de profane que le nom : c'est, en réalité, un magnifique hymne à la vertu. C'est à la même époque,
1. Taine, Histoire de la littérature anglaise.
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sans doute, que Milton songeait à composer un grand poème sur l'histoire ancienne d'Angleterre : il renonça bientôt à ce projet, mais les matériaux qu'il avait amassés dans ce but lui servirent plus tard pour son Histoire de la Grande-Bretagne1 Il s'essaya aussi, avec moins de succès, dans le drame; mais, là comme ailleurs, il était avant tout poète lyrique : sa tragédie de Samson, oeuvre de ses derniers jours, trop imitée des Grecs, est froide et sans intérêt, et n'offre quelques beautés que dans ses choeurs.
Le lyrisme, dans la prose, dévient de l'éloquence; aussi Milton est-il vraiment éloquent dans ses discours et ses pamphlets. Il se fit remarquer de bonne heure par l'énergie et la beauté de sa prose, soit dans ses attaques contre l'épiscopat (la Réforme en Angleterre, 1641; l'Indépendance de l'Eglise, 1642), soit dans
son Discours sur la liberté de la presse (1644). Ses écrits ultérieurs, provoqués par la crise politique et la Révolution, ont un caractère moins élevé; la polémique y dégénère en invective, grossière à l'occasion et parfois même féroce, nous l'avons vu ; elle affecte aussi un air scolastique, fort bien reçu à cette époque, mais qui nous choque aujourd'hui. Hâtons-nous d'ajouter que ces pamphlets étaient généralement écrits en latin, ce qui atténue un peu leur barbarie, et que
même là on trouve toujours une force et une grandeur qui ne manquent pas de beauté, et dont la source est dans l'intégrité de son caractère, dans l'inexpugnable énergie de ses convictions 2.
Le Paradis perdu, poème épique en douze livres, et écrit en vers blancs 3; fut publié en 1667. Ce n'est
1. Il ne rédigea que le commencement de cette Histoire, aussitôt après la publication de son Paradis perdu (1667).
2. Notamment dans son Iconoclastes, écrit en réponse à l'Eikon Basiliké de Saumaise, et où Milton justifie le supplice de Charles Ier.
3. C'était la première fois qu'un poète essayait d'employer le vers blanc en dehors du drame.
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pas une oeuvre originale, non plus que la Divine Comédie de Dante ni d'autres poèmes analogues, si l'on a seulement égard à la donnée du sujet ou aux principaux détails de la fiction. On peut citer, en effet, plus d'un précurseur de Milton ; sans compter le drame d'Andreini dont il a été question plus haut, il y a le vieux poète Cedmon, auteur d'une remarquable paraphrase de l'histoire biblique 1; il y a encore le poème latin de saint Avit sur la création et le péché originel ; il y a même, si l'on veut, les Semaines du poète français Du Bartas, qui sont antérieures au Paradis perdu, et l'Hymne des Anges ou Révolte des Esprits célestes contre Dieu, par Anne d'Urfé, le frère de l'auteur d'Astrée. Mais ce qui appartient réellement à Milton dans la conception de son poème, c'est le choix qu'il a fait d'un sujet tout à fait d'actualité, où il pouvait faire entrer ses idées religieuses et ses convictions politiques. La chute de l'homme l'avait toujours préoccupé; mais, plus que jamais, elle s'empara de son imagination lorsqu'il vit, après la Restauration, la liberté bannie et proscrite, et la fière vertu des puritains remplacée, dans la foule comme au pouvoir, par la corruption et l'impiété.
Avant de mourir, le poète voulut donner la contrepartie ou plutôt la deuxième partie de son épopée ; le Paradis reconquis (1770) offre, en quatre livres, le tableau de la rédemption. Ce sujet, moins poétique, moins intéressant, au point de vue purement humain, que le premier, n'inspira pas autant Milton ; et, s'il est vrai qu'il préférait sa dernière oeuvre à la précédente, cela ne fait que prouver une fois de plus que les grands poètes ont souvent des défaillances de jugement, surtout dans leur vieillesse,
ANALYSE DU PARADIS PERDU. — Exposition du sujet : la désobéissance de l'homme et la perte du séjour bienheureux
1. Sur Cedmon, voir plus haut, p. 4.
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où il avait été placé. — Reprenant alors son sujet de plus haut, le poète nous transporte au milieu du chaos, où Satan et ses légions ont été précipités par la colère divine : le chef des anges rebelles relève le courage de ses compagnons d'infortune et délibère avec eus sur le meilleur parti à prendre pour se venger de Dieu et reconquérir leur puissance. On décide de faire la conquête d'un monde nouveau et d'une créature nouvelle qui doivent être prochainement créés. Satan se met aussitôt en campagne. (Livres I et II.)
Cependant l'Éternel a conscience des projets du malin esprit : il annonce à ses anges la chute et la rédemption de l'homme et accepte le sacrifice que son Fils lui offre de faire en faveur de l'humanité. (Ire partie du livre III.)
Satan, sous la forme d'un ange inférieur, se rend aux portes du Paradis; puis, sous celle d'un oiseau, se pose sur un arbre de ce jardin enchanteur, d'où il est chassé par Gabriel, après avoir écouté la conversation d'Adam et d'Eve, au moment où il prend ses dispositions pour séduire la mère du genre humain. (2e partie du livre III ; livre IV.)
Eve raconte à son époux un songe qui l'inquiète; Dieu envoie Raphaël a Adam pour le prémunir contre les pièges du démon : l'archange lui raconte la révolte et la défaite des mauvais esprits, ainsi que la création du monde visible. Adam, de son côté, fait à l'envoyé céleste le récit de ses premières impressions et des premiers jours qu'il a passés avec Eve dans le Paradis. (Livres V, VI, VII et VIII.)
Satan parvient à se glisser de nouveau dans le Paradis et entre dans le corps d'un serpent. Sous cette forme, il a un entretien avec Eve et lui persuade, à force de flatteries, de manger du fruit de l'arbre défendu. Eve s'empresse de porter un de ces fruits à Adam, qui, par tendresse conjugale, se résout enfin à le goûter aussi. Premier effet de cette désobéissance ; les deux époux rougissent de leur nudité. (Livre IX.)
Triomphe de Satan, revenu aux enfers. Dieu envoie son Fils annoncer leur châtiment aux premiers hommes; repentir d'Adam et Eve, pour lesquels le Fils de Dieu intercède auprès de son Père. Celui-ci veut bien faire grâce aux coupables, mais à condition qu'ils seront chassés du Paradis et sujets à la souffrance et à la mort. L'archange Michel, envoyé pour
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exécuter cette sentence, découvre à Adam l'histoire future de la race humaine jusqu'à la rédemption et au triomphe final de l'Église. (Livres X, XI et Ire partie du livre XII.)
Adam et Eve, consolés par les prédictions , de l'archange, quittent le Paradis, désormais fermé aux hommes et gardé par les chérubins. (2e partie du livre XII ; fin du poème.)
Comme on le voit, Milton a pris son canevas dans le récit de la Bible et a intercalé, au milieu des faits principaux et historiques, certains épisodes destinés à varier le sujet et à soutenir l'intérêt : tels sont les épisodes de la délibération des démons, du conseil tenu par Dieu avec son Fils, du dialogue de Satan avec Eve et d'Eve avec son mari, de la vision des races futures et de la rédemption, etc. Le poète donnait ainsi un libre champ à son invention et échappait à la sécheresse, à la monotonie d'une histoire pour ainsi dire dogmatique.
Ce qui fait la principale beauté du Paradis perdu, c'est la conviction du poète, jointe à l'inspiration constamment biblique sous l'empire de laquelle il écrit. Soit dans les principaux épisodes, soit dans la peinture des caractères, celui de Satan surtout, soit dans les discours qu'il prête à ses personnages, Milton s'élève à une hauteur qui a été rarement atteinte, dans les autres épopées modernes. Les tableaux gracieux ou touchants, quoique plus rares que les peintures grandioses et terribles, ne manquent pourtant pas dans ce poème : telle est, par exemple, la description de l'Eden, celle des amours d'Adam et d'Eve, celle des premières sensations de l'homme après la création.
On a fait quelquefois une ingénieuse comparaison entre Milton et Lucrèce, qui, frappés tous deux des contradictions de la nature, ont su également les peindre, bien que dans des poèmes très-divers, et ont cherché à les expliquer. On a, plus souvent encore, comparé Milton à Homère ou à Dante. Ce qui est vrai, c'est qu'il réunit en lui les qualités de tous ces poètes et qu'il s'empare autant qu'eux de l'imagination
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du lecteur dans les parties vraiment belles et intéressantes de son oeuvre.
Car, il faut bien le reconnaître, toutes les parties du Paradis perdu ne sont pas faites pour être goûtées du lecteur moderne et surtout français. Sans aller aussi loin que certains critiques contemporains, qui déclarent que le poème de Milton est franchement ennuyeux, nous sommes bien obligé d'avouer qu'il rappelle trop, par moments, l'éducation scolastique qu'avait reçue l'auteur et le milieu puritain dans lequel il a vécu. Le poète abuse de l'éloquence, de la politique, de l'histoire contemporaine : ses discours sont trop nombreux et trop longs ; ses conseils d'État ou de guerre, tenus dans le ciel et dans l'enfer, deviennent mesquins à force de ressembler à ceux d'ici-bas; sa révolte des mauvais esprits, grandiose dans l'ensemble et dans certains traits, et surtout par l'énergie des caractères, a le tort d'être trop calquée, en somme, sur les guerres civiles dont Milton avait le spectacle sous les yeux. La religion elle-même, si grande et si majestueuse dans certaines parties du poème, a le tort d'être subtile et bizarre dans plus d'un passage.
Mais tous ces défauts n'empêcheront jamais un lecteur impartial d'admirer les nombreuses beautés de l'oeuvre, et surtout de sentir la grandeur morale qui en fait le principal mérite. On a dit aussi que la langue de Milton était rude, que son goût, très imparfait, se ressentait de la demi-barbarie de son temps : ce reproche est exagéré, car les Anglais considèrent encore aujourd'hui Milton comme un classique pour le style; et, d'ailleurs, comme pour notre Corneille, ces défaillances de goût ne font que donner souvent plus de relief et d'originalité au poète. C'est là ce qui fait le charme particulier de plus d'un de ces vieux écrivains, de Bunyan, par exemple, dont il sera question tout à l'heure (au § 3 de ce chapitre), et que l'on a comparé à Milton pour la richesse et l'énergie des descriptions comme pour l'originalité du style.
Le Paradis perdu n'obtint qu'un succès relativement
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médiocre après son apparition : le goût public était dévoyé alors, et l'on admirait de préférence les poésies érotiques des Rochester ou les pâles compositions des poètes élevés à l'école de la France 1. La gloire littéraire de Milton ne commença que vingt-cinq ans après sa mort, et, depuis, l'Angleterre n'a cessé de prodiguer ses hommages à celui qu'elle peut appeler avec assez de raison son poète national, car le Paradis perdu est, avant tout, une oeuvre éminemment anglaise ou, si l'on aime mieux, anglicane2.
§ II. — Le Théâtre.
Les poètes dramatiques de la Restauration manquent généralement de goût, de moeurs et d'originalité : sauf Lee et Olway, qui se rattachent encore à Shakspeare, presque tous imitent le théâtre français, que BETTERTON (1935-1710) avait, l'un des premiers, introduit en Angleterre, sur l'ordre de Charles II. Nous avons parlé déjà, précédemment, des pièces de Dryden et de la comédie de Buckingham ; il nous reste à nommer ici quelques-uns des poètes de la Restauration qui se firent un nom principalement au théâtre, comme Etheredge, Wycherly, Sedley, Shadwell, Settle ; et nous finirons par Lee et Otway, qui méritent une place à part.
George ETHEREDGE (1636-1690) ne manque pas de verve comique et excelle à reproduire le ton de la bonne conversation de son temps; mais, peintre trop
1. Outre les dix livres sterling payées à Milton par son libraire, sa veuve reçut pourtant, dans la suite, quelques sommes assez élevées pour un poème épique et pour une pareille époque.
2. En France, ce fut Voltaire qui, le premier, fit connaître et admirer le Paradis perdu, dont il imita quelques passages en vers assez heureux. Louis Racine le traduisit en prose. On connaît les nombreuses traductions ultérieures, celles de Chateaubriand, de Delille, de Pongerville, etc.
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fidèle de son époque, il est grossièrement immoral et ne fait guère honneur à ses modèles. Ses comédies les plus applaudies furent Elle voudrait, si elle pouvait, et l'Homme à la mode, où il passe pour avoir fait son propre portrait.
William WYCHERLY ou WHYCHERLEY (1640-1715), dont les moeurs ne sont guère meilleures, lui est supérieur dans la peinture des caractères. Favori de Charles II, il chercha, comme les autres dramaturges de cette cour presque française, à imiter Molière; niais il ne réussit presque toujours qu'à le parodier, malgréson esprit et sa finesse réelle d'observation. Ses meilleures comédies, l'Homme de bonne foi (the Plaindealer, 1678) et la Campagnarde (the Country-Wife, 1685), sont aujourd'hui délaissées, malgré le naturel et la simplicité du dialogue et l'allure assez nette de quelques-uns de ses personnages, tels que miss Prue, la péronnelle émancipée, dans sa Country-Wife. Wycherly a écrit aussi des poésies légères et des satires dans le goût de toutes les productions analogues de cette période.
Charles SEDLEY (1639-1701), poète satirique aussi, de moeurs non moins détestables que les précédents, eut un succès éphémère avec sa tragédie d'Antoine et Cléopâtre (1677), et surtout avec sa comédie d e Mulberry-Garden (le Jardin des mûriers, 1675), qui n'est qu'une mauvaise imitation de l'École des maris, de Molière.
Nous avons déjà nommé précédemment SHADWELL (1O40-1692), contre lequel écrivit Dryden : après avoir fleuri à la cour de Jacques II, il devint poète lauréat et historiographe soùs Guillaume III. Il a traduit Juvénal en vers et composé un certain nombre de tragédies et de comédies. Sa tragédie de Psyché (1675) est plutôt un opéra. Dans ses comédies, il ne manque pas de verve, et ses caractères sont- assez nettement tracés ; mais il semble rechercher à plaisir l'indécence et l'ordure. Son Virtuose tourne en ridicule la manie que l'on avait alors d'étudier l'histoire naturelle, et
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son Libertin est une des premières apparitions de l'histoire de Don Juan sur la scène.
SETTLE (1648-1723), un autre ennemi de Dryden, est l'auteur de pageants ou de masques, justement oubliés : son Impératrice du Maroc, protégée par la cour, eut un succès universel et lui attira les invectives de Dryden, contre lequel il fut défendu par Rochester beaucoup mieux que par ses propres réponsesJ. Au milieu de son fatras soi-disant dramatique, on trouve quelques qualités réelles, une composition généralement sage et régulière, des sentiments vrais et virils, des mots heureux, des caractères assez bien tracés ; mais, en somme, le mauvais l'emporte sur le bon.
Chez Lee et chez Otway, le bon l'emporte quelquefois, et ils ont du moins de l'imagination et de l'invention dramatique. Nathaniel LEE (1657-1692) a longtemps passé pour un poète extravagant : il est du moins original. Il fut d'abord acteur, comme Otway, avec qui il offre plus d'une ressemblance : comme lui aussi, il mourut pauvre et misérable, sur le pavé de Londres. Dans ses drames (les Reines rivales, Théodose, etc.), il imite Shakspeare, mais viole, la vérité historique plus encore que ne faisait son modèle, et tombe trop souvent aussi dans l'emphase. Ses pièces sont toutes accompagnées de choeurs, et quelquesunes étaient encore jouées avec succès à la fin du siècle dernier. Lee a aussi écrit, en collaboration avec Dryden, une tragédie classique à'OEdipe, .qui ne manque pas de mérite.
Thomas OTWAY (1651-1685) lui est bien supérieur : ce poète, qui fut véritablement un bohème et qui mourut littéralement de faim, après avoir mené une vie des plus dissipées, avait obtenu, durant sa courte
I. Il répondit hYAbsalon et Achitophel, de Dryden, par son Absahn Senior; au Medal par le Medal renverséd. Dryden riposta une dernière fois, avec plus d'âpreté encore, par la seconde partie de son Absalon. Toutes ces satires sont grossières et médiocres.
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carrière, de très brillants succès sur la scène anglaise avec son .Don Carlos, son Caïus Marins, son Orpheline, sa Venise sauvée (1682). Son mérite principal est de trouver presque toujours la note vraiment tragique et pathétique.
" Il a senti par intervalles le souffle de l'ancien drame. Ce qui lui a nui, c'est son siècle, son entourage : il ne peut bien rendre ce qu'il sent. Son Orpheline et sa Venise sauvée renferment des conceptions dignes de Shakspeare ; mais, à côté de quelques touches, remarquables, on retrouve bien vite les ignobles personnages du temps; et tout cela est recouvert d'un style élégant et compassé, qui produit la plus choquante disparate. » (Taine.)
C'est de sa Venise sauvée que La Fosse a imité en grande partie la fable de son Manlius, où il a, du reste, surpassé son modèle.
Otway ne mérite pas les mêmes éloges pour ses comédies, où il est aussi peu moral que ses contermporain, sans les surpasser beaucoup par la netteté de la conception et la finesse des peintures.
§ III. — La Prose.
_ SECTION Ire. — Philosophie, Politique et Histoire. — En dehors des écrivains de cette classe que nous avons déjà rencontrés parmi les poètes (au § Ier de ce chapitre), comme Milton, nous trouvons ici quelques grands noms, ceux, par exemple, de Locke, d'Algernon Sidney, de Temple; plusieurs autres méritent d'être signalés comme ayant contribué, avec moins d'éclat peut-être, mais pour une bonne part, à la fondation de la grande prose anglaise du siècle suivant. John LOCKE (1632-1704) est considéré, par les Anglais, comme un des plus grands philosophes des temps modernes, et il est, à coup sûr, le plus brillant héritier de Bacon, Son Essai sur Ventendement humain (1960), son Traité du gouvernement civil, ses
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Io8 LITTÉRATURES ETRANGERES.
Pensées sur l'éducation (1693) et ses Lettres en font un des plus grands prosateurs de cette période. Dans son Essai sur l'entendement, qui est son chefd'oeuvre, et dans sa Direction de l'entendement, qui le complète, il s'attache surtout à réfuter la théorie des idées innées et à montrer que toutes nos connaissances proviennent, en dernière analyse, de sensations : sa doctrine exerça une influence décisive : sur le XVIIe siècle, et l'on peut considérer Locke comme le père du sensualisme moderne. Ses Pensées sur l'éducation, écrites à ce point de vue, n'en sont pas moins un livre excellent, rempli de vues neuves et justes. Ajoutons que Locke, qui avait écrit dès 1683 des, Lettres sur la tolérance, fut toujours le champion de la liberté politique et religieuse, et qu'il contribua pour sa part au triomphe de cette cause et à la révolution de 1688.
Les autres philosophes pâlissent à côté de lui; mais on doit citer pourtant Ralph CUDWOKTH (1617-1688), dont les ouvrages, spiritualistes et mystiques, comme son Vrai Système intellectuel de l'univers, sont moins connus aujourd'hui que sa théorie du Médiateur ou, mieux, de la Nature plastique ; et Thomas BURNET (mort en 1715), auteur d'une Théorie sacrée de la terre, où il émet des hypothèses tout à fait antiscientifiques sur la formation géologique de notre planète. Ce long ouvrage se distingue pourtant par une grande richesse de style et d'imagination. Burnet publia, 1 en outre, de nombreux livres de théologie.
Les sciences politiques ont toujours été en honneur chez les Anglais, et il est difficile de: trouver une période littéraire de ce peuple qui ne soit illustrée par plusieurs écrivains de cette classe, qui, du reste, se rattache étroitement à la philosophie. Sous la Restauration, époque de despotisme et de réaction, un homme surtout osa réclamer en faveur des principes de progrès et de liberté : ce fut Algernon SIDNEY (1617-1683), exécuté, comme coupable de haute trahison, sous Jacques II. Ses Discours sur le gouvernement ne parurent qu'après sa mort, en 1698 : c'est
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un livre diffus et ennuyeux, mais où les idées sont justes et belles, et le sentiment profond et généreux. Algernon Sidney l'avait écrit pour réfuter la théorie du droit divin énoncée dans le Patriarcha de FILMER: pour lui, tout en admettant la monarchie tempérée, il préfère une république aristocratique. On a aussi ses Lettres, animées, du même esprit libéral et vertueux. William TEMPLE (1628-1698), connu chez nous sous te nom du chevalier Temple, ne s'est guère occupé de philosophie et de politique que par accident : ses Mélanges et ses Essais traitent surtout de littérature et de critique; on y trouve pourtant quelques morceaux remarquables d'histoire ou de morale, comme l'Essai sur l'héroïsme, l'Essai sur le jardinage ou Jardins d'Épicure (1685), l'Essai sur la santé et la longévité 1, etc. Dans l'Essai sur la poésie, il passe en revue l'histoire littéraire des divers peuples et entreprend, ainsi que dans la seconde partie de ses Mélanges, de prouver que les anciens sont supérieurs aux modernes en tout, même dans les sciences. Il a été l'un des représentants les plus autorisés de l'esprit classique en Angleterre, au moment de la lutte entre les anciens et les modernes : sa préoccupation constante de montrer la supériorité des anciens le rend parfois injuste pour les modernes ; mais il y a néanmoins, dans ses oeuvres, un grand, nombre de jugements exacts et piquants. On peut citer plus d'une page de ses Essais comme des modèles de style en même temps que de goût et de finesse : tels sont, par exemple, les célèbres morceaux sur le bonheur de la retraite, sur les anciens et les modernes 2, l'éloge du climat et des moeurs de l'Angleterre, etc.
1. Il se montre assez sceptique en médecine et explique ce fait par l'expérience qu'il a eu l'occasion de faire lui-même de la vanité de cet art.
2. Sur le rôle qu'il joua dans cette lutte, voir l'excellente Histoire de la querelle des anciens et des modernes, de. H. Rigault.
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William Temple est surtout remarquable par la grâce et le naturel : sa diction est Ordinairement familière; il semble vouloir, avant tout, éviter le pédantisme, et, s'il affecte quelque chose, c'est peutêtre la négligence. Il devient éloquent à l'occasion, sans rechercher pour cela les grands mouvements. Il emploie aussi, avec succès, des termes vieillis, qu'il sait parfaitement rajeunir pour son usage. Toutes ces qualités l'ont fait comparer à notre Montaigne, avec lequel il a encore un autre point de ressemblance : son extrême et naïve vanité.
La critique littéraire nous a servi de trait d'union entre la philosophie et l'histoire. Les historiens de cette période sont tous fort médiocres, excepté Clarendon : il suffit d'en nommer quelques-uns, très-peu connus aujourd'hui, comme AUBREY (1625-1700), qui a laissé, entre autres ouvrages, une Histoire de Shakspeare, ou Thomas FULLER (1604-1661), qui, après s'être essayé dans la poésie biblique, à ses débuts (1631), écrivit une Histoire des Croisades, une Histoire ecclésiastique d'Angleterre (1656) et une Histoire des grands hommes d'Angleterre. Il avait été nommé, avant sa mort, chapelain du roi Charles II.
Edouard Hyde, comte de CLARENDON (1008-1674), mérite une place à part : ce ministre de Charles Ier, compagnon d'exil de Charles II, chancelier de ce prince de 1660 à 1667, puis disgracié, malgré Son dévouement, pour son extrême probité, et obligé de se retirer une seconde fois en France, écrivit pendant son exil une Histoire de la Révolution, qui ne fut publiée que sous la reine Anne. C'est un grand et consciencieux ouvrage, dont le ton est celui de la conversation d'alors, dont les phrases, toujours amples, sont souvent trop longues, mais que ce manqué d'élégance n'empêche pas de lire avec plaisir et surtout avec profit. Les détails en sont intéressants, les descriptions animées, les observations fines et justes, et l'impartialité presque entière, malgré la fidélité royaliste
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que l'auteur ne prend pas la peine de dissimuler. C'est, à coup sûr, un des bons monuments de la prose anglaise à cette époque.
C'est à la fois comme philosophe ou économiste, comme historien et un peu comme romancier que se fit connaître John EVELYN (1620-1706), gentilhomme campagnard fort aisé, qui, pour ses débuts dans la littérature, voulut rendre service aux intérêts matériels, en même temps que littéraires de son pays, en écrivant des Discours sur les arbres et sur les plantes, intitulés, l'un, Sylva (1664.) et, l'autre, Terra (1675). Il avait un beau domaine, dans lequel il appliquait consciencieusement ses idées sur la plantation des arbres, et qui servit longtemps de modèle aux plus riches propriétaires. Les historiens anglais ne manquent pas de rapporter, à ce sujet, que les écrits et l'exemple d'Evelyn mirent à la mode le reboisement du pays, et que la marine militaire de la Grande-Bretagne profita, un siècle plus tard, de ces arbres nés à la voix d'un littérateur. On a encore de lui un Journal, plein de détails intéressants sur la société de son temps, mais qui ne parut qu'en 1818, et une brochure écrite en 1651 sur l'état de l'Angleterre, sous forme d'une description supposée de ce pays par un voyageur français : fiction ingénieuse, qui fait penser aux Lettres persanes de Montesquieu, et dont le style est aussi soigné que les observations fines et spirituelles, mais où la Révolution est jugée avec une excessive sévérité..
SECTION II. — Romans. —Un écrivain domine toute cette période, autant par la valeur réelle de son style que par la popularité de son oeuvre. Et, en l'appelant écrivain, nous lui faisons tort, car il n'a jamais eu la prétention d'écrire pour la postérité : il n'a été auteur que par conviction, par nécessité, pour ainsi dire ; et son livre n'est pas, à proprement parler, un roman, car, en rédigeant les brillantes visions de son imagination, il n'a cru confier au papier que les aspirations d'une foi sincère et ardente. Il s'agit du chaudronnier
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John BUNTAN (1628-1688), le plus brillant représentant de Ces écrivains et de ces orateurs non lettrés qui furent si nombreux en Angleterre dans la seconde moitié du XVIIe siècle, et dont lés noms sont aujourd'hui presque tous oubliés. Bunyan était devenu l'un des prédicants laïques de la secte des baptistes : il fut emprisonné sous la Restauration pour avoir prêché sans autorisation, et employa les longs loisirs de sa captivité à écrire des ouvrages de dévotion : le plus remarquable d'entre eux, le seul qui soit une oeuvre vraiment littéraire, est son Voyagé du Pèlerin (the Pilgrim's Progress), qui obtint aussitôt un succès prodigieux et fut traduit en peu de temps dans presque toutes les langues de l'Europe.
Sans aller aussi loin que quelques critiques modernes qui préfèrent le livre de B unyan au poème dé Milton !, on peut dire que cette allégorie de la vie du chrétien, avec ses difficultés, ses tentations et son triomphe, est un monument de haute poésie non moins que de philosophie profonde : la naïveté des fictions et du style, qui en fait je charme pour les lecteurs instruits, la rend accessible aux ignorants et aux enfants. De là le succès universel et durable de ce manuel de piété, qui se trouve être en même temps une oeuvre littéraire par excellence.
A côté, mais bien au-dessous de Bunyan, dans le genre de la fiction en prose, nous rencontrons quelques autres écrivains chez qui l'art et l'érudition ne compensent pas toujours ce qui leur manque en inspiration et en originalité. Tel est James HOWELL (15961668), historiographe de Charles II, voyageur intelligent et instruit, qui, outre ses Lettres familières (1645) et son Histoire de Naples, écrivit une sorte de roman
1. M. Taine a soutenu cette thèse avec son talent habituel : « L'inspiration et l'ignorance, conciut-il, révélèrent à Bunyan le récit psychologique qui convenait à son siècle, et le génie du grand homme se trouva plus faible que la naïveté du chaudronnier, »
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intitulé la Forêt de Dodone. Cette étrange allégorie, mal soutenue en général, sur l'état de l'Europe et surtout de l'Angleterre, vers 1640, représenté au moyen d'arbres animés, manque presque toujours d'esprit, malgré le nombre considérable de pointes dont elle est parsemée. Les Lettres deHowell sont plus intéressantes que son roman : elles renferment des observations sensées et piquantes. Bien qu'elles appartiennent, par leur date, à la période précédente, nous les mentionnons ici pour ne point les séparer de l'oeuvre principale de leur auteur, qui parut vers 1660.
Le roman de Howell inspira peut-être à James HARRINGTON (1611-1677) l'idée de son Oceana, où il trace les règles d'un gouvernement de l'Angleterre sous une république idéale. Harrington avait encore d'autres modèles, qui ont dû lui servir pour sa fiction : la République de Platon et l'Utopie de Morus. Son roman, animé des sentiments les plus généreux et les plus libéraux, manque d'intérêt, mais on ne peut que Tendre justice aux intentions de l'auteur, qui, bien que fidèle partisan de Charles Ier, savait assez se dégager de ses idées royalistes pour recommander à son pays une forme de gouvernement plus parfaite que la monarchie des Stuarts. .
SECTION III. —Eloquence et Théologie.— Les Anglais considèrent cette période comme une de celles où la théologie et l'éloquence sacrée ont été chez eux le plus florissantes : le fait est que beaucoup de noms pourraient être cités parmi ceux qui ont passé pour illustres dans cette classe. Mais, pour nous, la plupart d'entre eux représentent des inconnus, soit à cause du caractère dogmatique et souvent pédantesque de leurs écrits, qui les rend peu lisibles, soit aussi à cause de la différence des religions, qui ne nous permet guère d'apprécier leur éloquence au point de vue de notre foi .Nous nous bornerons à mentionner: le quaker William PENN (16441718), le fondateur de la Pensylvanie, qui composa de nombreux ouvrages de piété ; l'évêque WILKINS (161415
(161415
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1672), auteur de traités philosophiques et de Sermons estimés; John TILLOTSON (1630-1694) et STILLINGFLEET (1635-1699), évêque de Winchester, que les Anglais regardent comme des prédicateurs hors ligne et comme des apologistes éminents ; Robert BARCLAY (1648-1690), l'apôtre et le défenseur des quakers, dont l'Apologie de cette secte parut en latin d'abord (1676), puis en anglais; enfin, et surtout, Isaac BARROW (1630-1677), mathématicien et prédicateur, qui eut la gloire de compter Newton parmi ses élèves. Il avait d'abord étudié les sciences naturelles, puis entra dans les ordres en 1660 et devint vice-chance-, lier de l'université de Cambridge: outre ses ouvrages de polémique, dirigés surtout contre la suprématie du pape, il a laissé des Sermons fort nombreux, que ses contemporains admiraient pour la justesse comme pour l'élégance de l'expression, mais que nous trouvons aujourd'hui lourds et pédantesques. Ce qui rachète leur défaut d'élégance, c'est qu'ils déploient presque toujours une force d'esprit, une largeur et une fécondité de vues qui ont été rarement égalées. On a remarqué, non sans raison, que ces Sermons ne sont pas évangéliques dans le vrai sens du mot, puisqu'ils invoquent plus souvent des motifs tirés de la conscience et de la pure morale humaine que de la révélation et de la loi chrétiennes. C'était là un signe du temps : le XVIIe siècle approchait 1.
1. Nous avons dû omettre, dans cette rapide énumératîon des principaux prosateurs de la période qui nous occupe, le nom d'Isaac NEWTON (1642-1727), qui n'appartient pas précisément à l'histoire de la littérature. Son grand ouvrage, intitulé Principes mathématiques de la philosophie. naturelle (1687), est écrit eu latin. Newton avait rédige aussi, en anglais, un opuscule sur les prophéties de Daniel et sur l'Apocalypse de saint Jean, qui ne parut qu'après sa mort. Cet illustre mathématicien était un chrétien fervent et un anglican sincèrement orthodoxe.
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CHAPITRE V.
RÈGNES DE GUILLAUME III ET DE LA REINE ANNE, OU PREMIÈRE PARTIE DE L'ÂGE CLASSIQUE MODERNE (1689 - I7I4),
Cette période fait partie de Pépoque qui est encore souvent appelée le siècle de la reine Anne, et que l'on compare quelquefois aux grandes ères de la littérature, celle d'Auguste, par exemple. La critique contemporaine est revenue de cette admiration exagérée pour ■ des écrivains qui sont généralement médiocres et superficiels, et dont le plus grand nombre n'a plus aujourd'hui de lecteurs. Quelques noms illustres ont survécu, ceux de Prior, d'Addison, de Steele, dans la période qui nous occupe, et de Pope, de Swift, etc., dans la suivante. A proprement parler, il y a une période moins brillante jusque vers la mort, de la reine Anne, et une autre, bien plus, remarquable, à dater de ce moment jusque vers la fin du XVIIIe siècle : nous avons cru devoir les séparer dans cette histoire.
§ Ier. — La Poésie.
La poésie n'a ici que des représentants assez pâles et doués d'une faible imagination : leur principal mérite est la correction, l'élégance et une préoccupation plus grande de la morale. Encore quelques-uns, comme Prior, ne respectent-ils pas toujours la décence, bien qu'ils vaillent mieux, sous ce rapport, que les poètes grands seigneurs de la Restauration.
Nous laissons provisoirement Addison, que nous retrouverons au § III. A côté de lui se place un homme
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de goût, auteur et diplomate, poète et philosophe, Matthieu PRIOR (1664-1721), dont les poésies ont été bien surfaites par ses contemporains. Ses Odes, et notamment son Chant séculaire, sont à peine lisibles. Ses épigrammes et ses Contes en vers valent mieux : ces derniers sont piquants, mais assez légers par moments. Ses poèmes de Salomon et d'Alma lui valurent l'admiration de son siècle, ainsi que son conte pastoral de Henry et Emma. Dans la première de ces oeuvres (Salomon, ou de la Vanité du monde), il y a quelques beaux vers sur un lieu commun, dont là banalité n'est point rachetée par la hardiesse des vues ou l'originalité des détails ; dans Aima, Prior fait l'histoire de notre âme et raille les prétentions des philosophes et des systèmes. C'est, en somme, on le voit, un métaphysicien presque autant qu'un poète, et il n'est pas étonnant que sa popularité n'ait pas duré bien longtemps.
Et pourtant il est supérieur à tous ceux que nous allons nommer : au médecin GARTH, dont le poème héroï-comique, the Dispensary (1690), dirigé contre les pharmaciens et même les médecins, fut longtemps en possession de la faveur publique, mais que Voltaire a eu tort de comparer au Lutrin, malgré quelques passages spirituels et bien écrits qu'il renferme; — à l'Irlandais PARNELL (1679-1717), auteur à'Eglogues, d'un poème de l'Ermite et d'autres compositions surtout morales; — à John PHILIPS (1676-1708), petitfils de Milton, assez bon satirique à l'occasion, qui travestit avec succès quelques livres de l'Enéide, et dont le poème sur le Cidre est un bizarre spécimen du genre descriptif purement technique ; —à FENTON (1683-1730), qui s'essaya dans la tragédie (Marianne), dans l'héroïde et la poésie lyrique, traduisit l'Odyssée avec Pope et écrivit une Vie de Milton;—à BLACKMORE, auteur de poèmes héroïques etphilûsophiaues, (le prince Arthur, 1695; le roi Arthur, 1697; Elisa, 1705; la Stature de l'homme, 1711; la Création 1713, etc.);— enfin, à mistress ROWE, née Elisabeth
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SINGER, (1674-1737), qu'il ne faut pas confondre avec ses deux homonymes, l'un dramaturge et l'autre prosateur, et dont les poésies lyriques firent estimées de son vivant.
Dans cette rapide énumération, nous n'avons fait entrer que les noms les plus marquants ; et combien de lecteurs les verront pour la première fois ! Que l'on juge après cela de l'oubli où sont tombés tous les autres. La poésie avait jeté son dernier éclat avec Milton, comme le drame avec les successeurs de Shakspeare : désormais la prose va tenir la première place dans la littérature anglaise, et y briller d'un éclat extraordinaire.
§ II. — Le Théâtre.
Nous venons de juger sommairement le théâtre de cette période : il faut ajouter cependant que trois ou quatre poètes, issus de la Restauration, donnèrent à la comédie anglaise un éclat qu'elle n'avait pas eu souvent jusqu'alors, et qu'elle n'aura que rarement après eux ; ce sont Congreve, Farquhar,Vanbrugh et Cibber.
William CONGREVE (1669-1729), poète gentilhomme, élevé d'abord en Irlande, était venu étudier le droit à Londres, où il donna bientôt, avec un rare succès, sa première pièce, le Vieux Bachelier (ou le Vieux Garçon). Protégé par de hauts personnages, il put se consacrer entièrement au théâtre ; mais, après de nombreux triomphes, il subit un échec qui le dégoûta de sa carrière, et il renonça désormais à écrire.
On l'a quelquefois appelé le Molière anglais : c'est, là une exagération manifeste, et tout ce que l'on peut, dire de Congreve, c'est que, dans un pays où la comédie jusque-là ne s'était guère inspirée des bons modèles de l'antiquité, il sut mettre à la mode la spirituelle et fine délicatesse du dialogue de Térence et de Molière. C'est ce dernier qu'il a surtout imité, mais sans arriver à faire parler ses personnages avec le naturel et la simplicité de son modèle. De plus, ces per-
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sonnages sont trop souvent grossiers dans leurs allures et dans leurs sentiments, ce qui choque d'autant plus que leur conversation est plus soignée. Enfin, si Congreve observe assez généralement les règles de l'art, il ne respecte pas toujours celles de la décence, sauf pourtant dans Amour pour amour, qui est, du reste, son chef-d'oeuvre (1690). Parmi ses autres comédies, les plus renommées sont le Chemin, ou le Train du monde, el l'Homme à double face.
Il s'essaya aussi dans le drame, mais son Epousée en deuil est prolixe et déclamatoire. Comme poète lyrique, enfin, il a écrit un Hymne à l'harmonie, qui est encore célèbre aujourd'hui.
L'Irlandais George FARQUHAR (1678-1707), fils d'un pauvre ecclésiastique de campagne, avait été acteur, puis militaire, avant de devenir poète dramatique. Ses premières comédies, licencieuses comme le voulait le goût du temps, et maladroitement imitées de Molière, lui valurent de brillants succès et ne manquent pas toujours de vivacité ni de naturel, ni même de vrai comique; les suivantes sont meilleures (l'Inconstant, 1703; l'Officier recruteur, 1706, où se trouve un caractère secondaire très comique, le sergent Kite, et surtout les Stratagèmes des beaux et 7e Tour au jubilé). Dans toutes ces pièces, jadis populaires, il y a un esprit facile, des caractères originaux, mais trop souvent grossiers, et un style bien préférable à celui des comédies antérieures à la Restauration Farquhar a exposé ses vues sur la comédie dans une dissertation bien écrite, qui donne une idée très favorable de sa prose.
John VANBRUGH (1672-1726), appelé aussi Vanburgh, et qui fut architecte avant d'être poète, se distingue plus que ses émules par le ton de bonne conversation qu'il emploie, et, tout en imitant des auteurs français peu moraux, comme Dancourl, il est moins licencieux que ses contemporains. Il y a même, dans sa Rechute, un personnage remarquable par sa pure morale ; Cette conception du rôle d'Amanda est à peu près le premier hommage que le théâtre anglais ait
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rendu, depuis la Restauration, à la chasteté féminine; Parmi ses autres comédies, dont le succès fut considérable entre 1698 et 1705, les meilleures sont le Mari poussé à bout, les Faux Amis, la Femme poussée à bout : dans toutes on trouve des tableaux on des caractères intéressants et des idées originales.
L'acteur et poète lauréat Colley CIBBER. (1671-1757) poussa plus loin encore la préoccupation morale. Il débuta, en 1695, Par la Dernière Ressource de l'amour, qui eut plus de succès que toutes ses pièces postérieures. Son Mari insouciant (1706) est encore estimé aujourd'hui ; son Non Juror (l'Homme qui ne jure pas) est une faible imitation de Tartufe. La carrière - dramatique de Cibber ne se prolongea guère au delà de cette période, mais il publia,.en 1740, une Histoire de ma vie, où l'on trouve de précieux renseignements sur le monde des lettres et la vie des acteurs depuis Charles II : Fauteur s'y montre lui-même avec son caractère imprudent et vaniteux, mais bon au fond. Sa femme, Suzanne-Marie CIBBER., se fit un nom en traduisant quelques pièces du répertoire français, et son fils, Théophile CIBBER, acteur comme lui, a donné à la scène un certain nombre de comédies justement oubliées aujourd'hui.
C'est à peine si l'on peut citer, après ces poètes, le mauvais dramaturge John DENNIS, dont le principal titre de gloire est d'avoir été ridiculisé par Pope ; Suzanne PREEMAN, plus connue sous le nom de mistress CENTLIVRE, dont les comédies sont aussi mal écrites que peu morales, mais souvent piquantes par la peinture des caractères ou l'originalité de l'intrigue; et enfin le médiocre Nicolas ROWE (1673-1718), poète lauréat, auteur d'une traduction de Lucaïn et de poésies lyriques peu estimées, et des tragédies déclamatoires de Tamerlan, Jeanne Gray, Jeanne Shore, etc., où il cherche vainement à imiter Shakspeare1. Le drame
1. Pour les essais dramatiques d'Addison, voir le paragraphe suivant.
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avait fait son temps et la comédie seule va encore jeter quelque éclat dans la période suivante.
§ III. — La Prose.
La prose annonce, dès les premières années du xvme siècle, ce qu'elle va devenir dans quelque temps : il suffit de nommer Addison et les Essayists pour en donner une très haute idée. L'Essai, tel que Font cultivé les Anglais au siècle dernier, ne ressemble pas à ce qu'il était en France sous la plume brillante de Montaigne ou de La Bruyère : c'est plutôt une dissertation de philosophie pratique, de morale et de littérature à l'usage des gens du monde, dans laquelle les auteurs peuvent déployer à l'aise toutes les qualités inhérentes à leur nation, l'humour sur tout, cette piquante et originale expression de leur bon sens.
Les deux premiers essayists, par la date et peutêtre aussi par le mérite, sont Addison et Steele, les immortels rédacteurs du Spectator. Bien que Steele ait devancé son collaborateur en fondant avant lui une Revue analogue intitulée le Bavard, nous considérons Addison comme ayant frayé la voie, car c'est lui seulement qui a donné tout son lustre à ce genre d'écrits. Joseph ADDISON (1672-1719) est un des hommes qui ont le plus honoré non seulement la littérature anglaise, mais l'humanité. Fils d'un ecclésiastique, il fit de bonnes études à Oxford, et débuta dans la poésie comme partisan des wliigs, qui étaient alors au pouvoir : Il composa et publia, tout jeune encore, une série de pièces lyriques en l'honneur des triomphes de l'armée anglaise, et des poésies religieuses parfaitement orthodoxes. Toutes ses compositions, peu poétiques en somme et justement oubliées aujourd'hui, sont sensées et correctes, et témoignent d'un caractère droit, pieux et aimable. Ce fut le Spectateur et la tragédie de Caton qui mirent le comble à sa réputation. Nous reviendrons tout à l'heure à la célèbre Revue. Le Caton (joué en 1713)
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est une tragédie froide et classique, composée d'après les règles d'Arïstote et les modèles français : l'action y est insignifiante, et les scènes d'amour y sont très faibles ; mais il faut rendre hommage à la correction du plan, à la beauté du style, à l'élévation des sentiments, à l'éloquence des discours, dont l'auteur abuse, mais qu'inspire un généreux souffle de liberté. Aussi n'estil pas étonnant que cette pièce ait obtenu, lors de son apparition 1, un succès universel, auprès des tories . comme des whigs. Les autres tentatives dramatiques d'Addison furent moins heureuses : son drame du Revenant est faible, et même ridicule à l'occasion; son opéra national de Rosamonde (1707) ne vaut guère mieux, car l'élément tragique y est gâté par l'introduction de deux personnages comiques, étrangers à l'action.
Comme prosateur, outre des articles de Revues ou Essais, Addison a écrit des pamphlets politiques, une Relation de voyage en Italie, un traité inachevé sur l'Évidence du christianisme, et divers opuscules, qui se font tous remarquer par la finesse et l'élégance du style. Ce mérite seul eût suffi à faire d'Addison l'un des bons écrivains de cette période ; mais il en est devenu le plus grand, grâce au Spectateur.
C'est le Ier mars 1711 que parut le premier numéro de ce journal, moitié politique, moitié littéraire, qui n'a guère eu d'équivalent chez nous. Déjà Steele avait tenté une entreprise analogue, mais sans beaucoup de succès. Les deux amis, aidés de quelques autres, collaborèrent activement à la nouvelle revue, dont la popularité dépassa bientôt leurs espérances 2 : elle suspendit cependant sa publication le 6 décembre 1712, reparut dix-huit mois après, et cessa définitivement, de paraître le 20 décembre 1714, formant ainsi huit
1. Elle fut jouée trente-cinq fois de suite, ce qui n'est arrivé qu'à bien peu de drames sur la scène anglaise.
2. Au bout de très-peu de temps, le Spectateur tirait àvingt mille exemplaires, chiffre énorme pour cette époque.
il.. 16
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volumes, dont le dernier est le meilleur, parce qu'il est presque tout entier l'oeuvre du seul Àddison
L'idée même qui présida à cette publication périodique était des plus heureuses : les auteurs imaginèrent une sorte de réunion de gens d'esprit, un club anglais, où chacun émettait librement son opinion sans s'inquiéter de celle de ses collaborateurs, ou en se réservant de la faire discuter et réfuter par un autre personnage toujours figuré par un pseudonyme significatif. De là une grande variété, une forme vraiment dramatique, qui excitait ou réveillait l'attention et l'intérêt du lecteur. Addison se réservait les rôles principaux, notamment celui du spectateur, et s'identifiait admirablement avec eux. Il traitait de préférence les sujets moraux et avait l'art de les relever par des plaisanteries de bon goût, vrai type de l'humour. En politique, il tâchait d'être impartial et de tenir exactement la balance entre les diverses opinions : aussi, malgré ses préférences whigs, eut-il des amis et des admirateurs dans tous les partis. En religion, il s'appliquait surtout à faire l'apologie de la Providence et celle de la foi chrétienne dans ce qu'elle a de plus général. Les dames jouent un grand rôle dans l'auditoire supposé d'Addison : il leur fait volontiers des compliments, mais il leur donne aussi des leçons et sait parfaitement, dans son ingénieux badihage, assaisonner ses bienveillants conseils de malicieuses épigrammes. On voit qu'il connaît la femme, et l'on sent qu'il s'intéresse à ses progrès comme à son, bonheur.
Voici, pour donner quelque idée de la manière et du ton de cet écrivain, comment il annonce ou définit, dans plusieurs articles, le rôle de son journal et la part qu'il compte prendre lui-même dans sa rédaction :
« Le club dont je suis membre se compose, heureusement d'individus engagés dans des carrières différentes, de députés, en quelque sorte, des classes les plus remarquables de la société. Par ce moyen, je profite d'une foulé de renseignements et de matériaux divers, et je connais tout ce qui se
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passe dans les nombreux quartiers et dans les réunions,: non seulement de cette grande capitale, mais de tout le royaume. Mes lecteurs ont aussi la satisfaction de savoir qu'il n'y a point de rang ou de condition parmi eux qui ne trouve des représentants dans ce club, et qu'il y a toujours quelqu'un là pour prendre en main leurs intérêts respectifs.... La plupart des articles que je livre au public ont rapport à des sujets qui ne varient point, mais qui sont à jamais immobiles et immuables. De ce genre sont tous mes essais et mes discours les plus sérieux. Mais il Y a une autre sorte de spéculations que je regarde comme des pièces de circonstance et qui doivent leur origine aux folies, aux extravagances et aux caprices de l'époque actuelle. Car je me considère comme un surveillant destiné à s'enquérir des moeurs et de la conduite de ses compatriotes et contemporains, et à signaler toutes les modes absurdes, les coutumes ridicules ou les affectations de langage qui s'introduisent dans la société 1. »
L'Irlandais Richard STEELE (I672-1729) a été le digne lieutenant d'Addison dans cette campagne entreprise au profit du bon sens et des moeurs. Il est moins célèbre aujourd'hui pour avoir écrit de vigoureux pamphlets et la première comédie vraiment morale de l'époque, the conscious Lovers (les Amants convaincus), ou quelques drames assez médiocres en somme, que pour avoir eu, le premier, l'idée de créer une sorte de tribune permanente et universelle, au moyen de la publication d'une revue. C'est lui qui fonda le Tatler (Bavard) le 12 avril 1709 et le rédigea d'abord seul, sans signer ses articles. Addison devint bientôt son collaborateur, et tous deux prirent alors le parti de ne plus cacher leur nom. Cette revue dura ainsi jusqu'au 13 janvier 1711, et ce fut le Ier mars suivant
1. Voir, pour une étude plus détaillée du rôle et du caractère d'Addison, l'Hist. de la litt. anglaise, de L Mézières (Ier vol.), où se trouvent un grand nombre d'extraits du Spectateur, tous intéressants et choisis avec goût, de façon à donner une idée très complète de cette revue.
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que parut le Spectateur. Concurremment avec ce journal, mais avec moins de succès, Stéele publia pendant quelque temps le Guardian (ou Tuteur), que son caractère trop sérieux empêcha dé réussir. Mais l'exemple était donné : les revues abondèrent depuis lors en Angleterre, et presque toutes, jusque vers la fin du siècle, se réglèrent sur les modèles qu'avaient donnés les auteurs de ce genre. Même dans les livres, on tâcha d'imiter la manière de Steele et d'Addison.
Bien au-dessous d'eux, et comme un tirailleur des avant-postes, nous apparaît le trop fameux Ashley Cooper, comte de SHAFTESBURY (16711-1713), moraliste et philosophe, si l'on veut, mais dont la morale comme la philosophie se ressentaient encore du relâchement de la Restauration. Ses Characterisiics parurent en 1711, et durent principalement leur succès à l'élégance du style, à la vivacité de l'allure, peut-être aussi au scepticisme aimable dont l'auteur faisait parade.
La philosophie pure et dogmatique est représentée avecéclat par Samuel CLARKE (1675-1729), aussi connu par son érudition et sa culture scientifique que par ses travaux de métaphysique et de théologie.Il avait commencé par publier des Paraphrases des quatre Evangiles et des Sermons, ainsi que divers ouvrages de théologie; de 1704. à 1706 parut son célèbre Traité de l'existence de Dieu. On lui doit, en outre, de remarquables éditions de Jules César et de l'Iliade.
L'idéaliste George BERKELEY (1684-1753) était aussi un homme d'Église; et, comme l'a. si justement remarqué M. Taine, « la philosophie, chez lui comme chez ses contemporains, est toujours subordonnée à la théologie : de toutes parts, les conceptions philosophiques avortent ou languissent; si Berkeley en rencontre une, la suppression de la matière, c'est isolément, sans portée publique, par un coup d'Étal théologique, en homme pieux qui veut ruiner par la base l'immoralité et le matérialisme. » II était évêque de Cloyne, homme aimable, du reste, et,désintéressé. Il publia en 1709 une Théorie de la vision, remar-
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quable étude psychologique, par laquelle il préludait à son grand ouvrage, intitulé Principes de la connaissance humaine, où il développa son système de l'immatérialisme. Un autre théologien, John HUTCHINSON (1674-1737), essaya de pousser la philosophie dans la voie du mysticisme, en donnant le langage révélé comme le fondement de toutes nos connaissances.
L'histoire n'est pas encore arrivée à ce qu'elle doit être, à ce qu'elle sera bientôt : nous ne rencontrons ici que des essais plus ou moins estimables, mais aucun chef-d'oeuvre. Gilbert BURNET(I643-I7I5), évêque de Salisbury, écrivit plusieurs ouvrages remarqués de son temps, et qui méritent d'être consultés encore aujourd'hui : entre autres, une assez bonne Histoire, de la Réforme en Angleterre, et une Histoire de mon temps, qui va de la Restauration jusqu'aux dernières années de la reine Amie. Burnet, qui était né en Ecosse, avait eu dans sa jeunesse une existence accidentée: exilé parles Stuarts, il s'attacha au prince d'Orange, qui, devenu Guillaume III, le récompensa en lui donnant un évéché. Ce qui fait surtout l'intérêt de son Histoire de mon temps, c'est que l'auteur a pu voir de prés la plupart des hauts personnages qu'il y fait figurer. Certains critiques préfèrent cependant son Histoire de la Réforme.
Nous ne nommerons, après lui, que pour mémoire TYRRELL, dont l'Histoire générale d'Angleterre parut en 1700, et Thomas ROWE (1687-1715), auteur de quelques biographies, mais plus connu par sa femme, dont il a été question au § Ier de ce chapitre.
L'ouvrage de mistress MAKLEY, intitulé la NouvelleAtlantis. tient à la fois de l'histoire, du roman et de la satire. Cette femme d'esprit, mais de moeurs légères, paraît-il, avait été lectrice d'une maîtresse de Charles II, la duchesse de Clevelaud, et mourut à Londres en 1724. Elle fut malheureuse dans sa jeunesse et n'eut pas à se louer non plus de sa protectrice. De là l'esprit satirique et l'amertume qui dominent dans son ouvrage. Celui-ci a pour titre : Mémoires secrets con-
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cernant les moeurs et coutumes des personnes de qualité de la Nouvelle-Atlantis, île de la Méditerranée. Il va sans dire que cette Nouvelle-Atlantis désigne I'Anglelerre, dont l'auteur raconte l'histoire satirique de 1683 à 1710 environ, époque où parut son livre.
La fiction n'a rien d'original : Astrée, dégoûtée de la perversité humaine, veut quitter la terré une seconde fois; elle rencontre la Vertu, sa mère, proscrite comme elle : après avoir gémi ensemble sur la corruption des mortels, elles se rendent dans un monde nouveau, l'Atlantis, et, là, d'autres personnages allégoriques, comme la princesse Renommée, l'Intelligence, etc., les mettent au courant de l'histoire et des;moeurs de ce pays. Dans la légèreté de certaines anecdotes, on reconnaît l'influence de la Restauration ; mais elles sont généralement présentées de façon à ne pas produire un effet immoral ; l'auteur, au contraire, semble toujours vouloir prendre le parti de la vertu et des bonnes moeurs. Les portraits sont remarquablement tracés, et l'on trouve de nombreux passages où les moeurs, les vices et les ridicules de la société anglaise d'alors sont finement observés et nettement décrits.
Aussi, après la publication du premier volume, qui eut un grand succès, la Chambre des lords voulut-elle poursuivre l'imprimeur : mistress Manley, qui n'avait pas signé son oeuvre, se déclara aussitôt et fut enfermée pendant quelque temps. On prétendit qu'elle avait eu des collaborateurs très haut placés : ce qui est probable, c'est que beaucoup de traits et d'observations de son roman ont dû lui être fournis par des hommes politiques. Elle fut liée, d'ailleurs, avec Swift, qui ne fut peut-être pas étranger à la conception, sinon à la rédaction de son livre.
Mistress Manley, oubliée à tort aujourd'hui, avait écrit, avant son Atlantis, d'autres romans moins célèbres, et même des tragédies, dont l'une obtint quelque succès, en 1693.
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CHAPITRE VI.
SECONDE PARTIE DE L'AGE CLASSIQUE
MODERNE, OU LE XVIIIe SIECLE
DE I7I4. A l800.
Cette période peut sembler, au premier abord, embrasser un trop vaste espace de temps, et l'on trouvera que notre division n'est guère proportionnée, eu égard à la période précédente, qui n'était que d'un quart de - siècle, tandis que celle-ci compte quatre-vingt-six années. Mais on verra, par la suite, qu'il était difficile de subdiviser le XVIIIe siècle : les caractères généraux sont les mêmes pour la plupart de ses. écrivains. Ce que l'on remarque chez presque tous, c'est la couleur philosophique et souvent scientifique de leurs ouvrages : la poésie descriptive, le roman, le drame, tout se res-, sent de cette préoccupation nouvelle, depuis l'avènement de George Ier jusqu'au milieu du règne de George III, à l'aurore même du xixe siècle.
§ Ier. — La Poésie.
SECTION Ier. — École philosophique. —- Nous désignons sous ce nom les poètes qui s'appliquent surtout à étudier et à analyser dans leurs vers l'âme et le coeur de l'homme au point de vue le plus général, tandis que d'autres, à la même époque, préfèrent décrire les scènes de la nature ou leurs propres impressions : ceux-ci constitueront pour nous l'école descriptive et sentimentale. Le trait commun qui caractérise les uns comme les autres, c'est un grand soin de la forme, et, en général, sauf quelques rares exceptions, la fai-
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128 LITTÉRATURES ÉTRANGÈRES.
blesse de l'inspiration, la pauvreté de l'imagination. Les derniers, cependant, ceux surtout qui sont voisins de notre siècle, sont déjà plus riches sous ce rapportLe
rapportLe le plus achevé des poètes de la première classe est assurément Alexandre POPE (1688-1744), qui appartient par ses débuts à la période précédente. Son Essai sur la critique est, en effet, de 1709, et plusieurs autres de ses oeuvres les plus renommées, sont antérieures à 1714; mais son action ne s'est vraiment exercée qu'après cette date. C'était le fils d'un marchand drapier de Londres, qui appartenait à la religion catholique. Élevé avec soin, mais dans l'isolement, le jeune Pope, qui était chétif et difforme, s'adonna à l'étude avec une fiévreuse ardeur; dès l'âge de douze ans, il excite l'admiration par sa science et son esprit, et compose des vers qui font concevoir de lui les plus hautes espérances : son père lui-même; l'encourage dans cette voie, et le poète de seize ans écrit des Pastorales, traduit en vers des auteurs anciens, et commence un petit poème intitulé la Forêt de Windsor, qu'il termina quelques années après, et qui fut univer-. sellement admiré pour l'harmonie de son style; c'était, à coup 'sûr, le meilleur poème didactique qui eût paru avant les Saisons de Thomson. A vingt et un ans, il donne son Essai sur la critique (Essay on Criticism), qui fut salué par ses contemporains comme un chef-d'oeuvre. Deux ans après, il met le sceau à sa gloire par sa Boucle enlevée (1711) et son Élégie sur une dame infortunée. Puis vient son Epître d'Heloîse à Abèlard, suivie de quelques autres poésies, toujours accueillies avec la même faveur.
Mais sa fortune n'était pas assez brillante à son gré : son père ne lui avait laissé qu'un médiore héritage; il résolut de l'agrandir par un travail lucratif, et entreprit alors cette traduction d'Homère quilui donna, dit-on, plus de deux cent mille francs. L'Iliade parut de 1715 à 1720; pour l'Odyssée, qu'il publia ensuite, il s'adjoignit deux collaborateurs, Fenton et Bropme, qu'il rétribua en bon directeur d'entreprise. Grâce à
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ces bénéfices plus commerciaux que littéraires, Pope put s'acheter la belle villa de Twiclienham, sur la Tamise, et recevoir habituellement l'élite de la société anglaise, les tories surtout, avec lesquels il s'était lié de préférence.
Mais si Pope avait quelques amis et beaucoup de courtisans, il avait encore plus d'ennemis, et il le devait à la malignité de son esprit, à l'âpreté de son caractère, à l'outrecuidance de son amour-propre. Parvenu à la richesse et à la gloire, il passa son temps à batailler contre ses confrères, à composer des satires plus grossières es que mordantes, comme sa Dunciade (1728). Entre-temps il écrit encore quelques oeuvres remarquables, son Essai sur l'homme (1733), ses Imitations des satires et des épitres d'Horace, ses Essais, moraux en quatre épitres, dont le fond est encore satirique, et meurt à l'âge de cinquante-six ans (1744), en laissant la réputation d'un des plus grands poètes de l'Angleterre.
On a peut-être trop rabaissé son. mérite depuis lors. A la fin du siècle, lord Byron essaye en vain de le défendre contre les mépris de la nouvelle génération ; les. critiques contemporains le traitent encore volontiers d'esprit médiocre, correct et compassé, et -lui refusent le titre de poète. Il est certain que ses chefsd'oeuvre, l'Essai sur la critique, l'Essai sur l'homme, la Boucle enlevée, et même la Forêt de Windsor, ne répondent pas à l'idéal que nous nous faisons aujourd'hui de la poésie ; mais on y trouve de beaux passages, et l'ensemble en est toujours remarquable par la composition et l'harmonie. Son Élégie, mentionnée plus haut, est pathétique et touchante parendroits. La philosophie et la morale, dont il abuse dans ses vers, sont souvent relevées par des images, peu originales, il est vrai, mais naturelles et vives. Son poème héroïcomique, la Boucle enlevée, malgré ses longueurs et ses absurdités, ne manque pas d'esprit et d'imagination. Ses satires sont grossières, surtout la Dunciade (ou Poème des sois, dirigé contre le poète Théobald), mais la II. 17
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verve y est incontestable. En somme, Pope est encore bien au-dessus de la plupart des poètes de son temps et de son école.
En prose, il a écrit des Lettres trop maniérées, évidemment destinées à la publicité, mais fines, spirituelles, élégantes; et il a collaboré, avec Swift et Arbuthnot, à la Vie de Martin Scriblerus, pamphlet original où l'on trouve des réflexions aussi justes que piquantes sur la fameuse querelle des anciens et des modernes.
Si la valeur poétique d'une époque se mesurait au nombre de ses poètes et de leurs productions, nous devrions regarder cette période comme une des plus fécondes de l'histoire de la littérature anglaise ; mais presque tous ces prétendus poètes n'étaient que des versificateurs, et nous ne dirons que peu de mots de ceux d'entre eux qui ont mérité, à quelque titre que ce soit, d'être tirés de l'oubli. Le poème didactique, naturellement, a le pas sur toutes les autres compositions : c'est le genre que les versificateurs affectionnent le plus, parce qu'il ne paraît pas demander une grande imagination. Robert DODSLEY (1703-1764), d'abord valet de pied, puis libraire et auteur, fit des poèmes sur l'Agriculture et sur l'Art de prêcher; il vaut mieux dans ses Fables anciennes et modernes, dans ses Chansons, presque toutes érotiques; et dans son recueil de ballades populaires et nationales, intitulé le Roi et le Meunier de Mansfield. Il obtint, au théâtre, un succès de gloire et d'argent avec sa Boutique de galanterie. En prose, il se fit un nom par son Traité de l'économie de la vie humaine (1734), qui fut longtemps attribué à Chesterfield, et par son;Précepteur, sorte d'encyclopédie pour l'éducation (1748) qui obtint un brillant et durable succès.
Le médecin écossais John ARMSTRONG (1709-1777) est célèbre par son poème sur l'Art de conserver la santé, encore estimé aujourd'hui pour son esprit et son élégante simplicité. Ce même auteur avait écrit une Économie de l'amour, composition peu morale, qu'il
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fit disparaître plus tard de la collection de ses oeuvres.
Le poème du Tombeau, (the Gravé), de l'Écossais Robert BLAIR (1700-1748), est non seulement élégant et harmonieux, mais plein de tableaux sombres et grandioses, de sentiments sérieux et vrais, qui expliquent son long succès.
On peut citer encore, sans leur donner trop d'importance, la Bibliothèque, de NEWCOMB (1671-1766); les Élans de l'imagination, de Thomas PENROSE (1748-1779), qui écrivit aussi quelques odes remarquables, celle notamment sur la Folie, et celle sur le Génie de la Grande-Bretagne, où il prédit l'indépendance de l'Amérique, etc.
Mais il faut donner une place à part à Beattie, à Darwin et à quelques autres qui se rapprochent déjà davantage du genre vraiment descriptif. James BEATTIE (173 6-1803), né en Ecosse, la patrie de tant de poètes an.XVIIIe siècle, est surtout connu par son Ménestrel, ou les Progrès du génie, poème en deux chants, écrit dans le rythme de Spenser, avec une grande pureté de style, un vrai talent d'exposition et ce que les Anglais appellent une certaine éloquence méditative : il y esquisse, d'après ses propres impressions, les progrès de l'imagination et du sentiment chez un jeune poète rustique. Sa ballade de l'Ermite lui assigne un rang honorable parmi les poètes lyriques de cette époque. Il se fit aussi un nom dans la prose, par ses ouvrages de controverse, de philosophie et de morale : il entra même en lice contre le sceptique David Hume ; mais son Essai sur la vérité, qui lui valut une pension royale, n'en est pas moins une oeuvre superficielle.
Érasme DARWIN (1732-1802), médecin et naturaliste, est l'auteur d'un poème intitulé le Jardin botanique, où Delille a pris, son épisode des amours des plantes. Ce poème, qui parut en plusieurs parties de 1781 à 1792, est en réalité une exposition allégorique et versifiée du système de Linné, qui réussit d'abord à cause de son originalité, de son style brillant et figuré, mais que son manque absolu d'intérêt fit bientôt tom-
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ber dans l'oubli. Encouragé par son premier succès, Darwin donna, en 1793, un poème analogue, la Zoonomie, où il exposait les lois de la vie organique. Quoique froides et compassées, ces deux productions sont encore supérieures à son Temple de la nature, qui ne parut qu'après sa mort.
Parmi les poètes didactiques de cette période s'en rencontrent deux que la similitude de leurs noms fait confondre parfois entre eux, et que nous mentionnons ensemble pour ce motif. Ce sont John BROWN (17151766), ecclésiastique honorable et poète médiocre, auteur d'un poème sur la Liberté, d'une tragédie de Barberousse, d'un Essai sur la satire, etc. ; et Hawkins BROWNE (1706-1760), auteur d'un poème sur les Beaux-Arts et de la Pipe de tabac, où il parodie avec esprit les poètes les plus connus de son temps 1.
Nous terminerons cette énumération parle nom de Richard GLOVER (1712-1783), simple marchand de Londres, qui s'essaya dans le poème épique ou héroïque (Léonidas), dans le genre didactique [Londres, l'Alhênaide), dans la tragédie (Boadicée, 1752; Médée, 1761), dans la ballade, etc. Son Léonidas, qu'il écrivit à vingt-cinq ans, obtint une certaine vogue, qu'il ne mérita pas de conserver, car il manque à peu près totalement d'inspiration, mais qui s'explique par la pureté de son style et l'harmonie de sa versification.
Le genre didactique, on le voit, attirait presque tous les écrivains : plus d'un, que nous avons omis, s'y était distingué de son vivant, que la postérité ne connaît que pour ses autres titres littéraires. Tels sont, par exemple, Isaac WATTS (1674-1748), qui fut d'abord ministre dissident à Londres, mais que sa mauvaise santé obligea à se retirer dans une riche famille, à la campagne, où il passa les trente-six dernières années de sa vie à écrire des ouvrages de théologie et de morale, divers poèmes philosophiques et des poésies
I. Un autre Brown (Thomas), poète et philosophe, sera mentionné plus loin. (Voy. chap. VII, g Ier, section Ier)
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lyriques destinées surtout aux enfants ou aux personnes pieuses, mais qui constituent encore la meilleure partie de son bagage; — le médecin AKENSIDE (1721-1770), imitateur des Grecs, noble penseur, harmonieux styliste, qui a de beaux passages dans son poème des Plaisirs de l'imagination (1754), mais plus remarquable comme poète lyrique et politique dans ses Hymnes à la Joie et aux Naïades, et dans ses Épitres à Curion, où il attaque un haut personnage; homme vain, du resté, et irritable, mais qui semble avoir eu en tout cas une âme vigoureuse et enthousiaste; — l'Écossais Alexandre WEBSTER (1707-1784), dont les poésies lyriques et surtout les Chansons furent assez longtemps populaires; — Ambrose PHILIPS (1678-1749), auteur d'une tragédie médiocre (la Mère malheureuse), d'odes pindariques et d'idylles où il a la prétention d'imiter Théocrite, mais dont la forme est trop rude; — TICKELL (1681-1740), qui écrivit dans le Spectator et dans le Guardian, et dont quelques poésies ont survécu, notamment son Elégie sur la mort d'Addison; — William MASON (1725-1797), auteur d'un poème sur le Jardinage, dont l'élégance est le seul mérite, mais plus connu par ses odes, dont les meilleures sont intitulées Sur l'indépendance, Sur la destinée de la tyrannie, Vision de la naissance de la vérité, etc. Mason a aussi écrit des tragédies avec choeurs; mais son principal titre de gloire, à' nos yeux, est d'avoir été un des premiers poètes de son temps à combattre la traite des noirs et l'esclavage; — et enfin LANGHORNE (173 5-1779), qui n'a aucune valeur comme poète didactique, mais dont on lit encore l'Hymne sur l'espérance, et qui a eu le mérite de publier, en 1765, les poèmes de Collins. Il a, en outre, traduit les oeuvres de Plutarque.
Les fabulistes, qui rentrent évidemment dans le genre de la poésie didactique, ne sont ni très nombreux ni très brillants à cette époque : les deux moins mauvais sont Charles DENNIS (vers 1754) et James MERRICK (1720-1766) : ce dernier s'essaya aussi dans la para-
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phrase des Psaumes, où il avait été surpassé par plus d'un poète antérieur.
Mistress THRALE (1740-1822), femme poète de peu de valeur, se fit un nom par ses poésies légères, et n'est plus guère connue que par ses, Lettres et ses ouvrages de grammaire.
John WoicoT ou WOOLCOT (1738-181.9). mérite une place à part au milieu de tous ces poètes philosophiques et prosaïques : ce médecin humoristique, qui signait ses écrits du pseudonyme de Peter PINDAR, est moins célèbre aujourd'hui par ses Ballades et ses Contes en vers que par ses pamphlets contre le roi Georges III (entre 1778 et 1813), et notamment sa Lousiade (ou Poème du pou) : c'est un des meilleurs poètes satiriques et démocratiques de l'Angleterre, et il manque rarement de verve et d'humour; il n'a pas moins réussi dans les pièces légères où il ridiculise les coteries de savants et d'artistes.
Nous rattachons enfin à cette classe de poètes ceux qui ont essayé de faire passer dans leur langue les chefs-d'oeuvre des littératures étrangères,.et dont les principaux sont : STOCKDALE (173 6-1811), traducteur de l'Aminta du Tasse, et auteur de Leçons de littérature estimées; — WODHULL (1740-1816), qui, outre divers poèmes, a donné, en 1782, une traduction d'Euripide; — et MICKLE (1734-1788), auteur de ballades oubliées, d'une Histoire de Portugal et d'une traduction des Lusiades de Camoëns : sa version est généralement peu fidèle, et l'auteur y introduit des interpolations fort inutiles ; son style, plus poétique peutêtre, ou du moins plus figuré que celui de Camoëns, n'a ni la douceur ni la facilité de ce modèle. En somme, c'est une tentative malheureuse, comme celles de la plupart de ses contemporains dans ce genre.
SECTIONII. — Ecole descriptive et sentimentale. — Les chefs de cette école sont Thomson, Young, Gray et Collins : autour d'eux, mais bien au-dessous, se
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groupent de nombreux imitateurs, parmi lesquels il est souvent difficile de choisir ceux qui ont encore aujourd'hui quelques lecteurs.
L'Écossais James THOMSON (1700-1748) était le fils d'un ministre presbytérien, qui le destinait à l'Église; pendant son séjour à Londres, en 1726, il publia son premier poème, intitulé l'Hiver, qui fut bientôt suivi de trois autres, le Printemps, l'Eté, l'Automne : ces quatre compositions forment ce que l'on a; depuis, appelé le poème des Saisoyis. Écrites en vers blancs et avec une rare beauté de style, elles devinrent bientôt populaires et assurèrent la fortune comme la gloire de leur auteur. C'est à coup sûr un des meilleurs poèmes descriptifs qui aient jamais été faits : la nature y est vivement sentie et fidèlement peinte ; l'auteur sait à la fois éviter les développements emphatiques et les descriptions triviales; ses épisodes, habilement intercalés dans l'oeuvre principale, en relèvent la valeur et en rompent la monotonie : telle est, au premier chant, la peinture de l'amour, qui est d'une exquise et délicate chasteté; au second chant, l'histoire d'Amélie et de Damon; tels sont encore, dans la suite, l'éloge de la philosophie, l'hymne à la terre, et les nombreuses et éloquentes considérations morales entremêlées à ses descriptions,
Thomson a écrit, en outre, des tragédies, oubliées aujourd'hui, mais qui obtinrent quelque succès à l'origine; un poème de la Liberté, long et froid, dont les abstractions ne sont pas suffisamment rachetées par quelques beaux passages; et un poème, intitulé Châtèau de l'indolence, imité de Spenser, et qui passe pour son chef-d'oeuvre aux yeux des connaisseurs les plus délicats. Néanmoins ce sont les Saisons qui lui assurent encore maintenant, chez le public lettré, la gloire la plus incontestée.
Son caractère, d'après le témoignage de ses contemporains, était aimable et bienveillant, malgré l'apathie et la paresse dont il se sentait malade et qu'il paraît avoir raillées dans son dernier poème. Thomson
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mourut encore jeune, à la suite d'un refroidissement, et ce fut une des pertes les plus regrettables pour la littérature anglaise du siècle dernier.
Edouard YOUNG (1681-1765), quoique né longtemps avant Thomson, n'entra qu'après lui dans la voie de la poésie descriptive. Cet ecclésiastique mondain et ambitieux avait débuté par des poésies de circonstance, politiques ou religieuses, où quelques passages vraiment beaux sont gâtés par la plus basse adulation vis-à-vis de la reine Anne et de ses ministres (Epître à lord Landsdotvne, 1712; le Jugement dernier, 1713). Pendant vingt années, ensuite, on le voit sans relâche occupé à louer le roi George Ier et ses favoris. Entre-temps, il s'essaye au théâtre, ou ses tragédies, sauf la Revanche, eurent peu de succès ; il écrit aussi quelques satires et une paraphrase du livre de Job, le tout fort médiocre. Après la mort de sa femme et de sa fille, et l'échec de ses espérances de fortune, devenu simple curé de campagne, il demanda une consolation à la poésie, et donna, en 1742, la première des neuf parties qui composent son poème des Nuits, et dont le titre primitif était : Pensées nocturnes.
Cette oeuvre a été fort diversement jugée : pour les uns, c'est un poème maniéré, à la façon de ceux de Dryden, où l'emphase est égale à la misanthropie, et qui est presque toujours froid et ennuyeux; pour les autres, c'est une des plus éloquentes peintures de la mort et de l'éternité. On ne peut contester que ce poème ne renferme des parties admirables, où l'imagination est vivement frappée : à force d'accumuler les images triviales et horribles, mais vraies, l'auteur nous intéresse et nous touche, et c'est à ce point de vue que son oeuvre doit être rangée parmi les meilleures dans le genre; descriptif et sentimental; mais il est vrai aussi qu'elle est trop longue, déclamatoire par endroits et généralement monotone.
Young n'est guère connu que par ses Nuits : il y a cependant quelques beaux morceaux dans ses poésies lyriques, notamment son Imperium pelagi, écrit, à la
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louange de l'Angleterre. Il a été, enfin, pendant quelque temps, collaborateur du Spectator. Thomas GRAY (1716-1771), « le solitaire morose de Cambridge » (Taine), a imité Young dans son Cimetière de campagne (1750), qui lui fut inspiré par la mort d'un ami. Professeur à l'université de Cambridge, il passa la plus grande partie de sa vie dans cette studieuse retraite, où il se livrait à la poésie comme à la plus pure et la plus noble distraction. Ses odes, quoique inférieures à sa fameuse élégie, ne manquent pas de sentiment, et lui valurent le surnom de poète de la tristesse (odes à l'Adversité, au Printemps, le Barde, sur les Progrès de la Poésie) : dans ces deux dernières, il s'élève presque aussi haut que Milton; dans toutes, on trouve une irréprochable harmonie de style et une vive sympathie pour les joies et les souffrances de l'humanité. Un fait nous montre la popularité de ce poète à la fin du siècle dernier : un de ses éditeurs, Wakefield, lui consacra, en 1780, des commentaires suivis, comme à un auteur classique. On est bien revenu, aujourd'hui, de cet enthousiasme; mais l'élégie du Cimetière restera toujours comme un des plus beaux morceaux de la poésie anglaise.
L'imagination et le sentiment vrai font aussi le charme des poésies de William COLLINS (1720-1756), « ce jeune enthousiaste qui se dégoûta de la vie, ne voulut plus lire que la Bible, devint fou, fut enfermé, et, dans ses intervalles de liberté, errait dans la cathédrale de Chichester, accompagnant la musique de ses sanglots et de ses gémissements. )" (Taine.)
Il mourut, en effet, dans un asile d'aliénés, après avoir été privé, par ses funestes habitudes, de la santé du corps et de l'esprit. Il a été l'émule souvent heureux de Gray pour l'harmonie, l'éléganfce et la sensibilité de ses poésies lyriques : son imagination est plus riche encore, par exemple, dans ses Odes orientales. Il avait débuté, en 1746, sans beaucoup de succès, par des odes allégoriques et descriptives, dont 11. I3
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la plus célèbre est son Ode aux passions. Il fit sensation, quelque temps après, par un poème assez étendu sur les superstitions écossaises, où se trouvent de très beaux passages. Son talent lyrique est incontestable, surtout dans ses odes intitulées la Liberté, la Compassion, le Soir,
La poésie descriptive, au XVIIe siècle, est principalement élégiaque : ainsi John DYER (1700-1758), curé de campagne comme tant d'autres poètes de cette période et de cette classe, et peintre à ses moments perdus, chante les Ruines de Rome, mais n'arrive pas à être bien pathétique; il s'essaye, sans grand succès, dans un poème didactique sur l'élevage des brebis, intitulé la Toison; il a plus de profondeur de pensée et de souffle lyrique dans son petit poème descriptif de GrongarHill, où il semble se rattacher au vieux John Denham.
William SHENSTONE (1714-1763), qui débuta en 1740 par son poème philosophique, 1 le Jugement d'Hercule, et continua la série de ses succès par des ballades, des élégies, sa Rural élégance, sa Maîtresse d'école et Colemira, a été peut-être trop sévèrement jugé par un des maîtres de la critique contemporaine : M. Taine le classe, en effet, parmi ces poètes « qui ne se débarrassent pas facilement de la draperie classique, bien que le fond soit changé; ils écrivent trop bien; ils n'osent pas être naturels; il ne leur sert de rien d'être passionnés ou réalistes, d'oser décrire, comme Shenstone, une maîtresse d'école et l'endroit sur lequel elle fouette un polisson : leur simplicité est voulue, leur naïveté archaïque, leur émotion compassée, leurs larmes académiques, » Le poème de la Maîtresse d'école a son mérite : l'auteur y reproduit avec assez de bonheur la manière de Spenser en racontant les impressions de sa première jeunesse. Sa Ballade des Patres est un modèle de simplicité vraiment élégiaque ; son Elégance champêtre, écrite dans le genre de Pope, et sa Golemira, qui n'est qu'une églogue de cuisine, sont d'une précision qui n'exclut pas l'imagination. \\
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Cette précision poétique est aussi la qualité dominante du malheureux poète écossais William FALCONER (1730-1769), qui périt dans un naufrage, après avoir chanté avec une rare vérité ce genre de catastrophe : son poème du Naufrage (1762) est encore estimé pour la vigueur et l'exactitude des peintures. L'auteur, avant d'être lui-même une des victimes de l'Océan 1, avait eu occasion d'assister à ces terribles scènes.
Michel BRUCE (1746-1767), maître d'école en Ecosse, et mort à la fleur de l'âge, eut le temps de se faire un nom par son petit poème descriptif de Lochleven et par une charmante Élégie au Printemps. Un autre Écossais, Robert FERGUSSON (17511774), mort également très jeune après, une vie dissipée, excella au contraire dans la description des villes, dont il calquait l'image sur celle d'Edimbourg (Poésies mêlées). Le voyageur KEATE (1729-1757) s'applique, à décrire les ruines célèbres, dans son poème sur Rome (1760). Le quaker John SCOTT (17301783), poète voyageur comme Keate, rapporta de ses tournées en Arabie et en Egypte des Eglogues orientales (1780) qui sont souvent remarquables par la couleur et l'inspiration.
Citons encore, dans ce genre, l'Irlandais John CUNNINGHAM (1729-1783), acteur et auteur, qui réussit quelque temps avec ses comédies, et se fit estimer encore davantage pour ses poésies pastorales; et l'Ecossais MACPHERSON (1738-1796), qui, vers 1762, publia un prétendu poème du barde OSSIAN 2, intitulé Fingal, et donna, dans la suite, avec moins de succès, ses propres poésies, ainsi qu'une Histoire d'Angleterre. La question de l'authenticité des poèmes
1. Il avait été nommé agent d'une compagnie de navigation pour l'Inde : le navire qu'il montait périt pendant la traversée, sans qu'on ait pu en recueillir seulement une épave.
2. Sur le barde Ossian, voir plus haut p. 2.
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d'Ossian, longtemps controversée, est résolue depuis un demi-siècle ; il est parfaitement vrai que Macpherson a recueilli, dans ses voyages au milieu des montagnes et sur le littoral de l'Ecosse, des chants nationaux, des fragmenls d'épopées , lyriques fort anciens, en langue gaélique ; mais c'est gratuitement qu'il les a attribués au vieux barde Oïsin ou Ossian, lorsqu'il en a publié la traduction. Cette ceuvre d'emprunt, du reste, a été faite par lui avec beaucoup de goût et d'habileté : de là, sans doute, le: prodigieux succès qui l'accueillit à son apparition, et qui dure encore dans certaines parties de l'Angleterre et de l'Europe.
La tendance mélancolique, inaugurée par Young, s'accentue de plus en plus vers la fin du siècle, avec des poètes tels que Cowper et Burns, qui eurent, à leur tour, de nombreux imitateurs. William COWPER (1731-1800) n'a été poète que très tard et pendant une courte partie de sa maladive existence : il avait commencé par faire son droit, puis y renonça pour des raisons de santé ; enfin, retiré à la campagne dans une famille hospitalière, il devint auteur par la force, de sa vocation, à cinquante ans, et publia son premier volume de poésies en 1782; quelques années après, il donne un long poème didactique et descriptif, the Task (le Devoir), où il imite Thomson ; puis une traduction d'Homère eu vers blancs; des Epitres en vers, un poème comique, en forme de ballade, John Gilpin, et un autre poème satirique, le Tirocinium, dirigé contre le système scolaire des Anglais. A partir de 1702, il retombe dans la sombre mélancolie à laquelle toute sa vie fut en proie, sauf les quelques moments lucides pendant lesquels il avait écrit les poèmes ci-dessus mentionnés et des Lettres dont nous parlerons plus loin.
Cowper manque peut-être d'imagination, mais sa poésie se distingue par l'expression naturelle et touchante de ses sentiments ; on y trouve une teinte à la fois religieuse et mélancolique, une profonde obser-
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vation, parfois même une satire assez piquante des moeurs du siècle, mais qui ne s'abaisse jamais jusqu'aux personnalités. Il aime la nature et s'intéresse même aux animaux maltraites par l'homme. Ses Lettres furent publiées par le poète Hayley, avec lequel il s'était lié d'une étroite amitié vers la fin de sa vie ; on y trouve, comme dans ses poésies, les traces de sa mélancolie, de sa foi religieuse presque mystique, et parfois aussi d'une humeur gaie et légèrement caustique.
Négligé de son vivant, Cowper n'a pu jouir de sa gloire : c'est notre siècle qui a commencé à lui rendre justice, et, grâce surtout aux romantiques, son nom est aujourd'hui l'un des plus admirés de la littérature anglaise.
Il en est de même du poète écossais Robert BURNS (1759-1796), qui, après une existence très malheureuse, laissa un nom des plus illustres dans l'histoire de la poésie moderne. Né d'une famille pauvre, il ne connut jamais que la misère, et ajouta encore à ses maux par, des excès qui compromirent sa santé et hâtèrent sa fin. Son caractère offre un mélange de contradictions étonnantes, dont l'étude présente un véritable intérêt au point de vue psychologique. Impétueux et indépendant, passionné pour le beau et le bien, ses égarements et ses passions furent la cause de ses malheurs; et sa mauvaise fortune lui fit commettre des fautes qui causèrent sa mort, et qu'il se reprocha plus encore que ne le fait la postérité.
II s'était exercé de bonne heure à chanter les légendes et les traditions populaires de l'Écosse, .en imitant d'abord ses compatriotes Ramsay et Fergusson : sa réputation commença dès 1786, année où il publia à Edimbourg son premier volume de poésies. Ses productions ultérieures augmentèrent sa gloire sans améliorer sa position : elles sont encore plus remarquables que les premières par la vigueur de la pensée, le sentiment, la passion et le bonheur d'expression, qui fait de Burns un auteur vraiment
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classique. On peut lui reprocher d'accorder trop de place dans ses vers à la peinture de l'amour sensuel; mais il y mêle constamment une douce mélancolie, qui ne dégénère jamais en misanthropie, et que tempère toujours un noble sentiment de bienveillance pour ses semblables. Les plus gracieuses de ces poésies sont le conte si original de Tarn O'Shanter, la Marguerite coupée par la charrue, le Lièvre blessé, etc. Mais il est difficile de faire un choix parmi tant dé pièces délicates et touchantes.
Les lettres de Burns forment un commentaire intéressant de ses poésies : elles débordent elles-mêmes de sentiment poétique et décèlent sa riche imagination. Les dernières qu'il écrivit sont remplies de l'expression de sa douleur à l'idée de laisser sa famille dans le besoin, et du remords que lui causaient ses funestes habitudes de débauche et d'ivrognerie. Le style en est animé, spirituel, original; on y trouve de l'aisance et du mouvement, des figures hardies, des expressions familières, souvent aussi des locutions françaises, dont il se sert avec moins de grâce pourtant que Sterne et Mackenzie, ses modèles.
A côté de ces deux grands noms, c'est à peine si l'on peut en citer quelques-uns qui les aient égalés, à de certains moments, dans ce même genre de la poésie descriptive et mélancolique : Lyttleton, Chatterton, les Warton, etc. Lord George LYTTLETON ,(1709-1773) est plus célèbre comme homme d'Élat que comme poète : outre ses Discours, ses Nouvelles, ses Lettres persanes, en prose, et ses Dialogues des Morts, imités de Lucien et composés, pour une partie du moins, en collaboration avec mistress Montague, on a de lui des Églogues qui fatiguent par leur affectation, des Epitres qui valent mieux, et une Monodie sur lamortde sa femme(1 74.6) qui est un chef-d'oeuvre de profonde et poétique mélancolie. ;
Thomas CHATTERTON (1752-1770), qui s'empoisonna à dix-sept ans et demi, est surtout connu en France pour avoir été le héros d'un drame romantique
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d'Alfred de Vigny, qui porte son nom. Il avait débuté, presque enfant, par une supercherie littéraire, en publiant des poésies archaïques, dont il était l'auteur, sous le nom d'un vieux poète, le prêtre Thomas ROWLIE, qui vivait vers 1470. Ces compositions lyriques étaient assez habilement imitées du vieux style pour les faire accepter comme une-oeuvre du xve siècle aux juges les plus compétents : on y remarquait, d'ailleurs, des beautés réelles. Chatterton, encouragé par ce demi-succès, envoya ses oeuvres, sous son nom cette fois, à des libraires de Londres; mais il céda bientôt au désespoir en se voyant condamné à la misère et à l'obscurité. D'après les quelques écrits qu'il a laissés, on peut supposer qu'il serait devenu, s'il avait pu mûrir son talent, un des meilleurs poètes de l'Angleterre.
Nathaniel COTTON (1721-1788), médecin d'aliénés et poète lyrique médiocre, auteur de poésies morales pour les enfants, eut quelques heures d'inspiration, lorsqu'il écrivit son Coin du feu (the Fire-side), qu'on lit encore avec plaisir, et qui est un chef-d'oeuvre de poésie intime et sentimentale. De même pour le prédicateur John LOGAN (1748-1788), dont on a oublié les tragédies et les poésies lyriques, sauf son Ode au Coucou.
Les WARTON forment une sorte de dynastie poétique dont la gloire tient peut-êire à ce que les trois poètes de ce nom étaient à peu près contemporains. Le plus ancien, le père des deux autres, était Thomas WARTON (1687-174S)) poète moral et élégant, peu connu, du reste; ses deux fils, Joseph WARTON (17221800) et Thomas WARTON (1728-1790), lui sont bien supérieurs. L'aîné, Joseph, homme d'Eglise et littérateur, se montra poète correct, mais fort ordinaire, dans sa traduction de Virgile et son Essai sur Pope; son Ode sur l'Imagination seule révèle un talent remarquable. Le second, Thomas, professeur à Oxford, était doué du génie de la description, et a donné son nom, avec son frère3 à une école lyrique qui s'at-
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tache principalement à l'imagination, en négligeant les règles et la méthode. On cite et on lit volontiers son Chant sur la croisade de Richard Coeur de Lion, et ses odes sur les Plaisirs de la Mélancolie, sur le premier Avril, sûr le Soir, ainsi que plusieurs de ses Épitres. La critique moderne lui a une particulière obligation pour sa grande Histoire de la Poésie anglaise jusqu'à la mort d'Elisabeth, ouvrage de . goût et d'érudition, qui nous a conservé un grand nombre d'anciens textes ou d'extraits des vieux poètes.
Samuel ROGERS (1762-1855), banquier et poète, appartient à cette période par ses premières poésies 1, qui parurent en 1786 : il se montre fidèle disciple de Goldsmith 2, dans ses odes, où il parle vraiment au coeur, avec une touchante simplicité; ses Plaisirs de la Mémoire et son Essai sur la Conversation, oeuvres didactiques d'un incontestable talent, le rattacheraient plutôt aux poètes de l'école philosophique.
Parmi les auteurs qui échappent à notre; classification, et qui n'ont guère d'importance, les moins obscurs sont : Matthew GREEN (1696-1737), qui fut officier de la douane à Londres, et laissa un poème sur le Spleen, vivement écrit, où la mélancolie contraste avec la gaieté;—des femmes poètes, comme mistress KoEINSON (1758-1800), comédienne et auteur, surnommée emphatiquement par ses admirateurs la Sapho anglaise, et dont les Mémoires sont plus intéressants que les poésies; —mistress BARBAULD (1743-1825), soeur de John Aikin, et dont les premières poésies appartiennent à cette période; — et Hannah MORE (1744-1833), dont les drames sacrés, les poèmes et les romans sont aujourd'hui oubliés, mais dont on lit encore le Bas bleu ou Conversation, piquante satire dirigée
1. Nous ne reviendrons pas sur Rogers en parlant des poètes de notre siècle. Il n'a donné, du reste, en fait d'oeuvres remarquables postérieures à 1800, que son poème du Voyage de Colomb (1812).
2. Pour Goldsmith, voir plus loin, p. 166.
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contre, les coteries d'auteurs et les femmes savantes; Citons enfin William SOTHEEY (1756-1833), dont le poème d'Obéron (1798) est digne de celui de Wieland qu'il a imité, et dont les narrations poétiques de Saûl et de Constance de Castille se distinguent par la richesse de leurs descriptions et l'élévation de leur style, mais qui échoua dans le drame (Julien. et Agnès, 1800) ; — et le célèbre peintre Josuê REYKOIDS (1723-1702), dont les tableaux ont fait oublier les poésies et les Discours sur la Peinture.
§ II. — Le Théâtre.
Le nombre des auteurs dramatiques, durant cette période, est plus considérable que leur importance, et, à quelques exceptions près, on peut se contenter de les mentionner, sans s'arrêter longuement à leurs oeuvres. Ceux mêmes qui ont brillé au milieu de la ■ foule n'ont produit en général qu'une ou deux pièces qui aient mérité de leur survivre.
Tel est, par exemple, John GAY (1688-1732), que nous nommons ici en première ligne, et pour sa date, qui le rapproche de la période précédente, et pour la valeur même de son oeuvre principale, l'Opéra du Gueux. Gay, homme aimable et spirituel, doué d'une grande facilité et connaissant à fond le coeur humain, s'était déjà essayé dans plusieurs genres avant de briller au théâtre. Il avait écrit un poème didactique, les Récréations champêtres (the rural Sports, 1711), des idylles comiques, intitulées la Semaine du Berger (the Shepherd's Week), une suite, fort médiocre, du poème de Gondiberl, de Davenant, un poème héroïcomique, Trivia (ou l'art de se promener dans les rues de Londres), qui renferme d'excellentes descriptions, et enfin des Fables, qui le rendirent populaire, et dont les premières, parues en 1726, sont les meilleures, celle, par exemple, du Lièvre et ses amis : la suite qu'il leur donna, et qui ne comprend guère que
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des fables politiques, leur est inférieure, à tous égards.
Au théâtre, il donna quelques comédies, qui n'eurent qu'un mince succès, et des opéras, dont deux sont restés au répertoire et suffiraient à illustrer le nom de Gay : Acis et Galatée, qui réussit : en grande partie, grâce à la musique de Hoendeï et à la voix d'une excellente actrice, miss Arne (la future mistress Cibber), et son chef-d'oeuvre, l'Opéra du Gueux, ou du Mendiant (the Beggar's Opéra, 1727). Cette pièce, qui nous semble aujourd'hui peu morale, à cause de ses descriptions trop exactes des moeurs du temps, était une satire vive et piquante de la haute société d'alors, qui, charmée par l'esprit du dialogue, la réalité des peintures, le jeu des acteurs et le mérite de la musique, se laissa railler avec un plaisir infini : on joua l'opéra de Gay soixante-trois fois de suite, et les dames adoptèrent la mode de porter des éventails sur lesquels se trouvaient les principaux airs de la pièce favorite. Une fine parodie de l'opéra italien et des allusions transparentes et malignes à l'adresse du ministre Walpole peuvent, en outre, expliquer cette vogue. L'auteur, encouragé par ce prodigieux succès, voulut donner une suite à son opéra, sous le titre de Polly; mais, cette fois, les attaques contre la haute société dépassaient la mesure, et l'auteur dut retirer la seconde partie de son oeuvre.
La tragédie classique ne jette qu'un éclat très faible avec David MALLET (1700-1765), Écossais, dont le vrai nom était MALLOCH, auteur de Ballades, d'une Vie de Bacon, d'un Essai sur la critique littéraire et d'un poème descriptif dans le genre de Thpmson, intitulé l'Excursion ; ses tragédies de Mustapha (1739), d'Alfred, d'Elvire, lui donnèrent un renom de poète dramatique dont il a été depuis longtemps dépossédé. L'Irlandais Henry BROOKE (1705-1783), connu aussi pour ses poèmes didactiques (la Beauté universelle, le Sentiment du beau) et pour son roman le Sot de qualité (1766), oeuvre morale, un peu longue, rarement intéressante, remporta ses plus beaux succès au
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théâtre, surtout avec sa tragédie de Gustave Wasa (1739), animée de sentiments patriotiques et d'une hardiesse d'idées qui la fit interdire par le Parlement. Enfin l'Écossais John HOME .(1724.-1808), auteur d'ouvrages historiques et de drames également oubliés, brilla pendant quelque temps sur la scène avec sa tragédie' de Douglas (1758).
En réalité, la tragédie classique avait fait son temps, et la faveur publique, vers le milieu du siècle, commençait à encourager le drame bourgeois, tel que le représentaient Lillo, Moore, Cumberland et quelques autres. Le premier en date est George LILLO (16931739), bijoutier de son état, qui se fit littérateur pour moraliser ses semblables, et donna des drames bourgeois avant même que le roman de famille eût été mis à la mode par Richardson. Il voulait montrer, par ses pièces, et au moyen de catastrophes tragiques, à quoi peut mener l'oubli des principes de la morale et de la religion. Malheureusement, l'exécution n'est pas chez lui à la hauteur de ses bonnes intentions, ce qui, du reste, ne l'empêcha pas d'obtenir de brillants succès avec son Marchand de Londres, sa Curiosité fatale, son Arden de Feversham, etc. Le meilleur de ces drames, où les pensées et le style sont toujours au-dessus de la condition des personnages, est George Barnwel ou le Marchand de Londres (1731). L'invention y fait défaut : il s'agît d'un jeune marchand qui, séduit par une courtisane, vole son oncle, puis l'assassine, et finit par être exécuté sur la scène avec sa complice. Cette pièce de cour d'assises eut un immense succès : on prétend' qu'un jeune apprenti, qui volait son patron, se convertit à la première représentation; mais cette conversion ne préjuge rien en faveur du mérite littéraire de l'auteur, et la pièce n'en est pas moins froide, plate et ennuyeuse. Ce qui explique et justifie en partie le succès de l'auteur, succès qui fut aussi éclatant en France et en Allemagne qu'en Angleterre, c'est qu'il a eu du moins le mérite de faire, le premier, descendre le drame jus-
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qu'à la vie bourgeoise, et d'intéresser ainsi à l'action la partie la plus nombreuse du public. Il est à remarquer que son drame de la Fatale Curiosité, où un père et une mère tuent leur fils sans le savoir,Tepose sur une donnée analogue à celle du 24 Février de l'Allemand Werner (voir notre Ier vol., p. 276); qui a très probablement eu connaissance du draine anglais, antérieur au sien d'environ soixante-quinze ans;
Edouard MOORE (1720-1757), d'abord simplëcommis négociant, auteur de fables estimées, donna en 17S3 son Joueur, qui n'eut pas d'abord un grand succès, malgré le talent que Garrick déploya dans le rôle principal. Cette pièce, dont la morale est que " manquer de prudence, c'est manquer de vertu », fut imitée en France par Saurin, dans son Beverley, et en Allemagne par Schroeder, qui lui: donnèrent un dénoûment moins tragique, sans réussir à, la prendre plus'intéressante.
Richard CUMBERLAND (1732-1811) a écrit des poèmes, des romans et des drames. C'est par ces derniers qu'il commença : ses meilleures pièces, les Frères et le Juif, offrent des caractères bien dessinés, mais ont le tort d'être indécises entre le drame et la comédie, ce qui nuit singulièrement à leur effet dramatique. Le Juif (dont le titre complet est le Juif généreux) est emprunté à un épisode de l'Histoire du comte Fathom, roman de Smollett, paru en 1753, et a sans doute inspiré à Lessing l'idée de son drame de Nathan. Comme romancier, Cumberland eut un succès aussi brillant qu'éphémère avec son Arundel (1789) et son Henry (1797) : le personnage principal de ce dernier roman n'est, du reste, qu'une réminiscence de Fielding. Enfin, ce même auteur a collaboré pendant quelques années (1785-1790): à la revue l'Observateur1.
1. Mentionnons aussi, en passant, son poème religieus, narratif et descriptif, le Calvaire, qu'il publia seulement en 1810, un an avant sa mort.
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Les trois auteurs que nous venons de nommer avaient rompu avec toutes, les traditions du théâtre français, si fort en vogue depuis la Restauration : Cumberland les avait même vivement attaquées dans un de ses prologues. Ils affectaient de renoncer aux trois unités, et même aux vers, pour n'employer que la prose lapins familière. Ils eurent de nombreux imitateurs, tant à l'étranger qu'en Angleterre; parmi . les premiers, on doit citer surtout Diderot, avec sa Mère coupable, et Lessing, avec sa Miss Sara Sampson. Leurs émules nationaux sont généralement oubliés, comme HOLCROFT (1744-1809), auteur de divers poèmes et de Mémoires, et qui, à proprement parler, a le premier introduit en Angleterre ce que nous appelons le mélodrame; — mistress COWLEY (1743-1809), qui a écrit des drames de famille imités de ceux de Lillo; — BENTLEY (mort en 1781), neveu du célèbre critique de ce nom, et dont les pièces eurent un certain succès entre 1751 et 1767 ; — mistress Frances BROOKE (morte en 1789), auteur d'un roman dans le genre de Richardson, et d'un mélodrame de Rosine ; etc.
Nous excepterons deux auteurs qui valent mieux que les précédents : Soutuerne et Ramsay. Thomas SOUTHERNE (1662-1746) est, si l'on veut, un poète artificiel, raisonneur et manière1; mais, dans, son drame africain d'Oroonoko, où il attaque l'esclavage, on trouve quelques scènes touchantes, qui rachètent son manque de couleur locale ; dans son mélodrame, généralement médiocre, d'Isabelle, ou le Fatal Ma-. riage, la faiblesse de l'action est presque compensée parle caractère simple et vraiment dramatique de la donnée principale. Allan RAMSAY (1686-1758), qui a écrit' en dialecte écossais, est un poète dans toute l'acception de ce mot : il a appliqué les théories
1. Ses débuts appartiennent à la période précédente ; mais ses succès les plus sérieux sont postérieurs à la mort de la reine Anne.
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dramatiques nouvelles à la vie des champs, et son drame pastoral, le Gentil Berger (1726}, mérite assurément la popularité dont il jouit encore aujourd'hui en Ecosse.
La comédie, en dehors des romanciers illustres qui s'y sont distingués et dont nous parlons plus loin, est représentée en première ligne par Sheridan, et, avec moins d'éclat, par Garrick, Colman et quelques autres que l'on pourrait sans inconvénient passer sous silence.
Richard Brinsley SHERIDAN (1751-1816 que l'on appelle quelquefois le Molière de la scène anglaise, est au moins aussi connu comme orateur que comme poète comique. Ses meilleurs discours au ParIement furent prononcés de 1780 à la fin du siècle. Quant à ses comédies, plusieurs ont obtenu un succès universel, comme les Rivaux et l'Ecole de la Médisance (the School for Scandai) : celle-ci est encore souvent jouée de nos jours; les Anglais estiment presque autant le Jour de saint Patrick et là, Critiqué, sa dernière production dramatique (1785). Sheridàn s'essaya aussi, et non sans succès, dans l'opéra comique (la Duègne).
« Quelque chose que. Sheridan ait faite ou voulu faire, dit lord Byron, elle a toujours été par excellence la meilleure de son espèce. Il a écrit la meilleure comédie, l'École de la Médisance; le meilleur opéra, la Duègne, bien supérieur, selon moi, à l'opéra du Gueux, par Gay; la meilleure farce, la Critique, trop bonne même pour servir de lever de rideau ; la meilleure épître, le Monologue sur Garrick ; puis, pour tout couronner, il a prononcé ce fameux discours sur Warren Hastings, la meilleure harangue qu'on ait jamais composée ou entendue dans ce pays.» Malgré tant de titres à l'admiration publique, Sheridan, par son manque d'ordre, en vint à mourir dans la misère ; il eut, en revanche, des funérailles et une inhumation princières.
Son ami et son patron, l'acteur GARRICK (1716-1779), a pour nous un mérite bien plus grand que celui d'avoir
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fait des drames, et des comédies : c'est d'avoir remis en honneur le véritable texte de Shakspeare, et travaillé, pour sa bonne part, à la seconde popularité du grand poète. On peut cependant lui reprocher encore, à ce point de vue, quelques-unes des défaillances de goût si communes à ses contemporains, et surtout à l'époque précédente : c'est ainsi qu'il voulut modifier le dénoûment de Roméo et Juliette, et obtint un immense succès pour cette retouche, qui gâtait singulièrement l'oeuvre du maître. Ses comédies sont en général des satires piquantes, qui dénotent de l'imagination, un esprit épigrammatique et une certaine connaissance des hommes, mais qui manquent d'art ; on cite, parmi les meilleures, le Domestique menteur, Lilliput, Ésope chez les ombres, le Mariage secret.
George COLMAN (173 3-1794), auteur de drames et de poèmes humoristiques, est plus connu par sa traduction de Térence (en vers blancs) et par ses comédies, dont les plus remarquables sont Polly Honeycomb, la Femme jalouse (1761) et le Mariage clandestin (1766) : il a surtout le mérite d'être chaste et retenu, dans le style, comme dans les situations. Il fut aussi collaborateur d'une revue, le Connaisseur, qui parut de. 1754 à 1756, et où il critiquait avec esprit les moeurs et les modes contemporaines.
Nous nous bornerons, à nommer, en terminant, Charles DIBDIN (1748-1815), auteur de comédies de circonstance et d'intrigue, aujourd'hui oubliées, plus admiré de tout temps pour ses chants nationaux de marins, contre la France (1792), dont il faisait la musique ainsi que les paroles ; — KENRICK (mort en 1777), traducteur de J.-J. Rousseau, auteur de satires - médiocres, et qui, dans sa comédie des Noces de Falstaff (1766), a essayé d'imiter Shakspeare; — MILLER (1703-1744), qui est moins connu parses comédies originales que par sa traduction de Molière, en collaboration avec BAKER; —enfin, une actrice,mistress INCHBALD (1753-1821), dont les romans et les coméidies,quelque temps estimés au-dessus de leur, valeur,
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n'ont guère d'autre mérite que d'avoir rapporté beaucoup d'argent à leur auteur.
§ III. — La Prose.
SECTION Irc. — Eloquence et philosophie.—Prédicateurs. — L'éloquence de la chaire n'a plus, à cette époque, des représentants aussi brillants que dans la période précédente ; les préoccupations politiques dirigent les esprits vers une autre arène. Le seul nom vraiment illustre que nous puissions citer ici est celui d'Hugues BLAIR (1718-1800), dont les Sermons, admirés d'abord en Ecosse, où ils furent prononcés, devinrent bientôt populaires dans le reste de la GrandeBretagne; grâce à l'élégance dont il donna un des premiers l'exemple dans la prédication. Le premier volume de ces sermons parut en 1777 et inaugura une sorte de révolution dans l'éloquence religieuse, qui, jusque-là, s'était contentée d'une sèche et froide argumentation. Aujourd'hui, nous connaissons surtout Blair par ses Lectures sur la Rhétorique et les BellesLettres, qui eurent autant de succès qnè ses sermons, et qui marquèrent aussi un progrès considérable dans la critique, bien que cet ouvrage ait été fort dépassé depuis.
Orateurs politiques. — Les plus connus sont les deux Pitt, Fox et Burke. — William PITT, le père, comte de CHATHAM (1708-1778), avait débuté avec éclat au Parlement en 1735. On a de lui, outre ses Discours, qui sont des chefs-d'oeuvre, des Lettres et quelques poésies. Son second fils, qui s'appelait aussi William PITT (1759-1806), marcha sur les traces deson père, et se fit un nom surtout par la véhémence de ses discours contre la Révolution française.
Charles Fox (1748-1806) dont l'Histoire du règne de Jacques II ne parut qu'après sa mort, fut aussi un des hommes d'État et des orateurs anglais les plus illustres de la fin du siècle dernier, mais, naturellement, un des plus ardents adversaires de notre révolution.
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Les mêmes attaques illustrèrent, à là fin de sa vie, Edmond BURKE (1730-1797), qui avait commencé par se faire un nom avec ses écrits philosophiques, puis avec ses discours contre le gouvernement. Né a Dublin, il fut d'abord avocat, et se fit connaître bientôt par des opuscules moraux, analogues à ceux de Bolingbroke, puis par un Essai sur le sublime et le beau (1756) qui fit époque et fraya la voie, en réalité, à tous ceux qui écrivirent après lui sur l'esthétique, comme Lessing et Mendelssohn 1. C'est une oeuvre de critique aussi élégante que judicieuse, où il part de ce principe que la terreur est la source du sublime et l'amour celle de la beauté.
Sa carrière politique ne commence qu'en 1766, avec son entrée au Parlement, et présente deux phases distinctes, contraires en apparence, mais dont la contradiction s'explique fort naturellement. Ses idées étaient avant tout constitutionnelles ; il ne voyait rien au-dessus des principes de 1688, et c'est ainsi qu'il passa la pre-, mière partie de sa vie publique à combattre le ministère tory, la prérogative royale, les excès de pouvoir quels qu'ils fussent, et la seconde à poursuivre avec acharnement la Révolution de 1789, non-seulement dans ses discours, mais aussi dans un essai intitulé Réflexions sur la Révolution française. Ses Discours sont parmi les meilleurs qu'ait jamais produits la tribune anglaise : ceux qu'il prononça contre lord Hasrîngs, gouverneur de l'Inde, peuvent être comparés aux Verrines de Cicéron ; celui sur la Réforme des finances (1780) est un modèle du genre. On a aussi de lui un pamphlet intitulé Des causes du mécontentement actuel (1770), où il est tour à tour éloquent et incisif. Sa réputation s'étendit dans toute l'Europe, grâce surtout à ses attaques contre la France : c'est ainsi que son nom devint pour certains romantiques allemands, tels qu'Adam Mûller, une sorte de symbole et de signe de ralliement ; on l'admirait, dans ce camp absolutiste
1. Voir notre Hist. de la littér allemande, p. 139.
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et ultra-religieux, comme une sorte de héros royaliste, un Cid ou un Bayard antirévolutionnaire.,
Publicistes.— L'éloquence peut se! rencontrer ailleurs que dans les discours prononcés du haut de la tribune, et, au siècle dernier, les pamphlets ou les articles des journaux étaient souvent, par leur vigueur, comparables aux plus belles harangues.
C'est ainsi que le vicomte Henri Saint-John de BOLINGERQKE (1678-1751), qui s'était distingué comme orateur sous la reine Anne, dont il avait fini par être ministre, fut obligé, après sa disgrâce à la mort de la reine, pendant son exil en France et même après son retour en Angleterre, de recourir à la plume pour défendre son parti et ses idées. C'était un homme d'un rare talent, mais aussi d'un cynisme révoltant et d'une incroyable versatilité :
" Tour à tour ministre de la reine et du prétendant, aussi déloyal envers l'un qu'envers l'autre, marchand dé consciences, de mariages et de promesses, il gaspilla son génie dans les débauches et les tripotages pour arriver à la disgrâce, à l'impuissance et au mépris. » (Taine.)
Sa qualité dominante, comme écrivain, c'est la Clarté, la force et l'élégance du style : ses Réflexions sur l'exil, ses Lettres sur l'histoire, sur le véritable usage de la retraite, sur l'esprit de patriotisme, etc., sont considérées encore aujourd'hui comme des chefsd'oeuvre d'éloquence et de bon sens.
Parmi les pamphlets, fort nombreux au XVIIIe siècle, on doit citer en première ligne les fameuses Lettres de JUNIUS, dont le succès fut aussi éclatant que leur origine était mystérieuse. Le Public Advertiser, l'un des journaux anglais les plus en vogue alors, appartenait à l'opposition, au parti whig. Le directeur luimême ignorait parfois le nom des auteurs dont il insérait les articles, et des hommes d'État èminents profitaient de cette discrétion .pour écrire dans les colonnes de ce journal. En 1767, l'Advertiser avait
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commencé à publier une série d'articles signés de divers pseudonymes (Mnemon, Atticus, Brutus, etc.), qui ne firent d'abord aucune sensation. Mais, en janvier 1769, l'auteur de ces lettres, changeant de nom, signa Junius et attira l'attention publique par les plus vives attaques contre le ministère de lord North. Ces satires, souvent renouvelées, obtinrent dès lors un succès général, et devinrent de plus en plus piquantes et hardies; à la fin de l'année parut la fameuse lettre contre le roi, qui fit condamner l'imprimeur et le libraire, mais augmenta encore la popularité de l'insaisissable Junius. Les lettres continuèrent de paraître, avec le même succès jusqu'en janvier 1772, mais leurs attaques perdirent un peu de leur violence primitive. Leur nombre total est de soixante-neuf.
On soupçonna divers personnages connus de les avoir rédigées, notamment Burke, qui semblait le plus capable d'une pareille hardiesse; mais on n'a jamais eu à ce sujet que desprésomptions, souvent très faibles. La critique contemporaine admet, d'après certains indices assez probants, que l'auteur des Lettres de Junius était l'Irlandais sir Philip FRANCIS (1740-1818), qui, après avoir servi avec distinction dans l'armée, devint juge à Calcutta, C'était un homme instruit, lettré, libéral, et l'on suppose qu'il aurait pu, inspire par l'indignation, s'élever à la haute éloquence qui caractérise ces lettres. Mais, à côté des demi-preuves que l'on a recueillies en faveur de cette hypothèse, il est juste de faire remarquer le silence que Francis garda toujours à cet égard jusqu'à ses derniers jours.
Aucun publiciste n'égala la popularité de Junius ; on doit citer cependant, après lui, le républicain Thomas PAYNE (1737-1809), qui, poursuivi en Angleterre pour son pamphlet des Droits de l'homme (1791), fut obligé de se réfugier en France, puis dans les EtatsUnis de l'Amérique du Nord.
Moralistes. — La morale et la politique se tiennent de très près, surtout en Angleterre, où l'on est habitué à ne pas les séparer : peut-être la morale perd-elle
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quelquefois à ce rapprochement, qui tend à la rendre avant tout utilitaire. Le type des moralistes de cette école est le célèbre ami de Voltaire et de Montesquieu, lord Philip Stanhope, comte de CHESTERBIELD (16941773), homme du monde, grand seigneur libéral, aimable débauché, sceptique spirituel et lettré, peu scrupuleux sur les moyens de réussir, et qui avait l'ambition de ressembler à Alcibiade et à Bplingbroke. II s'était formé, dès sa jeunesse, par des voyages à La Haye et à Paris, en 1714. Après avoir siégé dans la Chambre des communes, il arriva, par la mort de son père, en 1726, à celle des lords, et s'y distingua rapidement par son éloquence et son esprit. Il devint ambassadeur à La Haye, puis lieutenant du roi en Irlande, et administra ce pays avec une remarquable intelligence. Après avoir été quelque temps secrétaire d'État, il se retira des affaires en 1748, et s consacra ses dernières années à la rédaction de divers opuscules, de ses Lettres et d'une revue, le Monde, qu'il dirigea, à partir de 1753, avec Horace Walpole et quelques autres amis.
Ses Lettres à son fils ont rendu son nom populaire dans le monde entier. Ce fils naturel, Philip Stanhope, mourut jeune, sans avoir répondu aux espérances de son père : il le trompa même par un mariage clandestin, malgré les précautions que le noble comte avait prises pour s'assurer la confiance de son fils; mais il est juste d'ajouter que Chesterfieid se conduisit, dans cette occasion, en bon père et en homme d'esprit.
Ses lettres, admirables comme oeuvre littéraire et pour leur finesse d'observation, laissent singulièrement à désirer au point de vue moral : l'idée de la vertu en est tout à fait absente, et la morale y est toujours subordonnée au succès, et surtout au succès mondain que l'on remporte par la protection des femmes et des grands. Si l'on voulait les juger au nom de la religion ou de la philosophie, on ne saurait les flétrir trop sévèrement. Il faut ajouter pourtant que les Anglais, malgré leur pruderie proverbiale, se montrent moins
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sévères pour elles que les Français et les Allemands : le style et l'esprit de l'auteur, sans doute, leur font fermer les yeux sur les écarts de sa doctrine.
Le XVIIIe siècle était, du reste, en Angleterre comme partout, le temps de la morale utilitaire : c'était l'époque où l'Irlandais HUTCHESON (1094-1747) adoptait le principe de la bienveillance générale comme la règle de lA vertu, et simplifiait le système de Cumberland 1 en restreignant la définition du bien à la seule idée du bonheur. C'est alors aussi que l'Écossais Adam SMITH (1723-1790) faisait de la richesse publique le fondément de la vie individuelle et de la vie sociale. Smith, qui, avant de professer la morale à Glasgow, avait suivi à Paris les leçons de l'économiste Quesnay, publia-en 1759 son Traité des Sentiments moraux et en 1766 son grand ouvrage sur les Richesses des nations, qui est son chef-d'oeuvre. Son système économique fait reposer la richesse sur le travail, idée neuve alors et féconde en heureuses conséquences; mais il a le tort de négliger la morale, qui doit jouer un rôle aussi dans les rapports sociaux et les relations entre les divers peuples. Smith a eu, en revanche, le mérite de contribuer à la rénovation de la philosophie anglaise « par ses sarcasmes contre l'engourdissement du cierge anglican et l'oppression des catholiques. » (Taine.)
On trouve des idées analogues dans les oeuvres de Jérémy BENTHAM (1748-1832), qui se fit un nom par ses écrits politiques autant que par ses traités de morale et de philosophie. Son premier ouvrage, en 1776, est un Fragment sur le gouvernement, dirigé contre les vues de Blackstone 2 : son principe, dès lors, est que l'objectif de tout gouvernement doit être le bon1.
bon1. Richard CUMBERLAND (1632-1718) avait écrit en latin, contre Hobbes, et posé les fondements d'une morale naturelle. Il est connu aussi comme archéologue.
2. G. BLACKSTONE (1723-1780), célèbre comme jurisconsulte, professeur de droit à l'université d'Oxford, est auteur d'un Commentaire sur les lois de l'Angleterre.
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heur du plus grand nombre; aussi regarde-il la forme républicaine et démocratique comme étant la meilleure ou plutôt la forme indispensable. En 1787 il publie une Défense de l'usure, où il demande la liberté du commerce de l'argent. Sa grande Introduction aux principes de morale et de législation est de 1789, et, à dater de ce moment, il se met en relations avec tous les peuples de l'Europe, surtout avec la France, dont il défend la cause avec ardeur : il adresse un grand nombre de lettres et de traités aux chefs de la Révolution, pour les renseigner sur les principales questions de législation et de politique; la Convention reconnaissante lui décerne le titre de citoyen français. Aussi ses autres ouvrages, fort nombreux, durent-ils paraître hors d'Angleterre, et c'est à Paris que Bentham publiera, entre autres, ses Discours sur la législation civile et pénale, que l'éditeur fit traduire en français sur son manuscrit (1802).
Ce qui explique le peu de popularité de Bentham dans son propre pays, c'est, outre sa tendresse pour la Révolution française, le peu de soin qu'il mettait à écrire ses ouvrages : il est généralement obscur, fatigant à lire, et les traductions font à peu près disparaître ce défaut. Encore aujourd'hui, Bentham ne jouit pas en Angleterre de la gloire qu'il semblerait mériter.
Philosophes. — La philosophie proprement dite ou dogmatique est d'abord représentée par le scepticisme, avec David HUME (1717-1776), qui s'est distingué aussi comme historien, comme moraliste et comme écrivain politique. Le premier volume de son Histoire d'Angleterre parut en 1745, et les autres dans les années qui suivirent. C'est encore aujourd'hui une oeuvre considérable pour le savoir et la critique que l'auteur y a déployés, ainsi que pour le style, qui est excellent. Cet ouvrage avait été précédé, dix ans auparavant, par un Essai sur l'histoire, qui parut seulement en 1742, avec la première partie des Essais moraux,politiques et littéraires, recueil de morceaux divers, réunis entre eux sans ordre suivi et sans liaison. Hume
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excelle surtout dans les sujets sérieux, dans les questions philosophiques, sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Dans l'essai moral, il imite Addison ; mais il lui est inférieur pour la grâce et la finesse. Dans ses essais politiques (celui, surtout, sur les Partis en Angleterre), il est impartial et modéré, malgré ses préférences secrètes pour le régime représentatif. Il est peu accessible aux illusions de l'amour-propre national (comme dans l'essai sur la Liberté civile), et rend justice à la France, qui était fort maltraitée alors par les écrivains anglais.
La seconde partie des Essais parut en 1752, sous le titre de Discours politiques. Hume a le mérite d'y traiter, un des premiers, avant Adam Smith, les grandes questions d'économie politique : ce fut aussi le seul de ses ouvrages que le public accueillit favorablement dès son apparition. En général, Hume, comme Bentham, n'a jamais été bien populaire dans son pays, malgré les témoignages d'admiration que lui prodiguaient quelques esprits distingués, tels que Chesterfield : cela tient sans doute à l'aridité des sujets qu'il traite, à la sécheresse de la forme qu'il emploie, à son mangue d'imagination et de sensibilité, que ne rachète pas suffisamment son style clair, simple, nature], conforme aux traditions de l'âge précédent, mais entaché parfois aussi de quelques locutions ou tournures françaises. Hume aimait la- France, où il fut estimé, honoré même, et lié avec de grands écrivains comme d'Alembert, avec lesquels il entretint une correspondance suivie 1.
Nous n'étudierons pas ici le rôle philosophique de David Hume : nous nous bornerons à dire que cet infatigable chercheur, chez qui l'étude et le désir de connaître étaient un besoin, fut conduit par son insatiable curiosité à un scepticisme complet.
1, En revanche, il eut des rapports fâcheux avec J.-J. Rousseau, dont il avait blessé le caractère ombrageux.
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« Il ne conserve rien de la haute science: c'est la spéculation entière qu'il abolit; à son avis, nous ne connaissons ni substances, ni causes, ni lois; quand nous affirmons qu'un fait est attaché à un fait, c'est gratuitement, sans preuve valable, par la force de la coutume; si nous attribuons un lien aux événements, c'est notre imagination qui le fabrique; il n'y a de vrai que le doute : encore faut-il, en douter, La conclusion est que nous ferons bien de purger notre esprit de toute théorie et de ne croire que pour agir. Examinons nos ailes, mais pour les couper, et bornons-nous à marcher avec nos jambes," (Taine.)
En dehors du scepticisme de Hume, la philosophie anglaise ne produit guère, durant cette, période, que les théories naturalistes du médecin HARTIEY (17041757), disciple de Locke et de Hobbes, dont les Observations sur l'homme parurent en 1749. Bien qu'il ait développé plus qu'un autre les idées matérialistes de Hobbes, on a contesté qu'il ait connu le système de ce philosophe; mais il l'a certainement étudié dans les écrits de quelques-uns de ses disciples.
Vers la fin du siècle, le spiritualisme commença à regagner du terrain, grâce à l'enseignement et aux écrits de quelques philosophes écossais, qui sont les fondateurs de la doctrine nommée, pour ce fait, écossaise. Le premier en date est Thomas REID (17101796), dont les Recherches sur l'entendement humain (1763), l'Essai sur les facultés intellectuelles et l'Essai sur les facultés morales furent l'évangile de la nouvelle école. Son ami Henri HOME, lord KAIMES (1696-1782), écrivit plusieurs traités dans le même esprit. Mais le plus illustre représentant du spiritualisme écossais, ou du moins le plus populaire en France (grâce surtout aux travaux de Jouffroy), fut DUGALD-STEWART (1753-1828), qui professa à Edimbourg de 1778 à 1810. Parmi ses principaux ouvrages, à partir de 1792, figurent sa Philosophie de l'esprit humain et ses Essais philosophiques. La tendance de l'école écossaise est de substituer l'étude de nos facultés
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et des vérités du sens commun à toutes les subtiles discussions qui étaient en vogue jusque-là ; c'était un système pratique avant tout, auquel on a reproché d'être terre à terre, mais qui a eu au moins le mérite de battre en brèche les théories sensualistes et matérialistes du XVIIIe siècle. Un seul de ses adversaires mérite d'être mentionné : c'est Joseph Priestley (1733 - 1804), ministre dissident, qui fut obligé de s'enfuir en Amérique en 1794. Comme philosophe, il se rattache à l'école de Hartley et peut passer pour un des fondateurs de la critique scientifique moderne, avec, ses remarquables Recherches sur la matière et l'esprit.
Théologiens. — L'Eglise anglicane continue à produire en grand nombre des auteurs de traités religieux et philosophiques, dont le dogme chrétien et la morale évangélique sont la principale préoccupation, et -que l'on ne peut compter au nombre des philosophes purement rationalistes. Les plus connus sont : le prédicateur HERVEY (1714-1758), qui écrivit des Méditations au milieu des tombes (1746) et. des Contemplations sur la nuit, ouvrages de profond sentiment, malgré l'afféterie du style, et qui semblent inspirés des Nuits d'Yonng; — l'évêque Richard WATSON (1737-1816), libéral en religion comme en politique, auteur de Sermons, d'Instructions, d'une Apologie du Christianisme (1776), dirigée contre Gibbon, et d'une Apologie de la Bible, en réponse aux attaques de Thomas Payne;— Joseph BUTLER (1692-1752), évêque de Durham, dont l'Analogie de la religion naturelle et de la religion révélée (1736) est une oeuvre remarquable au point de vue du raisonnement et de l'exposition; — enfin, George CAMPBELL (1710-1796), auteur d'un Essai Sur les miracles, où il réfute les objections de Hume, et d'une traduction des Évangiles, avec commentaire, qui compte encore parmi les meilleurs ouvrages de ce genre.
SECTION II. — Histoire, critique, roman. — His-
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toriens et voyageurs. — Les trois grands historiens anglais du XVIIIe siècle sont Hume, Robertson et Gibbon. Nous avons parlé de Hume dans la première section de ce paragraphe, où il avait sa place marquée parmi les philosophes. Robertsonet Gibbon sont exclusivement historiens. Nous ne saurions mieux faire que de citer ici le jugement porté sur ces trois historiens par un de nos émïnents critiques :
" Ils sont presque Français par leur goût, leur langue, leur éducation, leur conception de l'homme. Ils content en gens du monde, cultivés et instruits, avec agrément et clarté, d'un style poli, nombreux, soutenu. Ils montrent un esprit libéral, une modération continue, une raison impartiale. Ils bannissent de l'histoire les grdssièretés et les longueurs; ils écrivent sans fanatisme ni préjugés. Mais, en même temps, ils amoindrissent la nature humaine; ils ne comprennent ni la barbarie ni l'exaltation; ils peignent les révolutions et les passions comme feraient des gens qui n'auraient jamais vu que des salons parés et dès bibliothèques époussetées ; ils jugent les enthousiastes avec un sang-froid de chapelains ou un sourire de sceptiques; 1 ils'effacent les traits saillants qui distinguent les physionomies humaines; ils couvrent d'un vernis brillant et uniforme toutes lés pointes âpres de la vérité. » (Taine.)
Edouard GIBBON (173 7-1794) était issu d'une bonne et riche famille, et avait passé sa jeunesse dans l'étude des lettres et de l'histoire; il embrassa la religion catholique, pour l'abjurer bientôt après, et l'on trouve encore dans sa vie quelques autres excentricités que l'on pardonne au génie. Il habita quelque temps la France, où il publia même un ouvrage, en français, sur l'Etude de la Littérature (1761), puis voyagea en Italie, et là, sur les ruines du Capitole, résolut d'écrire l'Histoire de la décadencee de l'empire romain, dont le premier volume parut en 1776 seulement; les cinq autres furent publiés dans les douze années suivantes.
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Ses vastes et savantes recherches, ses larges et sérieuses pensées, ses curieuses discussions, les morceaux brillants dont il parsemait volontiers son histoire, son style harmonieux et en général excellent, sauf un peu de. pompe et quelque obscurité par endroits, tout concourut à assurer le succès de son oeuvre. Ce succès fut encore accru, sans doute, par les attaques de Gibbon contre le christianisme, attaques souvent déplacées ou de mauvaise foi, que peu de lecteurs admirent aujourd'hui, mais qui, loin de choquer le public du XVIIIe siècle, lui paraissaient un assaisonnement obligé de tout ouvrage vraiment philosophique.
William ROBERTSON (1721-1793), simple ministre de campagne, publia en 1759 son Histoire d'Ecosse pendant les règnes de Marie et de Jacques VI, qui est un modèle de style, mais manque parfois de critique et de philosophie. Dix ans après, il donna son Histoire de CharleS-Quint, qu'il fit précéder d'une introduction sur l'état de la société en Europe depuis la chute de l'empire romain jusqu'au XVIe siècle, et qui mit le comble à sa gloire. Il soutint dignement sa réputation par le dernier de ses trois grands ouvrages, l'Histoire d'Amérique, qui parut en 1777. Ses dernières années se passèrent dans la douce et noble jouissance de sa fortune, que la vente de ses oeuvres et les libéralités du roi avaient singulièrement augmentée 1.
Après ces grands noms, on n'a guère qu'à signaler quelques-uns des historiens qui ont été éclipsés par eux, et dont les oeuvres ne présentent que de rares parties intéressantes ou utiles. Tels sont l'Écossais Alexandre CUNNINGHAM (1654-1737), auteur d'une Histoire de la Grande-Bretagne dépuis 168S (écrite en latin, mais traduite presque aussitôt en anglais) ; — John CAMPBELL (1708-1775), auteur d'une Biographie
I. Le roi lui avait alloué une pension Viagère de deux cents livres (5,000 francs).
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desAmiraux anglais (1742) et d'une Biographie britannique, qui jouissent encore d'une certaine estime; il collabora aussi, avec quelques antres historiens, à une grande Histoire universelle;.— l'Écossais George CHALMERS (1744-1825), dont l'Histoire des Colonies anglaises jusqu'en 1763 parut en 1780, et qui, au commencement de ce siècle (1807), entreprit sa Calédonie, vaste et laborieux recueil, malheureusement inachevé et peu élégant, du reste, des antiquités historiques de l'Ecosse; — Isaac DISRAELI (17651848), qui, outre ses Commentaires sur le règne de Charles Ier, donna, à partir de 1791, des Curiosités littéraires où se trouve autant d'esprit que d'éradition ; — Charles BURNEY , auteur d'une Histoire générale de la musique (1776 à 1789) ; — Adam FERGUSSON, philosophe et historien, dont. l'Histoire de la république romaine (1784) a été bien dépassée depuis par les travaux plus modernes; — le médecin John AIKIN (1747-1822), le frère de mistress Barbauld, qui écrivit des poésies lyriques dans le genre précieux et se distingua davantage par ses travaux historiques (Histoire de George III, 1780; Dictionnaire biographique, vaste compilation, encore estimée, qui parut dé 1799 à 1815); — MALCOLM (1769-1833), auteur d'une Histoire de Perse et de Mémoires sur l'Inde, etc.
Les plus célèbres relations de voyages, pendant - cette période, ont eu pour auteurs Mungo PARK (1771-1805), qui publia en 1790 l'histoire de ses Voyages en Afrique; — James BRUCE (1730-1794), dont le Voyage en Abyssinie, exécuté de 1768 à 1774, parut eh 1790, et passe pour véridiqne, bien que certains détails y semblent extraordinaires ;— enfin, BRYDOHE (1741-1818), l'ami de Walter Scott et le gendre de Robertson, dont les Voyages parurent en 1773.
Critiques et érudits. — Le prince de la critique anglaise au XVIIIe siècle est assurément Samuel JOHNSON (1709-1784), qui ambitionna en outre la; gloire de poète et de romancier. Né dans une famille hono-
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rable, mais peu aisée, il ne put terminer ses études, interrompues par la mort de son père, et vécut depuis lors, et pour longtemps, dans une extrême pauvreté. Il songea d'abord à établir une école dans sa ville natale, en province, mais ne réussit pas dans ce projet et vint à Londres, en 1737, avec Garrick, son élève. Ses essais dramatiques ne réussirent pas non plus, malgré la protection de l'illustre comédien (tragédie d'Irène, 1738), et il passa ainsi de cruelles années dans une gêne augmentée encore par le désordre.
Lorsqu'il put arriver enfin à l'aisance et à la considération, il ne lui fut plus possible de se défaire de ses habitudes antérieures de rudesse et d'irrégularité; le malheur l'avait aigri, et son humeur maussade était devenue pour lui comme une seconde nature. On le supportait cependant tel qu'il était, même dans la plus haute société : il fut à la mode, et sa grossièreté sembla peut-être un piquant assaisonnement de son esprit.
Ses premiers écrits furent ses imitations de Dryden et de Pope, une tragédie que nous avons déjà mentionnée, et des Satires qui ont le tort d'être souvent obscures pour nous, mais où il y a de la verve et de l'harmonie. Son roman philosophique, Rasselas, prince d'Abyssinie (1759), est une longue et ennuyeuse dissertation morale, médiocre contre-partie du Candide de Voltaire. II voulut aussi marcher sur les traces des écrivains du Spectator, et rédigea d'abord le Rambler ou Flâneur, qui parut deux fois par semaine, de mars 1750 à mars 17541; puis son Idler ou Oisif,; qui parut tous les samedis, du 15 avril 1758 au 5 avril 1760. Dans toutes ces, compositions, Johnson manque principalement d'originalité.
C'est comme critique et comme grammairien surtout qu'il s'est fait un nom. Son grand Dictionnaire de la langue anglaise (1771) est encore classique.
I. Ce même titre avait appartenu déjà à une revue dont un seul numéro avait paru en 1712.
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Son dernier ouvrage, les Vies dés grands poètes anglais (1781),est remarquable à tous, égards. Malgré ses préférences et son admiration excessive pour le système poétique des Français du XVIIe siècle, Johnson a eu le mérite de travailler, un des premiers, avec quelque hardiesse, à la réhabilitation de Shakspeare (dans la préface de la belle édition qu'il donna de ce poète, en 1765); il a, dans cette voie, suivi Pope et précédé Garrick; mais on doit ajouter qu'il ne rend pas toujours pleine justice au grand homme, et qu'il a critiqué avec bien peu de goût, notamment, certaines scènes de Hamlet. En sommé, sa critique s'adresse presque toujours au style, : et l'on a en raison de le comparer, sous ce rapport, à Boilean et à La Harpe.
Parmi ceux qui, en même temps que Johnson et Garrick, travaillèrent à la résurrection de Shakspeare, nous signalerons surtout l'évêque William WARBDRTON (i698-i779),dont on a oublié les innombrables ouvrages de théologie, même sa Mission de Moïse, qui fit tant de bruit dans son temps (173 8), pour ne se souvenir que de ses éditions de ,Pope et de Shakspeare; et lady MONTAGUE, née Elisabeth ROBIKSOK (1720-1800), auteur d'une Apologie de Shakspeare et de Dialogues des Morts, qu'elle écrivit en collaboration avec Lyttleton. Un auteur de traités politiques médiocres, ELLIS (1745-1815), a eu aussi le mérite d'appeler l'attention sur les vieux poètes et les romans du moyen âge, qu'il publia en assez grand nombre.
L'étude de l'antiquité grecque et romaine a de brillants adeptes avec Richard BENTLEY (1661-1742), savant professeur de Cambridge, dont les éditions sont des chefs-d'oeuvre de critique verbale, mais à qui l'on peut reprocher de prendre parfois trop de liberté avec le texte de ses auteurs, et MIDDLETON (1682-1750), auteur d'une Vie de Cicèron il traducteur des Lettres de cet écrivain.
Romanciers. —On peut dire, sans exagération, que le XVIIIC siècle a été, en Angleterre, l'âge d'or du
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roman, surtout du roman moral et philosophique; nul autre genre ne nous présente à cette époque.des noms et des oeuvres aussi populaires. Le premier en daté et le plus illustre peut-être de ces romanciers est Daniel DEFOÊ 1 (1663-1731), l'auteur de Robinson Crusoë. Né à Londres d'un simple artisan (son père était boucher et, de religion, dissident), il avait été d'abord destiné à l'état ecclésiastique, et reçut une éducation assez complète ; mais il renonça bientôt à cette carrière, sans doute à cause des dangers auxquels il s'y serait trouvé exposé pour ses opinions religieuses. Il entreprit en 1684 un commerce de bonneterie, pour lequel son père l'aida d'abord ; mais il se mêla en même temps de politique, surtout après l'avènement de Guillaume III, qu'il soutint par ses brochures et dont il gagna ainsi la confiance, sans en user du reste, car il fut à diverses reprises employé pour le service de l'État et fut loin de s'y enrichir. Il s'était compromis, avant le triomphe de la maison d'Orange, dans l'équipée du duc de Monmouth, et avait écrit, les années suivantes, plusieurs pamphlets contre Jacques II. Cependant Guillaume III, qui aimait le caractère de Defoë, mourut sans avoir rien fait pour lui, et son défenseur fit banqueroute pour avoir trop négligé ses intérêts au profit de ceux de la dynastie et de l'Angleterre. Ajoutons, à la gloire du généreux écrivain, qu'il paya loyalement toutes ses dettes, bien que la loi ne l'y obligeât point, et qu'il resta toujours fidèle à la mémoire du prince qui né l'avait pas récompensé.
La mort de Guillaume III fut, du reste, un malheur pour lui. Le gouvernement de la reine Anne persécuta les dissidents, et Defoë, pour les avoir défendus dans
1. Nous adoptons cette orthographe, acceptée par les critiques et les biographes les plus autorisés, et non de Foë (en deux mots). Son nom était, paraît-il, la corruption dû nom français Foi ou Poix, auquel on avait accolé la préposition de pour marquer son origine.
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un violent pamphlet, fut condamné à l'amende, à la prison et au supplice du pilori (1703) : c'est à cette occasion qu'il composa son Hymne au Pilori, dont-la lecture lui valut les sympathies de la foule témoin de son supplice. Il passa les quatre années suivantes en prison, gémissant sur les persécutions de ses amis et sur le sort de sa femme et de ses six enfants, qu'il laissait dans la misère : c'est durant cette captivité, en 1704, qu'il fonda sa Review, le premier journal digne de ce nom qu'il y ait eu en Angleterre ayant le Spectator d'Addison, et qui parut deux fois d'abord, puis trois fois par semaine pendant neuf ans.
Enfin, la reine Anne lui fait grâce et l'indemnise en partie de ses pertes d'argentl; il obtient même la faveur de la cour, qui l'emploie pour une mission en Ecosse ; mais il conserve toujours sa fière indépendance, et continue à publier de nombreuses brochures politiques, sans' s'inquiéter des dangers qu'elles lui font courir. Son zèle n'est ralenti que parla maladie : une attaque d'apoplexie, en 1715, le force à se renfermer quelque temps chez lui, et. il se met à écrire alors des fictions, comme les Mémoires d'un Cavalier (roman historique sur la guerre civile sous Charles ler), des histoires de voleurs et d'assassins, écrites dans un but moral, un récit d'apparition, où il atteint à une étonnante réalité, et enfin, en 1719, son chef-d'oeuvre, Robinson Crusoë. Mais cet incessant travail ne peut le sauver de la pauvreté; il a d'autres amertumes encore, et l'on cite une lettre navrante qu'il écrivit à son gendre, avant de mourir, et dans laquelle il accuse son fils de hâter sa fin par son ingratitude. Il meurt à soixante-dix ans, après avoir écrit deux cent dix ouvrages et forcé l'estime et l'admiration de ses contemporains comme de la postérité.
Nous laisserons de côté ses pamphlets, dont l'in1.
l'in1. ne put que sur ses derniers jours payer toutes les dettes accumulées par ses malheureuses entreprises commerciales et ses longues années de prison,
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térêt a presque disparu pour nous (sauf pourtant son Véritable Anglais, chef-d'oeuvre du genre, écrit en réponse aux Etrangers de John Tutchin), et nous ne l'étudierons que comme romancier. Ses romans de moeurs sont presque tous remarquables, comme.le Colonel Jacques, le Capitaine Carleton et d'autres ; mais Robinson Crusoë les a fait oublier.
On a beaucoup discuté, en pure perte, ce nous semblé, sur l'originalité de ce roman. Il est certain que Sophocle avait eu déjà l'idée de peindre la condition d'un homme abandonné dans une île déserte (Philoctète, à Lemnos). Sans remonter si haut, on avait pu lire en 1713, dans un journal, l'Anglais, de Steele, l'histoire du matelot écossais Alexandre Selcraig ou Selkirk, qui avait passé quelques années seul dans une île inconnue1; Steele avait même fait suivre son récit de quelques réflexions morales sur l'avantage que l'on trouve à borner ses besoins et ses désirs. On ajoute que Defoë aurait vu Selkirk, à Bristol, en 1709, et aurait recueilli de sa bouche ses principales aventures, qui, d'ailleurs, furent publiées dans une petite brochure en 1712.
Mais tout cela ne prouve pas que Robinson Crusoë ne soit pas un chef-d'oeuvre, et l'on sait que les chefs-, d'oeuvre, anciens ou modernes, comme nous l'avons déjà vu pour les drames de Shakspeare, ont toujours un fond, une matière première, pour ainsi dire, qui' peut se retrouver ailleurs avant eux. Ce qui appartient en propre à Defoë, c'est la couleur si vraie et si riche qu'il donne à son récit, c'est l'art de la composition, c'est le style, c'est la morale, la philosophie qu'il a répandues dans ce livre; c'est surtout le sentiment religieux, si profond et si chrétien, dont il a su l'animer. On songe, en le lisant, à l'isolement où se trouvait alors l'auteur, à ses souffrances physiques et
1. L'île de Juan Fernandez, à l'ouest du Chili, dans l'océan Pacifique : c'est là aussi que Defoë a mis la scène de son Robinson.
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morales, qui lui permettaient de s'identifier avec son héros, et contre lesquels il réagissait en écrivant ces aventures. Nous ferons remarquer, pourtant que cette appréciation ne convient guère qu'à la première partie du roman, qui a dû être écrite d'un seul jet et pour ainsi dire d'inspiration : la seconde moitié, à partir du moment où Robinson a quitté son île, est banale et souvent peu intéressante, bien que les épisodes romanesques y soient en plus grand nombre.
Au point de vue de l'art, ce qui nous frappe surtout dans ce récit, c'est le ton de candeur, de vérité, de réalité, qui fait illusion au lecteur; aussi Robinson a-t-il toujours été et sera-t-il toujours le livré favori des enfants. Tout y est vraisemblable; on dirait que l'auteur a été marin, qu'il a fait naufrage et qu'il a vécu abandonné dans une île lointaine.
Il y a là un art très réel dans la disposition des divers épisodes non moins que dans leur narration; c'est surtout dans les gradations que l'auteur excelle, en faisant passer insensiblement son héros de la vie sauvage à une existence relativement civilisée. N'estce pas le comble de l'art, aussi, de nous laisser ainsi pendant tout un volume avec un seul personnage, sans jamais engendrer la monotonie? C'est que cet homme représente pour nous, la société, naissante, l'humanité tout entière dans les phases successives de son développement.
Outre ce caractère général, le roman de Defoë a un caractère particulier, éminemment anglais : c'est, comme on l'a dit, une sorte d'Odyssée, populaire du génie et de la persévérance britanniques, accompagnés de ce sentiment religieux, austère et un peu triste, qui se trouve toujours au fond d'une âme anglaise. Au point de vue philosophique et moral, c'est une étude psychologique très complète, où sont indiqués ou traités les plus graves problèmes de la vie individuelle et sociale : c'est l'histoire d'une âme qui retrouve la foi; c'est la philosophie de la solitude; c'est l'affirmation de la loi du travail ; c'est l'apologie
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du système d'éducation que prônera bientôt Jeanacques Rousseau; c'est l'éloge de la médiocrité, de a résignation à son sort et de la modération dans ses ésirs 1. Comme moraliste, Defoë a une mauvaise pinion de l'humanité en général, et pourtant il s'applique à peindre des caractères honnêtes et généreux pour toucher et convertir ses lecteurs. Maisce qui frappe e plus dans son roman, c'est la profondeur du sentiment religieux et l'ardeur de la propagande chrétienne : l'auteur ne manque jamais de recommander, plus que tout, la simplicité de coeur dans la recherche de la religion, et la soumission constante à la volonté divine. Il ne néglige aucune occasion de prouver ou e justifier la Providence, et s'élève même à une ceraine hauteur dans le chapitre consacré à l'éducation religieuse de Vendredi par Robinson. Anglican conaincu , il ne manque pourtant pas de tolérance, et, uf quelques pointes qui lui échappent, en passant, ontre le catholicisme, il admet volontiers la croyance le culte des confessions non anglicanes. D'après tout ce qui précède, on peut voir que efoë, en écrivant l'histoire de Robinson, a obéi à ce esoin, qui ne l'a jamais quitté, d'instruire et de moraer ses semblables; mais, pour nous, ce livre philoophique et édifiant dans la pensée de l'auteur est urtout une oeuvre d'art et d'agrément; où le mérite u cadre et des couleurs fait oublier généralement le dessin primitif. Outre l'intérêt de la situation et le caractère dramatique des épisodes, il y a encore le style, qui contribue à assurer la fortune de ce chefd'oeuvre ; même à travers le voile de la traduction, il est permis d'admirer sa simplicité vraie, son ton grave et sentencieux, parfaitement en harmonie avec la situa1.
situa1. publia, deux ans après son roman, deux volumes intitulés : Réflexions sérieuses de Robinson et sa Vision du monde angélique, où il a pris soin de faire l'expose dogmatique des idées philosophiques et religieuses contenues dans son récit.
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tion et les pensées du héros, comme avec la tendance religieuse du livre, mais qui, à l'occasion, s'élève sans effort, et devient alors ou grandiose, ou pathétique, ou pittoresque, quelquefois même humoristique. C'est pour cela que le Robinson de Defoë est resté sans rival, bien qu'une foule d'imitations plus ou moins ingénieuses de ce roman se soient produites dans le cours du siècle dernier 1.
L'oeuvre de Swift est toute différente. On le lit volontiers aussi, mais on n'en emporte pas une impression douce et calme, et l'on finit, après avoir terminé cette lecture, par éprouver pour le genre, humain e1 pour soi-même quelque chose de ce mépris et de cette haine qui étaient dans l'âme de l'auteur, et que sa vie pourra, sinon justifier, du moins nous expliquer.
Jonathan SWIFT (1667-1745) était né à Dublin, d'un Anglais établi en Irlande. Après la mort prématurée de son père, il fut élevé d'abord par sa nourrice, puis, à peine rendu à sa mère envoyé au collège et de la à l'université de Dublin, où il fit de nombreuses lectures, sans plan et sans ordre, pour soi seul plaisir, ce qui ne l'empêcha pas d'acquérir un grand nombre de connaissances et d'idées ; entre-temps, il jette déjà sur le papier une esquisse de son Contt du Tonneau. Fort ignorant en logique et dans les autres sciences du temps, il est reçu, bachelier avec indulgence, et étudie la théologie ; puis, en 1688, quant la guerre civile éclate en Irlande, il est rappelé dans sa famille, en sa qualité d'Anglais. Malgré les secouri que lui avaient alloués successivement deux oncles, 1 connut la gêne, et contracta dès lors des habitude: d'ordre et d'économie qu'il conserva toujours, comme le prouvent ses cahiers-journaux et ses livrés de dé1.
dé1. en Allemagne, où il y a en le Robinson suiss, de Wys, le meilleur de tous, et des centaines d'autre (Rohinson allemand, français, italien, danois, bohémien, courlandais, sibérien, etc., on encore Robinson chrétien, juif médecin, prophète, etc., etc.).
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penses, que l'on retrouva chez lui après sa mort. Sa mère, fort gênée elle-même, le fit entrer, chez sir William Temple, qui, d'abord froid et réservé envers lui, finit par s'attacher de tout coeur à son jeune protégé. C'est ainsi que Swift put continuer ses études et gagner le grade de magisler, à Oxford, en 1692; mais sa mauvaise santé l'obligea plus d'une fois à interrompre ses travaux.
II se destinait à l'état ecclésiastique ; fatigué de sa sujétion chez un grand seigneur, même aimable comme l'était Temple, il se fait nommer à une cure assez bonne en Irlande; mais s'y ennuie bientôt, et retourne chez son protecteur, après avoir résigné son bénéfice en faveur d'un digne père de famille. On trouve dans la vie de ce misanthrope plus d'un trait analogue de bienfaisance ou de charité. Temple permit au' jeune homme d'assister à quelques-unes de ses entrevues avec Guillaume III, et le chargea même de rédiger des conseils de politique générale à l'usage du roi; mais _ celui-ci les néglige et dégoûte ainsi Swift une première fois de la politique. C'est à ce moment que Swift se lie avec la jeune personne qu'il appelle poétiquement Stella, liaison qui n'a rien de la passion et ressemble plutôt à l'amusement d'une imagination désoeuvrée. Il n'écrit alors que deux de ses opuscules, le Conte du Tonneau et la Bataille des Livres. Temple meurt en 1698, léguant à son protégé ses manuscrits et quelque argent. Swift retourne alors en Irlande, où il devient secrétaire d'un lord, puis curé de campagne; il se dégoûte bientôt de son isolement et aussi de l'obligation où il est de prêcher devant des auditeurs indignes de lui, qui dorment ou bâillent en l'écoutant, et dont il se venge par des sermons souvent satiriques : il se fait remplacer par un vicaire et se rend à Londres pour s'occuper de politique (1701). Il commence par écrire des pamphlets en faveur du ministère whig et publie enfin son Conte du Tonneau (1704) ; le succès de ce petit poème le fait rechercher par les illustrations politiques du temps, mais il a irrité le haut
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clergé, qui l'empêche de devenir évêque. Il profite de la chute du ministère whig (1710) pour passer aux tories, qui le reçoivent à bras ouverts et supportent toutes ses impertinences. Mais sa volte-face et la faveur dont il jouit auprès du ministère Harley ne peuvent faire oublier ses diatribes : il a beau, dans son journal l'Examiner, maltraiter les whigs, ses anciens amis, et soutenir la cause de l'Église épïscopale, qu'il avait tant bafouée naguère ; il ne peut triompher des scrupules de la reine Anne, et ne parvient pas à cet évêché, seul but de son ambition; il n'obtient que le doyenné de-Saint-Patrick à Dublin (1714.)1. Là, tout en maugréant contre les occupations et les ennuis que lui occasionne sa nouvelle charge, il trouvé du temps pour lire les anciens, Lucrèce surtout, qui devient son poète favori, et pour faire un voyage à Londres, au retour duquel les habitants de Dublin l'accueillent à coups de pierre, pour témoigner leur antipathie à l'ami des tories, à un des oppresseurs de l'Irlande. La reine Anne venait de mourir, les tories n'étaient plus au pouvoir, et Swift était menacé de perdre sa place.
Il était aussi malheureux dans son intérieur que dans sa vie publique, et toujours malheureux par sa faute. II a deux amours, où la tête a plus de part que le coeur, et cause, par sa double insensibilité, la mort des deux personnes qu'il a aimées, et dont l'une, devenue sa femme, ne survécut pas longtemps a sa rivale 2.
Cependant, pour remédier à sa triste situation politique, Swift trouvait un moyen plus triste encore : c'était de renier ses derniers amis et de se faire le
1. Les Anglais l'appellent généralement le doyen de KilPatrick.
2. C'est tout un roman que l'histoire de ses relations avec Stella et Vanessa (deux pseudonymes poétiques), roman fort obscur et dont le dernier mot n'a pas été dit, Il épousa secrètement Stella en 1716 et gémit souvent, depuis, sur
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protecteur de cette Irlande qu'il avait si maltraitée jusque-là. Il donna ses Lettres du Drapier (1723), qui le rendirent tellement populaire dans toute l'Irlande, que le gouvernement, vilipendé par lui, n'osa pas le faire arrêter. D'autres pamphlets suivirent, anonymes aussi, mais que tout le monde lui attribuait, et, malgré la promesse des plus fortes récompenses, il ne se trouva pas un Irlandais pour le dénoncer; l'imprimeur, seul poursuivi, était acquitté, et le gouvernement anglais dut céder devant cette conspiration, patriotique.
En dehors de la politique, Swift, à ce moment, s'occupait aussi de littérature, et lisait surtout des fictions et des relations de voyages : c'est à cette date, vers 1722, qu'il rédigea la première esquisse de son Gulliver, où se trouvent d'ailleurs beaucoup d'allusions à la politique suivie après la mort de la reine Anne. En 1726, il écrivait, en collaboration avec Pope, des Miscellanées, oeuvre d'imagination et de satire littéraire; mais, dès lors, la passion, l'amertume et le cynisme déshonorent presque tous ses écrits. Un moment il avait cru toucher au but de son ambition : le succès de Gulliver l'avait mis bien en cour auprès du prince de Galles et de son entourage; il aurait, dit-on, profité de cette occasion pour offrir ses services au ministère qu'il avait si durement attaqué; mais le nouveau roi, George II, l'abandonna bien vite, et Swift n'obtint pas son évêché (1726).
Dès lors sa vie est plus triste que jamais : la santé vient à lui manquer comme la faveur des grands ; en 1736 il commence à perdre la mémoire; sa misanthropie augmente à mesure que ses facultés diminuent : il fait cependant un testament pour léguer presque toute,
cette union. Quelques biographes prétendent que Stella étaitsa soeur, enfant naturel, comme lui, de Temple; rien ne justifie cette hypothèse, mais il est certain que Swift fut tourmente de remords à la suite de son mariage, et que sa femme mourut de langueur et de chagrin.
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son immense fortune (10,000 livres ou 250,000 francs) à un hospice d'aliénés. Vers 1740, son intelligence s'éteint entièrement, il ne peut même plus converser avec ses semblables, et végète ainsi pendant cinq ans avant de mourir. Les médecins discutèrent la question de savoir s'il avait été fou : maladif dans sa jeunesse, il avait eu dans sa vie de fréquentes congestions cérébrales, qui avaient fini par lui causer une entière surdité; il souffrit de cruels maux de tête dans ses dernières années, et, à l'autopsie, on trouva 1 de l'eau dans son cerveau.
Ses lettres nous le font connaître avec ses qualités et ses défauts. Les plus intéressantes sont adressées à Pope et à Bolingbroke, qui lui donnent souvent des conseils littéraires ou philosophiques. Swift, dans sa correspondance, est fin, spirituel, mais; parfois aigre et sèchement railleur, exhalant outre mesure son humeur morose et haineuse. Il était misanthrope, mais il avait pourtant quelques amis. Son colossal orgueil lui donnait des allures hautaines vis-à-vis des plus grands seigneurs, des écrivains en renom, et même des dames ; et pourtant nul ne tint une conduite plus:, équivoque dans la vie publique. C'est que son ambition et sa sensibilité se contrariaient étrangement : il sentait mieux qu'un autre les humiliations, il s'en vengeait par la misanthropie, et pourtant il les recherchait ou il s'y exposait pour arriver à ses fins. Il voulait à tout prix jouer un rôle politique et dévenir évêque pour entrer au Parlement : de là ses flatteries et ses bassesses, comme ses insultes et ses haines. Il a Taconté à peu près son histoire dans une brochure intitulée le Lot d'un curé, où il compare l'étudiant sans esprit et sans instruction qui devient prélat, et le jeune homme intelligent et instruit, m<ds indépendant, qui n'arrive qu'à une mauvaise cure de village. Aussi a-t-on pu lui appliquer, ces paroles que Shakspeare fait dire à César sur Cassius :
« Il lit beaucoup; il est grand observateur, et il pénètre la
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pensée des hommes à travers leurs actes ; rarement il sourit, et, quand cela lui arrive, il a l'air de se moquer de lui-même.
Ces hommes-là n'ont jamais de repos tant qu'ils voient quelqu'un au-dessus d'eus, et c'est ce qui en fait des hommes dangereux, "
Swift, en effet, a été et est encore un homme dangereux; il était avant tout pamphlétaire, et possédait une rare puissance d'analyse, qu'il appliquait aux laideurs physiques et morales de l'humanité; il détruit volontiers tout ce qui paraît beau, et le réduit au triai et à l'ignoble; son style froid et grave détaille les laies de notre nature, et l'accable, sans passion apparente, des plus cruels sarcasmes. Ses plaisanteries ont sérieuses et terribles, souvent lugubres. Aussi ne faut-il pas s'étonner qu'il soit médiocreent poète : il est trop positif, et ses essais poétiques essemblent toujours à de la prose, à force d'être éaïistes et pessimistes. Il s'attache aux détails bas, il e complaît même dans l'ordure, ou, quand il veut être délicat, il devient froid et guindé, comme dans on poème de Cadenus et Vanessa, où il chante pourtant ses propres aventures. Il méprisait le drame, au point qu'il n'avait même pas -un Shakspeare dans sa riche bibliothèque..
Dans la prose, et surtout dans les fictions, il est admirable de simplicité, de naturel et d'esprit; on dirait qu'il a vu ce dont il parle, tant ses peintures ont de force et de vérité. Son Conte du Tonneau (1704) sst une satire excessive, mais toujours spirituelle, de la religion, de la science et de la raison humaine ; l'auteur y flagelle tour à tour les écrivains, les critiques, les philosophes et les diverses communions chrétiennes. Il est vrai qu'il professe un grand respect pour le christianisme, mais ce respect platonique n'a pas fait, illusion à ses contemporains ni surtout aux évêques anglicans.
Swift prit parti pour les anciens, dans la fameuse querelle des anciens et des modernes : il se déclare netII.
netII.
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tement dans le Conte du Tonneau, et surtout dans la Bataille des Livres, où il développe avec esprit un épisode bien connu du Lutrin.
Il a été surtout pamphlétaire : ses Lettres du Drapier contiennent tous les arguments invoqués depuis par les révolutionnaires et les socialistes de tous les pays ; dans l'Examiner, il maltraite les ministres et les hommes politiques les plus marquants de l'Angleterre ; dans l'Esprit public des Whigs, il déchire Steele et les autres défenseurs d'une cause qu'il avait lui-même servie; dans l'Abolition du Christianisme, il montre par une piquante ironie les avantages qu'il y a pour nous à conserver la religion chrétienne ; la Grande Question débattue est un modèle de satire politique; enfin, le pamphlet sur la Misère en Irlande, le dernier qu'il écrivit, est célèbre par l'atroce, ironie avec laquelle il propose de vendre les enfants des pauvres pour les manger. Nous devons ajouter cependant que tous ces pamphlets ne produisent pas sur nous la même impression que sur les Anglais, chez qui réussit avant tout l'éloquence positive, à demi littéraire, pour ainsi dire, s'adressant aux intérêts d'un parti, et où déborde l'ironie amère et calme, le sarcasme froid et sanglant. On a comparé, sous ce rapport, Swift et Voltaire ; mais celui-ci, quoique moins convaincu; souvent que le pamphlétaire anglais, est plus passionné, et, pour ce , motif, plaira toujours davantage en France.
Pour nous, l'oeuvre , capitale ou même; la seule oeuvre de Swift, c'est son roman des Voyages de Gulliver, dont il apeutrêtre dû l'idée au Voyage dans la ; lune de Godwin 1. Il y a dans cet ouvrage deux éléments parfaitements combinés, la fiction et la satire philosophique. La fiction y est toujours ingénieuse et suivie, parfois même habilement appuyée sur les donI.
donI. Godwin, voir plus haut, p. 85. Swift a mis aussi à profit plusieurs autres voyages imaginaires, notamment celui de notre Cyrano de Bergerac (Histoire/ comique des Etats de la Lune et Histoire comique des États du Soleil).
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nées scientifiques du temps, comme, par exemple, pour l'île volante de Laputa. Non moins que Defoë, Swift excelle à donner à son roman un air de vérité qui fait illusion; s'il entre dans une foule de détails minutieux, c'est qu'il n'est pas écrivain, dit-il luimême quelque part, mais simple narrateur, et il fait comme tous les voyageurs, qui racontent sans distinction tout ce qu'ils ont vu. Ce qui contribue encore à rendre son récit plus vraisemblable, ce sont les noms étranges de ses pays et de ses personnages, qu'il forge avec une rare habileté.
Mais c'est la satire qui doit avant tout intéresser le critique. Elle est graduée avec une régularité parfaite dans les quatre parties du roman : les deux premières tendent à nous prouver que tout est relatif dans ce monde (antithèse de Lilliput, où Gulliver est un géant, et de Brobdingnac, où il n'est plus qu'un nain); la troisième contient la satire de la science et des institutions humaines; la quatrième attaque l'homme luimême dans sa nature et ses facultés. On le voit, le scepticisme et la misanthropie sont les points de vue habituels de l'auteur : pour lui, rien de certain, rien de bon ici-bas. La satire est souvent atroce ou ignoble, surtout dans la dernière partie du livre, où Swift met l'homme au même niveau que les yahous, êtres dégradés et horribles, qui ont tous les vices et toutes les laideurs de l'humanité, sans avoir ancune de ses qualités. La satire particulière de notre civilisation, de nos institutions et de nos idées n'est pas moins virulente; les rois et la noblesse, les femmes, les enfants, les lois, les sciences et les arts y sont également maltraités; et ce qu'il y a de cruel, c'est que l'auteur frappe juste en général, et met parfaitement le doigt sur les plaies de l'humanité ou des sociétés. Son tort est de ne voir que le mal, et de vouloir désespérer le lecteur en ne lui montrant que les côtés les plus repoussants de notre nature. An milieu de toutes ces attaques, il y a sans doute quelques vues pratiques et bienveillantes : l'auteur, qui ne parle qu'une seule fois
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de religion, se déclare contre l'athéisme et même contre le déisme, et se borne à poursuivre de ses sarcasmes la théologie officielle ; il recommande aussi, en divers endroits, la loyauté et l'humanité dans la politique ; il condamne la guerre et ses horreurs ; il énonce des idées originales, parfois très justes, sur les réformes à introduire dans l'éducation. Mais tout cela n'empêche pas la note satirique et haineuse de dominer dans l'ouvrage, et, à ce point de vue, le Gulliver, oeuvre d'art très remarquable, est bien inférieur au Robinson, oeuvre morale avant tout, inspirée par la charité chrétienne.
Avant de passer à un nouveau genre de romans, nous devons nommer encore un des amis de Swift, le Dr ARBUTHNOT (1675-1734), médecin de la reine, auteur d'une Histoire de John Bull, roman satirique plein de verve et d'humour, et qui collabora, dit-on, avec Swift et Pope, pour la composition de la satire littéraire intitulée Vie de Martin Scriblerus.
Après Robinson, qui représente le roman religieux, et Gulliver, qui est un roman misanlhropique, nous voyons poindre à l'horizon le roman sentimental de Richardson, qui a sa contre-partie dans le roman réaliste de Fielding et de Smollet ; puis, le roman humoristique de Sterne, et le roman de famille de Goîdsmith, à la suite duquel on reviendra, vers la fin du siècle, au roman sentimental, avec Mackenzie : longne et rapide évolution, qui ne nous donne qu'une faible idée de l'importance que l'Angleterre du XVIIIe siècle accordait au roman.
Samuel RICHARDSON (1689-1761), fils d'un pauvre menuisier, qui se sentait du goût pour le sacerdoce, ne put recevoir qu'une éducation très ordinaire et n'apprit que juste assez de littérature pour devenir imprimeur. Il exerça longtemps cette profession, et acquit un grand fonds d'observations dans le milieu où il vécut et où il put faire la connaissance de quelques grands seigneurs : c'est ainsi qu'il fut en relations, vers 1723, avec un grand seigneur libertin, le duc de
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Wharton, qui passe pour avoir été l'original de son Lovelace. Il aimait surtout la société des femmes, dont il excelle, dans la suite, à peindre les sentiments. On raconte, à ce sujet, que, dès son enfance, avec une naïveté peut-être simulée, il aimait à servir de secrétaire aux jeunes filles qui échangeaient une correspondance amoureuse avec leurs fiancés, et à raconter à celles qu'il connaissait des histoires dont la tendance était toujours exclusivement morale.
Son apprentissage, commencé à dix-sept ans, avait été dur, malgré la bonté de son patron : Richardson, pauvre et désireux de s'instruire, s'imposait, pour compléter ses études, de nombreuses privations et un surcroit continuel de travail. Il finit par pouvoir s'établir pour son propre compte, et, grâce à son esprit d'ordre et à d'excellentes relations, il parvint même à une certaine fortune. Une fois riche et indépendant, il se montra toujours bon, secourable et hospitalier; travaillant sans relâche tonte la semaine dans son imprimerie, il ne goûtait quelque loisir que le dimanche, dans sa petite maison de campagne. Son principal défaut était la vanité, que l'orgueilleux Johnson lui reprochait amèrement, et qui lui faisait rechercher de préférence la société des femmes, plus disposées à lui accorder des éloges et à ne pas contester sa supériorité. Il était nerveux et manquait en même temps de fermeté, de sorte qu'il évitait de se rencontrer avec les gens de lettres : Young est le seul qu'il ait fréquenté jusqu'à sa mort. Non content de fuir les autres écrivains de son temps, il se montra sévère et même injuste pour la plupart d'entre eux, notamment pour Swift, Sterne et Fielding : il est vrai qu'il leur reprochait, de bonne foi, l'immoralité de leurs ouvrages. Il ne critiquait pas moins la Nouvelle Héloïse de J.-J. Rousseau, bien que celui-ci fût au nombre de ses admirateurs les plus enthousiastes.
Richardson avait été fort malheureux dans ses affections de famille : deux veuvages, la perte de ses enfants et d'autres personnes aimées augmentèrent encore sa
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disposition naturelle à la mélancolie et à là prédication de la morale. Sa santé, presque toujours chancelante, était encore éprouvée par les excès de son imagination et de sa sensibilité ; il pleurait sur le sort des personnages qu'il inventait, et sur les catastrophes de ses propres romans.
Ce n'est que tardivement, et par hasard, qu'il entra dans la carrière des lettres : il écrivit Paméla en quelques semaines, à la suite d'un récit qu'il avait entendu un jour dans une auberge, et publia ce roman, sans le signer (1740), en se contentant défaire, comme éditeur, l'éloge du livre qu'il imprimait, et qui eut, du reste, un prodigieux succès, en Erance au moins autant qu'en Augleterre. Comme trait caractéristique des romans de Richardson, nous devons signaler la longueur démesurée de leurs titres; on sourit volontiers en lisant celui de son premier ouvrage : « Paméla, ou la vertu récompensée, suite de lettres familières écrites par une. belle jeune personne à ses parents, et publiées afin de cultiver les principes de la vertu et de la religion dans l'esprit des jeunes gens des deux sexes; ouvrage qui a un fondement vrai, et qui, en même temps qu'il entretient agréablement l'esprit par une variété d'incidents curieux et touchants, est entièTement purgé de toutes ces images qui, dans trop d'écrits composés pour le simple amusement, tendent à enflammer le coeur au lieu de l'instruire. » Un pareil titre peut dispenser d'une préface, et suffit à mettre le lecteur en garde contre les préoccupations moralisantes et puritaines de l'auteur.
L'histoire vraie qui, d'après Richardson lui-même, constitue le fond du roman est tout simplement celle des rois qui épousent des bergères, avec ceci en plus que la jeune femme en question fait l'éducation morale de son mari, homme peu scrupuleux dans sa jeunesse sur la vertu et la probité en fait d'amour. On retrouve les mêmes idées dans la comédie de Nanine, de Voltaire, et dans les drames de Boissy et de La Chaussée.
Paméla marquait un progrès notable sur les froides,
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ennuyeuses et immorales narrations qui étaient à la mode jusque-là : les caractères y sont vrais et fortement décrits, et suffiraient à expliquer son succès. Mais on peut trouver à redire à la moralité de l'histoire prise en elle-même, et l'héroïne ne semble pas non plus le type d'une vertu purement désintéressée : ce n'est pas de nos jours seulement que les romanciers ont eu la fâcheuse idée de nous montrer la fortune et le succès comme le couronnement obligé des âmes pures et généreuses.
Huit ans après Paméla, Richardson, encouragé par ce premier succès, donnait Clarisse Harlowe (1748), dont le titre complet est : « Clarisse, ou histoire d'une jeune fille, où sont traitées les questions les plus importantes relativement à la vie de famille, et où sont en particulier dévoilés les accidents qui résultent, pour les parents et pour les enfants, de leur manque deprudence dans la question du mariage. » Ce roman, dont la longueur est excessive, et qu'on ne lit plus guère, passionna le public dès l'apparition des premiers volumes : ce qui le distingue surtout, c'est le pathétique de plusieurs situations, et la netteté avec laquelle sont dessinés les principaux personnages. Le caractère de Clarisse, surtout, est d'une grandeur morale et d'une beauté attachantes : différente de Paméla, cette nouvelle héroïne de Richardson a le mérite de se renfermer dans sa vertu, et de résister finalement à des propositions de mariage dont une autre se fût contentée. Son histoire offre quelque analogie avec celle de la Lucrèce romaine; mais on ne peut qu'admirer la délicatesse avec laquelle l'auteur a traité les incidents les plus scabreux. Le dénoûment est tragique; mais, en faisant mourir Clarisse ainsi que son séducteur, Richardson a fait preuve de goût autant que d'intelligence ; c'eût été un contresens de convertir Lovelace et de marier Clarisse avec celui qui l'avait outragée, comme le demandaient tant de lettres si pressantes, adressées au romancier par ses lecteurs et surtout ses sensibles lectrices. Ce qui reste aujourd'hui de cette
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interminable histoire, ce sont les caractères, et les noms des deux personnages principaux, Clarisse et Lovelace, qui suffiraient à immortaliser, Richardson. L'idée de son troisième roman, Charles Grandisson (1753), lui fut inspirée parle désir d'opposer à Lovelace, aimable vaurien que le public avait trop admiré, un parfait honnête homme doué de toutes les brillantes qualités de l'homme du monde. Quoique fort inférieur aux deux précédents, ce roman ne fit qu'accroître encore la réputation de l'auteur. Le titre primitif, l'Excellent Homme, indiquait trop clairement la tendance morale et presque abstraite du récit; mais, en changeant le titre, Richardson ne change rien à sa donnée, et son roman n'en a pas moins un terrible défaut : son optimisme à outrance. Charles Grandisson, ce gentleman accompli, est trop vertueux, et avec Gela trop gâté par la fortune; Walter Scott l'appelle spirituellement un « monstre sans défaut ». La leçon morale que l'auteur veut tirer de cet exemple va tout à fait contre son but : la vertu n'est plus qu'une bonne et profitable spéculation, et elle perd son mérite, parce qu'elle n'a plus que des luttes faciles à soutenir. De plus, en montrant son héros partagé entre deux amours, qu'il raisonne et discute avec une imperturbable logique, Richardson semble supprimer l'amour duicceur comme celui des sens, et condamner ce noble sentiment à ne plus être qu'un froid calcul. Les personnages du grand monde qu'il prétend mettre en scène se ressentent trop, aussi, du milieu dans lequel vivait l'auteur : ce ne sont pas des gentilshommes, mais de simples et vulgaires bourgeois. Ce qui sauve le roman, c'est uniquement l'admirable caractère de Clémentine, la femme aimante et résignée : ce type, tracé de main, de maître, prouve que Richardson avait encore tout son talent, et qu'il s'était seulement trompé dans le choix du sujet1.
1. Wieland a tiré de ce roman une tragédie fort médiocre, Clémentine de Porretta (voir notre Ier vol., p. 117).
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On a encore de lui des Lettres familières, destinées à instruire et à moraliser les classes inférieures, mais dont les personnes les plus distinguées peuvent goûter le charme. Pourtant la gloire de Richarson ne vit plus que par le souvenir de ses romans, aussi populaires jadis qu'ils sont délaissés de nos jours. A l'époque de leur apparition, leur succès provoqua de nombreuses contrefaçons, et surtout de plates imitations 1 qui ont contribué à faire mépriser leurs modèles. Nous verrons tout à l'heure que Fielding devança le jugement de la postérité, en montrant, par sa parodie de Paméla, ce qu'il y a de factice et d'outré dans ce genre de romans.
En somme, la gloire de Richardson, bien qu'obscurcie depuis longtemps, ne s'éclipsera jamais entièrement : son grand mérite, c'est d'avoir, observé la nature, les sentiments intimes du coeur humain; ses romans sont de remarquables études psychologiques. Mais il manque d'art ; il est fatigant et minutieux. Sa tendance à la prolixité vient surtout de la forme épistolaire qu'il a adoptée; mais c'est sans doute à cause de son goût pour les détails qu'il l'a choisie, et aussi peut-être par l'habitude qu'il avait prise dans son enfance d'écrire des lettres d'amour pour le compte des autres. L'inconvénient de ce système est de ralentir l'action ; mais il a, par contre, l'avantage de nous faire connaître à fond tous les personnages, leurs caractères, leurs idées aussi bien que leurs actions. Les récits, présentés par les héros eux-mêmes, ont toujours un air parfait de vérité, et, à ce point de vue, on peut comparer Richardson à Defoë. Mais il abuse des descriptions et des digressions morales, bien plus que son devancier; aussi le plan de ses romans paraît-il généralement négligé. Quant au style, s'il n'est pas aussi faible qu'on le dit souvent, il est du moins assez mo1.
mo1. mauvais imitateur, entre autres, publia une suite de Paméla sous le titre de : Paméla dans le grand monde. De son côté, Richardson donna une seconde partie de son roman, laquelle, du reste, n'eut pas de succès.
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notone, surtout dans les narrations; mais il est facilement pathétique dans les grandes scènes, et ne manque pas de souplesse dans les passages comiques de ses récits.
Henry FIELDING (1707-1754) était issu d'une famille noble : son père, allié à la haute aristocratie, avait le grade de général dans l'armée anglaise 1. Ses premières études furent bonnes et sérieuses, et lui donnèrent le goût des auteurs classiques ; il commença ensuite son droit, qu'il fut obligé d'interrompre à cause de la gêne où se trouvait sa famille. Le jeune hommes sans ressources et sans carrière, se rendit à Londres, où il vécut au hasard, emporté par la fougue de ses vingt ans dans la dissipation et les aventures. Lady Montague, sa parente, nous a laissé son portrait à cette date, et insiste sur les avantages physiques et intellectuels dont il abusait alors à son grand détriment 1: elle le compare à Steele pour l'heureuse gaieté de son tempérament, et aussi pour la facilité qu'il avait de vivre au milieu des plaisirs à peu de frais.
De 1727 à 1736, il cherche à se créer des ressources par le théâtre : ses comédies, imitées de Destouches et même de Molière (l'Avare, le Médecin maigre lui), n'ont guère plus de valeur qu'elles n'obtinrent de succès, ce qui semble étonnant au premier abord, quand on songe à son profond talent d'observation et à la place distinguée qu'il s'est faite dans le roman comique. Il travaillait fort vite; mais cela ne suffit pas à expliquer la faiblesse de ses comédies : on doit tenir compte avant tout des profondes différences qui existent entre le roman et le théâtre. Nous voyons tous les jours les mêmes auteurs s'essayer dans les deux genres, et ne réussir que dans l'un des deux.
Après avoir vécu d'expédients et du maigre profit que lui rapportaient ses pièces, Fielding se met, touI.
touI. père se remaria et eut de nombreux enfants : du premier lit, outre notre romancier, on connaît Sarah Fielding, qui a été femme de lettres, peu brillante d'ailleurs ; du second, John Fielding qui s'est fait un nom comme jurisconsulte.
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jours sans succès, à la tête d'une troupe d'acteurs; puis, il sollicite vainement les faveurs de Robert Walpole, qu'il bafoue ensuite sur la scène pour se venger de ses refus : c'est même à son occasion que le gouvernement se crut obligé d'établir la censure,préventive pour les oeuvres dramatiques, En 1736, la fortune semble enfin lui sourire;: il fait un mariage d'argent; puis, il hérite de sa mère, mais s'empresse de dévorer son fonds avec son revenu, dans le comté de Derby, où se trouvait son héritage. Le seul bien qu'il rapporta de cette vie à la campagne; ce furent de précieuses observations sur les moeurs des gentilshommes campagnards.
Revenu à Londres, il peut enfin terminer son droit et se faire recevoir avocat; mais il n'a aucun appui en entrant dans sa nouvelle carrière. La goutte survient, qui l'empêche encore de vaquer à ses occupations professionnelles, et il recommence à travailler pour le théâtre. On lui refuse l'autorisation de faire jouer ses pièces; il se venge en écrivant dés pamphlets et gagne sa vie et celle d'une famille tendrement aimée en composant des brochures de circonstance. Il perd sa femme, et ce malheur le frappe au point que sa raison semble un instant menacée : le besoin seul le forcé à réprendre ses travaux littéraires, et c'est alors enfin (1741) qu'il songe à écrire des romans. Le succès de Paméla lui avait donné l'idée de faire une parodie de ce roman; son Joseph. Andrews eut un succès égal à celui de l'oeuvre de Richardson. Celui-ci ne le lui pardonna jamais, même lorsqu'une mort prématurée eut enlevé Fielding, qui, au contraire, se montra toujours, généreux envers son rival, et ne cessa de lui accorder les plus sincères éloges.
Il se croyait dépaysé dans le roman, et, une fois à l'abri du besoin, s'empressa de retourner au théâtre avec, son Jour de noces, comédie médiocre, sifflée malgré le talent de Garrick, mais qui lui rapporta néanmoins quelque argent. En 1743, il a le bon sens dé revenir au roman, avec ses Mélanges (où se trouve
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un Voyage de ce monde dans l'autre), puis avec l'Histoire de Jonathan Wild le Grand, portrait d'un brigand célèbre, où le manque d'art et la grossièreté des sentiments n'empêchent pas Fielding de montrer un talent réel dans bon nombre de scènes vraiment originales. Il travaille en même temps à des écrits politiques, comme le Journal jacobite, satire peu courageuse du parti vaincu à Culloden (1745)1 Ses pamphlets en faveur du ministère whig ne sont récompensés que plus tard et assez médiocrement par une pension et un office de juge de paix dans le quartier de Westminster (1749).
Fielding, devenu juge, se dégrade bien plus que lorsqu'il était folliculaire ; il tire de sa position toutes sortes de profits que la conscience publique ne réprouvait pas alors autant qu'aujourd'hui; mais) à côté de ses prévarications presque légales, on doit signaler bon nombre d'actes intègres et de sentiments honnêtes qui l'élèvent bien au-dessus de la triste société qu'il fréquentait trop volontiers : il aime à protéger, gratis les pauvres et les malheureux, et rédigesur lés questions pénales et sur la mendicité, cette plaie de Londres, des idées remarquablement justes et philanthropiques, qui ne furent publiées qu'après sa mort. C'est grâce aux loisirs de sa charge et aux bienfaits de quelques protecteurs, comme lord Lyttleton et sir Ralph Allen, qu'il put écrire son chef-d'oeuvre, Tom Jones ou l'enfant trouvé (1750), oeuvre péniblement composée toutefois et souvent interrompue, qui lui valut plus de réputation que d'argent.
L'année suivante, il gagna mille guinées (25,000 fr.) avec son roman d'Amélie, qui fut son dernier ouvrage : attiré de nouveau par le journalisme, il n'y réussit pas, et tenta vainement de. fonder une revue littéraire. Sa santé s'altérait de plus en plus ; il acheva de la ruiner en acceptant du gouvernement la mission de surveiller la destruction des bandes de voleurs dans Londres ; il se mit à la besogne avec un zèle imprudent, et ne consentit que trop tard à écouler, les médecins, qui lui
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ordonnaient le repos dans un climat plus doux : il s'embarqua pour Lisbonne en 1754, et c'est dans cette ville qu'il mourut, quelques mois après, sans avoir pu achever une relation humoristique de son voyage, dont les fragments offrent un grand intérêt. Il s'était remarié quelque temps auparavant, et ne laissait aucune fortune : son frère, John Fielding, et sir Allen pourvurent an sort de sa veuve et de ses quatre enfants.
Les romans de Fielding, qui sont aujourd'hui encore son seul titre de gloire, présentent le contraste le plus complet avec ceux de Richardson. Dans le premier, intitulé Histoire et aventures de Joseph Andrews et de son ami M. Abraham Adams, il se proposait de mettre en lumière l'indécence de certaines scènes de Paméla, qui avait la prétention de donner des leçons de vertu; il avait été choqué surtout, en homme de goût, de la ridicule pruderie si familière aux héroïnes de Richardson. Il annonce, dès le début, l'intention d'imiter Cervantes ; mais il ressemble bien plus à notre Scarron, dont il adopte le ton héroï-comique et burlesque. Ses personnages appartiennent, du reste, à la dernière classe de la société : le fond même du roman n'est que l'histoire des amours et des tribulations d'un laquais et d'une servante, qui finissent par se marier le plus bourgeoisement du monde. C'est une oeuvre réaliste, où les caractères, quoique bas, sont intéressants à force de vérité. Joseph Andrews et Fanny peuvent sembler trop effacés ; mais il y a, en revanche, le curé Abraham Adams, qui a quelques traits de ressemblance avec don Quichotte : foncièrement bon et vertueux, mais enthousiaste, crédule et distrait, il reçoit force coups de bâton pour ses actes de philanthropie et de charité. On prétend que le type de ce personnage avait été fourni â l'auteur par un de ses amis, le ministre Young.
Tom Jones ou l'enfant trouvé est le modèle et le premier exemple du vrai roman de moeurs en Angleterre. Le plan et l'action en sont admirablement dessinés, et le lecteur, constamment tenu sous le charme,
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éprouve, au dénoûment, un plaisir sans mélange. Ajoutons cependant que l'auteur, comme Cervantes et Lesage, abuse un peu des hors-d'oeuvre, des épisodes : telle est, par exemple, dans le roman; l'histoire du vieillard de la colline, qui ne se rattache en rien à l'action principale.
La vérité des caractères y est aussi parfaite que dans Joseph Andrews. Thomas ou Tom Jones, son principal personnage, est un garçon brave, bon, généreux, mais étourdi et imprudent à l'excès. (Fielding a évité de lui donner la chimérique perfection, de Grandisson ou les avantages trop mondains et trop brillants de Lovelace : il lui attribué des défauts pardonnables, avec des vertus aimables, bien faites pour les racheter. Son héroïne, Sophie Western, nous intéresse bien plus encore : elle a toutes les vertus de Clarisse, mais avec plus de naturel et de charme. On a dit que Fielding avait voulu transmettre ainsi à la: postérité le portrait de sa première femme,: qu'il regretta toujours avec tant de larmes; mais il faut ajouter qu'il connaît bien moins le coeur féminin que Richardson, qui ne l'avait pas étudié sur sa seule compagne.
Parmi les autres types, justement célèbres, de ce roman, citons encore le noble et digne sir Allworthy, ce modeste philosophe et ce vrai chrétien, exempt d'ostentation comme de faiblesse, qui ressemble au docteur Primrose de Goldsmith, et fait honneur à l'âme de Fielding; ou son Blifil, fourbe accompli, d'autant plus lâche dans le malheur qu'il a été plus insolent dans la prospérité, et dont Sheridan s'est évidemment souvenu, en créant le caractère de .Joseph Surface dans son Ecole de la médisance; ou Partridge, le valet de Tom Jones, qui reste pourtant au-dessous du Sancho Pança de Cervantes. Fielding excelle encore à peindre les femmes du grand monde sa lady Bellaston est remarquable d'impudeur et d'aisance, Mais de tous ces caractères le plus original, à coup sûr, est celui du squire Western, le type du gentilhomme campagnard, ignorant, grossier, susceptible) mais ayant
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sa finesse, une certaine bonhomie rustique et une profonde tendresse pour sa fille, malgré l'égoïsme dont il est pétri. Certains critiques, de nos jours, ont reproché à ce personnage de n'être qu'une caricature : ils oublient que la race des écuyers provinciaux, disparue maintenant, florissait encore en Angleterre à cette époque.
Le roman d'Amélie est inférieur aux précédents : il est monotone, composé presque uniquement d'épisodes, et rempli de détails souvent ignobles. On sent que l'auteur, devenu magistrat, a voulu mettre à profit la nouvelle expérience que lui donnent ses fonctions: il montre les plaies de la société; il propose même d'utiles réformes. L'idée morale du roman est excellente; c'est la glorification du mariage, dont le bonheur est opposé aux jouissances troublées et dangereuses de l'amour libre. Les caractères y sont généralement peu vraisemblables, mais il y a encore d'excellentes peintures et même plus de pathétique que dans les oeuvres précédentes. On s'intéresse, malgré tout, à cette Amélie, l'épouse modèle, si douce et si indulgente; on trouve des traits heureux dans les autres personnages : le misérable Booth, l'indigne et ingrat époux d'Amélie; le docteur Harrison, ce type du pédantisme ; le loyalet bizarre sergent Atkinson; le colonel Bath, matamore un peu exagéré; et surtout l'ardente et vindicative miss Matthews.
En résumé, les romans de Fielding se distinguent autant par la finesse des détails que par la netteté de l'ensemble : ils sont divisés en livres et en chapitres, qui aident le lecteur à : suivre le fil du récit, et les digressions morales qui les précèdent ou les accompagnent ne nuisent généralement pas à cette netteté. L'humour et les peintures de la vie réelle y sont constamment remarquables. L'auteur, qui a horreur de l'esprit puritain, représente notre nature dans toute sa brutale franchise : la délicatesse lui est inconnue ; il n'a pas le tempérament nerveux et féminin, ni surtout la pruderie de son émule. Son comique est souvent tri-
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vial, mais il est naturel. Fielding abuse des aventures de carrefour et d'auberge, des repas plantureux et largement arrosés, et des boxes, pour lesquelles il a une prédilection particulière; mais avec tous ces ingrédients il arrive à produire d'excellents effets. Son principal défaut est de ne voir que la nature matérielle, avec ses bons et ses mauvais instincts : en voulant réagir contre ceux-ci, il ne trouve pas toujours un point d'appui suffisant dans les premiers ; mais il a eu du moins le mérite de réhabiliter une partie de nousmêmes Contre les sentimentales attaques de Richardson.
Tebie SMOLLETT (1721-1771), dont la carrière et même le talent offrent quelque analogie avec ceux de Fielding, a moins d'art et moins d'élégance; ses personnages sont moins aimables, ses femmes moins pures; mais il a plus de richesse d'invention et une plus grande variété de caractères. Né en Ecosse, il appartenait à une ancienne et honorable famille, dont il tirait volontiers vanité. Dès son enfance, consacrée à de bonnes études classiques, il manifesta un goût prononcé pour la poésie et surtout pour la satire, goût qu'il satisfaisait souvent aux dépens de ses camarades. Il aurait voulu entrer dans l'armée, et fut obligé de faire de la médecine pour plaire à son grand-père; mais il ne délaissa point pour cela les lettres, et composa, à dix-huit ans, une fort médiocre tragédie, le Régicide ou la mort de Charles Ier , qu'il offrit vainement à plusieurs théâtres, lors de son premier voyage à Londres, en 1740 L'année suivante, il s'embarqua comme aide-chirurgien pour l'expédition de Carthagène, dont il fit plus tard la relation satirique; puis, il se dégoûta du service, et se rendit à la Jamaïque, on il se lia avec sa future femme. De ces divers voyages, il rapporta une rare connaissance des moeurs et du langage des marins, qu'il mit à profit dans presque tous ses romans.
Revenu en Angleterre (1746), il exprimera sympathie pour les jacobites, vaincus à Culloden) dans une ode excellente, les Larmes de la Calédonie, qui lui
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aliène tout le parti whig; le théâtre lui reste toujours fermé, et il augmente encore le nombre de ses ennemis en écrivant de mordantes satires. Son mariage et ses folles dépenses achèvent de le ruiner, et c'est alors, au milieu de la plus cruelle détresse, en 1748, qu'il publie son premier roman, Roderic Random. Le succès de cet ouvrage et l'argent qu'il en retire ne lui procurent pas un long repos : toujours en lutte avec de puissants ennemis, il échoue dans ses tentatives médicales et dramatiques, fait un voyage à Paris (1750) et donne l'année suivante son roman àePeregrinusPickle, qui réussit autant que le premier . En 1753 suivirent les Aventures du comte Ferdinand Fathom, puis une traduction de Don Quichotte, qu'il, avait seulement retouchée, et les Aventures de sir Lancelot Greaves (1761), où il cherche à imiter Cervantes. Il gagnait alors quelque argent, et en profitait pour mener une vie somptueuse et protéger les auteurs indigents, généralement les plus médiocres. Pour battre monnaie, il publie un Abrégé des Voyages (1757) et fait jouer une comédie patriotique, les Représailles ou les Marins de la vieille Angleterre, dirigée contre la France au moment de la guerre de sept ans. Sa gêne n'en est pas diminuée, et il est obligé d'écrire en quatorze mois une Histoire d'Angleterre qui eut un succès prodigieux. II réussit moins avec son journal, la Crilical Review (17S8), qui lui valut une condamnation à la prison et à l'amende; la politique lui porte encore malheur, quatre ans après, lorsque, dans le Briton, il soutient d'abord lord Bute pour le maltraiter ensuite après sa chute. Diverses entreprises de librairie l'occupent pendant ces dernières années, notamment une traduction des oeuvres de Voltaire; mais sa santé, déjà fort mauvaise, est encore ébranlée par la mort de sa fille unique, et il serend en France et en Italie, où il fait un séjour de plus de deux ans pour tâcher de se remettre (1763-66). A son retour, il publie, sous forme de lettres à un ami, une relation de ce voyage, où l'on trouve du sel et du bon sens, mais nul sentiment des
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beautés de la nature ou des arts, et même un mépris systématique, allant parfois jusqu'au cynisme, pour tout ce que l'on admire en pareille matière Sterne, dans son Voyage sentimental, l'a finement raillé, en disant qu'il avait tout vu en noir ou plutôt en jaune (Smollett avait alors la jaunisse).
Ses souffrances physique et morales ne lui laissent plus guère de repos désormais : un ami lui offre une charmante résidence en Italie, près de Livourne; c'est là qu'il achève son dernier roman, l'Expédition de Humphrey Clinker, et qu'il meurt quelques mois après l'avoir publié (1771). Sa veuve et ses amis lui élevèrent un tombeau à Livourne, et quelques années plus tard les Anglais érigèrent en son honneur une colonne commémorative près de sa maison natale.
Smollett était doué d'une physionomie agréable et avenante, d'une belle et expressive figure, d'une taille avantageuse. Au moral, c'était en somme un bon et généreux caractère : ses ennemis l'accusaient d'être présomptueux, irascible, vindicatif et jaloux; il vaut mieux croire ses parents et ses amis, des hommes tels que lord Kaimes, le Dr Armstrong, Garrick, qui le regrettèrent, et qui ne lui reprochaient que son penchant un peu trop prononcé pour la satire : lui-même en convient dans ses romans, où il a souvent fait son propre portrait. Son caractère était, à la vérité, hardi et indépendant; mais il ne paraît pas avoir connu la jalousie littéraire, à en juger par son Histoire d'Angleterre, où il rend impartialement justice à tous ses confrères.
Ses romans sont surtout remarquables par l'humour et la vérité des observations; il excelle à peindre les moeurs populaires, et ses peintures, souvent triviales, sont toujours réelles. Il s'attache surtout aux singularités de caractère; son coup d'oeil est habile, mais superficiel; l'observation, chez-lui, ne descend jamais bien avant dans les coeurs. Comme Fielding, il prétend imiter Cervantes et Lesage; mais il ressemble bien plus, lui aussi, à Scarron. Son enjouement tombe
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trop, souvent dans la caricature ; il aime à montrer des vices ignobles, à faire des plaisanteries grivoises. Mais le réalisme de ses romans les rend précieux pour l'histoire de cette époque; ils offrent, sous ce rapport, une grande analogie avec les données de son contemporain, le peintre et caricaturiste Hogarth. Chez lui, le plan fait presque toujours défaut; mais il y a l'unité de personnages, qui supplée jusqu'à un certain point à l'unité d'action : ses caractères de marins sont justement célèbres, et offrent des types, aussi accomplis que variés.
Smollett est le premier, avec Swift, qui ait introduit la politique d'actualité dans ses romans; cela contribuait à leur succès, mais cela nous explique aussi pourquoi ils ont vieilli depuis; ils ont, en outre, un cachet britannique qui les rend souvent peu intelligibles et peu intéressants pour les étrangers. Nous ne connaissons guère Roderic Random, Peregrinus Pickle et Humphrey Clinker que par le nom et quelques traits du caractère de ces personnages, ainsi que par les principaux épisodes, comme celui de M. Mac Kercher, sorte de don Quichotte charitable, dans Peregrinus Pickle, ou les détails autobiographiques, fort intéressants, contenus dans Humphrey Clinker.
Les odes et quelques autres poésies de Smollett ont une délicatesse qui manque trop souvent à sa prose; Son Histoire d'Angleterre, supérieure à toutes celles qui l'avaient précédée, se distingue par la clarté et la facilité du style, l'ordre et la netteté de l'exposition; mais elle est souvent superficielle, inexacte ou partiale. La seconde partie (histoire contemporaine de 1748 à 1764.) est la meilleure, bien que l'auteur, comme il est naturel, ignore les causes secrètes de bien des événements; on la réimprime généralement à la suite de l'Histoire d'Angleterre de Hume.
La vie de Laurence STERNE (1713-1768) a quelque chose du caractère humoristique et excentrique quel'on remarque dans ses oeuvres. Né en Irlande d'une
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famille distinguée, quoique pauvre, il suivit son père dans ses pérégrinations d'officier sans fortune, et ne reçut que fort tard une instruction peu complète : à Cambridge comme à l'école de Halifax, il passa pour un esprit indiscipliné, aussi paresseux que brillant. Pourvu d'un petit bénéfice au sortir de l'université, il,épouse, en 1741, une jeune personne, pauvre comme lui, qu'il aimait, depuis longtemps. Ce mariage ne fut pas heureux; sa femme, maussade et sotte, n'avait d'autre qualité que d'être bonne musicienne. Sterne, qui avait pris parti, avec trop d'ardeur, pour les whigs, perdit les bonnes grâces d'un oncle, haut dignitaire de l'Eglise anglicane, qui l'avait protégé jusqu'alors; il obtint cependant un bénéfice avantageux aux environs d'York, et passa vingt années dans cette résidence, d'où il s'échappait souvent pour aller au chef lieu du comté ou au château de son ami Stevenson, lieu de réunion d'une société fort libertine. Son roman de Tristram Skaiidy, qui parut de 1759 à 1767, lui valut une réputation universelle, même sur le continent il put s'en assurer lors de son voyage en France et en Italie (1762-1765). Au retour, il se rend à Londres pour la publication de son Voyage sentimental (1767), et c'est là qu'il meurt, peu de temps après, sans, démentir dans ses derniers jours sa gaieté et sa sérénité: habituelles : et pourtant il mourait loin de sa famille, dans un hôtel garni, où ne le soignaient que des étrangers. Sterne nous a laissé de nombreux détails, sur sa vie et sur son caractère ; il s'est peint surtout dans son personnage favori, Yorick, pseudonyme sous lequel il publia même ses Sermons. Il était grand et maigre, avec un air maladif et phtisique ; ses traits avaient une expression fine et moqueuse; Sa mauvaise santé lui valut un tempérament irritable, un caractère changeant et inégal; mais il était bon et affectueux au fond. Sa conversation, habituellement enjouée, devenait trop libre à l'occasion, et il est prouvé qu'il mena, durant son séjour à Londres, notamment, une vie scandaleuse, qui fit autant de tort à sa réputation
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qu'à sa santé. Il ne se piquait ni de fidélité conjugale, ni d'ordre on d'économie, ni de décence. Ajoutons cependant que, s'il fit les plus folles dépenses dans son voyage à Paris, il ne refusa pas le superflu à sa femme et à sa fille, qui l'accompagnaient alors ; il paraît aussi avoir eu la plus profonde tendresse pour sa fille Lydie, à laquelle il adressa, avant de mourir, une sorte d'histoire de sa vie, rédigée sous forme de testament.
Les Sermons de Sterne suffiraient à illustrer son nom : ils sont courts, dramatiques, animés, empreints d'un accent de sincérité bien réel ; à défaut du dogme, qu'il laisse de côté, et de l'onction chrétienne, dont il était incapable, on y trouve de curieuses analyses psychologiques, d'excellentes leçons de morale, et aussi de l'esprit, mais trop d'esprit. Quant au plan et aux divisions, il faut renoncer à les y chercher. Comme philosophe, Sterne était optimiste : il croyait à la bonté native de l'homme aussi bien qu'à la miséricorde divine et à la Providence ; aussi l'impression de ses sermons est-elle bonne et agréable, malgré les passages satiriques dont ils sont remplis.
Pour nous, Sterne est avant tout un romancier et Un humoriste. Son roman de Tristram Shandy, qu'il écrivit à l'âge de quarante-sept ans, lui valut autant d'ennemis que d'admirateurs. La première impression produite par cet ouvrage sur un lecteur français, surtout dans une traduction, c'est l'étonnement, puis l'irritation et finalement l'ennui : quelques rares lueurs de génie lui apparaîtront dans le cours du roman, sans le réconcilier avec l'auteur. Pour le lecteur anglais, il y a, en plus, le soin et l'originalité de la forme, qui le disposent mieux en faveur du livre. Est-ce bien un roman? On serait embarrassé de le dire. Sterne affecte de n'avoir ni plan, ni suite, ni unité autre que celle des caractères. Il imite notre Rabelais, mais il reste bien au-dessous de lui, car il n'a rien de sa grandeur ni de son franc rire; il est presque toujours affecté, et souvent, comme on l'a dit, plus bouffon qu'humoriste.
Mais on trouve dans Tristram Shandy, au milieu
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de toutes ses bizarreries, quelques vues vraiment philosophiques, de l'observation, des peintures heureuses, et surtout des caractères vivement tracés, comme ceux de, l'oncle Tobie, cet excellent bonhomme qui a la manie des fortifications, ou de son frère,M. Shandy, si amusant par ses paradoxes et son emportement, ou encore du célèbre caporal Trim, on surtout du pauvre Yorick,qui est une incarnation de Sterne lui-même. On connaît, de réputation, sans avoir lu le roman, la touchante et dramatique histoire de Lefèvre, un de ses épisodes les plus intéressants et les plus complets, ou la fameuse théorie des dadas: chacun de nous a son dada, qu'il enfourche en toute occasion, qui fait partie intégrante de notre nature, mais qui ne nous empêche pas d'avoir des qualités réelles et un grand bon sens.
Le titre de Voyage sentimental (the Sentimental Journey), d'après la traduction reçue, nous donne une idée très fausse de l'ouvrage qui le porte; Il n'est pas question, ici, de sentimentalité : l'auteur a ainsi appelé sa relation humoristique afin de marquer qu'il voyage pour son plaisir, pour son sentiment, pour peindre ses impressions; c'est lui qui a inventé, dans la langue anglaise, le mot sentimental avec ce sens particulier. Il y a, déjà dans ce titre, une épigramme contre les autres écrivains qui voyagent, les uns pour tout voir en noir comme Smollett, les autres pour ne rien voir du tour. Sterne recherche surtout les émotions douces et affectueuses, capables de lui faire aimer la vie et ses semblables. Sa morale est indulgente, parfois même un peu légère; on y trouve l'influence de la philosophie et de la société françaises du XVIIIe siècle. L'auteur abuse aussi de la sensibilité où plutôt de la sensiblerie, et, à ce point de vue, la traduction du titre, entendue comme on le fait vulgairement, n'est plus qu'un demi-contresens.
Mais ce qui fait de ce Voyage un chef-d'oeuvre, c'est l'art consommé de sa composition ; c'est son plan, si bien suivi et si habilement dissimulé; ce sont ces peintures si fines et si exactes; c'est l'inspiration réelle et
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continue qui anime le récit; c'est surtout le style, toujours piquant et spirituel, quoique un peu affecté, parfois. Malgré les déclamations de certains critiques anglais, rigoristes à l'excès, Sterne a du génie ou du moins de l'imagination, et ses deux chefs-d'oeuvre sont encore ce que l'humour anglais a produit de plus original.
Avec Olivier GOLDSMITH (1728-1774) nous revenons à notre point de départ, au roman religieux, tel que l'avait écrit Defoë. Goldsmith, du reste, offre, par sa vie comme par son chef-d'oeuvre, quelque analogie avec l'auteur de Robinson. Né en Irlande d'un pauvre ministre protestant dont il a retracé les vertus dans son Vicaire de Wakefield, il perdit son père de bonne. heure, et passa de tristes années au collège, puis à l'université de Dublin, où son oncle l'avait placé. Son humeur inconstante et voyageuse lui fait quitter l'université avant le temps, en 1749; il renonce au droit, et va étudier la médecine à Edimbourg, puis à Leyde, où il éprouve diverses mésaventures (1752). Dénué de toute ressource, il fait à pied le tour de l'Europe, disputant philosophie ou jouant de la flûte pour obtenir un gîte et de la nourriture ; s'il faut l'en croire, il aurait même conquis alors un diplôme de docteur en médecine à l'université de Pavie. Revenu en Angleterre (1756), il lutte péniblement contre la pauvreté : sous-maître d'école, puis garçon apothicaire, il finit par trouver un protecteur et des malades, sans parvenir à l'aisance.
Vers 1760, il s'essaye dans la littérature : ses premiers écrits, fort médiocres du reste, comme sou Enquête sur l'étal de la culture littéraire en Europe, ou son Citoyen du monde, dans le genre des Lettres persanes, ne lui rapportent rien, mais lui procurent quelques relations utiles dans la bonne société; il se lie avec Samuel Johnson, avec Burke, avec Reynolds. C'est à ce moment qu'il écrivit son Vicaire de Wakefield, qui ne parut qu'en I766, après la publication de son petit poème du Voyageur. Il était reçu désor-
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mais dans la meilleure compagnie, et payait son tribut à ces réunions littéraires eu écrivant un poème inachevé, les Représailles, galerie de portraits légèrement satiriques, tracés sans fiel et sans aigreur. Ses travaux de librairie, des compilations surtout, comme son Choix de poésies anglaises, et ses excellentes Lettres sur l'Histoire d'Angleterre, lui procuraient des ressources qu'il s'empressait de dissiper par son manque d'ordre et d'économie, et surtout par sa passion pour le jeu.
Tenté, lui aussi, par le théâtre, il y débute en 1768 avec son Bonhomme, pièce médiocre, sauf le caractère principal, mais qui lui rapporte encore d'assez fortes sommes. Entre-temps il travaillait avec le plus grand soin à son poème du Village abandonné, qui obtint, en 1770, le plus grand et le plus légitime succès. La faveur publique n'accueillit pas avec moins d'enthousiasme, trois ans après, son excellente comédie, Elle s'abaisse pour conquérir (She stop to conquer), une de celles, dit un critique, qui a eu le privilège de faire rire le plus franchement un auditoire anglais.
Toujours pressé d'argent, Goldsmith écrivait, pour battre monnaie, un Abrégé de l'histoire de Rome, une petite Histoire d'Angleterre, jusqu'à une Histoire naturelle, en six volumes, ouvrages destinés à la jeunesse des écoles, et dont l'unique mérite est l'élégance et la clarté. Son Histoire de la Grèce, écrite dans le même but, leur est inférieure. Mais tant de travaux, joints à ses habitudes un peu irrégulières, avaient fini par ruiner sa santé : il mourut avant l'âge, avec la réputation d'un des hommes de lettres les mieux doués de son temps. Il ne laissa pas d'autre fortune, et ses admirateurs se cotisèrent pour lui élever un monument sur lequel Johnson fit graver une inscrip tion latine.
Sa physionomie était peu avantageuse, mais on pou vait y voir les marques de la réflexion et de l'observation. Il aimait la vertu et cherchait à la rendre aimable dans ses écrits ; mais il manquait de mesure
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en tout : prodigue, bon à l'excès, la fermeté lui faisait souvent défaut, il négligeait ses affaires et se laissait duper par vanité au moins autant que par insouciance. Il était à peu près nul dans la conversation, ce qui ne l'empêchait pas de vouloir passer pour un causeur spirituel.
Comme écrivain, il a excellé dans tous les genres où il a voulu s'essayer : outre les divers ouvrages signalés plus haut, ou a encore de lui des Essais, où il a recueilli lui-même la plupart de ses articles de journaux et de revues. Ses vers, comme sa prose, se distinguent par un style facile et aimable, tout à fait en harmonie avec la bonté, la délicatesse et la pureté de sentiment qu'ils respirent. Son petit poème du Voyageur est un chef-d'oeuvre; le cadre en est aussi simple qu'excellent : un voyageur anglais, assis sur un rocher au milieu des Alpes, ayant à ses pieds trois grands pays, repasse dans son imagination ses souvenirs et les impressions de ses voyages, et conclut que le bonheur dépend uniquement pour nous de l'état de notre âme. Dans le Village abandonné, le plan est faible, les diverses parties ne sont pas très bien liées ensemble, mais on y trouve, dans le détail, des beautés supérieures à celles du Voyageur. L'auteur, dont on connaît la tendresse pour l'Irlande, peint avec des traits d'une rare énergie.la désolation et la misère d'un village irlandais, opposées à son ancienne prospérité. C'est une éloquente protestation contre les tristes changements causés à la campagne par le luxe des villes. Quant à ses comédies, la partie pour nous la plus faible, de ses oeuvres, elles se distinguent presque uniquement par la vivacité du dialogue et un esprit naturel de bon aloi; quelques caractères, assez bien, dessinés, s'y rencontrent; mais tout cela n'explique pas suffisamment à nos yeux l'immense succès qui les accueillit à l'origine.
C'est encore comme romancier que Goldsmith mérite d'être le plus admiré et qu'il est le plus connu en France. Son Ministre (ou Ficaire) de Wakefield
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est, sauf quelques invraisemblances, une des peintures les mieux réussies de la vie de la classe moyenne à la campagne. On a dit que c'était une idylle, en prose plutôt qu'un' roman, et Macaulay le juge, au point de vue de l'art, avec une excessive sévérité. Nous aimons mieux nous ranger à l'avis d'un critique français qui, après Walter Scott et tant d'autres, s'abandonne sans réserve à l'admiration que nous avons tous éprouvée pour« l'aimable et affectueux Goldsmith, et son Ministre de Wakèfield, la plus charmante des pastorales protestantes. « (Taine.) C'est le charme, en effet, qui est son mérite dominant ; on lit ce roman avec bonheur, et l'on en garde une douce et salutaire impression. La vie de famille y est décrite avec amour, et les caractères, toujours bien tracés, tendent tous a nous faire accepter les principes d'une morale aussi indulgente qu'élevée : c'est ainsi que le père Primrose, le vicaire, ce modèle du père de famille excellent, a un certain nombre de petits travers, fort innocents du reste, qui nous engagent d'autant mieux à admettre et à admirer ses àngéliques vertus ; c'est ainsi encore que ses enfants, élevés dans la crainte de Dieu et le culte du devoir, commettent des fautes et s'écartent un instant du droit chemin, pour mieux nous montrer combien la nature humaine, si faillible, a besoin d'être guidée par l'expérience et surveillée par la volonté. Nous sommes bien loin, ici, de l'optimisme écoeurant deHichardson et de l'amer pessimisme de Swift, comme aussi du réalisme exagéré de Fielding ; Goîdsmith a donné le plus bel exemple de ce genre tempéré où il y a juste assez de réalisme pour faire mieux ressortir la beauté idéale de la vertu.
Les bornes dans lesquelles il a eu la sagesse de se renfermer furent dépassées par ses successeurs, qui reviennent ainsi au genre sentimental de Richardson : le plus connu de ces nouveaux romanciers est Henry MACKENZIE (1745-1831), qui appartient, par une partie de sa carrière, au XIXe siècle, mais dont les romans les plus célèbres parurent dans la période qui
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nous occupe. Il n'avait que vingt-cinq ans lorsqu'il donna sa première oeuvre : l'Homme de sentiment ou l'Homme sensible (the Man offeeling, 1771), imitation trop accentuée du Voyage sentimental de Sterne, succcession de scènes sans lien et sans but, toujours sentimentales et larmoyantes, où mangue l'art des contrastes dont nous parlions tout à l'heure. Le héros, Harley, est absolument dépourvu d'intérêt et d'originalité; « timide, délicat, il s'attendrit cinq ou six fois par jour, devient poitrinaire par sensibilité, n'ose déclarer son amour qu'en mourant, et meurt de sa déclaration. » (Taine,) L'impression finale du livre est fâcheuse : il énerve l'âme et dégoûte de la vie. Les autres romans de Mackenzie, l'Homme du monde et Julie de Roubigné, ont encore moins de valeur; mais il est plus remarquable comme publiciste, dans ses deux revues, le Miroir et le Désoeuvré, qui obtinrent, du reste, un grand succès, et qui, avec ses romans, le firent honorer, idolâtrer de ses compatriotes, au commencement de ce siècle, comme le doyen et le patriarche de la littérature écossaise.
Parmi les autres romanciers qui eurent de la vogue pendant cette période, nous nous bornerons à nom mer : Horace WALPOLE (1717-1797), le fils du célèbre ministre Robert Walpole, protecteur des gens de lettres, et l'auteur, anonyme d'abord, du Château d'Otrante (1764), roman qu'il donna comme la traduction d'un vieux manuscrit et qui, en ranimant le goût du public pour la littérature chevaleresque, suscita un grand nombre de mauvaises imitations (Walpole n'eut pas moins de succès avec sa tragédie de la Mère mystérieuse, 1768, médiocre en. somme, sauf la vigueur du style et quelques caractères assez vrais) ; — Mistress Anne RADCLIFFE, née Ward (1764-1823), dont les romans, généralement sombres et fantastiques, captivèrent toute une génération (surtout ses Mystères d'Udolphe, 1794) ; — Mathew Gregory LEWIS (1773-1818), qui resta populaire, jusqu'aux débuts de Walter Scott, avec ses romans de sorcellerie et de
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magie, souvent licencieux, comme son Moine, ses Contes merveilleux et terribles, etc., et qui, dans le drame, n'a guère fait que traduire ou imiter Schiller;
— BECKFORD, dont le Calife Vathek (1784) a inspiré à lord Byron l'idée de son Corsaire, et qui a écrit aussi d'intéressantes relations de voyages ; — Chariotte SmiTH (1749-1806), femme poète, plus célèbre parses romans et qui, après avoir perdu la faveur du public par son Desmond, où elle soutenait les idées de la révolution française, la reconquit par sa Maison du vieux manoir;
— puis, pour mentionner d'autres romancières, mistress HEYWOOD (1696-1758), dont les romans se ressentent encore, après un demi-siècle, de l'immoralité du règne de Charles II, et miss Frances BURNEY (1752-1840), plus connue sous le nom de Mme D'ARBLAY, qui imita Mackenzie dans ses récits jadis célèbres . d'Eveline et de Cécilia; — enfin, John MOORE (17291802), oublié aujourd'hui, médiocre imitateur de Smollett et de Richardson dans Zeluco (1786), dans Edouard (1796) et dans Mordaunt (1800), et le vertueux Thomas DAY (1748-1789), le Christophe Schmid et le Berquin des Anglais, auteur de nombreux romans moraux à l'usage des enfants, dont le charmant conte de Sandford et Merton (1783) est presque aussi populaire chez nous que de l'autre côté du détroit.
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CHAPITRE VII. PREMIÈRE MOITIÉ EU XIXe SIÈCLE.
Comme dans tous les autres pays, la littérature du XIXe siècle nous présente en Angleterre une abondante moisson d'écrivains en tous genres : il est difficile à l'historien de choisir, dans cette foule de noms, ceux qui lui paraissent mériter de passer à la postérité ; bien des auteurs jouissent encore à l'heure actuelle d'une vogue qui ne leur survivra peut-être pas, et, parmi ceux qui sont morts dans la première moitié de ce siècle, plus d'un est entouré d'une auréole qui s'effacera dans la suite des temps. Notre principe sera de n'accorder une certaine importance qu'à ceux dont la gloire n'est contestée ni par le public ni par les critiques les plus compétents; nous nous bornerons à nommer tous ceux dont les oeuvres sont encore trop récentes pour que l'on puisse, malgré leur éclat, les regarder comme définitivement jugées.
Les limites de ce résumé, d'ailleurs, ne nous permettent même pas de mentionner les écrivains qui n'ont surgi que dans la seconde moitié du siècle.
S Ier — La Poésie.
Nous divisons les nombreux poètes de cette période en deux classes : ceux qui semblent ne se rattacher à aucune école, à aucun système particulier, et ceux qui appartiennent à ce groupé novateur que l'on appelle communément romantique. On sait combien toutes ces divisions sont en général arbitraires, et nous n'ignorons pas combien l'on s'expose à tomber dans
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le faux quand on veut délimiter ainsi le domaine de la poésie; mais ii est indispensable d'adopter une ligne de démarcation lorsque l'on doit passer en revue un si grand nombre d'auteurs différents, et la nôtre a du moins l'avantage d'être la moins arbitraire, la plus large, et de prendre pour point de départ les différences les plus réelles, la nature même du talent et le caractère dominant des oeuvres principales.
SECTION Ire. — Poètes indépendants. —Kous trouvons ici, de préférence, les hommes qui sont nés poètes, qui sont arrivés, sans parti pris et souvent même sans le secours de l'éducation, à exprimer leurs pensées et leurs sensations dans de beaux vers. Plusieurs sont de simples artisans; beaucoup d'entre eus sont morts jeunes, avant d'avoir pu se rallier à un système ou à une coterie.
Parmi ces derniers, un des plus intéressants. à coup sûr, est Henry-Kirke WHITE (1785-1806), que l'on appelle quelquefois le Chénier anglais, et qui, des l'âge de quatorze ans, dans une pièce intitulée l'Enfance, semblait pressentir une mort prématurée. Le premier poème qu'il publia, en 1803, sous le titre de Clifton Grove (le Bocage de Clifton) lui valut déjà une grande réputation, qui s'accrut encore après sa mort, lorsque Southey donna en trois volumes les Remainsou Reliques c'est-à-dire les oeuvres posthumes du jeune et intéressant poète. Ce qui caractérise toutes ces poésies, c'est une profonde sensibilité, une mélancolie réelle, une préoccupation constamment morale et religieuse; mais elles manquent trop souvent de vigueur et d'originalité.
Un autre poète mort jeune, au moment où la gloire venait le trouver, John KEATS (1797-1820), eut le temps de donner quelques oeuvres déjà remarquables par leur maturité, malgré la jeunesse de leur auteur: ses poèmes antiques d'Endymion et à'Hypérion, surtout, qu'il fit paraître lorsqu'il n'avait encore que vingt ans, renferment des beautés de premier ordre.
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Robert BLOOMFIELD (1766-1B23) nous offre le type des poètes artisans de cette période : d'abord simple pâtre, puis ouvrier cordonnier, il se fit un nom, dès 1800, par son poème didactique et narratif, le Garçon de ferme, qui dut son succès, non seulement à l'humble condition de l'auteur, mais encore à la fidélité de ses peintures de la vie rustique, à la manière vraiment heureuse dont il sait décrire les travaux les plus vulgaires. Il a laissé aussi des. ballades, des pastorales et un poème plutôt lyrique que didactique, les Bords de la Wye, qui est son chef-d'oeuvre.
Deux autres poètes artisans ont joui d'une réputation considérable, qui leur survit encore à l'heure actuelle : ce sont Ebene\er ELLIOT, et surtout Allan CUNNINGHAM. Le premier, surnommé de son métier le Forgeron de SHEFFIELD (1781-1849), plaida la cause du peuple et des ouvriers dans une série de poésies lyriques, dont le succès, dû en partie à leur caractère social et politique, est justifié aussi par leur vigueur et leur inspiration, parfois un peu âpre. Ce fut surtout la loi fiscale sur les grains qui excita sa verve : ses Corn-law-rhymes (recueillies en 1840) lui valurent le surnom populaire de poète de la loi des grains, Ses oeuvres complètes ne furent réunies et publiées qu'après sa mort, en 1850. L'Écossais Allan CUNNINGHAM (1784-1842) avait été condamné par les revers de sa famille, jadis aisée, à se faire maçon : la protection de Walter Scott lui ouvrit ou lui aplanit la carrière des lettres. Comme poète lyrique, il a imité avec un rare talent les vieilles ballades écossaises (Ballades, Chants d'Ecosse anciens et modernes, 182s). Vers la fin de sa vie, il n'écrivit guère que des romans, généralement médiocres (le meilleur est Marguerite Lindsay, .1825). On a aussi de lui des drames tirés de l'histoire d'Ecosse, une Histoire de la Grande-Bretagne, une Histoire de la littérature anglaise, etc.
James HOGG (1772-1835), surnommé le Berger de VEtirick, du nom d'une rivière d'Ecosse, fut, comme
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Bloomfield, pâtre pendant une partie de sa vie : ses romans (la Veillée de la Reine, les Périls de l'homme), ses Contes en vers, mais surtout ses poésies lyriques, attirèrent sur lui l'attention du monde lettré et lui valurent l'amitié de Walter Scott. Ses chansons, justement populaires, se distinguent par la naïveté, l'imagination et l'harmonie.
Un autre ami de Walter Scott, l'Ecossais John LEYDEN (1775-1811), médecin et orientaliste, mort avant l'âge, s'était fait un nom dans la poésie par ses Scènes de l'enfance, écrites dans le plus pur anglais. Les poètes de dialecte deviennent, du reste, fort rares à partir de la fin du siècle dernier.
Parmi les poètes de profession, les hommes de lettres proprement dits ou même les hommes politiques qui se sont fait un nom par leurs vers, nous trouvons le célèbre économiste William CANNING (1770-1827), qui fut ministre de l'extérieur pendant les vingt dernières années de sa vie et se signala par d'importantes réformes : on a de lui des satires, des parodies, des chansons et d'autres poésies lyriques, souvent remarquables; — HEBER (1783-1826), qui, outre ses Sermons, sa Vie de Jeremy Taylor et sa Relation d'un Voyage à Calcutta, a laissé des Hymnes et des Odes;—Henry MILMAN (1701-1868), qui débuta en 1818 avec sa tragédie de Fazio, écrivit ensuite une Histoire du Christianisme, et se distingua dans la poésie narrative par sa Destruction de Jérusalem, son Samor, son Anna Boleyn et ses Martyrs d'Antioche; — Thomas Haynes BAYLY (1797-1839), l'auteur de la belle élégie du Premier Cheveu blanc et de quelques autres poésies remarquables surtout par le naturel et le sentiment; — le quaker BARTON (17841849), dont les poèmes moraux et religieux ne manquent pas de valeur ; — James MONTGOMERY (17711854.), connu d'abord par ses Voyageurs de Suisse (1806), poète vivant dans l'idéal et animé de sentiments démocratiques, élevé dans les principes des frères moraves ( ou d'Herrnhut ), mélancolique et
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résigné dans ses odes, plus fier et plus généreux dans ses poèmes descriptifs; — son homonyme, le prédicateur Robert MONTGOMERY (1807-1855), fort populaire dans le premier tiers de ce siècle, et dont on admire encore les Odes et surtout le poème Sur la présence universelle de Dieu (1828); — enfin, Thomas HOOD (1798-1845), qui a écrit des Contes en prose et en vers, et excelle dans la chanson, la satire, la poésie légère.
Nous avons réservé, comme méritant une place à part, les trois poètes les plus remarquables de ce groupé, à savoir Çrabbe, Campbell et Tennyson. George CRABBE (1754-1832), le premier en date, fut d'abord médecin et pharmacien dans une petite localité, puis homme d'église et se voua entièrement aux devoirs de sa nouvelle charge, tout en donnant ses loisirs au culte de la poésie. Son premier poème, le Village, parut en 1782; son second, le Journal, en 1785 : par cette partie de sa carrière poétique, il appartient donc au XVIIIe siècle; mais il consacra les années qui suivirent à l'étude de la théologie, et ne rentra dans la vie littéraire qu'en 1807, date à partir de laquelle, jusqu'en 1819, il donna ses Contes en vers et un grand nombre de poésies; une nouvelle série de ses Contes en vers fut encore publiée après sa mort. Certains critiques, tout en lui accordant la grâce du style et l'exactitude de la description, lui refusent l'invention et l'accusent de rechercher l'horrible, d'exagérer le réalisme dans ses peintures. Nous préférons adopter le jugement plus modéré de M. Taine, qui le considère comme un des maîtres et des rénovateurs de la poésie moderne, un des meilleurs représentants de la poésie bourgeoise, « qui a le style classique et que l'on a pu fort bien appeler un Pope en bas de laine 1, » II est vrai que, dans ses poèmes didactiques, surtout, il s'attache à peindre
_ 1. Les gens de lettres, du temps de Pope, portaient des bas de soie, à l'exemple des gentilshommes.
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les vices et les misères de l'humanité, et qu'il charge trop ce tableau; mais c'est qu'il veut montrer, sous leurs plus tristes aspects, le mal moral et ses conséquences ; il est, d'ailleurs, tendre et consolant à l'occasion, comme dans son poème sur l'Espérance, qui est une de ses dernières et de ses meilleures compositions.
Thomas CAMPBELL (1777-1844) avait débuté dans la poésie, en 1799, avec un poème Sur les plaisirs de l'espérance, naturellement moins remarquable que celui de Crabbe sur le même sujet; on y trouve de l'emphase, comme on doit s'y attendre chez un poète aussi jeune, mais aussi de l'ardeur et de la vivacité de sentiment, des vues souvent profondes sur la nature humaine, et un style parfaitement correct et soigné, classique même jusqu'à l'excès. Son chef-d'oeuvre est son poème de Gertrude of Wyoming (1809)., écrit en stances de Spenser, et où la fougue de la jeunesse est déjà moins apparente, et le style encore plus soigné. Ses autres poèmes et ses poésies lyriques sont généralement consacrés à défendre la cause des peuples vaincus et opprimés; nul n'a trouvé de plus nobles accents pour chanter la Pologne. II fut moins heureux dans son conte de Théodoric (1824), mais se releva, dans la suite, avec son poème du Dernier Homme. On le range quelquefois dans l'école romantique; son style nous paraît le rattacher plutôt aux traditions littéraires de l'âge précédent.
Il en est de même d'Alfred TENNYSON (né en 1810), et qui, d'ailleurs, pour une bonne partie de ses compositions, postérieures à 1850, et tout à fait contemporaines, échappe à notre appréciation 1. Le style et le sentiment sont presque toujours classiques chez Tennyson, à qui ces qualités ont valu la dignité de poète lauréat.
I. Pour tous les écrivains dont la carrière s'étend au delà de 1850, consulter l'excellente Histoire de là littérature contemporaine on Angleterre, de M. Odysse Barot (1874).
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"Il a étendu, dit M. Taine, sur les beautés de tous les pays et de tous les siècles la protection de son dilettantisme aimable et de ses sympathies poétiques. »
Ses premières oeuyres seules [de 1839 à 1850, comme le poème de Locksley-Hall, l'élégie de la Reine de Mai ou celle de Dora, l'idylle du Ruisseau) se fessentent un peu du milieu romantique dans lequel ! il avait grandi. Les poèmes suivants, Viviane, Genièvre, Godiva, etc., nous le montrent avant tout comme «le poète des émotions douces et tendres, des sentiments délicats, de la vie domestique et de la nature. " (Odysse-Barot.) On l'a comparé à Lamartine, et ce rapprochement est juste en beaucoup de points; mais c'est un Lamartine encore plus classique que le nôtre.
SECTION II.—L'école romantique.-Deux groupes représentent cette école : les lakistes et lés romantiques proprement dits. Les premiers sont ainsi nommés, parce que les plus illustres d'entre eux, Coleridge, Southey et Wordsworth, ont passé une grande partie de leur existence dans de poétiques retraites sur les bords des charmants lacs du nord-ouest de l'Angleterre, dans le Wesîmoreland et le Cumberland.Les seconds, qui ont pour chefs Walter Scott, Byron, Moore et Shelley, offrent les mêmes caractères que les romantiques français et allemands de la mêm époque : ils ont pour système de chanter avant tout l'histoire de leur coeur et de leur vie, et, en dehors de cette poésie toute subjective, ils.s'adressent de préférence au moyen âge, dont ils exhument, souvent avec bonheur, parfois cependant avec monotonie, les scènes originales et les grandioses figures.
Lakistes. —Le trait distinctif de ces poètes, c'est la tendance qu'ils ont'à toujours mêler la politique et la poésie, et surtout leur ardente sympathie pour la cause de la liberté sous toutes ses formes. De là la couleurmétaphysique de leurs oeuvres, qui s'accentue encore
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davantage lorsque, retirés sur les bords dés lacs, loin des affaires publiques et au-dessus des passions humaines, ils ont tempéré la fougue première de leur imagination et renoncé aux violentes attaques contre la royauté et la religion. Eux aussi, surtout à l'origine, cherchaient volontiers, comme les romantiques, leurs inspirations et leur idéal dans le moyen âge et dans les littératures étrangères contemporaines.
Samuel Taylor COLERIDGE (1773-1834.) avait débuté par le théâtre, où il avait donné, en 1794., son drame de la Chute de Robespierre, et, plus tard, son Wallenstein (1800), une tragédie du Remords, etc. Ayant passé quelque temps en Allemagne, il s'y imbut des idées de Kant et de Tichte, en même temps qu'il se passionnait pour la littérature allemande, surtout pour Schiller, dont il traduisait le Wallenstein, et auquel il adressait un sonnet justement célèbre: ce sonnet nous montre Coleridge non moins passionné dans son admiration pour Shakspeare que pour Schiller, et mettant sur le même pied les Brigands et Macbeth. Ses poésies lyriques, son Vieux Marinier, son poème de Christabel sont remarquables par le pathétique, la richesse d'images, l'élégance de l'expression ; le fantastique et le surnaturel s'y rencontrent à chaque pas, à côté des inspirations philanthropiques ou républicaines les pius éloquentes. Mais ce poète enthousiaste et si bien doué gâta de bonne heure son talent par l'abus de la métaphysique et l'incohérence de ses lectures. Décousu dans sa conduite comme dans ses idées, il traversa les positions les plus diverses, vécut souvent dant la misère et mourut pauvre; il rêva le relèvement de l'humanité, voulut fonder une république en Amérique, et finit par devenir le grand prêtre d'une sorte de religion philosophique et mystique, le prophète 1 d'un christianisme de l'avenir dont la poésie était loin de valoir celle de ses odes et de ses poèmes d'autrefois1.
I. Son fils, Hartley COLERIDGE, s'est fait connaître par quelques poésies vers 1833.
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Robert SOUTHEY (1774-1843), révolutionnaire et philanthrope comme Coleridge, s'est également perdu par l'abstraction et la métaphysique. Son caractère n'a pas été toujours à la hauteur de son talent : après avoir combattu avec acharnement les vieilles institutions, Southey, devenu poète lauréat, faisait amende honorable, et se mettait à adorer ce qu'il avait brûlé. De là peut-être, comme aussi de la fréquente obscurité de ses oeuvres, le peu de popularité dont il jouit en Angleterre. Il a pourtant produit des ouvrages remarquables; depuis, ses poèmes de jeunesse, comme la Vierge d'Orléans et Wai Tyler (à la fin du siècle dernier), jusqu'à ses dernières épopées lyriques, comme Thalaba, Madoc, la Malédiction de Kêhama, Théodoric, où se trouvent des beautés isolées, d'excellentes descriptions, mais qui sont monotones dans l'ensemble, souvent maniérées et dépourvues d'unité. Ses Sonnets sont encore ce qu'il a laissé de meilleur1.
William WORDSWORTH: (1770-1850) a les mêmes qualités et les mêmes défauts que Southey, pour le talent comme par le caractère : il finit, plus encore que son ami, par tomber dans le christianisme platonicien et même dans le pythagorisme. Il avait débuté en 1793 par deux petits poèmes, la Promenade du soir et les Esquissés descriptives, qui rappellent la poésie de Goldsmith, avec une sensibilité plus maladive. Puis vinrent ses Ballades lyriques (1798), deux volumes de Poèmes (1Q07), l'Excursion (1814), des Sonnets (1820), etc. Dans ses narrations poétiques il n'a pas l'imagination de Moore, ni l'énergie de Byron, ni le talent descriptif de Walter Scott ; mais on y trouve de la simplicité, du naturel et une couleur religieuse qui leur assurèrent un grand succès. Le système de Wordsworth consiste à décrire en langage usuel les incidents de la vie ordinaire, en les ornant de toutes les couleurs de l'imaI.
l'imaI. femme, mistress SOUTHEY, née Caroline Bowles, a publié un certain nombre de poèmes et de poésies lyriques qui ont dû être revus et corrigés par son mari.
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gination Dans quelques poèmes, surtout dans l'Excursion, il développe à l'excès ses idées philosophiques et sociales. Pour le juger favorablement,'il vaut mieux lire ses poésies lyriques, ses sonnets et son admirable élégie de Ruth, si pleine de sentiment et d'émotion.
Romantiques proprement dits. — Après Walter Scott, dont nous parlerons plus loin, le « maistre du choeur » est George Gordon, lord BYRON (1784-1824), dont nous laissons de côté la vie si accidentée, si triste, en somme, malgré sa glorieuse fin sous les murs de Missolonghi, dans la guerre de l'indépendance de la Grèce, pour n'apprécier que son talent et ses oeuvres. Il avait débuté à vingt ans par un recueil de poésies intitulé Heures de paresse, qui fut aussi vivement qu'injustement critiqué par la Revue d'Edimbourg : le jeune poète, irrité, répondit par une mordante satire, les Bardes de l' Angleterre et les Critiques de l'Ecosse. Mais, mieux que par des satires, il eut raison contre ses détracteurs, en donnant coup sur coup toute une série de chefs-d'oeuvre, Childe-Harold (1812) 1, le Giaour, la Fiancée d'Abydos, le Corsaire, Lara, Manfred, Ma\eppa, etc., enfin Don Juan (1819). Héritier, à dix ans, d'une fortune et d'une situation supérieures; malheureux quelques années après, à la suite d'une union mal assortie; coupable, peut-être, et universellement condamné par la haute société, dont il se vengeait en l'accusant d'hypocrisie et de pliarisaïsme, lord Byron ne cherchait de consolations que dans les voyages et dans la poésie, jusqu'au jour où il s'embarqua pour la Grèce et voulut mourir en servant une noble cause. Tous ses poèmes reflètent les dispositions de son âme et les couleurs des brillantes contrées qu'il a traversées, de l'Italie, surtout, qui est devenue pour lui une seconde patrie.
Son caractère était à la fois bienveillant et misanthrope; les nobles aspirations de son âme né l'em1.
l'em1. deux premiers chants, seuls, parurent en 1812; le roisième est de 1816; le quatrième, de 1818,
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péchaient pas de subir le honteux esclavage des vices les plus dégradants; la raison et la folie semblaient se partager son être : tout est contradiction dans sa vie comme dans ses oeuvres. Sa poésie est violente et troublée comme son âme; il aime à décrire une certaine exaltation morbide, et crée des personnages à la fois diaboliques et sublimes ; mais il leur donne une vie tellement intense, qu'on les aime malgré tout; leurs noms sont restés; on leur a même donné l'épithète.générique
l'épithète.générique caractères byroniens, et Ton dit aussi la poésie byronienne. Les pius marquants de ces personnages sont à coup sûr des incarnations de Byron lui-même, comme Childe-Harold, ce jeune libertin, qui, dégoûté des plaisirs et même de la vie, cherche a se consoler en voyageant, ou don Juan, ce type déjà traité par Molière, mais que le poète anglais a rendu pius énergique et plus moderne. Même dans ses poèmes d'une moindre importance, comme la Lamentation du Tasse (1817) ou le conte comique de Beppo (1818), on trouve des situations ou des traits de caractère empruntés à la vie et à l'âme même de lord Byron. On peut en dire autant de ses drames de Werner, de
Marino Faliero, de Sardanapale et des deux Foscari. Malgré le grand nombre de ses compositions poétiques, dont quelques-unes ne sont que des ébauches, et dont d'autres sont restées inachevées, comme Don Juan, qui s'arrête au seizième chant, le style de Byron est en général correct et soigné; sa versification est d'une rare harmonie, et jamais poète n'a mieux employé le rythme de Spenser, que l'auteur a si admirablement adapté au caractère sombre et triste de son Childe-Harold ; peu d'épopées lyriques pourraient être comparées au Don Juan sous le double rapport de l'inspiration et de la forme; et, dans tout le reste de son oeuvre, si les idées er les sentiments sont souvent sujets à critique, on ne peut s'empêcher d'admirer sans cesse la perfection du style et l'harmonie des vers, autant que l'éloquence et la vérité de la passion. Byron devait avoir autant d'imitateurs que de
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détracteurs; mais les uns n'ont guère été plus heureux que les autres. Parmi les premiers, qui constituent dans le romantisme un groupe spécial désigné quelquefois sous le nom d'école satanique 1, à cause de l'importance qu'ils donnent, comme Byron lui-même, à la peinture de nos plus mauvaises passions, nous ne citerons que Henry-Leigh HUNT (1784-1859), qui accompagna le maître dans ses voyages en Italie et ressentit ainsi directement son influence il ne manqua pas d'imagination dans ses poèmes de jeunesse, comme Françoise de Rimini, où il est pourtant inférieur à Dante 2; outre quelques autres poèmes narratifs, il a écrit aussi des drames qui leur sont inférieurs. Dans toutes ses oeuvres, la langue et la versification sont harmonieuses ; mais le poète abuse de l'affectation et de l'hyperbole, comme font tous ceux qui copient, maladroitement les grands maîtres.
Parmi les seconds, l'un des plus connus est Charles LAME (1775-1834), qui, on doit le dire, a moins été l'ennemi que la victime de lord Byron. Il a quelque valeur comme poète dramatique et comme journaliste; ses poésies lyriques sont inférieures à celles de Walter Scott, qu'il a précédé, mais ne méritent pas les sarcasmes que leur a prodigués l'auteur de Childe-Harold Dans ses Elégies on trouve du sentiment et de l'originalité, mais souvent aussi de l'affectation, et, comme dans: ses drames, une imitation exagérée des poètes anciens, notamment de Shakspeare 3.
Les deux poètes romantiques les plus remarquables
1. D'autres critiques l'appellent, plus injurieusemeut, cokiey-school (école de badauds). :
2. Pour Dante et l'épisode eu question (Enfer, ch. V), voir le troisième volume de notre Histoire des littératures étrangères.
3. Une lady LAME (1785-1828), maîtresse, puis ennemie de lord Byron, a laissé aussi quelques poésies, oubliées, du reste, aujourd'hui, ainsi qu'un roman satirique.
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après Byron sont Moore et Shelley. Thomas MOORE (1780-1852) est un de ces auteurs pour ainsi dire cosmopolites qui, au commencement de ce siècle, ont chanté tous les pays et tous les climats; M. Taine l'appelle « un voyageur et un historien déguisé en poète », dénomination piquante, mais qui peut sembler un peu injuste. Moore est souvent un vrai poète, ne serait-ce que dans ses Mélodies irlandaises (1813), une de ses premières productions, où il a su adapter de charmantes paroles aux airs nationaux et populaires de son pays. Il l'est encore dans sou beau poème de Lalla- Rookh (1817), où il a une imagination tout orientale, surtout dans l'admirable épisode du Paradis et de la Péri. Il a célébré iord Byron en vers dignes de son sujet : les deux poètes se sont même essayés dans un sujet à peu près semblable, qu'ils ont traité à un point de vue différent, mais avec un égal talent, Moore, dans son Amour des Anges, dont l'inspiration est toute biblique, et Byron dans Ciel et Terre, où il donne un libre cours à son scepticisme. Outre une traduction d'Anacréon et des imitations de Catulle qui ont fait quelquefois, mais mal à propos, comparer Moore à notre Paray, dont il n'a pas l'immoralité, on a encore de lui une Histoire de la famille Fudge à Paris,, piquante et humoristique - satire en vers, dirigée contre les touristes anglais, et, en prose, une Vie de lord Byron. En somme, par la longueur de sa carrière comme par le nombre et la valeur de ses ouvrages, Thomas Moore peut à bon droit passer pour le patriarche du romantisme anglais,
La vie comme la tendance de Shelley fut toute différente. Lui aussi a été l'ami de Byron, mais il n'a pas su, autant que Moore, s'affranchir de l'influence de son illustre ami. Percy-Bysshe SHELLEY (1792-1822), qui périt à trente ans dans un naufrage, a produit un nombre considérable de poèmes et de drames dans sa courte existence : presque oublié après sa mort, il n'est devenu vraiment célèbre et populaire que depuis
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une vingtaine d'années. Semblable, sous ce rapport, à lord Byron, il s'est mis en révolte, dans ses oeuvres, contre les préjugés et les institutions de la société moderne : il a même été plus loin, puisqu'il écrivit un traité De la nécessité de l'athéisme. Et pourtant il avait un fond de vertus et une âme compatissante; il admirait avec enthousiasme et recommandait : tout ce qui est bon, noble et généreux. Sa tragédie de Promèthée déchaîné, son poème lyrique de la Reine Mab (1812), ses poèmes héroïques; et; descriptifs à'Hellas et de la Révolte de l'Islam, son poème didactique d'Alastor nous le montrent toujours en proie aux mêmes préoccupations athées ou, si l'on veut, panthéistes, qui nuisent singulièrement à son imagination et à son talent d'écrivain. Mais on doit rendre hommage aux généreuses aspirations en faveur de la liberté et du bonheur des hommes qui se font jour au milieu de ces erreurs philosophiques et qui donnent surtout de la valeur à ses poésies lyriques. C'est pour cela, sans doute, que l'Angleterre contemporaine et même l'Europe entière se laissent aller, en faveur de Shelley, à un engouement qui nous paraît exagéré ; peu apprécié de son vivant, sauf de quelques amis, il est devenu, cinquante ans après sa mort, l'idole d'une génération plus hardie et un des porte-drapeaux du panthéisme anglais.
A côté de ces grands noms, nous nous contenterons de mentionner ceux de deux femmes poètes, qui, à un moment, ont eu presque le même retentissement, mais qui sont bien déchues aujourd'hui de leur gloire : mistress Félicia HEMANS, née Bronme (1793-1835), auteur de poésies quelquefois remarquables, et miss Loetitia-Elisabeth LANDON , devenue dans la suite mistress Maclean (1803-1838), poète sentimentale et romantique, qui s'empoisonna après une existence aussi malheureuse que courte : son Improvisatrice, son Troubadour et sos autres poèmes sont des oeuvres gracieuses, élégantes, mais qui: manquent de profondeur, ainsi que les romans où elle décrivait, avec
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talent, du reste, des scènes de la vie aristocratique de son temps.
§ II — Le Théâtre.
Contrairement à ce qui se passe en France vers la même époque, le théâtre ne produit en Angleterre, dans la première moitié de ce siècle, qu'un petit nombre d'oeuvres remarquables : la poésie, le roman et la philosophie semblent absorber toutes les forces vives de l'intelligence. En dehors des noms cités dans le paragraphe précédent, quand nous aurons parlé de Knowles, de Joanna Baillie et de quelques-uns de leurs émules, nous n'aurons plus à citer, en fait d'auteurs dramatiques, que des noms bien rares et surtout bien pâles.
James-Sheridan KNOWLES {1784-1862) , Irlandais, qui fut acteur avant de devenir auteur, commença la série de ses succès en 1815 avec son drame de Calus Gracchuz où il y a une grande connaissance de l'art scénïque, ainsi que dans ses pièces suivantes : Virginius, Alfred le Grand, Guillaume Tell, etc. On trouve, en outre, dans toutes ses compositions, des caractères nettement tracés, des couleurs poétiques, de la vigueur; mais Knowles, qui se propose d'imiter les anciens poètes dramatiques, surtout Massînger, exagère souvent cette imitation ; il abuse singulièrement des métaphores et même des anachronismes. Sans ces défauts. Userait assurément le premier auteur dramatique de son époque et pourrait prétendre à une place honorable au-dessous de Shakspeare.
Un. autre imitateur des anciens, John TOBIN (17702804). appartient à cette période, parce que ses pièces ne furent généralement jouées et appréciées qu'après sa mort. Son principal succès fut sa comédie de la Lune de miel (the Honey-moon), écrite en vers blancs, dans le genre romantique de Beaumont et Fletcher. Le genre plus moderne du drame de famille fut cultivé surtout par une Écossaise dont la réputation, jadis immense, a déjà fort baissé depuis un demi-
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siècle : Joanna BAILLIE (1762-1851), qui commence en 1758 la publication de ses Pièces sur les passions (Plays on the Passions), dont deux autres volumes parurent dans la suite. Ce sont, à tour de rôle, des tragédies et des comédies, consacrées au développement d'une passion capitale, comme l'amour, l'ambi tion, l'espoir, la vengeance. Théâtre éminemment moral, on le voit, mais condamné à être monotone et finalement ennuyeux! Et, de fait, tous ces drames philosophiques, ainsi que les pièces mêlées qu'elle publia en 1804., et une de ses dernières tragédies, la Légende de famille (1810), manquent généralement d'intérêt, de rapidité dans l'action; le plan est quelquefois original, mais les situations sont presque toujours faibles. La diction elle-même est médiocre, et il est difficile de justifier le succès considérable que toutes ces pièces obtinrent à leur apparition. Dans les trente dernières années de sa vie, Joanna Baillie ne produisit plus qu'un petit nombre de drames ou de poésies fugitives.
George COLMAN (1762-1836), fils de celui dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, directeur de théâtre après son père, obtint, comme lui, de nombreu succès avec des comédies, les unes bouffonnes, les autres sérieuses; on trouve, dans ces dernières, des caractères bien dessinés et vraiment comiques, comme celui du docteur Pangloss, le type du pédant. Ses pièces, moitié amusantes, moitié sentimentales (les Mon tagnards, le Pauvre Gentilhomme, John Bull), son longtemps restées populaires. Un autre poète comiqu de ce temps, Frédéric REYNOLDS (1765-1841), a laiss un vaste répertoire, dont on ne peut plus guère citeque son chef-d'oeuvre, le Dramatiste, remarquabl peinture d'un poète dramatique se rendant aux eau de Bath pour y copier des caractères. Citons enfin pour terminer, Howard PAYNE, auteur d'une tragédi de Brutus (1820), et, plus près de notre temps, Wil liam SMITH, dont le drame d'Athelwood obtint un s brillant succès en 1842.
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§ III- — La Prose.
SECTION Ier.— Orateurs, philosophes e tpublicistes. — L'éloquence politique est loin de jeter, durant cette période, le même éclat que durant la précédente : les noms de Robert PEEL, un des économistes libéraux de ce siècle, du libre-échangiste Richard COBDEN, un des meilleurs disciples d'Adam Smith et collaborateur de la Revue d'Edimbourg depuis 1841, et de Daniel O'CONNELL, le défenseur de l'Irlande, appartiennent plutôt à l'histoire politique qu'à l'histoire littéraire; d'autres orateurs qui illustrent alors la tribune anglaise sont en même temps de célèbres publicistes, et nous les mentionnerons, à ce titre, à la fin de cette section.
Parmi les meilleurs prédicateurs, dont le nombre va aussi en diminuant, nous n'avons à citer que l'Écossais Thomas CHALMERS (1780-1847), dont le style est médiocre, mais qui a une grande force de raisonnement, et souvent même de persuasion ; — et l'illustre marin Sydney SMITH ( 1764-1840), philanthrope, publiciste et homme d'Église, un des fondateurs de la Revue d'Edimbourg (1802), et dont les Sermons sont justement renommés pour la vigueur avec laquelle ils censurent le clergé anglican dégénéré, tout en prenant la défense 'des catholiques opprimés.
La philosophie se dégage, dès le commencement de. ce siècle, des entraves que voulait lui donner le spiritualisme écossais: le positivisme domine bientôt avec STUART MILL (1806-1873), après les efforts vainement tentés par CARLYLE pour faire triompher l'idéalisme et la métaphysique allemande. Un autre représentant de la philosophie continentale en Angleterre, ARNOLD (1795-1842), a écrit des Essais et des Lettres où il s'élève avec non moins de force que Sydney Smith contre les abus du clergé anglican. Parmi les rationalistes qui l'avaient précédé, on doit citer PALEY(I7431805), qui, au début de ce siècle, écrivit ses Principes de philosophie et, plus tard, sa Théologie natu-
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relie (1802) ; et WHEWELL, qui, entre autres ouvrages remarquables de philosophie ou de sciences, publia en 1837 une excellente Histoire des sciences induetives.
Les grandes Revues fondées au commencement de notre siècle, servirent de théâtre aux luttes littéraires, philosophiques et même politiques les plus intéressantes : elles jouèrent surtout un rôle important dans l'histoire de la poésie contemporaine. Les écrivains les plus illustres y essayèrent leurs forcés, et nous avons vu déjà, plus haut, comment lord Byron eut à se défendre contre la Revue d'Edimbourg et comment Sydney Smith y fit ses premières armes. Parmi les fondateurs de cette illustre revue, outre celui que nous venons de nommer, et Henry BROUGHAM, l'adversaire de Byron et le traducteur de Démosthène, nous signalerons encore JEFFREY, Thomas BROWN (1778-1820), moins connu par ses quelques poésies que par ses écrits philosophiques, qui font de lui un des auxiliaires de Dugald Stewart (école écossaise), et MACKINTOSH 1. La digne rivale de la revue écossaise, la Quaterly Review (ou Revue trimestrielle), fut dirigée, à son origine (1800), par William GIFFORD (I757-I826) et une pléiade d'écrivàins de talent, tous dévoués aux tories, comme SOUTHEY, CANNING et autres 2. GIFFORD, qui s'était déjà fait connaître comme poète, au siècle dernier, par ses satires de la Baviade et de la Méviade (1794-95) et sa traduction, en vers, de Juvénal, ainsi que par d'assez bonnes poésies sentimentales, se distingua surtout comme critique, par son bon sens à toute épreuve, par le talent qu'il avait de saisir les ridicules, par son habileté à manier lesarcasme et par la vivacité de son style. Apres la mort de Gifford, la Quarterly Review, dont le succès avait au
1. Voyez Mackintosh à la IIe section de ce paragraphe (Historiens).
2. Pour Southey, voir plus haut, p. 343, et pour Canning, p. 336. :
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moins égalé celui de la Revue d'Edimbourg, eut des destinées non moins brillantes sous la direction de LOCKHART, le gendre de Walter Scott.
SECTION II. — Histoire et roman. — Notre siècle a été témoin, dans tous les pays, du réveil, d'aucuns disent même de la création de l'histoire, tellement la nouvelle génération mettait d'ardeur, non seulement à rechercher les documents, à compulser les archives, mais encore à révoquer en doute les témoignages admis jusque-là, et à soumettre au contrôle d'une sévère critique les auteurs anciens que l'on avait pris l'habitude dé considérer comme d'infaillibles autorités. En Angleterre, le même mouvement se produit dans la première moitié du XIXe siècle, pour se prolonger et s'accentuer encore davantage de notre temps. Après les historiens un peu indécis entre les Jeux systèmes, celui de l'ancienne rhétorique et celui de la critique moderne, comme STEPHENS (1757-1821), remarquable surtout parses biographies ; LAING (1764I818),dont on a une assez bonne Histoire d'Ecosse, et qui a eu le mérite de contester, le premier, l'authenticité des poèmes d'Ossian, composés par Macpherson ; et William HAZLITT (1778-1830), auteur dramatique estimable, historien souvent exact et critique excellent dans ses Caractères des pièces de Shakspeare (1817) ; on encore le grammairien et publiciste William COBBET (1762-1835), de versatile mémoire, qui joua un triste rôle en politique, mais dont on ne doit pas dédaigner l'Histoire parlementaire parue de 1803 à 1810 ; ou Alexandre CHALMERS, auteur d'un grand Dictionnaire biographique, publié de 1812 à 1816, nous rencontrons enfin quatre noms illustres entre tous, ceux de Mackintosh, de Lingard, de Hallam et de Macaulay.
James MACKINTOSH (1765-1832), que nous avons déjà vu parmi les publicistes, comme collaborateur de la Revue d'Edimbourg, s'est fait connaître aussi par des Essais, des Mélanges philosophiques, des
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ouvrages de critique et surtout une Histoire d'Angleterre et une Histoire de la révolution de 1688 qui passent pour des chefs-d'oeuvre : son Histoire d'Angleterre est moins un récit détaillé des événements qu'une rapide esquisse des progrès de la société, des institutions et des moeurs anglaises dans les temps modernes; c'est un livre de haute philosophie, digne de l'auteur du Discours sur les progrès des sciences morales et politiques.
Il y a moins de philosophie et surtout d'impartialité dans la grande Histoire d'Angleterre jusqu'en 1688. du prêtre catholique John LINGARD (1774-1851), qui pourtant, malgré ses préoccupations religieuses et apologétiques, a une certaine valeur au point de vue des informations et des documents ; lorsque la lutte des deux Églises n'est pas en jeu, Lingard est toujours exact, sans parti pris et attachant ; son style, d'ailleurs, ne manque ni de clarté ni de charme.
Les qualités de Mackintosh se retrouvent, au plus haut degré, chez Henri HALLAM (1777-1859), dont les ouvrages sont aussi connus en France qne ceux de Guizot et de Villemain : son Histoire de l'Europe au moyen âge, son Histoire des littératures du XVIe au XVIIIe siècle et surtout son Histoire constitutionnelle de l'Angleterre depuis l'avènement de Henri VII jusqu'à la mort de George II sont des modèles de critiqué historique en même temps que de style.
Mais le plus remarquable, le plus vraiment moderne de ces historiens, c'est Thomas-Babington MACAULAY (1808-1859), non moins célèbre comme poète et comme critique que comme historien et comme philosophe. Même dans ses poésies lyriques, les Chants de l'ancienne Rome (1842), il est historien, et, acceptant les idées de Niebuhr 1, cherche à faire revivre dans ces ballades les vieilles poésies populaires dont Tité-Live est censé nous avoir transmis l'écho. Ses Essais sont
1. Pour Niebuhr, voyez dans notre premier volume l'histoire de la littérature allemande, p. 202.
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des chefs-d'oeuvre de critique et de biographie. Son Histoire d'Angleterre depuis l'avènement de Jacques II sera difficilement dépassée; elle se distingue surtout par les considérations aussi profondes que libérales qu'inspire à l'auteur le spectacle des événements passés.
Le même esprit critique anime les érudits qui cherchent à retrouver l'histoire des peuples anciens ; si les Anglais n'ont pas, en ce genre, où. Gibbon avait déjà posé les premiers jalons, des auteurs aussi hardis que Niebuhr, on doit signaler cependant la Description des antiquités de Rome, da Dr BURTON, ouvrage consciencieux et original, qui a dû être mis à profit par Rich, dans son Dictionnaire des antiquités, et surtout l'Histoire grecque de George GROTE, publiée de 1846 à 1856.
L'Angleterre continue à être la patrie des illustres voyageurs : parmi ceux dont les relations de voyages sont en même temps des oeuvres littéraires, on doit signaler d'abord un ecclésiastique, Edouard Daniel CLARKE (1767-1822), qui raconte avec naturel et simplicité, quoique un peu longuement, les voyages qu'il avait faits au commencement de ce siècle à travers tout l'ancien continent ; sa volumineuse relation, qui parut de 1810 à 1823, renferme beaucoup de faitsintéressants et d'ingénieuses observations. Il en est de même de celle de James-Silk BUCKINGHAM, journaliste dans l'Inde anglaise, et qui, vers 1820, raconta ses longues pérégrinations dans l'Orient et son voyage de l'Inde en Angleterre en passant par la Mésopotamie, laMédie, la Perse, la Syrie et l'Arabie.
Les romanciers tiennent à la fois de l'historien et du voyageur ; le même esprit de recherche et de critique historiques que nous avons remarqué chez les Hallam et les Macaulay, le même goût pour les aventures extraordinaires que satisfaisaient les Clarke et les Buckingham, se retrouvent chez Walter Scott et ses émules, chez Bulwer et ses successeurs, chez Dickens et les peintres de la vie moderne. Le roman devient ainsi, comme à la même époque en France et
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en Allemagne, une des formes populaires de l'histoire, de la géographie, des sciences naturelles et, de la philosophie. A ce point de vue, il est permis de dire, sans paraître vouloir faire un jeu de mots, que le romantisme est caractérisé en grande partie par le goût des auteurs et du public pour la forme du roman.
Walter SCOTT (1771-1832), un des chefs de cette école, a été poète avant d'être romancier ; son Lay du dernier ménestrel (1805) inaugura pour lui la longue série de ses succès de gloire et d'argent, car, il faut bien le dire, la littérature est, depuis le XVIIIe siècle, un vrai Pérou pour la plupart des auteurs anglais. Ses autres poèmes, Marmion, la Dame du lac, le Lord des îles, furent accueillis avec le même enthousiasme. On a pris l'habitude, depuis quelques années, de rabaisser le mérite poétique de Walter Scott, sans préjudîce des critiques dirigées contre ses romans : il nous semble que c'est là l'effet d'une réaction fort explicable, mais que rien ne justifie, et qui est tout au moins exagérée, comme toutes les réactions. Walter Scott était évidemment né poète, et toutes ses oeuvres ne sont que l'épanouissement du sens profondément poétique qu'il avait reçu de la nature. Simple avocat en Ecosse, il se sent, porté, des sa jeunesse, à étudier l'histoire et les antiquités de son pays, à recueillir les traditions et les chants populaires des montagnes, si riches en poésie, qui l'ont vu naître ; il les rend d'abord dans des vers, inférieurs sans doute à ceux de Wordsworth, de Southey ou même de Campbell, mais qui ont aussi leur charme, et dont le mérite principal est d'avoir montré tout ce que l'on pouvait prouver de poésie dans l'histoire du passé. Puis, à partir de 1814, il renonce au langage rythmé pour raconter, dans Wuwerley, un des épisodes de la Iguerre de 1745 en Ecosse. Ce roman, qui avait paru sans nom, eut un succès considérable, et Walter Scott, encouragé, continua désormais dans cette voie. Il donna les années suivantes, sous le voile fort transparent d'un
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pseudonyme, l'Antiquaire, puis Rob-Roy, les Contes de mon h6te, le Monastère, etc., récits empruntés à l'histoire d'Ecosse, et où le talent d'observation comme l'exactitude historique sont à la hauteur de l'imagination. A partir de 1820, il s'attaque àl'histoire d'Angleterre, avec Ivanhoë, le Château de Kenilworth et plusieurs autres romans moins, connus. Il revientaux chroniques écossaises avec le Pirate, Redgaunilet (1824), les Chroniques de la Canongate, etc., et traite même, entre-temps, des sujets empruntés aux annales de la France ou d'autres pays étrangers, avec Quentin Durward, Anne de Geierstein, le comte Robert de Paris, etc. Dans toutes ces oeuvres, comme dans celles qu'il a empruntées à l'histoire de son pays, Walter Scott excelle à peindre les moeurs, les caractères, les coutumes et les événements des temps passés ; il fait revivre l'histoire, il l'anime d'un souffle poétique, il nous transporte dans un monde à la fois imaginaire et réel. On a dit, à tort, ce nous semble, qu'îl s'atachait trop aux détails minutieux, à l'extérieur des faits, au costume des personnages : s'il s'y arrête ralontiers et un peu longuement, c'est qu'il croit ainsi nieux nous faire pénétrer dans le coeur même des événements et dans le caractère de ses héros ; semblable, en cela, aux romanciers français de la même époque,
à Balzac surtout, il croit que rien n'est indifférent fans l'histoire, et que les moindres détails peuvent servir souvent à nous faire mieux connaître les grands nommes ou les grands èvénêments. Mais ces mêmes qualités, qui font de lui un si remarquable historien . dans le roman, sont devenues de graves défauts quand
II a voulu écrire l'histoire proprement dite, comme dans son Histoire d'Ecosse ou Contes d'un grand-père et surtout dans son Histoire de Napoléon.
Bien que nous nous soyons proposé de laisser de côté la vie privée des auteurs, presque contemporains, que nous passons en revue dans ce chapitre, nous ne jouvons terminer ce qui est relatif à Walter Scott sans citer un fait qui l'honore au moins autant que
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son talent. Ses ouvrages lui avaient rapporté des sommes considérables : arrivé au milieu de sa carrière, vers 1820, il était possesseur d'une belle fortune, qu'il voulut accroître encore par une spéculation commerciale ; il s'associa, dans ce but, avec deux libraires d'Edimbourg, qui firent faillite au bout de quelque temps. Le romancier, qui perdait ainsi une notable partie de ses économies, voulut indemniser les créanciers et se chargea seul de la liquidation d'un passif qui s'élevait à plus de deux millionsde francs. Depuis lors il ne cessa de travailler pour se libérer, et, s'il n'eut pas la consolation de tout payer lui-même, il put du moins être assuré, en mourant, que la vente de ses oeuvres couvrirait amplement le déficit. Mais l'excès du travail finit par ruiner sa santé et par hâter sa mort. Walter Scott ne mourut pourtant pas avant d'avoir avantageusement établi ses quatre enfants, (deux fils et deux filles, dont l'une épousa Lockhart, le directeur de la Quarterly Review; auteur d'une excellente biographie de son beau-père)
Comme il arrive toujours, Walter Scott eut de mauvais imitateurs, à l'étranger non moins qu'en Angleterre; écrivains préoccupés avant tout des côtés pour ainsi dire extérieurs du roman, qui s'attachèrent plus encore que leur modèle à peindre les costumes, à insister sur les petits détails, sans les relever par la profondeur des observations et la sagacité de l'analyse psychologique. Un des moins mauvais a été: John GALT (1779-1839), qui, outre ses relations de voyages, a écrit une série de nouvelles et de romans tirés, comme ceux de Walter Scott, de l'histoire d'Ecosse, et souvent remarquables par l'exacte peinture des moeurs et des caractères (les Annales de la Paroisse, 1819; les Légataires de l'Ayrshire; la Substitution, etc.).
Après le roman historique, celui qui à eu le plus de succès de nos jours, et qui l'a même fait oublier, c'est le roman de propagande, le roman philosophique et social, le genre de fiction leplus conforme aux goûts positifs et aux préoccupations humanitaires de notre
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époque. Dès la fin du siècle dernier, ce genre, avait été cultivé par William GODWIN (1755-1836), dont la carrière littéraire appartient cependant beaucoup plus à la période qui nous occupe. Historien, critique, publiciste et romancier, Godwin, qui n'était d'abord qu'un simple ministre dissident, avait commencé, en 1703, par écrire des Recherches sur les principes de la justice politique; l'année suivante, poar.mieux répandre ses idées libérales en fait de justice criminelle, il publia son roman de Caleb Williams, histoire fictive et fort pathétique d'un innocent condamné pour un coupable. Les romans qu'il donna dans la suite, et qui sont généralement inférieurs au premier, ont tous été écrits sous l'empire de préoccupations morales ou politiques (Saint-Léon, 1799 ; Fletwood, 1805 ; Mandeville, 1817; Cloudesley, 1830). Il ne réussit guère, au théâtre, avec son drame d'Antonio ou le Retour dît soldat (1800). On a encore de lui une Histoire de la république d'Angleterre, pleine d'érudition, un recueil d'essais politiques intitulé l'Investigateur, une compilation assez faible sur les Vies des nécromanciens, etc. Ce qu'il a laissé de plus remarquable, avec ses romans, c'est une Réfutation de Malthus et une Biographie de Chaucer.
Le capitaine Frédéric MARRYATT (1792-1848) représente à lui seul, avec quelque éclat, les romans de - voyages et les récits maritimes, dans le genre de ceux de l'Américain Fenimore Cooper. Sa vogue a duré depuis 1835 jusqu'à nos jours; mais il est juste d'ajouter qu'il recrute surtout ses lecteurs parmi les femmes et les enfants.
Miss EDGEWORTH (1766-1849) pourrait être classée pour certains de ses récits parmi les peintres de moeurs et les romanciers historiens ; il est même probable que ses premiers contes ont influé sur Walter Scott. Mais ses chefs-d'oeuvre ont surtout un caractère moral et religieux qui en fait d'excellents livres d'éducation : avec autant de charme et plus de profondeur que le chanoine Sçhmid en Allemagne, miss Edgeworth s'ap-
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plique surtout à peindre la beauté de la vertu, la douceur de l'amitié, les agréments de la vie sociale dans un milieu honnête et pur. Aussi ses premières productions (1801) furent-elles accueillies avec une faveur marquée, et tous ses ouvrages, depuis, jouirent de la même popularité en Angleterre ; quelques-uns furent lus et admirés au dehors, et resteront parmi les meilleurs monuments de la littérature anglaise : tels sont surtout ses Contes populaires (1804), ses Contes de la vie fashionable (1809), et son roman d'Hélène (1834).
Comme miss Edgeworth, lady MORGAN, née Sidney Owenson (1783-1859), était Irlandaise, et a laissé, dans ses romans, d'attrayantes peintures des moeurs et des paysages de sa patrie. Ces récits, presque toujours tirés de l'histoire et de la vie même du peuple (O'Donnel, Florence Mac' Carthy, etc.), s'écartent du genre vulgairement sentimental, tout en étant animés d'un souffle généreux et remplis d'un noble enthousiasme pour l'honneur et la vertu. Malheureusement lady Morgan a trop écrit; son style est souvent faible, sa composition lâche, et ses caractères mal tracés. On a d'elle, en outre, quelques poésies estimables, notamment son poème de l'Italie (1821).
Pour épuiser la liste des femmes auteurs dont les romans ont eu le plus de vogue durant cette période, nous citerons encore mistress ORIE, née Alderson (1709-1853), qui commença à écrire en 1801, et dont on a, outre quelques charmantes poésies, comme le Jeune Orphelin, des Contes (1806), de Nouveaux Contes. (1818) et d'autres récits remarquables surtout par la vivacité du dialogue et la naïveté du sentiment; —les deux soeurs Sophie et Harriett LEE, dont les romans étaient fort goûtés au commencement de ce siècle, et qui avaient débuté en 1797 par une nouvelle rédaction des Contes de Cantorbéry, inférieure en somme à l'oeuvre de Chaucer ; — miss MITFORD(I789-I855), auteur de quelques tragédies (Julien, 1823) et de romans où elle excelle à peindre les verdoyants paysages de l'Angleterre ; — miss Harriett
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MARTINEAU (1802-1874), dont les romans de propagande philosophique ou d'éducation et les contes économiques, philanthropiques ou scientifiques furent en vogue à partir de 1832 ; — mistress TROLLOPE, née Frances Milton (1778-1863), qui ne commença sa carrière littéraire qu'à cinquante ans, avec des romans surtout satiriques, où elle s'attaquait de préférence aux moeurs américaines ou aux travers des femmes, anglaises; — miss CURRER-BELL, pseudonyme, de Charlotte BRONTE (1816-1855), qui, après des poésies peu goûtées, donna des romans où elle défendait l'in-, dépendance de la femme, et dont les plus connus sont Jane Èyre et Shirley ; — enfin, lady BLESSINGTON, née Power (1789-1849), femme de moeurs légères, connue surtout par ses Voyages en Belgique (1841) et par ses romans (la Lanterne magique, les Victimes de la société. Mémoires d'une femme de chambre), où elle donne une idée exacte de la société aristocratique eu Angleterre, au XIXe siècle, et se distingue par l'élégance du style autant que par la vérité des peintures : elle est pourtant bien oubliée aujourd'hui, et l'on ne lit plus guère que ses intéressantes Conversations avec lord Byron.
Avant déterminer ce paragraphe par l'appréciation des grands écrivains contemporains qui ont renouvelé le roman vers la fin de cette période, nous nommerons encore un auteur qu'il est difficile de classer, à cause de la nature vague et indécise de ses écrits, mais qui rentre, en somme, dans le genre du roman fantaisiste et humoriste : c'est Thomas de QUINCEY, que l'on écrit aussi quelquefois DEQUINCY (1786-1859), esprit éminemment original, critique ingénieux, poète souvent estimable, redevenu populaire dans ces derniers temps, et dont les Confessions d'un Anglais mangeur d'opium (1822) rappellent. à la fois la manière de Sterne et celle de l'Allemand Hoffmann.
Des quatre romanciers les plus récents, dont-il nous reste à parler, deux se rattachent encore par certains côtés aux traditions littéraires de l'âge précédent : ce
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sont Dickens et Thackeray, qui, pourtant, àjoutent à leurs excellentes analyses psychologiques, dignes de Defoë ou de Fielding, de généreuses revendications en faveur des pauvres et des opprimés de toute sorte. Les deux autres, Bulwer et Disraeli, font bien plus qu'eux rentrer l'histoire et la politique dans leurs; romans, et se sont mis ainsi à la tête d'un mouvement analogue à celui qui se produisait en Allemagne vers la même époque.
Charles DICKENS (1812-1870}, qui avait écrit, à vingt-cinq ans, sous le pseudonyme de Boz, ses célèbres Papiers de Pickwick, recueil d'observations. humoristiques sur la vie des grands et des petits à Londres, poursuivit dès lors la carrière de ses brillants succès avec une série de romans où la profondeur de l'observation ne le cède presque jamais à la grâce naturelle et à la légèreté du style. Ses chefs-d'oeuvre, Nicolas Nickleby, Olivier Twist, David Copperfield, sont aussi populaires chez nous que chez les Anglais : on a dit avec raison que le drame, un peu délaissé par les écrivains de l'autre côté du détroit, s'était réfugié dans le roman, et cela est surtout vrai pour les romans de Dickens, qui offrent une succession de scènes aussi variées qu'originales ; nul n'a su mieux peindre, ni mieux faire agir et parler des personnages appartenant à toutes les classes de la société. Ceux cependant' auxquels Dickens intéresse le plus ses lecteurs, parce qu'il s'intéresse lui-même le plus vivement à leur sort, ce sont les enfants et les pauvres, dont; il semble avoir voulu prendre tout spécialement en main la protection. A ce point de vue, il appartient assurément à l'école moderne; mais ce qui le distingue de ses successeurs, c'est qu'il n'a pas les allures de la polémique ni même de la récrimination ; il se contente de peindre, persuadé que ses peintures sont la plus éloquente protestation contre les vices et les abus de la société.
On a dit de Thackeray, comme de Dickens, qu'il avait puissamment contribué à renouveler la philosophie anglaise en introduisant dans la littérature les
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idées libérales préconisées sur le continent depuis la révolution française, en défendant les faibles contre les forts, les petits et les pauvres contre les dignitaires et les riches, en relevant la classe moyenne aux dépens de la classe noble. Il y a quelque vérité dans cette appréciation ; mais, comme toujours, il faut se tenir en garde ici contre l'exagération, et ne pas vouloir faire de Thackeray un tribun ou un prédicateur : comme Dickens, il est artiste avant tout, et ses revendications n'en font que plus d'effet. « C'est un Fielding du XIXe siècle, un Fielding modifié, et complété par les préoccupations sérieuses et pratiques de notre âge." (Odysse-Barot.)
William-Makepeace THACKERAY (1811-1863) n'a pas vu la faveur publique sourire à ses premiers essais ; après de longs voyages et de longs tâtonnements, avocat et journaliste, et finalement romancier, il n'arrive à la célébrité que dans les dernières années de la période qui nous occupe, et la plupart de ses chefs-d'oeuvre ne paraissent qu'après 1850. Avant cette date il avait donné, sons des pseudonymes, une série d'Esquisses et des nouvelles qui avaient passé presque inaperçues: sa première oeuvre marquante, la Foire aux vanités, est de 1847 ; elle le dédommagea en quelques jours de l'obscurité à laquelle il avait été si longtemps condamné. Dans ce roman, et plus encore dans les suivants, parus après 1850 (Histoire de Pendennis, Esmond, les Newcomes, les Virginiens, etc.), Thackeray se montre moraliste profond autant que piquant humoriste : ses tableaux nous donnent l'idée la plus complète des moeurs et surtout des travers de la société anglaise contemporaine, en même temps qu'ils nous offrent des leçons de morale et de philosophie iont les lecteurs de tous pays peuvent profiter.
Bulwer et Disraeli ont été des hommes politiques tutant que des littérateurs, et il n'est pas étonnant me leurs romans portent, plus que ceux des deux tuteurs précédents, les marques des préoccupations qui sont, maintenant plus que jamais, à l'ordre du
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jour en Angleterre. Tous deux ont été gâtés par la fortune comme par leurs contemporains, et ont eu le singulier bonheur de ne pas compromettre, comme hommes publics, le succès qu'ils remportaient comme littérateurs. Edouard BULWER, devenu, peu d'années avant sa mort, lord Lytton (1805-1872), s'est essayé dans tous les genres ; mais, sauf quelques poésies remarquables et son drame de la Dame de Lyon (1838), ainsi qu'un excellent pamphlet et quelques discours politiques, on ne se souvient plus que de ses romans, qui ont rempli sa vie et le plus contribué à sa gloire. Ses premiers récits (Falkland, 1827; Pelham; Devereux, 1829 ; Paul Clifford, 1830) appartiennent au genre romantique. Sa popularité s'accrut encore par les romans historiques des Derniers Jours de Pompéi et de Rienzi, qui passent à juste titre pour ses chefs-d'oeuvre. Parmi ses productions suivantes, nous citerons Ernest Maltravers (1837), qui offre l'intérêt le plus saisissant, et enfin les Caxtons (1849), admirable tableau de famille dont le réalisme humoristique ne sera peut-être jamais dépassé. Bulwer a eu ses éclipses, et, parmi ses trop nombreuses compositions, on peut en signaler plus d'une qui est moins digne de son auteur, comme Godolphin. Zanoni, Lucrèce ou les Enfants de la nuit (1843-1846), ainsi que les romans de ses dernières années, dont nous n'avons pas à parler ici ; mais, en somme, l'auteur de Rienzi, des Derniers Jours de Pompéi, des Caxtons, restera toujours un des romanciers anglais les plus remarquables par la richesse et la netteté des peintures, comme par l'écla et l'élégance du style 1.
L'histoire et la politique, qui sont pour ainsi dire à
1. Le fils de Bulwer, lord Robert Bulwer-Lytton, s'est fait, depuis 1850, un nom distingué comme poète. La femme di romancier, lady Bulwer, a écrit quelques nouvelles, notamment un roman intitulé Cheveley ou l'Homme d'honneur, qu dit-on, était dirigé contre son mari.
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l'état latent dans les romans de. Bulwer, jouent le principal rôle dans ceux de Benjamin DISRAELI (né en 1805, aujourd'hui lord. Beaconsfield), (ils du littérateur distingué que nous avons mentionné dans le chapitre précédent1, Le prodigieux succès de cet écrivain, à qui ses livres ont ouvert, quoique Israélite, les portes du Parlement, et qui a fini par devenir, premier ministre dans le pays le plus aristocratique du monde, nous montre combien la littérature et surtout le genre du roman ont acquis d'influence en Angleterre. Depuis longtemps déjà, c'était un des noyens les plus honorables et souvent les plus rapides pour arriver à une brillante fortune; c'est maintenant, le plus, un moyen de s'anoblir et de parvenir aux premiers postes de l'État. Disraeli, qui avait débuté, en 1826, par son roman politique et satirique de Vivian Grey, se déclarait peu de temps après le champion de la Jeune-Angleterre, c'est-à-dire de l'école libérale en politique comme en littérature, avec son Contarini Fleming et son Epopée révolutionnaire, où il présentait l'histoire des luttes politiques de son pays au point de rue de la nouvelle école. Après avoir peu réussi au héâtre avec sa tragédie d'Alarcos, il employa les noments de loisir que lui laissait la politique à écrire les chefs-d'oeuvre d'analyse psychologique, tels que Coningsby ou la nouvelle génération, et une apologie de la race juive, dans Sybil ou les Deux Nations. les autres romans sont postérieurs à 1850.
Nous voici arrivés au terme de cette riche et pourtant trop courte nomenclature des grands noms de la littérature anglaise : heureux si l'abondance des matières et le désir d'être aussi complet que possible, sans dépasser les limites d'un manuel classique, ne nous ont point condamné à la sécheresse et à la monotonie ! Nous l'avons dit en commençant : le peuple anglais, malgré la réputation qu'il a d'être la nation
-I. Voir plus haut, p. 162.
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la plus pratique et la plus positive du monde, a fait aux lettres et à la poésie une place plus grande et plus belle que tous les autres peuples modernes. C'est là l'idée principale qui doit évidemment se dégager, pour le lecteur, de la rapide revue que nous venons de mettre sous ses yeux. Mais il faut bien ajouter aussi qu'en Angleterre, comme en Allemagne, la littérature tend depuis un demi-siècle à changer de caractère : au lieu des idées générales développées jusque-là par les poètes et les prosateurs, au lieu des analyses psychologiques désintéressées et purement faites au point de vue de la morale et de l'art, nous voyons se dessiner plus nettement les préoccupations sociales et politiques; les écrivains ne se tiennent plus exclusivement sur ces hauteurs sereines dont parle le poète latin : ils descendent dans la lice ; ils se mêlent aux affaires du temps, ils défendent les intérêts de leurs semblables et travaillent aux progrès des générations à venir. Qui donc pourrait songer sérieusement à s'en plaindre?
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APPENDICE A L'HISTOIRE
DE LA LITTERATURE ANGLAISE
HISTOIRE ABRÉGÉE
DE LA LITTERATURE
ANGLO-AMERICAINE
CHAPITRE UNIQUE. § Ier. — Considérations préliminaires.
A plupart des critiques rattachent la littérature des États-Unis à celle de l'Angleterre : la langue est la même, et ce sont des modèles communs qui ont formé le goût littéraire des deux peuples ; on peut même reprocher aux Américains, si indépendants
indépendants tout le reste, de se soumettre a une dépendance trop servile vis-à-vis de leur ancienne métropole, pour tout ce qui concerne les lettres et les arts. Il n'y a pas longtemps encore, un auteur américain n'était admiré à New-York et à Boston que s'il était muni au préalable de l'admiration des Anglais et de l'Europe en général.
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Ce fait tient d'abord à ce que les Américains sont, après tout, des Anglais par le caractère, les moeurs et l'esprit comme par l'origine et la langue, et qu'il leur sera toujours difficile, par suite, d'avoir une littérature originale. Une autre cause de cette, infériorité, de ce manque d'originalité, c'est la forme même de la constitution politique et l'origine toute récente des États-Unis. C'est une république toute moderne, fondée sur le génie, pour ainsi dire, matériel et mécanique, sur le bon sens, la persévérance et l'industrie de son peuple. Ce peuple n'a pas d'histoire ; il a été longtemps, comme on l'a dit, sans imagination, .parce qu'il était sans souvenirs. Aussi l'art a-t-il dû, à l'origine, jusqu'à nos jours, y être réduit à l'imitation ; les écrivains de ce peuple né d'hier ne pouvaient que copier des modèles étrangers et répéter l'expression dés souvenirs d'autrui; même par le style, ils étaient obligés d'imiter celui de la mère patrie : ils craignaient, : en innovant, de tomber dans l'emphase ou dans la vulgarité, les deux écueils des auteurs encore jeunes ou inexpérimentés.
Ajoutons que les démocraties sont en général peu favorables au développement intellectuel ou plutôt à la floraison littéraire et poétique : l'habitude de l'égalité fait niveler tous les esprits ; les grandes littératures sont plutôt un produit comme un besoin des monarchies et des aristocraties. Dans un pays démocratique, comme l'a si finement remarqué M. de Tocqueville, les littérateurs ne sont guère que des industriels ou des commerçants. « L'écrivain, dit-il, acquiert à bon marché une médiocre renommée et une grande fortuhe; il ne tient pas à ce qu'on l'admire, pourvu qu'on le goûte. » Mais il est juste de dire aussi que, si l'égalité tarit les anciennes sources de la poésie, elle en découvre de nouvelles. La littérature des peuples libres, délaissant le passé, se porte volontiers vers l'avenir: leur poésie chantera de préférence l'humanité, la liberté, les conquêtes du génie humain ou l'homme moral étudié en lui-même. Tel est le caractère distinctif de
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la poésie anglo-américaine, dont les essais, généralement, se font moins remarquer par la fécondité, la nouveauté ou la forme de l'imagination que par leur inspiration morale et pathétique. Aussi le jugement que nous avons porté au début de ce paragraphe sur la pauvreté de la littérature des États-Unis doit-il être entendu, non pas du petit nombre des poètes et des productions, mais de la faiblesse habituelle de leurs inspirations. L'Amérique du Nord comptait, il y a trente ou quarante ans, plus de deux cents poètes, que les critiqués et les historiens du temps étaient tout fiers de citer dans leur catalogue des richesses nationales; mais presque tous ces prétendus poètes, irréprochables' au point de vue de la moralité de leurs oeuvres, ne savaient point peindre les passions, ni frapper l'imagination, ni même toucher le coeur. Quelques-uns seulement, que nous signalerons, se sont élevés jusqu'à la vraie poésie.
Pour la prose, elle n'est guère représentée que par un seul genre, l'éloquence, soit religieuse, soit parlementaire : dans l'une et l'autre, on retrpuve avant tout les préoccupations pratiques et morales du peuple américain. Les premiers monuments en ce genre ont été des sermons et des ouvrages de théologie, dictés par
l'esprit puritain. Dans les discours politiques, dont le nombre est devenu naturellement immense depuis la constitution de la république, on trouve généralement beaucoup de longueurs et des digressions qui nous paraissent inutiles, mais qui ont leur raison d'être dans le milieu où ils sont prononcés; comme il n'y a ni traditions parlementaires ni privilèges de classes, les orateurs remontent habituellement aux idées générales,
générales, parlent presque toujours au nom des intérêts supérieurs de la nation ou des principes mêmes de l'humanité : de là une grandeur incontestable dans les discussions même particulières, et un caractère d'élévation qui se rencontre constamment dans le langage des orateurs même les plus médiocres. Nous avons dit, en commençant, que la langue an-
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glaise était celle des auteurs américains : cette assertion a besoin d'être modifiée, si l'on veut porter un jugement général sur tous les écrivains des EtatsUnis et principalement sur ceux des trente dernières années. Dès l'origine, ces écrivains, tout en étudiant et en imitant les auteurs anglais, et même tout en copiant leur style, ont été obligés d'introduire dans leur langue quelques changements, qui sont devenus encore plus nombreux et plus importants, à mesure que l'on s'éloignait davantage du temps où eut lieu la sécession. La situation nouvelle et les nouveaux besoins forçaient évidemment à créer des Mots nouveaux, surtout dans la prose, où le jargon des affaires s'est peu à peu introduit; beaucoup de mots anciens ont été détournés de leur sens primitif, d'autres ont été forgés ou empruntés aux nombreux idiomes représentés par les colons qui arrivent chaque année de tous les pays de l'Europe. Les Américains abusent surtout des mots abstraits, qui, comme l'a encore dit M. de Tocqueville, aident et abrègent singulièrement le travail de l'intelligence, et se prêtent mieux à la mobilité des idées, si naturelle dans une démocratie. De plus, avec leur inexpérience du goût littéraire, ils mélangent volontiers les styles les plus différents, et se sont créé ainsi une sorte de style composite, non moins original que leur langue.
Ce phénomène, nous le répétons, est surtout visible à partir du milieu de ce siècle, c'est-à-dire vers l'époque où s'arrête notre esquisse. Dans la première période, celle qui doit seule nous occuper, la littérature américaine n'est en réalité qu'une annexe de la littérature anglaise.
§ II. La littérature anglo-américaine au dix-huitième siècle.
L'Amérique anglaise, avant de devenir la république des États-Unis, n'avait pour ainsi dire pas de littérature. Uniquement occupés à défricher leur nouvelle
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patrie et à s'y organiser de la façon la plus pratique et la plus indépendante, les colons anglais, presque tous puritains, d'ailleurs, et par cela même peu disposés à cultiver les arts, n'avaient guère songé à la poésie, et la prédication ou la théologie étaient les seules distractions intellectuelles qu'ils se permissent. L'imprimerie leur semblait même une industrie superflue : les premières presses qui fonctionnèrent chez eux datent de la fin du XVIIe siècle; jusque-là, on se résignait à envoyer en Angleterre las rares ouvrages que l'on éprouvait le besoin de publier 1. Quand quelques presses fonctionnèrent en Amérique, ce fut surtout pour imprimer des almanachs, des sermons, des pamphlets religieux. Les journaux eux-mêmes, dont le nombre y est incalculable aujourd'hui, ne firent leur apparition aux États-Unis que fort tard et d'une manière assez timide 2.
Le premier auteur anglo-américain qui ait laissé un souvenir est un ecclésiastique du Massachusetts, Jonathan EDWARDS (1703-1758), métaphysicien remarquable et prédicateur estimé, qui publia, outre ses Sermons et divers ouvrages théologiques, un Traité de la volonté, livre dicté par une puissante et consciencieuse raison, où l'on retrouve à la fois le disciple de Descartes et l'adepte de l'école écossaise. Edwards, qui était parvenu à une des premières positions de l'Église
1. En 1639 un nommé John Glover avait fait présent au collège américain de Cambridge d'une fonte de caractères; quelques marchands d'Amsterdam envoyèrent aussi de l'argent pour le même objet, mais la première imprimerie publique ne fut créée qu'en 1674, à Boston, et la deuxième, cinquante ans plus tard, à Philadelphie,
2. La première gazette, à peine digne de ce nom, fut fondée à Boston, en 1702, par Barthélémy Green, sous le patronage d'un maître de poste; puis vint la Gazette bostonienne (171513, diverses autres feuilles suivirent dans le cours du XVIIIe siècle : mais le journalisme ne commence à être une puissance qu'après 1776,
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anglicane à New-York, fut destitué pour la rigidité de ses opinions.
Mais le nom d'Edwards pâlit singulièrement à côté de celui du grand citoyen qui, peu de temps après, représente presque à lui seul, pendant un demi-siècle, toute la littérature anglo-américaine : nous avons nommé Benjamin FRANKLIN (1706-1790), le principal fondateur et un des plus illustres champions de l'indépendance des États-Unis. Écrivain non moins remarquable que grand citoyen et que savantingénieur, il a laissé de nombreux ouvrages dont la lecture n'est pas moins utile et intéressante que l'histoire de sa vie et de ses découvertes scientifiques : on a de lui des Mémoires, des Essais, des Lettres; sa Science du bonhomme Richard est encore le manuel par excellence de la sagesse populaire; son admirable Parabole contre la persécution est animée par un souffle vraiment évangéliaue ; son Pauvre Robin et beaucoup d'autres opuscules ont contribué à faire du peuple américain ce qu'il est aujourd'hui; son Examen devant le conseil privé est un chef-d'oeuvre de sagacité politique, où la souplesse la plus étonnante se trouve unie à la plus rare vertu.
Nous savons que, depuis quelques années, certains critiques et certains historiens, qui s'attachent à renverser les plus hautes réputations, ont voulu nous faire revenir de notre admiration pour Franklin : on a dit que c'était un faux bonhomme, égoïste, et habile, que l'engouement français avait transfiguré. Mais l'opinion publique, même en France, ne se trompe jamais à un tel point, et nous croyons volontiers que; nos pères ont eu raison d'admirer dans Franklin des vertus très différentes des nôtres. Il faut voir en lui le type le plus aimable du génie anglo-américain: ses défauts mêmes tenaient à ses qualités ; il a été, nous en convenons, prosaïque, vulgaire, trop positif en un mot; mais, dans ses écrits comme dans sa vie, c'est là qu'était le secret de son influence et du charme qu'il exerça sur tous ses contemporains. Il est, avant tout,
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pratique et vrai, naïf dans une certaine mesure, mais sachant toujours aller droit à son but. On trouve en lui une sagesse simple et sans faste, l'instinct du réel et de l'utile, l'amour de la philosophie expérimentale, une raison parfois sévère, mais toujours de bonne foi, souvent douce, et qui rappelle un peu celle de notre Fénelon. Son style a toutes les qualités de sa pensée : la lucidité, le bon sens, là modestie, avec de l'onction et de la bienveillance, sans aucune nuance de passion et sans beaucoup de traces d'imagination. En somme, la sagacité de ses observations et son style humoristique font de Franklin un des premiers essayistes du XVIIIe siècle.
Les noms, illustres ou populaires, de WASHINGTON, le fondateur et le premier président de la république américaine; de HOPKINSON, un des écrivains qui contribuèrent le plus à l'émancipation politique de leurs concitoyens; de JEFFERSON, d'Alexandre HAMILTON, et de quelques autres, ont. une importance historique plutôt que littéraire : nous ne les signalerons ici, avec ceux de David RAMSAY et de John TROMBULL, que pour marquer leur place et leur importance dans l'histoire du développement de la liberté en Amérique, développement auquel ils ont largement contribué par leurs discours, leurs lettres, leurs pamphlets, sans pouvoir être considérés, pour cela, comme des auteurs proprement dits.
Un livre qui parut au moment de la guerre de l'indépendance, sous le titre de Lettres d'un cultivateur . américain, et sous le pseudonyme d'HECTOR DE SAINTJEAN, renferme toutes les qualités du style de Franklin, avec l'imagination et la poésie en plus. Ces Lettres, oubliées à tort aujourd'hui, sont une des oeuvres les plus essentiellement américaines qu'aient produites les États-Unis; tout s'y trouve empreint de la couleur locale : le paysage, les moeurs, les sentiments, le langage; la vie du colon y est reproduite avec une énergiquesimpIicité,vraimentpoétique et originale; quelques parties même, des narrations, par exemple, offrent un
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intérêt dramatique des plus prononcés, et l'ensemble, est animé d'un souffle patriotique qui l'élève souvent jusqu'à l'éloquence.
C'est dans cette brochure anonyme qu'il faut chercher la poésie américaine au siècle dernier, plutôt que dans les oeuvres des poètes de profession, qui, du reste, sont aussi rares que médiocres. Nous n'en citerons que deux : Barlow et Brown. Joël BARLOW (1755-1812), qui a écrit aussi de nombreuses brochures politiques,, a laissé divers poèmes, dont le plus connu est sa Colombiade. Pendant la guerre de l'indépendance, il fut aumônier de régiment, et composa un certain nombre de chants nationaux, la plupart publiés aujourd'hui, mais qui lui valurent une grande réputation et une position avantageuse ; il finit par devenir ministre plénipotentiaire en France, et mourut en Pologne. Son poème héroïque de la Colombiade (paru en 1787) est une oeuvre assez faible en somme, bien que certains passages ne manquent ni d'élégance ni de vigueur : son principal mérite est d'avoir précédé aux États-Unis toute autre composition poétique, Barlow écrivit, en outre, un poème burlesque, et traduisit les Ruines de Volney.
Charles-Brockden BROWN (1771-1810) est encore moins lu aujourd'hui que Barlow : on l'a. surnommé autrefois le Godwin des Etats-Unis, à Cause dû genre de ses romans, qui sont en général fantastiques et terribles comme ceux de Godwin ( Wieland, 1798 ; Ormond; ArthurMerivin, 1799 ; EdgarHuntléy,1800 Clara Homard; les Mémoires d'Etienne Calvert,1801, etc.). Il se fit un nom comme publiciste et fonda ou dirigea plusieurs revues importantes. Comme poète, il fut admiré de ses contemporains pour divers recueils qu'il publia dans sa jeunesse, et surtout pour ses SkyWalks (Promenades au ciel), oeuvre qui n'est pas dénuée de talent, mais d'où la poésie est trop souvent absente. Brown comprend plus les passions qu'il ne les sent; il sait les exprimer avec art, mais il recherche l'horrible, et est généralement forcé, factice et incohé-
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rent. Nul mieux que lui n'a prouvé combien peu, à son origine, la littérature anglo-américaine renfermait d'éléments poétiques.
Le théâtre, comme la poésie, était antipathique aux colons de l'Amérique du Nord : l'esprit puritain qui les animait résista longtemps aux représentations dramatiques, qui ne pouvaient d'abord se faire admettre; (vers le, milieu du siècle dernier) que comme des exhibitions de littérature étrangère ou de morale en action.. Des théologiens zélés ne manquèrent pas de combattre le théâtre ; il y en eut même qui écrivirent contre: Shakspeare. Les auteurs prirent alors le parti de s'introduire sous le masque de la morale et de la religion, et, à certains égards, le drame débuta aux États-Unis comme en Europe, par lès mystères et les moralités : seulement, au lieu de pièces originales, on n'avait que des pièces anglaises plus ou moins déguisées; quand on voulait jouer la tragédie de Douglas, on l'annonçaît comme une Lecture morale sur l'amour maternel, en cinq parties; une comédie anglaise des plus immorales passait à la faveur de ce titre édifiant : Leçons morales sur les devoirs des maris et des femmes. Mais un autre écueil se présenta bientôt : les comédies et même les drames importés d'Angleterre avaient . toujours un rôle de Français bouffon et odieux, qui avait le don de faire rire à gorge déployée toute la populace de Londres ; après la guerre de l'indépendance, les Yankees reconnaissant né voulurent plus qu'on se moquât de leurs bons amis les Français, et ils faillirent même, en plus d'une occasion, faire unmauvais parti aux acteurs qui jouaient le rôle du Français ridicule, comme à ceux qui représentaient, selon la tradition, l'Anglais généreux et chevaleresque. On s'adressa dès lors au répertoire français, qui fut seul en vogue dans les dernières années du siècle ; c'est ainsi que la Veuve du Malabar, de Lemierre, obtenait le plus éclatant succès en 1790. Dès ce moment, le théâtre devenait un peu plus libre, et les années 1795 à 1800 virent les premiers essais, bien
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faibles encore, que l'on tenta pour créer un théâtre national : l'histoire de l'indépendance offrait bien assez de sujets populaires, mais l'art manquait encore aux auteurs pour les mettre en oeuvre. Ce ne fut qu'au commencement de ce siècle que l'on put enfin, à force de copier et d'imiter les drames étrangers, tirer quelque parti de la matière dramatique fournie par les événements contemporains. Nous verrons que ces productions nouvelles seront aussi fort médiocres, et que le théâtre, aux États-Unis, offrira toujours le caractère moral et utilitaire qui a présidé à sa naissance 1.
§ III. — La littérature anglo-américaine dans la première moitié du dix-neuvième siècle.
Poètes. — Parmi plusieurs centaines dé poètes ou plutôt de versificateurs que les Américains aiment à citer comme représentant le mouvement poétique des États-Unis pendant ce siècle, il y a tout au plus quelques noms qui sont connus en Europe, et il n'y en a guère davantage qui mériteraient d'être, signalés, si nous ne voulions donner ici, autant que possible, la physionomie même d'une littérature sans nous arrêter à discuter la valeur de ses productions. On nous pardonnera donc de faire une nomenclature un peu sèche des poètes les plus admirés de leurs compatriotes au commencement de ce siècle, et de nous borner, à résumer les jugements portés sur eux dans leur propre pays.
Un des premiers en date est Richard-Henry DANA (né en 1787), avocat, puis journaliste, 1 qui voyagea longtemps en Italie pour développer son talent poétique : homme plein de goût, de grâce et d'élégance, dont son imagination rêveuse fait plutôt un philosophe méditatif qu'un véritable poète. Dans son principal
1. Nous renvoyons TYLER à la période suivante, bien que ses premières comédies aient été jouées à partir de 1786.
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poème, le Boucanier (1827), il s'attache à peindre les moeurs sauvages du nouveau monde; mais il se sent mal à l'aise au milieu de ces scènes de brigandage et de piraterie : il n'a pas une âme assez passionnée pour se plaire dans de pareilles descriptions ni pour y réussir. Il aime mieux imiter Vordsworth, et traiter des sujets simples, vulgaires et mélancoliques; comme dans le Vieux Corbeau mourant, qui fut à la fois son coup d'essai et son chef-d'oeuvre (1825). Après avoir donné plusieurs poèmes et recueils de poésies jusqu'en 1833, il se tourna vers la prose, écrivit des Contes et des Nouvelles, et rédigea ou fonda plusieurs revues importantes.
De la pléiade poétique qui l'entoure, nous citerons, parmi les auteurs les moins oubliés aujourd'hui : Samuel WOODWORTH, dont les chansons populaires sont encore répétées dans toute l'Amérique;— GeorgeWashington DOANE, dont les Chants du chemin ont une simplicité presque enfantine, mais cependant'touchante; — le Dr Rodman DRAKE, dont, le poème de la Fée coupable a de la grâce et de la légèreté; — James NACK, sourd-muet, qui, à peine adolescent, écrivit un poème fort admiré de son temps; la Légende des rois; -— John PIERPONT (né en 1785)5 homme de loi, puis commerçant, et finalement ministre évangér lique à Boston; poète sans imagination, versificateur correct, imitateur de Pope et de Rogers, dont les Airs of Palestine eurent un grand succès en 1816, et qui donna depuis, outre ses poésies (jusqu'en 1840), la relation d'un voyage qu'il avait fait en Europe ; Charles SPRAGUE (né en 1791), caissier d'une banque dé Boston, qui réussit assez souvent dans ses imitations de Campbell, poésies intimes où il peint les joies et les chagrins de la vie domestique, et qui a écrit aussi un poème didactique de la Curiosité, rempli de passages satiriques (un choix de ses oeuvres en prose et en vers a paru en 1850) ; — John NEAL (né en 1794), qui, outre de nombreux romans (Logan, 1821 ; Randolph, 1822; Rathel Dyer, 1828) et des articles dans
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les revues, des relations de ses voyages en Europe, a écrit plusieurs volumes de poésies, dont quelquesuns sont remarquables, comme, la Naissance du poète; — James-Gates PERCIVAL (né en 1795); chirurgien militaire et chimiste, puis géologue distingué, longtemps pauvre, toujours modeste et laborieux, doué d'une verve ardente et naturelle, auteur de tragédies justement oubliées et de quelques volumes de vers qui plaisent par leur énergique et simple éloquence, malgré la négligence du style : ses premiers succès datent de 1820; puis il donna, de 1822 à 1827, un recueil de prose et de vers, intitulé Clio; peu de temps après, il renonçait à la poésié pour se consacrer uniquement aux sciences naturelles;—le banquier Fitz-Green HALLECK (né en 1795), poète souvent délicat et élevé, plus souvent encore satirique, qui abuse parfois du persiflage byronien, et dont les premiers vers, publiés dans divers journaux lorsqu'il n'avait pas encore vingtans, décelaient déjà l'humour et le bons sens un peu caustique ; ses chefsd'oeuvre sont, outre ses Satires, son roman comique en vers, intitulé Fanny (1821), et son poème du Château d'Alnwick (1827) ; — enfin, Nalhaniel-Parlcer WILLIS (né en 1867), attaché d'ambassade, voyageurinfatigable, écrivain fécond, que l'on a comparé à notre Alexandre Dumas, parce qu'il a traité presque tous les genres (romans, voyages humoristiques, drames, poésies, etc.), et parce qu'il recherche les effets de style les plus bizarres frappe l'imagination par tous les moyens et se trouve à l'aise dans tous les sujets : comme poète, il a obtenu la plus grande vogue avec ses Poésies sacrées et ses poèmes lyriques, surtout son Alchimiste mourant, de 1823 à 1830. Il fonda, en 1828, une revue importante, l'American Monthly Magazine, fit de nombreux voyages en Europe, alla visiter l'Orient, se maria en Angleterre et rapporta de chacun de ses voyages d'innombrables matériaux pour ses revues et ses livres. C'est à coup sûr une des physionomies les plus originales de la littérature américaine.
Nous avons gardé pour la fin les noms des cinq
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poètes les plus connus en Europe : Bryant; Longfellow, Emerson, Lucrèce Davidson et mistress Sigourney; traduites en plusieurs langues, leurs poésies sont devenues presque populaires dans le monde lettré de l'ancien continent. William-Cullen BRYANT (né en 1.794), qui n'a guère quitté New-York, sauf pour quelques voyages au delà de l'Océan, débuta comme poète à quatorze ans, et a donné, depuis, un grand nombre de pièces de vers, des articles dans les revues (il en a même fondé une) et des relations de voyages. Ses poésies ont eu de nombreuses éditions, et justifient leur succès par la naïveté gracieuse de leurs inspirations, par leur mélancolie, leur sentiment religieux, leur élégance. Poète avant tout chrétien et anglais, Bryant n'est que rarement Américain ; sa poésie, qui peint volontiers le monde physique, n'a presque pas de couleur locale, contrairement à celle de Thomson et de Burns, qu'il avait prise pour modèle, et qui est tont écossaise : tel est, par exemple, son Tableau d'hiver, description excellente, mais trop générale. Il est plus sentimental que pittoresque; son affection pour la nature est vraie, mais vague, empreinte de modestie et de piété : rien de sublime dans ses pensées, rien de saillant dans ses peintures ; il est gracieux et simple, doux et triste, parfois pathétique, mais toujours élégant, et d'une élégance un; peu raffinée, semblable à celle d'Irving, dont nous parlerons tout à l'heure. De temps à autre, cependant, il s'inspire du souvenir des peuplades primitives de l'Amérique ou du spectacle de ses grands paysages, comme dans la Jeune Indienne, ou l'Indien au tombeau de ses aïeux,. ou les Monuments de la montagne, ou, surtout, le Cadavre du sauvage, chef-d'oeuvre de sensibilité, où le poète s'inspire d'une pensée mélancolique et morale, et peint à merveille le contraste entre les vieilles races déchues et la civilisation nouvelle qui les remplace. Il a écrit, dans ce genre, un autre morceau plus développé que les précédents, un vrai poème, les Ages, dont l'inspiration est presque purement américaine,
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bien que l'auteur l'ait imité du Childe-Harold de lord Byron, et dont on admirera toujours l'élévation morale et les vives peintures. En somme, Bryant n'a pas laissé de grands ouvrages, et il manque d'originalité ; mais, comme l'a dit un critique anglais, si sa voix est généralement faible, elle est presque toujours pure, mélodieuse et souvent touchante.
C'est encore un poète européen, avant, tout, que nous trouvons dans Henri-Wadsworth LONGFELLOW (né en 1807). Il écrivit ses premières poésies sur les bancs du collège, et mûrit son talent tout en complétant- son instruction par un voyage en Europe, comme ont fait la plupart des littérateurs américains; comme eux, aussi, Longfellow ne se contenta pas d'un seul voyage, et revint à diverses reprises, dans la suite, visiter l'ancien continent, comme pour se retremper aux sources poétiques par excellence. Ses ouvrages en vers et en prose, surtout son roman' d'Outre-Mer, lui valurent de bonne heure une position honorable dans l'enseignement, et il finit par obtenir la succession de Ticknor, l'illustre historien de la littérature espagnole, comme professeur à l'université, de : Cambridge, la première des États-Unis.
Outre ses poésies lyriques et le roman signalé plus haut, on â de lui des Poèmes sur l'esclavage (1843), une épopée idyllique à'Evangéline, écrite en hexamètres (1848), des Scènes dramatiques, la Légende dorée (1851), sans compter d'autres romans et divers ouvrages en prose. Dans la plupart de ses compositions poétiques, il_a manifestement subi l'influence de l'Europe : son Evangéline est un souvenir deHermann et Dorothée, de Goethe; sa Légende dorée est imitée du Pauvre Henri, de Hartmann von der Aue; ses ballades et ses poésies sont généralement inspirées des modèles allemands ou espagnols. Cet éclectisme littéraire, un peu cosmopolite, est sans doute une des causes qui ont rendu le nom de Longfellow si populaire, dans toute l'Europe; mais une autre cause, au moins aussi importante, se trouve dans ce fait que les oeuvres de
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Longfellow sont empreintes d'une beauté calme et douce, exemptes de passion, toujours animées de l'esprit le plus sérieux et en même temps le plus large, et toujours aussi consacrées à peindre les sentiments les plus nobles, les plus purs et les plus profonds de la nature humaine.
On peut en dire autant de Ralph-Waldo EMERSON, (né en 1803), dont les poésies, outre leur couleur philosophique et morale, ont une élégance continue et vraie dont bien peu d'écrivains ont approché. Son imagination est peut-être plus brillante que celle de Longfellow, du moins pour les dehors et à la première lecture; mais, en y regardant de plus près, on découvre que L'originalité lui manque presque toujours dans ses Poèmes, et qu'elle tient surtout à sa diction. Emerson, qui est entré fort jeune dans la carrière ecclésiastique, a écrit, outre ses poèmes, des ouvrages de théologie et de philosophie.
Les deux femmes poètes dont il nous reste à parler ont eu des destinées bien différentes, mais, elles jouissent d'une gloire presque égale. L'une, Lucrèce-Marie DAVIDSON (1808-1825), morte à la fleur de l'âge, laissait en mourant, à dix-sept ans, un recueil de poésies gracieuses dont la publication (1829) excita l'étonnenient et l'admiration de l'Europe comme de l'Amérique : harmonieuse émule de Félieie Hemans 1, elle a écrit un certain nombre de pièces qui sont des chefsd'oeuvre de délicatesse et de mélancolie, et dont le style même, soutenu par la pensée, a toute la maturité que l'on ne trouve pas toujours chez des poètes bien plus âgés 2.
L'autre, mistress Henriette SIGOURNEY (née miss HUNTLEY, 1791), est arrivée presque aussi jeune à une
1. Voir, plus haut, l'Histoire de la littérature anglaise, p. 218. 2. Elle eut une soeur, plus jeune qu'elle, qui mourut à quinze ans, et dont le talent poétique était presque aussi étonnant que le sien. L'une et l'autre moururent, du reste, de cette surexcitation maladive de leur sensibilité.
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gloire pareille, qui l'a suivie pendant sa longue et active carrière. Elle avait écrit des vers, elle aussi, dès l'âge de huit ans : un volume de Mélanges, en prose et en vers, publié en 1815, et des poésies morales et religieuses, attirèrent sur elle l'attention publique et celle, en particulier, d'un riche commerçant,, qui l'épousa en récompense de la moralité de ses compositions. Ce mari extraordinaire, loin de vouloir enlever sa femme à, la littérature, l'encouragea à, écrire, et mistress Sigourney donna en 1822 son poème descriptif, les Aborigènes d'Amérique, puis, les années suivantes, de nombreux ouvrages en vers ou en prose, des contes, des romans, des lettres, des essais, etc. elle abusait presque autant de sa facilité que Wiïlis. En 1841, elle publia la relation d'un voyage qu'elle avait fait en Europe l'année précédente. Parmi ses autres , poèmes, postérieurs à cette date, le meilleur est intitulé Pocahontas. Mais de tout ce volumineux bagage, bien peu de pages survivront à l'auteur, qui ne doit sa célébrité qu'au mérite de quelques-unes de ses premières poésies lyriques, et, il faut bien le dire aussi, à l'attraction que les femmes extraordinaires ont le don d'exercer sur les citoyens de l'Amérique du Nord.
Théâtre. — Nous ne pouvons ici que renvoyer le lecteur, aux observations que nous, avons; faites à la fin du paragraphe précédent : le théâtre est une institution exotique aux Etats-Unis, et il est probable qu'il en sera longtemps ainsi;, tout dernièrement encore un imprésario américain n'a-t-il pas fait appel à tous les talents européens pour la composition d'un grand drame dont la guerre de l'indépendance devait fournir le sujet? Évidemment il comprenait qu'on ne pouvait guère compter sur le génie dramatique de sa nation.
Deux auteurs avaient essayé, dès la fin du siècle dernier, de créer un théâtre national : Tyler et DunIap ; et leurs efforts, continués pendant le premier tiers de ce siècle, n'ont guère réussi qu'à mieux mettre en lumière la lacune, probablement irrémédiable, que nous
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avons constatée dans la littérature anglo-américaine.
Royal TYLER était un ancien officier, qui écrivit, outre un roman aujourd'hui oublié, les Algériens, un certain nombre de comédies, fort médiocres en général, dont on ne cite plus guère que le Contraste (1786) et le Jour de mai. La première mérite d'être mentionnée, parce que Tyler y créa le type si comique et si populaire de Jonathan, qui personnifie le Yankee, comme John Bull a personnifié l'Anglais.
Le principal titre de DUNLAP à la reconnaissance des littérateurs, c'est qu'il a écrit une Histoire du théâtre aux États-Unis, oeuvre pleine dé détails intéressauts, mais qui manque souvent de critique. Ses drames et ses comédies, au nombre d'une trentaine au moins, qui jouirent d'une grande vogue sur les scènes américaines pendant un demi-siècle, sont généralement imités des pièces étrangères, surtout de celles de l'Allemand Kotzebue. Dans sa pièce de début, la. Filleunique (1789), Dunlap se proposait de ramener les Américains, vainqueurs des Anglais, à des sentiments moins hostiles pour leurs anciens maîtres. Ses drames nationaux, comme le Major André et Washington, qui eurent un immense succès au commencement de ce siècle, sont dénués d'art et d'intrigue, ainsi que ses mélodrames, dont les plus connus sont l'Abbaye de Fontainville et le Moine mystérieux.
Prose. — Les moralistes ne manquent pas plus à l'Amérique du Nord pendant ce siècle que durant le précédent; mais bien peu sont vraiment des littérateurs : deux seulement, Channing et Irving, peuvent être comparés aux grands écrivains que l'Angleterre a' produits dans ce genre, et dont ils sont d'ailleurs les fidèles disciples et les imitateurs.
Le docteur William CHANNING (1780-1842), dont on a dit qu'il avait l'esprit d'un Calvin-avec le coeur d'un Fénelon, a été un prédicateur de premier ordre, un pamphlétaire au moitié égal à Franklin et un essayiste souvent ingénieux. Ses Sermons, prêches à
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Boston et publiés de son vivant, nous laisseraient bien froids, comme du reste ceux de ses émules en Angleterre; son éloquence est plus sensible pour nous dans ses brochures politiques, notamment dans son livre sur l'Esclavage, où il se déclarait abolîtionnîste dès 1835. Ses Lettres, ses Mémoires, ses Essais (ceux notamment sur Hilton et sur Napoléon) peuvent compter parmi les meilleurs monuments de la prose anglo-américaine ; mais on lui reproche de toujours affecter un peu trop dans ses écrits les formes de style et les mouvements familiers aux sermonnaires anglicans; on lui reproche aussi de trop viser à conquérir les suffrages de toutes les opinions, de ménager plus qu'il ne convient les vieux préjugés de l'Europe, et de ne jamais prendre assez énergiquement parti pour ou contre les idées qu'il expose : il a pour système un certain éclectisme timoré qui lui ôte singulièrement de sa force et de son intérêt.
Washington IRVING (1783-1859) n'a guère prétendu davantage à l'indépendance et à l'originalité. Romancier, critique et publiciste, il est toujours brillant, facile, léger, correct, égal; mais il manque de puissance : il plaît sans émouvoir. L'admiration de ses compatriotes et même de l'Europe le met parfois au même rang que son modèle, Addison : s'il mérité cet honneur, c'est surtout pour son style vraiment classique, sans prétention et sans emphase, dont les formes pures et le coloris harmonieux sont exactement calqués sur les chefs-d'oeuvre anglais du siècle de la reine Anne, notamment sur les écrits de Pope et d'Addison. Aussi a-t-il extraordinairement réussi en Angleterre : ce sont, du reste, les suffrages des Anglais qu'il briguait avant tout. Après un voyage entrepris pour, sa santé dans le midi de l'Europe, il avait débuté par un recueil périodique et satirique, imituléSalmagundi (1807), qui, grâce à ses piquantes allusions, jouit d'une popularité extraordinaire. Puis vint une oeuvre essentiellement humoristique, l'Histoire de New-York par Dietrich Knickerbocker, qui fit sensation en Europe aussi bien
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que dans les États de l'Union. Irving, qui était alors procureur, renonça bientôt à cette profession, pour laquelle il ne se sentait pas de goût, et put se livrer uniquement aux travaux littéraires, grâce à la générosité de ses frères, qui voulurent bien l'associer à leur maison de commerce sans lui imposer une besogne suivie. Après avoir pris une part glorieuse à la guerre de l'indépendance, il publia, dans son Magasin analytique, une série de biographies américaines où 'il racontait la vie des héros patriotiques avec une clarté, une simplicité, une grandeur remarquables. Son voyage en Angleterre (1815) nous a valu des Lettres extrêmement intéressantes et un Livre d'Esquisses rempli des plus gracieuses descriptions, qui obtint un brillant succès à Londres et à New-York, où il parut en même temps. Dans Bracebridge-Hall, sorte de roman épisodique, plus descriptif que dramatique, Irving continua, toujours avec autant de bonheur, à peindre les moeurs et les coutumes de la vieille Angleterre. A la suite d'un voyage en Allemagne, il donna des Contes. où îl faisait revivre avec un rare talent les vieilles légendes allemandes (1824); puis il entre en lutte avec Robertson, et écrit une Histoire de Christophe Colomb qui ne le cède en rien à celle de l'auteur anglais. Parmi ses derniers ouvrages, composés durant son séjour en Espagne, les plus admirés furent sa Chronique de la Conquête de. Grenade et ses Contes de l'Alhambra, sorte de livre d'esquisses espagnoles, analogue à celui qu'il avait- publié lors de son premier voyage en Angleterre. Dès lors sa vie ne fut plus, en Angleterre comme - 'en Amérique, qu'une suite d'ovations aussi flatteuses que méritées ; Irving put se croire un des plus grands écrivains des deux mondes. Ajoutons qu'il s'est tenu autant que possible à l'écart de Sa politique, et que ses dernières années, pendant lesquelles il n'a plus rienproduit de remarquable, se sont écoulées dans lé calme d'une studieuse et philosophique retraite.
L'histoire n'a guère eu, sauf Irving et Prescott, que des représentants assez médiocres aux États-Unis : à
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la fin du siècle dernier, Robert PROUD écrivait une Histoire de Pensylvanie, trop admirée dé ses compatriotes; plus près de nous, Samuel DRAKE (né en 1798) a donné une Histoire des Indiens et une Vieille Chronique indienne, oeuvres estimables, mais de second ordre; en réalité, il n'y a eu jusqu'ici dans, la littérature anglo-américaine qu'un seul historien vraiment digne de ce nom : c'est William-Hickling PRESCOTT (1796-1859). Malgré la cécité dont il fut atteint dans sa jeunesse et qui resta presque complète durant toute sa vie, Prescott a étudié les documents les plus précieux et en a tiré le meilleur parti, dans son Histoire de Ferdinand et Isabelle (1838), dans son Histoire de la Conquête du Mexique (1843) et de la Conquête du Pérou (i847),qui passent pour ses chefs-d'oeuvre, ainsi que dans son Histoire de Philippe II (1855), On a aussi de lui des Mélanges biographiques et critiqua et des Essais qui se recommandent, comme ses autres ouvrages, par la chaleur du style et la sagacité des observations.
Le roman a été, comme c'est naturel, le genre, le plus en faveur auprès des Américains; et, parmi les diverses espèces de romans, celle qui devait aussi le mieux réussir, c'est la narration morale et pratique, où le lecteur peut apprendre à connaître ses semblables et à diriger sa propre conduite. De là, le nombre considérable des romans humoristiques et psychologiques qui, depuis un demi-siècle surtout, Ont obtenu un tel succès de l'autre côté de l'Atlantique. Quelques tentatives avaient été faites auparavant pour y acclimater la fiction poétique et pittoresque : James-Kirke PAULDING (1779-1860), dans son délicieux et idyllique roman intitulé le Coin de feu d'un Hollandais, imitait avec un rare bonheur le Vicaire de Wakefield; d'autres s'essayaient avec plus ou moins de succès dans le roman sentimental ou dans le roman d'aventures ; mais nul n'obtint une réputation plus univer-, selle dans ce dernier genre que Jacques-Èenimore COOPER (1789-1851), lé rival de Watter Scott dans
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l'admiration de l'Europe et le plus original des écrivains de l'Amérique. Il a eu, le premier, l'idée de faire lé roman du colon, du planteur, du défricheur, du pilote. Son succès, en Europe comme en Amérique, tenait surtout au plaisir qu'y a longtemps causé la description, nouvelle alors, des périls et des incidents de la vie maritime et de l'existence à moitié sauvage des colons américains, que nul n'a jamais mieux sentis ni mieux su peindre que lui. Marin lui-même, voyageur infatigable, curieux observateur des contrées qu'il parcourait dans l'ancien comme dans le nouveau monde, Cooper a écrit un nombre considérable de romans et de nouvelles qui peuvent se répartir en trois groupes : lés romans maritimes, les romans américains et les romans européens; ces derniers sont les plus faibles, mais ceux des deux premières-classes sont justement populaires, et tout le monde a lu le Pilote, la Prairie, le Dernier des Mohicans1. Le Pilote surtout est admirable d'unité comme de vigueur : jamais on n'avait mieux senti et décrit l'océan, ni mieux célébré les luttes et les triomphes de l'homme au milieu des flots. Dans les récits tirés de la vie sauvage et de l'histoire de la conquête du sol et des forêts vierges par les planteurs, l'auteur copie avec une merveilleuse exactitude les paysages, les scènes, les moeurs, la nature entière du nouveau monde. On lui a reproché, par contre, de reproduire tous les détails avec trop de minutie et de longueurs, sans goût et sans mesure, parfois même sans coloris, avec une exactitude de commissaire-priseur ; de ne pas animer suffisamment ses tableaux, de suspendre trop.souvent l'intérêt, de ne pas soigner l'intrigue, d'exagérer les faits et les objets les moins importants, et enfin de trop laisser paraître, à là longue, la stérilité de son invention : ces critiques sont généralement fondées, mais cela n'empêche pas
I; Outre ses romans, Cooper a écrit aussi une Histoire de la marine des États-Unis, oeuvre estimable, mais qui n'a rien de saillant.
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Cooper de frapper l'imagination et déplaire; son génie est p'osaïque, mais amoureux du vrai, et c'est là l'explication de son prodigieux succès. Quant à son style, évidemment imité de Walter Scott, il manque de couleur, bien que Cooper affectionne par trop l'archaïsme.
Dans un genre tout différent, Edgar-Allan POË (1813-1849) a obtenu un succès presque égal, avec ses romans fantastiques ou Histoires extraordinaires, qui sont devenues populaires en Europe et surtout en France, où on peut les lire dans la remarquable traduction de Baudelaire. Fils de comédien, orphelin dès ses premières années, condamné à la misère et à l'immoralité, Edgar Poë ne connut jamais ni le bien-être ni le bonheur, et ce fut, malheureusement, par sa faute. La publication de ses premières poésies, qui, avait eu un grand et légitime succès, avait ouvert devant lui un avenir plein d'espérances; il entra dans la rédaction d'une revue où il pouvait travailler en même temps pour sa gloire et pour sa fortuné ; c'est là qu'il publia ses contes et ses nouvelles, qui furent accueillies par les lecteurs avec une faveur marquée; mais il perdit sa position et ruina sa santé par ses habitudes crapuleuses; l'ivrognerie le mena rapidement à la dégradation, puis au tombeau. Ses romans, qui échappent à l'appréciation comme à l'analyse, n'ont rien de vulgaire; ils abusent même de l'originalité, de l'horrible et surtout de la logique : on dirait que l'auteur les a construits à force de combinaisons et de syllogismes, et qu'il s'agit toujours pour lui de dégager une inconnue. Mais il est difficile de ne pas se laisser impressionner par lui.
Une tendance morale très accentuée caractérise souvent les romans américains, ceux surtout qui ont des femmes pour auteurs : tels sont ceux de miss Maria SEDGWICK, qui ont eu tant de succès entre 1820 et 1840, et dont le but était de faire l'éducation des femmes américaines ; ou encore ceux de la célèbre mistress Harriett STOWE, née Beecher (appelée com-
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munément Beecher-Stowe), dont la Case de l'oncle Tom, postérieure à 1850, a eu un retentissement universel.
Nathaniel HAWTHORNE (1809-1864) représente le roman transcendantaliste, c'est-à-dire, à proprement parler, philosophique, où l'intrigue et l'action son toujours subordonnées à l'analyse psychologique. Ce genre, dans lequel il débuta en 1837 avec ses Contes dits et redits, ne réussit pas d'abord en Amérique, à cause même de son originalité; mais bientôt le public s'y habitua, l'auteur perfectionna lui-même sa manière, primitivement un peu dure et pénible, et Hawthorne devint en peu de temps un des romanciers les pins populaires de l'Amérique et de l'Angleterre. La Lettre rouge, la Maison aux sept pignons, le Livre des Merveilles, le Fauteuil de grand-papa mirent le sceau à sa gloire. Plusieurs de ces romans ont été traduits en français, mais il faut bien reconnaître que ce genre n'a pas réussi en France autant que de l'autre côté du détroit ou de l'Atlantique1.
Comme peintres de moeurs et romanciers humoristiques, les États-Unis peuvent citer avec orgueil James HALL (né à Philadelphie en 1793), auteur des Lettres de l'Ouest, des Légendes de l'Ouest, des Contes des frontières, ainsi que d'une grande Histoire des Indiens de l'Amérique du Nord; et surtout Thomas-Chandler HALIBURTON (1800-1865), qui fut si longtemps célèbre sons le pseudonyme de Sam Slick, qu'il avait pris pour écrire dans les revues. Il débuta en 1835 par des lettres très piquantes et souvent fort vraies sur les moeurs américaines, qu'il réunit et publia ensuite en un volume sous le titre bizarre de : Le Marchand d'horloges; son héros, Sam Slick, le vrai type du Yankee, valut à ce livre une vogue extraordinaire.
1. Nous ne mentionnerons pas ici le romancier SEALSEIELD,. qui a écrit presqne tous ses romans américains en allemand, et dont il a été parlé dans l'Histoire de la littérature allemande. (Voir notre premier volume, p. 297.)
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Après avoir fait un voyage en Europe et séjourné quelque temps à Londres comme attaché d'ambassade, il publia le résultat de ses observations, en 1844, sous le titre de : Un Attaché, ou Sam-Slick en Angleterre. Ce recueil, aussi piquant et aussi original que le précédent, n'eut pas moins de succès, 1 et Haliburton jouit désormais d'une gloire incontestée dans les deux mondes. Il est à coup sûr un des humoristes les plus remarquables qu'ait produits l'Amérique du Nord.
Tel est, dans son ensemble et avec ses traits les plus saillants, le tableau sommaire de la littérature anglo-américaine, cette branche nouvellement issue du robuste tronc de la littérature anglaise et qui semble devoir produire bientôt, dans le terrain où elle est transplantée, un arbre non moins vigoureux que celui dont elle s'est détachée. Nous avons dû laisser de côté un assez grand nombre de noms qui auraient inutilement surchargé notre esquisse; on les trouvera, pour la plupart, au tableau chronologique, et le lecteur pourra se faire ainsi une idée à peu près exacte du prodigieux mouvement d'idées qui s'est fait en Amérique depuis un siècle.
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QUATRIÊME PARTIE
LITTÉRATURES SLAVES
CHAPITRE UNIQUE.
ES divers peuples d'origine slave qui habitent le nord et l'est de l'Europe n'ont pas de langue ni de littérature uniques : les idiomes varient selon la nationalité ou même selon les divisions politiques ; ils ont pourtant un fond commun, l'élément
l'élément on slave, qui se retrouve dans les langues russe, illyro-serbe, bohème et polonaise. « Leur développement littéraire, dit Eichhoff, est moins avancé sans doute que celui de nos langues d'occident, formées et épurées sur les modèles classiques, mais plus digne cependant qu'on ne le croit généralement d'une estime et d'une attention réfléchies. Les peuples slaves, placés pour la plupart dans des conditions défavorables dès les premiers temps de leur existence nationale, inquiétés à l'ouest par les Allemands, au sud par les Hongrois et les Bulgares, à l'est par les Tartares et les Mongols, et tenus, soit sous une dure dépendance, soit dans une agitation continuelle, n'ont pu vaincre que par un zèle et une persévérance à toute épreuve les
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obstacles qui s'opposaient partout au développement de leur génie 1. »
On divise généralement les langues et les littératures slaves en trois groupes, selon la position géographique et politique des peuples auxquels elles appartiennent :
I° A l'est : le slavon ou esclavon, devenu depuis longtemps la langue liturgique des peuples appartenant à l'Église grecque, le russe, le serbe, l'illyrien, le croate, le carnien ;
2° Au centre: le courlandais, le letton, le lithuanien et, autrefois, le borussien ou vieil idiome prussien ; il est à remarquer que les peuplades qui parlent ces langues se sont généralement converties tard et ralliées au protestantisme;
3° A l'ouest: le polonais, le tchèque ou bohème, le wende ou venède, c'est-à-dire les idiomes des peuples restés pour la plupart fidèles à l'Église catholique romaine et à la liturgie latine.
Les divers idiomes slaves ne présentent pas entre eux des différences considérables : leur caractère commun est la souplesse, une extrême régularité, une harmonie particulière, mais réelle, qui tient au grand nombre de leurs consonnes et à la variété de leiirs inflexions. On ne peut méconnaître la parenté qui existe entre ces idiomes et la langue primitive des Scandinaves, et, par suite, leurs rapports avec le sanscrit et tout le groupe des langues indorpersanes : ces rapports sont surtout sensibles dans le lithuanien, qui, du reste, est le plus voisin des idiomes germaniques. L'introduction du christianisme parmi ces peuplades, au IXe siècle, marque l'origine de toutes ces littératures, dont l'élément populaire et religieux constitue aussi le caractère commun. A côté de cette littérature populaire se développe une littérature savante, appelée aussi ecclésiastique ou cyrillique, qui semble être le fruit d'une transaction
I. Histoire de la langue et de la littérature slaves.
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entre le monde slave nouveau et l'ancien monde grécolatin : cette littérature, dont peu de monuments sont parvenus jusqu'à nous, emploie la langue slavônne où esclavonne, qui est restée la langue liturgique de la Russie et est redevenue à certains égards sa langue littéraire. La poésie populaire, de son côté, se continuera jusqu'à nos jours avec les gouslos ou chants populaires, dont s'iuspireront les meilleurs poètes contemporains.
Dans: le groupe oriental, nous n'aurons que peu de monuments vraiment littéraires à relever pour le slàvon; la littérature russe, relativement moderne, y èsfla plus importante. Le serbe, qui a bien plus d'analogie avec le russe qu'avec le polonais ou le bohème, ne présente, outre ses poésies populaires, presque toutes orales et chantées, que d'anciens textes écrits dans un idiome depuis longtemps réservé à la liturgie. Le groupe illyrien, auquel se rattache le serbe, est riche d'ailleurs en chants nationaux, récemment étudiés et popularisés parmi nous 1.
Le groupe central est peu connu encore, et, sauf ses chants populaires, ne présente qu'un médiocre intérêt au point de vue de l'histoire littéraire. Les recueils de chants nationaux de ces deux groupes, connus sous le nom de gouslos, nous ont été transmis par la succession, ininterrompue jusqu'à nos jours, des gouslars ou chanteurs populaires, qui s'accompagnent sur une sorte de violon primitif appelé guzla ou gousla. Beaucoup de ces anciens chants sont perdus, pour avoir été proscrits par l'Église romaine;
1. Le wende ou slovène, parlé dans la Styrie, la Carniole et la Carinthie (appelé aussi, par suite, carnien), se rattache au slavon liturgique, auquel il a mêlé peu à peu un certain nombre de locutions allemandes. Aussi quelques linguistes le classent-ils dans'le groupe germano-slave, tandis que d'autres, distinguant le wende du carnien, comptent celui-ci parmi les idiomes de l'ouest. On voit que sa place n'est pas encore bien arrêtée,
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aussi n'est-il pas étonnant qu'ils se soient mieux conservés dans le groupe oriental, chez les peuples qui se sont séparés de Rome.
C'est le troisième groupe qui offre les littératures les plus riches, sinon les plus intéressantes : deux d'entre elles mériteraient une histoire plus détaillée : la littérature de la Pologne et'celle de la Bohème. La première seule nous arrêtera, et nous nous bornerons à donner ici quelques indications sommaires sur la littérature bohème.
La langue bohème ou tchèque, tombée en désuétude dès le XIVe siècle, fut persécutée par l'Autriche au XVIIe ; elle a donc eu ses éclipses, pendant près de trois siècles en tout, et néanmoins elle a pu produire des oeuvres remarquables, trop négligées jusqu'à nos jours. Parmi les anciens poèmes, fort nombreux et souvent intéressants, du Xe au XIVe siècle, nous citerons, outre les chants nationaux et populaires, la chronique en vers de DALIMIL OU DALEMILLE (vers 1314). Plus tard, lors du mouvement en faveur de la langue tchèque provoqué par la Réforme, au XVIe siècle, on trouve des hymnes d'église, une traduction de la Bible par Jean Huss, etc. Le XVIIe siècle, malgré la proscription de la langue, vit surgir un assez bon nombre d'écrivains nationaux. Le XVIIIe ramena l'attention et l'intérêt sur les vieux monuments littéraires, grâce aux travaux de philologues tels que DOBROWSKI et SCHAFARIK; il eut aussi ses poètes avec Jean KOLLAR et CELAKOWSKI, et son historien avec PALACKI. Le XIXe siècle, enfin, comme partout ailleurs, s'applique à ressusciter les vieilles traditions et la langue primitive de la Bohème : de nombreuses et ardentes sociétés littéraires ou philologiques se sont formées, dans ce but, à Prague et ailleurs, et leurs efforts ont réussi à faire connaître la vieille littérature tchèque même hors des limites de leur patrie.
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§ Ier. — Littérature polonaise.
La langue polonaise a été dès l'abord, et pendant longtemps, supérieure aux autres langues slaves, à cause de sa culture littéraire plus ancienne, de la civilisation relativement avancée de la Pologne, et des fréquents débats parlementaires dont la constitution politique de ce pays le rendait le théâtre. Sa littérature est aussi la plus riche et la plus importante par sa .durée, bien qu'elle soit peut-être la moins o'riginale à cause de ses affinités avec les littératures classiques anciennes et celles des peuples d'origine latine.
Un des historiens modernes et les plus autorisés de cette littérature, M. Christian Ostrowsti, lui applique une division sommaire, fort ingénieuse, que nous n'adoptons point, parce que nous la trouvons trop exclusive. Il y aurait, selon lui, trois âges dans la littérature polonaise : I° celui des moines, depuis le premier chroniqueur latin, Martin GALLUS (vers IIoo), jusqu'à l'historien Stanislas ORZECHOWSKI (1543); 20 celui des chevaliers, de Jean KOCHANOWSKI (vers 1550) à Julien NIEMCEWICZ (1800) ; 30 celui du peuple, avec WORONIZ et BRODZINSKÏ (1800-1820), puis Adfim MICKIEWICZ et Bogdan ZALESKI (1824-1830).
Nous aimons mieux suivre un ordre plus réellement historique, en admettant cinq périodes distinctes : la première, du xe siècle à 1364; la deuxième, de 1364 à 1521; la troisième, de 1521 à 1622; la quatrième, de 1622 à 1750; la cinquième, de 1750 à 1822; la sixième, de 1822 à 1850.
La première période ne nous offre pour ainsi dire pas de monuments littéraires : elle s'étend depuis l'origine de la monarchie polonaise et l'introduction du christianisme dans cette contrée, vers le milieu du xe siècle, jusqu'à la fondation de l'université de Cracovie par Casimir le Grand, en 1364. L'élément latin d'abord, puis germanique, prédomine dans l'éducation comme dans les documents officiels ou privés; la langue
II. .
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polonaise, encore informe et grossière, ne sert qu'aux usages de la vie domestique. Quelques rares morceaux de poésie sacrée, quelques chants nationaux, conservés dans les chroniques ultérieures, tels sont les seuls monuments, peu littéraires d'ailleurs, que l'on peut rapporter ter à cette première enfance de la langue vulgaire. La prose n'existe pas : l'histoire et l'éloquence emploient le latin1. La deuxième période, celle des Jagelloris, va de 1364. à 1521 , année où fut imprimé le premier livre en langue polonaise 2. La littérature, comme le pays, subit l'influence des nations étrangères, de l'Italie surtout. Le latin est toujours prédominant; la langue polonaise commence pourtant à se développer. A côté d'un nombre considérable de poètes latins plus du moins illustres, quelques auteurs, dont les noms sont restés inconnus, s'essayent dans l'idiome vulgaire : on a pu recueillir ainsi, pour cette période, des psaumes, des cantiques et d'autres fragments de poésie sacrée. C'est encore la religion qui fait les frais des premiers essais en prose : prières, traductions de parties de la Bible, etc. 3 II est juste de signaler la bienfaisante
1. Bien que nous laissions de côté les écrivains en langue latine, il faut pourtant citer ici les deux plus anciens et les plus célèbres d'entre eux, le moine Martin GALLUS, qui, vers 1100, rédigea des Annales polonaises, plusieurs, fois continuées dans la suite, et Vincent KADLUBËK, évêque de Cracovie en 1208 (mort en 1223), dont le nom s'écrit aussi Kodlabko, et dont l'Histoire de Pologne s'arrête en 1202. Sa vie a été écrite en 1819 par Ossolinski.
2. L'imprimerie paraît avoir été introduite en Pologne des 1465 ; mais on n'a aucun livre imprimé dans l'idiome national avant 1521.
3. Parmi les meilleurs auteurs latins de cette période se trouvent DLUGOSS (surnommé Longimis), chanoine, puisafcuevêque, qui vécut de 1415 à 1480, propagea l'étude du grec et du latin, et laissa une Histoire de Pologne et des biographies; et l'Italien BUONACCORSI, appelé aussi, à Rome, de son surnom académique3 CALLIMAQUE (1425-1496), et-qui, exilé en Pologne,
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action de CASIMIR III, le Grand, surnommé aussi le roi des paysans, qui a bien mérité de la Pologne comme législateur et comme protecteur des lettres autant que de l'agriculture. L'université de Cracovie, dont il avait jeté les fondements en 1347 et qu'il établit régulièrement en 1364, ne reçut d'ailleurs son organisation complète que vers 1400, sous Ladislas Jagellon.
La troisième période, qui est l'âge d'or de la littérature polonaise, comprend un siècle, de 1521 à 1622, date de l'ouverture, à Cracovie, de la première école fondée par les jésuites. La langue polonaise se dégage de la servitude où la tenait le latin, et dont elle a pu profiter, dans les derniers temps, pour hâter sa formation. Les novateurs en matière de religion l'assouplissent et la vulgarisent en l'employant pour leurs controverses et en répandant partout leurs traductions des livres saints. Cette époque est en même temps celle de la grandeur politique de la Pologne : on y voit surgir des hommes éminents en tout genre, pendant que sa puissance militaire fait l'admiration de l'Europe, qu'elle protège contre les Turcs. Les querelles religieuses suscitées par la Réforme n'ont d'autre effet que de provoquer la fondation de nombreuses écoles rivales par les protestants et les catholiques. Deux nouvelles universités sont créées vers la fin du XVIe siècle (l'une par Jean Zamoïslri); mais celle de Cracovie voit déjà commencer sa décadence, et la plupart des jeunes Polonais de bonne famille vont compléter leur éducation à l'étranger. Grâce à l'empressement que tout le peuple met à s'instruire, la langue se développe; l'orthographe et la grammaire se fixent pour longtemps.
Il y a encore des poètes latins durant cette troisième période; quelques-uns, comme Szymonowicz, écrivent dans les deux langues, mais la plupart et les plus brillants emploient l'idiome national. Leur patriarche, Nicolas REJ (1505-1569), est correct, mais encore rude,
écrivit, sous ce nom d'emprunt, des relations de yoyages, une Histoire et divers poèmes.
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dans sa traduction rythmée des Psaumes de David 1, dans son drame de la Vie de Joseph, fis de Jacob, et même dans ses poèmes moraux du Miroir et de l'Image de la vie d'un honnête homme, qui passent pour ses chefs-d'oeuvre. Ses idées se rapprochent beaucoup de celles des réformateurs luthériens.
Bien au-dessus de lui se trouvent: Szymonowicz, Koclianowski et quelques autres. Simon SZVMONOWICZ ou Simonides (1558-1629) a été surnommé le Théocrite polonais. Ce plébéien, qui devint secrétaire de Jean Zamoïski et fut anobli pour ses poésies sous le nom de Bendonski, avait commencé par imiter trop servilement les anciens; il avait même écrit en latin; il finit par composer en polonais des églogues ou pastorales remarquables, vraiment nationales, dont la forme est aussi naïve que dramatique. On a aussi de lui des rondeaux, réputés excellents, et diverses autres pièces légères.
Jean KOCHAKOWSKI (1530-1584) se distingue autant par la profondeur de son sentiment poétique que par la grâce de sa diction, l'art de sa composition et l'harmonie de ses vers. Ses voyages, le mirent en relation avec les poètes italiens et français, notamment avec Ronsard, qu'il fréquenta quelque temps à Paris, et qui exerça une heureuse influence sur lui. C'est de Paris qu'il envoya en Pologne une de ses meilleures chansons, dont la lecture excita un enthousiasme général, et le fit proclamer, par Rej lui-même, le prince des poètes polonais. Revenu dans son pays, il évita les honneurs, refusa les dignités qui lui étaient offertes; et vécut dans une retraite champêtre au milieu de sa famille et de ses' amis. Ce bonheur fut troublé, dans ses dernières années, par la mort de sa fille, événement qui lui inspira ses plus touchantes élégies. On a de lui, outre ses divers recueils de poésies lyriques, une excellente
r. Les Psaumes avaient déjà été traduits en vers polonais, au commencement du siècle, par le dominicain POZNANCZYK, dont la date est incertaine.
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traduction des Psaumes de David, des Satires, des Epîtres et surtout des élégies ou Thrènes qui n'ont été surpassées dans aucune langue, et qui, plus encore que ses odes, justifient le surnom qui lui fut donné de Pindare polonais. Bien qu'il eût étudié avec soin et qu'il imitât à l'occasion les modèles anciens ou étrangers (surtout Virgile et Ovide), il est presque toujours original, et sait, mieux que tous ses émules, s'inspirer des sentiments et des moeurs de son pays. Il s'essaya aussi dans le drame classique; mais il réussit peu dans cette tentative. On a, enfin, de lui quelques poésies latines fort estimables.
Kochanowski avait deux frères et un neveu, poètes comme lui, mais qui ne sont connus aujourd'hui que par leurs traductions en vers de l'Enéide, de la Jérusalem délivrée et du Roland furieux. Le Ruthénois Nicolas SARZINSKI (mort jeune en 1581) se distingua par le patriotisme de ses chants nationaux et par l'élégance de ses sonnets, genre qu'il fut le premier à cultiver eu Pologne: Sébastien KLONOWISZ (1551-1608) est surtout un poète satirique dans sa Victoire des Dieux (Victoria Deorum), qu'il écrivit, en latin, contre le clergé catholique, sous le pseudonyme d'Acerntcs, et dans sa Bourse de Judas, eu langue polonaise, cette fois. Outre ses satires et d'autres poésies écrites dans les deux langues, il laissa, des essais épiques imités de Virgile et qui. font de lui un remarquable humaniste. Gaspard MIASROWSKI (I549-1622) est de beaucoup inférieur aux précédents, malgré la beauté de quelques-uns de ses Rythmes (ou poésies lyriques).
Citons enfin, parmi les monuments poétiques de cet âge d'or, les nombreuses pièces lyriques de Stanislas GROCHOWSKI (mort en 1616), les hymnes sacrés du pasteur GEMBICIUS (1569-1633) et diverses traductions de poèmes étrangers, surtout allemands, comme un Dialogue de Salomon, publié par Jean de KosZICZKI, et qui fut le premier livre polonais imprimé en Pologne (Cracovie, 1521).
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La vraie prose polonaise débute, ainsi que la poésie, par des ouvrages religieux, comme la Vie de JésusChrist (1522), des traductions ou commentaires de la Bible, notamment celle de WIEKI ou Wujek, à la fin du siècle, qui est la plus populaire. Le latin cependant soutient la concurrence et semble même gagner du terrain, dans le domaine de l'histoire, avec Stanislas ORZECHOWSKI (mort en 1570), dont onadmira longtemps les Annales de Pologne, les Lettres familières et l'Oraison funèbre de Sigismond; et même avec Martin BIELSKI (1495-1575), dont la Chronique du monde (jusqu'en l'année 1564) est écrite dans la langue de Tite-Live, tandis que sa Chronique de Pologne (continuée par son fils Joachim jusque vers la fin de son siècle) est rédigée en polonais. (Les poèmes satiriques de Bielski sont aussi écrits en latin.) Lucas GORNICKI (1530-1591), qui passe pour le plus grand orateur de son temps et sert encore de modèle aujourd'hui pour sa prose correcte et élégante, a écrit, sans l'achever, une Histoire de la couronne de Pologne, et s'est fait un nom bien plus célèbre par son imitation presque originale du Courtisan de l'Italien Castiglione, intitulée le Courtisan polonais, où il dépeint, en style excellent, la vie des grands seigneurs polonais au XVIe siècle. Une autre chronique, oeuvre bizarre, moitié en prose, moitié en vers, fut publiée en 1582 par Mathias STRYJKOWSKI, sur l'histoire et les antiquités de la Lithuanie.
L'éloquence prit, à cette époque, un développement extraordinaire, grâce à l'importance des assemblées délibérantes et surtout aux luttes religieuses de la fin du siècle. Mais, en dehors des hommes politiques, comme le roi Etienne BATHORY, qui, de 1575 à 1586, protégea les lettres, les sciences et les arts, favorisa l'établissement des jésuites et se distingua dans plus d'une occasion par son éloquence, ou comme Jean ZAMOÏSKI, surnommé le Grand (1541-1605), dont les discours ne nous sont parvenus que sous une forme très imparfaite, et qui, d'ailleurs, s'est principalement
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servi du latin, on ne peut guère citer, parmi les littérateurs de profession, que des orateurs ecclésiastiques, dont le plus connu est Pierre SKARGA, surnommé PAWESKI, jésuite patriote (1536-1612), dont les sermons, les discours, les Vies des Saints et d'autres Duvrages religieux sont des chefs-d'oeuvre de bonne prose.
Nous ne ferons que mentionner, en terminant, illustre Nicolas COPERNIC OU KOFERNIK (1473-1543), dont le livre sur les Mouvements des corps célestes, écrit en latin et dédié au pape Paul V, parut l'année même de sa mort.
La quatrième période, de 1622 à 1750 (c'est-à-dire usqu'au moment où Konarslii commence à relever les lettres polonaises), est une époque de décadence politique et littéraire. Celle-ci est due surtout au nouveau système d'éducation scolastique et purement latine, qui fut répandu partout, au XVIIe siècle, par les nompreux collèges de jésuites. Sauf de rares exceptions, on ne trouve plus nulle part, dans la littérature de ce temps, l'indépendance de la pensée ni celle de la angue, étouffées au berceau par les nouveaux maîtres de la jeunesse.
Un poète remarquable se rencontre pourtant dans ce milieu d'où la poésie semble exilée : c'est Vespasien KOCHOWSKI (1633-1699), qui ne manque pas d'inspiation dans quelques-unes de ses pièces lyriques. Il ecrivit aussi une remarquable histoire de son temps, nais en latin, sous le titre de Climatêriques. Parmi eux de ses contemporains dont les noms sont passés la postérité, nous citerons seulement : Hiéronyme MORSZTTN, traducteur du Cid, dont les Contes en vers et les autres productions se ressentent trop de l'imitaion française ;—les deux frères Simon et Barthélémy ZIMOROWICZ, auteurs de quelques bonnes idylles l'aîné, qui vécut de 1605 à 1630 seulement, disciple le Szymonowicz, admiré pour la douceur, de l'expres1.
l'expres1. frère, Stanislas, traduisit l'Andromaque de Racine,
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sion et sa gaieté originale; le second, vanté de son vivant pour son poème héroïque sur la Guerre des Turcs, en 1621); — Samuel TWARDOWSKI, appelé aussi GWARDOWSKI (1600-1660), remarquable surtout par sa fécondité, et dont les odes, les poèmes héroïques, descriptifs et narratifs eurent une grande vogue au milieu du XVIIe siècle; — l'évêque GR0CHIWSKI, don1 le poème sur Rome moderne parut en 1610, et qui donna en outre, jusqu'à sa mort (en .1644), un certair nombre de poésies lyriques, hymnes, etc.; — le princf Stanislas-Héraclius LUBOMIRSKI ( 1640-1702), qui non content de protéger les gens de lettres, voulut se distinguer aussi comme poète, et donna un poème religieux fort bizarre, le Théomusa, traduction partielli de la Bible en vers presque macaroniqués, moitie latins, moitié polonais (il a laissé en outre des ou vrages politiques et philosophiques en latin); — li traducteur d'Ovide et de Lucain, CHROSCINSKI (mor en 1700), secrétaire de Jacques Sobieski, et dont OI vanta longtemps les poésies, bibliques, ainsi que le poèmes sur les victoires remportées contre les Turcs — le jésuite Casimir SARBIEWSKI (1595-1640), poèt latin avant tout, que ses odes firent surnomme l'Horace polonais, auteur d'un poème héroïque de 1 Lèchiade, d'épigrammes, de poésies diverses, et, e: prose, de quelques bons ouvrages didactiques sur 1 littérature; — OTFINOLVSKI (mort en 1650), qui tra duisit en vers les Géôrgiques de Virgile et les Meta morphoses d'Ovide ; — enfin, le comte JABLONOWSKI aïeul du roi Stanislas, qui, vers la fin du XVIIe siècle traduisit en vers Esope, le Tèlèmaque et quelque fables de La Fontaine.
Le théâtre était encore à naître : ce n'est point dt rant cette période qu'il mérite d'attirer notre attention les auteurs dramatiques se contentaient d'imiter o même de traduire les pièces françaises et italiennes:
1. A partir de 1661, on s'était même habitué à voir joui des pièces françaises, en français, sur la scène de, Varsovie.
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Seul, Pierre BARYKA écrivit quelques comédies où il reproduisait assez fidèlement les moeurs et les physionomies, de son temps et de son pays.
La prose de cette époque n'a produit que bien peu d'oeuvres dignes de passer à la postérité : de ce nombre sont les Mémorables, récemment découverts, de JeanChrysostomé PASEK, qui vivait à la cour de Jean Casimir ; quelques-uns des livres d'histoire et de morale du prêtre Simon STAROWOLSKI (mort en 1656), qui a, du reste, écrit plus souvent en latin qu'en polonais ; et les Biographies, ainsi que la Description de la Russie, de Paul POTOCKI, dont la famille illustrera la période suivante.
La cinquième époque, qui embrasse la seconde moitié du XVIIIe siècle et les premières années du nôtre, a pour caractère général l'imitation de la littérature française, que Konarski recommanda en opposition à la culture latine donnée par les jésuites, et que ses contemporains et lui travaillèrent de tout leur pouvoir à développer en fondant de nouvelles écoles; Les rois eux-mêmes semblèrent vouloir se mettre à la tête de ce mouvement : Stanislas LESCZINSKI (1677-1766), protecteur des lettres, traduisit, il est vrai, la Bible en Vers polonais, mais ses ouvrages principaux (publiés après sa mort sous le titre d'OEuvres du philosophe bienfaisant) sont toujours écrits en français. Stanislas PONIATOWSKI (1754-1832), littérateur lui-même, ne fut pas le moins empressé parmi ceux qui encouragèrent cette révolution, que les relations des nobles et de la cour avec la France aidèrent puissamment, du reste. Mais personne ne s'employa autant à cette tâche que Stanislas KONARSKI (1700-1775), le secrétaire et l'ami du roi Lesczinski, auteur de poésies médiocres et de nombreux ouvrages de critique littéraire et de pédagogie, dont le principal mérite est d'avoir travaillé à éclairer ses compatriotes en fondant ou faisant fonder partout des écoles.
Parmi les poètes de cette période, il y en a qui se ressentent encore de l'influence de l'époque précé-
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dente : tel est, par exemple, Wenceslas POTOCKI (mort en 1793), qui traduisit, puis imita en vers l'Argénis de Barclay, et chanta ensuite, dans un poème héroïque intitulé la Guerre de Choczim, la victoire de Sigismond sur les Turcs : ce poème n'a été publié que de nos jours. On a aussi de Potocki un recueil de Jovialités ou pièces, légères.
Les poètes les plus connus qui appartiennent franchement à la nouvelle école sont, parmi les lyriques: Stanislas TREMEECKI (1722-1812), qui fut élevé à la cour de Louis XV, vécut ensuite à celle de StanislasAuguste, et s'appliqua surtout à faire passer dans la langue polonaise l'élégance et la correction des modèles français; ses odes, ses épîtres, ses fables, ses traductions ont toutes ce cachet de perfection de la forme; mais on ne trouve chez lui ni inspiration ni sentiment national, sauf peut-être dans son Elégie sur l'expulsion des jésuites (1772); — François KNIAZNIN (1750-1807), le protégé des Czartoriski, poète fécond et gracieux, dont les pièces sont presque toutes de circonstance (odes, poésies érotiques, fables, contes, idylles, etc.); il écrivit aussi des poèmes descriptifs, des Thrènes d'Orphée, deux opéras, et traduisit Homère. A la suite des malheurs de sa patrie et de chagrins d'amour, il vécut pendant quelques années, jusqu'à sa mort, dans un état de maladie et de faiblesse d'esprit des plus affligeants; — François KARPINSKI (17411825), poète populaire, qui ne réussit pas auprès des grands, et qui, après s'être tenu longtemps en dehors de la politique, finit par accepter le joug de la Russie ; ses chansons, ses idylles et ses élégies, tirées exclusivement de la vie même du peuple polonais, respirent un sentiment religieux et profond, qui explique leur succès auprès de la foule : c'est donc un poète en quelque sorte slave, malgré les traces d'imitation française qu'on retrouve chez lui comme chez la plupart de ses contemporains ; — François DMOCHOWSKI (1762-1808), auteur d'une traduction d'Homère et de Virgile, imitateur de Milton et de Boileau ; —
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Jean-Paul WORONICZ (1757-1829), qui fut, à la fin de sa carrière, évêque de Varsovie, et dont les poésies sont nationales comme celles de Karpinski ; ses Sermons sont aussi estimés que ceux de Skarga. La poésie épique, durant cette époque , jette le plus vif éclat avec Ignace KHASICKI (1734-1801). Cet homme extraordinaire, qui mournt avec la dignité d'archevêque de Gnesen, et que l'on a pu appeler le Voltaire de la Pologne, représente mieux que tout autre l'influence françaiseau XVIIIe siècle. Il avait connu Voltaire à Potsdam, où il hérita de sa faveur auprès de Frédéric II, et même de son appartement; il ne cessa, dans ses écrits, de se conformer aux idées et au goût du philosophisme français, dont il s'inspire surtout dans ses contes, dans ses poèmes comiques, tels que la Monomachie ou guerre des moines, écrite à la demande de Frédéric II, ou la Mysséide (guerre des souris et des chats), et dans ses nouvelles et romans en prose, qui sont des chefsd'oeuvre du genre. Ce poète frivole et sceptique, qui savait si bien peindre les ridicules de ses contemporains, s'essaya avec non moins de succès dans la poésie héroïque, et reprit le sujet de la Guerre de Choczim, qui avait déjà été traité par Potocki 1; mais son épopée, toujours froide et correcte, est loin de valoir ses poèmes comiques. On a aussi de Krasicki des comédies et une imitation des Biographies de Plutarque. On peut citer à côté de lui NIEMCEVICZ (1757-1810), auteur de mordantes satires, de fables, de drames patriotiques, et d'une Histoire de Sigismond III; — Thomas WEGIERSKI (1755-1787), qui écrivit quelques poèmes narratifs et comiques, entre autres celui des Orgues, imité du Lutrin, des poésies érotiques, remarquables par la beauté du style, et traduisit les Lettres persanes; — une femme poète, Elisabeth COWALSKA, auteur des Saisons; — Joseph SzvMANCWSXI (mort en 1801), qui traduisit divers
1. Il faut ajouter que le poème de Potocki, comme on l'a vu plus haut, n'a été publié que longtemps après.
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poèmes français et imita le Temple de Gnide; etc.
Ce fut seulement sous Stanislas Poniatowski, en 1765, que le premier théâtre permanent fut établi à Varsovie, et que quelques poètes de talent s'efforcèrent de créer le drame polonais : parmi les plus connus figurent deux personnages éminents, Rzewuski et Czartoriski. Le général Wenceslas RZEWUSKI (1705-1779), persécuté par la Russie, comme patriote, devint poète surtout après ses malheurs, dans les loisirs forcés de l'exil. On avait cependant applaudi auparavant quelquesunes de ses comédies et de ses tragédies : celles-ci avaient le mérite d'être tirées de l'histoire nationale. Plus tard, Rzewuski traduisit les Psaumes, les Odes d'Horace, écrivit divers poèmes, des ouvrages historiques, un Discours sur la religion, un Cours de rhétorique, etc. Le prince Adam-Casimir CZARTORISKI (1734-1823), quoique plus connu comme moraliste et homme d'État (Lettres, 1782), et comme protecteur des écrivains, mérite cependant une place honorable parmi les poètes dramatiques; il fut un des premiers qui écrivirent des drames vraiment nationaux.
Au-dessous d'eux, on peut citer encore un directeur du théâtre de Varsovie, Adalbert BOGUSLAWSKI (17601829), qui a traduit des pièces étrangères, donné quelques comédies originales et laissé une intéressante Histoire du théâtre polonais; — puis des auteurs de troisième ordre, comme Louis KROPINSKI (mort en 1824), qui, après avoir longtemps imité le théâtre français, sembla vouloir se rattacher à l'école nouvelle dans son roman d'Adolphe et Julie (1824); Aloïs FELINSKI (1771-1820) et WEZYK (1786-1862). Ce dernier, on le voit, appartient presque à notre époque actuelle, mais la plupart de ses drames furent joués avant 1822. Ces trois auteurs sont, du reste, bien inférieurs aux poètes dramatiques des autres pays de l'Europe, et le succès de leurs tragédies montre combien la Pologne était encore en retard de ce côté.
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Les prosateurs sont en aussi grand nombre et souvent aussi brillants que les poètes. L'éloquence de la chaire et l'éloquence politique ne nous offrent pas de monuments dignes de ce nom, à moins de regarder comme tels les nombreux discours prononcés dans les assemblées ou diètes constitutionnelles, et qui, malgré la vigueur et la beauté de certains passages, ne présentent pas les qualités de style qui pourraient en faire des oeuvres littéraires. L'histoire a été cultivée, en revanche , par un grand nombre d'écrivains, dont quelques-uns méritent une mention particulière, comme le prince JABLONOWSKI -(1712-1777), poète médiocre, mais protecteur éclairé des lettres et historien de mérite, qui écrivit les Vies des douze grands généraux de la couronne de Pologne et fonda, à Leipzig, la Société Jablonovienne, spécialement vouée à l'étude des questions historiques. On trouve un zèle tout aussi louable chez Adam NARUSCEWICZ (1733-1796), auteur d'une Histoire de la nation polonaise qui s'arrête en 1386 et n'a pas encore été surpassée pour l'élégance et l'exactitude, la pureté du style et la force des pensées. Evêque de Luck et favori du roi Stanislas Poniatowski, Naruscewicz avait à sa disposition tous les documents précieux, ainsi que les loisirs d'une existence calme et aisée; il avait préludé à son grand travail par une excellente traduction de Tacite et par une Histoire de la Crimée. Ses contemporains l'admiraient aussi comme poète; mais ses odes, ses fables, ses églogues, ses tragédies, comme sa traduction d'Anacréon et d'Horace, sauf quelques passages gracieux ou touchants, sont en général loin de valoir sa prose : il y est souvent faible et négligé, sans originalité comme sans inspiration. Puis viennent Jean ALBERTRANDI (1731-1808), qui s'occupa spécialement des antiquités romaines et polonaises ; — Hugo KOLLANTAÏ (1750-1812), un des rédacteurs de la constitution polonaise de 1794, qui, outre ses Lettres d'un anonyme (1789) et ses autres écrits politiques, fort nombreux, écrivit une Histoire de la civilisation polonaise
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sous Auguste III; — le biographe KRAJEWSKI, etc. 1 En prenant congé des écrivains de cette période, il n'est que juste de nommer les divers membres de la famille POTOCKI, une des plus anciennes de Pologne, que nous n'avons pas voulu séparer, et qui, du reste, se sont presque tous illustrés dans le même genre littéraire. L'un, Ignace POTOCKI (1750-1810), un des plus brillants orateurs de la fameuse Diète de 1788, fut déporté pour son courage patriotique, après s'être spécialement occupé de l'instruction publique de son malheureux pays ; un autre, Stanislas-Kotska POTOCKI (1757-1821), orateur distingué aussi, se fit surtout un nom par un Traité sur le style et par un roman satirique; le troisième, enfin, Jean POTOCKI (1759-1815), écrivit des relations de voyages, un Essai sur l'histoire universelle, etc. Au moment où la Pologne était démembrée (1772, 1793 et 1795), les derniers rejetons de sa vieille aristocratie semblaient vouloir la relever par le prestige des lettres.
La sixième et dernière période (de 1822 à 1850) comprend la naissance et la première évolution d'une école littéraire nouvelle, analogue à celles qui ont été appelées romantiques dans les autres pays. Son instigateur et son chef le plus illustre a été Adam MICKIEWICZ (1798-1855), le poète le plus populaire de la Pologne, dont il a chanté les traditions et les légendes dans ses Romances et Ballades (1822), ses Sonnets, son Poème des Aïeux, son Livre des Pèlerins, etc. Sa vie fut des plus accidentées : persécuté dans sa jeunesse pour l'ardeur de son patriotisme et déporté en Russie pour avoir appartenu à la confrérie des Philarètes, il fit, dans la suite, de nombreux voyages, se lia avec des hommes éminents de tous les pays, comme Goethe, Montalembert, Lamennais, et finit par se fixer à Paris, où il fut nommé d'abord professeur .
1. Vous omettons à dessein l'écrivain protestant FRIESE (1717-1795), dont l'Histoire ecclésiastique du royaume de Pologne est rédigée en allemand.
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au Collège de France, puis bibliothécaire de l'Arsenal. La première partie de sa carrière fut la plus féconde en productions poétiques, en oeuvres brillantes et vraiment riches d'imagination. Ses dernières années, vouées au mysticisme et à des travaux d'érudition, ne furent guère signalées que par la publication du Cours de littérature slave qu'il avait professé au Collège de France, de 1840 à 1843.
« En présence des services rendus à la nation polonaise par les nombreux écrits de Mickiewicz, disait Kristien Ostrowski au lendemain de sa mort, toutes les imperfections de détail doivent s'effacer et s'éteindre dans une acclamation de deuil et de respect. Mickiewicz vivra dans nos souvenirs aussi longtemps que notre langue vivra, parlée par un peuple de vingt millions... Malgré la proscription dont ses oeuvres étaient frappées dans tout l'empire russe, entraînant avec elle l'exil et la confiscation des biens, Nicolas Ier les découvrit un jour dans la chambre même de son héritier présomptif, le czar actuellement régnant, Des proscrits russes, à Paris, nous ont récité de mémoire des poèmes entiers de Mickiewicz. Quant aux Polonais, ils les savent par coeur d'un bout à l'autre; dès le vivant du poète, ils sont passés à l'état de légende et de tradition populaire; les mères polonaises les apprennent à leurs enfants avec la prière et l'histoire de leur pays 1. "
Une place presque aussi importante doit être assignée, dans l'histoire de la littérature polonaise du XIXe siècle, à Casimir BRODZINSKI (1791-1835), qui fut, avec Mickiewicz, l'un des principaux chefs de l'école romantique. Outre ses poésies lyriques, où il peint avec une parfaite vérité la vie du paysan polonais, il a laissé des traductions du Livre de Job, de Werther, un choix de Chants populaires serbes et bohèmes et divers ouvrages de critique. (Brod1.
(Brod1. choisies de Kristien Ostrowski (Paris, Lemerre, 1875).
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zinski avait été professeur à l'université, de Varsovie.) A côté d'eux prennent place leurs émules ou leurs imitateurs, dont quelques-uns ont contribué presque autant qu'eux à développer la Vie intellectuelle et poétique de la Pologne moderne; entre autres : Séverin GOSZCZINSKI (né en 1803), auteur d'une traduction d'Ossian et de plusieurs épopées patriotiques ; — Sigismond KRASINSKI (1812-1859), auteur d'un drame lyrique en prose, la Comédie non divine, du drame chrétien d'Irydion, de Psaumes et d'autres poésies lyriques, ainsi que d'un roman célèbre, Agay-Han ;
— Bogdan ZALESKI (né en 1802), dont les Odes et les Chansons se distinguent par la richesse du style et l'harmonie du rythme, et qui a écrit aussi un poème lyrique sur la mission des peuples slaves ; — Jules SLOVACKI (I 809-1849), qui vécut principalement à Paris, comme la plupart des poètes de son temps, et qui s'attira la haine de Mickiewicz après avoir été lié d'amitié avec lui : on admire surtout ses poèmes épiques et lyriques, et ses drames, dont les plus renommés sont Marie Stuart (1832) et Mazeppa (1840).
Parmi les poètes moins brillants, mais qui ont joui cependant d'une certaine réputation au commencement de ce siècle, nous devons nommer : le 'patriotique et vaillant officier GODEBSKI (1765-1809), qui mourut au champ d'honneur après avoir enflammé le courage des siens par ses odes guerrières, auteur de contes, de nouvelles historiques (comme le Grenadier philosophe) et de diverses traductions de poètes russes et français ;
— Thadée MATUSZEWICZ (mort en. 1817), homme d'État, orateur et poète, qui donna une traduction remarquable et presque originale de l'Imagination, de Delille;— enfin, plus près de nous, julien KORSAK (né en 1807), auteur d'odes et d'épîtres où il imitait les Anglais, d'un poème inachevé sur l'Amour de la patrie, de divers poèmes comiques ou héroï-comiques, tels que la Bibéide ; — Alexandre OSTROWSKI, poète dramatique de talent (né en 1809), et dont les oeuvres
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n'appartiennent guère qu'à la période tout à fait contemporaine 1,
Le roman, comme dans les autres litteratures de l'Europe, domine tous les autres genres, sinon par la valeur, du moins par le nombre des productions. L'auteur qui a jeté le plus d'éclat sur ces fictions est KRASZEWSKI, dont les oeuvres forment environ deux cents volumes, sur lesquels un quart renferme des poésies, des drames, des relations de voyages, et tous les autres consistent en romans, généralement empruntés à l'histoire et à la vie des Polonais. Sa fécondité l'a fait surnommer l'Alexandre Dumas de la Pologne.
On peut citer encore, à côté de lui, la princesse MOSTOWSKA (morte en 1815), dont les romans étaient fort estimés au commencement de ce siècle ; — la princesse CZARTORISKA (1743-1835), auteur de Malvina, l'un des meilleurs romans polonais à cette date (1816) ; — Félix BERNATOWICZ (1785-1836), dont on lit encore les Voeux déraisonnables et le roman historique de Poiata; —Joseph KORZENIOWSKI (né en 1800), qui a écrit, outre ses romans presque toujours nationaux, quelques bonnes comédies, des drames et des tragédies; — enfin Henri RZEWUSKI, dont les romans historiques ont obtenu tant.de succès entre 1840 et 18502.
L'historien national par excellence, celui qui, durant cette période, peut être mis sur le même rang que les meilleurs écrivains allemands ou anglais dans ce genre, c'est Joachim LELEWEL (1786-1861), dont l'His1.
l'His1. retrouverons plus loin un autre Ostrowski, jurisconsulte polonais, et, dans le § II, un auteur russe de ce nom. Il y a enfin M. Kristien Ostrowski, dont les ouvrages sont écrits dans le plus pur français, et que nous n'avons pu, pour cette raison, faire rentrer dans ce précis.
2. Nous omettons à dessein Edmond CHOJECKI, dont les ouvrages (surtout les romans politiques), signés Charles-Edmond et écrits en français, ont paru vers et après 1856.
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toire de Pologne (1829), oeuvre populaire et patriotique, contribua puissamment à préparer la révolution polonaise de 1830. Ses remarquables travaux sur l'histoire de la Pologne et des pays voisins remplissent une vingtaine de volumes, tous également frappés au coin de la science la plus sérieuse comme de la plus noble indépendance et de la plus généreuse grandeur de caractère. On ne peut nommer que bien au-dessous de lui André MORACZEWSKI (1802-1855) et quelques autres, qui ont consacré, comme Lelewel, de nombreux ouvrages à l'histoire et aux antiquités de la Pologne : tels sont, par exemple, Félix BENTKOWSKI (1781-1852), plus connu pour son Histoire de la littérature polonaise que pour son Introduction à l'Histoire générale et ses autres ouvrages analogues ; — MOSTOWSKI ( 176(5-1832), courageux patriote, qui a rendu un service signalé à l'histoire littéraire de son pays en publiant un Choix d'écrivains polonais (en vingt-cinq volumes); — Théodore OSTROWSKI (1750-1802), jurisconsulte et historien, qui a laissé, outre son excellent Droit civil de la nation polonaise (1800), une Histoire de l'Église de Pologne; —Wenceslas MACIEJOWSKI (né en 1792), jurisconsulte non moins estimé pour son Histoire des législations slaves, et auteur d'une Histoire de la littérature polonaise qui s'arrête, malheureusement, au XVIe siècle; — Jacques BOREYKO CHODZKO (né en 1800) ; — Maurice MOCHNACKI (1804-1834), auteur d'une Histoire de l'insurrection polonaise et d'un tableau de la littérature polonaise au XIXe siècle; etc. La philosophie, négligée dans les siècles précédents, a son ère de renaissance et de grandeur durant celte période : le comte CIERKOWSKI (né en 1819), Charles LIBELT (né en 1807) et Stanislas TRENTOWSKI (né en 1808) en sont les plus illustres représentants. Le caractère commun de leurs ouvrages et de leur doctrine, c'est un certain mysticisme uni à la recherche rationnelle de la vérité; c'est aussi la préoccupation nationale, la tendance qu'ils ont à vouloir démontrer le rôle philosophique et providentiel réservé, selon
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eux, aux races slaves. Il y a, du reste, quelque chose de cette préoccupation au fond de toutes les oeuvres vraiment polonaises, chez lesquelles l'imitation des littératures étrangères n'a pas entièrement étouffé le sentiment national ; et ce sentiment semble être devenu plus ardent que jamais, depuis que la Pologne a cessé d'être une nation.
§.II. — Littérature russe.
La Russie n'a de littérature digne de ce nom qu'à partir du XVIIIe siècle, à moins de considérer comme des monuments littéraires proprement dits les vieilles légendes et les chants populaires, encore informes et grossiers, qu'ont vu éclore les âges précédents. La mythologie slave, en général, n'a produit que peu de poèmes qui soient parvenus jusqu'à nous, ou plutôt nous n'avons, sur les exploits des dieux et des héros antéhistoriques, que des fragments fort incomplets et obscurs. Le slavon, ou langue russe ancienne et liturgique, se trouve employé de bonne heure par les chants d'église, que la tradition a conservés, mais qui n'ont pu être recueillis que très imparfaitement jusqu'ici. Dès la fin, du Xe siècle, et jusqu'à l'âge de Pierre le Grand, la langue vulgaire se développe uniquement parmi le peuple, et la langue liturgique, le slavon, est pour ainsi dire la seule écrite. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que la langue vulgaire se perfectionne et produit des oeuvres littéraires dignes de ce nom ; puis elle est encore abandonnée, pour le français, cette fois, jusqu'au commencement de notre siècle. La haine contre la France, après 1812, servit puissamment la cause de la langue nationale.
Quant aux divers dialectes russes, ils diffèrent peu entre eux, et ne nuisent en rien à l'unité littéraire du pays. On sait aussi que bien d'autres langues que le russe sont parlées en Russie : outre les divers idiomes slaves, comme le polonais ou le letton, il y a l'allemand et ses variétés, et rnême le grec dans certaines parties
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du sud-ouest. C'est à la littérature, née seulement en réalité depuis un siècle, qu'il appartient, là comme ailleurs , de faire triompher la langue qu'elle a adoptée. On pourrait diviser simplement l'histoire de la littérature russe en deux périodes : avant et après 1812. Pour plus d'exactitude, nous préférons admettre trois époques : 1° les origines, jusqu'à Pierre le Grand; 2° le XVIIIe siècle, avec sa littérature d'emprunt; 3° la littérature vraiment nationale ou contemporaine.
« Aucune nation, dit Metcherski, n'offre l'exemple d'un développement aussi rapide de ses facultés intellectuelles; et c'est dans les progrès merveilleux qu'a faits la littérature russe, en un laps de temps des plus courts, qu'il faut chercher la mesure de ce qui est possible à l'intelligence humaine. Il a suffi à la Russie de moins d'un siècle pour créer une langue, pour reproduire dans cette langue les chefs-d'oeuvre des autres langues mortes et vivantes de l'Europe, et, de plus, pour produire des poètes et des écrivains originaux, qui, maniant à leur gré cette langue adolescente, d'autant plus docile qu'elle était plus jeune, exprimèrent en russe toutes les combinaisons les plus profondes de leur pensée, tous les élans les plus audacieux de leur imagination 1. »
La première période est pour ainsi dire toute latine; après le XIe et le XIIe siècle, où quelques écrivains, les moines surtout, se servent du slavon dans leurs homélies et leurs écrits, l'emploi du latin se généralise; et déjà, dès cette époque, le moine NESTOR, surnommé le Vénérable, écrivait en latin sa Chronique, l'une des sources les plus précieuses de l'histoire de la Russie ancienne, Ces aimales, où l'auteur imite admirablement le style biblique, vont jusqu'à l'année 1115. Vers la fin du XIIe siècle, la poésie' russe semblait vouloir naître avec le chant ou poème d'Igor, sorte d'épopée primitive en vieille langue slavonne et en prose chantée, dont l'action se passait
1. Le prince Metcherski, les Poètes russes (Paris, 1846).
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en 1185. Mais le manque d'unité, l'absence de lien entre les diverses peuplades russes, l'invasion mongole et l'anarchie qui suivit, les luttes, enfin, qui remplirent plusieurs siècles avant d'amener la domination de Moscou sur les autres principautés, et qui ne finirent qu'au XVIIe siècle, retardèrent encore pendant longtemps la naissance de la Russie à la vie littéraire 1. Ce ne fut guère qu'avec Pierre le Grand que le peuple russe, réuni sous un même sceptre, put enfin commencer à s'initier aux sciences et aux plaisirs de l'esprit : mais, on le verra tout à l'heure, cette littérature tardive commence par l'imitation, et ce n'est que de notre temps que les poètes et les prosateurs eux-mêmes songeront à remonter le courant, à puiser dans leur propre langue et dans leur pays les inspirations que l'on cherchait jusque-là chez les étrangers.
Au XVIIe siècle, quatre écrivains seulement se distinguent au milieu de tous ceux qui cherchaient alors à créer une littérature en Russie. Simon ZIMOROWICZ (1604-1629) 2 écrit en vieille langue russe des rondeaux, longtemps oubliés ou dédaignés par les beaux esprits qui suivirent, mais dont le mérité a été remis en lumière par l'école moderne. Le moine SIMÉON de Polotsk (1628-1680), précepteur du czar Fédor; se fit un nom comme prédicateur, comme poète lyrique et surtout comme auteur dramatique. Son royal élève, formé par ses leçons, encouragea les études et les lettres, fonda à Moscou une Académie analogue à celle qui florissait dépuis quelque temps déjà à Kief, et fit représenter à sa cour, outre les drames religieux de Siméon, assez semblables aux autos espagnols, les
1. Il faut cependant mentionner les tentatives louables d'IVAN m, le Terrible, qui créa de nombreuses écoles et fonda en 1553 la première imprimerie russe. (On n'y imprima, du reste, pendant longtemps que des ouvrages latins ou en langue liturgique.)
2. Zimorowicz a laissé aussi des poésies polonaises fort estimées de son temps.
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tragédies de sa propre soeur, la princesse SOPHIE (1656-1754), qui jouait même un rôle dans ces représentations. Puis viennent deux autres hommes d'Eglise : le métropolitain de Rostoff, DÉMÉTRIUS (1651-1709), qui, outre ses drames religieux, écrit une Vie des Saints en style fort élégant; et l'archevêque de Novgorod, THÉOPHANE Procopowitch (1681-1736), qui marque la transition entre le XVIIe et le XVIIIe siècle: ce fut lui qui donna, sous Pierre le Grand, la première impulsion au mouvement littéraire qui signala ce règne. Instruit par des maîtres savants et surtout par ses voyages en Europe, Théophane aime cependant à écrire dans cette vieille langue russe qui va être négligée et corrompue pendant un siècle; ce qu'il cherche à imiter des littératures étrangères, c'est leur élégance, la pureté du style, les grâces pour ainsi dire extérieures et superficielles; mais il conserve son goût pour le fond même de l'idiome slavon, et il se rattache ainsi au passé, tout en admirant et en prônant les réformes de Pierre le Grand dans l'ordre politique et social. Théophane a écrit quelques poésies assez médiocres ; mais ses Sermons sont remarquables et le font considérer comme le père de l'éloquence religieuse en Russie. Ajoutons cependant, qu'il se servit du latin pour plusieurs ouvrages purement dogmatiques.
PIERRE Ier, le Grand (1672-1725), qui régna de1689 à 1725, et dont le gouvernement personnel ne commença réellement qu'après ses voyages, en 1699, doit être considéré, à certains égards, comme le véritable initiateur de la Russie à la vie intellectuelle et moderne. C'est sous son règne que parut la première gazette russe, imprimée à Moscou, en 1705, et que fut fondée l'Académie de Saint-Pétersbourg (en 1725) 1 ; Pierre fut écrivain lui-même, et a laissé, outre ses Lettres,
1. Une autre Académie, spécialement consacrée au perfectionnement de la langue, fut fondée en 1783 et réunie plus tard à la précédente,
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un Journal de ses campagnes et un Testament politique, qui, s'il n'a pas été rédigé par lui, a été du moins écrit sous son inspiration. L'exemple et l'impulsion de Pierre le Grand valurent à la Russie une littérature, il est vrai, mais une littérature d'emprunt : la plupart des écrivains russes du XVIIIe siècle s'écartent de la voie, que leur avait indiquée Théophane; ils imitent presque toujours servilement les littératures étrangères. Un des plus brillants parmi ces imitateurs fut le prince Antiochus CANTEMIR (1708-1744), l'ami de Montesquieu et des philosophes français, qui, dans ses odes, ses fables, ses épîtres et ses satires, ne fait guère que suivre d'assez près les modèles anciens ou français, surtout Horace et Boileau, dont il avait, du reste, traduit quelques parties en vers russes. Fils d'un grand personnage de la Moldavie (Demetrius Cantemir, qui écrivit des ouvrages d'histoire et de philosophie en diverses langues, en russe, en moldave, en latin, etc.), il n'avait pas vingt ans lorsqu'il écrivit ses satires. Dans la suite, il n'écrivit plus guère, outre ses traductions, qu'un traité de prosodie russe, dans les moments de loisir que lui laissaient ses hautes fonctions politiques. Il fut à coup sûr, par son influence et par le ridicule qu'il sut jeter sur les préjugés et sur les moeurs de l'ancienne aristocratie russe, un des écrivains et des hommes d'État qui aidèrent le plus Pierre le Grand dans l'accomplissement de ses réformes.
A côté de lui pour l'influence, mais bien au-dessus pour la valeur poétique, se place Michel LOMONOSSOFF (1711-1765), le Malherbe de la Russie, que l'on a comparé aussi à Goethe pour l'étendue de ses connaissances et l'universalité de son génie. C'est lui qui, abandonnantie rythme purement tonique des âges précédents, soumit la langue russe à des formes poétiques nouvelles, empruntées à l'Allemagne. Fils d'un pauvre pêcheur, il était devenu poète en lisant la traduction des Psaumes de Siméon ; il voyagea quelque temps à l'étranger, fit des études sérieuses en Allemagne, où il
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composa ses premières odes (1739), puis s'occupa spécialement des sciences naturelles, qu'il fut appelé à professer à Saint-Pétersbourg. Comme poète, il s'essaya dans presque tous les genres, et contribua plus qu'un autre à faire fleurir en Russie le faux goût classique importé de France ; ses Odes sont surtout remarquables comme exercices de style. Ce qui fait aujourd'hui la principale gloire de Lomonossoff, ce sont moins ses essais poétiques (comme son poème inachevé sur Pierre le Grand) que ses ouvrages didactiques en prose, sa Grammaire, sa Rhétorique, sa Prosodie, les premiers écrits en ce genre qui aient quelque valeur, et qui ont eu le mérite de fixer pour longtemps la langue et la versification russes. Mais il faut ajouter que ses idées, en cette matière, étaient des plus étroites, et qu'il répudiait de la manière la plus formelle l'héritage de la vieille langue slavonne. (Il a esquissé aussi une Histoire de l'ancienne Russie, justement oubliée.) Parmi les poètes qui ont suivi les traces des deux précédents, et qui ont conquis l'admiration de leurs contemporains, les plus connus ou les moins oubliés sont : Michel KHERASKOFF (1733-1807), dont les épopées (la Rossiade, Vladimir, Novgorod délivrée), les poèmes didactiques, les odes, les tragédies et les comédies ont été trop vantés par ses (contemporains, et ne sont presque toujours que de pâles imitations des oeuvres étrangères ; — Nicolas POPOFSKI 173 0-1760), auteur d'une traduction en vers de l'Essai sur l'homme de Pope; —Hippolyte BOGDANOWITCH (1733-1803), dont les nombreux poèmes et poésies en tout genre se font remarquer par l'élégance du style et de la versification, et qui a quelque chose de plus dans son poème de Douchinka ou Psyché (1768), narration pleine de grâce et de charme,! imitée de La Fontaine, et où il a su habilement mêler la mythologie grecque avec le merveilleux des anciens contes russes ; — Wassili PÉTROFF (1736-1799), le seul poète russe qui ait appartenu au clergé, auteur d'une bonne traduction en vers de l'Enéide, et d'Odes triomphales sur
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les victoires de Catherine II, plus variées mais moins harmonieuses que celles de Lomonossoff, et remarquables surtout par leur souffle généreux et patriotique; — KHEMNITZER (1744-1784), dont les Fables, naïves et d'un sens profond, sont encore admirées, malgré leurs négligences de style; — Ermile KOSTROFF (mort en 1796). dont la traduction d'Homère (1787) est en vers un peu durs, tandis que sa traduction d'Ossian (1792) est en excellente prose poélique; — Sémène BABROFF (mort en 1810), auteur peu correct d'un essai épique, la Khersonide; — Pancrace SOUMAROKOFF, qui, exilé en Sibérie, se fit un nom et obtint son rappel par le journal poétique et humoristique qu'il y publia pendant quelques années, puis donna des Contes en vers fort gracieux, et des poésies diverses, dont une ode burlesque, justement célèbre; où il se moquait avec esprit du mauvais goût et de la sensiblerie de son temps; — enfin, Michel MOURAWIEFE (1757-1807), homme d'État et moraliste, précepteur de l'empereur Alexandre 1er, auteur de poèmes historiques et philosophiques assez médiocres, et de dialogues, de lettres, d'essais, d'ouvrages divers pour l'éducation des princes, mais qui se distingua comme historien et eut surtout le mérite de revenir à l'étude des anciens modèles de la langue slavonne : à ce point de vue, il appartient déjà presque au XIXe siècle, bien que ses écrits soient antérieurs à notre époque.
Deux grands personnages, vers la fin du siècle, prirent une part active au renouvellement de la littérature russe par la protection qu'ils accordèrent aux gens de lettres et par leur zèle en faveur de la langue : l'un, Alexandre de STROGONOFF (1750-1811), fut le Mécène des poètes et des artistes ; l'autre, une femme auteur et philologue, la princesse DASCHKOFF, née Catherine WORONZOFF (1744-1810), fut jugée digne de présider la nouvelle Académie de 1783, et contribua, pour sa large part, à la publication du grand dictionnaire que cette société fit paraître de 1789 à 1794. Quant à ses comédies et à ses drames, on les a depuis
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longtemps oubliés; seuls, ses Mémoires peuvent encore offrir quelque intérêt.
En Russie comme en Pologne, le théâtre est créé tout d'une pièce au XVIIIe siècle par des auteurs qui se bornent à employer les procédés habituels des poètes dramatiques étrangers ; les plus estimables sont encore ceux qui, tout en acceptant aveuglément les règles de la tragédie classique, cherchent au moins quelquefois à traiter des sujets nationaux. Le plus illustre de ces derniers écrivains est Alexandre SOUMAROKOFF (1717-1777), qui écrit des drames depuis 1748, reçoit les encouragements de la czarine Elisabeth, et dirige, à partir de 1756, le théâtre, presque exclusivement français d'abord, fondé à Saint-Pétersbourg. On peut lui reprocher, dans ses drames, d'avoir presque toujours habillé à la russe les héros français de Corneille et de Racine; mais il faut, en somme, lui accorder la gloire d'avoir écrit le premier une tragédie vraiment russe de style et de sentiment, et traitant un sujet national. Ses comédies sont quelquefois originales; mais on ne les goûta guère, parce qu'elles se permettaient d'attaquer la manie des modes françaises. — Outre quelques opéras, des contes, des fables et d'autres poésies, Soumarokoff a écrit aussi des satires, imitées de celles de Cantemir, et divers ouvrages en prose, oubliés aujourd'hui.
KNIAININE (1742-1791) imite bien moins habilement que lui les tragédies de Corneille, de Racine et de Voltaire; il se borne souvent à les traduire, à les copier. Il est aussi peu original, mais plus adroit dans ses comédies; il réussit encore mieux dans l'opéra. VON-VIZINE (1745-1792) lui est supérieur comme auteur comique : il est vraiment original dans son Brigadier (1763) et dans son Mineur (1782); mais généralement il imite aussi et traduit volontiers les chefs-d'oeuvre étrangers. Outre ses comédies et ses poésies, il a écrit, en prose, des Contes fort élégants, des poésies satiriques assez .piquantes et des lettres toujours empreintes de cet esprit philosophique que
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Catherine II avait mis à la mode; malheureusement, là comme dans ses nombreux opuscules, sa prose est bien vieillie. Citons encore ABLESSIMOFF (mort en 1784), créateur du vaudeville en Russie, et dont le Meunier est un fidèle et piquant tableau des moeurs villageoises russes au XVIIIe siècle; — Wassili KAPNISTE (17561823), grand imitateur des Grecs, poète lyrique médiocre, dont la comédie de la Chicane eut un grand succès en 1789, mais qui fut moins heureux dans la suite avec sa tragédie d'Antigone (1815), et plus estimé, depuis, pour ses poésies lyriques que pour ses compositions dramatiques; — Wassili MAIKOF (1725-1778}, médiocre dans le drame, mais dont on cite encore deux poèmes héroï-comiques assez remarquables; — Nicoleff PETROWICH (1758-1816), auteur d'une tragédie de Suréna qui obtintquelque succès ; — enfin, PLAVILSCHTCHIKOFF (1700-1812), dont les compositions dramatiques, fort goûtées de leur temps, n'ont plus la moindre valeur aujourd'hui.
La prose, au XVIIIe siècle, est maniée avec aisance par deux grands prédicateurs, le métropolitain de Moscou, PLATON LEWSCHINE. (1737-1812), et DESNITSKIJ (175 2-1821), et par un assez grand nombre d'historiens, dont les principaux sont : KHILKOFF (mort en 1718), auteur d'une Histoire de Russie (1711); — Wassili TATISTSCHEFF (1685-1750), dont l'Histoire de Russie, qui s'arrête en 1533, ne fut publiée qu'après sa mort (en 1769), par ordre de Catherine II; — Wassili TRÉDIAKOWSKI (1708-1779), élève de Rollin, poète dur et laborieux, qui essaya de faire ad opter par la poésie russe les rythmes des Grecs et des Latins, traduisit en vers le Télémaque et l'Art poétique de Boileau, en prose l'Histoire romaine de Rollin, et écrivit divers ouvrages d'histoire ou d'enseignement, estimés alors, comme une grammaire et des recherches sur les antiquités russes, qui ont été bien dépassés depuis (nous ne parlons pas de ses tragédies, toujours ennuyeuses, bien qu'il ait eu le mérite d'y traiter quelquefois des sujets nationaux) ; — Ivan BARKOFF
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(mort en 1768), auteur d'une traduction en vers des satires d'Horace et de divers ouvrages historiques, notamment d'une Histoire de Russie; — DAKILOFF, qui écrivit des Mémoires sous le règne de Catherine II ; — Ivan GOLIKOFF (1735-1801), qui donna une Histoire de Pierre le Grand, à laquelle il ajouta ensuite des suppléments jusqu'en 1798; —NOVIKOFF (1744-1818), publiciste, auteur d'un Dictionnaire historique des auteurs russes (1772) et d'une Bibliothèque ancienne de la Russie; — enfin, et le plus illustre de tous, Nicolas KARAMSINE-(I766-I826), dont les poésies sont justement oubliées, mais dont l'Histoire de Russie (parue en 1816), quoique dépassée maintenant au point de vue des idées et des renseignements, doit être admirée encore comme un des meilleurs monuments de la prose russe : son histoire est inachevée, du reste, et s'arrête à l'année 1611. On a encore de Karamsine des nouvelles, des lettres, des opuscules divers; c'est lui qui fonda le Journal de Moscou (en 1792). Il peut être considéré, à certains égards, comme un des chefs de la nouvelle école littéraire du XIXe siècle; car, bien qu'il semble se rattacher encore aux écrivains du XVIIIe par quelques-unes de ses allures et par l'ensemble de son talent, il y a évidemment progrès chez lui au point de vue du style, en ce sens qu'il cherche ses modèles, non plus seulement dans les littératures étrangères, qu'il avait imitées à l'excès lors' de ses débuts, mais surtout dans les anciennes chroniques et dans les grands écrivains de la langue slavonne: il semble donc contribuer, pour sa part, au mouvement littéraire du commencement de ce siècle, en dégageant la langue russe des entraves dont l'avaient chargée les écrivains si peu nationaux de l'âge précédent.
Deux courants divers se dessinent nettement dans la littérature russe dès les premières années du XIXe siècle : un certain nombre de poètes, fidèles à la tradition de leurs devanciers, continuent à imiter les littératures étrangères et à se soumettre au faux goût, prétendu
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classique, dont on allait chercher les oracles en France, en Angleterre, en Italie, en Allemagne; d'autres se mettent hardiment à penser et à écrire par eux-mêmes, on vont s'inspirer chez les poètes slavons et puiser aux sources des légendes populaires. Parmi les premiers, nous nous bornerons à mentionner ceux qui, malgré leur vice originel, sont arrivés à se débarrasser quelquefois des entraves de l'imitation et à produire des oeuvres estimables; tels sont surtout : Alexandre Semenewilch CHISCHKOFF (1754-1840), qui fut ministre de l'instruction publique, président de l'Académie russe, traduisit la Jérusalem délivrée et eut le mérite de réagir contre le mauvais goût de la fin du siècle dernier par un excellent Traité de l'ancien et du nouveau style (1802), remarquable manifeste en faveur de la langue nationale; — Ivan Ivanowitch DMITRIEFF (1760-1837), dont les Fables sont imitées de La Fontaine, dont les autres poésies et les poèmes épiques n'ont guère plus d'originalité, mais qui a écrit de gracieuses nouvelles, et dont les chansons ont mérité de devenir populaires (Dmitrieff, qui fut homme d'État, sénateur et ministre, a laissé d'intéressants Mémoires, publiés seulement en partie) ; — le prince Michel MILANOFE (1772-1821), dont les Satires sont encore appréciées; — Nicolas GNEDITSCH (1784-1833), auteur d'une excellente traduction de l'Iliade en vers hexamètres, d'idylles souvent remarquables, d'un poème de la Naissance d'Homère, et qui finit par devenir presque original, après avoir d'abord traduit et imité les anciens et Shakspeare (par ce dernier modèle, il se rattache déjà au romantisme); — enfin, Wassili POUCHKINE (17701850), l'oncle du romancier dont il sera parlé plus loin, et qui n'a pu s'affranchir encore, dans ses nombreux essais poétiques, de l'imitation des auteurs français du XVIIIe siècle 1.
1. Nous nous bornons à mentionner en note le nom d'Elisabeth KULLMANN (1808-1825), qui a écrit des poésies russes en même temps que des poésies allemandes.
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Les seconds sont, à proprement parler, les poètes romantiques de la Russie : c'est chez eux que se trouvent, avec l'originalité, le vrai talent et même la raison, puisqu'ils veulent avant tout créer une poésie nationale. Derjavine, Joukowski, Pouchkine et quelques autres sont les poètes les plus marquants et les chefs de la nouvelle école, dont l'épanouissement complet n'a guère eu lieu que vers le milieu de notre siècle et se continue à l'heure actuelle. Gabriel DERJAVINE (1743-1816) appartient encore au XVIIIe siècle par sa date et par le ton général de sa poésie, qui est souvent emphatique et de mauvais goût; mais il est romantique par son originalité, par la richesse de son imagination et par ses tendances patriotiques. Fils d'un pauvre gentilhomme campagnard, il manqua d'instruction première, et ce fut peut-être là ce qui le sauva de l'écueil où venaient échouer tous ses contemporains, à savoir l'imitation servile des grands modèles étrangers ou anciens : Derjavine n'a pas de modèle, et, si ses poésies lyriques s'en ressentent trop souvent au point de vue du style, qui est inégal; elles n'en ont que plus d'inspiration et de variété.
Parmi ses odes, dont un grand nombre mériteraient d'être citées, la plus remarquable est son Ode à Dieu; dans la plupart des autres, il s'inspire d'Horace, qu'il ne connaissait que par une traduction, car il ne savait ni le grec ni le latin. Aussi passe-t-il, avec Ozeroff, pour l'un des deux poètes primesautiers vraiment classiques qui se rattachent, de ce côté du moins, à l'école du vieux Lomonossoff. Ses Elégies erses drames ne valent pas ses poésies lyriques, auxquelles il doit, en somme, la gloire dont il jouit encore maintenant.
Wassili JOUKOWSKI (1783-1852), qui a été précepteur du czar Alexandre II, est le vrai fondateur de l'école romantique; sa tendance subjective en fait un moderne dans toute la force du mot, un imitateur et un émule de Schiller, dont il a, du reste, traduit les chefs-d'oeuvre avant de les imiter. Sa première pièce vraiment originale est aussi une oeuvre patriotique, le
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Ménestrel au camp (1812). Avant cette date, il avait obtenu déjà de brillants succès en se contentant de traduire ou d'imiter les poètes anglais et allemands (dans Loudmila, par exemple, qui est une imitation de la célèbre Lenora de Bürger) ; mais bientôt, sous l'influence de Karamsine et de Derjavine, il se mit à voler de ses propres ailes, tout en s'inspirant volontiers encore de Schiller, de Goethe et de lord Byron. Beaucoup de ses ballades, de ses odes, de ses romances sont originales, et elles se distinguent toujours par leur diction poétique, forte et harmonieuse, comme par la couleur nationale de leurs sujets.
Alexandre POUCHKINE (1799-1837) a été surnommé par ses admirateurs le Byron russe, et, s'il justifie ce titre par la couleur particulière de ses poésies lyriques et de ses poèmes romantiques (comme Rousban et Loudmila, 1819 ; le Prisonnier du Caucase, la Fontaine, les Tziganes, etc.), on doit ajouter qu'il s'appliqua, bien plus que lord Byron, à faire revivre dans ses oeuvres les traditions nationales de sa patrie; cette préoccupation est surtout sensible dans son beau poème d'Onièguine, dont le héros, son type favori, paraît avoir été calqué sur le poète lui-même. — En prose, Pouchkine semblait devoir se faire un renom au moins aussi brillant qu'en poésie, avec ses nouvelles et ses romans, lorsqu'il périt, jeune encore, dans un duel. II n'avait eu que . le 'temps de donner, aussi au théâtre un seul drame mais un chef-d'oeuvre : Boris Godounoff. « Que serait devenu Pouchkine, dit un historien, si une balle n'avait soudainement brisé sa brillante carrière?... Quoi qu'il en soit, Pouchkine est le plus grand génie qu'ait produit la Russie. La littérature de son pays ne lui a pas encore donné de rival. Son talent créateur, ses qualités artistiques sont restés sans échos 1. »
Constantin BATIUCHKOFF (1787-1855) débuta aussi par des imitations, et ce furent des poètes français,
1. Carrière, Histoire de la littérature contemporaine en Russie.
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comme André Chénier, qui lui servirent de modèles, ou des poètes italiens, comme l'Arioste et Pétrarque, qu'il s'exerça à traduire pour se former la main : il arriva ainsi à une grande pureté de style, à une rare élégance, qui lui assignent un des premiers rangs parmi les poètes russes modernes; ses Élégies sont des chefs-d'oeuvre, notamment son poème romantique sur le Tasse mourant; il a laissé aussi des Essais en prose et en vers, aiusi que des romans, dont la diction n'est pas moins remarquable.
KRTLOFF (1768-1844), que l'on à surnommé le La Fontaine de la Russie, a su être original dans ses Fables, tout en cherchant à imiter notre inimitable fabuliste ; mais son style est parfois négligé ou ampoulé : son principal talent consiste à créer des mots ou à employer parfois des termes vulgaires auxquels il sait donner une force toute particulière; il a aussi le mérite de peindre les moeurs russes, et, s'il n'a pas la naïveté, la bonhomie de La Fontaine, il offre du moins des tableaux vrais et vivants. Il a écrit, en outre, des comédies qui ne valent pas ses fables,
Un certain nombre de poètes, au commencement de ce siècle surtout, ne peuvent être facilement rattachés aune école poétique déterminée; poètes d'instinct ou pour le divertissement de leurs loisirs, ils se sont tenus en dehors des querelles littéraires et des dénominations scolastiques. Tels sont, par exemple : le mystérieux KIRCHA ou JAKUBOWITCH, appelé encore Cyrille DANILOF (mort en 1839), avec ses Chansons populaires des Cosaques, publiées partiellement en 1804, et dont l'authenticité, comme poésies anciennes et populaires, a été fort contestée, mais qui, en tout cas, feraient honneur au poète leur auteur; — KOLTZOFF (mort en 1842), ancien berger, puis marchand de bestiaux, chansonnier remarquable, dont les poésies, inspirées par un profond sentiment de la nature, ont paru en 1835 ; — DAVIDOFF (1784-1839), officier supérieur, estimé pour ses ouvrages d'histoire et d'art militaire, qui obtint un vrai succès avec ses chansons
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bachiques et erotiques, et surtout avec ses épigrammes; — de hauts personnages, qui n'ont pas dédaigné de se faire poètes à leurs moments perdus, comme le prince Jean DOLGOROUKI (1764-1823), remarquable surtout dans ses odes sentimentales (poésies publiées en 1819, sous le titre de : Etat de mon âme); — le prince WIAZEMSKI (né en 1792), collaborateur de diverses revues (notamment de l'Etoile polaire, en 1822) et lié avec les chefs de l'école romantique, mais sans s'astreindre absolument à leurs principes, à en juger par son Dieu russe et ses autres poésies lyriques ; — la comtesse ROSTOPCHINE, née Souschkoff, avec ses poésies lyriques et ses nouvelles en prose et en vers; — BARATISSKI (1792-1844), qui pourrait, à la rigueur, être rattaché à l'école de Pouchkine avec ses poèmes descriptifs et lyriques (dont il place quelquefois la scène en Finlande), mais dont les autres poésies (épîtres, contes, etc.) témoignent d'un goût indépendant et offrent souvent des tableaux de moeurs fort remarquables; — VOSTOKOFF (né en 1781), auteur d'une grammaire russe et de divers ouvrages sur les langues slaves, qui, dans ses poésies lyriques, s'appliqua surtout à varier indéfiniment ses rythmes en imitant les mètres antiques ; -— leprince CHIKMATOFF, qui a traduit quelques poètes étrangers, mais a rendu un plus grand service encore à la littérature de son pays en recherchant et en imitant les vieux auteurs nationaux, longtemps oubliés ou méconnus, dont il s'est parfaitement inspiré dans plusieurs de ses poèmes, ceux notamment qui sont intitulés Pierre le Grand et Pojarski; — enfin, le colonel KATENIN (né en 1792), dont les poésies lyriques sont originales (surtout son chef-d'oeuvre, le Monde du poète), mais ont été vivement critiquées à l'origine, surtout à cause de la négligence de leur versification, bien que le style en soit généralement assez-soigné.
Nous devons, en terminant cette rapide énumération, accorder une place toute spéciale à Michel LERMONTOFF (1815-1841), qui périt dans un duel, au Caucase, comme Pouchkine, mais encore plus jeune
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que lui, et n'eut le temps de publier qu'un seul volume de poésies, qui le fit surnommer le poète du Caucase pour la fraîcheur de ses descriptions et l'art aveclequel il fait revivre les sites et les traditions de ce pays. Quelques contes ou nouvelles et un roman, les Héros de notre siècle, lui assignent un rang distingué parmi les prosateurs contemporains. Dans ses récits comme dans ses poésies, il aime à s'inspirer du souvenir des vieilles légendes russes ou du spectacle des moeurs contemporaines. On l'a comparé à lord Byron : il a quelque chose, en effet; de la fougue impétueuse et déréglée du poète anglais ; mais le temps lui a manqué pour mûrir son prodigieux talent.
Le théâtre est loin de jeter le même éclat, au XIXe siècle, que la poésie : la plupart des auteurs dramatiques se bornent encore à traduire ou à imiter des pièces étrangères; quelques-uns s'essayent, mais timidement, à traiter des sujets nationaux. Ce n'est guère qu'après 1850 que le théâtre se relève avec des poètes plus hardis et plus heureux. Parmi leurs devanciers, on ne peut citer que des auteurs inégaux et incertains, comme Wladislas OZEROFF (1770-1816), auteur d'OEdipe à Athènes (1804); de Fingal (1805), de Dmitri Donskoï (1807) et de diverses autres tragédies classiques, écrites dans un style pur, mais majestueux et solennel, et trop rarement empruntées à l'histoire nationale (Ozeroff a écrit, en outre , des poésies lyriques et des poèmes assez médiocres); — IVANOFF (1777-1816), dont les pièces sont tombées dans l'oubli : — PISSAREFF (1801-1828), auteur d'un drame historique de Colomb; — enfin, le prince Alexandre SCHAKHOFFSKOÏ (1777-1846), qui eut le mérite de réagir contre le mauvais goût et la sensiblerie de son temps par sa comédie intitulée le Nouveau Sterne. Ses comédies sont en général remarquables par leurs situations et leurs caractères, mais le plan y est médiocre et la versification négligée; il a mieux réussi dans l'opéra et le vaudeville. Schakhoffskoï a écrit aussi d'excellentes satires et un poème
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héroï-comique, les Pelisses enlevées, qui est une heureuse imitation du Lutrin, et dont le style surtout est parfaitt
La comédie, depuis un demi-siècle, semble être la forme dramatique que les poètes russes affectionnent le plus et qu'ils traitent aussi avec le plus d'originalité. L'imitation française s'y retrouve encore au début, mais peu à peu les auteurs s'habituent à peindre avec vérité les moeurs nationales. C'est ainsi que Nicolas CHMELNITZKV (1789-1826), après avoir traduit ou imité Molière, donna un certain nombre de pièces vraiment russes, toujours naturelles et surtout bien écrites. Les mêmes qualités se retrouvent dans le théâtre d'Alexandre GRIBOÏEDOFF (1795-1829) et surtout dans sa comédie, tout à fait originale, de Trop d'esprit nuit, satire piquante et fine des ridicules de la vieille société moscovite. Griboïedoff venait de mettre la dernière main à une tragédie, lorsqu'il fut assassiné à Téhéran, où il était ministre de Russie. Enfin, Nicolas OSTROWSKI, dont les drames historiques et surtout les comédies ont obtenu le plus brillant succès vers et après 1850, excelle dans la peinture des moeurs russes (le Banquier, l'Emploi lucratif et, tout dernièrement, les Fiancées riches); on peut cependant reprocher à ses comédies d'exagérer parfois le ridicule ou même de lui donner une couleur odieuse, et de fatiguer à la longue par la monotonie de leurs peintures.
La Russie ne semble pas offrir un sol très propice au développement de la philosophie, du moins pendant la période qui nous occupe : les conceptions métaphysiques, longtemps gênées par le despotisme, n'y sont en faveur aujourd'hui qu'à la condition de contribuer au renouvellement social et politique de l'immense empire des czars; de là une couleur toute particulière que donnent à la philosophie russe ses tendances militantes et généralement subversives, qui lui ôtent le caractère désintéressé dont on n'aime pas à voir dépouiller habituellement ses spéculations. On a résumé ces tendances
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300 LITTERATURES ETRANGERES.
par un mot, le nihilisme, dont la définition, peu facile à donner, du reste, appartient plutôt à l'histoire de la politique qu'à celle de la littérature. Nous nous bornerons à nommer, parmi les représentants les plus connus de cet esprit nouveau, le philosophe journaliste et romancier TCHERNIAKEWSKI, dont les romans, les ouvrages sur l'esthétique et les articles parus dans le Contemporain se ressentent toujours de ses préoccupations nihilistes ou socialistes.
L'éloquence de la chaire, illustrée dans l'âge précédent par le métropolitain Platon, l'est dans celui-ci par son successeur et son digne héritier, l'archevêque AUGUSTIN; mais ou chercherait vainement, dans l'histoire littéraire de la Russie contemporaine, des noms d'orateurs politiques comme en présentent les autres contrées de l'Europe : la forme même du gouvernement et le caractère des institutions s'y opposent. C'est dans l'histoire et le roman qu'il faut chercher les principaux monuments de la prose moderne et, jusqu'à un certain point, de l'éloquence.
Après Karamsine, les historiens russes entrent enfin dans la voie de l'histoire vraiment moderne; mais aucun n'arrive à égaler cet illustre devancier et ne peut même lui être comparé : la plupart ne donnent que des matériaux qui attendent, pour être mis en oeuvre, la main d'un plus habile ouvrier. Tels sont le baron de KAMPENHAUSEN (1772-1823), le comte ORLOFF (1777-1826), RAJEWSKI, WICHMANN (1786-1823) et d'autres, qui ont laissé des mémoires intéressants sur les événements dont ils ont été témoins, des essais et des relations de voyage, et dont les écrits ne manquent ni d'esprit critique ni d'élégance.
Les ouvrages fort nombreux (plus souvent écrits en français qu'en russe) de Dmitri BOUTOURLINE (17901850), comme ses travaux sur l'histoire de la Russie au XVIIe et au XVIIIe siècle ou sa Campagne de Napoléon, et, plus près de nous, les livres si consciencieux de MAXIMOFF sur les moeurs et les antiquités de son pays, ne peuvent être considérés également que comme
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des essais, estimables, du reste, mais sans grande valeur littéraire.
Le roman, comme en France, comme en Angleterre et en Allemagne, tend depuis un demi-siècle, en Russie,- à supplanter et à absorber tous les autres genres ; mais il y fleurit depuis moins de temps, et ses meilleures productions, presque toutes postérieures à 1850, échappent à notre revue. Au commencement du siècle, les récits fictifs n'étaient encore, en général, que des recueils plus ou moins piquants d'aventures souvent légères, comme ce roman autobiographique de Valérie, dont l'auteur, la baronne KRUDENER (1766-1824), fut aussi célèbre par ses excentricités que par ses voyages et ses mésaventures. Devenue mystique dans la suite, elle promena ses malheurs et ses prédications enthousiastes dans toutes les contrées de l'Europe.
Les vrais romanciers de la Russie ne datent guère que de 1830, si l'on en excepte Alexandre BESTOUCHEFF (1795-1837), qui, après avoir fondé en 1822 un almanach populaire, l'Etoile polaire, se vit exiler quelque temps après comme conspirateur. Ses nouvelles militaires, qu'il donna sous le pseudonyme de MARLINSKY, et dont la scène se passe au Caucase, sont généralement agréables et poétiquement présentées. Maïs son nom pâlit singulièrement à côté de ceux de Boulgarine, de Tourgueneff, de Tolstoï, de Gogol et des autres écrivains qui le suivirent.
Thaddoeus BOULSARINE (1789-1859) s'était essayé dans des opuscules satiriques et humoristiques, entre 1823 et 1827, et par quelques livres d'histoire, lorsque ses romans lui valurent une gloire incontestée (notamment Démétrius Mazeppa, en 1832).
Ivan TOURGUENEFF (né en 1818), dont les poésies (1843 et années suivantes) avaient obtenu un légitime succès, s'est élevé au premier rang des romanciers russes, vers 1850 et surtout après cette date, avec ses Scènes de la vie russe, le Roi Lear de la steppe, les Eaux de printemps, les Mémoires d'un chasseur, etc. (Dans les dernières années, Tourgueneff,
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102 LITTERATURES ETRANGERES.
fixé à' Paris, a traduit lui-même la plupart de ses oeuvres en français et s'est essayé aussi à écrire dans cette langue ses productions nouvelles, dont le succès a été considérable en France.)
Le comte Alexis TOLSTOÏ a été son digne émule avec ses romans historiques de Jean Sérébrénoï et de Moscou en 1811; il s'est fait connaître aussi comme poète lyrique avec ses Chansons des soldais de Crimée, et comme poète dramatique avec le Président, la Mort d'Ivan le Terrible, etc.
Mais aucun de ces romanciers n'atteignit à la popularité de Nicolas GOGOL-JANOWSKI (1809-1852), qui, dans son existence relativement courte et terminée, dit-on, par un suicide, eut le temps de s'illustrer comme poète comique et comme romancier. Professeur d'histoire à Saint-Pétersbourg, mais peu professeur et très peu historien, il se tourna de bonne heure vers le théâtre, où, dans sa comédie de l'Inspecteur (ou le Contrôleur), il attaqua vivement la société contemporaine et les abus de l'administration impériale. Ses romans eurent encore plus de succès ; après ses Soirées à la ferme, tableau animé de la vie des Cosaques (1832), ses contes et légendes populaires, son roman du Manteau, ses Mémoires d'un fou, etc., vint son chef-d'oeuvre, les Ames mortes, où il attaquait, plus vivement encore que dans sa comédie, les abus qui pullulaient en Russie : le type de Tchitchagoff, dans ce roman, est une création vraiment originale et vigoureuse. Aussi le mot d'âme morte est-il devenu populaire pour désigner les malheureux serfs, dont on trafiquait même après leur mort. On prétend que Gogol regretta plus tard d'avoir écrit ce livre, et qu'il mourut au milieu des macérations et des pratiques de la dévotion la plus étroite. Ivan Tourgueneff, pour avoir fait son éloge dans un journal, fut emprisonné, puis banni comme nihiliste.
Citons enfin, pour terminer, le comte SOLLOHUB, poète gracieux, romancier humoristique et délicat dans ses remarquables peintures de la vie réelle
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LITTERATURES SLAVES, 303
(recueil de romans et de nouvelles, intitulé Pour endormir, 1841 ; la Tarenta, etc.) ; — Wladimir DAHL (1800-1872), plus connu sous le pseudonyme du Cosaque LUGANSKI, auteur de divers travaux sur la langue russe, et surtout de romans où il peint à merveille les moeurs populaires ; — et Alexandre HERTZEN (né en 1816, exilé en 1835), dont les Lettres, chefs-d'oeuvre de fine critique, parurent, sous le pseudonyme d'ISKENDER, en 1842 et années suivantes, les Souvenirs de voyages, les romans et les Nouvelles à partir de 1847, et qui, après 1850, a écrit surtout des ouvrages politiques.
Tous ces auteurs et d'autres encore ont fini par faire du roman ce qu'il doit être avant tout, c'est-àdire la peinture des moeurs nationales, l'auxiliaire de l'histoire ou la revendication des idées modernes et lé précieux levier du progrès. A eux seuls, peut-être, ou du moins à eux surtout, reviendra l'honneur d'avoir doté la Russie d'une littérature originale.
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TABLEAU
CHRONOLOGIQUE
N. B. — Nous donnons ici, autant qu'il nous a été possible, les dates exactes de la publication des ouvrages les plus connus ou des événements littéraires les plus importants; quand ces dates n'ont pu être précisées, nous les indiquons approximativement, avec la mention : vers telle année. On trouvera, dans ces tableaux, quelques dates ou même quelques noms qui n'ont pu être, donnés dans le corps même de notre histoire; pour quelques autres, on remarquera de légères divergences, qui tiennent à ce que nous avons pu, en revoyant notre chronologie littéraire, rectifier de petites erreurs : ce sont donc les dates des tableaux qui doivent être adoptées dans ce cas.
LITTERATURES DU NORD
Troisième partie LITTÉRATURE ANGLAISE
ROISIEME ET OJUATRIÈME SIECLES.
Époque présumée des bardes bretons, tels que le fabuleux Oïsin ou Ossian.
Vers 450. — Taliesin et les deux Merlin, bardes probablement fabuleux. — Apostolat de saint Patrick (ou Patrice)
en Irlande.
VIe SIÈCLE. — Arthur, roi et barde fabuleux, qui
II. 39
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306 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
aurait régné de 516 à 542, à été le héros d'une foule de poèmes, surtout du XIe au XIIe siècle. — Gildas, le plus ancien historien anglo-saxon, a écrit en latin.
Vers 650. — Mort du poète anglo-saxon Cedmon, auteur d'une paraphrase de la Bible. (Cette traduction fut retouchée, au IXe siècle, par Alfred le Grand.)
VIIe-VIIIe SIÈCLES. — Divers monuments de l'ancienne poésie anglo-saxonne, comme le poème de Judith, un Hymne de funérailles, une paraphrase des Psaumes, etc.
VIIIe SIÈCLE. — Bède le Vénérable (mort: vers 735.) est un des plus illustres représentants de la première civilisation anglo-saxonne. Outre de nombreux ouvrages théologiques, il écrivit une Histoire ecclésiastique, allant jusqu'en 731, et traduisit une partie de la Bible en langue vulgaire.
— Poème de Beowulf, qui représenté l'introduction de l'élément danois en Angleterre.
— Ouvrages latins d'Alcuin (736-804), qui passa la fin de sa vie à la cour de Charlemagne, après avoir joui d'une gloire sans égale en Angleterre.
IXe SIÈCLE. — Le Voyage du chanteur (Scope's Widsith), vieux poème anglo-saxon.
FIN DU IXe SIÈCLE. — Le roi Alfred le Grand (848901), qui règne depuis 871, appelle Scot Érigène à Oxford. Lui-même essaya d'implanter la culture romaine chez les Anglo-Saxons; il est l'auteur d'un recueil de Proverbes, d'une traduction d'Ésope (aujourd'hui perdue) et de quelques autres ouvrages dont on n'a conservé que des fragments.
Vers 950. — Poème lyrique anglo-saxon de la Victoire d'Athelstan.
XIe SIÈCLE. — Lutte entre l'élément danois et l'élément saxon dans la langue anglaise, sous les règnes de Canut et d'Edouard le Confesseur; le saxon l'emporte, jusqu'à la conquête normande.
1066. — Guillaume le Conquérant, vainqueur des Anglo-Saxons, impose le normand à ses sujets.— Poètes de cour, venus de France. — Lois de Guil-
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LITTERATURE ANGLAISE. 307
laume, édictées en trois langues : le latin, l'anglosaxon et le français.
XIe-XIIe SIÈCLES. — L'ancien idiome proscrit par les envahisseurs et conservé par le peuple avec ses vieilles légendes, — d'où les chants populaires des AngloSaxons et notamment les Dallades de Robin-Hood, qui marquent de la façon la plus vive la persistance de l'ancienne nationalité.
XIIe SIÈCLE. — La littérature française en Angleterre (ou anglo-normande) : le trouvère Benoît de SainteMaure à la cour de Henri II (poème sur l'histoire des ducs de Normandie, sur la guerre de Troie, etc.). — Geoffroy Gaimar, sous le même roi, traduit en vers français la vieille chronique de Geoffroy de Mpnmouth.
1119. — Origines du théâtre : le Jeu de SainteCatherine (en français), joué à Dunstable; les Mystères et les Miracles s'acclimatent en Angleterre. 1141. — Fondation de l'université d'Oxford (complétée en 1200).
Vers 1150. — Robert Wace, poète anglo-normand (mort en 1184), qui passe une partie de sa vie en France; auteur des poèmes ou romans de Rou, de Brut, etc.
1154. — Chroniques latines d'Angleterre : Geoffroy de Monmouth ; Huntingdon ; puis Jean de Salisbury, évêque de Chartres, auteur d'une Vie de Thomas Becket.
Vers 1180. — Layamon, le dernier poète anglosaxon connu, traduit le roman de Brut (vers 1150).
1190. — Ouvrages latins de Galfrid de Winesalf (Histoire de la croisade de Richard Coeur de Lion et Poétique).
Vers 1200. — Joseph d'Exeter, écrivain latin. 1229. — Fondation de l'université de Cambridge.
1258. — Henri III publie une proclamation en français et en anglais (un des premiers monuments de la langue vraiment anglaise). Vers 1275. — Traduction en vers anglais (presque
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TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
modernes) de la chronique de Geoffroy de Monmouth (voir 1150).
— Ouvrages latins du philosophe Roger Bacon.
Vers 1300. — Ouvrages latins (philosophiques et théologiques) de Duns Scot.
Vers 1340. — Poèmes de Laurence Minot sur les victoires d'Edouard III.
Vers 1350. — Le prêtre Langland, Langelande ou Longlands : poème satirique des Visions du laboureur (ou de Pierce Ploughman), imité du Roman de la Rose, en anglais déjà moderne.
1356. — Relation de voyage de John Mandeville ou Maundeville : premier monument littéraire de la prose anglaise.
Vers 1371. — Histoire (ou chronique versifiée) du roi Robert Bruce, de l'Écossais John Barbour, encore aujourd'hui populaire en Ecosse,
Vers 1382. — Geoffroy Chaucer, le véritable père de la poésie anglaise : Contes de Canterbury, poème de Troilus et Cressida; et, en prose : le Testament de l'Amour, l'Astrolabe (1392).
1383. — John Wicliffe traduit la Bible en langue vulgaire; il écrit aussi divers opuscules contre le pape et le clergé. C'est un précurseur de la Réforme ; sa prose est excellente.
1388. — La langue anglaise est employée pour la première fois dans la diplomatie.
139;. — Confessio amantis de John Gower, 3 e partie (en 30,000 vers anglais) d'un vaste ouvrage resté inachevé (la 1re partie, en vers français, intitulée Speculum meditantis ; la 2e, envers latins, Vox clamantis). Ce poète érudit a laissé, en outre, des Ballades, une Histoire de Rosiphèle et une Imitation d'Ovide.
Vers 1420. — Thomas Occlève, ou Hocclève, auteur de divers poèmes en langue vulgaire, dont le meilleur est l'Histoire de Jonathan.
— Chronique originale d'Ecosse, en vers, du prieur de Saint-André, Wyntown ou Winton.
Vers 1430. — Apogée de la gloire poétique de John
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LITTERATURE ANGLAISE. 309
Lydgate, auteur de nombreux poèmes descriptifs, généralement imités ou traduits des littératures voisines (Histoire de Thèbes, Siège de Troie, Chute des princes, etc.).
1437. — Mort de Jacques 1er d'Ecosse, auteur présumé d'un recueil de poésies lyriques, le Livre (ou Cahier) du roi (the King's Quhair).
1454. — Fondation de l'université de Glasgow.
1465. — Mort de John Fortescue, auteur d'un traité célèbre sur la Monarchie.
Vers 1470. — Poésies (perdues) du prêtre Thomas Rowlie, dont le nom servira plus tard à une superchérie littéraire de Chatterton.
1471-91. — L'imprimeur William Caxton publie une rédaction moderne des vieilles légendes anglo-saxonnes ; il édite, en outre, les poèmes de Chaucer et de Gower.
Vers 1475. — Chronique rimée des Aventures de sir William. Wallace, du barde écossais Harry l'Aveugle ou Henry le menestrel,
1477. — Poème de l'Alchimie, de John Norton.
1503. — Poème allégorique de l'Écossais William Dunbar en l'honneur de Jacques IV. Le même auteur a écrit divers autres poèmes allégoriques, comiques et moraux (publiés seulement au siècle dernier) ; il brilla jusque vers 1530.
1504. — Le Négromant, satire de John Skelton, le plus ancien poète lauréat.
1509. — Le Vaisseau des fous, imité de celui de Sébastien Brandt, par Alexandre Barclay (mort en 1552, à un âge très avancé).
— Histoire d'Edouard V, puis de Richard III. écrite en anglais par Thomas More ou Morus, qui, en 1516, publiera son Utopie (en latin), traduite peu de temps après en anglais par Burnet.
1513. — Traduction rythmique de l'Enéide par l'évêque écossais Gavin Douglas (publiée seulement en 1553). Un de ses autres poèmes, le Palais de l'honneur, passe pour avoir inspiré plus tard à Bunyan l'idée de son Voyage du pèlerin (voir 1672).
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310 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
1523. — John Heywood commence à faire jouer (jusqu'à sa mort, en 1565), avec le plus grand succès, de nombreux Intermèdes ou Interludes (principalement à la cour de Henri VIII).
1523.—Traduction de Froissart par lord Berners (dont la soeur, l'abbesse Julienne Berners, se fit un nom par des traités de la Chasse, de la Pêche et de l'Art héraldique).
1526-30. — Traduction du Nouveau, puis de l'Ancien Testament, par William Tyndale ou Tynedal.
Vers .1530. — Le roi Henri VIII imite les sonnets de Pétrarque. (Il avait écrit, en 1521, des traités théologiques, en latin, contre Luther, et fut proclamé à cette occasion, par le pape Léon X, « le défenseur de la foi catholique ».)
— Le goût des moralités ou représentations avec personnages allégoriques, puis des pageants ou masques, brillantes fêtes dramatiques, se répand de plus en plus à la cour,
1535. — Nouvelle traduction de la Bible, par Coverdale.
1536. — Mort du vicomte de Stafford (frère d'Anna Boleyn), auteur de poésies gracieuses.
1539. — David Lindsay ou Lyndsay, fait jouer, devant Jacques V d'Ecosse, sa pièce des Trois Etats, dirigée contre le clergé, comme ses poèmes, toujours pleins d'esprit et de malice (le Songe, la Complainte, etc.).
Vers 1540. — Le poète écossais Richard Maitland, outre son poème de la Création et du Paradis perdu, publie un recueil de vieilles ballades écossaises, et quelques ouvrages historiques.
1540. — Comédie de Ralph Royster Doyster, de Nicolas Udall, le traducteur de Térence : c'est un des premiers essais dans le genre comique moderne (imprimé seulement en 1566).
1544. — Mort de Thomas Wyatt, auteur de ballades, ainsi que de sonnets imités des Italiens (ses poésies ne sont imprimées qu'en 7557).
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LITTERATURE ANGLAISE. 311
— Le Toxophilus (ou traité de l'Archerie), ouvrage remarquable sur l'éducation, par Roger Asham, précepteur d'Elisabeth, auteur d'un livre du Maître
d'école, mais moins estimé, comme poète que comme prosateur.
1547. — Mort du comté de Surrey, le Pétrarque anglais (poésies imprimées seulement en 1557). — Mort d'Edouard Hall, auteur d'une Histoire de la guerre des Deux Roses.
1548.— Publication des remarquables Sermons de Hugh Latimer (mort en 1555).
1549. — Cranmer publie le Prayer-Book de l'église anglicane.
— Sternhold traduit les Psaumes en vers.
1553. — Nouvelle traduction, en vers, des Psaumes, par Thomas Norton.
— Remarquable traité de rhétorique, de Thomas Wilson.
1562. — Romanset nouvelles (notamment l'Histoire de Roméo et Juliette), publiés par Arthur Brooke (ou mieux Broke).
1565. — Représentation, devant la reine Elisabeth, de la tragédie de Gorboduc ou Ferrex et Porrex, de Thomas Sackville, lord Buckhurst et comte de Dorset, auteur de sonnets estimés et du Miroir des magistrats (commencé en 1559).
1566. — Tragédie soi-disant classique de Damonet Pythias, de Richard Edwards. — Comédie populaire de l'Aiguille de la mère Gurton, de John Still.
Vers 1568. — Poésies d'Alexandre Scot (ou mieux Scott), l'Anacréon de l'Ecosse.
— Tragédies régulières de Jocaste, imitée d'Euripide, et de Tancrède et Ghismonda, puis comédie des Supposés, imitée de l'Arioste (auteurs peu connus). Vers 1570. —Succès dramatiques de George Gascoyne ou Gascoigne, connu aussi pour ses sonnets et ses satires.
1572. — Histoire d'Ecosse, de George Buchanan
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312 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
(auteur de Psaumes en vers, de poésies et de tragédies latines, etc.).
1576 et années suivantes, — Drames, poésies et poèmes de George Whetstone, qui a écrit aussi de nombreux ouvrages en prose (discours, biographies, etc.).
1577. — Chronique d'Angleterre, d'Holinshed, généralement fabuleuse, où puisa Shakspearé.
1579. — Le Calendrier des Bergers. d'Edmond Spenser, qui donne, dans la suite, son chef-d'oeuvre, la Reine des fées, des Hymnes, un Epithalame (1594) et un traité en prose sur l'État de l'Irlande.
Vers 1580. — Odes pastorales, élégies et madrigaux d'Edouard Dyer.
1580. — Célèbre roman d'Euphuès, de John Lylly, Lily ou Lylie, auteur, dans la suite, de nombreux drames et de comédies, généralement en prose,
— Premiers succès dramatiques de Gaspard Heywood, qui, jusqu'en 1630, fera jouer plus de deux cents pièces, toutes médiocres, mais quelque temps populaires.
1581. — Astrophel et Stella, poésies lyriques de Philippe Sidney ou Sydney, plus connu, dans la suite, pour son Arcadie de la comtesse Pembroke et sa Défense de la poésie, en prose (1583). Ses poésies ne parurent qu'en 1591.
— Hekatompathia, sonnets et poésies d'amour de Thomas Watson, auteur de diverses autres poésies, d'églogues et de traductions ou d'imitations de poètes anciens.
1584. — L'Art poétique, puis poésies diverses de Jacques VI d'Ecosse (qui sera plus tard le roi théologien Jacques 1er d'Angleterre).
— La Sorcellerie dévoilée, de Réginald Scot, roman d'érudition.
1586. — La Britannia, de William Camden, compilation historique en latin, peu après traduite en anglais.
1587. — Mort de George Peele, auteur d'un poème patriotique (l'Honneur de la jarretière) et de drames célèbres (Edouard 1er, David et Bethsabé, etc.).
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LITTERATURE ANGLAISE. 313
— Drame de Tamerlan, de Christophe Marlowe, dont la courte carrière est illustrée par des poèmes, des poésies légères et un certain nombre de tragédies remarquables (le Juif de Malte, Faust, 1588; Edouard, II, etc.).
Vers 1590. — Mémoires sur Marie Stuart, par James Melvil (publiés seulement après sa mort).
1590. — Roman pastoral de Rosalinde, de Thomas Lodge, acteur et poète dramatique (tragédies du genre horrible), auteur de divers ouvrages en prose, traducteur de Josèphe et de Sénèque.
1591. — Traduction de l'Arioste, puis sonnets, de John Harrington.
— Exécution du jésuite Robert Southwell, qui a laissé des poésies religieuses et morales, généralement estimées.
1592. — Mort prématurée de Robert Greene, auteur de poésies lyriques et satiriques, de nouvelles, d'une pastorale (Dorastus et Fannia), et surtout de drames parfois remarquables, comme Henri VI.
— Publication des Discours de William Cecil, baron de Burleigh, oncle de Bacon et ministre d'Elisabeth (1520-1598); d'autres écrits de cet homme d'État avaient paru dès 1583 ; ses Dépêches politiques ne furent imprimées que plus tard. — C'est un des orateurs et des écrivains qui ont le plus contribué à l'établissement de la Réforme en Angleterre. (II ne faut pas le confondre avec son fils, Robert Burleigh, qui fut ministre sous Jacques 1er.)
1593.— Poésies mêlées, et surtout satires vives et spirituelles de Thomas Nash, qui, l'année suivante, fait jouer une tragédie de Didon, devant Elisabeth. Ses drames et ses comédies, généralement médiocres et de mauvais goût, obtinrent un grand succès.
1594. —Traduction des cinq premiers chants de la Jérusalem délivrée, par Richard Carew, auteur de divers autres ouvragés moins connus. (Son frère, George Carew, mort en 1613, a écrit une intéressante Relation sur l'état de la France.)
II. 40
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314 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
— Tragédie de Cornélie, de Thomas Kyd, un des prédécesseurs de Shakspeare dont les drames ont eu le plus de succès.
— La Police ecclésiastique, de Richard Hooker, ouvrage de philosophie, de religion et de politique, généralement bien écrit.
1595. — Roméo et Juliette, de Shakspeare; (Né en 1564, le grand poète a débuté au théâtre, selon toute probabilité, en 1590, avec Henri VI; puis il a donné ses poèmes d'Adonis et de Lucrèce, en 1593 ; quelques comédies, telles que les Deux Gentilshommes de Vérone ; après Roméo et Juliette, viendront : la tragédie de Hamlet, en 1596, et les drames historiques du Roi Jean, de Richard II, de Richard III et de Henri IV, en 1597). — Voir la suite en 1001.
— Premières poésies (odes, etc.) de George Chapman, qui, dans la suite, donnera des traductions en vers d'Homère et d'Hésiode, des comédies médiocres et des drames imités de Marlowe.
1597. — Poème allégorique de l'Écossais Alexandre Montgomery.
1598. — Premiers succès dramatiques de John Webster, dont les pièces les plus connues sont : la Duchesse de Malfi, le Diable blanc, Vittoria Accorambona, etc.
— Les Guerres des barons, poème de Michel Drayton, auteur de poésies diverses, d'Epîtres héroïques de l'Angleterre et d'un poème de Polyalbion (description de l'Angleterre).
— Satires en vers (anglais) de Joseph Hall, qui écrit plus tard, en latin, son poème satirique de Mundus aller et idem.
1599. — Nosce teipsum, poème sur l'immortalité de l'âme, de John Davies.
— Hymnes et chants sacrés, de l'Écossais Alexandre Hume, qui s'est exercé aussi dans la poésie descriptive.
— La comédie de Chacun son caractère, chefd'oeuvre de Ben Jonson. Il s'était déjà essayé auparavant sur la scène. Il donne dans la suite ; le Réveil
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LITTERATURE ANGLAISE. 315
de Cinthia (1600), le Poétastre, Volpone, l'Alchimiste; des tragédies, comme la Chute de Séjan (1603) et Catilina (1611) ; des Masques ou Interludes ; et, enfin, une pastorale, le Triste Berger.
Vers 1600. — François Godwin écrit son Voyage de Gonzalez à la lune, qui ne sera publié qu'après sa mort, en 1638. — Son Histoire des évêques d'Angleterre parut vers 1620.
1600. — Traduction en vers de la Jérusalem délivrée, d'Edouard Fairfax, quia écrit aussi des Eglogues.
1601. — Shakspeare (voir 1595) fait jouer les Joyeuses Commères de Windsor et Henri VIII. Dans les années précédentes, il avait donné le Marchand de Venise (1598) et Comme il vous plaira. Ses sonnets avaient été imprimés sans son aveu, en 1599, sous ce titre : le Pélerin passionné. — Voir la suite en 1606.
1604. — Grand succès du poème des Guerres civiles, de Samuel Daniel, auteur de diverses poésies, de sonnets, de Masques, d'une Complainte de Rosamonde, et, en prose, d'une Histoire d'Angleterre, parue en 1618.
1605. — Progrès et Avancement de la science, de François Bacon. (Il avait écrit, auparavant, depuis 1597, de remarquables Essais moraux, économiques et littéraires, une Histoire de Henri VII, un roman politique de la Nouvelle-Atlantide. Son grand ouvrage de la Restauration des sciences, dont fait partie la Rénovation de la méthode ou Novum organum, ne parut qu'en 1620.)
1606. — Shakspeare, (voir 1601) donne Macbeth, un de ses chefs-d'oeuvre. (Parmi les pièces les plus admirées des trois années précédentes se trouve le Roi Lear, 1605; et, parmi celles des trois années suivantes, Jules César, 1607; Antoine et Cléopâtre, 1608; etc.) — Voir la suite en 1611.
— Sophonisbe, le meilleur des drames historiques de John Marston, dont on cite encore quelques tragédies, des comédies, comme Antonio et Mellida
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316 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
(1602), et des tragi-comédies. Il fut, pour quelques pièces, le collaborateur de Ben Jonson et de Chapman(voir 1595 et 1599).
— Poème (anglais) de Parthenicon, dont l'auteur, Jeanne de Weston, est surtout connue pour ses poésies latines.
Vers 1607. — Succès du poète dramatique et acteur William Rowley, qui collabora presque toujours avec Decker, Day et quelques autres. ■
1607. — Comédie du Mariage forcé, de George Wilkins le fils, auteur présumé de quelques autres pièces qui ont eu du succès vers cette époque. (Le père, auteur dramatique aussi, était mort en 1603.)
Vers 1610. — Poème de la Femme, de Thomas Overbury, fort admiré de son temps. La plupart des poèmes de cet auteur, dont la vie a été courte (15811613), ne furent publiés qu'après sa mort.
— Poème théologique du Pseudo-Martyr, de John Donne, auteur de poésies amoureuses et métaphysiques, également médiocres.
— Poème du Triomphe du Christ, de Gilles Fletcher.
— Premiers ouvrages philosophiques et littéraires (en anglais) de John Selden, oubliés aujourd'hui, ainsi que ses nombreux traités (en latin) d'histoire, de politique et de droit. On admire encore ses Table-Talk ou Propos de table, publiés seulement après sa mort (1654).
1611. — Shakspeare (voir 1606) donne Othello (l'année précédente, Coriolan, et, l'année suivante, la Tempête). Il s'est retiré du théâtre depuis quelque temps. — Voir la suite en 1616.
— Premières pièces de Beaumont et Fletcher. (John Fletcher, le plus âgé des deux, a donné seul, quelques comédies originales, comme le Frère aîné, et la pastorale de la Bergère fidèle; Francis Beaumont passe pour avoir revu le plan et corrigé les détails des cinquante-quatre pièces dont son collaborateur imaginait et développait l'intrigue. Les plus connues sont : l'Imposteur, la Tragédie de la jeune fille, Philaster, la Dédaigneuse, Boadicée, etc.
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LITTERATURE ANGLAISE. 317
— Histoire de la Grande-Bretagne, de John Speed, dont on a, en outre, divers ouvrages de géographie et de théologie.
1612. — Premières poésies de John Taylor, connu, plus tard, sous le nom de Water-poet, pour ses chansons de marins et ses autres poésies royalistes. Il a publié près de cent trente ouvrages de son vivant (poèmes, histoires, voyages, etc.).
1613. — Pastorales de l'Angleterre, célèbres églogues de William Browne.
— Premiers écrits de théologie et d'histoire ecclésiastique (tantôt en latin, tantôt en anglais) de James Usher, archevêque d'Armagh et primat d'Irlande (1580-1656).
1614. — Histoire du monde, de Walter Raleigh, connu aussi par ses poésies et surtout par sa liaison avec Shakspeare.
1616. — Mort de Shakspeare. - La première édition complète de ses oeuvres paraîtra en 1623.
1617. — Publication des meilleures poésies de William Drummond (distiques à Jacques 1er; puis, odes, élégies, poésies légères et sacrées).
1618. — L'Écho, premier poème de James Shirley, qui, dans la suite, et jusqu'en 1640, donnera de nombreux drames (le Gentilhomme de Venise) et des comédies estimées ( le Joueur ) ; interrompu par la guerre civile, il travaillera encore pour le théâtre après 1646. Il a laissé aussi des ouvrages de grammaire.
grammaire.
Vers 1620. — Thomas Middleton, collaborateur assez souvent de Ben Jonson et de Massinger, obtient de nombreux succès dramatiques (de 1602 à 1630). Tragédies (Femmes, prenez garde aux femmes, la Sorcière, etc. ); comédies (Un Tour pour attraper le vieux, etc.).
1621. — Roman politique d'Argenis, de John Barclay, en latin, comme ses satires, mais bientôt traduit en plusieurs langues. —L'Anatomie de la mélancolie, roman philosophique
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318 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
de Robert Burton (publié sous le pseudonyme de Democritus junior).
1622. — La Maîtresse de Philarète, poésies d'amour, estimées, de George Wither ; odes, satires, églogues, sonnets, de 1613 à 1635. (Plus tard , devenu puritain, il compromet sa gloire par des vers détestables.)
— La Vierge martyre, de Philippe Massinger, drame imité des autos espagnols (comme son Duc de Milan et la plupart de ses autres tragédies ou tragicomédies). Parmi ses comédies, les meilleures sont : le Tuteur et, surtout, Une Nouvelle Manière de payer d'anciennes dettes.
1627. — Tragédies, généralement horribles, de John Ford (1586-1639). Les meilleures sont : le Coeur brisé, Perkin Warbeck, Frère et Soeur, etc. Il a collaboré quelquefois, avec Decker et Webster. (Il s'était fait connaître par un poème lyrique dès l'âge de dix-huit ans.)
— Histoire de Henri III d'Angleterre, par Robert Cotton, estimé surtout comme érudit pour ses nombreux ouvrages d'histoire et d'antiquités.
Vers 1630. — Poésies sacrées, poèmes et opuscules divers de George Herbert. (Son meilleur poème, le Temple, ne parut qu'en 1633, après sa mort.)
— Sonnets de Thomas Carew, auteur de poésies légères et de Masques.
1633, — Publication de l'Ile de pourpre, poème allégorique de Phinéas Fletcher (écrit longtemps auparavant).
1635. — Les Emblèmes (ou poésies allégoriques) de Francis Quartes, auteur, avant cette date', de Sonnets bibliques et d'autres poésies religieuses, et, plus tard , d'un poème philosophique , l'Enchiridion ( 1641 ), de drames et de comédies médiocres, et d'ouvrages de dévotion, en prose,
— Thomas Browne compose son traité de philosophie morale, la Religion d'un médecin, publié d'abord sans son aveu, et par lui-même en 1648. (Il écrit, dans la suite, son livre des Erreurs vulgaires
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LITTERATURE ANGLAISE. 319
(1646) et son Hydriotaphia ou dissertation sur les sépultures.)
1637. — William Davenant est nommé poète lauréat pour des poésies lyriques sans grande valeur et des tragédies (jouées depuis 1629).
1638. — Discours sur un nouveau monde habitable, de John Wilkins, qui écrit, dans la suite, d'autres ouvrages, analogues au premier, sur les planètes (astronomie et philosophie), un Traité de la prédication (1646), et publie ses Sermons en 1649 et années' suivantes. (Mort en 1672 ; la collection complète de ses Sermons paraît en 1675.)
1639. — Tragédie soi-disant classique de Cléopâtre, de Thomas May, connu déjà, auparavant, pour sa traduction des Géorgiques (1622) et de la Pharsale (1627), pour ses poèmes nationaux, sa tragédie d'Antigone (1631), etc.
Vers 1640. — Sermons et ouvrages théologiques de John Hales, surnommé l'Immortel (the Ever-Memorable).
— Sermons de William Chillingworth, auteur d'un célèbre ouvrage apologétique, la Religion des protestants, publié en 1637.
1640. — Mort prématurée de Thomas Dekkar (ou mieux Dekker), auteur de drames et de comédies, seul ou en collaboration, et de satires ou opuscules en prose (notamment pour répondre aux attaques de Ben Jonson dans son Poétasire).
— Dendrologia, roman ou allégorie politique de James Howell (appelée aussi la Forêt de Dodone). Plus tard : Lettres familières, historiques et politiques (1645), puis Histoire de Naples, du même auteur.
1641. — Pamphlets politiques et religieux de Milton (jusqu'en 1644). — Il s'était déjà fait connaître par ses poésies de jeunesse, l'Allegro et le Penseroso, puis Lycidas (1637), et le masque ou féerie de Cornus. — Après la révolution, il écrit son Iconoclaste (1649) et divers pamphlets politiques en latin. — Voir 1667.
— Mort prématurée de John Suckling, auteur, sou-
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320 T A B L E A U C H RO N O LO G I Q U E.
vent gracieux, de Chansons, d'Epithalames, de Ballades et d'Élégies.
1643. — Poème descriptif de Cooper's Hill, de John Denham.
1645. — Premières poésies d'Edmond Waller, remarquable surtout dans ses Sonnets à Sacharissa. Dans la suite, il écrira des poèmes didactiques et moraux de l'Amour divin et de la Poésie divine.
1646. — Poèmes et poésies de John Cleveland (on Cleaveland), royaliste ardent, qui trouvé quelquefois de belles inspirations. (Né en 1613, mort en 1659. )
1647. La Maîtresse, d'Abraham Cowley, recueil de poésies d'amcur, dans le genre dit métaphysique. — Dans sa jeunesse, Cowley avait écrit un poème latin, la Davidéide; plus tard, il donne, outre ses poésies lyriques ou élégiaques, un poème des Plantes et divers Essais en prose.
— Poèmes et poésies de Thomas Stanley (16251678), plus connu, dans la suite, pour son Histoire de la philosophie (1655); Pour son édition et sa traduction latine d'Eschyle, et d'autres travaux d'érudition,
— La Liberté de prophétiser, de Jérémie Taylor, oeuvre remarquable surtout par son esprit de tolérance. (Taylor avait déjà écrit quelques ouvrages de controverse depuis 1642; on a encore de lui, outre ses Sermons, divers traités philosophiques et, religieux, comme ses Exercices pour une bonne mort, etc.)
1648. — Publication des Hespérides ou Poésies humaines et divines de Robert Herrick, écrites depuis quelque temps déjà (surtout les Poésies humaines, qui sont les meilleures).
1649. — Recueil de Sonnets et d'Odes A Lucasta, de Richard Lovelace.
— Traduction en vers de Virgile, par John Ogilby ou Ogilvy, auteur de divers poèmes, d'une traduction d'Homère (1660), et d'ouvrages en prose sur l'Afrique et l'Amérique. (Né en 1600, mort en 1676.)
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LITTERATURE ANGLAISE. 321
Vers 1650. — Premiers pamphlets et poèmes de Roger Lestrange, royaliste convaincu, emprisonné pour avoir soutenu Charles 1er (poème de la Loyauté). Plus tard, sous la Restauration, il écrira de nombreuses brochures politiques (surtout de 1679 à 1687) pour faire pénétrer ses propres idées dans le peuple. Ses-Fables d'Ésope sont aussi de cette époque.
1650. — La Conservation de la santé, poème didactique de lord. Henry Brooke, auteur de quelques poèmes philosophiques moins connus.
1651. — Le Léviathan, de Thomas Hobbes, qui a écrit divers traités politiques (monarchistes) depuis 1628. — Ses Éléments de philosophie sont de 1658. — Il a, en outre, traduit Thucydide, et écrit un Traitédu citoyen, en latin ; dans sa vieillesse, il essaya de traduire Homère en vers, mais il ne produisit qu'une oeuvre sans valeur.
1653. —Poésies et poèmes divers de lady Newcastle, née Marguerite Cavendish. Ses oeuvres dramatiques parurent en 1662. Elle a laissé, en outre, des lettres, des discours et des traités philosophiques.
1656. — Histoire ecclésiastique d'Angleterre, de Thomas Fuller, connu déjà pour ses Poésies bibliques (1631), son Histoire des Croisades et, plus tard, son Histoire des grands hommes d'Angleterre (publiée seulement en 1662, après sa mort).
— L'Oceana, roman politique de James Harrington.
1658.—La Victoire de l'amour, tragi-comédie de William Chamberlain ou Chamberlayne.
Vers 1660. — Nombreux ouvrages de John Aubrey sur l'histoire naturelle et la physique (Miscellanées), sur l'histoire littéraire (Shakspeare), etc. Presque tous sont longtemps restés manuscrits, notamment ses très ■ intéressantes Lettres et Biographies de divers personnages du XVIIe et du XVIIIe siècle, publiées seulement en 1813.
1660. — Pamphlets d'André Marwell (ou Marvell) contre la Restauration. Poète lyrique souvent gradeux, Marwell fut adjoint à Milton comme secrétaire
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322 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
latin du Protecteur. La plupart de ses poésies et de ses oeuvres en prose ne furent publiées qu'après sa mort, en 1681.
— Sermons de Robert South (1633-1716), théologien et politique intolérant, mais instruit, spirituel et loyal, et écrivant admirablement sa langue. (Outre ses sermons, qui parurent à cette date et les années suivantes, on a de lui des Mémoires et d'autres ouvrages posthumes.)
— Tentative de réforme dramatique et premiers succès de John Dryden, qui avait déjà chanté tour à tour Cromwell et la Restauration. — Tragédies médiocres, comédies licencieuses (plus tard, opéra d'Albion en 1691); fables (1708), satires, poème philosophique de la Religion d'un laïque, etc. ; et, en prose, pamphlets, divers, préface et discours sur la poésie dramatique, etc.
1663.— Samuel Butler commence la publication "de son poème héroï-comique d'Hudibras (tefminé en 1678 seulement).
1664 (et années suivantes). — Le Virgile travesti, de Charles Cotton.
— Grand succès de la Revanche comique, de George Etheredge, dont quelques autres comédies eurent la même fortune (notamment : Elle voudrait si elle
pouvait, 1688).
— Sylva, discours sur la plantation des arbres, de John Evelyn, auteur d'une Description de l'Angleterre (1651), d'un autre discours, intitulé Terra, sur le labourage (1675), et d'un Journal fort intéressant, publié seulement en 1818.
1665. — Poésies de Charles Sackville, comte de Dorset, célèbre surtout par sa Ballade nautique. (Satires, épigrammes et poésies diverses dans la suite.)
1666. — Publication des premiers sermons de John Tillotson.
1667.— Le Paradis perdu, de Milton (voir 1641).— Trois ans après, le poète refait son oeuvre sous le titre du Paradis reconquis. — Voir 1674.
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LITTERATURE ANGLAISE. 323
— Edouard Hyde, comte de Clarendon, termine son Histoire de la Révolution d'Angleterre. II a écrit auparavant divers ouvrages politiques ou historiques, notamment des Discours, publiés en 1641.
1669 (et années suivantes). — Sermons d'Edouard Stillingfleet, partisan du droit divin (ouvrages théologiques et politiques divers, depuis 1661), mais esprit large, tolérant et modéré.
Vers 1670. — Le comte de Rochester écrit ses poésies légères (chansons, épigrammes, etc.) et ses lettres familières (prose-excellente), qui ne seront publiées qu'après sa mort (1680).
— L'acteur et poète dramatique Thomas Betterton introduit le théâtre français en Angleterre. Ses tragédies et ses comédies sont surtout en vogue vers 1679.
— Succès des sermons d'Isaac Barrow, connu, depuis 1641 déjà, par ses ouvrages de mathématiques et de théologie.
1671. — Comédie parodique de la Répétition (the Rehearsal), dirigée contre Dryden par George Villiers, duc de Buckingham, connu aussi pour ses poésies légères.
Vers 1672. —Le Voyage du pèlerin, de John Bunyan ( date inconnue , mais probablement vers l'époque de son élargissement) : ce livre ne fut imprimé, d'ailleurs, en entier, qu'en 1684. — Les autres ouvrages de Bunyan sont depuis longtemps oubliés.
1672. — Premiers ouvrages de Richard Cumberland, philosophe et archéologue (traduction d'auteurs anciens, ouvrages latins contre Hobbes, système de la morale naturelle, etc.).
1673. —Succès de l'Impératrice du Maroc, célèbre pageant ou masque d'Elkanah Settle, joué à la cour. Ses tragédies (Cambyse, 1671 ; Hérode et Marianne, etc.) furent aussi renommées de son temps. — Querelle avec Dryden, qui le persifle dans son Absalon et Achitofel.
1674. — Mort de Milton (voir 1.667), qui, dans ces dernières années, a écrit une tragédie de Samson
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324 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
et une Histoire (inachevée) de la Grande-Bretagne.
1675. — Tragédie de Psyché, de Thomas Shadwell, auteur de quelques comédies médiocres (le Virtuose, le Libertin) et d'une traduction, en vers, de Juvénal. (Il a été ridiculisé par Dryden).
— Le Jardin des mûriers, comédie de Charles Sedley, auteur de tragédies estimées de son temps, comme Antoine et Cléopâtre (1677), et de Satires qui ont, comme ses comédies, le mérite de ne pas être indécentes.
— Publication des drames historiques de Nathaniel Lee, imités de ceux de Shakspeare ( les Reines rivales, Théodose, etc.). Il a composé, en collaboration avec Dryden, une tragédie classique d'OEdipe et un drame, le Duc de Guise.
1676. — Apologie des quakers, de Robert Barclay, en latin d'abord, puis en anglais.
1677. — Intéressante relation d'un Voyage en Hollande et en Allemagne, par le quaker William Penn, le futur fondateur de la Pensylvanie, dont les autres ouvrages (presque tous théologiques) ne parurent qu'après sa mort.
1678. —L'Homme de bonne foi, une des meilleures comédies de William Wycherly ou Whycherley (et, plus tard, la Campagnarde, 1685).
— Le Vrai Système intellectuel de l'univers, ouvrage spiritualiste et mystique de Ralph Cudworth.
1679 (et années suivantes). — Histoire de la Réforme en Angleterre, de Gilbert Burnet, dont l'Histoire de mon temps ne parut qu'après sa mort (1715).
1680. — Art poétique ou Essai sur l'art de traduire en vers, de Wentworth Dillon, comte de Roscommon, dont les poésies légères et divers poèmes ne parurent qu'après sa mort (1684).
— Publication du Patriarcha de Robert Filmer (théorie du droit divin), écrit, ainsi que quelques autres ouvrages analogues, dès 1640.
— Thomas Burnet publie sa Théorie sacrée de la terre, en latin d'abord, plus tard en anglais,
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LITTERATURE ANGLAISE. 325
1682. — Essai sur la poésie, de lord John Sheffield, plus tard duc de Buckingham ( 1649-1721 ), auteur de quelques tragédies oubliées, de poésies diverses et de Lettres.
— Drame de Venise sauvée, de Thomas Otway, connu déjà pour son Don Carlos, son Caïus Marius et son Orpheline, oeuvres souvent remarquables.
1683. — Jacques II fait exécuter le vertueux Algernon Sidney, dont les Lettres et les Discours sur legouvernement ne paraissent qu'en 1698.
1684. — Poèmes et comédies, et, plus tard, romans et nouvelles de mistress Aphra Behn (morte en 1689),
1685. — Mélanges et Essais de sir William Temple, qui, depuis son entrée à la Chambre des communes (1661) jusqu'à sa retraite (1685), joue un rôle politique important et prononce de remarquables discours. Ses Mémoires ne parurent qu'après sa mort' (1698).
1687. — Isaac Newton publie (en latin) ses Principes mathématiques de la philosophie naturelle. Il a écrit, en anglais, divers opuscules, surtout religieux.
1689. — Ouvrages théologiques ou philosophiques, fort estimés autrefois, de Charles Leslie (1650-1722).
Son livre Contre les déistes parut en 1694.
1690. — Le Dispensaire, poème héroï-comique de Samuel Garth.
— Amour pour amour, une des meilleures comédies de William Congreve, dont on cite encore le Vieux Garçon (1693), l'Homme à double face (1694), le Train du monde (1700); etc., sans compter ses drames, moins connus, et ses poésies lyriques.
— Essai sur l'entendement humain, de John Locke, qui a écrit, avant cette date, divers ouvrages politiques ou philosophiques (Lettres sur la tolérance, 1683 ; Traité sur le gouvernement civil; etc. ), et donnera, dans la suite, ses Pensées sur l'éducation
(iû93)-
1695. — Grand succès de la première comédie de
Colley Cibber, la Dernière Ressource de l'amour.
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326 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
Plus tard, il obtient un égal succès avec le Mari insouciant (1706) et l'Homme qui ne jure pas. — Auteur et acteur, Cibber a laissé une autobiographie (Apologie de sa vie), publiée en 1740.
1696. — Poésies lyriques, élégiaques et diverses de mistress Rowe, née Elisabeth Singer (signées du pseudonyme de Philomèle). — Plus tard, lettres et ouvrages de piété.
1697. — Mauvais drames et comédies de John Dennis, ridiculisé par Pope dans sa Dunciade. (II avait attaqué Pope, en décriant son Essai sur la critique.)
1698. — Grand succès, jusqu'en 1705, des comédies de John Vanburgh ou Vanbfugh (surtout la Rechute, le Mari poussé à bout, les Faux Amis, la Femme poussée à bout).
1699. — Le Choix, poème didactique de John Pomfret, connu déjà pour ses Epîtres.
Vers 1700. — Comédies mal écrites et peu morales de l'actrice mistress Centlivre, née Suzanne Freeman (assez grand succès sur le moment).
— Histoire de la Grande-Bretagne, d'Alexandre Cunningham, en latin d'abord, puis traduite en anglais. On attribue au même auteur des Critiques sur Horace et sur Virgile (1721) qui ne sont peut-être pas de lui.
1700. — Histoire générale d'Angleterre, de Tyrrell.
1701. — Premiers poèmes héroïques, satiriques et divers de John Philips, qui excelle surtout dans la parodie (il imita Milton avant de le parodier). Son poème descriptif du Cidre est de 1708.
1702. — Tragédie de Tamerlan, de Nicolas Rowe, le traducteur de Lucain, qui obtint un égal succès avec sa Jeanne Shore (1715)et quelques comédies. (Il publia une édition corrigée de Shakspeare.)
1706. — Premières poésies lyriques (philosophiques et religieuses) d'Isaac Watts, qui écrivit, dans la suite, des ouvrages d'histoire et de science vulgarisée, et publia ses sermons.
— L'Officier recruteur, la meilleure comédie de
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LITTERATURE ANGLAISE. 327
George Farquhar. (Auparavant, l'Inconstant, 1703; et, dans la suite, les Stratagèmes des beaux, le Tour au jubilé, etc.)
— Traité de l'existence de Dieu, de Samuel Clarke (qui a commencé à paraître en 1705). — A diverses dates, Sermons et ouvrages de théologie ou d'érudition, notamment une édition savante de l'Iliade.
1707. — Premier recueil des oeuvres poétiques de Matthieu Prior (connu déjà, dès 1687, par des poèmes parodiques, puis, en 1695, par des odes officielles). — Une nouvelle édition de ses oeuvres parut en 1718 (poèmes de Salomon, d'Alma, épigrammes, etc.).
1709. — L'Irlandais Richard Steele, après des essais dramatiques assez médiocres (comédies morales et tragédies), fonde une revue, le Tatler ou Bavard, seul d'abord, puis avec Addison, jusqu'en janvier 1711 (Il collabora ensuite au Spectateur et fonda le Guardian ou Tuteur. )
— Théorie de la vision, du philosophe idéaliste George Berkeley, qui publie l'année suivante son grand ouvrage des Principes de la connaissance humaine.
Vers 1710. — Poème moral de l'Ermite, de Thomas Parnell, dont on a oublié aujourd'hui les autres ouvrages (Églogues, Élégies, Vie d'Homère, etc.).
— Vies des hommes illustres omis par Plutarque, de Thomas Rowe (mari de mistress Elisabeth Rowe). Ses poésies parurent en partie avec celles de sa femme; d'autres ouvrages, comme ses Biographies, ne furent imprimés qu'après sa mort.
— Écrits de John Hutchinson, philosophe mystique, qui cherche à démontrer l'origine révélée du langage.
1710. — La voix du peuple n'est pas la voix de Dieu, ouvrage politique de Francis Atterbury, évêque de Rochester (1662-1731), auteur de sermons remarquables, de lettres et d'ouvrages de controverse (dès 1682),
— La Nouvelle-Atlantis, roman satirique de mis-
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328 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
tress Manley, qui a publié d'autres romans, moins connus et des tragédies, dont une jouée avec succès en 1693.
1711. — La Boucle enlevée, poème héroï-comique de Pope, qui a donné, en 1709, son poème si admiré de l'Essai sur la critique, puis sa Forêt de Windsor, divers autres poèmes, des poésies lyriques et une traduction rythmée d'Homère. — Voir 1733.
— La Nature de l'homme, poème philosophique de Richard Blackmore, qui s'est essayé, sans succès, dans le poème épique (le Prince Arthur, 1695 ; le Roi, Alfred, 1697; Eli\a, 1705). Son poème de la Création (1713) renferme de beaux passages.
— Publication du Spectateur, rédigé par Addison et Steele (du 1er mars 1711 à la fin de 1712, puis pendant quelques mois de 1714).
— Les Characteristics, du comte de Shaftesbury, ouvrage de morale un peu relâchée.
1712. — Grand succès de la première tragédie d'Ambroise Philips, la Mère malheureuse. D'autres pièces, depuis longtemps oubliées, ont suivi jusqu'en 1721. Philips a laissé des pastorales et d'autres poésies, des traductions d'oeuvres étrangères (comme d'Andromaque et des Lettres persanes), etc.
— Histoire de John Bull, roman satirique du docteur John Arbuthnot, dirigé contre Marlborough et le parti de la guerre. — Auteur de divers autres ouvrages, surtout scientifiques, Arbuthnot a collaboré avec Swift et Pope à la satire littéraire intitulée la Vie de Martin Scriblerus.
1713. —Tragédie de Caton, d'Addison (voir 1711), déjà connu par ses articles de revues, ses,essais dramatiques, son opéra national de Rosamonde (1707), des poèmes et des poésies, etc.
— Première publication des mélodrames de Thomas Southerne ou Southern, dont le drame philanthropique d'Oroonoko, contre l'esclavage, avait, été joué avec succès en 1692. — Ce poète a eu l'art de s'enrichir par ses drames.
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LITTERATURE ANCLAISE. 329
1715. — Sermons remarquables de Richard Bentley, plus connu aujourd'hui pour ses éditions savantes d'auteurs grecs et latins (depuis 1696).
1717. — Lettres écrites de Constanlinople par lady Marie Wortley Montague, ou mieux Montagu (16901762), et publiées seulement, avec d'autres, après sa mort. Lady Montagu s'est essayée avec moins de succès, dans la poésie.
— OEuvres poétiques d'Elie Fenton (tragédies, poésies lyriques, héroïdes). — Il a collaboré avec
Pope à une traduction en vers de l'Odyssée, et a laissé, eu prose, une Vie de Milton.
1718. — Poème de la Bibliothèque, de Thomas Newcomb, auteur de divers autres poèmes et de traductions.
1719. — Robinson Crusoé, de Daniel Defoë (connu, auparavant déjà, par sa Review, fondée en 1704, par ses pamphlets et, plus tard, par quelques romans de moeurs, comme le Colonel Jacques, le Capitaine Carleton, les Mémoires d'un cavalier, etc.).
— Elégie sur la mort d'Addison, de Thomas Tickell, auteur de poésies diverses avant cette date, et collaborateur du Spectator et du Guardian.
Vers 1720. — Odes et poésies morales de Thomas Warton l'ancien (mort en 1746).
1725 (et années suivantes). — Pamphlets contreRobert Walpole, publiés dans le journal le Craftsman, par le vicomte de Bolingbroke, auteur de Lettres sur l'histoire, d'un Traité sur le Patriotisme, de Réflexions sur l'exil, etc.
1726. — James Thomson publie son poème de l'Hiver, la première des quatre Saisons (les autres parurent les années suivantes). On a encore de lui un poème de la Liberté, le Château de l'indolence et des tragédies inférieures à ses autres ouvrages.
— Drame pastoral du Gentil Berger, de l'Écossais Allan Ramsay, perruquier-poète, dont les autres compositions sont oubliées aujourd'hui.
— Voyages de Gulliver, de Jonathan Swift, et (la
II, 42
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330 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
même année) Miscellanées, satires littéraires écrites en collaboration avec Pope. Swift était connu depuis 1704 par son Conte du tonneau, sa Bataille des livres, et, plus tard, par ses nombreux pamphlets politiques (surtout les Lettres du drapier, en 1723), son journal l'Examiner, etc. Ses Lettres Offrent aussi un grand intérêt.
— Discours, à la Chambre des lords, du comte de Chesterfieid, jusqu'en 1748, à sa retraite des affaires. (Après cette dernière date, Chesterfield publiera divers opuscules, des Lettres à son fils, et dirigera en 1753 et années suivantes, avec Horace Walpole, la revue le Monde.)
172.7. — Succès prodigieux de l'opéra du Gueux (ou du Mendiant) de John Gay, connu, depuis 1711, pour des poèmes didactiques ou héroï-comiques, des Fables, des opéras, etc.
— Poème descriptif de Grongar-Hill, de John Dyer; plus tard, poèmes de la Toison, des Ruines de Rome (1740), etc.
— Romans peu moraux de mistress Elisa Heywood, que Pope raillera dans sa Dunciade, l'année suivante.
1728. — Essai sur les passions et les affections, de Francis Hutcheson (morale de la bienveillance), dont les premiers ouvrages ont paru en 17251.
1729. — The Humours of Oxford (les Caprices d'Oxford), première comédie de Jacques Miller, ecclésiastique et poète (1703-1744), qui composa de nombreuses comédies jusqu'à sa mort, traduisit le Mahomet de Voltaire et aussi le théâtre de Molière (ce dernier en collaboration avec Henri Baker).
1731. — George Barnwel ou le Marchand de Londres, drame moral et bourgeois de George Lillo ; dans la suite, la Fatale Curiosité, drame du même genre.
1732. — The Grotto, premier poème de Matthieu Green, plus connu ensuite pour son poème sur le Spleen (1737).
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LITTERATURE ANGLAISE. 331
1733. — L'Essai sur l'homme, poème de Pope (voir 1711), publié dès l'année précédente sans nom d'auteur. — Précédemment, la Dunciade, satire littéraire (1728), puis épîtres et satires imitées d'Horace, et, en prose, lettres et ouvrages divers, notamment collaboration au pamphlet littéraire intitulé Vie de Martin Scriblerus (voir 1712).
1734. — L'Économie de la vie humaine, ouvrage philosophique de Robert Dodsley, qui publie dans la suite une encyclopédie intitulée le Précepteur (1748).
Il est moins connu comme poète, malgré le grand nombre de ses productions (poèmes didactiques, chansons, ballades populaires, fables, comédies).
1735. — Débuts oratoires, au Parlement, de William Pitt, le père (comte de Chatham), qui renversera bientôt Walpole et arrivera plusieurs fois au ministère. C'est lui qui se fit transporter mourant au Parlement pour protester contre la reconnaissance de l'indépendance de l'Amérique. — Outre ses discours et ses lettres (à son neveu), on a de lui quelques poésies ou petits poèmes. (Né en 1708, mort en 1778.)
1736. — Analogie de la religion naturelle et de la religion révélée, par Joseph Butler.
1737. — Poème héroïque de Léonidas, de Richard Glover (puis, divers poèmes didactiques, des ballades, des tragédies, comme Boadicée, en 1752, et Médée, en 1761).
173 9. — Tragédie de Mustapha, de David Mallet (ou Malloch), auteur de ballades, de poèmes divers et d'autres tragédies oubliées.
— Succès de Gustave Wasa, tragédie de Henry Brooke, qui a publié dans la suite, outre ses drames et ses poèmes didactiques, un roman assez estimé, le Sot de qualité (1760 et années suivantes).
1740. — Poème philosophique du Jugement d'Hercule, de William Shenstone; plus tard, poèmes descriptifs de l'Élégance champêtre et de l'a Maîtresse d'école, églogue culinaire de Colemira, ballades, élégies, etc.
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332 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
1741. — Vie de Cicéron, de Conyers Middleton, traducteur des lettres de Cicéron et auteur d'un grand nombre d'ouvrages d'érudition et de controverse.
1742. — Les Nuits, d'Edouard Young (jusqu'en 1744). Outre ce poème, Young a écrit de nombreuses poésies de circonstance, des épîtres, des satires, un poème du Jugement dernier (dès 1713); etc.
— Lettres, fort élégantes, de William Melmoth, sur divers sujets de littérature et de morale. (Outre ses Lettres et une traduction de celles de Cicéron et de Pline, Melmoth a écrit quelques poèmes, dont le meilleur est intitulé la Vie active et la Vie retirée.)
— Biographie des amiraux anglais, de John Campbell, qui a laissé, en outre, une Biographie britannique et une grande Histoire universelle (en collaboration).
1743. -- Poème du Tombeau, de Robert Blair.
— La Mission de Moïse, ouvrage apologétique de l'évêque William Warburton, qui, outre ses nombreux ouvrages de théologie, a donné une édition de Pope et de Shakspeare.
1744. — L'Art de préserver la santé, poème didactique du médecin écossais John Armstrong, qui a laissé aussi un poème de l'Hiver et plusieurs autres.
1745. — Publication du premier volume de l'Histoire d'Angleterre, de David Hume, connu déjà pour son Essai sur l'histoire (1735), publié seulement en 1742, avec ses remarquables Essais moraux, politiques et littéraires. Ses Discours politiques paraissent, en 1752.
1746. — Odes (allégoriques et descriptives) de William Collins, bien supérieures à ses productions suivantes (Odes orientales, etc.).
— Odes de Joseph Warton, qui a laissé, en outre, un Essai sur Pope (en vers), une traduction de Virgile (1753), et a publié les poésies de son père, Thomas Warton. — Voir 1720.
— Élégie ou Monodie de George Lyttleton sur la mort de sa femme. — Avant et après cette date :
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LITTERATURE ANGLAISE. 333
Eglogues, Epîtres, Lettres persanes, Nouvelles, Dialogues des morts et, enfin, Histoire du règne de Henri II (1767-71).
— Méditations au milieu des tombes, et plus tard, Contemplations sur la nuit, poèmes du prédicateur Hervey.
1747. — Les Plaisirs de la mélancolie, poème de Thomas Warton le jeune, auteur d'odes et de poésies descriptives, de satires, d'un poème du Triomphe d'Isis (1749), de divers ouvrages d'érudition et d'une Histoire de la poésie anglaise (1774).
— Chants écossais, d'Alexandre Webster, dont les poésies ont fait oublier les sermons et les ouvrages théologiques.
1748. — Clarisse Harlowe, roman de Samuel Richardson, qui a déjà donné en 1740 son roman de Paméla, mais sans le signer. — Dans la suite, Charles Grandisson (1753), Lettres familières, etc.
— Roderic Random, roman de Tobie Smollett, auteur de poésies, de tragédies et de comédies depuis 1740; puis, des romans de Peregrine Pickle (1751), des Aventures du comte Fathom (1753), de Humphrey Clinker (1771) et de quelques autres, sans compter son Abrégé des voyages (1757), son Histoire d'Angleterre, ses journaux la Critical revient (1758) et le Briton (1762), etc.
1749. — Observations sur l'homme, du médecin et philosophe naturaliste David Hartley.
1750. — Élégie du Cimetière de campagne, de Thomas Gray, dont on admire aussi quelques odes (surtout celle du Barde).
— Tom Jones ou l'Enfant trouvé, le meilleur roman de Henry Fielding, qui, outre des comédies imitées du théâtre français, a donné précédemment ses romans de Joseph Andrews (1741) et de Jonathan Wild (1743), des Mélanges ou récits divers, etc. — L'année suivante (1751), roman d'Amélie. — A diverses dates, écrits politiques et satires, etc.
1751. — Poèmes et poésies du médecin Nathaniel
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334 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
Cotton, dont on admire surtout le poème sentimental et domestique du Coin du feu. (Cotton a laissé des ouvrages de médecine estimés.)
— Essai sur la religion naturelle, de Henri Home, lord Rames (ou Kaimes), un des plus anciens représentants de la philosophie écossaise (auteur de divers traités depuis 1732).
1753. — Le Joueur, d'Edouard Moore, qui, outre ses Fables, a laissé plusieurs autres drames moraux et bourgeois fort appréciés de son temps.
— Succès dramatiques de Richard Cumberland (le Juif généreux, les Frères, etc.) ; on l'a surnommé de son temps, avec exagération, le Térence de l'Angleterre. Sa carrière littéraire s'est prolongée jusqu'à notre siècle (collaboration à la revue l'Observateur, 1786; romans d'Arundel, 1789, et de Henry, 1797; poème religieux du Calvaire, 1810; etc.).
— Biographies de William Gilpin (1724-1804), auteur de sermons et d'ouvrages théologiques.
Vers 1754. — Fables de Charles Dennis.
1754. — Poème latin, fort vanté, sur l'Immortalité de l'âme, par Isaac Hawkins Brow'ne, qui à écrit en anglais des poèmes, estimés aussi, sur les Beaux-Arts et sur la Pipe de tabac.
— Poème des Plaisirs de l'imagination, du médecin Marc Akenside (première édition en 1744); Hymnes, Epîtres satiriques et autres poésies moins estimées.
1755. — Succès de la tragédie de Barberousse. de John Brown, auteur moins médiocre dans ses autres essais dramatiques et dans son poème de la Liberté.
1756. — Tragédie de Virginie, de mistress Frances Brooke, née Moore, qui publie, cette même année, des odes, des. pastorales et diverses autres poésies ; plus tard, le mélodrame de Rosine, le roman sentimental de Julie Mandeville ( 1763 ), celui d'Emilie Montagne (1769), etc.
— Essai sur le sublime et le beau, d'Edmond Burke, célèbre dans la suite par son traité des Causes du mécontentement actuel (1770), ses Réflexions sur
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LITTÉRATURE ANGLAISE. 335
la Révolution française et ses discours au Parlement, de 1766 à 1792 (surtout contre le gouvernement, puis contre la France).
— Analyse des lois d'Angleterre, de William Blackstone.
1758. — Tragédie de Douglas, de John Home (autres drames ou tragédies et ouvrages historiques).
1759. — Roman philosophique de Rasselas, de Samuel Johnson, critique et poète, dont il faut citer : la tragédie d'Irène (1738), des satires et d'autres poésies, et les Vies des grands poètes anglais (1781), Il a, en outre, fondé deux revues, le Rambler ou Flâneur (1750-54) et l'Idler ou Oisif (1758-60), publié une édition de Shakspeare (1765), et rédigé un grand Dictionnaire de la langue anglaise (1771).
— Premier volume du roman de Tristram Shandy, de Laurence Sterne (la fin ne parut qu'en 1767). -— Voyage sentimental, en 1767 ; puis Sermons, publiés sous le pseudonyme d'Yorick.
1760. — Poème descriptif de Rome, par Keate.
1761. — Poème de la Nuit, de Charles Churchill (1731-1764), auteur de plusieurs autres poèmes et d'une satire contre l'Ecosse (1763).
— Comédie des Souhaits, de Richard Bentley, fils de l'illustre critique. — Drames et poèmes divers.
— Contes et romans de John Hawkesworth (17151773), essayist remarquable (revue l'Aventurier, 1752) et auteur de quelques pièces dramatiques et lyriques estimées de son temps.
1762. — Poème de Fingal, publié par James Macpherson sous le nom d'Ossian. En 1758, Macpherson avait donné, sous son nom, un poème assez médiocre, les Highlanders; il écrivit, dans la suite, d'autres poèmes, des poésies anciennes ou gaéliques et une Histoire d'Angleterre.
— Poème du Naufrage, de William Falconer. — Élégies et poésies pastorales de John Cunningham, acteur et auteur comique médiocre (premières comédies en 1747).
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336 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
— Essai sur les miracles, de George Campbell, qui donne, dans la suite, divers ouvrages de théologie et d'histoire ecclésiastique, et, eu 1790, une traduction et un commentaire des Évangiles.
1763. — Poèmes sacrés, de James Merrick; puis, Paraphrase des Psaumes (1765), Fables, etc.
— Thomas Reid, le fondateur de l'école écossaise, publie ses Recherches sur l'entendement humain; plus tard, Essai sur les facultés intellectuelles et Essai sur les facultés morales.
1764. — Roman du Château d'Otrante (publié d'abord sans nom d'auteur), par Horace Walpole, fils du ministre de George Ier et de George II. — Tragédie de la Mère mystérieuse, en 1768.
1765. — Remarquable publication intitulée Restes des vieux poètes anglais, par Thomas Percy (17281811), poète lui-même, connu par des traductions de poètes étrangers, depuis 1761.
1766. — Comédie du Mariage clandestin, de George Colman. — (Précédemment, poèmes humoristiques, drames, traduction de Térence, comédie de la Femme, jalouse, en 1761, et collaboration à une revue, le Connaisseur, de 1754 à 1756.)
— Les Noces de Falstafif, comédie de Kenrick (auteur de Satires et d'une traduction de J.-J. Rousseau).
— Le Ministre de Wakefield, roman d'Olivier Goldsmith, qui a débuté peu auparavant avec divers opuscules et le poème du Voyageur; puis viennent des comédies, le poème du Village abandonné (1770), une Histoire d'Angleterre, une Histoire de la Grèce, une Histoire de Rome, etc.
— Grand ouvrage sur les Richesses des nations, par Adam Smith, auteur, précédemment, d'un Traité des sentiments moraux (1759).
1767. — Mort prématurée de Michel Bruce, dont on lit encore l'Elégie au printemps et le poème descriptif de Lochleven. Ses oeuvres ne furent publiées qu'après sa mort, en 1770,
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LITTERATURE ANGLAISE. 337
1768. — Odes et sonnets d'Edmond Cartwright (1743-1823), poète et théologien, et, plus tard, inventeur de métiers à tisser. Ses premières poésies (ano.- nymes) avaient paru en 1762; puis vinrent des élégies et des poèmes divers. — Il fut un des collaborateurs les plus actifs de la Monlhly Revient.
— OEuvres dramatiques de l'acteur Garrick, dont on estime encore aujourd'hui les comédies satiriques.
1769. — Discours sur la peinture, du peintre et poète josué Reynolds, dont on a, en outre, des poésies, divers ouvrages en prose et des Mémoires (posthumes).
— Histoire de Charles-Quint, chef-d'oeuvre de William Robertson. (Histoire d'Ecosse, 1759; Histoire d'Amérique, 1777.)
— Essai sur Shakspeare (apologie du graud poète), par lady Montagu, née Robinson, auteur de Lettres célèbres et de Dialogues des morts (1765, en collaboration avec lord Lyttleton).
— Les Lettres de Junius, pamphlets publiés pendant deux ans dans l'Advertiser, et attribués à sir Philip Francis,
1770. — Mort prématurée de Thomas Chatterton, qui avait publié, d'abord, des poésies archaïques sous le nom de Rowlie (poète du XVe siècle), puis, sans succès, ses propres poésies.
— Traduction de Plutarque, par John Langhorne, qui a écrit divers ouvrages en prose (sermons, etc.), des poèmes didactiques médiocres et des poésies lyriques un peu meilleures.
— Traduction de l'Aminta, du Tasse, par Percival Stockdale, dont on a aussi des poésies, des Sermons, des Leçons de littérature, etc.
1771. — Traduction des Lusiades, de Camoëns , par William Mickle, connu par divers poèmes depuis 1762, auteur d'une Histoire du Portugal et d nombreux ouvrages en prose et en vers.
— Poème du Ménestrel ou des Progrès du génie, de James Beattie, dont on estime aussi les Ballades: En prose : Essai sur la vérité, fort médiocre.
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338 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
— L'Homme de sentiment, roman célèbre de Henry Mackenzie; dans la suite : l'Homme du monde, Julie de Roubigné, etc.
1772. — Le Jardin anglais, poème descriptif de William Mason, auteur d'odes estimées, de tragédies imitées des Grecs, comme Elfrida (1752), de Mémoires sur Thomas Gray et d'opuscules divers en prose.
1774. — Mort prématurée de l'Écossais Robert Fergusson, qui a écrit, dans le dialecte de son pays, de remarquables poésies (description d'Edimbourg, etc.).
— Relation de Voyages en Sicile et à Malte, de Patrick Brydone.
1775. ;— Poésies de la comédienne mistress Robinson, née Marie Darby, qui a laissé, en outre, des contes et des romans, une correspondance intéressante, des mémoires, etc.
— Poème des Elans de l'imagination, de Thomas Penrose, dont les odes sont quelquefois remarquables, et qui a écrit, en outre, divers poèmes et des Sermons. :
— Les Rivaux, première comédie de Richard Brinsley Sheridan; puis, le Jour de Saint-Patrick, la Duègne (opéra comique), l'Ecole de la médisance (dont le succès dure encore de nos jours), et, enfin, le Critique (1788). — Orateur remarquable, il se distingue au Parlement à partir de 1780, et surtout en 1787.
1776. — Premier volume de l'Histoire de la décadence de l'Empire romain, d'Edouard Gibbon (les cinq suivants jusqu'en 1789). — Son premier ouvrage sur l'Étude de la littérature est de 1761.
— Apologie du christianisme, de Richard Watson, qui a laissé, en outre, une Apologie de la Bible, des Sermons et des Instructions, etc.
— Histoire générale de la musique, de Charles Burney (jusqu'en 1789).
1777. — Recherches sur la matière et l'esprit, ou-
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LITTERATURE ANGLAISE. 339
vrage principal de Joseph Priestley, qui attaque l'école écossaise (depuis 1775).
— Premier volume des remarquables Sermons de Hugues Blair, plus connu aujourd'hui, chez nous, pour ses Lectures sur la Rhétorique et les BellesLettres.
1778. — Premières poésies de mistress Barbauld (soeur du poète Aikin). — D'autres poésies ont suivi jusqu'en 1811.
— Épîtres en vers de William Hayley (1745-1820); puis, Elégies, Essais, Biographies (dont celle de Milton, en 1796), etc.
— Drames et comédies de John Kemble (1757-1823), dont le frère, Charles Kemble (1775-1854), obtiendra au moins autant de succès avec ses comédies à partir de 1800.
— Roman d'Eveline, de miss Frances Burney (qui deviendra, en 1793, Mme d'Arblay); dans la suite, roman de Cécilia, tragédies, Lettres et Journal, etc.
— Histoire d'Amérique, de William Russell (17411793), dont les poésies ont paru en 1763 et années suivantes; puis, contes, romans, Histoire de l'Europe moderne, etc.
1780. — Eglogues orientales, du poète-voyageur John Scott.
— Les Stratagèmes des belles, comédie de mistress Hannah Cowley, qui a encore plus de succès que ses premiers essais en ce genre (en 1776) et que ses drames de famille, médiocres du reste.
— Excellente édition de Shakspeare, avec une biographie du grand poète, par Edmond Malone (17411812), qui a publié, en outre, divers ouvrages de critique et d'érudition.
— Histoire des colonies anglaises, de George Chalmers ; plus tard (1807), recueil des antiquités d'Ecosse, intitulé Calédonie.
— Histoire de George III, de John Aikin, dont les poésies sont oubliées. — Auteur d'un Dictionnaire biographique qui a paru de 1799 à 1815.
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340 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
1781. — Poème du Jardin botanique, d'Érasme Darwin (terminé seulement en 1792). — Poéme de la Zoonomie, en 1793. — Poème du Temple de la nature (posthume, après 1802).
— Poésies et poèmes de John Logan, dont on admire encore l'Ode au coucou. — Précédemment, en 1770, édition des poèmes de Michel Bruce (voir 1767); puis tragédies et ouvrages en prose (histoire et philosophie).
— Grand succès de la Duplicité, une des premières comédies de Thomas Holcroft, dont les drames et les mélodrames ne valent pas les comédies ; — poèmes divers et Mémoires dans la suite.
1782. — William Cowper publie à cinquante et un ans son premier volume de poésies ; plus tard, poème didactique du Devoir, Epîtres, poèmes comiques et satiriques, traduction d'Homère, etc. — Ses Lettres n'ont été publiées qu'après sa mort.
— Traduction d'Euripide, de Wodhull, auteur de poèmes oubliés.
1783. — Premiers opuscules (historiques, biographiques et politiques) de Charles-James Fox, orateur et homme d'État ; plus tard, Vie de Sheridan (1799) et Histoire du règne de Jacques II (posthume, 1808).
— Sandford et Merlan, le meilleur des nombreux romans d'éducation de Thomas. Day.
1784. — Histoire de la République romaine, d'Adam Fergusson ; — ouvrages philosophiques moins estimés.
— Histoire de la Grèce, de William Mitford (1744-1827), auteur de divers opuscules littéraires et historiques, depuis 1774.
— Roman du Calife Vathek, de BeckFord (seule oeuvre connue qu'il ait produite).
1785.— Premiers chants du poème satirique de la Louisiade (jusqu'en 1795), dirigé contre George III, par John Wolcot, Woolcot ou Wolcott (pseudonyme : Peter Pindar), auteur de Ballades, de Contes en vers, d'Odes révolutionnaires, dont une adressée à Payne, l'auteur des Droits de l'homme (voir 1791), etc.
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LITTERATURE ANGLAISE. 341
1786. — Premières poésies de l'Écossais Robert Burns ; dans la suite, nouvelles poésies, Contes, Ballades, Lettres, etc.
— Premières poésies de Samuel Rogers (odes, poèmes- didactiques, etc.) ; plus tard (1812), poème du Voyage de Colomb.
— Le Bas-Bleu ou Conversation, de mistress Hannah More, satire contre les coteries d'auteurs et de femmes savantes ; plus tard, romans moraux et drames sacrés.
— Tragédie de Werther, de Frédéric Reynolds, qui obtiendra, dans la suite, un bien plus grand succès avec sa comédie du Dramatiste.
— Anecdotes sur Johnson, et, plus tard, Correspondance avec Samuel Johnson, par mistress Thrale (née Esther Lynch et devenue, en secondes noces, mistress Piozzi). — Poésies légères, oubliées; ouvrages de grammaire, etc.
— Pamphlets, puis ouvrages de grammaire, de John Horne-Tooke, philologue distingué, publiciste violent, mais sincère (1736-1812).
— Zeluco, roman imité de Richardson, par John Moore; dans la suite, romans analogues d'Edouard (1796) et de Mordaunt (1800).
1788. — Histoire de l'Eglise chrétienne, de George Gregory (1754-1808), connu déjà pour ses Sermons, ses ouvrages de théologie, de philosophie et de littérature, et qui donnera, l'année suivante, une Vie de Chatterton.
1789. — Grand ouvrage de Jérémie Bentham : Introduction aux principes de morale et de législation, — Précédemment : Fragment sur le gouvernement (1776); Défense de l'usure (1787). — Plus tard ; Discours sur la législation civile et pénale (1802).
1790. — George Ellis, médiocre auteur de traités politiques oubliés et de quelques poésies de circonstance, commence une intéressante publication de romans et de poèmes du moyen âge.
— Voyage en Abyssinie, de James Bruce.
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342 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
1791. — Nouvelles et Romans de mistress Inchbald, née Simpson (plus estimés que ses comédies ou
farces, qui ont eu quelque succès depuis 1784).
— Vie de Johnson, par son ami James Boswell.
— Curiosités littéraires d'Isaac Disraeli; plus tard, Commentaires sur le règne de Charles 1er.
— Thomas Payne est exilé pour son pamphlet des Droits de l'homme.
— Traduction du Nouveau Testament par le savant Gilbert Wakefield, érudit et théologien, esprit hardi et libéral, mais violent (il fut emprisonné pour ses attaques contre l'épiscopat). — Poésies latines, ouvrages de critique, éditions de Virgile et de Lucrèce; correspondance (posthume).
1792. — Chants nationaux de marins contre la France, composés (paroles et musique) par Charles Dibdin, dont on a oublié depuis longtemps les comédies.
— William Pitt le fils, qui s'est distingué au Parlement, comme orateur, depuis 1789, prononce de violents discours contre la Révolution française.
— Succès de l'école écossaise, avec les ouvrages de. Dugald-Stewart (Philosophie de l'esprit humain, Essais philosophiques, etc.).
1793. — La Maison du vieux manoir, le meilleur roman politique de Charlotte Smith, qui donne, la même année, un poème des Emigrants. — Précédemment, Sonnets et poésies diverses (1784); traduction de Manon Lescaut; romans de la Vie réelle (1787), d'Emmeline,d'Ethelinde, de Desmond (1792), qui était favorable à la Révolution française, etc.
1794. — Premières poésies et drame de Robespierre, de Samuel Taylor Coleridge, le chef des lakistes. — Dans la suite, sonnets et poésies lyriques, drame de Wallenstein (1800), etc.
— Roman de Caleb Williams, de William Godwin, auteur de nombreux ouvrages en prose et en vers, avant et après cette date, jusqu'en 1830.
— Les Mystères d'Udolphe, roman fantastique de
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LITTERATURE ANGLAISE. 343
mistress Anne Radcliffe, née Ward. — Nombreux autres romans précédemment (depuis 1791) et dans la suite.
— La Baviade et la Méviade, satires de William Gifford, auteur de poésies sentimentales, d'une traduction de Juvénal en vers, et un des premiers rédacteurs de la Quarterly Revient.
1795. —Premières comédies de John Tobin, dont la Lune de miel (imitée des anciens comiques anglais) a encore beaucoup de succès aujourd'hui. Ses drames sont faibles
— Vie ac Laurent de Médicis, de William Roscoë (1753-1831), auteur de poèmes descriptifs et historiques et d'odes, depuis 1777, puis d'ouvrages de controverse, notamment en faveur de la Révolution française, contre Burke, et, plus tard, d'une Vie de Léon X (1805).
— Grand succès du Moine, premier roman de Matthieu Gregory Lewis (genre fantastique et licencieux); resté populaire jusqu'aux débuts de Walter Scott, et oublié aujourd'hui. — Drames traduits ou imités de
Schiller (1797 et années suivantes).
1796. — Jeanne d'Arc, poème épique du lakiste Robert Southey; nombreux poèmes (épopées lyriques) et poésies diverses (sonnets) dans la suite, surtout de 1800 à 1815; ouvrages historiques, etc. — Publication d'anciens poètes.
— Premières comédies de George Colman fils (genre sentimental), comme les Montagnards, le Pauvre Gentilhomme, John Bull, etc.
— Lettres d'un Rajah, roman philosophique d'Elisabeth Hamilton (1757-1816) ; puis, romans divers, Lettres sur l'éducation et Lettres morales et religieuses.
1797. — Les Contes de Canterbury, premier roman des soeurs Sophie et Harriett Lee (imitation de. Chaucer).
— Le journal l'Anti-Jacobin, recueil de parodies et de satires, rédigé par George Canning, auteur de
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344 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
chansons et de poésies diverses, mais plus connu aujourd'hui comme économiste et homme d'État. Ses Discours n'ont été publiés qu'après sa mort (1827).
1798.— Poème d'Obéron, imité de Wieland, par William Sotheby; plus tard, narrations poétiques, drames, etc.
— Drames (imités de Shakspeare) de Charles Lamb, auteur de poésies lyriques, d'Élégies, de poésies pour les enfants (1809) et d'un intéressant recueil, de Contes tirés de Shakspeare (1807).
— Essai sur le principe de la population, le plus connu des nombreux ouvrages d'économie politique de Thomas Robert Malthus (1766-1834).
1799. — Leçon sur le droit naturel et le droit des gens, de James Mackintosh, un des principaux collaborateurs de la Revue d'Edimbourg; avant et après cettte date, Essais, Mélanges philosophiques, Histoire d'Angleterre, Histoire de la Révolution de 1688, etc.
— Relation des Voyages en Afrique, de Mungo Park.
1800. — Le médecin James Currie (1756-1805), auteur de divers ouvrages scientifiques et politiques, publie une édition, avec commentaire, des oeuvres de Burns'(voir 1786).
— Poème du Garçon de ferme, de Robert Bloomfield; avant et dans la suite : Pastorales, Ballades, poème des Bords de la Wye, etc.
— Sermons de Sydney Smith, marin, puis publiciste et prédicateur, auteur de nombreux ouvrages de théologie et de prosélytisme, de biographies, de Mémoires (posthumes), et un des fondateurs de la Revue d'Edimbourg.
1802. — Francis Jeffrey, plus tard lord Jeffrey, (1773-1850), fonde la Revue d'Edimbourg, et a bientôt pour collaborateurs lord Brougham (voir 1825); Sydney Smith, Thomas Brown, Mackintosh et quelques autres écrivains distingués. Les articles de Jeffrey, relatifs à l'histoire, à la littérature, à la philosophie, à la politique, seront réunis en volumes (1846).
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LITTERATURE ANGLAISE. 345
— Théologie naturelle, de William Paley, qui a déjà exposé ses idées, fort libérales, dans ses Principes de philosophie.
1803 à 1810. — Histoire parlementaire, de William Cobbet, grammairien et publiciste.
1804. — Pièces mêlées, de Joanna Baillie, dont les drames de famille ont commencé à avoir du succès depuis 1798, sous le titre de Pièces sur les passions. — En 1810, elle donne une de ses dernières tragédies, la Légende de famille. (Elle a laissé, en outre, des poésies diverses.)
— Poème de la Peinture et Sermons, de William Lisle Bowles (1762-1850), prédicateur et poète également estimé (Sonnets, poèmes et poésies depuis 1789; nombreux ouvrages de controverse).
— Histoire d'Ecosse, de Malcolm Laing.
— Contes populaires, de miss Marie Edgeworth, connue déjà depuis 1801 pour quelques bons romans; plus tard, Contes de la vie fashionable (1809), roman d'Hélène (1834), etc.
1806. — Mort prématurée de Henry Kirke-White, célèbre dès son enfance pour ses poésies pleines de sentiment, puis pour son poème du Bocage de Clifton (1803). Ses oeuvres posthumes sont publiées par Southey.
— Les Voyageurs de Suisse, poème descriptif de James Montgomery, qui a écrit plusieurs autres poèmes, descriptifs ou moraux (Greenland, 1819 ; l'ile du Pélican, etc.) et des poésies lyriques.
— Premiers ouvrages philosophiques de Thomas Browne, qui, après des essais poétiques médiocres (1804), se consacre uniquement à la philosophie (école écossaise) et supplée Dugald-Stewart en 1808.
— Contes et romans de mistress Amélia Opie (née Anderson), auteur de poésies lyriques et de nombreux romans avant et après cette date (notamment en 1801 et 1818).
1807. — Poèmes du lakiste William Wordswbrth (genre descriptif), dont les premiers essais remontent
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346 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
à 1793, et les Ballades lyriques à 1798; dans la suite : poème de l'Excursion (1814); Sonnets (1820) ; Élégies, etc.
— Contes en vers de Georges Crabbe (jusqu'en 1810); précédemment, poèmes du Village (1782), du journal (1785), de la Librairie; de l'Espérance, etc.
1808. — Succès étonnant de la jeune Felicia Browne (plus tard mistress Hemans), qui, à quinze ans, publie un recueil de poésies souvent remarquables. Dans la suite et jusqu'à sa mort (183 5), elle donne des poèmes patriotiques et de nombreuses poésies lyriques.
1809. — Poème de Gertrude of Wyoming, chefd'oeuvre de Thomas Campbell, connu déjà pour son poème des Plaisirs de l'espérance (1799), ses chants patriotiques, etc., et, plus tard, pour son poème du Dernier Homme, son conte de Théodoric, etc.
— Poème de la Palestine, de Reginald Heber, traducteur de Pindare, auteur de Sermons, de biographies et de relations de voyages, d'ouvrages de théologie et de politique (sans compter ses poésies lyriques, sacrées et profanes).
— Fondation de la Quarterly Revient ou Revue trimestrielle, dévouée aux tories, et rédigée à l'origine par Gifford, Southey, Canning, etc. ; plus tard, à la mort de Gifford, elle sera dirigée par Lockhart. (Voir 1826.)
Vers 1810, — Succès des meilleurs romans et nouvelles de miss Jane Austen ou Austin (1775-1817), qui, dans ses romans d'éducation et ses récits de la vie réelle (Orgueil et Dommage, Mansfield Park, Emma, etc.), réagit contre le genre fantastique mis à la mode par Anne Radcliffe. (Voir 1794.)
1810. — Relations de voyages de Daniel Clarke (jusqu'en. 182.).
— Remarquable traité sur les Lois criminelles de l'Angleterre, par Samuel Romilly (1757-1818), publiciste et orateur, dont les succès au Parlement remontent à 1806. — Discours et ouvrages politiques; Mémoires (posthumes).
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LITTÉRATURE ANGLAISE. 347
1811.— Mort prématurée du médecin John Leyden, auteur de charmantes poésies intitulées Scènes de l'enfance, de Ballades et d'autres compositions poétiques.
— Premiers poèmes, moraux et religieux, du quaker Bernard Barton.
1812. — Childe-Harold, de lord Byron .(jusqu'en 1818). — Ses oeuvres principales sont : les Heures de paresse (poésies tyriques, 1808) ; le Corsaire, Lara, Manfred, Mazeppa, la Lamentation du Tasse.(1817), Beppo (1818), Don Juan (1819), etc.
— La Reine Mab, premier poème de Percy Bysshe Shelley; dans la suite, tragédie de Prométhée enchaîné, poèmes héroïques (la Révolte de l'Islam, 1817), drame lyrique d'Hellas (1821), tragédies, etc. — En prose : De la nécessité de l'athéisme.
— Grand dictionnaire biographique d'Alexandre Chalmers (jusqu'en 1816).
1814. — Walter Scott publie son dernier poème (le Lord des îles) et son premier roman (Wawerley, anonyme.) — Dates de ses meilleurs poèmes antérieurs : le Chant du dernier ménestrel, 1805 ; Marmion, 1808; la Dame du lac, 1810. — Dates de ses principaux romans : Guy-Mannering, 1815 ; l'Antiquaire, 1816; Rob-Roy ; Ivanhoë, 1820; le Château de Kenilworth, 1821; la Jolie Fille de Perth; la Fiancée de Lammermoor; Quentin Durmard; Redgauntlet,
Redgauntlet, Robert de Paris, 1831, etc. — En 1827, il publie une Histoire de Napoléon, et, peu après, sou Histoire d'Ecosse intitulée Contes d'un grand-père.
— Histoire de la fiction en prose ou du roman, par John Dunlop, auteur de divers ouvrages d'histoire ou de littérature (notamment de Mémoires sur l'Espagne, 1834).
1815. — Premières poésies (lyriques) de James Hogg, surnommé le berger dé l'Ettrick; dans la suite, Contes en vers, Chansons, Romans, etc. — Publication de ses oeuvres poétiques en 1822.
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348 TABLEAU CHRONOLOGIQUE,
— Premier succès de l'acteur et auteur dramatique James Shéridan Knowles, avec son Caïus Gracchus; plus tard, tragédies de Guillaume Tell, d'Alfred le Grand, etc.
— Histoire de la Perse, du major John Malcolm (qui a donné, l'année précédente, un poème de La Perse). Connu déjà, auparavant, par des Mémoires sur l'Inde (1784 et ann. suiv.).
1816. — Poème intitulé Histoire de Rimini, par Henry Leigh Hunt, imitateur de lord Byron, connu, dès 1814, par quelques poèmes, et, dans la suite, par des drames et divers ouvrages en prose.
— Roman de Glenarvon, de lady Caroline Lamb, maîtresse, puis ennemie de lord Byron, dont elle a fait le héros de ce récit.
1817. — Poème de Lalla-Rookh, de Thomas Moore, l'auteur des Mélodies irlandaises (1813) et, plus tard, de l'Amour des Anges, de Satires, d'une traduction d'Anacréon, d'une Vie de Byron (en prose), etc.
— Caractères tirés des pièces de Shakspeare, par William Hazlitt, peintre, poète, critique et historien (drames, poésies diverses, ouvrages d'esthétique; Leçons sur la poésie anglaise, 1818; biographies, Histoire de Napoléon, etc.).
— Publication des premiers ouvrages (théologie, philosophie, politique, sermons) de Thomas Chalniers (jusqu'à sa mort, en 1847).
— Annuaire biographique, d'Alexandre Stephens (1757-1821), auteur de poésies oubliées, : de Lettres, d'ouvrages de morale, d'une Histoire des guerres de la Révolution française (1803), etc.
1818. — Tragédie de Fazio, de Henry Milman, auteur de quelques poèmes narratifs et d'une Histoire. du Christianisme.
— Histoire de l'Europe au moyen âge, de Henry Hallam; plus tard, Histoire constitutionnelle de l'Angleterre (1827), Histoire des littératures de l'Europe du XVIe au XVIIIe siècle, etc.
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LITTERATURE ANGLAISE. 349
— Roman de Frankenstein ou le Prométhée moderne, par Marie Shelley (1798-1851), seconde femme du célèbre poète de ce nom (voir 1812). — Ses autres romans (Valperga, 1823; Perkin Warbeck, etc.) sont moins connus.
1819. — Scènes dramatiques et Poèmes de Bryan Waller Procter (né en 1787), plus connu sous son anagramme de Barry Cornwall; — divers autres poèmes dans la suite, Contes, Tragédies, Essais en prose, etc.
— Premiers volumes de l'Histoire d'Angleterre jusqu'en 1688, par le prêtre catholique John Lingard, dont le premier ouvrage (de controverse) a paru en 1805. Sa grande Histoire ne sera terminée qu'en 1830.
— Les Annales de la paroisse, roman de John Galt (genre de Walter Scott) ; puis, les Légataires de l'Ayrshire (1820) ; la Substitution (1823); etc. — Relations de voyages.
Vers 1820. — Poésies (sentimentales), Élégies, poèmes divers de Thomas Haynes Bayly, mort relativement jeune (1797-1839), après une existence fort éprouvée. — Contes et nouvelles en prose.
1820. — Mort prématurée de John Keats, auteur de poèmes antiques, tels qn'Endymion, Hypérion, etc. — II avait publié ses premières poésies à l'âge de vingt ans, en 1817.
— Contes en vers et autres poèmes de mistress Southey, née Bowles; diverses compositions poétiques dans la suite.
— Tragédie de Brutus, de Howard Payne.
— Premières relations de voyages en Orient (sous forme de contes), par James Saillie Fraser.
— 1821. — Poème de l'Italie et autres poésies de lady Morgan, née Owenson, plus connue, dans la suite, pour ses romans historiques et populaires de O'Donnel, Florence Mac'Carthy, etc. (trop nombreux).
1822. — Voyages en Palestine, de James Silk
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350 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
Buckingham (autres relations de voyages en Orient les années suivantes).
1823. — Tragédie de Julien, de miss Marie Russell Mitford, connue surtout pour ses romans paysagistes, dont la collection est intitulée Notre Village.
1824. — Poème de l'Improvisatrice, de miss Laetitia Landon (plus tard mistress Maclean), qui a publié ses premières poésies en 1821 ; divers poèmes dans la suite (le Troubadour, etc.).
— Biographies de Thomas Carlyle (surtout celle de Schiller, qui est son chef-d'oeuvre) ; divers Essais dans la suite, et ouvrages estimés d'histoire, de littérature, et de politique; Histoire de la Révolution française (1837). — Un autre Thomas Carlyle a écrit, un peu plus tard, une Histoire de la philosophie allemande.
1825. — Chants d'Ecosse, du poète artisan Allan Cunningham, plus connu, dans la suite, pour ses romans de Marguerite Lindsay, et autres, son Histoire de la Grande-Bretagne et son Histoire de la littérature anglaise.
— Traité sur l'Éducation du peuple, de lord Henry Brougham, un des fondateurs de la Revue d'Edimbourg (voir 1802), le traducteur de Démosthène et l'adversaire de lord Byron. — Nombreux ouvrages scientifiques, politiques, économiques, surtout en 1840 et années suivantes.
1826. — John Gibson Lockhart, gendre de Walter Scott (dont il écrira la biographie), prend, jusqu'en 1853, la direction de la Quarterly Revient, à la mort de Gifford (voir 1809.) — Connu, dès 1819, pour ses ouvrages historiques ou littéraires, ses romans, etc.
— Relation de Voyages en Afrique, par l'Écossais Hugh Clapperton (1788-1827). La fin de cet ouvrage ne paraît qu'après sa mort, en 1829.
— Relation de Voyages en Amérique, par le major Francis Head (né en 1793).
— Roman politique de Vivian-Grey, par Benjamin Disraeli (devenu, de nos jours, lord Beaconsfield). —
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LITTERATURE ANGLAISE. 351
Outre sa tragédie d'Alarcos et quelques autres essais dramatiques, il a écrit une série de récits historiques au point de vue de la Jeune-Angleterre, comme Contarini Fleming, l'Épopée révolutionnaire, etc., et des romans (Coningsby, Sibyl. etc.), vers et après 1850.
1828. — Odes sacrées et poèmes sur Dieu, du prédicateur Robert Montgomery.
1829. — Devereux, le premier des bons romans d'Edouard Bulwer (devenu, dans la suite, lord Lytton). Il avait donné, auparavant, ses romans de Falkland (1827) et de Pelham; il écrira, les années suivantes, Paul Clifford (1830), les Derniers jours de Pompéi, Rienzi, Ernest Maltravers (1837), les Caxtons (1849) et d'autres romans après 1850.
Vers 1830. — Succès des contes en prose et en vers (humoristiques) de Thomas Hood ; Chansons, Satires, puis Sur le Rhin, poème (1838), et surtout le remarquable Chant de la chemise (1843).
— Nombreux ouvrages de Thomas Arnold, prédicateur, philosophe , érudit et historien : Sermons, Lettres fort intéressantes, Histoire de Rome (inachevée), Leçons sur l'histoire moderne, Essais divers et remarquable édition de Thucydide.
— Discours de Daniel O'Connel, le défenseur de l'Irlande, orateur populaire dans toute la force du terme, qui n'a presque rien publié lui-même. On a, outre un recueil de ses principaux discours, ses Lettres et ses Mémoires sur l'Irlande (1843).
1830. — Premières oeuvres poétiques d'Alfred Tennyson (jusqu'en 1840) : poème de. Locksley-Hall, Elégies, Idylles; puis, poème de Viviane, de Geneviève, de Godiva, etc. (d'autres après 1850).
— Remarquable traité sur la Loi de la population, par Thomas Sadler (1780-183 5), auteur d'un mémoire sur l'Irlande (1828), de divers traités d'économie politique et d'ouvrages philanthropiques.
1832. — Vers sur la loi des grains (Cornlawrhymes), d'Ebenezer Elliot, le forgeron de Sheffield,
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352 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
dont les poésies, généralement politiques, n'ont été recueillies qu'en 1840 et 1850.
— Premiers drames historiques de Frances-Anne Kemble (née en 1811), fille de l'acteur Charles Kemble, et actrice elle-même. Outre ses drames, elle a écrit des poèmes et des Mémoires. ■
— Premiers ouvrages (philosophiques, économiques et philanthropiques) de miss Harriett Martinéau, célèbre,, dans la suite, pour ses romans de propagande et ses contes instructifs à l'usage des enfants.
— Histoire des Anglo-Saxons, de François Palgrave (1788-1861), dont le vrai nom était Cohen; auteur de nombreuses publications savantes, d'une Histoire de Normandie et d'Angleterre, etc.
— Mistress Trollope, née Frances Milton (17781863), commence, à cinquante ans passés, sa carrière littéraire : romans surtout satiriques.
1833. — Premières poésies de Hartley Coleridge (1796-1849), fils du grand poète de ce nom (voir 1794).
1835. — Romans maritimes et de voyages, du capitaine Frédéric Marryatt (dans le genre de l'Américain Fenimore Cooper.)
1836. — Publication des Discours de sir Robert Peel, aussi brillant orateur qu'économiste libéral. — Nombreux ouvrages politiques, Mémoires, etc.
183 7. — Les Papiers de Pickwick, premier roman de Charles Dickens, sous le pseudonyme de Boz ; puis : Nicolas Nickleby, Olivier Twist, David Copperfield, etc.
— Histoire des sciences inductives, de Wheyvell.
1838. — Poésies et poèmes de miss Elisabeth Barrett, qui sera, plus tard, mistress Browning (en 1846). OEuvres poétiques nombreuses, avant et après 1850.
1839. — Cheveley ou l'Homme d'honneur, roman de lady Bulwer (mariée au célèbre romancier eu 1827) ; divers autres romans après cette date.
1841. — Richard Cobden, orateur, économiste et publiciste, propage les doctrines d'Adam: Smith, en faveur du libre échange, par ses brochures, et surtout par ses articles dans la Revue d'Edimbourg.
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LITTERATURE ANGLAISE, 353
— Voyages en Belgique, de lady Blessington, née Power, plus connue, dans la suite, pour ses romans (la Lanterne magique, les Victimes de la société, les Mémoires d'une femme de chambre), et ses Conversations avec lord Byron.
1842. — Chants de l'ancienne Rome, remarquables poésies historiques et lyriques de Thomas Babington Macaulay; puis, Ballades et autres poésies. — En prose : Essais critiques et biographiques (1843), publiés primitivement dans la Revue d'Edimbourg ; Histoire d'Angleterre (1849 et années suivantes), etc.
— Grand succès du drame d'Athehvood, de William Smith.
1843. — Système de logique, du philosophe positiviste John Stnart Mill (1806-1873), puis : Questions d'économie politique (1844); nombreux ouvrages après 1850.
1846 (et années suivantes) Grande Histoire
grecque, de George Grote (1794-1871).
1847. — La Foire aux vanités, premier roman de William Makepeace Thackeray ; les suivants sont postérieurs à 1850.
— Succès du roman de Jane Eyre, de miss CurrerBell (1816-1855), qui a écrit sous le pseudonyme de Charlotte Bronté. — Poésies, romans (Shirley, 1849, etc.); propagande en faveur de l'indépendance des femmes.
1850. — La Chute de Rome, premier roman célèbre de Wilkie Collins (né en 1824).
-- Premiers essais poétiques de Robert BulwerLytton (né en 1831), fils du romancier de ce nom (voir 1829), connu, après 1850 et de nos jours, par divers poèmes, des Chants nationaux, des Chants serbes, des romans en vers, etc. (Il a écrit quelquefois sous un pseudonyme.)
15
II.
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354 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
Appendice à la troisième partie. LITTÉRATURE ANGLO-AMÉRICAINE.
1674. — Établissement de la première imprimerie dans l'Amérique du Nord, à Boston: — (La seconde, cinquante ans plus tard, à Philadelphie.)
1719. — Apparition du premier journal, américain, la Gazette bostonienne.
1717. — Histoire des Indiens, de Cadwallader Colden (1688-1776), Écossais émigré en Pensylvanie, qui s'occupa surtout de médecine et de botanique.
1732. — Almanach du bonhomme Richard, qui fut la cause première de la popularité de Benjamin Franklin. Jusqu'à sa mort, ce grand homme ne cessera d'écrire pour l'instruction de ses semblables; mais ses oeuvres proprement dites sont posthumes (Correspondance, Mémoires, etc.).
1754. — Traité de la volonté, de Jonathan Edwards, qui a publié déjà, depuis 1737, des Sermons, et des ouvrages théologiques estimés,
1772. — Poème de l'Amérique, de Thimothée Dwight (1752-1817), qui a laissé, en outre, des Sermons, des Discours, et divers traités politiques religieux.
Vers 1774. — Lettres d'un cultivateur américain, publiées sous le pseudonyme d'Hector de Saint-Jean.
1774, — Pamphlets politiques de Francis Hopkinson, qui, durant les années suivantes, écrit encore de nombreux opuscules, et même des poèmes, pour développer le sens politique ou exalter le patriotisme chez ses concitoyens.
1775. — Essais d'épopée comique, de John Trumbull (comme Mac-Fingal, dans le genre d'Hudibras, auquel certains critiques le préfèrent). - Outre ses autres poèmes (Élégies sur les temps, 1774, Sa-
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LITTÉRATURE ANGLO-AMERICAINE. 355
tires, etc.), Trumbull a publié dès 1771 un assez grand nombre d'articles en prose ou en vers dans les principaux recueils périodiques américains.
1776. — Le Sens commun, un des meilleurs pamphlets de Thomas Paine (1736-1809), qui vécut tour à tour en Angleterre, en Amérique, en France, où il fut exclu de la Convention par Robespierre, et finit ses jours en Amérique. Parmi ses autres pamphlets, les plus connus sont : la Lettre à l'abbé Raynal, sur la. révolution américaine (1783); les Droits de l'homme (1792) ; l'Age de raison (1794) ; etc.
N. B. — A la page 153 de ce volume, nous avons mentionné Paine parmi les écrivains anglais ; il est plus exact de le compter uniquement parmi les angloaméricains ; et, en outre, son nom doit s'écrire Paine, et non Payne.
— Lettres de Georges Washington (1732-1799), fondateur et premier président de la république américaine. Son Journal avait paru dès 1754 ; d'autres lettres furent publiées en 1795; mais ses oeuvres complètes ne parurent qu'après sa mort.
1784. — Notes sur l'Etat de Virginie, de Thomas Jefferson (1743-1826), plus connu aujourd'hui pour sa remarquable correspondance et pour ses Mémoires (posthumes).
1786. — Le Contraste, la meilleure comédie de Royal Tyler, qui a écrit aussi des romans (les Algériens, etc.)
1787. — La Colombiade, poème de Joël Barlow, auteur de plusieurs autres poèmes, de chants nationaux, et de brochures politiques.
1788. — Remarquables Essais sur la constitution américaine, écrits sous le titre de : Le Fédéraliste, et sous le pseudonyme de Publius, par le major-général Alexandre Hamilton (1757-1804).
1789. — Succès dramatiques de Dunlap, avec la Fille unique, et, plus tard, avec d'autres comédies, des drames nationaux, et des mélodrames. — Du même auteur : Histoire du théâtre aux États-Unis.
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356 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
— Histoire de la révolution d'Amérique, de David Ramsay (1749-1815), qui avait déjà écrit auparavant divers ouvrages historiques, comme ses Mémoires sur la guerre de Sept Ans, etc.
1790. — Le théâtre se développe en Amérique, grâce surtout au goût du public pour les représentations de pièces étrangères (anglaises d'abord, puis françaises) ; succès de la Veuve du Malabar, de Lemierre, (Bien que Tyler ait fait jouer ses comédies depuis 1786, ce n'est guère qu'après 1795 que commencera à se former un théâtre national.)
— Discours sur Davila, publiés sous forme d'articles de revues, par John Adams (173 5-1826), publiciste éminent et second président de la république américaine, auteur de nombreux opuscules politiques, d'articles dans la Galette de Boston (depuis 1765), d'ouvrages historiques, etc.
1792. — La Chevalerie moderne, roman de Henry Hugh Brackenridge (1742-1816), auteur d'un poème de l'Amérique du Nord (1774) et d'Éloges des héros de l'indépendance (1779), ainsi que de nombreux romans dans la suite.
1789. — Roman de Wieland, de Charles Brockden Brown, dont les autres romans les plus connus sont intitulés : Ormond. Arthur Merwin (1799); Edgar Huntley (1800); Clara Howard, les Mémoires d'Etienne Calvert (1801), etc. — Ses principales poésies sont ses Sky-Walks ou Promenades au ciel. — Articles divers dans les revues.
1799. — Mort prématurée du poète William Clifton (né en 1772), auteur d'Epîtres poétiques fort admirées, et d'un poème inachevé de la Chimériade.
Vers 1800 (?). — Histoire de la Pensylvanie, de Robert Proud.
1807. — Premiers essais, humoristiques et satiriques, de Washington Irving, avec son recueil périodique de Salmagundi, — Ses principaux écrits, dans la suite, sont : l'Histoire de New-York, par Dietrich Knickerbocker, le Magasin analytique, les Lettres
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LITTÉRATURE ANGLO - AMÉRICAINE, 357
sur l'Angleterre (1816), le Livre d'Esquisses, ses Romans, ses Contes (1824), l'Histoire de Christophe Colomb, les Contes de l'Alhambra, etc.
1815. — Mélanges (prose et vers) de miss Henriette Huntley, devenue, dans la suite, mistress Sigourney; plus tard, poème des Aborigènes (1822), Voyage en Europe (1841), poème de Pocahontas, etc.
1816. — Les Airs de Palestine, de John Pierpont; diverses autres poésies dans la suite (jusqu'en 1840), relations de voyages, etc.
1819. — Premières poésies de Joseph Rodman Drake, publiées dans des recueils périodiques. Drake meurt l'année suivante, et ses autres compositions, comme le poème de la Fée coupable, ne paraissent qu'en 1836.
Vers 1820. — Poésies de Charles Sprague (imitées de Campbell); puis, poème de la Curiosité. — OEuvres publiées en 1850, et autres productions après cette date.
— Chansons populaires, de Samuel Woodworth.
— La Légende des Rois, poème de James Nack.
1820. — Premiers poèmes (Judith, Esther, etc.) de Maria Gowen, mistress Brooks (1795-1845); les suivants paraissent en 1825 et années suivantes; le principal de tous, Idomen (1843), est une sorte d'autobiographie. — Mistress Brooks, qui se fixa sur la fin de sa vie, à Cuba, s'était liée, en Angleterre, avec Southey, qui l'appelle Maria del Occidente.
— Premiers succès poétiques de James Gates Percival, dont la Clio (prose et vers) paraît ensuite (de 1822 à 1827).
— Opuscules et articles de revue d'Edouard Everett (né en 1794), frère d'Alexandre Everett (voir 1822), et plus connu, dans la suite, pour ses Sermons et ses ouvrages apologétiques.
— Premières relations de voyages et descriptions géographiques de Henry Rowe Schoolcraft (né en 1793), auteur de poésies et de poèmes oubliés, de nouvelles, de biographies et d'ouvrages historiques et scientifiques.
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358 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
— Les Lettres de l'Ouest, roman humoristique de James Hall; plus tard, Contes des frontières, Histoire des Indiens, et (après 1850) Légendes de l'Ouest.
1821. — Poème des Siècles (ou des Ages) de William Gullen Bryant, connu déjà depuis douze ans pour ses premières poésies, puis pour son poème de Phanatopsis (1816). — Édition complète de ses oeuvres en 1832; relations de voyages et ouvrages divers après cette date.
— Logan, premier roman de John Neal; puis, Randolph (1822), Rachel Dyer (1828); poésies et ouvrages en prose.
— Fanny, roman comique en vers de Fitz Green Halleck, auteur de Satires, d'un poème du Château d'Alnwick (1827), etc.
1822. — Ouvrages politiques, puis Essais divers (politique et littérature) d'Alexandre Everett (17901847), publiciste éminent, et frère du prédicateur Edouard Everett (voir 1820).
1825. — Le Vieux Corbeau mourant, premier poème et chef-d'oeuvre de Richard Henry Dana; divers poèmes dans la suite, comme le Boucanier (1827); poésies, contes et nouvelles (après 1833), articles de revues, etc.
1826. — Description de la vallée du Mississipi, par Timothée Flint (1780-1840), auteur de nouvelles et de romans (1828 et années suivantes), de biographies et de plusieurs ouvrages sur l'Amérique.
— Le Dernier des Mohicans, de Jacques Fenimore Cooper, dont les premiers romans ont paru en 1821 (l'Espion, etc.); puis, les Pionniers, en 1832; le Pilote (1823); la Prairie (1825), et d'autres, en nombre considérable, jusqu'en 1850, ainsi qu'une Histoire de la marine des Etats-Unis.
1828. — Nathaniel Parker Willis fonde l'American Monthly Magasine. Il était connu, depuis 1823, par ses Poésies sacrées, ses Poèmes lyriques (surtout l'Alchimiste mourant), et donna, dans la suite, des
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LITTERATURE ANGLO-AMERICAIN E. 359
drames, des romans, des relations de voyages, publiés généralement dans sa revue.
1829. — Publication des poésies de Lucrèce Davidson (morte jeune en 1825).
1830. — Discours de Daniel Webster (1782-1852), publiciste renommé, auteur de nombreux ouvrages politiques et d'articles parus dans les journaux ou les revues,
1831. — Éloges (notamment de Monroë, de La Fayette, etc.), par John Quincy Adams (1767-1848), sixième président des États-Unis, et fils de John Adams (voir 1790). Littérateur distingué, il a laissé, une traduction d'Obéron, des Contes historiques, des Lettres, des Leçons de rhétorique, etc.
— Le Coin du feu d'un Hollapdais, le meilleur roman de James Kirke Paulding, connu, dès 1812, par son conte satirique de John Bull et Jonathan, dirigé contre les Anglais, puis, en 1818, par son poème du Défricheur. — Nombreux romans dans la suite.
1835. — Premiers Contes d'Edgard Poë, publiés dans le Southern literary Messenger (ou Messager littéraire du Sud). Poë avait déjà écrit des Poésies en 183 2. — La suite de ses Histoires extraordinaires parut de 1838 à 1844.
— Premières Lettres ( humoristiques ) de Sam Slick, pseudonyme de Thomas Chandler Haliburton (recueillies ensuite sous le titre de : Le Marchand d'horloges). En 1844 : Un Attaché, ou Sam Slick en Angleterre; divers autres ouvrages du même genre dans la suite.
— Traité sur l'Esclavage, du docteur William Channing (1780-1842), auteur de nombreuses brochures politiques et humanitaires, de Sermons, de Lettres, de Mémoires, d'Essais (notamment sur Millon et sur Napoléon), etc.
1836. — Vieille Chronique indienne, de Samuel Drake, auteur d'un Dictionnaire biographique des Indiens (1833), d'une Histoire des Indiens, d'une Histoire de Boston (après 1850), etc.
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360 TABLEAU CHRONOLOGIQUE,
— Home, l'un des meilleurs romans de miss Maria Sedgwick, dont les Contes et Nouvelles avaient paru en 1822, le roman des Voyageurs, en 1825, Clarence, en 1830, etc.
1837. — Les Contes dits et redits, du romancier transcendantaliste Nathaniel Hawthorne, dont les oeuvres les plus connues, après cette date, sont : la Lettre rouge, la Maison aux sept pignons, le Livre des merveilles, le Fauteuil de grand-papa, etc.
1838. — Histoire de Ferdinand et d'Isabelle, de William Hickling Prescott; puis, Histoire de la conquête du Mexique (1843), de la Conquête du Pérou (1847), Histoire de Philippe II (après 1850), Essais divers et Mélanges biographiques ou critiques.
1840. —Traité De la Nature, de Ralph Waldo Emerson, plus connu aujourd'hui pour ses Poèmes (1847), mais qui s'était fait un nom, dès 1837, par divers Essais et traités philosophiques ou théologiques.
1841. — Les Chants du chemin (ou du voyage) de George Washington Doane, évêque, théologien et littérateur, estimé pour ses Sermons non moins que' pour ses poésies.
1848. — Épopée idyllique d'Evangéline, de Henry Wadsworth Longfellow. — Précédemment, Premières poésies, Ballades, etc. , roman d'Outremer, poème de l'Esclavage (1843), Scènes dramatiques. Légende dorée (après 1850), etc.
— Premiers romans de Charles Wilkins Webber (né en 1819) : scènes de l'Amérique et de la vie américaine.
1849. — Fleur de mai, premier roman de Mistress Harriet Beecher-Stowe, célèbre surtout, après 1850, par ses romans humanitaires, comme la Case de l'oncle Tom, et ses ouvrages d'éducation.
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LITTÉRATURES SLAVES. 361
Quatrième partie. LITTÉRATURES SLAVES
POLOGNE.
Vers 1100.— Annales (latines) de Martin Gallus, le plus ancien historien de la Pologne.
1202. — Date à laquelle s'arrête l'Histoire de Pologne (en latin) de Vincent Kadlubek.
1347. — Premiers fondements de l'université de Cracovie, sous Casimir III le Grand (développée en 1364 et constituée définitivement en 1400 par Ladislas Jagellon).
Vers 1480. — Histoire de Pologne (en latin) de Dlugoss, surnommé Longinus. Biographies du même auteur.
Vers 1460, — Ouvrages latins (poèmes, relations de voyages, histoires) de Buonaccorsi, surnommé Callimaque.
1516. — Les Psaumes de David, traduits en vers polonais par Poznanczyk.
1521. — Impression du premier livre polonais, le Dialogue de Salomon, traduit d'un poème allemand par Jean de Cosziczki. (L'imprimerie, introduite dès 1465, n'avait servi jusque-là que pour des livres latins.)
1522. — Vie de Jésus-Christ, un des premiers monuments de la prose polonaise.
1543. — Mort de Copernic, et publication de son grand ouvrage (latin) sur les Révolutions des corps célestes.
1548. — Oraison funèbre du roi Sigismond, par Stanislas Orzechowski, dont tous les écrits sont encore en latin (Annales de Pologne, Discours, Lettres familières).
II. 46
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362 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
Vers 1550. — Nicolas Rej (ou Rey) Naglowicz, le père de la poésie polonaise, donne une traduction rythmée des Psaumes, des poèmes divers, un drame biblique de Joseph, etc.
Vers 1560. — Première période de Jean Kochanowski, le prince des poètes polonais, auteur d'odes et d'élégies touchantes, de chansons, de psaumes, de satires et d'épîtres. — Dans la seconde période de sa vie, ses compositions poétiques n'ont plus le même éclat ni la même vigueur.
1569. — Chronique de Pologne, par Martin Bielski (continuée plus tard par son fils). Les autres ouvrages de Bielski, notamment sa Chronique du monde, sont presque tous en latin.
Vers 1570. — Sermons, Discours et Vie des Saints, de Pierre Skarga Paweski, jésuite patriote et littérateur distingué.
1572. — Le Courtisan polonais, imité de l'italien de Castiglione, par Lucas Gornicki, orateur éminent, auteur de Dialogues politiques, d'une Histoire de la couronne de Pologne, etc.
1575. — Commencement du règne d'Etienne Bathory, protecteur des lettres, des sciences et des arts.
Vers 1580. — Rythmes ou poésies lyriques de Gaspard Miaskowski.
1581. — Mort prématurée de Nicolas Sarzinski, poète de talent, auteur de chants nationaux, de sonnets, etc.
1582. — Chronique lithuanienne, en prose et en vers, de Matthias Stryjkowski.
1585. — Premières Satires de Sébastien Klonowicz, qui a écrit plus souvent en latin sous le pseudonyme d'Acernus (la Victoire des Dieux, la Bourse de Judas, poèmes satiriques, et divers essais épiques).
— Avènement au trône de Sigismond III, protecteur des lettres.
1587. — Premiers essais de Stanislas Grochowski,
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LITTÉRATURES SLAVES, 363
célèbre surtout pour ses Hymnes et d'autres poésies lyriques, publiées à diverses époques (notamment en 1608).
Vers 1590. — Succès poétiques de Szymonowicz ou Simonides, appelé aussi Bentkowski, et surnommé le Théocrite polonais (Églogues, Rondeaux, etc.). Il a écrit également des Églogues latines.
1597. — Joachim Bielski, fils, continue la Chronique polonaise de son père. (Voir 1569.)
Vers 1600. — Discours de Jean Zamoïski, surnommé le Grand, auteur d'un certain nombre d'ouvrages latins, protecteur des lettres et des savants, et qui encouragea la fondation ou le développement de plusieurs universités. — Traduction de la Bible, par Wieki ou Wujek (la plus populaire de toutes).
— Hymnes sacrés du pasteur Gembicius.
1610. — Poème de Rome moderne, de l'évêque Stanislas Grochowski, auteur de poésies lyriques et d'hymnes estimées, et que l'on ne doit pas confondre avec son homonyme. (Voir 1587.)
1616. — Ouvrages historiques (presque toujours en latin) de Simon de Starowolski.
1618. — Traduction en vers de la Jérusalem délivrée, par Pierre Kochanowski, neveu, qui avait déjà traduit l'Arioste dès 1599.
1621. — Poème héroïque sur La Guerre des Turcs, par Barthélemy Zimorowicz. — Son frère, Simon, vers la même époque, se distingue dans l'idylle et le rondeau.
1622. — Première école florissante fondée par les Jésuites à Cracovie.
1625. — Poésies lyriques et épigrammes, et, dans la suite, autres compositions latines du jésuite Matthieu-Casimir Sarbiewski (poème héroïque de la Lechiade, traité de littérature, etc.).
Vers 1640. — Traduction en vers des Géorgiques et des Métamorphoses, par Otfinolvski.
1649. — Poème de Wladislas IV, par Samuel
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364 TABLEAU CHRONOLOGIQUE,
Twardowski ou mieux Gwardowski, auteur d'une grande fécondité, connu depuis 1621 pour ses odes et ses divers poèmes héroïques ou autres.
1661. — Le goût du théâtre se développe à la cour, où l'on commence à jouer des tragédies françaises.
1683. — Les Climatériques ou l'Histoire de son temps (en latin), par Vespasien Kochowski, auteur de poésies lyriques en langue vulgaire.
— Le Théomusa, poème religieux où traduction partielle de la Bible, en vers latins et polonais, par le prince Stanislas-Héraclius Lubomirski, auteur de divers ouvrages latins, mais plus connu comme protecteur des gens de lettres.
1685. — Poésies et traductions en vers du comte Jablonowski (Fables d'Esope et de La Fontaine, Télémaque, etc.).
1689. — Traduction du Cid, par Hiéronyme Morsztyn, auteur de Contes en vers (imitation française). — Son frère, Stanislas, a traduit Ahdromaque.
1695. — Poème de Joseph, de Stanislas Chroscinski ou Chroscienski, traducteur de la Pharsale (1683) et d'Ovide, auteur de poésies bibliques et de poèmes patriotiques.
Fin du XVIIe siècle et commencement du XVIIIe. — Biographies et Description de la Russie, de Paul Potocki.
— Mémorables, de Jean Chrysostome Pasek.
— Comédies de Pierre Baryka.
Vers 1750. — Protection accordée aux lettres par le prince Jablonowski, fondateur de la Société Jablonovienne, d'histoire, à Leipzig, poète lui-même et historien (Vies des douce grands généraux de la couronne).
— Poème des Saisons et autres oeuvres poétiques d'Elisabeth Kowalska.
— Poésies et ouvrages de critique littéraire ou de pédagogie de Stanislas Konarski.
— Traduction de la Bible en vers polonais, par le
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LITTÉRATURES SLAVES, 365
roi Stanislas Lesczinski, protecteur des lettres, mais qui a toujours écrit en français.
— Histoire ecclésiastique du royaume de Pologne, ouvrage protestant, écrit en allemand par le pasteur Friese.
1760. — Publication des tragédies nationales de Wenceslas Rzewuski, général et poète, auteur d'un Cours de rhétorique, d'un Discours sur la religion, d'ouvrages historiques, de nombreux poèmes, de traductions des Psaumes et d'Horace, de comédies, etc.
1764. — OEuvres poétiques de Wladislas Potocki, auteur de Jovialités, d'un poème de la Guerre de Choczim, d'une imitation en vers de l'Argénis, etc.
1765. — Établissement du premier théâtre permanent à Varsovie.
1768. — Ouvrages historiques du jésuite Jean Albertrandi ou Albertrandy, homme d'une immense érudition (Annales de la république romaine et du royaume de Pologne) ; plus tard, Antiquités romaines, etc.
1772. — Premier partage de la Pologne.
— Élégie sur l'expulsion des Jésuites, par Stanislas Michel Trembecki, poète de l'école française, auteur de nombreux petits poèmes, d'odes et d'épîtres, de traductions en vers (notamment du quatrième livre de l'Enéide) et d'une Histoire de Pologne.
1776. — La Mysséide ou Myckéide, poème héroïcomique d'Ignace Krasicki, auteur de plusieurs autres poèmes dans ce genre (la Monomachie, 1778, etc.), de Satires, de comédies, d'une épopée de la Guerre de Choczim (1780), de romans, de biographies, d'une imitation du poème d'Ossian, etc.
Vers 1780. — Traduction de poèmes français et imitation du Temple de Gnide, par Joseph Szymanowski.
1782. — Remarquables Lettres du prince Adam-Casimir. Czartoryski, homme d'État et poète, protecteur des écrivains et auteur des premiers drames vraiment nationaux.
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366 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
1784. — Poème comique des Orgues, de Thomas Wegierski, auteur de poésies érotiques et traducteur des Lettres persanes.
— Romans historiques et Biographies de Michel Krajewski.
1786. — Poésies nationales de l'évêque Jean-Paul Woronicz, auteur d'Idylles, de plusieurs poèmes (le Lech, Sibylle, 1815) et de Sermons remarquables.
1787. — Poème comique du Ballon, de François Kniaznin, auteur de divers poèmes, descriptifs et philosophiques, de pastorales, de Thrènes d'Orphée, de poésies lyriques, d'une traduction en vers d'Homère et de Claudien, etc.
1788. — Art poétique, imité de celui de Boileau, par François Dmochowski, poète de l'école française, auteur de mauvaises traductions, en vers, d'Homère et de Virgile, d'une imitation de Milton, etc.
— Brillants discours d'Ignace Potocki à la Diéte polonaise de cette année.
1789. — Lettres d'un anonyme, de Hugo Kollontaï ou Kollontay, auteur de nombreux écrits politiques, notamment sur la Constitution de 1794, et d'une Histoire de ta civilisation polonaise sous Auguste III.
Vers 1790. — Discours, souvent remarquables, et Traité du style, de Stanislas-Kotska Potocki, dont on a aussi un roman satirique.
— Comédies d'Adalbert Bognslawski, directeur du théâtre de Varsovie, auteur d'une Histoire du théâtre polonais et traducteur de nombreuses pièces étrangères.
— Premières oeuvres poétiques de François Karpinski, poète populaire (Chansons pastorales, Psaumes, Élégies, etc.).— Plus tard (1808), il publiera ses tragédies, ses comédies, ses opéras, sa traduction des Jardins, de Delille, etc.
1791. — Drame patriotique de Casimir le Grand, de Niemcewiçz, dont les Odes ont été publiées en" 1787 (d'autres paraîtront en 1792). — Satires, Fables,
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LITTÉRATURES SLAVES. 367
romans, traductions, Histoire de Sigismond III (1819). 1793. — Second partage de la Pologne. — La langue polonaise est conservée officiellement dans les provinces annexées à la Russie (Le troisième et dernier partage aura lieu en 1795.)
— Ouvrages historiques (en français) du comte Jean Potocki. (notamment sur - l'histoire primitive des peuples slaves). On avait déjà de lui des Voyages en Turquie et en Egypte (1788), etc.
1797. — Histoire des Tartares de la Crimée, par Adam Naruscewicz (mort l'année précédente), remarquable surtout comme poète, lyrique, quelquefois aussi dans ses Fables et ses Églogues, et pour sa belle Histoire de la nation polonaise jusqu'en 1386; traducteur de Tacite, d'Anàcréon et d'Horace.
Vers 1800. — Influence de Stanislas Poniatowski, protecteur des lettres et littérateur lui-même (école dé l'imitation française).
— Contes et Nouvelles historiques, Odes guerrières et traduction d'auteurs français et russes, par Godebski.
— Traduction de l'Imagination, de Delille, par Thaddée Matuszewicz, connu aussi pour ses Discours, ses opuscules politiques et quelques poésies.
— Traduction de l'Homme des champs, de Delille, de divers poèmes et de drames étrangers, par AI0Ï8 Felinski, auteur d'un drame national, Barbara Radziwil.
— Choix d'écrivains polonais, en 25 volumes, publié par Mostowski ; romans estimés de sa femme, la princesse Mostowska.
1800. — Droit civil de la nation polonaise, par Théodore Ostrowski, auteur d'une Histoire de l'Eglise de Pologne et de divers autres ouvrages.
1814. — Histoire de la littérature polonaise, de Félix Bentkowski; plus tard, Introduction à l'histoire générale, etc.
1816. — Roman de Malvina, un des meilleurs de la princesse Czartoriska.
1821. — Premières poésies lyriques de Casimir
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368 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
Brodzinski, l'un des chefs de la nouvelle école littéraire (plus tard professeur à l'université de Varsovie). — Dans la suite, traduction du Livre de Job et de Werther, choix de Chants populaires serbes et bohêmes, ouvrages de critique, etc.
Vers 1822. — Succès des drames de Wezyk (depuis quelques années déjà).
1822. — Inauguration éclatante de la nouvelle ère politique avec les Romances et Ballades, d'Adam Mickiewicz ; puis, Sonnets, poème des Aïeux, Livre des pèlerins, etc. — Cours de littérature slave et nombreux ouvrages jusqu'en 1850.
1824. — Roman de Julie et Adolphe, de Louis Kropinski (école romantique). — Précédemment, drames et tragédies, qui le rattachaient plutôt à l'école française.
1826. — Poïata, roman historique de Félix Bernatowicz, auteur de plusieurs autres récits, comme les Voeux déraisonnables.
1828. — Poésies de Séverin Goszczinski, traducteur d'Ossian, imitateur de Byron, auteur d'épopées patriotiques, d'odes, etc.
1829. — Histoire de Pologne.de Joachim Lelewel, auteur de remarquables travaux en tous genres sur l'histoire et la géographie de son pays.
Vers 1830. — Poésies de Dmochowski.
— Tableau de la littérature polonaise au XIXe siècle, puis, Histoire de l'insurrection de Pologne, par Maurice Mochnacki.
1831. — Premiers ouvrages historiques de JacquesLéonard Boreyko Chodzko.
1832-35, — Histoire des législations slaves, par Wenceslas Alexandre Maciejowski ; plus tard (1857), Histoire la littérature polonaise (jusqu'au XIVe siècle).
1836. — Irydion, drame chrétien de Sigismond Kxasinski, connu déjà, depuis 1830, pour ses poésies lyriques, ses Psaumes, son drame lyrique, en prose, de la Comédie non divine, et plus tard, pour ses romans (Hagay-Han, etc.).
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LITTERATURES SLAVES. 369
— Nouvelles poésies et poèmes de Raymond-Julien Korsak, imitateur des Anglais (Odes, Épîtres, poème héroï-comique de la Bibéide, poème inachevé de l'Amour de la Pairie), etc.
1838. — Poème de Rusalki. de Bogdan Zaleski. — Avant et après cette date, Odes, Chansons, poèmes lyriques de Kosinski, de Mazeppa, etc. ; Nouvelles poésies (1841 et années suivantes).
1839. — Poésies et poèmes de Kraszewski, connu surtout, dès 1832, par ses nombreux romans, presque toujours nationaux, et, plus tard (1843), par des drames, des relations de voyages, etc.
Vers 1840. — Histoire et antiquités de la Pologne, par André Moraczewski.
1840. — Drame de Mazeppa, de Jules Slovacki, célèbre déjà, depuis 1832, pour sa Marie Stuart, puis ses poésies et ses poèmes.
— Journaux littéraires fondés et dirigés (jusqu'en 18446) par Charles Libelt, auteur de nombreux ouvrages de mathématiques, de philosophie et de critique.
1844. — Logique de Stanislas Trentowski, dontles premiers écrits (pédagogie, etc.) sont de 1838.
1845. — Succès des comédies de Joseph Korzeniowski, dont les drames et les tragédies étaient joués dès 1841, et qui a donné aussi, dans la suite, un certain nombre de romans presque toujours nationaux.
184C. — Succès des romans historiques de Henri Rzewuski.
Vers 1850. — Philosophie de l'histoire, et autres ouvrages ou articles philosophiques du comte Ciezkowski.
1850 et années suivantes. — Romans politiques d'Edmond Chojecki (dont une partie sont écrits, en français, sous le pseudonyme de Charles-Edmond).
— OEuvres dramatiques d'Alexandre Ostrowski.
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370 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
RUSSIE.
Vers 850. — Traduction de la Bible, par saint Constantin Cyrille, auquel on attribue aussi des Tables morales.
1115. — Date à laquelle s'arrêtent les Annales de la chronique latine du moine Nestor le Vénérable.
Fin du XIIe siècle. — Poème ou chant d'Igor, dont l'action se passe vers 1185.
1553. — Première imprimerie établie en Russie par Ivan III, qui fonda aussi de nombreuses écoles.
1629. — Mort prématurée de Simon Zimorovricz, poète russe et polonais (Rondeaux).
Vers 1660. — Poésies et drames du moine Siméon de Polotsk, renommé aussi comme prédicateur. — Son élève, la princesse Sophie, soeur du czar Fédor, compose des drames vers 1680.
Vers 1690. — Drames religieux et Vies des Saints, de Démétrius, métropolitain de Rostoff.
1699. — Commencement du règne personnel de Pierre le Grand, qui a protégé les lettres et laissé luimême quelques écrits (Journal de ses campagnes, Lettres, etc.).
1705. — La première gazette russe imprimée à Moscou.
1711. — Histoire de Russie, par Khilfcoff.
1725. — Fondation de l'Académie de Saint-Pétersbourg (voir 1783).
Vers 1730. — Premières poésies du prince Antiochus Cantémir, imitateur d'Horace et de Boileau (Odes, Epîtres, Satires, Fables) ; plus tard, traductions d'auteurs étrangers, et Traité de la prosodie russe.
— Poésies et sermons de Théophane Procopowitch, archevêque de Novgorod.
1739. — Premières odes de Michel Lomonossoff ; puis poésies diverses, poème inachevé sur Pierre le Grand, et ouvrages en prose (Grammaire, Rhétorique; Prosodie, Histoire de l'ancienne Russie),
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LITTERATURES SLAVES. 371
Vers 1740. — Nombreux ouvrages, en vers et en prose, de Wassili Trediakowski ; traduction du Télémaque, en vers, et de l'Histoire romaine de Rollin ; tragédies médiocres, mais nationales.
— Travaux historiques de Wassili Tatistscheff, dont l'Histoire de Russie ne sera publiée qu'après sa mort, en 1769.
Vers 1750. — Traduction, en vers, des Satires d'Horace, par Ivan Barkoff; Histoire de Russie, etc.
— Mémoires de Daniloff.
1756. — Alexandre Soumarokoff prend la direction du théâtre de Saint-Pétersbourg : tragédies, comédies, opéras, contes et fables, satires et poésies diverses. (Ses premiers succès dramatiques remontent à 1748.)
Vers 1760. — Drames, généralement médiocres, de Wassili Maikof.
1760.— Traduction en vers des poèmes de Pope, par Nicolas Popofski, mort jeune cette année même.
Vers 1770. — Odes triomphales sur les victoires de Catherine II, par Wassili Petroff, qui a aussi traduit l'Enéide.
— Drames, comédies, opéras, imités du français, par Jacques Kniajnine ou Knjaschnin.
1772. — Dictionnaire historique des auteurs russes, par Novikoff, connu aussi comme publiciste et pour sa Bibliothèque ancienne de la Russie.
1775. — Imitation de la Psyché de La Fontaine, intitulée Douchinka, par Hippolyte Bogdanowitch, dont on a longtemps admiré aussi les poésies lyriques, les Proverbes dramatiques et quelques autres compositions poétiques. Il a écrit aussi des ouvrages d'histoire.
1778. — Fables d'Ivan Khemnitzer ou Chemnitzer.
1779. — Grand succès de l'opéra comique du Meunier, d'Ablessimoff, auteur de vaudevilles estimés.
— Sermons et oeuvres théologiques de Platon Lewschine, métropolitain de Moscou, connu pour ses ouvrages dogmatiques depuis 1771.
Vers 1780. — Influence d'Alexandre de Strogonoff, protecteur des gens de lettres et des artistes.
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372 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
1780. — La Rossiade, poème soi-disant national de Michel Kheraskoff, auteur de plusieurs autres essais épiques (Wladimir, la Pétréide, Novgorod délivrée), de poèmes didactiques, d'odes, de tragédies et de comédies, de romans et de nouvelles, etc. (imitation française).
1782. — Le Mineur, comédie originale de Denis Von Vizine ou Von Wizine (déjà connu pour sa comédie du Brigadier, en 1763); poésies satiriques, Contes en prose, Lettres, etc.
1783. — Fondation, à Saint-Pétersbourg, d'une Académie pour le perfectionnement de la langue, qui sera plus tard réunie à l'ancienne Académie russe (voir 1725),
1789. —La Chicane, comédie de Wassili Kapniste, qui a écrit, précédemment, des poésies lyriques estimées, et donnera, plus tard, outre ses comédies, des tragédies médiocres, imitées des Grecs, tomme son Antigone (1815).
— Rédaction du grand Dictionnaire de l'Académie russe (terminé en 1794), sous le direction de la princesse Daschkoff, née Catherine Woronzoff, qui a écrit des comédies, des drames, des mémoires, et présida la nouvelle Académie russe (voir 1783).
Vers 1790. — Poésies lyriques, élégies, etc., de
Gabriel Derjavine, poète classique, imitateur d'Horace.
— Dialogues, Lettres, Essais divers de Michel
Mourawieff, poète, historien, moraliste, publiciste et
homme d'État.
— Drames et tragédies de Nicoleff Petrowitch (notamment Suréna).
— Essais dramatiques de Plavilschtschikoff,
— Sermons de Desnitskij. 1792.— Traduction d'Ossian (en prose), par Emile
Kostroff, qui, précédemment, a traduit Homère en vers (1787).
1793. — Journal humoristique, en vers, de Pancrace Soumarokoff ; Contes en vers, poésies diverses (genre burlesque, surtout).
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LITTERATURES SLAVES. 373
1795. — Premières oeuvres poétiques d'Ivan Ivanowitch Dmitrieff (Fables, imitées de La Fontaine, chansons, etc.) ; plus tard, poèmes épiques et divers, Nouvelles en prose, Mémoires (posthumes en partie).
1797. — Faits et gestes de Pierre le Grand, par Ivan Golikoff (publication commencée en 1788, complétée en 1798 par les Anecdotes).
Vers 1800. — Poésies lyriques et poèmes descriptifs de Sémène Babrof (la Kersonide, etc.).
— Poèmes du prince Chikmatoff (Pierre le Grand, Pojarski, etc.); traduction de poètes étrangers.
— Sermons de l'archevêque de Moscou, Augustin.
— Ouvrages historiques de Rajewski.
1802. — Important Traité de l'ancien et du nouveau style, par Alexandre Semenewitch Chischkoff, dont les oeuvres poétiques consistent principalement en traductions (la Jérusalem délivrée, etc.).
1803. — Grand succès de Valérie, roman autobiographique de la baronne Krüdener.
1804. — Première publication (partielle) des Chansons populaires cosaques (authenticité douteuse), par Jakubowitch, dit Kircha ou Cyrille Danilof.
1807. — Tragédie classique de Dmitri Donskoï, le chef-d'oeuvre de Wladislas Ozeroff, qui est l'un des premiers à rompre avec l'imitation française. (Ses débuts remontent à 1798 ; puis, OEdipe à Athènes, 1805; Fingal, 1807 ; poésies lyriques et poèmes).
1809. — Premier recueil de Fables de Kryloff ou Kriloff; les suivants paraissent en 1811 et 1816. On a aussi de lui des opéras et des comédies (dès 1807).
Vers 1810. — Poésies (imitation française) de Wassili Pouchkine, l'oncle.
— Satires du prince-Michel Milanoff.
— Poème héroï-comique des Pelisses enlevées, du prince Alexandre Chakofski ou mieux Schachoffskoï, dont on a aussi des comédies ( le Nouveau Sterne, etc. ), des opéras et des vaudevilles.
— Tragédies médiocres d'Ivanoff.
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374 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
— Mémoires historiques, Essais et relations de voyages du comte Orloff.
— Ouvrages historiques du baron de Kampenhausen. 1812. — Le Ménestrel au camp, l'une des meilleures
poésies de Basile Joukowski ou Jukowski, connu déjà par son poème de Loudmila (1805), par des Ballades, des Odes, des Romances, etc. C'est l'un des principaux chefs de l'école romantique;
1816. — Histoire de Russie (jusqu'en 1611 seulement) de Nicolas Karamzin ou Karamsine, dont cette oeuvre hors ligne a fait oublier les poésies, les nouvelles, les lettres, etc.
1819. — Rousban et Loudmila, premier poème remarquable d'Alexandre Pouchkine, l'un des chefs du mouvement romantique. Outre ses divers poèmes et ses poésies lyriques, Pouchkine a laissé quelques tragédies, comme Boris Godounoff, et, en prose, des nouvelles et des romans.
— État de mon âme, recueil de poésies lyriques du prince Jean Dolgorouki (publié cette année-là seulement, vers la fin de sa vie).
Vers 1820, — Succès des Chansons (bachiques et erotiques) et des Èpigrammes de Davidoff, qui a laissé aussi des ouvrages historiques et stratégiques.
— Idylles et poème de la Naissance d'Homère, de Nicolas Gneditsch ou Gnieditsch, qui a imite Shakspeare et traduit l'Iliade en vers.
— Nombreuses comédies, traduites ou imitées de Molière, par Nicolas Chmelnitzky.
— Ouvrages historiques de Wichmann.
1820. — Campagne de Napoléon, par Dmitri Boutourline, qui a écrit de nombreux ouvrages historiques (la plupart en français).
1822. — Articles et poésies publiés dans l'Etoile polaire, par le prince Wiazemzki, l'un des chefs de l'école romantique.
1823. — Trop d'esprit nuit, comédie originale d'Alexandre Griboïedoff, dont les comédies précédentes (depuis 1815) avaient déjà obtenu un réel succès.
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LITTÉRATURES SLAVES. 375
— Nouvelles militaires d'Alexandre Bestoucheff ou Bestoujef, le fondateur de l'almanach poétique de l'Étoile polaire (voir l'année précédente); il avait publié d'abord ses nouvelles sous le pseudonyme de Marlinsky.
1828. — Mort prématurée de Dmitri Pissareff, dont le drame historique de Colomb faisait concevoir les plus hautes espérances.
Vers 1830. — Poésies lyriques du colonel Katenin, dont le chef-d'oeuvre est intitulé le Monde du poète.
— Poésies et poèmes descriptifs de Baratinski, l'un des imitateurs de Pouchkine.
— Elégies, poèmes et poésies diverses, romans, etc., de Constantin Batiuchkoff ou Bathuchkoff, qui se ratache encore à l'imitation étrangère (surtout française et italienne).
— Poésies lyriques de Vostokoff, auteur de divers ouvrages de linguistique.
1832. — Démétrius Mazeppa, le meilleur roman de Thaddée Boulgarine (Essais satiriques et humoristiques, de 1823 à 1827; romans en 1829-832; ouvrages historiques, etc.).
1835. — Poésies du berger Koltzoff (Chansons remarquables).
— Mort prématurée d'Elisabeth Kulmann, qui a laissé des poésies fusses et allemandes.
Vers 1840. — Poésies lyriques, et nouvelles en vers et en prose de la comtesse Rostopchine, née Souschkoff.
1840. — Poésies de Michel Lermontoff, l'un des plus.grands poètes de la Russie (mort l'année suivante). — Contes et romans (les Héros de notre siècle), etc.
1841. — Premières poésies (romantiques) d'Apollon Maikoff.
— Pour endormir ; recueil de romans et de nouvelles du comte Sollohub; poésies moins estimées.
1842. — Les Ames mortes, le meilleur roman de
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375 TABLEAU CHRONOLOGIQUE.
Nicolas Gogol Janowski, connu déjà, dès 1832, par ses Soirées à la ferme. On a encore de Gogol, outre ses Mémoires d'un fou, ses Légendes populaires (le Manteau, etc.), des comédies satiriques, dont la plus célèbre est le Contrôleur.
1843. — Premières poésies d'Ivan Tourgueneff ou Tourguénieff, auteur, dans la suite, du Roi Lear, des Eaux du printemps, des Scènes de la vie russe. et d'un grand nombre d'autres romans (en français après 1850).
1846. — OEuvres de Wladimir Dahl (pseudonyme: le Cosaque Luganski), contenant surtout des peintures de moeurs populaires (contes et romans) et des travaux sur la langue russe.
1847. — Romans et nouvelles (populaires) d'Alexandre Hertzen ou Herzen, connu déjà, dès 1842, pour ses lettres critiques (pseudonyme : Iskender), puis, en 18446, pour d'autres lettres analogues. Dans la suite, Souvenirs de voyage (1848), Lettres (philosophiques) de France et d'Italie (1850) et nombreux ouvrages politiques après 1850.
Vers 1850 et années suivantes. — Romans, comédies et drames historiques de Nicolas Ostrowski.
— Ouvrages philosophiques (d'esthétique), articles de journaux (surtout dans le Contemporain) et romans nihilistes ou socialistes de Tchernykewski ou Tcherniaschewski.
— Etudes de Maximoff sur la Russie.
— Romans historiques et drames du comte Alexis Tolstoï.
Branches secondaires des littératures slaves.
Vers 1314. — Bohême. — Chronique en vers de Mezericzki Dalemil ou Dalemile, s'arrêtant à cette année.
XVe SIÈCLE. — Légende et poème populaire serbe de Marko Kraliéwitch, le Roland de la Serbie.
1621. — Illyrie et Dalmatie. — Epopée de l'Os-'
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LITTERATURES SLAVES. 377
manide, de Jean Gondola, auteur d'une traduction en vers des Psaumes, de poèmes bibliques, d'un drame d'Ariane, etc.
1792. — Histoire de la langue et de la littérature bohêmes, par l'abbé Joseph Dobrowski, auteur de nombreux ouvrages de critique et de linguistique.
1824. — Bohême. — La Fille de la Gloire, épopée lyrique de Jean Kollar; précédemment, Chansons et Chants populaires; puis, relations de voyages, ouvrages de critique (la Reine Slava), etc.
Vers 1830. — Bohême. — Recueil de chants populaires slaves, et poème de la Rose aux cent feuilles, de Celakowski.
48
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INDEX ALPHABÉTIQUE 1
A
Ablessimoff, 291, 371.
Adams (John). 356.
Adams (John-Quincy), 359.
Addison, 120, 528.
Aikin, 163, 339.
Akenside, 155, 334.
Albertrandi, 577, 365.
Alcuin, 5, 306.
Alfred (roi), 3, 306.
Anderson (miss), v. Opie (mistress).
Anglo-Saxons (poèmes), 306.
Arblay (Mme d'), 204, 339.
Arbuthnot, 179, 328,
Armstrong, 130, 332,
Arnold, 221, 351.
Arthur (roi), 2, 305,
Asham, 16, 311.
Atterbury, 327.
Aubrey, 110, 321. Augustin (archevêque), 300,
573.
Austen (miss), 346.
B
Babroff, 289, 373. Bacon (Roger), 308. Bacon (François), 81, 315. Baillie (Joanna), 219, 345. Baker, 150. Baratmski, 297, 375, Barbauld (mistress), 144, 339. Barbour, 10, 308. Barclay (Alexandre), 309. Barclay (John), 86, 517. Barclay (Robert), 114, 324. Barkoff, 291, 371. Barlow, 243, 355. Barrett (miss), 352. Barrow, 114, 323. Barton, 208. Baryka, 273, 364. Bathory, 270, 362. Batinschkoff, 295, 575. Bayly, 208, 349. Beaconsfield, v. Disraeli (Benjamin). Beattie, 131, 337.
1. Les chiffres en caractère italique renvoient au corps même de l'ouvrage-, les autres, au tableau chronologique.
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380
INDEX ALPHABETIQUE,
Beaumont, 76, 326. Beckford, 203, 340. Bède, 3, 306. Beecher-Stowe, v. Stowe
(mistress). Behn (mistress), 325. Bendowski, v. Szymonowicz. Ben Jonson, v. Jonson. Benoît de Sainte-Maure, 6, 307. Bentbam, 156, 341. Bentkowski, 282, 367. Bentley (Richard), 165, 329. Bentley (neveu), 149, 335. Beowulf (poème), 4, 306. Berkeley, 124, 327. Bernatowicz, 281, 368. Berners, 16, 310. Bestoucheff, 301, 375. Betterton, 104, 323. Bielski ( Martin ) , 270, 362. Bielski (Joachim), 363. Blackmore, 216, 328. Blackstone, 156, 335. Blair (Robert), 131, 332. Blair (Hugues), 151, 339. Blessington (lady), 230, 353. Bloomfield, 206, 344. Bogdauowitch, 288, 371. Boguslawski, 366. Bolingbroke, 153, 320. Boreyko Chodzko, 282. Boswell, 342. Boulgarine, 301, 375. Boutourline, 300, 374. Bowles (Caroline), 345. Bowles (miss), v. Southey
(mistress). Brackenridge, 356. Brodziuski, 265, 279, 368.
Bronte (Charlotte), v. Currer-Bell.
Currer-Bell. (lord), 29. Brooke (Arthur), 85, 311, Brooke (Henry), 146, 321, 331. Brooke (mistress), 149, 334. Brooks (mistress), 3.57. Brougkam, 221, 350. Brown (John), 232, 334. Brown (Thomas), 222, Brown (Charles-Brockden),
244, 356. Browne (Felicia), v. Hemans
(mistress). Browne (William), 27, 317. Browne (Thomas), 84, 318,
345. Browne (Hawkïns), 132, 334. Browning (mistress), v. Barrett
Barrett Bruce (Michel), 139, 336. Bruce (James), 163, 341. Brut (roman), 5, 307. Bryant, 248, 358. Brydone, 163, 338. Buchanan, 50. Buckhurst, 32, 311. Buckingham (duc), 89, 323, Buckingham (James Silk),
225, 350. Bulwer. (Edouard), 233, 351. Bulwer (lady), 352. Bulwer-Lytton (Robert), 355. Bunyan, 112, 323. Buonaccorsi (Callimaque ),
266, 361. Burke, 151, 334.
Burleigh, 80, 313. Burnet (Thomas), 108, 324.
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INDEX ALPHABETIQUE.
381
Burnet (Gilbert), 125, 324. Burney (Charles), 163, 338. Burney (miss), v. Arblay
(Mme d'). Burns, 141, 341. Burton (Robert), 82, 318. Burton (Dr), 224. Butler (Samuel), 87, 322. Butler (Joseph), 160, 331. Byron, 213, 347.
C
Callimaque, 266 (v. Buonaccorsi).
Buonaccorsi). 80, 312. Campbell (George), 160, 336. Campbell (John), 162, 332. Campbell (Thomas), 209, 346. Canning, 208, 345. Cantémir, 287, 370. Carew (Thomas), 24, 318. Carew (Richard), 29, 313. Carlyle, 222, 350. Cartwright, 337. Casimir III, le Grand, 267. Cavendish (miss), v. Newcastle
Newcastle Canton, 26, 309. Cedmon, 4, 306. Celakowski, 264, 377. Centlivre(mistress), 119, 526. Chakhofski, Y. Sckakhoffskoï. Chalmers (George), 162, 339. Chalmers (Thomas), 221, 348. Chalmers (Alexandre), 223,
347Chamberlayne, 321. Channing, 254, 359.
Chapman, 74, 314. Charles-Edmond, v. Chojecki. Chatham, v. Pitt. Chatterton, 242, 337. Chaucer, 7, 308. Chemnitzer, v. Khemnitzer. Chesterfield, 174, 330. Chikmatoff, 297, 373. Chillingworth, 15, 319. Chiscbkoff, 293, 373. Chmelnitzky, 299, 374. Chodzko (Boreyko), 282, 368. Chojecki, 369. Chroscinski, 272, 364. Churchill, 335. Cibber, 119, 325. Ciezkowski, 282, 369. Clapperton, 350. Clarendon, 120, 323. Clarke (Samuel), 124, 327. Clarke (Daniel), 225, 346. Cleveland, 320. Clifton, 356. Cobbett, 223, 345. Cobden, 352. Cohen, v. Palgrave. Colden, 3 54. Coleridge, 222, 342. Collins, 137, 332. Collins (Wilkie), 353. Colman (père), 150, 336. Colman (fils), 220, 343. Congreve, 117, 325. Constantin (saint), v. Cyrille. Cooper (Fenimore), 256, 358. Copernic, 272, 361. Cornwall, v. Procter. Cosziczki, 361. Cotton (Robert), 80, 318.
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382
INDES ALPHAB ETIQUE.
Cotton (Charles), 88, 322. Cotton (Nathaniel), 143, 334. Coverdale, 14, 310. Cowalska (Elisabeth), 275. Cowley (Abraham), 25, 320. Cowley (mistress), 249, 339. Cowper, 140, 340. Crabbe, 209, 346. Cranmer, 15, 311. Cudworth, 208, 324. Cumberland (l'ancien), 248,
323. Cumberland (le jeune), 156,
334. Cunningham (John), 239, 335. Cunningham ( Alexandre),
162, 326. Cunningham ( Allan ), 207,
350. Currer-Bell (miss), 230, 353. Currie, 344. Cyrille (saint), 370. Czartoriski (Adam), 276, 365. Czartoriska (princesse), 281,
367.
D
Dahl, 303, 376.
Dalemille ou Dalimil, 264,
376.
Dana, 358.
Daniel, 22, 315.
Danilof (Cyrille), v. Kircha.
Daniloff , 292, 371.
Darwin (Érasme), 231, 540.
Daschkoff (princesse), 289,
372. Davenaut, 79, 319. Davidoff, 296, 374.
Davidson (Lucrèce), 251, 359. Davies, 28, 314. Day, 204, 340. Defoë, 165, 329. Dekkar (ou Dekker), 74, 319. Démétrius, 286, 370. Denham, 27, 320. Dennis (John), 119, 326. Dennis (Charles), 133, 334. Dequincy, v. Quincey. Derjavine, 294, 572. Desnitskij, 372. Dibdin, 150, 342. Dickens, 232, 352. Dillon, v. Roscommon. Disraeli (Isaac), 262, 342. Disraeli (Benjamin), 234, 350. Dlugoss, 266, 361. Dmitrieff, 295, 373. Dmochowski, 274, 366, 368. Doane, 247, 360. Dobrowski, 264, 377. Dodsley, 130, 331. Dolgorouki, 2517, 374. Donne, 28, 316. Dorset, 22, 89, 322. Douglas, 309.
Drake (Rodman), 247, 357. Drake (Samuel), 255, 359. Drayton, 22, 314. Drummond, 25, 317. Dryden, 90, 322. Dugald-Stewart, 159, 342. Dunbar, 12, 309. Dunlap, 255, 355. Duulop, 347. Dwight, 554. Dyer (Edouard), 26, 312, Dyer (John), 138, 330.
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INDEX ALPHABETIQUE.
383
E
Edgeworth (miss), 223, 345. Edwards (Richard), 33, 311. Edwards (Jonathan), 241, 3 54. Elliot (Ebenezer), 351. Ellis, 265, 341. Emerson, 250, 360. Etheredge, 204, 322. Ettrick (le berger de l'), v.
Hogg. Evelyn, 222, 322. Everett (Alexandre), 358. Everett (Edouard), 357.
F
Fairfax, 29, 315.
Falconer, 139, 335. Farqubar, 118, 327.
Felinski, 276, 367.
Fenton, 126, 329.
Fergusson (Robert), 239, 338.
Fergnsson (Adam), 163, 340.
Fielding, 184, 333.
Filmer, 324.
Fletcher (les frères), 27, 316.
Fletcher (John), 76, 316.
Flint, 358.
Foe (de), v. Defoë.
Ford, 78, 318.
Fortescue, 15, 309.
Fox, 151, 340. Francis, 54, 337.
Franklin, 242, 354.
Fraser, 349.
Freeman (Suzanne), v. Centlivre.
Friese, 275, 565. Fuller, 220, 321.
G
Gaimar, 6, 307.
Galfrid de Wmesalf, 7, 307.
Gallus, 265, 266, 361.
Galt, 228, 349,
Garrick, 150, 337.
Garth, 216, 325.
Gascoigne (ou Gascoyne), 22,
311. Gay, 24s, 33°- Gembicius, 265?, 363. Geoffroy de Monmouth, 7,
307. Gibbon, 161, 338. Giffbrd, 222, 343. Gildas, 4, 306. Gîlpin, 334. Glover, 152, 331. Gneditsch, 293, 374. Godebski, 280, 367. Godwin (François), 85, 315. Godwin (William), 228, 342. Gogol, 502, 376. Goldsmith, 199, 336. Golikoff, 292, 373. '
Gondola, 377. Gornicki, 270, 362. Goszczinski, 280, 368. Gowen (miss),v. Brooks (Mrs). Gower, 8, 308. Gray, 237, 333. Green (Matthieu), 144, 330. Greene (Robert), 33, 313. Gregory, 341. Griboiédof, 299, 374.
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384
INDEX ALPHABETIQUE.
Grocbowski, 269,272, 362-63. Grote, 224, 353. Guzla (ou Gousla), 263. Gwardowski, v. Twardowski.
H
Haies, 15, 319. Haliburton, 259, 359. Hall (Edouard), 16, 311. Hall (Joseph), 23, 314. Hall (James), 259, 358. Hallam, 224, 348. Halleck, 248, 358. Hamilton (Elisabeth), 343. Hamilton (Alexandre), 243,
355. Harrington (John), 29, 313. Harrington (James), 223, 321. Harry l'Aveugle, 21, 309. Hartley, 279, 333. Hawkesworth, 335. Hawthorne, 258, 360. Hayley, 339. Hazlitt, 223, 548. Head, 350. Heber, 208, 546, Hector de Saint-Jean, 243. Hemans (Félicie), 218, 346. Henri VIII, 24, 310. Henri le Ménestrel, v. Harry, Herbert, 28, 318. Herrick, 24, 320. Hertzen, 505, 376. Hervey, 260, 333. Heywood (John), 32. Heywood (Gaspard), 33, 312. Heywood (mistress), 204, 330. Hobbes, 83, 321,
Hogg (le berger de l'Ettrick),
207, 347. Holcroft, 149, 340. Holinshed, 79, 312. Home (lord), v. Kaimes. Home (John), 246, 335. Hood, 208, 351. Hooker, 79, 314. Hopkinson, 243, 354. Horne-Tooke, 341. Howell, 81, 222, 319. Hume (Alexandre), 27, 314. Hume (David), 157, 332, Hunt, 226. Huntingdon, 7, 307. Huntley ( miss ), v. Sigourney
Sigourney Hutcheson, 254, 330. Hutchinson, 125, 327. Hyde (Edouard), v. Glarendon.
Glarendon.
I
Igor (poème), 284, 370. Inchbald (mistress), 150, 342. Irving (Washington), 254,
356. Iskender, v. Hertzen. Ivan III, 285. Ivanoff, 298, 373.
J
Jablônowski ( comte ), 277,
364. Jablonowski (prince), 272,
564.
Jacques 1er d'Ecosse, 12, 309.
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INDEX ALPHABETIQUE.
385
Jacques VI d'Ecosse, 29, 312. Jakubowitch, v. Kircha. Janowski, v. Gogol. Jean de Salisbury, 307. Jefferson, 243, 355. Jeffrey, 222, 344, Johnson (Samuel), 263, 335. Jonson (Benjamin) ou Ben
Jonson, 75, 314. Joseph d'Exeter, 307. Joukowski, 294, 374. Junius, 153, 337.
K
Kadlubek, 266, 361. Kaimes (lord), 259, 334. Kampenhausen, 300, 374. Kapniste, 292, 372. Karamzin, 2512, 374. Karpinsin, 274, 366. Katenin, 297, 375. Keate, 139, 335. Keats, 206, 349. Kemble, 339, 551. Kenrick, 150, 336. Khenmitzer, 289, 371. Kheraskoff, 288, 372. Khilkoff, 291, 370. Kircha, 296. Kirke-White, v. White. Klonowicz, 269, 362. Kniajnine, 290, 371. Kniaznin, 274, 366. Knowles, 219, 348. Kochanowski, 265, 268, 562363.
562363. 271, 364. Kollar (Jean), 264, 377.
Kollontaï, 277, 366. Koltzoff, 296, 375. Konarski, 273, 364. Kopernik, v. Copernic. Korsak, 280, 369. Korzeniowski, 281, 369. Rosziczki, 269. Kostroff, 289, 372. Kowalska (Elisabeth), 364. Krajewski, 278, 366. Krasicki, 275, 365. Krasïnski, 280, 368. Kraszewski, 281, 369. Kropinski, 276, 368. Krudener (baronne), 501, 373. Kryloff, 296, 373. Kulmann ( Elisabeth ), 293,
375. Kyd, 314.
L
Laing, 225, 345. Lamh (Charles), 216, 344. Lamb (lady), 216, 348. Landon (miss), 218, 350. Langhorne, 233, 337. Langland, 7, 308. Latimer, 15, 311. Layamon, 5, 307. Lee (Nathaniel), 106, 324. Lee (les soeurs), 250, 343. Lelewel, 281, 368. Lermontoff, 297, 375. Lesczcinski, 273, 365. Leslie, 325. Lestrange, 88, 321. Lewis, 205, 343. Lewschine, v. Platon.
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386
INDEX ALPHABETIQUE.
Leyden, 208, 347. Libelt, 282, 369. Lillo, 247, 330. Lindsay ou Lyndsay, 12, 310. Lingard, 225, 349. Locke, 107, 325. Lockhart, 222, 228, 350. Lodge, 22, 35, 313, Logan, 143, 340. Lomonossoff, 27, 370. Longfellow, 249, 360. Longinus, v. Dlugoss. Lovelace, 25, 320. Lubomirski, 272, 364. Luganski, v. Dabl. Lydgate, 12, 23, 309. Lylly; 34, 312.
Lynch (miss), v. Thrale (mistress). Lyttleton, 242, 332. Lytton (lord), v. Bulwer.
M
Macaulay, 224, 353. Maciejowski, 282, 368. Mackensie, 202, 338. Mackintosh, 222, 223, 344. Maclean (mistress), v. Landon
Landon Macpherson, 139, 335. Aïaikof, 292, 371, 375. Maitland, 29, 310. Malcolm, 263, 348. Mallet ou Malloch, 146, 331. Malone, 339. Maltbus, 344. Mandeville, 9, 508. Manley (mistress), 125, 328.
Marko Kraliewitch (poème),
376.
Marlinsky, v. Bestoucheff. Marlowe, 55, 313. Marryatt, 229, 352. Marston, 73, 315. Martineau (miss), 230, 351. Marvell, 88, 321, Mason, 233, 338. Massinger, 77, 318. Matuscewicz, 280, 367. Maximoff, 300, 376. May, 79, 319. Melmoth, 332.
Mehril, 80, 313, Merlin, 2, 305. Merrick, 233, 336. Miaskowski, 269, 362. Mickiewicz, 265, 278, 368. Mickle, 134, 337. Middleton (Thomas), 265,
Middleton (Conyers), 332.
Milanoff, 295, 373.
Mill (Stuart), 353.
Miller, 156, 330.
Milman, 208, 348.
Milton, 94, 319-23.
Milton (miss), v. Trollope
(mistress). Minot, 308.
Mitford (miss), 230, 350. Mitford (William), 340. Mochnacki, 282, 368, Montagne (lady), 165, 329, 337. Montgomery (Alexandre), 29,
314. Montgomery (Robert), 308
351.
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INDEX ALPHABETIQUE.
387
Montgomery (James),208, 345. Moore (Edouard), 248, 334. Moore (John), 204, 341, Moore (Thomas), 215, 348. Moraczewski, 282, 369. Moralités (en Angleterre), 310. More ou Morus (Thomas),
15, 309. More (mistress Hannah), 244,
341. Morgan (lady), 229, 349. Morsztyn, 271, 364. Mostowski, 252, 367. Mostowska (princesse), 281,
367.
Mourawieff, 289, 372. Mungo Park, v. Park.
N
Nack (James), 247, 357. Namscewicz, 277, 567. Nash, 35, 313. Neal, 247, 3 58. Nestor, 284, 370. Newcastle (lady), 29, 321. Newcomb, 132, 329. Newton, 224, 325. Nicoleff, v. Petrowitch. Niemcewicz, 265, 275, 366. Normands, 307. Norton (John), 23, 309. Norton (Thomas), 15, 311. Novikoff, 292, 371.
O
Occlève, 12, 308. O'Connell, 221, 351. Ogilby, 320.
Oïsin, v. Ossian. Opie (mistress), 230, 345. Orloff, 300, 374. Orzechowski, 265, 270, 361 Ossian, 2, 139, 305. Ostrowsld (Théodore), 282
367.
Ostrowski (Nicolas), 299, 376. Ostrowski (Alexandre), 280,
369. Otfinolvski, 272, 363. Otway, 206, 325. Overbury, 316. Owenson (miss), v. Morgan
(lady). Ozeroff, 298, 373.
P
Paine (Thomas), v. Payne.
Palacki, 264.
Paley, 221, 34;
Palgrave, 352.
Park (Mungo), 163, 344.
Parnell, 216, 327.
Pasek, 275, 364.
Patrick ou Patrice (saint),
305. Paulding, 256, 359. Paweski, v. Skarga. Payne (Thomas), 254, 342,
355. Payne (Howard), 220, 349. Peel (Robert), 221, 352. Peele (George), 34, 312. Penn, 223, 324. Penrose, 231, 338. Percival, 247, 357. Percy, 336.
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INDEX ALPHABÉTIQUE.
Petroff, 288, 371. Petrowitch, 291, 372. Philips (John), 226, 326. Philips (Ambrose), 233, 328. Pîerpont, 247, 357. Pierre le Grand, 286, 370. Pindar (Peter), v. Wolcot. Piozzi (mistress), v. Thrale
(mistress). Pissareff, 298, 375. Pitt (les deux), 241, 342. Platon Lewschine, 291, 371. Plavilscbtschikoff, 291, 372. Poë, 257, 359. Pomfret, 90, 326. Poniatowski, 273, 367. Pope, 128, 328-31. Popofski, 288, 371. Potocki (Wladislas), 365. Potocki (Ignace), 278, 366. Potocki (Stanislas), 278, 366. Potocki (Paul), 275, 364. Potocki (Jean), 278, 367. Potocki (comte), 274, 367. Pouchkine (Wassili), 293,
373.
Pouchkine (Alexandre), 295,
374.
Power (miss), v. Blessington (lady).
Poznanczyk, 268, 361.
Prescott, 255, 360.
Priestley, 160, 359.
Prior, 116, 327.
Procopowitch, 370.
Procter, 349.
Proud, 255, 356.
Publius, v. Hamilton (Alexandre).
Q.
Quarles, 28, 79, 318. Quarterly Review, 346. Quincey (de) ou Dequincy, 231.
R
Radcliffe (Anne), 203, 343.
Rajewski, 300, 373.
Raleigh, 80, 317.
Ramsay (Allan), 149, 329.
Ramsay (David), 243, 356.
Reid, 159, 536.
Rej, 267, 362.
Revue d'Edimbourg, 32.
Revue trimestrielle, v. Quarterly Review.
Reynolds (Josué), 145, 357.
Reynolds (Frédéric), 220, 341.
Richardson, 179, 333;
Robert de Glocester, 7.
Robertson, 162, 337.
Robin Hood (ballades), 307.
Robinson (mistress), 144, 538.
Robinson (Elisabeth), v. lady Montague.
Rochester, 90, 323.
Romilly, 346.
Rogers, 144, 341.
Roscoë, 343.
Roscommon, 90, 324.
Rostopchine (comtesse), 297,
375. Rou (roman de), 307. Rowe (mistress), 116, 326. Rowe (Nicolas), 119, 326.
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INDEX ALPHABETIQUE.
389
Rowe (Thomas), 125, 327. Rowley, 316. Rowlie, 143, 309. Russell (William), 339. Rzewuski (Wenceslas), 276,
365.
Rzewuski (Henri), 282, 369.
S
Sackville (Thomas), 311. Sackville (Charles), 322.
Sadler, 351.
Saint-Jean (Hector de), 354, v. Hector.
Salisbury (Jean de)
Sam Slick, v. Haliburton.
Sarbiewski, 272, 363.
Sarzinski, 269, 362.
Schafarik, 264.
Schakoffskoï, 298, 373.
Schoolcraft, 357.
Scot (Alexandre), 29, 311.
Scot (Dûns), 308.
Scot (Reginald), 85, 312.
Scott (John), 739, 339.
Scott (Walter), 225, 347.
Sedgwick (miss), 255, 360.
Sedley, 105, 324.
Seïden, 83, 316.
Settle, 106, 323.
Shadwell, 205, 324.
Shaftesbury, 124, 328.
Shakspeare, 36, 314-17.
Sheffield (le forgeron de), v. Cunningham (Allan).
Sheffield (John), v. BuckingHam
BuckingHam de).
Shelley, 217, 347. Shelley (mistress), 349. Shenstone, 238, 331. Sheridan, 150, 338. Shirley, 78, 317. Sidney (Algernon), 108, 325. Sidney Smith, v. Smith. Sidney (Philip), v. Sydney. Sigismond III, 362. Sigouruey (mistress), 251,
357. Siméon de Polotsk, 285, 370. Simonides, v. Szymondwicz. Simpson (miss), v. Inchbald
(mistress). Singer-Rowe (mistress), v.
Rowe. Skarga-Paweski, 271, 362. Skelton, 23, 309. Slovacki, 280, 369. Smith (Adam), 156, 336. Smith (Charlotte), 205, 342. Smith (Sydney), 221, 344. Smith (William), 220, 353. Smollett, 190, 333. Sollohub, 302, 375. Sophie (princesse), 286, 370. Sotheby, 144, 344. Soumarokoff (Alexaudre), 290,
371. Soumarokoff (Pancrace), 289,
372. Souschkoff, v. Rostopchine. South, 322. Southerne, 149, 328. Somhey (Robert), 212, 343. Southey (mistress), 213, 349. Southwell, 26, 313. Spectateur (le), 528.
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390
INDEX ALPHABETIQUE,
Speed, 80, 317. Spenser, 18, 312. Spragne, 247, 357. Stafford, 14, 310. Stanley, 320. Starowolski, 273, 363. Steele, 223, 327. Stephens, 225, 348. Sterne, 195, 335. Sternhold, 15, 311. Still, 32, 511. Stillingfieet, 14, 323. Stockdale, 54, 337. Stowe (mistress Beecher-),
258, 360. Stuart Mill, v. Mill. Strogonoff, 289, 371. Stryjkowski, 270, 362. Suckling, 24, 319. Surrey, 23, 311. Swift, 272, 329. Sydney (Philip), 20, 312. Sydney Smith, v. Smith. Szymanowski, 275, 365. Szymonowicz, 268, 363.
T
Taliesin, 2, 305.
Tatistcheff, 291, 371. Taylor (John), 26, 317. Taylor (jérémy), 83, 520. Tcherniakeswski, 300, 376. Temple, 109, 325. Tennyson, 210, 351. Thackeray, 232, 353. Théâtre (en Angleterre), 307 Théâtre (en Pologne), 364.
Théophane Prokopowitch,
256. Thomson, 135, 329. Thrale (mistress), 134, 341. Tickell, .137, 329. Tillotson, 114, 322. Tobin, 219, 343. Tolstoï, 302, 376. Tooke (Horne), v. HorneTooke.
HorneTooke. 301, 376. Trediakowski, 292, 371. Trembecki, 274., 365. Trentowski, 252, 369. Trollope ( mistress ), 230,
352. Trumbull, 243, 354. Tschenrykewski, v. Tcherniakewski.
Tcherniakewski. 272, 364. Tyler, 252, 355. Tyndale, 14, 310. Tyrrell, 125, 326.
U
Udall, 32, 310. Universités anglaises, 307. Universités polonaises, 361.
Usher, 317.
V
Vanbrugh, 118, 326. Villiers (George), v. Buckingham
Buckingham Von-Vizine, 290, 372. Vostokoff, 297, 375.
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INDEX A LPHABETIQUE.
391
Wace (Robert), 6, 307. Wakefield, 342. Waller, 89, 320; Walpole, 203, 336. Warburton, 26s, 332. Ward (miss), v. Radcliffe
(Anne). Warton (les trois), 143, 52953.
52953. 243, 355. Watson (Thomas), 22, 312. Watson (Richard), 160, 338. Watts, 132, 326. Webber, 360. Webster (John), 74, 314. Webster ( Alexandre ), 133,
333. Webster (Daniel), 359. Wegierski, 275, 366. Weston (Jeanne de), 29, 316. Wezyk, 276, 368. Whetstone, 312. Whewell, 221, 352. White (Kirke), 206, 34$. Whycherley, v. Wycherly. Wiazemzki, 297, 374. Wichmann, 300, 374.
Wicliffe, 9, 308.
Wieki, 270, 363.
Wilkins, 79, 213, 316, 31.9.
Willis, 248, 358.
Wilson, 311.
Wither, 23, 318.
Wodhnll, 234, 340.
Wol cott ou Woolcot, 134,
340. Woodworth, 247, 357. Wordsworth, 213, 345. Woronicz, 275, 366. Woroniz, 265. Woronzoff ( Catherine), v.
Daschkoff. Wujeki, v. Wieki. Wyatt, 13, 310. Wycherly, 105, 324. Wyntown, 12, 308.
y
Young, 236, 332.
Zaleski, 265, 280,369. Zamoiski, 270, 363.
Zimorowicz, 271, 285, 363, 370.
FIN DE L'INDEX.
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TABLE DES MATIERES
Pages. PRÉFACE . . 1
LITTÉRATURES DU NORD
TROISIÈME PARTI E.
LITTÉRATURE ANGLAISE
CHAPITRE 1er. — Les origines et le moyen âge jusqu'en 1399 1
§ 1er. — La langue; les origines de la littérature ; l'élément saxon en lutte avec le normand .... 1
§ II. — Premiers poètes et prosateurs en langue vulgaire 7
CHAPITRE IL — Époque de préparation, avant le règne
d'Elisabeth (1599-1558) . 11
§ 1er. — Poésie 11
§ II. — Prose . 14
CHAPITRE III. — Le premier âge d'or de la littérature
anglaise, ou le siècle d'Elisabeth (1558-1649). ... 18
g 1er. — La poésie ...... 18
§ IL — Le théâtre 30
SECTION 1re. — Les prédécesseurs de Shakspeare ; 30
SECTION IL — Shakspeare 36
11. 50
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394 TABLE DES MATIERES.
SECTION III. — Contemporains et successeurs de
Shakspeare 73
§ III. — La prose 79
CHAPITRE IV. — La République et la Restauration
(1649-16S8) 87
§ 1er. — La poésie 87
— Dryden . . 90
— Milton - - 94
§ II. — Le théâtre 104
§ III. — La prose . 107
SECTION 1re. — Philosophie, politique et histoire . 107
SECTION IL — Roman 111
SECTION III. — Éloquence et théologie. .... 113 CHAPITRE V. — Règnes de Guillaume III et de la reine Anne, ou première partie de l'âge classique moderne
(16S9-1714) . 115
§ 1er. — La poésie 115
§ II. — Le théâtre 117
§ III. — La prose 120
CHAPITRE VI. .— Seconde partie de l'âge classique moderne, ou le XVIIIe siècle, de 1714 à 1800 127
§ 1er. — La poésie 127
SECTION 1re. — Ecole philosophique ...... 127
SECTION IL — École descriptive et sentimentale . 134
§ II. — Le théâtre. 145
§ III. — La prose . 351
SECTION 1re.— Éloquence et philosophie. — Prédicateurs ..... 151
— Orateurs politiques . 151
— Publicistes 152
— Moralistes 154
— Philosophes . . 157
— Théologiens . 160
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TABLE DES MATIÈRES. 395
Pages.
SECTION II.. — Histoire, critique, roman. — Historiens et voyageurs. ...... 160
— Critiques et érudits 163
— Romanciers 165
CHAPITRE VII. — Première moitié du XIXe siècle. . . 20;
§ 1er. — La poésie 205
SECTION 1re. — Poètes indépendants. 206
SECTION II. — L'école romantique 211
— — Lakistes 211
— — Romantiques proprement
dits 218
§ IL — Le théâtre 218
§ III. — La prose 220
SECTION 1re. — Orateurs, philosophes et publicistes 220
SECTION II. — Histoire et roman 222
APPENDICE
A L'HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.
Histoire abrégée de la littérature anglo-américaine,
chapitre unique 237
§ 1er. — Considérations préliminaires 237
§ II. — La littérature anglo-américaine au XVIIIe siècle. ... . , 240
g III. — La littérature anglo-américaine dans la première moitié du XIXe siècle 246
— Poètes 246
— Théâtre 252
— Prose 253
QUATRIÈME PARTIE.
LITTÉRATURES SLAVES
Chapitre unique 261
§ 1er. — Littérature polonaise 265
§ II. — Littérature russe 283
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196 TABLE DES MATIERES.
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
LITTÉRATURES DU NORD.
Troisième partie. Pages. Littérature anglaise 305
APPENDICE A LA TROISIEME P ART1E.
Littérature anglo-américaine 3 54
Quatrième partie.
Littératures slaves 361
Pologne 361
Russie. . . 370
Branches secondaires 376
Index alphabétique . 379
FIN.
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IMPRIMÉ PAR A. QUANTIN
ANCIENNE MAISON J. CLAYE POUR
ALPHONSE LEMERRE, EDITEUR A PARIS