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LES
SOIRÉES PARISIENNES
DE 1884
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LIURAIRU: E, DKNTU, ÉDITEUR
DU MEME AUÏEUK :
LES SOIRÉES PARISIENNES DE 1874
Prvfrçe par J*;>jue* OffiMicu, i vo'utr.e grinj in-iS, j fr, }o
LES SOIRÉES PARISIENNES DE 187,
Préface f*t Théodore Bmiut, i volume grau4 in-iS, j fr, >o
LES SOIRÉES PARISIENNES DE 1876
Préface fit Alfîioase Du PET
llla»tr*ùon$ de EJ. Yox, Sum-BstMumT, YIU&T, RCIÉ & Cuuuov,
Henri NEIIIUC, Gxtwy, i volume gruoj ia«|8f { fr,
LES SOIRÉES PARISIENNES DE, 1877
Préface par E4moc4 COSPIMT, I volume grand ïa-lS, j !>. jo
LES SOIRÉES PARISIENNES DE 1878
Préface par E4ouar4 PAIUEROJC, I volute* grjnJm-iS, j fr. ;o
LES SOIRÉES PARISIENNES DE 1879
Préface p*f AJolplie 4'ENX«*V, t volume gr..s4 ia-iS, j fr, i<»
LES SOIRÉES PARISIENNES DE 1880
Préface par Emile 7.Q.U, I volume gwn4 ia-i8, j h, $o
LES SOIRÉES PARISIENNES DE 1881
Préface par Ludovic Hmw, I volume gran4 In-lS,} fr, $o
LES SOIRÉES PARISIENNES DE 1882
Préface par lUnri Btcqve, I volume grand In-tS, j fr. 50
LES SOIRÉES PARISIENNES DE iS8j
Préface par Chirk» GOVXOD, 1 vol. gran4 ia-lS, ; fr. ;o
LE MONSTRE
Koaun, un volume gran4 in-18, } fr. 2}î. - Pari», Imprimerie George» Gvtuots. - Succumls à Poitier».
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LES SOIRÉES
PARISIENNES
DE 1884
PAR
v\ aroncsiEun m VORCHESTUI:
(VtVOI.l) .MORTIER)
m --
#RÉFACE
^V -' PAR
ALBERT WOLFF
PARIS E. DENTU, ÉDITEUR
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES PALAIS-ROYAL, ($-17-19, GALERIE D'ORLÉANS
1885
TOUÏ droits réserves
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ARNOLD MORTIER
Arnold Mortier était originaire d'un pays qui, de tout temps, a manifeste ses vives sympathies pour la France, ace point que, chez aucun peuple étranger, la langue française n'est aussi répandue qu'en Hollande. Tout jeune, il vint à Paris avec ses parents, et, parvenu a l'âge d'homme, il chercha pendant de longues années sa voie sans la trouver; ses débuts dans le 'journalisme ne laissaient point prévoir la place qu'il prendrait plus tard parmi nous. Mortier nous surprit tous quand, en 1870, il inventa dans le journalisme parisien une rubrique jusqu'alors inconnue et dont le succès s'établit rapidement; il créa, â côté de la critique dramatique, une chronique vivante des théâtres parisiens : il montrait l'auteur de la pièce nouvelle en robe de chambre, dans l'intimité de la pensée; il remontait aux origines de l'ouvrage, marquait les phases qu'il avait traversées avant de prendre sa forme
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vi PRÉFACE
décisive sous la plume de l'écrivain; il conduisait le lecteur dans les coulisses, le faisait assister a l'éclo* sion successive de l'oeuvre avec les hésitations de l'auteur, les angoisses du directeur et les exigences ou les dévouements des acteurs ; c'était comme une chronique intime pleine de faits, d'anecdotes et de ré* relations, qui complétait la critique dramatique sans empiéter sur son domaine. Ces ank les, signés Froit' Frou â l'origine, eurent tout de suite un succès complet; il ne se manifesta pas seulement par l'empressement de tous les journaux boulevardiers à imiter la rubrique, maïs il créa tout un genre nouveau dans les feuilles parisiennes qui, à côté de la critique sévère de toutes choses, s'approprièrent le système de Mortier pour les arts et la politique. Ce que Mortier inventa pour les théâtres, d'autres l'appliquèrent aux Chambres en faisant a côté du compte rendu des séances une revue anecdotique des débats parlementaires, avec les incidents de couloir et les agissements des acteurs en dehors de la salle des séances. On peut donc dire d'Arnold Mortier qu'il n'est pas seulement le créateur de la Soirée théâtrale, mais que le Monsieur de l'Orchestre, pseudonyme dont il se servit au Figaro, a encore eu une grande influence sur le journalisme de son temps, et ce même en dehors du domaine particulier où il fut jusqu'à sa mort le ténor di primocartelb. Ce qui augmentait encore le succès d'Arnold
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PRÉFACE VII
Mortier, c'était le ton de bonne compagnie dans lequel il savait maintenir son humour «son véritable esprit parisien : il louait sans servilité et égratignait sans blesser; il allait jusqu'aux dernières limites de l'indiscrétion sans jamais verser dans le scandale ; il était souvent mordant, jamais méchant; à ses ironies se mêlaient toujours les grelots de sa bonne humeur qui les faisaient aussitôt pardonner, si bien que tous ceux dont il avait parlé dans ses articles firent escorte à Arnold Mortier quand, à quarante ans, il fut emporté par la mort, et déposèrent sur sa tombe l'expression sincère de leurs regrets.
Tous les ans, Arnold Mortier réunissait ses articles en volumes, et il avait l'habitude de les dire présenter par un écrivain ou un musicien célèbre. C'est ainsi que, dans les dix premiers volumes, Offenbach, Barrière, Alphonse, Daudet, Oondinet, Pailleron, d'Ennery, Zola, Halévy, Becque et Gounod ont résumé le travail littéraire d'Arnold Mortier et marqué la place qu'il prendra dans l'avenir parmi les mémoires de notre temps. A ce point de vue tout a donc été dit sur la Soirée théâtrale et il ne me reste rien à ajouter. Mais ce que Mortier a fait pendant de longues années pour les autres, je veux le faire pour lui en tête de ce dernier volume qui clôt â jamais son oeuvre littéraire. Quand un homme a tenu une place si enviée dans le journalisme, il est toujours intéressant
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VIII PRÉFACE
pour te public de le voir dans l'intimité, attelé à la besogne; jw» vais conduire le lecteur dans les coulisses de la Soirée théâtrale et lui montrer le Monsieur de VOr* chestre avec sou procédé particulier de travail, dans la gestation de ses chroniques légères et charmantes dont le succès fut si persistant.
Hollandais de naissance, Français par le coeur, boulevardier par l'esprit, Arnold Mortier avait conservé de ses origines le calme méthodique du peuple qui le vit naître; jamais il ne s'emportait ni dans la conversation ni dans ses écrits : il avait je ne sais quoi de grave et de réfléchi dans tout son être qu'on aurait eu de la peine à deviner, sous son masque bienveillant mais froid, l'humouriste des Soirées théâtrales; sa conversation n'avait jamais ce tour alerte qui distingue ses écrits; dans les réunions intimes, il n'apportait rien de cette gaîté véritable qui sonnait de si brillantes fanfares dans ses articles; il ne se dépensait point dans la causerie; tout le travail de son esprit se faisait intérieurement, avec mesure et sagesse; il administrait son talent comme un capital; il économisait son humour; il emmagasinait les traits comiques ou les mots mordants pour ne jamais être pris â court dans les semaines maigres de la vie théâtrale. Arnold Mortier était en quelque sorte la fourmi prévoyante parmi les cigales boulevardières qui, â toute heure, gaspillent en pure perte leur esprit dans les
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PRÉFACE l\
cabarets â la mode ou les foyers du théâtre, a ce point qu'il ne leur en reste pas toujours pour leurs articles.
L'inventeur de la Soirée théâtrale était avant tout un homme d'ordre, prévoyant dans sa vie littéraire comme dans sa vie de famille; de même que sa pensée constante fut de mettre les siens à l'abri du besoin , il ne voulait pas livrer son renom aux hasards de la plume : il plaçait le trop plein de son revenu en rentes sur l'État et déposait l'excédent de son esprit en lieu sûr, dans son tiroir, avec le parti pris de ne jamais être â sec; il tenait constamment cinq, six, dix articles fantaisistes en réserve pour les jours où le théâtre n'alimentait pas naturellement sa plume. Quand l'événement de la soirée ne lui fournissait pas son sujet d'article, il ouvrait tranquillement son tiroir et en tirait une de ses fantaisies à côté qu'il réservait pour les mauvais jouis et qui, tout en paraissant venues en un moment de belle humeur, étaient en réalité sorties de longues réflexions et souvent d'un labeur pénible. Mais le talent de l'artiste ou de l'écrivain est précisément de ne pas laisser voir la peine dans son oeuvre; l'humour d'Arnold Mortier ne trahissait nulle part l'effort ; il semblait couler de source tant le journaliste maniait librement sa forme très personnelle avec une verve qui ne le trahissait jamais.
On peut dire de ce laborieux, et c'est encore en
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PRÉFACE
ceci qu'il mérite vraiment le titre d'artiste, que sa pensée était constamment attachée à sa vocation; le succès d'hier ne l'enivrait jamais assez pour lui faire oublier le succès plus difficile de demain, A mesure que son nom grandissait, Arnold Mortier semblait davantage possédé par la crainte de déchoir; tout son esprit était tendu vers son travail : jamais ce journaliste léger et enjoué ne le perdait de vue. , Dans les réunions les plus gaies, le Monsieur de VOrchestre demeurait le plus souvent silencieux. La conversation des autres ne lui taisait jamais perdre le fil de ses idées; jamais il ne jetait dans la causerie une de ces boutades qui lui venaient si facilement sous la plume. Quand une idée comique ou un trait piquant lui traversait l'esprit, il les gardait pour lui; au lieu de les jeter i travers le bruit pour se (aire applaudir, il les notait silencieusement sur le carnet que toujours il portait sur lui; il gardait tout cela pour ses lecteurs et par sagesse, et peut-être aussi parce que dans la causerie il ne trouvait que difficilement la forme spontanée; il lui fa liait pour cela le silence de son cabinet de travail, le détachement de tout milieu bruyant. Alors cet humouriste exquis était curieux à observer: il écrivait les phrases les plus comiques sans qu'un sourire effleurât ses lèvres; il était penché sur ses petits carrés de papier avec la gravité d'un notaire qui compose un document
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PRÉFACi. M
important et le sérieux d'un savant oui chercherait la quadrature du cercle. De tous les rédacteurs du Figaro, celui-ci faisait rire le plus, et c'est à peine si, de loin eu loin, on le voyait sourire lui-même.
Aux premières représentations, Arnold Mortier fut toujours un sujet d'étonnemcnt pour ceux qui ne le connaissaient pas. Ils se figuraient bien â tort que l'auteur de ces étourdissantes Soirées théâtrales était un de ces journalistes parisiens, souvent décrits par les romanciers, qui se pâment dans l'ivresse de leur succès et autour de qui, dans les salles de spectacle, on fait cercle pour écouter le débordement de leur esprit : ils apercevaient alors, non sans déception, un homme de quarante ans, accroupi dans sa stalle sur son chapeau qui lui servait de bureau et prenant des notes comme un simple employé penché sur le bilan. Rarement on voyait Arnold Mortier au foyer, dans les groupes où il est de bon ton d'avoir plus d'esprit que son voisin; il demeurait le plus souvent, dans les entr'actes, grave et pensif, cherchant un trait piquant de plus â ajouter à son article après le spectacle. Quand on venait lui conter le dernier mot spirituel, fraîchement éclos dans les couloirs, Arnold Mortier souriait et remerciait le généreux donateur, mais jamais il ne se servait de l'esprit des autres, sûr qu'il était de le retrouver le lendemain dans les Soirées théâtrales de ses imitateurs, très nombreux, mais dont
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Ml PRÉFACE
aucun ne pouvait, du vivant de Mortier, se vanter d'être son rival dans l'opinion publique.
Le grand succès d'Arnold Mortier, qui l'a accompagné jusqu'à sa tombe sans que la moindre fatigue d'esprit fût jamais visible, ne repose pas seulement sur les facultés innées de son talent, mais encore sur le travail constant et toujours attentif de l'homme qui comprenait à merveille qu'il est plus difficile de se maintenir dans une situation acquise que de la conquérir; il avait la passion de son métier et un dévouement sans pareil pour son journal; il ne reculait devant aucun travail quand l'intérêt du Figaro l'exigeait. En douze années il n'a pas pris une heure de repos en dehors de ses vacances, et encore, quand la Soirée théâtrale chômait, au coeur de l'été, il ne cessait pas de travailler, non seulement à ses pièces de théâtre, mais à des nouvelles ou des chroniques pour le Figaro, tant il lui semblait impossible de s'en détacher entièrement pendant plusieurs mois. A l'heure où la maladie le cloua définitivement sur le lit de douleur qu'il ne devait plus quitter que pour entrer dans son cercueil, il souffrait moins des maux incurables qui le déchiraient que de son éloignement forcé de son travail. Les moments lumineux dans ces longues tortures furent pour lui les entretiens avec les collaborateurs qui le suppléaient et à qui il donnait les conseils de son expérience avec le rayon-
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PRÉFACE XIII
nem'ent d'un homme de devoir qui se jugeait lié à son journal jusqu'au dernier souffle. Tous, nous l'aimions fort, et quand, le 2 janvier de cette année, on nous annonça qu'Arnold Mortier venait de mourir dans sa maison de campagne de Croissy, nous fûmes tous frappés en plein coeur : car en même temps que le journal perdait un de ses plus précieux collaborateurs, nous, ses amis, nous perdions en lui un camarade sûr, un galant homme dans toute l'acception du mot, un de ceux sur qui, à travers les amours-propres cl les rivalités de métier, on pouvait compter toujours, car il possédait le respect de sa parole au même degré que celui de son talent.
ALBERT WOLFF.
Paris, Juin i88j.
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LES
SOIRÉES PARISIENNES
DE 1SS4
JANVIER
ÈTHEXXKS D'ÉTOILES
2 janvier.
Le jour de l'an est la fête des enfants sages. C'est également celle des divas parisiennes qui, si elles ne sont pas sages, sont du moins les enfants gâtées du public parisien.
Aussi le commerce de luxe, les marchands d'articles d'élrennes peuvent se plaindre. Jamais ils ne nous feront croire à la pénurie des alïaires tant qu'il y aura des théâtres, tant que ces théâtres auront des étoiles et tant que ces étoiles auront des admirateurs, discrets ou non, mais généreux en tous cas, pour les accabler de ces jolis cadeaux que le jour de l'an ne permet pas de refuser.
Dans ma flânerie de ce soir à travers les théâtres, il m'a paru intéressant de questionner quelques-unes des actrices en vedette sur les présents reçus. Et toutes
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LES SOIREES PARISIENNES
ont contribué avec une joie expansive à dresser l'inventaire qui suit : Commençons par
SARAH BERXIIARDT
Une épingle à cheveux, étrennes dites utiles, mais luxueuses aussi, puisque l'épingle est tout en diamants ;
Un nid d'argent massif-un vrai nid d'aigle géant assez grand pour servir de seau à glace ;
Une ombrelle avec manche ancien incrusté d'or et orné d'un superbe cabochon saphir étoile;
Un monstre japonais, tout ce qu'il y a de beau en fait de monstre, mais d'une telle dimension qu'à moins de l'asseoir sur le bûcher du dieu Siva, dans Nanx Sthib, Sarah ne saura pas où le mettre;
Une guitare du quinzième siècle que Zanctto vous montrera lorsqu'on reprendra le Passant :
Une carafe byzantine pour mettre, à l'occasion, de l'eau dans son vin.
Vous supposez bien que j'en passe. II y a notamment trop de fleurs pour que je puisse les énumérer; citons cependant un gigantesque lilas liLis qui occupe la moitié de l'atelier de l'avenue de Villîers, et puis un immense chapeau de jardin tout plein de fleurs, tout garni d'instruments de jardinage et envoyé de Nice par Victorien Sardou ;
De Russie, la tragédienne a reçu un beau service à thé enrichi d'émaux russes anciens;
Et enfin, un spirituel Parisien lui a envoyé une cravache merveilleuse destinée à remplacer, au besoin, celle dont Sarah s'est séparée si brusquement il y a peu de jours, en rendant ses visites de fin d'année.
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JANVIER
A LA COMEDIE-FRANÇAISE
On jouait justement ce soir le Monde où Von s'ennuie qui réunit, comme on lésait, l'élite du sociétariat féminin de chez Molière.
De quoi parlait-on, pendant les joyeuses causeries de foyer ?
Des étrennes reçues. Il n'y avait qu'à ne pas se boucher les oreilles pour savoir à quoi s'en tenir.
Mme Madeleine lîrohan, dont les goûts, les préférences littéraires et artistiques sont connus de tous ses amis, est très Itère d'avoir reçu de beaux livres, des éditions rares et surtout les Illustrations d'Alfred de Musset, cette jolie collection d'eaux-fortes faites par M. Lalauze, d'après les magnifiques aquarelles d'Eugène Lami, qui est un des succès de librairie du moment.
Mme Edile Ricquier. Mme Emilie Croisât n'ont guère reçu que des fleurs et des bonbons; il est vrai qu'elles en ont reçu beaucoup et des meilleures marques.
Mlles Martin, Fayolle et Amel ont reçu exactement la même chose, mais par moins grandes quantités, sans doute parce qu'elles ne sont que pensionnaires.
Des cadeaux moins éphémères eussent mieux fait leur bonheur 1 «Trop de fleurs! » entendait-on dans les coulisses. C'était à croire que la Belle Hélène était entrée dans le répertoire de la maison.
La plus favorisée du Théâtre-Français est de beaucoup Aille Lloyd. On sait autour d'elle que les vieilles dentelles, les bibelots et les objets d'art n'ont pas de fanatique plus ardent, ni plus éclairé que cette aimable comédienne. Aussi, tout ce qu'on lui a donné en bijoux, en tableauv,en service d'orfèvrerie, en bronzes,
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LES SOIKES PARISIENNES
tous plus anciens les uns que les autres, va-t-il augmenter notablement sa collection, qui est déjà des plus remarquables.
Mlle Suzanne Retchemberg, outre des bracelets de toute sorte, des boucles d'oreilles en tous genres et une superbe rivière de diamants, a reçu un véritable musée de porcelaine de Saxe : c'est à croire que tous ses admirateurs ont accaparé le Saxe à son profit. Sans doute sa mignonne et pimpante petite personne aura inspiré ces dons si coquets et si gracieux. Elle reste encore le plus joli Saxe de tous les Saxe de la maison, et représente fort bien le beau Saxe.
La plus heureuse de toutes est cependant Mme Samary-Lagarde. Pas de bijoux, ni de dentelles ; peu de bonbons et quelques fleurs seulement. Mais, en revanche, une belle gratification du ministère des BeauxArts et la révélation d'un rôle superbe dans la prochaine comédie de M. Edouard Pailleron, son auteur préféré.
JUDIC
A peine revenue de son triomphant voyage dans le Xord, mais a trouvé-en arrivant - les tables de son salon surchargées d'objets de toute sorte dont voici le catalogue très exact : j7 sacs de bonbons :
4 potiches anciennes ;
i vase de Chine ;
i groupe en vieux Sèvres ;
i boite en vieux Saxe :
i cabinet ancien ;
t soupière vieux Delft ;
i tableau Corot (authentique) ;
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JANVIER
Puis des fleurs, des bouquets, des corbeilles, des corbeilles, des bouquets et des fleurs :
N'oublions pas une immense poupée costumée en Nitôuche; presque aussi grande que la diva, jugez !
JEANNE GRANIER
Des charretées de fleurs naturellement. Mais c'est si difficile d'envoyer des fleurs quand on ne veut pas verser dans la banalité. Pour Granier, on s'est ingénié. A signaler, par exemple, un grand chapeau pareil à celui qu'elle porte au premier acte de Fanfreluche, et fait tout entier de fleurs naturelles ;
Puis des bijoux : baguc-Brézette en diamants ; bracelet en saphirs; magnifique branchede houx dont les baies sont en grosses perles ; bracelet à deux rangs de diamants ;
Un très joli coffret Renaissance;
Un magnifique plat d'argent offert par les paroliers de Fanfreluche ;
Et du musicien Gaston Serpette, un cadeau délicat, qui a été particulièrement agréable à la charmante artiste : le premier exemplaire de la partition de Fanfreluche, en tête de laquelle est imprimée cette dédicace : A André Gantier.
ROSITA MAURI
t
L'étoile chorégraphique de notre première scène ayant autantd'amis et d'admirateursqu'il y a d'abonnés à l'Opéra aurait pu, disons le tout d'abord, faire dessiner tout un jardin naturel dans le foyer de la danse, qui eût été rempli par les corbeilles, les couronnes,
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G LES SOIREES PARISIENNES
les bouquets qu'elle a reçus à l'occasion du premier jour de l'an.
Même en dehors des fleurs, il me faut limiter mes citations :
De nombreuses miniatures, très fines et très anciennes ; les gracieux sujets qu'elles représentent ont « moins de charmes, lui a dit un vieil abonné aimable et galant, que votre gracieuse personne, moins d'éclat que vos jolis yeux ».
Des éventails de très grand prix : ils serviront, car elle est Espagnole !
Des bracelets et une broche représentant un cygne en diamant (un cy.tfne de la plus belle eau);
Des boucles d'oreilles composées d'énormes perles entourées de brillants ;
Une cage japonaise pleine de petites poules qui font cocorico quand on presse sur la boite :
Puis le cadeau que les auteurs de la Farandole ont été heureux de lui offrir à la faveur du Jour de l'An : une jardinière en bronze japonais ancien, toute garnie de muguets et de roses.
TIIKO
Le palier assez vaste qui précède la porte de l'appartement de Théo n'est plus un palier, mais une véritable serre où les arbustes, les plantes rares se montent sur les racines, et où les fleurs sont serrées les unes contre les autres au point d'étouffer.
La jolie Mme lîoniface a reçu en outre des cadeaux plus durables :
Vn superbe saphir cabochon entouré de brillants très gros; ça lient de la place, mais c'est bien joli;
Un tapis ancien, en satin crème, brodé commeceux
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JANVIER 7
qui sont si souvent décrits dans les Mille et une \ruil$; .
Un bracelet de diamants - tout simplement ;
Un autre en rubis rouges comme des grains de grenade;
Un coflret Louis XV ;
Des statuettes en faïence disparaissant sous des gerbes de fleurs;
Et, chose curieuse, un seul sac de bonbons-mais on dit que Théo n'est pas très gourmande ;
Enfin, cadeau modeste et touchant : « un ouvrier anonyme » - il doit être sincère celui-là ! -a envoyé une pensée séchée, accompagnée d'un coeur flamboyant dessine sur une belle feuille de papier Bath.
VAN ZANDT
J'ai gardé Van Zandt pour la fin, parce qu elle est de celles qu'on a le plus fêtées. La charmante et fantasque pensionnaire de M. Cârvalho a reçu un nombre incroyable de cadeaux magnifiques; toutes les pièces de son appartement sont encombrées de corbeilles de lilas et de roses, de hottes pleines de muguets, de lyres en violettes, de bouquets gigantesques, de quoi approvisionner plusieurs magasins de fleuriste*. Puis, quantité d'autres présents :
Sur un très beau cabinet incrusté - travail indien merveilleux - une barque dorée pleine de fleurs exotiques originaires de l'Inde ;
Une montre en émail Louis XIV, ayant pour but de rappeler à la diva que l'exactitude est la politesse des reines de théâtre ;
Une délicieuse bonbonnière Louis XVI;
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LES SOIRÉES PARISIENNES
Une immense papeterie >în satin bleu,brodée de fleurs aux nuances éclatantes, et remplie de bonbons ;
Un éventail en plumes Marabout monté sur écaille blonde et orné du nom de Lahiné en diamants;
Un chapeau d'élève de Saumur rempli de bonbons;
Un album de ravissants portraits de bébés, en souvenir de la façon dont elle a chanté les Enfants ;
Un bronze indien, hommage de Dclibcs ;
Un parapluie - mais pas un parapluie ordinaire, un parapluie absolument artistique etqui a dû coûter un prix fou, puisque le manche, en argent ciselé, représente d'un côté Vand Zandt en Lakméet, de l'autre, Van Zandt en Mignon ; portraits très ressemblants et d'une exécution merveilleuse.
Je ne note que pour mémoire les bijoux. Les plus brillants représentants de la colonie américaine de Paris ont envoyé des fleurs accompagnées de gentils Christmas. Et le paquebot de New-York n'est pas encore arrivé !
Voilà l'inventaire fait. J'ai dû le borner à quelques artistes seulement. Mais dans tous les théâtres, grands et petits, les grandes et les petites ont été comblées de cadeaux variés, et on cherchera vainement le statisticien qui pourra fixer la somme d'argent dépensée en étrennes pour les actrices de Paris.
ÈCIIAXGE DE BOXS VROrp.DÊS
j janvier.
Cela ne se savait pas, on ne voulait pas que cela se sût, et le bruit s'en est répandu tout de même. C'est mon collaborateur Prével qui a vendu la mèche. Mais
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JANVIER 0
il n'a dit qu'une partie de la vérité; à moi de compléter ses renseignements.
Oui, Divorçons sera joué à la Porte-Saint-Martin, par Sarah Bcrnhardt, un jour ou l'autre. Mais c'est avec le consentement des directeurs du» Palais-Royal qui renoncent à toute idée de procès.
Voici ce qui s'est passé:
MM. Briet et Delcroix ont compris depuis longtemps que, pour réussir au théâtre, il faut varier les genres. Ils n'avaient jamais joué de drame envers; ils avaient constaté qu'aux Français ces sortes de productions réussissaient souvent, ce qui semblait indiquer que le quartier s'y prêtait assez bien, et ils s'étaient mis à la recherche de l'oeuvre convoitée. Alors, l'incident de Divorçons s'étant produit, ils s'en furent trouver M. Derenbourgctlui proposèrent de lui céder la comédie de Sardou et de Xajac, mais à la condition qu'en échange il les autoriserait à jouer Xana Sahib.
Le directeur de la Porte-Saint-Martin, touché du bon procédé de ses confrères, n'a pas voulu être en reste de politesse avec eux. Nan* Sahib émigrera donc au Palais-Royal et succédera à Ma Camarade aussitôt que le succès de la délicieuse comédie de Meilhac et Gille sera épuisé, c'est-à-dire dans un avenir encore très éloigné.
On ne compte faire que. peu de modifications à l'oeuvre de M. Jean Riehcpin.
Par exemple, on supprimera la mise en scène, la musique , le ballet, les décors indiens. Tous les actes se passeront dans les salons bourgeois, généralement employés pour les vaudevilles de l'endroit. La pièce y gagnera en intimité et on n'en appréciera que mieux
t.
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IO LES SOIREES PARISIENNES
les.sentiments héroïques qui animent les personnages.
Le rôle deDjamma, où Sarah Bernhardt trouve des élans si passionnes, sera confié à Mlle Mathiidc, i'amusante tireuse de cartes de Ma Camarade, qui le jouera autrement - avec plus de rondeur.
Cimrou, le paria, l'amant dédaigne, sera tenu par Hyacinthe, et Tippoo-Rni par Pellerin.
Quant au gouverneur anglais, il devait forcément échoir à Milher, qui a déjà créé, dans le Petit Faust, un rôle militaire encore présent à la mémoire de tous.
C'est Lavignequi interprétera miss Ellcn.
Enfin Dailly, l'excellent Dailly, débutera dans un rôle, épisodique il est vrai, mais qu'il parviendra à mettre au premier plan : le rôle du Yogui.
Je puis aftirmcr, dès à présent, que son entrée fera sensation.
Lancé en scène d'un coup de pied dans le dos par l'officier anglais, le peuple, représenté par deux figurants, s'écriera :
Hespect au Yogui !
Et le Yogui répondra :
Non, qu'il frappe f C'est bien ! .Frappe! Tu peux frapper ! Frappe ! Je ne sens rien. Frappe ! J'ai su me faire un dos que rien ne blesse ! Frappe ! Il est cuirassé par vingt couches dégraisse: Ton pied s'y briserait sans me faire souffrir, Sans que l'on m'entendit exhaler un soupir. J'ai vécu cinquante ans ! {A fort) trente-cin; pour les femmes, J'avalais de l'étoupc et des tisons en flammes, Kt les oiseaux venaient... rêver dans mes cheveux; Frappe donc ! frappe encore ! frappe autant que tu veux !
On voit que l'auteur n'a eu que quelques vers à
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JANVIER II
changer, et on peut juger de l'effet de cette scène est appelée à faire.
Une seule difficulté s'est présentée quand il s'est agi de la distribution du rôle de Nana Sahib.
On a offert à M. Richepin des artistes comme Raymond, Numa, Munie, mais le poète s'est montré extrêmement difficile.
- Vous concevez, disait-il, un rôle que j'ai joué moi-même !
Heureusement, M. Delcroix a tout arrangé.
- Je comprends, a dit le co-directeur, il vous faut quelqu'un de pas ordinaire... Eh bien, je l'ai trouvé. C'est moi qui jouerai Nana Sahib !
LE CRITIQUE VOYAGEUR
4 janvier.
Une carrière'qui se modifie parce temps d'opéras... qui courent, c'est bien celle de critique musical. Avec le développement que prend l'exportation lyrique, les critiques deviennent aussi voyageurs que jadis les pigeons du siège.
Ce soir et demain matin, la ligne du Nord va encore en expédier un certain nombre à Bruxelles, en deux ou trois chargements, pour la première du Sigurd, de M. Ernest Reyer, au théâtre royal de la Monnaie. Il n'y a pas là une occasion exceptionnelle, car ils sont déjà, pour la plupart, allés un peu partout, ces pauvres critiques musicaux : à Londres pour Velléda, à
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LES SOIREES PARISIENNES
Lyon pour Etienne Marcel, à Bruxelles pour Kérodiade, à Milan pour Simon Doccaneqra, voire même à Saint-Pétersbourg pour Richard ///.
Dans ces conditions ambulatoires, le métier, si agréable jusqu'à présent, devient fort rude. On ne peut plus confier les fonctions de débineurou debénisseur musical qu'à des hommes solides et bien râblés, à des gens rompus aux longues fatigues, toujours prêts à se mettre en route, capables de subir des privations, de braver des dangers, de supporter les horreurs d'un naufrage etassez industrieux, au besoin, pour se bâtir une petite cabane et se nourrir du produit de leur chasse» s'ils échouaient comme 'T^obinson Crnsoi dans une île déserte.
Il faut donc que le critique actuel se soumette à un certain entraînement pour exercer son sacerdoce avec les mêmes garanties d'indépendance et d'impartialité qu'autrefois. On ne saurait plus confier un feuilleton musical à quiconque ne pourrait subir certaines épreuves, inconnues du temps de Berlioz, mais très fréquentes aujourd'hui.
Avant tout, il est indispensable de savoir si le critique voyageur est un bon voyageur, un voyageur sa» chant voyager, un voyageur aimant à aller en chemin de fer. Quel est le compositeur qui voudrait se faire juger, loin de sa patrie, par un critique que l'express horripilerait? Riende plus facile, du reste, que des'assurer, sous ce rapport, des aptitudes du candidat critique. On lui impose pendant plusieurs jours le trajet discontinu de la Grande-Ceinture. S'il se déclare enchanté de ce voyage extra-circulaire, s'il a encore sa tête à lui, vous pourrez l'envoyer n'importe où : c'est un voyageur à toute épreuve.
Malheureusement, on ne voyage pas que sur terre
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lorsqu'il s'agit de courir après les oeuvres des musw ciens français, Il faut naviguer, et ne navigue pas qui veut ! On a vu tel explorateur capable de faire sans s'ennuyer, sans souffrir une seconde en wagon, le fameux voyage de New»York à SarvFrançisco, ne pouvoir se promener cinq minutes sur l'Océan, dans un superbe transatlantique, sans être atteint de ce ter' rible mal de mer auquel les critiques sont exposés hélas, comme les autres mortels, De quelle façon s'as~ surer qu'un futur épîucheur de partitions n'est pas exposé à payer ce tribut) Nous n'avons pas encore la merâ Paris, mais on la remplacerait avantageusement en faisant tournoyer le postulant sur les bascules rotatives des Champs-Elysées qui simulent précisément des barques voguant au gré d'un flot tourmenté. Quand on s'est amusé là-dedans sans expansion fâcheuse pendant une heure, on ne craint plus le tangage» on méprise le roulis; on a le coeur assez haut placé pour aborder la critique musicale en tout pays,
La question de voyage liquidée, reste la question de climat. Peut-on passer du froid au chaud ou du chaud au froid avec élégance et commodité? Après avoir sué à Naples, s'exposer à grelotter à Saint-Pétersbourg ?
C'est bien facile à savoir en ce qui concerne notre aspirant lyrique.
Vous prenez le sujet; vous le menez au Hammam; vous le déshabillez; vous le plongez dans une étuve d'eau bouillante; puis, sans transition, vous lui faites piquer une tête dans le bain d'eau glacée. Vous le rhabillez ensuite dans un fort courant d'air, et s'il n'est pas mort après huit jours de cet examen technique, c'est qu'il a tout ce qu'il faut, au point de vue climatérique, pour juger Saint-Sacns, Reyer et Salvayre dans les régions où il leur plaira d'opérer.
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Cependant 1, toutes les qualités qui précèdent ne seraient rien si ce même critique n'était homme à sup-* porter des injures de rustres, à subir de mauvais traitements d'individus grossiers. Il faut, pour s'assurer de son excellent caractère, lui faire fréquenter la plus mauvaise compagnie et constater, par des observations concluantes, qu'il dédaigne, avec la plus parfaite sérénité, les goujats qu'il peut rencontrer sur sa route. Alors seulement, vou* serez bien certain que les vexa» lions des douaniers ne le rendront pas nerveux au détriment du jeune compositeur qu'il va juger au delà des frontières.
Autre point important de cette série d'épreuves professionnelles ; le néophyte a-t-il bon estomac >
L'estomac passe en effet pour avoir une influence sans pareille sur l'humeur d'un cri tique. On ne sait pas, on ne saura jamais ce qu'une mauvaise digestion peut faire du charmant caractère de M. Weber par exemple. Un critique musical qui aurait quelques préjugés gastronomiques et ne s'accommoderait pas à l'avance de l'alimentation nationale des pays où la jeune école française continue à se révéler, serait exposé à faire invariablement (toujours comme son confrère du Ternes) un article fort maussade, ce qui finirait par le couvrir de ridicule à cause de la monotonie du style.
Aussi, croyez-moi, n'admettez jamais un nouveau feuilletonniste en opéras, sans lui avoir fait manger, boire et digérer les mets et les breuvages de tous les pays : caviar, sterlet, faro, and ves, macaroni, rizotto, polenta, olla podrida et bouillabaisse. Qu'il modifie pendant un mois son régime habituel, pour adopter successivement la cuisine à l'huile, la cuisine à l'eau, la cuisine au saindoux, et même la cuisine à l'huile de phoque, pour les cas très rares, mais probables après
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tout, où l'un de nos compositeurs donnerait une première en Laponie,
Après cela, lorsque le futurcritique aura subi victo~ rieusement toutes ces épreuves, il n'y aura plus qu'une petite question à lui adresser ;
- Maintenant, savez-vous la musique?
mxAxi
5 janvier,
MM. Maurel et Corti ont eu l'attention aimable de nousdonnerla« première »<\fErnani un samedi, c'està-dire le soir le plus élégant du nouveau ThéâtreItalien. Grâce à cette prévenance, ceux pour lesquels le vieux répertoire italien n'a plus que de faibles attraits, ceux que la vue des décors en papier horripile, ont eu du moins l'agréable compensation d'une salle admirablement remplie, pleine de jolies femmes et de charmantes toilettes. J'avoue que le plaisir des yeux a été beaucoup plus vif, à cette représentation, que celui des oreilles.
La partition â'Ernania énormément vieilli. En exceptant le final du tombeau, une des plus belles inspirations de Verdi, et dont l'effet a, comme toujours, été énorme, tout l'ensemble de cet opéra est ennuyeux, banal.dénué d'accent dramatique. De temps en temps, on est secoué par une jolie phrase, mais ce plaisir est généralement court. J'ajouteraiqucl'interprétation n'a pas été suffisamment remarquable pour racheter la faiblesse de l'oeuvre.
Mlle Valda est une chanteuse sans éclat. On me dit qu'elle a appris le rôle d'Elvira en cinq jours, mais le
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temps ne fait rien à l'affaire. M. Nouvelli n'a rien de ce qu'il faut pour interpréter Emani; ni la prestance, ni la voix. Cet artiste rendra peut-être des services en restant au second plan ; on a eu tort de le mettre au premier. En revanche, le baryton, M. Broggi, a eu du succès. Il manie fort habilement une voix solide, mais dont le timbre manque un peu de charme. On l'a très longuement fêté après le fameux final « Carlo sono », mais c'est une page si vraiment superbe qu'il faudrait être un bien médiocre chanteur pour ne pas s'y faire applaudir. En somme, de tous ceux qui ont chanté Emani ce soir, c'est M. Edouard de Reszké qui-m'a plu surtout. Cet artiste est, à l'heure qu'il est, avec le ténor Ravelli, ce que la direction Maurel et Corti nous a révélé de mieux. Il est vrai que la saison ne fait que commencer et que, probablement, on nous réserve encore bun des surprises.
VXK XOUVELIE CARilEX
Eaute d'uneCarmen, Carmen nechôme pas àl'OpéraComiquc.
Après le départ de Mlle Isaac, Mme Galli-Marié. la brillante, l'incomparable créatrice de l'héroïne de Mérimée, avait repris son rôle avec le succès que vous savez.
La première des Carmen partant en congé et abandonnant à son tour le chef-d'oeuvre de Georges Bizet, M. Carvalho a tenu à la faire suppléer par une jeune débutante, Mlle Castagne, qui ne s'est fait encore entendre que dans la salle du Conservatoire, mais dont le dernier concours fut exceptionnellement brillant, surtout dans l'une des scènes capitales de Carmen.
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JANVIER ! 7
Il y avait déjà, dans ce seul précédent, de quoi jus~ tifier le choix de M. Carvalho.
Autre justification dudit choix : Mlle Castagne, qui a viniçt-quatre ans, représente assez bien, au physique, la volage cigarière. Plutôt petite que grande; très brune avec des yeux excessivement noirs ; physionomie un peu dure, presque virile ; on ne peut pas dire qu'elle soit jolie, jolie, mais on n'a pas le droit d affirmer qu'elle est laide.
De plus, Mlle Castagne a l'inappréciable avantage d'être de Toulouse, Toulouse la patrie des belles voix et des grands chanteurs! Son nom lui-même vous a comme un parfum toulousain : Castagne! On voit de suite qu'on n'a pas affaire à une artiste du Nord.
Quelle que soit la confiance plus ou moins légitime qu'une débutante a toujours en elle-même, son aplomb tombe comme par enchantement lorsque vient le jour des débuts - le soir de Rabelais, disait Auber.
C'est une formalité terrible surtout que celte première minute d'apparition en scène. L'entrée, tout est là pour les débutantes. On a vu plus d'une cantatrice dont toute la carrière a été brisée par la terreur que lui avait causée ce moment fatal.
A cela pas de remède. Aucune théorie n'y fait rien. On a peur inutilement, maladroitement, mais on a peur.
Une seule chose est possible, mais il est rare qu'elle se produise juste au moment décisif. C'est une diversion assez violente, assez palpitante d'intérêt pour s'emparer de l'esprit de la débutante pendant les quinze minutes qui précédent son entrée.
Or, Mlle Castagne, que l'idée seule de succéder à
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Galli-Marîê affolait littéralement, a eu l'inappréciable veine de l'avoir, ce soir, cette diversion du dernier quart d'heure qui fait oublier les angoisses de la première réplique.
Voici comment :
La nouvelle Carmen venait de descendre sur la scène et là, toute tremblante, attendait son entrée en recommandant son talent à Dieu, lorsque M. Carvalho passa près d'elle. Le directeur de l'Opéra-Comique était sombre à ce point que Mlle Castagne ne put s'empêcher, malgré ses propres préoccupations, de lui en faire la remarque,
- Est-ce pour moi que vous vous tourmentez ainsi? demanda-t-elle.
- Ma foi! répondit tristement M. Carvalho, je vous avouerai franchement que, malgré l'intérêt que je porte à la représentation de ce soir, je suis à cent lieues d'ici.
- Il ne vous est rien arrivé de fâcheux, au moins?
- Oui et non... car il s'agit d'un pauvre garçon , qui m'était sympathique... l'un des camarades de mon
fils, car vous savez que mon fils est sous-lieutenant de cavalerie, en garnison à Rouen ?
- Parfaitement.
- C'est même par une lettre de lui que j'apprends ce malheur.
- Un malheur?
- Le pire de tous : la mort probable de ce malheureux garçon le conseil de guerre ne pardonne
pas!
- Ah ! mon Dieu ! qu'a-t-il donc fait?
- Un acte d'indiscipline que l'amour excuse, mais que les lois militaires condamnent. II s'était épris d'une femme de moeurs équivoques, une créature se-
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duïsante mats indigne de lui et pour laquelle il avait déjà encouru les arrêts. Il va quelques jours, bien après l'appel, s'étant laissé retenir par elle dans une maison mal famée, il s'est rencontré avec l'un de ses officiers qui courtise également la belle. Une dispute s'est élevée entre eux et il a tiré le sabre contre son supérieur,
- On l'a arrêté !
- Non, il a pu fuir avec sa maîtresse. Mais on le rattrapera bientôt et son affaire est claire.
- Et celte femme pour laquelle il s'est exposé, l'aime-t-elle?
- Elle!... plus du tout. ~ C'est abominable !
- Elle l'a quitté presque aussitôt pour suivre un être vulgaire, un ouvrier du port.
- La coquine!
- Oh ! oui, une coquine, et qui finira mal, car le pauvre sous-brigadier, préférant la voir morte qu'aux bras d'un rival, la cherche pour lu tuer, avec un couteau Nontron à virole, qui ne le quitte plus...
A celte conclusion du récit, Mlle Castagne, regardant son directeur d'un air inspiré, s'écria :
- Mais c'est Carmen que vous me racontez-là?
- Oui, ma chère enfant, répondit en souriant M. Carvalho, et maintenant que je vous ai empêchée de trembler d'avance, entrez en scène; c'est à vous.
Malheureusement, M. Carvalho n'a pas pu recommencer son ingénieux récit, au second acte de Carmen, ce qui fait que la débutante, qui avait fort bien chanté le premier, a un peu perdu la tête vers le milieu de la soirée et n'a pas eu le succès auquel on s'était attendu.
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EXPROPRIATIONS
7 janvier.
,On a pu lire la nouvelle dans les courriers de théâtre. Tous les pensionnaires de l'Opéra sont expropriés en masse, non de leur domicile mais de leurs rôles. En attendant que la propriété disparaisse de nos moeurs, la voilà supprimée à l'Académie nationale de musique, puisque M. Vaucorbeil a décidé qu'à l'avenir tous les rôles cesseraient d'être la propriété des artistes.
Quel coup terrible pour ces malheureux chanteurs !
Qui donc ne s'est pas fait une joie de devenir propriétaire ? Il est si agréable de se voir chez soi après avoir été chez les autres! On rêve des embellissements; on songe à des modifications; on se promet de coller du papier neuf, de faire poser des glaces, d'installer le gaz, l'électricité et l'eau à tous les étages. Une petite propriété, c'est la joie dans le présent, la sécurité dans l'avenir. Ça représente un capital ; on pourrait au besoin emprunter dessus.
Telle était du moins l'illusion des chefs d'emplois de l'Opéra. Jusqu'à présent, ils se croyaient propriétaires des principaux rôles de la maison. C'était même là d'excellentes propriétés taillées dans un répertoire immortel et beaucoup mieux situées, en somme, que certaines villas des environs de Paris.
Chacun d'eux avait donc son domaine et,'quelle qu'en fût l'importance, l'entretenait avec la même sollicitude. Depuis M. Sapin, qui ne possédait qu'un petit Ra ta plan de rien du tout, jusqu'à M. Boudouresque, le Roi des Enfers dans Robert le Diable, dont les propriétés étaient immenses, tous jouissaient
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sans défiance des biens qu'ils avaient - ou croyaient avoir.
Mêlas! tout est bien changé. Leurs propriétés respectives deviennent celles de n'importe qui. Ces rôles qu'ils croyaient à eux, ils n'en sont plus que les principaux locataires. On peut leur en donner congé du soir au lendemain comme au camelot campé dans une maison neuve.
Et pourtant comme ils s'y trouvaient bien !
M. Escalaïs n'avait pas depuis bien longtemps son asile héréditaire de Guillaume Tell, mais il y tenait d'autant plus. Aujourd'hui, le voilà sur le pavé, sans asile héréditaire, puisque son asile héréditaire est devenu l'asile héréditaire de tout le monde.
Et cette pauvre Mme Nivet-Grenier, cette digne Mme Guillaume Tell qui avait des glaciers, des chalets, des petits paysages suisses auxquels il ne manquait que des horloges dans le fond!...
Et M. Lassalle! quelle belle promenade il avait au premier acte é'Hamlet : une magnifique esplanade à lui; il aimait à s'y promener après dîner pour faire de la réaction, et cela lui rappelait ses terres de Pornichet. Maintenant son esplanade est devenue banale : c'est l'esplanade de tout le monde, comme celle des Invalides.
Et Mme Krauss, en voilà une qui n'était pas à plaindre! Avait-elle un mancenillier assez superbe! C'est là, que la grande artiste venait se reposer, à la fin de l'Africaine, des fatigues du rôle de Selika. Qui de nous n'apprécie cette chère habitude? Il n'est pas de petit bourgeois qui n'ait dans sa petite propriété son arbre favori. Eh bien! Mme Krauss n'a plus de mancenillier. Son mancenillier n'est plus le sien. Et si quelqu'un avait la fantaisie de venir déjeuner à
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l'ombre de l'ex-mancenUlier de Mme Krauss, elle n'aurait plus le droit de s'y opposer, puisque ce mancenillier ne lui appartient plus.
Et Mlle Isaac ! Nouvelle venue dans la maison, elle ne pouvait avoir un grand mancenillier comme Mme Krauss et ne possédait dans Faust qu'un simple jardinet. Mais qu'il était gentil ce petit jardin de la Marguerite ! et qu'elle en prenait soin ! et qu'elle le cultivait, arrachant les mauvaises herbes, ratissant les allées, arrosant les plates-bandes, ies massifs et les corbeilles! Maintenant le jardin de Marguerite n'est plus un jardin, c'est un square.
Et cette pauvre Mlle Lureau ! Etait-elle assez heureuse, au second acte des Huguenots ! ... Il se mêlait à la joie de cette charmante reine de Navarre un vif sentiment d'orgueil... Elle regardait, dans une avantscène, certain gendre à longue barbe blonde d'un oeil malin, et semblait dire:
- Ce n'est pas à vous, Chenonceaux, c'est à moi !
Ce qui paraissait vexer horriblement le gendre à longue barbe blonde.
Peut-être même faut-il rechercher dans cette vexation la seule et unique cause des expropriations faites à l'Opéra pour cause d'utilité lyrique»
TllOIS FEMMES POUR UN 3IARÎ
M janvier.
M. Maurice Simon n'est pas un directeur ordinaire pour le Théâtre-Cluny. Il s'est donné pour mission d'égayer la rive gauche qui en avait un peu besoin.
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JANVIER 3J
Pour cela, il a renoncé aux mélodrames, dont il ^ jouait cependant les principaux rôles, et il a voué l'anj eîeiuîô scène de M. Larocheile au vaudeville le plus | badin. On m'assure qu'avec son précédent spectacle J - une simple reprise du Cabinet Piperlin - il a réa' Usé en cinq mois un bénéfice net de quarante mille ! fraies. Cela ne peut que l'attacher au répertoire î comique.
i M. Simon fait d'ailleurs le plus noble usage de cette I petite fortune. Il n'est pas de libéralités auxquelles il I n; se livre pour attirer à lui les futurs Meilhae et les | Gondinet en espérauce. Les littérateurs de l'avenir | avaient perdu le chemin de Cluny ; il le leur a lait | reprendre. Il y a maintenant dans son théâtre un foyer | presque aussi fréquenté que celui de la ComédieI Française. On y trouve une hospitalité charmante: | ' consommations variées, cigarettes exquises et converf sations de premier choix. Quand un auteur d'avenir | demeure un peu loin, l'intelligent directeur n'hésite | pas à lui offrir ses frais d'omnibus pour le décider à | franchir les ponts.
| En un mot, sans crier avec fracas : Place aux jeunes ! | M. Maurice Simon est un père pour eux ; il leur ouvre | ses bres, son contrôle et ses coulisses. I Cette sollicitude paternelle ne s'étend pas seulement [ sur toute la jeune littérature. ! M. Simon protège aussi les jeunes musiciens. C'e3t | grâce à lui que nous avons pu applaudir, très sérieuI sèment ma foi, un petit virtuose qui s'est taillé un fort I joli succès en exécutant, pendant l'ouverture, un solo I de cornet à piston. Cet émule d'Arban n'est âgé que | d'une douzaine d'années : on peut déjà lui prédire j qu'il ne restera pas toujours à l'orchestre de Cluny. | Très importante du reste la pat tic musicale de Trois | Femmes pour un mari. Non que le vaudeville de
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J\ LES SOIRÉES PARISIENNES
M. Grenet-Dancourt soit mêlé de chants, il ne comporte pas un seul couplet. Mais chaque acte est précédé d'une véritable symphonie.
Pourquoi ce luxe de musique instrumentale ?
Je croîs qu'on a voulu fournir au chef d'orchestre de la maison l'occasion de nous faire admirer le plus beau bâton de batteur de mesure qu'on ait [jamais vu voltiger au milieu d'un orchestre. Quel joli meuble que ce bâton : ébène, nacte, incrustations d'argent, tout ce que le luxe de ce genre d'ébénisterie lyrique peut inspirer à l'art industriel !
Ce n'est plus un accessoire de chef d'orchestre, c'est un bâton de maréchal.
La nouvelle pièce a dû s'appeler le Mari de ma femme. On a craint que ce titre ne scandalisât le quartier, dont la pudeur a pourtant été mise à plus d'une épreuve par les nombreuses plaisanteries un peu salées dont le dialogue est agrémenté.
I labits noirs et fort jolies toilettes en scène : voilà encore une innovation dont il faut féliciter M. Maurice Simon.
Mlle Doria (du Gymnase, comme l'afliche a soin de l'indiquer) a remporté le premier prix de chic mondain. Mlle Godard mérite un accessit pour sa toilette de mariée, et Mlle Bérette a droit à une mention honorable pour ses costumes fort originaux de jeune Canadienne excentrique.
Pendant le dernier entr'acte, le bruit se répand que M. Grenet-Dancourt a un collaborateur qui aurait prié ses amis de ne dévoiler son incognito qu'en cas de succès.
Ce collaborateur est M. Albin Valabrcgue.
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JANVIER
L'OPÉRA POLYMORPHE
iz janvier.
POLYMORPHE, adj, (po-li-mor»fe,du préf. jW)'» et du grec marphê, forme). Qui est sujet à varier beaucoup de forme.
J'ajouterai, pour mes lectrices, que dans les maladies de peau surtout, les affections polymorphes - variant de forme «- sont extrêmement fréquentes ;
Qu'à l'hôpital Saint-Louis, les maladies de peau sont soignées de préférence à toutes les autres ;
Et que c'est audit hôpital qu'a eu lieu l'étrange première dont nous sortons à une heure extrêmement avancée :
La première de Louis IX, opéra polymorphe.
J'ai assisté à bien des premières dans ma vie, j'en ai vu de gaies et de tristes, de pittoresques et de solennelles, les unes glacées pari étiquette, d'autres où l'on se jetait les petits bancs à la tête; j'étais à la première d'Henriette Maréchal et à celle de Rabagasf à Gaêlana cl à Garibaldi, mais je chercherais vainement dans mes souvenirs quelque chose de comparable à la représentation de ce soir.
Ce sont les internes de Saint-Louis qui en ont eu l'idée et qui l'ont organisée, avec l'assentiment de M. Quentin, le très habile directeur de l'Assistance publique.
Il y avait, l'an dernier, une jeune malade dont deux internes se disputaient le coeur. Leurs amis et camarades s'amusèrent à mettre leurs amours en chansons. Puis, aux chansons on ajouta de la prose, à la prose des vers tragiques, aux vers tragiques de la danse, et il en résulta une composition bizarre, tenant à la fois
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26 LES SOIRÉES PARISIENNES
de la revue, du drame, de l'opérette, du grand-opéra et du ballet, tout ce qu'il y a de plus polymorphe enfin, une pièce sans queue ni tête qu'on projeta de représenter au profit des malades.
Car les auteurs n'ont pas la prétention d'être dramaturges, ni vaudevillistes, ni librettistes; ils ont -en s'amusant et en amusant leurs spectateurs - trouvé le moyen de faire une bonne action ; ils n'avaient pas d'autre but. On vend, dans la salle, un journal où l'on déclare franchement que la pièce est incompréhensible et où l'on essaye d'en expliquer les points les plus obscurs. Il est vrai que les amis des organisateurs affirment que, si Y Opéra polymorphe manque de clarté, c'est à cause des coupures nombreuses qu'il a fallu y pratiquer.
Les compositeurs avaient fait une partition ayant cinquante pages de plus que celle des Huguenots, les librettistes avaient écrit une pièce qui ne pouvait se jouer qu'en trois ou quatre soirées. Alors, il n'y eut qu'un cri : Amputons !
Mais on peut couper les jambes avec une certaine habileté, détacher les bras du corps de la façon la plus délicate, et se trouver fort embarrassé quand il s'agit d'opérer sur un manuscrit. On eut recours à M. François, du Vaudeville, qui se chargea de mettre l'ouvrage au point. Sans lui, les auteurs ne s'en seraient probablement jamais tirés.
Les auteurs principaux sont au nombre de cinq; deux pour la musique et trois pour le poème.
Ce sont :
M. Lermoyer, un des plus brillants internes de la maison, un jeune homme à l'air aimable et gai, qui a fait de la musique très sérieuse ;
M. Lanteirés, un étudiant en médecine à l'air sombre et fatal, qui a fait de la musique gaie.
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Quant aux trois paroliers, ils ont jugé plus prudent de garder l'anonyme. Ils signent leur « oeuvre » de ces trois initiales, qui sonnent bien dans une salle d'hôpital :
P. L. M.
Ce n'est pas dans le vieil hôpital même, construit par Henri IV, que la représentation a eu lieu, mais dans un bâtiment annexe, assez vaste, tout neuf, et que l'on destine à la réception des malades, à l'amphithéâtre et à d'autres usages pleins de gaîté.
C'est dans l'une des salles du bâtiment, la plus grande, qu'on a installé le théâtre. La scène est de dimensions très suffisantes. Les murs sont couverts de toiles blanches, sur lesquelles les carabins et leurs amis ont dessiné, au charbon, de faux Corot, de faux Hcnner, voire de faux Trouillebert.
Une autre salle sert de vestiaire.
Dans une troisième - celle où le docteur Péan donnera, sous peu, ses sanglantes leçons d'ovariotomie - est servi le souper offert aux spectateurs.
La salle de théâtre est pleine à crouler. Public d'étudiants et de jeunes médecins ; auditoire plein d'entrain , ne demandant qu'à rire en famille et faisant pour le moindre mot des effets énormes. On est serré au point de ne pouvoir respirer ; on voit fort mal, mais c'est à qui remplacera le bien-être par la belle humeur. Quelques princes de la science très entoures pendant les enlr'actes par leurs jeunes élèves; plusieurs personnalités parisiennes, parmi lesquelles MM. Edmond About, Henry Meilhac et Mlle Léonide Leblanc qui, en arrivant, a les honneurs d'une entrée très chaleureuse.
A dix heures et demie commence l'ouverture.
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Orchestre d'amateurs-carabins et étudiants : vingtcinq jeunes gens en tout.
Le chef est le fils d'une de nos notoriétés médicales, doyen d'une des Facultés de médecine. Il tient l'archet de commandement avec autant de sûreté que si c'était un bistouri. Les instrumentistes, au lieu de chercher à se signaler par une exécution fantaisiste, jouent ouverture, entr'actes et accompagnements avec autant de soin que s'il s'agissait d'une représentation raisonnable. Ce n'est pas tout à fait l'orchestre de l'Opéra, mais à l'hôpital Saint-Louis, cela peut passer tout de même.
Troupe essentiellement polymorphe. A côté du compositeur, M. Lan'eirés, qui ténorise lui-même comme jadis M. Hervé da'is Chilpéric, quelques étudiants en médecine se sont distribué quelques rôles. Ces artistes-carabins ont tous une peur carabinée que partagent loyalement les autres interprètes, étudiants en droit, élèves en pharmacie, mouleurs de nature morte et préparateurs anatomiques.
A ces amateurs ont bien voulu se joindre des artistes de profession : M. Sellier, les soeurs Janvier: Mlles Sanlaville, Hirsch, Keller, Grange, Gallayetles soeurs Invernizzi de l'Opéra : Mlle Alice Lavigne, du Palais-Royal; MM. FugèreetBelhomme, de l'OpéraComique ; MM. Poirier et Chambé»y, Mme Degrandi. des Bouffes-Parisiens; MM. Fusier et Tervil; Mlle Bribes.
La pièce étant déclarée incompréhensible par les auteurs eux-mêmes , je ne m'attarderai pas à la faire comprendre.
Au lever du rideau, le décor représente la façade de l'hôpital Saint-Louis, avec les statues de saint Louis et de Montyon dans îeursniches. Après quelquesinstants d'immobilité, ces deux oeuvres d'art bâillent à
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se décrocher leurs mâchoires de marbre, et pour se désennuyer descendent de leurs piédestaux.
Sur ce premier coup de tête, saint Louis propose à Montyon de visiter enfin cet hôpital à la porte duquel ils stationnent depuis si longtemps sans savoir ce qui .s'y passe.
Montyon accepte, ils entrent bras dessus bras dessous.
Nous les retrouvons au second tableau dans la bibliothèque, où l'interne de garde Francescho, endormi, est justement en train de rêver que la jeune et volage élève en médecine qu'il aime, Mlle Jeanne, le trompe avec un autre interne nommé Baryton. Ce cauchemar est mis en scène, à l'instar de la vision du premier acte de Faust. Il est interrompu par le réveil subit de Francescho. 1, justement étonné à la vue des deux saints en rupture de niches.
La stupeur ne lui fait cependant pas oublier les égards dus à des hôtes distingués, et nous le voyons, au troisième tableau, conduire ses nouveaux amis dans la salle à manger pour les présenter aux autres internes, qui se disposaient à déjeuner. Saint Louis et Montyon , n'ayant encore rien pris, consentent à casser une croûte à la fortune du pot. Il y a bien d'abord une premier moment d'embarras ; cependant, comme on se connaît de vue, la glace est bientôt rompue. Les deux invités font assaut de galanterie auprès de Mlle Jeanne. On boit, on chante des refrains égrillards, cnlr'autresla Ceinturede chasteté, que Louis IX reconnaît comme datant de son règne.
C'est ici que se place un intermède qui, chanté par de vrais artistes de concerts a dénaturé momentanément le caractère très original de cette représentation
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unique. Malgré le succès personnel de M. Fusier, il y a eu là un froid prolongé.
Le quatrième tableau, c'est la chambre de Jeanne, qui', par un simple moyen de théâtre polymorphique, sans autre motif scénique, meurt de rire. Francescho, croyant qu'elle meurt d'amour pour Baryton, provoque ce dernier en duel.
La rencontre a lieu dans un assez joli décor dont la maquette est de M. Le Blant, le peintre des chouans. C'est le quai du canal Saint-Martin.
Un sergent de ville traverse d'abord la scène en constatant qu'il n'y a rien. Dès qu'il a disparu, Francescho et Baryton surgissent pour se battre au revolver polyphormique. Tous les témoins sont tués y compris !es deux statues qui refusent néanmoins de tomber sous le fallacieux prétexte qu'elles sont en pierre. Baryton se tiic par maladresse en visant son rival. Seul Francescho reste donc sain et sauf, ce qui lui permet de faire enlever les cinq cadavres, y compris Montyon et Louis IX.
Le sergent de ville repasse ensuite et reconstate qu'il n'y a rien.
Pendant le principal entr'acte, le rideau-annonces obtient un certain succès de curiosité, grâce à des réclames comme celles-ci;: Maison Lantour, fabrique de vitriol pour femmes lâchées; Photographie Cocassott (plus on bouge, plus c'est réussi J ; Arthur Loignon, pédicure de S. Exe. le marquis de Tseng ; Purgatif des armées en marche ; Holtines pour femmes claquées.
Le cinquième tableau représente la salle d'amphithéâtre.
Par un scrupule de mise en scène qui nous a bien étonné de leur part, les auteurs n'ont pas osé emprun-
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ter au matériel de l'hôpital les bières qui meublent si agréablement ce tableau naturaliste. Ils les ont fait fabriquer exprès commi de vulgaires accessoires de théâtre.
Nombreuse figuration de cadavres parmi lesquels on se montre un neveu de Bcnassit dont le maillot réaliste a pétrifié certains spectateurs impressionnables. Sarah Bernhardt est fort exactement représentée dans son fameux cercueil par l'imitateur Chambéry qui, tout à coup, se lève et déclame une tirade de Ruy-Blas.
Apres un choeur de machabées très alerte, très vivant, a lieu !a scène capitale de l'autopsie de Jeanne.
Francescho opère lui-même sur celle qu'il a tant aimée.
Tout à coup, lui détachant sa chère rate, il s'aperçoit que la pauvre enfant est morte de joie.
O remords ! Baryton était donc innocent ?
- Alors, se dit l'interne survivant, je suis un grand misérable', je n'avais pas le droit d'occire mon ami.
Jugeant que son crime exige un châtiment exemplaire, il se condamne à mort et se tue après la fatale sentence.
Ce coup de théâtre permet aux auteurs de nous conduire au Paradis. (Sixième et dernier tableau.) Ici, chacun se trouve en pays de connaissance :
- Tiens, c'est toi > - Oui, c'est moi. - Quelle bonne rencontre! - Ça va bien ? - Pas mal, et toi ? - Merci, ça boulotte! etc., etc.
Saint Louis amène au ciel tous les malades de son hôpital.
Tous sont couverts de cataplasmes, de cautères et autres accessoires d'hôpital. Mais ils ne s'en montrent pas moins d'une goité folle, attendu, aurait pu dire
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l'un d'eux, que les sinapismes eux-mêmes sont souvent rigolos.
On remarque, dans la partie lyrique de ce beau défilé, le petit allegro en ta mineur du choeur des galeux, avec accompagnement rythmé, à chaque temps fort, par d'ingénieuses rentrées de teigneux sur la dominante.
Cet acte, où paraissent les véritables artistes qui prêtent leur concours à cette fête del'insenséïsme, est de beaucoup le plus intéressant.
Il s'est joué naturellement fort tard.
Alice L'ivigne est vraiment très drôle en Mme SaintPierre, concierge du Paradis, avec son cordon qui lui reste toujours dans la main.
Grand succès pour le magnifique trio des amputés de Péan, chanté par Sellier, agrémenté d'une jambe de bots toute neuve, faite sur mesure; par Belhommc en femme malade, venant de subir l'opération de l'ovariotomie, et par Fugère, <* auquel la science expérimentale a rogné tant et tant » qu'il n'ose plus inventorier le peu qui lui reste.
Le tout se termine par un ballet sérieux. Beaucoup de succès pour les Invernizzi ; beaucoup de lumière électrique, mais plus du tout de polymorphie.
Dame! il ne faut pas abuser des meilleures choses.
Le juste hommage rendu aux artistes de bonne volonté qui ont bien voulu venir polymorpher après avoir joué dans leurs théâtres respectifs ne doit pas me rendre trop injuste pour les futurs Ricord qui leur ont donné la réplique.
A défaut de métier et d'entraînement dramatique, il y a, chez ces amateurs, une sincérité, un feu sacré qui ont bien leur prix et qui font passer sur plus d'une inexpérience.
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Certes, ces artistes improvisés croyaient réellement que« c'était arrivé », et plus d'un interne de l'hôpital Saint-Louis est vraiment entré, comme on dit au théâtre, dans la maladie de peau dé son personnage.
Un incident que je ne me.crois pas le droit de passer sous silence :
Impressionnée sans doute par l'horreur du spectacle,, une dame a perdu connaissance pendant le défilé des infirmes, au tableau du Paradis. >
Vite, on s'est empressé autour d'elle et l'on a voulu faire venir un médecin.
Impossible malheureusement d'en trouver un ce soir à l'hôpital Saint-Louis : tous acteurs.
DIANE DE LYS
14 janvier.
On sait que la censure impériale commença par interdire la pièce que Dumas a tirée de sa nouvelle, Diane de Lys, et de son roman, la Dame aux Perles.
A propos de cette interdiction, on a bien voulu me communiquerun document assez curieux.
C'est le rapport contresigné Persignyet relatant les motifs pour lesquels la représentation de Diane de Lys paraissait dangereuse. En voici la copie :
10 janvier 185}.
* Ce drame, quand la passion n'y prêche pas l'adul» tère, le vice élégant, y raconte son immoralité. » Les dangers que pourrait présenter à la scène un
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» ouvrage de cette nature nous ont paru de trois » sortes:
» Il atteint la famille en attaquant les devoirs du » mariage; en peignant sous de fausses couleurs les » passions du grand monde, il fournit un cercle aux » déclamations contre les classes élevées de la société ; » enfin, il fait revivre sur la scène les théories corrup» tricesqui avaientenvahi le drame et le roman après » 1830.
» En conséquence et à l'unanimité, nous ne croyons » pas pouvoir proposer l'autorisation de cet ouvrage.
» Approuvé : PERSIGNY. »
Dix mois après, les scrupules de la censure impériale furent déclarés mal fondés, et la scène française compta une intéressante oeuvre de plus.
MM. Raymond Deslandcs et Bertrand, qui, depuis le commencement de la saison, ne sont pas en veine, ont espéré ramener la chance avec cette reprise. Elle leur a, en tout cas, fourni l'occasion de produire, d'une très avantageuse façon, l'un des trois premiers prix à sensation des derniers concours du Conservatoire, Mlle Marthe Brandès.
Il n'est pas à la portée de toutes les débutantes, ce rôle redoutable de Diane de Lys. Quand Rose Chéri le créa, elle était dans toute la force de son talent et on crut, au Gymnase, qu'il serait impossible de l'y remplacer jamais, lorsqu'en 1868, Dumas découvrit, à Bruxelles, une jeune femme, dont aucun théâtre de Paris ne voulait, et qui lui parut, à lui, douée d'un talent des plus remarquables. C'était Desclée.
J'ai la bonne fortune de pouvoir donner à mes lecteurs deux lettres inédites adressées par la grande
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artiste à Alexandre Dumas et qui renferment l'histoire de ses débuts, dans Diane de Lys, au Gymnase. Voici la première :
« On joue mercredi au Gymnase une bien jolie » pièce; le ciel est couvert, c'est un vrai temps de » théâtre. De plus, on anmonce les débuts d'une petite > actrice que les chroniques s'accordent à trouver » très gentille. Il parait qu'elle a une musique dans le » gosier; ceux qui l'ont entendue désirent revenir » l'entendre. Est-ce vrai?
» Le monsieur qui vous porte cette lettre m'a pro» mis de vous ramener, mais est-il sérieux dans ses » promesses, ce monsieur-là?
» Monsieur Alexandre Dumas fils, je vous aime.
» Votre petite servante, » DESCLÉE. »
Malgré cette prière si gentiment formulée, Dumas ne put assister à la première représentation de cette reprise, et, le lendemain , il reçut de son interprète l'autre charmante lettre que voici :
« C'est fait, ouf l J'avais de belles robes de toutes > les couleurs : une aigrette dans les cheveux qui me » faisait ressembler à un petit chien savant. La salle » archi-pleine. On m'a sifllée au premier acte et on » m'a fait une ovation au cinquième. Je me suis tâtéc » toute la soirée pour me trouver une pulsation, rien, » calme plat. Ni inquiétude, ni joie, ni peur, rien. » Ainsi, je n'aurai été qu'ébauchée et déjà je suis » finie. Pauvre moi !
» Non, pourtant, car en vous attendant l'autre soir, » jetais vigoureusement secouée. La crainte que vous
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» ne veniez pas, celle de vous paraître sotte, etc., etc. » Donc, je suis encore. Passons.
» Enfin, le directeur m'a dit : « C'est aussi bien » que Rose ! » C'est gros cela. Il voulait me faire » signer une prolongation, séance tenante. Et moi je » croyais et je crois encore que je déplais à ces gens» là. Et je m'en moque, car j'ai parfaitement le res» pect de L'INDIVIDU , mais je n'ai pas celui de la » foule.
» Enfin, Montigny doit vous écrire parce que moi » je ne sais rien au juste, excepté cependant que j'ai .» un plaisir infini à causer avec vous.
» Mon confesseur, je vous envoie toutes mes ten» dresses.
» AIMÉE. »
Si Dumas croyait en Desclée en la faisant débuter dans le rôle de Diane, il a aussi une haute opinion de la débutante de ce soir. C'est lui qui, cet été, à Puys, a fait engager Mlle Brandès par M. Deslandcs; c'est lui qui l'a aidée à établir son rôle, et je crois ne pas exagérer en affirmant que, dans cette soirée, le succès de l'actricea plus intéressé M. Dumas que tout le reste.
Mlle Marthe Brandès est une grande et belle jeune fille, à la physionomie ouverte, très vibrante, illuminée par deux yeux d'une expression étrange. Vingt ans, Israélite, apparentée à un grand nombre d'influentes familles juives, comptant un ministre parmi ses ascendants, la nouvelle pensionnaire du Vaudeville se voit, au début de sa carrière, entourée de sérieuses sympathies. Au théâtre, elle a fait tout de suite la conquête de tous ses camarades, et, sans me prononcer sur la valeur de l'artiste, j'aflirme que la jeune fille n'a eu aucun mal, ce soir, à faire la conquête du public.
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Douée d'une très belle voix, Mlle Brandès choisit d'abord la carrière du chant ; mais comme elle s'était adressée à Worms pour lui demander quelques conseils sur la façon de se tenir en scène, celui-ci lui conseilla surtout d'envoyer promener la musique et de « piocher » la comédie. Ce qu'elle s'empressa de faire, travaillant avec l'acharnement d'une jeune fille qui a pris cette crâne devise :
Meurs, mais avance !
Elle avancera, je vous le garantis.
On saura jusqu'où M. Alexandre Dumas peut pousser l'intérêt qu'il porte à sa nouvelle Diane lorsque j'aurai dit qu'il a fait à la jeune débutante un cadeau dont elle se montre très fiére.
La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne, et la libéralité de l'auteur s'est manifestée d'une façon aussi spirituelle qu'inattendue. C'est une bague - celle qui a tant d'importance dans la pièce - que M. Dumas a eu l'ingénieuse idée d'offrir à Mlle Brandès lejour même de la répétition générale, ce qui lui a permis de refuser ic plus petit remerciement en disant :
- Ce n'est pas un bijou que je vous offre, c'est un accessoire que je vous fournis.
Le maître était d'ailleurs enchanté de revoir cette oeuvre de sa jeunesse et, à la répétition générale, bien qu'il n'ait pas offert des bagues à tout le monde, il a du moins trouvé un mot aimable pour chacun, félicitant chaudement M. Poisson pour son joli décor d'atelier du premier acte et adressant des compliments si gracieux à la couturière de Mlle Brandès, que cette artiste industrielle s'est écriée :
- Ce qui me fait le plus plaisir, ce n'est pas ce que
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me rapporteront ces toilettes, c'est d'avoir eu l'honneur d'être remerciée par M. Dumas !
Il faut reconnaître, d'ailleurs. que le goût et l'élégance des toilettes de Mlle Brandès étaient dignes de cet hommage tant apprécié. Je citerai notamment la première robe de veloutine beige, avec une garniture qui est une véritable innovation , car on n'en a pas encore vue au théâtre, de cette riche dentelle de soie de couleur que seule avait jusqu'à présent la plus millionnaire des grandes mondaines de la colonie étrangère. Le manteau, qui a la forme des pelisses des duchesses de Russie, est en peluche vieux ton garnie de renard noir.
Tout à fait éblouissante la robe de bal du troisième acte, courte, en tulle blanc, à broderies de soie blanche avec chardon d'argent ; la traîne, en gros de Naples blanc, est garnie de roses de Nice.
Enfin, la robe de grand deuil du cinquième acte, avec tissus de perles, est une merveille de fabrication et d'exécution. Par exemple, il faudra prier Mlle Lesage de supprimer le petit potager dont elle a cru devoir égayer sa robe de dentelle noire, à l'acte du bal.
Lorsque Diane de Lys se termine par le fameux coup de pistolet du mari, il est une heure du matin. Les principaux partenaires de Mlle Brandès, MM. Dieudonné, Berton et Vois, ont fait assaut de lenteur comme s'ils étaient déjà à la Comédie-Française, ce qui a bien allongé celte longue représentation de trois quarts d'heure.
Times is moncy. Peut-être a-t-on pris beaucoup de temps dans l'espoir de faire beaucoup d'argent*
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VOISEAU BLEU
16 janvier.
Après la Princesse des Canaries dont le succès n'avait pas répondu à son attente, Charles Lecocq avait fait un serment solennel :
Celui de rester au moins un an sans faire de musique.
Serment de compositeur. Qui a produit produira. D'abord, les collaborateurs ordinaires du maestro se heurtèrent à une résolution qui paraissait irrévocable : en vain lui proposèrent-ils des sujets variés, depuis l'opérette extra-bouffe jusqu'à l'opéra demi-sérieux, Lecocq se retranchait derrière son non possutnus ; puis l'ennui s'en est mêlé; plutôt que de ne rien faire du tout, Lecocq a composé au hasard des chansons, des couplets, sur des paroles à lui ; Chivot et Duru ont entendu une de ces chansons :
-* C'est bien ce qu'il faudrait au second acte de l'opéra comique que nous avons fini l'autre jour! se sont-ils écriés ensemble.
C'était le moment psychologique. D'où Y Oiseau bleu.
Cet oiseau lyrique est, comme le compte rendu vous l'apprendra sans doute, un mélange de la Dame blanche et de la Part du Diable.
MM. Chivot et Duru viennent déjà de nous servir une nouvelle édition de Si j'étais roi ! sous le titre de la Dormeuse éveillée. Ils paraissent avoir adopté franchement le procédé assez ingénieux de prendre leurs sujets dans l'ancien répertoire de la salle Favart. Comme cela, on ne songe même pas à discuter la don-
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née de leurs livrets ; on ne s'attache qu'à l'exécution, aux détails, aux épisodes.
On m'affirme que MM. Chivot et Duru ont, dans leurs cartons, d'autres scénarios dont voici les titres :
Le Domino marron, le Pré aux Xotaires, le Strass de la Couronne, la Maisonnette suisse, le Mariage de Jeannelon, In Demoiselle du bataillon, le Cozker de Lonjumeau, Frère~Diable, l'Etoile du Sud, les Rendes* vous populaires, le Diamant du Brésil.
Avis aux compositeurs *- et aux directeurs.
En attendant, soyons tout à YOiseau bleu.
J'ai eu la mauvaise chance de me trouver placé, ce soir, au second rang du balcon, derrière deux dames coiffées d'énormes chapeaux, la mère et la fille, je crois, qui, de temps en temps, pour se communiquer leurs impressions, se penchaient l'une vers l'autre. Alors, les deux têtes et les deux chapeaux formaient devant moi une sorte de mur à travers lequel ma lorgnette a vainement cherché à se faire un jour. C'est gênant quand il s'agit de raconter la mise en scène.
Il est vrai que cette partie du spectacle m'a paru médiocre. Ce qu'il m'a été possible d'en voir m'a suffi pour me fixer. M. Brasseur a jugé sans doute qu'une partition nouvelle de Lecocq était un luxe suffisant pour son théâtre et il n'a pas fait d'autres frais.
Les décors sont très ordinaires et les costumes des masses ont déjà servi dans les opérettes précédentes.
Je ne vois à signaler, au premier acte, que l'entrée de Marguerite Ugalde, gentille au possible dans son costume de petit séminariste, violet avec rabat noir et calotte noire. Impossible de mieux porter le travesti, d'avoir l'air plus petit garçon; le public, qui l'adore, l'a fêtée toutes les fois qu'il en a trouvé l'occasion.
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Second acte.
D'après ce que j'entends dire autour de moi par les spectateurs qui voient distinctement la scène, nous sommes à la cour du Grand-Duc. Décor de parc selon l'usage des opérettes en général et de celles des Nou~ veautés en particulier.
Quoique chantant dans une Cour, Mlle Marguerite Ugalde porte cette fois un costume extrêmement riche de jeune viveur florentin. Je me lève un moment pour en juger.
- Assis! assis! dit-on au troisième rang.
Je me rassieds, maïs j'ai le temps de constater que les autres costumes ont été choisis de façon à faire valoir celui de Stento Strozzi : c'est très habile et pas ruineux. Et puis la haute noblesse de Florence n'était peut-être pas des plus calées à l'époque où se passe ce second acte.
L'un des événements de la représentation estla révélation du jeune Albert Brasseur comme ténor. Maintenant qu'il s'est découvert des la et des $i surnaturels, je crains bien que cet artiste songe à quitter M. Brasseur, non comme fils, mais comme pensionnaire.
Un ténor et surtout un ténor qui sait jouerla comédie avec finesse et bonne humeur, ce n'est peut-être pas l'Oiseau bleu, mais c'est l'oiseau rare; ça se paie au poids de l'or, et Albert (en italien Alberti) pourrait bien être enlevé à son publie des Nouveautés par MM. Corti et Maurel, qui ont besoin d'un Edgardo. d'un Alfredo, d'un Arturo et autres Manrico.
Au troisième acte, encore des costumes sans éclat, autant que j'en ai pu juger. C'est avec plaisir que l'on retrouve dans les cheveux de l'amusant Berthelier la paille que l'on voyait dans ceux de Scipion, au troisième acte du Jour et la Xuit. On remarque aussi que
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M. Brasseur a consenti à un grand sacrifice; il a prêté à un figurant son rebeç du Roi de Carreau, mais il lui a recommandé d'en avoir bien soin.
Mlle Darcourt a toujours sa vilaine robe jaune du premier acte; c'est peut-être poureelaquele jeune Stenio refuse de l'épouser: il sait combien il serait ridicule en sortant avec une femme ainsi fagotée.
A la sortie :
- Cela ressemble tout de même beaucoup à la Dame blanche.
- Oui, la Dame blanche... passée au bleu !
MANON
19 janvier.
L'heureuse collaboration de MM. Henri Meilhac et Philippe Gille passedu plaisant au sévère, de la comédie de moeurs d'une autre époque - époque aimable et charmante, où tout parle aux yeux et aux sens, le costume et le langage, où la corruption et le vice ont des dehors si séduisants qu'on peut les étaler en plein jour sans choquer personne.
Après leur grand succès de Ma Camarade, MM. Meilhac et Gille viennent de fournir à l'un des plus célèbres de nos compositeurs modernes l'occasion de réussir avec un opéra demi-sérieux que l'affiche continue à qualifier de comique - par un restant d'habitude auquel on ferait bien de renoncer, aujourd'hui que le genre de la salle F&vart s'est modifié si complètement.
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Je n'ai qu'à enregistrer les petits côtés pittoresques de cette belle soirée. Mats les anecdotes manquent un peu. L'oeuvre de Massenet s'est répétée sans incidents. Le jeune maître n'a livré sa partition au théâtre que lorsqu'il s'en est cru parfaitement sûr; on n'y a pratiqué ni coupures ni changements notables et, à la première de ce soir, les musiciens de l'Opéra-Comique ont trouvé sur leurs pupitres les parties d'orchestres gravées - ce qui est, on en conviendra , un joli tour de force.
J'ai dit que les répétitions ont été calmes et relativement faciles. C'est qu'aussi, par extraordinaire et pour cette fois seulement, Massenet n'y a apporté aucune surexcitation nerveuse.
Généralement, le compositeur, très doux dans les relations ordinaires de la vie, se transforme dès qu'il s'agît d'une de ses oeuvres. Jamais content de ce qu'il a fait, il éprouve, en entendant exécuter sa musique, un énervement qui se traduit souvent par des accès de colère féroce.
On jouait Marie Magdeleine à l'Odéon, et Massenet arpentait fiévreusement les coulisses, escorté par son fidèle ami et éditeur Hartmann, aussi flegmatique que le jeune maître est emporté.
L'orchestre attaquait une des plus belles pages de l'oratorio quia commencé la réputation de l'auteur de Manon.
Massenet rageait.
- C'est mauvais, mâchonnait-il tout bas, c'est plus que mauvais, c'est exécrable!
- Je trouve cela très bien, moi, répliqua Hartmann, d'une voix douce.
Massenet se retourna, furieux, vers son ami.
- Ah! vous trouvez cela bien, s'êcria-t-il, et si je
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vous flanquais une paire de gifles, est-ce que vous trouveriez cela bien aussi }
A ce moment, la salle éclatait en applaudissements prolongés, et Massenet se précipitait dans les bras de son éditeur en murmurant :
- Pardon!
Mais, pendant les quelques mois qu'ont duré les études de Manon, le compositeur n'a pas eu un seul accès de colère ni de découragement. Par exemple, quand, par hasard, ou lui demandait un changement, une coupure quelconque, il prenait son chapeau et disait de son air le plus gracieux :
- Allons, au revoir, mes amis, je m'en vais ! Et il s'en allait.
Aussi la paitition a-t-elle été jouée telle que le compositeur l'avait livrée au théâtre. On n'y a modifié ni retranché une seule note.
J'ai dit quelle amitié liait Massenet à son éditeur. C'est chez Hartmann qu'on est sûr de le trouver tous les soirs, entre cinq et sept heures. Il y reçoit ses amis, il y est chez lui. Et Hartmann n'est pas seulement l'éditeur de Massenet, c'est aussi le conservateur de ses couronnes. Il y a, dans la boutique de l'éditeur, deux pièces pleines d'immenses palmes, de lyres en papier doré, de fleurs artificielles liées par des rubans aux couleurs de toutes les nations et ornées des inscriptions les plus enthousiastes dans toutes les langues du monde. Jamais un de ces objets n'est entré dans l'appartement que Massenet occupe rue du Géncral-Foy.
- Ce n'est pas que j'en fasse fi, dit-il, mais cela tient de la place !
On a commencé à huit heures et quart, et les initiés allumaient qu'on finirait très tard.
- Comme à une féerie ! disaient-ils.
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Ce n'est pas que l'oeuvre soit démesurément longue, maïs il y a six décors, de nombreux changements de costumes, du spectacle à mettre en train : pendant les premières représentations, tout cela demande forcément beaucoup de temps.
Cependant, pour ne pas fatiguer le public par une représentation trop prolongée, M. Carvalho a pris des mesures énergiques et qui l'ont bien servi.
D'abord la porte de communication est restée fermée : impossible d'aller féliciter les auteurs sur la scène ;
Ensuite ordre formel a été donné de ne bisser aucun morceau \
Enfin, le directeur a promis une gratification de mille francs aux machinistes s'ils parvenaient à ramener à des proportions raisonnables la durée des entr'actes.
On est parvenu ainsi à baisser le rideau sur le dernier tableau vers une heure moins un quart. Il est plus que probable que la prochaine fois on aura fini à minuit.
Salle très brillante et digne de l'importance d'une grande première de l'Opéra-Comique.
Dresser une liste complète des sommités très variées qui sont là serait impossible, et je dois me borner à citer, parmi les physionomies connues que je trouve à portée de lorgnette: Mme Gustave de Rothschild, M. de Marcère, Charles Gounod, Emile Perrin, Alexandre Dumas et ses filles, général de Galliffet, général Cambriels, Antonîn Proust, Camescasse, Falguières, Clairin, Gervex, Pereire, président Cartier, Charles Garnier, Ludovic l lalévy, I lalanzier, Alphand, deTurenne, Camille Doucet, Mme Edmond Adam, Léo Delibes, Ernest Reyer, Suzanne Reichemberg, Blanche Pierson et Broisat.
M. Danbé donne le signal de l'attaque. Le merveil-
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leux orchestre de l'Opéra-Comique, que réminent chef a su placer si haut dans l'estime des connaisseurs, a un rôle plus considérable que jamais dans l'oeuvre de Massenet. Il a autant de responsabilité que les chanteurs, et il mériterait d'être mis en vedette sur l'affiche, à côté de Talazac et de Marie Heilbron.
PREMIER TABLEAU
Cour d'hôtellerie à Amiens. Décor de M. Carpezat. Beaucoup de mouvement pour commencer. L'excellent Grivot, en vieux financier, payant à dîner à de charmantes grisettes, représentées par Mmes Mole, Chevallier et Rémy ; un petit défilé de marmitons portant des mets exquis en carton ; des bourgeois et des bourgeoises allant, venant et chantant; puis l'arrivée du coche d'Arras, des coups de fouet et des tintements de grelots, des commissionnaires se disputant les paquets des voyageurs, des voyageuses effarées, tout cela très grouillant, très gai à l'oeil, une merveille de mise en scène comme M. Carvalho sait en enfanter dans les grandes occasions.
Taskin-Lescaut, qui est le cousin de Manon au lieu d'être son frère - la morale de l'Opéra-Comique a de ces nécessités ! - Taskin, qui porte l'uniforme de garde du corps avec une désinvolture très habilement étudiée, se fait applaudir, étant bien en voix, puis c'est le tour de Manon.
Manon - une revenante - Marie I ïeilbron l Charmante dans son costume simple, avec un petit air ingénu auquel ses yeux et ses lèvres, les fossettes de ses joues, l'ironie provocante de son sourire infligent un constant démenti. On est enchanté de la revoir et
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on espère bien qu'après son succès de ce soir, elle ne nous quittera plus.
Les auteurs et le directeur ne l'ont pas trouvée du premier coup, la Manon de leurs rêves. M, Carvalho songea un instant, très sérieusement, à Jeanne Granier; Massenet avait des vues sur Mme VaillantCouturier; c'est Hartmann qui s'en alla voir Marie I leilbron et qui la décida à rentrer au théâtre.
Dès que son engagement fut signé, la ravissante artiste se mit au travail. Massenet la dirigea dans les études de son rôle. Il alla tous les jours à l'hôtel Suffren, aux Champs-Elysées, où elle logeait alors, et lui donnait ses indications.
On m'affirme - mais je note ce détail sans le garantir - qu'un mélomane avait loué tout exprès l'appartement contigu à celui de la diva pour connaître plus tôt les beautés de Manon ; en revanche, un habitant de Philadelphie a quitté l'hôtel, au bout de quelques jours, parce que les cris qu'on y poussait lui étaient insupportables.
- Cela m'empêche de fumer! disait-il, en donnant congé.
Afin d'éviter les voisins indiscrets ou mécontents, Mme Heilbron quitta l'hôtel Suftïen pour s'installer dans un bel appartement de l'avenue de l'Aima où elle acheva d'étudier son rôle.
DEUXIÈME TABLEAU
Très simple, le décor: une chambre d'hôlel meublé. L'acte ne comporte aucune mise en scène. J'en profite pour parler de Talazac.
C'est tout naturellement au remarquable premier
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ténor de l'Opéra-Comîque qu'est échu le rôle de Des Grieûx.
M. Massenet a trouvé en lui un bien vaillant collaborateur, toujours sur la brèche, ne reculant devant aucune fatigue, dévoué à l'oeuvre commune, n'ayant aucun de ces caprices qui distinguent si souvent les artistes du chant en général et les ténors en particulier.
Avec cela, très gai, trouvant le moyen de mêler une note joyeuse au travail sérieux des répétitions.
Quand Talazac peut faire une bonne plaisanterie, il en laisse rarement échapper l'occasion. Ainsi, l'année dernière, pendant qu'on répétait Lakmê, un ami de Massenet avait chanté au t'mor la phrase initiale de sun rôle de Des Grieux, une trc> jolie phrase que l'orchestre ramène toutes les fois que l'amant de Manon fait son entrée.
Rencontrant Massenet, celui-ci lui parla de l'ouvrage à l'étude.
- Eh bien! Lakmê, cela marche-t*il?
- Oh ! admirablement, il y a de bien jolies choses. Et, improvisant des paroles quelconques - . Oh !
ma belle Lakmé, oh ! ma douce Lakmé, »> il les fredonna sur la phrase de Manon, la seule qu'il connaissait.
- Mais que chantez-vous donc là > s'écria Massenet.
- C'est dans Lakmê.
- Pas possible... j'ai la même chose dans Manon. Talazac éclata de rire et rassura le compositeur en
s'excusant de !a petite émotion qu'il lui avait causée.
TROISIÈME TABLEAU
Nous sommes au Cours-Ia-Reine. Délicieux décor d; M. Lavastre. Baraques de saltimbanques, mon-
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treurs de phénomènes, entrée d'un bal champêtre, et de l'autre côté de la Seine -les Invalides, dont le dôme doré a fait pousser les hauts cris à quelques spectateurs.
« Mais il n'y avait pas d'or sur la coupole des Invalides, disait-on, cela date d'il y a dix ou douze ans seulement, etc., etc.
Inutile de faire remarquer que, dans les pièces montres avec autant de soins que l'a été Manon, les anachronisme* de cette force sont rares. Le dôme des Invalides était parfaitement doré sous la Régence et, s'il a fallu le redorer depuis - de 1S65 à 1S71 - c'est que le soleil et la pluie mangent et dissolvent l'or aussi bien que les Manon.
Très jolis, les costumes de ce tableau : des coptes de Moreau extrêmement réussies. Les demoiselles de l'Opéra, venant danser un petit divertissement en pleine fête foraine, sont vêtues d'après les maquettes qui se trouvent dans les archives de notre Académie de musique et de danse. J'ai trouvé cette entrée fort originale et fort intéressante. Comme nous voilà loin des jupes de gaze, des transparences et des décolletages actuels ! M. Carvalho n*a pu nous montrer que quelques costumes typiques. Mais un éditeur de la rue Lafayette, M. A. Lévy, a précisément publié, il n'y a pas bien longtemps, un album très curieux et où tous les costumes d'opéra du dix-huitième siècle sont reproduits à l'eau-forte et en couleur. Je recommande à tous ceux qui s'intéressent aux choses du théâtre cette collection vraiment curieuse. Les danseuses de l'Opéra-Comique me représentaient, ce soir, les aquarelles animées de ce joli album, ;avec leurs robes longues, ne laissant voir que les chevilles, leurs paniers, leurs tailles longues en pointe, leurs coiffures hautes. La première danseuse porte, très fidèlement reproduit,
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le costume des ballets du roi, tel qu'il figure dans la collection dite des Menus- Plaisirs.
Je crois qu'une restitution complète d'un ballet et d'un acte d'opéra ainsi qu'ils se'donnaïent sous la Régence, ou avant, vers le milieu du règne de Louis XIV par exemple, serait d'un grand intérêt.
Mon confrère Nuïtter, le bibliothécaire de l'Opéra, raconte précisément, dans la préface de l'Album que je mentionne plus haut, qu'une tentative de ce genre eut lieu, en ISJJ, dans un spectacle de la cour du théâtre de Versailles. La-propos était de Scribe, la musique d'Auber. Mais il n'y a plus de cour à Versailles , il n'y a plus de théâtre. Contentons-nous de la mise en scène si réussie et du ballet original de l'Opéra-Comique.
QUATRIÈME ET CINQUIÈME TABLEAUX
Deux autres décors de M. Lavastre, également jolis, quoique ne se ressemblant guère :
Le parloir de Saint-Sulpice, puis les salons de jeux de l'I lôtel de Transylvanie ; ici des murs blancs, sévères, des boiseries froides, une porte en fer forgé qui sent le cloître, des tableaux de sainteté, un demi-jour mystérieux : là de l'or partout, sur les murs, sur les tables, dans l'orchestre où passe de temps en temps comme le frisson des louis qu'on remue, l'éclat des lumières, la séduction des toilettes. Talazac a jeté sa robe d'abbé, et Marie-Manon a prodigué les brocarts et les dentelles d'or, les fleurs et les diamants.
La fin du cinquième tableau, avec l'effarement des joueurs surpris par les exempts de police, les curieux grimpés sur les tables pour mieux voir le drame de l'arrestation de Manon, est encore d'un arrangement parfait.
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JANVIER fi
SIXIÈME TABLEAU
Un paysage normand, sur la route du Havre. La mer à l'horizon. Soleil couchant. Un cadre des plus poétiques pour le dénouement qui ne dure guère plus de dix minutes.
Et c'est IX l'histoire de \Unan Ivcscaut !
Pardon, il convient d'ajouter encore que M. Hartmann a fait, à côté de la partition ordinaire, une partition de luxe, très artistique, illustrée de gravures d'Avril, reliée en veau avec des fers du dix-huitième siècle. Massenet a mis son oeuvre sous le patronage de la plus jurande des cantatrices françaises", en écrivant à la première page cette dédicace :
A
(Madame C. tMiolan Carvalho
J'offre respectueusement
La dédicace de cette partition
J. MASSENET.
Et M. Hartman en a envoyé le premier exemplaire, aujourd'hui, à Marie Heilbron, dans une magnifique gaine de cuir de Cordoue, avec un fermoir en argent ciselé, véritable bijou de l'artiste qui a fait le manche de parapluie donné à Mlle Van Zandt pour ses étrennes et dont j'ai précédemment parlé.
Réflexion de la fin.
Les charmants poètes du livret se sont rappelés ce vers d'Alfred de Musset à propos de Manon :
Tu m'amuses autant que Tiberge m'ennuie.
Ils ont eu bien soin de supprimer Tiberge!
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LES SOIRÉES PARISIENNES
THEATRE A VENDRE
31 janvier.
Avant quinze jours on aura vendu, aux enchères publiques, un théâtre d'opérettes qui a eu des malheurs prolongés et qu'un succès relatif n'a pu, hélas! galvaniser longtemps.
Est-ce à dire que ce soit le seul théâtre à vendre ? Il serait cruel de préciser, mais à côté de celui qu'on va adjuger officiellement au dernier enchérisseur, il en est deux ou trois autres, quatre peut-être, dont le directeur actuel rêve de se débarrasser... à l'amiable.
Les amateurs ne manquent pas, et voici ce que le plus spirituel d'entre eux m'a narré lui-même sur ses plus récents pourparlers.
Mon ami X... (il tient à cet incognito) connaissait les intentions de retraite d'un imprésario parisien. Il savait qu'une démarche serait mal accueillie et se rendit auprès de lui.
Après les banales politesses d'usage, le dialogue s'engagea, vif, rapide et précis.
M. X... - On me dit que vous voulez vendre?
LE DIRECTEUR. - Parfaitement... moi, j'ai entendu dire que vous voulez acheter.
M. X... - C'est exact.
LE D... - Alors, nous serons bientôt d'accord.
M. X... - Cela dépend du prix.
LE D... - Oh ! le prix ne nous arrêtera pas.
M. X... -Combien voulez-vous vendre)
LE D... - Rien du tout.
M. X..., un peu surpris. - Rien !... vous plaisantez ?
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JANVIER > J
LE D... - Je parle sérieusement... Mon théâtre est une affaire un peu lourde pour moi, je veux m'en débarrasser ; je vous le donne et je ne demande pas un centime.
M. X..., avec empressement, - J'accepte.
LE D..., très négligemment. - Donc, c'est estendu, je vous le donne, mon théâtre; seulement...
M. X.,., inquiet. - Seulement)
LE D... - Il y a certaines charges...
M.X..., rassuré.*" Ah! oui... les six mois d'avance; la provision à la Société des auteurs... rien de plus juste; je vous rembourserai tout cela.
LE D..., de plus en plus négligemment. -Et puis... vous aurez à exécuter le traité de claque...
M. X..., troublé. - Il est onéreux ce traité)
LE D...- Onéreux! onéreux!... Mon Dieu, non. Seulement, vous comprenez, on a contracté des obligations envers le chef de claque. Il a prêté de l'argent à mon prédécesseur; moi je l'ai toujours trouvé charmant pour le théâtre... Tout cela se paie...
M. X... - Maïs, moi, je ne lui dois rien à ce chef de légion romaine !
LE D..., avec bonté. - Ce serait bon à dire si je vous faisais payer le théâtre, mais puisque je vous le laisse pour rien.
M. X... - Enfin, qu*auraï-je à lui donner, à ce claqueur)
LE D... - Rien d'exorbitant: tous les soirs, vingt fauteuils d'orchestre, dix balcons, une première loge et trente secondes galeries.
M. X..., qui a pris des notes et fait des calculs. - Fichtre! mais cela fait pour deux cent cinquante francs de places par jour, soit, pour la saison, soixantequinze millefrancs. -Combien de bail encore)
LE D... -Dix ans.
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54 '-ES SOIRÉES PARISIENNES
M. X.., crayonnant, avec horreur. - En tout sept cent cinquante mille francs pour la durée de l'exploitation ! C'est excessif!
LE D... - Qu'est-ce que ça vous fait... puisque ce ne sont que des places ).. Vous ne donnez toujours pas d'argent !
M. X... - Enfin, nous nous entendrons. C'est tout) (// veut se lever.)
LE D..., le forçant i se rasseoir. - Comme vous êtes pressé!... J'espère que votre intention est de bien me traiter... Nous resterons amis)
M. X... -J'allais vous le demander... (Ils se serrent silencieusement la main.)
LE D..., d'une voix émue. - Je ne puis demeurer complètement étrangerà ce théâtre que j'ai tant aimé... Je vous demanderai ma loge tous les soirs. {Avecdes larmes dans la voix.) J'y viendra: ïc plus souvent possible, mais, quand je ne pourrai pas... soyez tranquille elle ne sera pas vide, je la vendrais plutôt!...
M. X...,faisant bonne contenance. - Merci !... (Xouvelle étreinte amicale.)
LE D...- Autre chose. Chaque mois, les ouvreuses versent une redevance sur leurs pourboires... ces braves femmes sont habituées à avoir affaire à moi, n'y changeons rien, jecontïnuerai à toucher. (Mouvement deX..., qui vient de refaire une addition.) Ah! ne protestez pas... ce cera pour ma femme... ce seront ses épingles.
M. X..., «« peu pâlot. - Enfin! mais vous n'avez plus rien à me demander, je pense)
LE D... - Vous oubliez la loge du syndic.
M. X... -Quel syndic)
LE D... - M' Z... celui qui fait toujours les faillites du théâtre... il est ici comme chez lui.
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JANVIER 55
M. X..., se montrant. - Mais, sapristi, je ne ferai pas faillite.
LE D... -Vous aurez raison... Cependant, croyezmoi, ne vous mettez jamais mal avec ces gens-là!..... Puis, j'ai promis : il faut bien que [vous teniez mes engagements. En somme, je ne vous demande pas d'argent... ce ne sont que des places.
M. X...- Le théâtre finira par me coûter cher. (// montre ses calculs.)
LE D... - Pas un centime, vous dis-je !... Vous l'aurez pour rien... C'est comme le matériel... Il représente une dépense énorme, et c'est presque neuf. Des pièces qui n'ont pas réussi... Aussi je ne vous le vends pas non plus... Vous me paierez cent francs de location par jour.
M. X..., crayonnant avec rage. -Trente mille francs par an !
LE D... - C'est un prix dérisoire, mais vous me prenez dans un bon moment... Seulement, en retour, je veux que vous me réserviez la jouissance de l'appartement que j'occupe dans le théâtre...
M. X..., se récriant. - Pour cela...
LE D... - Que vous importe) Vous êtes célibataire... Moi, je suis marié, nous nous plaisons tous dans ce logement... J'ai fait mettre le papier à mon goût. . Ma femme a ses petites habitudes... les enfant? ont leur coin préféré; ils y mettent leurs joujoux... Lu cuisinière aime son fourneau... Que vous dirai-je?... M. X..., résigné. - Admettons. LE D..., lui.serranl les dei'xmains. - Vous êtes un homme de coeur, aussi vous me laisserez, par la même occasion, le bail du cafetier. M. X... - Le cafetier du théâtre) LE D... - Oui, une sous-location, ne vous fourrez pas dans ces ennuis-là - ça me regarde... Remar-
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5'> LES SOIREES PARISIENNES
quez que je ne vous demande pas d'argent... tout pour rien.
M. X..., montrant un carnet hérissé de chiffres. - Pour rien... Mais savez-vous de combien vous le grevez votre théâtre, tant parles frais que par les produits confisqués)
LE D... - Ma foi, non !
M. X... - Voici le chiffre : huit mille francs par jour. Et combien peut-on faire de recette avec un grand succès)
LE D... - Six mille six, en augmentant le prix des places.
M.X.... pétrifié. - En augmentant)...
LED... - Oui, seulement je ne vous engage pas à le faire ; toutes les fois que j'ai essayé, il ne venait plus personne !
S3IILIS
13 janvier.
Une nouvelle génération s'installe décidément chez Molière. La maison du vieux Poquelin est momentanément aux jeunes. Après M. Albert Delpït, voici M. Jean Aicard, poète de trente-cinq ans, fougueux, vibrant, méridional et couronné comme pas un par l'Académie française - sans compter tout ce qu'il s'est fait décerner en tenant sa petite partie dans les jeux floraux de sa chère Provence.
Tout poète et tout méridional qu'il est, M. Jean Aicard n'a pas moins de patience et de sens pratique
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JANVIER , 57
qu'un homme du Nord LVor/Ziinan, disent les Anglais). Il y a plus de dix ans qu'il lutte avec énergie pour entrer à la Comédie-Française avec une oeuvre importante. On sait qu'il fut chargé par M. Emile Perrindc rimer quelques à-propos commémoratifs, qu'il est l'auteur de ce malheureux Davenant, délaissé à Londres par Sarah Bernhardt, qu'il a fait une traduction d'Othello, dont un seul acte fut joué dans la représentation d'adieux de Bressant, et que ses oeuvres poétiques lui ont valu le ruban rouge. Mais ce qu'on ne sait pas, c'est que l'auteur de Smilis, renonçant à aborder toute autre scène que la première, n'a cessé de faire le siège en règle du comité de la rue Richelieu, présentant manuscrits sur manuscrits, sans jamais se Iaisser'découragerpar les refus ou les atermoiements.
Comme le disait l'excellent Picard, l'huissier de M. Perrin, après la réception de Smilis :
- Ben! là, vrai!... Vous ne l'avez pas volé!
Encore a-t-il fallu, pour faire le bonheur de l'obstiné poète, l'intervention toute puissante de M. Emile Augier.
Un soir, chez Mme Edmond Adam, M. Aicard eut la bonne fortune de lire son joli poème de Miette et Xorê.
M. Paul Déroulède se trouvait là.
Le lendemain, avec son entrain habituel lorsqu'on a su l'emballer, l'auteur des Chants du Soldat parla de cette lecture à son oncle, lui raconta le triomphe obtenu et finalement le décida à lire Miette et Noré.
Augier se fit envoyer le livre - surtout pour faire plaisir à son grand enthousiaste de neveu,
Mais à peine l'eut-il achevé que, séduit à son tour, il voulut voir l'auteur qu'il ne connaissait paset qui, naturellement, se hâta d'accourir à première convocation.
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5'S, LES SOIRÉES PARISIENNES
- Monsieur Aicard, dit alors sans préambule l'auteur des Effrontés, votre livre m'a beaucoup plu, mais je ne vous ai pas appelé pour ajouter mes compliments à ceux que vous avez déjà reçus... Il s'agit d'autre chose. L'écrivain de Miette cl Noré n'est pas seulement un poète, j'atlirme qu'il a les qualités d'un homme de théâtre... Vous devez avoir des pièces faites)
- J'en ai plusieurs...
- Allez m'en chercher une.
t Aicard ne se le fit pas dire deux fois. Il courut chez lui et rapporta Smilis.
- Maintenant, ordonna Emile Augier dès qu'il connut la pièce, ne vous occupez de rien, le reste me regarde.
Et le bon, l'excellent maître fit si bien que, fort peu de temps après, M. Jean Aicard était convoqué pour une lecture qui se termina par une réception à l'unanimité.
Tous les héros de Smilis sont marins.
L'auteur lui-même peut passer pour un véritable loup de mer... amateur.
1 labitant presque constamment sa petite maisonnette des environs de Toulon, il s'est créé d'innombrables relations dans l'état-major de la flotte.
Aussi la première de Smilis était-elle très attendue dans les ports militaires. .Depuis quelques jours, un certain nombre d'officiers de marine sont venus à Paris pour cette solennité, ce qui n'a pas laissé que de compliquer la difficulté habituelle du service des places. A toutes les places, on voit des officiers de marine, les uns en uniforme, les autres, comme l'amiral Cloué, comme le contre-amiral Martin, comme le capitaine Gougeard en habits noirs.
Les marins de la Comédie-Française n'ont pas
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JANVIER 5Ç>
moins bonne tenue que ceux qui se trouvent dans la salle, et le ministre de la marine semble, du haut de sa loge de face, les inspecter avec une vive satisfaction.
C'est M. Got, le chef, le doyen des sociétaires, qui est le moins gradé. Contre-maître, ni plus ni moins. Mais la bonne et loyale figure! et comme il porte bien ce simple uniforme que le public parisien vénère depuis le siège !
Il y a, du reste, marins et marins dans Smilis!
L'un, M. Worms, est le jeune lieutenant d'avenir, déjà doué d'une voix un peu rude, maïs pouvant encore l'assouplir pour une déclaration d'amour. Uniforme gracieux, élégant, aussi bien coupé que l'habit de bal; légère barbe blonde.
M. Laroche, son oncle, le commandant Richard, est un vrai marin, ayant remplacé depuis longtemps la coquetterie par la correction. Un peu compassé, grave, solennel et raisonneur. A beaucoup navigué et beaucoup retenu. Doit, comme on dit, connaître rudement son affaire. Barbe et cheveux gris fer.
Quanta l'amiral Kerguen, M. Febvre en a fait le véritable marin resté grand seigneur. Le personnage doit avoir cinquante-deux ans, juste le même âge que son interprète, mais ce dernier a dû se vieillir, car les années de navigation comptent double parfois.
Smilis, elle-même, bien qu'elle ne figure pas sur les cadres, appartient cependant à la marine par ses goûts et ses habitudes. C'est une matelotte par adoption. L'auteur ne lui a donné que dix-sept ans dans sa pièce. Mlle Reichemberg les parait à peine, surtout dans sa toilette du premier acte, toilette un peu étrange, mais qui ne m'a pas déplu. M. Aicard, très galant, a fait venir de Nice, pour son héroïne, une magnifique lyre tout en violettes, et sur laquelle se détache en fleu-
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Ou LES SOIRÉES PARISIENNES
rettes blanches le surnom poétique de Smilis. Une ancre eût été mieux en situation.
Mlle Edile Riquer n'a fait qu'une apparition au premier acte. Son rôle a dix lignes au plus, mais en s'en chargeant elle a, pour toute récompense, demandé à ses camarades de vouloir bien manifester une petite émotion lorsqu'ils apprennent sa mort - au dernier acte. Les camarades n'y ont pas manqué. M. Got a même fait semblant d'essuyer une larme.
La mise en scène est peu compliquée, mais très soignée.
Les deux premiers a;tes se passent dans le même salon, à l'hôtel de Kerguen, à Paris. Seulement, au second acte, le décor disparait littéralement sous les fleurs.
Le troisième tableau nous conduit à Toulon, à la Préfecture maritime, dans le cabinet de l'amiral. C'est d'une simplicité un peu austère, maïs il parait que c'est comme ça là-bas.
Enfin, le dernier décor, très réussi, représente la terrasse de la villa que possède l'amiral aux environs de Toulon. Au fond, la Méditerranée, aussi bleue que nature, avec une vue des Iles d'Hyéres dans le lointain.
Bien jolie, Mlle Reichemberg, dans le hamac qui la berce en mesure pendant qu'elle soupire, d'une voix douce et mélodieuse, une touchante mélodie qui, comme la chanson du troisième acte, est de M.Henri-Maréchal.
Entendu à la sortie, une plaisanterie un peu folichonne pour une pièce qui n'a pas la prétention de l'être :
- Cet amiral qui s'empoisonne est vraiment héroïque.
- Oh ! c'est l'amiral Suisse-ïdé !
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JANVIER 01
AUTRE NUIT DE NOCES
24 janvier.
La saison dramatique présente parait avoir la spécialité des nuits de noces non suivies de résultats.
Dans Autour du Mariage, joué au Gymnase, les nouveaux mariés consacraient leur union en faisant des bulles de savon dans une chambre d'auberge ; dans le ^Maître de Forges, représenté actuellement au même théâtre, les tendresses conjugales sont avantageusement remplacées par une scène violente et émouvante qui a fait le succès de la pièce; enfin, hier soir, aux Français, M. Jean Aicard nous a servi une nuit de noces où la femme se retire dans sa chambre en disant à son mari : « Bonne nuit, mon père ! >
La nuit qui va suivre, conçue d'après la mode du jour, n'est que la suite logique de la pièce des Français ; c'est l'épilogue de Smilis.
I-e théâtre représente un salon élégamment meublé. Sur les murs, quelques marines. A droite, la chambre de Smilis. A gauche, l'entrée d'une autre chambre.
SCÈNE PREMIÈRE
GEORGES, SMILIS
fils mirent par h fond.J
GEORGES
Enfin, c'est fini la noce, les cérémonies, les compliments, les toasts à la mariée, nous stoppons.
4
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()2 LES SOIRÉES PARISIENNES
SMILIS
Le repas était bon, n'est-ce pas)*
GEORGES
Excellent... Un peu trop de viandes marinées, peutêtre.
SMILIS
Une attention du chef...
GEORGES
Mais nous sommes seuls, c'est l'essentiel. Ah ! ma chère Smilis, ma bonne Louise, ma petite Loulou
SMILIS, baissant les yeux Eh bien, Monsieur)
GEORGES
Je sens, en vous voyant, que je perds la boussole...
SMILIS
Comme votre voix est douce!...:. On dirait la brise de mer passant dans les haubans de misaine.
GEORGES
Je suis si heureux! Je sens que je vais mettre le cap sur la terre promise, que je vais marcher toutes voiles dehors vers la suprême félicité, et je me crie à moi-même : « Allons, matelot, lève l'ancre ! »
SMILIS Georges...
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JANVIER 63
GEORGES
Ma belle Smilis, m'aimez-vous )
SMILIS
Si je...
SCÈNE II
LES MÊMES, LE SPECTRE DE KERGUEN
(Le spectre de Kerguen sort d'un vase de Chine et regarde Smilis, mais en restant invisible pour Georges. Smilis demeure terrifiée.)
GEORGES
Te ne me réponds pas, m'aimes-tu ?
SMILIS, se parlant à elle-même
Mon Dieu ! mon Dieu, c'est pourtant vrai que je suis cause de sa mort. C'est moi, oui, c'est moi qui l'ai tué! Pauvre père! Le voilà qui semble me reprocher de m'ètre donnée à un autre. Non, ne crains rien, je ne me donnerai pas, jamais, jamais!
GEORGES
Mais que dit-elle ) que dis-tu ) Il me semble que nous bourlinguons, ô ma douce colombe. (Le spectre a disfiaru.)
SMILIS, comme sortant d'un rêve
Oui... pardonne-moi... il y a eu un peu de tangage... mais voilà le calme revenu... Mon cher Georges... (Elle va pour l'embrasser. Le spectre de Kerguen sort d'une lunette marine, mais n'est visible que pour Geor' ges seulement.)
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Ô.J. LES SOIRÉES PARISIENNES
GEORGES
Que vois-je) Est-ce possible) C'est le spectre de l'amiral! Il se dresse entre Smilis et moi... Oh! malheureux que nous sommes! (Le spectre disparaît.)
SMILIS
A ton tour, qu'as-tu)
GEORGES
Rien... une vision... On a beau avoir le pied marin, cela vous surprend...
SMILIS
Mais c'est fini...
GEORGES
Tout à fait fini...
SMILIS
Mon chéri...
GEORGES
Ma mignonne...
(Le spectre les sépare, visible, cette fois, pour les deux époux. Ses lèvres ont l'air d'articuler ces mots: ASSASSINS!)
GEORGES ET SMILIS
C'est lui! c'est lui!
SMILIS
Le spectre de mon père !...
GEORGES
Il ne veut pas que nous soyons l'un à l'autre...
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JANVIER
SMILIS
Respectons sa volonté. (Elle entre vivement dans sa chambre et en tire le verrou.)
GEORGES
Hélas! il faut baisser le pavillon! (// entre chez lui.)
SCÈNE III
MARTIN
(Il soulève une portière et constate que le mari et la femme se sont retirés chacun de son côte. Il porte sous le bras ua appareil à fantasmagorie.)
Pauvre pitchoune ! Comme ça, du moins, elle n'aura jamais lé mal dé mer!
REPRISE DE « LA DASIE AUX CAMELIAS s
26 janvier.
Nos lecteurs n'ont certes pas oublié la magnifique représentation organisée, il y a deux ans, par le Figaro au théâtre de la Gaité, et qui valut à Sarah Bernhardt une si brillante rentrée dans sa bonne ville de Paris.
Du coup, dans cette soirée unique à laquelle assistait l'élite du fameux Tout-Paris, Sarah reconquit son cher public parisien, et les ovations qu'on lui fit, en cette occasion, retentissent encore aux oreilles de tous
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66 LES SOIRÉES PARISIENNES
ceux qui ont, pour la grande artiste, une admiration sincère.
La recette atteignit un chiffre fantastique, et tout aussitôt, dans plusieurs cervelles directoriales, surgit le projet d'une reprise de la Dame aux Camélias avec sa célèbre interprète.
Dumas s'y opposa. On raconta, à ce moment, que l'illustre auteur réservait sa pièce à la Comédie-Française et qu'il pensait vaguement ?- oh ! très vaguement - à Croizette dans le rôle de Marguerite. Mais il est probable que ces bruits ne reposaient sur rien de sérieux. En tout cas, Sarah Bernhardt enleva l'autorisation de reprendre la Dante, le soir de l'inauguration de la statue de Dumas père, alors que le-fils était allé la remercier, au théâtre, d'un à-propos fort éloquent qu'elle avait récité entre deux actes de Froufrou.
On a raconté longuement, à plusieurs reprises, l'histoire de la Dame a" v Camélias au point de vue théâtral ; on a noté tous les faits qui précédèrent, accompagnèrent ou suivirent l'apparition de cette oeuvre passionnée, dont l'influence fut si grande et si décisive sur la comédie contemporaine.
Mais, quoi qu'on ait dit, il reste encore pas mal de petites choses à dire. Toutes petites, il est vrai. M. Dumas lui-même a sans doute oublié les détails suivants que l'on m'a racontés tout à l'heure.
Il s'agit pourtant de la première édition de sa pièce.
Bien avant d'avoir fait ce brillant début au théâtre, M. Dumas revenait de Marseille, où il avait conduit son père qui partait pour Naples. Le futur auteur de la Dame aux Camélias ayant, d'aventure, la poche
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JANVIER 67
assez bien garnie, voyageait à petites journées. Arrivé à Arles, il descendit au meilleur hôtel.
Il venait de s'installer en face d'un dîner fin, lorsque plusieurs jeunes gens, qui faisaient également bonne chère à une table voisine de la sienne, remarquèrent son isolement.
- Parbleu, Monsieur! s'écria l'un d'eux, vous nous faites de la peine, à vous voir seul!... Venez donc sans façon vous asseoir au milieu de nous, ce sera plus gai pour tout le monde.
- Volontiers, dît Dumas, mais puis-je savoir)...
- Moi, je suis Giraud, libraire à Nîmes; ces messieurs sont mes amis: tous bons vivants... vou^ allez voir !
Ainsi commencée, puis continuée en dînant d'une façon copieuse, la connaissance fut bientôt faite. On se tutoyait avant le dessert.
Au pousse-café, Giraud pleurait d'attendrissement.
Tu sais, disait-il à son nouvel ami, tu sais mon petit Alexandre, je suis libraire... Si tu veux faire comme le papa, ne te gêne pas... écris ce que tu voudras, c'est moi qui édite.
Après cette sympathique bombance, une promenade s'imposait dans l'intérêt de la digestion.
Elle eut lieu dans les ruines du cloître de SaintTrophimeoù Dumas, se sou venant que l'endroit avait servi de modèle pour le décor de Robert le Diable, entonna d'une voix superbe :
Nonnes qui reposez Sous cette froide pierre.
Et cela au grand ravissement de ses nouveaux camarades, qui le déclarèrent de beaucoup supérieur à
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68 LES SOIRÉES PARISIENNES
tous les Bertram connus du Grand-Théâtre de Nîmes.
Le lendemain matin, on prenait le coupé de la diligence pour cette ville, où il ne fallait pas manquer certain bal masqué annuel.
Giraud, très fier de son intimité avec le fils du célèbre romancier, était heureux de piloter Dumas dans la salle et de le tutoyer ostensiblement coram populo.
A un moment donné, ils croisèrent deux petites femmes - des horizontales nimoises du temps - costumées en débardeurs.
- Devinez un peu qui nous sommes) leur demanda Giraud avec suffisance.
L'un des petits débardeurs, après avoir regardé l'éditeur et ce grand jeune homme dont l'élégance faisait sensation, répondit d'un air entendu :
- Toi, tu es Giraud le libraire.
- bt mon ami)
- Lui, c'est un tailleur.
Cette réponse mit Giraud hors de lui ; mais Dumas riait à se tordre.
Il n'est si bonne compagnie qui ne se quitte. Les distractions locales étaient d'ailleurs épuisées, et Dumas se remit en route le jour suivant, non sans avoir dit à son ami :
- Viens t'établir à Paris, tu verras!... je te ferai gagner de l'argent.
Quelques mois se passèrent.
Entre temps, Giraud, confiant en la prédiction de son ami Dumas, avait liquidé sa librairie de Nîmes pour venir s'installer à Paris, où il était d'abord entré dans la maison Hachette.
Quanta Dumas, il avait beaucoup travaillé, mais sans en avoir l'air, car tout le monde, son père luimême, l'avait dissuadé de s'atteler à la besogne qu'il accomplissait dans l'ombre et le mystère.
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JANVIER <V>
Cette tâche, accomplie sans nul confident discret, n'était autre que l'adaptation au théâtre de son roman de la Dame aux Camélias.
Parmi tous ceux qui entouraient Dumas fils, un seul ami, PaulSiraudin, avait vu dans le livre le sujet d'une excellente comédie.
Mais ses conseils furent d'abord mal accueillis par le jiune romancier que l'avis paternel avait complètement désabusé.
Siraudin ne se décourageait pas facilement. Chaque fois qu'il rencontrait Dumas, c'était pour lui dire :
- Fais donc une pièce avec ta Dame !
Dumas avait beau l'esquiver de son mieux, à chaque instant, sur les boulevards, au théâtre, partout, il entendait une voix obstinée lui répéter :
- Fais donc une pièce avec ta Dame! C'était devenu une scie fort amusante.
Est-ce cette obsession qui eut raison d'un premier découragement ) Peut-être. Toujours est-il que Dumas se décida un beau jour à accueillir les propositions d'Antony Béraud, qui affirmait avoir trouvé la marche de la pièce.
Mais l'auteur de la Dame aux Camélias ne pouvait voir sa comédie dans une série de combinaisons mélodramatiques étranges, bizarres, anormales dont on vient d'ailleurs de faire bonne justice en les publiant ces jours-ci. II prit donc finalement le parti de se mettre tout seul à la besogne.
Ainsi que je l'indique plus haut, il s'était gardé le secret qu'il s'était si bien promis à lui-même.
Une circonstance fortuite pouvait seule le trahir.
Son manuscrit terminé, il courut, pour le faire copier, chez Vieillot, qui était aussi le copiste de son père.
Or. ce dernier se trouvait là.
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LES SOIREES PARISIENNES
- Voyons, dit-il à son.fils, le premier moment de surprise passé, lis-moi ton premier acte.
Après le premier, il demanda successivement les autres, et se montra absolument ravi.
Toutes les satisfactions que devait rapporter plus tard la pièce à son heureux auteur ne lui furent jamais aussi agréables que ce succès intime improvisé par le hasard.
Et le libraire Giraud)
Vous ne l'oubliez pas - moi non plus. Quant à Dumas, il l'oublia si peu qu'il le fit rechercher et le convoqua à sa répétition générale, bien qu'il n'y eût pas ce jour-là vingt personnes dans la salle du Vaudeville.
A la fin de la répétition, l'auteur vint à son ancien ami de Nîmes et lui proposa l'édition de la pièce en toute propriété.
- Combien) demanda Giraud.
- Mille francs.
- Non. Cinq cents... et je te donne trois cents comptant.
Dumas accepta cette somme, dont il avait besoin pour louer deux loges promises à divers amis et qu'il craignait de ne pouvoir obtenir à crédit.
Ce n'est pas tout. Les « eaux étant basses », comme on disait alors, il offrit même à son ami de lui céder tous ses droits d'auteur pour six mille francs.
N'ayant que la moitié de cette somme, Giraud proposa l'affaire à Goudchaux, secrétaire du Vaudeville.
- Une pièce que la censure arrêtera à la seconde représentation, s'écria ce dernier. Vous êtes fou!
Ces droits, qu'on n'acheta pas six mille francs, en ont produit jusqu'à présent près de sept cent mille. Le libraire Giraud, qui assiste à la magnifique reprise
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de ce soir, a dû se faire souvent de sérieuses réflexions.
II est vrai que l'édition lui valut quelques compensations appréciables puisqu'il vendit, dans les trois premiers jours de la publication, plus de onze mille brochures et gagna ainsi vingt mille francs pour commencer. Plus tard, il autorisa la maison Michel Lévy à éditer la pièce moyennant deux mille francs, mais en s'en réservant toujours la propriété.
On doit reconnaître, pour excuser la défiance de Goudchaux, que ce sentiment était partagé par tous.
Le jour même de la première, comme Dumas priait Fechter de déployer plus d'énergie, surtout au quatrième acte, le comédien répondit impitoyablement :
- Ma foi, je ferai ce que vous voudrez, mais je ne m'engage pas beaucoup, car la pièce n'ira certainement pas jusque-là.
Une pièce qui avait inspiré aussi peu de confiance que la Dame aux Camélias ne devait pas être montée d'une façon bien luxueuse. A la Porte Saint-Martin, c'est le contraire. On a beaucoup soigné les divers mobiliers; de vrais et jolis objets d'art garnissent les salons, et le lit de Marguerite Gautier est bien dans la note qui convient à ce meuble si important. Avec cela, les plus petits rôles sont tenus par des artistes de talent. Sarah Bernhardt a voulu que l'interprétation de l'oeuvre fût à la hauteur de l'admiration qu'elle lui inspire.
Personnellement, elle adore ce rôle de Marguerite qui lui valu de si grands et de si mérités triomphes dans ses tournées à travers les deux mondes. Et bien qu'elle l'eût joué je ne sais combien de centaines de fois, elle l'a répété avec autant d'ardeur depuis un mois que s'il s'était agi d'une création nouvelle. Il est
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vrai que, cette fois, elle l'a travaillé avec Dumas, dont elle a écouté les conseils avec la docilité d'une débutante.
M. Alexandre Dumas, qui a fait un si violent réquisitoire contre le luxe des toilettes au théâtre, a pourtant beaucoup apprécié celles de Sarah Bernhardt, d'un grand luxe et d'une composition fort heureuse.
La première toilette d'Opéra est une merveille de richesse. Figurez-vous une jupe Louis XIII en drap d'or voilé de guipures anciennes, sur laquelle se relève en larges plis un brocart ivoire damassé d'or. Le corsage est orné d'un joli fouillis de guipures légères et de dentelles d'or.
Au second acte, on a surtout remarqué 1e manteau en velours indien aux tons de bronze, bordé de fourrure sombre. Quand Marguerite Gauthier rentre, enveloppée dans ce manteau et coiffée d'un chapeau de tulle d'or, il y a eu un long frémissement d'admiration dans la salle.
La troisième toilette est toute simple et ioute blanche, très gracieusement drapée et suffisamment champêtre. Comme contraste, la robe de bal est un peu excentrique, mais ingénieuse et neuve. Elle est en tulle paille brodée de perles aux reflets d'opales ; puis partout, autour du corsage, sur la traîne, des gerbes d'épis. Ce n'est plus la Dame aux Camélias, c'est la Dame au blé, mais la trouvaille est heureuse et d'un charmant effet.
Cependant, à toutes les toilettes que je viens de décrire, je préfère celle du dernier acte, une espèce de chemise en crêpe de Chine blanc sur laquelle on jette un peignoir-manteau tout garni de Thibct, une invention absolument exquise, d'une note très moderne, très étrange et 1 qui a eu énormément de succès.
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Au milieu du second acte, il y a eu un effet très imprévu, et qui. plus que probablement, ne se renouvellera pas aux représentations suivantes.
L'ouragan qui a sévi pendant toute la soirée a ouvert violemment les fenêtres du grand foyer qu'on a en vain essayé de refermer d'abord et qu'il a fallu clouer ensuite ; puis - sur la scène - un châssis vitré T qui se trouve dans le cintre, a été brisé par la force du vent et des éclats de verre ont couvert le théâtre.
Sarah Bernhardt, qui jouait à ce moment sa première grande scène d'amour avec Marais, a poussé un petit cri et. un instant, s'est arrêtée, toute interdite; mais elle a bientôt repris tout son sang-froid, et l'impression pénible ressentie par le public s'est complètement effacée à ces répliques si bien en situation :
- Ha fait beau aujourd'hui )
- Oui, très beau!
- Ce sera comme ça jusqu'à la fin de la lune î
A ce moment, par exemple, on a énormément ri : peu à peu on s'est habitué au grondement sourd de la tempête qui n'a plus paru qu'une sorte de trémolo accompagnant le dialogue d'une façon tout à fait mélodramatique.
Son Armand Duval de ce soir n'était autre que Marais.
Le charmant jeune premïer/qui, dès les premières représentations de NanaSahib, avait été sérieusement atteint d'une grave affection de la voix, a fait des prodiges pour se rétablir. Il s'est calfeutré chez lui, n'a reculé devant aucun régime, a suivi les traitements les plus énergiques et, finalement, a pu se trouver prêt à temps pour le rôle que depuis bien longtemps il avait grande envie de jouer.
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On n"a pas oublié que c'est à l'Odéon, dans les Danichcff, que M. Marais se révéla. Dumas porte bonheur au jeune comédien.
J'ai dit que les rôles les plus ingrats avaient été distribués à des chefs d'emploi. La preuve, c'est que Lafontaine a bien voulu se charger de celui du père Duval.
- Allons, disait Sarah pour le décider, en prenant sa voix la plus caressante, vous avez été mon père dans Froufrou, soyez monpresque beau-père dans/j Dame aux Camélias.
Pour Olympe- une quasi-figuration -on a choisi la très charmante et très élégante Mlle Davray; pour Prudence, M. Victor Koning a prêté Mlle Desclauzas.
Il y a longtemps que Dumas voulait avoir l'amusante artiste dans une de ses pièces. On a même affirmé qu'il avait eu l'intention de la faire engager aux Français par M. Perrin. En attendant il a été enchanté de lui confier le personnage de Prudence.
Tout naturellement, pendant qu'on avait Mlle Desclauzas sous la main, on a pensé à lui faire chanter la ronde du premier acte. L'ex-pensionnaire de la Renaissance s'est acquittée on ne peut mieux de cette tâche facile. Et, ce soir, pendant qu'on lui bissait sa chanson, M. Derenbourg murmurait :
- Ce n'est plus la Dame aux Camélias que nous jouons, c'est la Traviata.
Ce rôle de Prudence, comme presque tous les autres de la pièce, a été pris surle vif. La vraie Prudence s'appelait Mme P... et fut modiste rue Laffitte. Les mauvaises langues assurent qu'elle eut des désagréments avec la justice pour une infraction à la loi qui protège les mineures. Quoi qu'il en soit, dans les der»
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nières années de sa vie, elle eut la fantaisie bizarre de jouer Prudence au théâtre de Montmartre. Ce jour-là, les sifflets augmentèrent dans tous les bazars de Paris.
Et puisque nous voilà revenus aux souvenirs et aux anecdotes rétrospectives, voici de quoi compléter agréablement tout ce qui précède.
Au second acte de la Dame aux Camélias, Armand Duval écrit à sa maîtresse la lettre de rupture que l'on sait.
Le véritable héros de celte jolie histoire d'amour a retrouvé, ces jours-ci, dans ses papiers, la lettre vraie qu'il écrivit à Marie Duplessis, et il a bien voulu me la laissercopier.
La voici :
« Ma chère Marie, je ne suis pas assez riche pour » vous aimer comme je le voudrais, ni assez pauvre » pour être aimé comme vous le voudriez. Oublions » donc tous deux : vous, un nom qui doit vous être à » peu près indifférent; moi, un bonheur qui me de» vient impossible.
» Il est inutile de vous dire combien je suis triste, » puisque vous savez déjà combien je vous aime.
» Adieu donc. Vous avez trop de coeur pour ne pas ï> comprendre la cause de ma lettre, et t.op d'esprit » pour ne pas me la pardonner.
» Mille souvenirs,
» A. X.
» 50 août, minuit. »
Marie Duplessis renvoya la lettre roulée dans un ruban de la Légion d'honneur et accompagnée du petit mot railleur que voici :
« Quand on écrit des lettres pareilles, on mérite la eroix. >>
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Le plus drôle, c'est que ie jeune amoureux, autour de la lettre, eut réellement la croix - et qu'il la dut un peu à la Dame aux Camélias.
. UN MONSTRE DE BONTÉ
28 janvier.
Je passais boulevard Saint-Martin, cette après-midi, pleurant sur l'embarras des chroniqueurs, les jours où ils n'ont pas de sujet d'article, quand, devant le théâtre de la Renaissance, un petit tableau me frappa.
Un fiacre avait sa roue engagée sur le trottoir, et le cheval s'épuisait en vains eftbrts pour ramener le véhicule sur la chaussée. Soulevant la roue, un monsieur, chevalier de la Légion d'honneur, l'aspect d'un chef d'escadrons en bourgeois, employait toute sa vigueur musculaire pour aider la pauvre bête à démarrer.
- Mais, cher maître, lui dit quelqu'un, que vous importe cette voilure)
- C'est celle qui m'a amené, répondit le monsieur décoré, en tirant de plus belle.
- Vous êtes arrivé.
- Est-ce une raison pour ne songer qu'à moi et ne puîs-je aider ce pauvre cheval à sortir d'affaire)
- Le cheval!... intervint alors un marchand de billets, ah! malheur!... faites-le monter dans la voiture pendant que vous y êtes!
- Pourquoi pas ) s'écria Gondinet. Car c'était lui.
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Venu à la Renaissance pour causer de Mam'zelle Gavroche, il n'avait pu, selon son habitude, s'empêcher de négliger ses propres affaires pour s'occuper de celles d'une pauvre béte dans l'embarras.
Et remarquez que l'auteur du Homard, piéton infatigable, n'avait pris une voiture que parce qu'il était pressé.
C'est que cet auteur de talent possède, outre ses remarquables qualités d'homme de théâtre, de nombreuses qualités d'homme privé dont la principale est une bonté que rien ne déconcerte, que nulle ingratitude ne lasse, une bonté qui, comme celle du bon Dieu, dans Alhalie, s'étend
... sur toute la nature.
On sait qu'il possède une collection d'animaux qui transforment sa mystérieuse maison de campagne en une sorte de succursale du Jardin des Plantes. Toutes ses bêtes le ruinent ; ce sont elles qui dévorent ses droits d'auteur en pâtées, et il entretient des chiens, des chats, des ânes, des pigeons, des paons, comme d'autres entretiennent des danseuses ou des horizontales.
Fait-il partie delà Société protectrice des animaux) Je l'ignore, mais il serait digne de la présider.
Les anecdotes édifiantes formeraient une publication en plusieurs tomes.
Quelques-unes prises dans le tas.
L'autre semaine, il prend à la gare d'Orléans un de ces fiacres borgnes qu'on ne rencontre qu'aux débarcadères parisiens. Le cheval élique trébuchait à chaque pas, malgré les encouragements du cocher - un véritable Callot moderne - qui s'efforçait de lui don-
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ner un peu d'ardeur en le fouettant à tour de bras et en l'appelant « sale carcan ! » Impatienté, Gondinet met sa tête à la portière :
- Comment voulez-vous que votre cheval marche) s'écrie t-il, il n'a pas mangé...
- De quoi, de quoi, pas mangé)... il a eu sa suffisance, c'est un feignant, que je vous dis.
- Non, il n'a pas mangé... et je veux qu'il mange. Aussitôt dit, aussitôt fait. L'auteur s'élance hors du
véhicule, cherche une boulangerie, la trouve assez loin de là et revient avec deux livres de pain tendre.
A sa grande surprise, la triste bête ne touche pas à celte miche providentielle.
Un cheval affamé qui ne prend pas le pain : il y avait là une anomalie que Gondinet s'eftbrçait vainement d'expliquer, lorsque la voix gouailleuse du cocher vint le tirer d'incertitude :
- Vous êtes rien chouette, vous, avec votre pain!... Bijou n'a plus de dents !
- Alors, demanda le client déconcerté, pourquoi m'avoir laissé acheter ce pain)
- Parce que moi, j'en ai des quenottes, mon bourgeois, et que votre pain ne sera pas perdu pour tout le monde.
Une autre fois, un de mes amis rencontre Gondinet et le voit triste, soucieux, préoccupé.
- Qu'avez-vous donc) luîdemande-t-il avec intérêt, un quatrième acte qui ne vient pas)
- Oh! si ce n'était que cela... Vous savez que j'ai des chats que j'adore...
- Et des chiens que vous aimez beaucoup.
- Justement. Figurez-vous que mes chiens mangent mes chats.
- Mettez des muselières aux chiens.
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- Pauvres bétes, cela leur ferait mal.
-» Alors, sacrifiez vos chats...- laissez-les manger.
- Plutôt ma mort, protesta le bon auteur.
Et il promena mon ami de bourrelier en bourrelier, parcourant Paris pour trouver un système de muselière qui sauvât les chats sans contrarier les chiens. Recherches vaincs ! Aucun modèle, si breveté qu'il fût, ne put le satisfaire. Il trouvait bien des muselières qui auraient empêché les chiens de manger les chats, mais elles lui semblaient barbares pour les chiens; il trouvait aussi des appareils qui ne gênaient nullement les chiens, mais avec lesquels ceux-ci auraient mangé les chats avec grâce et facilité.
La muselière rêvée par Gondinet n'existait pas.
De guerre lasse, l'auteur de Gavaut, Minard fil construire au bout de son jardin un pavillon dont l'accès fut poliment interdit aux chiens et dans lequel les chats vivent heureux sous la maternelle protection d'une bonne femme payée pour cela.
Non moins affectueux pour les bipèdes que pour les autres animaux, Gondinet devait être fatalement exploité par ses semblables.
C'est ainsi que, depuis fort longtemps, certain bohème reçoit de lui, chaque année, un louis... pour renouveler, au Mont-de-Piétc, une reconnaissance sacrée :
Celle de la montre de Baudelaire.
- Celte montre m'a été léguée par le grand poète, lui répèle le bohème une fois l'an, avec des larmes dans la voix, la misère m'a forcé delà mettre au clou... je ne puis pas laisser vendre la montre de Baudelaire!
- Ni moi non plus ! répète Gondinet avec conviction.
Et il y va de ses vingt francs.
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La facilité avec laquelle il prodigue ses conseils aux jeunes et aux inconnus est déjà légendaire.
Toutefois, on abuse tellement de sa bonté en pareille matière qu'il a dû prendre des mesures pour condamner sa porte.
Un jour, cependant, malgré toutes les recommandations faites à son concierge, il trouve, en arrivant à Paris, une femme de lettres dont il redoute particulièrement les assiduités.
- C'en est trop ! dit-il le soir même au concierge, avoir laisse monter Mme X.... après les recommandations que je vous avais laites !
- J'aime mieux tout dire à Monsieur, balbutia le trop coupable Pipelet, cette dame me donne vingt francs pour oublier la consigne... et j'ai de la famille!
- C'est différent, répondit Gondinet ému jusqu'aux larmes, vous pouvez la laisser monter chaque fois... je ne veux rien vous faire perdre, mon brave.
Résultat : une collaboration forcée... cinq actes el un prologue!...
Au ministère des finances, notre philanthrope, alors sous-chef, avait un garçon de bureau qu'il chargeait de faire ses courses personnelles en dehors du service.
A la fin de chaque mois, il lui réglait en bloc se.', pourboires et ses déboursés. En outre, ce subalterne étant très friand de billets de théâtre, il lui donnai: souvent des demandes pour en obtenir.
Le 31 d'un mois, il s'aperçut que le petit livre où le garçon irscrïvait ce qui lui était dû portait plus de courses qu'il n'en avait noté de son côté. D'où venait cette différence)
- Monsieur oublie, lui objecta le garçon, qu'il m'a
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envoyé chercher plusieurs fois des places dans les théâtres.
- C'était pour vous !
- Les places, oui ; mais les courses étaient pour Monsieur.
Gondinet paya sans souiller mot, s'accusant in petto d'avoir fait une observation un peu cruelle.
Encore une fois, les faits semblables se comptent par centaines dans l'existence courante de Gondinet. Ceux qui l'aiment réellement, ses,amis, ses parents, ses proches, n'ont jamais pu l'empêcher de se faire ainsi plus ou moins duper. Il vivra toujours avec cette bienveillance naïve, et je conçois l'indignation d'un de ses jeunes et sympathiques collaborateurs, M. Ilippolyte Raymond, qui, après l'avoir vu faiblir vingt fois en faveur de gens qui ne le méritaient guère, s'écria :
- C'est abominable ce que vous avez fait là... Vous êtes un monstre...
- Moi! balbutia Gondinet très étonné, moi, un monstre...
- Oui... un monstre de bonté !
LE REPROUVE
' 30 janvier.
Vous n'êtes pas sans avoir rencontré quelquefois un auteur à la veille d'une de ses premières) En ce moment, il en circule plusieurs sur le pavé de Paris.
L'auteur est nerveux, agacé, préoccupé: un rien le
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met hors de lui; il a l'aspect sombre, le visage contracté, lVeil égaré; sa-mise est négligée, il y en a qui oublient de se faire faire la barbe.
le public ne comprend pas grand choseà çcttcagitation fébrile. Cette anxiété lui parait exagérée.
- Tout ça, c'est de la pose !
Voilà comment, en général, il résume son impression.
Le public est injuste. Il est injuste, parce qu'il ne sait pas. Il ne sait pas que ce n'est pas seulement de lui que le pauvre auteur a peur. Il craint la chute moins que les lendemains de chute.
Terribles, ces lendemains !
L'auteur dont la pièce n'a pas réussi a positivement l'air d'avoir commis une mauvaise action, un inavouable forfait, quelque chose de honteux et d'épouvantable.
Il y a, au bagne, dans les maisons centrales, des gens qui ont assassiné, volé, violé, coupé des enfants en petits morceaux, et dont on s'entretient avec moins de mépris, avec moins d'horreur, que du pauvre écrivain dramatique venant de subir un échec.
Ou ne se dit pas qu'après tout il a dû se donner du mal, qu'une pièce - quelle qu'elle soit - représente un travail long et pénible, qu'il n'avait pas l'intention d'embêter les spectateurs, que, si cela lui est arrivé, c'est bien malgré lui, qu'en somme mieux vaut encore faire une mauvaise pièce qu'un faux, par exemple.
Non, on est impitoyable.
On traite l'auteur de crétin et de gâteux.
- Il est fini, vidé, il n'a plus rien dans le ventre ! Ou bien :
- Il n'a jamais eu de talent ! Il n'existe pas! C'est le dernier des raseurs !
L'auteur a conscience de tout ce qui se dit de lui et
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autourde lui. Il sent peser sur lui des regards ironiques et des sourires dédaigneux. Il évite, pendant quelques jours, de reparaître dans les endroits publics. Il ne remonte pas à son cercle; c'est en tremblant et la tête basse qu'il entre à la Librairie nouvelle.
Et comme il a raison d'éviter les rencontres !
On a toujours des ennemis plus ou moins avérés, mais également féroces. Ceux-là ne résistent pas au plaisir de vous dire des choses très dures. Us n'ont que l'embarras du choix en fait de remarques désobligeantes : « Où diable a-t-il pris ce sujet ridicule ) Il pouvait faire moins mauvais; ça n'a pas de bon sens! C'est au-dessous de tout ! Il faut savoir dire la vérité aux camarades qui se trompent », et autres aménités charmantes.
Encore les ennemis sont de beaucoup les moins cruels.
Les indifférents, les gens de relations courantes et banales deviennent terribles.
L'auteur qui n'a pas réussi va croiser l'un d'eux. Impossible de 1 éviter. On est sur le même trottoir; on se rencontre souvent et l'on échange toujours quelques mots. Il faut donc faire bonne contenance. Déjà le pauvre écrivain a dompté sa mine maussade; il sourit sans avoir, comme on dit, l'air de rien ; il s'apprête même à tendre la main. Préparatifs inutiles : l indifférent s'approche, l'oeil plongé dans le vague, comme absorbé parde profondes méditations. Le voilà à deux pas de l'auteur; il va passer; il passe... Faux myope! il n'a pas vu ou plutôt il n'a pas paru voir. L'infortuné paria reste sur place, immobile, hébété, la main encore tendue dans le vide.
Quant aux parents, aux amis... ils disparaissent momentanément. Cette discrétion subite, inspirée par des scrupules fort louables, montre cependant au ré-
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prouvé à quel point il est abandonné de Dieu et des hommes ; cette charitable pitié lui semble parfois bien amèrc.
Trouvera-t-il du moins chez lui, dans l'intimité de son intérieur, sous le toit de son propriétaire, l'oubli de cet injuste opprobre) Pas même! Ceux qui le servent laissent tomber sur lui des regards éloquents et lui répondent sur un ton dont la politesse affectée déguise mal l'impertinent dédain. Sa bonne a parlé de son four avec tous les domestiques de la maison; sa cuisinière a lu le Vêtit Journal dont le compte rendu est sévère; elle en a approuvé la critique. L'auteur se sent honni, méprisé de tout ce monde. Même dans son domicile l'atmosphère qu'il respire est saturée d'hostilités subalternes. Il le sait et, malgré lui, il en souffre.
Mille et un détails le heurtent, le choquent. Où sont ses lettres) le concierge, si empressé, si obséquieux hier encore, n'a pas daigner les monter. A quoi bon des égards)... le préposé du cordon sait bien à qui il a affaire maintenant. Il a lu les injures dont on accable son indigne locataire dans tous les journaux qu'il reçoit pour la maison. Elles lui font l'effet d'une faible expression de l'odieuse réalité, et si l'auteur prend le parti de descendre chercher ses lettres, il peut être certain d'entendre l'impitoyable concierge dire assez haut pour être entendu :
.- Vrai !... C'était pas la peine de faire tant le malin avant !
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LA CHARBONNIÈRE
ji janvier.
Que faut-il faire pour ramener le public dans un théâtre discrédité )
D'abord une bonne pièce.
Mais cela n'est pas toujours suffisant. Il faut, outre la bonne pièce, inventer une attraction spéciale qui force l'attention. Ce clou nécessaire, MM, Hector Crémieux et Pierre Decourcelle ont pensé le trouver en faisant débuter Mme Pasca, l'une descomédiennes les plus distinguées et les plus aimées du théâtre moderne, dans l'emploi des mères de mélodrame que Mme Marie Laurent tient avec un si grand talent et une si incontestable autorité.
Le jour où M. Pierre Decourcelle, soumettant cette idée à son ami le directeur du Gymnase, lui dit :
- Je voudrais Mme Pasca pour jouer la Charbonnière.
Koning s'écria naturellement :
- Ça dépend du rôle.
- Eh bien ! répartit l'auteur, pour être plus sûr qu'il sera bon, aidez-nous à faire la pièce.
Et voilà comment M. Victor Koning, dont le nom ne figurera pas sur l'affiche, est cependant de l'affaire.
Représentation animée. Salle assez brillante, où je remarque la famille Alexandre Dumas, le comte Potocki, Mme Aubernon et beaucoup d'autres personnages de marque qu'on ne voit pas toujours aux premières de la Gaité. On ne se douterait guère que l'un des directeurs. M. Larochelle. vient de mourir et que
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l'on est dans un théâtre qui a dû faire relâche hier soir pour cause de décès.
La Charbonnière est un drame pittoresque, un spectacle très varié pour lequel le choix des milieux avait beaucoup d'importance. Aussi, les cadres des tableaux ont-jls été l'objet de la sollicitude spéciale des auteurs.
Il me suffira, pour raconter la soirée, de passer en revue les huit décors de la pièce.
PREMIER TABLEAU : La noce de Madeleine. -* Décor intéressant. L'arrière-boutique de la charbonnière avec vue sur la cour de la maison.
C'est le mariage de la fille de la patronne, PascaCatherine, c'est-à-dire de Madeleine (Mlle Malvau) avec Michel (M. Romain). Nopces et festins ! Une table aussi bien dressée que celle du fameux repas de l'Assommoir, h l'Ambigu, remplit le milieu de la vaste scène et réunit presque tous les personnages de la pièce.
Principal convive: M. Dumaine, qui fait son premier début dans les tambours-majors. Malgré sa haute taille et son grand bonnet, il représente un tambourmajor plus rond que long. Superbe prestance néanmoins. Auprès de lui, son tapin Narcisse, personnifié par M. Numès, un jeune et spirituel artiste qui vient du Palais-Royal et dont M. Koning a été si content, pendant les répétitions, qu'il lui a fait signer un excellent engagement pour le Gymnase. A M. Numès revient le périlleux honneur de chanter la ronde des Charbonniers, musique de M. Varney, qui a égalemçnt composé, et ma foi très adroitement, les deux autres morceaux intercalés dans l'ouvrage. .
Si j'ai bien compris l'idéc-mère du refrain de la
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ronde, les auteurs y expliquent que les charbonniers ne sont pas blancs.
Mme Pasca nous a prouvé le contraire, dès son entrée fort applaudie, La charbonnière de la Chat~ bonnière est débarbouillée et porte une robe de satin marron avec petit cachemire français, bonnet à fleurs et rubans, grande broche avec le portrait de « son défunt ».
Dans cette toilette, elle pourrait tout aussi bien représenter une quincaillière, une épicière ou une boulangère. Il est vrai qu'un jour de noce, quand on marie sa fille, ou est tout au blanc, même dans le charbon. Attendons ! Nous avons encore sept tableaux pour voir notre héroïne aussi noire qu'une négresse.
C'est au milieu de ce premier tableau qu'apparaît Mme Jane May en petite chanteuse des rues, tombant d'inanition dans la cour, avant d'avoir terminé sa romance. Avec ses cheveux blonds, tout défaits, l'intelligente artiste a l'air d'avoir seize ans au plus. Costume très bien composé et d'une indigence assez pittoresque.
Après son grand succès dans la Revue des Variétés, Mme Maya pu se montrer ce soir dans un genre tout différent. Je voudrais voir cette vaillante jeune artiste fixée une bonne fois dans un théâtre où l'on saura l'apprécier à sa valeur.
DEUXIÈME TABLEAU: Le Dois de Viucennes.- Artilleurs, lignards, sous-oflïciers et soldats y rencontrent naturellement les bonnes et les nounous de rigueur, qui s'en laissent conter par l'armée tout en poussant le petite voiture du mioche. Des enfants jouent ici et là et traversent la scène en courant les uns après les autres.
Dumainc apprend à de vrais tambours, engagés
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vs:
pour la circonstance, les rra et les jla que troublent les sonneries des clairons placés à la cantonade.
C'est ici que la charbonnière apparaît, avec toute sa famille, dans une tapissière qu'elle conduit et que traîne un malheureux cheval blanc.
Mme Pasca aussi est blanche. A la rigueur, cela s'explique encore, Elle se promène, elle va dîner sur l'herbe, jouet* à cache-cache dans le bois : son noir de tous les jours la gênerait.
Attendons encore ; après tout il reste six tableaux.
TROISIÈME TABLEAU : Le Magasin des Qualre-Saisons, -- Le hall immense d'un grandissime magasin de nouveautés. Au fond, l'escalier monumental laissant voir le premier étage où grouille tout un monde de clients ; devant l'escalier, les rayons du rez-dechausiée : gants, dentelles, parapluies, ombrelles. Les étalages sont 1res bien faits. A gauche, l'amorce d'une grande ga'erie, avec plusieurs guichets de caisse, tous numéro es. A droite, eUre deux allées surchargées de pyramides de soiries et d'étoffes, un superbe ascenseur qui ne cesse de monter et descendre marchandises et gens. Des acheteurs vont, viennent, s'arrêtent, circu'ent, achètent ou discutent incessamment. Inspecteurs et garçons de magasins parcourent la foule en tous sens. La mise en scène de ce mouvement réaliste est très heureuse et très bien combinée.
Vous savez combien il est difficile de recruter des figurants convenables; Koning se plaignait --à l'une des dernières répétitions -du pai d'élégance de ceux qui représentent les acheteurs et les acheteuses au Magasin des Quatre-Saisons.
- Celle-ci pourtant me parait assez bien ! lui dit Debruyère en lui montrant une grande personne qui,
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le dos tourné à l'avant-scène, se faisait essayer des gants à un comptor.
- En effet, répliqua Koning, où diable l'avez-vous prise ?
*- Ma foi, je n'en sais rie, c'est Baudu qui est chargé de cela.
A ce moment, lu figurante se retourna et l'on reconnut... Marie Ma^nier, qui, étant venue voir Mme Pasca, n'avait ru résister au plaisir de faire une petite plaisanterie.
C'est au Magasin des Quatre-Saisons que le drame se noue. Malgré l'endroit, un voisin grincheux trouve que ça manque de nouveautés.
Mme Pasca, quoique mise avec plus de simplicité qu'aux tableaux précédents, est plus blanche que jamais. Après cela, me direz- ous.elle vient pour voir sa fille dans son magasin, elle a dû se débarbouil er avant. Eile nous apprend aussi qu'elle se lance dans le commet ce en gros. C'est évidemment moins salissant. Et puis enfin il reste encore cinq tableaux,
QUATRIÈME TABLEAU : La loge de Pompon...'- C'est dans le théâtre de l'avenir que se trouve cet'.c loge-là. Aussi est-elle coquette et bien installée.
Un type de directeur. L'artiste Léon Noël a voulu reproduire la physionomie bien connue de M. Cantin, mais le directeur des Bouffes qu'il nous présente n'est pas des plus ressemblants. On le reconnaît à peine à son accent.
Trois types d'auteurs : un très vieux ; un mûr ; un tout jeune. Quels sont les trois collaborateurs auxquels ont pensé les auteurs de la Charbonnière?
Dumaine et Numès se font passer pour des rédacteurs de la Soirée théâtrale dans un journal dont le premier numéro doit paraître le lendemain. Aussitôt
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0!> LES SOIREES PARISIENNES
le directeur se montre familier avec eux et leur tape sur le ventre en leur recommandant de <* bien le soigner », M. Koning, directeur, et M, Pierre Decourcelle, ancien faiseur de Soirées, ont bien pris sur le vif ce petit tableau de moeurs théâtrales.
CINQUIÈME TABLEAU: La première d'une féerie. ~* Ici, plusieurs spectatrices, qui avaient déjà versé quelques pleurs sur les infortunes conjugales de Madeleine, sont un peu déroutées en entendant parler de la princesse Arc-en-Cicl, du princeCroquignole, et eu voyant entrer des petites femmes peu vêtues, portant les nouvelles boîtes réglementaires pour les ordures municipales,
Choeur de petits grooms anglais, - toujours par M. Varney.
Mme Jane May, en étoile de féerie, meurt subitement en essayant de chanter le « rondeau des amoureux »».
Il est dit que, dans la Charbonnière, cette agréable chanteuse ne chantera rien jusqu'au bout.
SIXIÈME TABLEAU : Chez la charbonnière. - Décor en deux parties : à droite, lequaidela berge du canal Saint-Martin avec un bateau de charbon amarré ; à gauche, la chambre de la charbonnière. Etant chez elle, Mme Pasca aurait le droit d'être aussi noire que le charbon qu'elle vend ; mais elle ne "songe guère à manier sa marchandise. Elle attend la police qui doit venir arrêter Madeleine, soupçonnée d'avoir empoisonné la pauvre Pompon. Elle ne se noircit que moralement en s'accusant d'un crime qu'elle n'a pas commis. Se noircirait-elle pour de vrai dans les deux derniers tableaux )
SEPTIÈME TABLEAU: L'infirmerie de la Maison Cen-
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JANVIER f>|
traie, - Il s'est écoulé cinq ans pendant le dernier entracte. On s'explique, cette fois encore, pourquoi Mme Pasca est si blanche. Depuis cinq ans, elle n'exerce plus pour cause de détention à Clcrmont. La propreté règne dans les prisons, et Mme Pasca n'aurait pas voulu se débarrasser du charbon qui recouvre, en général, les visages de charbonnières, qu'on l'eût contrainte à se débarbouiller.
Ce tableau encore très réaliste- un peu trop peutêtre - a vivement impressionné bon nombre de spectateurs et de spectatrices sensibles. Après la chute du rideau sur la mort affreuse de Pélagie (I lonorine) et l'attaque d'aliénation mentale de Mme Pasca, on parlait bas dans les couloirs de la Gaité - comme dans les couloirs d'un véritable hôpital.
HUITIÈME TABLEAU: A Saint-tMandé. -Au moins, cette fois, Mme Pasca a les meilleures raisons du monde pour ne pas être noire comme une charbonnière. Non seulement elle a fini son temps à Clcrmont, mais, en outre, elle n'a pu reprendre son commerce pour cause de folie persistante. Comme c'est le dernier acte, nous n'avons d'espoir de la voir en vraie charbonnière que si l'on s'avise jamais de lui écrire u i nouveau drame intitulé la Farinièrc.
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FÉVRIER
IIÉROMADE. - LA COSAQUE
i<r février.
Voilà encore qu'on nous sert deux premières le même soir, et deux premières également intéressantes, deux premières à sensation. Impossible de négliger l'une pour l'autre. Tâchons d'esquisser rapidement, et en style quasi-télégraphique, de façon à tout dire sans prendre trop de place, le double aspect de cette soirée en partie double.
Ilérodiade annoncée pour huit heures, Italiens.
La Cosaque commencera à neuf et demie, Variétés.
Possible de passer une heure place du Châtelet avant d'aller boulevard Montmartre. Décision prise par plusieurs de mes confrères.
Très belle salle chez MM. Maurel et Corti. Quelques mécontents : abonnés évincés auxquels on a promis représentations d"Ilérodiade avec Aime FidèsDevriès, et qui voient jouer cet opéra un vendredi soir, en dehors de l'abonnement. Seconde annoncée pour dimanche, et MmcAdlerne peut chanter oeuvre Massenet que quatre fois avant départ pour Monte-Carlo. Compte, il est vrai, nous revenir dans ce beau rôle de Salomé, mais en mars seulement: en attendant, abon-
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ti.VRlER Q?
nés se plaignent n'avoir pu assister à cette première qu'en payant seconde fois places qui le-jr coûtent déjà très cher.
Ai eu occasion parler longuement Ilérodiade quand fut jouée à Bruxelles, Nous disions ce soir, avant lever du rideau:
- Qui sait si allons retrouver impressions de làbas) A l'étranger, on se sent forcément plus indulgent pour compositeurs qui viennenty représenterait français. Les succès qu'on leurfaitont, malgré tout, petit fond de chauvinisme.
Mais public parisien a été encore plus chaud, ce soir, que public bruxellois. Dès premier acte s'est senti sous le charme. Représentation la plus complète, la plus belle, la plus triomphale qu'il y ait eu aux Italiens,
Premier décor en papier assez bien peint. Effet de soleil levant sur mer bleue. Costumes criards, mais pittoresques. Hommes de la caravane portent leurs étoffes et leurs joyaux dans malles de commis-voyageurs modernes. Mais tous ces petits détails s'oublient dès qu'on aperçoit Salomé représentée par la charmante Mme Adler. Jolie à ravir avec ses cheveux rouges défaits et sa robe bleue brodée d'argent. On est pris d'abord par la distinction de la femme, puis enthousiasmé par la chanteuse. On l'applaudit, on l'acclame, ce sont des ovations sans fin et des rappels dont l'écho a dû arriver jusque dans la loge de M. Vaucorbeil, à l'Opéra.
Maurel, magnifique Ilérode, avec superbe manteau rouge. Début d'un nouveau frère de Reszké: Jean, dans rôle de Jean. Remarquable ténor aujourd'hui. A chanté Figaro, il y a six ans, aux Italiens-Escudier. Physionomie très sympathique. A beaucoup plu tout de suite.
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91 LES SOIREES PARISIENNES
Variétés ;
Animation extrême, Rentrée de Judic, vraie fête parisienne. Revient de Russie et crée une pièce dont premier acte se joue en costumes russes; attraction de plus. Impossible retarder représentation parce que, à moins attendre huit jours, Cosaque passait plus un vendredi comme autres premières de judic depuis AVniche. Tout le monde superstitieux aux Variétés, Bertrand, auteurs autant que Chavanne. Dupuis autant que toute la maison réunie, y compris concierge, souffleur et garçon accessoires. Public lui-même habituéà ce que premières de la diva se donnent le vendredi,
icr acte. - Décor russe - joli, très bien décoré avec bibelots russes, étagères russes, images russes, meubles russes,tableaux russes accrochés par clous russes. A travers vitrage russe de galerie russe, vue très russe de plaine russe, couverte neige russe ; domestiques en costumes nationaux russes; beaucoup autres costumes et uniformes russes de fantaisie, tous plus curieux, plus pittoresques les uns que les autres,
Dupuis seul, pas Russe du tout. - Simple costume voyage de vrai Parisien de Paris, Est commis de grande maison, rue de la Paix (trousseaux, layettes et dentelles), venu pour apporter forte livraison Bruges, Malines et Valenciennes pour princesse Judic. Fait entrée originale qui est pas précisément entrée : quatorze cartons contenant des marchandises sont empilés dans un coin de la scène. Tout à coup, échafaudage boîtes s'écroule. Dupuis apparaît, derrière,réveillé en sursaut.
Mais, Dupuis à part, tous portent des costumes superbes: Lassouche, magnifique en uniforme blanc; Christian, aussi beau, mais rouge. M. Roux est vert. Bien entendu, les trois tenues militaires sont pas d'ordonnance, mais de pure fantaisie.
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i'EVRIER 9>
C'est M, Roux qui hérite rôle refusé par Baron, Héritage un peu lourd pour sympathique et consciencieux artiste, jadis très aimé à Saint-Pétersbourg, mais pas encore assez connu des Parisiens, Nécessité alléger sa tâche, Meilhae et Millaud parvenus à découper très habilement rôle en tranches, donnant petit peu à Christian, autre petit peu à Lassouche et laissant reste à Roux qui, au premier acte, n'aqu'une scène en langue russe (qu'il parle admirablement). On ne le voit presque pas au troisième acte et pas du tout au second.
Jolie entrée de tziganes eu ravissants costumes de délicieuse couleur...
Puis, triple salve d'applaudissements : c'est Judic, qui fait première apparition dans riche costume brocart rose reflet d'opale, semis boutons de rose au feuillage d'or grêles de perles et pierreries; pour manches, des rangs de perles; pour coiffure, un cacosçhnick (coiffure authentique et rapportée par elle de Russie) en diadème. Jetée là-dessus, pelisse à longues manches, en peluche vieux rose, ourlée de renard bleu.
Seule, de tous les Russes des Variétés, Judic a un accent léger, mignon il est vrai, mais très étudié, plein de grâce quoique donnant parfois à la phrase un petit je ne sais quoi de délicieusement impératif, de rude - de cosaque enï\n.
Chanson russe, naturellement. Un bijou que tout Paris chantera cet hiver. Judic, dans son dernier voyage, l'avait retenue de mémoire en écoutant Tziganes; Hervé a noté et instrumenté d'après ses indications.
C'est aussi du même voyage que diva rapporte second costume du premier acte. Toilette exacte de servante que Judic n'a eu qu'à faire ajuster parla couturière qui l'habille toujours avec tant de goût et
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«)0 LES SOIRÉES PARISIENNES
. 9 ,. . - . ,, .
d'adresse ; comme coilïure autre cacoschnick plus simple.
Pour revenir à chansons, on sait que, grâce à Judic, elles comptent toujours parmi clous importants de pièces Variétés. Serais presque tenté de les décrire comme décors ou costumes tant incomparable artiste y met de charme, d'art, de talent. Puis donc, sans empiéter le moins du monde sur compte rendu d'éminent collaborateur Vitu, signaler succès de a chanson russe (bissée) et celui du rondeau (également redemandé), où Judic imite successivement Van Zandt dans Lakmé. Paulus dans refrain café-concert et petites danseuses nègres d'Fxceisior. A propos L tkmé, Judic est enthousiaste de l'opéra de Delibes, l'a vu je ne sais combien de fois: d'autre part, Paulus et Manzotti venus aux Variétés fournir indications pour fin rondeau.
Fin premier acte, traîneau passe au fond avec Dupuis enlevant Judic ; cheval lancé à fond de train ; est encore fétiche. Noble animal a toujours porté chance aux Variétés.
Voyez plutôt Grand Casimir et (Mam'zelle Xitouchc.
Italiens :
Fête continue. On a intercalé tableau qui se jouait pas à Bruxelles et qui nous montre Maurel-IIérode couché sur coussins, comme Xana Sahib, dans pose homme souffrant d'une violente migraine. C'est dans ce tableau que se chante fameuse romance : \'ision fugitive devenue Visionc fugitiva. Grands applaudissements pour Maurel. Fa tire et Lassalle parmi plus enthousiastes.
Dans la salle, tous les interprètes Manon .-Heilbron, Talazac,Taskîn. Cobalet. Grivol, Danbé lui-même.On
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pourrait jouer Manon pendant entractes. Ou se contente d'en causer. Succès de la dernière oeuvre Massenet grandit à chaque représentation nouvelle.
Et justement on raconte que librettistes Manon, MM. Meilhacct Gille, ont reçu lettre de correspondant maussade qui leur reproche avoir traduit le Monsieur de G. M., dont abbé Prévost donne que initiales dans roman, par Guyot-Morfontainc. Pourquoi GuyotMorfontainerll existe, affirme lettre, des Morfontainc pouvant être pas contents de rôle ridicule et conduite assez canaille du personnage de ce nom, si bien joué par Grivot. Le signataircanonyme, insinue G. M., pouvait aussi bien se traduire par Gille-Meilhac. En effet, on peut, dans cet ordre idées, faire recherches curieuses et choisir, par exemple, Gustave Mathieu, Gustave Moreau, Gavaut Minard, GaudcMar, Gules Massenet.
Troisième tableau, entrée triomphale Vitellius, précédé des trompettes d'Aïda. Mise en scène pas très heureuse. Mais exécution plus belle que jamais cl trépignements à faire crouler salle. On jette d'une avant-scène de troisième étage énorme bouquet pour MmeTrémclli,maisc'estMme Devriès qu'on applaudit le plus fort. Jamais la grande cantatrice n'a été plus belle.
Variétés :
Deuxième acle de la Cosaque. A été refait en dix jours après première répétition générale qui avait pas paru satisfaisante.
Cependant, auteurs furent enchantés de contretemps imprévu, car Bertrand et Judic leur avaient dit:
- ("est bon signe!
- Pourquoi)
- Parce que déjà.aprèsrépélition Femme à Papa. on avait eu accroc trc"^§#*b*. Rôle prince Calabre
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f)H LES SOIRÉES PARISIENNES
convenait pas à Lassouchc et fut donné à Didier. Il fallut recommencer répétition générale, et pièce alla aux nues : bon signe! bon signe!
Meilhac et Millaud tenaient surtout à modifier cadre de leur acte qui se passait dans grand magasin de nouveautés comme tableaux de Pot-Bouille et Charbonnière. On a préféré magasin plus petit, élégante maison de dentelles et lingerie. Aussi décor très coquet, avec étalages de bon goût et piquantes demoiselles de magasin.
Amusante mais trop courte apparition de Juliette Baumaine en train d'essayer corsage; sous-jupe satin rose ouaté et... c'est tout.
Arrivée de Judic. Toilette simple, mais ravissante : robe drap bleu cobalt, jupe plate à panneaux droits avec simple broderie festonnée ; corsage uni, col et manchettes en batiste , grande redingote assortie, doublée surah pourpre, à grand collet et croisée sur la poitrine.
Chanson capitale de l'acte refaite comme le reste. Voici le premier couplet de celle que l'on chantait d'abord :
Des bons commis c'était l'modcle,
Quand un* cliente entrait, ach'tait
Vite il s'empressait autour d'elle ;
Il l'excitait, l'encourageait,
H l'emmenait à la lingerie, ,
Aux napp's, aux toiles d'Amsterdam,
A la merc'rie, à la gant'rie,
Au shirting, au madapolam ;
C'est lui qui portait les achats,
Marchant toujours, n'se lassant pas,
Et lui criant avec fracas :
t Et avec ça? » Vite mesurons le calicot.
Krtr... (îiruit de calicot qiïcn déchire.) Raccommodons le caraco !
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FEVRIER 99
Par malheur, Judic put jamais arriver imiter bruit calicot qu'on déchire.
On essaya sans succès confier importante partie du refrain aux choeurs. Auteurs firent une autre chanson, la Petite Jeanneton, et pourlaquelle se sont inspirés de vieille ronde tirée des Chants populaires de la France.
Encore un fétiche. Le procédé leur avait porté bonheur pour Cadet et Babel.
Italiens :
Premier tableau, troisième acte, triomphe mérité pour Tremelli. Laquais galonné lui apporte corbeille de fleurs en scène. Triomphe aussi pour ce laquais dont apparition, dans ce drame biblique, est tout à fait imprévue*.
Tableau du temple, même eflfet qu'à Bruxelles. Tout également applaudi : danse sacrée; air de Salomé et final bissés. Exécution vraiment splcndide. Loge de Mme Adler sur théâtre assiégée par foule enthousiaste. Maurel aussi très vivement complimenté. A bien mérité de l'art et des dileltanti pour cette magnifique soirée.
Dernier acte, duo ténor et Salomé acclamé par toute la salle. Après chute du rideau, on demande Massenet à grands cris. M. Maurel vient dire que compositeur n'est plus au théâtre.
Variétés :
Troisième acte de la Cosaque. Salon du vice-consul général de Russie donnant sur une serre qui a figuré dans presque tout les succès des Variétés (toujours le fétichisme) !
Figuration très soignée. C'est que s'agit représenter, comme le dit Dupuis, les membres les plus distingués de l'aristocratie européenne.
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Kto LES SOIREES PARISIENNES
Luxe énorme de décorations sur habits de Christian et Roux, soupçonnés par quelques spectateurs d'avoir dévalisé boutiques du Palais-Royal.
Judic porte une toilette de contrat : un ensemble nuageux formé de tout petits volants plissés en tulle avec des gros bouillons en marguerites courant sur le côté. Le corsage décolleté et la traîne en velours épingle ivoire doublés en salin blanc. Des marguerites en épauletteset dans les cheveux. A la main, un grand éventail en plumes blanches monté sur écaille blonde.
Propos de sortie.
Variétés : - Charmante cette Cosaque!
- Oui, elle a tous les dons!
Italiens : Le public, qui finit toujours par imposer ses volontés, vient de forcer, pour Ilérodiade, les portes de l'Opéra !
PEU CIIE?
4 février.
- Ilérodiade est un opéra fiançais, n'est-ce pas)
- MM. Paul Millict et Grémont, les librettistes, sont Français )
- Massenet est tout ce qu'il y a de plus Français)
- C'est une des gloires de la jeune école française )
- C'est un membre de l'Institut de France)
- Il est professeur au Conservatoire de Paris (France))
- Il demeure rue du Général-Foy, un grand général français)
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FÉVRIER lot
- Il a fait jouer Ilérodiade, pour la première fois, en français)
- Dans une ville de l'étranger où l'on parle surtout le français)
- Il a donné deux de ses premières oeuvres, MarieMadeleine et les Erinnyes, au Second-Théàtre-Français)
- Il vient de faire représenter, avec un grand succès, Manon, tirée d'un roman éminemment français)
- M. Maurel, qui chante Ilérodc, est Français )
- Mme Devriès-Adler est une chanteuse française, élève de notre grand ténor français Duprez)
- Les frères de Reszké, étant Polonais, peuvent être considérés par nous comme des Français)
- Mme Tremelli est née à Vienne, ville qui a un nom français (Vienne, Isère) )
- Le public du théâtre musical de la place du Châteletest français)
- Les musiciens de l'orchestre qui accompagne Ilérodiade sont tous des Français )
- Les actionnaires de MM. Maurel et Corti sont Français )
- Ils ont versé leur souscription en argent français)
- Les interprètes d'Ilérodiade viennent de prouver victorieusement que - quoique Français - ils chantent très bien en italien >
- Mais ne leur serait-il pas plus facile de chanter en français)
- Le public n'aimerait-il pas mieux les entendre en français )
- Ne les comprendrait-il pas un peu mieux en français )
- Alors, pourquoi cet opéra français, écrit par des librettistes français, composé par un Français, joué
0.
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102 LES SOIREES PARISIENNES
par des Français, devant un public français, n'est-il pas simplement chanté en français)
- Pourquoi)
- Per che)
RÉPONSE
- Per che otramente scraï impossibile di farc pagarc vingte-cinque lire per li fotogli d'orchestro !
LE PHILANTHROPE DE MONTÊLIMAR
5 février.
C'était un brave homme. Il habitait Montélimar. Il était bon comme le nougat de son pays. Avec cela, il adorait le théâtre, les gens de théâtre, les directeurs de théâtre et tout ce qui touche au théâtre. Très riche, veuf et sans enfants.
Voici ce qu'il avait remarque :
II y avait, à Paris, un tas de fondations charitables, d'eeuvres pieuses, de socîétésde bienfaisance.Les unes venaient en aide aux filles repenties, aux récidivistes, aux petits vagabonds. Les autres adoucissaient le sort des condamnés à temps, des forçats libérés et des braconniers en chômage. On s'occupait de secourir les chiffonniers sans ouvrage. On logeait les gens sans domicile. On allumait des fourneaux pour les affamés. On habillait les enfants pauvres. On médicamentait les malades indigents. Chaque corps d'état avait son organisation de secours mutuels. 'Seuls, les directeurs de théâtre étaient abandonnés à eux-mêmes.
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FEVRIER 10}
On lui avait pourtant bien souvent parlé, à Montélimar, des misères de quelques-uns d'entre eux. Celuici s'était ruinécn deux pièces. Celui-là avait mangé la fortune de sa famille et de tous ses amis. Un tel était mort de désespoir. Un autre tel s'était suicide. Et cela sans que personne au monde songeât jamais à les sauver.
Alors, il s'était dit ceci :
- Je vais aller à Paris. Je tâcherai de savoir quels sont, à l'heure présente, les directeurs malheureux, et je leur viendrai en aide. Ma fortune me le permet.
Aussitôt, il se mit en roule, emportant une forte somme.
A Paris, bien entendu, il ne voulut faire aucune démarche directe.
Le véritable philanthrope fait le bien discrètement.
- lime suffira, pensait-il, de vivre quinze jours de la vie parisienne pour savoir à quoi m'en tenir. Dès que je connaîtrai les directeurs nécessiteux, j'agirai.
C'était un homme de bon sens. Pour se renseigner exactement, il lut les Courriers de théâtre que publient les journaux du soir.
Et il y vit:
Chaque jour,
Invariablement,
- Que le théâtre de..... tenait un immense succès
avec le et avait encaissé dans sa semaine près de
quarante-cinq mille francs de recette ;
- Que la vogue de , au théâtre . ? , se ralentissait si peu qu'en une seule journée on avait fait quinze mille francs ;
- Que le théâtre des avait envoyé à la caisse
des Dépôts et Consignations une somme de cent cinquante mille francs, représentant la location d'avance pour la pièce en vogue ;
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!.>( I E-; --OIREIS PARISIENNES
- Que le théâtre du venait, avec sa pièce nouvelle, de faire dix mille francs de plus en deux jours que la pièce précédente n'en avait fait en une semaine;
- Et que tous les caissiers se frottaient les mains, et que toutes les préposées à la location étaient sur les dents, et que toutes les pièces s'acheminaient allègrement vers la deux-centième, et que tous les directeurs étaient plus heureux les uns que les autres.
Alors il retourna à Montélimar, remportant la forte somme.
LA JEUNESSE DU ROI HENRI
6 février.
Tous les dix ans, la Jeunesse du Roi Henri s'impose. Créé en mars 1864, au Châtelct, repris il y a dix ans, en novembre 1874, pour l'inauguration de l'Historique d'en face, le drame de Ponson du Terrail devait reparaître fatalement dix ans après, en 1884.
Cette troisième exhibition décennale vient d'avoir lieu: nous voilà donc tranquilles jusqu'en 1894.
A la création - il y a vingt ans ! - on avait beaucoup parlé du luxe de la mise en scène et notamment de la chasse du quatrième tableau.
Un peu surpris par le demi-succès d'estime de PotBouille, M. Simon n'a pas cherché à effacer le souvenir des'splendeurs d'autrefois. Il y a du reste, dans les magasins de l'Ambigu, un certain nombre de décors que l'on revoit toujours sans trop de déplaisir, comme de vieilles connaissances, et qui permettent d'improviser une reprise quelconque sans prodigalités ruineuses.
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FÉVRIER l<»ï
11 serait injuste de méconnaître que la direction a employé, en location d'animaux, une partie des sommes économisées grâce aux décors et aux costumes du répertoire. Le quatrième tableau, celui de la chasse, est agrémenté d'une cavalerie telle qu'on n'en vit jamais sur cette scène de dimensions vraiment lort restreintes. Dix chevaux, ni plus ni moins! Aussi, eut-on beaucoup de peine à les faire marcher en scène; il fallut leur marquer les planches sur lesquelles chacun d'eux devait poser le sabot. Cela n'allait pas tout seul; certains quadrupèdes avaient la tète un peu dure, et ne comprenaient rien aux indications du régisseur. On ne put même venir à bout des plus récalcitrants qu'en leur flanquant des amendes sur leur ration d'avoine.
Ce soir, ces fiers coursiers se sont assez bien comportés. Le trac les matait un peu. Celui que montait M. Paul Dcshayes s'est même réfugié dans les coulisses, à la première vue du public et des feux de la rampe. Son cavalier a eu toutes les peines du monde à lui faire reprendre la réplique.
Plus doux étaient les chevaux de MM. Gravier et Montai, qui, du reste, les ont montés avec une autorité toute loyale.
Mais pourquoi Mlle Cécile Bévalet, qui cette fois joue une grande dame, se tient-elle en selle comme une grisette en partie d'âne à Montmorency)
La meute de la Jeunesse du Roi Henri ne rappelle que de fort loin celle de la Jeunesse de Louis XIV. cependant elle a obtenu, au moment de la curée, un triomphe relatif qu'auraient pu lui envier certains interprètes, dans cette soirée où toutes les manifestations n'étaient pas également bienveillantes.
On avait déjà fait, au tableau précédent, un excellent accueil aux petits chiens du roi Charles IX. trois
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IOÔ LES SOIRÉES PARISIENNES
adorables toutous âgés de quelques semaines, et qui répondent déjà aux noms de Sem, Cham et Japhct. Le croirait-on ? c'est ce dernier qui est le plus grincheux, le plus méchant des trois; les deux autres ont le coeur sur la patte.
En somme, il était sut tout question, pendant les entractes, des souvenirs de la création.
Ceux qui ont vu la pièce il y a vingt ans rappelaient le grand succès qu'y remporta, comme jeune première, Mlle Desclauzas, l'incomparable Prudence de la Dame aux Camélias d'aujourd'hui. On parlait également de ce pauvre Desrieux dans le personnage héroïque d'Henri de Navarre.
Parmi ces créateurs, que d'oubliés et de disparus ! D'autres, il est vrai, n'ont pas cessé d'occuper le public. Mlle Marie Colombier était également de la première Jeunesse en 1864; c'est parle rôle de Paolo qu'elle débuta au théâtre, après le Conservatoire.
Est-ce à cause de ces évocations du passé, mais c'était à qui chercherait des cheveux blancs à l'oeuvre même, dont un critique qualifiait ainsi la seconde reprise : « La vieillesse de la Jeunesse du Roi Henri. »
UN SOUPER POUR DEUX
8 février.
Une note officielle, insérée par mon collaborateur Prével dans son courrier de ce matin, nous annonce que le souper de la centième de François les bas bleus est ajourné à la cent cinquantième, ce qui permettra - dit ce document administratif- de réunir autour de la même table les pensionnaires de M. Gautier et ceux de M. Brasseur.
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FÉVRIER 107
Ainsi sera fêtée, parla même occasion, la fusion des Folies-Dramatiques et des Nouveautés dont tous les artistes sont frères comme les directions en sont soeurs.
Cette innovation, qui réuniten une seule deux solennités également louchantes, me parait fort heureuse. Il y a même quelques progrés à réaliser dans les applications futures. Le système se prête à une foule de combinaisons.
On pourrait, par exemple, quand les Nouveautés auraient joué une opérette cinquante fois, tandis que les Folies seraient arrivées au même chiffre avec une autre pièce, faire une petite addition (50 -f- 50 = 100), et parvenir à célébrer ainsi une centième au total. Il est vrai que ce serait contraire à la sage économie qui préside aux bonnes gestions théâtrales.
Mais je crois que MM. Brasseur père, Jules Brasseur fils, Gautier et Micheau fils procéderont d'une manière toute opposée.
Ils attendront - je suppose - la 150e de l'Oiseau bleu pour féter la 150e de François les bas bleus. Jamais fusion de souper ne se présentera dans des conditions aussi logiques.
On enverra, sur des cartes bleues, des invitations ainsi conçues :
MSt. BRASSEUR pire, Jules MASSEUR fils, GAUTIER 6- MICHEAU fils Directeurs { DES NOUVEAUTÉS
du théâtre ( DES FOLIES-DRAMATIQUES
priait M de venir souper avec eux
à l'eccasion de la i/o* représentation de : L'Oiseau i ..
blfius François les bas '.
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IOS LES SOIRÉES PARISIENNES
Le souper sera servi d'une façon toute nouvelle et conformément au principe adopté.
Exemples, au hasard des menus :
Boeuf aux épinards. - Les Nouveautés mangeront le boeuf cl les Folies se contenteront des épinards ;
Sole a*ux crevettes. - Par compensation, les Folies mangeront la sole, tandis qu'à leur tour les Nouveautés n'auront que les crevettes.
Le reste des services à l'avenant.
Au dessert, quand sonnera l'heure des toasts de rigueur, voici comment se chantera, entre auteurs et directeurs, le fameux couplet de circonstance :
AIR de Y Apothicaire.
M. LECOCQ, levant son verre Pour célébrer notre succès,
M. MESSAGER, même jeu Amis, chacun ici s'empresse ;
M. fiURAxi, même jeu Ker.ercîons en bon français,
M. CHIVOT, même jeu Les interprètes et la presse.
M. DURU, même jeu Nous pouvons être heureux.
M. DUBREUIL, même jeu
Morbleu !
M. LECOCQ., même jeu François l...
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FEVRIER l«>*)
M. MESSAGER, même jeu
L'Oiseau !...
Tous LES DIRECTEURS, même jeu
Belles affaires,
M. BRASSEUR, même vu
Sur l'affiche mettent du bleu.
M. HUMBERT, même jeu
Et du Champagne dans nos verres !
Tous, trinquant et reprenant
Sur l'affiche mettent du bleu
Et du Champagne dans nos verres I
Enfin, lorsque les danses prendront un caractère (selon leur vieille habitude), les deux chefs d'orchestre, Genget Thibaut, réunissant leurs musiciens, dirigeront ensemble l'exécution des motifs entremêlés des deux pièces cent cinquantenaires.
Selon le cérémonial constant de la petite fête pour deux, les pas se partageront ainsi :
Les artistes des Folies danseront la pol %
ceux des Nouveautés la ka.
Puis après :
Les artistes de Nouveautés le qua
ceux des Folies le drille.
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MO LES SOIREfcS PARISIE.NNfcS
LE LUNCH DU SUCCÈS
0 février.
Jusqu'à présent, le meilleur moyen connu par les auteurs, pour avoir un succès au théâtre, était des plus simples - en principe.
Il consistait à faire une bonne pièce.
Pour faire cette bonne pièce, il suffisait, d'ailleurs, de choisir un sujet original, scénique et attachant; puis de le développer d'une façon habile; d'en tirer des situations intéressantes, des coups de scène imprévus; d'y tailler des rôles magnifiques ; d'écrire le dialogue avec talent, esprit et netteté ; de faire preuve d'une gaieté franche et communicative dans les scènes comiques et de traiter les situations touchantes ou dramatiques avec une passion vraie, panachée d'une sensibilité généralement exquise.
Aujourd'hui, cela ne suffit plus.
Que faut-il donc encore >
C'est ce que nous apprend un journal au sujet de la Flamboyante que l'on répète actuellement au Vaudeville.
D'après mon confrère, lés auteurs de l'oeuvre en question auraient remarqué que, chaque fois qu'on lunchait pendant les répétitions d'une pièce, ladite pièce allait aux nues le soir de la première et même les soirs suivants.
Dés lors, sitôt que leur Flamboyante fut mise à l'avant-scène, ces Messieurs n'eurent plus qu'une pensée : faire luncher leurs interprètes.
Et chaque jour, sur la scène du Vaudeville, les ar-
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I i.VHIKU 11 I
listes, bourrés de gâteaux, de massepains, de sandwichs par les auteurs, répètent en échangeant, la bouche pleine, des répliques joyeuses ou sentimentales.
Rien n'est plus contagieux, au théâtre, que la su~ pcrstition.
Pour peu que la Flamboyante s'avise de justifier à son tour cette légende par un succès, le lunch va faire fureur aux: répétitions.
C'est un fétiche qui en vaut bjen un autre.
Je devine d'ici l'auteur anxieux offrant un pain fourré au premier rôle :
- Prenez donc !... c'est du foie gras.
- Non, merci, je sors de table.
- C'est si bon !
- Ça me ferait du mal.
- Qu'importe!... Ça fera du bien u ma pièce. Ou bien s'adressant à l'ingénue :
- .Mademoiselle, un peu de Xérès...
- Je ne bois jamais du vin entre mes repas, Monsieur, et puis je n'ai pas soif.
- C'est si bon !... Buvez sans soif.
- Croyez-vous donc que je m'adonne à l'ivrognerie?
- Ah ! vous me désespérez!... Ma pièce est flambée!
Il est évident que le succès grandirait avec l'importance du lunch, je crois qu'il deviendrait même urgent de dresser un tableau proportionnel.dans le genre de celui-ci :
Gâteaux secs, vins de Bordeaux : '30 représentations. Gâteaux assortis, Marsala : 50 représentations.
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II.» M.s Solkt.KS l'AItlSIKWK-i
Gâteaux, sandwichs, Madère : 70 représentations.
Gâteaux, sandwichs, petits pains au foie gras, Malaga : 80 représentations.
Gâteaux, sandwichs, petits pains au foie gras, bou* chées aux crevettes, petites timbales milanaises. Thé et vins d'Kspagne variés : 100 représentations.
Gâteaux, sandwichs, petits pains au foie gras, bouchées auxcrevettes, petites timbales milanaises, viandes froides, aspic. Thé, vins d'Kspagne, Romanée dans les carafes : 150 représentations.
Quand il y aura eu des extras, tels que Champagne frappé, fruits en hiver, primeurs de toute sorte, ce sera le maximum assuré (avec l'excédent de rigueur) pendant deux ou trois cents représentations.
Seul inconvénient. Dans certains cas, lorsque la pièce comportera une distribution nombreuse et que les études dureront trois ou quatre mois, l'auteur aura dépensé d'avance, pour gaver tous ses interprètes, l'argent que pourra lui rapporter son triomphe.
Il est vrai qu'il lui restera la gloire.
OESSLKR EXPLIQUÉ
11 février.
J'ai bien fait d'aller ce soir à l'Opéra entendre Guillaume Tell I
D'abord, j'adore la partition de Rossini ; ensuite, les interprètes actuels du vieux chef-d'oeuvre sont excellents; enfin - et c'est pour cela surtout que j'ai bien fait d'aller entendre Guillaume, à l'Opéra, ce soir - je crois avoir trouvé enfin l'explication d'un point
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I i:vtm:it 11 ï
important qui me préoccupait depuis longtemps, et qui a dû préoccuper d'autres que moi.
Toutes les fois que j'ai vu Guillaume Tell, je me suis demandé pourquoi les librettistes de Jouy et Bis avaient fait Gessler si méchant.
Ce caractère m'avait toujours paru insuffisamment expliqué.
Le gouverneur de l'Ilelvétie pourrait aussi bien être un brave homme, joyeux d'avoir été envoyé par l'Kmpereur, son maître, dans un des plus charmants pays du monde, ne songeant qu'à se rendre populaire, doux pour les vieillards, aimable avec les femmes, bon et tendre envers les enfants. Il a des administrés qui ont l'air fort agréable, presque toujours en fête - ce qui indique de très heureuses natures ; - il devrait vraiment se montrer satisfait de son sort et faire ce qui dépend de lui pour plaire à tout le monde.
Au lieu de cela, il rage du commencement à la fin. Il n'entre en scène qu'en fronçant les sourcils; il n'ouvre la bouche que pour proférer des menaces ou pour donner des ordres d'une inexplicable rigueur; il a constamment l'air grognon et n'est pas bon à prendre avec des pincettes.
Pourquoi? C'est ce que je me demandais. C'est ce que chacun a dû se demander, au moins une fois dans sa vie, depuis que l'on joue Guillaume Tell.
Et c'est ce que je crois avoir découvert.
Vous avez remarqué que tous les décors de l'opéra rossinien sont ensoleillés, éclatants de verdure et de fleurs. Les habitants d'Altorf sont vêtus d'étoffes légères; les Suissesses qui se livrent aux plaisirs de la danse sont presque toutes décolletées; au premier acte se chante la barcarolle célèbre :
Accours dans nu nacelle!
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Il) LES SOIREES PARISIENNES
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ce qui indique, comme tout le reste, que nous sommes en été, car on ne fait pas de parties de canot lorsque les lacs charrient des glaçons. De plus, les jeunes gens tirent à Tare ; en hiver, ils auraient les doigts gelés et seraient dans l'impossibilité de montrer leur adresse.
Enfin, il n'y a pas à discuter, l'action se déroule en été, en plein été.
Et, cependant, Gessler est couvert de fourrures. Son vêtement de velours très épais est bordé et probablement doublé de martre plus ou moins zibeline.
Donc, il a froid.
Et il est agacé d'avoir froid quand tout le monde a chaud.
N'essayez pas de vous demander pourquoi Gessler est seul à avoir froid en plein été; c'est inutile; le point important, le point qu'il convenait de fixer, c'est qu'il a froid, qu'il est seul à avoir froid, que personne n'a froid autour de lui et que cela le rend méchant. Il en* rage de voir partout des Suisses qui ont chaud, alors qu'il gèle et qu'il est obligé de mettre sa fourrure.
Et voyez comme le reste du livret découle logiquement de ce point de départ.
Gessler n'a que l'embarras du choix parmi les mille et une espèces de vexations qu'il pourrait infliger aux bons Suisses.
Quelle est celle qu'il choisit ?
Il exige que ses administrés se découvrent, en plein air, devant sa toque qui se balance en haut d'un mât.
Evidemment, il espère que ces braves gens auront froid comme lui - qui sait, peut-être, qu'ils s'enrhumeront.
Tell est un chaud patriote, et c'est ce qui l'exaspère.
Chacun tremble quand le père enlève la pomme sur la tète de son fils, et évidemment Gessler a compté sur cette petite émotion pour jeter un froid.
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EfcVKIEK 115
Placez-vous à ce point de vue, et vous trouverez, dans le poème de MM. Jouy et Bis, des beautés en» core inconnues.
Comme j'ai donc bien fait d'aller, ce soir, à l'Opéra, entendre Guillaume Tell !
USE PREMIERE DE SIEIUIAC
i; février.
Une vive émotion a régné toute la journée, place de la Madeleine. Dès le matin, les voitures s'y succédaient, s'arrêtant devant le numéro 10, stationnant autour de la petite fontaine qui décore la place, prolongeant leurs triples files jusque dans la rue Royale, si nombreuses et si encombrantes que, dans l'aprèsmidi, les omnibus ont dû prendre par la rue Duphot.
- Qu'arrive-t-ildonc ?se demandaient les passants.
- Un riche mariage, probablement.
Mais le suisse de la Madeleine avait déclaré qu'il n'avait entendu parler de rien, en ajoutant ces paroles dédaigneuses :
- A moins que ce ne soit un mariage civil!
Ah ! si les passants avaient pu savoir ce dont il s'agissait.
Depuis la veille, une nouvelle étrange, imprévue, incroyable, s'était répandue dans Paris.
Henri Meilhac, le plus Parisien des Parisiens, le boulcvardier obstiné et enragé, Meilhac qui n'avait jamais quitté Paris que pour aller à Saint-Germain en
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Il6 LES SOIRÉES l'AKISlEXXES
voiture, Meilhac qui passait sa vie à déclarer que le plus beau panorama du monde ne valait pas la vue dont il jouissait des fenêtres de son appartement sur le marché au fleurs de la Madeleine, Meilhac partait pour l'Italie, pour Naples, et les mieux informés ajoutaient ce détail inouï qu'il s'y rendait d'une seule traite. On se racontait qu'il avait été pris subitement d'une envie folle de voir Pompéi, de se promener dans la maison de Diomède, d'aller rêvasser dans le temple d'isis.de fouler les jardins du théâtre grec en songeant à la Belle Hélène
Personne n'en voulut rien croire, et c'est parce que le fameux Tout-Paris que vous savez a voulu connaître l'origine de ce que l'on prenait pour une colossale mystification, qu'un défilé ininterrompu de fiacres, de landaus, de dog-cars et de coupés capitonnés a interrompu aujourd'hui la circulation sur la place de la Madeleine.
Les visiteurs se sont précipités en masse dans l'escalier qui mène au premier de Meilhac. A deux heures, on s'y écrasait littéralement. Rien ne paraissait changé dans la maison. Evidemment, le bruit de ce départ était faux. Peut-être Meilhac allait-il à Dijon, mais à Naples - jamais !
Des l'entrée de son appartement, pourtant, il fallut se rendre à la stupéfiante vérité.
Il y avait une valise dans cette entrée et, auprès de la valise, Ernest, le fidèle valet dechambre, répondant aux interrogations de tous :
- C'est vrai, je vous assure que c'est vrai !
Puis, il n'y avait pas que la valise et l'affirmation d'Ernest. Il y avait le billard couvert d'une housse, la bibliothèque fermée; il y avait Meilhac lui-même en tête-à-tête avec une énorme malle toute neuve.
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EEVRIEU II*
A ceux qui arrivaient, il disait :
- Comment cela se fait-il donc, une malle ? Moi je ne sais pas, Ernest non plus ; depuis le temps qu'il est chez moi... il a oublié, ce garçon! Me conseillezvous de mettre les chaussures sur les chemises ou les chemises sur les chaussures >
Et on lui donnait un coup de main.
BischoAsheim l'aida à plier les redingotes, Narrey lui apporta les pantalons, Cartier plaça les chemises, Delavigne les faux cols, tandisquelepèrel>upin voulait à toute force faire entrer deux queues de billard dans la malle.
- Vous verrez que vous n'en trouverez pas une convenable là-bas, murmurait-il. Le général Championnet me l'a raconté cent fois. « A mon entrée à Naples, me disait-il, je fus surtout embêté de n<$ pouvoir jouerau billard, faute de bonnes queues. Si j'avais su, je me serais précautionné d'avance ! »
Quand la malle fut faite, llalévy entraîna son ancien collaborateur dans un coin pour lui apprendre quelques mots d'italien, tandis que Cille lui fourra des guides dans toutes ses poches.
Vers six heures, Meilhac monta dans un simple fiacre avec son ami Reboullaud, qui partait avec lui. Beaucoup d'autres voitures suivaient, emportant les fidèles, les collaborateurs et quelques charmantes artistes appartenant à divers théâtres.
- La voilà enfin, la noce! dirent les badauds qui stationnaient depuis le matin pour essayer de savoir ce qui se passait.
Les voitures s'éloignèrent rapidement dans la direction de la Bastille.
Boulevard Beaumarchais, Meilhac donna quelques signes d'impatience. Mais il sut se contenir. C'est seu-
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U$ LES SOIRÉES PARISIENNES
lement en passant devant la colonne de Juillet qu'il laissa échapper cette exclamation :
- C'esttout de même bien long, les voyages! Cinq minutes après, on était à la gare de Lyon.
L'obligeant et charmant chef de gare, M. Regnoul, avait mis un salon spécial à la disposition du voyageur. C'est dans ce salon qu'eurent lieu les adieux, scènes touchantes que le défaut d'espace seul m'empêche de raconter. Disons seulement que des marchands de billets avaient trouvé le moyen de vendre très cher, à de simples curieux, des cartes qui leur ont permis d'assister au départ de Meilhac.
Enfin, quand l'auteur eut pris place dans le compartiment qu'on lui avait réservé, les artistes de l'OpéraComique entonnèrent un chceur, composé pour la circonstance par M. Massenet, avec soli par Marie I leilbron et Talazac.
- TélégrapMez-moi les recettes de Ma camarade, de fSlanon et de la Cosaaue ! s'écria le débutant voyageur en se penchant à la portière.
Le chef de gare donna le signal du départ. Un fort coup de sifflet retentit. Alors Meilhac, se tournant vers son compagnon de route, lui dit d'un air consterné :
- Cela commence mal ! Si nous descendions?
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l'KVRIER I £9
DÉDICACES EX MUSIQUE
15 février.
Le Figaro a reproduit, il y a deux jours, les/ïcsimile des dédicaces en musique que M. Massenet a mise en tête des exemplaires de sa partition de Manon.
M. Massenet n'est pas l'inventeur du genre.
Après Lahmé, Léo Delibes envoya son opéra à Van /.andt, en transcrivant sur la première page les deux vers du troisième acte :
Tu m'as donné le plus doux rêve Qu'on puisse avoir sous notre ciel.
Avec la musique, bien entendu.
M. Massenet a suivi l'exemple de son charmant confrère, et il est plus que probable que d'autres compositeurs suivront l'exemple de M. Massenet.
Que dis-je? Il n'y aura pas que les compositeurs.
Ce n'est pas précisément facile de trouver une formule nouvelle pour les dédicaces d'auteurs à artistes.
M'est avis qu'on pourrait, pendant quelque temps du moins, adopter celle-là.
Vous me direz que tout le monde n'est pas musicien. C'est assez vrai. Mais les simples auteurs dramatiques , au lieu de puiser dans leur propre fonds, n'ont qu'à faire leur choix parmi les morceaux des autres, plus ou moins consacrés par la popularité.
Exemples :
Les auteurs de la Farandole enverront le livret de
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UO ILES SOIREES PARISIENNES
leur ballet à Rosita Mauri avec cette dédicace en musique :
Sur le pont d'Avignon Tout le monde y danse, danse.
A. M. Febvre, l'amiral de Smilist\\. Aicard écrira:
La prit trop jeune, Bientôt s'en repentit.
Et à l'innocente Reichemberg, élevée par des marins:
Papa, les p'tits bateaux Qjui vont su/ l'eau, Ont-ils des jambss?
François Coppée à Lambert fils, dont le père est minotaurisé d'une façon si tragique dans Severo Torelti:
Cocu, cocu, mon père, C'est la faute à ma mère !
Les auteurs de la Cosaaue à Mme Judic :
Chantez, chante?, ma belle, Chantez toujours!
Les auteurs d'Jle'rodiade à M. Maurel:
C'est bien fait, VU c'que c'est. Fallait pas qu'y aille !
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EEVRIER lîl
M. Ohnet à M. Damala, le mari récalcitrant du Maître de forges:
Il y en avait un qui n*voulait pas !
Le même Ohnet à la Charbonnière de la Gaitê, en tête de la brochure récemment parue de Serge Panine :
La boulangère a des ccus.
Les auteurs de Ma Camarade à Mathilde, leur amusante tireuse de carte:
La bonne aventure, 0 guc, La bonne aventure !
MM. Chivot et Duru à Marguerite Ugalde:
Il est tard, et ton ami L'oiseau bleu s'est endormi.
Les héritiers de Ponson du Terrail à la meute de la Jeunesse du roi Henri ;
Allons chasseur, Vite en campagne !
Alexandre Dumas fils à Mlle Brandès :
Garde bien la fleur Qui cache ton coeur.
Et le même à Lafontaine, qui, à propos de sa scène
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t-îi 1-ES SOIREES PARISIENNES
de la Dame aux Camélias, a soulevé toute une question de chapeau :
As-tu vu la casquette, la casquette ?
Le champ est vaste, comme on voit, et assez facile à explorer.
Voilà, en tout cas, un petit jeu nouveau de trouvé pour les quelques soirées d'hiver qui nous restent.
DÊRUT DU TÊXOU GAYAMiÊ
16 février.
Sans vouloir dire aucun mal delà partition de Donizetti, il m'est permis d'affirmer que ce n'est pas la reprise de Lucrezia Borgia qui avait allumé la curiosité du public extrêmement élégant qu'on voyait, ce soir, au Théâtre-Italien.
Curiosité très vive ; émotion si grande que - pendant les entractes - on ne pense même pas à parler de l'incident Adler-I lérodiade-Maurel-Hartmann-Corti et Cie.
Dans toutes les conversations, on n'entend qu'un nom qui revient sans cesse :
- Gayarré! Gayarré!! Gayarré!!!
C'est qu'on l'attend depuis longtemps, le début du chanteur célèbre dont les gazettes de l'étranger nous ont, à mille reprises, chanté les éloges.
Depuis longtemps, toutes les fois qu'on parlait d'un
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FÉVRIER I * {
ténor quelconque et qu'on s'extasiait sur sa voix, il se trouvait quelqu'un pour s'écrier :
-*» Tout ça n'est rien auprès de Gayarré! Ah! si vous aviez entendu Gayarré!! Tant qu'on n'a pas en^ tendu Gayarré, on n'a rien entendu!!!
Le monde entier, l'ancien et le nouveau, connaissait Gayarré ; le monde entier l'avait applaudi et fêté; Paris seul n'avait pas encore été à même d'apprécier son talent..
Un instant, il y avait eu de l'espoir. C'était à l'arrivée au pouvoir de M, Vaucorbeil. On dit alors qu'Ambroise Thomas avait exigé l'engagement de Gayarré à l'Opéra pour créer Paolo dans Françoise de Rimini. Et, en effet, il y avait eu des pourparlers entre le célèbre artiste et la nouvelle direction. Mais on ne put s'entendre. Gayarré nous échappait encore une fois. Pour adoucir l'amertume de leur déception, quelques dilettanti enragés firent tout exprès le voyage de Madrid où le grand ténor brillait au premier rang,
Enfin, ce que l'Opéra n'a pu faire, MM. Maurel et Corti le font. La brillante révélation du célèbre artiste, dont tout Paris parlera demain, et que tout Paris voudra aller applaudir, restera, avec la représentation d'Hérodiade, à l'actif de la direction italienne, et si les abonnés se plaignent encore c'est que vraiment ils sont dillicites à contenter.
M. Gayarré a trois rôles favoris dans lesquels il brille d'un éclat plus vif encore que dans les autres : Fernand de la Favorite, Vasco diGama de l'Africaine et Lohengrin.
Malheureusement les deux premiers ouvrages sont inamovibles à notre Académie Nationale de musique, et, pour le moment, il est impossible démonter le dernier, place du Châtelet.
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12 { LES SOIRÉES PARISIENNES
C'est pourquoi il a fallu se contenter de la reprise de Lucrezia liorgia.
L'entrée de Gennaro, au premier acte a provoqué un de ces grands mouvements de salle qui ne se produisent que dans les grandes circonstances.
Si sûr qu'il soit de lui-même, si habitué qu'il soit aux triomphes, M. Gayarré n'avait pas moins peur qu'un simple débutant. Depuis le soir où, inconnu , pauvre, il avait débuté dans CFlisirc d'Amore, au petit théâtre de Varese, près de Milan, il ne s'était jamais senti en proie à une émotion aussi forte. Il parait si redoutable, ce public parisien, qui, en quelques heures, consacre ou défait les renommées les plus solides !
M. Gayarré Ta conquis presque tout de suite.
Son premier costume qu'il a fait - comme tous les autres - dessiner tout exprès pour ce début par Eugène Lacoste, a paru charmant ; puis, l'homme a la physionomie ouverte et sympathique.
julien Gayarré peut avoir trente-cinq ans. II est de taille moyenne, très brun; yeux expressifs, bouche souriante; l'air très espagnol.
On m'affirme qu'il est simple, modeste, instruit; qu'il parle très bien une quantité de langues ; que les caprices, les exigences, les fantaisies, les excentricités par lesquels les ténors se distinguent généralement lui sont complètement étrangers.
Il est presque Français, puisqu'il est né sur la frontière pyrénéenne, dans la vallée de Roncal, en Espagne, à quelques lieues seulement de l'endroit où naquit son fidèle ami et quasi-homonyme : Gailhard, de l'Opéra.
Son père était un brave cultivateur qui l'cleva comme « un monsieur ». On n'épargna rien pour l'éducation de l'enfant: aussi Gayarré a-t-il gardé de ses premières
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FÉVRIER 125
années un souvenir ému auquel il a donné un corps en faisant reconstruire, dès qu'il en eut les moyens, la maisonnette paternelle qui s'en allait en ruines.
Aujourd'hui encore, c'est dans cette maisonnette que le remarquable chanteur passe ses moments les plus doux. Il y a [réuni une belle collection d'objets d'art et de livres.
Son père, mort il y a quatre ans, n'a jamais voulu quitter cette maison que te fils a peu à peu embellie et dont il a fini par faire un petit musée. Ce brave homme de père est resté, toute sa vie fidèle, aux traditions de sa jeunesse. Jusqu'à la fin, il a conservé son costume de paysan, la culotte courte, la veste ronde et le grand bonnet tombant. C'est dans ce costume qu'il alla, un soir, entendre son fils dans l'Africaine, à l'Opéra de Madrid.
J'ai dit que le rôle de Vasco était un des meilleurs de Gayarré.
C'était la première fois que le père vit son fils au théâtre. Aussi celui-ci, aussitôt la représentation finie, accourut-il vers le vieillard-le bonhomme avait alors quatre-vingts ans - et, plus heureux que jamais des applaudissements qu'on lui avait prodigués, lui cria du plus loin :
- Eh bien! tu t'es amusé>
- Oh! oui.
- Et qu'est-ce qui t'a amusé le plus ?
- Ce sont, répondit le vieux, les demoiselles qui ont les jupes si courtes !
Du triomphe du fils aimé, il n'en fut même pas question. L'excellent homme avait été ébloui, fasciné par le ballet. Le ténor avait été éclipsé par les danseuses.
Parmi les objets d'art qui garnissent sa maison du
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I2Ô LES SOIRÉES PARISIENNES
Roncal, Gayarré montre le plus volontiers un superbe album où tous les grands chanteurs de l'univers lui ont dessiné un croquis ou mis un autographe.
Dans cette collection se trouve aussi une plume en or et perles fines, qui lui fut envoyée, il y a quelque temps , dans des conditions particulièrement flatteuses.
Le bruit avait couru que Gayarré renonçait à chanter à Madrid.
Aussitôt, une véritable adresse fut rédigée par M. Castelar, signée par les personnages les plus importants de la capitale et remise au ténor avec la plume que je viens de décrire, et dont on le pria de se servir pour signer un nouvel engagement, t
M. Maurel se rappcllera-t-il cette anecdote le jour où il voudra renouveler avec Mme Fidès-Devriès ?
Un dernier détail.
Gayarré est le seul ténor qui puisse tenir pendant vingt-sept secondes une note filée.
Lorsqu'on parla de cela à Mario, celui-ci n'en voulut rien croire.
- C'est impossible! s'écria-t-il, vingt-sept secondes!
- Il vous serait bien facile de vous en convaincre.
- Au fait, où est-il à présent votre Gayarré >
- A San Carlo.
- J'y vais.
Et Mario fit tout exprès le voyage de Xaples avec un ténor de ses amis.
La nouvelle de cette arrivée et de sa cause se répandit rapidement. Le soir de la représentation, quand vint la note filée, tous les chronomètres sortirent des goussets.
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FEVRIER 127
Par pure coquetterie. M. Gayarré prolongea sa note pendant vingt-huit secondes ce soir-là. Plus fort que l'ut dièzc.
Il n'y a pas de places pour les notes filées de vingt secondes dans Lucrezia. Mais le public parisien ne tient pas aux tours de force. Il a acclamé toutes les notes de M. Gayarré. et après la romance de Don Sebasliano qu'il a intercalée au troisième acte de l'opéra de Donizetti l'ovation faite à l'étonnant chanteur a.étc l'une des plus enthousiastes auxquelles il m'ait été donné d'assister. On a même eu la cruauté de bisser la romance, et M. Gayarré était si heureux de son triomphe qu'il l'a recommencée sans trahir aucune fatigue.
Le jour où Gayarré chantera Faust chez M. Vaucorbeil, l'Opéra fera le maximum à chaque représentation.
LE CHEF DE UAXDE
18 février.
Il est devenu banal de dire qu'à Paris la police est mal faite.
Trop de crimes restés impunis, trop de méfaits identiquement répélésont fait passer celte affirmation à l'état d'axiome. Est-ce défaut (''habileté? est-ce simple maïechanee? II est certain que le personnel de la cité, jadis si dur aux délinquants, s'acquitte maintenant aussi mal que possible de son rouvre de pro-
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12$ LES SOIRÉES PARISIENNES
tection sociale. C'est l'âge d'or des alphonses, des filous et des rôdeurs de nuit. Quant à messieurs les assassins célèbres, ils s'obstinent dans un anonymat bien regrettable, surtout pour le prestige de notre vieille préfecture de police.
Naturellement, c'est à M. Camescassc que s'en prend jusqu'ici l'opinion publique. L'impuissance administrative de ce fonctionnaire peu amovible est expliquée, commentée chaque jour avec malveillance. Son bon vouloir, son désir de mieux agir font doute pour tout le monde.
Après tout, disent les uns, si ses agents n'étaient pas accaparés par la politique, la sécurité des contribuables serait mieux assurée.
Si les gardiens de la paix distribuaient moins de horions aux honnêtes travailleurs, affirment les autres, ils pourraient donner du casse-tête à ceux qui en sont plus dignes.
La police, s'écrient les plus grincheux, ferait bien mieux de laisser les chiffonniers tranquilles et de proléger la vie des citoyens !
On va même jusqu'à supposer une fois de plus que le gouvernement de la République a besoin de laisser impunis des forfaits qu'il pourrait aisément châtier, afin que le public, distrait par des faits divers palpitants, oublie de surveiller le ministère.
Eh bien ! on avait tort d'incriminer le zèle et les intentions du préfet de police.
M. Camescassc est un grand innocent.
Il faisait son métier avec conscience sans la moindre arrière-pensée politique. Et s'il ne trouvait jamais rien, c'est qu'il avait vraiment affaire à trop forte partie.
Car il luttait sans s'en douter contre un malfaiteur
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de génie. contre le chef d'une association autrement organisée que sa propre boutique administrative.
Ce criminel était même d'autant plus redoutable qu'il occupait, dans la littérature dramatique de son temps, une situation qui devait dérouter les soupçons. Parvenu à un âge déjà respectable, entouré de l'estime et de la considération d'une foule de grands personnages, populaire avec cela et officier de la Légion d'honneur, ce grand coupable n'avait à son passif que certains changements de noms assez familiers à ses pareils de tous les temps. Né Adolphe Philippe, il s'était ensuite fait appeler d'abord Adolphe Dcnnery , puis Ad. D'Ennery (avec une particule). Il y avait là un indice qu'on n'eût peut-être pas dû négliger.
Qui donc a pu mettre M. Camescasse sur la piste de l'insaisissable criminel et de ses complices)
Oh! mon Dieu, ce n'est ni son flair personnel ni celui de ses fins limiers de police, mais bien une note, une simple note de notre collaborateur Jules Prével. Sans Jules Prével et sa note, lescrimes qu'on vapunir en bloc seraient restés impunis comme par le passé.
C'est qu'elle était significative cette note élégante et concise annonçant que M. Macé quittait ses fonctions de chef de la sûreté pour se rendre auprès de M. Ad. D'Ennery et faire avec lui un drame judiciaire!
11 n'en fallait pas plus pour éveiller enfin les soupçons du préfet et motiver une prompte enquête.
De cette enquête, il résulte déjà :
i° Qu'Adolphe Philippe, dit D'Ennery, avait depuis longtemps fondé une association de dangereux malfaiteurs:
2° Qu'il s'était assuré le concours de l'agent supérieur Macé dont il avait flatté les plus chères espe-
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I JU LES SOIREES PARISIENNES
rances en lui disant un jour: «Vous devez être doué pour le théâtre », et en faisant briller à ses yeux de fonctionnaire l'éventualité mirobolante d'une collaboration plus ou moins prochaine avec lui;
3° Que si ledit sieur [Adolphe Philippe, dit D'Ennery, s'est plu à ne mettre à la scène que des assassins de bas étage, c'était en réalité pour avoir, auprès de Macé, un prétexte d'utiliser les connaissances policières de ce dernier;
4° Que ces renseignements spéciaux étaient ensuite utilisés pour assurer l'impunité des opérations de la « bande D'Ennery » ;
5° Que le théâtre n'était, par conséquent, qu'un moyen fructueux mais indirect de servir les plus noirs projets;
6* Que ledit sieur n'a rien mis à la scène qu'il n'eût essayé ou fait essayer par sa redoutable cohorte, que les innombrables crimes de son énorme répertoire ont donc tous été commis réellement par lui ou par eux, ensemble ou séparément ;
7° Que tous les meurtres dont les auteurs n'ont pu être découverts dans ces dernières années peuvent, en conséquence, leur être imputés;
8° Que l'assassin de la rue Blondel était le sieur Ad. Philippe, dit D'Ennery;
9° Que l'assassin de Marie Fellcrath,c'était lui;
io" Que l'assassin de la place Beauvau, c'était lui (sous le pseudonyme de Walder ou « De Walder »);
11° Que Jud, c'était encore lui.
Etc., etc.
H est probable que lorsque ces lignes paraîtront, le trop coupable Adolphe sera entre les mains de la jus-
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FEVRIER I } I
liccd'Antibes. Nul doute que le jury indigné ne le fasse condamner à la peine capitale. .
Mais il est à prévoir aussi que le grand nombre et l'énormité de ses crimes lui fera obtenir sa grâce du Président de la République.
LA PEAU DU BONHOMME
19 février.
Lorsqu'il n'a aucune première représentation. aucune reprise, aucune soirée classique d'Odéon à se mettre sous la plume, M. Francisque Sarcey ne laisse pourtant pas chômer son feuilleton hebdomadaire. f
Suivant l'exemple de ses illustres prédécesseurs en critique, Jules Janin et Théophile Gautier, il remplace alors les nouveautés absentes par de copieuses études d'esthétique théâtrale. Tantôt il disserte sur la poétique des auteurs arrivés ; tantôt il discute la façon d'interpréter un rôle fameux; tantôt il entreprend un cours de mise en scène comparée. Examinant les procédés de chacun, il apprécie les résultats obtenus, approuve ou désapprouve, admet au besoin la controverse et se fait un devoir d'insérer toutes les lettres rectificatives ou complémentaires qui lui sont envoyées soit par les vieux copains de l'Université, soit par d'autres plus jeunes.
Cette méthode de travail est vraiment bonne. Outre qu'elle tire M. Sarcey d'embarras lorsqu'une semaine a été maigre, elle lui fournit l'occasion de formuler des
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vérités utiles et de donner des conseils qui sont souvent écoutés. «
Aussi, sur l'avis d'un certain nombre de lecteurs et de gens de théâtre qui pensent qu'il y a lieu de s'inspirer d'un procédé consacré par le succès, me suis-je décidé à imiter, à ma façon bien entendu, mon grave confrère du Temps.
A moi aussi l'esthétique !
Seulement, mon esthétique sera plus legere , plus superficielle, - ainsi qu'on va en juger par les quelques lignes que je vais tout d'abord consacrer à la t Peau du bonhomme ».
La peau du bonhomme, tout le monde connaît ça.
On sait que c'est là dedans qu'un comédien doit entrer pour interpréter sincèrement son rôle et donner au public l'impression vraie rêvée par l'auteur.
Or, pour entrer dans la peau d'un autre, il faut d'abord sortir de la sienne. Opération purement morale, d'ailleurs, mais pour laquelle un certain entraînement d'imagination s'impose à l'artiste qui veut réussir au théâtre.
Cela demande beaucoup de temps et pas mal de bonne volonté. Le plus fâcheux, c'est que l'entraînement en question, quoique nécessaire, n'est pas obligatoire. L'acteur peut s'y dérober au gré de sa. paresse et faire néanmoins son métier, tant bien que mal.
Tel n'est point le cas de tous les artistes.
Le chanteur est soumis à des obligations d'ordre physique. Dès son réveil, il est astreint à des exercices. Il ne pourrait matériellement se faire entendre le soir qu'en travaillant sa voix le matin. Les barytons, notamment, passent une partie de la journée à dire :
- Cuivre! cuivrre! cuivrrre! cuivrrrre!...
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En augmentant toujours le nombre des r, sous peine de ne plus avoir leurs moyens en public.
Dans un autre ordre d'idées artistiques, le clown, l'acrobate, et généralement tous ceux qui font des tours de force et de souplesse s'empressent, au saut du lit, de faire, sur les mains, trois ou quatre fois le tour de la chambre. Après quoi, ils soulèvent leurs tables de nuit à bras tendu, jonglent avec leurs petits, s'accrochent par les dents à la suspension de la salle à manger et font la pyramide humaine en famille.
L'acteur, qu'aucune nécessité d'hygiène professionnelle ne force à rentrer chez lui immédiatement après le spectacle, comme lechanteur.se lève généralement plus tard que ce dernier.
Le plus souvent, au lieu de songer de suite à son changement de peau, il sonne le domestique qui lui apporte les journaux.
L'acteur dévore la partie théâtrale des feuilles publiques ; il lit avec un égal plaisir les éloges qui lui sont adressés et les blâmes encourus par ses camarades.
Après cela, il parcourt les articles politiques, hausse les épaules, s'habille, déjeune ! puis - toujours sans changer de peau -allume un cigare et, s'il ne répète pas, va aux courses ou fait une promenade au Bois.
Vers six heure s, il dîne, arrive au théàtreen retard, se dispute avec le régisseur, s'habille en hâte et se précipite en scène après avoir failli manquer son entrée.
Ce n'est qu'en présence du public qu'il s'aperçoit qu'il est encore dans sa propre peau.
Et comment voulez-vous qu'après une journée ainsi r;mplie, il ait eu le temps d'entrer dans celle d'un
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autre > Quelles que soient ses facultés d'assimilation, c'est tout au plus s'il y pénétrera un peu vers le milieu du second acte.
En admettant que la substitution de peau soit faite à ce moment-là, il aura toujours joué le commencement de la pièce sans vérité, sans conviction, sans être entré, enfin, dans la « Peau du bonhomme ».
PourquoidoncMM.lcscomédiens ne s'inspireraientils pas volontairement du zèle forcé des artistes lyriques?
Voici, selon moi, ce qui devrait se passer.
Prenons par exemple un acteur qui doit jouer le rôle d'Alceste, dans le (Misanthrope.
Qu'est-ce qu Alceste >
Un être grincheux, un homme de fort méchante humeur.
Donc, l'interprète d'Alceste devra, dès le matin, montrer l'amabilité d'un dogue. Il pestera contre l'humanité entière, trouvera son café au lait exécrable, s'épanchera en une virulente indignation sur les laitières qui baptisent leur crème, les épiciers qui vendent de la chicorée pour du moka et les boulangers qui ne pèsent point leurs flûtes.
- Vous ne paierez ni le lait, ni le café, ni les (lûtes, dira-t-il à sa cuisinière.
Et si cette femme lui fait remarquer que les fournisseurs le poursuivront en justice et qu'il faudra bien qu'il les paye, l'interprète du Misanthrope devra répondre, en s'enfermant dans la peau d'Alceste :
Soit! j'aurai le plaisir de perdre mon procès!
Si des amis viennent le voir ce jour-là, il aura soin de les recevoir comme autant/le chiens dans un jeu de
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quilles, et de leur dire les plus cruelles vérités sans les épargner sur un seul de leurs défauts.
Qu'un auteur, désireux d'être joué, veuille lui lire son oeuvre, il aura soin, au lieu de reconduire doucement avec quelques paroles banales d'encouragement, de lui dire que sa pièce est « bonne à mettre au cabinet », en ajoutant que, pour sa part, « il aime mieux sa mie, o gué ! »
Tout cela, bien entendu, sans préjudice des phrases désobligeantes et des reproches amers qu'il réservera pour l'agrément spécial des jolies femmes qui pourraient lui rendre visite et qu'il est de son devoir de traiter comme les dernières des dernières.
A ce manège-là, j'ignore s'il pourra conserver beaucoup de sympathies autour de sa personne, mais ce dont je réponds, c'est que le soir, au moment déjouer Alceste, i! sera dans la peau du bonhomme.
Un second exemple, pris sur un emploi beaucoup moins important, n'en démontrera que mieux l'excellence de mon procédé d'entraînement.
Prenons, cette fois, un simple pensionnaire de l'un ou l'autre des deux théâtres français et supposons qu'il ait à jouer le rôle de Théramène. Certes, ce n'est pas un rôle étourdissant, mais enfin il comporte le fameux récit de la mort d'IIippolyte, et l'on n'entre pas comme ça, sans crier gare, dans la peau d'un reporter antique qui, de visu, vient raconter un accident de char à la famille du défunt.
Ce n'est qu'à force de songer à ce lamentable fait divers, qu'il croira que c'est arrivé. Aussi est-il nécessaire qu'il s'abandonne, du matin au soir, aux méditations suivantes :
- Cepauvre Ilippolyte, tout de même!... qui aurait dit ccla>.. je le vois encore, bien portant, frais comme
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l'oeil; il était sur son propre char... nous sortions justement des portes de Trézène... en route pour Mycènes, quoi!.. Par exemple, il n'était pas gai, le jeune patron, nous non plus... Quant aux chevaux, ils n'en menaient pas large... on aurait dit qu'ils devinaient que les affaires ne marchaient pas... Enfin, n'importe! Tout à coup... grand chambardement du côté de la mer... un cri, je ne vous dis que ça!... Nous en avions perdu le Nord... Mais ce n'était rien encore... Qu'est-ce que nous voyons sur la plage?... un monstre énorme, un animal qui avait des écailles de poisson, une tète de taureau, des griffes de lion et un appétit de requin... Ah! la sale bête!... 11 dégoûtait la mer, même que les flots défilaient bien vite la parade après nous l'avoir colloque là...
Et ainsi de suite jusqu'à la fin du célèbre récit.
Mais le meilleur moyen de bien s'entraîner pour ce rôle émouvant consiste encore à aller flâner quelque peu au carrefour Montmartre ou place de l'Opéra.
Quand l'interprète de Théramène aura passé une heure ou deux sur l'un ou l'autre de ces points trop fréquentés, il se trouvera tout entré dans la peau d'un bonhomme qui a vu écraser son semblable.
7,1 FLAMDOYAXTE
22 février.
Rarement nouveau spectacle aura fait moins de tapage avant son apparition que celui du Vaudeville. Il y a cependant trois auteurs pour un dans l'affaire.
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trois Méridionaux dont l'assemblage pouvait faire prévoir des répétitions mouvementées ou des potins de foyer ; mais rien à glaner dans cet ordre d'indiscrétions. Seul, M. Valabrêgue (Albin) eut quelques accès d'exubérance que calmait aussitôt l'autorité du collaborateur en chef, M. Ferrier(Paul). Quant à M. Cohen (Félix), il est revenu au Vaudeville avec la vénération que lui inspirait le théâtre de son premier succès : le Club, une comédie amusante, en collaboration avec Gondinet, et dont nou* avions gardé un excellent souvenir. .
Pièce maritime. Quelque chose comme la Smitis de la Chaussée-d'Antin.
Seulement, les marins du Vaudeville ne le sont pas autant que ceux de la Comédie-Française. Ce sont des marins pour rire et dont on a énormément ri. Sur deux capitaines, il y en a un de faux. En outre, il ne s'agit plus de la marine de l'Etat, mais de la marine marchande.
Cela a même causé une certaine déception aux trois auteurs.
Ecrivains de valeur, mais ignorants comme un trio de carpes surles questions maritimes, ils avaient rêvé, pour leurs interprètes, des costumes étincelants et couverts de galons d'or. Mais M. Raymond Deslandes, en pur Dieppois qu'il est, leur a appris que les capitaines marchands n'avaient pas d'uniforme et portaient tout au plus une petite ancre dorée à la casquette et quelques boutons de cuivre à leur vareuse de drap bleu.
C'est ainsi que sont habillés M. Dieudonnc, le faux capitaine au long cours, et AL Carré, le vrai. Quanta M. Parade, il joue un simple matelot, comme M. Got dans le drame de Jean Aicard. Pas plus que le doyen
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des Français, le doyen du Vaudeville ne recherche le panache.
Un début modeste, mais intéressant.
Mlle Juliette Arnault, une gracieuse et fluette petite personne, qui joue le rôle de Mathilde, la femme du faux capitaine Dieudonné, appartient à une sympathique famille d'artistes. Son père dirigea même avec une sollicitude assez éclairée un petit théâtre d'amateurs.le théâtre des familles.où il produisit des auteurs, des poètes et des conférenciers d'avenir. .
Mlle Juliette Arnault nous arrive du théâtre du Parc, à Bruxelles. Elle a débuté à l'âge de quinze ans, à Londres, par Catherine de Valois dans le Henri V, de Shakespeare. Rôle assez original en son genre, puisque, tandis que les autres personnages s'expriment en anglais, cette princesse française, seule, parle toujours en français.
La voilà, la vérité au théâtre. Cela ne date pourtant pas d'hier, et l'on avouera que M. Zola lui-même n'oserait pas aujourd'hui pousser les choses aussi loin.
Un effet imprévu, auquel MM. Ferrier, Cohen et Valabrégue sont étrangers, a fortement égayé le premier acte.
Au milieu d'un récit du matelot Parade, un petit chien plus ou moins havanais est entré en scène, sautillant, frétillant, dressant les oreilles, puis, surpris par la vue de la salle, s'arrétant soudain et regardant le plus drôlement du monde le public qui riait aux éclats.
La maîtresse du petit intrus, Mme Grassot, l'a expulsé non sans peine.
Comme le public était en train de s'amuser, cet intermède comique n'a pas nui à la marche de la pièce. Mais voyez-vous pareil incident s? produisant dans
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une comédie sérieuse, au milieu d'une scène importante sur laquelle Fauteur aurait compté pour avoir un succès ?
11 est question, dans la Flamboyante, de l'agacement que cause au locataire d'une maison bourgeoise l'odieux voisinage d'un pianiste qui l'assomme de ses gammes perpétuelles.
Au milieu des récits de toutes sortes qui fourmillent dans la pièce, celui-ci a presque passé inaperçu, et si je m'y arrête, c'est parce que l'idée de celte situation a dû certainement être fournie aux auteurs par M. Raymond Deslandes lui-même.
Le directeur du Vaudeville est torturé, dans son appartement de la rue de Provence, par toute une collection de pianos voisins qui commencent toujours leur terrible charivari dès le matin, juste à l'heure où il se met à travailler.
Homme de lutte, il a résisté par tous les moyens possibles après s'être assuré, hélas ! que la loi reste impuissante contre les délits de claviers.
En dernier lieu, il fit l'acquisition d'une grosse caisse, d'une paire de cymbales et d'une trompe de tramway. A la première heure, pour répondre aux hostilités du piano matinal, il frappait les cymbales, sa bonne embouchait la trompe et son coiffeur tamponnait la grosse caisse. Il en résultait un vacarme étrange, effroyable, wagnérien. Mais, après une demiheure de cet exercice violent, les trois virtuoses étaient brisés, harassés, vaincus par la fatigue, tandis que le piano, triomphant, reprenait de plus belle ses arpèges homicides.
A ce sujet, que M. Raymond Deslandes me permette de lui indiquer le moyen plus ingénieux dont l'un de nos confrères s'est avisé tout dernièrement.
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Martyrisé par un implacable tapoteur et ayant, lui aussi, reconnu l'impossibilité d'en avoir raison à la force des poignets, le journaliste en question acheta un de ces tambours que l'on fait résonner par l'électricité. II le plaça ensuite dans une armoire mitoyenne de son bourreau de pianiste, !e reîia à une forte pile voltaîque, établît le courant... puis s'en alla tranquillement dîner au cercle, d'où il ne rentra qu'à une heure fort avancée de la nuit.
Les rrra et les fia avaient si vigoureusement ronflé pendant sou absence, qu'au retour, il trouva devant son seuil un homme qui attendait, à genoux, demandant grâce.
C'était le pianiste,'humili^b^ttu, repentant, auquel il put imposera son gré un traité réglant un minimum quotidien d'heures de piano.
Comme il y a trois auteurs pour la Flamboyante, le service de premièrea été un peu restreint pour chacun d'eux.
Un des trois avait cependant trouvé un truc assez ingénieux pour obtenir quelques places supplémentaires.
- Vous ne pouvez pas me refuser un fauteuil de plus, disait-il, c'est pour un créancier!
Et il a extorqué de la sorte.au candide M. Bertrand, une vingtaine de fauteuils.
Mais ce soir, comme on le félicitait après le deuxième acte et qu'on lui disait :
- Eh bien ! vos créanciers doivent être contents ! Vous allez faire de belles recettes !
Il avoua tout et répondit avec cynisme :
- Cela m'est bien égal, je ne dois rien à personne !
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VA-PROPOS DE LA CUAHUOXSIÈRE
2} février.
On a annoncé qu'à l'occasion du S*e anniversaire de Victor Hugo, Dumaine doit réciter un à-propos en vers, entre deux actes de ta Charbonnière.
Une coupable indiscrétion me met à même de publier cette remarquable poésie :
Chalut, maître, chalut ! Toi nochtre pure gloire,
Le coke des j'auteurs, dont le nom d iris l'htchtoire.
Va flamboyer, (ouchtra ! comme un feu de charment,
Qui nous j*a faitchouvent pacher un bon moment,
Les j'autres, près de toi, chont du pouchier de motte.
Pach un cheul dans le tas ne t'iraît à la botte.
Les charbougnias, vougri ! te tètent à bon droit,
Victor, tu liens j'â nous par un lien étroit.
Le diamant n'est-il pas du charbon ? Toi, miître.
N'es-tu pas diamant ? Ta chplca leur nous pénètre.
Comme au chein du bouleau, l'huche du charbonnier.
Tous tes ouvrages chont le déchus du panier.
Ils t'ont, chacun chait cha, donné beaucoup de braise.
Et nous chontmss heureux de te voir à ton aise.
Et puis, che n'est pas tout. Que voit-on dans dur fou ?
On y voit d'abord dur et puis on y voit fon.
Tonrfur à tei,fouchtra ! ch'cst le char du poète;
Xul n'est plus /v« que toi, clia che voit à ta tête.
Donnant a ton pays un juste fierta.
Tu te gliches vivant dans l'immortalita.
Ta gloire emplit la ville ainchi que la campagne.
Et va jusqu'à l'ochtra cochta de la montagne.
Chelui qui fit Ruy Bîach, xÂnchtîo, Hernani,
Lucrècix liorcbia - et cha n'est pas fini !
Et les Feuilles d'automne, et la fiente qui vole,
Et le Roi qui ch'amuje, et Y Homme qui rigole.
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t-P LES SOIREES PARISIENNES
Chelui-D, mes j'eofants, n'est pas j'un galapïa.
Car il cherait, vougri ! digne d'être auvergnat,
Etant bien pluch qu'un homme!.». En écrivain de rache,
Dans la littérature Hugo tien! de la plache :
Che n'est pas qu'il choit chale. H n'eut jamais de four,
Xi plus ni moins que ch'il était fils de Chaint-Elour.
Auchi, comme pays, en beaux j'habits de fête,
Tous, nous chantons ta gloire, au chon de la mujctte;
Oui, pour te chouhaïta beaucoup de lenJemaîcs,
Nos j'épouges, fouchtra ! che chont lavé les mains,
Et tous en rond, devant ta chtatue honorée,
Les charbougnias, vougri ! dauçhent une bourrée !
PETITE ESTHÉTIQUE
LE GESTE
28 février.
Je continue mes petites études d'esthétique théâtrale.
Je me permettrai aujourd'hui encore de donner quelques conseils aux artistes dramatiques.
Il s'agit, cette fois, du geste, ce complément si important de la parole.
Le geste doit être mesuré et pourtant à effet.
Il doit être expressif dans une certaine mesure, et c'est justement cette mesure que je voudrais déterminer, à l'aide de certains exemples.
Dans le Misanthrope, au fameux vers d'Alceste : On sait que ce pied plat, digne qu'on !e confonde,
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FEVRIER I|J
Ne pas lever sa jambe pour montrer son pied au public.
Dans le Misanthrope également, au sonnet d'Oronte :
L'espoir, il est vrai, nous soulage Et nous berce un temps notre ennui,
Ne pas faire le geste d'une nounou qui essaie d'en* dormir son mioche.
Dans le Cid (scène u, acte II), lorsque Rodrigue dit fièrement au comte :
A quatre pas d'ici, je te le fais savoir,
Ne pas arpenter la scène comme pour compter les quatre pas en question.
Dans.l«i/ro>«J7«e(acteI, scène iv),lorsque Pyrrhus dépeint son triste amour pour la veuve d'Hector:
Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé, Brûlé de plus de feux que je n'en allumai...
Ne pas faire semblant de frotter une allumette sur !a cuisse.
Dans tPhèdre (acte II, scène i), à ce joli vers de la tendre Aricie:
J'aime, je prise en lui de plus nobles richesses.
Ne pas avoir l'air de prendre une prise dans une tabatière.
Dans Athaliet lorsque la redoutable reine déclame ces deux vers :
Même elle avait eocor cet éclat emprunté
Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage*
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f | «r (I.S SOIREES l'ARMIt.VVtS
Ne pas faire le geste d'un peintre qui cherche un peu de rouge sur sa palette pour se l'appliquer sur la ligure.
Dans U même Athalie, lorsqu'à la première scène, Joad arrive à ce passage :
Du temple, on.ê partout de festons magnifiques, Le peuple saint en foule inondait les portiques.
Ne pas souligner le mol inondait par une pantomime malséante.
Dans Cinna (scène m, acte V), aux vers d'Emilie :
Et je me rends, seigneur, à ces hautes bontés, Je recouvre la vue auprès de leurs clartés,
Ne pas exprimer la satisfaction d'un aveugle qui vient de subir, avec succès, l'opération de la cataracte chez son oculiste.
Dans Iphigênie, aux deux premiers vers :
Oui, c'est Agamemnon, c'est ton roi qui t'éveille, Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille,
Ne pas faire même le simulacre de tapoter l'oreille de son partenaire.
Dans la Juive, au fameux air :
Rachel, quand du Seigneur la bonté tutclaire A mes tremblantes mains confia ton berceau,
Ne pas donner à ses mains un tremblement convulsif.
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Dans Guillaume Tell, à l'entrée du libérateur de la Suisse :
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Il chante... et l'IUlvétie Pleure sa liberté !
Ne pas agiter un mouchoir de poche comme pour essuyer les yeux de l'Ilelvétie.
Dans les Fomxhambault, à la fameuse scène des deux frères, lorsque l'ainé, pardonnant au cadet, l'autorise à l'embrasser sur la joue souffletée, en lui disant simplement:
- Efface!
Ne pas souligner ce mot admirable en tirant de sa poche un morceau de gomme élastique.
Enfin, dans le Gendre de Monsieur Poirier, au dernier acte, lorsque Antoinette de Presks lance à son mari la fameuse réplique :
- Va te battre !
Elle doit éviter de tomber en garde, de faire des appels du pied, de tirer au mur, d'attaquer, de parer et de se fendre à fond comme sur un adversaire invisible.
LE CERCLE PIGALt.E CLAUDE GUEUX
29 février.
Le Cercle Pigalle convoquait ce soir une partie de la presse. Habituellement, les représentations de ce coquet théâtre d'amateurs se passent en famille, sur
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invitations personnelles fort recherchées, ma foi! des petits commerçants du quartier.
Je n'ai pas à présenter autrement un cercle lyrique et dramatique qui existe depuis trente-quatre ans et dont le Figaro a eu l'occasion de pariera ses lecteurs. Rien de plus sympathique que cette association qui permet à de braves jeunes gens d'éviter les tripots et les brasseries. Ils sont eux-mêmes leurs propres comédiens, leurs propres musiciens, leurs propres décorateurs, voire parfois leurs propres auteurs; mais, en général, ils jouent, de préférence à leurs propres oeuvres, cellesd'Augier,de Labiche, de Meilhac,de Gondinetet de Pailleron. Quelquefois ils donnent une représentation extraordinaire, un gala. Alors, pour avoir une vedette, une étoile, ils s'assurent le concours d'une actrice appartenant aux théâtres de Montmartre ou des Batignolles, mais ces grandes soirées sont rares.
Quant aux acteurs improvisés de la troupe, ils sont arrivés à une certaine habileté relative à force de travail et en étudiant sans cesse les véritables artistes dont ils savent s'assimiler les tics et la personnalité. Ils ont du reste cet avantage sur leurs grands frères de la Comédie-Française qu'ils sont tous sociétaires.
Le grand intérêt, le clou du spectacle de ce soir n'est pas dans le programme. Les pièces inédites de MM. Chenevard, Adam, Bruncau et Copin, assez agréables à entendre et suffisamment bien jouées par les interprètes et amis de ces auteurs, ne constituaient pourtant pas l'attraction essentielle de la soirée.
On inaugurait un rideau, et c'était là l'important. Hâtons-nous d'ajouter que ce rideau est l'oeuvre d'un jeune membre du cercle, M. Eugène Chaperon, digne fils du peintre de grand talent qui, avec son associé Rubé et M. Lavastre jeune, maintient si haut la décoration théâtrale française.
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M. Chaperon fils, ayant à représenter divers personnages du théâtre classique et moderne, leur a, donné les traits de ses camarades du cercle Pigalle, en ayant soin de les avantager. Tous sont ressemblants mais plus beaux que nature. ,
Grâce à ce rideau, le spectacle actuel pourra encore être donné deux fois. Un souper de troisième aura lieu sur la scène à l'issue de la dernière représentation.
Gadot Rollo est le nom bien authentique d'un jeune ingénieur qui a donné, ce soir, Claude Gueux au Théâtre-Beaumarchais.
M. Rollo est de Marseille, et Claude Gueux n'est pas sa première pièce, à ce qu'il parait. On affirme que l'auteur a déjà eu un succès dans la cité qui le vit naître. Seulement, pour avoir l'honneur de débuter à Paris, il a eu recours aux conseils d'un poète, M. Elzéar, un compatriote devenu Parisien.
Claude Gueux est le développement en cinq actes du court roman de Victor Hugo; développement ultra-socialiste. On y voit les malheurs du pauv'peup* représentés sous les couleurs les plus noires. Rochefort, Vallès, Carjat et autres frères et amis sont venus tout exprès pour applaudir.
Ces éminents citoyens s'acquittent bien de celte mission de confiance.
Après le dernier acte, ils rappellent deux fois Taillade, chargé du principal rôle. Ils le rappellent quatre fois après le quatrième acte. Comme le remarquable artiste est chargé également de tous les crimes qui se commettent dans lapièceet que l'un des personnages a nom Clément, une plaisanterie facile vient sur les lèvres, chaque fois que celui-ci entre en scène :
- N'ayons pas peur : M. le commissaire aux délégations judiciaires est là.
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L'acte principal se passe dans un atelier où l'on forge du vrai fer, où l'on scie des vraies roues, où s'écroule, - dans la coulisse, <-* un vrai treuil. Si la pièce avait été jouée à l'Ambigu, c'est sur la scène que ce vrai treuil eût écrasé deux ouvriers.
A Beaumarchais, on se contente de raconter ce triste fait divers; un pendant au récit de Théramène.
La soirée d'ailleurs n'a été qu'une longue suite d'ovations pour Taillade qui a composé son rôle avec un réel talent.
Pendant les entractes, l'auteur recevait les félicitations de ses amis, au café du théâtre.
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MARS
LES TROIS DE RESZKÉ
i« mars.
Ce n'était pas une mince surprise pour les abonnés des Italiens que de revoir, sur l'affiche de la place du Chàtelet, YHêrodiadede M. Massenet. Le jeune maître, après la brusque interruption que l'on sait, avait naturellement épousé la querelle de Mme Fidès-Devriès, et l'on pouvait supposer que ni lui ni ses collaborateurs ne donneraient à MM. Maurel et Corti l'autorisation de faire chanter leur oeuvre sans le concours toutpuissant de la grande artiste si malheureusement partie.
Seule, l'intervention de Mlle Joséphine de Reszké a dû décider les auteurs à faire une concession 'que la direction n'eût peut-être pas obtenue par ellemême.
L'auteur du lïoi de Lahore ne pouvait rien refuser à la sympathique créatrice du rôle de Sita, à l'Opéra.
Pour la première fois, les trois de Reszké chantent ensemble. Nous avons toujours vu Joséphine de Reszké à part.
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lîô LES SOIRÉES PARISIENNES
Jean de Reszké à part, et Edouard de Reszké à part. H nous est bien arrivé d'entendre Edouard et Jean dans Jlérodiade, mais il n'avait été donné ni à vous, ni à moi t ni à qui que ce soit d'assister à la réunion scé-» nique de Jean, d'Edouard et de Joséphine.
Avouez qu'en dehors de l'intérêt artistique de cet assemblage, il faut avoir vu, une fois dans sa vie, cette petite réunion de famille.
D'autres, la famille Patti, la famille Devriès-Dereims, la famille Marié, qui comptent également de nombreux artistes lyriques, n'ont et n'auront probablement jamais l'occasion de se grouper ainsi en public.
Aussi, les deux frères et la soeur étaient-ils ravis.
L'omnibus est complet ! disaient-ils en riant.
Cette plaisanterie a son complément.
Certain baron, bien connu pour sa mclomanie et qui apprécie beaucoup leur talent, le recommande toujours en bloc à ses amis.
Ils lui ont décerné par reconnaissance le grade de « conducteur de l'omnibus ».
Les trois de Reszké unis par l'affection la plus vive, étudiant ensemble, se donnent mutuellement la réplique et même, au besoin, quelques bons conseils. Chacun ne parle jamais que du talent des deux autres ; un véritable assaut de modestie.
Ils ont naturellement un répertoire unique de trios d'opéra. Mais ils devraient pouvoir chanter des quatuors car il est resté, en Pologne, un jeune frère doué d'une admirable voix de ténor. Malheureusement, ce dernier ne veut pas aborder la scène, disant « qu'il y a déjà bien assez de fous dans la famille ».
Jean, Edouard et Joséphine sont, en effet, d'une gaité folle, et leur belle humeur ne contribue pas peu
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MARS t% %
à leur faire, de tous ceux qui les approchent, autant d'amis dévoués.
Par exemple, si leurs coeurs battent à l'unisson, leurs estomacs ont des exigences bien différentes.
Le jour où ils chantent ensemble, îl faut leur servir trois repas séparément Ï Jean dîne à trois heures, Edouard à quatre heures et Joséphine à cinq. Apres dîner, tous t«rois s'étendent sur trots canapés énormes, choisis à leur taille. Puis, jusqu'à l'heure du spectacle, il restent immobiles, ne souùlant pas mot. et - ce qui est le plus dur -* ne riant même plus.
Costumée avec goût, Mlle Joséphine de Reszké semble avoir quelque peu perdu de l'embonpoint qu'elle possédait à l'Opéra. Physiquement, elle y a beaucoup gagné.
Depuis son départ de l'Opéra, la nouvelle Salomê n'a cessé de chanter à l'étranger avec un succès soutenu.
En Pologne, son pays natal, elle a notamment fourni à ses compatriotes des preuves de son excessive bonté en prenant part, ici et là, à vingt-cinq représentations données pour les pauvres, et qui ont produit, grâce h elle, un total de trente-cinq mille roubles, soit deux cent mille francs environ.
La reconnaissance de ses compatriotes s'est traduite , à cette occasion, d'une façon parfois bien touchante.
A Posen, on lui a offert un gros diamant en disant :
- C'est la larme des malheureux; vous l'avez essuyée, il est juste que vous l'emportiez.
A Cracovie, on lui a dit :
- Nous sommes trop pauvres pour vous offrir des bijoux, mais permettez à notre meilleur peintre de faire votre portrait. Nous le conserverons dans notre musée.
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152 LES soiRi:r.s PARISIENNES
.Mlle de Reszké est d'autant plus digne de cette reconnaissance de tout un peuple, qu'elle n'a jamais voulu chanter en Pologne autrement que pour rien.
- Une seule fois pourtant elle accepta un cachet.
Le gouvernement russe, ayant organisé une représentation de gala en l'honneur du couronnement du czar, on lui fit demander quelles seraient ses conditions pour y figurer.
Elle demanda huit cents roubles.
On s'empressa de les lui donner et, une heure après, ils étaient dans la caisse d'un établissement de charité - polonais.
REPRISE DE « MADAME FAVART «»
4 mars.
La conduite de M. Canlin mérite d'être donnée en exemple aux directeurs présents et futurs. Elle pourrait servir de sujet à un vaudeville d'après Labiche qui aurait pour titre : M. Canlin, Vhomme infiniment poli. Elle figurerait dans les vieux anas parmi les anecdotes exemplaires de notre temps.
Dès maintenant même, elle pourrait servir de leçon à tous les directeurs qui se font un malin plaisir de s'entendre pour donner leurs premières le même soir, malgré les nombreuses protestations des critiques contre un procédé aussi discourtois.
Voyez, en effet, jusqu'où l'aimable directeur des Boutïes a poussé le désir de ne pas manquer d'égard - envers îa presse théâtrale.
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LareprisedeA/arfame/^ji'jr/était pourlui unepartie agréable, facile à gagner, et qu'il devait être, par conséquent, fort impatient de jouer. 11 y a près de trois semaines que la pièce, prête à passer, était annoncée officiellement par les colonnes Morris. Un beau jour, lavant-veille de la date fixée, M. Cantin apprend que les débuts de M. Gayarré aux Italiens auront lieu le même soir. Vite, il s'empresse de céder le pas à ses confrères de la place du Chàtelet. En vain le régisseur lui affirme que tout est bien su, bien fini, qu'il est temps de jouer (Madame Favarl.
- Qu'importe! dit-il, nous ne passerons que lundi, annoncez encore deux représentations de la (Mascotte.
- Mais Montbazona quitté le rôle... elle ne peut le reprendre pour deux fois avant une nouvelle création.
- Tant pis, gardons la doublure.
- Vous sacrifiez un dimanche...
- Je ne le sais que trop !
- C'est bien de l'argent perdu.
- J'aime mieux manger de l'argent que d'être impoli avec les journalistes. Si nous passions en même temps que le grand ténor espagnol des Italiens, ils seraient obligés de se diviser. Ces messieurs n'aiment pas qu'on les divise.
Le lundi, ce fut autre chose : un second ou un troisième début de lauréats du Conservatoire à l'Odéon, puis, le mercredi, une rentrée à l'Opéra, puis la Flamboyante au Vaudeville, puis un anniversaire d'Hugo à la Gaité, puis un lever de rideau nouveau à Cluny, puis une courte apparition de Baron dans une pièce du Gymnase reprise à la Renaissance, puis jusqu'à des spectacles de moindre importance : une petite inauguration dans un cercle d'amateurs, une iugtte de Taillade à la Bastille, la présentation d'un nouveau
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154 LES SOIRÉES PARISIENNES
cheval dressé en liberté par M. Loyal, l'arrivée dans l'espace d'un nouveau trapéziste aérien, que sais-je encore? Toute soirée infime, la moindre exhibition servait à M. Canlin pour donner à la presse une preuve de sa haute considération.
- N'y aurait-il, disait-il, qu'un seul critique qui eût envie de se diviser, cela suffirait pour me donner des regrets !
Et cependant (Madame Favarl était plus prête que jamais, et chaque jour perdu lui coûtait gros.
A ceux qui trouvaient qu'il escomptait ainsi les bénéfices de la reprise, il répondait avec noblesse :
- Le plus beau bénéfice d'un directeur de théâtre, c'est le doux plaisir d'être agréable aux journalistes.
Enfin, ce soir, tous les autres théâtres ayant bien pris leur temps, grâce à cette politesse pleine d'abnégation, M. Cantïn a abandonné la (Mascotte et nous s donné la reprise tant retardée de (Madame Favart. sans que son spectacle concorde avec aucun autre, sans que cela puisse gêner un seul d'entre nous.
Sa belle conduite méritait une récompense. Sans aucun concurrent, il a accaparé une partie de l'effectif des premières, qui ne se montre pas toujours aussi empresse aux reprises.
Il est vrai que les reprises des opérettes d'Offenbach, même d'Ofienbach sur le déclin, ne sont pas des reprises quelconques. On n'en entend plus assez, de cette musique toujours jeune et alerte, et quand, de loin en loin, un directeur a l'heureuse idée de nous en offrir un peu, c'est bien le moins qu'on lui fasse fête.
A l'inconvénient de retarder lui-même sa première de semaine en semaine, M. Cantïn a ajouté celui de
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.MARS
>)
refaire des décors, des costumes qui existent dans le matérieldes Folies, où (Madame Favart (utcrccesous sa fructueuse administration.Souvent.il lui arriva de dire en soupirant, après avoir soldé un mémoire quelconque pour la mise en scène :
- Dire que je paie cela une seconde fois !
Puissent les recettes le consoler de cette nouvelle dépense !
QUESTIOX MIXISTÉRIELLE
$ mars.
Parmi les théâtres parisiens, il en est d'heureux et de malheureux, de bien et de mal situés. Ceux-ci ont une étoile qui assure souvent le maximum, ceux-là sont aftligés d'artistes guignards qui font le vide dans la salle de leur patron ; certains ne jouent généralement que des pièces agréables, certains autres ne donnent presque jamais un spectacle attrayant. En un mot, si les derniers ne sont pas à prendre - même avec des pincettes, - les meilleurs constituent de magnifiques affaires fort désirables pour tout aspirant directeur.
Les théâtres les plus enviés sont naturellement les théâtres subventionnés.
Diriger l'une des premières scènes de France et recevoir pour cela les deniers publics, c'est le rêve, n'est-ce pas?
Malheureusement, ce rêve perd beaucoup en devenant une réalité. Ce n'est pas que la subvention soit
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I îl'i LES SOIRÉES PARI*ir.N\r^
désagréable par elle-même, mais ce qu'elle engendre d'abus et de servitudes !
Elle est notamment grevée d'un impôt plus révoltant encore que celui que la République veut mettre sur la rente française.
L'impôt en question se paie, il est vrai, en nature, mais il n'en est pas moins onéreux.
Il s'agit des demandes de places faites par le personnel administratif à tout directeur subventionné.
Toutdirecteur subventionné devient, en effet/la proie d'une armée de fonctionnaires et d'employés.
Il reçoit, d'abord, des demandes du ministre, de son sous-secrétaire d'Etat, de son secrétaire général, des directeurs et de leurs sous-directeurs. Mais ces hauts personnages ne travaillent pas seuls, et chacun de leurs petits états-majors personnels se compose d'une certaine quantité de chefs, de sous-chefs et d'attachés de cabinet, qui ne sont pas moins friands de billets de théâtre que leurs maîtres respectifs.
Les bureaux constituent une vaste fourmilière de spectateurs de bonne volonté. Chefsde divisions, chefs de sections, chefs de bureaux se mettent, dès qu'ils sont en fonctions, à écrire de belles demandes de places sur du beau papier officiel. Ce n'est pas tout. II reste encore une armée avide et quémandante, comprenant sous-chefs, commis principaux, commis,expéditionnaires , surnuméraires et auxiliaires temporaires ou définitifs, tous joyeux vivants, sachant apprécier le plaisir d'aller au théâtre sans bourse délier. .
Si j'ajoutais que les gens de la livrée administrative, les huissiers, facteurs et garçons de bureau y mettent plus de discrétion que leurs supérieurs, vous ne me croiriez certes pas - et vous auriez bien raison.
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.:\t:s M 7
Jamais on ne vit semblable âpreté. C'est une véritable curée dont on ne connut même pas d'exemple isolé aux temps honnis où le privilège théâtral plaçait tous les théâtres sans exception sous la dépendance absolue de l'État.
Les demandes de places envoyées par cette légion debudgétivores effrontés ont cet inconvénient qu'il est difficile de ne point les satisfaire.
Dans tout autre cas, les secrétariats ont leurs coudées plus franches. La presse n'est pas gênante. Les journalistes qui valent qu'on les ménage sont justement les plus discrets, et quand on leur refuse des places, pour une cause plausible, ils ne songent même pas à s'en formaliser.
Mais, allez donc, vous, directeur ou administrateur subventionné, allez donc vous aviser de faire accepter la fameuse réponse : « Impossible. Mille regrets » à un simple garçon de bureau de ministère!
Ce subalterne infime peut avoir de l'influence sur l'employé dont il sait au besoin dissimuler l'absence ou les inexactitudes.
Or, l'employé, s'il est intelligent, peut être fort utile au commis principal, au sous-chef dont il fait toute la besogne, neuf fois sur dût. Le froisser indirectement dans la personne de son fidèle garçon, c'est donc comme si l'on s'attaquait directement au sous-chef. Un souschef dans l'administration française, c'est déjà quelqu'un, presque un chef: un chef, c'est-à-dire un important, un Monsieur que son grade rapproche des directeurs, lesquels ont l'oreille du secrétaire général et du chef de cabinet, autant dire Monsieur le Ministre lui-même.
Allez donc vous mettre à dos. fût-ce par ricochets, tout ce monde d'amateurs de thrâtrcs!-
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lyS LES SOIRÉES PARISIENNES
Franchement il n'y faut même pas songer, avec cette éventualité des propositions budgétaires auxquelles grands et petits travaillent chaque année.
Autant se fâcher tout de suite avec toutes les Chambres, tous les Sénats existants.
Conclusion :
Pourquoi les employés de ministère demandent-ils tant de places ? Parce qu'ils adorent le théâtre.
Du moment qu'ils adorent le théâtre, il est évident qu'ils ne se priveraient pas d'y aller en payant, s'ils ne pouvaient se procurer des places gratuitement.
Il en résulte donc, au bout de l'année, une perte sèche en fauteuils eten loges que les employés auraient pris aux bureaux si on ne les leur avait donnés pour rien.
Des calculs sérieusement faits établissent que la recette perdue de ce chef dépasse sensiblement - à l'Opéra excepté - la somme officiellement allouée.
Ce qui fait qu'il est permis de dire que les théâtres subventionnés ne le sont pas.
Et qu'ils auraient tout bénéfice à ne recevoir aucune subvention, puïsqu'alors ils ne craindraient pas de refuser des places aux grands et aux petits personnages de l'administration.
P. S. - Il m'a été impossible d'assister, ce soir, à la reprise d'Henri lit et sa cour au théâtre de la Gaité, maison m'aflirme qu'elle a été très brillante. Il est plus que probable qu'elle sera aussi fructueuse, car le drame si intéressant, si varié, si empoignant, qui compte parmi les chefs-d'oeuvre d'Alexandre Dumas, n'a été joué que vers la fin de la saison dernière, en
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MARS I50
pleine canicule, à un moment où les Parisiens ne vont plus guère au théâtre. Cette nouvelle reprise a donc fait l'elïet d'une véritable première. H parait que Léonide Leblanc a été charmante, ce soir, et que M. Volny a joué avec beaucoup de talent le rôle d'Henri III, dans lequel M. Raphaël Duflos s'est révélé l'an dernier. M. Debruyère débute très heureusement comme directeur-so/o.
L'OPÊRA-FOLICHOX
6 mars.
Mes confrères de la presse théâtrale ont dû, comme moi, ressentir une certaine surprise en recevant ce matin un billet ainsi conçu :
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!<V» LES SOIRÉES PARISII:XM:S
même dans les autres, les coupons de service sont libellés d'une façon moins fantaisiste.
Mais, chez M. de Lagrené, il parait qu'on est tout à la joie.
De même que les invitations à une fête quelconque indiquent souvent, par la façon dont elles sont illustrées, le genre de distraction auquel on vous convie :
Jambons, poulardes, pâtés, chapelets de saucisses et petits cuisiniers pour soupers, dîners ou réveillons ;
Mirlitons, tambours de basque, grelots et crécelles, pour soirées musicales;
Dominos, masques, arlequines et pierrettes, pour bals costumés;
De même on devine , rien qu'en regardant le plaisant billet de service de l'Opéra-PopuIaire, qu'on compte y folichonner un brin.
L'Opéra-Populaire va devenir l'Opéra-Folichon.
L'imprévu y sera à l'ordre du soir. On s'appliquera, dans la mesure du possible, à distraire le public par de petites farces ingénieusement combinées.
Les cocasseries commenceront à l'arrivée. Les contrôleurs, qui se seront fait des têtes de clowns, feront mine de rendre le billet après l'avoir écorné selon l'usage, mais lorsque l'invité voudra le saisir, ils lui tendront subitement un homard vivant qui lui pincera les doigts. Effet sûr.
Lorsque l'ouvreuse retirera le paletot du spectateur, elle imitera le bruit de l'étoffe qui se déchire - des leçons spéciales ont été données à toutes ces dames par Fusier.
Chaque fois qu'on entrera dans une loge, la porte fera basculer un pot à eau afin qu'on soit inondé. Seulement, comme il ne faut pas que le plaisir compromette la santé, l'eau que l'on recevra sur la tête sera bouillante., afin de n'enrhumer personne.
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MARS I*>I
Les petits bancs seront remplacés par des bains de pieds à la moutarde : encore l'hygiène dans la farce. Ça fera rire .tout le monde, et les gens congestionnés s'en trouveront bien.
Un jeu de fils invisibles, se reliant à toutes les places de l'orchestre, permettra de relever brusquement le fauteuil de tout spectateur qui voudra s'asseoir. Ça, ce n'estpasneuf,maisc'est toujours drôle.
Par ci. par là, un peu de poix préalablement répandue sur quelques fauteuils empêchera les gens de se lever. Rien de plus mauvais pour les fonds de pantalon, mais quand on est en train de s'amuser, il ne faut pas regarder à la dépense.
Les musiciens nous feront bien rire, au moment d'accorder leurs instruments, en imitant sur la chanterelle la clarinette, le trombone, divers bruits d'animaux , tels que miaulements de chat, rugissements de panthère, soupirs de phoque, cris de baleine, grognements de cochon et aboiements de chien.
Quelques pincées de poil à gratter seront lancées par des amis de M. de Lagrené, habilement disséminés dans la salle, sur les épaules nues des dames qui seront venues en robes décolletées. Ça fait rire et c'est d'un goût exquis.
Pendant le premier entracte, on criera tout à coup: « Vlà la police ! » ce qui troublera les uns en amusant les autres.
A l'entr'acte suivant, des chiens seront lâchés dans les couloirs par la Direction, qui fera courir le bruit qu'ils sont enragés.
Enfin, lorsque les ouvreuses rendront le vestiaire, ce ne sera pas sans avoir fourré dans chaque paletot un petit sac de papier contenant une souris.
II va sans dire que, pendant la représentation, on cessera de folichonner.
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IÔ2 LES SOIRÉES PARISIENNES
LE ROMAN DTX JOUR
7 mars.
Tout devient remarquable dans celte solennité lyrique et populaire ! I lier, je faisais remarquer la cocasserie des billets de service et voilà qu'aujourd'hui, sur la partition que méfait parvenir l'obligeant éditeur du Roman <f un jour, je remarque encore que l'avis habituel réservant « tous les droits » de cet industriel artistique est adressé non seulement à « MM. les directeurs ou artistes en Société », mais encore aux « théâtres forains ou ambulants ».
L'éditeur du Roman d'un jour pousse assurément la prévoyance un peu loin, s'il a prévu le cas où les auteurs et le maestro chercheraient à se faire chanter sur les tréteaux de Neuilly, de Saïnt-CIoud et de la Foire au Pain-d'Épices.
Je sais bien que M. Anthiome a beaucoup attendu cette représentation. Cependant, si désireux qu'il soit de rattraper le temps perdu, il ne doit rêver ni les honneurs de la baraque Cocherie, ni l'interprétation des chiens savants du cirque Corvi.
Cet avis bizarre peut d'ailleurs s'expliquer aussi par une foi robuste dans la popularité future de l'oeuvre.
Lorsqu'un opéra-comique, une simple opérette même obtient le succès retentissant de la Dame Blanche, du Domino noir, des Cloches de Corneville et de la Fille de Madame Angot, les principaux directeurs forains s'emparent de l'oeuvre en vogue et la promènent triomphalement sur tous les champs de fêle de province. Impossible de leur opposer une interdiction
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MARS 163
efiicace, et le mieux est de traiter avec eux - dans l'intérêt des fameux droits réservés.
C'est pour cela sans doute que l'éditeur, le sage éditeur du Roman de ce soir a cru devoir prendre une précaution dont il n'aura qu'à se louer si l'OpéraPopulaire doit jouer cinq ou six cents fois l'oeuvre de M. Anthiomc.
Ce dernier est, comme beaucoup de compositeurs encore méconnus, un artiste de valeur très apprécié des musiciens en général.
On discute beaucoup, dans les couloirs, sur la question de savoir s'il a eu ou n'a pas eu le Prix de Rome. Les uns affirment que oui ; les autres soutiennent que non. Il peut l'avoir eu. Ce serait, en tout cas, il y a vingt ou vingt-cinq ans.
Car M. Anthiomc est arrivé, soit comme Prix de Rome, soit autrement, aux environs de la cinquantaine. Jusqu'à présent, il est surtout connu comme professeur. On sait qu'il fait un cours de solfège au Conservatoire.
Les deux librettistes n'ont pas d'histoire. L'un, M. Michel Masson fils, n'est pourtant pas un jeune homme, puisqu'il est à peu près contemporain de son compositeur. Mais, tant que M. Michel Masson père a vécu, son fils n'a témoigné aucune vocation dramatique. Son talent est une sorte d'héritage.
Reste le second collaborateur,
Toutle monde connaît « Laffrique ». Les Stanley, les Brazza ont publié sur son intérieur des travaux très estimés. Un petit voyage d'explorations personnelles m'a appris en outre que Laffrique est un jeune avocat qui aime tant le théâtre qu'il a accepté les fonctions de secrétaire à Déjazet.
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l6| LES SOIRÉES PARISIENNES
Le jeune ténor Sujol fils - un premier Prix du Conservatoire s'il vous plaît! - semble enchanté d'avoir quitté la Renaissance et l'opérette pour un genre parfois plus sérieux. Il porte un costume clair et de grosses bottes d'égoutier - des bottes populaires.
Bien que l'action se passe à Marly, elle n'est pas dénuée d'une certaine couleur locale auvergnate. C'est ainsi qu'au second tableau on danse une bourrée, parce que les dames de la cour portent des chapeaux de charbonniers au finale de l'acte précédent.
Peut-être l'auvergnat faisait-il fureur sous la Régence.
Et maintenant, recommandons aux typographes de l'afficheur Morris d'éviter une coquille facile à commettre :
Le Roman d'un Four.
GAYARRÉ DAXS < l PURITAXI
8 mars.
Il n'y a rien de changé dans / T*uritani, il n'y a qu'un ténor de plus. J'ai dit. tout récemment, quand on a repris l'oeuvre de Bellini, tout ce que j'avais à en dire. Mais à ce moment le rôle d'Arturo n'était pas chanté par Gayarré; tandis que ce soir il l'est. Voilà toute la différence. Elle est immense. Sans Gayarré, cette reprise d'I ^uritani nous avait paru triste, peu
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MARS 10?
intéressante et privéedccïat; avec Gayarré, clic prend tout de suite les proportions d'un événement.
Le jeune ténor est actuellement le chanteur à la mode, l'artiste aimé, que tout Paris fête et acclame. II suffit à galvaniser ce vieux répertoire du théâtre Italien, et son nom sur l'affiche assure les grosses recettes. Mais le chroniqueur n'a plus rien à raconter sur son compte. Il a épuisé le stock d'anecdotes dont le grand chanteur est le héros, et il ne pourrait entrer dans des détails sur la représentation de ce soir, qu'en risquant de se répéter.
Une question seulement :
Qui donc a conseillé à M. Gayarré de faire son second début dans / Turilani ?
Le choix n'est pas heureux.
11 y a de tout dans l'opéra de Bellini. excepté des effets pour le ténor.
Au premieracte. le ténor ne parait pas.
Il se montre à peine au second, dont les deux principaux morceaux sont l'air du voile que vocalise la prima-dona et le finale qui se chante sans lui.
Au troisième acte, il est constamment question d'Arturo, mais Arturo reste invisible.
Enfin on le retrouve au quatrième, et le public en profite pour lui faire sa petite ovation. Seulement il est tard ; il y a déjà beaucoup de vides dans la salle, et le dernier duo se chante devant des gens pressés d'aller prendre leur voiture*
A la prochaine représentation, on fera peut-être bien de commencer / Hhiritani par la fin.
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IÔ6 LES SOIRÉES PARISIENNES
EX ATTEXDAXT LE M1LL10X
il mars.
Vous savez combien il est pénible d'attendre quelqu'un ou quelque chose. C'est un supplice de toutes les secondes. Les minutes semblent des siècles, et l'on passe de bien mauvais quarts d'heure. A mesure que l'attente se prolonge, on devient nerveux, fébrile. On piétine sur place, on tape du pied, on joue la charge sur les vitres, et les plus patients finissent, à Ce régime, par donner des signes fâcheux d'aliénation mentale.
Or, il est en ce moment un directeur -? M. Victor Koning lui-même - qui éprouve ces angoisses cruelles particulières aux gens qui croquent le marmot pour une cause quelconque.
Certes, il a toutes les apparences d'un homme aime des dieux : un bon théâtre, une bonne troupe, de bons auteurs, de bonnes pièces, tout ce qu'il faut enfin pour rendre un directeur parfaitement heureux.
Mais on n'est jamais heureux quand on attend.
Et M. Koning attend un million.
Pourquoi attend-il cette forte somme) Notre collaborateur Prével l'a dit hier. Le directeur du Gymnase attend que les recettes du Maître de forges se soient élevées à un million pour fêter la centième représentation de la comédie d'Ohnet.
Et M. Koning est esclave de la situation qu'il s'est faite. Il ne peut plus rien tenter, rien entreprendre; il n'a
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MARS 167
qu'une seule et unique chose à faire : attendre son million.
Mon Dieu! ce million, il est sûr de l'avoir, mais il voudrait déjà le tenir. Ce n'est plus une vie! Pendant toute la journée, il ne peut rester en place et va cent fois du bureau de location à son cabinet directorial. Il ne prend goût à rien, s'habille à la diable, met sa cravate à l'envers, déjeune trop vite, dîne de même et s'expose à de fréquentes indigestions. Il n'est pas jusqu'à son caractère qui n'en subisse quelque atteinte.
Un voyage, une excursion pourraient le distraire; mais on n'a pas le droit de s'absenter quand on attend un million.
Il ne reçoit même plus ses meilleurs amis; quand son valet de chambre oublie de consigner sa porte le matin, il le rappelle à l'ordre en disant :
- Je n'y suis que pour le million du Maître de forges!
Ce million, il l'a déjà en grande partie, puisque les cent premières représentations ont donné 609,518 francs, mais il lui manque encore 390,482 francs!
Combien de jours lui faut-il pour encaisser ce reliquat de 390,482 francs ?
C'est ce qu'il cherche à savoir en calculant sans cesse et de la manière que voici, d'après l'extrait d'un petit cahier qu'il a couvert de chiffres :
ico rep°«« = 609 s 18 fr. 609/18
d'où 1 rep = - = 6.095 fr. 18
100 x rcp*tt» X moyenne (6,095 18) =: 390482 d'oîi x repons = 390.482
6 09î 18 x = 64 rep 00» 06 dixièmes
Deux mois, quatre jours et six dixièmes, c'est bien-
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IÔS LES SOIRÉES PARISIENNES
tôt écoulé, quand on n'attend pas un million, mais quand on l'attend...
Cela devient une obsession. M. Koning, sous l'empire de cette attente obstinée, n'aura jamais la constance de patienter jusqu'au i3 mai, à quatre heures du matin, date précise assignée par ses propres mathématiques à l'arrivée des derniers centimes de son million. Déjà, l'énervement est arrivé en lui à son paroxysme. Il commence à se livrer à une foule d'excentricités, assiégeant la porte de M. de Rothschild pour lui faire compléter le million de suite. Hier, il s'est présenté à la Banque de France en demandant la clé de la cave.
Un moment même voyant passer, sur le boulevard Bonne-Nouvelle, un fourgon du Trésor, il a songé à un crime, cherchant à se faire un complice de M. Derval qu'il appelait déjà c son vieux Chopard ». L'honorable administrateur lui a fait sagement observer qu'il passait trop de monde pour que le coup pût réussir.
Exalté, fiévreux, ne sachant comment tromper le temps, il erre dans tout Paris, visite les musées, les palais, le tombeau de l'Empereur, parcourt les squares et autres curiosités de la capitale. Sortant du Jardin des Plantes, où il avait contemplé les fauves de la ménagerie, il disait avec mélancolie :
- Ils ne sont pas assez nombreux... j'aurais voulu voir mille lions.
Car toujours la même préoccupation le poursuit. C'est ainsi qu'il caressait l'idée d'un voyage. Quelques heures à passer sur la ligne P.-L.-M., le temps d'aller aux Laumes.
- Pourquoi aux Laumes > lui demandait un ami.
- Parce que la station des Laumes est à 257 kilo-
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MARS 109
mètres... juste à moitié chemin de Lyon; je serais si content d'être à mi-Lyon ! -
Heureusement qu'hier soir, l'un des marchands de billets du Gymnase vint mettre fin à cette torture en lui disant :
- Monsieur Koning, on me dit que vous voûtez donner une grande fête.
- J'attends que le Maître de forges ait un million de recettes.
- Alors, inutile d'attendre. Le million est fart : six cent mille francs au Gymnase, et quatre cent mille chez moi.
LE RE-TOUR DU MOXDE
12 mars.
La magnifique scène du Châtelet reste momentanément livrée à tous ceux qui auront une combinaison de spectacle à bon marché à proposer.
M. Floury avait remonté ^Peau d'âne avec les vieux décors et les vieux costumes du Voyage à travers l'impossible, et, grâce à une troupe de clowns qui avait fait florès aux Folies-Bergère - cette reprise a été assez fructueuse pour qu'on ait voulu tenter une nouvelle aventure du même genre.
Le Tour du Monde, tel qu'on nous l'a remontré ce soir, n'est, en effet, qu'un rafistolage habile. C'est un pique-nique directorial auquel M. Derenbourg a apporté une partie du matériel ctdela troupe de laPortc10
laPortc10
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- LES SOIRÉES PARISIENNES
Saint-Martin, M. Floury son théâtre, et les héritiers de Larochelle un traité de d'Ennery et Verne, autorisant la reprise de la pièce.
On disait tout à l'heure, en arrivant au Châtelet: - Il parait que le dégraisseur est sur les dents!
Mais ce dégraisseur, si dégraisseur il y a, possède évidemment des procédés qui rendent aux costumes ayant servi l'éclat du presque neuf. Tel qu'il est, le Tour du Monde nous a paru au moins aussi bien monté cesoirque, lors de iacréation,à la Porte-Saint-Martin. Il y a bien des chances pour que cette pièce célèbre retrouve, en changeant de domicile, un nouveau regain de succès.
Plusieurs décors ont été complètement refaits, les uns par M. Robccchi, les autres par M. Poisson. Il en est d'assez jolis dans le nombre, notamment celui qui représente l'entrée du canal de Suez, la nécropole indienne et l'escalier des géants.
Les costumes du ballet sont tout neufs. On y a prodigué le clinquant, les franges d'or, les gazes lamées et les paillettes. Les accessoires sont nombreux, mais l'invention, le goût, l'originalité font complètement défaut. Il n'était pourtant pas difficile de « faire de la couleur » avec cette fête en Malaisie. Le seul pas qui m'ait fait vraiment plaisir est celui que Mlle Mariquita a déjà dansé à la création, avec celte verve extraordinaire, cet entrain endiablé qui semblent résister à l'atteinte du temps. Si l'on reprend le Tour du Monde dans dix ans, il est plus que probable qu'on y retrouvera encore Mlle Mariquita, plus jeune que ce soir, de même que ce soir elle a semblé plus jeune qu'il y a dix ans.
Simple question :
Pourquoi, pendant la danse religieuse indienne qui
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-MARS I 7 I
précède le sacrifice de la veuve du radjah, l'orchestre jouc-t-il une phrase des Rameaux de Faure?
De même que Mariquita, Alexandre ctVannoysont de toutes les reprises du Tour du Monde. On ne comprendrait pas plus cette pièce-là sans eux que le Courrier de Lyon sans Paulin Menïer.
" Quanta l'éléphant, miss Jenny, l'éléphant de la création, celui que d'Ennery et Verne firent monter dans un salon du Grand-Hôtel, le jour où l'on y fêta la centième du Tour du Monde, il s'est éteint, il y a deux ou trois ans, obscurément, - dans la misère peut-être. Le bruit avait couru qu'on ne le remplacerait pas; que M. Floury s'était contenté d'uncartonnagequ'il devait faire manoeuvrer lui-même; mais je me hâte de dire que ce bruit était faux et qu'on a exhibé un éléphant des plus convenables, portant de magnifiques cercles d'argent aux pieds, et jouant son rôle avec l'aplomb d'un vieux brûleur de planches.
M. joumard succède à M. Lacressonnière, dans le personnage de Philéas Fogg. Héritage redoutable, vu les souvenirs laissés par le créateur, et qui obligeait l'ex-pensïonnaire de la Comédie-Française à se distinguer tout particulièrement.
Mais M. Joumard n'a pas voulu se contenter de bien faire. Aux ressources que lui fournissait son réel talent, il a tenu à ajouter quelque chose de nouveau, une tradition qui lui fût excessivement personnelle.
Pour cela, il a sérieusement étudié le personnage qu'il devait représenter.
Qu'est-ce que Philéas Fogg > Un Anglais qui voyage très vite. Or les Anglais, même quand ils voyagent lentement, sont d'une tenue déplorable et d'une propreté plus que douteuse. A plus forte raison le héros
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IT2 LES SOIRÉES PARISIENNES
britannique de Jules Verne, horriblement pressé et toujours retardé, à chaque tableau de la soirée, patquelque nouvel incident, peut-il se dispenser de toute espèce de coquetterie. M. Lacressonnicre n'allait pas jusqu'à nous le montrer sale comme un peigne, mais il portait le costume de voyage avec le sans-façon d'un touriste.
Au contraire, M. Joumard, profitant de ce que son Anglais est un excentrique, en a fait un modèle d'élégance et de propreté. Pendant presque toute la pièce, le Philéas du Châtelet sort de chaque mauvais pas comme s'il sortait d'une boite. Jaquette noire, bottines à mirer des alouettes, cravate correcte : tout est irréprochable. Mais le chapeau surtout mérite une mention spéciale. Haut de forme, à la dernière mode, la soie brillante grâce à un perpétuel coup de fer, ce couvre-chef n'a cessé de provoquer des murmures d'admiration. Il avait l'air d'une enseigne triomphante, et je suis sûr que les spectateurs vont demain parcourir les journaux mondains, pour y découvrir l'adresse du chapelier qui fournit à M. Joumard cette coiffure résistant si bien à la poussière, à la neige, au feu et à l'eau.
A citer aussi Mlle Savenay, qui a chanté très gentiment la romance de la Charmeuse.
Si les serpents se retirent à sa voix, c'est évidemment parce qu'ils sont vexés de ne pouvoir siffler.
Dernier moment.
J'apprends que le chapeau de M. Joumard n'est autre que celui que portait M. Lafontaine dans la Dame aux Camélias.
Ce magnifique accessoire, qui fit déjà tant parler de lui à la Porte-Saint-Martin, ne figure plus dans la
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y.AR*
comédie de Dumas depuis que M. Lafontainc a cédé le rôle du Père Duval à M. Bouyer.
M. Derenbourg a donc pu le prêter au Châtelct avec tout son matériel du Tour du Monde.
PETITE ESTHÉTIQUE
LA NOURRITURE DU COMÉDIEN
13 mars.
Question capitale pour le comédien que la question alimentaire. Il faut, si son art le nourrit, qu'il sache, à son tour, se nourrir pour son art.
Les bonnetiers, les horticulteurs, les chefs de gare et les herboristes peuvent manger comme bon leur semble. C'est affaire entre eux et leur estomac.
Il n'en est pas de même pour le comédien.
Ce dernier doit composer le menu de ses repas, non point d'après son goût, mais en s'inspirant de l'emploi qu'il tient habituellement.
Comment déterminer l'appropriation des nombreux aliments connus aux diverses catégories de rôles ? Un manuel traitant la chose à fond me semblerait indispensable : mais je ne sache pas qu'on y ait encore songé. C'est une lacune qui se comblera comme toutes les lacunes; mais, en attendant, je crois pouvoir poser quelques principes, étudier certains exemples, dont pourra s'inspirer le futur auteur de ce bouquin nécessaire.
Tout d'abord, établissons en thèse générale qu'au10.
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cun artiste, quelle que soit sa spécialité, ne doit manger d'artichauts, plante agréable sans doute , mais ayant, parait-il, la propriété de faire bredouiller. Je pourrais citer pour preuve certains comédiens qui en raffolent, si je ne m'étais juré de maintenir ces petites études dans les pures régions de l'esthétique théâtrale.
Les chanteurs sont tenus à de perpétuelles précautions. Ils doivent notamment, quand on leur sert du lapin au restaurant, demander à voir la tête afin de ne pas s'exposer à manger du chat - le pire ennemi du ténor.
Pour la même raison, ils sont obligés de se priver de dessert, d'entremets sucrés, de gâteaux et autres chatteries.
Les basses caverneuses et, en général, ceux ou celles qui ont coutume de représenter des personnages sombres ou méchants, sont voués au gros gibier, aux viandes noires, aux vins un peu hauts en couleur. Ils trouveraient assurément, en reprenant de la côte de sanglier, l'énergie sauvage qui convient aux fortes situations de leurs «bonshommes» habituels.
Le grand premier rôle, celui que les plus nobles sentiments animent lorsqu'il est en scène, a le droit et le devoir de s'exalter en arrosant ses viandes saignantes d'un vin généreux. Il est resté quelques exemples fameux de la puissante action des vieux crus de Bourgogne, et les comédiens peuvent s'inspirer, dans une mesure relative, des souvenirs laissés par le plus illustre des acteurs de drame.
En revanche, l'ingénue ne saurait trop éviter les plats excitants. Des poulets bien tendres, des fruits nouveaux, du laitage et des oeufs sur le plat, tout
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cela lui conviendra à merveille. Qu'elle ne se prive pas non plus sur le veau, dont elle n'évitera que la tète.
Lorsque, dans une troupe, le grand premier rôle et l'ingénue sont mariés ensemble, ce qui n'est pas rare en province, je ne saurais trop leur conseiller de faire table à part afin que chacun suive bien son régime.
Il existe des rôles qui veulent une gastronomie particulière.
Le cas est parfois fort embarrassant.
Quel conseil donner à ceux qui, comme M. Gaspard dans Don Juan et dans Hamlel, tiennent le rôle d'une ombre >
Ce qu'ils ont de mieux à faire serait assurément de ne pas manger du tout.
Pas du tout... C'est peut-être beaucoup demander.
Autre exemple. Celui des comédiens qui ont à jouer Monsieur Alphonse.
Ceux-là, il ne s'agit plus de leur imposer des privations cruelles. Au contraire ! Ils peuvent manger ce qu'ils veulent, choisir les meilleurs morceaux, mais à une seule condition :
C'est que le dîner soit payé par une dame aussi mûre que possible.
Il est bien entendu que les comédiens chargés d'exprimer la passion, ceux qui ont à serrer de près la femme aimée, à l'embrasser même, comme Marais embrassait Léonide Leblanc dans Serge Panine, peuvent manger de préférence leur gigot sans ail.
Par contre, je leur recommande chaudement les écrevisses, le Champagne, les truffes et généralement
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tout ce qui les montera jusqu'au diapason des scènes d'amour les plus échcvclées.
Recommandation à peu près générale.
Sans prescrire absolument le Soissons, mieux vaut encore s'en abstenir quand on doit jouer des rôles pathétiques.
Ce farineux présente des inconvénients qui, surtout en pleine situation sérieuse - pourraient se traduire par des effets déplacés.
REPRISE DE « L'AS DE TRÈFLE »
if mars.
Chaque direction fait sa petite pot-bouille de son mieux. Déçu par Zola et Busnach, M. Simon, moins heureux que son homonyme de Cluny, se voit contraint de remonter des pièces qui, du reste, ont eu leur succès. II reprend avec fureur, avec acharnement, tout ce qui peut se reprendre à l'Ambigu. Après les Deux Orphelines, la Jeunesse du roi Henri, puis, ce soir encore, l'As de trèfle : le tout en moins de temps qu'il n'en faut pour poser les affiches.
Ces reprises arrivant les unes sur les autres comme des capucins de cartes', le public finit par ne plus s'y reconnaître. La confusion des artistes n'est pas moins grande ; ceux qui ont pris part à ces spectacles consécutifs ne savent plus à quel dialogue se vouer. Ils confondent Jacques et Uenriot, la Fro-
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chart et Catherine de Médicis, Louise et Nini Gendarme. Les répliques de M. d'Ennery se mêlent, dans leur mémoire troublée, à celles de M. Pierre Decourcelle et de feu Ponson du Terrail.
Les complications ne s'arrêtent pas là.
Un chien de la meute qui figurait dans la chasse du Roi Henri s'est échappé de son chenil pour venir, ce soir encore, à la curée de l'Ambigu. Cette consciencieuse bête voulait à toute force entrer en scène à son heure accoutumée, et le régisseur n'aurait pu l'en empêcher sans l'arrivée d'un valet de chiens lancé à la poursuite du quadrupède en rupture de laisse.
De son côté, la neige du quatrième tableau des Veux Orphelines, ignorant sans doute que M. Simon avait encore changé de spectacle, s'est mise à tomber, en plein été, sur les personnages de l'As de trèfle.
Sauf le début de Mlle Bévalet dans l'emploi des jeunes premières persécutées, sauf le remplacement de M. Taillade et de Mlle Marie Julien par M. Montai et Mme Defresnes, aucune modification importante à signaler.
M. Pierre Decourcelle, pour donner plus d'actualité à la scène du jeu. avait songé à remplacer le baccarat par le quinze ; mais on y a renoncé parce que cette dernière partie n'est pas encore à la portée des classes moyennes, où se recrute le public habituel de l'Ambigu.
Public assez calme en général. C'est à peine si l'impudence du traître Narcisse, à l'acte de la confrontation, a provoqué, aux. suprêmes galeries, les murmures d'indignation qui se produisent tdujours en pareil cas.
Seul, un spectateur a appelé l'assassin : - « Espèce
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de salaud! » Mais la sincérité de son emballement nous a paru suspecte.
En revanche, j'ai retrouvé là quelques-uns de ces petits jeunes gens qui affectent de « blaguer » la situation et de tout prendre de façon plaisante.
Ce sont des voisins bien insupportables. Encore, si tous payaient à la porte le droit d'ennuyer ainsi ceux qui les entourent !
On sait que M. Lacressonnïère remplit le rôle d'un agent supérieur retraité qui, dans le drame, s'occupe encore de police, d'abord pour occuper ses loisirs, puis pour sauver son fils faussement accusé de meurtre.
M. Robert, c'est le nom de cet amateur, se trouvera donc dans la situation de M. Macé, lorsque la reprise de l'As de trèfle aura vécu.
Il fera bien alors d'imiter l'exemple de l'ancien chef de la sûreté et de faire un drame judiciaire avec M. d'Ennery - surtout s'il peut donner ce drame à l'Ambigu, où il serait reçu avec reconnaissance.
Jf«« PIERSOX AUX FRAXÇAIS
17 mars.
Ce sont assurément les débuts de Mlle Blanche Pierson qui donnaient ce soir une si grande importance à la reprise de l'Ftrangère. II est même probable que, si M. Emile Perrin n'avait tenu - je ne sais trop pourquoi - à produire sa nouvelle pensionnaire dans
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le rôle étrange de mistress Clarkson, nous n'aurions pas revu de sitôt la comédie de M. Dumas.
C'est, du reste, sous les auspices de ce dernier que Pierson se présente au public de la rue Richelieu. C'est lui-même qui la fit engager, et voici dans quelles circonstances.
Un beau jour de l'été dernier, l'artiste et l'auteur se rencontrèrent. Après avoir parlé de la chaleur, du beau temps et du tort que faisait la canicule aux quelques théâtres ouverts, Dumas raconta qu'il se rendait à la Comédie-Française.
- Pourquoi faire? demanda la comédienne.
- Porter la Visite de Xoces.
- Ah ! mon Dieu ! je ne pourrai plus la jouer, alors >
- Mais si; venez la jouer aux Français.
- C'est facile à dire.
- Vous êtes trop modeste, ma chère amie, c'est beaucoup moins difficile à faire que vous ne pensez.
- Maïs...
- Laissez-moi agir... vous verrez!
Et Dumas agit si bien, en effet, que sur sa proposition, et après s'être assuré la neutralité bienveillante de M. Raymond Deslandes, la "Comédie-Française put engager immédiatement l'étoile du Vaudeville.
En principe, c'était dans une pièce nouvelle de son éminent parrain que Mlle Blanche Pierson devait faire ses débuts sur notre première scène littéraire. Seulement on ne pouvait attendre cette oeuvre à laquelle Dumas travaille en ce moment, mais qui est encore loin d'être terminée. On se hâta donc de remonter rÉtrangère;on se hâta même tant que l'on n'a répété la pièce qu'une dizaine de fois.
Cette préparation sommaire a encore contribué à
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augmenter les appréhensions bien naturelles de « la débutante ».
Si l'on comprend l'émoi d'une inconnue, d'une jeune élève du Conservatoire, débutant aux Français, il faut reconnaître pourtant que les artistes qui commencent leur carrière comme Mlles Marsy, RosaJBruck, Jeanne Brindcau,et tant d'autres que nous avons vues ou que nous verrons encore rue Richelieu, ne subissent pas à beaucoup près une épreuve aussi redoutable que Mlle Pierson, Même en cas de demi-succès, elles peuvent espérer une revanche; on les attendra à une autre occasion; on les critique en lés encourageant pour un avenir meilleur.
Au contraire, une comédienne, dont la réputation s'est établie ailleurs par de brillantes années de succès personnels et de créations appréciées, joue réellement une partie suprême en venant chercher à la ComédieFrançaise la consécration définitive d'un talent déjà fait. Il faut, en pareil cas, réussir d'emblée cl payer comptant. Pour Blanche Pierson, ce\te soirée capitale avait l'importance du discours académique pour l'écrivain palmé de neuf, et l'on conçoit le trouble dans lequel pouvait la plonger ce couronnement décisif d'une longue existence artistique.
Très nerveuse par tempérament, elle voyait venir avec une terreur folle le moment de son entrée.
- J'aimerais presque mieux m'en aller, murmuraitelle encore une minute avant.
On ne l'eût certes pas laissé faire
Pour se réconforter un peu, Mlle Pierson s'est rappelée aujourd'hui, et bien à propos, le conseil que lui donna jadis Arnal.
Elle était alors toute jeune et jouait aussi un rôle qui l'effrayait fort.
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MARS I S I
-- Pourquoi tremblez-vous comme cela, mon enfant? lui demanda le vieux comédien.
- Parce que j'ai peur.
- On ne doit jamais avoir peur quand on'fait son devoir. Lorsqu'on me donne un nouveau rôle, je l'examine avec la plus grande attention, je l'étudié avec le soin le plus scrupuleux, je cherche à en tirer tout ce que je peux, et puis après, même si je ne réussissais pas, je n'ai pas peur, puisqu'il n'y a nullement de ma faute et que je suis sans reproche.
Tout cela n'a pas empêché Mlle Pierson d'avoir l'une des plus fortes émotions qu'on ait vues chez Molière.
Et pourtant, elle a usé de son grand moyen contre la peur en buvant, avant le premier acte, les deux litres de café noir que sa femme de chambre lui apporte toujours dans sa loge les soirs de première représentation.
Le café est pour elle, non seulement un breuvage favori, mais aussi un véritable talisman. Elle lui attribue toutes les vertus, toutes les propriétés bienfaisantes et imaginables. On devinerait à cette prédilection que Mlle Pierson est née à l'Ile Bourbon, ce qui la rapproche de l'héroïne qu'elle a interprétée ce soir. Qui sait si elle aussi n'a pas eu des aïeux esclaves dans la même situation que les parents de mistress Clarkson ?
En ce cas, elle serait, comme l'Etrangère elle-même, une négresse blanche- mais, par exemple, aussi Blanche que possible.
Dès qu'on l'a vue entrer, on a compris que Blanche Pierson n'avait pas du tout, mais du tout, composé ce rôle étrange et terriblement difficile de mistress Clarkson, comme son illustre devancière Sarah Bernhardt.
II
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Il a suffi, pour être fixé, de jeter un coup d'oeil sur sa toilette.
Très jolie, en effet, sa robe de bal du premier acte, pleine de goût et d'une couleur délicieuse, mais pas excentrique du tout ; une robe en peluche rose très tendre, drapée sur une tunique de tulle pampillée d'or. Quelque chose de distingué, de riche, mais très loin du cachet à moitié sauvage que Sarah avait donné à son personnage.
Les autres toilettes de la « débutante » sont dans ta même note douce et charmante. Au troisième acte, elle porte une sorte de blouse en algérienne blanche rayée de perles, tombant sm un haut volant de blonde blanche; des manches longues flottantes, fendues jusqu'à l'épaule, se rattachent le plus gracieusement du monde sur une traîne de blonde soyeuse. Grande cordelière de soie autour de la taille. Ensemble très original; mais il est facile de constater l'absence voulue de toute excentricité.
La robe du dernier acte a fait sensation : elle est noire et toute brodée de jais. Le buste est moulé dans une cuirasse criblée de jais, et l'effet du collet de velours noir, descendant en pointe sur la poitrine, est vraiment heureux. On ne peut rien imaginer de plus distingue.
A côté du début de Pierson, l'événement de la soirée est la prise de possession, par Mlle Bartet, du personnage de la duchesse de Septmonts, créé par Croizclte.
On a pu revoir ainsi, avec une certaine satisfaction, deux artistes aimées du public parisien et que l'on eut souvent l'occasion d'applaudir ensemble sur une autre scène. Mlle Pierson était d'ailleurs fort touchée de rencontrer pour partenaire son ancienne camarade du
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Vaudeville, qui, mieux que toute autre, semblait désignée par la communauté des anciens succès pour lui faire les honneurs de la Comédie-Française.
Si Mlle Bartet n'était pas, ce soir, la principale intéressée de la représentation, et si j'ai surtout à m'occuper d'une autre, je tiens néanmoins à constater le double rappel dont elle P été l'objet après le quatrième acte et le succès d'élégance qu'a obtenu ce soir encore la charmante sociétaire dont les toilettes sont toujours si remarquées.
Mlle Bartet porte, cette fois, au premier acte, une robe vieille broderie d'argent ancien et ornée de pierreries antiques sur demi-robe en velours bleu pâle. Corsage ancien, en dentelle d'argent orné de vieilles pierreries. Un ensemble chatoyant et scintillant au possible.
La robe du second acte, beaucoup plus simple, est presque toute en passementerie de deux tons de gris; jupe unie en moire grise. Deuxième traîne en veloutine grise; le tout agrémenté de velours rouge. Mantelet moitié velours rouge et passementerie.
Enfin, au quatrième acte, la gracieuse duchesse de Septmonts porte une délicieuse robe d'intérieur en velours épingle blanc, entièrement unie, relevée d'uncôté par un énorme bouquet d'anémones. Corsage tout en crêpe blanc croisé à la vierge, retenu tout simplement par un second bouquet d'anémones, et très large ceinture en satin blanc.
Le duel à l'américaine qui termine la pièce par la mort du duc de Septmonts à la cantonade peut passer pour un dénouement heureux.
C'est une satisfaction générale : Gérard et Catherine sont satisfaits de pouvoir s'épouser à dix mois de date; le docteur Rémonin est satisfait de voir triom-
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pher sa théorie vibrioniste ; Moriceau, le papa beaupère, est satisfait d'être débarrassé de son gendre ; le couple Clarkson est satisfait de quitter l'Europe; il n'est pas jusqu'à l'honneur lui-même qui ne soit satisfait, puisque la rencontre finale s'est passée loyalement.
Quant au public, il n'a été satisfait qu'en voyant M. Coquelin venir, malgré le trépas de son personnage, recevoir l'ovatioa qui lui était due.
R ABOLI X
19 mars.
Tout bon directeur prend son bien où les autres le trouvent. M. Brasseur avait depuis longtemps demandé une pièce aux heureux collaborateurs des (Mousquetaires au Couvent, mais ces trois messieurs couraient après un sujet.
Ils n'en cherchaient même plus, lorsqu'un beau samedi, ils découvrirent, dans un supplément du Figaro, l'idée première de Babolin.
Ce point de départ providentiel subit, comme toujours, de telles modifications, qu'on aurait peine à le retrouver maintenant dans l'oeuvre définitive.
Mais il avait été le moteur, mettant en action les trois forces Ferrier, Prével, Varney, et ceux-ci, s'ils ne l'ont pas conservé intact, ont tenu du moins à faire encadrer le numéro littéraire où ils le dénichèrent dans un jour de bonheur.
La pièce terminée, les auteurs vinrent ensemble
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l'apporter à Brasseur, auprès de qui ils obtinrent un succès de lecture intime. Sans désemparer, on parla mise en scène.
- Où ça va-t-il se passer? demanda la direction. -- Mon Dieu ! dit Ferrier, l'action nous laisse toute
latitude.
- Et toutes les latitudes, compléta judicieusement Prével.
- Je pencherais, reprit l'auteur de Cha l'avocat, pour l'Espagne.
- L'Espagne, impossible! s'écria Brasseur, je l'ai déjà eue avec le ùvuret la Main... Qu'en penses-tu, ami Prével >
- Moi, répondit l'auteur du (Mari qui pleure, je propose le Portugal.
- Comme pour le Jour et la Xuil /., Cherchons autre chose.
- La Suisse >...
- Jamais... ça rappellerait le 'Premier baiser...
- Paris ?..
- Nous retombons dans le Roi de carreau.
- Alors, s'écria Ferrieravec une légère impatience, nous n'en sortirons pas. Ça ne se passera nulle part !
- Bravo ! s'écria Brasseur enthousiasmé, vous avez trouvé.
-* Quoi>
- Nulle parti... 'je n'ai jamais eu cela; nulle part !... C'est là que se passera la pièce.
Le directeur des Nouveautés avait vu juste. Rien de plus agréable à mettre en scène qu'une pièce qui n'est d'aucun pays, d'aucune époque. Cela permet au décorateur, au costumier de se servir adroitement de tous les styles, sans s'astreindre à aucun. On a donc pu, pour Babolin, combiner une foule de modes histo-
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riquessans s'exposer au moindre anachronisme. Nous retrouvons dans les costumes la fantaisie de la Hollande jointe à l'éclat de l'Orient. Certaines petites femmes portent des chapeaux typiques du Bourbonnais sur des coiffures frisonnes; d'autres, à côté, ressemblent à des juives mauresques. Les uniformes abondent dans la pièce ; mais, en vertu des mêmes commodités, ils sont d'une variété sans pareille. Des dragons de Villars coudoient des volontaires de la République sous l'oeil bienveillant de gendarmes départementaux.
Même diversité pour les artistes : Berthelier rappelle le grand Frédéric par sa tenue austère et étriquée ; Albert Brasseur, le joyeux Jocrisse des Nouveautés, est en incroyable; la jolie Vaillant-Couturier est extrêmement gracieuse dans son ravissant costume de paysanne Louis XV; Morlet est un Méphistophélès Henri II, tandis que leurs partenaires sont indifféremment en personnages Louis XV ou Louis XVI. C'est Draner qui a composé tous ces costumes, et vous pensez si sa brillante fantaisie a pu se donner carrière.
Les décors de Robecchi sont aussi jolis, aussi fantaisistes que les costumes.
Au premier acte, dans l'auberge du Faisan d'or, la grande salle à panneaux de bois clair, toute enguirlandée et toute fleurie, a un petit aspect d'intérieur danois ou norwégien.
Au second acte, les jardins du palais, avec leur charmant petit lac au fond et l'immense tente sous laquelle se repose la princesse Darcourt, rappellent le parc de Chenonceaux. Ils nous l'ont rappelé d'autant plus ce soir, que précisément pour ce second acte Madame Wilson est arrivée dans la grande avant-
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scène de gauche, accompagnée du général Pittié - ce qui a donné à la première de Brasseur comme un petit air de gala.
Au troisième acte enfin, la scène représente une salle ouverte de laquelle on découvre une partie du palais ressemblant énormément à un coin du Kremlin.
Comme on voit, il y en a pour tous les goûts.
Un interprète que le public des premières a vu débuter avec plaisir dans le coquet théâtre du boulevard des Italiens, c'est M. Morlet.
L'ex-pensionnaire de rOpéra-Comiqlie, le Pippo de ta (Mascotte, était enchanté de son rôle et des morceaux que M. Varney a spécialement écrits pour lui. Dès la deuxième leçon , il savait tout, rôle et musique.
- J'ai la mémoire des choses qui me plaisent, disait-il à ceux qui s'étonnaient de ce tour de force.
Il a fait son entrée pendant que « l'orage faisait rage, >» comme disent les choeurs de MM. Ferrier et Prével. Tonnerre, éclairs, pluie, comme pour l'orage du Roi s'amuse ou de Monte-Cristo.
L'oragede liabolin-bien qu'eyant eulieudansunc soirée sans nuage - restera comme un modèle dans le genre lyrique, se combinant avec l'orchestre ci les choeurs, sans jamais couvrir la musique.
Il parait que cet orage a fait, pendant les répétitions, le desespoir de M. Varney.
- Je voudrais un orage très doux, ne cessaitil de dire, qui n'empêchât pas d'entendre mes chanteurs.
Et on est parvenu à régler un orage mignon, très gentil et pas effrayant du tout.
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Les artistes des Nouveautés ont appelé cela : un orage Watteau !
La triomphatrice de la soirée, c'est Milly Meyer.
L'amusante petite actrice, avec ses façons comiques de se plier en deux pour saluer sa souveraine, avec ses gestes de marionnette, sa voix qui a l'air de sortir du nez, ses soupirs qui ressemblent à des miaulements de chatte amoureuse, ses petits claquements de doigts, ses trépignements pour rire, et son plaisant bagage d'originale fantaisie, a fait pâmer toute la salle, dans toutes ses scènes.
On lui a bissé tous ses morceaux , et notamment un duo avec Mlle Darcourt. Parmi ceux qui l'acclamaient le plus fort, se trouvait M. Francisque Sarcey, assis au premier rang du balcon. On sait le peu d'estime que le critique du Temps professe pour l'opérette. Or, pendant qu'il s'abandonnait à l'entraînement général, son chapeau - qu'il tenait devant lui, comme pour protester contre les applaudissements de son maître - est allé \omber dans l'orchestre. Là, des âmes charitables en ont eu soin. Ce n'est que vers la fin du spectacle qu'on l'a rendu à son propriétaire. Celanelui arrivera plus, à M. Sarcey, d'applaudir des morceaux d'opérette, ou bien il laissera son chapeau au vestiaire.
La pièce, commencée à l'heure dite ou à peu près, s'est terminée avant minuit.
Cette exactitude est dans les traditions de la maison. M. Brasseur, qui aime les journalistes comme ses enfants, craindrait de les retenir trop tard.
Et puis, personnellement, il tient, autant que possible, à pouvoir prendre le dernier train pour MaisonsLaflitte, où il demeure toute l'année. Autrement, il
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est forcé de prendre une voiture et, dit-il, les routes ne sont pas sûres.
Hier et avant-hier, les répétitions générales l'ayant réduit à cette extrémité, il s'est avisé, pour parer à l'éventualité d'une attaque nocturne, d'armer tous ses compagnons de route à l'aide d'une garniture de cheminée. Il tenait le tisonnier, son fils Albert, la pelle à feu, et le cocher, outre son fouet, brandissait la paire de pincettes.
Ce soir, il n'aura pas besoin de tant de précautions, car avec Babolin, il n'a pas manqué le train.
LVCIA
20 mars.
Il n'est guère plus facile de parler de Lucia diLammermoor que de la Fille de Madame Angot ou des Cloches de Comeville.
Comme les opérettes de Lecoq et de Planquette, l'opéra de Donizelti fait partie du répertoire courant des orgues de Barbarie et, pour qu'il puisse trouver un regain de vogue, il lui faut des interprètes hors ligne.
Or, c'est par là précisément que la brillante représentation de ce soir m'échappe. Mon éminent collaborateur Vitu vous dira comment Gayarré et N'évada ont chanté Edgardoet Luciu; moi, cela ne me regarde pas.
Alors, que me reste-t-il >
La mise en scène. Elle ne présente qu'un intérêt
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médiocre. La plupart des décors ont servi aux précédents opéras. Au dernier décor des Puritani, qu'on avait déjà revu dans Luçre\ia, on a ajouté une fontaine devant laquelle les fiancés échangent leurs serments au premier acte, et, à la salle des armures des mêmes Puritani, on a ajouté un escalier, fort raide, à en juger par les chutes qu'y ont esquissé plusieurs dames choristes. Les costumes sont à l'avenant. Les seigneurs écossais ont certainement figuré, dans la journée, sur les chars qui ont défilé devant le /Yi«- temps. Mais ce sont là des détails insignifiants dont personne ne songe à se choquer aux Italiens, Ces petits côtés imprévus de la représentation y ajoutent même un charme de plus. Quand il s'agit de monter aussi rapidement qu'on le fait aux Italiens un tas d'ouvrages importants, il faut nécessairement savoir se contenter d'à peu prés.
Pour souhaiter la bienvenue à Gayarré, on atout de suite raconté à son sujet tout ce qu'il y avait à en raconter. On a fait son portrait, sa biographie, indiqué approximativement le nombre de cigarettes qu'il fumait par jour, peint son caractère, détaillé ses qualités, ses petites habitudes, analysé son accent, et ce soir, pendant que le grand chanteur nous ravissait tous, je me disais - pauvre chroniqueur! - que le moindre débutant eût mieux fait mon affaire.
Je noterai cependant qu'au fameux et superbe finale du second acte, Gayarré, complètement emballé, a si fortement bousculé sa Lucia, que celle-ci, pendant l'entracte, en était encore toute tremblante et a eu toutes les peines du monde à se remettre de la peur qu'elle a eue.
La nouvelle Lucia est Mlle Nevada, qui a quitté l'Opéra-Comique. où elle n'a réussi qu'à moitié, pour se consacrer définitivement à l'art italien...
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On a fait autant de récits sur la cantatrice améri» caine que sur le ténor espagnol. On a dit - naturellement - qu'elle était née en Amérique, que son véritable nom est Wixon, que son père, qui ne sait pas le français et ne se fait guère comprendre que par geste, l'accompagne toujours, que sa famille est fort nombreuse et qu'elle la soutient, que son petit frère chante déjà, à l'âge tendre de deux ans, tout son répertoire.
Que n'a-t-on révélé encore) Qu'elle s'est trouvée de bonne heure livrée aux seules ressources de son art, à Vienne, où Mme Marchesi, qui la rencontra alors, fut à la fois un éminent professeur et une seconde mère pour elle.
En admettant même qu'il fût resté quelque anecdote après les racontars de ses débuts, on n'eût pas manqué de la recueillir dernièrement lorsque sa conversion, son baptême, remirent Mlle Nevada à l'ordre du jour de l'actualité parisienne.
On a raconté que Mlle N'évada s'était brouillée avec M. Carvalho pour une question de costume. Elle désirait s'habiller à sa guise dans une reprise projetée do Don Pasquale, et le directeur de l'Opéra-Comique n'entendait pas de cette oreille-là.
Pour prouver à quel point il avait raison, Mlle Nevada s'est costumée ce soir d'une façon si singulière que, dans les situations dramatiques, on ne parvenait à la prendre au sérieux qu'en fermant les yeux.
Après la scène de la folie, qui lui a valu des ovations assez sérieuses, deux laquais en grande livrée sont venus apporte? à la cantatrice une immense corbeille de fleurs.
Mlle Nevada a fait un grand geste d'étonnement, puis, après avoir mis la main sur son coeur, elle a détaché de la corbeille un camélia blanc qu'elle a fait
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passer au flûtiste qui tient, dans l'air de la folie, le rôle important que l'on ^ait. Cette petite scène a fait beaucoup d'effet, Mlle Nevada n'aurait jamais pu la jouer à l'OpéraComique.
Entendu, dans un couloir, pendant un entracte : - Quand j'ai chanté ce rôle... il va quarante-neuf
ans... à San-Carlo...
v Je me retourne et me trouve en face de Duprez.
LA RECHERCHE DE CHOPART
21 mars.
Ce soir, à la Gaîtê, nouvelle réapparition du Courrier de Lyon.
Sans en avoir l'air au premier abord, cctle reprise fait grand honneur à l'habileté de M. Debruyère. D'autres directeurs ont remonté ce drame célèbre bien avant lui; mais aucun n'avait eu à vaincre les mêmes obstacles.
Car jusqu'ici, pour donner le Courrier de llyon, il n'y avait qu'une chose à faire: engager Paulin Ménier, ce qui ne présentait pas de difficultés, leminent acteur étant toujours prêt à reparaître dans son beau rôle.
Malheureusement, les dispositions de l'incomparable Chopart ont bien changé. Ce rôle qu'il a tant aimé lui estodieux. Paulin Ménier était devenu Chopart, comme Chopart était devenu Paulin Ménier. Impossible à Paulin Ménier de jouer un rôle autre que Cho-
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part sans qu'on lui rappelât que Chopart restait toujours, et quoi qu'il fasse, sa meilleure création.
Cette scie avait fini par l'agacer au point qu'il s'était promis, une fois pour toutes, de ne plus jouer ce rôle de Nessus. Tant pis pour le Courrier de Lyon: on ne le reprendrait plus, voilà tout !
Déjà, la dernière fois qu'il avait endossé le carrick, le légendaire maquignon dut faire un violent effort sur lui-même. Depuis, se défiant de sa faiblesse de caractère et ne voulant plus s'exposer à céder aux sollicitations, il se tenait toujours sur la défensive envers les directeurs de drame.
Aussi, lorsque récemment on annonça la reprise de ce soir, M. Paulin Ménier, mis en éveil, se dit-il non sans quelque perspicacité :
- Debruyère remonte le Courrier, il va venir me trouver; sachons l'empêcher de reprendre ce maudit spectacle.
Le Chopart perpétuel avait deviné juste. A peine avait-il eu le temps de se préparer à cette visite, que le directeur de la Gaîté sonnait à sa porte.
Après une longue attente, un valet de chambre vint ouvrir à M. Debruyère. Superbe ce domestique: correction britannique; magnifiques favoris roux très bien taillés; livrée élégante ; tenue irréprochable.
- Good morning, sir !
- M. Paulin Ménier est-il chez lui>demandaM. Debruyère un peu interloqué.
- To be ornot to be!... Englishspoken hère.
De moins en moins renseigne, le directeur, tout en admirant le beau larbin anglais, se disait tout bas:
- Quel chic!... il a l'air à son aise, ce satané Ménier! Pourvu qu'il ne me demande pas un cachet trop élevé !
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Cependant, désireux d'en finir avec les pourparlers d'antichambre, il ajouta tout haut :
- Pardon, mon ami, mais votre idiome me trouble... est-ce que vous ne pourriez pas me parler en français ?
- Yes, Monsieur !... master à moa sorti; lui pas rentrer avant tvvo days ; very wcll.
- Bien, je vais l'attendre.
- A le aise de vô... Wîll you somc papers publics >
M. Debruyère prit l'un des journaux qu'on lui tendait. Mais if lisait à peine depuis cinq minutes qu'il entendit tout à coup dans l'antichambre un tapage infernal : deux voix furibondes, dont celle du valet anglais.
- Vô pas entrer... master Paulin pas là, répétait sans cesse ce dernier.
- Che fus dis, répondait un organe tudesque, que che feux le foir. Ch'attenlrai!
- Moa pas pouvoir laisser vô attendre ici.
- Fus êdre eine filou et lui bareillement !
- Goddam !
- Tarteifle !
Ici la porte s'ouvrit violemment et laissa passer une sorte de bottier allemand qui, saisissant le directeur de la Gaité au collet, s'écria:
- Te foilà! ! credin !... bayes-moi donc mes potles!
- Mais sapristi ! s'écria l'imprésario d'une voix étranglée, il y a erreur... je ne vous connais pas... je suis AI. Debruyère.
L'Allemand, reconnaissant la méprise, fit des excuses, mais comme il reprenait ses injures sur M.Paulin Ménier, M. Debruyère préféra payer luimême se disant:
- Bah ! je retiendrai cela sur Jes cachets de Chopart !
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Le bottier une fois parti, M Debruyère, bien décidé à attendre jusqu'au bout, resta d'abord quelques instants seul; bientôt il vit entrer un vieux monsieur, aux allures graves, aux lunettes d'or et portant une cravate blanche,
Tous deux se saluèrent courtoisement; puis le vieux monsieur demanda, après un silence de bon ton :
- Vous voulez voir M. Paulin Ménier) -- Lui-même.
- Grave imprudence, Monsieur, car il est atteint d'une affection terrible et contagieuse : la fièvre jaune.
- Ah! mon Dieu ! où diable a-t-il pu attraper cela)
- Il y a longtemps ! en jouant dans la Case de l'Oncle Tom. Vous savez sous quel climat ça se passe) Depuis on n'a jamais pu le guérir complètement, et cette fois la rechute est bien cruelle pour tous ceux qui l'approchent.
- Vous-même, Monsieur, ne l'approchez-vous pas)
- Moi, je suis médecin, le devoir professionnel avant tout!... Mais les autres auraient bien tort de risquer inutilement leur existence.
- Bîgre! je ne reste pas, s'écria le directeur en prenant sa canne et son chapeau. Et puisque vous le verrez, docteur, veuillez donc lui dire que M. Debruyère était venu lui demander de jouer te Courrier de Lyon... mais qu'en raison de son état de santé...
- Vous choisissez un nouveau spectacle)
- Du tout! je monte le Courrier de Lyon quand même.
- Et le rôle de Chopart )
- Tant pis ! je le ferai jouer par un autre.
- Par un autre, mon rôle! jamais de la vie! s "ex-
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clama le soi-disant médecin, en jetant en l'air sa perruque etses lunettes.
M. Debruyère, stupéfait, comprit tout. Le domestique anglais, le bottier, le vieux docteur, n'étaient qu'un seul et même Paulin Ménier, qui, comme on sait, excelle dans l'art de se faire des tètes.
- Allons ! s'écria le grand comédien de sa plus belle voix de Chopart, allons ! enlevez. C'est pesé... C'est ma tête que vous me demandez)... prenez-la! et ce n'est pas un fier cadeau que je vous fais !
PREMIÈRES A DÊJAZET. - EXCELSIOR
m
22 mars.
Le Théâtrs-Déjazet vient de faire une tentative hardie. On y a joué ce soir une pièce nouvelle, le Mariage à la course, qui est de M. Gaston Marot, sans être de M. Edouard Philippe. Marot sans Philippe, Philippe sans Marot, c'est, toutes proportions gardées, presque aussi extraordinaire que Chivot sans DuruouDuru sans Chivot.
La nouvelle comédie du principal auteur des Boussigneuta été montée avec un soîn tout particulier par M. Charpentier. Les cartonnages qui figurent sur la table au repas du premier acte, le melon, le poulet, les poires, le fromage et le parfait glacé ont été repeints à neuf. On a fait les frais d'un décor représentant un bureau de tramways pour le second acte; les artistes chargés d'y tenir les rôles d'employés et de surveillant portent des casquettes spécialement confectionnées
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par le propre chapelier de la Compagnie générale des omnibus; les petits numéros et les coupons de correspondance sont d'un réalisme non moins minutieux. Enfin, l'insolence du préposé parlant au public est également fort exacte. »
Ce n'est pas tout. Non content de soigner la mise en scène avec cette conscience et ce souci du détail qu'on admire chez son collègue de la Comédie-Française, M. Charpentier, voulant que tous les rôles, même les plus courts, fussent tenus d'une certaine façon, s'est distribué, avec une abnégation bien rare chez les artistes-directeurs, le personnage presque muet d'un paysan qui attend l'omnibus en mangeant du vrai fromage sur du vrai pain. Il ne figure même pas sur l'affiche.
Il est vrai que ladite affiche n'en est pas moins brillante, grâce à cinq vedettes en caractères énormes,bien faites pour attirer le quartier : M. Mondet, M. Chelu, Mme Macs, M. H. Min, Mlle Barnold.
Une constellation au grand complet.
Malgré ce luxe de séductions scèniques et cette abondance d'étoiles des deux sexes, le Mariage à la course n'est pas le seul attrait du nouveau spectacle de Déjazet.
Deux comédies en un acte viennent corser le spectacle. L'une, le Coup du lapin, est de MM. G. Briet et G. Cerfbeer. M. G. Briet n'est autre que le fils du sympathique directeur du Palais-Royal. C'est un début dans la carrière en attendant l'accès de la scène paternelle.
Quant au Lézard, qui commence la soirée , il est signé d'un nom également apprécié rue Monlpensîcr, M. Galipaux, un jeune comique qui emploie de son mieux les loisirs que lui laisse sa véritable profession.
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En même temps, une salle magnifique et très parisienne fêtait, à l'Éden, la reprise d'Excelsior.
Le ballet de Manzotti est décidément le ballet-type, après lequel - comme l'expérience faite avec Sieba l'a démontré du reste - il était inutile de monter d'autres ballets italiens, coulés dans le même moule, mais beaucoup moins amusants.
L'idée d'Excelsior est simple, ingénieuse et originale ; elle a permis au costumier et au décorateur de mélanger fort heureusement les costumes pittoresques des pays les plus divers ; elle a fourni au maître de ballet un des cadres les plus amusants et les plus variés qu'il soit possible d'imaginer. Aussi, le succès en sera-t-il toujours très vif.
Tous les costumes ont été remis à neuf; ils ont autant d'éclat qu'à la création.
Mlle Cornalba, l'une des meilleures danseuses que l'Eden nous ait présentée jusqu'à ce jour, a été très remarquable, surtout dans son pas de deux du divertissement des Nations. On l'a acclamée. On a revu, avec un très vif plaisir, la charmante Mlle Laus dans le pas de l'aimée d'une couleursi exquise et d'un "tour si voluptueux ; on a bissé avec enthousiasme la mazurka des postillons ; bref, - malgré quelques accrocs insignifiants dans la manoeuvre des décors et plusieurs fausses notes fâcheuses à l'orchestre - la soirée a été excellente. Il est certain qu'Excelsior - précédé de l'amusante pantomime des Lauri : lPuss, Puss - va refaire beaucoup d'argent. Mais, maintenant, il va falloir trouver autre chose.Jesuppose qu'on y pense.
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LA PHRASE CARACTÉRISTIQUE 24 mars.
Le hasard m'avait placé ce soir, à l'Opéra, auprès d'un jeune compositeur de la nouvelle école.
Pendant le premier entr'acte de Don Juan, deux de ses amis, également jeunes, également compositeurs, également de la nouvelle école, vinrent le retrouver. Ils parlaient très haut tous les trois, de sorte que j'entendis sans préméditation la conversation suivante :
- Que faites-vous)
- Un opéra. Et vous)
- Un opéra-comique.
- Où en êtes-vous)
- Hélas! mon cher, je suis accroché : il me manque quelque chose d'essentiel.
- Quoi donc)
- La phrase caractéristique.
- Tiens, vous êtes comme moi... Je cherche la mienne depuis quinze jours sans pouvoir la trouver.
Vous savez que la phrase caractéristique a pour mission spéciale, dans toutes les partitions nouvelles, de caractériser musicalement l'esprit, ou l'humeur, ou la situation sociale, ou les passions, ou les vices, ou les vertus, ouïes petites habitudes du principal personnage. Elle revient dans l'orchestre chaque fois qu'il entre en scène; il ne peut plus faire un pas sans elle; elle l'escorte, le précède, le suit, l'enveloppe et se fait môme entendre en son absence dès qu'on parle de lui.
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Bref, la phrase caractéristique aujourd'hui, il n'y a que cela!
Pendant que deux de mes voisins vantaient l'indispensabilité de la phrase caractéristique, son influence décisive sur l'ensemble d'une oeuvre musicale, etc., etc., le troisième, qui avait eu soin de ne rien dire encore, s'écria en dissimulant un sourire assez ironique :
- Moi, je ne comprends la phrase caractéristique qu'à une condition, c'est qu'elle serve à l'action.
- Comment cela)
- En ce moment, j'achève un opéra dont vous me direz des nouvelles...
Et il développa son scénario.
- Mon titre : Charles Martel.
Les chrétiens reviennent de la bataille de Poitiers: Charles Martel est à leur tête.
Dès qu'il entre en scène, ce grand vainqueur est porte en triomphe.
C'est alors que, pour la première fois, éclate à l'orchestre la phrase caractéristique. Elle caractérise un guerrier victorieux, doue d'un beau caractère; je l'ai donc écrite dans le style éclatant; j'avoue même qu'elle est un peu bruyante. Mais par les mélodies tapageuses qui courent... Bref, tous les cuivres donnent, soutenus par de vigoureuses batteries. Les trompettes- j'en ai fait ajouter quatre - commencent :
Ta, tra, ta, ta, ta ; ra, ta, ta, rra, ta, ta !
Impossibled'indiquer plus nettement l'enthousiasme du bon peuple et le juste orgueil de l'héroïque Martel, enchanté de l'ovation qui accompagne - ou qu'accompagne si bien sa phrase caractéristique.
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Mais il n'est point d'ovation militaire qui n'ait une fin. Et la preuve, c'est qu'au second acte le peuple est parti. En revanche, la nuit est venue et Charles Martel, resté seul, exprime en ces termes qu'il y a temps pour tout :
C'est assez penser à la guerre, Maintenant, songeons à l'amour.
Sur cette réflexion badine, mais juste, il s'enveloppe hermétiquement d'un manteau couleur de muraille et va frapper trois coups discrets à la petite porte d'une maison qu'habite la femme de ses rêves -une femme mariée.
La situation est pleine d'intérêt, aussi :
Ta, tra, ta, ta, ra, ta, ta, rra, ta, ta !
Malheureusement, la phrase caractéristique éveille le mari, qui ronflait avec la sérénité d'une inconsciente toupie d'Allemagne. Mais allez donc doimir au bruit de mes cuivres, y compris les quatre trompettes supplémentaires !
Le mari s'empresse de sauter au bas de son lit, d'appeler ses fidèles serviteurs, de les armer de solides gourdins.
Quelques instants après, Charles Martel, gratifié d'une raclée homérique par l'époux outragé, se frotte les reins avec mélancolie et en s'écriant :
L'amour n'est pas mon affaire : Retournons faire la guerre I
En effet, l'occasion est bonne pour guerroyer ferme, car les Sarrasins ne se doutent de rien. Ce sera, pour
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notre gaillard, un jeu de les surprendre, et cette surprise fera l'objet du troisième acte.
Charles Martel, gardant le mystère sur ses projets, prend avec lui les plus agiles de ses soldats. Défense de prononcer un mot. Ordre de retenir son haleine en arrivant au camp ennemi. Les hommes, après avoir entouré de linge le sabot de leurs chevaux, se mettent silencieusement en marche à la faveur des ténèbres d'une nuit épaisse. Encore quelques pas, et les infidèles, surpris en plein sommeil, n'auront même pas le temps de tomber en garde. Ils vont tous être massacrés.
La situation est de plus en plus tendue, aussi :
Ta, tra, ta, tra, ta ! ra, ta, ta, rra, ta, ta !
Au bruit caractéristique de cette phrase, les Sarrasins se lèvent comme un seul homme en chantant à tue-tête :
Le vacarme est tel
Que voilà Charles Martel I
Puis ils tombent à bras raccourcis sur les chrétiens qui, n'étant pas en nombre, sont battus à plates coutures.
C'est alors que...
A ce moment, le rideau se lève, les trois jeunes compositeurs de la nouvelle école se séparent - et je ne connaîtrai sans doute jamais la fin de cet opéra caractéristique.
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MARS 203
LA MORT DU THÉÂTRE
26 mars.
L'art dramatique est en pleine crise. A deux ou trois exceptions près , les directeurs parisiens tirent une langue démesurée, et jamais peut-être on ne vit, à la fois, autant d'entreprises difficiles à maintenir.
Cette fâcheuse situation doit avoir une cause.
Elle en a plusieurs. M. Sarcey a déjà répandu beaucoup d'encre sur beaucoup de papier blanc pour en indiquer une, très importante : l'heure tardive à laquelle on sort de table et qui fait que les premiers actes de presque toutes les pièces se jouent devant des salles à moitié vides.
Mais il y en a d'autres encore.
Je n'en veux prendre qu'une seule aujourd'hui, la plus grave, la plus décisive de toutes :
Le prix exorbitant des places.
Avez-vous pensé à ce que peut coûter le plaisir du spectacle dans de simples théâtres de genre ?
11 faut payer une bonne loge jusqu'à quatre louis, soit, avec les autres menus frais, cent francs au moins.
Certes, on les donne. Seulement, on ne les donne que pour les grands succès, pour la pièce en vogue ou la diva acclamée, pour le chanteur célèbre ou l'attraction spéciale de mise en scène.
En dehors de ces cas très spéciaux, le public n'a plus d'argent pour le théâtre. Les recettes vont aux deux extrêmes ; plus que le maximum et moins que le minimum.
Tout ou rien !
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La bonne pièce courante de jadis, celle qui tenait l'affiche quarante ou cinquante fois avec des recettes honorables, mais sans faire le maximum , cette pièce moyenne n'existe donc plus)
Aussi, fatalement, les directeurs se voient-ils forcés deviser le gros résultat, de chercher des clous. Ils donnent la préférence aux auteurs célèbres, aux comédiens, aux chanteurs en vogue, à tous ceux qui peuvent assurer la recette malgré l'élévation du tarif des places.
Dans beaucoup de théâtres - je ne veux pas dire dans tous - lorsqu'un jeune homme se présente - et non point un nouveau venu, mais un auteur d'avenir, ayant déjà donné de sérieuses espérances, l'imprésario se défie de lui et de son oeuvre. Il ne voit jamais là l'élément capital, l'influence décisive pouvant forcer l'attention du public et justifier le prix excessif de ses loges et de ses fauteuils.
Préférer les gens arrivés ? ceux qui n'ont encore que l'envie de les rejoindre , c'est assurément fort logique.
Mais la conséquence de ce système, c'est que, peu à peu, le personnel arrivé diminue sans pouvoir se renouveler, et que les directeurs voient disparaître les artistes et les auteurs de talent auxquels ils n'ont pas su créer de dignes successeurs.
Et comment en auraient-ils créé)
Autrefois, quand on n'avait pas besoin d'espérer trois cents représentations pour recevoir un drame ou un vaudeville, on recevait des pièces moyennes ; on les montait vite ; on travaillait régulièrement, et ces spectacles, se succédant d'une façon rationnelle sur l'affiche, fournissaient à l'auteur, à ses interprètes, de
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fréquentes occasions de se rompre aux difficultés du métier.
Aujourd'hui, plus rien de tout cela. Le spectacle coupé lui-même, cet agréable spectacle coupé qui nous fit connaître tant de petits chefs-d'oeuvre, a complètement disparu.
Pourquoi paierait-on sa place douze francs pour, voir un acte )
Telle pièce, accueillie avec un succès moyen à la première, mais jouée sans éclat par des artistes consciencieux; ayant en outre, ici et là, au commencement et à la fin, quelques points un peu faibles, aurait cependant obtenu, malgré tout, il y a quinze ou vingt ans, trente ou quarante bonnes représentations moyennes, avec deux mille cinq cents francs de recette.
Maintenant, au contraire, que lui arrive-t-il, à cette oeuvre très estimable )
Au lendemain d'une première moyenne, on s'aborde, on s'informe, on se renseigne mutuellement :
- Eh bien)...
- Pas mal; un joli deuxième acte.
- Comment est-ce joué )
- Peuhl...
- Alors, il ne faut pas aller voir ça >
- Ah! mon Dieu, sï !... pourquoi pas ) Comme ces réponses ne sont pas d'un enthousiasme exagéré, on ne se sent pas très entraîné tout d'abord; puis, lorsqu'il s'agit surtout de débourser trois ou quatre louis, on hésite et, après avoir hésité, on s'abstient définitivement.
Il en résulte que, si l'on ne forme plus d'artistes ni d'auteurs, on ne forme plus de spectateurs, ce qui est au moins aussi grave. Car le public a besoin, lui
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aussi, de s'exercer le goût et de fréquenter les salles de spectacle. Il faut, pour aimer et apprécier le théâtre, y aller très souvent.
Or, il est certain qu'on y va beaucoup moins qu'autrefois.
Espérons cependant que le temps est encore éloigné où l'on n'y ira plus du tout.
Cerlesje ne me dissimule pas que d'autres se sont déjà tenu tous ces raisonnements. Je n'ai nullement la prétention de les avoir inventés. Mais je crois qu'il y a là une vérité bonne à dire, à redire, à crier pardessus les toits même et, pour moi, je n'hésiterai jamais à répéter toutes les fois que j'en aurai l'occasion :
« Messieurs les directeurs, si vous voulez ne pas tuer vos théâtres, diminuez le prix des places. »
RÉPÉTITIOX GÊXÊRALE DE t SAPHO »
27 mars.
D'abord, il ne devait y avoir personne.
Puis on décida qu'on laisserait venir quelques journalistes, ceux qui font paraître leur article dès le lendemain - ceux-là, mais pas les autres.
Puis, on se demanda : « Pourquoi pas les autres) pour les mécontenter) A quoi bon s'en faire inutilement des ennemis) »
Alors on se dit : « Admettons tous les journalistes, v
Alors on ajouta : <c Puisque tous les journalistes
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viendront, envoyons-leur le service ordinaire et numérotons les coupons. »
Alors, les abonnés des trois jours intervinrent en s'écriant: « Eh! quoi! vous faites le service numéroté de la presse, et vous ne nous invitez pas, nous, les abonnés des trois jours!... Nous ne sommes donc rien) >
Alors on se dit encore : « Admettons également les abonnés des trois jours », et on envoya auxdits les fauteuils numérotés.
Alors, Gounod et Emile Augier intervinrent en disant, non sans raison : <c Puisque vous envoyez un serv ice aux abonnés des trois jours, vous pouvez bien donner des places à nos parents, amis et connaissances. »
Alors, ce furent de nouveaux numérotages pour les amis des auteurs, puis pour les familles d'artistes, puis pour une foule d'autres invités supplémentaires, jusqu'au moment où il ne resta plus une seule place à pouvoir numéroter.
Alors, il en résulte que, ce soir, la répétition générale de Sapho a eu lieu devant une salle pleine, véritable salle de première, et dont nous pouvons parler non plus comme d'une répétition réelle, mais comme si nous venions déjà d'assister à la représentation de lundi.
Le spectacle avait été annoncé pour sept heures. Aussi avait-on envahi les restaurants voisins de l'Opéra, comme les jours de vernissage on prend d'assaut ceux qui entourent le Palais de l'Industrie.
Tout le monde a dîné de bonne heure. Une vraie perturbation dans les usages du Tout-Paris.
A sept heures et demie, la salle est pleine. Mais
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20S LES SOIRÉES PARISIENNES
l'orchestre des musiciens est encore vide. Il est certain qu'il y aura un retard sérieux.
On prend patience en jouant de la lorgnette.
Partout des visages connus.
L'illustre auteur du livret d'abord, Emile Augier, avec Mme Augier; puis, dans des loges voisines, les familles Déroulède et Guiard.
Je note encore :
Meissonier, Gérôme, M. et Mme Hébert, Jadin, de Ségur, comtesse de Mailly, comtesse de Guerne, de Nitlis, le baron Haussmann, delà Charme, Poirson, le prince Jean Troubetzkoy, M. et Mme de Pourtalês, Mlle Jeanne Gounod avec Mme Guillaume Dubufe, Théodore Dubois, Camille Doucet, Emile Perrin, Ludovic Halévy, de Gouy d'Arsy, Antonin Proust, le duc et la duchesse deMouchy, le vicomte Aguado, Mme de Jaucourt, de Kerjégu, la duchesse de la Trémoille, la baronne Decazes Stackelberg, la vicomtesse de Grandval, Mme Trélat, de Camondo, de Saint-Amandt Joubert, le prince de Polignac, Kapnitz, Goluchovvski, Mme Marchesi, le docteur Ricord, le docteur Bouchut, Gayarré, M. cl Mme Escalaïs, Sellier, Mme Salla-Uhring, Durieu, Bisschofsheim, Cahen d'Anvers, Franceschi, le marquis et la marquise de Bcaumont, Mme Deboy, Mmes Montaubry, Sanlaville, Piron, Righctti, Fonta, Fiocre, Francine Cellié, et enfin, Mme Pauline Viardot, la créatrice de Sapho.
M. Vaucorbeil vient occuper la loge du milieu. La lampe qu'on a l'habitude de placer à côté de lui, aux répétitions générales, pour éclairer le petit bureau sur lequel il prend ses notes, est inutile ce soir. Car on inaugure les girandoles électriques des loges d'avantscène et d'cntre-colonnes. Très brillant cet éclairage ; mais cela ne suffit pas encore pour donner à la salle
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de l'Opéra l'aspect gai dont elle a un si indispensable besoin. Il est certain qu'on y arrivera. Sachons nous contenter, en attendant, de ce petit progrès.
A huit heures précises, Gounod vient prendre place au pupitre du chef d'orchestre.
On l'accueille par une triple salve d'applaudissements.
A peine le maître a-t-il levé son archet qu'un de mes voisins murmure :
- J'aime déjà mieux cela que Tristan et heu II.
Le rideau se lève.
Premier décor. - A la fois monumental et gai, rappelant un peu le premier décor de 1a Belle-Hélène. ("est une place dont un temple très décoratif est le principal ornement. Autour de ce temple, au fond, à droite et à gauche, par des échappées sur les voies publiques d'alentour, d'autres constructions grecques très cossues. A signaler surtout un véritable peuple de statues se dressant sur dés colonnes de diverses hauteurs.
On ne saurait trop féliciter les décorateurs, Rubé et Chaperon, ainsi que leur jeune collaborateur, M. Jambon, de la multiplicité harmonieuse des couleurs qui rendent ce joli tableau si coquet et si lumineux. Leur ciel est surtout admirable de ton et de clarté.
Plein de couleur, le petit cortège du commencement. Les guerriers sont coiffés de casques bizarres qui figurent sur beaucoup de médailles grecques et qui couvrent complètement la tète, des trous étant ménagés devant les yeuv. On dirait des cagoules en fer. Les joueurs de lyres, les joueurs de flûtes, les Vestales, les danseuses dont l'entrée est d'une grâce exquise,
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le vainqueur sur son char, complètent ce joli tableau d'un effet très artistique.
Gailhard, avec son gros ventre, son crâne chauve et sa longue barbe blonde, n'est reconnu par aucun des spectateurs, tant qu'il n'a pas ouvert la bouche. On le prend pour M. Pasdeloup, et on se demande ce que l'excellent chef d'orchestre vient faire sur la scène, sous un costume qu'il n'a pas l'habitude de porter.
Entrée de Mme Krauss. < Les artistes et les choeurs chantent :
- Silence!
Généralement à l'Opéra, quand les choeurs chantent : « Silence ! » ils crient à tue-tête.
Gounod les a ramenés au pianissimo et à la vérité.
Tout le monde reconnaît l'air d'entrée de Sapho.
On parait surpris d'être aussi familier que cela avec la partition.
C'est que le maître, tirant deux moutures du même sac, a aussi adapté cette mélodie à des paroles de Lamartine et qu'elle a fait son chemin sous le titre du Soir.
Un des coryphées qui font l'appel des concurrents aux jeux poétiques s'est fait la tête de Mounet-Sully. Est-ce pour rappeler à Emile Augier qu'avant tout il appartient à la Comédie-Française)
Le second acte comprend deux tableaux brossés l'un et l'autre par M. Lavastrc, et dont le premier, représentant un intérieur du Palais de Phaon-Dereims, quelque chose comme la salle à manger, nous montre, par son luxe et son confortable artistique, que
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le maître de céans est un conspirateur à son aise - et non pas un socialiste raflalé du temps.
De lourdes et splendides tapisseries ferment les vastes baies du fond et .laissent voir, lorsqu'on les soulève, une cour à colonnettes, d'ans laquelle il doit être défendu de chanter.
Tout cela a pourtant un faux air du hammam. Un moment l'illusion a été complète. Le rideau venait <le se lever. Pas d'ouverture. Un homme distingué parait en habit noir. Est-ce un monsieur qui veut faire de l'hydrothérapie ? Va-t-on jouer un acte moderne dont l'action se passerait au grand établissement de bains en question? Qui sait si l'on n'a pas introduit un intermède dans celte soirée ainsi que dans toutes les représentations extraordinaires ?
Bref, on va seperdreen conjectures, lorsqu'on finit par reconnaître M. Colleuille. L'aimable régisseur de l'Opéra ne vient nullement pour faire des imitations ou chanter le P'tit bleu, mais pour réclamer, de la part de Mlle Renée Richard, un peu malade mais toujours vaillante, une indulgence dont l'excellente artiste n'a certes pas abusé.
Très joli, dans sa simplicité, le costume blanc de Mme Krauss.
- II ne lui manque, dit quelqu'un, que des bas bleus!
En revanche, elle porte au bras un serpent d'or très exactement copié sur un des huit cents bracelets qui forment la collection du marquis Spinclli. L'original de ce bracelet a deux mille quatre cents ans. Le marquis Spinclli, qui a dirige les fouilles au cours desquelles ont été trouvés tous ces bracelets, les garde avec le plus grand soin, et c'est parce qu'il a pour Mme Krauss une très vive admiration qu'il a consenti
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à lui prêter le modèle dont elle a la copie au bras. Pendant l'entracte, le comte Goluchovvski, le secrétaire de l'ambassade d'Autriche, est venu féliciter sa compatriote.
Mais M. Plançon aussi a la tête de Mounet-Sully ! Décidément, c'est pour faire plaisir à Augier!
C'est au second tableau du deuxième acte que se place le ballet.
Aussi le cadre de cette fête a-t-il|été traité par M, Lavastre avec une grande magnificence artistique. En haut d'un vaste escalier, au fond de merveilleux jardins, s'élève un gracieux portique orné de fleurs. Au second plan, à droite, un gigantesque pin parasol, sous lequel le tyran Pittacus pourrait rendre l'injustice.
Encore un ciel idéal. Ils ont toujours beau temps dans ce pays-là !
Lacoste a fait un véritable tour de force. Après Sylvia, il a réussi à dessiner un ballet grec très original.
L'entrée des danseuses, par l'escalier du fond, est surtout d'un effet délicieux. Le groupe formé par Mlles Subra, Monchanin et Invernizzi est charmant.
Cependant le public a été froid, très froid, pour ce divertissement. J'ajoute que cette froideur ne m'a pas paru justifiée, car, pour ma part, je le trouve très réussi.
Tous les costumes n'étaient pas achevés ce soir.
Mlles Marie Biot, Sacré, Lepich, notamment, ont dansé en jupes d'exercices, ce dont elles paraissaient très peinées.
Je reviendrai sur le ballet, d'une façon plus complète, lundi prochain.
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MARS il^
TROISIÈME ACTE, mais quatrième décor, signé [Carpezat. ,
Encore un intérieur de Grec plus qu'aisé. Tous les Grecs n'avaient certes pas les moyens de se payer, dans leur chambre, une belle statue d'Apollon en marbre noir. Nous sommes du reste chez le tyran luimême. Son domicile est organisé comme pour jouer une pièce d'Hennequin. On entre, on sort et l'on écoute aux tapisseries qui remplacent les portes du vaudeville moderne. >
On me dit que Gounod est extrêmement fatigué, En échange de son bâton de chef d'orchestre, il a confié à M. AUès un flacon renfermant une potion dont il boit une gorgée de temps en temps, pendant les entr'actes.
C'est encore M. Lavastre qui a peint le dernier tableau. Un site sauvage au bord d'une mer aussi immense que la mer de f Africaine. Arbres et rochers sont ravagés]par les tempêtes et augmentent encore par leur aspect désolé la poésie mélancolique dont le décorateur a voulu rendre l'impression.
C'est le long du rocher du fond que grimpe le petit pâtre, qui chante la chanson célèbre :
Broutez mes chèvres,
une des improvisations les plus fraîches de l'oeuvre. (Entre parenthèses, ce pâtre a bien tort de faire brouter ses chèvres sur un rocher aussi aride.) A la création, ce rôletdu pâtre était confié à un travesti, ce qui était charmant. On a eu la bizarre idée, à l'Opéra, de le faire chanter par un ténor. Si on pouvait revenir au travesti pour lundi prochain, tout le monde n'aurait qu'à s'en louer.
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21 I LES SOIitEES PARISIENNES
Le plongeon historique de Sapho, à la fin de la pièce, est précédé de stances qui ont valu à la tragédienne lyrique une ovation des plus enthousiastes et des plus méritées. On peut aflirreer que la Krauss n'a pas piqué une tête.
DÉBUTS DE MADAME PAUL HOUX ET
2S mars.
Une chanteuse de l'Opéra qui déserte l'art lyrique pour jouer les reines de tragédie, cela ne se voit pas tous les jours, et l'on pourrait s'étonner qu'un événement aussi curieux n'ait pas att'ré, rue Richelieu, un public plus brillant, plus nombreux que celui de ce soir.
C'est devant une salle médiocrement remplie, en présence d'un Tout-Paris fort incomplet que Mme Paul Mounct vient d'aborder le rôle écrasant d'Agrippine, pour ses débuts de pensionnaire à la Comédie-Française.
On avait pourtant fait quelque bruit à l'avance autour de celte représentation de Brilannicus, et la personnalité de la nouvelle tragédienne a eu, pendant quelque temps, les principaux honneurs de tous les courriers dramatiques.
Il est vrai que les révélations publiées sur son compte ont été plus nombreuses qu'exactes, ce qui me permet de Ies# augmenter ici de quelques détails biographiques destinés, s'il y a lieu, aux Vapereau de l'avenir.
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MARS 21$
Mme Paul Mounet, dont le nom paraît pour la première fois sur l'affiche, fut engagée, il y a dix ou douze ans, à l'Opéra, par M. Halanzier. Elle s'appelait alors Mlle Barbot.
II faudrait n'avoir pas lu un seul journal depuis quinze jours, pour ignorer qu'elle a épousé, il y a trois ans, M. Paul Mounet, le tragédien de l'Odéon, et. qu'elle est, par conséquent, la belle-soeur de MounetSully, le tragédien du Théâtre-Français.
A l'Académie nationale de musique, elle tenait très honorablement l'emploi de contralto et chanta Fidês, du Prophète, Amnéris d'Aida, la Reine d'il amie t. Ses créations lyriques se bornèrent à un rôle de traîtresse dans la Reine Berthe et au personnage de Virgile, du prologue de Françoise de iRimini, dans lequel elle fut néanmoins très remarquée.
En outre, pendant deux congés qu'elle obtint de M. Vaucorbeil, Mme Barbot alla faire de très heureuses apparitions à Rouen, puisa La Haye. Sa vogue fut grande dans ces deux villes où elle a laissé d'assez bons souvenirs pour y retrouver, à l'occasion, comme tragédienne, le succès qu'elle y obtint d'abord comme chanteuse.
On pourrait croire que, femme et belle-soe^r de tragédiens, Mme Barbot-Mounet n'a changé de genre que pour ne pas se singulariser au milieu des siens.
Sa seconde vocation est pourtant due à d'autres circonstances.
C'est au cours de répétitions sur la scène de l'Opéra que M. Régnier, spécialement chargé, comme on sait, de faire jouer la comédie à ses chanteurs, fut frappé des quatités dramatiques de Mme Barbot. Il lui fit alors apprendre un ou deux grands rôles classiques, et cette
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2|6 LES SOIRÉES PARISIENNES
expérience ne fit que confirmer l'opinion de l'éminent professeur.
Ce ne fut néanmoins que beaucoup plus tard, et après s'être retirée momentanément du théâtre, que l'ex-pensionnaire de l'Opéra songea sérieusement à aborder la nouvelle carrière vers laquelle la poussaient à la fois et son instinct et le désir bien naturel de faire de l'art en famille.
M. Mounet-Sully fut son professeur et, après six mois d'études assidues, la jugea en état de supporter une première épreuve.
Il vint alors trouver M. Perrin et lui dit :
- Je vous ai déjà parlé d'une artiste que je préparais pour notre scène. Je la crois prête maintenant. Cette artiste est ma belle-soeur. Voulez-vous l'entendre?
M., Perrin convoqua à la hâte quelques membres du comité et l'audition eut lieu le lendemain même.
Mme Paul-Mounet déclama le quatrième acte de Britannicus et la grande scène de la Tisbé dans Angelo.
Elle y produisit, à ce qu'il paraît, une impression favorable, puisque son engagement à îa ComédieFrançaise fut immédiatement décidé et signé quelques jours plus tard.
La débutante n'est âgée, me dit-on, que de vingthuit ans. Sa physionomie régulière, expressive, mais quelque peu virile, lui assure cependant les apparences de la quarantaine, ce qui, après tout, ne saurait être un inconvénient pour les rôles généralement marqués qu'elle voudrait jouer, d'ailleurs, sur notre première scène littéraire.
Mlle Barbot n'avait pas besoin de devenir Mme Paul Mounet pour vivre dans un milieu artistique. Son
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MARS 2l7
père est un professeur de chant très célèbre dans le Midi, et son oncle, le ténor Barbot, eut l'honneur de créer le Faust de Gounod.
M. Emile Perrin attachait une grande importance à celte soirée. Administrateur patriarcal, il croit à l'importance des dynasties artistiques dans ce ThéâtreFrançais où, de tout temps, le même nom fut porté par des frères, des soeurs, des mères, des filles, des tantes, des nièces, également célèbres.
La maison de Molière possédait déjà un Mounet aîné; cela lui fait deux Mounet avec Mme Mounet cadet, et bientôt peut-être pourra-t-on aller jusqu'à trois avec M. Mounet cadet lui-même. Ajoutez à ce groupe en formation deux Coquelin et deux Samary, et vous reconnaîtrez que, comme le bon Dieu, M. Perrin bénit les nombreuses familles.
RÉOUVERTURE DE VHIPPODROME
29 mars.
On peut n'avoir jamais dansé sur la corde au cirque Molier;
On peut n'avoir jamais vu danser sur la corde au même cirque Molier;
On peut n'avoir jamais figuré dans une revue du Cercle des Mirlitons ;
On peut n'avoir jamais fait blanchir son linge à Londres;
On peut n'avoir jamais porté d'habit rouge en soirée ;
iï
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218 LIS SOIRÉES PARISIENNES
On peut ne s'être jamais abonné au Théâtre-Italien;
On peut n'avoir jamais fait la bête dans un Rallye Paper ;
Et être un homme chic tout de même.
Mais on n'est pas un homme chic si l'on n'assiste pas régulièrement, tous les ans, à la réouverture de l'Hippodrome.
C'est ce qui explique :
Qu'il y avait ce soir près de sept mille personnes dans l'immense salle de l'avenue de l'Aima; Qu'on s'est battu pour entrer; Qu'on s'est battu pour se faire contrôler; Qu'on s'est battu pour se placer; Qu'on s'est battu pour voir; Qu'on s'est battu pour circuler; Qu'on s'est battu pour consommer; Qu'on s'est battu pour sortir; Qu'on s'est battu pour avoir sa voiture.
Le spectacle, bien entendu, est ce qui importe le moins dans ces solennités.
Pourtant, nous avons eu : des courses en char, des courses romaines, des courses de dames plates, des courses de haies d'hommes, des courses de cruches de jeunes filles, des courses à pied, à cheval et en voiture; des chevaux dressés, des chiens dressés, des ânes dresses, des écuyéres insuffisamment dressées ; de la haute école, de la moyenne école et de la basse école; des entrées de clowns, des sorties de clowns, des rentrées de clowns et des ressorties de clowns ; des frères Albertinos, des frères Girard, des frères Jacqucmin : un M. Pétrcscu et Mme son épouse,
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MARS 210
accompagnés sur le trapèze d'un ménage de leurs amis.
Le grand succès de la soirée a été partagé entre un clown qui nous a présenté deux ânes dont l'éducation laïque ne laisse rien à désirer, et des chevaux du Mexique dressés par un monsieur habillé en mexicain et qui leur parle anglais.
En revanche, la grande manoeuvre par trente-deux dames que commande un général civil, a provoqué un de ces chahuts classiques dont la tradition semblait disparue avec le théâtre Taitbout.
L'inexpérience de ces trente-deux dames n'a eu d'égale que la sérénité du général civil à cheval, dont les saluts s'accentuaient d'autant plus qu'on sifflait plus fort.
Ce petit boucan, d'ailleurs fort joyeux, s'est surtout manifesté au buffet, où l'on a gaiement cassé un nombre incalculable de bocks, de demi-tasses et de petits verres.
Cet entrain des consommateurs s'expliquait du reste par ces deux lignes du programme :
« BuiTtr. - Les consommations doivent 'être de premier choix. »
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AVRIL
LE TRAIX DE PLAISIR
i" avril.
Le « Monsieur de l'Orchestre » prend un jour de congé. Une vieille haine, existant entre lut et. l'un des auteurs de la nouvelle pièce du Palais-Royal, ne permettrait pas à notre collaborateur de parler du Train de plaisir avec son impartialité habituelle. S'imaginet-on l'oeuvre d'un Capulet jugée par un Montaigu)
Assurément, non.
Il y a bien quinze jours que le vaudeville de MM. Alfred Hennequin, Arnold Mortier et Albert de Saint-Albin aurait pu être représenté. Les rôles étaient sus et (Ma Camarade, après un long et brillant succès, était prête à laisser passer le Train de plaisir. Mais on fut retarde d'abord par une sérieuse indisposition de Mlle Alice Lavigne. Puis, il fallut compter aussi avec l'importance exceptionnelle de la mise en scène.
Le Train de plaisir a complètement bouleversé le train-train courant du Palais-Royal. Dès le jour de la lecture aux artistes, on a parlé du nouveau vaudeville comme d'une pièce à spectacle. On a eu bien des lec-
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AVRIL 221
turcs rue Montpensier; on en cite degaics.de tristes, d'accidentées, d'orageuses et de piquantes. Maison n'avait jamais vu pareil effet à la lecture des décors.
Lorsque Daubray et ses camarades apprirent que le premier acte se passerait dans une cour, avec grande porte charretière ouvrant, au fond, sur la place publique, qu'il y aurait, sur cette cour, une loge de concierge fort bien aménagée, un appartement où pourrait s'attabler une noce, une arrière-boutique de boucher avec un étal, des têtes de veaux, des moitiés de boeuf et tout ce qu'il faut pour panerdes côtelettes, sans préjudice d'un bureau de chemin de fer et d'un vaste pan de mur permettant de placarder toutes les alliches de P.-L.-M., lorsqu'ils entendirent ces descriptions si nouvelles pour eux, ce ne fut qu'un cri :
- On va se croire au Châtelet!
Mais ils n'étaient pas au bout de leur étonnement. Le second acte, la place de la gare de Monte-Carlo, avec la gare, avec le grand escalier qui conduit à la terrasse du Casino, avec le panorama de Roquebrune, avee l'infini de la Méditerranée, là-bas, bien loin, tout au fond, leur fit pousser des cris de stupeur. Les anciens, les burgraves, Hyacinthe, Pellerin, Luguet, joignaient les mains en levant les yeux aux frises, et Mathilde se pinçait pour bien s'assurer qu'elle ne rêvait pas.
On vit même , raconte l'un des témoins de cette scène inoubliable, on vit le médaillon de la Montansier s'animer un moment pour prendre part à l'ahurissement général.
Le troisième tableau, une hôtellerie criblée des cabinets particuliers inséparables du répertoire Hennequin,avec une découverte grandiose sur les rochers gigantesques de Roquebrune et le gouffre béant du précipice insondable dans lequel se jette Raimond.
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LES SOIREES PARISIENNES
n'était pas de nature à atténuer l'impression des deux premiers décors. Aussi, ce fut devant un auditoire décidé à ne plus s'étonner de rien, que le lecteur fit la description du dernier tableau : une cour de la prison monégasque; mur praticable à gauche, porte garnie de barreaux de fer en retour au premier plan ; à droite, deux corps de bâtiment dont l'un avec fenêtre praticable au premier; au fond deux grands cachots avec verrous réels.
Ajoutons, pour tout dire, que les artistes ont été bien plus étonnés encore, lorsqu'ils ont vu que le décorateur a pu, sans faire agrandir la scène du Palais-Royal, réaliser les quatre conceptions des auteurs.
Etait-ce l'influence du beau temps qu'il fit pendant les études du Train de plaisir ? Mais on ne vit jamais accord plus parfait entre directeurs, vaudevillistes et comédiens.
Ilenncquin et Mortier n'en revenaient pas et se disaient après chaque répétition :
- Ça va trop bien!... ça ne durera pas!
Il est vrai que leur collaborateur Saint-Albin accomplissait des prodiges de complaisance pour faire le bonheur de ses artistes. En sa qualité d'auteursportsman, il les comblait d'entrées et de cartes de pesage pour toutes les courses urbaines et suburbaines. Grâce à lui, ils curent l'occasion de perdre quelque argent sur un certain nombre de quadrupèdes, mais cela faisait leur bonheur tout de même,.et plus d'un fut, de la sorte, ruiné et content.
Pour tout dire, il convient d'ajouter que la bienfaisante influence de M. René Luguet, l'habile régisseur du Palais-Royal, ne contribua pas peu à celte entente si rare au théâtre.
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AVRIL 11 i
Une particularité qui enchanta toute la troupe, y compris même ceux qui ne sont pas de la pièce, c'est la bonne grâce avec laquelle les auteurs offrirent chacun un franc à la Caisse verte.
La Caisse verte du Palais-Royal pourrait, mieux que beaucoup d'institutions analogues, être reconnue d'utilité publique, car elle a pour but de constituer un fonds de secours à d'anciens serviteurs de la maison. Tout le monde peut y verser son offrande et les pensionnaires de MM. Briet et Dclcroix sont des premiers à l'alimenter généreusement. Les étrangers obtiennent, en récompense de leurs dons, l'autorisation de pénétrer dans cette loge qu'on appelle « le Bain à quatre sous » et dont il a été déjà parlé ici même. Ce n'est pas tout. Lorsqu'ils ont pénétré dans ce sanctuaire artistique, on leur fait voir les merveilles - impossibles à décrire, fût-ce en latin - qui composent le musée secret.
Enoutre, MM. Hennequin, Mortier et de Saint-Albin, furent honorés d'un remerciement collectif selon le cérémonial de la Caisse verte.
Après avoir versé leurs trois francs, ils virent subitement les artistes se grouper au fond de la scène en rang d'oignons. Puis le doyen, M. Hyacinthe, sortit des rangs et interpellant ses camarades :
- Mes enfants, leur dit-il, ces messieurs ont donné chacun vingt sous à la Caisse verte : ç? fait trois francs. Saluez!
Et tous ayant salué en criant : c Merci bien » , le groupe se dispersa, tandis que les auteurs se serraient la main, émus jusqu'aux larmes.
C'est simple et touchant.
Le Train de plaisir fournit une excellente rentrée à l'une des plus charmantes artistes du Palais-Royal,
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224 EES SOIREES PARISIENNES
Mlle Dinelli, qui fut déjà, au Gymnase, dans Bébé et dans Nounou, l'une des principales interprètes d'I lennequin. Avec de pareils précédents, l'auteur des Dominos roses ne pouvait songer à une autre interprète pour sa romanesque Ophélie.
Ce nom shakespearien d'Ophélie n'entraîne pas forcément la présence d'un Hamlet. Ce farouche rêveur serait déplacé sur les planches du joyeux PalaisRoyal. Aussi l'Ophélie du Train de plaisir n'est-elle entourée que de gais partenaires : le mari et l'amant.
Si je vous disais que l'amant n'est pas M. Raimond, vous auriez raison de ne pas me croire, car la destinée, fort agréable d'ailleurs de ce jeune premier comique, est d'être adoré de toutes les femmes mariées du répertoire. Le sémillant Chennevis - joli nom d'oiseau ! - est chargé, outre ses répliques amoureuses, d'escalader un mur et de tomber dans un précipice, ce dont M. Raimond s'acquitte avec la grâce et la légèreté d'un gymnaste exercé.
Quant au mari, qui n'est autre que le chef de la police de Monaco, M. Milher lui prête une tête desolennelle ganache des plus originales. La tête est tellement méconnaissable, qu'un instant les spectateurs n'ont pas reconnu le créateur de Géromé et de Valenlin.
La constellation "de croix qui embellit sa redingote est expliquée par lui d'une façon abracadabrante.
- Comment avez-vous gagné tout cela) lui demande quelqu'un.
- Oh! d'une façon bien simple, répond l'étonnant fonctionnaire, je n'en avais d'abord qu'une seule. Je l'ai mise sur un numéro plein à la roulette; le numéro est sorti et l'on m'a donné trente-cinq fois ma mise.
Ce soir encore, la veine de ce symphalique gagnant
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AVRIL 22^
s'est brillamment soutenue, car le public a fort appré~ cié son jeu.
La fantaisie domine dans la distribution de cette pièce fantaisiste.
Où trouver, même à Monaco, un sous-chef de gare plus fantaisiste que Hyacinthe, dont la seule apparition suffit à mettre tout le monde en gaieté) Quel gargotier plus fantaisiste que l'excellent Ravioli-Pcllerin, un des meilleurs comédiens de la maison ) Et Numa) on me dit qu'il a accepté son petit rôle de secrétaire du chef de la police par dévouement et pour satisfaire à une fantaisie fort habile des auteurs. Mais il faut avouer que cette fantaisie-là a été du goût de tout le monde.
Deux types bien particuliers aussi que les cavaliers servants de Mme veuve Agathe. Avouez qu'on ne rencontre pas souvent deux soupirants aussi tenaces que MM. Munie et Garon, spécialement chargés de prouver qu'au théâtre il n'y a jamais de trop petits rôles.
Mme veuve Agathe, parfumeuse, c'est Alice Lavigne.
Car les auteurs n'ont pas voulu se passer de cet incomparable c Lassagne femelle » - comme l'appela Sarcey dans un jour de belle humeur, - et je crois que le public ne s'accommoderait plus désormais de son absence dans une pièce du Palais-Royal.
Une seule personne ne soupçonne pas cet engouement universel. C'est Lavigne elle-même. La modestie de cette artiste en vogue a quelque chose de farouche. Jamais contente de ce qu'elle fait, elle s'accable d'injures graves et se couvre de mépris après chaque répétition. Malheur à l'auteur qui veut la féliciter, car elle prend les compliments comme autant
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11(> LES SOIREES PARISIENNES
d'ironies. Et si, d'aventure , quelqu'un s'avise de lui faire un reproche, elle s'attendrit, serre la main du débineur et lui dit avec reconnaissance :
- A la bonne heure! vous êtes un ami, vous !
Et pourtant que de mal elle se donne, la consciencieuse Lavigne, pour les moindres détails de mise en scène ! Il faut la voir au second acte, descendant de chemin de fer, les cheveux collés aux tempes, avec la plume de son chapeau toute défrisée, son manteau de voyage couvert de poussière ! On voit bien qu'elle a passé cinquante-sept heures en chemin de fer.
Il faut mentionner aussi le parfait naturalisme de son costume de garçon jardinier du dernier acte.
L'élément coquet et gracieux est représenté, à part Mlle Dinelli déjà nommée, par la charmante Berthou, spécialement chargée d'exprimer les tendresses discrètes et les impatiences contenues de la nouvelle MmeCassegrain qui, depuis cinq jours de mariage, n'a pas encore eu l'occasion de rester seule avec le robuste et tendre boucher qu'elle vient d'épouser. En voyant celte délicieuse petite mariée, victime d'une foule de complications imaginées par MM. les auteurs, on ne peut s'empêcher de déplorer la situation passive et délicate où l'ont placée les péripéties du Train de plaisir.
Une artiste qui s'impose désormais pour toute distribution locale, c'est Mme Mathildc, que sa création de la tireuse de cartes de Ma Camarade a si bien mise en vedette.
Seule des interprètes du Train de plaisir, elle ne prend pas le train et reste à Paris, où sa grandeur et son cordon de concierge la retiennent après le premier acte.
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AVRIL ll-(
Elle aurait pourtant bien sa p!»*ce dans un voyage d'agrément.
Très drôle, sa robe, qui semble faite d'un rideau à ramages, et que complète un étonnant bonnet de portière en goguette.
Mais la grande réjouissance de la soirée, c'était Daubray dans son rôle de boucher.
J'ai gardé pour la fin l'interprète principal du Train de plaisir. Daubray a pris au Palais-Royal une situation d'étoile; c'est la grande vedette,'le Gayarré de la rue Montpensier. Une circonstance particulière donnait en outre à sa création d'aujourd'hui un intérêt exceptionnel. Il devait quitter le Palais-Royal ; c'était certain, et rien ne semblait devoir empêcher cette rupture si fâcheuse pour toutlemonde, lorsqu'un beau jour on apprit qu'il venait, contre toute attente, de signer un nouvel engagement avec MM. Briet et Delcroix.
La création du rôle de Cassegrain est donc la première conséquence de cette réconciliation inattendue.
Aussi, l'excellent comédien a-t-il apporté une sollicitude particulière à la composition de ce personnage naturaliste qui diffère quelque peu des types de joyeux viveurs et de gros mondains qu'il reproduit habituellement.
Son entrée fait sensation.
Lorsqu'il apparaît, avec sa face rutilante, ses boucles d'oreilles d'or (qu'il a soin de remplacer, aux actes suivants, en voyage, par des boucles d'oreilles en argent dont il ne pourrait tirer parti dans sa détresse pécuniaire), lorsqu'on te voit avec sa petite mouche sous la lèvre inférieure, les bras nus, en te-
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llH LES SOIRÉES PARISIENNES
nue d'étal, l'illusion est absolue : on lui demanderait un carré de veau ou un gigot de présalé.
Et il servirait au besoin le carré de veau et le gigot de présalé.
Artiste consciencieux et chercheur, Daubray a eu en effet la constance d'étudier son nouveau métier. Tous les matins, levé avant le coq, il est allé depuis deux mois chez son propre boucher où il s'est exercé dans l'art difficile de désosser le mouton et d'enlever le boeuf.
Autres entraînements. Pour jouer, au premier acte, un solo de clarinette qu'il rendra légendaire, il a pris des leçons d'un virtuose célèbre; puis ayant à chanter à sa noce deux morceaux très différents, il a su, à force d'exercices vocaux, assouplir son talent de chanteur au point d'interpréter la romance de Mignon et le refrain fameux : // a zun oeil qui dit, de façon à faire pâlir de jalousie Mlle Van Zandt et M. Paulusà la fois.
Avec toutes ces préoccupations, tous ces travaux joints à l'étude d'un rôle énorme, Daubray trouvait encore le moyen de donner, à l'occasion, quelques conseils à de jeunes camarades et de seconder les auteurs dans certains détails de mise en scène. Aussi, l'un ,de ces Messieurs, voulant reconnaître par un mot aimable mais juste cette activité, ce zèle infatigables, lui disait-il hier :
- Décidément, mon cher Daubray, c'est vous qui chauffez la machine de notre Train de plaisir.
Un train de plaisir, d'ailleurs, qui va rapporter, pendant longtemps, de beaux dividendes aux actionnaires de sa Compagnie.
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AVRIL J2*i
PREMIÈRE DE « SAPHO »
2 avril.
On sait que Gounod n'est pas seulement un grand et illustre musicien, c'est aussi un causeur de premier ordre, plein d'imprévu et d'étrangeté, dont les envolées superbes étonnent et charment à la fois.
Il y a une huitaine de jours, me trouvant chez lui, un matin, il m'exposa, avec une sincérité incontestable, le peu de cas qu'il fait du succès.
- La préoccupation, me dit-il, est la mort de l'occupation. Quandj'ai finiuneoeuvre; quand j'y ai exprimé en toute sincérité, avec toutela force de ma conviction et de mon âme les sentiments qu'elle comportait, je suis satisfait. Je n'ai pas le souci du passant, ni de ce qu'il pense, ni de ce qu'il dit. Toutes les fois qu'une de mes oeuvres est tombée, je me suis dit : « C'est un cheval crevé sous moi, je vais en remonter un autre ! »
Et le fait est que Gounod, au milieu des plus rudes batailles, garde une sérénité d'esprit incomparable.
C'est ce qui lui a permis de diriger aujourd'hui même, dans l'après-midi, la répétition générale de Rédemption, de diriger ce soir la représentation de Sapho, avec la perspective de diriger demain la première audition de son oratorio au Trocadéro. Sans compter qu'il ne cesse pas un seul matin de travailler à sa nouvelle oeuvre lyrique : Mors et Vita.
Il est peu d'hommes, même parmi les jeunes, qui pourraient déployer une pareille activité.
Et pourtant, le 26 avril prochain, il y aura trentetrois ans que Sapho fut jouée à l'Opéra : deux ans,
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2$0 LES SOIRÉES PARISIENNE*
jour pour jour, après le Prophète. Gounod avait alors trente-deux ans et ne s'était encore fait connaître que par les choeurs d'Ulysse et la Nonne sanglante.
Un souvenir attendrissant s'attache pour lui à cette lointaine création de Sapho.
Sa mère, qui avait entendu ses deux premières oeuvres, voulut absolument entendre la troisième, comme si elle eût pressenti, la digne et sainte femme, qu'il ne lui serait plus donné d'en connaître d'autres etqu'elle serait enlevée à l'affection de son glorieux fils à la veille de la représentation du Médecin malgré lui.
Gounod la conduisit, dès l'ouverture des portes, au fauteuil d'amphithéâtre qu'il avait obtenu pour elle, lui recommanda de bien l'attendre là après le spectacle, puis il se rendit sur le théâtre.
La représentation terminée, le jeune maître, après avoir remercié ses merveilleux interprètes et félicité son éminent collaborateur, M. Emile Augier, rentra vivement dans la salle par la porte de communication.
A peine avait-il fait quelques ' pas vers l'amphithéâtre où devait l'attendre sa mère, qu'il rencontra Berlioz.
De grosses larmes coulaient sur le v isage du sévère critique des Débats.
- Vous pleurez! s'écria Gounod.
- Oui, mon ami, répondit Berlioz, car vous venez de me faire éprouver l'une des plus vives émotions artistiques que j'aie ressenties depuis vingt ans.
Puis, comme il faisait mine de porter son mouchoir à ses yeux, l'auteur de Sapho lui arrêta vivement le bras en disant:
- Ne faîtes pas ça! gardez-vous bien d'essuyer
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AVRIL 2}I
vos larmes... Vous pouvez me donner une si grande joie!
- Laquelle)
- Venez avec moi... verrez montrer vos yeux à ma mère ! Cela me fera cnc< re plus de plaisir que tout ce que vous pourrez écrire dans votre feuilleton.
Berlioz se laissa guider j usqu'à la place où Mme Gounod était restée toute seule, attendant avec impatience le moment d'embrasser son heureux fils.
- Madame, dit alors le futur auteur des Troyens, je viens d'entendrq plusieurs pages qu'un grand maître serait fier de signer.
Et, dans l'obscurité de cette grande salle presque vide, tandis que les derniers spectateurs sortaient de l'Opéra et que l'on baissait le rideau de fer sur la scène, tous trois, le compositeur, sa mère, le critique, se serrèrent silencieusement la main, très émus, mais très heureux aussi.
Personne n'ignore qu'une malencontreuse indisposition de Mlle Renée Richard, un rhume obstiné, relardait depuis huit jours l'apparition de Sapho. Un peu plus, et cette importante reprise allait avoir lieu pour le trente-troisième anniversaire de la première représentation.
Mais M. Vaucorbeil, peu soucieux de perdre un temps précieux, même pour transformer les affiches de l'Opéra en éphémérides lyriques, se décida à faire apprendre le rôle de Glycère à Mlle Figuct. Presque aussitôt alors Mlle Richard fut rétablie. Ce qui permit à de mauvaises langues de la maison d'affirmer que rien n'était meilleur pour le rhume qu'une bonne infusion de Figuet.
Si bonne, en effet, que la charmante Richard a été
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2 il LES SOIREES PARISIENNES
applaudie pendant toute la soirée et s'est fait bisser
son ravissant duo de l'ivresse, avec Gailhard,
qui avait passé presque inaperçu à la répétition générale.
Du reste, les quelques jours qui se sont écoulés depuis cette répétition ont été mis à profit. Il y a eu quelques modifications de détail. On a notamment ajouté plusieurs reprises utiles pour les choeurs. Il me semble- en revanche - que l'on a eu grand tort de chercher à satisfaire quelques rigoristes sans mandat en atténuant les effets de la chanson à boire de Gailhard.
Les journaux ont joué un bien mauvais tour à Mme Krauss en annonçant d'avance qu'elle tenait à faire elle-même le fameux saut qui termine la pièce par la mort de Sapho, au lieu de laisser ce jeu de scène émouvant à une figurante de bonne volonté qu'on précipiterait dans la mer à sa place.
D'après ces indiscrétions aussi fausses que puériles, le public croyait naïvement que la grande artiste avait étudié pour le dénouement un exercice de gymnastique transcendante. Je vois, en effet, dans l'auditoire, certains habitués du Cirque qui ne sont pas venus pour entendre la musique de «îounod, mais bien pour assister au saut périlleux de son illustre interprète.
Le désappointement de ces étranges spectateurs a été grand, car Mme Krauss, tout en se jetant dans la mer d'une façon tragique, n'a pas cru nécessaire de courir le risque de se casser une jambe.
Sapho se contente d'être une admirable cantatrice, et renonce à disputer les lauriers de .Mme Pelrcscu,
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. AVRIL 2}?
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de l'Hippodrome: on ne peut tout avoir, n'est-ce pas)
J'ai, au sortir de la répétition générale qui a eu tout l'éclat d'une véritable première, décrit longuement les superbes décors de Sapho, les magnifiques costumes de Lacoste, les détails de mise en scène dont le goût artistique est à la hauteur de tout ce qui s'est fait de mieux à l'Opéra.
Mais je n'ai pas eu le temps de m'étendre beaucoup sur le grand divertissement qui termine le second acte.
Comme pas, ce petit ballet n'offre rien de nouveau, rien d'original, rien qui vaille la peine d'être cité.
Mais la musique en est délicieuse et les costumes charmants.
Les nymphes de Terpsichore avec leurs péplums jaune tendre, leur jupe de gaze blanche brodée d'or sur fond mauve, et les nymphes de Flore, en péplum rose tendre ornés de grecques blanches, avec tunique brodée d'or et une délicieuse coiffure relevée par des bandelettes et garnie de fleurs naturelles, offrent aux regards un ensemble de tons doux et harmonieux sur lequel vient trancher d'une façon saisissante la couleur plus vigoureuse des esclaves asiatiques : corsage bleu paon brodé d'or, laissant voir une partie du corps, ceinture semblable au pagne avec sous-jupe très tendue en gaze transparente, coiffure bleue émaîllée ainsi que les boucles d'oreilles; triple collier; longue chevelure tombante ; bracelets de bras et de jambes en émail noir, bleu et or.
Il faut citer encore, et chacun dans une coloration particulière, concourant néanmoins au ton général du ballet, les jolis costumes des bacchantes guerrières :
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IKS SOIRÉES PARISIEWXS
tuniques en cachemire blanc, sauf la pièce de poitrine orange vif recouverte de nielles d'or ; jupe brodée orange et or; peau de panthère jetée sur les épaules ; cheveux épars; en main, une lyre.
Les danseurs représentant les « mimes grotesques » de ce divertissement méritent aussi une mention particulière par leur originalité bien comprise: cuirasse de drap blanc avec ligne rose, étoiles d'or et rose .tendre ; campresto plissé autour de la taille ; maillot à petites croix brodées et à paillettes ; coiffure grecque blanche, or et rose, avec un noeud de ruban rose vif; manteau rouge et bottines blanches avec broderies rose et or.
L'impression un peu indécise de la répétition ne s'est pas reproduite ce soir.
On a été à l'enthousiasme tout le temps.
Et à la Hn, après les superbes stances que Krauss interprète avec un art si merveilleux, on a fait à Gounod une longue ovation, très chaleureuse et très sincère.
LES PETITES J/.U.YS
3 avril.
Le « Tout*Paris » des premières a eu fort à faire aujourd'hui. Dans la journée sa présence a été sollicitée au Trocadéro, où l'on inaugurait la série des concerts donnés par l'Union internationale des compositeurs. Matinée d'un intérêt énorme et d'un effet im-
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AVRIL
mcuse; magnifique exécution de la Rédemption de Gounod ; ovations enthousiastes pour je maître, qui jamais ne s'est montré plus grand, plus génial ; acclamations pour les interprètes, pour Taure, pour Al» bani.pour Rosine Bloch, très belle dans une délicieuse toilette noire constellée de paillettes de nacre.
Le soir, on s'est retrouvé en partie à l'Odéon, pour la reprise des Petites nuins de Labiche et de .Martin.
M. La Rounat avait une foule de raisons pour reprendre cette comédie :
i° Elle est jolie;
3* La reprise du Voyjgc Je M» Perrickon, du même M. Labiche, avait été très fructueuse à l'Odéon;
3° L'interdiction de jouer les DanicheJJ et la nécessité morale de remplacer la pièce de l'académicien Dumas par une autre pièce d'académicien qui ne fût pas du même genre que hSevero Torelli,do l'académicien Coppée.
Car M. La Rounat a si longtemps accueilli les jeunes écrivains qu'il veut maintenant faire quelque chose pour la Grande Institution qui est au bout du pont des Arts. On dit même qu'il songerait à commander une pièce à l'académicien de Lesseps, et cela ne saurait nous surprendre. Il est tout naturel que l'Odéon, après avoir joué tant d'auteurs qui n'ont pas percé, s'adresse à un auteur qui a percé sans avoir été joué.
I.a reprise des Petites nuins, l'une des agréables comédies de Labiche, a fourni à l'émincnt auteur l'occasion de s'amuser beaucoup pour son propre compte.
Cette oeuvre est l'une de celles qu'il aimait le plus dans son propre répertoire. Mais comme elle n'a pas été jouée depuis 1859 au Vaudeville, et que le maître ne se relit jamais, il l'avait quelque peu oubliée.
Aussi prenait-il un vrai plaisir de spectateur aux
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2^0 LES SOIRÉES PARISIENNES
répétitions, à en suivre les amusantes péripéties, à souligner gaiement chaque réplique et à rire aux bons endroits- c'est-à-dire sans jamais s'arrêter. Avec sa bienveillante bonhomie et sa modestie habituelles, il ne manquait pas d'attribuer cette succession d'effets sur lui-même à la supériorité de l'interprétation.
Pas de développement quant à la mise en scène. Un seul décor pour les trois actes ; il est, du reste, simple et de bon goût selon la vieille et bonne formule.
Quant aux toilettes de cette pièce bourgeoise, il va sans dire qu'elles ne comportent pas un luxe exagéré. Cependant, Mlle Nancy Martel, tout en restant dans le tonde son rôle, a su donner aux siennes un tour d'élégance et de bon goût, qui a été fort remarqué. Jolie à ravir dans son déshabillé du premier acte, en cachemire bleu ciel à revers en satin de la même couleur, la jupe de dessous collante en satin bleu sur laquelle flotte une dentelle blanche pointillée de jais blanc, la jeune pensionnaire de l'Odéon a encore conquis tous les suffrages avec sa toilette d'intérieur du second et du troisième acte : costume russe en peluche gris argent garni de plume loutre sur une jupe en satin vert bronze. On comprend que le mari d'une femme aussi charmante passe son temps à l'aimer et ne veuille pas d'autre occupation. La beauté de Mlle Nancy Martel ajoute de la vraisemblance à la pièce de Labiche.
Mlle Real est tout habillée de bleu, mais d'un bleu clair et distingué, indiquant une ingénue à son aise, une ingénue qui sera convenablement dotée.
Grande conscience dans le choix des accessoires. C'est à se croire non pas au second, mais au premier Théâtre-Français.
Ainsi, lorsqu'on apporte à M. Clerh le journal où il
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AVRIL iij
cherche le cours des savons et des huiles, c'est bien le 'Bulletin des Halles et (Marchés qu'on lui donne.
Je ne suis même pas éloigné de croire que, dans une autre scène, c'est avec de véritables billets de banque de mille francs - prélevés sans doute sur la subvention - que Porel allume effectivement son cigare.
Un mot qui a été souligné - et qui devait l être.
Au troisième acte, le même Porel, déguisé en employé d'assurance, parlant d'un procès qu'il soutient et dans lequel il a vraiment le bon droit pour lui, s'écrie:
- Très bon ce procès, il n'a encore été perdu que deux fois, mais pas en France : à Romorantin.
Tout le monde a cru voir ici une allusion au récent procès des 'Danicheff'; mais, comme les Petites mains datent de près de vingt-cinq ans, tout porte à croire que M. Labiche n'a pas songé, en écrivant sa pièce, aux futurs démêlés d'Alexandre Dumas et de M. de Corvin.
Moralité :
Avec des petites mains on peut avoir de grands applaudissements.
LE COMPOSITEVn JMWJÎ
4 avril.
Ce soir, à l'Opéra, violente déception des abonnés du vendredi qui n'ont pu entendre SJ/AO, par suite d'une indisposition de Mme Krauss.
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_'{* i.LS SOIRÉES I-AKISIENN'ES
Il a fallu changer le spectacle, a la grande désolation des admirateurs de Gounod qui se faisaient une fête, après le retentissement de la belle soirée de mercredi, d'assister à la seconde audition de l'oeuvre acclamée. ?
Le moyen de faire autrement?
On ne peut rien contre un rhume. D'autre part, on ne remplace pas Mme Krauss à l'Opéra.
Ah! si la musique de Sjfko avait été de M. Varney!
Cette exclamation, peut-être inattendue, m'est arrachée par le souvenir, encore tout récent, de ce qui s'est passé, la semaine dernière, aux Nouveautés, où se joue actuellement, avec beaucoup de succès, le liabolin, de MM. Paul Ferrier, Jules Prével et du compositeur susnommé.
Voici les faits.
Mlle Juliette Darcourt, qui tient l'un des rôles importants de cet amusant opéra-comique, se trouva presque subitement indisposée, ni plus ni moins que Mme Krauss aujourd'hui, et ne put en informer son directeur que dans la journée.
Grand embarras au théâtre. Les rôles sont bien distribués en double, mais depuis trop peu de temps pour que la doublure de Mlle Darcourt fût prête à la remplacer au pied levé. Aucun expédient acceptable : impossible de faire tenir l'emploi des reines langoureuses par M. Brasseur père; impossible aussi de supprimer le personnage de Miranc sans obscurcir l'action.
II fallait donc se resigner à faire relâche'. Dure ne-» cessité aux commencements d'une pièce qui avait si complètement réussi.
Par bonheur, un bon ange survint, sous les traits aimables de Mme Louis Varncy.
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AVRIL _»ji)
Car M. Varney n'est pas seulement un auteur applaudi. H est aussi l'heureux époux d'une excellente femme, musicienne comme son mari, et douée en outre d'une fort jolie voix, qu'elle conduit avec beaucoup d'art.
Quand un musicien est marié à une telle femme, il est tout naturel qu'il aime à lui jouer sa musique et la lui fasse chanter.
Mme Vamey savait, par conséquent, le rôle en souffrance.
Elle pouvait doue sauver la recette et la situation, ce qu'elle fit sans hésiter en chantant ledit rôle, comme elle aurait sans doute chanté au besoin celui de Mme Vaillant-Couturier.
Son succès - disons-le- fut digne de son dévouement lyrico-conjugal.
Et voilà comment on put continuer à jouer Ihbolin aux Nouveautés pendant les deux ou trois jours que dura l'absence de Mlle Juliette Darcourt.
Si le mariage n'était déjà considéré, depuis pas mal de temps, comme une institution fort estimable en elle-même, voilà un précédent qui, je pense, en recommanderait la pratique et les vertus à MM. les compositeurs de musique.
Voyez, en effet, quels avantages ils pourraient y recueillir à condition, bien entendu, de ne convoler qu'avec d'excellentes musiciennes, douées d'une voix au moins agréable.
Les compositeurs qui sont encore célibataires à lheure où nous mettons sous presse sauront désormais ce qu'ils ont à faire, en ce qui concerne le choix d'une moitié.
En dehors des qualités purement féminines qu'un homme de coeur désire toujours rencontrer chez la
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_»|(» LES SOIREES PARISIENNES
future compagne de son existence, ils devront imposer à leurs douces fiancées des examens de solfège et des exercices de chant offrant, pour l'avenir, toutes les garanties artistiques qu'on est en droit d'exiger d'une bonne doublure d'opéra, d'opéra-comique ou d'opérette - selon le genre auquel ils désirent euxmêmes consacrer leur talent.
Il est vrai que toutes ces précautions ne serviraient guère si le'ténor est indisposé... mais on sait que ce cas-là ne se présente jamais.
IXIHGXE :
S avril.
- Que venez-vous de voir?
- C'est Indigne!
- Comment? Indigne !
- Oui, une pièce nouvelle, aux Menus-Plaisirs. Ce jeu de mots facile a été commis plusieurs fois
vers la fin de la soirée, le public n'ayant guère trouvé que ce moyen de s'amuser.
Pour moi, ce qui me plaît au théâtre des MenusPlaisirs , c'est que les plaisirs y sont généralement variés. Les spectacles s'y succèdent sans se ressembler. Tantôt c'est une comédie, puis c'est une opérette, puis un vaudeville, puis une féerie ; viennent ensuite des expériences microscopiques, suivies de séances de physique amusante, puis, subitement, sans transition, on vous sert un drame, d'un jeune auteur inconnu, joué par des acteurs à peine connus.
Le drame, ce soir, s'appelle Indigne.
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AVRIL Ht
Ce qui explique la petite plaisanterie que j'ai signalée plus haut.
Indigne est de M. Pierre Barbier, fils de M. Jules Barbier, le célèbre librettiste qui, en collaboration de Michel Carré, et grâce à Gounod, Victor Massé et autres compositeurs illustres, a doté nos théâtres lyriques de nombreux chefs-d'oeuvre.
M. Pierre Barbier est jeune, très jeune.
Le triste et scandaleux procès delà duchesse de Chaulnes lui a inspiré un drame.
Il a présenté ce drame à plusieurs directeurs importants.
Les directeurs importants ont accueilli M. Pierre Barbier avec la sympathie que commandait le nom de son père.
Ils ont, après avoir pris connaissance de sa pièce, déclaré au très jeune auteur qu'ils ne la croyaient pas jouable.
Mais comme M. Pierre Barbier avait confiance, lui, il a loué les Menus-Plaisirs, rassemblé une troupe et présenté, tant bien que mal, son drame aux critiques réunis.
Les critiques réunis ne m'ont pas paru très reconnaissants de cet effort.
Mais n'insistons pas.
- Ce ne serait pas agir en gentilhomme ! comme dit l'un des personnages de la pièce.
Ces sortes de représentations ont leur bon côté. D'abord, elles démontrent clairement que les pièces refusées ne sont pas toujours bonnes. Ensuite elles nous font parfois revoir des artistes d'une certaine valeur qui, faute d'engagements, restent éloignés du théâtre et qui ne trouvent que ces occasions-là pour se montrer.
Ainsi, Mlle Daudoird, dont on a vraiment le droit
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1\* LES SOIREES PARISIENNES
de regretter Inactivité; Mlle Louise Magnier, une très gentille soubrette, qui ferait joliment bien au Palais-Royal ou au Gymnase; M. Mcigneux enfin, le bon curé de la pièce. Cuv il y a beaucoup de prêtres dans Indigne. Beaucoup trop.
- Voilà un drame qu'on aurait bien dû laïciser! disait quelqu'un.
Le fameux épisode où la duchesse de... pardon, la marquise de Lauriane fait entrer les domestiques du château, pour assister aux aveux de l'épouse adultère, a été mis en scène d'une façon tout à fait extraordinaire.
- Entrez tous ! dit la marquise.
La grande porte vitrée du fond s'ouvre majestueusement et l'on voit arriver :
Un valet de pied, fort mal mis;
La femme de chambre Ilortense- quia son corset, bien qu'elle ait l'esprit distrait ;
Et Auguste (du Cirque) qui, pour être bien reconnu, a pris soin de mettre sa perruque rouge et ses gants de'fil blanc, trop longs, dont il écarte les doigts d'une façon vraiment comique.
Cette entrée a produit une vive impression.
Cependant on a versé quelques larmes, à la fin, quand Mlle Vernet a imité Sarah Bernhardt dans l'agonie de Froufrou, embrassant deux enfants au lieu d'un.
Mais je crois que ceux qui pleuraient étaient surtout de bons pères et de braves mères de famille, désolés de voir coucher si tard de pauvres petits bébés!
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AVRIL » { ï
rETITE ESWÈTIQVE I.A iwçox U'KCOUTF.R
S avril.
Ecouter, tout est là.
Et tout est si bien là, qu'il est devenu proverbial de dire, pour juger tel ou tel artiste :
- Il sait écouter, c'est un bon comédien ; Ou bien :
- 11 ne sait pas écouter; c'est un comédien médiocre, un cabotin, etc., etc.
Cet art si difficile peut cependant s'acquérir, heureusement, du reste, pour les jeunes et les débutants qui aspirent à se faire classer plutôt parmi les bons comédiens que parmi les médiocres ou les pires.
Persuadé que le nombre des bons ne sera jamais trop considérable, je crois bien faire en cherchant à l'augmenter.
Pour cela, le meilleur moyen à employer me parait tout désigné :
Mettre la façon d'écouter à la portée de tout le monde, en établissant un manuel complet de cet art essentiel.
Ne pouvant, faute de place, développer ici toute une méthode détaillée, je me contenterai forcément de citer quelques exemples, en ayant soin de les choisir parmi les préceptes qui s'adressent spécialement aux artiste:*, du sexe aimable. *
Donc, Mesdames et Mesdemoiselles; coquette*, ingénues, soubrettes ou jeunes premières.
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_»4I LES SOIREES PARISIENNES
POIR EXPRIMER, F.N ÉCOLTANT:
I" La joie,
Rappelez-vous le jour où vous avez lu, dans les feuilles publiques, que votre camarade Une telle, qui tient le même emploi que vous, n'a aucun talent ;
2* La douleur,
Rappelez-vous le jour où vous avez lu, dans les mêmes feuilles publiques, que Telle autre de vos camarades, qui lient aussi le même emploi que vous, est la première actrice de Paris ;
3* La crainte,
Rappelez-vous le jour où le comique vous a surprise dans la loge du jeune premier ;
4* L'espoir,
Rappelez-vous le jour où M. Perrin était dans la salle ;
5* La pudeur blessée.
Rappelez-vous le jour où votre directeur vous a emmenée dans son cabinet pour vous proposer un supplément de feux ;
6° Aa volupté, Rappelez-vous...
(Mais, comme disait Désiré, au second acte de La Timbale d'argent, jetons un voile sur le sixto) ;
7* L'admiration, Rappelez-vous vos créations ;
8° Le dégoût.
Rappelez-vous les créations des autres;
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AVRIL ,»4?
9* La désillusion,
Rappelez-vous le jour où vous vous êtes aperçue qu'Anatole s'appelait Alphonse.
LE COMPOSITEUR ES VOYAGE
Les Malheurs d'un Musicien heureux
9 avril.
Mon confrère Albert Wolff vient de traiter une question artistique des plus palpitantes. Il a discuté avec cette pointe d'humour qui lui est particulière l'habitude prise par nos plus célèbres compositeurs d'aller en province et à l'étranger pour diriger eux-mêmes l'exécution de leurs opéras, au risque de se laisser imposer par les masses idolâtres des ovations qui, sous certaines latitudes, peuvent se répéter jusqu'à trente ou quarante fois à la fin de chaque morceau.
Notre brillant collaborateur a cité Jules Massenet et Léo Delibes, ignorant sans doute - on ne peut tout savoir - que si Delibes voyage beaucoup depuis quelques mois, ce n'est pas pour conduire Lakmé en personne, mais seulement pour en surveiller les études et en préparer le succès, qui partout a été très éclatant - sans que le compositeur ait eu besoin, une seule fois, de prendre au pupitre la place des chefs d'orchestre qu'il a trouvés dans toutes les grandes villes de son parcours.
Or, il ne faudrait pas croire non plus que ceslabo14.
ceslabo14.
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3 p*> LES SOIREES PARISIENNES
rieuses pérégrinations se fassent sans tourments et sans fatigue.
L'auteur en déplacement n'est pas pour cela en villégiature. Il retrouve, sur chaque scène importante où se monte sa pièce, le labeur et les incertitude^ des répétitions de Paris. C'est un regain des préoccupations de la première, sans préjudice d'un travail matériel énorme qui se modifie d'après les théâtres, les tendances locales et la variété des interprétations.
Il est vrai qu'en revanche, le maestro recueille, chemin faisant, une foule d'aventures et d'incidents comiques qui peuvent lui faire oublier les tribulations professionnelles.
C'est de ce côté anccdotique du voyage de Delibes que je veux seulement m'occuper ici.
C'était dans une très grande ville de province... que les auteurs de Lakmè me prient de ne pas nommer.
Il s'agissait de régler le grand finale du second acte. Certains détails d'éclairage laissaient à désirer.
- N'oubliez pas, dit Delibes, que nous sommes à la fin d'un jour de grande fête hindoue. La nuit est venue, mais la pagode reste encore éclairée. Il y a là un effet de lumière très caractéristique qu'il faut observer.
- Compris! répondit l'imprésario d'un air entendu, compris: ça y sera demain soir, vous verrez!
Effectivement, à la représentation, Delibes, stupéfait, s'aperçut que la pagode était illuminée... avec des lanternes vénitiennes tricolores.
Un petit 14 Juillet, quoi!
Déjà, la soirée avait commencé pour lui d'une façon originale.
Avant le spectacle, la mère du directeur, une maîtresse femme qui tient le contrôle filial et préside à
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la distribution des contre-marques, l'interpella tout net lorsqu'il passait devant elle.
- Où allez-vous?
- J'entre.
- Vous entrez... dans la salle?
- Non, j'irai plutôt dans les coulisses.
- Et votre orchestre... qu'est-ce que vous en faites?
- Que voulez-vous que j'en fasse ?
- Vous n'allez donc pas le conduire?
- Mais non.
- Ah! bien, merci!... C'est quo l'autre l'a conduit, lui!
- L'autre!...
Tout à fait ahuri, Delibes* voulut savoir de qui l'on parlait aussi délibérément que s'il se fût agi d'un mercenaire consciencieux.
L'AUTRE n'était... autre que Massenetqui avait conduit le Roi de Lahore quelque temps avant.
Dans une ville moins importante, ce fut un nouvel effet de mise en scène fantaisiste.
C'était dans un pays où les plantes vertes abondent et dont les naturels sont fiers, à juste titre, de leurs incomparables lauriers en caisses et de leurs jolis palmiers nains également en caisses.
Aussi, au premier acte, dans le jardin sacré, fut-ce une véritable orgie de magnifiques petits arbres verts décorant à ravir la demeure sainte du vieux Brahme.
Delibes fut enchanté, car c'était absolument réussi.
Les petits arbres avaient bien l'inconvénient d'être en caisse; mais on pouvait admettre, en faveur de l'effet produit, qu'un prêtre hindou eût autant de sollicitude pour les plantes que les jardiniers des Tuileries ou du Jardin d'acclimatation.
Seulement, lorsqu'au second acte Delibes revit les
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*|* LES SOIRÉES PARISIENNES
mêmes plantes, dans leurs mêmes caisses, placées devant la maison de repos de la place publique, en ligne droite, comme pour embellir une terrasse de brasserie sur les anciens boulevards extérieurs, il trouva que cela manquait de couleur locale.
Cependant, à la rigueur, et loin de Paris, on pouvait expliquer cela par analogie, puisqu'après tout la maison de repos hindoue est un endroit public où, de même que dans une brasserie, on peut fumer et boire.
Mais l'auteur de Lakmé se fâcha tout à fait lorsqu'il revit une troisième fois les plantes (plus que jamais en caisses) pittoresquement groupées pour figurer la végétation de la mystérieuse et impénétrable forêt vierge du dernier acte. .
Malgré l'absurdité extravagante de cette mise en scène par trop locale, on ne tint nul compte de ses réclamations furibondes.
Et, du reste, ni les arbustes, ni les plantes, ni leurs éternelles caisses n'empêchèrent Lakmé d'atteindre un nombre de représentations sans précédents dans les annales lyriques de la ville.
La dernière aventure de Delibes m'est envoyée de Rome.
Le maître, au sortir de sa première, s'était attardé à souper. 11 était bien trois heures du matin lorsqu'il prit congé de ses amisvct de ses admirateurs pour regagner seul son hôtel, situé à l'extrémité de la Ville Eternelle.
Le ciel d'Italie n'avait pas, cette nuit-là, sa pureté habituelle. Des lueurs sinistres et rougeâtres, indices précurseurs d'un mauvais vent d'ouest, coupaient, par intervalles, la masse sombre des nuages noirs accumulés.
Delibes, prenant le plus court, cheminait, un peu
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dolent, par des rues étroites et sombres, lorsque tout à coup des bruits de pas attirèrent son attention.
Un peu ému, il se retourna...
Toute une bande de gens de mauvaise mine le filait dans l'ombre. Il voulut aller plus vite, ils pressèrent le pas. Il chercha à les dépister : impossible !
Et de temps à autre, lorsqu'il osait jeter un regard en arrière, il voyait briller quelque chose de métallique - sans doute des armes ! - sous leurs manteaux.
Pas plus de gardes de police à Rome que de gardiens de la paix à Paris ; aucun passant à implorer.
Que faire? Que devenir?
La situation était inquiétante. Elle se prolongea sans complications nouvelles jusqu'à la place d'Espagne, où il demeurait.
Arrivé au seuil de son hôtel, Delibes fut bientôt cerr.é par ceux qui le poursuivaient. Décidé à bien mourir, il recommanda son âme à Orphée et attendit stoïquement l'attaque de ses ennemis.
Elle ne se fit pas attendre...
Car, sur un signal de leur chef, tous ces hommes mystérieux, sortant enfin les instruments de musique en cuivre qu'ils dissimulaient sous leurs manteaux, se mirent à attaquer, dans le silence de la nuit, Y Hymne de Garibaldi.
Tout le quartier fut réveillé en sursaut, mais Delibes était bien content d'en être quitte pour si peu.
Il lui en coûta, il est vrai, une gratification de vingt francs qu'il donna à cette fanfare nocturne - sans compter le congé indigné que lui signifia son maître d'hôtel.
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!ÎO LES SOIREES PARISIENNES
LE CONSEIL DES TROIS
10 avril.
Un de mes amis, qui vient de faire jouer tout récemment un vaudeville dans un théâtre de genre, me racontait ce soir les transes effroyables par lesquelles il a passé avant sa première.
-Quand il s'agit, me disait-il, d'assister froidement, sérieusement, aux répétitions d'une pièce gaie, fantaisiste , d'entendre rabâcher pour la centième fois des scènes qu'on sait par coeur, quand on ne voit plus que les défauts de son oeuvre, quand les mots destinés à faire éclater la salle se débitent au milieu d'un silence morne, devant le régisseur impassible et le pompier somnolent, il est des jours où l'on est pris d'un découragement inexprimable. Tout ce qui vous avait amusé quand vous faisiez la pièce vous parait bête à pleurer, sans effet possible, fatalement destiné aux risées du public. Ce sont là des moments vraiment cruels et dont le succès même ne peut jamais complètement effacer le souvenir.
Or, pendant que mon ami parlait, je me suis rappelé une charmante anecdote, absolument vraie, et qui donnera peut-être à mes lecteurs une petite idée des incertitudes pleines d'angoisses que peut éprouver l'auteur à la veille d'une bataille.
Gondinet faisait répéter, au Palais-Royal, une de ses jolies comédies : Gavaut, Minardel Cie.
Vers la fin des répétitions surtout, le découragement que je viens de dépeindre se produisit d'autant plus profond qu'if était partagé par les interprètes de
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la pièce et parles directeurs, MM. Dormcuil, Plunkelt et Choler.
Dans ces fâcheuses 'et unanimes dispositions d'esprit, on en arriva bientôt à se demander s'il était bien prudent de laisser jouer une pièce dont l'insuccès semblait acquis d'avance.
Le retrait de Gavant, Minard et Cie fut même chose décidée, moyennant une indemnité offerte à l'auteur. Mais, au moment d'empocher cette prime de consolation, Gondinet se révolta à la seule idée de voir sacrifier une affaire qui, après tout, ne lui semblait pas si déshonorante que cela. Avant de laisser perdre le fruit d'un travail de plusieurs mois au théâtre, aux artistes et à lui-même, il proposa une épreuve définitive et demanda qu'une répétition suprême eût lieu devant trois arbitres qui décideraient, eu dernier ressort, si l'oeuvre pouvait affronter le feu de la rampe.
On ne crut pas devoir lui refuser cette légitime satisfaction.
Les arbitres devaient être désignés : le premier, parla direction; le second, par l'auteur; le troisième, par les deux autres.
MM. Dormcuil, Plunkett et Choler choisirent Labiche.
Gondinet fit appel à Montigny, l eminent directeur du Gymnase, qui avait accueilli ses premières pièces et collaboré à ses premiers succès : la Cravate blanche, les Grandes demoiselles, etc.
Puis, Labiche et Montigny s'adjoignirent M. Léon Guillard, auteur dramatique et lecteur à la ComédieFrançaise.
La répétition générale donnée en présence de ce tribunal dramatique fut ce qu'elle devait être : lugubre
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Jy2 LE» SOIRÉES PARISIENNES
et solennelle en dépit de l'esprit et de la gaité du dialogue.
Seul dans la salle averses juges, l'auteur, qui jouait une partie capitale, guettait leurs impressions et ne cessait de les dévisageravec une anxiété bien naturelle.
Mais les trois arbitres, pénétrés de la gravité de leur mandat, restaient impassibles et roides comme a justice.
Absolument maîtres d'eux-mêmes, ils se gardaient bien de sourire aux meilleurs endroits, et les scènes les plus heureuses n'avaient pas le pouvoir de les dérider un seul instant.
Après la pièce, ils se levèrent et, plus imposants, plus guindés que jamais, pénétrèrent dans le cabinet où les attendaient les trois directeurs.
Tandis que son sort se débattait entre ces six personnages, Gondinet attendait fiévreusement dans le foyer du public qu'on voulût bien le faire appeler pour lui notifier la sentence arbitrale :
Tel, un assassin soupirant, en cour d'assises, après le verdict du jury.
Enfin, après plusieurs siècles d'attente qui durèrent bien vingt mortelles minutes, les arbitrés, corrects jusqu'au bout, se retirèrent, et Gondinet fut appelé dans le cabinet directorial.
Au moment où, plus mort que vif, il allait pénétrer dans ce sanctuaire redoutable, il entendit Choler s'écrier en s'adressant à ses deux associés :
Montigny trouve ça très bien!... Je ne dis pas!... Mais il a intérêt à nous laisser faire un four !
C'est ainsi que Gondinet apprit qu'on jouerait Gavautt Minât d et Cie.
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Les Idées de Diûii-Boucicaull
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LES AUTEURS DE SON TEMPS
I) avril.
Le Figaro annonçait ce matin que M. Dion-Boucicault, le célèbre auteur dramatique anglais, était en train de terminer un ouvrage intitulé : J/es idées sur les auteurs de i;ton temps. Une somnambule extralucide, à laquelle j'ai fait toucher une plume d'oie dont s'était servi M. Boucicault pour écrire l'une de ses oeuvres, m'a lu couramment ce soir - comme si elle av ait la copie sous les yeux - les extraits suivants du livre en préparation. Ces extraits concernent spécialement des auteurs français, les seuls d'ailleurs qui nous intéressent.
CE QUE JE PENSE l/ÉAULE AL'cHER
L'auteur de Lions et Renards ne manque pas de talent. Il tourne aussi agréablement le vers que la prose. Observateur assez profond, il trouve parfois- pour cingler un travers ou souligner un ridicule - des mots qui ne manquent pas de justesse. Il possède à son actif plusieurs pièces d'une certaine valeur d'exécution, mais insuffisamment corsées comme intrigue et manquant généralement d'intérêt. On regrette chez lui l'absence à peu près totale de ces ficelles dramatiques qui font de mon Lac de Glenaslon, par exemple, un drame si poignant.
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254 Lts SOIRÉES PARISIENNES
CE QUE JE PENSE DALEXANDRE DUMAS
On ne peut lui contester l'esprit, ni une certaine audace dans la conception et dans la forme. Son amour du paradoxe, qu'on peut à la rigueur prendre pour de l'originalité, est la note dominante de son oeuvre. Ce que j'aime lé mieux dans son théâtre, c'est la façon pittoresquement exacte dont il a su peindre les moeurs et les vices du grand monde. Ses grandes dames sont bien telles qu'on les rencontre dans les salons parisiens. Leurs façons de parler et d'agir, de rêver, d'aimer, de s'amuser, sont prises sur le vif. Les préfaces qu'il a mises en tête de ses comédies sont aussi des morceaux d'une grande valeur que, pour ma part, je préfère aux comédies elles-mêmes. L'auteur de la Femme de Claude adore développer les thèses au théâtre. C'est un conférencier plutôt qu'un dramaturge. Malheureusement, les causes qu'il a plaidées n'intéressent qu'une classe restreinte de la société française et il ne s'est jamais fait, comme moi dans le Demi-Quartero'n {The Ocloroon), l'avocat de centaines de mille hommes.
CE QUE JE PENSE DE LAItICIIE
M. Eugène Labiche n'est pas dépourvu de finesse. Il a le dialogue assez alerte et l'observation parfois exacte. Doué d'une gaieté empreinte de bonhomie et qui rappelle un peu l'humour des grands comiques anglais, il s'adonne de préférence aux tableaux de moeurs bourgeoises. Ses admirateurs français prétendent qu'il y excelle; mais il ne s'attache pourtant qu'à la surface des choses, et ses études, pour agréables
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AVRIL
qu'elles soient, manquent généralement de profondeur. Rendons lui cependant cette justice ju'il fit oeuvre de philosophe et de penseur lorsqu'il donna, à la Comédie-Française, l'adorable comédie intitulée Moi. Moi je lui reprocherai pourtant de n'avoir pas traité cette oeuvre - sa meilleure - avec la verve étincelante et la sûreté de traits qui ont fait le succès de ma pièce : Vieilles têtes et jeunes coeurs (Old heads and young hearts). jouée plusieurs milliers de fois.
CE QUE JE PENSE DE MEILIlAC
M. I lenry Meilhac a du talent. On ne peut même lui refuser un esprit assez primesauticr agrémenté d'une note mondaine suffisamment personnelle. Peu de ses compatriotes savent passer, comme lui, des plus fines remarques à la charge de bon aloi, sans jamais verser dans la trivialité. La coquetterie de son dialogue lui permet d'aller fort loin sans que le public y prenne garde. C'est le peintre le plus aimable des mille et une petites perversités parisiennes, mais par cela même son répertoire ne peut intéresser qu'un public très restreint. Ses oeuvres ne s'adressent pas à l'humanité entière comme mon Amour dans rembarras (Love in a maze) par exemple, qui a fait le tour du monde.
CE QUE JE PENSE DE SARDOU
On s'accorde à trouver à ectautcur un grand savoir faire. Les thuriféraires louent très fort l'ingéniosité de ses combinaisons dramatiques, et. de fait, il serait injuste de ne pas lui reconnaître une certaine habileté.
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LES SOIREES PARISIENNES
Il présente passablement une situation, embrouille et débrouille avec assez de bonheur ses péripéties ; mais à quoi aboutissent ses complications? Le plus souvent au mariage banal d'un fade jeune premier avec une ingénue insignifiante. Nascilur ridicu/us mus. Je le confesse, je ne tiens qu'en médiocre estime ses comédies les plus vantées. S'il a, comme on l'a dit, copié exactement les moeurs^de ses compatriotes, je ne fais mon compliment ni au peintre ni aux modèles. Pour expliquer la renommée de M. Victorien Sardou, je ne vois guère qu'une oeuvre; encore n'est-elle pas citée parmi ses plus heureuses. La Tavemedes étudiants peut seule cire comparée, sans trop de désavantage, au Vampire, dont je suis l'auteur.
CE QUE JE PENSE DE D'E.NNERV
Je suis heureux de pouvoir louer sans réserve ce véritable auteur de talent. D'Enneryestune figure lumineuse qui éclaire d'un vif éclat la littérature de son temps. 11 a tout: la grâce, la profondeur, l'esprit, la passion, la vigueur, l'émotion; il ne lui manque, pour être le premier dramaturge de son temps, que d'avoir écrit, comme moi, Jean la Poste !
ATTAQUE XOCTURXE
16 avril.
Il pouvait être minuit cinq. Debruyére sortait du théâtre de la Gaité, très guilleret, l'esprit tranquille et
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AVRIL
?y i
songeant à sa prochaine première du Droit du Seigneur.
Il se dirigeait du côté de la rue du Caire et, la voyant déserte. se félicitait de vivre à une époque où Paris offre tant de sécurité aux citoyens attardés.
- Dire, murmurait-il, que c'est ici que se trouvait la Cour des Miracles, ce repaire de coupe-jarrets, de tire-laines et autres brigands toujours prêts à détrousser le malheureux passant. Comme les temps sont changés !
Ace moment, une voix rauque troubla le silence de la nuit:
- Psst ! psst ! ici Fouinard !
- Tiens, se dit Debruyêre, ce brave Paulin Mcnier qui n'est pas encore rentré.
Et il alla dans la direction de la voix, mais s'arrêta un peu interloqué en voyant se dresser devant lui un grand diable d'homme enveloppé d'un manteau couleur muraille et agitant une petite lanterne sourde.
- Je croyais pourtant qu'on avait supprimé les chiffonniers, pensa-t-il.
Soudain, autour de lui. surgirent un tas de personnages étranges, les uns portant des rapières, les autres brandissant des poignards, ceux-ci levant des massues, ceux-là braquant des espingoles. Il y en avait de masqués; il y en avait dont le visage disparaissait à moitié sous un large feutre; il y en avait de barbus; il y en avait de glabres; il y en avait de grands: il y en avait de petits; il y en avait de beaux; il y en avait de laids: il y en avait de droits ; il y en avait de bossus. Tous paraissaient fort agités et dardaient sur Debruyêre des yeux farouches.
Ce dernier, fortement inquiet, voulut se frayer un passage par celui du Caire.
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>v^ i ES SOIRÉES PA:ÎI>::.NM:>
Malheureusement il se heurta à la grille fermée. H revint sur ses pas...
Trop tard ! les personnages mystérieux lui barraient le chemin.
- A toijGubetta, mon vieux complice, dit alors une femme masquée et tout de noir vêtue à un homme de taille moyenne qui avait l'air d'un gondolier vénitien. à toi de parler pour nous tous.
- As pas peur, Macaïe ! appuya Cocardasse.
- Mais que voulez-vous ? balbutia Debruyère.
- Patience ! fit Rodin en se frottant les mains. Et Gubetta prit la parole :
- Debruyère, dit-il, nous sommes les représentants du vieux drame, du drame de tes pères, du drame que tu veux trahir pour des opérettes, pour des féeries et pour d'autres basses couvres, du drame à feu et à sang, du drame à sanglots, du drame à grincementsde dents, du drame enfin que tu devrais jouer à perpétuité, ne fût-ce que pour justifier le titre du théâtre de la Gaité.
- Et nous voulons, mon fils, intervint l'abbé Faria, essayer, pendant qu'il en est temps encore , de te faire rentrer dans le droit chemin. Renonce à l'opérette, renonce à la féerie, et nous te reconduirons en triomphe à ton domicile, sinon...
- Sinon, c'est la mort ! conclua Jack Shcppard.
Debruyère pâlit, mais sans hésitation aucune, malgré le trac qui s'emparait de tout son être, il répondit d'une voix qu'il s'efforçait de rendre nette :
- Vous voulez ma vie, je vous la donne.
Les personnages , surpris par tant d'héroïsme, semblèrent hésitants.
Quel genre de supplice infliger au directeur récalcitrant? Ils avaient, à eux tous, tant de movens
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AVRIL 250
de commettre un crime qu'ils ne savaient auquel s'arrêter.
- Si nous lui interdisions de porter le nom de Piétro, hasarda Gaspardo le pécheur.
- Ce ne serait pas assez !... il nous a résisté, qu'il soit assassiné ! hurlait Antony.
- Qu'on le fusille ! commanda Montéclain, de la Ctoserie des genêts.
- Bois ! insinua Catherine de Médiçis, en lui tendant une coupe.
- Avez-vous jamais vu clouer un scorpion contre un mur? s'écria d'Artagnan, en tirant sa rapière.
- Je suis pour la question du brodequin, dit simplement le bourreau de la 'Reine Margot.
- Qu'on l'attache sur un cheval en liberté ! s'exclama Ribeiro, des Pirates de la Savane.
Enfin, des chauffeurs s'approchèrent pour lui ôter ses bottines.
Tout à coup une formidable poussée vint bousculer le groupe menaçant.
- En voilà une mascarade ! Allez donc vous coucher, tas de déguisés, et plus vite que ça ! s'écria une voix rude.
La bande dramatique se dispersa comme par enchantement.
Et Debruyère, fort ému, se jeta dans les bras de son sauveur, un brave gardien de la paix.
- Je vous dois la vie. lui dit-il, donnez-moi votre nom et je vous garantis de l'avancement.
- Mon nom... Ah! bien merci! il n'y a pas de danger que je vous le donne !
- Pourquoi cela?
- Vous savez bien que les agents ne doivent pas être dans la rue à une heure aussi avancée.
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2ÔV> LES SOIRÉES PARISIENNES
- Vous vous y êtes bien trouvé pour me sauver, vous !
- Moi, c'est par hasard, parce que je sors de chez ma bonne amie... Mais il ne faut pas qu'on le sache !
SANS PRECEDENTt...
17 avril.
J'ai déjà signalé, à plusieurs reprises, le petit travers auquel se laisse aller notre monde des théâtres : le besoin de tout exagérer, de donner du génie à ceux qui ont du talent, de parler de triomphe à propos de succès, de dire d'une actrice qui joue bien qu'elle est incomparable et de distribuer de « l'illustre » à tout propos età tout bout de champ.
Cette tendance à l'exagération se complique d'un fort sentiment de jalousie. On n'est pas content de réussir; on veut réussir plus que le voisin.
Un beau jour, M. Victor Konirg, alors directeur delà Renaissance, et marchant de succès en succès, fut ennuyé d'annoncer toujours qu'il faisait le maximum tous les soirs. Il n'était pas seul à le faire, le maximum! D'autres directeurs pouvaient en dire autant que lui ! Alors il eut une trouvaille de génie. Il inventa le c plus que le maximum » - et pendant longtemps les échos de théâtre relatèrent sérieusement ce fait extraordinaire :on a fait plus que le maximum à la Renaissance!
Mais ce qui n'était qu'une exception est devenu une
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AVRIL 201
banalité. Tout le monde, aujourd'hui, veut faire plus que le maximum et éclipserlè concurrent : directeurs, auteurs, artistes.
Ce matin, par exemple, je lisais queM. Saint-Saëns, en ce moment à Toulouse, y a donné un festival entièrement composé de ses oeuvres, et l'entrefilet se terminait ainsi :
« Triomphe sans précédent. »
Vous avez bien lu :
« Sans précédent. »
Tous ceux qui ont triomphé avant M. Saint-Saëns n'ont jamais triomphé comme lui, ni autant que lui.
Le triomphe de Paul-Emile décrit par Plutarque n'est plus rien du tout, un petit triomphe pour rire, un triomphe de famille, un triomphe de poche. Le seul, le vrai triomphe, le triomphe sans précédent est celui que M. Saint-Saëns a obtenu à Toulouse.
Moi, je veux bien.
Cependant, il y a quelque chose qui me chiffonne.
Comment diable M. Saint-Saëns - ou les amis de. M. Saint-Saëns - s'y sont-ils pris pour juger que son triomphe toulousain était sans précédent ?
Le triomphe d'une oeuvre musicale se manifeste généralement par des applaudissements.
On a évidemment déjà applaudi d'autres symphonies, à Toulouse, que le Rouet d'Omphale, d'autres concertos que celui en sol mineur.
A quoi M. Saint-Saëns a-t-il reconnu que les applaudissements qu'on lui a prodigués étaient les plus forts prodigués jusqu'à ce jour?
Si M. Saint-Saëns s'était trompé, pourtant ?
S'il croyait avoir eu un triomphe sans précédent, alors qu'il n'était pas sans précédent du tout?
Pour éviter définitivement désormais les exagéra-
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26i LES SOIRÉES PARISIENNES
lions inutiles et les erreurs possibles, pour avoir la mesure exacte des triomphes, j'ai imaginé un appareil que je crois assez ingénieux.
C'est le triomphomètre.
Vous allez voir qu'il est d'une construction facile.
J'ai dit que les triomphes, au théâtre ou au concert, se traduisent surtout par des applaudissements.
Or, il est incontestable qu'en applaudissant, on déplace un certain volume d'air.
Cet air, chassé de la salle parles mains agitées, devra être recueilli dans des tubes qui, tous, correspondront avec un vaste réservoir placé au-dessus de la salle de théâtre ou de concert.
Ce réservoir, comme les gazomètres, montera à mesure qu'il se remplira et glissera dans des rainures sur lesquelles on aura gravé un métrage.
Rien de plus pratique, n'est-ce pas?
Et de cette façon M. Saint-Saëns pourra annoncer une prochaine fois, avec connaissance de cause, qu'il a obtenu un triomphe de 20 mètres cubes, tandis que celui de M. Lalo, par exemple, ne mesurait que 14 mètres 60.
En outre, le jour où M. Saint-Saëns aura fait éclater le compteur, il pourra affirmer, sans crainte d'être démenti, que son triomphe a été sans précédent.
AXTOXY
18 avril
La fin justifie les moyens, dit-on. La fin d'Anlony, la fin légendaire, la fin idéale, la fin empoignante par
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AVRIL 26J
excellence, « la fin des fins», a dit un fin critique, justifierait à elle seule la reprise à l'Odéon du merveilleux drame d'Alexandre Dumas père.
Jamais dénouement ne contribua aussi puissamment au succès d'une oeuvre théâtrale. Parlez devant un amateur de spectacte d* Anlony, et l'amateur vous répondra invariablement, quels que soient d'ailleurs son âge, son sexe et la couleur de ses cheveux :
- Ah! oui... Anlony... dénouement superbe : <r. Elle me résistait : je l'ai assassinée! »
Cette situation suprême et magistrale n'a pas fait seulement la fortune de la pièce : elle a servi de piédestal à tous les jeunes premiers rôles qui l'ont interprétée. On ne s'imagine pas le prestige que peut prêter à son interprète un héros aussi romanesque que l'amant chevelu d'Adèle d'IIervey.
Personnifier un amoureux qui se voue à l'échafaud en assassinant sa maîtresse pour lui sauver l'honneur, cela transfigurerait l'artiste le plus repoussant par lui-môme, et ce que les Antony de province ont enflammé de coeurs avec leur fameux coup de poignard final est vraiment incalculable. Aucune lingère rêveuse, aucune grisette sentimentale ne résistait.
Il y a sans doute, dans cet agréable phénomène, une explication de la préférence dont les comédiens ont longtemps honoré ce rôle irrésistible.
Un jour cependant, il ne parut pas suffisamment vainqueur à l'un de ses interprètes.
Le jeune premier en question, parvenu à l'âge mûr après une existence de véritable Don Juan de la rampe, abordait pour la première fois le rôle d*Anlony. Toujours prétentieux malgré les années, une seule chose le chiffonnait, c'était sa dernière réplique, le fameux : » Elle me résistait, je l'ai assassinée! »
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2h.\ LES SOIREES PARISIENNES
- Moi! disait-il aux répétitions, moi, convenir qu'une femme m'a résisté : jamais!
- Mais puisque c'est un mensonge, puisqu'elle ne vous a pas résisté du tout! lui disait-on.
- Même censément, je me dois à moi-même de ne pas prononcer de telles paroles !
Impossible de le faire sortir de là. Cependant, on le croyait au moins résigné.
Aussi, le jour de la représentation, quelle ne fut pas la surprise du régisseur en l'entendant lancer ainsi la phrase célèbre d'Anlony :
- Elle me résistait... cette fois... je l'ai assassinée!
- Elle me résistait : je l'ai assassinée!
Ce lugubre propos était ce soir sur toutes les lèvres.
C'était à se demander si la représentation d'un drame dont le dénouement est prévu à ce point ne perdait pas un peu de son intérêt.
Mais chacun est venu pour le commencement, qui, lui, est beaucoup moins connu.
Et puis, le croirait-on? Il y avait dans la salle, très brillante, très animée, un certain nombre de spectateurs qui ignoraient même le dénouement.
Ne vous récriez pas! - J'en avais derrière moi : lui, quarante ans environ ; elle, vingt-cinq à peine. Le mari et la femme. Il ne manquait que... l'Antony.
Cela viendra certainement après les émotions de la soirée.
Dès leur arrivée, ils causent de la pièce :
LA FEMME. - Il parait que c'est de la passion. LE MARI. - On m'a parlé d'adultère... 11 y a un beau dénouement. LA FEMME. - Lequel?
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AVRIL 265
LE MARI. - Je ne sais pas... On me l'a expliqué, mais je n'ai pas compris. LA FEMME. - Nous allons bien voir.
Le premier acte se joue dans un salon dont le luxe de girandoles est fort remarqué. Il y en a une dizaine le long des murs. Cela nous rappelle tout de suite que le gaz n'était pas encore inventé à l'époque où se passe la pièce.
Mlle Tessandier porte une robe grise à petites manches à gigot et Mlle Malvau une robe gorge de pigeon avec petites manches également à gigot.
L'entrée de M. Paul Mounet cause une certaine impression. Elle est très bien arrangée cette entrée. On apporte l'Antony de la rive gauche, évanoui, drapé dans un manteau noir doublé de peluche rouge, la chemise déchirée, le bras gauche enveloppé de linges tachés de sang, les longs cheveux pendants, le visage très pâle.
Quand, à la fin de l'acte, il s'arrache le bandage que le médecin vient de lui poser, j'entends derrière moi le couple qui recommence ses suppositions :
LA FEMME. - Voiià ce qui va arriver. Le jeune homme mourra des suites de l'imprudence qu'il vient de commettre, et comme cela la femme n'aura pas à choisir entre son amour et son devoir.
LE MARI. - Je ne crois pas. La pièce finirait trop tôt. Pour moi, Adèle va tromper son mari.
LA FEMME. - Alors, c'est le mari qui mourra, et ils pourront s'épouser.
LE MARI. - Après le délai de rigueur : neuf mois !
LA FEMME. - Neuf mois ! Cela leur donnerait le temps de réfléchir : ça ne peut pas être ça.
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206 LES SOIRÉES PARISIENNES
Au second acte. - Même décor. Antony est remis autant qu'un homme comme celui-là peut se remettre.
M. Paul Mounet nous rappelle absolument les personnages des dessins de Deveria. La tête est très intéressante.
- Comme on savait aimer en ce temps-là! soupire une petite dame.
- On n'avait que cela à faire ! lui répond son petit monsieur.
Suite de la recherche du dénouement, dans mon voisinage :
LE MARI. - Cette fois, j'y suis... Après les angoisses et les remords, Adèle repoussera Antony avechorreuret reconnaîtra que l'aft'ection la plus sûreestencore celle d'un mari.
LA FEMME.-Oh! c'est bien invraisemblable. Moi, je crois que le jeune homme va retrouver son père et que, raccommodé avec la société, il fera un riche mariage.
Troisième acte : l'auberge. - Nombreux bruits de coulisses : Chaises de poste qui s'éloignent, chaises de poste qui arrivent, claquements de fouets, tintements de grelots, des pendules qui sonnent, des carreaux qu'on enfonce. Puis un clair de lune qui arrive d'autant plus à point qu'à celte époque-là il n'y avait pas encore d'allumettes et qu'Antony, sans cette lune complaisante, eût été obligé de marcher à tâtons pour se jeter dans les bras d'Adèle - effet comique plutôt que poétique.
Nouvelle sténographie d'entr'acte :
LA FEMME. - le vois maintenant comment cela
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AVRIL 267
finira... Le mari, ce mari qu'on ne voit jamais, doit être un homme d'esprit.
LE MARI. - Et alors?
LA FEMME. - Alors, il s'accommodera de la situationet tous trois vivront heureux.
LE MARI. - Lui, un colonel!...
LA FEMME. - Justement, il sera content le colonel.
Rien à dire pour l'acte du salon, sinon que les toilettes féminines m'ont paru bien vilaines.
Mes deux voisins sont de plus en plus perplexes pendant le dernier entracte :
LE MARI. - Je ne vois plus qu'un moyen d'en finir : l'amant, effraye par la responsabilité, va la renvoyer à son mari.
LA FEMME. - Comme dans la Petite marquise, alors!... la comédieque nous avonsvue au Gymnase... çam'étonnerait.
LE MARI. - C'est vrai, il faudrait admettre que la même situation puisse se répéter dans deux pièces.
Mais après le cinquième acte, les deux époux sont littéralement stupéfaits.
LE MARI. -Elle me résistait, je l'ai assassinée! Je connaissais cela, mais je ne savais pas que c'était le dénouement d"Antony.
LA FEMME. - Moi non plus, je croyais que c'était dans la Tour de Xeslel
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20S LES SOIRÉES PARISIENNES
REOUVERTURE DU CIRQUE D'ETE
22 avril.
Le ciel se couvre de plus en plus, une âpre bise souffle du Nord, il tombe une pluie fine mêlée de neige, on a sérieusement repris les fourrures, les hirondelles qui étaient en train de revenir se sont arrêtées à Nice, et j'ai vu, ce matin, un marchand de marrons rallumant son fourneau.
Cependant MM. Franconi père et liis n'ont pas hésité à rouvrir les portes de leur Cirque d'Eté.
C'est dans la tradition de la vie parisienne : qu'il grêle ou qu'il gèle, le Cirque d'Eté doit faire sa réouverture au mois d'avril.
La belle nuit, messeigneurs, pour une fête au Skating-Club !
Mais le public boulevardierne se laisse pas effrayer par les intempéries de la saison. Il arrive un peu transi, mais il arrive en foule, comme s'il n'avait jamais vu une écuyére manquer le saut des bandcrolles.
Les habitués ordinaires sont tous à leur poste. On s'écrase à l'entrée des écuries. H y a des pschutteux du dernier v'ian aux deuxièmes galeries.
Le programme ne contient encore que quelques numéros nouveaux. On en prépare d'autres, et des plus importants, pour le mois prochain.
On a beaucoup applaudi un excellent jongleur à cheval, M. Palmer; le cheval et le poney en liberté, présentés par le roi des dresseurs : .M. Loyal ; les clowns Félix et Bibb, dont les fantaisies sont d'une irrésistible drôlerie, bien qu'un peu usées: une équili-
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AVRIL 2(H)
briste genre Océana, et qu'Océana elle-même, qui se trouvait dans la salle, a été la première à applaudir : les fleurs animées, quadrille équestre exécuté par des écuyers et des écuyères, costumes en pensées, en glaïeuls, en pervenches, en soleils, en marguerites, et enfin des tableaux vivants par douze dames, dit le programme, mais dont on ne nous a pu montrer que neuf, trois étant restées à Aix-la-Chapelle, en douane probablement.
Ces tableaux vivants ont été le clou de la soirée.
Il a fallu, pour les exhiber, dresser une estrade, creuser les dessous, ouvrir des trappes, installer une vaste toile circulaire rayée jaune et noir- les couleurs autrichiennes - qui monte et descend comme le ballot captif. Tout cela a pris beaucoup de temps, et je crois qu'on fera bien d'égayer les entr'actes qui séparent les divers groupes par quelques clowneries indispensables.
Le public, auquel on aurait bien dû distribuer une petite brochure explicative comme pour les Volontaires de 97, a vainement cherché la signification des poses de ces dames viennoises. Je crois avoir reconnu les quatre saisons, la Foi, l'Espérance et la Charité, les péchés capitaux et le Triomphe de l'Amour, mais je n'oserais rien garantir.
Entre le premier et le second tableau, plusieurs écuyers ont voulu pénétrer sous la toile pour aider aux changements, mais le public a poussé des clameurs pudiques qu'expliquait le costume assez léger des demoiselles chargées de représenter la plastique austro-hongroise.
Une très jeune fille, qui doit s'appeler Ilortense, car elle a totalement oublié son corset, a fait le succès de ces tableaux, qui attireront pas mal de monde aux Champs-Elysées.
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2JO LES SOIREES PARISIENNES
Et maintenant, pour peu que l'hiver s'accentue. MM. Franconi feront bien de songer à installer un service de traîneaux entre les grands boulevards et le Cirque d'Eté.
LE lô* HUSSARDS
23 avril.
La Flamboyante a été un succès de première incontestable; la presse en a fait un vif éloge, et cependant voicijla comédie de MM. Ferrier, Valabrègue et Cohen remplacée par une autre, après avoir fourni au Vaudeville l'occasion d'encaisser une recette moyenne d'un millier de francs par représentation.
Si je note ce fait, en somme assez commun, c'est pour constater une fois de' plus combien la presse est impuissante quand il s'agit de théâtre. Je vois à chaque instant des comptes' rendus qui se terminent par des prédictions qui ne se réalisent pas. Telle pièce doit aller un an ou deux, telle autre ne,doit guère dépasser la cinquantaine, celle-ci ne fera pas un sou dans huit jours, celle-là va faire le maximum pendant cent fois ! Le public arrive, il réforme les jugements de la critique et des habitués des premières, il trouve bon ce qu'on lui avait annoncé comme médiocre, il s'ennuie là ou nous nous étions amusés, ses impressions se répandent bien plus rapidement et plus sûrement que les éloges ou les blâmes de la presse, et ce n'est généralement qu'au bout de huit jours qu'un directeur peut savoir s'il tient ou ne tient pas un succès.
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AVRIL 27I
L'auteur du /5e Hussards n est pas un inconnu pour nous. M. de Launay est un ancien officier de cavalerie, romancier estimé, ayant donné récemment, sous le titre de Culottes rouges, une série de scènes militaires qui ont été .'assez goûtées, auteur dramatique intermittent qui a fait représenter un acte, Adieu Paniers, à la Comédie-Française, et dans un théâtre d'un ordre moins élevé, à Cluny, une adaptation du Cousin T*ons et un drame : le Supplice d'une mère.
M. de Launay a tiré la pièce de ce soir d'un de ses romans : Père inconnu. Quand il l'eut achevé, il alla voir son ami Dupuis, au Bourdon, la villa que le grand artiste possède à Nemours. Il lui lut ses cinq actes. Le quatrième acte séduisit tout à fait Dupuis, qui ne put s'empêcher de pleurer en l'écoutant.
- Je vous promets que je jouerai votre colonel ! dit-il à M. de Launay, ne serait-ce qu'à cause de cet acte-là !
Et c'est Dupuis, en effet, qui présenta la pièce aux directeurs du Vaudeville; c'est pour faire plaisir à Dupuis qu'on l'a montée ; c'est.Dupuis qui a aidé l'auteur de ses conseils ; et quand dernièrement la Commission d'examen interdit la représentation du /»>* Hussards, Dupuis songea un instant à envoyer deux officiers de ses amis à ces pêkins de censeurs.
Le merveilleux comédien a été largement récompensé ce soir du grand zèle qu'il a dépensé. C'est sur lui, c'est sur le personnage qu'il représente d'une façon si étonnante que tout l'intérêt du public s'est concentré depuis le premier acte jusqu'à la fin. Quand Dupuis était en scène, tout le monde écoutait, attentif et charmé ; quand il n'y était p'us, on se mettait à lorgner la salle.
Il y a pourtant pas mal de choses passablement intéressantes dan? l'oeuvre de M. de Launav.
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2J2 LES SOIRÉES PARISIENNES
D'abord ce n'est pas commun du tout cette pièce où tout le monde est militaire. Pas un civil, si - un seul - le mari d'une coquette de province - mais il est absolument ridicule.
Aussi, pendant les répétitions du /5e Hussards, les habitudes du Vaudeville s'étaient fortement modifiées, à ce qu'il parait.
La cloche de l'avertisseur était remplacée par un clairon; on ne disait plus : « Nous allons à la répétition », mais : t Nous allons à l'appel » ; les régisseurs s'étaient transformés en adjudants ; quand un artiste arrivait en retard, au lieu de le mettre à l'amende, on le fourrait au bloc ; ce qui n'empêche que ce soir on n'a pas du tout commencé à l'heure militaire .
Uniformes à part, la pièce nouvelle n'est pas d'une mise en scène bien compliquée. Encore les uniformes ont-ils cela de particulier que les draps ne sont pas tous du même bleu. Il y en a de très pâles et de très foncés, il y en a qui tirent sur l'azur et qui se rapprochent du vert ; cela tient à ce que toutes les vestes n'ont pas été confectionnées par le même tailleur. . En fait de décors, il n'y en a que deux à signaler : au premier et au second acte.
Le premier représente un carrefour dans la forêt de Fontainebleau et rappelle d'autant plus le décor du quatrième acte d'Autour du mariage, qu'au Vaudeville comme au Gymnase, on entend sonner les cors du rallye-paper.
Le se:ond nous montre la petite maison où le lieutenant Bcrton a caché sa maîtresse, Mlle Brandès. C'est une maisonnette fort simple, comme on en trouve par centaines aux environs de Paris, et ce décor, très vrai, m'eût beaucoup plu si le peintre,
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AVRIL 27 J
croyant brosser une vue de la Seine, ne nous avait montré tout simplement la mer de glace.
J'allais oublier de parler de l'entrée de Mlle Brandès à l'extrême fin du premier acte. La charmante jeune artiste est accompagnée d'une bonne qui roule une petite voiture d'enfant et d'un gros chien jaune. Elle ne dit pas un mot, et cependant on a fait remarquer que cette entrée silencieuse ne manquait pas de chien.
Au quatrième acte, le public fait comme Dupuis lorsque l'auteur lui lut sa pièce: il pleure.
L'admirable acteur est rappelé deux fois et on a envie de lui crier :
- Es-tu content, mon colonel ?
LE DROIT DU SEIGNEUR
20 avril.
Dieu fit le ciel et la terre en six jours. Il est vrai qu'il se reposa le septième. Mais c'est tout de même un tour de force qui n'a jamais été refait par d'autres.
Après ce précédent sans pareil, je crois qu'il serait juste de citer désormais la rapidité avec laquelle M. Debruyère, aide du fidèle et incomparable Baudu, vient de monter le Droit du Seigneur.
11 y a juste aujourd'hui trois semaines, le 2 avril, que l'impétueux successeur de I^arochelle et Debruyère s'est mis à la besogne. Ce temps lui a sufli pour licencier sa troupe de drame, changer de fond en comble l'organisation intérieure de la Gaité, former
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2/4 LES SOIREES PARISIENNES
un nouveau personnel, donner un millier d'auditions, engager un grand orchestre, réunir près de cent choristes, trouver des artistes de genre, des chanteuses, faire exécuter des monceaux de jolis costumes cl mettre en scène l'opérette de MM.Burani, Boucheron et Léon Vasscur.
Notez que ce diable d'homme trouvait encore le temps de donner audience aux nombreux jeunes gens qui venaient, avec des larmes dans la voix et un drame sous le bras, le supplier de ne pas sacrifier le grand art et la haute littérature dont ils se croient les représentants.
J'ai lu un ou deux articles émus et indignés sur cette prétention de M. Debruyère de changer le genre de son théâtre.
Mais je veux me hâter de rassurer les partisans du drame.
Le directeur de la Gaité n'a pas l'intention de l'abandonner tout à fait. Il veut jouer de tout, l'opérette ce soir, la féerie demain, après-demain un drame si l'on vient lui en présenter un bon. L'idée n'est pas mauvaise, et je ne vois pas pourquoi elle ne réussirait pas.
En attendant, M. Debruyère s'est dit qu'il a brillamment inauguré sa carrière directoriale par le Droit du Seigneur, joué je ne sais combien de centaines de fois au théâtre Beaumarchais, et que, par conséquent, cette opérette devait encore lui porter bonheur à la Galté.Non seulement il a espéré faire une bonne opération en remontant cette pièce, mais il a compté sur elle comme sur un fétiche.
Naturellement il n'a pas regardé à la dépense. Il a entouré d'un grand luxe cette reprise solennelle.
Je dis « solennelle », parce que l'orchestre est dirigé
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parM. Léon Vasseur lui-même, et qu'aujourd'hui c'est .à cela que l'on reconnaît le degré de solennité des reprises lyriques.
Pour avoir été composée très hâtivement, la troupe lyrique de la Gaité n'est pourtant pas la première venue.
Elle contient des éléments excellents.
Et d'abord deux jeunes chanteuses, peu connues du public des premières.
L'une, Mlle Jeanne Caylus, sort de la Renaissance. Mais, bien qu'elle y ait remplacé Granier au pied levé dans Fanfreluche et qu'on lui ait fait chanter cet opéra-comique à Nantes, dans la patrie même de son compositeur, Gaston Serpette, la presse théâtrale n'a pas eu encore à la juger.
L'autre, Mlle Blanche Arall, vient de l'OpéraComique. Comme Marguerite Ugalde et Thuillicr, elle a quitte ce théâtre, impatiente de se créer une situation. Rue Favart, elle s'appelait Lardinois. Mais les auteurs et le directeur de la Gaité ne trouvèrent pas ce nom à leur goût. On l'appela Arall, et l'une des clauses de son traité lui fit défense de porter le nom de Lardinois.
Sans faire oublier la créatrice du rôle, la jolie lfumberta, disparue aujourd'hui du firmamentdramatique, Mlle Arall est gentille et mignonne. Le costume de mariée lui sied on ne peut mieux.
- C'est la plus belle de toutes mes vilaines ! dit le Baron en parlant d'elle.
Le mot est juste.
Si l'apparition de deux nouvelles chanteuses d'opérette présente quelque attrait pour le public blasé des
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premières, ce public a eu, en outre, la primeur d'un début lyrique d'une importance exceptionnelle:
Celui de M. Montrouge comme chanteur.
Je sais bien que l'ex-directeur de l'Athénée a déjà fait preuve de virtuosité à l'occasion de François les bas biens.
Mais il n'avait giu'ue, dans l'opérelte des Folies, que des couplets à détailler. A la rigueur, c'était dans les attributions d'un ancien compère de revues. Dans l'oeuvre de M. Léon Vasseur, sa mission musicale est bien autrement difficile : chants de guerre, déclaration d'amour, duos, ensembles, sextuor, finales, il a presque autant à chanter que M. Maure!, aux Italiens, dans Simon Doccanegra.
La tâche était rude au premier abord. Mais Montrouge, sans avoir passé parles classes d'opéra au Conservatoire, était guidé par une vocation jusqu'alors méconnue. Il se mit à piocher la grande déclamation lyrique, consulta Dupiez, suivit les représentations de Gayarré et fit, en peu de jours, des progrès qui étonnèrent son professeur lui-même.
Ce professeur ne s'étonne pourtant pas aisément de grand'chose, car il n'est autre que Mme Macé-Montrouge, qui est tout simplement une pianiste hors ligne et une musicienne fort instruite.
L'amusante comédienne* une wagnérienne émérite qui passe des après-midi entières à son piano, en compagnie de Tristan et Iseull, des Maîtres chanteurs, des Nicbclungen et autres partitions du feu maître de Bayrculh, apprit à son mari des passages entiers de musique transcendante; puis, après cette première période préparatoire, entama les études de la partition du Droit du Seigneur.
Aujourd'hui, Montrouge songe sérieusement à prendre la carrière italienne en commençant, pour
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s'y mettre, par une adaptation du Cabinet Piperlin,
A côté de Numès qui avec sa barbe de bouc rouge et ses cils rouges ressemble à Scipion -un Scipion gras-et de Scipion qui, naturellement, nous lait l'effet, ce soir, d'un Numès maigre, je dois signaler un débutant qui n'en est pas un.
Il y a un rôle de jeune marié persécuté dans A; Droit du Seigneur. Dans une opérette moderne, ce personnage eût été confié à un baryton. Mais à l'époque où fut créée la pièce, les ténors avaient encore le privilège exclusif des amoureux, et Bibolais fut écrit pour un ténor.
On devait donc en chercher un, et ce n'était pas la tache la plus facile.
M. Debruyère demandait son ténor à tous les échos et, vu la rareté de l'espèce, on songeait déjà à transposer le rôle pour un vulgaire baryton, lorsque le peintre Robert Mois lui adressa M. Thual, l'un des élèves préférés du professeur Saint-Yves Bax.
M. Thual abordait le public pour la première fois ce soir, et pourtant il vient de chanter dans une pièce qui a eu les honneurs de la centième. C'est lui qui chantait à la cantonade la sérénade de Severo Torelli. Aussi sa situation était-elle très spéciale : il ne savait plus s'il débutait à la Gaité ou s'il avait débuté à l'Odéon, s'il avait ou n'avait pas droit à la légendaire et inséparable émotion que vous savez.
Les décors représentent: au premier acte une vaste place de village, très bien peinte et d'une plantation heureusement comprise; au second, une salle de château ouverte sur un parc, et, uu troisième, le carrefour d'une forêt assez semblable à la maquette fort réussie de la création, dont l'auteur fut le décorateur Corn il.
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Quant aux costumes, ils sont de Grévin ; c'est tout dire. Les pages aux maillots gris-perle, aux pourpoints et aux manteaux blancs doublés de mauve sont abso* lument délicieux; les piqueurs de la chasse ducale sont également réussis; tout cela est très chatoyant, très gai à l'oeil, de fort bon goût. Au premier acte, on a prodigué les chapeaux de paille aux paysannes : on voit que la rue du Caire n'est pas loin de la Gaité.
Un luxe, assez sérieux aussi, de calembours - surtout dans le rôle de Montrouge.
Ce qui excusera ce mot de la fin:
- On ne peut pas dire que M. Debruyère se soit fourré le Droit dans l'oeil !
LA GLACE
24 avril.
Lorsqu'on monta la Dame aux Camélias à la PorteSaint-Martin, ou voulut faire les choses grandement et donner aux moindres détails ce cachet de vérité qui ajoute tant de charme aux pièces modernes. Pour la soirée du quatrième acte, Sarah Bernhardt réclama donc la suppression des famcusesglacesencoton qu'on a l'habitude de servir aux invités de théâtre.
- On mangera de vraies glaces !
M. Derenbourg fit la moue. Une vingtaine de vraies glaces tous les soirs, c'était un supplément de frais, selon lui, bien inutile.
Mais comme Sarah tint bon, il proposa un biais :
Il y aura, tout à fait sur le devant de la scène, une
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invitée à laquelle on servira une vraie glace. Et comme elle la mangera à petites cuillerées, sous les yeux du public, ce sera comme si toutes les glaces de la soirée venaient de chez un Tortonî quelconque.
On s'arrêtera à cettecombinaison ingénieuse autant qu'économique.
Aussitôt le bruit se répandit dans le petit personnel féminin de la Porte-Saint-Martin qu'il y avait un rôlet fort original à distribuer dans la Dame aux Camélias, un rôle qui devait forcément attirer l'attention des spectateurs sur celle qui en serait chargée, et les compétitions furent nombreuses.
Non seulement toutes les petites femmes du théâtre s'offrirent pour manger la vraie glace, mais il en vint du dehors.
On finit par en choisir une, fort gentille, qui n'avait jamais joué la comédie, mais qui avait été recommandée par des journalistes influents. Il va sans dire qu'on n'avait pas négligé de lui demander si elle aimait la glace.
- J'en raffole, avait-elle répondu, j'en ai toujours raffolé... Je vous assure que j'ai la vocation.
On lui fit répéter sa scène avec beaucoup de soin. Elle devait manger sa glace lentement, pendant que les conversations et les scènes de jeu allaient leur train autour d'elle; elle devait arrondir le bras avec grâce, laisser fondre la glace dans sa bouche sans se passer la langue sur les lèvres en dirigeant de temps en temps un sourire aimable aux fauteuils d'orchestre.
Le soir de la première, cet épisode passa à peu près inaperçu. Mais aux représentationssuivantes, il amusa et intéressa le public.
- Comme on fait bien les choses à la-Porte-SaintMartin ! dirent les bourgeois. On y mange de vraies glaces !
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- Le prix des places y est si élevé !
Quelques habitués commencèrent à remarquer que la jeune mangeuse de glaces avait un physique agréable. Ils lui envoyèrent des déclarations» Sur les enveloppes des billets doux, on lisait l'inscription suivante :
A la demoiselle qui mange une vraie glace au quatrième acte,
A-t-elle de la veine, tout de même! dirent ses camarades en parlant d'elle. Ah ! elle n'a pas eu de mal à arriver celle-là !
Enfin, la demoiselle était très contente de l'effet qu'elle produisait. Le dimanche surtout, c'était considérable.
Mais toutes les médailles ont leur revers.
Au bout de quelque temps, l'obligation de manger une glace, tous les soirs, à onze heures très précises, commença à agacer l'artiste.
--Ne pourrait-on varier un peu, demanda-t-elle au régisseur, me servir de temps en temps de la pistache ou de la framboise au lieu de cette éternelle vanillegroseille?
- C'est impossible, répondit le régisseur, votre scène a été réglée une fois pour toutes. S'il fallait la changer maintenant, cela embrouillerait tout.
Alors elle se butta. Elle fut prise d'un violent dégoût pour les glaces. Un soir, elle voulut faire semblant de manger, mais elle sentit que le public avait les yeux sur elle et que, si elle hésitait ou trichait, sa carrière serait à jamais brisée. Il est impitoyable, le public ! Il ne tient pas compte des souffrances des artistes et exige d'eux tout ce qu'ils sont capables de lui
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donner ! Elle mangea donc encore. Mais elle se dit que c'était la dernière fois et que le lendemain, elle prétexterait une maladie, qu'elle exhiberait une ordonnance de médecin lui défendant la glace pendant une quinzaine de jours. On s'arrangerait, quoi! On lui donnerait une glace en coton en attendant son réta' blissement. Elle ferait en sorte que le public ne s'apercevrait de rien.
Elle s'arrêta à ce programme, mais dès qu'elle voulut le mettre à exécution, des qu'elle parla de sa maladie au régisseur, celui-ci lui répondit d'une voix extrêmement calme :
- C'est bien, mon enfant, ne te fatigue pas, je vais prévenir ta doublure !
Une doublure ! Elle était doublée! Une autre qu'elle mangerait la glace en public, lui prendrait sa première création sérieuse, un rôle auquel elle avait su donner un cachet si personnel! Non, non, cela n'était pas possible!
- Je jouerai, Monsieur! répliqua-t-elle, résolue à tout.
Et elle joue tous les soirs, et elle mange tous les soirs, et elle souffre tous les soirs, en continuant à sourire au public barbare.
Mais c'est avec une bien grande satisfaction qu'elle voit arriver la fin des représentations de la Dame aux Camélias, Elle restera bien un an sans prendre de glaces. A moins qu'on ne vienne lui proposer de jouer son rôle en tournée !
tfl.
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2*2 LES SOIREES PARISIENNES
CARXOT
26 avril.
Décidément, la mode est aux pièces montées à toute vapeur. Il y a trois jours, je signalais la rapidité avec laquelle M. Debruyère a pu nous donner la reprise du Droit du Seigneur à la Gaité, et voilà qu'aujourd'hui son confrère de l'Ambigu, M. Simon, nous fournit en» core un nouvel exemple de cette activité directoriale sans précédents.
Lorsque Gatienne lui fut retirée au profit de la PorteSaint-Martin, M. Simon se trouva tout aussi dépourvu que l'imprévoyante cigale de la fable. Pas le plus petit spectacle à mettre en répétition.
Il se souvint alors de Carnot, d'abord parce que Car* not fut un grand patriote dont le nom s'imposait de lui-même à sa mémoire de bon Français; et puis, parce que cela lui rappelait un certain Carnot dont lui avaient parlé MM. Blondeau et Jonathan.
Une seule chose le préoccupait. 11 craignait la couleur révolutionnaire que pouvait avoir la pièce :
-? Pas de politique à mon théâtre ! disait-il.
Mais M. Blondeau le rassura bien vite. Ancien collaborateur de M. Monréal et homme de revues avant tout, il n'aurait jamais consenti à faire de Carnot autre chose qu'une pièce exclusivement militaire.
- La meilleure preuve, ajoutait-il, c'est que Car" not est rempli de « Vive la Franco! » de « Vive la nation ! » mais qu'on n'y crie qu'une seule et unique fois : « Vive la République ! »
Dans les deux premiers tableaux, cependant, la pas-
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sion révolutionnaire s'accuse un peu ; mais cela se passe de si bonne heure que les réactionnaires ue sont pas encore arrivés.
M, Simon, avant de se décider tout à fait, fit appeler son décorateur.
- On me propose, lui dit-il, un grand drame militaire pour lequel il me faut cinq décors neufs...
- Cinq décors neufs... tant mieux! interrompit le décorateur charmé.
- Laissez-moi parler:... le temps presse. Ces décors sont très importants. Pouvez-vous me les livrer dans quinze jours?
- Je le puis,
-- Donnez-m'en votre parole d'honneur? Sinon j'aime mieux ajourner la pièce.
L'artiste étendit la dextre en signe de serment, ce qui, contrairement à l'usage, ne l'empêcha pas de tenir parole, car les cinq décors furent livrés douze heures avant le terme fixé.
Et il en fut de même pour tout, ce qui permit de monter la pièce en vingt-trois jours.
Les costumes, au nombre de plus de trois cents, furent également prêts à l'avance ; mais on dut y travailler le jour et la nuit. Naturellement, il ne fallait pas songer à s'adresser à un dessinateur, on était trop pressé. On fit des recherches dans certains ouvrages illustrés de la Bibliothèque.
Au sixième tableau, intitulé l'Organisateur de la victoire, on voit Carnot communiquant avec ses quatorze armées à l'aide de quatorze courriers de quatorze tenues différentes.
C'est d'un effet pittoresque et martial qui a fait dire :
- On dirait un Détaille en action.
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2$-\ IFS SOIRÉES PARISIENNES
Il n'y a pas de bonne pièce militaire sans la chanson de rigueur.
On n'a donc eu garde de l'oublier, et c'est naturellement à Mlle Marie Kolb, qui a déjà chanté i'Signc à Main telle Dousqwt, de M. Serpette, qu'a été confiée la Légende du colonel portugais, du même compositeur.
Beaucoup d'effets décoratifs, entre autres le Départ des volontaires, qui reproduit assez exactement le fameux tableau de Léon Cogniet.
Le superbe moulin f*u dernier acte fournit un effet de mise en scène des plus saisissants lorsqu'il s'écroule sur Mlles Antonia Laurent et Patry (nom prédestiné pour une pièce Patryotique).
Plusieurs spectateurs et presque toutes les spectatrices ont poussé un cri de terreur en les voyant disparaître toutes deux sous ces énormes décombres.
Hâtons-nous de rassurer les personnes trop impressionnables en leur disant que M. Courbois, le très habile machiniste de la Porte-Saint Martin, auquel a été confiée la charpente de ce truc émouvant, a su ménager sous les débris une « chambre » qui protège les deux sympathiques englouties.
Petite déception au tableau final de la bataille de Wattignies.
On nous avait annoncé que Mlle Marie Kolb jouerait du clairon. Elle avait même très consciencieusement étudié cet instrument pour perfectionner encore le talent qu'elle y avait déployé dans Lili, en province. Mais, aux dernières répétitions, on s'est aperçu qu'on ne l'entendait pas en scène.
Vaines études ! efforts superflus ! impossible de conserver un effet aussi complètement perdu, et Mlle Kolb, qui est vraiment devenue de première force sur les
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sonneries militaires, n'a plus qu'une ressource, celle de sonner la charge pour appeler ses domestiques. Les clairons n'ont pas de chance au théâtre, cette
année!
Du reste, comment pourrait-on entendre celui de Mlle Kolb pendant cette bataille de Wattignies, où deux cent quatre-vingt-seize comparses font parler la poudre, où six canons sont mis en batterie sur la scène de l'Ambigu ?
Je sais bien que, sur les six, il y en a trois qui figurent, qui restent absolument muets.
Mais les trois autres suffiraient à nous rendre sourds.
Il faut avouer que les Autrichiens ne sont pas forts en perdant la bataille avec une artillerie aussi tintamarresque; ils se laissent prendre comme des enfants le praticable de Wattignies et tout ce qu'il y a dessus.
En revanche, les volontaires de M. Taillade se sont couverts de gloire.
Sont-ce des volontaires d'un an ?
C'est ce que l'avenir de Carnot nous apprendra.
UXE LACUNE COURLÉE
28 avril.
Au risque d'avoir l'air de dire une énormité, j'affirme que le personnage le plus important d'Antony est le colonel d'I lervey.
On ne le voit qu'à l'extrême i\n du drame, et c'est à peine s'il prononce un mot.
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>^(i LES SOIRÉES PARISIENNES
Cependant tout repose sur lui.
Supprimez le colonel, la pièce n'existerait plus:
Adèle ne serait passa femme; elle pourrait épouser l'homme qu'elle aime et devenir Mme Antony;
Antony ne serait pas réduit à rugir d'amour pendant cinq actes;
Il n'aurait plus besoin de tuer sa maîtresse pour la tirer d'un mauvais pas.
Et, voyez jusqu'où va l'importance de ce personnage presque muet, non seulement il ne peut y avoir de pièce que s'il existe, que s'il est le mari d'Adèle, mais tout dépend encore de ses faits et gestes; les autres s'agitent et lui seul les mène.
D'abord, s'il ne vivait pas constamment loin de sa femme, il n'y aurait pas d'adultère. Lui présent, je répondrais d'Adèle.
D'autre part, il est hors de doute que, s'il n'arrivait pas avec cette rapidité fatale.au moment où sa femme ne l'attend pas, les choses se passeraient dune façon moins tragique et que les coupables auraient le temps de trouver un autre moyen de sauver les apparences.
Donc, j'ai raison lorsque je soutiens que le véritable héros d'Antony est bien le colonel d'IIervey.
Ce point étant acquis, il faut reconnaître - sans vouloir refaire la critique d'une oeuvre consacrée depuis un demi-siècle - que le grand Dumas a fait, dans Antony, une chose qu'aucun auteur n'avait tentée avant lui et que nul n'a osé recommencer depuis : il n'a point posé son personnage principal !
il ne nousdit ni ce que fut d'IIervey, ni cequ'ilpeut être - nous ne savons que ce qu'il est comme mari. Aucun détail sur ses goûts, ses habitudes, son humeur, ses vices ou ses vertus.
Pourquoi le colonel est-il à Strasbourg? Pourquoi sa femme n'y est-elle pas avec lui ?
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AVRIL 2*7
Mystère et lacune!...
C'est ce mystère que j'ai voulu éclaircir; c'est cette lacune que j'ai tenu à combler,
Ilervey (Louis-Victor-Adolphe) - anobli plus tard par l'Empire - naquit à Marbache, près Nancy, le i6 janvier 1780. D'une famille de charrons aisés, il se destina dès l'enfance à la modeste profession île ses pères, jusqu'au jour où sa vocation lui fut révélée d'une façon toute fortuite. Un vieux soldat bancal, qui avait lait jadis la guerre de Sept Ans, vint un jour chez le père Ilervey pour faire réparer sa jambe de bois. Les récits de bataille de ce vaillant débris enflammèrent le lils du charron. Son ardente imagination aidant, le jeune Adolphe s'enthousiasma pour le noble métier des armes et déclara à ses parents qu'il n'embrasserait jamais une autre carrière.
Engagé volontaire à douze ans, comme tambour, il grandit en force et en courage dans la rude vie des camps. Ilervey prit une part glorieuse aux campagnes delà République et de l'Empire. Il n'y eut pas de bonne guerre sans lui, et il était connu comme le loup blanc sur tous les champs de bataille de l'Europe. Officier après Lodi, capitaine en Egypte, c'est à lui que Bonaparte fit remarquer que quarante siècles les contemplaient tous deux du haut des Pyramides. Le fait a été dénaturé depuis par l'histoire, mais l'histoire se trompe.
Redevenu simple soldat pour avoir séduit la femme de son colonel, Ilervey eut un jour l'honneur, étant en faction, d'imposer le respect de la consigne à Napoléon, en s'écriant la baïonnette croisée : « Quand même vous seriez le petit Caporal avec sa redingote grise, vous ne passeriez pas ! » Promu de nouveau capitaine après Wagram, puis nommé commandant sur le champ
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2S*. LES SOIREES PARISIENNES
de bataille de la Moskovva, il eut le nez gelé pendant la retraite de Russie. A Ratisbonnc, il sut parer avec son épéc une balle qui allait frapper l'Empereur à la tète; le projectile amorti retomba et ne fit qu'une légêreblessure au pied de César qui, plus tard, àSaintcI (élène, répéta souvent en rappelant ce tour d'adresse au général Bertrand : « Que n'ai-je trouvé cinq cents héros comme d'IIervey; je ne serais pas ici! » Mais Je plus beau titre de gloire du colonel d'IIervey est le mot héroïque qu'il prononça à Waterloo et qui fut attribué faussement à son frère d'armes, le général Cambronne, par Victor I lugo, Thiers et quelques autres.
Complétons ces brillants états de service par le récit d'une aventure qui devait avoir sur la vie du mari d'Adèle une influence considérable.
A Waterloo, le colonel, démonté, épuisé de fatigue et perdant son sang par deux blessures, voulut s'enfuir. Mais ses forces le trahirent après trois quarts d'heure de marche, et il tomba bientôt sur la route. Une petite laitière belge, le trouvant évanoui, ^lui prodigua ses soins, le ranima et l'accueillit dans sa petite voilure, traînée par deux gros chiens. Pendant un mois, le colonel fut soigné par cet ange du pot-au-lait avec un dévouement que rien ne rebuta.
La convalescence fut longue; le colonel etla laitière eurent le temps de s'aimer, de se le dire, et, depuis, la laitière ne quitta jamais le colonel. ÉQuand le colonel dut se marier, il n'eut ni le courage de rompre, ni la franchise d'avouer sa liaison avec la laitière. Il vivait avec clic à Strasbourg, usant de tous les moyens pour empêcher sa femme d'y venir et de les surprendre, prétextant les ennuis de la vie de garnison pour Mme d'IIervey, le mauvais climat des bords du Rhin cl une futile d'autres raisons dont se contentait Adèle.
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AVRIL 28o
Il ne serait même jamais venu déranger les amours de sa femme, si celle-ci ne lui avait annoncé son arrivée à Strasbourg.
Loin de songer à la prendre en flagrant délit, il n'accourait si lestement que pour n'être pas pris lui-même et empêcher un voyage redouté. Je crois même, étant donné les torts réciproques, qu'Antony, toujours trop pressé, s'est un peu hâté de poignarder la tendre Adèle.
Il est infiniment probable que, chacun y mettant du sien, on aurait fini par s'entendre.
L'INVENTEUR
29 avril.
Une note qui est en train de/aire le tour de la presse nous apprend qu'à la liste déjà longue des inventeurs célèbres il va falloir ajouter un nom nouveau : celui de M. Victor Koning.
Gutenbcrg est l'inventeur de l'imprimerie, Denis Papin est l'inventeur de la machine à vapeur, le moine Schvvartz est l'inventeur de la poudre, Guy d'Arezzo est l'inventeur des notes de musique, Alexandre Spina est l'inventeur des lunettes, Palissy est l'inventeur de l'émail, Jansen est l'inventeur du microscope, Galilée est l'inventeur du pendule, Debain est l'inventeur de l'harmonium, Carcel est l'inventeur de la lampe de ce nom et Victor Koning est l'inventeur de Damala.
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29O LES SOIREES PARISIENNES
La note est précise. On y parle du succès énorme du Maître de forges, des triomphes que les rôles de Claire et de Philippe ont valu à leurs interprètes, et on termine ainsi :
t M. Damala doit bénir son inventeur : Victor Koning ! »
Donc, il n'y a pas à discuter: Damala est une invention.
Une invention de M. Victor Koning.
Ceux qui vivent dans l'intimité du directeur du Gymnase me racontent que M. Koning n'a pas inventé Damala en un seul jour.
Il a passé par des phases cruelles.
Il y a eu d'abord une période indécise pendant laquelle il paraissait en proie à une violente surexcitation nerveuse. Il était pâle, il maigrissait, il avait des insomnies fréquentes et perdait l'appétit.
C'était le besoin d'inventer qui le tourmentait.
Quand un homme est pris de ce besoin, il est à peu près impossible de l'en distraire. C'est comme les poules quand elles ont envie de couver.
Un jour, M. Koning disparut. C'était, fort heureusement, pendant la fermeture de son théâtre. Où étaitil? Personne ne le savait. On le chercha partout ; on commenta sa disparition; ses amis parlaient de le faire afficher en promettant une récompense honnête à celui qui le rapporterait chez le concierge du Gymnase.
Or, M. le directeur était tout simplement chez lui, en train d'inventer Damala.
Quel travail laborieux, que d'angoisses, que d'incertitudes, que de désespoirs !
Il commença par faire les pieds et les jambes.
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Les pieds, pas très grands , mais bien cambrés, les jambes ni trop grosses, ni trop minces, fines et fortes avec des genoux non cagneux et des mollets d'un diamètre convenable. Le difficile était de les faire exactement de même longueur ; l'adroit inventeur y parvint avec un coup d'oeil, une précision remarquables. Autre détail très important au point de vue de l'architecture générale du produit inventé et de ces conditions physiques de durée : il fallut donner à toute cette base l'équi.ibrc et la force nécessaires pour supporter un buste élancé sans maigreur, surmonté d'une tète de poids moyen destinée à couronner agréablement l'édifice.
Les jambes établies, et avant de pousser plus loin sa tâche, le chercheur de Damala songea à leur fonctionnement et réussit à leur donner l'agilité et la souplesse qui font dire d'un homme ingambe : « Il est taillé pour la course. »
Sans entrer par le menu dans d'arides détails de construction humaine, disons que le même soin présida à la facture du corps dont le développement, très limité à la taille, fut surtout ménagé à la hauteur des épaules, que Koning fit droites et de hauteur symétrique, afin de pouvoir y attacher le cou selon les principes rigoureux de l'anatomie.
La tète avait été finement travaillée à part, cl il ne restait plus qu'à la poser sur le tout, lorsqu'au dernier moment, par suite d'une distraction qu'excusaient ses grandes fatigues, l'inventeur faillit tout compromettre: il avait mis cette tète à l'envers...
I leureusemenl, il put la retourner peu à peu par un travail patient.
Tout était fini et pourtant tout restait à faire.
C'est alors que Koning inventa le principal. Oh ! bien peu de chose : un simple bruit; une voix, mais
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Ji)2 LES SOIREES PARISIENNES
une voix d'un son particulier, une voix d'homme du monde qui pût servir à jouer la comédie sans devenir la voix d'un comédien.
II était là le trait de génie !
Dès qu'il eut terminé cette voix, Koning la plaça dans le corps, en plein coflVe...
Et Damala était inventé.
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M AI
aJASSENET CHEZ LE JUGE
iCf mai. AVANT-PBOPOS
Mon collaborateur Jules Prével racontait, l'autre jour, l'histoire du premier ténor d'une ville du Nord , arrêté pour complicité d'adultère, à Paris, où il était venu faire un court séjour. Le ténor avait chanté le Desgrîeux de Manon avec un succès très vif et il était attendu , pour la même création, dans une grande ville de l'Ouest. Desgrieux ayant été conduit à la Conciergerie, la représentation de Manon dans la ville de l'Ouest devenait impossible. C'est alors que M. Jules Massenet se décida à faire lui-même une démarche auprès du juge d'instruction chargé d'examiner la plainte portée contre le chanteur.
Le Juge demeurait rue - le nom de la rue importe peu.
- Au deuxième au-dessus de l'entresol, dit la concierge, au musicien qui, un peu nerveux, un peu ennuyé, impatient et distrait, entendit : au deuxième.
Il sonna à un appartement qu'habitait M. Lejuge, pédicure, et voici la scène qui se passa.
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>0| LES SOIREES PARISIENNES
SCÈNK
Un salon, convenablement meuble. Sur les murs, plusieurs tableaux contenant des cors, des durillons et des «ils de perdrix, piqués sur des épingles. Grands fauteuils verts. M. Lejuge est assis derrière une petite table couverte d'un tapis, et sur laquelle se trouvent quelques livres de chirurgie.
LEJUGE, se levant avec empressement. - C'est à M. Masscnet, le compositeur, que j'ai l'honneur de parler ?
MASSENET. - Ou', monsieur le juge...
LEJUOE. - Je ne saurais vous dire, Monsieur, à quel point votre visite me rend heureux.
MASSENET. - Vous êtes vraiment bien bon.
LEJUOE. - Mais non, c'est que vous croyez peutélre que nous autres, spécialistes, nous ne nous intéressons pas aux choses de l'art. Vous vous trompez. Quand, pendant toute une journée, on est resté courbé sur les souffrances humaines, je ne connais pas de plus grand délassement que celui d'aller entendre un peu de bonne musique.
MASSENET. - Je suis enchanté, monsieur le juge, de vous trouver dans d'aussi excellentes dispositions.
LEJUOE. - J'ai toujours beaucoup aimé vos compositions, monsieur Massenet, mais votre dernier opéracomique surtout, Manon. est peut-être ce que je préfère dans votre oeuvre.
MASSENET. - Je suis vraiment confus...
LEJUOE. - Quel succès, Monsieur! Que de monde à chaque représentation! La dernière fois que j'y suis allé, on s'écrasait les pieds dans les couloirs; cela m'a fait bien plaisir.
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MAI 2Q5
MASSENET, modestement. - Oui, ça ne va pas trop mal.
LE JUGE. - Et votre Manon. Monsieur, votre Marie 1 leilbron, comme elle est charmante ! C'est une de mes clientes les plus assidues.
MASSENET, avec un sourire.,- Cliente est charmant. Je sais, en effet, que vous la voyez quelquefois.
LEJUOE. - Je regrette qu'il n'en soit pas de même pour M. Talazac. Dites-lui cependant que, si jamais il venait dans mon cabinet, je serais très heureux de le servir. J'ai de la délicatesse... une grande légèreté de main... enfin il serait content de moi. Et cela me ferait plaisir de le contenter. Il a tant de talent, M. Talazac! Comme il est beau dans votre opéra! A l'acte de Saint-Sulpicc surtout, quand il chante :
Et, songez, si j'ai bu dans une coupe amêre, Que mon cor l'emplissait de ce qu'il a saigné !..
MASSENET, à part.-C'est: coeur... Pourquoi dit-il : cor ?
LEJUOE. -Ce cor qui saigne, quelle jolie image! Et cette autre phrase :
Son cor, guéri de sa blessure, S'est refermé I
MASSENET, toujours à part.- Pourquoi dit-il : cor? C'est coeur! LEJUGE. Refermé est divin... Et celle-ci :
Cor trois fois féminin... que je t'aime et te hais !
MASSENET, de plus en plus à part. - Décidément, il ne sait pas prononcer le mol : coeur!
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20 » LES SOIREES PARISIENNES
LEJUOE. - Vous voyez, Monsieur , que je suis un enthousiaste, un mélomane, un vrai mélomane. Mais laissons-là vos artistes... parlons un peu de vos cors.
MASSENET , ex "dernier aparté. - Les cors qui accompagnent mon air de Desgrieux au second acte! (Haut.) Ah! monsieur le juge, ils m'ont bien fait souffrir!...
LEJUGE. - A cause des changements de temps?
MASSENET. - Précisément.
LEJUGE. - Avec quelques bonnes coupures...
MASSENET. - C'est que je ne les aime pas, les coupures.
LEJUGE. - Oh ! quand elles sont habilement pratiquées !
MASSE.NET. - Cela ne fait rien... Mieux vaut les éviter si l'on peut...
LEJUGE. - Mais on ne peut pas toujours.
MASSENET (jugeant qu'il est temps défaire une diversion). - Vous savez ce qui m'amène, monsieur le juge?
LEJUGE. - Je m'en doute.
MASSENET. - Le cas est grave.
LEJUGE. - Oh! grave... grave... ces cas-là ne le sont jamais. Douloureux tout au plus.
MASSENET. - Enfin, Monsieur, vous seul pourrez le tirer de là...
LEJUGE. - Vous voulez dire : l'extirper!...
MASSENET. - Et cela fait, on essaiera d'obtenir une séparation de corps.
LEJUGE. - Je m'en charge.
MASSENET, - Comme vous êtes bon ! Je suis à vos pieds!
LEJUGE. - Pas du tout, c'est à moi de me mettre aux vôtres. (// se jette à genoux.)
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MAI 20;
MASSENET. - Hein?
LEJUGE. - Déchaussez-vous !
MASSENET. - Comment ?
LEJUGE. - Otez vos bottines !
MASSENET. - Mais je ne suis donc pas chez le juge d'instruction ?
LEJUGE. - Pas du tout, vous êtes chez M. Lejuge, pédicure. Le magistrat demeure au-dessus. Voilà une heure que je vous parle de vos cors...
MASSENET. - De mes cors d'harmonie...
LEJUGE. - Quel quiproquo ! C'est un bien grand honneur pour moi ! Ah ! monsieur Massenet, je ne l'oublierai jamais.
MASSENET. - Ni moi non plus. (// sort en jetant un long regard sur les tableaux contenant des cors et des oeils de perdrix qu'il avait pris pour des collections d'insectes.)
ÉPILOGUE
Le ténor de province a été remis en liberté. L'affaire n'aura pas de suite.
LE SOCIETAIRE ET LES JIARTINSPEHIEURS
2 mai.
Cela ressemble au titre d'une fable. Kicn de plus vrai cependant que l'histoire suivante.
Tout le monde connaît M. Silvain, l'un des plus jeunes sociétaires de la rue Richelieu. Mais ses intimes
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»Q8 LES SOIRÉES » VRISIENNES
seuls le connaissent assez pour savoir qu'il adore tous les oiseaux, et l'un d'eux crut faire son bonheur en lui donnant, l'été dernier, une paire de martinspêcheurs.
L'espèce est assez répandue sous tous les climats. Toutefois, il est extrêmement rare de la rencontrer en cage. Il n'y en a pas chez les marchands.
Le cadeau fut donc apprécié à sa réelle valeur.
Dès que ces beaux oiseaux aquatiques lui arrivèrent, dans le cottage qu'il habite toute l'année à Asnières, M. Silvain leur fit confectionner une cage superbe. Sombres et farouches, quoique criards, les deux nouveaux venus ne tardèrent pas à faire comprendre que cette prison, si élégante qu'elle fût, ne pouvait leur convenir longtemps. Ils dépérissaient à vue d'oeil.
- Liberté pour tous, pensa M. Silvain , sutout pour les bétes !
Et il fit aménager , avec un certain goût, la mansarde dans laquelle on leur donna la volée.
Malheureusement, les martins-pêcheurs, au lieu de se montrer touchés de leur affranchissement, parurent s'ennuyer plus ferme.
On avait brisé leurs fers, mais ils n'étaient pas encore contents.
- Que leur manque-t-il donc ? se demandait l'émule de M. Maubant.
Un confident, qui l'entendit se faire un jour cette question tout haut, répondit simplement :
- De l'eau.
- De l'eau? répéta M. Silvain surpris, de l'eau... ils en ont toujours.
- Oui, ils en ont un peu... pour boire , mais cela ne suffit pas. Il leur en faudrait beaucoup plus. Pensez
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MAI 299
donc que ces animaux-là ne vivent que sur les rivages !
- Qu'à cela ne tienne ! s'écria l'artiste, mon cabinet de toilette est juste au-dessous de leur mansarde, je vais établir une communication.
Le lendemain matin, la maison fut livrée aux ouvriers. Le plafond fut percé, et les martins-pêcheurs purent bientôt venir se percher sur les rebords de la baignoire, constamment remplie d'eau à leur intention.
Hélas! M. Silvain n'avait pas encore eu le temps d'examiner les nombreux mémoires de maçons, de charpentiers, de peintres, de menuisiers, de parqueteurs et de plombiers, relatifs à ces travaux, qu'il pouvait déjà constater que ses martins-pécheurs devenaient de plus en plus grincheux.
En y réfléchissant, cela se comprenait de reste.
L'eau, stationnant dans une baignoire, ne pouvait leur suffire. C'était de l'eau courante qu'il leur fallait.
M. Silvain n'hésita pas. Il rappela les entrepreneurs. C'était toute la plomberie à réorganiser autrement, mais du moins l'eau des martins-pécheurs serait abondamment renouvelée, grâce à une forte augmentation d'abonnement avec la Compagnie des eaux d'Asnières.
Certes, c'était bien de l'argent, mais les précieuxoiseaux seraient si heureux !
Eh bienl non, ils ne le furent pas encore!
Leur maître, qui les aimait en raison même des tourments qu'ils lui occasionnaient, commençait pourtant à leur trouver un caractère déplorable, lorsqu'un de ses camarades, auquel il faisait part de ses
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LES SOIREES PARISIENNES
tentatives malheureuses, un soir, au foyer de la Comédie-Française, le tira d'embarras.
- Votre erreur , lui dit-il, est d'avoir cru que les martins-pécheurs aimaient l'eau pour elle-même.
- Pourquoi l'aiment-ils donc?
- Pour le poisson qu'il y a dedans... Mettez-leur du poisson dans votre eau courante et vous les verrez plus heureux que le poisson dans l'eau.
- Parfait, à partir de demain, je leur achète du poisson vivant qu'ils s'amuseront à happer dans ma baignoire.
Huit jours après, M. Silvain, écoeuré par le prix exorbitant du poisson vivant sur le marché d'Asnières, trouva plus économique de le pécher lui-même.
Pour cela, il n'hésita pas à prendre un permis de pêche à l'épervier et à faite construire un bateau de pêcheur.
Un bateau de pécheur, c'est bien lourd à conduire. Il lui aurait fallu un homme exprès. A quoi bon cette dépense qu'on pouvait éviter en se procurant une embarcation plus légère?
M. Silvain ne recula pas devant un débourséqui, une fois fait, devait lui réaliser des économies sérieuses durant toute la vie de ses martins-pécheurs.
11 acheta un canot à vapeur.
Alors, sa pêche devint si abondante qu'il n'eut plus de quoi garder tout son poisson vivant.
Présentement, on lui construit un grand bassin, alimente par un réservoir immense. Ce sont des travaux gigantesques de canalisation dans toute sa propriété; on lui enlève tous les arbres', et les acomptes donnés aux divers entrepreneurs représentent une petite fortune.
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MAI 30I
Quant aux martins-pécheurs, ils sont enfin satisfaits.
Seulement , ils se nourrissent tellement bien, que M. Silvain craint de les perdre à la fleur de l'âge.
NOUVELLE DISTRIRVTION DE . ROBERT LE DIABLE »
S mai.
Ah ! Hobert...
Toi, dont le papa
Jadis régnait en Normandie,
si tu savais dans quel embarras tu me mets toutes les fois qu'il t'arrive de nous faire entendre un ténor nouveau, une basseinédite ou un soprano qui ne l'a pas encore servi d'Alice, je suis sûr que tu supplierais AL Vaucorbeil de ne pas te remettre sur l'affiche.
Que diable veux-tu que j'apprenne au public sur ton compte ?
Que tu dois le jour à Scribe, Delavigne et Meyerbeer ; que voilà cinquante-trois ans qu'on te joue à l'Opéra avec un certain succès, que Taglioni a réglé pour toi un ballet qui n'est vraiment pas mal, et que les décors de Cicéri passent pour remarquables?
Si j'avais l'air de vouloir lui apprendre cela sérieusement, le lecteur aurait le droit de hausser les épaules.
Mais que lui raconter alors?
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î'*2 LES SOIRÉE? PARISIENNES
La plume tremble entre mes mains, et j'ai grande envie de crier :
Grice! Grlce pour toï-meme Et grâce pour moi l
Et puis, je me fais une raison. Je me dis : - Prenons toujours du papier blanc, de l'encre et une plume. Ce sera au petit bonheur.
O fortune! a ton caprice. Viens, je livre mon destin. A mes désirs sois propice Ut viens diriger ma main!
Je ferais peut-être bien de reprocher à M. Vaucor* beil de n'avoir pas fait de service à la presse.
On en envoie souvent pour des représentations moins intéressantes.
Remarquez que la distribution de Robert le Diable est complètement renouvelée. ,
Escalaïs dans Robert, Mme Escalaïs dans Isabelle, Mlle Isaac dans Alice, il y avait là de quoi justifier une convocation sérieuse des critiques musicaux.
Je sais bien qu'en ce moment les recettes sont belles à l'Opéra, et qu'il est dur de les diminuer de la somme assez rondelette qu'absorbe le service des premières.
Mais
I/or est une chimère,
et M. Vaucorbeil ne saurait l'ignorer depuis le temps qu'on le lui chante. Toujours est-il que les nouveaux interprètes de
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MAI
Robert ont comparu devant l'auditoire ordinaire des lundis auquel s'était mêlé un certain nombre de provinciaux et d'étrangers,
Car il commence déjà à en arriver pas mal, des provinciaux et des étrangers. Ce qui distingue ces visiteurs du mois de mai de ceux qu'on va rencontrer à Paris pendant les mois d'été, c'est qu'ils voyagent généralement en garçons, sans la moindre épouse, ni l'ombre de famille. Plus d'un,
Brûlant pour d'autres dieux un encens impudique, Où régnaient les vertus, fit régner le plaisir.
Tous sont venus pour s'amuser :
Le vin, le jeu, les belles, Voilà nos seuls amours.
On peut les voir, aux deux portes qui conduisent sur la scène, regarder d'un oeil d'envie les privilégiés que les huissiers laissent passer.
Ils échangent leurs réflexions entn? eux :
Quand je quittai la Normandie,
diil'un, je croyais qu'il était plus facile que cela 'd'entrer à ce fameux foyer delà danse! Et un autre s'écrie :
Nonnes qui reposez sous cette freide pierre,
je ne vous verrai donc pas de près !
Tous ces exotiques, dès l'cntr'acte, se retrouventau foyer :
Du rendez-vous voici l'instant !
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i*[ LES SOIREES PARISIENNES
De là, les uns s'en vont auî-uflet :
Verse* a tasse pleine Verses ces vins fumeux. Et que l'ivresse amène I/oublides soins fâcheux.
Plus loin :
Voici le lieu témoin d'un terrible mystère.
Un Monsieur en sort et donne vingt sous à la préposée.
Ah! l'honnête homme, I*e galant homme ; Mais vovez comme Je me trompais!
s'écrie cette femme qui n'en espérait pas autant.
La représentation s'achève enfin. Mais la critique n'ayant pas été appelée à se prononcer, je ne veux pas prononcer de critique.
Constatons cependant qu'une notable partie du public s'en va enchantée. Ce sont les parents et amis, composant toute la noce de M. et Mme Escalaïs :
Frappez les airs, cris d'allégresse, Cris de victoire et chants d'amour ! Par nos accents, par notre ivresse, Célébrons tous un si beau jour.
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DÈMÉNiCEilEXT DU « JOUR ET LA NUIT »
6 mai.
Jamais on n'a autant repris d'opérettes qu'en la présente saison théâtrale.
Parmi les directeurs qui exploitent ce genre. il en est qui paraissent ne pas trop savoir à quel compositeur se vouer. Us sautent de Lecocq à Audran, reviennent à Offenbach en passant par Planquelte, changeant d'aftiche une ou deux fois par mois et prodiguent h Mascotte, 1a Fille de madame Angot, celle du Tamboui'"Major, Mesdames Favart, Bonifaceel Cie.
Il serait fastidieux de rendre compte en détail de toutes ces reprises, et si je fais une exception pour celle du Jour et la A'niV aux Folies-Dramatiques, c'est que c'est moins une reprise qu'un déménagement.
De même que M. Franconi a deux cirques et qu'il transporte ses écuyers, ses chevaux et ses clowns du boulevard des Filles-du-Calvaire aux Champs-Elysées et des Champs-Elysées aux Filles-du-Calvaire, de même M. Brasseur a deux théâtres et promène ses acteurs, ses divas, ses succès - que dis-je ? se promène lui-même - du théâtre où brille Babolin à celui où brillait François les bas-bleus.
Un déménagement n'est jamais Lne petite affaire. Mais celui de l'opéra-comique de MM. Leterrier, Vanloo et Lecocq était autrement difficile à opérer que lorsqu'il s'agit d'un simple mobilier bourgeois.
C'est hier, à la première heure, qu'a commence cette longue et délicate opération.
Au moment où le maçon matinal se rend au chan-
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{</? LES SOIRÉES PARISIENNES
tier, trois énormes wagons de déménagement, solides et bien attelés, sont venus stationner devant le numéro 36 du boulevard des Italiens, où se trouve l'entrée de l'administration des Nouveautés.
Chacun de ces véhicules portait cette inscription rassurante : JE SUIS CAPITONNÉ.
De son côté, la direction s'était préoccupée des premiers préparatifs. Tout ce qui pouvait se faire avant l'arrivée des voitures avait été fait. Décors, costumes, artistes, accessoires et choeurs se trouvaient déjà rangés sous la porte cochère. Rien de ce qui devait être transporté aux Folies n'avait été oublié sur la scène ou dans les loges des Nouveautés, Tous les clous avaient été soigneusement arrachés pour être replantés boulevard Saint-Martin et, comme ils sont fort nombreux dans le Jour et la Xuil, ce travail ne fut pas le moins long à terminer.
A peine arrivés, leurs roues bien entravées et l'avoine donnée à leurs chevaux, les déménageurs, au nombre de vingt, se mirent à l'oeuvre.
On connaît l'adresse, la vigueur et l'habileté de ces hommes. Le chargement fut mené rondement. Tandis que les uns plaçaient les décors au fond des voitures, les autres emballaient soigneusement les objets plus délicats dans des paniers remplis de paille et de papier de soie. Chaque accessoire, chaque article de toilette était d'abord enveloppé, et c'était merveilleux de voir avec quel tact ces travailleurs avisés empilaient tout cela sans rien abimer, tirant admirablement parti de la place et comblant les moindres vides afin d'éviter les chocs de la route.
Bientôt les paniers allèrent, les uns après les autres, compléter le poids réglementaire des wagons qui, tous les trois, se trouvèrent à peu près remplis.
Le gros de la tâche était accompli: mais le plus
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MAI
important, le plus diflicile restait encore à faire.
D'abord les petites femmes du second acte. On les mit une à une dans du coton et dans un seul et même panier. Une fois en voiture, il fallut les caler solidement avec d'énormes choristes afin qu'il ne leur arrivât rien.
Puis les artistes, Montaubry, Tony Riom, Piccolo et les autres-sauf Noémic Vernon, depuis longtemps arrivée aux Folies - furent emballés à part. M. Brasseur, fidèle à ses habitudes, n'eut besoin de personne et préféra s'emballer lui-même.
Mais un emballage qui demanda des soins tout particuliers fut celui de Marguerite Ugalde. Un accident est bientôt arrivé quand on déménage, et rien n'était plus précieux à protéger que l'incomparable Manola, le sourire, la gaieté, la fortune de la troupe. Aussi, avait-on fait fabriquer tout exprés, pour y mettre l'étoile des Nouveautés, une caisse en bois des iles excessivement capitonnée à l'intérieur et portant sur chacun de ses côtés les indications suivantes:
Cette caisse, une fois fermée, sauf un petit grillage ménagé pour la respiration, fut portée et placée en voiture par les trois auteurs eux-mêmes (avec quelles précautions, je le laisse à deviner!) tandis que Mme Ugalde, anxieuse et redoutant les cahots pour sa chère fille, suivait en répétant:
- Attention!... N'allez pas trop vite!... Prenez garde de lui casser la voix!
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*0< IIS SOIRÉES PARISIENNES
Enfin, les déménageurs, après un déjeuner sommaire, purent se mettre en marche.
Le chemin est direct des Nouveautés aux Folies; mais le service de la voie publique s'y livre actuellement à de tels travaux que la route fut dure et périlleuse. Dès le coin de la rue Drouot, l'un des wagons faillit être broyé entre deux omnibus monstres des Batîgnolles et de la Madeleine. Heureusement, le cocher de déménagement eut la présence d'esprit de monter sur un refuge, malgré les vociférations des piétons qui s'y trouvaient. On en fut quitte pour une forte secousse.
Au carrefour Montmartre, il fallut accrocher .deux ou trois fiacres pour se frayer un passage. Un instant on craignit que la bagarre eût causé quelques dégâts.
Mais on en fut quitte pour la peur, car, à destination, il n'y eut qu'un Portugais un peu cassé; il était gai tout de même.
Aux Folies, l'aménagement se fit encore plus vite que le déménagement aux Nouveautés.
Les artistes surtout se trouvèrent de suite là comme chez eux, et l'on a pu constater ce soir qu'ils espèrent y rester longtemps.
PAR AUTORITÉ DE JUSTICE
S nui.
Tout le monde sait vaguement qu'il existe à Paris des conférences, réunions de jeunes gens, avocats ou sur le point de l'être, qui. pour la plupart se destinent
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surtout à la vie politique. Ces messieurs se groupent de temps à autre pour délibérer, d'une façon d'ailleurs platonique, sur des sujets graves parfois, frivoles souvent.
C'est ainsi que ces conférences ont décidé que les créanciers d'un auteur dramatique devraient avoir le droit d'exploiter son répertoire malgré lui pour tenter de se rembourser.
A première vue, cette délibération fantaisiste n'a aucune importance.
Mais qui sait? Par le temps qui court, tous ceux qui l'ont prise peuvent devenir plus ou moins députés. S'ils n'ont pas changé d'opinion alors, ou s'ils en ont assez changé pour être revenus au même point, ils pourront à cette époque faire voter une loi conforme à leur décision.
Et cela introduira au théâtre des usages nouveaux, qui ne manqueront pas de joyeuseté.
Comme l'auteur ne s'empressera pas de venir diriger les répétitions et que les créanciers n'auront jamais l'intelligence de lui abandonner une petite part, un morceau de pain, pour s'assurer son utile concours, lesdits créanciers seront bien forcés de remplacer leur débiteur à lavant-scène, ce qu'ils feront très volontiers étant données la suffisance et les sottes prétentions de la boutiquaille parisienne en matière théâtrale.
On verra donc sur le théâtre le tapissier, le tailleur, le bottier, le chemisier, le chapelier, la gantière, le marchand de vin, le pâtissier, l'épicier, le charbonnier, le marchand de chevaux, !c c?rrossier et autres fournisseurs généralement quelconque;-.
Supposez, maintenant, qu'au lieu d'avoir été écrite par M. Dumas fils, la Dame aux Camélias soit l'oeuvre d'un auteur endetté. Il est certain que, dans quelques années, la loi en question étant promulguée,
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Jlo LES SOIREES PARISIENNES
les créanciers de l'auteur exigeraient la reprise immédiate d'une pièce aussi fructueuse.
Voici très exactement ce qui se passerait aux répétitions.
Supposons -* au hasard - que l'on en est à la scène IV du dernier acte.
M. DUVAL PÈRE, sur le seuil de sa porte, son chapeau à la main. - « Mademoiselle Marguerite Gautier? »
LE CHAPELIER, l'interrompant. - Pardon, monsieur l'acteur, pourquoi tenez-vous votre chapeau à la main?
M. DUVAL PÈRE. -Il me semble que quand on entre chez une femme.,.
LE CHAPELIER. -Eh bien! quoi? chez une femme! J'ai vu ça dans le temps , à la Porte-Saint-Martin. M. Lafontaine, qui savait son métier aussi bien que vous, entrait le chapeau sur la tète. Au moins, de cette façon, on pouvait voir si le chapeau était bien en forme, luisant d'apect, et si les bords se relevaient avec élégance.
M. DUVAL PÈRE.- Soit,Monsieur! (Reprenant son rôle, cette J'ois le chapeau sur la tête.) « Mademoiselle Marguerite Gau... »
LE BIJOUTIER, l'interrompant. - Pardon, monsieur l'acteur, pourquoi gardez-vous vos gants ?
LA GANTIÈRE, avec vivacité. - Monsieur l'acteur a raison. Quand un« homme bien» est en visite, il doit mettre des gants.
LE UIJOUTIER. - Mettre des gants pour parler à cette traînée!... et ses bagues alors, comment les verrat-on ?
LE DIRECTEUR , impatienté. - Voyons, Messieurs, Mesdames, la répétition ne marche pas... enchaînons! enchaînons !
LE RÉGISSEUR. - Oui, c'est cela... enchaînons!
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M. DUVAL PÈRE» - Du reste, je vais arranger cela : je mettrai un gant à la main droite et toutes mes bagues à la main gauche. ('Reprenant.) « Mademoiselle Marguerite Gautier? »
{La scène se continue pendant quelques répliques.)
LE TAILLEUR, profitant d'un petit temps que prend Marguerite Gautier, - Pardon, mademoiselle l'actrice, je voudrais faire une observation à monsieur l'acteur.
LE DIRECTEUR, vivement. - Plus tard... Enchaînons ! enchaînons !
LE RÉGISSEUR. - Enchaînons!
LE TAILLEUR, se récriant. - Permettez, je n'ai encore rien dit, moi!... J'ai bien le droit de faire aussi ma petite observation. Je remarque que Monsieur est toujours tourné du côté du public.
LE DIRECTEUR. - C'est l'usage... Quel mal voyezvous à cela ?
LE TAILLEUR. - J'en vois et je n'en vois pas. Certes, une redingote qui tombe bien par devant est bonne à voir, mais il faut qu'on la voie aussi de l'autre coté pour savoir si la coupe est correcte, si la taille est bien prise...
M. DUVAL PÈRE, un peu nerveux. - Je vais arranger cela : je jouerai la moitié de la scène de face, l'autre moitié de dos...
(Quelques répliques s'échangent sans interruptions.)
MARGUERITE. - « Je n'accepte rien d'Armand. » M. DUVAL PÈRE. - « Ce qui veut dire... car votre luxe... »
LE TAPISSIER. - Puisqu'on parle de luxe, il s'agit évidemment du mobilier. Je voudrais donc, qu'en disant cela, monsieur l'acteur enfonçât ses doigts dans
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{14 . LES SOIRÉES PARISIENNES
les sièges pour indiquer que c'est tout crin. Monsieur l'acteur pourrait de même tirer sur les rideaux pour qu'on voie bien que l'étoffe en est solide.
LE DIRECTEUR, de plus en plus agacé. - Oui, Mon* sieur, mais marchons.
LE BoiTiER,yi«rieR.v. -Marchons! c'est bientôt dit. Mais j'espère bien que monsieur l'acteur ne marchera pas avec des bottines pareilles : c'est de la vache!
LE DIRECTEUR, se contenant avec peine, - Messieurs, loin de moi la pensée d'oublier les égards que je dois aux représentants de l'auteur. Vous avez tous raison; vos observations sont justes; seulement, si nous continuons ainsi, la pièce passera dans six mois. Enchaînons, de grâce, enchaînons !
LE RÉGISSEUR. - Enchaînons !
(On reprend le dialogue.)
MARGUERITE. - «c J'ai engagé ou vendu : cachemires, diamants, bijoux, voitures... »
Tous LES CRÉANCIERS, se levant : - Arrêtez!... arrêtez!
MARGUERITE, cherchant à continuer. - « Et quand, tout à l'heure, on m'a dit que quelqu'un meTdemandait, j'ai cru recevoir un homme d'affaires à qui je vends les meubles, les tableaux, les tentures... »
Tous, parlant à la fois. - Faites voir!.. Montrez les bijoux!.. Faites circuler les chevaux, les voitures!.. Dépliez les cachemires!.. Exposez les meubles!
LE DIRECTEUR, exaspéré. - Messieurs, Messieurs! (Un silence.) Combien vous doit-on >
LE DOYEN D'ÂGE DES CRÉANCIERS, dépliant un bordereau. - Six mille huit cent quatre-vingt-quinze francs trente-huit centimes.
LE DIRECTEUR. - Passez à la caisse et... fichezmoi la paix; j'aime encore mieux cela!
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LA TROUPE AMBULANTE
M, Debruyère, directeur de la Gaité, a, en ce moment une troupe de drame sur les bras qui le met, je vous prie de le croire, dans un joli embarras. Quand on ne s'est jamais trouvé dans une situation pareille, on ne se figure pas à quel point c'est gênant de posséder une troupe de drame dont on ne sait que faire.
Heureusement, il est ingénieux, M. Debruyère, et voici ce qu'il a trouvé :
Il y a, en ce moment, à Paris, un tas de théâtres fermés ou ouverts à moitié seulement. M. Debruyère y promène ses pensionnaires.
Profitant de la déconfiture de l'Opéra-Populaire, il vient de leur faire jouer les 'Pirates de la Savane au Château-d'Eau.
Quand, l'autre jour, les Variétés ont été forcées de changer leur spectacle, M. Bertrand a vu accourir M. Debruyère.
- Voulez-vous ma troupe de drame?
- Pourquoi faire?
- Pour jouer le Chapeau de paille d'Halte, par exemple.
M. Bertrand refusa. II allégua que, le jour où il reprendrait ce chef-d'oeuvre, ce serait très probablement avec les meilleurs de ses artistes, Dupuis, Baron, Christian, Lassouche, Léonce, qui se trouveraient probablement mieux à leur aise que les pensionnaires dramatiques de la Gaité dans les personnages de cette farce légendaire.
M. Debruyère ne se tint pas pour battu.
Mme Sarah Bcrnhardt étant allée donner quelques
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représentations à Bruxelles et la Porte-Saint-Martin ne sachant comment remplacer la Dame aux Camélias, le directeur providentiel est arrivé comme un sauveur et a apporté à MM. Derenbourg et Maurice Bemhardt sa troupe de la Gaité, avec Henri III et sa cour. La première représentation de ce drame, à la Porte-Saint» Martin, a eu lieu avant-hier.
Mais Sarah reviendra, du moins on le suppose. Il est infiniment probable que nous pourrons l'applaudir dans (Macbeth avant la fin de la saison. Alors la troupe serait de nouveau sur le pavé? Non pas. Qu'on se rassure. M. Debruyère a des idées, beaucoup d'idées.
La Renaissance est fermée, il rouvrira la Renaissance.
Pour une reprise du Courrier de Lyon ?
Non pas.
M. Debruyère est en pourparlers avec Meilhac, lia* lévy et Lecocq pour nous donner le 'Petit Duc avec sa troupe de drame.
La distribution est tout indiquée.
Le petit colonel du régiment de Parthenay, si gentiment créé par Jeanne Granier, sera joué par Dumaine, toujours si remarquable dans les rôles de cape et d'épéc.
Vous mj: direz que Dumainc est un peu gros et un peu grand - mais la taille ne sera pas un obstacle. N'a-t-on pas fait reprendre la Petite Marquise par la charmante Marie Magnier?
Mme Patry jouera la petite duchesse qui servit de débuta la mignonne Milly Meyer; Mme Moïna Clément est tout indiquée pour remplacer Dcsclauzas; enfin Romain dans Montlandry, établi par Vaulhier, et Clément Just dans Frimousse, où Berthelier était si amusant, compléteront un ensemble destiné à exciter au plus haut point la curiosité du publi; parisien.
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La mise en scène du Petit Duc sera un peu corsée pour la circonstance. Ainsi, au dernier acte, il y aura une vraie bataille dans laquelle on se servira des canons de Carnot, restés sans emploi.
On arrivera ainsi à l'époque où les théâtres ont l'habitude de clôturer pour cause de canicule.
M. Debruyère continuera néanmoins à exploiter sa troupe.
Il s'est dit que Paris contient un tas de panoramas qui tous ne font pas des affaires bien brillantes. Il compte s'entendre avec les principaux; on découpera habilement les têtes les plus en vue et les artistes de la Gaité passeront la leur à travers les trous pratiqués dans la toile circulaire. Ainsi modifiés, les panoramas seront bien plus vivants, et l'on pourra, de temps en temps, changer l'expression des physionomies.
Enfin, M. Debruyère songe aussi à aller trouver les administrateurs du Musée Grévin, si habiles à varier leurs attractions.
Il voudrait faire figurer par sa troupe une série de tableaux dramatiques, dont l'effet sera certainement saisissant, et qui feront la joie des collégiens pendant les vacances.
REPRISE DE « LAKilÉ »
10 mai.
Remis de la longue indisposition qui l'avait, depuis quelque temps, éloigné du théâtre, M. Léon Carvalho s'est offert, pour sa rentrée, un luxe qui n'est pas à la
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portée de tous les directeurs : celui de faire tout près du maximum tous les jours malgré la chaleur, la hausse du baromètre, du thermomètre et les prévisions de « beau lixe » communiquées par les différents Observatoires.
Pour cela, il lui aura suffi de réunir sur l'affiche les trois derniers grands succès de son théâtre.
Manon, Carmen avec Galli-Marié, qui vient de faire une brillante rentrée dans l'Opéra de Bizel, et Lakmé, interprétée parles artistes de la création et un nouveau ténor: M. Degenne.
A vrai dire, ce n'est pas à une reprisedc Lakmé que nous avons assisté ce soir. L'adorable partition de Léo Delibes est désormais classée dans le répertoire de l'Opéra-Comique. La dernière recette de ce délicieux ouvrage a été de 9,600 francs et seul le départ de Marie Van Zondt en a interrompu les fructueuses représentations. Mais voilà qu'après trois mois de courses, de succès à l'étranger, la mignonne et charmante cantatrice est revenue à Paris, et aussitôt Lakmé reparait, triomphante.
Si l'opéra de Gille, Gondinet et Delibes n'a pas été repris dés le retour de Van Zandt, c'est qu'on attendait le ténor nouveau , celui qui vient de prendre la lourde succession de Talazac dans le joli rôle de Gérald.
M. Degenne arrive de Genève où il a eu de très grands succès, notamment dans le rôle qui lui a servi de début ce soir.
Mais, pour venir de Genève, M, Degenne n'est pas Genevois, il est Français, Parisien, je crois; il a appris le chant avec Roger et Dupiez, la déclamation avec Delaunay. Jeune, possédant un physique agréable, mince, élégant, portant très bien l'uniforme d'officier anglais eviçrc par le rôle de Gérald, Iedébu-
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tant a, dès-son entrée en scène, produit une impression excellente. On sentait qu'il n'avait qu'un léger effort à faire pour gagner les sympathies de toute la salle. Aussi, l'effroyable peur qui l'agitait depuis ce matin s'est-elle calmée comme par enchantement, et il a chanté son premier air :
Fantaisie aux divins mensonges,
en étant maître absolu de sa voix et de son jeu.
Il ne m'appartient pas de faire l'éloge du chanteur qu'on a applaudi, acclamé, bissé, rappelé, mais il est certain qu'il ne nous a pas été donné, depuis longtemps, d'assister à un début aussi intéressant, salle l'avart.
M. Degenne appartient, pour la saison prochaine, à l'Opéra de Lyon. Mais, très certainement, M. Carvalho trouvera moyen de l'attacher à son théâtre où l'attend, je crois, l'avenir le plus brillant.
Après le premier acte, Duprez s'est fait conduire sur la scène, où il a vivement félicité le jeune ténor.
Il va sans dire pourtant que M. Degenne, très gentil et très modeste, n'a pas eu un instant l'idée de faire oublier ni de remplacer Talazac dans ce rôle de Gérald qui a valu un si grand succès au maître-chanteur.
Le jour où il a répété pour la première fois à l'Opéra-Comique, M. Degenne l'a déclaré spontanément, devant tous ses camarades.
- Je suis, a-t-il dit, bien effrayé d'avoir à débuter dans un rôle créé par M. Talazac, et je n'essaierai même pas de lultcrcontre un souvenir aussi écrasant.
Mais Talazac est pris par Manon; il fallait absolument un Gérald pour Lakmé. M. Degenne avait
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chanté le rôle avec Van Zandt à Genève; Delibes, qui l'y avait vu, l'avait trouvé excellent, et M. Carvalho a fait signe au jeune ténor qui a sauté, on le comprend, sur cette occasion de débuter à Paris dans un personnage aussi important.
Ce voyage de Delibes à Genève m'a valu deux anecdotes intéressantes.
Genève est une ville curieuse et pittoresque, mais la vie y manque peut-être un peu de gaieté.
L'hiver surtout, on cherche à s'amuser par tous les moyens possibles sans y parvenir toujours. Une attraction de quatrième ordre prend aisément là-bas les proportions d'un plaisir exceptionnel.
L'une des principales distractions mondaines du séjour de Delibes lui fut justement procurée par un ami du ténor Degenne, professeur très distingué de Genève, qui consacre les loisirs que lui laissent ses coursa des études très sérieuses de graphologie. Ce savant spécialiste est même arrivé à une certaine force dans l'art quasi mystérieux de deviner le caractère de ses semblables à la seule inspection de leurs caractères... calligraphiques.
Le compositeur de Lakmé lui soumit d'abord sa propre écriture et se fit dire aussi, bien malgré lui, des choses agréables autant qu'exactes. Puis, voulant le soumettre à une épreuve plus difficile, et moins gênante pour sa modestie personnelle, il lui montra successivementdeux lettres de ses collaborateurs, Gondinet et Gille.
Si peu déchiffrables que soientles pattes de mouches du spirituel auteurde Gavaitt, Minard, le graphologue y lut clairement l'excessive bonté de Gondinet, ses instincts dévoués, son naturel serviable, sa passion
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pour les animaux et sa prédilection pour la campagne.
En ce qui concerne notre collaborateur Philippe Gille, l'examen fut tout aussi exact, àquelques nuances prés : «< Esprit d'une subtilité rare, goûts artistiques très développés, érudition facile, abondante et variée. Doué d'une nature gouailleuse et gaie; n'ayant que des amis et travaillant constamment à s'en faire d'autres. »
Enfin, on compliqua tout à fait "l'épreuve en soumettant au graphologue amateur une lettre de Van Zandt, mais sans la signature de la diva.
L'écriture de Lakmé, écriture haute, décidée, presque virile, ne dérouta pourtant pas l'examinateur, qui déclara tout d'abord qu'elle avait été tracée par une adorable jeune fille.
« Ces lettres si bien formées, » traduisit-il, « indiquent un caractère toujours égal, un esprit aimable, conciliant, facile à persuader, et inaccessible aux caprices fâcheux que l'on déplore trop souvent chez les plus ravissantes personnes... »
Il e?t bien entendu que je reproduis toutes ces appréciations indirectes, sans discuter leur exactitude. Il m'est cependant impossible de ne point reconnaître qu'il n'y a rien à reprendre dans tout ce qui suit :
(( Cette jeune fille (Mlle Van Zandt) doit être étrangère. Je la préjuge élégante, mince, jolie et aimant le monde. De plus, elle semble adorer les voyages. Je crois pouvoir affirmer qu'elle est au théâtre. En tout cas, elle y obtiendrait de grands succès, car sa voix doit être fort belle. On ne peut douter qu'elle soit excellente musicienne. Du reste, le sens artistique est développé en elle d'une façon très générale; elle doit faire de la sculpture, de la peinture et de la tapisserie. Elle a, en outre, beaucoup d'imagination et devrait
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s'adonner, si ce n'est déjà fait, à la composition musicale. En somme, personnalité très remarquable; nature heureusement douée, destinée à charmer ceux qui la connaîtront et à rencontrer ici-bas un bonheur presque constant. »
La seconde anecdote touchant Delibes relève du genre émouvant.
De Genève, le compositeur français s'en fut à Rome. Mais on sait que tout chemin mène à la Ville Éternelle, et notre voyageur, ayant quelque temps devant lui avant ses répétitions en Italie, prit le chemin des écoliers et fit la route en touriste, s'arrétant ici et là au gré de sa fantaisie qui - comme on sait - n'est pas mince.
Chemin faisant, il arriva au Mont-Saint-Bernard par un temps atroce, au milieu d'une rafale de neige, mais décidé à voir quand même ces fameux chiens qui sont de droit membres honoraires de toutes les sociétés de sauvetage connues, tant ils ont arraché de pauvres voyageurs perdus à une mort certaine.
Armé d'un fort bâton, il allait toucher au sommet, lorsqu'un cri qui n'avait rien d'humain domina la tempête. Au même instant, il vit rouler prés de lui un corps qu'il distingua à peine, aveuglé qu'il était par la. terrible bourrasque. Encore dix secondes et ce corps allait disparaître dans une crevasse énorme.
Energique et résolu, Delibes n'hésite pas. Il s'élance et, au péril de sa vie, arrache la malheureuse victime au gouffre béant.
Jugez alors de sa stupeur : il venait de sauver un chien du Mont-Saint-Bernard !
D'un seul coup, Léo Delibes payait plusieurs siècles d'un dévouement resté sans récompense et acquittait
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enfin la dette contractée par l'espèce humaine envers les héros légendaires de la race canine.
La soirée a été très belle; chaude sous tous les rapports. Dans toutes les parties de son rôle ot surtout dans sa fameuse légende du second acte, la délicieuse Van Zandt a été l'objet d'ovations sans fin.
Un mot qui a couru les couloirs après le succès du nouveau ténor. Je le reproduis par devoir professionnel :
- On ne peut plus dire maintenant : « Où il y a, Degenne, il n'y a pas de plaisir. »
COMMENTAIRES
12 mai.
En publiant son étude sur Tartufe, M. Coquelin aine n'a pas seulement voulu prouver une fois de plus qu'il est presque aussi habile écrivain qu'excellent acteur ; il a inventé, pour les critiques dramatiques que la pénurie de nouveautés théâtrales va mettre dans l'embarras, un exercice inédit duquel ils pourront tirer des chroniques toujours intéressantes. Cette découverte ingénieuse trouvera son emploi jusqu'au sein des familles , où elle tiendra lieu de distraction à la campagne, aux bords de la mer, concurremment avec les jeux de société, innocents ou non.
De même que, pour Tartufe, M. Coquelin démontre clair comme le jour que l'auteur n'a pas voulu simplement mettre en scène un hypocrite quelconque,cachant sa fourberie sous une feinte dévotion. mais que la
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véritable intention de Molière a été d'incarner le clergé tout entier dans un seul et même lype ;
De même, tout le monde, usant de ce procédé, peut rechercher dans chaque oeuvre théâtrale des intentions que le public n'y a pas vues et que parfois l'auteur n'y soupçonnerait pas lui-même.
Prenons deux pièces qui tiennent actuellement l'affiche :
Le Maître de forges et le Train de plaisir.
Je leur applique successivement le procédé Coquelin et je trouve quoi ?
Que, pour la pièce du Gymnase, si M. Georges Ohnet avait voulu se borner à faire une oeuvre honnête, sympathique, sentimentale, intéressante, il n'aurait pas tenu à faire de son héros conjugal un maître de forges.
Il pouvait tout aussi bien choisir un charpentier, un marchand de porcelaines, un poêHer-fumiste, un iayetier-emballeur, un courtier en vins, un chef de contentieux, un raboteur de parquets, un commissionnaire en denrées coloniales , un fabricant de procédés de queues de billard, un maçon, un nourrisseur, un expert en alcools, un agent de location, un plumassier, un éleveur de sangsues, un chimiste industriel, un gérant d'hôtel meublé, un facteur de la halle aux oeufs, un entrepreneur de couvertures, un commissaircpriseur ou un coupeur de gants.
Seulement, sa pièce n'était plus vraie.
Et s'il a pris un maître de forges, c'est qu'il sait très bien que les maîtres de forges, ne sont pas aimés tout de suite de leurs femmes.
Pour croire qu'un maître de forges puisse plaire au premier abord à une maîtresse de forges , il faudrait n'avoir jamais connu les maîtres de forges. Ce sont
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des hommes distingués, mais rudes d'écorec et de caractère.
Et puis, tout autre que le maître de forges chercherait à se faire mieux apprécier par une cour assidue. Un maître de forges n'y met jamais du sien, car il s'est fortifié en vivant avec le dur métal que forgent ses nombreux ouvriers. La fréquentation du fer lui a appris à ne pas plier davantage qu'une barre, à rester tout d'une pièce. Celle de M. Ohnct renferme des situai ions d'où nul autre ne se tirerait. Trouvez-moi donc quelqu'un qui soit capable de passer par tout cela sans être maître de forges ?
Par conséquent, ce n'est pas n'importe quel maître de forges que l'auteur nous montre au Gymnase, mais tous les maîtres de forges en général, sous l'incarnation typique de Philippe Derblay.
C'est ce que ne manqueront d'affirmer, dans deux cents ans, les futurs Coquelin qui consacreront leurs loisirs de sociétaires à des études dramatico-liltéraires sur les auteurs de leur avant-dernier siècle.
Le Train de plaisir me fournit un exemple en partie double.
Si MM. Hcnnequin, Mortier et Saint-Albin ont accumulé, dans lcmrs quatre actes du Palais-Royal, les situations comiques et les quiproquos fantaisistes, il ne faul pas croire qu'ils ont agi dans l'unique but d'amuser le public avec les aventures hilarantes de Daubray, Milher, Raimond, Pellcrin, Alice Lavignc, Dinclli et autres joyeux interprètes du 7VJI/I de plaisir.
Non. Ces messieurs ont voulu, eux aussi, incarner en scène deux types : celui du boucher, dans le rôle de Cassegrain, celui du commissaire de police, dans le rôle de Bordighicri.
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Autrement, au lieu de mettre Daubray boucher, ils auraient pu tout aussi bien l'établir limonadier, fruitier, aubergiste, brasseur, laitier, charcutier, marchand de pommes déterre frites, boulanger, fabricant'de confitures, débitant de tripts à la mode de Caen, dépositaire d'eaux minérales ou tréfileur de macaroni.
De même, au lieu du fonctionnaire personnifié par Millier, ils pouvaient tout aussi bien adopter un militaire, un diplomate, un chef du pouvoir exécutif, un vice-roi, un archiduc ou un président.
Mais, dans l'un et l'autre cas, leur oeuvre perdait toute portée sociale.
Si, d'une part, ils ont pris un boucher, c'est que seuls les bouchers font des calembours et jouent de la clarinette le jour de leur mariage; c'est qu'un boucher aimerait mieux rester célibataire à perpétuité que de ne pas partir pour Monaco le soir de ses noces; c'est que le boucher enfin, habitué à fendre des boeufs, à ouvrir des veaux et à détailler des moutons, est généralement un gaillard solide, un peu violent par profession et préférant se faire coffrer plutôt que de se laisser mettre à la raison.
Si,d'autre part, ils ont choisi un commissaire de police, c'est que les commissaires de police n'aiment pas arrêter leur prochain, et qu'ils sont tous bien connus pour la sollicitude avec laquelle ils s'efforcent d'adoucir la captivité des prisonniers et de leur procurer au besoin des moyens d'évasion.
Donc, les Coquelin du xxi* siècle auront encore grandement raison d'affirmer, entre leurs repas, que les auteurs du Train de plaisir, en écrivant les rôles de Cassegrain et de Bordighieri, ont voulu mettre en scène, non pas un boucher, non pas un commissaire de police quelconques, mais tous les bouchers et tous les commissaires de police.
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Maintenant que je leur ai fourni la clé du sport de salon imaginé par l'éminent comique de la rue Richelieu, j'engage mes lecteurs à renouveler eux-mêmes l'expérience sur une ou plusieurs pièces à leur choix.
A ce jeu, on ne prouve pas grand'chose - non plus que M. Coquelin. Mais on peut, comme lui, passer le temps, et même U faire passer aux autres d'une façon fort agréable.
LE CÉLÈBRE TENOR STAGNO
i) mai.
Après le succès qu'on a fait à Gayarré, il n'était pas commode de lancer un nouveau ténor italien.
Cependant M. Maure! a fait tout ce qu'il a pu pour cela. U a eu une idée qui a fortement contribué à attirer l'attention sur le célèbre ténor Stagno, extrêmement célèbre, parait-il, en Espagne, en Italie, en Amérique, mais hier encore totalement inconnu à Paris.
Le directeur des Italiens a fait placarder sur tous les murs une affiche de proportions colossales sur laquelle il annonçait pour ce soir le début du < célèbre ténor STAGNO » - mais un STAGN'O en lettres gigantesques, un STAGNO si énorme qu'on l'apercevait à plusieurs lieues de Paris, avant le Panthéon et l'Arc de Triomphe.
L'autre soir, pour la reprise de Lakmé, M. Carvalho a imprimé le nom de M. Degenne en caractères beaucoup plus modestes sur l'affiche de l'Opéra-Comique,
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et cela n'a pas empêché le jeune débutant d'avoir un grand succès.
Mais, aux Italiens, on ne fait rien comme ailleurs.
On y a jugé que Qrp » /^*XT/^\ ava' 1 droit à le célèbre ténor OlxWjrJNv/ une vedette monstre, à une vedette comme on n'en a jamais vue, à une vedette comme on n'en verra jamais.
Et, grâce à cette vedette, Paris a su tout de suite qu'un ténor célèbre chantait ce soir Rigoletto au Théâtre-Lyrique international de la place du Châtelet et que ce ténor s'appelait :
STAGNO
Ce chanteur, nouveau pour Paris, est Sicilien.
Sa famille (les Andreoli Stagno) dirige une des importantes maisons de banque et de commission de Palerme.
Dès sa plus tendre enfance, le futur célèbre ténor était travaillé par deux passions égales:
La musique et les armes.
II se dit:
- Je serai musicien, mais je commencerai par être soldat.
Son père, naturellement, opinait pour le commerce.
Mais en 1860 - Stagno avait alors dix-huit ans - le jeune homme, malgré l'opposition de sa famille, courut rejoindre Garibaldi. Au combat de Milarro, il fut blessé très grièvement. Cela refroidit son enthousiasme guerrier. Il rentra chez son père, jurant de ne plus se consacrer désormais qu'à son autre passion : la musique.
Cela ne l'empêche pas d'ailleurs de cultiver l'escrime et le tir.
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tire fort bien l'épée, et l'un de
ses passe-temps favoris consiste à abattre d'une balle de pistolet une pièce de monnaie qu'il a placée sur le bout de sa bottine.
Le nouveau pensionnaire de M. Maurel, qui ne donnera que très peu de représentations à Paris, est un homme des plus aimables, quia su se créer parmi tous ceux qui ont chanté à ses côtés de très solides amitiés.
C'est surtout avec Mario que l'excellent chanteur a entretenu des relations amicales.
L'illustre ténor a non seulement donné à son jeune ami des conseils excellents, mais il lui a légué un certain nombre d'objets qu'il conserve comme des reliques et comme des fétiches.
C'est ainsi que ce soir, au dernier acte de Rigolelto. le célèbre ténor
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portait une toque, une cuirasse et des bottes ayant appartenu à Mario, ce qui faisait dire à l'un de ses amis :
- Il est entré dans les bottes de Mario !
C'est toujours cela.
Car, il faut bien le dire, les ovations que l'on espérait en faveur du débutant ont complètement fait défaut pendant cette soirée quelque peu houleuse.
Une annonce tardive survenant, après un second entr'acte interminable, pour informer les spectateurs que M. Maurel, blessé à la main , se voyait dans la
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nécessité de supprimer le troisième acte, a fait prendre une attitude fort malveillante à certaine partie élevée - et mal élevée -du public des Italiens.
Il en est résulté, au dernier acte, des manifestations qui ont troublé les artistes et particulièrement gêné le célèbre ténor sugno.
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14 mai.
Mme Anna Judic désirait ne reparaître aux Variétés qu'à la saison prochaine. De son côté, M. Bertrand s'était bien promis de lui accorder la liberté qu'elle lui avait demandée. C'est même dans cet espoir qu'il avait repris la Vie Parisienne un peu hâtivement, sans une interprétation complète, et l'on sait par quelle chaleur.
Forcé de changer d'affiche, le directeur des Variélés chercha vainement à remonter un spectacle quelconque, sans recourir à l'étoile de son théâtre. Impossible d'y parvenir, tous les décors dont il avait besoin pour cela ayant été récemment brûlés dans un grand incendie. D'autre part, Mme Chaumont, obligée de partir avec plusieurs artistes, ne pouvait lui accorder une seule représentation. Il fallait alors se résigner à faire la clôture annuelle le 10 mai, chose absolument inadmissible.
M. Bertrand préféra naturellement reprendre Lili : il se vil donc contraint do prier Mme Judic de revenir cl réclama d'elle l'exécution de son engagement. La
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diva ne pouvait refuse- le service qu'on attendait de son dévouement amical, malgré les tristes circonstances qui la portaient à rester plus longtemps éloignée de la scène.
Et voilà comment, après un jour de relâche, la pièce de MM. Ilenncquin et Millaud a pu reparaître, dés ce soir, sur l'affiche des Variétés.
Très émue en reparaissant devant le public qu'elle avait quitté si douloureusement il y a quelques jours, Mme Judic a été, dés son entrée, accueillie par des témoignages de sympathie qui ont dû lui être bien doux. Il y a eu dans cette manifestation touchante et spontanée un tact, une délicatesse, une cordialité qui font autant d'honneur à la grande artiste, à la femme cruellement éprouvée qui en était l'objet, qu'à ses amis et admirateurs de la salle.
(1 nous a semblé, du reste, ce soir, que tout le monde, aux Variétés, avait à coeur de rappeler à Lili qu'il lui reste du moins un public pour l'aimer et l'applaudir, car la première manifestation a été suivie d'ovations répétées et, comme à la création, il n'est pas un couplet, pas une chanson que l'on n'ait fait redire deux et trois fois de suite à l'incomparable diseuse. Après le baisser du rideau, Mme Judic, rappelée avec tous les artiste», a été ensuite redemandée deux fois de suite par tout le public, qui, debout et unanimement, a accueilli l'artiste par des applaudissements répétés.
Mme Judic a été profondément émue de ces marques de sympathie.
Auprès de Judic, on a chaleureusement fêlé la triple incarnation d'Anlonin Piinchard, et M. Dupuis a triomphé aussi brillamment que son héros lui-même sur le*
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champs de bataille d'Algérie, de Crimée et d'Italie. Lassouche et Léonce ont repris leurs rôles avec un entrain, un talent qui défient la chaleur; Léonce, en outre, a chanté de son mieux pour ramener la pluie rêvée par son ami Chavanne,
M. Cooper a bien voulu se charger du petit rôle de l'amoureux du troisième acte, et le public lui a prouvé qu'il était toujours sensible à ce genre d'abnégation artistique.
Quant à Baron, l'inamovible assuré sur la vie qui, de iS|i à i8*2t rajeunit si plaisamment d'acteenacte, il ne peut être comparé qu'à la pièce elle-même.
Car décidément /.i7i ne vieillit pas plus que l'amusant vicomte de Sainte-Hypothèse.
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16 mai.
Mieux partagé que les marchands de bois et les fourreurs qui se plaignent à l'envide l'hiver 8J-SJ, M. Henri Meilhac aura eu, cette année, une magnifique saison théâtrale. On le considère actuellement comme l'auteur heureux par excellence, et le fait est qu'il l'est autant que le mérite son grand talent, ce qui n'est pas peu dire. Son nom paraissait simultanément sur trois, quatre et jusqu'à cinq affiches importantes : il a été béni par les plus notables caissiers auxquels il ne laissait même plus le temps de se frotter les mains; les courriéristes ont publié les chiffres fantastiques de
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ses droits d'auteur, et Sarceyaposê sa candidature éventuelle à l'Académie française.
Eh bien! au milieu de ses succès, Meilhac n'était pas encore tout à fait au septième ciel. Une préoccupation constante l'obsédait.
- Je ne serai vraiment content, disait-il, que lorsqu'on aura joué ma pièce du Théâtre-Français.
Car cet acte, qu'on vient de représenter ce soir, a tenu une large place dans son existence depuis pas mal de mois. La Duchesse (Martin dure à peine une heure, et pourtant Meilhac y a travaillé autant qu'à une grande pièce. Vingt fois il abandonna sa comédie, dans un moment de découragement, pour la reprendre ensuite avec une nouvelle ardeur, poussé d'ailleurs par M. Perrinqui, lui, avait une foi absolue. En plein mois de décembre, pour bien s'isoler dans cette tâche de prédilection, il partait tout à couppourSaint-Germain, là-bas, là-bas, au pavillon Henri IV. C'était l'exil en Sibérie, l'hivernage loin de la vraie patrie, mais c'était aussi la tranquillité pour ciseler, sans être distrait ou dérangé, l'une des scènes de la Duchesse Martin.
Cet acte n'a pas d'autre histoire.
Je n'y vois à décrire que le décor, qui est vraiment joli et artistique.
Figurez-vous la grande salle d'un domaine dont les murs gris et tristes ont conservé leur aspect féodal qu'un viveur parisien a corrigé de son mieux en les tapissant, en les couvrant de tableaux, en mettant un peu partout des bibelots anciens, des grès garnis de ïleurs, des cuivres repoussés, de vieux bahuts et de ces horloges qu'on paie des prix fous, parce qu'elles ont bien marché du temps de Louis XV.
Ce qui complète encore ce décor original, c'est la saillie de la tourelle dans laquelle s'ouvre une petite
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porte cintrée; c'est aussi la fenêtre basse à petits carreaux donnant sur un bois touffu ; c'est surtout la porte d'entrée précédée d'une véranda rustique, toute rayonnante de soleil et de fleurs.
Le viveur parisien qui est venu peupler cette solitude se présente sous les traits un peu austères de M. Worms, L'excellent comédien, qui n'a jamais joué les viveurs, pas même les viveurs ruinés, éprouvait, ce soir, une très forte émotion.
Pas plus forte pourtant que celle de M. Meilhac, dont les tracs sont légendaires.
Bien que la répétition générale d'hier ait été excellente, Meilhac est arrivé au théâtre préoccupé, nerveux, inquiet. Puis, il a - selon son habitude - disparu pendant qu'on jouait, et ce n'est qu'après de longues recherches qu'on est parvenu à le dénicher dans un des coins les plus reculés de la scène pour lui annoncer que tout marchait à merveille.
Détail amusant.
Il y a dans la pièce de Meilhac une chienne invisible qui, d'après le dialogue, s'appelait d'abord Nana.
Nana... c'était naturaliste à l'excès et peu digne de la Comédie-Française. Aussi Meilhac fut-il, au dernier moment, invité à changer décidément ce nom à la Zola.
Rien de plus embarrassant que le choix des noms au théâtre, et l'auteur, ne sachant auquel vouer sa bête de la cantonade, consultait depuis deux jours tous ses amis.
Dès que l'un d'eux arrivait chez lui, c'était sa première question :
- Avez-vous (ou as-tu) un nom de chienne à me donner ?
Tant ce chien de nom le préoccupait !
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On lui en a du reste fourni plus d'un, et il devait choisir dans le nombre sans rien laisser deviner à l'avance.
Aussi tous ses amis, émus, s'abordaient-ils ce soir, avant la pièce, en se demandant avec anxiété :
- Quel est celui d'entre nous qui aura collaboré ?
MA VEINE!
17 mai.
Je n'apprendrai rien à personne en disant que chez les artistes et les hommes de lettres la bosse de lamour-propre atteint généralement des développements excessifs. Si l'on en doutait, ce qui n'est guère probable, il suffirait de jeter les yeux sur le « document humain » que les lignes suivantes ont la prétention de renfermer.
Il y a environ dix jours, je rencontrai, dans une maison amie, l'excellent et sympathique auteur de la comédie la plus en vogue du moment. La pluie tombait à torrents, il faisait un vent glacial et, du salon bien chauffé où nous étions, nous voyions passer des gens qui grelottaient sous leurs fourrures.
- Eh bienl dis-je à l'auteur, voilà un joli supplément d'hiver pour les théâtres !
- Je vous crois.
- Malheureusement, cela ne va pas durer. La chaleur va éclater tout à coup, et alors adieu les recettes grasses !
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- Allons donc!...
- Cela ne vous parait pas probable ?
- Cela ne me parait pas possible. Vous ne connaissez pas ma veine. Tant qu'on jouera ma pièce, il fera froid.
Et il me développa son idée avec beaucoup de verve et une grande sincérité, me prouvant, clair comme le jour, qu'il exerçait sur la température une influence tout à fait décisive.
Je fus convaincu.
Le même soir, je me trouvai avec le directeur du théâtre où l'on joue la pièce de l'auteur en question.
- Eh bien ! vous êtes content? lui-dis-je!
- Enchanté, ravi, et quel temps !
- Le fait est qu'on gèle.
- C'est ma veine, mon cher.
- Comment cela?
- Toutes les fois que j'ai eu un succès sur l'affiche, en été, il n'y a pas eu d'été !
- Pas possible ?
- Puisque je vous le dis.
Et il me cita des exemples. Je dois avouer que tous me paraissaient concluants..
- Après tout, me disais-je, ils ont probablement raison tous deux, l'auteur et le directeur. Comme ils sont associés, cela leur fait une veine double ; le froid va s'accentuer encore.
Et je commençai à ruminer des projets de voyage à Cannes.
Le lendemain, en revenant de la librairie Dentu, je traversai le jardin du Palais-Royal. J'y croisai l'un des auteurs d'un vaudeville fort applaudi et fort couru, qui a fait son apparition sur l'affiche en même temps
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que les premières fleurs s'épanouissaient aux marronniers. Il était rayonnant.
- Deux degrés de moins qu'hier ! me criait-il de très loin.
- Quel bonheur !
- C'est ma veine!
- Ah!
- Je vous assure. On ne m'a pas souvent joué en cette saison-ci, mais quand cela m'est arrivé par hasard...
- Eh bien?
- Des trombes d'eau, de la neige, des cataclysmes !
- C'est extraordinaire,...
- Cela peut se contrôler... Vous rappelez-vous le printemps de 1881? Horrible, n'est-ce pas? C'est qu'on me jouait FiJine. Et l'été de 1878?... Quatre-vingts jours de pluie! On donnait ma Fille du pharmacien... Ma veine, mon cher, ma veine!...
Quelques heures après, le hasard me mit nez à nez avec le collaborateur de l'auteur de FiJine.
- Cela marche, hein?
- Merveilleusement. D'ailleurs, le temps nous est bien favorable.
- Oui, c'est la veine de votre complice. Mon interlocuteur me parut vexé.
.- Je ne sais si c'est la sienne, mais, à coup sûr, j'en suis encore à me demander ce que c'est que le beau temps quand j'ai une pièce en cours de représentations !
Mais dimanche le soleil était radieux. Tout Paris, affolé de verdure, de grand air et de divertissements
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{^> LES SOIRÉES PARISIENNES
champêtres, était dehors, fuyant les salles de spectacle.
Je vis plusieurs de mes auteurs et mon directeur aux courses.
- Eh bien? fis-je en les apercevant. Et cette veine? «- Parbleu ï s'écrièrent-ils en choeur, on vient de
reprendre une vieillerie de Chose, qui est en pleine guigne...
- Dans le théâtre de Machin, le plus grand déveïnard de la terre l ajouta le directeur.
Et tous conclurent ainsi : -- Impossible de lutter !
REPRISE DE « BÉRÉNICE ».
19 mai.
M. DE i-A ROUNAT, seul, chantant sur rair d'GRpuiz (musique de Gluck):
J'ai repris ma Birlnke! Rien n'égale mon bonheur! Pour Racine, ah ! quel honneur! Rien n'égale mon bonheur t )e rayonne de bonheur! Bérénice! Bérénice! J'ai fait un petit service ! Et la critique fidèle Vient a ma voix qui rappelle I
Ah!
Ah! Ja» repris ma Birinice! Rien n'égale mon bonheur ! Pour Racine, ah ! quel honneur
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Rien n'égate mon bonheur ! Je rayonne de bonheur ï
lui reprenant lUrinîct! Ce soir, j'ai Ju bénéfice ! Les spectacles populaires, Sont d'excellentes affaires !
Ah!
Ah! J'aï repris ma llirinîctf
Etc.
Iladanurd fait Bérénice ! Ah ! quelle charmante actrice ! Belle dans la tragédie ! Fine dans la comédie !
Ah!
Ah! J'ai repris ma Dirinht !
Etc.
Albert Lambert ! quelle fête ! De Titus s'est fait la tête ! Bréniont, sociétaire en herbe : Quel Antîochus superbe !
Ah!
Ah! J'ai repris ma lUrhtkt!
Etc.
C'est Ritel qui fait Rutile : Ah ! c'est un artiste utile ! C'est Chêron qui fait Phénice, Confidente à Bérénice.
Ah!
Ah! J'ai repris ma Birînia '
Etc.
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J{H LES SOIRÉES PARISIENNES
Bref, j'espère que la presse. Par de beaux chants d'allégresse, S'en va célébrer ma gloire: Ah ! pour Perrin quel déboire !
Ah!
Ah! J'si repris ma lUrinke! Bien n'égale mon bonheur ! Pour Racine, ah ! questionneur ! Rien n'égale mon bonheur ! Je rayonne de bonheur !
REPRISE DE « BEBE »
îo nui,
Je suppose qu'outre les bons droits d'auteur qu'ils vont verser aux agences Roger et Debry, MM. les directeurs du Vaudeville enverront à de Najac et Ilennequin un joli bronze, un bibelot de prix, un tableau de maître, pour les remercier d'avoir autorisé la reprise de Bébé, vers la fin de mai, à une époque où le Parisien déserte volontiers les salles de spectacle.
Bébé n'a presque pas été joué depuis sept ans; la reprise de cette charmante et amusante comédie était - pour parler comme MM. les directeurs - une«c affaire sûre », et cependant il a suffi à MM. Raymond Deslandes et Bertrand jeune d'exposer l'embarras dans lequel ils se trouvaient, n'ayant aucune pièce pouvant finir la saison, pour décider MM. de Najac et Hennequin à leur donner ces trois actes d'une si incontestable valeur.
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Je suppose d'ailleurs que MM. Deslandes et Ber» trand ont compté sur Bébé non seulement pour terminer agréablement une année théâtrale qui n'a pas été bien bonne, mais aussi comme porte-bonheur.
C'est, en effet, la comédie reprise ce soir au Vaudeville qui a « dêsenguignonné » le Gymnase (direction Montigny), au moment où ce malheureuxthéâtre jouait une pièce nouvelle tous les huit jours sans jamais accrocher un succès.
On était tellement habitué à voir la noire déveine s'acharner sur le théâtre du boulevard Bonne-Nouvelle qu'au sortir de la première de Débé, une opinion semblait prévaloir dans les groupes :
- C'est un énorme succès, et tout de même ça ne fera pas trois cents francs dans quinze jours.
On se trompa du tout au tout. Débé fit le maximuri tous les soirs pendant cent cinquante fois au moiii-;. Il fut joué sur tous les théâtres du monde et a gardé une réputation excellente dont le Vaudeville va certainement bénéficier.
Le type important de Bébé, celui qui a assuré son succès, celui qui est resté présent à toutes les mémoires, c'est Pétillon, une des créations les plus remarquables et les plus complètes de l'excellent SaintGermain.
A tous les directeurs qui ont demande à MM. de Najac et Hennequïn l'autorisation de reprendre Bébé, ces Messieurs disaient invariablement :
- Avez-vous un Pétillon ?
Et je dois à la vérité d'ajouter que ceux qui se présentaient n'en avaient généralement pas.
Autant vouloir monter les Huguenots sans ténor.
Heureusement pour MM. Deslandes et Bertrand qu'ils avaient prévu la question.
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Ils venaient d'engager un Pétillon, le seul Pétillon qui pût « pétitionner » convenablement après SaintGerm^iu.
C'était M. Jolly. Jollyde la Renaissance, un très fin comique, bien mieux à sa place, selon moi, sur une scène de genre que sur une scène d'opérette, où la fantaisie ne va pas sans beaucoup d'entrain.
Entre autres avantages pour la direction du Vaudeville, Bébé avait celui de pouvoir se monter plus rapidement que toute autre comédie. H y a deux semai, nés, jour pour jour, qu'a eu lieu la première répétition.
- On n'a même pas eu le temps de se disputer avec les auteurs! disait en riant la jolie Mlle de Cléry, qui représente l'horizontale Aurélie.
Il est vrai qu'il eût été difficile de batailler à l'avantscêne avec des auteurs qui n'ont guère eu besoin de s'occuper de leur pièce.
La mise en scène en a été arrêtée par le grand Montigny; de plus, M. Francés, tenant le superbe rôle de papa qu'il créa, avec tant de bonhomie boulevard Bonne-Nouvelle, était le dépositaire utile et précieux des saines traditions du Gymnase.
Dans ces excellentes conditions, les études ont marché rapidement et bien.
Il a fallu cependant faire de véritables tours de force quant à la mémoire.
Le « Bébé » du Vaudeville, qui joua le petit rôle d'Arthur à la création, M. Corbin, avait eu toute facilité d'étudier son personnage d'aujourd'hui en recevant jadis les répliques d'Achard. Mais M. Corbin, loin de vouloir se rappeler, s'est fait un devoir d'oublier « la manière » de son prédécesseur afin de ne point s'exposer à le copier. Il tenait à être son propre Bébé et non le Bébé d'un camarade.
On me dit que Mme Grassot et M. Nertann avaient
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déjà tenu leurs rôles, l'une en province, l'autre en Russie. Observateur exclusif de ce qui se passe à Paris, je n'ai pu contrôler ces détails'historiques. Mais, en ce qui concerne Jolly, il est certain qu'il a dû apprendre Pétillon et que, contrairement à ce qu'affirmaient certains spectateurs, il n'a pu jouer Bébé à Bruxelles puisqu'il entrait précisément aux Bouffes en 1877, année où la comédie de de Najac et llennequin fut jouée pour la première fois.
On voit que l'ex-pcnsionnaire de la Renaissance a dû mettre le temps à profit pour préparer la grosse partie qu'on lui a fait engager ce soir. Tout devait le préoccuper dans cette sorte d'improvisation : un texte long et difficile, une mise en scène compliquée et surtout la nécessité, pour un artiste comme lui, de se faire une tête qui fût réaliste sans rappeler le type tl\é par Saint-Germain. Eaire un personnage pittoresque sans tomber dans la charge qu'avait si bien évitée le remarquable créateur.
Étonnez-vous, après cela, que M. Jolly, tout aguerri qu'il soit, ait eu un peu peur ce soir.
Francès avait bien peur! et Corbin! et la charmante Mlle Cafon qui tenait le joli rôle de femme de chambre créé parla spirituelle Dinelli! et tous les autres, petits ou grands ! car c'était un trac général qui n'a complètement disparu qu'après les félicitations apportées de la salle pendant le'second entracte, et dans laquelle la plus large part - de beaucoup la plus large - était pour le nouveau Pétillon.
Pour finir, j'emploierai la méthode de mnémotechnie illustrée par Pétillon, et je prierai mes lecteurs de chanter ce qui suit sur l'air des Hottes à liaslien :
U est plein d'humeur Et plein de clous. Bébé.
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J4- I ES SOIREES PARISIENNES
Et joué par Jolly C'est un Jollv
Bébé. Ça fera pour sûr Plaisir à HenXvquin,
HenXvquin, ça ne déplaiRa pas non plus
A Najac!
MACBETH
ai mai.
On pourrait croire que M. Derenbourg n'a monté (Macbeth que pour faire une gracieuseté à son éminent successeur, M. Mayer, plus connu sous le nom composé de Mayer-de-Londres, et, depuis fort longtemps, directeur d'une ou de plusieurs scènes anglaises.
Il n'en est rien.
Sarah Bernhardt, sur le point de nous quitter jusqu'au mois de septembre ou d'octobre, tenait à se montrer, avant son départ, dans ce rôle de lady Macbeth qui contient deux scènes vraiment extraordinaires. Elle avait eu justement, dans la représentation organisée par le Figaro au bénéfice de Mlle Eargueil. l'occasion d'en jouer une, la plus importante, celle du somnambulisme, avec un succès immense, et cette expérience la rendait sûre de son triomphe dans l'interprétation complète du personnage.
Une autre considération devait la décider à faire
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«AI Mi
représenter, sur la scène de la Porte-Saint-Martin, l'immortel chef-d'oeuvre de Shakespeare. Bien que Sarah eût joué Marguerite Gauthier comme personne ne l'a jouée avant elle, les représentations de la Dame aux Camélias n'avaient pas été la très brillante affaire que l'éclat de la première semblait faire espérer. Un moment vint, plus vite qu'on ne l'attendait, où il fallut bien songer à remplacer un spectacle dont les recettes n'étaient plus très, très fortes.
Malheureusement, de sérieux empêchements, de nombreux retards surgirent.
La traduction de M. Jules Lacroix fut d'abord choisie. Excellente idée, en principe, car le Macbeth" Lacroix passait jusqu'à présent pour le plus scénique des Macbeth connus. Créé à l'Odéon, il y a bon nombre d'années, alors que M. Porel jouait les vieilles sorcières en travesti sur cette scène dont il devait être co-directeur, et que M. Brame, le marchand de tableaux bien connu, se montrait dans l'un des assassins de Banco, le Macbeth en question avait l'inappréciable avantage d'avoir été expérimenté en public, d'être à l'épreuve de la rampe.
Mais M. Jules Lacroix, qui n'aime pas l'été, trouva l'époque qu'on lui offrait un peu trop avancée, même pour une reprise.
C'est alors que Sarah pria M. Jean Richepin de lui faire une nouvelle traduction de Macbeth.
L'auteur de la Chanson des Gueux est l'homme en vue du moment. Depuis l'article que notre collaborateur Quidam a consacré à ses Blasphèmes, ce volume s'enlève avec une rapidité extraordinaire dans les librairies, et l'on ne voit plus sur le boulevard que des gens se promenant avec ce livre étonnant sous le bras.
Travailleur prompt et infatigable, Richepin se mit
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Ml I-ES SOIRÉES PARISIENNES
donc en hâte à la besogne. Il n'a nullement pris pour guide, comme on l'a dit à tort, la traduction également bien connue de Erançois-Victor Hugo.
Très respectueux de l'oeuvre originale, possédant à fond la langue anglaise et le répertoire du grand tragique, M. Richepin se fit un devoir de suivre le texte original d'aussi près que possible. Peut-être cependant poussa-t-il dans certains détails cette conscience de l'exactitude un peu plus loin que ne le comportait la pudeur du public français, car on dut, au cours des répétitions, supprimer malgré lui certaines verdeurs du robuste Shakespeare.Dans le rôle du portier notamment, il fallut bien couper certaines appréciations qui ne peuvent guère être exprimées qu'en latin... ou en très vieil anglais.
M. Jean Richepin souffrait de ces amputations nécessaires, mais les laissa pratiquer. U compte s'en consoler, un jour ou l'autre, en allant jouer Othello en anglais, et chez les Anglais. On m'a raconté que, se trouvant à Jersey avec son ami Maurice Bourhor (celui-là même auquel il a dédié ses Blasphèmes), il stupéfia toute une bande de touristes en déclamant des tirades entières d'Hamlet et de Macbeth au beau milieu des champs.
Il va sans dire qu'on n'a pas eu le temps de monter Macbeth avec le luve et le soin que comportaient quelques-uns de ses tableaux.
On nous a servi, ce soir, un délicieux régal artistique et littéraire, auquel la mise en scène est restée à peu près complètement étrangère.
Les décors sont pris dans le matériel fort riche du théâtre. L'habile machiniste Courbois a su,il est vrai, les combiner de façon à les rendre méconnaissables.
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et, tels qu'ils sont, ils m'ont paru absolument suffisants.
Ce qu'il y a de plus faible comme mise en scène, c'est la partie fantastique. Toute la cuisine des sorcières manque d'illusion et de terreur; le tableau des apparitions est complètement raté.
On s'était bien juré, en farouches réformateurs, de pousser à l'extrême le naturalisme de ce tableau.
Mais, comme toujours, il a fallu compter, dans la pratique, avec les difficultés, voire les impossibilités matérielles.
C'est ainsi que, pour obtenir les miaulements de chats indiqués par Shakespeare, on avait imaginé d'enfermer dans une cage un véritable angora dont on pinçait vigoureusement la queue pour le faire crier. Seulement, l'animal, justement exaspéré, distribuait de tels coups de griffes, qu'aucun régisseur ne voulait se charger de lui indiquer sa réplique.
D'ailleurs, il est probable que la Société protectrice des animaux, armée jusqu'aux dents par la loi Grammont, eût fait un procès fâcheux.
On eut recours alors à un concours de miaulements. Tout le personnel, sans aucune exception, fut appelé à y prendre part. Premier prix, à l'unanimité : M. Marais.
Mais allez donc faire miauler un artiste qui doit rugir, et qui a joliment bien rugi ce soir>
M. Marais avait trop à faire en scène pour se charger encore de jouer ainsi au chat. D'autre part, si l'on obtenait des miaulements aussi réalistes, il ne fallait pas s'en tenir là. Les autres bruits , les sifflements de serpents, les hululements de hiboux devaient, sous peine de détonner, atteindre à la même perfection.
Or , M. Dcrcnbourg pouvait, à la rigueur, repro-
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duire assez exactement le sifflement des serpents; mais il ne pouvait se charger de faire le hibou en même temps. De plus, n'ayant plus d'intérêts sérieux dans le théâtre qu'il a vendu à M. Mayer, il ne s'offrait à faire le serpent que pour la première seulement. Dès demain, il aurait fallu aviser pour obtenir ce bruit de reptile.
Nouvelle raison pour en revenir aux classiques moyens employés depuis tant d'années pour faire du tapage à la cantonade.
Ah ! c'est qu'il est plus facile, au théâtre, d'innover en paroles - qu'en fait !
De même, pour les fameuses apparitions, tous les procédés ont été étudiés.
Il n'existe pas de spectres brevetés S. G. D.G. dont le système n'ait été soumis à la Direction. Il paraît que tous les systèmes ont été jugés mauvais, puisqu'on s'en est tenu à une simple promenade de figurants derrière une toile métallique.
En revanche, les costumes ont été trouvés très réussis et d'un grand caractère.
Celui de Sarah notamment. Impossible d'être plus belle, plus séduisante que l'incomparable tragédienne dans son admirable costume de lady Macbeth : jupe de cachemire blanc plissé, corsage-maillot gris-argent avec fleurs noires brodées , manches à carreaux verts et or avec draperies blanches formant épaulettes.
Les répétitions ont été remarquablement menées par Sarah en personne. Elle ne cessa de veiller à tout, de diriger tout, sans négliger pour cela l'étude de son rôle.
Au contraire, elle y mettait tant de conviction
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et d'emportement sincère qu'il lui arriva un jour de terrifier subitement l'un des artistes chargés des petits rôles.
- Tu es fou ! venait-elle de s'écrier selon le texte. Il y avait tant d'énergie dans cette exclamation que
le partenaire auquel elle répondait , oubliant que c'était là du dialogue et croyant que Sarah s'adressait personnellement à lui, balbutia tout interdit :
- Pardon, Madame, ne vous fâchez pas !.. Je sais bien que ce n'est pas tout à fait cela, mais demain je ferai mieux.
Autre racontar de répétition : Le messager du dernier acte doit arriver très essoufflé. Sarah ayant fait remarquer à l'artiste que son essoufflement manquait un peu de vérité, voici ce dont il s'est avisé pour mieux faire : cinq minutes avant son entrée, il s'élance au grand galop dans l'escalier, le gravit rapidement jusqu'au cintre, le dégringole avec la même allure et ne s'arrête qu'en scène.
L'effet est d'une exactitude saisissante, mais le vaillant messager s'exposera chaque soir à pincer une superbe bronchite.
Un détail rétrospectif.
L'une des plus célèbres ïady Macbeth dont on ait gardé mémoire en Angleterre était presque l'homonyme de celle d'aujourd'hui.
On l'appelait Sarah Sydoons.
Et, coïncidence curieuse, elle faisait de la sculpture.
On n'a pas ménagé les rappels ce soir.
Trois rappels pour Marais après la superbe scène du spectre de Banco ; trois rappels pour Sarah après fa non moins-superbe scène du somnambulisme.
Mais Iady Macbeth n'est pas du dernier tableau ; et quand, à la fin de la pièce, on a voulu la revoir à côté
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de Marais, elle était dans sa loge, en train de se déshabiller. Comme le public insistait pourtant, Marais a traîné, sur la scène, Mlle Davray - qui débutait dans les travestis par le petit rôle de Duncan - el qui se trouvait un peu surprise et fort touchée de cette ovation inattendue.
LES CHAMPAIROL- TOUT AU PLUSIR
23 mai.
Depuis trois ans qu'on s'est avisé de le reconstruire, le théâtre des Menus-Plaisirs ressemble précisément à ces maisons neuves dont les boutiques se louent à la semaine ou à la journée, en attendant les locataires définitifs.
Jusqu'à présent, personne n'y a fait un bail sérieux. Les directeurs se succèdent comme des capucins de cartes. Nous y avons vu un peu de tout : des expériences scientifiques, des exhibitions, des tableaux vivants, des exercices de prestidigitation et jusqu'à des pièces de théâtre. Nous ne sommes sans doute pas au bout, et M. Cantin louera certainement son vestibule un jour ou l'autre à des camelots en bonneterie, à des raccommodeurs en porcelaine, à des vendeurs de rasoirs à musique, à des gérants de boutique à treize.
Ce soir, le magasin omnibus du boulevard Sébastopol déballait un stock de tableaux patriotiques, à l'occasion d'un drame quasi-militaire de M. Auguste I'raisse, bourgeoisement intitulé : Les Champairol.
Il se pourrait que la spéculation fût un peu meîl-
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lcure que la plupart de celles qui l'ont précédée dans ce malheureux local à tout faire.
Pourtant l'oeuvre est en vers, grande complication pour le quartier. Mais elle contient des scènes patriotiques auxquelles les sceptiques les plus endurcis n'ont pas résisté, bien que l'on soit venu là plutôt avec l'intention de rire que de s'émouvoir. C'est d'ailleurs mis en scène avec une habileté qui a surpris, notamment pour la reproduction du tableau de Neuville, Les dernières cartouches, qui est à la fois très simple et très saisissante.
11 faut remonter, pour pouvoir citer un effet du même ordre, au fameux décor de la Libération du territoire qui eut jadis tant de succès dans une revue du Chàteau-d'Eau.
Cette scène muette est un véritable clou pour la pièce en vers de M. Fraisse.
Les journalistes qui ont divisé leur soirée entre la première des Menus-Plaisirs et celle de Déjazet, et qui n'ont pas eu l'occasion de rire aux Champairol, ont pu se rattraper copieusement boulevard du Temple.
Pour être «Tout au plaisir» que nous offrait ce soir la direction Charpentier, il aurait fallu passer une partie de la nuità Déjazet, ce qui dépasse le maximum normal de ce genre d'agrément.
Car Tout au plaisir - une comédie vaudeville en cinq ou six actes - commençait un peu avant onze heures. Au moment où les dures nécessités du journalisme m'arrachent aux délices variées de cette pièce mêlée de chahut et de chant, il est environ une heure du matin. On espère que le dénouement sera révélé, aux derniers spectateurs haletants, au petit jour, lorsque passeront devant le théâtre les dernières voitures des maraîchers se rendant aux Halles.
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J50 LES SOIRÉES PARISIENNES
On manque généralement de détails biographiques sur l'auteur de cette interminable fantaisie.
Damiens fut le nom d'un grand criminel. [C'est à une lettre près (Damien) celui du vaudevilliste auquel M. Charpentier, imprésario jeune et impatient, commanda, il y a très peu de jours, de lui faire « une grande machine > pour le quartier. M. Damien, qui a déjà signé une charmante petite comédie intitulé : La Peur d'être grand-père, jouée à Cluny, était certainement digne d'une autre tâche.
Cependant, il se mit à la besogne et entassa consciencieusement les quiproquos à la Buguet sur les plaisanteries consacrées jadis au théâtre Taîtbout. faisant danser un quadrille quand l'action languissait un peu etjn hésitant pas à écrire une scène dans la salle à laquelle le public a pris part avec frénésie.
M. Charpentier, directeur, s'est oflert gracieusement le principal rôle d'homme; il a en outre, spécialement engagé, pour se faire donner la réplique, une véritable chanteuse, élève de Mme Viardot, répondant d'après l'affiche au nom de Nordall.
A part ces deux artistes en vedette, il y a bien encore une vingtaine d'interprètes ; mais comme ils se valent à peu près tous. il y aurait peut-être injustice à en citer un seul.
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Le public ne soupçonne pas toujours au prix de quel effort sur eux-mêmes les artistes parviennent à l'amuser quelquefois. Trop souvent, hélas ! lecomique
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le plus désopilant est obligé de surmonter un gros chagrin, une grande douleur pour dilater la rate de ses contemporains.
C'est une vérité qu'on a souvent dite, mais qu'on ne saurait trop répéter.
Ainsi, ce soir, elle me revenait à la pensée tandis que j'entendais s'esclaffer, aux Nouveautés, les spectateurs de la dernière représentation de Babolin. Ah ! certes, ils ne se doutaient point des efforts que s'imposaient Berthelier, Albert Brasseur et Milly Meycr pour les faire tordre comme autant de tire-bouchons!
Et pourtant, voilà déjà quelques jours que les pensionnaires les plus désopilants de Brasseur jouent la comédie, la mort dans l'âme.
Cette mort qu'ils ont dans l'âme est celle d'un chien, d'un simple toutou.
Mais quel chien que celui des Nouveautés !
Ah ! l'on peut dire de celui- là qu'il ne lui manquait que la parole !
Entré au théâtre, à l'âge pur d'une demi-semaine, le jour même de l'inauguration, on l'avait appelé Coco, lui donnant le titre de la première pièce locale.
Comme disait son ami Prosper, le fidèle quatrième régisseur de la scène, il avait le même âge que « la boite au patron ».
Doué d'instincts artistiques et cabotin dans l'âme, Coco était connu de tous ceux qui fréquentaient les Nouveautés. Les actrices l'adoraient, bien que ce ne fût qu'un horrible terrier jaunâtre, de race contestable et d'aspect peu séduisant. Mais comme il rachetait sa laideur native et qu'il savait bien les prendre, les petites femmes d'opérettes et de revues '...
Bon et accessible à tous, il ne montrait les crocs qu'aux gens qui venaient demander des billets de fa-
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veur. Ceux-là, il les sentait trop bien pour pouvoir les sentir. Son bon sens de chien, supérieur à celui des hommes, lui avait fait comprendre combien est sotte et révoltante la manie peu scrupuleuse qu'ont certains parasites d'aller toujours au théâtre sans bourse délier.
En revanche, il se plaisait à faire des mamours aux gens plus distingués qui venaient à la location.
Tout Paris a pu le voir aussi, chaque soir de première, rôdant à l'entrée du théâtre, et tâchant, pendant les entr'actes, de savoir, d'après les propos des journalistes, si la pièce marchait bien.
Les jours ordinaires, il ne venait plus sous le vestibule qu'au moment de la sortie, après avoir constaté au dehors s'il y avait beaucoup d'équipages.
Il possédait ce privilège envié d'assister à toutes les répétitions et était arrivé, grâce à son flair de chien, à une expérience scénique vraiment extraordinaire. Albert essayait tous ses effets devant lui ; Berthelier lui soumettait ses fins de couplets et Brasseur même n'aurait jamais conservé une tête après laquelle il avait aboyé.
Les auteurs surtout étaient l'objet de ses observations particulières. Il flairait les bons avec une sûreté incomparable. Dès que l'un d'eux passait le seuil du théâtre, on savait immédiatement de quoi il retournait rien qu'en étudiant l'attitude de Coco. Si le manuscrit était bon, il remuait la queue en poussant de petits cris joyeux.
Mais, par exemple, lorsqu'il s'agissait d'un four probable, Coco devenait méchant : son poil se hérissait et il faisait entendre un grognement désapprobateur dont la direction se hâtait généralement de tenir compte.
Un jour, entre autres, on vit Coco, devenant presque enragé, se jeter à la gorge de deux collaborateurs qui.
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du coup, portèrent, sans tambour ni clairon, leur chefd'oeuvre à la Renaissance.
Cette bète incomparable avait l'oeil et le nez à tout. Elle assurait la plus parfaite régularité des services.
La nuit, Coco se réveillait juste au moment où les pompiers devaient faire leur ronde et les guidait dans le labyrinthe de la scène, de la salle, des loges, des foyers, des dessous et des combles, s'arrêtant où il fallait et ne s'endormant qu'après s'être assuré par luimême que l'inspection était bien complète.
II aimait trop la chienne, et cela l'a tué.
Parmi ses nombreuses conquêtes, Coco avait su conquérir les bonnes grâces d'une horizontale à quatre pattes, Mlle Nana, levrette d'un dentiste. C.^ dernier, le surprenant chez lui, remarqua ses admirables dents et les lui arracha pour monter des râteliers, ne lui laissant que ses crocs pour mordre et ses yeux pour pleurer.
Depuis cette cruelle opération, Coco était l'ombre de lui-même. Il se laissa en quelque sorte mourir de chagrin, à la grande désolation de ses amis des Nouveautés.
Par bonheur, il laisse un fils de quatre mois qu'on élève au magasin des décors, qui viendra le remplacer aux Nouveautés et qui porte dignement son nom, de telle sorte qu'à la réouverture on pourra s'écrier, boulevard des Italiens :
- Coco est mort : vive Coco!
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CONCOURS DE PETITS PRODIGES
27 mai.
Tous les journaux ont publié, la semaine dernière, une annonce du théâtre de la Gaité, demandant un petit prodige pour créer le rôle du petit Poucet dans la féerie de ce nom, qui sera la grande pièce à spectacle de l'hiver prochain.
Les annonces de ce genre ne sont pas communes.
Le Figaro n'en insère guère dans ses offres et demandes d'emploi.
On cherche des valets de chambre, des femmes de chambre, des cuisinières, des jardiniers mariés, sans enfants, mais des petits prodiges - jamais.
Aussi se demandc-t-on, au premier abord, si pareille demande peut être suivie d'effet. L'article doit être rare et peu cultivé, étant d'un usage peu courant. Eh bien ! voilà l'erreur. L'annonce de la Gaité aura eu cela de bon, qu'elle nous a révélé l'existence, sur le pavé de Paris, d'une quantité incroyable de petits prodiges, garçons e* *»lles.
J'ai eu :*OJ asion d'entretenir M. Debruyère de celle sorte de c,-ac »urs ouvert à son théâtre, et il m'a donné des détails renversants.
Dès le lendemain du jour où l'annonce a paru, la poste a apporté à la Gaité des paquets de lettres. Il a fallu adjoindre à M. Léon Marx des secrétaires spéciaux pour les décacheter et les parcourir. Toutes offraient un petit prodige pour lequel elles réclamaient une audition. Il en vint des quatre coins de la capitale.
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MAI î55
On commença par donner rendez-vous à une soixantaine d'enfants. Us arrivèrent au jour dit, et cette arrivée fit sensation non seulement au théâtre , mais encore dans tout le quartier des Arts-et-Métiers.
. Il y eut un premier moment de surprise et même de désarroi. Le prévoyant Baudu avait bien pensé que les gamins et les gamines convoqués ne viendraient pas seuls. Mais alors qu'il n'attendait guère que des pères et des mères, il se présenta de véritables smalas. Ce que tous ces prodiges avaient de plus prodigieux, c'était une quantité vraiment prodigieuse de parents et amis.
- O prodige ! s'écria l'excellent régisseur, absolument débordé de ces trop nombreuses familles.
Certains petits prodiges, outre leurs ascendants et collatéraux au grand complet, avaient invité leurs professeurs, leurs maîtres ou leurs maîtresses d'école.
Ne pouvant laisser pénétrer tous ces envahisseurs dans le théâtre, on dut en refuser impitoyablement l'accès à ceux qui n'étaient parents des prodiges qu'audessous du troisième degré.
Quoique consignés, ils stationnèrent obstinément au dehors devant l'entrée de l'administration, pour attendre les résultats.
Et pendant toute l'après-midi, la rue Réaumur fut encombrée d'oncles, de tantes par alliance, et de cousins à la mode de Bretagne.
Dans le théâtre, l'examen fut inénarrable.
A peine M. Debruyère avait-il mis le pied sur la scène qu'il vit s'élancer sur lui, avec la force irrésistible de la vague furieuse, un groupe compact de mioches, de papas et de mamans. Ce furent des cris assourdissants.
- A moi, m'sieu !
- J'veux passer le premier.
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356 LES SOIRÉES PARISIENNES
- J'suis là d'puis c'matïn dix heures.
- Chacun son tour.
- A moi, m'sieu, à moi!
Debruyère, quoique doué d'une voix qui sonne comme un clairon, eut un mal énorme à dominer la tempête.
- Je vous entendrai tous ! parvînt-il à articuler. Commençons !
Commençons... c'était facile à dire !...
Au moment où le régisseur appelle le premier enfant d'après l'ordre chronologique d'inscription, un monsieur en redingote râpée se détache de la foule des parents et vient jusqu'à l'avant-scène.
- Monsieur le directeur, dit-il, je voudrais que ma petite fille fût entendue de suite.
- Un tour de faveur, se récrie Debruyère, elle est donc bien pressée !
- C'est moi qui suis pressé. U faut que je rentre à mon bureau à deux heures-.. Célina est inscrite la dixième.
- Elle passera après le numéro neuf.
- Jamais je n'attendrai jusque-là... mon chef me flanquerait une retenue de traitement.
- Il aurait raison : allez-vous-en tout de suite.
- Mais Célina ne peut chanter que quand je suis là... Cette pauvre enfant, il y va de son avenir au théâtre !
La situation de ce père bureaucrate est sans doute fort touchante. Mais impossible de faire un passedroit en sa faveur. Déjà le peuple murmure à propos de ce colloque.
- Croît-il pas, s'écrie une maman qui semble appartenir à la catégorie des marchandes des quatre saisons, qu'on va faire des injustices pour sa gosse
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MAI 3î7
parcequ'ila un chapeau hautde forme? Àh! malheur, c'est toujours les mêmes qui réclament ! Il n'est pas plus que nous ici, ce cadet-là !
Une première, une seconde audition ont lieu.
Puis l'intéressant examen se continue, mais avec des retards puérils et des lenteurs agaçantes.
Ce sont, pour chaque enfant qui se présente à l'appel de son nom, de nouveaux conseils.
- Totole, n'aie pas peur... le monsieur ne te gron*- dera pas.
- Phémie, ne te presse pas...
- Attends, Henri, viens d'abord que je te mouche.
- Voyons, Jeanne, tâche de chanter aussi bien qu'à la fête de l'oncle Durand.
Et autres recommandations analogues.
Une mère, plus énervante que les autres, entame avec l'impassible Debruyère un dialogue préalable qui rappelle par moments la scène du sonnet d'Oronte.
- Telle que vous la voyez, monsieur le Directeur, mon Adèle est très timide.
- Nous en tiendrons compte.
- Elle a des moments où elle est pleine d'entrain, d'autres où elle en manque... Je tremble, parce que je ne sais pas si elle est dans un bon jour ou dans un mauvais.
- C'est ce que rous allons voir... Qu'elle commence !
- Un seul mot?... C'est le Chômage des menuisiers qu'elle va vous dire. Il y a huit jours, elle n'en savait pas encore un vers. Elle l'a appris très vite.
- Ile! Madame, le temps ne fait rien à l'affaire!
Autres guitares. Il faut entendre l'énumératinn des
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?5$ t-KS S0I1OEES PARISIENNES
états de service. Tel galopin a déjà fait une création ou deux sur la scène des Balignolles ou des Gobelins ; telle gamine âgée de huit années seulement déclare tout d'abord qu'il y en a quatre qu'elle « est au théâtre ». Et le fait est que bon nombre de ces cabotins minuscules ont déjà un passé artistique au catéconcert ou même sur de véritables scènes.
A l'exception de trois ou quatre véritables prodiges^ jeunes artistes de race, dignes de marcher sur les traces des Léontine Fay, des Montaland, des Camille et des Daubray, tout ce petit monde fait peine à voir. La plupart de ces visages d'enfants sont fatigués, vieillis et flétris par l'entraînement anormal qu'on leur impose. Les voix, déplacées par d'impitoyables exercices, sont presque toutes désagréables à entendre.
Cependant, Debruyère et son fidèle Baudu, quoique fixés dès les premiers mots sur l'incapacité de presque tous ces phénomènes, sont obligés d'écouter inutilement des morceaux choisis qui sont généralement interminables. Si, parfois, les examinateurs s'avisent d'interrompre quand même, le père, la mère, les frères, les soeurs et autres parents se récrient, des larmes brillent dans les yeux d'une famille entière... et l'on est bien forcé, par simple bonté d'âme, de laisser continuer l'enfant jusqu'au dernier vers.
Quant au répertoire ainsi débité, il varie à l'infini. La petite saynète mêlée de chant, le monologue en vers abondent. Mais les chansonnettes de café-concert, les couplets égrillards dominent. Il faut voir avec quelle précision automatique certaines fillettes trop bien stylées soulignent : Oui, maman ! Vlà ïtramway qui passe! et la Soeur de l'Emballeur!
L'essentiel pour la direction de la Gailc, c'est qu'elle
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-MAI tfy
a trouvé, dans le nombre, trois ou quatre petites filles extrêmement gentilles et fort intelligentes.
Cette élite va être soumise maintenant aux auteurs du Petit Poucet. Le concours sera terminé demain par un choix définitif, et le théâtre comptera alors un petit prodige de plus.
LE DKVLTÉ DE BOMIGSAC
29 mai.
- Vous savez que le Députe de Bombignac n'est pas de M. Bisson seul, Sylvane en est.
- Qui ça, Sylvane >
- Le Sylvane du Lycée de jeunes filles, de ity rue Vigallc.
- Mais ces .pièces, autant qu'il m'en souvient, sont de M. Bisson seul.
- Erreur, elles sont de MM. Bisson et Sylvane. Bisson et Sylvane sont des collaborateurs fidèles, ne faisant presque rien l'un sans l'autre ; Bisson ne va pas sans Sylvane et Sylvane ne va pas sans Bisson.
- Mais alors pourquoi n'est-il jamais question de Sylvane, pas plus ce soir que les autres fois>
- Parce que Sylvane se dérobe dans un mystère impénétrable que Bisson lui-même n'a pas complètement pénétré.
- C'est l'auteur au masque de fer >
- Quelque chose d'approchant... un fonctionnaire qui ne peut pas signer des pièces de théâtre.
- M. Grévy>
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$0<» LLS SOIRÉES PARISIENNES
- Non.
- Le général Pittié>
- Pas davantage. Il s'agit bien d'un officier, mais d'un officier ministériel.
- Un notaire >
- Non. Un commissaire-priseur !
- Pas possible !
- C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire.
En effet, le collaborateur anonyme de Bisson officie, à l'hôtel Drouot, de deux heures et demie à cinq.
Et il n'oflicie pas sous le nom de Sylvane, mais sous un nom quelconque, que j'ignore et que je ne tiens pas à connaître.
Sylvane est un pseudonyme qu'il prend pour travailler avec M. Bisson, car pour rien au monde il ne consentirait à discuter un quiproquo de vaudeville, sous son nom de commissaire-priseur.
Je suppose qu'il arrive chez son collaborateur, avec une fausse barbe et une perruque ; si l'aboyeur de la salle cinq le rencontrait, par hasard, aux environs de la demeure de M. Bisson, il ne le reconnaîtrait pas.
Ah ! ses précautions sont prises, et il a mille fois raison de les prendre.
Car l'honorable et aimable corporation qui adjuge, à coups de marteau, des objets mobiliers de toutes provenances (expressément au comptant, 10 o/o audessus des enchères), depuis la table denuit du pauvre jusqu'au bonheur du jour Louis XV des grandes horizontales décavées, a conservé, à l'égard des artistes et des hommes de lettres, les préjugés naïfs des bons bourgeois d'il y a trente ans.
Elle se révolterait tout entière, cette excellente corporation . si elle voyait l'un des siens déshonorer le
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MAI i<M
marteau en faisant ouvertement de la littérature dramatique - même pour la maison de Molière.
Si Molière vivait, il ne pourrait pas être commissaire-priseur ou, s'il l'était, il serait obligé de signer le Misanthrope du pseudonyme d'Krielmo.
Quedis-je. cet anagramme même lui serait interdît, puisque M. Sylvane, qui ne s'appelle pas Sylvane, ne s'adjugerait pas le droit de signer Sylvane, ne fûtce qu'au Théâtre-Français.
Le cas est si singulier, si particulier, si extraordinaire, que j'ai cru devoir insister.
Et je l'ai fait avec d'autant plus de joie, que la comédie de M. Brisson n'offre pas grande matière à la chronique.
Arrivons pourtant au Député de Bombignac.
Depuis deux ou trois ans. les sociétaires de la Comédie-Française, à l'exception de quelques tragédiens forcenés, ne manquaient jamais, lorsqu'ilsirenconIraient un jeune auteur, de lui dire: .? - ;>
- Apportez-nous donc des pièces amusantes, des vaudevilles au besoin? On ne nous soumet que des couvres tristes;.. Notre public n'est pas ennemi d'une certaine gaieté. Il aime autant rire que pleurer. ' :
Il ]y avait la une véritable çarrtpagne que les Coqtïc^ lin surtout poursuivaient ave<ï une ardeur soutenue. ;:
Un jour, rencontrant M.' Bisson, boulevard des Italiens, ou il attendait l'omnibus de l'Odéon, ils le quêstionnéfértt sur ce qû'ilaVaitert 1 train. : , -
- Cela ne Vous intéresserait guère, répondit l'àu-i teur en'souriant, la pièce quenotis'venons détermiiier est purement comique: . :; ; ' '"._?' ' '/J
- Voiis ne lavez; pasrécrite[èn-Vue dû ThéâtreFrançais > demanda Cadet: ' ':?''.-?'?'. *»-???'?--.'* ?.ws - - Oh 1 non, c'<|st-p)utôt le genrç, cju Palais-Upyal.
2ï
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$0-ï LES SOIRÉES PARISIENNES
- Alors, s'écria Coquelin , vous pouvez l'apporter chez nous, elle nous ira à merveille.
Et, à partir de ce moment, le Député de Bombignac, sans cesser d'être la pièce de M. Bisson, devint un peu celle de MM. Coquelin frères.
Elle méritait, à plus d'un litre, ce puissant patronage. Les Coquelin étaient tout à elle; mais elle était toute aux Coquelin. La scène leur appartient du commencement à la fin, et chacun des trois actes de la nouvelle comédie se déroule à peu près dans l'ordre suivant :
Scène I. - Coquelin cadet, Coquelin aine.
Scène II. -- Coquelin cadet, puis Coquelin aine.
Scène III. - Coquelin aîné, Coquelin cad.t.
Scène IV. - Coquelin aine, puis Coquelin cadet.
Sans compter les monologues que les auteurs reconnaissants ont pris soin de leur ménager à part, afin de faire valoir l'un des brillants côtés de icur talent si sympathique.
Si considérables que soient le rôle aine et le rôle cadet, nous avons eu tout de même le temps de remarquer et de lorgner Mlles Mullcr et Durand qui. si elles n'ont pas grand'chose à dire, sont du moins constamment en scène. Elles sont, toutes deux , bien jolies, bien jolies : 'Mlle Mullcr avec sa charmante figure de poupée, et Mlle Durand d'une beauté plus expressive et plus aimable. Toutes deux ont des toilettes d'une simplicité exquise et d'un goût parfait.
Comme décor unique, servant pour les trois actes : un salon quelconque - du répertoire.
Je vous l'ai dit : il n'y avait rien à glaner pour la chronique dans cette aimable soirée.
A la sortie, on 'm'affirme - niais je donne la nou-
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MAI $6}
velle avec les réserves d'usage - que M. Maurice Simon, directeur du Théâtre-Cluny, prépare, pour succéder aux Trois femmes pour un mari, la première représentation (à ce théâtre) de Tartufe.
C0QUEL1X ADMlXlSTItÉ
50 mai.
Tous les lecteurs du Figaro ont appris comme moi que la nouvelle comédie de M. Alexandre Bisson serait jouée cet été en province, ainsi que cela arrive d'ailleurs à la plupart des pièces de théâtre.
Ce qu'il y a de plus particulier, c'est que, d'après la note publiée, il faut s'adresser pour traiter des représentations du Député de Bombignac, à M. Michel, administrateur de £1/. Coquelin.
Il y a donc une situation sociale qui consiste à administrer M. Coquelin >
Qu'on vienne dire encore que la France n'est pas la patrie du fonctionnarisme î
Avouez avec moi que ce titre d'administrateur de M. Coquelin ne laisse pas que de faire quelque peu rêver.
Au premier abord, cela vous a un petit air de fantaisie qui déconcerte l investigateur.
Cependant, rien de plus sérieux : il existe bien un M. Michel qui est bien l'administrateur de M. Coquelin.
Il l'administre comme M. Cochcry administre les Postes, comme M. Emile Perrin administre la Comédie-Française, comme M. Camescasse pourrait administrer la Préfecture de Police.
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¥>.\ LES SOIREES PARISIENNES
Une chose essentielle m'intrigue. Comment M. Michel administrc-t-il M. Coquelin >
Car il n'y a pas d'équivoque : il ne le gère pas, il l'administre tout à fait.
Quels sont les rouages de cette administration-là ? De quelle façon est-elle installée, organisée ?
Autant de questions essentielles.
Je suppose d'abord que l'administration de M. Coquelin doit avoir un siège olliciel, des bureaux, des antichambres, une lampïsterïe, une forte provision de bois de chauffage.
M. Michel se tient évidemment dans un cabinet administratorial richement meublé, pour donner audience aux gens convoqués par des imprimés libellés de la façon suivante :
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Mais ces questions purement matérielles ne constituent jamais la plus grosse difficulté. L'essentiel est d'assurer le fonctionnement régulier de toute filière administrative. M. Michel, chez qui j'aime à préjuger l'esprit d'ordre et de méthode, n'aura pas manqué de diviser M. Coquelin en deux ou trois grandes directions générales comprenant chacune des divisions, divisées elles-mêmes en bureaux compétents afin que les attributions de chaque service soient bien déterminées, qu'il s'agisse du contentieux, de la correspondance, des revenus, de l'exploitation, des voies et moyens ou de tout autre département administratif, le tout relié par les divers secrétariats particuliers sans lesquels il n'est point de bonne organisation française.
L'administration de M. Coquelin ne peut être, d'après ce qui précède, que centralisée à outrance. Peutêtre n'échappera-t-ellepas complètement à la critique habituelle que suscitent toujours les nombreuses formalités d'un fonctionnement raisonné. Mais ce qu'on pourra appeler ses lenteurs ne sera en réalité qu'une preuve de sa sagesse. Elle a le devoir d'être prévoyante, je la crois paternelle, et tout me dit que, grâce à M. Michel, M. Coquelin doit avoir une administration que l'Europe lui envie.
A LlHVPODhOW:
?: mai.
L'Hippodrome, pour ouvrir la saison d'été, nous a offert, ce soir, non pas un spectacle absolument nou-
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\it<* EE> SOIREES PARISlEXXEs
veau, mais une direction nouvelle qui semble devoir continuel les excellentes traditions delà précédente,en variant, dans la mesure du possible, et très intelligemment, des programmes pour lesquels il devient tous les jours plus diflicile de trouver de l'inédit.
Malgré la concurrence formidable du Cirque Franc*>ni où le samedi continue à être le grand jour du monde pschutt. l'immense salle de l'Hippodrome était archi-pleine ce soir. La représentation a eu un grand succès et plusieurs numéros ont clé fort applaudis.
je vais essayer de donner à rnec lecteurs une idée le quelques gros effets ce la soirée.
ï*.*:-: écuvers vêtus en jockeys ont paru sur la piste, <c «ont mis sur un seul rang et, au coup de cloche, 'ont partis au galop. Le public a eu toute l'illusion d'une véritable course, qui a paru fort disputée, bien -ju'au fond elle ne le fui pas, le gagnant se trouvant toujours désigné d'avance.
On a non moins goûté des chiens exlraordinairesuent savants qu'ur. clown faisait travailler. Le clown 'ermit en l'air un cerceau couvert d'un papier très mince, et tous les chiens, les uns après les autres, traversaient le cerceau. Ils grimpaient aussi sur une petite échelle double, montant par un côté et descendant par l'autre. Il yen avait qui marchaient sur deuv pattes, d'autres qui gambadaient sur trois, d'autroencore avaient l'air de boiter,sans compter ceux qui valsaient en se tenant la queue dans la gueule.
Puis, les écuyers qu'on avait déjà applaudis, costumés en jockeys, sont revenus en Romains, sur des chars peinturlurés et dorés. Ils avaient le front casqué d'or et conduisaient un attelage de huit chevaux, au lieudequatre. Ils se sont encore mis sur un seul rang et, au coup de cloche, sont partis au galop. Le public
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MAI 367
a pu se figurer qu'il assistait à" une course antique, comme il s'en donnait du temps des Césars. La course a paru fort disputée, bien qu'au fond elle ne le fût pas, le gagnant se trouvant toujours désigné d'avance.
Ensuite, au milieu de l'attention générale, une superbe voiture aux riches armoiries exotiques, aux lanternes volumineuses et dorées, a amené au milieu de la piste une jeune femme emmitouflée dans un manteau très décoratif. Soudain la jeune femme a rejeté le manteau et est apparue en maillot.
- Mon Dieu! s'est-on dit, que cette créature est jolie î
C'était Mlle Océana, qu'on ne lorgnera jamais assez dans sa tenue complète de statue. Aussi leste que belle, elle s'est élancée sur un simple fil à couper le beurre et s'y est tenue en équilibre! Le public, anxieux, craignait à chaque instant de la voir tomber, mais Océana. sans même prendre la peine de descendre du t\\. s'est mise à jongler avec des assiettes, des petites boules , des fioles et des couteaux-poignards, manquant plusieurs de ses tours, tant elle était émue. Le spectateur haletant n'a respiré que lorsqu'il l'a vue se coucher sur le dos et sur son fil où elle a goûté ainsi un repos bien gagné.
Quelques instants après, on a vu revenir les Romains qu'on avait déjà vus en jockeys. Ils étaient habillés en postillons et avaient chacun six chevaux à conduire, lis se tenaient debout, sur les deux derniers. Après s être mis en rang, ils sont partis au coup de cloche et au galop : la course a paru fort disputée, bien qu'au fond elle ne le fût pas, le gagnant se trouvant toujours désigné d'avance.
Ce n'est pas tout. Nous avons vu un cheval merveilleux sauter des barrières fixes de plus de deux mètres
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}6S LES SOIRÉES PARISIENNES
de hauteur, une amazone faisant pirouetter en mesure un bai-brun des plus coquets, le forçant à allonger le pas, à danser une polka, puis l'obligeant à se dresser debout sur les jambes de derrière en agitant dans le vide les jambes de devant: nous avons vu des clowns; nous avons vu des équilibristes arabes très forts: nous avons vu trente-deux chevaux blancs menés en poste par un seul homme; nous avons vu un écuyer assez ridicule que le public des secondes saluait du nom de Gugusse.
Enfin, c'est avec un nouveau plaisir que nous avons tous vu reparaître les postillons de tout à l'heure, qu'on avait déjà vus en jockeys et en Romains. Ils avaient revêtu des complets de coutil avec d'énormes chiffres en laine sur l'estomac. Au lieu de conduire des chevaux, ils venaient pédestrement se placer en rang. Au coup de cloche, ils ont pris leurs jambes à leur cou et se sont mis à détaler en bande, franchissant des haies et passant à travers des obstacles fort cocasses. Leur course a paru fort disputée, et elle l'était réellement, puisqu'on donne un prix en espèces aux trois premiers.
Tels sont les points saillants de la soirée d'inauguration qui a été offerte par la nouvelle Direction aux cinq ou six mille personnes qui assistaient à la fête de l'Hippodrome.
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JUIN
LES D1RECT10XS D'ÉTÉ
3 juin.
Tous les ans,au mois de juin, on peut observer un phénomène fort curieux.
Au moment où des directeurs sérieux, riches, po?- sédant des troupes de premier ordre , ayant une grande clientèle de spectateurs fidèles , renoncent à lutter avec la cha'cur et lerment leurs théâtres pour trois mois, on voit surgir tout à coup des directeurs improvisés, généralement inconnus du public parisien, disposant de moyens d'action extrêmement limités, et qui s'installent dans les théâtres disponit les comme le camelot dans le rez-de-chaussé; d'une maison neuve.
Cette année, ce phénomène se représente encore plus curieusement que les années précédentes.
Voyez, par exemple, ce qui se passe au théâtre du Chàteau-d'Eau. M. de Lagrené. soutenu par une subvention de trois cent mille francs, en plein hiver, n'a pu réaliser des recettes suffisantes pour couvrir ses frais et a été forcé de se retirer. Voilà, certes, une affaire peu viable et très peu enviable. Malgré cela, le
2t.
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370 LES SOIREES PARISIENNES
Châtcau-d'Eau trouve un directeur, qui exploitera, pendant la canicule et sans la moindre subvention, le genre qui a si peu réussi à M. de Lagrené.
A la Renaissance, c'est autre chose, tout en étant à peu près la même chose. Pendant trois mois d'hiver, le théâtre est resté fermé. Pas de pic.es. pas d'auteurs, pas de directeur. L'été arrive et, aussitôt, une combinaison se présente : un directeur s'installe - je crois même qu'il y en a deux - qui monte - ou qui montent - une opérette nouvelle, d'auteurs sérieux.
Même jeu à l'Ambigu, sans compter que nous entendrons probablement parler un de ces jours d'autres directions intérimaires dans d'autres théâtres fermés. Nous aurions les Italiens d'été, par exemple, que je n'en serais étonné qu'à moitié.
D'où vient donc cette rage qui pousse des individus, presque toujours doués de toute leur raison, à tenter des aventures aussi hasardeuses.
Cela vient d'abord des illusions dont on a l'habitude de se nourrir, lorsqu'il s'agit d'affaires théâtrales. Les autres n'ont pas réussi, se dit-on, mais pourquoi ne rcussirais-je pas, MOI? Ce MOI est terrible. Il répond à tout. L'amour-propre le gonfle et en fait quelque chose de démesuré et de monstrueux. Il suffirait à expliquer l'inexplicable. MOI, et c'est assez.
Cependant, il y a autre chose encore. Il y a un précédent fâcheux, le précédent d'une direction d'été qui a gagné beaucoup d'argent, le précédent du Procès Veauradieux. La direction du Vaudeville, après avoir fait une saison peu brillante, avait clôturé à la fin de mai. Les artistes de la maison avaient repris l'affaire a leur compte et joué te Procès Veauradieux avec l'énorme succès et les grandes recettes que ion sait. C'est de là que vient tout le mal. Quand vous vous écriez :
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JEIN Ï7I
- Eh ! comment, vous allez ouvrir un théâtre, au mois de juin ! mais cela ne réussira pas !
On vous répond :
- Cela a réussi pour te Procès Veauradieux ! Et vous n'avez plus rien à répliquer.
Puis enfin, il y a cette grande joie d'être directeur ;
De s'entendre saluer par 'c concierge, par la femme du concierge, par les petits enfants du concierge, d'un respectueux :
- Bonjour, monsieur le Directeur!
De voir le garçon de bureau vous remettre les journaux sur la bande desquels on lit:
Monsieur le Directeur ;
De signer avec la Société des Auteurs, avec la Compagnie du gaz et avec celle des eaux, avec les artistes, avec le chef de claque , avec les marchands de programmes, des traités qui commencent ainsi :
<> Entre les soussignés :
» Monsieur le Directeur du théâtre de d'une
part » ;
De refuser des manuscrits aux auteurs: d'être éreinté par les journalistes: de distribuer des billets de faveur: beaucoup de billets de faveur: de corriger les affiches; de parler tout haut à lavant-scène dans la journée ; de recevoir les souverains lorsqu'il s'en présente, ce qui est rare dans cette saison; enfin, quand on ne gagne pas d'argent, d'en perdre énormément et parfois d'en faire perdre aux autres.
'P.S. - Le théâtre des Folies-Dramatiques, après avoir joué le Jour et la Xuil, de MM. Vanloo, Letcrricret Charles Lccocq. a repris ce soir le Roi de carreau, de MM. Leterrier, Vantoo et Théodore de I.a-
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IIS SOIRÉE-» PARISIENNES
jarte. (Cette amusante -opérette a été jouée, pour la première fois',-an commencement de l.i saison. J'en ai dit alors tout !e bien que j'avais à en dire, et je suis certain qu'elle retrouvera aux Folies tout le succès qu'elle avait obtenu aux Nouveautés.
LES MAHTYHH
y juin.
Les Martyrs au Chàteau-d'Eau, en été ! Qui ncvoit d'ici les plaisanteries faciles auxquelles auraient pu se livrer les loustics habituels de^ premières si la chaleur s'y était prêtée? Mais, parce temps pluvieux et presque froid, leurs jeux d'esprit n'eussent pas été de saison.
Impossible, par exemple, d'affirmer absolument que les spectateurs étaient les véritables Martyrs - il s'en fallait d'au moins quinze degrés centigrades.
Courons de suite au gros intérêt de la soirée.
On savait que M. Oarnier, l'imprésario actuel du Château-d'Eau (vulgo : Lyrique-Populaire), allait, à l'instar de ses confrères des Italiens, de Déjazetet des Nouveautés, interpréter le principal rôle de son spectacle. Chacun était désireux de contempler l'homme qui ne craint pas d'entreprendre quelque chose de musical en juin.
\\i puis, M. Garnier possède, sur les autres directeurs qui montent aussi sur leurs propres planches, l'avantage inappréciable d'être un ténor. M. Maurel n'est qu'un baryton de talent: la voiv de M. Brasseur
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Jl'IN
serait plutôt celle d'un trial; quant à M. Charpentier, c'est un sunpie diseur.
Robuste et bien portant, le nouveau Polyeucte, sans doute pour flatter les prédilections artistiques du public parisien, s'est efforcé de donner à son personnage la physionomie de Tala/ac ; non du Talazae imberbe de Manon, mais du Tala/ac barbu de Lakmc et de 'Roméo. Sans être irréprochable, la ressemblance est cependant assez frappante; surtout lorsque M. tîarnîer écoulî. Dans une pantomime, on pourrait s'y tromper.
Est-ce à cause de ce détail que le vrai Tala/ac, placé dans une loge, applaudit son sosieE.i
sosieE.i cas, l'éniiiieni ténor de J'Opéra-Comique n'est pas seul à applaudir Polyeucte. Le directeurdébutant ne peu ouvrir lu bouche, lancer un si, poser un /.?, filer un sol sans provoquer une manifestation délirante de la claque. Un grand nombre de chanteurs de province sans place, venus à Paris comme tous les ans à pareille époque, se font également remarquer oar leur admiration pour le talent directorial.
Puisse M. (îarnier les récompenser de ce beau zèle par un bel et bon engagement!
Détail touchant. L'artiste qui joue le confident Néarque n'a guère qu'à écouter chautt.;. Polyeucte, mais c'est lui qui salue le public, avec l'air ému et la main sur le coeur, chaque fois qu'on acclame son patron.
On comprend que les autres interprètes aient un peu perdu de leur importance relative. Mme Delprato prête à Pauline un embonpoint plus qu'agréable. C'est sa façon à elle de rappeler Mme Krauss.
Un ancien baryton de l'Académie nationale de musique, M. Auguez, a eu les honneurs d'un bis dés son
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371 '-t:S SOIREES PARISIENNES
entrée. C'est un artiste déjà connu du quartier, car il est de tous les Opéras-Populaires.
Mise en scène assez convenable pour une entreprise non encore subventionnée. Seul le défilé du second acte, que n'eût pas désavoué Billion, a fait un peu sourire. Il va surtout une collection de vieilles barbes qui est incomparable.
Le ballet échappe presque complètement au ridicule,
On a même apprécié le pas des petits gladiateurs, qui se battent avec un acharnement bien réglé, en l'honneur d'une première danseuse par trop maigre. Tels des chiens se disputant un os,
L'auditoire est relativement brillant. Beaucoup de personnalités artistiques. Outre Tala/ac déjà cité, je vois encore MM.Capoul, Sellier et Melchissédcc.
Avec de pareils noms, le directeur du ThéâtreLyrique-Populaire doit être lier de sa soirée d'inauguration. Ce ne sont pas les chanteurs de talent qui lui auront manqué dans la salle.
LE VHESMIPTIF
6 juin.
MM. Abadicct Marthy font partie de cette catégorie d'impresarii dont je vous parlais l'autre jour à propos des directions d'été. Ils viennent rouvrir le théâtre de la Renaissance, resté fermé pendant une partie de l'hiver, à une époque de l'année où ce théâ-
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JUIN"
tre avait coutume de faire sa clôture. J'espère qu'ils ne se repentiront pas trop de cette audacieuse expérience.
Leur excuse, c'est qu'ils avaient sous la main une pièce toute montée, éprouvée, dont ils connaissaient les qualités et les défauts, puisqu'elle a été jouée, à Bruxelles, au mois de janvier dernier.
f.e i^tésfonptifqu on a eu l'honneur de représenter devant nous est, pour les paroles.de MM, Alfred Hennequin et Albin Valabrègue; pour la musique, de M. Louis (îregh. J'ajouterai que M. ("îregh est l'éditeur de la rue de la Chaussée-d'Antin. Je suppose qu'il doit publier sa musique avec une certaine satisfaction et qu'il ne doit pas se montrer trop regardant sur le. chapitre"des primes.
Quanta M. Ilennequin » il peut se vanter de finir brillamment la saison. Il est de toutes les fêtes. Il a eu la reprise de Lili aux Variétés, il a celle de 'Bébé au Vaudeville, le Train de plaisir au Palais-Royal, et le voilà avec te Présomptif ï\ la Renaissance, et tes Trois Devins qu'on annonce pour lundi à l'Ambigu. Pourvu qu'il y ait un peu de pluie jusqu'à la fin du mois, cela promet un gentil total de droits d'auteur.
il va sans dire que les directeurs intérimaires du boulevard Saint-Martin ne se sont pas ruinés en frais de mise en scène pour monter la nouvelle opérette. Nous avons retrouvé les bons vieux décors et les costumes du magasin, rafistolés tant bien que mal. L'action du Présomptif, qui se passe en Cocassie, à une époque où l'ordre du mérite agricole était représenté par un petit cochon suspendu au bout d'un ruban, a permis un vaste déballage de pourpoints Louis XIII et de justaucorps moyeu âge, d'armures mauresques et de coiffures tziganes, te tout suffisamment frais pour produire encore une certaine illusion.
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Le principal personnage du 'Présomptif, le roi Barbotîn, est joué par M, Deschamps, ancien pensionnaire du Palais-Royal et des Variétés, qui a créé le rôle à Bruxelles.
On m'assure que là -bas, aux Galeries Saint-1 lubert, l'artiste s'était fait, pour représenter ce bon Barbotin, la tcte de M. Joies (îrévy, ce qui, si le fait est vrai, me paraîtrait d'un goût contestable. Ici, il ne rappelle le Président de la République française que par certains traits de caractère tout à fait aimables.
Les auteurs avaient tenu à accuser cette ressemblance.
- Si Votre Majesté veut me prêter une oreille attentive, disait quelqu'un au Roi,
Et le Roi répondait :
- Je ne prête jamais, Monsieur
C'était trop direct. Il était impossible de ne pas reconnaître M. Jules (îré-y dans ce chef d'Etat atteint de ladrerie aiguë; la censure a prié MM. Hennequin et Valabrègue de renoncer à leur réplique. Ce qu'ils ont fait.
Pendant qu'elle y était, la même censure a aussi diminué la chanson du roi Barbotin du couplet que voici :
J'ai tous les ans trois petits millions,
Trois cent mille francs pour frais de voyage,
Plus cent écus pour mes réceptions
Et pour quelques dons a mon entourage;
j'encourage
I/entourage. Je n'ai qu'un pouvoir, et des plus bénins, Vous le devine* : c'est le droit de grâce. Je suis simplement roi des assassins,
Gens vilains
Et malsains. C'est là mon seul droit, je l'exerce avec grâce!
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A la place des auteurs, je me consolerais facilement de cette amputation, ces sortes de plaisanteries faisant généialement peu d'effet au théâtre.
M. Deschamps est entouré de partenaires desdeux sexes moins connus du public parisien et pour lesquels une présentation rapide est absolument nécessaire.
D'abord une jeune fiiîe désignée sur l'affiche sous le pseudonyme composé de Blanche Marie. Quelques amis de la maison affirment qu'elle porte un nom connu. Ce propos, habilement répandu dans les couloirs, est en tout cas une réclame excellente. Avant la première, on avait cherché à faire un peu de bruit autour d'elle, plus de bruit que la jeune artiste n'a pu en faire eile-mème ce soir, étranglée qu'elle était par une peur qui ne la point quittée pendant les trois actes du 'Présomptif
On la jugera sans cloute mieux lorsqu'elle sera plu?, rassurée; mais on a pu constater en attendant qu'elle es» gentille, très gentille et de fort élégante tournure.
Rien de meilleur à la Renaissance qu'une Desclau7as. A défaut de la vraie, de la seule, les directeurs provisoires ont engagé Mme Bernardi, une ancienne cantatrice qui a tenu l'emploi de contralto à Paris, d'abord au Lyrique de l'Athénée, sous le nom de Bernard, puis aux Italiens, où, devenue Mme Bernardi, elle donna la réplique à Mme Emilie Ambre,dansune reprise d'Aïda.
Pourquoi, ayant déjà décliné Bernard en Bernardi, ne s'appellerait-elle pas Bernardo pour l'opérette r
Il y a aussi Mlle Emmy Varéle, qui a dû chanter longtemps les dugazons sur un grand nombre de scènes départementales. Elle possède une de ces voix solides,assurées contre tous les accidents et pouvant résister même aux atteintes de I aire. On lui a bissé
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s.*s derniers couplets du second acte. Mais après cet accueil aimable, le public a eu la cruauté de souligner deux répliques dont les auteurs n'avaient pas prévu l'efiet.
- Ah! s'écrie Mlle Varéle, je mourrai donc à la fleur de l'âge.
Et on lui répond :
- A la fleur de lage! Toi ! Vn Gros-Caillou ! Maïs les Gros-Caillou vivaient au temps les plus reculés! Les Gros-Caillou remontaient aux croisades!
L'exagération même de la plaisanterie doit la rendre inoffensîvc aux yeux de Mlle Varéle.
Un artiste heureux, c'est M. Seguier qui, jusqu'à présent, avait rêvé la carrière lyrique en jouant des utilités à l'Ambigu, On le faisait tuer en duel au premier acte dota Jeunesse du roi Henri, mais jamais M. Simon n'eut l'occasion du'iliser sa belle voix de baryton. Enfin le voilà reconnu comme chanteur. Il a pu ce soir nous barytonner tout à son aise la partition de M. Gregh.
Parmi tous les débutants, personne n'a voulu reconnaître M.Colleuille, qui s'est fait une spécialité des rôles presque muets et dont l'astrologue sourd et gâteux du Voyage dans la Lune fu\ la principale création. Les auteurs du Présomptif' l'ont fait parler : ce n'était plus Colleuille. Que dis-je? Ils le font même chanter.
Est-ce dans l'espoir d'assurer la pluie pour toutes les représentations du PrésmnptiJ"f
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rûnHESi'nxitAME
9 juin.
Je reçois la lettre suivante que j'insère sans y changer un mot :
7 juin.
«. Monsieur le Rédacteur,
» Voulez-vous me permettre de vous prendre pour confident do la petite déconvenue que j'ai éprouvée hier soir) -Ce n'est pas au critique que je m'adresse: là où il n'y a rien, le diable perd ses droits ; mais au Monsieur de l'Orchestre, c'est-à-dire au confrère de tous ceux qui prennent place dans une salle de spectacle.
» Ne sachant, hier, comment occuper ma soirée par un temps aussi pluvieux, et après avoir consulté le programme des théâtres qui devient plus court, hélas! de jour en jour, je me suis décidé à tenter une excursion du côté de l'ex-place du Chàteau-d'Eau... au Théàtre-Déjazct !
" Vous me direz peut-être qu'on ne va pas au théâtre Déjazet ? - C'est possible, mais j'avais pour excuse la pluie et la pénurie des spectacles.
» Donc, je prends un fiacre, à la grande indignation du cocher (j'habite le quartier de l'Europe), et, cahin caha, j'arrive à huit heures et demie place de la République !
>» On commençait à allumer le gaz qui me permit de distinguer une foule... de trente à quarante personnes faisant la queue. De huit heures et demie à neuf heures, j'attends patiemment l'ouverture des...
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non, pardon, dit bureau. Enfin, les portes s'ouvrent; je me précipite et prends un fauteuil moyennant a ou t francs, je ne me souviens pas au juste. Il faut croire que le fait avait quelque chose d'insolite, car le con« trôleur m'accompagna lui-même jusqu'à la place qu'on me destinait; je m'assis, très flatté de cette marque d'attention que j'attribuais à une sympathie aussi respectueuse qu'instantanée.
-> Une chose m'avait bien un peu étonné: avant de me quitter, le contrôleur m'avait remis un petit bout de papier sur lequel était inscrite la somme par moi versée : «» Gardez-le soigneusement », m'avait-il dit, puis il avait disparu.
» A force de réfléchir à cet incident, je finis par me persuader que l'administration du théâtre, ayant affaire à d,'s bourgeois économes et rangés, voulait préparer l'apurement de leurs livres de dépenses; puis, trois violons ayant entamé une brillante ouverture, je finis par oublier l'incident.
» ( a toile se lève : après un dialogue insignifiant entre deux personnages de la pièce, je vois apparaître un troisième personnage qu'on me dit être le directeur du théâtre; il se mêle à la conversation des personnages en scène et l'acte s'achève tant bien que mal.
» Mais à peine est-il terminé que la toile se lève de nouveau, et que le monsieur qu'on m'a dit être le directeur, s'avançant près de la rampe, prononce textuellement ces quelques mots; « Mesdames et Mes>» sieurs, j'ai l'honneur de vous faire savoir que vous » n'êtes pas suffisants pour payer les frais de la salle. » Je ne vous en remercie pas moins. »
>» Croyant à une intermède comique, le public applaudit en riant, mais les physionomies changent lorsque le gaz commence à s'éteindre et que les malheureuses ouvreuses, pénétrant dans la salle.
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annoncent aux spectateurs qu'il faut réellement quitter la place.
» Les employés sont dans la consternation: ils reçoivent tète basse les apostrophes du public peu nombreux mais indigné. C'est alors que je comprends l'utilité du petit papier que j'avais heureusement conservé.
» Je rentre dans pies fonds et, tout eu sortant, un peu ahuri, j'interroge les gardiens de la paix de planton, afin de m'assurer que je ne me suis pas trompé, car un moment j'avais cru me trouver barrière du Trône, à la foire au pain cl epices.
» Après avoir hélé une demi-douzaine de cochers, je finis par en trouver un qui, moyennant un bon pourboire, consent à me reconduire chez moi où j'arrive une heure après,
Honteux et contus, Jurant, nuis un peu tard, qu'on ne m'y prendrait plus.
» Veuillez excuser ce long bavardage. En l'insérant, vous év itérez à plus d'un infortuné pareille mésaventure, et vous aurez bien mérité des mortels assez imprudents pour se figurer qu'au Théàtre-Déjazet: « Tout est au plaisir ! .>
» Veuillez agréer, Monsieur, etc.
» U.N DE VOS LECTEURS LES PLUS ASSIDUS. >'
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LES SOIREES PARISIENNES
VXE l'IÉCE X(H VEt.LE
10 juin.
M, Emile Rochard vient de prendre la direction de l'Ambigu. Ce jeune directeur s'étant surtout fait connaître par la mise en scène somptueuse et habile de plusieurs grandes féeries, on a pu croire un instant qu'il allait changer le genre de son nouveau théâtre, renoncer au drame et verser dans la pièce à spectacle. Les quelques critiques qui, au nom de l'Art, se sont faits les gardiens vigilants du vieux mélo, quitte à se livrer à un éreintement en règle toutes les fois qu'on leur en sert un nouveau, les vieux bonzes de la « croix de ma mère » s'apprêtaient déjà à lancer leurs foudres de salon sur le jeune Emile, lorsqu'on a appris par les journaux que rien ne serait changé à l'Ambigu. M. Rochard ne songeait pas une minute à remplacer le drame par l'opérette.
Il cherchait même un drame pour ouvrir.
El,'n'en trouvant pas d'inédit, il se décida pour Un Drame au J'ond de a mer, pièce de M. Eerdinand Dugué, jouée, non sans succès, aux Nations de M. Castellano.
Une reprise !
Il est évident que M. Rochard avait rêvé un début plus éclatant.
Aussi expédia-t-il aux Echos des théâtres de divers journaux une note annonçant que la pièce de M. Dugué, jouée deux cents fois aux Nations, serait modifiée si profondément que personne ne la reconnaîtrait. Ce n'était plus une reprise, c'était une pièce nouvelle. Pour prouver ce qu'il avançait, M. Rochard devait
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jl IX J<N{
même prier M. Dugué de lire son oeuvre à ses nouveaux interprètes.
La lecture a eu lieu en effet.
Et elle a été précédée d'une série de scènes qui méritent d'être racontées.
A force de vouloir faire croire aux autres qu'il allait jouer une pièce nouvelle, M. Rorhard a fini par se persuader lui-même que le Drame au fond de ta mer lui était absolument inconnu.
Le jour où M. Dugué est venu pour lui causer de la reprise de sa pièce, il Fa reçu en s écriant:
-. Eh! bonjour, mon cher Dugué, j'espère que vous venez m'apporter un drame)
- Mais vous savez bien...
- Non, je ne sais rien. De quoi s'agit-il >
- De mon Drame...
- A la bonne heure, pour l'Ambigu. Bravo! Asseyez-vous donc et racontez-moi votre affaire...
- C'est... vous savez bien... le Drame au fond de la mer...
- Parfait... bon titre... On voit tout de suite que ce n'est pas une opérette...
Et puis c'est original. Jusqu'à présent, les drames se passaient invariablement dans des décors connus d'avance: salons, mansardes, prisons, parcs, forêts, cavernes, tavernes, carrefours, bals publics, tripots; rien d'imprévu ; tandis que chez vous... le fond de la mer..., ce n'est pas banal. J'ai envie de faire construire un aquarium monstre qui prendra toute la scène... on y mettra de la vraie eau de mer... le public pourra goûter pendant les entr'actes... J'y ferai nager de vrais poissons qu'où mangera le jour de la centième.. * Qu'en dites-vous*
- Ce sera bien difficile.
- Pourquoi)
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- En admettant que vous trouviez des artiste-, capables de se promener au fond de cet aquarium pendant toute une soirée, l'épaisseur du verre empêchera le public d'entendre mon dialogue. D'ailleurs, vous savez bien que mon drame se passe dans des salons...
- Ilcin) Des salons! mais non, je ne sais pas... Et le fond de la mer? Est-ce qu'on ne le voit pas ?
- Mais si... Nous avez donc oublié... les scaphandres)
- Vous avez des scaphandres ? Que ne le disiezvous tout de suite! Cela me décide! On n'a jamais vu de scaphandres au théâtre.
- Pardon...
- Jamais, vous entende/, jamais! Votre pièce est reçue... lisez-la moi.
- Vous voulez)...
- Simple formalité, les scaphandres me suffisent. Et M. Rochard écouta la lecture du Drame auj'ond
de la mer, tour à tour ému, versant d'abondantes larmes, égayé, riant aux éclats, intrigué, étonné, impatient de connaître le dénouement.
Quand M. Dugué eul fini, Rochard le serra sur son coeur.
- (''ailes copier les rôles bien vile, lui dit-il, aprèsdemain nous lisons aux artistes.
- Est-ce bien utile)
- Comment, si c'est utile) A-t-ou jamais donné une pièce nouvelle sans la lire aux artistes ) , ,??
s Et M- .Dugué la lut.. Lc;S> nouveau* pensionnaires dé I Ambigu , quiy.lous. la connaissaient, quelques-uns pour l'avoir jouée pendant plusieurs n\ô.is, ('.écoulaient d'une oreille distraite. Les,effets ,ue se produiraient pas. "??,... , ,.,
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juix 3*5
- Vous voyez, dit M. Dugué à Rochard, que ce n'était vraiment pas la peine.
Et Rochard répondit :
- Ne soyez pas nerveux. Mauvaise lecture, bonne première.
Et quand ce fut fini, le directeur fit cette suprême recommandation aux interprètes:
- Surtout, Messieurs, pas d'indiscrétions au dehors. Il ne faut pas qu'on sache que nous aurons des scaphandres!...
LES TllOtS hEYIXS
il juin.
Les Trois Devins de la Renaissance ont cela de particulier qu'ils sont quatre.
Un de leurs auteurs, M. Albin Valabrèguc. en avait déjà fait la remarque à son collaborateur Alfred llcnncquin. Mais ce dernier lui répondit assez judicieusement ceci :
- Mon cher ami. les Trois Mousquetaires de Dumas étaient également quatre, ce qui n'a jamais nui à leur succès, au contraire!
Jfuisjienncquin se remit assoit piano pour achever la ronde qui termine,le prernier. acte et, qu!cn cxçcy^ le ni. mu siçi e n qu'ilest;; l'aulcu rdu.Procès, Veaur adieu X; a transcrite d'après un fort joli chant, national que l'on roucoule dans son pays, enBelgiqufJ. ,.;: -{ /.: j[ 5.Là;s'est bornéc,d ailleurs l'incursion du librettiste; sur le uomainè de son compositeur,,M.,Okolouicv,
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(Edouard). Sinon, M. Okolowicz (Anatole) ne serait pas à l'heure qu'il est directeur de l'Ambigu.
Je m'explique.
La famille des Okolowicz est fort nombreuse, M. Okolowicz père n'ayant pas engendré moins de vingt-six enfants dont plusieurs disparurent dans de? aventures diverses.
Il en reste néanmoins un stock assez important dont font partie MM. Anatole et Edouard Okolowicz. qui ontl'un pour l'autre un dévouement fraternel sans bornes.
Anatole est directeur; Edouard est musicien. Mais si Edouard n'était pas musicien, jamais Anatole n'eût songé à cire directeur, car ce n'est que pour faire exécuter les partitions d'Edouard qu'Anatole s'avise de temps à autiv de prendre un théâtre.
Il en fut ainsi aux Menus-Plaisirs où Anatole fit jadis représenter Madame Grégoire et les Boussigneul, parce que la musique insérée dans ces deux oeuvres était d'Edouard.
On juge de la joie d'Anatole lorsque plus tard M. Ilccquard, le choisissant pour administrer en son nom la Renaissance, le mil à même de recevoir toulc la musique d'Edouard. Celle joie, hélas! fut de courte durée, car il dut bientôt renoncer à ce projet. On cu< soin de dissimuler sous des prétextes polis la défiance qu'inspirait le chantre inspiré de Madame Lciglumé. On préféra te Verligo et la Clairon.
Edouard pourtant avait à pep près achevé sa parution des Trois'Devins, ci Anatole préféra quitter le théâtre plutôt <;ue rie faire faire antichambre à la musique d'kdouaici.
H *;c jura, tou!. en secouant !a poussière de ses souliers sur le c^uil de la Renaissance, qu'il monterai» quand même l'opéra-comique de son frère
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Serment sympathique et solennel, mais bien difficile à tenir.
Car, pour mettre les Triis Devins en répétition, il ne suffisait pas de quitter une direction, il fallait en reprendre une autre.
Où trouver un théâtre pour la musique d'Edouard) Anatole songeait déjà sérieusement à en faire construire un exprès, lorsqu'on lui abandonna généreusement l'Ambigu pour la période caniculaire.
C'était bien quelque chose, mais ce n'était pas encore tout. Le théâtre ne pouvait aller sans commanditaires.
Ce ne fut qu'un jeu pour Anatole qui. pourarr'veà faire entendre une partition d'Edouard, te montre toujours tellement persuasif qu'il trouverait de l'argent jusque dans le pas d'un cheval d'omnibus. Du reste, il y a longtemps qu'Anatole a su former une véritable légion d'admirateurs d'Edouard,* qui. de même que lui, sont prêts à tous les <-acrifice^.
C'est grâce à ces apôtres que le directeur momentané de l'Ambigu a pu nous montrer des décors et des costumes d'un luxe très suffisant pour la saison.
C'est également grâce à eux qu'il a pu improviser une troupe et engager comme étoile Mlle Desclau/as qui n'a jamais tant joué l'opérette que depuis qu'elle est au Gymnase.
L'excellente pensionnaire deM. Koning a été l'objet d'une ovation qui l'a tout à fait interdite. Elle venait de bisser ses premiers couplets lorsque quelqu'un lui a passé, par lavant-scène de gauche, un petit chariot doré surchargé de fleurs, tandis que, de droite, un bouquet lancé d'une main sûre menait tomber à ses pieds. On s'expliquera sans peine létonnement d'une artiste aucsi parisienne que celle-là en présence de
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3>ÎX LES SOIRÉES PARISIENNES
manifestations inspirées par les usages de province.
Elle pouvait se croire subitement transportée au théàlre national de Carpcntras.
Auprès de Desclauzas et du baryton Alexandre, son ancien camarade de la Renaissance, tout heureux de lui redonner la réplique, se présentait une jeune apprentie diva, Mlle Bérangicr, à peine entrevue, à rOpéra-Comiquc, par quelques auditeurs qui ne s'en souviennent plus, et qui faisait parconséquent, ce soir même, ses véritables débuts.
Ceitenouvclle chanteuse d'opérette fit surtout parler d'elle à l'occasion d'un scandale qui cul lieu aux derniers concours du Conservatoire. Le public, trouvant qu'elle n'avait pas été récompensée selon son mérite, prit violemment parti en sa faveur et alla jusqu'à siffler le jury.
Pendant la représentation de ce soir les spectateurs de l'Ambigu, chaiges de prononcer en dernier ressort, m'ont paru rendre justice à la compétence et au jugement des hommes distingués qui composaient le jury de la rue Bergère.
Parmi les autres interprètes, nous retrouvons M. Courtes, un artiste attaché à l'immeuble, un pilier de l'Ambigu où il jouera décidément tous les genres - sans en excepter un seul. Un débutant, M. Iluguenet, arrive tout droit de Bruxelles. On l'appréciait beaucoup, paraît-il, au pays de la contrefaçon.
Côté des petit » rôles, on a lorgné, avec une certaine prédilection, une gentille petite personne, Mlle Buisson, alerte, pimpante et très coquettement habillée.
Après la chute du rideau, MM. Okolowicz frères se sont retrouvés sur la scène, émus et prêts à se jeter dans les bras l'un de l'autre.
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JUIN *M<ï
- Eh bien, Edouard, a demandé Anatole, es-tu content)
- Et toi, Anatole, a riposté Edouard, es-tu satisfait)
- Oui, Edouard, et la preuve, c'est que je te commande une autre'piècc pour mon prochain théâtre.
M 11' hlCllAI\D ET LA POLITIQUE
16 juin.
On a lu, dans le Figaro de ce matin , la nouvelle suivante :
Un racontar de la Coulisse :
L'autre soir, au dernier acte deSapho, Mlle Richard a manqué son entrée. Elle a été mise à une amende de ,oo francs.
On raconte que l'émmentc artiste était dans sa loge à potincr tranquillement, ayant à sa gauche ur. député rouge écarlate et à sa droite le frère d'un sénateur très haut placé dans l'intimité des amis de la Charte de 1H30.
C'est ce qu'on appelle pratiquer la politique de l'équilibre national.
A première lecture, cette information n'a rien de bien particulier. Unecntrée manquée. 500 fr.d'amende à une personne qui gagne quarante ou cinquante mille francs par an, ce n'est pas très palpitant. Impossible de se passionner à propos de cela, n'est-ce pas)
22.
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.«>'- i> Mi-rti:i:s PARISIENNES
Eh bien, si ! Mon camarade Prôvel n'a pas tout dit. Au fond celte nouvelle est, au point de vue politique, la plus importante peut-être qui ait éclaté sur Paris depuis le coup de foudre parlementaire du 16 mai
.877.
Et la preuve, c'est qu'elle a causé une véritable consternation dans le monde politique. Je sais bien que la Bourse ne s'en est guère émue jusqu'à présent, mais c'est qu'elle ne connaît pas encore le dessous des cartes.
Voici ce dont il s'agit.
Comme vous l'avez remarqué, ce sont deux hommes politiques qui se sont rencontrés dans la loge de Mlle Richard, à celte représentation désormais mémorable de mercredi dernier: un député très radical et Icfrèred'un sénateur centre droit, centre également droit lui-même.
Ce n'était pas là une rencontre fortuite.
Depuis l'ouverture de la session, certains membres du Sénat se retrouvaient, eux et leurs coreligionnaires, avec certains membres de la Chambre des députés. Ces entrevues étaient fort régulières; mais il ne s'y trouvait jamais à la lois que deux personnages politiques et toujours de camps opposés. C'étaient tantôt un monarchiste et un bonapat liste, tantôt un bonapartiste et un républicain, ou bien cncoie, tomme l'autre jour, un radical et un homme de juste milieu.
Tout d'abord, une fois auprès de Mlle Richard, on causait négligemment de choses banales et indifférentes:
- Le temps est beau pour la saison.
- Sénateur, vous avez raison... Pourtant, hier, j'ai craint la pluie.
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JUIN 30t
- Ellepeut venir encore... Nous sommes près d'une nouvelle lune.
- Ça va bien ici, ce soir)
- On ledit recette superbe à cause des étrangers.
- Dereims est en voix.
- Et Gailhard donc jour ne pas parler de la
Krauss !
Puis, la conversation tournait. Après s'être ainsi parlé pour ne rien se dire, on abordait bientôt la question politique à l'ordre du jour... la grosse, l'unique question :
La question de la Revision.
Car c'est la Revision qui, avant de réunir lotis les sénateurs et tous les cl iputés en une grande assemblée nationale, en un seul et même congrès, les réunissait partiellement, deux par deux, dans la loge de Mlle Renée Richard.
Pénétrée des exigences rationnelles d'une excellente constitution, Mlle Richard, à la faveurde ces petites séances préparatoires, se chargeait de rétablir la concorde entre les groupes, d'entraîner les fnclécîs, de soutenir les faibles, cie rapprocher les centres. Son organe, doux et caressant, ^on regard persuasif, son aimable sourire opéraient des inîrccîes. En la quittant, des hommes se serraient !a main qui se regardaient en chiens de faïence avant d'être entrés chez elle.
Naturellement, pour ne point faire naître les soupçons, on ne s'exprimait qu'à demi-mots, en termes voilés, aucun nom n'était prononcé. Pour désigner les personnalités dont il fallait s'entretenir, on avait recours à un vocabulaire de convention qui ne pou-
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302 LES SOIREES PARISIENNES
vail paraître suspect à l'Académie nationale de musique.
Exemple: Quand on parlait du bémol, on savait qu'il s'agissait de M. Grévy.
De même, pour Gallilïet, on disait le Maître de ballet ;
Pour Ecrry, le Chef d'orchestre ;
Pour Naquct, le Do naturel ;
Pour d'Aumale, le Machiniste:
Pour Tirard, la Grosse caisse ;
Pour Waldeck-Rousseau. la Pause :
Pour Raynal, le Timbalier ;
Pour le général Campcnon, le Chapeau chinois ;
Pour Poubelle, la 'Boite à violon;
Pour Wilson, le Souffleur ;
Pour Jules Simon, le Soupir :
Pour Ereycinet, le Troisième dessous:
Pour Paul de Cassagnac, la Batterie:
Pour Ilébrard, le Temps:
Pour Brisson, ['Avertisseur :
Pour le prince Victor, la Clé de seul ;
Pour le prince Napoléon, Louis.
VA ainsi de suite...
Cela marchait très bien. Déjà, il étaitaisé de prévoir qu'on arriverait à une entente générale et que du futur congrès surgirait un imprévu permettant enfin de redonner une grande actualité au chant fameux :
O RiclurJ f ô mon roi !
Mais cette entrée manquée a tout perdu. Le vaste complot mené si habilement par la jeune cantatrice de l'Opéra est aujourd'hui découvert.
M. Vaucorbeil vient de sauver la Réplique pour cinq cents" francs.
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Jt IN <OJ
ïElitMOXlE
19 juin.
Sur le point de quitter la direction de la Porle-SaintMartin et avant la clôture du théâtre, qui aura lieu d'ici quelques jours, M. Derenbourg a voulu procéder à l'installation solennelle de son successeur: M.Mavcr (de Londres).
Si M. Mayer (de Londres) avait été un directeur ordinaire, M. Derenbourg se serait contenté de le faire asseoir sur le fauteuil directorial; il lui aurait remis le carré des loges, la clef de communication et lui aurait dit le plus simplement du monde :
« - Cher Monsieur, vous êtes chez vous! »
Mais M. Mayer étant de Londres, c'est-à-dire Anglais, le directeur sortant de la Porte-Saint-Marlin a organisé une cérémonie anglaise dont voici le compte rendu très fidèle :
Ce matin, lorsqu'on a signale l'arrivée de M. Mayer (de Londres), M. Derenbourg, s'adressant à ses employés, leur a dit :
- Rangez-vous en club autour de moi !
VA les employés n'ayant pas compris tout d'abord, M. Derenbourg leur a répété:
- Eh bien ! oui, en club... encercle!
Pour la circonstance, on avait fait revêtir au personnelles costumes d'Anglais de fantaisie confectionnés par M. Paul Clèves pour la reprise du Petit Faust.
Quand M. Mayer (de Londres)entra, il putse croire à Piccadilly ou à Ilyde-Park, et une émotion très vive s'empara de lui lorsqu'il entendit l'orchestre entamer le Godsave the Queen.
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It^ MMIO » s l'A'IIMENM-.*-
Il esquissa un petit salut.
- Ilip, hip, hurrah! crièrent par trois fois les employés, excités par leur ex-directeur.
Puis, M. Derenbourg s'avança et adressa à M. Mayer (de Londres) le petit speech que voici :
« L.tdies and gentlemen,
» Good morning, sir. Very rail, very r'cll ! Beautiful, indeed. \\ "illyou Kiss-me ? Business, thaï is thequestion ! Giveme some bread.Xubian cirage,Jurnishcd appartment, to be or nol lo be. Manager of /*orte-SainttMarlin, Jixcd price, national exhibition, gold mcdal. Volez vô iocr avec moà Y »
L'orchestre ne laissa pas à M. Mayer (de Londres) le temps de répondre une seule parole: il exécuta le Rule Britannia avec une maestria remarquable.
Quand ce fut fini, M. Derenbourg passa aux présentations du personnel. Il avait appris quelques mots d'anglais à tout le monde.
Le chef d'orchestre s'avança tout d'abord. Il s'inclina devant M. Mayer (de Londres) en disant :
fMiousic, miousief
Vint ensuite le caissier. Il s'inclina également en déclamant d'une voix forte--
forte-- is moncy !
Le régisseur s'écria :
- Regent-slrcel, Regenl-slreet ' Le contrôleur:
- Ticket, ticket ! Le ga7Îer:
- F ire, (ire, ftre ! I e costumier :
- OldEngland! Le limonadier :
- Pate-ate, halfand half. stout an J porter ! Enfin, le municipal :
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JUIN 375
- Iforse-guard /
M. Mayer (de Londres) resta étonné, mais content. 11 avait dû saluer après chaque présentation et commençait à souffrir de la chaleur, il pensa à se rafraîchir et se pencha vers l'oreille de son prédécesseur.
- Water closel't interrogea M. Derenbourg avec mystère.
- Non, répondit M. Mayer (de Londres), au contraire, boire !
- Ah! fit M. Derenbourg, lo drinh! Luncheon-bar!
- Comme vous voudrez.
Le directeur démissionnaire appela le garçon de bureau :
- Five o'clochiea ! commanda-t-il.
El peu d'instants après, on servit à M. Mayer (de I.ondres) du thé bouillant avec des sandwichs
L'orchestre joua le God saie the Queen et le Rule Brt'lannia habilement mélangés, après quoi M. Mayer (de Londres) ayant demandé une voiture :
- Mail coach! mail enjeh! cria M. Derenbourg au machiniste qui s'empressa de filtre avancer un fiacre.
Le nouveau directeur se jeta dans les bras de l'anrien et on l'entendit qui mut murait en s éloignant:
- La réception a été cordiale, r.»ais comment vaisie me faire comprendre de tous ces gons-Ià ?
LIQUtDATIOX DE t'IX D'ASXÉE
23 juin
Il y a des premières qui n'en sont pas. Celles de ce <oÎ!\ à t'Opcia-Comique, n'en faisaient certes pas un^
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yt<, LES SOIRÉES PARISIENNES
à elles trois. On connaît les causes de ces solennités sans importance, qui se reproduisent tous les ans à pareille date. De parle cahier des charges, la direction est tenue de faire représenter un certain nombre de pièces en un acte par saison. Certes, M. Carvalho ne demanderait pas mieux que de nous offrir, en plein hiver, un nouveau Chalet, de nouvelles Xoces de Jeannette ou d'autres petits chefs-d'oeuvre dignes de son répertoire. Malheureusement, on néglige, jusqu'à présent du moins, de lui rien apporter de semblable. Les compositeurs en vogue ne veulent plus s'atteler qu'à de grandes partitions, et ceux qui consentent à en faire de plus petites ne sont pas en vogue, lien résulte que les représentations comme celles-ci rappellent forcément ces liquidations périodiques dans lesquelles les grands magasins de nouveautés écoulent les coupons (bouts de pièces) restés pour compte.
M. Carvalho aurait même pu disposer ainsi son affiche d'aujourd'hui:
SOLDES D'ÉTÉ
LUNDI 2j JUIN
SpeCtâCle COUpé en quatre pièces (grande largeur) dont trois entièrement neuves, couleurs locales variées, articles pour familles, fillettes et garçonnets.
Un lot de livrets inédits provenant de jeunes auteurs dramattq'ucs,,tIo/niéun'tsbui;; M.lTOrre Barbier, n'est pas tout à fait inconnu du public, en sa qualité de fils de son père (M. Iules Barbier, collaborateur de féù Michel Carré).J liV(: ^ - ^.am.. .-JU U V l)
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Jtfiv 1Q7
Partie Carrée partition cubique de M. Lavello, compositeur d'avenir qui n'a guère plus d'histoire que M. Auger Delassus, son librettiste, ne s'étant produit qu'au Casino de Eorges-les-Bains et en Algérie, où il fit représenter, au grand ahurissement des Bédouins, un opéra en 5 actes, tes Chevaliers de Malle. Propriété exclusive de la maison. Cependant, M. Cazeneuve, compositeur d'une autre Partie Carre'e, a fait défense à la direction, ce soir même, par commandement d'huissier, de faire usage du titre. La maison, désireuse de satisfaire sa nombreuse clientèle, a passé outre.
Coupes, COUpOnS et morceaux détaches de Partie Carrée, duos, airs et couplets chantés par la charmante Mlle Dupuis, une coquette senora espagnole, par MM. Herbert et Maris.
Au Comptoir du « Portrait ». Rabais de 3o à
40 0/0 sur toute la musique défraîchie.
En-CaS pour Casinos, article de bains de mer, entièrement cousu de fil blanc : le Baiser, facile à monter, même en voyage. Pouvant se nettoyer; orné de musique facile. Partition (pour enfants de 5 à 8 ans), par M. Aldophe Deslandres, organiste à Sainte-Marie des Batignolles (Priez pour lui!), qui fit représenter une première oeuvre, jadis, à l'Athénée-Martinet. Passe pour excellent musicien quoique second Prix de Rome. Son collaborateur s'appelle Henri Gillet (vestes, vestons d'appartement, coins de feu, robes de chambre, etc.).
Un lût d'interprètes de M. Adolphe Deslandres. Valeur réelle : MM. Berlin, Labis, Aimes Molé-Truffier et Adèle Rémy. Rabais sérieux.
2î
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.O/* LES SOIRÉES PARISIENNES
Enclume de Georges Pfeiffer, compositeur apprécié pour son répertoire de musique de piano. Maestro encore jeune (quarante ans à> peine) et assez fortuné (associé de la grande maison Pleyel, Wolflf et Cie).
Article reCO/WWafl(/é, superbe basse profonde : Belhomme. Organe unique, incomparable pour faire résonner YEnclume. Ecrase sans peine petites voix du ténor Mouliérat et de Mlle Vial. Distribution dépareil" lée donnée pour presque rien.
Occasion inespérée i Le même spectacle coupé sera encore donné deux fois avant la clôture, fixée au 30 juin courant.
xors ALLOXS nironcEn. - ox CASSEHA nu SUCHE
L'année théâtrale finit en queue de poisson. Après les avortements successifs des directions temporaires delà Renaissance et des Menus-Plaisirs, voilà qu'un nouvel imprésario, le quarante-quatrième delà saison d'été, vient de rouvrir le théâtre du boulevard de Strasbourg, récemment fermé pour cause de malheurs judiciaires.
M. Lemonnier n'est pas un inconnu pour le public des petites premières. Cet entrepreneur se présente de loin en loin, assisté d'une nombreuse famille où chacun, petits et grands, se rend utile, sinon agréable. Le père dirige, la mère joue, les enfants figurent à l'occasion, tandis que les oncles, les tantes, les cousins et cousines s'occupent tant bien que mal.
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jiiN 399
Le dernier venu, M. Stephen Lemonnier, vient de faire ses débuts comme auteur dramatique en fournissant le spectacle d'ouverture : cinq actes, dont quatre de comédie, et une petite Revue.
La comédie, Nous allons divorcer, a été embellie par le chef d'orchestre, M. Georges Rose, d'une musique d'entr'acte extraordinatrement variée : les flonsflons s'y mêlent à la mélodie wagnérienne avec un art qui fait la joie du public. On a bissé une polka et acclamé une sorte de De projundh de l'Avenir, Le succès de cette partie musicale a beaucoup nui au dialogue, vu l'obstination des spectateurs à ne s'amuser que lorsque la toile était baissée.
En revanche, la revue-miniature, On cassera du sucre, a été plus gaiement accueillie grâce à l'appoint de petites femmes qui ont chanté faux, selon les règles de la bonne tradition. Cependant, la scène dans la salle a paru bien fade, après celle que le public avait faite lui-même pendant les entr'actes.
A signaler, comme élément gracieux, la réapparition de Désirée - Désirée des Variétés? - Ellemême : un peu boulotte, mais encore agréable à regarder, surtout auprès de cette brave dame qui, affublée à l'antique, est venue chanter un interminable rondeau politico-philosophico-littéraire qu'on a accueilli sans trop d'enthousiasme.
Il serait superflu de s'étendre plus longuement sur une réouverture de ce genre.
Souhaitons seulement à M. Alphonse Lemonnier que sa famille, qui peut déjà lui donner un personnel administratif, des artistes et des auteurs dramatiques, s'augmente encore de façon à lui fournir quelques spectateurs.
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-lOO I-ES SOIREES PARISIENNES
Et maintenant je crois bien qu'il n'y aura plus de nouvelle première d'aucune espèce avant le renouveau de la saison théâtrale. D'ici peu de jours, avec la fermeture du Palais-Royal, la saison parisienne sera définitivement clôturée. Artistes et spectateurs vont essayer de se refaire, de reprendre des forces pour l'hiver à venir. Les directions d'été elles-mêmes auront fini leurs essais. H ne me reste qu'à dire < au revoir » à mes chers lecteurs et à afficj*irr^*tïme les théâtres parisiens : /J;x ~ ;\
REEACIIE JUSQU'AU l*r SEPTEMBRE.
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TABLE
DES
NOMS CITÉS DANS L'OUVRAGE
A
Abadie, 374.
About (Edmond), 27.
Achard, 340.
Adam, 146.
Adam (Mme Edmond), 4;,
Adler (Mme), 92, 9}, 99,
122. Aguado (le vicomte), 20S. Aicard (Jean), $6, 57, 58,59,
61, 120,137. Albani(Mme), 23$. Albertinos (les frères), 21 S. Alexandre, 17:, 388. Alphand, 4$. Altès, 213,
Ambre (Mme Emilie], 377. Amel (Mlle), 3. Anthionie, 102,163. Antiochus, 337. Arall (Mlle Blanche), 275. Arban, 23.
Araault (Mlle Juliette), 15S. Auber, 17, $0. Aubernon (Mme), 8>. Audraa, 305.
Augier (Emile), 57, 58, 146, 207, 208, 210, 212, 230,
Augier (Mme Emile), 208. Auguez, 373. Auguste, 242. Aumale (te duc d'), 392. Avril, 51.
B
Barbier (Jules). 241, 396. Barbier (Pierre), 241,396. Barbot (Mlle), 215, 216, 217. Barnold (Mlle), 197. Baron, 95. i$3> î«5. Bartet (Mlle), 182, 183. Baudelaire, 79. Baudu, 89. 273,355,358. Bas SaintAves, 277.
23-
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V*4
TAULE
Beaumaîne (Mlle Juliette), 98. Beaumont (le marquis de),
2oS. Beaumont (Mme la marquise
de), 2oS. Belhomme, 28, 32, 398. Bellini, 164,165. Benassit, 31. Bérander (Mlle}. 588. Béraud (Antony), 69. Bérette (Mlle), 24. Berlioz, 12, 2>o. Bernard (Mme), 377. Bernardi (Mme), 377. Bemhardt (Maurice*. 314. Bernhardt (Mme Sarah), 2,9,
">, 5»» S7> 65,66,71,72,
73, 74» 18»» 182, 242,
278» 5'5. 3U> Ï4ï» >4>,
546, 347» Berthelier, 41, 1S6, 514, 35 t. Berthou (Mlle), 226. Bénin,597. Berton, 272. Bertrand, 34,94,97, 140,315,
328,338, 339. BCvalet (Mlle Cécile), 103»
177. Bibb, 26S. Billion, 374. Biot(Mlle), 213. Bis, 113, 115. Bischoftsheini, 117, 20S. Bisson (Alexandre), 359, 360,
361,362. B'uct (Georges), 16, 316. Blanche-Marie (Mlle), 377. Bloch(MI!e Rosine), 235. Blondeau, 282. Bonaparte (Napoléon), 287. Boudouresque, 20. Boucheron. 274. Bouchor (Maurice;, 344. Bouchut (le docteur), 208.
Bouyer, 175. Brame, 343. Brandês(MUe Marthe), 34,56,
,,Ï7. 38, 27-*. 273.
Brasseur, 40, 41, 42, 106, 107, 109, 184, 1S5, 1S7, 188, 258, 305, 307, 353,
372. Brasseur (Albert), 41,186,189,
Brasseur (Jules), 107.
Brazza, 163.
Pressant, 57.
Breton, 38.
Bribes (Mlle\ 28.
Briet, 9, 223, 227.
Briet(G.), 197.
Brindeau (Mlle Jeanne), 180.
Brisson (fuies), 392.
Broggi, 16.
Brolian (Mme Madeleine), 3.
Broisat(Mme Emilie), 3, 45.
Bruck(MI!e Rosa), 180.
Bruneau, 146.
Buguet, 350.
Buisson (Mlle), 383.
Busnach, 176.
Buram(Paul), 108, 274.
C
Cahen d'Anvers, 20$. Cambricls (le général), 43. Camescasse, 45, 128, 129,
362. Camille, 358. Camondo (de), 208. Campenon (le général), 392. Cantin, 89, 152, 153, 154.
Capoul, 374. Carjat (Etienne;, 147. Carmen, 16,19.
------------------------------------------------------------------------
UES NOMS CITES
4*>t
Carnot, 282,283.
Caroa (Mlle), 541. Carpe/at, 46, 215.
Carré, 137
Carré (Michel), 241, 596.
Cartier, 45, 117.
Carvalho, 7, 16, 17, iS, 19,
4>- 46, 47.49» »9», ÏIJ»
5*7» 518,325, 396. Carvalho [Mme Miolan), $1. Castagne (Mlle), 16, 17, 18,
19. Castelar, 126. Castellano, 382. Cassagnac (Paul de), 592, Caylus (Mlle Jeanne}, 275. Cazeneuve, 397. Cellié (Mlle Franchie}, 208. Cerfbeer (G.), 197. Charobéry, 28, 51. Championne!, 117, Chaperon (Eugène), 146, 147,
209. Charme (de la), 20S. Charpentier, 196, 197, 349,
350. 375« Chaulnes (Mme la duchesse
de), 241. ChaumontiMlle Céline), 52S. Chavaine, 94, 530. Cheiu, 197. Chenevard, 146. Chéri (Mme Rose), 54. Chevallier (Mlle), 46. Chivot, 59, 40,108, 121,196. Choler, 251, 252. Christian, 94, 95, 100, 513. Cicéri, 50t. Ctairin, 45.
Clément (MlleMoïna*, 514. Clerh, 236. Cléry (Mlle de), 340. Clèves (Paul), 395. Cloué (l'amiral), 58.
Cobalet, 96.
Cocherie, 162,
Cochery, 362.
Cognïet (Léon), 2S4,
Cohen (Félix). 137, 138, 270.
Colleuille, 211, 578.
Colombier (Mlle Marie], 106,
Cooper, 3îo.
Copin, 146.
Coppée (François), 120, 255.
Coquelin, aîné, 184, 321,522,
523, 324, 525, 562, 363,
564» 565. Coquelin (Cadet), 561, 562. Coquelin (MM.), 361,562. Corbin, 340, 341, Cornalba (Mlle), 198. Cornil, 277. Corot, 4. Corti, 15. 16, 41, 92, toi,
122, 125, 149. Courbois, 284, 544. Courtes, 5 88. Corvi, 162. Corviii (de). 257. Crémieux (Hector), 85. Croizcue (Mlle), 66, 1S2.
D
Dailly, 10.
Damala, 121, 289, 290, 292.
Danbé, 45, 96.
Damien, 550.
Damions, 350.
Parcourt (Mlle).42, 188,258,
239. Daubrav, 221, 227, 228, 323,
524,5$8. Daudoird (Mlle), 241. Davrây (Mlle), 74, 348. Debain, 2S9. Deboy (Mme), 208.
------------------------------------------------------------------------
i°4
TA ME
Debruyere, 88,159» "9*. »93» 194. I9ï. *96» 256, 257. 2*8, 259. 273. 274. 277, 278, 282. 515, 514, 515,
554,355. 5)6, 5)7. 3>S. Debry. 558. Decazes Stackelberg (Mme la
baronne;, 208. Decourcelle (Pierre). 85, 90,
177. Defresnes (Mme), 177. Degenne, Ji6. $17, jiS, 321,
525. Degrandt (Mme), 2S. Delassus (Auger), 597. Delaunay, 516. De'avigne, 117, 50t. Delcroix, 9, 11, 223, 227. Delibes, 8,45,96, 119, 245,
246,247.248,249»316.3*8,
320. Delpit (Albert), 56. Delprato (Mme), 375. Dentu, 334. Dereims, 210,391. Derembourg, 9,74, 169, 173,
278. 5M, 342, 34$, 593,
394,595Deroulede (Paul\ 57, 208. Derval, 168. Deschamps, 576, 377. Desclauzas (Mlle), 74, 106.
5M. 577. 387, 588. Desclee (Aimée), 54, 55. Deshayes(Paul). 105. D&iré, 244. D&iréc (Mlle), 39.;. Deslandes (Raymond**, 34.36,
^ 157» «39». 179» 538» 339Deslandres lAdolphe), 397. Desricux, 106. Détaille, 283. Didier, 98. Dieudonné, 38, 137.
Dinelli (Mlle), 224, 226, 323,
341. Dion-Boucicault, 255. Donizeui, 122,127, 189. Doria (Mlle), 24. Dormeuil, 251. Doucet (Camille), 45,208. Draner, 186. Dubois (Théodore), 2oS. Dubreuil, 10S.
Du'bufe(MmeGuillautne}, 20S. Dutlos (Raphaël), 159. Dugué (Ferdinand), 582, 585,
584, 585. Dumaine, 86, SS, 89, 141,
514. Dumas fils (Alexandre), 53,
54» 55, 56, 57» 58, 45» 66> 67,68,69,70.71,72, 74,
S5» 121,173» 179» 255,257*
254, 509. Dumas pere (Alexandre 1, 66,
158,263, 286, 5S5. Dupin, 117. Duplessis (Marie). 7 5. Duprez, 101, 192, 276, 516,
Dupuis, 94, 96, 99, 271,275,
3*3» 329. Dupuis (Mlle), 597. Durand (Mlle), 562. Durieu, 208. Duru, 59, 40, 108, !2i, 196.
E
Elzcar, 147.
Enncry (d'), 129, 130, 170,
171. '77» 178,236. Escalaïs, 21, 208, 302, 304. Escalaîs (Mme), 208, 302,
304 Escudier, 93. Etienne Marcel, 12.
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DES NOUS CITES
m
F
Falgu'ères, 45.
Farandole (la), 6,
Fargueil, 542.
Faure, ç6, 171,255.
Fay iLéontine), 558,
Fayolle(MUe), 3.
Febvre, 59, 120.
Fecluer.ji.
Félix, 268.
Fellerath (Marie), 150.
Ferrier (Paul), 137, 138, 184,
185, IS?, 238. 270. Ferry (Jules», 592. Fidés-Dcvriés (Mme), 92, 97,
toi, 149. Fîguet (Mlle), 251. Fiocre (Mlle), 208. Floury. 169,170, 171. Fonta (Mlle), 208. Fraisse (Auguste), 548,349. Francés, 540. 541. Franceschi, 208. François, 26. Franconi, 505. Franconi(MM.), 268, 270. Freycinet (de), 392. Fugêre, 28, 32. Fusier, 28, 29,160.
G
Gadot-Rollo,!47Gayarré
Gadot-Rollo,!47Gayarré »32, 125,
124, 125, 126, 127, 155,
164. 165, 189, 190, 208,
227, «76, 325. GaiuWd, 124, 210,232, 591. Gallay (Mlle), 28. Galliffet('e général de), 45Galli-Marié (Mme), 16, 18,
316.
Galipaux, 197,
Garibaldi, 526,
Garmer (André), 5. 572.573Gamter
572.573Gamter 45.
Garoa, 225,
Gaspard, 175.
Gautier, 106,107.
Gautier ( Théophile) ,15t.
Geng, 109.
Gérome, 20S,
Gervex, 45.
Cille (Philippe), 9, 42, 97,
117,516,518,319. Gillet (Henri), 397. Girard (les frères), 218. Giraud, 67. 68, 70. Godard (Mlle), 2 \. Gotuchowski, 208, 212. Gondînet, 23, 76, 78, 79,81,
157» 250, 251, 252. 516,
518. Got, 59, 60, 137. Goudchaux, 70. Gougeard (le capitaine), 58. Gounod (Charles), 45, 207,
209, 213, 217, 229, 230,
254.255. 238,241. Gounod (Mme-, 231. Gounod (Mlle Jeanne), 208. Gouy d'Arsy. 208. Grammont,'î4>. Grandval (Mme la vicomtesse
de), 208. Grange (Mlle), 28. Granier (Mlle Jeanne), 5, 47,
275,314. Grassot, 540. Grassot (Mme), 138. Gravier, 105. Gregh (Louis), 37s, 378. G rémont, 100. Grenet-Dancourt, 24. Grévin, 278. Grévy Jules). 359, 376.
------------------------------------------------------------------------
406
TAULE
Grivot, 46, 96, 97,
Guerne (Mme la comtesse
de), 208, Guiard, 208, Guillard (Léon), 251. Guv d'Arezzo, 289, Guyot-Morfontaine, 97.
H
Hachette, 68.
Halanzier, 45, 215.
Halévv (Ludovic), 45, 117,
20S. Hartmann, 45, 44, 47» Si»
122. Hausmann (le baron), 20S. Hébert, 208. Hébrard (Adrien), 392. HeUbron (Mme Marie), 46,47,
51,96,118,295. Hennequin, 213, 220, 221,
222, 223, 323, 329, 558,
359, 341, 342, 575» 376,
3S5. Herbert, 397. Hervé, 28. 95. Hirsch (Mlle), 28. Honorine (Mlle), 91. Hugo (Victor), 141, 147» 153,
2S8. Hugo (François-Victor), 344. Hugucnct, 588. Humbert, 109. Humberta (Mlle), 275. Hyacinthe, 10,221, 225,225.
I
Invemizzi (Mlle), 28, 52,212. Isaac (Mlle), 16,22, 502.
J
Jacquemin (les frères), 218. Jadin, 208.
Jambon, 209. anin (Jules), 151. Jansen, 289. Janvier (Mlles), 28, Jaucourt (Mme de), 208. Jolly, 540, 541» 542.
Ionathan, 282. oubert, 208. oumard, 171,172. ouy, 115, 115. Ud, I50. udic(Mme), 4, 94, 95,96, 97» 98, 99» "»» 12°» 328, 329. Julien (Mlle Marie), 177. Just (Clément), 514.
K
Kapnitz, 20S.
Keller (Mlle), 28.
Kerjégu (de^, 208.
Kolb ..Mlle .Marie), 284, 285.
Konir.g (Victor), 74, 85, 86,
88/89,90, 166, 168,169,
260, 289, 290, 291, 292,
587. Krauss (Mme), 21,22, 210,
au, 214,252, 234, 237,
2i$. 373L
373L
Labiche, 146, 152, 235, 256,
257» 251, 254. Labis, 597.
Lacoste (Eugène), 124, 255. Lacressonnicre, 171,172, 178.
------------------------------------------------------------------------
l»ES NOMS CITES
40;
Lacroix (Jules), 543Laflrique, 165.
Lafontaine, 74,121, 172,175, Lagrené (G. de\ 159, 160,
I6Ï, 569, 570. Lajarte (Théodore de), 571. Lalauze, 5. Lamartine (<5c), 2lO,w Lambert (Albert), 557. Lami (Eugène), 5. Lanteirés, 26, 28. Lardinois (Mlle), 275. Laroche, 59.
Larochelle, 25, 85, 170, 273. LaRounat, 255, 536. Lassagne, 225. Lassalle, 21,96. Lassouche, 94, 95. 98, 515»
330. Launay (de), 271. Laurent (Mme Marie), 85. Laurent (Mlle Antonia), 284. Lauri (les), 198. Laus (Mlle), 19S. Lavastre, 48, 50, 146, 210,
212,213. Lavigne (Mlle Alice', 10, 28,
52,220,225,525. Lavello, 597. Leblanc (Mlle Léonide), 27,
, 1.59,175.
Le Blant, 50.
Lecocq (Charles), 59, 40, 189,
208, 505. 571. lemonnier (Alphonse), 598,
399Lemonnier (Stephcn), 599.
Léonce, 515. 550. Lepich (Mlle), 212. I ermover, 20. Lesage'(Mlle),38. Lesseps(de), 235. Leterricr, 305, 571. Uvy(A.),49Lén*
Uvy(A.),49Lén* 71. Lloyd (Mlle), 3. Loyal, 154, 268.
Luguet, 221, 222.
Lurcau (Mlle), 22.
M
Macé, 129, 130,178. Macé-Montrouge (Mme), 276. Maês (Mme), 197. Magnier (Mlle Marie), 89,242,
314. Mailly (Mme la comtesse de),
208. Malvau (Mlle), 86,265. Manzotti, 96, 198. Marais, 75, 74,175, 545,546,
347Marcère(de), 45. Marchest (Mme), 191. 208,
351* Maréchal (Henri), 60. Mario, 126,527. Mariquita (Mlle), 170, 171. Maris, 597. Marot (Gaston), 196. Marsy(Mlle), 1S0. Martel (Mlle Nancy), 236. Marthy, 374. Martin, 235. Martin (Mlle), 5. Martin (le contre-amiral), 58. Martinet, 397. Marx (Léon), 354. Massé (Victor), 241. Massenet, 43, 44» 46, 47» »8,
5i>92» 97, 99. 100, 118,
119, 149, 245, 247, 293,
294,295,296,297. Masson fils (Michel), 163. Masson père (Michel), 165. Mathieu (Gustave), 97.
------------------------------------------------------------------------
408
TAREE
Mathitde (Mme), 221,226.
Maihilde (Mlle), 10,121.
Maubant, 29S.
Maurel, 15, 16, 41» 92» 93» 96,99,101, 120, 122,123, 126, 276, 325,327* 372.
Mauri(MUe Rosita), 5, 120.
May (M me Jane), 87,90.
Mayer, 342, 346, 393» 394»
Meigneux, 242.
Meilhac, 9, 25, 27, 42,95»
97»98.U5» »i6,117»/18,
146, 149» 255» 314, 33i»
.JIJ- . Meissonter, 208.
Melchissédec, 374.
Ménier (Paulin*, 171, 192,
193» i94,'95» 196, 257. Mérimée, 16. Messager, 108,109. Meyer(Mlle Milly), 188,314. Meyerbeer, 301. Micheau fils, 107. Michel, 363, 364,365. Millier, 10, 224, 323, 324. Mtllaud vAlbert), 95, 98,
329. Milliet (Paul), 100. Min (H.), 197. Mole (Mme), 397. Molé«Truffier(Mme), 397. Molière, 322, 361. Mois (Robert), 277. Monchanin (Mlle), 212. Mondet, 197.
Monnaie (théâtre de la), 11. Monréal, 282. Montai, 105, 177. Montaland (Mlle Céline), 35S. Montansier (la), 221. Montaubry, 507. Montaubry (Mlle), 208. Montbazon (Mme), 153,
Momigny, 56, 351, 252, 340Montrouge, 276,278. Morlet, 186, 1S7. Mortier (Arnold), 220, 222,
225,525.
Mouchy (le duc de), 20S, Mouchy (Mme la duchesse de),
20S.
Mouliérat, 39S.
Mov net (Paul), 315, 265.266.
Mounet (MmePaul], 214,215,
216. Mounet-Sully, 210, 212, 215,
MulIer(Mlle), 362. Munie, it, 225. Musset (Alfred de), 5'.
N
Najac(de), 9, 558, 539, 341,
542. Nana Sahib, 2, 9. Napoléon (le pnnce), 392. Naquet (Gustave), 392, Narrey (Charles), 117. Nertann, 340. Neuville (de), 349. Nevada (Mlle), 189,190, 191,
192. Nittis (de), 208. Nivet-Grenier (Mme), 21. Noël (Léon), 89. Nordall (Mlle), 550. Nouvelli, 16. Nuittcr, 50. Numa, 11, 225. Numès, 86, 89, 277.
O
Océana (Mlle), 269. 367.
------------------------------------------------------------------------
!>ES NOMS CITES
4<>9
Onenbach, 154,305. Ohnet (Georges), 121, 166,
322, 525. Okolowicz t Anatole), 586. Okolowicz (Edouard), 585. Okolowicz (MM.), 388.
P
Pailleron (Edouard), 4, 146.
Palissy (Bernard de), 289.
Palmer, 268.
Papin (Denis), 2S9.
Parade, 137.138.
Pasca (Mme), 85,86, 87, 88,
89,90,91. Pasdeloup, 210. Patry (Mlle), 284, 514. Paulus, 96, 2 28. Péan (le docteur), 27, 52. Pellerin, 10, 221, 225, 325. Péreire, 45. Perrin (Emile), 45» 57. 74.
178, 208, 216, 217, 551,
565. Persigny(de),55, 54. Pétrescu, 218. Pétrescu (Mme), 218, 252, Pfeiflfer (Georges), 598. Philippe (Adolphe), 129. Philippe (Edouard), 196. Picard, 57. Piccolo, 507. Pierson (Mlle Blanche), 45,
178. 179, 180, 181, 182. Piron (Mlle), 208. Pi«ié(Ie général), 187, 559. Pittacus, 212. Plançon, 212. Planquette, 189, 505. Pleyel, 598. Plunkett, 25t. Poirier, 28.
Poirson, 208, Poisson, 57, 170, Poîignac (le prince de), 20S, Ponson du Terrail, 104, 121,
« %1Ï'
Porel, 257» 543. %
PotocU (le comte), 85.
Poubelle, 592.
Fournies ide), 208.
Pourtalès (Mme de), 208.
Prével (Jules 1, 8, 106, 129,
166, 1S4 1S5, 187, 358,
295, 500 Prévost (l'abbé), 97. Prosper, 551. Proust (Antonîn), 45, 20S,
Q
Quentin, 25. Quidam, 545.
R
Racine, 538. Raimond, 221, 224, 323. Ravelli, 16. Raymond, 11. Raymond (Hippolyte), 81. Ravnal, 392. .Real (Mlle), 256. Reboullaua, 117. Régnier, 215. Regnoul, 118. Reichembcrg (Mlle Suzanne),
45, 59, 6»» 120. Rémy(Mlle),46. Rémy(MmeAdMe), 597. Reszké (Edouard de), 16, lor,
150, 151. Reszké (Jean de), 95,101, 150,
151.
------------------------------------------------------------------------
4to
TAISI.E
Reszké (Mlle Joséphine de). " 149, 150,151» 152. Rêver (Ernest), n, 13,45» Richard (Mlle Renée), 211,251,
589,590, 591. Richepin (Jean), 9, u, 343»
544. Ricord (le docteur), 208, Righetti (Mlle), 208. Riom (Tony), 307. Riquier(Mme Edile), 3, 60. Ritel, 357Robecchi, 170, 186. Rochard (Emile), 382, 585,
584,585. Rochefort (Henri), 147. Roger, 516, 558. Romain, 86, 514. Rose (Georges), 599. Rothschild (le baron de), 16S. Rothschild (Mme Gustave de),
T4>* Roux, 94, 95.
Rubé, 146,209.
S
Sacré (Mlle), 212. Saint-Albin (Albert de), 220,
222, 525. Saint-Arnaud (de), 208. Saint-Germain, 559,540, 541. . Sàînt-Saëris, 15,261, 262. Salfa-Uhring (Mme), 208. Salvayre, 13 i Samarv-Lagarde (Mme), 4. Sânlaville (Mlle), 28,208. Sapin, 20. Sarcey (Francisque), 15 1; 188,
205. 225, 551. Sardou (Victorien), 2, 9, 255,
256. Savenay (Mlle), 172.
Scipion,4i,277.
Scribe, 50, 301,
Séguier, 578.
Ségur (de), 2oS.
Sellier, 28,52, 20S, 574,
Serpette (Gaston), 5» 275,
284. Shakespeare, 54»» 544» 54>. Simon, 104, 176, 285, 378. Simon (Jules), 592. Simon (Maurice), 22, 23, 24»
282,365. SUvain, 297, 298, 299, 300,
301. Siraudin (Paul), 69. Spina (Alexandre), 289. Spinelti (le marquis), 211. Stagno, 525,326, 537. Stanlev, 163. Subra(Mlle), 212. Sujol fils. 164. Sydoons (Mme Sarah), 347.
T
Taglioni (Mlle), 301. Taillade, 147, 148, 155. 177»
285. Talazac, 46, 47, 48, 50. 96,
11S, 295, 516, 517, 575,
Taskin, 46, 96. Tcrvil, 28.
Tcssandier (Ml!e\ 263. Théo (Mme), 6, 7. Thibaut, 109. Thîers, 288.
Thomas (Ambrohe), 123. Tliual, 277. Thuillter (Mlle), 275. Tirard, 392. Titus, 357. Trélat (Mme). 208.
------------------------------------------------------------------------
1>ES NOMS CITES
Ht
TremelU (Mme), 97, 99, 101. Trérooille (la duchesse de la),
2oS, Troubetzkoy (le prince Jean),
20S. Turenne(de), 45.
U
Ugalde (Mlle Marguerite), 40, 41, 121, 275, 507.
V
Vaillant-Couturier (Mme), ,7,
186, 259. Valabrègue (Albin), 24, 157,
158, 270, 375, 576, 3S5. Valda(Mlle), 15. Vallès (Jules;. 147. Vanloo, 505, 571. Vannoy, 171. Van Zandt (Mlle), 7, 8, 51,
96, 119, 228, 516, 518,
519»32i. Vapereau, 214. Varèle(Mllefimmy), 577,578. Varnev, 86, 90,184,187,238,
239*. Vamey(Mme Louis), 238,267. Vasscur(Léon), 274,275,259. Vaucorbeil, 20,95, 123, 127,
20S, 2ii, 251, 3°2» 592. Vauthier, 514. Velléda, 11, Verdi, 15,
Verne (Jules), 170, \jt, 172. Vemet (Mlle), 242. Vernon (Noémîe), 507. Vial (Mlle), 59S. Viardot (Mme Pauline), 20S,
550. Victor (le prince», 592. Vieillot, 6i). Vitu, 96, 189. Vois, 38, Volny, 159.
W
Waldeck'Rousseau, 592. Walder, 130. Weber, 14. Wilson, 592. Wilson(Mme), 186. Wixon (Mlle), 191. Wolff, 598. Wolff (Albert), 245. Worms, 37, 59» 532.
I Zola (Emile), 158, A7$.i}$*-
------------------------------------------------------------------------ ------------------------------------------------------------------------
TABLE DES MATIÈRES
JANVIER
Etrennes d'étoiles i
Echange de bons procédés 8
Le critique voyageur. rt
Ernani 15
Une nouvelle Carmen 16
Expropriation 20
Trois femmes pour un mari 22
L'opéra polymorphe 25
Diane de Lys 33
VOiseau bleu 39
Nation 42
Théâtre à vendre 52
Smilis 56
Autre nuit de noces 61
Reprise de la Dame aux Camélias 65
Un monstre de bonté. 76
Le réprouvé 8r
La Ombotinilre 85
FEVRIER
Hlroiiaàe. - ha Cosaque 92
'Perche?. too
------------------------------------------------------------------------
414 TAtlEE l»ES MATIERES
Le philanthrope de Montélimar. .102
La Jeunesse du roi Henri 104
Un souper pour deux 106
Le lunch du succès 110
Gcssler expliqué 112
Une première de Meilhac 115
Dédicaces en musique #. ... 119
Début 'du ténor Gayarré. . 122
Le chef de bande 127
La peau du bonhomme 131
la Flamboyante 136
L'â-propos de la Cthnlonniêre 141
Petite esthétique. - Le geste ..142
Le cercle Pigalle. - Claude Gueux. 145
.MARS
Les trois de Reszké 149
Reprise de Midame Favarl 152
Question ministérielle 155
L'opéra folichon. 159
Le Roinin d'un jour 162
Gayarré dans 1 Turilani 164
En attendant le million 166
Le re-Tbar du monde 169
Petite esthétique. - La nourriture du comédien. . . 173
Reprise de l'As de trèfle 176
Mlle Pierson aux Français .178
lialolin. . . 184
Ltia'a 189
La recherche de Chopart 192
Premières a Déjazet. - Exeelsior .196
------------------------------------------------------------------------
TAUEE DES .MATIERES
4I>
La phrase caractéristique 199
La mort du théâtre. . * 205
Répétition générale de Sapho. . . . . 206
Débuts de madame Paul Mounet 214
Réouverture de l'Hippodrome. 217
4 AVRIL
te Train déplaisir 220
Première dcSapfo 229
Les Petites mains 234
Le compositeur marié . . 237
Indigne.' 240
Petite esthétique. - La façon d'écouter 243
Le Compositeur en voyage, ou Les vtallieurs d'un Musicien heureux 245
Le conseil des trois 250
Les idées de Dion-Boucicault sur les auteurs de son temps. 253
Attaque nocturne 256
Sans précédent! 260
Anlony. . 262
Réouverture du Cirque d'été. 268
Le /> «« Hussards. 270
Le Droit du Seigneur 273
La glace. 27S
Caruol. ... 282
Une lacune comblée 283
L'inventeur. 289
MAI
Massenet chez le juge. - Avant-propos 293
Le Sociétaire et les martins-pécheurs 297
------------------------------------------------------------------------
4IO TAREE DES WTIEHES
Nouvelle distribution de Robert le Diable 301
Déménagement du Jour et la Nuit 305
Par autorité de justice 308
La troupe ambulante 313
Reprise de Lakmé 315
Commentaires. 321
Le célèbre ténor Stagno 325
lili. . . 32S
La Duchesse Martin 350
Ma veine1 335
Reprise de Bérénice 336
Reprise de Bébé. 338
Macbeth. . 342
Les Cfjampairol. - Tout au plaisir .348'
Coco 350
Concours de petits prodiges 354
Le Député de Bombignac 359
Coquelin administré 363
A l'Hippodrome 365
JUIN
Les directions d'été 369
LesMartyrs. 372
Le PrésomptiJ 374
Correspondance 379
Vue pièce nouvelle 382
Les trois Devins 385
Mlle Richard et la politique 389
Cérémonie ..-Î*».JOÏ
Liquidation de fin d'année '. .' '-.^ 3ck
Mous allons divorcer. - On cassera du sucre. ... . 39^
a)i. .- Pari», Jmp. G, Gitnois, j. ru« M*Jame. - Su^c.'â^'oîtiejrç. /